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Titre : Bulletin archéologique et historique de la Société archéologique de Tarn-et-Garonne

Auteur : Société archéologique et historique de Tarn-et-Garonne. Auteur du texte

Éditeur : Imp. et lith. Forestié (Montauban)

Date d'édition : 1907

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34430001k

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb34430001k/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Format : Nombre total de vues : 9787

Description : 1907

Description : 1907 (T35 (DOUBLE)).

Description : Collection numérique : Fonds régional : Midi-Pyrénées

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k5663511j

Source : Société archéologique et historique de Tarn-et-Garonne, 2008-277395

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 06/02/2011

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BULLETIN

ARCHÉOLOGIQUE

ET HISTORIQUE

LA SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE

DE TARN-&-GARONNE

Fondée en 1866 RECONNUE D'UTILITÉ PUBLIQUE LE 13 AOUT 188 4

TOME XXXV — ANNÉE 1907

(1er Trimestre)

MONTAUBAN IMP. ET LITH. FORESTIÉ, RUE DE LA RÉPUBLIQUE, 21

1907


SOMMAIRE

Numéro du 1er Trimestre

Liste des Membres de la Société 5.

Journal de voyage de l'abbé Gibert, curé de Colonges, annexe de Saint-Clair, canton de Caussade, par M. A. GRÈZE... 17

Notes d'archéologie punico-romaine, par M. le docteur E. TACHARD 54

Le Mobilier de Mgr le Tonnelier de Breteuil, évêque de Montauban, mis sous séquestre en 1793, par M. Edouard FORESTIÉ. ... 73

Procès-verbal de la séance du 12 décembre 1906 89

Éloge funèbre de M. Bréfeil 90

Procès-verbal de la séance du 9 janvier 1907. 93.

Voeux du jour de l'an en vers latin adressés aux Sociétés savantes et réponses de celles-ci 93

L'Ame de Naples, volume offert par M. le chanoine CALHIAT .. . . '.' 95

Questionnaire adressé à la Société par M. Adrien GUÉBHARDT 96

Conférences.annoncées pendant l'année 1907. 98

Fondation d'une chaire d'archéologie à la Faculté des sciences de Toulouse. . 99

Un portrait de saint Louis Bertrand, dominicain, gravé sur cuivre 99

PLANCHE Portrait de saint Louis-Bertrand, dominicain.


BULLETIN ARCHÉOLOGIQUE & HISTORIQUE

DE LA

SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE



BULLETIN

ARCHÉOLOGIQUE

ET HISTORIQUE

DE

LA SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE

DE TARN-&-GARONNE

Fondée en 1866

RECONNUE D'UTILITÉ PUBLIQUE LE 13 AOUT 1884

TOME XXXV — ANNÉE 1907

(1er Trimestre)

MONTAUBAN

IMP. ET LITH. FORESTIÉ, RUE DE LA RÉPUBLIQUE, 23

1907



SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DE TARN-ET-GARONNE

Membres fondateurs survivants (1866)

MM. Henry CALHIAT. DE COUSTOU-COYSEVOX.

M.

Fernand POTTIER.

Membres du bureau

MM.

Chanoine F. POTTIER, I. , Président.

DE MÉRIC DE BELLEFON, Viceprésident.

Conseil d'Administration

Marcel SÉMÉZIES.

Paul FONTANIE.

Comte DE GIRONDE. Léopold MATHET.

MM. Éd. FORESTIÉ, Secret, général.

Auguste BUSCON, Secrétaire.

Jean BOCRDEAU, Trésorier.

Section des Beaux-Arts

Comte DE GIRONDE, président.

section de musique

Chanoine CoNTENSOU, président.

(Section de Photographie

Léopold MATHET, président.

Louis LESPINASSE, bibliothécaire.

Membres honoraires-nés

MM.

Le Ministre de l'Instruction publ. Le Général de division. Le Préfet du département.

MM. Mgr l'Évêque de Montauban. Le Maire de Montauban. L'Inspecteur d'académie.

Membres honoraires

BODINIER, sénateur.

CARSALADE DU PONT (Mgr de), y, évèque de Perpignan.

CHATELI.IER (du), , correspondant de l'Institut : Quimper.

DELISLE (L.), C. , I. y. membre de l'Institut : Paris.

DOUAIS (Mgr), Q, évêque de Beauvais.

GAILLEMIN (R. R. dom Symphorien), abbé de Grandselve.

LASTEYRIE (comte Robert de), , 1.1|, membre de l'Institut.

LEFEVRE-PONTALIS (Eugène), I. p, secrétaire du Comité des Sociétés savantes.

FORGEMOL DE BOSQUÉNARD, sénateur.

LEWAL (général), G. 0. ^, ancien ministre de la guerre : Paris.

MAYBORY (William C), ^, maire de Détroit (Michigan).

MARIE-XAVIER (R. R. Dom). abbé de Fontfroide.


6 LISTE DES MEMBRES

Membres titulaires

Résidant à Montauban.

ALAUX, notaire.

ALIBERT (docteur), y, médecin en chef de l'Hospice.

BARDON (Adrien), capitaine au 10e dragons.

BARTHE, , chef de bataillon en retraite.

BASTOUL, directeur du Grand Séminaire.

BAZELAIRE (de), capitaine au 10e dragons.

BELLERIVE (de), , capitaine au 11e de ligne.

BELLERIVE (G. de), maire de l'Honor-de-Cos.

BERMOND D'AURIAC (de), , commandant au 10e dragons.

BERTHON, , capitaine au 17e escadron du train.

BORDERIES, notaire.

BOUIS (Achille), conservateur du Musée de Montauban.

BOUÏSSET (Félix), p, artiste peintre.

BOBRDEAD (Jean) : Villebourbon.

BOUYSSOC, chanoine, vicaire général.

BUSCON (Auguste), avocat.

CABANES (Louis), I. Q, peintre d'histoire.

CAILLEMER, 0 *, colonel en retraite.

CALHIAT (H.), y, chanoine titulaire, missionnaire apostolique.

CAUBÈRE (Charles), directeur de la Banque.

CÉLARIÉ (Gaston), y, professeur de dessin.

CHATINIÈRES (abbé), professeur au Petit Séminaire.

COLIGNY (comte Guy de), lieutenant au 10e dragons.

CLAVERIE (Louis).

CONTENSOU (A.), chanoine non., maître de chap. de la Cathédrale.

COSTE, 0. *, C. , I. y, médecin principal en retraite.

COUGOUREUX (Jules), docteur-médecin.

COURTOIS DE VICOSE, lieutenant au 10e dragons.

COUSTOU-COYSEVOX (Gabriel de), 0. $$, ancien sous-préfet.

CRUZY-MARCILLAC (baron Gaston de), Conseiller général.

DAGRAND (Pol), ancien président du conseil d'arrondissement.

PAISSE (Jacques), avoué.

DANTIN (Aristide), O. , capitaine de frégate de réserve.

DAUX (abbé Camille), missionnaire apostolique.

DELBREIL (comte Henri), >&, ancien sénateur.

DELBRU, chanoine honoraire, curé de Saint-Jacques.

DELMAS-DEBIA (Edmond), anc. sous-préfet: château de la Salvetat.

DELPEY (Antoine), avocat.

DONNADIEU (Dieudonné), avocat.

DUBOIS-GODIN (G ), président de la Caisse d'épargne.

DUFAUR (Léon), receveur de l'Enregistrement en retraite.

ESCUDIÉ (François), substitut.

FAURÉ (Alphonse), A. Q, artiste-peintre.

FAURE (Ernes1), notaire.

FOREL (Henri), 0. ^, lieutenant-colonel de l'armée territoriale.

FORESTIÉ (Ed), corr. du minist. des Beaux-Arts, laur. de l'Institut.

FORESTIÉ (Georges), licencié ès-lettres.


DE LA SOCIETE 7

FOURNIER (Henri), avoué. FRANCE (Henry de).

GARDARENS DE BOISSE (Jules de), juge au Tribunal civil. GAOAC (Gabriel de), lieutenant au 10e dragons. GIBERT, chan. lion., chancelier de l'évêché de Montauban. GIBERT (Emile), architecte.

GINHOUX (Paul), ^, capitaine au 11e d'infanterie. GIRONDE (comte Léopold de), ancien conseiller général. GRANÈS (de), avoué honoraire. GUILHOT DE LAGARDE, lieutenant au 20e d'infanterie. IMBERT (Léonce), avocat, archiviste du département. KONNE, C. ^ (général).

LACGER (baron Jean de), ^, chef de bataillon au 20° d'infanterie. LADE (Bernard) : château de Mortarieu, près Montauban. LAPIERRE (Louis), avocat. LAROCHE (Eugène), avoué. LARRIEU (Blaise), notaire.

LAURENGTIN-BEAUFORT (comte de), lieutenant au 10e dragons. LAVITRY (Victor), contrôleur des Contributions directes. LEKNHAUDT (F.), I. y, prof, de sciences naturelles à la Faculté. LESPINASSE (Pierre), juge suppliant au Tribunal civil. LESPINE, directeur de la Société générale. MARRE (Henri), ï, professeur de dessin. MARCEL, capraine au 10e dragons. MASSON (Henri), docteur en droit. MATHET (Léopold), chimiste. MAUQUIÉ (Louis), ancien notaire. MAUROU, y, architecte de la ville. MAURY, greffier en chef du Tribunal civil. MÉRIC DE BELLEFON (Aloys de), avocat, ancien magistrat. MÉRIC, , officier de marine en retraite. MILHAU (abbé), professeur au Petit Séminaire. MOISSENET, ^, ingénieur en chef. MOMMAYOU (Anatole), avocat. MONRIBOT, docteur-médecin. MORETTE, chanoine, supérieur du Petit Séminaire. NÉGRIÉ (Auguste), pharmacien. OLIVIER (Germain), architecte diplômé. PAGES (Louis), docteur en droit.

POTTIER(Fernand), I. y, chan., vie. gén. non., corresp. du Minist. de l'Instr. publ. et des Beaux-Arts, insp. de la Soc. franc. d'Archéol. PRAX (René), notaire. RABASTENS (Paul), avocat. RAYNAUD, lieutenant de cavalerie. RESSAYRE (Gaëtan).

RÉVEILLAUD, ^, capitaine au 11e d'infanterie RIVIÈRES (baron Edmond de), inspect. divis. de la Soc. fr. d'Arch. ROUS (Germain).

ROZAT DE MANDRES, ^, capitaine, off. d'ord. du général de caval. SAINT-YVES, P, explorateur. SANCHOLI.E (E.), avocat.

SAINT-FÉLIX (J. de Cassaigneau de) : l'Hermitage (Loubéjac). SCORBIAC (baron Bruno de), avocat : château de Verlhaguet.


8 LISTE DES MEMBRES

SCORBIAC (abbé Henri de), docteur en théologie.

SCORBIAC (comte Guichard de), avocat.

SÉMÉZIES (Marcel), avocat.

SÉVERAC (baron Jean de), ancien conseiller général, avocat.

SIBIEN, ^, commandant en retraite.

SOULEIL (Maurice).

SOULIÉ (E), y, vicaire-général honoraire, chanoine.

SOUVESTRE, 0, ^, général.

STOUMPFF, chanoine, directeur au Grand Séminaire.

TAMPÉ, ^, lieutenant-colonel au 10e dragons.

TEISSIÉ-SOLIER (Pierre), avocat, maire de Finhan.

TEISSIÉ, médecin-major au 10e dragons.

THOMAS, (F.-X.), maître de chapelle et compositeur de musique.

TONNAC-VILLENEUVE (de), 0. ^, chef d'escadron en retraite.

TREILLARD, directeur de la succursale du Crédit Lyonnais.

VALLON (Jules), O. ^, général de cavalerie.

VEDEAUX, C. ^, général : Montauriol.

VERNHES, curé de Saint-Martial-Montauban.

VEZINS (comte Élie de Levezou de), villa de Chambord.

VIALETTE-D'AIGNAN, ^, capitaine de cavalerie.

VINCENT (Louis), ingénieur, direct, de la Compagnie d'Électricité.

VILLENEUVE (comte de), lieutenant au 10e dragons.

VITTEAUT (Léon), caissier do la Banque de France

VIVIE DE RÉGIE (René de).

VIVIE DE RÉGIE (Roger de), avocat.

Résidant hors de Montauban.

ABLANC DE LABOCYSSE (Charles d') : chât, de Blauzac, par Vazerac.

ALRIC (Georges), avocat : Castelsarrasin.

ANGLAS, curé de Montricoux.

ARNAL (Pierre), anc. député, château de Montesquieu, par Moissac.

AUZILLIS DE LA TOUR (Roger d') : Castelsagrat.

AYRAL (Louis), avocat à la Cour d'appel : Paris; Saint-Nicolas.

BACH, curé de Saint-Julien, par Montpezat.

BARTHE (Germain), curé-doyen de Villebrumier.

BASTIÉ (Eugène), peintre et sculpteur : Castelsarrasin.

BEAUFORT (comte de) : Castelsarrasin.

BELBÈZE (général), C. ^ : Moissac.

BELBEZE (Raymond), docteur-médecin : Saint-Nicolas.

BÉRINGUIER, docteur-médecin : Grisolles.

BOÉ, docteur-médecin : Castelsarrasin.

BOISTEL (Léo), peintre d'histoire : Dieupentale.

Boscus (Louis) : Caussade.

BOUÏSSET (Firmin), *, artiste peintre : Paris.

BOUZINAC (Théophile), receveur de l'Enregistrement : Toulouse.

BUZENAC (Auguste), curé de Castanède : Caussade.

CABADÉ, docteur-médecin : Valence.

CARRÈRE DE MAYNARD (Paul) : château de Bailard, par Grenade.


DE LA SOCIÉTÉ 9

CATSIGRAS (Georges) : Marseille.

CAYROU (Joseph), receveur de l'Enregistrement : Moissac.

CHALRET pu RIEU, anc. cons. gén. : chat, de Granès, par Réalville

CLAVEL (Élie), artiste-peintre : Montech.

CONSTANS (docteur Adrien) : Saint-Antonin.

CONSTANS, docteur-médecin : Lafrançaise.

COSTE (Arthur de) : château d'Andas, par Castelsagrat.

CROC (Gabriel), notaire : Caussade.

CURZAY (baron de), château du Mesnil, par Montech.

DANGLADE, capitaine de cavalerie, château de Sauveterre, par Lombez.

DESTARAC, ^, capitaine au train des équipages, Paris.

D'ELBREIL (Pierre) : château de Fonneuve.

DESNQUS (Albert), ^, chef de bataillon au 122° d'infanterie,

Montpellier. DEPEYRE (Etienne), conseiller général : Montpezat. DUGUÉ (Joseph) : Moissac.

ESCARD (François), bibl. du prince R. Bonaparte : Paris. FAURÉ, ingénieur en chef.

FONTANIÉ (Paul), docteur en droit: Castelsarrasin. FONTENILLES (de), »JJ, y : château des Auriols, Varennes. FORESTIÉ (Bernard) : Aucamville, par Verdun. FRÈRE, 0. #, colonel en retraite. GALABERT (Firmin), curé d'Aucamville, par Verdun. GALINIÉ (Philippe), capitaine en retraite : château de Fonlongue,

Caussade. GARREAU (Maurice), avocat : Castelsarrasin et Langon. GRANIÉ (Léonce), €|, avocat : Caussade. GRELING (Fernand de), chat. de Lamothe : Auvillar. GRÈZE (Auguste), y, Valence-d'Agen. JAMME (Louis), notaire à Caumont. LABORDE (Antonin), anc. cons. général : Beaumont. LABORIE (abbé), curé de Saint-Georges : Puylaroque. LAFITTE (Paul), docteur en médecine : Verdun. LAFFONT (l'abbé), Toulouse. LAFON-BOUTARY (Jean de), avocat, Montech. LAGAUSIE (de), château de Fonlongue, Caussade. LA HITTE (vicomte Maurice de) : Montech. LINON, O. ^. docteur-médecin principal en retraite, Montpezat. LASSERRE (Albert) : Saint-Clar et Saint-Nicolas. LASSERRE (Maurice), ancien député, maire de Saint-Nicolas. LASTIC SAINT JAL (comte H. de) : Saint-Antonin et Toulouse. LATREILLE (Robert), y, notaire, anc. maire de Lafrançaise. LURY (Augustin), ancien vicaire général : Paris. MAILLY, capitaine d'infanterie, Bordeaux. MARIGNY (Jean de) : Villebrumier, conseiller général. MARVEILLE (de) : château de Mauvers, par Verdun. MAUQUIE (docteur) : Montgaillard. MACRY (R.), curé de Finhan. MENTQUE (de) : château de Liste et Paris.

MINORET (René), aucien officier : château de Roujos, près Beaumont. MISPOULET, y, lauréat de l'Institut : Montpezat et Paris-Passy. MOMMÉJA (Jules), I. y : Agen. MONBRISON (Etienne de) : château de Saint-Roch, par Auvillar.


10 LISTE DES MEMBRES

MONBRISON (Jacques de), ^, conseiller général, Auvillar.

MONTRATIER-PARAZOLS (Cte P. de) : ch. de la Baronnie, p. Lafrançaise.

NONORGUES (Jean), notaire à Septfonds.

OULÈS, curé de Saint-Maurice, par Lafrançaise.

PANAT (marquis de) : Arcamville et Toulouse.

PÉCHARMAN (Paul), anc. conseiller d'arrondissement : Molières.

PÉRIGNON (comte de), capitaine, château de Finhan.

PUY DE GOYNE (Max du) : Castelsarrasin et Villeneuve.

QUILHOT (Aubin), curé-doyen de Montpezat.

RAMBERT, curé de Réalville.

RAT, curé-doyen de Nègrepelisse.

RÉBOUIS, I. y, arch. paléog. : Paris, 75, r. Pascal.

REYNIÈS (Mathieu de Séguin de) : curé de Bressols.

RUBLE (Mme la baronne de) : château de Ruble et Paris

SAINT-MARTIN (Charles de) : Verdun.

SAINT-VINCENT (baron Louis de), château de Boutary, Montech.

SARREBAYROUSE : Beaumont-de-Lomagne.

SOUBIES (Albert), ^, I. y, JJS : Beaumont-de-Lomagne; Paris.

SOUBIES (Jacques), docteur en médecine : Beaumont et Paris.

TAILLEFER, curé de Cazillac, par Lauzerte.

THOLOSANY (de) : château de Laroque, par Bruniquel.

TRAVERSAY (vicomte de Sansac de) : Castelsarrasin et Agen.

TRUBERT (Etienne), anc. député : château de Castels, par Valence.

TRUTAT (Eugène), ^, I.y, corresp. du minist. : Bosgayral et Foix.

VASSAL DE LA BARDE (marquis de), 0. ^. colonel, Saint-Antonin.

VAISSIÈRE (Victor), ^, anc. direct, des Postes, Saint-Antonin.

VASSILIÈRES (Paul) : Castelsarrasin.

VALMARY, pharmacien : Lafrançaise.

VESINS (comte Auguste de) : château de Caylus.

Membres correspondants.

ALBE (Ed.), y, chanoine honoraire : Cahors.

AMADE (Albert d'), 0. ^, tgi, général de brigade.

AUGE, ^, 0. I>£J, Q, capilaine en retraite, Paris.

AURIGNIAC, architecte diocésain : Lavaur.

BACCALERIE, curé de Villeneuve-les-Bouloc (Haute-Garonne).

BALANDIER, ^, ingénieur en chef des ponts et chaussées : Béziers.

BATIFFOL (Pierre), recteur de l'Institut catholique, prélat de S. S.

BAUDON DE MONY, de l'École des Chartes : Paris.

BEAUCHESNE (marquis de) : Le Mans.

BEAUDEMOULIN, ^, colonel.

BEAUREPAIRE (Charles de), ^, archiv., corr. de l'Institut : Rouen.

BELLEGARDE (de), ^, colonel du génie : Montpellier.

BELLEUD (Eugène de Saint-Jean de) : Castelnau de Montratier (Lot).

BERC (Emmanuel de), docteur en droit : Clermont-Ferrand.

BÉGUIN, (J.-M.), chanoine de Fréjus.

BESSÉRIE, Théodore : Lavaur.

BÉTHUNE (baron), prélat de Sa Sainteté : Bruges.

BIAIS, bibliothécaire : Angoulème.

BOISSARIE, avocat : Paris.


DE LA SOCIÉTÉ 11

BONNAY, architecte et inspecteur des monuments historiq. ; Brive.

BORDE (La), 0. ^, conseiller à la Cour de cassation,

BOSBOEUF (l'abbé), président de la Société archéologique : Tours.

BOUET (Max), avocat, Saigon (Indo-Chine).

BOUGLON (baron de) : Toulouse.

Bouïc (Albert), ancien magistrat : Montpellier.

BOUZINAC DE LA BASTIDE, conser. des Hypoth. : Villefranche (Rhône).

BOUTELOU (Emmanuel), 0. >J:, directeur des Beaux-Arts : Séville.

BOYER (Germain), docteur en droit: Béziers.

BOYSSON (Jean de), avocat : Sarlat.

BOYSSON (Jehan de), capitaine de cavalerie : Tarbes.

BOYSSON (Richard de), C. tj< : Cénac Dordogne).

BRAQUEHAYE, I. y, membre de la Société archéologique de Bordeaux.

BRY, président du Comité archéologique, Noyon.

BRUSSON, ^, maire de Villemur.

BROUQUIÉ (l'abbé), professeur : Toulouse.

CABALLERO INFANTES, 0. tjt, de l'Académie de Séville.

CABIÉ (Edmond), y, de l'Ecole des Chartes : Roqueserrière (He-Ge).

CABROL, ancien directeur des Postes : Villefranche.

CAILLAT (Léon), Castillon-sur-Dordogne (Gironde).

CAMINEL (de Bonafous de), 0. #, colonel en retraite, château de

Charry (Lot). CAPELLA (Arthur de) : Puylaurens (Tarn). CARTAILHAC (Emile), ^, C. tgi, I. y, correspondant de l'Institut :

Toulouse». CASTELLANE (de), ^, capitaine au 57e d'infanterie : Libourne. CAU-DCRBAN, curé de Lavelanet (Ariège). CAZAUBON (de), ^, médecin-major : Périgueux. CAZAURAN, chanoine honoraire, archiprêtre de Mirande. CÉLESTE, , bibliothécaire: Bordeaux. CÉZERAC, vicaire général, président de la Société historique de

Gascogne : Auch. CHAIROU (François), caissier de la Banque de France, Troyes. CHAMAISON (Jules), ancien percepteur, Grenade-sur-Garonne CHARVILLAT, docteur-médecin : Clermont-Ferrand. CHAVANON, I. &, archiviste honoraire, 23, rue de Varennes, Paris. CHERGÉ (Maurice de) : château de Bannières, par Vayrac (Lot). CHESNEAU, '$, ingénieur en chef, professeur à l'Ecole des Mines,

Paris. CHEVALIER (Ulysse), $£, I. y, chan. hon., cor. de l'Instit. : Romans. CHEVALIER (Georges), ^, commandant au 114e d'Infanterie, SaintMaixent.

SaintMaixent. chanoine : Chartres.

CLOQUET (Louis), professeur d'archéologie à l'Université de Gand. COLIN (R. P.), directeur de l'observatoire : Tananarive. CONDAMINAS. sous-intendant, Gap. CONNU, , directeur des Postes en retraite : Pau. CONTRERAS (Raphaël), 0. i^, directeur de l'Alhambra : Grenade. COUGET (Alphonse), ancien magistrat : Saint-Gaudens. CROIX (1e R. P. Camille de la), , memb. du Comité du M. : Poitiers. CROLLAUNZA (Goffredi), 0. tgt, secret, de l'Acad. héraldique : Bari. CUNY, Albert, architecte : Nancy. DAUSSARGUES (A.), $, &, agent-voyer en chef en ret. : Montpellier.


12 LISTE DES MEMBRES

DAYMARD (docteur), &, médecin militaire: Paris.

DELAVAL (Fernand), ^, commandant du génie : Grenoble.

DIEULAFOY (Mme Jane), ^, I. y, : Paris, rue Chardin, 12.

DIEULAFOY (Marcel), 0. *, I. y, memb. de l'Inst., ing. en chef : Paris.

DUBARRY DE LASSALLE, architecte : Agen.

DUBOIS, ^, lieutenant-colonel au 142e de ligne : Lodève.

DUBOR (Georges de), I. y, attaché à la Bibliothèque national 3 :

Paris. DUBOURG (dom), bénédictin : Baronville, par Benuraing, Belgique. DUGGAN (James-B.), i>gi, esq., San Francisco (Californie). DUPRÉ (Louis) : Poitiers.

DURAND (Georges), >&, archiviste de la Somme : Amiens. DURAND, président de la Société archéologique de Chartres. DURIEU (comte Paul), I. y, 0. tjj, conserv. Musée du Louvre : Paris. ELIAS, O. '$. colonel en retraite : Toulouse. ENLART, I. y, 0. , directeur du Musée du Trocadéro : Paris. EVANS, O. tgi, anc. président de la Société des antiquaires : Londres. ESQUIEU (Louis), membre de la Société des Études du Lot. FABRE (Prosper), directeur du Crédit Foncier : Carcassonne. FARCY (Louis de), tj» : Angers. FAVÉ (abbé) : Quimper.

FAYOLLE (marquis de), président de la Société archéol. : Périgueux. FERLUC (de), ^, colonel de cavalerie, Châlons-sur-Marne. FERREIRA, ^, C. îgi, >J<, capitaine, aide de camp de S. M. le Roi

de Portugal Porto. FLORENT (Gonzague), chanoine, curé de Conques (Aveyron). FONTENILLES (de La Roche, marquis de) : Paris, rue Villersexel. FONTANIÉ (R. P.), missionnaire : Madagascar. FOURCADE (Pierre), ^, lieut.-colonel de cavalerie : Belfort. FOURGOUX (Jehan), docteur en droit, Paris. FOURNIER, 0. ^, général.

FROMENT (dom), bénédictin : Saint-Wandrille (Seine-Inférieure). GANDILHON, y, archiviste du département du Cher : Bourges. GASTEBOIS (Louis de), anc. officier d'artillerie : Lourdes. GAUTIER-DESCOTTES, notaire, secr. de la Com. arch. : Arles. GESTOSO Y PEREZ, 0. (Jt, professeur à l'Académie des arts : Séville. GRIOLET, 0. ^, intendant : Nice.

GUIRAL (Elie), ^, ingénieur en chef du département : Montpellier, GUIGNARD, de Butteville : Amboise. GUIGNARD, président de la Société du Vendômois. GUYON, inspecteur-chef des bâtiments, Montréal, Canada. HAUTPOUL (comte d'), I^I, *, château de Serres, par Naious. HAUTSCHAMPS (colonel baron Des), 0. ^ : château de Griffoul

(Dordogne). HÉBERT (docteur), I. ©, président de la Société académique. HÉBRARD DE SAINT-SULPICE (Mis d') : Paris. JEANROY (A ), I. y, prof, à la Fac. des let. : Toulouse. LABOULBÈNE, *, conseiller à la Cour d'appel : Agen. LAHONDÈS (de), président de la Société archéol. du Midi : Toulouse. LALANDE (P.), y, membre de la Société française d'archéol. : Brive. LAMPEREZ Y BOMEA, professeur d'archéologie, Madrid. LAPAUZE (H.), $fè, I. H, membre de la Commission des Beaux-Arts :

Paris.


DE LA SOCIÉTÉ 13

LASSALLE (Xavier de), publiciste : Agen. LASSOS (baron Bertrand de) : Montréjeau (château de) (H.-G.). LATIL (dom Augustin de), #, bénédictin au Mont-Cassin (Italie). LAUZUN (Philippe), I. y, Valence-sur-Baïse (Gers). LAVAL, $fe, docteur médecin-major de lre classe : Avignon. LAVAUR DE SAINTE-FORTUNADE (Vte de), ^, C. tgr, ministre plénipot. LEGRAND (Maurice), Franc-Nohain, homme de lettres : Paris. LÉVÈQUE, dir. de la suce, de la Banque de France : Saint-Quentin. LISLE (Henri-Coquelin de), rec. princ. des cont. ind.: Chàlon-s/-Saône. LOCHES, capitaine au 10e dragons : Reims.

LORENGÉ (Emile), ^, ||i, (M. A.), sous-intendant militaire, Toulouse. Louis, directeur des chemins de fer de Medina à Salamanque. MAIRE (Albert), y, bibliothécaire de l'Université : Paris. MAISONOBE (Abel), 111, sous-préfet : Mauriac. MAJOREL, H., curé-archiprêtre de Villefranche (Aveyron). MALARTIC (comte Gabriel de Maures de) : Paris, rue Vanneau, 55. MARBOT, chanoine honoraire, membre de l'Académie : Aix. MARQUEZ (R. Dom), doyen du Chapitre, Burgos. MASSON, photographe : Paris. MAUBERT, &, Senlis, professeur de musique. MÉNEVAL (baron de), Çfe, C. ift, )J<, diplomate : Versailles. MENSIGNAC (de), y : Bordeaux. MÉRIMÉE (Henri), professeur agrégé.

MERLET, I. y, archiviste, de la Société archéologique de Chartres. MILLERET (Henri de), Grenade-sur-Garonne. MONTAUSSÉ-DULYON : château de Barbazan (Haute-Garonne). MONTAZEL, vétérinaire de cavalerie, Senlis. MONTMARIN (colonel comte de), & : Versailles. MOREL, |ï, >&, chanoine honoraire, curé de Chevrière (Oise). MOULENQ (François), y, conseiller à la cour d'appel : Toulouse. MULLER, I. y, chan. lion., aumôn. de l'hosp. de Chantilly. NICOLAÏ (Alexandre), I. |ï, avocat : Bordeaux. PARFOURU, I. Q, archiviste départemental : Rennes. PASQUIER, I. p, archiv. du départ, de la Haute-Garonne : Toulouse. PEILLARD, ^, lieutenant-colonel à l'état-major : Besançon. PÉLISSIÉ, curé de Castelnau-de-Montmirail. PÉRON, C. ^, intendant militaire en retraite : Auxerre. PIGACHE-SAINTE-MARIE (de), %, major du 10e d'infanterie : Auxonne. PIGANEAU (E), y : Saint-Emilion et Bordeaux. PONVIANNE DE JOUYE (André), Léon (Espagne). PORTAL, p, archiviste : Albi.

POUGENS (Edmond), percepteur : Saint-Etienne-en-Forez. POUILLOT, I. y, insp. d'Acad. : Melun.

QUÉVILLON (Fernand), 0. ^, I. y, général, gouverneur de Maubeuge. RAMEL (Fernand de), ^, p, avoc. au Conseil d'État, député : Paris. RAYNAL, chanoine : Sorèze.

REGNAULT, ©, membre de la Société archéologique : Toulouse. RICHEMOND (de), y, archiviste du département : La Rochelle. RIGAUD, ^, commandant, chef du génie en retraite, Toulouse. RIVIÈRES (baron J. de) : Toulouse.

ROQUES (Fernand), O. #, chef de bataillon en retraite : Toulon, ROMESTIN, y, architecte: Toulouse.


14 LISTE DES MEMBRES

ROSCHACH (E.), jftf, secret, gén. de l'Acad. des Sciences : Toulouse.

ROSSIGNOL (Élie), Q : Montans (Tarn).

RUMEAU (B.), I. Q, directeur d'école en retraite : Toulouse.

RUPIN (Ernest), $£, I. y, Brive.

SAINT-BON (le comte Gustave de) : Marseille.

SAINT-PAUL (Anthyme),y : Paris.

SARRÈTE (Jean), curé.

SCHALL (Jules), chan. hon. : Paris.

SCORBIAC (Etienne de), C. tjî, avocat : Toulouse.

SÉRÈS, ^, lieutenant de vaisseau.

SIMONATY (P. André), O. rja : Constantinople.

SINGHER : Le Mans.

SOLANCIER (Raoul-Giral de), Céret (Pyrénées-Orienlales).

SOUVESTRE, O. ^, général de division.

TACHARD (docteur Elie), Q. : Toulouse.

SOIL, directeur du musée : Touruay (Belgique).

TAFFANEL DE LA JONQUIÈRE (vicomte de), O. $fe, colonel : Paris.

TEYSSIER (colonel), 0. #, présid. de la Société des Sciences : Albi.

THOLIN, ^, I. y, archiviste : Concarneau (Finistère).

TIERNY (Paul), y, archiviste.

TOUZAUD, président de la Société archéologique d'Angouléme.

TRAVERSAY (Guy de), capitaine de cavalerie, Versailles.

TRIGER (Robert), président de la Société archéologique du Maine.

TRILLES (Dr), médecin-major : Castres.

VASSAL, lieutenant, Ecole de guerre, Paris.

VÉRAN, I. y, architecte, présid. de la Commis, archéol. : Arles.

VIGUIÉ, conseiller d'arrondissement : Penne (Tarn).

VILLARET (de), ^, >, lieutenant-colonel : Limoges.

VIRÉ (Armand), tf», I. S, attaché au Muséum, Paris.

VIVIÈS (Paul de), château de Tauriac (Tarn).

COMPOSITION DES DIVERSES SECTIONS

Section de Photographie.

MM. Eugène Trutat, président honoraire ; L. Mathet, président; de Méric de Bellefon, vice-président ; abbé Milhau, secrétaire.

MEMBRES : MM. l'abbé Anglas, l'abbé Barthe, commandant Barthe, E. Bastié, Bastoul, de Bazelaire, de Bermond, Bouïs, Bouzac, Callhiat, Cartailhac, Chatinières, Clavel, L. Claverie, docteur Coste, A. de Costes, Courtois de Viçose, capitaine Danglade, D. Donnadieu, A. Fauré, E. Fauré, de Fontenilles, Ed. Forestié, Georges Forestié, H. de France, Gibert, Granié, abbé Laborie, de Lacger, Lade, Lauzun, Leenhardt, Mailly, Marcel, abbé Milhau, Méric de


DE LA SOCIÉTÉ 15

Bellefon, chanoine Morette, Mauquié, A. Négrié, G. Olivier, abbé Quilhot, Rabastens, abbé Rambert, Regnanlt, Ressayre, abbé de Reyniès, Romestin, Rozat de Mandres. E. Rupin, Sarrebayrouse, de Séverac, Sibien, chanoine Stoumpfl, B. de Scorbiac, G. de Scorbiac, docteur Tachard, Valmary, Général Vedeaux, Vincent. Viré.

Section de Musique.

MM. Albert Soubies, présid. honor. ; chanoine A. Contensou, président; F.-X. Thomas, vice-président ; Sancholle, secrétaire.

MEMBRES : MM. Abadie, Arnoul, de Bazelaire, Bouïc, Bourdeau, Gaston Célarié, Daïsse, A. Fauré, Edouard Forestié, G. Forestié, Ginhoux, L. de Gironde, Haein, chef de musique, de Lacger, V. Lavitry, Maury, abbé Maury, Mérolles, de Milleret. Millot, Pages, R. Prax, Ressayre, Rougé, Rozat de Mandres, Siguret, chanoine Stoumpff, Tessier, Victor Vaissières, général Wallon.

Section des Beaux-Arts.

MM. le comte de Gironde, président; Sémézies, secrétaire.

MEMBRES : MM. d'Ablanc, Bastié, le général Belbèze, commandant de Bermond, Boé, Boistel, Boscus, Bouïs, F.-F. Bouisset, F. Bouisset, Bourdeau, Buscon, Cabannes, chanoine Calhiat, Clavel, de Costes, Delbreil, Delpey, A. Fauré, L. Faure, colonel Forel, Ed. Forestié, H. de France, Fournier, Gibert, général Konne, d'Aignan, abbé Laborie, Lespinasse, Marre, Maurou, Moissenet, E. de Monbrison, Olivier, chanoine Pottier, René de Vivie, Rigaud, de Rivièrea, Rozal de Mandres, de Tonnac de Villeneuve, de SaintFélix, de Séverac, commandant Sibien, Bruno de Scorbiac, Vaissières, R. de Vezins, Vialettes-d'Aignan.



JOURNAL DE VOYAGE

DE

L'ABBÉ GIBERT

CURE DE COLONGES

Annexe de Saint-Clair, canton de Valence

PAR

M. A. GRÈZE

Membre de la Société Archéologique

Un prêtre ne nos amis, qui connaît l'intérêt que nous portons à tout ce qui a trait à l'histoire du passé, a bien voulu nous confier un tout petit cahier manuscrit, que possédait une personne de Valence, cahier auquel manque malheureusement le premier feuillet. Sur le second et le troisième feuillet sont inscrits les noms d'ecclésiastiques dont la qualité et le diocèse sont indiqués. Vient ensuite sous le titre de Récit de voyage en Espagne en 1792, une relation très détaillée, écrite au jour le jour, sous forme de lettre à un ami, du voyage que firent pour se rendre en Espagne aux îles Baléares, quatre prêtres chassés de Valence en vertu de la loi de déportation.

Le cahier ne mentionne point le nom du prêtre auteur du Journal de voyage, il figurait peut-être sur la première page enlevée, mais les indications contenues dans les premières lignes du récit nous ont permis de le découvrir; l'auteur écrit, en 1907 2


18 JOURNAL DE VOYAGE

effet, que ce fut le II septembre 1792 que nanti d'un passeport pris au district de Valence en Agenois, il dirigea ses pas vers l'Espagne suivi de trois autres confrères Mallet, Savignac et Lassalle. Or, les registres des délibérations de l'administration du district de Valence déposés aux archives de Lot-et-Garonne, que nous avons consultés, mentionnent qu'à la séance du 9 septembre 1792, « se sont présentés devant l'assemblée " du district : « Bartélémi Malet, curé de Saint-Vincent de " Soussonpech, municipalité de Dominipech, district de Ton" neins, Dominique Lassale, vicaire de Sigougnac au district « de Valence, âgé de 34 ans, Jean Laurens, Hilaire Savignac, (( prêtre, cy-devant vicaire de Valence, âgé de 39 ans, et Jean " Gibert, prêtre curé de la paroisse de Colonges, municipalité « de Castelsagrat, âgé de 47 ans. Lesquels ont déclaré vou« loir, en vertu du décret de l'assemblée nationale du 26 août " 1792, sortir du Royaume pour aller en Espagne et ont de« mandé qu'il leur fut délivré un passeport et qu'il leur fut « accordé six sols pour lieue comme n'ayant ni traitement ni (( revenu, ce qui leur a été concédé. »

C'est donc Jean Gibert, curé de Colonges, qui, chaque soir, mentionnait par écrit les détails et les incidents pénibles ou joyeux du long voyage que ses collègues et lui chassés de leur pays par la Révolution, avaient été forcés d'entreprendre. Ecrit dans un style simple, un peu monotone parfois, mais très intéressant malgré cela, le journal de voyage du curé de Colonges nous montre les souffrances physiques et morales qu'endurèrent nos compatriotes au cours de leur fatigant voyage ; les réflexions dont il émaille son récit sont parfois fort curieuses, le soin qu'il met à mentionner les lieux et les villes qui lui rappellent son pays et dont il indique la ressemblance avec les villes de notre région, montre quel souvenir il garde du pays de France. Quelle joie lorsque nos voyageurs rencontrent à Vich des prêtres de Moissac, qu'ils connaissent, avec quel regret ils se voient contraints de quitter Barcelonne et leur étonnement de trouver dans cette ville un Moissagais qui a abandonné Moissac depuis 30 ans, compromis qu'il était dans une affaire criminelle, et qui jouit dans la capitale de la Cata-


DE L ABBÉ GIBERT 19.

logne de la plus haute estime ? Autant de pages que liront avec intérêt, j'en suis sûr, mes honorables confrères de la Société archéologique.

A la suite de la publication du voyage en Espagne de l'abbé Gibert, nous donnons la liste des ecclésiastiques dont les noms précèdent sur le manuscrit, le récit du voyage; la feuille enlevée dont nous parlons plus haut, expliquait (certainement les causes de cette liste de prêtres ; il y a lieu de penser que c'étaient les noms des ecclésiastiques français qui se trouvaient réfugiés à Majorque en même temps que le curé de Colonges.

Valence, 1er août 1907.

Récit de voyage en Espagne en 1792

Je n'aurais jamais cru, mon cher ami, qu'un peuple si estimé et si recherché de toutes les nations, serait pour elles un objet de mépris, d'indignation et d'horreur! Qui eût jamais pensé qu'une nation si polie, si généreuse et si aimable enfanterait un jour douze cents hommes qui bouleverseraient l'Etat et ne s'illustreraient que par leur barbarie et leur cruauté? Qui eût jamais imaginé que de vils êtres seraient un jour assez téméraires pour attaquer la Divinité; semblables à ces impies dont parle le prophète, ils n'ont pas craint de profaner la maison de Dieu. Dans leur aveuglement ils se sont crus assez puissants pour faire cesser ses jours de fêtes; pour y réussir qu'ont-ils fait ? Ils ont imité la cruauté des Empereurs payens en persécutant les ministres du Seigneur; les uns, après avoir essuyé mille outrages ont expiré sous leurs coups, les autres ont été dispersés, chassés ignominieusement


20 JOURNAL DE VOYAGE

du sein de leur patrie; les siècles avenir croiront-ils toutes ces horreurs et pourront-ils se persuader que les Français, peuple autrefois si humain, aient été capables de pareilles cruautés ? Qui peut sans frémir se les rappeler ? Hélas ! je les ai présentes à mon esprit et si je respire encore, je ne le dois qu'à la protection de Dieu et au bras secourable que m'a tendu de loin l'Espagne.

Ce fut, cher ami, le onze septembre mil sept cent quatre vingt douze que je quittai le lieu qui me vit naître; mais ce ne fut pas sans verser des larmes que je me vis forcé d'abandonner mes brebis et de les laisser exposées à la gueule du loup ; à peine eus-je le temps de leur dire adieu et de leur souhaiter des jours heureux.

Le décret ignominieux de notre déportation avait été publié et un plus long séjour m'eût été peut-être fatal. Nanti d'un passeport que je pris au district de Valence en Agenois, je dirigeai mes pas vers l'Espagne suivi de trois autres confrères, Mallet, Savignac, Lassale ; nous étions tous quatre déguisés sous des habits laïques, ce costume si étranger à notre état nous était nécessaire, ayant à traverser plusieurs villes où le patriotisme mal entendu ne favorisait guère les gens de notre espèce.

La première ville qui s'offrit à nos regards fut Auvillar; de là nous fûmes à Saint-Clar de Lomagne pour dîner; c'est un hameau fort joli, il est situé sur une élévation.

Ce fut là que nous commençâmes à éprouver quelques revers : nous ne nous attendions pas au coup qui vint nous affliger ; nous étions loin de croire que nous y laisserions un de nos camarades, ce fut l'abbé Savignac qui fut forcé de se mettre au lit dévoré par une fièvre ardente. Si nous eussions suivi notre penchant naturel, nous serions demeurés auprès de lui, mais ne pouvant le faire sans courir nous mêmes quelque risque, nous continuâmes notre route.

En laissant sur la gauche Lectoure qui est située sur une élévation, nous descendîmes dans une grande plaine au bas de laquelle est la ville de Fleurance ; c'est une ville assez grande. A une petite distance coule une rivière qu'on appelle La-


DE L ABBÉ GIBERT 21

rax ; les circonstances ne nous permirent pas de nous y arrêter, nous avions besoin de tout le temps pour arriver à notre coucher. A peine avions-nous fait un quart de lieue que nous apperçûmes au loin une cavalcade qui venait vers nous, c'était la gendarmerie d'Auch et de Lectoure ; elle était toute composée de beaux hommes montés sur des chevaux fringants. Dans toute autre occasion leur rencontre nous eût récréés, mais dans ce moment elle ne nous fit aucun plaisir ; nous portions sur nous un papier qui nous déceloit, nous crûmes que ces messieurs seroient curieux de sçavoir qui nous étions, mais ils passèrent sans nous rien dire.

Il n'était pas étonnant que dans des pays étrangers nous fussions susceptibles de quelque crainte, nous surtout qui étions et qui sommes encore en horreur aux partisans de la Révolution, et comme ce n'est point à la mine qu'on peut connoitre les hommes, nous suspections de démocratie tous ceux que nous rencontrions ; mais nos jugements n'étoient pas toujours justes, en voici une preuve.

Nous étions à une lieue et demi d'Auch, lorsque nous fûmes joints par deux cavaliers qui, après nous avoir examinés comme on dit, depuis la tête jusqu'aux pieds passèrent outre; ils ne furent pas les dupes de notre déguisement, ils nous prirent pour des prêtres. Craignant néanmoins de se tromper, ils s'arrêtèrent pour nous laisser passer ayant toujours leurs yeux fixés sur nous ; je les vis qu'ils se parloient tout bas, ce qui ne me plaisoit guère, puis nous rejoignent et marchent avec nous sans rien dire. L'abbé Lassale ennuyé de ce silence, lia la conversation avec eux, parla des affaires du temps, se fit connoître et leur demanda une auberge où nous n'eussions rien à risquer, ces deux honnêtes personnes se firent un plaisir de nous l'indiquer; ils nous témoignèrent par quelques larmes que je vis couler, combien ils prenaient part à notre triste situation, ils se séparèrent ensuite de nous après nous avoir souhaité un heureux voyage.

Il étoit déjà tard et nous avions encore une lieue à faire, nous crûmes une fois que nous n'arriverions jamais à Auch ; peu accoutumés à des voyages de si longue haleine, à peine


22 JOURNAL DE VOYAGE

pouvions-nous tenir sur nos chevaux ; pour nous refaire, il survint une pluye qu'il nous fallut essuyer. Nous arrivâmes enfin à la capitale de la Gascogne qui est une ville très-belle située dans une plaine; ce qu'il y a de plus curieux, c'est le vitrage de la cathédrale, mais je n'eus pas la fantaisie de le voir, il n'était pas prudent de se montrer dans les rues et quand je l'aurois voulu je n'en avois pas la force ; car à peine fus-je entré dans l'auberge que je demandai un lit sur lequel je me jettai comme je pus, dévoré par la fièvre.

Cet accident imprévu affligea fort mes camarades ; en voilà un autre, dirent-ils que nous serons forcés de quitter. Heureusement pour moi ils se trompèrent, ce ne fut qu'une fièvre éphémère.

Premier jour. — Je me levai des premiers, et comme je m'étais couché sans rien prendre, je sentis que mon estomac me demandoit quelque chose ; après avoir satisfait ses désirs et pris des renseignements de l'aubergiste qui étoit un parfait honnête homme, nous partîmes vers les cinq heures du matin et nous arrivâmes à Masseube vers les onze heures.

Masseube est situé dans la plaine, c'est une ville à peu près comme Castelsagrat ; nous craignions et avec raison les approches de cette ville : c'étoit là qu'il nous falloit décliner nos noms, car on nous avait prévenus qu'on nous demanderait nos passeports. Nous fûmes mettre pied à terre chez un certain Delon qu'on nous avait indiqué comme ennemi de la Révolution.

Dès que nous eûmes dîné, nous nous disposâmes à partir : nous étions prêts à monter à cheval, lorsqu'un officier de la garde nationale se détache pour nous demander si nous portions nos passeports ; 11 ne fallut pas tergiverser. Nous lui dîmes que nous étions prêtres et que pour obéir au décret nous allions en Espagne ; nous nous préparions à les lui montrer, lorsqu'il nous dit très honnêtement: « Il n'est pas nécessaire, je m'imagine qu'ils sont en règle, bon voyage, Messieurs, et prompt retour ». Il ne s'en tint pas là, et poussa encore son honnêteté jusqu'à vouloir de force nous tenir les étriers. Après


DE L'ABBÉ GIBERT 23

lui avoir témoigné notre sensibilité, nous partîmes de Masseube.

Nous avions jusqu'ici suivi une belle plaine très fertile et agréable à la vue, mais celle qui s'offrit à nos regards à quelques pas de cette ville n'avait rien de semblable, tout était sombre, ce n'était qu'un terrain inculte et inhabité. Pendant dix heures de marche nous ne vîmes que des arbres en très petite quantité et qu'une fougère épaisse; nous aperçûmes à la vérité par temps quelques lambeaux de terre épars çà et là, semés de blé noir.

Il nous tardait d'être hors de danger et comme la peur, diton, donne des ailes, nous faisions de fortes journées, déjà nos chevaux étaient fatigués, il fallut s'arrêter à un petit endroit nommé Monlong pour les faire rafraîchir; cela fait, nous reprîmes notre route pour nous rendre à Pinas qui était le lieu où nous devions coucher, nous y arrivâmes sur les six heures.

Deuxième jour. — Pinas est sur une élévation, c'est un hameau composé d'une vingtaine de maisons assez belles ; après avoir fait soigner nos chevaux et rangé nos porter-manteaux, nous entrâmes dans la cuisine. Nous y vîmes un grand diable de cinq pieds dix pouces qui nous parut de mauvaise humeur et un grivois de fils qui ne le cédoit pas en taille à son père ; ce qu'il y avoit de bisarre entr'eux, c'est que sur les affaires du temps ils étoient d'un sentiment diamétralement opposé. Le père détestait la nouvelle constitution et la donnoit au diable parce qu'elle derrangeoit furieusement ses affaires et elle ne plaisoit au fils que parce qu'elle lui procuroit la liberté et l'égalité.

Pendant qu'ils s'occupoient à nous préparer le souper, l'abbé Lassalle s'entretint avec eux, il crut qu'il pouvoit hardiment dire sa façon de penser comme il avoit coutume de faire dans son pays ; il prit un peu trop chaudement le parti de la noblesse, ce qui déplut à notre jeune écervelé qui dès lors ne nous regarda plus que comme des ennemis du nouveau régime, il n'en fit pas la petite bouche puisqu'il dit tout haut : pourquoi allons-nous chercher loin les aristocrates tandis que nous les


24 JOURNAL DE VOYAGE

avons tout près. Ces paroles courtes et expressives me firent trembler; à dire vrai, je ne me crus pas en sûreté dans cette auberge, mais où aller pendant la nuit dans un pays étranger, je n'eus guère fantaisie de dormir. Que cette nuit, cher ami, me parut longue! Avec quelle impatience j'attendis le retour du jour! A peine le vis-je paroître que je sautai du lit, nous fûmes bientôt prêts pour nous mettre en marche. Lorsque je me vis hors du danger, je priai instamment mon camarade de ne plus récidiver et d'être plus prudent tout le temps que nous serions sur les terres de France.

Déjà nous avions apperçu les Pyrénées et plus nous nous en approchions, plus le froid se faisoit sentir; après deux heures de marche, nous arrivâmes à Monrejeau qui est la dernière ville qui est en deça des montagnes; c'est une ville assez belle, assez agréable, elle est située sur une élévation au bas de laquelle coule la Garonne. Nous nous attendions qu'on nous demanderoit nos passeports, on nous en avait prévenus, on nous dit même que le plus grand nombre de ses habitants étaient ce qu'on appelle enragés, cependant nous traversâmes cette ville sans que personne ne dit rien. De là nous fûmes aboutir à un beau pont de pierre qui traverse la rivière qui dans cet endroit est fort étroite et qui néanmoins cause par temps de grands ravages surtout aux fontes des neiges ; à quelques pas de là, nous laissâmes sur la gauche Saint-Bertrand, ville qui nous parut fort jolie ; elle est située au pied des Pyrénées, c'est là qu'en certain temps de l'année se rend de toutes parts un grand concours de monde attiré par une fête qu'on y célèbre avec une grande dévotion.

Ce fut là aussi que nous entrâmes dans une vallée fort étroite ayant à gauche et à droite des montagnes très élevées où nous ne vîmes pas de neige ; je m'imaginais qu'un jour tout au plus suffirait pour sortir des montagnes, mais mon calcul se trouva faux, il nous fallut une semaine entière fesant huit lieues par jour. C'était une chose merveilleuse à voir les montagnes, les unes n'offroient à nos regards que des rochers à perte de vue, les autres moins arides étaient couvertes de pins et de sapins, sur d'autres nous vîmes paître des troupeaux immenses de


DE L'ABBÉ GIBERT 2 5

moutons, à dire vrai je n'aurois rien valu pour être berger. Parfois nous y apperçumes des hameaux, même des petites villes, mais ce que nous rencontrions le plus souvent c'étaient des précipices affreux qu'on ne pouvoit envisager sans frémir ; d'après ce court narré, juge, cher ami, si nous pouvions nous plaire au milieu des montagnes?

Nous avions fait cinq lieues sans descendre de cheval ; déjà l'appétit se fesoit sentir et nos chevaux étaient fatigués, il était temps de nous arrêter, c'est ce que nous fîmes dans un hameau appelé Saint-Beitrin. Pendant quelque temps, nous n'y fûmes pas à notre aise, nous trouvâmes dans cette auberge cinq gros garçons déjà en train, chantant Ça ira, donnant au diable noblesse et clergé, nous faisant des questions qui ne nous plaisoient pas et auxquelles nous répondions soit par complaisance, soit par crainte ; mais l'hôte qui était un très honnête homme s'étant apperçu que leur conversation ne nous convenoit pas, vint nous tirer d'embarras en nous faisant passer dans une autre chambre, nous n'y fîmes pas un long séjour.

Nous nous apperçumes que dans cette vallée il y avait beaucoup de démocrates enragés; après avoir pris quelque peu de nourriture, nous montâmes à cheval, nous suivîmes une petite rivière sur laquelle nous trouvions souvent des moulins à scier ; par temps nous eumes à essuyer quelques mortifications : Ça ira, nous criait-on, à la lanterne, en Espagne, aristocrates ; nous souffrions toutes ces invectives sans rien dire.

Nous avions fait déjà deux lieues, lorsque nous apperçumes au loin une haute montagne sur le sommet de laquelle nous vîmes de la neige, on nous dit que Bagnères de Luchon était au pied de cette montagne ; nous savions que nous y serions à l'abri de toute insulte; pour y être plustôt nous fumes grand train ; nous y arrivâmes vers les quatre heures du soir.

Troisième jour. — Bagnères est la dernière ville que la France a dans cette vallée, elle est petite mais jolie ; au milieu de toutes les rues coule une eau cristalline, on y voit de belles maisons. La promenade qui conduit aux bains est superbe, les habitants y sont affables, la municipalité très bien composée;


20 JOURNAL DE VOYAGE

nous y trouvâmes plus de cent-cinquante prêtres, j'en vis plusieurs de ma connaissance. Nous nous disposions d'y rester un jour franc pour nous délasser un peu, mais nous reçumes ordre de partir le lendemain ; je fus en conséquence avec l'abbé Mallet à la maison commune chercher un passeport pour Viella qui est la première ville de la Catalogne ; nous avions laissé l'abbé Lassalle étendu dans un lit avec une fièvre de boeuf, il se mit à la diette, elle le servit bien4 puisque le lendemain il se sentit assez de force pour partir avec nous.

Nous n'étions plus en peïne que de nos chevaux, il falloit les dénoncer au bureau ou nous attendre à nous les voir confisquer en Espagne ; nous y fûmes. On nous donna un morceau de papier qui nous couta six livres à chacun, après quoi nous nous disposâmes tous à partir, les uns pour Bénasque, ville d'Espagne, les autres pour Viella; nous étions au nombre de quatre-vingt prêtres pour cette dernière ville. Nous partîmes de Bagnères vers les huit heures du matin escortés par dix honnêtes gardes nationaux qui nous conduisirent jusqu'aux frontières de la Catalogne, la municipalité eut cette attention crainte que nous fussions insultés ou pillés comme cela était arrivé.

Le 14 septembre enfin, après tant de transes, nous nous vîmes en sûreté ; la première chose que nous fîmes en posant nos pieds sur les terres d'Espagne, ce fut d'arracher avec indignation cette vile cocarde qu'on nous avait forcé de prendre, j'en aurois fait autant du ruban que j'avais à la queue, mais mes cheveux étoient trop longs et m'auroient gêné dans ma route. Nous nous assîmes pour nous délasser et respirer un peu à loisir. Ah! que cette terre sur laquelle je m'appuyai me parut agréable ; elle me fit oublier celle que je venois de quitter. Je ne regrettai que mes parroissiens, mes parents et les honnêtes personnes que j'y laissais.

L'endroit où nous étions ne nous offroit que des rochers et des arbres, mais nos estomacs ne savoïent pas se contenter de ces objets, ils avoient besoin de quelque chose de solide ; nous n'avions ni pain ni vin, j'avais acheté à Bagnères une tapette de liqueur qui m'auroit bien servi, mais j'eus l'adresse de la


DE L ABBE GIBERT 27

casser dans ma poche. Bref, la faim commençoit à se faire sentir, ce qui nous obligea de partir après avoir témoigné à nos conducteurs combien nous étions sensibles à leur honnêteté et pour qu'ils pussent se divertir à leur retour nous leur donnâmes quelques assignats ; ils méritaient que nous fussions reconnaissants puisque non contents de nous avoir mis à couvert de toute insulte, ils poussèrent encore la générosité jusqu'à nous conduire sur le sommet d'une haute montagne de la Catalogne où nous ne serions jamais parvenus sans leur secours. Ce ne fut qu'après avoir fait mille circuits pendant deux grosses heures, courant toujours risque de nous casser le cou que nous y arrivâmes ; nous nous attendions que sa descente qui fut fort longue nous offriroit les mêmes dangers, nous ne nous y trompâmes pas. Enfin, après bien des fatigues, car nous marchions souvent, nous parvinmes dans la vallée d'Aran où nous vîmes pour la seconde fois la Garonne que nous suivîmes jusqu'à sa source.

Sur son bord est un village nommé Bossost, comme qui dirait la Pointe ; ce fut là que nous fûmes obligés d'aller pour nous présenter à la Douane, nous y laissâmes nos portemanteaux ; le Directeur ne fut pas de commodité de les visiter. Ces Messieurs ne se gênent pas ordinairement, c'était son heure de dîner, il y fut et nous planta là. Nous prîmes le parti de faire comme lui ; nous entrâmes dans une auberge ou pour mieux dire dans un bouchon. Pour tout pain on nous présenta un gâteau à demi cuit, à peine pûmes-nous en avaler quelques morceaux ; nous nous attendions que le vin nous refairoit, mais nous fûmes bien trompés, nous ne pûmes pas le boire tant il était mauvais, il avoit un goût insupportable, nous y mimes beaucoup d'eau croyant qu'elle corrigeroit ce gout, mais ce fut inutile. Notre parti fut bientôt pris, nous nous mîmes à l'eau qui est très bonne dans toute la Catalogne et seule elle nous servit de boisson pendant six jours ; la faim dans le corps, nous revimmes à la Douane où nous trouvâmes notre homme prêt à opérer ; il le fit dans toutes les règles, nous crûmes une fois qu'il vouloit faire un inventaire de tous nos effets; les livres et les brochures qui tombèrent sous ses mains furent


28 JOURNAL DE VOYAGE

examinés avec la dernière rigueur, tout ce qui avoit rapport à la Révolution fut confisqué, jusqu'à une gazette qui fut trouvée dans mon portemanteau, je lui en fis sans peine le sacrifice. Il fut question d'en faire un autre qui me coûta plus, mon cheval fut sujet à une seconde dénonce ; ici le papier fut bien plus cher qu'à Bagnères, il exigea quinze livres qu'il fallut lui compter sans rien dire. Nous sortîmes enfin de ce bureau qui fut une vraie inquisition pour nos bourses pour prendre la route de Viella.

Les habitants de la vallée d'Aran sont d'une taille assez grande, robustes et affables, partout où nous passions ils nous témoignoient de la sensibilité ; les femmes en général n'y sont pas jolies, mais elles surpassent nos françaises par leur modestie ; elles ne connaissent pas ce que nous appelons grecques, un rec 1 qui enferme leur chevelure leur sert de coiffe ; telle est leur simplicité. Mais ce qui rend certaines femmes de ce pays très difformes, c'est une excroissance de chair qui leur pend sous le menton, je ne sais si c'est un effet du climat, ce que je sais, c'est que ces objets arrachaient par temps des éclats de rire à l'abbé Lassalle.

Quatrième jour. — Le temps que nous perdîmes inutilement à Bossost nous eut été bien nécessaire, déjà il était tard et Viella sembloit fuir devant nous ; enfin nous y arrivâmes vers les huit heures. Après notre souper qui fut fort court, nous fûmes nous coucher; nous avions besoin de reposer, nous étions très fatigués surtout moi qui sentis toute la nuit des frissons. J'ai dit que notre souper fut court, nous ne pûmes presque rien manger tant tout étoit mauvais dans cette gargotte, jusqu'à l'huile qui infectait de vingt pas; dès le premier jour nous commençâmes à nous ennuyer en Catalogne, il nous tardoit beaucoup d'en sortir.

Dès que le jour parût, nous nous levâmes pour nous disposer à partir, mais un inconvénient fâcheux nous donna tout le temps nécessaire de visiter la ville qui est peu de chose ; on

1 Rec, réseau.


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ne peut la voir que lorsqu'on y est dedans, elle est entre quatre montagnes sur lesquelles maintenant il doit y avoir beaucoup de neige et dans l'hiver le froid s'y fait assez sentir. Avant de partir de cette ville il fallut se présenter devant le Gouverneur pour prendre un passeport pour une ville épiscopale d'Espagne. Monsieur prenait ses aises dans son lit ; il fallut attendre qu'il fut levé, il parut enfin ; nous lui présentâmes nos passeports de France, il nous demanda dans son barragoin quelle était la ville où nous prétendions nous fixer, nous lui dimes que nous avions choisi Urgel. Dès qu'il nous eût expédiés, nous partîmes de suite, quoique nous fussions menacés par la pluie ; nous ne fumes pas loin sans l'avoir sur le corps ; néanmoins elle ne nous aurait pas empêché de continuer notre route, mais à cette pluie se joignirent des éclairs réitérés et des coups de tonnerre qui faisoient un bruit épouvantable; peureux comme je suis, je forçai mes camarades à s'arrêter à un hameau qui étoit devant nous.

Dès que l'orage eut cessé, nous fumes chercher l'endroit où nous devions mettre pied à terre pour boire un coup; sur notre route nous vimes un objet qui nous surprit beaucoup, c'était un arbre planté tout récemment sur une place; nous crûmes qu'un esprit de vertige s'étoit emparé des habitants de ce village. Il n'avoit pas à la vérité tout cet attirail dont les patriotes français avoient orné les leurs, mais la vérité du fait c'est qu'il avoit été planté à l'instigation d'un français qui y étoit établi depuis trois ans en l'honneur d'un saint dont on célébrait ce jour là la fête. Est-ce en l'honneur du saint ou bien de la Liberté qu'il agit, ce n'est pas mon ressort, mais il m'est permis de dire qu'après une heure de marche, nous nous arrêtâmes dans un village dont le nom a échappé à ma mémoire et où par parenthèse nous fumes très mal. Aussi depuis notre départ, nos repas pris, nous fuyions les auberges comme si on nous eut fouettés : en France c'était la peur, en Catalogne le peu de vivres qu'on y trouvoit.

Ce fut vers une heure après midi que nous partimes de ce lieu et vers cinq heures nous nous trouvâmes à la source de la Garonne qui est au pied d'une montagne qu'il fallut pour ainsi


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dire escalader pour arriver au port de Paillas qui n'est autre chose que la croupe de cette même montagne. A peine y fûmesnous enveloppés de brouillards si épais qu'il ne nous fut plus permis de distinguer aucun objet ; nous nous étions proposé d'aller coucher à Asterri, mais il était trop tard et il eut été imprudent de nous engager de nuit dans des chemins que nous ne connaissions pas ; nous nous arrêtâmes donc à l'autre bord du port dans un endroit qu'on appelle la Bonne Aïgue.

Cinquième jour. — Il est certain qu'il fallait être bien prévenus en faveur des Espagnols pour s'hasarder de coucher dans un endroit tel que celui-là; c'est le lieu le plus isolé que j'aie jamais vu, on n'y voit qu'une seule maison environnée de rochers et d'arbres. Nous y entrâmes avec confiance, nous y trouvâmes une troupe de montagnards qui préparoient pour leur souper des champignons ; ils furent assez honnêtes pour nous en offrir, nous les remerciâmes; j'en aurois mangé de préférence à des cotelettes qu'on nous servit, nous ne pûmes en manger tant elles étaient dures; pendant le souper nous fûmes éclairés par un morceau de sapin qu'on avoit allumé. Le repas fini, nous fûmes prendre un peu l'air et discourûmes un peu avec ces bonnes gens.

Il fut question ensuite d'aller reposer; j'étais fort en peine de savoir où est-ce que nous coucherions, je n'avois vu dans cette maison qu'un lit qui étoit occupé par un malade, lorsque je vis qu'on apportait de la paille dans la chambre où nous avions soupe, sur laquelle on étendit des matelas. Ce fut là que nous couchâmes sans craindre que notre lit s'enfonçat ; nous n'y fûmes pas mollement à la vérité, cependant nous dormîmes assez bien, on ne recherche pas des lits de duvet quand on est bien fatigué.

Dès que l'aurore commença à paroitre, nous fûmes prêts à partir; le premier village qui s'offrit à nos regards fut Valence, comme qui dirait Pommevic ; ce fut là que nous vîmes pour la première fois des objets qui nous firent plaisir, je veux dire des arbres fruitiers de toute espèce couverts de leurs fruits, des oliviers en très grande quantité et surtout beaucoup


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de vignes. Près de ses murs coule une rivière qu'on appelle la Neguerre qui prend sa source dans la vallée d'Andore ; à trois quart de lieue nous trouvâmes Asterri où nous nous arrêtâmes pour entendre la messe.

Asterri est une ville assez jolie, il y a une garnison, un commandant qui tient la place de Gouverneur, chez qui nous fûmes conduits par un soldat pour faire viser nos passeports. Dès qu'il apprit que nous étions au bas de l'escalier, il vint au devant de nous pour nous recevoir, et nous ayant introduits dans sa chambre il nous pria de nous asseoir ; nous nous apperçumes qu'il désirait savoir en quel état étaient les affaires de France, il nous mit sur la voie ; nous satisfîmes sa curiosité, cela fait, nous prîmes congé de lui pour aller entendre la messe ; ce que je remarquai avec surprise c'est qu'à l'élévation on n'entend qu'un bruit confus de petites clochettes et que de grands coups de poing dont on s'assomme.

Dès que nous eûmes rempli ce devoir de religion, nous fûmes dîner; quoique nous eussions projeté d'y passer le reste du jour, nous jugeâmes à propos de continuer notre route. Nous côtoyâmes la Neguerre sur le bord de laquelle nous trouvâmes Ascolo petite ville, puis Liboursy; il était déjà tard, Vial qui étoit la seule ville que nous devions trouver sur notre route étoit éloigné de deux grosses lieues; nous crûmes qu'il étoit prudent de nous arrêter à Liboursy, mais un inconvénient fâcheux nous força de passer outre, nous ne trouvâmes dans cette ville ni lits pour nous, ni foin, ni paille pour nos chevaux. Pour ne pas nous égarer, nous primes un Conducteur; à peine avions-nous fait une lieue que la nuit survint, nous étions entre deux hautes montagnes, il y faisoit si obscur que nous ne pouvions pas voir nos chevaux ; notre plus court fut de nous recommander à Dieu et de laisser faire nos bêtes, nous marchions continuellement sur le bord de précipices et un faux pas qu'ils eussent fait nous aurions été voir s'il faisoit bon dans la rivière; nous sortîmes enfin de cet état de perplexité.

Sixième jour. — Ce fut vers les neuf heures que nous ar-


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rivâmes à Vial, nous étions très fatigués et de plus nous sentions de l'appétit; nous nous attendions à être très mal servis comme nous l'avions été jusqu'ici ; mais quelle fut notre surprise de voir que tout ce qui nous fut présenté étoit préparé à la française, fort proprement et de bon goût. Nous le dûmes à un jeune homme que nous trouvâmes à l'auberge et qui ayant fait quelques voyages en France apprit à l'aubergiste la manière de préparer les mets qu'il devoit nous servir; nous fîmes un bon souper, nous en avions besoin.

Nous ne restâmes pas longtemps sans nous en aller coucher, ce ne fut pas sur de la paille comme à la Bonne Aïgue, mais dans de bons lits, aussi nous dormîmes d'un profond sommeil ; à notre réveil nous trouvâmes notre chocolat prêt, ces bonnes gens eurent mille égards pour nous; nous nous serions fixés avec plaisir chez eux si nous eussions été les maîtres de notre sort, il nous fallut partir de cet agréable lieu, car Vial est une fort jolie ville.

Ce ne fut qu'après avoir dîné que nous prîmes congé de nos aimables hôtes; à deux lieues de là nous trouvâmes Sort, petite ville. A peine avions nous fait une heure de chemin que nous vîmes sur le bord de la rivière les salines royales ; nous aurions été fort curieux de voir faire le sel, nous aurions sacrifié avec plaisir quelques moments pour cela, mais personne n'y travaillait ; c'est des mines qu'on le tire, il est fort corrosif, par conséquent moins salutaire que celui que la mer produit, c'est de ce sel dont on se sert dans une grande partie de la Catalogne. Tout près de ces salines est Guerri, petite ville assez jolie; il s'agissait de trouver Sapopte pour finir notre journée, car c'était l'endroit où nous devions nous arrêter; nous y arrivâmes vers les sept heures.

Septième jour. — Nous dirigions nos pas vers une auberge qu'on nous avoit indiquée, lorsque nous vîmes venir à nous un officier suivi de quelques soldats, pour nous notifier l'ordre de passer par Talar ; ce n'était point la route que nous nous proposions de tenir, nous nous en écartions beaucoup ; il nous dit en nous quittant qu'il nous donnerait demain un soldat


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pour nous y conduire, en effet, nous le trouvâmes prêt à notre lever ; nous partîmes vers les sept heures laissant sur la gauche la vallée d'Andore; après avoir grimpé sur le sommet d'une montagne, nous apperçumes Talar sur la cîme d'un autre, il s'en falloit beaucoup que cette seconde montagne nous donnât du courage ; il fallut cependant se raidir, nos chevaux n'en pouvaient plus, pour les soulager nous mîmes pied à terre ; nous arrivâmes à onze heures à Talar, ville qu'on peut comparer à celle de Lauzerte. Nous fûmes de suite chez le Gouverneur qui entendoit parfaitement la langue française, ce qui nous mit un peu à notre aise ; il nous combla de mille honnêtetés, il ne voulut pas nous retenir longtemps s'imaginant que nous étions fatigués ; il eut l'attention de pourvoir à notre dîner, il envoya chercher un prêtre auquel il dit de nous donner à manger, ce qu'il fit; il voulut nous tenir compagnie. On ne voit pas en eux les manières et cette politesse qu'on remarque ailleurs, ils sont sans façon ; il commença par se servir et fit signe à tous d'en faire autant ; leur manière de boire est tout à fait bizarre : chacun a devant soi un pourrou qui est une espèce de bouteille dans le goût de nos anciens huiliers; quand il voulut boire, il s'arma de cette machine et but à la régalade en faisant plusieurs grimaces qui nous firent rire mais qui ne nous empêchèrent pas de bien dîner.

Dès que notre repas fut fini, nous revinmes chez le Gouverneur qui nous fit plusieurs questions sur les affaires de France ; il nous demanda si nous avions rencontré deux Français : nous lui dimes que nous les avions vus entre Sort et Gerri, que nous leur avions parlé. Aussitôt il s'adressa à un officier qui sortit à linstant; nous ne sûmes pas ce qu'il lui dit car il lui parla en langue catalane ; puis se tournant vers nous, il nous dit qu'il faisoit courir après eux, ce n'étoit pas pour fait de contrebande, mais autant que nous pûmes en juger c'étoient deux propagandistes qui fuyoient. Furent-ils pris? Je n'en sais rien.

Nous avions pris à Viella un passeport pour Urgel, mais réfléchissant que nous avions nos Moissaguais à Vich, nous le fîmes changer pour cette dernière ville ; dès qu'il fut prêt 1907 3


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nous embrassâmes l'abbé Mallet qui se fixa dans Talar sous la protection du Gouverneur. De quatre que nous étions, nous voilà réduits à deux. Nous ne pouvions pas nous égarer, nous avions un itinéraire sûr, nous savions les endroits où il falloit s'arrêter soit pour dîner, soit pour coucher ; la route de Sapopte jusqu'à Talar nous avoit sorti des gonds, nous n'étions plus orientés'; il fallut regagner la vallée d'Andore, ce ne fut qu'après avoir fait plusieurs circuits que nous y arrivâmes. Ce fut là que nous passâmes la Neguerre sur un grand pont de pierre, pour aller à Conques où nous devions coucher, ce fut vers les six heures que nous descendîmes de cheval.

Huitième jour. — Dans ces petites villes on trouve à peine à se loger, c'est ce qui faillit nous arriver ici et sans le secours d'un jeune homme qui fit une partie du chemin avec nous, nous aurions été fort embarrassés ; à force de chercher il nous trouva une mauvaise auberge où il n'y avoit pas de lits, il nous en procura deux chez un riche particulier qu'il connaissoit; si nous fumes très mal à l'auberge, en revanche nous fumes très bien couchés et nous dormimes d'un profond sommeil.

Le lendemain dès que nous fumes prêts, nous descendimes dans une plaine, après l'avoir suivie pendant une heure nous la quittâmes ; nous allions nous égarer, lorsqu'un coup de sifflet qui partait derrière nous, nous fit tourner la tête; nous apperçumes un voyageur qui de la main nous montroit la route, nous revinmes sur nos pas et trouvâmes un chemin qui conduisait au sommet d'une montagne qui fut la dernière que nous eûmes à monter; sa croupe forme une plaine assez vaste qui n'offre que des pins et des chênes que je pris pour des pruniers, Je fus curieux de voir le gland, il est à peu près comme le nôtre.

Jusqu'ici nous avions suivi des chemins impraticables qui nous avoient beaucoup ennuyé, il nous tardoit d'en trouver de moins périlleux ; le Gouverneur de Talar nous avait dit qu'après Conques, nous trouverions une route ryale, nous la cherchâmes longtemps ne pouvant nous imaginer que ce fut


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celle que nous suivions. Oui, disait l'abbé Lassalle, c'est une belle route, on n'en voit pas de pareille en France car elle est fort propre pour courir la poste, mais plus propre encore pour se casser le cou. Nous avions marché longtemps sans trouver aucune maison, lorsque nous en vîmes une fort loin, c'était là où nous devions dîner et où nous arrivâmes vers midi ; l'endroit s'appelle Balasque.

Il ne fut pas question de choisir la meilleure auberge, c'était la seule maison qu'il y eut; nous y fumes à notre ordinaire, c'est-à-dire très mal. On commença par nous demander si nous portions du pain ; quel son de cloche pour des gens qui avoient bon appétit ! Le leur étoit si dur et si noir que nous ne lui fîmes pas grande brèche; aussi nous fumes plus lestes pour marcher. Ce fut de cet endroit qui étoit fort élevé que notre vue s'étendit au loin sur un pays immense; dès que nous fûmes descendus de la montagne nous ne courûmes plus de risque de nous assommer ; nous trouvâmes une route assez unie qui nous mena loin. Le premier village qui s'offrit à nos regards fut Fourques, de là nous allâmes à la barque de Pons où nous descendîmes de cheval pour passer une rivière ; il s'agissait de chercher Pons qui étoit l'endroit où nous devions coucher, nous arrivâmes vers les cinq heures.

Neuvième jour. — Pons est une ville assez grande, on y voit de belles maisons, une église des plus superbes ; ses remparts sont assez fortifiés, ses rues sont étroites, pas d'auberge montée; ce ne sont que des gargottes qui servent pour les voiturins ; ce fut pourtant dans l'une d'elles qu'il fallut se colloquer ou coucher à la belle étoile. Pendant qu'on nous préparait un mauvais souper, nous sortîmes hors des remparts : nous y trouvâmes une foule d'ecclésiastiques qui vinrent nous joindre; les Espagnols sont naturellement curieux, ils nous firent plusieurs questions sur les affaires de France, mais comment aurions-nous pu satisfaire leur curiosité, nous n'entendions pas leur langage et le nôtre était du grec pour eux ; voulant néanmoins leur donner satisfaction, nous leur parlâmes latin, nous les mîmes ainsi au courant des nouvelles ; cela fait,


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nous primes congé d'eux pour aller souper. Jamais je ne me suis vu en si bonne compagnie que ce soir-là, nous avions à notre table des gens de toute sorte de métiers, faisant mille grimaces avec leurs pourrous, vous rotant à la figure sans façon, ce qui est très bien en Espagne. Avec de telles gens nous eûmes bientôt soupe, d'ailleurs rien n'était en état d'exciter notre appétit, tout étoit mal apprêté ; nous nous levâmes pour nous aller coucher; nous n'eumes pas d'indigestion pendant la nuit, nous reconnumes la vérité de ce proverbe patois qui dit qu'on entend les chiens aboyer de deux lieues quand on se couche avec la faim. Nous n'eûmes besoin de personne pour nous éveiller le lendemain, nous fûmes prêts à partir quand le jour parut. Comme il nous étoit souvent arrivé de ne pas trouver du pain dans les auberges, nous' nous munîmes d'un demi-pain, qui nous servit de déjeuner avec des raisins que nous volions chemin faisant, cela se fait sans scrupule en Catalogne; nous avions déjà fait trois lieues sans trouver aucun village, le premier qui s'offrit à nos regards fut Sannagougie ; à quelque distance de là nous trouvâmes Biosque et vers midi nous descendimes de cheval dans un bourg nommé Toura.

Dixième jour. — Ce fut là que nous primes quelque peu de nourriture, dès que cela fut fait nous montâmes à cheval pour nous rendre à Castalia où nous devions coucher, il étoit nuit noire lorsque nous y arrivâmes; le froid se faisoit déjà sentir dans ces endroits surtout pendant la nuit. En arrivant dans les auberges nous étions plus en peine des lits que du reste, aussi la première chose que nous faisions c'était de nous informer si on pouvoit nous donner à coucher; nous voulumes le demander en notre langue à Castalia, pour toute réponse on nous rit au nez, c'étaient deux jeunes Espagnoles qui se permirent cette impolitesse ; elles ne nous connaissoient pas, nous étions encore déguisés. Parmi cette foule de gens qui soupèrent pêle et mêle avec nous, il y avoit un curé espagnol qui avoit la mine d'être un bon vivant ; il étoit l'oncle de ces deux demoiselles ; nous nous Ames connaître et pendant tout le souper nous ne parlâmes que latin. On nous écoutait attentive-


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ment sans nous comprendre, le Curé leur expliquoit dans sa langue ce que nous venions de dire ; dès ce moment on nous témoigna plus d'égards, il ne fut plus question de coucher sur des matelas mais dans de bons lits qu'on nous céda.

Au point du jour nous fûmes prêts pour nous mettre en marche, ce ne fut qu'après avoir souhaité le bonjour au Curé et à ses deux nièces que nous primes la route de Manrèze où nous devions entendre la messe et où nous arrivâmes vers les neuf heures.

Manrèze est une ville très considérable, très bien fortifiée, les maisons en général sont très jolies, les églises magnifiques, les aproches sont riants, on n'y arrive que par un pont de pierre dans le dernier goût. Ce fut là que nous otâmes le ruban de nos queues, nous nous fîmes faire les cheveux et la tonsure; de là, nous allâmes entendre la messe après avoir rempli ce devoir nous nous rendîmes à l'auberge pour diner ; nous fumes agréablement surpris de voir l'argenterie rouler sur la table ; c'était une auberge en règle, aussi nous y fumes très bien.

Dès que nous eûmes diné, nous quittâmes cette agréable ville ; à deux lieues de là nous trouvâmes Caldès, petite ville, notre dessein étoit d'aller coucher à Mouya, ville assez jolie. Avant d'y arriver nous fûmes joints par un homme que nous avions vu à Castalia, il nous dit que nous serions très mal à l'auberge, mais si vous voulez suivre mon conseil vous serez très bien, allez chez le Curé, c'est un galant homme.

Onzième jour. — Aussitôt que nous fûmes arrivés, nous cherchâmes une auberge où nous laissâmes nos chevaux ; nous suivîmes le conseil de l'Espagnol et nous nous en trouvâmes bien. Ce fut vers les six heures du soir que nous fûmes chez le Curé ; quelle fut notre surprise lorsqu'en entrant dans cette maison nous vîmes un grand escalier de marbre dans le dernier gout, ce qui annonçait l'aisance, au bout duquel nous trouvâmes un jeune ecclésiastique auquel nous demandâmes si nous pouvions parler à Monsieur le Curé; oui, Messieurs, nous dit-il aussitôt il nous conduisit dans une chambre magni-


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fique où nous le trouvâmes assis dans un fauteuil de soie, il était incommodé. Après nous être fait connoître, nous lui dîmes que nous étions fort en peine de trouver des lits dans la ville et que s'il pouvoit sans se gêner nous en céder un pour cette nuit il nous obligerait infiniment ; oui Messieurs, asseyezvous; on lui porta le chocolat et pour que nous ne fussions pas scandalisés, il nous dit qu'il était malade; il nous demanda si nous jeunions, nous lui répondîmes qu'il n'était guère possible de pouvoir jeûner en voyageant: dans l'instant on nous apporta deux tasses de chocolat que nous primes sans nous faire tirer l'oreille. La conversation s'engagea peu à peu, il fut question des affaires de France, l'abbé Lassalle qui étoit plus au courant que moi entra dans un grand détail ; on l'écoutoit avec attention ; il y avoit quatre prêtres espagnols qui étoient venus tenir compagnie au Curé, qui s'écrioient par moments : Bon Jésus ! Maria sanctissima ! ces horreurs sont-elles possibles ! Dès que mon camarade eut fini, le Curé alla se coucher, mais avant de nous quitter, il nous engagea à venir diner chez lui le lendemain, nous le remerciames; nous sortîmes pour aller faire un tour à l'auberge et revimmes ensuite, nous trouvâmes nos prêtres espagnols faisant la partie. Dès qu'elle fut terminée, on alla dire le rosaire, nous les suivîmes et restâmes une grosse demi heure à genoux; l'abbé Lassalle qui étoit fatigué et qui d'ailleurs n'aime pas à se gêner ne pouvait plus y tenir. Le rosaire fini, nous demandâmes au jeune ecclésiatique notre chambre : « Attendez-nous, dit-il en latin, il faut que vous preniez quelque peu de nourriture (nous avions pour ce soir renoncé à souper, nous bornant au chocolat) », mais les plats que nous vîmes sur la table excitèrent l'appétit et nous soupâmes avec ces prêtres. Le repas terminé, il fut question de se coucher, il était fort tard ; nous fumes conduits par ce même ecclésiastique dans une chambre où il y avoit deux superbes lits ; avant de nous quitter il nous demanda si nous avions besoin de quelque chose, nous le remerciâmes. Je fus grandement surpris de voir cet ecclésiastique faire l'office de domestique, c'est par là que commencent tous ceux qui destitués de secours se destinent à la prêtrise, aussi en général le clergé


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d'Espagne ne jouit pas de beaucoup d'estime et il n'est pas surprenant qu'il manque de manière, de politesse et d'éducation ; il est fort nombreux.

