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Titre : L'Actualité de l'histoire : bulletin de l'Institut français d'histoire sociale / directeur : J. Maitron

Auteur : Institut français d'histoire sociale. Auteur du texte

Éditeur : Institut français d'histoire sociale (Courbevoie)

Éditeur : Institut français d'histoire socialeInstitut français d'histoire sociale (Paris)

Date d'édition : 1957-12-01

Contributeur : Maitron, Jean (1910-1987). Directeur de publication

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb343980994

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb343980994/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Format : Nombre total de vues : 1204

Description : 01 décembre 1957

Description : 1957/12/01 (N20)-1957/12/31 (N21).

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k56212282

Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 8-R-56817

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 17/01/2011

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DECEMBRE 1957 NUMERO DOUBLE 20-21

Bulletin trimestriel de l'Institut français d'Histoire sociale

(Association reconnue d'utilité publique)

ETUDES REGIONALES :

Le socialisme et le syndicalisme dam l'Indre

des origines à 1920-1922 G. THOMAS

Le mouvement ouvrier limousin de 1870 à

1939 P. COUSTEIX

INSTITUT FRANÇAIS D'HISTOIRE SOCIALE

J. MAITRON, Directeur

117 bis, rue Armand-Silvestre - Courbevoi* (Seine)


Comité exécutif de l'I.F.H.S.

(comité de rédaction du Bulletin)

Président : G. BOURG». Vice-président : G. DUVEATJ. Directeur : J. MAITRON. Directeur adjoint : P. CHAUVET. Trésorier : F. BOUDOT.

Membres : Mlle C. CHAMBELLAN, Mme PAUVELROUIF, MM. R. GARMY, B. GILLE, J. MAROLIER,

MAROLIER, RlMBERT, E. TERSEN, G. VEDALENC.

Comité d'honneur :

Charles BRAIBAST, directeur des Archives de France.

Pernand BRATJDEL, professeur au Collège de France.

Julien CAM, membre de l'Institut, directeur de la Bibliothèque Nationale.

Emile COORMAERT, professeur au Collège de France.

Georges DAVY, membre de l'Institut,

Maurice DOMMANGET, historien social.

Pierre FROMOMT, professeur à la Faculté de Droit de Paris.

Jean GATJMONT, du Comité national de la Fédération des Coopératives

de Consommation. Henri GOUHIER, professeur à la Faculté des Lettres de Paris. Henri GUTTTON, professeur à la Faculté de Droit de Paris. Joseph HAMEL, directeur du Centre d'études internationales de

l'Artisanat. Emiles JAMES, professeur à la Faculté de Droit de Paris. Ernest LABROUSSE, professeur à la Faculté des Lettres de Paris. Jean LACROIX, professeur à la Faculté des Lettres de Lyon. Bernard LAVERGNE, professeur à la Faculté de Droit de Paris. Gabriel LE BRAS, professeur à la Faculté de Droit de Paris. Georges LEFEBVRE, professeur à la Faculté des Lettres de Paris. Pierre RENOTJVTN, membre de l'Institut, doyen de la Faculté des Lettres

de Paris. Max SORRE, président du Centre d'Etudes Sociologiques, professeur à la

Faculté des Lettres de Paris.

Trésorier : F. BOTJDOT, 22, rue Sadi-Carnot, Montrouge (Seine).

C.C.P. Paris 6845.81

Abonnement annuel : France : 1.000 francs. Etranger : 1.200 francs.


Le Socialisme

et le Syndicalisme dans l'Indre

des origines à 1920-1922

Monsieur Georges Thomas, instituteur retraité, est l'auteur des études suivantes consacrées à l'histoire du socialisme et du syndicalisme dans l'Indre. Né le 8 décembre 1883 à Luant (Indre), il fonda, en mars 1911, le -premier syndicat d'instituteurs du département et, à plusieurs reprises, en fut élu secrétaire. Après avoir pris sa retraite en 1937 il fut, pendant deux ans, membre du bureau de l'Union départementale des syndicats ouvriers.

Son manuscrit est inédit à l'exception des premières pages sur le Socialisme qui ont paru, en novembre 1946, dans le Populaire de l'Indre.

Nous le remercions vivement d'avoir bien voulu qu'il soit publié dans L'Actualité de l'Histoire.

J. M.

LE SOCIALISME

Parmi les militants locaux d'aujourd'hui (socialistes, communistes ou syndicalistes), quels sont ceux qui connaissent bien ou à peu près bien l'histoire du socialisme dans l'Indre ? Quels sont ceux qui pourraient raconter ou même simplement citer les principaux événements politiques ou sociaux qui se sont produits dans notre département depuis une cinquantaine d'années ? Quels sont ceux qui ont un souvenir précis des pionniers du socialisme et du syndicalisme dans le Bas-Berry ? On pourrait probablement les compter sur les doigts et peut-être n'aurait-on pas besoin des deux mains.

C'est afin de rappeler aux vieux militants ce qu'ils peuvent avoir plus ou moins oublié et afin d'apprendre aux jeunes, les noms de ceux qui, par de rudes luttes, leur ont frayé le chemin, que je donne ce complément à l'histoire du Socialisme en France.

AVANT 1890

L'histoire du socialisme dans l'Indre ne commence réellement qu'en 1890, car c'est à partir de cette année-là seulement qu'il existe des documents certains.

Pour les cent années qui ont précédé 1890, on ne peut rien affirmer ; on ne peut que s'en tenir aux suppositions.

Il est probable qu'en 1793; des bourgeois, des artisans, des


ouvriers de nos villes et même quelques habitants de nos villages, ont connu les théories des Jacobins extrémistes et les ont approuvées. Quelques années après, en 1796 et 1797, certains de ces hommes ont peut-être été des adeptes de la doctrine des Egaux, de Babeuf et de Sylvain Maréchal. Eux et d'autres ont sans doute appartenu, ensuite, aux sociétés secrètes qu'anima le babouviste Buonarotti, jusqu'en 1837.

Sous la Restauration (de 1815 à 1830) et la Monarchie de Juillet (de 1830 à 1848), il y eut certainement de nos aïeux qui partagèrent les idées sociales de Saint-Simon, de Fourier, de Victor Considérant, de Pierre Leroux, de Pecqueur, de Cabet, de Louis Blanc, de Proudhon et de Blanqui.

Plus tard, d'autres Berrichons de l'Indre eurent, sans doute, connaissance du Manifeste communiste que Marx et Engels lancèrent de Londres et qui fut publié à Paris, quelques jours avant la Révolution de février 1848. Ces mêmes Berrichons ou leurs fils firent probablement partie, ensuite, de la première Internationale des Travailleurs, dont les bases furent jetées à Londres, en 1864, et parmi eux, certains se rangèrent peut-être aux côtés de Marx, tandis que d'autres suivirent son grand rival, Bakounine.

De 1789 à 1890, il y a certainement eu des socialistes dans l'Indre. Mais ils sont restés anonymes et il ne semble point qu'il y ait des documents pouvant les faire sortir de l'ombre dans laquelle ils sont plongés.

DE 1890 A 1900

On sait qu'en 1879, à Marseille, fut fondé le premier parti socialiste français : « La Fédération du Parti des Travailleurs Socialistes de France ». Ses militants, dont les principaux étaient Guesde, Brousse et Lafargue, se livrèrent aussitôt à une intense propagande, à Paris et dans les grands centres industriels de province. Notre département, qui comptait alors plus de ruraux encore qu'aujourd'hui, fut délaissé. Il ne s'y forma donc aucun groupe du nouveau Parti.

Ce Parti, d'ailleurs, ne tarda pas à se diviser. En 1882, ses adhérents se séparèrent et allèrent, les uns au « Parti ouvrier français » ou parti Guesdiste, et les autres à la « Fédération des Travailleurs Socialistes » ou parti broussiste ou possibiliste. Rappelons qu'à cette époque il existait aussi un parti blanquiste « Le Parti socialiste révolutionnaire », et qu'à partir de 1890, il y eut le « Parti ouvrier socialiste révolutionnaire » ou parti allemaniste et des Comités de Socialistes indépendants.

C'est à Issoudun que fut constitué, en 1890, le premier groupe socialiste. Ce groupe adhéra au « Parti ouvrier français » ou, parti guesdiste, et, aux élections législatives de 1893, soutint la candidature de Georges Doré, républicain réformateur, qui obtint 3.343 voix au premier tour et 2.886 au deuxième. Au premier tour, Doré avait eu pour concurrents un républicain modéré, Leconte,


et le docteur Dumont. Au deuxième tour, qui vit le triomphe de Leconte, il eut un troisième adversaire, de Bonneval.

Quelque temps après les élections législatives de 1893, le groupe d'Issoudun disparut et ne fut reconstitué que quelques années plus tard. Il s'affilia alors au « Parti socialiste révolutionnaire » d'Edouard Vaillant ou parti blanquiste, mais lorsqu'il eut reçu l'adhésion de Jacques Dufour et de quelques autres militants du « Parti ouvrier français » ou guesdiste, il revint bientôt à ce dernier parti.

Jacques Dufour, Issoldunois de naissance, avait été ouvrier tapissier, avant de devenir marchand de chaussures. Très populaire, il fut l'âme du mouvement socialiste dans sa ville et dans tout l'arrondissement d'Issoudun. H fonda des groupes guesdistes à Saint-Pierre-de-Jards et à Vatan. Il en créa aussi un à Châteauroux, à côté du groupe socialiste indépendant qui y existait depuis le deuxième semestre de 1893.

Aux élections municipales de 1892, à Issoudun, Jacques Dufour avait été élu avec toute sa liste (liste de concentration républicaine) et avait été nommé maire. Toute sa liste fut également élue au scrutin de ballottage des élections municipales de 1896, avec un nombre de voix allant de 1.541 à 1.934 sur 2.862 votants.

Jacques Dufour était en outre conseiller général du canton d'Issoudun-Nord depuis 1889. Il avait obtenu, cette année-là, 1.638 voix contre 1.567 à Martin, son adversaire. En 1895, il fut élu à nouveau conseiller général du même canton avec 1.470 voix contre 1.062 à son concurrent, Goudereau.

Dufour fut candidat aux élections législatives de 1898, dans la circonscription d'Issoudun. Il eut à lutter contre le docteur Dumont, qui se disait socialiste indépendant ; Doré, républicain réformateur ; Labonne, progressiste indépendant, et Michaud, d'un vague républicanisme. H fut élu député au premier tour avec 6.499 voix, tandis que ses adversaires n'en eurent respectivement que 2.044, 1.985, 1.518 et 596.

Pendant l'année 1898, le groupe d'Issoudun connut d'autres succès électoraux. Par 1.371 voix, Bonjour-Perrochon fut élu au Conseil général pour le canton d'Issoudun-Sud, pendant qu'aux élections au Conseil d'arrondissement pour le canton d'IssoudunNord 773 suffrages étaient accordés au citoyen Tartière.

A cette époque, un autre militant issoldunois avait une influence aussi grande que celle de Jacques Dufour. C'était le pharmacien Octave Martinet qui était très actif et d'un dévouement sans bornes. Lui aussi, il était né à Issoudun. En 1870, alors qu'il était étudiant à Paris, il était devenu Blanquiste et, le 14 août 1870, avec des camarades de son Parti, il avait tenté de s'emparer de la caserne des pompiers de la Villette. Il avait été l'ami des principaux chefs blanquistes : Eudes, Breuillé, Granger, Vaillant, et du grand chef lui-même, de Blanqui, de celui que l'on a désigné sous le nom ae « l'Enfermé », à cause des nombreuses années qu'il passa en prison pour son action politique. Martinet


avait même caché Blanqui à son domicile, alors que ce grand révolutionnaire était traqué par la police. Il avait été un des collaborateurs du journal Ni Dieu, ni maître fondé en 1880, par Blanqui, lorsque celui-ci fut amnistié en même temps que tous les autres condamnés de la Commune de Paris. Bref, Octave Martinet avait été formé à la bonne école. L'intellectuel socialiste qu'il était fut aussi aimé par les vignerons et les ouvriers d'Issoudun que le manuel Jacques Dufour.

DE 1900 A 1905

On sait qu'après l'échec de la tentative d'unification de tous les partis socialistes de France faite en 1900, il s'était formé dans notre pays deux grands partis socialistes : « le Parti socialiste de France » qui comprit le parti guesdiste et le parti blanquiste, et « le Parti socialiste français » qui engloba le parti allemaniste, le parti broussiste et les socialistes indépendants.

Des fédérations départementales ne voulurent pas choisir entre ces deux partis et restèrent autonomes. Octave Martinet suivit le mouvement autonomiste. H constitua à Issoudun, à Reuilly, à Argenton et au Menoux, des Comités républicains socialistes qui, avec les Syndicats du Bâtiment et des Cuirs et Peaux d'Issoudun, formèrent une fédération autonome.

En face de cette Fédération autonome, dont Martinet fut le secrétaire, se dressa une Fédération d'unité révolutionnaire dirigée par Jacques Dufour et qui fut rattachée au « Parti socialiste de France ». La Fédération d'unité révolutionnaire eut des sections à Issoudun, Châteauroux, Reuilly, Saint-Pierre-de-Jards, Vatan, Lizeray et des adhérents isolés à Argenton.

Les deux fédérations rivales organisèrent des tournées de propagande avec le concours d'orateurs de talent venus de l'extérieur. C'est ainsi que, sur l'appel de la Fédération autonome, Fournier, député socialiste de Nîmes ; Gérault-Richard, directeur de La Petite République, et Jean Jaurès, principal rédacteur de ce journal, vinrent faire des conférences dans plusieurs localités de l'Indre ; le premier en 1901 et les deux autres quelques semaines avant les élections législatives de 1902 (1).

Le guesdiste Gustave Delory, député de Lille, visita l'Indre pour le compte de la Fédération d'unité révolutionnaire. Il parla à Châteauroux et dans la région d'Issoudun où il créa des groupes à Thizay et Giroux.

Aux élections législatives de 1902, la Fédération autonome présenta deux candidatures : l'une dans la première circonscription de Châteauroux, celle de Manoury, secrétaire de la Chambre

(1) Elève de l'Ecole Normale d'Instituteurs de Châteauroux à cette époque, j'eus la joie de pouvoir entendre au Théâtre municipal Gérault, Richard et Jaurès dont je connaissais déjà un peu les idées puisque, mes jours de sortie (le jeudi et le dimanche), j'achetais régulièrement « La Petite République ».


consultative des Associations ouvrières de production, et l'autre à Issoudun, celle de Desbordes, militant d'Argenton.

La Fédération d'unité révolutionnaire n'eut qu'un candidat, Jacques Dufour, qui eut à lutter à Issoudun, à la fois contre Desbordes et contre le docteur Dumont, qui se portait avec l'étiquette de socialiste indépendant.

A Châteauroux, Manoury obtint 1.604 voix et ne se maintint pas au scrutin de ballottage. A Issoudun, la bataille fut plus chaude ; Desbordes eut 1.315 voix, Dufour 5.597 et Dumont 5.076. Au deuxième tour, Dufour fut élu par 6.379 voix contre 5.938 au docteur Dumont, Desbordes n'étant pas resté en lice.

Dufour avait été réélu conseiller général d'Issoudun-Nord en 1901, avec 1.408 voix. Trois autres socialistes, les citoyens Lorillaud, Pasquet et Plisson, avaient été aussi élus, la même année, conseillers d'arrondissement dans le canton d'Issoudun-Sud, mais ils n'avaient triomphé de leurs adversaires qu'au second tour avec 1.118, 1.189 et 1.102 voix.

Aux élections municipales de 1900, Dufour n'avait pas été candidat à Issoudun. Il avait patronné la liste socialiste BonjourPerrochon qui avait été élue toute entière au premier tour, avec des nombres de voix allant de 999 à 1.326. Mais, en 1904, il forma une liste contre celle de Bonjour-Perrochon et il remporta une victoire complète. Les 27 élus de sa liste (22 au premier tour et 5 au deuxième) lui redonnèrent l'écharpe de maire de la ville d'Issoudun.

Le 31 juillet 1904, l'adjoint de Dufour à la mairie d'Issoudun, Lamamy-Hémeret, eut 945 voix à l'élection au Conseil général pour le canton d'Issoudun-Sud. Deux autres socialistes furent plus heureux le même jour. Au premier tour, les citoyens Jamet et Devaux furent élus conseillers d'arrondissement d'Issoudun-Nord, avec 1.329 et 1.249 voix, contre deux autres candidats socialistes, Couturier et Berthon, qui n'obtinrent que 865 et 794 suffrages.

A Châteauroux, aux élections municipales de 1904, Bellantant et trois autres candidats du Groupe d'Etudes sociales n'avaient recueilli respectivement que 505, 408, 396 et 347 voix sur 5.303 votants.

Comme on le voit, la seule région de l'Indre qui était alors profondément socialiste était celle d'Issoudun. Alors qu'ailleurs on présentait, sans aucun espoir, quelques candidatures de principe, à Issoudun on se payait le luxe de lutter socialistes contre socialistes.

A partir de 1904, la Fédération d'unité révolutionnaire eut pour organe un journal socialiste de Bourges, Le Tocsin populaire.

DE 1905, ANNEE DE L'UNITE, A 1914

Après le Congrès de la salle du Globe, à Paris (avril 1905), qui réalisa l'unité socialiste en France, les deux Fédérations de l'Indre fusionnèrent pour n'en plus former qu'une seule. La nou-


velle Fédération eut pour organe L'Emancipateur de Bourges et, pour secrétaire, Octave Martinet.

Lorsqu'elle tint son Congrès de Châteauroux (octobre 1906), elle comptait neuf groupes : ceux de Châteauroux, Issoudun, Le Blanc, Reuilly, Niherne, le Poinçonnet, Saint-Pierre-de-Jards, Segry et Giroux. Dans les années suivantes, elle eut des sections à La Châtre, Belâbre, Valençay, Vendoeuvres, Déols, Paudy et Sainte-Lizaigne.

De 1905 à 1914, ses principaux militants, en plus de Martinet et Dufour, furent Aucouturier et Gigot, de Déols ; Bellantant, Boyer, Turin et Lochet, de Châteauroux ; Jabouille, Mongerot, Jamet et l'hervéiste Tixeyre, d'Issoudun ; Ferrant, de Belâbre Tissier, du Poinçonnet et Bigot, de Saint-Pierre-de-Jards.

Ses effectifs, qui avaient été très faibles pendant plusieurs années (58 en 1906, 53 en 1907, 55 en 1908, 53 en 1909, 71 en 1910), alors qu'au congrès d'unité, en 1905, 162 cotisants des deux Fédérations avaient été représentés, commencèrent surtout à grossir à partir de 1911. En 1911, le nombre des adhérents passa à 206. Il était de 262 en 1912 et de 300 en 1914.

LA FEDERATION ET LES CONGRES NATIONAUX DU PARTI UNIFIE

La Fédération fut représentée directement par certains de ses militants dans la plupart des Congrès nationaux que le Parti socialiste unifié tint de 1905 à 1914. Au Congrès d'unité de la salle du Globe, à Paris (avril 1905) assistèrent Dufour et Martinet ; Dufour fut délégué au Congrès de Chalon-sur-Saône (octobre-novembre 1905) et à celui de Limoges (1906) ; Mongerot à celui de Nancy (1907) ; Martinet à ceux de Toulouse (1908) et Nîmes (1910), Bellantant à celui de Saint-Etienne (1909), Dufour et Lebey à ceux de Saint-Quentin (avril 1911) et Lyon (1912) ; Dufour et Ferrant à celui de Paris (novembre 1911) ; Mignot Germain, gendre de Deslinières, à celui de Brest (1913) ; Mignot et Lebey à celui d'Amiens (1914).

Aux congrès de Limoges (1906) et Nancy (1907), les mandats de la Fédération furent donnés aux motions d'inspiration guesdiste sur le militarisme et la guerre et les rapports entre le Parti et les Syndicats. Au Congrès de Paris (novembre 1911), la Fédération vota encore avec la Fédération guesdiste du Nord, mais en 1912, au Congrès de Lyon, une minorité seulement suivit la fraction guesdiste ; la majorité de la Fédération de l'Indre se rangea aux côtés de Vaillant et de la Fédération de la Seine.

P.-S. — D'une lettre que m'a adressée le camarade Delaigue après lecture de mon premier article sur le Socialisme dans l'Indre, je détache les passages suivants qui, j'en suis sûr, ne manqueront pas d'intéresser vivement nos lecteurs.

« Originaire des environs d'Issoudun, j'ai quelques souvenirs assez précis de la naissance du socialisme dans ce coin du département. Je revois parfaitement Jacques Dufour dont j'ai suivi


l'action jusqu'à sa mort. Je le revois venant dans les communes de son arrondissement donner des réunions de propagande et arrivant... en voiture à âne. Je l'entends encore — car j'assistais à ses conférences — terminant invariablement ses exposés par la formule : « Vous travaillerez ainsi à l'avènement de la République, la véritable République sociale », tandis que ses adversaires politiques lui criaient : « Prussien ! ».

« Son action était soutenue par un hebdomadaire édité à Bourges et intitulé : Le Tocsin populaire du Berry. Un vendeur arrivait chaque semaine dans le petit bourg où s'écoula mon enfance, criant d'une voix puissante et amusante le vaillant petit journal. Son appel était repris, multiplié par une douzaine de gosses, et une cinquantaine de numéros s'enlevaient, d'autant mieux que souvent un entrefilet d'intérêt local attirait les curiosités.

« On y trouvait aussi des articles sur la vie politique de Vierzon qui influençait fortement à cette époque celle d'Issoudun, Vatan et Graçay. Je ne me souviens pas" des noms des pionniers du socialisme à Vierzon. Toutefois le nom de Vaillant revenait souvent dans les conversations des hommes de ce temps-là. »

Parlant du groupe de Giroux qui compta jusqu'à 45 membres, Delaigue ajoute : « On y faisait du socialisme, mais aussi de l'anticléricalisme. Chaque vendredi saint, un banquet réunissait au restaurant « Chavarin », 20 à 30 convives qui dégustaient « la fameuse tribale » bien grasse. Mais le groupement cessa d'exister après le départ de l'animateur, un nommé Morel, qui fut quelques années secrétaire de mairie à Niherne. »

LES LUTTES ELECTORALES DE 1905 A 1914

De 1905 à 1914, malgré l'unité, les socialistes de l'Indre n'eurent pas toujours à enregistrer que des succès électoraux. Même à Issoudun et dans la zone rouge, leurs candidats furent parfois battus. Ils durent leurs échecs au fait qu'ils eurent à lutter non seulement contre les partis bourgeois, mais aussi contre d'anciens camarades qui étaient devenus indépendants.

Ainsi, aux élections municipales de 1908, à Issoudun, la liste Dufour, contre laquelle il y eut une liste de concentration républicaine (Dr Guilpin) et une liste républicaine socialiste (Devaux), ne put avoir vingt élus qu'au deuxième tour, la liste Guilpin, seule restée en ligne avec elle au deuxième tour, ayant eu les sept autres élus.

En 1912, la liste Dufour fut mise en minorité par la liste Guilpin qui obtint douze sièges au premier tour et six au deuxième. Elle ne conserva que neuf sièges au scrutin de ballottage et, naturellement, Dufour perdit son écharpe de maire.

Quelques petits gains furent réalisés ailleurs à ces mêmes élections municipales de 1912. Trois socialistes, dont Turin, ouvrier des Tabacs, furent élus à Châteauroux, trois le furent à Reuilly,


deux à Saint-Pierre-de-Jards, un à Déols, un à Vatan et un à Luaut.

Aux élections cantonales de juillet-août 1907, Dufour perdit son siège de conseiller général du canton d'Issoudun-Nord. Aux deux tours il eut pour adversaires Chevalier, Dumont et Devaux. C'est ce dernier qui, en définitive, fut élu avec 1.128 voix contre 1.004 à Dufour, 500 à Dumont et 290 à Chevalier.

Par contre, les socialistes Lorillaud, Pasquet et Plisson furent élus au conseil d'arrondissement pour le canton d'Issoudun-Sud, le 28 juillet 1907, avec 1.636, 1.675 et 1.623 voix.

n n'y eut aucun élu socialiste aux élections cantonales de juillet 1910. A l'élection au conseil général pour Issoudun-Sud, Martinet n'eut que 543 voix. Jabouille et Gernaud n'obtinrent que 967 et 851 voix dans le canton d'Issoudun-Nord aux élections au conseil d'arrondissement et Buessard et Deseulle n'eurent à ces mêmes élections que 538 et 552 voix dans le canton de Châteauroux.

Aux élections cantonales d'août 1913, le siège de conseiller général d'Issoudun-Nord, que Devaux ne brigua pas à nouveau, fut gagné par le réactionnaire Chaput qui eut 1.809 voix contre 1.084 au socialiste Morisseau ; Pasquet, Jamet et Plisson qui, cette fois, étaient patronnés par le Dr Dumont, furent élus conseillers d'arrondissement pour le canton d'Issoudun-Sud, le premier au premier tour et les deux autres au second ,contre les trois candidats du Parti socialiste : Carcat, Bouton et Gautier.

Les élections législatives eurent pour le Parti d'heureux résultats en 1906 et 1910, mais des résultats beaucoup moins satisfaisants en 1913 et 1914.

A Issoudun, en 1906, Dufour, qui, au premier tour, avait eu pour concurrents le Dr Dumont et Coudereau, fut élu au deuxième tour par 7.016 voix contre 5.482 au Dr Dumont. En 1910, il triompha à nouveau au deuxième tour, mais, cette fois, contre le Dr Guilpin et le Dr Dumont. A Châteauroux (lre circonscription), André Lebey, homme de lettres parisien, n'obtint que 943 voix sur 19.429 votants, malgré une brillante campagne de propagande socialiste.

Jacques Dufour étant décédé en 1913, des élections eurent lieu le 22 juin 1913 pour pourvoir à son remplacement à la Chambre des Députés. Le candidat socialiste fut le citoyen Deslinières, auteur de plusieurs livres sur l'organisation de la future société collectiviste. Deslinières obtint au premier tour 4.254 voix contre 4.250 au Dr Dumont et 2.923 au Dr Guilpin. Au deuxième tour, il fut battu par le Dr Dumont.

En 1914, deux socialistes furent candidats aux élections législatives. Boisserie, avocat à la Cour d'appel de Paris, eut 2.521 voix dans la circonscription du Blanc ; Héliès, ancien ouvrier mécanicien et ancien directeur du Magasin de gros des Coopératives ouvrières, eut devant lui, à Issoudun, Chaput, Voisin et le député sortant, Dumont. Au premier tour, 5.128 suffrages lui furent accordés, tandis que Dumont, Chaput et Voisin eurent respectivement

8


3.452, 3.062 et 420 voix. Mais, au second tour, il fut battu par 'Dumont qui était resté seul candidat contre lui.

Ainsi, à la veille de la guerre de 1914-1918, la Fédération socialiste de l'Indre n'avait plus le siège de député que Dufour avait occupé pendant si longtemps. Elle n'était plus représentée ni au Conseil général, ni dans les Conseils d'arrondissement et ne comptait qu'une vingtaine de conseillers municipaux lui appartenant. Mais le nombre de ses adhérents, qui était de 300 environ, avait une très nette tendance vers un accroissement rapide et assez important.

UN GROUPE LIBERTAIRE QUELQUE TEMPS AVANT LA GUERRE DE 1914-1918

Dans un des tomes de « l'Encyclopédie socialiste », Hubert Rouger mentionne Delavaud parmi les candidats de la Fédération socialiste de l'Indre aux élections législatives de 1914. Delavaud fut bien candidat dans la 1re circonscription de Châteauroux, mais il n'était pas socialiste. C'était un libertaire de Déols qui fit un ecampagne abstentionniste analogue à celle que firent d'autres libertaires à Paris ou ailleurs, à cette époque ou à d'autres moments. S'il eut 43 voix, ce fut bien malgré lui, puisqu'il invitait les électeurs à ne point voter.

Delavaud faisait partie d'un petit groupe libertaire qui comprenait de jeunes camarades de Châteauroux et de Déols et qui se réunissait assez fréquemment à la Bourse du Travail de Châteauroux. L'âme de ce groupe, qui s'intitulait « Jeunesse Syndicaliste de Châteauroux », était Maurice Charron, un jeune militant d'une intelligence très vive. Quoiqu'il n'avait fréquenté en dernier lieu que le cours complémentaire de l'école des Capucins de Châteauroux, il possédait un rare talent d'écrivain et d'orateur. Pendant l'hiver de 1913-1914, en compagnie de Delavaud, il fit à Châteauroux, au Poinçonnet, à Niherne, à Saint-Maur et dans plusieurs autres localités des conférences contre la guerre que beaucoup de militants sentaient venir à grands pas. Ces conférences produisirent sur leurs auditeurs ouvriers ou paysans une telle impression qu'on put en entendre parler avec chaleur plus de dix ans après.

« La Jeunesse Syndicaliste de Châteauroux » refusa de se laisser entraîner dans l'Union sacrée quand la guerre fut déclenchée. Elle resta fidèle à la maxime : « Pas un sou, pas un homme pour le militarisme ». Elle approuva Romain Rolland, l'écrivain d'Au-dessus de la mêlée, Guilbeaux de Demain, l'anarchiste suisse Bertoni, l'anarchiste américain Emma Goldmann et l'anarchiste hollandais Domela Nieuvenhuis, etc., qui étaient contre la guerre. Par contre, elle protesta contre l'attitude guerrière de Jean Grave, de Kropotkine et d'autres camarades des Temps Nouveaux, l'hebdomadaire anarchiste d'avant la première guerre mondiale.

Peu à peu, Charron devint anarchiste individualiste. N'ayant


pas été mobilisé à cause de son mauvais état de santé, il écrivit au début de la guerre une petie brochure intitulée Le Mensonge patriotique et, de 1916 à fin février 1918, il collabora, sous le pseudonyme de Pierre Chardon, à Par delà la Mêlée, journal « acrate, individualiste et inactuel » d'Emile Armand.

En mars 1918, alors qu'il habitait Déols, banlieue de Châteauroux, il fit paraître un journal bi-mensuel : La Mêlée, qui portait le sous-titre suivant : « libertaire, individualiste, éclectique ». Les articles qu'il y donnait étaient signés encore Pierre Chardon, Comme collaborateurs, il avait les écrivains individualistes les plus connus : Han Ryner, Maurice Wullens, E. Armand, Florent Fels, P. Calmettes, André Lorulot, Alzir Hella, Gérard de Lacaze-Duthiers, Marcel Sauvage, Genold et Le Rétif (pseudonyme de Victor Serge).

Charron mourut à 26 ans, le 2 mai 1919. Sa compagne, une jeune institutrice, très intelligente aussi, et qui écrivait dans La Mêlée sous les noms de Anne Véronique, était morte six mois auparavant de la grippe espagnole.

Quant à Delavaud, ouvrier jardinier, il ne put se résoudre à faire la guerre. Un jour, en 1915, il quitta le camp militaire d'Azayle-Rideau, passa en Espagne, puis aux Etats-Unis d'Amérique où il resta jusqu'au moment où il ne fut plus mobilisable. Il revint alors en France, mais ne réintégra pas son ancien domicile à Déols. Il se fixa à Marseille où il réside encore aujourd'hui.

La guerre tua le groupe libertaire de Châteauroux, comme elle tua beaucoup d'autres groupes idéologiques. Certains de ses anciens adhérents qui, au lieu d'être individualistes comme Charron, étaient communistes-anarchistes ou syndicalistes révolutionnaires, vivent encore à l'heure actuelle à Châteauroux. S'ils ne militent plus, ils ont du moins conservé l'essentiel de leurs idées d'antan.

LA FEDERATION SOCIALISTE PENDANT LA GUERRE DE 1914-1918

Pendant la guerre de 1914-1918, la Fédération socialiste de l'Indre, comme la plupart des fédérations socialistes des autres départements et la plupart des organisations politiques ou syndicales du Bas-Berry ou du reste de la France, vécut au ralenti.

Privée de ses éléments les plus actifs, c'est-à-dire des militants de 20 à 48 ans, tous ou à peu près tous happés par la machine guerrière, placée en outre devant le régime de l'état de siège et de la censure, elle ne put se livrer à aucune propagande, ni orale ni écrite.

Cependant l'idée socialiste était loin d'être morte dans le département. Les vieux, avec le citoyen Martinet en tête, en conservèrent jalousement la flamme et même ceux qui étaient au front ou dans les formations militaires de l'arrière surent toujours garder le contact avec leurs anciens camarades. Tous, mobilisés ou non, ne manquèrent pas d'apporter une très vive attention

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aux divers courants d'opinion qui se manifestèrent a l'intérieur du Parti au fur et à mesure que se déroulèrent les événements. Et les uns et les autres commencèrent à se classer.

Certains suivirent la majorité du Parti dirigée par Guesde, Vaillant, Sembat, Renaudel, Bracke, Cachin et Compère-Morel, majorité qui estimait que la guerre devait être menée jusqu'au bout, c'est-à-dire jusqu'à l'écrasement du militarisme allemand, pour le triomphe de la justice et du droit.

D'autres se rangèrent aux côtés des militants socialistes de la Haute-Vienne qui, dès le printemps de 1915, s'élevèrent contre le jusqu'auboutisme et demandèrent la reprise des relations internationales.

D'autres encore approuvèrent les efforts faits par Longuet et son groupe pour que le Parti renonce au chauvinisme.

D'autres enfin, comme le signataire de ces lignes, applaudirent aux votes des députés Brizon, Blanc et Raffin-Dugens contre les crédits de guerre et' furent de tout coeur avec les socialistes et syndicalistes de toutes nations qui, malgré les gouvernements, se réunirent deux fois en Suisse, d'abord à Zimmerwald en septembre 1915, puis à Kienthal en avril 1916, pour dénoncer l'union sacrée, protester contre la continuation de la guerre et réclamer une paix sans annexions.

Tous les socialistes de l'Indre saluèrent avec enthousiasme la révolution qui éclata en Russie en mars 1917. Tous se réjouirent du renversement du tsarisme et de l'instauration d'un gouvernement socialiste dirigé par Kerensky. Un certain nombre d'entre eux accordèrent ensuite toute leur sympathie aux bolchevicks russes lorsqu'en octobre 1917, ayant à leur tête Lénine et Trotsky, ces militants s'emparèrent du pouvoir.

Tous, enfin, soutinrent les efforts faits en faveur d'une paix juste et durable par Wilson, président des Etats-Unis d'Amérique, et tous accueillirent avec des transports de joie, en novembre 1918, la double nouvelle de la signature de l'armistice et du déclanchement de la révolution allemande.

DE NOVEMBRE 1918 A LA SCISSION (DECEMBRE 1920)

La paix revenue, les militants socialistes de l'Indre se mirent aussitôt à la besogne. Ils réveillèrent les sections qui s'étaient endormies, reformèrent celles qui étaient disparues et en constituèrent de nouvelles.

