LES ALGERIENNES ET LE CINEMA
Puisque les Algériennes aiment la musique, il était naturel qu'elles fussent attirées vers le cinéma.
Il semble, en effet, que le cinéma soit l'art complet où un tempérament d'artiste peut se réaliser totalement.
Et l'Algérienne, qui est de nature si vibrante, devait aller à lui pour apaiser sa soif de sensations et son besoin multiple d'exprimer ses états d'âme.
Le film muet n'extériorisait pas assez ses troubles intérieurs, la musique n'avait pas la précision qui intensifie l'action. Mais le film parlant répondit à tous ses désirs tendus vers une forme absolue d'expression où ^attitude, la mimique, la voix, la musique, dans un émouvant synchronisme, expriment toute la gamme des émotions depuis les plus vives jusqu'aux plus furtives...
Et les Algériennes sont allées à la conquête de l'écran. Nous ne retiendrons aujourd'hui que l'étonnante fortune de Danielle Darrieux.
Danielle Darrieux est une Algérienne. Sa mère est née à Bône et sa famille a longtemps habité Alger.
Quelle curieuse destinée! C'était encore l'époque où la famille bourgeoise, empêtrée de préjugés, regardait sans indulgence s'éveiller une vocation artistique.
Qu'importe! La future maman de la jeune étoile cueille d'abondants lauriers au Conservatoire d'Alger. Elle récidive au Conservatoire de Bordeaux.
Enfin la voici, à Paris, à la Scola Cantorum, une des élèves les plus aimées et les mieux douées du maître Vincent Dindy. Certes, le théâtre la tentait. Mais ne portait-elle pas, inconsciemment, le boulet des préventions? Elle se tourna vers le professorat, qu'elle n'allait pas tarder à abandonner pour se marier.
Et la petite Danielle fut élevée entre un père — que la guerre ne devait lui rendre que pour peu de temps, et qui était un érudit de la musique — et une mère qui avait penché ses rêves sur tous les claviers.
Ces deux êtres d'élite lui façonnèrent une âme d'artiste. En elle, frissonnèrent tons les rêves qui n'avaient pas été entièrement réalisés, toutes les aspirations dont les préjugés stupidés avaient détourné le cours.
Elle entre au Conservatoire et c'est d'abord à son violoncelle qu'elle confie les premiers frémissements de son âme. Les ailes poussent.
Et un jour, dans le noir d'une salle, elle se sent invinciblement attirée vers ce carré de lumière qui, pareil au rais de soleil dont parle le poète, confère la gloire à tous ceux qui y peuvent tenir un instant.
Et le lendemain, en effet, une étoile nouvelle, timide encore, mais si fraîche, si candidement lumineuse, se détachant avec tant d'originale netteté sur les satellites et les nébuleuses, brillait au ciel du cinéma français.
Danielle Darrieux était entrée dans la gloire. Vous l'avez toutes suivie dans ses créations où elle affirma l'originalité d'un talent riche en nuance et gardant dans ses manifestations cette mesure qui est toute la noblesse du talent de chez nous.
Danielle Darrieux, qui vient de se marier avec Henri Decoin, auteur dramatique, tourne en ce moment Mademoiselle Mozart et Mayerling, avec Charles Boyer.
Et l'existence — qui n'en est encore qu'à son prologue — de Danielle Darrieux, nous fait regretter que notre école des Beau'x-Arts d'Alger n'ait pas une classe de cinéma. Bien de vibrantes Algériennes, qui vivent déjà chez nous dans des « extérieurs » de romans et d'aventures, pourraient venir y mesurer la force de leur aile.
Je sais bien qu'il y aurait des déceptions et que, parmi beaucoup d'appelées, la Critique, la foule et les auteurs sacreraient peu d'élues.
Mais la difficulté de la tâche nous donne-t-elle le droit de ne pas l'entreprendre?
Les chercheurs d'or hésitent-ils à faire passer des rivières entières dans leur « berceau » de fer et de toile, dans le seul espoir de recueillir quelques paillettes ?
ALFRED KLEPPING.
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Mademoiselle Danielle Darrieux, qui tourne actuellement Mayerling avec Charles Boyer