Douzième jour. — Nous étions en marche depuis douze jours, harassés de fatigue, le pas de nos chevaux s'était bien ralenti et il nous tardoit d'arriver à notre destination, nous en étions près. Nous nous levâmes dès que le jour parut et ne vîmes point le Curé qui étoit encore dans son lit ; nous partîmes pour Salsone, la dernière ville que nous trouvâmes sur notre route, mais quelle fut notre surprise au lever du soleil de voir que nous dirigions nos pas vers l'Orient, tandis que depuis notre départ nous avions été du Nord au Midi ; nous crûmes revenir en France quoique ce ne fut pas notre intention, enfin après quatre heures de marche nous vîmes Vich ; nous commençâmes alors à respirer, c'était l'endroit où nous devions nous fixer avec nos confrères de Moissac qui ne nous attendoient certainement pas. Ce fut vers les onze heures que nous arrivâmes dans cette ville épiscopale; dès que nous eûmes colloque nos chevaux dans une auberge, nous allâmes à la découverte de nos Moissaguais, nous les eumes bientôt trouvés ; le premier qui s'offrit à nos yeux fut l'abbé Claverie qui faisoit ce jour-là la cuisine, bientôt après nous vîmes paroitre Messieurs Duprat, Boue, Gouges, Colombie et Barbe qui revenoient de se promener. Quelle surprise de nous voir !1 Après nous être embrassés, ils nous demandèrent si nous étions fixés dans quelque maison, leur ayant dit que non, ils nous proposèrent de rester avec eux, ce que nous acceptâmes avec plaisir. Depuis nous ne nous sommes jamais séparés, nous eûmes tout

1 Ces noms sont encore connus à Moissac. M. l'abbé Ambroise Gouges était le frère de Mme Gényer, dont M. le chanoine Calhiat a raconté la vie. Un volume in-8° de 420 pages, chez Téqui, à Paris. La fondatrice de la Miséricorde de Moissac eut trois autres frères prêtres : MM. Benoît, Joseph et Charles Gouges. Le dernier fonda le Petit Séminaire d'où sont sortis des hommes distingués faisant honneur à l'Eglise et à la Patrie.


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le temps d'examiner les beautés de Vich pendant dix jours que nous y demeurâmes.

Vich est une ville épiscopale située dans une plaine à une lieue des montagnes couvertes de neige en ce moment, il y fait en hiver un froid excessif; cette ville peut se comparer à celle d'Agen. On y voit de très belles maisons avec des balcons fort à la mode en Espagne; ce qu'il y a de merveilleux c'est que le feu ne prend jamais aux cheminées de cette ville, pour une bonne raison c'est qu'on n'y en voit aucune ; les églises sont magnifiques, l'or y brille de tous côtés; on y voit une grande place dans le gout de celle de Valence en Agenois ; une verrerie curieuse à voir ; cette ville est bien fortifiée, ses promenades sont riantes. Nous y trouvâmes un de nos vicaires généraux que nous fûmes voir, il voulut bien nous présenter à l'Evêque et lui certifier que nous étions tous prêtres; aucun de nous n'avoit ses lettres de prêtrise, ce fut sur sa parole que l'Evêque nous donna par écrit la permission de dire la messe et de nous confesser entre nous, c'était l'abbé Roubense. Nous nous serions fixés avec plaisir dans cette ville, mais nous étions trop nombreux, nous étions plus de cinq cents prêtres et tous les jours il en arrivait de nouveaux, ce qui ne plaisoit guère au Gouvernement. Nous reçumes ordre de partir pour faire place aux étudiants et aux troupes qu'on attendait ; nous différâmes quelques jours d'obéir, mais il fallut enfin céder. Après nous être munis tous les huit que nous étions d'un passeport pour Valence et déclaré les fonds de nos bourses, nous partîmes le deux octobre pour Barcelone, lieu de notre embarquement, laissant à Vich l'abbé Gary, curé de Montech, malade; j'appris depuis qu'il étoit mort.

Nous allions très lentement quoique notre carrosse fut trainé par trois mulets très vigoureux ; ne te figure pas, cher ami, que ce fut un carrosse dans le gout de ceux de nos petits maîtres français où il n'y a place tout au plus que pour quatre, le nôtre en avait dix, une grosse toile lui servait d'impériale. Entassés les uns sur les autres, nous avions tous l'air de ces pauvres Corsais qu'on arracha autrefois de leur patrie pour les transporter dans des iles étrangères ; il s'en falloit de beaucoup


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que nous y fussions à notre aise. Le premier bourg que nous rencontrâmes sur notre route fut Tourre; à quelque distance de là nous laissâmes sur la gauche Saint-Eillas, petite ville qui nous parut assez jolie et vers midi nous arrivions à Aigues-frède qui est un gros bourg.

On étoit instruit de notre arrivée, on fit de grands préparatifs pour nous bien régaler, on n'y réussit pas mal ; le cuisinier ce jour-là voulut se surpasser, mais pas un de nous n'eut le courage de crier Vive Mignot et tout ce qu'il apprêta. Nous nous mimes à table sans serviettes, on nous porta un tourrein pour quinze ou vingt, nageant dans une huile qui sentoit à quinze pas, très peu le goutèrent; on nous servit ensuite le bouilli dans deux grands plats de terre où l'on avait mis par morceaux quelque vieux mouton avec une sauce à l'espagnole ; il falloit avoir faim pour en manger, le dessert parut enfin, c'était le meilleur plat, il consistait en raisins et en noix, nous en mangeâmes tous ; il fallut se lever de table pour se disposer à partir, ce fut vers les deux heures que nous nous mimes en route. A une lieue de là nous trouvâmes un petit bourg du nom de Figuère, j'eus la fantaisie pour éviter le cahotement de la voiture de marcher et de prendre le devant avec Messieurs Ayral, Lassalle, Guionet et Azam, nous eûmes à nous en repentir; la voiture prit un autre chemin et nous fumes forcés de faire la route à pied jusqu'à Lagarrigue, marchant pendant une grosse heure sur le bord des précipices; j'eus souvent besoin d'un guide car je n'y voyois plus.

Treizième jour. — Il étoit nuit close lorsque nous arrivâmes à Lagarrigue, nous eûmes le temps de manger une mauvaise soupe que nous fîmes nous-mêmes avant l'arrivée de la voiture; il fallut se coucher, n'étant pas les premiers arrivés les lits étaient pris, un matelas que je fis étendre par terre servit de lit à l'abbé Lassalle et à moi, il nous en couta vingt sols comme si nous eussions couché dans un lit bien mollet ; les uns couchèrent dans les voitures, les autres au nombre desquels se trouva Monsieur Duprat, curé de Saint-Martin, dans les débris de chanvre appelé vulgairement barguilles,


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Dès que l'aurore commença à paraître, nous fumes tous prêts pour partir ; à un quart de lieue de Lagarrigue est la ville de Grenouillez, c'est une ville très grande, assez peuplée ; elle est située dans une plaine ; nous traversâmes une rue fort longue qui me rappela celle de Grisolles. A quelque distance de là nous traversâmes un petit bourg nommé Dommelou, vers midi nous descendions de voiture dans un petit village du nom de Moncadès ; nous esquivâmes l'auberge où nous aurions été probablement très mal. Nous avions vu en arrivant des figues devant une porte, nous fûmes à cette maison et demandâmes à la maîtresse si elle voulait nous permettre de boire un coup chez elle ; bien volontiers nous répondit-elle dans son jargon, elle envoya aussitôt chercher du pain et du vin, nous fournit des raisins et des figues en quantité et nous dînâmes tous de bon appétit.

Dès que nous eûmes diné, nous reprimes notre route et après trois heures de marche, nous arrivions à Saint-André, hameau situé sur une élévation ; on y voit de jolies maisons et pour la première fois nous apperçumes des cheminées. De ce point élevé nous apperçumes la mer dans le lointain. Quel coup d'oeil charmant ?

Nous approchions de Barcelone, nous avions déjà apperçu les tours de cette ville où nous arrivâmes vers les cinq heures ; il fallut s'arrêter à la porte par laquelle nous entrâmes et nous présenter devant les officiers qui après avoir examiné nos passeports nous firent conduire par un soldat chez le Gouverneur lequel nous reçut très bien ; il entendoit assez bien la langue françoise, il nous demanda le lieu où nous devions nous fixer, nous lui répondîmes que c'était Valence. Il nous dit que nous étions les maîtres, mais que si nous voulions suivre son conseil nous irions à Majorque ; « Vous y serez avec plus d'agréments, nous dit-il, je n'y ai aucun intérêt ainsi que vous le voyez, c'est uniquement pour votre avantage que je parle, au reste, Messieurs, le Gouvernement ne veut ici aucun prêtre, il ne vous est pas permis de faire dans cette ville un long séjour, il est juste cependant que vous vous délassiez un peu de vos fatigues, bonsoir, Messieurs, décidez-vous. »


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De chez le Gouverneur, nous allâmes à la Douane où se trouvaient nos malles pour être vérifiées ce qui devoit être fort long ; on vint à notre rencontre nous dire qu'elles étaient à l'auberge, deux piecettes glissées dans la main du chef des gardes avoient paré le coup. Nous nous rendîmes à l'auberge, l'aubergiste étoit un français établi depuis quelque temps à Barcelone ; il nous traita très bien et pendant les huit jours que nous restâmes chez lui nous eumes tout le temps de voir les curiosités de cette belle ville.

Quatorzième jour. — Barcelone est la capitale de la Catalogne, c'est une ville fort grande, il faut deux heures pour en faire le tour elle est située dans une plaine avec des montagnes au nord et au couchant, au midi est un beau port où l'on voit une infinité de gros vaisseaux marchands de toutes les nations ; les vaisseaux de guerre n'y peuvent aborder, ils se tiennent au large ; il y a un superbe quai où les flots de la mer viennent se briser lorsqu'elle est agitée, ses remparts sur lesquels sont des canons sur leurs affuts, ont une épaisseur énorme. Presque toutes les églises sont magnifiques, l'or y brille de toutes parts, les Espagnols sont forts pour l'extérieur ; les maisons sont très jolies en général, l'hôtel du Général et la Douane sont deux chefs d'oeuvre ; les habitants sont très affables, le sexe est fort modeste et toujours voilé. Barcelone est une ville très commerçante, elle est encore défendue par deux forts qui en imposent à quiconque oseroit l'attaquer; ce que j'y ai remarqué de curieux sont une manufacture d'indiennes et une fonderie de canons; il y a un mois de l'année fort insupportable c'est le mois de septembre pendant lequel on vide toutes les latrines, on a beau prendre du tabac on n'en sent pas moins une infection qui vous révolte ; à ce désagrément s'en joint encore un autre vers le même temps, fort propre à exercer la patience, c'est une légion de cousins qui viennent vous rendre visite la nuit et qui vous dévorent, ils sont d'accord avec les puces qui sont ici plus fières en hiver qu'elles ne le sont en France pendant l'été.

Je me serais fixé avec plaisir dans cette charmante ville, n'en-


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tendant pas la langue catalane j'aurais pu faire connoissance avec bien des Français que le commerce y avoit attirés. J'en avois déjà fait une avec un certain Pélissier de Moissac qui fut obligé il y a trente ans de quitter cette ville, ayant été malheureusement enveloppé dans une affaire criminelle; cet homme quoiqu'il ne soit que vivandier dans les gardes Vallones jouit dans Barcelone de la plus haute estime, il est assez accrédité. Du temps que nous y étions, il fut défendu très expressément de ne laisser entrer aucun prêtre français dans la citadelle, une imprudence d'un de nos confrères avoit donné lieu à cette défense. Pélissier sut que nous souhaitions visiter le fort, il alla demander la permission au Gouverneur et l'obtint aisément ; nous lui avions donné à dîner, il voulut à son tour nous régaler dans la citadelle où il restait : il vint nous dire que les portes du fort nous seraient ouvertes, qu'il nous attendoit à diner tel jour ; nous étions trop nombreux pour accepter son invitation, nous le remerciâmes: « Point de remerciments, Messieurs, tout est déjà prêt et vous me mortifieriez si vous me refusiez ce plaisir » ; nous ne pûmes pas reculer, nous lui promîmes ; nous y fûmes au nombre de seize. Nous étions vingt quatre personnes à table, pour nous faire honneur il avoit invité des officiers et des dames ; le repas fut magnifique, les mets les plus recherchés, les vins les plus exquis, le dessert le mieux assorti, café, liqueurs, rien ne fut épargné.

Il fallut enfin quitter Barcelone, le jour de notre embarquement étoit fixé ; peureux comme je le suis de l'eau, craignant ce vaste élément, mes craintes augmentèrent bien davantage, en apprenant qu'un vaisseau chargé de prêtres pour Majorque avoit été jeté par un coup de vent en pleine mer à la vue même de cette ile et forcé de revenir à l'endroit d'où il étoit parti. Si j'avois pu disposer de ma personne on ne m'aurait jamais vu voguer en pleine mer, mais il falloit faire la volonté des autres. Monsieur l'abbé Boué fut chargé d'acheter les provisions nécessaires pour quinze ecclésiastiques ; avec un vent ordinaire deux jours suffisoient pour arriver à notre destination, mais de crainte de contre temps il fit des provisions pour six jours.


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Quinzième jour. — Quand tout fut prêt nous nous embarquâmes pour Majorque, ce fut le onze octobre vers les quatre heures du soir au nombre de quatre vingt dix prêtres ; la première chose que je fis, ce fut un acte de contrition, puis recommandant mon âme à Dieu, je descendis sous le pont pour ne pas voir la mer. Vers les huit heures on soupa, je n'avois nul appétit, je pris cependant un morceau de pain et un peu de cervelat, je bus deux coups puis m'enveloppant dans ma redingotte je tâchai de m'endormir sur mon portemanteau, mais inutilement ; les flots qui venoient se briser avec fracas à travers le vaisseau, les dégobillements que j'entendois autour de moi m'en otèrent l'envie ; je sentais déjà des douleurs de tête, des pesanteurs d'estomac, je m'attendois à chaque instant à faire comme les autres, cependant je tins bon jusqu'au lendemain. Vers les deux heures du soir je mangeai deux raisins et voulus malgré ma peur paraître sur le pont, car je ne pouvois plus tenir en bas à cause de l'infection de toutes les matières vomies; l'air m'ayant saisi je rejettai les deux raisins que je venais de manger, tous mes camarades en firent autant à l'exception de quatre qui tinrent bon, ce furent Messieurs Gouges, Claverie, Lassalle et Barbe ; nos provisions qui coutoient près de cent cinquante livres restèrent presque intactes, nous n'eume plus d'appétit ni même envie de manger.

Seizième jour. — Nous avions fait la moitié de notre course et avions apperçu les côtes de Majorque, lorsque le Capitaine se sentant pressé par le sommeil voulut se reposer un peu ; il chargea son second de la conduite du vaisseau, le vent étant très favorable celui-ci crut qu'il pouvoit l'imiter, mais le vent ayant changé tout-à-coup, le vaisseau fut porté à quarante lieues en pleine mer. A son réveil le capitaine gronda beaucoup, fit aussitôt changer les voiles et nous allâmes assez vite quoique le vent ne fut pas bien favorable ; quand le jour parut nous nous apperçumes qu'au lieu d'avancer, nous avions fait comme les écrevisses. Vers deux heures après midi nous nous approchâmes de fort près des côtes ; ce fut tout près de là que nous vîmes une infinité de dauphins qui accouroient de loin


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et vinrent se divertir autour du vaisseau qu'ils suivirent un gros quart d'heure, ils nous servirent de récréation. Ce n'est pas de bon augure de voir des dauphins en aussi grande quantité ; selon des remarques très judicreuses ces poissons jouant sur la surface dès eaux sont les avant coureurs d'une tempête ; le capitaine, tant que nous fûmes en mer nous laissa ignorer cette particularité, de peur de nous effrayer, il agit très prudemment. Nous avions sur notre vaisseau un fort joli passager d'un caractère très sauvage, il se promenoit sans rien dire, ne desserrant jamais les dents, nous nous empressions tous de lui prodiguer nos caresses ; il y étoit insensible, nous l'appelions il ne nous écoutoit point ; il nous quitta brusquement sans nous dire adieu dès qu'il se vit près de terre, il n'eut pas même besoin de chaloupe bien qu'éloigné de terre de deux portées de fusil, c'étoit un moineau.

Nous arrivâmes enfin dans l'île le treize octobre vers,les quatre heures du soir ; à peine débarqués nous nous vîmes entourés d'un grand nombre de prêtres, de nobles et de beaucoup d'autres personnes ; quoique bien fatigués il fallut pour satisfaire leur curiosité leur raconter de quelle façon nous avions été traités en France, ce qu'il avoit fallu faire pour en sortir et échapper à la fureur des patriotes ; ils louèrent notre fermeté et nous félicitèrent de n'avoir plus rien à craindre. La conversation qui commençoit à nous ennuyer auroit duré bien davantage lorsqu'on vint nous dire qu'il falloit aller se présenter devant le Gouverneur pour lui remettre nos passeports. Nous allâmes ensuite à l'évêché où l'on s'occupa de suite à nous placer ; nous fumes dispersés dans différents couvents, nous trouvâmes moyen d'être installés huit que nous étions, chez les Pères de la Merci ; la disette des lits obligea quatre d'entre nous à être déplacés le lendemain. Je fus du nombre ; la Providence voulut que je fusse envoyé avec l'abbé Lassalle à la Providence même, chez des prêtres réguliers qui vivent sous la règle de Saint Cajetan. Nous nous félicitons de vivre avec ces dignes ecclésiastiques qui nous donnent l'exemple de toutes les vertus chrétiennes et qui moyennant une modique pension que nous leur payons, tâchent d'adoucir autant qu'ils le peuvent notre exil. Disons quelques mots sur l'île.


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Palma que nous habitons est la capitale de l'île de Majorque, c'est une ville très grande, on y entre par huit portes, ses remparts et ses bastions sont d'une épaisseur considérable, on y voit une grande quantité de canons placés sur leurs affûts, elle est encore défendue par deux grands forts ; au midi de la ville est un vaste port où arrivent tous les jours des vaisseaux marchands de toutes nations, des chebacs, des brigantins ; les vaisseaux de guerre, les frégates se tiennent un peu éloignés du port ; il n'est pas permis à tout le monde de monter à bord il faut pour cela la permission du Gouverneur ainsi que celle du capitaine ; curieux de les voir de près nous f imes des tentatives qui nous réussirent : munis d'une carte nous nous présentâmes au nombre de dix à une chaloupe maltaise qui nous conduisit à son vaisseau ; de là nous passâmes à bord d'un vaisseau espagnol de soixante quatorze canons ; le Capitaine jeut la complaisance de nous montrer mille curiosités que je regretterais bien de n'avoir pas vues. Les promenades de Palma sont très riantes, on y voit de jolis jardins, on compte près des remparts soixante moulins à vent et six à eau qui travaillent continuellement, ils sont différemment construits que les nôtres. Du côté du nord est une vaste plaine s'étendant jusqu'aux montagnes.

Palma est très commerçante, tout y est fort cher, on y compte trente mille habitants, on y voit en grand nombre de vastes édifices qui sentent l'antiquité mais qui ne laissent pas d'être très jolis. Cette île avait autrefois appartenu aux Maures; depuis qu'elle est à l'Espagne on y a bâti de superbes maisons ; les églises sont magnifiques et d'une structure admirable où l'or n'est pas épargné; le palais épiscopal ne respire pas ce luxe et cette somptuosité de meubles que l'on voit ailleurs, mais une simplicité qui plait, ce qui vaut mieux. On compte dans la ville quinze couvents d'hommes et onze de filles, six paroisses, un hopital général et un particulier pour les prêtres ; la religion catholique est la seule qu'on y exerce avec beaucoup de piété. Le sexe ne connoit pas ce qu'on appelle grecques, il sait se contenter de peu, un voile lui suffit, tandis qu'il faut mille attirails à nos françaises, il est très dévot


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à la mère de Dieu ainsi que les hommes ; ses fêtes, surtout celle de sa conception fut annoncée la veille par une salve de coups de canon qui recommença le lendemain.

Ce que j'ai remarqué de curieux dans Palma, est une verrerie où je vais souvent, des palmiers qui produisent un fruit excellent qui a le goût de l'écorce de citron préparée et est encore meilleur, des figuiers de Mauritanie dont le fruit est caché sous une enveloppe remplie de petites épines, c'est avec des pincettes qu'on enlève le fruit de l'arbre lorsqu'il est mûr; l'abbé Lassalle nous donna la comédie à ce sujet en prenant avec la main un de ces fruits dont les épines entrèrent profondément ; on voit encore des chênes dont le gland est meilleur que nos châtaignes de France, il est un peu plus long et plus gros que les nôtres, a le goût plus fin que celui de la châtaigne et est de la grosseur d'un oeuf de poularde avec le goût des mures.

La manière de porter le Saint-Viatique aux malades est imposante : si c'est dans la ville, pourvu que le malade ne soit pas en danger on attend la nuit pour le leur administrer; c'est toujours au son des instruments de musique que cela a lieu, on dirait une procession solennelle tant il y a du monde. Le prêtre est entouré de quatre soldats en armes, les gens de la première distinction se font un honneur d'y assister, de porter le dais ou des flambeaux ; si c'est hors des remparts, le prêtre monte dans un carrosse entouré de quatre soldats du régiment dragons, un jeune enfant en surplis devance de quelques pas la voiture et par le son d'une petite clochette annonce le port du viatique; personne n'est à la suite du Saint-Sacrement parce qu'on va au galop. Si le malade vient à mourir dans la ville, cinq ou six prêtres se rendent vers les sept heures du soir dans la maison du défunt pour réciter devant le cadavre l'office des morts; si l'enlèvement du corps ne se fait qu'après midi, on laisse dans l'église le cadavre dans la bière, le visage découvert jusqu'au lendemain après la messe.

Souvent, en France, la protection élevait au bénéfice des Cures; ici c'est le mérite et la vertu, tous y ont droit. Il y a un mois dans l'année, où les prêtres qui aspirent aux bénéfices se présentent devant l'Evêque et les Juges ecclésiastiques, là


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ils discourent en leur présence sur la morale et répondent à toutes les questions qui leur sont posées; lorsqu'un bénéfice vient de vaquer, l'Evêque présente au Roy trois sujets qui ont le mieux satisfait, le nom du plus digne soit par sa capacité soit par l'intégrité de ses moeurs paraît le premier et c'est celui-là qui est toujours choisi par le Roy.

J'ai dit que les habitants sont fort dévots à la mère de Dieu, on est édifié de voir avec quelle dévotion ils célèbrent ses fêtes ; ce n'est pas par des festins, par des danses ou par d'autres excès bien plus coupables comme cela se pratique ailleurs, mais par des bonnes oeuvres, par l'approche des sacrements qu'ils tâchent de se la rendre propice ; le soir ils terminent les fêtes par des rosaires en musique, par des processions générales où l'on porte en triomphe son image et où l'on voit avec édification le noble, le bourgeois confondus avec l'artisan. C'est avec la même piété qu'ils célèbrent les autres jours de fêtes, pour la Noël et pour les Roys, ce ne sont que représentations partout; il n'est point d'église à Palma qui n'ait son Bethléem, ce qui y attire une foule de curieux ; mais ce que j'ai remarqué dans l'église des prêtres réguliers chez lesquels j'habite, et qui m'a le plus surpris, c'est le recueillement avec lequel le régiment Dragon qui est ici en garnison se tient dans la maison de Dieu. Quelle différence de ces militaires avec les nôtres ? Pénétrés de la grandeur de Dieu qui y habite, je les ai toujours vus prosternés pendant le saint sacrifice, occupés les uns à dire leur chapeiet, les autres à lire dans leurs heures ; c'est dans cette église que les jours de fête, ils se rendent tous en corps pour rendre à Dieu leurs hommages, c'est toujours avec le même plaisir que j'assiste à leur messe car je trouve dans leur extérieur modeste et recueilli de quoi m'édifier; leur piété ne se borne pas au culte extérieur, j'en ai vu plusieurs s'approcher des sacrements, ce qui est bien rare chez les militaires.

Les prêtres de Majorque ont pour le salut des âmes un zèle plein de feu, comme disait lui-même le prophète royal, ici ce sont des cathéchismes raisonnes, là des sermons pleins de morale, des retraites fructueuses. Il y a une coutume que je ne 907 4


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saurois approuver, elle peut avoir son bon, mais elle peut avoir des suites fâcheuses: c'est un usage établi que deux fois par an on fit des missions nocturnes, ce soin est confié aux D... et aux F... ; ces zélés missionnaires se répandent dans les rues deux à deux, y dressent une table sur laquelle ils allument deux flambeaux puis montant sur une chaise ils prêchent depuis sept heures jusqu'à onze heures du soir et tout le monde pêle et mêle accourt en foule pour les écouter.

Disons un mot de l'ile en général : l'île de Majorque forme un carré, elle a vingt lieues en tous sens, par conséquent quatre vingt lieues de circonférence, on y voit plusieurs ports, les plus remarquables sont ceux de Palma et d'Alcondia, ville très fortifiée et très peuplée; il y a dans l'ile trente trois paroisses sans compter les annexes et les oratoires qui forment autant de villes. Le nombre des habitants est de cent soixante mille; c'est un pays rempli de montagnes très élevées au bas desquelles s'étendent les plus belles plaines qu'on puisse voir, surtout celle de Souilles où croissent les orangers; vers la fin de décembre c'est le plus beau coup d'oeil qu'on puisse imaginer. Le terrain de l'ile est très fertile, toutes sortes de grains et de fruits y abondent; les jours d'hiver sont presque tous des jours de printemps et au moment où j'écris la campagne est couverte de verdure et émaillée de mille fleurs.

Il y avait déjà huit jours que nous étions installés, les chaînes de notre exil commençoient déjà à peser, le souvenir de nôtre patrie quoiqu'elle nous eut traité en marâtre venoit par moments affliger notre coeur. Colloqués dans une ile sans espoir de revoir jamais le lieu qui nous avait vu naître, cette idée augmentait nos chagrins et nos ennuis, il falloit que quelque objet récréatif et saint vint à notre secours. Dieu dans sa miséricorde nous le ménagea. Ce fut le vingt octobre qu'une illumination générale qui dura huit jours, nous annonça la fête d'une sainte de l'ile nommée Catherine Thomas que béatifia l'évêque d'Auriole; le corps de cette sainte encore entier, repose au couvent de Sainte Magdeleine, il fut exposé à la vénération du peuple qui y accourut de toute l'ile. La fête fut des


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plus brillantes, toutes les richesses de la ville furent exposées pour décorer les églises, les rues furent tapissées; pendant l'octave il y eut tous les soirs une procession générale, cette fête au dire d'un homme compétent couta trois cent mille livres.

L'ile de Majorque a vu naître le fameux Dom Barcello, il vit encore, se porte bien quoiqu'il ait près de soixante seize ans; de matelot il est parvenu par sa bravoure au point où il est, il a fait une fortune des plus considérables.

LISTE des Ecclésiastiques dont le nom figure en tête du manuscrit de l'abbé Gibert (ce sont certainement les noms des prêtres qui se réfugièrent aux îles Baléares et s'y trouvèrent en même temps que le curé de Colonges) :

MM. Paul, vicaire au diocèse de Lavaur;

Montagne, vicaire au diocèse de Lavaur; Balard, vicaire au diocèse de Toulouse; Dorliac, vicaire au diocèse de Toulouse ; Sagansan, vicaire au diocèse de Toulouse ; Fourcade, vicaire au diocèse de Toulouse; Cousserans, vicaire au diocèse de Toulouse; Fumel, vicaire au diocèse de Toulouse; Ufferte, curé au diocèse de Lombez; Arbus, curé au diocèse de Montauban ; Doux, vicaire au diocèse de Cahors; Boyt, curé au diocèse d'Auch ;- Perigord, curé au diocèse de Lombez ; Sales, vicaire au diocèse de Lombez ; Cros, vicaire au diocèse de Lavaur; Olivier, vicaire au diocèse de Toulouse ; Paul, vicaire au diocèse de Toulouse; Coulié, vicaire au diocèse de Cahors; Campardon, curé au diocèse de Toulouse;


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Davaisse, curé au diocèse de Toulouse ; Davailh, curé au diocèse de Toulouse; Macou, curé au diocèse de Lombez; Béziat, vicaire au diocèse de Toulouse; Cornac, vicaire général de Castres; Cornac, promoteur de Toulouse; Laparre, curé au diocèse de Toulouse; Lasserre, curé au diocèse de Montauban; Castel, curé au diocèse de Toulouse; Dupeyre, curé au diocèse de Montauban ; Laclaverie, vicaire au diocèse de Montauban; Bessey, vicaire au diocèse de Montauban; Azam, vicaire au diocèse de Montauban ; Martigue, curé au diocèse de Toulouse; Thomas, curé au diocèse de Vabres; Drouailles, bénéficier au diocèse de Toulouse; Miguel Cordelier, vicaire au diocèse de Cahors; Fortet, professeur de philosophie à Cahors; Montané, vicaire au diocèse de Montauban ; Escande, du diocèse de Castres; Bosouls, vicaire au diocèse de Cahors; Viala, vicaire au diocèse de Cahors; Jouynet, vicaire au diocèse de Cahors; Saint-Amans, vicaire au diocèse de Cahors; Alibert, vicaire au diocèse d'Albi ; Arnaud, curé au diocèse de Toulouse ; Lécuyer, vicaire au diocèse de Montauban ; Amiel, vicaire au diocèse de Saint-Pons ; Thobin, vicaire au diocèse de Toulouse ; Gibert, curé au diocèse de Cahors; Lassalle, vicaire au diocèse de Cahors ; Cavailhac, vicaire au diocèse de Cahors; Cantegreil, vicaire au diocèse de Cahors; Colombier, vicaire au diocèse de Cahors; Revel, vicaire au diocèse de Toulouse ; Roussel, vicaire au diocèse de Lombez; Dupuy, vicaire au diocèse de Montauban;


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Caminade, vicaire au diocèse de Montauban ; Balsac, vicaire au diocèse de Montauban ; Dom Vielles, procureur de la chartreuse du Puy; Dom Esprit, procureur de la chartreuse de Toulouse ; Julia,. curé au diocèse de Toulouse; Boue, curé au diocèse de Cahors ; Duprat, curé au diocèse de Cahors ; Macou, curé au diocèse de Lombez ; Dudibat, curé au diocèse de Lombez ; Astre, curé au diocèse de Toulouse ; Lade, bénédictin ;

Sylvestre, curé au diocèse de Cahors; Dom Rucard, prieur de la chartreuse de Toulouse ; Cornac, chanoine au diocèse de Toulouse ; Cornac, curé au diocèse de Toulouse ; Castanet, curé au diocèse de Toulouse ; Pages, curé au diocèse de Saint-Pons; Antoine, ancien chanoine de Vabres; Nagrac, prévot de Vabres ; Ortrie, vicaire au diocèse de Toulouse; Henry, vicaire au diocèse de Toulouse; Campardon, vicaire au diocèse de Toulouse; Bernardy, vicaire au diocèse de Toulouse ; Moruc, curé au diocèse de Pamiers. En tout 99.

(Suït l'intitulé: Récit de voyage en Espagne en 1792).


Notes d'Archéologie

PUNICO-ROMAINE

PAR

M. LE DOCTEUR E. TACHARD

Membre de la Société

Le voyageur débarquant à Tunis est tout surpris par le tableau mouvant de la population blanche ou noire, criant, courant et formant avec ses costumes bigarrés un véritable kaléidoscope. Même pour celui qui connaît l'Algérie, l'impression première est la surprise.

Nous ne recommencerons pas la description si souvent faite de Tunis et de ses souks, la ruche industrieuse de la cité. Quelques photographies suffiront à rappeler l'aspect général de cette cité, où la perspective lointaine d'un palmier ou d'un minaret est relevée par le costume décoratif des jeunes flâneurs arabes portant une fleur, non à la boutonnière, mais derrière l'oreille ou dans une narine.

Voici un marché près d'une Kouba avec des négresses dont la figure n'est pas voilée; là, devant la colonnade d'un souk, des indigènes couchés à l'ombre du minaret octogone de la belle mosquée de Dar-el-Bey.

1 Cette Conférence a été donnée à la Société dans la salle rouge de l'Hôtel de Ville de Montauban. Elle était accompagnée de remarquables projections dues aux excellents clichés de M. le docteur Tachard,.


NOTES D'ARCHÉOLOGIE PUNICO-ROMAINE 55

Dans le quartier des Selliers, voici deux dames du monde faisant leur promenade matinale, le visage bien caché sous un vaste loup noir. Là, dans les faubourgs, sont des jardiniers puisant l'eau nécessaire aux cultures de leurs légumes.

Passons sur ces détails, ici l'archéologue ne pense qu'à Cartilage et les souvenirs du lointain passé remontent en foule dans la mémoire.

Mais hélas! Carthage a été si complètement détruite et redétruite, qu'il n'en reste que l'emplacement formant à l'horizon une tache grisâtre sur le versant de la colline couronnée par la contemporaine cathédrale de Saint-Louis. Rien ne subsiste à la surface du sol, et pour faire revivre le passé, il faut fouiller profondément le sol et reconstruire en imagination les deux cités superposées, enfouies sous l'épaisse couche de terre amoncelée par le temps.

Les savants qui depuis quelques années s'acharnent à ce travail de fouilles, ont constitué deux musées, où l'on retrouve les témoins archéologiques des Carthaginois et des Romains.

Avant de commencer la description rapide des matériaux archéologiques qu'ils renferment, faisons un retour en arrière pour trouver le fil conducteur de ce labyrinthe.

On dit que lorsque Didon débarqua sur cette côte, l'emplacement de sa nouvelle ville fut délimité par une lanière de ctir taillée dans une peau de boeuf. Un port et quelques habitations à la base de la colline suffisaient aux premiers besoins des colons ; leur cité des morts fut reléguée au-delà de celle des vivants, mais l'augmentation rapide de cet entrepôt commercial força les nouveaux habitants à piétiner les tombes des aïeux et à établir à la ceinture urbaine, s'élargissant tous les jours, de nouvelles nécropoles, reculant peu à peu jusque sur les hauteurs extrêmes.

Pendant la période punique, il se produisit fatalement un échelonnement des nécropoles, en sorte que l'emplacement des sépultures data approximativement l'état d'extension de la cité.

Le conseil donné par Caton ayant été rigoureusement suivi, la ville punique fut rasée.

Une nouvelle capitale se releva plus tard sur les ruines


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amoncelées de l'ancienne, en sorte que les fondations de la Carthage romaine s'enfoncèrent dans les cendres puniques. Cette nouvelle Carthage fut ravagée à son tour, et longtemps les colonnades de ses palais immenses provoquèrent l'envie des Arabes ou des Pisans qui s'approprièrent ces dépouilles architecturales, pour construire et décorer leurs mosquées, leurs palais ou leurs cathédrales.

Peu à peu le sol se nivela, l'herbe fixa le sable apporté par le vent et sous l'effort puissant et inlassable de la nature, la transformation éolienne s'acheva et une couche de huit, dix et vingt mètres de terre, vint recouvrir les deux capitales ennemies.

Pour mettre à jour les témoins de ces périodes successives, il faut donc passer à travers les dépôts stratifiés dont la base est punique et le sommet romain.

C'est sur cette table rase qu'on jeta au hasard les premiers coups de sonde, et bientôt les résultats obtenus confirmant les données des textes anciens, il fut possible de travailler avec méthode. C'est de tous ces efforts réunis que sont nés successivement les musées Lavigerie et Allaoui.

Mais avant d'entrer dans ces deux sanctuaires, étudions rapidement le sens et la valeur des objets trouvés dans les nécropoles, dont nous devons aussi donner une description. Voici comme exemple, un tombeau situé non loin de la céramique de Dermech ; il était enfoui sous un amoncellement de quinze mètres de terre environ dont le poids explique la fracture transversale du linteau. Ce monument funéraire date du VIe siècle ; sa forme est rectangulaire ; il est bâti avec des dalles de tuf mal équarri placées verticalement ; au dessus de la porte deux pierres se contrebutant forment un toit à deux eaux. Le corps du défunt couché au milieu de ce caveau était entouré du mobilier funéraire que nous voyons varier suivant les périodes, et qui comprenait des poteries, des bijoux, des incriptions, des portraits du mort sous la forme d'un masque, des lampes, des figures grimaçantes, des amulettes, etc.

Dans ces sépultures sans épigraphie, ce mobilier est d'un grand secours pour dater avec une précision relative la pé-


PUNICO-ROMAINE 57

riode à laquelle remonte le monument et confirmer le raisonnement basé sur l'emplacement du tombeau.

Pour mettre plus de précision à ce qui précède, nous diviserons schématiquement en trois périodes l'histoire des sépulcres puniques.

La première époque datée des VII et VIe siècles avant notre ère, se déroule dans la région inférieure de Douimès. Les poteries que l'on y trouve ont un type nettement égyptien, modifié à la fin par l'influence archaïque grecque des îles. Les jarres ont la forme d'obus, les amphores ventrues ont ou n'ont pas de couvercle; les lampes puniques sont plates et grandes, leurs bords sont légèrement retroussés pour former deux becs ; les oenochoés mal tournés ont parfois l'orifice tréflé.

La seconde époque aux V° et IV° siècles se développe dans la région intermédiaire de Dermech sur les premières pentes de la colline ; dans le mobilier qu'on va découvert on voit grandir l'influence de l'art grec. Les jarres plus élégantes se terminent par une queue assez allongée, les amphores présentent un goulot élégant un peu resserré, les lampes moins volumineuses sont rehaussées de quelques touches de peinture, les oenochoés sont plus élégants, plus petits, et sont ornés de quelques lignes de couleur.

La troisième époque aux III° et II° siècles nous conduit au sommet de la colline, et les objets trouvés dans les sépulcres expriment nettement l'art grec transmis par la Sicile. Les lampes puniques très petites à bords très pinces sont mêlées à des lampes rhodiennes; les coupes imitent les vases grecs en métal, de même que les sébiles en poterie vernissée. On trouva aussi au milieu de ces matériaux, l'ex-voto à Tanit, une élégante petite soupière munie d'un couvercle.

Dans la projection que nous avons sous les veux, faisons une place à part au chandelier carthaginois à sept branches ; il n'a été trouvé jusqu'ici que par M. Ganckler dans un four à potier de la région de Dermech. Il est probable qu'il était destiné à recevoir au centre un flambeau de résine entouré dans les six godets de bougies de petit volume.

Terminons l'énumération des matériaux représentés ici


58 NOTES D'ARCHÉOLOGIE

en notant les balles de fronde trouvées en très grande abondance dans les fouilles de 1902 au bord des lagunes actuelles conservant quelques vestiges de l'ancien port militaire.

On ne saurait dans ces notes succintes, ébaucher l'étude des sépultures puniques, mais il est intéressant de montrer les ruines d'un mausolée du IVe siècle édifié à Dougga. En 1842, ce monument était encore intact ; pour son malheur il possédait une inscription bilingue qui tenta un imitateur de Lord Elgin ; Th. Read, moins connu, trouvant sans doute que dans une olivette perdue sur une montagne peu fréquentée cette inscription était sans utilité, fit sans pitié sauter le monument pour s'emparer de la précieuse inscription. Ce vandale dédaigna le reste de la décoration, aussi voit-on dans les décombres un quadrige en bas-relief, des statues ailées, et en place sur deux angles des chapiteaux terminés par une volute unique d'où s'échappent des fleurs de lotus à moitié épanouies.

Pour terminer cette revue des nécropoles, montrons celle de Sousse récemment déblayée ; on y trouve la colonne renversée d'origine phénicienne, bien plus logique que nos colonnes droites, le colombarium et presque tous les modes de sépulture adoptés par les anciens. A quelques mètres seulement de ce champs de repos, on a découvert et déblayé des catacombes chrétiennes situées sur le haut d'une colline, d'où la vue s'étend sur les remparts de Sousse et sur l'immensité de la mer bleue.

Ces trop longs détails nous semblaient indispensables à donner avant même de pénétrer dans les musées.

MUSÉE ALAOUI, AU BARDO

C'est un des plus importants musées de l'Europe, disait M. L. Bertrand dans la Revue des Deux Mondes du Ier août 1905. Plût au ciel que ce prolongement lointain de la France fût accessible autrement que par bateau, afin de permettre à tous de vérifier, comme dit l'auteur cité, qu'il est impossible à un touriste de parler en détail de toutes les richesses accu-


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mulées au Bardo. « Parmi tant de plaques votives, de stèles, de bustes, de statues, de bas reliefs, de poteries, de lampes, de bijoux, d'ustensiles de toute sorte, l'attention défaille: il y en a trop On finit par ne plus distinguer que les mosaïques qui s'imposent au regard par leur nombre, leurs dimensions extraordinaires, la vigueur de leur tonalité. Elles sont admirables et tellement suggestives des moeurs antiques. »

Pour plusieurs raisons je n'insisterai pas davantage sur la description du musée du Bardo, préférant recourir aux projections d'une expression plus sincère et plus significative que la parole.

Après avoir traversé la cour d'entrée pénétrons dans l'une des grandes salles contenant quelques unes des belles mosaïques de la villa des Laberii, tapissant les parois ; au dessous de ce tableau rustique par une porte entrouverte nous apercevons une statue de la salle des pendentifs. Sur une autre paroi de la salle, voici une stèle portant une décoration se rapportant au culte de Tanit, une collection d'amphores et de jarres, des mosaïques à dessins géométriques accrochées comme un tableau ; entre ces deux parois et faisant face aux fenêtres, voici une longue mosaïque sur laquelle nous pouvons admirer de bas en haut, des cigognes telles que celles qu'on aperçoit sur le lac de Tunis, des écrevisses, des anguilles, un canard, un filet de pêche rempli, un bateau avec son mât et sa voile, etc.

Tout le sol enfin est recouvert d'une immense mosaïque d'un dessin admirable révélant une école de mosaïstes passés maîtres.

Tour ces trésors sont réunis dans le petit Versailles tunisien servant de cadre et d'écrin délicieux à tous les objets d'art ancien laborieusement amassés sur tous les points de la régence.

MUSÉE LAVIGERIE, A CARTHAGE

Commencé bien avant celui du Bardo, il est divisé en deux parties distinctes, dont la plus importante est consacrée à l'art


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punique. Les poteries et les bijoux y sont en grand nombre, mais ce qui y captive le plus l'attention ce sont les sculptures merveilleuses trouvées sur des couvercles monolithes de sarcophages.

La plus belle de ces sculptures représente une prêtresse carthaginoise du IVe siècle ; elle a sur la tête une coiffure égyptienne d'où émergent deux bandeaux retombant sur la poitrine ; sa figure est noble et fine. La prêtresse est dans une attitude sacerdotale et tient dans la main droite l'oiseau du sacrifice. L'exécution du costume est intéressante ; les draperies sont repliées en aile d'oiseau et se croisent sur la partie antérieure des jambes. Quelques touches de couleur rehaussaient le visage et le costume. Signalons aussi la pierre du sarcophage d'un prêtre carthaginois, couché sur son tombeau, et tenant dans sa main gauche l'ex-voto à Tanit; la tête a une belle expression religieuse.

On accède à ce musée, en passant sous un portique soutenu par de belles colonnes cannelées, surmontées de chapiteaux Corinthiens ; aux extrémités se dressent deux statues, la Victoire et l'Abondance, trouvées en creusant les fondations de la Cathédrale.

Le mur encadrant le jardin est couronné des boulets de pierre provenant de l'arsenal.

Tout autour de la chapelle Saint-Louis, le jardin sert de musée lapidaire, on y a déposé des débris de statues, des colonnes, des chapiteaux, des inscriptions, des coffres cinéraires en grand nombre.

En présence de toutes ces richesses le mot historique « les ruines elles-mêmes ont péri » pourrait paraître inexact. Pour nous convaincre de son exactitude transportons nous, non loin de la cathédrale; voici tout ce qui reste d'un riche palais romain retrouvé sous plusieurs mètres de terre dont on a fait le déblaiement ; au centre le cadre d'un jardin octogonal, encadré d'un portique à colonnes rondes reposant aux angles sur des massifs carrés de maçonnerie.

Sous ce portique s'ouvraient des appartements lambrissés de marbres. Tout à côté encore une villa en forme de basilique


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dont il ne reste que quelques soubassements encadrant une mosaïque

Tout autour, le terrain est dénudé jusqu'à la mer tandis que jadis il était recouvert de palais somptueux remplis de trésors artistiques. Maintenant une couche épaisse de terre recouvre la Carthage romaine plantée sur les ruines de l'antique reine des mers.

CITERNES DE LA MALGA ET TEMPLE DES EAUX

Je suis assez disposé à croire que ce qui a fait la force et la grandeur de Rome, c'est son amour pour l'eau pure, fraîche et limpide puisée à bonne source. Quoi qu'il en soit de cette hypothèse hygiénique, aussi défendable que beaucoup d'autres, il est certain que partout où les Romains plantaient leurs faisceaux triomphateurs, ils construisaient les puissants aqueducs que tout le monde connaît.

C'est à une distance de 60 kilomètres à vol d'oiseau, que les Romains captèrent sous Hadrien (117-138), les sources du Zaghouan, pour les conduire dans les citernes de la Malga, par un aqueduc construit avec art et s'élevant à 20 mètres a la traversée de la vallée de la Miliane.

Zaghouan fut fortifié par les Romains ainsi qu'en témoignent les restes bien conservés d'une porte à plein cintre. Il fallait défendre le temple des eaux, situé au dessus de la ville, au pied du massif montagneux auquel on accède en suivant des pentes boisées, remplies de verger, situés le long d'un ruisseau où l'eau pressée anime des moulins dont le tic-tac ajoute sa note pittoresque, au babil des oiseaux cachés dans la verdure.

Les restes du temple des eaux sont très importants, et la compagnie des eaux de Tunis a pu réaffecter les anciens bassins à son service.

Résumons à grands traits l'ensemble de cet imposant monument.

Adossée à la montagne, au niveau de l'émergence de la


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source, la Cella forme le centre d'un hémicycle de 30 mètres de largeur, orné d'une colonnade bordant deux portiques dont les murs en grand appareil étaient coiffés de coupoles. Des statues ornaient les niches et à l'extrémité de chaque portique une porte monumentale s'ouvrait au dehors sur un large escalier de quinze marches. Entre ces deux portiques, était un vaste bassin dans lequel l'eau du Zaghouan s'épandait en cascade au-dessous de la Cella.

M. Sadou, inspecteur des antiquités à Tunis, dont le décès récent a attristé ses amis, tenta, en s'aidant des détails architecturaux trouvés dans les ruines, de faire la reconstitution de ce monument.

Les citernes de la Malga ne sont pas moins intéressantes ; elles pouvaient emmagasiner l'eau nécessaire à une population de 500,000 habitants. Elles comprenaient 24 compartiments parallèles de 30 à 45 mètres de long sur 5 à 6 de large, s'ouvrant sur un réservoir' de distribution perpendiculaire aux précédents.

Les citernes, aujourd'hui, servent de greniers ou d'écuries.

KAIROUAN

Malgré tous ses attraits, l'archéologie ne doit pas nous faire perdre de vue le côté pittoresque du pays, et comme on ne peut visiter que les mosquées de Kairouan, allons y prendre quelques projections.

Mais avant, arrêtons-nous à Hamman-Liff, cette jolie station balnéaire où fréquente la gentry juive.

Nous sommes là au pied du Bou-Kornine dont l'ascension tente l'alpiniste désireux de jouir d'un panorama splendide et grandiose sur le promontoire africain.

Traversons Sousse, pays béni des archéologues, où fut découvert le seul portrait que nous possédions de Virgile, et arrivons dans la cité sainte de Kairouan où le mouvement de la foule nous entraîne rue Saussier, fermée à l'un de ses bouts par une porte de ville où la population se presse et se bous-


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cule. Notons en passant la mosquée des Trois Portes portant au fronton une vieille inscription du IIIe siècle de l'Hégire. La mosquée du Barbier du Prophète mérite mieux qu'une simple mention. Admirons les revêtements des murailles en vieilles faïences peintes, surmontées de stucs, dont chaque panneau offre une décoration florale exécutée à l'ébauchoir; ces grandes surfaces blanches éclairent et font ressortir le plafond à caissons de bois sculpté.

Arrivons enfin à la grande mosquée de Sidi-Okba, dont l'immense cour intérieure est pavée de dalles recouvrant les vastes citernes alimentées par l'eau de pluie des terrasses de la mosquée et du cloître à double galerie orné de colonnes géminées renforcées de piliers.

A l'intérieur, de la mosquée on trouve une véritable forêt de colonnes romaines et byzantines soutenant d'innombrables nefs à arcades retombant sur des chapiteaux dont les moulures sont noyées sous les couches amoncelées d'un badigeon à la chaux. Les boiseries des portes et celles de la rampe de la chaire ne doivent pas plus passer inaperçues que les vieux manuscrits du Coran conservés dans la bibliothèque de la mosquée.

Avant notre départ, une fantasia, qui n'était pas donnée en notre honneur, nous permit de constater, malgré leurs apparences, les bonnes qualités des chevaux tunisiens et la joie de leurs cavaliers en faisant parler la poudre.

DOUGGA

La Tunisie a trouvé dans l'héritage des Romains plusieurs trésors, dont certains, comme les ruines de Dougga, constituent un patrimoine du plus haut prix.

Rien n'est plus attrayant qu'une excursion aux ruines de Dougga, car sur la route qui y conduit, le touriste recueille des souvenirs intéressants échelonnés sur le parcours.

Après avoir franchi la Medjerda sur un pont métallique de 90 mètres, on trouve le village de Slougia fondé par les Maures


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d'Andalousie sur les ruines d'une importante cité romaine; un peu plus loin, Testour, édifié aussi par les Maures, qui ont appliqué à la construction de leurs demeures et de leurs minarets tes règles d'architecture du midi de l'Espagne. Au-delà de la Siliana, où nous rencontrons de modestes caravanes, nous nous arrêtons devant une antique fontaine romaine, restaurée par nos soldats en 1881, et nous visitons les importantes ruines couvrant le flanc du coteau. Aïn-Tounga, jadis Thignica, fut bâtie sous Marc-Aurèle (vers 170); ses ruines comprennent une porte triomphale située au-dessous d'un temple dans les décombres duquel nous lisons une inscription à Esculapio. Un peu plus haut, ce sont les restes d'un temple à Mercure, dont les colonnes corinthiennes du pronaos de huit mètres de long et d'un mètre environ de diamètre, gisent pêle-mêle autour du monument. Plus loin se profile un mur en blocage, décrivant une courbe semi-circulaire de quatre à six mètres d'élévation suivant l'état de conservation, destiné sans doute à encadrer un monument dont il ne reste aucun vestige, ce qui porte à penser qu'il ne fut jamais édifié.

Du milieu de ces ruines romaines, émergent aussi celles de la vaste citadelle byzantine, construite par Solomon en 540 après l'expulsion des Vandales.

Teboursouk offre un coup d'oeil pittoresque ; ses ruines romaines et ses remparts byzantins, construits en blocage recouvert d'un parement de pierres taillées, méritent un moment d'attention.

De là, par un chemin bordé d'olivettes, on arrive à la base de la montagne, couronnée par les ruines, hors de pair au point de vue archéologique, de la cité de Dougga.

Par ordre chronologique, Pompéï, Dougga et Timgad forment une trilogie avec laquelle, sans autres documents, on pourrait reconstituer partiellement le passé du peuple romain. Chacune de ces cités a son caractère propre, chacune doit être visitée et étudiée à part.

D'après les inscriptions retrouvées, Dougga était un important municipe sous Septime-Sévère (261). Dès qu'on est


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arrivé sur la crète de la montagne, toute l'admiration se concentre d'abord sur les ruines du Capitale, construit sous Marc Aurèle (166-169), aux frais du riche Marcius Simplex. Consacré à la triade capitoline, on voit au fond de la Cella les trois niches réservées aux dieux. Sur le linteau se lit le nom du donateur. Ce qu'on ne peut décrire, c'est la splendide beauté de l'ancien portique, découpant dans le ciel les lignes harmonieuses des six colonnes corinthiennes soutenant la frise et la corniche. On jouit là d'un spectacle unique, à jamais inoubliable.

Au pied du Capitole les déblaiements ont fait découvrir de riches villas étagées, dont certaines (Contenaient des mosaïques de grand prix, telles celle d'Eros, vainqueur d'une course de quadrige, et celle des Cyclopes forgeant les armes d'Enée, qui occupe au Bardo la première place, dans la splendide exposition des mosaïques.

Nous ne pouvons décrire le forum et les temples groupés autour du Capitole, et nous n'énumèrerons que les principaux monuments. Au premier rang, plaçons le temple de la Tanit romaine de Coelestis, construit aux frais de Gabinius Rufus en avant d'un vaste jardin d'oliviers. Il nous reste de ce sanctuaire un mur demi-circulaire encadrant un péribole au centre duquel s'élève un stylobate de 6 m. 60 de large et de 17 m. 50 de long. Le stylobate est encadré lui-même d'un revêtement d'énormes pierres posées de champ et formant toute la paroi extérieure ; sur les côtés gisent à terre les colonnes renversées, au milieu desquelles on reconnaît les pierres de la frise et son couronnement. Bien en avant des degrés conduisant sous le portique, régnait une large colonnade dont les bases subsistent encore.

Si on reconstitue ce monument par la pensée, on est envahi par un sentiment de profonde mélancolie, que ne parvient pas à vaincre le splendide panorama qui se déroule sur la ville et sur les montagnes échelonnées, perdues à l'horizon.

En arrière de ce temple de Coelestis existe une porte triomphale, dont les soubassements sont enfouis à plus de deux mètres de profondeur! non loin de là sont les ruines de cinq 1907 5


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réservoirs d'eau mesurant chacun quarante mètres de long et trente-trois de large.

La riche cité possédait aussi un vaste théâtre, construit aux frais de Marcius Quadratus. Au début de notre occupation, ce théâtre était enfoui sous une couche de terre et de fumier, amoncelée jusqu'à la hauteur des derniers gradins. Sous cette protection immonde, les matériaux ont été protégés, et grâce à la main-d'oeuvre militaire qui a assuré le déblaiement, nous pouvons maintenant admirer l'ordonnance de la scène et du haut des gradins goûter les charmes de la perspective dont jouissaient les spectateurs sur la vallée de l'Oued-Kalled, encadrée de montagnes se perdant à l'horizon dans une éblouissante lumière.

Nous aurions encore bien d'autres ruines à mentionner, mieux vaut dire qu'on ne s'arrache de Dougga, de ce pur joyau archéologique, qu'à regret, presque douloureusement.

Après cette course rapide, détachons-nous malgré nous des richesses archéologiques de la Tunisie, et poursuivons nos recherches dans la circonscription de la troisième légion Augusta, chargée de maintenir la sécurité de la colonie, toujours menacée par les indomptables Berbères de l'Aurès. Nous sommes ainsi conduits à Tebessa, Lambessa et Timgad ; là, nous verrons successivement l'installation des camps permanents aux frontières, nous pourrons faire revivre quelques souvenirs de l'époque néo-chrétienne et assister aux débuts de l'empire byzantin, s'élevant sur les décombres de l'empire romain démembré.

TEBESSA

L'antique cité de Theveste possède un monument unique, l'arc quadrifrons de Caracalla, construit en 214, Il fut enchâssé par Salomon en 540 dans l'enceinte de la fortification, où il remplit la périlleuse fonction de porte et de bastion.

Sa disposition générale comprend quatre pieds-droits, réunis par des arceaux ayant 8 m. 30 de hauteur sous clé. Les


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façades sont pareilles; chacun des piliers comprend à la base un socle à double décrochement, deux colonnes à l'aplomb du décrochement correspondant à des pilastres en légère saillie sur le mur, et soutenant ensemble un entablement orné de rinceaux. Au milieu du cintre à chaque clé, existe un médaillon orné d'une tête dont l'une représente la tutella de la ville.

Les fûts de colonne monolythes ont 5 m. 73 de haut et sont terminés par des chapiteaux corinthiens.

Cet édifice fut construit aux frais de Cornélius Egrilianus et coûta environ 67,000 francs de notre monnaie.

En regardant de profil l'arc de triomphe, on voit les murs de la forteresse byzantine bien conservés, formant un des côtés de l'enceinte quadrangulaire mesurant 340 mètres de long. Le revêtement de ces murs en pierre de taille est flanqué de tours rondes, saillantes en dehors de la courtine s'élevant à 17 mètres de hauteur. Au niveau des tours, les murs du rempart se relèvent pour préserver le chemin de ronde courant tout le long de la fortification. Vues de l'intérieur, les tours à deux étages s'ouvrent sur le chemin de ronde, auquel conduisent des escaliers placés de chaque côté des portes. Par le chemin de ronde dont le robuste dallage est en bon état de conservation, on entre de plain pied dans le corps de garde des tours, dont la voûte cintrée soutient au deuxième étage une plate-forme à créneaux.

Mentionnons seulement, pour terminer, l'existence de la porte byzantine de Solomon.

En dedans de la porte de Caracalla, se trouve le temple de Minerve, dont l'affectation variée depuis 1842 mérite d'être mentionnée. Avant d'être comme aujourd'hui un musée, ce fut successivement le bureau du génie, une cantine, une prison et une église. Minerve eut donc pour successeurs Mars, Bacchus et Mercure. Ces affectations diverses ont nui au monument, qui était surmonté, au moment de l'occupation, d'un dôme aujourd'hui écroulé.

Ce temple de Minerve est d'environ deux cents ans plus jeune que la délicieuse Maison Carrée de Nîmes ; c'est l'un des temples antiques le mieux conservé de l'Afrique du Nord.


68 NOTES D'ARCHÉOLOGIE

Bâti sur un soubassement de quatre mètres de hauteur, il a une largeur de neuf mètres et une longueur de dix-huit mètres.

Quatre colonnes en façade et deux latérales soutiennent la frise architravée surmontée d'un attique sans ornements.

Les colonnes monolithes du portique ont beaucoup souffert : elles mesurent 6 m. 40 de hauteur. La frise et l'attique sont décorés de panneaux sculptés séparés par des bucranes au niveau du point d'appui des colonnes. Le motif de décoration de l'attique représente une victoire ou un hercule divinisé. Dans l'architrave existent, dans un cadre d'oves des aigles aux ailes éployées et étreignant un serpent dans leur serres. Les murs de la Cella sont ornés de pilastres sans cannelures terminés par des chapiteaux corinthiens.

A l'intérieur du musée beaucoup de matériaux provenant des trouvailles faites dans la région, un jeu de l'oie, une table de banquet funéraire, etc., et contre les murs d'intéressants mosaïques représentant Venus portée par des tritons, des néréides chevauchant des monstres marins, etc.

Tebessa possède surtout les vénérables restes d'une splendide basilique chrétienne, nous rappelant ce mot de saint Augustin : Africa sanctorum martyrum corporibus plena est. Une base de colonne retrouvée dans les ruines ne laisse aucune incertitude ; nous y voyons sculptés les deux poissons symboliques buvant l'eau vive dans un réservoir placé au-dessus d'un foyer de lumière.

La description de cette vénérable basilique nécessiterait d'amples développements dans lesquels nous ne pouvons malheureusement pas entrer. Arrêtons-nous, d'abord, devant la porte cintrée du mur de clôture protégeant la basilique et ses dépendances claustrales ; par là on accédait à l'esplanade quadrangulaire recouverte de dalles, précédant l'atrium où se réunissait la foule des néo-chrétiens, autour du lavacrum monolithe en forme de trèfle à quatre feuilles, situé en avant de la façade principale de l'Eglise à trois nefs.

La nef centrale était séparée des collatéraux par une colonnade de marbre formant pilier aux arcades; au niveau des chapiteaux régnait une corniche supportant une seconde rangée de colonnes à l'aplomb de celles du bas.


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Au fond de la nef centrale existait une clôture d'où l'on accédait au choeur par trois marches; l'autel rectangulaire occupait le centre du choeur dont tout le sol était recouvert d'une mosaïque d'une technique médiocre.

Sur le côté droit se trouve un vaste escalier conduisant dans une chapelle sur plan tréflée qui paraît de construction postérieure à l'église. Mentionnons enfin, pour finir, les ruines du monastère entourant la basilique.

Cette énumération incomplète suffira au moins à montrer tout l'intérêt qui s'attache aux restes chrétiens de Tebessa.

LAMBESSA

Lambessa, placé sur la route de Timgad, possède des restes d'architecture militaire de premier ordre. Au commencement du IIe siècle, sous Trajan, la troisième légion s'y établit pour garder la route du Sahara par le défilé d'El-Kantara.

Ce camp permanent, daté de 146 environ, est le mieux conservé de tout l'Empire romain ; on y retrouve les dispositions générales dont Polybe nous à laissé la description.

Franchissant la porte prétorienne défendue par des tours plongeant dans le fossé de circonvallation, et suivant l'antique et large voie dallée bordée d'un long portique à colonnes, on voit devant soi le Prétoire occupant le centre d'une vaste place d'armes entouré par les constructions réservées aux officiers et aux troupes a pied ou à cheval.

Le Prétoire dont la toiture est effondrée mesure trente mètres de long sur vingt-trois de large; ses portes cintrées sont de dimensions différentes; sa façade est décorée de pilastres précédant des colonnes corinthiennes; au niveau des clés de voûte existent des médaillons de basse époque dont l'un représente une victoire.

Dans l'intérieur primitivement divisé en deux étages on a retrouvé quelques inscriptions dont l'une était une dédicace à Marc Aurèle.

Oh ! ironie du sort, sur une pierre antique, abandonnée au-


70 NOTES D ARCHEOLOGIE

jourd'hui à terre, à la porte du prétoire, on lit une inscription louangeuse, rappelant la visite de Napoléon III à l'ancien lieu de déportation des victimes de son coup d'Etat!

Des restes précieux de ce camp romain ont été aussi profanés par notre occupation militaire. Il aurait été bien facile pourtant d'aller planter les choux du pénitencier ailleurs que dans l'ancien camp romain, où l'on a mis à découvert tant de débris intéressants réunis en partie dans un musée local. Les conquérants se conduisirent en vandales en allant dépouiller les temples et les arcs de triomphe pour construire au rabais un pénitencier.

Malgré ce vandalisme à jamais regrettable, il reste encore sur la voie romaine de Timgad deux portes monumentales d'architecture différente.

L'arc de triomphe de Septime Sévère situé au pied d'une colline sur la voie septimienne, appartient à la série des portes à trois baies ; son attique est écroulé, ses colonnes ont disparu, mais il reste ses pures arcades et quelques débris des quatre avant-corps. La porte centrale a 5 mètres de largeur, les baies latérales 2 m. 50 environ.

Sur la droite de cet édifice, en dehors de la voie romaine, subsistent des restes de latrines publiques très hvgiéniquement établies ; un peu plus loin, d'autres constructions désignées sous le nom de palais du légat complètent ce petit centre archéologique.

En suivant toujours la même voie romaine, on rencontre l'arc à une seule baie de Marcouna, construit aussi sous Marc Aurèle. On lit encore un fragment d'inscription au sommet de la frise.

TIMGAD

Nous continuons à suivre un pays pittoresque et fertile, encadré de montagnes dont certaines sont encore revêtues de neige, et bientôt nous sommes arrachés à nos réflexions moroses sur les effets du vandalisme, en arrivant à un col d'où


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se profilent au loin les restes féeriques de Timgad disposés en amphithéâtre sur le flanc de la montagne.

On a si souvent et si amoureusement fait la description de ces ruines qu'il n'entre pas dans mes projets de refaire leur énumération. Je ne saurais cependant résister au plaisir de montrer encore au contrefort de l'Aurès, à plus de mille mètres d'altitude, cet arc de triomphe de Trajan, dont la masse imposante et grandiose marque si bien le caractère des cités militaires de l'Afrique du Nord aux IIe et IIIe siècles de notre ère. L'ordonnance de ce monument est d'une irréprochable simplicité pleine de grandeur. Il mesure 12 mètres de hauteur; sa baie principale a sous clé 6 m. 65 de hauteur et 4 m. 20 de largeur. Sur chaque face deux frontons cintrés en saillie surmontent des niches, qu'encadrent quatre colonnes cannelées à chapiteaux corinthiens, reposant sur des avant-corps formant piédestal ; deux colonnettes appuyées sur des consoles supportaient l'entablement servant de cadre aux statues contenues dans les niches.

Plus haut, sur la colline, se dressent dans l'air, à une grande hauteur les colonnes puissantes d'un capitole fastueux en harmonie avec le forum et l'immense théâtre de cette cité militaire, construite aux limites de l'empire d'après un plan conçu d'avance et exécuté pour ainsi dire d'un seul jet.

Traversons le forum recouvert de ses antiques dalles, entouré d'un portique superbe orné de piédestaux honorifiques servant de cadre grandiose à la tribune aux harangues.

Ici l'on peut évoquer dans cette course à travers les rues larges et droites de la cité, tout le passé romain ; temples, marchés, écoles, thermes publics et privés, mosaïques superbes, latrines publiques et égouts, tout se retrouve, et comme dans un grand livre ouvert, on peut lire dans ces archives de pierre l'histoire de l'empire romain.

Le musée créé à Timgad est très riche, ses précieuses et belles mosaïques forment sa plus belle parure. Tout autour du mur extérieur on a installé un musée lapidaire dont les matériaux démontrent que l'art sculptural, bien qu'en décadence au IIIe siècle, reste encore animé d'un grand souffle.


72 NOTES D' ARCHEOLOGIE PUNICO-ROMAINE

Au milieu de tous ces documents, le médecin archéologue retrouve avec satisfaction la statue d'une jeune matrone tenant dans sa main droite le serpent d'Esculape. C'est à Hygie, dont les autels ne sont pas encore relevés, que nous laissons le dernier mot de cette causerie, car c'est toujours aux saines inspirations de cette divinité tutélaire que doit finalement se rapporter le médecin soucieux des intérêts physiques de ses concitoyens.


LE MOBILIER

DE

Mgr Le Tonnelier de Breteuil

Evéque de Montauban

MIS SOUS SÉQUESTRE EN 1793

PAR

M. EDOUARD FORESTIÉ

Secrétaire général de la Société

La suppression du diocèse de Montauban, en 1790, eut pour conséquence immédiate la confiscation, au profit de la nation, du palais épiscopal élevé pourtant par la munificence de deux évêques : Pierre de Bertier et Michel de Colbert, aidés par quelques subventions royales.

Le prélat qui occupait alors le siège de Montauban était Mgr François-Anne Le Tonnelier de Breteuil, dont nous n'avons point ici à raconter la vie et le martyre dans les prisons de Rouen, où il expira le 27 thermidor an II (14 août 1794), mais sur lequel Sainte-Beuve, qui n'était pas suspect cependant, parlant des prélats de qualité de l'Ancien Régime, a porté ce jugement : « Qu'ils prennent l'esprit de leur état « avec l'âge, sans cesser pour cela d'être des gens du monde et « des gens aimables ; puis, quand viendra la persécution, " quand sonnera l'heure de l'épreuve et du danger, ils trou-


74 LE MOBILIER

veront en eux du courage et de la constance ; ils auront « l'honneur de leur état, vrais gentilhommes de l'Eglise, ils " voudront en partager les disgrâces et les infortunes, comme " ils en avaient recueilli par avance les bénéfices et possédé les " privilèges. »

Mgr de Breteuil, en quittant Montauban pour aller représenter ses diocésains à l'Assemblée Nationale, prit logement dans l'hôtel de Mme de Godaille de Cieurac, veuve de M. de Bellissens, hôtel qui, par une singulière fortune, fut acheté en 1822 par le département lors du rétablissement du siège épiscopal, pour y installer l'évêché, en remplacement de l'immeuble sécularisé, et transformé en hôtel-de-ville.

Mgr de Breteuil y fit porter la plus grande partie de ses meubles, mais en 1793 ils furent saisis et mis sous séquestre en attendant leur vente.

Dans la série Q, n° 117 des Archives départementales, se trouve l'inventaire détaillé et estimatif de ces meubles, qu'un de nos amis, qui prépare une thèse sur la période révolutionnaire, a bien voulu me communiquer.

Je ne transcrirai pas ici tout ce document qui, par sa longueur et ses énumérations, présenterait peu d'intérêt, mais je l'analyserai aussi complètement qu'il me sera possible, en faisant ressortir un fait curieux. C'est qu'à cette époque, contrairement à ce qui se passe de notre temps dans une période sensiblement identique, les objets mobiliers avaient une valeur intrinsèque fixée par l'estimation, valeur qui n'existe plus aujourd'hui. Seule l'offre peut l'établir. C'est un fait très grave signalé par tous les économistes, pour les biens meubles comme pour les immeubles et qui risque d'avoir des conséquences très désastreuses pour l'état social.

Dans cette estimation, en outre, il faut tenir compte de la question du papier monnaie, des assignats, déjà dépréciés.

Lors de l'inventaire de l'hôtel Bellissens: le citoyen Pierre Cassagne, délégué, administrateur du district, se présenta pour prendre livraison des meubles et effets de cuivre rouge et jaune, étain, plomb, etc., du ci-devant citoyen évêque, qui devaient être remis à la fonderie nationale :


DE MONSEIGNEUR LE TONNELIER DE BRETEUIL 75

Il fut trouvé comme batterie de cuisine ayant appartenu à Mgr de Breteuil :

Trente-et-une casseroles, dix marmites, deux bassines, trois plats, une chaudière, plusieurs moules, un grand coquemard, une casse, une passoire, le tout en cuivre rouge ;

Deux fers à gaufres, des crémaillères ou pendants de feu à trois branches, des trépieds, des broches, des poêles, des pelles, etc., de fer;

Trois lampes en cuivre jaune, trois poids en plomb pour réverbères, une petite cloche, etc..

Ces objets furent remis en partie aux hôpitaux et le directeur en donna décharge ; partie à la fonderie : 2 quintaux 85 livres de cuivre rouge; 17 livres de plomb et 3 quintaux de fer, pour faire des canons.

Une autre partie des meubles et effets: lits, paillasses, matelas, couvertures et linge de table furent remis également aux hospices militaires installés aux ci-devant Dames-Noires.

Le directeur des hôpitaux, Didelot, en donna décharge au séquestre le 12 germinal an II.

A noter dans cette énumération : quatorze bois de lit estimés 149 fr. 50; sept paillasses, 38 fr. ; onze matelas, 276 fr. ; cinq autres, 200 fr. ; dix traversins, 73 fr. ; huit couvertures, dont cinq de laine et trois piquées, 65 fr, trente huit nappes, 100 fr. ; cent trente deux draps de lits, 2.034 fr- ; cent quatrevingt serviettes, 160 fr. ; trois cent quarante huit torchons ou tabliers de cuisine, 244 fr. ; cent trente deux tabliers de cuisine 88 fr.

A cette énumération, il faut ajouter comme mobilier de la cuisine deux grandes marmites rouges pesant 70 l, 70 fr., soit 1 fr. la livre de 500 gr. ; deux grands chenets 12 fr.

Et divers autres meubles : une chaise à porteur, 50 fr. ; une chaise de nuit, 7 fr. ; un chauffoir de paille, 3 fr. (instrument en paille servant à sécher le linge : il était fait avec des cordes de paille tordues et cousues en forme de grand champignon ; on y mettait un brasier dans le fond et on étendait le linge à l'intérieur sur des traverses qu'on recouvrait avec un chapeau de même confection.)


76 LE MOBILIER

Le 13 frimaire an II, les sequestres visitèrent le salon à manger, le salon de réception et une petite chambre dans laquelle on trouva : une tenture de tapisserie de papier velouté, collé sur toile, fond rouge ; un lit à pliant, sans rideaux, garni de matelas, couette, couverture de laine et deux draps ; six cabriolets (petits fauteuils) garnis de canevas ; deux fauteuils à bras garnis de panne ; une pendule à ressort ; une garniture de cheminée; un baromètre et deux grands tableaux.

Dans une chambre de domestique : un petit lit à la Romaine ; deux armoires et une espèce de bibliothèque en forme d'armoire; vingt-quatre draps qui furent réunis pour l'usage des jeunes gens de la première levée et vingt-quatre autres qui étaient chez la blanchisseuse; douze matelas; douze couvertures de laine et douze traversins.

Le portier et le domestique consentirent à être gardiens du sequestre: on leur confia encore: deux petits lits de domestique ; un petit poële en fer ; un petit buffet ; une table.

Le 12 ventôse an III, les citoyens Lugan et Delmas, administrateurs de district, accompagnés des citoyens Bousquet l'aîné, officier municipal, Jean Guillaume Périès, notable, commissaires de la municipalité, et assistés de Pierre Armingaud, un des priseurs ordinaires du district et Jean Moncaulp, secrétaire, firent l'inventaire estimatif des meubles trouvés au 2e étage, après avoir brisé le scellé.

Voici le texte de' cet inventaire : 1° Chambre. — Une table de bois de cerisier, à pieds canelés, ronds, couverte de drap vert 20 fr.

Une table à pieds cannelés et carrés, plus grande

et couverte de drap vert 18

Une autre idem à pieds de biche et couverte de

drap vert 15

Une autre idem, très vieille 6

Trois tables de bois de cerisier à pieds cannelés,

couvertes de drap vert à 20 fr 60

Une autre à pieds de biche, couverte de drap vert. 18

Une table à trictrac, à roulettes de cuivre, cornets, dames et dés 60


DE MONSEIGNEUR LE TONNELIER DE BRETEUIL 77

Une table pliante à damier, avec 2 bouquets à pièce

rapportée couverte de drap vert 15

Une table de même 12

Un grand bureau à quatre pieds cannelés couvert

de drap vert, galons et clous dorés 30

Deux tables de bois cerisier, à pieds de biche et

tiroir, à 6 fr 12

Six cabriolets en bois, peints en gris, garnis de

damas jaune à 30 fr 180

Six fauteuils, même bois et étoffe à 40 fr 240

Deux grands fauteuils à coussin, même bois et

étoffe à 50 fr 100

Une couette de coutil, à petites rayes remplie de

plumes 100

Une autre à grandes raies, idem 120

Une autre semblable 50

Un surciel de lit à baldaquin, avec sa ferrure et

garniture rideaux le tout en satinade 100

Un autre en indienne 130

2° Pièce. — Une commode à quatre tiroirs, en bois

de marqueterie, garniture dorée et couverte

d'une pierre de marbre de Montricoux 120

Un petit écran, garni en taffetas vert, 5

Deux vieilles tapisseries en Bergame, estimées... 10

Une toile à petite paillasse 1 10

Dans un tiroir de la dite commode : 2 verres

coupés en oeil de boeuf avec sur chacun un

bouquet en peinture 20

Dans un carton, un morceau de tapisserie en

damassade cramoisie et blanc 15

Deux vieux rideaux de taffetas l'un vert et l'autre

cramoisi 2

Trois cordons de sonnette en poil de soie 3 fr. x 3 9

Un tableau portant l'Aperçu de la Balance du

commerce de la France, année 1788, (vieux

style), à tringle et rouleau doré 30

Un tableau portant: Aperçu de l'administration

des finances 30


78 LE MOBILIER

Un autre portant: Aperçu de la marine royale de

France 30

Autre : Etat militaire de la France sur pied de paix

et de guerre 30

Une pierre de marbre de Montricoux noire, veinée,

cassée sur un coin 15

Un cadre de table en bois doré sans pied 15

Une table à pieds cannelés ronds avec ornements dorés et couverte d'une pierre de marbre noire

veinée 40

Un petit tableau représentant un groupe de divers

personnages, peint à l'huile, sans cadre 10

Un bureau en marqueterie, bois d'acajou, à 4 tiroirs, 2 portes; dans le bas est un caisson dans l'intérieur, garni en cuivre doré avec pierre de

marbre, cassée par dessus 150

Une table à quatre pieds, console dorée avec

grande pierre de marbre 50

Un dessus de porte à cadre doré, sur toile à fleurs 15 Une longue carte du Canal du Languedoc, avec la tringle et son rouleau de bois peint en noir ; une autre de même, plus courte ; une autre portant les rivières, ruisseaux et rigoles; et trois autres : les six cartes, doublées d'une belle toile

excepté une qui est plus grossière, le tout 50

Un dessus de porte en toile peinte représentant un paysage, avec cadre doré blanc peint en gris... 15

Autre plus bas sans cadre 6

Autre en bois peint dessus 15

Un vieux morceau de tapisserie en cuir 6

Une vieille commode bombée à 2 tiroirs avec

pierre de marbre 25

Deux cadres dorés moyenne grandeur, à 5 fr 10

Un cadre doré, beaucoup plus grand 15

Un surciel de lit à baldaquin, avec sa ferrure et garniture, ensemble sa housse et rideaux de laine cramoisi; ladite garniture en satin à bande, étoffe de laine et franges autour 120


DE MONSEIGNEUR LE TONNELIER DE BRETEUIL 79

Un bois de lit à la Turque, au dossier en bois noyer peint en gris à l'huile, son fond de bois chêne, garni de sangles et la garniture dudit avec les bonnes grâces ; le chevet et la housse en damas jaune, ensemble les rideaux de serge en bourre de soye, et les six pièces de tapisserie de la même

étoffe de damas jaune 1 .000

Quatre couvertures de lit en coton, estimées 40 fr. 160

Trois couvertures de laine à 30 fr : 90

Un couvrepied 10

Un couvrepied de satin rayé en couleur, doublé

de toile 25

Un couvrepied blanc doublé de tafetas blanc.... 30 Un couvrepied en basin blanc à grandes raies.... 20

Deux petits rideaux en tafetas vert 12

Un rideau de toile rouge avec ses anneaux 5

Un rouleau de toile peinte à l'huile, grands bouquets, fond bleu 6

Un coussin de chaise à porteur, en velours d'Utrecht,

d'Utrecht, 10

Un carreau de velours de soye cramoisi fin, rempli de duvet ou de plume, avec ses glands et son sac

de toile 30

Une armoire en bois de marqueterie et sa serrure,

sans clef 120

Ont signé: Lugan, Bosquet, Périès, Armengaud, Delmas, Moncamp.

Le 13 ventôse, à 3 heures du soir: continuation de l'inventaire estimatif avec Reynal, notre priseur, et un garçon du citoyen Mari, dit Avignon, serrurier, à l'effet de procéder à l'ouverture des portes ou armoires (dont les clefs avaient sans doute été prises par ceux qui avaient déposé meubles et effets.)

Un petit écran à trois pieds, estimé 5

Deux bancs à douze pieds chacun, couverts de

moquette cramoisie et verte 20

Vingt plats de terre avec dix pots ou cafetières.. 15


80 LE MOBILIER

Quarante-cinq assiettes de fayence grise 20

Trois cruchons en fayence à 2 fr 6

Douze assiettes de fayence, deux plats à séparation, une soupière, deux petits plats ovales, un petit plat et une petite assiette de terre 12

Une cavette de verre noir, une de verre blanc, six bouteilles" de verre noir avec vin ou liqueur dans quatre, une plus petite remplie de vin ou liqueur, quatre grands solitaires en cristal, deux flacons en cristal, une bouteille en verre blanc vuide, un carrelet 24

Trois lanternes à triangle 9

Seize tamis vieux ou neufs de différente grandeur 16

Quatre réchauds de composition avec plaques fer fondu 12

Quatre sabotières avec couvert en étain, une petite boëte en plomb, deux plats et quatre assiètes d'étain, une mesure en plomb de la contenance d'environ un pouchon (non estimés étant réservés pour la fonderie).