Le 1er novembre 1919, la Fédération lança un hebdomadaire : Le Progrès social. Imprimé à Issoudun, ce journal, qui devait vivre jusqu'en mai 1921, eut d'abord comme principaux collaborateurs : Martinet, secrétaire fédéral ; André Redon, Boisserie, Jean Fargès, F. Venault, G. Turin, G. Thomas, Lochet, le Dr Simon ou Schwartz ou Vérax, puis, à partir d'avril 1920, lorsqu'il fut imprimé à Châteauroux, dirigé et administré par la Section socialiste de cette ville, F. Venault, Verax, G. Thomas, Lochet,

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Jean Fargès, Cadeau, Paul Meyer. Il eut une tribune syndicaliste à partir du 18 avril 1920 et la collaboration officielle de l'Union départementale des Syndicats y fut admise en mai suivant.

Aux élections législatives qui eurent lieu le 16 novembre 1919

au scrutin de liste, la Fédération présenta trois candidats : Héliès, Turin et Boisserie, contre la liste réactionnaire de Fougère, la liste radicale-socialiste de Bénazet et divers autres candidats, dont Dumont et Angelo Chiappe. Héliès, Turin et Boisserie eurent respectivement 11.491, 10.991 et 9.909 voix sur 66.446 votants. La liste radicale-socialiste eut un élu au quotient et deux à la plus forte moyenne.

La Fédération eut davantage de succès aux élections municipales du 30 novembre. A Châteauroux, la liste de concentration républicaine de gauche qui comprenait 9 socialistes (Buessard, Duplan, Turin, André, Courant, Baudet, Bellentant, Cogné et Bernard) fut élue toute entière au premier tour contre la liste de Joseph Pâtureau-Miraud. De même, à Issoudun, fut élue toute entière au premier tour, la liste socialiste d'Héliès et de Martinet contre la liste de concentration républicaine Boisfard, D. Guilpin, Comelet. A Déols, 8 socialistes (dont Gigot qui devint deuxième adjoint) furent également élus sur la liste de concentration républicaine et socialiste.

Saint-Pierre-de-Jards et Dun-le-Poélier eurent un conseil entièrement socialiste avec Bigot comme maire pour la première commune et Mardon comme maire pour la deuxième. A Vatan, une majorité socialiste nomma maire Jacquet. Reuilly eut 7 conseillers socialistes, Sainte-Lizaigne 5, Paudy 7, le Poinçonnet 5 (dont Tissier), Buzançais 1, les Bordes 1, Luaut 1, Belâbre 1 (le camarade Ferrant). Au total, la Fédération eut plus de 100 conseillers municipaux.

La victoire socialiste fut encore plus éclatante aux élections cantonales du 14 décembre 1919. Jamet, maire d'Issoudun, fut élu conseiller général dans le canton d'Issoudun-Sud ; Pasquet, Plisson. Gaillard, Martinet, Rousseau et Jacquet furent élus conseillers d'arrondissement, les tçois premiers dans le canton d'Issoudun-Sud, les deux suivants dans le canton d'Issoudun-Nord et le dernier dans le canton de Vatan. Par contre, à l'élection du conseil général pour le canton de Vatan, Héliès fut battu par le réactionnaire Darnault.

Aux élections sénatoriales du 11 janvier 1920, Héliès obtint 88 voix. La candidature d'Héliès à ces élections avait été décidée par le congrès fédéral du 28 décembre précédent, congrès où étaient représentés les sections de Châteauroux, Issoudun, Paudy, Reuilly, Sainte-Lizaigne, Dun-le-Poëlier, les Bordes, Déols et Vatan. La Fédération comprenait alors beaucoup d'autres sections (Le Blanc, Saint-Gaultier, Neuvy-Pailloux, Argenton, Buzançais, etc.) qui n'avaient pu envoyer de délégués à cause de la difficulté des communications.

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DEUXIEME OU TROISIEME INTERNATIONALE

On sait qu'en mars 1919 avait été fondée l'Internationale communiste ou IIP Internationale par un congrès réuni à Moscou sur convocation de Lénine et de Trotsky et qu'aussitôt après le Comité français pour la reprise des relations internationales, transformé en Comité de la IIP Internationale, se livra à une propagande intense pour faire sortir le Parti français de l'Internationale d'Amsterdam ou IIe Internationale et l'amener à la nouvelle organisation.

On sait aussi qu'une fraction du Parti dirigée par Longuet voulait une entente avec les deux Internationales pour la reconstruction d'une nouvelle Internationale, tandis qu'une autre fraction, ayant Renaudel à sa tête, entendait rester fidèle à la IIe Internationale.

En vue du congrès national de Strasbourg qui devait se tenir du 25 au 29 février 1920 et qui avait à son ordre du jour la question de l'Internationale, la Fédération se réunit en congrès à Issoudun le 15 février. A l'unanimité moins trois voix, le congrès se prononça pour la sortie du Parti de la IT Internationale. Deux mandats furent favorables à l'adhésion à la IIIe Internationale, tandis que tous les autres se portèrent sur la motion Longuet dite de reconstruction.

Au congrès de Strasbourg, Martinet, délégué, donna donc les 29 mandats de la Fédération à la motion du Nord qui était pour le retrait de la 11° Internationle, 26 mandats à la motion de reconstruction amendée par Blum et 3 à la motion Loriot pour l'adhésion à la IIIe Internationale.

Après le congrès de Strasbourg, la campagne en vue de l'adhésion à la IIIe Internationale ayant été menée ardemment par le Comité de la IIIe Internationale, puis par Frossard et Cachin au retour du voyage d'enquête qu'ils avaient fait en Russie sur mandat de la Commission administrative du Parti, la question de l'Internationale avait été mise à nouveau à l'ordre du jour du congrès national de Tours (25 au 30 décembre 1920).

Boisserie représenta la Fédération à ce, congrès. Conformément au mandat qu'il avait reçu, il donna 18 voix à la motion Cachin-Froissard et du Comité de la IIIe Internationale pour l'adhésion à la IIP Internationale, 4 à la motion du Comité de la Reconstruction et 1 aux abstentions.

A ce moment, la Fédération de l'Indre, qui était passée de 100 adhérents en 1918 à 710 en 1919, avait payé 900 cartes. Elle devait, hélas ! se diviser bientôt en deux tronçons, la scission ayant été réalisée à Tours.

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LE SYNDICALISME

AVANT 1900

Jusqu'à la fin du XIXe siècle, le département de l'Indre ne compta guère d'entreprises industrielles importantes. Les usines qui employaient le plus d'ouvriers ou d'ouvrières vers l'année 1900 se trouvaient presque toutes à Châteauroux et Issoudun. Au chef-lieu existaient la manufacture des tabacs, la manufacture de draps Balsan, la brasserie de l'avenue de Déols, la brasserie des Marins, l'usine à gaz et plusieurs usines métallurgiques (usine Hidien, usine de Bitray, usine de la rue Saint-Luc sur l'emplacement de l'actuelle usine Debard). A Issoudun, d'assez nombreux ouvriers travaillaient les peaux.

L'industrie des cuirs et peaux occupait aussi quelques dizaines d'ouvriers dans chacune des localités suivantes : Châteauroux, Levroux, Châtillon, Argenton et Vatan. La plupart des porcelaineries que comptent aujourd'hui Villedieu et Saint-Genou fonctionnaient déjà. D'importantes carrières à ciel ouvert étaient exploitées à Ambrault, Clion, Saint-Gaultier et des carrières souterraines fournissaient des pierres de taille calcaires très tendres à Lye, Luçay-le-Mâle et Villentrois. Dans certaines de ces dernières carrières, on avait cessé d'extraire la pierre pour y pratiquer la culture des champignons de couche. A Lye, Villentrois et Luçay-le-Mâle, on faisait aussi la taille du silex, les pierres à feu étant expédiées en Amérique du Sud.

Les mines de fer de Chaillac connaissaient une activité presque aussi grande que celle d'aujourd'hui et des fours à chaux travaillaient alors à plein rendement dans plusieurs centres : Saint-Maur, Chabenet, Vendoeuvres, Saint-Gaultier, Ambrault, etc. La confection de la lingerie était faite à domicile par un grand nombre de femmes et des ateliers de chemiserie étaient déjà installés à Châteauroux, Argenton, Villedieu, Niherne et SaintGenou.

Mais dans toutes les petites agglomérations du département (à l'exception de Villedieu et Saint-Genou), c'était l'artisanat qui dominait. Même à Châteauroux et Issoudun, le plus grand nombre des ouvriers travaillait chez des petits patrons (entrepreneurs de maçonnerie, charrons, menuisiers, serruriers, peintres, cordonniers, bourreliers, imprimeurs, tailleurs de limes, etc.).

Aussi, avant 1900, rares étaient dans l'Indre les organisations syndicales ouvrières, bien que ces organisations eussent été autorisées par la loi du 21 mars 1884. A cause du caractère artisanal qui avait surtout prédominé dans le département entre 1830 et 1884, plus rares encore avaient dû être les associations ouvrières plus ou moins secrètes du type de celles qui, durant cette époque, furent créées dans beaucoup de villes industrielles de France (sociétés d'ateliers, mutualités, résistances, chambres syndicales).

Dans les dix années qui ont précédé 1900, il est un fait que j'ai pu constater et qu'ont pu constater ceux de ma génération :

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d'assez nombreux ouvriers de l'Indre (boulangers, charpentiers, charrons, menuisiers, maréchaux-ferrants, etc.) faisaient encore leur tour de France et adhéraient à des sociétés de compagnonnage dont le siège était à Tours. Vers les années 1890 à 1893, mon père, boulanger de campagne, eut à son service un mitron qui était fier de me montrer sa canne, ses rubans et autres insignes de compagnon du Devoir.

DE 1900 A 1906 : LES SYNDICATS DE L'INDRE S'UNISSENT

En 1900, il y avait à Châteauroux plusieurs syndicats très vivants : syndicats des typographes, de la manufacture des Tabacs, du bâtiment, du drap, des ébénistes, des métallurgistes, des menuisiers, des cordonniers, des brasseurs et des peintres.

Des syndicats des cuirs et peaux existaient à Issoudun et Levroux et la grosse majorité des porcelainiers de Villedieu et de Saint-Genou était groupée solidement sous l'égide de la loi de 1884.

Les bûcherons de Niherne avaient imité ceux du Cher, de la Nièvre et de l'Allier ;' après avoir vainement fait grève en 1891 pour obtenir une augmentation de leurs salaires de famine, ils avaient fondé un syndicat en 1894. Ce syndicat organisa en 1896 une nouvelle grève dont l'issue, malgré l'intervention violente de la gendarmerie, fut plus heureuse que celle de la grève précédente. Les bûcherons de Niherne ne reprirent le travail qu'après avoir imposé à leurs patrons des tarifs plus rémunérateurs pour la levée de l'écorce des chênes.

Les divers syndicats de Châteauroux et des autres localités de l'Indre étaient unis dans des Fédérations nationales aux syndicats de leurs catégories respectives appartenant aux autres départements. Mais ils n'avaient aucun lien entre eux. C'est pour mettre fin à ce regrettable état de choses que furent constituées les Bourses du Travail de Châteauroux et d'Issoudun, la première en février 1901 et la seconde en 1904. Ces deux Bourses furent affiliées à la Fédération nationale des Bourses du Travail dont les principaux animateurs furent Fernand Pelloutier (de 1892 à 1901) et Georges Yvetot (de 1901 à 1914).

La Bourse du Travail de Châteauroux commença à fonctionner le 24 février 1901. Elle eut d'abord son siège au numéro 12, rue du Marché, puis rue Grande, près de la place du Palan, dans un immeuble d'aspect misérable. Quelque temps avant le début de la guerre de 1914-1918, elle fut transférée rue Rabelais dans une assez vaste construction qui se trouvait sur l'emplacement qu'occupe aujourd'hui l'aile du Centre social où sont installés les bureaux de divers services (Caisse primaire de la Sécurité Sociale, Aide sociale, Soins médicaux gratuits). Enfin, au printemps de 1936, elle vint se fixer rue Paul-Louis-Courier, dans la chapelle des anciens Pères, où elle est encore à l'heure présente.

Voici quels furent les membres de sa première commission administrative : Gourin (des Typographes), Delavaud (des Ta15

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bacs), Jubard (du Bâtiment), Pichon (des Ebénistes), Lochet (des Métallurgistes), Rouet (des Menuisiers), Théret (du Drap), Moulins (des Bûcherons et Carriers), Burlot (des Galochiers), Gibault (des Cordonniers), Lejeune (des Brasseurs) et Christophe (des Peintres).

Ed. Marathon (des Typographes) fut le premier secrétaire général de la Bourse du Travail de Châteauroux et le resta jusqu'en 1905, année au cours de laquelle il fut terrassé par la phtisie qui, à cette époque, ne pardonnait pas quand elle frappait les gens de la classe pauvre.

Marathon fut remplacé par J.-B. Lochet (des Métallurgistes) qui fut en même temps secrétaire de l'Union départementale des Syndicats fondée vers 1903 ou 1904. Lochet assuma sa double tâche jusqu'au mois de juin 1920, date à laquelle la confiance des syndicats lui fut retirée pour des raisons dont la valeur, à mon sens, était très contestable, ce que je m'efforcerai de démontrer lorsque j'aurai à parler des grandes grèves de 1920 et de leurs conséquences.

Lochet n'était pas un orateur pouvant tenir longtemps la tribune sur n'importe quelle question syndicale, comme certains militants syndicalistes d'aujourd'hui qui se croiraient déshonorés s'ils ne gardaient point la parole au moins pendant une heure ou deux, même lorsqu'ils n'ont presque rien à dire.

Lochet avait d'ailleurs quelque difficulté pour parler. Mais son bégaiement, qui était assez pénible pour celui qui l'écoutait dans le privé, disparaissait presque totalement en réunion publique. H s'exprimait très simplement, sans gestes inutiles, sans aucune recherche d'effets oratoires. Ses exposés étaient courts, mais substantiels et clairs. Lorsque son intervention était terminée, on n'avait pas à se demander ce qu'il avait voulu dire ; on savait sa pensée exacte sur le point précis qu'il avait traité.

Avant tout, Lochet était un administrateur. Il visitait régulièrement les syndicats qui appartenaient à la Bourse et à l'Union départementale et assistait à la plupart de leurs réunions. Sou,- cieux de respecter l'autonomie des groupes, il ne prenait part aux discussions que lorsqu'il y était invité.

Il était toujours prêt pour se déplacer ou recevoir chez lui des camarades qui avaient besoin d'un renseignement ou d'un conseil. Il n'avait pourtant guère de temps à lui. Comme les appointements que lui servaient les syndicats ne lui permettaient pas de faire vivre sa nombreuse famille, il était obligé de consacrer plusieurs heures par jour à des travaux d'écriture pour diverses administrations publiques.

De tous les militants qui se sont succédé à' la tête de la Bourse du Travail de Châteauroux et de l'Union départementale, il a mérité, à mon avis, d'être cité, sinon au premier rang, tout au moins en très bonne place. Il fut un des secrétaires les plus capables, les plus désintéressés et les plus dévoués que j'aift

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connus. La classe ouvrière, qu'il défendit de son mieux, fut, hélas ! très ingrate à son égard.

Victime d'une méchante cabale, montée contre lui en grande partie par son gendre, Cadeau, un militant alors libertaire, il ne put, à cause de ses opinions bien connues de syndicaliste révolutionnaire, trouver un employeur, ni à Châteauroux, ni dans les autres villes du département, lorsque, obligé de quitter la Bourse du Travail, il voulut reprendre son ancien métier de métallurgiste.

Sa famille et lui vécurent dans une gêne frisant la misère jusqu'au jour où il réussit enfin à être embauché dans l'Aisne, au familistère de Guise. Il vint me rendre visite à Niherne six ou sept ans après son exil forcé. « Les miens et moi-même, me dit-il avec des larmes dans les yeux, nous mangeonl maintenant à notre faim. »

AUX TEMPS HEROÏQUES DU SYNDICALISME

On se rappelle que le congrès de Montpellier (septembre 1902) avait réalisé l'unité ouvrière par la réunion en un même organisme de la Fédération des Bourses du Travail qui existait depuis 1892 et de la Confédération du Travail fondée en septembre 1895 au congrès de Limoges.

On se rappelle aussi qu'au congrès de Bourges (1904) deux tendances s'étaient heurtées très vivement : la tendance réformiste qui avait pour leaders : Keufer (du Livre), Renard (du Textile), Coupât (des Mécaniciens) et Guérard (des Chemins de Fe), et la tendance révolutionnaire dont les principaux chefs de file étaient Griffuelhes (des Cuirs et Peaux), Yvetot (des Typos), Pouget (des Employés de commerce), Monatte (des Correcteurs d'imprimerie), Merrheim (des Métaux), Dumoulin (des Mineurs), Delesalle (des Métaux), auxquels, à partir de 1909, s'ajouta Jouhaux (des Allumettiers).

La première de ces tendances avait été mise en minorité par la seconde qui resta à la tête du comité confédéral jusqu'au commencement de la guerre de 1914-1918, sauf pendant la courte période où Niel fut porté au secrétariat confédéral.

Dans les congrès confédéraux, de 1904 à 1914, les syndicats de l'Indre, à leur presque unanimité, donnèrent leurs voix à la tendance révolutionnaire. Le syndicat du Livre, dans sa majorité, suivit Keufer, le secrétaire de sa Fédération.

A Châteauroux et à Issoudun, l'agitation fut assez intense pour la préparation du 1er mai 1906, date qui avait été fixée par le congrès confédéral de Bourges pour que la journée de huit heures fût exigée par tous les travailleurs.

Le 1er mai, le drapeau rouge du syndicat du Bâtiment fut arboré sur l'immeuble de la Bourse du Travail de Châteauroux. H y eut chômage complet à la manufacture des Tabacs et chô17

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mage partiel dans d'autres usines de la ville. Les ouvriers et ouvrières, qui avaient quitté le travail, défilèrent pacifiquement dans les rues en chantant « l'Internationale » et autres chants révolutionnaires.

Le 2e bataillon du 90 Régiment d'Infanterie (les deux autres bataillons avaient été appelés à Paris pour rassurer la bourgeoisie qui croyait venue l'heure du « Grand Soir ») avait été consigné derrière les murs de,la caserne Bertrand. Chacun des soldats, dont j'étais, avait reçu un paquet de cartouches à balle. Mais, heureusement, les fantassins n'eurent pas à intervenir.

A Issoudun, un cortège parcourut aussi les rues principales de la ville, drapeau rouge en tête, en faisant entendre tantôt des refrains révolutionnaires et tantôt le mot d'ordre de la manifestation : les huit heures ! les huit heures !

Des postiers des plus grosses localités du département participèrent aux deux grandes grèves des P.T.T. qui eurent lieu en 1909 et une cinquantaine de monteurs et de charbonniers du dépôt des locomotives de Châteauroux firent grève quand les cheminots de tous les réseaux, en octobre 1910, se révoltèrent.

En septembre 1911, une campagne énergique fut menée contre la vie chère. Un meeting, qui rassembla de nombreuses ménagères, fut organisé à Châteauroux le 5 septembre. Ce meeting, où parlèrent Mme Adam-Péron (des Tabacs) et Lochet, secrétaire de l'U.D., fut suivi, le 9 septembre, d'une manifestation sur les différents marchés de la ville. Au cours des bousculades qui en résultèrent entre manifestants et marchands, ces derniers eurent à subir quelques dommages (oeufs cassés, étalages renversés, etc.).

L'Union départementale comptait en son sein 17 syndicats avec 2.500 à 3.000 cotisants dans le premier semestre de 1914. Deux syndicats de fonctionnaires y avaient adhéré : celui des tous-agents des P.T.T. en 1909 et celui des Instituteurs en marsl911. Ce dernier groupe, très actif, n'avait guère plus qu'une quarantaine de membres.

Les militants de l'époque les plus en vue étaient : Turin et Mme Adam-Péron (des Tabacs), Tissier (des Carriers du Poinçonnet), Delage (des Bûcherons de Niherne), Guilbaud (des Typographes), Pilochery (du Drap), Lucas (des Cheminots), Cécile Panis, Lorillard et Thomas (des Instituteurs).

PENDANT LA GRANDE TOURMENTE DE 1914-1918

Dès les premiers jours de la mobilisation, en août 1914, les syndicats de l'Indre, comme ceux des autres départements, se trouvèrent amputés de la presque totalité de leurs adhérents les plus dynamiques et, par suite, n'eurent plus qu'une activité très réduite. L'état de siège, qui avait été proclamé dans tout le pays, interdisait d'ailleurs toute action revendicative de quelque ampleur.

L'Union départementale et les Bourses du Travail de Châteauroux et d'Issoudun ne se consacrèrent tout d'abord qu'aux

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oeuvres de solidarité (secours aux réfugiés, envois de colis aux syndiqués mobilisés, aide à leurs familles, etc.). Mais, bientôt, les militants qui n'avaient pas été pris dans les rouages de l'infernale machine de guerre furent amenés à adopter une position nette devant les événements.

On n'a certainement pas oublié que certains dirigeants de la C.G.T.. dont Jouhaux était l'entraîneur, ne gardèrent cas longtemps l'attitude qu'en complet accord avec les autres membres du Comité confédéral ils avaient eue dans la dernière semaine de juillet.

Les premiers coups de feu étaient à peine tirés que la Bataille Syndicaliste, quotidien de la C.G.T. dont ils avaient chassé les rédacteurs qui ne leur inspiraient pas confiance, s'employa à rejeter toutes les responsabilités du conflit sur l'Autriche et l'Allemagne. Elle fut très vite à l'unisson de la presse bourgeoise et, comme celle-ci, ne se lassa point d'affirmer que la guerre mettait aux prises la démocratie et le militarisme, la civilisation et la barbarie.

Jouhaux, sacrifiant à l'union sacrée, entra dans le Comité de secours national aux côtés des délégués de tous les partis et de toutes les opinions philosophiques ou religieuses, accepta le titre de délégué à la Nation et partit pour .Bordeaux avec le gouvernement qui, un peu plus tard, l'envoya en Italie pour engager le peuple italien à sortir de sa neutralité et à se dresser contre les Empires centraux.

Beaucoup de secrétaires d'U. D. ou de syndicats qui. pour une raison ou une autre, n'avaient pas été mobilisés, mais qui craignaient de l'être un jour, s'empressèrent de suivre l'exemple du secrétaire confédéral et firent dans leurs milieux respectifs ce qu'il faisait sur le plan national.

Mais certains syndicalistes révolutionnaires étaient restés euxmêmes. Dès décembre 1914, Monatte avait protesté contre la façon singulière dont le Bureau confédéral s'acquittait du mandat qu'il avait reçu des divers congrès. Puis, au début de 1915, les protestataires étaient devenus plus nombreux. Parmi eux, on comptait Merrheim (des Métaux), Bourderon (du Tonneau), des militants de l'U.D. du Rhône, de la Fédération des Instituteurs et le groupe de la Vie Ouvrière, revue syndicaliste bi-mensuelle fondée en 1909 par Monatte. Ensemble, tous ces militants tentèrent de redonner au syndicalisme français sa physionomie ancienne.

A la conférence confédérale d'août 1915, ils présentèrent, sous les signatures de Merrheim et de Bourderon, une résolution qu'ils opposèrent à celle que Jouhaux avait déposée. Ils y dénonçaient l'union sacrée, affirmaient que la guerre en cours n'était pas la guerre de la classe ouvrière, que seule la lutte de classes devait être la raison d'être de la C.G.T. et que celle-ci avait l'impérieux devoir de travailler de toutes ses forces à une rapide conclusion de la paix.

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La motion Merrheim-Bourderon obtint 27 voix contre 84 à la motion Jouhaux. Parmi les U.D. qui, avec plusieurs Fédérations nationales dont celle des Instituteurs, avaient voté la motion minoritaire se trouvait l'U.D. de l'Indre représentée par Lochet qui, étant infirme d'une jambe par suite d'un accident du travail, avait échappé à la mobilisation.

L'U.D. de l'Indre vota encore avec la minorité à la conférence confédérale de Paris (décembre 1916) et vota la motion d'unanimité de la conférence de Clermont-Ferrand (décembre 1917). La minorité, en effet, sous l'impulsion de Merrheim, avait abandonné la résolution que, la veille de cette conférence, elle avait rédigée à Saint-Etienne, parce que le Bureau confédéral avait accepté de convoquer l'année suivante le congrès confédéral qu'elle exigeait.

L'U.D. de l'Indre, dans sa grosse majorité, approuva les militants socialistes et syndicalistes qui se rendirent à Zimmerwald en septembre 1915 et à Kienthal en avril 1916. A l'unanimité, elle fut de tout coeur avec les révolutionnaires russes, d'abord en mars 1917, puis en octobre de la même année.

Dans une résolution prise en février 1918, résolution qui fut envoyée aux sénateurs, députés et conseillers généraux de l'Indre et publiée dans la presse socialiste et ouvrière de Paris, l'U.D. de l'Indre s'éleva contre la prolongation de la guerre, proclama « son ardent désir de voir le gouvernement français énoncer publiquement, et d'une façon précise, ses conditions de paix » et affirma que la classe ouvrière avait acquis le droit d'être « partie délibérante à la conférence qui décidera la conclusion de la paix ».

A plusieurs reprises, elle demanda la levée de l'état de siège dans toute la France et le rétablissement de toutes les libertés d'avant la guerre.

Cependant, il y avait alors quelque confusion dans les esprits des militants syndicalistes de l'Indre. C'est ainsi qu'au congrès confédéral de Paris (juillet 1918), les syndicats de l'Indre qui y furent représentés oublièrent presque tous que l'U.D. avait. jusque-là, été minoritaire. A l'exception du syndicat des Instituteurs, ils approuvèrent la majorité confédérale.

Les votes qu'ils émirent furent d'autant plus surprenants que le 30 juin précédent, réunis à la Bourse du Travail de Châteauroux en un congrès qui était le premier tenu depuis 1914, ils avaient adopté la motion suivante : « Le congrès regrette l'attitude passive du Comité confédéral au cours des années passées et compte sur l'activité des militants syndicalistes pour que les décisions prises dans les congrès de la C.G.T. soient exécutés fidèlement et avec énergie par le Comité confédéral. »

A ce congrès du 30 juin 1918, qui réélut à l'unanimité Lochet au secrétariat de l'U.D., 11 syndicats sur les 14 qui cotisaient alors à l'U.D. avaient été représentés. Sur les 17 groupes qui formaient l'U.D. dans le premier semestre de 1914, 4 seulement

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avaient versé leurs cotisations en 1915, 5 s'étaient mis en règle avec l'organisation départementale en 1916 et 11 en 1917.

LA GRANDE POUSSEE SYNDICALE APRES LA SIGNATURE DE L'ARMISTICE

La formidable poussée vers les Bourses du Travail, qui s'était produite dès les premiers mois après la cessation des hostilités, avait porté le nombre des adhérents de la C.G.T. à plus de 2 millions. Aussi, gouvernement et parlement s'étaient empressés de jeter du lest. En quelques jours avait été votée la loi instituant les huit heures de travail.

Mais cette concession, malgré son importance, n'avait pas arrêté l'agitation ouvrière. Dans toutes les villes industrielles, les manifestations du 1er mai 1919 furent grandioses. A Châteauroux, en particulier, 3.000 à 4.000 ouvriers et ouvrières défilèrent dans les principales rues avec beaucoup d'enthousiasme, mais dans un ordre parfait.

En juin, de grands mouvements de grève, intéressant toutes les industries les unes après les autres, secouèrent tout le pays. Partout on revendiquait et les revendications formulées n'étaient pas toutes de caractère corporatif. Les syndicats de l'Indre, comme ceux des autres régions, exigeaient l'application intégrale de la loi des huit heures, une amnistie complète tant pour les faits d'ordre politique que militaire, une démobilisation allant jusqu'au désarmement et se prononçaient contre une intervention ouverte ou déguisée dans les affaires de la Russie révolutionnaire et pour le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.

Néanmoins, chez la plupart des militants de l'Indre, tout n'était pas encore très net. On hésitait pour se ranger ou du côté de la majorité ou de celui de la minorité. Ainsi, au congrès confédéral de Lyon (septembre 1919), 16 syndicats de l'Indre votèrent le rapport moral et la résolution présentés par Jouhaux ; seul le syndicat des Cheminots d'Argenton vota contre, tandis que s'abstint le syndicat des Instituteurs.

UNE GRANDE GREVE ET SES CONSEQUENCES

Dans toute la France, le 1er mai 1920, les cheminots s'étaient mis en grève pour imposer la nationalisation des chemins de fer. Leur mouvement avait été appuyé par diverses corporations (mineurs, marins, dockers, métaux, bâtiment, ameublement, gaz, etc.), mais s'était pourtant terminé par une défaite au bout de quatre semaines.

Dans le département de l'Indre, les cheminots de Châteauroux, Issoudun, Le Blanc, Argenton et La Châtre avaient cessé le travail à 95 pour cent ; la grève des tramways départementaux avait été totale à Issoudun et partielle à Châteaudoux, Valençay, Le Blanc et Argenton. Les métallurgistes aussi avaient déserté

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leurs usines (la presque totalité à Argenton et à l'usine Cusson de Châteauroux et 50 pour cent aux usines Debard et Guillon de Châteauroux). Avaient été également en grève la totalité des ouvriers du bâtiment, de la coiffure, du gaz, de l'électricité, des cuirs et peaux et les ouvriers et ouvrières du Tabac, qui avaient voté le 7 mai le principe de la grève, avaient attendu avec impatience, mais en vain, de la C.G.T. l'ordre d'entrer dans la lutte.

Dans tous les syndicats de l'Indre, qui étaient passés à 32 fin 1919 et à 43 au début du printemps de 1920, avait régné le plus grand optimisme ; on y avait eu pendant les dix premiers jours une confiance presque absolue dans une heureuse issue des mouvements engagés, mais ensuite on s'y était inquiété de la façon dont ces mouvements étaient conduits. Aussi, le Comité général des Syndicats, réuni pour déterminer l'attitude qu'aurait à tenir le délégué de l'U.D. au Comité confédéral des 19 et 21 mai, avait donné à Lochet le mandat de blâmer la Commission administrative de la C.G.T. qui, à son sens, avait, jusque-là. trop mollement soutenu les cheminots et de se prononcer pour une grève générale illimitée.

Au cours des débats du Comité confédéral, Lochet apprit que la Commission administrative de la C.G.T. avait été d'accord avec le Bureau de la Fédération des Cheminots pour déclencher la grève, puis pour la diriger. Il apprit en outre que, dans certaines régions très industrielles, le chômage était presque inexistant et faiblissait de jour en jour. Par suite, il ne crut pas devoir blâmer les dirigeants de la C.G.T. et s'abstint lorsque fut votée à une très grosse majorité (96 voix contre 11 et 15 abstentions) la résolution qui concluait à la réprise du travail pour le 22 mai de toutes les corporations, sauf celle des cheminots qui avait décidé de rester en grève.

Un congrès extraordinaire de l'U.D., réuni le 20 juin, reconnut à l'unanimité la probité morale de Lochet, mais le blâma pour n'avoir pas agi comme il le lui avait été ordonné. Seul, le Syndicat des Instituteurs ne voulut pas se permettre de condamner un militant qu'il estimait.

Lochet fut remplacé à la tête de l'U.D. par un cheminot, nommé Pangaud, qui, quinze jours après, donna sa démission pour raisons de santé. Le 5 juillet, Cadeau, gendre de Lochet. devint secrétaire de l'U.D. et devait le rester pendant près d'un an.

Les cheminots de l'Indre payèrent chèrement la défaite de leur Fédération et de la C.G.T. 45 révocations ou congédiements eurent lieu au dépôt de Châteauroux. Bernon, secrétaire du syndicat : Picaudet, trésorier ; Marchaison et Cholon, de la C. E.. entre autres, furent révoqués.

Dans l'Indre, comme ailleurs, l'échec des grèves de mai eut pour conséquence la disparition de plusieurs syndicats et la diminution des effectifs des groupes qui réussirent à rester debout.

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LES TENDANCES DES SYNDICATS DE L'INDRE DE 1920 JUSQU'A LA SCISSION CONFEDERALE Le 11 septembre 1920, sept syndicats de l'Indre participèrent à Limoges à un congrès des syndicats minoritaires du Centre-Ouest. Ces syndicats étaient les suivants : 5 de Châteauroux (Métallurgie, Cheminots, Brasseurs, Employés municipaux, Typos), 1 de Villedieu (Habillement) et le syndicat de l'Enseignement laïque. A ce congrès furent représentées, en outre l'U.D. et l'Union locale de Châteauroux.

Le nombre des syndicats minoritiares était plus du double de celui qui est indiqué ci-dessus. En effet, au congrès confédéral d'Orléans (septembre-octobre 1920), sur les 19 syndicats de l'Indre qui furent représentés pour la plupart par Cadeau et Chaussé et qui comptaient 3.976 cotisants (chiffre donné au congrès par le trésorier confédéral), 13 apportèrent leurs voix à, la minorité qui, malgré l'abandon, en 1917, de Merrheim, Bourderon et Dumoulin ralliés à Jouhaux, groupa 658 syndictas.

Ces 13 syndicats étaient : pour Châteauroux (Ebénistes, Cheminots, Eclairage, Tailleurs, Livre, Ouvriers des P.T.T., Drap, Municipaux), pour Argenton (Habillement, Métallurgistes), pour Reuilly (Habillement), pour Villedieu (Habillement) et le syndicat de l'Enseignement laïque.

Trois syndicats seulement votèrent le rapport moral (Mineurs de Chéniers, Employés des P.T.T. et syndicats des Agents des P.T.T. fondé l'année précédente). Les trois autres, tous les trois de Châteauroux (Brasseurs, Chaussure et Lingerie) s'abstinrent.

Les 13 syndicats minoritaires avaient un total de 2.273 adhérents, les 3 majoritaires un total de 388 et les 3 abstentionnistes un total de 715. N'avait pas été représenté à Orléans le gros syndicat des Tabacs qui, lui aussi, était minoritaire.

En plus des militants d'avant 1914 cités précédemment et qui, tous, étaient restés sur la brèche, les principaux militants de 1920 étaient : Thiolier (des Cheminots), Bertaud et Baumont (des Tabacs), Viraud (des Métaux), Lacôte (du Bâtiment), Bransol (des Tramways), Augras, Baudet et Bodin (des Ouvriers des P.T.T.), Défait et Bernard (des Agents des P.T.T.), Reveau et Boyer (des Municipaux), Chaussé (des Tailleurs), Guertault (de la Lingerie), Delaveau (des Cantionniers), Monjanel (des Contributions indirectes) et Jabouille (des Cuirs et peaux d'Issoudun).

PREMIERS ESSAIS DE PRESSE SYNDICALE

Une tribune syndicaliste avait été ouverte dans le Progrès Social (journal hebdomadaire de la Fédération socialiste de l'Indre publié à Issoudun depuis le 1er novembre 1919) lorsqu'en avril 1920 la rédaction et l'administration de ce journal passèrent à Châteauroux. La collaboration de l'U.D. à cet organe devint officielle

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après décision d'un congrès tenu le 20 mai 1920 et dura jusqu'au 22 mai 1921, date du dernier numéro du Progrès Social.

