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Titre : Mémoires de la Société des antiquaires de l'Ouest

Auteur : Société des antiquaires de l'Ouest. Auteur du texte

Éditeur : (Poitiers)

Date d'édition : 1937

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb40241480g

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb40241480g/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Langue : Français

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Description : 1937

Description : 1937 (SER3,T14).

Description : Collection numérique : Fonds régional : Poitou-Charentes

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k56196455

Source : Société des antiquaires de l'Ouest

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 17/01/2011

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MÉMOIRES

DE

LA SOCIÉTÉ

DES

ANTIQUAIRES DE L'OUEST

TROISIEME SERIE

TOME QUATORZIÈME

ANNEE 1937

POITIERS

SOCIÉTÉ FRANÇAISE D'IMPRIMERIE ET DE LIBRAIRIE

6 et 8, rue Henri-Oudin, 6 et 8

1937



SOCIÉTÉ

DES

ANTIQUAIRES DE L'OUEST



MÉMOIRES

DE

LA SOCIÉTÉ

DES

ANTIQUAIRES DE L'OUEST

TROISIEME SERIE

TOME QUATORZIÈME

ANNEE 1937

POITIERS

SOCIÉTÉ FRANÇAISE D'IMPRIMERIE ET DE LIBRAIRIE

6 et 8, rue Henri-Oadin, 6 et 8 1937



PROSPER MÉRIMÉE

Lettres

aux

Antiquaires de l'Ouest

(1836-1869) RECUEILLIES ET ANNOTÉES

PAR

Jean MALLION

INTRODUCTION

par Maurice PARTURIER



INTRODUCTION

Le samedi 17 mai 1834, le Moniteur universel (1) publiait la note suivante :

M. Prosper Mérimée, maître des requêtes au Conseil d'Etat, chef de cabinet de M. le Ministre de l'Intérieur (2), a été nommé Inspecteur général des Monumens historiques en remplacement de M. Vitet, nommé secrétaire général du ministre du Commerce (3). M. Martin est nommé chef du cabinet de M. le ministre de l'Intérieur.

Cette note fut suivie d'un arrêté de nomination signé par Thiers, Ministre de l'Intérieur, le 27 mai 1834 (4).

(1) P. 1265, lre col-, partie non officielle. Intérieur. Paris, le 16 mai. Cette note a été signalée pour la première fois par M. Pierre Martino.

(2) Le comte d'Argout est remplacé par Thiers à l'Intérieur et aux Travaux publics, depuis le 4 avril 1834.

(3) 10 avril.

(4) Voici le texte de l'arrêté :

MINISTÈBE DE L'INTÉRIEUR

Arrêté. Nous Ministre Secrétaire d'Etat au département de l'Intérieur,

Arrêtons : Art. Ie 1. — M. Prosper Mérimée est nommé Inspecteur général des Monumens historiques, en remplacement de M. Vitet, appelé à d'autres fonctions.

Art. 2. — M. Mérimée jouira d'un traitement de huit mille francs. Art. 3. — M. Vitet conservera le titre d'Inspecteur général honoraire des monumens historiques.

Art. 4. — Le Chef de Division des Beaux-Arts et le Chef de la Comptabilité générale de notre Ministère sont chargés de l'exécution du présent arrêté.

Paris, le 27 mai 1834-.

Signé : A. THIERS.

{Archives nationales, Flb I 10 5). M. P. Trahard, dans son. Prosper


INTRODUCTION

En effet, le 10 avril 1834, Ludovic Vitet. inspecteur général des Monuments historiques depuis le 23 octobre 1830, ayant été nommé secrétaire général du Commerce, abandonnait son poste à Prosper Mérimée. Aussitôt celui-ci se mit au travail afin d'acquérir les connaissances qui lui manquaient pour bien remplir sa mission. Le 31 juillet 1834, il partait pour le midi de la France dont il revint le 14 décembre.

Les Notes de ce voyage parurent le 24 juillet 1835 (1), et le 28 juillet, une heure avant l'attentat de Fieschi, Mérimée partait pour Chartres, première étape de son voyage dans l'ouest de la France. Par le Mans, Sablé (Solesmes), Laval et Vitre, il arrive à Rennes, le 20 août 1835 ; il y trouve une lettre de M. Guizot qui l'invite à revenir par Poitiers « pour examiner une certaine tour qu'on lui a recommandée (2) ».

Ayant parcouru la Bretagne, Mérimée, le 8 octobre 1835, est à Nantes, où il aurait prolongé son séjour « si l'automne qui s'avançait ne l'avait obligé de se diriger sans délai vers le Poitou» (3). Par Saumur (Candes) il arrive à Poitiers et entre en rapport avec M. Mangon de La Lande (4), àl'instiMèrimèe

àl'instiMèrimèe 1834- à 1853, p. 1, a bien indiqué comme date le 27 mai, mais il donne pour référence une pièce des Archives nationales avec la cote Fla 10.859 bis. Cette cote n'existe pas aux Archives, la série Fla s'arrêtant au n° 2.002.

(1) Moniteur universel, n° 205, vendredi 24 juillet 1835 : « M. Prosper Mérimée, inspecteur des Monumens historiques de France, publie aujourd'hui, à la librairie de Fournier, un volume intitulé, Notes d'un voyage dans le midi de la France. »

(2) Lettre à Grasset, Rennes, 21 août 1835. — L'inspection du Poitou n'avait donc pas été prévue par Mérimée qui écrira d'ailleurs dans la préface des Notes d'un voyage dans l'Ouest : «... Mes excursions dans l'Anjou et aux environs de Poitiers n'ayant eu pour but que l'examen de quelques monuments remarquables sur lesquels un rapport spécial m'avait été demandé par M. le ministre de l'Instruction publique. »

(3) Notes d'un voyage dans l'Ouest, p. 310.

(4) Charles-Florent-Jacques Mangon de La Lande naquit le 1er février 1770, à Roye, en Picardie ; il reçut de son père la charge de receveur des finances dans sa ville natale, fut nommé inspecteur en 1799 et directeur à Guéret en 1832 : on le transféra à Poitiers dans les mêmes fonctions en décembre 1833. Il prit sa retraite en mai 1840. Auteur de poésies et de nombreux travaux d'archéologie, il fut membre de la Société des Anti-


INTRODUCTION O

gation duquel la Société des Antiquaires de l'Ouest avait été fondée le 13 août 1834.

Mérimée ayant étudié (1) Notre-Dame, Sainte-Radegonde, Saint-Hilaire, la cathédrale Saint-Pierre, passe rapidement sur les arènes pour lesquelles il consulte un rapport de M. Mangon de La Lande dans le premier volume des Mémoires de la Société des Antiquaires de l'Ouest. Les nombreuses dissertations auxquelles a donné lieu le temple Saint-Jean et un rapport (2) de Vitet son prédécesseur le dispensent d'en faire la description (3). En effet, Vitet dès 1832 avait eu l'occasion de s'occuper de ce monument et s'était attiré c l'animadversion du conseil municipal » pour avoir Insisté sur le maintien de l'édifice.qui se trouvait entre le pont et le marché aux veaux et aux poissons ; la colère des bouchers et des poissardes s^était déchaînée contre l'inspecteur coupable d'encombrer les abords de leur marché (4). Lorsque Vitet se rendit à Poitiers, en mai 1833, il eut, avec les habitants, des démêlés au sujet desquels il écrivit deux lettres irritées à Edmond Blanc et à Cave (5) :

A MONSIEUR EDMOND BLANC, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DU MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS.

Augoulême, 7 juin [1833].

Mon cher ami, j'écris au ministre pour le supplier de s'opquaires

s'opquaires Normandie. Retiré à Avranches en mai 1840, il alla ensuite à Paris où il mourut le 10 juin 1847. (Cf. « Notice sur la vie et les travaux archéologiques de M. Mangon de La Lande », par M. Lecointre-Dupont, Bull. Soc. Ant. de l'Ouest, 4e trimestre 1847, p. 119 à 130. — Voir aussi sur Mangon de La Lande et sur la Société des Antiquaires, E. Ginot ; « La Société des antiquaires de l'Ouest pendant un siècle », Bull. Soc. Ant. de l'Ouest, 39 trimestre 1934, p. 183 à 208.

(1) Notes d'un voyage dans l'Ouest, sur Poitiers, Civray, Saint-Savin et Chauvigny, p. 368 à 430.

(2) Rapport du 12 décembre 1833 : A. C. M. H. (dossier Temple SaintJean).

(3) Notes d'un voyage dans l'Ouest, p. 370.

(4) Cf. Montalembert : « De l'attitude actuelle du vandalisme en France », Revue des Deux Mondes, 15 novembre 1838.

(5) Lettres inédites.


6 INTRODUCTION

poser à la démolition du petit édifice de Poitiers dont nous avons parlé avant mon départ.

Il est des plus précieux et moyennant une somme de deux mille francs donnée par le Gouvernement, la ville peut le laisser debout et continuer sa rue sans qu'il lui en coûte un sol.

J'ai déjà persuadée peu près le conseil municipal sur ce point, ce qui n'était pas petite affaire car il y a une cabale furieuse de bousingots contre cette pauvre église qui n'a pourtant rien de séditieux.

Maintenant je vous prie de vouloir bien chauffer le Ministre pour qu'il mette son veto à toute continuation de la rue qui ne laisserait pas provisoirement le temple debout ainsi que je l'ai proposé.

Mille pardons, mon cher ami, je vous recommande bien vivement cette petite affaire.

Mille amitiés sincères.

L. VITET.

A MONSIEUR CAVE, CHEF DE LA DIVISION' DES ARTS.

Mon cher ami, j'écris pour la 2e fois au ministre au sujet du petit temple de S' Jean à Poitiers. Je lui envoyé une délibération de ce maudit conseil municipal qui s'entête à jeter bas le • monument, si le ministre ne s'engage à faire les frais de la place circulaire qui sera ouverte à l'entour. Je crois qu'une nouvelle expertise réduira la somme demandée à 14 ou 15.000 fr. ; là dessus les souscriptions fourniront 3 à 4.000 fr., reste donc 10 à 12.000 à donner, mais en deux ou trois ans, ce qui,rend la chose légère ou tout au moins possible, le monument en est mille fois digne, je vous en réponds.

Tout à vous, mon cher ami, je n'ai que le temps de vous dire adieu.

Mille amitiés.

L. VITET. Bordeaux, 15 juin [1833].

On remarquera que Vitet est très discret sur l'origine de ce « petit édifice ». La question est alors controversée et Mangon de La Lande qui vient de publier «un mémoire très remarquable » (1), où il soutient qu'il s'agit dp tombeau de

(1) Notes d'un voyage dans l'Ouest, p. 373. — Le mémoire dont parle Mérimée est le suivant : Dissertation sur le tombeau romain de Varenilla, Poitiers, imp. de Saurin (1835), in-8°, 23 p.


INTRODUCTION /

Varenilla, convainc aisément Mérimée. Celui-ci n'est d'ailleurs pas fâché de prendre en faute M. de Caumont qui, lui, croit à un baptistère du ve ou vie siècle (1). Par malheur c'était M. de Caumont qui avait raison (2).

Mangon de La Lande à la séance de rentrée de la Société des Antiquaires (19 novembre 1835) devait souligner l'importance de la visite de Mérimée :

Pendant nos trop longues vacances, j'ai reçu, Messieurs, une importante visite, celle de M. Mérimée, maître des requêtes au Conseil d'Etat et inspecteur général des monuments historiques de France, successeur de M. Vitet; il venait, comme ce dernier, interroger nos richesses archéologiques.

J'ai rempli de mon mieux près de lui la mission dont je me trouvais alors tacitement chargé par vous. Autant qu'il m'a été possible je l'ai mis à portée d'apprécier les avantages de notre institution, et j'ai pu remarquer qu'il en a parfaitement saisi l'ensemble, les principes et les vues. Aussi pouvez-vous compter sur l'appui de ses connaissances, de ses talents et de ses recommandations.

J'aurai même, pendant cette séance, l'honneur de vous le proposer pour faire partie de la société (3).

Il est probable que Mérimée se rendit aussi au Séminaire, où le directeur, l'abbé Cousseau, lui montra deux manuscrits du xve siècle, et il est certain qu'il retrouva le Préfet. Alexis de Jussieu (4), puisque celui-ci écrivait au ministre de l'Intérieur, le 28 mars 1836 :

... L'église de S4 Savin, située dans l'arrondissement de Montmorillon, est un des monuments les plus remarquables de ce département, soit par la beauté de sa flèche de pierre, soit surtout par les grandes pages de fresques qu'elle renferme.

J'ai prié Mr Mérimée de visiter ce monument... J'ai su depuis

(1) Cf. Lettre I.

(2) Voir E. Ginot : Le Baptistère Saint-Jean, Poitiers, s. d.

(3) Bull.Soc.Ant.de l'Ouest,1°? novembre 1835 au 1^février 1836,p. 4.

(4) Alexis de Jussieu (1802-1866), membre de la Soc. Ant. de l'Ouest dès 1834, était le cousin germain d'Adrien de Jussieu, professeur de botanique au Jardin des Plantes, ami intime de J.-J. Ampère, de Stapfer et de Mérimée. Cf. Louis de Launay : Un amoureux de madame Récamier. Le Journal de J.-J. Ampère, Paris, H. Champion, 1927.


8 INTRODUCTION

qu'il avait attaché la même importance que moi à sa conservation, et je vous prie de prendre son avis avant de statuer sur mes pro positions (1)-..

Mérimée se rendait en effet pour la première fois (2) à Saint-Savin et à Chauvigny, après avoir inspecté Civray, Charroux et Lussac. A Charroux, il examine la tour que lui a recommandée Guizot sur les instances de M. de Chergé (3). qui habitait le bourg et qui avait écrit dès le 28 mai 1835 : « Des vandales voudraient faire abattre la tour svelte et élégante qui subsiste seule de toutes les ruines de la vieille abbaye de Charroux. Un cri d'alarme a retenti (4)... »

Mérimée était de retour à Paris dans les derniers jours d'octobre (5) et, le 31, il adressait au ministre le rapport

(1) A. C. M. H. Dossier Saint-Savin.

(2) M. Trahard dans son Prosper Mérimée de 1834 à 1853, p. 59, note 2, écrit à tort : « Mérimée a visité Saint-Savin pour la première fois en 1844 et non en 1834, comme le dit le Bulletin monumental (p. 193). »

(3) Né à Poitiers le 18 août 1814, Charles-Louis-Gilbert de Chergé fit son droit et devint membrede la Soc. des Ant. de l'Ouest dès la fin de 1834 ; il en fut le secrétaire en 1838 et le très actif et dévoué président en 1844. Nommé, par arrêté ministériel du24 mai 1840, inspecteur des monuments historiques pour le département de la Vienne, et la même année correspondant des ministères de l'Intérieur et de l'Instruction publique, il joua un rôle très considérable dans la restauration de la tour de Charroux, des églises de Chauvigny, Civray, Fontgombaud, Lusignan, Nouaillé, et à Poitiers du temple Saint-Jean et de Saint-Porchaire. Retiré à Saint-Hilaire-sur-Benaize, il tint pourtant à assister au cinquantenaire de la Société et mourut peu après, le 5 octobre 1884. Parmi ses nombreux ouvrages on peut citer : « Notice sur l'abbaye de Charroux », Mém. Soc. Ant. de l'Ouest, I (1835), p. 233-300; Dictionnaire historique, biographique et généalogique des familles de l'ancien Poitou, de H. Filleau (publié avec la collaboration de Henri Beauchet-Filleau), Poitiers, 2 vol. in-8°, t. I, 1840, t. II, 1854 ; Guide du voyageur à Poitiers et aux environs, Poitiers, 1851 (2e édition, 1868, 3e, 1872) ; L'Abbaye et les trappistes de Fontgombaud, Poitiers, 1850 (2e éd., 1852, 3e, 1865). (Cf. Levillain : « Notice sur la vie et les oeuvres de Charles de Chergé », Mém. Soc. Ant. de l'Ouest, 1906, p. xix à LXVIII, et E. Ginot : « La Société des Antiquaires de l'Ouest pendant un siècle », Bull. Soc. Ant. de l'Ouest, 3e trimestre 1934, p. 191 à 193.)

(4) A. C. M. H. Dossier Coupole de Charroux.

(5) Voici l'itinéraire de son voyage dans l'Ouest : Paris (28 juillet) ; Chartres, Alluye, Bonneval, Marboué, Chartres (3 août) ; le Mans,


INTRODUCTION y

spécial qui lui était demandé sur Charroux et Saint-Savin (1) :

Paris, 31 octobre [1835|.

MONSIEUR LE MINISTRE,

Parmi le grand nombre de monumens curieux que renferme le Poitou, il en est deux qui par leur importance' et leur situation précaire m'ont paru mériter surtout votre attention.

L'abbaye de Charroux fondée et bâtie, dit-on, par Charlemagne, mais certainement reconstruite très postérieurement, a été démolie dans la Révolution, à l'exception d'une coupole qui surmontait le choeur circulaire de l'église. Cette coupole, isolée aujourd'hui, et privée d'une partie de son couronnement, offre encore un aspect imposant et noble, et son architecture rappelle plutôt l'élégante simplicité du style antique, que la fantaisie capricieuse des xie et xue siècles, époque probable de son érection. Deux étages d'arcades, soutenues par des colonnes d'une admirable légèreté, portent une voûte légèrement ovoïde, surmontée d'une tour octogone, dont chaque angle s'arrondit dans une colonne engagée. L'amortissement est formé par une autre tour également octogone, mais d'un moindre diamètre, aujourd'hui fort ruinée. D'ailleurs le reste de l'édifice est solide, et les

Sablé (Solesme), Laval (Avesnières), Vitré, Rennes (20 et 21 août) ; Dinan, Dol, Saint-Malo, Dinan, Lamballe (27 août) ; Saint-Brieuc, Paimpol par Lanleff, Tréguier, Lannion, Morlaix (5 septembre), Poùllaouen, Huelgoat, Saint-Herbot, Morlaix ; Saint-Pol-de-Léon (11 septembre)," Lesneven, Brest, Quimper, le Perennou, Quimper, Quimperlé, Lorient, Hennebon, Josselin, Quinipili, Locminé, Lorient, Auray. Carnac, Erdéven, Auray, Locmariaker, Gavr'Innis, Auray, Vannes, Succinio, SaintGildas, Vannes, Nantes (8 octobre) ; de Nantes à Angers par le bateau à vapeur ; Saumur, Candes, Saumur; Poitiers, Civray, Charroux, Lussac, Saint-Savin, Chauvigny, Poitiers, Paris.

Cet itinéraire est établi d'après l'Etat des frais de roule de Mérimée (A. C. M. H.), recoupé par la correspondance et les Notes d'un voyage dans l'ouest. Mérimée réclame 2.070 francs pour 258 postes 3/4. On discuta cet état que l'on réduisit à 158 postes, bien que Mérimée l'ait : « certifié véritable et plus que véritable. » Tout prouve que c'est Mérimée qui avait raison.

(1) Ce rapport inédit figure aux Archives de la Commission des monuments historiques (Lettres et rapports de Mérimée et Vitet, f.' 117). Il est classé à la date de 1840. F. Ghambon, Notes sur Prosper Mérimée, p. 147, lui attribue la même date. Il est omis par Trahard et Josserand dans leur Bibliographie. Voir (lettre XVI, note 1) les raisons qui infirment la date de 1840. Quelques-uns des termes de ce rapport se retrouvent dans les Notes d'un voyage dans l'Ouest, et il est évident que nous avons ici une première rédaction, reprise dans cet ouvrage.


10 INTRODUCTION

réparations nécessaires pour en assurer la conservation se borneraient à couvrir d'un toit l'étage supérieur, et peut-être à boucher quelques crevasses de la voûte.

Cette magnifique coupole appartient à Mme de Grandmaison (1), qui par un désintéressement bien rare, s'est refusée jusqu'à présent à toutes les offres qui lui ont été faites de la détruire pour en vendre les matériaux. Cette dame serait disposée à en faire don, soit au département, soit à la société des Antiquaires de l'Ouest, pourvu que les donataires, quels qu'ils fussent, prissent soin de la conserver. La société des antiquaires n'a pas de fonds suffisans pour s'en charger, et le département de la Vienne a déjà fait beaucoup de sacrifices cette année pour réparer d'autres monumens. Il est donc à craindre que si le gouvernement ne prend pas sous sa protection cette belle tour, elle ne soit bientôt détruite. Le conseil municipal de Charroux en a demandé la démolition sous prétexte d'agrandir le champ de foire. Mais ce champ est déjà très vaste, et je me suis assuré sur les lieux que le véritable motif de cette réclamation est le désir de profiter des matériaux. Je vous prierai donc, Monsieur le Ministre, de vouloir bien accorder une allocation suffisante pour la réparation de la tour de Charroux et d'autoriser M. le Préfet de la Vienne à accepter pour son département le présent de Made de Grandmaison.

Dans l'intérieur de la tour de Charroux, on voit un fragment de sculpture qui m'a paru d'un travail admirable. Il représente le Christ assis, foulant aux pieds le dragon et foudroyant les impies au jugement dernier. Je crois que ce bas-relief occupait le haut du tympan d'une des portes de l'église. La tête du Christ, les draperies, les nuds sont traités avec un art extraordinaire. Je ne connais rien d'aussi beau dans la sculpture»du moyen âge. Point de ces plis roides et maigres du style bysantin ; point de ces formes vulgaires du style gothique. Ma première idée fut d'y voir une copie d'un Jupiter antique exécutée par un artiste du xme siècle. On appelle dans le pays ce beau bas relief la statue du Bon Sauveur. On la traite néanmoins avec peu d'égards. Elle est renversée dans la boue, exposée aux injures de l'air et aux outrages des enfans. Je me suis empressé d'écrire à M. le préfet de la Vienne pour le prier d'en prendre soin, et de lui faire donner un asyle dans le musée de Poitiers.

Le bourg de St-Savrn à huit ou dix lieues de Poitiers possède une église d'une architecture très remarquable. On en fait remonter la construction au temps de Charlemagne, mais on ne peut raisonnablement supposer que l'édifice actuel soit du

(1) M™e de Grandmaison était la fille de l'archéologue Millin.


INTRODUCTION II

viiie ou IXe siècle, car on sait que l'abbaye fut détruite par les Normands. Le plan de l'église qui a conservé assez purement le type des premiers temples chrétiens, ses hautes colonnes à chapiteaux ornés de monstres et de feuillages fantastiques, ses voûtes, ses arcades en plein cintre, sa crypte, tout indique le commencement de l'art bysantin. Je pense qu'on peut avec beaucoup de probabilité en fixer la date au xie siècle.

Son architecture, d'ailleurs fort élégante, n'est pas cependant ce qui offre le plus d'intérêt. La voûte de la nef, celle de la crypte, et tout le vestibule de l'église, sont couverts de fresques, la plupart bien conservées. Vous savez, Monsieur le Ministre, combien sont rares les peintures de cette époque, et combien sont précieuses les indications que l'on en peut tirer. On a représenté dans la nef de St-Savin, une suite de sujets empruntés aux premiers livres de la Bible, à l'Apocalypse et, dans la crypte, la vie et le martyre des SS. Savin et Cyprien. L'exécution est supérieure à celle des sculptures du même temps. Plusieurs figures ne manquent pas de grâce et les ajustemens surtout sont rendus avec beaucoup de finesse et même de talent.

La voûte de la nef, surtout dans la partie qui touche au vestibule, et que je regarde comme un Narthex, est dans l'état le plus déplorable. De larges crevasses la sillonnent. La clef même d'un arc doubleau s'est à moitié détachée et saille de trois ou quatre pouces au moins. Si l'on ne s'empresse d'y porter remède, le mal sera bientôt irréparable. Je n'hésite pas à dire, Monsieur le Ministre, que dans aucun pays je n'ai vu de monument qui méritât à un plus haut degré l'intérêt d'une administration amie desarts.

Si l'on considère que les fresques de St-Savin sont à peu près uniques en France, qu'elles sont le monument le plus ancien de l'art de la peinture dans notre pays, on ne peut .balancer à faire des sacrifices même considérables pour les conserver. Je crois au surplus qu'aujourd'hui, une faible somme suffirait pour arrêter les progrès de la destruction Le département de la . Vienne, me disait M. le Préfet, accorderait volontiers des fonds pour la réparation de cette église, si le ministère prenait à sa charge une partie de la dépense. Je vous prierai donc, Monsieur le Ministre, de vouloir bien accorder une somme de 2.000 f. . au moins pour les travaux de restauration et d'inviter en même temps M. le Ministre des Cultes, à vouloir bien s'associer à cette bonne oeuvre en donnant un secours égal à celui que votre département pourrait mettre à la disposition de M. le Préfet de la Vienne. Je suis avec respect, Monsieur le Ministre, votre très humble

et très obéissant serviteur. , n- m.

1 Pr MÉRIMÉE,

Inspecteur gal des monuments historiques.


12 INTRODUCTION

En 1836, Mérimée dirige sa tournée vers les départements de l'Est. Vitet a déjà visité, en décembre 1830, l'Oise, l'Aisne, la Marne, le Nord et le Pas-de-Calais. Grille de Beuzelin, envoyé l'année précédente par le ministre de l'Instruction publique dans les départements de la Meurthe et dès Vosges, a remis un rapport. Mérimée s'attachera donc surtout à explorer l'Aube, la Haute-Marne, le Doubs, le HautRhin, le Bas-Rhin et la Moselle. En outre, avec la permission de M. de Montalivet, il visitera quelques-unes des villes les plus importantes de la Prusse rhénane. « Dans cette rapide excursion hors de France, écrit-il à son ministre en lui indiquant son itinéraire, j'espère compléter mes observations sur l'architecture des viiie et ixe siècles, encore si imparfaitement connue. Veuillez croire, Monsieur le Ministre, que ce petit voyage consacré à des études archéologiques m'est presque nécessaire pour pouvoir apprécier convenablement une foule de constructions d'origine contestée qui se présente à moi dans mes tournées subséquentes. » Les observations recueillies pendant ce voyage devaient être, en effet, utilisées par Mérimée dans son Essai sur l'Architecture religieuse du Moyen âge qui parut en mai 1837.

Quittant Paris vers le 14 mai (1), Mérimée est à Besançon le 23 mai, et par Montbéliard et Colmar arrive à Strasbourg (4 au 15 juin environ). Il part ensuite pour Aix-laChapelle et Cologne, revient à Strasbourg (14 juillet) et gagne. Metz (vers le 22juillet) par Saverne. C'est alors qu'il fait la connaissance de Louis-Félicien -Joseph Caignart de Saulcy, chargé du cours de mécanique à l'Ecole d'artillerie de Metz. En compagnie de son nouvel ami il gagne Thionville, Sierck,Saarburg, pour visiter fort gaiement Trêves et Igel (2).

(1) Il est encore à Paris le 13 (Lettre à Sobolewski, N. R. F., Ie''juin 1935) et le 18. il est à Chaumont en Bassigny (A. C. M. H., Lettres et Rapports de Mérimée et Vitet, f. 76.)

(2) Cf. Saulcy : « Trois jours à Trêves », Revue contemporaine, lor novembre 1856, p. 570.


INTRODUCTION 13

Il est de retour à Metz le 27 juillet comme nous l'apprend une lettre inédite de Saulcy à Louis de La Saussaye (Metz, 28 juillet au soir, 1836) : « Hier, à neuf heures du soir mon bon ami, je suis arrivé à Metz, revenant delà plus admirable excursion que j'ai jamais faite. J'avais visité Trêves et Igel en compagnie d'un homme qui me revient autant que possible et qui me paraît digne de l'amitié de deux lapins comme toi et moi : un véritable bongarçon enfin qui n'est autre que Pr Mérimée. J'ai passé quatre jours avec lui dans les joies les plus innocentes de l'archéologie et de la boustifaille. Bien des fois j'ai pensé à toi et je me suis dit que tu manquais pour faire un heureux et joyeux trio ; patience cela viendra peut être quelque jour .»

Mérimée devait en effet se lier bientôt, d'une amitié qui dura jusqu'à la fin de sa vie, avec Louis de La Saussaye (1) qui devint, en 1855, recteur de la Faculté de Poitiers et

(1) Jean, François-de-Paule, Louis de La Saussaye, néàBlois le 6 mars 1801 ; mort au château du Troussay (près Cour-Cheverny, Loir-et-Cher) le 25 février 1878. '

Camarade, au collège de Blois, d'Augustin et d'Amédée Thierry, accepte en 1832 le titre de conservateur de la bibliothèque de Blois à la condition que ses émoluments soient versés au père des deux Thierry, bibliothécaire adjoint. En 1836 il fonde avec M. Cartier la Revue de Numismatique dont ils cèdent, en 1856, la direction à MM. de Witte et de Longpérier.

1837. Membre non résident du Comité des travaux historiques; 1841. Correspondant du ministère de l'Instruction publique ; 1845. Membre titulaire de l'académie des Inscriptions et belles-lettres (17 janvier); 1845 (avril). Chevalier de la Légion d'honneur ;

1853. Membre de la Commission des arts et édifices religieux ;

1854. Membre de la Commission des archives départementales ;

1855. Recteur de l'académie de Poitiers ;

1856. Recteur de l'académie de Lyon ;

Meurt recteur honoraire et commandeur de la Légion d'honneur.

Son premier ouvrage parut en 1828 : Cent bévues'de M. de Jouy dans trente-quatre pages de l Ermite en province rélevées par un Blésois et par un Solonais. Il est surtout connu par son Histoire du château de Blois (1840), souvent rééditée, et par son Guide historique du voyageur à Blois et aux environs (1855), ouvrage réédité et remanié sous le titre de Blois et les environs et qui n'a pas d'équivalent.


14 INTRODUCTION

président de la Société des Antiquaires de l'Ouest, en 1856 (1).

Puis par Chàlons-sùr-Marne et Reims, Mérimée gagne Laon, où, vers le 30 juillet, il rencontre Stendhal et par Soissons arrive à Paris, environ le 10 août, ayant parcouru 175 postes 3/4 et touché 1.406 francs (2).

L'état de son père, pour lequel il a eu des inquiétudes pendant son voyage, s'aggrave subitement et Léonor Mérimée meurt à Paris, 20, rue des Marais-Saint-Germaio, le 27 septembre. « Ma mère, écrit Mérimée, est aussi calme et résignée, qu'on pouvait l'attendre de son caractère fort. Je me porte bien, seulement je suis accablé de fatigue. »

Les Notes d'un voyage dans l'Ouest paraissent au mois d'octobre et Mérimée qui a tourné une nouvelle feuille de sa vie étroitement liée désormais à celle de Mme Delessert, affermit ses connaissances sur l'architecture religieuse au Moyen Age, tout en achevant la Vénus d'Ille qui paraîtra dans la Revue des Deux Mondes, le 15 mai 1837. Le soir même Stendhal lisait la nouvelle de Mérimée et notait ses impressions sur le manuscrit de Rose et Vert (3) auquel il mit la main pour la dernière fois à Paris le 24 mai. Le 25, en effet, il partait avec Mérimée pour la Charité-sur-Loire (28 mai) et Bourges (29 mai) où ils se séparèrent, Stendhal se dirigeant vers Tours et Nantes (4), tandis que Mérimée accomplissait son voyage en Auvergne et dans le Limousin. Après avoir erré « pendant trois mois dans les plus sales provinces de France, où l'on met trop de cheveux dans la soupe », il revint à Paris avant le 24 août (5), rapportant une

(1) M. le comte de Suzannet possède trente-huit lettres de Mérimée à L. de La Saussaye. La première est datée du 13 février 1839, la dernière, que nous publions ici, est du 24 mars 1869.

(2) L'Etat des frais de route (A. C. M. H.) est daté du 17 août 1836. Le reçu de Mérimée pour remboursement de ses frais a figuré au catalogue Charavay. Nouvelle série, n° 8. Cf. R. H. L., octobre décembre 1924, p. 730.

(3) Voir Louis Royer : « Stendhal et Mérimée », le Divan, février, mars 1932.

(4) Cf. (( Stendhal et Mérimée à la Charité-sur-Loiré », le Divan, avril, mai 1933.

(5) Voici son itinéraire : Paris (25 mai), la Charité (28 mai), Bomges


INTRODUCTION 15

ample collection de notes qu'il va se « mettre à déchiffrer et rédiger pour la plus grande édification de MM. deMontalivet et Va tout ».

Un mois plus tard, la Commission des Monuments historiques était instituée par Montalivet (29 septembre 1837) et Mérimée en était le secrétaire (1).

Il y a donc deux ans que Mérimée a visité le Poitou pour la première fois, assez à la hâte d'ailleurs. Pendant ces deux années il semble que l'affaire de Saint-Savin a été un peu négligée ; aussi la tournée d'inspection de 1838 conduira de nouveau Mérimée à Poitiers. Il part peu après le 15 juin, passe par Orléans, Blois et Tours pour arriver à Saumur où il fait la connaissance d'un jeune architecte, M. Joly-Leterme (2), « homme très zélé et très instruit » occupé à ré(29

ré(29 Bourges, Plainpied, Bourges ; Saint-Amand, Meillant, Saint-Amand ; Néris, Guéret, Limoges, Chalusset et Saint Junien ; Uzerche, Tulle (18 juin), Aurillac (22 au 26 juin) ; Figeac, Villefranche, Rodez et Conques. Saint-Flour (5 juillet); le Puy, la Chaise-Dieu, Polignac, le Monestier (7 juillet ; Brioude, Issoire, Clermont et Saint-Nectaire ; Gergovie, Thiers, Riom et Ennezat (30 juillet; Moulins, SaintMenoux et Souvigny ; la Charité-sur-Loire (13 août\ Auxerre et Paris. Itinéraire établi d'après la correspondance et ï Etat des frais de route (A. CM H ) daté du 24 août 1837. Mérimée a parcouru 261 postes 1/2 et reçu 2 092 francs.

(1) Voir Introduction des Lettres de Mérimée à Vitet, Pion, 1934, p. LVIII, et Paul Verdier : « Le service des monuments historiques de 1830 à 1934 » dans Congrès archéologique de Paris, 1934, t I, Paris, Picard, 1936.

(2) Joly-Leterme est né le 9 juin 1805 à Baugé (Maine-et-Loire). Il fit de brillantes études au collège de Saumur et prépara les examens d'entrée à (Ecole polytechnique La ruine de sa famille lui fit abandonner cette voie. Il étudia alors l'architecture, suivit les cours de 1 Ecole des beaux-arts et fréquenta les premiers ateliers du temps. Entré ensuite dans 1 administration des ponts et chaussées, il s'occupa de la construction du pont Napoléon à Saumur et fut bientôt chargé d'étudier la restauration de l'église de Cunault.

En 1840, il fut nommé inspecteur correspondant du Comité des MonumeiUs historiques, et pendant 35 ans il consacra son activité à la restauration des principaux monuments du Poitou, de la Touraine et de l'Anjou Il restaura en particulier : dans le Poitou, les églises de SaintSavin, Chauvigny, Civray, Charroux, Lusignan ; à Poitiers, le temple Saint-Jean, Sainte-Radegonde, Nbtre-Dame-la-Grande, Saint-Hilaire-leGrand (reconstruite presque entièrement sur ses plans), la tour de Saint-


1(3 INTRODUCTION

parer avec amour la voûte de l'église de Cunault, où Mérimée se rend en sa compagnie, ainsi qu'à Doué. Puis « sur la foi des lamentations de M. de Caumont » il inspecte le château de Thouars, arrive à Poitiers, et se rend à Saint-Savin et à Montmorillon.

. De retour à Poitiers, il gagne Saintes et visite la tour de Pirelongue. Voici le rapport qu'il adresse à Valout :

Bordeaux, 19 juillet 1838. MONSIEUR,

Depuis ma dernière lettre j'ai visité l'église de Cunault dont le préfet de Maine-et-Loire sollicite vivement la réparation. Elle mérite tout à fait l'intérêt du gouvernement, et sa restauration ne parait pas devoir être très dispendieuse. Il y a à Saumur un architecte M. Joly, homme très zélé et très instruit qui a fait merveille avec le peu de fonds qu'on lui a donné jusqu'à présent. Il s'occupe des travaux avec amour et ne prend rien pour ses honoraires. Ne pensez vous pas Monsieur qu'il y aurait lieu de le nommer correspondant du Ministère ? J'aurai bientôt à vous faire une autre proposition qui le concerne.

L'église de St. Savin (Vienne) que j'avais vue. encore assez bien portante en 1835 est maintenant fort malade. L'hiver dernier a détruit un tiers des fresques, caria toiture est si mauvaise qu'il fallait entendre la messe sous un parapluie. Les architectes de Poitiers "disent qu'avec les mille francs que nous leur avons

Porchaire (dont'la démolition était déjà adjugée) ; en Touraine, l'église de Candes, le château de Chinon ; en Anjou, les églises de Cunault, du Puy-Notre-Dame, de Gennes ; à Saumur, l'église Notre-Dame de Nantilly.

On le nomma, en 1841, architecte de la ville de Saumur où il construisit de nombreux édifices.

Dès 1848, Joly-Leterme fut proposé comme architecte des édifices diocésains pour le diocèse d'Angers (cf. lettre XLIV) et on lui doit la reconstruction de l'évêché d'Angers (1851-1855) et la restauration des bâtiments du Grand Séminaire.

Toute sa vie a été consacrée à ses études, à ses amis, à ses ouvriers. Il fit preuve d'un grand dévouement pendant les inondations de 1843, 1856 et 1866.

Il est mort à Saumur, dans sa maison de la rue de la Petite-Douve, le 9 janvier 1885. Cette note résume en partie l'article si précis de M. P. A. Savette : « Une belle figure saumuroise : M. Joly-Leterme » Société des Lettres, Sciences et Arts du Saumurois, juillet 1936.


INTRODUCTION 17

donnés, il est impossible de rien faire. Le Préfet demande qu'on lui donne les 2.000 frs. qu'il a laissé périmer, et il n'espère pas grand'chose de son Conseil général. Si vous aviez encore 2.000 frs ils seraient très bien placés à St. Savin, mais je sais où'en est notre pauvre caisse. Ne pourrait-on pas accorder 3 ou 4.000 f sur 1839 qui seraient employés cette année. Le cas est urgent, car si l'hiver est pluvieux tout ce qui reste de peintures est perdu. Je me défie des architectes de la Vienne, et j'ai grande confiance en Mr Joly de Saumur. Je désirerais bien qu'il fût chargé des réparations de St. Savin. Il n'est pas impossible de trouver 500 frs cette année avec lesquels on pourrait lui payer son voyage à St. Savin et un devis des travaux qu'il y aurait à faire (il y a 25 kl. de Poitiers à Saumur). Mr Joly a réparé la voûte de Cunault sans échaffauder. Il pourrait j'espère faire de même à St. Savin, ce qui ferait une économie de 4 ou 5.000 fr. Au pis aller nous aurions un bon devis à présenter dans le tableau des monumens à réparer au moyen d'un crédit spécial.

J'aurais dû, pour suivre un ordre chronologique, vous parler du château de Thouars que je suis allé voir sur la foi des lamentations de Mr de Caumont (1). Il disait qu'on allait l'abattre pour faire une grande route. Voici la vérité. D'abord le château est une grande vilaine barraque du xvine siècle, qui sert aujourd'hui de caserne. A côté est une chapelle dont le portail est orné de jolies voussures du xvie. Devant le château est une grande terrasse sous laquelle se Irouve l'orangerie. Deux escaliers en avance sur la terrasse conduisent au jardin c. à. d. à ce qui fut un jardin. C'est un de ces escaliers qu'on sacrifie. C'est dommage mais cela n'a rien de bien remarquable. C'est Versailles fort en petit, plus une vue qu'on ne détruira pas et qui est telle que le dépt de Seine-et-Oise n'en produit pas. Comme j'ai eu les côtes défoncées en passant par la fondrière qu'on appelle la route actuelle, j'ai vu très philosophiquement les travaux commencés pour son amélioration. La route actuelle passe au pied du château lequel est juché sur une masse de

(1) Cf. une Lettre de la Soc. Française pour la conservation des monuments (Caen, 2 mai 1838) et une lettre du Ministre à cette même société (31 août 1838). A. C. M H. (dossier Château de Thouars). Dans ce dossier on trouve en outre cette note de Mérimée (octobre 1838) : « Le château de Thouars ne mérite nullement l'intérêt que M. de Caumont réclame en sa faveur. La chapelle seule a quelque mérite, quant au château il n'a de remarquable que sa belle situation. D'ailleurs le rapport du préfet [19 juin 1838] est exact et la route nouvelle ne change que très faiblement la disposition de la terrasse. »


18 INTRODUCTION

rochers à pic de ce côté et de celui de l'orangerie. Vous voyez qu'il n'y a de sacrifié que la portion de terrasse D. [croquis]. Ce n'était pas la peine de jeter les hauts cris.

J'ai vu à Saintes une fort belle église transformée en écurie pour la cavalerie. Il faut se couvrir de cendres mais ce que tient le génie-militaire il ne le lâche jamais. Aux environs de Saintes est une tour très curieuse qu'on dit Romaine et que j'ai débaptisée. Je la crois l'oeuvre des Wisigoths. C'est une antiquité déjà respectable et il serait bien, à désirer que le gouvt l'achetât. Mais c'est une affaire qui ne presse point et je vous en rendrai compte à mon retour. Auriez vous la bonté de m'écrire à Auch pour quelle époque il faudra remettre au Ministre le travail relatif aux monumens à réparer sur des crédits spéciaux. D'après cela j'arrangerai' mon voyage. Nous jouissons ici de 25 degrés Réaumur et d'une poussière atroce. Je me suis refoulé le poignet en grimpant à ma tour Wisigothe, à cela près fort bien portant.

Veuillez agréer, Monsieur, la nouvelle expression de tous mes sentiments dévoués (1).

Pr MÉRIMÉE.

Monsieur

Monsieur Vatout conseiller d'Etat Directeur des batimens civils, etc.

Mérimée, qui voyage en compagnie de Courmont, pousse jusqu'aux Pyrénées, remonte à Toulouse, et par Périgueux et Angoulême revient à Poitiers. Il est de retour à Paris le 12 septembre (2). Le 13 il se rend à Versailles, avec Stendhal et Sutton Sharpe, pour voir la petite Eugénie de

(1) Chambon {Noies sur P. Mérimée) a donné de courts extraits de ce rapport exactement signalé (p. 118) comme adressé à Vatout. Une coquille probable lui fait indiquer (p. 133, note 1) ce même rapport comme une lettre à Vitet. En fait, le recueildes Lettres et rapports de Mérimée et Vitet, conservé aux Archives des monuments historiques ne contient (f. 88) que ce rapport de Bordeaux, 19 juillet 1838, adressé à Vatout. L'indication à la même date d'une lettre de Mérimée à Vitet, signalée par Josserand : « Prosper Mérimée, esquisse d'une édition critique de sa correspondance », R H. L., janvier 1924 à juin 1925, et par Trahard et Josserand, Bibliographie des oeuvres de P. Mérimée, Paris, Champion, 1929 (p. 199), est évidemment une erreur qui s'explique par le fait que ces auteurs se sont uniquement fiés à Chambon qui ne donne pas, pour ce rapport, la référence du recueil des Archives des monuments historiques.

(2) Voici son itinéraire : Paris (après le 15 juin), Orléans et Saint-*


INTRODUCTION 19

Montijo qui écrit à son père le 15 septembre : « M. Mérimée est arrivé à Paris le 12 et est venu nous voir le 13 avec M. Beyle et un autre monsieur(1). »

Cependant on termine l'impression des Notes d'un voyage en Auvergne dont la Revue de Paris (2) publie de longs fragments le 7 et le 14 octobre. L'année s'achève par un court voyage de Mérimée.à Tours et à Champigny au cours duquel il a pu rencontrer Béranger et s'entretenir avec lui de l'histoire de César qui l'intéresse de plus en plus (3).

L'année 1839 est marquée par le voyage de Mérimée en Corse et en Italie. Parti le 29 juin, il s'embarque pour Bastia le 15 août et rentre à Paris dans la première semaine de décembre (4). Dès son retour, la Guerre sociale et le rapport

Benoît-sur-Loire ; Blois et Chambord ; Tours, Saumur, Doué-la-Fontaine et Cunault ; Thouars, Poitiers, Saint-Savin et Montmorillon -; Saintes et Saint-Romain-de-Benet ; Bordeaux (19 juillet) ; Saint-Emilion et La Sauve ; Bazas, Nérac, Condom, Lectoure, Auch, Tarbes, Luz, Saint-Sauveur, Bagnères-de-Bigorre (7 août) ; Montrejean, Toulouse (20 août) ; Moissac, Agen, Aiguillon, Bergerac, Périgueux, Angoulême, Poitiers, Loudun, Chinon, Tours et Paris (12 septembre). — Cet itinéraire est établi d'après la correspondance et l'Etat des frais de route (A. C. M. H.), daté du 14 octobre 1838. Mérimée a parcouru 300 postes 3/4 et reçu 2.406 francs.

(1) « Lettres familières de l'Impératrice Eugénie », Paris, le Divan,

1935, t. I, p. 12, et Stendhal. Mélanges intimes et marginalia, le Divan,

1936, II, 327.

(2) T. LVIII, p. 35 à 53 et p. 100 à 119.

(3) Béranger écrit à Mérimée, de Toursle6 novembre 1838, une longue et intéressante lettre répondant aux conseils que celui-ci lui a demandés pour son projet d'une histoire de César. Cf. Correspondance de Béranger, t. III, p. 135.

(4) On trouvera tous les détails de ' ce voyage dans : « Itinéraire de Mérimée en Corse », Mercure de France, 1er mars 1936, p. 281-299.

On y joindra ce billet écrit d'Avignon, 7 août [1839] {Archives nationales, F 21 1832) :

« Mon cher ami, si la lettre ci-incluse vous arrive samedi, auriez-vous la bonté de l'envoyer avant cinq heures à Mr le baron Louis de Vielcastel au Mere des Affaires étrangères qui se chargera, de la faire passer.


'20 INTRODUCTION

sur les monuments de la Corse absorbent tous ses instants. Il travaille «comme un âne rouge », et le 5 février 1840, il a déjà rédigé et copié son mémoire sur la Corse qui paraîtra le 5 avril. Outre la Guerre sociale dans laquelle il est plongé, dit-il, jusqu'aux oreilles, il écrit Colomba. La nouvelle paraît le 1er juillet dans la Revue des Deux Mondes, et quatre jours plus tard, Mérimée part pour le Poitou, la Saintonge, la Gascogne et l'Espagne.

Il écrivait en effet le 4 juillet à Mme de Montijo : « Enfin je pars demain matin et j'espère être le 10 août à Bordeaux d'où je vous écrirai, et vers le 15 à Bayonne. » Le 6 il est à Tours et le 8 part pour Saumur sur le bateau à vapeur. Il a rendez-vous avec Joly-Leterme qui l'accompagne à Cunault, où les réparations lui paraissent fort bien conduites, à Bagneux et à Saint-Florent (1). Le 10 juillet, il est revenu à Tours, et le lendemain se met en route pour Poitiers, Chauvigny et Saint-Savin (3e visite) où il passe deux jours en compagnie de M. Dulin, architecte du département. Les 14, 15 et 16 juillet il séjourne à Poitiers, écrivant ses doléances à Ludovic Vitet et à Joly-Leterme que l'on voudrait charger du monument dont l'état est pitoya'ble.

Il a visité le champ de bataille de Poitiers et par la même occasion « vu l'église de Noaillé qui est la plus belle du monde, mais qui va donner sa démission si on ne lui refait un toit » (2). Le 16 ou le 17 il part pour Civray (3), puis, monté « sur un cheval piaffeur qui a manqué deux ou trois fois de lui faire boire l'eau de la Charente », il arrive à

« Je pars demain ou après, lorsque mon lumbago sera guéri, pour Ajacoio, veuillez m'y adresser mes lettres, s'il vous en vient.

« Mille tendres amitiés.

« Pr M. »

Mérimée envoyait une lettre à Mme de Montijo sous le couvert des Affaires étrangères.

(1) Cf. Lettres de Mérimée à L. Vitet, p. 1 à 7.

(2) Lettre à Grille de Beuzelin (Ghambon, Notes sur Mérimée, p. 139). Cette lettre est datée du 13, mais non de la main de Mérimée, et nous proposons de la dater du 16, car dans le passage supprimé par Chambon on lit : « Demain je serai à Civray et lundi à Bressuire. »

(3) Cf. Lettre XIII.


INTRODUCTION

Charroux, dont la coupole, close par les soins des dames de Chavagne, tient bon.

Mérimée revient alors à Poitiers et se rend à Parthenay, accompagné de M. Segretain (1), puis à Airvault, passant par un pont roman très curieux « que l'on croit romain dans le pays ». L'église de Saint-Pierre d'Airvault est charmante. Mérimée est enthousiasmé, et il se met à genoux devant la Commission pour qu'elle la fasse complètement restaurer. Il inspecte ensuite l'église de Saint-Généroux, pour laquelle il demande immédiatement un crédit de 400 fr., s'arrête un instant à Marnes , qui possède « une jolie petite église de transition » et plus longtemps à Saint-Jouin, « pays perdu en pleine chouannerie », croit-il, où sans attendre une décision de la Commission il prie Segretain de faire un devis des dépenses absolument nécessaires pour empêcher l'église de tomber.

" « Après une étude stratégique sur le champ de bataille de Montcontour », il arrive à Oyron « ainsi nommé disent les doctes parce que dans le pays il y a beaucoup d'oies qui en

(1) Pierre-Théophile Segretain naquit à Niort le 9 avril 1798. Il fit ses premières études dans cette ville et les continua à Poitiers. Il prépara l'Ecole polytechnique et y fut admis en 1815. Six mois après, l'école fut licenciée pour avoir manifesté contre le gouvernement et M. Segretain qui aimait l'architecture entra dans les bureaux de M. Bruyère, inspecteur général des ponts et chaussées. En 1820, il revint à Niort auprès de son père qui dirigeait des travaux importants de voies de communication dans le Bocage poitevin. Nommé, en 1824, architecte du département des Deux-Sèvres, il construisit de nombreux édifices dans toute la région. Il s'intéressa vivement à l'archéologie et correspondit avec M. de Caumont,. M. du Sommerard et P. Mérimée. A partir de 1842, il fut correspondant des ministres de l'Intérieur et de l'Instruction publique. Parmi les monuments qu'il restaura avec goût et désintéressement, citons : les églises^ de Saint-Généroux, Airvault, Parthenay-le-Vieux, Saint-Hilaire-de-Melle, Bressuire, Celles, Notre-Dame de Niort, Saint-Jouin de Marnes, NotreDame-de-Fontenay (Vendée), Fontaine-le-Comte (Vienne), etc. ; membre de la Société française d'Archéologie, il écrivit des articles très érudits dans le Bull, de la Soc. de Statistique des Déux-Sèvres et dans celui de la Soc. Ant. de l'Ouest. Il était encore allé visiter des fouilles trois jours avant sa mort, survenue le 8 novembre 1864. (Cf. Alfred Mounet : « Notice biographique sur Pierre-Théophile Segretain », Bull, de la Soc. destatistique des Deux-Sèvres, mai 1865.)


22 INTRODUCTION

volant forment un rond. » Mérimée visite ensuite Thouars et Bressuire, où il ne voit rien de remarquable, et par SaintMaixent gagne Niort où il observe «un curieux miracle opéré par l'archéologie. Elle est à la mode dans ce vilain trou-là et Bleus etBlancs s'entre-lisent des mémoires sur les tumulus au lieu de s'entre-assassiner » (1).

De Niort, le 23juillet, il adresse à Vitet un long rapport, que M. Mallion a joint ajuste titre à sa- publication (p. 63) étant donné son intérêt. Le 24, il va'visiter Celles et Melle, revient à Niort, « et allant gémir sur les ruines de Maillezais », il s'arrête à Nieuil-sur-I'Autise où le conseil municipal lui fait tout voir, depuis les caves jusqu'au grenier, de l'ancienne abbaye. Delà il se rend à Saintes, par Surgères, dont l'église lui arrache des cris d'admiration.

A Saintes (28 juillet) il trouve l'arc romain horriblement affaissé (2) et Sainte-Marie-aux-Dames « sous le coup du marteau du génie militaire ». Après avoir visité le « fanal » d'Ebéon, et fait quelques courses dans le voisinage, il part pour Bordeaux où il séjourne du 2 au 8 août. Le 9 il est à Bayonne. « Me trouvant à Bayonne, écrit-il à Saulcy, j'ai réfléchi que la vie était courte et sur cette réflexion passe un courrier de cabinet allant à Madrid. Il m'offre une place dans sa calèche et cinquante-quatre heures après (3) j'étais installé dans le palais d'une belle dame de mes amies ; nourri, logé, choyé et chauffé par un soleil un peu chouette qui élevait le thermomètre de Réaumur à 34° (4). » Mérimée se rendait à Madrid pour la seconde fois. Il fut retenu près de M,ne de Montijo plus longtemps qu'il ne pensait, par la révolution qui aboutit à la renonciation de la reine MarieChristine (12 octobre 1840). « Le premier acte de ce sot drame étant terminé », Mérimée se met en route pour la

(1) Cf. Ernest Cartier : Léonce de Lavergne, Paris. Pion, 1904, p. 72.

(2) Lettres de Mérimée à Ludovic Vitet, p: 25.

(3) Le 16, Mérimée écrit de Bayonne à Mme de Montijo : «Je pars mardi 18 avec un courrier et je serai jeudi 20 à la porte de l'ambassade de France ». ,

(4) Wallon, Eloges académiques, t. II, p. 255.


INTRODUCTION 23

France, à petites journées, assez mécontent de ses amis espagnols et déclarant : « Si nos bousingots se donnaient la peine d'aller voir cela, je pense fermement qu'ils reviendraient convertis. » Le 16 octobre, il était à Burgos sur le chemin du retour, le 21 à Bayonne. Une lettre du ministre l'ayant invité à se rendre à Toulon, il se mit en devoir d'obéir, mais les inondations l'arrêtèrent court ; il s'embarqua à Cette, et après avoir vu l'aride Provence changée en un vaste bourbier il revint par les montagne de la Lozère et du Cantal, et fut de retour à Paris vers le 23 novembre.

Il termine alors son volume de la Guerre sociale dont il corrige les épreuves en février 1841, « opération fort ennuyeuse » qui lui fait faire « trois lieues par jour entre sa table et sa bibliothèque afin de vérifier des, citations et de collationner des textes » (1). L'ouvrage paraîtra chez Didot, tiré à 150 exemplaires, en mai 1841.

Vers la mi-juin (2) il part pour la Normandie, la Bretagne, l'Orléanais et le Berry (3). Rentré à Paris le 24 juillet, il organise son voyage en Grèce. Il se met en route le 19 août, s'embarque le 26 à Marseille pour ne rentrer en France qu'à la fin de décembre (4).

La Commission des monuments historiques, qui depuis le 23 mai 1839 est placée sous la présidence de Vitet et dont Grille de Beuzelin est maintenant le secrétaire, absorbe de plus en plus l'activité de Mérimée. Vers le 26 juin 1842, il doit partir pour Arles où il va « exproprier force canailles qui habitent le théâtre antique » (5). Par Avallon, Lyon,

(1) Lettre XVII.

{2) Le 12 juin 1841, il écrit à Grasset : « Je pars dans quelques jours pour ma tournée officielle. »

(3) Voir l'itinéraire de ce voyage dans Lettres de P. Mérimée à Madame de Beaulaincourt, p. 113, note 1.

(4) Cf. Lettres de Mérimée à Vitet, p. 43, note 3, et ici lettre XXI.

(5) Voir Lettre à une inconnue, 22 juin 1842, I, 62 ; la date de cette lettre est exacte, contrairement à ce que prétend Chambon (Préface à la célèbre inconnue de P. Mérimée par Alphonse Lefebvre, Paris, Sansot,


24 . INTRODUCTION

Avignon, où il apprend la mort du duc d'Orléans (13 juillet 1842), il arrive à Arles, et après une longue tournée en Provence (1), il est à Paris avant le 24 août, puisque Saulcy peut écrire à son ami La Saussaye, le 25 août 1842 : « Mérimée est de retour : hier noiis avons dîné, flûte, fumé à mort chez lui avec Sharpe et Royer-Collard. Nous nous sommes flanqués une foule de bosses de tous genres. A minuit, nous avions encore tous la pipe à la gueule et Dieu sait ce qu'il a été dit de turpitudes dans ce Sanhédrin de cochons. » (Lettre inédite.)

Le 23 octobre, il a terminé son rapport au ministre sur les travaux de la Commission des monuments historiques en 1842 (2). A la fin de ce même mois il fait un court voyage à Provins et envoie, le 2 novembre 1842, un rapport sur le cloître de l'hôpital général à Provins, autrefois abbaye des Cordeliers (3).

Mérimée publie les Instructions sur l'architecture militaire au Moyen Age, en août 1843, puis quitte de nouveau Paris vers le 5 août pour un voyage en Bourgogne, en Franche-Comté et en Champagne. Ayant découvert en chemin la vieille basilique de Vignory, il revient à Paris le 1er septembre (4) fort occupé de briguer à l'Académie

1908 p. 16). En effet une note confidentielle de Mérimée au sous-préfet d'Arles, datée de Arles, 7 août 1842, figure aux AC. M. H. (dossier Arles, Théâtre antique) ; elle porte : « sur les maisons dont l'acquisition est nécessaire pour le déblaiement du théâtre ».

(1) Voici son itinéraire : Paris, Avallon et Vézelay ; Chalon-sur-Saône (30 juin) ; Lyon, Vienne, Orange, St-Paul-des trois-Châteaux et Vaison ; Avignon (11-20 juillet) ; Arles, Marseille (25 juillet) ; Toulon (26juiliet), Aix, Orgon, Silvacanne, Cavaillon, Senanque, L'Isle-sur-la-Sorgue, Avignon, Arles(7 et 8 août), Avignon, Orange (14août). Il revient par SaintEtienne et Moulins.

(2) Cf. Lettres de Mérimée à Vitet, p. 54.

(3) A. C. M. H. Lettres et rapports de Mérimée et Vitet, f. 124.

(4) Nous précisons et complétons ici l'itinéraire donné dans l'Introduction des Lettres de Mérimée à Vitet, p. LXIII : Paris (vers le 5 août), Auxerre et Pontigny ; Avallon et Vézelay ; Semur et Flavigny ; Beaune, Dijon (12 août) ; St-Seine, Dôle, Lons-le-Saunier, St-Lupicin (15 août), Lons:le-Saunier et Baume-les-Messieurs ; Poligny, Champagnole et Miège, Salins, Besançon (21 août), Vesoul et Luxeuil, Langres et Chaumont, Vignory, Joinville, Troyes (31 août), Paris (l«r septembre). L'état


INTRODUCTION 25

des inscriptions la succession de M. Fôrtia d'Urban. Ses amis Vitet et Lenormant s'emploient en sa faveur, tout de même que Saulcy et La Saussaye. « Notre candidature mériméïque, écrit Saulcy à La Saussaye, le 14 septembre 1843 (1), marche rondo modo. Revoie le bon Mr Pardessus et annonce lui formellement que Paris, Hase, Raoul Rochette etc. etc. votent positivement pour notre homme. Je voudrais être aussi sûr de ton affaire que je le suis de la sienne. L'élection se fera le deuxième vendredi 10 novembre. Ce pauvre Prosper a un grand serrement de derrière rien qu'à penser à ce jour d'épouvante. Le pauvre diable a encore sept à huit grandes semaines à attendre, mais son affaire ira comme sur des roulettes, je n'en doute pas ». Mérimée fut en effet élu, le 18 novembre 1843.

Dès le début de 1844, il se mettait en campagne pour obtenir la succession de Nodier à l'Académie française (2). Elu le 14 mars, sa joie est un peu altérée par l'obligation du « discours qui lui pend à l'oreille ». Il s'occupe aussitôt de recueillir des renseignements biographiques sur Nodier de qui il doit prononcer l'éloge. Un voyage à Strasbourg est l'occasion de passer à Besançon et d'interroger Mr Weiss. Mérimée part le 23 avril pour Strasbourg, visite Brumath et Saverne, traverse Schelestat (30 avril) et Colmar. Le 4 mai à Besançon il ne trouve pas M. Weiss (3). Le 8 mai, il est de retour à Paris, aux ordres de la Commission.

Lorsque le 22 août 1844, accompagné de Viollet-le-Duc, il part pour Orléans, son discours est terminé. Il le met dans ses bagages avec l'intention de le corriger pendant la route et de « raboter force aspérités qui le chiffonnent ». En oudes

oudes de route établi pour août et octobre 1843 indique encore, pour octobre, Paris, Reims et Avenay, Paris ; il est signé du 17 octobre 1843. Mérimée a touché 2.086 fr. 24 centimes à raison de 10 fr. 40 par myriamètre. ' (1) Lettre inédite.

(2) Voir J. Bonnerot : « Les dessous d'une élection à l'Académie française en 1844, Sainte-Beuve et Mérimée », la Reoue universelle, 1" juillet 1935.

(3) Le même jour il écrit â Weiss une lettre qui a été publiée par Gazier, R. H L.,'l922, p. 449.


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tre Mérimée qui a été chargé par le Comité historique des arts et monuments, dès le 17 janvier 1841, d'écrire une monographie sur l'église de Saint-Sayin, a fort avancé son travail qu'il devra compléter par des recherches dans les Archives de la Vienne sur les indications du « savant M. Rédet ». D'ailleurs, l'état du monument et les restaurations en cours nécessitent la présence de Mérimée ; en dehors des questions techniques à régler, l'inspecteur des monuments aura à intervenir, comme il lui advient souvent, dans des querelles de personnes et à donner son avis sur des problèmes qui ne touchent que de fort loinàl'archéologie.Le curé de Saint-Savin, l'abbé Dubois, n'a-t-il pas déclaré à M. de Chergé qu'il réclame instamment « que l'on termine les fresques de la chapelle de la Vierge, car si son confessionnal n'est pas replacé dans le lieu qu'il occupait auparavant, M. le Curé est menacé de perdre une partie de sa clientèle pour le temps pascal » (1). D'Orléans, Mérimée gagne Germigny-les-Prés, Saint-Benoitsur-Loire, la Charité, Nevers et Bourges (2). De Bourges il part pour Châteauroux, où il visite l'abbaye de Déols (BourgDieu) et retrouve Joly-Leterme. Puis il se rend au Blanc et n'y voit rien d intéressant, sauf « quelques fragments romains et une fort belle bague magique en argent qui appartient au sous-préfet » A deux lieues de là, il visite l'ancienne abbaye de Fontgombault, « ruinée, mais encore admirable (3)». II arrive à Saint-Savin en compagnie de Joly, et, ouvrant la porte de l'église, manque de tomber à la renverse en apercevant l'oeuvre de M. Louis qui a peint sur la voûte ■ un Père éternel à barbe grise, louchant horriblement, et un coq avec une belle queue. Après être demeuré stupide pendant un grand quart d'heure, Mérimée, perché sur l'échafaudage, retrouve la voix pour entrer dans une violente colère.

i

(1) Lettre de M. de Chergé à M. le curé de Saint-Savin, 16 mars 1844, Archives particulières du Grand Séminaire de Poitiers (communiquée par Monseigneur Chaperon, doyen du chapitre cathédral).

(2) Voir Lettres de Mérimée à Vitet, p. 111.

(3) A. C. M. H., Lettres et rapports de Mérimée et Vitet, f. 159, lettre de Niort, 8 septembre 1844.


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Une heure après son arrivée, le Père éternel et son coq avaient disparu (1).

Le 3 septembre, il est à Poitiers avec la fièvre et un arriéré énorme de rapports à faire. Il inspecte Notre-Dame-laGrande et examine la situation de la tour de Saint-Porchaire pour laquelle, l'année précédente, là Commission des monuments historiques, alertée par Chergé, Joly-Leterme et Segretain, avait eu de vifs démêlés avec le conseil municipal (2). « Saint-Porchaire, écrit-il, se porte à merveille et nargue fièrement le conseil municipal. En l'absence de Joly, le maire a fait visiter la tour par sa Commission, qui n'a plus trouvé que trois centimètres de surplomb. Elle en avait déclaré d'abord trente-trois. Cette petite différence montre quels ânes ou quels coquins on emploie à Poitiers (3). »

Mérimée se documente pour sa Monographie de SaintSavin auprès de M. de Chergé et de Rédet, et passe « deux jours à fureter dans le recueil de dom Fonteneau » où il trouve quantité de pièces curieuses qui figureront dans son travail.

A Niort le 8 septembre, il reçoit une lettre de Grille de Beuzelin qui l'avertit que Clerget l'attend à Saintes pour résoudre la question de l'emplacement sur lequel doit être reconstruit l'arc romain (4). De plus Segretain presse Mérimée d'aller voir Airvault. Ayant donc négligé Civray et Charroux, il part le 9 septembre pour Surgères « où si la pluie cesse Viollet-leDuc dessinera la façade », puis il passe à la Rochelle pour « débattre avec le préfet la position de l'arc ». Par malheur celui-ci est à Paris et Mérimée ne trouve qu'un chef du bureau quilui donne de médiocres renseignements. Le 11 septembre, il arrive à Saintesoù on l'attendait « comme autrefois un proconsul dans une province romaine ». Il a avec les commerçants du faubourg Saint-Palaye des démêlés homériques dont il fera à Vitet un amusant récit (5). Peu certain

(1) Voir Lettres de Mérimée à Vitet, p. 104 sq.

(2) Cf. Lettres XXIV et XXVII.

(3) Lettre de Niort, 8 septembre 1844, l. c.

(4) Cf. lettre XXVI.

(5) Voir Lettres de Mérimée à Vitet, p. 115 à 125.


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de ne pas attraper « une bonne raclée» en traversant le faubourg, il part le dimanche matin 15 septembre et est à Niort le même jour vers 5 heures, dînant avec M. Segretairr; le lendemain il se rend à Parthenay avec celui-ci et son jeune fils qui a conservé le souvenir de cette excursion. «De Parthenay, note-t-il, on passa une journée à Airvault où mon père exécutait alors des travaux de restauration à l'église. Comme on en revenait le soir, M. Mérimée fut tout à coup frappé d'un coucher de soleil incandescent et crut à un incendie sur Parthenay. Il en fut même tellement ému que mon père l'en plaisanta. « Mais songez donc, lui dit M.Mérimée, mon discours de réception à l'Académie est dans ma valise à l'hôtel, si vous croyez qu'on recommence facilement une machine comme celle-là ! » Le lendemain Mérimée visite Saint-Généroux et Saint-Jouin (1), et de retour à Parthenay il écrit à Jenny Dacquin, la célèbre Inconnue : « Je vous écris d'une horrible ville de chouans et d'une auberge abominable où l'on fait un bruit infernal (2). »

Il revient alors à Poitiers le 20 septembre, et retourne à Saint-Savin où il demeure deux jours. La maladroite initiative du curé et de son peintre est réparée : les colonnes de l'église, convenablement astiquées, ont pris une teinte admirable et « pourront mystifier les antiquaires les plus durs à cuire ».

Le 24 septembre il est à Loches, à Blois le 25, et rencontre peut-être Louis de La Saussaye, Avant lé 28 septembre il est de retour à Paris.

Le30janvier 1845 Mérimée dînaitavecLouisdeLaSaussaye récemment élu (17 janvier) à l'Académie des inscriptions (3). Le 6 février, il prononçait à l'Académie française l'éloge de

(1) Lettre XXXII.

(2) Lettres à une Inconnue, t. I, p. 238.

(3) Mérimée écrit à La Saussaye (lettre inédite), le 29 janvier 1845 :■ « O membre, avez-vous vu M. de la Grange et avez-vous obtenu ma libération ? Prennez en tout cas beaucoup de papier Joseph demain. Tout à vous, P. M. Mercredi soir. »


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Nodier, et bientôt il avait l'occasion de témoigner à Vitet une affectueuse reconnaissance, en secondant, avec activité, son élection à l'Académie française qui eut lieu le 8 mai 1845. Appelé au secours de l'église Saint-Julien, il se rend à Tours à la fin du mois de mai (1) et prépare ensuite sa tournée annuelle.

Parti de Paris le 5 août 1845, il arrive à Poitiers avec Viollet-le-Duc, et le 12 août adresse un long rapport à Ludovic Vitet (2) sur Neuvy-Saint-Sépulcre,.Saint-Savin, Antigny et Chauvigny. A Saint-Savin, il s'aperçoit que Gérard Seguin, en dessinant les fresques, lui a fait commettre un certain nombre de grosses erreurs qui.l'obligeront à faire des corrections à sa Monographie dont l'impression est en cours. Joly-Leterme travaille beaucoup à Notre-Dame de Poitiers ; la conservation du Palais de Justice occupe l'opinion publique, et la Société des Antiquaires de l'Ouest offre d'ouvrir une souscription à cet effet.

Le 13, il part pour Angoulême, Périgueux, Souillac, Cahors et Toulouse où il arrive vers le 18 août. Il gagne ensuite Montpellier, Nîmes et Arles, remonte par la vallée du Rhône, inspecte Moulins, So'uvigny et Semur, et il est de retour à Paris le 16 septembre (3).

Carmen a paru le 1er octobre dans la Revue des Deux Mondes, et après un court voyage à Metz (4 au 16 octobre) Mérimée se prépare à partir le 1er novembre pour Madrid. Il compte y rester quinze jours « à fureter dans la bibliothèque pour une histoire de don Pèdre le Cruel qui est son héros maintenant ». En quête d'un compagnon, il écrit à Ch. de Rémusat (lettre inédite), le 30 octobre 1845 : « J'ai fait l'autre jour une nouvelle immorale dans la Revue, et je vais la manger de l'autre côté des Pyrénées. Si par aventure vous étiez d'humeur dépasser les monts et que vous voulussiez de moi pour truchement, écrivez-moi un mot à Bayonne et dites(1)

dites(1) de Mérimée à Vitet, p. 139. (2)Ibid., p. 145 à 151.

(3) Pour l'itinéraire de ce voyage voir Lettres de Mérimée à Vitet. Introduction, p. LXVIII, n. 1.


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moi où je dois vous attendre. » Mérimée rentre à Paris le 15 décembre 1845. Les deux premières livraisons de sa Monographie de Saint-Savin ont paru, et la troisième se prépare (1). Bientôt il publie dans le Constitutionnel (26 février) une malicieuse bluette, L'Abbé Aubain.

L'histoire de don Pèdre, un voyage à Laon et en Provence (18 juillet-18 août)(2),puis,en septembre, un voyagea Metz, Trêves, Cologne et Bâle, où Mérimée va rencontrer des archéologues allemands, tel est à peu près le bilan de l'année 1846.

Mérimée délaisse un peu le Poitou, et ce n'est que trois ans plus tard qu'une tournée d'inspection le ramènera à Poitiers.

En juin 1847, il a été à Vézelay, puis à Angers en compagnie de Lenormant, et le 21 septembre il part pour la Picardie et accomplit pendant trois semaines des courses archéologiques sous une pluie à peu près continuelle (.3).

La révolution de 1848 jette le trouble dans la Commission des monuments historiques et les lettres de ce recueil montrent assez les inquiétudes de Mérimée qui tremble pour ses chers monuments. Vitet a été exclu de la Commission (4), et Mérimée et Lenormant protestent (2 août 1848) contre cette

(1) Cf. Bull, archéologique, t. IV, p. 15, 24 janvier 1846, et Bull archéologique, t. IV, p. 217, 13 février 1847 : « Le secrétaire dépose la troisième livraison des Peintures de Saint-Savin. Cette livraison se compose de dix chromolithographies qui représentent principalement une partie de l'histoire de Noé. On y joint le frontispice dessiné par E. Viollet-le-Duc ».

(2| Voir l'itinéraire de ce voyage, Lettres de Mérimée à Vitet, Introduction, p. LXX.

(3) Voici l'itinéraire de ce voyage : Paris (21 sept.), Senlis (25 sept.),. Roye (26 sept.), Noyon, Amiens (30 sept.), Poix, Corbie, Amiens, Abbeville, Saint-Riquier et Rue (1er oct.) ; Dieppe (3 oct.), Rouen (7oct.) ; Brionne, Caen (10 oct.), Bayeux, Caen, Falaise, Lisieux, Paris (16 oct.1847).

(4) Il fut rétabli par Dufaure, le 5 novembre 1849. — Le 27 juillet 1848, Mérimée écrivait (lettre inédite) : « Je pense, Monsieur, que ce serait affliger profondément tous les artistes que de maintenir une exclusion qui introduirait pour la première fois la politique en matière d'archéologie. »


INTRODUCTION 31

mesure. Peu à peu pourtant le travail se réorganise. Mérimée, assez content d'aller humer un air « dont on ne peut se faire une idée à Paris », part le 26 septembre pour Reims, Toul, (20 octobre), Saverne, parcourt les montagnes d'Alsace, où les bois et les rochers lui laissent croire que le monde est tranquille et que tout va au mieux. Il est à Bâle le 10 octobre (1), et à Paris le 14 octobre 1848 (2), où il s'amuse à la lecture des Mémoires d'Outre-Tombe.-

Plusieurs affaires intéressant la Société des Antiquaires de l'Ouest tracassent Mérimée en 1849 (3). La supérieure du couvent de Charroux se plaint des chantiers de Joly-Leterme. L'église de-Nouaillé menace ruine, le curé de Saint-Savin, toujours en guerre avec l'inspecteur des monuments historiques, fait des siennes. On place du fumier et une niche à lapins tout près des contreforts de Saint-Savin. Du fumier encore et des latrines sont adossés à la crypte de Lusignan. En-outre, l'abbé Auber imagine les pires horreurs, sous prétexte de restaurer les peintures du choeur de SainteRadegonde. De nombreuses difficultés naissent à l'occasion du Palais de Justice de Poitiers. Il semble que les Poitevins n'apprécient pas à leur valeur les efforts dé la Commission des monuments historiques et l'administration locale prend plaisir à créer des difficultés à Joly-Leterme. Mérimée fort irrité écrit de la bonne encre au préfet de la Vienne, et à l'un des plus actifs présidents de la Société des Antiquaires del'Ouest, M. Lecointre-Dupont (4), pour soutenir l'architecte.

(1) La Lettre à une Inconnue (t. I, p. 311) datée de Bâle, 10 octobre 1850, est évidemment de 1848.

(2) Lettre inédite à H. Royer Collard.

(3) En mai, court voyage à Nevers. Un reçu de 93 fr. pour frais de ce voyage, daté du 19 juin 1849. a figuré au catalogue Charavay.

(4) Gabriel-François-Gérosime Lecointre-Dupont, à Alençon, le 4 décembre 1809 ; mort à Poitiers, le 25 septembre 1888.

Il fut, en 1833,1e plus jeune des onze fondateurs de la Société des Antiquaires de l'Ouest. Spécialisé dans la numismatique, il fut un des premiers collaborateurs de la Revue de Numismatique de Cartier et La Saussaye, et publia en 1839 et 1840, dans les Mémoires de la Société des


32 INTRODUCTION

Il est temps, le 4 septembre 1849, que l'inspecteur se mette en route pour aller voir les choses par lui-même. Mérimée arrive à Tours le 7 septembre, et le lendemain se rend à Saumur, 25, rue de la Petite-Douve, pour y prendre Joly-Leterme. Il part avec lui pour Poitiers, et inspecte Sainte-Radegonde où les peintures exécutées par M. Hivonnait, sous la surveillance de l'abbé Auber, « passent la permission ». Mérimée déclare n'avoir rien vu de plus ridicule, ni de plus grossièrement fait. Puis il va pour là sixième fois à Saint-Savin (1), dont les fresques ont perdu, depuis 1844, la crudité de ton qu'on pouvait leur reprocher. Le 17 septembre, il se met en route pour Melle; il n'y trouve pas M. Segretain et examine Saint-Hilaire, convenablement restaurée, mais où l'on a fait un peu trop de sculptures. A Saintes, le 19 septembre, il part le 20, sur l'invitation du sous-préfet, pour examiner la fontaine du Douhet, « dont on sollicite le classement parmi les monuments historiques (2) ». Le 21, il continue sa tournée par Angoulème et Périgueux, remonte à Tulle, et passe quelques jours à Saint - Priest, chez Mme Alexis de Valon. Par Châteauroux, ClaAntiquaires,

ClaAntiquaires, Essai sur les Monnaies du Poitou et sur leurs divers types, son oeuvre capitale. Président de la Société des Antiquaires de l'Ouest (29 novembre 1841); membre de la Société des Antiquaires de France (18 janvier 1844). De nouveau Président de la Société des Antiquaires de l'Ouest (21 février 1845). Membre correspondant du Comité des Travaux historiques (21 janvier 1856). Il fut nommé à nouveau président de la Société des Antiquaires de l'Ouest en 1868 et en 1876, et fut élu, en 1884, Président d'honneur à vie, étant alors le seul survivant des fondateurs de la Société. Cf. pour plus de détails la Biographie de M. LecointreDupont, par J.-E. de La Marsonnière. Poitiers, typographie Oudin. 1889.

(1) Dans sa Monographie sur Saint-Savin (réimprimée dans Etudes sur les Arts au moyen âge, Paris, Calmann-Lévy), Mérimée indique (p. 63) : « quatre visites à l'abbaye de Saint-Savin m'ont permis d'étudier son architecture... » et (p. 277) dans un post-scriptum : « une cinquième visite que je viens de faire à l'église de Saint-Savin m'oblige de signaler une erreur qui m'est échappée dans la première partie de ce travail. » On trouve, en effet, quatre visites (1835, 1838, 1840 et 1844) ; la cinquième visite se place en août 1845. Après la publication de sa Monographie, Mérimée a fait une sixième visite en 1849.

(2) Lettre au ministre, Saintes, 21 septembre 1849. A. C. M. H. Lettres et rapports de Mérimée et Vitet, f. 261.


INTRODUCTION

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mecy, Vézelay et Semur, il arrive à Paris le 12 octobre (1).

Les grandes tournées de Mérimée en Poitou sont désormais terminées. Il connaît maintenant dans tous leurs détails l'état des monuments, les réparations à effectuer. C'est de Paris, dans ses rapports à la Commission, dans ses lettres aux préfets, aux architectes, aux antiquaires, qu'il donnera. des instructions pour les restaurations en cours, vérifiant les devis, appuyant auprès des pouvoirs publics les demandes de secours, et veillant à une juste répartition des fonds. Il n'est pas un dossier des Archives de la Commission des monuments historiques qui ne contienne quelques lignes au moins de l'inspecteur général, de qui l'activité se poursuit sans faiblir jusqu'en 1854 environ ; elle continue plus ralentie jusqu'en 1859, et l'on trouve quelques interventions de Mérimée jusqu'en 1866.

C'est ainsi qu'il intervient en 1850 à propos des latrines de Saint-Savin ; de la chaire en carton-pâte que le curé de Civray veut faire construire, des réparations de Notre-Dame de Nantilly à Saumur et de l'église du Puy-Notre-Dame dont la restauration est conduite par Joly-Leterme. Tout cela ne va pas sans quelque difficulté, et sans rancunes archéologiques. L'abbé Auber, par exemple, qui a sur le coeur l'affaire des peintures de Sainte-Radegonde, ne manque pas une occasion de décocher des traits contre Mérimée qui en sourit.

Cependant, d'autres provinces sollicitent la présence de l'inspecteur général. En février 1850, il a écrit un très long rapport sur la cathédrale de Toul (2), et le 16 mai, il est chargé de s'y rendre avec M. Pellechet. De retour le 20 mai, il adresse au ministre un rapport de huit pages. Un petit voyage en Angleterre (26 mai-21 juin) et en septembre le

(1) Chambon (Notes, p. 270) indique : « le 26 octobre, mandat de ses frais de voyage, 1.690 fr. » • (2) A. C- M. H. Dossier Cathédrale de Toul.


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voici à Clermont, visitant l'église de Mozat, la Sainte-Chapelle de Riom, l'église d'Ennezat (1). Le 21, il part pour le Velay et voit l'église du Monastier, la chapelle de SaintMichel du Puy. C'est alors qu'il découvre avec Mallay la célèbre fresque des Arts libéraux. Le 26 septembre, il quitte le Puy pour SainL-Etienne, puis il descend le Rhône jusqu'à Avignon et visite le pont du Gard (2). Du 3 au 6 octobre il est à Nîmes. Alors par Bizanet, où il visite l'abbaye . de Fontfroide, il gagne Carcassonne (14 et 15 octobre) et y écrit deux rapports (3) sur l'église Saint-Nazaire et les fortifications de la cité. Il revient à Paris ayant le 28 octobre.

A son retour, il retrouve les inlassables demandes de secours pour Candes, Cunault, Lusignan, Charroux, le Temple-Saint-Jean sur lequel on lui écrit des choses alarmantes. Il s'en faut de peu d'ailleurs qu'il ne se rende à Poitiers. Le Prince Président inaugure en effet le chemin de fer de Tours à Poitiers (1er juillet 1851), et visite Notre-Dame-laGrande, conduit par Léon Faucher qui lui présente JolyLeterme (4). Et Mérimée d'esquiver la corvée. Le 30 juin [1851] il écrit à Léon de Laborde (lettre inédite) : « J'ai été tous ces jours le bec dans l'eau comme le poisson sur la branche, menacé d'un voyage à Poitiers d'où je devais rapporter l'Empire et une indigestion de veau. Je me suis gardé de l'un et de l'autre et je crois que si vous pouvez me garantir une chambre à coucher et un petit parlour pour une semaine, je serai à Londres vendredi. Je partirai jeudi... » Il rejoignit, en effet, à Londres, Léon de Laborde, commissaire à l'Exposition universelle de l'Industrie qui se tenait depuis le 1er mai dans le Palais de cristal. Il revint avant le 10 août, puis repartit, le 29, en compagnie de son ministre Léon Faucher, pour Vézelay, et fit une tournée par Lyon (où il vit la crypte de Sainte-BIandine, et rencontra le maréchal

(1) A. C. M. H. Lettres et rapports de Mérimée et Vitet, Clermont, 18 septembre, p. 271 à 274. (2)Id., ibid., f. 275 à 277 ('ô)Id., ibid., f. 279 et 279 bis. (4) Cf. Bull. Soc Anl. de L'Ouest, 2<> trimestre 1851, p. 181.


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de Castellane), le Pu}', Brioude (où il retrouva Denuelle) et Clermont. Un court voyage, en octobre 1851, conduit à Gand Mérimée et du Sommerard pour assister à la vente de M. d'Huyvetter (1). Après avoir visité Rotterdam il revient à Paris, le 3 novembre, et dîne, le 28, avec Victor Cousin, Viollet-le-Duc, le comte de Flahaut, Maxime du Camp et le duc de Morny. Il ne faudrait pas en conclure que Mérimée ait été, en quoi que ce soit, dans la confidence du coup d'Etat du 2 décembre.

Les conséquences de ce coup d'Etat ont une immédiate répercussion sur la Commission des monuments historiques, dont la composition est modifiée par un décret du 16 janvier. Le nom de Ludovic Vitet est remplacé par celui de Longpérier ; en revanche, Mérimée est promu officier de la Légion d'honneur. Puis vint la fameuse affaire, où il voulut croire contre toute vraisemblance à l'innocence de Libri, par attachement à une amie d'autrefois, Mélanie Double, qui, veuve de M. Collin en 1849, avait épousé Libri. Le 30 avril, il perdait sa mère, âgée de 78 ans, et bientôt il entrait à la Conciergerie, le 6 juillet, et il en sortait le 20.

Le début de l'automne fut marqué par un voyage archéologique en Touraine et en Provence (2), où de Marseille (11 septembre) il répond assez vertement aux doléances de M. Ménard, secrétaire de la Société des Antiquaires de l'Ouest (3). Puis, en octobre, il fit un court voyage en Pi(1)

Pi(1) inédite à Louis de La Saussaye, 13 octobre 1851.

(2) Voici son itinéraire : Paris (4 sept.), Blois, Chambord et Saint-Aignan, Paris (7 sept.). Il repart le même jour pour Marseille (9 sept.), parcourt les Basses-Alpes (Simiane), revient à Nîmes (20 sept.), Avignon, remonte le Rhône jusqu'à Valence (22 sept.), Lyon (25 sept.), Moulins (27 sept.), Paris (1er octobre).

(3) Né au Mans, le 7 novembre 1797, Jacques-Augustin Ménard fut professeur d'histoire au collège de Poitiers en 1834 ; censeur en 1837 et proviseur de 1841 à 1850. Dès 1834, il faisait partie de la Soc. Ant. de l'Ouest dont il fut le président en 1848 et le secrétaire de 1834 à 1837 et de 1851 à 1873. Il écrivitde nombreuses notes et rapports archéologiques et un recueil de poésies : Essais poétiques d'un vieillard. Il mourut en avril 1882.


36. INTRODUCTION

cardie. Entre temps, Mérimée a trouvé le loisir de s'occuper de la restauration du temple Saint-Jean, dont Joly-Leterme se tire aussi bien que de la trompe de Saint-Savin. Dans cette église, il est question de débadigeonner et de vitrer la chapelle Saint-Marin, et Denuelle est occupé à sauver les peintures à l'aide d'un vernis que lui indique Mérimée. L'année se termine par l'inévitable admonestation au curé de Saint-Savin, toujours acharné contre Joly-Leterme, et qui a imaginé cette fois de poser une porte étrange à son église.

Le mariage de M11* de Montijo avec l'Empereur (29 janvier 1853) va modifier la position de Mérimée. « L'Ecriture, remarque-t-il, dit que la femme quittera ses parents pour suivre son mari » ; dans le cas de la comtesse de Montijo, ce fut la mère qui dut quitter la fille. Sa présence à Paris ne paraissait pas désirable à l'Empereur, qui la fit conduire à la gare par Mérimée. Le gendre impérial avait même négligé de venir saluer sa belle-mère : dont il eut, d'ailleurs, quelque regret, ce qui fit dire à Mérimée : « il faut lui savoir gré de- ce repentir quelque tardif qu'il soit » (1).

Donc, le samedi 19 mars 1852, la mère de l'Impératrice, accompagnée de M. de Cabarrus, de Prosper Mérimée et d'une suite nombreuse, retournait en Espagne. Elle s'arrêta un instant, le 20, à Poitiers, où Mérimée lui dit adieu. Il profita de son séjour dans cette ville pour visiter toutes les églises (2) en compagnie de Degove, chez qui sans doute il dîna (3). Il dormit assez bien dans des draps un peu humides, puis passa encore deux jours à « flâner sur la route, s'arrêtant toutes les dix lieues pour regarder les choses de

(1) Lettre à Mm° de Montijo, 28 mars 1853.

(2) Il inspecte notamment les travaux de Joly-Leterme au temple Saint-Jean.

(3) Lettreà Villemain, ProMemoria.p. 111, et lettreXCIX. Sur Degove, voir lettre CXI, note 4.


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son état ». En effet, il est à Tours, le mardi 22, pour examiner l'église Saint-Julien (1).

Mérimée est toujours très assidu aux séances de la Commission des monuments historiques, et sa nomination de sénateur (23 juin 1853) ne changera rien « aux habitudes monumentales ». « Le ministre d'un côté, écrit-il ,à Mallay (2), la Commission de l'autre m'ont prié de continuer mon commerce. J'ai dit au premier que je croyais devoir le faire dorénavant en volontaire. J'avais été toujours fâché que mes appointements fussent pris sur le fonds du matériel. Je les restitue à leur première destination. Et je serai inspecteur à l'oeil. Et voilà. »

En effet, si l'époque de ses grandes tournées archéologiques est achevée, on trouve toujours la trace des interventions de Mérimée, soit qu'il écrive en faveur de JolyLeterme et de Segretain lors de la réorganisation de la Commission des arts et édifices religieux, soit qu'il rédige rapports sur rapports au sujet de Cunault, de Candes, du Puy Notre-Dame et du temple Saint-Jean. Pourtant Mérimée de qui la vie change, « chose triste à 49 ans », est assez mélancolique: tristesse de coeur, déception d'amitié, embarras où il se trouve de sa nouvelle dignité. Il songe à faire retraite et va chercher à Madrid, auprès de Mme de Montijo, un peu de cette affection qui désormais lui fait défaut à Paris.

Parti pour Madrid (3) le 1er septembre 1853, il voyagera en Espagne avec son ami Louis de La Saussaye, et reviendra à Paris le 18 décembre. Ce voyage ne fut pas inutile d'ailleurs à la carrière de Louis de La Saussaye qui fut nommé l'année suivante recteur de l'académie de Poitiers.

En 1854, au retour d'un voyage à Londres (15 au 26 juillet), Mérimée part le 29 juillet pour Caen, où il préside la séance publique annuelle de Société des Antiquaires de Nor(1)

Nor(1) 11 juin 1853 Mérimée fait un court voyage à Clermont. Il est de retour peu avant le 23 juin. Entre le 26 et le 30 juin, bref voyage à Caen.

(2) Lettre inédite du 30 juin 1853.

(3) Cf. lettre CXI.


38 INTRODUCTION

mandie. Puis il fait un long voyage en Autriche et en Allemagne, du 23 août au 14 octobre. C'est à cette dernière date que se place le début de sa correspondance avec Mme de La Rochejaquelein à l'occasion des restaurations du château de Chinon. En effet, trois jours après son retour d'Allemagne, il déclare avoir écrit à ce sujet « trois pages de sa plus belle prose et l'avoir portée à son ministre... » (1). Mérimée se rendra à Chinon avec la Sous-Commission des monuments, en juin 1855 (2), et à son retour il écrira un long rapport à la Commission. Joly-Leterme sera chargé des travaux (3).

Désormais la santé de Mérimée est altérée. En 1857, il prendra l'habitude de partir, chaque hiver :

... pour le rivage où, dans un flot vermeil, Cannes mire ses toits rayonnant de soleil.

Où les lords d'Angleterre ennuyés de leur île Reviennent chaque hiver demander un asile (4).

Il ne voyagera plus désormais que pour se distraire, pour retrouver ses amis à Londres, en Ecosse, en Espagne, en Suisse et en Italie, ou pour accompagner l'Impératrice à Biarritz. Pourtant, en 1861, une lettre à Panizzi indique son passage à Melle. Les motifs de ce voyage resteraient inexpliqués si l'on ne pouvait supposer qu'il s'y rendit pour

(1) Le dossier du Château de Chinon (A. C. M. H.) indique une lettre au ministre (17 octobre 1854).

(2) Voir Une correspondance inédite, lettre du 21 juin 1855, p. 8 à 11. (3)Cf. Rapport de Mérimée à la Commission, 30 juin 1855- —Un arrêté

du 9 août 1855 « accorde une somme de 2.000 fr. sur le crédit des Monuments historiques de l'exercice 1855, pour pourvoir aux réparations les plus urgentes, et charge M. Jo,ly-Leterme, architecte à Saumur,de l'emploi de ces fonds et de l'étude des travaux à entreprendre ». — Le devis de Joly-Leterme parviendra le 8 mai 1858. (A. C. M. H , dossier, Château de Chinon.)

(4) J. Autran : Epttres rustiques, Paris, Lévy, 1861, épître dédiée à M. P. Mérimée, p. 125.


INTRODUCTION 39

rencontrer la baronne Aymé (1), avec laquelle il aurait entretenu alors une correspondance, et cette rencontre, suivant une tradition conservée dans la région, aurait mis fin à une aventure sentimentale, les deux intéressés ayant été, dit-on, également déçus.

La correspondance de Mérimée, avec Chergé, Segretain, Joly-Leterme et La Saussaye s'espace de plus en plus. D'ailleurs Mérimée, à qui l'on a adjoint Courmont, est nommé inspecteur général honoraire en 1860, laissant sa place à Boewihvald (2), tout en gardant la vice-présidence de la Commission des monuments historiques. Jusqu'à sa mort, il n'aura plus guère l'occasion d'intervenir pour ses chers monuments (3). Il faudra que le nouveau curé de Saint-Savin, l'abbé Lebrun, lui écrive en 1863 afin d'obtenir des secours de l'Impératrice, et s'avise en 1866 de « prétendues restaurations » pour que Mérimée reprenne la plume et le rappelle vertement à la raison.

On sait la maladie lente et pénible par laquelle s'achève la vie de Prosper Mérimée. En mars 1869, il fut si dangereusement atteint qu'on annonça sa mort. Les deux dernières lettres du présent recueil sont de cette date. Il mourut à Cannes dans la nuit du 23 septembre 1870 (4).

Tel est, rapidement esquissé, le rôle archéologique de Prosper Mérimée, pour la sauvegarde des monuments historiques dans les provinces du Poitou et de la Saintonge.

11 était naturel d'accorder ici une importance primordiale aux déplacements et aux interventions de Mérimée dans le ressort de la Société des Antiquaires de l'Ouest. J'ai cru toutefois nécessaire, pour donner sa signification véritable à cette activité archéologique, de la situer dans l'ensemble d'une existence presque tout entière consacrée à l'inspec(1)

l'inspec(1) lettre CXXII.

(2) Nommé Inspecteur général par arrêté du 29 octobre 1860.

(3) On trouve en 1864 une note de Mérimée au sujet de Thouars.

(4) Sur les dernières années de sa vie,voir Lettres de Prosper Mérimée à Madame de Beaulaincourt, Calmann-Lévy, 1936.


40 INTRODUCTION

tion des monuments de la France. Il pourrait paraître ainsi que l'auteur de ces notes a grossi avec un peu d'artifice l'importance accordée par Mérimée au Poitou, s'il n'était hors de doute que Mérimée a consacré à cette province la meilleure part de son temps, et un intérêt tout particulier.

Dans ces Notes, volontairement objectives, je me suis abstenu d'aborder des questions de doctrine, de discuter les systèmes de restauration. Mérimée n'a pas été sans commettre des erreurs que les spécialistes lui ont reprochées, avec vivacité parfois ; et il faut bien reconnaître que les érudits locaux, dans l'àpreté de leurs critiques, ont eu souvent raison.

Aujourd'hui on rend hommage à la qualité de son oeuvre, et les documents que M. Mallion a réunis montrent assez que Mérimée ne mérite pas toujours de partager les reproches justifiés que l'on a adressés aux travaux de ses architectes.

Qu'il ait, comme on l'a dit, ignoré ou caché une émotion artistique en présence des merveilles archéologiques qu'il avait à protéger, ses lettres en donnent, en effet, l'impression, mais de nombreux passages de ses notes de voyage et de ses rapports disent pourtant qu'il était accessible au sentiment de la beauté et qu'il savait l'exprimer. N'est-il pas injuste de demander à un homme, harcelé sans arrêt par des questions de technique, par des problèmes d'architecture, et de qui le métier était de consolider, de restaurer les vieilles pierres, qu'il mêle à des préoccupations, avant tout pratiques, l'enthousiasme d'un Victor Hugo, ou l'éloquence attendrie d'un Montalembert ?

