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Titre : Bulletin historique et philologique du Comité des travaux historiques et scientifiques

Auteur : Comité des travaux historiques et scientifiques (France). Auteur du texte

Éditeur : Comité des travaux historiques et scientifiques (Paris)

Date d'édition : 1893

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32729088p

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb32729088p/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

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Description : 1893

Description : 1893 (N2).

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k5614943t

Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 8-LC18-347 (BIS)

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 19/01/2011

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MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE ET DES BEAUX-ARTS .

BULLETIN

HISTORIQUE ET PHILOLOGIQUE

DU

COMITÉ DES TRAVAUX HISTORIQUES

ET SCIENTIFIQUES

ANNEE 1893. — N° 2.

PARIS ERNEST LEROUX, ÉDITEUR

28, RUE BONAPARTE, 28 M DCCC XCIII


SOMMAIRE DES MATIÈRES

CONTENUES DANS LE DEUXIÈME NUMÉRO

CONGRÈS DES SOCIÉTÉS SAVANTES DE PARIS ET DES DÉPAUTEHBNTS A LA SOUBONSK, p. 109-165.

ANNEXE aux procès-verbaux du Congrès de la Sorbonne, p. 166-265.

Communication de M. l'abbé GALABERT : Désastres causés par la guerre de Cent ans au pays de Verdun-sur-Garonne à la fin du XIVe siècle, p. 166-170.

Communication de M. MIREUR : Procession d'actions de grâces à Brignoles (Var) en l'honneur de la délivrance d'Orléans par Jeanne d'Arc (1429), p. 175. 178.

Communication de 11. DUBOIS : Les noms de baptême à Amiens, p. 178-181.

Communication de M. DE LA GRASSERIE : De la strophe et du poème dans la versification française, spécialement en vicus français, p. 181-226.

Communication de M. COUARD : Visite du comte de Noircarmes de SainteAldegonde à Paris, Ferney et Baden, chez Rousseau, Voltaire et Gessner, en 1774 P- 226-235.

Communication de Al. le chanoine ABBELLOT : Du théâtre en Limousin, au XVIe siècle, p. 236-239.

Communication de M. GUESNON : Restitution et interprétation d'un texte lapidaire du XVIIIe siècle, relatif à la bataille de Bouvines, p. 219-2(4. (Planche.)

Communication de Mme Gérasime DESPIEREES : L'imprimerie à Alençon, de 1529 à 1575, p. 244-265.


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CONGRÈS

DES

SOCIÉTÉS SAVANTES DE PARIS ET DES DÉPARTEMENTS A LA SORBONNE

Le mardi 4 avril, le Congrès s'ouvre à deux heures précises dans l'amphithéâtre provisoire de la vieille Sorbonne, sous la présidence de M. Edmond Le Blant, membre de l'Institut, président de la Section d'archéologie du Comité des travaux historiques et scientifiques, directeur honoraire de l'École française de Rome.

Sont présents : MM. Gréard, vice-recteur de l'Académie de Paris; Janssen, Himly, Léopold Delisle, Glasson, Alexandre Bertrand, Mascart, Levasseur, Servois, de Lasteyrie, Havet, Lyon-Caen, Héron de Villefosse, docteur Hamy, Appell, Charles Tranchant, docteur Chatin, Chabouillet, Léon Vaillant, Le Roy de Méricourt, Georges Périn, de Saint-Arroman, Babelon, Marcel, Gazier, de Goyon, Cordier, colonel de la Noë, Anatole de Barthélémy, Drapeyron, Maxe-Werly, conseiller Pascaud, Bonnassieux, comte de Marsy, capitaine Espérandieu, Alfred Neymarck, Bladé, Rameau de Saint-Père, Bélisaire Ledain, Joret-Desclozières, Forestié, docteur Lemoine, lieutenant Denis, Louis Audiat, commandant Mowat, Joseph Letaille, Chaper, Cotteau, Couard-Luys, de Mélit, président Sorel, Fourdrignier, comte de DI'OD, de Saint-Genys, docteur Charlier-Tabur, Charles Joret, docteur Lédé, abbé Morel, HubertValleroux, Séré-Depoin, abbé Haigneré, Léon Vidal, Advielle, Ch. Lueas, etc., etc.

M. Edmond LE BLANT prend la parole en ces termes :

HlST. ET PHILOL. 8


110

« Messieurs,

« Appelé cette année à l'honneur de présider la séance du Congrès des Sociétés savantes, je m'empresse de vous remercier de votre concours et des mémoires que vous nous avez adressés.

« Il ne m'appartient pas de vous parler de ceux qui intéressent toutes les sections du Comité, mais vous me permettrez de vous dire quelques mots des travaux de l'archéologie. Nous avons été heureux de recevoir des correspondants du Ministère des communications importantes et variées. Quelques-unes ont été inspirées par des découvertes récentes ou par l'étude des monuments. D'autres, que nous aurions voulues encore plus nombreuses, répondent à des questions signalées à la curiosité de nos confrères provinciaux. C'est ainsi que leurs divers mémoires traitent des mosaïques d'un de nos départements, de pièces d'orfèvrerie ancienne, des costumes de nos pères, de plusieurs trouvailles numismatiques, des objets d'origine étrangère que possède l'un de nos musées, et enfin de quelques superstitions demeurées vivaces en certaines parties de notre sol. Les auteurs qui se sont arrêtés à cette dernière étude me- permettront de noter ici que l'intérêt présenté par ces singulières croyances devient plus vif lorsqu'on en montre l'ancienneté, je dirai même l'antiquité souvent très haute. Comme leur disparition, leur persistance mérite d'être relevée par qui s'intéresse à l'histoire des traditions, à celle des progrès de la pensée humaine.

« Puisque je viens dédire un mot des sujets proposés par notre section du Comité, il me faut exprimer un regret : celui de n'avoir pas vu entreprendre, comme nous l'avions souhaité et suggéré, l'étude de nos beaux et nombreux sarcophages païens ornés de sculptures. Il y aurait là une recherche importante et qu'il serait fâcheux, pour ne pas dire plus, d'abandonner à l'activité des savants étrangers. J'en dirai autant d'une oeuvre d'ensemble sur nos mosaïques exécutées aux temps antiques et au moyen âge. Un autre sujet inscrit, comme ce dernier, dans notre programme actuel est également intéressant pour l'histoire de l'art : c'est la recherché des matériaux que peuvent lui fournir, dans une région déterminée, les anciennes Vies des saints de cette région. Mieux que tous autres, nos correspondants peuvent, par leur exacte connaissance des pays qu'ils habitent, apporter sur ce point de précieuses lu- :■ mières.


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« J'ai eu, pour ma part, un vif plaisir à voir figurer parmi les mémoires que nous allons entendre une notice sur des fragments de sarcophages chrétiens à sculptures retrouvés dans un village du Quercy; c'est là un travail qui témoigne d'un excellent esprit d'investigation; nous ne pouvons qu'y applaudir, comme à tout ce qui a pour but de faire connaître et de sauver ainsi des monuments antiques. J'en dirai autant d'une note écrite par l'un de nos savants officiers sur des dolmens de la Tunisie. Si le sol de la France ne recèle pas, comme celui de l'Italie, d'inépuisables trésors archéologiques, nos possessions de l'Afrique du Nord nous apportent de larges compensations; elles nous ont donné et nous réservent des découvertes d'une haute valeur. Des érudits, parmi lesquels figurent plusieurs membres de l'École française de Rome, fouillent en ce moment, avec l'aide du gouvernement, avec celle de notre Académie, des ruines, sous lesquelles sont enfouies tant d'épaves de l'antiquité : villes, théâtres, inscriptions, statues, bas-reliefs, mosaïques, sarcophages richement sculptés. Il y aura là, il y a déjà, grâce aux efforts des chercheurs et des savants, toute une résurrection d'un passé chrétien et païen pour les oeuvres duquel le temps et surtout les hommes se sont montrés moins impitoyablement destructeurs que dans tout autre pays.

« Après ces quelques mots, dans lesquels vous m'excuserez de vous avoir entretenus d'une seule de nos classes, si étroitement reliée d'ailleurs par ses travaux mêmes à celles des beaux-arts, de l'histoire et de la géographie, j'ai l'honneur de vous inviter, Messieurs, à vous rendre dans les salles assignées à chacune des sections du Congrès. »

M. DE SAINT-ARROMAN, chef du 1er bureau de la Direction du secrétariat et de la comptabilité au Ministèrede l'instruction publique, des beaux-arts et des cultes, donne ensuite lecture de l'arrêté ministériel constituant les bureaux des cinq sections du Congrès :

Le Ministre de l'instruction publique, des beaux-arts et des cultes,

Arrête :

M. Ed. Le Blant, membre de l'Institut, président de la Section d'archéologie du Comité des travaux historiques et scientifiques, directeur honoraire de l'École française de Rome, présidera la


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séance d'ouverture du Congrès des Sociétés savantes, le mardi 4 avril prochain.

Suivant l'ordre de leurs travaux, MM. les délégués des Sociétés savantes formeront des réunions distinctes,, dont les bureaux seront constitués ainsi qu'il suit :

Histoire et philologie.

Président de la Section : M. Léopold DELISLE. Secrétaire : M, GAZIER.

Présidence des séances.

Mardi 4 avril : M. Léopold DELISLE, président de la Section.

Mercredi 5 avril. — Matin : M. SERVOIS, membre du Comité des travaux historiques et scientifiques. — Soir : M. Gaston PARIS, vice-président de la Section.

Jeudi 6 avril. — Matin : M. A. DE BOISLISLE, membre du Comité des travaux historiques et scientifiques. — Soir : un assesseur.

Archéologie.

Président de la Section : M. Ed. LE BLANT. Secrétaire : M. R. DE LASTEYRIE.

Présidence des séances.

Mardi 4 avril : M. CHABOUILLET, vice-président de la Section.

Mercredi 5 avril. — Matin : un assesseur. — Soir : M. Ed. LE BLANT, président du Congrès.

Jeudi 6 avril. — Matin : un assesseur. — Soir : M. A. DE BARTHÉLÉMY, membre du Comité des travaux historiques et scientifiques.

Sciences économiques et sociales.

Président de la Section : M. E. LEVASSEUR. Secrétaire : M. Ch. LYON-CAEN. Secrétaire-adjoint : M. BONNASSIEUX.

Présidence des séances.

Mardi 4 avril. M. LEVASSEUR, président de la Section.

Mercredi 5 avril. — Matin : M. DE FOVILLE, membre du Comité


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des travaux historiques et scientifiques. — Soir : M. GLASSON, membre du Comité des travaux historiques et scientifiques.

Jeudi 6 avril. — Matin : M. Fr. PASSY, membre du Comité des travaux historiques et scientifiques. — Soir : M. TRANCHANT, viceprésident de la Section.

Vendredi 7 avril. — Matin : M. AULARD, membre du Comité des travaux historiques et scientifiques. — Soir : M. LEVASSEUR, président de la Section.

Sciences.

Président de la Section : M. BERTEELOT. Secrétaires : MM. ANGOT et L. VAILLANT.

Présidence des séances.

Mardi 4 avril : M. MASCART, vice-président de la Section; M. FRIEDEL, membre du Comité des travaux historiques et scientifiques.

Mercredi 5 avril. — Matin : M. DARBOUX, membre du Comité des travaux historiques et scientifiques; M. APPELL, membre du Comité des travaux historiques et scientifiques; M. le Dr LE ROY DE MÉRICODRT, membre du Comité des travaux historiques et scientifiques. — Soir : M. FOUQUÉ, membre du Comité des travaux historiques et scientifiques.

Jeudi 6 avril. — Matin : M. le Dr LE ROY DE MÉRICOURT, membre du Comité des travaux historiques et scientifiques. — Soir : M. MILNE EDWARDS, vice-président de la Section.

Vendredi 7 avril. — Soir: M.DUCHARTRE, membre du Comité des travaux historiques et scientifiques.

Géographie historique et descriptive.

Vice-président de la Section : M. Alexandre BERTRAND. Secrétaire : M. le Dr HAMY.

Présidence des séances.

Mardi 4 avril : M. Alex. BERTRAND, vice-président de la Section.

Mercredi 5 avril. — Matin : M. le colonel DE LA NOË, membre du Comité des travaux historiques et scientifiques. — Soir : M. HIMLY, membre du Comité des travaux historiques et scientifiques.


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Jeudi 6 avril. — Matin : un assesseur.— Soir : M. MAUNOIR, membre du Comité des travaux historiques et scientifiques. Les assesseurs seront choisis parmi les membres du Congrès.

Fait à Paris, le 27 mars i8g3.

Signé : Cs. DUPUY

La séance est levée à. deux heures trois quarts, et les différentes sections se réunissent dans les locaux qui leur ont été affectés.

HISTOIRE ET PHILOLOGIE

La Section d'histoire et de philologie se réunit en séance particulière, à deux heures et demie, dans l'amphithéâtre provisoire de l'ancienne Sorbonne.

M. Léopold DELISLE, président de la Section d'histoire et de philologie, donne lecture de l'arrêté ministériel qui a constitué le bureau de la Section :

Président de la Section : M. L. DELISLE.

Secrétaire : M. GAZIER.

Présidences des séances particulières.

Mardi soir : M. DELISLE.

Mercredi matin : M. G. SERVOIS, membre du Comité des travaux historiques. Mercredi soir : M. G. PARIS, vice-président du Comité. Jeudi matin : M. DE BOISLISLE, membre du Comité. Jeudi soir : un assesseur.


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SEANCE DU MARDI 4 AVRIL 1893

SOIR

PRÉSIDENCE DE M. LÉOPOLD DELISLE, ASSISTÉ DE MM. SERVOIS ET JULIEN HAVET, MEMBRES DU COMITÉ.

Assesseurs : MM. RÉVILLOUT, professeur honoraire à la Faculté des lettres de Montpellier, chanoine POTTTER, FORESTIÉ.

Conformément aux instructions ministérielles, l'ordre du jour des séances a été fixé à l'avance ; il a été imprimé et mis à la disposition de MM. les délégués des Sociétés savantes; il sera suivi, dans la mesure du possible, de la manière la plus régulière,

COMMUNICATIONS ANNONCÉES PAR MM. LES DÉLÉGUÉS DÉS SOCIÉTÉS

SAVANTES.

Mardi. 4 avril, à 2 heures 1\2.

M. le chanoine CALHIAT (Henri), de la Société archéologique de Tarn-et-Garonne : Réponse à la cinquième question du programme.

M. FINOT (J.), archiviste du département du Nord, correspondant du Ministère : Relations commerciales de la Flandre, au moyen âge, avec les villes de la Rochelle, Niort. Saint-Jéan-d' Angely, Bayonne, Biarritz, Bordeaux et Narbonne.

M. l'abbé GALABERT, de la Société archéologique de Tarn-et-Garonne : Désastres causés par la Guerre de Cent ans au pays de Verdun-sur-Garonne à la fin du XIVe siècle.

M. l'abbé LEMIRE, du Comité flamand de France : Réponse à là troisième question du programme.

M. LOISELEUR, de la Société archéologique et historique de l'Orléanais, correspondant honoraire du Ministère : Mesures à prendre pour le dépouillement des anciennes minutes des notaires.

M. MLREUR, correspondant du Ministère, archiviste du département du Var : Procession d'actions de grâces à Brignoles en l'honneur de la délivrance d'Orléans par Jeanne d'Arc, 1429.


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M. le chanoine POTTIER, de la Société archéologique de Montauban, correspondant du Ministère : Réponses aux sixième et septième questions du programme.

M. REBUT, professeur au Lycée de Vendôme : Réponse à la deuxième question du programme.

M. SÉE, professeur au Lycée de Chartres : Réponse à la première question du programme.

Mercredi 5 avril. Le matin, à 9 heures.

M. l'abbé BOURDAIS, de la Société philologique de Paris : Sur le procédé de sectionnement dans la cosmogonie sémitique.

M. l'abbé DELAMARRE, du Comité flamand de France : Réponse à la dixième question du programme.

M. GODIN, de la Société de géographie de Lille : Rapports entre la Flandre et le Portugal de 1094 à 1 682.

M. GRELLET-BALGUERIE, de la Société archéologique de la Gironde :

1° Détermination de quelques localités mérovingiennes et carolingiennes dans la Gironde;

2° Un document historique et décisif sur l'emplacement de la villa Cassinogilo.

M. GUIRAUD, professeur au Lycée de Sens : Le monastère de Prouille au XIV siècle. — Une grande exploitation agricole en Languedoc en 1340.

M. MUSSET (Georges), de la Commission des arts et monuments historiques de la Charente-Inférieure, correspondant du Ministère :

1° Les signatures dans les actes notariés avant le XVIIIe siècle;

2° Les Flamands et les communes de l'ouest de la France au moyen âge. — Accords et conflits.

M. PRUD'HOMME, de l'Académie delphinale, correspondant du Ministère, archiviste du département de l'Isère : De l'origine et du sens des mots Dauphin et Dauphine, et de leurs rapports avec l'emblème du Dauphin en Auvergne, Dauphine et Forez.

M. SOUCHON, archiviste du département de l'Aisne, de la Société académique de Laon : Préface à l'inventaire sommaire des archives antérieures à 1790 des communes du canton d'Anizy-le-Château {Aisne).

M. le baron TEXTOR DE RAVISI, de la Société académique indochioise de France : Vulgarisation des études orientales ou sommaire des travaux des Sociétés savantes de Paris et des principaux ou-


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vrages publiés en 1892. — Titre des ouvrages et manuscrits orientaur entrés dans les bibliothèques nationales en 1 892.

M. VINGTRINIER, de la Société littéraire, historique et archéologique de Lyon : Érection de la Savoie en duché.

Le soir, à 2 heures 1\2.