Les syndicalistes de l'Indre n'étaient pas entièrement maîtres du Progrès Social, mais ils purent s'y faire entendre en toute liberté. Plus tard, à partir de janvier 1922 et jusqu'en septembre 1923, ils eurent un journal dont ils étaient les seuls dirigeants. Ce journal, Travail, fut d'abord mensuel, puis hebdomadaire de novembre 1922 à mai 1923 et redevint ensuite mensuel.

Les principaux collaborateurs de Travail furent Olivier, secrétaire de l'U.D. à partir d'août 1921, et surtout plusieurs militants du syndicat de l'Enseignement laïque : Pierrette Rouquet, Thomas qui en écrivit la plupart des leaders, Ballereau qui en écrivit aussi des leaders et y tint une critique littéraire fort remarquée, même par la presse bourgeoise locale, Lorillard qui y résuma les événements nationaux et mondiaux de quelque importance et Laforêt qui y donna une intéressante chronique agricole.

FONCTIONNAIRES ET OUVRIERS DES SERVICES PUBLICS SE GROUPENT

A la faveur de l'agitation ouvrière, des fonctionnaires de diverses administrations s'étaient groupés en syndicats. Le 21 novembre 1920, à Châteauroux, ils constituèrent un Cartel départemental avec les syndicats de fonctionnaires déjà existants (Enseignement laïque, Agents et Employés des P.T.T.) et les syndicats d'Ouvriers des Services publics (Municipaux, Tabac, Tramways départementaux, Cantonniers).

Le Cartel, dont le secrétariat avait été confié à Thomas (de l'Enseignement"), mena une action énergique pour l'obtention du droit syndical, le relèvement des traitements, la défense de la liberté d'opinion et protesta avec force contre un projet de statut des fonctionnaires" restrictif de libertés et contre les poursuites judiciaires dont étaient alors l'objet certains syndicats de fonctionnaires et, plus particulièrement, ceux de la Fédération de l'Enseignement laïque.

Il organisa de nombreux meetings de 1920 jusqu'à la fin de 1927, époque à laquelle les syndicats confédérés le quittèrent pour se conformer aux ordres de leur C.G.T. Après la scission syndicale de 1922, en effet, le Cartel, comme d'ailleurs l'U.D. (ce que l'on verra plus loin), avait réuni en son sein les syndicats de fonctionnaires et d'ouvriers des Services publics de toutes tendances : confédérés, unitaires et autonomes.

On peut affirmer que, pendant sept ans, l'action syndicale dans l'Indre fut surtout menée par le Cartel des Syndicats de Fonctionnaires et d'Ouvriers des Services publics.

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LES SYNDICATS DE L'INDRE CHERCHENT LEUR VOIE

Sur le plan national, majoritaires et minoritaires, s'accusant réciproquement d'être les responsables de la défaite de mai 1920, se dressaient de plus en plus violemment les uns contre les autres. Partout les syndicats étaient appelés à « se situer ».

Au congrès de l'U.D. tenu à Châteauroux en deux fois, d'abord le 13 mars, puis le 3 avril 1921, ce fut tout naturellement la question de l'orientation syndicale qui retint surtout l'attention. 13 syndicats sur les 19 qui y étaient représentés votèrent une résolution présentée par les syndicats de l'Enseignement, des Ebénistes et des Cheminots de Châteauroux.

Cette résolution condamnait le réformisme et la collaboration des classes, désapprouvait le programme minimum de la C.G.T., déclarait qu'il n'y avait « de salut que dans la Révolution qui est inévitable et proche », réclamait le retrait de la C.G.T. de l'Internationale syndicale de Moscou, mais à condition du maintien absolu de l'autonomie du mouvement syndical français.

La plupart des 13 syndicats qui s'étaient ainsi affirmés furent représentés au congrès confédéral de Lille (juillet 1921) et firent partie des 1.348 syndicats qui désapprouvèrent le rapport moral adopté par 1.557 voix.

Quelque temps après le congrès de l'U.D., le 21 mai 1921, Cadeau donnait sa démission de secrétaire de l'U.D. pour aller résider à Paris. Il devint un des secrétaires de tendance libertaire de la C.G.T.U. lorsque cette centrale fut créée après la Noël 1921, puis, plus tard, entra dans le Comité central du Parti communiste, y resta un certain temps et quitta ensuite le Parti communiste, s'étant rallié, semble-t-il, aux points de vue défendus par Monatte et Rosmer dans la Révolution prolétarienne, revue mensuelle fondée en janvier 1925.

Cadeau avait été remplacé provisoirement par Pilochery (du Drap). C'était surtout pour nommer un secrétaire permanent de l'U.D. qu'avait été convoqué le congrès qui eut lieu à Argenton le 28 août 1921. A l'unanimité des 23 syndicats représentés (33 syndicats cotisaient alors à l'U.D.), Olivier, cheminot révoqué de Périgueux, fut désigné comme secrétaire permanent de l'U.D.

Furent élus aussi à l'unanimité comme membres de la Commission executive de l'U.D. les camarades Planchais (Drap), Lucas (Cheminots), Guilbaud (Typos), Chaussé (Habillement) et Aucouturier (Ebénisterie), tous de Châteauroux.

Les 23 syndicats se déclarèrent « en conformité d'opinions avec les groupements dits minoritaires, c'est-à-dire partisans de la ni" Internationale syndicale de Moscou, sous la condition expresse que les organisations syndicales françaises ne seront subordonnées à aucun parti politique », désirèrent « de tout leur coeur que soit maintenue l'unité ouvrière », se prononcèrent « contre toute scission pour délit d'opinion » et envoyèrent leur salut fraternel « au peuple russe qui souffre actuellement d'une

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famine atroce » et à « tous les camarades emprisonnés pour délit d'opinion ou leur action syndicale ».

AU LENDEMAIN IMMEDIAT DE LA SCISSION CONFEDERALE

L'U.D. de l'Indre, qui comptait un peu plus de 4.500 adhérents à la fin de 1921 (elle avait placé 46.518 timbres d'août 1920 à juillet 1921), s'était fait représenter au congrès unitaire des 22, 23 et 24 décembre 1921, à Paris, par Olivier et Bertaud (des Tabacs), auxquels elle avait donné mandat de voter le retrait des syndicats des C.S.R. (Comités syndicalistes révolutionnaires fondés après le congrès confédéral d'Orléans de septembre 1920).

Lorsqu'en février 1922 la scission confédérale fut définitivement consommée, plusieurs syndicats de l'U.D. restèrent à la C.G.T. de Jouhaux (Tabacs, Eclairage, Typos, Porcelainiers de Saint-Genou) ; d'autres passèrent à l'autonomie (Drap, Municipaux, Lingerie et Couture) et tous les autres allèrent à la C.G.T.U. (Cuirs et peaux d'Issoudun, Bâtiment, Cheminots, P.T.T., Chaussure, Alimentation de Châteauroux, Habillement, Cheminots d'Argenton, Enseignement laïque, etc.).

Mais tous ces syndicats furent d'accord pour rester unis au sein de l'U.D. qui leur servait un demi-timbre, l'autre demi-timbre étant pris par les syndicats à leurs fédérations respectives. Tous soutenaient le journal Travail et y donnaient leurs communiqués et tous participaient aux congrès organisés par l'U.D. et se prononçaient même sur des questions qui n'intéressaient particulièrement qu'une partie d'entre eux.

C'est ainsi qu'au congrès départemental d'Issoudun (18 juin 1922), les 24 syndicats représentés (20 de la C.G.T.U., 3 de la C.G.T. et 1 autonome), après avoir élu à l'unanimité une commission executive où figuraient des militants des trois tendances, désignèrent aussi à l'unanimité Boyer et Olivier pour assister au nom de l'U.D. au congrès constitutif de la C.G.T.U. à SaintEtienne, avec mandat de défendre la contre-proposition de la Vie Ouvrière écartant des statuts de la C.G.T.U. le paragraphe concernant la dictature du prolétariat et de voter l'adhésion à l'Internationale syndicale de Moscou, sous réserve expresse de l'autonomie du mouvement syndical français, condition qui avait déjà été exigée par le congrès d'Argenton du 28 août 1921.

Cette situation, unique en France, dura jusqu'en 1927, année où la C.G.T. obligea les syndicats cégétistes à former une U.D. distincte. Mais, même lorsqu'il y eut une U.D. unitaire et une U.D. confédérée, les syndicats des trois tendances continuèrent à vivre côte à côte à la Bourse du Travail de Châteauroux. Les confédérés se réunissaient dans la salle Jean-Jaurès, les unitaires dans la salle Lénine et les autonomes dans la salle Francisco-Ferrer, Tous possédaient en commun le mobilier et la bibliothèque.

G. THOMAS.

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Le mouvement ouvrier limousin de 1870 à 1939

Monsieur Pierre Cousteix, docteur es lettres, a bien voulu nous remettre — et nous l'en remercions vivement — cette étude sur le mouvement ouvrier limousin de 1870 à 1939. Elle fait partie d'un ensemble sur la vie ouvrière limousine de 1815 à 1939 dont certains éléments sont parus dans les revues : L'Actualité de l'Histoire, L'Information historique, Horizons de la Haute-Vienne.

J. M.

LE MOUVEMENT OUVRIER LIMOUSIN 1) 1870-1885

a) Conditions industrielles.

Lorsqu'on étudie l'évolution industrielle en Haute-Vienne, sous la Troisième République, l'on constate que l'essor industriel manifeste une courbe ascendante suivie d'un déclin pour l'une et l'autre des industries principales : la porcelaine, le cuir. Ces apogées de la production se situent vers 1907-1913 pour la porcelaine, vers 1924-1927 pour la chaussure. Elles furent accompagnées d'âpres revendications ouvrières dont les principales reçurent satisfaction. H semble qu'à partir de 1929 un état d'équilibre soit atteint. Il s'effectue même dans la production un véritable déclin, provisoirement masqué par la crise économique mondiale. Cette crise fut beaucoup plus fortement ressentie en Haute-Vienne, et notamment à Limoges, qu'ailleurs, car aucune initiative patronale ne vint ranimer, vivifier l'industrie. Une tentative faite par les pouvoirs publics pour faire glisser la main-d'oeuvre vers une industrie de relais, la métallurgie de l'armement, n'eut qu'un médiocre succès.

En somme, les tentatives hardies faites par les fabricants de porcelaine pour faire de cette industrie une industrie à rendement échouèrent. Elles se heurtèrent aux habitudes de travail de la population ouvrière, restée individualiste, difficilement capable de se plier à une discipline sévère. Des firmes créées par la dynastie des Haviland, il ne reste à Limoges que de hautes et tristes bâtisses. La porcelaine redevint un artisanat plutôt qu'une industrie, son succès étant fait, non pas d'une production en série, mais d'un élément artistique que l'on s'efforçait de donner, soit aux. formes, soit aux décors des ustensiles. Dans d'autres industries des aspects archaïsants sont également à noter.v

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L'industrie du fer avait laissé subsister, après la décadence des forges au bois consécutive au traité Cobden-Chevalier de 1860, une clouterie et une tréfilerie à Champagnac-la-Rivière. Cet établissement se maintint, contre toute prévision économique, n fut racheté par la maison de Wendel qui lui conserva quelque activité. Il faisait partie des positions de repli des grands établissements de l'Est, possédés par cette famille, et à partir de 1940, il connut une certaine recrudescence d'activité.

Dans la ganterie, le centre de Saint-Junien se développa remarquablement. Il occupait déjà 1.300 personnes, dont les deux tiers de femmes, en 1872. L'emploi des machines pour le dolage (régularisation de l'épaisseur du derme de la peau d'agneau), le dépeçage, l'assemblage et le montage des pièces qui constituent le gant, permit d'augmenter la production. Or, cette industrie, au lieu de se concentrer, tendit au contraire à l'éparpillement. Au lieu des quatre patrons-gantiers importants, contre l'autorité et le prestige desquels s'acharnaient les ouvriers anarcho-syndicalistes, vers 1910, on en compte de plus en plus dans les années qui suivirent. A partir de 1927 et jusqu'en 1930, un prodigieux essor porta la ganterie à un haut degré de prospérité. La crise de 1929-1936 étant passée, la ganterie fit un nouveau bond en avant, et de nombreux ouvriers habiles accédèrent au patronat. Si bien qu'en 1950, plus de 100 patrons gantiers employaient près de 2.000 travailleurs. Cette industrie était d'ailleurs une industrie à domicile ; elle apportait un salaire d'appoint aux familles rurales des cantons avoisinants, et même elle débordait en Charente, du côté de Chabanais. On pouvait constater, d'ailleurs, l'intervention d'un intermédiaire parasite entre le patron et l'ouvrière : le distributeur du travail dans les villages.

Même impossibilité de concentration dans l'industrie de la porcelaine. Au lendemain de 1870, celle-ci fit preuve d'une vigoureuse expansion :. 1.568 fournées en 1870-1871, 2.716 fournées, dont 572 au bois, en 1871-72, 2.561 fournées en 1874-1875, 3.183 fournées en 1882, dont 505 fournées au bois. En 1884, une première crise éclata : 12 fours furent mis en chômage dans cinq fabriques ; 74 fours dans trente fabriques restaient en activité, mais partielle. La production baissait de 50 %. Vers 1882, la porcelaine occupait 5.000 ouvriers pour le blanc et près de 2.000 pour le décor. La production reprit sa marche ascendante, favorisée, en 1894, par l'abaissement des droits de douane des Etats-Unis qui, vers 1884, s'élevaient à 60 % sur la porcelaine décorée. Après la crise de 1896, les grèves de 1905, la production parvint à son apogée en 1907, avec 300.000 mètres cubes : 35 usines employaient plus de 9.000 ouvriers. La production se maintint à un haut niveau jusqu'en 1913 : 300.000 mètres cubes. Elle tomba à 70.000 mètres cubes en 1917, se releva à 240.000 mètres cubes en 1924-25, puis elle fut durement atteinte par la crise.

Les tarifs douaniers américains Hawley-Smoot de 1930 lui portèrent un coup fatal : les exportations aux Etats-Unis, qui se

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montaient à 7 millions de francs en 1912, 23 millions de francs en 1927 (franc papier), tombèrent à 1.200.000 francs en 1933. Depuis, la porcelaine de Limoges ne s'est pas relevée.

Or, il est singulier de constater que la fabrication, si elle a accompli des progrès en ce qui concerne le décor, est restée la même en ce qui concerne la cuisson. Les fours à porcelaine sont des fours intermittents, de même forme que ceux qui furent construits sous la Restauration. Malgré de très nombreux essais, les industriels ne sont pas parvenus, dans les fabriques, à généraliser l'emploi du four-tunnel cuisant au gaz ou à l'électricité. Depuis l'apogée de 1907, l'industrie de la porcelaine semble une industrie déclinante, fière de sa tradition, et mettant l'accent sur la beauté de ses produits renommés, plutôt que sur la recherche d'un rendement capable de faire pièce à la concurrence allemande, japonaise et tchécoslovaque. Le paradoxe industriel est tel que des fabriques de porcelaine, celle de Brigueil-la-Fabrique et celle de Sauviat, parvenaient à se maintenir par l'archaïque procédé de la cuisson au bois, onéreux, mais qui donnait des produits de haute qualité. Les ouvriers étaient accessoirement bûcherons, et leur activité continuait à avoir un aspect saisonnier.

Par ailleurs, l'énorme usine à multiples fours de la Maison Haviland a été fermée en 1931. Ce qui subsiste, ce sont les fabriques telles qu'elles s'étaient constituées sous la Monarchie de Juillet : en 1932, 24 fabriques emploient 3.300 ouvriers, ce qui fait par fabrique un personnel moyen d'une centaine d'ouvriers.

La décoration est demeurée un travail minutieux en atelier, un véritable travail d'art. En 1882, il existait 53 maisons de peintres décorateurs. Ces maisons occupaient des fileurs, fleuristes, figuristes. Ces derniers sont toujours payés aux pièces et travaillaient généralement à domicile. Les « chambrelans » formaient une catégorie ouvrière indépendante et d'esprit pointilleux et anarchique. Le nombre d'ateliers de décor s'accrut : en 1947, 84 entreprises occupaient 400 décorateurs. Et là encore on peut remarquer une progression de l'esp'rit individualiste.

Nous pouvons faire la même remarque pour l'industrie du cuir. En 1872, l'enquête sur les conditions du travail en France fait ressortir un personnel de 400 tanneurs et de 2.000 ouvriers en chaussure (1.300 hommes, 700 femmes). L'essor de l'industrie de la chaussure fut assez lent. En 1893, il existait à Limoges cinq fabriques de galoches occupant 325 ouvriers. Les ouvriers en chaussures, au nombre de 1.200 environ, non compris les travailleurs à domicile, étaient partagés entre quatorze fabriques. La plus importante, la maison Monteux, avait un personnel de 700 ouvriers et ouvrières, parmi lesquelles 300 personnes, ouvrières surtout, travaillaient en chambre. Ce travail à façon s'effectuait en petits ateliers, sous la direction de maîtresses ouvrières. Ce travail donnait souvent lieu à des contestations sur les tarifs. D'autre part, il arrivait qu'un ouvrier fût attaché à plusieurs usines.

En 1912, l'on recensait en Haute-Vienne 23 fabriques, dont 19 à

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Limoges : les autres étaient installées à Saint-Léonard, Rochechouart, Bellac.

C'est autour de 1900 que se situe l'arrivée en France des premières machines américaines pour le procédé « Goodyear » louées, et non vendues, par « l'United Shoe ».

La guerre de 1914-18 provoqua l'essor de l'industrie de la chaussure. Dès 1916, il existait 35 usines. En 1920, 46 usines occupaient 7.914 ouvriers et ouvrières. La chaussure fut pour Limoges un élément indéniable de prospérité durant l'entre deux guerres. Mais là encore, on peut constater que la concurrence de centres comme Paris, Romans, Fougère, Nancy, Pont-de-Larche, réussit à réduire, peu à peu, la part de Limoges dans le marché national. En 1939, néanmoins, la production annuelle de Limoges s'élevait à environ deux millions et demi de paires de chaussures.

Dans ce domaine encore, il est intéressant de noter et le grand nombre de fabriques, 32 fabriques en 1938, et l'activité des travailleurs isolés, opérant dans des petits ateliers, échappant aux rigueurs fiscales ainsi qu'aux lois sur le travail. D'autre part, on peut signaler la dépendance économique dans laquelle les fabricants continuent à se trouver par rapport à P « United Shoe », fournisseur des machines-outils. Les fabricants n'ont pu s'affranchir de cette servitude : les machines sont mises en location par les firmes américaines qui perçoivent une location, rémunération par paire fabriquée. La plupart des fabriques était des sociétés en commandite, dont la raison sociale n'était que le nom du bailleur de fonds. En 1938, six fabriques étaient constituées en sociétés par actions, dont les deux principales de Limoges étaient : Heyraud et Monteux.

Si nous considérons maintenant l'ensemble de la classe ouvrière, nous pouvons constater qu'elle évolua sensiblement sous la Troisième République. Les ouvriers étaient à l'origine recrutés dans les milieux ruraux, et ils conservaient leurs habitudes de sobriété et d'économie. Il s'effectuait, dans les familles, une sorte de promotion ouvrière. Les arrivants prenaient naturellement les emplois de manoeuvres : hommes de four et batteurs de pâte dans la porcelaine, ou bien ils s'engageaient dans les travaux du bâtiment n'exigeant point de qualification. Ces ouvriers continuaient à parler le patois de leur village d'origine et leur nourriture n'était pas différente de celle des paysans. Au-dessus d'eux se créait une sorte d'élite ouvrière, constituée surtout par les ouvriers du décor sur porcelaine, ainsi que par les monteurs en chaussures. Ces ouvriers travaillaient moins durement et ils cherchèrent à s'instruire, soit dans les cours du soir, soit à l'école , primaire, soit dans les universités populaires, ou même par des lectures solitaires. Ce sont eux. les Goujaud, les Noël, les Pressemane, les Chauly, les Broussillon qui constituèrent les cadres du mouvement ouvrier, les guides auxquels la masse accorda, à partir de 1906 surtout, une confiance de plus en plus grande, que les consultations électorales raffermissaient constamment.

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b) Action ouvrière.

De 1870 à 1885, le mouvement ouvrier prend son essor, dans le département de la Haute-Vienne, cherche les moyens et les instruments de son action. Tout d'abord, et avant même la chute de l'Empire, il s'engagea dans le mouvement corporatif. Puis le mouvement d'insurrection communaliste qui s'était ébauché à Limoges, à l'image de la Commune de Paris, provoqua la méfiance et l'hostilité de la bourgeoisie. La répression qui suivit s'accompagna, comme dans toute la France, d'une lente prise de conscience de l'idée de classe. Puis, vers 1880, les velléités révolutionnaires réapparurent et les militants ouvriers se tournèrent vers les comités électoraux pour s'efforcer de faire entendre les revendications ouvrières.

La date de 1885 peut sembler arbitraire pour marquer le terme de ce mouvement. Néanmoins, cette date qui marque, dans le mouvement syndical, une désaffection assez prononcée dont la cause est à rechercher dans les échecs corporatifs qui ont accompagné la crise économique de 1882, est le signal, par contre, d'une agitation ouvriériste suscitée et entretenue par le boulangisme. Le boulangisme passionna et divisa les ouvriers de Limoges. Beaucoup d'entre eux s'y égarèrent. Dans les années qui suivirent, l'action ouvrière s'orienta nettement, peu à peu dominée par les trois concepts d'unité ouvrière, de lutte des classes, de grève générale révolutionnaire.

La résistance à l'Empire, qui avait pris la forme politique en 1869, devint corporative, dès le printemps 1870. Et, tandis qu'un Comité plébiscitaire, formé surtout des notable manufacturiers de Limoges, préparait le vote du 5 mai qui fut favorable à l'Empire libéral et parlementaire, les ouvriers, le corps d'état des porcelainiers en tête, aussitôt suivis par les ouvriers du bâtiment, ainsi que par les tanneurs et corroyeurs, constituèrent des chambres syndicales :

— 30 janvier 1870 : chambre syndicale des peintres sur porcelaine de Limoges ;

— 1er mars 1870 : chambre syndicale des peintres sur porcelaine et moufletiers ;

— 19 mars 1870 : chambre syndicale des useurs de grains, polisseurs et garçons de magasin ;

— L'initiative des ouvriers menuisiers ;

— Chambre syndicale des ouvriers ébénistes et tapissiers :

— La prospérité : corroyeurs et tanneurs.

Comment expliquer cette soudaine expansion syndicale ? Les ouvriers de Limoges étaient en rapport avec l'Internationale ouvrière. En septembre 1869, au 4e congrès de l'Internationale tenu à Bâle, les ouvriers décidèrent l'organisation des travailleurs dans les sociétés de résistance. En mars 1870, deux ouvriers de la manufacture de Sèvres, Minet et Benoit, mandatés par les syndicats parisiens, firent des conférences aux ouvriers de Limoges.

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Une nouvelle génération de militants ouvriers semblait devoir surpasser celle de 1848. Cette génération, à l'encontre des disciples de Pierre Leroux, semble plus décidée et combative. En effet, si l'on examine les différents statuts des chambres syndicales, dont la plupart semblent être copiés sur des statuts-types, l'on constate que ces chambres sont essentiellement des sociétés de résistance. Car, à côté du but qui consiste à soutenir « les membres sans travail par suite de différends avec le patron », certaines, comme l'Initiative des porcelainiers, se proposaient d'intervenir « à l'amiable, autant que possible, entre les patrons et les ouvriers, dès que des questions générales viendront à se présenter ». Cette formule semble exprimer une volonté d'action collective, en vue d'une organisation d'ensemble des rapports entre patrons et salariés. L'Initiative reconnaissait, néanmoins, la valeur des conventions individuelles de salaires, et elle affirmait, dans son article 6, ne vouloir porter aucune atteinte à la liberté du travail.

La Chambre syndicale, l'Initiative des ouvriers menuisiers, qui avait choisi pour devise « justice », exprimait dans le préambule de ses statuts, des considérants d'un ton nettement révolutionnaire : « ...La coalition des capitalistes rend nécessaire la coalition des travailleurs... une part active doit être prise à la lutte économique engagée entre le prolétariat et le système des monopoles ».

L'Initiative des menuisiers, dans son article IV, décidait d'établir la « mutualité de services entre ses membres » et d'organiser « l'échange de produits avec les autres professions... elle aidera à la formation d'ateliers coopératifs entre ses sociétaires ».

L'on reconnaît ici le mutuellisme proudhonien, et il est remarquable de constater que, à peu près seuls, les ouvriers menuisiers parviendront à créer et à maintenir prospères des coopératives ouvrières de production. Cet idéal de P « Atelier social » nous le retrouvons dans plusieurs des chambres syndicales qui se fondèrent dans les années qui suivirent, notamment chez les ouvriers tonneliers qui créèrent, en 1879, « l'Avenir », ainsi que chez les cordonniers. '

Dans ces « balbutiements proudhoniens » s'affirme nettement la solidarité ouvrière. Dans ses premiers statuts, P « Initiative » des porcelainiers se déclarait prête à « apporter son concours à toutes les sociétés ouvrières, à charge de réciprocité ».

Le 2 avril 1870, les syndicats de Limoges, au nombre de quinze, jetèrent les bases d'une chambre fédérale des sociétés ouvrières qui visait à « réformer le mode de répartition des produits, à faire disparaître toutes les formes centralisatrices qui n'ont servi qu'à maintenir les travailleurs dans un état de sujétion absolue ». La chambre fédérale se proposait d'entretenir des rapports avec tous les autres groupements fédératifs du territoire.

Echangisme, fédéralisme, telle semble être l'idéologie des promoteurs des premières chambres syndicales. Cette idéologie proudhonienne était celle de l'Internationale ouvrière en ses débuts.

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C'était aussi celle des proscrits limousins de Londres ; tout au moins de Talandier. A l'influence de Proudhon semble s'ajouter celle de Bakounine qui, dans ses « Lettres à une Française sur la crise actuelle », souhaitait briser l'administration bonapartiste... et « rendre la liberté d'initiative à toutes les provinces, à toutes les communes de France ».

Le 28 avril, les chambres syndicales de Limoges s'installèrent dans un local, au 3 de la rue Palvézy. Et, dès le 4 septembre 1870, elles constituèrent une société populaire qui reconstituait le club de 1848.

C'est par les syndicats et par la Société populaire que va se former l'idée d'une commune économique qui devait absorber là commune administrative. Les proscrits de retour de l'exil, tels que Lorgue et Lebloys, militèrent au sein des associations ouvrières. Cependant, à côté de la Société populaire se créa bientôt une société qui groupait surtout les membres de la bourgeoisie libérale : la « Défense républicaine ». Cette société tint ses réunions chez le vieux républicain Derignac, rue du Canard. Ces deux sociétés ne parvinrent pas à former un comité d'entente qui eût pu associer la force ouvrière à l'esprit politique des bourgeois républicains instruits.

Chaque société, au cours de cet hiver tragique, menait son action propre. La Société de défense républicaine soutenait la résistance, encourageait la formation des compagnie de francstireurs qui allèrent combattre dans l'armée de la Loire. Talandier, de retour à Limoges, y réclamait la révocation et l'indignité nationale pour les fonctionnaires de l'Empire. De son côté, la Société populaire suscita un plan de défense départementale, appuyé par le général Trochu et poussa au recrutement des volontaires armés.

Le 26 décembre, les élections municipales de Limoges se terminèrent par un scrutin blanc : sur 11.421 électeurs inscrits, il n'y eut que 2.381 votants, moins du quart des électeurs inscrits. Le 3 janvier 1871, un nouveau scrutin permit aux candidats unis de la Société républicaine et de la Société populaire d'être élus.

En janvier, une grève éclata parmi les ouvriers de la maison Gibus, toujours à propos de l'irritante question de la « fente ». En effet, après la fermeture de ses ateliers, sous prétexte d'inventaire, la maison Gibus avait prévenu les ouvriers qu'ils auraient à payer toute la fente, en violation de l'arrangement de 1864. Les protestations ouvrières lui firent renoncer à cette prétention. Toutefois, la maison voulant imposer à ses ouvriers l'entrée à l'atelier et la sortie au son de la cloche, la grève fut décidée. C'est alors que la Chambre syndicale décida la mise à l'index de la fabrique. Cette mise à l'index, faute d'une discipline ouvrière, ne fut pas observée.

Le 18 mars, la Commune de Paris s'était instaurée. Quelle allait être l'attitude des bourgeois et des ouvriers républicains en cette occurrence ? Talandier se déclara, le 2 avril, dans le journal la

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Défense républicaine, contre l'instauration d'une Commune à Limoges. L'inertie des masses qui, en 1870, ne faisaient qu'encombrer les chantiers communaux, ne lui semblait pas de bon augure : « Vingt ans de soumission abjecte à une honteuse tyronnie, écrivait-il, ne peuvent être tout à coup suivis d'une résurrection brillante et spontanée ». La République, vue de l'exil, lui avait semblé belle. De retour en France, il constatait amèrement que les fonctionnaires qui avaient prêté serment à l'Empire restaient en place et, d'autre part, il craignait que le révolutionnarisme anarchiste des ouvriers ne les conduisît à une émeute. Il déplorait aussi le manque de dignité des ouvriers qui travaillaient aux chantiers communaux, et qui ne mettaient aucun empressement à rechercher un travail normal.

Or, le comité directeur de la Société populaire avait envoyé un délégué au comité central de la Commune de Paris, parti dans la nuit du 21 au 22 mars. Il prit connaissance du rapport de ce délégué et la société vota un ordre du jour au peuple de Paris pour sa conduite du 18 mars.

Le 4 avril 1871 eut lieu, sous l'impulsion des membres les plus exaltés de la Société populaire, une tentative d'insurrection communaliste. Ce jour-là, un détachement du 9° de ligne qui partait de Limoges pour Versailles fut désarmé par la foule. Les soldats se rendirent à la mairie et ensuite au siège de la Société populaire, rue Palvézy. Le soir, la Garde nationale qui avait reçu, les 26 et 27 mars, 3.000 fusils à pistons sur la réclamation instante du Conseil municipal dans sa séance du 21 mars, se rassembla. A la mairie, la Commune fut proclamée. L'horloger Rebeyrolle demanda que la Garde nationale se portât sur Paris, puis que les trains de troupe qui étaient dirigés sur Versailles soient arrêtés. Puis la Garde nationale, escortant les conseillers municipaux, marcha vers la préfecture, afin de savoir si les sympathies du préfet étaient pour Paris ou pour Versailles. La préfecture envahie, la troupe régulière intervint. Des coups de feu éclatèrent, au moment où une patrouille de cuirassiers, commandée par le général Billiet, débouchait par la rue des Prisons, sur la place de la Préfecture. Le colonel fut tué. Les barricades s'élevèrent sur la rue des Prisons et rue Pennevayre. Une Commune fédéraliste avait été proclamée en même temps que celle de Limoges à Solignac, sous l'impulsion des ouvriers porcelainiers de cette petite localité. Elle fut dissoute en même temps que celle de Limoges.

L'état d'esprit insurrectionnel de la population de Limoges s'expliquait, et par le licenciement des ouvriers employés aux chantiers communaux, et par les élections du 8 février des représentants à l'Assemblée Nationale : la liste conservatrice, sous l'influence des ruraux encore une fois, l'avait emporté de 30.000 suffrages sur la liste républicaine, et les notables légitimistes naturellement soutenaient l'action répressive de Thiers, contre la Commune.

Le 9 avril 1871, Limoges et ses environs furent mis en état

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de siège, la Garde nationale et la Société populaire dissoutes. Le club de la rue Palvézy fut fermé. Le 12 avril, le conseil municipal de Limoges fut lui-même dissous. Tous les corps constitués, en grande tenue, assistèrent aux funérailles du colonel Billiet. Un conseil de guerre condamna à la peine de mort par contumace les ouvriers Dubois et Rebeyrolle.

Encore une fois, l'action précipitée, irréfléchie des militants ouvriers avait provoqué, dans la population, un fâcheux effet. Les mesures d'autorité prises par le gouvernement de Versailles témoignèrent d'ailleurs de l'esprit de défiance qui l'animait à l'égard des franchises communales : en effet, la loi municipale conférait au pouvoir exécutif le droit de nommer les maires et les adjoints dans les villes au-dessus de 20.000 âmes.

En avril 1871, de nouvelles élections municipales eurent lieu. La liste républicaine populaire qui affrontait, en plein état de siège, la liste libérale indépendante, eut 17 élus, en face de 16 libéraux. Talandier invalidé, les deux partis furent à égalité de nombre. Le maire choisi parmi les libéraux, les conseillers républicains démissionnèrent. Dans le département de la HauteVienne, les républicains l'emportaient seulement dans les petits centres industriels, tels qu'Ambazac, Saint-Léonard. Les campagnes demeuraient conservatrices.

L'échec des tentatives communalistes et des tentatives fédéralistes provoqua, chez les ouvriers de Limoges, un retour sur soi-même. Jusqu'en 1879, l'action' ouvrière resta sur un plan strictement corporatif. Néanmoins, les chambres syndicales commencèrent à se réunir dans les premiers mois de l'année 1872, parfois clandestinement. La situation économique demeura prospère jusqu'en 1884. De nouveaux syndicats se formaient : la Solidarité des ouvriers et ouvrières de la cordonnerie de Limoges en 1877, le syndicat des ouvriers charpentiers de Limoges en

1878, les syndicats des ouvriers du fer et carrossiers, des tonneliers, des maçons et ouvriers de pierre, les useurs de grains en

1879, des ouvriers gazetiers en 1881, des peintres céramistes, typographes, polisseurs de porcelaine, manoeuvres des fabriques de porcelaine, peintres en bâtiment, en 1882, des sabotiers, cordonniers, limonadiers en 1883, des plâtriers, gantiers de Saint-Junien, ouvriers en chaussures en 1884, des chapeliers en 1885.

Le nombre des syndicats s'élevait donc, il passait de 5 syndicats en 1878, avec 483 adhérents, à 16 syndicats et 989 adhérents en 1884. Dans les années qui suivirent, et jusqu'en 1893, le mouvement syndical subit une crise de recrutement.

Durant ces quinze années, des conflits du travail, mais peu nombreux, éclatèrent. Les grèves furent pour la plupart motivées par des réajustements de tarifs, elles n'intéressaient qu'une catégorie limitée d'ouvriers et non point l'ensemble des fabriques. L'unification des tarifs était loin d'être réalisée dans la porcelaine, et le travail s'effectuait toujours à façon.

En mai 1871, la Chambre syndicale l'Initiative soutint une

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grève des tourneurs de bols qui réclamaient 20 % d'augmentation, qui se poursuivit jusque dans la seconde quinzaine de juin. Réussite partielle.

En août 1873, les tourneurs d'assiettes d'une fabrique demandèrent une augmentation de salaire de 10 %. Le fabricant refusa et congédia une vingtaine d'ouvriers que les autres fabricants mirent à l'index. L'agitation ouvrière augmentait, les patrons envisagèrent la fermeture des fabriques. L'attitude résolue des patrons semble avoir incité les ouvriers à renoncer à l'amélioration de salaire.