Trois chandeliers, dont un à pompe, l'autre ordinaire en étain, et le troisième en fonte, à deux bobèches 9

Cinquante-deux pièces en fer blanc, chocolières (sic), moules, rapes et entonnoir 30

Une caisse en bois de sapin sans couvert 4

Deux grands réverbères, dont un avec sa garniture et l'autre avec trois places 50

Un grand tournebroche avec une partie de la broche 72

Une corbeille d'osier à plusieurs loges 5

Quatre grézales, trois plats, quinze cueilliers de bois d'olivier, rouleaux en bois, une boëte sans couvert aussi en bois, et une lampe de fer avec des crochets en fer, pour l'office 10

Une encoignure peinte en gris, moulure dorée avec serrure 18


DE MONSEIGNEUR LE TONNELIER DE BRETEUIL 81

Quatre paquets de baguettes en bois à moulures peintes, dont deux paquets roulés l'un dans une bergame et d'autres dans une grosse toile 50

Une grande caisse d'emballage contenant de vieux

surtout pour un dessert 25

La partie d'un lambris de porte garni de six carreaux 6

La porte dudit lambris avec serrures et six carreaux 15

Une armoire renfermant objets estimés 18

Cinq paires flambeaux de bureau, dont quatre en

argent et un en roux ou cuivre doré 60

Deux patres de flambeaux plus grands, même matière, dont un à girandole 60

Une paire à girandoles, à bouquets, et trois bobèches 50

Quatre globes en cristal avec leurs chapeaux de

différente grandeur 80

Cinquante-un paniers de reversi avec deux boëtes, l'une en bois, l'autre en carton, et plusieurs fiches et contrats en os 18

Soixante-dix verres à liqueur, six gobelets, vingt

petites carafes, six verres à glace et la corbeille.. 45

Trente-sept figures ou groupes en fayence et émail

pour garnir plateau, onze petits pots en fayence 50

Une boëte contenant diverses poudres ou couleurs avec son entonnoir, une boëte en fer blanc, une autre en bois contenant divers verres ou cristaux cassés et un siphon 10

Cinq boëtes contenant certaines épiceries ou sucres pilés 6

Six huiliers simples dans un petit tamis 5

Deux huiliers et un porte huilier complet 5

Cinq jattes de porcelaine, avec quatre soupières

grandes ou moyennes 30

Quatre corbeilles de porcelaine, filet en or 25

Deux corbeilles de porcelaine en couleur, pour verres à liqueur 18

1907 6


82 LE MOBILIER

Deux beurrières, filet en or, l'une couverte d'une

biche, l'autre d'une poule 40

Une soupière en couleur filet or et un déjeuner avec

sa soucoupe 12

Deux moutardiers en cristal avec leur soucoupe.. 10

Deux vases en porcelaine avec l'assiette pour recevoir les glaces et leur couvert en couleur et

filet or 25

Deux plats en porcelaine de Chine avec figures, quatre plus petits, trois plus petits, cinq plus petits, deux dito, deux autres dito, deux saladiers, douze assiettes assorties, onze dito 120

Une douzaine et demie d'assiettes à bouquet et

filet or 36

Une douzaine dito, sans or 30

Deux douzaines dito, filet bleu 48

Deux douzaines et sept assiettes, diverses couleurs

ou bordures 62

Une douzaine et quatre assiettes en porcelaine à filet or, petits bouquets, et trois guirlandes 50

Deux douzaines et dix assiettes, dito 127 50

Deux saladiers en porcelaine à bouquets détachés et filet or, deux petits plats d'entre-mets en ovale ; quatre dito en forme de navette, deux déjeuners avec leur soucoupe 25

Un cabaret en bois avec 9 pots Un cabaret en bois avec neuf pots à crème en porcelaine, neuf pots tous blancs, un déjeuné terre de pipe, quatorze couverts de petits pots, un plat

de fayence bleue 30

Un autre cabaret en bois peint, avec dix-huit tasses à café, en porcelaine, seize soucoupes, un sucrier, deux théières et un petit pot à lait avec le

couvert cassé 50

Quatre sucriers en porcelaine, avec leurs jattes et

couvert, un saucier avec sa jatte 30

Une petite boëte, avec huit couteaux de table, manche de nacre, garnis d'argent doré, sept ito,


DE MONSEIGNEUR LE TONNELIER DE BRETEUIL 83

manche d'os ou bois 10

Deux réchauds, une écuelle avec deux couverts, une paire balances sans poids, deux théières en terre, et quatre manches, ensemble deux pots de fayence 20

Un grand plat de fayence blanche rond, un dito à séparation, deux dito en ovale, une douzaine d'assiettes, et un piédestal en bois à moulure dorée 15

Deux grands plats de fayence en ovale, anglaise, huit dito plus petits, quatre plus petits et plus profonds, deux dito même qualité, six tasses à café avec leurs soucoupes, le tout 60

Une cuvette en laiton avec quatre grilles en fil de

marbre imitant le fromage de gruyère 10

Un vieux cabaret en bois, peint en noir 1

Deux petits plateaux argent aché (sic) garnis de deux glaces cassées, deux dito même qualité, ovale d'un côté et à deux glaces entières 50

Un dito, même qualité, estimé 10

Neuf grands plateaux, même qualité, aussi garnis de bois, à 12 fr 108

Divers ornements pour la garniture d'une table à plateau 10

Quinze conserves, bouteilles ou fioles de verre, avec diverses drogues, confitures ou liqueurs, dans diverses, le tout paraissant détérioré, deux compotières en cristal, dont une sans couvert et deux salières 25

Dix-huit grands ou petits pots de terre ou fayence avec diverses confitures, dont les qualités paraissent gâtées 25

Quatre toiles de paillasse, une vieille grézalle, un plat de porcelaine cassé, du pulvérin de marbre, un morceau de pierre de marbre, une pierre de marbre à broyer, diverses petites vieilles ferrures ou coquillages 10


84 LE MOBILIER

Une porte à vitre à six carreaux, dont un cassé et un globe de verre 25

Deux tableaux sur toile à cadre, l'un représentant une chasse et l'autre un paysage, auxquels il ne doit être fait aucune estimation, ainsi qu'à ceux qui seront détaillés ci-après, puisque, en conformité des lois, ils doivent être disposés dans le Muséum du district de Montauban

Deux autres tableaux peints aussi sur toile représentant des paysages dans un médaillon

Un autre même grandeur représentant un palais antique

Deux autres pour dessus de porte, à cadre aussi doré, à cylindre, représentant des paysages....

Un petit tableau à vieux cadre peint sur toile, représentant le Baptême de Jésus-Christ

Un grand tableau cadre doré à l'antique, représentant une gloire ou un dessus de chapelle

Un autre tableau peint sur toile, cadre bois, représentant un désordre de cabinet

Deux grands tableaux dont un sans cadre, représentant la Descente de la Croix, et l'autre avec cadre doré, représentant un des Pères de l'Eglise

Cinq thèses sur satin avec cadre doré

Une thèse à tringle et rouleau sur papier

Un tableau à cadre doré portant la désignation du département, des impositions du diocèse de Montauban, sur papier écrit à la main

Sept tableaux peints sur toile dont cinq avec cadres dorés à l'antique, et deux sans cadre, représentant tous les sept les ayeux et les bisaïeux ainsi que le dernier de nos tyrans

Une carte du diocèse de Montauban couverte de deux verres, avec cadre doré

Un tableau peint sur toile représentant un cabinet de peinture avec le portrait de Jean Valette Penot, auteur dudit ouvrage, sans cadre


DE MONSEIGNEUR LE TONNELIER DE BRETEUIL 85

Un grand cadre doré 30

Deux dito plus petits 20

Deux plus petits 10

Un à médaillon 15

Deux dito plus petits, avec leur chassis 20

Cinq vieux cadres et deux chassis 25

Un trumeau à trois glaces avec cadre doré sans

ornement 500

Un trumeau à deux glaces avec cadre doré, et un ornement portant le ici-devant armoriai du cidevant évêque de Montauban 400

Un trumeau à cadre doré, fond vert, à deux glaces

et son ornement avec glace aussi 300

Un trumeau à l'antique à une glace 200

Un trumeau à deux glaces . 180

Une grande armoire à deux portes avec sa serrure

et clef, où sont renfermés les plateaux 30

Une autre plus petite sans clef 25

Et finalement une armoire aussi de bois blanc,

sans clef et presque neuve 40

Et comme nous allions sortir des deux dernières chambres où sont déposés les susdits effets, le citoyen Raynal, dépositaire desdits effets, nous a déclaré que sous un des arceaux du balcon, donnant sur les jardins, il y était exposé plusieurs tables, planchers et tréteaux, le tout vieux,

en bloc estimé 90

L'énumération qui précède est doublement intéressante: en premier lieu elle nous montre ce qu'était l'ameublement d'un évêché à la fin de l'avant-dernier siècle, évêché dans lequel le prélat aimait beaucoup à recevoir et tenait l'un des premiers rangs dans une ville où l'aristocratie était nombreuse, où les magistrats d'une cour souveraine, la cour des aides fréquentaient beaucoup les salons ; enfin, — comme l'indique l'importante batterie de cuisine qui est portée à la fonderie des canons, — où l'on donnait fréquemment de grands dîners d'apparat.


86 LE MOBILIER

En second lieu l'inventaire a l'avantage, comme nous le disons plus haut de nous renseigner sur la valeur des objets au commencement de la Révolution.

On y verra que les prix du linge et des effets de literie — étant donnée la différence du pouvoir de l'argent aux deux époques, — n'a pas sensiblement changé ; car on doit multiplier par 2 les chiffres de l'estimation, et tenir compte de la dépréciation de l'usage.

Au point de vue de l'histoire du mobilier, il a aussi quelques observations à faire.

Ceux qui, comme nous, ont suivi avec intérêt les ventes de meubles faites à Montauban depuis un demi siècle, ont pu voir passer quelques uns des objets provenant du mobilier de Mgr de Breteuil ; ils étaient reconnaissables au soin avec lequel ils avaient été exécutés, et aussi, pour quelques uns, aux cuivres qui les ornaient et où se voyait l'épervier des armoiries des Breteuil.

D'autre part, une constatation s'impose, qu'il est nécessaire de faire ressortir, c'est qu'à la suite du déménagement, le mobilier dût être entassé dans la maison de Bellissens, où le prélat, du reste, n'habita jamais. C'est ainsi que, dans la première chambre, on trouve onze tables, un bureau et quatorze fauteuils; dans la seconde, une quantité de tableaux. Il semble que ce soit un simple garde-meuble, et ce l'était, croyons-nous, car l'évêque, à partir de juillet 1789, resta à Pars où l'appelaient des fonctions de Député et le diocèse étant supprimé il ne revint à Montauban qu'en passant, et alors il reçut l'hospitalité chez des amis.

Dans le mobilier, il n'y a point de meubles extraordinaires, nous devons seulement noter une particularité, l'emploi du marbre de Montricoux, brèche à fond ocre, veiné de rouge, alors fort en vogue pour les dessus de consoles, de commodes et de cheminées, et qu'on a eu le tort d'abandonner, car il était fort décoratif et son grain très fin se rapprochant du calcaire lithographique, prenait un beau poli.

Parmi les tableaux, on ne s'explique pas la distinction indiquée par les sequestres entre ceux de la deuxième chambre et


DE MONSEIGNEUR LE TONNELIER DE BRETEUIL 87

ceux qu'ils inventorièrent ensuite: les premiers sont estimés... un peu à la diable, et les autres simplement énumérés, étant, disent-ils, destinés au musée de la ville. Nous verront tout à l'heure s'ils y figurent.

Auparavant remarquons que le prélat, en bon administrateur, avait sous les yeux constamment des statistiques intéressant la province ou la France.

Pour les autres tableaux la description n'est guère suffisante: on ne peut les reconnaître; toutefois nous doutons fort qu'ils aient reçu la destination indiquée, sauf peut-être les portraits de Louis XV et de Louis XVI compris dans l'article relatif aux ayeux et bisaïeux, ainsi qu'au « dernier de nos tyrans ». Le musée possède, en effet, ces deux toiles.

Nous voudrions bien que l'on pût retrouver l'oeuvre d'un de nos compratriotes indiquée dans l'inventaire : le portrait de Jean Valette Penot, peignant dans son atelier. Cette toile qu'il serait facile de reconnaître, en admettant qu'elle ne fût pas signée, a dû être égarée dans le trajet, pourtant fort court, entre l'hôtel de Bellissens et le musée de Montauban situés dans la même rue. Heureusement les traits du peintre Montalbanais ne sont pas perdus, car nous possédons, dans notre collection, son portrait peint par lui-même en 1771 provenant de la galerie de M. Fourgez et un autre plus petit et très antérieur; le musée de Montauban n'a de Valette Penot que deux toiles : un bas relief et un tableau de fruits légués par le baron de Mortarieu, avec sa collection.

Il se pourrait que le tableau cité dans l'inventaire fût le Désordre, qui en 1860 appartenait encore à MM. Boyer frères : « cette toile, qui mesure 1 mètre de haut sur 60 de large, est un bizarre amalgame d'objets divers en matière de trompel'oeil. Au milieu du panneau est un petit paysage qui semble recouvert d'un verre cassé ; ici l'adresse du peintre a produit une véritable illusion ; il faut un examen bien attentif pour s'assurer qu'on n'a point sous les yeux une vitre ébréchée; dans ce désordre est inséré un portrait de l'auteur 1 ».

Notons encore, dans la nomenclature, les nombreuses tables recouvertes de drap vert, les tables à trictrac, à damier, les


88 LE MOBILIER DE MONSEIGNEUR LE TONNELIER DE BRETEUIL

cinquante-un paniers de reversi, avec leurs fiches et contrats, qui montrent que l'on faisait la petite partie chez notre évêque les soirées de réception.

Les amateurs de faïence, dont nous sommes, regretteront amèrement que les services du prélat ne soient pas plus minutieusement décrits. Les rédacteurs de l'inventaire, prodigues de détails pour d'autres objets, sont ici laconiques, pour cause d'ignorance et d'incompétence, sans nul doute.

Il y a surtout ces trente sept figures en porcelaine, de Saxe, probablement, plutôt qu'en faïence et émail, destinées à garnir un surtout de table, selon la mode de l'époque ; les amateurs s'empresseraient aujourd'hui de les prendre au prix de l'estimation, 50 frnacs.

Ces jattes, ces corbeilles, ces soupières de porcelaine « en couleur », ces beurrières " couvertes d'une biche ou d'une poule », ces plats et assiettes de porcelaine de Chine, ces assiettes à bouquets détachés, ce service en faïence anglaise, qui ont vu le feu des enchères, doivent se retrouver dispersés dans les collections ou chez quelques particuliers de (notre ville; il est impossible de les identifier.

Cette dispersion fut complète; nous n'avons pas retrouvé le procès-verbal de saisie par les commissaires du district révolutionnaire.

Lorsqu'il gémissait en proie à d'horribles souffrances, sur le fumier de la prison de Rouen, le pauvre évêque acceptait, dit un témoin oculaire, cette épreuve terrible comme une expiation, et sa mort fut, pour ses compagnons d'infortune, un exemple admirable de résignation et de foi chrétiennes.

Lui qui avait l'habitude du monde, qui dans ses salons recevait les esprits les plus dstingués et les plus élégants de la province; qui avait ocupé brillamment une des plus hautes situations ecclésiastiques, mourut dans la vermine, calme et serein, soutenu par une confiance sans bornes dans la bonté et la miséricorde divines.


PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES

SÉANCE DU 12 DÉCEMBRE 1906

PRESIDENCE DE M. LE CHANOINE F. POTTIER

Présents : MM. Borderies, le commandant Barthe, le chanoine Cailhat, Lespinasse, Mathet, Pécharman, commandant Sibien, Souleil, abbé de Scorbiac, le général Wallon; Bourdeau, secrétaire.

Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté.

Parmi les ouvrages reçus figurent : une Étude de M. Philippe Lauzun, sur Madame de Polastron (Voir le compte rendu par. le le Comte de Gironde, page 212, t. XXXIV).

Le Congrès des Beaux-Arts, aura lieu à Paris, en mai, à l'école des Beaux-Arts. M. Lespinasse lira une étude sur Armand Cambon, le peintre Montalbanais, élève d'Ingres, qui fut l'exécuteur testamentaire de son illustre maître.

M. le Président présente un dessin attrihué à Prudhon, par son propriétaire. M. Lespinasse pense que cette oeuvre pourrait avoir plutôt pour auteur Constance Meyer, sous l'inspiration de Prudhon.

M. le chanoine Pottier fait circuler une vieille gravure représentant le Montserrat; elle rappelle celle dont le bois appartient à M. Forestié, mais de moins grande dimension; elle a été offerte par M. Bagnéris, curé de Saint-Clar (Haute-Garonne).

M. l'abbé Galabert adresse la fin de son travail sur l'instruction publique (Voir page 225). L'École de la Révolution.

1907 7


90 PROCES-VERBAUX DES SEANCES

La Société Dunkerquoise aborde dans ses Mémoires, l'époque contemporaine sous le titre de l'Année terrible, à Dunkerque ; le quarante-deuxième volume consacre un long article à l'Histoire de la néfaste guerre 1870-1871. Des documents suivent le récit des faits.

Le même volume contient le résumé d'une conférence de M. Gaston Brière, sur la sculpture française au XIIIe siècle. Après avoir rendu hommage au ciseau inspiré des artistes du Moyen-Age, le conférencier a rappelé « les ravages inévitables du temps, la rage iconoclaste de la Réforme, le mépris de la Renaissance, l'indifférence dédaigneuse du XVIIe et du XVIIIe siècle, le fanatisme anti-religieux de la Révolution. » D'autres périls menacent encore et l'un de plus évidents, est cette faculté qui est laissée aux amateurs d'art millionnaire d'acquérir par la braquante ce qui reste dans nos églises déjà dépouillées, l'on sait, d'ailleurs, par quels procédés on opère de nos jours, lorsque les curés résistent aux offres d'argent, on a vu de prétendus antiquaires se donner la satisfaction d'exercer la profession de voleur. Bien souvent, les objets enlevés de gré ou de force prennent le chemin de l'Amérique ou de l'Angleterre et sont perdus pour la France:

M. le Président signale avec vif regret la mort de M. Gabriel Bréfeil, professeur à l'École des Beaux-Arts de Toulouse; décédé à l'âge de 64 ans. Cet architecte de talent appartenaient à l'école de M. Bach, le constructeur de l'Église du Jésus de Toulouse, il affectionnait comme lui le gothique; sauf la chapelle de Notre-Dame de Lapérousse, canton de Lafrançaise, que surmonte une coupole byzantine, les nombreuses églises bâties par lui dans le diocèse de Montauban appartiennent à ce style. Il est bon de citer quelques-unes des églises que nous lui devons afin que mémoire en soit gardée par notre Compagnie, son devoir est de signaler les monuments élevés de nos jours non moins que de décrire ceux du passé.

M. Bréfeil a dressé le plan des églises de Vigueron, de Caussade (sauf le clocher), du Mas-Grenier, de Montaigu, de Cos, de Réalville (reconstruite en majeure partie), de Saint-Pierre-deMilhac, de Lafrançaise, d'Escazeaux, de Faudoas, de Sainte-Juliette, etc.

La Revue de l'Agenais contient le livre journal d'un chanoine d'Agen, écrit dans le premier quart du XVIIe siècle, il y est sou-


PROCES-VERBAUX DES SÉANCES 91

vent question des voyages de Louis XIII, de ceux du duc d'Epernon, il sera fait de larges empreintes à ce document dont l'intérêt est d'autant plus grand pour nous, qu'il se rattache au siège de Montauban par l'armée royale en 1621.

M. le commandant Barthe présente des documents retrouvés dans sa propriété de Puylaroqne, il veut bien les communiquer. Ce sont : « La feuille de route (1743) d'un escadron de cavalerie levé à Caussade », la pièce est signée de M. de Mortemart.

Le 20 avril 1743, l'ordre était envoyé, de Versailles, à la compagnie de Fénelon, qui était nouvellement levée, de partir de « Caussade le jour marqué par la route et de s'acheminer suivant ladite route à Landau où elle demeurera jusqu'à nouvel ordre, vivant partout en bonne discipline et police. » La compagnie partit le 12 mai de « Caussade en Quercy ». Le capitaine de Fénelon était né à Septfonds, le 24 juin 1704, et avait eu pour parrain, son cousin, Louis-Jean-Philippe de Marsac, et pour marraine, dame Marie de Foulon, veuve de noble Joseph de Villeneuve. En 1778, vente d'une maison située à Septfonds, est faite « à Messire Louis de Fénelon, Chevalier, Gouverneur de la ville de Gaillac en Languedoc, ancien Capitaine de cavalerie, Chevalier de l'Ordre-Royal et Militaire de Saint-Louis, habitant audit Septfonds. »

Un acte notarié de la vente des dîmes de Couloussac, par les chanoines de Saint-Antonin en 1787.

M. Lespinasse signale au musée Ingres, un tableau du Titien, représentant Persée et Andromède. Lebrun en fait mention dans son inventaire comme étant à Versailles dans la Chambre du Roy; en 1752, Lépicié le mentionne à son tour, dans le grand appartement du Roy. A cette date, il passe au Louvre pour être nettoyé et rapporté à Versailles ; en 1785, il se trouvait encore dans les magasins du Louvre avec cette note « très gâté »; il fut envoyé en 1872, par l'État, au Musée de Montauban, avec attribution à Paul Veronèse. Tout porte à croire qu'il avait séjourné dans les réserves du Louvre pendant la longue période écoulée, entre 1785 et 1872.

M. Lespinasse donne ensuite lecture de son étude sur le peintre Boucher.

M. Mathet lit une partie d'un travail très documenté, il est destiné au Congrès des Sociétés savantes, c'est une étude sur la Lèpre, en particulier dans le Tarn-et-Garonne.


92 PROCES-VERBAUX DES SEANCES

M. le chanoine Pottier, fait passer sous les yeux de l'Assemblée, un cuivre de gravure espagnole, représentant saint Louis-Bertrand, patron de la ville de Valence et de la Nouvelle-Grenade.

Cette plaque a été trouvée parmi les cuivres destinés à la fonte à l'usine métallurgique de Castelsarrasin; offerte à M. l'abbé Mézamat, élève au Grand Séminaire, celui-ci a bien voulu la confier à son professeur du cours d'archéologie. (Un tirage de la gravure a été fait à l'imprimerie Forestié, ce qui a permis un report lithographique avec la notice publiée à la page 99 de ce fascicule).

Suivant les statuts de la Société, trois membres sortants, du Conseil d'administration, sont soumis à la réélection. Ce sont : MM. Pottier, de Bellefon et Fontanié, ils sont renommés à l'unanimité.

Le Secrétaire,

JEAN BOURDEAU.


PROCÈS-VERBAUX DES SEANCES 0,3

SÉANCE DU 9 JANVIER 1907

PRESIDENCE DE M. LE CHANOINE F. POTTIER

Sont présents : MM. Bourdeau, l'abbé Bastoul, le commandant Barthe, le chanoine Calhiat, Delpey, Dufaur, l'abbé Chatinières, le comte de Gironde, le général Konne, le commandant de Lacger, Lespinasse, le capitaine de Mandres, l'abbé Milhau, Pécharman, Ressayre, l'abbé de Scorbiac, Souleil, le général Vallon, René de Vivie; Buscon, secrétaire.

M. le Président dit à ses confrères qu'il ne veut pas se contenter des voeux que la poste leur a fait tenir, alors même que rendus « en des vers latins, dignes de Sadolet ou de Jérôme Vida, » (M. le marquis de Pannat, fin lettré, a bien voulu nous l'écrire;) son profond attachement pour ses confrères réclame plus intime et plus directe affirmation. Il tient à le redire : les quarante années d'existence n'ont rien enlevé à la vivacité et à la cordialité de ses sentiments.

Voici sous quelle forme nos souhaits ont été rendus par notre poète si apprécié, le chanoine Calhiat, pour être adressés à nos confrères et aux Sociétés savantes :

Musarum studiis faciles estote, sodales ; Sint caroe vobis Clio Cliusque sorores ; Artibus ingenuis faveat, foveatque poesim Quisquis amat vestri veterum monumenta virorum. Candida vos semper comitetur turba Minervoe ; Sic etenim nomen terrenum transvolat astra !

La Société archéologique de Toulouse, qui, pour nous, est doublement une soeur, de même que son distingué président, M. de Lahondès, est un ami, avait, sous la plume de ce poète exercé, pris bien aimablement les devants en ces termes : 1907 7*


94 PROCES-VERBAUX DES SEANCES

Au nom de l'art et de l'histoire, Toulouse envoie à Montauban, Pour le passé, chère mémoire, Bons souhaits pour le nouvel an.

Que la soeur vaillante et fidèle Poursuive ses succès constants, Garde longtemps, comme un modèle, Son Président des présidents.

Le Président et les Membres de la Société archéologique du Midi de la France.

Il est bon de citer, parmi les réponses reçues en très grand nombre, les suivantes :

De la Commission départementale des antiquités de la Côte-d'Or :

Burgundi socios iterum salvere Jubemus :

Nonne eadem paribus prosequimur studiis ? Orbis praeda fuit totum quae vicerat orbem,

Quoeque urbis fuerant nunc habet orbis opes. Quid vero tumuli Francorum et tecta ? Ruinae

Nullce non pereunt, arma, monile simul. At gladii pereant, calamus manet : omnia leto

Eripit et saeclis reddit mortalibus oevum Hoe tibi sint artes, hoe gaudia, docte sodalis.

Et veterum titulis inseruisse tuos.

De la Société des Études du Lot :

Musa favet vobis, socii, quoe talia misit

Carmina Cudurcum, gaudia quanta simul! Ad vos nostra refert incomptis musa pedestris

Versibus et sensus et pia vota tamen. Vivite felices et sanctum Quoerite verunt.

Vera placent doctis, sed placet ipsa magis Corporis atque Animi vigor. Este, valete,

Huic bonus annus erit qui bene sanus erit. Astra diu vobis careant vacuique vagentur;

Si veniat citior laus erit ipsa nihil.

De l'Académie nationale de Reims :

Annuit, ô socii, votis Academia nostra Quoe redeunte novo grati perfunditis anno. Sit faustus novus iste annus, miracula promut, Laudibus extoliat doctos palmâque coronet.

De la Société d'agriculture, sciences et arts d'Angers :

Oui, tous nous aspirons, par ces temps agités, — Escaladant les monts immortels de la Grèce, — A ces « Temples sereins » que célébra Lucrèce, Où se tendent les luths, loin du bruit des cités.


PROCÈS-VERBAUX DES SEANCES 95

Nous levons nos regards vers les Immensités

Et chantons, le coeur plein d'une ardente allégresse,

L'auréole du Bien, la Beauté charmeresse

Et ton éclat si pur, splendide Vérité.

Oui, frères du Midi, l'aimable Poésie, Glissant sur un rayon que rien ne peut ternir, Vient nourrir nos esprits de divine ambroisie.

La terre nous retient du pied, mais aux étoiles Notre front fait effort à soulever le voile Qui nous dérobe encor l'insondable avenir.

M. le chanoine Calhiat offre un volume édité chez Cattier, sous ce titre : l'Ame de Naples. Les membres de la Société liront avec le plus vif intérêt quelques-uns des tableaux qu'il leur a été donné d'apprécier déjà au cours de nos séances, lorsque l'auteur a bien voulu en donner lecture. Un critique autorisé les fait connaître en ces termes dans le journal l'Univers :

« C'est un ouvrage plein d'esprit, d'érudition et de poésie. La chose ne surprend pas, quand on connaît l'auteur, à qui nous devons tant de travaux littéraires qui le classent parmi les écrivains distingués.

« Chaque pays, nous dit Mathilde Serao, la célèbre romancière napolitaine, a une âme insaississable et cependant réelle, fugitive et cependant présente, ondoyante et fluide.

« Eh bien, c'est l'âme de Naples que nous dépeint M. Calhiat. Pour nous la montrer dans son beau jour, il esquisse à grands coups de pinceau, les moeurs, les coutumes, les fêtes, les dévotions, la psychologie en un mot de cette ville incomparable si curieuse et si intéressante.

« Dans quarante tableaux successifs, nous voyons passer tour à tour sous nos yeux la mer, la rue, les filous, la charité, la prédication, l'archéologie, la foi, la superstition, la vie, la mort à Naples, etc.. Or, dans chacun de ces tableaux, nous trouvons des pages émaillées d'anecdotes amusantes, de traits piquants, de descriptions savantes qui en rendent la lecture singulièrement attrayante. Quand on a commencé cette lecture, on ne veut plus la quitter.

« Ce volume est l'heureux complément de Rome nouvelle, qui a eu plusieurs éditions en France et en Belgique, et qui a valu au même auteur les félicitations les plus flatteuses d'un grand nombre d'évêques, de littérateurs et d'érudits.

« A ceux qui visiteront Naples, il sera un guide sûr, s'ils veulent


96 PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES

l'emporter dans leur valise, et à ceux qui le liront au coin du feu, il offrira l'illusion d'un charmant voyage dans cet Eldorado qu'est toujours la vielle Parthénope. »

M. le Président lit la lettre suivante de M. de Bellefon :

" J'ai le plaisir de vous transmettre de la part de notre compatriote M. Henri Bertal, professeur au Collège d'Epernay, le tome d'une publication parue sous ce titre : Sources de l'Histoire d'Epernay. Archives municipales d'Epernay (XVIe siècle), par Raoul Chandon de Briailles et Henri Bertal.

« C'est une oeuvre considérable précédée d'une introduction remarquable qui mérite certainement un compte rendu dans le Bulletin

« Dans sa lettre d'envoi, M. Henri Bertal me dit ceci :

« Ce volume fait partie d'un ensemble de travaux sur l'histoire « locale, conçu d'après un plan méthodique sur lequel je serai " très heureux de recevoir les bons avis de vos confrères de Mon« tauban qui composent l'une de nos meilleures société d'histoire « locale et régionale. Il n'est pas nécessaire d'être né dans le Midi « pour connaître la dynastie des Forestié et de tant d'autres. »

M. Henri Bertal est originaire de Montpezat. C'est un ancien élève du Petit Séminaire, lauréat du prix d'honneur.

M. Sémézies devait rendre compte, ce soir, de la thèse d'élève de l'École des Chartes de notre confrère M. Gandilhon, aujourd'hui archiviste à Bourges, cet ouvrage a pour titre : Contribution à l'histoire de la vie privée de Louis XI. M. Gandilhon, écrit notre confrère, a été trop modeste, ce n'est pas une contribution, c'est une véritable histoire du règne de Louis XI, qu'une lecture rapide ne suffit point à juger ; il faut relire cela la plume à la main, il faut résumer, extraire, noter et dégager de la série des détails l'idée directrice et les conclusions dominantes. Ce travail, pour être plus digne de l'auteur et du sujet, sera fait un peu plus tard. »

M. Adrien Guébhard, président de la commission d'étude des enceintes préhistoriques, a adressé en même temps qu'un appel à M. le chanoine Pottier, le questionnaire suivant accompagné de planches :

« Existe-t-il, dans la région que vous connaissez, des traces de remparts antiques, soit en pierres sèches, sans taille et sans mortier, soit en terre levée, avec ou sans fossés, lesquelles, faute de toute raison d'être agricole ou pastorale, présentent manifestement le caractère de fortifications élevées par l'homme?


PROCÈS-VERBAUX DES SEANCES 97

« Y a-t-il quelque indice qu'il ne s'agisse ni du classique castrum romain ni de la motte dite féodale, ni de tout autre ouvrage des temps historiques, mais d'une origine pré- ou protohistorique?

" Peut-on, d'après des objets trouvés, soit au coeur du rempart non remanié, soit au contact du fond primitif des fossés, dans la plus ancienne couche archéologique, apprécier l'époque première de la construction ?

« D'autres objets (poteries, bronze, fer, etc.) indiquent-ils des occupations ultérieures ? — Qu'elle paraît avoir été la dernière ?

" Il convient de fournir pour toute enceinte préhistorique :

« 1° Le nom, localement contrôlé, si possible, au cadastre, et les surnoms populaires (Camp de César, des Anglais,... Mur des Payens, des Géants,... Châtelard, Castelar, Catelé, etc).

« 2° Le repérage,, aussi précis que possible, sur carte d'aussi grande échelle que possible ;

" 3e La Bibliographie, s'il y a lieu, aussi complète que possible.

« Tous autres détails, particulièrement graphiques, seront les bienvenus surtout ceux relatifs à la structure interne de la muraille (existence de parements intérieurs, longitudinaux ou transversaux; noyaux maçonnés, calcinés, vitrifiés; armatures de poutraisons chevillées de fer ou de bronze; pieux de pilotis, etc.), au plan d'ensemble (profils et nivellement du terrain, etc., etc.).

" Ceux qui paraîtront uouveaux seront, autant que possible, signalés dans le Bulletin de la Société préhistorique. »

M. le président rappelle que ces questions ont souvent préoccupé la Société, le regretté Devais, le premier de nos secrétaires généraux, en avait fait une étude spéciale, le « Bulletin archéologique » en fournirait au besoin la preuve. Il engage ceux de nos confrères qui s'adonnent aux études préhistoriques de reprendre et poursuivre les travaux entrepris pour le département, et dit qu'il y a peu de mois une commission se rendait dans ce but à Montbartier (Voir Bulletin, 1906, page 402).

M. le Président annonce que souvent on a constaté dans la région, l'usage, continué jusqu'à nos jours, comme au Mas-Grenier, par exemple, de jeter des pièces de monnaies dans les fontaines. Au sujet de cet usage, M. A. Blanchet a fait observer à la Société des Antiquaires de France, que les monnaies recueillies dans les sources et guès de la Gaule sont en majorité romaine. Les monnaies gauloises qui sont mêlées aux autres dans ces découvertes


98 PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES

sont généralement d'époque très basse. On ne peut donc affirmer que la coutume soit celtique (Société des Antiquaires de France).

M. le Président annonce que M. de Tholosany a retrouvé l'inventaire de la Maison Brome, l'une des plus intéressantes de Saint-Antonin. Cette pièce sera publiée.

M. le capitaine Rozat de Mandres, sur l'invitation de M.le Président, a bien voulu apporter le bel ouvrage sur l'Armée en campagne, illustré de planches, dues au talent de dessinateur émérite de notre confrère, ce n'est plus le soldat en parade mais dans son costume journalier et sous son harnais de guerre; la Société avait déjà pu admirer plusieurs de ces dessins avant leur expédition à l'éditeur.

M. Camille Daux a fait parvenir une brochure sous ce titre: A travers les calendriers liturgiques, marquée au coin de l'érudition de notre laborieux confrère.

Un autre ouvrage d'une particulière importance est déposé sur le bureau sous ce titre : A bâtons rompus. Ce livre donne les im pressions de voyage en Suède et en Norwège de notre confrère M. René de vivie.

Cette oeuvre qui sort des presses de M. Forestié, et qu'enrichissent des illustrations, aura un compte rendu dans le Bulletin.

M. de Vivie donne lecture d'une lettre inédite de Victor Hugo, trouvée chez un de ses amis à Paris.

L'Assemblée éprouve un grand charme à écouter ce qu'a écrit le comte de Gironde à propos de l'étude de M. Lauzun sur Madame de Polastron.

M. Ressayre donne lecture de la fin du travail de M. l'abbé Galabert sur les Écoles (1906, p. 225).

M. le Président signale dans le Bulletin de la Société archéologique du Midi plusieurs articles qui intéressent le département.

M. Quilhot, curé-doyen de Montpezat, croit avoir acquis la certitude que la châsse en émail champlevé de Limoges qui a été volée dans son église, figure aujourd'hui dans un musée de NewYorck ; des informations seront prises.

Plusieurs conférences sont annoncées, elle seront données par MM. Fourgous: de la Dordogne au Cantal; le docteur Tachard, sur la Tunisie; Saint-Yves, sur la Vie au fond des Mers; et Cartaillhac, sur les Peintures et Gravures préhistoriques découvertes dans les Grottes.



Bulletin archéologique.

Ier trimestre 1907.

Vints Galceran Sepl Valoe

SAINT LOUIS-BERTRAND

DOMINICAIN


PROCES-VERAUX DES SÉANCES 99

L'Assemblée se réjouit en apprenant qu'une chaire d'archéologie préhistorique est fondée à la Faculté des sciences de Toulouse, et qu'elle sera occupée par notre savant confrère M. Cartailhac.

M. lé baron Joseph de Cursay est nommé à l'unanimité membre titulaire, sur la présentation de MM. Ressayre et de Reyniès.

La séance se termine par des projections sur la Palestine, accompagnées de commentaires des plus intéressants, donnés par M. l'abbé Bastoul : pélerins de Jérusalem.

La séance est levée à 10 heures 1/2.

Le Secrétaire, JEAN BOURDEAU.

UN PORTRAIT De Saint Louis Bertrand, dominicain,

GRAVÉ SUR CUIVRE

Un cuivre, sauvé de la fonte, me permet de placer sous les yeux du lecteur, les traits de saint Louis Bertrand, très populaire dans l'Est de l'Espagne et qui le fut aussi dans l'Amérique du Sud. Les emblèmes placés au-dessous , du portrait donnent les caractéristiques de ce religieux, béatifié par Paul V, le 29 juillet 1608, et canonisé le 12 avril 1671, par Clément X.

Il convient de rappeler sa vie.

Fils d'un notaire de Valence, en Espagne, et de Jeanne Exarch, né le 1er janvier 1526, était l'aîné de neuf enfants. Dès ses premières années il sembla qu'il voulait marcher sur les traces de saint Vincent Ferrier, son parent, à 19 ans, il prit l'habit de son Ordre dans le couvent des Dominicains de Valence. A 26 ans, il était Maître des novices, et, par ses prédications, préludait à l'Apostolat qu'il devait exercer dans la partie de l'Amérique méridionale les Espagnols appelée par la Castille d'Or. Dieu lui accorda le don des prophéties, celui des langues, et, à sa demande, permit des miracles. Son séjour fut de sept ans. Rentré à Valence en 1569, il continua le ministère de la parole tout en étant à la tête de sa communauté. Après avoir prédit le jour de sa mort, il rendit sa belle âme à Dieu le 9 octobre 1581, âgé de 55 ans, après 37 ans de profession religieuse. L'austère figure du saint religieux revit sous


100 PROCES-VERBAUX DES SEANCES

le burin du graveur avec un accent de vérité que déclare l'inscription de la bordure qui forme cadre. On y lit, en effet : VERA EFFIGIES LUDOVICI BERTRANDI, le visage est émacié, les regards s'inclinent vers le sol, on le sent, il a mis en pratique la devise d'une banderolle, qui se divise au-dessus du médaillon, partant d'une tête d'ange, DOMI (ne) HIC URE HIC SECA NON PARCAS etc. Ici Seigneur brulez, ici retranchez, n'épargnez rien.

Sa vie, en effet, a été sanctifiée par la pénitence, le sacrifice sans trêve.

Au-dessous, formant support, mêlé aux lauriers des conquêtes apostoliques et à la palme du martyr affronté par lui, on voit lié par un ruban un pistolet d'arçon et une coupe.

Du canon du pistolet sort un crucifix.

On lit dans les actes du Saint qu'ayant prêché contre les scandales donnés par certains personnages influents, un seigneur espagnol crut se reconnaître dans le portrait tracé par le prédicateur. Furieux, il l'attend sur une route peu fréquentée, un pistolet à la main, il veut tirer, mais la batterie manque son coup, le religieux entend le bruit, se retourne vers l'agresseur et sur un signe de croix le canon de l'arme est changé en crucifix.

Les ennemis de l'Evangile avaient également voulu à plusieurs reprises se débarrasser de l'apôtre qui condamnait leurs erreurs en cherchant à l'empoisonner, pendant son séjour en Amérique.

Le poison indiqué par le serpent qui sort de la coupe, n'avait porté nulle atteinte. On retrouve souvent dans l'iconographie des Saints, en remontant à saint Jean l'évangéliste, cette façon d'indiquer l'innocuité du poison.

Le Père Cahier donne encore comme caractéristique de saint Louis Bertrand, le Rosaire dont il avait l'usage à titre de frères prêcheurs et qui fut entre ses mains un instrument de miracles.

On le voit ailleurs baptisant des hommes de couleurs: indiens ou esclaves africains amenés en Amérique par la traite.

Il figure également, dans un groupe, en compagnie des saints François de Borgia, Gaëtan et Philippe Benezzi, ainsi que sainte Rose de Lima, canonisés le même jour que lui par Clément X.

Notre gravure a été finement traitée par un artiste dont le nom est inscrit dans le bas :

Vints Galceran, Sepl. Valoe.

Ce Vincent Galceran qui gravait à Valence, était probablement un compatriote du saint, il semble que son oeuvre ait suivi de près la canonisation de celui qu'Alexandre VIII déclara par décret du 3 septembre 1690, patron et protecteur principal de la NouvelleGrenade et qui le fut également de Valence.

F. POTTIER.


LA LEPRE

LES LÉPREUX, LES LÉPROSERIES

ET SPÉCIALEMENT

Les Léproseries du Tarn-et-Garonne

PAR

M. LÉOPOLD MATHET

Membre de la Société

CHAPITRE PREMIER

LA LÈPRE TELLE QU'ELLE EST DÉCRITE DE NOS JOURS — PAYS OU ON LA CONSTATE — BACTÉRIOLOGIE DE LA LÈPRE

Sous le nom de lèpre, on désigne plusieurs sortes de maladies; il ne faut nullement confondre, en effet, la maladie squammeuse des dermatologistes modernes et l'éléphantiasis tuberculeux des Grecs, ou bien encore la lèpre d'Esthonie (longtemps confondue avec la syphilis constitutionnelle) localisée dans cette partie de la Russie avoisinant la Finlande d'où elle tire son nom. A signaler encore la lèpre de Kabylie, observée par Arnould dans le cercle de Dellys ; celle-ci présente quelques points de ressemblance avec la lèpre hébraïque.

Il ne sera question, dans cette monographie, que de la lèpre hébraïque ou éléphantiasis des Grecs, maladie grave et incurable, caractérisée par des tubercules plus ou moins larges, saillants, irréguliers, précédés de taches rouges ou d'une teinte fauve, et présentant plus tard une coloration bronzée.

Ces petites taches sont accompagnées de boursoufflement 1907 8


102 LA LEPRE

du tissu cellulaire sous-cutané. La face (qui est la partie le plus souvent affectée) est couverte de ces tumeurs noueuses, séparées par des rides profondes, et présente une hideuse déformation qui l'a fait comparer pour le volume et la coloration à celle d'un éléphant.

La maladie persiste parfois un temps fort long en restant stationnaire ; le plus souvent, toutefois, il survient des inflammations des organes vocaux, respiratoires, digestifs, auxquelles les malades succombent.

Souvent aussi à la lèpre s'associe une autre maladie qui amène rapidement} une terminaison fatale, c'est ainsi qu'il n'est pas rare d'observer, sur les rares lépreux qui se présentent de nos jours aux hôpitaux, qu'une affection tuberculeuse complique la lèpre proprement dite.

De tout temps la lèpre a été regardée comme contagieuse, et c'est la connaissance de sa propagation par contage qui avait fait édicter les prescriptions rigoureuses d'isolement des lépreux ; prescriptions dont nous aurons à nous occuper dans les chapitres suivants.

Son hédéro-contagion fut également admise comme certaine.

Lorsque la lèpre est localisée à la peau, aux muqueuses, ainsi qu'aux vaisseaux ganglionnaires correspondants, l'affection prend une forme spéciale ; c'est la lèpre tuberculeuse, caractérisée par le développement externe (surtout à la face et aux mains) et sur la muqueuse bucco-pharyngienne et laryngée, de tubercules saillants qui s'ulcèrent et mutilent les malades, détruisant les narines, amputant les phalanges, etc.

Localisée aux nerfs, l'affection est connue sous le nom de lèpre anesthésique ou trophoneurotique; elle se caractérise par l'apparition de plaques cutanées plus ou moins larges; ces plaques sont anesthésiques .

A leur niveau la peau s'atrophie, se rétracte, et la lèpre anesthésique mutile ainsi les extrémités des doigts et des orteils, dont une ou plusieurs phalanges se trouvent spontanément amputées, la désorganisation atteignant jusqu'au tissu osseux lui-même.


LES LÉPREUX, LES LEPROSERIES 103

Les deux formes précédentes sont le plus souvent associées : la lèpre est alors mixte, forme que l'on rencontre assez souvent en Islande.

La variété anesthésique ou mutilante est celle qui laisse vivre le plus longtemps ; le docteur Ehlers cite le cas d'un Islandais qui a vécu quarante-cinq ans en proie à ce mal, et qui était réduit à l'état de squelette vivant.

Il ne faudrait pas croire que la lèpre, sous l'une ou l'autre de ses formes, constitue de nos jours une maladie excessivement rare, tout au contraire, c'est ainsi, par exemple, que le Japon compte 50,000 lépreux sur une population d'environ 40 millions d'habitants.

Elle n'a pas complètement disparu de l'Europe, de la France même, car on constate quelques cas disséminés, notamment à Brest et aux environs de Morlaix. De temps à autre, des cas d'importation éclatent dans nos ports de mer: Toulon, Marseille, Bordeaux ; la lèpre a été constatée à Peille, à la TrinitéSaint-Victor, à Combes, à la Turbie, à Nice; Paris seul renferme, d'après le docteur Janselme, environ 200 lépreux.

Le docteur dom Sauton estime à 400 les cas de lèpre vraie en France, sans compter les formes frustes et dégénérées que les médecins rapportent à cette contagion : maladie du Morvan, cagots des Pyrénées, syringomyélie, selérodactylie, etc..

Un des pays européens où l'on rencontre le plus grand nombre de lépreux est l'Islande, qui, sur une population de 78,000 habitants, compte environ 200 lépreux.

Jusqu'à ces derniers temps, ils étaient logés dans les bars (fermes) où ils étaient reçus moyennant une légère indemnité et où ils vivaient de la vie commune sans inspirer aucune crainte aux habitants. Le docteur Jonassen nous dit qu'en Islande les femmes sont beaucoup plus gravement atteintes que les hommes. D'après divers auteurs, il semble que l'hygiène et la nourriture des Islandais par leur mauvaise nature est le principal facteur de la contagion. Dans ces régions, les aliments se préparent sans sel, sans condiments, les légumes y sont à peu près inconnus, ce qui détermine des affections intestinales qui facilitent l'invasion de la lèpre.


104 LA LEPRE

En 1898, sur l'initiative du docteur Ehlers, le gouvernement islandais a fait construire, près de Reikjavick, une grande léproserie pouvant abriter 100 lépreux; dès 1899, 60 y étaient déjà en traitement.

La lèpre, enfin, semble avoir un regain de recrudescence soit dans l'Amérique du Nord, soit dans l'Amérique du Sud.

Les faits-divers des journaux quotidiens nous rapportaient naguère les tribulations d'un lépreux qui, pourchassé des grands centres de la République Nord américaine, avait enfin trouvé asile dans un vieux sleeping-car. C'est cette léproserie tin de siècle que les autorités ont assignée à ce pauvre hère pour terminer ses jours au seuil de quelque forêt ou d'une prairie.

Les progrès du mal doivent être sur le Nouveau Continent plus importants qu'on veut bien nous le dire, puisqu'un Congrès de la lèpre se tenait tout récemment à Buenos-Ayres ; au cours d'une de ses séances, dont j'ai eu une très brève analyse sous les yeux, le Dr Allende annonçait qu'il y avait à l'heure actuelle 200 lépreux dans la province de Cordoba. D'après le Dr Allende l'extension de la lèpre doit être attribuée à la piqûre d'un moustique. Il faut attendre de plus amples informations pour juger si cette opinion repose sur des faits bien constatés et mérite quelque crédit.

Monseigneur Mérel, des Missions étrangères de Paris nous fournit des détails intéressants sur l'état des lépreux en Chine (1). Le nombre des malades dans la seule province de Kouang-tong serait, dit-on, de 30.000, chiffre qui serait aux yeux de l'auteur beaucoup trop élevé.

Les Chinois, comme les Européens, redoutent le contact et l'approche des lépreux ; Confucius lui-même, si on en croit les commentateurs, les avait en horreur, et ce serait ce sentiment qui l'empêcha d'entrer dans la maison de son disciple Pacgniou, devenu lépreux, et qu'il se contenta de lui tendre la main par la fenêtre pour le saluer.

Les Chinois riches ou simplement à l'aise qui se sentent atteints de l'horrible mal, prennent tous les remèdes à leur

(1) Annales de la propagation de la foi, novembre 1906.


LES LÉPREUX, LES LEPROSERIES 105

portée pour le guérir, l'empêcher au moins d'attaquer les parties visibles du corps, mais tous ces efforts sont, bien entendu, sans grand résultat.

Monseigneur Mérel a constaté que dans plusieurs villages où la lèpre n'existe plus, les habitants portent la trace du mal dont leurs ancêtres étaient attaqués; la plupart sont de petite taille, chétifs et parmi eux surviennent encore de temps en temps des cas de lèpre.

Dans le Nord de la province de Kouang-Tong, les Hakka brûlent les lépreux tout vifs. Ils leur préparent un grand festin et le repas fini, la victime, parée de ses plus beaux habits, monte elle-même sur le bûcher. Une coutume aussi barbare n'est pas générale, mais il faut reconnaître qu'en Chine comme cela se passait chez nous, celui qui est reconnu lépreux est voué à l'ignominie et devient le rebut de la société. Riche, il se cache au fond de sa demeure; pauvre, il est chassé de son village et de sa parenté.

Le gouvernement a établi un grand nombre de léproseries pour recueillir ces abandonnés. Celle de Canton donne asile à 5 ou 600 d'entre eux qui y trouvent le logement et reçoivent, en outre, une aumône de 3 francs par mois. Cette somme insuffisante pour les entretenir oblige les plus robustes à mendier le long des chemins.

De même que pour le plus grand nombre des maladies contagieuses, il était naturel de supposer que la lèpre devait être rangée parmi les maladies microbiennes, ce que démontra d'une façon indiscutable la découverte du bacille spécifique, faite en 1877, par Armauer Hansen. Ce bacille se retrouve dans les trois formes de la maladie : lèpre tuberculeuse, lèpre anesthésique, lèpre mixte.

Un fait digne de remarque, c'est qu'il a été impossible à tous les expérimentateurs d'inoculer la lèpre. Le cas du condamné Keanz, qu'Arning prétend avoir réussi à inoculer, peut très bien, vu les circonstances où l'essai a été fait, être attribué à une contagion naturelle ; il en est de même de trois ou quatre observations au courant desquelles l'inoculation a été pratiquée avec succès.


106 LA LÈPRE

Chez l'animal l'inoculation du tissu lépreux a toujours échoué; les lésions obtenues relevaient de microbes étrangers, du bacille tuberculeux la plupart du temps, car, j'ai eu l'occasion de le dire, sur l'affection lépreuse se trouve greffée une affection tuberculeuse.

D'après Vésener, l'impossibilité d'inoculer la lèpre proviendrait de ce que, dans les tubercules lépreux, la plupart, sinon la totalité des bacilles sont morts. Ce qui démontrerait le bien fondé de cette supposition, c'est que lorsqu'on introduit sous la peau d'un animal un fragment de tissu lépreux, ce tissu conserve longtemps son aspect, et pendant plusieurs mois encore, on peut colorer les bacilles qu'il contient, mais on n'observe jamais multiplication de ces bacilles. Le fragment se comporte comme un corps inerte ; des leucocytes s'accumulent tout autour et peu à peu il est résorbé.

Il n'y a pas bien longtemps encore on n'était pas parvenu, d'une façon courante, à obtenir des cultures du bacille de Hansen. Ce que Bordoni Uffreduzzi a décrit comme cultures du bacille de la lèpre, étaient évidemment dues au bacille tuberculeux ; les cultures de Neisser ne relèvent pas du bacille lépreux pas plus que celles de Babès et de Ducrey.

Bezançon, Leredde et Griffon sont plus récemment arrivés à obtenir la multiplication du bacille sur sang gélosé, une fois même ils ont pu constater en ce milieu la formation d'une colonie qu'ils ne purent, du reste, repiquer. Cette colonie présentait le même aspect que celles du bacille de Koch, ses bacilles se coloraient par le Zielh, et comme le fragment lépreux qui avait servi à l'ensemencement, inoculé au cobaye, n'avait produit chez cet animal aucune réaction, il faut en conclure que la colonie n'était pas due au bacille tuberculeux, mais bien au bacille de Hansen.

Du reste, M. Weill ensemence couramment et sûrement aujourd'hui le bacille lépreux. Cet auteur nous décrit dans les Annales de l'Institut Pasteur, la technique qu'il faut suivre pour obtenir ces résultats: On choisit de préférence les cas de lèpre tuberculeuse et surtout des tubercules récents. On lave la surface du tubercule à l'éthers on l'incise avec un


LES LÉPREUX, LES LEPROSERIES 107

bistouri stérilisé; on ensemence sur agar glucose et glycérine neutre ou légèrement alcalin, auquel on a ajouté une certaine quantité de sérum pleurétique de l'homme. Dans le tube, porté à la température de 39° C, on voit le bacille se développer entre le quinzième et le vingtième jour.

Le bacille de la lèpre est un fin bacille, de 4 à 6 [» de long et de moins de 1 y. de large, très voisin, comme formes, dimensions, aspect et réactions de coloration, du bacille tuberculeux.

On le trouve par myriades dans les affections lépreuses qui en sont comme farcies; c'est là un caractère important qui, dans la plupart des cas, le différencie du bacille de Koch ; de plus, sa forme est plus régulière, il est plus droit. On doit le classer parmi les bacilles acido-résistants, c'est-à-dire qu'une fois coloré par la solution de Zielh, il résiste, et résiste même beaucoup mieux que le bacille tuberculeux, à l'action des agents décolorants (solutions acides, alcool, chlorhydrate d'aniline) ; comme, d'autre part, il se colore à froid par les solutions aqueuses simples de couleurs basiques d'aniline, tandis que le bacille tuberculeux ne se colore pas dans les mêmes conditions, on arrive donc par ces divers moyens à facilement différencier ces deux microbes qui, à part cela, ont de nombreux traits de ressemblance.

Le microbe de Hansen ne se rencontre pas seulement dans les tubercules lépreux, on le trouve encore dans la moelle osseuse, dans la rate, les ganglions, dans la sanie lépreuse, dans la salive quand la cavité buccale est envahie, dans les fèces quand il existe de la lèpre du gros intestin, dans les nodosités que l'on voit si fréquemment dans la lèpre sur le trajet des nerfs, dans le testicule, dans le lait, par contre on ne le rencontrerait jamais dans le sang.

D'après Cornil et Babès, le bacille passerait cependant dans le sang de la circulation générale quelques jours avant? la mort et particulièrement durant les accès de fièvre.

On voit, d'après ce que nous venons de dire, que la lèpre est une affection très généralisée, aussi son diagnostic ne laisse plus, avec les moyens d'investigation modernes, la moindre


108 LA LEPRE

incertitude, tandis qu'autrefois on l'a souvent confondue avec la syphilis, la tuberculose, la syringomiélie, erreur facile à commettre si on n'a pas comme critérium l'examen bactériologique.

CHAPITRE II

LA LÈPRE DANS LES TEMPS ANCIENS

Parmi les grandes maladies des anciens temps, nous en trouvons une signalée depuis les époques les plus reculées, c'est la lèpre. L'Ecriture sainte la mentionne à tout instant; Moïse dans le Lévitique, en donne une description, bien grossière il est vrai ; l'ayant reconnue contagieuse et héréditaire, il prescrit des lois rigoureuses pour isoler ceux qui en sont atteints.

Venue très probablement de l'Egypte, elle s'étend d'abord chez les Hébreux puis chez les Romains.

Celse nous a transmis une description de la lèpre, et en reconnaît plusieurs variétés, mais sa description est encore trop confuse pour pouvoir, d'après cela, vérifier si son diagnostic concorde bien avec ce que l'on constate de nos jours.

A l'époque des Croisades il est certain que la Palestine était infestée de lépreux, il n'est donc pas étonnant que les croisés, par leur contact journalier avec eux, aient contracté cette maladie et ne l'aient, à leur retour, importée en France (1).

Saint-Epiphane, dans son Adversus Hoereses, fait la première mention d'un hôpital de lépreux, lorsqu'il nous apprend qu'à Sébaste et à Coesarée, il y avait, au milieu du IVe siècle, des hôpitaux établis par les évêques de ces villes, où

(1) Il est plus exact de dire que les Croisés répandirent la lèpre en France d'une façon plus générale, dans toute l'étendue du territoire car elle y existait déjà, au moins dans les provinces avoisinant l'Italie, ainsi que nous le verrons plus loin. Cette opinion est corroborée par ce fait que c'est dans les dernières années du moyen-âge (de 1100 à 1300), que cette maladie sévît avec le plus d'intensité dans nos contrées.


LES LÉPREUX, LES LÉPROSERIES 100.

l'on reecvait les pauvres, les étrangers, les estropiés et même les lépreux.

La première maison de refuge ou d'asile, exclusivement destinée aux lépreux, c'est-à-dire la première léproserie, fut bâtie par Saint-Nicolas, vers l'an 290 de notre ère; ce qui fait présumer que, dès cette époque, la lèpre était reconnue contagieuse et peut-être aussi héréditaire ; elle ne tardera pas du moins à être considérée comme telle puisque, à la fin du IVe siècle, Saint-Cyrice prescrit que dans le cas où un homme sain, marié à une femme lépreuse, deviendrait lépreux luimême les enfants soient séparés afin que la descendance soit préservée d'un mal héréditaire. Il ordonne en même temps que les enfants, issus de parents lépreux, soient baptisés audessous de la piscine et non sur les fonts où on baptise les autres et que l'eau qui sert au baptême soit, immédiatement après la cérémonie, jetée dans des lieux retirés.

Il s'établit en France, sous la dynastie Carlovingienne, de nombreuses léproseries, ce qui nous prouve que déjà dès l'an 800 la maladie s'était fort répandue dans notre pays ; il faut en voir la cause dans ce que, sous Charlemagne, l'Occident eut de nombreux rapports avec l'Italie, à la suite desquels avait eu l'invasion ; il n'en est pas moins certain, toutefois, que les Croisades contribuèrent pour une large part, sinon à l'invasion, du moins à la propagation et à l'extension du fléau.

A la fin de sa vie, c'est-à-dire vers 1025, Robert-le-Pieux, va, depuis Orléans et Bourges jusques à Toulouse, voyager de maladrerie en maladrerie, consolant les lépreux, leur distribuant des aumônes et les soignant avec une sympathique commisération.

Au XIIe siècle, Louis VII réglemente la situation des lépreux et leur accorde des privilèges leur permettant de ne pas être réduits à la misère.

Dans les mémoires de Joinville nous trouvons de nombreux détails sur les léproseries, c'est qu'en effet Louis IX a rendu plusieurs ordonnances concernant les lépreux qui toutes témoignent du grand souci que ce monarque avait pour ces deshérités.


110 LA LEPRE

Du XIIe au XIVe siècle l'augmentation des léproseries devient considérable; toute ville ou village de quelque importance possède, non loin de ses murs, une ou plusieurs maladreries. Cette institution d'hôpitaux va sans cesse en croissant jusqu'au XIVe siècle, époque à laquelle l'état paraît rester stationnaire (1).

Durant les XVe et XVIe siècles; les lépreux forment toujours une classe à part dans la société ; ils en sont comme isolés et se suffisent; leurs biens, en effet, grâce à de nombreuses donations testamentaires, vont sans cesse en croissant. A partir du XVIIe siècle, le nombre des lépreux diminue, les cas de cette maladie sont de moins en moins fréquents, à tel point qu'au XVIIe la lèpre a presque disparu. De nos jours, j'ai eu l'occasion de le faire remarquer, cette affection est excessivement rare, elle se trouve cantonnée dans quelques localités seulement.

Au XVIIIe siècle, les léproseries n'ayant plus leur raison d'être, on vend leurs biens, on démolit la plupart de ces bâtiments, de sorte qu'il est fort difficile de trouver de nos jours des vestiges complets de ces maisons de refuge, leur nom seul, qui est resté, indique le lieu où ils s'édifiaient autrefois. A ce propos, il est bon de faire remarquer que, dans le midi de la France, on désignait les hôpitaux de lépreux indistinctement sous les désignations de léproseries, de maladreries, de ladreries, de malaoutios et les lépreux eux-mêmes étaient appelés ladres, mézels ou mézeux, et même de roigneux quelquefois.

CHAPITRE III

ADMINISTRATION DES LÉPROSERIES

A mesure que croît le nombre et l'importance des léproseries, de nouveaux et plus complets édits en régissent l'administra(1)

l'administra(1) XIIIe siècle, on comptait 2,000 léproseries en France et environ 19,000 sur toute l'étendue de l'Europe (chiffres donnés par Mathieu


LES LÉPREUX, LES LEPROSERIES 111

tion. Tout d'abord, au début du Moyen-Age, avant que des établissements spéciaux eussent été créés, les lépreux vivaient isolés dans les campagnes, dans de petites maisons (bordes) construites à cet effet. Dans ces maisons, bâties loin de tout grand chemin, les pauvres lépreux n'avaient d'autres ressources que les aumônes qui leur étaient faites. Il leur était interdit de pénétrer dans l'enceinte des villes, aussi il n'est pas rare de les voir assimilés à des mendiants, à des pillards quelquefois, nous en verrons plus loin la raison.

Le nombre en augmentant, les paroisses fondèrent des maisons communes qu'elles entretenaient de leurs deniers, ce furent nos premières maladreries.

On trouve dans les archives des fabriques d'un grand nombre d'églises, traces des dons faits aux léproseries de leur ressort.

Puis on prit l'habitude de léguer par testament quelques biens aux maladreries ; à ces legs, comme à ceux qui visitaient les lépreux et leur faisaient des aumônes, on voit plusieurs bulles pontificales accorder des indulgences ; telle est celle du Pape Léon X, du 23 octobre 1519, conservée à l'Hôtel-Dieu de Toulouse, accordant cent jours d'indulgence à toute personne visitant la chapelle des lépreux d'Arnauld-Bernard aux jours indiqués dans les dites lettres, comme aussi à ceux qui leur feront du bien de leur vivant, par testament ou autrement.

Tant que les léproseries furent peu peuplées, les fabriques purent suffire à leur entretien, mais il n'en fut plus de même dès le neuvième siècle ; la lèpre ayant fait d'immenses progrès les hôpitaux durent s'agrandir et se multiplier, aussi les administrations communales furent, non seulement obligées de déclarer tout lépreux avéré vivant sur leur territoire, mais encore de veiller à l'entretien de leurs asiles. Rien, toutefois, ne règle encore leur ordonnance et leur administration; ce n'est qu'à

Paris). L'article 13 du testament de Louis XIII (1235) mentionne le legs, à chacune des 2,000 maisons de lépreux du royaume, d'une somme de cent sols. En 1310 48 maladreries, dans la seule banlieu de Paris, étaient secourues sur la cassette particulière du roi de France.


112 LA LEPRE

partir de 1072 que nous trouvons trace d'une organisation sérieuse.

Par une ordonnance du Roy de cette année, l'Ordre de Saint-Lazare de Jérusalem et du Mont-Carmel est confirmé dans ses droits, privilèges, léproseries, commanderies, prieurés, hôpitaux, ci-devant concédés par les autres ordres hospitaliers, militaires, réguliers, séculiers, unissant au dit Ordre de Saint-Lazare l'administration et les jouissances perpétuelles des maladreries, Hôtel-Dieu, Maison-Dieu, etc.

Donc, l'Ordre de Saint-Lazare ou Ladre, dont l'origine vient des Croisades, avait, par cet édit, le monopole du soin des lépreux ; en retour il acquérait le droit de prélever une part dos revenus des léproseries, droit qui fut maintenu jusqu'au XVIe siècle. Notons cependant que vers le XVe siècle il fut institué des donataires qui avaient le gouvernement des léproseries d'un diocèse.

Dans plusieurs villes, à Toulouse notamment, ce gouvernement passe aux mains de l'administration communale, c'est ce qui résulte du texte d'une convention intervenue, le 20 juillet 1345, entre maître Jehan le Moll, donataire des léproseries de Toulouse, et le syndict des Capitouls. A partir de ce moment, les léproseries de la ville et de la Viguerie de Toulouse eurent une vie propre: Iles lépreux administrent eux-mêmes leurs biens, nomment leurs majoraux ou directeurs qui relevaient directement du Syndic, désigné par eux et qui dépendait des Capitouls.

De rares lépreux, au lieu d'être cantonnés dans les maladreries, vivaient séparés dans de modestes réduits bâtis à proximité des portes des villes; on les désignait sous le nom de Reclus ou Recluses. Comme ils recevaient de nombreuses donations et que, par le fait qu'ils étaient reclus, ils ne jouissaient pas des biens qui leur étaient donnés, c'était les hôpitaux et les léproseries qui en bénéficiaient, ce qui constituait pour les maladreries une source assez importante de revenus.

Ces reclus avaient souvent, en outre de leur habitation aux portes de la ville, une cellule sise sur une place, une rue, un pont, une chapelle, en un lieu enfin très fréquenté, où les do-


LES LEPREUX, LES LÉPROSERIES 113

nateurs pouvaient facilement déposer leurs aumônes. C'est ainsi qu'à Toulouse il y avait une recluse sur le pont Saint-Cyprien ou de la Daurade. Catel rapporte à son sujet un légat ainsi conçu : « Domni reclusanoe super portum novum Garumnoe situatoe », et il ajoute : « je ne sais si cette cellule était sur le pilier qui est au milieu du dit pont, où l'on voit encore une chapelle ou oratoire ». Catel rapporte aussi des legs faits aux recluses de la Porte Narbonaise, de la Porte Villeneuve, Matabiau et Arnauld-Bernard.

Il y avait à Montauban une petite rue située au Moustier qui portait le nom de « rue de la Recluse ».

Paradin, dans son Histoire de Lyon, nous apprend qu'il y avait communément dans la ville dix reclus ou recluses, auxquels les archevêques avaient coutume de donner pour leur nourriture certain blé et argent.

Toutefois, tous les reclus n'étaient point des lépreux, car Catel nous apprend que ce nom de reclus ou recluse se prend aussi pour un moine ou une religieuse qui est clos et enfermé dans sa cellule. Nous trouvons, dit-il, dans l'Histoire des Pères : « comme il y avait des religieux qu'on mettait par un trou, comme si on les enterrait dans leur cellule, et puis on fermait le trou. C'est pourquoi Pierre, abbé de Cluny, écrivait à Gisabert, réclusien : « Tu autem ut vere te mundo ostensus mortuum ipsum adhuc vivens intrasti sepulchrum ».

CHAPITRE IV

CONSTATATIONS MÉDICALES DE LA LÈPRE

Dès qu'une personne était reconnue atteinte de la lèpre, on la considérait comme frappée par la main de Dieu, dangereuse pour la Société, et devant, par conséquent, en être exclue; on la mettait « hors de siècle », suivant l'expression consacrée. Le lépreux était, en quelque sorte, mort pour ses concitoyens, on l'enterrait moralement, ses héritiers se partageaient sa succession, son mariage était rompu et il devait, jusqu'à sa mort,


114 LA LEPRE

vivre avec ses compagnons d'infortune dans les établissements élevés par la charité publique 1.

Dès que la rumeur publique indiquait qu'un homme était atteint de lèpre, le capitoul ordonnait son examen par un gradué en médecine; celui-ci dressait, s'il y avait lieu, un procèsverbal de constat

Rares, bien rares, sont les pièces de cette nature parvenues jusqu'à nous; c'était, en effet, des écrits dont la durée of ficielle était en somme assez limitée ; leur rédaction devait avoir de nombreux points de ressemblance, les médecins ayant, pour ces rapports, une formule qui devait être courante, les cas de lèpre étant très fréquents. Ambroise Paré en rapporte un dans ses oeuvres, je le transcris à titre de document :

" Nous, chirurgiens jurez, à Paris, par l'ordonnance du procureur du Roy au Châtelet, donné le 28e jour d'aoust 1583, par lequel avons été nommés pour savoir si X... est lépreux.

« Partant, l'avons examiné comme suit:

« 1° Nous avons trouvé la couleur de son visage couperosée, blafarde et pleine de saphirs. Aussi avons tiré et arraché de ses cheveux et du poil de sa barbe et de ses sourcils, et avons vu qu'à la racine du poil estait attaché quelque petite portion de chair.

« Les sourcils et derrière les oreilles avons trouvé de petits tubercules glanduleux, le front ridé; son regard fixe et immobile, ses yeux rouges et étincelants, les narines larges par dehors, estroites par dedans, quasi bouchées avec petites ulcères croûteuses. La langue enflée et noire et au-dessus et audessous avons vu trois petits grains comme on en voit aux pourceaux ladres; les gencives corrodées et les dents déchaussées et son haleine fort puante, ayant la voix enrouée, parlant du nez.

(1) Peu à peu cependant ces édits perdirent de leur rigueur; si le lépreux est toujours séquestré, rejeté de la société, il conserve le droit de disposer de ses biens en faveur de ses parents ou d'oeuvres pieuses, son mariage reste valable, il peut, dans certains cas, se porter partie ivile, vendre, acheter, gérer une charge.


LES LÉPREUX, LES LEPROSERIES 115

« Aussi l'avons vu nuct et avons trouvé tout son cuir crépy et inégal comme celui d'une oye maigre plumée, et en certains lieux plusieurs dartres. Davantage l'avons piqué assez profondément d'une aiguille au talon sans l'avoir à peine senti.

" Par ces signes tant univoques qu'équivoques disons que le dit X... est ladre confirmé.

« Par quoy sera bien qu'il soit séparé de la compagnie des siens, d'autant que ce mal est contagieux.

" Le tout certifions estre vray, tesmoins nos seings manuels cy mis. »

Il est fort probable que des erreurs de diagnostic ne devaient pas être rares, que les médecins et chirurgiens jurés déclaraient être atteints de lèpre des personnes affectées d'autres maladies en rappelant le facies, par exemple la syphilis constitutionnelle ou roigne de Naples, ainsi qu'on la dénomma à partir de 1525, quand on sut bien la distinguer et la différencier de la lèpre. Ce qui autorise à penser ainsi, ce sont d'abord les cas assez nombreux de guérison de lépreux qui sont cités ; il est bien établi, en effet, que si la lèpre vraie présente des états de rémissions, elle reste cependant totalement incurable ; une autre preuve nous en est fournie par une lettre que Guy-Patin adressait, en 1662, à l'archevêque de Toulouse pour lui fournir réponse à la demande que ce dernier lui avait faite sur ce qu'il pensait de la lèpre.

Il ressort de ce document, que je ne retranscrirai pas ici, à cause du caractère trop naturaliste de certains passages, écrits il est vrai en latin, que l'on avait confondu et que l'on confondait très souvent la lèpre et la grosse vérole.

CHAPITRE V

LA VIE DU LÉPREUX

Une fois la lèpre dûment constatée chez un malade, on lui ordonnait de s'enfermer pour le reste de ses jours dans une maladrerie; dans certaines villes ou villages, on se contentait


116 LA LEPRE

cependant de lui faire revêtir l'habit de lépreux, on lui interdisait l'accès de l'enceinte, libre à lui de vivre à sa guise, de récolter, comme il le pourrait, les aumônes lui permettant de ne pas mourir de faim et de traîner sa triste vie.

A Toulouse, il y avait des gardes spéciaux placés aux portes pour éloigner les mésels, les roigneux et autres gens infectés; c'est ce qui ressort d'un mandat de paiement au garde de la porte Saint-Etienne, en date du 12 novembre 1499. Leur surveillance ne devait pas être très active ou bien sévère, car nous voyons, en 1450, le Roi Philippe VI, rappeler au Sénéchal, sur dénonciation du Syndic capitulaire, de se conformer aux ordonnances antérieures relatives à l'isolement des lépreux bien reconnus comme tels.

Nous savons aussi que certains lépreuxt les reclus et les recluses, jouissaient du privilège de pouvoir occuper un logis sur certains lieux fréquentés, d'avoir accès dans certaines églises ou chapelles, où une place spéciale leur était réservée. On sait enfin que des lépreux investis d'une charge ont pu continuer à exercer leurs fonctions.

De nombreux faits témoignent que, vers 1450, les lépreux enfreignaient très facilement les ordonnances antérieurement rendues sur leur isolement. Est-ce parce que leur nombre s'était tellement multiplié que leur surveillance était par cela même rendue difficile ? Ou bien les administrations communales, trouvant que l'entretien des léproseries grevait leur budget de trop lourdes charges, laissaient volontiers les malades subvenir à leurs besoins en parcourant les campagnes et les villes pour récolter des aumônes? N'est-ce pas du moins ce qui se passe pour nos cheminaux que n'inquiètent guère les affiches que les municipalités dressent sur tous les carrefours, où se trouve inscrit en grosses lettres: « La; mendicité est interdite. »

Tant que les léproseries furent exclusivement administrées par le clergé, les règlements concernant l'isolement des lépreux furent appliqués avec toute leur rigueur ; un cérémonial spécial avait même été institué pour procéder à cet isolement. Nous le trouvons décrit, avec quelques variantes suivant la contrée ou l'époque.


LES LEPREUX, LES LEPROSERIES 117

Voici le résumé de ce qu'ils nous apprennent:

Dès que les représentants de la justice avaient reconnu qu'un habitant était atteint de la lèpre, ils mandaient au curé de sa paroisse de le mettre hors siècle. Le jour de la cérémonie étant fixé, on tendait l'église de noir; on plaçait à la porte une civière en cordes, destinée à transporter le malheureux au cimetière. Le lépreux arrivait^ se tenait à une certaine distance des fidèles; là on avait figuré les tombes de ceux qui l'avaient précédé, c'était pour indiquer que la mort le séparait de ses concitoyens.

Le recteur de la léproserie le prenait par la main et le conduisait, suivi de ses parents et amis, devant le choeur. Le prêtre célébrait ensuite la messe des morts, après quoi le lépreux était étendu sur la civière, recouvert d'un linceul, et on le portait au cimetière. Devant une tombe à peine creusée, le prêtre lui mettait par trois fois un peu de terre sur la tête et l'exhortait à la résignation.

Un cortège se formait et on se dirigeait vers la léproserie; à la porte se trouvait l'échevin et le syndic de la ville qui, avant d'introduire le lépreux, lui faisaient jurer sur l'Evangile de se conformer aux règlements ; puis on dressait son acte mortuaire ; alors s'ouvrait la porte de la léproserie pour se refermer à jamais sur le malheureux.

A partir du XIe siècle, on supprima dans ce cérémonial l'appareil funéraire; à la messe des morts fait place un messe d'exhortation ; le lépreux est directement conduit de l'église à la léproserie. Voici, d'ailleurs, d'après Grosley, le cérémonial à observer pour mettre un ladre hors le siècle (Extrait des statuts synodaux de Jean Légrisé, évêque de Troyes en 1425):

1° La journée quand on le veupt recepvoir, ilz viennent à l'église et sont à la messe, laquelle est chantée du jour, ou auttrement, selon la condition du curé, et de ne point estre des morts, si comme aulcuns curez sont accoutumés à le faire.

Item. — A icelle messe, le malade doict estre séparé des auttres gens et doibt avoir le visage couvert et embrunché comme pour des trépassez.

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118 LA LEPRE

Item. — A icelle messe doibt offrir le dit ladre et doibt baiser le pied du prestre et non la main.

Item. — A l'issue de l'église, le curé doibt avoir une pelle en sa main et à cette pelle doibt prendre de la terre du cimetière par trois fois et mestre sur la teste du ladre en disant: c'est signe que es mort quant au monde, et pour ce ayes patience en toy.

Item. — La messe chantée, le curé, avec la croix et l'eau bénite, doibt mener le ladre en sa borde 1 comme par manière de procession.

Item. — Quand il est entré en la dicte borde, le curé doibt lui faire les sermons et instructions après escrites en disant en cette manière :

Amy, tu sces, il est bien vrai que le maistre de la Maladrerie, par les lettres présentes à moi, comme bien esprouvé et battu de la maladie de Saint Ladre, t'a dénoncé ladre pourquoi te te défends que tu ne trépasses et offenses les articles cy après escripts :

Primo. — Que en puits ne en fontaine tu ne regarderas et que tu ne mangeras que par toy.

Item. — Que tu n'entreras plus en nul jugement. Item. — Que tu n'entreras plus en l'église, tant comme on fera le service.

Item. — Quand tu parleras à une personne, iras au-dessoubs du vent.

Item. — Quand tu demanderas l'aumône, que tu sonnes de ta tartarelle.

Item. — Que tu n'ysses au loin de ta borde sans avoir vestu ta housse, et qu'elle soit de quamelin 2 sans avoir couleur aucune.

(1) Borde, maison. Ce rituel s'appliquait aux petits villages où il n'y avait pas de grande léproserie.

(2) M. le chanoine Pottier possède un fragment d'étoffe dont les habits

des lépreux étaient faits; elle est épaisse, en majeure partie tissée de

poils de chèvre ou de chameau (d'où le nom de camelin ), à double face

et de couleur brune, elle n'avait reçu, en effet, aucune teinture, sous ce

rapport elle imite les cadis burels.


LES LÉPREUX, LES LEPROSERIES 119

Item. — Que tu ne boives à aultre ruisseau que au tien.

Item. — Que tu aves ton puits et ta fontaine devant ta borde et que tu ne puises à une aultre.

Item. — Que tu ne passes point ne planche sans avoir mis tes gants.

Item. — Que tu ne soyes nulle part hors que tu ne puisses retourner le soir pour coucher en ta borde, sans congé ou licence de ton curé du lieu et de l'official.

Item. — Si tu vas loing, dehors par licence, comme dict est, que tu ne ysses point sans avoir lettre de ton curé et approbation de l'official.

A la fin de ce document, se trouve une phrase latine dont voici la traduction : « Les curés doivent servir tous les droits de l'église sur les lépreux, ils hériteront de leurs maisons, de leurs habits et de leur mobilier existant dans leur habitation ou au dehors ».

Le cérémonial de la mise hors siècle était à peu près le même dans toutes les paroises de France. D. Martène dans le Tome III de son: Antiquis ritibus, rapporte celui qui était suivi à Reims. Sans transcrire ici tous les détails de cette touchante cérémonie, puisqu'ils sont semblables à ceux que nous venons de trouver dans le document déjà cité, je me contenterai d'indiquer ceux qui nous fournissent de nouveaux renseignements sur la vie des lépreux.

Réginald, archevêque de Reims, défend d'abord de donner à la cérémonie un appareil funêbre. Le prêtre, après avoir dit la messe pour les infirmes, doit revêtir un surplis et une étole, doit donner de l'eau bénite au lépreux et le conduire à la maladrerie.

A la porte il l'exhortera à prendre son mal en patience « La séparation dont tu es l'objet, lui dira-t-il, n'est que corporelle; quant à l'esprit, qui est le principal, vous toujours autant que vous fûtes oncques aurez part et portion à toutes les prières de notre mère la Sainte Eglise, comme si tous les jours vous étiez personnellement assistant au service divin avec les autres "


120 LA LEPRE

Après cette allocution le prêtre devait donner connaissance au lépreux des défenses légales qu'il ne devait point enfreindre.

Ces défenses sont analogues à celles édictées par Légrisé, aussi je ne ferai mention que du contenu de certains articles dont on ne retrouve pas substance dans les premières.

Article IV. — Je te défends que tu ne touches à choses que tu marchandes ou achètes, jusques à tant qu'elles soient tiennes.

Article V. — Je te défends que tu n'entres en taverne; si tu veulz du vin, soit que tu l'achètes ou qu'on te le donne, fais le entonner en ton baril.

Article VI. — Je te défends que tu ne habites à aultre femme que la tienne.

Article X. — Je te défends que tu ne touches à enfants; ne leur donne aucune chose.

Article XI. — Je te défends que tu ne boives, ne manges à aultres vaisseaux que les tiens.

Article XII. — Je te défends le boire et le manger avec compagnie sinon avec méseaux 1.

Cette lecture faite, le prêtre prenait de la terre du cimetière et, la répandant sur la tête du lépreux, lui disait : « Meurs au monde, renais à Dieu ! O Jésus mon Rédempteur, vous m'avez formé de terre, vous m'avez revêtu d'un corps, faites-moi revivre au dernier jour ».

Ensuite le prêtre lisait l'Evangile des dix lépreux, bénissait l'habit du ladre et le mobilier de la léproserie et disait, en présentant au malade chaque chose :

" Mon frère, recevez cet habit et le vestez en signe d'humilité, sans lequel, désormais, je vous défends de sortir de votre maison. »

" Prenez ce baril pour recevoir ce qu'on vous donnera pour boire et je vous défends, sous peine de désobéissance, de boire

(1) Au chapitre VI nous donnerons le règlement concernant les ladres de l'Hôpital de Saint-Lazare de Montauban, qui ne diffère guère de ceux que nous venons de transcrire.


DES LÉPREUX, LES LÉPROSERIES 121

aux rivières, fontaines et puits communs, de ne vous y laver, en quelque manière que ce soit, ni vos draps, chemises et autres choses qui auraient touché votre corps. »

« Prenez cette cliquette, en signe qu'il vous est défendu de parler à personne, sinon à vos semblables, si ce n'est par nécessité ; et si vous avez besoin de quelque chose, le demanderez au son de cette cliquette en vous tenant loin des gens et audessous du vent. »

« Prenez ces gants, par lesquels il vous est défendu de toucher chose commune à main nue, sinon ce qui vous appartient et ne doit venir entre les mains des autres. »

« Prenez cette pannetière pour y mettre ce qui vous sera élargi par les gens de bien et aurez souvenance de prier Dieu pour vos bienfaiteurs. »

Le trousseau des lépreux, détaillé dans ce document, devait comprendre: Une cliquette ou tartarelle, des souliers, des chausses, une robe de Camelin, une housse, un chaperon de Camelin, deux paires de drapeaux, un baril, un entonnoir, une courroie, un couteau, une écuelle de bois, un lit étoffé de couette, un coussin et une couverture, deux paires de draps de lit, une hache, un écrin fermant à clef, une table, un escabeau, une lumière, une pelle, une aiguière, des écuelles à manger, un bassin, un pot à mettre cuire la chair. Tous ces objets grossiers étaient bénis par le prêtre.