M. DUBAIL-ROY, de la Société belfortaine d'émulation : Réponse à la huitième question du programme.

M. DUBOIS, de la Société des Antiquaires de Picardie : Réponse à la dixième question du programme.

M. DURIEU, professeur au Lycée de Nantes : Que faut-il penser du séjour de Molière à Nantes?

M. FABIA, professeur à la Faculté des lettres de Lyon : Les adverbes et les interjections languedociens qui ont deux formes, l'une pour le singulier, l'autre pour le pluriel.

M. LA GRASSERIE (Raoul DE), de la Société philotechnique de Paris : De la strophe et du poème, principalement en vieux français.

M. LECIGNE, professeur au collège d'Aire-sur-la-Lys : Réponse à la dixième question du programme.

M. PINEAU, professeur au Lycée de Tours : L'arbre de mai. Son origine et sa signification. Importance de cette coutume au point de vue de la mythologie comparée des peuples gréco-latins et des peuples de race germano-Scandinave.

M. VEUCLIN, correspondant du Comité des Sociétés des beauxarts des départements : Réponse à la dixième question du programme.

Jeudi, 6 avril. Le matin à 9 heures.

M. BRAQUEHAYE, correspondant du Ministère, à Bordeaux.

i° Le duc d'Epernon;

2° Bernard de Nogaret et de La Valette ;

3° Notes biographiques sur Guillaume de Girard.

M. BRUN (Charles), delà Société LeFélibrige latin, àMontpellier : Les troubadours et les trouvères à la cour des seigneurs de Montpellier pendant le XIIIe siècle.

M. COLETTE, de la Société de topographie de France : Géographie appliquée à l'histoire.

M. COUARD-LUYS, de la Société des sciences morales, lettres et


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arts de Seine-et-Oise, correspondant du Ministère : Le pèlerinage d'un Pythagoricien à Paris, Ferney et Baden en 17 74.

M. DANGIBEAUD, de la Société des archives historiques de la Saintonge et de l'Aunis : Une justice seigneuriale à la fin du xve siècle:

M. FORESTIÉ (Edouard), de la Société archéologique de Tarn-etGaronne : Un épisode de l'histoire de Lourdes au xive siècle.

M. FORESTIÉ (Em.), neveu, de la Société archéologique de Montauban : Jean de Corneille de Rouen, docteur-médecin et professeur à Montauban au xvie siècle.

M. JORET, professeur à la Faculté des lettres d'Aix : Occupation de Majorque en 1715, d'après la correspondance inédite du maréchal d'Asfeld.

M. MILA DE CABARIEU, de la Société archéologique de Tarn-etGaronne : Note sur le bureau des Trésoriers de France de Montauban.

M. TEXTE, professeur à la Faculté des lettres de Lyon : Le journal intitulé : L'Esprit des journaux français et étrangers, 1772-1803.

Le soir, à 2 heures.

M. le chanoine ARBELLOT, de la Société archéologique et historique du Limousin, correspondant honoraire du Ministère : Réponse à la douzième question du programme.

M. ASTIER, professeur au Lycée de Toulouse :

i° Sur la sépulture de Bertrand Du Guesclin;

2° Réponse à la dix-septième question du programme.

M. le chanoine CHEVALIER (Ulysse), de la Société départementale d'archéologie etde statistique de la Drôme, membre non résidant du Comité des travaux historiques et scientifiques : Détails sur l'hymnologie.

Mme DESPIERRES, correspondant du Comité des Sociétés des beaux-arts des départements : L'imprimerie à Alençon au XVIe siècle.

M. DUCHAUSSOY, de la Société linnéenne du Nord delà France, à Amiens : Réponse à la dix-septième question du programme. :

M. GARNAULT (Emile), de l'Académie des belles-lettres, sciences et arts de la Rochelle : Réponse à la seizième question du programme.

M. GAUTHIER (J.), archiviste du Doubs, correspondant du Minis-


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tère : La fabrication du papier en Franche-Comté et les filigranes comtois du XVe au XVIIIe siècle.

M. le docteur LOOTEN, du Comité flamand de France : Réponse à la douzième question du programme.

La parole est à M. le chanoine CALHIAT, de la Société archéologique de Tarn-et-Garonne, aumônier du Lycée de Montauban.

M. Calhiat mentionne brièvement, pour répondre à la 5e question du programme (Vieilles liturgies des Églises de France), Un usage encore en vigueur dans la paroisse de Saint-Pierre à Moissac, à l'occasion de là procession des Rogations. Chaque fidèle se muûit d'un bâton blanc béni par l'archiprêtre avant la cérémonie, s'en sert pour marcher durant la procession, et au retour le plante dans son jardin, parce qu'il y voit un préservatif et pour ainsi dire un paratonnerre. Cet usage remonte aux anciens moines bénédictins qui, pour faire la procession des Rogations, prenaient un bâton, soit pour faire l'ascension de la colline au bas de laquelle se trouve Moissac, soit pour écarter les animaux malfaisants.

M. Calhiat montre l'usage suivant, qui existe encore à Montricoux (Tarn-et-Garonne), pour la même cérémonie.

Là, les processions sont longues, durent jusqu'à deux et trois heures dans la campagne. Les paysans les font à jeun, à cause du jeûne autrefois de rigueur pour les Rogations. Mais les enfants ne manquent jamais de prendre dans leurs poches, pour les manger en route, le premier jour du fromage, le deuxième, des oeufs durs, et lé troisième de l'ail frais.

Enfin, M. Calhiat signale la coutume assez connue en France qui consiste pour les enfants de Tarn-et-Garonne à orner d'oranges, de gâteaux et de rubans les rameaux qu'ils portent triomphalement à la messe du dimanche des Rameaux.

Cette communication donne lieu à un échange de vues entre divers délégués présents au Congrès; MM. Galabert, Martin, Gauthier, de l'Estourbeillon signalent quelques usages analogues.

M. l'abbé GALABERT, de la même société, lit un mémoire sur les désastres causés par la guerre de Cent ans, à la fin du xive siècle, dans le pays de Verdun-sur-Garonne.


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Les bourgeois fortifièrent leurs villes dès que les bandes anglaises envahirent la prédicature de Verdun; les villages, suivant l'impulsion donnée, obtinrent la permission de construire des forts, fortalices ou réduits.

Au lieu de mettre un terme aux incursions de la soldatesque, le traité de Brétigny leur donna un nouvel élan, les bandes se trouvant sans solde ne pouvaient vivre que de pillage. Aussi les paysans se retirèrent à l'abri des remparts de leurs villages; quand ils étaient trop pauvres pour construire un réduit, ils abandonnaient leurs hameaux, qui ont disparu pour ne plus se relever.

Il serait difficile de décrire les divers méfaits causés par les pillards, qui ruinèrent les trois abbayes du pays et divers prieurés. Beaucoup de villages virent fortement diminuer leur population.

Les paysans étaient fort riches avant ces désastres ; ils faisaient des legs considérables aux hôpitaux et maladreries locales, étaient fort bien vêtus, recueillaient beaucoup de vin ; après le passage des bandes ils étaient à peu près incapables de payer l'impôt.

La justice faiblissait plus d'une fois, même quand elle était rendue par les légistes royaux.

Pour ne pas mourir de faim, les villageois traitèrent avec les compagnies au moyen de pati ou suffertas; ce crime leur fut pardonné plus tard, souvent moyennant finance, souvent quand les coupables purent faire valoir les services rendus pendant les guerres(').

M. CUPER DE POSTEL de l'Académie de Sainte-Croix, (d'Orléans), donne lecture d'une note de M. Loiseleur, bibliothécaire de la ville d'Orléans, et relative aux mesures qui devraient être prises pour dépouiller les anciennes minutes des notaires. Il faudrait charger MM. les archivistes de faire un relevé des actes notariés relatifs aux personnages célèbres. La lecture de cette note donne lieu à un échange d'observations entre MM. Seré-Depoin, de l'Estourbeillon, Gauthier, etc. M. Gauthier proposerait de déclarer « monuments historiques » les anciennes minutes, qui seraient ainsi conservées.

M. DE L'ESTOURBEILLON demande en outre qu'on fasse des inventaires des archives privées conservées dans les châteaux. Enfin,

(1) Voir à la suite du procès-verbal la communication de M. l'abbé Galabert.


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M. Seré-Depoin saisit cette occasion pour demander que l'on publie les archives des justices seigneuriales.

M. MIREUR fait connaître un compte de la ville de Brignolles (Var) mentionnant une procession qui eut lieu dans cette ville à la fin du mois de mai ou au commencement de juin 1429 en réjouissance des nouvelles qui étaient arrivées en Provence des merveilleux succès de Jeanne d'Arc : « Dura venerunt nova illius Piuselle que erat in partibus Francie (1). »

Répondant à la sixième question : Textes inédits ou nouvellement signalés de chartes de communes ou de coutumes, M. le chanoine POTTIER rappelle qu'il a déjà publié en 1890 l'état des coutumes connues du département de Tarn-et-Garonne. 76 chartes pouvaient alors être comptées à l'actif de ce département, 29 avaient été publiées, les autres étaient inédites, et le texte de ces dernières n'était point parvenu jusqu'à nous.

Aujourd'hui, 82 chartes sont connues ; 3o sont publiées, dont la liste est donnée; 37 textes inédits sont conservés soit dans les dépôts publics, soit dans des archives particulières; 15 ont été signalés, mais n'ont pas été encore retrouvés. 21 de ces coutumes inédites ont été recueillies par la Société archéologique, qui en possède les originaux ou des copies authentiques. Les autres textes sont dispersés dans les archives de la Haute-Garonne, de Tarn-etGaronne ou de la Société archéologique du Midi, qui possède les coutumes de Gilhor.

M. le chanoine Pottier, répondant à la septième question du programme {Rechercher à quelle époque, selon les lieux, les idiomes vulgaires se sont substitués au latin), donne lecture de la note suivante :

Jean Cathala Couture écrivait, en 1716, dans un volume manuscrit conservé à la Bibliothèque de Montauban, contenant des articles sur l'histoire des villes, communautés, corps d'état, coutumes et privilèges du Quercy :

« Les actes ou contrats publics commencèrent à être rédigés en langue française en vertu d'un édit de François Ier, en 1541 ; avant, ils étaient rédigés en latin ou en langue vulgaire, ainsi

(1) Voir à la suite du procès-verbal la communication de M. Mireur.


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que le rapporte Jean Vidal, avocat au parlement suprême de Cahors, dans son Histoire des évêques, barons et comtes de Cahors, depuis la publication de l'Évangile jusques en 1664. »

Les comptes municipaux de Moissac commencent à être écrits 1 en français en 1527.

Les actes des notaires sont rédigés en français vers 1530. Dans les campagnes, l'usage de la langue vulgaire a été établi plus tôt que dans les villes. On sait du reste que, dès le XIIe et le XIIIe siècle, les chartes de coutumes étaient écrites en roman pour notre région, ou du moins les actes émanant de la chancellerie royale étaient traduits dans cette langue appelée gasconne, provençale ou romane, avant leur expédition.

M. REBUT, professeur au Lycée de Vendôme, donne communication d'un mémoire sur l"Origine et l'organisation des anciennes corporations d'arts et métiers.

Il résulte de ce travail que la plus importante des corporations qui existaient à Vendôme était celle des gantiers, dont les statuts sont de i6o5; ces statuts furent confirmés en 1606 par lettres patentes données à Villiers^Costraitz,

M. Jules GAUTHIER, archiviste du département du Doubs, de l'Académie de Besançon, donne lecture d'une étude sur la fabrication du papier en Franche-Comté et les filigranes des papiers comtois du xve au XIIIe siècle. D'abord envahie, aux XIIIe et xive siècles, par les papiers de fabrique italienne, allemande ou flamande, la Franche-Comté crée au xve siècle ses premières papeteries, dont le secret est apporté d'abord à Baume-les-Dames, par le Lorrain Henri de Gondreville, en 1448, et l'Orléanais JeanPaticier en 1464; à Besançon, dans le vieux moulin de Tarragnoux vers 1458 par Jean de Rosey. Au XVIe siècle, les papeteries se multiplient pour alimenter les greffes d'innombrables juridictions ou les écoliers de l'Université de Dôle et des nombreux collèges locaux qui pullulent dans les moindres villes ou bourgs de la Franche^ Comté sous le règne prospère de Charles-Quint. Ces usines à papier sont construites successivement à Froidecanche près de Luxeuil, à Cusance et à Guillon près de Baume, à Sirod près de Châteauvilain, à Arcier, aux portes de Besançon, à Dôle, à Echenoz-laMéliue près de VesouL à Lure dans les terres de l'abbé de Lure et Murbach, à Montbéliard-Ralchamp, Glay et Meslières chez le prince


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de Montbéliard-Wurtemberg, à l'Enart sur les terres de l'abbé de Saint-Claude, à Ardon, à Arbois, etc.

Chacune de ces usines a ses marques particulières et le plus souvent des armoiries : à Besançon, le bras de Saint-Étienne, blason du chapitre métropolitain; à Dôle, les armes de la ville et de la Franche-Comté ; à Lure, celles des abbés de Murbach et Lure; à Montbéliard, celles des princes, de Wurtemberg, héritiers des Montfaueon; à Curance, celles des seigneurs du lieu, sires de Belvoir. Aux armoiries, aux initiales plus ou moins mystérieuses qui se transmettent comme indication de leur origine et recommandation de la qualité de leurs produits succèdent chez les papetiers des diverses fabriques des monogrammes, et bientôt après des inscriptions relatant en détail leurs noms ou prénoms.

11 est important de relever et de reproduire tous ces filigranes, dont la série complète, appuyée des listes de fabricants de tous les âges, permettra à l'occasion de constituer la date de nombreux documents d'archives et peut-être d'incunables d'origine inconnue.

Appuyé de nombreuses reproductions de filigranes exécutées par un procédé fort ingénieux sur papier au ferro-prussiate, le travail de M. Gauthier, dont M. Léopold Delisle fait ressortir l'importance et l'utilité, est retenu pour être inséré in extenso dans le Bulletin du Comité (1+).

M. Edouard FORESTIÉ, archiviste de l'Académie des belles-lettres de Montauban, communique un texte roman de pâli ou convention entre Pierre Arnaud de Béarn, capitaine et châtelain de Lourdes en 1370, et Jean II d'Armagnac.

Les clauses de cet acte sont curieuses. Les effets de la convention étaient momentanément interrompus lorsque le roi de France ou le roi d'Angleterre, suzerains directs des parties, les appelaient à marcher l'une contre l'autre pour leur service et en leur présence.

Le châtelain doit communiquer l'effectif nominatif des hommes pillards de sa compagnie. Il n'est plus responsable des actes de ses soldats, qui changent de situation après qu'il aura averti la partie adverse.

(1) Voir à la suite du procès-verbal la communication de M. J. Gauthier.


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Les pillards de Lourdes s'engagent à respecter les terres d'Armagnac.

M. Forestié accompagne cette communication d'un texte contenant des détails biographiques et historiques sur Pierre Arnaud de Béarn, et rectifie les erreurs commises, à son sujet, par Froissart.

La séance est levée à quatre heures et demie.


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SEANCE DU MERCREDI 5 AVRIL 1893

MATIN

PRÉSIDENCE DE M. G. SERVOIS, GARDE GÉNÉRAL DES ARCHIVES, MEMBRE DU COMITÉ, ASSISTÉ DE MM. LÉOPOLD DELISLE ET JULIEN HAVET, MEMBRES DU COMITÉ

Assesseurs : MM. CUPER DE POSTEL, VINGTRINIER.

La séance est ouverte à neuf heures.

La parole est à M. l'abbé BOURDAIS, de la Société philologique de Paris, qui fait une communication sur le Procédé de sectionnement dans la cosmogonie sémitique.

M. BOURDAIS interroge tour à tour les documents dans lesquels cette cosmogonie nous a été transmise : « les Tôledol du Ciel et de la Terre » en tête de la Genèse ; les textes grecs de Bérose et de Sanchoniaton; les tablettes cunéiformes découvertes par Georges Smith. Après avoir dégagé de ces documents le personnage jouant le rôle de Démiurge respectivement dans chaque cosmogonie, il passe en revue les instruments que les Sémites lui mettaient entre les mains, dans leurs conceptions. Puis il le montre à l'oeuvre. De même que la Genèse insiste d'une façon très remarquable sur le travail de séparation exécuté par Elohim ; de même, la faux gigantesque de El et l'arme terrible de Bel-Marduk frappent, en tranchant, la divinité victime personnifiant les éléments informes de l'état primordial du monde. Cette divinité est principalement celle de la masse des eaux terrestres, de l'Océan. Des deux moitiés de son cadavre, le Démiurge,dans les documents assyriens, forme le Ciel et la Terre. Ainsi s'expliquent, pour les Sémites, ces qualités qui se rencontrent partout dans l'univers.

M. GUIRAUD, ancien membre de l'École française de Rome, professeur agrégé d'histoire au Lycée, de Sens, fait une communication sur le monastère dominicain de Rouille au XIVe siècle- Après avoir .rappelé rapidement les accroissements du couvent depuis sa fondation par saint-Dominique en décembre 1206, jusqu'en 1340, il HIST. ET PHILOL. «I


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étudie le procès-verbal de la visite faite au monastère par frère Pierre Gui, provincial de Toulouse (l). Les biens du monastère étaient divisés eu « granges », sortes de succursales du monastère, répandues dans le Lauragais, le Razès, la Montagne-Noire. Pour donner une idée de ces exploitations rurales, M. Guiraud entre dans le détail de la grange de Ramondens, décrit les revenus tirés de la forêt, de la mine de fer, de l'élevage des troupeaux, dont la, visite donne le recensement; il insiste sur la juridiction de haute justice que le monastère y exerçait en commun avec le roi, de basse justice qui lui appartenait en propre; dans d'autres granges, le monastère percevait des droits féodaux; à Saint-Martin-deLimoux étaient attachées des redevances ecclésiastiques fort importantes qui portaient à plus de 900 livres les revenus de cette seule maison.