Ces échecs incitèrent les ouvriers à plus de circonspection. Valière, l'un des délégués des ouvriers de Limoges au Congrès ouvrier de Paris en 1876, s'exprimait ainsi dans son compte rendu de mandat : « la grève ne peut rien résoudre ».

En 1880, les sabotiers revendiquèrent par la grève une augmentation des salaires. Ils furent soutenus par des versements effectués par les syndicats voisins.

En mai 1882, éclata une grève des tourneurs de soucoupes. Ceux-ci réclamaient l'unification des tarifs des fabriques. La moitié des fabricants accepta le tarif présenté, ceux qui refusèrent furent abandonnés par leurs tourneurs de soucoupes, mais ils se fournirent chez leurs confrères. En novembre, le syndicat patronal présenta à son tour aux ouvriers des différentes fabriques un tarif des soucoupes inférieur à celui que certains fabricants avaient auparavant accepté. Le 1er décembre, les ouvriers, après une réunion à la Chambre syndicale, refusèrent le tarif patronal. Le lendemain, ils reçurent leur huitaine, Il s'agit là d'un lock-out portant sur une certaine catégorie d'ouvriers.

En janvier 1883, le nombre des grévistes s'élevait à 163. Le comité de grève reçut, le 6 janvier, un secours de 600 francs de la Chambre syndicale de Nevers. Les grévistes envoyèrent un délégué à Paris, lequel, quelques jours plus tard, se rendit en Angleterre pour demander des secours aux Trade-Unions : il obtint 625 francs des mécaniciens, 175 francs des emballeurs et 155 francs des peintres et décorateurs. Le Syndicat parisien de la céramique fit parvenir, de son côté, 1.300 francs.

La grève des tourneurs de soucoupes entraînait le chômage d'un nombre croissant d'ouvriers. Le 17 janvier, 2.400 ouvriers étaient sans travail. Le 19 janvier, une entrevue eut lieu entre le maire et les principaux fabricants en vue d'une conciliation. Le 27 janvier, dans les 31 manufactures de la ville occupant normalement 3.900 ouvriers, l'on comptait 205 grévistes et 1.893 chômeurs. Chez Haviland, 500 ouvriers étaient mis sur le pavé. Le 31 janvier, après une entrevue entre le préfet et le maire, d'une part, et le comité de grève, d'autre part, la Chambre syndicale annonça, dans une lettre au préfet, que les ouvriers, écartant la question du tarif général, s'en remettaient à des accords individuels en prenant la conciliation pour base.

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Le déficit dans la production avait été de 62 fournées en janvier 1883.

Le 6 février 1883, le conflit prit fin par un arbitrage du président du Conseil des prud'hommes qui fit état de l'augmentation de 10 à 12 % accordée aux ouvriers tourneurs par la Chambre syndicale des patrons.

Les ouvriers contestèrent cette augmentation, en prétendant qu'elle se limitait à la façon des soucoupes ordinaires, qui avait été portée à 2 fr. 50 le cent.

Une fois encore, la grève se termina par un compromis, sans que les ouvriers pussent obtenir un maximum de satisfaction. Il en sera souvent ainsi, et il apparut, au bout de nombreuses années, que la grève était souvent une arme à double tranchant, frappant les grévistes parfois plus durement que les fabricants.

Entre 1871 et 1875, l'action ouvrière avait subi en France une sorte de repli ' consécutif à l'échec de la Commune. La volonté de lutte s'était amoindrie. Le congrès de Paris de 1876, par l'importance de ses débats, peut être considéré comme marquant une renaissance du mouvement ouvrier. L'un des délégués de Limoges à ce congrès, l'ouvrier formier Gérald Malinvaud, rédigea en cette occasion un très intéressant rapport, qui peut être considéré comme un témoignage de la pensée ouvrière de cette époque. Malinvaud fait partie de l'élite ouvrière, il gagnait 10 francs par jour. Il était fier de sa femme économe, de sa fille habile, de son fils apprenti lithographe, et gagnant 1 franc par jour. U a lu les bons auteurs, il cite Montaigne, Sismondi. Tout imprégné de l'humanisme optimiste de Proudhon, il fait l'éloge de la famille, de la mère éducatrice. Il se méfie de la culture livresque, abstraite que l'on donne dans les écoles secondaires, et au jeune bourgeois pâli par les veilles, il préfère l'ouvrier rempli de bon sens, aux moeurs rangées, formé par l'enseignement général et professionnel : sciences, dessin ordinaire, dessin linéaire, modelage. Il s'élève contre certaines lectures d'atelier, caractéristiques de la vie ouvrière de Limoges, et qui accordaient trop aux rocambolesques aventures d'Eugène Sue. Au sujet de l'association, il souhaite l'abrogation des articles restrictifs du Code pénal. Mais, affirme-til, les Chambres syndicales ne sont qu'une institution transitoire, car les classes sociales doivent disparaître, grâce à une permutation permanente des richesses. En ce qui concerne la production industrielle, il fait la critique des sociétés ouvrières de production qui toutes ont liquidé avec perte et qui ont trop souvent fait naître, chez les associés, l'esprit chimérique de la richesse. Il préconise, au contraire, l'échangisme de la manière de Proudhon, et dans le crédit, et dans la consommation. Toutefois, son sens de la famille et de la responsabilité personnelle lui fait repousser le système phalanstérien. Il semble plus mutualiste que coopérateur.

L'attentat à l'ordre que constitue le chômage lui semble monstrueux. Et, pour éliminer cette plaie sociale, il souhaite une con37

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sommation accrue, favorisée, selon lui, par l'échangisme souple et mobile préconisé par Proudhon.

Enfin, il prend parti pour la représentation directe des ouvriers au parlement.

Son humanisme est un scientisme, un positivisme, un corporatisme non point coupé de ses bases naturelles, mais au contraire nourri d'éléments vivants : liberté et responsabilité personnelles, autorité du père de famille, sentiment de l'autonomie ouvrière.

Malinvaud croyait à la science politique, non pas celle du libéralisme économique qui faisait du travail manuel une valeur purement économique, valeur obéissant à la loi de l'offre et de la demande, mais à la science positive de l'humanité, basée sur le système de la réciprocité.

Malinvaud exprimait un humanisme ouvrier qui devait être celui des ouvriers limousins avant que ne se développe le collectivisme guesdiste. Certes, il reprend, dans son écrit, les idées exprimées par Tolain dans son rapport de 1867 à l'Internationale ouvrière, mais avec un accent personnel, une conscience de classe puisée, non pas dans une analyse économico-politique, mais dans l'étude des vérités morales qu'un ouvrier éduqué découvre par la pratique journalière du travail.

Son collègue Valière, ouvrier en porcelaine, fut, la même année, l'un des délégués ouvriers à l'exposition universelle de Philadelphie. Ce qui frappa son imagination, ce fut l'organisation sous une forme en quelque sorte maçonnique des sociétés de secours mutuels américaines, ainsi que le développement de l'instruction, laquelle était obligatoire dans l'Etat de New-York. Lui aussi était mutuelliste et, en marge de son rapport, il réclama l'abrogation de la loi Le Chapelier et de l'article 291 du Code pénal. Il croyait à l'association pouvant permettre, grâce aux caisses d'économie, la création de coopératives de production. Il ne semble pas étranger aux tentatives de tronsformation de la chambre syndicale des porcelainiers, l'Initiative, en une coopérative de production, la Céramique de Limoges, qui s'effectua en 1874. Il avait été le correspondant de la première Internationale à Limoges. Syndicaliste comme Varlin, il voyait dans le syndicat une sorte de société ouvrière de production en puissance plutôt qu'une association de résistance.

Vers 1882, les chambres syndicales de Limoges se tournèrent vers les comités électoraux, au nombre de trois : le Cercle de l'Union Convervatrice, formé des légitimistes, le Cercle catholique, le Cercle de l'Union des Travailleurs. Ce dernier cercle, à tendance radicale, comptait 200 membres. Il prolongeait la Société de défense syndicaliste républicaine de 1870.

Or, vers cette époque, le sentiment de classe se répandait en France, grâce à Guesde et à son journal l'Egalité. En 1880, Allemane, ancien communard, rentra en France. Il s'efforça de constituer un groupement ouvrier révolutionnaire. Le 16 mai 1883, il donna une conférence à Limoges, présidée par Gérald Malinvaud

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ayant comme assesseurs Boudaud et Thabar, conseilleurs municipaux. C'était au lendemain de l'échec de la grève des tourneurs de soucoupes. Allemane insista sur la nécessité d'organiser le parti socialiste. Cet ouvrier typographe réclamait, à un moment où le problème scolaire retenait l'attention, la totale gratuité universitaire. Son action fut, à coup sûr, féconde, car elle provoqua la création du Cercle de l'Avant-Garde, qui fut dirigé par Tabaton-Thuilière. Ce cercle ne prit jamais une très grande extension, mais il était formé d'ouvriers possdant un vif sentiment de classe, qui s'opposèrent au « possibilisme » broussiste. Le cercle, chaque année, honorait le souvenir de la Commune par un banquet qui se terminait par les chants de l'Insurgé, de la Carmagnole.

En 1885, néanmoins, l'éducation sociale des ouvriers de Limoges n'en était qu'à ses débuts. Cependant, le rétablissement du scrutin de liste par département permit, aux élections législatives d'octobre, d'enregistrer un net succès démocratique. La liste radicale, où figurait l'avocat Planteau, qui se disait socialiste, l'emporta, avec un nombre dé voix s'élevant à plus du double de la liste conservatrice, où figuraient des légitimistes comme de Léobardy, des bonapartistes comme Nouailhier. Et cela, grâce à l'appoint appréciable des voix ouvrières.

2) 1885-1914 a) Mouvement politique.

Le mouvement ouvrier, dans le domaine de la politique, reçut son impulsion des syndicats corporatifs qui suscitèrent peu à peu dans les masses ouvrières et paysannes un sens social que les militants socialistes éduquèrent. Ces masses,, d'abord sous la dépendance des familles légitimistes cléricales, puis des familles républicaines radicales et anticléricales formèrent peu à peu des cellules politiques organisées.

La lecture des journaux ouvriers qui, à partir de 1896, exprimèrent tour à tour les intérêts des travailleurs, contribua à l'unité du prolétariat.

De 1885 à 1914, le parti ouvrier se forma, s'organisa, assura sa doctrine. L'unité réalisée en 1905, il fit en quelques années la conquête électorale du département. Dès 1914, cette conquête était réalisée dans le domaine de la représentation à la Chambre des députés et plusieurs municipalités, notamment celle de Limoges, adhéraient au socialisme.

L'esprit de classe et la tradition révolutionnaire, persistèrent d'abord, nous l'avons vu, dans le « Cercle de l'Avant-Garde socialiste », qui conservait fidèlement le souvenir et l'esprit de la Commune et, par-delà le Second Empire, celui de l'insurrection de juin 1848. Durant toute son existence, l'Avant-Garde apparut comme une chapelle révolutionnaire fermée, anti-autoritaire, se

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méfiant des pouvoirs, jalouse de son indépendance. Il n'y eut pas en elle la puissance d'expansion qui sera contenue plus tard dans les cercles guesdistes, mais elle exprime une pureté révolutionnaire sans compromission.

L'Avant-Garde soutint en 1889, au moment du mouvement boulangiste, la candidature ouvrière de Boudaud ; celui-ci, un couleur de moules, avait une grande influence sur les ouvriers, surtout sur les porcelainiers. La campagne électorale opposait les candidats boulahgistes, dont le chef était Le Veillé, candidat à Limoges, et le bloc des républicains. Le Comité départemental boulangiste, affilié au Comité républicain national, fut extrêmement remuant ; il comprenait des ouvriers, trompés par la démagogie plébiscitaire, et même de rares dissidents de l'Avant-Garde, lesquels, entre le ferrysme et le boulangisme, optaient pour le boulangisme. Les agents électoraux du mouvement se recrutèrent chez des hommes du peuple, abusés par la démagogie et l'ouvriérisme des candidats boulangistes. Au 'cours d'une réunion organisée par le Cercle socialiste de PAvant-Garde, 400 ouvriers étudièrent l'opportunité d'une candidature ouvrière dans la première circonscription de Limoges, Boudaud fut désigné. Sa campagne électorale se réduisit à quelques réunions publiques au cours desquelles fut développé le programme ouvrier : suppression du Sénat, mandat impératif. Boudaud, au cours d'une réunion organisée par le député Périn, prit la parole, devant 800 électeurs pour défendre son programme. Les listes de souscription que l'on fit circuler en sa faveur rapportèrent peu. Dans les ateliers de peinture, l'on soutenait ouvertement la candidature de Périn, qui avait été préfet républicain en 1870. Boudaud obtint 1.737 voix ouvrières au premier tour. Périn s'étant désisté en faveur de Le Play, sur lequel s'opérait la concentration républicaine, l'on assista à ce compromis paradoxal : le catholique et conservateur Le Play, qui avait néanmoins adhéré explicitement à la république, fut soutenu par le Cercle démocratique des travailleurs, radical et ferryste. Malgré cette alliance, Le Veillé passa, grâce à l'appoint des voix ouvrières. Dans les autres circonscriptions, les modérés l'emportaient, sauf à Rochechouart ; le boulangisme turbulent avait trouvé des adeptes à Saint-Junien.

L'échec électoral de Boudaud s'explique par l'impréparation politique de la classe ouvrière. Le prestige de la classe bourgeoise restait intact, et les mythes sociaux, les idées-forces favorables à la classe ouvrière n'avaient encore que peu d'efficacité, en face des idéaux d'ordre et de progrès qui animaient la petite bourgeoisie.

Le seul cercle révolutionnaire, l'Avant-Garde, disposait de peu de moyens de propagande, de peu de fonds, si ce n'est les collectes faites dans les ateliers à l'occasion d'une élection.

Aux élections de 1893, l'on assista aux derniers soubresauts de l'ouvriérisme démagogique des avocats anciens boulangistes. Ces élections furent dominées, à la campagne qui restait inorga40

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nisée, par le parti modéré, sauf à Saint-Junien où le radical opportuniste Codet en pipant des voix ouvrières, l'emporta ; à Limoges, par l'influence croissante des syndicalistes ouvriers. En effet, deux candidats acceptèrent le programme économique et social émanant de la Fédération des syndicats ouvriers, et exprimé dans les conclusions du Congrès' des Chambres syndicales de Paris : le radical-socialiste Labussière, qui avait l'appui des Loges, et l'allemaniste Boudaud, candidat de la « concentration ouvrière ». Dans sa profession de foi, imprimée en petit placard, Boudaud se plaçait crânement sur le terrain de la lutte des classes, tout en acceptant le réformisme, sur un programme minimum. Boudaud obtint 1.157 voix au premier tour, qui se portèrent au second tour sur Labussière, lequel fut brillamment élu par 9.189 voix contre 6.841 à son concurrent. Le député de Limoges, caractère faible et ondoyant, s'efforça dans les années qui suivirent de donner des gages à la classe ouvrière, tout en ménageant ses amis radicaux. Constamment réélu jusqu'en 1902, il finira par être entraîné, en 1905, par le torrent impétueux du socialisme.

Dans lés années qui suivirent, le mouvement ouvrier est caractérisé par une poussée corporative, elle-même dominée par le concept de grève générale. Puis, la Bourse du travail, créée è Limoges en 1896, tendit à devenir un organisme d'éducation ouvrière. Or. tandis que le secrétaire de la Bourse, Treich, orientait l'action syndicale dans le sens opportuniste et réformiste, le socialisme révolutionnaire se développait. A son retour du congrès de Paris, Treich créa, sous le patronage de la Fédération des syndicats ouvriers, un « cercle d'études sociales » où s'inscrivirent une centaine d'ouvriers. Mais ce cercle ne vécut point, car en même temps, un cercle rival se créait : « l'Emancipation du parti limousin », préparé par une conférence que Jules Guesde fit à Limoges, le 13 mai 1894. Le but de l'Emancipation, qui adhérait au parti ouvrier, était de « propager par tous les moyens... » les doctrines du socialisme scientifique ayant pour base le fait historique de la lutte des classes et pour aboutissant logique la socialisation des moyens de production par le prolétariat organisé en parti de classe, ayant conquis les pouvoirs publics.

Il est intéressant de noter que parmi les 37 membres de l'Emancipation du parti ouvrier limousin figurent 15 peintres sur porcelaine ainsi que six imprimeurs et lithographes. Les peintres sur porcelaine constituaient une corporation ouvrière bien rémunérée, s'intéressant aux questions sociales. Les ouvriers se cotisaient pour payer un lecteur qui lisait dans les ateliers. Par contre, les ouvriers en chaussures, travaillant souvent à domicile, étaient davantage isolés. L'Emancipation fut une création des syndicats des peintres et des lithographes. Elle ne vécut pas.

En 1895, eut lieu une nouvelle tentative. Le 20 avril 1895, après une conférence du citoyen Mourier, ancien cordonnier, originaire de Limoges, et sous les auspices de la Fédération des Syndicats, fut créé, aux cris mêlés et divergents de « Vive la

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Commune » et « Vive la République sociale », le Cercle des républicains socialistes, adhérent au parti ouvrier français. L'occasion de cette réunion fut la longue et meurtrière grève des galochiers, qui affectait 150 ouvriers.

Ce nouveau cercle se développa, en face du Cercle démocratique des travailleurs, radical-socialiste, et de l'Avant-Garde, qui préservait jalousement sa tendance communarde et anarchisante.

En 1898, aux élections législatives, Labussière fut élu dans la première circonscription de Limoges, par 12.390 voix contre son concurrent le docteur Chénieux, lequel ne recueillait que 8.123 voix. Le programme de Labussière, sans avoir le caractère collectiviste et révisionniste qui caractérisait celui du Parti ouvrier français, présentait un contenu social : impôt sur le revenu, retraites pour la vieillesse, abolition du marchandage, institution d'un salaire minimum. Mais Labussière manquait de caractère. Et d'autre part, entraîné par son Comité, à tendance radicale, vers l'anticléricalisme, il semblait n'adhérer aux aspirations populaires que du bout des lèvres : sa prudence et sa tiédeur commençaient à exaspérer les collectivistes.

Dans la deuxième circonscription de Limoges se présenta Treich, secrétaire de la Bourse du travail. Cette circonscription qui ceinturait la ville de Limoges, comprenait certes les petits centres industriels de la vallée de la Vienne, mais l'élément rural dominait, où se faisaient une guerre d'influence acharnée les notables conservateurs, tels que le comte de Villelume à Aixe, Tandeau de Marsac à Saint-Léonard, de Lermite à Eymoutiers, et les notables radicaux, tel que l'impétueux Tarrade. Le programme de Treich : abolition du Sénat et de la présidence de la République, suppression du budget des cultes, service militaire ramené à deux ans, nationalisation des moyens de production : mines, chemins de fer, impôt sur le revenu remplaçant l'ancienne fiscalité onéreuse aux petites gens, ne suscita pas d'intérêt chez les travailleurs de la glèbe dont l'éducation politique était à faire. Les collectivistes apparaissaient aux petits propriétaires comme des « partageux » et d'autre part, la coutume du colonage partiaire sous la forme d'une « baillette » d'une année plaçait le colon sous la dépendance, « sous la main » du maître.

Treich ne recueillit que 2.350 voix seulement, et il se désista en faveur du radical et très anticlérical Tourgnol, qui fut élu au second tour par 11.236 voix contre 6.270 au député sortant, le modéré Gotteron. Les circonscriptions rurales devaient, l'une après l'autre, passer par l'étape radicale avant d'être conquises.

Cependant, le journal La Bataille sociale, fondé en 1898, pour les besoins électoraux, subsista, sous l'impulsion de Teissonnière. dissident du Cercle démocratique des travailleurs, adhérent au Parti ouvrier français, qui avait contribué à fonder le Cercle des républicains socialistes, de tendance guesdiste. C'est lui qui, avec Noël, donna au socialisme limousin son souffle révolutionnaire,

En effet, tandis que Treich orientait les adhérents à la Bourse

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du Travail vers le réformisme et le ministérialisme, Teissonnière s'efforça, en propageant la doctrine de la lutte des classes, de faire pénétrer les idées socialistes dans les milieux ruraux. Pour cela, il participait aux banquets politiques radicaux et socialistes, organisés dans les localités déjà évoluées en politique, et il tenait sa place dans les discours de fin de banquet. Ou bien, il chantait la Carmagnole et l'Insurgé. Il s'inspirait à travers Guesde et Lafargue, de Marx et d'Engels. Il avait reconnu la nécessité d'une action sociale en faveur du prolétariat agricole. Toutefois, il n'avait pas découvert le levier de cette propagande, les idées qui auraient pu marier la doctrine collectiviste à l'attachement instinctif à la terre des petits propriétaires.

Il s'efforça de créer et de fédérer sous « la rouge bannière » du Parti ouvrier français des Comités socialistes ruraux. Il réussit dans quelques localités à en fonder. A Saint-Sylvestre d'abord, village des collines marchoises, gagné depuis longtemps aux idées avancées par l'influence des migrants saisonniers, des maçons de Paris. Ensuite, à Sauviat, où existait une fabrique de porcelaine.

En même temps, il attaquait Millerand avec vigueur, tout en s'efforçant de perdre son ennemi Treich.

En 1899, sous son impulsion, fut créé, à l'intérieur du Cercle de l'Union des républicains socialistes, un cercle d'études sociales destiné surtout à faire pièce aux universités populaires. Dans ce cercle, les jeunes gens devaient recevoir les premières données du socialisme scientifique. En mai 1899, le cercle guesdiste de Limoges fédérait quelques groupes révolutionnaires de la HauteVienne et de la Creuse : Saint-Sylvestre, Azerables, Bourganeuf, Saint-Dizier, et aussi Périgueux.

Le journal La Bataille sociale faisait chorus avec les journaux anticléricaux, s'élevant contre « l'immoralité et la lubricité de la « bande noire ». Le Cercle des républicains socialistes participait aussi à l'action politique intense soulevée par l'affaire Dreyfus, car, ainsi que l'exprimait le député Renou au cours d'une conférence faite à Limoges, « l'idée de justice devait passer au service des petits ». Le peuple se devait de défendre cette idée.

L'année 1899 fut, dans l'évolution du socialisme limousin, une année extrêmement confuse où s'affrontèrent violemment des tendances contradictoires. Au cours des réunions qui attiraient dans de grandes salles un nombre croissant d'auditeurs, le millerandiste Treich était pris à parti, avec violence, par un groupe d'anarchistes turbulents et audacieux, et le même groupe, antimarxiste et antiguesdiste, sabotait les conférences organisées par le Cercle de l'Union socialiste de Teissonnière.

En 1900, radicaux et fractions socialistes s'unirent en vue des élections municipales, sur un programme commun : affranchissement communal, construction d'habitations à bon marché, impôt sur le revenu, rétribution des fonctions électives, gratuité des fournitures scolaires, séparation des Eglises et de l'Etat. Le

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Cercle du Parti ouvrier français fit passer sept conseillers et l'Avant-Garde quatre conseillers.

En septembre 1900, une conférence de Marcel Sembat, patronnée par l'Avant-Garde et le Cercle de l'Union socialiste, réunit 1.500 personnes. Au cours du lunch qui suivit, Teissonnière chanta, seul, l'Insurgé, et cela fit une profonde impression.

A la fin de l'année 1900, l'antagonisme entre les collectivistes antiministérialistes et les possibilistes était porté à son comble. Treich. accusé de concussion, quitta le Cercle des républicains socialistes et créa un quatrième cercle, le Cercle d'Unité socialiste, représentant la tendance des ouvriers syndicalistes. Ce cercle parvint à fédérer sept groupements : il fêtait, lui aussi, par des chants révolutionnaires, l'anniversaire de la Commune, le 18 mars 1901.

En 1901, l'esprit révolutionnaire survivait dans le Cercle de l'Union des républicains socialistes. L'Union créa un nouveau journal, L'Avenir, reçut l'affiliation du groupe socialiste de SaintDizier dans la Creuse. Au conseil municipal de Limoges il s'efforça de créer, souvent avec mauvaise foi, des difficultés au maire Labussière, soutenu par Treich. Il concurrençait également la Bourse du Travail, en ouvrant à son siège un bureau de placement gratuit, espérant par là se créer une clientèle ouvrière. Il pourchassait l'esprit opportuniste, attaquait le ministère de WaldeckRousseau.

Au point de vue social, la section de Limoges du Parti ouvrier français s'élevait vivement contre le salariat, et notamment contre le travail aux pièces, régime alors dominant dans la porcelaine et la cordonnerie, qu'on accusait, en excitant la productivité des ouvriers, d'engendrer le chômage.

D'autre part, les ouvriers guesdistes subordonnaient le mouvement économique au mouvement politique : « à l'avant-garde des syndicats ouvriers se trouve le mouvement socialiste », prétendèrent-ils.

Les guesdistes se considéraient comme les militants, les soldats de la Sociale. Ils luttaient contre le Cercle de l'Unité fondé par les deux élus Treich et Frugier. Le 16 juin 1901, le Cercle des républicains socialistes se fédéra avec l'Avant-Garde, dépositaire de la tradition communaliste. A la veille des élections au Conseil général, les membres du Parti ouvrier français s'efforcèrent de mettre au point un programme agricole comportant l'institution d'une caisse de retraites agricoles, de prud'hommes agricoles, la suppression de l'impôt foncier, l'assurance d'un minimum de salaire, la conservation des petits patrimoines par la création d'une réserve insaisissable, l'achat par.les communes de machines agricoles, la liberté de chasse et de pêche. A la légende calomnieuse du partage des terres, les socialistes opposaient un programme précis de réformes sociales. A ce moment, rompant avec le Cercle démocratique radical-socialiste, ils présentèrent quatre

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candidats au Conseil général, dans les quatre cantons de Limoges, qui furent battus.

Le Conseil général prit une nuance plus nettement radicale, et les membres du Parti ouvrier partirent en guerre contre le maire de Limoges et la franc-maçonnerie.

A la fin de 1901, à l'occasion de la grève des boulangers de la coopérative de l'Union qui mit aux prises syndicalistes et coopérateurs, le cercle de Teissonnière prit parti en exprimant la formule : « La coopération est un moyen ; le socialisme, c'est le but ».

Cette date marque la primauté acquise en Limousin par la politique socialiste sur le syndicalisme et le mouvement coopératif.

En 1902, à l'approche des élections, les militants socialistes firent un effort correspondant à leurs ressources et à leurs moyens, de propagande dans les campagnes. Mais, plutôt que de présenter aux masses rurales des formules politiques qui risquaient de ne pas être comprises, ils s'efforcèrent de créer des noyaux actifs, des organisations, sous la forme de syndicats agricoles prolétariens. Pour cela, ils se rendirent d'abord dans les petites localités avoisinant Limoges, à Aureil, Feytiat, Condat, Couzeix, parlant dans des cafés ou des auberges, s'efforçant d'endoctriner les paysans. En janvier 1892, l'imprimeur lithographe Noël parlait à Châteauneuf de la fraternité des campagnes et des villes, puis s'en allait à pied, pèlerin du socialisme, jusqu'à Bujaleuf, afin de préconiser la formation de syndicats agricoles. Il tentait de faire l'éducation politique des masses'rurales. En mars 1903, il parvint à créer, avec l'aide des ouvriers feuillardiers, d'origine rurale et restés tout proches du milieu agricole, mais dont l'expérience syndicaliste était toute récente, un syndicat agricole, au cours d'une réunion à laquelle assistaient 300 fermiers et métayers de la région. Presque toujours, et ce fut le cas notamment à Eymoutiers et à Saint-Junien, c'est le syndicalisme ouvrier qui ouvrit les habitants des campagnes à la vie politique.

Les ouvriers socialistes de la ville firent comprendre aux prolétaires des champs ce qu'avait de précaire leur condition sociale. En particulier, le métayer, qui signait une baillette — contrat d'un an — acceptait souvent dans les stipulations du bail, le partage de la totalité des produits : poulets, beurre, oeufs, lait, fruits, agneaux, paille. Il s'ensuivait, chez les maîtres rapaces, une surveillance continuelle des métayers qui avait quelque chose d'humiliant pour eux. Le syndicat agricole fut donc conçu à l'origine comme un instrument d'émancipation des humbles.

Aux élections de 1902, le Parti ouvrier français présenta des candidats dans les cinq circonscriptions électorales du département : Chauly à Limoges-lro, Noël à Limoges-2c, Parvy à Rochechouart, Gondouin à Bellac, Robert, cuultivateur, à Saint-Yrieix. 11 y a lieu de remarquer qu'à la pointe de l'action sociale se trouvaient toujours les deux corporations des peintres sur porcelaine et des imprimeurs. Le programme socialiste était révolu45

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tionnaire, il s'élevait contre la participation au pouvoir et préconisait la lutte à outrance contre l'Etat bourgeois. A Limoges, au cours d'une réunion contradictoire contre Labussière, le 13 avril, le candidat Chauly affronta un auditoire hostile ; les membres du Cercle démocratique des travailleurs, portant l'insigne rouge à la boutonnière, formaient une masse électorale s'opposant au petit groupe de membres du Parti ouvrier. Au cours de la réunion, Chauly demanda à Labussière : « Etes-vous partisans de la lutte des classes ? », Labussière répondit : « Je m'en tiens au programme de Saint-Mandé ».

Les résultats des élections donnèrent : 923 voix à Noël, 753 voix à Chauly, 32 voix à Gondoin, 79 voix à Robert, 25 voix à Parvy. Remarque curieuse : Noël obtint le plus grand nombre de ses voix dans les cantons d'Eymoutiers et de SaintSulpice-Laurière, sous l'influence sans doute des migrants saisonniers.

A cette date, les allemanistes du Parti ouvrier syndicaliste révolutionnaire ayant quitté le Comité général socialiste, après les guesdistes et les blanquistes, les membres de l'Avant-Garde avaient fait alliance avec le Cercle guesdiste, durant la campagne électorale. Cette alliance prépara la fusion des deux cercles qui constituèrent la section limousine du Parti socialiste de France. Ce premier pas vers l'unité fut favorisé par ,1a création, en juin 1902, à Limoges, d'un groupe révolutionnaire d'études sociales, qui, d'emblée, adhéra au Parti socialiste de France. Ce cercle avait pour but l'étude, par les ouvriers manuels et intellectuels, des moyens propres à instaurer une société basée sur la possession collective des instruments de travail. Ce groupe fit venir des conférenciers bourgeois comme Myrens, Mayéras, qui expliquaient aux ouvriers la formation du capital, « travail volé et cristallisé en des mains de moins en moins nombreuses », ainsi que l'histoire du prolétariat. Les membres du Parti socialiste de France appliquaient la formule : « Classe contre classe ». Ils soutenaient les grèves, et dans le domaine de l'éducation poussaient à la laïcisation de l'enseignement, tout en condamnant les universités populaires, « don inutile de la bourgeoisie », « car ce qu'il faut apprendre au prolétaire d'abord, c'est la science du socialisme ».

Le journal l'Avenir disparut en avril 1903 et il fut remplacé par le Socialiste de la Haute-Vienne, organe du Parti socialiste de France, Paul Lafargue salua la naissance du journal par une déclaration de guerre à Jaurès et à Millerand.

Le Parti socialiste de France se développa solidement, non seulement à Limoges, mais également dans les centres ouvriers. Généralement, un groupe d'études sociales précédait la constitution d'une section locale guesdiste.

A cette date apparaît sur le champ politique une nouvelle génération ouvrière, qui va former une équipe unie et enthousiaste. Il s'agit d'ouvriers formés à l'école primaire et dans les cours du soir, par une première génération d'instituteurs laïques, pénétrés de l'importance et de la gravité de leur mission. Goujaud, Betoulle,

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Fèvre, Rougerie, plus tard Pressemane ont reçu une formation primaire, perfectionnée dans les cours post-scolaires. Goujaud, qui habitait les quartiers des ponts de la Vienne, dans la vieille ville, fils aîné d'une famille de six enfants .apprenti à 11 ans, avait appris les rudiments de l'instruction à l'école de garçons des Feuillants. Dans sa vie d'ouvrier, il appliqua la morale du « refus de parvenir », en refusant la situation de chef d'atelier qu'on lui offrait. Pressemane s'est formé au cours d'un long et difficile travail solitaire. Peintre en porcelaine, il avait appris le socialisme, d'abord sur des brochures ouvrières, qui, à partir de 1900, se répandent en Haute-Vienne, et dans lesquelles les penseurs du socialisme exposent clairement les points essentiels de la doctrine, avant de l'apprendre dans les faits. Il avait lu Zola. Son socialisme est d'une inspiration élevée, quoique toujours en contact avec les aspirations de la masse. Il a été l'un des rares théoriciens du socialisme qui, tout en vivant la condition ouvrière, étaient capables de la transcender. Les membres de sa famille appartenaient au monde du travail, et lui-même avait, depuis son enfance, partagé comme apprenti, puis comme décorateur sur porcelaine, la vie des travailleurs.

La génération ouvrière qui apparaît en 1900, avait reçu des maîtres primaires, des habitudes de pensée caractéristiques. Les socialistes limousins ont cru au progrès intellectuel, moral, matériel, et à l'affranchissement de la classe ouvrière, non pas par une sorte de catastrophe libératrice, mais par un long effort qui vise, non seulement à la lutte contre la bourgeoisie, mais aussi au perfectionnement intérieur. L'ouvrier ne doit pas recevoir le socialisme comme une aubaine, mais le mériter par son travail et la dignité de sa vie. Il existe, chez les ouvriers militants de Limoges, une sorte d'austérité, un sentiment du devoir qui trouve assurément son origine dans l'enseignement reçu à l'école primaire. Sentiment du devoir chez l'électeur, de voter et de bien choisir l'élu ; sentiment du devoir chez l'élu de rendre compte de son mandat, de ne pas se laisser corrompre, de bien user des pouvoirs que l'élection lui a donnés.

Ainsi, les socialistes limousins ne sont pas les hommes du désordre, des agitateurs, mais ils se sentent comme les constructeurs d'un monde nouveau. Et il y a dans leur action une conviction profonde, un élément de sérieux et de durée qui en a assuré le succès.

Ces militants se sont aussi considérés comme des éducateurs du peuple. Pour eux, une réunion publique est essentiellement une réunion éducative. « On ne naît pas socialiste, on le devient ». A chaque instant, Pressemane mettait en garde ses auditeurs contre une action prématurée, un optimisme trop prompt. Il pensait que la prise du pouvoir par le prolétariat ne pouvait être réalisée que dans un moment de grandiose maturité.

De 1903 à 1905, le Parti socialiste de France, en face du Cercle démocratique des travailleurs dont le journal avait pour

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titre le Réveil du Centre, engagea une action persévérante pour l'unité. Au conseil municipal de Limoges, 10 socialistes français, unis à 5 socialistes de France, s'efforçaient de promouvoir des réformes, dans le cadre d'un socialisme municipal.