II a su lui-même le tort que le technicien fait.à l'artiste et il en a exprimé le regret quand il écrit à la fin de sa vie (1) : « Lorsque je voyais ces monuments historiques, j'en étais le colonel. Je regrette de les avoir visités trop officiellement. Je regardais les caractères de l'architecture, les additions, les réparations anciennes et l'ensemble poétique m'échappait. »

MAURICE PARTURIER.

(1) Lettres de Mérimée à Madame de Beaulaincourt, p. 113.


AVERTISSEMENT

Nous soupçonnions depuis longtemps l'existence de lettres adressées par Mérimée aux Antiquaires de l'Ouest. Dès .1929 (1), M. Maurice Parturier signalait une note du Bulletin delà Société(4e trimestre 1839, p. 126-128) qui, à propos de la restauration de Saint-Savin, affirme qu'il « existe aux archives de la Société une longue correspondance à ce sujet, entre M. Mérimée, M. le Ministre de l'Instruction publique, le Président, le Secrétaire de la Société et M. le Maire de Saint-Savin ».

Dans la Revue du Temps présent (2 janvier 1910), en publiant une lettre de Mérimée à M. Foucart, Paul Bart indiquait que ce document « est déposé aux archives de la Société » dont le président M. Rambaud lui avait écrit : « Ces lettres avaient été conservées par M. Ménard, proviseur du Lycée, qui était alors secrétaire de la Société. A sa mort, elles furent vendues avec tous ses papiers et achetées par M. Tornézy, avocat et ancien président des Antiquaires de l'Ouest, qui les remit dans les Archives. C'est donc à lui que nous devons ces quelques traces du souvenir de notre ancien collègue Mérimée. »

Une longue enquête dans le ressort de la Société devait aboutir à la publication de ce recueil. En 1934, nous signalions les premiers résultats (2), suivis bientôt, en 1936, de l'indication de nouvelles trouvailles (3).

(1) Cf. Bulletin du bibliophile, 1929, p. 376.

(2) Prosper Mérimée et le Poitou, discours prononcé le 12 juillet 1934 à la distribution des prix du lycée de Poitiers.

(3) « Le rôle de Prosper Mérimée, inspecteur général des monuments


42 AVERTISSEMENT

Cent trente et une lettres de Prosper Mérimée sont ainsi ' retrouvées et publiées. Elles proviennent de différents dossiers dont voici l'indication :

1° Soixante-neuf lettres à M. Joly-Leterme (IV à VII, IX, XI* XIL XVI, XIX, XX, XXXVI à XXXIX, XL, XL1I à XLV. XLVIII, L, LI, LUI, LIV, LIX, LXII, LXIII à LXVI, LXXIII à LXXXIÎI, LXXXV, LXXXVI, LXXXVIII, LXXXIX, XCI, XCIV à XCVI, XCIX, C, Cil, CIV à CX, CXII,CXIV, GXV, CXIX à CXXII, CXXV, CXXIX,CXXX), communiquées par M. le marquis de Terrier-Santans. Une copie de ces lettres était depuis longtemps entre les mains de M. Pierre Josserand qui a aimablement renoncé, en faveur du présent recueil, au plaisir de les publier.

Ce dossier est incomplet de quelques lettres qui ont été détruites.

2° Vingt-trois lettres à M. de Chergé : X, XVIII, XXVIII, XXIX, conservées aux Archives particulières de la Soc. des Antiquaires de l'Ouest ; XXXIII, XXXV, XLI, LU, LXIX, LXX, LXXI, LXXII, LXXXIV, LXXXVII, XC, XCVII, XCVIII, CIII, CXI, CXIII, CXVI, communiquées par Mme la vicomtesse de Poix ; LXVII, LXVIII ayant figuré à des ventes d'autographes (Andrieux, 20 et 21 octobre 1932 et 14-18 février 1936) et que nous croyons adressées à M. de Chergé.

3° Douze lettres à M. Segretain : XV, XVII, XXI, XXII, XXIV, XXVII, XXX, LV, LVIII, LXI, CI et CXXVI, à M. Segretain fils. Ces lettres nous ont été communiquées par M. le colonel Segretain et M. J. Segretain, directeur honoraire de la Banque de France.

4° Six lettres à M. Louis de La Saussaye (XXV, XXXI, XCII, CXVII, CXVIII, CXXXI), faible partie d'unevlongue correspondance n'intéressant pas l'archéologie et dont la

historiques, dans la région du Sud-Ouest », Bull. Soc. Ant. de l'Ouest, Ie 1' trimestre 1936.


AVERTISSEMENT .43

plupart des pièces appartiennent à M. le comte Alain de Suzannet.

5° Quatre lettres k M. Mangon de La Lande : II, III, VII, conservées aux Archives particulières de la Soc. Ant. de l'Ouest, etlà la Bibliothèque municipale de Poitiers (Archives, casier 123).

6° Quatre lettres à M. Lecointre-Dupont. Trois de ces lettres (XXIII, XLVII, XLIX) ont été partiellement publiées par M. de La Marsonnière : Biographie de M. Lecointre-Dupont, Poitiers, 1889. Les originaux nous ont été communiqués par M. le comte Lecointre. La lettre XXXIV se trouve aux Archives particulières delà Soc. Ant. de l'Ouest.

7° Deux lettres à M. l'abbé Lebrun, curé de Saint-Savin (CXXIII, CXXVIII), conservées aux Archives particulières du Grand Séminaire de Poitiers et communiquées par Monseigneur Chaperon.

8° Une lettre à M. l'abbé Auber : XLVI, conservée aux Archives départementales de la Vienne (Mss de la Soc. Ant. de l'Ouest, n° 303).

9" Une lettre à M. Ménard (XCIII) conservée aux Archives particulières de la Soc. Ant. de l'Ouest.

10° Une lettre à M. Edgar de Champvallier : CXXIV, communiquée par M. Ch. Sauzé de Lhoumeau.

11° Deuxlettres au Préfet de la Vienne : XIV, LVI, conservées aux Archives départementales de la Vienne, T7-15.

12° Nous avons cru nécessaire de joindre à ces lettres les documents suivants qui complètent et recoupent utilement cette correspondance :

Une lettre à Foucart : LVII, déjà publiée par Paul Bart (Revue du Temps présent, 2 janvier 1910) et seule lettre d'un dossier qui a dû être plus important. Cette lettre se trouve aux Archives particulières de la Soc Ant. de l'Ouest.

Une lettre à M. de Courmont : CXXVII, conservée aux Archives de la Commission des monuments historiques (A. C. M. H.), dossier Saint-Savin.


44 AVERTISSEMENT

Une lettre à M. Clerget (XXVI) conservée aux A. C. M. H. dans le dossier Arc romain de Saintes.

Deux lettres à Ludovic Vitet (XIII et XXXII) conservées aux A. CM. H. Recueil Lettres et Rapports de Mérimée et Vitet.

Une lettre :LX, conservée aux A. C. M. H. Recueil Lettres et rapports de Mérimée et Vitet, f. 262. Chambon (Notes sur Prosper Mérimée, p. 267, n° 1) la croit adressée à Ludovic Vitet, attribution qui nous paraît contestable.

Nous ne prétendons pas avoir recueilli toutes les lettres qui auraient dû prendre place dans cet ouvrage. Il est certain que d'autres documents viendront à la lumière et nous serions heureux que la présente publication incitât les collectionneurs à ouvrir leurs cartons et révélât l'existence de quelques archives particulières..

Nous avons classé cette correspondance, en suppléant souvent à l'absence de dates ou à leur imprécision par des propositions que nous avons inscrites entre crochets carrés. Nous avons conservé l'orthographe de Mérimée.

Pour éclairer ce texte, il a paru indispensable de recourir à Prosper Mérimée lui-même et nous n'avons pas hésité à utiliser largement ses longs rapports conservés aux A. C. M. H. Si nous avons ainsi chargé la correspondance de Mérimée, c'est le plus souvent pour le laisser parler, lui et ses collaborateurs, et nous espérons que nul ne s'en plaindra. Il n'était pas inutile pour l'intelligence de ce texte, de multiplier les notes, de renvoyer aux pièces d'archives et aux ouvrages spéciaux qui complètent nos commentaires. Toutes les références aux monographies et volumes d'archéologie concernant le Poitou ont été faites suivant les indica-


AVERTISSEMENT 45

tions de MM. Salvitii et Pouliot à qui nous adressons tous nos remerciements.

De nombreux concours nous ont été donnés, et c'est un devoir et un plaisir pour nous que de remercier tous ceux qui nous ont facilité notre tâche. Cette publication doit beaucoup à Mme la vicomtesse de Poix, à M. Chabaud, chef du bureau des Monuments historiques, à Monseigneur Chaperon, doyen du chapitre cathédral de Poitiers, à M. le comte Lecointre, à MM. Pouliot, trésorier de la Société des Antiquaires de l'Ouest, Salvini, secrétaire de la Société des Antiquaires de l'Ouest, Sauzé de Lhoumeau, à M. le colonel Segfetain, à M. J. Segretain, directeur honoraire delà Banque de France, à M. le comte de Suzannet et à M. le marquis de Terrier-Santans.

Ce travail a été suivi et revu de près par M. Maurice Parturier qui a mis à notre disposition, avec la plus extrême obligeance, ses nombreux documents et sa connaissance parfaite de Mérimée.

J. M.

En cours d'impression, M. Parturier a l'amabilité de nous communiquer deux lettres provenant de copies envoyées à Maurice Tourneux par M. de La Sicotière. L'une est adressée à M. de Chergé (XXIII bis) -'et l'autre, sans doute, à M. Lecointre-Dupont (LXX bis).

M. l'abbé Girard, curé de Ruffec-le-Château (Indre), a eu aussi l'obligeance de nous faire parvenir la copie de deux lettres (LU bis et LXXVIfos). Leur destinataire est l'abbé Lenoir, curé de Fontgombault.



Lettres de Mérimée aux Antiquaires de l'Ouest

AMANGON DE LA LANDE

Paris, 12 janvier 1836 (1) MONSIEUR,

Je suis bien coupable de ne vous avoir pas plutôt remercié de l'envoi que vous avez bien voulu me faire de votre intéressant mémoire sur l'autel romain que j'ai vu à la Préfecture (2). On a ici une assez drôle d'idée, ce me semble, sur des autels semblables trouvés dans la cité. On veut qu'ils aient été les piliers d'un dolmen perfectionné, sculpté, orné. Il est vrai qu'on n'a pas trouvé la table du dolmen, mais vous savez que les antiquaires se contentent de peu en général.

Depuis mon retour, j'ai lu avec curiosité l'opinion de Mr de Gaumont sur le temple S* Jean, qu'il croit un baptistère du ve ou vie siècle. On dirait qu'il n'a pas eu connaissance de l'inscription deVarenilla, et il semble se mettre peu en peine d'expliquer le trou octogone, dont vous avez seul, je crois, bien déterminé la destination. Toutefois, il cite un fait que je regrette de n'avoir pas vérifié (3). Suivant lui, il existe dans le mur d'une maison peu éloignée une rosace entourée d'une bordure carrée et surmontée d'un triangle absolument semblable à celle qui se trouve dans le fronton du corps avancé qui existe encore. Mr de Caumont en conclut qu'elle provient d'une partie détruite de l'église S* Jean, laquelle autrefois aurait été beaucoup plus considérable. Comme je connais la légèreté de Mr de Caumont, je


48 LETTRES DE MÉRIMÉE

me méfie fort de cette assertion, d'autant que le monument primitif est encore complet et qu'on ne peut deviner de quel côté il aurait été diminué.

J'avais tant de questions à vous faire, Monsieur, pendant mon courtséjouràPoitiers, que j'en ai oublié la moitié. Je voulais vous demander votre opinion sur la salle des pas perdus. Croyez-vous qu'elle ait été faite à deux reprises, je ne parie pas de son extrémité qui regarde la place, mais des arcades qui garnissent les murs, les unes en ogive, les autres en plein cintre, différant en outre entre elles en grandeur et en disposition.

Existe-t-il quelque part une description de l'église St Hilaire, avant la démolition de la plus grande partie de sa nef ? Je vous serais bien obligé de me l'indiquer.

On nia dit, mais je ne puis le croire, que le séminaire était en marché pour vendre son beau manuscrit (4). S'il était vrai il faudrait y mettre ordre, mais la chose me semble impossible.

On me promet au Ministère de l'argent pour Charroux et S*-Savin ; j'ai pour principe de ne croire aux promesses que quand elles sont accomplies, et je me propose de tourmenter ces messieurs, jusqu'à ce qu'ils se soient exécutés.

Me permettez vous, Monsieur, de vous envoyer, un volume épais et bien lourd au propre et au figuré, sur ma tournée de 1834 dans le Midi de la France. C'est par suite d'une erreur, que vous n'en avez pas reçu depuis longtemps un exemplaire.

Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de la plus haute considération avec laquelle je suis votre très obéissant serviteur,

Pr MÉRIMÉE.

P. S. — Si vous aviez quelque envoi à me faire, quelques commissions à me donner, vous pourriez m'écrire sous le couvert du Ministre de l'intérieur, avec double enveloppe.


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 49

Monsieur Monsieur Mangon de Lalande Directeur de l'Enregistrement Président de la société archéologique à Poitiers.

(1) Cette lettre a figuré à un catalogué de vente d'autographes dit 6 juiri 1849, n° 797 ; elle a été signalée par Tourneux (ReD. Hist. Litt. de la France, 1899, p. 56), par Félix Chambon (Notes sur P. Mérimée, p. 87, note 2) et par M. Pierre Josserand dans sa précieuse «Esquisse d'une édition critique de la correspondance de P. Mérimée » (Rev. Hist. Litt. de la France, janvier-mars. 1924 à avril-juin 1925). Elle a reparu au Catalogue Lemasle, n° 18.225, et fut acquiseen 1914par M. Ginot pour la bibliothèque municipale de Poitiers (Archives, casier 123).

(2) Il s'agit peut-être de l'autel gallo-romain de Bapteresse(Vienne), sur lequel Mangon de La Lande lut une notice, à la séance du 25 août 1835. (Cf. Mém. Soc. Ant. del'Ouest, I, p. 228.)

(3) Cf. A. de Caumont : Cours d'antiquités monumentales, Paris, Lance, IV, 1830, p. 82 à 93. A la page 86, note 1, A. de Caumont écrit: <t J'ai remarqué dans le mur d'une maison peu éloignée une rosace entourée d'une bordure carrée et surmontée d'un triangle, absolument semblable à celle qui se trouve dans le fronton du corps avancé qui existe encore. Il faut bien que cette sculpture provienne de quelque partie détruite de l'église Saint-Jean. La nature de la pierre ne permet pas d'en douter. » L'ouvrage le plus au point sur le baptistère Saint-Jean est : Emile Ginot, Le baptistère Saint-Jean, 1933. Voir aussi : Paul Verdier, Le baptistère Saint-Jean à Poitiers, première acquisition du Service des monuments historiques (Les Mon. Hist. de la France, 1936, p. 118-120).

. (4) La bibliothèque du Séminaire de Poitiers possédait alors deux manuscrits précieux : le bréviaire d'Anne de Prye, abbesse de la Trinité de Poitiers de 1484 à 1500, et le missel pontifical de Raoul du Fou, abbé de Nouailléde 1473 à 1510. Cf. Abbé Auber : « Des manuscrits avant la découverte de l'imprimerie » (Bull. Soc. Ant. del'Ouest, 1er novembre 1835 à 1er février 1836), et abbé Cousseau : «Mémoire sur l'ancienne liturgie du diocèse de Poitiers et sur les manuscrits qui nous en restent » (Mém. Soc. Ant. de l'Ouest, III, p. 293, et V, p. 211). Ces manuscrits sont maintenant au trésor de la cathédrale.

A MANGON DE LA LANDE MONSIEUR LE VICE PRÉSIDENT,

J'ai reçu avec la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser, le diplôme de membre correspondant de la Société des Antiquaires de l'Ouest (1).

4


50 LETTRES DE MÉRIMÉE

Veuillez je vous prie, exprimer à vos collègues combien j'apprécie cette flatteuse distinction que je dois à votre bienveillance. Je ferai tous mes efforts pour m'en rendre digne.

Agréez, Monsieur le Vice-Président, l'expression de ma vive reconnaissance et l'assurance de la plus haute considération avec laquelle je suis votre très humble et très dévoué serviteur et collègue,

Pr MÉRIMÉE.

Paris, 2 février 1836.

Monsieur Mangon de Lalande, Vice-Président de la Société des Antiquaires de l'Ouest.

(1 ) La Société des Antiquaires de l'Ouest avait été fondée le 13 août 1834 et dès le 19 août rédigeait ses statuts. Mangon de La Lande, dans la séance du 19 novembre 1835, proposait à la Société la nomination de P. Mérimée (cf. Bull. Soc. Ant. de l'Ouest, 1er novembre 1835-lef février 1836, P- 4).

III '

A MANGON DE LA LANDE

15 février 1836. MONSIEUR ET CHER PRÉSIDENT,

Je viens enfin d'envoyer au Journal de Paris (1) un petit article qu'ils me promettent d'insérer. Il faudrait en même temps je crois adresser au journal un exemplaire. C'est un des profits de ces Messieurs et ils y tiennent fort. J'ai été un peu indisposé, c'est ce qui m'a empêché de vous écrire plutôt. Je vais intriguer auprès du Journal des Débats et tâcher de vous faire faire un article par M. Delécluze rédacteur juré de tous les articles archéologiques (2).

Veuillez agréer, Monsieur, la nouvelle expression de tous

mes sentiments dévoués.

Pr MÉRIMÉE.


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 51

(1) La collection du Journal de Paris est incomplète à là Bibliothèque nationale. Nous n'avons pu consulter l'année 1836 de ce périodique qui est également absente de plusieurs bibliothèques où nous l'avons recherchée.

(2) Cet article a paru en effet dans le Journal des Débats du 11 juin 1837 : « La Société des Antiquaires de l'Ouest, écrit Delécluze, autorisée par décision ministérielle du 24 février 1835, vient de publier, cette année, le premier volume de ses Mémoires... Entre autres morceaux curieux, on distingue... des dissertations archéologiques très remarquables de M. Mangon de La Lande.:. »Dans le même feuilleton, Delécluze rend compte des Notes d'un voyage dans le Midi de la France par M. P. - Mérimée. Cet article des Débats nous a été signalé par M. Robert Baschet qui prépare une thèse sur E. Delécluze.

IV A JOLY-LETERME

[Cachet-postal : 17 octobre 1838] (1)

MONSIEUR,

Me permettrez-vous d'avoir recours à votre obligeance pour une petite affaire qui n'a rien d'archéologique. J'ai apporté à mes amis de Paris quelques ouvrages en verre qui ont eu un succès prodigieux, des ceintures surtout. Malheureusement je n'avais pas calculé exactement le nombre des consommateurs et je suis fort en peine pour ne pas faire des jaloux. Serait-ce trop abuser de votre complaisance que de vous prier de vouloir bien passer chez un marchand qui demeure au coin de la rue de la sous-préfecture et d'y choisir trois ceintures en verre blanc ou grisâtre sur un fond de soie rose. Cela coûte six francs pièce si j'ai bonne mémoire. Je joins ici un petit mandat sur la poste. J'ai honte en vérité de vous charger d'une commission si ridicule, mais j'espère que vous voudrez bien excuser une fantaisie qui a pour bût de mettre à la mode les productions de votre ville. Le marchand voudra bien, je pense, se charger de mettre les ceintures dans du coton et de me les envoyer par la diligence à Paris, rue des beaux arts n° 10.


52 LETTRES DE MÉRIMÉE

Je serais bien heureux, Monsieur, si vous aviez la bonté de joindre à cet envoi quelques nouvelles de Cunault (2) et de vos belles églises Nous ferons cette année un appel à la générosité des Chambres et si elles se laissent attendrir nous pourrons, j'espère, nous montrer un peu plus généreux pour les monumens de la Touraine.

Veuillez agréer, Monsieur, toutes mes excuses pour mon importunité'et l'expression de mes sentimens les plus distingués.

Pr MÉRIMÉE

rue des beaux arts, n° 10.

Monsieur, Monsieur Joly, architecte, à Saumur (Maine et Loire).

(1) Mérimée est rentré de sa tournée d'inspection vers le 12 septembre 1838, (cf. « Lettres familières de l'Impératrice Eugénie, » le Divan, 1935, p. 11). Il a rencontré pour la première fois au cours de ce voyage, en juillet 1838, M. Joly-Leterme de Saumur, alors occupé à la restauration de l'église de Cunault (voir Introduction, p. 16.)

(2) Sur l'église de Cunault, on peut consulter le bel ouvrage de Mme la Baronne Brincard : Cunault. Ses Chapiteaux du XIIe siècle. Paris, 1936. In-4°, XII-129 p. ; 79 pi. hors-texte.

V A JOLY-LETERME.

MINISTÈRE DE L'iNTÉRIEUR.

DIRECTION DES MONUMENTS PUBLICS

ET HISTORIQUES.

SECTION DES TRAVAUX.

- Paris, le 7 novembre 1838.

MONSIEUR, "

Je vous demande mille pardons de vous importuner encore peur îa même misère. On me dit à la Poste que le petit


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 53

mandat que je vous ai envoyé avait été touché à Saumur le 19 octobre. Je n'ai pas de nouvelles des ceintures, et je suppose que le marchand ou la diligence les aura oubliées. Si ce n'était point par trop abuser de votre complaisance, je vous prierais de vouloir bien m'écrire un mot pour me dire où je pourrais les réclamer. Les messageries sont souvent fort négligentes à envoyer les paquets qu'on leur a remis.

Veuillez excuser mon importunité, Monsieur, et agréer l'expression de tous mes sentiments dévoués.

Pr MÉRIMÉE. Rue des Beaux-Arts, 10.

VI A JOLY-LETERME

MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR.

Paris, le 19 novre 183[8]

MONSIEUR,

Je félicite bien la ville de Saumur de l'activité de son commerce de verreries, et j'attendrai patiemment que les 30.000 paires d'yeux soient terminées (1).

Vous me parlez dans votre lettre de la découverte que vous venez de faire d'un monument celtique avec des pierres couvertes de dessins grossiers, serait-ce le tumulus que nous avons vu près de St Amand où nous avons déterré avec tant de peine un fragment de pierre sculptée ? Je vous envoie un mémoire de moi (2) sur le seul monument de ce genre dont j'aie encore entendu parler. Je vous serais bien obligé de me faire connaître si celui que vous avez découvert offre quelques rapports avec celui-ci.

Veuillez agréer, Monsieur, avec tous mes remercîmens, la


54 LETTRES DE MÉRIMÉE

nouvelle expression de tous mes sentimens les plus distingués.

Pr MÉRIMÉE.

(1) A l'époque de l'Edit de Nantes, des maîtres-verriers de Niort appartenant à la religion réformée vinrent s'installer à Saumur, une des places de sûreté réservées aux protestants. Après leur départ (à la révocation de l'Edit de Nantes), les ouvriers se mirent à utiliser les déchets des verreries. Ils fabriquaient des parures, des colliers, des agrafes de ceintures. Ils faisaient en particulier des perles rondes en verre de deux couleurs appelées yeux parce qu'elles donnaient aux ouvriers l'illusion de manier des globes oculaires (renseignement fourni par M. le colonel Savette, secrétaire général de la Société des Lettres, Sciences et Arts du Saumurois~.)

(2) Il s'agit d'une note « Sur un monument de l'île de Gavr'innis dans le Morbihan » parue pour la première fois dans la Revue de Paris, XXXIII, p. 145-153. Il en a été fait un tirage à part la même année (Paris, impr. de Terzuolo, s. d., in-4°, avec3 planches hors texte), réimprimé dans les Notes d'un voyage dans l'Ouest de la France (Paris, Fournier, octobre 1836, p. 259-272.)

VII

A JOLY-LETERME

MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR.

Paris, le 14 février 1839. MONSIEUR,

Je voulais attendre pour vous remercier que le Ministre eût statué sur la demande dont vous me parlez. Personne plus que vous Monsieur n'a des droits à être nommé correspondant du Ministère, et il n'y a qu'une seule difficulté d'ailleurs temporaire. Jusqu'à présent il a fallu faire précéder cette nomination d'un avis delà Commission des Monumens. Or cette Commission n'a point encore été réunie parce que plusieurs de ses membres, anciens députés, sont en ce moment aux prises avec leurs électeurs. Veuillez croire, Monsieur, que je ne perdrai pas de vue cette affaire et que je ferai


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 55

ce qui dépendra de moi pour qu'elle se termine le plutôt possible.

Les ceintures sont arrivées en parfaite conservation et ont excité une grande admiration. Malheureusement le deuil a empêché qu'on n'en fit usage. Mais ce qui est remis n'est pas perdu. Veuillez agréer tous mes remercîments et mes excuses pour l'ennui que ma commission a dû vous donner.

J'ai lu avec un bien vif intérêt les renseignemens que vous me donnez sur les monumens celtiques des environs de Saumur. Le serpent ou plutôt l'anguille dont vous m'envoyez le dessin est un fait très extraordinaire. Je ne sache pas qu'il y en ait d'exemple connu sinon sur les monumens delà Suède ou de la Norvège.- Trouver un serpent d'eau à Saumur a quelque chose de plus singulier. Vous avez oublié de me marquer dans votre lettre si le serpent est sculpté en relief ou en creux, ou enfin, s'il est simplement indiqué par des contours tracés sur la pierre. Vous aurez pu voir des serpens aussi (mais auprès du vôtre ce ne sont que des sangsues) sur une des pierres du dolmen de Gavr'Innis. Vous rappelez-vous, Monsieur, avoir remarqué avec moi quelques traits bizarres sur une pierre provenant d'un tumulus voisin de la jolie chapelle de Macé (1). Avez-vous fait quelque nouvelle découverte de ce côté ? Je pense que si votre député MrBenj. Delessert (2) voulait demander au ministre quelque secours pour ces fouilles le moment serait bien choisi pour les obtenir. Jusqu'à présent les fouilles exécutées sur l'emplacement de monuments celtiques ont été dirigées avec la plus grande maladresse ; ce serait une bonne fortune que d'en voir une conduite par un guide aussi expérimenté que vous.

Pourquoi Monsieur, ne feriez vous pas un mémoire sur vos explorations celtiques ? J'ai eu envie de faire insérer votre lettre dans le Journal de iInstruction publique, mais j'ai pensé ensuite qu'il fallait d'abord votre permission, et que même dans ce cas il vaudrait mieux que vous rendissiez compte


56 LETTRES DE MÉRIMÉE

vous-même de vos intéressantes recherches. Si vous pouvez économiser une heure pour ce petit travail vous aurez bien mérité de l'archéologie.

Veuillez agréer, Monsieur, avec tous mes remercîmens, l'expression de mes sentimens les plus distingués.

Pr MÉRIMÉE.

(1) Chapelle de Saint-Macé (liste 1862) à Trèves-Cunault (Maine-etLoire), Cf. Lettres de Mérimée à Ludovic Vitet, p. 5 et 6.

(2) Benjamin Delessert, député de Maine-et-Loire, frère de Gabriel Delessert, préfet de police. Celui-ci avait épousé Valentine de Laborde qui fut très intimement liée avec P. Mérimée (Cf. Lettres de Mérimée à la famille Delessert, Paris, Pion, 1931).

VIII A MANGON DE LA LANDE

MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS.

[13 juin 1839]

MON CHER PRÉSIDENT,

Je viens de recevoir enfin une réponse de M. le Ministre de l'Instruction publique, ou plutôt voici la copie de celle qu'il a adressée à notre président Mr. de Gasparin ; vous verrez que je ne m'étais pas trompé dans mes prévisions.

« Monsieur et cher collègue, j'ai lu avec beaucoup d'intérêt la note de M.Mérimée sur les fresques de l'église de S* Savin, que vous m'avez fait l'honneur de me communiquer, en me demandant d'allouer sur les fonds de mon Ministère, une somme de 2.500 f. destinée à indemniser de son temps et de sa peine l'artiste qui sera chargé d'en exécuter là reproduction.

« Malgré tout mon désir de favoriser un travail, qui serait utile puisqu'il conserverait aux études archéologiques le plus curieux monument de peinture bysantine existant


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 57

en France, je me vois obligé à mon grand regret d'ajourner l'exécution de ce projet. La situation du crédit voté par les Chambres pour, les travaux historiques est telle qu'il me serait impossible de trouver les moyens de solder l'indemnité qui serait accordée au dessinateur choisi pour ce travail. Le comité des Arts et Monuments que vous présidez, s'est préoccupé à plusieurs reprises des ressources pécuniaires que le Ministre de l'Instruction publique pourrait mettre à sa disposition, et vous savez Monsieur et cher Collègue, quel a toujours été le résultat de cet examen. Il m'est donc impossible d'accéder à la demande que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser, et je vous prie d'en recevoir tous mes regrets les plus sincères.

« Agréez, Monsieur et cher Collègue, etc..

Signé : VILLEMAIN.

« à M. de Gasparin P* du comité des Arts et Monumens » (1).

Je vous écris à la hâte, mon cher Président, et au milieu d'une séance du conseil des bâtimens civils. Je n'ai pas le temps de vous remercier de votre nouvel envoi et de vous serrer la main en vous priant de présenter mes hommages à Madame de Lalande. Je vais partir pour ma tournée dans quelques jours (2).

Mille tendres amitiés et complimens.

Pr MÉRIMÉE.

Ecrivez-moi toujours, malgré la tête de ma lettre, au Mère de l'Intérieur.

13 juin 1839.

(1) Cette lettre de Villemain à M. de Gasparin «st reproduite intégralement (Bull. Soc. Ant. de l'Ouest, 4e trimestre 1839, p. 128), dans une note sur la « Restauration de l'église deSaint-Savin».

(2) Mérimée partira le 29 juin 1839 pour Lyon, Grenoble, Orange, Marseille et s'embarquera le 15 août à Toulon pour un voyage en Corse. (Cf. M. Parturier : « Itinéraire de Mérimée en Corse », Mercure de France, 1«' mars 1936).


58 LETTRES DE MÉRIMÉE

IX

■A JOLY-LETERME

MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS.

Paris, le [24 février] 18[40]. MONSIEUR,

La commission des monumens historiques aurait l'intention de demander cette année une somme assez ronde pour l'église de Cunault, mais elle aurait besoin avant tout de quelques renseignemens et me charge de vous les demander.

Où en est aujourd'hui l'affaire de la cession du choeur de l'église (1) ? Est-ce un fait accompli ? Croyez-vous que le propriétaire de ce choeur se déciderait à le céder si le gouvernement prenait à sa charge les réparations de Cunault ?

A quelle somme s'élèveraient les réparations indispensables ? Enfin quelle est la situation actuelle du monument ?

Vous m'obligeriez beaucoup, Monsieur, en me donnant une prompte réponse à toutes ces questions, car il serait fort important de savoir quelle est la somme nécessaire, au moment où se fait la répartition du crédit des monumens historiques.

Veuillez agréer, Monsieur, la nouvelle expression de tous mes sentimens les plus distingués.

Pr MÉRIMÉE.

rue des beaux-arts 10. 24 février 1840.

Monsieur Joly, architecte

(1) Le 21 août 1839, la Commission des monuments historiques avait accordé un crédit de 1.000 francs pour la restauration de l'église de Cunault. Le Ie' septembre 1839, rapport de Joly-Leterme au préfet de Maine-et-Loire (A. C. M. H., dossier Trèves-Cunault). Le choeur de Cu-


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 59

nault appartenait à un nommé Dupuis Charlemagne qui eut de curieux démêlés avec Joly-Leterme (cf. Lettres de Mérimée à Vitet, p. 2 et 4) et qui est peut-être le prototype du père Grandet, de Balzac. Montalembert, dans son article « Du Vandalisme en France », Revue des Deux Mondes, 1er mars 1833, écrivait déjà : « L'abside [de Cunault] tout entière est échue en partagea M. Dupuy de Saumur, qui l'a transformée en grange remplie de fagots, après avoir défoncé les vitraux des croisées! »

X.:

A M. DECHERGÉ

[Paris, 7 juin 1840] MONSIEUR,

Je suis honteux de répondre si tard à la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser il y a bien longtemps. J'attendais toujours espérant vous annoncer le succès de la demande que j'ai faite au nom de la Société des Antiquaires de l'Ouest. Malheureusement rien n'est encore décidé, au sujet de la distribution des Olim (1). D'une part M. Cousin donne moins facilement que son prédécesseur ces sortes de publications, de l'autre, le comité dont je fais partie n'est point l'éditeur des Olim. C'est un autre comité qui les a publiés et à celui-là seulement appartient le droit de faire des propositions au Ministre. Notre Comité vous a recommandés au Comité des Chartes, celui-ci vous recommandera j'espère à M. Cousin, mais nous n'avons encore aucune nouvelle de décision prise.

M. Mangon Delalande m'a témoigné quelques inquiétudes sur la manière dont se faisaient les réparations de l'église de S* Savin (2). Il me serait impossible de donner de Paris des conseils à l'architecte si ce n'est celui de respecter scrupuleusement ce qui existe, et de ne rien inventer. Je pense être à Poitiers au commencement de juillet, et j'irai à S* Savin. Je vous serais bien obligé, Monsieur, de me prévenir si l'on avait fait quelque chose qui altérât le caractère de ce beau monument.


60 LETTRES .DE MÉRIMÉE

J'ai donné à M. Foucard (3) un procédé lent mais sûr pour enlever le badigeon, cet ennemi mortel de nos églises. Il serait bien à désirer qu'on fit un essai sur les murs latéraux de S* Savin, car je ne doute pas qu'ils n'aient été décorés, comme la voûte, de grandes fresques,. Je me rappelle avoir remarqué il y a cinq ou six ans une figure peinte sur l'une des colonnes delà nef et très visible encore sous la couche de blanc qui la barbouillait. A mon dernier passage, on avait augmenté l'épaisseur du badigeon et tout avait disparu, mais avec de l'eau chaude un gros pinceau et surtout de la patience on pourrait enlever la peinture à la colle et retrouver les fresques. Voilà si l'on avait de l'argent de trop à quoi l'on pourrait l'employer ; le pire serait de repeindre ou même de raccorder les portions de la voûte où les fresques ont disparu.

J'espère pouvoir causer longuement de tout cela avec vous à mon prochain passage à Poitiers. En attendant, Monsieur, veuillez agréer l'expression de ma plus haute considération.

Pr MÉRIMÉE. Paris, 7 juin 1840.

MT de Chergé Secrétaire de la Société des Antiquaires de l Ouest

Poitiers.

Recommandée à l'obligeance de Monsieur le Préfet delà Vienne.

(1) Il s'agit des Olims ou registres des arrêts rendus par la Cour du Roi de 1254- à 1318, publiés par le comte Beugnot, en 4 volumes in-4° dont le premier parut en 1839.

(2) A la même époque Mangon de La Lande dans un Rapport sur les travaux de la Société (Bull. Soc Ant. de l'Ouest, 4" trimestre 1839, p. 139) signalait « que les réparations se faisaient de manière à altérer une partie des précieuses fresques qui ont été jugées si dignes d'être conservées...»

(3) M. Foucart, prof, à la Faculté de Droit, était alors le président de la Société.


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 61

XI

A JOLY-LETERME

Tours, 6 juillet 1840. MONSIEUR,

Mon départ pour la Touraine a été retardé par tant de petites contrariétés inattendues que je n'ai pu vous écrire plutôt (1). Je pense que par ce mauvais temps vous n'êtes point en course. Je compte partir pour Saumur après demain par le bateau à vapeur. Si vous n'étiez pas à Saumur auriezvous la bonté de m'indiquer l'époque de votre retour par un mot chez Mr le S. Préfet. Si vous être libre nous pourrons aller ensemble à Cunault.

Si vous être occupé je tâcherai de vous attendre pour faire ce petit voyage avec vous.

Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de tous mes sentimens dévoués.

Pr MÉRIMÉE. Tours, 6 juillet 1840.

(1) Colomba avait paru le 1er. juillet, dans la Revue des Deux Mondes. Mérimée a quitté Paris le 5 juillet.

XII A JOLY-LETERME

Poitiers, 16 juillet [1840].

MON CHER MONSIEUR,

Vous avez déjà reçu sans doute l'avis officiel de votre nomination comme correspondant du Mère de l'Intérieur. Vi-


62 LETTRES DE MÉRIMÉE

tet m'écrit qu'il l'a l'ait expédier et m'annonce en même temps qu'une somme de 200 f. est mise à la disposition du S. Préfet pour exécuter sous votre direction les fouilles dont vous m'avez parlé (1). Donnez-nous beaucoup de détails sur les trouvailles que vous ferez et mettez-les dans le Musée de Saumur avec une inscription explicative, ce que faisant vous aurez bien mérité de l'archéologie.

J'ai le coeur brisé du vandalisme de MM. les Poitevins. Ils ont fait mille horreurs à S4 Savin (2). On leur dit de boucher des crevasses à une voûte couverte de peintures précieuses. Le sens commun conseillait de verser du ciment

ou du plâtre par le point B et de l'arrêter au point A. Qu'ont fait mes massacres ? Ils ont élargi l'ouverture A et ont étendu leur ciment avec la truelle, d'où résultent des emplâtres, d'au moins 0 m. 40 de large. Ce crime est l'oeuvre du dernier architecte démissionnaire (3). Son successeur (4) ne m'inspire aucune confiance. Il a le malheur d'être horriblement bête, et très ignorant. Je viens de passer deux jours en tète à tête avec lui et je vous jure que ce n'est pas un petit supplice. Le devis qu'il avait fait était absurde, et lorsque nous avons vu ensemble l'état du monument je lui ai montré quantité de réparations importantes dont il n'avait pas soupçonné la nécessité ; entre autres il y a une colonne dans l'état où se trouvait le pilier de Cunault que. vous avez si heureusement repris en sous-oeuvre. Le Préfet est absent et je suis obligé de l'attendre. J'ai écrit à Paris à Vitet (5) qui est le président de la commission des Monumens et qui fait nos affaires pendant les vacances. Il m'a répondu qu'il aimerait beaucoup que vous fussiez chargé de cette opération ; car si l'architecte de Poitiers se trompe nous aurons donné de l'argent pour détruire. Je ne sais pas encore ce qui aura été décidé, et rien d'ailleurs ne peut se faire avant que le


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 63

Préfet de la Vienne n'ait été consulté. Je n'ai pas voulu attendre plus longtemps pour vous écrire, Je me propose de dire au Préfet tout ce que j'ai vu et tout ce que je crains, il s'arrangera ensuite comme il voudra avec le Ministère.

Adieu Monsieur, veuillez me rappeler au souvenir de Mr. Galzin (6) et recevoir la nouvelle assurance de tous mes sentimens dévoués.

Pr MÉRIMÉE.

P. S. — Je vous recommande bien de presser l'affaire de Cunault autant que cela dépendra de vous. Vitet m'a promis de ne pas la laisser languir dans les bureaux du Ministère.

Si vous aviez quelque chose à me mander, veuillez m'adresser vos lettres à Niort, Poste restante.

(1). Cf. Lettre de Mérimée à Vitet, 15 juillet 1840 (p. 19) : «Mille remerciements pour M. Joly et pour les 200 francs des fouilles. »

(2) Sur Saint-Savin, voir : Elisa Maillard, L'église de Saint-Savin, Laurens, 1926.

(3) M. Moutier. Cf. Lettres de Mérimée à Vitet (p. 8).

(4) M. Dulin. Cf. Lettre de Mérimée à Vitet, Poitiers, 14 juillet 1840.

(5) Cf. Lettre de Mérimée à Vitet, Poitiers, 14 juillet 1840 (p. 10).

(6) M. Galzain, Sous-Préfet à Saumur.

XIII

A LUDOVIC VITET (1).

Niort 23 juillet 1840.

Mon cher Président; par où commencerai-je mes lamentations de Jérémie ? J'en ai long à dire et nombreuses sont les demandes que je vais vous adresser. Faute de meilleur système, je suivrai l'ordre chronologique de mes excursions.

Eglise de Civray (2).

J'ai trouvé l'église de Civray en moins mauvais état que je ne le craignais d'après les renseignemens du Préfet et


64

LETTRES DE MERIMEE

de l'architecte. Pourtant le cas est grave. La façade se sépare des voûtes et des murs latéraux et ce qui est pire, le pilier à droite de la porte s'écrase sous le poids de l'ordre supérieur, et les deux arcs qui s'y appuient sont disloqués ; je marque sur le petit croquis ci-joint la direction et l'étendue des crevasses. Elles sont fort récentes. D'ailleurs s'il faut en croire le maire, depuis qu'elles se sont manifestées elles n'ont point fait de progrès. Un très joli chapiteau historié est fendu en cinq ou six morceaux et tous les claveaux

claveaux des arcades A et B ont plus ou moins souffert. Les piédroits de la porte A sont entièrement rongés et toute la façade a grand besoin d'être rejointoyée. La ville de.Civray a recouvert en dalles une grande partie de la toiture. Elle espère achever bientôt le reste dans le

même système. Les voûtes des collatéraux sont fendues mais n'inspirent pas d'inquiétudes sérieuses. Ce qui serait important, c'est d'établir un pavé en pente qui éloignât l'eau des murs latéraux et de la façade, car on attribue à cette

ù

cause le mouvement qui vient d'avoir lieu dans la maçonnerie et dans les voûtes. En refaisant la toiture on se propose de démolir le petit clocheton C, tout moderne, et qui ne laisse pas de fatiguer la façade. Le maire m'a demandé l'autorisation de faire ce changement qui ne peut qu'être d'un bon effet. Sous peu de jours vous aurez un devis des réparations que j'ai prié l'architecte de diviser en nécessaires et en utiles. Du Conseil général il paraît qu'il ne faut pas attendre des secours bien efficaces.


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST . 65

Eglise de Noaillé (3).

La toiture de Noaillé dont je vous ai parlé dans ma dernière lettre peut être réparée à peu de frais. On ne demande que 300 f. La commune est disposée à supporter le reste de la dépense. Vous avez vu je crois cette église, c'est une des plus remarquables du département, et par sa disposition elle offre de grandes ressemblances avec la cathédrale de Poitiers. Elle est un peu plus bysantine et les détails de l'ornementation sont délicieux. Dans notre rapport au Ministre nous avons mis château de Noaillé, au lieu d'Eglise. Nous en avons fait bien d'autres, et les antiquaires de Province crient comme des brûlés contre notre légèreté. Je leur réponds gravement que les préfets nous envoient les noms de leurs monumens si mal écrits.., que nous avons été tellement pressés par la Chambre, que l'année prochaine, etc.

Charroux (4).

De Civray, j'aurais dû passer à Charroux, et je m'étonne de l'avoir oublié, car il devrait me souvenir du chemin que j'ai fait sur un cheval piaffeur qui a manqué deux ou trois fois me faire boire l'eau de la Charente. La coupole tient bon, et je l'ai trouvée close par les soins des Dames de Chavagne qui l'ont reçue par donation outestamentdeMad.de Grand Maison. Elles ontfait redresser la statue du Bon Sauveur, le Christ qui provient de l'ancienne façade. On a placé également sous la coupole quelques bas-reliefs du comm* du xme siècle (5) d'une admirable exécution, et qui ont été enlevés également de cette façade. Les restes du porche appartiennent au propriétaire d'un café du commerce, qui cumule encore les revenus d'une boulangerie. Sous les arceaux il a entassé des fagots qui cachent les sculptures, et je n'en ai pu voir que trois ou quatre du plus beau style. Il me paraît absolument nécessaire d'acheter cela : on me dit que le propriétaire en ferait bon marché. La supérieure est une

5


66 LETTRES DE MÉRIMÉE

femme intelligente qui a girato il mondo, et elle a recueilli quantité de débris. Plusieurs figures enlevées au portail décorent son jardin. Les petites filles, qu'elle élève dans la crainte de Dieu, les respectent comme des saints. II y a entre autres une vierge folle plus jolie s'il est possible, ayant l'air plus coquin, que celles qu'on attribue à Sabine de Steinbach. Je l'ai trouvée l'objet d'un culte dé latrie de la part des élèves du couvent. A ma prière la supérieure m'a promis de la faire transporter ainsi que quelques apôtres, de son jardin sous la coupole où dans un autre lieu où elles seront à l'abri. Sans doute oh trouverait le reste des vierges folles ou autres sous les fagots du café du commerce. C'est, je vous le répète, ce que j'ai vu de plus remarquable en sculpture gothique, aussi bien et peut-être mieux que les meilleures figures de Chartres ou de Strasbourg. Maintenant si nous achetons cela, qu'en, ferons-nous ? Le transport à Paris me semble difficile. On peut,. ou les donner au Musée de Poitiers qui commence à êlre florissant, ou bien les donner aux dames de Chavagne à condition qu'elles en prendraient soin, qu'elles les placeraient dans leur tour, où elles se proposent d'établir un calvaire. Si la commission prend une décision à cet égard, il serait bon de faire commencer les négociations plutôt que plus tard, par Mrde Chergé notre correspondant. Il a une maison à Charroux et étant quelque peu Carliste est en bons termes avec tout le monde et particulièrement avec les prêtres et les religieuses. Sa nomination lui a fait grand plaisir et a été très bien accueillie par la Société des Antiquaires dont il est secrétaire. C'est un jeune homme riche, fort actif, très intelligent et qui me plaît fort.

Eglises de Parthenay (6).

De Poitiers je me suis rendu à Parthenay. Il y a deux églises de l'époque de transition, assez médiocres. Déjà on est sur le terrain granitique, cependant les sculptures sont


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 67

encore bonnes, parce que toute l'ornementation s'est faite en pierre calcaire. L'église de S* Laurent a un porche et une façade qui m'ont paru très anciens, presque du même style que le porche de S* Germain des Prés à Paris ; on n'en sait pas la date, et je n'ose la croire très reculée, car vous savez que les constructions en granit ont toujours une apparence de rudesse et d'antiquité dont il faut se défier." Cependant cela est évidemment antérieur au reste de l'église qui est de 1150 à 1180. J'ai examiné aussi avec beaucoup d'intérêt les restes du portail de N. D. de la Coudre (de culturâ Dei), appartenant encore à des dames de Chavagne (Chavagne est un Heu de la Vendée). Le portail en question ressemble à celui de Civray. Il offre comme celui-ci les débris d'un cheval, la jambe du cavalier. On dirait que cela a été mutilé par les mêmes vandales qui ont instrumenté le cheval de Civray, car il est impossible de voir des ruines plus semblables. En regard du cheval, ou plutôt de ses débris, on voit dans l'arcade correspondante les restes d'une bête informe, et la jambe d'un homme à califourchon sur la dite bête, paraissant disposé à en descendre ou bien lui talonnanties flancs. Serait ce Samson déchirant le lion? On le représente souvent ainsi. Les religieuses de Parthenay conservent comme celles de Charroux quelques jolies sculptures. — L'architecte du Dép* des deux Sèvres, Mr Segretain, se propose de faire mettre incessament un enduit de béton sur le haut de ce portail ruiné. C'est tout ce qu'il y a à faire, et il a des fonds ad hoc du Conseil général.

Eglise de Parthenay le vieux.

A une demi-lieue de Parthenay, à Parthenay le vieux, autre église de transition très élégante et assez bien conservée, quoiqu'elle soit transformée en métairie. C'est encore un édifice de transition à ogive obtuse, à piliers très sveltes composés de quatre colonnes grouppées autour d'un noyau carré. Chapiteaux historiés, ou à larges feuilles parfaitement


68 LETTRES DE MÉRIMÉE

refouillés. Les voûtes des collatéraux décrivent un quart de cercle, disposition tout à fait inusitée dans le Poitou. La façade est encore une copie ou un original de celle de Civray, et l'on y voit cheval et cavalier. Mais ce n'est ni un Constantin, ni un Clovis, etc. C'est un homme tenant un faucon sur" le poing, ayant en tête une couronne ou quelque chose d'approchant, [croquis] ne regardant pas la tête de son cheval qui met le pied sur celle d'un enfant. Une tradition Parthenaïque rapporte qu'un comte de Parthenay, d'autres disent de Thouars, ayant tué par mégardè un enfant, fit bâtir cette église. Dans l'arcade correspondante on voit les restes d'un lion avec les jambes d'un homme qui l'enfourche. Ici le Samson paraît bien plus probable qu'à N. D. delà Coudre. Il est question de rendre au culte l'église de Parthenay-le-vieux. Si le conseil général s'y prêtait, ce serait une bonne oeuvre de notre part de lui accorder quelques secours pour la réparer. Il y a au-dessus de l'église une charmante petite tour octogone dû meilleur effet.

' Porte de Parthenay.

J'oubliais de vous parler d'une jolie porte de Parthenay d'une conservation parfaite et d'une élégance rare. Elle est percée entre deux tours, dont voici le plan, surmontées de mâchicoulis. Cela me paraît de la fin du xive s. ; [croquis] on l'appelle tour S'-Jacques.

Je suis allé voir Airvault en compagnie de Mr Segretain. Et d'abord je dois vous dire que je l'ai trouvé homme d'esprit et d'instruction, s'intéressant beaucoup aux vieux monumens et les réparant avec intelligence. Vous pouvez avoir confiance en lui. Il me dit qu'il vous a adressé quatre mémoires avec devis pour vous proposer des réparations' importantes. Les avez-vous examinés? Je dis les devis, car j'ai emportéles mémoires.


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 69

Pont roman près d'Airvault (7).

On passe pour aller de Parthenay à Airvault sur un pont roman très curieux, que l'on croit romain dans le pays. L'z est de trop certainement. Les voûtes du pont reposent sur quatre arcs doubleaux dont la figure t'est icy desmonstrée avec peu de perspective [croquis]: Entre les arcs doubleaux la voûte est en blocage. Les arcs sont en mauvais état, mais le dép* va les faire réparer.

Eglise d'Airvault.

L'église de S* Pierre d'Airvault est charmante. J'en suis enthousiasmé et je me mets à genoux devant la Commission pour qu'elle la fasse complettement restaurer. C'est une affaire d'environ 10.000 f. C'est une église romane d'une richesse extraordinaire, couverte de sculptures, qui â été restaurée vers le commencement du xme siècle ; on y a, fait assez maladroitement des voûtes ogivales avec nervures rondes garnies à chacune de leurs nombreuses intersections de petits bas-reliefs et de figurines du travail le plus délicat. Deux statues presque de ronde bosse flanquent les chapiteaux qui reçoivent les retombées des voûtes de la nef [croquis] et il faudrait plus de vingt pages de style à quinze sous pour vous décrire les ornemens variés à l'infini qui décorent les fenêtres à l'intérieur et à l'extérieur. Malheureusement dans la restauration gothique on a laissé comme il semble les voûtes de l'église, en sorte que les fenêtres romanes des murs latéraux sont coupées à l'intérieur d'une façon désagréable.

Le porche et les transepts m'ont paru plus anciens que la nef. Une porte ou une niche du transept nord a deschapiteaux et des archivoltes travaillés en creux du style le plus richement barbare, tout à fait dans le goût des chapiteaux de Ste-Geneviève qu'on voit aux thermes de Julien. Le


70 LETTRES DE MÉRIMÉE

choeur a été retouché à l'époque où l'on a l'ait les voûtes ; probablement on a voulu substituer aux robustes colonnes romanes des piliers plus légers, mais on a eu peur et l'on s'est contenté de changer les deux premières travées. Audessus du transept s'élève une tour qu'on a chargée d'une énôrmeflèche assez élégante d'ailleurs, probablement contemporaine de celle de S* Savin, sinon plus moderne. Sur le portail on voit encore les restes.d'uncheval, une cuisse gauche et une jambe droite du cavalier. On attriste fort les gens d'Airvault en leur disant que ce cavalier était un homme. Ils veulent que c'ait été une femme. Cependant la jambe éperonnée ne laisse pas le moindre doute. Toute la façade, et le porche au dessous, a beaucoup souffert et de restaurations anciennes et de mutilations modernes. Enfin l'ornementation du porche, en calcaire- du pays, est presque détruite, parce que cette pierre se décompose à l'air d'une façon singulière, et prend l'apparence d'un morceau de sucre à moitié fondu. Ce qu'il y a de fort singulier et ce que vous devriez bien faire examiner à vos collègues de l'Académie des Sciences c'est comment il se fait que cette décomposition ne s'opère qu'à une certaine hauteur. Elle a lieu en général dans une zone qui commence à trois ou 4 pieds du sol et finit à 15 ou 20, jamais plus haut. Certaines pierres au lieu de s'effleurir à l'air deviennent noires et alors durent éternellement. Cette maladie des pierres est commune en Touraine, en Anjou, en Poitou et en Saintonge et ces messieurs devraient bien lui trouver un remède. Pardonnez-moi cette digression et défendez la cause de S4 Pierre d'Airvault que Ce remets en vos mains.

Eglise de St-Généroax (8).

Ce département des deux-Sèvres nous ruinera ; que direzvous de l'église de S*-Généroux ayant ce plan singulier ? A est un pilier ajouté dans une réparation.

Le choeur est séparé de la nef par une espèce de mur por-


AUX ANTIQUAIRES DE L OUEST

71

tant une suite d'arcades irrégulières dont quelques unes sont bouchées anciennement, d'autres refaites on ne sait dans quelle intention.

Les chapiteaux des arcades supérieures sont tellement badigeonnés qu'on n'en peut guères juger. J'ai cru reconnaitre quelques feuillages maigres et mal exécutés.

Point de voûtes si ce n'est à l'apside. Les murs latéraux dans la portée supérieure sont revêtus d'un parement reti-


72 LETTRES DE MÉRIMÉE

culé ou en arrête de poisson dont les interstices sont remplis d'un ciment rouge. Voici l'ornementation des fenêtres :

[Cf. croquis I, page 73.]

Les dessins de l'appareil sont encore plus compliqués, autour de l'apside. Elle était éclairée autrefois par des oeils de boeufs qu'on-a' tranformés en fenêtres comme suit:

[Cf. croquis II, page 73.J

Le mur occidental est absolument nud.

Dom Fonteneau dit que S^Généroux est la plus ancienne église du Poitou après le temple S*-Jean. On me demande quelle date je lui donne, et je réponds que je ne sais. Cela me semble fort antérieur au xie siècle n'en déplaise à Didron. II n'y a jamais eu de voûtes, et la séparation de la nef et du choeur est une singularité dont je n'ai pas encore vu d'exemples en France. Je ne serais pas étonné que cette petite église fut du 7me ou 8e siècle.

Il faudrait reprendre le bas des murs latéraux qui sont en fort mauvais état, réparer quelques portions de la toiture et débarasser l'église de deux méchantes petites constructions accolées à l'apside. La société Caumont a donné 100 fr. pour tout cela, libéralité certainement fort insuffisante. Ne pourriez vous pas y ajouter 400 fr. ? Si vous n'êtes pas assez riches, donnez au moins 200 fr. et demandez à Mr Segretain un devis pour l'année prochaine (9).

Eglise de S^Jouin (10).

St-Jouin, Ses Iovinus, est une grande église d'Augustins ornée avec un luxe admirable, fort semblable pour la disposition à St-Pierre d'Airvault, si ce n'est que l'ogive y prend la place du plein cintre dans toutes les parties basses. L'apside et les chapelles du choeur sont ornées à l'extérieur d'arcatures en plein cintre couvertes de riches moulures. La façade est un immense bas-retief dans le genre de Notre Dame à Poitiers. Tout le tympan du fronton est revêtu


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d'un parement, imbriqué, réticulé, en arrête de poisson. De chaque côté de la grande fenêtre on voit encore le cheval et le lion. Malheureusement tout cela est fort mutilé. La porte d'entrée autrefois couverte d'ornemens précieusement refouillés est en pleine efflorescence. Il ne reste pas trois claveaux intacts. Quant aux statues, et aux figures de bas reliefs, lesprotestans et les Blefisleur ont fait une cruelle guerre. Il reste encore à la base du fronton une longue procession qui ressemble fort à celle du linteau de la porte des catéchumènes, à Vézelay. Les murs latéraux tombent en ruines. On a essayé autrefois de ies soutenir par des arcs bulans mais les arcs et les piliers butans sont aujourd'hui à moitié rompus. S*-Jouin est un pays perdu, en pleine chouannerie, sans autres ressources que votre inépuisable munificence. Je ne sais trop quelle proposition vous faire cependant. La restaurer complettement, notre budget d'une année y passerait tout entier. La laisser périr serait cruel. Cela est au moins aussi beau que Civrày. Cependant il y a une grande portion du mérite de celte église qui est ou sera bientôt inévitablement perdue. L'efflorescence des parties inférieures a déjà mutilé tout autour du choeur les charmantes arcatures ^couvertes de rinceaux et de détails capricieux ; le portail est absolument rongé, c'est à peine s'il en reste trois claveaux re£onnaissabIes. Tous les chapiteaux de la partie basse de la façade ont disparu. Figurez-vous un monument en sucre. Supposez-le trempé dans de l'eau à une hauteur de 20 pieds pendant une heure et vous aurez une idée de S*-Jouin. En attendant une décision de la Commission, j'ai prié M. Segretain de faire un devis des dépenses absolument nécessaires pour empêcher l'église de tomber.

Eglise de Marnes.

Avant de visiter S'-Jouin, je me suis arrêté un instante Marnes, jolie petite église de transition, où l'on voit quelques chapiteaux charmans à feuillages un peu bizarres,


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 75

mais parfaitement sculptés. La grande curiosité du lieu consiste en trois ou quatre caveaux creusés dans le roc sous l'église, et communiquant les uns avec les autres par des trous ronds, où l'on ne peut passer qu'en rampant à plat ventre. Le cui bono du travail (qui a été considérable, le roc étant fort dur) je ne puis le deviner. Nulle tradition sur la destination primitive de ces caveaux.

Eglise d'Ogron (11).

Après une étude stratégique sur le champ de bataille de Montcontour, je suis arrivé à Oyron, ainsi nommé, disent les doctes, parce que dans le pays il y a beaucoup d'oies qui en volant forment un rond, et de rond d'oies on a fait Oiron. L'église est très célèbre dans le Poitou parce qu'elle est gothique, et qu'on n'y connaît guère que l'architecture romane ou de transition. Elle a été consacrée en 1532. C'est un magnifique vaisseau, un peu nud à mon avis, comme toutes les grandes églises à une seule nef, avec Une voûte très élevée garnie de nervures saillantes, dont toutes les intersections sont ornées d'écussons travaillés à jour. On les prendrait pour du bois ou du carton, mais des gens dignes de foi vous assurent que c'est en pierre et alors on.-admire. Ce qu'il y a de vraiment admirable, c'est l'ornementation daTis le style de la Renaissance, des deux chapelles latérales au choeur. Il y a des arabesques d'une grâce et d'une finesse d'exécution inouïes. Les tombeaux sont remontés depuis un an seulement. Il est fâcheux que l'anonyme qui les a faits soit mort, car on pourrait le charger de préférence à M. Marochetti de l'exécution du tombeau de Napoléon. Malheureusement les Protestans ont cassé toutes les têtes des figurines qui décorent les soubassements. Les Bleus se sont contentés de démonter proprement les pièces de marbre, et sauf les armoiries n'ont rien cassé que par maladresse. Vous ne pouvez imaginer rien de plus délicieux que les attributs et les arabesques sculptés sur les pilastres. Chaque tombeau


76 LETTRES DE MÉRIMÉE

se compose de cinq blocs de marbre et sur les deux grandes faces latérales on a sculpté douze niches avec des pleureuses dans chacune, le tout dans la même masse. Il faudrait pour compléter la restauration refaire en stuc quelques moulures et rétablir quelques ornemens courans. L'argent manque. L'église a des besoins bien plus urgens. Sa toiture est dans un état déplorable. II faudrait 6.000 f. pour la réparer. Pour refaire quelques contreforts et rejointoyer les murs latéraux 4.000 f. Vous verrez dans le devis de Mr Segretain environ 5.000 f. de dépenses moins nécessaires.

Oyron est un pauvre village qui vivait du château. Il ne peut rien faire. Il n'y a pas grand chose à attendre du Conseil général. Je vous demanderai 6.000 f.en 1841 et 4.000 en 1842.

J'ai vu dans l'église quelques assez bons tableaux de l'école italienne, et deux de l'école allemande dans la manière de Hemmelynck. Ne serait-il pas possible de faire restaurer à Paris ces deux derniers qui m'ont paru très remarquables, sauf à rendre en place deux tableaux modernes beaucoup plus grands ?

Hospice d'Oyron.

Il y a dans l'Hospice d'Oyron, fondé par Mad. de Montespan, une jolie Madeleine pas trop pénitente de Mignard. On a couvertles nuditésd'unbarbouillagefôrt vilain, mais avant cette opération ce devait être un morceau fort apétissant.

Le châtelain actuel d'Oiron est encore plus insouciant queMr le duc de Praslin. Il met son bled dans la galerie de François Ier et toutes les fresques de la guerre de Troie sont à peu près effacées. La partie du château bâtie sous Louis XIII et Louis XIV est en meilleur état, et on y trouve des peintures fort voluptueuses des dames de la cour habillées en nymphes et montrant à peu près tout. Je me suis fort creusé la tête à deviner ce que voulaient dire les deux devises suivantes sur les carreaux en fayence d'un cabinet qui. a été fait pour Mad. de Montespan. Les uns représen-


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 77

tent une vieille femme s'acheminant vers un château avec ces mots : on va bien loin quand on est las. Les autres des hommes chassant dans des buissons, avec cette légende : d'autres ont battu les buissons nous avons les oiseaux.

Eglise de S^Maixent.

Je n'ai pas le temps de vous parler de St-Maixent qui m'a paru en bon état, non plus que de Bressuire où l'on a fait quelques réparations, ni de la chapelle de Thouars où l'on va mettre enfin des vitraux. Ici il n'y a rien de remarquable, mais les environs sont riches. Je vais demain à Celles et à Melle, puis à Nieuil, enfin à Surgères, d'où je me rendrai à Saintes.

Tumulus.

Le Préfet des deux Sèvres, m'a demandé une allocation pour la société de Statistique de Niort, qui, dit-il, lui rend de grands services en rapprochant tous les partis ; avant ils ne songeaient qu'à s'entretuer. Maintenant ils fouillent en commun des tumulus celtiques ou s'entrelisent des notices sur les monumens du pays. Ils ont recueilli ce qui reste des ruines de Maillezais et sont remplis de zèle et d'ardeur. Parmi les plus chauds de Messieurs les membres de la Société de Statistique, je vous recommanderai Mr Arnauld, qui a fait un bon livre sur Maillezais (12). Il voudrait bien que le Ministre lui en prit quelques exemplaires. Ne pourriezvous pas dire un mot en sa faveur à Mr Cousin ?

La société de Statistique de Niort et les Antiquaires de l'Ouest de Poitiers ont manqué dernièrement se prendre aux cheveux à propos d'un tumulus que tous voulaient fouiller. Après de longs débats on s'est arrangé, et la fouille doit se faire à frais communs par les soins^d'une commission mixte. Jusqu'ici on n'a trouvé que quelques vases fort grossiers, des dents de sanglier, des pointes de javelots en os, et des haches en silex, outre une grande quantité d'osse-


78 LETTRES DE MÉRIMÉE

mens humains. Voici le plan d'un réduit en grosses pierres construit sous le tumulus :

Le tout était couvert d'une énorme pierre, de 8 "mètres de long sur 5,50 de large, dont on évalue le poids à 75.000 kilog.

Les corps avaient été déposés la tête appuyée aux parois, et chose assez bizarre les tibias de chaque squelette touchaient ses épaules. Entre les grosses pierres servant de piliers il y a une espèce de mur construit en pierres sèches. A est une galerie dont l'extrémité a dû être coupée depuis longtemps par les cultivateurs des environs. Vous noterez qu'on n'a pas trouvé un seul instrument de métal. Sur l'aire de cette espèce de dolmen on voyait un lit épais de terreau animal, et on a cru reconnaître qu'il y avait au moins deux couches de cadavres.

Je crains que vous n'ayez bien de la peine à lire mon griffonnage, mais je suis éreinté, il est tard, je dois me lever demain à cinq heures et je n'ai que le temps de vous souhaiter une bonne nuit.

Pr MÉRIMÉE.

P. S. — Eglise Ne-De de Poitiers.

Je joins à ma lettre un rapport bien fait adressé à la société des Antiquaires de l'Ouest sur l'église N.-Dame à Poitiers. Il faut ajouter aux réparations urgentes 25 claveaux sculptés à refaire, huit chapiteaux, enfin un rejointement général.

Dernièrement on a refait les bases de toutes les colonnes


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 79

d'une façon pitoyable. Il serait bon de les remplacer entièrement. Une seule base ancienne subsiste encore, et lorsqu'elle sera détruite il n'y aura plus moyen de la reproduire.

(1) A. C. M. H., Lettres et Rapports de Mérimée et Vitet, f° 108. Quelques passages de cette lettre se trouvent dans les Notes sur P. Mérimée.de F. Chambon.

(2) Voir sur l'église de Civray : L. Serbat. « Civray, église de SaintNicolas », dans Congrès archéologique d'Angouléme de 1912, I, p. 120 : R. Crozet. « Le décor sculpté de la façade de l'église de Civray », dans Gazette des Beaux Arts, 1934, p: 97 ; A. Bobe, Histoire de Civrag, 1935, p. 229.

(3) Cf. A.'de La Bouralière, « Nouaillé », dans Congrès archéologique de Poitiers de 1903, p. 79, et abbé Drochon, « Nouaillé », dans Paysages et monuments du Poitou, t III.

(4) Cf. L. Serbat, « Charroux », dans Congrès archéologique d.'Angoulême del91'2, t. I, p. 113 ; abbé Chapeau, « L'église abbatiale de Charroux »,- dans Bull. Soc Ant. de -l'Ouest, 1926, p. 503, et « Comment dater l'octogone de Charroux », ilid., 1932, p. 468.

(5) Les sculptures paraissent en réalité du commencement du xive s.

(6) Cf. A. de La Bouralière, « Pârthenay », dans Congrès archéologique de Poitiers de 1903, p. 45 ; B. Ledain, « Pârthenay », dans Paysages et monuments du Poitou, t. VII.

(7, Cf. A. de La Bouralière, « Airvault », dans Congrès archéologique de Poitiers de 1903, p. 75, et G. Berthelé, « Airvault », dans Paysages et monuments du Poitou, t. VII.

(8) Cf. A. de La Bouralière, « Saint-Généroux », dans Congrès archéologique de Poitiers de 1903, p. 73 ; A. Bouneault et J. Berthelé, « SaintGénéroux », dans Paysages et monuments^ du Poitou, t. VII. Berthelé fait remonter Saint-Généroux au Xe siècle.

(9) A. C. M. H., dossier Saint-Généroux : Note du Ministre au Préfet des Deux-Sèores, 11 août 1840 : « Sur l'avis de la Commission des Monts hist. avertie par M. l'Inspecteur général en tournée, je viens d'allouer une somme de 30u fr pour être employée à des travaux de toiture et de déblayeraient de S' Gériéroux ».

« Donner à Mr Segretain l'ordre de préparer un devis général. »

(10) Cf. A. de La Bouralière : « Saint-Jouin-de-Marnes » dans Congrès archéologique de Poitiers de 1903, p. 70 ; B. Ledain, « Saint-Jouin-lesMarnes, » dans Paysages et Monuments duPoitou, t. VII. Saint-Jouin-deMarnes est assez loin du théâtre de la Chouannerie, contrairement à ce que semble dire Mérimée,

(11; Sur l'église d'Oyron, voir M. Dumolin : Le château d'Oiron, 1931, p. 68. Cette église n'est pas gothique, mais purement Renaissance.

(12) Histoire de Maillezais depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours, par Charles Arnauld, Niort, Robin, 1840, in-8°.


80 LETTRES DE MÉRIMÉE

XIV AU PRÉFET DE LA VIENNE

Niort, 23 juillet 1840 (1). MONSIEUR LE PRÉFET,

Mes excursions continuelles m'ont empêché de vous adresser plutôt un extrait de mon rapport à M. le Ministre de l'Intérieur (2).

Je lui demande 1° La continuation de ses secours pour l'église de S* Savin, l'allocation de cette année ne devant pas suivant toute apparence suffire à toutes les réparations.

2° Une allocation pour restaurer la façade de l'église de Civray.

3° Une allocation pour la façade de N- D. à Poitiers, c. à d. pour la consolider et refaire les ornemens courans rongés par le salpêtre.

4° Un secours de 300 f. pour réparer la toiture de l'église de Noaillé. La société des Antiquaires de l'ouest pense que cette somme réunie aux ressources de la commune suffira pour arrêter les progrès de la destruction.

5° Un secours pour la coupole de Charroux. Je demande en outre que le Ministère achète les bas reliefs existant encore sous le porche de Charroux qui fait actuellement partie du Café du Commerce. Ces sculptures sont admirables, ce sont assurément les plus belles qui existent dans tout le Poitou et je ne connais que celles de Chartres et de Strasbourg qu'on puisse leur comparer.

Les laisser dans le lieu où elles se trouvent actuellement, c'est les condamner à une destruction certaine. J'ai pensé que le meilleur moyen de les conserver serait de les placer soit dans le Musée de la société des Antiquaires, soit de les donner aux dames de Chavagne, à la charge par elle d'en assurer la conservation sous la direction de la société des


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 81

Antiquaires de l'Ouest (3). Je vous prierai, Monsieur le Préfet, de vouloir bien donner votre avis à cet égard et d'en informer Mr le Ministre.

Si Mr le Ministre approuve l'acquisition que je lui propose, il serait peut-être convenable que la négociation avec le propriétaire des bas reliefs fût suivie, non point par l'administration, car peut-être le propriétaire se montrerait dans ce cas plus difficile. Je pense que si la proposition lui était faite soit par Mr de Chergé, secrétaire de la société des Antiquaires, soit par Mme la Supérieure de Chavagne, on obtiendrait des conditions plus avantageuses.

6° J'ai demandé un secours de 1000 ou 1500 f pour l'église de Montierneuf. Les murs de cet édifice, par suite des remblais exécutés dans la caserne de Cavalerie, sont assez sérieusement menacés, et il paraît urgent de les préserver au moyen d'un fossé d'isolement.

Peut être jugerez-vous à propos, Monsieur le Préfet, d'entretenir le Conseil général de la situation des monuments que je viens d'avoir l'honneur de vous signaler, et de l'engager à prendre à sa charge une partie des dépenses que doit nécessiter leur restauration.

J'appellerai particulièrement votre attention sur la situation de l'église de S* Savin dont l'apside se trouve entourée par un jardin, propriété d'un habitant de ce bourg. Une fosse à fumier, des vignes attachées contre les murailles de l'église, quelques hangards établis entre les contreforts nuisent beaucoup à la conservation de l'édifice, et il me semble que l'autorité administrative peut et doit mettre un terme à cet abus. J'en ai déjà parlé à Mr le Maire de St Savin et je vous prierai de vouloir bien lui rappeler combien il importe que l'on fasse disparaître les causes qui compromettent la solidité d'un monument aussi remarquable.

Veuillez agréer, Monsieur le Préfet, l'hommage de ma plus haute considération. Pr MÉRIMÉE

Inspecteur gal des Monumens historiques.

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82 LETTRES DE MÉRIMÉE

P. S. Je m'apperçois en relisant cette lettre que j'ai oublié de vous citer l'église de St Pierre à Chauvigny dont la toiture a besoin d'être complettement refaite. Je l'ai signalée en première ligne à M. le Ministre et je la recommanderai particulièrement à votre intérêt.

11 serait bien à désirer que M. l'architecte de la Vienne pût adresser les devis détaillés de toutes les réparations que je viens d'indiquer, avant la réunion de la commission des monuments historiques, c. à d. avant le commencement de Novembre de cette année.

(1) Archives départementales de la Vienne, T7XV.

(2) Voir les Lettrès de Mérimée à Ludovic Vitet, p. 7 à 19, et Bull. Soc. Ant. de l'Ouest, 3etrimestre 1840, p. 98-99 : « Voyage de M. l'Inspecteur général des Monuments historiques de la France dans le ressort de la Société », article qui reproduit une partie des termes de cette lettre. \

(3) Toutes ces sculptures sont aujourd'hui groupées en un petit musée lapidaire dans l'ancien cloître.

XV

A SEGRETAIN

Paris, 18 janvier 1841. MON CHER MONSIEUR,

Je m'empresse de vous annoncer que grâce à S* Généroux (l), qui sans doute a touché le coeur de la commission, on a terminé convenablement son affaire. On donne 5000 f cette année et 4000 f l'année prochaine pour les réparations. Vous recevrez incessamment avis officiel de cette décision. A l'unanimité on a approuvé votre second projet qui consiste à faire l'acquisition de tout le terrain autour de l'église. Le seul changement qui ait été fait, vous fera peutêtre rire. On ne veut pas que le transept soit diminué pour faire une sacristie. Ce serait dommage de ne pas laisser sub-


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 83

sister cette noble architecture ! Je ne suppose pas que vous soyez fort touché de ce respect naïf pour l'antiquité, mais l'important c'est de déblayer l'église, et c'est chose faite.

Vos dessins sont arrivés à bon port. Je ne vous les renverrai qu'après avoir fait mon rapport sur Airvault (2). J'espère qu'on ne se montrera pas moins généreux pour le 11e siècle que pour le 7e. Je crois d'ici à quinze jours pouvoir vous donner des nouvelles certaines.

Si cette lettre vous trouve à Niort et partant pour Saintes, détournez-vous de quelques kilomètres pour voir la façade de Surgères. On peut la voir même en revenant d'Italie. C'est à mon avis ce qu'il y a de plus beau dans votre Saintonge où il y a tant de belles choses. Si le coeur vous en dit, faites nous un petit devis des réparations, car il ne faut pas laisser périr cela. Au reste je m'en rapporte à vous. Quand vous l'aurez vu, vous en deviendrez fanatique.

Je ne cesse de demander les 600 f. pour la société de Niort. Si vous voyez M. Arnaud dites lui que je m'épuise en harangues à ce sujet. On me répond qu'on verra plus tard. Comme on ne peut donner de l'argent de notre crédit à une société pour encouragement, je demande que ces 600f lui soient confiés pour être employés à ouvrir des tombelles. J'espère bien, un jour que la Comm°n sera en belle humeur, obtenir cette bagatelle que jusqu'à présent elle m'a impitoyablement refusée.

J'attends de Corse une drôle de trouvaille (3). C'est un grand pot dans lequel était un homme cuit et conservé de la sorte pour l'édification des races futures. Ce qu'il y a de singulier c'est que le vase avec l'homme y inclus parait avoir été cuit, du moins il n'y a pas de couvercle, ou le couvercle est luté au feu. Concevez vous la possibilité du fait ? Il faut que les premiers habitants de la Corse aient été bien secs pour que les vases ne se soient pas cassés en mille pièces comme la marmite autoclave qui tua Naldi (4).

Vous me paraissez bien endurci dans votre amour pour


84 LETTRES DE MÉRIMÉE

les restaurations complètes. Mais vous me faites plus puriste que je ne le suis. Lorsqu'il reste quelque chose de certain, rien de mieux que de réparer, voire même de refaire, mais lorsqu'il s'agit de supposer, de suppléer, de recréer, je crois que c'est non seulement du temps perdu mais qu'on risque de se fourvoyer et de fourvoyer les autres. Observez que l'archéologie est une science qui commence à peine. Qui nous dit que dans quelques années d'ici on ne fera pas quelque belle découverte sur la symbolique du moyen âge qui nous expliquera les monstres et les marmousets de nos églises. En refaire de toutes pièces à présent, ce n'est pas prudent je crois : nous ferions comme les nobles de l'empire qui se composaient des armoiries de fantaisie qui font frissonner les [mânes ?] du père Ménétrier (5). J'aurais bien des choses à vous dire sur ce sujet, mais je m'arrête et je les garde pour le moment où nous pourrons en deviser par demandes et réponses comme nous avons fait de tant de doctes questions dans notre course de l'année dernière. Je suis bien fâché de vous savoir toujours nerveux. Si vous avez reconnu que le mouvem* physique vous faisait du bien, pourquoi même lorsque vous êtes chez vous ne vous livrez vous pas à quelque exercice violent. Il y a quelques années je me suis guéri d'une souffrance semblable en faisant des armes. Y at-il un jeu de paume à Niort ? C'est encore un remède admirable dit-on. Il faut que l'exercice qu'on se donne fatigue le corps et occupe un peu la tête. Les armes et la paume offrent ce double avantage. Vous riez peut-être lorsque je vous dis que l'on a la tête occupée en dégageant en tierce et en quarte. Rien de plus vrai cependant. Essayez-en et vous verrez. Je pense l'année prochaine courir un peu dans la Mayenne et. la Sarthe. Pourquoi ne nous donnerions-nous pas rendez-vous quelque part. Cela n'est pas très loin de Niort et l'on voit mieux les choses à deux. Je vous assure que ce serait pour moi un grand plaisir de courir encore les grands chemins en votre compagnie.


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 85

Adieu, mon cher Monsieur, veuillez agréer l'expression de tous mes sentimens d'estime et d'amitié. '

Pr MÉRIMÉE.

(1) Rapport de Mérimée à la Commission. Séance du 18 janvier 1841. (A. C. M. H. Dossier Saint-Généroux, Deux-Sèvres) :

« Mr Segretain, architecte du dép' des deux Sèvres, a présenté un plan pour la restauration de l'église de Saint Généroux qui n'a point paru suffisamment détaillé ; les renseignements qu'il a transmis depuis ont complété l'instruction de cette affaire.

« Les devis fournis par Mr Segretain s'élèvent à la somme de 9100, savoir :

« Pour l'acquisition et le déblayement des terrains qui entourent l'église et qui s'élèvent fort au-dessus de son aire 5000 f.

« Pour les réparations à' exécuter aux absides et à la sacristie 4100 f.

« On pourrait réduire la première dépense à 3000 f. si l'on se bornait, comme M. Segretain l'avait proposé d'abord, à creuser un fossé autour de l'église pour l'assainir, et à soutenir les terres au moyen d'un mur de soutènement : mais cette opération ne démasquerait pas complettement l'édifice très intéressant qu'il s'agit de conserver. Le rapporteur croit que l'église de Saint-Généroux mérite un sacrifice plus considérable et qu'il convient en la déblayant complettement de lui rendre l'aspect pittoresque qu'elle a dû avoir à l'époque de sa construction primitive.

« Quant à la somme de 4100 fr. pour la réparation des absides etc., le devis en justifie suffisamment la nécessité. Toutefois une partie de cette dépense applicable à la construction de la sacristie (qui d'après le projet de Mc Segretain serait placée dans le transept nord) peut être retranchée, car, par suite du déblayement complet du terrain environnant l'église, on peut conserver le transept dans son état actuel.

« La somme de 9000 f. à peu près serait nécessaire pour la restauration de Saint-Généroux et pourrait être imputée sur les exercices de 1841 et de 1842. Le rapporteur propose d'accorder 5000 f. sur le crédit de 1841 et le reste de la somme surl'exercice suivant. PrMÉRIMÉE. (Adopté). »

(2) Rapport de Mérimée à la Commission. Séance du 25 janvier 1841. (A. C. M. H. Dossier Airvault) :

« L'église d'Airvault en raison de son architecture et surtout de la richesse de son ornementation peut être rangée parmi les monumens les plus remarquables de l'Ouest de la France. C'est assurément la plus importante et probablement la plus grande du département des Deux-Sèvres.

« Le devis présenté par Mr l'architecte du dép[artemen]t pour sa restauration s'élève à la somme de 11650 fr. On ne peut espérer que la commune d'Airvault qui est très pauvre puisse prendre à sa charge une partie de cette dépense, et il lui est presque impossible de pourvoir à l'entretien de ce vaste édifice. D'un autre côté le Conseil général des Deux Sèvres n'a voté jusqu'à présent que des secours très médiocres pour- les nombreux monumens historiques que possède ce département. Il est douteux qu'il accorde un secours de quelque importance à l'église d'Airvault.


86 LETTRES DE MÉRIMÉE

« Le projet de restauration présenté par l'architecte du Dép' a paru bien conçu au rapporteur, qui cependant doit soumettre à la commission les deux observations suivantes :

« 1° Dans la restauration du portail figure une somme de 511 fr. pour la restauration d'une statue équestre très mutilée. Il n'existe point de dessin d'après lequel on puisse la restituer avec exactitude. Il est vrai que dans plusieurs autres églises du même dép 1 on voit d'autres statues mieux conservées, et qui suivant la tradition représentaient le même personnage qui figurait autrefois au portail d'Airvault. Sur ce point cependant le rapporteur croit qu'il règne encore trop d'incertitude pour qu'il convienne d'a'utoriser la restauration proposée.

« 2° L'architecte n'a estimé qu'à 300 f. le décrassement des. sculptures de l'intérieur de l'église; avertissant néanmoins que son calcul était nécessairement fort incertain, et que suivant toute apparence la dépense dépasserait ses prévisions.

« Ce travail a paru au rapporteur d'une très haute importance, et il regarderait comme fâcheux qu'il ne fût pas exécuté d'une manière complète. Il s'agit non seulement d'enlever la poussière et le badigeon qui déparent quantité de statues et de chapiteaux, mais encore de faire reparaître de charmantes sculptures inscrutées dans le parement intérieur des murs de la nef, et que recouvre en partie une couche de plâtre et de mortier. Ces sculptures sont d'autant plus intéressantes qu'elles semblent des débris d'une église plus ancienne, débris que l'on aurait cherché à conserver en les faisant servir ainsi à l'ornementation de l'église actuelle. Le rapporteur croit donc que l'économie de 511 fr. qu'on peut faire en supprimant au devis la restauration de la statue du portail, peut être utilement employée au décrassement des sculptures de l'intérieur ; il pense même qu'on peut dès à présent porter le devis à la somme ronde de 12.000 fr. et il doute même que sans la coopération du Conseil Gal du dép' des deuxSèvres, cette allocation puisse suffire aux réparations que réclame l'église d'Airvault.

« Le rapporteur propose d'accorder cette somme de 12000 sur trois exercices 1841, 42 et 43, et d'inviter le Conseil général à faire de son côté quelques sacrifices, soit pour compléter la restauration de l'église d'Airvault, soit pour contribuer à celle de l'Eglise d'Oyron, de la Ste Chapelle de Thouars, des églises de Parthenay-le-Vieux ou de Maillezais, ou de tant d'autres beaux monumens dont la conservation inspire de sérieuses inquiétudes.

Pr MÉRIMÉE.

(12000 f. accordés sur 2 exercices 6000 f. 1841 6000 f. 1842). GRILLE DE BEUZELIN. »

(3) Sur ces jarres curieuses contenant des squelettes humains, voir Mérimée : Notes d'un Voyage en Corse, p. 47, et plusieurs lettres à Requien dans Lettres inédiles, s. I. 1900, publiées par Félix Chambon.

(4) Naldi (Giuseppe), chanteur italien, né à Naples en 1765, mort à Paris en 1820. II avait été invité par un ami, Garcia, à l'expérimentation d'une marmite récemment inventée et dite autoclave. La soupape de


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 87

l'appareil ayant été trop solidement fixée, l'instrument éclata en morceaux et Nâldi, atteint par les débris, fut tué sur le coup.

(5) Le Père Claude-François Ménestrier, écrivain héraldique et historien français, né à Lyon en 1631, mort en 1705. Il est l'auteur d'un Abrégé méthodique des principes héraldiques ou du véritable art du blason (Paris, 1661, in-12, souvent réédité) et de nombreux ouvrages sur le même sujet.

XVI

A JOLY-LETERME

Paris, 18 janvier 1841.

MON CHER MONSIEUR,

Il vaut mieux tard que jamais. J'ai reçu votre lettre (je n'ose me rappeler de quelle date) à Madrid où je me suis acoquiné bien longtemps, d'abord parce que j'y étais à merveille, puis parce que l'on y faisait une drôle de révolution qui m'amusait beaucoup. Vous répondre de si loin était impossible.

De retour en France, j'ai trouvé des ordres de mon gouvernement qui m'ont fait voyager en Provence. Là, les inondations et leurs suites, puis les neiges etc., m'ont retenu jusqu'à la fin de l'année (1). Me voici enfin à Paris depuis un mois. Je croyais trouver l'affaire de S* Savin terminée. Nullement ; toujours in statu quo. Aujourd'hui seulement nous nous en sommes occupés (2) et c'est officiellement que je vous écris à ce sujet.

Voulez vous ? Pouvez vous vous charger de la restauration de S* Savin ?

Voici la situation : L'église a été salopée, cochonnée par un architecte qui a quitté le dépt. de la Vienne. Son remplaçant, M. Dulin, n'inspire aucune confiance à la commission, et l'on voudrait confier une chose précieuse àquelqu'un qui eût fait ses preuves en restauration. On a pensé que


88

LETTRES DE MERIMEE

vous seriei l'homme qu'il nous fallait, car vous trouverez là

des difficultés du même genre que celles que vous avez wï«enes à Cnoault.

ïl y a 10-000 fr. YOtês l'année passée qui doivent être dépensés avant le 1er 7bre 1841. L'intention de la commp

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AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 89

le haut jusqu'en bas. Il s'agit de refaire cet arc, de refaire un contrefort B, enfin de refaire les trompes de la flèche, lesquelles sont toutes brisées. Si la flèche tient c'est uniquement par un effet de cette obstination que vous avez dû remarquer dans les constructions du moyen âge.

Item, la colonne C (au lieu de piliers ce sont de longues colonnes comme à Cunault) s'écrase. Il faut la remplacer. Vous concevez que si l'architecte suspect à la commission prend mal ses mesures, la moitié de la nef tombe avec les fresques curieuses qui couvrent les voûtes. C'est ici que l'armature en fer de Cunault va jouer son rôle.

Enfin les voûtes des bas côtés sont fendues et crevassées dans toute leur longueur, les apsides sont aussi en fort mauvais état. Il y a bien d'autres maux sans doute que vous aurez à guérir si vous acceptez le malade.

Veuillez me répondre le plutôt que vous pourrez ; si vous acceptez, vous recevrez officiellement vos instructions du Ministre.

J'oubliais de vous dire que S* Savin est à 12 lieues à l'Est de Poitiers et que c'est un vilain trou. Nous avons fait dessiner les fresques et au moins nous en conservons un souvenir.

Par la même occasion parlez-moi donc de l'empereur Charlemagne et de Cunault. Où en est l'expropriation ? et que devient mon drôle ?

Adieu, Monsieur, veuillez me rappeler au souvenir de M. Galzin et agréer l'expression de tous mes sentiments dévoués.

Pr MÉRIMÉE.

En me répondant veuillez me faire vos conditions de la manière la plus précise (3). Malheureusement ce n'est pas une bonne affaire que je vous propose, c'est à dire elle sera bonne pour nous si vous acceptez, mais veuillez compter pour quelque chose le plaisir de sauver un beau monument qui n'est entouré que d'ennemis.


90 LETTRES DE MÉRIMÉE

(1) Mérimée après avoir quitté Niort, Saintes et Bordeaux avait gagné l'Espagne le 18 août 1840. Il y fut retenu par la révolution qui aboutit à la renonciation de la reine Marie-Christine (12 octobre 1840). De retour à Bayonne il se rendit à Toulon. De Paris, le 29 novembre 1840, il écrit à Saulcy : « Après avoir vu l'aride Provence changée en un vaste bourbier, je m'en suis revenu par les montagnes de la Lozère et du Cantal, espérant que les inondations ne m'y atteindraient pas, mais j'y ai trouvé une neige et un froid diaboliques. Pourtant je ne gelai pas et depuis six jours je suis dans mes pénates... » (H. Wallon, Eloges académiques, II, p. 257.)

Mérimée est rentré d'Espagne vers le 23 novembre 1840. Donc le rapport sur Charroux et Saint-Savin qui est donné par Chambon (Notes sur P. Mérimée, p. 147) comme du 31 octobre [1840] ne peut pas avoir élé adressé de Paris à cette date. Nous l'avons reproduit dans l'introduction avec sa date véritable: 31 octobre [1835J. (A. C. M. H., Lettres et rapports de Mérimée et de Vitet, f° 117. )

(2) Rapport de Mérimée à la Commission. Séance du 18 janvier 1841. (Dossier Eglise de Saint-Savin. A. C. M. H.)

« Le devis relatif à la réparation de l'église de S'-Savin a paru au rapporteur rédigé avec peu d'ordre, et il n'est pas accompagné des plans et dessins que la commission a réclamés depuis longtemps. Elle croira probablement qu'il y aurait du danger à confier la restauration d'un monument aussi remarquable à tout autre qu'à un architecte dont le talent et l'expérience lui fussent parfaitement connus. En conséquence le rapporteur propose de charger de ce travail Mr Joly, architecte à Saumur, qui a fait preuve de beaucoup d'habilité dans les restaurations qu'il a exécutées à Cunault.

Pr MÉRIMÉE. »

13) Lettre de Joly, architecte à Saumur, non datée. (A. C. M. H., Dossier Saint-Savin) :

[janvier 1811]. « MONSIEUR L'INSPECTEUR GÉNÉRAL.

« J'ai reçu avec bien du plaisir votre bonne et aimable lettre ; vous m'avez un peu gâté pour ce rapport, et il y avait bien longtemps que je n'en avais vu [un pareil ?] ->

» J'avoue que j'avais été inquiet moi, de votre drôle de révolution de Madrid et que je craignais souvent de vous voir compromis dans leur vilain cri de mort aux français ; ce qui faitque je n'y trouvais, pour mon compte, rien de drôle du tout ; mais du moment que vous m'affirmez qu'il en était ainsi, je fais comme Schahabaham, je prends votre ours.

« Quant à la proposition que vous me faites, de restaurer S*-Savin, eh mon Dieu ! c'est justement offrir à boire à un altéré dans le désert ; mais au désir que j'ai de faire ce travail, vient se mêler une crainte que vous trouverez légitime, je pense ; je me dis, suis-je bien capable de faire ce que d'autres peut-être plus vieux et plus expérimentés que moi, n'ont pu mettre à bonne fin. J'ai un peu peur. Mais puisque vous le voulez, audaces'fortuna juvat (collégien tout pur). Je ferai ce que vous jugerez convenable.

«J'accepterai donc la mission honorable dont vous me chargez ; je vous


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 91

ai fourni mes moyens d'exécution, vous y avez certainement pensé et réfléchi ; quant à mes conditions vous me dites de les préciser ; les voici : elles sont ce me .semble bien simples (je n'en ferais pas si j'étais riche, mais ma boîte de compas et mes couleurs composent à peu près toute ma fortune et j'ai une bonne petite femme que vous connaissez un peu, et un enfant que vous ne connaissez pas, mais qui veut vivre, grandir et devenir un homme si c'est possible : Je me trouve donc dans la dure nécessité de parler argent).

« Je demande à ce que mes frais de voyage soient payés, suivant état et bordereaux justifiés et qu'on m'accorde les 5 % d'honoraires qu'on dpnne aux architectes pour leurs travaux.

« Si S*-Savin n'était qu'à 15 lieues de chez moi, mon Dieu, j'irais simplement à pied et ne ferais point de frais ; mais 36 lieues c'est trop de temps perdu.

« Autre chose ; condition essentielle ; si je me trouve trop embarrassé, je vous adresserai les dessins de mon travail et vous me donnerez votre avis. Quant au reste, disposez de moi. Je voudrais bien, je vous assure, faire à S'-Savin comme à Cunault, restaurer pour le seul plaisir de restaurer....

« Du reste, veuillez avant toute détermination, me dire si vous trouvez ma demande exagérée ; je ne le pense pourtant pas ; mais je ferai tout ce que vous voudrez... qu'au bout de l'année je n'aie point de dettes, c'est tout ce que je demande.

« Laissons de côté S'-Savin et la question de brutalité métallique ; parlons de l'empereur Charlemagne; l'un était un grand empereur, mais celui-ci n'est qu'un grand coquin ; que l'orage l'écrase et que là terre l'étouffé, ou bien qu'on l'enterre sous ses écus.

« De l'expropriation je n'en entends plus parler, j'en ai écrit au préfet. M. Galzain a fait toutes les démarches qu'il pouvait, et dernièrement encore a récrit au ministère de l'intérieur, rien. Pressez donc de votre côté, tâchez donc qu'on en finisse : j'ai là un mur de refend qui m'oppresse et 10.000 f. qui me brûlent les doigts.

« J'ai bien d'autres choses à vous dire : j'ai levé les plans, coupes et élévations de la vieille église Carlovingienne de S'-Martin d'Anjou, je projette sa restauration, (suivant ordre du Préfet). Veuillez faire envoi d'une allocation pour ce travail.

« J'ai levé ceux de l'église de Montreuil-Bellay, je travaille aussi à cette restauration ; la première fois que vous viendrez à Saumur, tâchez que nous voyons Montreuil et le Puy-N.-Dame, l'Eglise favorite de Louis XI en Anjou.

«Le curé deNantilly m'a parlé de descendre et réparer les belles tapisseries de cette église ; pouvez-vous m'accorder 4 à 500 f. Ce serait si grand dommage de perdre ces belles tentures ! La charité, s'il vous plait ; je prendrai tout ce que vous me donnerez ; si vous ne me donnez rien 1 état de vétusté de ces tapisseries leur permettra-t-il de remonter à leur place ?

« M. Galzain me prie de le rappeler à votre souvenir et vous remercie de ne pas l'avoir oublié.

« Veuillez agréer, je vous prie, l'assurance de mes sentiments de respect et de dévouement, Monsieur l'inspecteur, [illisible].

JOLY »


92 LETTRES DE MÉRIMÉE

XVII A SEGRETAIN

Paris, 19 février 1841.

MON CHER MONSIEUR,

J'ai dû consulter des doctes au sujet des questions que vous m'adressez, de là ma lenteur à vous répondre. Vous me demandez d'abord qui dirigera l'emploi des fonds, le maire pu le préfet. Ce sera le préfet.

2° L'achat du terrain (1) se fera au nom du ministre de l'Intérieur. Il va sans dire que c'est la commune qui en profitera, mais il est bon qu'elle n'en puisse disposer que de la manière dont nous le jugerons à propos.

3° Les formalités de l'achat sont celles que l'on emploie toujours en pareil cas. On fait un contrat devant notaire, le Préfet stipule au nom du Ministre, il y est autorisé par une lettre ad hoc.

4° La commission a pensé que le meilleur système pour les travaux était de les faire exécuter par série de prix. Si cependant vous trouvez quelque inconvénient à ce mode, ou si un autre vous semble plus avantageux, prévenez-nous et je ne doute pas que l'on n'autorise le mode que vous proposerez.

Vous avez reçu déjà je pense avis officiel de la somme accordée à l'église d'Airvault (2). Nous commençons à être au bout de nos [prêts ?] et je crains bien de ne pouvoir rien obtenir pour l'église d'Oiron. Peut être serons-nous plus heureux l'année prochaine.