Après avoir étudié la grange de Ramondens, M. Guiraud aborde" la description du monastère même. Comme les cent-soixante soeurs étaient cloîtrées, elles étaient dirigées au spirituel et assistées au temporel par des Frères Prêcheurs dont le couvent était juxtaposé à celui des soeurs. Le prieur de Prouille avait, au nom du provincial de Toulouse, pleins pouvoirs sur le prieuré et le couvent des religieuses. De plus, tout ce qui servait à l'approvisionnement du monastère et du nombreux personnel se fabriquait dans les officines de Prouille. Chacune de ces officines était dirigée par un frère dominicain. Pour en donner une idée, M. Guiraud étudie la.sartoria, l'office du tailleur ; puis il mentionne la sutoria ou office du cordonnier, la granateria, la boulangerie, Finfirmerie ; il indique les renseignements précis que donne'la visite sur la nourriture des soeurs et des employés, le salaire des ouvriers, le nombre du personnel, et insiste sur l'importance qu'aurait une étude plus détaillée de toutes les questions d'ordre économique soulevées par la visite de 1340.

M. SOUCHON, archiviste de l'Aisne, lit un mémoire destiné à servir de préface à un inventaire d'archives qui va paraître prochainement, celui des archives anciennes des communes du canton d'Anizy-le-Château. M. Souchon a fait un dépouillement complet des différents documents antérieurs à 1790 qui se trouvent dans les communes ; ces documents sont assez rares dans le départe(1)

départe(1) procès-verbal, conservé aux Archives départementales de l'Aude, sera publié par le R. P. Balme et par M. Guiraud.


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ment de l'Aisne et ne consistent guère que dans les registres de l'état civil. Ces registres remontent généralement à la seconde moitié du XVIIe siècle; ils sont rédigés avec soin : on trouve au bas des actes de l'état civil une assez grande quantité de signatures, preuve que l'instruction était relativement répandue à cette époque dans les environs de Laon. Toutes les paroisses avaient alors des clercs laïques.

Les registres de l'état civil fournissent d'autres renseignements utiles; les curés y ont consigné des observations météorologiques intéressantes, parfois aussi des notes historiques relatives aux événements militaires, aux nombreuses maladies qui sévissaient alors dans les campagnes. Pour combattre ces maladies, il y avait alors, sinon des médecins, du moins des chirurgiens en assez grand nombre. On envoyait sous l'ancien régime, comme aujourd'hui, beaucoup de petits Parisiens en nourrice dans le Laonnais et leSoissonnais, et la mortalité était très grande sur ces malheureux enfants.

On trouve encore dans les registres paroissiaux des indications sur le commerce, l'agriculture, l'industrie; grâce à ces registres, on peut dresser la généalogie des vieilles familles du pays; on remarque la disparition de l'ancienne noblesse féodale; elle est remplacée par la' noblesse de robe qui a su se maintenir jusqu'à l'heure actuelle en possession de la fortune et de la considération.

M. MUSSET, président de la commission-des arts et monuments de la Charente-Inférieure,'fait deux communications :

La première a trait aux signatures dans les actes notariés avant le XVIIIe siècle. Après avoir rappelé les formes usitées au moyen âge dans la rédaction des contrats notariés, M. Musset signale le changement qui se produit au XVIe siècle à la suite des dispositions prescrites par les ordonnances d'Orléans (1560) et Blois (1579), Les notaires sont dans l'obligation de faire apposer la signature des parties au bas des contrats ou de mettre la mention qu'elles ne savent signer. On rencontre alors à côté des signatures un grand nombre de marques occupant la place des signatures. Ce sont tantôt des monogrammes, tantôt des figures rappelant le nom ou la profession du comparant, tantôt encore des marques commerciales ou industrielles.

La seconde communication de M. Musset est relative aux rapports des Flandres avec les communes de l'ouest de la France, au


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moyen âge, principalement en ce qui a trait aux accords et aux conflits nés des relations commerciales.

M. DELACHENAL, au nom de M. A. Prud'homme, archiviste du département de l'Isère, donne lecture d'un mémoire ayant pour titre : de l'origine et du sens des mots Dauphin et Dauphine et de leurs rapports avec l'emblème du Dauphin en Dauphine, en Auvergne et en Forez. Les conclusions de cette étude sont les suivantes : En Auvergne comme en Dauphine, Delphinus est d'abord un prénom, puis un nom patronymique, puis un titre de dignité. Il prend définitivement ce derniers sens, dans les deux pays, à la fin du XIIIe siècle, vers l'année 1282, qui correspond à l'avènement de Robert III en Auvergne et d'Humbert II en Dauphine. A la même époque apparaît, pour la première fois, le mol Delphinatus.

Quant à l'emblème du Dauphin, il n'apparaît dans les sceaux qu'un siècle environ après l'époque où Guigue IV est mentionné pour la première fois avec le nom de Dauphin. C'est Dauphin, comte de Clermont, qui l'adopte le premier à la fin du XIIe siècle. Guigue V, comte du Forez, et André-Dauphin, comte de Vienne et d'Albon, le lui empruntent au commencement du XIIIe siècle.

M. EDOUARD FORESTIÉ, secrétaire général de la Société archéologique de Tarn-et-Garonne, en réponse à la 6e question, présente une analyse de la charte de coutumes du lieu de Montagnac, près Mauvevin (Gers).

Ce document a été découvert par M. Forestié dans les archives de M. de Montesquiou; il présente un intérêt particulier en ce. sens que c'est un « bail à bastir » ou plutôt la charte des privilèges que les seigneurs de Montagnac, Ayceline de Lastours et ses fils concédèrent à tous ceux qui, en 1260, voulurent venir former la nouvelle bastide. Chaque citoyen recevait un terrain pour bâtir, un autre pour un jardin, un troisième pour un pré, et un autre pour cultiver la vigne; enfin, toutes les terres qui pourront être défrichées et ensemencées, le tout sous des redevances minimes consistant en quelques deniers « d'oublies et d'acaptes » ou d'une portion minime de la récolte.

Les seigneurs concédaient en outre le droit de pacage, de four, de bergerie et de porcherie. Deux consuls administreront la communauté avec deux conseillers et un juge; ils auront la garde des portes et la nomination du forgeron communal. La liberté la plus complète est laissée aux habitants quant a la vente de leurs biens


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et à leur propre indépendance. Les droits de justice sont à peu près les mêmes que dans les coutumes similaires.

L'acte dont M. Forestié donne le résumé est un vidimus en parchemin, contemporain de l'original; néanmoins, il ne porte pas la date, mais il est authentique par des signatures ou plutôt des signets très originaux tracés par les témoins de l'acte. On y retrouve des emblèmes pseudo-héraldiques, des instruments agricoles, un peigne de tisserand, des ciseaux, etc.

M. Forestié, dans une courte notice, montre que le lieu de Montagnac fut bientôt après l'objet d'une réclamation du couvent de Grandselve, et qu'à la suite de cette discussion eut lieu un partage entre les abbés de Grandselve et de Gurcoul et les seigneurs de Montagnac, qui régla les droits de chaque partie.

La seigneurie de Montagnac passa des Lastours aux Palastron et aux Cardaillac Loumé, qui la possédaient à la Révolution. La Bastide n'eut jamais qu'une très minime importance.

M. VIN'GTRINIER, de la Société littéraire, historique et archéologique de Lyon, donne lecture d'un mémoire sur l'érection de la Savoie en duché.

La Savoie fut érigée en duché par l'empereur Sigismond, à Montluel, et non à Chambéry, ainsi que le disent les historiens amis de la maison de Savoie, à son retour de Paris, au mois de février 1416, et non en y allant; ni avant d'aller à Perpignan, où il allait voir l'antipape Clément XIII.

Irrité d'avoir été joué par l'antipape, qui ne voulut pas abdiquer entre ses mains, il se rendit à Paris, où il s'allia aux Anglais et aux Bourguignons, ennemis de la France, et où il s'attira des reproches sévères du Gouvernement français, ce qui exaspéra son irritation contre nous.

A Lyon, il trouva le comte Amédée VIII de Savoie, qui le supplia d'ériger la Savoie en duché, ce à quoi il consentit.

On commanda des écussons et des drapeaux, on fit préparer des échafaudages et un trône pour la cérémonie; mais alors les autorités lyonnaises lui signifièrent que Lyon appartenant à la France, il n'avait pas le droit d'y faire acte de souveraineté et que le roi Charles VI s'y opposait.

Plus furieux que jamais, Sigismond sortit de Lyon en proférant des menaces contre la ville, qu'il voulait détruire et raser; il courut à Montluel avec le comte de Savoie et sa suite, y fit acte d'érection puisqu'il était sur les terres savoisiennes ; mais, trou-


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vaut que cette .ville était trop petite pour l'apparat qu'il voulait donner à cette solennité, il se rendit à Chambéry, où il donna des fêtes brillantes eu l'honnenr du nouveau duc.

C'est cette première partie de son acte d'érection que les historiens piémontais passent sous silence comme ayant été offensant pour la majesté impériale, et c'est ce. fait que M. Vingtrinier rappelle sur des documents authentiques.

M. Charles LUCAS, délégué de la société centrale des architectes, français et de l'association littéraire et artistique internationale, donnant une suite aux communications qu'il a faites aux deux dernières sessions sur François Blondel, né à Ribemont (Aisne), le 15 juillet 1618, et qui fut successivement officier des armées de terre et de mer, diplomate, ingénieur militaire et cartographe, littérateur et savant, architecte de la porte Saint-Denis de Paris et premier directeur de l'Académie royale d'architecture, établit, à l'aide de documents de l'époque et de rapprochements empruntés aux nombreux ouvrages si divers de ce grand encyclopédiste, toute l'importance du cabinet de tableaux, de pierres gravées, de médailles, d'émaux et d'autres curiosités que François Blondel avait réunis dans une maison encore existante à Paris, rue Jacob, à l'angle occidental de la rue Saint-Benoît.

M. Ch. Lucas croit, de plus, que Blondel mourut dans cette maison, qu'il habita certainement depuis 1676 jusqu'à 1684, et fixe, d'après les procès-verbaux inédits de l'Académie royale d'architecture, la mort de cet architecte au 21 janvier 1686. En même temps il rappelle que Blondel fut inhumé dans la partie alors seule achevée de l'église Saint-Sulpice actuelle, partie comprenant le choeur et le transept.

M. Forestié neveu, membre de la Société archéologique de Tarn-et-Garonne a réuni quelques détails sur une famille du nom de Corneille, originaire de Rouen, dont le chef Jean Corneille, établi à Montauban dès l'année 1507, professa la médecine avec succès à l'Université de Cahors. M. Forestié n'a pu découvrir le lien qui rattachait peut-être cette famille à celle du grand Corneille; mais il en a bien suivi l'histoire, pendant tout le cours du XVIe siècle, à l'aide d'une lettre de Guillaume Corneille, datée de Montauban le 1er janvier 1596 et qui paraît avoir été imprimée dans la même ville, vers la même époque. Cet opuscule très rare


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et jusqu'ici inconnu renferme des pièces de vers en grec et en latin, signées par un Robert Constantin, originaire de Caen, qui mourut à Montauban en 1606, et non point en Allemagne, comme plusieurs biographes l'ont répété.

La séance est levée à onze heures et demie; elle sera reprise le soir à deux heures et demie.


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SEANCE DU MERCREDI 5 AVRIL 1893

SOIR

PRÉSIDENCE DE M. JULIEN HAVET, MEMBRE DU COMITE, ET ENSUITE DE M. LÉOPOLD DELISLE ; MM. GEORGES PICOT ET LÉON GAUTIER, MEMBRES DU COMITÉ, ONT PRIS PLACE AU BUREAU.

Assesseurs : MM. le chanoine ARBELLOT, THOMAS, chargé de cours à la Sorbonne ; BAGUENEACU DE PUCHESSE.

M. le président donne la parole à M. DUBOIS, de la, Société des antiquaires de Picardie.

M. DOBOIS, de la Société des Antiquaires de Picardie, donne lecture d'une communication en réponse à la dixième question du programme sur les noms de baptême.

Autrefois, les noms de baptême se donnaient presque de père en fils. De nos jours, on ne tient plus compte des souvenirs : on choisit des noms sonores ou à la mode. A Amiens, depuis le XIIIe siècle, le nom de Jean est le plus répandu. On le doit à. la présence à la cathédrale du chef de saint Jean-Baptiste. Pour les femmes le prénom le plus commun est celui de Marie, puis vient Marguerite. La même fréquence des prénoms de Jean et Marie se retrouve chez les protestants de 1601 à 1682.

Comme documents, treize tableaux annexes sont joints au mémoire de M. Dubois (1).

M. le président appelle les autres délégués inscrits pour répondre à cette même question. Il regrette que leur absence empêche de grouper des observations qui pourraient être intéressantes. Plusieurs membres du congrès, MM. Roman, Lemire, CÜper de Postel et autres signalent un certain nombre de noms donnés au baptême, des noms de ville comme Briançon ou Sisteron ; des noms de fêtes, comme Assomption; il est établi que d'autres sont en défaveur, comme celui d'Agnès, que l'Ecole des femmes de

(1) Voir à la suite du procès-verbal la communication de M. Dubois.


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Molière parait avoir rendu très rare. M. Bagueneau de Puchesse cite même le nom d'Isère, donné sous l'Empire au fils d'un préfet de ce département.

M. l'abbé LEMIRE, du comité flamand de France, communique à la section d'histoire un manuscrit d'un grande valeur. C'est le texte inédit des statuts du marché d'Hazebrouck (Nord). Il renferme 36 pages écrites sur les deux côtés des feuillets en beaux caractères gothiques^ Ces pages ont 14 centimètres de large sur 20 de haut. Elles ont un maximum de 22 lignes de texte.

Les 148 articles des statuts sont en flamand. Ils ont été rédigés l'an 1336, le lundi après la Saint-André.

Le texte offre un triple intérêt : 1° un intérêt philologique pour ceux qui s'occupent de la langue flamande. Ils y trouveront un spécimen curieux et authentique du flamand du XIVe siècle, avec son orthographe, ses mots spéciaux, ses tournures populaires. M. Gailliard, archiviste à Bruges, se propose de faire cette étude philologique dans un grand ouvrage qui paraîtra prochainement ; 2° un intérêt local pour ceux qui veulent se renseigner sur ce qu'était, en 1376, le chef-lieu d'arrondissement de la plus originale portion de la Flandre flamingante. Ils y verront que cette ville, qui a de nos jours plus de 10,000 habitants et qui n'en avait probablement que 4 ou 5,000, possédait un marché qui se tenait, le lundi, sur une place où il y avait une mare entourée de haies. Les statuts concernent tout ce qui se fait, tout ce qui se passe sur cet emplacement, par conséquent ils ne règlent pas seulement la vente et l'achat, mais la police de la place publique ; 3° un intérêt historique général par les renseignements qu'il offre sur les usages d'une ville de Flandre au XIVe siècle, et notamment sur le droit de bourgeoisie et ses conséquences, sur le régime économique d'alors : aliments, matières mises en vente; sur la pénalité, sur les tribunaux de police, sur le contrôle des poids et mesures, sur la valeur des denrées et sur la valeur de l'argent, sur. le monopole de vente, espèce d'octroi, etc.

M. l'abbé Lemire donne un aperçu des divers articles des statuts, qu'il ramène aux titres suivants :

I. Renseignements économiques. — Matières dont la vente et l'achat sont réglés : vin, bière, pain, viande, porcs, poisson, légumes, grains, étoffes, produits divers (moutarde, chandelles, lin et fil, sel, fer, cuir).

II. Détails de moeurs :


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Observations générales sur les devoirs du marchand ou vendeur ;

Observations relatives aux cabarets et maisons de jeux, aux traiteurs et aubergistes;

Observations concernant la police des moeurs et les relations entre bourgeois.

Mesures de police proprement dites : circulation en ville, police ' des rues, des trottoirs, de la place du marché, de la halle ;

Règlements concernant les incendies : mesures préventives contre le feu, secours en cas d'incendie. (Très curieux).

III. Renseignements administratifs. Droit de bourgeoisie en général. Devoir des employés de la ville. Indication des fonctionnaires et des corps constitués : bailly, échevins, assermentés, mesureurs, estimateurs et peseurs officiels.

Procédure à suivre contre les délinquants. Sanctions pénales : les principales sont l'amende (de 3 à 60 sous parisis) au profit de la ville ou de la loi, et deux fois seulement au profit du seigneur, le bannissement de la bourgeoisie, la privation de la profession, la confiscation, la marque.

En somme, ces statuts ne portent aucune trace d'approbation du pouvoir central ou seigneurial. Leur importance est grande, quand on songe qu'ils ont échappé en 1802 à l'incendie de l'hôtel de ville d'Hazebrouck, qu'ils sont l'objet de l'attention des savants de Belgique, qu'ils se rapportent à l'histoire d'une de ces communes de Flandre qui, au quatorzième siècle, tenaient tête à leurs seigneurs et à l'influence des rois de France.

M. Léopold DELISLE demande à M. Lemire de vouloir bien réserver, pour le Bulletin du Comité, l'intéressante communication qu'il vient de faire et à laquelle pourrait être joint le texte même du document.

Le secrétaire donne lecture d'une note sommaire de M. Durieu, professeur au lycée de Nantes, relative au prétendu séjour de Molière à Nantes. M. Durieu croit pouvoir affirmer, en s'appuyant sur les registres des arrêtés et délibérations de la mairie de Nantes, du 7 mai 1645 au 5 janvier 1650, et sur d'autres documents encore, que Molière n'est jamais venu dans cette ville.