En même temps, les militants ouvriers se tenaient en contact étroit avec la classe ouvrière, dont ils épousaient les aspirations. Ils s'efforçaient de ne pas dévier dans leur propagande révolutionnaire, de ne pas se laisser aller aux tentations polémistes, suscitées par l'affaire Dreyfus. Dans cette lutte, ils préconisèrent l'abstention ouvrière : « Ne lâchons pas la proie pour l'ombre, continuons notre propagande socialiste, anticléricale, antimilitariste ou révolutionnaire ». Ils dénoncèrent aussi le caractère ambigu du Sillon, que propageait à Limoges l'abbé Desgranges. Ils s'élevaient également contre les. fléaux sociaux, la tuberculose ou l'alcoolisme, avec la même véhémence que les anarchistes.

Peu à peu, ils créèrent des groupes d'études sociales dans les petits centres industriels, comme Saint-Léonard, Saint-PriestTaurion, Bujaleuf. En même temps, ils tendaient la main aux socialistes de la Creuse qui, en 1904, sous l'influence des émigrants creusois à Paris, avaient fondé une fédération de 150 membres, comportant 7 groupes.

A la fin d'octobre 1904 eut lieu le premier congrès de la Fédération du Parti socialiste de France, qui groupait les sections de Limoges, Saint-Léonard, Saint-Priest-sous-Aixe, Saint-PriestTaurion, Bujaleuf, Rempnat, Saint-Yrieix. Le parti, à la fin de l'année 1904, était fort de 266 adhérents.

Le militant Pressemane fut délégué au congrès socialiste de l'Unité, réalisée en Haute-Vienne au cours d'un congrès départemental, lequel provoqua, en présence de Guesde et de Renaudel. la fusion des socialistes de France et des autonomes.

A partir de 1905, l'action socialiste obéit à des directives précises. Elle tint compte désormais des événements du moment, d'une tactique électorale en rapport avec les aspirations les plus légitimes de la masse ouvrière. Surtout, elle s'efforça de conquérir les milieux ruraux, jusqu'alors apolitiques et réfractaires au socialisme.

Dès 1906, le Parti socialiste unifié remporta un important succès. Aux élections législatives de mai, Betoulle, désigné comme candidat du parti après que Labussière se fut retiré de la politique, fit campagne dans la première circonscription de Limoges, contre Lamy de la Chapelle. Betoulle, dans sa profession de foi. prit très habilement parti, au nom du prolétariat de la ville et de la campagne, pour la petite propriété, contre l'usine et le fisc. Sa formule électorale : « le partageux », c'est le gros propriétaire qui partage le produit du travail accompli par son colon » était ironique et heureuse. Ce candidat prenait parti contre les périodes militaires — les 28 et les 13 jours — qui gênaient les paysans, pour l'impôt sur le revenu, pour la liberté syndicale des fonctionnaires. Il défendait en somme, comme il le fera toujours,

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les intérêts des petites gens. Il fut élu par 11.844 voix contre 10.668 voix à Lamy, le « bon apôtre des humbles ». Dans la nuit qui suivit l'élection, les blanchisseuses du pont Saint-Etienne montèrent vers le centre de la ville en chantant l'Internationale. Les autres candidats socialistes obtinrent peu de voix ; Pressemane : 1.876 voix à Limoges-2° ; Château : 233 voix à Bellac ; Parvy : 568 voix à Rochechouart ; Chauly : 433 voix à Bellac. Le total des voix ouvrières s'élevait à 14.954 voix ; les voix radicales : 43.404 ; les voix modérées : 25.648.

L'étape radicale n'était pas encore parcourue dans les circonscriptions rurales. Toutefois, en 1907, dans la seconde circonscription de Limoges, où le prestige personnel de Pressemane allait grandissant, une élection complémentaire, en remplacement de l'anticlérical Tourgnol, apporta à Pressemane 7.181 voix au second tour, soit un gain énorme de 5.307 voix en sa faveur, par rapport aux élections de 1906. Les voix socialistes les plus nombreuses se situaient dans les cantons limitrophes de Limoges :, 34 % des inscrits à Nieul, 28 % à Saint-Léonard.

Aux élections de 1910, nouveau progrès du parti socialiste. Le programme socialiste, toujours orienté vers la satisfaction des besoins des petites gens, comportait : la justice gratuite pour tous, l'impôt progressif et global sur les revenus et successions qui devait amener la suppression de l'impôt foncier sur les terres appartenant aux laboureurs qui les cultivent eux-mêmes, le retour à la nation des monopoles. Betoulle accentuait l'aspect réformiste de son programme, tout en semblant rester fidèle à son idéal révolutionnaire. Adjoint au maire de Limoges, il avait à son actif des mesures municipales en faveur des humbles, notamment dans le domaine scolaire. Il l'emporta par 15.414 voix contre 9.118 à son rival, l'avocat Delombre.

Il semble qu'aux voix ouvrières se soient ajoutées en faveur de Betoulle des voix cléricales. Son rival, en effet, était excommunié pour avoir voté la loi de séparation des Eglises et de l'Etat. Cependant, son action parlementaire avait été favorable aux petites gens. Il avait fait obtenir un congé payé de maternité aux institutrices laïques, réclamé la libération anticipée des classes 1903 et 1904, fait des démarches pour que l'embargo de la douane américaine sur les porcelaines de Limoges fût levé.

Dans la deuxième circonscription de Limoges, le radical Tarrade l'emporta de justesse sur Pressemane qui, avec 8.701 voix, gagnait 1.200 voix en une année. Pressemane exerçait une grande action sur les masses populaires par sa mystique socialiste, et l'on reprochait à Tarrade de trop amples distributions de palmes académiques et de croix du mérite agricole ! Pressemane avait fini par conquérir les colons et ouvriers de la terre. Il arrivait largement en tête dans le canton de Saint-Léonard dont il était depuis 1909 le conseiller général, et où il avait fait campagne Pour l'amélioration de la loi sur les retraites ouvrières.

Les trois autres arrondissements demeuraient acquis aux radi49

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eaux, mais les candidats socialistes progressaient. Le vote des électeurs avait été souvent déterminé par la question de l'indemnité parlementaire, qu'un- scrutin de la Chambre avait porté de 9.000 à 15.000 francs.

A cette date, la Haute-Vienne se trouvait placée au huitième rang des départements pour le nombre des suffrages acquis aux socialistes. Le nombre d'adhérents au parti s'élevait, cette année-là, à 805 membres.

Les succès électoraux des socialistes s'accentuèrent dans les années qui suivirent. Aux élections municipales de 1912, le Parti socialiste unifié fit passer l'ensemble de sa liste, qui obtint 9.800 voix contre 7.200 à la liste de la municipalité sortante. De même, aux élections au Conseil général de 1913, les socialistes ajoutèrent à leurs autres sièges ceux de Nantiat, Chalus, Rochechouart.

Les élections de 1914 furent un triomphe pour le Parti socialiste limousin. Les socialistes menaient campagne pour la représentation proportionnelle qui, dans leur esprit, devait faire disparaître les comités politiques cantonaux, tuer le favoritisme dans les administrations publiques et donner au parti socialiste une représentation proportionnelle au nombre de ses suffrages. Effectivement, le parti socialiste gagnait des adeptes, et le département de la Haute-Vienne arrivait au sixième rang en 1913, avec 2.050 cotisants, représentant un pourcentage de 5,3 adhérents par millier d'habitants. En ce qui concerne ce pourcentage des adhérents par rapport à la population totale, la Haute-Vienne arrivait immédiatement après le Nord et le Gard.

Au congrès socialiste d'Amiens, une motion de Pressemane sur la tactique électorale, préconisant une liberté d'action antibloquiste, antibriandiste, contre les trois ' ans et pour le rapprochement franco-allemand l'avait emporté. Effectivement, la campagne électorale eut pour thème essentiel la loi des trois ans, à laquelle les candidats socialistes s'opposèrent âprement.

D'autre part, les socialistes mirent l'accent sur l'importance de la dette hypothécaire, qui frappait les paysans, et ils apparurent à ces derniers comme leurs défenseurs, comme le parti républicain le plus avancé. « En appelant les paysans à leur indépendance politique, nous les entraînerons à leur indépendance morale », pouvait-on lire dans le Populaire du Centre du 19 février 1914.

Enfin, les socialistes mirent l'accent sur l'indépendance de la femme, sur le droit au travail de la « camarade ».

La campagne électorale fut acharnée. Les candidats socialistes visitèrent les électeurs jusque dans les hameaux. En mars 1914, Betoulle intervenait à la Chambre en faveur du repos des femmes salariées en couches, pour le rapprochement des recrues encasernées loin de leur province, et son action incessante en faveur des petites gens lui attirait la sympathie des masses laborieuses. Des groupes socialistes naissaient dans les milieux ruraux, à Javerdat, Saint-Mathieu, Saint-Paul-d'Eyjeaux. Le collecti50

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visme n'apparaissait plus que comme l'exploitation, sous la forme coopérative, des propriétés privées.

Le résultat répondit à l'effort des socialistes. Au premier tour, Betoulle recueillit 16.274 voix, sur 21.270 votants (40 % des inscrits), et Pressemane l'emporta par 10.387 voix contre 6.758 voix à son concurrent, Tarrade, Les cantons où il obtenait le pourcentage le plus élevé des voix étaient ceux qui entouraient Limoges : Saint-Léonard, Nieul (63 % des inscrits) et aussi celui d'Eymoutiers. Au second tour, Valière fut élu à Bellac par 1.700 voix de majorité, et Parvy à Rochechouart, avec 500 voix de majorité. A Saint-Yrieix, le radical Nouhaud, conserva son siège.

Les causes de ce succès étaient dues à l'effacement presque absolu des familles conservatrices : les Teisserenc de Bort, de Léobardy, Lavertujon. etc., qui désertaient désormais les luttes électorales, aux divisions profondes du parti radical, à l'espèce d'enthousiasme qui avait poussé de l'avant le parti socialiste qui, dès 1910, avait acquis les deux cinquièmes des voix des électeurs, et accentué ses progrès par la suite.

Le socialisme agraire constituait en Haute-Vienne un fait caractéristique. Il s'expliquait, et par la structure terrienne où le métayage était mal supporté, et par les progrès du syndicalisme dans les petits centres industriels, et par l'influence électorale des émigrants marchois ou des cantons confinant la montagne corrézienne, enfin et surtout par la propagande habile des candidats socialistes qui prétendaient apporter aux habitants des campagnes : la suppression de l'impôt sur les propriétés, remplacé par l'impôt sur le revenu, la diminution de la durée du service militaire, l'abolition de la dette hypothécaire, et, pour les métayers, la prise de propriété des terres qu'ils exploitent.

2) 1885-1914

b) Mouvement syndical.

Avec la création du cercle de l'Avant-Garde, formé de militants décidés à poursuivre la lutte des classes, commence un mouvement politique authentiquement ouvrier qui va peu à peu intensifier son action et s'emparer des postes électifs du département. Parallèlement, le mouvement syndical, stimulé par le concept de la grève générale, va prendre une ampleur croissante.

Ces deux mouvement s'efforcèrent d'atteindre des buts différents. Toutefois, ils se sont toujours prêtés un mutuel appui, quoique le mouvement syndical ait réagi contre le mouvement politique par une tendance anarch'isante qui exprimait une volonté d'autonomie ouvrière en face du parti socialiste.

Jusqu'en 1893, le syndicalisme chercha sa voie. Avant de devenir un instrument de combat de classe, il lui arriva de souhaiter la conciliation, l'arbitrage prud'homme, et même la collaboration avec le patronat. Ce fut le cas des peintres céramistes qui, le

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1er septembre 1882, formèrent une chambre syndicale dont les statuts, adoptés le 26 septembre, étaient précédés de la déclaration suivante :

« Les peintres sur porcelaine de Limoges, désireux d'éviter les grèves, et voulant par le moyen de l'entente amicale entre les patrons et les ouvriers, maintenir et même élever leur profession au niveau qu'elle mérite en empêchant une concurrence avilissante et souvent déloyale, forment une chambre syndicale et invitent les patrons à en faire autant, afin que, le cas échéant, les arbitres puissent être choisis de part et d'autre. »

Il faut remarquer que les peintres céramistes constituaient une aristocratie bien mieux rémunérée que les pâtiers et les manoeuvres. A cette époque, ils sont encore pénétrés du préjugé « artiste » et les peintres céramistes prétendent former une corporation, non point d'ouvriers manuels, mais d'hommes de goût. Ce n'est que plus tard qu'ils donneront au mouvement politique ses meilleurs militants. Quant au mouvement syndicaliste, il reçut son élan des ouvriers « pâtiers », groupés dans la chambre syndicale l'Initiative, moins bien payés que les peintres, mais mieux instruits que les journaliers : hommes de fours ou batteurs de pâte.

Le mouvement syndical limousin reçut, à partir de,1879, année du congrès de Marseille, son impulsion des congrès nationaux. Néanmoins, il prit une tournure propre que nous essaierons de décrire.

De 1880 à 1914, il se développa dans les directions suivantes :

1) Il s'étendit, à partir de la porcelaine, vers les métiers du bâtiment, des cuirs et peaux, et dans les branches d'activité où les gains ouvriers étaient les plus modiques.

2) Il se concentra rapidement. C'est ainsi que les syndicats éparpillés de la porcelaine formèrent, à partir de 1902, la Fédération de la Céramique. De même, cordonniers, palissonneurs, corroyeurs, gantiers s'intégrèrent dans celle des cuirs et peaux. Auparavant, en 1905, cinq syndicats avaient déjà fusionné.

3) Il se produisit une extension territoriale, d'abord vers les petits centres industriels, le long de la vallée de la Vienne, ensuite vers une large zone rurale du Sud-Ouest où vivait.isolée, une population très prolétarisée d'ouvriers 'des carrières de kaolin et surtout de bûcherons feuillardiers.

Examinons cette expansion. Jusqu'en 1895, après la poussée de 1883, créations et dissolutions de syndicats alternent. Bien souvent, un syndicat ne vit que la durée d'une grève. L'effectif départemental en Haute-Vienne tombe de 1.114 membres en 1883 à 351 en 1891. Parmi les syndicats dissous, figurent celui des gantiers de Saint-Junien, ainsi que la Conciliation, chambre syndicale des sabotiers, formée en coopérative de production.

Un réveil se produit en 1892 : trois syndicats sont formés : ceux des lithographes, des cordonniers et des porcelainiers « useurs de grains ». En 1895, le nombre des syndicats passa brus52

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quement à 23, et un mouvement social revendicatif à peu près général, mit aux prises patrons et ouvriers,

C'est qu'il s'était produit un événement capital dans l'histoire du mouvement ouvrier local, la création de la Fédération des syndicats de Limoges.

Une première tentative avait eu lieu en 1883, sous l'action des allemanistes Boudaud et Thabar : une brochure tirée à 1.000 exemplaires contenant les statuts de l'Union fédérative des Chambres syndicales ouvrières de Limoges avait été imprimée, par les soins d'un peintre sur porcelaine. A cette époque, les ouvriers confondaient encore l'action politique par le bulletin de vote avec l'action corporative.

L'Union fédérative ne vécut pas, et il fallut attendre dix années pour voir se réaliser, en février 1893, la Fédération des syndicats ouvriers de Limoges. Ce fut l'oeuvre de Treich, tourneur sur porcelaine, bon ouvrier, qui fut d'abord allemaniste puis qui devint, peu à peu, possibiliste, millerandiste, avant de finir... dans un bureau de tabac !

A la fin de 1893, la Fédération passa de 10 à 16 syndicats, et elle comprenait 1.049 ouvriers adhérents. En septembre 1893, Treich assista au congrès ouvrier de Paris, au cours duquel la grève générale fut discutée. Dès son retour, le 29 juillet, il donna lecture, au cours d'une réunion à laquelle assistaient 150 syndiqués, des résolutions prises à Paris. Un vote repoussa la grève générale immédiate, celle-ci n'étant retenue qu'au cas où le gouvernement porterait atteinte à la liberté des associations ouvrières. Puis, le 9 décembre 1893, Treich, au cours d'une réunion de 350 citoyens, parmi'lesquels se trouvaient les anarchistes Tennevin et Bardet, annonça la création d'un journal ouvrier, l'Express du Limousin, financé par le « sou de l'émancipation sociale ». En même temps, il préconisait la création d'un cercle d'études sociales. Ce cercle s'ajoutant à l'Avant-Garde allemaniste et au Cercle démocratique des travailleurs, où des bourgeois radicauxsocialistes voisinaient avec des ouvriers en blouse, devait avoir pour rôle d'éduquer la classe ouvrière, en vue de préparer la révolution. Le cercle d'études sociales s'installa au cabaret que tenait la femme de Treich, rue de-la Fonderie.

Parallèlement à cette action, d'origine corporative, les ouvriers de tendance guesdiste tentèrent de créer une section limousine du Parti ouvrier, formée surtout de peintres sur porcelaine et d'ouvriers imprimeurs et lithographes. Le Ministère de l'Intérieur refusa son autorisation et cette association ne vécut pas.

En juillet 1894, Treich assista au congrès ouvrier de Nantes. Déjà la fédération de Limoges comptait comme force politique, et le député radical-socialiste de Limoges, Labussière, assistait le 22 juillet à un punch, suivi de bal, qu'elle organisa ! Les avances de sa part se multiplièrent dans les années qui suivirent.

En 1894, les syndicats de Saint-Junien avaient été réorganisés, ainsi que ceux du bâtiment. Les salaires dans la mégisserie et

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la ganterie étaient particulièrement bas, la volonté de résistance du milieu ouvrier de la ville grandissait. Il y avait là une volonté révolutionnaire prolétarienne que Treich s'efforça d'organiser. Et de même à Limoges, l'organisation cette année-là porta sur les corps de métier du bâtiment : couvreurs, peintres, maçons .terrassiers, plombiers-zingueurs, ainsi que sur deux corporations de la porcelaine : journaliers et moufletiers.

Dès 1893, des cahiers de revendications ouvrières avaient été présentés à la mairie et à la préfecture, dans lesquels les ouvriers syndiqués réclamaient : la journée de huit heures, l'institution d'un minimum de salaire, les retraites ouvrières. Les élections de 1893, qui virent la déroute du boulangisme, accaparèrent l'attention vers la politique. Mais, en 1895, le moment sembla venu de passer à l'action. Le 26 janvier 1895, une circulaire fut envoyée de Paris par le comité de la grève générale, allemaniste, aux divers syndicats ouvriers de Limoges, circulaire signée notamment par Pelloutier, et contenant une protestation contre un projet de loi déposé au Sénat et tendant à interdire la grève des ouvriers des établissements de l'Etat. Ce comité, nommé par le congrès corporatif de Nantes, préconisait la grève générale, qui devait mener le prolétariat, par la révolution sociale, à son émancipation complète !

Treich n'avait pas attendu cette circulaire pour expérimenter l'arme de la grève. Celle de 1888 des manoeuvres des chantiers de construction du chemin de fer de Limoges à Brive avait été causée par les salaires de famine : 0 fr. 25 à 0 fr. 27 de l'heure pour 10 heures de travail par jour, soit une paye moyenne de 45 francs par mois. Ces salaires très bas furent à peine relevés, portés de 0 fr. 26 à 0 fr. 28 de l'heure. D'autre part, les ouvriers boulangers, au nombre de 180, avaient obtenu une légère élévation de salaires : de 5 fr. à 5 fr. 75 pouf les enfourneurs, de 4 fr. 50 à 5 francs pour les pétrisseurs. D'autres grèves, intéressant des maisons isolées avaient éclaté, pour des questions de salaires. Celle des ouvriers monteurs de la fabrique de chaussures Monteux de Limoges, soutenue en sous-main par le député boulangiste Le Veillé qui s'efforçait de redorer son blason, fut un échec. Les monteurs demandaient un relèvement des prix de façon qu'ils n'obtinrent pas. Le syndicat qu'ils avaient fondé le 12 août 1891, le jour même de la cessation du travail,' avait été surtout destiné à soutenir leur grève.

A partir de 1893, les choses changèrent, sous l'influence de la Fédération qui prt en mains les intérêts ouvriers et s'efforça de substituer aux négociations directes entre ouvriers et patrons, des négociations par son intermédiaire : elle prenait à charge la défense des intérêts de ses membres.

En 1894 eut lieu la première épreuve de force à Saint-Junien. Il existait dans ce centre de la ganterie et de la mégisserie une population ouvrière particulièrement exploitée, toute proche de ses origines rurales, crédule en face des patrons qui considéraient

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la main-d'oeuvre sous l'aspect d'une marchandise. Deux syndicats groupaient les ouvriers du cuir : celui des palissonneurs et teinturiers créé en 1892, celui des ouvriers gantiers .fondé en 1884. En 1893, il fut reconstitué par Amédée Dussoubs, 35 ans, gantier, épicier, et père de quatre filles, homme doux et inoffensif.

Le 30 mai 1894, au cours d'une réunion tenue par Treich, secrétaire de l'Union des syndicats de Limoges, le syndicat des palissonniers se transforma en une association des cuirs et peaux, qui englobait mégissiers et gantiers. Le même jour se constitua le syndicat du bâtiment, dont l'effectif passa, en juillet, de 50 à 250 ouvriers.

Le 12 août 1894, une réunion publique se tint à la Halle de Saint-Junien, avec le concours de deux délégués ouvriers de Limoges, Rougerie et Hummel. Le premier fit le procès du machinisme et s'éleva contre les campagnards qui avilissent les salaires. Hummel s'écria : « Je suis révolutionnaire... dans six mois vous serez les maîtres du gouvernement. TJ ne faut rien craindre, pas même les balles de lebei. » Le concept de la grève générale excitait son imagination. Et ces propos qui étaient sincères, sont un témoignage des illusions que des ouvriers de province, méconnaissant l'ensemble de la vie économique française, de la puissance du capitalisme, pouvaient entretenir. La génération ouvrière qui suivra fera preuve de plus de discernement.

Le 19 août 1894, à l'issue d'une réunion politique au cours de laquelle le plus gros patron gantier de Saint-Jnien, Desselas, fut pris à partie et même injurié par un groupe de ses ouvriers, les ouvriers du cuir tinrent une réunion privée, au cours de laquelle fut divulguée la formule : « L'Union des syndicats vaincra la bourgeoisie >.

Le lendemain, le renvoi de trois ouvriers par le mégissier Desselas suscita une grande émotion à Saint-Junien. Les délégués syndicaux ne purent obtenir la réintégration de leurs camarades. Le 26 août 1894, Treich et Fabreguette, de Millau, secrétaire de la Fédération des cuirs et peaux, préconisèrent le calme à SaintJunien. Puis, le 30 août, au cours d'une réunion ouvrière, le député radical Codet prêcha la récispiscence, la collaboration des classes. Les réponses ouvrières à son discours témoignent d'une grande humilité. Malgré cet esprit de concorde, les patrons renvoyèrent des ouvriers, encore une fois. Desselas ajourna, le 4 septembre, 15 syndicalistes, Dumas opéra un licenciement massif de 100 ouvriers. Le 8 septembre, 200 chômeurs battaient le pavé de la ville. Au cours des réunions ouvrières des 8, 22 et 29 septembre, le secrétaire de Saint-Junien du syndicat des cuirs et peaux, Rebeyrolle, fit amende honorable au nom de ses camarades. Il revenait à un syndicalisme timoré, après avoir exalté l'union, la grève, la violence.

La tentative de résistance des ouvriers mégissiers de SaintJunien échoua lamentablement. Néanmoins, la solidarité ouvrière joua en cette occasion : les syndicats de France envoyèrent

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1.420 francs, les mégissiers d'Anvers 500 francs. Faute d'argent et de hardiesse, la grève avait avorté.

En 1895, les 9, 10 et 11 août, le congrès ouvrier des mégissiers de France se tint à Saint-Junien. A l'issue des travaux, Fabreguette, secrétaire de la Fédération des cuirs et peaux, opposa la situation à Millau — salaire de 4 francs par jour, pour 9 heures 30 de travail — à celle de Saint-Junien où le salaire n'était que de 2 fr. 50 par jour pour 10 heures de travail. Treich exalta l'internationalisme.

L'échec de 1894 exacerba la volonté de lutte des ouvriers de Saint-Junien, chez lesquels le ferment anarchiste devint très virulent. A Limoges, Treich avait eu plus de succès avec les ouvriers plâtriers et plafonneurs. Le 30 mars, devant un auditoire de 73 ouvriers, il avait donné un compte rendu du congrès de Paris en expliquant la tactique à suivre : « Il faut que le mouvement soit brusque... votre grève ne durera pas plus de 48 heures ». Les ouvriers signèrent, avec une déclaration de solidarité, un engagement de soutenir la demande de nouveaux tarifs. Le nouveau tarif des salaires, repoussé par les patrons le 31 mars, fut accepté le 2 avril par 14 patrons sur 18.

Les escarmouches de 1894 préparèrent le mouvement social de 1895, qui affecta la plupart des corporations et rappela la poussée ouvrière de 1864. Le sentiment ouvrier était entretenu par la commémoration de la Révolution de 1848 et de la Commune. Le banquet organisé par « l'Avant-Garde » allemaniste, le 18 mars 1895 réunissait, avec d'anciens communards comme Boudaud et Tabaton, un vétéran de l'action ouvrière, le porcelainier Vincent, ainsi que la jeune génération syndicaliste représentée par Hummel et Treich.

L'action ouvrière se fit plus intense à partir d'avril 1895. L'approche du congrès corporatif ouvrier, qui devait se tenir à Limoges en septembre, exaltait l'énergie ouvrière. En cette année décisive, la fédération de la Haute-Vienne comptait 23 syndicats groupant 1.408 membres. Le congrès de Limoges vit naître la Confédération Générale du Travail, dans une atmosphère assez trouble. En effet, les syndicalistes révolutionnaires s'efforcèrent de faire triompher l'idée de la grève générale, contre laquelle Treich, le secrétaire des syndicats limousins s'élevait. C'est qu'il se rendait compte que la classe ouvrière n'avait pas atteint un degré d'organisation suffisant. Les grèves, nombreuses, se déroulaient avec des alternatives de revers et de succès.

Le 1er avril se déclencha la grève des peintres en bâtiment. Us présentèrent leurs revendications : salaire de 0 fr. 50 de l'heure, journée de 10 heures, retenues sur les accidents à la charge des patrons. Les patrons offraient 0 fr. 45 et 0 fr. 40 de l'heure et la retenue pour les accidents partagée entre les patrons et les ouvriers. Après l'échec d'une tentative de conciliation, et même d'arbitrage suscitée par le juge de paix en vertu de la loi du 12 décembre 1892, la grève poursuivit son cours, jusqu'au ^6 avril,

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et le travail reprit aux conditions patronales : salaire de 0 fr. 45 de l'heure, journée de 11 heures, retenue pour l'assurance-accidents supportée par moitié.

La grève des sabotiers de Limoges n'eut pas plus de succès. Elle prit un caractère d'acharnement. Les ouvriers demandaient : l'unification des tarifs sur la base de la maison la mieux favorisée, la suppression des « banquettes » des apprentis, la journée de 10 heures. Leur tactique consista à soumettre, l'une après l'autre, chacune des cinq fabriques qui occupaient au total 325 ouvriers, en la menaçant et d'une mise à l'index ,et de la création fermer leurs entreprises et ils prirent pour base de l'unification d'une coopérative de production. Les fabricants menacèrent de des tarifs, les tarifs moyens en vigueur dans l'une des cinq maisons, la maison Fougeras. Le 17 mai, après bien des souffrances ouvrières, la situation se dénoua par un compromis : tarif unique de la maison Ribière, journée de 10 heures, réduction à 6 % du personnel du nombre d'apprentis formés.

D'autres grèves, intéressant des fabriques isolées, et motivées par des questions de tarifs, éclatèrent dans la porcelaine et dans la chaussure, avec des alternatives d'échec et de succès. Celle des ouvriers pâtiers de la maison Barjaud de Lafond qui revendiquèrent un relèvement des tarifs des façons pour les mettre au niveau des autres maisons, commença le 24 juillet 1895, se prolongea au 17 août, date à laquelle la maison ferma ses portes. En juillet 1895, les menuisiers, à l'instar des plâtriers, présentèrent leurs revendications : salaires de 0 fr. 40, 0 fr. 45, 0 fr. 50 de l'heure, selon les catégories, paie à la quinzaine, suppression de la retenue pour l'assurance-accidents. Les patrons refusèrent ces conditions.

L'agitation revendicative continua durant toute l'année 1896. A la fin de l'année 1895, la Fédération des syndicats de Limoges et du Centre avait créé, pour soutenir les grèves, une caisse de résistance. En janvier, les ouvrières décalqueuses de la maison Théodore Haviland, qui se plaignaient de ne gagner que 1 fr. 25 par jour, soutenues par les peintres sur porcelaine, obtinrent une augmentation sur quelques genres. En mars, les monteurs de chaussures de la maison Vautour obtinrent une augmentation qui fit passer leurs salaires de 4 fr. 50 à 5 francs.

En juin, les journaliers des fabriques de porcelaine, enfourneurs et hommes de feu, au nombre d'un millier environ, réclamèrent une augmentation de 0 fr. 25 par jour. Dix-huit maisons furent affectées par une- grève qui se poursuivit durant tout le mois de juin, et qui ne se termina que sur la menace de la Chambre syndicale patronale de fermer les fabriques.

En octobre, ce fut au tour des calibreurs des maisons Deslinières et Redon-Demartial de se mettre en grève, pour protester contre les règlements d'atelier que les fabricants imposaient à leur personnel.

A la fin de 1896, l'agitation s'apaisa. La grève, en effet, avait

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été une arme souvent meurtrière pour les ouvriers. Certes, les efforts que les militants avaient faits avaient tendu à grouper les forces ouvrières. C'est ainsi que les ouvriers du bâtiment avaient formé une fédération à laquelle adhéraient : terrassiers et manoeuvres : 324 ouvriers ; maçons : 150 ; tailleurs de pierre : 60 ; charpentiers : 75 ; plâtriers et plafonniers : 63 ; zingueurs : 14. Cette fédération, administrée par un comité local, et dont le secrétaire était un plâtrier du nom de Menu, était en rapport avec la Fédération nationale du bâtiment.

La Fédération des syndicats dont les liens avec Paris étaient trop fragiles fut bientôt supplantée par la Bourse du Travail. La Bourse du Travail de Limoges fut fondée le 1er mars 1896 et elle reçut d'emblée une subvention municipale de 6.000 francs. Dès le début, elle s'orienta vers la réalisation de tâches positives de placement, d'instruction ouvrière et d'apprentissage.

Or, à la lente formation de syndicats ouvriers avait répondu celle des syndicats patronaux : maîtres imprimeurs groupant 9 adhérents en 1884, fabricants de porcelaine, entrepreneurs du bâtiment, fabricants de sabots, carossiers, etc. En 1898, il existait 13 syndicats patronaux, organisations de résistance patronale aux exigences ouvrières qui imposaient, en temps de grève, une action unique à leurs adhérents. Cette unité avait existé sous le Second Empire, en 1864, lorsque les fabricants de porcelaine s'étaient mis d'accord et coalisés pour obtenir la rentrée en masse des ouvriers en grève. Elle fut efficace à plusieurs reprises en 1895 et en 1896, et c'est, par exemple, la menace d'un lock-out patronal qui fit échec à la grève des journaliers de la porcelaine.

L'étude de ces grèves permet de faire le point des revendications ouvrières. Les grèves de 1895, 1896, furent presque exclusivement corporatives. Le seul élément extra-corporatif, nous le rencontrons dans la grève des corsetières de la maison Clément, qui constituèrent le premier syndicat de femmes, lequel avait pour but le refus collectif de suivre les pratiques religieuses auxquelles le patron astreignait ses ouvrières : messe dominicale, deux à trois communions par an obligatoires. Les ouvriers, par la grève, s'efforcèrent d'atteindre les buts suivants : élévation des salaires jusqu'à un plafond qu'on peut situer à 0 fr. 50 de l'heure ou 5 francs par jour, paye par quinzaine, réduction de la journée de travail, unification des tarifs dans le travail à façon. Certes, tous les ouvriers s'accordaient pour réclamer la journée de 10 heures avec maintien du salaire journalier. Pour ce qui est de l'unification des tarifs, l'on se heurtait aux usages locaux. C'est ainsi que les ouvriers pâtiers de la porcelaine subissaient une retenue de 10 % destinée à faire face au salaire du batteur de pâte, frais de lumière et dépenses d'entretien des machines. Les ouvriers engagèrent une action pour la suppression de cette retenue.

Les ouvriers luttèrent également contre les règlements d'ateliers qui devenaient de plus en plus stricts. Et cela nous renseigne

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sur certaines habitudes du travail. Les ouvriers n'acceptaient pas de ne pouvoir sortir librement au cours de la journée de travail. Et un curieux incident éclata, sur ce sujet, le 4 décembre 1895, à la maison Lanternier où les ouvriers demandèrent de sortir en bloc pour assister au tribunal à un excitant procès de violation de sépulture. Il fallut que le fabricant menaçât les ouvriers de la fermeture définitive de sa fabrique pour que la cessation du travail n'ait pas lieu.

Enfin, un certain nombre de refus de travail s'explique par l'hostilité de l'ouvrier à l'égard de tout ce qui peut être pour lui un élément de concurrence sur le marché du travail : la machine, la femme, l'apprenti. La machine rivale ? « L'ogre de fer » est voué aux gémonies par les ouvriers syndicalistes. Et, à chaque progrès du machinisme correspond une protestation ouvrière. Ainsi, en avril 1895, les ouvriers sabotiers réclament la suppression de la machine à parer, introduite dans cette fabrication.

La femme rivale ? En mars 1893, les imprimeurs de la maison Plainemaison se mettent en grève lorsque le patron met une compositrice à 2 fr. 50 par jour à la composition de l'hebdomadaire Petites affiches limousines. En 1896, les monteurs de la fabrique de chaussures Lecointe demandent au patron l'engagement écrit de ne plus occuper d'ouvrières au montage et le syndicat de la chaussure tente d'obtenir le renvoi des femmes de toutes les fabriques.

L'apprenti rival ? Les ouvriers sabotiers de Limoges obtiennent la réduction du nombre des apprentis à 6 % du nombre total d'ouvriers.

L'on sent chez les ouvriers, dans toutes les corporations, une farouche volonté de restreindre le marché du travail, d'empêcher l'empiétement croissant de la machine sur l'outil.

La nouvelle étape du mouvement ouvrier qui aboutira aux émeutes de 1905, est séparée du mouvement de 1895 par une période d'apparente stabilité, marquée, en 1898, par une crise économique due à un conflit entre les maisons de porcelaine exportatrices aux Etats-Unis et la douane américaine. La croissance syndicale, pendant ces dix années, fut cependant régulière, continue : 37 syndicats en 1898, 39 syndicats en 1900 avec 3.706 adhérents, 46 syndicats en 1903, 48 syndicats en 1904, 53 syndicats en 1905, adhérents à la Bourse du Travail, avec 6.485 membres.