Je prends note.de la promesse que vous me faites pour le printemps qui vient, mais votre tilbury sera, je pense, inutile. La Mayenne et le Maine sont sillonnés de routes stratégiques où il y a des postes remarquables. Pourtant elles


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 93

font rouler, et ce sera moi s'il vous plait qui vous brouetterai. Peut-être dans l'occasion, faudra-t-il prendre nos jambes à notre cou, mais ce n'est pas là je crois ce qui vous effraye. On me promet plusieurs belles églises et un magnifique camp romain dont l'enceinte en pierre est encore élevée de 3 m. au dessus du sol. Ce ne sont point des [illisible] que cela.

Je vous écris à la hâte, car je suis accablé de besogne. Je corrige des épreuves d'un mien bouquin (3), opération fort ennuyeuse et qui me fait prendre beaucoup d'exercice. Je fais au moins trois lieues par jour entre ma table et ma bibliothèque, afin de vérifier des citations et de collationner les textes. Jugez comme cela est amusant. Heureusement, je commence à voir la fin de mes peines. J'imagine que je me produirai à la lumière vers le commencement du mois prochain.

Adieu, mon cher Monsieur, je vous quitte pour cette occupation. Je désire bien que vous me donniez de bonnes nouvelles de votre santé et de vos recherches en Saintonge. N'oubliez pas Surgères, et dites moi si vous avez trouvé en Italie beaucoup de monumens qui lui soient supérieurs.

Pr MÉRIMÉE.

(1) Pour le dégagement de l'église de Saint-Généroux.

(2) Voir le rapport de Mérimée du 25 janvier 1841, p. 85.

(3) La Guerre sociale qui paraîtra en mai 1841.

XVIII

A M, DE CHERGÉ

12 mars [1841].

MON CHER COLLÈGUE,

J'ai présenté votre requête au comité de l'Instruction publique. On vous donnera les clichés des instructions (1), mais si vous voulez les avoir gratis tout à fait, l'affaire se


94 LETTRES DE MÉRIMÉE

complique. Il faudra que le Ministre prenne la dépense peu considérable sur un fonds quelconque et je ne sais trop comment cela est possible. Le. mieux ce serait que votre libraire s'entendit avec l'Instruction publique. Le chef de bureau des comités, sur un mot de vous, lui donnera ou fera donner toutes les explications que vous pouvez désirer sur le prix des clichés susdits.

Je ferai incessamment un rapport au Mre de l'Intérieur sur la coupole de Charroux et je tâcherai de vous faire avoir un secours (2) A.-t-on décroché les Saints du portail ? J'ai reçu l'autre jour une lettre lamentable de M. Dulin au sujet de StSavin. Nous y avons envoyé un jeune homme très intelligent que je vous recommande si vous le rencontrez. Il s'appelle Joly.

Adieu, mon cher Monsieur, mille compliments et amitiés.

Pr MÉRIMÉE.

P.-S. Je reçois un factum d'un conseiller antiquaire qui se plaint de vous autres à la nature entière. Il paraît que vous avez châtié une sienne oeuvre où il n'y avait rien à dire que quelques vers trop anacréontiques. Vous êtes donc bien prudes (3).

(1) Instructions du Comité historique des Arts et Monuments dont le premier cahier (Architecture gallo-romaine) avait paru en mars 1839. Le31 octobre 1842, Albert Lenoirécrivait àRédet, archiviste delà Vienne et trésorier de la Soc. Ant. de l'Ouest : « Je viens de recevoir le mandat que vous m'adressez comme valeur des clichés fondus par M. Bedeau pour la Soc. Ant. de l'Ouest. Je m'empresse de vous en faire part. Je publie en ce moment avec M. Mérimée un nouveau cahier d'instructions sur l'architecture militaire [paru en août 1843]. Si un jour la Soc. des Ant. de l'Ouest avait le désir d'en faire aussi une reproduction elle peut compter sur mon zèle à lui être agréable. » (Archives particulières de la Soc. Ant. de l'Ouest.)

(2) Note de Mérimée, mars 1841 (A. C. M. H., dossier Coupole de Charroux) : « Réserver une somme de 1500 fr. pour la réparation de la coupole de l'ancienne abbaye de Charroux, en attendant qu'un devis détaillé des travaux de consolidation nécessaires soit présenté à;la commission. Mettre à l'allocation de cesecours la condition que les héritiers de M. H. de Gran-


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 95

maison abandonneront la propriété de ce monument au département de la Vienne. »

Nouvelle note du 26 avril 1841 : « Maintenir l'allocation de 1500fr. accordée pour les réparations de la coupole de Charroux pourvu que les dames Ursulines qui possèdent ce monument s'engagent par acte authentique à ne jamais le démolir, et à ne le réparer qu'avec l'assentiment du ministre de l'intérieur. »

(3) II s'agit d'une lettre à M***, membre correspondant de la Soc. Aht; de l'Ouest, de Poitiers, 27 février 1841, par M. Bourgnon de Layre : celui-ci proteste contre le refus d'insertion dans le Bulletin d'une notice historique sur André Tiraqueau. Voici les vers « anacréontiques » qui avaient alarmé les Antiquaires de l'Ouest :

« S'il n'eût pas noyé dans les eaux

Une semence si féconde

Il eût enfin rempli le monde

De livres et de Tiraqueaux. »

M. de Chergé donna sa démission de secrétaire après les incidents qui suivirent le refus d'impression du travail de Bourgnon de Layre. (Voir Bull. Soc. Ant. de l'Ouest, II, 105 à 108, III, 71-72.)

XIX A JOLY^LETERME

Paris, 20 avril 1841. MON CHER MONSIEUR,

Que devenez vous ? et pourquoi ne nous donnez-vous pas de vos nouvelles ? Etes-vous allé à St-Savin ? Avez-vous fait un plan et un devis de l'église ? Il est fort important que les travaux commencent afin de ne pas perdre nos fonds. Tâchez donc de mener l'affaire le plus promptement possible.

Je suis chargé par le Ministère de l'Instruction publique de faire le texte de l'ouvrage qu'il va publier sur les peintures de. St Savin que nous avons fait dessiner par M. Gérard Séguin l'année dernière (1). Je me recommande à vous pour les renseignements que vous pourriez trouver dans le cours de vos travaux.


96 LETTRES DE MÉRIMÉE

Je vous écris fort à la hâte et seulement pour vous prier de nous donner des nouvelles. La commission va se séparer dans peu de temps. Les fonds de 1841 sont presque épuisés et si la somme déjà votée pour S* Savin n'était pas suffisante, je voudrais qu'on y ajoutât quelque chose sur le reste très faible que nous avons encore. Mais il nous faut plans et devis.

Adieu, mon cher monsieur, mille compliments et amitiés.

Pr MÉRIMÉE.

(1) Sur les conditions de composition et de publication des quatre fascicules de la Notice sur les peintures de l'église deSaint-Savin, voir Lettres de Mérimée à la famille Delessert,p.3, note 2, et Lettres deMérîméeà Vilet, p. 17, note 2, p. 146 et 170. Voir aussi Bibliographie des oeuvres de P. Mérimée, par Trahard et Josserand, Paris, Champion,/1929.

XX

A JOLY-LETERME

Paris, 27 avril 1841.

MON CHER MONSIEUR,

J'ai communiqué votre lettre à la commission où elle a soulevé quelques orages qui se sont apaisés pourtant. On vous autorise à commencer les travaux immédiatement, et à employer sous votre responsabilité les procédés que vous jugerez convenables, enfin à commencer la restauration du côté où vous croirez que les besoins sont les plus pressants. L'important, c'est que le fonds de 10.000 f. soit dépensé d'ici à trois mois, et à cet effet il faudra vous entendre avec le maire de S* Savin. Vous savez qu'au moyen de quelques dates changées on peut encore faire emploi de ce fonds qui régulièrement aurait dû être entamé en 1840.

Je reviens à votre lettre et aux procédés de restauration


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 97

dont vous vous proposez de faire usage. La manière de consolider le pilier du choeur par des bandes de fer verticales reliées par des boulons a un peu effarouché les architectes de notre commission. J'ai parlé des bons résultats que vous avez obtenus à Cunault. Ils craignent que votre moyen ne soit un palliatif assez dangereux, et que la résistance du pilier ne soit diminuée même lorsqu'il sera percé pour recevoir votre appareil. J'ai répondu par le fait de Cunault et j'ai ajouté que nous n'étions pas assez riches d'ailleurs pour avoir le choix. Une reconstruction totale du pilier serait horriblement coûteuse, et bien qu'on soit décidé à mener à fin la restauration.de S'Savin, notre affaire est de ne faire que ce qui est indispensable à la consolidation. Y a-t-il moyen de cacher les têtes des boulons qui traverseront le pilier susdit ? et de cacher le mauvais effet de ces saillies qui se projettent le long du pilier de Cunault ? Je crois me rappeler que dans les réparations que vous avez faites après la première vous avez évité cet inconvénient.

Quant aux contreforts à assises inclinées on demande, si vous avez pris soin d'éviter les infiltrations dans les joints AA. La chose est facile ce me semble.

J'arrive à la grosse affaire, je veux parler du clocher. N'y a-t-il pas moyen de le consolider, sans doubler l'arc inférieur par un autre arc qui masquerait une fresque ? On pense que vous pourriez obtenir le même résultat par un éperon appliqué sur les côtés de la tour. Veuillez me dire avec détail si vous jugez la chose possible, et dans le cas contraire, donnez toutes vos raisons pour rendre absolument nécessaire le sacrifice dont vous parlez et qui serait fort regrettable, sans parler des injures' que cela nous attirerait, à vous encore plus qu'à nous; de la part des archéologues fanatiques.


y8 LETTRES DE MERIMEE

Pouvez-vous nous envoyer vos plans et devis d'ici à un mois ou six semaines. Commencez toujours les travaux, mais il est fort important pour nous d'être fixés sur la somme que doit coûter la restauration, afin de préparer nos ressources pour notre prochain budget. Enfin, mon cher Monsieur, dépêchez vous, travaillez vite, je suis sûr que vous ferez toujours bien.

- Vous me dites que la tour de S* Savin est antérieure à l'église. Le fait me parait fort singulier, et je vous serais bien obligé de le vérifier. Au reste vous savez que l'église et le monastère ont été bâtis autrefois dans une enceinte fortifiée nommée Castrum ceracense (1). Il se pourrait que lorsque l'église a été rebâtie, on eût profité d'une tour de l'ancienne enceinte pour en faire la base du clocher. A ce compte cette base serait carolingienne, ce qui parait un peu dur à admettre.

Je suis chargé par le Ministère de l'Instruction publique, de faire le texte qui doit accompagner les fresques dessinées par Mr. Gérard Séguin et que l'on doit publier.

Adieu, mon cher Monsieur, donnez-nous très souvent de vos nouvelles, et prévenez-nous surtout aussitôt que vous commencerez les travaux.

Pr MÉRIMÉE.

(1) Cf. Notes d'un voyage dans l'Ouest, p. 417 : « A cette époque [878], l'abbaye était fortifiée, ou du moins située au milieu d'une enceinte fortifiée [Castrum ceracense). » Cf. Elisa Maillard : L'église de SaintSavin-sur-Gartempe, Paris, Laurens, 1926, p. 12.

XXI

A SEGRETAIN

31 mars 1842

MON CHER MONSIEUR,

Je viens de recevoir votre aimable lettre du 22 qui me fait grand plaisir. Je vous parlerai d'abord d'affaires.


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST '99

J'ai communiqué à la commission les renseignements que vous me donnez sur les terrassements exécutés à Airvault (1). Si les murs sont pourris, il est évident qu'il faut y pourvoir. On parait assez résigné. Mais pour que votre bonne" volonté soit suivie d'un vote efficace, il faut que vous nous envoyez une note officielle avec un bout de devis. Si vous pouviez nous donner cela bientôt cela serait au mieux, car il est probable que d'ici à un mois je serai obligé de m'absenter pour quelques semaines, et je serais fâché de ne pas assister au rapport de votre affaire. Nous n'avons rien reçu du Préfet. Peut être, pour éviter les lenteurs officielles, feriez-vous bien de m'adresser la note et le devis directement.

Je ne puis rien vous dire au sujet de Thouars et d'Oyron. Votre rapport arrivé, je prendrai soin qu'il soit promptement mis sous les yeux de la commission. Mais, hélas ! les fonds de 1842 sont déjà bien bas. Le dernier ouragan nous a ruinés.

Et maintenant que l'archéologie a eu sa part, je vous dirai un mot de mes faits et gestes. J'ai couru deux mois dans la Normandie (2) et après avoir noirci quantité de cahiers de papiers pour mon Ministre, je lui ai demandé la clef des champs pour trois mois, moyennant laquelle permission j'en ai passé cinq à voir des choses et des hommes de l'Orient (3). A Malte et à Gozo j'ai examiné et dessiné quatre temples phéniciens très curieux (4). De là je suis allé à Athènes où j'ai passé trois semaines en extase devant les plus beaux monuments que l'esprit humain puisse concevoir. — Malheureusement on ne petit expliquer en quoi le Parthénon est si supérieur à toutes ses copies. 11 a un je ne sais quoi qu'il faut voir. C'est à 8 jours de Marseille etilest facile de se donner une émotion dont le souvenir durera toujours. Après Athènes il est difficile de voir en Grèce quelque chose qui étonne. J'ai passé rapidement pardessus une vingtaine de lieux historiques, qui malgré


100 LETTRES DE MÉRIMÉE

toute la prose qu'on puisse avoir dans le coeur, vous font cependant rajeunir de vingt ans. Pour vous parler de choses moins sublimes, je vous dirai qu'à Delphes j'ai trouvé un petit temple inédit je crois, au moins contemporain de la guerre de Troie ; c'est une transition entre nos dolmens et le Parthénon. J'avais envie d'aller voir l'Olympe lorsqu'auprès des Thermopyles un de mes compagnons se démit le bras (5). Notre itinéraire fut changé et après quelques jours passés dans un village plein de poux, nous revînmes à Athènes. De là je me suis embarqué pour Smyrne, et avec un mien ami (6) j'ai visité Ephèse, Magnésie du Méandre et Sardes. Ça été la course la plus amusante de ma vie. 20 jours à cheval au milieu des nomades, voyant les plus beaux sites de la terre, et quelquefois les ruines les plus intéressantes. Le reste de mon voyage est des plus prosaïques. De retour à Smyrne, je me suis embarqué pour Constantinople, où à l'exception des anciennes murailles et de Ste Sophie, il n'y a rien qui mérite le voyage. Tout cela, Monsieur, se fait en cinq mois, et moins quand on n'est pas flâneur et qu'on ne s'arrête pas à chaque montagne pour faire des croquis qu'on déchire ensuite. Si vous défalquez le temps perdu par moi à gribouiller du papier, à fumer et à prendre du café, vous trouverez que le même voyage peut se faire très facilement en moins de trois mois. N'est-ce pas tentant ?

Adieu, mon cher Monsieur, tâchez de venir ici pendant que j'y serai, probablement je serai absent en mai, et de retour en juin. Veuillez en attendant recevoir la nouvelle expression dé mes sentiments dévoués.

Pr MÉRIMÉE.

(1) Devis de Segretain du 20 avril 1842 : Travaux supplémentaires à exécuter pour consolidation des apsides de l'église (A. C. M. H., dossier Airvault). '

(2) Au début de juin 1841, Mérimée était parti pour la Normandie, la Bretagne et la Creuse. Il était de retour à Paris le 24 juillet (voir l'iti-


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 101

néraire de ce voyage, Lettres de Mérimée à Vilet, introduction, p. 61, complété dans Lettres de Mérimée à Madame de Beaulaincourt, p. 113).

(3) Mérimée s'embarque le 26 août 1841 pour la Grèce et l'Asie Mineure. Il est de retour à Paris à la fin de décembre 1841. Cf. Lettres de Mérimée' à Vitet, p. 43, note 3, et P. Trahard, Prosper Mérimée de 1834- à 1855, Paris, Champion, 1928, p. 179.

(4) Cf. Revue générale de l'architecture et des travaux publics (2e année, 1841, col. 497). « Monuments phéniciens », par Charles Lenormant. Acet article est jointe une planche de dessins par Mérimée (pi. 21) représentant les principaux objets découverts à Casale Krenti, dans l'île de Malte.

(5) Le 1er octobre 1841, en vue de Molo, Charles Lenormant était tombé de mulet et s'était démis l'épaule droite. Voir Une correspondance inédite, Paris, Calmann-Lévy, 1897, p. 253.

(6) J.-J. Ampère qui a fait le récit de ce voyage dans son volume : La Grèce, Rome et Dante, Paris, Didier, 1854, p. 319-348.

XXII A SEGRETAIN

12 [juin] 1842

MON CHER MONSIEUR,

J'ai communiqué votre lettre à M. Grille notre secrétaire. Nous pensons que sur les questions dont vous me parlez vous êtes le meilleur juge. De Paris on ne peut décider comme à Niort les quando et les qaomodo. Par conséquent c'est à vous de vous arranger dé façon que les travaux marchent pour le mieux. J'aurais cru que l'église d'Oyron était très pressée. Si vous pensez qu'elle peut attendre à l'année prochaine, faites en sorte que les fonds votés en 1842 ne soient pas perdus. Il faudrait les faire verser dans la caisse municipale. A cet effet il faut vous entendre avec Mr le Préfet qui s'arrangera en conséquence. Pour ce qui du mode d'exécution des travaux, liberté de manoeuvre. Nous ne sommes nullement partisans des adjudications et nous en avons fait quelques fâcheuses expériences.

Je vais bientôt partir pour ma tournée annuelle (1). Je ne


102 LETTRES DE MÉRIMÉE

pourrai pas je crois aller de votre côté. Je pense que je serai de retour à Paris en 7bre pour repartir en Octobre (2). Si je faisais quelque pointe de vos côtés je ne manquerais pas de vous en donner avis. Adieu mon cher Monsieur, mille amitiés et compliments.

Pr MÉRIMÉE.

(1) Mérimée partira vers le 26 août pour Lyon, Avignon, Arles et la Provence pour s'occuper principalement d'expropriations concernant le dégagement du théâtre antique d'Arles. Il est de retour à Paris avant le 24 août 1842.

(2) A la fin d'octobre, Mérimée fait un séjour à Provins. Le 2 novembre 1842, il adresse au ministre un rapport sur le « Cloître de l'hôpital général à Provins, autrefois abbaye des Cordeliers » (A. C. M. H. Lettres et rapports de Mérimée et Vitet, f° 125).

XXIII A LECOINTRE-DUPONT (.1)

Paris, 21 décembre 1842

MONSIEUR,

J'ai bien des excuses à vous faire pour répondre si tard à la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser. Si j'ai été lent à vous écrire, j'ai exécuté pourtant assez vile votre commission relative à l'église de Civray. Mr Lion (2) avait reçu de son côté des renseignements qui le tranquillisaient un peu. Il doit être au reste à Civray maintenant, sinon à Poitiers.

Je crois avoir déjà expliqué à Mr de Chergé la principale difficulté qui empêche le Mre de l'Intérieur d'accorder une allocation à la Société des Antiquaires de l'Ouest. Le fonds, dont il dispose d'après les rapports de la commission, est consacré à des travaux de réparations et la Cour des Comptes nous a déjà cherché querelle pour avoir donné quelque chose à des sociétés savantes, sous prétexte qu'elles


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 103

ne sont pas des monuments en ruines et que c'est à des ruines seulement que nos fonds appartiennent. Lorsque la commission sera réunie et qu'elle aura à s'occuper de la répartition de son budget, je ferai de mon mieux pour plaider votre cause, mais je ne vous cache pas, Monsieur, que j'ai peu d'espoir.

Le conseil Mal de Poitiers paraît décidément avoir pris en grippe le temple S* Jean. Mr de Chergé m'a envoyé une délibération dudit conseil qui me paraît par trop welche. Si comme M. le Mre de l'Intérieur en avait l'intention, il faisait exécuter des réparations au portail de Notre Dame, il serait peut-être à propos de profiter de cette occasion pour toucher ce conseil si sauvage, et l'engager à témoigner sa reconnaissance pour le secours du Ministre en vous ôtant la charge d'entretenir la toiture du temple S* Jean. J'ai fait inscrire l'église d'Almenèches (3) au nombre des monuments dont la commission s'occupera dans ses premières séances. Il serait à désirer qu'un plan et des dessins fussent joints au devis que vous m'avez envoyé. On a dû les demander, du Mère àMr le Préfet de l'Orne. Je trouve que le devis est un peu élevé. J'y vois 1.000 f. pour une porte et frais imprévus, les faux frais étant déjà comptés à 5 p. % dans les autres articles. Entre nous ce devis nie semble bâclé à la diable et ne m'inspire aucune confiance. J'espère que nous aurons du Préfet des renseignements meilleurs. Je parle de ceux que peuvent donner des architectes, caria notice que vous avez bien voulu m'envoyer est complète en ce qui regarde l'archéologie.

Veuillez agréer, Monsieur, l'assurance de la haute considération avec laquelle je suis votre très humble et très

obéissant serviteur,

Pr MÉRIMÉE.

(1) Cette lettre (ainsi que celles du 16 avril 1849 et du 6 juin 1849) a paru en partie dans l'ouvrage de M. de La Marsonnière : Biographie de M. Lecointre-Dupont, Poitiers, Oudin . S89.


104 LETTRES DE MÉRIMÉE

(2) L'architecte Lion s'occupait de la dépose de la façade de Civray qui donna lieu à des protestations : « Toutes les pièces du portail avaient été rassemblées dans un champ, écrivait Joly-Leterme en 1846 ; elles avaient été démolies pour être remontées par M. Lion qui se proposait d'en faire autant pour Notre-Dame de Poitiers. J'ai trouvé, pour tout renseignement, les pièces couchées depuis un an et plus par terre et un assez mauvais dessin représentant à peu près le portail de Civray. Avec cela, je l'ai reconstitué de mon mieux. » (Voir Congrès archéologique de France, 9e session, Angoulême, 1912, t. I, p. 123, cité par Paul Léon. Les Monuments historiques, Paris, Laurens, 1917.)

(3) Dans l'Orne.

XXIII bis

A M. DE CHERGÉ (1) ' .

11 mai 1843 MON CHER COLLÈGUE,

Croyez que je ne vous oublie pas. J'ai écrit à tous les archivistes paléographes etc. de ma connaissance (2). Jusqu'à présent je n'ai rien trouvé. Si je reçois quelques renseignements, je vous en ferai part aussitôt. Pour moi, je crois que vous descendez de L. Sergius Catilina. Votre prononciation poitevine a changé S en Ch, rien de plus fréquent, et gius en gé. Le caractère s'est conservé dans la famille.

Tout à vous.

P. M.

(1) Sur la provenance de cette lettre, voir Avertissement, p. 45.

(2) Chambon (Notes, p. 179, n. 1) signale une lettre de Mérimée à Letronne, du 5 mai 1843, relative à des recherches généalogiques sur la famille de Chergé.


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 105

XXIV ASEGRETAIN

MINISTERE DE L'INTÉRIEUR

Paris, le 4 juin 1843

MON CHER MONSIEUR,

Je vous remercié bien de la lettre (1) que vous m'adressez au sujet de S* Porchaire. J'espère que les ordres du ministre qui sont tels que vous les désirez arriveront à temps pour empêcher ce nouveau trait de vandalisme (2). Dans l'incertitude où nous nous trouvons sur la situation de la tour de S* Porchaire, nous avions d'abord songé à en sauver les pierres sculptées et à opérer le démontage au lieu de la démolition de la tour. Maintenant que nous avons votre témoignage et celui de M. Joly, nous pouvons ordonner la conservation. C'est ce que nous avons fait hier. Au moment où j'écris, le Préfet de la Vienne doit avoir reçu les instructions positives du Ministre.

Je vous remercie beaucoup de vos renseignements sur la façade de N. D. Je craignais fort le démontage. Si vous le jugez inutile, tout est pour le mieux.

J'apprends avec grand plaisir que votre santé est tout-à fait rétablie — Il faut qu'un de ces jours j'aille vous prendre pour faire quelque grande course.

Mille amitiés et compliments.

Pr MÉRIMÉE.

(1) Segretain écrivait en effet à Mérimée de Poitiers, 30 mai 1843, pour protester contre la destruction de la tour de Saint-Porchaire : « Monsieur et bien aimable général... parmi les trois cents ou quatre cents édifices de ce temps que je vois souvent, il n'en est pas un seul — un seul —


106 LETTRES DE MÉRIMÉE

qui ne soit dans un état bien plus fâcheux que celui-ci. Pouvez-vous quelque chose dans cette affaire 1 Je le désire, mais je crains que non. En tout cas j'ai voulu vous en parler à mon tour et vous engager à ne pas perdre un courrier si vous voulez agir. » (A. C. M. H, dossier SaintPorchaire.)

(2) Le 29 mai 1843, au cours d'une séance du Congrès archéologique de Poitiers, présidé par A. de Caumont, lecture d'un rapport de Segretain et d'un rapport de Joly-Leterme demandant le classement de la tour. Le 1er juin 1843, Duchatel avait donné l'ordre de suspendre la démolition et le 5 juin 1843 le conseil municipal de Poitiers décidait de surseoir à la démolition et d'assurer la conservation. (Voir aussi Lettres à Vitet, p. 71 et 72.)

XXV

A LOUIS DE LA SAUSSAYE (1)

14 juin 1843. MON CHER AMI, .

M. Duban architecte que bien vous connaissez de réputation se rend à Blois pour y étudier votre château et aviser aux moyens de le restaurer. Je vous le recommande comme mon ami et comme un homme digne d'apprécier vos mérites moraux et autres.

Tout à vous.

Pr MÉRIMÉE.

(1) Les lettres à Louis de La Saussaye font partie de la collection du comte A. de Suzanet.


AUX ANTIQUAIRES DE 1,'OUEST 107

XXVI A CLERGET (1)

29 septembre 1843. MONSIEUR,

Malgré tout le désir qu'aurait la Commission de donner une prompte solution à la question de l'emplacement sur lequel doit être reconstruit l'arc de Saintes (2), elle est obligée encore de suspendre sa détermination et de vous demander de nouveaux renseignements.

La Commission, en approuvant le projet de Mr Lion, de reporter l'arc sur la pile qui touche au faubourg de S* Palaie, s'était préoccupée principalement de l'avantage qu'offrait cette situation pour présenter le monument sous un point de vue favorable. Si on le reconstruit sur ses anciennes fondations on ne pourra plus le voir d'une manière convenable que du côté du faubourg, puisque le parapet est à moins de deux mètres de la façade qui regardé la rivière. C'est là un très grave inconvénient. Si la dépense qu'entraînerait la reconstruction entière de la pile voisine, n'était pas très considérable, il me semble qu'il n'y aurait pas à hésiter. Mr Lion l'avait évaluée à 7000 f. et la commission avait souscrit à cette augmentation au devis primitif. En admettant que ses prévisions fussent-dépassées de 2 ou 3000 f., il y aurait encore avantage à suivre le premier projet. La commission pense d'ailleurs qu'en rebâtissant l'arc sur l'ancien emplacement, il serait probablement nécessaire de reprendre les fondations, car la pile qui le porte avait dû recevoir des réparations considérables dans le siècle dernier, réparations qui se sont trouvées insuffisantes comme le témoigne l'état actuel du monument.

En résumé, Monsieur, voici les conclusions où la Commis-


108 LETTRES DE MÉRIMÉE

sion s'est arrêtée et qu'elle me charge de vous communiquer : ■

Si les travaux de consolidationde la pile qui touche au faubourg de S* Palaie, ne doivent pas dépasser une somme de 10000 f. c'est sur cette pile que vous devrez reconstruire l'arc, et vous pourrez dès à présent faire commencer les travaux.

Dans le cas contraire, veuillez donner un apperçu de la dépense et sur votre devis elle prendra une décision.

Oserais-je Mr vous demander un avis tout personnel. Pourriez vous pendant votre séjour à Saintes perdre une heure à copier sept à huit inscriptions ou fragments d'inscriptions qui se trouvent au Musée de Saintes, c à. d. dans une remise de la Mairie. Je vous demanderais encore de vouloir bien indiquer en deux mots si les Inss. sont sur du marbre ou de la pierre, sur une stèle, sur une dalle, si un bas-relief les accompagne, et quel en est le sujet. Les notes que j'avais prises il y a quelques années se sont perdues et les copies de ces inscriptions telles que les donne Bourignon (3) sont si défectueuses qu'il n'y a aucun parti à en tirer. Agréez, Monsieur, etc.

(1) A. C. M. H. (Dossier Saintes).

(2) Sur la question de l'arc romain de Saintes, voir Lettres à Vitet, passim. — Le 31 mai 1843 (cf. Bull, archéol., II, 672), « Victor Hugo annonce des propositions relatives à l'Arc romain de Saintes dont l'existence paraît compromise ».

(3) François Marie Bourignon, médecin et antiquaire, né à Saintes en 1753, mort en 1796. L'ouvrage auquel Mérimée fait allusion est sans doute le suivant : Recherches topographiques militaires et critiques sur les antiquités gauloises et romaines de la province de Saintonge. (Saintes, 1800, in-4°.)


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 109

XXVII A SEGRETAIN

Paris, 30 octobre 1843. MON CHER MONSIEUR,

C'est un peu naïf à vous de prendre pour officielle une lettre confidentielle de votre serviteur, et encore plus naïf de demander permission pour une adjudication. Je vous donnais le conseil d'échapper à la loi par un subterfuge très usité et très toléré, mais il ne faut pas avoir l'air de violer les lois, pas plus que les femmes. Je-donnerai d'ailleurs votre lettre à Grille pour qu'il arrange les choses à votre satisfaction (1).

Vous me parlez de S* Front. Hélas ! nous ne pouvons rien pour cette belle église. Elle appartient aux vandales, c. à. d. au Ministère des Cultes. Il l'a déjà passablement maltraitée, badigeonnée, grattée. Dieu sait quel sort il lui réserve.

J'ai passé mon été dans l'Est. J'ai vu d'assez curieuses choses, mais peu de belles. En fait de curieuses, j'ai eu le bonheur de déterrer une grande église que je crois du vme ou ixe siècle. Déterrer est le mot, elle est six pieds en contrebas du sol de la rue (2).

Le maire de Poitiers avait nommé une Grande commission composée des mêmes ânes bâtés qui avaient condamné S* Porchaire, et qui l'ont recondamné. Nous avons répondu que votre témoignage et celui de M. Joly nous suffisant, nous n'avions que faire de leurs observations. Nous payerons tout pour les faire enrager. J'ai bien peur qu'ils ne cherchent à jouer quelque coup de Jarnac à M. Joly dans ses travaux, et je l'engage à avoir bon pied bon oeil.

Adieu mon cher Monsieur, je suis de retour à Paris de-


110 LETTRES DE MÉRIMÉE

puis assez peu de temps, et j'y resterai je pense tout l'hiver. Je n'ai pas besoin de vous dire de disposer de moi. Mille amitiés et compliments.

Pr MÉRIMÉE.

M) Cf. Lettres et rapports de Segretain sur les travaux exécutés à Airvault(27 octobre 1843). (A. C. M. H. Dossier Airvault.)

Il s'agit d'isoler l'église d'Airvault. Une somme de 8.000 fr. demandée à cet effet est refusée par la commune d'Airvault.

(Délibération du Conseil municipal du .5 novembre 1843.)

Rapport de Mérimée du 24 mai 1844. (Ibid.)

(2) Enaoùt 1843 revenant du Jura et du Doubs, Mérimée avait découvert la basilique de Vignory dans la Haute-Marne. Sur ce voyage, voir Lettres à Vitet, p. LXV et 67, 68.

XXVIII

A M. DE CHERGÉ

MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR.

22 mars 1844.

MONSIEUR ET CHER CONFRÈRE,

Je vous remercie beaucoup de l'intérêt que vous avez bien voulu prendre à ma nomination (1). C'est un beau quine, dont la joie est un peu altérée par l'obligation du discours qui me pend à l'oreille.

Le voyage dans le midi dont vous me parlez, est épuisé (2) et il me serait impossible de vous-en envoyer un exemplaire. Un libraire de mes amis parlait l'autre jour d'en faire une n,le édition. Dans ce cas qui me paraît toujours douteux, je serais très charmé de vous offrir mon faible hommage.

Quant aux monuments de la Vienne, vous connaissez ceux qui sont classés, par le rapport au Mre qui vous a été envoyé (3). Je ne sache pas que d'autres édifices aient été ajoutés à cette liste.

Les allocations ne sont pas entièrement votées. Il nous


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 111

faut un complément de rapport de M. Joly. Charroux, Civray, S* Savin, S* Maurice de Gençay auront leur part. Je ne puis maintenant vous dire quelle est cette part. A la fin de notre session vous aurez ce résumé. Je crains qu'on ne soit fort peu généreux pour le dépt de la Vienne qui nous traite mal. Votre Conseil gal est vandale, nous trouvons dans d'autres dépts en Normandie et même dans le midi un concours très empressé, et comme nous ne pouvons ni ne devons tout faire, nous serons probablement forcés d'ajourner nos secours pour Notre Dame, etc. Je ferai cep* tous mes efforts pour plaider la cause de vos monts.

Adieu, mon cher Confrère, agréez l'expression de tous mes sentiments dévoués. Pr MÉRIMÉE.

(1) Mérimée avait été élu à l'Académie française le 14 mars 1844.

(2) Il s'agit des Notes d'un Voyage dans le Midi de la France, Paris, Fournier, 1835 (parues le24 juillet 1835). Cet ouvrage n'a jamais étéréimprimé ; il en existe une contrefaçon belge, Bruxelles, Louis Hauman et C1", 1835.

(3) Monuments historiques. Rapport au Ministre de l'Intérieur, Paris, Didot, 1843, signé de Mérimée.

XXIX

A M. DE CHERGÉ

MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR.

MON CHER PRÉSIDENT,

J'ai absolument oublié l'affaire des médailles philharmoniques (1) et je ne doute pas que vous n'ayiez raison. Le malheur c'est que je ne vous ai pas compris ou que je vous ai mal lu. Quant aux 500 f. pour la Société des Antiquaires, ils sont ordonnancés.

Mille amitiés et compliments. Pr M.

19 juillet 1844.

(1) Nous ignorons de quoi il s'agit ici.


112 LETTRES DE MÉRIMÉE

XXX

A SEGRETAIN

Saintes, 13 septembre au soir [1844].

MON CHER MONSIEUR,

Je partirai d'ici (où il ne fait guère bon pour moi, je vous dirai pourquoi) dimanche matin 15 (1). Je voudrais bien repartir lundi avec vous pour Parthenay. SiM.de SaintGeorges (2) tenait à me donner à dîner tâchez de négocier l'affaire pour dimanche. Je pense être à Niort vers 5 heures. Sinon j'irai le voir le soir ce qui m'arrangera parfaitement. Je vous remercie bien de votre offre hospitalière, mais j'ai fort à écrire et je ne ferais rien que babiller, si j'étais chez vous, ainsi ne comptez pas sur moi. Votre lettre recommandée au S. Préfet ne m'est arrivée qu'aujourd'hui, trop tard pour y répondre par le retour du courrier. Voici comme. Le sous Préfet partait, il a remis la lettre àMr Sourie f?] qui partait aussi et l'a remise à un concierge. Il en est résulté qu'il m'a fallu attendre le retour du S. Préfet pour savoir où la prendre.

Adieu, mon cher Monsieur, mille amitiés et compliments.

Pr MÉRIMÉE.

Saintes, 13 septembre' au soir.

(1) Allusion à l'affaire de l'Arc romain de Saintes et des démêlés épiques de Mérimée avec les commerçants du faubourg de Saint-Palaye. Mérimée rejoint Segretain à Niort, le dimanche 15 sept. Cf. Lettres à Vitet, p. 115 et suiv.

(2) M. Vernoy de Saint-Georges, Préfet à Niort.


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 113

XXXI

A LOUIS DE LA SAUSSAYE

Poitiers, le 20 septembre 1844 (cachet postal du 23 septembre 44).

MONSIEUR ET CHER CANDIDAT,

Si vous êtes le 24 ou le 25 à Blois j'aurai celui de vous y voir avec Mr Duban, et si vous êtes un candidat vraiment digne de ce nom, vous nous ferez boire non des vins que vous vendez mais de celui que vous achetez. Vous devriez encore me commander une paire de fortes de Blois. Ce ne sont pas des bottes fortes que je veux dire. Comment vont vos affaires ? Le Laboulaie est-il arrivé ? Le Rochette est-il parti ? Vous me direz tout cela la semaine prochaine, soit à Blois, soit à Paris où je serai vers le 27 ou le 28. Adieu, pissez toujours de même et si vous voyez encore un homme infâme nommé Saulcy, faites-lui mes compliments et engagez-le à se réformer sur l'article gueuse. Un officier d'artillerie ne doit connaître que celles de fer.

Pr M. Monsieur de la Saussaie,

38, rue des Sainls-Pères.

XXXII A LUDOVIC VITET

Loches, 24 septembre 1844 (1).

MON CHER PRÉSIDENT,

J'ai trouvé l'église d'Airvault en bon état. Les réparations ont été parfaitement exécutées. On n'a rien fait que


114 LETTRES DE MÉRIMÉE

d'utile et il n'y a pas un sou de la dépense à regretter. Depuis que la toiture a été complètement changée et que les fenêtres de la nef sont débouchées, l'église n'est plus reconnaissable. Les chapiteaux ont été décrassés avec beaucoup de soin, ils sont magnifiques. Il y avait seize couches de badigeon sur la plus belle pierre du monde. A ce propos je vous dirai qu'on m'a fait faire cette année une observation curieuse sur la différence de style entre la sculpture du Poitou et celle de la Saintonge. La première a du relief et lorsqu'elle est barbare de forme elle est toujours élégante et d'un bon effet pittoresque. En Saintonge au contraire, la sculpture est invariablement d'un très bas relief. Les ornements et surtout les figures sont découpées carrément, jamais modelées, et d'ordinaire d'un goût très médiocre. On m"a fait voir dans le département de la Charente inférieure^ l'église d'un petit village dont les modillons étaient d'un goût charmant, et ce village enclavé dans la Saintonge dépendait autrefois du Poitou. Pour revenir à Airvault ne croyez pas en être quitte. Vous savez que l'on n'en finit jamais avec ces immenses églises là. La flèche qui est très élevée se ronge par le bout. On ne l'a encore examinée qu'au travers d'une lunette. Pour s'assurer de sa situation il faudrait des échaffauds très coûteux. La lunette fait présumer que d'ici à peu de temps il faudra remplacer beaucoup de pierres, boucher des crevasses etc. Il y a quelque chose de plus allarmant, c'est l'éiat d'une des trompes qui s'est lézardée horriblement. Mr Segretain a fait mettre du plâtre sur la lézarde qui n'a pas augmenté sensiblement. Toutefois, il croit prudent de placer des tirants en fer pour prévenir une catastrophe, possible, sinon probable,. Préparez-vous donc à une prochaine demande de secours.

Les réparations de S' Généroux m'ont paru également satisfaisantes. J'ai demandé cependant une correction à nne moulure que les ouvriers ont un peu trop classiquement arrondie. Quelques coups de ripe lui rendront la barbarie


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 115

qui brille dans tout ce qui reste de l'ornementation originale. St Généroux est évidemment une copie du temple St Jean à Poitiers. On s'est borné à faire le plus pressé. Dégager l'apside enterrée de trois mètres, en refaire la voûte, remplacer les portions de moulures et d'appareil détruits etc. Mais voici un accident qu'on ne pouvait prévoir. Si vous n'avez pas sous la main le plan de l'église, ce croquis vous suffira.

Les deux piliers A étaient couverts d'un enduit de mortier tout crevassé et de couches de badigeon au moins aussi épaisses. En voulant remplacer le crépissage, on s'est apperçu que les piliers susdits n'étaient construits qu'en pierrailles, à moitié écrasées, que le mortier qui les unissait n'avait plus de consistance et que tout cela pouvait tomber d'un jour à l'autre. Il est arrivé à St Généroux exactement ce qui est arrivé au pilier de N. D. à Etampes. Mr Segretain a fait étayer, et comme il y a urgence, il fait remplacer les moellons détruits par de la pierre dure. Ce sera une affaire de cinq ou six cents francs, qu'on ne peut refuser, mais qu'on peut reporter sur Tannée prochaine. J'ai observé encore que l'ornementation très curieuse de la nef de St Généroux était dans un état pitoyable. Dans dix ans, si l'on n'y met ordre, il n'en restera pas vestiges. Aujourd'hui on peut très facilement remplacer des portions de moulures, reficher des portions de mosaïque qui vont tomber, enfin reproduire très exactement la décoration primitive. J'ai demandé un devis, et la commission jugera s'il y a lieu d'accorder des fonds.

St Jouin, très fameuse abbaye de Bénédictins, à deux lieues d'Airvault absorberait à elle seule tout notre budget si nous entreprenions de la restaurer. Nous avons plombé


116 LETTRES DE MÉRIMÉE

les murs latéraux, Ils ont un surplomb d'environ 7 centimètres par mètre. Chose étrange, les voûtes sont à peine lézardées. Il semble que le surplomb des murs soit l'effet d'un affaissement du terrain arrivé au moment de la construction, et qui n'a que peu augmenté depuis. Mais en admettant que les murs persistent dans leur position oblique, il y a cent autres causes de destruction. Point de toitures, des terres amoncelées autour du chevet qui le tiennent dans une humidité constante ; une forêt sur toutes les moulures saillantes, enfin la maladie du pays, c. à d. l'efflorescence des pierres sur toute la façade et tout le côté sud. Cette façade du 12e siècle est admirable. C'est un grand bas relief de cent pieds. Quant à l'intérieur de l'église c'est un mélange de restaurations de toutes les époques, qui ont altéré de la manière la plus fâcheuse la disposition primitive. Que faire ? Si l'on veut restaurer, c'est à n'en pas finir. Peut-être est-ce une reconstruction qui résultera de la tentative. Je serai assez d'avis de laisser mourir St Jouin de sa belle mort, mais pour adoucir ses dernières années, j'ai chargé M 1' Segretain de faire couper les arbres du voisin plantés contre les murs du chevet ; puis, je l'ai prié d'étudier la situation et de nous dire à combien s'élèverait le nettoyage de la façade, et les réparations les plus urgentes de la toiture. Après avoir fait cela nous pourrons avoir la conscience aussi légère que Ponce Pilate quand il se lave les mains.

Je ne vous parlerai pas de la magnifique église de Parthenay-le-\'ieux qui sert de magasin à foin, et que la ville de Parthénay loue à des fermiers. L'église est en assez bon état, mais il serait bien à désirer qu'on la rendît au culte. J'ai fait quelques tentatives dans ce sens auprès de Mgr de Poitiers.

J'ai repassé par St-Savin où je suis demeuré deux jours. Les colonnes astiquées, ont pris une teinte admirable, et quand on aura achevé de les bouchonner, elles pourront


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 117

mystifier les antiquaires les plus durs à cuire. Les saints qui m'avaient fait un si grand mal au coeur, ont été remplacés dans la voûte du choeur, par un semis de croix et de rosaces copié sur celui de la crypte de Chartres. L'effet est très bon et cela a le mérite de n'avoir aucune prétention. Depuis le frottage des colonnes, les peintures anciennes semblent avoir repris du ton et être rajeunies. Enfin le mal n'existe plus, ou plutôt dans huit jours on aura fini d'astiquer, et nous pourrons défier les critiques. Restera la carte que Mr Joly doit nous envoyer sous quinze jours, augmentée de plusieurs articles que je lui ai demandés.

1° Réparations urgentes aux clochetons de la flèche.

2° Débouchage de l'arc entre la tour et la nef, opération qui rétablira la communication qui existait autrefois entre la dite nef, et une vaste salle au premier étage de la tour. Par suite de ce débouchage (ou débouchement), il faudra chaîner l'archivolte qui parait cruellement lézardée.

3° Chaînage au mur du transept Nord.

4° Réparations légères au clocher central et au beffroi qui en compromet la solidité.

Dans le trouble où j'étais lors de ma lre visite à StSavin, je ne vous ai pas parlé des peintures que l'on a fait sortir de dessous le badigeon. Celles de la tour sont admirables et du plus grand style. Malheureusement elles ont fort souffert.

Cependant j'ai reconnu presque tousles sujets, tirés delà Passion. Sur l'arc doubleau qui divise la voûte de la tour et se prolonge en contrefort intérieur, il y a huit figures d'évêques en pied, parmi lesquels j'ai lu les noms de Gelasius et de Fortunat. Sur le mur ouest, à l'intérieur de la nef, il y a une vierge du xme siècle, très bien conservée et très différente pour le caractère des autres peintures. Dans le transept sud, un grand St Christophe du xive ou du xve, fort avarié ; enfin dans les chapelles du coeur, un St Nicolas et quantité d'anges et de saints, sont encore visibles à l'oeil d'un anti-


118 LETTRES DE MÉRIMÉE

quaire et plusieurs à l'oeil d'un bourgeois. Ce qu'il y a de curieux, c'est que sous l'enduit qui porte les fresques du xie ou xne siècle, on voit les restes d'autres peintures plus anciennes appliquées sur le mur sud. Dans la chapelle de St Marin on voit des peintures sur pierre, recouvertes de fresques, lesquelles ont été recouvertes elles-mêmes de peintures à la colle du xvie ou xvne siècle, par dessus lesquelles il y avait un badigeon.

J'ai demandé qu'on laissât tout cela dans le statu quo pour la plus grande édification des archéologues. Dans la grande salle de la tour on remarque que des moulures ont été taillées, puis revêtues de mortier pour recevoir des fresques. Je suis fort embarrassé pour assigner des dates à tout cela.

Le curé de St Savin est furieux. Il ne me pardonne pas d'avoir fait démolir le père éternel et son coq, encore moins de ternir ses colonnes (2). Il n'a pas voulu me voir. Je pense que je dois à ses prières la pluie battante qui me poursuit depuis trois jours.

On a fait quelques travaux à Loches, fort tristes. Nous ne les avons pas payés grâce à Dieu. C'est un autel gothique abominable; cela est moins grave parce qu'on l'a fait dans un collatéral moderne. Ce qui est plus fâcheux c'est une réparation des petits passages de la nef au choeur. Un sculpteur du pays a copié à sa manière les ornements du xie siècle. Cela fend le coeur et il n'y a plus de remède.

On a fait aussi des réparations à la tour St Antoine. Elles ont été payées- par nous et dirigées convenablement par Mr Vestier. On dit qu'il est fort capable de mener à bien celles de St Ours.

Enfin le département a fait aussi remplacer quelques

pierres dans le château qui sert de sous Préfecture. Quand

nous aurons de l'argent à n'en savoir que faire (3), ce serait

une assez jolie restauration à entreprendre que celle de ce

..château. " '


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 119

Adieu, mon cher Président, je vais demain à Blois, et j'espère à la fin de la semaine vous trouver à Paris 1.

P^ M.

(1) Original : Mérimée et Vitet. Lettres et Rapports. A. C. M. H. f. 155 H. àl55K.

(2) Voir Lettresde Mérimée à Vitet, Poitiers, 3 septembre 1844 (p. 104).

(3) Réminiscence de la première phrase du Simple discours à l'occasion d'une souscription pour l'acquisition de Chambord, deP.-L. Courier.

« Si nous avions de l'argent à n'en savoir que faire, toutes nos dettes payées, nos chemins réparés, nos pauvres soulagés, notre église d'abord (car Dieu passe avant tout) pavée, recouverte et vitrée... »

XXXIII A M. DE CHERGÉ

Mon cher Président, j'ai reçu votre lettre, mais je ne puis dire, suivant la formule arabe, que je l'ai parfaitement comprise. Je laisse les énigmes trop fortes pour moi et je réponds aux questions. Mr Rédet m'a renvoyé mes notes avec quelques mots de sa main. Je lui demandais quelque chose de plus, mais cela me suffira (1). Je vous ai déjà écrit au sujet de l'affaire de Châtillon (2), ce que l'on avait fait. Je n'en sais rien de plus, mais je vais la rappeler au bureau. Vous demandiez l'impossible pour la bibliothèque de Poitiers. Quel moyen avait le Ministre de refuser les candidats du maire?

Au sujet de N. D. de Poitiers, nous n?avons encore rien reçu de Joly.

Nous ne connaissons pas davantage le devis de 50.000 Fr. pour St Savin, et j'ignore où nous trouverons cet argent là.

La commission demande au Ministre la franchise pour les correspondants ; pour votre cas particulier, elle présente une difficulté particulière, car il s'agit de l'étendre à deux départements ce qui est contre tous les us et coutumes.


120 LETTRES DE MÉRIMÉE

Adieu, mon cher Président, je suis accablé de tracas, mon directeur est malade (3), et je lui cherche un remplaçant. Je ne sais si je serai reçu demain ou l'année prochaine.

PrM. 5 Février 1845.

(1) Rédet, archiviste de la Préfecture de la Vienne, avait « indiqué à Mérimée des documents curieux » pour sa notice sur Saint-Savin. Cf- Etudes sur les Arts au Moyen Age, p. 60, note 1.

(2) Châtillon-sur-Indre (Indre). .

(3) Etienne, qui devait recevoir Mérimée à l'Académie française, était malade et fit lire son discours le 6 février 1845. Il mourut d'ailleurs le mois suivant.

XXXIV

A LECOINTRE-DUPONT

[vers le 1er juin 1845 ] MONSIEUB,

Vous avez été mal informé je pense au sujet de la crypte de St Eutrope(l). Les réparations de cet édifice sont confiées à M. Clergetl'un de nos plus habiles architectes, et de sa part vous n'avez à craindre aucune inquiétude. D'ailleurs il n'est pas question de réparer la crypte. Il s'agit en ce moment de redresser le clocher, et les fonds sont à peine suffisants pour cette opération.

Quant à l'arc de Saintes on a fort exagéré la situation. Vous savez sans doute que par suite de la construction d'un pont il a fallu le démolir. Quelques difficultés sont survenues au sujet de l'emplacement sur lequel il devait être rétabli. Puis lorsque les travaux ont commencé, de nouvelles diffieultées se sont présentées pour établir les fondations. D'après les sondages faits lors de la construction du pont nouveau en aval de l'arc, on avait calculé qu'on rencontrerait à 12 mètres un terrain solide. Contre toute pro-


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 121

habilité, les pilotis ont été enfoncés à 18 m. sans trouver le roc. Il est résulté naturellement des retards, .augmentés encore par des crues considérables de la Charente. Les travaux seront repris aussitôt que l'état de la rivière le permettra. Toutes les mesures ont été prises d'ailleurs p8ur que les débris de l'arc ne se dégradent pas — et quant aux moyens de reconnaissance, c'est juger un peu légèrement l'architecte que de supposer qu'il soit embarrassé pour reconstruire ce monument.

Une allocation considérable a été accordée à Notre-Dame, mais si le Mere de l'Intérieur ne trouve pas plus de concours dans la fabrique et le conseil Mal de Poitiers, il lui sera impossible de se charger seul de cette restauration.

Veuillez nous envoyer un devis et des plans pour Jazeneuil (2). Il serait impossible de rien donner cette année, mais peut être pourrait-on accorder quelque chose l'année prochaine. .

Veuillez agréer, Monsieur, l'assurance de la haute considération avec laquelle j'ai l'honneur d'être votre très humble et obéissant serviteur.

Pr MÉRIMÉE.

Monsieur Lecoinlre Dupont, Président de la Société des Antiquaires de l'Ouest,

à Poitiers. '

(1) Of. Lettres à Vitet, p. 121, 122, 125, 126. Plus tard, à la séance générale de la Société Française, tenue le 14 mars 1850, l'abbé La Curie se plaindra amèrement de la restauration de l'Arc de triomphe de Saintes: « . . Le nouvel édifice... n'aura rien conservé de sa physionomie première. Le voici monté jusqu'aux assises... et jusqu'à ce jour on y a fait entrer cinq pierres de l'ancien édifice, le reste est entièrement neuf. M. Mérimée, à son dernier voyage à Saintes en septembre dernier, a gourmande l'entrepreneur de n'y avoir pas mis assez de pierres neuves... Les gens sensés... se proposent de faire graver sur une plaque de marbre les noms de M. M. du Comité des monuments historiques, pour faire passer à la postérité la honte qui doit s'attacher à une entreprise aussi peu sensée de la part de ceux qui se disent les conservateurs de nos monuments... » Bulletin monumental, 2e série, XVI, p. 24 à 26(2)

26(2) Lusignan (Vienne).


122 LETTRES DE MÉRIMÉE

XXXV

A M. DE CHÉRGÉ

MINISTÈRE; DR L'INTÉRIEUR.

Paris, le 12 octobre 184 [5 ?]

MON CHER PRÉSIDENT,

Il me sera bien difficile de faire ce que vous me demandiez. Je ne vois pas Mr Dn (1) habituellement. Nous n'avons que de bons rapports ensemble, mais à cause de mon gouvernement auquel il est souvent hostile, je suis obligé d'être avec lui un peu in contegno. De plus si j'allais le voir, ii est peu probable que j'en obtinsse un aveu. Je me suis adressé à quelqu'un qui le voit plus souvent et est plus intimement avec lui. Je l'ai chargé de la négociation. Malheureusement je ne puis vous promettre que l'affaire soit éclaireie pour le terme que vous fixez. M. D 11 vit fort en ours et suivant ce qu'on m'a dit, il se pourrait fort qu'il n'eut inséré qu'un article anonyme communiqué. Jamais il ne se met en peine de vérifier les correspondances qui lui plaisent à quelque titre qne ce soit.

Vous verrez, mon cher P* que le ministre de l'Inst 0" publique a très gracieusement décidé que la société des antiquaires aurait les peintures de S* Savin, et que M. de Chergé en recevrait un antre exemplaire. Voilà ce qu'on m'a dit dans les bureaux il y a quelques jours. Si cela n'est pas encore officiel n'en parlez pas.

En passant à S* Savin, faites frotter activement. Il faut que les saints nouveaux soient traités comme les portraits de Cassïns.

Mo Mîmffîs euùnebant quod non visebantur (2).

Mille amitiés et compliments.

P' 1 MÉRIMÉE.

12 oetre.


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 123

Grille vous a répondu. On a fait ce que vous vouliez pour Châtillon.

(1) Il s'agit probablement de Didron, Directeur des Annales archéologiques, et avec lequel Mérimée était fréquemment en opposition.

(2) On trouve dans Tacite, Annales, III,76: « Sed proefulgebant Cassius atque Brutus eo ipso quod effigies eorum non visebantur s. Tacite parle des funérailles de Junie, nièce de Caton, épouse de C. Cassius, soeur de Brutus. Mérimée doit citer de mémoire.

XXXVI A JOLY-LETERME

MINISTERE DE L INTERIEUR

Paris, le 11 août 1847.

Mon cher ami, on écrit à Mr le Préfet de la Vienne (I) pour l'affaire du Palais de Justice, dans le sens que nous avons dit.

Veuillez m'envoyer le plutôt que vous pourrez les silex trouvés près de Charroux (2).

A ce propos Chergé demande avec beaucoup d'instance où en sont les travaux ?

t. à v. Pr M.

(1) L'affaire du Palais de Justice de Poitiers avait commencé en 1845. Voir Lettres à Vitet, passim.

(2) « M. Brouillet, notaire à Charroux, et M. Joty, architecte, chargés de la restauration de l'église Saint-Nicolas de Civray, ont reconnu que lès parois, l'aire et la couverture d'une vaste grotte de cette commune, grotte située sur le bord de la Charente, sont formées en partie, d'une agglomération de galets siliceux, de grès, de quartz, de calcaires roulés, dont plusieurs paraissent avoir subi l'action d'une forte chaleur. A. ces pierres informes sont mêlés, sans ordre, de nombreux fragments de couteaux, de pointes de glaives et de flèches en silex blond, les uns bien taillés et affilés, d'autres seulement ébauchés et dégrossis, puis des charbons, des ossements en grand nombre, dont quelques-uns ont évidemment été aiguisés de main d'homme. Le tout forme une masse compacte reliée par un ciment calcaire.

« La Société possède plusieurs de ces fragments de couteaux, qui lui ont été offerts, il y a quelques années, par M. Brouillet. »

Bulletin Soc. Ant. de l'Ouest, 4e trimestre 1848, V, p. 315. (Voir sur cette question : G. Chauvet, « Grottes du Chaffaud », dans Mém. Soc. Ant. Ouest, année 1918, p. 1-176.)


124 LETTRES DE MÉRIMÉE

XXXVII A JOLY-LETERME

3 décembre 1847. Mon cher Monsieur Joly,

Il me semble que les pièces justificatives sont indispensables pour l'intelligence du Mémoire. Envoyez-les moi, si les couteaux sont encore attachés au poudingue. Je montrerai le tout à Elie de Beaumont qui m'en dira son avis en particulier avant que nous fassions une communication officielle. J'ai étési occupé depuis huit à dix jours que je n'ai pu vous écrire plutôt.

Mille amitiés et compliments.

Pr MÉRIMÉE. 3 Xbre 1847.

XXXVIII A JOLY-LETERME

MINISTÈRE DE L'iNTÉRIÉUR.

Paris, le 29 Xbre 1847.

Mon cher ami, envoyez moi donc vos pierres.'J'ai montré votre mémoire à Elie de Beaumont. Il dit qu'il ne peut rien conclure jusqu'après avoir vu les pièces justificatives. Il y a une commission à l'Académie des sciences chargée de l'examen de faits semblables à celui que vous rapportez. Il serait important d'envoyer au plutôt à cette commission votre mémoire et vos pierres, t. à v.

Pr M.


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 125

XXXIX

A JOLY-LETERME

1er mars 1848.

Mon cher ami, votre lettre m'a fait un sensible plaisir. Dans un temps comme celui-ci on est heureux de sentir qu'on a une place dans un bon coeur comme le vôtre. Rien jusqu'ici n'a été changé dans ma position. Mais la garderaije, c'est une question qu'un prophète peut résoudre seul. Je n'ai pas à me reprocher d'avoir fait restaurer des églises indignes, à la recommandation des ventrus, et je n'ai jamais su même le nom du député de S4 Savin. S'il faut quitter la place, j'en serai fâché comme quelqu'un à qui l'on ôte son dîner, et je tâcherai de gagner mon pain de mon mieux. Voilà pour moi. Quant à nos monumens, le Ministre de l'Intérieur, qui dit-on aime les arts, ne peut les abandonner. Je lui ai adressé une note dans laquelle je le prie de rassurer les entrepreneurs et les ouvriers employés dans des restaurations en cours d'exécution. Je ne doute pas qu'elle ne soit bien accueillie. La Commission a tenu une séance depuis la révolution, et a présenté au Ministre une série de propositions. Il serait possible après tout que l'on nous donnât des ressources extraordinaires — nos monuments en ont grand besoin — et ce ne serait pas un mauvais —moyen pour occuper le grand nombre d'ouvriers que la stagnation des affaires peut amener des provinces à Paris (1). Dès que j'aurai quelques nouvelles, je vous en ferai part.

Le colonel Jacquemin (2) m'a envoyé un mémoire que j'ai lu et annoté. Je le tiens toujours à sa disposition.

Adieu mon cher ami, portez-vous bien et empêchez le désordre. C'est le cri de toute la République aujourd'hui.

P^M.


126 LETTRES DE MÉRIMÉE

P. S- — Vous avez reçu de l'Académie des sciences une lettre au sujet de vos fossiles. C'est ce qui m'a empêché de vous écrire. Il y a une commission nommée pour examiner votre mémoire et d'autres de même nature.

1." mars 1848.

(1) Le 25 mai 1848 Mérimée écrivait au directeur des Beaux-Arts et lui adressait un rapport demandant qu'on occupât les ouvriers, tailleurs de pierre, sculpteurs, maçons, etc. à la réparation des monuments historiques : « Toute cette classe nombreuse d'ouvriers, dit-il, trouvera dans de tels travaux non seulement des moyens d'existence, mais des occasions de s'instruire et de se perfectionner ». Voir Chambon, Notes sur P. Mérimée, p. 247-248.

(2) Jacquemin (François-Maxime), né à Tours le 1er août 1795, mort dans cette même ville le 6 juillet 1863, était à l'Ecole de cavalerie de Saumur depuis le 22 juin 1845. Il en fut nommé commandant en second, le 31 mai 1848 (communiqué par M. le Colonel Savette). Nous ignorons ce qu'était le mémoire dont parle Mérimée.

XL A JOLY-LETERME

MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR.

Paris, le 11 mars 1848.

Mon cher ami, je viens de recevoir votre lettre et je ne perds pas de temps pour y répondre. Vous êtes bien de votre pays, d'avoir attendu si longtemps et de n'avoir fait jusqu'à présent aucune réclamation. Maintenant que les exercices sont clos, il me paraît presque impossible de revenir sur le passé, surtout en ce moment où toutes les questions financières sont nécessairement l'objet de plus de sévérité que par le passé. Je ne vois que l'exercice de 1.847 qui n'est point encore clos, sur lequel vous pouvez adresser vos réclamations qui d'ailleurs sont parfaitement fondées et que la commission appuiera de tous ses efforts. Pour les exercices antérieurs réclamez encore. Je crois que vous n'avez guère


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 127

d'espoir de succès; cependant, votre bonne foi est si évidente qu'il faut que votre désintéressement soit connu. Je vous engage donc à écrire officiellement au Ministre ; nous ferons un rapport sur votre lettre, et il en sera ce qu'il en sera. Il serait bien à désirer que tout le monde vous ressemblât mon cher Joly ; mais vous êtes un homme d'un autre temps et vous êtes trop galant homme pour le xixe siècle.

Quant à 1847, je crois qu'il n'y a rien de plus facile, mais il faut que vous réclamiez officiellement vos honoraires. t. à v.

Pr'M.

XLI A M. DE CHÉRGÉ

MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR,

Paris, le 7 juillet 1848.

Mon cher Président, on a supprimé notre bureau des Monuments historiques pour le réunir au bureau des beaux arts. Dans ce bouleversement qui nous fait le plus grand tort, il est plus difficile que jamais d'obtenir des signatures. L'ordonnancement de S* Savin attend depuis je ne sais combien dé jours. Je ne cesse de presser les employés nouveaux et les anciens. On me promet qu'aujourd'hui ce sera signé.

J'espère que nous parviendrons à déjouer le mauvais vouloir de votre C1Mal à l'endroit du temple S* Jean, mais vous ne vous sauriez vous faire une idée des difficultés de toute espèce que l'on rencontre maintenant pour les affaires les plus simples dans l'état de désorganisation de nos bureaux.

Mille amitiés et compliments.

P^M. 7 juillet 1848.


128 LETTRES DE MÉRIMÉE

XLII A JOLY-LETERME

22 juillet [1848]

Mon cher ami, vous aurez vu que l'on a inséré dans le bulletin de l'Académie des sciences la plus grande partie de votre mémoire (1). Mr Elie de Beaumont doit en faire un rapport verbal. Il m'a dit que le fait était curieux, mais qu'on n'en pouvait conclure l'existence d'arts antédiluviens, la grotte de Charroux appartenant à une époque géologique et à une formation qui n'est pas très ancienne. Je ne sais si je rends bien le sens de ses paroles, auxquelles j'entends peu de chose. De toutes façons il vous engage à continuer vos recherches et à recueillir là dessus tous les documents qui se présenteront à vos observations.

Notre bureau des Montsest fort désorganisé. On a renvoyé Courmont (2) sous prétexte d'économie. La common n'est pas encore organisée. Quant à votre serviteur il demeure toujours à son poste fort triste de voir qu'on n'a ni le temps ni la volonté de donner au service des Monuments le développement utile qu'il pourrait recevoir aujourd'hui. J'espère cependant qu'avec le temps nous nous ferons écouter et que nous pourrons faire un peu de bien. Mille amitiés et compliments.

Pr MÉRIMÉE.

(1) Le mémoire de Joly, présenté dans la séance du 17 janvier 1848, a paru dans les Comptes rendus de /'Académie des Sciences, t. XXVI, p. 99 : «Paléontologie, Notice sur des armes celtiques trouvées dans une caverne située au bord de la Charente, canton des Roches, commune de Savigné, par M. Jolly » [sic~\. '

(2) M. de Courmont, chef du bureau des Monuments historiques du Ministère de l'Intérieur et secrétaire de la Commission.


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 129

XLIII

A JOLY-LETERME

26 juillet [1848].

Mon cher ami, je viens de recevoir votre lettre du 24 qui m'afflige beaucoup. Elle a dû se croiser avec une de moi de samedi dernier 22 que je vous adressais sous le couvert du s. Préfet. L'avez-vous reçue ? Je rendais compte d'une conversation que j'ai eue avec Elie de Beaumont au sujet de votre mémoire qui a été inséré en partie dans le bulletin de l'Académie des Sciences. E. de B. m'a dit qu'il n'y avait pas dans la découverte des circonstances d'où l'on pût conclure l'excessive antiquité des objets fabriqués et que cela rentrait dans une série de faits curieux, mais d'où il ne résultait aucun argument nouveau sur l'existence antédiluvienne de l'homme. Les tracasseries dont vous me parlez ne me surprennent guères par le temps qui court (1). Tout ce que le pays renferme de canailles est déchaîné aujourd'hui contre les honnêtes gens. Mon avis est de résister jusqu'à la dernière extrémité et de ne se retirer que lorsqu'on vous chasse. Je me représente facilement tout ce qu'un caractère généreux et loyal doit souffrir surtout dans une petite ville où les frottements sont si fréquents et si rudes. Vous auriez tort pourtant de jeter le manche après la cognée. Il est impossible que cela dure longtemps, et il faudra que cette absurde désorganisation s'arrête sous peine d'emporter lesfous qui la dirigent. Je n'ai malheureusement nul pouvoir aux cultes, et je vois d'ailleurs que le défaut d'argent se fait sentir de ce côté aussi tristement que partout ailleurs. Croyez que s'il se fait quelques travaux de votre côté je dirai à la commission tout ce que je pense de vous et de votre façon de faire. LeDr gal des cultes me paraît galant homme.

9


.130 LETTRES DE MÉRIMÉE

Il écoute et a bonne envie de faire marcher son administration. Chez nous on a tout bouleversé. On a renvoyé Courmont qui était la cheville ouvrière de la Commission. La Com°n elle-même a été recomposée, pas trop mal il est vrai. Mais le Dr des Beaux arts n'entend pas grand chose à rien et ne travaille pas ou ne sait pas travailler. J'ai été souvent saisi d'un violent désir d'envoyer tout au diable et de chercher quelque moyen de gagner ma vie. Puis, je pense qu'il faudra tôt ou tard qu'on rétablisse l'ordre et j'attends. Notre bataillon n' a rien eu à faire dans les journées. J'ai couru Paris en amateur et j'ai vu assez d'horreurs pour prendre en grippe toutes les révolutions (2). Ce qu'il y a de plus affligeant c'est la bêtise et la lâcheté générales. Adieu, mille amitiés bien sincères.

P'M.'

(1) C'est ici le début des démêlés de Joly-Leterme avec Mgr d'Angers et l'architecte Duvêtre, dont il sera question dans les lettres qui suivent.

(2) Allusion aux journées de juin, Lettres à Mm 0 de Montijo, 28 juin 1848, I, p. 322, et Lettres à la Comtesse de Boigne, 27 juin 1848, p. 26.

XLIV A JOLY-LETERME

MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR

Paris, le 29 Xbre 1848

Mon cher ami, je vous écris deux mots à la hâte pour vous dire que l'affaire des cultes n'est pas encore complettement organisée. Viollet et moi nous avons chapitré nielle directeur et il nous a promis la cathédrale d'Angers pour vous. Je ne pense pas que financièrement parlant ce soit une affaire digne de vous. Cependant j'attache beaucoup de prix à ce que vous soyez compris dans la nouvelle organisation (1), parce que cela répond, je crois, au désir que vous


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 131

m'avez exprimé d'être bien posé vis-à-vis de vos autorités. Architecte de l'Iutérieur et des Cultes.il me semble que vous êtes en bonne posture. J'ai transmis votre lettre à Mr. Elie de Beaumont qui ne m'apasencore répondu. Dès que j'aurai de ses nouvelles je vous en donnerai avis.

Ma mère et moi nous allons comme l'on va dans ce temps ci, c'est-à-dire couci couça.

Mille amitiés et compliments. Pr M.

(1) La Commission des Arts et édifices religieux venait d'être instituée par un arrêté en date du 16 décembre 1848.

Cf. Lettre de Joly-Leterme au Directeur de l'adm. des cultes, 26 janvier 1849. Il le remercie de l'avoir proposé comme architecte des édifices diocésains pour le diocèse d'Angers et de Luçon. Il promet d'être zélé et attend: « Les instructions détaillées que m'annoncent votre lettre d'avis de ma nomination. » (Archives iVleB, Fls, 4545, Angers). Cette nomination devait faire l'objet de discussions entre l'administration des cultes et Monseigneur d'Angers qui soutenait la candidature de Duvêtre. (Lettres des 22 avril, 28 avril, 30 mai, 4 et 9 juillet 1849) Archives nationales, ut supra.

XLV A JOLY-LETERME

REPUBLIQUE FRANÇAISE

MINISTERE DE L'INTÉRIEUR

Paris, le [19 février] 184 [9]

Mon cher ami, La supérieure du couvent de Charroux nous écrit des lettres lamentables, vos chantiers l'ennuient fort et l'empêchent de s'agrandir. Elle demande quand on finira. Je croyais l'affaire terminée. Je cherche dans le dossier et je vois qu'en 1848 on vous demandait un rapport sur les travaux nécessaires à l'achèvement. Point de réponse. Veuillez m'en donner une le plutôt que vous pourrez et nous dire au juste ce qui reste à faire.

t. à v. Pr M.

19 Février.


132 LETTRES DE MÉRIMÉE

XLVI A L'ABBÉ AUBER (1)

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE Liberté, Egalité, Fraternité.

MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR

MON CHER PRÉSIDENT

J'écris à Joly pour lui communiquer votre lettre du 9 relative à Noaillé (2), mais pour de l'argent nouveau n'y comptez pas. La commission du budget nous rogne nos fonds déjà si insuffisants. Je ne sais comment nous pourrons tenir nos anciens engagements. Il faudrait s'adresser aux Cultes,

Mille amitiés et compliments.

Pr M. 12 Mars 1849

(1) Archives départementales de la Vienne, Manuscrits de la Sté des Antiquaires de l'Ouest, n° 303.

(2) La lettre de Mérimée à Joly manque au dossier. On trouve aux A. C. M. H. (dossier Nouaillé) une lettre de Joly à Mérimée du 29 mars 1849 et une note de Mérimée (30 mars 1849) : « Voir la lettre de M. Joly du 29 mars qui a fait connaître le peu d'importance de l'accident arrivé à Noaillé. P. M. Ecrire au préfet de la Vienne la lettre ci-jointe. » Voir plus loin la lettre au préfet de la Vienne.

XLVII A LECOINTRE-DUPONT

Paris 16 avril 1849 MONSIEUR

Je regrette qu'un petit voyage que je viens de faire en Normandie ne m'ait pas permis de répondre plutôt à la


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 133

lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire. Je vois que cette affaire du Palais de Justice de Poitiers n'est qu'une méprise, mais elle a été fâcheuse, en ce qu'elle a laissé à la commission une impression, dont il sera peut-être difficile de la faire revenir. Les premières dépenses pour le dégagement du Palais de Justice de Poitiers n'ont point été faites, comme vous paraissez le croire, par le Mere de la Justice, mais par le Ministère de l'Intérieur, sur le fonds des cours d'appel, et cela après de nombreuses instances de la Commission des Monuments historiques. La commission est parvenue à obtenir plus d'une fois le concours de l'administration communale, qui, bien que dépendant du même ministère, a cependant ses allures tout à fait indépendantes. Elle a dû cet heureux résultat au soin particulier qu'elle a eu de bien choisir les questions sur lesquelles il pourrait y avoir discussion entre les deux administrations, et surtout de ne jamais solliciter que pour des choses vraiment utiles. Je n'ai pas besoin de vous dire, Monsieur, que les archéologues ont besoin d'avoir doublement raison auprès des administrateurs et ils se compromettent fort, quand sous prétexte d'archéologie, ils veulent établir aux frais de l'Etat des latrines municipales. Nous avons cru voir encore une sorte de mauvais vouloir contre Mr Joly, fomenté [?] auprès du Préfet par la Société des Antiquaires. Le.Mre de l'Intérieur a dû voir avec peine cette attaque contre un de ses agents dont il n'a jamais eu qu'à se louer. Mr Joly n'a cessé de lui donner des preuves de zèle et de désintéressement dans tous les travaux dont il a été chargé. Il est vrai qu'on peut regretter qu'il ne réside pas dans le dépt de la Vienne, mais qu'y faire ? quel secours pouvons nous attendre des architectes de la Vienne, lorsque nous les avons vus par ignorance, ou ce qui est encore pis, par une faiblesse coupable, déclarer qu'il fallait abattre la tour, de St-Porchaire, lorsque l'architecte du département a détruit avec l'argent de l'Etat une partie des fresques de Saint-Savin, lorsqu'enfin tous les projets que ces


134 LETTRES DE MÉRIMÉE

messieurs nous ont envoyés sont ou inexécutables ou absurdes. Il me semble que le Dépt de la Vienne devrait mieux apprécier les services de Mr Joly et tenir compte des embarras et des difficultés qu'il rencontre nécessairement. Je vous ai parlé, Monsieur, avec la plus grande franchise, je vous prie de garder ma lettre pour vous seul et vous borner à dire à nos confrères que le mieux c'est de laisser l'affaire dans l'eau. Le Ministre a dû écrire au Préfet qu'il aurait dû lire le mémoire en question avant de le lui transmettre, et que si la ville de Poitiers demandait de nouveaux secours, il était juste qu'elle fit quelques sacrifices de son côté (1). Veuillez lui conseiller cette bonne oeuvre, Monsieur; je sais toute l'autorité dont vous jouissez justement à Poitiers, et nous comptons que vous voudrez bien en user pour assurer à nos vieux monuments un concours dont ils ont si grand besoin.

Veuillez agréer, Monsieur, la nouvelle assurance de tous mes .sentiments de la plus haute considération.

Pr MÉRIMÉE

(1) Minute de la main de Mérimée d'une lettre du Ministre au Préfet de la Vienne.

(A. C. M. H. Dossier Nouaillé-)

« M. le Préfet. Mr de Chergé corresp' du Mrs de l'Intérieur m'avait appris déjà l'accident survenu dans l'église de Noaillé. M. Joly doit être en ce moment dans le Dépt de la Vienne et lorsque vous recevrez cette lettre il vous aura sans doute rendu compte lui-même de la situation de ce monument.

« Vous me paraissez inexactement informé d'ailleurs des motifs qui ont obligé un de mes prédécesseurs à retirer l'allocation de 2 000 f. précédemment accordée à cette église. L'emploi de cette somme n'ayant point été fait en temps utile, le crédit ouvert pour 1846 a dû être annulé (Lettre du 19 Xbre 1846). Ce n'est pas la première fois que l'administration de l'Intérieur a dû prendre de semblables mesures et la responsabilité des conséquences retombe sur les administrations locales qui négligent de faire emploi des fonds dans les délais de rigueur.

« Au reste les travaux pour lesquels le crédit de 2000 f avait été accordé n'auraient pu empêcher selon toute apparence l'accident qui vient d'arriver. Mr Joly chargé en 1847 d'étudier la situation de l'édifice avait reconnu que des réparations infiniment plus considérables étaient nécessaires pour en assurer la consolidation. La dépense qui dépassait les


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 135

ressources dans mon département n'a pas permis d'entreprendre ces réparations et c'est ici le lieu, M 1' le Préfet, de vous faire remarquer combien à toutes les époques les travaux des monuments historiques ont trouvé peu de concours dans le dépt que vous administrez. Le Mre de l'Intérieur a fait des sacrifices très considérables pour lui conserver des édifices importants que non seulement on laissait dépérir mais dont on réclamait même la destruction. Il suffit de citer le temple St-Jean et la tour de St-Porchaire, réparés par le Mre de l'Intérieur lorsque le conseil maI de Poitiers demandait qu'il fussent démolis. Le Mre de l'Intérieur a pris encore à sa charge la restauration de l'église de St Savin, celle de l'église de Chauvigny ; il a accordé des allocations répétées aux églises de Civray, de Notre-Dame à Poitiers, de Charroux, de Ligugé, etc. Il a fallu une subvention du Mre de l'Intérieur pour consolider un arc des arènes de Poitiers parce que la ville ne voulait pas donner 100 f. pour ce travail. Avec les ressources très limitées dont je dispose, il me serait impossible de pourvoir à l'entretien des nombreux monuments de la France, si les communes et les départements ne m'accordaient pas leur concours.

(( Presque partout ce concours m'est offert avec empressement et vous comprendrez que je ne pourrais sans injustice donner au dépt de la Vienne une part plus considérable d'un fonds qui doit pourvoir à tant de besoins légitimes. Veuillez donc, Mr le Préfet, employer toute votre influence auprès des conseils communaux de votre département pour qu'ils témoignent à l'avenir de leur intérêt pour leurs monuments d'une autre manière que par des demandes de secours incessans.

« Je ferai ce qui dépendra de moi pour la restauration de l'église de Noaillé dont l'importance m'est bien connue ; mais je vous le répète, à moins que le département ne se montre plus libéral, il me serait impossible de la secourir d'une manière efficace et je n'ai pas besoin de vous faire remarquer que des travaux dé restauration partiels ne peuvent avoir de résultat et qu'il est par conséquent inutile de les entreprendre.

« Quant à M 1' Joly je regrette avec vous son éloignement de Poitiers. Cependant je n'ai jamais eu qu'à me louer de son zèle, de son désintéressement, et de la bonne exécution des réparations qu'il a conduites. En lui retirant les travaux dont il est chargé je serais injuste pour un artiste distingué et qui a rendu de véritables services au département de la Vienne.'Lorsque ces travaux lui ont été confiés, il n'y avait pas. dans ce dépt un seul architecte qui pût en être chargé sans compromettre la responsabilité de l'administration. J'ignore si aujourd'hui votre département offre plus de ressources, mais malgré le témoignage de la Société des Antiquaires de l'Ouest, dont je me plais à reconnaître le zèle et l'érudition, je crois qu'il est de mon devoir de préférer pour toutes les restaurations subventionnées par mon département un homme dont la capacité et l'expérience me sont connues depuis longtemps. »

{Non signé.)


136

LETTRES DE MERIMEE

XLVIII A JOLY-LETERME

MINISTERE DE L INSTRUCTION PUBLIQUE ET DES CULTES. — DIRECTION GÉNÉRALE DE L'ADMINISTRATION DES

CULTES. COMMISSION DES

ARTS ET ÉDIFICR.S RELIGIEUX.

MON CHER AMI,

Paris, le [23 mai] 18[49].

Vous allez recevoir du Mre des cultes l'invitation d'aller à Angers pour faire un rapport sur la Salle Synodale de l'évêché. Le projet (ou les projets) envoyés par l'architecte de la ville ont tellement dégoûté la commission qu'elle désire que vous examiniez l'affaire à un point de vue plus général (1). On avait d'abord demandé de réparer les boiseries, ou même de les refaire entièrement. Veuillez nous dire, ou me dire à moi confidentiellement, si, derrière ces boiseries il n'y a pas quelque affaire, quelque commande pour l'école des arts et métiers. Si, dans votre opinion, tout autre système de décoration ne vaudrait pas mieux, et serait plus conforme au style roman de la salle. Par exemple, des peintures comme celle des murs latéraux de S* Savin, litre et refends marqués, ne conviendraient-elles pas mieux à la dite salle ? Veuillez m'écrire à ce sujet le plutôt que vous pourrez, bien entendu avant votre rapport officiel, à la question officielle que vous allez recevoir.

Vous avez reçu déjà, je pense, l'avis de votre nomination?

Je vous écris à la hâte au milieu d'une séance, et n'ai que le temps de vous dire adieu.

Pr MÉRIMÉE. 23 mai 1849.


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 137

(1) Le 30 mai 1849 le Directeur des cultes écrit à Monseigneur d'Angers (Archives Nationales F 10 4545. Angers) : « Les derniers projets pour la réparation de la salle synodale de l'évêché à la Commission des Arts et édifices religieux n'ont pas paru non plus satisfaisants et je dois vous dire que la Comon a semblé craindre qu'une nouvelle étude de l'architecte ne fût pas plus heureuse.

« Dans ces circonstances il vous semblera sans doute que l'importance de vos édifices diocésains exige le choix d'un architecte qui inspire toute confiance. L'adm0n a jeté à cet effet les yeux sur M. Joly, architecte à Saumur et qui a déjà fait ses preuves par divers travaux exécutés pour le compte de la commission des monuments historiques... »

L'évêque répondit à cette lettre : « Je ne conteste point les talents de M. Joly, mais il est à 12 lieues de distance... j'ai tout à craindre que nous n'ayons à regretter le zèle et l'activité de M. Duvêtre... Je ne sais si des rapports de M. Mérimée et autres savants archéologues auraient assez rendu justice à M. Duvêtre, mais pour moi qui suis sur les lieux et plus à même peut-être d'apprécier, je regretterai beaucoup qu'il ne soit continué dans ces fonctions... »

XLIX

A LECOINTRE-DUPONT

6 juin 1849. MONSIEUR,

Permettez-moi de vous recommander M. MérindoL architecte du Mere des Cultes, qui va passer quelques jours à Poitiers. J'ai pensé que personne plus que vous ne pouvait lui donner des renseignements utiles sur la cathédrale qu'il est chargé de restaurer.

J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser à votre retour d'Alençon. Je me réjouis de voir le conseil Mal de Poitiers entrer dans une voie plus libérale. Il faut espérer qu'avec vos exhortations son zèle ne fera que s'enflammer. Je passerai peut-être cette année à Poitiers et je serai bien heureux, Monsieur, de causer longuement avec vous de tous vos beaux monuments et des travaux de la Société auxquels vous prennez une si grande et glorieuse part.


138 LETTRES DE MÉRIMÉE

Veuillez agréer l'expression de tous mes sentiments d'estime et de haute considération.

Pr MÉRIMÉE. 6 juin 1819.

L A JOLY-LETERME

MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE ET DES CULTES. — DIRECTION GÉNÉRALE DE L'ADMINISTRATION DES CULTES. —• COMMISSION DES ARTS ET ÉDIFICES RELIGIEUX.

Paris, [4 juillet] 18[49].

MON CHER AMI,

Mr. le directeur général me demande des nouvelles de la salle synodale d'Angers sur laquelle vous deviez faire un rapport. Je vous ai écrit, il y a plusieurs semaines à ce sujet. Veuillez me répondre aussitôt que vous pourrez, avant mercredi, s'il se peut.

M. de Chergé a dû vous écrire au sujet d'autres affaires encore plus personnelles.

Sur ce point je serais bien aise d'avoir votre avis.

Mille amitiés et compliments.-

prM.

4 juillet 1849.

LI

A JOLY-LETERME

14 juillet [1849]. MON CHER AMI,

Une course que j'ai faite m'a empêché de vous répondre aussi vite que vous désiriez. M. le directeur m'a dit qu'il


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 139

ne vous avait pas encore écrit officiellement, parce qu'il attendait une réponse del'évêque d'Angers, réponse qui quelle qu'elle soit ne changera rien à ses résolutions à votre égard. Mais qu'il se considérait comme obligé par politique à faire cette démarche auprès de l'évêque(l).

En attendant la solution qui ne peut tarder et pour laquelle Viollet et moi ne cesserons de le presser, veuillez m'écrire au sujet de cette boiserie, le renseignement tout confidentiel que nous vous avons demandé.

Je vous écris à la hâte, comme toujours, mais quand on revient on trouve toujours cent choses à faire. Ma mère ne va pas trop mal et vous remercie de votre bon souvenir.

Mille amitiés et compliments.

P* M.

(1) Dans une lettre du 9 juillet 1849, Monseigneur d'Angers écrit au ministre pour se plaindre de la lenteur de M. Joly, de son peu d'exactitude. « Je serais affligé de nuire même involontairement à M'. Joly, mais s'il est déjà à peu près nommé comme on pourrait presque en conclure du texte même de votre lettre, je me résignerai à voir marcher plus lentement des opérations qui cependant déjà souvent marchent péniblementL'autorité supérieure n'aura pas du moins à me reprocher de ne l'avoir pas avertie. »

Le 26 juillet 1849, le directeur des cultes avise l'évêque « que le ministre a arrêté définitivemeut l'organisation du service de conservation pour les édifices de votre diocèse. Pour répondre autant que possible aux dispositions bienveillantes que vous avez témoignées à l'égard de M. Duvêtre... le ministre s'est déterminé à lui confier l'entretien de l'évêché et du séminaire. La conservation de la cathédrale sera remise à M. Joly, architecte diocésain... » (Archives Nationales F 19 4.545.

LU

A.M. DE CHERGÉ

Dimanche, 15 juillet 49. MON CHER PRÉSIDENT,

Je vous ai écrit, je crois, que c'était le Mre des Cultes qui se chargeait de dire son fait au curé de S4 Savin (1). II est


140 LETTRES DE MÉRIMÉE

bien évident d'ailleurs que ce n'est pas pour avoir fait une grille qu'on le tancera, mais pour n'avoir pris l'avis ni de vous, ni de Joly, ni du Mre de l'Intérieur. J'ignore qu'elle sera la mercuriale des cultes et pour ma part je désire quelle soit verte. Si vous en trouvez l'occasion dites au curé pour lui retourner le poignard dans le coeur, que s'il s'était adressé à nous ou aux cultes, on lui aurait donné de l'argent pour sa grille, (ce que m'a dit le dr gal des cultes). Que fera-t-on de la grille. ? nous verrons ; l'important c'est qu'on ne se permette rien dans une église monumentale sans licenza dij superiori.

C'est Mr Mérindol qui est chargé de Fontgombauld ainsi que de nos autres travaux dans l'Indre. C'est un homme très habile que je vous recommande. N

On m'écrit que la société des antiquaires veut faire peindre la voûte de SteBadegonde avant de la restaurer (2), et on m'assure qu'elle est en si mauvais état qu'il y a danger.

Qui donc est chargé de cette affaire ? Veuillez me dire ce que vous en pensez, je crains qu'on ne fasse des sottises et qu'on ne dépense de l'argent inutilement.

Mille amitiés et compliments.

P* M.

(1) Minute de la main de Mérimée (A. C. M. H. Dossier Saint-Savin).

MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR

Paris 'le [4 juillet] 184 [9]

LE M'* AU W* DES CULTES

« Eglise de Saint Savin, Vienne. »

Mr le Mr° et cher collègue, on me signale l'établissement dans l'église monumentale de S' Savin (Vienne) d'une grille en fer d'une disposition très malheureuse et dont le caractère contraste désagréablement avec celui de l'édifice. Cette grille a été commandée et payée par M. le curé de S* Savin, mais il n'a consulté ni l'architecte de S* Savin, ni le correspondant de la commission des monuments historiques, malgré les nombreuses instructions émanées de votre département et de celui de l'Intérieur, qui interdisent formellement toute modification dans les églises monumentales sans autorisation préalable d'une autorité compétente. Des travaux très considérables et très coûteux ont été exécutés


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 141

à S4 Savin, aux frais de mon administration, et il est vraiment déplorable qu'après avoir restauré ce monument de la manière la plus complette, on le dénature comme à plaisir par des additions inutiles ou ridicules. Un grand nombre d'ecclésiastiques s'imaginent qu'ils ont dans leurs églises tous les droits d'un propriétaire. On a beau leur rappeler que les architectes de l'administration sont chargés de prendre communication de leurs besoins, et qu'ils sont disposés à leur prêter le concours de leur talent pour faire concorder les travaux nécessaires avec le caractère général des édifices, beaucoup de curés mutilent leurs églises et détruisent par des additions sans goût le bon effet des réparations très dispendieuses. Je crois, Mr le Ministre et cher collègue, qu'il serait néces-' saire de porter un prompt remède à cet état de choses par quelques mesures énergiques. Dans le cas actuel, je vous proposerai d'obliger M. le Curé de S' Savin à faire disparaître à ses frais les grilles qu'il a fait poser sans autorisation suffisante et je vous demanderai en même temps un blâme sévère pour la conduite de cet ecclésiastique.

Agréez...

Le Ministre.

(2) La Soc Ant. de l'Ouest avait chargé son président l'abbé Auber de surveiller la restauration des peintures de Sainte-Radegonde. Les initiatives malheureuses de l'abbé Auber et de son peintre Honoré Hivonnait (et non Ivonet comme l'écrit Mérimée) mirent Mérimée dans une violente colère dont on trouvera plus loin les échos.

LU bis A L'ABBÉ LENOIR (1)

29 août 1849.

MONSIEUR,

La somme allouée par M. le Ministre de l'Intérieur poulies réparations de la toiture de Fontgombauld est de 10.000 francs et non de 13.000 (2). Les fonds affectés à la conservation des monuments historiques étant complètement épuisés, il serait impossible d'ajouter cette année à l'allocation de 10.000 francs.

Le Ministre de l'Intérieur n'a pas encore reçu l'engagement (3) demandé à Mr le supérieur de la Communauté qui doit s'établir à Fontgombauld. Quant à la subvention


142 LETTRES DE MÉRIMÉE

du Mere des Cultes, dont vous me parlez dans votre lettre du 26 du mois, vous n'ignorez pas que depuis que Fontgombauld n'appartient plus à une paroisse, l'église ne peut plus recevoir de secours sur les fonds des édifices religieux, ces fonds étant exclusivement réservés aux paroisses et aux succursales.

Recevez, Monsieur, l'assurance de ma considération la plus distinguée.

Pr MÉRIMÉE.

(1) L'abbé Lenoir fut curé de Fontgombault de 1849 à 1854. Sur la provenance de cette lettre, voir Avertissement, p 45.

(2) Cf. lettres LXX bis, LXXV et LXXVI bis.

(3) Cet engagement est daté du 28 août 1849 et signé du nouveau propriétaire de l'abbaye de Fontgombault, M. G. Kretz, supérieur de l'abbaye de Bellefontaine, par Cholet (Maine-et-Loire) (A. C. M. H., dossier Fontgombault).

LUI A JOLY-LETERME

MON CHER MONSIEUR, -

Je pars demain ou après pour une tournée qui doit m'amener dans vos parages (1). Si vous étiez à Saumur, j'irais y causer avec vous de nos et de vos affaires. Veuillez me répondre un mot à Tours, poste restante, pour Vendredi, t. à v.

Pr M. 3 Septembre 1849.

(1) Il écrit à Francisque Michel, le 2 septembre [1849] « Je pars aprèsdemain. »


_ AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 143

LIV A JOLY-LETERME

[7 septembre 1849]. MON CHER AMI,

Je pars de Tours demain soir à 9 h. 15 du soir, et demain matin j'irai vous chercher rue de la petite douve, t. à v.

Pr M. Tours, Vendredi. 7 septembre.

Monsieur Joly-Leterme, architecte Rue de la petite Douve 25 Saumur Maine-et-Loire

(cachet 8 sept. 1819).

LV A SEGRETAIN

MONSIEUR,

J'ai bien peur que cette lettre ne vous arrive pas à temps, mais avec la vie agitée que je mène, le moyen de vous prévenir plutôt. Je pars demain pour Melle et je n'ai pas besoin de vous dire tout le plaisir que j'aurais à vous y rencontrer.

Mille amitiés et compliments.

Pr MÉRIMÉE.

Poitiers 16 7b« [1849].


144 LETTRES DE MÉRIMÉE

LVI AU PRÉFET DE LA VIENNE (1)

Melle 17 Sepbre 1849 (Timbrée de Melle, 19 Sept. 49)

MrLE PRÉFET,

Je profite du loisir que me donne une soirée à Melle, pour vous adresser la note que vous avez bien voulu me demander.

M. Joly a fait exécuter un dallage en pente le long des murs de la nef de St.-Savin, afin de rejeter les eaux qui pourrissaient les soubassements. Le travail très utile deviendrait sans résultat si l'on continuait à tolérer le transport des décombres et des immondices de toute espèce dans une ruelle au nord de l'église. Le dallage est encombré en ce moment. M. le Maire de St.-Savin m'a promis de faire enlever cela à ses frais. Il compte beaucoup trop, je crois, sur les moyens de persuasion. Pour moi je suis convaincu qu'une ou deux amendes légères guériraient plus efficacement ses administrés d'une habitude déjà fort ancienne malheureusement.

Le propriétaire d'un jardin qui entoure l'abside de S* Savin attache des vignes contre les murs et place du fumier et une niche à lapins entre les contreforts. M. Joly réclame en vain depuis longtemps le tour d'échelle qui serait dû à un particulier (2).

Vous avez sans doute vu, Monsieur, la manière barbare dont on a étayé une maison dans la rue Saint-Porchaire. On a planté des fiches en fer dans les joints de la tour et appuyé des pièces de bois contre des moulures sculptées au risque de les briser. Ces étais placés d'ailleurs de la façon la plus ridicule sont absolument inutiles.

La crypte de Lusignan sert en quelque sorte d'égout aux


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 145

maisons voisines. Du fumier, des latrines sont adossés aux murs de l'église. On sollicite en ce moment des secours pour cet édifice, mais il serait bon de prouver d'abord par quelques mesures de police, qu'on apprécie l'importance de ce monument.

J'ai eu l'honneur de vous entretenir des peintures de SteRadegonde. La coupole du choeur est barbouillée à peu près complètement \ mais les colonnes qui la supportent conservent encore des traces très distinctes de leur ancienne décoration. Il serait bien à désirer qu'on les respectât, et je prends là liberté de les placer sous votre haute protection.

Veuillez agréer, M. le Préfet, l'assurance de la haute considération avec laquelle j'ai l'honneur d'être votre très humble

et très obéissant serviteur.

Pr MÉRIMÉE.

(1) Archives départementales de la Vienne, T7-15.

(2) Cf. A. C. M. H. Note de Mérimée. (Dossier Saint-Savin, Vienne). « Il y a encore des travaux assez considérables à exécuter à S* Savin.

et bien qu'il existe dans la caisse municipale une somme de dix à douze mille francs, Mr Joly n'a pas cru devoir commencer la restauration des apsides avant de s'être assuré des ressources suffisantes pour l'exécution de son projet, qui comprend le changement complet du système de toiture du choeur. Je n'ai pas besoin de dire que ce changement ne consiste que dans la reproduction de la disposition ancienne.

L'effet du dallage autour des murs et du canal d'aération a été excellent. Les murs autrefois salpêtres et recouverts, d'une mousse verdâtre sont aujourd'hui remarquablement secs.

Malheureusement, malgré les réclamations incessantes de l'architecte, les habitants de S' Savin continuent à porter des gravois et toute sorte d ordures dans une ruelle le long de l'église du coté Nord. Si l'on tolérait cette pratique l'effet du dallage deviendrait nul. J'ai prié Mr le Mairede faire cesser cet abus, mais il répugne fort, comme il m'a semblé, à faire usage des mesures de rigueur. Il va faire enlever les gravois à ses frais, et m'a promis d'admonester les délinquants.