Une communication sur les prénoms en général, de M. Lecigne,


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professeur à Aire-sur-la-Lys, est analysée par le secrétaire. M. Havet fait à ce propos la remarque suivante :

M. Dubois avait observé qu'à Amiens il ne paraissait pas y avoir de rapport entre les prénoms en usage et les saints dont le vocable est répandu dans le diocèse. M. Lecigne, à Pernes, a observé le phénomène inverse. La différence tient sans doute à ce que les recherches de M. Dubois ont porté exclusivement sur les trois derniers siècles, tandis que M. Lecigne a pu remonter plus haut.

M. VEUCLIN, de Bernai, a remarqué dans les registres de la paroisse de Thibouville (Eure) l'emploi, au XVIIe et au VIIIe siècle, du prénom Paterne , emprunté évidemment au nom du patron de la paroisse, saint Paterne. Cet usage ne devait pas être bien ancien, la forme Paterne s'étant assez récemment substituée à la forme Paer, ou Pair, employée au moyen âge.

M. le chanoine ARBELLOT, de la Société archéologique du Limousin, en réponse à la douzième question du programme, analyse la tragédie de Saint-Jacques, composée à la fin du XVIe siècle par Bernard Bardon de Brun et représentée à Limoges par les pèlerins de Saint-Jacques, une première fois le 25 juillet 1596, et une seconde fois le 8 juin 1599, sur la place des Bancs, à l'occasion de la réception solennelle du duc d'Épernon, gouverneur du Limousin.

Cette tragédie, imprimée à Limoges en 1596, par Hugues Barbou, est très rare. Elle est en cinq actes et en vers, avec des choeurs dans les entr'actes comme chez les tragiques grecs.

On ne compte pas moins de dix-sept personnages dans cette pièce : ce sont, outre saint Jacques, le diable, la reine d'Espagne, le magicien Hermogène, le grand prêtre Abiathar et le roi Hérode, les capitaines Lysias et Théocrite, etc. M. Arbellot donne l'analyse de chacun des actes, en citant quelques vers des plus remarquables de la pièce.

A propos de la communication annoncée de M. Fabia sur les « Adverbes et les interjections languedociens qui ont deux formes, l'une pour le singulier, l'autre pour le pluriel », M. THOMAS exprime le regret que le petit sommaire lu en l'absence de l'auteur permette à peine d'entrevoir le sujet qu'il a voulu traiter. Il suppose qu'il s'agit d'une particularité qui n'a été l'objet d'aucune


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étude critique jusqu'ici et sur laquelle il eût été fort heureux d'avoir l'opinion motivée de M. Fabia : en languedocien, «on. se dit nou, quand on parle à quelqu'un que l'on tutoie, et nani quand on parle à quelqu'un qu'on ne tutoie pas ou à plusieurs personnes.

M. DE LA GRASSERIE, juge à Rennes, délégué des sociétés de législation comparée et philotechnique, traite de la strophe et du poème au point de vue rythmique dans le cours de l'évolution depuis le vieux français jusqu à nos jours. II étudie d'abord la constitution logique de la strophe et les divers procédés employés pour sa constitution organique, décrit les effets sensationnels de ces procédés. Il s'attache surtout à rechercher l'origine de la strophe, et croit la découvrir dans un processus tout mécanique venant de l'effort pour détruire la monorimie de la laisse épique et pour lui imprimer le mouvement lyrique. L'action du refrain aurait été le facteur de cette transformation. Il parcourt les divers stades de l'évolution, raconte les explications qui ont été tentées et exprime des idées nouvelles sur ces questions, qu'il cherche à éclairer par l'examen de l'évolution parallèle d'autres versifications.

M. GAZIER signale à M. de la Grasserie quelques travaux récents sur l'emploi des stances ou des strophes dans la poésie française. Il indique surtout une brochure récente de M. Comte, professeur au lycée Hoche, sur l'emploi des stances dans L' Amphitryon de Molière, et un joli volume de M. Clair Tisseur, intitulé Modestes observations sur l'art de versifier (1).

La séance est levée à cinq heures.

(1) Voir à la suite du procès-verbal la communication de M. de la Grasserie.


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SEANCE DU JEUDI 6 AVRIL 1893

MATIN

PRÉSIDENCE DE M. DE B01SL1SLE, MEMBRE DU COMITÉ, ASSISTÉ DE M. LÉOPOLD DELISLE.

Assesseurs : MM. BAGUENEAU DE PUCHESSE, président de la société archéologique de l'Orléanais; Victor DE SWARTE, correspondant du Ministère ; MUSSET, de la Commission des arts et monuments de la Charente-Inférieure ; COÜARD-LUYS, archiviste de Seine-et-Oise.

La séance est ouverte à neuf heures.

La parole est à M. DE SWARTE, qui donne la lecture d'un mémoire sur Samuel Bernard, sa vie et sa correspondance.

M. Victor DE SWARTE analyse les lettres adressées par Samuel Bernard, banquier du Trésor royal au XVIIIe siècle, aux contrôleurs généraux des finances, qu'il a recueillies aux archives nationales. Ses sources inédites ont été aussi les archives de Seine-et-Marne, et celles de la Banque de France pour le rôle des derniers banquiers qui ont été chargés d'opérer pour le compte du Trésor, en 18o5, et enfin des manuscrits de la Bibliothèque nationale, les Bienfaits du, roi Louis XIV et les Projets de finances pour l'acquit des dettes de l'État en 1715, 1716 et 1717.

M. de Swarte expose le rôle actuel du ministre des finances, qui a, pour assurer le service dès le 1er janvier, avant que l'impôt soit réalisé et que le compte du Trésor devienne créditeur à la Banque de France, les 170 millions que cet établissement doit lui prêter sans intérêt, les fonds particuliers des trésoriers généraux et toutes les ressources de la dette flottante, bons du Trésor, etc. Il le compare au rôle des contrôleurs généraux d'autrefois, alors qu'il n'existait aucune grande société de crédit souscrivant avec avidité les bons du Trésor, cette monnaie qui rapporte intérêt dans la caisse du banquier. Les banquiers du Trésor royal avaient sous l'ancien régime une mission importante, surtout en ce pays


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où les négociateurs de papier de crédit étaient rares. Si L'on excepte, en effet, les grands banquiers du XIIIe siècle qui s'appelaient les Templiers et dont M. Léopold Delisle a retracé la comptabilité savante, si l'on considère Jacques Coeur qui avait ses comptoirs dans tout le Levant, comme une brillante exception, la France dut toujours négocier avec les gros marchands de Venise, Barcelone, Gênes ou Amsterdam pour l'escompte des valeurs du Trésor. Colbert, un an après la disgrâce de Fouquet, écrit à l'ambassadeur de France en Hollande : « Je vous asseure qu'il n'y a rien de plus difficile que de trouver, en Testât où nous sommes, 2 millions de livres au comptant. »

M. de Swarte expose la biographie de Samuel Bernard, rappelle son intervention dans l'élection des rois de Pologne avec des subsides en argent en 1697 pour le prince de Conti, et en 1733 pour la réélection de.Stanislas Leczinski, l'entrevue avec Louis XIV, à Marly en 1708, la banqueroute de 3o millions à Lyon en 1709 et le secours que lui donna, à ce moment, le contrôleur général Desmaretz, et enfin, la réception dont il fut l'objet sous Louis XV, au château de Versailles, que raconte avec force détails piquants la duchesse de Tallard.

M. de Swarte s'est efforcé, en analysant la correspondance, de montrer que les banquiers du Trésor n'étaient pas seulement de grands bourgeois enrichis qui, par vanité ou pour faire figuré, livraient au contrôleur général, sous forme d'anticipations, quelques sacs d'écus dans l'espérance de recueillir plus tard un titre de noblesse. Samuel Bernard prend une part active à la direction de tous les mouvements de fonds et au contrôle; nous le voyons user largement de son crédit pour réaliser des ressources au profit de l'Etat et pour les faire naître à point nommé, au lieu où la dépense devait être effectuée, par exemple aux armées de Flandre, d'Italie, du Palatinat, pendant la guerre de succession d'Espagne.

Il est toujours en avance de 7, 12 et même de 34 millions qu'il prête à l'Etat. C'est de lui qu'on prend conseil lors des refontes de monnaies, de circulation de billets de monnaie ou d'émission de rentes, de réalisation d'emprunts, de négociations de valeurs, de gabelles, d'achat de matières précieuses, etc., etc.

Il n'oublie jamais de se faire valoir, réclame toujours avec insistance ce qui lui est dû, redoute de ne pas pouvoir continuer ce service si on ne le rembourse au plus tôt, mais il n'en prête pas moins son concours au Trésor, éclabousse tous ses concur-


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rents et abaisse au besoin le taux de ses changes pour leur faire pièce. C'était un véritable magicien dont les expédients ont été utiles aux successeurs de Colbert, alors que le discrédit général paralysait l'action du Trésor royal.

M. de Swarte a analysé les principales lettres et états de façon à rendre compte du mécanisme de la trésorerie à cette époque et des diverses étapes des négociations destinées à réaliser les valeurs de plus en plus discréditées du Trésor.

En remerciant M. de Swarte de cette communication, M. de Boislisle dit que depuis longtemps il souhaitait que la correspondance financière du Samuel Bernard trouvât un éditeur qui possédât les connaissances spéciales et l'expérience nécessaire pour en tirer un parti avantageux.

Sous le titre de Pèlerinage d'un pythagoricien à Paris, Ferney et Baden, M. Coüard-Luys, archiviste de Seine-et-Oise, correspondant du' ministère, fait une communication qui rentre dans le cadre de l'histoire morale du XVIIIe siècle.

C'est le récit d'une visite rendue, en 1774,- à Jean-Jacques Rousseau, à Voltaire et à Gessner par le comte de Noircarmes, Philippe-Louis-Maximilien-Ernest-Marie de Saint-Aldegonde, le seul pythagoricien qui restât alors dans les Gaules, dira de lui le patriarche de Ferney. Le voyageur avait alors vingt sept ans. D'une nature à la fois enthousiaste et inquiète, il voulait ouvrir son âme, incertaine et avide de s'éclairer, à ces maîtres dont il connaissait les lumières et l'indulgence. Il leur demandait de lever ses doutes, de guider ses recherches, de détruire ses erreurs.

Les lettres qu'il écrivit en cette circonstance à sa jeune femme, à son ancien précepteur et à quelques-uns de ses amis permettent à M. Coüard-Luys de raconter comment il fit route, tantôt en diligence, très las du chaud et du froid, tantôt conduit par un voiturier allemand dont il ne pouvait se faire comprendre, et de noter ses impressions et ses sentiments sur les hommes et sur les choses.

Quelques-unes de ces lettres donnent des indications utiles sur la vie privée de Rousseau et sur les habitudes de Voltaire àFerney(1).

Sous le titre de « Une justice seigneuriale à la fin du XVe siècle », M. Dangibeaud a analysé un registre de notes d'audience de la

(1) Voir à la suite du procès-verbal la communication de M. Coüard-Luys.


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justice seigneuriale de Touverac (aujourd'hui commune de la Charente) pendant les années 1496, 1497 et 1498. La cour du seigneur de Touverac ne possédait que la justice moyenne et basse. Sa modeste compétence avait beaucoup d'analogie avec celle de. nos justices de paix. Ce registre est parfaitement d'accord avec ce que l'on savait déjà sur les usages coutumiers appliqués par les petits tribunaux de celte nature et sur la procédure qu'on y suivait. Mais il n'était pas inutile d'en présenter la physionomie complète et d'appuyer cet exposé par de nombreux exemples.

•M. GUESNON donne lecture d'un mémoire de M. Finot sur les relations commerciales dé la Flandre au moyen âge avec les villes de la Rochelle, Niort, Saînt-Jean-d'Angély, Bayonne, Bordeaux et Narbonne. M. Finot traite dans ce nouveau mémoire des importations et des exportations par la voie de mer entre la Flandre et les villes françaises de l'Ouest et du Midi. Souvent troublé et interrompu par les guerres du moyen âge, le commerce des vins, favorisé par de nombreux traités, se développant à la faveur des périodes de paix, prit à diverses époques une extension considérable.

M. Finot fait l'historique de ces relations et entre dans de nombreux détails. :

M. Charles JORET, professeur à la faculté des lettres d'Aix, fait une communication sur la conquête des îles de Majorque et'd'Iviça, qui avaient, comme Barcelone, refusé de reconnaître Philippe V, après la conclusion du traité de Rastadt. Il fallut les réduire par la force. C'est ce dernier fait d'armes de la guerre de la succession d'Espagne que M. Joret fait connaître à l'aide de documents inédits. Après la prise de Barcelone en septembre 1714, on songea à s'emparer des îles rebelles; le chevalier d'Asfeld en fut chargé ; mais la lassitude qui suivit la conquête de la Catalogne et les intrigues qui marquèrent l'arrivée de la seconde femme de Philippe, Elisabeth de Parme, retardèrent longtemps l'expédition. Quoique les vaisseaux de transport eussent été réunis à Barcelone dès le mois de février, le départ n'eut lieu qu'au commencement de juin 1715. Le 11, Asfeld annonçait à Basville qu'il était débarqué, au nord-est de Majorque. Ses habiles mesures amenèrent bientôt la reddition de cette ville, et il marcha aussitôt sur Palma, la capitale de l'île. Le marquis de Rubi, qui commandait les troupes impériales, essaya de l'arrêter par des négociations ; mais


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Asfeld put investir la place, et l'arrivée de la fillette espagnole contraignit Rubi à capituler le 1er juillet. Les îles de Wagorgue et d'Iviça furent ainsi rendues à Philippe presque sans coup férir.

M. DE BOISLISLE engage M. Joret à consulter au dépôt de la guerre les documents qui lui permettront certainement de compléter les indications fournies par la correspondance adressée à Basville.

M. DUFOUR, de Corbeil, lit au nom de M. Thoison, membre de la Société historique du Gâtinais, une note par laquelle il répond à la dixième question du programme (noms de baptême usités suivant les époques dans une localité). La localité dont s'occupe M. Thoison est la commune de Larchant (Seine-et-Marne), et dans des documents qui s'étendent entre 1334 et 1792, il a retrouvé les noms les plus usités dans cette commune, il les a classés chronologiquement en indiquant le pourcentage annuel.

Dans une seconde note, M. Thoison répond à la dix-septième question, qui demandait de faire connaître les observations météorologiques dans une contrée déterminée. C'est encore au pays de Seine-et-Marne que M. Thoison a limité son travail et ce sont les registres paroissiaux de Larchant qui lui ont fourni des indications sur les troubles et les événements atmosphériques, la température surtout, entre les années 1564 et 1626, chacune de ces années étant indiquée par plusieurs observations relatives à des saisons différentes.

La séance est levée à onze heures.

HlST. ET PHILOL.

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SEANCE DU JEUDI 6 AVRIL 1893

SOIR

PRESIDENCE DE M. BAGUENEAU DE PUCHESSE, PRÉSIDENT DE LA SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DE L'ORLÉANAIS.

MM. Léopold DISLISLE et Julien HAVET, membres du Comité, ont pris place au bureau.

Assesseurs : MM. GARNAULT de l'Académie des belles-lettres, sciences et arts de la Rochelle; chanoine ARBELLOT, Edouard FoRESTIÉ.

La séance est ouverte à deux heures.

La parole est à M. ARBELLOT.

En réponse à la douzième question du programme : Recherches relatives au théâtre depuis la Renaissance, M. le chanoine Arbellot parle des représentations théâtrales qui eurent lieu en Limousin, à Limoges et à Saint-Junien, dans la première moitié du XVIe siècle. Ces représentations avaient lieu surtout aux années d'ostension, c'est-à-dire aux années où l'on exposait les reliques des saints à la vénération des fidèles. Les chanoines de Saint-Martial et de Saint-Junien encourageaient ces représentations par leurs libéralités. En 1519 (année d'ostension), on représenta à Saint-Junien le mystère de la Sainte-Hostie; en 1521, à Limoges, le mystère de la Passion; en 1533, à Limoges, le mystère de sainte Barbe et celui de Théophile; en 1539, un libraire, nommé Cheyrou, obtint du chapitre de Saint-Martial la permission de faire représenter la moralité de l'Enfant prodigue; en 1540 (année d'ostension), on représenta à Limoges le mystère de Jacob, et à Saint-Junien les mystères de l'Assomption et de la Passion; mais à Limoges, la populace qui attribua à ces représentations les tempêtes désastreuses qui eurent lieu cette année, empêcha le mystère de Job.


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La peste, qui fit beaucoup de ravages en 1547, et es Passages des gens de guerre en 1554, firent tomber cette coutume^).

M. Emile GARNAULT, secrétaire de la chambre de commerce de la Rochelle, membre de l'académie des belles-lettres, sciences et arts de la Rochelle, lit un mémoire relatif aux armateurs rochelais et aux armements en course au XVIIIe siècle.

« Il est, dit Valin dans son Commentaire sur l'ordonnance de la marine marchande de 1681, de prétendus philosophes qui désapprouvent la course. Mais ce n'est là qu'un langage de mauvais citoyens qui cherchent à donner le change en voilant le motif secret qui cause leur indifférence pour le bien et l'avantage de l'État. »

Cette appréciation du célèbre jurisconsulte rochelais est de nature à faire croire que la course était pratiquée par ses compatriotes. Il n'en est rien cependant ; et tandis que Dunkerque, SaintMalo, Nantes et Bordeaux cherchaient, pendant les longues guerres maritimes du XVIIIe siècle, à compenser leurs pertes en armant des corsaires, seule la Rochelle faisait exception.

On ne peut accuser les Rochelais d'indifférence pour « le bien et l'avantage de l'État. » Quant à refuser la hardiesse aux compatriotes de Jean Guiton, le souvenir de leur glorieux passé suffirait à les disculper.

Quelles sont donc les causes qui éloignèrent de la course armateurs et marins rochelais?