A Limoges, des corps de métiers nouveaux : cuisiniers, bouchers, employés de l'octroi et de la voirie, s'étaient groupés. La caractéristique c'était un éparpillement corporatif très poussé, auquel devait remédier un effort de création de fédérations de métiers. Chaque spécialité de la porcelaine avait son syndicat : useurs de grains, choisisseurs et emballeurs, gazetiers, englobeurs et enfourneurs. De même, à côté des ouvriers monteurs et finisseurs de chaussures, s'était créé, en 1900, le syndicat des talonneurs et parties similaires. Les conducteurs typographes voisinaient avec les imprimeurs. L'effort de regroupement porta ses

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fruits : en 1901, fut créée la Fédération de la céramique, groupant 27 syndicats. Celle des sabotiers qui s'intégrera plus tard dans les cuirs et peaux, existait déjà avec huit syndicats.

Le deuxième centre ouvrier du département, de Saint-Junien, manifestait déjà une turbulence anarchique. L'échec de la grève de 1894 avait provoqué des dissenssions syndicales et, en 1896, il s'était constitué un syndicat des corroyeurs et tanneurs qui spécifiait, dans son article 23, que « le cas de grève générale ne serait valable que par une décision prise par l'assemblée générale aux deux tiers plus 1 des membres présents ». De même, le syndicat des ouvriers gantiers se reconstituait en 1898, sous l'impulsion de Verheart, secrétaire général de la Fédération nationale des ouvriers gantiers. L'influence spécifiquement corporative l'emportait sur le concept prématuré d'agitation sociale et de lutte des classes. Le 22 novembre 1895, le sujet belge Grange, secrétaire de la Fédération internationale des gantiers, apporta aux camarades de Saint-Junien le salut fraternel des gantiers belges, allemands, autrichiens, italiens, « le travail n'ayant pas de patrie ». Mais, dans les années qui suivirent, Saint-Junien devint le théâtre de luttes sociales acharnées, qui atteignirent leur point culminant en décembre 1902. 300 coupeurs gantiers, dépendant, de 25 patrons, se mirent en grève le 16 décembre 1902 pour réclamer une augmentation de 0 fr. 25 par douzaine de gants. La grève des coupeurs, qui dura deux mois, réduisit au chômage 1.143 «raseuses et brodeuses de gants. Des manifestations bruyantes se déroulèrent dans la ville gantière. Finalement, le travail fut repris sur les bases d'une augmentation de 0 fr. 25 sur certaines catégories de gants d'hommes, et d'une unification des tarifs. Et . le salaire journalier des ouvriers gantiers fut porté de 5 francs à 5 fr. 40 pour dix heures de travail. Les chefs de parti ouvrier de Limoges prirent parti pour les gantiers de Saint-Junien, euxmêmes sous l'influence d'un fort noyau anarchiste.

De 1902 à 1904, les mouvement ouvrier atteignit son paroxysme à Saint-Junien, jusqu'au moment où, les syndicats reconnus, les conditions de travail furent placées sur des bases plus stables. Pourtant l'intransigeance patronale restait grande dans la mégisserie, occupant 650 ouvriers. En février 1896, avait éclaté, dans l'une des principales maisons, une grève de cinq palissonneurs qui furent brutalement congédiés. De nombreux conflits eurentlieu dans les années qui suivirent. De même, les ouvriers des papeteries de paille, concentrés dans la Société des papeteries du Limousin, ainsi que les sachetières des petites fabriques de sacs à papier, recevaient des salaires très faibles. Une longue grève, du 26 octobre 1904 au 31 décembre 1904, mit aux prises les ouvriers papetiers et le conseil d'administration de cette société. Les ouvriers demandaient un salaire minimum de 2 fr. 50 pour une journée de dix heures. La grève donna lieu à des rassemblements d'ouvriers armés de fourches qui se portèrent aux usines que la société possédait dans la vallée de la Vienne en amont de Saint-


Junien et qui réussirent à débaucher les ouvriers d'Aixe et du Val d'Enraud. La grève prit fin sur une transaction. Dans les années qui suivirent, l'organisation syndicale, associée à la grève, se propagea en remontant la vallée de la Vienne : usine de SaintMartin-Terressus en janvier 1907, du Moulin Neuf de Châteauneuf-la-Forêt en mai 1907. Les ouvriers- de cette dernière usine obtinrent un relèvement des salaires de 1 fr. 90 à 2 fr. 50.

Une troisième zone syndicalement organisée fut celle de SaintYrieix, où l'on trouvait des ouvriers travaillant dans les carrières de kaolin de Marcognac et Coussac-Bonneval, ainsi que huit cents fendeurs de bois, ou feuillardiers disséminés dans les feuillards des châtaigneraies des cantons de Châlus, Saint-Yrieix, Nexon. Ces feuillardiers, d'origine rurale, isolés, inorganisés, sans instruction, travaillaient quinze heures par jour pour un salaire de 1 fr. 25. En 1899, 60 feuillardiers de Saint-Yrieix se mirent en grève pour réclamer une augmentation de salaire. Les patrons, pris au dépourvu, acceptèrent. Dans les jours qui suivirent, la grève s'étendit en chapelet vers Bussière-Galant, Nexon, Châlus. Une tentative de conciliation, sur l'initiative du juge de paix de Châlus, échoua. Le 21 décembre, le travail fut repris aux anciennes conditions. Ce soulèvement de la misère provoqua la formation d'un syndicat, à Saint-Yrieix, puis à Bussière-Galant. Ce dernier syndicat groupait dès 1901, 861 feuillardiers.

Dans l'hiver de 1900 à 1901, l'agitation reprit, dans le canton de Saint-Yrieix où les patrons' refusaient de respecter les tarifs de l'année précédente : 52 ouvriers abandonnèrent un patron. Celui-ci céda, mais la cessation du travail s'étendit, par mouvements disséminés, non coordonnés, à travers les multiples chantiers des cantons de Nexon et de Châlus. Les feuillardiers, gens frustes, étaient toujours soumis à l'exploitation patronale : 1 fr. 25 par jour pour quinze heures de travail. Une nouvelle tentative de conciliation faite par le juge de paix de Châlus ne réussit pas : des fils de colons, des domestiques de ferme remplaçaient les grévistes. Néanmoins, ces derniers obtinrent une augmentation des prix des façons qui porta leur jburnée de 1 fr. 25 à 1 fr. 50. Cette augmentation renforça le syndicat des feuillardiers, il donna aux 800 feuillardiers de la région, en face des 34 marchands de feuillards et d'échalas, une force que consacrait le nouveau contrat relevant les tarifs.

Les ouvriers du bâtiment de Saint-Yrieix se mirent euxmêmes en grève, en mai, exigeant 0 fr. 50 de l'heure, puis 0 fr. 55. Seuls, les charpentiers obtinrent satisfaction, et leur salaire journalier se releva très sensiblement de 2 fr. 75 à 4 fr. 20. Cette victoire favorisa également le développement syndical.

Quels furent les caractères de l'action syndicale, de 1895 à 1905 ? Elle fut soumise, dans une grande mesure, à l'influence du secrétaire de la Bourse du Travail. Celui-ci, dès 1896, avait répudié la grève générale. Il devint rapidement réformiste, et même millerandiste militant. Il s'ensuivit que l'action politique

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révolutionnaire se sépara de l'action corporative et prit son essor, en opposition violente avec l'esprit de la Bourse du Travail, qui semblait s'orienter de plus en plus vers la collaboration des classes.

La Bourse du Travail de Limoges tendit à devenir un organisme régulateur du travail. Elle était d'abord une école d'apprentissage, de formation professionnelle, avec des cours de coupeurs de chaussures, d'ébénistes, de charpentiers, tailleurs de pierre, tailleurs et coupeurs d'habits, peintres céramistes, et même de solfège, suivis par 250 élèves en 1900. Elle ne put d'ailleurs réaliser toutes ses ambitions sur ce point, car les meilleurs ouvriers n'étaient pas toujours d'excellents pédagogues. Mais elle allait de l'avant, et, au congrès corporatif de 1900, Treich fit un rapports sur les cours professionnels dans les syndicats ouvriers et les Bourses du Travail. Dans ce domaine, son influence fut utile, et l'on peut dire que l'enseignement technique qui passa ensuite à l'Ecole nationale professionnelle, eut son origine à la Bourse du Travail.

D'autre part, la Bourse devint un bureau de placement qui se substitua aux bureaux de placement payants. En 1900, 610 ouvriers placés par son intermédiaire eurent du travail

L'apogée de la Bourse du Travail de Limoge se place en 1901. Transférée du cabaret de Treich dans des locaux spacieux de la rue Manigne, elle possédait une caisse de chômage, une fanfare. Elle avait distribué en 1901 552 francs de secours aux grévistes et 197 francs pour le « viatique » aux ouvriers de passage.

Treich, son secrétaire, orientait son ambition vers la politique ministérialiste, le radical-socialisme. Le 6 octobre 1899, recevant à la Bourse du Travail le ministre Millerand, il s'écria : « Depuis votre entrée au ministère, nous sommes devenus des ouvriers libres ! ». Et il demanda au ministre la mise à l'étude de l'arbitrage obligatoire.

A cette époque, les ouvriers du cercle de « l'Avant-Garde » où survivait l'esprit insurrectionnel de la Commune, ainsi que le Cercle des républicains socialistes, animé d'un esprit guesdiste, adhérant au Parti ouvrier français, attaquèrent avec violence les ministérialistes qui, comme Treich, passaient à l'ennemi de classe. La nouvelle génération ouvrière se pénétrait de la doctrine de la lutte de classes, sous l'influence de brochures marxistes et réagissait contre l'esprit des Bourses. Le militant Noël affirmait, le 14 avril 1901, que les Bourses du Travail ne devaient pas éclipser les fédérations de syndicats. En janvier 1900, Treich, très attaqué pour son opportunisme, puis accusé de concussion, céda la place de secrétaire de la Bourse du Travail à Frugier. Il s'efforça de créer un cercle d'unité socialiste modéré, rival des deux cercles ouvriers révolutionnaires, mais, déconsidéré, il échoua dans son entreprise.

D'autre part, l'esprit révolutionnaire revivait dans les syndicats, à la base. C'est ainsi que la grève générale fut à nouveau

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préconisée au congrès de la Céramique, qui se tint à Limoges en juin 1902. Sur ce sujet, le secrétaire de la Fédération de la Céramique de Limoges, Tillet, fit la critique des grèves partielles : énergie dépensée en vain, militants mis à l'index. Et il rappela l'action de résistance du syndicat patronal des porcelainiers de Limoges qui, en 1896, au moment où les journaliers de la porcelaine, enfourneurs et hommes de feu, réclamaient par la grève une augmentation de salaire de 0 fr. 25 par jour, avaient décidé la fermeture des fabriques. Il préconisa la grève générale, seul moyen capable de transformer l'état social, de préparer la société future et d'accomplir la suppression du salariat. Sa proposition fut adoptée par 16 syndicats contre 5 abstentions. Et, dans les années qui suivirent, une reprise de conscience de l'esprit de classe ramena la Fédération des syndicats de Limoges et du Centre, qui éclipsait désormais la Bourse du Travail, vers un esprit plus âprement revendicatif. La Fédération créa un sous-comité de la grève générale, sous l'impulsion de l'ouvrier Noël. Les tendances guesdiste et allemaniste se manifestaient à nouveau avec vigueur. A cette époque, l'anticléricalisme et l'antimilitarisme suscités par l'affaire Dreyfus, passionnaient l'opinion, même ouvrière, et, à l'action purement corporative de la classe ouvrière, s'ajoutèrent alors des éléments d'ordre politique, exploités par les militants socialistes contre la bourgeoisie. Et l'émeute révolutionnaire de Limoges de 1905 est caractéristique à cet égard : son sens est moins revendicatif que politique.

De 1897 à 1905, la lutte par la grève s'efforça, néanmoins, d'atteindre les objectifs bien définis et mûrement étudiés.

Tout d'abord, les grèves tendirent à l'augmentation des salaires. Certes, si les salaires des pâtiers et décorateurs de la porcelaine, ceux des monteurs en chaussures demeuraient relativement élevés, environ 4 fr. 50 par jour, ainsi que ceux des gantiers de Saint-Junien : 4 fr. 50 par jour, certaines catégories demeuraient défavorisées, les ruraux surtout. Les feuillardiers qui atteignaient à peine 2 francs, obtinrent, en 1901, en même temps Que les charpentiers de Saint-Yrieix, une légère augmentation. Les ouvriers porcelainiers des petites fabriques qui subsistaient, comme Saint-Brice, Sauviat, à proximité, la première de la forêt de Brigueil, la seconde des bois de la vallée du Taurion, et qui n'avaient pas abandonné la cuisson au bois, recevaient, en 1902, des salaires moitié moindres de ceux des ouvriers de Limoges : tourneurs : 2 fr. 25 par jour ; enfourneurs : 2 fr. 50 ; émailleurs : 2 fr. 35. Les manoeuvres-hommes gagnaient de 1 fr. 20 à 2 fr. 20 par jour pour 11 heures 30 de travail, les femmes 1 franc Pour 6 à 8 heures de travail. Ils obtinrent une augmentation de 0 fr. 25 par jour, en janvier 1902. Mais ce sont surtout les femmes qui étaient le plus exploitées : les ouvrières gantières de SaintJunien avaient un salaire journalier de 0 fr. 75 à 1 fr. 50 pour 10 heures de travail ; les chemisières de la fabrique Chôteau, de Limoges, l fr. 50 ; les décalqueuses des fabriques de céramique,

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de 1 fr. 50 à 2 francs. Dès 1898. le principe « à travail égal, salaire égal » fut soutenu, et l'action en faveur de l'ouvrière, désormais acceptée à l'atelier, comme égale de l'ouvrier, fut entreprise. Les salaires féminins lentement se relevèrent. En août 1904, éclata une grève des gantières de Saint-Junien ; il y eut une émeute, des ballots de gants furent incendiés. Les ouvrières en sac de papier de Saint-Junien obtinrent, elles aussi, une augmentation en 1904, après 29 jours de grève.

D'autre part, les ouvriers continuèrent à lutter pour l'unification des tarifs. Cette unification sembla acquise dans la typographie, lorsque, en février 1900, 150 ouvriers typographes présentèrent leurs revendications au président de la Chambre syndicale des maîtres-imprimeurs. Les ouvriers réclamèrent et obtinrent un salaire journalier de Sfrancs pour les typographes, travaillant « à la conscience », ainsi qu'un relèvement d'une série de tarifs pour le travail à la tâche. Néanmoins, la non-observation de ces tarifs par l'imprimeur de La Croix, Dumont, déclencha de la part de ses ouvriers, du 22 mai au 19 juin 1900, une grève tumultueuse avec charivaris devant la maison de cet imprimeur, défilés grotesques, jets de pierres. Dumont se refusait obstinément à reconnaître le syndicat des typographes et à traiter avec lui.

Les ouvriers obtinrent aussi des diminutions de la journée de travail. L'on s'acheminait vers la journée de 10 heures, à travers bien des difficultés. Ainsi, en 1903, les linotypistes obtinrent une réduction d'une heure de la durée journalière du travail. En 1902, les mégissiers de l'entreprise Dumas et Raymond à Saint-Junien passèrent de 11 heures à 10 heures 30. De même, en 1904, les mégissiers de l'entreprise Lévêque, à Saint-Junien : de 11 heures à 10 heures. Le 29 octobre 1904, les ouvriers de la céramique réclamèrent et obtinrent l'application aux hommes de four de la loi de 1848 sur la durée maxima de 12 heures consécutives du travail. Ils étaient astreints à suivre durant de longues heures, et sans relève, la cuisson de la porcelaine. ,

En décembre, les serruriers obtinrent la journée de 10 heures, sans diminution de salaire. En novembre 1905, les ouvriers d'Etat de la manufacture des tabacs exigeaient la journée de 9 heures.

Les ouvriers luttèrent également pour le repos hebdomadaire, accordé en 1906. Les démocrates chrétiens s'efforcèrent de promouvoir cette réforme sociale, en soutenant les syndicats d'employés de commerce qui réclamaient le repos du dimanche. Pour obtenir ce résultat, qui heurtait les habitudes de vie, des démonstrations dans la rue eurent lieu, les employés de commerce obligeaient les commerçants à fermer boutique. De même, le 11 juin 1900, les apprentis et garçons coiffeurs parcoururent les rues de Limoges pour obtenir des patrons la fermeture des boutiques, le dimanche à partir de 5 heures du soir.

De leur côté, les ouvriers boulangers protestaient contre le travail de nuit.

Enfin, une action de longue haleine commença contre le 64


travail aux pièces, régime quasi général de la rémunération ouvrière à Limoges. Les ouvriers se rendaient compte que le travail à façon, en créant entre les ouvriers une concurrence meurtrière, avait pour résultat de miner la santé de l'ouvrier et d'être la cause de sa mort prématurée. Chose curieuse : l'abolition du travail aux pièces fut d'abord demandé dans la porcelaine par les peintres sur porcelaine de la maison Haviland. Or, les différences de travail, en fonction des talents individuels, étaient très grandes dans cette corporation et pouvaient justifier des échelles variables de salaires. Les peintres céramistes firent taire leurs intérêts individuels et, après une grève qui dura du 2 février au 15 février 1905, ils obtinrent la substitution du travail aux pièces par le travail à l'heure. Néanmoins, il fallut de longues années pour que le travail à l'heure l'emportât : celui-ci ne fut définitif que vers 1930. Enfin, la lutte contre l'introduction des machines persistait : grèves des 90 porcelainiers de la fabrique de SaintBrice pour empêcher l'introduction des machines à mouler les assiettes, tasses, soucoupes ; grève des mégissiers de la maison Dumas et Raymond à Saint-Junien, contre des machines ; ordre du jour de la Fédération nationale des cuirs et peaux réunie à Limoges, en 1907, protestant contre l'emploi des machines dans la cordonnerie.

Ainsi, vers 1905, les syndicats demeuraient agissants et constituaient les véritables « écoles primaires du socialisme ». Cependant, les syndicalistes avaient en face d'eux, non point la bourgeoisie en soi, le capitalisme anonyme, mais des patrons chefs d'entreprises, qui défendaient pied à pied leurs positions. Ces patrons, pour compenser la diminution du nombre d'heures journalières de travail, s'efforçaient d'obtenir un travail plus suivi, plus intense, en introduisant dans leurs fabriques des règlements d'ateliers rigoureux. Ils se heurtèrent, encore une fois, à l'esprit d'indépendance de la population ouvrière. Il en résulta des conflits, par exemple une grève générale des porcelainiers, du 2 avril 1902 jusqu'au 23 mai, pour protester contre un règlement d'atelier qu'ils estimaient draconien : les ouvriers obtinrent de pouvoir prendre leur casse-croûte dans l'atelier.

Parfois les patrons ripostèrent à la grève par le lock-out : ce fut le cas en octobre 1904, au cours d'une grève des papetiers de Saint-Junien qui réclamaient une augmentation de salaires. A l'unité d'action patronale correspondait l'unité croissante de la classe ouvrière. C'est ainsi que la grève de la fabrique de chaussures de la maison Fougeras hâta le mouvement de fusion des six syndicats de la chaussure en une fédération qui comptait, en mars 1905, 1.450 syndiqués, groupés en six sections. Le premier acte de ce mouvement d'unité, fut la fusion, le 1er mars, du syndicat des coupeurs de chaussures avec celui des cordonniers et machinistes de la cordonnerie.

Au printemps de 1905, Limoges et Saint-Junien se trouvaient dans une position permanente de grève : grève des chaussures

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Lecointe le 3 mars, occasionnée par la demande de renvoi d'un contremaître détesté ; grève de la maison Th. Haviland le 29 mars, grève des coupeurs de poil de chèvre de la maison Beaulieu ; grève des carriers ; grève de la maison Monteux sur la restriction du nombre des apprentis de la chaussure. Une grève succédait à l'autre. Il s'ensuivait un état de surexcitation dans la classe ouvrière, exacerbée par les négociations sur l'unité du parti socialiste, qui se poursuivaient activement. Le syndicalisme était à la tête de l'action révolutionnaire.

En avril, la situation s'aggrava par une grève des typographes, qui dura du 8 au 11 avril et affecta 800 ouvriers.

Le 2 avril 1905, une manifestation ouvrière eut lieu devant l'usine de Théodore Haviland. Le 10 avril, le syndicat patronal de la porcelaine annonça la fermeture de toutes les fabriques si les ouvriers de la fabrique Haviland, qui comptait 1.200 ouvriers, persistaient dans leurs revendications. La ville prit alors un aspect iiouleux. Une manifestation eut lieu à 13 heures devant l'Hôtel du corps d'armée dirigée contre le général Tournier, récemment nommé. Le 12 avril 1905, malgré de nombreux pourparlers qui avaient lieu à la préfecture de Limoges, le lock-out patronal entraîna la fermeture de 19 fabriques sur 32. Le 14 avril, après une réunion à la Bourse du Travail, des manifestations tumultueuses se produisirent devant les principales fabriques : 9.500 ouvriers, jetés à la rue, revendiquaient. Le 15 avril, les manifestations continuèrent, avec envahissement des usines. Le 17 avril, une manifestation conduite par deux adjoints socialistes, Betoulle et Fèvre, réclama en vain à la préfecture l'élargissement de grévistes arrêtés, puis se porta vers la prison pour l'assaillir. La troupe tira, pour se dégager, un ouvrier fut tué.

Le 22 avril, un arrangement intervint devant le juge de paix du canton Nord : la délégation ouvrière reconnut la liberté du patron quant à la direction du travail et au choix de son préposé, mais obtint le renvoi du contremaître qui avait été la cause de la cessation du travail à la fabrique Théodore Haviland. La demande de modification des tarifs fut différée.

Le travail reprit le 23 avril dans les fabriques. Néanmoins, les grèves partielles continuaient : engazeteurs de la maison Charles Haviland, le 28 avril ; décalqueuses de la maison Ahrenfeldt, du 30 avril au 3 mai ; grève de mégissiers à Saint-Junien, le 9 juin. Le 29 juillet 1905, à l'occasion du premier congrès de la Fédération socialiste du Limousin, à Limoges, Jules Guesde enfiévra la classe ouvrière en préconisant, une fois encore, et devant 2.000 personnes, la lutte des classes.

Les événements d'avril 1905 eurent un effet notable sur la population. Us mirent en relief les élus municipaux socialistes qui avaient fait cause commune avec les manifestants. Ils encouragèrent les habitants des campagnes, prolétaires ruraux, à s'organiser, soit syndicalement, soit politiquement.

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b) Mouvement syndical (suite) : 1905-1914

De 1905 à 1914, en effet, l'organisation syndicale déborda les trois centres de Limoges, Saint-Junien et Saint-Yrieix et s'étendit aux petits établissements disséminés dans le département. L'année 1907 est caractéristique, elle vit naître des syndicats d'artisans ou prolétaires ruraux ■: mérandiers et feuillardiers de Saint-Yrieix, de Saint-Léonard, ouvriers en bâtiment de Châteauneuf, usine d'extraits tannants de Saint-Denis-des-Murs, carriers de Droux, ouvriers et ouvrières de l'industrie lainière de Saint-Junien, ouvriers en chaussure de Saint-Léonard. En 1909, apparurent le syndicat des mines de wolfram de Saint-Léonard, celui des feuillardiers d'Oradour-sur-Vayres.

D'ores et déjà, le syndicalisme avait cause gagnée auprès des pouvoirs, ainsi qu'en témoigne une lettre de Rerioult, ministre du Travail, aux préfets : « Les syndicats, quand ils groupent une partie notable des ouvriers de la profession, peuvent être légitimement considérés comme aptes à représenter les ouvriers auprès des employeurs ».

Cette aptitude, la Fédération des syndicats de la HauteVienne, naturellement, la revendiquait. En effet, le double effort d'extension et de concentration donnait ses fruits. En 1914, à la veille de la guerre, 28 syndicats comptaient 6.750 membres. Deux grandes fédérations départementales, celle de la céramique et celle des cuirs et peaux, contenaient d'importantes masses ouvrières. La Fédération des travailleurs du papier de la HauteVienne, créée en 1910, s'efforçait de grouper les travailleurs des papeteries échelonnées dans la vallée de la Vienne. Dans la région de Saint-Yrieix, deux groupes : les feuillardiers et fendeurs du Limousin (1901) et les terrassiers du Centre (maçons, terrassiers et ouvriers des carrières de kaolin), constituaient deux syndicats actifs. Ce dernier syndicat avait été créé à l'instigation des feuillardiers du Centre, qui ne travaillaient que l'hiver dans les taillis, et qui, l'été, s'embauchaient dans les carrières de kaolin. L'action réussie dans les chantiers des feuillards les incitait à agir contre les riches propriétaires des carrières, pour un relèvement des salaires. Les buts du syndicat des terrassiers du Centre étaient nettement révolutionnaires, puisqu'ils visaient à poursuivre « l'entente des travailleurs du monde entier et la suppression du prolétariat ».

L'expansion syndicale dans les milieux ruraux contribua à la politisation des campagnes, qui sortirent de leur isolement, jusqu'alors propice à l'action tutélaire des familles aristocratiques et légitimistes ou bien bourgeoises républicaines.

Les congrès corporatifs stimulèrent par ailleurs le zèle et l'enthousiasme des militants syndicalistes. En 1907, au congrès des cuirs et peaux, qui se tint à Limoges, de longues discussions permirent aux ouvriers de protester contre les travailleurs en chambre, le travail aux pièces, l'inégalité de salaire entre l'ouvrier

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et l'ouvrière. Les réflexes de classe se manifestèrent par un blâme adressé à l'institution du Conseil supérieur du travail, considéré comme une institution bourgeoise. La propagande antimilitariste s'intensifiait, et une controverse assez caractéristique des tendances s'institua entre le secrétaire de la Bourse du Travail, Rougerie, qui estimait, au cours de ce congrès, que l'action contre le militarisme n'était pas besogne syndicale, et Grifhueles, qui pensait au contraire que l'action antimilitariste entrait dans le cadre syndical. Une motion hervéiste : « plutôt l'insurrection que la guerre », fut votée, mais ce défaitisme radical n'était pas dans la pensée de Rougerie, influencé par Pressemane et le Parti socialiste unifié. En 1913, au congrès de la céramique, les ouvriers préconisèrent la semaine anglaise, protestèrent contre la loi de trois ans, et traitèrent du néo-malthusianisme. La question de la semaine anglaise fut également évoquée au congrès du textile de 1913.

La propagande syndicale s'orienta, durant cette période, vers des problèmes nouveaux, moins corporatifs que politiques. La question de la grève générale continuait à préoccuper les militants, qui accordaient une audience croissante aux conceptions anarchistes, en prenant pour base la charte d'Amiens. C'est ainsi que, le 11 octobre 1907, Cachin, au cours d'une réunion où il fut contredit par les anarchistes, se déclara contre la grève insurrectionnelle en cas de guerre, qu'il considérait comme une trahison, comme un coup de poignard dans le dos.

Effectivement, l'antimilitarisme actif des ouvriers concernait essentiellement l'action de l'armée en cas de grève. Lorsqu'on demandait au soldat de lever la crosse en l'air, c'était parce que ses chefs pouvaient, pour réprimer une manifestation, lui donner l'ordre de tirer contre ses frères de classe. L'antimilitarisme se définissait comme la non-participation des soldats à la répression des grèves. De 1905 à 1914, des grèves corporatives pour le relèvement des salaires éclatèrent dans de nombreux petits centres ruraux. La disproportion entre les salaires de Limoges et de Saint-Junien et ces centres éparpillés était caractéristique. Et cette lutte corporative est en corrélation dans une certaine mesure, avec les progrès du parti socialiste. Les ouvriers des campagnes sortaient de leur isolement, s'ouvraient à la vie sociale.

C'est ainsi que 3.000 feuillardiers de la région de Saint-Yrieix, après une grève d'automne en 1906, une grève dans l'hiver de 1907 à 1908, obtinrent un nouveau relèvement des salaires, montant de 2 fr. 50 à 2 fr. 75.

Des cessations de travail eurent lieu chez les ouvriers du bâtiment du Dorât et de Bellac en avril 1907, avec relèvement des salaires de 2 fr. 80 à 3 fr. 50, chez les terrassiers des mines de wolfram de Saint-Léonard, en mai et juin 1907 ; chez les carriers du kaolin de Saint-Yrieix. en août 1907 avec relèvement des salaires de 1 fr. 75 à 2 francs, chez les ouvriers tuiliers de

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Meilhac en 1908, chez les mineurs des mines de Laurières, Chéni, Nouzilléras, près de Saint-Yrieix, en 1914.

La condition ouvrière avait singulièrement changé de 1905 ù 1914. Les conditions de la vie matérielle s'étaient certes améliorées. Les années 1906 et 1907 furent extrêmement prospères, et elles marquèrent, pour la céramique, l'apogée de Limoges. Ces années de prospérité furent suivies par une crise économique, en rapport avec la crise américaine, qui provoqua de nombreux licenciements et des réductions de salaires. A Saint-Junien aussi, les mégissiers furent réduits à un travail partiel, et le salaire de 4 francs par jour, qu'ils avaient atteint, fut ramené à 2 fr. 50. Dans les teintureries, la ganterie, les affaires demeuraient très lentes.

La crise de surproduction dont on accusait, et l'excès du machinisme, et le travail à la tâche, dura pendant les années de 1908 et 1909. Dans les années qui suivirent, l'on peut constater une sorte de perte d'élan de l'action proprement corporative. Cette perte d'élan se traduisit, jusqu'en 1913, par une sorte de désaffection syndicale. Dans certaines corporations, les effectifs diminuaient, par exemple chez les ébénistes : 83 syndiqéus en 1908, 12 en 1909, mais surtout les militants syndicaux déploraient un absentéisme aux réunions, une sorte d'indifférence à l'égard des questions corporatives.

L'action ouvrière entre 1910 et 1912 eut pour objet l'amélioration de la loi sur les retraites .votée en 1910. Les militants socialistes, sous l'influence de Rougerie, secrétaire de la Fédération des syndicats, et de Pressemane, conseillèrent aux ouvriers de refuser la retenue, prévue par la loi, sur leurs salaires.

Au cours de réunions, nombreuses, l'on provoqua l'hostilité ouvrière contre cette loi. On lui reprochait en particulier d'avoir prévu la retraite à un âge trop avancé, à 65 ans, et les ouvriers demandaient 55 ans. Cette demande était justifiée, notamment chez les porcelainiers qui mouraient prématurément, atteints par une maladie professionnelle dont un médecin de Limoges, le docteur de Léobardy, décrira plus tard les effets, sous le nom de la silicose.

Les affiches d'opposition à la loi, émanant de la C.G.T., furent très lues dans les centres industriels. A Saint-Léonard eut lieu, le 14 mai 1911, un autodafé des bulletins individuels des retraites.

D'autre part, les ouvriers boulangers s'élevaient contre le travail de nuit, soutenus par l'abbé démocrate Marévéry qui vantait les bienfaits du projet de loi réglementant le travail de nuit déposé au bureau de la Chambre, par Justin Godard.

Les réunions syndicales, moins suivies, avaient pour but de Protester contre la cherté des vivres et contre la guerre menaçante. Cependant, le 14 décembre 1912, au cours d'une réunion de 300 syndicalistes, une proposition de grève de 24 heures, pour Protester contre la guerre, fut repoussée à la presque unanimité. Pourtant, une crise économique durable menaçait la porcelaine,

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qui ne se relevait pas de la dépression de 1908. En 1911, cette crise affectait les maisons Vogt et Haviland, et l'insuffisance des commandes provoquait la mise en chômage de 280 ouvriers et ouvrières, en octobre. En 1914, la crise subsistait, entraînant, en mai, de nombreux congédiements chez Haviland et Gérard. Les usines Haviland marquaient une nette décroissance : les effectifs constatés passèrent de 2.300 ouvriers et ouvrières en décembre 1913, à 1.550 environ en mai 1914. Les élections de 1914 s'effectuèrent donc dans une atmosphère de dépression économique.

A partir de 1913, l'attention ouvrière fut évidemment absorbée par le problème militaire. Et ce fut la campagne électorale des candidats socialistes aux élections législatives de 1914 qui accapara le mouvement d'opposition contre la loi des trois ans.

PROGRES MATERIELS ET SOCIAUX DE LA CLASSE OUVRIERE EN HAUTE-VIENNE, DE 1870 A 1914

Au cours de la période qui va de 1870 à 1914, la condition , matérielle et morale des ouvriers s'améliora lentement, grâce aux efforts collectifs de ces derniers.

Cette condition avait empiré sous le Second Empire, où la lente élévation des salaires, de 20 % à partir de 1862, n'avait pas suivi l'augmentation du prix de la vie de l'ordre de 25 %, laquelle avait surtout porté sur la viande et le vin.

Peu à peu, les salaires se haussèrent, alors que le prix de la vie demeurait relativement stable.

Entre 1870 et 1895, les salaires dans la porcelaine allaient de 2 fr. 50 pour les manoeuvres, à 6 francs pour les tourneurs de soucoupes, et même 10 francs pour les peintres, « bourgeois de la classe ouvrière ». Dans les autres corporations, Us étaient assez élevés chez les ouvriers qualifiés : coupeurs de gants, coupeurs et monteurs de chaussures — 4 fr. 50 à 6 francs — compositeurs d'imprimerie : 5 francs.

Dans les catégories moyennes, les sabotiers de Limoges gagnaient 3 fr. 35 par jour. Les ouvriers du bâtiment : peintres, plâtriers, charpentiers, plombiers, 3 fr. 50.

Dans une catégorie au-dessous, il faut situer les journaliers de la porcelaine : hommes de feu, englobeurs, gazetiers, gagnant de 2 fr. 50 à 3 francs, ainsi que les ouvriers des papeteries, gagnant 2 francs, les mégissiers de Saint-Junien de 2 francs à 3 fr. 50.

Les catégories les plus défavorisées étaient celles des ouvriers ruraux qui, à métier égal, n'avaient pas un salaire égal. Ainsi, les mouleurs et tourneurs de la fabrique de porcelaine de SaintBrice ne gagnaient que 2 fr. 50 par jour en 1900, alors que les ouvriers similaires de Limoges gagnaient de 4 fr. 50 à 5 francs à la même époque. Il en était de même des ouvriers en cordonnerie

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de Saint-Léonard, dont les salaires variaient de 1 fr. 50 à 2 fr. 50 par jour, alors que les ouvriers en chaussure de Limoges atteignaient 4 francs.

Les ouvriers ruraux, isolés, inorganisés, étaient les plus misérables. Ainsi, les ouvriers des carrières de kaolin de Saint-Yrieix, de la Jonchère, gagnaient de 1 fr. 50 à 2 francs par jour, vers

1895, pour le travail d'une journée allant de la pointe du jour à la nuit. Avec 36 francs par mois environ, ils devaient faire vivre leur famille. De même, les feuillardiers, isolés dans les taillis des communes de Saint-Yrieix, Bussière-Galant, Châlus, gagnaient 1 fr. 25 pour d'interminables journées de travail. Les ouvriers des chantiers de construction des chemins de fer étaient aussi misérables. Leur salaire de 0 fr. 25 à 0 fr. 27 par heure, soit 2 fr. 80 par jour, 45 francs par mois, couvraient à peine les besoins individuels, de 39 à 40 francs par mois, nourriture sans vin. Ces hommes étaient exploités par des tenanciers de cantines et de cambuses.

