DIMANCHE M JANVIER 1834.
DEUXIEME ANNEE. — N° 7.
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Paraissant tous les dimanches avec une ROMANCE INÉDITE de Madame Pauline DUCHAMBGE, KM. Edouard BRUOUIÈREt Auguste PAN8EHON, Amédée DE BEAITFLAN, Adolphe ADAM, Charles PÏ.AHTADE, Etienne THÉNARD, Jacques STRTOE, BOCHE , etc., etc.
DES MENESTRELS
ANCIENS ET MODERNES.
L'origine des ménestrels se perd dans la nuit des temps. Ils ont succédé aux bardes et réunissaient comme eux les arts de la poésie et de la musique.
Les troubadours étaient un genre, une variété, qui tenait le milieu entre le barde proprement dit et le ménestrel. Long-temps ces trois dénominations se confondirent et désignèrent également ces preux et joyeux chevaliers courant par état les aventures, el passant leur vie à chanter des poésies de leur composition qu'ils accompagnaient du son de la harpe ou de la lyre : à cette époque le violon classique, la guitare ni l'orgue de Barbarie n'étaient pas encore en usage.
La plupart des ménestrels sortirent du nord de l'Angleterre : le nom et les chants d'Ossian se mêlentaux récits fabuleux delà vieille Calédonie. L'Ecosse peut être considérée avec raison comme le berceau de la poésie lyrique.
Les nations avaient un grand respect, de la considération même, pour les bardes. L'art de ces anciens poètes était comme quelque chose de divin ; leur personne était sacrée. Ils étaient invités, accueillis à la cour des rois, dans les palais des grands, etpartoutils étaient recherchés, honorés et bien payés.
A certaines époques les ménestrels ont fourni leur contingent de héros. Plus d'un a montré du courage, de la force d'ame, et a témoigné d'un dévouement profond à sonroi, à son Dieu, à sa dame : c'était la triple devise en usage alors. Le saint nom de patrie était rarement invoqué ; M. Alphonse Karr, dans ces temps reculés, n'aurait pas eu l'occasion d'écrire son incroyable chapitre sur ce que ce peut être que l'amour de la patrie ; Chateaubriand non plus n'avait
pas encore dit : « La patrie est partout où se trouve la tombe d'un père, le berceau d'un lils ! »
Richard d'Angleterre, ce Richard si fidèle, si passionné, oubliait dans sa captivité son trône pour ne regretter que sa dame, et s'écrier amoureusement :
Si Marguerite était ici,
Je m'écrierais: pins de souci !
Richard sousles verrous fut sauvé par Blondel, qui parcourut dix ans l'Allemagne sous les habits d'un simple mène strelpour retrouver son maître et chanter son malheur. Il le sauva ! Sedaine et Grétry ont immortalisé son dévouement; et l'Opéra-Comique au bon vieux temps de sa gloire a célébré mille fois dans Blondel le triomphe de l'amitié ; dans Marguerite celui de la tendresse.
En 1581, sous le règne de Richard II, Jean de Gaunt érigea à Turburg, dans le comté de Straford, un tribunal des ménestrels, a l'instar de ceux déjà établis en France. Ce tribunal était chargé de juger toutes les affaires qui survenaient entre les ménestrels, avec plein pouvoir de faire exécuter ses jugements.
Leicester donna en 1575, à la reine Elisabeth, une fête célèbre ; parmi les divertissements divers dont elle fut composée (est-il dit), on fit paraître un personnage vêtu comme les anciens ménestrels. « 11 parut, fit d'abord trois révérences profondes, toussa»p}ur. éclairc cir sa voix, essuya ses lèvres du creux de la mamàttjia^pda sa ' « harpe, et après avoirpréludé un instant chanta une roïpjaeé tiéroï« que sur un fait tiré de la vie du roi Arthur. » "*■'•'
Les ménestrels, on le voit par cet exemple, étaient bien déchus du haut rang qu'ils avaient occupé dans l'opinion. En général les peuples ignorants admirent toujours ce qui porte le caractère de la supériorité d'esprit et de lumières : aussi voit-on le crédit et l'admiration qu'on avait pour les ménestrels diminuera mesure que les esprits s'éclairèrent. Bientôt la poésie ne fut plus une profession particulière, un état à part ; elle fut cultivée par des hommes de tous les rangs et de tous les états : c'est alors qu on commença à distinguer le musicien du poète.