LE CHATEAU DU BONHEUR. 387
XXII
LE CHATEAU DU BONHEUR
ÉPILOGUE
On pense bien que la bonne Isabelle, devenue baronne de Sigognac, n'avait pas oublié dans les grandeurs ses braves camarades de la troupe d'Hérode. Ne pouvant les inviter à sa noce à cause de leur condition qui ne congruait plus avec la sienne, elle leur avait fait à tous des cadeaux offerts avec une grâce si charmante qu'elle en doublait la valeur. Même, jusqu'au départ de la compagnie, elle alla souvent les voir jouer, les applaudissant à propos, comme quelqu'un qui s'y connaissait. Car la nouvelle baronne ne celait point qu'elle eût été comédienne, excellent moyen d'ôter aux mauvaises langues l'envie de le dire, comme elles n'y auraient pas manqué, si elle en eût fait mystère. Du reste, le sang illustre dont elle était imposait silence à tous, et sa modestie lui eut bientôt conquis les coeurs, même ceux des femmes, qui s'accordèrent à la trouver aussi grande dame que pas une de la cour. Le roi Louis XIII, ayant entendu parler des aventures d'Isabelle, la loua fort de sa sagesse et témoigna une particulière estime à Sigognac pour sa retenue, n'aimant pas, en chaste monarque qu'il était, les jeunesses audacieuses et débordées. Vallombreusé s'était notoirement amendé à la fréquentation de son beau-frère, et le prince en ressentait beaucoup de joie. Les jeunes époux menaient donc une charmante vie, toujours plus amoureux l'un de l'autre et n'éprouvant pas cette satiété du bonheur qui gâte les plus belles existences. Cependant, depuis quelque temps, Isabelle semblait animée d'une activité mystérieuse. Elle avait des conférences secrètes avec son intendant : un architecte venait la voir qui lui soumettait des plans ; des sculpteurs et des peintres avaient reçu d'elle des ordres et étaient partis pour une destination inconnue. Tout cela se faisait en cachette de Sigognac, de complicité avec Vallombreusé, qui paraissait savoir le mot de l'énigme.
Un beau matin, après quelques mois écoulés, nécessaires sans doute à l'accomplksement de son projet, Isabelle dit à Sigognac, comme si une idée subite lui eût traversé la fantaisie :
— Mon cher seigneuiyne pensez-vous jamais à votre pauvre castel de Sigognac, et n'avez-vous pas envie de revoir le berceau de nos amours ?
— Je ne suis pas si ingrat, et j'y ai plus d'une fois songé ; mais je n'ai point ose