Les salaires des femmes étaient plus bas encore. Il est vrai que leur journée de travail, bien souvent, n'avait qu'une durée de huit heures. Certes, une compositrice en imprimerie parvenait à un gain journalier de 2 fr. 50 en 1893 ; et les ouvrières en chaussures arrivaient à gagner 2 francs pour 9 h. 30 de travail. En

1896, une mécanicienne en chaussures atteignait 3 francs, une colleuse 4 francs, une prépareuse 2 francs. Par contre, dans la porcelaine, le salaire d'une décalqueuse n'atteignait que 1 fr. 25 à 1 fr. 50. Dans les papeteries de Saint-Junien, les trieuses de chiffon gagnaient 1 fr. 50, les sachetières à peine 1 franc, pour des journées exténuantes de 10 heures de travail. Les ouvrières à domicile étaient les plus mal payées : couseuse en gants de Saint-Junien à 1 fr. 05 par jour, chemisières de Limoges à 1 fr. 25.

L'action ouvrière qui atteignit son paroxysme entre 1902 et 1905, permit, malgré la défense acharnée des patrons, de légers mais constants relèvements de salaires.

Les imprimeurs et linotypistes arrivaient en tête. De 1892 à 1903, leur salaire passa de 5 francs pour une journée de 10 heures à 6 fr. 50 pour une journée de 9 heures. Les coupeurs en chaussures les mieux payés atteignirent 6 francs en 1904, les peintres sur porcelaine 10 francs, les gantiers 5 fr. 40 en 1903.

De 1905 à 1914, les salaires se relevèrent régulièrement surtout chez les « hommes de feu » de la porcelaine, les papetiers, les ouvriers du bâtiment, dans les campagnes, les ouvriers des carrières de kaolin, les ouvrières tisseuses.

Les corporations venant en tête étaient celles de la porcelaine. Un tourneur anglais pouvait atteindre 10 francs par jour à la veille de la guerre, un useur de grains 6 fr. 50, un gazetier de 8 à 9 francs ; venaient ensuite les ouvriers de l'imprimerie. En 1908, ils obtinrent la signature patronale d'un nouveau tarif, avec les salaires journaliers suivants : linotypiste, 6 fr. 80 ; typographe, 5 fr, 85 ; imprimeur, 5 fr. 50.

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Les ouvriers maçons atteignaient à Limoges 0 fr. 50 de l'heure.

Dans l'industrie du cuir, les gantiers s'acheminaient vers un salaire de 4 fr. 50 à 5 francs, ainsi que les coupeurs de chaussures.

Les salaires des femmes : une couseuse gantière, une sachetière, une tisseuse, une couseuse sur tiges, avaient été également un peu relevés.

Au regard des salaires, le prix de la vie était demeuré relativement stable, quoique avec une tendance à la hausse perceptible en 1910-1914. Le prix du kilo de viande atteignait 1 fr. 50 vers 1900, et le pain valait la même année, à la boulangerie coopérative de Limoges, 0 fr. 30 le kilo de pain de froment, 0 fr. 25 le pain mêlé, 0 fr. 20 le pain de seigle. En 1903, le prix du pain ordinaire s'élevait à 0 fr. 21 le kilo. C'était le prix moyen de la Restauration. Or, les salaires avaient doublé entre le premier quart du XIX 0 siècle et la fin du siècle. Exprimé en quantité de pain, un salaire moyen de quatre francs par jour permettait d'acheter 15 kilos de pain bis par jour. Mais si le prix du pain s'était maintenu stable, celui de la viande avait doublé.

Il semble donc que le pouvoir d'achat des ouvriers ait légèrement augmenté. Comme, d'autre part, la main-d'oeuvre féminine apportait de plus en plus un salaire d'appoint, et que le malthusianisme diminuait déjà le nombre moyen d'enfants par famille, à partir de 1890 surtout, il s'ensuivit chez l'ouvrier un mieux-être.

Ce qui manquait le plus, c'est un logement décent. Les familles ouvrières, tant à Limoges qu'à Saint-Junien, continuaient à s'entasser dans des immeubles vétustés. Souvent, les familles occupaient une chambre unique de 8 mètres sur 6 mètres avec trois lits pour huit personnes, dans des appartements dont les latrines étaient dans la cour. A Saint-Junien, la location d'une chambre se montait à 100 francs par an ; celle de deux chambres, de 120 à 160 francs ; celle de trois chambres, de 220 à 260 francs. L'éclairage demeurait primitif. Il s'agissait de bougies, couleur de pain d'épice, appelées roussines.

A Limoges, les quartiers récemment bâtis de la Société Immobilière des Arènes étaient insuffisants pour loger une population ouvrière grandissante.

Certes, la loi du 10 avril 1908 avait permis de constituer deux sociétés de crédit immobilier. Et, ' d'autre part, deux associations coopératives de construction d'immeubles avaient été créées : l'une, le Foyer limousin, en 1902 ; l'autre, l'Etoile de Limoges, en 1910. Toutefois, le rythme de construction ne correspondait pas à l'afflux des travailleurs qui, venus des campagnes, se contentaient de logements malsains. La démolition des quartiers insalubres de la cité médiévale du « Château » fut l'oeuvre du socialisme municipal. En 1914, le conseil municipal décida de raser le quartier du Verdurier, et fit procéder aux expropriations indispensables.

L'action ouvrière obtint, non seulement une amélioration des

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salaires, mais également une diminution de la durée du travail, qui généralement passa de 12 heures par jour au début de la ni" République, à 10 heures par jour vers 1900. Toutefois, la journée de 10 heures n'était appliquée que dans les fabriques, et les travailleurs ruraux du bâtiment et de la forêt s'efforcèrent de l'obtenir. Le tableau suivant, indiquant pour un certain nombre de corps de métier, la durée journalière du travail à différentes dates, donne une idée de l'acheminement progressif vers la journée de 10 heures.

1880 : polissonneurs de Saint-Junien, 12 heures.

1892 : compositeurs de l'imprimerie Lavauzelle, 10 heures.

1893 : monteurs en chaussures de la maison Blanchard, 11 heures.

1894 : ouvriers en chaussures, 11 heures.

1895 : peintres en bâtiment, 11 heures.

1895 : les ouvriers sabotiers obtiennent la journée de 10 heures.

1895 : carrossiers, 11 heures.

Juin 1895 : les monteurs en chaussures de la maison Dublanchet

obtiennent la journée de 10 heures. Juillet 1895 : les monteurs de la maison Monteux obtiennent la

journée de 10 heures.

1896 : ouvriers en chaussures de la maison Vautour, 10 h. 30. 1896 : ouvriers en porcelaine, maison Guérin, 10 heures.

1901 : mégissiers, maison Desselas, 12 heures ; mégissiers, maison Lévêqùe-Pouret, 11 h. 30.

1901 : papetiers de Saint-Brice, 12 heures.

1902 : ouvriers en porcelaine de Brigueil, 11 h. 30.

1902 : coupeurs-brocheurs de Limoges, 63 heures par semaine.

1903 : gantiers de Saint-Junien, 10 heures.

1903 : linotypistes de la maison Lavauzelle, 9 heures.

1904 : coupeurs en chaussures, 10 heures.

1906 : feuillardiers, 10 heures.

1905 : journée de 10 heures général dans la porcelaine.

1907 : les maçons et tailleurs de pierre du Dorât et de Bellac

obtiennent la journée de 10 heures.

Comme on le voit d'après ce tableau, le centre industriel de Saint-Junien marque un retard caractéristique par rapport à celui de Limoges : l'amélioration générale des conditions du travail, nous l'avons vu, y fut plus tardive. Et la loi de 1900 réduisant à 10 heures la durée journalière du travail, n'y fut pas, d'emblée, employeurs et ouvriers, nous pouvons remarquer que les ganterie, payés aux pièces et qui fournissaient de très longues heures de travail.

Si nous examinons maintenant l'évolution des relations entre employeurs et ouvriers, nous pouvons remarquer que les relations collectives tendirent, à partir de 1895 surtout, à se superposer aux relations individuelles. Certains patrons se refusèrent parfois obstinément à reconnaître l'existence d'un orga73

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nisme syndical, qui, prétendaient-ils, n'avait pas à s'immiscer dans leurs affaires. Ce fut le cas, en 1900, pour l'imprimeur Dumont qui, pour ce fait, fut charivarisé à outrance. Toutefois, dans les conflits du travail, des membres choisis dans l'organisation syndicale, se substituèrent peu à peu, du côté ouvrier, au comité de grève primitif.

D'autre part, les efforts des juges de paix qui, en application de la loi de 1892 sur la conciliation et l'arbitrage convoquaient les parties en litige pour une discussion devant amener la solution du conflit, mirent en présence ouvriers et patrons. La grève ne payant pas, ni d'un côté ni de l'autre, l'on en vint à préférer les concessions réciproques à la cessation du travail qui poussait l'ouvrier à des actes de violence et incitait le patron à persister dans sa position. C'est dans ces conditions que furent élaborées des conventions du travail d'une durée définie, que l'on s'engageait à respecter de part et d'autre.

L'exemple le plus caractéristique du passage d'une position de violence à une politique plus assagie est manifesté par les ouvriers gantiers. En 1903, 300 coupeurs gantiers, dépendant de 25 patrons, firent une grève d'une durée de deux mois, du 16 décembre 1903 au 16 février 1904, en pleine saison de vente. Us obtinrent une ' augmentation de 0 fr. 25 par douzaine de gants et leurs gains passèrent de 5 francs à 5 fr. 40 par jour. H y eut des manifestations, des troubles. Les patrons gantiers subirent un préjudice, ne pouvant honorer leurs commandes. Les acheteurs s'adressèrent aux autres gantiers rivaux de Saint-Junien, ceux de Millau et de Grenoble.

En 1904, à Saint-Junien, au cours d'une très longue discussion, les délégués syndicaux des patrons et des ouvriers mirent au point un arrangement qui porte la double marque du contrat collectif de travail et du malthusianisme économique. L'effort ouvrier porta, en effet, sur la limitation de la concurrence, sur la restriction du mar- ■ ché du travail. C'est ainsi que les ouvriers obtinrent qu'il ne serait plus donné de travail à de nouveaux ouvriers hors ville. D'autre part, il était interdit aux 19 ouvriers demeurant hors ville de former des apprentis. Et non seulement les ouvriers gantiers s'efforçaient d'éteindre la concurrence des ouvriers des campagnes travaillant à domicile, mais aussi ils obtinrent la suppression temporaire — pendant trois ans — de l'apprentissage, sauf pour les fils ou frères d'ouvriers gantiers. En même temps, ils reçurent une augmentation de 0 fr. 25 par douzaine sur certaines catégories de gants de femmes. Le contrat collectif de travail fut renouvelé périodiquement. En 1910, une nouvelle augmentation de 0 fr 25 par douzaine de gants fut approuvée par l'organisation ouvrière par 134 voix contre 90. L'esprit de négociation l'emportait sur la violence.

Un contrat liait également le syndicat des imprimeurs et la Chambre syndicale des maîtres-imprimeurs, réglementant le tra74

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vail, rémunéré soit à l'heure et au rendement combinés, soit « à la conscience ».

Dans la porcelaine, par' contre, les arrangements collectifs furent très difficiles à établir, du fait de la persistance des vieilles traditions artisanales. Nous avons vu que l'une de'ces traditions, . la retenue sur les salaires pour la « fente », c'est-à-dire la détérioration à la cuisson de pièces façonnées, était à l'origine des grèves ouvrières de 1837, 1864, 1870. Elle s'appuyait sur l'idée de la responsabilité ouvrière.

D'autre part, dans la plupart des fabriques, l'ouvrier calibreur, tourneur ou mouleur subissait une retenue, généralement de 10 %, pour faire face au salaire des batteurs de pâte ou « croûteurs », aux frais de lumière et d'épongé. Cette coutume désuète disparut tardivement, après des grèves, jusqu'au moment où l'ouvrier pâtier reçut un salaire franc, les frais annexés de fabrication passant à la charge de l'employeur.'

Mais cette retenue de 10 % ne disparut que par étapes. Et, en 1896. si les ouvriers purent faire admettre l'inscription sur les tables de salaires patronaux, les frais de batteurs de pâte, les frais d'éclairage restèrent longtemps à la charge des calibreurs. mouleurs et tourneurs.

Il faut noter aussi que la rémunération du travail s'effectuait encore, en 1914, selon le régime initial du travail à façon.

Les ouvriers étaient payés aux pièces, selon un tarif qui, à l'origine, fut l'objet d'un contrat individuel, mais qui peu à peu devint collectif. Mais que de discussions et de conflits l'application des tarifs entraîna-t-elle ! L'unification des tarifs n'était pas réalisée en 1913, elle figurait parmi les revendications du syndicat des calibreurs en porcelaine. En effet, les tarifs faisant l'objet de contrats individuels ou de contrats de fabrique étaient variables, du fait de la diversité des objets fabriqués, qui répondaient aux goûts individuels, aux nécessités du luxe. Aussi, la conception du travail à l'heure fut-elle tardive : les gazetiers de la maison Haviland ne passèrent du travail aux pièces au travail à l'heure qu'en 1909. De singulières pratiqués subsistaient à cette époque : ainsi à la fabrique Guérin, les useurs de grains étaient, en 1909, sous la dépendance d'un tâcheron général, qui prenait des ouvriers à la journée. Cet intermédiaire dût se retirer à la suite d'une grève.

Le travail à l'heure fut soutenu par des ouvriers clairvoyants qui se rendaient compte que le travail à la tâche, en exacerbant la concurrence ouvrière, avait pour effet de faire travailler l'ouvrier au-dessus de ses forces. Le travail à la tâche fut abandonné, mais parfois avec des retours en arrière. Ce fut le cas, en 1918, chez les useurs de grains, qui obtinrent la faculté de travailler aux pièces, sur la base de 2 francs les 100 pièces pour les polisseurs, 1 franc les 100 pièces pour les useurs de grains.

Même remarque en ce qui concerne l'industrie de la chaussure. Les tarifs étaient variables selon la forme de la chaussure. Et, dans cette branche, la situation se compliqua du fait de Tntro75

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duction de machines qui accroissaient le rendement. Cet accroissement provoquait de la part du patron une adaptation des salaires aux pièces dans le sens d'une diminution. Pour donner un exemple, en mars 1907, l'introduction d'une machine à vernir dans la fabrique de Fougeras, provoqua l'arrêt du travail de 8 finisseurs qui consentirent finalement à être payés à raison de 10 francs le cent au lieu de 14 francs.

D'autre part, le travail de la chaussure était favorable à l'ouvrière, car il exigeait plus d'habileé que de force manuelle. Aussi, la concurrence féminine fut-elle le souci permanent des ouvriers en chaussure, qui s'efforcèrent d'empêcher aux femmes l'accès de la profession, notamment dans les spécialités de coupeurs, monteurs. En 1896, le syndicat de la chaussure demandait le renvoi des femmes de toutes les fabriques. La guerre de 1914-1918 provoquant une pénurie de main-d'oeuvre, permit à la femme l'accès de la spécialité de coupeuse, alors que son activité était restée confinée dans les spécialités de colleuse et de mécanicienne.

Enfin, pendant très longtemps, les ouvriers furent hostiles aux règlements d'atelier, trop étroits. Après' le vote de la loi de 10 heures, l'Union des fabricants de porcelaine, soucieuse d'assurer le rendement de son personnel, fit afficher dans les fabriques un règlement intérieur qui prévoyait la fermeture stricte des portes des usines, l'interdiction du casse-croûte dans l'étbalissement.

Les ouvriers s'insurgèrent et il fallut que ce règlement fût assoupli, avec une tolérance au sujet de la fermeture des portes et du casse-croûte.

Aussi, les conditions du travail étaient-elles imprégnées, à la veille de la guerre, d'esprit artisanal. Dans les petites entreprises, le patron restait près de ses, ouvriers et entretenait avec eux des rapports directs, souvent cordiaux. C'était le cas, notamment, dans la porcelaine de Limoges et la ganterie de Saint-Junien. Là, l'ouvrier travaillait souvent par intermittences. Les « coups de collier » lui rapportaient parfois des gains élevés qu'il dépensait sans souci. Souvent, après la paye de la quinzaine, les ouvriers ne rentraient à l'atelier que le mardi, après avoir dépensé, dans les régals du dimanche et du lundi, une partie de leur salaire.

Le chômage volontaire du lundi était fréquent dans la Céramique, à la veille de la Grande Guerre. Aussi, les dirigeants de l'union des syndicats ouvriers de cette corporation, firent-ils campagne, dès 1913, pour la « semaine anglaise » : « le repos du samedi, peut-on lire dans « l'Ouvrier céramiste » de juillet 1913, permettra à certains travailleurs de renoncer au chômage du lundi, ce lundi d'oisiveté dont ils prennent la funeste habitude et qui pèse lourdement sur le foyer ». La semaine anglaise apparaissait surtout indispensable à l'ouvrière, comme un repos réparateur et indispensable, et aussi comme devant lui permettre de mettre son ménage en ordre, faire les lavages, les achats indispensables.

Grâce au salaire aux pièces, l'ouvrier particulièrement habile,

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ou sobre, ou acharné à son travail, pouvait gagner un salaire assez élevé. Cependant, une brèche était faite à ce mode de rémunération. La productivité excessive créait une menace permanente de surproduction, qui justifiait l'attitude de prudence de ceux qui souhaitaient organiser la production dans le sens d'une limitation. L'idée de convention du travail chez un patronat évolué et une classe ouvrière qui avait fait à plusieurs reprises l'expérience décevante de la grève, entrait dans les moeurs.

3) 1914 - 1918

La déclaration de la guerre entre la France et l'Allemagne fut accueillie à Limoges, comme dans le reste du pays, avec une sombre détermination. C'est ainsi que le 3 août 1914, à l'annonce de la mobilisation générale, le conseil municipal fit placarder un appel à la population destiné à fixer, dans l'esprit troublé et flottant de la masse, les directives d'action : « Qu'ils partent ! C'est le devoir de l'heure présente !... Une seule chose importe maintenant : défendre le sol national, sauvegarder la république ! »

Ce manifeste est conforme au réflexe patriotique de la masse ouvrière, et il s'explique, et par l'arrière-pensée virile de revanche, et par l'éducation civique reçue à l'école primaire, et aussi par un réflexe de défense. L'Allemagne, qui avait déclaré la guerre à la France, était considérée comme l'agresseur. Or, les socialistes n'étaient point antimilitaristes dans le cas d'une guerre défensive . ils en admettaient l'éventualité.

Les socialistes se battaient donc pour la république. Le députémaire Bétoulle, dispensé de s'enrôler, organisa d'emblée, avec le conseil municipal de Limoges, un service de secours à l'usage des familles éprouvées. La ville fut partagée en 23 secteurs, i L'ouverture de chantiers pour les chômeurs fut annoncée, mais les commandes de fournitures pour l'armée donnèrent une impulsion au travail. D'autre part, l'allocation aux familles des mobilisés : 1 fr. 25 pour la femme et 0 fr. 50 par enfant soulagea les familles ouvrières.

Les socialistes limousins, persuadés de la culpabilité allemande dans l'origine de la guerre, participèrent donc à l'union sacrée. Néanmoins, le patriotisme d'un socialiste n'était pas un instinct belliqueux aveugle, mais un sentiment réfléchi. Aussi, les socialistes participaient-ils avec une conscience droite à la guerre du droit. Il s'agissait d'abord de convaincre l'adversaire de son erreur et de sa faute. Aussi pouvait-on lire dans le « Populaire du Centre » : « Que nous rallions, sous la poussée des événements, les prolétaires allemands enfin éclairés à notre point de vue, et notre triomphe ne fera plus de doute. »

Le socialiste en uniforme, comme le chrétien, demeurait fidèle à son parti, à son idéal. Il existait une fraternité socialiste, issue d'une mystique semblable à la fraternité chrétienne. Aussi le Populaire publiait-il des listes de tués et de blessés socialistes, pour bien

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montrer aux populations et aux pouvoirs publics que les socialistes étaient à la pointe du combat, et qu'ils étaient capables, comme n'importe quels autres Français patriotes, de faire le sacrifice de leur vie.

Toutefois, c'est à la Fédération socialiste de la Haute-Vienne qu'il appartint d'envoyer le premier message pacifiste, en 1915. Au congrès socialiste de Paris, déjà, trois fédérations : les Ardennes, l'Ain, la Haute-Vienne, s'étaient prononcées en faveur d'initiatives qui. sans porter atteinte au moral des populations en guerre, pourraient préparer le rapprochement des deux peuples. Le 9 mai 1915, au cours d'une réunion plénière des groupes de la fédération de la Haute-Vienne, un rapport fut soumis à ces groupes. Il avait été rédigé en commun par les personnalités suivantes : Paul Faure, qui tenait la plume et avait préparé une ébauche de texte, mais qui, étant mobilisé, ne signa pas, Berland, Pressemane, Parvy.

Dans ce rapport, la fédération de la Haute-Vienne critiquait les inspirations et les attitudes de la commission permanente du parti. Elle lui reprochait un bellicisme sourd aux appels des sections des pays neutres de l'Internationale, et ne s'efforçant plus d'appliquer les résolutions pacifistes des congrès . internationaux, notamment de celui de Bâle, tenu en 1912. D'autre part, il passait au crible de la critique les formules contestables de l'union sacrée, telles que celle qui subordonnait la paix à l'écrasement du militarisme allemand : formule inexace, car ce militarisme ne pouvait disparaître que par l'action des classes ouvrières s'exerçant dans le cadre national. Enfin, les socialistes de la Haute-Vienne préconisaient des attitudes précises : ne pas emboîter le pas aux journalistes fanfarons, ne décourager aucune des tentatives faites par les socialistes d'autres pays pour faire cesser la guerre, et enfin, « tendre une oreille attentive à toute proposition de paix d'où qu'elle vienne, étant bien entendu que l'intégrité territoriale de la Belgique et de la France ne saurait être contestée dans les bases de discussion. »

Cette dernière proposition était à la fois raisonnable et ambiguë, car elle laissait dans l'ombre, apparemment, le problème de l'Alsace-Lorraine.

Le rapport de la fédération de la Haute-Vienne aux fédérations départementales, à la commission administrative permanente du parti socialiste, fut beaucoup commenté. Ce document, d'une clairvoyance et d'un bon sens cartésiens, porta un coup au chauvinisme exalté, exacerbé des socialistes irréfléchis. Il provoqua le retour sur soi-même, prépara quelques esprits à l'adhésion à l'idée d'une paix blanche, à l'esprit de Kienthal et de Zimmerwald.

Toutefois, pacifisme n'est pas défaitisme. Et une nouvelle épreuve attendait les socialistes limousins, qui, en 1919, à propos du problème russe, furent amenés à définir l'essence même de leur patriotisme.

De 1914 à 1918, les militants socialistes de la Haute-Vienne luttèrent donc pour le maintien de l'esprit de l'Internationale, pour

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l'unité ouvrière par delà les frontières. Ils appartinrent à la gauche minoritaire du parti, celle qui refusait l'union à tout prix. En décembre 1915, au congrès national du parti socialiste, les mandats de la Haute-Vienne s'inscrivirent dans les 800 mandats en faveur des négociations de paix, repoussées par les 3.000 mandats des « jusqu'au-boutistes ».

Durant les années de guerre, la vie ouvrière subit des modifications que nous allons essayer de décrire.

Tout d'abord, les besoins de la défense nationale stimulèrent l'activité industrielle et lui imposèrent certaines directions. D'autre part, l'afflux des réfugiés du Nord et même de Belgique opéra un brassage de la masse ouvrière. L'esprit de réformisme actif qui caractérisait l'action de la Bourse du travail de Limoges devait être battu en brèche, à partir de 1919, par l'intrusion d'éléments appartenant, non pas à la partie qualifiée de la classe ouvrière, mais à la catégorie des employés et des manoeuvres. L'esprit dé révolte suscité par la guerre chez les combattants à qui on imposait une discipline de fer se transposa dans la vie civile et donna à l'action révolutionnaire non pas un aspect constructif, mais négatif et destructeur.

Jusqu'en 1916, des transferts de main-d'oeuvre s'opérèrent dans la production. L'industrie de la porcelaine ne connut qu'une médiocre activité. Par contre, l'essor de la chaussure, la résurrection du textile, la mise en place d'une industrie métallurgique de guerre caractérisent les changements qui s'opérèrent, sous l'action des services de l'Intendance et de l'Armement.

C'est ainsi que, la porcelaine étant dès 1915 au tiers de sa fabrication normale, un atelier de coupe d'effets militaires fut Installé dans la fabrique de porcelaine du Mas Loubier. Les métiers à tisser reprirent une activité dans six fabriques de drap de troupe, qui, en 1918, occupaient 400 ouvrières. D'autre part, la demande des fabrications de guerre donna naissance à la société métallurgique de l'Aurence, qui organisa deux ateliers d'obus, avec un personnel de 225 ouvriers. A la fin de la guerre, dans la métallurgie, 14 patrons occupaient 596 personnes.

Mais, c'est surtout l'industrie de la chaussure qui absorba la plus grande partie de la main-d'oeuvre disponible. Elle occupait, dans 3 5fabriques, 5.000 ouvriers en 1917, et ce chiffre monta à près de 6.000 en janvier 1919. Cette branche fut favorisée par l'extension des tanneries. Limoges constituait un centre de tannage très florissant en 1914, avec Bellac et Saint-Léonard. Le nombre des tanneries passa à Limoges de trois à six, et plus de 400 tanneurs étaient occupés en 1919.

En l'absence d'une partie du personnel masculin mobilisé une armée de travailleuses entra dans les usines, et l'extension de la main-d'oeuvre féminine devint irrésistible. Les fabriques de sacs à papier eurent un personnel féminin. Dans la chaussure, les femmes accédèrent à des spécialités jusque là réservées aux hommes. Elles devinrent coupeuses et finisseuses. Dans les tissages, à côté des

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spécialités d'ourdisseuse et de bobineuse, qui leur étaient traditionnellement réservées, elles devinrent tisseuses.

L'accession des femmes à des professions jusqu'alors exclusivement masculines constitue le grand fait de la vie ouvrière provoqué par la guerre. Et il y a lieu de constater que, dans l'industrie limousine où la qualité ouvrière dominante était l'habileté plutôt que la force, le travail des femmes ne rencontra que très peu d'obstacles.

H s'ensuivit que le mouvement revendicatif, lequel, suspendu en 1914, reprit à partir de 1915 avec une ampleur croissante, eut pour but, outre un relèvement des salaires justifié par la cherté croissante de la vie, l'application du principe souvent développé au cours des réunions corporatives : « à travail égal, salaire égal >.

Du fait de la mobilisation des hommes, les femmes passèrent à l'avant-garde de l'action ouvrière. Peu à peu, elles parvinrent à faire hausser leurs salaires et l'écart entre les salaires masculins et féminins tendit à s'atténuer dans les centres de Limoges et de Saint-Junien surtout, alors qu'il demeurait encore sensible dans les centres de moindre importance.

En octobre 1915, après une grève de 14 jours, les ouvrières gantières de Saint-Junien obtinrent un avantage appréciable : le salaire des piqueuses passa à 3 fr. 90, celui des couturières et des noircisseuses à 2 fr. 75, pour huit heures de travail. D'autre part, le tarif de piqûre était unifié dans les quinze maisons de ganterie, et la signature d'un contrat de travail unifié constitua pour elles une victoire incontestable. Au même moment, les sachetières ne gagnaient que 1 fr. 40 à 1 fr. 60 par jour.

En 1916, ce fut au tour des coupeurs gantiers d'obtenir, après une grève qui dura de mars à novembre, l'application du tarif de coupe de Millau, ce qui fit passer leur salaire journalier de 4 francs à 5 fr. 75. Les divisions qui existaient au sein du syndicat patronal leur permirent d'obtenir ce résultat.

Dans la chaussure, les salaires se haussèrent lentement et passèrent, pour les coupeuses de semelles, de 4 francs à 5 francs, et pour les coupeuses de talons à 3 francs. H y a lieu de remarquer, là encore, des retours singuliers au travail aux pièces. C'est ainsi, qu'en octobre 1916, les ouvrières de la plus grande usine de chaussures de Limoges réclamèrent et obtinrent la substitution du travail aux pièces au travail à la journée, si bien que le salaire des mécaniciennes et colleuses passa de 2 fr. 75-3 fr. 25 à 3 fr. 504 fr. 50.

De même, en 1916, à l'automne, les tisseuses obtinrent un relèvement des salaires de 10 % par jour pour les ouvrières aux pièces et de 0 fr. 25 par jour pour les ouvrières à la journée : leur salaire passa de 5 francs à 5 fr. 50 et celui des ourdisseuses et des bobineuses de 2 fr. 75 à 3 francs.

En 1917, les teinturiers en peaux et palissonneurs de SaintJunien, corporation en tête du mouvement social dans la cité gantière, obtinrent une augmentation de 0 fr. 20 à 0 fr. 25 par

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douzaine de peaux apprêtées, et leur salaire fut porté de b à 6 francs chez les teinturiers, de 6 à 7 francs chez les palissonneurs.

En juin 1917, l'agitation sociale prit brusquement un aspect inquiétant, qui rappelle les années de 1864, 1895, 1905. Deux revendications concertées furent alors présentées aux employeurs : une indemnité de vie chère d'au moins un franc par jour, la semaine anglaise. Les grèves s'étendirent : imprimeries, fabrique de feutres, fabrique d'obus de Limoges, tannerie Mallebay, fabriques de porcelaine de Limoges et de Saint-Léonard. La résistance patronale fut faible et de courte durée. Dans presque tous les cas, les ouvriers et ouvrières reçurent des satisfactions partielles : indemnité journalière de vie chère de 1 franc. Dans la porcelaine, un accord général accorda une augmentation progressive de 5 à 25 %. Les finisseuses de l'atelier de coupe du mas Loubier virent leur salaire passer de 3 fr. 40 à 4 fr. 05. La première corporation qui fit la conquête de la semaine anglaise fut celle de la chaussure, où le travail des femmes prédominait : elle fut accordée par le syndicat des fabricants le 3 juin 1917.

Outre leur aspect revendicatif, les grèves de 1917 furent, semble-t-il, l'expression d'un mécontentement, d'une lassitude provoqués par une guerre dont on n'entrevoyait pas la fin. Elles allaient de pair avec le mouvement social qui affectait l'industrie parisienne à cette date.

Les grèves reprirent en septembre 1917, motivées par la cherté croissante de la vie. Du 23 août au 3 septembre, l'ensemble des ouvriers et des ouvrières en chaussure cessa le travail. La chambre syndicale patronale accorda une augmentation de 10 % pour les ouvriers aux pièces recevant un salaire inférieur à 60 francs par semaine et elle assura un salaire minimum de 5 francs par jour au personnel travaillant à la journée. Les salaires, aux pièces, passèrent pour les monteurs, de 50-60 francs par semaine à 60-70 francs.

En 1918 et 1919, la course aux hauts salaires se poursuivit, et, tout naturellement, les corporations les mieux favorisées furent celles dont l'organisation syndicale était la plus forte, ainsi que celles qui fournissaient aux besoins militaires. Le 6 août 1918, après six jours de grève, l'indemnité de cherté de vie des ouvrières en tissage fut portée de 1 à 2 francs. Puis, en mai 1919, les salaires des ouvriers typographes passèrent de 7 fr. 85 à 10 fr. 85 et ceux des linotypistes de 9 fr. 25 à 12 francs. De leur côté, les ouvriers et les ouvrières de la céramique obtenaient une majoration allant de 10 à 38 %. En novembre, l'indemnité de vie chère,- dans cette corporation, fut portée à 2 francs par jour. Les galochiers, de leur côté, obtenaient, en août 1919, avec l'application de la loi de huit heures, un salaire journalier se montant à 13-17 francs pour les pareurs et à 13-15 francs pour les monteurs.

En 1919, la législation sociale fit un pas de plus avec la loi de huit heures. Lors de la discussion de cette loi à la Chambre des députés, le député socialiste de la Haute-Vienne Parvy défendit le

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paragraphe 8, stipulant que la diminution de la durée du travail ne devait pas aboutir à une diminution des salaires. La loi, votée le 23 avril 1919, fut interprétée par Pressemane, dans un discours de meeting prononcé le 1er mai, comme une concession faite par la bourgeoisie au prolétariat. Mais, cette loi, victoire ouvrière, allait dans le sens d'une politique à la fois révolutionnaire et hardiment réformiste qui était celle que préconisait la fédération socialiste de la Haute-Vienne. En cette occasion, Pressemane fit appel au sentiment du devoir ouvrier, et là encore, on peut remarquer qu'il associait étroitement à la révolution économique une réforme intérieure, un perfectionnement moral que deux heures journalières de loisirs devaient favoriser. L'humanisme ouvrier de Pressemane s'exprime dans ces paroles : « Ces deux heures, vous les passerez à l'étude, vous combattrez l'ignorance, vous accroîtrez la vie familiale, vous développerez les sports hygiéniques, vous créerez aes associations pour des promenades instructives... La classe ouvrière est arrivée à la maturité politique si elle n'a pas la maturité économique. »

Le milieu patronal accepta la loi de huit heures et la semaine anglaise. Un travail plus concentré avait l'avantage de diminuer les frais généraux, en particulier les frais élevés du chauffage des ateliers en hiver. Et la semaine anglaise, en accordant à l'ouvrier une détente assez prolongée, finit par faire disparaître le chômage du « saint lundi ».

Le mouvement de grève suscité à Paris au printemps de 1919 par les extrémistes de la métallurgie n'eut pas de répercussion dans la région limousine. Les conflits du travail naissaient de l'application de la loi de huit heures. Les salaires montaient toujours et ils atteignaient, entre juin et octobre 1919 : 15 francs chez les échaneurs et lisseurs de la mégisserie, 16 fr. 20 chez les ouvriers du textile, 14 fr. 40 chez les ouvriers typographes, tandis que les ouvriers des petits centres industriels, dont le retard dans l'évolution des salaires était parfois considérable, arrachaient par la grève quelques avantages : augmentation de 20 % chez les porcelainiers de l'usine Grammont de Saint-Léonard, de 1 franc par jour chez les ouvriers papetiers du val d'Enraud, près d'Isle.

Enfin, les 21 et 22 juillet 1919, une grève générale éclata à Saint-Junien, affectant 1.527 personnes sur un total de 2.500 ouvriers et ouvrières. Les causes de cette grève ne sont pas corporatives. Il s'agit d'une des premières grèves politiques, provoquée pour protester contre la vie chère, contre l'action militaire de la France en Russie, contre les lenteurs de la démobilisation, et pour l'application de la loi de huit heures. Ce dernier motif est le seul d'ordre corporatif, et nous pouvons remarquer que, dès cette date, le problème de la révolution russe va dominer l'ensemble de la vie syndicale et politique des ouvriers limousins. En juillet 1919, les ouvriers de Saint-Jnien recevaient des salaires relativement élevés : mégissiers, 9 francs ; teinturiers, 12 fr.; gantiers, 13 fr. ; gantières, 5 fr. ; papetiers, 8 fr. 30 ; sachetières, 4 fr. 30 ; ouvriers du bâti82

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ment, de 10 à 12 francs. Le stimulant psychologique de l'espérance révolutionnaire explique une cessation du travail dans tous les corps de métier:

A partir de 1920, le mouvement syndical est à nouveau dominé par les concepts de la grève générale et de la révolution violente, dont la Russie a donné l'exemple à tous les pays du monde.