Cette cérémonie de présentation et de bénédiction accomplie, le curé introduisait le lépreux dans la maladrerie et lui montrant sa cellule, il ajoutait : « Voici ton repos à jamais, tu l'habiteras; cette cellule est l'objet de tes désirs ».

Puis, en face de la porte, on plantait une croix de bois, à laquelle un tronc était attaché pour recevoir l'aumône qu'il plairait aux fidèles d'y déposer en retour des prières du malade. Le prêtre, le premier, y déposait son offrande et les fidèles imitaient son exemple.

On reprenait ensuite le chemin de l'église, croix processionnelle en tête ; une fois réunis dans le sanctuaire, le prêtre criait vers Dieu cette prière: « O Dieu tout puissant, qui par la patience de ton Fils unique, a brisé l'orgueil de l'antique en-


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nemi, donne à ton serviteur la patience nécessaire pour supporter pieusement les maux dont il est accablé! »

A Pâques seulement, il était permis au lépreux de sortir des maladreries pour se mêler aux fidèles.

La dévotion au service des lépreux a été la dévotion particulière au Moyen-Age. En 1200, nous voyons saint François d'Assise prêcher d'exemple en allant habiter les léproseries et soigner ces pauvres déshérités. Il lavait leurs pieds, pansait leurs plaies, en essuyait la pourriture et les embrassait avec amour.

Dieu bénit cette charité : il rencontre un jour sur son chemin un homme de la vallée de Spolète, dont la bouche et les joues étaient rongées d'un horrible chancre et qui voulait baiser ses pieds. François l'en empêcha et le baisa au visage, et le malade fut guéri 1.

Après les Croisades, un ordre de chevalerie, l'Ordre de Malte, qui avait un lépreux pour grand maître, s'adonna plus spécialement au soin des lépreux ; à cette époque, d'ailleurs, on a de nombreux et touchants exemples de l'amour que les fidèles avaient pour ces pauvres malades. On sait que la comtesse Sybille de Flandre, ayant accompagné son mari en terre sainte, lui demande en grâce de rester dans l'hospice de SaintJean-1'Aumônier pour y soigner les lépreux.

Le Canon 21 du Concile de Lavaur dit:

" Qu'on ait une grande compassion, qu'on les embrasse avec une charité fraternelle, les infortunés qui, par l'ordre de Dieu, sont rongés de la lèpre; mais comme cette maladie est contagieuse, voulant prévenir le danger, nous ordonnons que les lépreux soient sequestrés du reste des fidèles, qu'ils n'entrent dans aucun lieu public, les églises, les marchés les places, les hôtelleries, que leur vêtement soit uni, leur barbe et leurs cheveux rasés. Ils auront une sépulture particulière et porteront toujours un signal auquel on puisse les reconnaître. »

Le Concile de Lyon, en 583, Can. 6., confie spécialement le soin des lépreux aux évêques.

(1) La vie de Saint-François d'Assise, par l'abbé Chavin, de Malan,


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Le pape Grégoire II ordonne à Saint-Boniface de ne pas priver les lépreux de la divine Eucharistie.

Le Concile de Worms, en 868, Can. 31, prescrit la même chose.

Par une lettre à l'évêque de Lincoln, le pape Alexandre III ordonne qu'on donne un coadjuteur aux curés atteints de lèpre.

Nous avons dit au début du Chapitre IV que le mariage du lépreux était rompu dès que sa maladie était dûment constatée, cette prescription ne dut pas être longtemps maintenue, car le pape Etienne III, en 748, estimait qu'il ne fallait pas séparer les lépreux, même quand un seul des conjoints était atteint de la lèpre. Le Concile de Compiègne, il est vrai, revient deux ans plus tard sur cette décision et autorise la dissolution du mariage, avec faculté pour le membre sain de contracter une nouvelle union. Sous Pépin le Bref et sous Charlemagne, la même tolérance subsiste, avec cette condition qu'il y ait consentement réciproque des deux parties.

Alexandre III, en 1180, autorise le lépreux à épouser une femme saine ou réciproquement, mais si l'un des époux voulait suivre l'autre, il devait se soumettre à une absolue continence.

Dans la suite, l'Eglise maintint toujours l'interdiction du nouveau mariage ; nous savons que le pape Alexandre XIV refusa au roi d' Aragon, dont l'épouse Thérèse était atteinte de lèpre, le contrat d'une nouvelle union.

Les autorités civiles, par raison d'économie, interdisaient le mariage aux lépreux, car les enfants issus de tels parents restaient à la charge des maladreries et étaient, par suite de l'hérédo-contagion, lépreux eux-mêmes 1.

(1) M. de France m'a communiqué les deux documents suivants qui témoignent que le mariage entre lépreux n'était pas l'objet d'une prohibition absolue ou que, plus tard, les autorités devinrent moins rigoureuses sur ce point.

En 1576 eurent lieu à Montauban les publications en vue du mariage de deux lépreux. Elles furent terminées le 22 février 1573 (M. f° 47). et sont contenues en ces termes au registre de l'Etat civil des protestants


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Les lépreux isolés ou vivant dans les maladreries subvenaient à leurs besoins, soit, le plus souvent, au moyen d'aumônes qu'ils devaient, dans le dernier cas, partager avec les autres lépreux, soit en travaillant les terres faisant partie des biens des léproseries. Ils se prêtaient mutuellement assistance quand l'âge ou la maladie les empêchait d'agir; les plus fortunés se donnaient le luxe d'avoir un lépreux à leur service. Les statuts de plusieurs léproseries portent que si c'était une chambrière, elle devait être d'âge canonique.

Nous avons vu que, d'après les règlements, les lépreux pouvaient sortir de leur demeure à condition d'avoir revêtu le costume qui leur était propre et de sonner de la cliquette ; leur conduite durant ces sorties ne devait pas être très régulière, puisque dans certaines contrées on désignait les lépreux sous le nom de pillards. On retrouve aussi plusieurs arrêtés ayant pour objet de réprimer leur sortie en bandes; le peuple fut obligé, dans certains cas, de se faire justice lui-même.

A Auvillars, un lépreux fut brûlé pour avoir jeté quelque mixtion malsaine dans la fontaine publique; en 1318, à Toulouse, on découvrit que les lépreux, suscités par les juifs, avaient empoisonné les fontaines dans plusieurs villes du

de Montauban : « Dimanche 22 février 1573 ont été achevées les annonces suivantes : Entre Guilhaume Valrue, natif de chasteau Sarrasin, d'une part; et Marguerite d'Amors, mallades de la lèpre, tous deuce de Montauban (Mariages, f° 47).

D'autre part, nous voyons au registre des délibérations du Consistoire des Protestants de Montauban (1595-1598, le seul, du reste, que existe aux Archives dudit Consistoire, la mention d'un mariage contracté en 1594 entre deux lépreux. Voici le passage : « Le 9 nécembre 1598, la fille du malade de la maladrerie de ceste ville s'estant mariée, il y a quatre ans, avec le malade du Claux, a espousé à la Papaultée, elle doit être pour ce fait fortement réprimandée; mais veu sa qualité (de lépreuse) elle ne sera pas frappée d'interdiction. « On les recepvra à la participation à la Sainte Cène du Seigneur, veu leur repentance. » (Fol. 356 v°).

Il est clair que leur participation à la Communion devait manquer de charme pour ceux qui devaient communier après eux à la même coupe. Mais on ne donne pas d'autre explication.


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royaume, particulièrement dans le Languedoc, jetant dedans certaine mixtion composée de sang humain et de quelques herbes afin d'engendrer la peste et s'enrichir de la calamité publique. Le peuple, sans autre formalité de justice, en brûlait autant qu'il pouvait s'en saisir; mais les juges, pour obvier à cette violence, les sauvèrent et condamnèrent seulement ceux qui furent reconnus coupables.

Les règlements intérieurs des léproseries étaient cependant assez sévères en ce qui concerne la conduite des malades, témoin celui que cite le docteur Puech, dans son ouvrage « des Léproseries de Nîmes », il est vrai que ce règlement porte la date de 1486, tandis que les incidents que je viens de relater sont de près de deux siècles antérieurs.

Dans la réglementation des léproseries du Languedoc nîmois, nous trouvons :

1° Tous les ans, les consuls éliront un prévôt ou major; il sera pris parmi les lépreux et devra prêter serment de bien régir la maison, de veiller à l'observation des statuts et de s'y conformer.

En cas de contravention il sera révoqué et payera une amende de 25 sous qui sera employée aux réparations de sa maison.

L'article 11 stipule les conditions auxquelles les habitants de la ville sont reçus : ils devaient payer à leur entrée une somme de quinze livres et apporter un lit et divers objets mobiliers; les pauvres payeront selon leur conscience, à défaut de ressources ils seront reçus pour l'amour de Dieu. Les étrangers ne seront reçus que sur le vouloir des consuls, payeront vingt-cinq livres et apporteront le mobilier.

III. En entrant chaque malade jurera de se conformer aux règlements, de rechercher utilité et avantage de la maison sous peine d'être exclu et perdre tout ce qu'il a apporté.

L'article IV porte qu'il est défendu aux lépreux de se quereller. Ceux qui contreviendront à cette défense perdront, pour la première fois et durant une semaine, leur droit aux quêtes, à la seconde fois ils paieront dix sous applicables au luminaire de Saint-Lazare, à la troisième fois vingt sous, à la quatrième ils seront expulsés et perdront tout ce qu'ils ont apporté.


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L'article V vise les voies de fait, les injures, ceux qui ne veulent pas vivre en paix. La première fois ils seront, durant un mois, privés de leur droit aux quêtes, deux mois à la suivante, trois mois à la troisième fois et expulsés à la quatrième.

Je passe les articles VI et VII dont le premier porte exclusion immédiate si les lépreux et lépreuses ont commerce entre eux à moins qu'ils ne soient mariés.

L'article VIII défend aux lépreux de tester à moins de legs pris pour le salut de leur âme ou qu'ils n'aient des enfants, auquel cas ils doivent avoir autorisation des consuls.

Les quatre derniers articles ont pour objet l'obéissance au prévôt, l'assistance aux offices et prières en commun.

Nous avons vu qu'il était défendu aux lépreux d'intenter procès, d'intervenir de toute manière en justice, de procéder à aucun acte civil, néanmoins on trouve trace, dans beaucoup de villes, d'actes d'achat ou de vente faits par des lépreux tant pour leur compte personnel que pour celui de leurs frères et soeurs de maladrerie quand il s'agit de biens faisant partie de la léproserie à laquelle ils appartenaient.

Lorsqu'un lépreux mourait, son corps n'était pas transporté à l'église, sauf peut être dans celles où il y avait une chapelle, une partie de la nef ou des bas côtés qui leur était réservée. Le corps était inhumé dans un cimetière spécial, comme il en existait dans les grandes villes, ou dans une partie du cimetière commun dans les localités de moindre importance.

Quelques riches lépreux à la suite de dons ont obtenu d'être enterrés dans des abbayes. Il est probable enfin que la plupart des léproseries étant entourées de terres et de jardins, une portion de ces terrains était affectée à servir de cimetière.

Les lépreux étaient-ils soumis à quelque traitement curatif sérieux ? C'est un point difficile à éclaircir, car à part quelques médicaments empiriques (où la chair de crapaud et de vipère entrait pour une large part) nous ne trouvons pas trace de méthode thérapeutique qui leur ait été couramment appliquée. Il faut néanmoins noter que le traitement thermal a été employé contre la lèpre; une piscine de Dax porte encore le nom de piscine des lépreux.


LES LÉPREUX, LES LÉPROSERIES 127

J'ai eu l'occasion de dire que l'on voit assez souvent cités des cas de guérion de lépreux; mais on doit se demander s'il s'agisait bien de lépreux ou si ces malades n'étaient pas plutôt affectés d'une autre maladie ayant avec la lèpre quelque point de ressemblance.

CHAPITRE VI

LES LÉPROSERIES DU TARN-ET-GARONNE

Je serai obligé de ne donner qu'une monographie bien incomplète des nombreuses léproseries qui furent créées dans notre département et ceci pour plusieurs raisons ; d'une part, pour certaines il n'existe plus ou il m'a été impossible de retrouver le moindre document les concernant, beaucoup de registres des Fabriques remontant à l'époque où celles-ci les administraient ayant depuis longtemps disparu ; de l'autre, le temps matériel m'a manqué pour dépouiller les volumineuses archives dans lesquelles on pourrait retrouver trace de donations, de ventes ou d'échanges faits en faveur des maladreries.

Dans certains villages l'appellation d'un lieu témoigne seule qu'une léproserie a dû exister dans la contrée ; c'est ainsi, par exemple, qu'à Mordagne on désigne une fontaine sous le nom de : fontaine du Camp des Ladres, elle est située à 2 ou 300 mètres au sud-ouest de l'Eglise. Mais il ne reste plus trace des bâtiments. Il n'est pas rare de trouver des croix (dites: croix de la Malaoutio) sur l'emplacement ou au voisinage des lieux occupés autrefois par les Maladreries ; ceci est certain pour la croix située à Bessac, non loin de Puylaroque ; à Pomponne, à la bifurcation de la route d'Ardus et de celle de Fonneuve, s'élève une croix qui porte aussi le nom de croix de la Malaoutio; c'est en effet dans ces parages que s'élevait, ainsi que nous le verrons plus loin, la maladrerie de Montauban. Parfois l'unique indication de l'existence d'une léproserie consiste en un seul acte de donation fait pour son édification ou son entretien, c'est le cas pour celle des Faydits aux environs de


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Corbarieu dont le terrain et les sommes nécessaires pour la construction de la maison et de la chapelle furent donnés par noble dame de Terride, aliàs Daudibert, suivant acte passé le 21 mars 1497 par devant maître Blania, notaire à Montauban. La copie originale de cet acte faisant partie des archives de la Société archéologique de Tarn-et-Garonne il m'a été possible d'en disposer et de reproduire cette pièce dans son entier:

« Anno Domini millesimo quadringentesimo nonagesimo septimo et die vigesima prima mensis martii, apud juridictionem de Curvorivo, constituta personnaliter videlicet nobilis Maria de Terrida, alias d'Audibert, quae gratis coram me notarium et testibus infra scriptis dixit et asseruit quod dudum ipsa decreverat quamdam petiam terrse continentem tres cesteriatas terrae sitam et positam in honore de Curvorivo et territorio dels Faydits confrontantem et tenentem cum itinere per quod itur apud Tolosam, et ab alia parte cum quodam alio itinere vocato dels Faydits, et ad alia parte cum terris Arnaldi Furbeire et suorum fratrum, et ab alia parte cum terris Antonii Abrial, et cum suis aliis confrontationibus, quae quidem terra; moventur ab ipsa, sub dominatione feudalli pro edifficatione cujusdam domus pro recolligendo homines tactos morbodenrae etiam, domus et ecclesia est edifficata et faciunt moram nonnulli infirmi, et cum de prasmissis nullus fuisset factum instrumentum est que igitur sciendum quod dicta Domina in prsesentia gratis et ponte dictam terram superius limitatam cum tota sua juridictione feunalli dedit et concessit et dedicavit pro dicta domo leprosorum opto et retento per dictam Dominam quod ipsa et sui in futurum successores constituent et ordinarent duos procuratores pro regimine dictae domus qui habebunt administrationem dictas domus et infirmorum et quod nullus possit ponere aliquem infirmun nisi cum licentia ipsius Domina; et suorum in futurum successorum et eo casu aliqi is se vellet ponere quod prius non permittatur aliquem ingredi. Item voluit ipsa Domina quod non sunt neque remaneant in dicta domo, nisi tantum modo usque ad numerum octo personarum : item voluit et ordinavit quod toties quoties con-


LES LEPREUX, LES LEPROSERIES 120,

tingerit aliquem recipi in dicta domo, quod receptus adportaverit pro reparatione dicte domus decem libras et lectum munitum, et toties contingerit mori aliquem infirmum, quod domus erit ejus haeres. Item voluit ipsa Domina quod in euni casum quod ipsa decederet seu sui successores descederet sine hoeredibus quod dicta permansio pleno jure pertineat domui de Terrida; item voluit ipsa domina quod toties contigerit infirmps facere pailhardisa in dicta domo, quod procuratores pro dicta Domina et suis successoribus possint illos expellere, et non intendit aliquid facere in prejudicium juridictionis reglae et ipsius Dominae. Testes Dominus Raimondus de Tapia ; Dominus Hugo Manlrieu, presbiter ; Petrus Andrieu, Guilhelmus

Panada, Joannes de la Dom Petrus de la Roqua Junior,

Gaillart Grelleu, Petrus Fotgat, et Joannes La Vela, junior, et dictus magister Arnaldus de Sancto-Genesio, notarius Mohtis Albani, qui dum in humanis vivebat dictum instrumentum in notam sumpsit sed morte preventus illud in formam publicam minime redigere valuit ; idcirco ego jam dictus Blania, notarius et coadjutor prasdicti Joannis Sudre, principalis collationari librorum et instrumentorum dicti de Sancto-Genesio, ad expedienda instrumenta et alia acta per eumdem de Sancto-Genesio excepta ex libris coadjurorialibus superius insertis, obtemperando preceptis et injunctonibus virtute litterarum insert tarum mihi factis, dictum instrumentum in praesentem formam posui et expedivi et facta collatione cum dicta nota hic me subscripsi et signo meo quo utor in meis publicis actibus authenti in fidem premissem sequenti signavi.

BLANIA, notaire de Montauban.

Le Bret, dans son « histoire de Montauban », en donnant dans le chapitre XI (tome I) la nomenclature des hospices de la ville, nous dit : « Il reste encore quelques terres de l'hôpital Saint-Ladre ou Lazare, hôpital des lépreux, dont une famille de Ladres jouit présentement dans une petite maison que l'on

(1) Cette petite maison fut rebâtie après l'entrée de Mgr le cardinal de Richelieu dans Montauban (Perrin, p. 52).


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a rebâti sur la place où était cet hôpital, l'église, le logement des ladres et du chapelain qui servait cette église ayant été démolis ».

Cet hôpital de Saint-Lazare est mentionné dans un règlement fait, en 1562, par les consuls concernant les ladres qui y étaient reçus. Il était édifié près du quartier aujourd'hui Villenouvelle ; les consuls le firent raser avant le siège de 1621, afin d'éviter que les troupes royales allassent s'y loger (Archives de l'Hôtelde-Ville, Livre des Serments, f. 172). La petite maison dont parle Le Bret fut construite en 1629 sur l'emplacement même de l'hôpital primitif. N'y avait-il à ce moment pour l'occuper qu'une seule famille de ladres, comme le dit notre historien, et celle-ci éteinte, la construction devint par cela même sans objet, et fut à son tour démolie ou aliénée ? Je n'ai pu découvrir aucun renseignement sur ce point.

Dans le règlement concernant les ladres que je mentionnais un peu plus haut, nous trouvons quelques détails que je retranscris quoiqu'ils ne diffèrent guère de ceux qui figurent au Chapitre V de cette notice.

« En suivent les statuts et ordonnances faites par Messeigneurs les Consuls de Montalban, sur le fait du gouvernement de la maladrerie des ladres de la dite cité, et pour le bien de la chose publique, l'an 1562.

1° Statue et ordonne qu'il sera paix et concorde entre lesdits malades, qui sont à présent ou seront au temps à venir en ladite maison,- et que l'ung devra ayder et secourir l'aultre, comme bons frères doibvent secourir l'ung l'aultre, tant en santé que en maladie.

Item, que lesdits malades ne recevront ni ne donneront lieu à aulcuns malades estrangiers pour venir demeurer en ladite maison, sans le vouloir sien et congiez des procureurs qui sont le régime d'icelle, sur peine, d'être privés de leur lougis en ladite maison.

Item, que en ladite maison ne seront lougiés les malades, sinon qu'ils y soient eslus pour y faire résidence continuelle, excepté que quand Dieu perenterait aulcun habitant de ladite ville, de la ladrerie, ledit malade pourra être lougié dedans


LES LÉPREUX, LES LÉPROSERIES 131

ladite maison par les consuls en payant l'entrée comme les aultres, se ils ont de quoy.

Item, que chacuns malades, qui seront lougiés dans ladite maison, quand viendra la fin de leurs jours,seront tenus de laisser à ladite Ladrerie, la tierce partie des biens qu'ils auront acquis depuis leur séparation des sains; et se cas estait qu'il y en eust aulcuns qui n'eussent point enfants de loyal matrimonie, seront tenus de laisser la moitié de leurs biens, et que aultrement ne puissent disposer de leurs biens en leur testament.

Item, font inhibition et défense lesdits Consuls à tous malades lougiés en ladite maison que ne ayent à renier ni blasphémer Dieu ni les saints, précieux corps, ventre, ni playes, ni la Vierge, ni saints, ni saintes de paradis; et ce sur peine de une torche de la pesanteur de une livre, payée à la luminaire de Monseigneur Saint Lazare, et d'estre privé de sa part de l'escuelle que l'on amasse à ladite maison, par un mois, et le majorai sera tenu de le révéler au procureur de ladite maison, pour lever ladite livre de cire; et se estait le cas que ledit Majorai ne le révélât pas audit procureur, il encourra estre mis au collier.

Item, font inhibition à tous les malades privés ou estrangiers, qu'ils ne se groignent à injurier les ungs les aultres de fait ni parole, sur peine de une demi-livre de cire, à la luminaire de Monseigneur saint Lazare et estre mis au collier.

Item, que aulcuns malades estrangiers ne pourront lougier en ladite maison plus long de un ou deux jours, sans congiez du procureur ou majorai de ladite maison, sinon que lesdits malades fussent tels que ne s'en puissent aller par contrainte de maladie ou aultre empeschement légitime:

Item, ne sera permis à aulcun malade estrangier de faire queste au temps des bleds ni des vins, en toute la juridiction de Montalban.

Item, que lesdits malades ne ayent à recueillir ni de nuict ni dejour, en ladite maison, aulcun malade privé ou estrangier, qui vienne de loin infect de peste ou de épidémie;' et ce sur peine de estre privé de rester dedans la ville par ung mois.


132 LA LEPRË

Item, que degun malade de ladite maison ne ayent à faire pailhardises, ribaudises, ne villainies l'ung l'aultre en ladite maison, ni se adjouster en femmes publiques,, femmes réputées , et ce sur peine de estre privés par tous temps de

ladite maison et de perdre tout ce qu'ils auront vaillant en ladite maison.

Item, que les malades de ladite maison qui feront la queste, le dimanche et les aultres festes accoutumées, à la porte des églises de Montalban, rendront bon et loyal compte aux aultres malades de ce qu'ils auront ramassé dedans l'escuelle; et ce sur peine de estre privés de ladite maison et de ce qu'ils y auront apporté.

Item, que aulcuns malades ne ayent à donner à manger ni à boire, dedans ladite maison, à quelque personne qui ne fut touchée de ladite maladie de ladrerie, et qui ne fut séparé des sains par les seigneurs qui ont la charge de la justice. Et aussi ne permettront entrer en ladite maison aulcune personne, qu'ils ne soient deux de compagnie, si ce sont hommes, et quatre si ce sont femmes, lesquels par charité voulussent visiter ladite maison, excepté ouvriers fustiers ou aultres, qui eussent besoin y entrer pour faire réparations ; pour le dangiers que les MM. Consuls ont trouvé qu'il en pourrait advenir à la chose publique; et ce sur peine de estre privés du lougis de ladite maison, et de faire amende à ladite maison de 2 livres tournois, ou aultrement à l'arbitre de MM. les Consuls.

Item, que degun ou degune malade ne ayt à entrer dans ladite ville pour aulcune chose, sinon tant seulement ung desdits malades pour faire la queste chaque jour de mardi, jeudi et vendredi ; et si en aulcuns desdits jours y a marché feront la queste le jour précédent, laquelle queste feront sonnant leurs cliaquettes, et l'auront faite à dix heures du matin, et en caresme à unze heures ; et ne leur sera pas permis ni entrer dedans ladite cité, faite la queste, sur peine de estre privés de faire ladite queste par ung mois.

Item, que en ladite maison sera une capse avec trois clefs, en laquelle capse mettront l'argent, quand les malades paye-


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ront la intrada; desquelles clefs le majorai tiendra une, le pauvre eslegit par lesdits malades, l'aultre et le procureur de la maison l'aultre.

Item, les présentes ordonnances seront mises en escrit en parchemin et seront pendues au tinel de ladite maison de ladite Ladrerie, afin que nul malade ne puisse prétendre ignorance d'icelles; lesquels seront lues à chasque malade qui sera reçu pour lougier en ladite maison, et seront tenus lesdits malades de jurer sur les quatre saints évangiles de Notre Seigneur d'observer les choses contenues en icelles ordonnances. »

A Montauban, comme dans la plupart des autres cités, il était donc défendu aux lépreux de pénétrer dans la ville sauf à certains jours et à certaines heures et encore devaient-ils signaler leur présence en sonnant de la cliquette afin que le public pût se garder de leur contact; nous verrons tout à l'heure qu'à Saint-Antonin, lorsqu'il était permis aux lépreux de franchir les murs de la ville, les habitants devaient rentrer chez eux et fermer leur porte.

Moissac au XIIe siècle possédait trois léproseries dont les biens furent plus tard réunis à ceux des hôpitaux ; l'une d'elles, désignée sous le seul nom de léproserie de Moissac, reçut en 1269 une aumône de 60 sols d'Alfonse de Poitiers; la Léproserie de la porte d'Arse subsista jusques en l'an 1696, époque à laquelle ses biens furent unis à l'Hôpital Guilaran, en vertu de lettres patentes du mois d'octobre (Lagrèze-Fossat, Etudes historiques sur Moissac). Cette léproserie de la porte d'Arse était en 1648 d'un revenu de 800 livres et avait l'évêque de Cahors pour patron (Aillot, Pouillé-Général de l' archevêché de Bourges et de Cahors). Je n'ai pu élucider si c'est à cette dernière ou à celle désignée « léproserie de Moissac », que par suite d'une transaction intervenue en 1598 entre l'abbé de Moissac et les religieux, l'abbé devait fournir tous les ans à l'Hôpital des lépreux une prébende de deux pipes de vin (Minutes Andurandy, n°s 1194 à 1196 et 1206).

La troisième léproserie de Moissac se trouve mentionnée dans l'histoire abrégée de l'abbaye de Moissac par le passage suivant : « Quelques religieux jaloux de ce que les reliques de 1907 10


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Saint-Ansbert reposaient! dans l'église de Saint-Martin, les avaient enlevées et translatées où elles sont ; ils furent si fort infectés de lèpre qu'on fut obligé de les mettre hors du couvent dans une maison qu'on nomme encore Ladrerie des Moines et qu'on voit depuis peu mise en assez bon état dans un faubourg de Moissac appelé jadis quartier de Saint-Ansbert et de SainteCatherine.

Ces trois léproseries se trouvent encore désignées d'une façon générale par le passage suivant que nous trouvons dans l'ouvrage de Lagrèze-Fossat (T. III, p. 429) « Seguin de Marcaisson fait don, en 1178, au Monastère de Moissac de l'honneur de la poularie (pullaria) sous les conditions qu'une

partie des revenus serviront à acheter sur la place du poisson ou autre chose pour nourrir trois autres pauvres certains jours, et distribuer par portions égales à trois maisons de Ladres trois setiers de froment et trois charges de vendange ».

Il y avait aussi à Moissac trois digitaries ou malaoutios qui recevaient les malades convalescents des hôpitaux. L'une était la malaoutio de Saint-Michel qui se trouve désignée, en 1218, dans un acte de vente d'un cazal qui en était voisin; l'autre celle de Guilaran, s'élevait sur l'emplacement aujourd'hui occupé par l'Hôpital, dans la rue nommée de la Digitarie de Guilaran, il en est fait mention dans une série de reconnaissances faites, en 1237, à G. de Saint-Geniez, abbé d'Eysses. On ignore où était située la troisième, dite de Saint-Ansbert, mentionnée dans un titre de 1292 (Lagrèze-Fossat, Etud. hist. sur Moissac).

Tout ce que l'on sait sur la maladrerie de Castelsarrasin, c'est qu'elle existait encore en 1560; époque à partir de laquelle elle fut réunie à l'Hôpital de N.-D. d'Alem (Archives de Tarnet-Garonne, G. 209 et Procès-Verbal des bénéfices du diocèse).

Hors des murs de Saint-Antonin, au lieu d'Orbaneste, quartier des Ondes, sur la rive droite de l'Aveyron, à 1,200 mètres à l'Ouest de la ville, s'élevait une maladrerie que nous trouvons toujours désignée sous le nom de Maladrerie d'Orha-


LES LÉPREUX, LES LEPROSERIES 135

neste. Les Consuls qui en avaient nommé commandeur Raoul Bach, lui cédèrent par acte du 30 juin 1307, reçu par Guillaume Fogacié, notaire, tous les revenus de charité de la ville pendant dix ans, à la charge par lui de faire rebâtir les moulins de ladite maison situés dans la juridiction de Saint-Antonin : le moulin de la Grave et le moulin des Malades (Arch. de Saint-Antonin, GG 36). Ce titre est le plus ancien que l'on ait découvert concernant Orbaneste. L'église qui y fut construite pour l'usage exclusif des lépreux figure parmi celles auxquelles Guillaume de Valentré fit, en 1334, un grand nombre de legs pieux. Les malades reçurent 12 deniers et l'église 4 deniers pour son luminaire.

En 1355, Géraud, du Bosc, fait don à la Maladrerie d'une vigne située près l'oseraie de l'Hôpital des lépreux (Albarède de los Malaoutès).

Les comptes consulaires font mention de réparations faites, en 1599, à la léproserie sur la réclamation de Jean Roques, pauvre lépreux.

Le 3 mars 1677, nomination de boursiers et d'un coadjuteur auditeur des comptes de l'Hôpital Majeur et de la directe de la Maladrerie d'Orbaneste (Arch. de Saint-Antonin, BB. Délibérations des Consuls).

Une délibération consulaire du 5 décembre 1678 expose que: Honoré Dumay, délégué de l'Ordre de N.-D. du Mont-Carmel et de Saint-Lazare a fait acte aux Consuls, pour réunir au dit ordre, la Maladrerie de Saint-Antonin, en venu de l'Edit de mars, 1672.

La maison d'Orbaneste avait été dirigée auparavant et jusquesà 1561 par un commandeur, par un syndic jusques à 1583, par un régent à partir de 1610, jusqu'au moment où elle fut confiée à l'ordre de Saint-Lazare et enfin elle fut réunie à l'Hôpital majeur de Saint-Antonin 1 par lettres patentes du

(1) Il n'est pas hors de propos de faire remarquer que l'Hôpital de Saint-Antonin est un des plus anciens de France ; dans des archives se trouvent des pièces établissant qu'il existait déjà en l'an 800.


136 LA LÈPRE

roi, datées des 24 février et 8 octobre 16962 (Arch. de Mlle Rous, jugement du Sénéchal de Villefranche, 27 mai 1610.)

Du côté Nord-Ouest de Caylus, sur le rocher qui domine la ville, était bâtie une chapelle dédiée à Sainte-Catherine. Par son testament de l'année ,1343, noble demoiselle; Raymonde de Cardailhac légua une demi-livre de cire à cette chapelle de la maison des lépreux. En 1437, la maladrerie ne contenait plus aucun lépreux, les consuls affermèrent les bénéfices de la chapelle Sainte-Catherine à Bernard Vayssié, prêtre, de sa vie durant, sous la condition qu'il l'entretiendrait et y dirait la messe tous les quinze jours, et au cas où il viendrait un lépreux, la remettrait aux consuls pour céder la place aux malades atteints de la lèpre (communication de M. l'abbé Galabert).

Le 19 mars 1587 les consuls en firent murer la porte, afin que les pestiférés ne pussent y entrer. Cette chapelle, bâtie en ogive et soutenue par des contreforts sculptés, fleuris, avait 20 mètres de long sur 5 mètres de large, elle n'a été démolie qu'en 1835.

Depuis bien plus longtemps ont disparu la Maladrerie ou les Maladreries de Caylus ; l'une fut fondée au voisinage de la chapelle Sainte-Catherine à la fin du XIIIe ou au commencement du XIVe siècle et remplaça très probablement une autre léproserie plus ancienne, située au milieu des vignes et à 500 mètres au nord de la chapelle dont M. l'abbé Galabert a retrouvé des ruines.

(2) Un arrêt du parlement de Toulouse, du 6 mai 1670, avait essayé de Soumettre à la taille les biens de la léproserie d'Orbaneste et de les unir à cette époque à ceux de l'Hôpital Majeur, néanmoins cette léproserie continua à vivre de sa vie propre et à recevoir des malades, c'est ce qui résulte d'un contrat de mariage figurant aux minutes de Jean Phillipy, notaire à Saint-Antonin et dont voici le principal. « Le 3 avril 1671, Barthélemy Bergounham, lépreux de la léproserie de Gourdon, assisté de son oncle, Antoine Favres, lépreux de la léproserie de Monclar-en-Agenais, a épousé à la ladrerie d'Orbaneste, Isabeau Roques, aussi lépreuse, fille de lépreux, dont la dot est de 30 livres, plus 5 livres pour l'achat d'une robe de raze grise


LES LÉPREUX, LES LÉPROSERIES 137

En 1380 Esclarmonde de Crébessac, veuve de Guillaume Roques légua à un hôpital et à une léproserie sise à Puylaroque, au lieu dit de Bessac, une somme de 2 sols tournois petits (note de l'abbé Razoua). Un dolmen, brisé durant le XVIIIe siècle, situé auprès de Puylarroque, au lieu dit de la Maladrerie, portait au moyen-âge le nom de « La toumbo des Ladres ».

Tout près de Loze, il existait une église dédiée à Saint-Géry, ou Didier, dont on ne voit plus qu'un pan de mur et une lucarne romane, au dessus de l'ancien village ou de l'ancien château de la Roque de Loze, totalement disparu aujourd'hui. Près du lieu dit des Tourrettes s'élevait une Malaoutio mentionnée dans un cadastre de Loze de l'an 1593.

A Espinas existait un hôpital de lépreux dont il est question dans un partage du 3 septembre 1272, dans un titre de 1337 et dans un lauzime fait le 26 juin 1421, par Ratier de Lafon, seigneur de Féneyrols, de la vente d'une pièce de terre contiguë à cet hôpital (communication de M. l'abbé Galabert).

Au XIVe siècle existait à Caussade une Maladrerie à laquelle certaines maisons de Cahors faisaient, en 1350, rente de toile blanche et de 60 sols par an (Emile Dufour. La commune de Cahors au Moyen-Age, p. 88).

La même source indique que la léproserie d'Espanel, dont il ne reste plus de traces, recevait de plusieurs maisons situées dans la ville de Cahors une rente de toile blanche. La léproserie d'Auty recevait une rente semblable.

En 1269, Alfonse de Poitiers fait don de 60 sols à la léproserie de Lauzerte, établissement que nous voyons subsister au XVIIe siècle et appartenir alors à l'ordre de Saint-Lazare.

Il est question pour la première fois, dans un acte du 17 juillet 1497, de la léproserie de Lavit. Par ledit acte les consuls y reçurent moyennant une somme de dix écus, Raymonde del Pujols, originaire de Saint-Aurelle,atteinte de la lèpre; il n'est pas, toutefois, douteux que cet asile existait depuis longtemps à Lavit. Le dernier acte qui le mentionne est un testament de Raymond Malaurens, habitant de Lavit en date du 9


138 LA LÈPRE

septembre 1522, contenant un legs de six deniers petits en faveur des lépreux de cette ville (minutes de Me Gailhard, notaire à Lavit).

Les fonds de l'ordre de Malte, cote Lacapelle (archives de la Haute-Garonne, liasse 10, n° 1. Inventaire général n° 80) mentionnent la Maladrerie de Parisot au nombre des confronts d'une terre que Raymond, duc de Narbonne, comte de Toulouse et marquis de Provence, donne anx Chevaliers du Temple, en 1258, le samedi après l'Assomption; cette Maladrerie est également mentionnée dans un manuscrit de la mairie de Parisot contenant la liste « des fiefs qui font rente à Me Jean de la Valette-Parisot, seigneur dudit lieu » (1).

La léproserie de Parisot était située à l'extrémité nord de la paroisse, non loin du lieu dénommé Pech-Laumet ou mieux lous Aoubars (les Saules); cet emplacement est bien connu dans la contrée, on y trouve, en effet, une fontaine dont l'eau légèrement purgative est mise à profit par les habitants des vilages voisins, qui, à peu de frais, viennent y faire une cure, un lavage serait-il mieux dire, puisqu'on les voit absorber jusqu'à vingt verres à la filée, estimant sans doute, que la quantité doit racheter le peu d'activité de la foun purgaïro.

Des sources de propriétés analogues (Boudourisse aux environs de Puylagarde, Miracle près de Caylus etc. etc,) ne sont pas rares dans la région liasique qui constitue la partie N. E. de notre département. Leurs eaux, très chargées en sels calcaires et magnésiens, sont considérés par les hygiénistes, si on les ingère d'une façon habituelle, comme favorisant le développement des affections goitreuses, assez fréquentes, en effet, dans les cantons de Caylus et de Saint-Antonin.

(1) Joseph Lombart, Parisot, Histoire d'une localité de l'ancienne province du Rouergue.


UNE

Correspondance Berlinoise

DE

FILS DE RÉFUGIÉS

(1762-1872)

PAR

M. l'Abbé FIRMIN GALABERT

Membre de la Société

Jean-Michel Palmié, huguenot de Caussade (en Quercy), était allé rejoindre à Berlin son oncle Antoine, réfugié de la première heure, et qui avait levé une boutique d'apothicaire, après avoir épousé une demoiselle Arquié ou Darquié, réfugiée comme lui.

Jean-Michel épousa sa cousine-germaine et mourut en 1771. Son fils, Antoine-Thomas, né en 1739, entreprit, sous la raison commerciale Jean-Michel Palmié et fils, un grand commerce de vins. C'était son cousin Jean Palmié, de Caussade, qui faisait les envois ; à la mort de ce dernier, Thomas Thuet, non neveu, devint le fournisseur du négociant berlinois, et lui expédia annuellement 400, 600 et même 800 barriques de vins de Cahors, de Gaillac et même des grands crûs du Bordelais. L'énorme correspondance à laquelle ce commerce et les liens de parenté


140 UNE CORRESPONDANCE BERLINOISE

donnèrent lieu, est tombée entre mes mains ; je crois que les extraits suivants présentent quelque intérêt.

Le 23 juin 1772, Antoine-Thomas Palmié écrivait à son cousin Thomas Thuet:

" Je vous ferai part d'un événement qui peut-être sera déjà parvenu à votre connaissance ; c'est une fête solennelle que la colonie française de Berlin a célébrée. Le 10 de ce mois, il y avait cent ans qu'on y avoit prêché pour la première fois aux François qui avoient quitté la France treize ans avant la Révocation de l'Edit de Nantes. Je ne puis vous dire comment cette journée a été touchante tant par les souvenirs qu'elle rappelait que par l'intérêt qu'on y a vu prendre à nos concitoyens MM. les Allemands. Les églises ont été furieusement pleines ce jour-là et les aumônes très abondantes. M. Erman, qui a prêché le matin au Werder devant la Cour, a eu la plus nombreuse et la plus belle assemblée du monde, a fait des merveilles. La compagnie du Consistoire a fait frapper, avec le consentement du roi, une médaille en souvenir de cette journée, et y a joint un mémoire historique du progrès de l'Eglise française pendant la révolution du siècle ; ces pièces sont fort curieuses ; on a fait imprimer cinq sermons, les principaux qui ont été récités ce jour-là. J'ai cru vous faire plaisir en vous envoyant toutes ces pièces; j'ai remis le tout à M,. Prévot qui se trouvait à Berlin le jour du Jubilé, avec prière d'en faire un paquet et de le remettre à un capitaine de confiance qui partiroit pour Bordeaux. Je vous conseille cependant de prendre vos précautions, attendu que la France n'est rien moins que flattée de tout cela. Ce n'est pas qu'on n'ait envoyé beaucoup de ces médailles en France. Je sais que MM. les régisseurs [français des douanes] en ont beaucoup acheté, mais il faut éviter de vous faire des affaires. »

Du 18 décembre 1779, il y a une lettre qui raconte l'affaire non du meunier Sans-Souci, mais d'un autre meunier dont le grand Frédéric prit en main la cause, en secouant un peu rudement les juges négligents:


DE FILS DE REFUGIES 141

« Vous serez peut-être curieux de savoir le précis d'une révolution qui a eu lieu ici, il y a aujourd'huy huit jours. Le Roi, ce père de la patrie qui ne s'occupe nuit et jour que de ce qui peut intéresser son royaume et ses sujets, a entrepris de venger ceux-ci de l'injustice de la justice. On lui a rapporté qu'un meunier avoit été condamné injustement, et qu'il avoit par cela même été ruiné. Il a ordonné qu'on revit le procès; malheureusement le premier corps de justice a confirmé les précédentes sentences sans faire de nouvelles recherches. Le roi, indigné de ce procédé, a fait venir chez lui samedi dernier, le grand chancelier et les trois conseillers qui avoient jugé en dernier lieu l'affaire. En la présence de ces derniers, il a cassé son grand chancelier et ensuite il s'est adressé à ces jeunes gens qui, comme vous pouvez croire, mouroient de peur. Il leur a demandé s'il étoit permis d'oter à un laboureur sa charrue et de le punir ensuite de ce qu'il ne payoit pas ses redevances; en second lieu, si un meunier à qui on oteroit l'eau, par conséquent la faculté de moudre, pouvoit être condamné pour n'avoir pas pu payer ses redevances. Ils ont répondu non, et s'étant par cela même condamnés eux-mêmes, le roi les a fait mettre dans une prison très ordinaire où on leur a fait le procès, et on est.fort impatient d'en voir les suites; on espère cependant que cela n'ira pas plus loin. Ce sont d'ailleurs trois honnêtes gens à qui le sort en a voulu. L'un, savoir celui à qui le roi a parlé seul, se nomme Fredel, il est parent de ma femme ; vous l'avez vu à mes noces. Le second se nomme Ramsleben, il est le gendre de M. Pascal Humbert, neveu de la vieille cousine Humbert. Le troisième est indifférent pour vous et pour moi. Le roi ne s'est pas contenté de cela ; il a dicté à un de ses conseillers du cabinet un protocole au sujet de cette affaire, lequel a été imprimé dans les papiers publics.

« Quoique ce soit en langue allemande, je vous l'envoye; cela grossira un peu le paquet, mais, vu la rareté du fait et son contenu vous me saurez gré, j'espère, de l'envoy.

« Vous y verrez un roi qui parle comme aucun roi n'a sûrement jamais parlé, puisqu'il déclare que tout homme, et même un mendiant, est un homme comme le roi, et qu'un prince n'est


142 UNE CORRESPONDANCE BERLINOISE

pas au-dessus de tout autre homme en justice. Je m'abstiens de vous en dire davantage, le papier imprimé vous dira le reste. On attend au premier jour celui qui remplacera le grand chancellier, il y aura assurément de terribles changements dans les justices. Dieu veuille que ce soit pour le bien des sujets, car pour le général il faut avouer que les procès ont écrasé presque tout le monde ; les gens de justice sont les seuls qui soient riches, qui ayent à faire et qui fassent figure; les avocats ont la plupart fait bien du mal, aussi quand on leur oteroit un peu de leur pouvoir, cela ne seroit pas si facheux. On plaint le grand chancelier qui a toujours passé pour un honnête homme, mais aparemment qu'il n'étoit pas un homme assez vigoureux pour s'opposer au désordre. Mais représentez-vous l'enthousiasme des sujets qui voyent leur roi s'occuper luimême à leur faire rendre justice ; ceci est peut-être sans exemple et immortalisera ce grand homme. Peut-être tout le monde ne pense pas et ne parle pas comme moi, on s'arrête trop au malheur de certains individus et on n'envisage pas comme on le devroit l'intention qui a fait agir le prince magnanime. Ah ! si vous aviez un tel roi, que deviendroit le reste du monde ! »

Voici comment Palmié annonce à son cousin, le 19 août 1786, la mort du grand Frédéric:

" La nouvelle affligeante qui vient de mettre ce pays dans le deuil, c'est la mort du grand Frédéric, décédé mercredi à 2 heures du matin ; après avoir souffert beaucoup, il est mort comme un héros et je doute que son semblable reparoisse de sitôt sur la face de la terre. Malgré les terribles souffrances de l'hydropisie, de la goutte et de nombre d'autres maux réunis, il a travaillé aux affaires d'Etat jusqu'à la fin et il n'a perdu connaissance que dans la journée de mercredi... »

La mort de ce prince amena un grand changement, les Français, qui régissaient les douanes et même les finances, furent congédiés, ainsi que le constate une lettre du 21 novembre 1786:

« M. de Launay, chef de la régie, a son congé, le directeur Grodait, avec lequel vous avez voyagé en 1766, a été congédié;


DE FILS DE RÉFUGIÉS 143

vraisemblablement, tous les Français auront le même sort à moins qu'ils ne connoissent la langue allemande... il y a une commission royale pour examiner les plaintes des négociants et y remédier. On va nous débarrasser de toutes les entraves dont les Français nous avoient accablés... »

D'autres missives nous montrent le soin avec lequel Frédéric faisait manoeuvrer ses troupes lui-même de grand matin : la peine de la bastonnade en usage dans son armée, les déserteurs français, voire même gascons, accueillis dans les régiments prussiens et la difficulté d'obtenir le congé surtout quand on était bon soldat.

L'un de ces déserteurs, Etienne Cabos, dont le frère aîné avait été effigié à Caussade pour je ne sais quel méfait, avait été chassé de Hollande par l'occupation française en 1792 ; dans sa fuite précipitée, il avait perdu ses hardes. Cet aventurier se fit tour à tour barbier, dentiste, parfumeur, engagé au régiment dé Brévern ; il reçut force coups de schlague pour apprendre l'exercice à la prussienne. Sa femme, après avoir capté la succession d'un officier, était, avec son mari et ses enfants, réduite à l'hôpital en 1802.

Une lettre du 18 décembre 1781, après avoir dit que les Humbert avaient eu la grande appréhension de se voir enlever le privilège de Lombards par les juifs de Berlin, annonce que le roi les a soutenus. Sa réponse bien flatteuse pour la colonie française doit être conservée:

« Le roi étant très éloigné de permettre que qui que ce soit empiétât sur le privilège de ses sujets en général et des réfugiés françois en particulier, les inspecteurs du collège françois à Berlin n'ont aucun sujet de s'allarmer que les bureaux d'addresse dans la capitale et à Halle dont les déshérences sont assignées audit collège soient enlevés aux familles françoises qui en ont été gratifiées. Ces familles seront plutôt soutenues dans la jouissance paisible et non interrompue de ces privilèges, et pour cet effet Sa Majesté a non seulement fait donner un refus complet à la demande de quelques juifs qui aspirent au même


144 UNE CORRESPONDANCE BERLINOISE

privilège, mais elle a encore ordonné au directoire général de ses finances que jamais ce privilège ne doit sortir de la colonie françoise ni les possesseurs être troublés et molestés dans son libre et légitime exercice. »

Postdam, 5 octobre 1781. Ecrit de main propre : « M. P. Vous n'aves rien à aprehender de ma part, si je puis vous rendre service, oui, mais vous nuire jamais.

« FRÉDÉRIC. »

Dans une lettre du 28 décembre 1784, on voit que Thomas Thuet consultait son cousin, J.-M. Palmié, sur un projet d'envoyer son frère, Jean Thuet, en Allemagne pour y lever une boutique d'apothicaire. J.-M. Palmié répondit que ce métier était possible il y a quarante et cinquante ans, quand se formèrent les colonies de réfugiés, mais qu'aujourd'hui « les troisquarts des enfants de ces réfugiés vivent et parlent allemand...

" ... Quoyque feu mon oncle (Antoine Palmié) fut un des premiers réfugiés à Berlin et qu'il y eut fondé une des meilleures boutiques, il a eu le chagrin de la voir si fort diminuée, que quelques années après sa mort, j'ai été obligé de la fermer et abandonner entièrement pour me jeter sur le commerce du vin qui m'a, Dieu merci, assez bien réussi. Il en reste encore deux qu'à peine peuvent-elles fournir de quoi vivre à leurs maîtres... »

Voici maintenant une lettre de Jean-Michel, né en 1769, fils aîné d'Antoine-Thomas, lequel, entré tout jeune au séminaire protestant dirigé par le pasteur Erman (1781), s'essayait ainsi d'une façon heureuse à parler le plus pur français ; elle est datée du 4 février 1786.

Après des souhaits de bonne année, à son cousin Thuet, il continue en ces termes dont j'ai respecté scrupuleusement l'orthographe:

« Vous vivez dans un véritable pays de Cocagne ; la France à côté du Brandebourg est comme le ciel à côté de l'enfer.


DE FILS DE RÉFUGIÉS 145

L'aimable vivacité française est sans doute bien préférable à la pesanteur allemande. Que je me trouverais heureux ! si je pouvois espérer de voir un jour ces contrées agréables. Quelquefois mon imagination s'amuse à se peindre ce pays riant. Paris, d'après l'idée que je m'en fais, doit être le plus charmant des séjours, surtout pour l'homme de lettres. Que de ressources! que de choses à y voir et à y apprendre! Le Languedoc et la Guyenne sont des pays où coulent le lait et le miel. Qu'il serait doux de revoir les pays habités par mes ancêtres, d'y rencontrer quelques traces de leur ancienne existence. Quoiqu'ils y aient éprouvé des malheurs, cependant les lieux où reposent leurs cendres doivent encore m'être chers. Si je puis espérer de votre part une réponse à cette lettre, je désirerois de savoir sur quel pié se trouve aujourd'hui le culte divin ? Les Réformés sont-ils en grand nombre? forment-ils un grand troupeau? ce troupeau.est-il conduit par un pasteur? ce pasteur prêche-t-il et où ? Sujet sur lequel je voudrais voir ma curiosité satisfaite. Prêche-t-on encore dans les déserts comme autrefois? J'avoue que dans les saisons rigoureuses ce sont des églises un peu désagréables, mais aussi dans la belle saison elles sont préférables à toutes les autres. Un désert est d'abord une solitude où l'on est à l'abri de toutes les distractions, ensuite l'on est environné du touchant spectacle de la nature. Ce spectacle n'estil pas bien propre à donner plus de vivacité à tous les sentiments dont l'on est animé pour Dieu. On est plus à portée d'entendre le concert de la nature, et l'idée d'y mêler sa voix est une idée bien douce. Enfin je serois curieux de prêcher une fois dans un désert.

" Mon cher père, dans sa correspondance avec vous, vous aura sans doute déjà marqué que j'ai embrassé le parti de l'étude, que je me suis consacré au saint ministère. J'ai préféré cette vocation à tout autre parce que je me suis senti pour elle un véritable goût, et j'aurais presque dit une disposition innée. Il n'en est pas selon moi de plus favorable pour les études et surtout pour le génie que j'aime tant, celui de l'éloquence. Je prie la Providence de me faire réussir dans la carrière où je suis entré. Je ne puis pas dire que je manque de ressources et de


146 UNE CORRESPONDANCE BERLINOISE

moyens pour parvenir à mon but. Vous connoitrez peut-être la fondation où je suis, c'est le séminaire où l'on n'admet que les jeunes gens qui se destinent au saint ministère. M. Erman, que vous connoitrez de réputation, est l'âme de cette fondation, c'est lui qui la dirige tout seul, et il y consacre son tems, c'est véritablement un homme utile. Je ne connois personne qui lui ressemble pour le zèle dont il est animé pour le bien public. Il néglige ses études pour consacrer entièrement son tems à l'instruction et aux affaires de l'Eglise. L'on a déjà vu sortir de cette fondation 20 pasteurs qui sont tous des hommes respectables tant par la diversité de leurs talens que par leurs bonnes moeurs et leurs vertus. Vous pouvez bien vous imaginer quelle doit être sa joye, lorsqu'il pense à tous les heureux qu'il a déjà fait. Aussi cette idée soutient-elle son zèle et son ardeur. Excusez si je vous ai entretenu trop longtemps à son sujet, mais c'est un petit écart de mon coeur qui le chérit tendrement. « Je vis ici dans une solitude qui a ses agrémens et ses désagrémens, comme chaque chose dans le monde en a. Nous sommes treize jeunes gens qui n'engendrent pas mélancolie, vous savez que les jeunes gens entre eux ne s'ennuient jamais, et la privation de l'ennui est déjà un grand avantage. Nous ne sommes pas exposés à beaucoup de distractions qui pourraient nuire aux progrès de nos études, avantage préférable au premier. Il est vrai que nous sommes éloignés de la maison paternelle, que nous n'y allons que tous les dimanches et quelquefois dans la semaine; c'est un grand désagrément auquel on n'a jamais su remédier parce quil entraînoit à beaucoup d'inconvéniens. Je puis donc vous dire que je suis heureux. Ayant beaucoup de goût pour l'étude je m'y livre entièrement : Avec ces plaisirs de l'esprit je goûte encore ceux du coeur. Le ciel m'a donné des parens si bons qu'il ne faudrait pas être homme pour ne pas les chérir. Un père tendre, une mère sensible, ah ! voila le bonheur suprême, vous les connoissez, vous devez sentir tout le bonheur dont je jouis. Pardonnez si je vous entretiens trop longtemps sur ce qui me regarde, j'ai cru pouvoir vous intéresser. Je finirai par vous prier de m'accorder votre amitié, je vous la demande avec instance. Elle pour-


DE FILS DE RÉFUGIÉS 147

roit ajouter à mon bonheur, car celui qui vous connoit, qui a entendu parler de vous, souhaite aussi de vous être attaché et surtout de vous voir. Je voudrais bien que ce souhait s'accomplisse un jour, mais il faudra voir ce que l'avenir en décidera.

« Je suis et serai toujours avec le plus profond respect, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur et cousin. »

JEAN-MICHEL PALMIÉ. »

Le 14 mai 1792 Jean Michel était depuis deux ans à Genève, ayant terminé ses études pour le ministère du Saint Evangile, il hésitait sur le projet longtemps caressé d'aller voir le pays de ses pères, « étonné d'aller prêcher là d'où ses ancêtres avaient dû fuir. »

Peu après il ajoutait:

« Cependant les orages de la Révolution qui paraissait si bienfaisante, n'y mettront-ils pas obstacle ? »

Et finalement son père écrivait:

« Qu'iroit-il faire là où l'anarchie avoit arboré son sanglant drapeau ? »

C'est pourquoi Jean-Michel renonçait au voyage et rentrait à Berlin pour y devenir aide-pasteur et remplacer plus tard le titulaire très âgé.

Plus heureux que son fils Antoine-Thomas était, en 1762, allé visiter le tombeau de sa famille et il avait passé plus d'un an à Caussade ou en France.

Passant par Paris où il avait tenu à visiter les piliers des Halles, sans jeter qu'un regard distrait sur les monuments, Thomas Thuet à son tour avait fait le voyage de Berlin en 1766 et y avait séjourné de mai à décembre. Il n'y avait alors que les grands seigneurs qui pussent voyager en chaise de poste attelée de chevaux fringants; les demi-fortunés se passaient le luxe d'un cabriolet suspendu sur de bons ressorts, et


148 UNE CORRESPONDANCE BERLINOISE

ils le revendaient quand ils étaient arrivés à destination. Le vulgaire, du moins en Allemagne, se prélassait en chariot couvert ; c'est dans cet équipage que Thomas Thuet se rendit de Metz à Francfort-sur-le-Mein dont les foires célèbres attiraient de nombreux marchands, de là il bifurqua sur Halle-la-Saxe pour arriver enfin à Berlin : on devine facilement la souffrance qu'offraient de semblables voyages durant la saison rigoureuse. Alors peut-être autant qu'aujourd'hui il était de mode de visiter l'Allemagne et d'y envoyer les enfants afin d'en faire de véritables hommes, disait-on.

Thomas Thuet se maria sur le tard, après avoir longtemps cherché la compagne de ses rêves à Berlin aussi bien que à Caussade. C'est pourquoi Antoine-Thomas Palmié lui écrivait le 8 avril 1780:

« Si vous voulez venir prendre femme ici sous prétexte qu'elles y ont moins de vanité, vous risquerez de vous en retourner sans avoir rien fait ; vous trouverez Berlin bien changé, et surtout les femmes montées sur un ton différent qu'il y a quatorze ans; croyez-moi, c'est un mal qui gagne, il a fait ici furieusement de progrès. »

En plusieurs endroits la correspondance nous montre les moeurs berlinoises assez grossières et même quelque peu gauloises; nous ne donnerons qu'un échantillon des premières.

Le 25 novembre 1780 Antoine Thomas écrivait:

« Les noces de M. Humbert, le juge [de la colonie française] n'ont pas fait autant de bruit que les miennes, mais on s'y est assez bien amusés ; son frère aine a été fort sobre ; ce n'est plus le même homme, il devient vieux, il est malingre, tout cela ne rend pas gai ; mais par contre son frère Antoine, quoique avec une petite santé, est encore bien gai dans de certaines occasions.

« Il était assis entre M. le pasteur Erman et moi ; le premier lui a tant fait boire de Champagne, que, ma foi, il lui est ressorti à table; cette fontaine n'était pas agréable, mais elle nous


DE FILS DE RÉFUGIES 149

a fait rire; on dirait que MM. Humbert sont destinés à avoir des aventures aux noces. »

Les fruits de notre midi, les prunes d'Enté, les prunes à l'eau-de-vie étaient très appréciés à Berlin, et les habitants des contrées du nord pensaient au plaisir de cueillir à-même les arbres les pêches et les beaux raisins. Envoyé de France le salé d'oie faisait les délices des Prussiens. Il faut aussi noter l'accueil fait au cryptogame parfumé du Quercy, j'ai nommé la truffe.

Le premier août 1789, Antoine-Thomas Palmié ayant reçu une dinde qui n'avait mis que treize jours à faire ce long voyage, écrivait avec un plaisir qu'auraient décuplé les colis postaux s'ils avaient existé alors: « La poule d'Inde est arrivée à très bon port; nous l'avons trouvé excellente, de même que les truffes ; le tout s'étoit bien conservé et nous vous en faisons nos remerciements. Nous n'avions pas cru que dans vos terres vous ayez un produit considérable de cette denrée ; elle vaut ici beaucoup d'argent, la livre se vend 24 livres au moins, poids de ce pays... »

Le correspondant fait plus d'une allusion aux événements ; l'inondation du faubourg Villebourbon, la condamnation du pasteur Rochette sont relatés dans ces pages ; nous noterons quelques passages relatifs aux faits de la Révolution.

Dans une lettre du 12 janvier 1790, il est question du décret qui restitua aux protestants les biens confisqués, et qui permit aux réfugiés de rentrer en France :

« Ce décret en faveur des protestants nous a comblés de joie ; nous souhaitons que cette époque heureuse se soutienne, et que cette classe respectable de sujets français sorte enfin de l'oppression dans laquelle elle a vécu pendant si longtems.

... Les événements actuels sont inouïs, il est à craindre que cela change la face du globe... nous vivons plus heureux sous le gouvernement du roy adoré de ses sujets... »

1907 11


150 UNE CORRESPONDANCE BERLINOISE

Voici, à la date du 20 septembre 1791, une appréciation de la situation publique qui ne manque pas de modération ni de justesse :

« Si l'Assemblée Nationale a fait de grandes choses, il faut convenir aussi qu'elle a fait de grandes fautes; il est impossible que la Constitution se soutienne telle qu'elle est. En laissant au roi plus de liberté, à la noblesse ses titres et ses décorations, en ménageant un peu plus le clergé, tout se serait arrangé, les têtes ne seraient pas si échauffées. La diversité des partis, l'insubordination des troupes de ligne, les attaques à la noblesse et au clergé grandissent le parti des hommes qui esperent faire fortune dans une contre-révolution. Le roi dans sa fuite a cedé à des impulsions étrangères, il est faible ; avec un peu plus d'énergie, il auroit pu affermir la liberté. Si la populace n'avoit pris les rênes, les crimes affreux d'Avignon n'auraient pas eu lieu. Les lois rédigées par l'Assemblée ferontelles la meme impression que celles dictées par un roi indépendant et craint!

« Mon fils, voyageant en Allemagne, a vu des émigrans françois ; il en a rencontré de très raisonnables qui ont modifié ses idées sur la Révolution françoise ; il souhaite que la France sorte de l'oppression sans retomber sous les défauts de l'ancien régime. Il y a ici quelques François, ils passent inaperçus... »

Une dernière citation à la date du 24 janvier :

« L'intention de votre père (Jean Thuet) allant à Montauban est de faire de la politique; cela nous rappelle que en 1762, quand je passai par cette ville on parloit beaucoup politique sous les arcades (de la place nationale), et en qualité de Prussien et de protestant, on nous y recevoit avec plaisir... »

Le 14 décembre 1811 le pasteur Jean-Michel Palmié annonçait la mort de son père Antoine Thomas.

Après avoir refleuri un moment pendant l'occupation française en 1808, le commerce des vins avait périclité; quelques militaires Caussadais, Lacombe notamment, avaient timide-


DE FILS DE RÉFUGIÉS 151

ment essayé de visiter leurs cousins berlinois; peu à peu les lettres s'espacèrent, la correspondance chôma tout à fait.

Les relations se renouèrent momentanément en 1872, où à la demande d'Ariste Thuet, Robert Palmié, pasteur dans le corps d'armée du prince Frédéric-Charles, voulut bien rechercher les restes de Félix Siréjol, soldat caussadais catholique du 9e de marche, qui était mort à l'hôpital de Coethen, au duché d'Anhalt, le 7 février 1871.

N. B. — La famille Siréjol conserve religieusement un fragment du drapeau du 20e d'infanterie, part qui était échue à Félix Siréjol au moment de la capitulation.


ORDRE DE LA FÉLICITE

M L. VITTEAUT

Membre de la Société

L'Ordre de la Félicité, qui n'a rien de commun avec les nombreux ordres de chevalerie, créés pour récompenser des services rendus ou des actions d'éclat, fut une Association de gens plutôt légers, qui parut au milieu du XVIIIe siècle, époque de très grande frivolité pendant laquelle, à la manière de Voltaire, on parlait de tout sans rien approfondir.

" Ordre fondé en 1743 par le frère de Chambonnet, personnage réel ou fictif; produit de l'imagination des publicistes du XVIIIe siècle; mystification de littérateurs » ; tels sont les renseignements que nous trouvons dans le Dictionnaire illustré de Larousse, ouvrage généralement très bien documenté, mais que je me vois contraint de rectifier dans cette criconstance grâce au brevet de chef d'escadre de cet ordre que j'ai produit à la Société archéologique de Tarn-et-Garonne dans sa séance du 10 avril dernier, et grâce aussi à des notes généalogiques que je dois à l'amabilité de M. le marquis de Coligny, membre de notre Compagnie et parent par alliance de la famille de Chambonnas.

Quand Taine, dans son livre intitulé « Des Origines de la France contemporaine », nous dit que l'histoire de la Révolution est encore à faire, il ne se trompe pas beaucoup, puisque sur le sujet qui nous occupe et qui, certes, n'a pas passionné


ORDRE DE LA FÉLICITÉ 153

les esprits, les inexactitudes, comme nous allons le voir, sont aussi flagrantes.

Je commencerai tout d'abord par citer et décrire sommairement ce brevet qui me vient de mon aïeul maternel ; je donnerai ensuite un aperçu généalogique des personnages qui y sont mentionnés, et, enfin, je terminerai en disant ce que fut l'ordre en lui-même.

Scipion de la Garde, marquis de Chambonnas par la grâce de Saint-Nicolas, Grand Maître du Sublime Ordre de la Félicité.

A tous ceux qui ces présentes verront, vent en pouppe et jubilation, connaissant le carracthère, l'esprit, les talents et l'espérience dans le service de mer, de nôtre très cher et très aimé Fils Durand, capitaine d'infanterie, lui avons octroyé et octroyons, donné et donnons de notre plein pouvoir et pleine science, la charge de chef d'escadre dans le susdit Sublime Ordre, pour en cette qualité posséder et jouir de tous les honneurs et prérogatives y attachées, porter son ancre ammarée à quatre cables, vert et or, lui enjoignons seulement d'observer et faire observer les Règles prescrites par les statuts.

En foi de quoi nous lui avons fait expédier la présente, signée de nôtre main, contresignée par le secrétaire de l'ordre et à icelle fait apposer nôtre grand sceau de cire verte.

Donné à la Rade de Paris le quatorzième d'avril l'an mil sept cent quarante cinq et de nôtre Magistère le cinquième.

Imprimé sur papier et de forme rectangulaire, ce brevet est pourvu d'un encadrement style rocaille.

En marge, on voit à gauche un timbre humide, portant à son centre une ancre accompagnée des lettres F. S. (Félicité sublime) ; au coin opposé, un cachet de cire devenue brune, représentant les insignes de l'ordre.

Dans l'encadrement, figure en haut, dans le coin de gauche, une lyre et des balances qui se mêlent à des têtes ailées, soufflant vers le centre de la composition, où des bateaux sont à la voile ; au centre, un écusson légèrement incliné porte une ancre; plus loin, une étoile placée en dedans du


154 ORDRE DE LA FÉLICITE

cadre et le touchant ; au coin de droite, un carquois avec ses flèches, un casque, une trompette et deux drapeaux ; plus bas, un carquois avec ses flèches et une torche.

Au coin inférieur droit, une mappemonde, et en dedans du cadre un temple de forme grecque, avec fronton et colonnades, surmonté de deux statues et laissant apparaître, sur le seuil de sa porte, Cupidon tenant en main son arc ; ce temple repose sur des rochers qui simulent à n'en pas douter l'île de la Félicité ; au pied de ces rochers est représenté un magnifique navire à voiles et à rames très ornementé, se tenant un peu de côté et offrant en avant sa pouppe, sur laquelle sont gravées les armes du marquis de Chambonnas ; écartelé : au 1 et 4 de gueules au chef d'azur chargé de trois étoiles d'argent ; au 2 et 3 d'azur plein ; au sommet de la pouppe, deux colombes se becquettent et sont surmontées d'une couronne d'étoiles ; ce doit être le vaisseau amiral, le vaisseau du grand maître, qui est arrivé au port de l'Ile de la Félicité ; au loin, dans la haute mer et un peu à droite, on aperçoit un autre navire d'apparence moins riche: toujours dans l'encadrement, au coin de gauche, on remarque une ancre avec ses cordages et des fleurs semées çà et là ; un peu plus loin, mais à l'intérieur du cadre, un pilier solide battu par de très fortes vagues, supporte un groupe de trois personnes, une femme debout, une femme accroupie montrant du doigt une troisième personne ressemblant vaguement à une statue mutilée et nue ; au-dessus de ce groupe, sont représentés une faux dentée et un sablier.

A noter l'étoile qui, accompagnée d'un nuage, semble indiquer aux vaisseaux l'emplacement de l'Ile de la Félicité.

Tous ces ornements décrits sont par' groupes et. accompagnés de racailles d'un assez bel effet.

La généalogie que je dois à l'amabilité de M. le marquis de Coligny est celle-ci :

Scipion Louis Joseph de la Garde, marquis de Chambonnas, baron de Saint-Félix et des Etats de Languedoc, lieutenant du Roi en cette province, ancien colonel du régiment d'Eu et lieutenant du Roi en Normandie, brigadier des armées du Roi en


ORDRE DE LA FÉLICITÉ 155

1744, mort le 23 février 1765, fut marié en premières noces à Claire-Marie, princesse de Ligne, et en secondes noces à Demoiselle de Grimoard de Beauvoir du Roure, fille d'un lieutenant général des armées du Roi ; de ce second mariage naquit un fils, qui épousa, le 26 avril 1774, par contrat signé du Roi et de la Famille ravale, Demoiselle de Lespinasse de Langeac.

Le père du marquis de Chambonnas, Henri-Joseph de la Garde, dit comte de Chambonnas, baron des Etats et lieutenant-capitaine aux Gardes françaises, fut fait, en 1706, premier gentilhomme de la chambre du duc du Maine, et mourut le 31 août 1739; il avait épousé, le 3 avril 1695, Demoiselle MarieCharlotte de Fontanges d'Auberoque.

Cette famille très ancienne, qui portait « d'azur au chef d'argent », avait vu, dans la personne de Louis-François de la Garde, seigneur de Chambonnas et lieutenant du Roi en Languedoc, sa seigneurie de Chambonnas érigée en marquisat par lettres patentes du mois d'avril 1683, enregistrées au Parlement et en la Chambre des Comptes de Languedoc.

Le bénéficiaire du brevet, le capitaine Durand, mon aïeul maternel, ne fut pas non plus un personnage fictif.

Quelques détails généalogiques, provenant de mes archives personnelles et des recherches consciencieuses d'un érudit louhannais, M. Quarré de Verneuil, allié plusieurs fois à ma famille, qui me les a très généreusement communiquées, sont nécessaires pour faire connaître de quelle façon se recrutaient les membres de l'ordre de la Félicité.

Arrière petit-fils de Pierre Durand, capitaine châtelain et lieutenant de la châtellenie royale de Sagy, en la Bresse châlonnaise, depuis le 18 septembre 1646, seigneur de Saumon et de Ronchaut.

Petit-fils de noble Jean Durand, baptisé le 1er août 1636, avocat au Parlement de Dijon, conseiller du Roi, seigneur de Saudon et de Ronchaut, nommé capitaine châtelain de Sagy en remplacement de son père, par ordonnance royale du 24 février 1665, marié le 7 octobre 1664 à Claudine-Bénigne Arnoux;

Fils de Pierre Durand, avocat au Parlement de Dijon, et de Marguerite Lorin;


156 ORDRE DE LA FÉLICITÉ

Jean-Claude Durand de Saudon fut garde du corps du Roi de 1729 à 1735, capitaine de cavalerie, capitaine du régiment d'infanterie allemande de Lowendal, aide de camp du maréchal Maurice de Saxe en 1744, capitaine dans le corps des Volontaires de Flandre, enfin chevalier de Saint-Louis.

Mort en 1756, il avait épousé en 1750 Claudine-Antoinette Arnoux de Corgeat, fille de Théodore-Philibert Arnoux de Corgeat, écuyer, seigneur de Promby, conseiller maître à la cour des comptes de Dôle, dont la généalogie a été publiée en 1904 dans la Revue héraldique.

Les Durand, très ancienne famille originaire de Louhans, province de Bourgogne, portaient « de gueules à une bande d'or accompagnée de six molettes de même posées en bande, 3 en chef et 3 en pointe. »

Le secrétaire général de l'ordre, qui, sur le brevet, a signé Coutaut, serait-il lui aussi un personnage fictif? Je n'ai pas de données précises sur ce personnage, mais il est possible qu'il ait été allié à la famille du capitaine Durand. Je trouve, en effet, dans les notes de M. de Verneuil, que le frère du capitaine Claude-Louis Durand, baptisé le 23 avril 1714, eut pour marraine Marie-Louise Coutaut, femme de Philippe Petitjean, écuyer, seigneur de la Tournelle, et que le père de ce dernier, Charles Petitjean de la Tournelle, avait épousé en 1673 Marie Arnoux, grand'tante du capitaine Durand.

J'ai tout lieu de croire, grâce à cette similitude de nom, que le secrétaire général de l'ordre était parent de mon aïeul, ce qui expliquerait l'affiliation de ce dernier à l'ordre de la Félicité.

M. Pauffin de Saint-Maurel, dans un livre récemment paru et intitulé « le Bouton de cristal », donne de longs détails sur ce qui se passait à l'ordre de la Félicité vers 1760.

Connu tout d'abord sous le nom d'Ordre des Félicitaires, l'ordre de la Félicité, par un scission de ses membres, donna naissance, en 1745, à l'Ordre des Chevaliers et Chevalières de l'Ancre, et au Sublime Ordre de la Félicité.

On y parlait un langage emprunté à l'argot maritime; les grades étaient ceux de mousse, de patron, de chef d'escadre, de vice-amiral; l'amiral unique était le grand maître.


Bulletin Archéologique

2me Trimestre 1907

FAC-SIMILE DU BREVET D'UN CHEF D'ESCADRE DE L'ORDRE DE LA SUBLIME FELICITE



ORDRE DE LA FÉLICITÉ 157

Pour faire partie de l'ordre, il fallait être présenté par deux parrains ou marraines, car les femmes étaient admises ; le futur initié était amené à l'île de la Félicité les yeux bandés; introduit dans une salle magnifiquement décorée, il comparaissait devant l'escadre réunie ; le bandeau était enlevé aux hommes, mais conservé aux femmes dont la beauté aurait pu quelquefois exciter la jalousie de leurs compagnes.

Le chef d'escadre présentait alors le candidat et faisait valoir ses titres ; on procédait ensuite au vote. Pendant le vote, le chef d'escadre faisait prêter serment sur une corbeille de roses, au nom de toutes les joies de ce monde, de garder le secret des réunions et d'observer les préceptes de la Félicité.

Quand la formalité du serment était remplie, le chef d'escadre examinait les boules et annonçait solennellement que le candidat était admis en qualité d'adepte, le grand maître ayant seul le pouvoir de l'agréer comme mousse.

A ce moment, un chevalier ou chevalière sortait de la salle et allait annoncer au grand maître l'admission du candidat ; en attendant celui-ci, une chevalière présentait à l'adepte une corbeille de fleurs et un plateau couvert de louis d'or; elle lui enjoignait de se parer des oeillets et des roses et de jeter à terre les louis d'or qui étaient faux, ce qui voulait dire dans le langage symbolique que la richesse ne fait pas le bonheur.

Le chef d'escadre déclarait alors que le moment de la probation était venu, et les chevaliers et chevalières passaient tous devant l'adepte assis et lui donnaient un baiser.

Après cela, le rideau se soulevait pour livrer passage au grand maître amiral, qui, revêtu d'un habit cramoisi et tenant en mains une baguette dorée, surmontée d'une ancre et enguirlandée de fleurs, complimentait l'adepte, le louait d'avoir été admis au rang de mousse, et faisait l'historique de l'ordre qu'il faisait remonter jusqu'à Adam. « Notre ordre, disait-il, est aussi vieux que le monde, puisqu'il remonte à la création. La Divinité, source féconde de toute félicité, a formé l'homme pour le rendre heureux ; le premier dignitaire de notre ordre sublime et respectable est donc Adam ; Eve n'est sortie de ses côtes que


158 ORDRE DE LA FÉLICITÉ

pour vivre avec lui dans la joie et dans la volupté, dans un paradis de délices dont les hommes pendant longtemps ont oublié le chemin ; mais, en naviguant avec ardeur, nous avons découvert à nouveau ce paradis, qui n'est autre que l'île de la Félicité. Appliquons-nous, en voguant d'accord, à y faire revivre les moeurs heureuses et douces qui étaient celles du jardin d'Eden. » Il terminait solennellement par ces mots: « Au nom de la Félicité, des ses Fils et de ses Filles, je vous agrée dans notre île ; il ne me reste plus qu'à vous décorer de nos insignes qui vous sont offerts fraternellement par vos parrains ou marraines ; portez-les avec bonheur, mystère et courtoisie. »

Puis tirant de ses poches un écrin, il en sortait une ancre d'or enrichie de diamants que les parrains ou marraines fixaient sur le nouvel élu à l'aide de faveurs vertes. Les chevaliers portaient cette ancre sur leurs jabots; les chevalières la portaient suspendue au cou et retenue par un ruban vert.

Un festin et des danses terminaient la cérémonie qui se renouvelait à chaque changement de grade, ce qui était un vrai régal pour les membres de l'ordre.

Les fêtes étaient très variées à l'île de la Félicité ; on y donnait le spectacle, le concert, le bal et le souper ; il y régnait une grande liberté de parole, les conversations effleuraient tous les sujets ; il n'était pas rare d'y entendre disserter sur les choses de l'Etat et l'on allait jusqu'aux digressions philosophiques. Le siège de ces réunions était au Temple, à côté de l'hôtel du grand Prieur ; Monseigneur le Prince de Conti faisait partie de l'ordre.

Beaucoup d'ouvrages ont paru sur l'ordre de la Félicité ; nous trouvons :

1° Le Formulaire du cérémonial en usage dans l'ordre de la Félicité, in-12, 1745.

2° L'Anthropophile ou le secret et les mystères de l'ordre de la Félicité dévoilés pour le bonheur de tout l'univers, In-12, 1746, ouvrage dont il a été mis en vente, à Paris, au mois de novembre 1863, un manuscrit de 474 pages, beaucoup plus complet que l'imprimé en question et contenant un recueil de chansons galantes.


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3° L'Ordre hermaphrodite ou les secrets de la sublime Félicité, in -12, 1748.

4° Le moyen de monter au plus haut grade de la marine sans se mouiller, in-12

5° Le dictionnaire de l'Ordre de la Félicité!

Ce dictionnaire, dont je possède un exemplaire est une plaquette in-8° de onze pages avec couverture en papier fort vert et or; il est attribué à l'avocat Fleury, l'émule de Piron, chansonnier et littérateur libre ; il se termine par l'oraison suivante, adressée à Saint Nicolas patron des mariniers :

Toi qui dans l'horreur du naufrage, Soutiens le coeur des matelots, Toi qui d'un mot calme l'orage, Et fais taire le bruit des flots, Saint Nicolas, sois favorable Au zèle qui m'appelle à toi. Fais que ce scrutin redoutable M'admette à vivre sous ta loi, Que sur tes escadres brillantes Je serve et commande à mon tour ; Qu'aux charges les plus importantes De rang en rang je monte un jour; Que contre moi le fier Borée Ne soulève jamais les mers; Et que de l'Isle désirée Je trouve tous les ports ouverts.

D'après tout ce que nous venons de voir, c'est-à-dire d'après des documents précis et indiscutables, nous pouvons affirmer, que l'Ordre le la Félicité a été créé par le marquis de Chambonnas et non par M. de Chambonnet ; que cette création s'est faite en 1741 et non en 1743; que le marquis de Chambonnas ne fut pas un personnage fictif, mais bien réel ; qu'enfin, vu la qualité des membres de cette Association, on ne peut pas dire que ce ne fut qu'une simple mystification de littérateurs.


160

ORDRE DE LA FÉLICITE

Emporté comme tant d'autres choses par la tourmente révolutionnaire, l'Ordre de la Félicité fut une institution peu sérieuse, il est vrai, mais n'en constitua pas moins quelque chose d'intéressant pour tous ceux qui aiment le Passé et ont conservé dans leurs coeurs le culte des souvenirs.


COMPTE RENDU De l'Excursion des 10 et 11 Juin 1907

A SOUILLAC, AU CHATEAU DE FENELON, A LACAVE, A GOURDON ET A LA COLLÉGIALE DU VIGAN

PAR

M. TH. BESSERY

Membre de la Société

MESSIEURS,

Depuis plusieurs années déjà, j'ai contracté envers la Société Archéologique de Tarn-et-Garonne et son savant et vénéré Président une dette de reconnaissance dont je ne me prétendrai jamais complètement déchargé, mais pour laquelle je vais essayer aujourd'hui de vous donner un acompte trop longtemps retardé. Cet acompte sera bien faible, assurément mais votre indulgence voudra bien n'en apprécier la valeur qu'à la mesure de la bonne volonté dont il est l'expression. — J'aurais eu, d'ailleurs, mauvaise grâce à me dérober devant la bienveillante autorité de M. le Président et l'aimable insistance de mon vieux camarade Bourdeau, réunies pour me rappeler que quand on use des avantages attachés au titre de membre correspondant d'une Société comme la vôtre, il faut parfois correspondre.


162 EXCURSION DE LA SOCIÉTÉ

C'est en gare de Cahors que me fut confié le soin de faire le rapport de notre excursion dans la vallée de la Dordogne, c'est-à-dire que nous étions déjà allègrement en route. Rappellerai-je que la présence de charmantes jeunes filles et de plusieurs dames, non moins aimables, maintint tout le temps l'élan et la gaîté de bon aloi qui sont l'apanage naturel des archéologues en excursion ? Nul j'espère, ne me jettera la pierre pour cela et ne viendra me contredire.

Partis de Montauban au nombre de plus de vingt, nous reçumes tout d'abord un important renfort à Caussade. A Cahors nous fûmes heureux de voir se joindre à nous M. Depeyre, le distingué président de la Société des Etudes du Lot, qui voulait bien, avec l'autorité qui s'attache à son titre et à ses études bien connues, nous servir de cicerone sur un territoire qui fait partie du domaine de la Société.

A 11 h. 20, nous pénétrions en gare de Souiliac, où nous attendait M. Bonnay, architecte des monuments historiques, chargé des travaux de réparation de l'église, venu de Brive pour nous guider dans la visite du monument confié à ses lumières et à ses soins; M. A. Viré, le savant professeur qui est en train d'étendre, dans les grottes de Lacave, le domaine souterrain du département du Lot, déjà si riche à ce point de vue; enfin, M. Viala, un aimable érudit qui, pendant plus de vingt-quatre heures, devait nous donner les marques répétées d'une connaissance approfondie de l'histoire de son pays, jointes à l'empressement d'un accueil que les excursionnistes n'oublieront pas.

Comme il ne faut pas perdre de temps, on se rend immédiatement, en voiture, à l'église, qui doit retenir notre attention avant le déjeûner.

Certains prétendent que saint Eloi aurait fondé à Souiliac un monastère, détruit plus tard par les Sarrasins. Nous n'avons pas à contrôler l'exactitude du fait; il nous suffira de dire qu'en 930, le comte de Cahors ayant donné à l'abbaye d'Aurillac de nombreuses terres, au nombre desquelles ce trouvait celle de Souiliac, l'abbé d'Aurillac y fonda, avant 945 (et non en 962 comme on l'a dit), un couvent auquel il donna le titre


DES 10 ET 11 JUIN 1907 163

de doyenné. Ce doyenné et son église furent pillés, en 1183, par Henri-le-Jeune.

