LA PEAU DE CHAGRIN. 265
— Je suis jalouse du journal, dit-elle en essuyant les larmes que son rire d'enfant avait fait couler. N'est-ce pas une félonie, reprit-elle, redevenant femme tout à coup, que de lire des proclamations russes en ma présence, et de préférer la prose de l'empereur Nicolas à des paroles, à des regards d'amour?
— Je ne lisais pas, mon ange aimé, je te regardais.
En ce moment le pas lourd du jardinier, dont les souliers ferrés faisaient crier le sable des allées, retentit près de la serre.
— Excusez , monsieur le marquis, si je vous interromps ainsi que madame, mais je vous apporte une curiosité comme je n'en ai jamais vu. En tirant tout à l'heure, sous votre respect, un seau d'eau , j'ai amené cette singulière plante marine ! La voilà ! Faut, tout de même, que ce soit bien accoutumé à l'eau, car ce n'était point mouillé ni humide. C'était sec comme du bois, et point gras du tout. Comme monsieur le marquis est plus savant que moi certainement, j'ai pensé qu'il fallait la lui apporter, et que ça l'intéresserait.
Et le jardinier montrait à Raphaël l'inexorable Peau de chagrin qui n'avait pas six pouces carrés de superficie.
— Merci, Vanière, dit Raphaël. Cette chose est très-curieuse.
— Qu'as-tu, mon ange? tu pâlis! s'écria Pauline.
— Laissez-nous, Vanière.
— Ta voix m'effraye, reprit la jeune lille, elle est