Les divisions du monde ouvrier en partisans et adversaires des soviets vont jeter un trouble permanent, créer une scission profonde dans la classe ouvrière. Cette division se manifesta en septembre 1919 au congrès de la Céramique qui se tint à Paris. Le délégué de Limoges, Bonnet, sans s'élever contre l'attitude majoritaire de la C.G.T., s'efforça de préserver l'unité ouvrière en protestant contre l'antagonisme que certains militants suscitaient entre majoritaires et minoritaires. Son action était parallèle à celle de Pressemane, qui cherchait à préserver le socialisme d'un débordement de gauche. Mais, dans d'autres corporations, notamment les cheminots, la tendance extrémiste devait l'emporter à partir de 1920 et imposer au mouvement ouvrier une direction nouvelle.

4) 1920-1939 — a) MOUVEMENT POLITIQUE

Nous avons vu que la section limousine du parti socialiste avait fait entendre, pendant la guerre, dès 1915, la voix de la raison, de l'esprit pacifiste. La longueur de la législation d'exception, qui empêchait la pensée politique de s'exprimer, ainsi que les transformations morales qui s'effectuaient dans le peuple eussent pu séparer la masse électorale de ses élus. Il n'en fut rien, et le parti socialiste, aux élections de 1919, ne fit qu'accentuer ses positions.

Quelles furent les raisons de ses progrès ? Tout d'abord, les parlementaires, non mobilisés, se préoccupèrent activement du sort des humbles : des soldats à l'avant, des petites gens à l'intérieur. C'est ainsi que le député-maire de Limoges, Betoulle, réclamait la clémence aux conseils de guerre, et il fit une démarche personnelle auprès de Poincaré pour lui demander de ne pas abdiquer son droit de grâce, il organisa dans la ville qu'il administrait un Office départemental des charbons. Puis, en 1919, au moment du vote de la loi sur les pensions, il revendiqua en faveur des enfants naturels. D'autre part, Pressemane défendait à la tribune l'idée d'une prime de démobilisation progressive, et il protestait contre les lenteurs de la liquidation des pensions. Il proposait aussi, comme remède à la vie chère, un prélèvement sur le capital. Valière, de son côté, avait travaillé au relèvement du taux des allocations.

D'autre part, les élus s'étaient efforcés de garder le contact avec « le mouvement silencieux de la masse ». Et leur position de « minoritaires » et de Kienthaliens leur assura, la paix retrouvée, un prestige dû à leur pacifisme courageux et clairvoyant. Aussi, les élections de 1919 marquèrent-elles, en Haute-Vienne, au mo83

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ment où pourtant le corps électoral français glissait vers la droite, par crainte du bolchévisme, un véritable triomphe.

Dès que les conditions d'un retour à la vie politique furent propices, les élus de la Haute-Vienne dénoncèrent les fautes commises par les gouvernants durant- la guerre : l'offensive meurtrière de Champagne, les propositions de paix de l'Autriche non écoutées, ainsi que les tentatives faites contre la révolution russe. Les meetings organisés contre l'intervention française en Russie eurent de l'ampleur. Les masses ouvrières, enfiévrées par l'exemple des soviets, étaient animées d'une volonté révolutionnaire.

Le doctrinaire du socialisme, Pressemane, qui n'acceptait pas les 21 points de Moscou relatifs à l'adhésion à la IIIe Internationale, s'efforça de résister aux mouvements tumultueux qui, selon lui, ne pouvaient conduire qu'à des émeutes sanglantes. D. n'acceptait ni l'antiparlementarisme, ni le défaitisme, ni l'anticolonialisme, ni la subordination au comité central du groupe parlementaire des syndicats, ni les épurations périodiques, ni le changement de titre du parti. Son socialisme continuait à exprimer l'idéal ouvrier français d'avant 1914. n est profondément démocratique, respectueux de l'opinion de la base, hardiment réformiste, appuyé non pas sur le comité d'usine, mais sur le bulletin de vote. D'autre part, le parti socialiste limousin avait une large clientèle rurale, et la question agraire, que les communistes tendaient à résoudre par une collectivisation radicale du sol, pouvait effrayer les petits propriétaires et les détacher du parti. Enfin, Pressemane estimait que les consciences socialistes n'étaient pas encore formées, que l'éducation ouvrière, indispensable à une prise effective du pouvoir, était loin d'être achevée.

Au congrès de Tours, Pressemane se trouva, une fois de plus, avec les élus de la Haute-Vienne, parmi les minoritaires, mais la situation était renversée : il apparaissait non plus à la gauche, mais au centre du parti. Après le vote de l'adhésion du parti socialiste à la IIIe Internationale, il présida une réunion des socialistes constructeurs et résistants, qui formèrent un nouveau groupe dont le secrétaire fut Paul Faure.

La scission opérée, le parti socialiste conserva en Haute-Vienne l'essentiel de sa force : le dynamisme des masses ouvrières qui lui restaient fidèles, les postes tenus par ses élus, son journal, le Populaire du Centre. Dans les années qui suivirent de nouvelles adhésions le renforcèrent. C'est ainsi qu'en 1924, l'influente famille radicale des Tarrade passa au socialisme, entraînant l'adhésion de sa clientèle électorale paysanne du canton de Châteauneuf-la-Forêt.

Le parti socialiste demeurait en Haute-Vienne un parti ouvrier, ainsi qu'en témoigne la composition de sa commission administrative, où les ouvriers l'emportaient de beaucoup sur les intellectuels. Les réunions publiques, au cours desquelles les militants, dans un but d'éducation politique, expliquaient aux gens du peuple les grands problèmes politiques et sociaux du moment : le problème financier et diplomatique à propos de l'occupation de la Rhur, le

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problème du fascisme à propos de l'assassinat de Matteotti, étaient toujours très suivies. Les maîtres en socialisme des militants limousins étaient toujours Jaurès, Vaillant, Guesde.

En 1924, lors les élections législatives, les positions du parti socialiste s'affermirent, malgré qu'il dût subir la double attaque de la droite catholique conservatrice et de l'extrême gauche communiste, sans compter l'hostilité des radicaux qui conservaient de très fortes positions dans les postes électifs : 3 sénateurs, 48 maires et conseillers généraux et d'arrondissement soutenant la liste radicale.

Les communistes, qui se flattaient de faire de la propagande révolutionnaire et non électorale, reprochèrent aux socialistes de n'avoir pas entendu l'appel de Frossard, c'est-à-dire de Moscou. De même qu'en 1914 les socialistes avaient exploité le mécontentement populaire au sujet de la loi des trois ans, de même en 1924 ils s'élevèrent contre le poincarisme et l'occupation de la Rhur. Déjà, deux zones d'influence communiste se formaient en HauteVienne, qui deviendront imperméables au socialisme : le canton rural d'Eymoutiers, le centre ouvrier de Saint-Junien.

Les socialistes sortirent grands vainqueurs de la consultation électorale, avec une moyenne de suffrages de 49.000 voix. Le premier candidat communiste obtint 1.900 voix seulement, dans la ' première circonscription de Limoges.

Entre 1924 et 1928, le parti socialiste conserva en Haute-Vienne son caractère révolutionnaire. En effet, les élus de ce département, condamnant les alliances avec les partis bourgeois, constamment anti-cartellistes, constituaient à la Chambre le noyau de la gauche parlementaire du parti socialiste.

En 1927, les sénateurs radicaux cédèrent la place à des sénateurs socialistes. Le parti socialiste dominait au Conseil général. Toutefois, en 1928, les députés sortants subirent un échec cuisant en perdant 19.700 voix. Il s'agit plutôt d'un accident électoral, dû au fait que les adversaires de droite des socialistes avaient pris l'étiquette de républicains-socialistes, et que l'un d'eux, le docteur Basset, faisait preuve d'un remarquable mordant électoral dans les réunions publiques. Les communistes, qui progressaient dans l'est du département, firent entrer un député au parlement. Le recul des socialistes fut sensible, non seulement dans l'est du département, mais également dans la partie sud et ouest, où existait une population de feuillardiers, carriers, gantiers et gantières, papetiers, syndicalement organisée. Par contre, le nord du département, si laborieusement et tardivement conquis, restait fidèle au socialisme.

Malgré cet échec électoral, le parti socialiste sut, dans les années qui suivirent, faire un travail de propagande qui porta ses fruits. En 1932, ce fut au tour du parti communiste de subir un échec, passant de 17.900 voix en 1928 à 9.800 voix. Par contre, les socialistes atteignaient 40.000 voix, et gagnaient quatre sièges, le siège de Bellac demeurant à la droite. Les socialistes avaient progressé, et vers le nord du département, et vers le sud-ouest. A ce

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moment, l'industrie limousine subissait une crise très grave, et l'agriculture elle-même était touchée gravement par la mévente des produits du sol.

Les communistes, afin de gagner des voix chez les petits propriétaires ou métayers mécontents, firent aux candidats socialistes le reproche d'avoir soutenu une politique protectionniste qui avait provoqué, de la part de l'Allemagne notamment, une hausse des tarifs douaniers sur les produits agricoles, en particulier sur la pomme de terre, produit que le département de la Haute-Vienne, gros producteur, ne pouvait plus écouler. Ils faisaient flèche de tout bois.

Les élections de 1936, sous la formule du Front Populaire, marquèrent une nouvelle poussée socialiste, et vers l'extrême nord et vers l'extrême sud du département. Ces franges, de Magnac-Laval et de Rochechouart, jusqu'alors réfractaires au socialisme, finirent par l'accepter, mais sous une forme à coup sûr atténuée, et plutôt comme l'expression d'un sourd mécontentement que comme l'acceptation d'une clairvoyante volonté révolutionnaire.

Dans l'ensemble du département, dont seize cantons donnaient un pourcentage de plus de 40 % des voix des électeurs inscrits au parti socialiste, l'on peut délimiter les zones de force de la, droite et de l'extrême-gauche. La droite conservait ses positions dans les cantons de riche élevage où dominait encore xa grosse propriété : Bellac. le Dorât, Châteauponsac, Aixe-sur-Vienne, Saint-Laurentsur-Gorre. Ces positions conservatrices coïncident, dans la partie nord du département, avec la région marchoise, située au-delà des monts de Blond et d'Ambazac, qui marque le passage de la langue d'oïl à la langue d'Oc. La limite linguistique semble être en même temps une limite politique. Apparemment, la région bellachone, où plus de 30 % d'électeurs votaient pour le parti socialiste, en 1936, semblait s'orienter vers l'extrême-gauche. En réalité, il faut tenir compte du lent glissement du socialisme vers les couches bourgeoises, aisément perceptible à cette date où le parti socialiste s'apprêtait à prendre le pouvoir. Une autre zone conservatrice coïncide également, au sud de Limoges, avec le berceau de l'élevage limousin, région de riches pâturages, limitée par un arc de cercle passant par Saint-Léonard, Pierre-Buffière, la Barre de Vayrac. Dans cette zone, la grosse propriété subsistait, orientée vers les produits de l'élevage et le perfectionnement de la race bovine limousine.

Ces zones conservatrices étaient masquées par l'importance des voix socialistes, auxquelles s'ajoutèrent, au second tour, les voix communistes, car les candidats de ce groupe, appliquant la discipline du parti, s'étaient désistés en faveur des socialistes.

L'examen des résultats du vote du premier tour donne une indication précise sur le glissement de la masse électorale non prolétarienne vers le parti socialiste. En effet, les communistes passent de 9.800 voix à 15.793, soit un gain de 6.000 voix environ, acquis aux dépens des socialistes. Il est bien évident que les socialistes, qui

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gagnaient 3.000 voix par rapport aux élections de 1932, avaient acquis au détriment des modérés 9.000 voix environ : ils perdaient en effet les voix prolétariennes acquises par les communistes, ils gagnaient par contre des voix modérées. Effectivement, les modérés — des républicains de gauche aux socialistes indépendants — qui passaient de 39.700 voix en 1932 à 32.600 voix en 1936, étaient les grands vaincus de la consultation électorale. Le socialisme, qui atteignait en Haute-Vienne des couches sociales nouvelles, ne demeurait plus un parti révolutionnaire et de classe, mais devenait un parti de républicains, un parti de mouvement, mais réformiste.

Quant au parti communiste, il insinuait son influence tout au long des vallées de la Vienne et du Taurion, rues industrielles où la population ouvrière dominait. Cette influence politique de la vallée de la Vienne, des cantons de Saint-Léonard, Limoges, SaintJunien, Eymoutiers constitue une donnée permanente de la via politique en Haute-Vienne. Certes, le parti communiste n'avait pas pu s'enfoncer profondément dans la massé, parce que son aîné demeurait une incontestable force de transformation sociale. Toutefois, il demeurait comme une force latente, dans la partie du département la plus industrialisée. Seul son peu d'importance à Limoges peut surprendre. Mais cela s'explique par la persistance dans cette ville d'une forme démocratique de l'action ouvrière, en contradiction avec la tactique de violence et de noyautage préconisée par le parti communiste.

A partir de 1938, la vie politique fut dominée par le problème franco-allemand. Là encore, l'on peut remarquer que les réflexes propres en quelque sorte au socialisme limousin ont une fois de plus joué. Les parlementaires socialistes, au courant des périls qui s'amoncelaient sur la France, s'efforcèrent de faire appel, dans la masse, aux sentiments et réflexes patriotiques. Ils furent contrecarrés par des militants, comme Le Bail, qui préconisaient la dénonciation des pactes de sécurité que la France avait contractés avec les nations slaves. Or, il se trouvait que le pacifisme, que Paul Faure avait préconisé en 1915, en rédigeant la motion pacifiste dont nous avons parlé, avait l'appui des masses.

4) 1920-1939 — b) MOUVEMENT SYNDICALISTE

Nous avons vu que la période de guerre avait provoqué un(3 suspension de l'activité politique, mais que l'action corporative suscitée par l'accroissement du prix de la vie, avait persisté, avec pour but l'élévation des salaires.

En 1919, les élections législatives furent un triomphe pour le parti socialiste qui achevait la conquête électorale du département. Et de même, les élections municipales et cantonales furent autant de victoires socialistes.

En mars 1920 furent connues les conditions d'adhésion à l'Internationale de Moscou, que les élus de la Haute-Vienne repoussè87

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rent. Entre autres conditions Pressemane repoussait, et la tactique de la grève révolutionnaire à tout prix, considérée comme une gymnastique de l'émeute, et la mainmise du parti révolutionnaire sur les syndicats, et l'abus du centralisme. Il suivait l'opinion de Guesde, son maître en socialisme.

Les controverses au sujet des 21 conditions de Moscou s'effectuaient dans une atmosphère sociale extrêmement troublée. En mai 1920. un meeting de soutien de la grève des cheminots réunit 30.000 manifestants, l'énorme majorité des ouvriers de Limoges. Puis, des grèves de solidarité déclanchées par la C.G.T., éclatèrent à Limoges et à Saint-Junien, dans le bâtiment, la métallurgie, -les tramways, le gaz d'éclairage, la fabrique de chaussures de Rochechouart, etc.

En juin, après l'échec de la tentative de la grève générale, 300 cheminots furent révoqués à Limoges. La solidarité ouvrière une fois de plus joua en cette occasion : 17.000 francs furent collectés, rien que dans la Céramique, en faveur des cheminots révoqués.

En dehors des grèves de mai, dont le ressort était plus politique que corporatif et qui constituèrent dans tout le pays une tentative révolutionnaire, l'année 1920 vit éclater de nombreuses grèves pour le réajustement des salaires. L'indice du coût de la vie était passé de 100 à 584, et la taxation du pain fixait le prix de cette denrée à 1 fr. 30 le kilo à Limoges, soit une augmentation de plus de quatre fois le prix d'avant-guerre.

Au printemps, les gantiers de Saint-Junien avaient obtenu un salaire de 13 fr. 20 par jour, les ouvrières en chaussures de Limoges atteignaient 12 fr. 50, les tisseurs de Saint-Junien 12 francs.

L'effort ouvrier portait, et sur l'adaptation de la journée de huit heures, notamment dans le bâtiment où la durée annuelle du travail fut fixée, par un accord du 10 avril 1920, à 2.496 heures par an, et sur le remplacement du travail aux pièces par le salaire à l'heure. Les ouvriers de la Céramique, depuis longtemps, estimaient condamnable le système du travail aux pièces qui, basé sur l'égoïsme individuel, provoquait le surmenage et l'usure prématurée de l'ouvrier. En février 1920, un premier pas fut fait par l'unification des tarifs des diverses fabriques, longtemps réclamée avant la guerre. Ces tarifs unifiés résultèrent d'un accord de convention entre le syndicat patronal et le syndicat général des ouvriers de la Céramique.

Cette convention témoignait d'un effort de rapprochement, au lendemain de la guerre, entre la classe patronale et la classe ouvrière. Toutefois, cet esprit de compréhension mutuelle fut de courte durée. En octobre, un conflit, motivé par une demande ouvrière d'augmentation des salaires de 3 fr. 50 par jour, à laquelle le patronat répondit par une proposition de prime à la production et de sursalaire familial, provoqua une grève qui réduisit au chômage 6.000 ouvriers.

Toutefois, dans d'autres corporations, des relèvements de salaires avaient été consentis par les patrons, notamment chez les


feuillardiers de la région de Saint-Yrieix, les tisseurs de SaintJunien, les gantiers et les mégissiers de Saint-Junien, les métallurgistes. Ces derniers obtenaient l'institution d'une commission paritaire chargée d'examiner périodiquement les conditions de vie en vue de l'attribution, le cas échéant, d'une indemnité supplémentaire.

Ce rapprochement entre le capital et le travail fut rompu par les grèves de 1920. Dès le 24 mai 1920 en effet, et à la suite de l'échec des grèves révolutionnaires de mai, les deux bourses du travail de Limoges et de Saint-Junien passèrent sous le contrôle des éléments extrémistes, et cela surtout sous l'influence des cheminots révoqués.

Cette prédominance des éléments minoritaires fut rendue manifeste à Saint-Junien, en juillet 1920, lorsque le syndicat des mégissiers, après s'être retiré de la C.G.T. pour protester contre l'action de Jouhaux, revint sur ses premières décisions en votant l'affiliation à la C.G.T., à condition d'être compris dans les minoritaires. A Limoges, où la Bourse du travail comprenait des éléments plus modérés et où Bonnet, secrétaire adjoint, avait voté contre la grève générale, Bert poussait à l'adhésion à la IIIe Internationale. « Dans cinq ans, affirmait-il, au cours d'une réunion tenue le 29 août 1920 à Saint-Junien,- le monde entier sera soviétisé ! »

Au congrès socialiste de Tours, la section limousine resta fidèle, contre toute attente, à l'esprit de la IIe Internationale. Elle était assurée de sa force, du dévouement de ses militants. A cette date, l'action politique et l'action syndicaliste, étroitement unies dans les années qui avaient précédé la guerre, se séparent une fois de plus. Et il y a lieu de noter que, tandis que, vers 1895, l'action politique du parti socialiste naissant reprochait aux milieux ouvriers de la Bourse du Travail leur acceptation de la collaboration des classes, la situation était inversée en 1920, année où le réformisme était imputé au parti politique, tandis qu'un esprit révolutionnaire animait les militants syndicaux.

L'action communiste, qui travaillait surtout le centre ouvrier de Saint-Junien, s'efforça, pendant l'hiver de 1920-21, de noyauter les différents syndicats, en organisant en leur sein des Comités syndicalistes révolutionnaires. En février 1921, le syndicat des feuillardiers du Centre, rompant avec la C.G.T., devint autonome. L'agitation ouvrière, entretenue par les anarchistes du Comité de Défense sociale, par les communistes recrutés parmi les cheminots révoqués, ne se propageait que lentement dans la classe ouvrière. Toutefois, au sein même des organisations, l'esprit de classe l'emportait, avec la volonté de rompre avec, l'organisation centrale. En septembre 1922, 33 syndicats limousins, dont les deux plus importants : la céramique et la chaussure, se prononcèrent contre l'action du bureau confédéral, pour le retrait de l'Internationale d'Amsterdam et pour l'adhésion à celle de Moscou. Neuf syndicats demeurèrent fidèles à la C.G.T. et constituèrent l'Union locale des syndicats confédérés : imprimeurs, papetiers, relieurs, tanneurs et

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corroyeurs, P.T.T., tabacs, gaziers, préparateurs en pharmacie, ouvriers municipaux.

La scission inévitable s'étant opérée, le mouvement syndicaliste devint un mouvement pluraliste. L'éclatement de l'organisation syndicale, sous la poussée des extrémistes, va provoquer des divisions, des luttes de tendances qui affaiblirent la position de la classe ouvrière auprès du patronat limousin. Quatre tendances vont se marquer : la tendance confédérale, fidèle à la charte d'Amiens, mais qui met l'accent sur le réformisme, sur l'amélioration progressive de la condition ouvrière, la tendance chrétienne, dont l'objectif est surtout le salaire familial, la tendance communiste, qui subordonne le syndicat au parti, la tendance anarchiste enfin d'affirmation de l'autonomie profonde du mouvement ouvrier.

Il y a lieu de remarquer que cette dernière tendance se manifesta avec le plus de force, car c'était elle qui répondait le mieux aux aspirations ouvrières.

En effet, après le premier congrès départemental des syndicats unitaires, le secrétaire de l'Union départementale des syndicats ouvriers de la Haute-Vienne, Beaubelicout, s'efforça de relier l'action proprement corporaticve au mouvement politique. L'apologie du bolchevisme, de l'armée rouge, des soviets, autant de thèmes de' propagande, par lesquels les adhérents à l'Internationale rouge s'efforçaient de passionner l'ouvrier afin de lui infuser une volonté révolutionnaire. Cette propagande affecta surtout les cheminots : sur les 2.300 cheminots, beaucoup abandonnèrent le syndicat dit « Bidegarray », ou confédéré, pour s'inscrire au syndicat « Sémard », ou syndicat rouge.

Toutefois, les formules véhémentes des propagandistes trouvaient peu d'écho dans la classe ouvrière. La prédiction d'une révolution à court terme était démentie par les événements, et les outrances mêmes de langage par lesquelles les cheminots s'efforçaient de faire le procès de la C.G.T., accentuant la division ouvrière, finirent par lasser. En 1923, les réunions syndicales n'étaient plus suivies. Li'ndifférence était grande. Les seules réunions qui pouvaient passionner l'opinion étaient les réunions communes de confédérés et d'unitaires, soit pour protester contre les atteintes portées aux salaires ou à la loi de huit heures, soit pour tenter, par des discussions à la base, de trouver les conditions d'un retour à l'unité ouvrière.

A la fédération unitaire, d'ailleurs, deux tendances s'affrontaient : celle du parti communiste, qui s'efforçait de noyauter les syndicats afin de leur donner une impulsion favorable à la révolution soviétique, celle de l'union anarchiste, dont le comité de défense syndicaliste protestait, après le congrès de Saint-Etienne, contre l'ingérence du parti communiste, auquel il reprochait son centralisme étatique, dans l'activité de l'organisation économique des travailleurs. Le Comité de défense, attaqué dans la publication l'Internationale syndicale rouge, opposait le fédéralisme au centralisme des communistes. Il se prétendait fidèle à la charte d'Amiens.

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Et il constituait une fraction qui, dans le mouvement syndical, se trouvait en état de dissidence latente.

Cette tendance l'emporta en Haute-Vienne. En effet, tandis que, dans le centre secondaire de Saint-Junien, le parti communiste l'emportait sur le vieil esprit d'anarchie — le secrétaire de la Bourse du travail avait fait en 1922 le voyage de Moscou —. à Limoges, les principaux syndicats : ceux de la chaussure, de la céramique, des sabotiers, passèrent, à la fin de l'année 1924, à l'autonomie. Les militants de ces corporations, Thuillier dans la céramique, Brissaut et Masbatin dans la chaussure, sous l'influence d'un mouvement ouvrier déjà ancien, demeuraient fidèles au syndicalisme apolitique, et leur rupture avec la centrale syndicale rouge s'explique aussi par une certaine hostilité à l'égard du parti communiste, dont les initiatives électorales, celles de 1928 notamment, semblèrent déconcertantes.

Cette position d'autonomie des syndicats ouvriers de Limoges, qui refusèrent d'adhérer à l'une des deux centrales : C.G.T., C.G.T.U., était une position d'expectative toute provisoire. C'est ainsi que Brissaut écrivait, dans l'organe corporatif L'Ouvrier en chaussure limousin, en mai 1926 : « Nous ne sommes pas autonomistes par idéal, mais par nécessité... Il faudra en revenir à ce vieux syndicalisme d'avant-guerre... »

Effectivement, les syndicats autonomes de la chaussure et de la céramique protestaient contre le syndicalisme « de secte ». Pour eux, le syndicat devait être une organisation corporative, ouverte à toutes les opinions politiques et philosophiques. Ils s'élevaient contre l'enseigne communiste de la C.G.T.U. Lorsque, en 1926, l'esprit centralisateur qui animait les dirigeants de cette Centrale ouvrière imposa la fusion de l'Union départementale dans un cadre régional calqué sur celui du parti communiste, les vieux syndicats libertaires eurent beau jeu pour dénoncer ce resserrement abusif. A cette date, la 25" Union régionale de la C.G.T.U. comptait 58 syndicats, dont les plus agissants se situaient dans la Creuse. A Limoges, quelques rares syndicats d'obédience communiste : les métaux, la viande, conservaient la suprématie sur les confédérés. Mais dans l'ensemble, l'action unitaire n'avait que peu de portée.

L'action des syndicats autonomes de la Céramique et de la Chaussure, après que l'illusion unitaire eut été dissipée, fut une action revendicative en faveur des salariés, mais surtout d'éducation de la solidarité ouvrière. Les dirigeants s'efforcèrent surtout à partir de 1930, d'empêcher le travail clandestin, et ils dénoncèrent impitoyablement les ouvriers et ouvrières qui faisaient à l'atelier des heures supplémentaires, soit le samedi, soit le dimanche. D'autre part, le syndicat de la Chaussure créa une bibliothèque où figuraient surtout les défenseurs des déshérités, des humbles : Barbusse, Anatole France, Victor Hugo, Gorki. Dorgelès, etc.. Les militants, à l'époque où se façonnaient les méthodes cruelles des dictatures étatiques, développaient les principes du communisme libertaire et fédéraliste. Le fédéralisme, pour eux,

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c'était une liaison organique et spontanée, non appuyée sur la force d'une police et d'une administration, de groupes économiques. Cet esprit mutuelliste animait Brissaut, secrétaire du syndicat de la Chaussure : il créa, en août 1929, une société corporative de secours mutuels des ouvriers en chaussure, qui devait être habilitée, pensait-il, comme caisse primaire des assurances sociales.

Sur le plan moral, les syndicalistes de la chaussure et de la porcelaine développaient les thèses de l'antimilitarisme, du malthusianisme, et ils combattaient en faveur de tous ceux qui, de par le monde, avaient souffert d'un déni de justice.

A côté des syndicats autonomes, les confédérés, — qui avaient notamment reconquis les feuillardiers en 1927 —, et les unitaires extrémistes et turbulents, constituaient des minorités actives. Toutefois, chaque fois qu'ils le purent, et dans le but de diviser la classe ouvrière, les patrons s'efforcèrent de ne négocier les questions de salaires qu'avec le syndicat le moins exigeant et le moins combattif, qui était généralement le syndicat confédéré. Ce fut le cas, par exemple, en mars 1923 : à la période d'expiration de leur contrat de travail, les ouvriers du Livre, au nombre de 450, et dont la plupart appartenaient au syndicat confédéré, obtinrent, en traitant avec le syndicat des maîtres-imprimeurs, et sans que les unitaires eussent été consultés, une augmentation de salaire de 1 fr. 50 par jour.

De 1921 à 1930, la prospérité générale de la France entraîna un accroissement de la production. Porcelaine et chaussure atteignirent simultanément, vers 1924, une pointe de prospérité.

Pendant ces neufs années, la lutte pour le relèvement des salaires, conditionnée par une inflation monétaire beaucoup plus lente que durant les années de guerre, mais inexorable, se poursuivit, avec des alternatives de succès et de revers.

En 1921, une tentative déflationniste d'assainissement financier avait provoqué des diminutions de salaires, imposées par les fabricants aux ouvriers qui résistèrent par la grève. En juin, les galochiers durent accepter une réduction allant de 12.5 % pour les monteurs à 16,6 % pour les creuseurs et les pareurs. Dans le Livre, la métallurgie, il y eut aussi de légères baisses de salaires. Et de même, durant l'hiver de 1921 à 1922, les feuillardiers durent accepter une baisse de 20 %, leurs salaires passant de 12 francs à 9 fr. 50 par jour.

Mais en 1922, le coût de la vie augmentant, les syndicats ouvriers firent campagne contre la vie chère. En cette année-là, les salaires dans la chaussure et la céramique atteignaient 20 francs par jour.

En 1923, les hausses des salaires reprirent. En janvier, les marchands de bois de Saint-Yrieix accordèrent une augmentation aux feuillardiers de 10 % sur les tarifs. A Saint-Junien, une grève généralisée et meurtrière éclata dans les ganteries et les papeteries. Les patrons gantiers acceptèrent l'application à Saint-Junien des

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tarifs de Millau, avec un salaire minimum de 11 francs par jour pour les ouvrières et de 22 francs pour les ouvriers.

Puis, en 1924, les porcelainiers de Saint-Brice obtinrent une augmentation qui porta leur salaire hebdomadaire à 99 francs.

La hausse s'accentua en 1925. Dans la chaussure, les salaires passèrent à 26 francs chez les hommes et à 14 fr. 50 chez» les femmes.

L'action ouvrière, qui avait obtenu l'unification des tarifs dans les usines, s'efforça, dans les années qui suivirent, d'abolir le travail aux pièces pour lui substituer le travail à la journée dans le cadre d'une production journalière moyenne déterminée par une entente entre les organisations syndicales.

A cette époque aussi apparaissent les premières victoires ouvrières au sujet des congés payés : en novembre 1925, les gantiers de Saint-Junien, aussitôt suivis par les palissonneurs et les teinturiers, obtinrent une majoration de 4 % des salaires représentant un congé payé de 12 jours par an s'ajoutant à une augmentation de salaire de 10 à 20 %.

Dans la Céramique, les ouvriers qualifiés : couleurs de moules, dévoileurs, atteignaient 30 francs par jour en 1926, tandis que les ouvrières : brunisseuses et plieuses, dépassaient 15 francs. Les fileurs atteignaient 33 francs, les useurs de grains 37 francs, les calibreurs 2 6francs, après une grève qui entraîna le lock-out de 19 fabriques et la mise en chômage de 4.000 ouvriers.

Dès 1927, la production marqua un ralentissement, une hésitation qui débuta en juillet dans la chaussure. L'année 1928 fut meilleure. Puis, à partir de 1929, le contre-coup de la crise américaine se fit sentir, d'abord dans la chaussure, ensuite dans la porcelaine. Le centre industriel de Limoges entra alors dans une longue période de dépression économique accentuée, qui se marqua par un chômage total ou partiel dans de nombreuses fabriques. En novembre 1930, le chômage partiel régnait dans douze usines de porcelaine ; une vaste usine avait même fermé ses portes. En février 1931, la ville comptait 1.059 chômeurs secourus, et parmi les industries atteintes figuraient la céramique, la bonneterie, la confection. En novembre 1931, le nombre des chômeurs passa à 2.570. Puis, en avril 1932, à 6.230 chômeurs secourus et, en mai, à 5.934 chômeurs, dont 2.678 hommes et 3.256 femmes.

Entre 1930 et 1938, les perspectives de l'industrie limousine se firent de plus en plus sombres. L'état de chômage endémique affectait la population ouvrière, et l'inquiétude de l'avenir provoquait une baisse marquée du nombre des naissances, qui passa, à Limoges, au taux très bas de 1.065 naissances en 1937 et de 1.182 en 1938. Pour tenter de lutter efficacement contre la concurrence des centres céramiques du Berry et de l'étranger, les fabricants de porcelaine s'efforcèrent de provoquer une baisse des salaires. H s'ensuivit, à partir de juin 1934, un conflit de cinq mois. L'union des fabricants dénonça, à partir du 9 juin, les contrats de travail existants, et fit connaître, par un préavis, son intention de réduire

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partie dans la porcelaine. Jusqu'à cette date, 80 % du personnel, homme et femmes, travaillaient aux pièces, et 20 % à l'heure. A partir de 1930, la proportion fut inversée. Certaines catégories étaient encore payées aux pièces : calibreurs, décalqueuses, fileurs. Par contre, les useurs de grains et polisseurs étaient passés au tarif horaire. Ce passage fut rendu possible par l'effort de discilpine auquel s'astreignit l'ouvrier en porcelaine, Il était impossible de lui imposer un rythme de travail, une cadence, car la production dépendait de facteurs difficilement appréciables, comme l'état de la pâte che les calibreurs. Néanmoins, le travail en atelier comportait une bien plus grande régularité que par le passé.

L'application de la loi sur l'arbitrage obligatoire empêcha des conflits désastreux, semblables à ceux de 1905 et de 1934, de se déclencher. Des séries d'arbitrage assurèrent, par des réajustements de salaires, la paix sociale : 21 mai 1937, indemnité horaire de vie chère de 0 fr. 75 ; 7 février 1938, majoration de salaire de

4 % ; 1939, réajustement du salaire minimum horaire qui passa à

5 fr. 56.

Il y a lieu de remarquer aussi, dans l'évolution des salaires, que l'écart entre le salaire masculin et le salaire féminin s'amenuisait. C'est ainsi que, dans la chaussure, cet écart se réduisait en 1938 à 4 francs environ pour un salaire dépassant cinquante francs par jour, soit moins de 10 %.

Enfin, l'écart entre les salaires ruraux et ceux de la ville demeurait assez considérable. C'est ainsi qu'une papetière de la vallée de la Vienne gagnait 19 fr. 50 par jour en 1936, tandis qu'une ouvrière en chaussure approchait de 50 francs.

D'une manière générale, le pouvoir d'achat de la classe ouvrière avait augmenté. Les tentatives de diminution des salaires de 1921 et de 1934 s'étaient heurtées à une volonté de résistance de la part des salariés. La vie matérielle était certes mieux assurée. Mais, à Limoges, le chômage persistant, qui réduisait l'industrie de la porcelaine ainsi que la chaussure à un effectif de 3.000 ouvriers et ouvrières pour chaque catégorie, alors qu'il avait atteint 7.000 de part et d'autre, constituait un élément d'inquiétude en ce qui concerne l'avenir d'une agglomération de 100.000 habitants.

P. COUSTEIX.

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par Edouard Dolléans et Michel Crozier.

L'Espagne (1750-1936), par Renée Lamberet.

L'Italie, des origines à 1922, par Alfonso Lionetti.

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