Je crois que des amendes produiraient plus d'effet. Mr le Préfet de la Vienne doit lui écrire officiellement pour l'engager à poursuivre sans pitié les délinquants.

Je lui ai remis en outre une note pour lui signaler les propriétaires voisins de l'église qui accrochent des vignes le longs des murs et y placent des fosses à fumier. Là, comme presque partout, l'administration municipale est d'une mollesse déplorable, et l'on tolère à l'égard des édifices publics ce qui serait poursuivi vertement s'il s'agissait de propriétés privées.

10


146 LETTRES DE MÉRIMÉE

La grille établie par le curé dans l'église subsiste toujours. C'est une grille de jardin du plus mauvais effet. Le siège épiscopal de Poitiers étant vacant, le curé n'a pas encore reçu la réprimande que Mr le Dr Gal des cultes avait promis de lui faire adresser.

Les peintures exécutées à S' Savin depuis 5 ans ont perdu aujourd'hui cette crudité de ton qu'on pouvait leur reprocher. Maintenant il est difficile de distinguer les^parties modernes des anciennes. Je ne parle, bien entendu, que de la litre, des refends et des colonnes. Malheureusement les peintures anciennes de la voûte me paraissent altérées depuis quatre ans que je ne les avais examinées. Sept. 1849. »

[sans signature].

LVII A FOUCART

Saintes 19 7^e 1849 (1)

MONSIEUR ET CHER CONFRÈRE,

Vous avez bien voulu me demander ce que je pense des peintures nouvellement exécutées à Ste Radegonde. J'hésiterais peut être à vous répondre s'il s'agissait d'exprimer mon opinion personnelle sur l'oeuvre d'un artiste, apprécié, comme il semble, par un certain nombre des habitants de Poitiers; mais il s'agit ici d'une question beaucoup plus grave: celle du système qu'il convient de suivre dans la restauration des monuments, et sur ce point aucune considération ne peut m'empêcherde soutenir le seul avis qui me semble raisonnable. C'est même un devoir pour l'inspecteur gal des monuments historiques.

Il n'y a personne qui n'ait déploré le vandalisme des badigeonneurs du siècle passé et du nôtre. Nous avons perdu une foule de compositions intéressantes et les renseignements les plus curieux sur les costumes et les moeurs du Moyen âge.

Aussi les rares peintures de cette époque qui ont échappé au blanchissage ont elles une importance considérable, su-


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 147

périeure à celles des sculptures du même temps. Conserver les unes et les autres par tous les moyens possibles, c'est sans doute le but qu'on doit se proposer, mais la conservation dessculptures est infiniment plus facile. lien estdemême de leur restauration. Quant à reproduire des portions détruites d'ornements courrants, tous les sculpteurs, tous les tailleurs de pierre intelligents y parviennent avec un peu de soin. Partout en s'inspirant de bons modèles on refait des chapiteaux, des modillons que ne désavoueraient pas les ymaigiers les plus habiles d'autrefois. Dans quelques cas on a restauré les statues et des bas reliefs avec succès, mais la plupart du temps les bons architectes ont pensé qu'il valait mieux laisser subsister des traces de mutilations, que de risquer de dénaturer le style d'une statue par des retouches modernes. En effet malgré toutes nos études sur le moyen âge nous n'en sommes pas arrivés au point de pouvoir inventer dans ee style. Copier et copier fidèlement est déjà un mérite assez rare. Un sculpteur quelque habile qu'il soit ne fera jamais bien un ajustement du xnie siècle, un ornement, un pli de draperie, s'il n'a sous les yeux un modèle du même temps. En résumé les commissions du Mere de l'Intérieur et des Cultes, convaincues de toutes ces difficultés ont posé en principe dans leurs instructions qu'il ne fallait reproduire l'ornementation des monuments du Moyen âge, que lorsqu'on avait des indices certains, des modèles existants, et lorsque cette ornementation même était nécessaire à l'effet généralA

généralA les difficultés que présente la restauration des sculptures, s'en joignent d'autres bien plus graves, quand il s'agit de peintures. Nous ignorons les procédés matériels des peintres du Moyen âge ; malgré l'excellente traduction de Théophile, deMrl'Escalopier, malgré la publication deMrDurant sur les peintures grecques, nous en sommes encore à deviner quelle a pu être la préparation des murailles, celle des couleurs, celle surtout de la colle ou de la substance.


148 LETTRES DE MÉRIMÉE

telle quelle, employée par les peintres du xie au xve siècle pour détremper leurs couleurs.

Ajoutez à cela l'état de détérioration toujours assez avancé des peintures anciennes, les changements que l'air, l'humidité, les frottements ont pu leur faire subir; observez les essais presque toujours malheureux des retouches dans les fresques des maîtres anciens, et demandez-vous ensuite, s'il y a plus davantages que d'inconvénients à entreprendre de pareilles restauratious.

Je suis fâché et surpris que la fabrique de Ste Radegonde ait fait un essai tellement en grand avec la précipitation dont le travail que j'ai examiné porte les traces. Il suf fit de jeter les yeux sur les couleurs crues et criardes employées par le peintre, pour être convaincu qu'il n'a pas pris la peine d'examiner celles dont l'ancien décorateur de SteRadegonde a fait usage. Le dessin ne. vaut pas mieux et l'ensemble dénote une égale ignorance du style et des procédés du moyen âge. Que dirai je de ces ornements de différentes époques mêlés comme au hazard, de ces écussons où les fautes de blason les plus grossières apprêtent à rire à quiconque a ouvert le Père Ménétrier, de ces inscriptions que l'on s'est étudié à rendre baroques et où on fait des fautes d'orthographe assez drôles comme Sa Radegondis? Tout cela est pitoyable, mais tout cela fût-il dix fois moins mal serait encore fort loin de ressembler à une peinture du Moyen âge.

On me dit que le peintre a fait des calques et qu'il les a fidèlement reproduits. Si les peintures de la voûte étaient dans l'état où sont celles des colonnes, des calques étaient difficiles à faire et peu d'artistes auraient pu s'en tirer sans inventer, mais, en tout cas, je nie que ces calques aient été fidèlement reproduits. Permettez-moi, Monsieur et cher confrère, d'affirmer avec l'expérience que m'a donnée l'étude de quantité de vieilles peintures murales en Italie, en Grèce et en France, qu'à aucune époque du Moyen âge on n'a fait


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 149

des saints comme ceux de Ste Radegonde. Il se peut qu'au xme ou au xive on ait écrit Radegondis avec un o (*) en dépit de St Fortunat, de Grégoire de Tours et de l'étymologie. Cette faute ancienne avait son importance et son intérêt comme preuve de la prononciation francisée de l'U germanique, mais en le voyant en lettres neuves et à côté d'une figure grotesque, on pensera seuleme.nt que c'est une bévue de plus à ajouter aux erreurs si nombreuses de cette prétendue restauration. La plupart des artistes, frappés de l'incorrection des peintures du moyen âge, s'imagir nent qu'il suffit pour les imiter de faire des carricatures. Sans doute rien n'est plus grossier, à un certain point de vue, que les peintures murales du xne et xmc siècles, mais, toute personne qui a étudié l'art avec conscience, y reconnaît cependant la tradition de types sublimes. Vous connaissez les fresques de St Savin. Comparez-les à maintes lithographies modernes. Les premières malgré leur incorrection sont remarquables par leur noblesse, et dans les autres je ne vois guère que de l'adresse de main et de la trivialité. Je n'ai pas vu les figures que remplacent les Radegondis et les Fortunats de cette année. 11 se peut qu'elles fussent fort mal dessinées, fort incorrectes, mais à coup sûr elles n'avaient pas cette platitude et ce poncif, passez-moi cette expression d'atelier, qui rappelle les Saints des compositions si fréquentes dans le midi, que peignent des Piémontais, fumistes en hiver et décorateurs en été.

Si, comme je le suppose, les peintures anciennes de Ste Radegonde n'étaient que des vestiges informes, qu'on ne pût conserver, fallait-il les remplacer par une composition moderne? Je ne le pense pas. Le style de l'église ne le permet guère. Le parti le plus sage a mon avis eût été de substituer une ornementation fort simple et fidèlement copiée d'après des modèles authentiques. C'est ce que Mr Joly a fait à St Savin fort judicieusement, pour la voûte du choeur, qu'il avait fallu refaire entièrement. Il y a fait peindre des


150 LETTRES DE MÉRIMÉE

croix et des rosaces copiées sur celles de la crypte de Chartres. Sans doute cette décoration n'est pas bien riche, mais ne contraste pas avec le style de l'église, elle est sans prétention, son effet est heureux pour l'aspect général et elle n'attire pas l'attention comme nos peintures de Ste Radegonde. En pareil cas il ne faut pas prétendre à faire bien; ne pas faire mal est déjà beaucoup.

Puisque j'ai prononcé le nom de M. Joly, permettez-moi Monsieur, de vous demander comment la fabrique de Ste Radegonde n'a pas eu l'idée de consulter un artiste à qui la restauration de S* Savin a donné une expérience toute spéciale en matière de peintures murales ? Comment se faitil que M. de Chergé correspondant du Mere de l'Intérieur n'ait pas été consulté davantage ? L'église est cependant un monument historique, et l'administration qui a souvent fort généreusement secourra les monuments de la Vienne, devait espérer qu'on n'exécuterait pas un travail de cette importance sans l'avis de ses délégués. Que puis-je répondre quand je sollicite une allocation pour un édifice de Poitiers efqu'on me dit: «la ville est assez riche pour le réparer. Une fabrique qui dépense 6000 Fr. pour des peintures inutiles n'a pas besoin sans doute de secours du gouvernement lorsqu'il s'agit de travaux vraiment nécessaires. » Je sais malheureusement par une longue expérience que les fabriques trouvent toujours de l'argent pour décorer et souvent gâter leurs monuments, et qu'elles s'adressent à l'Etat lorsqu'il s'agit de les consolider.

Je vous écris à la hâte, Monsieur et cher confrère, et je voudrais bien être bref. Je vous fais grâce de mes doléances et j'arrive à la conclusion. Lorsque les critiques se seront amusés pendant quelque temps des peintures de Ste Radegonde, elles seront oubliées, ou s'écailleront comme celles de la sacristie, ou enfin, une fabrique nouvelle les fera gratter et les remplacera par quelque chose de mieux ou de pire. L'argent est dépensé c'est un malheur, mais il faut en


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 151

prendre son parti. C'est une expérience faite. Au moins qu'elle serve à quelque chose. On a vu ce que c'est qu'une restauration peinte. Qu'on se contente d'avoir barbouillé la voûte et qu'au moins on respecte les colonnes. Leur ornementation est très originale et très heureuse. Il serait déplorable qu'on les barbouillât comme le reste. On m'a dit, mais je crois qu'on s'est moqué de moi, que la fabrique voulait les repeindre en supprimant les fleurs de lys. A Turin vers 1806 on a joué dit-on au théâtre de la cour le Tartuffe, en supprimant le rôle du Tartuffe comme outrageant pour la religion. S'il y a à Poitiers des gens assez niais pour faire de l'archéologie politique, c'est une raison de plus pour laisser ces colonnes dans l'état où elles se trouvent. Appelez, je vous en supplie, l'attention de Mr le Préfet sur ce point, et je ne doute pas qu'il n'approuve le parti que je propose.

Agréez, Monsieur et cher confrère, l'expression de ma plus haute considération.

Pr MÉRIMÉE

Monsieur Foacart

Doyen de l'Ecole de Droit Poitiers (Vienne)

(*) Probablement c'est un U oncial qu'on a pris pour un 0 (note de Mérimée).

(1) Cette lettre a déjà été publiée par Paul Bart, Revue du Temps présent, 2 janvier 1910, p. 1 à 8 ; et presque complètement dans les Débats du 5 janvier 1910. Lucien Pinvert en a donné un fragment avec commentaire dans un Posf scriptum sur Mérimée, 1911, p 36. Cf. Archives de la Vienne, TM, lettre de l'Abbé Auber au préfet.


152 LETTRES DE MÉRIMÉE

LVIII

A SEGRETAIN

Saintes, 20 sept^e [1849].

MON CHER MONSIEUR,

J'ai passé un jour à Melle (1) sans autre compagnie que vos deux églises. J'ai vu avec beaucoup de plaisir la restauration de S4 Hilaire, regrettant fort de ne pouvoir l'examiner avec vous. Permettez-moi de vous faire mes petites observations.

1° Avez-vous eu quelque autorité pour les croix placées autour des deux clochetons de la façade ? Elles m'ont paru un peu insolites.

2° La forme des bases des colonnes à l'extérieur de l'apside m'a semblé copiée d'après une base ancienne qui existe (croquis) encore du côté nord, mais je doute que cette base soit intacte. Je crains qu'elle n'ait été anciennement retouchée. Avez-vous trouvé d'autres modèles?

Je trouve qu'on a fait un peu trop de sculptures, mais l'exécution en est très satisfaisante. Vous devez en faire compliment à vos ouvriers.

Avez-vous quelque projet sur le choeur ? Laissez-vous subsister les colonnes doriques et les triglyphes ? Il est vrai qu'où trouver de l'argent ?

Le débadigeonnage des chapiteaux a produit un effet excellent.

Adieu mon cher Monsieur. Je vous renouvelle l'expression de mes regrets de ne pas vous avoir rencontré et mes compliments bien sincères.

Pr MÉRIMÉE.

Je repars demain pour le Nord.

(1) Voir sur Melle : E. Lefèvre-Pontalis, Melle, dans Congrès Archéol. d'Angoulême de 1912, t. I, p. 79.


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 153

L1X

A JOLY-LETERME

Saintes, 20 sept. [1849].

Mon cher ami, j'apprends avec bien du regret la mort de Mr. votre oncle que nous avions laissé si gai et si plein de vie. Je me reproche de vous avoir emmené, non que votre présence sans doute eût pu le sauver mais au moins il aurait eu la consolation de vous voir avant d'expirer. Croyez mon cher ami que je partage bien votre douleur et vos regrets.

s Pr M.

LX AX***(1)

Saintes, 21 sept.au soir 1849.

MON CHER AMI,

Je profite de ma première halte pour vous donner quelques nouvelles monumentales. Je vous écris mes notes sur des feuilles séparées afin qu'elles puissent être jointes aux dessins qu'elles concernent. Vous verrez qu'il n'y arien de bien pressé, si ce n'est presque partout un supplément de fonds.

T. à v.

PrM.

P. S. Je n'ai pas le temps d'achever mes rapports. Je vous recommande comme urgente l'affaire de Ste Radegonde (2). Veuillez soigner la lettre au Préfet et la faire si-


154 LETTRES DE MÉRIMÉE

gner par le ministre le plutôt possible. Le Conseil Mal de Poitiers a voté 4.500 f. pour N. D. 40.000 pour son isolement. On me dit qu'il faut reconnaître ce sacrifice qui est le premier qu'ils aient fait, autrement il ne se renouvellera plus, mais que faire pour des vandales qui barbouillent leurs monuments ? Le temple S4 Jean est bien malade. Joly s'occupe d'un projet pour le consolider, ce sera encore une dépense assez forte.

(1) Cette lettre figure dans le recueil des A. C. M. H., Lettres et rapports de Mérimée et Vitet, f° 262. Chambon (Notes sur Mérimée, p 267, note 1) la signale comme étant adressée à Vitet. Cette attribubution est contestable.'

(2) Voir la note jointe à cette lettre (septembre 1849) publiée par Chambon (Notes sur P. Mérimée, p. 265).

L'affaire de Sainte-Radegonde fut l'origine de démêlés aigres doux entre Mérimée et l'abbé Auber. Elle se poursuivit pendant plusieurs années. Dans la séance de la Société française d'archéologie tenue à Orléans le 15 septembre 1851 (Bulletin Monumental, t. XVIII, p. 176 et 178), l'abbé Auber manifestait son amertume contre « Mr l'inspecteur des monuments historiques qui, après être resté peu de temps à Ste Radegonde, déclara que ces peintures avaient été fort mal restaurées qu'on n'avait tenu aucun compte du style ancien et fit écrire par le ministre à la Soc. Ant. de l'Ouest pour se plaindre de cette restauration. » M. Auber termine en disant qu'il en a « appelé de la décision de Mr l'inspecteur des monuments, décision qui est contraire à l'opinion de tous les archéologues et de tous les artistes qui sont unanimes pour reconnaître que ces belles fresques ont été restaurées avec habileté et conscience... »

LXI ASEGRETAIN

Paris, 13oct. [1849].

MON CHER MONSIEUR,

J'ai trouvé votre lettre hier à mon arrivée ici et je me hâte d'y répondre. Je n'ai plus rien à dire contre les clochetons et leurs croix. Je regrette comme vous les bases, mais il n'y a plus de remèdes. Vous avez raison de trouver difficile la restitution du choeur, mais peut être qu'en le débaras-


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 155

sant des boiseries et des peintures modernes vous découvrirez quelques indications de l'état ancien. Quant aux chapiteaux il me paraît difficile et même impossible d'en faire d'historiés. 1° Nous ne savons rien ou presque rien desidées que les architectes ou les moines du xne siècle attachaient au choix de telle ou telle composition, et nous serions très exposés à commettre des erreurs en prennant au- hazard dans une église un sujet pour le transporter dans une autre. 2° Il me paraît assez triste de faire de gaîté de coeur en 1850 des sculptures barbares, et de se donner beaucoup de peine pour faire du naïf. On peut demander comme Basile, qui est-ce qu'on trompe ? Pour tous ces motifs je crois qu'il vaut mieux prendre pour modèles des chapiteaux à feuillages. On a des modèles en quantités et on peut choisir. Pour l'effet général il est au moins aussi satisfaisant que celui des chap[iteau]x historiés.

Reste la question de la dépense. Vous savez combien nous étions gueux en 1849 ; selon toute apparence nous ne le serons que davantage en 1850. C'est vous dire qu'à moins que vous ne trouviez dans la fabrique et dans la piété des fidèles des ressources imprévues, il faut ajourner à des temps plus heureux la restauration du choeur de S* Hilaire (1).

Adieu mon cher Monsieur, veuillez agréer l'expression de

tous mes sentiments dévoués.

Pr MÉRIMÉE.

(l)Saint-Hilaire de Melle. Cf. la lettre du 20 septembre 1849.

LXII

A JOLY-LETERME

• Paris, 13oct. 1849.

MON CHER AMI,

Je suis arrivé hier à Paris en même temps que votre lettre. Vous faites bien de vous dépêcherpour Angers. Mr. D.


156 LETTRES DE MÉRIMÉE

que j'ai rencontré à Vézelay il y a qqs jours me parait fort pressé d'avoir des devis, afin d'accabler la commission du Budget sous des chiffres positifs. Je ne pense pas le voir avant mercredi : ce jour là, je tirerai au clair l'affaire de la salle S}TJodale d'Angers. Viollet à qui j'ai communiqué votre lettre m'appuiera fort. Courmont a pris des mesures pour que vous ayez un peu d'argent pour Chauvigny. Je ne puis vous dire encore le chiffre exact ; je n'ai pas encore été au Mere.

Vous avez eu bien tort de me donner le sceau du xiv" siècle. Je l'avais mis dans mon sac avec mon argent, et dans le Périgord on m'a volé sac et sceau.

Adieu mille amitiés et compliments.

Pr M.

LXI1I A JOLY-LETERME

MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR

Paris, le 19 oct. 1849.

MON CHER AMI,

Courmont a réservé de l'argent en 1848 pour vos excédents de dépense sur Gennes (1), Civray et Chauvigny. Il s'agit de régulariser, la situation. Vous avez envoyé à Courmont des comptes de dépense ; vous auriez dû en même temps nous adresser des demandes pour l'achèvement des travaux. Vous sentez bien que j'aurais alors deux batailles à livrer au lieu d'une. Il vaut mieux les livrer toutes les deux à la fois, en demandant et unbill d'indemnité pour les dépenses faites au delà des prévisions, et une allocation nouvelle pour l'achèvement des travaux. Je n'ai pas besoin de vous dire que vous devez apporter le plus grand soin à rédiger ce


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 157

devis de façon à n'avoir plus rien à demander. La Commission est toujours fort mécontente quand on dépasse les devis ; elle me mangerait assurément si cela arrivait deux fois de suite. Veuillez m'envoyer ces devis le plus vite que vous pourrez. Si je les avais avant vendredi prochain, ce serait fort heureux pour vous et pour moi ; je terminerais l'affaire aussitôt. Faites en sorte que les ouvriers soient payés aussitôt qu'il sera possible.

Mille amitiés et compliments.

PrM.

P. S. Tâchez donc de faire vos devis avec un peu plus de détail qu'à l'ordinaire et selon les prescriptions Ministérielles.

(1) Rapport de Mérimée à la Commission, séance du 19 octobre 1819. (A. C. M. H., dossier de Gennes).

« Les travaux de l'église de S' Eusèbe à Gennes ont dépassé les prévisions de l'architecte par suite du mauvais état de l'édifice qu'il avait été impossible de constater avant le commencement des travaux. Les piliers de la tour qui avaient l'apparence de la solidité, étaient en réalité très endommagés. Le centre ne se composait que d'un blocage mal lié par du ciment, et les parements seuls soutenaient l'amortissement de l'édifice. Il en est résulté une augmentation de dépense, en quelque sorte forcée parce qu'il était impossible de s'arrêter une fois la réparation commencée. Elle est de 1598 fr.- à quoi il faut ajouter les honoraires de l'architecte : 79 fr. 90c . Total 1677 f. 90 c

Je propose de l'accorder sur l'exercice de 1849 ou de 1848, s'il reste des fonds disponibles.

Une somme de 500 fr. serait encore nécessaire pour terminer les tra vaux de Gennes ; je proposerai de les accorder sur l'exercice de 1849.

Pr MÉRIMÉE. Ï

LXIV A JOLY-LETERME

Lundi 5 novembre 1849.

MON CHER AMI,

Si nous ne vous savions honnête jusqu'à la niaiserie, le désordre de vos comptes nous obligerait à vous faire de


158 LETTRES DE MÉRIMÉE

grosses querelles. Vous nous envoyez un devis des travaux à faire à S* Savin, et vous établissez longuement la convenance et la nécessité de refaire la fenêtre de la chapelle de la Vierge et la baie de la tribune, sans vous rappeler que vous nous avez déjà dit cela en nous envoyant un premier v devis ; que nous l'avons approuvé ; que nous avons voté des fonds qui ont été versés à la caisse' male- Il aurait mieux valu nous dire pourquoi ces fonds n'ont pas reçu leur emploi, à quoi vous les avez dépensés, ce qu'il en reste. Tout cela est l'affaire de quelques lignes. Pour dieu mettez donc un peu d'ordre dans vos rapports.

Vous persistez toujours à ne pas comprendre vos honoraires dans vos totaux. A la fin cela devient trop fort. » Pour dépenses faites à Chauvigny 18903,95, il vous revient 946,90.

Pour les travaux estimés à 8005,33, il vous sera dû 400,26.

Pour les travaux à faire à Saint-Savin 18.317,93, vous avez à ajouter 915.89. Pour ce qui a été dépensé à S* Savin nous n'en savons absolument rien, ce qui rend ma situation de rapporteur assez difficile.

Ayez la bonté de nous en dire quelque chose et de compter vos honoraires.

Quant à Civray je trouve deux états, toujours sans honoraires, l'un de 4064 fr., l'autre de 2344, datés l'un et l'autre du 25 sept. 1849. Nulle explication.

Je crois que si vous en usez de la sorte avec le Mere des Cultes qui est vétilleux en diable vous passerez mal votre temps. On attend toujours des rapports sur Angers.

Pour en revenir aux travaux du Mere de l'Intr les pièces que vous m'avez transmises me sont arrivées après la commission, il y a 8 jours. J'ai fait un voyage et je les examine aujourd'hui avec la surprise que vous penserez. Veuillez considérer qu'en dernière analyse toutes ces irrégularités tombent sur moi. Les membres de la commission qui n'ont


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 159

pas vu vos travaux, qui ne savent pas les difficultés que vous avez rencontrées, que vous n'avez jamais prévenus des excédents, la commission dis-je, trouve que vous menez les affaires beaucoup trop par dessous la jambe. Vous en avez été la première victime. Il me semble pourtant que cela devrait vous engager à mettre à l'avenir un peu plus d'ordre dans votre correspondance avec nous.

Vous pouvezje crois m'envoyer avant vendredi les explications que je vous demande sur S* Savin et Civray. Je tâcherai en tout cas de faire passer l'affaire de Chauvigny, mais j'aurai de la peine et je sais ce qui me pend à l'oreille.

t. à v.

PrM.

Lundi soir 5 novembre 1849.

LXV

A JOLY-LETERME

10 no"» 1849.

Mon cher ami, en vous écrivant hier j'ai oublié de vous dire qu'il faudrait, en faisant demander au Mere des Cultes des vitraux pour S* Savin, indiquer quel serait le montant de la dépense. Je n'aime pas les vitraux légendaires modernes. Je crois que des vitraux à compartiments et à ornements comme qqs uns de ceux de S4 Denis vaudraient beaucoup mieux et feraient aussi bon effet. Si vous n'avez pas de base pour le prix, envoyez moi les dimensions des fenêtres, je saurai facilement ici combien cela coûtera (1).

t. à v.

P^M.

(1) Rapport de Mérimée àla Commission, séance du 30 novembre 1849 (A. C. M. H. Dossier Saint Savin) :

« Le Ministère de l'Intérieur a accordé à l'église de S* Savin jusqu'à


160 LETTRES. DE MÉRIMÉE

ce jour en différentes allocations la somme de 59.865 f. 45. La commission avait espéré que la dernière de ces allocations partielles suffirait pour terminer les réparations. Malheureusement des travaux imprévus dont la nécessité s'est fait sentir ont absorbé presque toute la somme disponible. Ces travaux dont j'ai pu d'ailleurs apprécier cette année de visu la bonne exécution consistent dans le dallage du sol contigu à l'église de manière à faciliter l'écoulement des eaux ; dans l'établissement d'un canal d'aération le long des murs, opération qui a eu les meilleurs résultats en faisant disparaître 1 humidité qui régnait dans les collatéraux ; enfin dans un très grand nombre de reprises partielles, surtout à la base de la flèche dont j'ai eu plus d'une fois occasion de signaler le mauvais état II ne reste plus actuellement dans la caisse municipale qu'une somme de 1237,45.

« Pour achever la restauration il faut encore une dépense évaluée par l'architecte à 18.317,95.

« Voici en quoi consistent les travaux :

« 1° Dans le remaniement ou plutôt dans le changement complet du système de toiture qui couvrant aujourd'hui les transepts, apsides et le chevet, masque de la manière la plus disgracieuse l'aspect extérieur de l'église.

« 2° Dans le changement de la fenêtre centrale à l'extrémité du chevet. La commission se rappellera que ce changement a été arrêté en principe, et qu'elle a décidé qu'une fenêtre romane, en plein cintre, remplacerait une fenêtre en ogive dépourvue d'ornementation et d'un aspect fort mesquin pratiqué on ne sait pour quelle raison vers le commencement du xve siècle.

3° Dans la réouverture et la mise en communication de la tribune avec l'église. Cette opération avait été également approuvée. Elle consiste à refaire l'arcade bouchée et en partie mutilée qui donne de la salle du l?1'étage de la tour dans la nef centrale. Usera nécessaire en même temps de daller et de garnir de vitraux cette salle.

4° Dans l'établissement de verrières à petits carreaux blancs en losange avec plomb et tringlettes de fer, en remplacement des carreaux larges qui existent actuellement (et en fort mauvais état) à toutes les fenêtres.. L'architecte propose de garnir de grisailles la fenêtre de la nef et celle de la chapelle S* Marin, placées l'une et l'autre dans l'axe de l'église.

« Parmi tous ces travaux l'article 4 est le seul qui à mon avis pourrait être ajourné sans inconvénient. La réfection de la fenêtre du chevet est une conséquence de la reprise de la toiture ; la mise en communication de la salle de la tour avec la nef me paraît très importante pour l'aération de cette salle, et la conservation des peintures qu'elle renferme encore. Je crois donc qu'il y aurait lieu d'accorder la somme demandée, soit 18.317,95, qui avec les honoraires que Mr Joly a la mauvaise habitude de ne jamais porter dans ses calculs font 19.233,80. Mais il faut en défalquer les 1237,45 restant dans la caisse municipale, reste : 17.996,35 c.

« Cependant si la commission pensait que la dépense des verrières peut être supprimée, on pourrait faire une économie d'environ 2,700 f. Pour l'aspect de l'église elle serait regrettable.

« Peut être M' le Ministre des Cultes consentirait-il à prendre à la charge de son département cette petite dépense, et même à l'augmenter


AUX ANTIQUAIRES. DE L'OUEST 161

de manière à placer dans tout le choeur des verrières en grisailles. Je pense qu'une somme de 7 à 8000 fr. suffirait.

« N. B. Il est bon d'observer que le choeur de S' Savin n'a pas de peintures et que des fenêtres garnies de verres ternis feront mieux ressortir les peintures de la nef. L'éclat et l'espèce de mirage que produit aujour d'hui la fenêtre du chevet nuit beaucoup aux fresques de la nef.

« Pr M. »

LXVI A JOLY-LETERME

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR

Paris, le22noVe 1849.

Mon cher ami, je n'ai aucune nouvelle de vous. Je vous avais demandé des renseignements dont j'avais absolument besoin. Veuillez me répondre un mot.

Chergé m'écrit de nouveau (1) pour signaler la mauvaise qualité des briques et tuiles employées par l'entrepreneur. Il dit que la moitié s'est cassée quand on a déchargé les voitures, qu'elles sont toutes très mal cuites, enfin il propose que ledit entrepreneur ne fut payé qu'après révision sévère.

t. à v.

Pr M.

(1) Cf. A. C. M. H. (Dossier Affaires générales de la Vienne) une lettre de Chergé, datée de Saint-Hilaire, 1er novembre 1849, sur Charroux, Civray, Notre-Dame de Poitiers, Sainte-Radegonde de Poitiers, SaintHilaire de Poitiers, temple Saint-Jean, Notre-Dame de Chauvigny et Saint-Savin. A cette lettre est jointe cette note de Mérimée : « Répondre à Mr de Chergé que sa lettre a été lue à la Commission, qui l'a entendue avec un vif intérêt ; qu'il a été pris note de ses observations et que l'on y aura égard. L'engager à continuer à donner à l'administration les renseignements qu'il peut recueillir et à continuer une correspondance dont on apprécie tout le mérite. ))

11


162 LETTRES DE MÉRIMÉE

LXVII A M. DE CHERGÉ (1),

Mercredi, 2 janvier 1850.

Mon cher Président, j'ai eu tant dé tracasdepuis quelques jours, que je n'ai pu trouver le temps de vous écrire. J'ai demandé à Mérindol, s'il avait quelque objection à ce que son dessin fût gravé. Il m'a répondu qu'il serait charmé de vous être agréable. Il sera dans quelques jours à Poitiers, et je crois qu'avec un peu de votre diplomatie, il vous sera facile d'obtenir de lui qu'il dessine sur le bois même la vue de Fontgombauld que vous voulez publier, ce sera le mieux, car les graveurs sur bois sont d'ordinaire de piètres dessinateurs. Quant au prix de sa gravure sur bois on me dit que cela coûte de 25 à 40 f. (2).

Après avoir répondu à une lettre déjà bien ancienne, je vais passer à celle que j'ai reçue hier et qui m'a fort amusé. Je vous remercie des curieux détails d'intérieur que vous me donnez. Ce devait être une scène fort amusante et je regrette de n'y avoir pas assisté. Je me rappelle en effet avoir rencontré ledit abbé (3) dans la rue, et je me bornais à lui dire bonjour, d'abord parce qu'une dissertation sur les peintures de Ste Radegonde me paraissait du temps perdu avec lui, ensuite parce qu'il était temps de dîner. Je vous suis fort obligé d'avoir trouvé l'occasion de rétablir les faits à l'endroit du Préfet, et à propos de politesse, je trouve que le fonctionnaire susdit aurait pu m'accuser réception de ma lettre, ce qu'il n'a point fait.

Vous me dites de regarder, dans le volume de 1848 de la Société, une philippique de l'abbé Auber, mais je n'ai pas ce volume (4). Veuillez me dire s'il a paru. Je n'ai des mémoires de la Société que 13 volumes (reliés) savoir l et 2


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 163

de 1836, 10 de 1837 à 1846, et les tables de Dom Fonteneau. Je n'ai pas souvenance d'avoir eu le volume de 1847 encore moins 1848 ; pourtant j'ai quelques volumes chez le relieur, et en outre j'ai à visiter un capharnaum d'accès difficile où sont les livres brochés.

Veuillez me faire le plaisir, sub rosà, de savoir si on m'a envoyé le bon sur le libraire de Roche ; gardez-vous de le réclamer. Dites-moi seulement combien de volumes me manquent. J'ai pensé que peut être, vu la rigueur des temps ou peut être celle de l'abbé [illisible], on m'avait retranché les derniers volumes. Bien entendu que cette recherche ne vous occasionnerait pas le moindre ennui.

Adieu mon cher Président, je vous la souhaite bonne et heureuse.

Pr M. Mercredi, 2 janvier 1850. s

(1) Cette lettre a passé en vente (Andrieux, n° 910) les 14 et 18 février 1936, sans nom de destinataire.

(2) En 1850 M. de Chergé fait paraître : L'abbaye et les Trappistes de Fontgombault, avec une gravure représentant l'abbaye.

(3) L'abbé Auber.

(4) Les trois années du Bulletin de la Soc. Ant. de l'Ouest 1847-48-49 ont en effet paru en un seul volume On trouve dans le Bulletin du 4e trimestre 1848, p. 304 à 310, une « Réponse aux observations de M. Foucart au sujet de l'article de M. l'abbé Auber sur le nouveau vitrail de l'église S* Jacques de Châtellerault par l'abbé Auber». C'est là cette « philippique» dont parle Mérimée. L'abbé Auber explique longuement pourquoi il a donné à un « certain diable » du vitrail la couleur « vert pomme » qui déplaît à Mr Foucart.

LXVIII A M. DE CHERGÉ (1)

Mercredi 9 janvier au soir [1850].

Mon cher Président, nous avons Mr Vitet et moi consulté Mr, Dupin sur la question de savoir si des infractions aux


164 LETTRES DE MÉRIMÉE

règlements de police m[unicipjale pouvaient être déférés au procureur de la R. Il nous a répondu affirmativement. De plus on a dû écrire du Mère au Préfet de faire ces poursuites. Si la lettre officielle n'est pas encore arrivée, la faute en est au désordre affreux où est l'administration de l'Intr. Nous n'avons pas d'employés ou nous en avons de si ignorants que tout va à la diable. Veuillez, si vous le pouvez, reparler de cette affaire au Préfet de la Vienne et insister sur la nécescité de faire un exemple sévère. C'est le moyen de n'en avoir plus à faire de longtemps. Veuillez encore, lui rappeler les immondices apportés par charretées entre les murs Nord de S* Savin, les clos et les vignes de l'apside etc. Il m'avait promis d'obliger le maire à faire un instant trêve à sa fraternité pour remédiera ces énormités. J'attends toujours de Joly le travail sur le temple S* Jean, nous ferons ce que nous pourrons pour le restaurer dign* mais il serait bien bon que la ville nous secondât un peu.

J'entretiendrai après demain la com[mission] de la clôture, mais je n'ai pas voulu attendre davantage à vous répondre puisque vous partez samedi.

Où faut-il maintenant vous adresser vos lettres ?

La lettre à l'abbé n'est pas plus salée qu'il ne faut, elle s'adresse non à lui mais au président de la Société des A. de l'O. Il est évident qu'elle ne peut rester dans les mains de l'abbé, mais qu'il la garde s'il peut en profiter.

Adieu mon cher Président, rappelez-moi au souvenir de tous nos amis.

Pr MÉRIMÉE.

(1) Cette lettre a passé en vente (Andrieux n° 245) les 20 et 21 octobre 1932. Elle est comme la précédente probablement adressée à M- de Chergé.


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 165

LXIX

A M. DE CHERGÉ

30 janvier 1850.

Mon cher Président, je ne suis pas mort bien que je vous aie donné le droit de le croire. J'ai manqué crever d'un rhume mais je suis à présent à peu près sur pied. Le fond de la question, c'est que depuis huit ou dix jours je passe mes soirées à étudier le bulletin des loix et le jour à entendre et faire entendre de l'éloquence au Conseil d'Etat où l'on m'a nommé commissaire pour un projet de loi sur les théâtres (1). Je vous écris en ce moment du quai d'Orsay pendant que M. Dunoyer patauge.

Nous ayons écrit à votre Préfet pour les latrines que vous savez. Il paraît qu'il faut en passer par le Maire, mais on peut en même temps faire instrumenter le procureur de la République.

Ma foi c'est trop ennuyeux d'écouter toujours. Je vais

demander la parole pour user de représailles. Adieu mon

cher président. Mille amitiés et compliments.

Pr M.

(1) Le 2 janvier 1850. un décret nommait les membres de la Commission permanente des Théâtres, présidée par Bixio. Mérimée en fait partie. Cf. Moniteur universel, 4 janvier 1850, p. 29, col. 1.

LXX

A M. DE CHERGÉ RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR

MON CHER PRÉSIDENT, Je ne sais pas l'adresse de M. Mérindol (1). Je porte


166 LETTRES DE MÉRIMÉE

aujourd'hui au Mè,'e votre lettre et votre dessin pour qu'on les lui envoie.

Où existe-t-il un modèle de chaire romane (2) ? Je l'ignore. Je ne sais pas en vérité ce qu'il est possible de faire avec 600 f. ou'1000 f., mais je sais bien que tous les artistes à qui je m'adresserai m'enverront promener. Pour faire de la menuiserie un peu soignée il faut de l'argent et beaucoup d'argent. Je ne pense pas qu'à moins de 5 ou 6000 f. on puisse faire quelque chose de propre. Je n'ai pas besoin de vous dire qu'une chaire en pierre coûterait encore plus cher. Enfin dans l'un et l'autre cas pour faire même un croquis il serait nécessaire d'avoir les dimensions de l'église, la hauteur de ses arcades, en un mot un programme. Veuillez dire à votre curé qu'il attende que Joly vienne à Civray pour lui donner conseil sur les lieux, et engagez le à se bien persuader qu'il est impossible de faire une chaire pour 600 f.

Pourquoi diable ne venez-vous pas à Paris, M. le Président ? Attendez-vous que les socialistes vous pillent et vous pendent. Avant que cet accident n'arrive souvenez vous du proverbe Vedi Napoli, poi mori [sic]. Je vous assure que j'aurai le plus grand plaisir à vous voir et à vous faire les honneurs de notre grande villasse (3).

Adieu mon cher Président mille amitiés et compliments.

Pr M. 22 février 1850.

(1) Architecte du Ministère des Cultes.

(2) Projet de chaire pour l'église de Civray. — Lévesque, curé de Civray, écrivait le même jour à Mr de Chergé pour lui soumettre un plan de chaire en le priant « de ne point dépasser la somme de 650 fr. demandée par l'ouvrier ».

(3) Grande villasse (ou villace) expression qu'on trouve dans Voltaire pour désigner Paris. La Fontaine (Relation d'un voyage de Paris en Limousin, lettre VI) emploie le mot villace en parlant de Poitiers.


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 167

LXX&rs

A M. LECOINTRE-DUPONT (1) ? '

7 mars 1850 MONSIEUR,

j e connais depuis longtemps l'abbaye de Fontgombauld (2) et je me félicite d'avoir été un des premiers à solliciter des mesures pour sa conservation (3). Le ministre de l'Intérieur a accordé une allocation de 10.000 francs pour les réparations les plus urgentes (4). Le ministre, des cultes devait accorder une allocation au moins égale avant que l'abbaye n'eut été acquise par la communauté de la Trappe (5). Nous espérions alors en faire une église paroissiale en plus de celle de l'abbaye de Fontgombauld notoirement insuffisante. La nouvelle destination donnée à l'édifice ne permet plus à l'administration des cultes de lui allouer une subvention. D'un autre côté il est impossible au Ministre de l'intérieur d'ajouter quelque chose à celle qu'il vient d'accorder. Vous savez, Monsieur, que le fonds des monuments historiques qui était de 800.000 francs a été réduit à 745.000. Je ne sais si les contribuables ont beaucoup gagné à cette réduction, mais les monuments y ont perdu. Nous sommes dans une époque climatérique pour les édifices du moyen âge. La plupart âgés de 5 à 600 ans, mal entretenus depuis un siècle ou, qui pis est, mal réparés, menacent ruines et je crains que la menace ne soit suivie d'une prompte exécution. Entre notre misère et les catastrophes prochaines que nous prévoyons, nous croyons avoir beaucoup fait pour les arts quand nous avons mis un édifice à peu près hors de danger.

Nous sommes obligés de réserver nos ressources pour d'autres, aussi malades. Il y a 2.400 monuments historiques en France et vous vous représenterez la situation de la commission en la comparant à un chirurgien qui n'a qu'une


168 LETTRES DE MÉRIMÉE

livre de charpie pour panser des centaines de blessés. Je laisse ce triste sujet, Monsieur, pour revenir à Fontgombauld. Nous pensons que nous pourrions peut-être obtenir le concours du ministre des cultes, si les trappistes consentaient à ce que leur église servît de paroisse au village. A ce titre je crois qu'elle pourrait obtenir une subvention. J'ai entretenu de cette affaire M. le Directeur général des Cultes qui me paraît bien disposé. Je ne négligerai aucune occasion de lui rappeler combien est important la conservation de ce beau monument. Veuillez agréer, Monsieur [etc.]

Pr MÉRIMÉE.

(1) Cf. pour l'origine de cette lettre, Avertissement, p. 45.

(2) Sur l'abbaye de Fontgombault, voirL. Démenais, L'église abbatiale de Fontgombaud, dans le Bulletin monumental, 1921.

(3) Dès le 10 février 1843, Mérimée fait un rapport à la Commission des Monuments historiques sur l'abbaye de Fontgombault. (A. C. M. H., dossier Fontgombault). Cf. aussi une note du 24 avril 1846. (Ibid )

(4) L'allocation de 10.000 fr. fut votée le 25 septembre 1849, à la suite d'un rapport de Mérimée à la Commission, séance du 13 avril 1849. (Ibid.).

(5) L'acte d'achat fut signé le 15 août 1849. Cf. Rapport de Mérimée à la Commission (séancedu 19 avril 1850) : « Tout a été dit sur l'importance de ce monument, et personne n'en est plus convaincu que le rapporteur ; la seule question à examiner aujourd'hui c'est de savoir si le Ministère de l'Intérieur n'a pas fait déjà tous les sacrifices en son pouvoir pour la conservation et la restauration de Fontgombauld. Une somme de 10.000 f. a été allouée sur l'exercice de 1850, bien que l'édifice soit devenu propriété particulière.

«C'est une exception fort rare, méritée sans doute, mais qu'Userait peut être excessif de marquer encore par une nouvelle subvention. Le résultat le plus désirable, la conservation des restes admirables du choeur, a été obtenu. Il y a lieu d'espérer que la communauté des Trappistes qui possède Fontgombauld parviendra à réunir des ressources suffisantes non seulement à la réparation de la partie conservée de l'église, mais encore au rétablissement de la nef démolie. Je suis informé que l'on a demandé à l'architecte des études à ce sujet et que la perspective d'une dépense considérable n'effraye pas la communauté.

« Dans la situation où se trouve le fonds des monuments historiques, une nouvelle allocation serait impossible. On pourrait à la rigueur promettre un secours sur un autre exercice, mais, dans mon opinion, ce secours pourrait avec plus de justice et d'utilité être appliqué à d'autres monu-


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 169

ments bien plus dépourvus de ressources que Fontgombauld et non moins dignes d'intérêt. « Pr M. »

(A. C. M. H. Dossier Fontgombault.) Il existe aux A. C. M. H. divers autres rapports de Mérimée à la Commision, à propos de l'abbaye de Fontgombault : 28 juin 1850, 31 janvier 1851, 21 mars 1851, 4 avril 1851, 4 juillet 1851, 14 novembre 1851, 5 novembre 1852, 7 janvier 1854, 22 mars 1854.

LXXI

A M. DE CHERGÉ

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR.

MON CHER PRÉSIDENT

Personne ne voudra faire un projet, voire même un croquis, pour 600 f. et surtout pour faire du carton pâte. Ce n'est pas chose proposable. Veuillez dire à votre curé qu'il s'adresse à un brocanteur, qui lui trouvera peut être quelque chaire antique. C'est le seul moyen que je sache de faire quelque chose qui ne soit pas trop mal.

J'envoie votre lettre à Mérindol.

Mille amitiés et compliments.

Pr M. 8 mars 1850.

LXXII A M. DE CHERGÉ

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR

MON CHER PRÉSIDENT, Je vous renvoie votre discours qui me paraît médiocre


170 LETTRES DE MÉRIMÉE

de style et assez méchant d'intention (1). Je ne suppose pas cependant que nous en mourions, vous ou moi.

Que voulez vous que je vous dise pour la chaire. Lisez la cuisinière bourgeoise, vous y verrez que pour faire un civet il faut un lièvre ; faire une chaire sans bois ! Comment voulez-vous qu'un architecte patenté par nous, se mêle de carton pâte.

Mille amitiés et compliments.

Pr M. 21 Mars 1850.

(1) Discours de l'Abbé Auber (Séance publique du 26 décembre 1849) sur les idées qui l'ont dirigé dans la restauration des fresques de Sainte-Radegonde. Mémoires Soc. Ant. de l'Ouest, t. XVI, 1849, p. x à xxv. Il y est dit notamment : «. . nous n'accorderons pas facilement qu'il faille transformer une église en un musée inintelligible à la foule, en une sorte de lieu profane où l'on viendra, à toute heure, et trop souvent sans respect du Dieu qui l'habite, s'extasier sur des figures incomplètes, sur des membres mutilés, sur des débris de scènes incohérentes, à l'usage, tout au plus, des savants du monde et des touristes de bon ton... » Ce trait paraît dirigé contre Mérimée.

LXXIII A JOLY-LETERME

Paris 19 Avril [1850]. MON CHER AMI,

J'ai reçu votre travail sur Nantilly (1) et sur le Puy N. D. (2). Suivant votreusage vous n'avez rien porté au devis pour vos honoraires. Cependant il me semble que vous avez reçu une assez bonne leçon pour vous guérir de cette distraction habituelle.

En outre vous ne comptez rien pour l'imprévu. Quand on travaille comme vous faites dans de si vieilles masures ce n'est pas cependant un article à négliger. Je ne puis croire pour moi que vous vous tiriez du Puy N. D. avec 28.000 i.


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 171

Quand vous aurez mis le marteau à un bout de l'édifice vous verrez tout chanceler.

Quoiqu'il en soit nous n'avons plus un sou et nous ne savons où donner de la tête. MrLouvet (3) m'écrit que la commune de Puy N. D. ne peut rien donner, et que Saumur ne donnera rien. A ce compte je ne pense pas qu'à moins d'un miracle les deux églises puissent durer longtemps.

Vos devis ne sont pas divisés par catégories suivant l'usage, cela est essentiel cependant. Et puis vous nous comptez des travaux d'un luxe effréné comme des carreaux émaillés à Nantilly, et nous n'avons pas seulement de quoi payer des ardoises au toit.

Le fait est que pour 1850, nous n'avons plus rien.

Tâchez de nous réduire vos deux devis, surtout celui de Nantilly, pour ' 1851. Quant au Puy "N. D. je pense que c'est une église condamnée à mort. Je ne crois pas qu'avec 60.000 f. elle pût s'en tirer. On vous écrira officiellement du M[inist]ère sur tout cela. Adieu mille amitiés et compliments. Pr M.

(1) Rapport de Mérimée à la Commission. Séance du 19 avril 1850 (A. C. M. H. Dossier église de Nantilly de Saumur, Maine-et-Loire) :

« Le rapport de Mr Joly (a) signale la situation inquiétante de N.-D. de Nantilly, dont il est inutile sans doute de rappeler ici l'importance. Cette situation est, comme il semble, le résultat de la déplorable négligence ou même de travaux très imprudents qu'elle a fait exécuter à une époque très éloignée. Ainsi on a coupé la base et la partie inférieure de presque toutes les colonnes, en sorte que les arcs doubleaux qui s'y appuient se trouvent aujourd'hui comme suspendus en l'air.

<( Les voûtes, d'une portée considérable, se sont lézardées sur plusieurs joints, et leur courbe, qui est presque un plein cintre, s'est complettement déformée en s'affaissant. Elles sont d'ailleurs chargées d'une masse énorme de tuiles brisées, de terre et de gravois qui se pénétrent d'humidité et contribuent d'autant à la dégradation.

« La partie inférieure des murs de Nantilly souffre également de l'humidité car l'aire de l'église est dominée par le sol environnant. Enfin la toiture est en mauvais état et le pavement de l'église ne se compose plus que de dalles brisées, laissant entre elles des interstices ou même des trous profonds.

« Le devis de M' Joly ne donnera lieu qu'à fort peu d'observations qui d'ailleurs n'ont point d'autre objet que de réduire le chiffre de la dépense.


1/2 LETTRES DE MÉRIMÉE

C'est ainsi que l'on se demande si le canal d'aération, proposé par l'architecte le long des murs de l'église, ne pourrait pas être remplacé sans inconvénient par un simple dallage ; si le pavement en briques incrustées . dont la dépense monte à plus de 8.000 f. ne doit pas être ajourné à un temps plus heureux ; si le débadigeonnage de l'église n'est pas une opération qui peut être indéfiniment retardée. Toutes ces observations se résument en une seule, c'est que l'architecte s'est préoccupé d'une restauration presque complette, tandis qu'il sera difficile dans l'état de nos ressources, de parvenir même à une simple consolidation.

« Les devis de Mr Joly est d'environ 25.000 f. (b) cette somme, comme on a pu le voir, peut être notablement diminuée, si l'on ajourne un certain nombre d'articles et je pense que 12 à 15.000 f. suffiraient pour les travaux les plus urgents.

« Rien dans le dossier ne fait connaître quelles peuvent être les ressources locales. Je crois qu'il ne faut guère compter sur le concours de la ville ou sur celui de la fabrique. La ville est, dit-on, épuisée par des sacrifices considérables, et on sait que la paroisse de Nantilly est la plus pauvre de Saumur.

« Le concours de l'administration des Cultes me paraît indispensable pour arriver à une réparation efficace. Je propose de le réclamer.

« On devrait inviter en même temps Mr Joly à réduire son devis, ou plutôt à le diviser par catégories selon l'urgence des travaux ; enfin je proposerais de réserver une somme de 7.000 f. au moins, et de solliciter une allocation de même valeur de Mr le Ministre de l'Instruction publique.

« Malgré le peu d'espoir d'un concours de la part de la ville et de la fabrique, il serait cependant à propos de le réclamer avec une grande insistance.

« Pr M. »

(a) En date du 9 avril 1850. Devis de 24 604 f. 34.

(b) M. Joly n'a pas compté ses honoraires dans ce total, et n'a porté aucune somme pour l'imprévu. Je suppose qu'il faudrait au moins 30.000 f. pour les travaux qu'il a indiqués {note de Mérimée).

(Sur N -D. de Nantilly, voirie Congrès archéologique a"Angers de 1911, t. I, p 12).

(2) Rapport de Mérimée à la Commission. Séance du 19 avril 1850 (A. C. M. H. Dossier du Puy Notre-Dame) :

« L'église du Puy N. D. est un édifice fort curieux surtout par sa position dans le voisinage de Saumur, où son architecture est une excep - tion fort singulière au système général du pays. On s'explique sa disposition étrange en se rappelant que la ville de Puy Notre-Dame appartenait aux comtes de Poitiers et que l'église fut bâtie par Guillaume VI évidemment sur le modèle de la cathédrale de Poitiers.

« La situation de cet édifice est déplorable. Les ravages du temps, le vandalisme des hommes se font voir dans toutes les parties. Toiture délabrée, contreforts et murs latéraux déversés, voûtes lézardées, une tour énorme tout à fait hors d'aplomb, partout des pierres rongées ou brisées, des moulures et des sculptures mutilées, tel est le spectacle que présente aujourd'hui l'église du Puy N.-D. Mon impression, à la suite d'une visite que je fis l'année passée, était que le mal était irrémédiable, et qu'une


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 173

restauration équivaudrait à une reconstruction à peu près complette.

« Mr Joly n'a pas partagé cette opinion ; le travail qu'il adresse à Mr le Ministre, comprend les réparations les plus urgentes, et même quelques dépenses d'ornementation ou de décoration qui peuvent être ajournées sans inconvénient, et pourtant le total n'est que de 28 304 f. A la vérité son devis ne porte point de réserve pour l'imprévu, et selon une vieille habitude de Mr Joly, il a omis de compter ses honoraires. Ainsi au lieu de 28.000 f. c'est une somme d'au moins 32 à 33.000 f. qu'il faut compter. Pour moi je ne doute pas que ce dernier chiffre même ne soit insuffisant ; quand on a vu l'état de toutes les parties de la construction il est impossible de ne pas admettre que la part de l'imprévu ne peut manquer de dépasser de beaucoup le dixième que je calculais tout à l'heure.

« Quoiqu'il en soit, et la dépense fût-elle encore moindre que Mr Joly ne l'évalue, je ne crois pas possible d'entreprendre quant à présent la restauration de N. D. Les ressources de la localité ne sont pas indiquées au dossier, mais j'ai tout lieu de croire qu'elles sont à peu près nulles. Le fonds de secours du Mre de l'Intérieur est épuisé et le Mre des Cultes se trouve dans la même situation.

« Le travail graphique de Mr Joly est encore incomplet. Il n'a transmis au Ministère qu'un plan et une coupe en travers. L'église est assez intéressante pour mériter une étude complette. Je propose de la demander à l'architecte, en l'engageant à revoir son devis et à le diviser par catégories suivant le degré d'urgence des travaux.

« On peut en même temps réclamer dès à présent le concours de l'administration des Cultes, mais je crois que toute décision quant à une allocation de secours doit être ajournée à l'année prochaine.

P. M. »

« P. S. Ecrire au Préfet de Maine-et-Loire pour connaître les ressources de la commune et de la fabrique. »

(Sur le Puy-Notre-Dame, voir le Congrès archéologique d'Angers de 1911, t. I, p. 73).

(3) Maire de Saumur. Voir p. 223, note 4.

LXXIV

A JOLY-LETERME

[22 juin 1850].

Mon cher ami, vous avez su à Paris que j'étais en voyage (1). Je suis revenu hier. Je n'ai pas encore vu vos dessins pour Notre-Dame. Je regrette toujours que l'argent dont le curé dispose n'ait pas une destination plus utile.


174 LETTRES DE MÉRIMÉE

Avanl de décorer, il faudraiL consolider. Je vous recommande de bien surveiller vos peintres et de leur recommander la plus grande exactitude. Je pense que vous aurez pris vos modèles à St. Savin. Il faut que ce travail soit à l'abri de toute critique ; vous savez que nous avons là un abbé qui ne demande pas mieux que de nous tailler des croupières.

Nous avons 20,000 f. réservés pour N. D. mais la ville devra s'exécuter de son côté. Espérez-vous quelque chose ?

On se plaint que Charrouxne s'achève pas, Reste-t-il de l'argent? Vous en faut-il encore ? Pourquoi ne nous en avez vous pas demandé ?

Il me parait assez difficile d'intervenir dans l'affaire dont vous me parlez. M. Godard Faultrier (2) a trop de zèle, mais je vous engage à agir politiquement avec lui. Si vous n'avez ni le temps ni l'envie de discuter avec lui, dites-lui que vous ne partagez pas ses idées et que le Ministre décidera. Ne vous mettez pas en peine pour si peu de chose.

Je vais faire écrire au sous-préfet pour l'affaire de Cunault de la manière que vous désirez.

Mille amitiés et compliments.

Pr M. 22 juin 1850.

(1) Mérimée a séjourné à Londres du 26 mai au 21 juin 1850.

(2) Correspondant du Comité des Monuments historiques, à Angers.

LXXV

A JOLY-LETERME

Paris, 13 juillet 1850.

Mon cher ami, je vous ai mandé, je crois, qu'il y avait 20.000 f. réservés pour Notre Dame à la condition que la ville ou la fabrique en fourniraient 24 mille, votre devis


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 175

étant de 44,000 f. Nous attendons la réponse du conseil m[unicipa]l. Nous leur avons fait une galanterie en attendant, c'est de leur donner 500 f. pour leur pierre levée que le propriétaire du terrain menaçait de démolir. Vous savez qu'en tout état de cause nous n'avons pas un sou pour cette année. Il faut espérer que la ville se saignera noblement. Je trouve très flatteur pour vous la critique des Poitevins et je vous en fais mon compliment sincère.

De Chergé me boude parce que nous restons insensibles aux pierres des trappistes de Fontgombauld (1). Ces messieurs m'ont fait écrire plus de trente lettres et chacun des membres de la commission en a reçu autant.

Mille amitiés et compliments.

P' M.

(1) Cf. A. C. M. H (Dossier Fontgombault). Rapports de Mérimée, 10 février 1843, 24 avril 1846, 13 avril 1849, 19 avril 1850.

Lettre de Chergé du 19 juin 1850 demandant des secours pour Fontgombauld et la note suivante de Mérimée, 28 juin 1850 :

« C'est avec beaucoup de regret que je propose à la commission de persévérer dans sa décision, et de borner les secours accordés à l'église de Fontgombauld à l'allocation de 10.000 f. déjà ordonnancée. Dans la situation du crédit des Monts historiques, il est impossible je crois de donner une subvention plus considérable sans porter préjudice à d'autres monuments dont l'importance est aussi grande, et la situation beaucoup plus inquiétante que celle de Fontgombauld ».

LXXVI A JOLY-LETERME

MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR.

Paris, le 29 juillet 1850.

Mon cher ami, je vous envoie un rapport au Ministre qui vous amusera peut être (1).

Chergé m'écrit qu'il a appris de vous que vous aviez trouvé des fresques très curieuses à S* Pierre-les-églises (2).


176 LETTRES DE MÉRIMÉE

Je crois que c'est cette église que nous avons visitée un jour en allant de Tours à Angers par la Loire (2). Dites-nous ce que vous avez trouvé.

Mille amitiés et compl[iment]s.

Pr M.

(1) Rapport du 17 juillet 1850, qui commence ainsi : « Monsieur le Ministre, la Révolution qui a changé tant de choses en.France n'a pas diminué l'intérêt qui s'attache à nos Monuments historiques... » Mérimée y signale à propos de Sainte-Radegonde de Poitiers, « les tristes effets d'un zèle inconsidéré » Ce rapport a été réimprimé dans Les Monuments historiques de la France à l'exposition universelle de Vienne, par M. E. du Sommerard, Paris, Imp Nationale, 1876, p. 361.

(2) Mérimée doit confondre ; St-Pierre-les-Eglises se trouve près de Chauvigny dans la Vienne.

LXXVI bis

A L'ABBÉ LENOIR il)

12 sept. 1850. MONSIEUR,

J'apprends avec beaucoup de regret l'accident (2) arrivé à l'église de Fontgombauld. La situation du fonds des monuments historiques ne permet pas malheureusement d'accorder aucune allocation nouvelle, et je crains qu'en 1851, il ne soit fort difficile à l'administration du dép[artemen]t de l'Intérieur de réserver quelque subvention pour réparer votre église. J'ai entendu dire qu'il était question d'en céder une partie à la paroisse de Fontgombauld, dans ce cas peut-être, le Ministère des Cultes accorderait quelques fonds.

Je regrette, Monsieur, de n'avoir pu répondre plutôt à la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser. J'arrive de voyage (3) et ne l'ai trouvée qu'hier à mon retour.

Veuillez agréer, Monsieur, l'assurance de ma plus haute considération.

Pr MÉRIMÉE.


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 177

(1) Sur la provenance de cette lettre, voir Avertissement, p. 45.

(2) Le sous-préfet du Blanc écrivait le 10 septembre 1850 au préfet de l'Indre : « A côté de la porte principale de l'église se trouve une petite porte latérale supprimée, dont le cintre est surmonté d'une baie carrée ouverte dans l'épaisseur du mur de la façade et qui donnait accès à un petit escalier détruit. C'est l'un des pieds droits de cette baie qui s'est écroulé avec une partie de la maçonnerie qui lui était adhérente ». (Cité dans une lettre du préfet de l'Indre, datée du 13 septembre 1850. — A. C. M. H. dossier Fontgombault.)

(3) Mérimée a passé dix jours en Normandie (Cf. Lettres à la famille Delessert, 11 septembre 1850, p. 61).

LXXVII A JOLY-LETERME

MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR

Paris, le 8 Novembre 1850. MON CHER AMI,

Avant de statuer sur l'affaire de Lusignan, nous voudrions bien savoir quel serait le prix des maisons voisines, car nous sommes persuadés que sans isolement il n'y a pas moyen d'arriver à un résultat utile. Veuillez donc nous envoyer un aperçu de la dépense, et s'il se peut un plan d'ensemble de l'église et des maisons qu'il faudrait jeter par terre (1).

Mille amitiés et compl [iment]s.

P^M.

(1) Cf. Rapport de Mérimée à la Commission. Séance du 8 novembre 1850 (A. C. M. H. Dossier Eglise de Lusignan, Vienne) :

« L'importance de l'église de Lusignan n'est pas contestable, et sa situation est de nature à inspirer les plus vives inquiétudes. Malheureusement outre que la dépense que les réparations doivent occasionner sera considérable, il paraît indispensable pour assurer la conservation de l'église d'ajouter à cette dépense des acquisitions dont je regrette de ne pas trouver l'évaluation dans le dossier ci-joint. A mon avis les cinq maisons contiguës à l'église sont pour ce monument une cause incessante de

12


178 LETTRES DE MÉRIMÉE

ruine, et tous les travaux qu'on exécutera sans l'avoir isolée né seront que des palliatifs plus ou moins imparfaits.

« Si la commission pense comme moi que cette église est digne d'une restauration complette, je proposerai d'ajourner toute décision jusqu'à ce que les dépenses d'acquisition soient connues. Mr Joly annonce d'ailleurs le complément de son travail graphique, on lui demanderait d'y joindre un plan des maisons et leur estimation.

« Dès à présent on pourrait également s'informer des ressources locales et rappeler aux autorités que les sacrifices que feront la commune et le département auront nécessairement une grande influence sur la détermination que le gouvernement prendra à l'égard du monument.

« Pr M. »

LXXVIII A JOLY-LETERME

MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR.

Paris, le 10 Janvier 1851. MON CHER AMI,

On vient d'accorder 20,000 f. pour Candes (1) à la condition que la commune, le Dépt et le Mère des cultes feront les 9991 f. restant à couvrir.

Engagez vos Députés à insister fortement auprès du Mère des Cultes pour qu'il accorde une allocation.

On n'a donné aucun ordre à.Mr. Mérindol au sujet de Lusignan (2). Nous attendons votre projet. Je vous écris fort à la hâte, et dans quelques jours je répondrai article par article à votre lettre. En attendant je vous souhaite une bonne année et toutes sortes de prospérités, t. à v.

Pr MÉRIMÉE.

(1) Rapport de Mérimée à la Commission, Séance du 10 janvier 1851 (A, C. M. H., dossier de Candes, Indre-et-Loire) :

« L'église de Candes est un des monuments les plus intéressants de la Touraine où il y en a tant. Son architecture est d'une rare élégance, et présente le mélange d'une construction religieuse et de dispositions militaires.


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 179

L'ornementation en est admirable. La sculpture des chapiteaux et de la porte principale peut être comparée aux meilleurs types que nous ait laissé le moyen âge.

« La situation est fort inquiétante. Le manque d'entretien y a produit de désastreux effets. Les galeries et les plateformes couvertes de végétation laissent pénétrer les eaux. La charpente est pourrie, et les tours sont en quelques points déversés et minés à leur base. Enfin les belleSsculptures sont couvertes de tant de couches de badigeon qu'il faut un oeil exercé pour les retrouver sous cette ignoble peinture.

« Le devis de Mr Joly est divisé en deux catégories, mais dans mon opinion, il est difficile de les séparer, et je verrais avec peine que pour un édifice de cette importance on se bornât aux travaux de pure consolidation. L'église de Candes est un type rare qu'il faut rendre aux arts et la dépense prévue ne me paraît pas hors de proportion avec l'intérêt qu'elle doit inspirer.

«Le devis monte pour la lre catégorie à 17.516,14

pour là seconde 11.046,85

« Total avec les honoraires de l'architecte 29.991,13

« Je proposerai d'accorder dès à présent une somme de 20.000 f. et de demander au dép* et au Ministère des Cultes le complément de la somme

nécessaire à l'achèvement de la restauration, soit 10.000

« P. M. » (Adopté).

(Sur Candes, voir le Congrès archéologique d'Angers de 1911, t. I, p. 39.)

(2) Voir sur Lusignan : B. Ledain, Lusignan, dans Paysages et mon. du Poitou, t. II. ,

LXXIX A JOLY-LETERME

Paris, 22 Mars 1851.

Mon cher ami, hier la commission a, sur mon rapport, accordé les 700 f. que vous demandiez pour les tapisseries de Nantilly. Quant à Cunault, on vous donnera 10,000 f. (en deux exercices j'espère) (1).

Vous en demandiez 15000, mais il y en avait 4000 pour pavement et la com[missi]on dit Paveant illi aiego non paveam. Tâchez d'avoir quelque chose du Mère des Cultes. Si vous aviez envoyé comme vous'l'aviez promis le dessin des terres cuites que vous avez trouvées peut-être aurions-nous pu


180 LETTRES DE MÉRIMÉE

obtenir quelque chose pour essayer une restauration du pavement dans une apside.

On a pensé qu'au lieu de 2.000 f., 1.000 vous suffiraient pour la sculpture. Il ne faut pas faire des chap[iteau]x neufs sur la façade. Ceux de la nef ne sont pas intéressants. Ces deux articles supprimés le reste vous est accordé, soit 10.000.

Je vous demanderai une explication au sujet d'une couverture de zinc et de tuyaux de descente. Je ne comprends pas pourquoi cette dépense-là. Ce passage de votre devis n'est guère clair.

Je ne comprends pas davantage ce que vous voulez dire au sujet d'une certaine fouille.

Les médailles dont vous m'avez envoyé des empreintes sont assurément gauloises et des derniers temps, mais les empreintes sont si mal venues qu'il n'est pas possible de leur donner une attribution.

Tachez donc d'en finir avec Charroux ; nous recevons des plaintes tous lçs jours.

Mille amitiés et compliments.

Pr MÉRIMÉE.

(l)Le 12 mars 1851, Joly avait adressé un rapport et un devis estimatif des travaux à faire pour le complément de la restauration de l'église de Cunault. Total : 15333 fr. 37.

Rapport de Mérimée à la Commission. Séance du 21 mars 1851 (A. C. M. H. Dossier Eglise Notre-Dame de Cunault) :

« Je regarde comme très désirable l'achèvement des réparations de l'église de Cunault, et si les ressources de l'adm[inistrati]on étaient plus considérables, je demanderais sans hésiter que la restauration fût exécutée d'une manière plus complette que ne le propose M. Joly.

« Malheureusement la situation des fonds des monuments historiques m'oblige à restreindre les travaux dans les limites de la consolidation. Je crois donc que les observations suivantes peuvent être présentées sur le travail de l'architecte :

« 1° Le dallage n'étant pas d'une indispensable nécessité et concernant d'ailleurs particulièrement le service du culte, je proposerais de supprimer cet article, évalué 4000 f. au devis. Si cependant la commission prennait en considération les découvertes très curieuses que M. Joly a faites dans le choeur de Cunault et qui lui ont fourni de nombreux échantillons et


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST '•■ 181

des renseignements certains sur la disposition de l'ancien pavage, je crois qu'on pourrait appliquer tout ou partie de cette somme à le reproduire dans le choeur, au moins dans la chapelle apsidale.

« 2° La réfection des chapiteaux pourrait encore être d'une opportunité contestable. Je ne sais si les chap[iteau]x de la nef qui sont très barbares méritent d'être refaits. Plusieurs de ceux qui soutiennent l'arcature appliquée sur la façade n'ont jamais été épannelés, et je crois non seulement inutile, mais contraire aux principes de la commission de les reproduire.

« Si l'article sculpture était supprimé, il en résulterait une économie d'environ 2000 f. Je crois qu'on pourrait sans inconvénient la réduire à 1000 f.

« 3° Je demanderais à M 1' Joly d'aviser s'il n'y aurait pas lieu de substituer une autre couverture que le zinc au bas-côté du choeur. J'appellerai encore son attention sur l'emploi très peu monumental de tuyaux de descente qu'il a proposés. Ces deux articles 9 et 19 du devis devraient être l'objet d'une nouvelle étude.

« En résumé le devis qui est de 15333 f. pourrait, je crois, être réduit à 10000 et dans le cas où toute cette somme serait disponible, je crois qu'il y aurait lieu de l'employer soit à reproduire une partie de l'ancien carrelage en terre émaillée, soit à un débadigeonnage général. On sait qu'il existe beaucoup de peintures à Cunault.

« P. M. »

« La commission approuve les conclusions du rapport et est d'avis d'allouer les 10000 f. nécessaires, en deux exercices. « Le secrétaire de la Commission :

« H. COURMONT. »

LXXX

A JOLY-LETERME

28 Juin 1851

Mon cher ami, la commission a vu avec beaucoup d'intérêt vos carreaux de Cunault (1). Si nous avions moyen de les publier, ce serait une chose excellente à faire connaître et qui commencerait bien la publication de nos archives, mais on nous refuse toujours l'argent nécessaire. Je m'adresserai donc à la revue de Leleux ou bien à la Revue d'architecture. 11 faudrait que vous me donnassiez une note sur votre découverte que je ferais insérer en même temps.


182 LETTRES DE MÉRIMÉE.

J'ai fait hier un rapport sur Lusignan (2). L'achat pour revendre des propriétés contiguës à l'église ne me semble guère facile. Mais on a pensé qu'avec 12000 fr. on pourrait selon vos prévisions acquérir les terrains indispensables. Dans votre devis pour les réparations de l'église vous n'avez pas compté d'imprévu. La Commission est d'avis qu'il faut s'attendre à un cinquième au moins ; c'est donc sur 30000 f. au lieu de 25000 qu'il faut calculer. Total 42000 f. Elle a voté hier 21000 f. conditionnellement ; les cultes et la ville auront à compléter la somme.

Quant à Charroux (3), on ajourne quant à présent les travaux de la crypte. Le vitrage ferait perdre au monument sùn aspect pittoresque et son caractère. Nous avons pensé qu'avec 4000 f. vous pourriez profiter des échaffaudages, couvrir en plomb la coupole, et faire les menues reprises de votre devis.

Veuillez me transmettre promptement (4) vos observations a ce sujet si vous en avez à faire.

Mille amitiés et compliments.

P^ M.

(1) De Saumur, le 11 juin 1851, Joly adresse au Ministre de l'Intérieur les dessins d'un carrelage retrouvé dans la chapelle absidiale de l'église de Cunault. (Une note de Mérimée à ce sujet manque au dossier).

(2) Rapport de Mérimée à la Commission : séance 27 juin 1851 (A. CM. H , dossier Lusignan, Vienne) :

« Le travail transmis par M. Joly complette l'instruction de l'affaire de Lusignan. Les réparations urgentes, s'élèvent selon le devis à 25.117 f. pour les deux lres catégories ; les acquisitions de terrain sont évaluées par M. Joly, (aidé dans cette opération du Maire de Lusignan et d'un géomètre expert) à 25 000 f. Il suppose toutefois que les acquisitions les plus utiles,-ou pour mieux dire, indispensables pour que les travaux de restauration puissent commencer, ne dépasseraient pas une somme de 11 à 12.000 f. Il a même réduit le nombre des maisons à acheter au point de n'avoir plus à dépenser que la moitié de cette dernière somme ; mais je ne pense pas qu'il fallut adopter ce parti extrême. Si la restauration de l'église est décidée, il convient de l'exécuter dignement etcomplettement. Dans mon opinion les acquisitions qui n'auraient pas lieu en même temps que les réparations ne se feront jamais, ce qui serait fort regrettable. Cependant la dépense est si considérable que la Commission pensera peutêtre qu'il y aurait lieu d'adopter la proposition moyenne de M. Joly.


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 183

« Le devis des réparations ne contient aucune somme pour imprévu. Dans un édifice si ancien et miné par tant de causes de destruction, je ne crois pas que ce soit trop d'un cinquième à réserver pour l'imprévu. Ainsi à mon avis, c'est à une somme de 42.000 f. environ qu'il faut évaluer la restauration.

« A la vérité M. Joly espère qu'en revendant, sous condition de ne pas bâtir une partie des terrains achetés, on -pourrait réduire la dépense. C'est ce qui a été fait déjà à Saint-Julien de Tours avec succès, mais je ne sais si l'on trouverait à Lusignan un maire aussi zélé et aussi habile en affaires que M. Walmontde Tours. D'ailleurs je ne crois pas que les terrains qui pourraient être revendus aient une valeur considérable ; c'est au surplus une affaire à tenter si la restauration est décidée.

« Quelle doit être la part du Ministère de l'Intérieur dans l'entreprise ? La ville de Lusignan est pauvre, mais je crois que l'évêque de Poitiers et le supérieur du Séminaire, M. l'abbé Cousseau, l'un et l'autre ardents promoteurs de cette restauration, pourraient obtenir quelques fonds par voie de souscription. D'un autre côté il me paraît probable que le Ministère des Cultes accordera son concours.

« La dépense prévue étant de 42.000 f. je proposerai d'allouer conditionnellement la moitié de cette somme (21.000 f.) en réclamant l'assistance de la commune et celle de la ville.

« Je crois que si l'administration municipale de Lusignan voulait agir avec fermeté, elle obtiendrait des réductions assez notables sur les acquisitions de terrain. La plupart des propriétaires sont passibles de poursuites pour avoir entamé les constructions de l'église (voir le rapport de M. Joly) ou compromis l'édifice en établissant, en contravention aux règlements, des latrines, des fumiers etc., contre les murs de l'église. Peutêtre serait-il à propos d'actionner ces propriétaires avant toute proposition. La perspective d'un procès les rendrait plus traitables, et certains d'entre eux pourraient même être condamnés à des dommages-intérêts considérables. Mais, est-il possible d'espérer que l'autorité municipale ose agir avec cette vigueur ?

« P. M. »

(3) Rapport de Mérimée à la Commission, séance du 27 juin 1851. (A. C. M. H. Dossier Charroux, Vienne) :

« Le travail de M. Joly me paraît comprendre deux entreprises bien distinctes : 1° l'achèvement de la réparation de la tour de Charroux; 2° la restauration de la crypte découverte sous cette tour ou plutôt sous cette coupole ruinée.

« La première est à mon avis fort urgente. Il y a fort longtemps que les travaux sont commencés et il est fâcheux pour l'effet produit dans le public qu'ils ne soient pas encore terminés. En outre les échaffauds se perdent par ces retards prolongés.

Quant à la restauration de la crypte, bien que ce soit un travail utile et très curieux au point de vue archéologique, il n'a pas la même urgence et je ne vois nul inconvénient à l'ajourner jusqu'à un temps plus heureux.

« M. Joly me paraît, en ce qui concerne la tour, avoir méconnu les intentions de la Commission. Il se propose de la clore et de la vitrer, afin d'y établir un musée composé de tous les fragments provenant de l'an-


184 LETTRES DE "MÉRIMÉE

cienne abbaye de Charroux. Je vois deux inconvénients à ce projet : l°en vitrant la partie basse de la coupole, on lui ferait perdre une partie de son caractère ; 2° je crois impossible d'avoir à Charroux une surveillance assez exacte pour assurer la conservation des objets qui seraient déposés dans la tour restaurée.

« A mon avis, le meilleur et le plus simple parti, c'est de conserver ce monument curieux à l'état de ruine ; d'en préserver seulement la voûte, refaire les joints, etc. Je ne pense pas que ces travaux que je voudrais voir exécutés rapidement coûtent plus de 4.000 f. Du moins je suis fondé à le croire en étudiant le devis de M. Joly.

Je propose d'accorder cette somme sur le plus prochain exercice. Plus tard on statuera au sujet des réparations de la crypte.

«Pr M.»

(4) Mérimée partira bientôt pour Londres, en juillet 1851, rejoindre Léon de Laborde, se rendant à l'Exposition universelle de l'Industrie ouverte depuis le 1er mai. Il reviendra ayant le 10 août.

LXXXI A JOLY-LETERME

MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR .

1 Paris, le 13 septembre 1851

Mon cher ami, n'avez vous pas un devis des réparations à faire au temple St-Jean ? On m'en écrit des choses alarmantes, et il serait à propos de savoir au plutôt ce que coûteront les travaux les plus urgents. Si vous avez, comme" je pense, les éléments de ce devis à votre disposition je vous serais fort obligé de nous l'envoyer.

Mille amitiés et compliments.

Pr M.

LXXXII A JOLY-LETERME

Paris 15 décembre au soir [1851]

Mon cher ami, Je vous remercie de votre bonne lettre. Nous n'avons eu


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 185

ni balles ni éclaboussures, comme des gens qui ne font pas de barricades et qui les ont en horreur. La raclée a d'ailleurs été vigoureuse et peut compter' comme une revanche de 1848 (1). Il faut espérer qu'on s'en souviendra. Je suis content d'apprendre que vous soyez demeurés calmes au milieu de ce tapage. Je ne connais rien de plus affligeant que ce pauvre pays si fier de sa civilisation, et dans lequel on brûle à petit feu des gendarmes, on viole des religieuses, et on tue des gens qui ont des redingottes noires, le tout sous prétexte de politique. Un de mes amis, homme mal embouché, disait qu'il était affligé de voir tant de morceaux de merde habillés en hommes se promener dans les rues de son pays. Mais que voulez vous ? Notre Commission n'a pas perdu de son crédit, j'espère. Nous continuerons notre petit bonhomme de chemin comme par le passé. Mille amitiés.

PrM.

(li Mérimée écrivait le 20 décembreà Auguste Leprévost : « ...La peur de 1848 a fait trouver que les coups de pieds au cul étaient peu de chose en comparaison de la guillotine qu'on craignait. En 1851 les coups de pied au cul ont paru plus mortifiant... Les parlementaires disent qu'on n'a ni pillé ni volé. Il est vrai que quelques sous-préfètes ont trouvé que la répression a été trop prompte, maïs elle était bien nécessaire. J ai vu des lettres de témoins oculaires qui citent des faits qu'on croirait pris au xive siècle... »

LXXXIII A JOLY-LETERME

Paris, 28 déc[emb]re 1851. MON CHER AMI,

Permettez-moi de vous recommander MT Worsaae, commissaire royal pour la conservation des monuments de Danemarc (1). Il va visiter nos dolmens de Bretagne, et s'arrête


186 LETTRES DE MÉRIMÉE -

à Saumur pour voir le dolmen de Bagneux. Veuillez lui parler des découvertes en ce genre que vous faites et le mener à votre musée. Vous avez, je crois, des notes sur des ossuaires qui l'intéresseront fort. Enfin, je vous serai très obligé de vouloir bien le traiter en confrère et en archéologue. Mille amitiés et compliments.

Pr MÉRIMÉE.

Comment s'appelle le dolmen au-dessus de Bagneux ? Indiquez-le à Mr W [orsaae].

(1) Historien et archéologue danois, né à Vejle, le 14 mars 1821, mort à Hagestedgaard près Holbek, le 15 août 1885. Auteur de Restes des âges de la pierre et du bronze dans l'ancien monde et le nouveau (1879).

Worsaae se rendit en effet à Saumur, en mars 1852. Il étudia quelques objets préhistoriques découverts par Joly-Leterme et en fit le sujet d'une communication au Congrès de Copenhague de 1869.

On y lut une lettre de Mérimée du 17 avril 1853 (cf. plus loin : lettre du 5 juillet 1852 et note 2) ainsi qu'un long rapport de Joly-Leterme, donné par celui-ci à Worsaae, lors de leur rencontre à Saumur; le 3 mars 1852

Le 1er avril 1853 Mérimée fit une communication verbale &VAcadémie des Inscriptions et Belles-Lettres au sujet des découvertes de Joly-Leterme (Cf. Mémoires de l'Institut Impérial de France, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, XX, ï, p. 252-253).

Le 14 avril 1853 [Moniteur universel, p. 413) il écrivit un article Sur les antiquités prétendues celtiques, pour relater les découvertes faites en France par M. J. J. A Worsaae.

LXXXIV

A M. DE CHERGÉ

Paris, 30 janvier 1852.

Mon cher président je n'ai pu voir plutôt M. Barre (1) au sujet de votre médaille.

Il proteste contre- le dolmen qu'il prennait pour une brioche (2).

Le cavalier avec couronne et lettres au revers coûterait 1000 f. pour le coin.


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 187

M. Barre vous propose pour 800 f. de vous faire un écusson surmonté d'une couronne ou d'un casque avec lambrequins qui pourrait être d'un assez bon effet. Couronne et lettres bien entendu.

Le coin fourni pourrait frapper or, cuivre, argent et mêmefer. Les médailles d'argent se payent au kilogramme 247 f. Le métal est fourni à 950 millièmes. Les médailles de cuivre, 40 centimes -par jeton à virole c. à d. frappé de façon à ce que la tranche soit nette et la pièce bien ronde.

Jetons cordonnés sans virole 25 centimes la pièce.

J'oubliais de vous dire que les médailles, d'argent sans virole ne reviendraient, frappe et métal, qu'à 234 f. le kilog.

On nous a envoyé hier à la commission des Cultes un projet de façade pour Châtellerault d'un M. Godineau (3) qui m'a paru bien mauvais ne vous en déplaise. Quelle diable de manie de reproduire en la gâtant la façade de N. D. de Poitiers ? Et quel cadran sur un tombeau étrusque ? Je ne parle pas des deux canules d'apothicaire qui surmontent les deux tours. Le devis m'a paru un peu légèrement fait ; 3000 f. pour la sculpture !

N. B. se méfier des architectes qui vous font des bonshommes en dessin, qu'on ne peut exécuter en pierre.

On a demandé à l'unanimité quelque chose de raisonnable et de simple. Conseillez-lui donc de ne pas chercher midi à 14 h. et à ce propos de mettre ailleurs son cadran. Mille amitiés et compliments.

P'" M.

(1) Il s'agit soit de J.-J. Barre graveur en médailles, soit de son fils Désiré-Albert, qui devint graveur général de l'Hôtel des Monnaies.

(2) A cette lettre M. de Chergé a joint un croquis de médaille dont nous ignorons la destination et qui représente une vue de Poitiers avec, au premier plan, le dolmen delà Pierre-Levée.

(3) Projet de restauration de la façade de l'église Saint-Jacques dressé par M. Godineau de la Bretonnerie, architecte à Châtellerault (Vienne). Cf. Bulletin Soc. Ant. de l'Ouest, 46 trimestre 1855, p. 343.


188 LETTRES DE MÉRIMÉE

LXXXV

A JOLY-LETERME

Paris 6 février 1852.

MON CHER AMI,

Je vous remercie beaucoup des choses aimables que vous me dites à l'occasion de mon accident (1).

Notre Commission a repris ses séances. Je leur ai communiqué votre lettre et votre croquis de l'église souterraine que vous avez découverte. Cela a paru fort curieux, et la Commission vous engage à relever plus exactement ce petit édifice, et même à lui proposer des mesures de conservation, si vous croyiez qu'il y a lieu.

Vous n'avez oublié qu'une chose, c'est de nous dire où se trouve ce monument. Le trou à la gauche de l'autel me semble être l'ouverture d'une cachette destinée à renfermer au besoin les reliques ou les vases sacrés. Dans la crypte de Chartres il y a un trou semblable et disposé de même. Mille amitiés et compliments.

pr M. -

Les Cultes promettent pour le Puy N. D. mais selon leur usage ils n'en finissent pas.

On écrit de Poitiers pour demander de l'argent pour N. D. nous répondons donnez, nous donnerons.

(1) Par décret du 21 janvier 1852, Mérimée avait été promu officier de la Légion d'honneur.


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 189

-LXXXVI

A JOLY-LETERME

Paris 2 mai [1852]. MON CHER AMI

Je vous remercie beaucoup de la bonne et affectueuse lettre que vous m'avez écrite. Je savais que vous prendriez part à la perte que je viens de faire. Vous connaissiez ma mère et vous saviez quelle amie c'était pour moi (1). J'accepterais volontiers votre offre si je pouvais quitter Paris en ce moment, mais il faut que j'y reste. Plus tard, je compte faire un petit voyage, et probablement j'aurai l'occasion de vous serrer la main soit en allant soit en venant. Adieu, merci encore dé votre bonne amitié.

P. M.

(1) La mère de Mérimée, née Anne Moreau, était morte le 30 avril, âgée de soixante-dix-huit ans.

LXXXVII A M. DE CHERGÉ'

Paris 1er juin ig52

Mon cher ami, je vous remercie.de l'intérêt que vous m'avez montré dans mon malheur. Si vous aviez connu ma mère vous sauriez tout ce que j'ai perdu et quel triste changement sa mort apporte à ma vie.

Vous comprennez bien qu'après une perte pareillle, je n'ai pas besoin de beaucoup de résignation pour prendre mon parti du jugement qui m'a condamné l'autre jour (1). L'idée d'en appeler ne m'est pas venue à l'esprit, et j'aurais déjà


190 LETTRES DE MÉRIMÉE

satisfait à la justice en argent et prison, si ces messieurs n'avaient des procédés à eux particuliers de lenteurs assomantes. On a trouvé qu'ils avaient été un peu bien susceptibles et que juges et parties dans cette affaire, ils avaient joué le second rôle mieux que le premier. En revenant du Tribunal, j'ai fait dire à mon ministre que ma position de repris de justice pouvait être un embarras pour lui, et que je craignais qu'il ne fût partagé entre cet embarras et l'hésitation de mettre à la porte un ancien serviteur, auquel cas je le priais de recevoir ma démission. On m'a répondu sur le champ et très poliment que Ton ne pensait nullement à se séparer de moi, et que l'on me donnerait un congé si j'en avais besoin pour faire mes 15 jours de prison, en regrettant l'emploi que j'en ferais. Sur cette assurance, je reste et je continue mon métier. Si j'étais en moins triste humeur, je vous amuserais avec l'histoire de mon procès, les [illisible] du Mere public et les épisodes de l'audience. Peut-être vous conterai-je tout cela cette année, car j'irai je pense voir vos travaux. Cep* je n'ai pas de projet arrêté, si ce n'est d'aller au bout du monde dans les Basses-Alpes (2), voir un château très curieux dont nous entreprennons la restauration. Mais cela me met à peu près sur votre chemin pour l'aller ou le retour.

Adieu, mon cher ami, je vous remercie encore de votre bonne sympathie qui m'est" bien précieuse.

P*M.

(1) A la suite de l'article de Mérimée, paru le 15 avril 1852 dans la Revue des Deux Mondes en faveur de Libri, Mérimée et de M. de Mars, gérant delà Revue, comparurent le mercredi 26 mai 1852, devant la sixième chambre présidée par Lepeletierd'Aunay. Les accusés furent défeudus par Paillard de Villeneuve et Nogent Saint-Laurens. Mérimée fut condamné à quinze jours de prison et à mille francs d'amende. Cf. Moniteur Universel, supplément au n° 148 du jeudi 27 mai 1852, p. 789.

12) En septembre 1852, Mérimée est à Simiane (Basses-Alpes).


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 191

LXXXVIII A JOLY-LETERME

20 juin 1852

Mon cher ami, Mr Denuellenousa porté des nouvelles fort tristes sur la situation des peintures du temple S*. .Jean (1). La commission s'en est occupée l'autre jour et m'a chargé de vous dire en premier lieu qu'elle s'en rapportait parfait[emenjt à vous pour toutes les précautions à prendre dans l'intérêt de la conservation de ces peintures — En second lieu de vous demander si vous avez moyen de faire à S* Jean l'application d'un procédé préservatif qui a réussi assez bien ailleurs. C'est de coller plusieurs feuilles de papier sur les peintures qui menacent de se détacher. Le papier paraît préférable à la toile que vous vous proposez d'employer, surtout si la toile est seulement tendue ; son élasticité permettant toujours aux écailles de sauter et de tomber en petites pièces. Vous me direz que si vous collez du papier, vous risquez d'enlever une contre épreuve des fresques, et une contre épreuve si exacte que peut-être il ne resterait rien sur la muraille. Pour parera cet inconvénient on proposerait découvrir au préalable les peintures d'un vernis composé d'huile d'aspic ou de lavande dans lequel on fait dissoudre de la cire. C'est le vernis dont on se sert actuellement pour les peintures à la cire dont on fait tant d'usage. Il est vrai que cela change un peu le ton des fresques qui se foncent, comme une gouache qu'on vernit. Mais d'abord ce ne serait qu'un petit malheur auprès de la perte totale des peintures. Ensuite ce vernis en s'évaporant s'éclaircit beaucoup au bout de quelques jours, et en définitive le changement n'est pas très considérable. Il offrirait cet avantage de permettre le papier collé, sans adhérence aux fresques *. A


192 LETTRES DE MÉRIMÉE

Ennezat et à Clermont-Ferrandon a fait usage de ce vernis avec succès. Ceux qui n'ont pas vu les peintures avant son application ne se douteraient pas qu'on s'en est servi. On l'a employé avec le même succès au Puy pour conserver la belle peinture des Arts libéraux dont vous aurez sans doute entendu parler. Je suis chargé de vous dire tout cela à titre d'avis seulement. Vous seul déciderez de ce qu'il faut faire. Je n'ai pas besoin d'ajouter que si vous trouvez le procédé bon, il ne faut pas en faire usage sans au préalable quelque essai sur une partie de fresque sans importance. C'est ce que nous fîmes à Clermont l'année dernière, commençant par un bout de bordure, et lorsque nous eûmes constaté le bon résultat nous avons attaqué les figures. Adieu mon cher ami, Denuelle m'a dit que vous aviez pris ma mésaventure plus à coeur que je ne fais. J'ai payé l'amende, et j'irai en prison au comm' de juillet. Probablement sur la fin de juillet, je me mettrai en route. T. à v.

P^ M.

(*) L'essence et la cire font l'effet d'un glacis imperméable à l'eau de la colle de pâte. \Note de Mérimée.}

(1) Cf. Rapport de M. Denuelle, 1er mars 1855, in du Sommerard, Les Monuments historiques de France, p. 74 : «... Je crois devoir vous proposer dans l'intérêt de la conservation de ces précieuses peintures, de faire appliquer sur leur surface une préparation de cire qui aura l'avantage de les fixer à l'enduit dont elles se détachent tous les jours ; autrement elles seraient condamnées à disparaître dans un temps très rapproché. »

(2| Il s'agit de la célèbre fresque des arts libéraux découverte par Mérimée dans la cathédrale du Puy en septembre 1850. Mallay, architecte, dans une lettre écrite au rédacteur de la -Haute-Loire, publiée le 29 septembre dans l'Ami de la Patrie, se donne les gants de la découverte. Le 6décembre 1850,àlaSociétéd'Agriculture,Sciences et Arts duPuy, Aymar, archiviste du département, annonce que cette découverte est « due aux soins éclairés de M. Mérimée inspecteur général des Monuments historiques et à M. Mallay, architecte, qui avaient été appelés au Puy à l'occasion des travaux de restauration du cloître ».


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 193

LXXXIX

A JOLY-LETERME

5 juillet 1852 MON CHER AMI,

Je vous remercie de l'intérêt que vous prenez à mon affaire, mais ce n'est pas une raison de jeter la pierre à Mr Libri. Je lui avais toujours conseillé de purger sa contumace, maintenant je l'engage à n'en rien faire. Ces gens-là sont parfaitement déterminés à le trouver coupable. Et la façon dont ils en usent avec moi en est bien la preuve. Les arguments qu'on leur pousserait seraient inutiles, du moment qu'il a été décidé que le parquet était impartial et savait le latin. J'ai vu et appris de drôles de choses que je vous conterai peut-être quelque jour entre deux monuments. Je n'avais pas besoin de cela pour avoir mon opinion arrêté sur notre corps judiciaire. Tant y a que je me fais écrouer après demain mardi, et si je ne suis détenu pour autre cause je sortirai le 20. Je vais étudier un très beau monument gothique qui est la conciergerie (1).

Envoyez moi donc ces notes sur vos découvertes celtiques (2), je les donnerai si vous y consentez à quelque revue archéologique. Ces os gravés me semblent très curieux. Je ne comprends rien aux barbelures de votre flèche. Elles sont en sens contraire. Elie de Beaumont depuis qu'il est devenu Sénateur ne s'occupe plus guère des choses de ce monde.

Denuelle passera, je pense, par chez vous ou plutôt par Poitiers.

Adieu, mon cher ami, je vous recommande nos peintures. Tâchez d'en sauver le plus possible, t. à v.

P' M.

13


194 LETTRES DE MÉRIMÉE

20 Juillet

Mon cher ami, cette lettre aurait dû partir le 6, mais les émotions qu'a produit dans ma maison mon départ pour la conciergerie ont empêché l'exécution de mes ordres et je trouve ma lettre sous de vieux papiers en rentrant au logis. Je ne me suis pas ennuyé en prison. C'est un lieu très frais et excellent dans les grandes chaleurs. J'y ai passé 15 jours à travailler et sans un moment d'ennui.

Mille amitiés et compliments.

P. M.

(1) Mérimée fut, en effet, écroué le 6 juillet 1852 à la Conciergerie et il en sortit le 20 juillet.

(2) Voir Journal de la Vienne, mercredi 6 avril 1853 :« Dans une grotte située sur les bords de la Charente, à peu de distance de la route qui mène de Civray à Charroux (Vienne), se trouve une brèche ou poudingue de formation géologiquement récente, mais qui remonte à une époque historique très reculée. Mr Joly a observé que cette roche renfermait, parmi les pierres et le ciment naturel qui la composent, une quantité notable d'objets travaillés, en silex ou en os, tels que couteaux, pointes de flèches, harpons etc. Il a recueilli, dans un fragment détaché de la masse, un os poli, probablement une côte de cerf ou de boeuf, sur lequel sont dessinés deux quadrupèdes représentés de profil, et qui paraissent être des biches... M. Joly a fait don au musée de Cluny de tous les objets qu'il a découverts. » Le catalogue du Musée des Thermes et de l'hôtel de Cluny, Paris, 1883, nos 7635 à 7637, mentionne une série d'objets-celtiques trouvés dans le département de Maine-et-Loire (sic), donnés au musée par Joly-Leterme en 1853.