" En 1472, Pierre d'Ornhac, moine d'Aurillac, fut fait doyen commandataire de Souillac à la place de Guy d'Ornhac, son oncle. Le nouveau doyen remit en vigueur dans le monastère la discipline ecclésiastique et prit le titre d'abbé de Souiliac, qu'il transmit à ses successeurs. »

L'église actuelle, tout au moins dans sa majeure partie, vit les pillards d'Henri-le- Jeune, puisqu'on est généralement d'accord pour l'attribuer au XIIe siècle.

Elle est une de ces églises dont le plan inspiré par les traditions byzantines, comprend une abside entourée de trois absidioles sans déambulatoire. L'absidiole du fond est plus importante que les deux autres.

L'édifice est à coupoles aquitaniques et, à ce sujet, M. le Président fait remarquer la similitude de ces coupoles de Souiliac et de celles qui avaient été faites ou tout au moins projetées à Moissac. Une autre analogie avec ce dernier monument se révèle dans l'inspection des colonnes, dont les chapiteaux n'ont pas de tailloir. — Les colonnettes qui forment les montants des fenêtres sont continuées par le tore de l'archivolte. — Une galerie suit tout au long des travées, qui sont au nombre de trois, séparées par des doubleaux en arc brisé que supportent de robustes piliers rectangulaires; engagés dans les murs.

Dans une chapelle, à droite, l'attention est attirée par un tableau de Chassériau et par un triptyque, que certains attribuent au XVe siècle mais qui semble porter des traces de la Renaissance. Au-dessous de ce triptyque, est une très vieille peinture que l'obscurité empêche d'apprécier et d'étudier. Elle cache une ouverture à laquelle aboutissait, sans doute, un escalier donnant accès des bâtiments de l'abbaye dans l'église.

Arrivons au portail intérieur, une des parties les plus intéressantes de l'édifice. Il est formé d'un arc brisé reposant sur des impostes qui couronnent des jambages ornés chacun d'une statue. Cette baie est enclavée dans une des grandes arcatures (celle du milieu) du fond de la nef. Dans l'arcature, traversée au-dessus de la baie du portail par une sorte de corniche ornée,


164 EXCURSION DE LA SOCIETE

se détache un tympan portant une très-curieuse sculpture. On a voulu voir dans la scène représentée là une variante de la légende du prêtre Théophile. M. Viala, depuis longtemps familiarisé avec les moindres détails de l'église, croit qu'on pourrait trouver dans ce travail le souvenir d'une élection d'un abbé du monastère. Un moine ambitieux aurait, d'après la légende, signé un pacte avec Satan pour être élu abbé, plus tard il se repend et Satan est vaincu. D'ailleurs, quelle que soit l'explication que l'on adopte, la composition appelle et mérite l'attention des archéologues ou des artistes. Nous en dirons autant de la scène chaotique formant un des pieds droits de l'arcature ; car une étude approfondie et des comparaisons appropriées pourraient, peut-être, faire assigner à l'inspiration du sculpteur des influences orientales (1).

Au sortir de l'église, il était temps de s'acheminer vers le déjeûner. On admira, en passant, le beffroi de la ville, jadis clocher de l'ancienne église paroissiale de Souiliac, aujourd'hui disparue et qui était dédiée à saint Martin. Deux scènes de la vie de ce saint sont représentées par deux peintures sur bois malheureusement très dégradées, encadrées dans deux petites niches du XVe siècle au pied du dit clocher. Ces deux peintures, évidemment anciennes, mais auxquelles, vu leur état actuel, il serait difficile d'assigner une date approximative, firent sans doute partie d'un rétable.

Les plus intrépides se précipitent chez le marchand de cartes postales, pendant que le gros de la troupe s'empresse d'aller se ranger joyeusement autour de l'hospitalière table du grand

(1) Quoi qu'il en soit ces sculptures ont été remaniées, il est facile de voir dans le pied-droit le trumeau de l'ancien portail.

M. Viollet-le-Duc en comparant les sculptures de Moissac et celles de Souiliac, constate, dans les deux, des réminiscences de l'art NordHindou, se montrant mêlées à l'influence de l'Ecole de Toulouse ; dans les animaux nattés du pied-droit on retrouve une tendance marquée à imiter la nature en dehors des agencements de convention. Cela est encore plus sensible que dans le trumeau de Moissac, et pourtant l'analogie est grande entre les animaux et les êtres humains étrangement mêlés à Souiliac et les lions et lionnes de Moissac.


DES 10 ET 11 JUIN 1907 165

Hôtel, et chacun paraît satisfait quand, à deux heures, on monte en voiture pour se rendre au château de Fénelon.

A un kilomètre de Souiliac, nous traversons la Dordogne sur un beau pont et nous nous engageons dans une verte et fraîche vallée, dont l'aspect, à ce moment de l'année, donne bien l'impression que la Dordogne « est le plus beau fleuve de France », comme on l'a écrit. Nous apercevons à peine, au milieu de beaux arbres, le château de Cieurac, rééditié tout récemment dans le style Renaissance à la suite d'un incendie ; nous passons sous les imposantes falaises de Mareuil, couronnées d'un vieux donjon qui semble placé là pour le plaisir des yeux, et nous arrivons à Saint Julien de Lampon.

Ici, un arrêt. Nous sommes accueillis avec empressement par M. le curé qui nous fait les honneurs de son église datant du XIVe siècle. Les voûtes du choeur sont ornées de peintures du XVe. Au milieu est le Père Eternel, et tout autour on voit les évangélistes avec leurs attributs. Tous ces personnages portent des phylactères dont on n'a pu jusqu'ici, déchiffrer les inscriptions; mais il semble cependant qu'avec un peu de patience et de bonne volonté on arriverait à en reconstituer un certain nombre; d'autant mieux que, d'après les quelques mots que nous avons' pu lire, elles paraissent empruntées aux Evangiles ou à l'Ecriture Sainte.

L'église de Saint-Julien fut cédée, en 1268, par les chanoines de Saint-Antonin à l'évêque de Cahors, qui plus tard en donna le patronage au chapitre du Vigan.

M. le curé de Saint-Julien, pour lequel les archives de Fénelon n'ont plus de secrets, veut bien nous suivre jusqu'au château. Avant d'y arriver, nous laissons sur notre gauche le château de la Tourette, appartenant à la famille de Vassal, et les grottes de Sainte Mondane, s'ouvrant dans la falaise. Longtemps et à plusieurs reprises, celles-ci servirent d'habitation ; l'une d'elle est encore occupée.

L'ascension de Fénelon se fait à pied par un sentier caché sous les arbres, pendant que les voitures font un grand détour pour nous retrouver en haut. A l'entrée de la poterne, nous 1907 12


166 EXCURSION DE LA SOCIÉTÉ

sommes reçus par le propriétaire, le marquis de Malleville qui, entouré et aidé de plusieurs membres de sa famille, va nous faire les honneurs de sa résidence avec une bonne grâce et une complaisance inépuisables.

Nous retrouvons parmi sa parenté Mme Louise de Bellerive, devenue montalbanaise.

Situé dans la paroisse de Sainte-Mondane, le château de Fénelon fut, pendant la guerre de Cent ans, occupé par les Anglais qui avaient profité, pour s'en saisir, de la négligence de ceux qui le gardaient. On eut beaucoup de peine à le leur reprendre, aussi, en 1375, Menaud de Barbazan, sénéchal du Quercy, le donna à noble Jean de Massaut (plus tard LamotteFénélon), à la charge par lui de le conserver pour le service du roi. D'aileurs, Jean de Massaut était déjà, à ce moment, un des seigneurs du château, lesquels comptaient parmi eux des membres de la maison de Cazenac. Celle-ci avait hérité de la portion de Géraud de Fénelon, qui en avait été le véritable seigneur ainsi que ses ancêtres. — La famille de Salignac le posséda jusque vers 1815, époque à laquelle elle l'aliéna. Le marquis de Malleville en a fait l'acquisition en 1859.

Fénelon, dans ses constructions, garde quelques traces du XVe siècle et surtout conserve un grand corps de logis du XVIe. Le tout vient d'être soigneusement restauré par les so'ns de M. de Malleville. A l'arrivée, à gauche, les grandes écuries voûtées méritent une mention spéciale. On fait le tour du château sur une terrasse qui domine toute la vallée de la Dordogne, puis, par un escalier sans rampe on pénètre dans une cour intérieure au milieu de laquelle se dresse la margelle monumentale du puits traditionnel. Nous faisons le tour des salons, des chambres principales, dont l'une vît naître l'illustre archevêque de Cambrai. On peut même admirer les belles tapisseries qui ornaient le baldaquin du lit où il vint au monde. A signaler, dans l'office et dans la cuisine, de nombreux cuivres et étains anciens. Il nous est permis de monter aux tours, pour admirer les belles et fortes charpentes qui portent les toitures, recouvertes de dales de pierre, et pour jouir d'un féérique coup d'oeil sur toute la région, et puis nous redescendons pour pren-


DES 10 ET 11 JUIN 1907 167

dre part à un lunch qui nous attend, bien à son heure, dans la salle à manger (1). — Enfin, après un coup d'oeil à la chapelle non encore restaurée, on descend, avec M. de Malleville qui veut nous la montrer lui-même , jusqu'à la maison de la nourrice de Fénelon. De l'unique fenêtre de cette maisonnette, tout récemment remise en l'état où elle se trouvait, on a la plus belle vue du monde.

Mais il faut se hâter pour le retour, et on remonte en voiture. — Nous ne suivons pas la même route qu'à l'aller. Après Saint-Julien-de-Lampon, nous tournons à gauche pour franchir la Dordogne et rejoindre la grande route de Sarlat à Souillac, qui longe la ligne du chemin de fer.

Nous traversons les villages de Peyrillac et des Cuisines, longeons la roche des neuf fusées, sur la limite des départements de la Dordogne et du Lot, (apercevons sur la hauteur le village de Saint-Etienne et, enfin, rentrons à Souillac pour le dîner et le coucher.

Le mardi 11, sept heures et demie venaient à peine de tinter au beffroi de Souillac, que, très-exactement, nous étions en voiture pour nous diriger vers les grottes de Lacave, où devait nous attendre, pour nous en faire les honneurs, leur intrépide inventeur M. A. Viré.

En partant, nous prenons la même direction que la veille, mais, à un kilomètre, nous laissons à notre droite le pont de Lanzac sur la Dordogne et nous nous engageons au pied de grandes falaises de calcaire et en suivant toujours les bords du fleuve, sur une route des plus pittoresques, que les habitants du pays ont baptisée, non sans raison, du nom de route de la Corniche. — A notre gauche, à la toucher, la roche calcaire passant par tous les tons, depuis le blanc presque immaculé jusqu'au gris ardoise en passant par le gris doré, véritable symphonie en gris, tandis qu'à notre droite les eaux de la Dordogne, les peupliers, les saules, les aulnes et les frênes déroulent devant nos yeux toutes les nuances du vert printanier.

(1) L'est pour la seconde fois que l'érudit gentilhomme accueille notre Compagnie. Notre Président a eu le soin de le rappeler en remerciant notre hôte,


168 EXCURSION DE LA SOCIÉTÉ

Voici le village de Terregaye, dans lequel se cache une petite chapelle romane, aujourd'hui transformée en grange, que grâce à de fidèles indications nous pouvons apercevoir au passage. Puis le paysage change, nous sommes sur le plateau de Pinsac. A droite, avant d'arriver au village, on aperçoit la montagne des Eglises, où, dit-on, séjournèrent jadis des Druides. Après Pinsac on redescend vers la Dordogne, que l'on traverse sur un beau pont tout récemment livré à la circulation. Il y a deux ans encore, on devait prendre un bac, à gauche du pont actuel, en un point appelé le port de Pinsac. Là, le fleuve coule au pied même de la falaise calcaire, percée de nombreuses petites grottes qui abritent souvent des corneilles. L'une d'entre elles, assez basse, est toujours envahie par les eaux, et, avec un bateau plat, on peut, paraît-il, y pénétrer et y naviguer pendant plus de 600 mètres. Nous passons trop rapidement pour qu'il nous soit possible d'essayer de cette navigation souterraine. Au-dessus, la falaise est couronnée par un château, ancienne résidence des doyens de Souiliac.

Après le pont et sur la droite, tout au bord de la Dordogne, on voit un autre château, celui de La Treyne, propriété d'une branche de l'illustre famille de Cardaillac. La route gagne de nouveau le plateau et nous passons à 150 mètres du château de Belcastel, que l'avant-garde des excursionnistes, profitant de son avance, a le temps d'atteindre. Elle peut y admirer la belle vue que du haut de la terrasse on a sur la vallée de la Dordogne. La falaise, à pic au-dessus de l'embouchure de l'Ouysse, est entièrement percée de grottes. La chapelle du château, soigneusement restaurée, présente une particularité remarquable : vers le fond, et à droite, se trouve une cheminée à vaste manteau que l'on ne s'attendrait guère à rencontrer dans un lieu destiné à la prière.

Enfin, après une belle descente en lacets dans la vallée de l'Ouysse, nous arrivons au pied du Pech de Lacave, à l'entrée des grottes, où M. A Viré avait déjà fait tout préparer pour nous accueillir dans son domaine souterrain.

Ici, nous ne saurions mieux faire que de céder, dans une


Cliché Fourgons

CHATEAU DE BELCASTEL




Bulletin archéologique

2° Trimestre 1907

Cliché A. Viré.

GROTTES DE LACAVE (Fond de la salle du Lac)


Bulletin archéologique

2e Trimestre 1907

Cliché A. Viré.

GROTTES DE LACAVE (Entrée)




Bulletin archéologique

2e Trimestre 1907

Cliché A. Viré.

GROTTES DE LACAVE (La Tarasque)


Bulletin archéologique

2e Trimestre 1907

Cliché A. Viré

GROTTES DE LACAVE (Salle du Lac)




Bulletin archéologique

2° Trimestre 1907

Cliché Viré LACAVE (Excursion de la Société archéologique de Montauban)


Bulletin archéologique

2e Trimestre 1907

Cliché A, viré

GROTTES DE LACAVE (Salle de l'Eléphant)




Bulletin archéologique

2e Trimestre 1907

Cliché A. Viré.

GROTTES DE LACAVE (des 5 Parques)


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large part, la parole à celui qui vient de doter le département du Lot d'une de ses plus remarquables attractions.

« Les grottes de Lacave, dit-il, sont situées à l'inférieur de la montagne dite Pech de Lacave ; découvertes en 1902, et 1905, elles ont été aménagées en 1904-1905. »

On rencontre d'abord la grotte Jouclas, qui s'ouvre par un porche monumental au milieu d'une falaise de 70 mètres de hauteur. Elle était, à l'époque solutréo-magdalénienne, le centre d'un groupement important. On y a constaté l'existence de trois séries de foyers, superposés sur 7 mètres d'épaisseur, et on y a recueilli de nombreux silex taillés et bois de renne, conservés par M. Viré dans un petit musée. Une fois déblayée, la grotte Jouclas a formé une salle de 80 mètres de longueur, 20 de largeur et 20 de hauteur.

« Cette grotte est l'issue naturelle des eaux qui ont creusé jadis les autres cavités souterraines; mais comme les anciens conduits ont été obstrués à la fin de l'époque tertiaire..., on a dû creuser à la mine un tunnel d'accès de 400 mètres de longueur... »

Ce tunnel, débouche dans les galeries : les Merveilles, et les aborde « par le milieu, de sorte que pour voir le tout, on repasse deux fois au même endroit en sens inverse... »

" La première salle que l'on atteint est la salle du Petit Cahos..., dont les parois et le sol sont recouverts par place de brillantes concrétions, et de la voûte pendent de longues stalactites d'un coloris varié et très agréable à l'oeil sous les feux de la lumière électrique. »

« Après un escalier..., on se trouve dans une vaste salle à la voûte absolument plane d'où tombent de délicates stalactites enchevêtrées; c'est la salle de Danse... »

« Puis vient un couloir qui amène à la salle des Trois Parques, où l'imagination folle de quelque statuaire semble s'être donné libre cours... »

" La salle des Lustres suit, avec des groupements de pendentifs; puis l'Autel et le Clocher où ne manque que la cloche, puis le Palmier... Enfin vient la salle de l'Eléphant, véritable


170 EXCURSION DE LA SOCIÉTÉ

bijou souterrain, fouillis de dentelles de toutes couleurs, avec des figures d'animaux, une vierge entourée d'anges... »

« De cette salle on revient au Petit Cahos, d'où le couloir des Neiges donne accès dans le Grand Dôme, colossale voûte de 60 mètres de haut... »

« La salle de la colonne aux pattes d'araignée est un ancien fond de rivière parsemé de superbes gours taris... »

« Le Grand Gour, vaste barrage naturel de carbonate de chaux, se trouve à l'entrée de la salle du Lac, la dernière et une des plus jolies avec ses mille vasques de carbonate de chaux, son lac limpide, sa pendeloque rappelant celle de Padirac, et son fouillis de lustres et de stalactites de toute dimension... »

Là est l'extrémité de la partie aménagée des grottes, aussi faut-il revenir sur ses pas et reprendre le tunnel pour retrouver l'entrée de la grotte Jouclas, où a été dressée la table du déjeûner. — Nous avons l'honneur de voir s'y asseoir Mme Viré, qui, dans la visite de la grotte, a bien voulu joindre sa bonne grâce à l'inépuisable complaisance de son mari. Nous y voyons aussi M. Cartaillac, le savant professeur de Toulouse, connu de toute l'Europe par ses travaux, venu de Lacave pour escorter un professeur de l'Université de Moscou, vice-président de la Société archéologique de cette ville. Notre Président donne aimablement l'accolade à ce dernier, et salue ainsi en sa personne la nation russe tout entière.

A l'issue du déjeûner, M. Viré braque son objectif pour fixer le souvenir de notre visite à Lacave, ajoutant ainsi un nouveau titre aux remerciements que, dans une de ces aimables improvisations que l'on n'imitera jamais, notre Président lui adresse au nom de la Société archéologique de Tarn-et-Garonne.

Les voitures sont attelées ; il faut reprendre le chemin de Souiliac, car le train n'attend pas les retardataires. Grâce à nos bons chevaux, nous arrivons à temps, et après un dernier regard à Souiliac, nos remerciements et nos adieux à M. Viala, nous voilà en route pour Gourdon où nous arrivons à 3 heures.

De nouvelles voitures nous attendaient à la gare pour nous transporter immédiatement à 4 kilomètres, au village du Vigan, dont l'église fut jadis le siège d'une Collégiale,


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Dans le nom de Saint-Jean-de-Carbonnière, que portait une des églises du Vigan avant sa destruction pendant la Révolution, on retrouve le nom de Carbonacum, où existait au Xe siècle une église, dédiée à la sainte Vierge et renfermant des reliques de sainte Charité. — C'est dans ce siècle que saint Gausbert, évêque de Cahors, donna à l'église de Carbonacum plusieurs biens de sa propre église, et on fait remonter à cette dotation les origines du Chapitre du Vigan.

Celui-ci, sous Grégoire VII, fut soumis à la règle de saint Augustin par le prévôt des chanoines de Saint-Sernin de Toulouse. En 1287, ses biens furent accrus par l'évêque de Cahors. En 1309, nouvelle réforme du Chapitre, à la suite de laquelle l'évêque érigea le prieuré en abbaye, en s'appropriant le nouveau titre pour lui et ses successeurs. Il réduisit le nombre des chanoines à douze et, après les avoir confirmé dans la possession des diverses églises dont ils étaient déjà dotés, il leur fit donation de quelques autres. Sans doute à cause de ce titre d'abbé, que l'un d'eux leur avait assuré, les évêques de Cahors venaient souvent au Vigan, qu'ils contribuaient à enrichir de leurs dons. En 1337, le titulaire confirma la fondation d'une riche chapellenie faite dans cette église par Hugues d'Engoulême, évêque de Carpentras, qui était d'une maison noble de Gourdon.

Si nous insistons sur les dons faits au Chapitre du Vigan depuis 1309, c'est qu'ils durent contribuer à la construction de l'église existante dont l'architecture, dans ses parties principales, porte les caractères du XIVe siècle.

Celle-ci est à plan tréflé, et ses absides sont d'un très beau style. Il semble bien que le plan primitif devait comporter un transept, mais pour une cause qui nous échappe, peut-être le manque de ressources, il fut abandonné. On forma alors deux pans coupés, pour relier à la nef les deux absides des côtés, de sorte que la nef paraît s'ouvrir en éventail. Le monument a quatre travées. Dans les trois premières, dont les deux les plus rapprochées du choeur sont plus étroites que la troisième, il est très visible que les formerets ont été surhaussés après coup, et on distingue très nettement les points de jonction des nou-


172 EXCURSION DE LA SOCIETE

veaux arcs aux anciens. Il est évident, d'après cela, qu'il y a eu une première voûte sur une nef primitivement plus courte d'une travée. Vers la fin du XIVe siècle ou au commencement du XVe, on ajouta la dernière travée, et comme la nef ainsi allongée aurait été trop bas voûtée, on surhaussa les formerets des travées précédentes afin de pouvoir établir une voûte plus haute et uniforme. La surélévation est, d'ailleurs, visible à l'extérieur, surtout aux points de jonction de la nef et des pans coupés dont nous parlions tout à l'heure. Elle explique enfin la pointe exagérée des arcs ogivaux des deux premières travées. Nous n'avons pu vérifier si les absides des côtés avaient, aussi, été surélevées et si leur voûte avait été refaite ; car, de l'intérieur, on voit que des ouvertures ont été fermées dans celle du milieu.

Quelques détails notés au passage. Les chapitaux ne sont pas sculptés, tandis que certaines clefs de voûte le sont ; sur l'une d'elles notamment, dans la chapelle de droite, on voit une main tenant une clef à double entrée. Cette chapelle présente une ouverture dont le vitrail est formé de débris de verrières du XVe siècle, rajustés et utilisés comme on a pu. Enfin, dans la chapelle de gauche est un autel en bois sculpté que l'on peut attribuer au XVIIIe siècle.

En résumé, à raison de son plan peu commun, cette église, intéressante d'ailleurs par bien d'autres points, mériterait une étude plus approfondie que ne le permettait notre trop rapide passage. Espérons que ce travail tentera quelque jour un archéologue compétent.

A 5 heures nous étions de retour à Gourdon, et sans perdre de temps nous commencions la visite de cette ancienne place forte. Elle avait de quoi satisfaire tous les goûts. Pendant que les fervents de la nature pouvaient, de l'emplacement de l'ancien château, jouir du spectacle d'un panorama qui s'étend jusqu'au-delà de Sarlat, les admirateurs des vieilles pierres et des antiques moulures avaient le loisir de s'attarder avec fruit dans les édifices ou dans les pittoresques ruelles de la ville.

En 1266, Christophe de Ramondiola, fondateur et premier gardien du couvent des Frères mineurs de Cahors, contribua


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à la fondation par Gisbert de Thémines d'un couvent de Cordeliers à Gourdon. Ce couvent ne fut achevé que l'année après le décès de Girbert. Son église, aujourd'hui paroissiale, daterait, paraît-il, de cette fondation. Cette affirmation paraît être vraie en partie, car pour les deux premières travées on peut voir, de l'extérieur, par le crépissage des ouvertures refaites, une forme d'arc qui semble antérieure au style de la façade. Or, celle-ci dénote le début du XIVe siècle. Dans la dernière travée, en face du portail, est placé un bénitier constitué par une ancienne cuve baptismale circulaire sans pied, du XIVe siècle, décorée d'arcatures renfermant le Christ et les Apôtres.

En sortant des Cordeliers, nous nous dirigeons vers SaintPierre par la rue Majou. A l'entrée de celle-ci, et en avant d'une ancienne porte, est une chapelle votive, propriété privée, qui date de la Renaissance et dont certaines parties ont été réparées. Tout en montant, nous passons devant des maisons du XVIe siècle avec fenêtres à meneaux; dans une ruelle adjacente on trouve même des fenêtres géminées du XIVe siècle, encadrées d'une moulure d'archivolte.

Nous arrivons enfin sur la place Saint-Pierre. De l'extérieur, l'église nous apparaît comme un vaste monument à une seule nef, avec corniche à modillons. M. Vaïsse, qui vient nous apporter les excuses et les regrets de M. Cabanes, président de la Société de Gourdon, indisposé, veut bien nous donner quelques détails historiques sur l'édifice. Commencé en 1304, il a été terminé en 1515. L'inspection seule de la façade montre que ces dates doivent être exactes, car si on en examine les détails, on voit qu'ils sont du XVe siècle, notamment les piédroits du portail et, sur la gauche, une fenêtre flamboyante. Dans l'intérieur on remarque des rosaces latérales, comme à Carcassonne. A gauche, un des arcs formerets est surbaissé. Du même côté, une chapelle dédiée à Saint-François a été faite après coup.

Au XVIe siècle, de nombreuses reliques furent emportées de

l'église, que les protestants ravagèrent. Un ancien parchemin

mentionnerait, dit-on, l'existence d'un orgue au XIVe siècle.

Si le fait était parfaitement établi, il serait des plus intéressants.

1907 13


174 EXCURSION DE LA SOCIETE

Enfin, dans une ouverture de gauche du choeur, on peut voir des débris d'anciens vitraux, ajustés et mêlés à des verres blancs.

La compétence nous manque pour discuter la remarque d'un de nos collègues, à savoir que dans certains détails de cette église on pourrait sentir l'influence anglaise. Cette influence serait d'autant plus vraisemblable que Gourdon resta au pouvoir des Anglais de 1340 à 1370.

En nous dirigeant vers l'église Saint-Siméon, nous nous arrêtons un instant devant des murs percés de jolies fenêtres géminées. C'est tout ce qui reste d'une ancienne chapelle de Pénitents Bleus.

Saint-Siméon est une église récemment reconstruite, et le seul objet qui puisse y attirer l'attention est une chaire en bois sculpté, dont la cuve est portée sur les épaules d'un homme ayant un genou à terre. L'ensemble du travail n'est pas uniforme et décèle plusieurs mains comme plusieurs époques. On a dit que la chaire était du XVIIe siècle ; certains détails sont peut-être de cette époque, mais d'autres accusent une date postérieure.

Après le tour complet de la riante ville qu'est Gourdon, il ne nous restait plus qu'à nous réunir encore une fois autour d'une joyeuse table, avant de reprendre définitivement la route du retour.

Et le soir, sur le quai de la gare de Montauban, malgré le plaisir de deux journées passées en aimable et docte compagnie, on se serrait la main avec la pointe de mélancolie qui marque toujours les séparations, même quand on a l'espoir qu'elles ne seront pas de longue durée et que l'on pourra, dans des excursions futures, retrouver des compagnons rapidement devenus des amis.


LAMOTHE-CADILLAC

FONDATEUR DE LA VILLE DE DÉTROIT (MICHIGAN)

GOUVERNEUR DE LA LOUISIANE ET DE CASTELSARRASIN

NOTES COMPLÉMENTAIRES

PAR

M. EDOUARD FORESTIÉ

Secrétaire général de la Société archéologique Lauréat de l'Institut

Il y a quelques années à peine, le nom de Lamothe-Cadillac était à peu près inconnu de nos compatriotes. Il a fallu qu'une ville fondée par lui au-delà des mers, au centre d'un pays merveilleux, se préoccupât de connaître les origines de celui qui le premier planta les armes de France sur une terre encore sauvage, pour que l'attention du public lettré se portât sur ce personnage quelque peu énigmatique, autour duquel des légendes s'étaient formées. Grâce à la Société des pionniers du Michigan, aux patriotes de Montréal et de Québec, un peu de lumière a éclairé le passé et naguère la ville du Détroit célébrait avec un enthousiasme indescriptible le double centenaire de sa fondation en 1701 et magnifiait l'oeuvre de Lamothe-Cadillac, auquel les travaux de plusieurs de nos compatriotes : MM. Taupiac, De Lisle, Forestié père et Dumas avaient concouru, avec succès à restituer sa vraie et exacte personnalité.


176 ANTOINE DE LAMOTHE-CADILLAC

Nous devons particulièrement à M. Dumas de Rauly le mérite d'avoir identifié définitivement Lamothe-Cadillac et trouvé son extrait baptistaire, ce qui a permis à notre Société archéologique de justifier une fois de plus sa devise et sa mission de faire revivre les arts et les gloires du passé en érigeant solennellement à Saint-Nicolas-de-la-Grave, en 1904, une plaque commémorative sur la maison natale du Pionnier des grands lacs.

Depuis cette époque, l'intérêt qui s'attachait à ce personnage étant devenu plus direct et plus pressant, cette curieuse physionomie de découvreur de terres, de conquistador gascon nous ayant paru mériter d'être étudiée de plus près, nous avons voulu consulter nos vieilles archives, en même temps que nous lisions les documents officiels publiés par M. Pierre Margry, dans ses six gros volumes sur les découvertes dans l'Amérique du Nord, dans l'Histoire des Voyages, dans les livres du P. Hennepin, du P. Charlevoix, les récits de La Hontan et autres dont Lamothe-Cadillac fut l'émule et parfois le compagnon.

Ces lectures et ces recherches nous ont fortement intéressé, d'autre part, ayant pu constater avec regret que Lamothe-Cadillac attendait encore sa biographie, nous avons pensé à réunir tous les éléments que nous pourrions découvrir pour servir à cette oeuvre de tardive réparation à la mémoire d'un homme qui, après avoir joué outre-mer un rôle vraiment extraordinaire et avoir rendu d'immenses services à son pays, est mort à peu près ignoré de ses concitoyens.

Mais en attendant que ces recherches soient menées à bonne fin, que nous ayons pu colliger tout ce qui a été écrit et tout ce que renferment encore dans leurs arcanes nos archives publiques ou privées, il nous paraît utile et en même temps avantageux pour la cause que nous avons prise à coeur, d'entretenir l'intérêt du public en publiant nos découvertes. Nous savons d'ailleurs qu'en agissant ainsi nous entrerons dans les vues de nos confrères d'outre-mer qui, eux, ne se lassent point de publier les documents au fur et à mesure de leur découverte.

D'ailleurs, savons-nous si nous aurons le temps de mener à exécution un pareil travail de synthèse et d'analyse?


ANTOINE DE LAMOTHE-CADILLAC 177

Aussi, quelque décousu que paraisse notre labeur actuel, nous le donnons tout simplement au public tel quel et sans prétention.

Tout d'abord, la question du nom de notre personnage a été à peine ébauchée. On sait seulement qu'il s'appelait Antoine Laumet, qu'il était fils de Jean Laumet, docteur et avocat, juge de Saint-Nicolas, mais on ignore généralement pourquoi et comment on le retrouve à vingt ans sous la peau d'Antoine de Lamothe-Cadillac.

Ceci mérite une explication. Arrivé simple cadet de Gascogne vers 1675 au régiment de Dampierre, puis entré à celui de Clerambalult, il a dû avoir quelques raisons de changer de nom. A moins qu'en embrassant l'état militaire, il ait commencé à préparer ce changement par l'adjonction de LamotheCadillac à Laumet. Cela serait dans la tradition et dans les usages de l'époque: un de ses officiers, au régiment de la marine, qui se nommait Delperé, ne prit-il pas le nom de Cardaillac, sous lequel il fit toute sa carrière et devint également chevalier de Saint-Louis ; un autre prit le surnom de D'Antin, un troisième celui de Lachapelle, sous le prétexte de se distinguer. C'était la mode admise 1.

Mais on se demande pour Antoine Laumet pourquoi il fut incité à prendre ce double nom de Lamothe-Cadillac, plutôt que tout autre. A cela, l'étude des registres de notaire et des

(1) Il est également possible que Louis XIV, à un moment où la personnalité de notre héros était le plus en vue, lui ait accordé des lettres de noblesse, comme il le fit pour Cavelier de La Salle ; il lui octroya bien, comme on le verra plus loin, une seigneurie importante avec tous ses droits. Les lettres données à Cavelier, le 13 mars 1675, et datées de Compiègne, disent : « Nous avons anobli et décorons du titre et qualité de noblesse ledit sieur Cavelier, ensemble sa femme et ses enfants, postérité et lignée..., ils soient tenus, censés et réputés nobles portant la qualité d'écuyers. »


178 ANTOINE DE LAMOTHE-CADILLAC

baptêmes et mariages de Saint-Nicolas nous ont fourni un semblant de réponse. Le nom de Lamothe et celui de Cadillac étaient sinon fréquents, du moins portés par quelques familles; mais l'état civil qu'Antoine Laumet s'est donné lors de son mariage à Québec, — et qui est absolument faux, il faut le reconnaître, — a dû lui être suggéré par un acte de baptême des registres paroissiaux de Saint-Nicolas.

Il se dit en effet: Antoine de Lamothe, sieur de Cadillac,fils de Jean de Lamothe, seigneur de Cadillac, de Launay, du Moutet, conseiller au Parlement de Toulouse, et de Jeanne de Malenfant.

Or, notre personnage, né en 1658, avait assisté, en 1669 — il avait douze ans, — au baptême de son cousin Jean Corbières, tenu au baptême par dame Anne de Malenfant de Pressac, épouse de Messire Sylvestre de Lussan, seigneur et baron de Lamothe.

Il est permis de croire que le personnage qui, le jour de son mariage, se donnait vingt-six ans, alors qu'il en avait vingtneuf, et qui défigure ainsi les noms de ses parents, obéissait à la préoccupation de dérouter — si jamais on eût pensé à les tenter, — les recherches pour établir son état civil.

Ces noms de Malenfant, de Lamothe, ces titres de conseiller attribués à son père, simple avocat et juge, étaient destinés, dans l'esprit de notre gascon, à se donner du galon.

Et même il alla jusqu'au bout, ainsi que le prouvent les armoiries que la ville de Détroit nous a communiqués comme étant les siennes : Elles peuvent se blasonner ainsi :

« Ecartelé au premier et quatre de gueules à la fasce d'argent accompagnée de trois merlettes de même posées deux et un, aux deux et trois contre écartelé au premier et quatre de gueules plein au deux et trois d'argent aux trois fasces de... »

Or, les deux quartiers un et deux ne sont autre chose que les armes des barons de Lamothe-Bardigues de la famille d'Esparbès de Lussan qui portent : d'argent à la fasce de gueules accompagnées de trois merlettes de sable posées deux et un. Les émaux seuls sont changés mais les pièces et la configuration


ANTOINE DE LAMOTHE-CADILLAC 179

de l'écu sont les mêmes. Il s'est borné à l'écarteler d'armes de Viviès en Langudoc ou d'Albret en Gascogne.

On voit donc qu'en ces diverses ocurences notre héros s'est montré parfaitement gascon ; ajoutons, pour la décharge de sa mémoire, que ce nom, il l'a illustré par sa bravoure et légalement par une concession royale que nous rapporterons plus loin.

La famille Laumet est originaire d'un petit hameau qui porte son nom, Les Laumets, situé à quelques pas de Caumont et à trois kilomètres de Saint-Nicolas-de-la-Grave. Depuis le XVIe siècle, ils figurent dans les actes de notaire de Caumont. En 1601, Etienne Laumet, licencié en droit, était juge de Castelmayran (Reg. de Nègre, notaire à Caumont), le grand-père d'Antoine, Arnaud Laumet, était bourgeois de Caumont, son père, Jean Laumet, est docteur ès-droits, avocat en parlement, et juge de Saint-Nicolas et de Caumont.

Par sa mère, Jeanne Pechagut, il descend également d'une longue lignée de marchands 1, de bourgeois de capitaines 2, de praticiens 3, de consuls 4 de Saint-Nicolas. Le mariage entre elle et Laumet explique comment leurs descendants ont eu des terres dans ces deux localités.

Antoine Laumet était le cadet et avait deux frères et quatre soeurs. Le frère aîné, ainsi qu'on le verra dans le testament de son père, se nommait François, et après s'être fait attribuer la moitié des biens de ses parents lors de son mariage, il dut être l'objet de la malédiction de son père par son « horrible ingratitude » ; l'autre frère se nommait aussi François, dit le

(1) En 1594, Sire Antoine Pechagut, marchand. (Desmons, notaire à Saint-Nicolas.)

(2) En 1503, Géraud Pechagut, capitaine (ibid); en 1584, Nicolas Pechagut, capitaine, de Saint-Nicolas. (Lacassagne, notaire.)

(3) En 1595, Jean Pechagut, praticien (ibid.)

(4) En 1584, Antoine Pechagut, consul. (Lacassagne, notaire.)


180 ANTOINE DE LAMOTHE-CADILLAC

jeune. Les soeurs étaient Anne de Laumet, qui épousa Pierre Lasserre, de Saint-Nicolas, bourgeois et consul de cette ville; Perrette, Jeanne et Paule.

Le testament de Jean Laumet se trouve dans les minutes de Capela, notaire royal de Saint-Nicolas, et est conservé dans l'étude de Me Moussaron, qui nous a obligeamment laissé compulser ses riches archives.

Nous croyons intéressant de le publier en entier, car on y verra, outre la teneur originale de ces documents suprêmes au XVIIe siècle et la foi ardente qui animait alors les testateurs, le soin avec lequel ils réglaient après leur mort leurs affaires spirituelles et temporelles, prévoyant les événements et y parant par des dispositions prévoyantes.

TESTAMENT DE JEAN LAUMET

Au nom de Dieu, soit. Sachent tous présents et advenir que ce jourd'hui, huitième jour du mois d'octobre 1684, à Saint-Nicolasde-la-Grave, après midi et maison d'habitation du testateur basnommé, diocèse de Lectoure, séneschaussée de Toulouse, régnant Louis, par grâce de Dieu, roy de France et de Navarre, devant moy, notaire et témoings bas-nommés, constitué en sa personne Me Jean Laumet, docteur es-droits, avocat en parlement, juge dudit Saint-Nicolas et Caumont, lequel estant sain de son corps, après une longue maladie, de laquelle il est revenu en reconvalescence, estant en parfaite mémoire, et en son bon sens, appréhendant d'être surpris en maladie, et en considérant à la mort pour n'y avoir chose plus certaine ni plus incertaine que le jour et heure d'icelle, à cause de quoy et pour éviter qu'après son décès il n'y aye question ni différend entre ses enfants pour raison de son hérédité, et voulant y prévenir, a voulu disposer d'iceux comme s'ensuit :

Et comme un bon catholique, apostolique et romain, s'est muny du signe de la croix sur sa personne en disant : In nomine Patris et Filii et Spiritui sancti. Amen. Et a recommandé son âme à Dieu, à la glorieuse Vierge Marie, saint Jean, saint Laurent, saint Nicolas, et à tous les autres saints et saintes du Paradis, pour qu'il leur plaide intercéder pour son âme envers sa divine Mère, afin que quand plaira à Dieu l'appeler de ce monde, puisse être placée en


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son royaume céleste. Et son corps veut que soit enseveli dans l'église dudit saint Nicolas et tombeau de ses prédécesseurs maternels, ou bien au tombeau de feu sieur Antoine Pechagut, son beau-père, au choix de Dlle Jeanne de Pechagut, son espouse, et ses honneurs funèbres et obsèques à la discrétion de ladite demoiselle de Pechagut, son épouse, à laquelle il se confie.

Item, donne et lègue ledit testateur à demoiselle Anne de Laumet, sa fille légitime, veuve du sieur Pierre Lasserre, cinq sols à elle payables dans l'an de son décès, et moyennant ce et la constitution dotale que ledit testateur lui fit dans ses pactes, veut qu'elle se contente et ne puisse autre chose demander sur ses biens, la faisant son héritière particulière et lui impose silence perpétuel ;

Item, donne et lègue ledit testateur à Antoine et François Laumet, ses fils légitimes plus jeunes, à Jeanne, Perrette et Paule Laumet, ses filles légitimes, et à un chacun d'eux la somme de cinq cents livres, à eux payables lorsqu'ils se colloqueront en mariage, laissant au surplus la liberté à ladite demoiselle de Pechagut, leur mère, de les avantager ainsin et comme bon leur semblera.

Item, donne et lègue au sieur Guillaume Laumet, son frère, bourgeois dudit Saint-Nicolas, cinq sols, voulant, au surplus, qu'il soit payé du reste du légat à lui fait par le testament de feu Arnaud Laumet, leur père commun vivant bourgeois de Caumont.

Item, donne et lègue ledit testateur à tous ses petits-fils et à tous autres légitimes successeurs et à un chacun d'eux, cinq sols payables dans l'an de son décès; et moyennant ce, les fait héritiers particuliers, veut qu'ils ne puissent autre chose demander sur ses biens, leur imposant silence perpétuel.

Et pour ce que le chef et fondement de tout bon et valable testament est l'institution héréditaire, à cause de quoi ledit testateur a, en tous et chacuns ses autres biens droits, voix; noms, actions et prétentions quelconques en quelque lieu qu'ils soient situés ou assis, fait et instituée son héritière de sa propre bouche nommée et surnommée, savoir est : la demoiselle Jeanne de Pechagut, son épouse, pour, de ses biens en faire et disposer en faveur de tel ou tel de ses enfants, ainsi qu'elle les jugera plus dignes l'un que l'autre (à l'exclusion de François Laumet, leur fils ayné), desdits Antoine et François Laumet, ses frères, et desdites Perrette, Jeanne et Paule, ses soeurs, auquel dît François Laumet ayné, ledit sieur testateur lègue ce qu'il ne peut pas lui oster en justice à cause qu'il


182 ANTOINE DE LAMOTHE-CADILLAC

s'est rendu sy horriblement ingrat et cruel envers ledit sieur testateur et ladite demoiselle de Pechagut, ses père et mère, depuis qu'il s'est fait donner sous de belles promesses de reconnaissance et de gratitude la moitié de leurs biens, qu'il est indigne de toute succession. A cause de quoi et pour obtenir en justice la révocation de la susdite donnation, ledit testateur a dû avoir, conjointement avec ladite demoiselle de Pechagut, présenté requête devant Monsieur le Sénéchal de Toulouse, répondue de son appelation du jugement et signiffié le 20e septembre dernier, et en cas que ladite instance ne fût finie par arrêt définitif avant le décès dudit testateur, icellui veut et charge sa dite épouse et héritière d'en faire la poursuite jusques à un arrest définitif, et en cas que sa dite espouse viendrait à décéder aussi avant que ladite instance fût achevée, veut aussi que lesdits héritiers ou héritières que sa femme instituera poursuivent ladite instance de révocation de ladite donnation et ainsi de l'un à l'autre des héritiers ou héritières jusques y avoir arrest définitif.

Et en cas viendraient à décéder, substitue audit cas ledit sieur Guillaume Laumet, son frère, pour achever ladite instance.

Et telle a dit le testateur être sa vollonté, son dernier nuncupatif testament et ordonnance de dernière disposition que veut que vaille comme tel et où ne vaudrait comme testament, veut que vaille par droit de donnation faite à cause de mort et en la meilleure forme que de droit, us et coutumes, pourra valoir, cassant, révocquant et annullant tous autres testaments codicilles et donnations qu'il pourrait avoir ci-devant faits. Veut et entend que aucun aye valleur ni efficace que celuy présent nuncupatif testament.

Et a prié les témoins numérés qu'il a fait appeler et recognus luy porter témoignage de vérité et à moi, notaire luy retenir acte.

Présents: Me François Dubernard, avocat ès-ordinaires ; Jean Albournac, maître chirurgien ; Antoine Cassaigne, marchand ; sieur Jean-Antoine Cassaigne, bourgeois ; François Capela, praticien ; Jean Fieuzal, garçon chirurgien, habitants de Saint-Nicolas, soubsignés avec ledit testateur et Jean La Blanque, laboureur dudit SaintNicolas, non signé pour ne savoir, de ce requîs, et moy Antoine Capela, notaire royal dudit Saint-Nicolas, requis soubsigné.

LAUMET, testateur. ALBOURNAC, CASSAIGNE, DUBERNARD, CASSAIGNE.

CAPELA, notaire royal.


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On remarquera que dans cette pièce Antoine Laumet et son frère cadet ne reçoivent que cinq cents livres pour toute légitime, ainsi que ses soeurs.

Les quatre filles de Jean Laumet firent de bons mariages : Paule épousa Messire Martial de Fossat, conseiller à la Cour des Aides de Montauban ; Jeanne épousa M. François de Lannes, avocat en parlement de Saint-Sardos ; Perrette épousa M. Mauquié, de Montgaillard ; François l'aîné avait épousé demoiselle Louise d'Auriol de Peyrens et était décédé avant 1718.

Laumet de Lamothe-Cadillac, à son retour du nouveau monde, fit, avec ses neveux et beaux-frères, le règlement général. « parce que dit-il, il avait demeuré longues années absent de ce pays, estant au service de Sa Majesté dans les colonies, et à son arrivée depuis peu avoir trouvé M. Jean Laumet et Mlle Jeanne de Pechagut, ses père et mère, et le sieur François Laumet, son frère aîné, décédés, et tous les biens, noms et actions leur ayant appartenu et par eux délaissés être en litige entre les prétendans sur les successions desdits deffuncts. » Il déclare » estre le seul mâle de la famille », et qu'il est en droit de s'instruire de Testât et consistance de ladite succession. » On constate qu'elle consiste en « une maison ruineuse à Caumont, des prés à Angeville, des biens à SaintNicolas, une maison située devant la place dudit Saint-Nicolas rumeuse, un enclos et un pigeonnier, etc., le tout estimé 18 mille livres. » Cet acte est très curieux. Nous le publierons en son temps, car il complète divers autres actes que nous avons également relevés.

Mais pour l'instant, nous tenons à donner la pièce la plus importante, selon nous, de ce dossier destiné à former un des chapitres intéressants de la biographie de notre compatriote que nous préparons depuis la fête à laquelle notre Société archéologique a attaché son nom. Cette pièce, nous l'avons découverte récemment en relevant dans le contrôle de Castelsarrasin les divers actes, d'ailleurs très nombreux que les notaires de cette ville et ceux de Saint-Nicolas passèrent à l'occasion du règlement de la succession de Lamothe Cadillac. Il est cité


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dans le contrôle comme étant passé devant le juge de Castelsarrasin ; or, dans le fonds de cette judicature, au milieu d'une liasse d'inventaires nous avons trouvé celui que nous publions ci-après :

INVENTAIRE DES BIENS-MEUBLES

D'ANTOINE DE LAMOTHE-CADILHAC

(Archives de Tarn-et-Garonne — Série B, Justice de Castelsarrasin)

L'an 1731 et le 16 juin, dans la Ville de Castelsarrasin, par devant nous, Jean-Clair Lamalatie, juge, et dans notre habitation,

A comparu le sieur Joseph de Lamothe-Cadillac, habitant de cette Ville, fils à feu messire Antoine de Lamothe-Cadillac, ancien gouverneur de la Louiziane et chevalier de l'ordre militaire de SaintLouis, qui nous a dit que ledit sieur, son père, seroit décédé le 15 octobre dernier, à cause de quoy la dame Marie-Thérèse de Guyon, sa mère, voudrait qu'il fût procédé à l'inventaire et description de tous les meubles et effets délaissés par ledit feu sieur de Lamothe, et, à ces fins, nous requiert qu'il plaise nous transporter dans la maison d'habitation de ladite dame pour procéder audit inventaire, et a signé :

LAMOTHE-CADILLAC.

Sur quoy, nous, dit, juge adhérant auxdites réquisitions, nous serions transporté avec ledit sieur Lamothe et nostre greffier ordinaire en ladite maison, où estant, aurait compareu dans une salle haute sur le derrière de la maison ladite dame Marie-Thérèse de Guyon qui nous aurait dit que ledit sieur de Lamothe, son époux, serait décédé ledit jour 15 octobre dernier ayant laissé de leur mariage les sieurs Joseph, François de Lamothe-Cadillac, et demoiselle Thérèse de Lamothe, épouse à noble François de Pouzargues, que par son contrat de mariage elle se trouve créancière sur la succession du sieur de Lamothe tant pour ses cas dotaux que autres droits mentionnés audit contrat de mariage pour la conservation desquels il leur importe qu'il soit procédé audit inventaire en


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présence des sieurs de Lamothe, ses enfants, et de la dame de Pouzargues, assistée du sieur de Pouzargues.

Sur quoy nous, dit juge, faisant droit sur lesdites réquistitions, nous avons procédé audit inventaire comme s'en suit en présence desdits sieurs de Lamothe, de la dame de Pouzargues, et du sieur de Pouzargues, après toutesfois avoir reçu le serment de ladite dame de Guyon, des sieurs de Lamothe, ses enfants, et d'Antoinette Bourthoumieu, fille de service lors du décès du sieur de Lamothe, et encore au service de ladite dame, les autres domestiques lors du décès du sieur de Lamothe n'estant présentement chez elle lesquels leur main levée à la Passion figurée notre Seigneur, ont juré n'avoir caché ni retiré aucuns effets dépendant de la succession du sieur de Lamothe.

PREMIÈRE CHAMBRE

MEUBLES

Premièrement dans ladite chambre:

3 pièces de tapisserie de Bergame commune, neuves ;

12 chaises à la Dauphine, bois de fau 1, vernissé, garnies de toile en carreau demy usées ;

2 fauteuils de même ;

1 lit garny de serge neuve citron à l'ange, bois de fau, avec une courte-pointe de couton, piquée neuve, une couverte de laine blanche fort usée, un petit matelas fort usé, de toile en carreau avec 10 livres de plume, un couette coutil, un aurelillé aussi coutil, et dans iceux s'est trouvé : 30 livres bonne plume ;

1 joung femelle 1 à pomme d'or que ladite dame a dit lui appartenir ;

1 grand et petit aureiller avec 6 livres bonne plume ;

1 petit buffet bois de fau quasi neuf, à deux ouvrants avec sa serrure et clef, dans lequel ne s'est trouvé rien ;

1 autre armoire, bois de fau vernissé, quasi neuf, avec sa serrure et clef dans laquelle s'est trouvé :

LINGE

8 draps neufs fin fil de chanvre ;

12 draps fins fil de chanvre demy-usés ;

(1) Chaises à dossier en bois de hêtre;

(2) Une canne en jonc.


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8 douzaines serviettes treslis grossières quasi-neuves ; 26 nappes treslis grossières, quasi-neuves ;

26 nappes treslis grossières, quasi-neuves ; 5 autres petites nappes même qualité usées ;

9 autres nappes d'estouppe même qualité, usées ;

8 grandes nappes fines ouvrées, demi-usées ;

7 douzaines et 4 serviettes fines ouvrées demy-usées ;

De plus, dans ledit armoire les habits et le linge de ladite dame que les susdites parties ont dit n'estre nécessaire ny d'usage d'insérer au présent inventaire, plus :

ARGENTERIE

1 aiguière neuve d'argent à poinçon de Paris pesant 4 marcs, 4 onces et deux gros 1/2 ;

1 grande écuelle avec son couvert aussi argent pesant 3 marcs,

3 onces, 5 gros ;

6 couverts d'argent, cuillère et fourchette pesant 4 marcs et

4 gros ;

6 couteaux à manche d'argent ;

1 poivrière à deux ouvrants de même argent pesant 1 marc 7 gros ;

Le tout aux armoiries dudit feu sieur de Lamothe ; 6 autres petites cuillères d'argent à caffé ;

9 couteaux de table à manche d'ivoire.

ARGENT MONNAYÉ

Plus dans un petit sac 83 écus de 6 livres pièce, que ladite dame a dît provenir de partie des pensions dudit feu sieur de Lamothe ;

Plus dans ladite chambre : un vieux coffre bois de publier avec sa serrure et clef, dans lequel s'est trouvé :

LINGE

22 draps grossiers à l'usage des domestiques, onze de neufs et onze d'usés ;

30 serviettes fort usées à l'usage de la cuisine ; 1 petite table à pliant bois de peuplier ;

DEUXIÈME CHAMBRE

MEUBLES

Et de là, passés à une autre chambre contigue, y avons trouvé :


ANTOINE DE LAMOTHE-CADILLAC 187

1 petite couchette bois de noyer avec une paillasse, un matelas avec 6 livres de crin, de toile à carreau, une couverte blanche usée ;

Plus 1 lit bois de fau, une coette de treslis demy-usée remplie de plume de volaille, deux traversins, deux mauvaises couvertures, un petit matelas ;

TABLEAUX

Quatre tableaux à peinture fine, un avec son cadre doré représentant le dit sieur de Lamothe et les trois autres sans cadre de la dame de Guyon, du sieur Lamothe fils aîné et de la fille aynée, et 1 grand panier appelé chaufa, d'ozier ;

TROISIÈME CHAMBRE

Et ensuite passés à une autre chambre, occupée par ledit sieur François de Lamothe, s'est trouvé :

MEUBLES

1 lit garni d'une serge citron fine neuve à l'Ange, une couverte de laine blanche usée, deux draps fins de chanvre demy-usés, un matelas de toile à carreau demi-usée avec 16 livres de laine, une couette coutil quasi-neuve, et son traversin de même avec 30 livres de plume, une paillasse, le chalit bois de fau ;

Plus 6 chaises de paille usée ;

2 chenets de fer ouvrés avec leur pomme, et pincettes de fer ; 3 fusils et une carabine de Sedan, un gaucher et l'autre à 2 coups ;

SALLE A MANGER

De cette chambre, passés dans un sallon entre les chambres des sieurs de Lamothe, nous avons trouvé :

I tenture de tapisserie de Bergame en 4 pièces neuves ;

II chaises de paille demy-usées ;

1 table à pliant bois de publier à 12 couverts demi-usée ; 1 rideau à la fenêtre de toile blanchie fine usée avec une barre de fer ;

QUATRIÈME CHAMBRE

De là, passés à la chambre dudit sieur de Lamothe ayné, nous y aurions trouvé :


188 ANTOINE DE LAMOTHE-CADILLAC .

MEUBLES

1 lit garny d'une serge verte avec de passeman blanc très usée et percée, une courte pointe de taffetas rouge et citron très usée, un matelas de toile à carreau usé avec 20 livres de laine, une couette et traversin de coutil fin usé avec 30 livres de plume dedans, une couverte de laine blanche usée ; une paillasse et bois du lit de fau demi-usé ;

2 chenêts, paile et pincettes de fer ;

2 petits croissants fer ;

6 chaises de paille usées ;

1 rideau à la fenêtre de toile blanche demy-usée avec une barre fer ;

1 petite table à tiroir, bois de fau, les pieds tournés ;

CUISINE

Et de là estans descendus et entrés dans la cuisine, y avons trouvé :

VAISSELLE D'ÉTAIN

1 grand plat à laver d'estaing fin ;

2 autres grands plats ;

2 autres moyens ;

6 autres plats petits ; 2 autres plus petits ;

3 douzaines assiettes neuves ; 30 autres assiettes usées ;

1 plat à barbe ;

1 petite écuelle avec son couvert ; Le tout d'estaing, pesant 154 livres. 1 seringue garnye étain fin ;

USTENSILES

1 moulin à poivre ;

1 petite lèchefrite fer blanc ;

1 grande lèchefrite de fer ;

2 rapes, une petite et une grande ; 1 vieux réchaud ;

3 tréptieds fer, un grand et deux petits 1 grand chaudron ;


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1 petit ;

1 poëlon en cuivre rouge avec leur anse fer, le tout pesant 48 livres ;

2 broches fer ;

1 fanal vieux et une lanterne ;

2 cuillères à pot, l'une de fer et l'autre de bois ; 1 vieille mascotte ;

1 grand couteau ;

1 mortier bois avec son pillon de même ;

1 gril de fer ;

2 poëles à frire ;

CUIVRES

2 poëlons, un grand et un petit de cuivre jaune avec leurs queues fer ;

1 bassine de lit fort vieille ;

1 tourtière cuivre rouge avec son couvercle, vieille ;

1 passoire de cuivre jaune ;

3 friquets 1 à écumer les pots, fort usés ;

2 casserolles de cuivre avec leurs queues fer, fort usées ;

AUTRES USTENSILES

1 grande poëlle de fer ;

1 petite paire de pincettes ;

1 paire de gros chenets de fer ;

1 roue à broche avec sa chesne de fer ;

3 fers à glisser, avec une boite fer ;

1 auge bois de publier ;

2 couvertes de pot, une en cuivre et l'autre de fer, vieilles ; 2 grandes cuillères métail de prince ;

1 couvre soupe de fer blanc ; 6 chandeliers de cuivre jaune ; 1 paire de mouchettes :

1 boîte à poivre, de fer blanc ;

2 lampes, une fer blanc et l'autre de cuivre jaune ;

POTERIE

3 cruchets de terre ; 6 pots terre à soupe ;

(1) Écumoire.

1907. 14


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3 terrines de terre ;

2 grands plats ;

VERRERIE

6 bouteilles verre d'Angleterre ; 6 verres ;

3 grosses bouteilles de verre avec leurs paniers d'osier ; 1 saladier terre de fayence ;

2 gobelets de cristal ; 2 garaffes de verre ;

Plus 2 bancs de noyer et une table longue de mesme à l'usage de la cuisine.

Et attendu l'heure tarde, avons renvoyé la continuation du présent inventaire à l'heure de deux de l'après midi, de ce jourd'hui. En foi de quoi nous sommes signés, avec la dame de Guyon, lesdits sieurs de Lamothe, ledit sieur de Pouzargues et la dame son épouse :

MARIE-THÉRÈSE GUYON LAMOTHE-CADILLAC,

DE POUZARGUES,

THÉRÈSE LAMOTHE DE POUZARGUES,

LAMOTHE-CADILLAC,

LAMOTHE-CADILLAC,

LAMALATIE, juge,

LAFERRIÈRE, greffier.

CONTINUATION DE L'INVENTAIRE

Advenu le jour et an que dessus, sur l'heure de deux de l'aprèsmidi, dans ladite maison, où nous nous sommes transportés à l'effet de la continuation du présent inventaire, en conséquence de notre ordonnance et auquel a été procédé en présence des parties ci-dessus dénommées, comme s'ensuit :

GRANGE

Premièrement, estant entrés dans la grange à bois nous y aurions trouvé 6 cannes de bois d'ormeau et 50 fagots de bois de saule ;

COUR

De là serions allés à la cour où nous aurions trouvé une barrique à l'entrée, dans laquelle ne s'est trouvé rien dedans et que ladite


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dame a déclaré appartenir à M. d'Azèmar, et une autre barrique dans laquelle il y a un peu de vin ;

CORRIDOR

De là à un courroir répondant à la grand porte de la maison, où nous avons trouvé : une chese de poste à ressort en mauvais état, garnie en dedans d'étoffe rouge fort usée avec trois glaces, une cassée et l'autre en bon état ;

CABINET

Et ensuite, remontés en la chambre dudit sieur de Lamothe ayné et passés à un petit cabinet placé sur la cour, la joignant, dans lequel nous avons trouvé :

TITRES ET ACTES

1° Un mémoire daté du 3 juillet 1723, retenu par Pratviel, notaire de Toulouse portant obligation de la somme de 50 livres de rente ou pension viagère en faveur de dame Marie Magdeleine de Lamothe, religieuse professe des religieuses chanoinesses du monastère de Saint-Sernin 1, que nous avons paraffé en marge du 1er juillet ne varietur, de notre seing et cotté n° 1

2° Plus un extrait de délibération des RR. PP. Carmes de cette ville du 16 juillet 1730, portant pouvoir au R. P. Bazille d'empruntel la somme de 200 livres, avec le billet dudit P. Bazille en bas de ladite déclaration, portant depte de la somme de 200 fr. en faveur dudit feu sieur de Lamothe à titre de rente constituée. Paraffé de nom et cotté n° 2

3° Plus une déclaration du sieur Granminy faite à Québec, par laquelle il s'oblige à remettre audit feu sieur de Lamothe 17 lettres d'échange seconde, tant des sieurs Dupuy de Monseignac revenant à la somme de 23,585 livres, 7 sous, le tout à la charge par ledit sieur de Lamothe de remettre audit Grandmenil le billet par lui consenti à leur égard, ladite déclaration datée du 9 novembre 1711, sur une demi feuille de papier. Paraffé de même et cotté n° 3.

4° Plus une quittance en faveur dudit sieur de Lamothe du sieur

(1) Cette mention est précieuse parce qu'elle indique qu'une des filles de Lamothe-Cadillac était entré en religion. Les autres survivants des treize sont, comme on l'a vu : François, avocat ; Joseph, ancien mousquetaire ; et Thérèse, épouse de François Pousargues.


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Delpech Trauquet de la somme de 65 livres pour loyer de maison, dattée du 17 septembre 1730. Paraffée au bas et cottée n° 4.

5° Plus un billet de Marie Lagarde, en faveur dudit feu sieur de Lamothe, de la somme de 22 livres 10 sous, payable à volonté, dans lequel il est dit que ledit billet sera de non valeur, le cas que deux autres billets pour le même sujet fussent trouvés. Daté à Paris, le

11 septembre 1727. Paraffé au dos et cotté n° 5. 6° Plus un extrait d'un billet du sieur Rossat, en faveur dudit

sieur de Lamothe de 21 louis de 24 livres pièce, chacun, datté de Paris, le 17 juillet 1726, en papier marqué. Paraffé en marge et cotté n° 6.

7° Plus un autre billet de la somme de 200 livres, signé Lamyre, fait à Paris, le 4 novembre 1724 en faveur du sieur Lamothe. Paraffé au bas et cotté n° 7.

8° Plus un mémoyre des papiers que ledit feu sieur de Lamothe laissa en mains au sieur Lamarche, signé dudit Lamarche, datte à Paris, le 16 septembre 1727, et au dos dudit mémoire autre déclaration dudit Lamarche, contenant qu'il a plusieurs papiers de la taxe des frais et lettres de M. l'abbé de Belval, datte de Paris le même jour. Paraffé en marge et dernière page et cotté n° 8.

9° Plus un billet de la somme de 50 livres en faveur dudit sieur de Lamothe, signé : chevalier de Grégoire, payable à volonté. Datte à Castelsarrasin le 16 janvier 1728 ; paraffé au bas et cotté n° 9.

10° Plus un autre billet en faveur dudit sieur de Lamothe, de la somme de 108 livres, signé Pujol ayné, payable à volonté, datté à Paris, le 31 mars 1719. Paraffé au dos et cotté n° 10.

11° Plus une déclaration du 4 mai 1728, signée Canasilles, par laquelle il déclare qu'il se désiste de l'instance qu'il avait formée contre ledit sieur de Lamothe comme héritier du sieur Guillaume Laumet, avec promesse de ne lui rien demander comme courent de nous (sic). Paraffé et cotté n° 11.

12 Plus un billet signé de Lavit, datté à Paris le 13 avril 1726, en faveur dudit feu sieur de Lamothe de la somme de 40 livres en deux louis d'or. Paraffé et cotté n° 12.

13° Plus un rôle de Jeanne-Marie de Jammes, marchande de cette ville de la somme de 58 livres 4 sous, avec la quittance au dos de ladite Jeammes, du 12 janvier 1730 ; de nous paraffé et cotté n° 13.

14° Plus une autre quittance dattée à Paris le 3 janvier 1729, de


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la somme de 103 livres 5 sous, du sieur Cantegril de Saint-Nicolas, en faveur du sieur de Lamothe, de nous paraffé et cotté n° 14.

Après quoy ladite dame a déclaré avoir entre les mains du fermier de Saint-Nicolas onze ruse 1 barriques bois de chène quasy neufves, onze comportes bois de saule, une tonne coulant huit barriques, avec de cours 2 en bon estat ; un cuvié coulant une barrique et demie, avec ses cercles, douze planches de sapin ; quelques planches de noyer pour faire une armoire, une huche à pétrir, et que tous les habits dudit feu sieur de Lamothe avec son épée noire furent donnés à son valet de chambre, suivant l'ordre qu'il en avait laissé.

De plus, elle a reçu la somme de 3,500 livres du sieur de Lamarche, dont elle et le sieur Joseph de Lamothe lui ont fait quittance pour les pensions eschues avant le décès que estaient fixées à 4,000 livres ; par cet ordre il est encore due la somme de 500 livres, et que les 83 escus de 6 livres trouvés dans un sac tiré de l'armoire de la chambre de ladite dame firent partie de cette somme de 3,500 livres et que lors du décès dudit feu sieur de Lamothe ladite dame avait eu en mains la somme de 1,500 livres en espèces d'or et d'argent.

Depuis elle a reçu du sieur Belval la somme de 306 ou 7 livres pour frais contre lui exposés par ledit sieur de Lamothe pour le contraindre à lui payer une somme de 30,000 livres dont il demeurait son débiteur, laquelle somme de 3,000 livres fut reçue par ledit sieur de Lamothe.

De plus qu'il y a un billet d'honneur du feu sieur Mortier, garde du roy, de la somme de 4 livres, en faveur du feu sieur de Lamothe qui est remis entre les mains d'un procureur pour en poursuivre le paiement par devant le subdélégué de MM. les maréchaux de France.

Déclarant les sieurs de Lamothe frères avoir reçu du sieur Delbert, fermier du sieur de Lamothe, la somme de 500 livres, depuis le décès dudit feu père pour le pat escheu le 1er novembre dernier, le second devant eschoir le jour de la Saint-Jean.

Après quoy ledit sieur de Pouzargues icy présent a dit, requis et prié ladite dame Guyon de Lamothe d'exhiber son contrat de mariage avec le feu sieur de Lamothe, son mari, pour que dans le

(1) Ruse, bois de futaille, merrain ;

(2) Cours, cercles en bois.


194 ANTOINE DE LAMOTHE-CADILLAC

présent inventaire il soit fait mention de sa date, du nom du notaire et du lieu où il a été retenu.

Sur quoi le sieur de Pouzargues, à qui ledit acte a été communiqué par ladite dame de Guion, sa belle-mère, nous a dit en présence de toutes parties avoir vu et trouvé qu'il fut passé à Québec par devant Me François Genaple, notaire, le 21 juin 1687, desquels susdits effets la sudsite dame de Guyon avec ledit sieur de Lamothe, son ayné, se sont volontairement chargés.

Ce fait, nous avons renvoyé, du consentement desdites parties, la continuation dudit inventaire à la première réquisition; En foy de quoy, avons signé avec ladite dame, lesdits sieurs de Lamothe, ledit sieur de Pouzargues, et ladite dame, son épouse, qui a dit n'entendre donner aucune atteinte à leur contrat de mariage ni autres droits, comme la dame et les sieurs de Lamothe.

MARIE-THÉRÈSE GUYON DE LAMOTHE-CADILLAC,

LAMOTHE-CADILLAC,

LAMOTHE-CADILLAC,

THÉRÈSE LAMOTHE DE POUZARGUES,

DE POUZARGUES,

LAMALATIE, juge,

LAFFERRIÈRE, greffier.

REPRISE DE L'INVENTAIRE

Advenu le 3 août 1733, sur l'heure de deux d'après midy, dans la ville de Castelsarrasin, dans notre maison d'habitation, a compareu ladite dame Marie-Thérèse de Guyon, veuve du sieur de Lamothe, qui nous a dit qu'à sa réquisition il aurait été par nous procédé à l'inventaire et désignation des effets délaissés par ledit sieur de Lamothe le 16 juin 1731, et comme elle désire que ledit inventaire soit clôturé, requiert qu'il nous plaise nous transporter en sa maison d'habitation pour procéder à ladite clôture et que par des experts il soit premièrement procédé à l'estimation des meubles et effets y contenus. Et a signé :

Thérèse de GUYON, veuve de LAMOTHE-CADILLAC.

Sur quoy nous, dit juge adhérant aux réquisitions, nous serions transporté avec nostre greffier en la maison de ladite dame de Guyon, à l'effet de clore le présent inventaire auquel effet et pour extima-


ANTOINE DE LAMOTHE-CADILLAC 195

tion des meubles et effets y mentionnés nous avons nommé pour experts Me Géraud Azam, avocat en Parlement, et Jean Gay, praticien, habitant de ladite ville, lesquels mandés venir et après serment par eux fait leur main mise sur les saints Evangiles de bien et duement procéder à l'estimation des meubles et effets et iceux leur ayant été représentés en présence des sieurs de Lamothe-Cadillac, frères, fils dudit feu sieur Antoine Lamothe, ont estimé ladite argenterie à la somme de 600 livres et les autres meubles et effets à la somme de 986 livres, et ont signé :

AZAM, expert GAY, expert.

Après quoy, ladite dame de Guyon et lesdits sieurs de Lamothe ont dit avoir oublié de déclarer en son lieu que la pièce cottée 3 audit inventaire portant dépôt par le sieur Grandmenil de 17 lettres de change, montant le tout à la somme de 23,785 livres 7 sous, datée du 9 novembre 1711, est une pièce caduque, comme la remise en ayant été faite et le montant acquitté audit sieur de LamotheCadillac longtemps avant son décès et qu'ils renoncent à ladite pièce et déclarent n'en vouloir tirer aucun avantage, déclarent en outre lesdits sieurs de Lamothe, ledit sieur de Lamothe-Cadillac, leur père estre mort ab intestat et qu'ils acceptent purement et simplement leur hérédité.

Et ont signé :

THÉRÈSE GUYON, veuve de LAMOTHE-CADILLAC,

LAMOTHE-CADILLAC,

LAMOTHE-CADILLAC, Fait et clos et arrêté l'an et jour susdits,

En foy de quoy, nous avons signé avec nostre greffier,

LAMALATIE, juge, LAFFERRIÈRE, greffier.

Controllé à Castelsarrasin le 3 août 1733. Reçu 55 livres. Fait ledit jour pour 3 séances. Reçu 6 livres 15 sols.

DESCOMBELS.

Passé 6 livres, moitié moins pour nous greffier,

LAMALATIE, juge.

Après la publication de cette pièce dont on comprendra l'intérêt surtout lorsqu'on sait que les Américains de Détroit


196 ANTOINE DE LAMOTHE-CADILLAC

cherchent depuis longtemps le portrait du fondateur de cette ville, portrait dont l'existence est ici attestée, il nous restera bien des documents fournis par les études notariales et l'Etat civil incomplètement fouillés jusqu'ici, et qui nous éclaireront sur les ascendants, les descendants ainsi que la jeunesse et la vieillesse de ce personnage resté longtemps énigmatique et dont la vie consciencieusement et minutieusement, fouillée révélera, nous en sommes certains, sa personnalité brillante et digne de tous les honneurs posthumes qui souvent, hélas, dans notre patrie, sont l'apanage des grands hommes méconnus de leur vivant.


PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES

SÉANCE DU 6 FEVRIER 1907

PRÉSIDENCE DE M. LE CHANOINE F. POTTIER

Présents : MM. le chanoine Calhiat, Grèze, Imbert, Lespinasse, capitaine Marcel, Mathet, Pécharman, Ressayre, Bourdeau, secrétaire.

Le procèsverbal de la précédente séance est lu et adopté

« Trop souvent, dit M. le Président, une place est faite dans nos séances à la nécrologie. J'ai le douloureux devoir de vous parler de deux morts qui nous furent chers:

« M. le chanoine Arnaud Ferrand, membre de l'Académie de Bordeaux, curé de Baurech (Gironde), après une maladie de quelques semaines, vient d'être enlevé à l'affection de tous ceux qui avaient pu le connaître. Il vous souvient, Messieurs, de ce poète charmant, qui fut l'un de nos plus distingués correspondants. Une de nos satisfactions les plus vives était de le voir presque chaque année, depuis 1870, nous arriver « les poches remplies » de l'exquise pâture déversée par sa Muse dans des réunions que sa présence seule eût pu rendre des fêtes, il était, il est vrai, attiré lui-même par le talent des Membres de notre section de musique donnant pour cadre à la poésie les chefs-d'oeuvre des maîtres anciens.

« Nos relations, aussi cordiales que littéraires, remontaient à notre excursion de 1890 dans la Gironde; l'Académie de Bordeaux, dont il était l'une des gloires, l'avait délégué pour nous attendre à Cadillac, et, dès lors, nous servir de guide. Une séance publique fut

1907 15


198 PROCÈS-VERBAUX DES SEANCES

donnée à Bordeaux à l'occasion de notre visite, le soir, dans la grande salle de l'Athénée, il donna devant un public choisi sa « Réponse à Nadaud ». La Garonne était vengée par un de ses riverains fortement épris du « Fleuve-Roi » ; le lendemain nous l'applaudissions à la Brède, évoquant l'Ombre de Montesquieu; l'année suivante à Montauban, à Saint-Roch lors de nos « Noces d'Argent », puis à Saint-Bertrand de Comminges, à Luchon, à Condom, à SaintEmilion. Dans notre ville combien de salons amis voulurent le posséder pour l'entendre, et quelle joie pour les élèves de notre Grand Séminaire lorsqu'il voulait bien leur donner, en vers français, des conférences sur la liturgie d'un enseignement aussi exact dans le fond que spirituel dans la forme.

« Très fière d'avoir à sa tête depuis 24 ans un prêtre d'une haute distinction la paroisse de Baurech, qu'il n'avait jamais voulu quitter, lui a fait des funérailles touchantes et grandioses. Cinquante prêtres y assistaient, témoignant par leur émotion non moins que par leur présence de la profonde et admirative estime dans laquelle ils tenaient leur confrère ; et parmi eux nombre de ses anciens élèves de rhétorique au Petit Séminaire de Bordeaux.

« Plusieurs ont parlé sur sa tombe, en votre nom, Messieurs, j'eusse voulu pouvoir le louer, à mon tour, après M. Durègne qui le fit au nom de l'Académie de Bordeaux, M. le curé doyen Moureau au nom du clergé. Un de ses parossiens M. Brunet a rappelé quelques vers de son poëme Mon clocher. Les voici :

Quand sonnera pour nous le réveil du tombeau Et que l'âme, en nos corps, redescendra ravie L'univers Pasteur, dans son divin manteau, Prendra l'humble berger dans son petit troupeau, Et les emportera vers l'éternelle vie.

« Un autre deuil, dit encore le Président, vient d'attrister notre Compagnie en m'atteignant plus directement. Un de nos confrères qui fut, parfois avec son cousin le général Dusan, le compagnon fidèle, érudit et toujours aimable de nos lointains voyages, M. Armand Reboulet vient de mourir à Grenade-sur-Garonne en chrétien à la foï robuste. Affable, généreux et bon, il fut durant sa longue carrière dans la petite ville qu'il habitait au service de chacun de ses compatriotes. Travailleur, érudit, amateur d'art, nul ne savait mieux que lui préparer un voyage de façon à le rendre profitable; aussi jusqu'à la fin de sa vie il se plaisait, avec une mémoire tou-


PROCES-VERBAUX DES SÉANCES 199

jour fidèle, a en rappeler les moindres détails. Sa demeure, ancienne maison du XVIIe siècle, complétée et ornée sous Louis XVI, s'ouvrait largement à ses amis ; bon nombre d'entre vous, Messieurs, en ont franchi le seuil, et il vous souvient qu'aidé par la bonne grâce des siens, il reçut d'une façon noblement hospitalière notre Compagnie, venant à Grenade en 1900 au retour de la prise de possession de Granselve par son 51e abbé. J'ai représenté la Société à ses funérailles, tout en payant le tribut dû à la parenté et à un profond attachement.

« Le comte de Narbonne Lara laisse, lui aussi, un grand vide dans la ville qu'il habitait : Castelsarrasin. Il nous fit visiter son hôtel il y a quelques années, à deux reprises une halte réconfortante au cours d'excursions nous a permis d'y admirer des tapisseries, prendre part aux réunions de la Société, ce qu'il aurait voulu pou«

pou« comtesse de Narbonne et les siens recevront de même que la famille de M. Roboulet l'expression des profonds regrets de notre Compagnie. »

Le baron de Curzay remercie par lettre de son admission dans la Société, il a été empêché d'assister, selon son désir, à notre séance.

Le colonel Frère qui a pris sa retraite après avoir commandé le 11e dans notre ville, veut bien écrire qu'il déplore de ne plus pouvoir prendre part aux réunions de la Société ce qu'il aurait voulu pouvoir faire plus souvent, il exprime son désir de conserver des liens qui lui tiennent à coeur.

M. le Ministre de l'Instruction publique annonce l'ouverture du Congrès des Sociétés savantes, qui, cette année, doit se tenir à Montpellier ; plusieurs membres de notre Compagnie comptent y prendre part et répondre aux questions du programme.

M. Forestié établira la statistique des journaux du département depuis le commencement du siècle.

M. l'abbé Taillefer donnera une étude sur les prénoms donnés au baptême.

M. Mathet lira un travail sur la lèpre et les lépreux au Moyen-Age dans notre région.

M. le Président communiquera : 1° Les coutumes de Saramon (Gers), récemment découvertes par lui ; 2° Notes sur les Mosaïques mises à jour dans le Tarn-et-Garonne ; 3° Les Pierres tombales gravées.

M. Saint-Yves présentera à la section de géographie historique :


200 PROCES-VERBAUX DES SEANCES

1° Nouvelles notes sur les consulats du Levant, particulièrement Rosette, Damiette, Chio, Milo, Athènes. Ce sont des listes de noms de vice-consuls avec les dates de leur entrée en fonction, de leur départ ou de leur décès, d'après les archives de la Chambre de Commerce de Marseille.

2° Les instructions données au comte d'Aché par le gouvernement de Louis XV pour l'expédition de l'Inde. Le comte d'Aché commandant l'escadre de l'expédition de Lally Tolendal. Cette pièce manuscrite très importante provient de la Bibliothèque Nationale et des archives Nationales. Ces documents sont du XVIIe et du XVIIIe siècle : il y a notamment une lettre de M. de Moracin sur la mort de Bussy le collaborateur de Dupleix.

4° Antilles françaises et Antilles anglaises à la fin du XVIIe siècle d'après les documents anglais.

Lectures : Documents sur Saint-Nicolas, par M. Grèzes ; Correspondance berlinoise, par M. Galabert.

La séance est levée à 10 heures.

Le Secrétaire,

J. BOURDEAU.

SEANCE DU 6 MARS 1907

PRÉSIDENCE DE M. LE CHANOINE F. POTTIER

Présents : MM. Pottier, président ; Buscon, abbé Bastoul, chanoine Calhiat, abbé Chatinières, A. Delpey, Imbert, archiviste ; Lespinasse, abbé Milhau, capitaine Marcel, Pécharman, Ressayre, I. de Séverac, Souleil, Baron de Soorbiac, Commandant Sibien, Colonel Tampé ; J. Bourdeau, secrétaire.

M. le Commandant Gillot, amené par M. Delpey, assiste à la séance.

Le procès-verbal de la séance de février est lu et adopté.

M. le Président dépouille la correspondance :

Il paie un tribut de regrets à la mémoire du Général de Bellegarde, général de division du cadre de réserve, commandeur de la de la légion d'honneur, décédé à Toulouse le 13 février ; pendant son séjour à Montauban il témoigna toujours un grand intérêt aux travaux de notre Compagnie et assista fréquemment à nos séances.


PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES 201

La mort de Mgr Rougerie, le savant Evêque de Pamiers, qui nous fit les honneurs de son Palais épiscopal et nous fit connaître ses travaux, ne saurait passer inaperçue, de sincères regrets sont exprimés.

Deux présentations de membres, agréées par le Conseil d'administration, sont proposées à l'Assemblée :

M. le Colonel en retraite Caillemer, membre de la Société Géographique de Toulouse, présenté pour M. le Président et M. Delpey.

M. Léon Vitteaut, caissier de la Banque de France, présenté par M. de Séverac et le Président.

Ces deux Messieurs sont élus membres titulaires à l'unanimité.

M. le comte de Gironde et M. Marcel Sémézies ont envoyé, au cours d'un voyage en Italie, des cartes postales des bords de l'Adriatique.

M. le Chanoine Calhiat se fait l'interprète des sentiments de toute la Société en adressant à M. le président Pottier ses félicitations pour la haute fonction d'archiprêtre de la Cathédrale de Montauban, que Monseigneur l'Evêque vient de lui confier. Tout le monde applaudit à ces paroles. M. le Président remercie ses confrères de ce témoignage de sympathie.

La Société des Archives historiques de la Gironde communique un projet de congrès régional d'histoire et d'archéologie pendant l'Exposition internationale de Bordeaux. Ce congrès durera trois jours, consacrés à la lecture de Mémoires.

Avis très favorable est donné à ce projet.

M. le Président est heureux d'annoncer qu'à la suite de la visite faite par la Société à l'abbaye de Marcillac (Lot), le cloître qui était en partie menacé de destruction par suite de la convoitise d'un brocateur, qui voulait tirer profit des chapiteaux par la vente, est désormais classé sur la demande de M. de Lasteyrie qui assistait à cette excursion. Ce monument sera ainsi préservé de la destruction.

A cette occasion, M. le Président fait remarquer que de tous côtés on signale des tentatives d'achats de ce genre par des brocanteurs parisiens ou autres qui enlèvent ainsi de nos provinces les vestiges archéologiques les plus intéressants. A Puylaroque, entre autres, on a essayé d'acheter une cheminée monumentale.

M. le ministre de l'instruction publique accuse réception du Mémoire de M. Lespinasse sur Armand Cambon, destiné au Congrès des Beaux-Arts, Mémoire qui sera lu par l'auteur au Congrès du mois de juin.


202 PROCES-VERBAUX DES SEANCES

M. Ayral, notre confrère, a donné une lettre d'introduction auprès de M. le Président, à M. Burton, président de l'Académie de Détroit, qui lui était recommandé par l'ambassade des Etats-Unis; M. Burton venait en France pour faire sur place des recherches concernant Lamothe-Cadillac et sa descendance.