Le nom de corsaire, illustré par les Jean Bart, lesDuguay-Trouin, n'était cependant, au XVIIIe siècle, qu'en médiocre estime soit de la part de la noblesse, soit de la part des protestants. Aussi voyons-nous la chambre de commerce de la Rochelle, où l'élément protestant avait une réelle influence, parce que la plupart des fonctions publiques étaient fermées aux religionnaires, se refuser, malgré les sollicitations qui lui furent faites par le Ministre de la marine, à susciter des armements de navires corsaires. Nous ajouterons enfin qu'une grande partie des navires rochelais étaient commandés par des fils de négociants qui, eux aussi, par leur éducation, leur fortune et leur talent, répugnaient à porter le nom de corsaires.

Il y eut toutefois une exception à cette sorte de règle, en 1759. Mais il est permis de croire que cette tentative fut médiocrement

( 1) Voir à la suite du procès-verbal la communication de M. le chanoine Arbellot.


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goûtée, car la Chambre de commerce, si scrupuleuse à noter dans ses archives les moindres faits de la vie commerciale rochelaise, ne nous donne aucun renseignement sur l'issue de cette expédition.

II nous semble que ce simple exposé des faits suffit pour montrer combien les motifs qui dirigeaient les Rochelais en cette occurrence leur font honneur, et combien enfin ils étaient éloignés « de l'indifférence pour le bien et l'avantage de l'État. »

M. DUCHAUSSOY, professeur de physique au lycée d'Amiens, fait une communication sur les phénomènes météorologiques : inondations, pluies, sécheresses persistantes; températures exceptionnelles, etc. La plupart de ces documents ont été recueillis, soit dans les archives départementales du Cher et de la Somme, soit dans les archives municipales de Bourges et d'Amiens, et intéressent tout particulièrement les personnes s'occupant du climat de Berry ou de la Picardie. M. Duchaussoy a d'ailleurs publié une Etude climatogique du département du Cher (1) et la Météorologie du département de la Somme (2). Il donne ensuite lecture d'un travail sur les Tremblements de terre en Picardie. Celui de 1580 est le plus important et a été observé dans toute la région du Nord. Une note sur les vendanges aux environs d'Amiens, en 1458 et 1459, donne lieu à un échange de vues entre divers membres de la section sur les causes de la disparition des vignes dans le nord de la France.

M. Ch. BRAQUEHAYE, correspondant du Ministère, lit un mémoire ayant pour titre : Le duc d'Epernon, Bernard de Nogaret et de la Vailette, histoire et notes biographiques sur Jean Guillaume de Girard, auteur de la vie du duc d'Epernon. On ne rappelle dans aucune biographie que le deuxième due d'Epernon, Bernard, écrivit L' Histoire de la véritable origine de la 3e race des rois de France, MDCLXXIX. Si cet ouvrage n'a pas une valeur historique, il n'en reste pas moins une curiosité littéraire que M. Braquehaye rappelle, parce qu'il, croit pouvoir établir que cette compilation historique a été écrite avec l'aide de Guillaume de Girard, secrétaire du duc d'Epernon et auteur de sa vie.

M. Braquehaye a recueilli divers documents qui lui permettent

(1) Mémoires de la société historique du +Cher (4° série, t. Ier).

(2) Mémoiresde la société linnéenne du nord de la France (tome Vlll).


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d'établir que les de Girard semblent descendre des de Girard du Haillan; qu'ils étaient trois frères : Claude, Michel et Guillaume.

1° Claude, archidiacre d'Angoulême a écrit La Vie de Balzac et ses lettres familières, il vivait encore en 1662 ;

2° Michel de Girard, prestre, prieur de Gabarret, précepteur de monseigneur le marquis de la Vallette; aumosnier de monseigneur; curé de Preignac, est mort le 6 mars 1673;

3° Jean-Guillaume de Girard, secrétaire du duc d'Epernon; avocat en la cour de Parlement de Paris, auteur de la vie du duc d'Epernon, né vers 1600, est mort vers 1660. C'est celui-ci dont la biographie se trouve surtout rétablie par le travail de M. Ch. Braquehaye.

M. GUESNON, correspondant du Ministère, lit une note sur l'inscription qui existait jadis au frontispice de la porte du bastion de Saint-Nicolas-d'Arras, contemporaine de la bataille de Bouvines.

Le texte de cette inscription lapidaire en langue romane, la plus ancienne que l'on connaisse, a été transcrit plus ou moins exactement au XVIIe siècle. M. Victor Le Clerc lui a consacré quelques pages dans le vingt-troisième volume de l'Histoire littéraire de la France, destinées à en éclaircir les obscurités, et a concilier les indications chronologiques qu'elle renferme. Partant d'un texte fautif, il a proposé diverses hypothèses sans arriver à une conclusion. M. Guesnon s'applique à restituer le texte primitif et montre que ces indications numérales sont des synchronismes relatifs à la date de la célèbre bataille (1).

M. Charles BRUN, délégué de la société le « Félibrige latin, » de Montpellier, lit une communication sur les troubadours à la cour des seigneurs de Montpellier au XIIe et au commencement du XIIIe siècle. Il s'est proposé de montrer quel intérêt une série d'études monographiques de ce genre aurait pour une connaissance approfondie de la littérature méridionale au moyen âge. Entre les autres centres d'activité intellectuelle, Montpellier doit avoir une place importante dans le Bas-Languedoc. Les seigneurs de Montpellier, qui portent le nom de Guilhem de 975 à 1202, furent de généreux protecteurs des troubadours, et leur cour dut être assurément une des plus brillantes du Midi. Leur puissance,

(1) Voir à la suite du procès-verbal la communication de M. Guesnon.


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la vie très intense de Montpellier (commerce, université), l'existence d'une bourgeoisie, riche, aristocratique et intelligente, permettent de l'établir. De nombreux troubadours, Peyrol d'Auvergne, Folquet de Marseille, Arnaud de Mareuil, se fixaient à leur cour. D'autres, Mme Azalaïs de Porcatrargues, Guillaume de Balaruc, Armand Peire de Ganges, appartiennent à la contrée même. Quand arriva la décadence irrémédiable de la poésie méridio. nale, Montpellier fut un des derniers centres qui résistèrent. Et l'on peut noter ce fait que presque chaque siècle y compte un ou deux glorieux représentants de la tradition littéraire, depuis les, troubadours de 1280 jusqu'à leurs modestes héritiers, les félibres d'aujourd'hui.

M. Léopold DELISLE signale à M. Brun les travaux de M. Edouard Forestié sur un troubadour du Montalbanais, Cavalier Lunel, de Montech, dont la biographie a pu être reconstituée par les renseignements que fournissent le registre des frères Bonis et des registres de notaires du XIVe siècle.

La notice de Mme Despierres, composée presque en entier d'après les registres des notaires d'Alençon, nous fait connaître l'histoire de deux ateliers d'imprimeurs qui ont fonctionné à Alençon dans le cours du XVIe siècle, celui de Simon-Dubois, à partir de 1529, et celui deJoachim de Contrière, à partir de 1563. Les actes cités dans le mémoire mettent bien en lumière la part qui revient aux protestants dans la fondation de ces deux imprimeries (1).

Le secrétaire lit une dernière fois la liste de MM. les délégués qui n'ont pas répondu à l'appel de leurs noms au cours des séances précédentes. En raison de leur absence, l'ordre du jour se trouve épuisé.

La séance est levée à cinq heures, et le congrès est clos en ce qui concerne la Section d'histoire et de philologie.

(1) Voir à la suite du procès-verbal la communication de Mme Despierres.


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SEANCE DE CLOTURE

Le samedi 8 avril, a eu lieu dans le grand amphithéâtre de la nouvelle Sorbonne, sous la présidence de M. Poincaré, ministre de l'instruction publique, des beaux-arts et des cultes, l'assemblée générale qui clôt chaque année le congrès des sociétés savantes et des sociétés des beaux-arts de Paris et des départements.

Le ministre est arrivé à deux heures, accompagné de M. Georges Payelle, chef de son cabinet.

Assisté de M. de Saint-Arroman, chef du premier bureau de la direction du secrétariat et de la comptabilité, il a été reçu par M. Gréard, de l'Académie française, vice-recteur de l'académie de Paris, par les hauts fonctionnaires de l'Université, et par MM. les membres du comité des travaux historiques et scientifiques.

M. Poincaré a pris place sur l'estrade, ayant à sa droite : MM. Léopold Delisle, membre de l'Institut, administrateur général de la Bibliothèque nationale, président de la section d'histoire et de philologie du comité; Faye, membre de l'Institut, président du Bureau des longitudes ; Robert de Lasteyrie, membre de l'Institut, secrétaire de la section d'archéologie; Ch. Tranchant, vice-président de la section des sciences économiques et sociales; à sa gauche, MM. Alph. Milne-Edwards, membre de l'Institut, directeur du Muséum d'histoire naturelle, vice-président de la section des sciences; Mascart, membre de l'Institut, directeur du bureau central météorologique, vice-président de la section des sciences; Fouqué, membre de l'Institut, professeur au Collège de France, membre du Comité; Buisson, directeur de l'enseignement primaire au Ministère de l'instruction publique.

MM. Georges Perrot, Georges Périn, Grandidier, Maunoir, Friedel, Roujon, directeur des beaux-arts; Glasson, Lyon-Caen, Dumay, directeur des cultes; Servois, Paul Meyer, Guiffrey, Kaempfen, Havet, Bruel, Aulard, Oppert, colonel de la Noë, Marcel, etc., ont également pris place sur l'estrade.

Aux premiers rangs de l'hémicycle on remarquait MM. Jost, Dupré, Dupuy, Marot, Fringnet, Couturier, Paul Boulet, Gidel, Kortz, Fourteau, Plançon, Dalimier, Bréhier, Gusse, Chapuis, Albert Durand, marquis de Croizier, Doumet-Adanson, docteur


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Bérillon, Léon Maître, Eug. Gibert, Louis Audiat, Léon Morel, Vermeille, Drapeyron, Coüard-Luys, de Saint-Genys, Lennier, chanoine Arbellot, Bélisaire Ledain, Jules Gauthier, baron J. de Guerne, Emile Belloe, André, Lièvre, Joret-Desclozières, Ch. Ruelle, abbé Guichard, F. de Mély, le doyen Sabattier, docteur Ledé, comte de Marsy, Vingtrinier, Ch. Brongniart, Bagueneau de Puchesse, Eug. Adenis, chanoine Pottier, Charlier-Tabur, MaxeWerly, Seré-Depoin, Braquehaye, Fernand Bournon, Ch. Lucas, Letort, etc.

La musique de la garde républicaine prêtait son concours à cette cérémonie.

M. le ministre a ouvert la séance et donné la parole à M. le docteur Hamy, membre de l'Institut, professeur au Muséum d'histoire naturelle, secrétaire de la section de géographie historique et descriptive du Comité, qui a lu le discours suivant :

« Messieurs,

« Il y aura cent ans dans quelques jours que la Convention nationale, sur la proposition d'un membre de son comité d'instruction publique, a institué le Muséum d'histoire naturelle. C'était le 10 juin 1793; les Girondins proscrits soulevaient la province, les bandes vendéennes s'emparaient de Saumur après une sanglante journée et l'armée impériale bombardait Valenciennes et réduisait Condé. Et, au milieu de ces effroyables désastres, alors que tout semblait irrévocablement perdu, il se trouvait des hommes fortement trempés, comme Joseph Lakanal et comme Daubenton, assez résolus pour braver le présent, assez clairvoyants pour préparer l'avenir. Le décret dont ils avaient ensemble arrêté les grandes lignes transformait profondément le vieux Jardin royal des plantes médicinales, que Louis XIII avait créé jadis. En ■ peu de temps, grâce à l'activité fébrile de l'assemblée des professeurs qui gérait l'établissement rajeuni, un vaste enseignement spécial était organisé, comprenant dans ses douze cours foute l'histoire naturelle et ses applications; une grande bibliothèque était réunie, une ménagerie était improvisée; enfin, des galeries nouvelles étaient prêtes à recevoir les collections de toute sorte, trouvées dans les couvents ou chez les émigrés, et notamment à Chantilly, au Palais-Royal et à Saint-Victor.

Ces développements divers du Muséum, qu'avait mûrement


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préparés dès 1790 un groupe d'hommes de science, où Daubenton, Fourcroy, Thouin, Jussieu et d'autres associaient leurs efforts, firent rapidement de cette fondation nationale une sorte de métropole des sciences naturelles.

Toutes ces institutions furent imitées dans les divers pays du monde; une d'elles a fait pourtant presque oublier les autres. C'est celle qui est restée jusqu'à nos jours la plus connue en France et la plus populaire, celle dont le souvenir est de suite évoqué quand on parle du Jardin des Plantes, la ménagerie d'Etienne Geoffroy-Saint-Hilaire et de Frédéric Cuvier.

C'est de ce célèbre établissement que je voudrais brièvement vous entretenir ; ce sont ses origines que je me propose de rappeler à l'occasion du centenaire de la fondation du Muséum, dont il constitue l'un des services les plus apparents.

Une ménagerie, dans le sens moderne et scientifique du mot, c'est surtout une sorte de vaste laboratoire, où, dans des conditions qu'il détermine lui-même, le naturaliste vient observer et expérimenter. Il étudie, chez l'animal dont il connaît déjà tous les caractères extérieurs, les manifestations de l'intelligence ou de l'instinct, le degré d'éducabilité, le genre d'alimentation, l'endurance à la captivité et au climat, toutes choses dont la juste appréciation permettra quelque jour d'en tenter la conquête. Il étudie encore les modifications dues à l'âge et au sexe, et celles qu'à la longue vient imposer le changement des milieux. Il peut, par des unions appropriées, fixer un caractère utile ou curieux; il peut, par le croisement des espèces ou des races, façonner des hybrides et des métis, et aborder ainsi la solution des grands problèmes zoologiques, si controversés de nos jours.

A côté de lui, l'artiste reproduit, avec le crayon, le pinceau, l'ébauchoir, les formes et les allures des bêtes qui vivent sous ses yeux dans les loges ou les parcs, et, lorsqu'elles ont fini par succomber, l'anatomiste vient compléter par le scalpel et surtout par le microscope les descriptions et les comparaisons de ses prédécesseurs, tandis que le taxidermiste cherchera dans le moulage des masses musculaires le sûr moyen de rétablir pour les collections des musées une exacte morphologie.

Telle est actuellement la vie des établissements scientifiques dont la ménagerie séculaire du Muséum a été le prototype.

Ce n'est que peu à peu, j'ai à peine besoin de le dire, et grâce au lent progrès de la biologie, qu'une organisation aussi savante a fini par prévaloir.


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Les premiers siècles de notre histoire n'avaient connu d'autrescollections d'animaux que ces troupeaux de fauves que les Romains, et après eux les Francs, réservaient aux arènes. Affamés avec méthode, irrités avec art, les malheureux captifs se ruaient les uns sur les autres en de furieux combats, pour la plus grande joie de spectateurs sanguinaires et grossiers.

Le goût des combats d'animaux a duré assez tard en France; les derniers Valois faisaient encore battre des lions, et ce fut dans une des luttes ordonnées par François Ier que le brave sieur de Lorges descendit dans la piste, la cape au poing et l'épée nue, pour ramasser le gant que la dame de ses pensées avait jeté parmi les bêtes afin d'éprouver sa vaillance.

Ces lions et les autres animaux exotiques qu'une vaine ostentation portait seule à réunir étaient groupés dans quelque dépendance de la résidence royale. Philippe VI avait acquis, pour y placer ses fauves, une grange dans l'angle nord-ouest du jardin du vieux Louvre. Il y eut, sous Charles V, des « oyseaulx et bestes estranges» à Conflans, une volière et une ménagerie aux Tournelles, et la rue des Lions-Saint-Paul a conservé le souvenir des hôtes bruyants que logeait, au même temps, une annexe de l'hôtel de ce nom.

Avec le xve siècle se montrent des goûts moins stériles. On recherche plutôt, dans la zoologique lointaine, les animaux de parc, et le duc de Berry, que notre regretté Luce avait surnommé le Curieux, possède entre autres espèces rares, au château de Mehun-sur-Yèvre, un dromadaire, un chamois, une autruche.

Les dernières années de Louis'XI apportent quelque chose de plus à la zoologie pratique. Confiné dans son lugubre manoir de Touraine, où le retient le mal qui va bientôt l'abattre, le triste roi s'efforce d'animer sa solitude et s'entoure d'animaux peu connus ou nouveaux qu'il fait rassembler de toutes parts. Commines explique ces achats de son redouté maître par le besoin de faire parler de lui et de maintenir au loin la bonne opinion que l'on doit avoir de sa santé et de sa force. Mais Louis XI savait, quand il lui semblait bon, employer des moyens plus directs et plus efficaces que ceux dont son conseiller lui attribue la bizarre invention, et le choix même des animaux amenés dans la ménagerie royale, élans et rennes de Scandinavie, chevaux et mules d'Espagne et de Sicile, chiens espagnols ou barbaresques, autruches et faucons tunisiens, serins et tourterelles d'Afrique, montre que ce n'était plus une inutile curiosité qui animait le châtelain du


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Plessis-lès-Tours. Louis XI avait, ce me semble, des vues plus hautes et plus lointaines. Je me figure que ce grand esprit songeait, en son isolement, à enrichir le royaume de France de quelqu'une de ces espèces agréables ou utiles dont Guillaume Moire, Gabriel Bertan, Robert Sanze et ses autres pourvoyeurs lui amenaient à grands frais du midi et du nord des sujets nombreux et choisis. La mort vint le surprendre au milieu de ces essais, et le seul résultat de ces tentatives d'acclimatation si nouvelles, si dignes d'intérêt, ce fut la conquête du gentil musicien, la joie de la mansarde, le populaire serin des Canaries, legs bien inattendu du triste solitaire du manoir du Plessis-lès-Tours.