L'os de renne qui figure parmi ces objets donna lieu à une communication d'Alexandre Bertrand à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres (29 avril 1887, p. 221-225) : L'os de renne gravé du musée de Cluny, actuellement, au musée de Saint-Germain-en-Laye- Bertrand signale que cet os a bien été découvert par Joly-Leterme non pas en Maine-et-Loire mais dans la grotte du Chaffaud près Civray. « Le fait, dit-il, a été signalé par Worsaae en 1869 au Congrès de Copenhague, sur le témoignage de P. Mérimée qui, en lui envoyant le dessin de la gravure que je mets sous vos yeux, s'exprimait ainsi :

« A M. WORSAAE

« 17 avril 1853.

Congrès international d'anthropologie et d'archéologie préhistorique. C.R. 4e session. Copenhague, 1869, p. 133-134.

« Je vous envoie un dessin que j'ai fait aussi exact que possible d'une trouvaille récente de notre ami Joly-Leterme, de Saumur. C'est une côte


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 195

de quadrupède, cerf ou boeuf à ce qu'où croit sur laquelle sont dépeintes ou plutôt gravées en creux les figures que vous interprétez biches, chevaux etc. Tout le corps est couvert de petits traits ondulés, destinés, je crois, à représenter le poil. Vous pouvez tenir le dessin pour exact : c'est un calque. Voici maintenant les circonstances de la découverte. Elle fut faite l'année passée (1852) par Joly dans une caverne sur les bords de la Charente, adroite de la route qui mène de Civrayà Charroux (Vienne). Cette caverne contient une espèce de poudingue ou de conglomérat de pierres de toutes sortes liées entre elles par un ciment naturel. Parmi ces pierres M. Joly observa des silex taillés, puis, en cassant le poudingue, il trouva de petits instruments en os, enfin la côte ou le fragment de côte gravée. Il y avait encore une pointe de javeline ou harpon en os, une pointe de flèche en silex et une quantité de couteaux en silex extrêmement grossiers. Ils se trouvaient là par centaines.

ci Pas un morceau de métal n'a été découvert dans le poudingue ; il faut croire qu'il y avait là une grande manufacture de couteaux pour les Poitevins de l'âge de la pierre. Le conglomérat qui tapisse la caverne est de formation très ancienne, historiquement parlant, récente pourtant pour les géologues. La côte gravée est couverte d'une légère croûte d'oxyde de fer, lequel est contenu dans le ciment naturel qui sert de liaison au poudingue. En dessous on aperçoit l'os parfaitement blanc. Il est devenu extraordinairement friable, et en l'extrayant de sa gangue, il a été cassé en trois fragments. Je ne sais comment expliquer les traits gravés sous le col des deux animaux. Cela ressemble à des espèces d'ailes, ou bien ne serait-ce qu'une montagne dans lelointain que l'artiste a voulu figurer?

« La pointe en os dont je viens de parler ressemble tout-à-fait à un harpon des îles de la mer du Sud. Les insulaires s'en servent en plantant la pointe dans un bâton et ils attachent à une des barbelures une ficelle et un flotteur en bois qui leur indique l'endroit ou se trouve le poisson hlessé par le harpon. Tout cela a été donné par M. Joly au Musée de Cluny. »

A. cette lettre sont joints deux dessins de Mérimée.

xc

A M. DE CHERGÉ

[Lundi, 19 juillet 1852].

Mon cher Président, je suis effectiv* dans les fers depuis 13 jours. Après demain je suis rendu à la liberté. Je ne m'ennuie pas du tout. On m'a mis dans une chambre étrange ressemblant comme deux gouttes d'eau à un café turc. J'ai fait porter un tapis de peau et des coussins et dans une embrasure de fenêtre je me suis installé un divan. J espérais


198 LETTRES DE MÉRIMÉE

travailler, mais du matin au soir c'était une procession de visites. Je n'aime que celles des dames qui m'apportent des ananas et des bouquets. M. Bocher (1) dont vous connaissez l'histoire et avec lequel je suis intimement lié est prisonnier à côté de moi. Nous dînons et nous nous promenons ensemble. Tout cela n'est que bête et ne prouve pas que M. Hatton (2) sache le latin.

J'ai vu le projet de Châtellerault. Il m'a paru à peu près identique au premier, c à d. fort médiocre, les tours sont horribles, et l'archte détruit précisément ce qui avait un peu d'originalité dans la façade : les fenêtres en ogive à droite et à gauche de la grande fenêtre du xve. Elles m'ont paru du xme mais le dessin est si dépourvu de caractère qu'il est difficile d'en juger. Ce qui passe la permission c'est cette malencontreuse idée de faire en petit et en laid une copie de N. D. Et l'ecclésiastique qui fait 12 statues pour 3000 f. I En vérité si la fabrique de Châtellerault veut faire joujou, il faut qu'elle s'amuse avec ses fonds et qu'elle n'en demande pas au gouv*.

J'espère vous voira Poitiers, mais d'abord j'ai un déménagt à faire et 3000 volumes à ranger, horrible ennui (3) 1

Savez-vous des nouvelles du Temple St Jean ? Je crains fort que les peintures ne se détachent toutes. J'ai conseillé un essai à Joly, c'est de les imprégner de vernis à la cire, (de la cire vierge dissoute dans de l'essence de lavande) et ensuite de les couvrir de plusieurs doubles de papier collé. Cela réussira-t-il ? Je ne vois rien autre qui offre des chances de succès.

Adieu mille amitiés et compliments.

P' M. [Lundi] 19 juillet 1852.

(1) Edouard Bocher, beau-frère de Mme Delessert, avait été condamné lui aussi à la prison parce qu'on avait saisi des exemplaires de la protestation des Princes d'Orléans contre le décret du 22 janvier 1852 qui confisquait leurs biens. Mme Delessert écrivait le jeudi 19 février 1852 (lettre inédite) : « J'ai appris que mon beau-frère venait d'être arrêté. Cette


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 197

distribution de petits imprimés qui se faisait depuis quelque temps en est cause. L'agent qui avait été envoyé en Angleterre a été saisi avec des imprimés pareils et mon beau-frère a été arrêté chez le distributeur de lettres hier matin: Il est à la préfecture en prison et le procureur est déjà à l'oeuvre pour le procès. Sera-ce la prison ou l'exil ? Dieu le sait. Il sera condamné par la loi sur le colportage de 1849, à ce qu'a dit le ministre de la police »

(2) Hatton, juge d'instruction qui avait instruit l'affaire Libri. Sur le rôle de Mérimée dans cette affaire voir : L. Delisle, Catalogue des manuscrits des fonds Libri et Barrois, Paris, 1888, et P. Chambon : Notes sur Mérimée, p. 294.

(3) Mérimée quittait la rue des Beaux-arts pour aller habiter, 52, rue de Lille, dans un immeuble appartenant à son cousin Léonor Fresnel.

XCI

A JOLY-LETERME

MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR

Paris, le 18 7bre 1852 Rue de Lille, 52,

Mon cher ami, je reçois de M. Ménard, P* des Antiquaires de l'ouest, de grandes plaintes sur la lenteur des travaux du Temple St Jean, et le danger qui menace les voûtes dans cette saison (1). Il me paraît exagérer un peu à la manière des Poitevins ; cep* je vous serais obligé de me donner les moyens de lui répondre de la bonne encre.

Tout à vous Pr M.

J'ai changé de log[emen]t comme vous voyez. J'ai été juré p[endan]t la dère quinzaine (2), et je pars pour le midi dans cinq jours.

(1) A la séance du 26 août 1852 il avait été décidé par la Société des Antiquaires de l'Ouest qu'on écrirait à Mérimée en lui signalant que le temple Saint-Jean « menace tout-à-fait ruine » et qu'« il y a véritablement urgence de hâter au plus tôt les réparations avant l'hiver ».

Le 18 novembre 1852, le procès-verbal delà séance indique que M. Ménard, secrétaire, a écrit à Mérimée et que les travaux de restauration du temple Saint-Jean sont « en pleine activité ».

La lettre de M. Ménard, du 29 août 1852, figure : A. C. M. H. Dossier Affaires générales de la Vienne. Voir plus loin la réponse de Mérimée.

(2) Cf. Lettres de Mérimée à Vit et, p. 227, n<> 1.


198 LETTRES DE MERIMEE

XCII A LOUIS DE LA SAUSSAYE°

Rue de Lille, 52 [Jeudi] 2 sept[embr]e [1852]

Mon cher ami, nous nous proposons Edouard (1) et moi d'aller vous surprendre dimanche prochain 5 courant. Je suis fort pressé par le temps. Il faut que je sois le 10 à Marseille. Cependant il me semble qu'arrivant à Blois à 2 h. 1/2 nous pourrions en partir tout de suite pour Chambord, et revenir coucher à Blois. Serait-il possible lé lendemain 6 d'aller à S* Aignan et d'en revenir de façon à pouvoir partir pour Marseille parle convoi du 7 au soir. Veuillez me répondre un mot aussi tôt que possible et m'apprendre si mes projets sont exécutables *{2).

Mille amitiés et compl[iment]s.

Pr MÉRIMÉE.

Vous observerez que j'ai changé de domicile.

(1) Edouard Delessert.

(2) Mérimée est parti pour Blois le 4 septembre (il visite Chambord et Saint-Aignan) et il est de retour à Paris le 7. Il repart le jour même pour Marseille où il arrive le 9, pour embarquer son cousin Léonor Mérimée et sa femme qui partent pourl'Orient. Il est à Nîmes, 20 septembre ; Avignon, Valence, 22 septembre ; Lyon, 25 septembre ; Moulins, 27 septembre ; il rentre à Paris, le 1er octobre 1852.

XCIII A MÉNARD

Marseille, 11 Sept. 1852

MONSIEUR

Je regrette de n'avoir pu répondre plutôt à la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 29 du mois passé.


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 199

Je regrette surtout, dans l'éloignement où je suis de Paris, d'être hors d'état de répondre à toutes les critiques que vous m'adressez au sujet des restaurations qui se font ou ne se font pas dans le dépt de la Vienne.

Il me semble Monsieur que vous ignorez quels sont les fonds dont dispose l'administration des monuments historiques, et quelle est son impuissance, là, où le concours des villes intéressées aux restaurations, ne lui est pas assuré. Je n'ai pas besoin de vous rappeler que le Dépt de la Vienne, si riche en monuments, est un de ceux où le gouvernement a toujours rencontré le moins de zèle à seconder ses efforts. Vous savez comme moi quelle a été sa part dans les restaurations exécutées jusqu'à ce jour. Et cependant, lorsqu'on s'excuse sur l'insuffisance des ressources locales, on en trouve pour des travaux inutiles ou nuisibles. Il ne se trouve pas d'argent pour consolider des églises monumentales, mais il y en a toujours pour les barbouiller de peintures ridicules.

L'adm°n des monuments historiques est malheureusement dans l'impossibilité de pourvoir seule à toutes les réparations dont l'urgence est constatée. Ce ne sont pas seulement des questions d'archéologie qu'elle doit examiner, mais des questions de voies et moyens, questions toujours bien ' difficiles avec un budget aussi faible que le nôtre. Dans une telle situation il est fort essentiel de ne pas s'engager à l'étourdie dans des entreprises dont l'étendue et l'importance ne lui sont pas parfaitement connues. Aussi, Monsieur, l'adm°n, ne se contente pas de devis approximatifs (tel que celui de 15000 f. dont vous me parlez pour l'église de Chauvigny). Elle exige toujours des études sérieuses, et ces études ne se font que lentement. C'est encore plus lentement qu'elle parvient à réunir les fonds nécessaires pour l'exécution des travaux. Voilà pourquoi ceux du Temple S* Jean ont commencé si tard. Je le regrette comme vous Monsieur, mais je ne vois pas là-dedans un motif suffisant


200 LETTRES DE MÉRIMÉE

pour accuser l'architecte, ni pour s'alarmer outre mesure.

J'ai l'honneur d'être membre de la commission des édifices religieux, auprès du Mie des Cultes, mais je n'ai pas eu comme vous l'avantage de connaître le chiffre des dépenses qu'on a faites à la cathédrale de Poitiers dans la dernière campagne. Vous vous plaignez qu'on lui ait accordé 90.000 f. à Vimproviste. J'avoue que je ne puis comprendre cette expression ; la commission ayant longuement étudié l'affaire, les devis ayant été communiqués au Préfet et à l'Evêque. D'ailleurs quanta l'urgence des réparations, je ne sache pas qu'elle fut douteuse. Quant à l'ordre suivi dans les travaux, il a été approuvé avant leur exécution, et j'ai assez bonne opinion du talent et de l'expérience de Mr Mérindol pour croire que s'il s'est écarté de son programme, des motifs' très importants l'y ont obligé.

Les fonds très médiocres, je le répète, de l'adm 011 des monuments historiques sont engagés pour longtemps aussi dans des restaurations qu'il est impossible de suspendre. Vous comprendrez donc, qu'à moins de sacrifices très considérables du dépt de la Vienne, le gouv' sera obligé d'ajourner les travaux dont vous signalez l'urgence à Rouillé, Gençayet Fontaine-le-Comte. Tenez pour certain que les fonds ' des monts historiques, fussent-ils quatre fois plus considérables, il-jserait impossible d'exécuter tous les travaux dont l'urgence nous est démontrée. Il y a bien longtemps que nous avons désespéré de sauver tous les monuments menacés, et notre ambition est défaire le meilleur choix possible parmi le petit nombre de ceux que nous pouvons secourir. Vous vous plaignez Monsieur, que ni préfet, ni évêque ni sociétés archéologiques n'aient d'action sur MM. les architectes (1). Permettez-moi de vous rappeler le .premier principe de toute adm 011 qui est de laisser à chacun sa spécialité. Le gouvernement recevra toujours avec le plus grand

plaisir les observations des sociétés archéologiques sur les questions d'archéologie, les obsfervatijons des Evêques sur


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 201

les questions qui intéressent le culte, mais l'adm°n la regarde seule. Elle examine les plans et les devis des architectes et les contrôle. La direction des travaux appartient aux architectes qui en ont la responsabilité lorsqu'ils s'écartent des plans approuvés. Je n'ai pas besoin de vous faire remarquer, Monsieur, que s'il en était autrement, il en résulterait l'anarchie la plus complette. J'espère Monsieur, passer à Poitiers cette année, et causer un peu plus longuement avec vous de toutes les questions que je ne puis traiter en ce moment.

Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de tous mes sentiments de haute considération.

Pr MÉRIMÉE.

(1) Ménard écrivait, en effet : « Je regrette que ni préfets, ni évêques, ni sociétés archéologiques aient quelque action sur MM. les architectes retranchés derrière leur position officielle. »

XCIV A JOLY-LETERME

Paris 10 déc[emb]re 1852. 52, rue de Lille.

MON CHER AMI,

Mr A. Leprévost nous écrit pour se plaindre qu'on n'ait pas fermé, débadigeonné et vitré la chapelle de S* Marin à S* Savin comme on l'avait demandé sur sa proposition il y a quelques mois. II dit d'ailleurs que le rapport de ses espions est très favorable à votre restauration. Donnez-lui contentement pour S* Marin, c'est le voeu que la Commission me charge de vous transmettre.

Il paraît que vous avez trouvé de belles choses à N. D. Denuelle nous a donné un croquis. Quant à de l'argent nous attendons que ces messieurs s'exécutent.

Je suis enchanté des nouvelles que me donne Denuelle de


202 LETTRES DE MÉRIMÉE

la restauration du Temple S* Jean. J'étais préparé à quelque accident. Il paraît que vous vous en tirerez aussi bien que de la trompe de S* Savin.

Adieu, quand viendrez-vous à Paris ?

Mille amitiés et compliments.

P'M.

XCV

A JOLY-LETERME

MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR

Paris, le 17 Déc[em]bre 1852

Mon cher ami, la Commission à qui je fais part de votre indisposition me charge de vous demander de vos nouvelles, et de vous recommander les peintures de St Jean. Y avez-vous fait quelque expérience avec le vernis de Denuelle et quel résultat avez vous obtenu? Répondez nous à votre loisir et surtout donnez-nous ou faites nous donner de vos nouvelles.

Mille amitiés et compliments.

P^ M.

XCVI A JOLY-LETERME

MINISTÈRE DE L'iNTÉRIECR

Paris, le 24 Décembre] 1852

MON CHER AMI,

Je suis enchanté de vous savoir en meilleur état de santé. La commission que j'ai consultée ne pense pas qu'il y ait la moindre difficulté à publier les dessins de Cunault pourvu


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 203

que vous n'y trouviez pas d'inconvénients pour votre part.

Le curé de S4 Savin mériterait qu'on l'envoyât dans les montagnes de l'Ardèche, où il n'y a pas de monuments. Il est impossible de souffrir la pose de cette porte, et j'écris dans ce sens à Chergé, et au Mère des Cultes pour faire admonester le curé s'il est possible. De votre côté faites défense absolue à vos ouvriers de la poser (1).

Nous attendons avec impatience des nouvelles de la Mosaïque que vous nous annoncez.

Mille amitiés et compliments.

P'M.

(1) Le curé deSaint-Savin gardera rancune à Joly-Leterme. F. de Guilhermy est de passage à Saint-Savin les 25 et 26 octobre 1856 et il écrit : « La restauration de l'édifice était confiée à M. Joly-Leterme : ce curé se plaint vivement de cet architecte, qui aura sans doute contrarié des instincts de vandalisme beaucoup trop ordinaires à Messieurs les ecclésiastiques. » Bibliothèque Nationale. Manuscrits. Collection Gùilhermu, XV, 6108, f° 364.

XCVII A M. DE CHERGÉ

6 mars 1853

Mon cher ami, si vous croyez tout ce qui s'imprime, ne vous attendez pas que j'épuise mon encre pour vous désabuser. Je ne suis pas historiographe de S. M. J'ai eu l'honneur d'être présenté à l'Empereur, qui m'a, il est vrai, fait une offre des plus gracieuses, au point de vue pécuniaire, mais il ne s'agissait pas de son histoire. J'ai modestement refusé en le suppliant de garder sa bienveillance pour l'Inspecteur gal, qui y recourrait plus d'une fois pour ses monuments. Je reste donc gros jean comme devant.

Je ne sais trop ce que vous voulez dire avec le rapport de cette année fait par M. Lenormant. Le concours n'est pas


204 LETTRES DE MÉRIMÉE

encore fermé que je sache. S'il s'agit du rapport de 1852, je tâcherai de me le procurer. Il faudrait pour cela que L [enormant] en eût un exemplaire tiré à part ; autrement, il faudrait attendre l'impression du volume de l'Académie.

Je pense à aller à Poitiers sur la fin de ce mois. Ce petit voyage dépend de bien des si (1).. Je serais charmé de vous rencontrer et à tout hazard je vous préviendrai au cas qu'il s'exécute.

Je suis content d'apprendre ce que vous me dites du Temple St. Jean.

t. à v. Pr M.

(1) Mérimée accompagnera Mme de Montijo à Poitiers.

XCVIII A M. DE CHERGÉ

Mon cher Président, àyaO-r, TU^T) C. à d. au petit bonheur. Je serai dimanche matin à Poitiers et Lundi. Ne vous dérangez pas par ce froid horrible à moins que vous n'ayez affaire à Poitiers. Je fais la conduite à la Csse de M0 et je reviens aussitôt à Paris. Je ne compte pas sur-vous, mais je ne veux pas négliger même une chance de vous serrer la main.

Pr MÉRIMÉE Vendredi soir, 18 Mars [1853]

XCIX A JOLY-LETERME

[18 mars 1853]

Mon cher ami, je serai dimanche et Lundi à Poitiers, Mardi à Tours. Je vous écris cela afin que. si le coeur vous en dit...


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 205

Je fais la conduite à Mad. de M 0. Je resterai à Poitiers

pour voir S4 Jean, et à Tours pourvoir S* Julien. Veuillez

dire à vos estaffiers de m'ouvrir (1). Mille amitiés.

Pr MÉRIMÉE Vendredi soir 18 mars.

(1) Voir Journal de la Vienne, mardi 22 mars 1853 : « S. Exe. Madame la Comtesse de Montijo, duchesse de Penaranda, mère de S. M. l'Impératrice des Français, a quitté Paris samedi dernier pour se rendre en Espagne. Elle est arrivée dimanche matin à Poitiers et en est repartie immédiatement. Madame la comtesse de Montijo était accompagnée d'une suite nombreuse »

D'après le Messager de Bayonne elle arriva à Bayonne, le 21 mars dans la soirée accompagnée de son neveu de M. Cabarrus. Elle repartit pour Madrid le 23 mars à 6 heures du matin.

Mérimée écrivait de Paris le 28 mars à Mme de Montijo (I, p. 354) : « Enfin vous voilà dans votre maison, et j'espère que vous avez assez dormi pour avoir oublié la neige de Poitiers . Nous avons assez bien dormi à Poitiers dans des draps un peu humides... j'ai faitle cicérone à mes deux compagnons qui ont visité toutes les églises de Poitiers et fait sous ma direction un cours complet d'archéologie. J'espère qu'ils ne se seront pas trop ennuyés. Je voulais les faire dîner chez un de mes amis où. l'on dîne très bien [probablemnt Degove]... Pour moi j'ai passé encore deux jours à flâuer sur la route, m'arrêtant toutes les dix lieues pour regarder les choses de mon état... »

c

A JOLY-LETERME

MINISTÈRE D'ÉTAT SECRÉTARIAT GÉNÉRAL

Paris, le 25 avril 1853

Mon cher ami, Ghergé m'écrit que vous avez trouvé des choses très curieuses à S4 Jean. Envoyez-nous donc un rapport là dessus et un dessin de l'apside découverte. Chergé croit qu'on pourrait obtenir du clergé un échange de terrains qui permettrait de rétablir la dite apside sur la rue (1). Veuillez me dire ce que vous pensez de ce projet en luimême et de son exécution.

t. à v.

Pr MÉRIMÉE


206 LETTRES DE MÉRIMÉE

(1) Il y eut un long échange de correspondance à ce sujet entre le ministère de l'Intérieur, la préfecture de la Vienne et Joly-Leterme. (Cf. Archives départementale delà Vienne, T 7, 7.)

CI

A SEGRETAIN

Rue de Lille 52 11 mai 1853

MON CHER MONSIEUR,

Connaissez-vous unchâteau d'Olbrease commune d'Usseau, entre Niort et La Rochelle près de Mauzé (1) ? Savez-vous s'il en existe quelque gravure ou dessin ? L'avez-vous vu ? En quel état se trouve-t-il? A qui appartient-il ? Enfin qu'estce que c'est ?

Toutes ces questions que je confie à votre obligeance m'arrivent d'Angleterre de la part d'un ami, et je vous serais on ne peut plus obligé si vous vouliez bien me mettre en état d'y répondre.

Veuillez agréer. Monsieur, l'expression de tous mes sentiments de vieille amitié.

Pr MÉRIMÉE

(1) Deux-Sèvres.

Cil A JOLY-LETERME

[26 juin 1853]

Mon cher ami, je suis bien sensible à votre bon souvenir et je vous en remercie de coeur (1). Je n'ai pas besoin de vous dire le pourquoi, vous le devinez sans peine. Le mi-


. AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST - 207

nistre et la commission m'ont prié de rester aux monuments. J'ai promis à la condition que ce serait gratis. Et voilà. Adieu mon cher ami, je vous rends votre bonne poignée de main avec usure. Donnez^nous des nouvelles de Saint-Jean le plutôt que vous pourrez.

Pr MÉRIMÉE. 26 juin.

(1) Mérimée avait été nommé sénateur, le 23 juin 1853.

cm

A M DE CHERGÉ

MON CHER PRÉSIDENT,

Merci de vos compliments. Vous n'avez pas été plus surpris que votre serviteur.

Le Mre m'a demandé de rester dans l'Etablissement. La com[missi]on m'a fait même honnêteté. J'ai répondu : avec grand-plaisir, seulement, permettez-moi d'exercer dorénavant gratis. Vous savez que mon traitement était imputé sur le fonds des Monts. J'ai toujours demandé qu'il fut pris sur le fonds du personnel. Mais inutilement. Aujourd'hui plus de difficulté puisque je renonce (et je n'ai guère de mérite) au traitement. Voilà l'affaire.

Quant à Saint-Jean, je ne vous ai pas écrit parce que je ne sais rien et ne puis vous rien dire. J'ai lu votre lettre à la com[missi]on. Nous avons demandé que le préfet fut prévenu et qu'il tâchât sub rosa d'empêcher ce que vous craignez. La lettre je crois lui est parvenue. Au reste quand on nous ferait un procès, je pense que vous le gagneriez.

Je suis pour le présent un homme fort malheureux dont la vie change, chose triste à 49 ans. Je ne m'estime pas plus, et j'espère qu'on ne me trouvera pas plus bête que par le


208 LETTRES DE MÉRIMÉE

passé, mais il me faut faire cent choses auxquelles je ne suis guère propre. Je viens de faire donner congé à mon voisin, pour usurper son appart[emen]t. J'espère que l'hiver prochain, j'aurai une chambre à vous offrir et que vous n'aurez plus de prétexte pour ne pas venir en cette Babylone.

J'irai en Espagne cet automne, (1) et par conséquent je passerai par Poitiers. Je voudrais bien vous serrer la main en passant.

Mille amitiés et compliments.

Pr M. 30 juin 1853.

(1) Mérimée partira pour Madrid le 1er septembre 1853.

CIV A JOLY-LETERME

[juillet 1853]

Mon cher ami, je ne puis consulter personne ; les trois Inspecteurs (1) généraux sont absents. A votre place j'irais. Si Duvêtre vous embête, envoyez-le promener. Il est bon que Mr Reynaud sache et voie cet affreux gâchis. Je garde sa lettre et si je puis voir M. Fortoul ces jours-ci, je la lui montrerai. De toute manière, je crois que vous devez aller à Angers. Vous n'avez pas reçu d'avis de votre destitution, et vous recevez de l'Inspecteur général l'avis de comparaître. Comparaissez ; exposez l'affaire sans aucune plainte Mr R. ne laissera pas tomber la chose soyez en persuadé.

Mille amitiés et compliments.

P'M. Mardi matin.

Je reviens à l'instant de la campagne, voilà pourquoi je vous réponds si tard.


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 209

(1) Il s'agit de Reynaud, Vaudoyer et Viollet-Leduc, inspecteurs des travaux diocésains.

La Commissions des arts et édifices religieux avait été réorganisée le 7 mars 1853. Il avait été question en juin 1853 de maintenir Joly contre l'avis de Mgr d'Angers qui se plaignait que Joly ne demeurât point à Angers. C'est le démêlé, déjà vu, de Joly avec Duvêtre qui reprend (Cf. lettres de 1849). Archives Nationales, F 19 7231.

cv

A JOLY-LETERME

[9 juillet 1853].

Mon cher ami, je crains fort qu'on ne vous ait joué un vilain tour en l'absence des inspecteurs. Mr de Contencin (1) m'a dit hier que la résidence était obligatoire pour les travaux ordinaires et qu'il avait été obligé de nommer M 1' Duvêtre. Mais Viollet m'avait dit tout le contraire peu de jours auparavant. Malheureusement il est absent ainsi que Vaudoyer et Reynaud et je ne l'attends qu'au commencement de la semaine prochaine. A son tour je le consulterai sur ce qu'il y aura à faire, et s'il est possible de revenir sur cette bêtise nous y ferons nos efforts.

Mille amitiés et compliments.

Pr M.

Paris 9 juillet 1853.

(1) Directeur général des Cultes. Président de la Commission des arts et édifices religieux.

— Le 11 juillet 1853, Mérimée écrivait à M. de Contencin (lettre inédite) : « Monsieur, Permettez-moi de vous présenter mon ami M. Segretain architecte à Niort qui aurait à vous entretenir de ses travaux et des nôtres en ce pays. Nous lui devons la belle restauration de St-Hilaire de Melle, et c'est particulièrement au sujet de ce monument qu'il aurait à solliciter votre concours. *

'• Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de tous mes sentiments de haute considération.

« Pr MÉRIMÉE. »

14


210 LETTRES DE MÉRIMÉE

CVI A JOLY-LETERME

Paris, 12 juillet [1853]

Mon cher ami, je ne connaissais pas l'arrêté du Mre et je n'ai pu répondre au sujet de cette interprétation jésuitique du mot résidence. J'ai écrit hier une lettre de très bonne encre à Nicolas (1). Dès que je pourrai voir Mr Fortoul je lui dirai tout ce que j'ai sur le coeur. Lassus part ce matin pour Châlons où il va trouver Viollet Leduc. Il lui remettra une note sur l'affaire et lui demandera conseil. J'espère que les Inspecteurs g[énérau]x qui. ont été bernés dans cette affaire prendront fait et cause. Enfin veuillez croire que vos amis ne s'épargneront pas, et feront tous les efforts pour réparer s'il se peut cette scandaleuse injustice. Mais quand même ils n'y parviendraient pas, ne vous abandonnez pas et ne jetez pas le manche après la cognée. C'est le moyen de faire plaisir à ses ennemis, et il faut combattre jusqu'à la dernière extrémité.

Quant au tort que l'affaire pourrait vous faire, il n'y a rien à craindre. Chez nous, je n'ai pas besoin de vous dire que nous ne connaissons pas Mr Duvêtre et que nous n'en tenons pas plus de compte que d'un cornichon. S'il s'avise de vous demander à voir vos plans, envoyez le promener et nous nous chargerons de répondre à qui y trouverait à redire. Enfin mon cher ami, calmez-vous, ne perdez pas courage, travaillez et soyez sûr que nous ne perdrons aucune occasion de vous faire rendre justice.

Mille amitiés et compliments.

PrM. (1) Fortoul.


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 211

CVII A JOLY-LETERME

Samedi matin [1853]

Mon cher ami, je vous envoie la lettre que je reçois de Viollet. J'espère que vous avez repris un peu de votre ancienne philosophie. Il ne faut pas désespérer et montrer les dents à cette canaille tant que nous en aurons.

Mille amitiés et compliments.

PrM.

CVIII A JOLY-LETERME

Paris, 2 août 1853

Mon cher ami, vous m'avez parlé autrefois de malles en lames de bois et nerfs, plus légères -et plus solides que les malles en cuir qui se fabriquent à Saumur. En existe-t-il un dépôt à Paris et où se trouve-t-il ? Sinon, vous me feriez grand plaisir en me disant le prix d'une malle, grandeur de malle poste, avec enveloppe de toile, bonne serrure, et les nouvelles inventions, compartiments etc.

Je vous serais obligé de m'écrire un mot à ce sujet dès que vous pourrez. Je compte aller à Madrid à la fin de ce mois (1).

J'attends Viollet Leduc tous les jours ; lorsqu'il sera arrivé, j'irai avec lui chanter une antienne à Mr. Fortoul à votre sujet. Dites-moi votre entrevue avec Mr. Reynaud. t. à v.

Pr MÉRIMÉE.

(1) Il part eh effet pour Madrid, le 1er septembre 1853; il est de retour à Paris, le 18 décembre.


212 LETTRES DE MÉRIMÉE

CIX

A JOLY-LETERME.

MINISTÈRE D'ÉTAT SECRÉTARIAT GÉNÉRAL.

Paris, le 26 août 1853.

Mon cher ami, je vous remercie des renseignements que vous nous donnez sur l'église de Cisay (1). Ils sont fort intéressants, mais nous aimons encore mieux des dessins et une notice détaillée.

Je ne sais rien de votre affaire, sinon que Mr. R. et V. L. la considèrent comme terminée dans le sens que nous désirons (2). Je vais avec V. Leduc voir aujourd'hui Mr Fortoul et je lui dirai ce que j'ai sur le coeur.

J'ai une malle en bois. La matière première est excellente, mais la serrurerie est médiocre. Vous devriez dire à vos amis qu'ils s'adressent à de meilleurs ouvriers et qu'ils adoptent les améliorations de la civilisation moderne.

Je partirai probab* mercredi prochain. Mille amitiés et

compliments.

PrM,

(1) Cizay-la-Madeleine (Maine-et-Loire).

(2) Le 22 août 1853, Joly, architecte de la cathédrale d'Angers, est nommé architecte de l'Evêché et du Séminaire d'Angers, en remplacement de M. Duvêtre.

Le 30 janvier 1854, il est nommé architecte des édifices diocésains. Il donnera sa démission le 13 mars 1879. (Archives Nationales, F 19 7231.)

ex

A JOLY-LETERME

Paris 30 août [1853].

Mon cher ami. je suis bien charmé que cette affaire soit terminée. Nous sommes allés il y a cinq jours chez Je Ministre,


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 213

Viollet et moi ; nous lui avons dit tout ce qu'il est possible de dire sur son établissent, lui reprochant de dégoûter et de renvoyer les gens habiles et honnêtes et d'introduire la canaille, le tout appuyé par des citations. Il ne défendait rien, ou plutôt accusait le Nicolas ou l'autre. Bref il nous a promis satisfaction (1). Mr. Reynaud lui avait parlé de vous déjà aussi vivement. Je ne partirai (2) que Jeudi soir par le train de 7 heures 15. Mais ne vous dérangez pas ; à mon retour je vous verrai à Poitiers ou ailleurs. Mille amitiés et compliments.

Pr MÉRIMÉE.

(1) Mérimée écrivait le 31 août 1853, à M. Mallay, architecte du Puy (Lettre inédite) : « J'ai vu M. Fortoul il y a trois jours avec Viollet-Ledue. Nous lui avons dit tout ce que nous avions sur le coeur... J'ai remis à M. Ffortoul] une note à votre sujet et à celui de M. Joly-Leterme qui avait été évincé encore plus brutalement et cela sous le prétexte d'habitation hors du diocèse. Il m'a promis de mettre ordre à cela... J'ai appris ce matin que M. Joly avait été réintégré... »

(2) Pour Madrid.

CXI A M. DE CHERGÉ

Madrid, 8 Nov™ [1853]

Mon cher Président, l'affranchiss* n'étant plus possible entre l'Espagne et la France, je n'ai pas jugé à propos de vous infliger un port de lettre pour répondre à la vôtre d'un mois en çà environ. Le fond de la question est que je ne pouvais rien dedans cet accessoire, comme dit Corneille (1), n'ayant aucune relation avec M. Damas-Hinard, secrétaire de l'Impératrice. Je crois en outre que la recommandation du susdit serait peu de chose. Quant à celle de sa belle souveraine, je crois vous avoir dit comment je n'osais ni ne pouvais la solliciter. La seule grâce que je lui demandai


214 LETTRES DE MÉRIMÉE

lorsqu'elle m'apprit son mariage fut de me faire promettre et jurer de ne jamais rien lui demander ni pour moi ni pour les autres, si ce n'est de l'argent en cas de misères qu'elle pourrait soulager. J'ai tenu jusqu'ici mon serment et j'ai refusé de lui parler d'un mien parent fort proche pour lequel sa recommandation aurait pu apporter la manne.

Je suis ici depuis plus de deux mois. Parti de Paris avec l'intention de visiter la province du Nord, j'ai fait la faute de commencer par Madrid où je me suis accoquiné si bien que c'est à peine si j'ai pu m'en arracher pour revoir Tolède et quelques villes des environs. Vous dire ce que je fais ici, j'en serais bien embarrassé. Il n'y a rien d'archéologique et très peu de choses intellectuelles à Madrid, mais une société très amusante et des gens qui me plaisent. Je me trompe en vous disant qu'il n'y a pas d'archéologie à Madrid. Il y a une Académie de l'Histoire dont je suis membre honre (2) qui recueille des chartes et autres revenants-bons des couvents supprimés par Mendizabal que nous enterrâmes avant hier. Elle possède un musée très joli, qui vient de s'enrichir d'une découverte curieuse faite à Tarragone (3). C'est un tombeau, ou plutôt des fragments d'un tombeau de marbre, couverts de gravures dont les creux sont remplis d'une pâte noire. Or ces gravures représentent des mythes fort étranges, les uns relatifs à Hercule, d'autres à une cosmogonie inconnue. Le tout accompagné d'Ins. celtibériennes et d'Ins. démotiques, ces dernières très mal tracées, probablement par des farceurs ignorant l'écriture Egyptienne. Le drôle, c'est que ce tombeau a été trouvé sous deux couches de mosaïques romaines. Les doctes d'ici prétendent que le tombeau est antérieur à la conquête romaine. Je le crois plutôt du 2e ou 3e siècle et l'ouvrage de quelque antiquaire gnostique. A mon retour je publierai une relation de la chose. Je ne sais quand je quitterai Capoue. Selon toute apparence je vais attendre


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 215

l'ouverture des Cortès qui a lieu le 19. Si je ne suis pas trop pressé, je m'arrêterai un jour à Poitiers pour dire bonjour à Degove (4) et à vous si par bonheur vous vous y trouvez. Adieu, mon cher Président. Tenez vous en joie et prospérité. Je profite d'un des rares voyageurs de cette saison pour vous écrire, mais je ne sais trop quand mon homme partira.

[sans signature].

(1) Nous n'avons pas trouvé cette expression dans Corneille. Mérimée l'attribue ailleurs (Lettre à Royer-Collard, 12 novembre 1844) à Molière où elle se trouve en effet [Ecole des Femmes), acte IV, se. vi).

(2) A la suite de la publication de don Pèdre, Mérimée avait été nommé membre correspondant de la Real Academia de la Historia de Madrid.

(3) Cf. P. Mérimée, Mélanges historiques et littéraires, Paris, Lévy, 1868, p. 93. Sur un tombeau découvert à Tarragone.

(4) Receveur général des finances à Poitiers et membre de la Soc. Ant. de l'Ouest. Mérimée l'avait vu à Poitiers le 20 mars 1853 (voir Lettre à Villemain, Poitiers [20 mars 1853], in Pro Memoria, p. 111).

CXII A JOLY-LETERME

MINISTÈRE D'ÉTAT SECRÉTARIAT GÉNÉRAL

Paris, 21 Janvier 1854.

Mon cher ami,

Je suis de retour enfin (1). Auriez-vous quelque chose à nous dire de l'église de Cisag, au sujet de laquelle vous m'avez envoyé un croquis en m'annonçant un travail plus étendu. Nous l'attendons.

Mille amitiés et compliments.

Pr MÉRIMÉE.

(1) Il est revenu de Madrid, le 18 décembre 1853.


216 LETTRES DE MÉRIMÉE

CXIII

A M. DE CHERGÉ

[1854 '!]

Mon cher Président, j'ai reçu vos livres. Je remettrai le volume au Comité de l'Ins[tructi]on publ[ique] lundi prochain jour de séance. Sachez que j'ai un catalogue de mes livres et que le 1er volume n'y figure pas (1). Je n'ai pas de cachette ni de trou dans ma maison, où tombent les livres, et je n'ai jamais reçu celui que vous m'avez envoyé.

Le titre d'Impériale est une assez grosse affaire à ce que je crois, en ce qu'il donne à une société certaines capacités et privilèges très enviés. Nous n'avons jamais pu l'obtenir pour notre société des bibliophiles. Demandez pourtant la chose au Ministre de l'Instruction publique, faites vous recommander par le Préfet et envoyez, avec la lettre du bureau, votre règlement.

Votre lettre à M. de Bastard (2) lui a été remise ; il demeure dans mon voisinage quelque part rue de Bellechasse. Mille amitiés.

P*M. Mercredi soir.

(1) Il s'agit peut-être du Dictionnaire historique, biographique et généalogique des familles de l'ancien Poitou, par M. Filleau, publié par MM. Henri Beauchet-Filleau et Ch. de Chergé, Poitiers, 2 vol. in-8°, t. I, 1840, t. II, 1854.

(2) Membre du Comité Historique des Arts et Monuments.

CXIV

A JOLY-LETERME

MINISTÈRE D'ÉTAT SECRÉTARIAT GÉNÉRAL

Paris, le 29 avril 1854.

Mon cher ami, je viens d'examiner les devis que vous


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 217

m'avez envoyés pour le Puy N. D., Cunault (1), Candes et Nantilly (2). Malheureusement vous étiez parti lorsque je suis revenu de Loches et je n'ai pas pu causer de cela avec vous. Vous avez mis, dans le même devis, des articles qui concernent les Monuments et les Cultes, ce qui a deux inconvénients, le premier de grossir notablement le chiffre du devis, le second de rendre la division assez difficile entre les deux Ministères. Il faudrait donc que vous nous envoyassiez le plutôt possible une note supplémentaire dans laquelle vous marqueriez les dépenses relatives au culte, et de plus vous indiqueriez l'ordre naturel des travaux, et quelle est la subdivision la plus grande des allocations à laquelle vous pouvez vous résoudre. Vous savez que nous n'avons plus le sou, et il en sera de même probablement l'année prochaine. Nous serons obligés de vous donner de très petites sommes selon toute apparence, et il s'agit de savoir quelle est la plus petite que vous puissiez employer utilement. Mille amitiés et compliments.

P 1' M.

(1) Rapport de Mérimée à la Commission. Séance du 13 mai 1854 (A. C. M. H. Dossier Cunault) :

« L'église de Cunault se trouve dans une position tout exceptionnelle. C'est un vaste édifice faisant partie autrefois d'une riche abbaye, devenu aujourd'hui l'église d'un village ou plutôt d'un hameau misérable. L'administration, en provoquant l'expropriation du choeur de cette église pour le réunir à la nef qui seule avait été conservée au culte, a fait incontestablement une opération excellente 'au point de vue de l'art, mais qui serait désastreuse si l'édifice était abandonné pour son entretien aux ressources locales. Dans un pareil état de choses il me semble impossible d'abandonner l'église de Cunault avant l'achèvement de sa restauration. Le devis supplémentaire présenté par M. Joly est justifié par la nécessité où il s'est trouvé de modifier les premiers travaux qu'il avait prévus, et d'entreprendre d'urgence des réparations qui devenaient indispensables lorsque l'état du monument était mieux connu. Aujourd'hui le travail de consolidation est terminé, mais il n'en reste pas moins des réparations assez considérables à exécuter. La toiture exige un remaniement ; il faut opérer quelques déblais aux abords de la façade et pratiquer un canal d'aération autour de l'édifice pour rejeter les eaux à l'extérieur et assainir la partie basse des murs latéraux. Enfin le [illisible] de l'église, les fenêtres, quelques sculptures de décoration doivent compléter la restauration.


218 LETTRES DE MÉRIMÉE

On voit que plusieurs de ces travaux ne sont point précisément du ressort des monuments historiques. Peut-être le Ministère des Cultes consentirat-il à accorder une allocation pour les articles qui sont exclusivement relatifs à la célébration du culte. A mon avis les travaux les plus importants sont les réparations à faire à la toiture et le canal d'aération. Il serait à désirer qu'ils puissent s'exécuter sans retard.

« Tous les travaux s'élèvent à 11.663 f. 59.

« Je demanderai à la commission de vouloir bien proposer en principe d'accorder une somme suffisante pour achever la restauration en ce qui concerne le monument, et je pense qu'une somme de 7 ou 8000 f. répartie sur plusieurs exercices suffirait pour y parvenir. Le surplus pourrait être demandé au Ministère des Cultes.

« Pr M. »

(2) Rapport de Mérimée à laCommission. Séance du 13 mai 1854 (A. C. M. H. Dossier Nanlilly) :

« Ajourner jusqu'à ce que la ville de Saumur ait fait connaître le montant du concours qu'elle doit accorder pour terminer cette restauration. En la mettant en demeure, je crois qu'on pourrait promettre de contribuer à la dépense pour la moitié de la somme prévue au devis soit pour 10.000 f. » Pr M. » '

CXV A JOLY-LETERME

MINISTÈRE D'ÉTAT SECRÉTARIAT GÉNÉRAL

Paris, le [3 juin] 185[4J.

MON CHER AMI,

Nous n'avons pas un rouge liard. Que voulez vous que nous fassions pour le Puy Notre-Dame, d'autant plus que notre Ministre nous refuse toute avance (1) ? Je ne vois qu'une chose à faire, c'est de presser le plus possible la délibération du Conseil mal. Ou il donnera quelque chose et alors nous reviendrons sur notre lre décision; ou bien il nous prouvera l'impossibilité où il est de faire de nouveaux sacrifices, et cela reviendra à peu près au même. Vous savez que notre budget a été voté et il faut espérer que l'année prochaine nous serons un peu moins misérables.

Mille amitiés et compliments.

Pr Mérimée. 3 juin 1854.


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 219

(1) Rapport de Mérimée à la Commission. (A. C. M. H. Dossier Le Puy Notre-Dame) :

« Toute décision me semble devoir être ajournée jusqu'à ce que la commune ait fait connaître quelle sera sa part contributive dans l'exécution des travaux supplémentaires. Il est à observer qu'une partie notable de ces travaux ne concerne pas l'administration des monuments historiques, et il faut espérer que le Ministère des Cultes voudra bien accorder son concours à une opération qui a pour but de rendre possible la célébration du service divin dans l'église du Puy.

« Pr M. »

CXVI A M. DE CHERGÉ

MON CHER PRÉSIDENT,

VOUS ne m'avez pas répondu au sujet de la feuille réclamée par Montalembert.

Quant au temple St Jean, je parlerai de l'affaire à la Commission. Nous comptions sur vous pour l'arranger. Vous deviez faire entendre raison au Conseil Mal et mettre l'évêque dans nos intérêts en lui offrant la chapelle pour lui. Il paraît qu'elle peut être utile comme annexe de la cathédrale.. Si la ville nous ennuie trop, nous arrêterons nos travaux, et au grand jamais, elle ne verra un sou de notre argent en ses nécessités. Il me semble que pour la voisine, on peut tout arranger avec une petite indemnité et même sans indemnité, par un mot de prière de l'évêque. Dites-moi ce que vous semble de tout cela. Ouvrez un avis, et écrivez-moi avant samedi prochain pour que je puisse consulter la commission.

T. à v.

P'M.

Dimanche 4 juin 1854.


220 LETTRES DE MÉRIMÉE

CXVII A LOUIS DE LA SAUSSAYE

Paris, 30 Xb" 1854

MONSIEUR LE RECTEUR,

J'ai cru que vous fussiez un blagur. Je reçus de vous deux lettres fort honnêtes dans lesquelles vous m'annonciez d'huîtres, mais je ne reçus qu'un discours (1), remarquable il est vrai par l'harmonie des pensées et la profondeur de l'estile. La première fois j'invita d'amis pour manger la bourrice, mais j'en fus pour le coût de mes citrons n'ayant pas même vu une écaille. Je vous fais donc ces lignes du Luxembourg où je délibère pour vous faire savoir que je recevrai toujours vos lettres avec grande satisfaction, mais que quand vous m'enverrez d'huîtres vous mêles annonciez pour un jour déterminé, à cette fin que je me prépare. Et si vous étiez dans le dessein de m'envoyer cette bourrice pour étrennes, croyez qu'elle tomberait mal, étant invité par de personnes honorables pour tout le commencement de la semaine. Au demeurant, attendant votre arrivée avec impatience, je mets la main à la plume pour vous faire connaître que je possède encore demi-douzaine de bouteilles d'ale, liqueur qui ne vous est pas désagréable et si vous apportiez de mollus nous pourrions nous donner une biture en prévenant d'avance. Adieu Monsieur le Recteur, je vous souhaite une bonne année et je demeure votre dévoué serviteur (2).

P'M:

(1) Discours prononcé par M. de La Saussaye, le samedi 9 décembre 1854, à la séance solennelle consacrée au compte rendu des travaux des Facultés... etc. Journal de la Vienne, lundi 11 décembre 1854, p. 815 et 816.

La séance était présidée par M. de La Saussaye, recteur de l'Académie de la Vienne, qui s'exprima en ces termes : « Il y a vingt ans, dans ce pa-


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST ' 221

lais de la Science, dans cette même salle, et presque à la place que j'occupe en ce moment... je recevais les témoignages d'une indulgente approbation à mes débuts, dans une étude qui prenait alors un développement nouveau, l'archéologie nationale, et dont la ville de Poitiers accueillait avec empressement les plus actifs, les plus dévoués promoteurs... »

(2) Mérimée a peut-être essayé d'imiter dans cette lettre le langage populaire du Poitou. Nous avons reproduit exactement le texte et l'orthographe fantaisistes de Mérimée.

CXVIII

A LOUIS DE LA SAUSSAYE

Paris, 21 Janvier [1855]

MON CHER AMI,

J'ai envoyé à Courmont votre lettre. Il dit que vous n'avez guère compris la sienne. J'ai d'ailleurs parlé de l'affaire à Soubeyran, le s[ecrétai]re de M. Fould, et lui ai dit quel homme vous êtes. D'ailleurs n'ayez aucune inquiétude et faites-en toujours à votre tête. Lorsque vous viendrez à Paris, je tâcherai de vous faire rencontrer avec Soubeyran qui vous dira des choses sur Poitiers qui vous intéresseront peut-être.

Je suis enrhumé et j'ai de plus un lumbago sinon une attaque de l'épine molière ce qui me rend assez furieux. Nous avons deux pieds de neige et j'éprouve le besoin de me marier à une jeunesse pour me réchauffer.

Edouard (1) est tout à fait rétabli, mais la peau du ventre collée à l'épine du dos. Saulcy imprime à force et démontre que Q[uatremère] ne sait pas l'hébreu (2). Rapportez-moi chez Bréban[t] la traduction de l'interjection Saintongeoise : agre ou agré (3). La vie est bien triste par un rhume de cerveau. Je voudrais être à Madrid à me chauffer autour d'un brazero avec nos amies les senoritas de Carabanchel. Mille amités et compliments.

Pr M.


222 LETTRES DE MÉRIMÉE

(1) Edouard Delessert.

(2) .Querelle de Saulcy et Quatremère sur les tombeaux des rois de Juda. Voir Eloges académiques, par M. Wallon, Paris, 1882, tome II, p. 279.

(3) Mérimée prépare son édition des Aventures du Baron de Foeneste qui paraîtra en juillet 1855 et pour laquelle ses amis du Poitou le documentèrent. Cf. Av. du baron de Foeneste, Paris, Jannet, 1855, p. 139, n. 1.

CXIX

A JOLY-LETERME

Mercredi 20 février 1856. MON CHER AMI,

J'ai reçu le curieux flacon dont l'irisage est magnifique. Je vais le donner de votre part au Musée de Cluny (1) et je tâcherai qu'on analyse les vilenies qui se trouvent encore dedans.

Quant aux inscriptions je n'y aurais vu que du feu sans votre traduction. Vous ne me dites pas si celle où il y a Sum virgo Maria etc. a été gravée sur place, ou si c'est une pierre prise ailleurs qu'on aurait fait servir dans la corniche. Je suppose que la première hypothèse est la vôtre. La seconde inscription est la fin d'une épitaphe en vers ; mais qu'est devenu le commencement ?

Il m'est arrivé toutes sortes de catastrophes, depuis que nous ne nous sommes vus. J'ai perdu un de mes parents mort à Bagdad où il était allé faire des explorations (2). Puis ma cuisinière que bien vous connaissez s'est cassé un bras en allant donner à manger à ses chats à la cave. Et à propos de chats, j'en ai perdu un tout jeune et très aimable. Enfin j'ai un rhumatisme dans l'épaule qui me fait enrager depuis 15 jours.

Avez-vous bouché les brèches du château de Ghinon (3) ?

Qu'est-ce que cette affaire avec Mr Louvet (4) ? Je vous


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 223

croyais les meilleurs amis du monde. Adieu, .veuillez me rappeler au souvenir de Mad. Joly. J'irai probab[lemen]t ce printemps lui faire une visite si mon rhumatisme ne passe pas aux jambes.

Mille amitiés et compliments.

Pr M.

(1) Bouteille en verre de forme antique du xe au XIe siècle trouvée dans une tombe sous l'abside de l'église Saint-Hilaire de Poitiers (Catalogue du Musée de Clung, 1883, n° 4.774).

(2) Fulgence Fresnel, mort à Bagdad le 30 novembre 1855.

(3) Un arrêté du 9 août 1855 : « accorde une somme de 2.000 f. sur le crédit des monts historiques de l'exercice 1855 pour pourvoir aux réparations les plus urgentes et charge M. Joly-Leterme, architecte à Saumur, de l'emploi de ces fonds et de l'étude des travaux à entreprendre (A. C. M. H. Dossier Château de Ckinon). Un long rapport de Mérimée (30 juin 1855) figure au dossier.

Une lettre de Mérimée du 17 octobre 1854 manque à ce dossier. Il écrivait à Mme de La Rochejaquelein vers le 15 octobre 1854 :

« Je suis arrivé il y a trois jours de Berlin et j'ai lu la délibération du conseil municipal de Chinon [délibérations des 26 et 28 août 1854]. J'ai fait aussitôt trois pages de ma plus belle prose et l'ait portée à mon ministre. » (Une Correspondance inédite, p. 1.)

(4) Charles Louvet, né à Saumur, maire de cette ville et député du Maine-et-Loire. Il devint ministre de l'Agriculture et du Commerce dans le ministère Emile Ollivier (2janvier 1870).

cxx

A JOLY-LETERME

[28 mars 1857] MON CHER AMI,

Mille remerciements de l'estampage de l'inscription de là cloche de Blois et surtout du livre curieux que vous m'avez envoyé. C'est la bonne édition en 130 pages de 1668, on attribue le livre à Gregorio Leti (1). Bien qu'il ne tienne pas tout ce que son titre promet, il est cependant très recherché et je vais faire le désespoir de mes amis les bibliophiles en


224 LETTRES DE MÉRIMÉE

leur montrant un exemplaire non relié, rareté insigne parmi les bouquins de cette espèce.

Je vous suis bien obligé d'avoir pensé à moi dans cette occasion. Nous avons aujourd'hui examiné votre projet pour l'achèvement de S* Hilaire. Nous demandons de l'argent à notre ministre ; nous en demandons aux gens de Poitiers, et bien que tous soient d'assez mauvaise paie, il faut espérer que nous en tirerons pied ou aile.

Veuillez présenter mes hommages à Madame Joly et agréer l'expression de tous mes sentiments dévoués.

Pr MÉRIMÉE. 28 mars 1857.

(1) Gregorio Leti, historien italien, né à Milan le 29 mai 1630, mort à Amsterdam, le 9 juin 1701.

Mérimée veut sans doute parler de l'ouvrage suivant attribué à G. Leti : // Puttanismo romano, o oero Conclave générale délie putane délia Corte per l'elettione del nuovo pontefice. (S. L), 1668, in 12, 130 p. Une traduction française en a été donnée sous ce titre : Le Putanisme de Rome, ou le Conclave général des putains de cette cour, pour l'élection d'un nouveau pontife. Traduction libre de l'italien. A Cologne (s. d.), in-8o, VIII, 132 p.

CXXI

A JOLY-LETERME

!

[Samedi 27 mars 1858]

MON CHER AMI,

Vous m'excuserez de ne vous avoir pas répondu plutôt. J'étais absorbé par l'enquête relative à la Bibliothèque Imp[éria]le, et [à mes fonctions de Président, on avait ajouté celles de rapporteur]. (1) Il y avait de quoi devenir chèvre. [Enfin ce jourd'hui à deux heures de relevée, mon rapport duement paraphé a été remis à S[on] Ex[cellence] et je profite de mon premier moment de répit pour vous remercier


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 225

des curieux renseignements et du dessin que vous m'avez envoyé. Ce Mr à cheval doit être un des cavaliers de l'Apocalypse, et il me semble tout à fait dans le style des fresques de S. Savin. Seulement, le cheval a encore plus le caractère antique. Sa bouche' ouverte lui donne une grande ressemblance avec les chevaux des vases grecs.

Je porterai votre dessin à la Commission à sa première séance.

[Je suis tout éreinté encore de l'accouchement laborieux d'un rapport de 60 pages.] Je vais faire mes dévotions à la campagne.

Mille amitiés et compliments. Mes respects à Mme J[oly].

Pr M.

Samedi 27 mars [1858]

(1) Les passages entre crochets ont été communiqués par M. Josserand à M. Julien Cain qui les a utilisés dans son article : « A la Bibliothèque Nationale, autour du catalogue. » (Revue des Deux Mondes, 15 mars 1936.)

Le rapport de Mérimée sur l'organisation de la bibliothèque impériale est daté du 27 mars 1858 et a été imprimé en mai 1858.

CXXII A JOLY-LETERME

Samedi soir 10 nov. [1860]

MON CHER AMI,

Je reviens d'une excursion de quelques jours (1). J'ai trouvé votre trompette et le mémoire qui l'accompagne, qui m'ont paru, dessin et prose, excellents. Ce soir cela est parti pour S* Cloud avec une lettre du Ministre.

La semaine prochaine je me mets en route pour Cannes, d'où je ne reviendrai selon toute apparence qu'à la fin de février. Adressez à M. de Saulcy les dessins sur le camp de Chênehutte (2), ou bien à Courmont, et prévenez-moi en

15


226 LETTRES DE MÉRIMÉE

même temps. J'ai fait route, une partie de mon voyage, avec le B°" de Hùbner qui m'a beaucoup parlé de-vous.

Adieu mon cher ami, mille remerciements à vous, à votre fils, mille compliments et hommages à Madame Joly.

Pr MÉRIMÉE.

Samedi 10 nov.

(1) Le 6 octobre 1860, .Mérimée écrit à Panizzi (I, p. 112) : « Je suis allé en province mettre fin à une aventure des plus chevaleresques et des plus originales... » et le 11 novembre 1860 (I, p. 147) : « J'étais allé travailler à la seconde partie de mon roman, je crois que c'est la dernière, la fin ne vaut pas le commencement. » Il s'agit peut-être d'une rencontre de Mérimée avec la baronne Aymé, née Fanny Amélia de Marguenat, qui avait correspondu avec Mérimée sans le connaître. Elle habitait à Melle. Elle était fort spirituelle, mais laide et de taille géante, si bien que Mérimée l'ayant vue, sa déception fut telle que toute correspondance cessa. A noter que Mérimée était à Melle le 30 mars 1861, (Panizzi I, 192) et que le but de ce voyage reste inexpliqué.

Lors de la publication des Lettres à une Inconnue, la baronne Aymé se plaisait à laisser dire qu'elle était la fameuse inconnue.

(2) Camp romain du Chàtelier â Chênehutte-les-Tuffeaux (Maine-etLoire). Cf. un rapport de M. Godard-Faultrier (Congrès archéologique de France, XXIXe session, Saumur, 1862, p. 55) et une visite du Congrès (76id.,p. 125).

CXXIII

A L'ABBÉ LEBRUN curé de St-Savin (1)

Biarritz, 23 sept. 1863. MONSIEUR L'ABBÉ,

Si S. M. l'Impératrice employait ses revenus à réparer les églises monumentales de la France, elle serait sans doute bientôt ruinée, et je ne me sens pas le courage de lui parler de l'église de S* Savin qui d'ailleurs a été assez bien traitée ce me semble.J'aitransmisvotrelettreaudirecteurdesBeauxarts(2). Si l'état des fonds des monuments historiques le permet, j'espère qu'on pourra faire quelques travaux l'année prochaine.

Veuillez agréer, Monsieur l'Abbé, l'expression de tous mes sentiments les plus distingués. Pr MÉRIMÉE.


AUX ANTIQUAIRES DE L OUEST

227

(1) M. l'abbé Pierre-Aimé Lebrun fut curé de Saint-Savin de 1861 à 1894. Cette lettre se trouve aux Archives particulières du Grand Séminaire de Poitiers. Elle nous a été aimablement communiquée, ainsi que celle du 21 septembre [1866], par Mgr Chaperon, doyen du Chapitre de la cathédrale de Poitiers.

(2) Voir lettre du curé de Saint-Savin du 15 septembre 1863 adressée à Mérimée (A. C. M. H. Dossier Saint-Savin). L'abbé Lebrun écrit : « ... Je sais toute la faveur que vous avez auprès d'un coeur si noble, si bon, et si profondément chrétien, parlez donc à Sa Majesté l'Impératrice de notre monument ou plutôt du vôtre... »

CXXIV A M. EDGARD DE CHAMPVALLIER (1)

Cannes 23 janvier [1864]

MONSIEUR,

J'ai été très souffrant depuis quelques jours, c'est ce qui m'a empêché de vous remercier plus tôt des mémoires que vous avez eu la bonté de m'envoyer (2). Le rapport de M. le Dr Sauzé me paraît particulièrement intéressant et sa conjecture au sujet des attaches destinées à soutenir les cadavres accroupis, me semble la plus probable de toutes les explications qu'on a proposées. En ce qui concerne les autels, les sacrifices humains, etc., je professe le plus grandscepticisme.il y aune vingtaine d'années j'ai assisté à l'ouverture d'un ossuaire auprès de Mantes (3), et là, de même que dans le tumulus de Bougon, nous avons trouvé des preuves de la chirurgie antique. Parmi un assez grand nombre de squelettes humains, il y en avait un dont le tibia avait été cassé et parfaitement resoudé, au dire des médecins qui assistaient à la fouille. Ce tibia présentait une particularité fort étrange. Sur toute l'étendue de la cassure on remarquait des canne-


228 LETTRES DE MÉRIMÉE

lures horizontales, comme en aurait pu produire un lien fortement serré autour de l'os, supposé, chose impossible, qu'on eût enlevé tous les muscles de la jambe. Voici à peu près l'apparence de ce tibia qui doit encore exister à Mantes.

AB est la ligne de la fracture ressoudée.

Je vous demanderai de garder vos mémoires jusqu'à mon retour à Paris, afin de les comparer avec des notes recueillies par moi autrefois et qui sont à Paris. Je pense être de retour dans les premiers jours de mars.

Veuillez agréer, Monsieur, avec tous mes remerciements, l'expression de ma plus haute considération.

Pr MÉRIMÉE.

(1) Cette lettre adressée par Mérimée à M. Edgard de Champvallier fut donnée par celui-ci à M. Sauzé de Lhoumeau, le 27 janvier 1864. Elle nous a été très aimablement communiquée, ainsi qu'une partie de la note qui va suivre par M. Charles Sauzé de Lhoumeau à qui nous adressons tous nos remerciements.

(2) M. de Champvallier écrivait à M. Sauzé de Lhoumeau, le 27 janvier 1864, en lui adressant la lettre de Mérimée : « ... Le plus grand des hasards etMme la baronne Aymé m'ont mis en rapport de correspondance avec Mr Mérimée sénateur et savant ! Il me demandait des renseignements sur Bougon et d'une manière tellement précise que je n'ai pas cru pouvoir mieux faire que de lui adresser le livre de MM. Baugier et Arnault, votre rapport à la Société de Statistique et le petit opuscule que vous avez bien voulu m'envoyer en décembre dernier... » Les ouvrages que cite M. de Champvallier sont sans doute : Monuments militaires et civils du Poitou, l"e série, Deux-Sèvres. Dessins d'après nature, par Baugier, lithographies par E. Conte. Texte historique, par Ch. Arnauld, Niort, Robin, 1843, in 4°; « Rapport sur les fouilles faites à la Villedieu-de-Comblé », pi. par Ch. Sauzé (Soc. Statistique des DeuxSèvres, VIII, 1843-1844, p. 178) et » Notes sur les Ossemens humains trouvés dans le tumulus de Bougon » par Ch. Sauzé (Soc. Statistique' des Deux-Sèvres, IV, 1839-1840, p. 153). Cf. lettre XIII, p. 77 et 78.

(3) Mérimée s'est en effet rendu à Mantes avec Duban et Caristie en avril 1844 (Voir Lettres de Mérimée à Vitet, p. 84 et 85). -

CXXV A JOLY-LETERME

4 avril [1864 ?]

MON CHER AMI, Mille remerciements de votre poëme. Il m'était parfaite-


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 229

ment inconnu. Je consulterai les doctes pour savoir son mérite, car le lire me paraît chose trop difficile. Je suis bien fâché que l'affaire des Invalides n'ait pas réussi. Mr Darricau (1) m'a paru cep* très bien disposé, mais nous avions affaire à trop forte partie à ce que je crois. Peut-être se préséntera-t-il quelque autre occasion.

Pour vos monuments, Courmont tourmente le Conseil Mal de Chinon. Demandez-lui de l'argent pour les autres ; il grognera et finira peut-être par vous en donner.

Mille remerciements et amitiés.

Pr MÉRIMÉE

Je suis de retour depuis 15 jours de Cannes.

(1) Directeur au Ministère delà Guerre. Sur l'affaire des Invalides il existe une lettre inédite du 3 mai 1862 (collection M. Parturier), où Mérimée recommande Joly-Leterme au Maréchal [Randon ?] pour la place d'architecte de l'hôtel des Invalides.

CXXVI

A SEGRETAIN fils

Cannes 14 Décb" [1864]. MONSIEUR,

Je trouve à mon retour d'un voyage en Espagne (l) la lettre que vous avez eu la bonté de m'écrire pour m'annoncer la mort de Monsieur votre père (2). Je suis bien profondément touché de la perte que vous venez de faire. Ceux qui connaissaient comme moi M. Segretain et qui avaient été à même de l'apprécier s'associent bien sincèrement à votre douleur. La dernière fois que je le vis à Paris, il me parla du voyage qu'il projetait et qui en le rapprochant de vous devait lui montrer tant de belles choses. Je ne l'avais jamais vu mieux portant, plus fort, plus animé. Que j'étais loin de m'attendre que cette entrevue était la dernière. Je pense être à Paris vers le commencement de Mars (3). Si


230 LETTRES DE MÉRIMÉE

vous y veniez, j'espère, Monsieur, que vous voudrez bien vous souvenir de moi et venir me parler de Monsieur votre père et de vous même. Je serais heureux de vous exprimer de vive voix tous les sentiments d'estime et d'attachement que j'avais pour lui et de vous offrir mes petits services, si je pouvais vous être de quelque utilité.

Recevez, Monsieur, l'assurance de ma plus haute considération.

Pr MÉRIMÉE

(1) Mérimée était parti pour l'Espagne le 8 octobre 1864. Il a dû revenir à Paris vers le 20 novembre.

(2) Segretain mourut à Niort, le 8 novembre 1864.

(3) Il est de retour à Paris, le 10 mars 1865.

CXXVII |A COURMONT|(l)

[Biarritz] Villa Eugénie 21 sept. [1866]

MON CHER AMI,

Lisez la lettre de ce curé (2). Je lui ai répondu de la bonne encre et lui ai rappelé qu'il s'était exposé à ce qu'on lui fit payer les prétendues restaurations qu'il a fait faire sans nous consulter. Je crois qu'il y aurait lieu de visiter l'église. Envoyez-y Boeswillwald ou Joly et faites écrire au curé en même temps.

Je vais assez bien, mais le temps n'est guère bon Nous attendons l'Empereur aujourd'hui. J'espère que vous vous portez bien et que vous irez à Cannes en Novre. J'ai déjà retenu ma maison. Veuillez me rappeler au souvenir de Madame de Courmont et de nos amis, t. à v.

Pr M.

(1) A. C. M. H. Dossier S' Savin.

(2) La lettre du curé manque au dossier.


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 231

CXXVIII

A L'ABBÉ LEBRUN (1) curé de Saint-Savin.

Biarritz 21 sept. [1866]

MONSIEUR LE CURÉ,

J'ai envoyé votre lettre à M. l'Inspecteur général des monuments historiques (2), pour qu'elle fût communiquée à l'administration.

Je ne doute pas que les travaux que vous avez fait exécuter soient utiles bien que la description que vous m'en donnez ne me les fasse comprendre que d'une manière très imparfaite ; cependant, Monsieur le Curé, permettez-moi de vous exprimer toute ma surprise, en voyant que tous ces travaux ont été ordonnés par vous et exécutés sans que l'administration des monuments historiques ait été prévenue, sans que l'architecte de l'église ait été consulté, sans que la Commission y ait donné son approbation. Si tous les curés en faisaient de même, nos édifices religieux courraient de grands risques, car un curé n'est pas un architecte et n'est pas obligé d'avoir fait des études archéologiques. Lorsque j'étais inspecteur général, j'ai dû poursuivre un curé qui avait compromis son église par des travaux mal combinés, et la dépense nécessitée par la réparation de ces travaux a été mise à sa charge. J'espère que nous n'avons rien de semblable à redouter pour Saint-Savin.

Agréez, Monsieur le Curé, l'expression de ma considération la plus distinguée.

Pr MÉRIMÉE

(1) Cette lettre se trouve aux Archives particulières du Grand Séminaire de Poitiers.

(2) A partir de 1860, Mérimée est inspecteur général honoraire des monuments historiques. L'inspecteur général est Boes-willwald à qui l'on adjoint, en 1864, M. des Vallières.


232 LETTRES DE MÉRIMÉE

CXXIX A JOLY-LETERME

Cannes, 3 J[anvi]er 1867.

MON CHER AMI,

Je me réjouis fort de la nouvelle que vous me donnez et que je viens de recevoir. J'espère bien que la race se perpétuera in aeternum et que vous verrez vos petits enfants grands comme les grands. Veuillez faire mes compliments à madame Joly et à votre fils. Je fais part à mon voisin Courmont de ce mariage qui lui fait grand plaisir, et il me charge de vous offrir ses félicitations.

Je suis ici depuis le commencement de décembre toujours poussif malgré un temps magnifique.

Je me console en pensant que je serais bien plus mal à Paris.

J'espère que vous n'avez pas eu trop à souffrir des inondations (1), et on me dit que le mal n'a pas été aussi grave qu'on aurait pu le croire au premier abord.

Adieu, mon cher ami, agréez l'expression de tous mes sentiments de vieille amitié.

Pr MÉRIMÉE.

(1) Graves inondations dans le centre, l'ouest et le sud-est de }a France (septembre-octobre 1866).

cxxx

A JOLY-LETERME

Cannes, 25 février [1869].

CHER Mr JOLY,

Je suis en effet fort malade d'une bronchite qui me tourmente depuis quatre ou cinq mois et qui souvent amène des


AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 233

suffocations très douloureuses. J'ai à peu près perdu tout espoir de guérir et je voudrais pouvoir m'habituer à mon mal. La chose n'est pas facile. J'apprends avec bien du regret que vous êtes souffrant.

Ne feriez-vous pas bien, dès que.vous serez un peu mieux, de chercher un ciel plus clément et un climat moins humide ?

Adieu cher Mr Joly. Je vous remercie de l'intérêt que vous

prenez à ma santé. Ayez patience, j'espère que le rhumatisme

vous quittera aux beaux jours.

Mille amitiés.

Pr MÉRIMÉE.

CXXXl A LOUIS DE LA SAUSSAYE

, Cannes, 24 mars [1869].

MON CHER AMI,

Petit bonhomme vit encore (1). Il a été assez près des sombres bords, mais il s'en éloigne pour le moment. Le fait est que je suis en convalescence, et que si le soleil voulait y mettre un peu du sien, je serais bientôt sur pieds.

Pourquoi écrivez-vous Eucher ? N'est-ce pas en latin Eucharius ? Au reste j'ai si peu de relations avec les saints que je vous abandonne ma remarque. Merci du factum qui n'est pas plus clérical qu'il ne faut.

Vous ne me donnez pas votre adresse à Paris.

Adieu mon cher ami, ménagez-vous. Je me ménage fort.

t. à v.

Pr MÉRIMÉE.

(1) Mérimée avait été fort malade et les journaux avaient annoncé sa mort. Cf Introduction aux Lettres de Mérimée à Madame de Beaulaincourt, p. xxvi.

Louis de La Saussaye a noté sur cette lettre : « Dernière lettre de mon bon ami Mérimée, décédé à Cannes à la fin de 70 ».



INDEX ALPHABÉTIQUE DES NOMS cités dans la correspondance (*)

AMPÈRE (J.-J), 100.

AntiquairesdelOuest (Société des),

" 49, 59, 66, 77, 78, 80, 81, 102,

111, 133,135,lïï, 140,162,164,

197. ARNAULD (Charles), 77, 83. AUBER (abbé), 162.

BOESWILLWALD (Emile), architecte, 230, 231.

BARRE, 186,187.

BASTARD D'ESTANG (Jean-FrançoisAuguste, comte de), 216.

BEAUMONT (Elie de), 124, 128, 129, 131, 193.

BOCHER (Edouard), 196.

BOURIGNON (François-Marie), 108.

BRÉBANT, traiteur, 221.

CAssius, 122.

CATIUNA (L. Sergius), 104. CAUMONT (Arcisse de), 17, 47, 72. CHAVAGNE (Dames de), 65, 66. 67,

80, 81. CHERGÉ (Charles de), 66, 81, 102,

103, 104, 122, 123,134, 138, 150,

161,161,175, 203, 205. CLERGET (J-J.), architecte, 120. CONTF.NCIN (de), 209. CORNEILLE (Pierre), 213. COURMONT (Madame de), 230. COURMONT (de), secrétaire de la

Commission des monuments historiques,

historiques, 130,156, 221, 225, 229, 232.

COUSIN (Victor), 59, 77. COUSSEAU (abbé), 183.

DAMAS-HINARD, 213.

DARRICAU, 229.

DEGOVE, 215.

DELÉCLUZE (Etienne-Jean), 50.

DELESSERT (Benjamin), 55.

DELESSERT (Edouard), 198, 221.

DENDELLE (Dominique-Alexandre),

191, 192, 193, 201, 202. DIDRON, 72, 122. DUBAN (Jacques-Félix), architecte,

106, 113. DOLIN, architecte, 62, 87, 94. DUNOYER, 165. DUPIN, 163.

DUPUIS (Charlemagne), 89. DURANT, 147. DUVÊIRE, architecte, 208, 210.

ETIENNE, 120. EUCHER, 233.

EUGÉNIE DE MONTIJO, impératrice des Français, 226.

FONTENEAU (Dom), 72, 163. FOUCART, 60, 151. FORTOUL (Hippolyte-Nicolas- Honoré), 208, 210", 211, 212, 213, ■ 213.

(1) Les noms cités dans l'Introduction et dans les notes ne figurent pas dans cet index. Toutefois, nous avons indiqué les noms (chiffres en italique) qui se trouvent dans la lettre à Guizot (p. 9 à 11), dans la lettre à Vatout (p. 16 à 18) et dans les rapports de Mérimée, cités en notes.


236

INDEX ALPHABETIQUE DES NOMS

FOULD (Achille), 221. FRESNEL (Fulgence), cousin de Mérimée, 222.

GALZAIN, 63, 89.

GASPARIN (Adrien-Etienne, comte

de), 56. GÉRARD-SÉGUIN, 95. 98. GOUARD-FAULTRIER, 174. GODINEAU DE LA BRETONNERÎE, 187. GRANDMAISON (Madame de), 10, 65. GIUNDMAISON (H. de), 94. GRILLE DE BEUZELIN, 101, 109, 123.

HATTON, 196. HEMMELYNCK, 76.

HlVONNAIT, 148.

HÙBNER (Alexandre, baron de), 226.

JAGQUEMIN (François-Maxime), 125.

JOLY-LETERME (Madame), 223, 224, 225, 226, 232,

JOLY-LETERME, architecte, 16, 17, 90, 94, 105, 109, 111, 117, 119, 124,127,132,132, 133, 134,134, 135, 140, 144,145,149, 150, 154, 160,164, 166,171,172, 173, 178, 179, 180, 181, 182. 183, 184, 195, 196, 213, 217, 230, 233.

LABouLAYE(Edouard-Reué de), 113. LASSUS (Jean-Baptiste-Antoine),

architecte, 210. LRLEUX (A.), éditeur de la Revue

Archéologique, 181. LENORMANT (Charles), 203, 204. LE PRÉVOST (Auguste), 201. L'ESCALOPIER, 147. LETI (Gregorio), 223. LIBRI, 193. LION (Maximilien), architecte, 102,

107. LOUVET (Charles), 171, 222.

MANGON DE LA LANDE (Madame), 57.

MANGON DE LA LANDE (Charles-Florent-Jacques), 59

MAUOCHETTI, (Charles, baron), 75.

MENDIZABAL (Juan Alvarez y), 214.

MÉNARD (Jacques-Augustin), 197. MÉNÉTRIER (Père Claude-François),

84, 148. MÉRIMÉE (Madame Léonor, née Anne

Moreau), 139, 189. MÉRINDOL (de), architecte, 137, 140,

162, 165, 169,178,200. MONTALEMBERT (Charles, comte de),

219. MONTESPAN (Madame de), 76. MONTIJO (Comtesse de), 204, 205. MOUTIER, architecte, 62.

NALDI (Giuseppe), 83. NAPOLÉON Ier, 75. NAPOLÉON III, 203.

PRASLIN (Duc de), 76.

QUATREMÈRE (Etienne), 221.

RÉDET, 119.

REYNAUD, 208, 211,212, 213. ROCHE (de), libraire, 163. ROCHETTE (Raoul), 113.

SAINT-GEORGES (Vernoy de), 112.

SAULCY ( Caigniart de), 113,221, 225.

SAUZÉ DK LHOUMEAU (Dr Charles), 227.

SEGRETAIN (Pierre-Théophile), architecte, 67, 68, 72, 74, 76, 85, 114, 115, 116, 209, 229.

SOUBEYRAN (Baron de), 221.

SOURIE (?J, 112.

Statistique des Deux-Sèvres (So'ciété de), 77, 83.

STEINBACH (Sabine de), 66.

THÉOPHILE (Moine), 147. ,

VAUDOYER (Léon), 209.

VESTIER, 118.

VIOLLET-LE-DUC, 130,139, 156, 209,

210,211,212,213,213. VITET (Ludovic), 62, 163.

WALMONT, 183.

WORSAAE (J.-J.-A.), archéologue danois, 185, 186, 194.


INDEX ALPHABÉTIQUE des monuments et lieux cités

Airvault (Deux-Sèvres).

Eglise, 68, 69, 70, 72, 83, 85, 86, 92, 99, 113, 114, 115.

Pont roman, 69. Alençon, 137. Almenéches (Orne).

Eglise, 103. Angers, 155, 158, 176, 208.

Cathédrale Saint-Maurice, 130.

Salle Synodale, 136, 138, 139, 156. Athènes, 99, 100. Auch, 18.

Bagdad, 222.

Bagneux (Maine-et-Loire).

Dolmen, 186. Blois, 106, 113, 119, 198, 223. Bougon (Deux-Sèvres).

Tumulus, 227. Bressuire (Deux-Sèvres), 77.

Candes (Indie-et-Loire).

Eglise, 178, 178, 179, 217. Cannes, 225, 229, 230. Carabanchel, 221. Celles - sur-Belle (Deux - Sèvres).

Eglise, 77. Chàlons-sur-Marne, 210. Chambord (Loir-et-Cher).

Château, 198. Charroux (Vienne).

Coupole, 9, 10, 48, 65, 67, 80, 94, 94. 95, 111, 131,135, 174, 180, 182,183, 184, 195.

Grottes du Chaffaud, 123, 128, 194,195. Chartres.

Cathédrale, 66,80, 117,150, 188.

Châtellerault.

Eglise Saint-Jacques, 187, 196. Châtillon-sur-Indre (Indre), 119,

123. Chauvignv (Vienne).

Eglise Saint-Pierre, 82,135,156, 158, 159, 199. Chênehutte-les-Tuffeaux (Maine-etLoire).

Camp romain, 225. Chinon.

Château, 222, 229. Civray (Vienne).

Eglise, 63, 64, 65, 67, 68, 74, 80,

• 102, 111, 135, 156, 158, 159, 166, 169, 170, 195. Cizay-la-Madeleine(Maine-et-Loire).

Eglise, 212, 215. Clermont-Ferrand, 192. Constantinople, 100. Cunault (Maine-et-Loire).

Eglise, 16, 52, 58, 61, 62, 63, 88, 89, 90, 97, 174, 179, 180, 180, 181, 181, 202, 217, 217.

Chapelle Saint-Macé, 55.

Delphes, 100.

Ennezat (Puy-de-Dôme), 192.

Ephèse, 100.

Etampes.

Eglise Notre-Dame, 115.

Fontaine-le-Comte (Vienne).

Eglise, 200. Fontgombault (Indre).

Abbaye, 140, 141, 142, 162, 167, 168, 168, 169, 175, 175, 176. Gencay (Vienne).

Eglise, 200.


238

INDEX DES MONUMENTS ET LIEUX CITES

Gennes (Maine-et-Loire).

Eglise, 156, 157. Gozo (île de Malte), 99. Jazeneuil (Vienne). Eglise, 121.

Ligugé (Vienne).

Eglise, 135. Loches, 118, 217. Lusignan (Vienne).

Eglise, 144,145, 177, 177, 178, 178,182,182, 183.

Madrid, 87, 211, 214, 221. Magnésie du Méandre, 100. Maillezais (Vendée).

Abbaye, 77, 86. Malte, 99. Mantes, 227, 228: Marnes (Deux-Sèvres).

Eglise, 74, 75. Marseille, 99, 198. Mauzé (Deux-Sèvres), 206. Melle (Deux-Sèvres), 77, 143, 144.

Eglise Saint-Hilaire, 152, 154, 155, 209.

Nieul-sur-1'Autise (Vendée).

Eglise, 77. Niort, 63, 83,84, 101,112, 206,209. Nouaillé (Vienne).

Eglise, 65, 80, 132, 134, 135.

Oiron (Deux-Sèvres). Eglise, 75, 76, 86, 92, 99, 101. Hospice, 76, 86.

Paris, 51, 62, 87, 101, 102, 109,

113, 125, 130,173, 189, 199, 211,

214, 221, 228, 229, 232, 233.

Conciergerie, 193.

Eglise Saint-Germain-des-Prés, 67.

Musée de Cluny, 195, 222.

Thermes de Julien, 69. Parthenay (Deux-Sèvres), 112,116.

Eglise Notre-Dame de la Coudre, 67, 68.

Eglise Saint-Laurent. 67.

Tour Saint Jacques, 68. Parthenay-le-Vieux.

Eglise, 67,68, 86, 116.

Périgueux.

Eglise Saint-Front, 109. Poitiers, 17, 60,66, 89, 102, 119, 134, 137,146, 151,154, 162, 193, 196, 201, 201, 208, 213, 215, 221. 224.

Arènes, 135. Baptistère Saint-Jean, 47, 48, 72,

103, 115, 127. 135, 154, 164,

184, 191, 196, 197, 199, 201,

202, 204, 205, 207, 219. Cathédrale Saint-Pierre, 65, 172,

200, 219. Eglise de Montiernenf, 81. Eglise Notre-Dame-la-Grande,

72, 78, 80, 103, 105, 111, 119,

120,121,135,154,173,173,174.

175, 187, 188, 196, 199, 201. Eglise Saint-Hilaire, 48, 224. Eglise Saint-Porchaire, 105, 109,

133,135,144. Eglise Sainte-Radegonde, 140,

145, 146 à 151,153, 154, 162. Palais de Justice, 123, 133. Pierre-Levée, 175, 183. Séminaire (Manuscrits du), 48. Puy (Le).

Cathédrale, 192. Puy-Notre-Dame (Le) (Maine-etLoire). Eglise, 170, 171, 172, 173, 188,

217, 218, 219.

Rochelle (La), 206. Rouillé (Vienne). Eglise, 200.

Saint-Aignan (Loir-et-Cher), 198. Saint-Amand (?), 53. Saint-Cloud (Seine-et-Oise), 225. Saint-Denis (Seine).

Abbaye, 159. Saint-Généroux (Deux-Sèvres).

Eglise, 70, 71, 72, 73, 82, 85, 114, 115. Saint Jouin-de-Marnes, (DeuxSèvres).

(DeuxSèvres).

Eglise, 72, 74, 115, 116. Saint-Maixent (Deux-Sèvres).

Eglise, 77.


INDEX DES MONUMENTS ET LIEUX CITES

239

Saint-Maurice-de-Gençay (Vienne).

Eglise, 111. Saint- Pierre-les-Eglises (Vienne).

Eglise, 175, 176. Saint-Savin (Vienne).

Eglise, 10, 11, 16, 17, 48, 56, 59, 60, 62, 70, 80, 81, 87, 88, 89, 90, 94, 95 à 98, 111, 116, 117, 118, 119, 122, 125, 127, 133, 135, 136, 139, 140, 141, 144,145, 146, 149, 150, 158, 159, 159, 160, 161, 164, 174, 201, 202, 203, 225, 226, 231. Saintes, 18, 77, 83.

Arc romain, 107, 108, 120, 121. Eglise Saint-Eutrope, 120. Eglise Sainte- Marie-aux-Dames,

18. Musée, 108. Sardes, 100.

Saumur, 17, 53, 61, 62, 90, 142, 194, 211, 218.

Eglise Notre-Dame-de-Nantilly, 170,111,171,172,179,217,218

Monuments celtiques, 55, 186. Smyrne, 100. Strasbourg.

Cathédrale, 66, 80. Surgères (Charente-Inférieure).

Eglise, 77, 83, 93.

Tarragone, 214.

Thouars, (Deux-Sèvres), 68, 99.

Château, 17, 18.

Chapelle, 77, 86. Tours, 142, 143, 176,183, 204.

Eglise Saint-Julien, 183, 205. Turin, 151.

Usseau (Deux-Sèvres). Château d'Olbreuse, 206.

Versailles.

Château, 17. Vézelay (Yonne).

Eglise de la Madeleine, 74, 156.


TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION. 3

AVERTISSEMENT. , 41

LETTRES DE MÉRIMÉE AUX ANTIQUAIRES DE L'OUEST 47

Index alphabétique des noms cités dans la correspondance. . . 235

Index alphabétique des monuments et lieux cités 237


Nouvelles

recherches sur la Révolution

en Poitou

PAR

HENRI CARRÉ

Doyen honoraire de la Faculté des Lettres de Poitiers

16



La Gendarmerie et la Terreur rurale dans la Vienne

(1792-1799)

Il est singulier que les gouvernements révolutionnaires, si forts contre l'Europe coalisée, soient demeurés mal organisés et même très faibles, contre les criminels de droit commun. Dès le 20 novembre 1790, l'Assemblée constituante voyait cependant le député Rabaut-Saint-Etienne (1) déposer un rapport sur une « force publique » capable de maintenir l'ordre dans l'Etat, aussi bien que nos armées défendaient nos frontières (2) ; et, le 22 décembre suivant, elle entendait Louis de Noailles (3) définir les services que rendrait une gendarmerie établie d'après les principes de la Constitution (4). On avait bien songé d'abord à demander aux Gardes nationales d'assurer l'ordre chez nous ; mais très vite .on avait compris qu'elles ne seraient jamais qu'un « simulacre de force (5)». Avec les décrets des 22, 23, 24 décembre 1790, avec celui du 16 janvier 1791, s'organisa enfin une Gendarmerie qui prit la place de la Maréchaussée d'ancien régime ; et une circulaire du. 14 avril 1791 affirma que cette gendarmerie protégerait « effîcace(1)

effîcace(1) (Jean Paul), né à Nîmes en 1743, mort à Paris en 1795.

(2) Choix de rapports, opinions et discours prononcés à la Tribune nationale depuis 1789 jusqu'à ce jour, 1822, t. VII, p. 16.

(3) Noailles (Louis-Marie), vicomte de..., né à Paris en 1756, mort à La Havane en 1804.

(4) Ibid., t. VII, p. 24 et 25.

(5) Albert Vandal. L'avènement de Bornaparte, Paris (Pion), 1903, 2 vol. in-8, 1.1, p. 8.


244 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

ment les personnes et les propriétés », que tout homme dont la conduite serait « conforme à la loi » jouirait, par elle, d'une absolue sécurité (1).

La Gendarmerie fut une force militaire. Ses officiers furent tirés de l'armée régulière, et eurent droit aux mêmes grades que ceux des « troupes de ligne ». Voici d'ailleurs un état d'officiers de cette arme concernant la Vienne et la 2e division militaire, au mois de juin 1792, avec les traitements mensuels attribués à chacun : Colonel Métivier, 500 fr. ; Lieutenant-Colonel Bernardeau de Monterban, 300 fr. ; Capitaine Fremin, 216 fr. ;• Lieutenants Lortat, du Petit de La Salle, Joussereau, Venault, Mouget. Rabert, 150 fr. ; Rousseau, greffier, 100 fr. (2).

Le colonel Métivier constate, le 27 juillet 1792, que, parmi les gens qui sollicitent des postes dans le nouveau corps, beaucoup n'ont « ni les droits, ni les services, ni les talents, ni la taille » qu'on est en droit d'exiger d'eux (3). Le recrutement des officiers fut d'ailleurs d'autant plus difficile que certains candidats, qui pouvaient se prêter aux conditions requises, se virent écartés comme « suspects ». L'un d'eux, le comte de Beauvollier, seigneur de Saint-Marçol, près Loudun, passa bientôt d'ailleurs à l'insurrection vendéenne, et il fut dénoncé au commissaire Tallien (4) comme un de ses chefs les plus redoutables ; il était loin pourtant d'être un royaliste intransigeant, puisqu'il se montrait hostile à toute campagne vendéenne au delà de la Loire, c'est-à-dire à tout accord avec les Anglais de Granville ; puisqu'il proposait de ne pas systématiquement démonétiser les assignats, puisque, plus tard enfin, il servit l'Empereur (5).

(1) Choix de rapports, t. VII, p. 24 et 36.

(2) Archives de la Vienne, L. 194, juin 1792.

(3) Ibid., 27 juillet 1792.

(4) Tallien (Jean Lombard), né à Paris en 1767, mort en cette ville en 1820.

(5) Arch. de la Vienne, L. 194, juin 1792, 18 et 25 septembre 1792. Sur les trois de Beauvolliers. Cf. Beauchet-Filleau et Biographie uni-


LA GENDARMERIE ET LA TERREUR RURALE 245

Dès l'origine, les brigades de gendarmerie dans la Vienne furent au nombre de seize et, peu après, de dix-huit. En octobre 1792 il y en eut deux à Poitiers, et les seize autres s'installèrent à Châtellerault, aux Ormes, à Loudun, Montmorillon, Chauvigny, Saint-Savin, Civray, Pleumartin, Couhé, Gençay, Lusignan, l'Isle-Jourdain, Mirebeau, Verrières, Latillé, la Tricherie. On fit ressortir qu'il y aurait avantage à placer des brigades à cheval dans les chefs-lieux de districts, car c'était de là que partiraient d'ordinaire les expéditions rapides, ou longues. On appela l'attention sur Saint-Savin, comme placée sur la route de Bourges, et en correspondance naturelle avec d'importantes localités. On y pourrait, disait-on, trouver un casernement convenable à la maison des Bénédictins, si toutefois on y faisait quelques réparations. On signalait Pleumartin pour ses communications faciles avec Châtellerault, Chauvigny, le Blanc, Preuilly-sur-Claise. Le cas de Vivonne fut longtemps discuté, et l'on regretta plus tard de n'avoir pas là de brigade, tant les marchés et les foires étaient considérables, tant les relations commerciales avec la Haute-Vienne, la Creuse, la Vendée, la Charente-Inférieure avaient pris d'importance. On donna une brigade au petit village de la Tricherie, en exigeant dé Beaumont qu'on y fit rapidement préparer des logements (1).

A peine constituée, la Gendarmerie nationale attira l'attention du Ministre de la Guerre, Nicolas Pache (2). Le 26 novembre 1792, il fit passer dans la Vienne une circulaire où il affirmait sa confiance dans le nouveau corps (3), et ne

verselle et portative des contemporains (Dict. de Rabbe, Weil de Boisjo et Sainte-Beuve) Paris (F.-G. Levrault), 1834.

(1) Arch. delà Vienne, L. 82, Châtellerault, 23 septembre 1792. 18 décembre 1794, L. 96, an VI (Brigade de Pleumartin et projets sur Vivonne).

(2) Pache est né à Verdun en 1746, mort dans les Ardennes en 1823.

(3) Arch. de la Vienne, L. 194, circulaire du 26 novembre 1792.


246 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

témoignait d'inquiétude qu'au sujet de son armement. Il aurait voulu voir les administrations locales passer, au plus tôt, des marchés d'armes ; et cela se conçoit d'autant mieux qu'à ce sujet le capitaine Frémin révélait au Directoire du Département une invraisemblable pénurie : « J'ai l'honneur, disait-il aux administrateurs, de vous marquer qu'il ne reste pour les brigades attachées au Département que deux paires de pistolets et un sabre. Aussi le Ministre de la guerre vous autorise-t-il, citoyens, à passer des marchés ; et vous pouvez demander, dès maintenant, au LieutenantColonel tous renseignements convenables (1). » Le procureur général syndic, Thibaudeau, le père, s'adressa, sur-lechamp, au Commissaire ordonnateur des guerres de Poitiers, au citoyen Ingardy, et demanda combien il fallait de paires de pistolets et de sabres : Ingardy calcula que « la . fourniture » devait s'évaluer à soixante-douze sabres et soixantedouze paires de pistolets, le tout entraînant une dépense de 5.000 livres. Un armurier d'Orléans qui venait d'équiper plusieurs bataillons de gardes-nationales, fit d'ailleurs des offres à Poitiers en déclarant pouvoir disposer de fusils, de munitions, de sabres d'infanterie, et de pistolets (2). Pour intervenir en des questions plus modestes, le ministre Pache écrivait, en même temps, au Procureur général syndic, au sujet d'un gendarme qui avait perdu-un cheval', sans pouvoir le remplacer à ses frais, et il donnait le conseil de demander une indemnité qu'on aurait chance d'obtenir.

Le successeur de Pache fut Beurnonville (3) qui, sur le recrutement des gendarmes, se montra très exigeant. Bien des places, écrivait-il, démeurent vacantes, en raison delà difficulté où l'on est de trouver des gens capables de les

(1) Arch. de la Vienne, L. 194, 15 décembre 1792 (Déclaration de Fremin).

(2) Ibid., L. 194, 2 février 1793, 20 mai 1793, 11 janvier 1793.

(3) Beurnonville (Pierre de Riel), né à Champagnel(Aube), mortà Paris en 1821.


LA GENDARMERIE ET LA TERREUR RURALE 247

occuper, et nombre de places déjà remplies, le sont assez mal (1). Un lieutenant de Poitiers qui sera bientôt capitaine et sur lequel on reviendra souvent, paraît toutefois avoir été assez remarquable, le citoyen du Petit de La Salle.

Dès le début de son institution, la Gendarmerie de la Vienne eut des occasions de se signaler. En 1792, deux soulèvements populaires firent figure d'insurrections : l'un, vers le mois d'août, fut provoqué par des gentilshommes vendéens qu'entraînèrent un Baudry d'Asson, un maire chassé de Bressuire, le citoyen Delouche, et des missionnaires de Saint-Laurent ; tous marchaient sur Bressuire. En novembre l'autre soulèvement partit de la Sarthe et du Loiret-Cher, avec Tours et Poitiers pour objectifs. A en croire Chassin, dans sa Préparation de la guerre de Vendée, l'attaque de Bressuire fut en partie refoulée par la Gendarmerie, et d'autre part, les insurgés de la Sarthe et du Loir-et-Cher se dispersèrent dès Sainte-Maure, à l'approche de forces venant de la Vienne et où figurait la Gendarmerie (2).