Il est, en effet, venu à Montauban, où il a été reçu par M. le Président et par M. le Secrétaire général, qui lui ont communiqué tout ce qu'ils avaient appris depuis l'innauguration de la plaque commémorative de Saint-Nicolas sur la fondation de Détroit; puis M. Burton est allé à Castelsarrasin, où il a reçu le même accueil obligeant de MM. Fontaine et docteur Boé, à Moissac, où M. Dugué s'est fait son cicérone autorisé, enfin à Saint-Nicolas où M. le docteur Belbèze s'est mis à sa disposition.

M. Burton, qui était accompagné par Mme Burton, est parti enchanté de sa visite, quoique un peu trop courte, et a témoigné sa satisfaction à ceux qui l'avaient si aimablement accueilli.

M. le Secrétaire dépouille les publications reçues depuis la dernière séance :

Catacombes d'Hadrumète, par M. le Chanoine Laynaud.

Rapport sur la conservation des objets d'art, par M. Triger du Mans.

La Revue Mabillon demande l'échange avec notre Bulletin. — Adopté.

M. le Président annonce l'arrivée des oeuvres de Romain Cazes offertes très généreusement au musée de Montauban par sa nièce Mlle Marie Paul, et à cette occasion il se fait l'interprète de tous les amis de l'art pour ce précieux don. M. Lespinasse donne des détails montrant l'importance de cet envoi.

M. Galabert, curé d'Aucamville, adresse une note sur un litre funéraire dans les églises d'Espanel en 1670.

LITRE FUNÉRAIRE DES ÉGLISES D'ESPANEL

Les seigneurs d'Espanel, en vertu d'une très ancienne transaction avec les évêques de Cahors et pour des services rendus que nous ignorons aujourd'hui, percevaient les dîmes qui s'élevaient sur les paroisses Saint-Germain-d'Espanel, Saint-Nazaire, aujourd'hui détruite, et Saint-Christophe. A ce titre, ils avaient sur ces églises droit de patronage, droit de litre, etc. Le 12 mai 1698, Marie de la Valette, veuve de Jean Dubruelh, seigneur d'Espanel, ayant voulu


PROCÈS-VERAUX DES SÉANCES 203

user de son droit, s'entendit avec Gérarld, peintre de Moissac. Moyennant 60 livres et trois semaines de temps, celui-ci s'engagea à peindre les armes de la famille sur la litre à la distance d'une cane par écusson, sans compter un grand écusson au-dessus de la porte de chacune des trois églises.

Sur les murs de nombre d'églises, on voit encore les traces de la bande de mortier où s'étalèrent jadis les armoiries ; nous n'en connaissons pas dans le pays qui aient gardé trace des écussons ; il n'est donc pas inutile de publier la convention ci-après, qui porte les signatures de la dame, du peintre et du curé de Saint-Germain d'Espanel.

Disons auparavant qu'il y avait antérieurement dans la seigneurie d'Espanel une quatrième église du nom de Saint-Paul-del-Furtin, et une cinquième du titre de Saint-Privat ; elles durent disparaître durant les luttes de la Réforme, puisque la convention ci-après ne les mentionne pas :

« Arresté de Madame d'Espanel avec le sieur Gérard, maître peintre de Moissac, du 12e may 1698.

« Il est conveneu entre Madame d'Espanel et Monsieur Gérard, maître peintre et habitant de la ville de Moissac, que luy littrera les trois esglises de la terre d'Espanel avec les escussons nécessaires qu'il fera à une cane l'un de l'autre, et que dans un chacun d'eux ie peindra les armes de la maison, avec celles qu'il se charge de peindre en grand devant les portes de l'entrée des dittes trois esglises et de fornir à ses despens toutes les drogues nécessaires, et c'est moiennant la somme de soixante livres qu'elle promet de luy donner du dit travail et la despence de bouche pour sa personne, que le dit sieur Gérard promet de luy avoir faict dans trois semaines.

« Faict à Espanel, ce douzième may mil six cens nonante huict. Présent à cest arresté Monsieur Lacassagne, curé d'Espanel, que l'a signé avec le dit sieur Gérard.

« M. de LAVALETTE-GÉRARD, LACASSAGNE, curé d'Espanel. »

M. le Président signale plusieurs églises où les armes des litres funèbres sont encore apparentes entr'autres Dieupentale, Piquecos, Puylaroque, Nègrepelisse, etc.

(D'après une pièce de procès trouvée aux Archives du château d'Espanel, les armoiries des Saint-Germain, seigneurs primitifs, étaient trois fleurs de lis avec une cloche en coeur. Quel acte de bra-


204 PROCÈS-VERBAUX DES SEANCES

voure avait valu cet écusson aux dits Saint-Germain ? Nous l'ignorons.)

M. Lespinasse lit une notice sur Romain Cazes.

M. de Séverac, qui a connu Romain Cazes communique sur la vie de ce peintre distingué des détails intimes fort intéressants: il vante sa bonhommie, son enthousiasme pour les beautés de la nature, sa sincérité artistique et surtout son extrême modestie. Il parle aussi des grands travaux qu'il a exécutés dans plusieurs églises de notre région.

M. l'abbé Buzenac communique une curieuse trouvaille qu'il a faite dans un registre de Boussac, notaire de Molières (1498). C'est un itinéraire: « lo camy per anar à Roma ».

Ce document sera publié et accompagné d'un commentaire par M. Edouard Forestié, secrétaire général, qui lui-même a publié un itinéraire de ce genre datant d'un siècle avant celui-ci.

M. le docteur Tachard annonce qu'il est prêt pour sa conférence qui sera « Une étude de quelques monuments romains dans la Tunisie et dans l'ancienne Numidie. » Elle aura lieu aux environs de Pâques.

M. le Président propose pour cet été une excursion aux grottes de Lacave. — Adopté.

M. Delpey donne lecture d'une lettre du comte de Gironde, dans laquelle notre confrère, au cours de son excursion en Italie, fait part de ses impressions d'art sur Venise, Pise, etc. (Voir T. XXXIV,

P- 314).

Il lit ensuite la traduction en vers par le regretté chanoine Ferrand du poème en sonnets de M. Antonin Perbosc, intitulé : l'Arada. Dans cette traduction, on retrouve toutes les qualités d'inspiration et d'observation du fin auteur de : « Si la Garonne avait voulu. »

La séance se termine par des projections des chefs-d'oeuvre de la peinture conservés dans les musées de France et présentés par M. Lespinasse.

La séance est levée à 10 heures et demie.

Le Secrétaire : J. BOURDEAU.


LE

SALON D'AUTOMNE

MONTALBANAIS

DE LA

SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE

M. EDOUARD FORESTIE

Lauréat de l'Institut Secrétaire général de la Société

Périodiquement, la Société archéologique de Montauban a organisé des expositions des beaux-arts dans notre cité. Ces exhibitions sont toujours couronnées de succès et accueillies avec faveur par nos concitoyens : Expositions rétrospectives, conférences avec projections, expositions des beaux-arts, de photographie, salons régionaux ou montalbanais ont successivement attiré, intéressé et instruit des foules toujours plus nombreuses.

Le mérite, — chacun se plaît à le reconnaître et à le proclamer, — en revient à notre cher président, M. le chanoine Pottier, qui possède, à un degré tout particulier, le don de susciter, d'entraîner, de mobiliser, de faire valoir toutes les 1907 10


206 LE SALON D'AUTOMNE MONTALBANAIS

bonnes volontés. C'est ainsi qu'avec le concours des membres de la section des beaux-arts, de la Société, toutes ces entreprises ont parfaitement réussi, et en particulier le Salon d'automne montalbanais, qui s'est ouvert solennellement le 16 novembre, dans les salons de l'Hôtel de Ville.

Hâtons-nous de le proclamer, avec un légitime orgueil de Montalbanais, il est peu de villes, de grandes villes même qui, au seul appel fait à ses enfants, puisse organiser, en si peu de jours, et présenter au public émerveillé un ensemble d'oeuvres et une aussi brillante pléiade d'artistes déjà arrivés à la notoriété ou sur le chemin de l'art.

Les nombreux visiteurs qui sont venus admirer l'exposition n'avaient unanimement qu'une opinion : c'est qu'elle donnait une haute idée du niveau artistique de notre population, en même temps que du talent des maîtres qui président à cette éducation de nos jeunes générationsMais, et surtout, on y a trouvé une véritable révélation, c'est l'exposition des arts de la femme. Jusqu'ici le goût se développait, modestement caché, dans la plus belle moitié de notre population. Tout à coup il se manifeste aujourd'hui avec une intensité, avec une supériorité qui montre combien le tempérament méridional est apte à toutes les assimilations artistiques.

Nous aurons à parler plus amplement de cette section, mais dès maintenant nous avons tenu à faire cette constatation de l'accession magistrale de l'élément féminin dans le domaine de l'art, réservé jusqu'à ces derniers temps aux hommes, sauf quelques rares exceptions, et dans lequel, comme dans le domaine intellectuel, la femme est entrée résolûment, montrant qu'elle est également capable d'efforts soutenus, d'élans vers le succès et qu'elle possède, en plus, un goût inné pour les choses délicates.

Nous essaierons donc, dans le compte-rendu de cette exposition — qui est un véritable salon des indépendants, dans le meilleur sens du mot, — où tous les envois ont' été acceptés, où il n'y a ni jury ni récompense, où le public seul est appelé à faire une sélection, nous essaierons d'en dégager l'esthétique


DE LA SOCIETE ARCHEOLOGIQUE 207

et d'en montrer, avec les principales oeuvres, les tendances d'école, les directions et les résultats obtenus.

C'est ainsi, — nous avons hâte de le déclarer, — que tout en approuvant les tentatives généreuses (les essais), nous gardons le culte de la ligne et des grandes traditions dont Ingres, notre illustre compatriote, est la plus puissante expression ; en art comme en littérature, nous laissons les décadents fouler aux pieds tous les modèles, tous les chefs-d'oeuvre légués par les siècles écoulés ; nous les abandonnons à leur dévergondage de pensées et à leur mépris de la ligne, pour réserver tous nos encouragements à ceux qui, dans le sillon déjà tracé, s'efforcent de trouver une note nouvelle. C'est là de l'art et du plus pur, du plus élevé, et tous les efforts dans cette voie sont dignes d'être encouragés.

Les femmes d'ailleurs, moins audacieuses que les hommes, l'ont bien compris. Dans les étains qu'elles exposent, c'est à l'art ancien, à ses formules, à ses formes qu'elles empruntent leurs modèles ou plutôt qu'elles s'en inspirent pour créer de délicieuses formes. C'est aux maîtresses dentelières de jadis qu'elles dérobent leurs secrets. Ce qui ne les empêche pas de trouver dans leurs ouvrages des enroulements, des formes, des expressions nouvelles et artistiques.

Comme on le voit par ce premier aperçu, la matière ne nous manque pas, mais, dans un amoncellement d'oeuvres délicates, pleines de goût, il nous est impossible de ne pas être ébloui par tant de petites merveilles.

Nous manquerions à tous nos devoirs de chroniqueur si nous ne faisions pas une large part aux organisateurs de l'Exposition, aux artistes membres de la Société: MM. Celarié, Marre, Fauré, Bouïsset, qui se sont multipliés sous la direction de M. le président Pottier, pour l'organisation des trois salles, avec autant de compétence que de tact, à MM. Sémézies et Lespinasse, secrétaires de la section des Beaux-Arts, qui, sous la présidence du comte de Gironde, ont donné tous leurs soins à la réussite de l'Exposition, dont le succès complet, indiscutable, sera leur meilleure et leur plus juste récompense. Enfin à M. Achille Bouïs, le dévoué et distingué conservateur du


208 LE SALON D'AUTOMNE MONTALBANAIS

musée Ingres, qui a contribué avec nos artistes au classement et à l'installation des tableaux exposés dans les deux salles de l'Hôtel de Ville et à M. le capitaine Rozat de Mandres, un artiste distingué.

Dans la patrie d'Ingres, dans ce milieu même qu'il a enrichi de ses merveilleux dessins, comme pour donner aux générations de ses compatriotes une leçon permanente de « probité de l'art », il est curieux de voir si cet appel a été entendu par nos contemporains artistes ou futurs artistes.

Hâtons-nous de le dire ; pour la plupart des peintres locaux, la question posée se résout affirmativement et, à part quelques rares exceptions, on sent dans les oeuvres des maîtres comme dans celles de leurs élèves ce souci de la ligne qui, selon nous, est la qualité primordiale d'une oeuvre.

Constatons avec satisfaction l'augmentation du nombre des exposants, qui montre combien l'art du dessin a repris dans notre ville une grande faveur.

La liste des exposants amateurs est en effet fort longue et d'un heureux augure, car dans le nombre de leurs oeuvres il en est certaines qui dénotent un vrai tempérament artistique, les autres montrent un effort louable et le fruit des excellentes leçons de leurs maîtres.

Ceux-ci, d'ailleurs, prêchent d'exemple.

Le panneau de M. Marre, professeur de dessin à Montauban, nous offre des vues du Quercy vraiment belles et empreintes de cette poésie calme et douce que Pouvillon a mise dans ses oeuvres. Marre, Pouvillon, deux amis, deux natures qui se comprenaient, ayant les mêmes aspirations: l'amour du terroir natal. Sa Rue de Penne, à droite du panneau, a un aspect saisissant par la demi-teinte dans laquelle s'estompent les lignes indécises des vieilles demeures. La lumière est bien ménagée et il se dégage de cette toile une mélancolie bien en harmonie avec le paysage. De même la vieille borde branlante prête à tomber qu'il a placée dans son grand tableau du milieu et les vieux murs de la toile qui est à côté. Ce sont là des souvenirs de cette terre qui meurt sous notre beau ciel, et qui emporte avec elle tant de vieux souvenirs. Dans un demi-siè-


DE LA SOCIETE ARCHÉOLOGIQUE 209.

cle, les tableaux de M. Marre, en outre de leur haute valeur artistique, seront des documents archéologiques.

Notons aussi cette curieuse esquisse de la place Nationale pendant le marché, qui est intéressante et comme document et comme couleur; en même temps qu'un pastel qui, par ses tons demi-effacés, donne à la physionomie du modèle un charme tout particulier 1. M. Marre reste l'artiste modeste et consciencieux autant que distingué dont nous avons été heureux de saluer l'éclosion et d'applaudir les succès.

Sur le grand panneau qui se trouve au centre, l'exposition de M. Gaston Celarié nous offre tout d'abord deux portraits d'une vigoureuse facture; l'un, au pastel, rappelle, par une ressemblance frappante et une excellente interprétation, la sympathique physionomie du chanoine Morette; l'autre, avec un fort relief, les traits de M. X.., bien connu dans notre ville. Un coin d'atelier avec, au milieu, un peintre vêtu d'une souquenille rouge, évoque les traits d'un artiste montalbanais sympathique. Tout autour, des aquarelles lumineuses, fraîches, dans lesquelles l'air et la lumière circulent à l'aise et dont le dessin est toujours ferme. Un joueur de clarinette, qui passe souvent dans nos rues, est fixe* par le pinceau dans des traits originaux pleins de vérité. Une délicate jeune fille, un pierrot mélancolique complètent cet envoi qui montre combien le talent de M. Célarié aborde avec succès tous les genres.

Nous remarquons cette heureuse influence dans les aquarelles exposées par ses élèves: Mlle Henriette Ferrié a interprété le même Pierrot, un chaudron et un fauteuil, avec une sûreté de dessin et une puissance de coloris remarquables. Cette jeune artiste a de l'avenir dans la peinture. Il y a d'elle telle nature morte : un poêlon avec une rave, traités véritablement avec un sentiment parfait de la couleur.

Il en est de même de M. Rousse, qui a envoyé plusieurs belles aquarelles et une grande peinture d'intérieur.

Cette toile qui a figuré au Salon des Indépendants 1908, a été acquise par l'Etat.


210 LE SALON D AUTOMNE MONTALBANAIS

Un petit tableau d'Andrieu nous a longuement arrêtés. Placés à une distance de six à huit mètres, nos yeux furent attirés par la luminosité la parfaite entente des tons et la fraîcheur poétique d'un Intérieur de ferme. Le soleil se jouait à merveille à travers les treilles, sur les murs blancs, et tout l'ensemble avait un aspect vraiment délicieux.

Nous nous approchâmes pour lire la signature de l'auteur. Quelle ne fut pas notre surprise et notre déception lorsque, à mesure, les lignes disparaissaient sous les larges touches, et, au lieu de s'accusert la profondeur des horizons disparaissait pour faire place à un entassement de couleurs au milieu duquel on ne distinguait presque plus rien.

Evidemment, c'est là un effet voulu ; assurément le peintre qui est arrivé à produire à distance cette illusion puissante d'une oeuvre remarquable, n'a cherché qu'à traduire une impression, et il y a pleinement réussi, nous devons l'avouer, mais si l'on raisonne un peu, si l'on se dit que ce tableau, par ses minimes dimensions, est destiné à un salon, à une chambre où il ne peut être vu que de deux ou trois mètres, l'effet est manqué et tout l'effort est perdu. Il nous semble donc que ces tentatives, d'ailleurs louables, bonnes pour les grandes compositions, comme les plafonds, les décorations architecturales, ne sauraient être admises pour les tableaux de chevalet. Encore une fois, nous ne nions pas l'intérêt que présente la tendance, ni le résultat obtenu, mais nous souhaitons que son adaptation soit plus normale, et proportionnée à la dimension et à la destination du tableau. Impressionnistes, tant que vous voudrez, messieurs les modernes, mais au moins ne réclamez pas la cimaise ; au contraire, demandez les plus grandes hauteurs dans les panneaux. Vos oeuvres y gagneront.

Comme nous le disions naguère, nous ne sommes nullement exclusifs et nous admettons volontiers toutes les tendances ; nous louons tous les efforts, toutes les recherches, à la condition cependant qu'elles aboutissent à ce que M. Sémézies, dans son excellente définition de l'art, plaçait au dernier terme: l'idéal. Nous le plaçons comme lui, d'ailleurs, dans l'expression intrinsèque du beau ; nous le comprenons tel que nous l'a


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livré toute la grande tradition artistique greco-latine. C'est peut-être, nous dira-t-on, vieux jeu. Mais avant d'admettre un jeu nouveau, on nous permettra sur ce point spécial d'attendre qu'il ait fait ses preuves.

Il y a en effet, selon nous, tout un monde entre l'interprétation normale d'un paysage, d'une figure, d'un intérieur et des barbouillages sans nom, où la ligne n'est nullement respectée, où les couleurs se choquent, se heurtent sans harmonie, avec le seul souci de provoquer le regard, d'attirer l'attention. Evidemment, si c'est de l'art moderne, même d'après la définition dont nous parlons, nous avouons n'être plus de notre temps et mériter le titre de rétrogrades. Au moins avec les anciens, de Fra-Angelico à Raphaël et à Ingres, il y avait une esthétique. Qu'elle fût ou non de convention, elle se rapprochait bien plus de la beauté idéale que la nouvelle école.

Ce que nous reprochons aux artistes — qui, croyant forcer les portes de la gloire, se sont livrés depuis quelque temps à toutes sortes d'exagérations, bouleversant toutes les traditions, rompant même en visière avec tout un passé de gloire, patrimoine inestimable de l'art, — c'est de croire que ce chemin est plus court et moins ardu et qu'ils atteindront ainsi plus promptement la notoriété à laquelle ils aspirent. Parce que notre société moderne est un peu trop riche en snobs, ce n'est point une raison pour que — cette catégorie mise à part, — la majorité des Français abandonne le culte du beau absolu.

Or, tant qu'on n'aura pas entièrement modifié notre vision par une éducation spéciale, celle-ci est habituée à des formes et à des lignes. Toutes les fois que ces formes, ces lignes, d'ailleurs si diverses, se retrouveront dans la nature, le peintre, qui se donne la mission de fixer sur la toile les sensations frappant notre vue, fera oeuvre artistique en les reproduisant, en les poétisant et en les idéalisant même. C'est là un champ d'études assez complexe, assez vaste pour suffire à tous les tempéraments, à toutes les tendances, à toutes les écoles. Encore et surtout faut-il que la forme, la ligne soient respectées comme base absolue, intangible.

Nous avons, ici même, au musée de Montauban, une admi-


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rable application de la théorie que nous venons d'émettre. Dans une des salles de dessins de notre illustre compatriote, se trouve une esquisse peinte d'un corps de femme. Dans cette étude, l'artiste — qui réalisait en lui au plus haut degré les qualités dont nous parlons, — a copié servilement la nature : chairs molles, empâtées, figure sans caractère, mais traits réguliers. Eh bien ! si maintenant vous regardez les tableaux du maître: la Vénus Anadyomène, la Source, la Baigneuse, le Bain turc, et la Vierge même du Voeu de Louis XIII, vous retrouverez toujours les mêmes traits, les mêmes formes ; mais, dans tous ces chefs-d'oeuvre, l'artiste a dégagé de sa matérialité ce corps, ce visage, ces traits pour en faire des modèles de grâce, de beauté, devant lesquels on s'arrête charmé.

L'envoi de M. Alphonse Faure nous (donne l'impression d'un peintre qui met en pratique la célèbre devise du maître. Sous la brume bleuâtre, très lumineuse d'un matin d'automne à la fois imprécise et ferme, voici la silhouette de la Ville de Montauban et de son vieux pont du XIVe siècle.

C'est frais, délicat, bien compris, bien traité, et les amateurs s'arrêtent volontiers devant ce petit tableau qui marque un nouveau pas en avant chez cet artiste. A côté, des Maisons du bord du Salat se détachent vigoureusement, éclairées par un soleil d'été, et contrastent par leur belle et franche tonalité avec les demi-teintes d'à côté. Au-dessus, le Coucher de soleil rutilant de nos soirs d'automne envoie ses rayons lumineux à travers les arches du pont de Cahors et les troncs noueux et les racines décharnées des peupliers de la rive, semblables à des griffes de vampire. C'est là de la nature prise sur le vif et d'un aspect assez original pour justifier ce que nous disions tout à l'heure de ses ressources multiples pour l'art.

Dessinateur impeccable, M. Faure le prouve en suivant la tradition des maîtres et en exposant chaque année une lithographie hors de pair. C'est ainsi que l'an dernier il fixait sur la pierre avec un rare bonheur le Portrait de Molière, de Sébastien Bourdon, de notre musée ; cette année, c'est encore une oeuvre de maître qu'il a reproduite: le Portrait de Quentin La Tour, le pastelliste merveilleux du XVIIIe siècle, dont l'ori-


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ginal appartient à notre confrère, M. l'architecte Olivier. Il est difficile d'obtenir avec le crayon lihographique un plus grand relief, une plus exacte et plus puissante interprétation d'une peinture. Vraiment, chaque année M. Faure monte d'un degré l'échelle qui conduit à la perfection du genre. Au surplus, Son portrait, peint par lui-même, par sa tonalié qui rappelle celle des vieux maîtres, par la précision du dessin, la ressemblance, en un mot par tout l'ensemble, montre que cet artiste, aussi consciencieux que modeste, est appelé à un sérieux avenir et que ses leçons doivent former d'excellents élèves. Très réussi également le petit portrait de M. D. dans son laboratoire.

Un autre peintre, dont nous avons été également heureux d'applaudir les débuts, — qui fut avec Celarié, Faure, Oury, Popineau et toute une pléiade de jeunes artistes nos collaborateurs du Quercy illustré, hélas! aujourd'hui oublié, — M. Louis Cabanes est représenté dans cette exposition par une belle toile qu'il a conçue sous le ciel africain, où il est allé s'imprégner de cette atmosphère toute spéciale et qui lui a permis de composer trois belles oeuvres : la Prière au désert, les Trainards de la caravane et celle qui figure aujourd'hui dans notre exposition. Elle est une variante de la précédente; tandis que celle-ci nous donne un paysage violemment éclairé l'autre est traitée dans une tonalité crépusculaire bien différente. Les deux effets sont exacts, — nous disent ceux qui ont visité ces contrées. Nous ne saurions en douter, on ne crée pas sans modèle, sans l'avoir dans les yeux cette luminosité franche et brutale, ou cette demi-obscurité crépusculaire. Cela c'est encore de la nature, de la vraie, bien et exactement rendue, interprétée avec art, et notre thèse de tout à l'heure y trouve encore une saisissante application. Ces longues théories d'Arabes se traînant à travers les sables brûlants du désert, ces cavaliers, ces chameaux, dont la silhouette se détache violemment sur un fond imprécis de montagnes aux contours rosés, sont vraiment une vision exacte et poétique à la fois d'une nature exceptionnelle et d'une civilisation qui n'est pas-de notre temps, mais n'est pas encore prête à disparaître.


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L'oeuvre de M. Cabanes est vraiment hors de pair et on doit féliciter cet excellent et distingué artiste de sa marche constante vers le succès de bon aloi. Il est aujourd'hui en possession de la plénitude de son talent.

M. Firmin Bouïsset, le peintre lithographe arrivé aujourd'hui à la célébrité, a envoyé un grand portrait du sénateur Delthil, oeuvre de jeunesse, malheureusement poussée au noir, mais qui faisait pressentir ce que serait l'artiste arrivé au dernier degré de son talent. Il est regrettable que notre compatriote ne nous ait fourni que deux de ses lithographies : la Croix dans la Lànde et le Portrait du sénateur Rolland. Il a produit des choses si charmantes dans ses affiches aujourd'hui célèbres, dans ses dessins si délicats, que nous aurions été heureux de les admirer et de les louer comme elles le méritent.

En revanche, son frère Félix Bouïsset, a exposé plusieurs ouvrages de genres divers : quatre peintures, un pastel et deux lithographies ; le Vieux pigeonnier, traité dans une note mélancolique au crayon lithographique, donne à un paysage du Quercy un air quelque peu funèbre avec ses grands cyprès. Le Portrait de Granet, d'après une peinture d'Ingres, reproduit exactement les qualités et les défauts du modèle. Quant au pastel, l'expression est aussi également bien rendue.

Toutefois nous n'aimons pas à voir une laide grimace autre part que dans une caricature. Le beau est toujours beau mais à notre sens il ne saurait y avoir de grimaces esthétiques. Au surplus c'est une gageure et M. Félix Bouisset nous a prouvé maintes fois qu'il a du goût, du talent, de la couleur et du mouvement, qualités que l'on trouve réunies dans son tableau de Danseuse espagnole. C'est là une note impressionniste mais exacte et bien rendue.

Le porche de la Cathédrale, par M. Monziès, l'artiste graveur, aujourd'hui bien connu et fort apprécié, est très remarqué ainsi que trois petites toiles, dont deux pleines de lumière et de fraîcheur. Le marché qui se reproduit deux fois dans la même note, avec des arrangements différents, est pris sur le vif et traité avec art, et avec un sentiment de la couleur et de la lumière.


DE LA SOCIÉTÉ ARCHEOLOGIQUE 215

Le petit paysage qui les accompagne est d'une jolie et discrète tonalité, et fait ressortir les ressources variées d'un artiste auquel sont dues tant et de si charmantes illustrations. Un artiste que nous louerons sans réserve, et dont nous sommes heureux d'avoir, des premiers, signalé les débuts, est M. Delzers, de Castelsarrasin, qui est entré courageusement dans une carrière, aujourd'hui rendue fort ingrate par les progrès de la photographie, mais dans laquelle il est passé maître. Nous avions vu, de lui, des gravures exécutées pour la Société des Amis des Arts de Toulouse, mais celles qu'il nous a envoyées nous ont donné la mesure de son remarquable talent. Le Fil de la Vierge est une planche ravissante par la relation exacte des divers tons qui font de cette gravure une belle oeuvre d'art, mais c'est surtout dans les portraits, où il a suivi la belle tradition d'Ingres, que son talent personnel s'est donné libre carrière. Il y a tel Portrait de M. DujardinBeaumetz qui est hors de pair. Il y a aussi une gravure dans le genre des Poilly, l'Homme à la fenêtre, qui rappelle les plus belles productions de ce genre au dix-huitième siècle.

M. Delzers a fait brillamment son chemin, depuis les dessins au crayon Conté qu'il nous envoyait, il y a beau temps, pour nos expositions. Il est aujourd'hui arrivé et tous les artistes s'inclinent devant la maturité de son talent.

M- le docteur Seriziat expose de charmants dessins à la plume, très vivants, très finement exécutés, et dans lesquels certainement les plus difficiles reconnaîtront qu'il y a de l'art. Notre oeil se repose agréablement sur les belles aquarelles de Mme de Bermond ; ces oeillets, ces chrysanthèmes et ces lilas sont d'une facture large et d'une vérité de couleur qui dénotent chez l'auteur un vrai tempéramment artistique.

De même chez M. Renaud de Vezins, un coloriste, celui-là, un impressionniste de bon aloi, qui sent, qui voit, qui met dans ses aquarelles l'air, la lumière, la couleur vraie et en même temps le dessin, la forme des choses, qui accuse les divers plans et marque la perspective. Son Effet de neige et son Sous bois sont d'une tonalité particulière et très exacte. C'est un artiste de grand avenir.


216 LE SALON D'AUTOMNE MONTALBANAIS

Mlle Bert qui voisine dans le même panneau a de la couleur, et ses deux petites toiles : Lou Ritché, et l'Hôtel de ville, donnent de belles espérances ; il en est de même de Mlle Bernard, qui a envoyé plusieurs tableaux de chevalet pleins de bonnes promesses.

Le panneau d'aquarelles militaires qui fait songer involontairement aux oeuvres de Neuville, dénote chez M. le capitaine Rozat de Mandres un sentiment vrai de la, couleur et du mouvement. Il y a là des choses vécues et charmantes.

Nous n'aurons garde d'oublier, en revenant sur ce côté de la grande salle, le grand tableau de M. G. Guibal — un nom sympathique aux membres de la Société archéologique. Cet Effet d'orage est une conception, probablement un effet vu mais qui paraît étrange. Le tableau est-il mal éclairé ? Il faut assez de temps pour en dégager l'esthétique. Mais il y a de réelles qualités de coloris dans cet orage qui semble précurseur d'un cyclone. Plus reposante est l'étude qui l'accompagne et montre les grandes qualités de l'artiste.

M. J. Pedro a un Sous-Bois qui étonne; mais avec la diversité de la nature, cet effet est probablement exact.

M. Victor Vaissière reste toujours le peintre classique de nos causses et de nos paysages aveyronnais, ainsi que des vieilles maisons branlantes de sa ville natale ; il en rend la poésie avec art.

Mme Haein a reproduit très exactement une personnalité bien connue. M. G. Brunet étonne avec ses aquarelles et son quatrain plus ou moins réalistes, mais non sans charme ; Mlle Marie de Constant a une prairie un peu verte, servant de premier plan à des montagnes bien traitées; M. Cartault d'Olive montre de grandes dispositions avec ses aquarelles, dans lesquelles il y a de la couleur vraie ; Mlles Labal, Marthe Sainsardos, Gerbeaud, Vincent, Crinquet, Renée Place, Rose Sibien, Marie Alibert, de Séverac, Marthe Hormis ont exposé : soit des fleurs, soit des études à l'aquarelle, qui prouvent que le goût est essentiellement féminin et que l'art de Madeleine Lemaire les a séduites. C'est parfait et nous ne pouvons qu'applaudir et les encourager dans cette voie; leurs débuts sont pleins de promesses.


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M. le lieutenant Bessey de Boissy a envoyé une marine, Effet de tourmente, qui doit être très vraie de couleur; Mme de Marigny expose aussi plusieurs petits panneaux d'étude des côtes marines, dans lesquelles on reconnaît une touche délicate et fine et une exacte observation.

Un beau portrait, signé Marthe Jouanny, au pastel, attire l'attention des visiteurs, de même que les aquarelles et dessins de Mlle Léontine Jouanny, toutes deux professeurs distingués de notre ville.

Combien sont délicatement traitées les Têtes d'enfants signées par Mme de Tonnac-Villeneuve. C'est une évocation heureuse des vieux portraitistes d'autrefois: c'est fini, délicat, quoique à peine touché. Les aquarelles, oeuvres de sa fille, sont de jolies études largement, très largement traitées.

N'oublions pas, dans la même note, les aquarelles de M. G. Serres, une gouache de M. Batut et une, plus discrète, de M. Louis Fauré, enfin une intéressante lithographie de M. H. Perry, et une jolie aquarelle de M. Emeric de Panat.

M. Soureilhan, sculpteur distingué, a envoyé trois toiles qui font connaître sa tendance. Il procède comme Andrieu, par larges touches ; nous lui adressons donc la même observation, ainsi qu'à M. Cadène.

Leurs tableaux, à distance, séduisent par la couleur vraie, et même — nous n'avons pas crainte de l'avouer, — par une mise en place incontestable. Cependant, ces meules de paille qui ressortent si bien à distance, perdent toute leur valeur si on se trouve à deux ou trois mètres. Nous avons donc raison de dire que la facture d'un tableau doit être en raison directe de sa dimension. Dans ces conditions, nous arriverons peutêtre à trouver un terrain commun de discussion et d'entente artistique.

Notons un très beau portrait au pastel d'un maître toulousain,

M. Pujol : une dame au profil délicat, qui lance une accueillante

oeillade aux visiteurs, portrait qui dénote la main habile d'un

artiste arrivé à toute la maturité de son talent.

Notre tâche est loin d'être terminée.

Hâtons-nous donc mais sans oublier les modestes qui sont


218 LE SALON D1 AUTOMNE MONTALBANAIS

dans la salle des mariages et qui, pourtant, sont l'avenir, car il y a là des dessins lithographiques, des aquarelles, des fusains, des peintures de jeunes, voisinant avec de vieilles connaissances, qui les accueillent d'ailleurs avec bienveillance ; c'est Fénié, jeune lithographe dont le Guitariste est vigoureusement dessiné et plein de promesses ; à côté d'une belle tête, par Alfred Oury, où l'on reconnaît la touche du graveur, voici des croquis envoyés du Sénégal, par M. de Saint-Félix, qui dénotent une vision exacte et une main sûre ; un joli portrait très ressemblant de M. Delrieu, deux charmants panneaux de Mme Vitteaut, un grand portrait de M. Bernard, élève de Célarié, qui est aujourd'hui à l'Ecole des Beaux Arts, un Sous Bois de M. S. Rousse, un Pêle-Mêle de M. Ph. Rousse, des aquarelles de M. Giret, fort intéressantes, ainsi que les Perdreaux de Mlle Giret, les portraits où M. Marcel produit déjà des ressemblances, les gouaches de Batut, etc.

Nous ne cacherons pas que le tableau de M. Pierre Laprade nous a paru être une énigme. Cependant, dans cette oeuvre impressionniste, au premier chef on trouve beaucoup de couleur et de profondeur. Il a eu un succès qui donne raison aux impressionnistes mais qui n'ébranle pas notre conviction.

Mlle I. de Gironde — elle a de qui tenir — nous prouve que bon sang ne peut mentir. Notre musée s'enorgueillit de belles oeuvres de son père, M. Bernard de Gironde, qui, nous ne l'oublions pas, fit ses études dans cette même salle à l'école montalbanaise de dessin de M. Combes.

Mlle Pougens s'est rappelée aux Montalbanafs par une jolie sculpture ; V'là le Gruau, très bien modelée, en face d'une tête « impressionniste » due au double talent de M. Andrieu, et M. Pougens par une jolie toile.

Nous aurions garde d'oublier un artiste de très grande valeur, M. Oury père, qui a exposé dans une vitrine des spécimens de ce qu'il produit de plus beau en joaillerie. C'est vraiment remarquable.

L'armée est encore représentée par de belles études très vraies et d'une excellente couleurs des lieutenants Collin et Bessey de Boissy.


DE LA SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE 219

Il y a aussi dans les vitrines une belle série de miniatures d'après de grands portraits de famille par Mme de Naurois.

Notons aussi deux beaux fusains de M. Valette, montrant chez cet amateur une science très consommée de ce procédé qui, sous ses doigts, produit l'illusion d'une gravure; et après avoir salué quelques autres toiles, signées de noms que nous avons déjà retrouvés, passons au salon des arts de la femme. Mais, auparavant, on nous permettra d'exprimer ici un regret. Pourquoi n'avons-nous point rencontré, dans ce Salon tout local, les Popineau, les Saint-Cyr-Anduze, les Boistel, les Bastié et quelques autres compatriotes qui ont produit et produisent heureusement encore de si charmantes oeuvres ? Espérons que ce n'est que partie remise.

Le Salon réservé aux arts de la femme est particulièrement intéressant et nous en dirons tout simplement la raison au point de vue artistique. L'art si charmant de la dentelle, qui a produit d'inestimables trésors, celui de l'orfèvrerie, de l'émaillerie, celui de la reliure, qui n'ont pas eu moins d'adeptes — et non des moindres — ne sont-ils pas de l'art au vrai sens du mot? Nous savons bien ce qu'on objectera; mais à notre tour nous demanderons si ce n'est point faire oeuvre d'artiste que de combiner, d'arranger de beaux dessins et de produire ces oeuvres délicates, gracieuses, minutieuses peutêtre mais d'un travail souvent remarquable, que les femmes, — qui n'ont pas, heureusement, la même vision d'art que nous, hommes, — apprécient hautement et avec raison ?

Et puis, pour ne parler que des reliures, n'est-ce pas de l'art, de l'art vrai, que ces compositions de mosaïque, de repoussé, d'incrustation dans les couvertures de livres précieux que M. des Essarts a envoyés? Et alors, les Derome, les Troztz-Beauzonnet, les Bozérian, les Capé ne sont pas des artistes?

C'est comme les coffrets en étain repoussé de M. de Bermont, qui, tout en gardant le cachet des orfèvres du XIIIe siècle, ont des dessins originaux, et, s'ils sont une adaptation, n'en sont pas moins artistement traités; et ces bijoux de Mlle de Montèze — un excellent professeur dont la modestie


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égale le talent et à qui on doit cette efflorescence d'art parmi notre population féminine ; — ces bijoux de Mme Mommayou, cette fontaine de Mlle Malbreil, ces oeuvres délicates de Mlle Poli Marchetti, ces cadres artistiques, ces objets d'un goût raffiné, conçus et exécutés d'après des visions d'art moderne, ces jolis rien, en un mot, qui font le charme de nos demeures, s'ils n'ont pas l'heur de trouver grâce auprès des Zoïles exclusifs, n'en contribuent pas moins puissamment à former et à épurer le goût et à le conduire à une nouvelle et plus délicate adaptation de la décoration et de l'ameublement du home. Si ce n'est pas du grand art, c'est toujours une efflorescence en même temps qu'une preuve de l'infiltration artistique qui se manifeste d'une façon si intense dans notre société féminine contemporaine.

Avant de clore ce compte-rendu, écrit sans prétention et comme l'expression vraie et sincère de nos sentiments intimes, nous devons compléter rapidement cette revue en priant les dames qui ont contribué si puissamment à faire du salon rouge une vraie exposition des arts charmants de la femme, d'excuser notre incompétence et de ne pas nous en vouloir si nous ne savons point techniquement faire ressortir tout le goût et tout l'art qui a présidé à la confection de ces jolis, de ces précieux objets, dentelles, broderies, etc., qui garnissent les vitrines : mais elles ne nous témoigneront certainement aucune jalousie si nous donnons une mention spéciale aux oeuvres vraiment merveilleuses des Ursulines de Montauban et de Montpezat, aux Dames de Nevers, aux orphelines des Dames Blanches.

Ce sont de véritables fées qui, dans le silence et la paix du cloître, travaillent le fil et la soie avec une délicatesse sans égale, gardant ainsi la noble et vieille tradition d'autrefois pour la confection de cette belle lingerie que le progrès moderne ne pourra jamais égaler, car la machine, si intelligemment qu'elle soit dirigée, ne pourra produire en dessins variés ces travaux personnels dont le cachet fait justement tout le prix. C'est surtout à Mme de Marigny, une artiste elle-même, que nous devons l'épanouissement du goût de la dentelle d'Irlande.


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N'oublions pas de mentionner — car il faudrait tout citer — les dentelles et broderies remarquables de Mlles Sainsardos, Montet-Nogarets, Albertine Lacoste, Gérald, Arsimoles, Louise Rodget, Cleye, Andrée Roussennac, Mme Alaux, Mme Ducasse, Mle Malbriel, Mlle de Montèze, etc. C'est un déicieux fouillis de choses charmantes et délicates.

Dans la même salle, un rudiment d'exposition du meuble nous a montré quelques tables et objets de haut goût, décorés selon les allures libres de l'art moderne, mais dans une très bonne note, de M. Soureilhan ; les sculptures sur bois de Mlle Noël, les terres cuites de la même artiste et celles de M. Lade, des écrans, des paravents, des tables gigogne, etc., etc. Il y a là une promesse pour l'avenir. A fa prochaine exposition nous comptons que cette section sera d'un intérêt plus grand encore.

Parmi les objets dont la nomenclature serait trop longue, nous citerons les travaux de Mme Viellescaze, Mlle Vivarès, Mlle Alice Mercier, Mmes Blessou, Mme Watrin, Mlle Thomas, Mlles Jouanny, en particulier les émaux et coffrets de Mme de Laurencin- Beaufort, etc., etc.

Et maintenant, certes, notre tâche, déjà si longue, ne serait pas achevée si nous n'essayions de réparer tous nos oublis. Ils sont — qu'on veuille bien nous croire — involontaires. En présence de tant d'oeuvres, obligé de prendre en courant quelques notes succinctes et d'écrire sur des impressions aussi fugitives, nous avons dû certainement omettre des choses intéressantes. Qu'on veuille bien ne pas nous en tenir rigueur.

Aussi bien avons nous été entraînés — comme tout le monde — par le succès de cette tentative si louable de décentralisation, tentative que nous redoutions avant qu'on ouvrît les portes de l'exposition, et qui dès ce jour-là nous a montré que nous avions eu tort d'hésiter.

Notre région montalbanaise est une terre féconde en artistes, en littérateurs, en pionniers de la pensée, et il serait facile de prouver que nos compatriotes méridionaux sont en train depuis longtemps de conquérir la capitale.

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222 LE SALON DAUTOMNE MONTALBANAIS

Un tout dernier mot : celui-là une pensée de deuil et en même temps de souvenir envers un grand artiste Montalbanais dont nous eussions voulu admirer les oeuvres dans notre salon d'automne. Henri Nazon à ce moment s'éteignait doucement. Nous croyons juste de terminer ce compte-rendu par un hommage rendu à sa mémoire.

Comme Alphonse Karr, comme Sully Prudhomme, comme tant d'autres grands écrivains, artistes illustres, grands penseurs et (surtout profonds philosophes, Henri Nazon, après avoir eu son heure de célébrité, après avoir produit des chefsd'oeuvre remarquables, mais dont la vogue n'a point été claironnée par la voie de la presse, vint après la guerre s'établir dans notre cité, auprès de son frère qui, comme notaire, s'était concilié l'estime universelle à Montauban.

Là, nonchalant comme un artiste, il fit bâtir un petit chalet dans un angle du parc de Chambord ; mais l'atelier où il passait toutes ses journées en face de la nature se changea bien vite en une serre où fleurissaient les roses et les chrysanthèmes, la glycine ou la vigne vierge envahirent les murs du chalet, et au déclin de sa vie, le peintre poète, car Henri Nazon fut un poète délicat et fin, pouvait se croire au milieu d'un immense bouquet de roses et de fleurs.

Le décor était bien romantique : à côté, prétend-on se trouvait la tombe d'une langoureuse anglaise dont les échos rappelaient les longues rêveries dans le parc.

Aussi, lorsque nous le rencontrions, pâle,, amaigri, se traînant vers son nid de verdure, quelle douce mélancolie était en lui, et combien il voyait clair et net dans le passé et dans le présent.

Philosophe par nature, par instinct, il vivait heureux, retiré du monde, avec quelques rares amis qui venaient seuls troubler sa solitude, au milieu des siens, et lui qui avait fixé en traits durables sur la toile ses impressions d'artiste, il contemplait toujours avec enthousiasme, avec amour, ces effets si changeants et si beaux de nos couchers de soleil.

Il les imprégnait dans ses yeux comme s'il voulait encore donner des pendants à ses tableaux que l'on admire toujours


DELA SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE 223

dans notre musée, mais sa main lassée et défaillante ne touchait plus ses pinceaux.

Nazon s'éteignit ainsi doucement, au déclin de sa vie, sans secousse et sans que sa mort fît grand bruit. Il méritait cependant mieux que cela, et quoique il ne fût pas Montalbanais de race, il l'était d'adoption, la plus grande partie de sa vie s'était passée dans nos murs.

Aussi, sommes-nous particulièrement heureux d'apprendre que, tardivement, on a pense à lui et on a décidé de donner son nom à une rue.

A l'heure actuelle, c'est, paraît-il, la menue monnaie des hommages rendus par les contemporains aux anciens qui ont honoré la cité, mais il nous semble qu'on prodigue assez le bronze pour que Henri Nazon ait ses traits reproduits par quelque artiste montalbanais. Et mieux qu'une banale statue dans un square quelconque, nous voudrions que ce buste fût placé dans notre musée qu'il enrichit, ou bien dans une des salles de notre Hôtel de Ville que l'on devrait enfin consacrer aux illustrations locales, comme nous l'avons si souvent, si longtemps et si inutilement demandé .


224 LE SALON D' AUTOMNE MONTALBANAIS

CONFÉRENCE DE M. MARCEL SÉMÉZIES

Le jeudi 21 novembre, dans l'après-midi, une foule élégante et nombreuse se pressait dans les salons de l'Exposition. Les visiteurs étaient venus de divers côtés du département attirés par l'attrait de cette exhibition et par celui de l'audition qui devait avoir lieu à 5 heures, sous la direction du distingué président de la section de musique de la Société, M. le chanoine Contensou.

Nous avons constaté que la section de musique n'a fait que gagner en cohésion et en délicatesse dans l'interprétation de l'ouverture d'Athalie, de Mendelsonh, et dans la Sicilienne, si délicieuse de Bach.

Quelle délicieuse évocation du XVIIIe siècle, que ce menuet charmant pimpant et coquet, de Grétry, et combien on retrouve dans le presto de la symphonie militaire l'harmonie facile et limpide de Haydn.

Voici maintenant M. Marcel Séméziès, qui, dans une causerie charmante, nous dit combien il est heureux que la Société archéologique ait eu cette idée du Salon d'automne qui révèle au public une véritable école montalbanaise. Il loue justement de son initiative, le zélé et distingué président de cette Compagnie et les artistes qui ont contribué au succès.

Puis, étudiant les grandes lignes de cette exposition, il montre combien la ville de Montauban peut être fière d'avoir pu grouper un aussi intéressant ensemble d'oeuvres de mérite dues à la main de ses enfants.

Cette causerie a été écoutée avec un grand intérêt et particulièrement applaudie, car M. Séméziès est passé maître en l'art de bien dire et de penser.


DE LA SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE 225

CONFÉRENCE DE M. MATHET

PRÉSIDENT DE LA SECTION DE PHOTOGRAPHIE

SUR LA PHOTOGRAPHIE DES COULEURS

(26 Novembre)

Une caractéristique particulière, qui se retrouve constamment chez le vrais savants, c'est leur modestie excessive. Ces hommes rendent à la société d'inappréciables services par leurs découvertes, ils n'ont rien de commun avec les bluffeurs qui ont élevé la réclame à la hauteur d'une institution. Qu'on les nomme Pasteur, Curie, ou Ducos du Hauron, ils vivent au fond de leurs laboratoires, sans se préoccuper des bruits extérieurs, et, semblables à ces alchimistes d'un autre âge, ils cherchent sans trêve à dérober ses secrets à la nature.

Dût sa modestie s'en effaroucher, notre confrère, M. Mathet, est un de ceux-là. Pendant des années, dans son laboratoire de pharmacien à Caylus, il employait ses loisirs à l'étude des infiniments petits.

Ses préparations micrographiques étaient vivement appréciées par le monde savant.

En même temps, il était appelé, par ces travaux spéciaux eux-mêmes, à s'occuper des instruments d'optique, et à ce point de vue, il avait acquis une pratique telle que les grands constructeurs d'appareils de France et de l'étranger faisaient souvent appel à ses lumières toujours désintéressées.

Lorsqu'il vint, naguère, à Montauban, après un long et honorable exercice de sa profession de pharmacien, il continua dans son laboratoire de la rue Gambetta à se livrer à ses travaux, à ses recherches de prédilection.

La photographie, — mais surtout la photographie théorique, scientifique, artistique, — préoccupait cet esprit cher-


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cheur. A l'exposition organisée à l'ancienne école, (normale lors du concours régional de Montauban, il présenta d'admirables épreuves dans tous les genres. Aucun procédé, même les plus nouveaux, ne lui étaient étrangers.

Depuis, il n'a cessé de chercher, de faire des expériences, suivant avec soin dans sa marche triomphale cet art merveilleux qui prenant le soleil pour principal auxiliaire, est en train de révolutionner toutes les données de notre vieille science au même titre que l'électricité.

On sait que depuis longtemps le problème de la reproduction mécanique et chimique des couleurs était à l'ordre du jour.

Dans notre prime jeunesse, M. François Moulenq, l'éminent historien, secrétaire général de la Société archéologique, nous procura l'occasion de voir un portrait de Scaliger que M. Ducos de Hauron, d'Agen, venait d'obtenir au moyen d'un procédé qu'il avait découvert. Mais les années passèrent et il fallut bien du temps avant que l'industrie s'emparant du principe posé par M. Ducos du Hauron, arrivât à produire ces belles reproductions par la trichromie typographique qui aujourd'hui vulgarise à si bon marché les toiles célèbres de nos anciens maîtres du pinceau.

Mais il fallait autre chose, et les chercheurs aspiraient à la reproduction directe dans une seule épreuve, dans un même cliché des couleurs du modèle.

M. Mathet, dans la conférence si intéressante qu'il nous a donnée avant-hier soir, à la mairie, a expliqué tout cela et d'une façon parfaite ; il a ensuite, par d'ingénieuses comparaisons, mis à la portée de son brillant auditoire, cette théorie si complexe des ondes lumineuses, pour en arriver à l'application à la photographie directe des couleurs.

Il a expliqué les divers procédés, et dans de belles projections, montré les résultats obtenus par 'les inventeurs. Ces résultats sont excellents : mais c'est surtout lorqu'il a fait passer sous les yeux de l'assistance les clicnés obtenus par son procédé particulier, qu'un véritable cri d'admiration est parti de toutes les poitrines. C'est aujourd'hui un art que la


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photographie... à la condition que le photographe soit luimême un artiste pour braquer son appareil sur les scènes ou les paysages qui présentent un aspect vraiment artistique.

Ces vases de fleurs, ces émaux cloisonnés, ces émaux, ces vieilles faïences, sont des reproductions admirables de fidélité, mais combien artistiques, combien séduisantes — dans leur impeccable pureté de lignes s'alliant avec une vérité de coloris qui reproduit exactement la nature — ces vues du Jardin des Plantes, du square de la Préfecture, de celui de la Mairie, de notre vieux pont de Montauban, etc., qui ont défilé sous nos yeux émerveillés. Ça été pour un grand nombre d'assistants une véritable révélation, surtout après les explications si précises de M. Mathet, auquel on a fait une véritable ovation.

On ne saurait trop remercier la Société archéologique d'avoir fourni au public montalbanais l'occasion de voir de si belles choses et de les entendre si bien présenter.

Ajoutons qu'un autre attrait était réservé aux assistants: c'est la primeur d'une oeuvre inédite du regretté chanoine Ferrand, une amusante et fine satire de ces mendiants exploiteurs de la charité publique personnifiés dans « la Veuve Polycarpe. »

M. Lespinasse a prêté à cette oeuvre si spirituelle, le charme de sa diction correcte et distinguée.

La Cigale Montalbanaise, cette petite pléiade d'artistes que nous aimons à applaudir dans nos réunions, nous a donné par son exquise interprétation de divers morceaux spéciaux pour mandolines et guitares une impression charmante de la musique de nos voisins les Espagnols. Après les seguidilles, les marches gardant bien la couleur locale, et qui plaisent tant par leur harmonie un peu mièvre et la douceur poétique de leur tonalité, M. Célarié a voulu montrer que son groupe était à la hauteur d'interpréter des oeuvres plus considérables, et donné avec ses exécutants un morceau important, une symphonie originale d'un compositeur de grand talent. L'exécution a fait ressortir pleinement les ressources de la Cigale, et le public charmé a chaleureusement applaudi ces sympathiques amateurs.


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Une foule nombreuse d'auditeurs remplissait la grande salle de la mairie et constatait que chaque fois que le président et les membres de la Société archéologique font appel au public, celui-ci répond avec empressement à leurs invitations.

Cela montre combien, dans notre excellente population Montalbanaise, on garde pieusement les vieilles traditions de culture intellectuelle et artistique.


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CONFERENCE DE M. GRAILLOT

PROFESSEUR D'HISTOIRE DE L'ART A L'UNIVERSITÉ DE TOULOUSE

Sur l'OEuvre d'Ingres

(3 Décembre)

C'est devant une salle archicomble, formée de l'élite de la population montalbanaise, en présence de nombreuses dames, de M. Chardon, préfet de Tarn-et-Garonne, des généraux Coupillaud, Konne, Appert et Wallon, que l'éminent professeur a donné sur notre grand, sur notre illustre compatriote, Ingres, une conférence très documentée et en même temps d'une hauteportée artistique.

M. le chanoine Pottier, président de la Société archéologique, a présenté en excellents termes le conférencier, rappelant que c'est dans ce même palais que tout enfant Ingres préludait à ses succès futurs, mais dans un autre art, en chantant devant l'évêque Mgr de Breteuil, un duo de la Fausse Magie avec son père, son premier maître, l'artiste J. -J. Ingres.

M. Graillot a grandement, et en termes exquis, magnifié, comme elle le mérite, l'oeuvre d'Ingres, et a fait toucher du doigt, même par les plus incrédules, les plus prévenus, la grandeur de ce caractère d'artiste qui resta pendant toute sa vie le fervent disciple du beau et dont toute l'ambition n'eut d'autre but que de l'atteindre.

Il a fait justice de cette définition absurde qui veut que toute la pensée d'Ingres se résumât dans une ligne droite, et successivement, par des déductions, des comparaisons, des preuves artistiques, il nous le montre cherchant constamment ce " beau » idéal et subissant les influences diverses de la pensée contemporaine.


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Il fut un révolutionnaire contre David dont il repoussait les formules conventionnelles et traditionnelles; la religion le séduisit et il lui emprunta plusieurs de ses chefs-d'oeuvres; l'idéal chrétien qu'il rencontrait à Rome sous les pinceaux de Raphaël et de ses précurseurs l'inspira pour son Voeu de Louis XIII, tandis que parallèlement il peignait le Saint Symphorien, Jeanne d'Arc et la Vierge à l'Hostie; le romantisme traduit son influence dans son Roger et Angélique, Henry IV et Françoise de Rimini; l'antiquité romaine, puis la Grèce, se trahissent dans le Sphinx, le Jupiter et Thétis, l'Apothéose d'Homère.

Successivement aussi l'orateur a montré combien Ingres était sincère dans toutes ces recherches, dans toutes ces courbes de sa vie, exclusives de la ligne droite dont on a parlé. Mais en même temps il a fait très remarquablement ressortir combien Ingres fut amoureux de la forme. Avec quelle étude acharnée, patiente, il chercha le mouvement destiné à produire l'impression désirée; il l'a montré tour à tour également épris de l'idéal chrétien et amoureux de la beauté, artiste consciencieux à l'excès, reprenant ses tableaux après longues années et les retouchant sans cesse pour arriver à une perfection qu'il n'atteignait point toujours, mais faisant constamment preuve d'un souci excessif de probité dans les lignes si pures de toutes ses oeuvres.


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CONFÉRENCE DU COMTE DE GIRONDE

SUR L'ART A VENISE

(28 Novembre)

Le jeudi 28 novembre, en présence d'un public toujours plus nombreux et choisi, M. le comte de Gironde a fait une magistrale conférence sur Venise.

Ecrivain disert et châtié, M. de Gironde parle avec un exquis sentiment de l'art des chefs-d'oeuvre que la ville des doges offre à ses visiteurs, et a fait partager à ses auditeurs son admiration, son émotion même à la vue des magnifiques cathédrales et des merveilleuses peintures dont abondent les musées et les églises.

C'est une belle page qu'a lue M. de. Gironde avec une diction particulièrement délicate et nous sommes heureux de pouvoir la publier dans le Bulletin archéologique. La salle, du reste, par ses applaudissements prolongés, a démontré à l'orateur combien il avait été apprécié.

Avant la conférence, la section de musique de la Société avait interprété avec la précision, la justesse et la parfaite entente des nuances le programme suivant :

Symphonie en « ut mineur, allegro (Bethoven), par l'orchestre. — Sicilienne (S. Bach), pour flûte et orchestre. — quintette à cordes. — Les Bohémiens (Schuman), par l'orchestre.

M. le chanoine Contensou, président de la section, qui avait choisi avec soin ce programme classique, dirigeait l'orchestre avec sa maestria à laquelle chacun se plaît à rendre hommage.

M. de Gironde s'est exprimé en ces termes:

MESDAMES, MESSIEURS,

Téniers le jeune a peint une toile curieuse. On y voit, dans une salle assez semblable à notre salon carré du Louvre un


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grand nombre de petits tableaux symétriquement rangés sur les murs.

Je me trouve avoir rapporté de la radieuse Italie des visions nettes que ma plume a essayé de fixer en autant de tableautins. A l'imitation de Téniers, rangeons-les et donnons-leur un peu d'air!

Mais je n'attends pas de visiteurs pour mon salon carré. Il a fallu (comment dirais-je?..) l'impérieux désir d'un président triomphateur... (n'est-ce pas à lui et à lui seul qu'est due cette belle exposition, qui, à la façon d'une comète traversant l'espace, éclaire pour un temps la bonne ville de Montauban !), il a fallu, dis-je, une circonstance comme celle-ci pour me décider à mettre au jour ces quelques notes.

Si elles n'ont pas le don de vous intéresser, Mesdames, Messieurs, ce qui pourrait bien arriver, je serai le premier puni. Mais vous voudrez bien vous en prendre à l'incomparable organisateur de nos fêtes archéologiques, qui a cru bien faire en me demandant de les produire devant cet auditoire d'élite, et qui, pour la première fois de sa vie, se sera trompé !

Trois peintres qu'on ne voit très bien qu'à Venise : Le Tintoret, Carpaccio, Giorgione.

L'Eglise della Salute nous a déjà montré dans les Noces de Cana un Tintoret tout différent de celui du Louvre. L'Académie de Venise, le Palais Ducal, la Scuola san Rocco, vont achever de nous édifier.

Taine l'a dit, pour ce Michel-Ange vénition « un corps n'est pas vivant quand son assiette est immobile ».

Le miracle de Saint-Marc est le miracle même du mouvement. « Cette figure volante et plongeante, cette scène ardente et réaliste, ont été appréciées et décrites en des pages enthousiastes par nos plus grands critiques d'art. » C'est, avec l'Assomption et le Repas chez Lévi, de Véronèse, le plus grand chef-d'oeuvre de ce musée. Qui l'a vu ne peut l'oublier.

Arrêtons-nous maintenant devant un tableau d'un tout autre genre, (dont je n'ai malheureusement pas la photographie): La femme adultère. Le sujet est interprêté avec une grâce charmante, dans un esprit de modernisme et de familiarité. Le trio


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de Jésus, de la femme et du vieillard qui la soutient est tout à fait aimable. Jésus se montre doux dans son pardon, et la femme, il faut le dire, n'a pas l'air désolé ni très repentant ; c'est une résignée qui se laisse vivre. Elle est femme... donc faible!... Qui sait quelles embûches on lui a tendues ! ! ! Elle qui paraît sans malice, pourquoi a-t-elle péché? — Allons! n'y pensons plus !

Remarquablement beau est ici le coloris. Grand coloriste, il l'est sans conteste, le maître qui avait écrit sur la porte de son Studio, (comme un programme) ces simples mots : Le coloris de Titien et le dessin de Michel-Ange; si dans ses vastes compositions qui ont dû subir plus que d'autres une certaine altération, il est des parties qui semblent noires, on ne saurait lui reprocher des contrastes, des taches un peu sombres qui, malgré tout, sont restées transparentes et fluides. Dans ces tonalités que le temps a poussées un peu à l'excès, il y a encore un fond d'air et de lumière d'où surgissent, en douceur et en force, comme notes claires, vibrantes, les corps aux chairs blanches et souples, palpitantes de vie. Le paysage lui-même, dans l'oeuvre de Tintoret, garde ces qualités précieuses. Je ne connais rien d'attrayant, — après toutefois, les paysages de Giorgione, ce recréateur, ce vivificateur du genre — comme cette toile murale, de la Scuola san Rocco, dans laquelle Tintoret nous a peint largement un petit torrent dévalant de la montagne. Il est d'un si beau caractère, ce paysage animé par des figures qui, tout en jouant un rôle accessoire, en complètent l'expression, comme chez notre Corot! Il est si décoratif et si imaginatif, avec, — déjà — un sentiment si vrai de la naturel De l'Académie transportons-nous au palais ducal de Venise; nous y trouverons encore de ses chefs-d'oeuvres : Mercure et les Grâces, Ariane et Bacchus, Minerve repoussant Mars*. Quelle beauté de mouvement dans Mercure et les Grâces ! Comme les figures vivent, et comme l'air ambiant qui les enveloppe augmente encore cette sensation de vie ! Et ces ombres portées sur les corps des déesses?.. Sont-ce les ombres des nuages qui passent?.. On ne sait, mais, à coup sûr, c'est la vie atmosphérique, la vie en pleine nature ! Ariane et Bacchus joint aux


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mêmes qualités une grâce juvénile adorable. Minerve repoussant Mars, c'est la déesse de la sagesse repoussant en Mars la volupté qui la détournerait de sa mission. Vétue, chaste, et d'autant plus séduisante, elle repousse ce beau Mars tentateur d'un geste ferme et doux qui la rend plus désirable encore. Jambes et haut de gorge nus révèlent une carnation délicieuse. Et quelle lumière dans ses cheveux !

Ne croyez pas que j'en ai fini avec Tintoret! Sous ses auspices nous avons encore à faire connaissance avec la Scuola San Rocco, la plus opulente des antiques Scuole de Venise, celle qui, bâtie jadis par les Lombardi, coûta, au dire de Molmenti, 47,000 ducats, celle qui fait le mieux revivre les souvenirs de ces prospères corporations d'antan.

Donc, dans le ravissant palais à façade incrustée de marbres de couleur (tels des pierres précieuses) Tintoret, membre de la corporation de Saint Roch, a donné libre cours à son génie. Pendant 18 ans de sa vie, il a travaillé à décorer sa Scuola. Molmenti rapporte qu'il lui arrivait de peindre presque gratuitement. Dans le Sommario delle spese fatte nella fabrica della veneranda scola di san Rocco, tiré des grands livres de la confrérie, on lit « que pour prix de ses tableaux il reçut 200 ducats — un peu plus de 600 francs. Et souvent, si nous devons en croire Vasari, quand le client se plaignait du prix qu'il lui fallait payer, Tintoret lui en faisait remise entière.

Trois salles de la Scuola, dont deux immenses, sont entièrement tapissées de ses oeuvres. La qualité dominante de ces peintures est la vie, une vie intense qui n'a plus rien de stylisé, ni de mystique, une vie puisant toute son intensité dans le mouvement, dans une admirable éloquence d'attitudes, de poses, d'allure. Leur coloris, nous l'avons dit, a beaucoup foncé et présente des duretés, mais il a, avec une particulière transparence, une beauté mâle, et pour ainsi dire entraînante qui s'accorde merveilleusement avec le mouvement des scènes.

Ce Tintoret qu'on ne connaît bien qu'à Venise, doit être classé parmi les plus grands génies de la peinture; il est grand à côté des plus grands.

La salle principale de la Scuola San Rocco dont ces belles


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peintures revêtaient le plafond et les murailles, présentaient le jour de la fête de son patron, un aspect peu banal. La corporation, en une assemblée imposante régie par un cérémonial très solennel, tout d'abord, y tenait ses assises. L'on vous fait voir, au centre de la salle, juste en face du grand escalier également tapissé de peintures, la place qu'occupait le conseil. Puis, la session annuelle prenait fin : les affaires terminées, c'est vers l'une des extrémités de la salle que se tournaient les regards recueillis.

Là, s'élève un autel. L'ordre du jour de l'assemblée épuisé, la prière succèdait aux discours, et tous les confrères en SaintRoch réunis (remarquons-le bien) par le seul lien d'une société civile, entendaient en commun la messe.

C'étaient autant de petites et fortes républiques, que ces Scuole qui se plaçaient ainsi sous la protection d'un saint ; elles élevaient des édifices, décoraient les églises, et dépensaient des sommes considérables en oeuvres de bienfaisance.

Je vous le demande, Mesdames, Messieurs, de tels syndicats d'artisans ne révèlent-ils pas, en vérité, une belle et puissante organisation sociale?.. Et il y en avait, ainsi que nous le rappelle Molmenti, ce grand amoureux de Venise, mort récemment, qu'il faudrait toujours consulter pour ce qui concerne sa patrie. Il y en avait dis-je, un grand nombre dans la sérénissime république, et ils avaient leurs peintres, des peintres qui, à cette époque tout imprégnée d'art, travaillaient pour eux, comme, de nos jours, les médecins travaillent pour nos sociétés de secours-mutuels, d'une façon plutôt désintéressée. Ces peintres, ou se dévouaient purement, comme fit le Tintoret, ou avaient la noble ambition de se faire connaître. Néanmoins leur notoriété n'égalait pas celles de leurs collègues qui recevaient des commandes des grandes familles de l'Etat. Beaucoup, pourtant, de ces éducateurs du peuple, de ces conteurs d'histoires, comme on les appelait, avaient du talent: on les découvre aujourd'hui.

En tête de cette légion de nouveaux arrivés, appartenant à l'école primitive de Venise, est le peintre de la vie de Sainte Ursule, Vittore Carpaccio ; il faut le désigner par son petit nom


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pour le distinguer de son fils. Chose étrange, en ces temps féconds, il y avait des familles entières, des dynasties de peintres; ils procèdaient par touffes, comme ces fleurs sauvages qu'on voit, sans raison apparente, former des bouquets dans les prairies

Dans l'oeuvre si abondant de Carpaccio je relève les faits importants de la vie de saint Georges et de celle de saint Jérôme. Ils sont contés sur les murs de la mignonne église de sa confrérie : San Giorgio de gli Schiavoni. Semblable à une bonbonnière, cette petite église présente les fresques dont notre peintre l'a illustrée de la façon tout archaïque qui leur convient : — Des pilastres renaissance en bois doré cannelé, à peine saillants, les encadrent. Elles forment comme une très haute frise placée directement sous un plafond à poutrelles à la française d'une décoration très légère. L'histoire de saint Georges, d'un côté, celle de saint Jérôme de l'autre, s'y déroulent en petits tableaux, juxtaposés. Saint Georges, surtout commande l'admiration:* Inspiré, d'un galbe hiératique, il darde avec conviction le dragon. — Cette scène, expressive au plus haut degré, mais d'une peinture mince, est pleine de force, d'intensité, de caractère. Le paysage enlevé, dur, sans atmosphère, (l'air, élément de réalité, n'était pas entré encore dans le courant de l'Art,) le paysage semble se hausser à l'héroïsme du saint et prendre part à l'action! ...N'est-il pas à propos de rappeler, ici, un pieux souvenir?.. Gustave Moreau, ce peintre-poëte, hanté par un monde de rêve imaginatif et profond, avait, pour le Saint-Georges de Carpaccio un culte ; une copie, amoureusement peinte de sa main, était toujours devant ses yeux. C'est cette belle copie agrandie qu'on voit aujourd'hui dans son musée, à Paris, rue de Larochefoucauld.

Telles étaient les histoires, « stori », pleines de naïveté, de foi, d'esprit, qui se répandaient sous les yeux alléchés des vénitiens du XVe siècle. S'il leur arrivait de les transporter dans la vie réelle, ce n'était certainement pas à la guerre de classes qu'elles risquaient de les conduire. En revanche, le peuple, bénéficiant de cette puissance de l'association savamment orientée vers les arts, la richesse et la patrie, était fier d'une république qui avait trouvé le secret difficile de le rendre heureux.


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Le palais Giovanelli possède un trésor sans prix. Le prince Giovanelli en a refusé, à plusieurs reprises, des sommes fantastiques : il s'agit de la toile de Giorgione*. La Famille de Giorgione, Le Bohémien, La Tempête, ces trois dénominations ont été données au chef-d'oeuvre. Va pour la Famille de Giorgione !

Un jeune homme à la peau bronzée, beau et élégant comme un dieu grec, relevé d'une pointe de coquetterie virile que les Grecs n'ont peut-être pas exprimée dans leurs figures impersonnelles, est en arrêt au bord d'un ravin. Son regard se pose avec complaisance sur une femme qui, assise sur l'herbe, en face, allaite un nouveau-né. Le jeune homme debout, fier et pensif à la fois, c'est Giorgione, la jeune mère est sa femme. — Comme dans notre Concert champêtre, du Louvre, sur cette toile il y a alternance, en plein air et au sein même de la campagne, entre une figure nue et une figure habillée. C'est la fantaisie, le caprice, si vous voulez, du peintre, de mêler dans le même air ambiant et dans une poésie commune (en contraste, d'ailleurs, avec les riches étoffes et les beaux costumes) l'idéal du paysage et l'idéal de la forme féminine.

Et, en effet, cependant que les tons de chair de ce beau corps de femme, au modelé fin, vivant et souple, attirent nos regards, là-haut, dans un ciel chargé d'éclairs, l'orage éclate. On sent l'électricité dans L'air... Et le paysage montagneux d'une valeur intense, souple, lui aussi, comme l'est la Nature (ce qui, ne l'oublions pas, constitue, en ce temps, un progrès immense et une nouveauté), apporte son concert, fulgurant mais harmonique, à la riante et charmante vision.

Et puisque le grand Giorgione de Castelfranco nous tient, ne le quittons pas, laissons-le nous pénétrer encore. — A l'ancien collège appelé Seminario patriarcale, dans une galerie modeste, petit ritiro ensoleillé à l'embouchure du canal Grande, vous trouverez, sur un fonds de paysage, deux 1907 18


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adorables petites figures à demi vêtues : Apollon poursuivant Daphné, et vous palpiterez d'une joie intime, indéfinissable. Vous passerez là de longs instants en contemplation devant ces jeunes gens vivant par une expression de sensibilité extrême et par les tons de leur chair; et si les formes de Daphné vous enchantent, il vous restera encore une forte dose d'admiration pour la grâce juvénile d'Apollon. Vous constaterez que son visage est vu de trois-quarts, un peu à contre-jour dans la pénombre de l'atmosphère, ce qui a favorisé beaucoup la souplesse du modelé. C'est là, vous le verrez, une oeuvre de beauté, une oeuvre brûlante de vie, d'inspiration toute paternelle ; — une oeuvre sentimentale à laquelle le paysage tout entier, avec ses arbres, s'associe. Je vous signale ces arbres, parce qu'ils sont très poétiques, très nature, et n'ont rien de l'uniformité un peu incolore de ceux qui meublent les paysages tout faits de Raphaël. Puis, viennent les accidents de terrain, les lointains fuyants, aérés et doux. Pour tout dire, c'est un petit poème de candeur charmante.

Adorables de fougue amoureuse, ces deux êtres, par un de ces miracles dont l'art a le secret, allient sous nos yeux, à la pureté grecque de la forme, le mouvement et la volupté italienne. Pourquoi faut-il que les Parques fatales aient tué l'auteur de tels chefs-d'oeuvre à trentre-trois ans!

Je demande la permission, comme post-scriptum, de glisser ici une parenthèse en faveur d'un retardataire, d'un grand peintre de Venise égaré au sein du XVIIIe siècle; je veux parler de Tiepolo. Je me suis promis de compléter l'impression produite par lui à la Cour d'appel de Milan par un témoignage irrécusable de son génie décoratif et je voudrais tenir parole. C'est au palais Labia, à Venise, que je trouve ce témoignage. Encadrée par des colonnes et d'habiles arrangements architecturaux, à la Véronèse, la scène peinte représente Antoine et Cléopâtre à un banquet, où, escortés de leur suite, ils se sont donné rendez-vous. Destinés à s'unir dans la plus étroite intimité, à cette heure ils sont encore hostiles et méfiants ; ils se toisent, se regardant, ainsi que l'on dit vulgairement, comme des chiens de faïence. Le fou de la reine, le dos


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tourné au public, gravit les marches d'un grand escalier, et c'est d'un trompe-l'oeil étonnant! — Je vous présente un chien minuscule, étique même : le chien de manchon de Cleo ; Cléopâtre elle-même, prestigieuse dans sa robe de brocart qui se tient toute droite. Au-dessus de la tête des convives, là-haut, entre les colonnes élancées, est installée une tribune pour orchestre. Les Tziganes du temps, armés de violons et autres instruments, donnent un petit concert qui n'a, évidemment, qu'un but, permettre à Antoine et à Cléopâtre de ne pas déserrer les dents. Tout cela est d'un coloris souple et brillant, d'une facture libre, légère et spirituelle.

La salle où s'impose à l'admiration ce grand panneau, féérique entre tous, est elle-même décorée à la mode rococo d'une façon déplorable. D'autres toiles de Tiepolo émergent d'une tapisserie qui offusque l'oeil. Faire ici la part du peintre est chose difficile. Il a dû subir le goût de son époque sans chercher à le diriger.

Le style Baroque, à la suite de Michel-Ange, avait envahi l'Italie, dès la fin du XVIe siècle. Il battait alors son plein.

En tous cas, c'est dans ce cadre décadent que le grand décorateur sut enchâsser des perles.

On admire Saint-Pierre, de Rome ; on aime Saint-Marc. J'aime ces monuments moyens qui n'écrasent pas l'homme ; voilà, mieux encore que les vestiges figés de l'art iconographique byzantin, le lien qui rattache Saint-Marc à la Grèce, Elle a beau justifier ses visées surnaturelles, cette basilique chrétienne, par son mystère oriental un peu voluptueux — la couleur n'est-elle pas déjà une volupté? — par son ordonnance mesurée, par son eurythmie, elle a quelque chose du temple antique. C'est, sans doute, ce qu'a senti Ruskin quand il a dit qu'elle n'est pas la cathédrale de Venise, mais la chapelle de Saint-Marc attachée au palais ducal.

Eh bien, quand même, il y a une envolée dans ces murs et dans ces coupoles irrisés d'or, et j'ai l'impression que SaintMarc est, avant tout, une salle des fêtes, quelque chose comme


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un théâtre du ciel. Un Kyrie de plein chant, émanant d'un choeur de chanoines invisibles, me semble adéquat à la beauté du lieu. Le Credo qui lui succède, polyphonie vocale éthérée de l'école de Palestrina, ne lui cède en rien ; c'est l'âme humaine qui s'exhale en encens ! A droite et à gauche du sanctuaire, dans les hauteurs du transept, deux très grandes loggia, trônées dans l'or, paraissent des loges d'avant-scène, et je crois y voir, accoudés, des chérubins à la chevelure ondulée, à la Botticelli, aux longues ailes diaprées avec des éclats de gemmes. L'Iconostase des églises grecques arrtêta le fidèle au seuil du Saint des Saints. Entrevu, seulement au travers de la grille de marbre, sous le merveilleux baldaquin d'ivoire et de jade qui l'abrite, le maître-autel, un peu perdu dans la pénombre, paraît s'estomper dans un autre monde. Tout cela n'est pas fait pour dissiper l'illusion: oui, SaintMarc, la chapelle idéale du palais des Doges, est bien le temple chrétien du Saint Graal. — Il faut voir l'édifice à toutes les heures du jour. Cette caverne d'or, comme l'appelle Théophile Gauthier, change incessamment ; noyée, pour ainsi dire, dans la douceur de ses propres reflets, par instants, par endroits, elle ressort en tons ardents, devient rutilante comme une « gloire », et l'on pense à une fugue du vieux maître J.-S. Bach, sur le canevas émouvant de sa belle messe en si mineur... De grandes scènes en mosaïque de verre tirées du Nouveau Testament, couvrent entièrement les murailles qu'elles habillent ainsi magnifiquement; c'est mieux qu'un vêtement, c'est une peau adhérente, ce sont des écailles souples et vivantes, écailles de couleurs franches, écailles d'or. En elles s'affirme le sentiment délicat de l'harmonie des tons. Véritables peintures, — quoique rudimentaires — elles ont été faites d'après les cartons d'artistes, restés inconnus, dont l'oeil avait déjà le sens de la vie. Surtout!... en présence d'un tel système de décoration chromatique, écartez l'idée de tableau! Ce sont, en des formes typiques bien arrêtées, de grandes fresques. Elles engendreront les fresques de la Renaissance ; toute la peinture italienne, Cimabué, puis Giotto, sortiront de là. Dans ces champs polychromes parfois apparaît une figure d'apôtre drapée d'une


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étoffé jaune. Il faut voir, alors, comme cette reine des couleurs lumineuses, le jaune, flambe et domine, même sur fond d'or! Puis, c'est la nuit, la nuit relative, succédant au jour; les fonds d'or s'y enfoncent insensiblement, et dans l'ombre, encore, on sent leur chaleur; enfin, le soleil couchant vient leur faire sa dernière visite : c'est l'adieu divin ; ses flèches rasantes les atteignant obliquement les rallument, et l'on dirait, dans un poudroiement d'or, le rayonnement surnaturel d'un invisible ostensoir.

De hauts revêtements de marbres précieux, plaques immensément hautes, d'un seul jet, donnent à ces splendeurs un soubassement grandiose. Cinq coupoles sont suspendues au-dessus de nos têtes, tandis qu'un peu au-dessous de grandes arcatures coupent l'espace, comme feraient des ponts aériens, et que, plus bas encore, seule en son genre, une petite voûte se creuse, qu'éclaire, au fond, le scintillement continu de quelques cierges de cire brûlant sans trêve devant une image de la Vierge bien raide, bien archaïque, qui n'est, à vrai dire, qu'une icône byzantine stéréotypée, comme celles du mont Athos. Du sol, pavé de marbres incrustés, parmi lesquels dominent le rouge foncé et le vert antique, couleurs riches et sévères, s'élèvent, sans ordre apparent, des petits monuments divers et harmonieux.

Par un heureux prodige, ici, la variété, l'éclectisme extrême, la fantaisie, se résolvent en une unité architectonique parfaite.

Sur cet ensemble complexe de formes et de couleurs fondues, le temps a mis sa patine qui, tour à tour, selon le jeu des lumières et des ombres, adoucit ou rehausse, divinisant ainsi ce qui a un caractère antique et l'éternisant dans sa beauté.

Il fait beau ! frétons une gondole à deux rameurs et voguons vers Murano, berceuse, jadis, des premiers peintres de la confédération, aujourd'hui bien déchue. L'air est grisant, la mer, au loin scintille, ce n'est pas le jour de visiter ses verres soufflés et ses dentelles. Murano le comprend ; discrètement elle nous salue au passage, en projetant à nos pieds le reflet de ses vieil-


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les maisons aux peintures délavées, — et c'est comme une seconde ville multicolore et fantastique, qui danse sur le vert miroir des eaux.

Notre barque gagne le large, tranche, de sa proue effilée, les petites vagues frisées... Ah ! ! quel est ce joli point de vue, à l'horizon?... un bouquet de cyprès noirs émerge des flots bleuissants, flanqué de quelques masures et d'un ancien cloître que la vie a abandonné. Cette épave, c'est Saint-François du Désert. C'est dans cette île, qu'au retour d'Egypte, saint François d'Assise planta sa tente. On dit que les bons religieux se laissaient distraire, dans leurs prières, par les chants des oiseaux de l'île. Le saint, alors, adresse à ses amis ailés cet honnête discours : Petits oiseaux, mes frères, interrompez-vous un moment de chanter jusqu'à ce que nous ayons fini nos oraisons.

La navigation vers le Lido est, comme la marche à l'étoile, un enchantement. Des bandes de terres plates, d'un jaune roux, zèbrent la lointaine lagune, miroitant un peu au soleil, et sur nos têtes se promènent sans hâte de jolis bancs de nuages légers que ravivent, à leur sommet, des flèches de lumière.

Le Lido n'a que sa plage. Tout, en dehors de là, est prétention vaine. Mais cette plage n'est pas quelconque. Elle est un centre de beauté atmosphérique... Elle est caractéristique du climat vénitien. De la plage du Lido, on reconnaît les nuages de Paul Véronèse, tantôt petits et serrés, globuleux et pomelant le ciel, tantôt pareils à une dentelle de Venise très fine qui s'allongerait mollement dans l'Ether.

Quand on a vu, comme je l'ai vu, un torse de pêcheur penché sur l'Adriatique, son bras nu plongé dans l'eau à la recherche des coquillages, on comprend, à la façon chaude dont ce corps et ce bras sont frappés de lumière, le coloris du Titien. Le jour où j'étais au Lido, il y avait, au loin, dans la direction de Trieste, deux voiles blanches. Bien que le temps fût au beau fixe, un écran léger d'air humide interposé opalisait et fondait leur blancheur. Au travers de cette évaporation, le soleil déversait sur les pêcheurs de moules du premier plan, sur la mer, sur les îles lointaines, une lumière toute vénitienne d'un ton inénarrable et délicieux.