Anne de Beaujeu avait, dit-on, tous les goûts de son père : elle eut celui des animaux vivants; les plus bizarres avaient ses préférences, et c'est ainsi qu'en 1489 elle essayait vainement d'obtenir de Laurent de Médicis une girafe, que Malfota, l'envoyé du sultan d'Egypte, Kaïtbaï, avait, deux ans plus tôt, amenée à Florence. « C'est la beste du monde que j'ay plus grand désir de veoir », écrivait-elle plaisamment au prince qui lui avait promis par lettre le curieux animal. Laurent ne tint pas sa parole et Anne dut se contenter de voir la girafe... en image.

Les cours princières d'Italie entretiennent, à l'envi les unes des autres, des animaux rares et curieux; c'est un des traits bien caractéristiques du luxe de l'époque. « Un prince magnifique, écrit Matarazzo, doit avoir des chevaux, des chiens, des mulets, des éperviers et d'autres oiseaux, des bouffons, des chanteurs, et des animaux venant des pays lointains. » Et nos princes magnifiques font comme ceux d'Italie, qu'ils veulent imiter en tout; ils entretiennent bouffons, chanteurs et animaux. La ménagerie est de nouveau près du Louvre, et l'on envoie bien loin, à Tunis, à Fez, etc., des missions spéciales qui rapportent des chevaux, des lévriers, des chameaux, des autruches, un lion, une once et quantité d'oiseaux de chasse et d'ornement. Un consul en Egypte fait parvenir des jeunes léopards, puis ce sont des taureaux, des ours, etc.

La science des animaux vient de renaître en Occident. Ceux qui la représentent en France, vont profiter sans doute des enseignements variés que peut fournir à leurs recherches l'établissement royal qui s'enrichit chaque jour. Et voici qu'un beau matin, le 21 janvier 1583, toute la ménagerie disparaît dans une lamentable catastrophe.

L'esprit malade du dernier des Valois, travaillé de visions


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étranges, lui a montré en songe ses lions, ses ours, ses dogues s'arrachant ses propres débris. Henri III va communier aux Bonshommes de Nigeon, près Chaillot, et, revenu au Louvre, fait tuer sans merci, à grands coups d'arquebuse, lions, ours, taureaux, etc. Ainsi finit, sans aucun profit pour la science ni pour l'art, cette ménagerie du Louvre, qui aurait pu servir de centre aux études zoologiques dans notre pays. Il fallut près d'un siècle, vous ne l'ignorez point, pour qu'il surgît des continuateurs de l'oeuvre de Pierre Gilles et de Belon du Mans.

Henri IV n'aimait point les fauves. Le Grand Seigneurlui ayant fait parvenir un tigre qui étrangla un de ses chiens, il se défit de la bête féroce, qu'on montrait pour deux sols dans la rue de la Harpe en mai 1607. Louis XIII, au contraire, eut, dans son rendezvous de chasse à Versailles, des animaux et surtout des oiseaux, dont la réunion suggéra plus tard à son fils la construction de la célèbre Ménagerie du Parc, illustrée par les oeuvres de Perrault et de Duverney, d'Oudry et de Desportes. C'est en 1663 que Louis XIV commença les premiers travaux de ce magnifique établissement, et dès 1664 le roi faisait visiter les constructions encore inachevées au nonce Chigi, puis au doge de Gênes.

On s'y rendait dès lors par le bras gauche de la traverse du canal, creusée du Trianon à la ménagerie. Au bout d'une grande allée d'arbres, on entrait dans une première cour qui conduisait à une seconde de forme octogone, au milieu de laquelle s'élevait le petit château de la dauphine avec son grand salon, sa grotte souterraine et ses deux riches appartements. Tout autour rayonnaient sept autres cours fermées de grilles jointes par des termes de pierre représentant « quelque sujet de la métamorphose ». Il y avait la cour de l'Autruche, la cour de la Volière où se voyait une volière « d'une beauté et d'une magnificence extraordinaire», la cour des Pélicans, avec son réservoir tout rempli de poissons, puis encore la cour du Rond-d'Eau ou de l'Abreuvoir, la cour du Puits, etc.,

et au-delà de ces cours symétriques, d'autres cours encore, dites des Cerfs, du Lion, des Belles Poules, les loges des animaux féroces, un énorme colombier qui contenait trois mille pigeons, enfin une ferme avec ses dépendances et divers bâtiments qui servaient de communs.

Dès 1671, les animaux les plus curieux et les plus variés affluent à la ménagerie. C'est un certain Mosnier ou Le Mosnier, de Montpellier, qui est le principal fournisseur; les officiers de la marine royale, les consuls et en particulier celui du Caire, les gouver-


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neurs, comme celui de Madagascar, envoient de leur côté ce qu'ils trouvent de plus curieux.

Un seul convoi, par exemple, arrivé en 1688, comprend 194 bêtes du Levant, 13 autruches et 137 de ces poules sultanes, que l'on cherche vainement, dès lors, à acclimater chez nous, un pélican, des oies d'Egypte, des aigrettes, etc., et enfin 6 chèvres de la Thébaïde.

La ménagerie de Versailles a possédé ainsi plusieurs milliers d'animaux plus ou moins rares : un éléphant, des dromadaires, des gazelles, un casoar, et plus tard nombre de fauves ramenés de Vincennes abandonné.

Oudry et Desportes faisaient les portraits des plus curieux de ces hôtes de Versailles, et le Louvre possède une énorme collection d'études peintes ainsi d'après nature par ordre du roi.

S'il mourait un sujet intéressant, Colson l'empaillait pour le cabinet et Claude Perrault en faisait de minutieuses dissections. Perrault, que le haineux Boileau a traité de savant hâbleur, et qui fut un des médecins les plus instruits de son temps et l'un des fondateurs de l'anatomie comparée, Perrault, qui ne reculait pas devant les rigueurs d'un des hivers les plus glacés que la France ait connus pour étudier les nombreuses victimes que faisait le froid dans les loges de Versailles, et qui succomba à soixantequinze ans, martyr de la science, en disséquant un dromadaire mort d'une affection contagieuse I

Duvernay continua Perrault; c'était aussi un anatomiste de premier ordre, et l'oeuvre de ces deux maîtres constitue encore aujourd'hui un ensemble de documents d'une réelle valeur.

La mort soudaine de la dauphine (1712) qui, sur le déclin du grand règne, continuait à peu près seule à s'intéresser à la ménagerie, fit délaisser ce joli domaine et ses pensionnaires exotiques.

Il fallut même, près de quarante ans plus tard, que Rouillé, ministre de la marine, offrit à Louis XV un oiseau vivant d'espèce nouvelle, pour donner l'envie à la cour de revoir l'établissement abandonné. Le duc de Luynes qui le visita alors (1750) le trouvait digne qu'on en fit plus « d'usage très en état, et avec beaucoup d'animaux ».

Il n'en était plus de même quand Louis XV, sur ses vieux jours, se fit conduire de ce côté. Une espèce d'intendant qui dirigeait les cours y élevait des dindons aux frais de la maison du roi. « Monsieur, lui dit le monarque, que cette troupe disparaisse ou,


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je vous en donne ma parole royale, je vous ferai casser à la tête de votre régiment. »

D'autres abus non moins criants s'étaient introduits dans la ménagerie oubliée au fond du parc de Versailles. Un dromadaire, s'il faut en croire Mercier, un sobre dromadaire, tels qu'ils sont tous aux déserts africains, coûtait chaque jour au budget six bouteilles de vin de Bourgogne. Et le menu peuple de Paris, revenant le soir de Pentecôte par la galiote de Sèvres, ayant vu les princes, la procession des cordons bleus, le parc et la ménagerie, répétait l'histoire d'un suisse ayant demandé par placet la survivance du dromadaire mort!

Ces contes des dindons, du dromadaire et du suisse ont contribué certainement, dans une large mesure, à exciter les fureurs populaires contre la ménagerie, qui fut pillée à fond dans les journées d'octobre 1789.

Sept ans plus tôt, Buffon avait essayé sans succès (juillet 1782) d'en ramener les derniers habitants au jardin du roi, qui ne possédait jusqu'alors que quelques oiseaux aquatiques. Il fallut tout un ensemble de circonstances singulières et imprévues pour amener, un beau matin de novembre 1793, la concentration, dans un coin du Jardin des Plantés, d'un groupe d'animaux qui vint former la ménagerie provisoire, et bientôt définitive, du nouveau Muséum.

Il était resté à Versailles, après les dévastations de 1789, cinq animaux vivants, que les pillards avaient dû respecter : un lion du Sénégal et un chien braque, son compagnon, un rhinocéros de l'Inde, un couagga du Cap et un bubale, envoi du dey d'Alger.

On avait également sauvé du désastre un très beau goura des Moluques.

Couturier, le régisseur général des domaines de Versailles, Marly et Meudon, écrit le 19 septembre 1792 à Bernardin de SaintPierre, nommé depuis deux.mois et demi intendant du Jardin des Plantes, pour lui faire savoir que l'ancienne ménagerie va être détruite : le ministre l'a autorisé à remettre à l'intendant ce que celui-ci peut désirer <; dans le peu d'animaux » qui vivent encore, et il paraît nécessaire qu'il fasse le voyage de Versailles. Bernardin se met, en effet, en route avec Thouin et Desfontaines, et visite dans leurs cours les sujets qu'on lui offre pour en monter les peaux et les squelettes. Il a compris que l'on en peut tirer meilleur usage, et reprenant pour son compte une des conceptions les plus neuves de l'assemblée des officiers du Jardin du Roi, du mois d'août 1790,


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il va proposer de transporter ce qu'il appelle un établissement de faste en « un lieu destiné à l'étude de la nature », dans l'intérêt des sciences et des arts libéraux, pour les savants, pour les artistes.

Tel est le sujet du Mémoire sur la nécessité de joindre une ménagerie au Jardin national des Plantes de Paris, paru vers la fin de janvier 1793. L'auteur y montre abondamment les services de nature diverse qu'un établissement de ce genre est appelé à rendre, disserte sur sa route, pour n'en point perdre l'habitude, sur l'influence de la captivité sur le caractère des êtres, la sociabilité du lion et du rhinocéros, les croisements des animaux domestiques et sauvages, les migrations des bêtes et leur acclimatement, les liens qui doivent rattacher un jardin et une ménagerie, etc. Puis, après avoir réfuté facilement quelques objections qu'il se pose, il conclut en proposant d'amener avec les animaux les loges qui les contiennent, et d'installer le tout aux Nouveaux-Convertis, cet ancien monastère dont la maison Chèvreul est un dernier vestige.

Le Mémoire sur la ménagerie est en même temps une requête adressée à la Convention; il a contribué peut-être à rappeler sur le Jardin des Plantes l'attention de quelques membres de cette Assemblée, amis des choses de la science. Mais ce n'est pas cette brochure, quoi qu'on en ait pu dire il y a peu de jours encore, qui provoqua la création de la ménagerie, réalisée vingt mois plus tard, d'une façon bien étrange et bien inattendue. Voici les faits, tels que les font connaître les documents originaux.

Le 13 brumaire an II (3 novembre 1793), une ordonnance émanée du département de police, signée des administrateurs Baudrais et Soulès, enjoignait que les animaux vivants que l'on montrait sur la place de la Révolution et quelques autres places de Paris fussent conduits à l'instant au Jardin des Plantes, où ils seraient payés ainsi que les cages qui les renfermaient. Les propriétaires recevraient, en outre, une indemnité qui leur permettrait « de gagner autrement leur vie. »

Toussaint Charbonnier, commissaire de police de la section des Tuileries, reçoit le lendemain, 14 brumaire (4 novembre), le premier ordre d'exécution, et, accompagné du commissaire du comité civil de la section, se transporte à la place de la Révolution. Là, « en sortant du Pont Tournant, à gauche », il trouve dans une échoppe le nommé Dominique Marchini, qui montre un lion marin, un léopard, une civette et un petit singe, et après avoir


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recueilli les observations dudit Marchini et celles de son garçon Rémi Amet, il conduit bêtes et gens au comité et remet le tout au citoyen caporal de garde au poste de la rue Saint-Nicaise, pour mener la caravane au Jardin des Plantes.

Grand émoi au Muséum, où l'on a rien demandé, où l'on n'est même pas prévenu de l'arrivée de ces hôtes inattendus. Le professeur chargé des mammifères est un jeune homme de vingt et un ans, nommé depuis cinq mois, et qui'débute à la fois dans la science et dans l'enseignement : Etienne Geoffroy-Saint-Hilaire. Homme d'initiative, il a bien vite pris son parti et le voici qui fait ranger les cages les unes au bout des autres sous les fenêtres du cabinet, en attendant les ordres du comité d'instruction publique. Ce fut sa première ménagerie.

Desfontaines, le secrétaire du Muséum, écrit le surlendemain au président de ce comité pour savoir la conduite à suivre. « Il y a sous les galeries, dit-il un local où ces animaux peuvent être logés provisoirement en y faisant les réparations convenables, et ce lieu est même assez vaste pour en recevoir un plus grand nombre, si l'on en amène encore d'autres et si le comité d'instruction publique juge convenable de les conserver. Il n'est pas douteux, ajoute le secrétaire, qu'une collection d'animaux vivants ne puisse être avantageuse à l'instruction publique et aux progrès de l'histoire naturelle, et que ce soit un moyen d'acquérir et de multiplier, sur le territoire de la République, plusieurs espèces utiles qui n'existent encore que dans les pays étrangers. Mais c'est au comité à peser dans sa sagesse, si ces avantages peuvent se concilier avec les besoins actuels de la République. » Les quatre animaux de Marchini vont coûter 12 livres par jour, y compris le payement de leurs gardiens, et il est impossible de prendre cette dépense sur , les fonds de l'établissement.

Et Desfontaines n'a pas fini sa lettre que voici deux autres ménageries qui arrivent à leur tour, celle de Louzardi et celle de Henry, contenant ensemble un chat-tigre, un ours blanc, deux singes mandrills, deux agoutis, deux aigles et un vautour qui viennent s'aligner à la suite des bêtes de Marchini, dans la cour de l'établissement.

Le comité d'instruction publique répond par une série de questions relatives au local, à la valeur des bêtes envoyées, aux frais journaliers qu'elles imposent et même à l'achat d'un terrain adjacent, dans le cas où la Convention nationale se déciderait à former une ménagerie. Et les professeurs se multiplient pour fournir


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bien vite ces renseignements fort complexes, en même temps qu'ils décident d'accorder une indemnité quotidienne aux propriétaires des animaux confisqués. Les devis sont envoyés au comité dès le 17 frimaire (7 décembre 1793), et les notes, dans le détail desquelles il n'est pas utile d'entrer ici, se terminent par la demande éventuelle « de tous les matériaux et ustensiles des ménageries de Versailles et de Chantilly. »

PuiS; pendant qu'on délibère au comité, le bureau de l'assemblée des professeurs s'occupe des moyens les plus convenables « pour la construction de loges provisoires » et le transport des pauvres animaux de Versailles. Les loges sont en état le 16 ventôse (2 mars) et, vers la fin de germinal, les trois survivants de la ménagerie royale reçoivent l'hospitalité modeste du Muséum républicain.

Les animaux du parc de Raincy sont mis par le conventionnel Crassous à la disposition de l'administration (1er germinal-21 mars). Merlin de Thionville fait don de tous ceux qu'il vient d'acquérir, et notamment, d'un chameau de la collection des princes de Ligne (29 germinal-18 avril). Bref, lorsque les citoyens Billaud-Varennes, Barrère et Prieur (de la Marne) viennent visiter le Muséum pour se rendre compte par leurs yeux des agrandissements nécessaires, Daubenton, qui les reçoit à la tête des professeurs, peut leur montrer déjà une ménagerie nationale fort présentable.

L'institution nouvelle fut consacrée définitivement par l'adoption du rapport de Thibaudeau, lu à la Convention le 21 frimaire an III (11 décembre 1794)., et Etienne Geoffroy, son fondateur, put dès lors commencer les travaux qui ont immortalisé son nom.

Elle a connu de beaux jours, au cours du siècle qu'elle achève, la ménagerie du Muséum de Paris; l'apport des dix caissons (14 fructidor an IV-31 août 1796), escortés de quatorze hommes du train, sur lesquels on amenait de Hollande les mammifères et les oiseaux confisqués chez le stathouder; la prise en charge des éléphants mâle et femelle de la même collection ; l'achat des tigres, des lynx et autres carnassiers apportés à Londres par Penbrock (1800); la venue du gnou,- du zèbre, etc., ramenés par les navires de Baudin (1804); l'inauguration des fosses aux ours où, depuis quatre-vingt-huit ans, des dynasties de Martins, blancs ou noirs, répètent les mêmes exercices devant les foules toujours renouvelées ; la prise de possession des animaux du roi Louis, frère de Napoléon; l'ouverture des loges des fauves, qui paraissaient si étouffées; l'arrivée du premier hippopotame, du premier chimHlST.

chimHlST. PHILOL. II


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panzé, du premier gorille, tous ces événements ont marqué dans la vie de l'établissement. Aucun n'a pris cependant l'importance qu'eut l'entrée solennelle de dame Girafe, le 3o juin 1827, dans la bonne ville de Paris.

Tout le monde voulut la voir, toute la presse s'en occupa ; on lui consacra des articles et des chansons, et la mode, cette autre dispensatrice de la gloire, s'empara de ses formes et de ses couleurs, pour créer la robe à la girafe, le chapeau a la girafe, le peigne à la girafe. Nevers eut des faïences polychromes; Epinal, des images enluminées, qui représentaient la célèbre visiteuse. La politique même s'en mêla, et quelques amateurs possèdent dans leurs tiroirs une médaille de bronze où la girafe, s'adressant au pays, presque dans les mêmes termes que Monsieur, comte d'Artois, en 1814; prononce ces mots historiques : « Il n'y a rien de changé en France, il n'y a... qu'une bête de plus. » Je n'ai pas besoin d'expliquer pourquoi la pièce est bien vite devenue rare.

