LE MÉNESTREL
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Westphal ont émis à cet égard (1). Quant à la seconde de ces
", mélodies, plus suspecte à juste titre que la première, elle a été
1 utilisée par le grand Compositeur vénitien Benedetto Marcello,
~ dans, une de ses plus belles oeuvres (le Psaume xvme), et donnée
par lui en notation grecque comme un hymne à Déméter (2).
Il est enfin une troisième catégorie d'oeuvres musicales que nous pouvons considérer, sinon comme des monuments authentiques de l'art grec ou romain, au moins comme le prolongement ~- chrétien de la musique antique. Nous voulons parler des chants
- liturgiques de l'Église primitive. Ils sont à la musique païenne -- ce qu'est le grec du Nouveau Testament à la langue littéraire
de la belle époque classique. La collection de ces mélodies s'est formée pendant les premiers siècles du christianisme, alors que l'art ancien n'avait pas encore entièrement disparu.
La partie musicale de l'Antiphonaire, il est vrai, n'a été fixée par la notation que longtemps après ; nous n'avons donc aucune
-l garantie matérielle de la transmission fidèle des caiitilènes chrétiennes. Toutefois, quand on réfléchit à la ténacité de la tradition
~ au sein des communautés religieuses, aux précautions que l'Église
. prit de bonne heure pour la conservation de son chant, — dès le temps de Constantin nous voyons surgir à Rome des écoles pour les enfants de choeur — au. peu de changement que ces
" mélodies ont subi depuis le ixe siècle (3) jusqu'à nos jours, à l'extrême simplicité de leur structure, qui les garantit contre toute altération fondamentale, on est porté à croire que notre
r Antiphonaire actuel, dans ses parties essentielles, ne diffère pas sensiblement de celui que saint Grégoire le Grand compila dans
' les dernières années du vr 3 siècle.
_- Au delà de cette époque, la tradition nous abandonne. Il n'est pas impossible toutefois de remonter plus haut et de déterminer la date relative des divers éléments dont s'est formé l'Antipho. naire grégorien. Sans entrer maintenant au fond de cette question, réservée pour un autre endroit, disons que l'on reconnaît
" facilement deux couches de chants, correspondant à deux âges distincts. La plus récente se compose de morceaux. mélismatiques et développés (répons, graduels, traits, introïts, alléluias) ; ce sont, en général, des variations sur des motifs mélodiques plus anciens.
-" Ces morceaux, dont l'exécution suppose l'existence d'un corps de
, chantres exercés, ne doivent pas remonter au delà du vr 3 siècle.
- Une seconde couche, plus ancienne, est fournie par les chants syllabiques. Par là nous ne désignons pas seulement les parties primitives de la liturgie (la psalmodie, la préface, le Pater, etc.),
s- mais aussi les antiennes des Heures. Celles-ci sont composées
i sur une trentaine de mélodies-types, que l'on pourrait appeler les
^ thèmes fondamentaux de la musique chrétienne (4), et nous reprél
reprél sans aucun doute les formes mélodiques les plus en vogue
dans le monde romain aux premiers siècles de notre ère. On ne
peut nier que ces monuments n'aient une véritable importance.
Lors même qu'on les considérerait seulement comme des produits
d'un art propre aux chrétiens, la musicologie pourrait encore en
- tirer de grandes lumières. Il va de soi qu'en l'absence de travaux spéciaux et approfondis sur ces compositions, on ne doit s'en servir qu'avec une extrême réserve. Au moins est-on autorisé à 'es consulter alors que nous cherchons en vain un exemple dans ks rares spécimens de l'art païen (5).
F.-A. GEVAERT. (A suivre.)
(1) "Voir l'analyse critique de WESTPHAL, Metrik (2e éd.), II, p. 622 et suiv. ,
(2) Parte di canto greco del modo ipolidio sopra un inno d'Omero a Cerere. Éd. teCARLi. (Paris), t. II, p. 181.
(3) Voir l'analyse d'une ,foule d'antiennes dans Aurélien de Réomé (ap. GERBERT, Scriptores ecclesiastici de musica sacra. St Biaise, 1784, I, 42 et suiv.).
(4) Cf. DE YROYE et VAN EI.EWYCK, De la musique religieuse. Les congrès de Ualines et de Paris. Paris, Louvain et Bruxelles, 1866, p. 3-41.
(5) Autant la partie pratique de l'art ancien nous est parvenue d'une manière fragmentaire et obscure, autant la partie théorique nous est connue par de nombreux documents. La plupart des traités écrits en langue grecque ont été recueillis dans trois collections, dont nous allons énumérer le contenu. (En v°ir le détail à la page 9 et suivantes de l'ouvrage de M. Gevaert.)