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Par un coucher de soleil d'or pâle, nous rentrons à Venise. La lagune, dans le sillage de notre barque, est irrisée comme la gorge des pigeons de Saint-Marc. Les nuances en sont si délicates, si fines, qu'on se demande parmi elles quelle est la dominante. C'est un scintillement multicolore si doux, si doux ! — Là-bas, à l'horizon, Venise-la-rouge, doucement incendiée, s'allonge en forme de croissant. Sur la plaine liquide se découpent de minces gondoles,' à la taille élégante, avec leurs gondoliers debout à l'arrière. On dirait des ombres chinoises sur ce fond moiré.

Nous abordons à la Piazzetta. Des groupes de pigeons et des mendiants loqueteux sont collés au palais des Doges, les uns en haut, les autres en bas. Tandis que les pigeons roucoulent et que les mendiants, superbes, fument leur pipe, passent des femmes aux cheveux d'or bruni, aux carnations transparentes. Comme je m'en allais rêvant, le coeur un peu serré à la pensée du départ, il me semblait qu'il flottait dans l'air des choses exquises.

Le ciel, maintenant, était légèrement voilé ; l'église Palladienne de San Giorgio maggiore, son campanile rouge et blanc, la colonnade de son portique, triomphaient dans cette gaze impalpable que les barbares du Nord appellent brume et qui ne mérite ce nom que chez eux! Et dans l'atmosphère rosée, l'étrange lagune gardait son vert très pâle, irrisé à peine, — sur la grande nappe fuyante, d'un tout petit clapotement d'argent que coupait par intervalles la silhouette de ses noires gondoles.


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CONFERENCE DE M. MOISSENET

Ingénieur en chef

Sur la Situation actuelle du mouvement Esperantiste en général

(5 Décembre)

Notre confrère M. Moissenet, Ingénieur en chef, avait manifesté le désir de faire dans les Salles de l'exposition une causerie sur la : Situation actuelle du mouvement espérantiste en général.

Cette conférence-causerie a été faite le 5 décembre en présence d'un grand nombre d'auditeurs vivement intéressés par la nouveauté des aperçus que l'orateur a présentés avec un véritable charme de parole et surtout une conviction d'apôtre. Car, il ne faut pas se le dissimuler, comme toutes les innovations, l'Espéranto rencontre nombre de sceptiques parce qu'il y a autant de gens qui ne connaissent pas le premier mot de la question.

M. Moissenet a débuté par un très joli conte dans lequel l'espéranto est présenté sous la personne d'une fille des fées, douée de toutes les qualités et approuvée de tout le monde.

Il a constaté les progrès faits en 20 ans par l'Espéranto.

« Son créateur le docteur Lazare-Louis Zanenhof, naquit à Bielestock, gouvernement de Grodne, en Russie. Or, cette ville, peu importante cependant, était peuplée de quatre races différentes, les Russes, les Polonais, les Allemands et les Israélites ; races parlant chacun sa langue. De la sorte, les habitants de Bielestok ne se comprenaient pas tous les uns les autres : il en résultait non seulement des ennuis et


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des embarras, mais des haines de races et des combats parfois meurtriers. Le jeune Zamenhof fut frappé de cette malheureuse situation, il y réfléchit longuement; il s'expliqua finalement par l'absence d'intercompréhension l'inimitié qui existait entre ses concitoyens et il résolut de chercher un moyen de la faire cesser, c'est-à-dire, une langue commune qui servit de trait d'union entre eux. Après s'être rendu compte qu'aucune langue morte, aucune langue vivante, ne pouvait remplir convenablement ce but, il entreprit la création d'une langue artificielle facile à apprendre, facile à prononcer, et dont chaque homme pût acquérir l'usage avec le minimum de difficulté et de travail, tout en conservant, bien entendu, sa langue naturelle et nationale. Il a appliqué à cette recherche humanitaire, non seulement tout son génie, mais encore toutes les forces de son âme et de son coeur. Pouvait-il dans de pareilles conditions ne pas aboutir.

Dès 1878, la langue internationale était théoriquement prête. Pendant 8 ans, Zamenhof l'essaya avec le concours d'amis dévoués, et l'améliora de manière à la rendre tout à fait pratique. En 1887 seulement, il se décida à publier sous le pseudonyme de Docteur Esperanto les premiers livres d'études.

Mais la fondation des Sociétés et la propagande d'idées nouvelles n'est pas chose facile en Russie. Les premiers Espérantistes Russes, Suédois et Allemands avaient un journal : en 1895, l'éminent écrivain Tolstoï y fit paraître des articles : cela suffit pour que le gouvernement russe interdit son entrée en Russie. Le journal périclita et la propagande s'arrêta. Un nouveau journal, la Lingno Internacia, la Langue Internationale, parut en Suède, dans une imprimerie d'Upsal. La langue recommença lentement à progresser.

Dix ans après son apparition, se fonda, en 1898, la


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Société Française pour la propagande de l'Esperanto. Mais en 1900, cette Société ne comptait environ que 300 membres, dont moitié seulement en France : l'échec bruyant du Volapuk semblait paralyser ses efforts ; on ne croyait plus, après l'insuccès de cette tentative à la possibilité d'une langue universelle ; on ne voulait plus même essayer l'Esperanto. A ce moment Zamenhof était presque ruiné et commençait presque à désespérer, lorsque quelques universitaires et savants français prirent l'affaire en main. Aidés par la Société puissante du Touring-Club, ils firent en France une propagande énergique et bientôt des groupes Espérantistes importants et actifs se fondèrent dans les grandes villes françaises. La librairie Hachette se chargea d'éditer les ouvrages Espérantistes. Quand on vit à l'étranger la France, d'ordinaire si rebelle à l'étude des langues vivantes, adopter ainsi l'Espéranto, les vieux amis de l'Espéranto à l'étranger, reprirent courage ; les nations où il n'avait pas encore pénétré s'émurent ; bref les progrès de l'Espéranto dans le monde sont tellement importants et rapides que, parmi ceux qui les connaissent, personne ne peut plus douter de son succès.

Un premier Congrès international d'Espéranto réunit plus de 1,000 congressistes à Boulogne-sur-Mer en 1905. Un second Congrès, plus brillant, s'est tenu à Genève en 1906. Un troisième, encore en progrès, a eu lieu cette année à Cambridge, en Angleterre, et j'ai eu le grand plaisir d'y assister moi-même. A chacun d'entre eux l'on a constaté avec quel degré de perfection l'Esperanto remplit le but qu'à cherché son créateur. »

Après avoir montré toutes les ressources de la nouvelle langue et donné des exemples, M. Moissenet a fait un chaleureux appel en faveur de la constitution d'un groupe Espérantiste à Montauban. Il a été fort applaudi et nous ne doutons que son désideratum ne se réalise prochainement.


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CONFÉRENCE DE M. LESPINASSE

(5 Décembre)

MESDAMES, MESSIEURS,

La lecture que je commence est la dernière que vous ayez à entendre au cours de notre exposition. Je souhaite que cette impression de clôture ne soit pas trop défavorable encore que je sois bien empêché de trouver quelque chose à vous dire après que vous avez goûté jusqu'ici tant d'érudition et de délicatesse.

Je compte vous entretenir quelques minutes de ce XVIIIe siècle français, si personnel ; je compte essayer d'en ébaucher une vision d'ensemble, vous montrer toute son importance. Je ne pourrai m'arrêter à aucune oeuvre en particulier, à peine en citerai-je quelques-unes qui seront comme des jalons sur notre route.

Mais auparavant comme je suis le dernier à prendre la parole et que notre Salon Montalbanais aura vécu dans trois jours, permettez-moi, Mesdames, Messieurs, de lui adresser un dernier salut reconnaissant pour avoir su réunir des Assemblées telles que la vôtre devant les rythmes variés de ses oeuvres, et permettez-moi de me considérer comme chargé par vous de grouper tous vos sentiments de gratitude pour les offrir ici, comme la meilleure récompense de ses efforts à celui qui fut l'organisateur de cette manifestation d'art, à notre cher président.

Ceci fait, revenons au sujet qui doit nous retenir ce soir.

Par un jour indéterminé de l'année 1702, la diligence de Valenciennes qui remisait à Paris dans la cour du GrandCerf, proche des Halles, débarquait à la nuit tombante,


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dans la cohue des arrivants et des promeneurs, un homme qui s'en allait à la recherche d'un gite, vaguant au hasard des rues, hésitant aux carrefours. Il arriva, le Pont-Neuf traversé, dans le quartier Saint-Jacques. Là, notre inconnu, indécis et timoré fut accosté par un marchand de tableaux qui était sans doute au seuil de sa boutique et qui lui offrit l'hospitalité moyennant une rétribution modique.

Voilà qui commence comme un roman, n'est-il pas vrai? Eh bien! cela commence comme un roman parce que c'est de l'histoire. Cet homme ou plutôt ce jeune homme de dixhuit ans, ce voyageur aux yeux déjà trop grands et trop cernés, au teint trop pâle, aux mains trop blanches, qui se terre à l'entrée d'un faubourg fangeux dans l'unique désir de ne plus voir et de ne plus entendre ce grouillement de Paris qui l'obsède, ce jeune homme va renouveler l'art français qui par lui civilisera le monde, car ce jeune homme, c'est Watteau.

Watteau trouve l'art français encore imprégné de l'art italien dont il est sorti au XVIe siècle. Mais il y a dans les formules des artistes un flottement, une indécision, quelque chose comme cet émoi furtif qui précède l'aube. En effet, n'est-ce pas un art de jeunesse et de réveil cet art du XVIIIe siècle avec ses bleus si doux, ses verts attendris, ses roses ingénus, toutes les couleurs radieuses de l'Aurore ? L'art vraiment français va s'éveiller avec une âme toute neuve parce que Watteau, son révélateur, vient d'arriver à Paris les yeux pleins de visions.

Watteau mena une vie inquiète, tourmentée, angoissée même et misérable. Son système nerveux exaspéré par la phtysie empêcha toujours qu'il pût se fixer, s'appaiser. Il étouffait dans notre atmosphère terrestre, il voulait toujours plus de pureté. C'est pourquoi il quitte Mettayer pour devenir l'hôte de Gersain, puis se sauve auprès de Julienne et croit y trouver le repos propice à l'éclosion de ses oeu-


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vres. Mais comme tous les visiteurs le harcèlent de leurs gracieusetés, il va se réfugier chez Crozat où l'attend le même ennui. Alors, dans l'affolement d'un oiseau ivre d'espace et pourchassé il ira à Londres d'où il reviendra frappé à mort. C'est au cours de cette vie apeurée, dans les rares minutes de solitude qu'on lui laisse qu'il peint l'Indifférent, l'Embarquement pour Cythère, toutes les Assemblées, tous les Concerts, toutes les Fêtes où, dans des sites adorablement poétiques, des êtres idéalisés songent. Ce furent là les incomplètes ébauches de ses visions, qu'il peignit, oh! avec qu'elle ferveur et quelle infinie tristesse. Je le répète, cela, c'est la révélation d'une âme nouvelle, c'est, dans un clair matin et embrumée encore de rêves, une paupière qui s'ouvre.

Maintenant, les autres arrivent. Lancret vient chez Watteau, examine longuement les croquis du maître et passe, mais il se souviendra. Pater, avisé comme le brocanteur dont il est le fils, Pater pressent la vogue qui va venir, il se cramponne à Watteau malgré ses rebuffades, il s'opiniâtre à imiter, avec l'incompréhension d'un flamand épais, mais avec une habileté de main surprenante, les oeuvres évocatrices. Lemoyne peint Andromède, la belle oeuvre chatoyante devant laquelle Laurent Cors et Boucher sautent de Joie. Le mouvement va s'accélérer, la clarté va grandir. Pourtant, aucun de ceux qui viendront ne comprendra Watteau. On ne verra dans ses oeuvres que des humanités élégantes prenant leurs ébats dans des parcs appropriés. L'âme nouvelle, en s'éveillant, oubliera le rêve furtif du matin mais elle en conservera cette douceur qui subsiste sur des paupières et sur des lèvres d'une ancienne caresse.

A ce moment, en 1721, par un jour glorieux de juillet, aux environs de Paris, à Nogent, Watteau meurt, ignoré de l'indifférence contemporaine, Watteau dont l'Académie ne se souviendra au jour de son enterrement que pour des


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ironies dédaigneuses. Il meurt dans les bras de Gersaint, seulement pleuré de son ami La Roque et de son protecteur Julienne... Puis on l'oubliera... Il aura passé, léger comme un souffle, subtil comme un parfum.

L'évolution se poursuit. Natoire à peint : l'Histoire de Psyché, de Troy : La Main Chaude, Fragonard : la Fête dans un parc, Lancret : l'Automne, Pater : Le Bain, Boucher : Renaud et Armide, la Naissance de Vénus, Trémolières toutes ses allégories. La cour de Louis XV est le centre du inonde civilisé. Entre Versailles et les autres capitales, c'est un va-et-vient continuel de littérateurs, de philosophes et d'artistes français allant à l'étranger chercher plus de gloire, étrangers venant en France parfaire leur savoir. Ceux qui s'en vont conquièrent les esprits, ceux qui viennent sont conquis. Tous ces voyageurs, au long des routes, de ville en ville, célèbrent la nouvelle forme de la beauté et, de même que les abeilles regagnent la ruche, enrichies du suc des fleurs, de même leurs cerveaux migrateurs transportent comme un pollen précieux, à travers l'Europe fécondée, le génie de notre race.

Ne croyez pas, Mesdames et Messieurs, que cette assertion ne soit qu'une hyperbole emphatique. Dans l'Europe du XVIIIe siècle, l'art ne vit guère qu'en France. Autour de la France, deux sortes de pays : ceux qui s'endorment et ceux qui vont s'éveiller.

Les pays qui s'endorment sont la Flandre, la Hollande, l'Espagne, l'Italie. Les trois premiers subissent à des degrès différents l'influence française. En Flandre, c'est Coypel qui trouve des adeptes imprévus, sans doute parce que son coloris est petit-fils de celui de Rubens. En Hollande, le goût français est à la mode depuis la fin du règne de Louis XIV. Les patriciens d'Amsterdam et de la Haye veulent prouver qu'eux aussi sont faits pour les nobles maintiens. Leurs peintres de cette époque Gérard de Lairesse et


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Van der Werf invitent pauvrement les peintres français et ont une vogue considérable. On s'arrache leurs oeuvres à des prix inouïs. L'Espagne est absolument asservie aux manières françaises depuis que les descendants de Louis XIV occupent le trône. D'ailleurs Murillo, Valdès Léal, Claudio Coëllo sont morts. Il n'y a plus d'art espagnol ; il faut avoir recours aux artistes de France. Houasse, élève de Le Brun, Ranc, élève de Rigaud, Louis-Michel Van Loo arrivent successivement. Puis, ce sera une passade en faveur de l'Italie et le vieux Giambatista Tiepolo viendra mourir à Madrid. Après lui, l'art français reparaît, l'art Pompadour. Barthélemy Ollivier, de Marseille, Charles de la Traverse, élève de Boucher, vont en Espagne imiter Pater, Lancret, Boucher, Cochin. Lorsque Goya paraîtra enfin dans les dernières années du siècle, il commencera par peindre des scènes à la Fragonard et même, quand, plus tard, il deviendra naturaliste, son naturalisme sera plus d'une fois avivé d'une pointe de coquetterie. Sans l'art français, Goya n'eut peut-être pas existé.

Seule, l'Italie ne se plie pas au goût français. Malgré son déclin, elle reste personnelle, elle met son suprême orgueil à ne vouloir rien reprendre de ce qu'elle a donné.

Les pays qui vont s'éveiller sont l'Angleterre, l'Allemagne, endormie depuis deux siècles, la Russie, la Suède.

On ne trouve pas trace d'art en Angleterre avant le XVIIIe siècle. C'est Watteau qui donne l'élan. Il crée, lors de son court séjour à Londres, cet art Anglais, qui à son tour réveillera la France au début du XIXe siècle. Je n'ai pas le temps d'insister sur l'influence française en Allemagne et en Russie. Tout le monde connaît la passion du grand Frédéric et de la grande Catherine pour les philosophes et les artistes français. Tout le monde sait que ces philosophes et ces artistes ont formé l'intelligence et le goût des Allemands et des Russes. Je rappellerai simplement qu'au Salon


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de cette année, à Paris, on a pu voir une exposition rétrospective de l'art russe et se convaincre que les artistes russes du XVIIIe siècle n'avaient fait que pasticher les Français. J'ajouterai que nous, Montalbanais, serions impardonnables, d'ignorer ces faits puisqu'un de nos compatriotes, Parizot, aquarelliste et miniaturiste, quitta notre ville à 27 ans, vers 1780, s'en fut en Russie, y devint l'ami des grandes familles moscovites, les Tcherkaski, les Dolgorouki, et y mourut comblé de biens et d'honneurs.

Je m'étendrai davantage sur l'influence française en Suède, parce que c'est un point de l'histoire de l'art qui est peu connu.

En 1695, se passait à Stockhlom, un fait assez banal qui devait avoir des conséquences inattendues. Le feu se mettait au château Royal qui brûlait entièrement en deux heures de temps. C'était un antique monument, vieux de quatre siècles, qui disparaissait. Il fallut reconstruire. Comme les finances était en fort mauvais état, on atermoya, on suspendit les travaux pour les reprendre par à-coups. Cela dura jusqu'en 1727. A cette époque, une impulsion plus vive leur fut donnée. En 1732, la construction était achevée. Le surintendant des bâtiments, Carl Tessin, chercha autour de lui des peintres, des sculpteurs pour décorer l'édifice. Il ne trouva personne. C'est alors que son intendant, Horleman, prit le parti de venir à Paris pour y trouver les artistes dont il avait besoin. Il arriva le 13 février 1732. Les démarches n'étaient pas faciles. Il avait à surmonter deux grands obstacles : la limitation de ses ressources, et le naturel français lui-même. Lorsqu'il était parti de Suède la Commission des bâtiments lui avait dit au sujet des artistes qu'il devait engager que le principal était qu'ils ne coûtassent pas cher. Cette clause risquait de lui interdire tout marché avec les talents véritables. Aussi, il paraît s'être résolu à louer les services d'un artiste réputé, chargé


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de la direction des travaux, quitte à sacrifier un peu les autres. Le second obstacle n'était pas moindre. Horleman se plaindra plus d'une fois de l'esprit casanier des Français. « Ici, écrit-il le 22 février, se trouvent beaucoup de gens habiles qui n'ont rien à faire, qui meurent de faim et quine demanderaient certainement pas mieux que de changer leur condition actuelle pour une autre mais qui considèrent comme impossible de gagner leur pain et de vivre ailleurs qu'à Paris. » Les négociations avançaient péniblement. Enfin, le 15 mars, il écrivait à Stockholm qu'après bien des efforts, il avait « débauché » trois sculpteurs qui étaient en même temps graveurs sur bois. Le premier était élève d'Oppenordt, les deux autres d'Antoine-François Vassé.

Ne pouvant parvenir à débaucher un seul peintre, Horleman prit le parti de s'adresser à Claudre Audran « excellent peintre d'ornements et de plus concierge du Luxembourg. » Il ne faudrait pas Confondre cet emploi de concierge qui était un poste de haute faveur, avec celui du suisse, chargé de garder la porte. Le concierge était en réalité le conservateur du palais. Audran le mit en rapport avec Oudry, Pater et Taraval. Horleman s'adressa tout d'abord à Oudry qui avait décoré la salle des Fables, à Chantilly, et dont le talent sérieux devait lui plaire. Oudry refusa nettement. Il avait déjà refusé de se rendre en Pologne et en Russie ou le roi Auguste et le czar Pierre lui avait fait des offres plus avantageuses que celles qu'Horleman pouvait prétendre faire.

L'intendant se tourna vers Pater. Sa loyauté sereine se trouva en présence d'une acrimonie sournoise, d'un orgueil emporté que modérait seule cette rapacité matoise et têtue qui avait jadis attristé Watteau jusqu'à la souffrance. Pater demanda un prix exorbitant sauf à en rabattre, évaluant son talent comme une marchandise dont il aurait eu le monopole. Il s'arrêta enfin à un prix annuel de 10,000 livres 1907. 19.


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et n'en voulut pas démordre. C'était plus que n'en pouvait promettre Horleman. Restait Taraval, au moins l'égal de Pater d'après les contemporains. Celui-ci accepta de partir pour la Suède moyennant 6,000 livres par an. C'était à peine ce qu'il gagnait à Paris mais il était d'humeur aventureuse» La Commission des bâtiments commença par trouver la somme forte. Horleman répondit que du moment que le roi de Pologne offrait 8,000 livres à Oudry, le roi de Suède pouvait bien en offrir 6,000 à Taraval.

Le 30 mai, il avait réuni trois peintres et six sculpteurs qui consentaient à le suivre. Les peintres étaient Taraval, Deslaviers et Lambert Donnay. Les sculpteurs se nommaient Antoine Bellette, Michel Lelièvre, Nicolas Varin, Charles Ruste, Nicolas Léger et Pierre David. Horleman adressait à Tessin sa dernière lettre : « Ma mission est finie. Plût à Dieu que vous en fussiez aussi content que j'ai humainement tout fait au monde pour m'en bien acquitter et que vous vouliez bien faire entendre à Messieurs de la Commission que je n'ai touché à leur argent que le moins que j'ai pu. » N'y a-t-il pas, dans la fin de cette phrase un dédain, qui perce, de la parcimonieuse commission?

Le 24 mai, les sculpteurs avaient quitté Paris pour Rouen d'où ils s'embarquaient pour le Nord. Les peintres partaient dans les premiers jours de juin pour Amsterdam où ils prenaient passage pour Stockholm. Horleman qui les avait accompagnés les quittait là, remontant vers l'Allemagne. Tous les Français voguaient vers la Suède. Plusieurs ne devaient pas revenir. Taraval emmenait sa femme et son fils âgé de 4 ans, son fils qui sera Hugues Taraval, le peintre du Triomphe d'Amphitrite, membre et professeur de l'Académie de peinture et surinspecteur de la manufacture des Gobelins. Trois ans après, en 1735, l'Académie Suédoise était fondée par les artistes français, un art suédois prenait naissance qui est maintenant parmi les premiers.


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J'ai pensé qu'il était intéressant et juste de faire sortir de l'oubli ces hommes qui ont abandonné une renommée certaine pour aller se perdre dans les frimas du Nord à la conquête d'une race neuve pour le plus grand bien de l'art et la plus grande gloire de la France.

Il y a entre tes évolutions des hommes et l'évolution des choses des affinités mystérieuses ; les races ont leurs saisons et c'est l'éveil des unes qui fait le sommeil des autres. Les pays du Nord se mettaient à vivre, il fallait qu'à son tour le génie français s'assoupit. Les peintres charmeurs vont disparaître un à un. Peintres de la joliesse et de l'amourette, ils seront fugitifs comme elles. Ils seront très vite oubliés de leur siècle frivole, sans doute pour que les siècles à venir aient plus de douceur encore à les évoquer.

Maintenant, Boucher, « le grand tapageur » est mort. Sur la cour, un malaise s'appesantit, le trésor s'appauvrit ; devant les défaites et les colères qui commencent à se dresser contre elle, la Société mignarde s'étonne, s'inquiète, se tait. Quelques héroïsmes légers qui mettent leur gloire coquette à mourir le sourire aux lèvres persistent à minauder. Autour d'eux, la solitude s'épaissit. On s'amuse et l'on rit encore par l'habitude, mais sauf pour quelques solennités, les spectacles chôment, les jardins se font déserts. Le goût persiste de la grâce, mais les préoccupations de l'heure présente l'assombrissent. Pourtant, elles se renouvellent les toiles madrigalisées d'hier : Vertumne et Pomone, Renaud endormi, l'Amour et les grâces, mais la peur hésitante, on ne sait encore de quoi, qui se ramasse en un point de l'avenir fait remonter aux coeurs un peu de pitié et de mélancolie. On aimera sans se rendre compte pour quelle cause les ruines d'Hubert-Robert, à côté d'Adonis, Bacchus et Erigone, Zéphire et Flore, on voudra l'Assomption, Saint-Pierre et Saint-Paul, Athalie, le Martyre de SaintDenis. A mesure que le siècle s'écoulera, le regret s'exal-


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tera, impuissant des vaillances et des ferveurs des vieux âges. On verra de plus en plus nombreux les tableaux inspirés par Rome. A côté de la Continence de Bayard et de la Mort de Duguesclin, les artistes peindront Cressinus, Cimon, Fabricius, Metellus, Popilius, tout le poème de l'énergie; l'Aurore et Céphale d'Amédée Van Loo, le Triomphe d'Amphitrite de Taraval rappelleront seuls le passé. Ils seront achetés par le roi avec l' Adoration des Mages, les Vendeurs chassés du Temple, Jésus parmi les Docteurs, la Samaritaine, la Transfiguration, la Nativité. En même temps, sous le coup peut-être de pressentiments et pour voir comment on avait su mourir jadis, on fera représenter aux peintres la Mort de Bayard, la Mort de Patrocle, la Mort de Léonard de Vinci, la Mort d'Alceste, d'autres morts encore. Quelques artistes cherchent les modèles héroïques parmi les gloires nationales, les plus nombreux les prennent dans l'antiquité gréco-romaine. A peine, de-ci de-là, timides et peu payés, quelques fidèles se comptent du siècle mourant.

Grimm avait craint que Boucher n'eût irrémédiablement perdu le goût français, de compte à demi avec Fontenelle. Mais Fontenelle avait eu son Voltaire, et Grimm désirait que Boucher eût le sien. Grimm ne savait pas qu'un homme comme Voltaire, que d'autres hommes comme Diderot, Montesquieu ou David ne sont pas placés par le hasard sur la route de l'humanité. Des tendances les imposaient, les mêmes qui voulaient un art nouveau et une société nouvelle. Voilà 1789. Les menaces se réalisent. Le roi, ne croyant pas encore au péril, fait acheter Télémaque et Mentor chez Calypso, la Mort de Sénèque, la Mort de Socrate, et quelques autres toiles, parmi lesquelles une, inconsciemment prophétique, le Brutus de David. L'année suivante, on n'achètera rien et avant l'écroulement final de 1792, nous verrons se dresser, seule, sur l'abîme effrayant, étrangement


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et doucement émouvante au milieu du vertige des clameurs, une oeuvre, la dernière acquisition du roi qui sera là comme un salut confiant au monde nouveau ou comme un suprême et délicieux sourire au Passé, une oeuvre de Callet : Le Printemps.

A la suite de cette lecture très applaudie, la section de musique se faisait entendre pour la dernière fois au Salon montalbanais ; son Président, M. le chanoine Conténsou a eu l'heureuse pensée de reprendre ses intéressants commentaires des oeuvres exécutées. C'est ainsi qu'il nous a bien préparés à écouter et à goûter le célèbre Largo de Haëndel, page magistrale, l'une des plus impressionnantes que nous ayons entendues, la délicate Gavotte de Lulli ; et une symphonie de Schubert.

Il faut dire que l'exécution en fut parfaite et compléta fort démonstrativement les paroles du distingué Maître de chapelle, dont chacun apprécie le grand talent de compositeur religieux.

M. le Président Pottier a tenu à remercier l'assistance, ses collaborateurs, tous ceux enfin qui ont assuré le succès de cette Exposition si bien réussie, et dont, quoi qu'il en dise, il a été l'initiateur, la tête, qu'il a, comme en toutes choses, fait réussir par son infatigable et éclairé dévouement aux intérêts supérieurs de l'art et de la pensée.


UNE

PETITE VILLE DU QUERCY

AVANT LA REVOLUTION

(MONT-TPEZAT)

Souvenirs d'un Arrière-Grand-Oncle

PUBLIÉS PAR

M. A. BUZENAC

Membre de la Société

Ces souvenirs sont ceux d'un témoin. Ils sont exacts, ainsi qu'il résulte d'un contrôle fait avec les archives de la communauté de Montpezat, celles de l'église collégiale, les nombreux mémoires juridiques publiés à cette époque et la correspondance de M. Pellissier de Labatut.

Ils mettent en lumière un fait trop généralisé avant la Révolution, les dangers de la vie à la cour, l'indifférence de la haute noblesse et la faute qu'elle commit en abandonnant la direction de ses nombreuses seigneuries à des intendants sceptiques, tracassiers et brouillons.

Pendant plusieurs siècles, l'antique famille des Prez, bienfaitrice de la contrée, entretint avec les habitants de Montpezat, près desquels elle garda toujours sa principale résidence, des rapports amicaux; on faisait échange de


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bons offices. Ceux qui lui succédèrent, les comtes de Grammont, les marquis de Saint-Chamond, la comtesse de Poitiers, les marquis de Lostanges, étrangers au pays, toujours absents, laissèrent peu à peu s'éteindre ces vieilles traditions.

Le dernier seigneur de Montpezat, le jeune marquis Henry de Lostanges, personnage d'ailleurs sympathique par sa courtoisie et sa haute distinction, eut le tort... ou le malheur de laisser gouverner à sa place un avocat taquin qui voulut tout niveler, bouleversa le régime communal de là cité, le Chapitre de l'église collégiale, fit aux bourgeois une guerre à coups d'épingle... et à coups de langue, accabla les particuliers de procès, mit sur les dents tous les huissiers et finit enfin par plaider... contre les huissiers eux-mêmes. A. B.

Dans la petite ville de Montpezat, en Quercy, sous l'ancien régime, on comptait de nombreux «Messieurs Depeyre », tous bourgeois et notables, tous « hommes de condition » comme on disait alors. C'étaient les Depeyre de Lacombe, Depeyre de la Place, Depeyre des Pesquiers, DepeyreLestrade, juges seigneuriaux,les Depeyre, Marc-Antoine dits les Marc-Antès, Marc-Antoine Ier du nom, Marc-Antoine II, ou Depeyre Cadet. C'étaient aussi Messieurs Etienne Depeyre, médecin, dont le petit-fils Octave (1) vient de se signaler par de brillants débuts au barreau de Toulouse, Nazaire Depeyre, dit de Lalande, et M. Depeyre du Fonddes-Couverts. Dans la petite roture, on trouvait même Depeyre lo Grand, Depeyre lo Pitchoun, Depeyre Lapierre, etc., etc.

Mais parmi les bourgeois de ce nom, le plus célèbre

(1) M. Octave Depeyre. député à l'Assemblée nationale, ministre de la justice sous la présidence du maréchal de Mac-Mahon.


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sous le règne de Louis XVI fut M. Depeyre du Fonddes-Couverts, c'est-à-dire, Me Jean-Guilhaume Depeyre, avocat au Parlement et premier consul de Montpezat. Une similitude de nom, peut-être une parenté remontant aux premières origines de la petite ville, le rattachaient seulement à l'importante famille des Depeyre. Administrateur distingué, ferme comme un roc quand il s'agissait des intérêts de sa Communauté, il avait en outre dans le pays une grande réputation d'éloquence.

On voit à Montpezat au coin de la Place et au fond des Couverts, debout sur ses piliers séculaires, mais combien délabrée, la grande maison (1) aux pans de bois, où il vécut.

Je me souviens de la belle porte aux panneaux bizarement contournés, présentant en saillie sur la corniche de l'imposte un dauphin dont la gueule menaçante s'ouvrait sur les visiteurs, qui donnait accès dans le vestibule et la cour intérieure. Sur un côté de cette cour, à droite, se dresse encore un large escalier de chêne, d'aspect monastique, aux paliers barlongs, aux balustres massifs, éclairé par trois grandes arcades cintrées dont la plus haute a conservé ses carreaux verts découpés en losanges et sertis par un réseau de plomb. Au premier étage, un salon parqueté montrait, il y a quelques années, de curieuses tapisseries peintes en camaïeu et reproduisant des scènes de l'antiquité grecque dans le style de Prud'hon. A gauche de l'escalier, sur le même étage, se trouve le cabinet de travail servant de bibliothèque à M. Depeyre, la librairie comme eût dit Montaigne. Cette pièce a gardé sa décoration de l'époque de Louis XV. Les murs, le manteau de la cheminée sont revêtus de lambris de chêne. Les portes à doubles battants, les trumeaux, les pieds droits des alcôves sont ornés de gracieux branchages

(1) Maison Laroche.


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dont les tiges entrelacées se rattachent à un noeud de rubans ou bien à une coquille ; le tout taillé en plein bois.

Au-dessous de cet appartement, sous un arc en tierspoint, mouluré comme un arc d'église, se continuent les Couverts de la ville.

Jadis, sur le soir, le passant attardé pouvait entendre le pas intermittent de M. Depeyre scandant les périodes et les incises de ses discours ou les tirades les plus belles de ses auteurs favoris, Montesquieu, Thomas, Jean-Jacques. Combien de fois, dans le silence de la ville endormie, retentit l'apostrophe célèbre de Rousseau : O Fabricius, qu'eût pensé votre grande âme ! et plus d'une bonne femme de la rue Cariven, réveillée dans son premier sommeil par ces flots d'éloquence nocturne, se prit à dire : Té ! Moussu Dupeïre que pretcho !

C'était un caractère que ce M. Depeyre du Fond-desCouverts ! Dans cette tête pâle ou luisaient des yeux pleins d'éclairs, sous ce vaste front qu'encadrait une perruque à marteaux (la perruque de Voltaire), s'agitaient des pensers antiques. Sous ce long frac de drap couleur « tabac d'Espagne » qu'émaillaient de larges boutons de nacre, sous le grand gilet de soie « gorge de pigeon » brodé de fleurs jonquilles qu'entrouvait au bas de la cravate de mousseline un jabot de dentelles soigneusement plissées, battait un coeur de Romain. Caton fut son héros, Carthage son ennemie ! Carthage ! Il l'avait devant les yeux...

De ses fenêtres (qui n'étaient pas comme aujourd'hui assombries par un beffroi en style de colombier et cet affreux hangar servant de halle, élevés pendant la Révolution) (1), il voyait les hautes tours et les murailles sombres du château féodal, fièrement assis à deux pas de là sur un roc escarpé et projetant sur la ville son ombre altière.

(1) Remplacés en 1850 par la mairie actuelle.


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Là était Carthage !

Carthage! c'est-à-dire le Périgord, régnant au château dans la personne de Me Pellissier de Labatut, avocat au Parlement de Bordeaux, intendant de Messire Henry de Lostanges, grand sénéchal du Quercy, colonel de RoyalPicardié-Cavalerie, marquis de Saint-Alvére et de Montpezat.

Autour de l'intendant et sous son inspiration s'agitaient Me Bernard Disses (1), procureur au Sénéchal et Présidial de Montauban et procureur fiscal du Marquisat de Montpezat, son beau-frère le notaire royal Me Prax (2) et le chirurgien Dejean.

Carthage était aujourd'hui triomphante ! Ce parti venait d'obtenir du Parlement de Toulouse (13 mars 1784) un arrêt qui cassait le conseil de Montpezat, enlevait à Me Guilhaume Depeyre ses prérogatives de Consulta la petite cité ses vieilles franchises données par Alphonse de Poitiers, le frère de saint Louis, et déjà bien amoindries par Louis XIV.

Carthage ! c'étaient enfin les faux frères, qui avaient déserté la cause du Quercy, les droits de Montpezat, le camp de M. Depeyre, pour se ranger sous la bannière du Périgord !

Dans la défaite, un seul appui restait, la faveur de MM, de Gourgues et Meulan d'Ablois, anciens intendants de Montauban, jointe, à la protection tacite, discrète de M. de Trimond, alors intendant de la Généralité. Contre l'arrêt du Parlement on n'avait qu'un recours, celui de la Justice Royale. Aussi dès le 18 août 1784, un appel en cassation avait-il été porté devant le Conseil du roi. Pour le moment on attendait et on se soutenait par l'espérance.

(1) Officier municipal de Montauban en 1750.

(2) Grand-père de M. A. Prax-Paris, maire de Montauban sous l'Empire, ancien député de Tarn-et-Garonne.


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Mais ce n'était pas un mince adversaire que Me Pellissier de Labatut (1). Ce Périgourdin doublé de Bordelais (il l'était devenu par son mariage avec Mlle Dugay, son titre dans la basoche et ses relations), n'était pas seulement un homme de condition comme Me Depeyre; il était même homme de qualité. A l'exemple de Barrère, le petit robin de Toulouse, qui se faisait appeler maintenant Barrère de Vieuzac, il venait d'acheter une savonnette à vilain, le fief de Ratevoul en Sarladais. Il avait des appuis, à la Cour par Mme la Marquise de Lostanges, née de Vintimille, dame d'honneur de Mme la Comtesse de Provence, dans le Conseil du roi par M. de Boullogne ancien contrôleur général des finances, père de Madame de Lostanges douairière, aux Parlements de Bordeaux et de Toulouse, dans le monde des avocats et des procureurs, partout si ce n'est dans les bureaux de l'Intendance de Montauban. Cet homme d'esprit, de formes courtoises, grave à ses heures, était en même temps un malin, un narquois, un truffandié (disait le peuple de Montpezat). Rome, c'est-à-dire, M. Depeyre du Fond des Couverts, avait pour elle la dignité, l'éloquence aux formes antiques. Carthage usait de l'intrigue, de la conspiration, quelquefois même du ridicule. On cite encore un bon mot de l'avocat périgourdin : Me Depeyre, disait-il, c'est le Caton du Quercy. Le mot resta au grand scandale des bonnes gens de Montpezat, qu'offusquait, dans leur ignorance de l'histoire romaine, ce sobriquet outrageant Lou Catou, le petit chat, infligé à un homme aussi grave, à un magistrat aussi solennel que M. le consul Depeyre.

(1) D'après M. Georges Bussière (Etudes historiques sur la Révolution en Gérigord, t. III, p. 309), M. Pellissier de Labatut serait l'aïeul de M. Jules Claretie. J. Claretie, de Limeuil, grand père de l'administrateur de la Comédie française, épousa Mlle Galathée Pellissier de Labatut. (C'était peut-être la fille de l'intendant de M. de Lostanges, née à Montpezat le 12 novembre 1786.)


264 UNE PETITE VILLE DU QUERCY

Les souvenirs que j'essaye d'évoquer sont bien lointains; un demi-siècle nous en sépare. Essayons cependant par la pensée de franchir cet espace et transportons-nons à Montpezat vers les premiers jours du mois de mars de l'année 1785.

Nos petites villes d'à présent, mornes, silencieuses, dépeuplées, ne nous donnent guère l'idée de la vie, du pittoresque qui en faisaient le charme avant 1789.

C'est aujourd'hi dimanche ; déjà depuis plus d'une demiheure, la grosse cloche de la Collégiale Saint-Martin a sonné la fin des vêpres. Il y a foule sur la place dite de Mercadial et sous les Couverts. Les Couverts sont le petit Palais-Royal de Montpezat. C'est là que la haute société locale tient ses assises et se promène.

C'est pourquoi de tous côtés les Messieurs débouchent sous les arcades. Des groupes se forment, s'agitent, font quelques pas, s'arrêtent pour discuter. On discute de tout, de la ville comme de l'État, de la ville surtout, de l'affaire des Parlements, des réformes de Turgot, de Loménie de Brienne, de Monseigneur de Necker (1). On propose les dernières charades du Mercure de France.

C'est là que fraternisent les gens des Trois-États.

On y voit le chevalier de Beaufort et le vieux major Brassier de Saint-Simon, deux compagnons de d'Assas, deux débris de la guerre de Sept Ans, l'épée en verrouil, le tricorne au bras, la queue ficelée à la prussienne, portant fièrement sur les revers flétris de leurs uniformes des régiments du Nyvernais et du maréchal de Turenne, la croix de Saint Louis. Non loin de là, M. de Cosseins de Marin du Bouzet écuyer, entouré de ses trois fils officiers ; l'aîné, major au régiment de Condé-Cavalerie (2), tous en congé

(1) Ainsi désigné dans les Archives de Montpezat.

(2) Tué à la bataille de Jemmapes.


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de semestre, cause avec MM. Barthélemy de Baudus, Alexandre de Peyronnencq, gendre du chevalier de SaintSimon, M. de Cantemerle le mousquetaire du roi, et M. de Latour-Deyma, seigneur de Castanède.

Des chanoines de l'église collégiale Saint-Martin, en perruque poudrée, la soutane retroussée avec art et laissant apparaître sur le bas bien tendu des revers de moire violette, MM. Dabatia, Galy (le futur maire de Montpezat en 1790), M. Solacroup de Lavayssière le généalogiste du Quercy, se sont arrêtés au milieu d'un groupe de bourgeois, notaires, avocats, médecins et apothicaire, que domine la haute stature de M. Depeyre du Fond des Couverts.

Chose étrange! A la veille de la grande crise de 1789, ici, toutes les classes oubliant leurs rivalités sont unies par un même sentiment, la haine de l'étranger. Gentilshommes, chanoines, bourgeois, tous sont des Romains, tous soutiennent la lutte entreprise par Me Depeyre contre l'Annibal de Périgord.

— Ah! Messieurs, disait le chanoine Dabatia (une main appuyée sur sa longue canne à pommeau d'argent, l'autre jouant avec une fine tabatière d'écaille), c'est une tyrannie intolérable ! Non contents d'avoir dissous votre conseil politique, d'avoir remplacé vos consuls, on s'attaque maintenant à notre Chapitre. Vous savez que déjà on a privé de sa stalle capitulaire M. l'abbé de Laburgade de Belmont! Voici que maintenant M. Pellissier de Labatut vient de signifier à notre très estimable doyen, M. l'Abbé de Renaudies (1), au nom de Monsieur le Marquis, qu'il ait à céder la place à un successeur.

— Et lequel ? demanda vivement le chevalier de Beaufort en se rapprochant du groupe.

(1) Vicaire général de Grenoble, nommé au doyenné de Montpezat par M. le marquis de la Vieuville.


266 UNE PETITE VILLE DU QUERCY

— A M. l'abbé de Guilhem de Saint-Marc, fils de l'avocat de M. le marquis et grand-vicaire de Périgueux.

— Encore un périgourdin ! ! grommela le chevalier de Beaufort.

— Non, Messieurs, reprit le chanoine Dabatia, M. l'abbé de Saint-Marc est originaire de la ville et prieuré de Layrac, de l'évêché de Condom, en Gascogne.

— Un gascon, c'est pire ! dit le chevalier de Saint-Simon. Un gascon ! Un gascon !! Ce mot, malsonnant dans le

Quercy, vola avec la rapidité de l'éclair. Des Couverts il passa jusque dans les groupes populaires, et bientôt au milieu de la Place, une voix de stentor, la voix de Depeyre Lapierre, se fit entendre :

— De Gascous ! de barlouqurs! ne boulen pas!! Quant l'agitation eût cessé, la voix grave, autoritaire de

de M. Depeyre du Fond des Couverts s'éleva dans le silence des groupes assemblés autour de lui.

— N'avais-je pas raison de le dire, Messieurs ? Ces gens-là s'attaquent à tout, à l'État, à l'Église! Ils mettent la main sur le plus beau joyau de la ville, sur notre Collégiale ! Hélas ! que nous laisseront-ils à présent ?

— Rien que nos yeux pour pleurer, dit mélancoliquement l'apothicaire Darnis.

— Ils ont supprimé, continua M. Depeyre, le droit qu'avait la Communauté sur les prisons du château, droit dont elle jouissait depuis 1250, entendez-vous, Messieurs, depuis 1250...? j'ai vu les parchemins...

— Et les livrées consulaires, ajouta un bourgeois.

— Et la présidence' du conseil donnée maintenant au juge seigneurial, interrompit un autre.

— Messieurs, reprit avec force M. Depeyre du Fond des Couverts, Me Pélissier de Labatut s'est permis de dire en parlant de nous : Les cris des grenouilles annoncent la pluie, mais elles ne crieront pas longtemps !


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— Nous comparer à des grenouilles! gémit l'apothicaire.

— Les grenouilles ne cesseront de crier! vociféra le farouche Mostolac (un futur jacobin de 1793).

— Savez-vous, interrompit un nouveau venu, le féodiste du clergé Malaval (1), que M. Pellissier de Labatut, de concert avec Me Disses, vient d'établir une Loge maçonnique au château ?

— Oh! Oh! s'exclama-t-on de toutes parts.

— Les jongleries de Mesmer et de Cagliostro, dit en souriant le chanoine Dabatia.

— Savez-vous encore ce dont ils se sont vantés, continua Malaval. Pas un bourgeois du parti de M. Depeyre ne sera invité aux séances de la Loge. Ils ont commande à Montauban, paraît-il, des peaux blanches pour faire une réception d'initiés. Il y aura fête au château, et nous, Messieurs, ajouta-t-il en promenant avec un geste gamin l'index sous son nez, nous serons...

— A la porte, grogna Mostolac.

— Comme pour les diners de M. le marquis, dit le notaire Pécoul.

— Oui, cria le bourgeois Laroche, comme pour le cochon de lait rôti que les officiers du château servaient chaque année à Messieurs les Consuls, au grand dîner du serment!

— Et qu'ils ont mangé à notre barbe, conclut l'apothicaire Darnis !

Cette évocation, le souvenir de tant d'humiliations, de tant d'injures, réveillent les colères endormies. A bas le Périgord ! Vive le Quercy ! Ce cri s'échappe de toutes parts et fait vibrer les plafonds des Couverts. Déjà plus d'un bourgeois esquisse un geste menaçant dans la direction du château. Sur la place, le peuple fait écho par ses accla(1)

accla(1) de Montpezat en 1793, puis commissaire du Directoire exécutif.


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mations répétées de : Bibo lou Carcy ! Foro lous Costagnols ! (1). Mais un remous se produit dans la foule. Sur un coin de la Place, au débouché de la rue du Vent, un cavalier vient d'apparaître. Son habit bleu-de-roi aux retroussis écarlates sur une soubreveste couleur chamois, ses manches ornées de six galons, son lampion bordé d'argent, la bandoulière de cuir blanc en sautoir qui soutient sa carabine, la housse bleue à bande rouge flottant autour de la selle, indiquent le corps royal de la maréchaussée.

Toute l'attention se détourne sur le nouveau venu. De loin, on le voit qui parlemente ; des gens empressés font des signes ; on entend bientôt dire çà et là qu'il demande M. Jean-Guilhaume Depeyre, avocat en Parlement, ex-consul de Montpezat.

Peu à peu, les groupes s'écartent; une large voie est ouverte, et le cavalier, éperonnant sa monture, franchit en caracolant la distance qui le sépare des Couverts.

Tel un premier président à la tête de la Grand-Chambre, tel à Fontenoy le maréchal de Saxe au milieu de son étatmajor, tel apparaît, sur le seuil des arcades, M. Depeyre, entouré de ses notables.

Le cavalier met pied à terre, passe la bride autour de son bras, et après un regard circulaire accompagné d'un froncement significatif des sourcils à l'adresse des gamins qui voudraient caresser de trop près les flancs de son cheval, s'inclinant cérémonieusement devant l'assistance, se dit envoyé par M. Liauzu, le subdélégué de Caussade, et tend à M. Depeyre un large pli au bas duquel pend un sceau de cire rouge.

L'attention redouble. A la vue du grand sceau, la plu(1)

plu(1) Mangeurs de châtaignes. » Le Périgord fut toujours le pays des châtaignes... et des truffes.


AVANT LA RÉVOLUTION 269

part ont pressenti une lettre royale. M. Depeyre ouvre avec émotion le pli mystérieux. Sur la Place, sous les Couverts, tous les regards sont fixés sur lui. Mais à peine a-t-il lu les premières lignes qu'on le voit rougir, lever les yeux . au ciel, étendre un bras vers la foule, et sa voix brisée, palpitante, mais joyeuse, laisse échapper ces mots :

Mes Amis! Mes Amis! Victoire !... L'arrêt du Parlement est cassé... le Conseil rétabli... Mes Amis ! Sa Majesté.

Il n'en peut dire davantage et s'affaisse entre les bras du chevalier de Beaufort. Mais honteux de sa défaillance, il retrouve assez de force pour tendre le pli à l'un des bourgeois qui l'entourent, en lui disant : Tenez, Marc-Antoine ! Lisez !

Et le jeune Marc-Antoine Depeyre, montant sur une borne, lit à haute voix un arrêt du Conseil, par lequel « Sa Majesté Louis XVI, roi de France et de Navarre, sur « le rapport de ses féaux, et amés conseillers, les sieurs de

" Gourgues et Meulan d'Ablois, après enquête de l'inten"

l'inten" de la Généralité de Montauban, ouï le sieur Valdec « de Lessart, maître des requêtes en son Conseil, casse " l'arrêt du Parlement de Toulouse du 13 août 1784 insti« tuant un nouveau Conseil politique à Montpezat, et remet " en charge et dignités le sieur Jean-Guilhaume Depeyre,

" avocat en Parlement, avec tous ses anciens conseillers. » C'est le triomphe!

L'enthousiasme est indescriptible. Le messager est acclamé, entouré, tiraillé par mille poignées de mains énergiques. Les femmes l'embrassent. Il se débat furieux, ne pouvant contenir son cheval qui se cabre, bondit, affolé par les gaules de quelques polissons et les cris assourdissants de : Bibo lou rey ! Bibo moussu Dupeiré de las Coubertos ! Foro tous Castagnols !

Mais le triomphe a ses dangers. L'émotion a été trop 1907. 20.


270 UNE PETITE VILLE DU QUERCY

forte pour le héros du jour. On sent qu'il a besoin de se soustraire à cette atmosphère vibrante. On le presse de rentrer chez lui, d'aller prendre quelque repos.

Entouré de ses fidèles gardes-du-corps, il suit à pas lents le chemin de sa maison. Tous les fronts s'inclinent devant lui, tous les chapeaux se lèvent sur son passage. Au coin des Couverts, sur le degré de la porte, attirée par le tumulte, anxieuse, effarée, Mme Depeyre apparaît.

— Guilhaume ! demande-t-elle. Qu'y a-t-il ?

— Victoire! Victoire! répond le cortège.

Mais dans l'ensemble, une voix se détache, isolée, sarcastique, la voix moqueuse qui, à Rome, accompagnait le char du triomphateur, et l'on entend :

— Vous oubliez vos ennemis, Depeyre !

Les ennemis ! Sur ce mot, le vainqueur, prêt à franchir la porte, bondit comme sous un outrage, se retourne tout d'un jet, et là, sur le seuil, debout dans sa haute taille, pareil à une Euménide, d'une voix terrible et avec un geste cinglant :

— Je les foudroierai, s'écrie-t-il. Et il ferme sa porte.

Il les foudroya en effet.

Le lendemain (13 mars 1785), peu après le lever du soleil, Palis, le trompette du guet, revêtu de l'uniforme des grands jours, bleu à revers blancs, a déjà annoncé sur la Place, à l'entrée des portes de ville, au coin des carrefours, l'ouverture d'une Assemblée générale pour le soir.

Avant deux heures, dans l'Hôtel de Ville, la salle du Consistoire, celle qui montre sur les verrières de ses croisées à meneaux les antiques armoiries de la cité : Al camp de pers, à las balanssas d'or, est comble. On s'entasse sur les paliers et jusque sur les marches de l'escalier. La salle basse, où sont rangées les auges de pierre servant à mesu-


AVANT LA RÉVOLUTION 271

rer les blés, fourmille de monde. Devant les portes, les sergents du guet ont peine à contenir la foule trépidante, loquace et toujours grossissante des femmes, vieilles et jeunes, en fichu vert, blanc ou rose, en bonnets à la Fanchon, voulant rejoindre leurs fils ou leurs maris.

Quand l'heure sonne à la tour de l'Hôtel de Ville, M. Depeyre apparaît sur la Place au milieu des trois autres consuls, tous revêtus des insignes consulaires (le chaperon rouge et noir) et suivi des anciens conseillers. Le visage du premier consul, reposé des émotions de la veille, est toujours calme et digne; mais dans son oeil brille l'orgueil du triomphe.

Ce n'est pas sans peine que le cortège parvient à fendre les rangs serrés de la multitude. Enfin il atteint la salle du Consistoire et s'assied autour de la table des délibérations. Le premier consul déclare la séance ouverte. Le secrétaire du Conseil, un ennemi, Me Prax, se lève et relit, non sans quelques hésitations et des tremblements dans la voix, l'arrêt du Conseil du Roi. La lecture finie, pas de discussion. Tout le monde se tait dans l'attente du grand évènement. Cet évènement, on le comprend, c'est le discours de M. Depeyre. Enfin, le premier magistrat se lève.

D'une voix émue, avec une lenteur calculée, en termes choisis, il commence par rendre hommage à Sa Majesté, le roi Louis XVI, à MM. de Gourgues et Meulan d'Ablois, à Mgr de Trimond, intendant de la Généralité de Montauban. Puis, s'échauffant peu à peu, il flétrit (sans le nommer) son grand ennemi, M. Pellissier de Labatut, « cet homme « naturellement entreprenant, inspirateur d'une tentative " si hardie, ce perfide conseiller d'un maître trop bien " né... » (On croirait déjà entendre Barnave) — il démasque ces faux frères, « causes de nos allarmes, des entre« prises téméraires des hommes d'affaires, ces mauvais « patriotes qu'il faut regarder comme les vrais autheurs de


272 UNE PETITE VILLE DU QUERCY

" la conduite aussi irrégulière qu'extra-vagante du Conseil « politique que Sa Majesté vient de casser. ... », s'arrête un instant, abaisse son regard, laisse reposer sur la table ses mains débordant hors des fines manchettes, et reprend dans un beau mouvement d'éloquence :

« Chère patrie ! A quelles mains a-t-on confié ta tutelle ! « tu croyois, et tu avois le droit de l'espérer, tu croyois « trouver en chacun des membres du Conseil autant de « pères tendres qui te chériroient, te protègeroient et te « défendroient. C'est dans cet espoir que l'illustre monar"

monar" qui nous gouverne leur confia ce dépôt sacré ! C'étoit « en même temps l'attente de tous les bons citoyens. Mais « qu'on avoit bien tort de se nourrir de si belles espéran« ces, puisque plusieurs d'entre eux, sans honte et sans « pudeur, préférant au nom de pères tendres celui des plus « cruels parâtres, n'ont pas craint de s'unir pour te déchirer « et pour te dépouiller de tes plus belles prérogati« ves ! »

Un murmure approbateur, une houle d'admiration contenue par le respect se lève sur cette finale, ondule à travers la salle jusque dans l'escalier et finit par s'apaiser quand l'orateur, s'exaltant de plus en plus et la voix vibrante d'indignation :

« Intérêt ! s'écrie-t-il. Intérêt ! passion infâme, source « ordinaire de presque toutes les actions qui dégradent « l'homme.. ., c'est toi qui les a aveuglés et qui les a ren« dus infidelles ! Ici, c'etoit un employ à conserver; là, « une charge à obtenir, l'envie de maitriser, reconnue du « public dans celuy-ci ; l'espérance d'un gros profit sur

" une levée que cet autre sollicitoit et qu'il n'a pu obtenir! « Voila le noble motif qui les a portés à trahir leur patrie! « Semblables à cet apôtre sacrillège qui vendit le Sauveur « du monde, ils ont dit : Accordez-nous les grâces que nous « vous demandons et vous disposerés de nous à votre gré,


AVANT LA RÉVOLUTION 273

« nous sommes prêts à tout faire! Quid vultis mihi dare et « ego vobis eum tradam ! »

Enfin, les mains tendues dans un geste suprême, le regard comme perdu dans les lointains brumeux de l'histoire. ..

« Illustres Romains ! pour qui les liens du sang, la for« tune et les honneurs ne furent rien lorsqu'il fut question " des intérêts de la patrie, vous qui sacrifiâtes tout pour « elle, votre dévouement sera connu de la postérité la plus « reculée, et elle aura autant de vénération pour vos noms " que nos descendants auroient de l'horreur pour ceux de " nos faux-frères, si nous n'avions la charité de les leur « cacher...

« Et vous, citoyens fidèles, vous dont le zèle pour la " patrie ne s'est jamais démenti, vous qui. . . etc., etc.

J'abrège pour ne pas fatiguer ceux qui me liront. Au reste, tout le monde peut voir la harangue entière dans le grand Registre (relié en basane blanche et coté BB) des délibérations de la Communauté de Montpezat. Il suffit de savoir que la péroraison fut digne du discours. Ce fut superbe, entraînant. Le secrétaire, de dépit, en fourrageant dans sa perruque la mit tout de travers et laissa choir son écritoire. Les bourgeois applaudirent avec goût. Mais le peuple, trépignant d'enthousiasme, se livra à des mouvements désordonnés. Les planchers frémirent, craquèrent, en proie à des mouvements convulsifs, comme sous une entrée en danse, et le vieil Hôtel de Ville du temps de François Ier, quoique étayé, trembla, dit-on, sur ses bases.

Et quand le flot humain, roulant dans l'escalier comme une avalanche, eut débordé à travers la salle des Mesures et sur la Place, au milieu du bataillon des femmes empressées, curieuses, on entendit des orateurs improvisés, enflant la voix, cambrant le torse et copiant les gestes de M. Depeyre.

Moun Diou ! qu'a pla pretchat !... E disio aïssi e disio


274 UNE PETILE VILLE DU QUERCY

ala. . . Foss frerres ! Foss frerres ! Interett ! Interett ! passion in fame ! Illustres Romiings ! e patin patan. .. vobis eon rapam !

Le soir, pour compléter la fête, une brillante réunion eut lieu au Faux-bourg, dans le grand salon hospitalier de M. de Cosseins de Marin du Bouzet, seigneur de Villeneuve. Nobles et bourgeois y affluèrent ; les belles dames y parurent en robes à fleurs et en coiffures à la. Belle-Poule. La famille de Beaufort avait amené un invité de marque, M. le chevalier Gaspard de la Richardière de Besse (1), de l'ordre de Malte, commandeur de Chazelles-sur-Lyon ; Mlle Charlotte du Bouzet, entourée de ses belles-soeurs, fit les honneurs de sa maison avec grâce et distinction.

Comme dans les salons de M. le président de Pulligneu, à Montauban, on débuta par un concert. M. Jean-Charles du Bouzet, lieutenant au régiment de Royal-Comtois, chanta avec la finesse « le ton sensible » de Jelyotte, l'air connu du Devin du Village :

L'amour croît s'il s'inquiète, Il s'endort s'il est content.

accompagné au clavecin par Mlle Elisabeth de Saint-Légier de Saintes (la fiancée de M. Parriel, le fils du juge royal), et soutenu par la basse de viole du prébendé Rodolosse, organiste du Chapitre. Un enfant prodige, le petit Léonard Pécoul, âgé de dix ans, élève du prébende, exécuta sur le violon le menuet de Royal la Marine. La jeune chanoinesse Marie-Paule de Beaufort, du chapitre royal de Joursey-en-Lyonnais, celle qu'on surnommait Minerve sans grâce, tira d'un étui minuscule son rebec (2) aux sons aigre(1)

aigre(1) à Montpezat pendant la Terreur, victime de Fouquier-Tinville et du tribunal révolutionnaire (16 juin 1794).

(2) Violon de poche.


AVANT LA RÉVOLUTION 276

lets et esquissa le motif d'une pavane apprise naguère à l'Ecole royale de Saint-Cyr.

Jusques-là tout alla bien. Grand air toujours, même un peu gourmé.

Mais, faut-il le dire ? quand quelques dames, réputées pour prudes, se furent retirées, quand les messieurs chanoines eurent pris congé pour se rendre aux Complies de la Collégiale, et qu'on eut fait circuler dans les groupes les pascajous dorés, minces comme des feuilles de velin, parfumés à l'anis et à la fleur d'orange, et versé le vin blanc du Faillal, un petit vin qui pétillait dans les verres et piquait à la tête, alors les langues se délièrent, le ton cérémonieux, légèrement emphatique de la petite société provinciale disparut et le vieux fond gaulois des contrées du midi se fit jour.

Le chevalier de Beaufort, jadis bretteur, toujours un peu pandour suivant l'expression de son voisin du Faux-Bourg, le chanoine Solayrès, se souvenant d'avoir fréquenté chez Ramponneau, au temps d'une garnison à Vincennes, attaqua, non sans quelques résistance de l'auditoire, la chanson poissarde du Moulin.

Ah ! Qu'y fait-on au moulin de C.— torche ? Ben ! l'on y moud des...

Avec une grace vieillotte, une mimique polissonne, il détailla, non sans succès m'a-t-on dit, le refrain, depuis ce temps célèbre à Montpezat.

En eussiez-vous la farine à la gorge !

Qui contraignit les quelques dames présentes à se courber sous l'éventail.

Mais rassurons-nous ! Le mot historique ne fut pas dit. Ce siècle rieur avait pour devise :

Glissez, mortels ! n'appuyez pas !


276 UNE PETITE VILLE DU QUERCY

D'ailleurs nous étions loin alors des sombres jours de Waterloo et Cambronne n'avait encore que quinze ans.

Un avocat aux ordinaires (ô moeurs oratoires!) enhardi par cet exemple, risqua une chanson du crû :

« Jean Melequet me fasquet unos caoussos. »

d'un genre aussi peu lyrique et qu'on ne lui permit pas d'achever.

Enfin, quand on sortit, bras dessusbras dessous, émoustillé par les chansons, par les pascajous et par ce coquin de petit vin blanc du Faillal, peu s'en fallut, qu'avec la familiarité qui alors rapprochait souvent toutes les classes, on ne se joignit à la gigantesque, farandole (la corde suivant le terme usité dans le Quercy), qui monstrueuse, tendue à se disloquer, roulant comme un grand serpent ivre, avec des cris de bêtes hurlantes dévalait à grand fracas sur la côte ferrée du Faux-bourg.

Et l'on monta en ville pour voir les illuminations, au milieu de la foule débordant dans les rues et criant à tuetête : Vive le roi ! Vive M. Depeyre du Fond des Couverts !

Toutes les maisons rayonnaient de mille feux. Les fenêtres ruisselaient de suif fondu. Ce soir, le bourgeois Pelissier, le maître-cirier de Montpezat, fit des affaires d'or, Et devant les croisées de l'Hôtel de Ville, entouré de chandelles, flottait un vieux guidon blanc, aux fleurs de lys d'or, du temps d'Henri IV, retrouvé par hasard dans le coffre des archives et ressuscitant pour fêter le bon roi Louis XVI et la victoire de M. Depeyre.

Il n'est pas jusqu'aux quartiers pauvres, aux humbles Carrayrous, de Camp-mauri, du Pontet, del Reduch, qui ne fussent illuminés, et où l'on ne vit, suspendus par la main des bonnes vieilles aux crocs des poutres saillantes de leurs machicols, les antiques calels de cuivre, au ventre


AVANT LA RÉVOLUTION 277

rebondi, aux doubles plateaux débordant d'huile, étincelant par tous leurs becs de l'éclat de multiples mêches flambantes.

Seul, dans l'ombre de la nuit, triste, silencieux, obscur, le château jetait sa tache sombre dans le triomphe du « Caton du Quercy »

A Montpezat, dans ma maison du Faux-bourg, (jadis maison de M. de Beloy), 15 juin 1845.

MARIE-JOSEPH PELLET, du Corps-Royal de l'Université, ancien professeur de latinité.


SOCIÉTÉ SAINT-JEAN

POUR

L'Encouragement de l'Art chrétien

EXPOSITION RÉTROSPECSIVE :

L'Art religieux des Élèves d'Ingres

PAR

M. le COMTE DE GIRONDE

Membre de la Société

MON CHER PRÉSIDENT,

Y pensez-vous!... Une petite exposition à visiter! Mais songez donc, mon cher Président, de ces invitations là, j'en reçois, en moyenne, vingt par mois ; mes yeux éblouis par les chefs-d'oeuvres du passé, je les ferme à ces manifestations ; elles sont pleines de talent, mais combien peu désintéressées!! — Pourtant celle-ci me dit quelque chose; elle n'est pas à arrière-pensée mercantile... et puis, elle vient de vous : Allons y !

Je frappe à la porte du Collège Stanislas, en plein Paris bruyant, en plein quartier latin ; un souriant cerbère m'ouvre. L'entrée est élyséenne : des pelouses d'émeraude, des marronniers en fleurs, des moineaux en joie, un rien de


SOCIÉTÉ SAINT-JEAN 279

nature qui se sent pris entre des murs géants et pour n'en pas pleurer, prend le parti d'en rire. Malgré tout, une impression de fraîcheur et de paix. Au fond de cet aimable jardin, un petit sanctuaire d'art qui porte le nom respecté de Mgr d'Hulst; c'est là que s'abrite l'exposition rétrospective des peintres chrétiens.

Il s'agit d'artistes disparus aujourd'hui. Tous, ou presque tous, ont fait leur premiers pas dans l'atelier de M. Ingres. Pourquoi, me direz-vous, cette génération de peintres pefsonnifie-t-elle ainsi l'art chrétien ? — Voici. Au sortir de l'époque révolutionnaire, des guerres, des à-coups, des préoccupations, la France, peu à peu, s'est reprise. Le Gouvernement de Juillet préside maintenant à ses destinées. Quant aux Églises de Paris, elles s'aperçoivent, — jusque-là elles n'avaient pas eu le temps, paraît-il, de se reconnaître ; — comme Eve après le péché, elles s'aperçoivent qu'elles sont nues. Et aussitôt les commandes de pleuvoir, une manne bienfaisante de se répandre sur une pléiade d'artistes avide de mettre un peu de son âme sur ces grandes surfaces murales, en tout temps si recherchées. — Leurs noms? les voici, avec le nom des églises qu'ils décorèrent.

Saint-Germain-I'Auxerrois, Amaury Duval (1803).

Saint-Germain-en-Laye, Amaury Duval.

Saint-François-Xavier, Romain Cazes.

Saint-Roch, Chassériau (1819-1856).

Saint-Pierre-du-Gros-Cailloux, Desgoffe (1805-1882).

Saint-Nicolas-du-Chardonnet, Desgoffe.

Saint - Germain - des - Près, Hippolyte Flandrin ( 18091864).

Saint-Séverin (chapelle), Hippolyte Flandrin.

Saint-Vincent-de-Paul, Hippolyte Flandrin.

Saint-Séverin (chapelle de Saint-Jean-Baptiste), Paul Flandrin (1811-1902).

Sainte-Clottide, Lehmann (1814-1882).


280 SOCIÉTÉ SAINT-JEAN

Saint-Séverin, Mottez (1809-1897).

Saint-Eustache, Pichon (1805-1900).

Saint-Sulpice (chapelle Saint-Charles-Borromée), Pichon.

Excusez du peu !

Et de fait, que doivent-ils à Dominique Ingres, ces artistes ? Oh, un don précieux, inestimable : le sentiment de la beauté linéaire. Ce qu'ils doivent à Ingres ?... la force, la probité de leur art : le dessin. Héritiers d'Ingres, ils savent tous dessiner. Le compliment n'est pas banal.

Ainsi armés chevaliers par le grand-rnaitre de l'Ordre, ils vont, ces artistes, Hippolyte Flandrin à leur tête, s'engager dans une voie nouvelle : la peinture religieuse décorative.

Une poussée d'art, — l'histoire est là pour le dire, — a toujours été promue par une pensée directrice. Y a-t-il, à l'orée de celle-ci, quelque bel acte de foi ? Mon Dieu, pour le gros de la bande je n'oserais l'affirmer; l'ambiance des Primitifs est déjà dissipée depuis tant de siècles !... Mais pour son chef, je le crois. L'acte de foi créateur est parti de l'âme d'Hippolyte Flandrin, cet ami, cet émule d'Ozanam, et c'est à son oeuvre surtout qu'il est permis de demander l'inspiration chrétienne la plus pure. Elle ne lui fera jamais défaut.

Le triomphe d'Hippolyte Flandrin, c'est le style. Or, dans la décoration des temples consacrés à la divinité, le style convient par dessus tout. Un peu de hiératisme, même, ne messied pas. Ainsi le veut la majesté du lieu et son caractère sacré.

Faut-il corroborer mon affirmation par des exemples?... En deux mots, faisons le tour du monde, j'entends des grandes époques du monde.

L'Extrême-Orient, grâce à la pénétration de l'influence grecque dans les premières années de notre ère, est devenu pour nous plus compréhensible. L'art greco-boudhique qui orne ses temples n'a jamais perdu son caractère rituel.


POUR L'ENSEIGNEMENT DE L'ART CHRÉTIEN 281

D'autres régions de l'Asie, par lé coup de baguette d'une Jane Dieulafoy, ont versé sur nous leurs trésors archéologiques, permettant la reconstitution vivante de l'Aspâdana de Xerxés, nous montrant sous les espèces merveilleusement décoratives de faïences bleu-paon, de colossales têtes de, taureaux en forme de chapiteaux, des lions, des frises d'archers munis de leurs carquois, aux barbes en cascade, suivant le rite babylonien. C'est encore du hiératisme.

Passons en Egypte. Là, des temples fameux, aux parois desquels s'inscrivent, gravés à jamais, en creux, sur la pierre, les histoires sans fin des Pharaons et des Dieux... Et comme une chose parfaite devient, et reste un type à travers les âges, aujourd'hui encore: il se trouve qu'après six mille ans, le trait égytien, hiératique au plus haut degré, mais synthétisé, réduit à l'essentiel, exprime dans sa pureté, toute la richesse de la forme.

Enfin les temples grecs.! Ceux de Sicile! Impossible à qui les a vus de ne pas les rappeler; il reste d'eux del si belles crysalides. d'or ! — Mais, qu'attendons nous pour te nommer, ô Parthénon !... Celui-là a conservé des fragments immortels. Quedis-je, conservé! ils ont été « sauvés, » ces fragments, par Lord Elgin et font, à Londres, la gloire du British Muséum, morceaux, mutilés, têtes de coursiers numides, moitiés de héros et de dieux, également confondus dans une vie véritablement divine.

Donc, Hippolyte Flandrin qui est, tant que Puvis de Chavanne n'a pas paru, le plus grand fresquite moderne (j'appelle fresques ce qui est transposition de fresques), était dans la note, dans la vraie tradition mondiale. Il a bien fait de faire simple et large, un peu hiératique. Je vais plus loin, je trouve même que l'ensemble de ses figures droites de Saint-Vincent-de-Paul, en raison de la disposition, de la noble tenue, évoque vaguement, du fond des siècles, l'adorable image — religieuse, elle aussi, — des


282 SOCIÉTÉ SAINT-JEAN

Panathénées; il y a, dans la conception, quelque parenté. Et ce n'est pas tout; par un autre côté encore, Hippolyte Flandrin tient des Grecs : Voyez les types très simples de ses fresques, voyez de près, dans l'exposition de la Société Saint-Jean, une superbe Adoration des Mages, esquisse peinte pour Saint-Germain-des-Prés, et les deux études dessinées pour la Vierge de l'Ascension. Vous reconnaîtrez qu'il a sû faire sortir l'expression de l'extrême simplicité des formes. Et cela surtout est grec.

D'aucuns seraient tentés de reprocher à Flandrin une certaine froideur de coloris ; ce reproche, je le crois un peu injuste, car les teintes plates, l'effacement voulu du relief sont, dans certains milieux, un élément essentiel de l'harmonie décorative. Si je voulais me permettre une légère critique, je reprocherais plutôt à Flandrin de se contenter trop facilement de l'arabesque, de ne pas être à la hauteur des génies de la peinture, grands manieurs de draperies. — Là draperie n'est pas faite pour cacher le corps humain, elle doit, au contraire, en accentuer la forme (dans le sens de la composition, s'entend) et en souligner les beautés. La draperie de Flandrin, remarquable au point de vue du balancement des lignes, masque! peut-être un peu les formes, au lieu de les mettre en valeur ; et c'est comme un amoindrissement de la vie. J'ai parlé des Vierges des Panathénées ; chez elles les plis du vêtement, en épousant et embellissant leurs formes, arrivent (ô miracle) à les vêtir de lumière !

Ce qu'il faut admirer, sans réserves, dans l'oeuvre de Flandrin, c'est son caractère religieux. Il se dégage, ce caractère, d'un pur contour, d'un geste calme, évocateur d'idéalisme et de spiritualité. C'est là, véritablement, du grand art chrétien.

Le mérite de la petite exposition que vous avez si à propos mise en lumière, mon cher Président, consiste en


POUR L'ENSEIGNEMENT DE L'ART CHRETIEN 283

ceci : faire connaître les cartons, les esquisses peintes de toutes ces belles ou, tout au moins, intéressantes décorations des églises de Paris. (On sait combien les préparations sont souvent plus instructives que les oeuvres finales) ! Il consiste aussi à nous mettre sous les yeux quelques morceaux rares précieusement conservés dans les familles des peintres, lesquels, dans un esprit de traditionnelle sympathie, les ont mis à la disposition d'une société faite pour encourager l'art chrétien.

Tel est le portrait d'Hippolyte Flandrin à 27 ans, peint par lui-même, à Rome. Le dessin en est souple est moelleux, le coloris pâle et fondu (à la Henner), le modelé d'une légèreté et d'une finesse remarquables. C'est une tête qui, sans s'abstraire de la vie réelle, monte au rêve.

Telles sont des esquisses peintes pour des chapelles d'églises, par Alexandre Desgoffe et Paul Flandrin, le frère d'Hippolyte, deux peintres qui se révèlent beaux paysagistes décoratifs, dans la tradition du Poussin.

Un grand dessin gouache, le Martyre de Sainte-Philomène, par Chassériaux, ce peintre puissant et très personnel, dont une oeuvre décorative de grande valeur a pu être sauvée, il y a quelques années, des ruines de l'ancien Conseil d'État.

Enfin, des Lehmann curieux. Nous voyons ici les projets de ce peintre, pour la décoration de Sainte-Clotilde, poussés, finis, absolument définitifs, à ce point que les effets même et les coups de lumière y sont figurés par des rais et taches blanches. Lehmann était un imaginatif pris dans les filets du classissisme ; il fut remarquable surtout dans les portraits intimes, qui sont de petites études au crayon noir rehaussé de blanc; j'en possède un; il représente mon oncle, Louis de Ronchaud, dans sa jeunesse ; le coup de crayon est plein de charme ; sur ses traits brille un au-delà poétique pénétré de vive intelligence. Et la petite expo-


284 SOCIÉTÉ SAINT-JEAN

sition nous en montre un, de Lamennais, non moins admirable. Le grand homme, au visage fiévreux barré, au front, de deux petites rides verticales, souffre, mais il ne se rend pas ; et l'on sent le feu intérieur miner son enveloppe maigre.

Elle est finie, notre tournée, cher Président, et il n'y a que moi qui en ai profité. Voilà ce que je vous dois : le plaisir d'avoir repassé quelques bons auteurs, d'avoir même avancé dans leur connaissance, et d'être venu, pendant quelques minutes, m'en entretenir avec vous.

L'art religieux, que les Grecs et les Romains de David avaient laissé pour mort au XVIIIe siècle et qui a revécu, pour un temps, avec Flandrin, que va-t-il devenir?... Il paraît s'enfoncer dans la nuit !... Un James Tissot s'est essayé à l'agrémenter d'archéologie orientale, ...et ça été une réapparition soudaine.

Un Eugène Burnand, à la minute où j'écris, dans une salle à part de l'Exposition Nationale des Beaux-Arts, fait sensation. Il nous déroule, — à la mine de plomb rehaussée de crayons de couleurs, — en un style serré, ensemble réaliste et idéaliste, très moderne, les paraboles de Notre-Seigneur. C'est une oeuvre de haute valeur; le dessin y est quintessencié, sommaire tout en étant définitif; il ne sert, de matière, que ce qu'il faut pour donner une expression intense, et cette expression franche, très évangélique, le plus souvent s'exhale dans une poésie charmante. Deux exemples vous mettront sur la voie.... Le bon Samaritain : un paysage étendu, plein de tristesse et de rêve, quelque chose comme un Cazin retour de la Palestine ; dans le lointain une pauvre larve humaine s'est effondrée. Le Lévite ne l'a même pas regardée, il marche sur le spectateur, d'un pas lourd et gras, songeant uniquement à ses affaires. « Un sacrificateur descendait par ce chemin là; il vit cet homme et passa outre (S. Luc, X, 31).


POUR L'ENSEIGNEMENT DE L'ART CHRÉTIEN 285

Le Cep et les Sarments: On voit le vigneron, avec sa tête fruste, sa tunique aux longs plis (le costume est traité par Buirnand à l'orientale, mais simplifié), debout, la serpe à la main; une jolie treille de Primitifs forme devant lui comme des linéaments d'architecture, et la haute taille du travailleur consciencieux se dresse devant le ciel dans une atmosphère indiciblement fine... Et au-dessous, la parole toute simple de l'Evangile : « Il retranche tout sarment qui ne porte pas de fruit. » (S. Jean, XV, 2).

J'ai voulu, mon cher Président, vous donner quelque idée du nouveau venu, de cet Eugène Burnand, continuateur, à sa manière, de l'oeuvre chrétienne très ressentie de James Tissot. De telles personnalités marquent dans une époque; celles-ci resteront, — comme ces Gué Mirar, hautes colonnes du désert qui jalonnent le pays de Tombouctou et assurent l'oeil inquiet du voyageur, au dessus de la tourmente des sables.

Mais de ces vains efforts, me direz-vous, que restera-t-il? le courant n'est pas là!...

Croyez-moi, Jérémie n'a rien à dire ici. La manifestation d'art est sincère, profonde, elle est humaine : Que voulezvous de plus lui demander ?

1907

21


Les Gîtes d'Étape DES GENS DE GUERRE

AU XVIIe SIECLE

Le Capitaine ROZAT DE MANDRES

Membre de la Société.

Nous sommes habitués à voir nos villes, nos villages remplis de troupes de passage ou en séjour; ordinairement, tout se passe bien et les réclamations sont rares. — On regarde les soldats arriver, ils se forment sur les places, y reçoivent les billets de logement, ou sont menés à leur cantonnement reconnu à l'avance; mais toujours les habitants les reçoivent comme des hôtes bien venus en pensant aux parents ou aux fils qu'ils ont au service.

Il n'en allait pas de même autrefois avec les soldats de métier de l'ancienne France, toujours en guerre et habitués à exiger et au besoin à prendre. — Aussi le passage des gens de guerre était-il regardé alors comme un fléau par les populations dont ils épuisaient les ressources de gré ou de force malgré les ordonnances des rois et les sévérités d'un Code militaire où le mot «pendu » revenait à chaque ligne comme un refrain.

En revanche, les soldats s'égrenaient sur les chemins, suivant sans ordre la direction indiquée, les chevaux de bât, les


LES GITES D'ÉTAPE DES GENS DE GUERRE 287

voitures de bagages de vivandiers, de blanchisseuses, etc..., se mêlaient à la colonne ; quant aux officiers, transportés dans des chaises roulantes, suivis d'équipages aussi disparates et nombreux que le leur permettaient leurs ressources, ils précédaient ou suivaient la troupe sans se préoccuper de la conduire.

On arrivait au gîte ; les soldats s'y installaient en maîtres et prenaient ce dont ils avaient besoin, car ils devaient se nourrir et se loger avec leur solde rarement et peu régulièrement payée, et l'état de guerre continuel où l'on vivait les avait habitués à abuser de la force.

Pour éviter les désordres, beaucoup de localités payaient aux chefs une somme destinée à pourvoir aux besoins des troupes, en échange les chefs s'engageaient à maintenir l'ordre. Encore n'étaient-ils pas toujours obéis, car l'autorité du chef était plutôt alors celle du chef de guerre dont les ordres étaient surtout considérés en bataille, alors que dans les cantonnements les soldats se considéraient comme libres d'agir à leur guise.

Il fallut le rétablissement de la paix intérieure après les guerres des grands contre la Cour, après celle de la Cour contre les Protestants et les Espagnols pour permettre au royaume de se ressaisir et à un grand ministre de forger l'instrument qui rendit Louis XIV redoutable à l'Europe entière.

Louvois comprit que pour exécuter les grands dessins de son maître, il fallait une armée disciplinée. Il commença par lui assurer la solde et les moyens de subsister, puis il rétablit la discipline et réprima les abus.

Les documents que notre distingué Président a bien voulu me charger d'analyser nous font assister à ce changement dans les moeurs et les habitudes des troupes. Ils sont antérieurs à Louvois ; les cinq autres nous montrent que la réforme a été opérée. Grâce à eux nous pourrons nous faire une idée vécue de la manière dont les choses se passaient avant et après dans une petite ville du royaume ; au temps de Richelieu d'abord, puis au temps de Louis XIV, l'année qui vit la réunion de l'Alsace à la France au lendemain de cette paix de Nimègue


288 LES GITES D'ÉTAPE DES GENS DE GUERRE

(1670), qui portait au plus haut point la gloire et la puissance de Louis XIV.

Tous ces documents concernent Montech qui faisait partie de la province de Languedoc et du diocèse de Montauban. Ils se rapportent à des troupes qui semblent tantôt avoir été mises en quartiers d'hiver durant les guerres contre l'Espagne, tantôt avoir seulement traversé la localité pour gagner d'autres régions.

Dès le premier document daté du 26 janvier 1640, nous avons une idée de la manière dont se comportaient les troupes à l'intérieur du royaume.

Le gouverneur de la Province, en l'espèce le maréchal de Schomberg, duc d'Halluin, requérait les consuls de Montech de recevoir et pourvoir une compagnie du régiment de Navailles qui devait arriver le 7 avril 1640 et y rester quinze jours (Pièce n° 3).

Nous savons que lorsqu'une troupe arrivait à sa guise elle devait se former « en ordre et paie » pour prendre le nombre des officiers et soldats et leur attribuer les logements. Une fois installés, ils ne devaient rien exiger de plus que ne le prescrivaient les ordres de Sa Majesté, éviter désordres et fermer les logements à la retraite. Nous ignorons comment agit la compagnie de Navailles, mais le 26 janvier 1640, huit compagnies du régiment de Poitou arrivèrent à Montech, au lieu de se former pour la désignation des logis « elles entrèrent en ville comme par forme d'hostilité, rompirent dès les portes, entrant en désordre, exigeant sans nulle forme literie, » elles se cantonnèrent à leur fantaisie.