Girafe, hippopotame, chimpanzé, etc., tous ces animaux rassemblés, parfois au nombre de 1,3oo oude 1,4oo, ont constitué une école spéciale, dont le rôle a été des plus brillants depuis cent ans. Ainsi que l'écrivait Isidore Geoffroy-Saint-Hilaire en 1860, si la ménagerie n'eût pas existé et ne se fût pas enrichie dès son origine d'un grand nombre d'espèces rares, Cuvier n'eût point pu, au commencement de notre siècle, publier son Anatomie comparée et préparer, par là même, le renouvellement de la zoologie et la création de la paléontologie; et Etienne Geoffroy ne fût pas devenu à son tour, vingt ans plus tard, l'auteur de la Philosophie analomique. J'ajouterai que, sans la ménagerie, Isidore Geoffroy luimême, Blainville, Duvernoy, H.-Milne Edwards, P. Gervais, Gratiolet et bien d'autres n'auraient pas pu se procurer les matériaux des mémoires dont ils ont enrichi la science.

Sans la ménagerie, Frédéric Cuvier, qui en fut le garde dès 1805, n'eût pas écrit ses Études sur l'intinct et l'intelligence des animaux, etc. Sans la ménagerie, les remarquables expériences de M. Alphonse-Milne Edwards n'auraient point pu être menées à terme, et nous ne connaîtrions sans doute point les conditions de l'hybridation des pithéciens, des équidés, des bovidés, etc. Sans la ménagerie, maintes espèces d'herbivores et quantité d'oiseaux utiles n'auraient pas été acclimatés sous notre ciel, et le Muséum n'aurait pas pu renouveler, dans une certaine mesure, la grande faune de nos bois. Enfin, sans notre ménagerie, l'art français n'eût peut-être pas compté à son actif quelques-uns des noms qui


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l'ont honoré le plus dans ces derniers temps, ceux de Barye, par exemple, et de Frémiet, son successeur.

La ménagerie fournit chaque année en grand nombre des sujets intéressants au scalpel de l'anatomiste, et ceux d'entre vous, Messieurs, qui représentent en province les études zoologiques, savent dans quelle large mesure le Muséum favorise, toujours grâce à sa ménagerie, l'expansion des collections publiques.

Et tous ces résultats ont été obtenus depuis 1793, malgré des conditions tout à fait défavorables, dans des locaux étroits et mal protégés contre la rigueur des hivers, avec un budget restreint, un personnel insuffisant. Quels progrès nouveaux n'est-on pas en droit d'espérer, maintenant qu'une direction rajeunie, active et surtout compétente, fait sentir partout au Muséum son intervention bienfaisante, et que les pouvoirs publics donnent chaque année des preuves de l'intérêt qu'ils portent à la fondation de la Convention nationale, en votant des subsides pour des améliorations bien longtemps inespérées!

On a fait beaucoup au Jardin des Plantes pour la science et pour la patrie dans le siècle qui s'achève; on ne sera ni moins laborieux ni moins dévoué à l'une et à l'autre dans celui qui va commencer. Et, sans aucun doute, le rapporteur qui, dans cent ans, tiendra à cette tribune la place où la bienveillance du comité m'a aujourd'hui appelé, aura l'honneur et le plaisir, lui aussi, de rappeler à un auditoire d'élite bien des grands noms, bien des grandes choses.

M. le Ministre a pris ensuite la parole eu ces termes :

Messieurs,

C'est une bonne fortune pour le nouveau Ministre de l'instruc tion publique que d'avoir, au lendemain même de sa nomination, l'honneur inattendu de présider cette séance solennelle et de pouvoir, presque avant d'entrer en fonctions, assister à cette grande consultation de la science française.

En terminant la lecture de la remarquable étude que vous venez d'applaudir, M. le Dr Hamy a bien voulu rappeler les preuves d'intérêt que le Muséum a reçues des pouvoirs publics. La sollicitude du Gouvernement n'est pas moins vive, Messieurs, à l'endroit de l'oeuvre que poursuivent, avec tant de bonheur et tant d'éclat, les Sociétés savantes et les Sociétés des Beaux-Arts,


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oeuvre féconde et diverse, née dans le travail et grandie dans la liberté.

Vos sociétés sont libres, Messieurs, et c'est le secret de leur force et de leur prospérité. La tutelle bienfaisante du Comité des travaux historiques et scientifiques ne gêne pas leur indépendance. L'administration ne prétend pas diriger leurs efforts; elle s'en tient au rôle de conseillère discrète et dévouée. C'est vousmêmes qui vous chargez tous les ans de grouper, par la réunion périodique de vos congrès, les résultats épars de vos recherches laborieuses, et d'apporter, dans la variété de vos études, la méthode et l'unité.

Vous donnez ainsi à l'activité intellectuelle du pays la spontanéité et l'harmonie qui sont les conditions essentielles du progrès.

Vous entretenez, dans la France entière, des foyers dont la chaleur se répand partout, mais dont les rayons ne cessent jamais de converger au centre. Vos moyens sont multiples; votre but est commun, et cette science dont vous professez le culte, la science moderne, scrupuleuse et persévérante dans l'analyse, prudente et réfléchie dans la synthèse, vous n'avez tous d'autre ambition que de la mettre, toujours plus riche et mieux outillés, au service de la Patrie.

Le nombre de vos sociétés ne cesse guère de s'accroître. Les publications en sont de jour en jour plus étendues. Aux adhésions anciennes s'ajoutent constamment des recrues nouvelles. De tous côtés s'aiguise la curiosité scientifique. Les investigations se font de plus en plus ardentes et les trouvailles de plus en plus précieuses.

Aux études historiques et archéologiques, qui formaient le programme initial de M. Guizot, se sont jointes, avec un empressement jaloux, lès sciences naturelles, mathémathiques, économiques, sociales. Dans chacune de ces sciences, le champ d'observation s'est élargi.

Vous me permettrez, Messieurs, de vous rappeler notamment que, depuis quelque temps déjà, le Comité des travaux historiques ne borne plus ses recherches à la période antérieure à 1789. Les sociétés savantes n'ont plus à craindre, si elles s'avisent de dépasser cette date, qu'on ne les accuse de témérité. Il semble que le temps écoulé depuis la Révolution ail enfin calmé les passions qui ont si souvent jeté dans l'excès des jugements contraires les historiens comme les hommes politiques. Des travailleurs impartiaux se


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sont levés de toutes parts, qui ont entrepris l'étude sincère et sereine des textes et des faits.

Vous ne manquerez pas, Messieurs, de reconnaître que l'administration s'est vaillamment mise à la disposition de ces chercheurs. Les archivistes étaient tous engagés dans la publication des inventaires des fonds antérieurs à 1790 ; il était impossible d'abandonner cette besogne. Ils ont accepté un surcroît de travail pour arriver à mettre de l'ordre dans les registres et liasses compris entre 1790 et l'an VIII. Sans interrompre le dépouillement des documents anciens, dont le catalogue est arrivé à son 307e volume, on a clans tous les départements mis sur le chantier le classement des dossiers révolutionnaires. Vous savez qu'ils se divisent en deux séries : les pièces de l'administration et les papiers des domaines nationaux. A la fin de 1892, seize départements avaient terminé l'inventaire de ces deux séries, treize celui de la première, et deux le répertoire de la seconde. Des exemplaires de ces catalogues seront déposés aux Archives nationales, et le public pourra consulter à Paris la collection tout entière.

Je ne m'effraye pas, Messieurs, de ces études nouvelles ; je vous en félicite et je m'en réjouis. Je sais dans quel esprit de justice et de vérité vous les poursuivrez; je sais que si vous rencontrez çà et là sur votre chemin quelques légendes qui aient défiguré l'histoire générale ou régionale de la France, vous n'hésiterez pas à les détruire, alors même qu'elles auraient flatté vos sentiments intimes et que vous ne les verriez pas disparaître sans désenchantement. Et je sais aussi qu'en scrutant les origines de notre démocratie, vous nous apprendrez à tous à la mieux connaître et-, par conséquent, à la mieux aimer. Vous nous donnerez des raisons nouvelles d'avoir foi dans les destinées de notre pays ; vous nous montrerez qu'en se développant, l'âme nationale ne s'est pas altérée, qu'elle a conservé sa substance intime à travers les siècles, que le présent, loin d'exclure le passé, le contient tout entier et que le peuple le plus digne d'espérer est celui qui sait le mieux respecter ses souvenirs.

Messieurs les représentants des Sociétés des Beaux-Arts, votre dix-septième session aura été des plus brillantes. Elle a fourni des renseignements inédits sur des monuments français des quatre derniers siècles, sur des oeuvres découvertes dans des collections particulières, sur certains points demeurés obscurs de la vie de maîtres illustres. Elle a, en un mot, ajouté un chapitre éloquent à l'histoire de l'art français.


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Pourquoi faut-il, Messieurs, que cette fête de la science libre soit assombrie, cette année, par des regrets cruels et par des pertes irréparables?

L'auteur de cette admirable Histoire de Duguesclin, M. Siméon Luce, est mort. Il est mort avant d'avoir pu donner la seconde édition, si impatiemment attendue, de son Histoire de la Jacquerie; il est mort avant d'avoir pu achever la publication des Chroniques de Froissart.

Ce grand érudit était un grand patriote. Et peut-être sera-t-il permis au Ministre de l'Instruction publique, qui réprésente, comme dépùté, la ville de Vaucôuleurs, de rendre un hommage particulièrement attriste à celui dont la dévotion inquiète s'attachait si ardemment à tous les souvenirs de Jeanne la Lorraine. Votre section des Sciences économiques a perdu M. CourcelleSeneuil, et votre section des Sciences M. l'amiral Mouchez. Tous deux prenaient une part active à vos travaux. Que l'on soit l'adversaire ou le partisan des théories sociales et financières -de M. Courcelle-Seneuil, on ne peut que proclamer la haute valeur de son esprit, la fermeté de ses convictions et reconnaître en lui un des défenseurs les plus énergiques des droits individuels. M. l'amiral Mouchez avait l'âme du marin et l'intelligence du savant. Il vous avait voué, Messieurs, sa volonté, sa science et sa bonté, et vous sentirez longtemps le vide qu'il laisse parmi vous.

« L'immortalité, écrivait Renan dans la préface de L' Avenir de la Science, c'est de travailler à une oeuvre éternelle. » Et si, par un de ces retours dont sa raison diverse était coutumière, il ajoutait aussitôt : «La science peut-elle être plus éternelle que l'humanité ? » il se hâtait, deux lignes plus loin, de corriger ce don te par cette affirmation réconfortante : « Songez qu'aucune vérité ne se perd, qu'aucune erreur ne se fonde. » Si donc il est arrivé à cet éminent esprit de semer, par mégarde ou par passe-temps, quelques erreurs parmi tant de vérités, c'est sur l'avenir qu'il faut se reposer du soin de faire le départ. Mais l'immortalité lui appartient et il y est entré de son vivant.

Je ne me hasarderai pas; Messieurs, à retracer en traits improvisés cette figure où les nuances sont si délicates et parfois si insaisissables. Ce n'est pas le lieu, du reste, de louer le savant, l'artiste, le poète. Je n'ai guère le droit ici que de me rappeler qu'il était des vôtres. Il était membre de la section d'histoire, de celle d'archéologie et de la commission de l'Afrique du Nord. Il suivait vos travaux avec une attention souriante et avec une bienveilançe


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efficace. Il y a quatre ans, c'est lui qui prononçait le discours de clôture de votre congrès, et quel discours, Messieurs, vous vous en souvenez! Un chef-d'oeuvre de grâce et de finesse- Vous avez tous dans la mémoire ces pages émues qu'il vous a lues sur la fécondité savante de la province, sur les inspirations de la solitude, sur les facilités que donne aux travaux les plus austères le voisinage « des chênaies et des ruisseaux. » Il vous peignait la jolie maison qu'il rêvait dans les faubourgs d'une grande ville, « une longue salle de travail garnie de livres, tapissée extérieurement de roses du Bengale; un jardin aux allées droites, où l'on peut se distraire un moment avec ses fleurs, de la conversation de ses livres. » Mais il s'empressait d'ajouter que la solitude n'est pas l'isolement, qu'il ne pensait pas que la culture de l'esprit dût être régionale. « Tout ce qui est, disait-il, goût littéraire, charme, poésie, amusement, sensations religieuses, souvenirs d'enfance et de jeunesse, peut revêtir une forme locale; mais la science est unique comme l'esprit humain, comme la vérité. » Belles et nobles paroles que vous avez en fait, Messieurs, prises pour programme de vos travaux, et qui résument et précisent votre oeuvre de progrès et de civilisation.

J'aurais voulu, Messieurs, que le Gouvernement pût reconnaître aujourd'hui les bienfaits de cette oeuvre et les mérites de ceux qui l'accomplissent par une attribution plus large de récompenses. Celles que je vous apporte sont malheureusement très limitées. Il n'a pas dépendu du Gouvernement de les étendre davantage.

Vous connaissez tous, Messieurs, M. Errington de la Croix. Ingénieur civil des mines, il a été chargé de nombreuses missions scientifiques en Algérie, en Tunisie et dans la presqu'île de Malacca. Il a rapporté de ses séjours répétés dans cette dernière région d'importantes collections dont il a enrichi les musées de l'Etat. Le Musée du Trocadéro lui doit plusieurs séries fort complètes qui représentent l'ethnologie malaise; et je suis sûr que M. le Dr Hamy, qui nous a tant intéressés tout à l'heure en nous parlant du Muséum, ne me démentira pas, si je dis que cet établissement n'a pas été moins bien partagé dans les générosités de M. de la Croix. Les travaux cartographiques et géographiques de ce savant et ses nombreuses publications, ne peuvent que le rendre plus digne encore de la distinction pour laquelle l'a proposé le Comité des travaux historiques et scientifiques.

En remettant aussi, au nom de M. le Président de la République, la croix de la Légion d'honneur à M. le Dr Lemoine, je ne


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doute pas, Messieurs, que je répondrai au sentiment général de cette assemblée. A ses titres de professeur et de médecin, M. le Dr Lemoine joint ceux de membre des Sociétés de géologie, debotanique et de zoologie de France. Vous connaissez les mémoires qu'il a composés sur la faune fossile des terrains tertiaires des environs de Reims. Depuis vingt ans, il est un des hôtes les plus assidus de ce congrès, où il vous a fait, à; maintes reprises, des communications pleines d'intérêt.

Le Comité des travaux historiques a vivement recommandé au Gouvernement M. Léon Palustre, L'archéologue distingué qui a consacré sa vie à l'étude des monuments français et dont vous avez tous admiré le beau livre sur la Renaissance. M. Léon Palustre a l'intention de continuer cette oeuvre magistrale, et tous ceux qui ont le souci de l'art ne peuvent que s'en féliciter. En dehors de ce grand travail, M. Palustre a publié nombre d'autres , ouvrages d'érudition artistique et il a pris une part exceptionnellement utile à la direction du Bulletin monumental. Le Gouvernement de la République, en accueillant les propositions de votre Comité, a rendu un hommage impartial et mérité aux services éminents de M. Léon Palustre.

Je n'ai pas besoin de rappeler à MM. les représentants des Sociétés des Beaux-Arts le concours que M. Henri Jouin n'a cessé de donner à leurs travaux. Il a publié tout récemment encore sous ce titre : L'art et la province, l'historique complet du Comité. Les rapports annuels qu'il rédige à l'issue des sessions ont grandement contribué à la prospérité de la section des Beaux-Arts et les nombreux volumes qu'il a écrits sur l'art français témoignent que ce fonctionnaire, si attaché à ses devoirs professionnels, est en même temps un artiste subtil et délicat. Le Comité des sociétés des Beaux-Arts l'a présenté à l'unanimité au choix de mon honorable prédécesseur, et je suis heureux qu'il me soit donné de proclamer cette distinction si légitime.;

J'aurai, d'ailleurs, plaisir à vous donner lecture, dans un instant, de la liste des autres récompenses. Je répète qu'elle est trop courte au gré du Gouvernement. Mais comment marquer ici, Messieurs, tous les mérites? Ils sont aussi variés que vos travaux. On n'est jamais sûr de ne pas commettre d'oubli. Vous pardonnerez indulgemment ces oublis à un Ministre nouveau venu. Les ministres passent; le talent reste, et la science demeure. Vous avez le talent, Messieurs, vous avez la science. C'est le lot le plus sûr et le plus enviable.


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Ecoles de travail libre et éclairé, vos sociétés sont, par une suite inévitable et naturelle, des écoles de haute moralité. Les esprits nourris et les intelligences saines préparent les coeurs droits et les caractères élevés. A une époque où les intérêts matériels sont souvent trop éveillés et trop exigeants, vous donnez l'exemple salutaire du labeur opiniâtre et de l'absolu désintéressement. Et vous qui avez tant fait pour la recherche de nos vieilles traditions nationales, vous n'avez pas moins fait pour les conserver dans ce qu'elles ont de plus fier et de plus pur, et pour augmenter cet héritage intangible d'honneur et de probité, qui est la fortune de la France et de la République.

M. le Ministre a donné ensuite lecture du décret et des arrêtés ministériels conférant des distinctions dans l'ordre de la Légion d'honneur et des palmes d'Officier de l'Instruction publique et d'Officier d'Académie.

Ont été nommés Officiers d'Instruction publique :

M. Brutails (Jean-Auguste), lauréat de l'Institut, membre des sociétés archéologiques et des archives historiques de Bordeaux, correspondant du Ministère de l'Instruction publique, archiviste du département de la Gironde.

M. Fage (René), membre de la société archéologique et historique du Limousin, correspondant du Ministère de l'Instruction publique.

M. Prudhomme (Marie-Antoine-Auguste), secrétaire perpétuel de l'Académie delphinale, correspondant du Ministère de l'Instruction publique, archiviste du département de l'Isère.