SEMAINE THEATRALE
ET MUSICALE
Tout l'Opéra, directeur en tête, assistait, mardi dernier, aux obsèques d'Alphonse Royer,' un auteur dramatique, qui dirigea avec honneur, de 1856 à 1862, l'Académie de musique et y laissa de vrais regrets. Alphonse Royer n'était pas seulement un homme de lettres des plus distingués, il avait aussi fait preuve de grandes qualités administratives pendant sa direction de l'Odéon. Aussi peut-o'n affirmer qu'il administra l'Opéra avec toutes les qualités requises, y joi-. gnant, de plus, un caractère essentiellement honorable et paternel. Sans être musicien, il avait un grand goût de la musique. Ses poëmes lyriques : la Favorite, Lucie et don Pasquale en témoignent. Le théâtre lui était connu, et ses études linguistiques lui avaient même permis d'en écrire l'histoire universelle, on peut le dire. Nommé plus " tard inspecteur général des Beaux-Arts , Alphonse Royer prouva que le goût des lettres ne pouvait que développer chez un esprit bien doué l'amour des arts. De même qu'il avait appris à aimer la musique, il se prit d'une affection non moins éclairée pour la peinture, infatigable travailleur, il lisait ou écrivait du premier au dernier jour de l'année. Dans ces derniers temps, on le voyait encore aux prises avec les langues les moins vivantes, afin de pouvoir arriver à exhumer dans les livres anciens de tous pays les premiers agissements de l'art théâtral dont il avait fait sa vie.
Une fluxion de poitrine l'a enlevé en quelques jours, à la profonde désolation de ses amis. Officier de la Légion d'honneur, les honneurs militaires lui ont été rendus par un détachement du 37e de ligne. Une messe en musique a été dite par la maîtrise de l'église de la Trinité, dirigée par M. Grisy, de l'Opéra, et M. Faure a chanté le Pie Jesu, composé par lui pour les obsèques de Ponchard, son professeur.
Au Père-Lachaise, plusieurs discours ont été prononcés sur la tombe d'Alphonse Royer. Voici celui de M. Halanzier, directeur actuel de l'Opéra et ami du si sympathique et si honorable défunt, que le Ménestrel s'honorait de compter parmi ses collaborateurs :
MESSIEURS,
Des voix plus autorisées que la mienne vous rappelleront tout à l'heure ce que fut, comme écrivain, l'homme excellent dont cette fosse vient de recevoir la dépouille mortelle.
Elles vous diront qu'Alphonse Royer, l'un de-s plus fervents adeptes de l'idée romantique, se fit d'abord connaître par un grand nombre de romans remar•
remar• même à cette belle époque de 1830, si féconde en talents de premier ordre dans toutes les branches de l'art et de la littérature.
Elles vous diront encore qu'Alphonse Royer, ce Parisien par excellence, n'hésita pas à sacrifier ses goûts, ses habitudes, sa réputation déjà conquise, . pour s'expatrier en Orient et aller défendre les intérêts de la politique française, dans ce journal de Constantinople dont il fut le fondateur et, pendant plusieurs années, le rédacteur en chef.
Mais nul n'exprimera avec plus de conviction et de chaleur, à défaut d'éloquence, combien Alphonse Royer était sympathique à tous, quelle estime inspirait sa vie toute d'honneur et de travail, quel vide nous laisse sa mort si prompte, si inattendue !
La raison en est simple, Messieurs ; c'est que je connaissais Alphonse Royer depuis vingt ans, et, vous le savez, le connaître c'était l'aimer.
C'est au nom de l'Opéra, dont il fut pendant six années le directeur, que je vous demande la permission de dire à notre ami un dernier adieu.
Pour rappeler son avènement à ce poste envié dont il se montra si constamment digne à tous égards et qu'il abandonna avec une résignation si. calme, je ne saurais mieux faire que citer un passage de son dernier livre, l'Histoire de l'Opéra. ' Yoici avec quelle modestie vraie, avec quelle touchante simplicité, Alphonse Royer s'exprimait sur son propre compte :
,« Le 1er juillet 1856, on venait me chercher à l'Odéon, que je dirigeais dei puis trois ans, et on me donnait (bien malgré moi) la succession de Gros•
Gros• En décembre 1862, M. Emile Perrin, directeur de l'Opéra-Comique,
j « me succédait. » Et c'est tout !
L'homme n'est-il pas tout entier dans ce résumé plus que succinct d!une di| rection de six années ?
; De ce qu'il fit pendant ces années, de ce qu'il dépensa d'activité, d'intellij gence, de ce qu'il trouva de ressources dans son esprit sans cesse en éveil, pas
un mot.
: Un silence si sévère sur soi-même serait invraisemblable, car la nature
humaine a pris soin de mettre des bornes à la modestie; mais ce silence n'a
rien qui nous étonne, quant à nous. IL est pour ainsi dire une manifestation
- toute naturelle de ce coeur doux et bon, qui, rempli de bienveillance pour