On ne trouvera pas surprenant qu'une des fonctions les plus promptement attribuées à la Gendarmerie fût une fonction de police ; qu'on lui demandât, par exemple, de découvrir et de poursuivre toutes personnes suspectes au Gouvernement révolutionnaire ; et, sans doute, les suspects furent assez nombreux. Il arriva même qu'on fût suspect de façon imprévue. En 1792, une femme Dagé de Remeneuil près Châtellerault, est dénoncée aux administrateurs du District comme ayant chez elle un dépôt d'armes, et pouvant mettre des armes à la disposition des Contre-révolutionnaires. Or voici la lettre qu'elle écrivit aussitôt aux administrateurs :

(1) Arch. de la Vienne, L. 194,19 février 1793.

(2) Ibid., L. 33, Insurrection survenue à Bressuire, à Châtillon, Airvault, août et septembre 1793. Cf. M. Morsonval, Histoire des guerres de la Vendée depuis 1792 jusqu'en 1796, p. 56 et 57 ; — Ch.-L. Chassin, La préparation de la guerre de Vendée, t. III, p. 15.

(3) Ibid., L. 33, 29 novembre 1792, 1« et 6 décembre 1792.


248 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

« Etant instruite, Messieurs, que l'on m'accuse d'avoir des armes chez moi, je vous prie de vouloir ordonner qu'il soit fait une recherche. J'ai pour toute armes un fusil à deux coups et un fusil simple, lesquels j'ai déclaré à ma municipalité. Je crois qu'on ne peut mêles ôter, car vous n'ignorez pas les divers accidents auxquels sont exposées les maisons de campagne sans aucune arme.

« J'ai l'honneur d'être, avec respect, votre très humble servante. « Léonie DAGÉ (1). »

Il ne paraît pas que la-brigade de Châtellerault soit venue à Remeneuil, et s'y soit emparée des deux fusils.

Le 8 janvier suivant 1793 le Conseil général du Département demande au lieutenant en résidence à Poitiers, du Petit de la Salle, d'envoyer deux gendarmes à Chauvigny pour y interroger le citoyen Thubert, messager de Montmorillon, qui « s'est laissé voler quarante mille livres en assignats ». Le citoyen Thubert ne serait-il pas suspect de s'être prêté au vol (2) ?

Non moins suspects d'ailleurs sont des étrangers que fait arrêter le même lieutenant de La Salle, car ils se sont rendus chez les citoyennes de Bonneuil et Devoze', femmes d'émigrés (3). Et de même les frères Rivaud et les frères Vincent, au cours des troubles survenus à Cloué, lors de la levée des Trois cent mille hommes ; de même l'ancien domestique du citoyen Yzoré, ex-marquis de Pleumartin (4) ; ou deux anciens serviteurs du comte de Vasselot arrêtés à Lusignan (5) ; tous ceux enfin qui ont connu Jean-Baptiste Cuirblancet Georges de Fontmervault, les chefs de l'émeute survenue à Usson, et condamnés à mort (6).

(1) Arch. de la Vienne, L. 314, Remeneuil, 29 août 1792.

(2) Ibid., L. 195, Poitiers, 8janvier 1793.

(3) Ibid., L. 16, Clan, 11 mars 1793.

(4) Ibid., L. 314, Saint-Georges-d'Archigny, 2 avril 1793.

(5) Ibid., L. 33, 20 mars et 14 mai 1793.

(6) Ibid., L. 16, 5 avril 1793.


LA GENDARMERIE ET LA TERREUR RURALE 249

Il se rencontre toutefois des arrestations de « suspects » quelque peu ridicules. Le 21 juin 1793 un charretier, transportant des farines, le citoyen Joseph Ouvrard, traverse Châtellerault, et se voit réclamer son passeport. Il n'en a pas, dit-il, car il vient du château de Rigny, paroisse de Montbrun, district de Thouars, occupé par les Brigands, et par conséquent sa municipalité ne lui pouvait délivrer de passeport. N'a-t-il pas du moins, lui dit le brigadier qui l'arrête, quelque papier sur lui, qu'il puisse montrer ? En voici un, répond Ouvrard, et il exhibe ce passeport qui stupéfie le brigadier : « Nous, commandant de l'armée catholique et royale, disait le passeport, permettons à Joseph Ouvrard de se rendre, avec une charrette, à son domicile de Parthenay, ce 10 mai 1793. Signé Stofflet. » Dans quel but voyages-tu ? reprend le brigadier. — « L'armée des Brigands, dit Ouvrard, m'a forcé d'emporter des farines pillées à Thouars, et de les conduire à Parthenay. — Mais - alors, pourquoi passes-tu par Châtellerault ? — Pour aller à Senillé, lieu de ma naissance, et y voir ma famille. » Le brigadier conclut en ordonnant de conduire Ouvrard en prison, car il le soupçonne d'être un agent de l'ennemi (1).

Non moins surprenants sont les cas d' « incivisme » qui peuvent déterminer des arrestations. Sur dénonciation d'un agent national du district de Châtellerault, un citoyen Baudy, ci-devant juge de paix, se voit accusé, en fructidor an II, d'avoir eu des relations amicales, deux ans plus tôt, avec un vicaire qui a refusé le serment ; il a ainsi, dit-on, témoigné de principes contraires à la Constitution, et ne peut être que « suspect» (2).

Plus grave est le cas d'une sage-femme, la citoyenne Audibert, que dénoncent les officiers municipaux de Thuré. Une femme vient d'accoucher ; elle a demandé à la sage(1)

sage(1) de la Vienne, L. 314, Châtellerault, 28 juin 1793.

(2) Ibid., L. 314, 14 fructidor an II.


250 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION . EN POITOU

femme de faire baptiser son enfant ; la citoyenne Audibert y a consenti, et, par suite, elle s'est permis d'« attiser le feu du Fanatisme. » A tout prix, les officiers municipaux veulent qu'elle soit punie, car ils sont, eux-mêmes, disent-ils, des « Patriotes incorruptibles » (1).

Si la Gendarmerie se prêle parfois à seconder des préjugés du Gouvernement, elle demeure bien souvent impuissante, car elle manque des ressources qui lui sont indispensables pour vivre ; chaque jour elle est aux prises avec d'incroyables difficultés. La correspondance du lieutenant du Petit de La Salle est, à ce sujet, des plus suggestives : « Je suis très embarrassé pour faire mes payements, écrit-il aux Administrateurs, le 9 fructidor an III. La Gendarmerie n'a plus de fourrage, et plus de crédit. Pouvez-vous venir à mon secours ? De toutes parts on me demande des fonds. Pour me procurer des denrées je ne puis répondre que ceci : l'échange des assignats est impossible. » Il venait de recevoir un assignat de 10.000 livres mais ne pouvait s'en procurer la monnaie. « Avec la cherté des vivres, des fourrages, des denrées de toute sorte, on ne peut plus, disait-il, rien acheter (2). » Or, presque au même instant, les Administrateurs du département, écrivant à ceux du district de Loudun, se disent très surpris qu'on ne trouve pas le moyen de payer la nourriture des gendarmes ; une lettre de la commission des approvisionnements déclare bien que toutes les « fournitures délivrées aux gendarmes seront payées, d'après les prix moyens des décades » (3). Mais il reste à savoir qui voudrait livrer les «fournitures » sans être payé. Le capitaine de La Salle déclare que les gendarmes de Loudun vont refuser leurs services, à moins qu'on ne les nourrisse et les loge (4) : car il n'est pas seulement question

(1) Arch. de la Vienne, L. 314, Thuré, 20" jour de mars an IL

(2) Ibid., L. 195, Poitiers, 9 fructidor an III.

(3) Ibid., L. 195, Poitiers, messidor an III.

(4) Ibid., L. 82, Poitiers, 7messidor an III.


LA GENDARMERIE ET LA TERREUR RURALE 251

pour eux d'être nourris, mais de savoir où coucher ; et, de divers côtés, on leur cherche des maisons, ou des chambres, qu'il n'est pas facile de découvrir.

Le capitaine ne savait plus vraiment où donner de la tête. En fructidor an III, il se demande en vain comment assurer le respect de la propriété, faire obstacle aux désertions, arrêter les voleurs ou les assassins. Et il se demande aussi comment recruter ses brigades ; car souvent on ne met à sa disposition que des soldats revenant des armées, pour cause d'infirmités. Dans sa besogne de surveillance et de police il lui faudrait d'ailleurs des chevaux et il n'en a pas assez, à beaucoup près. Le 8 fructidor an III il écrit aux Administrateurs cette lettre désolante : « L'impossibilité où je me trouve, de faire face au service à cheval explique la demande que je vous fais de six chevaux du dépôt. Ces chevaux nous seraient confiés à titre de prêt. Une partie serait échangée contre ceux des gendarmes qui ne peuvent continuer le travail, et qui ont besoin de repos ; l'autre aux soldats qui reviennent des armées, ou aux gendarmes qui peuvent « monter ». Les gendarmes démontés ne peuvent se remonter à leurs frais... Prenez, je vous prie, cette demande en considération. Le bien public et l'intérêt du service l'exigent. Je n'ai que trois chevaux en état d'être montés, et, cinq fois par décade, il m'en faut quatre pour les seules correspondances, ou pour la conduite des déserteurs ; et je crains que mes trois chevaux, qui sont encore en activité, ne manquent tout à coup (1). •>

Remarquons que La Salle n'a jusqu'ici pas l'air de se préoccuper des Brigands qui cependant circulent, un peu partout. Les déserteurs l'inquiètent parce qu'ils commencent à recruter des bandes royalistes (2) ; et il y a lieu de consta(1)

consta(1) de la Vienne, L. 195. Poitiers, 8 fructidor an III.

(2) Cf. Peuples et civilisations, Histoire générale, t. XIII, par Lefebvre et R. Guyot (Alcan), Paris, 1930, grand in-8°.


252 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

ter que les désertions sont d'ailleurs constantes parmi les volontaires, qu'elles le sont en particulier dans le deuxième bataillon de la Vienne (1).

Le plus surprenant est que La Salle ne parle pas de certains crimes de droit commun qui cependant, en l'an IV, doivent faire du bruit dans le département. Sur l'un d'eux d'ailleurs, le maire et les officiers municipaux de Moncontour ont adressé aux Administrateurs de la Vienne une effroyable dénonciation. « C'est avec la plus vive douleur, disent-ils, que nous nous empressons de vous instruire des malheurs sans exemple auxquels un brave et loyal républicain de la commune vient d'être exposé. La nature en frémit d'horreur.

« Des scélérats se sont transportés en force, dans la nuit du 9 du présent mois de brumaire,chez le citoyen Naudeau, cultivateur et laboureur de Moncontour. Après avoir brisé les portes d'entrée, ils se sont jetés, comme des furieux, sur le domestique de la maison, lui ont lié les bras et les jambes, et l'ont ainsi conduit dans la chambre où couchait son maître. Entrés dans la dite chambre, ils se sont également jetés sur l'infortuné Naudeau, lui ont mis le pistolet sur la gorge, et, après les traitements les plus cruels, lui ont aussi lié bras et jambes, et bandé la vue. Non contents de l'avoir ainsi torturé, ils ont rempli la cheminée de bois, et, après y avoir mis le feu, ils y ont jeté ce malheureux citoyen. Puis ils l'ont détiré de dessus les charbons, et, après lui avoir donné des coups de sabots sur la tête, ils l'ont mis dans une met à pétrir. Ils se sont assis sur la met, et ont partagé les dépouilles de leur victime. Les armoires et *les coffres ont été brisés. Rien ne les a arrêtés. Jamais on ne vit pareilles horreurs. Après avoir bien bu et bien mangé ils ont défoncé les barriques, cassé le charnier, dont ils ont

(1) Marquis de Roux. La Révolution à Poitiers et dans la Vienne. Poitiers, 1910, in-8°, p. 528.


LA GENDARMERIE ET LA TERREUR RURALE . 253

transporté la viande ; et pour rendre hommage à la vérité, dans leurs aveugles fureurs rien n'a été sacré pour eux. Les servantes de l'infortuné Naudeau ont éprouvé tout ce que le crime peut enfanter de plus odieux. On leur a également lié bras et jambes, bandé la vue (1 ), et fait souffrir des tourments dont le souvenir seul absorbe toutes les facultés de l'âme.

« Veuillez bien, citoyens Administrateurs, ne pas perdre de vue la position cruelle, où se trouve 1 infortuné Naudeau, et solliciter auprès du Corps législatif des secours urgents ; le malheureux a tout perdu, et l'on ne peut s'empêcher de prendre le plus vif intérêt à son sort.

« L'an IV de la République française une et indivisible. Suivent les signatures du juge de paix Loulaud, du maire Duplessis et de tous les officiers municipaux. »

Les attentats de Moncontour n'étaient pas des crimes exceptionnels, car quelques mois plus tard, le 15 pluviôse, le commissaire du pouvoir exécutif près l'administration municipale de Lusignan, un citoyen Berloquin, écrivait à son collègue du département qu'un abominable assassinat venait de se produire tout près de chez lui, à Chesnay, dans les Deux-Sèvres. Deux femmes avaient été égorgées, et il ne savait comment rechercher les auteurs du crime. Il n'avait à sa portée, disait-il, que deux brigades, à Lusignan et à Couhé, et cette force militaire n'était ni assez nombreuse ni assez bien montée pour avoir raison des hordes de Brigands qui désolaient son pays. Plusieurs fois déjà l'administration municipale du canton avait supplié le Commandant de la gendarmerie de Lusignan de combiner ses efforts avec des brigades voisines, et il n'avait pas pu obtenir gain de cause. Le service journalier des correspondances absorbait, paraît-il, tout le temps dont disposaient les gendarmes. Et, en attendant, « les honnêtes familles du

(1) Arch. de la Vienne, L. 264, 10 brumaire an IV. Le Maire et les officiers municipaux des Communes du canton de Moncontour aux citoyens administrateurs du département de la Vienne.


254 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

District demeuraient en péril, tantôt d'être « pillées», tantôt d'être « assassinées » ; elles n'avaient pas même l'espoir d'être jamais secourues ». Le citoyen Berloquin se lamentait, et s'étonnait que la Gendarmerie ne parvînt pas à faire, au moins de temps à autre, des « patrouilles », dans le District, et s'y renseignâtsur les étrangers, sur les suspects, sur les précautions à prendre contre tel ou tel (1).

Toujours en l'an IV, dans la nuit du 7 au 8 prairial, cinq hommes, armés de sabres et de pistolets, s'introduisirent au village de Condat, commune de Migné, tout près de Poitiers, chez un cultivateur du nom de Meunier ; ils s'emparèrent de lui, de sa femme, de ses enfants, le lièrent et garrotèrent ; puis ils enfoncèrent les portes des armoires, démolirent les coffres et les malles, s'emparèrent de tout ce qui leur convenait, .emportèrent, en numéraire et en assignats, toutes les économies amassées par les pauvres geris, en vingt-cinq ans de ménage. C'était pour leurs victimes une perte considérable ; et, par surcroît, il leur fut impossible de donner le signalement des Brigands qui venaient de les dépouiller (2).

Aussi bien fût-ce en vain qu'un Ministre de la Police, Merlin de Douai (3), fît parvenir à Poitiers, le 5 ventôse an IV, comme dans toute la France, cette harangue enflammée mais impuissante : « Les ennemis de la Patrie ne perdent pas de vue leurs espérances ; ils conçoivent tout un système de crimes et de dissolution sociale. Ils veulent porter sur toute la surface de la République la désolation et la mort, organiser des bandes de Brigands et d'assassins pour massacrer les Républicains, incendier les maisons des pro(1)

pro(1) de la Vienne,' L 16, Lusignan, 15 pluviôse an IV. Le commissaire du pouvoir exécutif présidant l'Administration municipale de Lusignan au commissaire du pouvoir exécutif près le département de la Vienne CSigné Berloquin.)

(2) Ibid., L. 16, nivôse an IV.

(3) Merlin de Douai (Philippe-Antoine), né à Ardeux (Nord) en 1754, mort à Paris en 1828.


LA GENDARMERIE ET LA TERREUR RURALE 255

priétaires paisibles, stériliser toutes les campagnes. Les scélérats se trompent. Vos forêts sont les repaires des Brigands. Qu'on les relance dans les forêts (1). »

Mais, de son côté, le capitaine de La Salle reçoit des procès-verbaux de ses gendarmes, et se désole de n'avoir toujours que trois chevaux à sa disposition ; ses hommes s'épuisent à la besogne et peuvent à peine surveiller telle ou telle commune. Il apprend qu'à Ensoulesse, commune de Montamisé, canton de Saint-Georges, plusieurs voleurs se sont présentés chez le cultivateur Secouet ; ils venaient tant de Poitiers que de la forêt deMoulière, et.c'était la troisième fois qu'ils venaient. Au dire de Secouet ils avaient inspecté les lucarnes par lesquelles on pouvait pénétrer dans sa maison. Tel était le procès-verbal transmis à La Salle. Et les •gendarmes qui l'avaient rédigé terminaient en disant qu'ils avaient passé par Buxerolles, en vue d'opérer la recherche et l'arrestation des émigrés de.Vaucelle et de La Brosse, mais n'avaient découvert ni l'un ni l'autre. Deux jours plus tard, le 29 germinal, le malheureux La Salle apprenait qu'il venait de se commettre un assassinat à Senillé (près Monthoiron), et qu'on y avait arrêté un homme suspect (2).

La Gendarmerie était évidemment mal organisée, très insuffisante en nombre, et mal outillée ; elle ne disposait pas des ressources matérielles indispensables. Après la Terreur, quand tout l'Ouest était en armes, elle se trouvait au service d'un gouvernement dont le trésor était à sec, et le crédit épuisé. Dans ses enquêtes de police, et ses poursuites de criminels, elle fut, par surcroît, très mal secondée par les autorités judiciaires. Les juges étant élus, contrecarraient les autorités administratives, et prétendaient orgueilleusement ne relever que du Peuple; peu éclairés d'ailleurs, et très lents dans leurs opérations, ils gênaient plutôt les recherches de police, qu'il aurait fallu multiplier, et rendre

(1) Arch. delà Vienne, L. 195, Paris, 5 ventôse an IV.

(2) Ibid., L. 33, 29 germinal an IV.


256 RECHERCHES SUR LA .RÉVOLUTION EN POITOU

plus rapides (1). Or le successeur de Merlin de Douai, Cochon de Lapparent,se préoccupant beaucoup des malfaiteurs, allait cependant écrire le 14 brumaire an V : « Différents rapports me confirment dans l'opinion que bientôt toutes les grandes routes, même celles qui n'avaient point été infestées jusqu'à présent par les Brigands, seront bientôt leur domaine, si on ne leur oppose une barrière insurmontable. Les courriers et voyageurs sont arrêtés, assaillis, volés, soit de nuit, soit de jour... Les attroupements sont pour la plupart formés de gens du pays. Vous ne réussirez à vous garantir que si vous faites sentir à ces gens que des Colonnes mobiles peuvent être une armée importante, de jour et de nuit (2). »

Que pouvaient donc être ces Colonnes mobiles sur lesquelles le Ministre de la Police fondait enfin de grands espoirs? Elles furent instituées, en principe, le 17 floréal an IV, et on projetait d'en organiser dans tous les départements. Une Colonne mobile se composerait de quatre escouades ; une escouade comprendrait huit fusiliers, deux sergents, quatre caporaux, un sergent-major, un caporal fourrier. Le commandement de toute Colonne mobile appartiendrait à un capitaine, un lieutenant, un sous-lieutenant (3). En un temps où nos armées étaient victorieuses de l'Europe étonnée, étaitil admissible que la France demeurât plongée dans l'anarchie ? L'administration municipale de Poitiers arrêta donc qu'une Colonne mobile serait d'abord « mise en activité », pour assurer la surveillance des prisons, des magasins d'armes et de munitions, de façon qu'aucune faction ne pût se porter là où seraient les armes, et pût s'en emparer. Par

(1) Ernest Daudet, La police et les Chouans sous le Consulat et l'Empire (1800-1815), Paris (Pion), 1895,in-12, p. 12,22et 30. Cf.F. Rocquain. L'état de la France au 18 brumaire Paris, 1874, in-12, p. 132.

(2) Arch. de la Vienne, L. 191, Paris, 14 brumaire an V. Cf. L. 34. Extrait de délibération de l'administration municipale de Poitiers du 26 nivôse an V.

(3) Ibid., L. 195, 14,18 et 27 fructidor an VIL


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malheur ce furent là, pour longtemps, de simples dispositions prises sur le papier, car les soldats de la Colonne mobile ne furent pas armés. Le 7 nivôse an VI, le Ministre de la Police Dondeau ne voulut pas « confier individuellement des fusils à leurs soldats, mais seulement les déposera la Maison commune ». Aussi bien, le 14 fructidor an VII (31 août 1799) à peine quelques semaines avant le coup d'Etat du 18 brumaire, le Ministre de la Guerre écrivit-il à l'administration centrale de la Vienne qu'elle était fort en retard pour organiser, équiper et armer ses Colonnes mobiles, et il déclara que celles-ci devaient l'être sur-le-champ, dans les départements du Loiret, d'Eure-et-Loir, de Loir-et-Cher, de l'Indre-et-Loire et de la Vienne. Des objections se produisirent (1). Les Administrateurs du canton de Croutelle, par exemple, écrivirent à l'Administration centrale, invoquant les articles 2 et 10 de l'arrêté du Directoire exécutif du 17 floréal an IV. Ces articles, disaient-ils, portaient que la Colonne mobile se composerait du sixième de la Garde nationale sédentaire, et que les officiers en seraient choisis par ceux de la Garde nationale. Or de ces deux articles il résultait que l'on ne pouvait pas organiser de Colonne mobile, tant que la Garde nationale ne serait pas elle-même organisée, dans le canton de Croutelle ; elle ne l'était pas d'ailleurs, dans la majeure partie des cantons ruraux.

A la fin de fructidor an VII, les Administrateurs de la Vienne en délibérèrent les citoyens Brafault, Butaud, Boncenne, Creuzé-Pascal, et le citoyen Bonnefont, commissaire du Gouvernement. Partant pour Paris, le citoyen Brafault déclara qu'il réglerait avec le pouvoir toute la question de l'armement des Colonnes mobiles. Il se présenta à un chef de bureau du Ministère de la Guerre, qui jeta aussi(1)

aussi(1) de la Vienne, L. 191, Ministre de la Police Dondeau au commissaire de l'Administration municipale de Poitiers, 7 ventôse an VI, et Ligugé. Les Administrateurs du canton de Croutelle aux administrateurs de la Vienne, 30 fructidor an VIL

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258 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

tôt feu et flamme contre les « pays chouanés », les départements voisins d'une Vendée qui menaçait de se soulever de nouveau. Brafault déclara que son département ne savait où trouver des « armes ». « Achetez-en, dit le chef de bureau. » — « Pour acheter, répond Brafault, il faut des fonds. » —.. « Des fonds ? N'avez-vous pas des cautions ?» — « Oui, mais ces cautions ont une destination qu'il n'est pas possible de changer. » Le chef de bureau juge le cas embarrassant, et demande comment lever la difficulté. Brafault répond qu'il faudrait une loi. — « C'est vrai, dit le bureaucrate, mais cela entraînerait des lenteurs, et l'ennemi pourrait alors agir. » — « Voyez le Ministre de l'Intérieur. » — Brafault voit ce ministre : « On veut, dit-il, faire marcher les Colonnes mobiles, et nous n'avons pas un fusil. » — « 11 faut, dit le ministre, vous en procurer. Demandez-en au Ministre de la Guerre. » — « Il ne veut pas en donner. Votre arrêté du Directoire le lui défend. » — « Achetez-en. » — « Citoyen ministre, il faut de l'argent, et nous n'en avons point. » —«Dans les circonstances difficiles où nous nous trouvons, reprend le Ministre, je vous invite à préparer sur-le-champ les considérants d'un arrêté que je présenterai. Au temps de la guerre de Vendée, des fusils de calibre et des fusils de chasse ont été confiés à vos concitoyens ; il est certain que pour mettre les Colonnes mobiles en mouvement, il est indispensable d'avoir des fusils et des hommes (l). »

Quant au recrutement des soldats, voici, par un exemple, comment on put procéder, semble-t-il. Les Administrateurs de la Vienne écrivent à ceux de Ghauvigny : « Vous ferez un tableau sur lequel vous inscrirez les noms de tous les citoyens de votre canton, de seize à soixante ans, exceptés les journaliers et les domestiques qui ne seraient pas inscrits au rôle de la contribution personnelle. Ce tableau fait, vous en

(1) Arch. de la Vienne, L. 191. Lettre de Brafanus à ses collègues du 4e jour complémentaire de l'an VII.


LA GENDARMERIE ET LA TERREUR RURALE 259

dresserez un autre où vous porterez le sixième des noms du premier. Vous désignerez ensuite les officiers et sous-officiers (1). »

Depuis trois ans il était question de Colonnes mobiles et l'on ne parvenait pas à les organiser, dans la Vienne. Il semble bien qu'elles pourraient devenir aujourd'hui l'objet d'une étude particulière.

Une autre combinaison que celle des Colonnes mobiles avait été proposée au Ministre de la Police, Cochon de Lapparent, quelques jours après son entrée au ministère en l'an IV. Elle était venue d'un homme remplissant alors les fonctions de Commissaire du Directoire près les tribunaux civil et criminel de la Vienne, Joseph-Charles Béra, assez connu d'abord comme «fédéraliste», et devenu plus tard Procureur général à la Cour d'appel de Poitiers. Or M. Marcel Marion, dans un livre récent sur le Brigandage pendant la Révolution, cite une lettre (F7 7133) où ce Béra exposa au ministre comment, à son avis, il serait possible d'avoir raison du Brigandage. Donnez-moi, disait-il, « un million d'écus en numéraire», et cela me permettra d'affilier aux bandes de Brigands «des indicateurs », qui dévoileront leurs projets à la police. Excellente idée qui dans l'application aurait pu donner des résultats ; mais, dans la pénurie où se débattait le gouvernement, où Cochon de Lapparent aurait-il pu trouver, pour le donner à Béra, le million d'écus en numéraire (2) ?

(1) Arch de la Vienne, L. 191. Les administrateurs de la Vienne aux administrateurs de Chauvigng. Poitiers, 12 vendémiaire an VIL

(2) V. Marcel Marion, Le. Brigandage pendant la Révolution. Paris, Pion, 1934, in-12, p. 78 et 79.



Les Colonnes mobiles de la Vienne

en l'an VII et l'an VIII

Les Colonnes mobiles furent instituées par un arrêté du Directoire, le 17 floréal an IV, mais elles le furent dans de telles conditions qu'elles demeurèrent sur le papier, des années durant. Le Ministre de la Police, Cochon de Lapparent, estimait cependant qu'elles étaient indispensables, et cette lettre, qu'il écrivit aux Administrateurs de la Vienne le 14 brumaire an V, en témoigne suffisamment :

« Différents rapports que je reçois, disait-il, me confirment dans l'opinion que bientôt toutes les grandes routes, même celles qui, jusqu'à présent, n'ont point été infestées par des Brigands, sont devenues leur domaine, si on ne leur oppose une barrière insurmontable. Sur tous les points de la République les courriers et les voyageurs sont arrêtés, volés, assassinés, soit de jour, soit de nuit, par des attroupements armés. Nul doute que les Brigands soient, pour la plupart, des habitants du pays ; et il s'agit de prévenir leurs projets destructeurs. On n'y parviendra qu'avec des Colonnes mobiles, attachées à la sûreté des routes ; elles devront se joindre à la Gendarmerie et aux troupes de ligne, partout où il s'en trouvera, et elles combattront comme elles (1). »

(1) Archives de la Vienne, L. 191,,17 floréal an IV, et 14 brumaire an V. Cf. Biographie universelle et portative publiée sous la direction de MM. Rabbe, Vieil de Boisgelin Sainte-Preuve, Paris, 1834, gr. in-8° sur deux colonnes, etc.. Art. Cochon de Lapparent, M. Marion. Le Brigandage pendant la Révolution, Paris, Pion, 1934, p. 69. A. Vaudal, l'Avènement de Bonaparte, Paris, Pion, 1.1, p. 19 et 20. Madelin, Fouché, in-8°,p.308.


262 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

Les Brigands comprenaient alors tous les « déchets » d'Ancien Régime, des réquisitionnants ou conscrits fugitifs, des émigrés rentrés ou des Chouans. Le Général André Mouret, commandant la 21e division militaire, fitd'eux, le 14 floréal an V, des bandes s'organisant pour toutes sortes d'attentats, des « noyaux d'armée » toujours prêts à combattre ou à détruire ; et, avec le Ministre de la Police, il reconnut la, nécessité des Colonnes mobiles (1). Au même moment d'ailleurs, en brumaire an V, le Ministre de la Guerre, Petiet, donna des ordres pour faire rentrer, dans les arsenaux ou dépôts, toutes les armes remises naguère aux Gardes nationales : elles devaient être distribuées aux Colonnes mobiles ; et la Gendarmerie reçut des ordres à cet effet (2).

Une révolution allait donc s'opérer avec des Colonnes mobiles. Elles viendraient en aide à la Gendarmerie, lui donneraient des auxiliaires en assez grand nombre, et sauraient assurer l'ordre sur les routes. Des citoyens qui, jusqu'ici, avaient considéré le service armé comme résultant d'engagements volontaires, se prêteraient à une besogne de police combattante. Par ses complications, toutefois, la loi nouvelle risquait d'entraver, dès la première heure, le recrutement des Colonnes. La loi voulait qu'elles fussent le sixième des Gardes nationales, partout où il en existait (art. V), et que leurs officiers fussent désignés par ceux des Gardes nationales elles-mêmes (art. 10). Mais, dans nombre de cantons ruraux, il n'existait pas de Gardes nationales ; point de Colonnes mobiles par conséquent, en ces cantons. AAvailles, par exemple, à Chauvigny, à Vouneuil sur-Vienne, et bien ailleurs, la nouvelle force publique devait donc s'ajourner, car il fallait d'abord y organiser les Gardes nationales (3).

(1) Arch. de la Vienne, L. 191, 14 floréal an V, et 1er brumaire an VI.

(2) Arch. de Poitiers (Bibl. de Poitiers), Mss. Colonnes mobiles, 29 brumaire an V (Claude-Louis Petiet fut ministre de la Guerre de pluviôse an IV jusqu'au 4 juillet).

(3) Arch. de la Vienne, L. 191, 30 fructidor an VII (Complication).


LES COLONNES MOBILES DE LA VIENNE 263

La loi du 17 floréal est demeurée à l'état de projet jusqu'au jour où, en l'an VII, le Gouvernement s'est senti menacé par un péril plus immédiat que les Brigands des routes. Il prévit un retour offensif des Vendéens insurgés, qu'on appelait aussi Brigands, mais sans les confondre avec ceux des routes ; et ce fut seulement en septembre an VII qu'on se décida à ordonner la levée des Colonnes mobiles, dans le Loiret, en Eure-et-Loir, en Loir-et-Cher, en Indre-et-Loire, et dans la Vienne. Le président de l'Administration centrale de ce dernier département, le citoyen Brafïaut, se rendit alors à Paris, vit les Ministres de l'Intérieur et de la Guerre, et leur démontra qu'il n'y avait, en son pays, ni hommes pour former des Colonnes mobiles, ni fusils pour les armer (1).

Comme le recrutement des Gardes nationales, celui des Colonnes mobiles comporta, d'autre part, nombre d'exemptions, et beaucoup de cantons en discutèrent. La loi, disaient-ils, exempte de tout enrôlement les domestiques, les journaliers, les citoyens réputés «passifs », c'est-à-dire non soumis à une contribution d'Etat ; n'était-il pas injuste qu'il en fût ainsi ? Et que la loi soumît la seule bourgeoisie au service des Colonnes mobiles (2) ? Les habitants deLeignésur-Usseau (3) se demandaient s'il n'était pas dangereux et

Lettres de Vivonne (29 prairial an VII), de Croutelle v30 fructidor an VU), d'Availles, de Chauvigny (sixième jour complémentaire de l'an VII), de Ligugé (30 fructidor an VII), etc..

(1) Arch. de la Vienne, L. 191. Lettre de Braffaut, président de l'administration centrale de la Vienne du quatrième jour complémentaire de l'an VIL

(2) M. Aalard dans ses Etudes efleçons sur la Révolution, fait remarquer que les citoyens qualifiés actifs auraient fait figure d'aristocrates ; mais il a négligé de constater que les citoyens dédaigneusement traités de citoyens passifs avaient été exemptés d'un service de police dans les colonnes mobiles, ce qui avait fait d'eux une classe privilégiée.

(3) Arch. de la Vienne, L. 191, Mondion. 20 vendémiaire an VIL Lettre de l'administration municipale de Leigné-sur-Usseau à l'administration centrale. Cf. Lettre de l'administration de Poitiers, 20 vendémiaire an VII ; Poitiers, 20 vendémiaire an VIL


264 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

même inadmissible, qu'un père de famille fût enrôlé et quittât une exploitation rurale, quand son domestique était dispensé de la Colonne mobile ? Ce domestique n'était-il pas plus propre que son maître à se transporter rapidement d'un endroit à un autre, et, « dans une guerre avec des scélérats armés contre la Patrie, pouvait-on temporiser ? Le moindre délai était un crime, et il faudrait en répondre à la France entière ».

II est vrai qu'en regard de tels arguments se manifestèrent l'apathie ou l'indifférence de bien des gens. A La Trimouille par exemple un huissier, Thévenet, se voyant désigné pour faire partie de la Colonne mobile, déclarait avoir cinquante et un ans, tandis que beaucoup de citoyens moins âgés que lui s'en trouvaient exemptés ; il n'avait d'ailleurs, disait-il, jamais tiré un coup de fusil ; il était sujet à des crises de coliques, et rendrait plus de services à la République, en la secondant pour la rentrée de ses fonds, qu'en entrant dans une Colonne (1). Au district de Loudun les « récalcitrants » furent nombreux et demandèrent souvent qu'on adoptât le système de tirage au sort ; des communes entières protestaient d'ailleurs dans le Loudunais, contre toute l'organisation nouvelle (2). A Lésigny enfin la résistance à la loi se prolongea plus qu'ailleurs, puisque, en germinal an VIII, sous le Consulat, elle durait encore. On s'y moquait du Gouvernement, car, en dépit des arrêtés du Département, et des lettres du Préfet, Lésigny faisait parvenir au chef de bataillon Duf(1)

Duf(1) de la Vienne, L. 191. Lettre de Thévenet, huissier du canton de La Trimouille.

(2) Ibid. Lettre des administrateurs de Loudun à l'administration du département. Lettre de Loudun sur cinq conscrits passés en Vendée, 4e et 5° jour complémentaire de l'an VIL Lettre du canton de Chauvigny à l'administration centrale du 6e jour complémentaire de l'an VIL Cf. Lettre d'un commissaire près le' canton de Croutelle au sujet des domestiques journaliers et gens sans aisance ; et lettre du 23 fructidor an VII (Du commissaire du Directoire exécutif de Loudun à commissaire du Département).


LES COLONNES M0HILES DE LA VIENNE . 265

faux, deux hommes pour sa Colonne mobile, mais l'un et l'autre étaient « estropiés » ; en sorte que le Commandant demandait au Préfet de faire saisir « en réquisition » les enfants de «' l'agent » et de « l'adjoint » de Lésigny (1). Combien enfin fit-on valoir partout la nécessité de laisser à l'agriculture « les bras » qui, si souvent, lui faisaient défaut ? Et combien de fois se demanda-t on ce qui adviendrait, en des exploitations rurales, si les patrons disparaissaient, pour aller combattre des Brigands, tandis que les domestiques, en leur absence, deviendraient les maîtres ? En certains cantons toutefois s'ouvrirent des registres et s'établirent des tableaux où l'on inscrivit des noms d'individus susceptibles d'être enrôlés. Le troisième jour complémentaire de l'an VII, par exemple, le canton d'Availles en inscrivit vingt-neuf, mais il est vrai que certains étaient des fonctionnaires qui ne pouvaient pas s'éloigner (2). En vendémiaire an VIII, Chauvigny forma un tableau de tous les citoyens de seize à soixante ans pouvant figurer dans une Garde nationale, et de ce tableau se put extraire le sixième, pour la Colonne mobile (3). A Lusignan se dressa un état nominatif de citoyens aptes à figurer dans une Colonne destinée à former des escortes pour voitures publiques partant de Poitiers, ou y passant (4). Il subsiste enfin, en nos Archives, un arrêté de l'administration centrale donnant à Poitiers le personnel d'une Colonne mobile qui aurait compris deux cent quarante-huit individus. On y relève un commandant, un adjoint ou adjudant sousofficier, neuf officiers, douze sergents, vingt-quatre capo(1)

capo(1) de la Vienne, L. 192 : 27 germinal an VIII. L'administrateur de Leigné-sur-Usseau à l'administration centrale (20 vendémiaire an VIII) à l'administration centrale. Cf. Lettre du chef de bataillon Dufaux au préfet delà Vienne du 27 germinal an VII.

(2) Ibid., L. 191. Lettre des administrateurs du canton d'Availles.

(3) Ibid., Lettre des administrateurs delà Vienne à ceux de Chauvigny du 12 vendémiaire an VIII.

(4) Ibid., Délibération de Lusignan (Bureau militaire) du 15 pluviôse an VIII.


266 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU •

raux, cent quatre-vingt-dix-huit fusiliers et trois tambours (1).

De la défense locale des cantons contre les attentats sur les routes, on devait passer subitement aux préoccupations de la guerre civile qui ne pouvait être que redoutable. Les prévisions de Cochon de Lapparent, du général André Mouret, du ministre de la Guerre Petiet, se trouvèrent dépassées ; et, presque à la même heure, le 17 brumaire, elles Je furent encore par le coup d'Etat de Bonaparte. Les Administrateurs de la Vienne ne s'inquiétèrent, toutefois d'abord que du péril vendéen. Le 17 brumaire ils venaient d'écrire en effet au Ministre de la Guerre une lettre où il n'était question que de la Vendée. « Il semble bien, disaientils, que la Vendée renaît de ses cendres. Les Brigands parcourent plusieurs départements, et laissent partout des traces de leur férocité. Jusqu'à présent notre département est intact, mais il est menacé, et la prudence exige la réunion de tous nos moyens, le concert de nos opérations. » D'accord avec le département des Deux-Sèvres, le Général du Fressey, commandant à Niort, juge que le poste de Thouars présente un grand intérêt, et qu'il faut le mettre à couvert d'un coup de main. « Thouars est véritablement une espèce de boulevard pour nos contrées, et la sûreté générale exige que nous y fassions passer unegarnison importante. » D'après le désir du général du Fressey, quatre cents hommes de notre Garde mobile et deux pièces de canon devraient se rendre à Thouars, le 25 courant ; huit cents seraient placés à Loudun et pourraient protéger les places voisines (2).

Suivaient quelques mots sur des opérations récentes des Vendéens, sur leur défaite des Herbiers par exemple ; mais de toute évidence, l'Administration centrale de la Vienne

(1) Arch. de la Vienne Le 9 vendémiaire an VIII, les administrateurs municipaux de Poitiers ont arrêté le présent contrôle.

(2) Ibid., L. 191. Lettre des administrateurs de Poitiers au Ministre de la Guerre du 17 brumaire an VIII.


LES COLONNES MOBILES DE LA VIENNE 267

indiquait, le 17 brumaire an VIII, comment on pouvait tirer parti de Thouars, avec des forces d'une Colonne mobile^ si

modestes qu'elles fussent encore.

Or, depuis cinq jours, l'armée des côtes de l'Océan, on armée d'Angleterre, était passée sous .les ordres du général He'douville f 1), ancien chef d'état-major de Hoche, en 1796. Le Ministre de la Guerre Dubois-Crancé (2) venait de nommer Hedouville, et celui-ci s'installait à Angers. Sur ces entrefaites, le successeur de Dubois-Crancé, Bernadette» attribuait le commandement des forces de la Vienne à an citoyen La Chapelle et très rapidement celui-ci devait entrer en lutte avec les Administrateurs poitevins (3).

(1) Hedouville (Gabriel-Marie-Théodore Joseph» eomte de) est né à Laon

en 1755 et mort à Bretigoy (Oise) en 1825.

(2) Dnboîs-Crancé (Edmond-Loois-Âlezîs) est né à Charlevîlle en 1747 et mort àBethel en 1814. Vilang, L'armée de laBéoolnlion, Daboîs-Crand,

Paris, 2 vol. in-*>, t. I» p. 424» et t. III, p. 319 et sniv.

(3) Ârefa. de la Vienne. L. 191. Lettre du commandant de la Colonne mobile, La Chapelle, an citoyen Bornant, administrateur de la Vienne, du 6 vendémiaire an "VIII, et Lettre du même à l'administration centrale datée de Poitiers dn 14 vendémiaire suivantVoicî,

suivantVoicî, titre de curiosité, la nomination de La Chapelle comme commandant de la Colonne mobile de Thonars.

« Paris, le 25 fructidor au VII de la

République française taie et mdÎBÎsîble,

» Le Ministre de la Gaerre an Citoyen La Chapelle, chef de bataillon.

* Je ¥'0118 préviens, citoyen, qu'en, exécution d'un arrêté du Directoire exécutif dn 14 de ce mois, je Tons aï nommé pour commander la Colonne mobile do département delà Vienne et la conduire à Angers.

c Vous voudrez bien, en conséquence,: partir sur le. champ pour vons rendre à Poitiers, chef-lien de ce département.

» Vons vous présenterez en arrivant à l'Administration centrale cm i vons indiquera le tien on cette colonne devra être rassemblée ; vons vons concerterez avec elle snr les moyens de la rassembler, de l'armer et de l'équiper pjTOtnp'teiMeiijfc.

« Lorsqu'elle sera sur le point de se mettre en marche, vons en donnerez avis an Commissaire des guerres, alla qu'il puisse assurer d'avance sa subsistance dans les liera de son passage.

« Vous en préviendres également le Général commandant la division et le Général chef de l'Armée d'Angleterre. Vons faires connaître d'avance i. celnî-ei Y époque de votee arrivée â Angers, afin 'qu'il TOUS y fasse parvenir ses ordres sur votre destination ultérieure.


268 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

Les citoyens réquisitionnés pour protéger, dans la Vienne, les courriers et les voyageurs contre les Brigands des routes, devenaient tout à coup une petite armée destinée à reprendre les opérations de Hoche contre la Chouannerie ; et il se trouva que le général Hedouville, qui avait rempli les fonctions de chef d'état-major auprès de Hoche, en 1796, pouvait reprendre des opérations qu'il connaissait bien, mais il aima mieux, à l'exemple de Hoche encore, ouvrir de nouveau des négociations avec les chefs de l'insurrection vendéenne, et il eut d'ailleurs, pour le seconder, des intermédiaires dont Hoche s'était déjà servi (-1).

Le commandant des soldats qualifiés Colonne, mobile, La Chapelle, ignora tout de ces négociations, mais son rôle n'en est pas moins intéressant à connaître, car ce fut celui d'un militaire dédaigneux des puissances civiles, et en lutte avec celles qui se jugeaient capables de recruter, d'habiller et d'armer des soldats.

Au dire de La Chapelle, le Ministre delà Guerre s'inquié-' tait fort que la Colonne de la Vienne fût infiniment lente à se recruter ; que les administrateurs ne missent aucun.empressement à l'approvisionner de tout ce qui lui manquait ;

« Vous veillerez avec soin au maintien de l'ordre et de la discipline parmi la troupe, et vous employerés les moyens convenables pour prévenir les désertions.

« Vous voudrez bien m'informer de votre départ et de votre arrivée à votre destination.

« Salut et Fraternité

« Signé : BEBNADOTTE, « Pour copie conforme. « Le Commissaire de Guerre faisant fonction d'ordonnateur de la 2e subdivision de la 2e division.

« BERAUD. »

Cette pièce retrouvée aux Archives du Cher vient d'être adressée à M. Salvini, conservateur des Archives de la Vienne (papiers Dubois de la Sablonnière, liasse 139).

(1) Voir le très important article de Paul Robiquet. Un pacificateur de la Vendée le général d'Heddouville dans là Revue Historique de 1902, (mars-avril).


LES COLONNES MOBILES DE LA VIENNE 269

qu'ils ne fissent pas comprendre à la population ce qu'il y avait de honteux à retourner dans ses foyers, si l'idée vous en venait, à déserter enfin (1). La Chapelle accueillait d'ailleurs tous les bruits qui circulaient sur l'inexpérience, le défaut d'énergie, la mauvaise volonté des Administrateurs, et il leur écrivait insolemment : « La désertion, en votre Colonne mobile, ne cesse pas de s'accroître; aucune peine d'ailleurs n'atteint ceux qui abandonnent leur drapeau. Au nom de la République je vous invite à prendre tous les moyens que vous donne la loi pour ramener les déserteurs à leur poste (2). » Aux yeux de La Chapelle l'administration centrale était responsable de tout ce qui manquait aux soldats pour vivre ou combattre* et elle ne l'était pas moins de leur indifférence à l'égard de la Patrie. Le Général Jourdan venait, en 1798, de faire voter la loi sur la Conscription, mais cette loi sans doute n'avait encore que fort peu d'action, sur des hommes qui jusque-là s'étaient considérés comme des combattants volontaires (3).

Le 13 brumaire an VIII (4 novembre 1799), La Chapelle annonce à l'Administration centrale, que d'après une lettre du Général Mouret, des dispositions vont être prises pour s'acheminer vers Loudun, et par conséquent vers Thouars ; il ne doute pas que déjà l'on ait, dans les cantons, fixé le nombre d'hommes à fournir, et les armes à rassembler. Comme commandant de la Colonne mobile il voudrait se subordonner le corps administratif, le ramener à un rôle inférieur. Une pièce très curieuse à ce sujet, datée du 21 bru(1)

bru(1) delà Vienne, L. 191. Lettre du 3 brumaire an VIII du Commandant La Chapelle à l'Administration centrale datée de Poitiers.

(2) Ibid. Autre lettre de La Chapelle datée de « La Place de Thouars en état de siège ».

(3) Choix de rapports, opinions et discours prononcés à la tribune nationale... 23 vol. in-8°, Paris, Eymery, 1818. Rapprocher ici les idées du constituant Dubois-Crancé (t. 8, p. 143 etsuiv.) de celles de Jourdan faisant décréter la Conscription en 1798; Cf. ch. 2, Chassin, L'Armée et la Révolution, Paris, 1867, in-12.


270 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

maire, subsiste sur La conduite du Citoyen La Chapelle. Elle émane très probablement de l'Administration civile, et l'on y voit que celle-ci vient d'ailleurs de nommer un Commissaire civil, en vue d'organiser la Colonne mobile. Comment ce commissaire, le citoyen Sauvagère, ne serait-il pas aussitôt aux prises avec le chef militaire ? Il se présente à La Chapelle, lui communique l'arrêté qui le nomme Commissaire, et l'Instruction que vient de lui délivrer l'administration centrale, pour « organiser » la Colonne. La Chapelle se refuse à reconnaître Sauvagère « en cette qualité », et entend demeurer maître de sa troupe. Puis il se répand en « propos injurieux » contre les Administrateurs, et les accuse de s'opposer au départ de la Colonne ; il les dénonce, dit-il, au Ministre de la Guerre et au Gouvernement tout entier. C'est grâce à eux d'ailleurs que les soldats ne sont armés que de fusils de chasse, tandis qu'à Poitiers se détiennent,tous les fusils de munition ; et c'est à se demander si les Administrateurs poitevins ne sont pas « d'accord avec les Chouans ».

La nouvelle de l'altercation, entre le Commandant et le Commissaire, parvient en même temps au Général Mouret et à l'Administration centrale; si bien que, des deux côtés, partent des lettres qui assagissent La Chapelle, et font qu'il consent à reconnaître Sauvagère comme commissaire civil ; en sorte que le 25 brumaire, les compagnies organisées se mettent en marche vers Loudun.

Quand on arrive à Loudun, un personnage important y offre un grand déjeuner où se rencontrent les deux adversaires. Nombre de convives s'y efforcent d'amener une réconciliation, et La Chapelle, avec bonne humeur, reconnaît ses torts. Sauvagère lui répond amicalement, et la réconciliation devient telle qu'au moment de se "séparer, Commissaire et Commandant se donnent un « baiser fraternel ».

La pièce où l'on a critiqué la conduite de La Chapelle donne encore des détails bizarres sur la revue passée à Lou-


LES COLONNES MOBILES DE LA VIENNE 271

dun, le 23 frimaire. Le Commandant ayant déclaré'que tout homme sans armes, ou mal armé, ne viendrait pas, avec lui, à Thouars, mais resterait à Loudun, un citoyen du nom de Bâtard dit à haute voix que si les hommes qui se trouvaient là avaient su risquer de rester à Loudun, ils auraient sûrement apporté leurs fusils de chasse. Ayant entendu cette déclaration, La Chapelle marcha sur Bâtard, et le souffleta, en le traitant de « royaliste ». Un instant après un autre homme, ayant répété le propos de Bâtard, fut châtié de même façon.

Les troupes de la Colonne mobile (1) furent enfin passées en revue par le Général de Fressey, et formèrent un bataillon de cinq compagnies sous la direction d'un Commandant en chef, d'un adjoint major ou quartier maître, d'un adjudant sous-officier, de cinq capitaines, cinq lieutenants, cinq sous-lieutenants, cinq sergents-majors, vingt sergents, cinq caporaux fourriers, quarante caporaux, en tout trois cent vingt soldats accompagnés de cinq tambours. Quelques hommes se joignirent encore au bataillon, et La Chapelle emmena à Thouars quatre cent dix hommes (2).

Le Commissaire civil Sauvagère écrivit en même temps à l'Administration du département devoir expédier encore à Thouars une compagnie,dès qu'elle serait organisée, et attendre des ordres, pour toute autre mesure. Il ajoutait d'ailleurs : « Je vous envoie l'état des hommes que chaque canton a fournis, et de ceux qu'il leur reste à fournir. Vous ne verrez pas sans étonnement qu'il est des cantons dont il n'est pas encore arrivé un seul homme, et d'autres qui, sur leur contingent,

(1) Arch. de la Vienne, L. 191. Sur tous les faits relatifs aux relations du commandant La Chapelle et de l'administration centrale, il y a lieu surtout de rapprocher sans cesse le Précis de la conduite du citoyen La Chapelle, les correspondances entretenues par ce dernier avec les administrateurs de la Vienne, et les lettres adressées par ces derniers au ministre de la Guerre de brumaire et frimaire an VIII.

{2)Ibid., L. 191,23 et 25 brumaire an VIII. (Faits particuliers.) V. en même temps la lettre du commissaire Sauvagère à l'administration centrale.


272 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

en ont envoyé un ou deux. Le district de Montmorillon s'est particulièrement distingué. Ses huit cantons, dit-il ironiquement, ont envoyé seize hommes. L'exécution de votre arrêté du 4 brumaire tient aux mesures que vous allez prendre pour forcer les administrations municipales à faire partir les hommes qu'elles ont désignés et qui n'arriveront que si vous stimulez leur zèle. Je crains bien que vous n'obteniez de résultats que par des commissaires veillant à ce qu'il ne soit envoyé que des hommes valides et armés (1). »

Les résultats espérés par Sauvagère furent loin d'être atteints. Calculé d'abord comme devant atteindre onze cents hommes, l'état de la Colonne mobile ne donna que moitié. Il avait fallu en écarter des centaines d'individus pour âge ou pour infirmités. Dans une lettre du 7 frimaire, La Chapelle explique ce résultat par là «désobéissance » des citoyens et « l'apathie » des Administrateurs (2). Ces derniers protestèrent et accusèrent le Commandant de vouloir leur enlever toute influence sur leurs administrés. Ils lui reprochèrent enfin d'abuser de sa situation de commandant pour distribuer des grades, sans distinction d'âge ni de services rendus, de se former une clientèle, en composant son étatmajor de jeunes gens et en se livrant devant eux à de perpétuels écarts de langage à l'égard de l'administration (3). ■ .

Ici s'arrêtent, en nos Archives, tous renseignements sur La Chapelle et sur la Colonne mobile qu'il commanda. Sa

(1) Arch. de la Vienne, 192. Autre lettre de Sauvagère, datée du 26'brumaire.

(2)Ibid.,L. 191. Lettre de La Chapelle à l'administration centrale, datée du 30 brumaire de Thouars et du 17 frimaire an VIII.

(3) Lettres de l'Administration centrale en réponse aux accusations dé La Chapelle, datées de Poitiers et du 9 et du 10 frimaire suivant. Cf. Lettres de l'administration centrale au Ministre de la Guerre et au général Hedouville. Des réponses sont adressées par le ministre, par Hedouville et par l'Administration centrale de la Vienne. La conduite de La Chapelle, y est-il dit, sera examinée par le Commandant dé la 12e division militaire.


LES COLONNES MOBILES DE LA VIENNE 273

querelle avec l'administration centrale de la Vienne témoigne de l'antagonisme qui souvent se dut produire entre le Gouvernement et le Département de la Vienne, en raison de l'insuffisance des ressources matérielles des deux côtés. Les militaires auraient voulu voir les lois s'appliquer à la lettre et sur-le-champ ; les corps administratifs se sentaient impuissants à les imposer, mais ne voulaient ni en convenir ni consentir à s'effacer. Ils n'avaient que la ressource de nommer des commissaires, pour faire, tant bien que mal, exécuter leurs décisions...

La Colonne mobile demeure-t-elle une force de police unique et susceptible de se morceler suivant les besoins du jour?

Mais voyons maintenant comment Hedouville cesse de se préoccuper d'elle. Il comprit qu'en poursuivant la guerre contre les Vendéens, il aurait bien des chances de ne pas triompher de longtemps ; et sa négociation avec les . chefs des insurgés fut à la fois le résultat d'une Instruction du Ministre de la Guerre, Bernadotte, datée du 25 fructidor an VII, et de son expérience personnelle, de ses opinions sur la force et les ressources des Chouans. . L'Instruction de Bernadotte (1) disait en effet: «Dans la guerre que vous avez à faire, vous aurez à remplir deux objets distincts, et qui ne peuvent être séparés. Il faut, à la fois, comprimer les révoltes à l'intérieur, exterminer les Brigands, et vous tenir en mesure de repousser toute attaque de l'extérieur... Cette guerre doit se composer de force et de ruse ; et la force morale doit être employée à l'égard des habitants des campagnes qui ne sont que momentanément égarés... On attribue, avec raison, la perpétuité de la guerre contre les Chouans à la fausseté et à l'insuffisance de me(1)

me(1) (Joseph-Baptiste-Jules) est né à Pau en 1764, et mort à Stockholm en 1844.

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274 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

sures prises... L'espionnage doit être, peu à peu, activé (1)... »

Hedouville, de son côté, dans une Note à communiquer au Premier Consul, affirmait, le 12 nivôse an VIII (2 janvier 1800), que l'organisation des Chouans devenait plus régulière que jamais. Dans tous les cantons, disait-il, ils ont formé des compagnies où des jeunes gens «figurent sur les contrôles », et marchent « sous peine d'amendes», ou « sous menace d'être fusillés». Tous les soirs il y aurait eu appel en ces compagnies. Des rendez-vous s'opéraient, dans un secret absolu. «La tactique» des Chouans était de ne jamais attaquer ni résister que quand ils étaient en force très supérieure. Ils avaient enfin des administrations militaires et judiciaires, une organisation de subsistances des plus régulières ; ils se procuraient des grains, de la viande et des denrées de toute sorte, avec la complicité des paysans; par tous les moyens enfin, ils s'opposaient à la rentrée des impôts (2)...

En présence de difficultés qu'il avait appris à connaître comme collaborateur de Hoche, et qu'il retrouvait aggravées en 1799, Hedouville s'était persuadé qu'il y aurait, pour lui, plus d'avantages à négocier avec les chefs de l'insurrection qu'à combattre indéfiniment. Il savait comment Hoche avait trouvé de l'aide chez l'ancien curé de SaintLaud d'Angers, Bernier, devenu compagnon d'armes des Vendéens (3), et chez une femme d'émigré, la vicomtesse de Turpin de Crissé, Angevine comme lui (4). Ils pensaient

(1) Arch. historiques du Poitou (Legs Cesbron), 253. Guerre de Vendée et de Chouannerie. Instruction adressée au Général en chef le 25 fructidor an VIL

(2) Note sur la guerre des. Chouans adressée au Premier Consul le 2 janvier 1800 ; la note tend à faire tomber les illusions de ceux qui croient qu'il n'y a lieu qu'à « sabrer ».

(3) Bernier (Etienne-Alexandre-Jean-Baptiste-Maurice) est né à Daon (Mayenne) en 1764, et mort à Paris en 1806.

(4) Turpin-Crissé (Jeanne-Elisabeth de Bougars), veuve d'émigré, est née en 1769, au village de La Ménantais, et mourut en 1846.


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l'un et l'autre que la France avait tout à perdre, si la guerre civile s'éternisait. Bernier était du même âge qu'Hedouville, il avait quarante-huit ans ; Mme de Turpin avait trente ans : elle était du même âge que Hoche en 1796 quand ils avaient négocié; elle était veuve mais avait deux filles. Hedouville fit les premières ouvertures avec Bernier, et lui fit comprendre combien la France désirait une paix définitive, comment le Gouvernement consulaire se prêterait à tolérer le culte catholique, et pourrait acheminer les départements de l'Ouest vers une pacification absolue. Bernier adhéra d'autant mieux à cette combinaison qu'il crut voir en Bonaparte un nouveau Monk ramenant son pays vers la monarchie légitime. Peut-être était-il d'ailleurs ambitieux et pensa-t-il pouvoir tirer parti des circonstances. Avec le délégué du Pape, MgrSpina, il négocia le Concordat et devint lui-même évêque d'Orléans (1)...

Plus désintéressée, mais non moins ardente à désirer la paix.de l'Ouest, Mme de Turpin de Crissé avait vu émigrer son mari, quand avait éclaté le soulèvement de mars 1793. Sur les conseils de Scepeaux, Bourmont. Chatillon et d'Andigné, elle avait été trouver Hoche en 1796, et avait conféré avec lui. Dans l'espoir d'aboutir à la paix, elle avait réclamé la liberté des cultes, la rentrée des émigrés, l'exemption des réquisitions, le droit de conserver des armes. Quand, à son tour, Hedouville fut général en chef, il fit parvenir à Gohier, président du Directoire, un rapport où il faisait l'éloge de cette femme, de son patriotisme, de son esprit,-de ses qualités personnelles, et traçait un tableau, peut-être poussé au noir, de l'organisation des Chouans. Il

(1) V. Célestin Port, Dictionnaire de Maine-et-Loire ; Abbé Barthélémy, Les contemporains, Abbé Bernier (1762-1806), Pierre de la Gorce, Histoire religieuse de la Révolution française, Paris, 5 vol. in-8°, t. V, p. 72 et suiv. Cf. H. Carré, Recherches sur la Révolution française en Poitou, extrait des Mémoires de la Société des Antiquaires de l'Ouest, 1935. (Tiré à part, p. 154.)


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résumait ensuite les propositions de Mme de Turpin sur une amnistie générale pour les rebelles, sur la liberté des cultes et sur le retour des prêtres déportés. Hedouville eut ensuite des entrevues avec cette femme courageuse, à Angers même ; et, par son entremise, il put négocier personnellement avec MM. de Bourmont et d'Autichamp, ce qui lui permit d'aboutir, le 21 janvier 1800, à la pacification de Montfaucon (1).

Cette pacification ne fut pas sans laisser à Hedouville quelques appréhensions. Une pièce, signée de lui, dit en effet : «Le citoyen d'Autichamp en faisant sa soumission au gouvernement m'a prévenu que l'intention de quelques exchefs chouans était de voler des diligences sous prétexte d'avoir des fonds pour renouveler la Chouannerie ; et il importe que la conduite des individus déjà compromis par ces vols soit suivie exactement (2). »

Les appréhensions du comte d'Autichamp n'étaient pas d'ailleurs illusoires, car, en divers cantons de la Vienne, des Brigands reparaissaient sur les grandes routes et arrêtaient des diligences, dès thermidor an VIL N'ayant plus affaire à la Vendée, le Gouvernement put faire appel aux forces de sa Colonne mobile, revenant de Thouars et de Loudun pour qu'elles vinssent seconder la Gendarmerie, dans les cantons deMirebeau, ou de Saint-Genest, par exemple. Elles permi(1)

permi(1) Port, Dictionnaire géographique et biographique de Maine-et-Loire (Vicomtesse de Turpin de Crissé). Alphonse de Beauchàmp, Histoire de la guerre de Vendée, Paris, Michaud, 1820,4 vol. in-8°, t. IV, p. 262 et suiv.

De Beauchamp, Mémoires de Mme Turpin de Crissé dans les Mémoires secrets et inédits del'histoire contemporaine, t. 11,1825.

Paul Robiquet, Un pacificateur de la Vendée, le général d'Hedouville (Revue historique, 1902, t. LXXVIII, p. 300 et suiv.). Cf. Ch. L. Chassin, La pacification de l'Ouest (1794-1801), t. III, 1799, in-8°. E. Gabory, Les Vendéennes, Paris, 1934, in-12, p. 89, III, 114 et 239.

(2) Arch. de la Vienne. M4 l. Correspondance du Préfet. Lettre du Général Hedouville à Cochon de Lapparent datée de Fontenay le Peuple, 12 messidor an VIII, signée Hedouville.


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rent à la gendarmerie de prendre plus à coeur son rôle de police, dans l'affaire de la diligence de Bordeaux à Paris, dépouillée de cinquante-quatre mille francs, près la forêt de Châtellerault ; elles aidèrent à découvrir que parmi les Brigands se trouvait un ancien émigré, un «Brigand royal», le comte de Beauvollier, mais sans pouvoir le mettre en arrestation ; elles aidèrent à fouiller, en tous sens, la forêt de Scévolle, mais sans succès d'ailleurs; la plupart des Brigands s'enfuyaient en Anjou. Au début de l'an VIII, en brumaire et en germinal, le Commissaire du gouvernement Bonnefonds signalera Gendarmerie et les groupes détachés de la Colonne mobile, comme acharnés à poursuivre des Brigands des routes, mais avec des résultats presque toujours assez médiocres (1).

Quoi qu'il en soit, les Colonnes mobiles concentrées à Loudun et à Thouars ne purent que se disperser après la paix de Montfaucon (21 janvier 1800), et elles regagnèrent leurs cantons respectifs. Il est toutefois singulier que le Brigandage ait tenté alors de se dissimuler sous un nom nouveau : les Brigands prétendaient n'être que des Mendiants ; et le Préfet de la Vienne, Cochon de Lapparent, dans une lettre du 23 germinal an VIII, dit d'eux en effet : « Je viens d'apprendre que sous le prétexte de Mendicité, des Brigands se répandent par bandes dans les cantons de Saint-Sauvant et deSanxay; ils s'introduisent dans les maisons, à main armée, et par menaces et violences, se font donner comme aumônes soit de l'argent soit du bled. » Le Préfet donne des ordres à la Gendarmerie pour qu'elle procède à l'arrestation de ious ceux qui se livrent à de tels excès, particulièrement à

(1) Arch. de la Vienne, L. 18,11 thermidor, 14,16, 22 et 28 thermidor. L. 21. Affaire de la forêt de Scévolle. Cf. Correspondance de Fouché et du commissaire du gouvernement Bonnefont. Lettres du 27 nivôse an VIII et autres lettres de nivôse ; lettre au ministre de l'Intérieur du 12 pluviôse an VIII, de germinal an VIII.

(2) Lettre de Carnot offerte par un M. Doyen, de Paris, aux Archives de la Vienne le 26 février 1936.


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l'arrestation de ceux qui s'attribuent ainsi des subsistances (1). Un capitaine de gendarmerie écrit d'ailleurs au Préfet que le nouveau Brigandage s'exerce fréquemment dans les pays de Latillé, Couhé et Vivonne (2) ; et le ministre de la police Fouché fait lui-même savoir à Poitiers que tous ces vols sont fréquents dans la République ; il déclare le 17 fructidor an VIII que la Mendicité et le Brigandage ont « beaucoup de rapports (3) ».

Ce fut pourquoi sans doute Cochon de Lapparent se préoccupa d'éteindre la Mendicité dans la Vienne. Secondée d'ailleurs par ce qui subsistait de Colonnes mobiles, la Gendarmerie devint assez active à poursuivre les voleurs de toute espèce. A Poitiers, le Préfet fit proclamera son de trompe, qu'en raison des vols de nuit s'effectueraient des patrouilles pendant des nuits entières, passé dix heures du soir. 11 fit, d'autre part, surveiller les maisons de jeu qui lui devenaient alors suspectes, autant à Châtellerault qu'à Poitiers (4).

Persuadé qu'il fallait, coûte que coûte, renforcer la Gendarmerie, surtout lui donner plus de ressources en hommes, le Préfet seconda tous ceux qui lui soumirent quelque combinaison à ce sujet. En l'an X il devait appuyer l'idée qu'on eut de faire stationner quinze soldats d'infanterie dans les communes de Beaumont, Lencloître, Châtellerault, Croutelle, Ruffigny, Colombiers, et d'assurer les routes en ces cantons (5). Le Général de brigade Meunier lui fit accepter l'idée de faire stationner dans chaque chef-lieu de sous-préfecture un détachement de trente hommes d'infanterie, sous les ordres d'un officier (6).

(1) Arch. de la Vienne. M* 1. Correspondance du préfet, 23 germinal au VIII. Le préfet au commandant de gendarmerie.

(2) Ibid. Le capitaine de gendarmerie au préfet, 24 germinal an VIII.

(3) Lettre de Fouché au préfet, 7 fructidor an IX.

(4) Arch. de la Vienne, M 42. Arrêtés dupréfet du 14 vendémiaire an IX, 1er messidor an IX, 7 fructidor an X.

(5) Ibid., M4 3. Le capitaine commandant au préfet, 18 thermidor an X.

(6) Ibid. M 43. Lettre du général Meunier au préfet du 8 fructidor an X.


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Les Colonnes mobiles n'auraient donc été, dans la Vienne, qu'un essai de groupements locaux et armés, pouvant, à l'occasion, faire figure de bataillon, mais plutôt fournir des recrues aux corps chargés de la police générale. Aux approches du Consulat et de l'Empire elles ont acheminé la France vers le développement normal de sa Gendarmerie, et fait prévoir comment se pourraient établir, même en de petites villes, des simulacres de garnisons.



Prisons et évasions de prisonniers

Si impuissants que fussent bien souvent les gendarmes dans la poursuite des émigrés rentrés, des complices d'émigrés, des prêtres réfractaires, des suspects, et des vulgaires malfaiteurs, le nombre des individus mis en arrestation fut si considérable que les prisons d'Ancien régime à Poitiers ne furent plus suffisantes. Sous l'impulsion du Comité de secours, le 17 avril 1792, le Procureur général syndic, Louis Brault, demandait d'ailleurs aux municipalités de son ressort d'établir des listes de détenus rangés par catégories : « les civils, les criminels, les vagabonds, les correctionnels ». Le Comité, disait-il, aurait voulu voir s'établir une prison par commune, comme les anciennes prisons seigneuriales ; mais le Comité n'oubliait-il pas que les prisons seigneuriales n'étaient que des prisons de rencontre, de simples granges par exemple, et que les détenus s'en étaient toujours facilement évadés ? Créer d'ailleurs des prisons aussi nombreuses, ne serait-ce pas s'engager en des dépenses excessives (1) ?

A Poitiers toutefois, l'Ancien régime n'avait disposé que de très médiocres installations de prisons. Les principales étaient celles que l'on avait vues jusque-là dans la rue de la Prévôté, sur la place du Pilori, sur la petite rue du Trot(1)

Trot(1) delà Vienne, L. 264, Le Comité de Secours. Poitiers, 14 février et 8 avril 1792. (Lettres du procureur général syndic Louis Brault.)


282 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

toir, ou celle qui joignait l'hôtel de ville, et dont se plaignaient fort les professeurs de l'Université, car ils enseignaient à l'Hôtel de ville. Quand Poitiers mit la main sur les maisons des congrégations religieuses dissoutes, et quand on crut devoir emprisonner de nombreux adversaires politiques, on se jugea suffisamment pourvu d'installations pour détenus.

Le 1er octobre 1792 Poitiers occupa la Visitation, place de ce nom, en contact avec la rue des Basses-Treilles, et en fit ~sa principale prison. C'était, dans son ensemble, quelque chose d'assez considérable : un enclos de sept à huit arpents, entouré de murs ; de vastes constructions enveloppant une cour carrée, et communiquant, entre elles, par des cloîtres. Un bâtiment transversal coupait la cour en deux, d'ouest en est ; il fut occupé par le tribunal criminel, et son greffe ; il réclamait de si urgentes réparations que, dès l'an VI, on devait parler de le démolir et reconstruire. Dans l'ensemble de la Visitation, il était toutefois possible de loger trois cents prisonniers ; mais on constatait, dès le début, que la prison ne serait pas à l'abri des risques d'évasions. Les fenêtres étaient insuffisamment munies de grilles, surtout du côté des jardins ; certaines étaient murées en partie, ouvertes par le haut, et, de ce côté, non vitrées. Le mur de la cour, où se promenaient les prisonniers, était, paraît-il, peu solide. Par surcroît, il n'y avait, à la Visitation, ni infirmerie ni pharmacie. Des améliorations, et même des constructions nouvelles semblaient s'imposer, mais auraient " exigé une énorme dépense, quelque chose comme cent mille livres du temps.

La Visitation devait recevoir des hommes et des femmes. Au rez-de-chaussée Tes .hommes occupèrent de grandes pièces voûtées, dont les fenêtres avaient des grilles défera l'extérieur, des grilles de bois à l'intérieur ; les portes étaient munies de solides verrous. Au rez-de-chaussée encore on avait installé une maison de correction pour jeunes garçons


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n'atteignant pas vingt et un ans ; au sous-sol enfin, des cachots pour meurtriers, déserteurs, brûleurs de pieds, accusés de vol avec effraction (1).

Parmi les pièces réservées aux femmes, il en était une où elles travaillaient en commun ; les fenêtres avaient là des « appuis » élevés, et, au-dessus de ces appuis, les vides étaient grillagés.

Rue de la Prévôté, la Maison d'Arrêt dite Prévôté, est, en 1793, en un tel état de vétusté, dit Brothier de Rollière, que, dès l'année suivante, on l'avait abandonnée, pour lui substituer, jusqu'en 1797, l'Hôtel Fumée, qui se trouvait vis-à-vis.

L'affirmation de Brothier de Rollière ne se peut admettre, car, en l'an V, le 3 prairial (27 mai 1797), plusieurs prisonniers de la Prévôté s'évadent, en l'absence du geôlier, le citoyen Husse, et ce dernier obtient des Administrateurs du Département qu'il soit établi, à côté de sa prison, un guichetier qui en détiendrait les clefs. Le 3 prairial an V, si des prisonniers s'évadaient de la Prévoie, c'est donc que celle-ci n'avait pas cessé d'être une prison (A. de la V., L. 281). Et, d'autre part, dans son livre sur La Terreur à Poitiers, M. Salliard, s'appuyant sur des registres de délibérations municipales de 1794 à 1799, constate que la Prévôté menaçait toujours de s'écrouler, mais n'en jouait pas moins son rôle de prison. Il semble bien que l'Hôtel Fumée, de 1787 à 1826, ne fut occupé que par la famille de Veillechèze de La Mardière et ne devint pas une

(1) Arch, de la Vienne, L. 264, 4 brumaire an IV ; L. 81, 23 mai 1793 et 1er et 23 messidor an VI ; Cf. Brothier de Rolière, Nouveau guide du voyageur à Poitiers, J. Lévrier, 1907, in-12, p. 433 et suiv., et Salliard, La Terreur à Poitiers, p. 137 et en particulier 139. Cf. de La Bouralière, L'ancien monastère de la Visitation (Bulletin de la Société des Antiquaires de l'Ouest, 1904, p. 202). Guide du voyageur à Poitiers, Poitiers, 1907, in-8°. Brothier de Rolière, p 293, 294 et 295. Cf. Arch. de la Vienne, L. 81, 23 mai 1793. Bulletin de la Société des Antiquaires de l'Ouest, 1886, note sur le monument appelé l'Hôtel de la Prévôté à Poitiers, par le Dr Veillechèze de La Mardière, p. 30 et suiv.


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prison ; mais, en raison du voisinage de la Prévôté, il put être usuel, dans le langage populaire, de lui donner le nom de la prison, sa voisine.

Dans la même rue, mais vers le haut de la rue, s'installa le Dépôt, pour mendiants, gens sans aveu, fous et folles, citoyens et citoyennes « atteints du mal de Naples ». L'enclos était vaste, comportait deux arpents et demi, s'étendant vers l'ouest. Plus de cent cinquante prisonniers y pouvaient trouver place ; les sexes y étaient séparés et il y avait une infirmerie pour chaque sexe. Le Dépôt correspondait, en grande partie, au terrain occupé, de nos jours, par la clinique de la Providence.

Un décret de la Convention nationale « du vingt-quatrième jour du premier mois de l'an II » ayant ênuméré les mesures à prendre pour éteindre la mendicité, le Dépôt en releva naturellement pour pauvres et vagabonds. En l'an V, le ministre de l'Intérieur, informé que l'Administration centrale de la Vendée ne savait où loger ses fous, l'autorisa à les envoyer au Dépôt de Poitiers. Il advint même que le Ministre, François de Neufchâteau, prétendit faire de cet établissement une maison de correction, et y lutter de philanthropie avec les Anglais, les Hollandais, les Allemands, et le pape Pie VI lui-même. Il y avait, disait-il, d'énormes abus en Angleterre où l'on tenait les vagabonds enchaînés « en des cachots infects » ; il y en avait en Hollande, où ils mangeaient et buvaient trop, où on les occupait à scier des bois de teinture » avec des instruments armés de dixhuit à dix-neuf scies, d'un poids de quatre-vingts livres » ; il y en avait en Allemagne, où le travail des vagabonds était uniquement de râper du bois de campêche, et de la corne de cerf ; dans les Etats du « ci devant Pape » enfin, où des fautes légères étaient parfois punies de « trois ans de chaîne (1) ».

(1) Arch. de la Vienne, L. 265, 27 floréal an III, 18 thermidor an V et


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La prison des Pénitentes était rue Corne^e-Bouc, aujourd'hui rue Rabelais. Avec une superficie d'un arpent, elle pouvait contenir près de deux cents personnes. Les femmes y étaient autorisées à travailler pour leur compte, et conservaient le peu d'argent que leur travail était payé. Très souvent les locaux des Pénitentes étaient froids et humides, et l'on y était « rongé de vermine ». Là séjournèrent la vicomtesse de Chasteigner, et Mme de Savatte ; là furent aussi enfermées des filles de mauvaise vie (1).

Comme les Pénitentes et le Dépôt, la prison de l'Evêché fut surtout une prison de femmes, et, en juin 1793, quand Westermann passa par Poitiers, pour se rendre en Vendée, il fut question de la « septembriser », c'est-à-dire d'y massacrer les détenues, et ces malheureuses n'auraient été sauvées que par la présence d'esprit et le sang-froid du citoyen Bourgeois, Commandant de la place (2).

Quant à Y Hôtel d'Yversay qui, rue des Hautes-Treilles, fut en partie réservé à de prétendus « fédéralistes » tels que Texier, Thibaudeau père, ou Béra, il en a été question ailleurs (3).

La prison de la Trinité (4) a, pour Poitiers, un intérêt

5 fructidor an VI (Opinion du ministre de l'Intérieur François de Neufchâteau;, L. 314, 25 mars 1793 et 28 ventôse an II. François de Neufchâteau est né à Saffais (Meurthe) en 1750 et mort à Paris en 1828.

(1) Arch. de la Vienne, L. 264, 4 brumaire an IV. Cf. Salliard, p. 191 et 193.

(2) Salliard, p. 167. En juin 1793, Westermann commande l'avantgarde de l'armée de Vendée et passe à Poitiers. L'année suivante, en 1794, il devait être traduit devant le tribunal révolutionnaire, pour ses attaches avec Danton, condamné à mort et exécuté le 5 avril.

(3) Il s'agit de l'hôtel de Joulard d'Yversay, ancien constituant, émigré en 1791, subsistant aujourd'hui, rue Théophraste-Renaudot, n° 16. V. une étude antérieure sur Déceptions du. Représentant en mission ChauvinHersant, dans les Nouvelles recherches sur la Révolution en Poitou par Henri Carré à propos du terroriste Chenevière. Texier, administrateur du Département de la Vienne, est guillotiné en 1794 ; Thibaudeau père (Antoine-Renée-Hyacinthe) est né en 1730 et mort en 1812 ; Béra, né en 1758, est mort en 1839.

(4) La Trinité est une ancienne abbaye de Bénédictines. Elle est devenue


286 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

particulier, grâce à M. l'archiviste de La Martinière, qui nous a transmis quelques pages de son registre d'écrou, pour les années 1793 et 1794 ; la copie en fut d'abord entreprise par un prisonnier inconnu, depuis le mois d'août 1793 ; puis, à partir du 16 novembre suivant, elle fut continuée par l'avocat Louis Guillemot, incarcéré à son tour, et dont descend M. de La Martinière ; il la continua jusqu'en septembre 1794. On voyait au registre d'écrou les dates d'entrée et de sortie des prisonniers. Louis Guillemot n'a suspendu son travail de copiste que du jour où le Représentant en mission Chauvin-Hersant (1) l'eut fait mettre en liberté, après la mort de Robespierre. Au registre d'écrou figuraient l'ex-grand vicaire de l'évêque émigré, Dancel de Bruneval (2), avant qu'il fût transféré à la Visitation, et plusieurs prétendus complices du fameux aventurier Guillot de Folleville, se disant évêque d'Agra (3).

Les Archives de la Vienne mettent en lumière de navrants détails sur le régime dés prisons révolutionnaires. Le 21 novembre 1792 le citoyen Moreau, procureur syndic du District de Poitiers, représente au Conseil général de la Vienne que des prisonniers, en guenilles, et même sans chemises, sont incapables de résister au froid qui s'annonce rigoureux ; il supplie le Conseil de l'autoriser à prendre quelques couvertures dans les communautés religieuses supprimées, et il annonce qu'il les distribuera aux plus misérables de ceux qu'il a vus sans vêtements. Le Conseil l'y-autorise (4). Il ne faut pas oublier d'ailleurs que la plupart des

une prison- de suspects en 1793 ; c'est aujourd'hui le Grand Séminaire. V. Salliard, p. 173 et suiv.

(1) Chauvin-Hersant (1756-1836), député de Niort à la Convention, représentant en mission en 1794, deviendra conseiller de préfecture en l'an VIII et président du tribunal civil de Niort sous Louis XVIII.

(2) Mémoires de la Société des Antiquaires de l'Ouest, année 1935. Henri Carré, Culte interdit et prêtres réfractaires, p. 252 et suiv.

(3) Voir Bulletin de la Société des Antiquaires del'Oaest,2e trimestre 1934 ; Henri Carré, Le Faux évêque des Vendéens et le Procès des Cinq.

(4) Arch. de la Vienne, L. 264, 21 novembre 1792.


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prisonniers ne pouvaient coucher que sur de la paille ; que là Convention nationale s'en émut ; que le ministre Garât fit rendre un décret à ce sujet, mais qu'il fallut du temps pour que les départements prissent des mesures en vue de tirer les prisonniers de l'ordure où ils se roulaient, comme le bétail dans les étables. Si quelques-uns parfois tombaient malades, il n'était pas d'infirmeries pour les recevoir, pas de remèdes pour les leur administrer. Hygiène d'autant plus déplorable que les détenus étaient parfois entassés dans les prisons (1). :

La nourriture ne valait guère mieux que l'installation ; une livre et demie de pain par jour, parfois deux livres, et de l'eau à volonté. Il fallait avoir des ressources personnelles pour s'assurer la pitié des concierges et améliorer un peu son alimentation (2). Comment ne pas concevoir que tant de prisonniers aient recherché les moyens de s'évader, et y soient très souvent parvenus ?

Il est vrai que les moeurs de ce temps étaient plus rudes qu'aujourd'hui, et que' les souffrances des prisonniers, dans la Vienne, ne différaient pas de celles de leurs pareils, à Paris. On s'en rend compte à lire le livre de Dauban, Les Prisons de Paris sous la Révolution. « Le jour, dit-il, pénétrait à peine dans les cachots de la Conciergerie. La paille dont se composait la litière des détenus était corrompue par le défaut d'air, et les excréments » ; elle exalait une telle infection que, dans le greffe lui-même, dès qu'on ouvrait la porte, on était empoisonné. Même situation à la maison sd'arrêt des Carmes. L'humidité y devenait telle qu'il fallait tordre ses habits dévorés d'ailleurs par les insectes. Un autre historien, Vandal, a fait des prisons révolutionnaires « d'infects cloaques » ; un troisième, Léon Lalanne, dans son livre sur La Révolution el les Pauvres, parle même de l'hô(1J

l'hô(1J delà Vienne, L. 264,23 novembre ; L. 81, 23 mai 1793. (2) Ibid., L. 264, 4 brumaire an IV.


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pital général de Poitiers, en 1792, comme assez privé de ressources pour ne valoir pas mieux que les prisons... (1).

Il faut attendre jusqu'à l'an VI pour qu'un membre de l'administration municipale de Poitiers vienne annoncer à ses collègues que le gouvernement fait enfin parvenir des secours aux maisons de détention. La Visitation va recevoir, dit-il, douze matelas, douze couvertures de lits, vingtquatre draps, soixante chemises, et des serviettes -; la Prévôté, six matelas, six couvertures, douze draps, des serviettes et des chemises ; le Dépôt, où nombre de femmes viennent faire leurs couches, recevra douze matelas, douze couvertures, cent draps, cent chemises et des serviettes ; les Pénitentes vingt-quatre draps, soixante chemises de femmes et quelques serviettes (2).

Si la souffrance engage souvent les détenus à rechercher les moyens de s'enfuir, les rencontres qu'ils font en prison ne les y incitent pas moins ; ils retrouvent là des camarades de pillage ; et des filles publiques servent, paraît-il, d'intermédiaires entre bandits du dehors et bandits incarcérés ; si bien qu'en attendant de prendre la clef des champs, les incarcérés peuvent établir de multiples combinaisons de Brigandage (3).

Il aurait fallu que le choix des concierges de prisons s'effectuât avec rigueur, et que des surveillants consciencieux et attentifs leur fussent subordonnés ; il aurait fallu que les tribunaux fussent très sévères quand ils prononçaient des jugements sur évasions, que la police des prisons fût enfin quelque chose de très rigoureux. Or, il fut loin d'en être ainsi. Le 7 mars 1792 une évasion se produisit à la prison

(1) Voir C. A. Dauban, LesPrisons de Paris sous la Révolution, Paris, Pion, 1870, in-8o, p. 101, 145 et 146, 194 et 195, 291, 372, 438. Albert Vandal, L'Avènement de Bonaparte, Pion, 2 vol. in-8°, 1.1. p. 25 ; Léon Lalanne, La Révolution et les pauvres, Paris, 1898, in-8°, p. 262 et 265.

(2) Arch. de la Vienne, L. 264, 7 nivôse an VI. (Extrait du registre des délibérations municipales de Poitiers.)

(3) Ibid., L- 265, an II, et en particulier le 24° jour du premier mois.


PRISONS ET- ÉVASIONS DE PRISONNIERS 289

de Loudun, et le maire, Jean-Marie Bion, assisté du procureur de la commune, et des officiers municipaux Montault et Tabert, se rendit chez le geôlier Claude Courtault, et apprit de lui que plusieurs détenus s'étaient enfuis, en forçant les portes. C'étaient des portes de bois de chêne, et il aurait fallu en forcer trois successivement. La première n'offrait cependant aucune apparence de fracture ; mais tout auprès on voyait un pot brisé contenant un peu de linge roulé en mèche et quelques gouttes d'huile, ce qui faisait dire à Courtault qu'on s'en était servi pour, manoeuvrer la serrure. Le maire ordonna de faire jouer la serrure, qui joua fort bien, et ne parut pas du tout avoir été forcée. D'après Courtault la seconde porte avait pu demeurer ouverte ; la troisième se fermait avec un cadenas, mais le cadenas aurait été brisé, car on en voyait une branche à terre. De tout cela, aux yeux du maire et des officiers municipaux, il ressortit que le geôlier était complice des évadés. Un procès-^verbal fut rédigé ; lecture en fut faite ; et on décida que Claude Courtault serait remplacé par un citoyen d'une « probité sans reproche », Pierre-Joseph Anglomain ; mais on ne voit pas que Courtault ait été traduit en justice (1), Anglomain d'ailleurs n'eut pas de chance, un peu plus tard. Pour bien surveiller ses prisonniers il jugea prudent de s'installer dans une chambre au-dessus de leur cachot, et il fit coucher un gendarme auprès de lui. Or, voici que, dans la nuit du 29 fructidor de l'année suivante, un bruit de démolition le réveille tout à coup ; le gendarme et lui se lèvent et descendent au cachot ; mais, à peine y sont-ils que devant eux s'écroulent les voûtes du cachot. On ne sait si les détenus sont victimes de la catastrophe, ou s'ils en ont profité pour s'enfuir. Un architecte, en tout cas, est convoqué, et il estime que les frais de réparation s'élèveront à dix-huit cents francs (2).

(1) Arch. de la Vienne, L. 264, 7 mars 1792 (Procès-verbal).

(2) Ibid., L. 264, 23 prairial an IV. (Délibération de l'administration municipale de Loudun.)

19


290 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

Quant aux évasions de prisonniers, le Ministre de l'Intérieur, Benezech, devait faire remarquer le 24 ventôse an V qu'elles se multipliaient d'effrayante façon, dans toute la République, et qu'elles étaient encouragées par la facilité avec laquelle, même les gens enchaînés se débarrassaient de leurs fers. Les condamnés d'ailleurs aimaient toujours mieux essayer de s'enfuir que de tenter du recours en cassation (1). La municipalité de Poitiers ne reconnaissaitelle pas elle-même, le 21 nivôse an V, qu'être enfermé dans sa prison du Palais équivalait à être « déposé vivant dans un sépulcre » (2) ?

Certains cachots de la Visitation ne valaient guère mieux, et ce fut d'ailleurs un peu avant nivôse, que se produisit à la Visitation une évasion retentissante. Sept individus étaient incarcérés là dans trois cachots se joignant l'un l'autre, et dénommés la Citerne, le Four, le Grand cachot. C'étaient le sieur Descoins condamné par le tribunal criminel à vingtquatre ans de fers, le chef d'une bande de chauffeurs de pieds ; le sieur Gasselin, lui. aussi « chauffeur », condamné pour vol avec effraction ; un sieur Thiollet, condamné à quatre ans de fers, un autre à six ans ; un sieur Gérard, dit Mouchardière, déserteur condamné à quatre ans de détention ; un Jacques Renault, à quatre ans aussi ; un sieur Blanchet, à deux ans comme voleur de souliers, crime notable en un temps où la disette du cuir n'est pas moindre que celle des grains (3).

Ces sept prisonniers s'enfuient dans la nuit du 18 fructidor an V, sans que ni le concierge Jahan ni quatre gardes préposés à la surveillance des jardins s'en aperçoivent, paraît-il. A coups de barres de fer, ils s'ouvrent un passage à

(1) Arch. de la Vienne, L. 264, 24 ventôse an V. (Lettre du ministre Benezech aux Administrateurs du Département.)

(2) Ibid., L. 264, 21 nivôse an V. (Extrait du registre de la délibération municipale de Poitiers.)

(3) Ibid., L. 264. (Délibération de l'administration municipale de Poitiers et procès-verbal Déposition du prisonnier François Blain.)


PRISONS ET ÉVASIONS DE PRISONNIERS 291

travers les murs de leurs trois cachots, et le concierge n'entend rien ; ils traversent l'enclos, sans qu'aucun des soldats préposés à la surveillance s'en aperçoive. Les renseignements que l'on peut recueillir sont donnés par un des prisonniers du Grand cachot, un prisonnier qui ne s'évade pas. A dix heures du soir, dit ce dernier, le geôlier-concierge termine sa tournée dans les cachots ; à onze heures, on peut entendre frapper violemment dans le mur qui sépare le cachot de la Citerne du cachot du Four, et Descoins et Marchaudière arrivent dans le Four ; à minuit ils attaquent le mur qui sépare le Four du Grand cachot, et le prisonnier, qui entend le bruit des démolitions, et l'entend tout proche, craint même que les pierres ne s'écroulent sur lui ; mais un passage s'ouvre, et sept prisonniers arrivent dans le Grand Cachot, d'où ils sortent en s'ouvrant un dernier passage. Quant aux factionnaires qui doivent surveiller au dehors, ils n'entendent ni ne voient rien. Quatre soldats avaient charge de surveiller, à tour de rôle, dans les jardins, deux heures chacun, du soir au matin. Le geôlier soutient qu'il est impossible de sortir de l'enclos sans qu'on s'en aperçoive. Y eut-il complicité de la part d'un ou de plusieurs factionnaires ? Le commandant du poste, François Davier, du quinzième régiment de chasseurs, n'admet pas qu'on puisse s'évader sans être vu, et cependant le cas se produit pour sept hommes, en une nuit (1). D'où sans doute complicité nouvelle, et sans doute aussi nouvelles recrues pour le « Brigandage », et accroissement possible de la « Terreur rurale ».

Une lettre du Commandant de gendarmerie du canton de Saint-Genest aux administrateurs de la Vienne venait de constater combien la condamnation du fameux Descoins, « le chef de tous les brûleurs de pieds », paraissait devoir

(1) Arch. de la Vienne, L. 264. Témoignage de Davier du 21 nivôse an V.


292 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

assurer la tranquillité dans le Département, quand fut connue son évasion ; et, presque sur-le-champ, vers la fin de frimaire an V, « une respectable femme de soixante-dix ans fut assaillie dans sa maison » par des brigands qui « la firent brûler à petit feu ». On se demande si l'évadé Descoins n'était pas un de ses meurtriers (1).

Quelques mois plus tard, le geôlier de la. Maison d'arrêt, c'est-à-dire de la Prévôté, le citoyen Husse fut victime d'une aventure d'un autre ordre. Il s'absenta un jour de sa prison, et sa femme fut aussitôt assaillie par des prisonniers qui la contraignirent à leur donner les clefs de la prison, et s'enfuirent. Rentré chezlui, Husse protesta en ces termes : « Considérant que nul concierge (de prison) ne peut être certain de sa vie, si les prisonniers sont instruits que les clefs de la prison sont dans l'intérieur, et qu'il est bien plus convenable d'établir un guichetier qui détiendrait (au dehors) les clefs de la Maison d'arrêt... » Les Administrateurs du département donneront satisfaction à Husse. Un guichetier fut chargé, pour cent cinquante francs par an, de se tenir, de jour et de nuit, tout près de la prison, dans une chambre y attenant ; et dans aucun cas, il ne dut remplacer le geôlier (2).

La plupart des gens qui s'évadaient étaient, semble-t-il, des détenus de droit commun ; on verra, par un extrait du « registre d'écrou », publié plus loin, qu'à la prison de la Trinité, il en allait autrement, que les détenus étaient souvent d'un monde assez différent, qu'il s'y trouvait un grand vicaire de l'évêque de Beaupoil de Saint-Aulaire, Dancel de Bruneval, un Brumaud de Beauregard, un de Ghassenon, des Clergeau, des Sabourain, les uns ne voulant pas s'évader, les autres attendant leur transfert à Paris, où ils furent condamnés à morL De la prison de la Visitation s'évada

(1) Arch. de la Vienne, L. 34 (Lettre du 2 nivôse an V).

(2) Ibid.L. 281, 3 prairial an V. Cf. Salliard. p. 204 (sur les évasions).


PRISONS ET ÉVASIONS DE PRISONNIERS 293

toutefois un prêtre réfractaire, François Boudot, et, quand on le rechercha, il est assez remarquable que ce fut par des prêtres, Allonneau et Bruneval, transférés dans cette prison, que le 5 thermidor on apprit ce qu'il était devenu ; ils déclarèrent que Boudot avait l'habitude d'aller, la nuit, dans les communes voisines. A la fenêtre d'une maison joignant la clôture on découvrit d'ailleurs des serviettes nouées, expliquant le départ de Boudot (1). Il ne paraît pas que les disparitions et le retour des prisonniers fussent quelque chose de très surprenant. Une loi du 13 brumaire an II prononçait bien la peine de mort contre les gardiens des prisons, et les gendarmes, s'ils étaient convaincus de complicité avec les évadés, mais les tribunaux, déclare le Ministre Letourneux, en frimaire an VI, avaient coutume d'acquitter les concierges et les guichetiers, dès qu'on les traduisait devant eux ; et le même ministre, le 19 frimaire, écrivit aux administrateurs de la Vienne, et leur signala un procédé employé à Dijon pour se débarrasser des chaînes, dans les eachofs. Des amis du dehors faisaient parvenir aux prisonniers des boutons de culotte en buis, ou en corne, « façon ancienne, dont le dessus tournait à vis, et dont le milieu était creusé en forme de tambour ; on trouvait là un ressort de montre dentelé », et avec cette espèce de scie, « les condamnés parvenaient, dans un certain espace de temps, à couper de forts barreaux, de gros verrous, et leurs fers » (2),

(1) Arch. de la Vienne, L. 17, Poitiers, 5 thermidor an VI. (Le procèsverbal d'évasion Bondot signale les dépositions.)

(2) Ibid., L. 264, 16 pluviôse et 12 messidor an IV. Lettre du ministre de l'Intérieur Letourneux à l'administration centrale de la Vienne du 19 frimaire an VI, en particulier sur les procédés employés à Dijon pour s'évader.

Dans cette même lettre du 19 frimaire an VI, le ministre Letourneux en venait à dire : « Les évasions des prisonniers, et particulièrement des condamnés, se multiplient d'une manière effrayante, dans toute l'étendue de la République. Ils.sont accoutumés à entrer sans effroi dans des prisons dont les communications journalières - avec leurs complices du dehors, leur présentent tous les moyens d'en sortir. Que ces communications cessent, qu'on ne fasse plus pour cette classe de détenus le béné-


294 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

En bien des cas d'ailleurs, les détenus n'eurent pas besoin de recourir à beaucoup d'artifices. A Châtellerault, en effet, les prisons proprement dites n'offraient que peu de ressources contre l'évasion. Celle qui joignait le palais de justice, celle de la Tour auprès du pont, le ci-devant château, et le ci-devant collège ; il n'y avait que fort peu de place en ces maisons, et des installations y étaient malsaines et contagieuses. Aussi les Administrateurs logeaient-ils parfois leurs prisonniers en des chambres de maisons particulières (1), comme ceux de Poitiers logèrent des « réfractaires » malades, chez des dames qui les soignaient, et dont les gendarmes certifiaient la présence et la maladie (2). Il subsiste une lettre fort curieuse adressée le 27 mai 1793, au conseil du district de Châtellerault, par un citoyen Savatier, peutêtre originaire de Lésigny, qui en dit long sur l'état d'esprit de certains prisonniers, et une délibération des administrateurs qui n'est pas moins originale.

