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LE CAPITAINE FEACASSE.
plus gracieux ne chevaucha côte à côte. Seulement la physionomie du jeune homme exprimait la gaieté et celle de la jeune fille la mélancolie. Parfois les saillies de Vallombreuse lui arrachaient un vague et faible sourire, puis elle retombait dans sa languissante rêverie; mais son frère ne paraissait pas s'apercevoir de cette tristesse, et il redoublait de verve.
— Oh ! la bonne chose que de vivre, disait-il; on ne se doute pas du plaisir qu'il y a dans cet acte si simple : respirer ! Jamais les arbres ne m'ont semblé si verts, le ciel si bleu, les fleurs si parfumées ! C'est comme si j'étais né d'hier et que je visse la création pour la première fois. Quand je songe que je pourrais être allongé sous un marbre et que je me promène avec ma chère soeur, je ne me sens pas d'aise ! ma blessure ne me fait plus souffrir du tout et je crois que nous pouvons risquer un petit temps de galop pour retourner au château où le prince s'ennuie à nous attendre.
Malgré les observations d'Isabelle toujours craintive, Vallombreuse chercha les flancs de sa monture, et les deux chevaux partirent d'un train assez vif. Au bas du perron, en enlevant sa soeur de dessus la selle, le jeune duc lui dit :
—-Maintenant, me voilà un grand garçon, et j'obtiendrai la permission de sortir seul.
— Eh quoi I vous voulez donc nous quitter à peine guéri, méchant que vous êtes ?
— Oui, j'ai besoin de faire un voyage de quelques jours, répondit négligemment Vallombreuse.
En effet, le lendemain il partit après avoir pris congé du prince, qui ne s'opposa point à son départ, et dit à Isabelle d'un ton énigmatique et bizarre :
— Au revoir, petite soeur, vous serez contente.de moi 1