116 LA GRAPHOMANIE
et tirer de son propre fonds des idées, des mots qui traduisent ces idées, n'est pas facile pour de très jeunes esprits ; il y a grand danger, si l'on n'y prend garde, que cette gymnastique prématurée ne les fatigue en vain au lieu de leur profiter, qu'elle ne leur donne do mauvaises habitudes de vague, d'à peu près, et l'illusion de croire qu'on puisse parler sans avoir rien à dire t> (1). Ceci est parfaitement juste quand le sujet est imposé, quand il dépasse — et il dépasse toujours — l'entendement de l'élève. Il n'en est pas de même quand le sujet est facultatif et choisi librement par l'élève lui-même, quand il écrit sur des choses que son intelligence est capable d'embrasser.
Quel est le professeur qui enseigne à ses élèves la nécessité d'établir une étroite liaison entre les mots et les idées, qui les aide à saisir les transitions du sensible à l'abstrait, du simple au composé, qui leur apprend à discerner les nuances délicates du sens des mots, à se mouvoir dons le domaine des sentiments ? Les professeurs ont bute d'imposer aux enfants les notions les plus abstraites, avant qu'ils aient pu faire eux-mêmes des réflexions personnelles, avant que leur attention et leur jugement oient acquis un peu de force solide. Il y a des sujets de compositions et de dissertations susceptibles d'abrutir l'esprit le plus cultivé. Ce qu'on nomme; dons la langue universitaire, « les travaux personnels » ne sont que des broderies graphomaniques sur des sujets imposés ou suggérés et dans lesquels la personnalité de l'élève, si personnalité il y a, ne peut se manifester. L'élève est tellement habitué à recevoir des sujets de composition que, quand il parvient au doctorat, il va encore trouver l'un de ses maîtres pour lui demander un sujet de thèse (2).
(1) A. CroUct, Ohjel de l'cittde dit fronçais, p. 18, in L'Enseignement du frtttieuii (l'ori.*, F. Alcaii), t'Jlt.
(2) llnrrs sont ceux qui écrivent uni: llièso de doctorat pnreo qu'ils ont quelque chose à dire. (.îéuéralenient, on écrit une thèse