« Nous, détenus, écrit Savatier, avons ouï dire que des personnes également détenues dans les maisons d'arrêt de Poitiers, Chinon, Saumùr, Tours, et autres endroits, ont pour prisons les enceintes de ces villes, à charge pour elles de se présenter, tous les soirs, devant des commissaires chargés de la surveillance. Connaissant vos âmes généreuses, et convaincus que vous n'avez pas envie d'agir à notre égard, avec plus de rigidité qu'on ne fait ailleurs, sachant très bien que, vu les circonstances d'un moment funeste, tant que la loi exige notre arrestation, nous nous soumettrions avec respect, s'il nous était libre d'aller et venir dans

fice d'une loi applicable aux seuls prévenus et accusés, et les évasions seront moins fréquentes ; et que les peines prononcées par les tribunaux ne soient pas si souvent illusoires... Que les prévenus ouïes condamnés ne soient pas admis à se procurer, par parents et amis, les premiers besoins de la vie. »

(1) Arch. de la Vienne, L 264. Prison de Châtellerault.

(2) Ibid., L. 17, 19 prairial an VI. (Commissaire du Département à l'accusateur public Motet.)


PRISONS ET ÉVASIONS DE PRISONNIERS 295

la ville, pour subvenir à nos besoins ; nous nous féliciterions de vivre parmi des citoyens honnêtes, de qui nous n'avons généralement reçu que d'agréables procédés. Mais la douleur que nous ressentons de nous voir détenus dans des chambres, sans en pouvoir sortir, cela devient pour nous une véritable prison... Nous vous prions donc de prendre en considération, que notre détention moleste beaucoup nos facultés, pour les froissements que cela nous occasionne, tant pour les charois, pour nous faire rendre ce qui nous est utile pour les vivres, que nous sommes obligés d'acheter ; tandis que, dans nos campagnes, nous vivrions à bien meilleur marché... Je termine en vous priant d'agir à notre égard comme l'on agit partout ailleurs. Nous espérons que vous voudrez bien nous permettre de nous promener dans la ville (1). »

« SAVATIER. »

Voici maintenant la délibération du District. Les citoyens Faulcon, Pingnardière et Preau Gorberaye, chargés de la surveillance des suspects, des parents d'émigrés, exposent qu'ils ont reçu nombre de réclamations analogues à celle du citoyen Savatier ; les uns demandent qu'on leur permette d'envoyer leurs enfants ou leurs domestiques dans « leurs maisons à la campagne, pour chercher des provisions et quelques meubles ; d'autres disent qu'ils voudraient ne pas coucher par terre, faire remettre des vitres à leurs fenêtres, etc.. mais leur permettre à eux, ou à leurs enfants, c'est chose délicate ». Les commissaires et administrateurs du district et le détenu Savatier s'abouchent enfin et tombent d'accord. Le district autorise Savatier à faire transporter des meubles et des habits dans sa chambre de Châtellerault ; on veut bien, à son égard, se montrer humain, mais il doit se montrer prudent (2). Comment

(1) Arch. de la Vienne, L. 33. Châtellerault, 27 mai 1793.

(2) Arch. de la Vienne, L. 33 ; Délibérations du District.


296 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN- POITOU'

ne pas conclure que bien des détenus purent abuser un peu des autorisations accordées ?

Il semble bien qu'un des plus redoutables effets des évasions fut celui que détermina la circulation des condamnés, dans les « chaînes » de forçats. Poitiers était, en cela, un centre important, car, en l'an II, la seule prison de la Visitation disposait de trente-sept colliers de fer (1) ; et Poitiers pouvait d'ailleurs facilement correspondre avec trois des quatre ports entre lesquels se répartissaient en France les condamnés au bagne ;■ Poitiers correspondait avec Brest, Lorient, Rochefort ; et Toulon seul était trop loin. Quand une chaîne de condamnés aux galères partait de Paris pour Brest, c'était à Tours que les condamnés de l'intérieur venaient la rejoindre, et un très grand nombre passaient par Poitiers. De Tours on les conduisait à Brest par Laval et Rennes (2). Si, en 1791, le Ministre de la Marine Thévenard voulait qu'une « chiourme » de la Vienne se rendît à Rochefort, ses étapes étaient LusigDan, Saint-Maixent, Niort, La Rochelle (3). Si, en l'an II, le Ministre de l'Intérieur exigeait au contraire que des déportés fussent conduits à Lorient, les Administrateurs de la Vienne se montraient fort surpris qu'un très petit nombre fussent venus jusque-là en ce port, d'où ils devaient partir d'ailleurs pour Madagascar. Dans chaque convoi les gardes-chiourmes étaient porteurs d'un état où s'inscrivaient les noms des condamnés, les lieux de leur naissance, leur âge, leur signalement, la durée de leur peine, les dates des jugements rendus contre eux (4).

Or, les gardes-chiourmes étaient loin d'être toujours en

(1) Salliard, p. 222.

(2) Arch. de la Vienne, L. 264, 3 septembre 1790.

(3) Ibid., 20 septembre 1790, 18 et 20 juillet, 20 août 1791 ; Paris, 21 prairial an II.

(4) Arch. de la Vienne, Paris, 4 brumaire an V et 30 frimaire an V.


PRISONS ET ÉVASIONS DE PRISONNIERS 297

règle, ainsi que le remarque, en brumaire an V, le Ministre de l'Intérieur Benezech. Par une circulaire du 6 pluviôse précédent, il avait recommandé qu'on lui envoyât chaque mois la liste générale des condamnés, pour que, d'après leur nombre, il pût les répartir entre les différents bagnes, selon les travaux qui lui paraîtraient s'imposer. Or, on n'avait pas tenu compte de sa circulaire, et, de cette négligence, il résultait que, dans les bagnes où arrivaient des chaînes de forçats, il pouvait se produire qu'il n'y eût plus de place pour eux, et qu'une chaîne, ou une partie de chaîne, devînt une surcharge importante et, fait plus grave, une occasion d'évasions (1). Les circulaires devaient donc être rigoureusement respectées, et toutes les causes d'évasions appréhendées ; car la population des campagnes risquait de jour en jour d'être plus sûrement livrée aux entreprises d'un atroce Brigandage.

Quand une chaîne part de Poitiers, les administrateurs des districts qu'elle doit parcourir en sont avisés et, de même, le port auquel le Ministre la destine. Un événement survenu à Châtellerault le 14 octobre 1793, montre assez quels désordres peut entraîner le passage d'une chaîne de forçats. Le procureur syndic du district de Châtellerault, le citoyen Montaubin, raconte que, ce jour-là, arrive de Tours une bande de forçats destinés au port de Rochefort. « Il étaient tous, dit-il, aussi intrépides que forts ; la nuit était close, et, huit ayant rompu leurs chaînes, se sont enfuis à la faveur des ténèbres ; on en a ressaisi deux, mais l'un de ceux-ci ayant tenté de tuer un de ses gardiens, on l'a lui-même fusillé sur le champ. » Un piquet de dragons, et trois cents hommes de gardes nationales se trouvant sur place, sont parvenus à rétablir l'ordre. Mais que sont devenus les six

(1) Arch. de la Vienne, L. 264 ; Paris, 30 frimaire an V. (Ministre de l'Intérieur à Commissaire près les tribunaux criminels. Copie faite par Moreau).


298 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

évadés ?. Ont-ils pu passer en Vendée ? Ont-ils coopéré, dans la Vienne, à la « Terreur rurale » (1) ?

Il est assez naturel de rapprocher cette évasion de six condamnés aux galères de l'évasion, signalée plus haut, des sept prisonniers de la Visitation, de rappeler les fuyards de la Maison d'arrêt, ou Prévôté, en l'absence du geôlier, et même des évadés de Loudun, de façon à ne pas douter que, dans le département de la Vienne, les évasions de prisonniers aient fortement contribué à recruter les bandes de Brigands et à propager partout les pratiques du vol et de l'assassinat.

Extrait d'un registre d'écrou tenu par un prisonnier de la Trinité et continué par Louis Guillemot a partir du 16 novembre 1793.

Dates d'entrée. Dates de sortie.

30 août Favre, apoticaire.

31 — Gennet.

— Marsault.

— Brumeau de Beauregard.

— Chine, marchand 1er novembre.

— Clerquesin, cuisinier 20 février 1794.

— Coutineau. ■— Gambier.

— Choquin.

— Augron 10 octobre.

2 septembre Berrugeau, menuisier 18 décembre.

— Vigneau, vitrier. 22 septembre.

— Bertrand, marchand épicier.

— Pallu du Parc, transféré aux Carmélites

Carmélites 17 décembre.

— Labrunerie 24 septembre.

— Venien, tonnelier. 18 septembre.

— Dorât, marchand de pois 3 octobre.

— Boute, serrurier 3 octobre.

(1) Arch. de la Vienne, L. 16, Châtellerault et 14 octobre 1793. Décision du Conseil général.


PRISONS ET ÉVASIONS DE PRISONNIERS . 299

Dates d'entrées. Dates de sorties.

3 septembre Martin, maréchal 18 septembre.

— Vambourg . 20 septembre.

Guernault, Masson (sic) 20 septembre.

— Tranchant de Chay.

10 — Bigeu 20 novembre.

— Degenne.

Guilleminet père 4 décembre.

— Guilleminet fils 4 décembre.

11 — Guillet père.

— Guillet fils 24 février.

12 — Du Chalard de Charroux.

13 — Bellivier de Prin père ) c

, „ . », ( baumur

— Bellivier de Prin fils aîné > 0< , ,

„ „, . , _ . ». , \ 21 septembre.

— Bellivier de Prin fais cadet )

— Conneau-Desfontaines.

14 — de Blon.

— des Minières fils aîné. 14 septembre.

19 — des Gorces du Dorât, transféré à l'Evêchë

l'Evêchë 16 décembre.

20 — Carlet, cordonnier 25 septembre.

— Bouriat, apoticaire 7 novembre.

21 — Rousseau, médecin 15 décembre.

— Segris, marchand 21 septembre.

— Bonpierre, marchand 25 octobre.

— Hubert, procureur aux marchands.... 21 septembre. 21 — Limousin, cordonnier 15 décembre.

— Delestang de Furigny.

— Le Père Brunet Jésuite, transféré au

séminaire le 22 octobre.

23 — de Bridieu, de Vendeuvre

24 — de Tisseuil de Cerier, d'Availle

25 — Racopeau, tailleur, de Vendeuvre. ... 30 juillet. 29 — Laforest Dubois Clairet, de Montmorillon

Montmorillon octobre.

2 octobre Rouillon, maire de Gizay 16 novembre.

6 — Pierre Bouchet, d'Avanton, transféré à

la Visitation le 24 octobre.

8 — Puisferat, de Saint-Sulpice près le

Dorât 11 février.

— Mangin, paroisse de Sillars 20 février.

13 — Guyot, juge de paix de Jaunay....... 24 août.

— Barbotin, de Châtellerault 22 août.

14 — Guillemot, docteur ès-lois.

15 — Eléonore des Minières.


300 e RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

Dates d'entrées. Dates de sorties.

16 octobre Broquereau, verrier 19 octobre.

19 — Perrault, de Perigny.

— de Guillon 29 décembre.

— de Pertat 13 décembre.

— de Keating 24 octobre.

— de la Ferandière 21 décembre.

— Touchard, domestique de Mme de La

Faire 14 janvier.

21 — Boisnet de la Frémaudière.

27 — Nouveau, domestique de Mme de Pradelle

Pradelle mars.

5 novembre Delaunay, marchand fils cadet 15 novembre.

— de Vasselot, paroisse de Genouillé près

Civray 4 décembre.

— René Bureau 26 février.

6 — Pierre Crujon, de Clairvault... 12 novembre.

8 — Néron fils 29 novembre.

16 — Tribert, chanoine, transféré à la Visitation le.... :..- 24 janvier.

12 décembre Boutet du Rivaux cadet, transféré à

à Mirebeau le 24 février.

7 janvier Gueny de la Braudière, transféré aux

Incurables le 28 juin.

11 — Sabourin — 2 juin.

13 — Compaing de la Tour-Girard 26 février.

18 — Clergeau 2 juin.

— de Bridieu, mère.

— de Bridieu, fille aînée.

— La Messelière père 24 avril.

— La Messelière mère 24 avril,

— Frottier, fille aînée déférée aux Pénitentes.

Pénitentes. juillet.

— de la Cote.

— Julien.

— La Messelière, ursuline.

— La Messelière, trinitaire.

— Frottier, fils.

21 janvier Filleau mère.

— Annette, sa fille.

— Sicaud, femme de chambre 19 février.

22 — de Bridieu cadette. 24 — Marsault mère.

2 février de Montaiga.

3 — Dore, huissier 20 février.


PRISONS ET ÉVASIONS DE PRISONNIERS 301

Dates d'entrées. Dates desorties.

3 février Marsault fille 13 mai.

— Nachet 28 août.

9 — Clergeau, la mère 4 juin.

16 — Degenne fils, à la Visitation. 1erjuin.

. 23 — Desminière père, venue de la Visitation.

— Desminière fille aînée, venue des Pénitentes.

Pénitentes.

15 mars Pallu de Bourgneuf, venu de la Visitation.

Visitation.

18 — de Bridieu, fils.

25 — Babaud de Chaumont 12 avril.

— Guimard 22 —

— Pertat ) ,. „„

_ . , ! reincarceres 22 —

— Bounat )

26 — Boutet-Durivault.

— Brunet, fille aînée.

27 — Chrétien 22 —

— Dupond, marchand 12 —

— Geoffroy le jeune, avoué 25 août.

28 — . Bompierre, marchand , 15 avril.

— Bâillon mère. • 18 juillet.

— Montaigu (la mère).

— Alexandrine Montaigu. - Montaigu.

— Charlotte Montaigu.

29 — Pertat, épouse de M. Pertat.

— Bruneval, prêtre, transféré à la Visitation

Visitation juin.

— Sa fille aînée (doit se rapporter à Pertat

Pertat Bruneval paraissant avoir été ajouté après coup.

— Sa fille cadette. id.

— Son fils. id.

le' avril Victoire .Montaigu 1er août.

— Amelin fils 12 avril.

■— Pouyat, de Limoges, transféré aux

Hospices 13 —

9 — Savaye 13 juin.

12 — Rousseau l'aîné

— Rousseau 3e 24 avril.

18 — Jennes père.

— Bruneval fille 13 mai.

Sa gouvernante 13 —


302 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

Dates d'entrées. Dates de sorties

21 avril Bourriaud, mère 12 juin.

— Chocquin, mère.

— Chocquin, fille aînée. 21 avril Chocquin, fils cadet.

— Chocquin, fils 3e.

— Furigny, mère. 23 avril Thudert, mère.

— Adèle Thudert.

— Louise Thudert.

— Liniers Thudert.

— Maury, fille de chambre.

— de Fontenelle.

26 avril du Chalard, fille aînée.

28 avril La Challerie 2" 11 mai. .

2 mai Tranchand, femme.

4 mai Bréchet 21 mai.

12 mai Durieu, Américaine.

13 mai Morillon du Bellai 15 mai.

— Adélaïde du Bellai 15 mai.

— Meslier, père.

— Meslier, mère. •

— Leur fille de chambre 20 juin.

25 mai Grillaud, transféré à Yversay 28 juin.

31 mai Coullaud, fils aîné. 24 août.

— Degennes, fille aîné

— Degennes, fille cadette.

2 juin Boismorand, mère.

— Boismorand, fille

— Pindray, fille cadette.

3 juin Limousin, prêtre....- 24 juillet.

— Chevalier 3e , 25 juillet.

— Creuzé, mère 24 juillet.

— Friau (?) dit Mathias _—

— Fournet-Fredinière —

— Gelin —

— La Poupardière.....'... —

— de Cressac-Lajary —

— Preville —

— Faulcon —

— Bertaud '■—

— Aubin —

— Picoron —

— Nicolas le jeune —

— Juteau, domestique —


PRISONS ET ÉVASIONS DE PRISONNIERS 303

Dates d'entrées. Dates de sorties.

— ■ 24 juillet.

3 juin Pimodan —

— Guillaumeau — >»

— Brichet —

— Pindray père.

— Pindray mère.

— Pindray, fille aînée 21 — Tribert de Lusignan.

— Marsault de Lusignan.

24 juin Femme de chambre à Mme Meslin. 12 juillet.

28 juin Boinet-Fremaudière, femme.

— Marin de Meserays 30 août.

30 juin Guilleminet, libraire 30 août.

3 juillet Dutemps, femme.

■—■ de Genouille, fille.

— de Menou, femme.

— de Menou, fils.

— Gratieure, fille.

5 — Gai de la Brosse, prêtre, transféré à la

Visitation. 22 juillet.

6 — Dujacquelin, le jeune 31 août.

— Laurendeau 28 août.

7 — Demont la Millerie 3 septembre.

9 — Du Chastenier 27 août.

14 — Esnard.

17 — Bouthet-Richardière 31 août.

19 — Veuve Villefranche.

— Dubreuil, religieuse.

24 — Frère, de Lusignan 3 septembre.

25 — Bonnefond 31 août.

26 — Combour, mort le 20 août 20 août.

29 — Coullaud, femme veuve venue des Pénitentes 31 août.

7 août Coindon 24 août.

11 — Donadieu.

13 — Limousin, réincarcéré.

16 — Frion, réincarcéré.

19 — Beaulieu, ursuline.

20 — de Cressac, réincarcëré 5 septembre.

22 — Aubin, réincarcéré,,mort le 5 septembre. 5 septembre.

22 — Chassenon.

23 — Lauvergnat.

— Berloquin 31 août.

— Grillaud, rëincarcéré 28 août.

6 (?) sept. " Malteste, fils.



Deux prisonnières de la prison des Pénitentes de Poitiers

(1793-1794)

Peut-être ne sera-t-il pas superflu de faire intervenir ici le témoignage d'une dame de Céris, née de Savatte de Genouillé, incarcérée aux Pénitentes en 1793 et 1794.

Un très intelligent collectionneur Théophile de Coursac, au temps du Second Empire, eut l'idée de recueillir, parmi les vieillards de Poitiers, les souvenirs conservés de l'époque révolutionnaire. Beau-frère de M. Hilaire de Curzon, il a laissé quantité de papiers donnant les résultats de son enquête, et Mlle Louise de Curzon, sa nièce, aujourd'hui propriétaire de ces papiers, nous a permis d'en consulter un certain nombre. M. de Coursac n'avait pas seulement interrogé des gens de son monde, mais des domestiques, des gens du peuple, et il avait enquêté dans les hôpitaux, aux Incurables, à l'Hôpital Général, chez les Petites Soeurs des Pauvres.

Le 19 février 1859, Madame de Céris, âgée de quatrevingt-cinq ans, raconta qu'en 1793, étant encore jeune fille, et n'ayant que dix-neuf ans, elle fut arrêtée et incarcérée aux Pénitentes ; elle y entra peu de temps avant sa mère, Madame de Savatte de Genouillé (Marie-Thérèse-Eulalie), qui venait d'être accusée d'avoir caché chez elle un prêtre réfractaire, rue de Penthiè.vre, semble-t-il, et tout près de la rue du Collège. Bien qu'elles fussent dans la même prison, l'une et l'autre, il ne leur était pas permis de se voir, si ce

20


306 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

n'est tout à fait exceptionnellement ; mais quand elles redevinrent libres, la fille apprit tout ce qu'avait souffert la mère, si bien que le récit fait par elle, bien plus tard, àM. de Coursac, s'applique à la fois à l'une et à l'autre. .

En 1790 Mme dé Savatte était devenue veuve; elle avait alors quarante aiis, et avait trois enfants, deux garçons et une fille. Si jeunes que fussent ses fils, ils venaient d'émigrer, et en 1795, ils furent fusillés à Quiberon (1). Mère d'émigrés, Mme de Savatte ne pouvait qu'être suspecte ; et, en 1793, elle le fut d'autant plus qu'elle se montra, soit au château de Genouillé, soit à Poitiers même, une des femmes les plus acharnées à mener le combat contre l'interdiction du culte catholique. Tout naturellement, à Poitiers, sa maison fut signalée comme relevant du régime des « visites domiciliaires » ; si bien que la police fit, un jour, irruption chez elle. Or elle venait précisément d'y cacher un prêtre de Thouars, du nom de Pommier, sous une trappe, dans son grenier. Appréhendant de le voir aux mains de l'ennemi, elle lui avait fait parvenir un paquet de cordes, pour l'inviter à fuir, par une fenêtre ; mais les policiers déclarèrent vouloir démolir la maison plutôt que de laisser s'enfuir le prêtre qu'on venait, disaient-ils, de leur signaler. Le prêtre les entendit, et prit le parti de se livrer. Ayant refusé le serment à la Constitution civile et célébré, disait-on, la messe en Vendée, il fut poursuivi comme émigré-rentré, traduit devant le tribunal criminel de la Vienne, condamné à mort et exécuté le 22 pluviôse.

Vraisemblablement par suite ce fut donc vers la fin de pluviôse que Mme de Savatte fut incarcérée. Un singulier accueil lui fut fait, dit sa fille, par la femme de son geôlierchef, la femme Raguit. Cette gardienne redoutée, voyant que la prisonnière était de petite taille, l'aurait ainsi raillée

(1) Papiers de Coursac, témoignage de Mme de Céris. Cf. Arch. delà Vienne. Registres de formalité 3288-3290 (1791-1806). Tables de Baux.


PRISONNIÈRES DE LA PRISON DES PÉNITENTES 307

cyniquement : « En voilà une, aurait-elle dit, qui n'est pas grande, mais nous la raccourcirons encore. »

La malheureuse se vit conduire,, avec sa servante, en un des quatre cabanons du premier étage, que l'on réservait aux prisonnières les plus compromises ; la pièce était fort étroite, pas du tout aérée, et il était d'autant plus difficile d'y respirer, que la servante était « punaise », et exhalait une fétide odeur. Qu'on joigne à cela que Mme de Savatte se trouva sans linge de rechange. La Nation avait opéré la saisie de son linge, mais, dans sa prison, ne se préoccupa pas de lui en rendre. La Nation ne donnait qu'une chemise à chaque prisonnière. Point de serviettes d'ailleurs, bien que chez Mme de Savatte, on en eût saisi vingt-quatre douzaines. Ce fut d'ailleurs seulement en l'an VI que l'administration centrale de Poitiers attribua aux détenues jdes Pénitentes vingt-quatre draps, soixante chemises, et quelques serviettes. Les assignats qu'on avait trouvés sur Mme de Savatte furent naturellement saisis, trois cents livres, dit sa fille, six cents, reconnaît le greffier du tribunal criminel, le fameux Bobin. A plus forte raison, ses bijoux lui furent-ils enlevés (1).

Dans les cabanons résidèrent, comme Mme de Savatte, Mlle Gauffreau, Mlle La Coudre, la supérieure des Incurables, la soeur Avé, et, à un moment donné, la vicomtesse de Chasteignier avant sa condamnation pour accaparement de denrées. Les prisonnières des cabanons n'avaient droit de sortir que deux heures par jour, et sous la surveillance d'un geôlier qui parfois les malmenait. De retour chez elles, toute(1)

toute(1) de la Société des Antiquaires de l'Ouest, 1936 (2° bulletin), sur le rôle du greffier Pobin (H. Carré, Déception d'un représentant en mission, p. 34). Les attributions de Bobin lui permettaient de puiser dans la réserve de linge, de vêtements ou de denrées placée sous scellés ; et une citoyenne Maillon était gardienne du tout, « gardatiaire », disaiton. C'est cette femme que Mme de Céris accuse de s'être parée des bracelets de sa mère. Les bijoux n'étaient donc pas sous scellés.


308 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

fois, elles pouvaient échanger quelques mots, sur le seuil de leur porte.

On sait qu'en 1793, le vendredi saint, sur la place NotreDame, Mme de Savatte figura avec MUe Gauffreau et plusieurs autres, sur un échafaud, exposée aux regards du peuple, attachée à un poteau avec un écriteau à son nom, donnant les causes de sa condamnation (1).

La révolution de thermidor lui rendit la liberté ; et, devant la geôlière Raguit, qui lui avait prédit qu'elle serait décapitée, et qui changeait de ton, se félicitant de la mort de Robespierre, elle se contenta de sourire, et de dire ironiquement : « Il me semble bien- que je suis encore ici tout entière, avec ma tête. » D'après le récit de Mme de Céris, la réaction thermidorienne n'aurait pas été cependant pour sa mère, une époque de paix, car un jour elle courut un « grand danger ». Des « aigrefins » seraient venus la trouver, et, connaissant bien ses «opinions royalistes », lui auraient tendu ce piège: «Il n'y a plus à tortiller, dirent-ils, il faut se prononcer. Veux-tu la République, ou un Roi ? — Un Roi, fut sa réponse. — Le signerais-tu ? — Oui. » Et elle signa. Une dénonciation, nous dit Mme de Céris, fut aussitôt portée aux autorités. Mais une femme dont on disait souvent du mal, quelquefois du bien, en fut avertie et intervint. C'était, dit Mme de Céris, la « femme du Proconsul » de Poitiers. Ce Proconsul ne pouvait être qu'Ingrand, si puissant d'ailleurs, comme secrétaire du Comité de Sûreté générale, qu'il put faire casser les décisions du Représentant en mission, Chauvin-Hersant. La citoyenne Ingrand passa au Comité révolutionnaire, se fit remettre la dénonciation contre Mme de Savatte, et la déchira aussitôt :

« Vous voulez fonder la République, aurait-elle dit, et vous commettez de tels actes !» Mme de Savatte n'aurait

(1) Cf. A. Hamon, Un centenaire Poitevin. Mlle Gauffreau, héroïne de la Terreur (1755-1833), in-8°, Poitiers, 1933, p. 67 et suiv., et papiers de Coursac, IIIe registre


PRISONNIÈRES DE LA PRISON DES PÉNITENTES 309

connu le service rendu par la femme du « Proconsul » que cinq mois plus tard. Et Mm3de Céris conclut que, chez les pires révolutionnaires, il pouvait se relever de belles actions.

Moins tragique, et moins inquiétante, fut la déposition de Mme de Céris, en ce qui la concernait elle-même. Elle ne subit pas les mêmes épreuves que sa mère, et elle était bien jeune quand elle fut emprisonnée. Elle ne fut pas mise au secret comme Mme de Savatte ; elle ne fut pas logée dans un cabanon, avec une femme « punaise ». Deux gendarmes, sans doute, l'ont introduite aux Pénitentes, mais elle n'a pas eu affaire à une gardienne mettant sa gloire à lui débiter des railleries sinistres. Elle s'est vue introduite en une « chambrée », où travaillaient et causaient une douzaine de femmes dont quelques-unes lui étaient connues. Une demoiselle Hérault s'est précipitée pour lui serrer les mains, et l'a comblée d'amitiés. Toutes l'ont accueillie avec des sourires, comme si elles eussent été enchantées de la voir se joindre à leur société. Elles travaillaient autour d'une table, éclairées par « une seule chandelle » , et, comme il faisait froid, elles ne se réchauffaient qu'avec des chaufferettes sous leurs pieds.

Une dame demanda à M1Ie de Savatte si elle savait travailler. « Je sais filer », répondit-elle. On s'extasia ; on lui passa une quenouille, et elle fila. « On voulait, dit-elle, me rendre un double service, m'occuper pour me distraire, me procurer des ressources, me faire gagner un écu de papier, dont je pourrais avoir besoin pour vivre. »

Charmant accueil par conséquent à -la prisonnière de dix-neuf ans. Et, quand il s'agit de se coucher, on lui offrit un matelas sur lequel venait de mourir une épileptique ; mais aussitôt Mme des Landes s'écria ne pouvoir souffrir que, pour une première nuit passée en prison, la jeune fille s'é-


310 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

tendît sur un tel matelas, et elle apporta le sien à M1Ie de Savatte, qui dormit à côté d'une demoiselle Méchain et de Mmede Coral.

Il n'était sans doute qu'assez peu réjouissant d'être installée au-dessus des «filles de joie» qui logeaient au rez-dechaussée, et moins encore de les voir se précipiter au premier étage pour entendre le perroquet d'une dame Leclerc L'oiseau répétait tout ce qu'il entendait et notamment ce propos de Mme de Savatte : « Tout est cher. Mais qu'est-ce que cela fait, quand on n'a pas d'argent?» Par bonheur le perroquet se rendait compte que les « filles de joie»... n'étaient pas de société choisie, et quand il les voyait monter à son étage, il devenait muet. Dès lors, sa maîtresse n'avait plus qu'à dire: « Ce n'est pas moi qui lui tiens la langue. »

Quand Mme de Savatte fut condamnée à figurer au Pilori, avec Mlle Gauffreau et quelques autres femmes, sa fille supplia le président du tribunal criminel Maignien-Planier de lui permettre d'accompagner sa mère pour lui donner le courage d'affronter son humiliation ; l'ancien prêtre, qui se prétendait accessible aux prières des femmes, lui aurait répondu qu'en d'autres circonstances la jeune fille pourrait être « réservée » pour figurer « sur un plus grand théâtre ». Ce cruel président entendait parler d'un procès et d'une exécution possible à Paris même. Cette réponse fut répétée, si bien que des parents de la jeune fille, les de Boisgrollier, l'accréditèrent, et qu'aux Hospitalières on parla couramment d'un procès prochain de la jeune fille.

La mort ne lui devait pas venir de cette façon, mais, aux Pénitentes, elle s'en crut parfois menacée par un effroyable régime alimentaire. Le « pain d'égalité », le « pain légal », comme on disait, donnait la dysenterie à toutes les prisonnières ; et, pour comble de misère, elles en venaient parfois à le regretter, car on restait très bien un jour entier sans rien leur donner à manger. Leur boulanger faisait, il est vrai, du pain mangeable, mais le vendait des prix fous, et


PRISONNIÈRES DE LA PRISON DES PÉNITENTES 311

nombre de prisonnières étaient sans argent. Aussi bien Mme de Céris parla-t-elle plus tard, avec attendrissement, d'une geôlière qui eut, un jour, la bonté de lui donner trois petits pains délicieux ; elle les partagea avec ses compagnes, en les découpant en tout petits morceaux. Elle a dit aussi sa profonde reconnaissance envers une Radegonde Brigueil, ancienne servante de sa mère, qui, voyant celle-ci hors d'état de la nourrir, quitta la prison, pour aller faire des ménages en ville, gagner sa vie, et rapporter, de temps à autre, à Mme de Savatte, quelques gâteries pouvant lui rappeler le temps de sa liberté.

Il est surprenant que les captives ne fussent pas plus accablées par leurs misères qu'elles ne le furent en effet. Elles se préoccupaient de ce qui se passait en dehors de leur prison, du procès et de l'exécution du jeune Cuirblanc par exemple ; du procès retentissant de la vicomtesse de Chasteigner ; elles se rappelaient son séjour aux Pénitentes, la revoyaient, en esprit, « les mains tendues vers elles, à travers les barreaux de son cachot », comme si la malheureuse eût voulu les supplier de ne pas l'oublier en leurs prières.

Outre ces souvenirs, le témoignage de Mme de Céris évoque la curiosité et l'irritation de ses compagnes de captivité, voyant passer sous leurs fenêtres, rue Corne-de-Bouc, les «déesses» qui, les jours de fêtes nationales, presque nues sur leurs chars, se rendaient au parc de Blossac.

Il n'était pas jusqu'à des incidents imprévus qui pussent apporter du nouveau dans la déplorable existence des détenues. Un jour survint où parmi elles apparut le fameux abbé Coudrin, déguisé en gendarme, et clandestinement il reçut des confessions. Un autre jour, on leur raconta la visite d'un Mr Soyer chezMme de Moysin, rue des Juifs ; et ce fut, pour elles, merveille d'apprendre qu'il s'était « cherché lui-même » dans Poitiers, sans pouvoir se rencontrer.

Suivant son habitude il était sorti costumé en gendarme, et s'était croisé, dans la rue, avec une patrouille de gardes


312 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

nationaux; il avaitfdemandé au chef ce qu'ils cherchaient, et celui-ci ne le connaissant pas, avait répondu : « Nous cherchons Soyer. ». — « Ah ! vous cherchez Soyer, avait repris le prétendu gendarme, je vais me joindre à vous ; je ne serai pas de trop, pour vous aider à le trouver. » Et aussitôtja patrouille s'était remise en marche ; elle avait parcouru une grande partie de la ville, et, Soyer demeurant introuvable, le mauvais plaisant avait quitté là pah-ouille ; on était arrivé à la rue des Juifs, et il était entré chez Mme de Moysin pour conter son aventure. On devine de quelle joie furent saisies les détenues des Pénitentes, en apprenant jusqu'où pouvait descendre la candeur des Gardes nationaux.

N'est-ce pas ici le lieu de conclure, d'après un témoignage recueilli en février 1859, que l'esprit français de bonne humeur et de raillerie, même au temps de la Terreur, n'avait pas cessé de se manifester ? Et ne peut-on pas se représenter Mme de Céris, à soixante-cinq ans de l'aventure Soyer, se la rappelant, la raconter gaiement, et son enquêteur de Coursac s'évertuant à retenir tous les détails du récit.


Les Suspects et les Brigands royaux après le coup d'Etat de Fructidor

Vers la fin de l'an V, après le coup d'Etat du 18 fructidor, la lutte contre les forces subsistantes d'Ancien Régime devait reprendre vive et ardente, dans le département de la Vienne.De Paris, leMinistrede la Police Pierre-Jean-Marie Sotin de la Coindière l'encourageait (1), en appuyant les terroristes Planier et Bernazais (2); et, de Poitiers, elle était conduite par le Chef d'escadron de gendarmerie Gérome d'Anvers, par le capitaine du Petit de la Salle. Il s'agissait pour le Ministre et la Gendarmerie de mettre la main sur les prêtres condamnés à la déportation et continuant d'exercer le culte interdit,. de dissiper surtout le prestige d'un « Royalisme renaissant ».

Les prêtres, nous dit lé commissaireBonnefond, sont particulièrement encouragés et soutenus par les femmes. Il en est, parmi elles, dans le canton de Saint-Julien, qui vont dans les maisons, pour y exhiber « des images peintes de Sainte Radegonde », ou des « étoles » des prêtres ; elles

(1) Le 11 frimaire an IV, Sotin (1764-1810) écrivait aux Administrations centrales et municipales (Archives delà Vienne, L. 34) : « Les courriers, les voitures publiques, ne sont pas plus que le voyageur isolé à l'abri des attaques des Brigands réunis en troupes nombreuses et soumises à des chefs. Le plus souvent elles paraissent avoir pour principal objet le pillage des fonds du trésor national, l'enlèvement delà correspondance du gouvernement, et annoncent ainsi le dessein formé de paralyser son action. »

(2) V. Henri Carré, Mémoires de la Société des Antiquaires de l'Ouest, année 1935. Querelle de responsabilité entre Creuzé-Latouche et Planier, p. 198 et 199. Ou Recherches sur la- Révolution en Poitou, p. 68 et 69.


314 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

chantent des cantiques et soutiennent que depuis la disparition des «bons prêtres », tout le monde « court le loup garrou » (1). D'autres sont soupçonnées de cacher, chez elles, des «réfractaires », et s'exposent à voir leurs maisons cernées par les gendarmes, et fouillées même la nuit; Contre une mère d'émigrés, Mrae de Savatte de Genouillé, dès 1793, est lancé un mandat d'arrêt. Une visite domiciliaire fait découvrir chez elle un prêtre dissimulé dans une soupente, et elle est elle-même arrêtée (2).

Sur l'ordre de Guillaume d'Anvers, le 12 thermidor an VI, une visite domiciliaire s'effectue au château des Touches près Poitiers^ chez Mme de Caumont, la veuve d'un colonel guillotiné, l'amie d'un aide de camp du prince de Condé, Aymer de La Chevalerie (3). D'autres femmes sont poursuivies comme faisant passer de l'argent à des émigrés, la citoyenne de Beufvier de Poligny, et la femme de Louis Désiré de Beauregard, la femme de Moysin, et celle de François, René Thibaut de La Rochetulon (4), la femme de La Coussaye, qui, sous le nom de Siméon Echsteinsken, fait passer des lettres de change (5). Il n'est pas jusqu'à la veuve Fauchère, de la commune de Vendeuvre, qui ne soit inquiétée parce que, persuadée que l'Autriche et l'Angleterre seront victorieuses de la France, elle fait hisser sur sa maison une girouette portant ses armes, une couronne de marquis et des fleurs de lys. le22 floréal an VII (6).

Quant aux émigrés rentrés, il en est un, le citoyen Labussière, qui se voit condamné à mort, le 31 pluviôse an VI ; il est exécuté le même jour, et «ce terrible exemple de la

(1) Archives de la Vienne, L. 17 : 19 prairial an VI.

(2) Ibid., Papiers de Coursac. Témoignage de M'"" de Céris, février 1859.

(3) Ibid., L. 17 : 22 thermidor an VI ; L. 23, 4 ventôse an VII.

(4) Ibid., L. 23 : 4 ventôse an VII. L. 17, 13 floréal an VI ; L. 24, Paris, 7 fructidor an VI.

r (5) Ibid., L. 18, Poitiers, 12 thermidor an VII. ,- (6) Ibid., L. 18, Poitiers, ce 22 floréal an VII.


LES SUSPECTS ET LES BRIGANDS ROYAUX 315

justice nationale» ne paraît pas avoir fort ému le public (1). Le commissaire Bonnefond et le capitaine de La Salle craignaient cependant une émigration de Vendéens dans la Vienne; on venait d'arrêter le prévenu d'émigration Suyrot, et bien des gens appréhendaient qu'en ventôse, une foire amenât à Poitiers quantité d'étrangers, et déterminât des troubles (2) ; mais l'administration municipale écrivait à Bonnefond, le 28 ventôse, qu'elle ne redoutait rien; elle venait, disait-elle, de recevoir des renseignements de Vendée : le peuple, d'après elle, « s'y montrait dégoûté des prêtres, et ne portait plus d'intérêt aux nobles » ; chaque jour s'opéraient des arrestations, sans que le gros des habitants « eût l'air de s'en préoccuper». Les assemblées primaires s'ouvrirent d'ailleurs en germinal, et, pour l'élection de ses magistrats, le peuple se montrait assez insouciant. Quelques intrigants s'agitaient parmi les anarchistes, pour s'emparer des places, mais la grande majorité des citoyens témoignait du désir de voir la Constitution semaintenir ; ils étaient, en somme, généralement favorables aux Aristo-Directoriaux (3).

Le Ministre de la Police, Le Carlier, en floréal et en prairial, né cessa pas toutefois de témoigner encore de l'inquiétude au sujet des émigrés rentrés. Il fit arrêter Bonaventure Chabiel-Morière fils, dont le père affirmait cependant qu'il n'avait jamais émigré (4).

Le 4 prairial, il écrivit au commissaire du Directoire exécutif que l'Angleterre ne renonçait pas à manoeuvrer contre nous, et qu'il fallait toujours se défier des « fauteurs de Chouannerie», des « prévenus d'émigration, des prêtres et des vagabonds, ou malveillants de toute espèce », des

(1) Arch. de la Vienne, L. 35, 11 pluviôse an VI.

(2) Ibid., L. 17,.Poitiers, 28 ventôse an VI.

(3) Ibid., L. 35, 11 germinal an VI ; L. 17, 28 ventôse an VI.

(4) Ibid., L. 23, 23 floréal an VI.


316' RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

Arméniens, des Russes et des Maltais, non moins que des Anglais (1).

Le 27 messidor, le Ministre Bourguignon ne se montra pas moins alarmiste que Le Carlier, et, en thermidor, le tribunal de police correctionnelle de Poitiers ne fut pas indifférent aux arrestations d'étrangers et de vagabonds. Il semblerait en somme qu'en l'an VI, les Ministres de la Police étaient fort préoccupés de rechercher des émigrés rentrés et des prêtres « réfractaires », tandis que les pouvoirs locaux s'en désintéressaient plutôt.

La police générale prétendait poursuivre la Contre-révolution sous toutes ses formes. Le Ministre Sotin fit saisir partout où il le put les journaux, les pamphlets, les lettres suspectes de venir en aide aux ennemis de la Révolution. Dondeau et Le Carlier firent de même; ils ordonnèrent de saisir des livres que les marchands colportaient sur les marchés, et particulièrement la Journée du Chrétien (2). Us ne voulaient pas que les écoles privées devinssent des « foyers de séduction et de mensonge», et, pour combattre ce péril, ils exigeaient que ces écoles fussent «visitées au moins une fois par mois», qu'on y examinât «les livres élémentaires», qu'on y vérifiât si la Décade était religieusement observée (3). Le commissaire du district de Poitiers, Dassier, faisait connaître toutes ces dispositions aux messagers de Couhé, Civray, Mirebeau, Lencloître, Charroux, Gençay, et leur défendait de transporter journaux et tous écrits, quels qu'ils fussent (4).

Ce fut à propos des entreprises des Messageries que se produisirent d'ailleurs, dès l'an VI, et surtout en l'an VII, et au début de l'an VIII, les opérations contre-révolutionnaires que l'on considère d'ordinaire comme constituant les

(1) Arch. de la Vienne, L. 17, 4 prairial an VI, II prairial an V.

(2) Ibid., L. 17, 4 pluviôse an VI, 11 ventôse an VI.

(3) Ibid., L. 17, 11 ventôse an VI.

(4) Ibid., L. 17, 5 floréal an VI.


LES SUSPECTS ET LES BRIGANDS ROYAUX 317

origines du Brigandage en Poitou ; et voici l'une d'elles, telle que la décrit un procès-verbal rédigé par le brigadier de Couhé, Jacques Lanne, et par le gendarme Moreau, sur la déposition d'un citoyen Martin, courrier d'Espagne, venant de Paris, et se rendant à Bordeaux.

Dans la nuit du 8 au 9 brumaire an VI, le courrier fut arrêté entre Vivonne et les Minières, à une demi-lieue des Minières, par trois inconnus qui saisirent son cheval à la bride ; l'un deux lui mit, à lui-même, le pistolet sur la gorge ; les deux autres s'emparèrent des valeurs qu'il transportait : trente louis d'or de France, quatre quadruples d'Espagne, soixante-douze livres en écus, et trois montres en argent ; ils s'emparèrent aussi d'un porte-manteau contenant des vêtements et des papiers (1). Des gendarmes se rendirent aux Minières, et constatèrent que, chez les époux Moinet, trois hommes étaient arrivés, dans la nuit, de très grand matin, et avaient demandé à manger et à boire ; ils étaient restés là environ trois heures. La femme Moinet donna leur signalement. L'un portait une « veste d'un roux gris », un chapeau rond couvert de toile cirée, et il mesurait environ cinq pieds cinq à six pouces. La taille du second pouvait être de cinq pieds deux pouces, et il avait une veste bleue ; la veste du troisième était de même couleur, mais sa taille n'atteignait pas cinq pieds D'après le procès-verbal des gendarmes, et la déposition du courrier, les administrateurs de Vivonne avertirent aussitôt le commissaire du Directoire exécutif, et insistèrent sur ce fait que le courrier portait une dépêche annonçant à la cour d'Espagne comment la paix entre la' République française et l'Empereur venait d'être conclue ; ils ajoutaient que l'audace des Brigands allait grandissant, et que la nécessité d'établir une brigade à Vivonne s'imposait plus que jamais (2).

(1) Arch. de la Vienne, L. 17, 9 brumaire an VI, 11 brumaire an VI.

(2) Ibid., L. 17, Vivonne, 11 brumaire an.VI.


318 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

Mis au courant de l'événement, le Ministre de la Police, Sotin, s'empressa, de son côté, d'en tirer les conséquences. En une lettre aux Administrations centrales et aux municipalités de la Vienne, il fit ressortir que les attaques contre les voitures publiques faisaient partie d'un plan de pillage, organisé par un parti politique ; et ce parti, disait-il, se proposait à la fois de saisir les fonds de l'Etat, et de s'emparer de correspondances, qui lui permettraient de paralyser l'action de l'Etat. Il concluait qu'une intervention secrète des Anglais se manifestait, une fois de plus, dans l'organisation du Brigandage en France (1).

Quelques jours plus tard, le 13 nivôse, on racontait à Poitiers que des Brigands venaient de se « baraquer » dans la forêt de la Molleraie, que les voyageurs pouvaient, à toute heure, se voir attaqués sur la route, de Saint-Maixent à Parthenay ; que, dans les Deux-Sèvres, on commençait à faire des recherches et qu'on prenait des mesures de précaution et de défense, à Vouzailles, à Sanxay, à Lusignan, à Mo'ncontour (2).

Le 8 thermidor an VII, nouvelle arrestation de diligence, et, cette fois, de plus grande importance, car l'événement se produit en plein jour, à neuf heures du matin. Un citoyen Sureau raconte que, « marchant à bidet », il accompagnait la diligence, sur la grande route de Poitiers à Châtellerault, quand, arrivant à la forêt, sur la gauche, au lieu dit la Glandée, il vit tout à coup apparaître « plusieurs hommes masqués, bien montés, et armés jusqu'aux dents ». Ils débouchèrent des bois, se portèrent en avant de la voiture, commandèrent au postillon de quitter la route, et de les suivre sous bois, en un chemin de traverse, à trois cents pas de la route ; une fois là, ils se firent présenter « la feuille » du postillon. Us ne voulaient pas, dirent-ils,

(1) Voir L. 34, Paris, 11 frimaire an VI.

(2) Arch. de la Vienne, L. 17, 13 nivôse an VI.


LES SUSPECTS ET LES BRIGANDS ROYAUX 319

prendre l'argent des particuliers, mais seulement celui du Gouvernement. Les sommes dont ils s'emparèrent formèrent un total de cinquante-quatre mille francs, qui, en monnaie de nos jours, pourraient bien atteindre et dépasser sept cent mille francs (1).

Un procès-verbal de l'arrestation et des saisies a été donné par le citoyen Blanchard, juge de paix de Vouneuil, et comme tel, officier de police judiciaire du canton ; mais il sera surtout intéressant de citer des lettres du citoyen Bonnefond, commissaire du Directoire exécutif, adressées aux Ministres de la Guerre, de la Police et de l'Intérieur, dès le 11 thermidor. Voici ce qu'écrivait le commissaire : « La diligence de Bordeaux à Paris, partie de Poitiers à 5 heures du matin, a été arrêtée à 9 heures, dans la forêt de Châtellerault, et par douze brigands montés sur de beaux chevaux, armés de fusils, sabres et pistolets. Cette voiture contenait six voyageurs, à qui il n'a été fait aucun mal. Les Brigands se Contentèrent de prendre cinquante-quatre mille francs. Averti par des voyageurs, à 5 heures du soir, j'aide suite fait partir pour Mirebeau et Loudun, le lieutenant de la Garde nationale et trois gendarmes, avec ordre de mettre en mouvement les Colonnes mobiles des cantons de Mirebeau, Loudun, Saint-Genest, pour rechercher, ou arrêter, les auteurs du délit, mais nos mesures étaient trop tardives (2). »

Les signalements des Brigands furent établis, et montrèrent bien qu'on avait affaire à des hommes d'une certaine éducation, et disposant de ressources personnelles. C'étaient, en général, des gens assez jeunes, de vingt-cinq à trente ans, vêtus de redingotes, coiffés de chapeaux ronds, à haute forme, et portant des culottes garnies de cuir, avec bottines montant à mi-jambes.

(1) Arch. de la Vienne, L. 18, Châtellerault, 8 thermidor an VII.

(2) Ibid.; L. 18, Poitiers ce 11 thermidor an VII.


320 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

Dans une autre lettre du 8 thermidor anVII, lecommissaire Bonnefond déclare que le pillage de la diligence a jeté la consternation parmi les Administrateurs, mais qu'on est résolu à « tout employer » pour découvrir les auteurs du vol ; on croit déjà tenir, dit-il, « les fils du complot », grâce à la Gendarmerie et aux Colonnes mobiles. « Des renseignements précieux, continue Bonnefond, ont déjà été recueillis. Un détachement arrivé à Monts-sur-Guesnes, près Loudun, a interrogé des gens, chez qui, le jour du vol, des cavaliers étaient descendus pour se rafraîchir. Entre autres choses, on leur demanda s'ils avaient reconnu quelques-uns de ces individus. Ils répondirent avoir reconnu le comte de Beauvollier. Ils ajoutèrent que ces cavaliers firent un compte sur une porte, avec de la craie ; et d'après ce qu'on crut comprendre, il revenait à ces gens-là les deux tiers du tout, et à d'autres le surplus. »

« Ce Beauvollier est un émigré, un ci-devant noble qui a figuré comme Chef de bataillon dans la guerre de Vendée. Il est rentré dans le Loudunais où sont situées ses propriétés ; le traité de paix ne lui est pas applicable, et n'est relatif qu'aux habitants des pays insurgés... » L'inscription de Beauvollier sur une liste d'émigrés remonte d'ailleurs au mois de septembre 1792 (1).

Dans une lettre du 28 thermidor, le commissaire Bonnefond, s'adressant au Ministre de la Police générale, est particulièrement affirmatif sur le compte de Beauvollier, et sur plusieurs de ses complices ; il écrit en effet :

« Il est certain que le nommé Beauvollier était parmi les brigands du 8 thermidor. Des ordres étaient donnés pour l'arrêter mais il a échappé. On ne sait où il est à présent. Il est séparé de biens avec sa femme ; mais comme les meubles de la maison sont communs, l'Administration a

(l)Arch. de la Vienne, L. 18, Poitiers, 14. thermidor et 16 thermidor an VII, 22 et 28 thermidor an VII.


LES SUSPECTS ET LES BRIGANDS ROYAUX 321

ordonné le séquestre. On est à la recherche de plusieurs de ses amis, notamment du nommé Duverger, et d'un autre nommé Compaing dit de la Tour-Girard, domicilié dans la commune de Vendeuvre, canton de Neuville. »

Parmi les complices du comte de Beauvollier, on ne saurait omettre son beau-frère, le citoyen Brouilly, ex-employé de la Régie générale des Aides, ayant son domicile à BelleCave non loin de Loudun, dans le département de Maineet-Loire. Ce Brouilly, paraît-il, n'avait pas émigré, mais comme tous ses amis, tantôt se retirait à son domicile connu, tantôt chez des chefs de Chouans, en Vendée. Comme lui d'ailleurs s'agitaient encore, en thermidor an VII, un nommé Duverger, dit Macraigne, habitant la commune de Vicq, canton d'AIlones, département de Maineet-Loire ; c'était un petit homme « à larges narines » portant d'ordinaire une redingote verte (1).

Le 11 fructidor, d'autre part, le Ministre de l'Intérieur écrivait à Poitiers que, d'après des renseignements parvenus au Directoire exécutif, les administrations municipales de la Vienne étaient composées de telle sorte que « le Fanatisme et le Royalisme » y « conspiraient de concert », dans les «cantons ruraux» ; qu'il suffirait d'une étincelle pour que la Vienne devînt une seconde Vendée ; que lès Administrateurs, « loin de réprimer cette licence, l'excitaient par leur inertie », et peut-être par leur « connivence ». Le Ministre ajoutait qu'on lui signalait un citoyen Malecote de Bournais, président de l'administration municipale du canton de Curçay, comme ayant persécuté les Patriotes après le 9 thermidor ; il se faisait appeler « Monsieur », et donnait à ses chiens le nom de «citoyens » (2).

Trois jours après, Fouché intervenait à son tour (14 fructidor), excitait les Administrateurs du département à com(1)

com(1) détails sur les « brigands royaux » sont donnés dans une note datée du 22 thermidor an VII.

(2) Arch. de la Vienne, L. 21, Paris, Il fructidor an VII.

21


322 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

battre plus que jamais les prêtres réfractaires; les émigrés rentrés, les « embaucheurs » et les agents de l'Angleterre ; il parlait de faire mettre à la disposition de Poitiers, « un baril de poudre, à canon » ; et le Commandant de la garde nationale de Saint-Genest ordonnait une « fouille » dans la forêt de Scévolle, considérée comme le refuge des Brigands. La Gendarmerie et une Colonne mobile fouillèrent la forêt, mais assez inutilement ; quatre pelotons à cheval ne purent arrêter que deux individus (1). A Poitiers, toutefois, on arrêtait six jeunes gens suspects à l'auberge de VOie Rouge, près le Pont-Joubert, et il était démontré qu'ils s'y étaient réunis, pour passer en Vendée, où, disait-on, ils seraient commandés par Bouille. Des lettres attestaient la conspiration, dont deux étaient signées de Brumaud de Beauregard, ci-devant subdélégué. Le 19 fructidor, le brigadier, en résidence à la Tricherie, se transporta avec des gendarmes à la maison du Fou, canton de Vouneuil-sur-Vienne, y trouva les citoyens Labrousse, Verdillàc, Saint-Cernin, et demanda si le citoyen Beaurepaire était là ; on lui déclara ne l'avoir jamais vu; il examina scrupuleusement les passeports de ceux qu'il interrogea, sans rien découvrir de nouveau (2).

Le 26 fructidor, le Ministre de la Police écrit au commissaire Bonnefond qu'il voit avec peine comment les Contre-révolutionnaires les- plus en vue sont parvenus à s'échapper, et comment ils ont profité des lenteurs du juge de paix Beaufïîné ; il appellera, dit-il, l'attention du Ministre de la Justice sur la conduite de ce juge. Il recommande à Bonnefond de se concerter avec les chefs militaires pour déjouer tous les complots (3).

(1) Arch. de la Vienne, L. 18 ; procès-verbal de la « fouille )) effectuée le 20 fructidor an VII dans la forêt de Sévolle.

(2) lbid , L. 18, Poitiers, 6e jour complémentaire an VII.

(3) Voir Mémoires de la Société des Antiquaires, année 1935, p. 249, 250 et 251 ; et dans le tiré à part des Recherches sur la Révolution en Poitou, p. 121, 122 et 123.


LES SUSPECTS ET LES BRIGANDS ROYAUX 323

Les poursuites contre les gens compromis dans l'affaire du 8 thermidor, et les arrestations pratiquées à l'auberge de TOie ronge, paraissent s'être terminées en Maine-etLoire, où le commissaire du Directoire fit arrêter MacraigneDuverger (1) '; mais, presque aussitôt surgit une autre affaire de diligence.

Dans la nuit du 23 au 24 vendémiaire,, entre Vivonne et Croutelle, la diligence de Bordeaux à Paris fut arrêtée par quatorze ou quinze brigands, qui s'emparèrent de six mille francs réputés appartenir à la République. Prévenu vers une heure du matin, le commissaire de Poitiers fit marcher deux brigades de gendarmerie qu'il avait sous la main, et deux autres de Mirebeau (2) ; mais aussitôt le Ministre de la Police, Fouché, se demanda comment, aux portes de Poitiers, des hommes montés sur'de beaux chevaux, armés de carabines et de pistolets, avaient pu arriver juste à point de Vendée. Il se persuada qu'ils étaient déjà installés à Croutelle, chez des amis, et épiaient le passage de la voiture. Il était donc, à son avis, indispensable de procédera des visites domiciliaires à Croutelle (3).

Depuis longtemps d'ailleurs le commissaire central avait averti le capitaine de gendarmerie Gauthier, que des maisons de Croutelle étaient soupçonnées de prêter asile à des « Brigands royaux# » ; et Fouché signalait la maison de La Motte, occupée par la citoyenne Elise du Palais, celle du citoyen Forien, celle de Moulinet, de Mme de Beauregard ; il voulait que chacune fût cernée avant le jour par une forcé suffisante, et que, le jour venant, on pût s'en faire ouvrir les portes, et exécuter des recherches scrupuleuses , il faudrait aussi fouiller, disait-il, les cabarets, les auberges, et

(1) Arch. de la Vienne, L 18, Poitiers, 6e jour complémentaire an VII, L. 19, 3 vendémiaire an VIII. ".'■•.

(2) Ibid-, L. 18, Poitiers, 26 vendémiaire an VIII.

(3) Ibid., L. 19, Paris, 13 brumaire an VIII.


324 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

en particulier la maison du citoyen Robert de Beauchamp, située près de Vouneuil-sous-Biard, à la Fenêtre (1). ■

Le maréchal des logis de gendarmerie, Aug. Faulcon, et vingt hommes d'infanterie se rendent à la maison du Palais, vers une heure du matin, et la cernent. Le jour venu, huit hommes se présentent à la barrière, frappent et demandent la citoyenne Forien ; elle se présente, et les soldats visitent les chambres et réduits, sans rencontrer aucune personne étrangère. On se retourne contre la maison du citoyen Robert de Beauchamp, à qui on déclare vouloir la visiter ; et on n'y rencontre pas àme qui vive. De même dans les cabarets et auberges, pas un étranger. Mêmes opérations avec le lieutenant.de gendarmerie de Montmorillon, quatre gendarmes, et vingt hommes d'armes, chez la citoyenne Dulis, en exécution d'un réquisitoire du citoyen Bonnefond, commissaire du Directoire exécutif. A sept heures du matin, on réclame la citoyenne Dulis, et la perquisition n'aboutit à rien d'autre. Ou bien il y a illusion de la police, ou bien les conspirations ont avorté.à temps (2). Mais Fouché n'en demeure pas moins persuadé qu'un grand mouvement contrerévolutionnaire se prépare. Le 20 brumaire an VIII, deux jours après le fameux coup d'Etat, il écrit encore : « Depuis quelque temps les routes qui aboutissent à Nantes, Tours, Angers sont couvertes d'une foule extraordinaire de voyageurs. Des bateaux remplis de passagers se dirigent vers les mêmes points. Vont-ils rejoindre des Brigands ? Ceux qui sont sur les routes et dans les diligences ont des papiers permettant de circuler, mais ceux qui sont sur les bateaux échappent à la surveillance. Donnez aux postes, et à la Gendarmerie, des ordres précis, pour les divers embranchements du fleuve (3). »

Un mois après le coup d'Etat de Bonaparte surgit encore

(1) Arch. de la Vienne, L. 19, Poitiers, 18 brumaire an VIII.

(2) Ibid., L. 19, 19 brumaire an VIII.

(3) Ibid., L. 19, 20 brumaire an VIII.


LES SUSPECTS ET LES BRIGANDS ROYAUX 325

une attaque de diligence ; un orfèvre de la Rochelle, Pierre Mesnard, l'annonce au Préfet de la Vienne, comme s'étant effectuée le 19 frimaire, contre le courrier de Bordeaux à Paris, vers huit heures du matin. L'orfèvre avait pour cinq mille francs de matières d'or et d'argent dans la voiture. L'attaque avait été menée, à trois quarts de lieue de Poitiers, par sept individus bien montés, très probablement avertis que la voiture transportait quatre-vingt mille francs. Le commissaire Bonnefond écrivit au Ministre de la Police que ni le conducteur, ni l'inspecteur n'avaient demandé d'escorte pour unchargement aussi précieux. L'inspecteur averti de l'événement, dès cinq heures du matin, s'était rendu sur les lieux, sans en donner avis à qui que ce fût, si bien que lui Bonnefond et le capitaine de la Gendarmerie, n'en avaient été informés qu'indirectement, et les Brigands avaient eu le loisir d'échapper à toutes recherches et de gagner la Vendée. Bonnefond insista sur le signalement des sept brigands : ils étaient, disait-il, bien équipés ; leurs chevaux avaient même des brides à la hussarde, des selles à l'anglaise ; et leur commandant portait un manteau blanc et un chapeau à trois cornes. Ils avaient déclaré ne pas vouloir prendre l'argent des particuliers, mais celui du gouvernement, qui « leur appartenait à plus d'un titre». L'un d'eux appuyant la pointe de son sabre « sur l'estomac du conducteur », les autres s'étaient fait remettre les clefs des coffres, et avaient pris l'or et l'argent. On est tenté de se demander si l'inspecteur des diligences, et le postillon lui-même n'étaient pas quelque peu les complices des « Brigands royaux ». Mais, à coup sûr, personne ne doutait que la Gendarmerie fût insuffisante en nombre. Pouvait-elle à la fois surveiller les routes, escorter des voitures publiques partant à des heures différentes, et leur donner des escortes importantes ? tout au plus pouvait-elle former des escortes de trois ou quatre gendarmes, quand les Brigands arrivaient toujours plus nombreux (1).

(1) Arch. de la Vienne, L. 18, 19 frimaire an VII (Lettre du commis-


326 * RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

Trois jours après l'attentat du 19 frimaire, un singulier événement se produisit toutefois. La directrice de l'hôpital civil de Poitiers, la citoyenne Laurent, se présenta devant l'Administration centrale du Département, et déclara que, la veille, un inconnu, d'environ trente ans, et portant manteau blanc, était venu l'avertir qu'il avait déposé, « dans la boîte des orphelins », deux sacs d'argent. Elle ajouta qu'une personne respectable,, mais, ayant « de grandes raisons de garder l'incognito », lui avait dit que ces deux sacs provenaient du vol de la diligence, et que les voleurs prétendaient restituer, sans s'exposer à des « recherches ultérieures » (1).

Après cette déclaration de la citoyenne Laurent, l'administrateur Boncenne déposa sur le bureau une lettre reçue par lui la veille, et ainsi conçue : « Citoyens Administrateurs, par des motifs de probité et de justice, et, pour se mettre à,, l'abri de toutes recherches fâcheuses et inquiétantes, des personnes qui ne veulent pas être connues, viennent de déposer ce soir, 21 frimaire, deux paquets très intéressants, à la porte principale del'Hospice militaire, dans la boite destinée à recueillir les petits enfants, deux sacs de différente grosseur, provenant du vol fait tout récemment à la diligence pour Paris. » Des étiquettes donnaient les noms des particuliers à qui l'argent était destiné. Le citoyen Creuzé-Pascal se rendit à l'Hôpital, et la citoyenne Laurent lui présenta les sacs, pour qu'il en vérifiât le contenu. La pièce d'archives révélant ces faits est signée de quatre noms : J. Laurence, Boncenne, Creuzé-Pascal, Thibaudeau (2). Se sentant soupçonnée de complicité avec les voleurs de

saire près le département de la Vienne au Ministre de la Police générale).

(1) Arch. de la Vienne, L. 18, Poitiers, 22 frimaire an VIII (Intervention de la citoyenne Laurent, directrice de l'hôpital civiPde Poitiers).

(2) Ibid., L. 18, Poitiers, 22 frimaire an VIII (Déclaration du citoyen Boncenne).


LES SUSPECTS ET LES BRIGANDS ROYAUX 327

diligences, l'Administration générale des Messageries protesta, de Paris, dès le 25 frimaire, en accusant elle-même les autorités du département de ne pas prendre les mesures voulues pour « écraser » les Brigands ; et les Messageries répondirent par les arguments qui venaient à l'esprit de tout le monde : « Les gendarmes, dirent-elles, ne peuvent être partout, ni être continuellement en chemin. Les voitures publiques sont en plus grand nombre que jamais » ; les Brigands royaux sont favorisés par les lois, et savent bien quand les diligences sont sans protection. Toute la ligne qui fait la limite de notre département est presque sans troupes dans des postes qui sont infiniment faibles, et très éloignés les uns des autres (1).

On pourra conclure sur les origines du Brigandage dans la Vienne, vers la fin de nivôse an VIII, c'est-à-dire au début de janvier 1800, Fouché étant Ministre de la Police, et Cochon de Lapparent Préfet de la Vienne, que l'antagonisme subsistait entre le Ministère, les pouvoirs locaux, et l'organisation même des Messageries. Fouché soutenait qu'il aurait été facile d'approfondir les causes dételle ou telle arrestation de diligence, que les Brigands avaient dû trouver asile en "des maisons de Croutelle, ou des environs ; que les visites domiciliaires commandées par lui avaient été trop longtemps différées ; qu'on avait laissé aux. Brigands tout le temps voulu pour se soustraire aux recherches et aux châtiments qu'ils méritaient. Les Administrateurs répondaient,, le 12 pluviôse, avoir fait les plus grands efforts pour connaître les auteurs des arrestations de diligences, avoir fait imprimer et répandre tous les signalements qu'ils avaient pu recueillir ; ils avaient, disaient-ils, ordonné des « patrouilles » près de Ruffigny, mis en mouvement cent hommes pour battre les bois où se réfugiaient les brigands, en même temps que les conscrits déserteurs, et n'étaient pas cepen(1)

cepen(1) de la Vienne, L. 18, Paris, 25 brumaire an VIII.


328 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

dant parvenus à saisir les coupables. Ils rejetaient la responsabilité sur les conducteurs de diligences qui n'aimaient pas qu'on leur donnât 'des escortes. Les refusaient-ils par manie ? Etaient-ils d'accord avec certains Brigands ? D'ailleurs, disaient encore les Administrateurs, la pacification de la Vendée avait fait affluer dans le département de la Vienne un grand nombre d'amnistiés, qu'il fallait activement surveiller, ou de prêtres réfractaires que soutenaient en somme les populations rurales (1).

Le 6 germinal an VIII le commissaire Bonnefond fait remarquer que les voitures n'ont pas été pillées depuis qu'une Colonne mobile a été réorganisée, mais, parmi les conducteurs, c'est à qui se débarrassera des escortes et, chaque jour, Bonnefond reçoit des plaintes au sujet de l'insolence des conducteurs ; il en signale même un du nom de Pierre qui, le 3 germinal, a fait « un éclat » au sujet du détachement qui devait escorter sa voiture ; il affirmait ne pas transporter d'argent, et cependant il avait dans sa voiture une somme considérable, ce dont les Brigands étaient avertis. Son attitude le rendit suspect, et l'Administration des Messageries le rappela à Paris. Le Préfet Cochon de Lapparent, écrivant au commandant de la Colonne mobile, déclara prendre des mesures contre ceux des conducteurs qui se conduiraient comme ce citoyen Pierre et qu'ils seraient punis (2).

Il paraît même évident que les vols de diligences furent parfois préparés par des complicités du public. Reprenant l'idée de Béra, Bonnefond prétendait ne pouvoir vaincre le brigandage que si l'on mettait dès sommes considérables à sa disposition, mais l'Etat manquait d'argent. L'importance.

(1) Arch. de la Vienne, L. 18. Cf. Lettre de Fouché au commissaire du gouvernement du 27 nivôse an VIII et autres de nivôse ; lettre au Ministre de l'Intérieur du 12 pluviôse an VIII.

(2) Lettres de Bonnefond, germinal an VIII.


LES SUSPECTS ET LES BRIGANDS ROYAUX 329

des vols ne diminuait pas puisque, le 26 germinal, le directeur des Messageries de la Vienne, Thibaudeau fils, écrivit au Préfet qu'une diligence partie de Paris pour Poitiers, avait été, à une demi-lieue de Sainte-Maure, dépouillée de soixante-dix mille francs (1); et, le mois suivant, en floréal, au dire d'un commissaire, la femme de Georges Compaing de La Tour-Girard fut prévenue d'avoir « recelé » des gens qui, dans la forêt de Châtellerault, venaient de piller une diligence dans la nuit du 4 au 5.

Quoi qu'il en soit, dès l'année 1800, une guerre sans merci allait s'engager entre un gouvernement nouveau, le Consulat, et ce qu'on appelait le Brigandage. Elle devait délivrer la France de l'anarchie révolutionnaire, car le ministre de la Police Fouché rompit peu à peu tout lien avec les démagogues, fit de son ministère le principal pouvoir de l'Etat, devint aussi hostile aux Jacobins qu'il leur avait été dévoué ; et l'esprit public s'en rendit fort bien compte. Si, au fond des campagnes de l'Ouest, la terreur des Brigands était devenue assez puissante pour que personne n'osât plus avertir la police des méfaits dont tous souffraient ; si tout dénonciateur possible appréhendait d'être lui-même volé ou assassiné ; si, dans les tribunaux, il ne se trouvait plus de témoins pour accuser les coupables, plus de jurés pour reconnaître et punir les crimes, le temps vint enfin où le Ministre de la police put donner des ordres aux Préfets, faire de la Gendarmerie et 'des Colonnes mobiles une armée véritable, imposer ses volontés à l'administration des Messageries, mettre un terme aux arrestations de diligences, et, par

(1) Arch. d'IUe-et-Vilaine, L. 18, Poitiers, ce 26 germinal an VIII. (Lettre de Thibaudeau fils, Directeur des Messageries au préfet de la Vienne.)

(2) Ibid., L. 18, Châtellerault, 6 prairial an VIII (Commissaire du gouvernement près le tribunal correctionnel de Châtellerault au Préfet de la Vienne sur l'affaire de Marie-Marguerite Tubert femme de Georges Compain de La Tour-Girard).


330 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

la loi des Tribunaux criminels spéciaux, du 18 pluviôse an IX, faire peu à peu rentrer le pays dans l'ordre.

Les procès de Brigandage devinrent de moins en moins nombreux, mais ne se poursuivirent pas moins jusqu'à la fin de l'Empire.


Le Calendrier républicain

et les épisodes de l'an VI et de Fan VII

Si les gouvernements révolutionnaires, avec leur gendarmerie, leurs colonnes mobiles, leurs tribunaux électifs, et leurs prisons, ne sont pas parvenus à maintenir, en France, l'ordre et la sécurité, c'est qu'ils ont poursuivi des projets chimériques. Ayant prétendu, par des lois de Maximum, fixer eux-mêmes les prix des denrées, et ayant dû reconnaître leur impuissance à prendre la place des négociants, ils ont, avec leurs décrets sur le Calendrier républicain, tenté d'entraîner à leur suite, marchands et producteurs de denrées, persuadés qu'avec tous ces alliés ils anéantiraient à la fois tousles « despotismes », royal, nobiliaire, sacerdotal, et dans cette entreprise, leur échec fut très vite absolu.

Le Calendrier républicain remonte naturellement au 22 septembre 1792, c'est-à-dire à la proclamation de la République ; mais la crise étudiée ici n'apparaît, à vrai dire, qu'au temps du Directoire, après le coup d'Etat du 18 fructidor an V (4 septembre 1797). L'homme qui soutient alors le plus vivement dans l'Ouest le nouveau Calendrier est le Directeur Larevellière-Lépeaux (1), Vendéen, député de l'Anjou, intime ami du député de Châtellerault, Creuzé-Latouche (2). Les Ministres de l'Intérieur et de la Justice, Letourneux (3) et

(1) Larevellière-Lépeaux (Louis-Marie) est né à Montaigu (Vendée), en 1753, et mort à Paris en 1824.

(2) Creuzé-Latouche (Jacques-Antoine) est né à Châtellerault en 1749, et mort à Paris en 1800.

(3) Letourneux (François-Sébastien) est né à Saint-Julien de Concelles (Loire-Inférieure) en 1752. Barras, au tome III de ses Mémoires, p. 80, parle de lui comme d'un personnage assez ridicule.


332 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

Lambrecht (1), lui sont d'ailleurs subordonnés, et les lettres qu'ils écrivent aux Administrateurs de la Vienne révèlent à la fois les doctrines morales, politiques et religieuses du Gouvernement, celles, du moins, de Larevellière-Lépeaux, dont Barras disait ironiquement qu'il était le Pape de la Théophilanthropie.

Dès le 22 septembre 1792, la Convention nationale avait ordonné que tous les actes publics fussent datés de l'Ere nouvelle, l'Ere de la République. Le Comité de l'Instruction publique avait décidé de supprimer le Calendrier Grégorien, et chargé le mathématicien Romme (2) de rédiger un rapport à ce sujet. En octobre 1793 Romme lut ce rapport ; et Fabre d'Eglantine fut désigné pour combiner le Calendrier républicain. On y devait témoigner de la « régénération » des Français, y établir des divisions conformes à la Nature, leur donner des noms correspondant aux saisons. Partant des premiers jours de la République, les mois qui se succéderaient seraient ceux de vendémiaire, brumaire, frimaire ; puis viendraient les mois d'hiver, nivôse, pluviôse, ventôse ; avec le retour du printemps, ceux qui devraient leurs noms aux premiers produits du sol, germinal, floréal et prairial ; avec l'été viendraient les moissons de messidor, les grandes chaleurs de thermidor, les fruits de fructidor. Les noms des mois, croyait-on, se graveraient dans l'esprit du peuple avec les aspects de la Nature, et contribueraient à détruire les superstitions (3).

(1) Lambrecht (Charles-Joseph-Mathieu, comte de) est né à Saint-Trond (Belgique) en 1753, est cité par Barras, Mémoires,, t. III, p. 81 comme un très honnête homme.

(2) Romme (Charles-Gilbert) est né à Riom (Puy-de-Dôme) en 1750, et mort â Paris en 1795. Il aurait inventé le nouveau calendrier pour détruire lé Dimanche ; Taine, Des origines de la France contemporaine, t. IV, p. 110.

(3) Choix de rapports, opinions et discours prononcés à la tribune nationale depuis 1789 jusqu'à ce jour. Paris, Eymery, 1820, 23 vol. iu-8°, t. XIII, p. 83 et suiv. Les noms des mois sont ici ceux que propose Fabre


LE CALENDRIER RÉPUBLICAIN 333

Les mois d'ailleurs devaient se diviser d'après le système décimal. Il n'y aurait plus de semaines, mais trois « décades » par mois. Des noms nouveaux seraient. attribués aux jours : primidi, duodi, tridi, quartidi, quintidi, sextidi, septidi, octidi, nonidi, décadi. Il y aurait trente jours par mois, et cinq ou six jours complémentaires, les « sans-culottides », qui compléteraient l'année de 365 ou 366 jours. Les jours seraient divisés en dix heures, de minuit à minuit; la centième partie de l'heure prendrait le nom de « minute décimale » ; la centième partie de la minute, celui de « seconde décimale ». Puis disparaîtraient les noms des saints, pour faire place à des noms de plantes, de fleurs, de fruits, d'instruments agricoles. Ainsi se substitueraient aux « visions de l'ignorance » des « images précises », et une « année astronomique » correspondant à la réalité. Le Français « régénéré » jouirait enfin du bonheur que, dès ses premiers jours, la Révolution lui avait promis (1).

Dans son étude sur les Origines des Cultes révolutionnaires, Albert Mathiez a montré quelle fut, en 1789, la conception de l'Etat, chez beaucoup d'hommes cultivés. Ils ont cru que l'Etat les pouvait transformer par la Loi ; que la Loi serait, pour eux, un « instrument de bonheur » ; et les législateurs

d'Eglantine ; Romme en avait proposé qui auraient rappelé les grandes époques de la Révolution.

Fabre d'Eglantine (Philippe -François-Nazaire) est né à Limoux (Hérault) en 1755 et mort à Paris en 1794. Cf. Henri Welschinger, Les Almanachs de la Révolution, Appendice, p. 191 et suiv. Rapport au nom du Comité de l'Instruction publique.

(1) Choix de rapports, opinions et discours prononcés à la tribune nationale..., t. XIII, p. 84 à 98. Ici est reproduit le rapport de Fabre d'Eglantine, fait au nom de la commission chargée de la confection du calendrier, dans sa séance du troisième jour de la seconde année de la République.

Cf. Biographie universelle et portative des contemporains, des hommes vivants ou morts depuis 1788 jusqu'à nos jours, publiée sous la direction de MM. Rabbe, Vieilh de Boisjoli et Sainte-Preuve, Paris, Levrault et Strasbourg, 1834. V. art. Fabre d'Eglantine et Romme. V. aussi, Robinet, Dictionnaire historique et biographique de la Révolution et de l'Empire sur l'article Fabre d'Eglantine.


334: RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

ont souvent pris au sérieux leur rôle de distributeurs du bonheur public. Romme ne disait-il pas : « La Loi est la religion de l'Etat. La Loi est mon Dieu. Je n'en connais « point d'autre ». Comment le Calendrier républicain n'aurait-il pas été quelque chose comme un instrument de bonheur (1) ?

La Terreur est venue cependant et, par elle, l'esprit public a évolué dans les masses. On a commencé d'y douter que le bonheur pût être assuré par l'Etat. Mais des théoriciens et des savants n'en sont pas moins demeurés attachés au respect de la science et de l'Etat. Bien qu'en l'an III, en l'an IV et au début de l'an V, il se soit produit une reaction en faveur des prêtres et des émigrés, nombre de gens instruits ont continué de croire que les masses se pouvaient assujettir à la vénération et au culte de laLof. La RevellièreLépeauxfut un des plus ardents à proclamer cette opinion ; et cela nous amène à comprendre qu'il ait pu aider à chasser Carnot du Directoire. Il en était venu à ne voir en Carnot qu'un complice des prêtres. N'était-il pas d'ailleurs lui-même quelque chose comme le fondateur d'une religion, la religion décadaire, une religion d'Etat*! Barras le dédaignait pour sa naïveté et son chétif tempérament, mais le ménageait, en raison de son crédit auprès du Peuple de Paris. Le jour du coup d'Etatde fructidor, les Patriotes des faubourgs n'avaient-ils pas crié : « Vive Larevellière ! Il a sauvé la République (2) ! »

Quelques mois s'écoulent, et le Ministre de. l'Intérieur,

(1) Mathiez, La Théophilanthropie et le culte décadaire, 1796-1801, Paris.Alcan, 1903; in-8<>, p.!5et 24 (Calendrier républicain), p. 120, 130, 220 et 243. Les origines des cultes révolutionnaires, Paris, Rieder, in-8° (Conception de l'Etat, p. 17).

(2) Mathiez, La Théophilanthropie, p. 120 et 130.

Mémoires de Barras, Paris, Hachette, 4 vol. in-8°, 1895, t. III, p. 383.

Larevellière-Lépeaux aurait, d'autre part, été favorable à l'expédition d'Egypte que désapprouvait Barras, et il aurait eu avec Bonaparte de longs entretiens sur l'Egypte. Au dire de Barras il aurait eu l'espoir de porter en Afrique et en Asie son culte de la Théophilanthropie (V. Mémoires de Barras, t. III, p. 162). ,..'.■


LE'CALENDRIER RÉPUBLICAIN 335

Letourneux, expose aux Administrateurs de la Vienne quel parti se peut tirer du Calendrier républicain. Il leur écrit, le 20 pluviôse an VI, que si la masse des cultivateurs et des marchands, courant foires et marchés, se ralliait à ce Calendrier, elle empêcherait à jamais le retour des vieilleries et des. désordres d'Ancien régime. Le Calendrier républicain deviendrait « l'indispensable auxiliaire » de la République, et la fortifierait indéfiniment par l'agriculture et le commerce. Letourneux communiquait d'ailleurs aux municipalités de la Vienne un arrêté du 14 germinal relatif au Calendrier, et il espérait, disait-il, qu'elles seconderaient le Gouvernement dans la voie où il s'engageait. Il leur envoyait des tableaux où foires et marchés portaient des dénominations nouvelles, en regard des anciennes (1). Mais comment n'aurait-il pas ressenti quelques inquiétudes ? Sur les cinquante cantons du département, quatre se montraient contraires, dix-huit paraissaient favorables, vingt-Jhuit se réservaient.

Aussi bien une nouvelle lettre du Ministre, datée du 1er messidor an VI, parut-elle se proposer d'intimider les hésitants. A partir du 1er brumaire, dit-elle, tous les marchés du. département seront fixés de façon définitive, et, sous aucun prétexte, on n'y pourra rien changer. Il sera dès lors interdit de « faire des étalages » et d'avoir des « rendezvous de commerce » qui ne soient pas ceux fixés par le Gouvernement. Toute opposition envers les magistrats quand ils ordonneront de dissoudre un marché, toute désobéissance ou rébellion, entraîneront des poursuites conformément aux dispositions de la loi du 3 août 1791. Dans toute municipalité d'ailleurs, à côté de cinq administrateurs ayant pouvoir de rendre des arrêtés, il se trouvera un agent et un adjoint, personnellement responsables de l'exécution de la Loi (2). Le 29 messidor, le Ministre imposera d'ailleurs aux magistrats

(1) Arch. de la Vienne, L. 63, le 20 pluviôse an VI.

(2) Ibid., L. 63. Le 1er messidor an VI et le 29 messidor. V. les divers articles se rapportant aux foires et aux marchés.


336 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

de faire disparaître toutes institutions rappelant encore « le despotisme et l'erreur ».

N'est-il pas surprenant que le Ministre Letourneux ail eu assez peu de notions sur l'état d'esprit des cultivateurs ou des marchands, pour les juger capables d'admettre que jusqu'à leur époque on se soit trompé sur la façon de vendre ou d'acheter ? Et que toute résistance à une conception nouvelle des lois puisse leur être présentée comme une sorte de crime ? Hâtez-vous, leur dit Letourneux, de remplir le voeu de la Loi. Hâtez-vous de me retourner le tableau des marchés et des foires, tel qu'il a été combiné. Le Ministre insiste particulièrement sur les foires, et veut que dans le tableau qui en est dressé, soient indiquées les communes où les foires se tiennent, les jours de leur «tenue », l'Ere républicaine qui les établit, les noms des mois, les décades, le nombre des jours que les foires peuvent durer, les espèces de marchandises qui s'y débiteront. En fin de compte on se demande si tout cela se peut vraiment fixer dans l'esprit des acheteurs et des vendeurs.

Le citoyen Lambrecht, Ministre de la Justice, sera moins prolixe que son collègue de l'Intérieur ; mais il s'adressera quand même à tous les membres des tribunaux civils, criminels, correctionnels, aux juges de paix et à leurs assesseurs, aux commissaires adjoints des tribunaux. Il estimera que les gens de justice peuvent aussi bien saisir l'importance du Calendrier républicain que les administrateurs euxmêmes. Il estime impossible que ses subordonnés demeurent attachés à d'antiques erreurs et préjugés et se conduisent jamais en mauvais citoyens. Le 25 germinal an VI il leur dira même : « Vous êtes des juges à qui la confiance publique a remis le dépôt des Lois et vous maintiendrez religieusement les lois qui tendent à rappeler une époque glorieuse pour la France. Vous ne reconnaîtrez de jours de repos que ceux indiqués par le Calendrier républicain. Vous découragerez les menées antirépublicaines et ceux qui


LE CALENDRIER RÉPUBLICAIN 337

affectent de ne pas paraître aux séances tenues les jours solemnisés par l'Ancien calendrier, car ils voudraient, par leur absence, rendre illusoires les réunions de leur tribunal (1). » Le style de Lambrecht et de Letourneux n'est-il pas du même ton ? Mais, chez Lambrecht, il faut signaler la résistance de certains magistrats qui, étant électifs, s'affranchissent de leur subordination au Gouvernement.

Dans une lettre à l'Administration centrale de la Vienne, le Ministre de la Police, Sotin de La Coindière, fait naturellement l'éloge de l'arrêté du .Directoire exécutif, et s'indigne que des municipalités persévèrent dans leur « mauvaise volonté ». Il relève « l'erreur » où est tombé le canton de Saint-Léger-de-Montbrillais en choisissant un Décadi pour la tenue d'un marché ; le Décadi, dit-il, est le seul jour qui soit exclu des marchés. Dans l'esprit du Ministre, « l'erreur » est ici la violation pure et simple du Calendrier républicain, du régime décadaire lui-même, de la religion d'Etat qui repose sur lui. Les Décadis sont des jours de repos obligatoires, et, pour un ministre fructidorien, pour un théophilanthrope, comme Sotin, faire tenir un marché un jour de Décadi, ne peut être que scandaleux (2).

Par la force des choses, l'Administration centrale de la Vienne devait se conformer aux principes du Gouvernement ; et, dans une lettre aux administrations municipales, le 1erfloréal an VI. elle se déclara pour la « stricte exécution» du Calendrier républicain. Lui seul, affirma-t-elle, peut « extirper jusqu'aux dernières racines du régime royal, nobiliaire et sacerdotal » (4). Les Administrateurs poitevins mettent, comme on voit, leur orgueil à reproduire les expressions des Ministres, et ne désirent rien tant que pa(1)

pa(1) de la Vienne, L. 63. Le 29 germinal an VI.

(2) Ibid., L. 63. Le 5 brumaire an VI.

(3) Sotin (Pierre-Jean-Marie) est né à Nantes en 1764 etmort en 1810. Cf. passim les Mémoires de Mme de Chastenag, Paris, Pion, 1896, 2 vol. in-8°.

(4) Arch. de la Vienne, L. 63. Le 1er floréal an VI.

22


ÔÔO RECHERCHES SUR LA REVOLUTION EN POITOU

raître absolument d'accord avec eux. Espèrent-ils entraîner à leur suite les habitants des campagnes, les adapter aux institutions républicaines ? Espèrent-ils les amener à suspendre leurs travaux pour fêter, avec l'administration, les Décadis ? Espèrent-ils faire oublier les dimanches ? Les registres de délibérations municipales de divers cantons portent parfois la trace de leur adhésion aux principes du Gouvernement. Le 14 prairial, par exemple, le canton de Sanxay, sous la présidence du citoyen Cherier, proclame la nécessité de se conformer à l'arrêté du 14 germinal précédent, c'est-à-dire d'appliquer « strictement » le calendrier républicain. Les formules de réprobation contre rois, nobles et prêtres, reparaissent d'ailleurs une fois de plus. L'administration de Sanxay rédige un arrêté en dix articles, sur ses marchés au blé, aux volailles et aux porcs ; elle établit qu'ily aura marché à Curzay tous les Quintidis de chaque Décade ; elle décide comment les bouchers présenteront leurs grosses pièces de bétail, la veille du jour où ils devront les abattre, et comment il les « marqueront» ; on se conformera, dit-on, à Sanxay et à Curzay, à tous les règlements établis, soit pour « les lieux de rassemblement » des marchés, soit pour « l'aisance des marchandises » ; et partout on fera le possible pour éviter « l'encombrement » (1).

De même à Saint-Savin, le 8 floréal an VI. Il est établi, par délibération, que rien ne se pourra vendre, si ce n'est aux jours fixés par le nouveau calendrier. « Tout individu » dit un article du règlement, « qui apportera des marchandises, en dehors des jours de marchés, sera poursuivi conformément à l'article 609 du code des délits et des peines » (2).

Un commissaire du pouvoir exécutif de Saint-Léger-deMontbiïllais, voulant témoigner de son zèle, écrit même

(1) Arch. de la Vienne, L. 63. Le 14 prairial an VI. (Extrait du registre des délibérations.) V. les dix articles de Sanxay.

(2) Ibid., L. 63. Le 8 floréal an VI.


LE CALENDRIER RÉPUBLICAIN 339

au Commissaire de l'Administration départementale, le 11 floréal, cette lettre singulière : « Citoyen, je me suis transporté, avec mon administration, sur la place où s'exposent les comestibles et autres marchandises. L'arrêté du Directoire sur le Calendrier républicain y a été proclamé. J'ai parlé aux habitants de la campagne le langage des principes constitutionnels, et j'ai tout lieu de croire avoir été bien accueilli.

« L'Administration a soumis l'arrêté sur le marché pour qu'il ait une force de plus, étant revêtu de l'approbation supérieure.

« Je ne dois pas cependant vous laisser ignorer certains moyens que des gens du canton emploient pour se consoler delà perte d'un régime qui leur "est encore cher. Ils insinuent au peuple que l'arrêté sur les marchés est l'ouvrage de quelques fonctionnaires, qu'ils désignent ; mais l'Administration demeure souveraine, et elle saura imposer l'amour sacré de la Constitution et des Lois (1). »

En l'an VI, les foires de Poitiers paraissent avoir été assez prospères. Celle du 21 nivôse amène en effet « sur les Cours» quinze cents chevaux ou juments de selle ou de trait, deux cents poulains, deux cents mules ou mulets, dont beaucoup sont assez forts ; et, de plus, trois cents paires de boeufs, cinquante vaches, quarante veaux, quatre cents bêtes asines, cinq cents porcs, gros ou petits, et mille moutons ou brebis. En un temps où les cuirs sont encore très rares, et où l'on sort à peine d'une « disette de cuirs », peut-être aussi grave que celle des blés, arrivent cependant à la foire de nivôse, tous les produits des tanneries de Parthenay ou de Lavausseau. Bien d'autres marchandises s'y peuvent encore acheter : des draps, des soieries, des étoffes de coton ou de laine, des mousselines venues de diverses manufactures de la République, de la bijouterie enfin, et

(1) Arch. de la Vienne, t. 63. Le 11 floréal an VI.


340 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

de la quincaillerie apportées de Belgique ou de SaintEtienne. Nombre de négociants d'ailleurs rêvent alors de voir les foires de Poitiers s'accroître et, « tenir jusqu'à huit jours de suite », aussi bien que celle d'Angoulême, de Rochefort, de Niort, de Tours ou d'Angers (1),

Outre les foires de Poitiers, celles de Châtellerault attirent encore, dans la Vienne, car elles y sont, dit-on, « d'un intérêt majeur ». Châtellerault passe pour être la seule ville où, de dix lieues à la ronde, on puisse bien échanger des « boeufs propres au labourage » ; où les étrangers puis' sent « amener des boeufs pour l'engrais ». Il y vient enfin des « élèves » de toute espèce de bestiaux (2).

Nombre de foires sont encore assez renommées : celles de la Trimouille attirent par exemple par leurs porcs ; celles de Lusignan, Neuville, Vivonne, Saint-Genest, Moncontour, Vouzailles, Lésigny, La Roche-Posay, Pleumartin, voient accourir beaucoup de marchands. Il y a une sorte de rivalité entre Pleumartin et La Roche-Posay ; et Lésigny, pour deux raisons, prend position contre Pleumartin. Lésigny évoque le souvenir des criminels exploits du ci-devant Marquis de Pleumartin, qui aurait naguère dépouillé La Roche-Posay au profit de son canton à lui. La RochePosay. disait-on d'ailleurs, est bien mieux placée pour les échanges que Pleumartin ; elle communique facilement sur la Creuse, avec La Haye qui elle-même, par ce cours d'eau, tient la route où se transportent les blés, vers Tours, Angers et Nantes (3). Mais le Gouvernement ne s'arrête pas, semble-t-il, à ces détails ; il demeure surtout préoccupé du parti à tirer de sa victoire de « fructidor », et ne rêve que d'en(1)

d'en(1) de la Vienne, L. 63. Le 29 floréal an VI. V. Le Tableau général des Foires (Extrait des registres de délibérations de l'Administration centrale du département de la Vienne signé Creuzé-Pascal.)

(2) Pour les foires de Châtellerault, v. la pièce du 17 ventôse.

(3) Ibid., L. 63. V. encore le 17 ventôse an VI. V. surtout la lettre du commissaire de Lésigny datée du 9 brumaire an VII au commissaire de l'administration centrale à propos de l'administration des marchés.


LE CALENDRIER RÉPUBLICAIN 341

rôler sous la bannière du Calendrier républicain, tous les cultivateurs et les marchands.

Bien dés obstacles toutefois se vont opposer à ses projets (1). Il s'est d'abord trouvé aux prises, et sans l'avoir prévu, avec nombre de cabaretiers. Pour ces derniers il était d'usage de recevoir chez eux des marchands, de faire vendre chez eux, et de vendre eux-mêmes, au nom de leurs clients. C'était violer l'arrêté du Directoire qui voulait que les marchandises fussent exposées sur les places des marchés. Nombre de contestations s'élevèrent donc de la part des cabaretiers, et même de la part d'épiciers, de marchands de toiles, de bouchers (2) ; et tous ceux-ci se virent secondés par des gens qui prétendirent protéger tel ou tel. D'autres difficultés s'élevèrent et de bien plus graves, à propos des dates des marchés. L'arrêté du Directoire du 14 germinal établissait que dans la commune de Pleumartin les marchés seraient fixés au Quintidi de chaque décade, tandis que, sous le régime du Calendrier grégorien, ils s'étaient tenus le mercredi : et les marchands s'obstinaient à maintenir le jour ancien ; ils déclaraient aux paysans qu'ils y reviendraient, et nombre d'hommes et de femmes arrivaient à leur appel le mercredi et non le quintidi (3). D'où querelles et bagarres entre l'autorité et les gens qui, « de bonne ou de mauvaise foi », disaient s'être trompés. Agents et Adjoints étaient d'ailleurs aussitôt débordés par la foule.

(1) Il est utile de comparer d'abord les deux calendriers, l'ancien et le nouveau. Les archives de la Vienne possèdent, à ce sujet, la Correspondance générale du Calendrier républicain et grégorien depuis l'an Ier jusqu'à la fin de l'an W de la République, ou à dater du 22 septembre 1792 jusqu'au 23 septembre 1831. A Avignon chez Chaillot jeune imprimeur libraire, place du Palais, 1811, in-12.

(2) Arch. de la Vienne, L. 63. Le 23 floréal an VI. Délibération du canton de Monts, de Saint-Léger-Montbrillais, et le 11 prairial an VI. (Lettre du commissaire de l'administration municipale de Pleumartin au commissaire près l'administration centrale de Poitiers.)

(3) Ibid., L. 63. Extrait du registre de l'administration municipale de Pleumartin, séance du 15 prairial an VI.


342 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

Voici que, le 18 prairial an VI, par exemple, le commissaire de Pleumartin est averti que des coquetiers font savoir aux femmes de campagne qu'elles peuvent les venir trouver au marché, le mercredi, et il est d'abord tenté de n'en rien croire ; il avertit cependant la gendarmerie de Châtellerault, et aussi l'agent et l'adjoint ; puis, le mercredi, de bon matin, il se rend au marché et y constate aussitôt qu'il y a «rassemblement», bien qu'il ne voie ni gendarme, ni agent, ni adjoint, tout convoqués qu'ils soient. Peut-être d'ailleurs, se dit-il, sont-ils en retard ? Mais de tous côtés arrivent des femmes portant des paniers remplis d'oeufs, de fromages, de poulets. Il explique à ces femmes que les marchés ne se tiehnent plus le jour ancien, le mercredi, mais le quintidi de chaque «décade » ; que tout « rassemblement », un autre jour, est « contraire à la Loi » ; et les Administrateurs qui sont venus le rejoindre somment tout le monde de se retirer sur-le-champ. Les femmes comprennent-elles ? Probablement, mais beaucoup semblent scandalisées.

Chose étrange, les Administrateurs se retirent, dans l'espoir, disent-ils, que les citoyens raisonnables parviendront à «dissiper l'attroupement». Inexplicable faiblesseJ La citoyenne Brouillard, marchande de boucherie, demeurant en la commune de Posay-le-Vieil, et le citoyen Poisson, marchand de tabac à Vicq, n'en étalent pas moins leurs marchandises sur des bancs et des tables, à la porte du citoyen Penin, cabaretier, et ils se disposent à vendre ; ils ne tiennent aucun compte de l'administration municipale, et se moquent delà Loi (1).

Les administrateurs de Pleumartin ont d'ailleurs euxmêmes expliqué comment se termina l'illégal marché : « Nous voulions, ont-ils dit, déclarer procès-verbal ; et, sur environ

(1) Arch. de la Vienne, L. 63.

Grande affaire de Pleumartin exposée dans un long procès-verbal du 18 prairial an VI signé par l'agent Degenne, l'adjoint Plaissant et par le citoyen Hérault, commissaire du Directoire exécutif.


