94 LA PEAU DE CHAGRIN.
qu'une pensée, et le plaisir une réflexion philosophique. Je juge , au lieu de sentir...
— Tu es ennuyeux comme un amendement qui se développe, s'écria Emile.
— C'est possible, reprit Raphaël sans murmurer. Aussi, pour ne pas abuser de tes oreilles, te ferai-je grâce des dix-sept premières années de ma vie. Jusque-là, j'ai vécu, comme loi, comme mille autres, de cette vie de collège ou de lycée, dont les malheurs fictifs et les joies réelles font les délices de notre souvenir, à laquelle notre gastronomie blasée redemande les légumes du vendredi, tant que nous ne les avons pas goûtés de nouveau : belle vie dont les travaux nous semblent méprisables, et qui cependant nous ont appris le travail...
— Arrive au drame, dit Emile d'un air moitié comique et moitié plaintif.
—-Quand je sortis du collège, reprit Raphaël en réclamant par un geste le droit de continuer, mon père m'astreignit à une discipline sévère; il me logea clans une chambre contiguëà son cabinet; je me couchais dès neuf heures du soir et me levais à cinq heures du matin; il voulait que je fisse mon Droit en conscience , j'allais en môme temps à l'École et chez un avoué; mais les lois du temps et de l'espace étaient si sévèrement appliquées à mes courses, à mes travaux, et mon père me demandait en dînant un compte si rigoureux de...
— Qu'est-ce que cela me fait? dit Emile.
— Eh ! que le diable t'emporte ! répondit Raphaël. Comment pourras-tu concevoir mes sentiments, si je ne te raconte les faits imperceptibles qui influèrent