LA PEAU DE CHAGRIN, fi5
Car, après tout, la liberté enfante l'anarchie, l'anarchie conduit au despotisme, et le despotisme ramène à la liberté. Des millions d'êtres ont péri sans avoir pu faire triompher aucun de ces systèmes. N'est-ce pas le cerde vicieux dans lequel tournera toujours le monde moral? Quand l'homme croit avoir perfectionné, il n'a fait que déplacer les choses.
— Oh ! oh ! s'écria Cursy le vaudevilliste, alors, messieurs, je porte un toast à Charles X, père de la liberté !
— Pourquoi pas? dit Emile. Quand le despotisme est dans les lois, la liberté se trouve dans les moeurs, et vice versa.
—Buvons donc à l'imbécillité du pouvoir qui nous donne tant de pouvoir sur les imbéciles ! dit le banquier.
— Hé ! mon cher, au moins Napoléon nous a-t-il laissé de la gloire ! criait un officier de marine qui n'était jamais sorti de Brest.
— Ah! la gloire , triste denrée. Elle se paye cher et ne se garcte pas. Ne serait-elle point l'égoïsme des grands hommes, comme le bonheur est celui des sots ?
— Monsieur, vous êtes bien heureux.
— Le premier qui inventa les fossés était sans doute un homme faible, car la société ne profite qu'aux gens chétits. Placés aux deux extrémités du monde moral, lesauvage et le penseur ont également horreur de la propriété.
— Joli ! s'écria Carclot. S'il n'y avait pas de propriétés, comment pourrions-nous faire des actes?