LE CALENDRIER RÉPUBLICAIN 343

les neuf heures du matin, remarquant que malgré nos défenses, le marché paraissait tenir, et l'attroupement se grossir, en conséquence, revêtus de nos écharpes, nous nous sommes présentés de nouveau au rassemblement, ayant avec nous le commissaire du Directoire exécutif près l'administration du canton, portant la parole. Il leur demanda pourquoi ils continuaient, avec obstination, leur rassemblement. Alors le nommé Macou, coquetier demeurant à Montbernage, faubourg de Poitiers, finissait d'étaler ; il était entouré de femmes qui lui présentaient leurs denrées, et il nous dit qu'à Poitiers et ailleurs les marchés se tenaient tous les jours, et qu'il était venu pour acheter. On le somme de se retirer. Il continue obstinément ses emplettes, et paraît mépriser nos sommations. Nous lui déclarons que nous allons dresser procès-verbal des faits. »

Or tout à coup on entend dire que d'autres coquetiers de Poitiers sont arrivés, qu'ils ont établi un marché à l'entrée de la forêt, et que les Administrateurs peuvent s'y rem dre. Ils s'y rendent en effet, armés de fusils, et autres armes défensives, afin d'en imposer à la malveillance. En approchant du lieu appelé les Thibaudières ils aperçoivent en effet des citoyens et des citoyennes qui, à leur approche, se dispersent, les uns avec dès paniers vides, les autres avec des paniers pleins.

Alors nouveau procès-verbal ; il est signé de l'agent Degenne, de l'adjoint Paissant, du commissaire du Directoire exécutif Hérault (1).

La faiblesse des administrateurs de canton, dans la Vienne, apparaît ici bien nette. Marchands et paysans se révoltent contre les nouvelles dates des marchés, qui bouleversent leurs habitudes, et dont peuvent souffrir leurs intérêts. Ils demeurent indifférents aux déclamations sur les merveilles que leur apportera le Calendrier républicain. Depuis des se^

(1) Arch. de la Vienne, L. 63 (18 prairial an VI).


344 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

maines d'ailleurs le Gouvernement sait ce qui se passe en France à ce sujet. Une lettre du Ministre de l'Intérieur le dit positivement. Le 19 brumaire an VII, Letourneux écrit en effet aux Administrations centrales : « Après avoir été le Calendrier de tous « les Français, le Calendrier républicain n'est presque plus, en ce moment, que celui des fonctionnaires publics. Il est entré dans les plans des ennemis de la République de renverser, l'une après l'autre, les institutions qui l'ont fondée ; le Calendrier républicain est une de celles qu'ils ont attaquée avec le plus de fureur » (1).

Et Letourneux s'indigne qu'on s'en prenne notamment à la longueur des Décades, qu'on trouve excessif d'exiger des artisans et des laboureurs neuf jours de travail de suite, avant d'atteindre un jour de repos. Il se scandalise que, pour la première fois, on relève cet inconvénient qui, avec les Décades, correspond au Calendrier du plus libre des peuples de l'Antiquité, le peuple d'Athènes. Ne devrait-on pas plutôt juger insupportable que, tous les cultes étant devenus libres, les prêtres de chacun ne placent pas leurs cérémonies les jours de Décadis, et ne demeure-t-il pas inadmissible que ces jours-là des boutiques s'ouvrent, tandis que d'autres se ferment (2) ?

Qu'adviendra-t-il d'ailleurs en l'an VII ? Le Calendrier républicain perdra le plus puissant appui qu'il ait trouvé dans le Gouvernement. Le 30 prairial an VII, en effet, Lareveillière-Lépeaux donnera sa démission du Directoire, et avec lui disparaîtra le plus solide appui de la religion décadaire et de son Calendrier.

De grands efforts toutefois ont été faits par le Directoire, pour mettre fin aux protestations du commerce et des agri(1)

agri(1) de la Vienne, L. 41. La lettre de Letourneux n'est pas adressée au seul département de la Vienne mais aux administrations centrales, quelles qu'elles soient, c'est-à-dire à toutes celles de France ( 19 brumaire an VII).

(2) Ibid., L. 41.


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culteurs contre l'organisation des marchés ; mais, par malheur, ces efforts ne tendaient à rien moins qu'à renouveler l'esprit public, ce qui ne pouvait aboutir à rien. Les Ministres et les administrations locales ont simplement offert à des marchands et à des producteurs de denrées, de se distraire de leur vie ordinaire par des fêtes politiques ou morales. Ils ont cru qu'une fête du 14 juillet, rappelant une grande époque de la Révolution, leur ferait oublier leurs soucis matériels, qu'il en serait de même d'une fête du 10 août, ou d'une fête commémorative des 9 et 10 thermidor (1).

Ni les Ministres ni les administrations locales ne pouvaient ignorer que, dans les campagnes, des masses catholiques fussent encore attachées auxsouvenirs de cérémonies et de fêtes religieuses, où les prêtres avaient naguère convoqué les habitants, au son des cloches; mais ils se persuadèrent que des cérémonies de décadis, des fêtes morales et républicaines, des fêtes «civiques» seraient, pour les paysans ou les marchands, d'un intérêt plus vif, plus passionnant que celles d'un passé déjà lointain et détesté. Aussi bien, dans la Vienne multipliait-on les démonstrations «civiques », comme si elles devaient, à coup sûr, porteries citoyens audessus d'eux-mêmes.

A Charroux, le 1er vendémiaire an V, c'est une fête de la Fondation de la République où le président Grandmaison prononce une harangue devant les autorités constituées, les fonctionnaires, et de rares habitants du canto.n (2). A Nouaillé, le 3 pluviôse an V, c'est devant un juge de paix et ses assesseurs, devant des fonctionnaires et des salariés, que le président jure, et invite à jurer, une haine éternelle à la Royauté (3). A Availles, le 13 prairial, une fête dite Na(1)

Na(1) de la Vienne, L. 41 (13 messidor an VI).

(2) Ibid., L. 41, le 10 messidor an V.

(3) Ibid., L. 41. Le 3 pluviôse an V.


346 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

tionale réunit dix grandes personnes et quelques enfants ; pas un campagnard n'est venu, car les campagnards, à cette date, sont retenus chez eux parle travail des champs (1). A La Trimouille, le 1er vendémiaire an VI, la fête sera plus brillante ; on y prêtera successivement le serment de haine à la Royauté et celui d'un inviolable attachement à la République et à la Constitution de l'an III ; puis on entendra une musique champêtre, et, sur la place du champ de foire, s'allumera un feu de joie (2). Quatre jours plus tard, à Vouneuil-sur-Vienne, on fêtera de nouveau la Fondation de la République, au pied d'un arbre de Liberté, et le procèsverbal de la cérémonie sera signé par l'agent, l'adjoint, le commissaire du Directoire exécutif et des juges du tribunal (3). Le 2 pluviôse an VI, à Croutelle, ce sera une occasion nouvelle de rappeler les abus de l'Ancien Régime, de prêter serment de haine à la royauté et aux deux castes nobiliaire ou sacerdotale (4). A Usson, le 30 ventôse, quelque chose de plus théâtral : douze vieillards connus par leur civisme, apparaissent au pied de l'autel de la Patrie ; l'un d'eux prononce un discours sur la Souverameté.du Peuple, et la cérémonie se termine par divers chants patriotiques (5). A Martaizé, le 2 pluviôse, à l'occasion de la mort de Louis XVI, et à Saint-Julien le 9 pluviôse, nouveaux serments de haine contre tout ce qui touche à l'Ancien Régime (6).

Beaucoup de monotonie, semble-t-il, en résumé, en des fêtes où cependant se détache parfois l'apothéose de l'agriculture. A Poitiers même la fête du 10 messidor an V a eu grand succès ; elle était présidée parle citoyen Bourbeau, et

(1) Arch. de la Vienne, L. 41. Le 10 prairial an V.

(2) Ibid., L. 41. Le 1" vendémiaire an VI.

(3) Ibid., L. 41. Le 1er vendémiaire an VI.

(4) Ibid., L. 41. Le 2 pluviôse an VI.

(5) Ibid., L. 41. Le 30 ventôse an VI.

(6) Ibid., L. 41. Le 2 pluviôse an VI.


LE CALENDRIER RÉPUBLICAIN 347

nombre de citoyens et citoyennes s'y étaient rendus autour des Corps constitués, place de la Liberté, au pied de l'autel de la Patrie ; ils y avaient applaudi des artistes et amateurs de musique, applaudi le citoyen Deméocq, un véritable cultivateur, quand il avait gravi les marches de l'autel, et débité sa harangue. Les Administrateurs, les Corps constitués, les Chefs de corps militaires étaient tous là, et la séance s'était terminée sur l'hymne fameux : « Veillons au salut de l'Empire (1). »

Le même jour, au canton de Charroux, autre fête de l'Agriculture (2). Le procès-verbal qui en fut rédigé nous montre que la plupart des cultivateurs y étaient accourus ; qu'un d'entre eux y parla avec quelque éloquence ; et que la fête se termina par une danse rustique. Le même jour encore, à Montmorillon, vingt-cinq laboureurs suivis de leurs familles et portant en main, soit des instruments de labourage, soit des gerbes de fleurs, provoquèrent l'admiration des Administrateurs, des fonctionnaires publics, du commissaire du Directoire exécutif (3).

Des événements imprévus et de grand retentissement amenèrent encore, en Poitou, de grands rassemblements. La mort subite de Hoche, à Wetzlar, a incité les Parisiens à organiser une pompe funèbre pour le 10 vendémiaire an VI, et Lareveillère-Lépeaux y a porté la parole, au champ de Mars. Comment Poitiers ne se serait-il pas ému de la disparition du vainqueur de Wissembourg et de Quiberon, de l'immortel pacificateur de la Vendée (4) ? Quand la nouvelle en parvint en Poitou, Letourneux n'était pas encore Ministre de l'Intérieur, et ce fut son prédécesseur François

(1) Arch. de la Vienne, L. 41. Le 10 messidor an VI.

(2) Ibid., L. 41. Le 10 messidor an VI.

(3) Ibid., L. 41. Le 10 messidor an VI.

(4) Le 10 vendémiaire an VI. Larevellière-Lépeaux prononce l'éloge funèbre de Hoche comme président du Directoire exécutif. Cf. Mémoires de Larevellière-Lépeaux, t. H, p. 180.


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de Neufchâteau, qui initia les corps municipaux à l'organisation d'une pompe funèbre. Dans une circulaire il leur exposa comment on élevait des pyramides et des colonnes funéraires, comment on disposait des urnes couronnées de cyprès et de lauriers ; il demanda aux maîtres de la jeunesse, aux professeurs, de vouloir bien reprendre le rôle des anciens «bardes » (1), et, le 30 vendémiaire, dès six heures du matin, retentit à Poitiers une salve d'artillerie ; à onze heures se rassembla, à la Maison commune, un cortège où figuraient les Tribunaux, l'Ecole centrale, le Lycée des Sciences et des Arts, l'Etat-major de la 21e division militaire. L'effigie de Hoche, portée sur un brancard par des Vétérans, suivait l'Etat-major; puis venaient les administrateurs de la ville et ceux du département ; un détachement de troupes fermait la marche, et les trompettes sonnaient. Dans la cathédrale, l'effigie de Hoche fut déposée sur une estrade, en face du Maître-Autel. Le sarcophage reposa sur quatre lions de bronze. Des bas-reliefs de bronze représentèrent les grandes scènes de la vie du mort. Un discours fut prononcé par le citoyen'Gibault, professeur de législation à l'Ecole centrale qui, au milieu de l'émotion générale, s'écria : « Peut-être l'âme du héros que nous pleurons erre-t-elle, en ce moment, parmi nous. S'il en était ainsi, la page, où je parle de la paix rendue à la Vendée, serait la plus belle fleur que nous pussions jeter sur cette tombe (2). »

On ne saurait négliger de rappeler que le canton de Monthoiron célébra, le même jour, la pompe funèbre de Hoche. Elle fut présidée par le citoyen Amirault qui donna lecture

(1) Mathiez, La Théophilanthropie et le culte décadaire, p. 192 et 445.

(2) Bibliothèque de Poitiers, Registres municipaux 205, 30 vendémiaire an VI. Recueil poitevin, in-8°, 86. Journal de Poitiers et du département, n» 45Cf.

45Cf. Les Fêtes et les chants de la Révolution française, Paris, 1908, Hachette, in-12, p. 241.


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du procès-verbal de la cérémonie du 10 vendémiaire présidée à Paris, au Champ-de-Mars, par Lareveillère-Lépeaux ; il fut écouté, dans le plus grand silence ; il éveilla la plus vive émotion, et ce fut au chant de la Marseillaise que se dispersèrent les assistants (1).

En l'an VII, le 20 prairial, devait être encore célébrée, à Poitiers, une fête funèbre dont le procès-verbal est conservé dans notre Bibliothèque municipale ; il retrace les honneurs rendus aux plénipotentiaires français assassinés à Rastadt, Roberjot etBonnier (2). Mais à cette date, quelques jours à peine nous séparent de la démission de Larevellière-Lépeaux, qui elle-même prépare le discrédit final du Calendrier républicain.

On pourrait encore signaler, pour mémoire, trente-cinq fêtes décadaires et morales, instituées par la Convention, et dont certaines furent célébrées dans la Vienne : la fête de la Reconnaissance, par exemple, du 18 prairial an V, à Poitiers (3), la fête de la Paix au canton d'Usson, le 3 nivôse an VI (4) ; les fêtes de la Vieillesse, de Y Age viril, de la Jeunesse, celle enfin du Désintéressement, si chaleureusement recommandée par le Ministre de l'Intérieur Letourneux, le 20 nivôse an VI(5). Ne dirait-on pas, à propos d'elle, que Letourneux ignorait l'égoïsme des hommes, ou se refusait à en constater la ténacité ? Il était bien d'un temps où, dans l'orgueil de leur science, les êtres cultivés se persuadaient que l'homme, naturellement bon, était sans cesse perfectible. Letourneux en venait à croire qu'on pouvait renouveler ou transformer des marchands ou des cultivateurs, leur inculquer le désintéressement ; en les déclarant égaux et libres,

(1) Arch. de la Vienne, L. 41. Le 30 vendémiaire an VI.

(2) Recueil poitevin, in-8°, t. LX. Procès-verbal de la fête funèbre en mémoire des plénipotentiaires français assassinés à Rastadt célébré le 20 prairial dans la commune de Poitiers.

(3) Arch. de la Vienne, L. 41. Le 3 nivôse an VI.

(4) Ibid., L. 41. Le 18 prairial an V.

(5) Ibid:, L. 41. Le 20 nivôse an VI.


350 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

n'allait-il jusqu'à leur enlever la liberté de s'élever au-dessus d'autrui ?

Viendra pourtant bientôt l'heure des désillusions, l'heure où les savants et les législateurs s'affranchiront des lois décadaires. Après avoir considéré les mois et les décades comme de fort utiles divisions du temps, la numération décimale des poids et mesures, comme pouvant s'accorder avec les décades, on en vint à constater qu'en présence des pendules et desmontres, ilyavait des risques de.complication ; et on appréhenda de laisser soupçonner chez les Français, l'ambition excessive de faire adopter leur Calendrier par tous les peuples de l'Univers. Une réaction se produisit avec le Consulat, et surtout avec l'Empire.

Le 13 fructidor an XIII (4 septembre 1803), le conseiller d'Etat Régnault, de Saint-Jean-d'Angély, expose au Sénat que, « parmi les établissements dont les avantages sont demeurés douteux, il n'en est point qui ait éprouvé de contradiction plus forte, de résistance plus opinâtre» que le Calendrier républicain. Il a été sans doute proposé au nom du Comité d'Instruction publique de la Convention nationale, mais il a été combattu par un Comité de géomètres et d'astronomes recruté dans l'Académie des Sciences. Son principal défaut a tout de suite apparu dans l'époque assignée pour le commencement de l'année. Il « contrariait d'ailleurs toutes les habitudes et tous les usages reçus » ; il n'en a pas fallu davantage pour le faire « rejeter par les nations rivales de la France, même par une partie de la nation française » (1).

Intervint enfin, le 22 fructidor an XIII, la commission spéciale du sénateur Laplace, membre de l'Institut et Ministre, tendant simplement à rétablir le Calendrier grégorien, à par(1)

par(1) des rapports, opinions^ et discours prononcés à la tribune nationale, t. XIX, p. 192 et suivantes. Motifs du projet de sénatus-consulte relatifs au changement de calendrier exposés au Sénat par M. le conseiller d'Etat Régnault (de Saint-Jean-d'Angély). Séance du 15 fructidor an XIII (2 septembre 1805).


LE CALENDRIER RÉPUBLICAIN 351

tir du 11 novembre suivant (1er janvier 1806). On y peut surtout signaler ces mots : « Le plus grand inconvénient du Calendrier français est l'embarras qu'il produit dans nos relations extérieures, en nous isolant au milieu de l'Europe ;. ce qui subsisterait toujours, car nous ne devons pas espérer que ce Calendrier soit jamais universellement admis. Son époque est uniquement relative à notre histoire. L'instant où une année commence est en outre placé d'une manière désavantageuse, en ce qu'il partage et répartit sur deux années différentes les mêmes opérations et les mêmes travaux. Il a les inconvénients qu'introduirait dans la vie civile le jour commençant à minuit, suivant l'usage des astronomes. Il a fallu des siècles, et toute l'influence de la religion, pour faire adopter le Calendrier grégorien. C'est cette universalité si désirable et si difficile à obtenir, qu'il importe de conserver lorsqu'elle est acquise (1). »

D'après toutes ces considérations, la commission spéciale au nom de laquelle parlait Laplace proposa donc l'adoption d'un sénatus-consulte mettant le Calendrier grégorien en usage dans tout l'Empire français.

(1) Choix des rapports, opinions et discours prononcés à la tribune nationale, p. 196 et suiv. Rapport au Sénat pour le rétablissement du Calendrier grégorien fait par M. Laplace au nom d'une commission spéciale, séance du 22 fructidor an XIII.



Tribunaux spéciaux et radiations d'émigrés

Si un ancien commandant vendéen, le comte de Beauvollier, prend part aux arrestations de diligences, dans la Vienne, et, comme on a vu, travaille pour la « Chouannerie », pourquoi nombre d'émigrés, rentrant en France n'estimeraient-ils pas devoir aussi faire oeuvre contre-révolutionnaire ? Et pourquoi le Ministre de la Police Fouché, n'appréhenderait-il pas de les voir préparer, contre lui, la guerre civile ? Ses lettres au Préfet de la Vienne ne le donnent-elles pas à entendre ? Le 5 floréal an VIII, il écrit en effet à Cochon de Lapparent : « J'ai la certitude que beaucoup d'Emigrés se disposent à rentrer, et que plusieurs mettent déjà le pied sur le sol de la République. Des hommes qui ont tenté d'assassiner la Patrie ne se souviennent-ils plus qu'il n'y a pas de pardon pour un pareil crime ? Faites• vous présenter, citoyen Préfet, les lois rendues contre les Emigrés (1). »

Ce n'est pas que Fouché soit vraiment opposé à tout pardon. Le 11 thermidor an VIII il admettra qu'on fasse parvenir aux Consuls des demandes de radiation sur listes d'émigrés ; mais ces demandes devront être soumises à l'examen d'une commission formée par le Ministre de la Justice ; elles parviendront au Ministre de la Police, par l'intermédiaire des Préfets et sous-préfets ; on n'y risquera pas de confusion de noms ; dans les préfectures se dresse(1)

dresse(1) de la Vienne, L. 21, 5 floréal an VIII.

23


354 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

ront des tableaux avec noms, prénoms, lieux et dates de naissance. Autant Fouché redoute d'y découvrir des erreurs, autant il veut que toutes pièces nécessaires y soient rassemblées. Sur les tableaux et dans les marges pourront s'inscrire des observations. On y lira la qualité de chaque individu avant 1789, et depuis la Révolution ; on y distinguera les ex-nobles et les ex-privilégiés ; on constatera quelle fut la conduite de chacun aux différentes époques de la Révolution. Tout y sera attesté par des commissaires de Directoires exécutifs. Et les instructions de Fouché au Préfet de la Vienne se terminent sur ces mots : « Je crois utile de vous faire remarquer que la discrétion est nécessaire j je vous demande précision, véracité, célérité (1). »

Par lettres au Préfet de la Vienne, nombre de maires déclarent qu'il n'y a pas eu d'émigrés dans leurs communes, mais des bandes de Brigands ne s'en recrutent pas moins de tous côtés, et le Consulat décide de les combattre avec acharnement. Le 5 pluviôse an IX la discussion s'ouvre au Tribunat sur la fameuse loi des Tribunaux criminels spéciaux. Le rapporteur Duveyrier déclare qu'il faut pourvoir à la répression de tout brigandage, des vols et assassinats sur les routes, et dans les campagnes, des rassemblements armés, des «. embauchages »,des incendies allumés par malveillance, de la fausse monnaie, et de tous les crimes enfin qui, par suite de l'inertie des autorités, demeurent impunis. Il n'y aura plus d'ailleurs de jurys, plus d'appels, plus de recours en cassation ; et toutes les peines, jusqu'à celle de mort, seront prononcées par six juges : trois juges de tribunaux criminels, et trois juges militaires, trois capitaines désignés par le gouvernement.

Benjamin Constant, Isnard, Daunou, Joseph Cheriier combattent le projet, mais il n'en passe pas moins au Tribunat

(1) Arch. de la Vienne, L. 21, 11 thermidor an VIII.


TRIBUNAUX SPÉCIAUX ET RADIATIONS D'ÉMIGRÉS 355

par quarante-neuf voix contre quarante et une, au Corps législatif par cent quatre-vingt-douze contre quatre-vingtdix-huit (1).

Dans son livre sur le Brigandage pendant la Révolution et dans le chapitre consacré aux Tribunaux spéciaux, M. Marcel Marion a cité treize départements de l'Ouest où ces Tribunaux auraient fonctionné, et il n'a pas cité le département de la Vienne (2). Il est vrai qu'en 1806 une pièce établit qu'il ne s'en serait pas encore organisé en ce département (3) ; mais en 1813, une autre pièce donne des noms de juges civils et déjuges militaires, avec leurs suppléments d'appointements (4), sans que l'on puisse découvrir toutefois qu'ils aient jugé aucun procès.

Ce qui intéresse, en tout cas, le département de la Vienne, c'est que, dans la célèbre affaire Clément de Ris, jugée à Tours et à Angers, par Tribunaux criminels spéciaux, en 1800 et 1801 (5), on ait eu à se prononcer sur deux inculpés se rattachant à l'histoire du Brigandage en Poitou ; et, chose singulière, ces inculpés prétendent tous deux porter le nom de Leclerc. Il en est un, Prosper Leclerc, que le Préfet de la Vienne qualifie de « Brigand redoutable par sa vigueur et son intrépidité » ; il le signale comme ayant pris part, le 8 thermidor an VII, au vol de la diligence de Bordeaux, sur la lisière de la forêt de Châtellerault ; et, deux

(1) Collection de rapports et d'opinions émises au Tribunal et au corps législatif aux sujet des Tribunaux spéciaux (Ex-libris de La Cuisine, exmagistrat au Parlement de Dijon. Collection paraît-il unique)

(2) Marcel Marion, Le brigandage pendant la Révolution, Paris, 1934, in-12, p. 292 et suiv.

Cf. Madelin, Fouché (1759-1820), Paris, 1900,in-8o, p. 308 et 324. Cf. Lanfrey, Histoire de Napoléon, t. II, p. 273 et suiv.

(3) Archives de la Vienne, M* 7, 30 janvier 1806.

(4) Ibid-, V1 approvisionnements 1813 (9 juin et 24 novembre).

(5) V. Charles Rinn. Un mystérieux enlèvement. L'affaire Clément de Ris (1800-1801) d'après documents inédits, Paris, 1810, passim.

Cf. Ernest Daudet. La police et les chouans sous le Consulat et VEmpire (1800-1815), in-12, Paris, Pion, 1895.


356 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

ans plus tard, ce Leclerc sera cependant acquitté de cette accusation, par un jury de Châtellerault. En l'an IX, toutefois, il est détenu en la prison de la Visitation de Poitiers, comme ayant participé à l'enlèvement du sénateur Clément de Ris. De sa prison, le 22 ventôse, il écrit au Préfet une lettre remarquable pour le ton et la forme, d'où il ressort qu'il est un homme cultivé, d'éducation peu commune, un véritable « Brigand royal » (1). Acquitté toutefois à Châtellerault pour le crime de l'an VII, il se voit réclamé, par le général Girardin, comme prévenu de délits dont la connaissance relève d'un tribunal militaire, et il passe en Maineet-Loire, sans qu'on sache ce qu'il est devenu (2).

Dans l'extraordinaire aventure de Clément de Ris, enlevé de son château de Beauvais, près Azay-sur-Cher, transporté dans un souterrain de la forêt de Loches par six individus portant costume de chasseurs, mis à rançon pour cinquante mille livres, voici que le Préfet de la Vienne, Cochon de Lapparent, signale tout à coup au Ministre de la Police un autre Leclerc dont les prénoms sont Charles-Marie ; et une. amie de la famille Clément de Ris, une dame Bruley, reconnaîtra le personnage comme ayant pris part au crime, car elle s'est trouvée au château de Beauvais le jour et à l'heure de « l'enlèvement». Cochon de Lapparent écrira d'ailleurs au Ministre : « Il résulte des pièces qui se trouvent dans notre préfecture que le 11 vendémiaire an IX a été arrêté à Poitiers un individu sous le nom de Charles-Marie Leclerc, suspect d'avoir participé à l'enlèvement du sénateur. Dans le passeport dont il était porteur il se disait « domicilié à Noyon, exercer la profession de domestique », être âgé de trente-cinq ans. Le Préfet ajoute le signalement dudit Leclerc : « Taille de 1 mètre 73, cheveux et sourcils châtains, yeux gris, nez gros, bouche grande, front couvert,

(1) Archives de la Vienne, M4 1, 22 vendémiaire an IX.

(2) Ibid., M* 2,11 et 22 vendémiaire an IX, 8 et 16 messidor an IX.


TRIBUNAUX SPÉCIAUX ET RADIATIONS D'ÉMIGRÉS 357 •

menton ovale, visage rouge, marqué de petite vérole, cicatrice au défaut de l'oeil gauche (1). »

Tandis que trois des six accusés vont être condamnés à mort et exécutés à Angers, les de Canchy, de Mauduisson et Gaudin, trois autres seront acquittés, Lemesnager, Aubereau et notre Leclerc. Mais Cochon de Lapparent tient Fouché au courant de tout ce qu'il apprend. Le détenu de Poitiers a avoué ne pas se nommer Leclerc et n'être pas de Noyon ; il se nomme Desmarets de Baurains et vient de la Gironde ; il a même avoué être un ancien émigré, et avoir servi dans l'armée de Condé. Tout naturellement Fouché fait prendre des renseignements à Noyon, le premier pays cité par notre Leclerc, comme pays d'origine ; et le maire de Noyon écrit à la préfecture de Poitiers qu'il connaît dans sa commune un ancien procureur du nom de Leclerc ; cet homme, dit-il, se désole d'avoir pour fils un « mauvais garçon » perdu de vices et de crimes, et il le voudrait voir chassé de France. La lettre subsiste aux Archives de la Vienne. Le Ministre Fouché, mis au courant, trouve là peut-être une occasion de frapper celui qu'ont épargné les tribunaux spéciaux ; il donne l'ordre, en tout cas, de le conduire à la frontière et de le déporter. Aux yeux de Fouché, c'est un « Chouan » et il mériterait la mort, comme émigré rentré (2).

Si, dans l'affaire Clément de Ris, la Vienne paraît, à première vue, n'avoir aucun intérêt à la répression du crime, son Préfet joue cependant un certain rôle ; et les faits exposés ici n'ont pas été toujours aperçus par ceux qui ont étudié le rôle des Tribunaux spéciaux de Tours et d'Angers ; peut-être n'a-t-on pas assez mis en lumière qu'en cette question de Brigandage, les « Chouans » se sont préoccupés pour leurs opérations futures de mettre à contribution un particulier riche

(1) Archives delà Vienne, M4 2.

(2) Ibid., W 2, 14 messidor an X, 22 pluviôse an X. Cf. Ch. Rinn, Affaire Clément de Ris, passim.


358 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

plutôt que de disputer l'argent de l'Etat aux escortes des diligences et aux Colonnes mobiles devenues les auxiliaires de la Gendarmerie...

Dans le département de la Vienne allait d'ailleurs être reprise avec les Emigrés la tactique déjà pratiquée avec les prêtres qui, déportés en Espagne, témoignèrent du désir de rentrer en France. De même qu'on avait exigé de ces derniers, une Promesse de fidélité à la République (1), on astreignit les émigrés qui n'avaient pas été rayés des listes d'émigration à faire Promesse de fidélité à la Constitution de Van VIII. Voici d'ailleurs le texte de cette Promesse, tel qu'il fut imposé au citoyen Savatte, dans l'arrondissement de Civray, et à beaucoup d'autres : « Aujourd'hui, 7 frimaire an IX de la République française, s'est présenté devant nous, souspréfet de Civray, Antoine Savatte, non rayé de la liste des Emigrés, porteur d'une lettre de passe, délivrée à Angers, le 9 pluviôse dernier, parle commissaire des guerres Barré, approuvé par le général de division, lieutenant du Général en chef Hedouville, enregistré à la Ferrière-Gençay, le 19 floréal dernier par Henry maire... Lequel Antoine Savatte a fait devant nous la Promesse de soumission aux lois du Gouvernement, en ces termes : Je promets fidélité à la Constitution, et il a signé au registre: Savatte...

Pour Copie conforme, Pressac des Planches.

« Le sous-préfet a envoyé copie de la. Soumission. Autre pièce signée : Fouché (2).

Les Archives de Poitiers possèdent quantité de documents

(1) Mémoires de la Société des Antiquaires de l'Ouest, année 1935 (Henri Carré, Recherches sur la Révolution en Poitou, p. 274 et suiv., ou tiré à part, p. 146 et suiv.).

(2) Arch. de la Vienne, L. 21, 7 frimaire an IX.


TRIBUNAUX SPÉCIAUX ET RADIATIONS D'ÉMIGRÉS 359

de cette espèce. Mais, pour obtenir une « radiation » sur liste d'Emigrés, il fallait parfois attendre assez longtemps, car, si l'on avait été inscrit par erreur, il pouvait être difficile d'en convaincre les administrations révolutionnaires. Nous avons eu l'occasion de citer le cas du marquis de Ferrières, très hostile aux émigrations, et cependant inscrit sur une liste du district de Baugé (Maine-et-Loire) où il était propriétaire, mais ne résidait pas ; inscrit le 1er octobre 1793, il lui fallut attendre jusqu'au 22 floréal an III, pour que le Directoire de Baugé décidât dele rayer (1).

Il ne sera peut-être pas superflu de résumer ici deux épisodes de l'histoire poitevine des radiations d'Emigrés. Le premier concernera un faux émigré, ancien juge au siège présidial de Poitiers, François du Tillet; l'autre mettra en scène un Emigré véritable et reconnu tel six ans seulement après sa mort, Pierre de Magné, seigneur de Joussé et Pairoux.

François du Tillet est un parent du marquis de Ferrières; mais, en matière de radiation, il eut plus d'aventures que Ferrières, fut d'ailleurs un faux émigré, et dans des conditions souvent burlesques. Il était né à La Rochefoucauld, département de la Charente, en 1741 ; avocat au Parlement depuis le 30 décembre 1772, et conseiller au Présidial de Poitiers depuis le 20 février 1773, il avait épousé, le 21 janvier 1774, Françoise Dansays de La Villate, fille d'un conseiller, et habitait rue du Collège. Il venait de voir supprimer son tribunal en 1790, et vivait dans un milieu contre-révolutionnaire. En 1791, la « folie de l'émigration » s'y empara de toutes les têtes, sauf de la sienne; il résistait à l'entraînement de son entourage, qui se partageait entre l'orgueil de caste et l'appréhension de violences possibles ; si bien qu'après s'être vu railler, il s'entendit insulter; des lettres

(1) Correspondance inédite du Marquis de Ferrières (1789, 1790, 1791), publiée par Henri Carré, A. Colin, 1932, in-8°, p. 14 et 15.


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anonymes lui parvinrent où on lui reprochait de ne pas quitter la France, comme tant d'autres, et où l'on accusait sa lâcheté : des paquets lui parvenaient où il trouvait de petites « quenouilles », symbole de son impuissance à combattre comme ceux de son rang. Ecoeuré des « brocards ». dont il était l'objet tous les jours, et n'ayant jamais eu de goût pour les milieux mondains, où l'on en venait à le vilipender, souffrant d'ailleurs souvent de douleurs de tête dont on ne le débarrassait que par des applications de sangsues, et répugnant en somme au séjour de la ville, aimant la marche et s'en trouvant bien, il résolut tout à coup de quitter Poitiers, et d'aller rendre visite à son père. Ce vieillard de quatre-vingts ans habitait Versailles, à côté de son fils aîné, avocat de talent, déjà célèbre. François du Tillet comptait profiter du voyage pour satisfaire son goût de la marche et se livrer à ses études favorites sur la physique et la mécanique, ne plus voir de gens du monde, mais fréquenter plutôt les marchands de baromètres, les charlatans, les porteurs de lanternes magiques, les escamoteurs et les magiciens. Il crut enfin que, fuyant de Poitiers, on pourrait l'y croire émigré et que clandestinement il lui serait loisible de se livrer à ses goûts ; il ne paraît pas avoir beaucoup songé aux ennuis qui pouvaient assaillir Mme du Tillet, ni même à son fils qui disparut de Poitiers, à l'âge de dix-huit ans, en même temps que lui (1).

Par la diligence, François du Tillet partit donc pour Versailles, le 25 novembre 1791, et arriva chez son père le 30. Il le mit au courant de tout ce qui se passait à Poitiers et de la nécessité où il s'était trouvé de partir. Le père comprit que son fils désirait demeurer chez lui assez ignoré, et

(1) Mémoires de la Société dés Antiquaires de l'Ouest, année 1902, Charles Babinet, Le Présidial de Poitiers, son personnel (1551-1790), n« 258.

Cf. Notice sur le Présidial de Poitiers, par Ch. de Gennes (1773-1789), Arch. de la Vienne, L. 23, 1793.

Arch. de la Vienne, L. 23, 1791.


TRIBUNAUX SPÉCIAUX ET RADIATIONS D'ÉMIGRÉS 361

cependant la chose était difficile, car le fils aîné voyait bien du monde. Léonard du Tillet de VHlards, grand avocat, avait en effet de nombreuses relations, et nous le connaissons par la Correspondance du marquis de Ferrières, député de la Noblesse aux Etats généraux, qui séjourna à Versailles tant que l'Assemblée y demeura ; il était particulièrement lié avec des commis de la guerre et de la marine; il avait présenté M. de Ferrières dans les salons où il fréquentait, il avait des filles charmantes qui, comme le député, étaient éprises de musique, et durent trouver leur oncle assez original (1). Ce qui sauva le malheureux des relations mondaines, ce fut une maladie de plus de deux mois, dès son arrivée à Versailles. Se trouvant mieux enfin, François du Tillet disparut tout à coup, sans dire où il allait. Les femmes, belle-soeur et mère, en furent stupéfaites, car il partit, dirent-elles, avec une chemise, deux mouchoirs, une mauvaise houppelande, et deux ou trois cents livres en assignats; il laissait tout «le reste de ses effets» danssa commode, avec un mot annonçant un «projet de courses à faire» afin de ne pas laisser sa famille trop inquiète. Son départ, cruton, avait eu deux motifs: «jouir pleinement de sa liberté ; ne « pas être trop à charge à son père qui n'était pas très fortuné».

Se comportant toutefois de cette manière tant avec sa famille de Versailles qu'avec celle de Poitiers, il nous donne l'impression qu'il avait dû être un étrange magistrat, vingt ans durant. Parti brusquement de chez son frère en mars 1792, il n'y revient qu'au début d'octobre. Il raconta alors

(1) Correspondance inédite du Mis de Ferrières, p. 33, notes 41; 46,52, 95, 148, 163, 211, 347.

Cf. Souvenirs en forme de Mémoires de Henriette de Monbielle d'Hus, marquise de Ferrières (1744-1837)' publiée par le Vicomte de La Messelière, Saint-Brieuc, 1910, in-8°, p. 20, note : Renseignements donnés sur le du Tillet de Poitiers et sur le du Tillet de Versailles, notamment sur l'Avocat de Versailles Léonard Armand du Tillet deVillards, membre de l'Académie des Arcades de Rome.


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ses périgrinations ; il assura qu'il ne lui était arrivé aucun accident. Il n'avait pas emporté de passe-port, mais nulle part on ne lui en avait demandé. Il revenait toutefois assez fatigué car sa tête parfois déménageait, et il était alors un peu honteux de l'état dans lequel il se sentait; il avait l'impression de courir quelquefois de grands dangers.

Un interrogatoire subi par lui l'année suivante devant le Comité de sûreté générale le 7 mai 1793 permet toutefois de reconstituer en partie son grand voyage de 1792. On lui demande son âge et il répond avoir cinquante ans, être né à La Rochefoucauld. Il n'est venu à Versailles qu'en passant, et pour voir son père. Il a beaucoup voyagé, mais n'est pas sorti de France, et l'affirme absolument. Il dit quelles villes il a pu traverser : Auxerre, Mâcon, Chalon, Lyon, outre quantité de villages, dont les noms ne lui reviennent pas. Comment voyageait-il ? lui demande-t-on. « Je suivais, répond-il, des charlatans qui vendaient de la poudre fulminante et de l'encre sympathique ; c'était moi qui écrivais leurs billets.» Il n'avait pas de passeport, mais personne ne lui en demandait. Il aimait infiniment les voyages. L'interrogatoire de la sûreté générale se termine en donnant la taille de François du Tillet et son signalement. Il a quatre pieds et trois à dix pouces de haut; il est maigre et de figure allongée; il a la bouche ordinaire et le menton pointu. Il se vante d'être physicien, artificier, mécanicien, d'être «francmaçon», mais de n'avoir jamais été reçu que par un « séraphin mécanicien ». Il a un fils de seize à dix-huit ans, qui voyage de son côté, mais on ne sait ce qu'il est devenu. Quant à son père qui habite Versailles, il fut naguère le gouverneur des pages de la Chambre du Roi, il était né en 1714 à Angoulême ; il avait écrit un ouvrage sur l'agriculture et, de ce fait, on lui avait octroyé une pension sur l'Etat et des lettres de noblesse (1).

(1) Arch. de la Vienne, L. 23, 7 mai 1793. (L'interrogatoire porte la


TRIBUNAUX SPÉCIAUX ET RADIATIONS D'ÉMIGRÉS 363

Au retour de son voyage en 1792, François du Tillet demeura chez son père, pour ainsi dire enfermé jusqu'au 28 janvier, jour où il parla de nouveau de recommencer ses « courses». Ne voyant pas comment s'y opposer, son père exprima le désir que ce déplacement fût du moins utile à toute la famille. Il venait, dit-il, d'acquéri/en Normandie un petit bien rural, à Theil, auprès de Cherbourg, et ne pouvait, en raison de son grand âge, aller le visiter ; son fils s'y rendrait en son nom ; il lui payerait le voyage en diligence, et lui éviterait ainsi de trop longues marches à pied. François n'aurait d'ailleurs qu'à rendre, là-bas, visite au citoyen No ury, l'ancien propriétaire du bien. Ce fut avec joie que François du Tillet partit et s'acquitta de sa mission; mais, comme il visitait Cherbourg, il éprouva un grand chagrin; il perdit son portefeuille et le chagrin fut d'autant plus vif qu'il perdit en même temps le Journal où il inscrivait toutes ses impressions ; il n'avait d'ailleurs plus d'argent ; il fut contraint de dire où il se proposait de retourner, et chez qui il descendrait, si bien que dix personnes se cotisèrent pour lui prêter cent livres. Il prit la diligence de Caen, en écrivant pour qu'on envoyât au-devant de lui à SaintGermain, et qu'on y prît son paquet. Le voici donc de nouveau à Versailles où il se proposait, disait-il, de vivre en famille; mais son père lui dit avoir formé le projet d'aller luimême s'installer en sa maison de campagne de Bailly, dès le lendemain: son médecin lui ordonnait d'y aller faire une cure d'air, et d'y boire « des jus d'herbes ». François approuva, mais dit que lui-même allait partir pour Paris.

Le lendemain, 4 avril 1793, la famille se séparait donc, et François, de son côté, simula son départ : il avait l'arrière-pensée de devancer son père à Bailly et de lui en faire la surprise ; ce serait, pensait-il, une « gentillesse » de sa

signature du représentant Ingrand, secrétaire du Comité de Sûreté générale et député de Châtellerault.)


364 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

part, et tout le monde en serait content. C'était une folie de plus, et il en fut cruellement puni. Quand il arriva sur la terrasse de Bailly, embrassant du regard le chemin qui conduisait au village, il aperçut une troupe d'hommes armés de piques et marchant vers lui. Son imagination maladive lui fit croire tout d'un coup qu'une troupe de Brigands se préparait à tout saccager ; ce qui se racontait déjà sur les attaques subites des premiers Brigands lui revint subitement à l'esprit et il courut se cacher dans le sous-sol de la maison (1).

Arrivèrent alors simultanément le père de famille, ses enfants, quelques amis, et la troupe qui venait d'impressionner François et de le mettre en fuite. C'était la municipalité du village conduite par un commissaire qui se. proposait de procéder à une visite domiciliaire. On sait qu'à cette époque les visites domiciliaires étaient fréquentes et qu'elles avaient pour objet de dépister des conspirateurs, des Emigrés rentrés. Le commissaire et ses hommes parcoururent la maison, et tout à coup on entendit des cris affreux montant de la cuisine : le commissaire réapparut tenant au collet François du Tillet.

- Il n'y avait pas eu contre ce dernier de charge d'accusation ni de dénonciation, mais on dressa le procès-verbal de l'arrestation d'un individu caché ; il fallait bien le conduire au district de Versailles, à la maison d'arrêt, puisqu'il ne pouvait justifier d'un certificat de résidence depuis le 31 mars 1792 ; il fallait qu'il donnât le détail de ses différentes '( courses » ; et il était terrifié à l'idée qu'on allait peut-être le conduire à Paris, dans une de ces prisons où l'on avait massacré tant de monde, en septembre 1792:

Une lettre non signée,, mais évidemment écrite par son frère à Mme du Tillet de Poitiers, sa belle-soeur, le 10 mai

(1) Arch. de la Vienne, L. 23, année 1793, (Lettre de l'Avocat du Tillet, de Versailles, du 10 mai.)


TRIBUNAUX SPÉCIAUX ET RADIATIONS D'ÉMIGRÉS 365

1793, vient mettre la pauvre femme au courant des incroyables aventures de son mari. Les interrogatoires qu'il dut subir ont bien montré son innocence, et, sur le cautionnement de son frère, il peut rentrer à Versailles, chez son père ; mais la famille n'en est pas moins demeurée très inquiète. Un chirurgien lui a fait prendre « des bains presque froids», et de la « ïlenr de tilleul », dans l'espoir que ce régime le « rappellerait à la raison ». Mais voici de bien autres émotions. « Le 6 mai, dit la lettre du frère, à dix heures et demie du soir notre maison s'est trouvée remplie d'hommes armés ayant à leur tête un commissaire du Comité de surveillance de Paris ; ils sont entrés dans l'appartement du Papa qui venait de se coucher, et ils m'ont communiqué l'ordre qu'ils avaient d'arrêter ton mari et son fils...

« Je les ai conduits dans la chambre de ton mari qui était couché, et ils lui ont communiqué leurs ordres. En attendant ils ont visité tous ses papiers et pris quelques lettres. Ton mari ïi'a été conduit à Paris que le lendemain à midi, et je l'ai accompagné. Il a été interrogé sur sa prétendue émigration, il n'a pas eu de peine à certifier qu'il n'était jamais sorti de France et que les dénonciations n'étaient pas fondées...

« En conséquence, nous sommes revenus à Versailles. Nous continuons pour sa tête le même régime, et tu dois sentir combien elle a été affectée par ces secousses...

« J'oubliais de te dire qu'on l'a beaucoup interrogé sur son fils ; n'en ayant jamais eu aucune nouvelle, il le croit mort(l).»

Sur une déclaration de Mme François du Tillet se peut clore l'histoire de la prétendue émigration de son mari. Ce fut d'après des notes fournies à l'égard de celui-ci au

(1) Arch. de la Vienne, L. 23, année 1793. Lettre du 10 mai.


368 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

département de la Vienne, et dont quelques-unes émanent de ses ennemis de Poitiers, que l'administration du département de Seine-et-Oise l'a fait traduire devant elle. Il était accablé sous le poids d'une maladie terrible ; il a été constitué prisonnier à la maison des Récollets de Versailles. Le Comité de Sûreté générale l'a mis en liberté. Quant à ses biens, sa femme s'adresse au Département de la Vienne pour obtenir qu'il soit rayé de la liste des Emigrés ; elle se croit fondée à réclamer sa radiation et obtient gain de cause (1).

Tandis qu'en 1792, François du Tillet menait en France la vie vagabonde qui le fit soupçonner de vouloir sortir de France, et même d'en être sorti, un autre habitant de Poitiers, Pierre de Magné, seigneur de Joussé et Pairoux, passait en Allemagne, et se faisait accuser du crime d'émigration. Son médecin, le jugeant de santé délabrée, lui avait déclaré qu'un traitement aux eaux minérales d'Aix-la-Chapelle s'imposait à lui, et, bien qu'il fût alors interdit à tout Français de quitterson pays sans y être autorisé, il était parti sans passeport, avec son domestique, Pierre Thomas (2). Entré en Allemagne, au début de mars 1792, il s'était rendu aux eaux d'Aix, y avait subi le traitement voulu ; et quand il avait reparu en France il était tombé malade à Verdun, et était entré dans un hôpital ambulant pour y mourir le 29 octobre, un peu plus d'un mois après la bataille de Valmy. On le considérait alors, paraît-il, de toutes parts'comme un émigré, mais, fait surprenant, il ne fut inscrit sur la fameuse liste que quinze jours après son décès. Ses biens furent mis sous séquestre et sa veuve n'en put recueillir les revenus, ni pour elle, ni pour un enfant

(1) Arch. de la Vienne, L. 23 Poitiers, 22 mai 1793. Au conseil général du département de la Vienne, 12 brumaire an III (Aux citoyens composant le Département de la Vienne).

(2) Mémoires des Antiquaires de l'Ouest, année 1935. Henri Carré, Recherches sur la Révolution en Poitou, p. 237 et 238.


TRIBUNAUX SPÉCIAUX ET RADIATIONS D'ÉMIGRÉS 367

de huit ans, dont elle devenait tutrice, ni même faire valoir ses « reprises ».

Mma de Magné était née Marguerite-Victoire Chevalleau. Elle avait deux frères dont l'un était colonel du 44e régiment d'infanterie et l'autre servait au ci-devant Royal Soissonnais. Elle voulut protester contre le séquestre qui les ruinait, elle et son enfant, mais ne sut trop alors comment s'y prendre. Elle dut, il est vrai, recueillir assez loin des renseignements, et ce ne fut que le 18 nivôse an III qu'elle écrivit aux Administrateurs de son district ; encore eût-elle dû s'adresser, de préférence, à ceux du Département de la Vienne. Elle essaya de faire valoir que le domestique de son mari, traduit, après la mort de ce dernier, devant une commission militaire comme suspect d'émigration, s'était vu décharger de toute accusation et mettre en liberté. Elle en concluait que le maître ne pouvait pas être plus criminel que le valet. Elle mettait d'ailleurs en relief que Pierre de Magné, entrant dans un hôpital français, ne pouvait pas être considéré comme un ennemi de la France. La maladie qu'il venait de soigner en Allemagne était bien évidente et les certificats qu'elle produisait en témoignaient. Le docteur Kenlzler l'avait traité à l'hôpital d'Aix-la-Chapelle. Il avait constaté que ses souffrances venaient d'une « obstruction des viscères du bas-ventre, de la veine porte » et dénonçaient des «symptômes hémmorodales », qu'il pouvait et devait guérir par « l'usage des eaux minérales et des bains ». Mmede Magné affirmait avoir pleine confiance dans 1' «esprit de justice et d'humanité» des Administrateurs du district de Poitiers et ne doutait pas qu'ils fissent tout pour les arracher à la misère, elle et son enfant (1).

(1) Arch. de la Vienne, L. 24, 18 nivôse an III (Mme Veuve Pierre de Magné. Aux citoyens composant le District de Poitiers ; cf. le certificat du Docteur Kenlzler signé le 17 avril 1792, et le jugement rendu par une commission militaire sur Pierre Thomas, domestique de Pierre de Magne, le 30 octobre 1792.


368 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

L'affaire traîna jusqu'à la dissolution de la Convention nationale, et même dans les premier temps du Directoire ; mais quand le ministère de la Police générale fut aux mains de Cochon de Lapparent, Mme de Magné voyant le gouvernement devenir plus modéré et se croyant peut-être un accès facile auprès du Ministre de la Police, écrivit aux Administrateurs du Département le 6 prairial an V. Sa lettre fut. alors très différente de celle de nivôse an III. Ce qui surprend d'ailleurs c'est que le 6 prairial an V, il ne soit plus question pour elle, du certificat délivré par le docteur allemand Kenlzler (17 avril 1792), comme si elle oubliait que son mari, parti de Poitiers au début de mars 1792, dut être arrivé à Aix vers le milieu d'avril ; et, par contre, parmi les pièces justificatives qu'elle envoie figure, en première ligne, un certificat de résidence de son mari, déliA'ré par l'administration municipale d'Orléans. Mme de Magné auraitelle eu l'intention de dissimuler les constatations faites par un médecin allemand ? Elle parle au contraire du Dr Fradin, de Poitiers. Viennent ensuite les certificats d'arrivée à l'hôpital ambulant de Verdun et l'extrait mortuaire de Pierre de Magné. Sa veuve affirme d'ailleurs que, le Gouvernement du jour se préoccupant de voir les affaires telles que la sienne se terminer promptement, elle a lieu de tout espérer; les Administrateurs de la Vienne, dit-elle, ne peuvent être, que surpris de voir encore ses biens sous séquestre, après quatre ans. Enfin elle supplie ses juges « d'envoyer les pièces qui la concernent au Ministre de la Police ». On serait tenté de croire qu'elle veut dissimuler le plus possible toutce qui concerne le passage de son mari en Allemagne (1).

Aux Archives de la Vienne le dossier de Magné contient toutefois des lettres témoignant d'une négociation pour(1)

pour(1) de la Vienne, L. 24, 6 prairial an V. (Lettre de Mme de Magné aux citoyens administrateurs, du département de la Vienne Rapprocher cette lettre de la réponse des Administrateurs du Loiret à ceux de Poitiers, 11 thermidor an V.)


. TRIBUNAUX SPÉCIAUX ET RADIATIONS D'ÉMIGRÉS 369

suivie entre Orléans et Poitiers, et il est possible qu'on ait imaginé de substituer au voyage d'Aix-la-Chapelle un assez long séjour à Orléans. Une lettre des Administrateurs de la Vienne à Mme de Magné parle en effet, le 18 prairial an V, d'un certificat de résidence de son mari au chef-lieu du Loiret ; une autre lettre des Administrateurs du Loiret à ceux de la Vienne constate, le 11 thermidor suivant, que Pierre de Magné qui résidait à Orléans, chez le citoyen Pouteau, a quitté la ville, sans passeport, bien que « la formalité des passeports soit déjà exigée pour tous les voyageurs ».

Le Département de la Vienne, soumettant l'affaire de Magné au Ministre de la Justice, pour qu'il prononce définitivement, exprime l'opinion qu'on pourrait admettre peutêtre une « radiation provisoire » ; mais, le Ministre de la Justice fait parvenir à Poitiers une décision contraire, en des termes très précis. Il constate que Pierre de Magné est parti de Poitiers au début de mars 1792, sur l'ordonnance d'un médecin recommandant le traitement d'Aix-la-Chapelle, et qu'un extrait authentique des registres de la paroisse de Saint-Sauveur de Verdun permet de constater comment et quand le malade est mort. Le Ministre déclare qu'alors et depuis longtemps, Pierre de Magné était déjà considéré comme émigré ; il affirme que si des « présomptions » naissent en sa faveur, elles « ne peuvent être suffisantes pour réhabiliter sa mémoire », car il est impossible qu'elles suppléent « à des certificats authentiques attestant sa résidence en territoire allemand ».

On ne saurait oublier, d'ailleurs, que le Ministre qui parle ainsi est un homme du 18 fructidor, que son collègue de la Police est Sottin de La Coindière, que le Gouvernement est redevenu rigoureux à l'égard de tous les Emigrés. Admettre que Pierre de Magné ait pu résider à Orléans jusqu'au mois d'octobre 1792, cela ne viendrait-il pas à supposer qu'il n'ait jamais paru à Aix-la-Chapelle? qu'il soit venu à Verdun simplement pour y rencontrer ses beaux-frères, les Che24

Che24


370 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

valleau ? et qu'une crise finale l'aurait alors emporté ? Le Ministre ne pouvait oublier que, dans sa première pétition, celle au District de Poitiers, la veuve de Magné avait produit le certificat délivré à Aix-la-Chapelle. Son mari d'ailleurs ne pouvait être considéré que comme un Emigré, car les lois sur l'émigration « ne mettaient pas les malades au nombre de ceux qui pouvaient être autorisés à sortir de la République ». On avait tenté d'établir que Pierre de Magné avait résidé à Orléans du 29 février au 9 octobre 1792, mais alors que devenait le certificat du Dr Kenlzler du 17 avril 1792 ? Qu'on ne parle donc plus de certificats de résidence délivrés par l'administration municipale d'Orléans, et signés par neuf témoins attestant que Pierre de Magné aurait résidé dans cette commune « sans interruption » du 29janvier 1792 au 9 octobre suivant. Les signataires méritent d'être punis et le seront, car il est absurde de le faire résider à la fois à Orléans et à Aix-la-Chapelle. Le Gouvernement de la République n'hésitera pas à déclarer que les Autorités constituées d'Orléans ont violé la loi, et il rend l'arrêté suivant (1) :

Article 1er. L'arrêté du département de la Vienne, en date du 2 frimaire an V, est annulé.

Article 2. Le nom de Pierre de Magné demeure définitivement inscrit sur la liste des Emigrés et ses biens acquis à la Nation.

Article 3. Le certificat de neuf témoins signé à la commune d'Orléans le Ier floréal an V, sera sur-le-champ dénoncé à l'Accusateur public par le tribunal criminel du Loiret, pour que le Ministre de la Justice poursuive, s'il y a lieu, les signataires, conformément à la Loi, et, à cet effet, les pièces de conviction leur seront adressées.

(1) Arch. de la Vienne, L. 24, 6 vendémiaire an VI. (Le ministre de la Justice au Commissaire du pouvoir exécutif de l'Administration centrale delà Vienne.)


TRIBUNAUX SPÉCIAUX ET RADIATIONS D'ÉMIGRÉS 371

Article 4. Le présent acte ne sera pas imprimé. Les Ministres de la Police générale, de la Justice et des Finances sont chargés de son exécution, chacun en ce qui le concerne.

Pour expédition conforme. Le Président du Directoire exécutif :

Signé : LAREVELLIÈRE-LÉPEAUX.

Pour le Directoire exécutif :

Le secrétaire général : LAGARDE.

Le Ministre de la Police générale :

Signé : SOTTIN.

Certifié conforme, le Ministre de la Justice.

LAMBRECHT.

Un tel arrêt témoigne à la fois de l'esprit attentif et implacable du Gouvernement du 18 fructidor (1).

(1) Arrêté du Ministre de la Justice du 6 vendémiaire an VI. Texte signé du Président Larevellière-Lépeaux, du ministre delà Police Sottin, et du ministre de la Justice Lambrecht.



Conflit entre Révolutionnaires devenus Magistrats d'Empire

(1806-1811)

Deux adversaires sont ici en présence, le Procureur général Béra (1) et le Conseiller à la Cour d'appel Morisson (2), l'un et l'autre d'un tempérament audacieux et ardent, sachant recruter et organiser un parti, mais fort différents par leur passé, par leurs goûts, leurs moeurs, le choix de leui's relations.

Béra est déjà très connu dans la Vienne, car il a presque constamment résidé à Poitiers ; Morisson, au contraire, devenu député delà Vendée, a siégé tour à tour à l'Assemblée législative et à la Convention nationale.

Né en 1758 à Champagné-Saint-Hilaire, Béra est fils d'un procureur et notaire de Romagne. A vingt-deux ans il est devenu avocat. En 1789 il s'est engagé, à Poitiers, dans le parti avancé, et, très vite, il s'est trouvé aux prises avec un ^îomme en vue d'Ancien régime, le procureur de la commune Laurendeau. Il l'a raillé d'être un fervent lecteur des Actes des Apôtres, de l'Ami du Roi, de l'Ami du Clergé et de la Noblesse ; le plus qu'il a pu, il a fait preuve de « Civisme », et a rêvé de remplir des fonctions publiques. Tandis que

(1) Béra (Joseph-Charles), né à Champagné-Saint-Hilaire, le 4 novembre 1758, mort à Poitiers le 25 mai 1839.

(2) Morisson (Charles-Louis-François-Gabriel), né à Palluau (Vendée) le 16 octobre 1751, mort à Bourges le 16 janvier 1817.


374 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

Laurendeau soutenait une Municipalité de royalistes modérés, et des officiers de Garde nationale, tels que le vicomte de Chasteigner ou le chevalier Filleau, il réclamait un Comité militaire composé par moitié d'officiers et par moitié de commissaires élus. Contre Laurendeau il faisait imprimer des brochures ; mais ce dernier, passant au Conseil général du département, et laissant vacante sa place de procureur de la Commune, Béra tentait de lui succéder, et échouait dans l'entreprise.

Il est vrai toutefois qu'en 1791, on le trouve, dans les Deux-Sèvres, président du tribunal de Bressuire, et prononçant un jugement sur le cas d'un curé de Nueil-sous-lesAubiers, qui venait de refuser le serment. Ce prêtre avait nom Guillaume Barbarin. Né en 1749 à Confolens, il devait être déporté en Suisse en 1792 ; il a laissé des Mémoires. Le 2 mai 1791, en séance publique de son tribunal, Béra exhala sa bile contre le clergé réfractaire, et spécialement contre les Evèques émigrés. Tout violent qu'il se montrât contre les gens d'Eglise, il fut bientôt comme eux en péril, car, devenu en 1792 commissaire national près le tribunal de Poitiers, ses amis politiques commencèrent à lui reprocher quelques opinions arriérées.

La lutte entre Girondins et Montagnards l'a.fait ranger parmi les Fédéralistes, et le 13 juin 1793, il a eu l'imprudence d'écrire à un Montagnard avéré, son ami Piorry, une lettre qui témoignait de son-dégoût pour la centralisation jacobine (1). Trois mois plus tard, en septembre, il était

(î) Bibliothèque de Poitiers C. M. 428 (collection Labbé), p. 4, 7, 9, 12, 25. Cf. Mi 3 de Roux, La Révolution à Poitiers et dans la Vienne, Paris, 1910 {Mémoires des Antiquaires de l'Ouest), p. 214 (V. Note sur Béra) ; Cf. Dict. de Robinet, art. sur Béra ; Correspondance inédite du Constituant Thibaudeau p. p. Henri Carré et P. Boissonnade, Paris, Champion, 1898, p. 92, 93 et 96 (Notes). Henri Carré, Recherches sur la Révolution en Poitou, Poitiers, 1935. (Mémoires de la Société des Antiquaires de l'Ouest, 1935), p. 145 et suiv. Tiré à part, p. 17 et suiv.

La famille Béra, suivant une tradition conservée parmi ses membres,


CONFLIT ENTRE RÉVOLUTIONNAIRES 375

incarcéré à la prison d'Yversay, en même temps que l'ancien constituant Thibaudeau et le citoyen Texier, qui devait être guillotiné comme le plus en vue des Fédéralistes de la Vienne. On sait d'ailleurs, et Béra en convient lui-même, que s'il échappa à la guillotine ce fut en simulant la folie.

La lettre du 13 juin 1793 classe d'ailleurs évidemment Béra parmi les Fédéralistes. Il y déclare ne pas vouloir que Paris mène toute la France, et soit vraiment une capitale. II souhaite que le Corps législatif siège, tour à tour, dans telle ou telle province, et, ayant vu disparaître son siège présidial de Poitiers, il admettrait très bien que la Révolution supprimât les tribunaux. Sûr de lui-même, il pourrait, disaitil, cesser d'être avocat, et gagner sa vie par des « arbitrages»; car, jouissant, dans son pays, de -la confiance publique, il se verrait facilement confier deux arbitrages sur trois. A trente-cinq ans, il aurait donc volontiers cessé de plaider pour prononcer des jugements en arbitre (1).

Après le 9 thermidor, il fut mis en liberté et, en l'an IV, il devint commissaire du Gouvernement près les tribunaux civil et criminel de la Vienne. Quand le Consulat eut créé, à Poitiers, une cour d'appel, il y remplit les mêmes fonctions, c'est-à-dire qu'il devint Procureur général (2).

En regard de Béra s'installait, au même tribunal, le cidevant député de la Vendée, Morisson. Assez peu connu d'abord parmi les Poitevins, il acquiert cependant auprès des Emigrés rentrés et de la plupart des nobles, une notoriété que lui vaut son rôle passé à l'Assemblée législative

serait d'origine espagnole. Celui de ses membres dont il sera ici question habitait Poitiers, rue des Hautes-Treilles, aujourd'hui rue ThéophrasteRenaudot, n° 14, une grande maison occupée de nos jours par Mme Vve Chrétien (Cf. Archives de M. Pierre Dez, Manuscrit rédigé par M. Guitteau, allié de la famille Béra). Mémoires de Guillaume Barbarin, passim.

(1) H. Carré, Recherches sur la Révolution en Poitou (Mémoires de la Société des Antiquaires de l'Ouest, p. 145 et suiv.), Poitiers, 1935, ou tiré à part, p. 17 et suiv.

(2)/èfd.,notes.


376 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

et à la Convention nationale. Le 1er janvier 1792, à l'Assem blée législative, il avait combattu un décret du Comité de surveillance proposant que le comte de Provence et le comte d'Artois émigrés fussent déclarés « criminels de lèse-nation » (1). Le 13 novembre suivant, le Comité de législation ayant présenté un projet de décret établissant que Louis XVI pouvait être jugé, et que la Convention elle-même le pouvait juger, Morisson avait combattu ce décret.

Il avait cru habile d'avouer d'abord ce qu'on appelait les « forfaits » et les « perfidies » de Louis XVI, mais déclaré vouloir se placer exclusivement au point de vue juridique : il s'était demandé, disait-il, si le Roi était susceptible d'être jugé et il n'avait pu l'admettre. Pour penser autrement, avait-il soutenu, il aurait fallu que, dans nos institutions, une loi précise « préexistât », et qu'on pût l'appliquer. De toute évidence il reconnaissait que le Roi s'était plusieurs fois « parjuré », qu'il avait cherché à « provoquer l'anarchie », qu'il avait fait passer le numéraire français à l'étranger. Mais, dans notre Constitution se pouvaient lire ces mots : « La personne du Roi est inviolable et sacrée. » Pour que Louis XVI cessât d'être inviolable il aurait fallu qu'il abdiquât ou que le Peuple proclamât sa « déchéance ». Or, jusqu'ici il n'avait été que le chef de son Conseil ; tout s'y était fait en son nom, et ses Ministres étaient seuls responsables. Si, en bien des cas, il avait commis des crimes, n'avait-il pas lui-même déterminé la peine qui pourrait l'atteindre, c'est-à-dire la «déchéance », qui équivalait ài'« abdication <). Et, s'il eût abdiqué, on ne pouvait le poursuivre que pour faits postérieurs à la « déchéance » ou à 1' « abdication ».

Pousuivant son raisonnement, Morisson avait conclu, en

(1) Choix de rapports, opinions et discours prononcés à la tribune nationale depuis 1785 jusqu'à ce jour, Paris, Eymery, 1818-1825, 23 vol. in-8°, t. VIII, p. 295 et suiv., 301 et 302.


CONFLIT ENTRE RÉVOLUTIONNAIRES 377

conséquence, que Louis XVI méritait la « déchéance », qu'il fallait la prononcer « de manière légale et régulière ». Il n'y aurait eu qu'un parti à prendre : « En appeler au Peuple, et dès lors, établir une Constitution nouvelle. » Aussi bien Morrisson en était-il venu à proposer lui-même ce décret :

« Article ier. — Louis XVI est banni à perpétuité du territoire français.

« Article 2. — Si, après son expulsion de France, il rentre sur le territoire de la République, il sera puni de mort. Il est enjoint, dans ce cas, à tous les citoyens de l'attaquer comme un ennemi ; et il sera payé une récompense de 500.000 livres, à qui, l'ayant attaqué sur le territoire français, l'aura fait périr sous ses coups.

« Article 3. •— Le présent décret sera envoyé aux diverses puissances de l'Europe avec lesquelles nous conservons des relations politiques. »

Dans cette séance du 13 novembre 1792, plusieurs orateurs avaient combattu Morisson, et le plus considérable d'entre eux avait été Saint-Just. En dépit du député de la Vendée, la Convention nationale avait jugé Louis XVI et l'avait condamné à mort (1).

Les divers gouvernements révolutionnaires ayant abouti à la Constitution de l'an VIII, et Poitiers se trouvant doté d'une Cour d'appel, Béra y était devenu Procureur général tandis que Morisson y devenait Conseiller à la Cour. Ayant commencé tous deux par être avocats, ils avaient suivi, plus tard, des voies différentes. Morisson était l'aîné, et s'enorgueillissait d'avoir siégé dans de grandes assemblées ; mais il avait de médiocres talents, et, si vaniteux qu'il fût, il travaillait peu, et aimait fort la vie mondaine. Il avait d'ailleurs donné dès gages aux partis d'Ancien régime et la

(1) Choixdé rapports, opinions et discours prononcés à la tribune nationale depuis 1789 jusqu'à ce jour, Paris, Eymery, 1818-1825, 23 vol. i.n-8°, t. X, p. 169, 413,446, 455,483, 511.


378 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

noblesse allait le choyer comme ayant fait ses preuves. Tout au contraire Béra s'était constamment conduit en homme de Palais. Il avait de grands talents, et tous les jours cherchait à les accroître ; il était, en outre, de tempérament envahissant et autoritaire, n'admettait pas qu'on lui comparât qui que ce fût (1).

Or le retour à Poitiers de nombreux Emigrés fit que la . ville se partagea en deux coteries bien distinctes. Dans l'une se rangèrent les nobles ; dans l'autre les roturiers. Rien de surprenant que les ^nobles fussent reconnaissants à Morisson d'avoir combattu naguère les décrets contre Emigrés, et d'avoir protesté contre le procès de Louis XVI ; beaucoup étaient prêts à l'accueillir avec respect ; il aimait d'ailleurs la représentation et les visites ; il fréquentait les maisons de jeu et les salles d'escrime (2). Le contraste était grand entre lui et Béra, homme de cabinet, passionnément attaché aux affaires de justice, discutant des lois et des procès, groupant autour de lui les jeunes gens qui aspiraient à devenir magistrats, ou, de quelque façon que ce fût, gens de palais. Dans une grande maison de la rue des Hautes-Treilles, Béra tint en quelque sorte une école de procédure, et, comme il n'était pas riche, il logea chez lui des jeunes gens et les prit en pension ; il' leur donna des leçons de droit pratique, et ne s'étonna pas qu'on le crût besogneux (3). Il fit contraste avec le conseiller qui jouait au gentilhomme.

(1) Archives de la Vienne, M4 8. Copie de notes adressées au GrandJuge sur MM. Bera et Morisson, probablement par le Premier président Leydet ; un résumé de ces notes, communiqué àx la Préfecture de la Vienne. V. en outre une lettre du préfet Mallarmé au Ministre delà Justice du 31 janvier 1808, et la rapprocher de celle du Grand Juge du 28 janvier.

Mallarmé (Claude-Joseph) devient Préfet de la Vienne le 3 novembre 1807 ; il fut créé baron le 31 janvier 1810.

(2) Ibid., Mémoires judiciaires S. A. O. 38, 42.

(3) Arch. de la Vienne, Mémoires judiciaires S. A. O. 38 (Réponse de Béra aux Réflexions de Morisson) (Conférences sur la Législation). Cf. Série V, carton 2, pièce 10 (Rancunes de Morisson).


CONFLIT ENTRE RÉVOLUTIONNAIRES 379

Par la force des choses, Morisson et Béra se dédaignèrent, se dénigrèrent, et, autour de chacun se forma une cabale. Pour les uns Morisson fut un juge intègre et courageux ; pour les autres un présomptueux adonné au plaisir, et ne s'occupant guère de son métier. Aux yeux de bien des nobles, Béra fut surtout un homme avide, vindicatif et redoutable, tandis que, pour beaucoup de roturiers, ce fut un juriste consommé, un orateur vigoureux et incisif.

L'antagonisme entre le conseiller et le procureur général s'accentua peut-être en raison d'aventures survenues dans leur entourage. Du côté de Morisson un avoué du nom de Robert Boncenne (1) aurait été suspendu pour trois mois de ses fonctions, puis destitué sur la proposition du procureur impérial, Gabriel Leydet, ancien élève de Béra. Ce Boncenne aurait été convaincu d'avoir altéré la minute d'un jugement déposé au greffe afin d' « adoucir d'une quinzaine de mille francs des condamnations prononcées » ; et, par rancune contre le parquet, il serait devenu le collaborateur de Morisson en ses libelles contre Béra. Pour Morisson et Robert Boncennéil se serait agi dès lors de déconsidérer le procureur général, et de l'amener, coûte que coûte, à donner sa démission.

Une lettre de Morisson au Préfet de Poitiers, Chéron-La Bruyère, expose, le 4 janvier 1807, que depuis six mois le Conseiller attendait une réponse du Grand Juge, au sujet d'une dénonciation contre Béra. Morisson s'y réclamait d'anciennes relations remontant au temps où ils siégeaient l'un et l'autre à l'Assemblée législative ; mais le Préfet vint à mourir, et son successeur Mallarmé ne connaissait ni Morisson ni son adversaire. La lettre à Chérôn n'en subsiste

(1) Ne pas confondre ce Robert Boncenne avec l'Administrateur. Arch. de la Vienne, Série V, carton 2, pièce 10 (Robert Boncenne ruiné par Leydet fils). Cf. V5 Recueil de Mémoires, 2e Mémoire pour Joseph-Charles Béra (février 1808), Gabriel Leydet le 18 août 1810 et la Destitution de Robert Boncenne.


38G RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

pas moins, et montre que Morisson dénonçait Béra dans un pamphlet intitulé Réflexions. Il l'accusait de donner des « consultations », d'en faire clandestinement donner par son clerc, et dans la plupart des cas, de les faire payer par « les parties » ; il lui reprochait en outre de vouloir « séduire le magistrat de sûreté » ; d'être en somme le «. protecteur des escrocs ». Il se déclarait prêt d'ailleurs à fournir du tout des « preuves authentiques », et il entendait bien, ajoutait-il, que le Grand juge, s'il ne lui répondait pas, le fît poursuivre lui-même (1).

La mort du préfet Chéron dut sans doute retarder l'enquête que les Ministres devaient faire, sur les dires de Morisson, soit le Grand juge Régnier (2), soit le chef adjoint de la Police Real. Le Grand juge écrivit en effet au nouveau Préfet, et Real (3) écrivit au Premier Président (4). L'un et l'autre désiraient savoir quels étaient la moralité des magistrats en lutte, l'état de l'opinion à leur sujet, leurs talents et l'influence qu'ils exerçaient. Dans une lettre détaillée, mais assez circonspecte, le nouveau Préfet Mallarmé donna une idée assez précise des sociétés et coteries aux prises à Poitiers, de leurs rancunes et de leurs bavardages ; mais il déclara ne pouvoir se prononcer encore, ne disposant que de renseignements insuffisants. Le Premier président donna à entendre que Morisson était de talents médiocres, sans influence réelle, et il déclara que Béra avait de grands ta(1)

ta(1) de la Vienne M4 8. Lettre. du conseiller Morisson au Préfet Cheron La Bruyère, du 4 janvier 1807. Ce Cheron (Louis-Claude) avait été en suppléant à l'Assemblée Législative le 8 septembre 1791 ; il mourut à Poitiers, le 13 octobre 1807.

(2) Régnier (Claude-Ambroise), né à Blamont (Meurthe) le 6 avril 1736, est mort à Paris le 24 juin 1814 ; il fut Grand juge jusqu'en 1812 et 1813. • (3) Real (Pierre-François), né le 28 mars 1757à Chatou (Seine-et-Oise), est mort le 7 mai 1830, à Paris. Il devint l'un des quatre conseillers . d'Etat chargés de la Police de l'Empire.

(4) Le Premier Président était alors M. Leydet, qui avait remplacé l'ancien Constituant Thibaudeau appelé au Conseil d'Etat.


CONFLIT ENTRE RÉVOLUTIONNAIRES 381

lents, était fort actif et remuant, mais parfois aussi assez discuté (1).

Il est probable que Béra usa de sa situation de Procureur général et de son droit de prononcer des Mercuriales pour exaspérer le Conseiller Morisson (2). Le 2 novembre 1807, à l'occasion delà rentrée de la Cour, il démontra que pour un magistrat « l'amour de son état était le bien le plus précieux », que tout bon magistrat préférait les devoirs de sa profession aux « amusements frivoles de la société». Il osa même soutenir qu'un magistrat digne de ce nom ne devait avoir que du dédain pour tout ce qui n'était pas sa profession, et beaucoup d'indifférence pour « l'impuissante médiocrité » de quiconque lui faisait un « crime » de sa « vie laborieuse ». A ses yeux enfin le juge que son travail retenait à la maison était bien plus digne d'estime que celui que l'on voyait partout. Evidemment, en sa harangue, Béra se mettait en parallèle avec Morisson, et si ce dernier siégeait parmi ses auditeurs, sa colère et sa haine ne pouvaient que s'accroître. Un an plus tard, en 1808, la Mercuriale eut pour objet de mettre en opposition l'esprit de corps des magistrats de l'ancien temps et l'individualisme de ceux qui désormais ne tendaient qu'à s'isoler de leurs collègues. Béra désavouait l'intolérance de ceux qui naguère disaient :« Hors de nous, point de salut. » Mais il regrettait « l'union disparue ». Il voyait, disait-il, des magistrats qui, « se disant collègues, ne se connaissaient plus » ; et là encore se devinait l'allusion à Morisson et au Procureur général. De même dans la Mercuriale de 1809 où s'établit la

(1) Arch. de la Vienne, M4 8. La lettre du Préfet Mallarmé, dont il est ici question, est du 31 janvier 1808.

(2) Choix de plaidoyers prononcés sur des questions d'Etat et des difficultés intéressantes élevées en interprétation du Code Napoléon et du Code de procédure civile. Paris, Eymery, et Poitiers, Gatineau, 1810, in-4° de 813 pages. En tête du volume sont reproduites six Mercuriales, prononcées parle Procureur général Béra.


382 RECHERCHES SUR LA RÉVOLUTION EN POITOU

nécessité d'étudier constamment les lois, ce que faisait Béra, et ce dont se désintéressait Morisson.

Un homme, que les Ministres ne pouvaient guère consulter officiellement, intervint de lui-même auprès du Préfet, l'Evêque de Pradt. Il venait, dit-il, de recevoir une lettre de Béra qui, préoccupé des attaques dont il était l'objet, lui demandait une audience. Désirant infiniment voir se terminer une affaire où l'on mettait enjeu l'honneur delà magistrature, l'Evêque communiquait au Préfet la lettre de Béra, lui demandait de bien réfléchir à son sujet, le priait en outre de le recevoir lui-même, dans la soirée, le 8 janvier 1808, avec quatre personnes très au courant des événements de Poitiers. Il semble ressortir de la lettre de l'Evêque qu'il n'était pas très favorable au Procureur général (1). Or, on sait d'ailleurs que, par son parent, le général Duroc, et par lui-même, il jouissait d'un certain crédit auprès de l'Empereur. Une autre lettre postérieure à celle-ci, mais non datée, racontera au préfet de la Vienne une entrevue avec

(1) Arch. de la Vienne, M4 8. La lettre de Béra à l'évêque de Pradt est datée du 1er décembre 1807. Elle est fort respectueuse et témoigne le désir d'exposer l'origine et le caractère de son différend avec Morisson : mais il paraît singulier que l'Evêque en envoyant cette lettre au Préfet lui demande pour lui-même une audience où il se ferait accompagner par quatre personnes de Poitiers au courant du conflit survenu entre le Procureur général et le Conseiller. Plus curieuse encore est une autre lettre de l'Evêque au Préfet de la Vienne non datée, mais paraissant bien témoigner de son influence sur l'Empereur. Il dit en effet de l'Empereur : « J'arrivai à la Justice. Il était à la fois dans l'erreur et dans l'ignorance : dans l'erreur, car il croyait la Cour d'appel bonne, et les tribunaux subalternes mauvais ; il me dit même que c'était leur état habituel dans l'Empire ; dans l'ignorance, car il ne savait rien de ce qui se passe chez nous. Il s'écria plusieurs fois : c'est une erreur. J'y mettrai ordre. Le Grand Juge ne m'a rien dit. Il me demanda s'il y avait quelqu'un en état de remplacer le Premier Président. Je crus, d'après votre indication, devoir désigner M. de Bazoges. Je crois que vous feriez bien dem'adresser tout de suite un état de cette judicature, tel que vous l'avez envoyé au Grand Juge par la poste ; et, par la diligence, la collection des Mémoires de Béra et Morisson. Je les lui ferai trouver sur son bureau. )) Napoléon se défiait-il de ses Ministres ou de ses Préfets ? Et faisait-il de l'Evêque un informateur secret ?


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Napoléon. L'évêque l'aurait mis au courant de tout ce donl les Ministres ne disaient rien, et l'Empereur aurait déclaré en vouloir finir avec cette « scandaleuse » affaire. Il subsiste d'ailleurs aux Archives de la Vienne une copie de lettre où Béra, bien plus tard, en 1814, dit à un ami devoir sa disgrâce au malheur d'avoir déplu à l'Evêque de Pradt. « Je lui avais parlé, dit-il, en homme libre qui ne savait pas faire valoir la dignité des fonctions dont il était revêtu. L'Evêque devait se venger, cela était dans l'ordre. Le Maréchal Duroc, qui ne me connaissait pas, se mit de la partie ; rien de plus naturel (1) ».

Reprenons toutefois la querelle Béra-Morjsson au point où nous l'avons laissée, c'est-à-dire en janvier 1808 ; il y a lieu d'insister maintenant sur une lettre du Préfet de la Vienne au Ministre de la Justice, datée du 31 janvier. Le Préfet expose qu'il a eu des conversations avec les deux adversaires, mais n'a rien pu apprendre, par là, de positif « sur la valeur de leurs accusations réciproques ». En ces conférences on l'a laissé dans l'incertitude sur la plupart des faits (2). Et, le 13 février suivant, le Préfet écrit, d'autre part, au Grand juge : « J'ai tenté de terminer cette dégoûtante affaire. Je crois que M. Béra se contenterait d'une légère satisfaction ; mais M. Morisson, sur la seule proposition que je lui fis d'un arrangement, me répondit que les motifs qui l'avaient porté à dénoncer M. Béra subsistaient, et qu'il ne pouvait changer de système. » Ne semble-t-il pas que Morisson fût prisonnier d'un groupe nobiliaire, et d'une coterie de gens de palais, redoutant ou détestant le Procureur général ? Le

(1) Dominique Dufour de Pradt est né au bourg d'Allanches (Cantal) le 23 avril 1759 et est mort à Paris le 18 mai 1837. En 1789 il était grand vicaire de l'archevêque de Rouen, cardinal de La Rochefoucauld. Il fut député du Clergé du bailliage de Caux, aux Etats généraux ; il n'émigra qu'en 1798 ; il séduisit Bonaparte par ses flatteries ; il se qualifiait luimême d'aumônier du dieu Mars ; il fut plus tard, aussi empressé de se déclarer pour Louis XVIII.

(2) Arch. de la Vienne, M4 8. Lettre du 31 janvier 1808. -


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Préfet concluait : « Je regrette d'autant plus de n'avoir pu amener M. Morisson à des dispositions plus pacifiques, et, je puis dire, plus sages, que cette lutte étrange entre deux magistrats ne tend à rien moins qu'à enlever toute considération à la Magistrature dans cette partie de l'Empire (1). »

Qu'on imagine, en effet, quel « scandale » devaient produire les brochures et lettres imprimées-qu'échangeaient les magistrats de Poitiers. Après les Réflexions de Morisson, ce fut la Réponse aux Réflexions ; puis ce furent des Mémoires, des attaques variées, et enfin le Mémoire justificatif du procureur général. Si Béra avait soutenu d'abord qu'il attendait l'intervention du Grand juge, il n'attendait plus cette intervention et s'adressait directement au public.

De quoi, disait-il, m'accuse Morisson ? D'avoir fait des Transactions ? J'en avais incontestablement le droit. Lorsque je n'étais qu'un simple médiateur, des certificats joints aux pièces établissaient que « jamais je n'exigeais une obole». « Si je rédigeais des transactions comme arbitre, je pouvais recevoir des honoraires ; aucune loi ne le défendait, et un usage constant m'y autorisait (2).»

Pour bien comprendre cette réponse de Béra à Morisson il y a sans doute lieu de rappeler que le Procureur général accusé autrefois de fédéralisme, avait eu l'idée que la Révolution pouvait remplacer tous les tribunauxpar un systèmed'arbitrage, et les juges par des arbitres mettant fin aux procès en provoquant des concessions réciproques ; et il y a lieu de ne pas oublier que l'Assemblée constituante partagea quelque peu cette opinion puisqu'elle créa des Bureaux de conciliation dans les Districts et leur demanda de procéder à des transactions, afin d'éviter les complications et les longueurs que pouvaient susciter les gens de loi. De son initiative privée, Béra aurait donc repris la combinaison des Constituants que le

(1) Arch. de la Vienne, M4 8. Lettre du 13 février 1808.

(2) Ibid., Mémoire justificatif pour M. Béra Procureur général à la Cour d'appel de Poitiers contre M. Morisson juge à la même Cour.


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Ministre de la Justice reconnut en 1792 n'avoir pas pu vraiment fonctionner. Béra convient, il est vrai, que s'il rédigeait des «transactions», comme arbitre, il pouvait recevoir des honoraires. Il y a lieu de rappeler qu'au début du Premier Empire, il y avait à peine quinze ou vingt ans qu'en France il n'était plus question d' « épices » ou de « vacations » (1).

Au Mémoire justificatif de Béra une question plus grave intervient d'ailleurs. « Morisson, dit l'auteur, me reproche d'avoir « donné des Consultations, » c'est à-dire donné des Avis aux plaideurs, de les avoir guidés dans leurs procès. » Aujourd'hui sans doute le procédé ne serait rien moins que « scandaleux», mais Béra objectait: « Jusqu'au 1er janvier 1807 je ne m'en suis pas gêné, et j'ai signé toutes mes consultations; mais, à partir du 1er janvier 1807, le Grand Juge ayant décidé d'interdire les Consultations, ) ai cessé d'en donner. » La déclaration de Béra mérite qu'on s'y arrête, et qu'on se demande comment les hommes de son temps en pouvaient juger. Or, le 14 février 1808, un ancien Préfet de la Vienne, Cochon de Lapparent, parlant précisément de Consultations attribuées à Béra, déclare ne pouvoir décider s'il aurait dû se les interdire, mais l'avoir toujours considéré comme remplissant ses fonctions avec zèle et intégrité (2). Le témoignage de cet ancien Ministre n'atténue-t-il pas sensiblement, pour le temps, l'accusation de Morisson? II resterait à établir si, avant le 1er janvier 1807, l'opinion publique se serait prononcée contre les Consultations, et si elle n'en aurait pas moins jugé Béra comme le jugeait Cochon de Lapparent.

Morisson reproche encore à Béra d'avoir abusé d'une « réputation usurpée » par la ruse, d'avoir tenté de soumettre

(1) Edouard Selignîann, La justice en France pendant la Révolution (1789-1792), Paris, Pion, 1901, in-8», p. 395.

(2) Arch. de la Vienne, Mémoires judiciaires, Soc. Ant. Ouest, 41, 1808. Lettre de M. Cochon de Lapparent, préfet des Deux-Nèthes (22 février 1808). •

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à son influence tous les tribunaux inférieurs et la Cour elle-même. Or Béra répond qu'il était de son devoir de transmettre aux tribunaux inférieurs des « avis » et des « Mémoires » qu'on ne saurait dire criminels, et qu'il les communiquait à la Cour, en hommage respectueux. Il ne voyait pas d'ailleurs comment il aurait pu acquérir sa réputation «par la ruse» au cours des dix huit années de sa vie de Palais (1).

Passant à des accusations d'un ordre différent, Morisson dénonçait encore Bera comme ayant acheté « à vil prix » le bien d'un propriétaire endetté, et comme ayant payé en secret un homme qui voulait introduire une surenchère. Béra niait les faits qui n'auraient pas été d'ailleurs, soutenait-il, des crimes, mais des « bassesses». Il exposa qu'ayant cautionné un sieur Barbât, son voisin de campagne, et ce dernier ne pouvant s'acquitter, à son égard, il s'était fait céder un mauvais pré, et un bois-taillis dont on ne pouvait rien tirer avant dix ans ; mais qu'un parent de Barbât avait eu, de son côté, des vues sur le bien cédé, et que ce parent était le beau-frère d'un de ses ennemis, Robert Boncenne, le collaborateur de Morisson (2). Il paraît bien que Béra surveillait d'assez près ses intérêts, et cela se conçoit car i.l n'avait pas grande fortune, était chargé de cinq enfants et de sa nature était fort économe.

Ce qui est toutefois assez surprenant, c'est que Morisson en soit venu à reprocher au Procureur général de se chauffer avec tous les siens aux frais de la Cour d'appel. De l'aveu du Premier président Leydet, le cabinet edu Procureur général était, au Palais, pitoyablement installé, et, en hiver, devenait inhabitable. Aussi Béra aurait-il fait transporter chez lui deux cents bûches de la Cour d'appel ; il aurait ainsi, disait Morisson, chauffé toute sa famille, au détriment

(1) Arch. de la Vienne M4 8. Mémoires justificatifs, 3 et 4.

(2) Ibid., Mémoires justificatifs, 4, 5, 6 et 7.


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des magistrats; et, de même, pour s'éclairer, il aurait pris, à la Cour, sa provision de chandelles. Voilà jusqu'à quel point pouvaient descendre les altercations entre magistrats du Premier Empire (1).

Vinrent enfin des accusations de caractère politique, correspondant à la plus triste époque de la Révolution, et Béra apostrophe ainsi Morisson : «J'ai joué, dites-vous, un rôle actif au temps du Terrorisme... un rôle dans les fers... emprisonné de septembre 1793 à août 1794. Condamné comme Fédéraliste par la Société populaire. Et tout le monde sait que je ne dois mon existence qu'à la journée du 9 thermidor, et à la feinte qui peut être chez quelque autre une réalité. » Et Béra, s'indignant, continue ainsi: « J'aurais protégé d'anciens Terroristes. Nommez-en un seul, que j'aie protégé aux dépens de la Justice, je vous en défie (2). »

A ces scandaleuses accusations, Morisson n'en a-t-il pas ajouté de ridicules, et de puériles? Dans la vie, dit-il, Béra aurait débuté par l'état ecclésiastique ; puis il aurait fui la maison paternelle pour faire un métier qui n'était pas, à beaucoup près, « une école des moeurs » ; il est allé ensuite s'enfermer au couvent de la Trappe. Puis, à peine entré au barreau, il aurait engagé une violente campagne contre un avocat recommandable par ses talents et sa probité, le fameux Laurendeau (3).

Sans s'arrêter à ce fatras de calomnies, Béra opposa à Morisson les témoignages de sympathie, de respect et d'encouragements qui lui venaient de bien des côtés : d'une Louise du Teil, de M. Lecomte du Teil, des dames de Boisragon, de Magné, de la Barre, veuve de Vareilles-Sommières, de Villedon; les protestations d'un Joseph Labroue, d'un Bernard, ex-payeur général de la Vienne, d'un sieur Barbât,

(1) Arch. delà Vienne, Mémoires judiciaires, Soc. Ant. Ouest, 38 et 42.

(2) Ibid., M4 8. Mémoires justificatifs, 7, 8, 9.

(3) Arch. de la Vienne, Mémoires judiciaires, Soc. Ant. Ouest, 41, p. 3,42.


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d'un sieur Chevallon, greffier du tribunal de Civray, du procureur impérial de La Rochelle, des procureurs de Montmorillon et de Civray, de tous les avoués de la cour d'appel (1), du Premier président Leydet, enfin du Préfet des Deux-Nèthes, Cochon de Lapparent. Cet ancien Ministre de la Police, sous le Directoire, puis Préfet de la Vienne, aurait témoigné, au dire de Morisson, un certain mépris pour Béra. Or le Procureur général écrivit à Cochon de Lapparent pour lui demander s'il était vrai qu'il eût perdu son estime, et voici la réponse qui lui parvint (2) : «J'ai reçu, Monsieur, la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 14 de ce mois (février 1808). Je suis on ne peut plus étonné de la phrase que M. Morisson s'est permis d'insérer dans le Mémoire imprimé dont vous me parlez. L'opinion qu'il me suppose à votre égard est entièrement contraire à la vérité, et je vous ai toujours vu remplir vos fonctions avec beaucoup de zèle et d'intégrité. Il est vrai que j'ai quelquefois ouï dire, peut-être à M. .Morisson lui-même, qu'on vous reprochait de consulter dans des affaires particulières; mais il ne m'appartient pas de décider si cela vous était interdit ', et d'ailleurs ce n'étaient que des ouï-dire, sans aucune preuve, qui ne peuvent entacher un magistrat comme vous', ni faire changer mon opinion à son égard, quoi qu'en dise M. Morisson.

« J'ai l'honneur de vous saluer, Monsieur, avec une considération distinguée.

COCHON. »

Il semble bien que la haute administration et les gens de bon sens désavouaient la campagne menée par le Conseiller Morisson contre le Procureur général ; mais, devant l'obstination du Conseiller continuant d'accuser, sans produire de

(1) Arch. de la Vienne, Mémoires judiciaires, Soc Ant. Ouest, 38.

(2) Ibid., Mémoires judiciaires, Soc. Ant. Ouest, 41. Lettre du 22 février 1808.


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preuves, et à ne pas admettre que sa querelle pût se clore sur des concessions réciproques, il n'y avait pas d'autres ressources pour le gouvernement que d'éloigner de Poitiers les hommes du conflit. Il fut donc décidé, en 1811, que le Conseiller Morisson serait transféré à Bourges où il se rendit. Le Grand Juge convoqua, d'autre part, à Paris, le Procureur général, et lui proposa d'aller exercer ses fonctions à Rome. Béra refusa, ce qui_ permit à ses adversaires de le railler comme ne voulant pas apprendre à Rome la pratique des «Indulgences » (1).

Béra revint à Poitiers, et y reprit la profession d'avocat consultant. Il était chevalier de la Légion d'honneur, et on lui donna une retraite de cent louis, ce qui vaudrait aujourd'hui, dans notre monnaie, vingt-quatre mille francs ; et, dans une lettre à un ami, en décembre 1814, il devait parler du « bonheur du repos », et dire combien il le préférait «à tous les hochets de la vanité» (2). Après la chute de Napoléon, il n'en devait pas moins être élu député de la Vienne pendant les Cent Jours. Les gouvernements de la Restauration ne pouvaient que le tenir à l'écart ; mais la Révolution de 1830 crut lui devoir une consolation, et son fils devint par elle Procureur du Roi.

(1) Arch. de la Vienne, série V, carton 2, pièce 10.

(2) Ibid., pièces 10 et 11.



TABLE DES MATIÈRES

La gendarmerie et la Terreur rurale dans la Vienne 243

Les colonnes mobiles de la Vienne en l'an VII et l'an VIII. . . 261

Prisons et évasions de prisonniers 281

Deux prisonnières de la prison des Pénitentes de Poitiers

(17931794) 305

Les suspects et les brigands royaux après le coup d'Etat de fructidor. 313

Le Calendrier républicain et les épisodes de l'an VI et de l'an VII. 331

Tribunaux spéciaux et radiations d'émigrés 353

Conflit entre Révolutionnaires devenus magistrats d'Empire

(1806-1811) 373

Poitiers. — Société française d'Imprimerie et de Librairie.



TABLE DES MATIÈRES

DTJ TOME XIV

Lettres de Mérimée aux Anliquairesde l'Ouest(1836-1869), recueillies et annotées par Jean MAIXION 1

Table des matières 240

Henri CARRÉ. Nouvelles Recherches sur la Révolution en Poitou. 241 Table des matières 391




MÉMOIRES a BULLETINS

Publiés par la Société des Antiquaires de l'Ouest.

Ire SÉRIE. - 1834 à 1876

Mémoires, tomes IàXL (les tomes I, 1835, XVI, 1848, XVII, 1849, XXVI, 1860-1861, XXX, 4865, XXXII (2= partie), 1867, XXXIX, 1875, XL, 1876, sont èpuixés).

Bulletins, tomes Là XIV (les Bulletins des 4e trim. 1841, 4e trim. I8i3, 2e trim. 4 846, 2» trim. 1858, 2e-3e trim. 1860, 4<= trim. 1861, l" trim: 1862, 4e trim. 1874, 3e trim. 4 872, 4e trim. 4 873, 1« trim. 4874, 4e', 3S trim. 1875, sont épuisés).

Documents, 1 vol. et un atlas [l'atlas est épuisé).

2» SÉRIE. - ANNÉES 1877 à 1906

Mémoires, tomes I à XXX (les tomes II, 1878-1879, X. 1887, XI, 1888, et XXX, 1906, sont épuisés).

Bulletins, tomes I à X (les Bulletins des Ie1', 2e et 3» trim. 1877, 1er, 2e, 3«, 4« trim. 1880, l»r et 4e trim. 1881, l«r trim. 4 903, sont épuisés).

Atlas joint au tome XXIX.

Hors série : Tables générales des Mémoires et Bulletins composant la 2e série.

3e SÉRIE (en cours)

Mémoires, tomes I à XIII (le tome II, 1908, est épuisé). Bulletins, tomes I à X, le dernier s'arrêtant à la fin de 1935 (le bulletin du 1er trim., 1er fasc, de 4920, est épuisé).

Pour les collections complètes ou pour les volumes séparés,

s'adresser au Trésorier de la Société, passage

de l'Echevinage à Poitiers. C. C. Bordeaux n° 2855.