Bien plus, on battit un ban et il fut annoncé par tous les coins et carrefours que les soldats eussent à se nourrir à discrétion.

Les habitants furent battus et violentés.

Pour éviter de pareils désordres, les municipalités cherchèrent à acheter la tranquillité en payant une somme d'argent qui devait servir à nourrir et à loger les troupes (Pièce n° 2). En échange, les chefs s'engageaient à maintenir l'ordre, ce à quoi ils n'arrivaient pas toujours (Pièce n° 4).


LES GITES D'ÉTAPE DES GENS DE GUERRE 289

On ne change pas si vite les habitudes que nous font connaître les dessins de Callot tels que celui où l'on voit une joyeuse troupe de soudards traînant une charrette toute chargée de pillage et l'escortant avec des chants et des jurons analogues à cette légende d'une gravure du Cabinet des Estampes, et qui date de l'époque.

On conçoit que les villes voulussent éviter de semblables excès et payassent assurance. Mais il leur en coûtait assez cher, les Pièces n°s 6, 7 et 8 nous le font bien voir. Dans la crainte de désordres et pour empêcher le refus de subsistances, qu'on aurait pu refuser, les consuls de Montech payaient « l'ustencile », c'est-à-dire donnaient une somme évaluée d'après la valeur des vivres à fournir afin que les troupes pussent acheter ce qui leur était nécessaire (Pièce n° 6).

Cette somme se montait à 12 sols par cavalier et par jour, plus la surtaxe des vivres, soit 24 sols par paire de cavaliers. Le capitaine et le major tirant pour six paires chacun, les lieutenants et aide-majors pour quatre, les cornettes pour trois, les maréchaux des logis et fourriers pour deux.

Au bout de huit jours les consuls de Montech envoyèrent un des leurs à Montpellier pour obtenir des secours ou qu'on leur retirât les troupes.

C'était en effet une charge d'autant plus lourde que les villes étaient souvent obligées d'emprunter pour y faire face, ainsi qu'il ressort de la Pièce n° 71, que la ville de Montech reçut de M. de Linas une somme destinée à subvenir à la subsistance de la compagnie de cavalerie du baron de Lavaur, capitaine au régiment des Chevau-légers de France en 1650.

Pour les rembourser les sommes ainsi dépensées étaient ensuite réparties sur tous les contribuables de la localité (Pièce n° 5).

Mais il ne suffisait pas d'assurer aux troupes le vivre ; il fallait aussi les. loger. Les pièces 1 et 2 nous indiquent comment on s'y prenait :

Généralement des logeurs aubergistes, des cabaretiers recevaient les soldats,' c'était certainement un cantonnement resserré, car pour quatre compagnies la Pièce n° 2 nous fait voir


290 LES GITES D'ÉTAPE DES GENS DE GUERRE

qu'on avait indiqué quarante logis, chaque logeur devait donner un lit seulement, mais on devait néanmoins loger autant de soldats que le cabaret en pouvait contenir.

Il semble d'ailleurs que la convention passée entre le chef et la municipalité fût tenue, la Pièce n° 8 nous parle d'un capitaine du régiment de Montauban cavalerie, qui requiert les. consuls de Montech de le loger ailleurs dans une maison bourgeoise, car son hôtesse ne peut lui fournir les vivres nécessaires à lui et à sa compagnie.

Ce capitaine était-il difficile, ou le logement mauvais, mais dans tous les cas il demande qu'on l'en change, et il y a vraiment progrès.

Nous allons le voir bien mieux encore après l'intervention de Louvois, le grand Vivrier, comme l'ont appelé ses contemporains.

Le grand ministre, frappé des difficultés de maintenir la discipline, avait organisé d'immenses magasins placés à proximité des frontières et alimentés par la batellerie et les charrois venus de l'intérieur, on y fabriquait le pain et des Convois apportaient aux armées d'opérations tout ce qu'il leur (fallait pour leur subsistance.

Lorsque la guerre de sièges et de positions eut fait place à des opérations plus actives il dut avoir recours à l'entreprise pour faire parvenir les approvisionnements aux troupes.

C'était l'Intendance en campagne, mais nous ignorons comment les choses se passaient à l'intérieur du royaume lorsque les troupes devaient se déplacer, loin des magasins et des centres de ravitaillement. C'est l'un des petits côtés de l'histoire, qui est pourtant la vie de tous les jours que nous révèlent les documents qui nous restent à analyser.

Il créa, dans le royaume, des magasins, et la Pièce n° 10 nous fait connaître que le diocèse de Montauban avait un munitionnaire chargé de pourvoir à l'alimentation des troupes de séjour ou de passage.

Ce munitionnaire était, en 1681, Maitre Jean Delpech, notaire de Castelsarrasin, qui s'était obligé à créer un magasin à Saint-Nauphary pour lequel il passait des marchés pour l'ad-


LES GITES D'ÉTAPE DES GENS DE GUERRE 291

judication et la fourniture des denrées qu'il devait y entretenir à forfait « à lui charge de faire par avance nécessaire pour acheter les denrées pour le fond du magasin » au moyen des sommes que le syndic du diocèse lui remettait d'après les comptes des dépenses occasionnées par le passage des troupes réglées et des recrues.

Il est donc bien certain que le Ministre avait étendu aux provinces le système de magasins que nous savons avoir été établi par lui aux frontières et que les troupes en tiraient les denrées qui leur étaient ordinairement nécessaires.

Doit-on conclure de cet exposé que les troupes observèrent toujours dans la suite une exacte discipline, nous ne le pensons pas, mais l'habitude de l'ordre à l'intérieur du pays, se prit petit à petit, bien certainement une fois que la solde fut payée régulièrement et que les munitionnaires assurèrent les subsistances.

Aussi, bien que nous ne possédions pas de documents nous permettant de l'affirmer, il est très probable qu'à partir de cette époque la discipline fut ordinairement maintenue surtout à l'intérieur du royaume.

Si nous en jugeons par les mémoires et les rapports des époques suivantes, il est bien certain que les troupes qui enlevèrent Prague d'assaut, la nuit, sans qu'une seule maison fût pillée (Détail de la Prise de Prague 1741 par M. de Mirepoix.) et parmi lesquelles on n'avait pas entendu parler de maraudeurs, au point qu'il ne s'était pas pris une carotte dans le pays depuis Aix-la-Chapelle (Lettre de M. de Montai à Breteuil 1741), devaient conserver une exacte discipline lorsqu'elles n'étaient pas en campagne.

Si les habitants de Pilsen qui n'avaient jamais vu de Français chez eux étaient étonnés de notre discipline et de l'exactitude ave laquelle nous payions les denrées (Lettre de Gassion à Breteuil, 1 novembre 1741), si MM. de Sallièves, de Neuville, d'Aubigné, si le Maréchal de Maillebois font chorus, — il est probable que ces troupes eussent agi de même en France.

Aussi quand on voit ces mêmes soldats quelques années plus tard mériter les jugements les plus sévères, bafouer leurs chefs


202 LES GITES D'ÉTAPE DES GENS DE GUERRE

par des chansons et se livrer au pillage et à la maraude avec une telle violence que le Maréchal d'Estrées dut en faire « pendre au delà d'un millier de maraudeurs » écrit Saint-Germain à Paris-Duvernay, c'est que nous touchons maintenant non plus à un défaut d'organisation comme en 1640; mais à des questions plus hautes où interviennent les facteurs moraux les plus élevés c'est-à-dire aux qualités morales et intel- ■ lectuelles des chefs qui les commandent: en 1741 c'était le Maréchal de Belle-Isle, cette fois ce sont les Clermont et les Soubise.

C'était la victorieuse campagne de Bohème, c'est la guerre de Sept ans avec ses tristesses, ses hontes et ses défaillances.

Et cependant les habitudes de discipline à l'intérieur étaient bien prises, car on n'entend plus parler de désordres causés par les troupes dans l'intérieur du royaume. Depuis le grand Louvois les campagnes et les villes ont perdu la crainte des troupes de passage et on peut dire d'elles depuis cette époque ce que Lafayette en écrivait à Washington. « Les poulets et les cochons se promènent au milieu de nos tentes sans qu'on les dérange ».

Nous voilà loin de 1640 et de 1681, mais il nous a paru curieux d'enregistrer au moyen de ces documents authentiques une évolution si considérable dans les moeurs militaires d'un grand pays.

(Les pièces justificatives originales qui ont servi de base à ce travail, font partie des archives de la Société archéologique).


CONFÉRENCE DE M. CARTAILHAC

SUR

L'Art aux Époques Préhistoriques dans les Cavernes

(14 JUIN 1907)

Le sujet annoncé offrait un intérêt puissant, et le nom seul du conférencier traitant une question nouvelle, devait attirer de nombreux auditeurs.

M. le président Pottier a pris la parole, en ouvrant la séance, moins pour présenter M. Cartailhac, si connu et apprécié à Montauban, que pour le féliciter sur les importantes découvertes faites par lui, en compagnie de M. l'abbé Breuil.

Des projections lumineuses, obtenues par d'excellents clichés, ont émerveillé l'auditoire, accompagnant la conférence dont voici le résumé :

Il s'agit d'une découverte récente du plus haut intérêt pour la connaissance de nos ancêtres de l'ancien âge de la pierre, d'une grande importance aussi pour l'histoire de l'art et de l'esprit humain.

On savait depuis un demi-siècle que les abris sous roches, que l'entrée des grottes ou cavernes ont conservé les abondants vestiges du séjour plus ou moins prolongé des anciens hommes . Parmi les rebuts de cuisine et les débris d'industrie, on avait remarqué de nombreux objets d'os ornés de dessins gravés représentant les animaux qui vivaient alors dans notre pays, dessins exécutés avec de simples 1907 22


294 CONFERENCE DE M. CARTAILHAC

burins de silex, mais dénotant un excellent esprit d'observation, le sentiment de la nature, un réel talent.

Pourtant, lorsque, vers 1881, un savant espagnol, M. de Sautuola, annonça que la grotte d'Altamira, voisine de Santander, avait un vaste plafond couvert de peintures figurant des bisons presque grandeur naturelle et que sur le sol il y avait trace des foyers des très primitifs habitants qui avaient exécuté ces oeuvres d'art, il ne rencontra guère que des incrédules. On ne s'imaginait pas que nos pauvres sauvages troglodytes fussent à la hauteur de telles manifestations artistiques, qu'ils eussent un éclairage suffisant pour peindre ces grandes et excellentes fresques dans la profondeur obscure d'une caverne. Puis celles-ci étaient si bien conservées, vraiment trop fraîches!

Mais en 1896 le docteur Emile Rivière signala un second fait du même ordre. La grotte de la Mouthe, qu'il explorait en Dordogne, près du bourg des Eyzies, avait aussi des oeuvres d'art, des gravures murales décoratives de ses galeries les plus éloignées de la lumière du jour et sur l'invitation de ce savant on dut avouer que ces gravures étaient du même style que nos gravures sur os déjà connues, et qu'elles représentaient aussi les animaux émigrés ou disparus de l'époque quaternaire.

Ainsi avertis, les préhistoriens ne tardèrent pas à faire ça et là de semblables constatations.

En 1902, on découvrit le même mois, dans la même commune des Eyzies, deux grottes ornées d'une façon extraordinaire. MM. Capitan, Breuilet Peyrony montrèrent dans l'une, dite des Combarelles, des centaines de gravures, parmi lesquelles revenaient le renne et l'éléphant mammouth ; dans l'autre, dite Font de Gaume, les voûtes basses et les parois étaient peints à la fresque comme à Altamira et on y voyait la même faune, surtout des bisons, puis des chevaux, des rennes admirables, des silhouettes d'éléphants, aux grandes défenses recourbées.


CONFÉRENCE DE M. CARTAILHAC 295

On était donc en présence d'un bloc qu'il fallait bien accepter : partout la même date, partout le même style.

Presque immédiatement les découvertes continuent. M. Cartailhac et l'abbé Breuil se rendent en Espagne et aperçoivent dans la giotte d'Altamira une foule de dessins et de gravures murales qu'on n'avait pas encore observées. Dans les Pyrénées, ils passent en revue quantité de cavernes et ils ont la bonne fortune d'en rencontrer cinq, qui, avec des caractères divers, renforcent admirablement le groupe de la Dordogne. C'est, sur une indication heureuse de M. Félix Regnault, la grotte de Marsoulas, près Saliesdu-Salat (Haute-Garonne); la grotte bien connue des touristes, dite de Gargas, près Saint-Bertrand de Comminges, dans les Hautes-Pyrénées ; la grotte, célèbre aussi, du Masd'Azil, puis celle des forges de Niaux, près Tarascon-surAriège, enfin la caverne de Bedeillac. En Espagne, un de leurs disciples, M. le professeur Alcalde del Rio et le R. P. Sierra signalent cinq ou six trouvailles du même genre aux environs de Santander et de Bilbao.

De sorte qu'aujourd'hui on a plus de vingt grottes ornées. M. Cartailhac les décrit sommairement en présentant une superbe série de photographies soit directes, soit exécutées d'après les beaux et fidèles pastels et dessins de son distingué collaborateur l'abbé Breuil, qui s'est attaché à l'étude de l'ancien âge de la pierre, des habitants paléolithiques de l'Europe, et tout jeune est déjà fort estimé. L'Université de Fribourg s'est empressée de lui confier la chaire d'anthropologie.

M. Cartailhac expose, surtout d'après les idées de M. Breuil, l'évolution de l'art préhistorique. Les peintures noires ont précédé les rouges, les fresques à une seule couleur sont antérieures aux fresques polychromes.

En outre des animaux figurés, il y a des signes plus ou moins simples, des groupes de signes plus ou moins com-


296 CONFÉRENCE DE M. CARTAILHAC

pliqués. Ici c'est, semble-t-il, un rébus, comme ceux qui nous amusent parfois, là ce sont comme des pages d'inscription. Les lira-t-on jamais? on en peut douter.

Les procédés d'exécution de ces gravures, de ces peintures couleurs minérales, noires, rouges, jaunes, répandues dans tous les pays, s'expliquent avec ce que l'on connaît maintenant de l'industrie des sauvages d'autrefois et d'aujourd'hui. Il y a, d'ailleurs, des peuplades qui, de nos jours, font des dessins absolument comparables, et ce sont les Australiens, les Boschimans, de l'Afrique du Sud et autres. Les voyageurs ont appris sur ces oeuvres actuelles de précieux renseignements, ils expliquent les motifs. Ce sont souvent des oeuvres religieuses en rapport avec des croyances superstitieuses et des opérations magiques.

Nos ancêtres devaient avoir la même mentalité, les mêmes mobiles.

La question d'éclairage n'inquiète plus. On a réfléchi que les yeux des primitifs n'étaient pas si difficiles que les nôtres, que la lampe élémentaire, une mèche plongeant dans un godet plein de graisse, le calel des campagnes de notre Midi, était la principale, sinon toute la ressource du Moyen-Age, de l'antiquité romaine, des mineurs phéniciens, des constructeurs des hypogées égyptiens.

L'ancienneté de ces gravures et peintures des cavernes est établie par les rideaux de concrétions stalagmitiques, qui les couvrent souvent en partie. La date relative est fixée par les animaux quaternaires figurés, et aussi par les données archéologiques et paléontologiques des foyers sous-jacents ou voisins. Elles appartiennent, sans contestation au paléolithique, au début de l'occupation des cavernes par l'homme. Depuis qu'elles sont faites, nous avons eu la fin de l'âge du renne, une transformation du climat de toute l'Europe, puis l'âge de la pierre polie qui a vu la formation de toutes nos tourbières, enfin l'âge du bronze et trois mille ans de période historique.


CONFÉRENCE DE M. CARTAILHAC 297

Sans qu'on puisse préciser un chiffre au-delà de huit ou dix mille ans, ces vestiges de nos devanciers sur la terre d'Europe appartiennent à un très lointain passé.

Les chaleureux applaudissements de l'Assemblée ont à maintes reprises témoigné du haut intérêt offert par la Conférence du savant, dont la célébrité est aujourd'hui européenne, et que notre Compagnie est fière de compter parmi ses membres.


PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES

SÉANCE DU 10 AVRIL 1907

PRESIDENCE DE M. LE CHANOINE F. POTTIER

Présents : MM. Jacques de Monbrison, docteur Monribot, Borderies, Vitteaut, capitaine de Bazelaire, docteur Constans, abbé de Scorbiac, Maurice Souleil, abbé Chatinières, Mathet, commandant de Lacger, colonel Caillemer, chanoine Cailhat, Etienne Depeyre, Ressayre, Lespinasse, Delpey, commandant Dantin, colonel Tampé, commandant Sibien , G. Forestié, secrétaire.

Excusés : MM. Ed. Forestié, secrétaire général, et J. Bourdeau.

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.

Monsieur le Président a le très vif regret d'annoncer la mort de Mgr Enard, archevêque d'Auch, qui appartenait à notre Société à titre de membre honoraire. Il rappelle la grande place que ce prélat occupait dans l'épiscopat par sa haute éloquence, par la sagesse de ses conseils.

« Ce Lorrain, nous dit la Semaine religieuse d'Auch, était tout à fait nôtre par le tempérament. Du Méridional il avait l'esprit primesautier, la plaisanterie facile et malicieuse, la voix chaude et vibrante, l'entrain exubérant et, ce que, d'un mot très heureux, un autre Lorrain appelait naguère à l'Académie « la joyeuse émo« tion physique ». Son accueil était si simple, il y mettait tant de cordialité que tout de suite on se sentait à son aise avec lui. »

Le diocèse d'Auch, à la tête duquel il était depuis un an à peine, l'avait de suite apprécié ; peut-être le Quercy avait-il moins vite que la Gascogne compris son allure à l'aise et la trempe de son esprit pourtant si fin, si aiguisé.


PROCES-VERAUX DES SEANCES 299

Quoi qu'il en soit, notre Compagnie avait eu le privilège de relations avec Mgr Enard dès son arrivée à Cahors. Il avait bien voulu nous recevoir dans sa ville épiscopale, en avril 1899, et à Rocamadour, où il nous avait conviés, au mois d'août de la même année. Puis il était venu parmi nous, et c'est lui qui, le 2 juillet 7900, présida l'inoubliable cérémonie de prise de possession de l'abbaye (détruite) de Grandselve par son 55me abbé, le RR. dom Symphorien Gaillemin, compatriote et ami d'enfance du prélat.

Homme de savoir autant que de vertu, Mgr Enard était foncièrement archéologue. Dans ses nombreuses tournées pastorales en Quercy, il prenait sans cesse des notes, et sa Semaine religieuse a donné les descriptions les plus exactes des églises visitées par lui. Beauté du site et valeur des monuments, rien ne lui échappait.

Il fut, aussi, grandement dévot aux reliques des Saints, de ceux de son diocèse en particulier ; il en recherchait la vie et se plaisait à les faire connaître.

» Il me souvient, ajoute le Président, qu'après une visite à Duravel, ancienne dépendance de Moissac, Monseigneur me retint à Cahors pour examiner de près, avec lui, les vêtements du Bienheureux Alain de Solminhac, l'un de ses prédécesseurs (de 1636 à 1659). Il avait eu la bonne fortune de retrouver ce dépôt sacré dans une armoire de l'ancien Chapitre et avait facilement jugé de sa valeur documentaire pour l'histoire du costume ecclésiastique, en même temps que de son prix comme relique du saint prélat.

" Si la disparition d'un évêque d'un aussi mérite est un deuil pour l'Eglise de France, il l'est également pour notre Compagnie et, permettez-moi de l'ajouter, Messieurs, particulièrement pour votre Président qu'il voulait bien honorer de son amitié. »

L'Assemblée témoigne de son entière approbation à ces paroles.

Le Congrès national des directeurs de journaux français se tiendra cette année à Marseille et le Congrès archéologique à Avallon.

M. Cartailhac, au nom de la Société archéologique du Midi de la France, invite la Société à prendre part à un banquet qui est offert à deux des membres les plus distingués de la Société archéologique du Midi, MM. de Lahondès et Roschach.

Notre Compagnie ne saurait rester indifférente à ce double hommage si mérité; son président la représentera.


3 00 PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES

M. Fourgous, de la même Société, membre correspondant de la nôtre, nous adresse son souvenir. Obligé de quitter Toulouse pour Paris, il restera fidèle à ses relations avec nous.

M. Lespinasse donne lecture et traduit une lettre de M. Maybury, ancien maire de Détroit (Michigan), disant de nouveau combien a été prisé par les habitants de sa ville le magnifique album que nous avons offert à cette cité, à l'occasion du bi-centenaire de sa fondation par Antoine Laumet de Lamothe-Cadillac, notre compatriote, et des fêtes organisées par nous à Saint-Nicolas-de-laGrave, lieu de sa naissance.

M. Delpey donne communication de la lettre suivante, écrite par notre confrère M. Sémézies au cours d'un voyage à Venise :

« Le comte de Gironde vous a gâté. Je ne saurais vous parler, comme lui, art et critique d'art; mais voici quelques tableautins croqués au crayon, ici ou là, au hasard de l'heure. Libre à vous de les donner à la Société archéologique.

« Malamocco. — Baigné d'un côté par la lagune, de l'autre par la pleine mer, le petit bourg rose et jaune, avant-poste de Venise, rêve dans l'azur et l'or. Très loin, dans le Nord, le dessin élégant de Venise, rapetissé comme en un fond d'aquarelle, se profile dans la brume fine. Mer et lagune sont bleues comme le ciel; les deux bleus diffèrent à peine de nuance: pas un nuage dans l'un, pas une ride dans l'autre. La lumière est si pure qu'elle en semble blanche. Des voiles et des voiles passent, toute une flottille, voiles de pêcheurs d'un jaune ardent avec de grossières figures représentées en rouge sur ce jaune : une madone, un oiseau, un poisson, une lune. Ces voiles piquent dans tout ce bleu des notes ardentes. Autour de moi, le petit village : masures rouges et jaunes avec toujours les haillons glorieux flottant aux fenêtres, une petite église blanche (Santa Maria Assunta), un petit campanile rose, deux puits de marbre aux lions rudimentairement sculptés, des pêcheurs qui passent, des enfants qui jouent, des poules qui piquent. Une toute petite fille de vague vient mourir à mes pieds, d'intervalle en intervalle, sur une plage de coquilles, si doucement qu'on l'entend à peine. C'est plus que beau, c'est divin! On se baigne dans la joie, dans la paix, dans le silence, dans la lumière. O riante et molle Adriatique !

" Sur la Piazetta (au coucher du soleil). — Le soleil a disparu derrière la Sainte et la pointe de la Dogana di mare, et de ce


PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES 301

côté le ciel est d'un rose léger qui se fond dans du vert très doux et du bleu tendre. Du côté de l'Adriatique, une barre d'un gris pâle monte dans l'air. Le Lido, la Riva dei Schiavoni sont encore tout roses, et tout rose aussi l'îlot de Saint-Georges-Majeur, qui se dessine en vigueur, flambe avec insolence. Les eaux sont vertes ou bleues, on ne sait, d'un vert-bleu mourant qui pourrait être aussi du gris un peu mauve. Quelques gondoles attardées rentrent, tranchant de leurs minces dessins noirs sur la douceur du fond. Les autres sont déjà au repos, par files, balancées à leurs perches d'amarre. Des vaperetti vont, viennent, leurs fanaux déjà allumés dont les lueurs rouges traînent sur l'eau. Au milieu de l'entrée de la Giudecca, un grand bateau allemand, tout blanc, énorme, s'érige en une masse lourde, et c'est la seule note laide du tableau. Mais il a une musique à bord, qui joue en ce moment, et les éclats de ses cuivres glissent sur l'eau, s'en attendrissent, mettent dans l'air frais une chanson légère.

« Place Saint-Marc (au coucher du soleil). — La place longue est déjà dans l'ombre. De trois côtés, les Procuraties alignent dans le gris les trois étages réguliers de leurs arcades et de leurs colonnes, leur noble et correcte ordonnance. Au fond de la place Saint-Marc rayonne, dans la dernière lumière, la lumière qui va mourir. Les hautes girouettes d'or brillent sur les dômes gris. Les quatre chevaux de bronze s'allument d'un reflet. Au-dessus d'eux, dans l'arcade centrale, c'est un lac d'argent. Les quatre mosaïques supérieures flambent de tout leur or. La vieille mosaïque byzantine de l'angle (du côté de la Piazzetta de Leoni) est noire déjà et quelques traces rouges et bleues émergent seules. Les autres mosaïques, encore en clarté, étalent toutes leurs couleurs vives. Les étoffes rouges et bleues chantent sur l'or du fond. Les pigeons sacrés volètent autour d'elles, cherchant leurs gîtes du soir. Le monument semble s'endormir dans la grâce et la fierté. Il est pur, il est noble, il est rythmique, et il est charmant en même temps. Sa beauté n'écrase pas : elle est à hauteur d'homme. Dans l'angle Sud, un coin seulement du Palais des Doges se voit, un coin tout rose avec les taches de deux fenêtres et la broderie blanche de la galerie. Tous les détails de l'architecture supérieure se dessinent en vigueur dans le ciel devenu d'un bleu tendre, vaporeux, exquis, où flotte comme un voile un soupçon de brume »

M. le Président remercie M. Delpey de ce qu'il a bien voulu placer sous nos regards charmés ces « tableautins », comme les nomme leur auteur.


302 PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES

Monsieur le Président signale, dans le Bulletin de la Société archéologique du Midi de la France, un curieux article de M. Emile Cartailhac, ayant trait à l'ambre qu'on trouve dans les cavernes préhistoriques. Il en montre un spécimen.

M. Vitteaut présente à la Société un très beau diplôme, d'un Ordre fantaisiste, peu connu : l'Ordre de la Félicité, daté du 4 avril 1745, et l'accompagne d'une notice très documentée sur cette Association d'épicuriens. Cette notice et un fac-similé du diplôme seront publiés dans le Bulletin. (Voir p. 152.)

M. Antoine Delpey résume le journal d'un prébende d'Agen, au commencement du XVIIe siècle, publié par la Revue de l'Agenais.

M. le chanoine Calhiat, qui s'occupe volontiers des questions qui touchent au folkloz, rend compte de deux articles de la Revue du Traditionnisme : le premier, regarde le Verbe pittoresque dans la Brie ; le deuxième, quelques légendes du Monténégro. Depuis la guerre de Cent-Ans, les Anglais ont laissé des traces de leur passage, pour la Brie, non seulement dans l'histoire, mais encore dans le langage. Il en est de même pour le Quercy. Les légendes du Monténégro sont piquantes et humouristiques.

Au nom de M. Paul Fontanié, le docteur Monribot lit une étude sur les Comptes consulaires de Saint-Porquier en 1666-1667. Ces documents donnent de très précieux détails sur les incidents de la vie municipale au XVIIe siècle. Ils seront publiés.

Monsieur le Président signale un inventaire très détaillé, dressé en 1533 dans le château de Champdeniers en Poitou. On sait combien ces documents reflètent la vie intime provinciale et combien ils sont appréciés. (Bulletin des Antiquaires de l'Ouest, 1906, p. 583.)

M. Etienne Depeyre rend compte, avec le plus grand éloge, de la dernière et très importante publication de notre confrère, M. Edmond Cabié, de Roqueserrière. M. Cabié, qui est ancien élève de l'Ecole des Chartes, a dépouillé l'inestimable chartrier des Hébrard de Saint-Sulpice, et en a tiré un très gros volume de lettres inédites de grands personnages du XVIe siècle qu'il a publiées sous le titre de Guerres religieuses dans le Sud-Ouest de la France. La Société s'associe aux éloges si mérités adressés à l'auteur par M. Depeyre.

On annonce la découverte de nouvelles habitations troglodytiques à Charros, commune de Saint-Nauphary.


PROCES-VERBAUX DES SEANCES

303

M. le. Président, qui a représenté la Société, avec MM. Mathet, Lespinasse et Georges Saint-Yves, au Congrès des Sociétés Savantes, à Montpellier, rend compte sommairement de ces assises dans lesquelles notre Société a occupé, comme toujours, une place fort honorable.

La candidature de M. Treillard, directeur de l'agence du Crédit Lyonnais à Montauban, est posée par MM. Prax et Bourdeau. M. Treillard est élu à l'unanimité.

M. Depeyre, d'après les constatations faites par M. le chanoine Albe, qui a travaillé dans les archives anglaises, assure que l'on ne retrouve, aux archives de la Tour de Londres, aucun des documents quercynois qui auraient pu être enlevés par les Anglais lors de l'occupation.

Une série de projections de tableaux de l'Ecole française du XVIIIe siècle donne à M. Lespinasse l'occasion de fournir d'intéressants commentaires.

La séance est levée à dix heures et demie.

Le Secrétaire :

G. FORESTIÉ.

SÉANCE DU 8 MAI 1907

PRESIDENCE DE M. LE CHANOINE F. POTTIER

Présents : MM. Pottier, président; De Bellefon, vice-président; chanoine Calhiat, Treillard, capitaine de Bazelaire; abbé Chatinières, Mommayou, commandant Sibien, Borderies, général Konne, Ressayre, Lespinasse, colonel Caillemer, Vitteaut, J. de Séverac, commandant Barthe, capitaine Marcel, A. Delpey, Marcel Sémézies; Auguste Buscon, secrétaire.

Excusés : MM. Edouard Forestié, secrétaire général; Bourdeau, trésorier.

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. Mme de Rancogne, veuve de l'éminent archiviste de La Rochelle, qui avait concouru à la publication par la Société du Livre jura-


304 PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES

toire de Beaumont, publication prèparée par son mari, est décédée récemment. Elle était fille de notre compatriote beaumontois, M. de Dubor, membre de l'Académie des sciences de Toulouse; elle faisait partie de notre Compagnie à titre de membre correspondant. Mme de Rencogne était une femme d'une rare culture intellectuelle qui se tenait au courant du mouvement scientifique; elle habitait Toulouse et l'ancienne terre familiale de Bréville, près de Beaumont-de-Lomagne. M. le Président, dont elle était la parente très rapprochée, a exprimé à son fils, M. Pierre de Rencogne, les regrets de notre Compagnie en même temps que ses propres condoléances.

Nous avons également appris la mort, à Périgueux, du capitaine Jean de Bêler, qui fut, lors de son séjour à Montauban où il tint garnison, associé à nos travaux. Depuis sa retraite, il s'était adonné aux travaux d'érudition dans les rangs de la Société Archéologique du Périgord.

M. Jacques de Montbrison, en se faisant excuser, regrette de ne pouvoir être plus assidu aux séances, à cause de ses multiples déplacements.

La Société des Antiquaires de Picardie continue sa belle et riche publication sur les monuments architecturaux de cette contrée.

M. Ressayre lit un extrait de la France Pittoresque de 1835, dans lequel il est prétendu que le Voeu de Louis XIII ne serait pas une oeuvre d'Ingres mais celle d'une dame, peintre de mérite, qui n'aurait jamais voulu se faire connaître.

Cette assertion est toute gratuite ; elle est la conséquence de la campagne qui fut faite contre notre illustre compatriote lors de l'apparition de son tableau. L'inestimable collection d'études du Maître que possède notre Musée donne la preuve la plus éloquente et la plus irréfutable que pareil propos est purement fantaisiste.

Dans le Bulletin de la Haute-Auvergne, on lit une étude sur le Prieuré de Bredon, dépendant de l'Abbaye de Moissac. Dans la liste des abbés de la Garde Dieu figurent trois prélats de la maison Des Prez-Montpezat, ce qui avait été pressenti par M. Moulenq, dans ses Documents historiques sur le Tarn-etGaronne, contrairement à l'opinion jusque-là admise.

La Société historique et archéologique du Limousin continue la publication d'un bean travail sur les Tapisseries d'Aubusson.


PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES 305

A ce sujet, M. le Président dit qu'il a trouvé dans le journal de M. de Lamothe de Sainte-Livrade, conservé par la famille de Saint-Paul, au château de ce nom, des détails sur les tapisseries encore en place dans ce château.

Voici le passage extrait de ce journal, commencé le 29 avril 1719 :

« Le 29 janvier 1744, le sieur Vergnes, marchand-tapissier, de Felletin, m'a porté la quatrième pièce de tapisserie de verdure, imitant les arbres à fleurs des Indes, de 16 pans de largeur, que je lui ai payées au même prix des trois pièces qu'il m'avait portées, le 19 de juin dernier, à raison de 311., canne courante. Les trois premières pièces ont eu, longueur, cinq cannes six pans et demie, et la quatrième qu'il a porté aujourd'hui est de deux cannes de longueur, ce qui fait en tout sept cannes six pans et demie qui, à raison de 311, la canne, montera à 242 1. ».

M. l'abbé Taillefer, curé de Cazillac, continue ses travaux et ses recherches. Il communique d'intéressants inventaires d'ornements et de meubles de l'église de Tissac en 1717 et d'une bibliothèque d'un curé de campagne au XVIIIe siècle.

M. le commandant Sibien signale le fait de la prochaine démolition de l'antique église de Saint-Martin de Moissac, par suite des travaux d'agrandissement de la gare du chemin de fer du Midi. Ce monument, dont certaines parties datent de la période carlovingienne, peut renfermer des chapiteaux employés dans les matériaux de construction ; il peut y avoir des mosaïques, on a signalé des peintures. Il y aurait lieu, pour la Société, de surveiller de près cette démolition.

M. le Président répond que ce projet néfaste a déjà préoccupé la Société et que M. Dugué, notre zélé confrère, veillera à la conservation des sculptures et autres vestiges archéologiques; la démolition sera suivie avec soin.

M. l'abbé Galabert envoie une étude sur les prénoms usités dans le comté de Toulouse, en 1271. Comme toujours, ce sont les prénoms portés par les comtes qui sont le plus fréquemment usités. Ce travail renferme les noms de baptême en 1574, portés à Grenade-sur-Garonne.

Le même membre communique une étude : Un siècle d'administration communale, de 1346 à 1446, à Aucamville. C'est la photographie très intéressante de la vie de nos pères à cette époque de transformation marquée par la guerre de cent ans.


3o6 PROCÈS-VERBAUX DES SEANCES

M. le Président met aux voix la candidature de M. François Escudié, Substitut du Procureur de la République, gendre de M. Bouzinac, notre confrère. M. Escudié est présenté par M. Lespinasse et Pécharman. Il est élu à l'unanimité.

La Société des Antiquaires de Picardie continue sa magnifique publication d'art, non moins que d'archéologie. Elle adresse une série d'héliogravures de Dujardin représentant des oeuvres de primitifs Picards. M. Lespinasse rend compte de cet envoi, il fait ressortir les différentes influences d'école exercées sur les peintres de la Picardie aux XVe et XVIe siècles, époques durant lesquelles l'art français, trop longtenps méconnu, commençait à se dégager des traditions flamandes et italiennes, s'affirmant par des oeuvres de grande valeur dont plusieurs ont été vivement appréciées lors de l'Exposition des Primitifs de 1902. On y a remarqué les portraits de Louis XI, de Colin d'Amiens, la Sainte Famille, le Portrait d'un Chanoine présenté par saint Jérôme, la Vierge et l'Enfant, la Cène, peinture de l'Ecole Amiennoise.

M. l'abbé Bastoul ayant bien voulu détacher de sa collection les clichés des primitifs italiens, cela permet à M. Lespinasse, pendant qu'ils défilent dans la lanterne de projection, de faire valoir les oeuvres des Maîtres italiens, tels que : Cimabue, Fra Angelico, Guirlandajo, Botticelli, Bellini. ., et de montrer les points de contact avec les primitifs picards.

La séance est levée à dix heures trois quarts.

Le Secrétaire :

A. BUSCON.

SÉANCE DU 5 JUIN 1907

PRESIDENCE DE M. LE CHANOINE F. POTTIER

Présents : MM. le chanoine Pottier, président; Edouard Forestié, secrétaire général; général Wallon, chanoine Calhiat, G. Ressayre, Sémézies, colonel Caillemer, Maurice Souleil, Pécharman, R. de Vezins, Vitteaut, Escudié, Lespinasse, abbé de Scorbiac; Auguste Buscon, secrétaire.


PROCÈS-VERBAUX DES SEANCES 307

Le procès-verbal de la séance de mai est lu et adopté. Une lettre de la Société des Archives de la Gironde annonce pour le mois d'octobre la réunion à Bordeaux d'un Congrès d'histoire et d'archéologie du Sud-Ouest; pensant que la tenue et la périodicité de réunions de ce genre donnerait une force nouvelle aux Sociétés de la région, elle engage la Société à y prendre part, ce qu'elle accepte bien volontiers.

M. le Président rappelle que M. Cartailhac participera à l'excursion de Souillac, La Cave et Gourdon, et profitera de cette circonstance pour donner à nos confrères de précieuses documentations sur les grottes préhistoriques. Sa présence apportera à cette excursion un nouvel attrait scientifique.

M. le Président adresse à M. Escudié, substitut de M. le Procureur de la République, une cordiale bienvenue. M. Escudié, qui s'intéresse beaucoup aux études historiques, remercie M. le Président et assure ses nouveaux confrères de tout son dévouement à l'oeuvre commune.

Le Bulletin de la Société historique et archéologique de Maineet-Loire publie une notice avec nombreuses héliogravures, des tombeaux des rois Plantagenets qui se trouvent à l'abbaye de Fontevrault et qui ont été souvent réclamés par l'Angleterre et particulièrement à l'heure actuelle.

La Revue de l'Agenais vient de publier une notice dans laquelle il est question d'un maître de danse de Beau ville, en 1754, qui s'appelait Louis Breteuil.

M. le chanoine Calhiat signale le grand intérêt qu'il y aurait à grouper en une publication tous les contes du Quercy. Il en signale trois, réunis par M. A. Perbosc et publiés dans la Tradition. Ces contes sont, en effet, intéressants pour les études spéciales relatives aux coutumes locales; ils présentent d'ailleurs des particularités dignes d'être notées. M. Perbosc en a publié déjà un certain nombre.

La Revue Nationale des Antiquaires signale les moulures de plâtre qui se trouvent appliquées à l'intérieur de l'abside de la cathédrale d'Alès et datent de la construction même de l'église romane. Ce genre de décoration a été, dit M. le Président, fort remarqué lors du dernier Congrès de la Société française d'archéologie ; ces ornements avaient reçu une peinture.

M. Lespinasse et M. Renaud de Vezins ont rapporté de leur


3o8 PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES

visite au Salon des Artistes français de 1907 des impressions d'art qu'ils communiquent à leurs confrères.

M. Edouard Forestié donne lecture de l'inventaire des meubles de l'évêché de Montauban après la saisie en 1792. Ce sont des détails très précis, sur le mobilier de Mgr Le Tonnelier de Breteuil qui fut le dernier prélat, avant la Révolution, qui habita le palais épiscopal acheté depuis par la ville de Montauban qui en fit son Hôtel-de-Ville. Les meubles avaient été transportés dans l'hôtel de Mme de Bellissens, rue de la Mairie, hier encore occupé par le palais épiscopal, acheté sous la Restauration pour loger les êvêques de Montauban, et qui a été de nouveau désaffecté cette année. Cet inventaire est tiré des papiers révolutionnaires des archives départementales. (Voir p. 73.)

M. Sémézies, reprend la lecture du journal de son voyage en Italie, et en particulier au Pincio et à Naples. Le titre d'aquarelles que leur donne l'auteur est justifié on ne peut mieux par le coloris dont M. Sémézies sait si bien user, grâce à sa palette littéraire.

Un journal de Tunisie annonce une nouvelle découverte qui ne peut manquer d'intéresser notre Société qui conserve un si parfait souvenir de la conférence donnée l'an passé sous ses auspices par M. le chanoine Laynaud, le savant directeur des fouilles des Catacombes d'Hadrumète.

M. le Président à la satisfaction d'annoncer de prochaines conférences qui seront données par nos distingués confrères, MM. Cartailhac et le docteur Tachard.

M. le Président présente la candidature de M. le lieutenant de Villeneuve, présenté par MM. le capitaine de Bazelaire et Ressayre.

Le lieutenant de Villeneuve est élu à l'unanimité.

La séance est levée à dix heures et demie.

Le Secrétaire :

A. BUSCON.


PR0CÈS-VERJ1AUX DES SÉANCES 309

SEANCE DU 3 JUILLET 1906

PRESIDENCE DE M. LE CHANOINE F. POTTIER

Présents : MM. Mathet, Mauquié, chanoine Stoumpff, abbé Bastoul, Buscon, R, de Vivie, Vitteaut, colonel Caillemer, Escudié, Chanoine Calhiat, Caubère, commandant Sibien, chanoine Contensou, Borderies, général Konne, Pécharman, Maury, général Vallon, capitaine Rozat de Mandres, Sémézies, commandant de Lacger, abbé Milhau ; Bourdeau, secrétaire.

Excusés : MM. de Bellefon, Ed. Forestié, Lespinasse.

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.

M. le Président annonce l'élévation de notre confrère, le général Souvestre, au grade de divisionnaire; avec ses félicitations pour cette promotion, il exprime ses regrets du départ du général, ainsi qu'à M. Faure, ingénieur en chef nommé à Privas.

M. Léon Moissenet, ingénieur en chef, chevalier de la Légion d'Honneur, qui lui succède, présenté par M. le Président et par M. Mathet, est élu à l'unanimité membre titulaire.

M. Mathet, continuant ses études et ses recherches sur la photographie, est arrivé, par un procédé spécial, à obtenir la photographie directe des couleurs. Il donne la synthèse de ce procédé, que les Lumière ont de leur côté trouvé également, et annonce qu'il fera défiler sous les yeux de ses confrères, à la fin de la séance, des projections en couleurs obtenues par son procédé.

La Société toute entière, par l'organe de son président, lui adresse ses félicitations bien sincères pour ce résultat si appréciable dont elle sera la première à constater la parfaite réussite.

Dans le numéro du 15 Juin de la Revue Religieuse de Cahors et de Rocamadour, M. le chamoine Gary, ancien directeur de la Société des Etudes du Lot, rend compte de la récente excursion à Souillac, au château de Fénelon, aux grottes de Lacave, à la collégiale du Vigan et à Gourdon. Il est cité plusieurs passages de ce rapport, dont des exemplaires sont envoyés à destination des excursionnistes. Des remerciements sont adressés à l'auteur. 1907 23


310 PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES

M. le Président fait part à la Société d'une invitation de M. le comte du Faur de Pibrac à visiter son magnifique château historique aujourd'hui entièrement restauré. La Société sera heureuse de répondre à un aussi attrayant et gracieux appel.

M. Buscon donne lecture d'une lettre de M. Léopold Laurens, annonçant l'envoi d'une brochure sur la terminaison des noms en ac. Cette lettre sera publiée avec le compte-rendu de l'ouvrage. Bon nombre de localités de la région se terminant en ac, cette question est d'un particulier intérêt.

M. l'ingénieur Moissenet, qui vient d'être élu, est introduit par ses parrains. M. le Président lui souhaite une cordiale bienvenue. M. Moissenet remercie.

M. Auguste Buscon lit une communication de M. Edouard Forestié, secrétaire général empêché, sur un Ordre de chevalerie française peu connu : l'Ordre des Trois Toisons d'or, institué par Napoléon Ier en 1811, mais qui n'a pas eu longue vie, car il semble être resté à l'état de projet. M. Forestié a trouvé et communiqué le texte du décret et du senatus consulte l'instituant :

Un Ordre de Chevalerie peu connu ou inconnu

« Au moment où l'attention du public est portée sur les cérémonies de l'Ordre de la Toison d'or qui doit avoir lieu à Bruges, il me paraît intéressant de signaler un fait, découvert récemment en feuilletant les journaux locaux, et qui montrera une fois de plus le désir, l'ambition de Napoléon Ier à reprendre toutes les traditions de l'ancienne monarchie, en fait de dignités et d'honneurs.

L'Autriche et l'Espagne avaient toutes les deux la Toison d'or, qui s'était partagé entre les deux nations au XVIe siècle. Napoléon, après avoir créé la Légion d'Honneur pour remplacer l'Ordre militaire de Saint-Louis, voulut, à son tour, avoir à sa disposition un ordre de chevalerie suprême dans le genre de ceux d'Espagne et d'Autriche, et ce fut là l'origine du décret d'octobre 1809, dont voici le texte :

« Napoléon, etc., voulant donner à notre Grande Armée une preuve toute particulière de notre satisfaction,

« Nous avons résolu de créer, comme nous créons par les présentes lettres patentes, un Ordre qui portera le nom d'Ordre des Trois Toisons d'or. »

A noter, en passant, que le nom de Grande Armée n'avait dans


PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES 311

l'usage été employé que plus tard, vers 1812, et que Napoléon se sert de ce vocable en 1809.

Les douze articles du décret règlent minutieusement le fonctionnement de l'Ordre nouveau.

Il devait être composé de 100 grands chevaliers, de 400 commandeurs, et de 1,000 chevaliers, nombre qui devait rester un maximum; au contraire, il devait être diminué de moitié, par extinction.

Les grands chevaliers portaient la décoration en sautoir, les commandeurs et les chevaliers à la boutonnière.

L'empereur était grand maître de l'Ordre, et le prince impérial devait recevoir la décoration en naissant.

Pour les princes du sang, il fallait une campagne de guerre, ou un service de deux ans ; les grands dignitaires pouvaient la recevoir, ainsi que les ministres qui auraient conservé leur portefeuille pendant dix ans, sans interruption; les ministres d'Etat après vingt ans, les présidents du Sénat depuis trois ans, les descendants des maréchaux ayant commandé les corps de la grande armée, lorsqu'ils auront atteint leur majorité.

L'une des conditions expresse, pour être reçu dans l'Ordre, était d'avoir reçu trois blessures et de s'être distingué à l'attaque d'un pont, à l'assaut d'une brèche, etc.

Dans chaque régiment qui aura assisté aux grandes batailles, il y aura un lieutenant, un lieutenant de sous-lieutenant commandant, un sous-officier ou soldat chevalier par bataillon.

La réunion générale des grands chevaliers était fixée au 15 août. Les commandeurs et chevaliers de chaque régiment devaient avancer dans leur corps et ne jamais le quitter, « devant mourir sous les drapeaux. »

Telle est la substance de ce décret, reproduit in-extenso dans le Journal de Tarn-et-Garonne du 11 octobre 1809.

Des recherches faites dans plusieurs recueils spéciaux, j'ai constaté que l'Ordre des Trois Toisons d'or ne figure dans aucun. Ni dictionnaires héraldiques, ni les recueils spéciaux, ni les ouvrages du vicomte Révérend ne signalent la création de cet Ordre dont, pour notre part, nous n'avons connu l'existence que par le texte des lettres patentes ci-dessus.

Nous serions très désireux que cette communication provoquât quelques recherches pour arriver à constater si l'empereur donna


312 PROCÈS-VERBAUX DES SEANCES

suite à son projet où s'il fut abandonné, ce que nous sommes porté à croire.

Plusieurs volumes sont offerts à la Société :

Par M. François Escard sur les oeuvres de Le Play ;

Par M. le docteur Tachard sur les fouilles de Tunisie;

Par M. le commandant Esperandieu sur les bas-reliefs de la Gaule romaine.

M. Mathet donne lecture d'une lettre de M. Burton, président de la Société des Pionniers de Détroit, qui s'exprime en ces termes :

« Détroit, 8 juin 1907. « CHER MONSIEUR LE PRÉSIDENT,

" Je suis rentré chez moi il y a quelques semaines ; j'ai proposé aux Pionniers de Michigan, société historique dont j'ai l'honneur d'être président, d'ajouter à la liste des membres honoraires le nom de quelques-uns des membres de votre Société. Ces noms sont ceux de MM. Fernand Pottier, Edouard Forestié, Paul Fontanié, Docteur Boé, Docteur Raymond Belbèze.

« J'ai demandé au secrétaire de notre Société de vous adresser une collection, (35 volumes) de nos publications si vous les désirez, et nous serons heureux si vous voulez bien nous envoyer la collection de vos Bulletins en retour.

« Je me souviens avec grand plaisir du temps que j'ai passé en votre compagnie et en celle de vos confrères.

« Notre Société tiendra sa réunion annuelle au Capitole de Lansing les 26 et 27 de ce mois, et à cette réunion je compte parler aux gens assemblés de ma visite à Montauban et de la réception cordiale que j'y ai reçue.

« A vous respectueusement.

« C.-M. BURTON. »

L'Assemblée se réjouit du lien nouveau qui, dans la personne de quelques-uns de ses membres, se forme entre le Michigan et le Tarn-et-Garonne. Notre bibliothèque s'enrichira en recevant les volumes annoncés dans lesquels on pourra puiser des documents nombreux qui seront certainement à la gloire de notre illustre compatriote Lamothe-Cadillac.

La Société française des Fouilles archéologiques annonce qu'elle prépare un Congrès pour 1908, du 3 au 5 juin.

M. le Président signale une étude parue dans le Bulletin de


PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES 313

l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres et due à la plume de notre savant confrère M. Mispoulet.

M. le chanoine Contensou analyse une revue musicale intitulée le Mercure musical et fait ressortir la valeur de cette publication que la Société est heureuse de recevoir en échange.

M. Besserie, qui devait, à cette séance, lire son rapport sur l'excursion à Lacave, en a été empêché ; il prie ses collègues de renvoyer cette lecture à la prochaine réunion.

M. le capitaine Rozat de Mandres a fait une étude très approfondie sur l'évolution des moeurs militaires en France de 1640 à 1680 d'après des documents des Archives de notre Société. Cette étude montre que les munitionnaires devaient avoir six mois de provisions, et que l'armée, sauf la Garde, n'avait pas d'intendance; elle vivait sur le pays. (Voir p. 286.)

M. Marcel Sémézies continue la lecture de ses impressions de voyage en Italie : l'Etna, Taormina, que M. Mathet accompagne d'intéressantes projections.

Notre collègue, aux applaudissements unanimes, montre les résultats de la découverte photographique des couleurs par son procédé; les projections sont véritablement remarquables.

La séance est levée à dix heures et demie.

Le Secrétaire : J. BOURDEAU.

SÉANCE D'AOUT TENUE LE 31 JUILLET 1907

PRESIDENCE DE M. LE CHANOINE F. POTTIER

Présents : MM. le chanoine Pottier, président; de Bellefon, viceprésident; chanoine Calhiat, docteur Belbèze, Moissenet, comte de Gironde, colonel Caillemer, Sémézies, général Souvestre, capitaine Vialette d'Aignan, abbé Bastoul, abbé de Reyniès, abbé Chatinières, abbé Milhau, Mathet, Caubère, abbé de Scorbiac, docteur Monribot, Bouïs, capitaine Rozat de Mandres, Teissié-Solier, Lespine, Olivier, Escudié, Labat; J. Bourdeau, secrétaire.

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.


314 PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES

M. le Président annonce qu'un nouveau deuil vient attrister notre Compagnie. M. Charles Delpech, ancien receveur des domaines, a été, le 8 juillet, enlevé à l'affection de ses trois soeurs auprès desquelles il vivait en faisant le bien. D'une ancienne famille, depuis longtemps fixée dans le département, M. Delpech était d'un esprit cultivé, il aimait l'étude. Nous aurions voulu le voir davantage à nos réunions d'où l'état de sa santé le tenait trop souvent éloigné. M. le Président et une délégation de la Société lui ont rendu les derniers devoirs.

La famille de l'un de nos confrères vient d'être également bien douloureusement frappée : la fille de M. le comte Henri Delbreil, Madame Rollin, a été subitement rappelée à Dieu, laissant dix enfants dont le dernier était né depuis peu. Des condoléances sont adressées au capitaine Rollin et aux siens.

M. Edmond Cabié a offert à la Société un exemplaire de son volume sur les Guerres de religions dans le Sud-Ouest de la France et principalement dans le Quercy, dont il a été question dans une précédente réunion. Des félicitations sur ce précieux ouvrage seront adressées à l'auteur avec des remerciements. Plusieurs exemplaires sont adressés à des membres de la Société et une lettre accompagne ce précieux envoi.

Le Congrès des Sociétés Savantes aura lieu l'an prochain à Paris, le 19 avril. Communication est donnée du programme des questions des diverses sections.

M. le Président fait passer sous les yeux de l'Assemblée des objets préhistoriques provenant des fouilles faites dans la Grotte de Espelugues de Lourdes. Ces objets, parmi lesquels on remarque des outils de silex et des ossements travaillés ou sculptés, avaient été confiés à l'un de nos confrères qui vient de les rendre. Don en avait été fait par feu M. Treillard ; quelques-uns sont très remarquables.

M. l'abbé de Reyniès donne lecture du rapport de M. Besserie sur l'excursion de Lacave les 10 et 11 juin dernier; ce rapport, accompagné de photogravures sera inséré au Bulletin. (Voir p. 161.)

M. Marcel Sémézies continue la communication de ses impressions de voyage en Italie, suite aux « aquarelles » dues au pinceau littéraire de notre confrère, dont il a été donné lecture dans la précédente séance.


PROCES-VERBAUX DES SEANCES

315

M. le Président annonce qu'il a été question d'une exposition des oeuvres d'artistes vivants de la région. Cette exposition aurait lieu en novembre. La section des Beaux-Arts qui en a eu l'initiative serait chargée de cette organisation. Celle-ci serait faite par la Société tout entière, mais sous la direction des membres de la section spéciale. Elle aurait son budget propre.

M. le Président en indique les grandes lignes et convoque les membres de la section des Beaux-Arts pour une réunion prochaine dans laquelle seront discutés les détails. (Voir le compte rendu publié dans cette livraison, p. 205.)

La Société donne pleinement son adhésion à ce projet.

La séance se termine par des projections de vues rapportées de l'excursion à Souillac et à Lacave, et de nouvelles photographies en couleur par M. Mathet.

La séance est levée à dix heures trois quart.

Le Secrétaire : J. BOURDEAU.


Exposition des Beaux-Arts

Nous donnons, à titre de documents, les deux lettres suivantes relatives à l'Exposition des Beaux-Arts, dont il vient d'être question :

MONSIEUR,

La Société archéologique de Tarn-et-Garonne, se rappelant le succès de ses Expositions d'art de 1877, de 1891 et 1897, et désireuse d'offrir aux artistes du pays une occasion de faire connaître leurs oeuvres nouvelles, se propose d'organiser un Salon d'Automne à Montauban, dans les salles de l'Hôtel de Ville, mises gracieusement à sa disposition par la Municipalité.

L'Exposition sera ouverte du 12 novembre au 1er décembre 1907, et comprendra la Peinture, les Pastels, Aquarelles, Gouaches, Dessins, Miniatures, Enluminures, Gravures, Lithographies d'art, les Émaux, les Vitraux peints, la Glyptique, la Céramique d'art, les projets d'Architecture, les travaux artistiques, tels que Meubles sculptés, Étains, Cuivres, Cuirs gaufrés ou gravés, Dentelles, Broderies et, en général, toutes les branches de l'art décoratif.

Nous espérons que vous voudrez bien nous prêter votre concours, en répondant à notre appel.

Au cours de l'Exposition une Tombola sera organisée, et son produit servira à l'acquisition d'un certain nombre d'oeuvres d'art, qui constitueront les lots. Les visiteurs seront autorisés à faire des offres d'achat, que la Section des Beaux-Arts transmettra aux Artistes.

Veuillez agréer, Monsieur, l'assurance de nos sentiments distingués.

Le Président de la section des Beaux-Arts, Comte de GIRONDE. Les Secrétaires,

Marcel SÉMÉZIES, Pierre LESPINASSE.

Le Président de la Société, Fernand POTTIER.


EXPOSITION DES BEAUX-ARTS 317

Montauban, le 23 novembre 1907.

MONSIEUR ET CHER CONFRÈRE,

Vous le savez, l'Exposition des Beaux-Arts, organisée par les soins de notre Compagnie, est ouverte depuis le 16 novembre ; elle se prolongera jusqu'au dimanche 8 décembre inclus. Les artistes du département, ceux de Montauban en particulier, ont répondu avec empressement à notre appel, et le mérite, non moins que le nombre des ouvrages fournis par eux, a assuré un plein succès à notre Salon d'Automne.

Les visiteurs qui viennent, empressés, témoignent d'une vive satisfaction et se plaisent à rendre hommage à l'intelligence, au zèle déployé par les membres de notre section des Beaux-Arts. Ils me permettront de leur apporter moi-même le tribut d'une cordiale gratitude. Ce tribut, je suis heureux de le payer à M. le comte de Gironde, à M. le capitaine de Mandres, à MM. les secrétaires Sémézies et Lespinasse, si assidus au bureau de direction depuis trois semaines bientôt ; à nos confrères, artistes ou professeurs, MM. Célarié, Fauré, Marre, Bouisset, qui ont distribué, avec une entente parfaite, dessins, peintures, sculptures, dans deux salles de l'Hôtel de Ville.

Un troisième salon, destiné aux bijoux, aux dentelles, aux meubles, aux arts décoratifs, dans lesquels de nos jours, la preuve nous en est donnée, les Dames excellent, doit à des mains féminines un charme incontestable.

Je ne prétends pas, dans cette Lettre toute confraternelle, vous donner une appréciation sur notre Exposition, cela a été fait jeudi dernier dans une causerie, rapide comme une envolée, spirituelle et documentée, par notre confrère, M. Marcel Sémézies, si habile dans l'art de bien dire. Cela se poursuit aussi, avec une rare compétence, sous la plume de notre érudit secrétaire général, M. Ed. Forestié, dans les colonnes de son journal quotidien. La presse, du reste, est unanime dans l'éloge.

Je vous dois, tout au moins, le programme des jours prochains ; je le dois surtout à vous, Messieurs, qui, n'habitant pas Montauban, pourrez par suite fixer plus utilement vos trop rares venues parmi nous.

Lundi, 25 courant, notre savant président de la section de photographie, M. Mathet, donnera, à huit heures du soir, une confé1907 23*


318 EXPOSITION DES BEAUX-ARTS

rence sur la photo en couteur, et montrera d'admirables clichés. Cette question, on le sait, est saisissante d'intérêt et d'actualité.

Ces deux conférences auront un cadre harmonieux, fourni par les guitares et les mandolines de la Cigale Montalbanaise.

Le lundi suivant, 2 décembre, nous aurons la bonne fortune d'entendre, à la même heure, M. Henri Graillot, maître de conférences d'histoire de l'art à la Faculté des lettres de Toulouse ; le distingué professeur, si goûté dans ses cours, parlera d'Ingres et montrera son oeuvre en projections.

Les jeudis 28 novembre et 5 décembre, à cinq heures du soir, les auditions de musique se poursuivront sous l'habile direction de M. le chanoine Contensou.

Notre section musicale a su toujours apporter à nos fêtes un éclat incomparable auquel chacun se plaît à rendre justice.

L'esprit aura son régal à ces réunions; il sera fourni par deux lettrés à la parole autorisée, MM. le comte de Gironde et Pierre Lespinasse, sur des questions d'art.

Une Tombola, dont le produit est destiné à l'acquisition d'oeuvres de nos artistes, est autorisée. Le prix des billets est de 0 fr. 50 centimes. Vous voudrez bien nous aider à leur placement, nous osons l'espérer.

Je termine, cher Confrère, cette longue lettre, en vous priant de croire à mes sentiments fidèlement et cordialement dévoués.

Le Président, Fernand POTTIER.


STATISTIQUE

DE

L'Exposition des Beaux-Arts de Tarn-et-Garonne

DE L'AUTOMNE 1907

La période préparatoire (réception des oeuvres et organisation des salles) a occupé le Comité du 16 octobre au 15 novembre 1907. La réception avait eu lieu dans les salles Berthier, et l'Exposition elle-même occupait les trois salons du rez-de-chaussée de la mairie. Ouverte le 15 novembre, l'Exposition s'est prolongée jusqu'au 8 décembre, avec des conférences, des séances de projections et des concerts classiques. Fermée le 8 décembre au soir, l'Exposition a été entièrement désorganisée dans les deux journées des 9 et 10 décembre, et, dès le il, les salles étaient remises à la disposition de Monsieur le Maire.

123 exposants avaient pris part à cette manifestation d'art. Ils se décomposaient en 42 hommes, 28 dames et 53 jeunes filles. Le chiffre des objets exposés a été de 564, comprenant : 151 aquarelles, 96 toiles, 47 lithographies et dessins, 117 objets de bois ou métaux, 23 travaux sur cuir, 22 faïences peintes, 23 meubles d'art,

14 éventails ou miniatures, 12 sculptures, 59 pièces de broderies et dentelles.

3,242 visiteurs sont entrés dans les salles pendant la période du

15 novembre au 8 décembre. 1,150 de ces visiteurs entrèrent à titre gratuit comme membres de la Société archéologique, exposants, invités ou élèves des écoles primaires. Les 2,092 visiteurs payants ont couvert, avec la vente de 3,000 billets de tombola, les 750 francs de frais de toute nature et permis l'achat de 1,300 francs d'oeuvres d'art, prises parmi les objets exposés. Le Ministre des beaux-arts avait envoyé gracieusement un certain


320 STATISTIQUE DE L'EXPOSITION DES BEAUX-ARTS

nombre de gravures, dont plusieurs sur japon, et un vase de la manufacture de Sèvres. Quelques-uns des exposants offrirent également un des numéros de leur exposition. Le tout constitua l'ensemble des lots de la tombola, dont le tirage eut lieu quinze jours plus tard, en séance publique, dans la grande salle de la Mairie.

Voici la liste des gravures envoyées par le ministère des Beaux-Aits :

Biblis, de Henner ; Ismaël, de Cazin ; Erato, de Baudry ; Portrait de jeune homme, de Raphaël ; Portrait de femme (Mme Berenstein), de Franz Halz ; L'homme au gant, de Rembrant ; de plus, un vase de Sèvres.


TABLE PAR ORDRE DES MATIÈRES

PREMIER TRIMESTRE

Pages

Liste des Membres de la Société 5

Journal de voyage de l'abbé Gibert, curé de Colonges, annexe

de Saint-Clair, canton de Caussade, par M. A. GRÈZE. ... 17 Notes d'archéologie punico-romaine, par M. le docteur E.

TACHARD 54

Le Mobilier de Mgr Le Tonnelier de Breteuil, évêque de Montauban, mis sous séquestre en 1793, par M. Edouard

FORESTIÉ 73

Procès-verbal de la séance du 12 décembre 1906 89

Éloge funèbre de M. Bréfeil 90

Procès-verbal de la séance du 9 janvier 1907 93

Voeux du jour de l'an en vers latins adressés aux Sociétés

savantes et réponses de celles-ci 93

L'Ame de Naples, volume offert par M. le chanoine

CALHIAT 95

Questionnaire adressé à la Société par M. Adrien

GUÉBHARDT 96

Conférences annoncées pendant l'année 1907 98

Fondation d'une chaire d'archéologie à la Faculté des

sciences de Toulouse 99

Un portrait de saint Louis Bertrand, dominicain, gravé sur cuivre 99


322 TABLE PAR ORDRE DES MATIERES

DEUXIEME TRIMESTRE

La Lèpre, les lépreux, les léproseries et spécialement les léproseries du Tarn-et-Garonne, par M. Léopold MATHET 101

Une correspondance berlinoise de Fils de Réfugiés (17621872), par M. l'abbé Firmin GALABERT 139

Ordre de la Félicité, par M. L. VITTEAUT 152

Compte rendu de l'Excursion des 10 et 11 juin 1907 à Souillac, au château de Fénelon, à Lacave, à Gourdon et à la Collégiale du Vigan, par M. Th. BESSERY 161

Lamothe-Cadillac, fondateur de la ville de Détroit (Michigan), gouverneur de la Louisiane et de Castelsarrasin. — Notes complémentaires par M. Edouard FORESTIÉ 175

Procès-verbal de la séance du 6 février 1907 197

Décès de M. le chanoine Ferrand; de M. Armand Reboulet ; de M. de Narbonne-Lara 197

Congrès des Sociétés savantes 199

Procès-verbal de la séance du 6 mars 1907 200

Décès de M. le général de BELLEGARDE; de Mgr RouGERIE

RouGERIE

Nomination de M. le chanoine POTTIER, comme

archiprêtre de la Cathédrale 201

Congrès de Bordeaux 201

Classement du clocher de Marcillac 201

M. Burton, président de l'Académie de Détroit, à

Montauban 202

OEuvres de Romain Cazes 202, 204

Litre funéraire des églises d'Espanel 203


TABLE PAR ORDRE DES MATIERES 323

TROISIÈME et QUATRIÈME TRIMESTRES

Pages

Le Salon d'automne montalbanais de la Société archéologique, par M. Edouard FORESTIÉ 205

Une petite ville du Quercy avant la Révolution (Montpezat)- Souvenirs d'un arrière-grand-oncle, publiés par M. A.

BUZENAC 258

Société Saint-Jean pour l'encouragement de l'art chrétien. — Exposition rétrospective : L'art religieux des élèves d'Ingres, par M. le Comte de GIRONDE 278

Les Gîtes d'étapes des gens de guerre au XVIIe siècle, par

le capitaine ROSAT DE MANDRES 286

Conférence de M. Cartailhac sur l'art aux époques préhistoriques dans les cavernes (14 juin 1907) 293

Procès-verbal de la séance d'avril 1907 298

Mort de Mgr Enard, archevêque d'Auch 298

Lettre de Venise, par M. SÉMÉZIES 300

Découverte de nouvelles habitations troglodytiques à

Charros, commune de Saint-Nauphary 302

Procès-verbal de la séance de mai 1907 303

Mort de Mme de Rencogne et de M. Jean de Béler 304

Démolition de l'église Saint-Martin de Moissac 305

Procès-verbal de la séance de juin 1907 306

Publication des contes du Quercy 307

Procès-verbal de la séance de juillet 1907 309

Procédé de M. Mathet sur la photographie directe des

couleurs 309

L'Ordre des trois Toisons d'or 310

Lettre de M. BURTON, président de la Société des Pionniers de Détroit 312

Procès-verbal de la séance d'août tenue en juillet 1907 313

Mort de M. Charles DELPECH 314

Mort de Mme ROLLIN, fille de M. le comte H. Delbreil. 314


324 TABLE PAR ORDRE DES MATIERES

Pages

Objets préhistoriques provenant de la grotte de Espelugues

Espelugues Lourdes 314

Projet d'une Exposition des Beaux-Arts 315

Lettres relatives à l'Exposition des Beaux-Arts de Tarn-etGaronne,

Tarn-etGaronne, aux artistes du pays 316

Statistique de l'Exposition des Beaux-Arts de Tarn-etGaronne de l'automne 1907 319


TABLE PAR ORDRE ALPHABÉTIQUE

Pages

A bâtons rompus, par M. R. de Vivie 98

Agen (Journal d'un prébende d') 302

Ame (L') de Naples par M. le chanoine Calhiat 95

Arada (L'), poème, par M. A. Perbosc, traduit par M. le

chanoine Ferrand 204

Archéologie Punico-Romaine (Notes), par le Docteur

Tachard 54

Armée (L') en campagne, par le Capitaine Rozat de

Mandres 98

Art (L') à Venise, par M. le comte de Gironde 231

Aucamville (Un siècle d'Administration à) 305

Beler (Décès de M.) 304

Bellegarde (Décès du général de) 200

Boucher (Etude sur le peintre), par M. Lespinasse 91

Brefeuil (Mort de M. G.), professeur à l'Ecole des BeauxArts de Toulouse ... 90

Burton (le libraire) délégué de l'Académie de Détroit 202

Burton (Lettre de M.), président de la Société des Pionniers de Détroit 312

Calendriers liturgiques (A travers les), par M. l'abbé Daux. 98 Cambon, Armand (Etude sur), peintre d'histoire, par M.

Lespinasse 201

Cavernes (Conférence de M. Cartailhac sur l'art préhistorique dans les) 293, 302, 307


326 TABLE PAR ORDRE ALPHABETIQUE

Pages

Cazes, Romain. Don de ses oeuvres au Musée de Montauban. 202

Cazes, Romain (Notice sur), par M. Lespinasse 204

Chasse de Montpezat 98

Comptes consulaires de Saint-Porquier, par M. Fontanié. 302 Congrès des Sociétés Savantes à la Sorbonne.. 199, 303, 314 Congrès régional d'histoire et d'archéologie à Bordeaux 201, 307

Congrès national des directeurs de journaux à Marseille.. 299

Congrès des fouilles archéologiques 312

Correspondance berlinoise de fils de réfugiés (1762-1872),

par M. l'abbé Galabert 139

Danse (Un match de) en 1754, à Beauville 307

Delpech (Mort de M. Ch.) 314

Documents quercynois à la Tour de Londres 303

Ecole française du XVIIIe siècle, par M. Lespinasse 303

Eglise de Saint-Martin de Moissac 305

Enceintes préhistoriques par M. Guébhard 96

Enard (Mort de Mgr), archevêque d'Auch 298

Epernay (Sources de l'Histoire d'), par M. H. Bertal 96

Esperanto (Conférence sur l'), par M. Moissenet 244

Excursion de la Société à Souillac, à Fénelon, à Lacave, à Gourdon et au Vigan. Compte-rendu par M. Bessery

Bessery 314

Félicité (L'Ordre de la), par M. L. Vitteaut. . ..... 152, 302

Ferrand (Décès du chanoine) 196

Feuille de route d'un escadron de cavalerie levé à Caussade

Caussade

Fourgous (M.) 300

Grottes des Espelugues à Lourdes 314

Guerres religieuses dans le Sud-Ouest, par M. Cabié.

Compte-rendu par M. E. Depeyre 302, 314

Habitations troglodytiques à Charros 302

Ingres (L'OEuvre d'). Conférence par M. Graillot 229

Inventaire du château de Champdeniers 302

Inventaire du mobilier de Mgr de Breteuil 73, 308

Inventaire de la Maison Brome, de Saint-Antonin 98

Italie (Notes sur un voyage en), par M. le comte de Gironde 204

Italie (Notes sur un voyage en), par M. Sémézies. 308, 313, 314


TABLE PAR ORDRE ALPHABÉTIQUE 327

Pages

Journal de voyage en Espagne, de l'abbé Gibert, en 1792,

curé de Colonges, par M. A. Grèze 17

Lamothe-Cadillac (Notes complémentaires sur) par M. Ed.

Forestié 175

Légendes de divers pays 302, 307

Lèpre (Etude sur la), par M. Mathet 91, 101

Liste des Membres de la Société 5

Liste des prêtres réfugiés en Espagne, aux îles Baléares,

pendant la Révolution 51

Litre funéraire des Eglises d'Espanel, par M. Galabert. .. 202 Lo camy per anar à Roma (1498), communiqué par M.

Buzenac 204

Louis XI (Contribution à l'histoire de la vie privée de), par

M. A. Gandilhon . 96

Marcillac (Cloître de) 201

Maybury, ancien maire de Détroit (Michigan) 300

Mobilier (Le) de Mgr Le Tonnelier de Breteuil, évêque de Montauban, mis sous] séquestre en 1793, par Ed. Forestié 73, 308

Monnaies romanes jetées dans les sources 97

Montpezat. Une petite ville du Quercy avant la Révolution,

par M. Buzenac 256

Montsarrat (Gravure représentant le Monastère de) 89

Moulures en plâtre de la Cathédrale d'Alès 307

Narbonne-Lara (Décès du comte de) 199

Peintres (Les) du XVIIIe siècle en Suède. Conférence par

M. Lespinasse 247

Peintres picards des XVe et XVIe siècles 306

Persée et Andromède, tableau du Titien au Musée de

Montauban 91

Photographie (La) des couleurs. Conférence par M. Mathet 225, 309

Pibrac (Château de) 310

Polastron (Madame de), compte-rendu par M. le comte de

Gironde 98

Prénoms usités en 1271 dans le comté de Toulouse 305

Pottier (Le chanoine) nommé archiprêtre de la Cathédrale. 201

Procès-verbaux des séances : 12 Décembre 1906 89

— — 9 Janvier 1907 93


328 TABLE PAR ORDRE ALPHABETIQUE

Pagss

— — 6 Février 1907 197

— — 6 Mars 1907 200

— — 10 Avril 1907 298

— — 8 Mai 1907 303

— — 5 Juin 1907 306

— — 3 Juillet 1907 309

— — 31 Juillet 1907 313

Rancogne (Mort de Mme Babinet de) 303

Reboulet (Décès de M.) 198

Réponses aux souhaits de la Société 93

Saint Louis-Bertrand (Portrait de), patron de Valence et

la Nouvelle-Grenade 92

Salon (Le) d'automne montalbanais, par M. Edouard Forestié 205, 315, 316

Salon (Statistique du) 317

Salon des Artistes français 307

Société Archéologique du Midi de la France. Banquet

offert à MM. de Lahondès et Roschach 299

Sculpture (La) française au XIIIe siècle, par M. G. Brière. 90

Sémézies (Conférence de M. Marcel) 224

Tapisseries d'Aubusson au château de Sainte-Livrade 305

Terminaison des noms en ac 310

Tissac (Inventaire de l'Eglise de) 305

Toisons d'Or (Ordre des Trois), par M. Ed. Forestié 310

Tombeaux des rois Plantagenets 307

Tunisie (Découvertes en) 308

Venise (Voyage à), par M. Sémézies 300

Voeu de Louis XIII 304


Journaux et Revues de Photographie

AVEC LESQUELS

LA SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DE TARN-ET-GARONNE Fait l'Echange de son « BULLETIN »

Bulletin de la Société française de Photographie. Ce recueil paraît deux fois par mois. Chaque numéro renferme plusieursillustrations et la plupart du temps une épreuve hors texte. — Se trouve au siège de la Société, 76, rue des Petits-Champs, Paris.

Le Moniteur de la Photographie. Revue internationale et universelle des progrès de la photographie et des arts qui s'y rattachent; consacrée spécialement aux applications de la photogravure monochrome et en couleurs. Journal bi-mensuel. — Directeur : M. LÉON VIDAL; 29, avenue Henri-Martin, Paris.

Bulletin de l'Association des Amateurs photographes du Touring-Club de France. — M. BAlLLOT, président; 6, rue de Seine, Paris.

Bulletin de l'Association pratique de Photographie. — 114, rue de l'Hôpital-Militaire, Lille (Nord).

Bulletin de la Société photographique du Centre. Paraît chaque trimestre par fascicules de 16 pages, dans lesquels sont intercalées des planches hors-texte. — Au siège de la Société, 2 bis, rue des Proulies, Bourges (Cher).

La Photographie. Revue mensuelle illustrée, publiée sous la direction de MM. NIEWENGLOWSKi, REYNER et A. DELAMARRE. — Au siège de la rédaction, 295, rue Saint-Jacques, Paris.

Comptes-rendus des Sessions de la Société photographique de la Savoie. —72, place-Saint-Léger, Ghambéry (Savoie).

Le Home. Journal illustré des sciences pratiques, monde, littérature, sports, etc. — Rédaction et administration, 7, rue Hégésippe-Moreau, Paris.



BULLETIN

ARCHÉOLOGIQUE

ET HISTORIQUE

DE

LA SOCIETE ARCHEOLOGIQUE

DE TARN-&-GARONNE

Fondée en 1866

RECONNUE D'UTILITÉ PUBLIQUE LE 13 AOUT 1884

TOME XXXV — ANNEE 1907 (2e Trimestre)

MONTAUBAN IMP. ET LITH. FORESTIÉ, RUE DE LA RÉPUBLIQUE, 23

1901


SOMMAIRE

Numéro du 2e Trimestre

Pages

La Lèpre, les lépreux, les, léproseries et spécialement les léproseries du Tarn-et-Garonne, par M. Léopold MATHET 101

Une correspondance berlinoise de Fils de Réfugiés (17621872),

(17621872), M. l'abbé Firmin GALABERT .... 139

Ordre de la Félicité, par M. L. VITTEAUT 152

Compte rendu de l'Excursion des 10 et 11 juin 1907 à Souillac, au château de Fénelon, à Lacave, à Gourdon et à la Collégiale du Vigan, par M. Th. BESSERY. 161

Lamothe-Cadillac, fondateur de la ville de Détroit (Michigan), gouverneur de la Louisiane et de Castelsarrasin. — Notes complémentaires par M. Edouard FORESTIÉ...... 175

Procès-verbal de la séance du 6 février 1907. 197

Décès de M. le chanoine Ferrand; de M. Armand Reboulet;

Reboulet; M. de Narbonne-Lara.. ... 197

Congrès des Sociétés savantes 199

Procès-verbal de la séance du 6 mars 1907.... ....... 200

Décès de M. le général de Bellegarde ; de Mgr Rougerie. 200

Nomination de M. le chanoine POTTIER, comme arch'iprêtre

arch'iprêtre la Cathédrale. 201

Congrès de Bordeaux 201

Classement du clocher de Marcillac ».... 201

M. Burton, président de l'Académie de Détroit, à Montauban. 202

OEuvres de Romain Cazes ... 202-204

Litre funéraire des églises d'Espanel 203


Journaux et Revues de Photographie

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Fait l'Echange de son « BULLETIN »

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Le Moniteur de la Photographie. Revue internationale et universelle des progrès de la photographie et des arts qui s'y rattachent; consacrée spécialement aux applications de la photogravure monochrome et en couleurs. Journal bi-mensuel. — Directeur : M. LÉON VIDAL; 29, avenue Henri-Martin, Paris.

Bulletin de l'Association des Amateurs photographes du Touring-Club de France. — M. BAILLOT, président; 6, rue de Seine, Paris,

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La Photographie. Revue mensuelle illustrée, publiée sous la direction de MM. NIEWENGLOWSKI, REYNER et A. DELAMARRE. — Au siège de la rédaction, 295, rue Saint-Jacques, Paris.

Comptes-rendus des Sessions de la Société photographique de la Savoie. — 72, place Saint-Léger, Chambéry (Savoie).

Le Home. Journal illustré des sciences pratiques, monde, littérature, sports, etc. — Rédaction et administration, 7, rue Hégésippe-Moreau, Paris.



BULLETIN

ARCHÉOLOGIQUE

ET HISTORIQUE

DE

LA SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE

DE TARN-&-GARONNE

Fondée en 1866

RECONNUE D'UTILITÉ PUBLIQUE LE 13 AOUT 1884

TOME XXXV — ANNÉE 1907

(3e et 4e Trimestres)

MONTAUBAN

IMP ET LITH. FORESTIÉ, RUE DE LA RÉPUBLIQUE, 23

1907


SOMMAIRE

Numéro des 3e et 4e Trimestres

Pages

Le Salon d'automne montalbanais de la Société archéologique, par M. Edouard FORESTIÉ 205

Une petite ville du Quercy avant la Révolution (Montpezat)- Souvehirs d'un arrière-grand-oncle, publiés par M. A. BUZENAC 258

Société Saint-Jean pour l'encouragement de l'art chrétien. — Exposition rétrospective : L'art religieux des élèves d'Ingres, par M. le Comte de GIRONDE. 278

Les Gîtes d'étapes des gens de guerre au XVIIe siècle, par le capitaine ROSAT DE MANDRES. . ... 286

Conférence de M. Cartailhac sur l'art aux époques préhistoriques dans les cavernes (14 juin 1907) 293

Procèsrverbal de la séance d'avril 1907 .... 298

Mort de Mgr Enard, archevêque d'Auch 298

Lettre de Venise, par M. SÉMÉZIES 300

Découverte de nouvelles habitations troglodytiques à

Charros, commune de Saint-Nauphary 302

Procès-verbal de la séance de mai 1907 303

Mort de Mme de Rencogne et de M. Jean de Béler...... 304

Démolition de l'église Saint-Martin de Moissac. 305

Procès-verbal de la séance de juin 1907 306

Publication des contes du Quercy 307

Procès-verbal de la séance de juillet 1907 309

Procédé de M. Mathet sur la photographie directe des couleurs 309

L'Ordre des trois Toisons d'or. 310

Lettre de M. BURTON, président de la Société des Pionniers de Détroit. 312

Procès-verbal de la séance d'août tenue en juillet 1907 313

Mort de M. Charles DELPECH .... 314

Mort de Mme ROLLIN, fille de M. le comte H. Delbreil. 314

Objets préhistoriques provenant de la grotte de Espelugues de Lourdes 314

Projet d'une Exposition des Beaux-Arts 315

Lettres relatives à l'Exposition des Beaux-Arts de Tarn-etGaronne, adressées aux artistes du pays 316

Statistique de l'Exposition des Beaux-Arts de Tarn-etGaronne de l'automne 1907 319


Journaux et Revues de Photographie

AVEC LESQUELS

LA SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DE TARN-ET-GARONNE Fait l'Echange de son « BULLETIN »

Bulletin de la Société française de Photographie. Ce recueil

paraît deux fois par mois. Chaque numéro renferme plusieurs

illustrations et la plupart du temps une épreuve hors texte. —

Se trouve au siège de la Société, 76, rue des Petits-Champs,

Paris.

Le Moniteur de la Photographie. Revue internationale et universelle des progrès de la photographie et des arts qui s'y

rattachent; consacrée spécialement aux applications de la photogravure monochrome et en couleurs. Journal bi-mensuel. — Directeur : M. LÉON VIDAL; 29, avenue Henri-Martin, Paris.

Bulletin de l'Association des Amateurs photographes du Touring-Club de France. — M. BAILLOT, président; 6, rue de Seine, Paris.

Bulletin de l' Association pratique de Photographie. — 114, rue de l'Hôpital-Militaire, Lille (Nord).

Bulletin de la Société photographique du Centre. Paraît chaque trimestre par fascicules de 16 pages, dans lesquels sont intercalées des planches hors-texte. — Au siège de la Société, 2 bis, rue des Proulies, Bourges (Cher).

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