M. l'abbé Morel, membre de la société historique de Compiègne, correspondant du Ministère de l'Instruction publique.


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ANNEXE

AUX PROCÈS-VERBAUX DU CONGRÈS DE LA SORBONNE

DÉSASTRES CAUSÉS PAR LA GUERRE DE CENT ANS AU PAYS DE VERDUN-SURGARONNE

VERDUN-SURGARONNE LA FIN BU XIVe SIÈCLE.

Communication de M. l'abbé Galabert.

La judicature de Verdun, vaste circonscription administrative, créée sous saint Louis, était limitrophe des possessions anglaises avant comme après le traité de Brétigny; elle dut à sa situation géographique à l'extrémité du Languedoc, dont elle devait être détachée plus tard, de grandement souffrir pendant la guerre de Cent ans:; les incursions des bandés anglaises y portèrent la désolation, et firent de la plupart des villes et villages de cette contrée fort riche, sinon un désert, du moins une ruinefumante.

Nous n'avons pu recueillir d'assez nombreux documents sur toute la judicature; c'est pourquoi nous avons restreint notre travail au pays de Verdun et aux cantons limitrophes, et encore pour la seconde moitié du XIVe siècle seulement.

Dès que les soldats anglais avides de pillage, dépassant le territoire de la Guyenne, envahirent le territoire du Languedoc, les bourgeois comprirent la nécessité de fortifier leurs villes, et en demandèrent la permission au roi. A Castel-Sarrasin, dès 1337, on avait clos d'un mur la porte de Garonne et enduit la tour de l'avenue de Moissac (1).

Verdun avait obtenu, en 1342, la faveur de relever son enceinte détruite en vertu d'un article du traité de Paris (2). Grenade avait obtenu cette permission l'année d'auparavant (3). En 1345, Saint-Nicolas-de-la(1)

Saint-Nicolas-de-la(1) de Languedoc, t. X, Preuves, n° 3o8.

( 2) A. Jougla, Monographie de l'abbaye de Mas-Grenier, p. 92. Malheureusement, cet auteur, dont les assertions sont sujettes à caution, ne donne pas de références, quand il dit que le Prince Noir donna l'assaut à la ville et en brûla les principaux édifices au retour de la brillante expédition de 1354(

1354( Histoire de Languedoc, t. IX, p. 63o, note. — Grenade obtint cette permis-


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Grave était une forteresse C>. Les villages, suivant l'impulsion donnée par les villes, sollicitèrent des seigneurs la permission de construire des forts, fortalices ou réduits en proportion avec leurs besoins. Faudoas était remparé en 1352 lorsque Jean de l'Isle chargea Béraud de Faudoas, seigneur du lieu, de défendre cette place (2). Dès avant 135g, Sérignac avait une enceinte fortifiée ; le périmètre en était même tellement étendu que les habitants ne pouvaient le remplir; aussi le 4 février ils obtinrent du prieur, G. d'Aigrefeuil, la permission de fermer une porte au midi par où l'ennemi aurait pu facilement s'introduire, faute d'habitants (I3).

Le village de Saint-Porquier était muré en 1359 quand, de concert avec les bourgeois d'Escatalens, et les moines gardiens du château abbatial, Jean Ayméric, chef des Routiers de Cordes, pilla les maisons bâties en dehors des fossés de la place (4). Aucamville s'imposa en 1360 une contribution de 35 florins d'or pour relever ses murailles (5). Les habitants du Burgaud avaient à leur frais remparé leur ville; aussi, le 9 novembre 1360, le commandeur du lieu les exempta de tout acopte à sa mort, à la mort du prieur de Toulouse et à la mort du grand-maître (G).

Au lieu de mettre un terme aux incursions de la soldatesque, le traité de Brétigny y donna un nouvel élan; les bandes licenciées et sans solde formèrent les Grandes compagnies. Celles-ci, composées d'aventuriers français, anglais et même gascons, de cadets et de bâtards qui portaient haut l'écu paternel chargé d'une brisure, vivant de pillage et de rapines, fondaient au cri de « Guyane et Saint-Jorge », sur le laboureur, lui enlevaient son bétail, détroussaient les marchands, puis, repassant la frontière, allaient mettre leur butin en sûreté à Moissac ou à Puymirol, ou dans tout autre repaire. Aussi les populations des campagnes ne pensaient qu'à se mettre à l'abri, elles et leurs bestiaux, derrière des remparts.

D'accord avec l'abbé de Moissac, leur seigneur, les habitants d'Escatalens résolurent, en 1366, de construire un fort au milieu de la bastide ou auprès du château abbatial; ils s'engagèrent à fournir dix hommes la nuit et quatre le jour pour la garde du château (7). Cordes-Tolosanes

sion de Guillaume de Flavacourt, archevêque d'Auch, avec le droit d'exproprier les censitaires du roi et de l'abbé de Grandselve dont les tenures se trouveraient sur le tracé des fortifications projetées.

(1) Histoire de Languedoc, t. IX, p. 573. Les commissaires du roi vendirent aux moines de Moissac, afin de se procurer des ressources pour la guerre, cette forteresse qui avait appartenu aux comtes de I'Isle-Jourdain.

(2) Idem, t. IX, p. 637.

( 3) Archives de Tarn-et-Garonne, fonds de Moissac, G. 705, établi par M. Dumas de Rauly, archiviste.

(4) Idem, G. 700.

( 5) Archives communales d'Aucamville. Comptes consulaires.

(6) Archives communales du Burgaud. Pièce en parchemin.

(7) Archives de Tarn-et-Garonne, fonds de Moissac, G. 700.


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était déjà fortifié en 1367 ; iî en était de même de Garganvilar (1). Le 28 janvier de la même année, Talleyrand, vicomte de Périgord, et l'abbé de Belleperche, en qualité de coseigneurs, permirent aux habitants d'Angeville de construire un fort auprès, de l'église du lieu; ceux-ci s'engagèrent à y entretenir une garde de quatre hommes armés la nuit et de deux le jour, plus un homme pour faire le guet; ceux qui manqueraient à l'appel devaient encourir une amende de deux croisés dont bénéficieraient leurs remplaçants. L'année suivante, les coseigneurs autorisèrent les habitants à prendre des tuiles, briques et bois pour construire des maisons dans les rues restées indivises (2).

D'autres fois les villages durent, à cause de l'arrivée des paysans qui cherchaient un refuge, donner à leurs remparts un plus grand développement; là les hommes, enfermant leurs animaux au rez-de-chaussée, s'entassaient dans les étages surplombants de maisons exiguës, sans air ni lumière, construites en pans de bois dont on voit encore les restes. A Larrazet, outre l'ancien réduit, il y avait en 1367 un fortalice en construction; après estimation faite par experts, l'abbé de Belleperche, seigneur du lieu, donnait des emplacements de maisons à ceux qui en réclamaient ; toutefois, l'entreprise ne touchait pas à son terme en 1370, car les consuls vendaient pour trois ans, au prix de 75 florins, le droit de taverne, afin de parer aux frais (3). En 1375 Montech avait ajouté un nouveau réduit à l'ancien fortalice devenu insuffisant (4). Trop pauvres ou trop peu nombreux pour faire les frais d'une enceinte fortifiée, les habitants d'Esclapats abandonnèrent leur village et consulat pour se retirera SaintAignan en 1371; là, tant que le réduit était en construction, le prieur les autorisa à résider dans les chambres du monastère laissé vide par les religieuses qui s'étaient retirées dans l'hôpital Saint-Louis, à Castel-Sarrasin(5). Avant 1367, les moines de Grandselve avaient de même quitté leur monastère, propter timoremgencium armorum, inimicorum ac latrunculorum; ils s'étaient réfugiés derrière les murs de Grenade, leur bastide (6).

Nombre de villages ouverts et. de hameaux disparurent alors pour ne plus se relever ; tels sont ceux de Montfourcaud et de Rayssac près de Montbéqui, ceux de Basconia, Seysses et Fromissard non loin de Montech, celui du Bousquet près de Saint-Cézert, ceux de Ricancelle et Puyvidal près de Bouillac, ceux de Boiville, Caujac sur le territoire de la commune de Verdun; celui de Cannac à Larrazet; de ceux-là on pourrait dire Etiam periere ruinae, car à peine en reste-t-il même les noms.

(1) Minutes de Pierre Bailini, notaire, à Cordes-Tolosanes.

(2) Pierre Bailini, notaire de Cordes-Tolosanes.

(3) Idem.

(4) Fortanier de Podio, notaire, à Montech.

( 5) Pierre Bailini, notaire de Cordes-Tolosanes.

( 6) Idem. Acte de procuration reproduit dans un bail à cens de 1375.


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Voici quelques échantillons des affreuses prouesses des Routiers. Antoine, bâtard de Terride, allié à divers capitaines, poussait les incursions jusqu'à Fronton, Bonlieu, Sainte-Foy, Cordes d'Albigeois, s'emparait des forts, ne se faisait nul scrupule d'enlever leurs chevaux aux religieux de Grandselve ou du Mas-Grenier, les attelages de boeufs aux chevaliers de Saint-Jean, d'outrager la femme de Guillaume Molinier, parce que ce dernier avait guerroyé contre les habitants de Sarrant(1).

Du haut du fort de Bourret, d'où il avait chassé Maragde, veuve de Bertrand de Terride, dame du lieu, Gautié Vaquié, damoiseau de Verdun, faisait, avec ses hommes d'armes, irruption sur les terres des seigneurs voisins, pillait et volait (2). Innombrables étaient les méfaits commis par les compagnies de Bourret, qui, en I38I, sous le pennon de Benoît Chapperel, partisan du roi, faisaient des razzias en Toulousain, Albigeois, Quercy et Rouergue (3). Les compagnies, en garnison à Corbarieu, attaquaient Gargas, puis se dirigeaient vers Le Causé, parce que Terride, son seigneur, avait combattu les miliciens des communes liguées en I38I contre les pillards (4). Le capitaine Jean Ayméric occupait Cordes-Tolosanes en 1359, et les habitants d'Escalalens, de concert avec les moines qui gardaient le château abbatial, avaient, au mépris des défenses royales, fait cause commune avec les Compagnies maudites et festoyé avec elles (5). Au retour d'Espagne, où Du Guesclin les avait emmenées, les Grandes Compagnies continuèrent leurs rapines en 1366; le duc d'Anjou les ayant attaquées à Montech, les battit d'abord, mais les Montalbanais étant venus à leur aide, ils furent victorieux sur la fin du jour; Héliot Renouard, capitaine de Verdun, fut fait prisonnier, et Jean-Jourdain, seigneur d'Aucamville et Merville, délivra le vicomte de Narbonne. L'année suivante, la compagnie d'Olivier de Mauny commit de grands désordres à CastelSarrasin (6).

Les vexations et les pillages firent le plus grand tort à l'agriculture. Travaillant leurs terres d'une façon sommaire et en toute crainte des Routiers, les paysans entendaient-ils sonner le tocsin annonçant l'approche des pillards, qu'ils rentraient au plus vite dans les forts. Beaucoup d'entre eux abandonnèrent leurs fiefs, ou ne consentirent à les garder que sous des redevances réduites de la moitié ou des trois quarts; c'est ce qui eut lieu en 1375, aux environs de Montech, pour les fiefs tenus de l'abbaye de Grandselve, et en 1369 pour les fiefs tenus à Escatalens de l'abbaye

(1) Histoire de Languedoc, t. X, Preuves, n° 583.

( 2) Idem, n° 624.

( 3) Idem, n° 742.

(4) Idem, n° 703. Terride n'avait d'autre but, en combattant les milices, que de défendre ses terres et ses vassaux. Bourret, pris par les milices, lui appartenait.

(5) Archives de Tarn-et-Garonne, fonds de Moissac, G. 700.

( 8) Histoire de Languedoc, t. IX. 783, 784, 790.


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de Moissac (1). Le monastère de Grandselve fut tellement appauvri parles désertions et les pillages que, déjà en 1348, le roi Philippe VI exempta les religieux du paiement des dîmes accordées par le pape, et cette exemption fut renouvelée plus tardai. Les moines de Belleperche, bien que réduits au chiffre de vingt environ, étaient tellement dénués de ressources que, le 9 janvier 1376, le maître des eaux dut leur permettre d'établir des barrages dans la Garonne, afin d'y prendre le poisson nécessaire à leur subsistance (3). Les revenus continuèrent à diminuer, si bien qu'ils n'étaient plus que de 3oo livres tournois au lieu de 2,000 en 1435, et ceux du monastère de Saint-Aignan de 15 livres (4). Afin de pouvoir payer les droits de la chambre apostolique, les moines de Moissac unirent en 1389 le prieuré de Sériguac à la mense abbatiale appauvrie (5).

Les villes et villages n'eurent pas moins à souffrir. Malgré la trêve de 1350, les pillards anglais s'emparèrent de Dunes et de Beaumont; il semble même que la ville de Grenade soit tombée en leur pouvoir et ait été saccagée (6). Cordes fut plus tard livrée aux flammes; il en fut de •même de Saint-Aignan : en 1435 les religieuses n'avaient pu y rentrer encore, et le prieur lui-même s'en était allé gagner sa pauvre vie (7). Le village, aujourd'hui hameau, d'Enconde, près de Maubec, reçut en 1388 les Routiers sous la conduite de Sans-Garcie de Manas, seigneur d'Avezan, et ne put jamais se relever de cette plaie(8). Un grand nombre de villages avaient vu tellement diminuer leur population, ou du moins leurs ressources, que les officiers du roi durent plusieurs fois procéder à la réparation ou 'recensement des feux qui étaient la base de l'assiette financière de l'impôt, non de sa répartition.

En 1409, Drudas déchargé 5 fois, n'était plus imposé que pour 1/4 de feu

— Ardisas 4 — — 1 1/2 —

— Cordes 4 — — 2 —

— Sarrant 4 — — 4 —

— Brignemont 4 — — 4 —

— Le Bousquet 4 — — 1/4 —

— Saint-Sardos 4 — — 4 —

— Lagraulel 3 — — 1/4 —

— Le Burgaud 3 — — 3 —

(1) P. Bailini, notaire de Cordes-Tolosanes. (2) Histoire de Languedoc, t. VIII, col. 1881. (3) Collection Doat, vol. 92, f° 336. ( 4) Idem, f° 365.

(5) Archives de Tarn-et-Garonne, fonds de Moissac, G. 705. ( 6) Histoire de Languedoc, t. IX, 619. ( 7) Collection Doat, vol.. 92, f° 365.

(8) Bull, arch. de Tarn-et-Garonne, t. VI, p. 387. Une ville disparue, le hameau d'Enconde, par M. P. Du Faur.


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En 1409, Beaupuy déchargé 3 fois, n'était plus imposé que pour 1 feu

— Bouillac 3 — — 1 —

— Solomiac 3 — — 3 —

— Marignac 2 — -— 1 —

— Les Boulvènes 2 — — 1/2 —

— Cologne Cl 5 — — 8 —

Ces villages, naguère si prospères que les riches mourants pouvaient donner aux pauvres, au jour de leurs funérailles ou à la Toussaint prochaine, un ou plusieurs setiers de froment ou de mixture, une ou plusieurs pipes de vin pur, un porc valant 1 ou 2 florins pour assaisonner deux quartières de fèves cuites ; ce pays naguère si riche où se pratiquaient les, dons de draps de lit aux maladreries et hôpitaux ( 2) des campagnes, et les legs aux pauvres filles à marier; ces terres fertiles où le vin était si commun qu'il servait à faciliter les transactions, qu'il était devenu, nous le verrons plus bas, matière à impôt (3), et où les vendanges donnaient droit à une exception de paiement (4) ; cette contrée où les paysans étaient si à leur aise, qu'ils avaient des lits avec de bonnes couchettes, avec deux traversins (pulvinaria) de plume (5), des courtes-pointes et des draps de lit de trois largeurs; ce pays où les nouvelles mariées recevaient pour trousseau le surcot si connu et si gracieux, fourré de peaux d'écureuil, le manteau fourré de goletas, la tunique en bon drap de laine valant jusqu'à 2 et 3 francs d'or la canne, ce qui mettrait le prix de revient du mètre à plus de 20 francs de notre monnaie ; ce pays était à demi inculte, ces paysans étaient ruinés par les rançons énormes payées aux pillards; ces villages étaient tellement appauvris qu'ils ne pouvaient que difficilement payer l'impôt.

Nombre de consulats étaient endettés; quelques exemples seulement.

En 1371, les sergents arrivent à Aucamville, saisissent et vendent à l'encan les traversins, chaudrons et autres ustensiles de ménage de ceux qui étaient en retard pour le paiement des contributions (6). En 1375, les

(1) Archives communales du Burgand. Ordonnance de Roger d'Espagne, seigneur de Montespan, sénéchal de Toulouse, du 20 novembre 1409, qui, vu la dépopulation, décide que l'on n'imposera plus d'après le nombre ancien des feux, mais d'après le nombre actuel, à raison de 1 franc par feu.

( 2) Outre ces legs aux hôpitaux du pays, il y en avait d'autres aux quatre hôpitaux généraux de Roncevaux, du Puy, de Saint-Antoine du Viennois, de Sainte-Quitterie d'Acre.

( 3) Le 16 juillet 1370, le duc d'Anjou à Grenade ordonna la levée d'un impôt sur chaque charge de vin (Histoire de Languedoc, t. IX, p. 818).

(1) Le 8 septembre 1371, il y avait du vin nouveau à Castelferrus; le 6 septembre 1548, on était en pleines vendanges à Cordes; je signale cette précocité aux viticulteurs.

( 5) Ces pulvinaria dont les étoffes avaient les dimensions de 3 empans sur 16, c'est-à-dire om,66 sur 3m,52 seraient-ils des édredons?

(6) Archives communales. Comptes consulaires.


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habitants de Lavilledieu reçoivent, de par le trésorier des guerres, la visite des sergents du Châtelet pour 161 francs d'or dus à cause de la guerre de Guyenne (1) ; les consuls de Montech doivent à Jean Jude, trésorier royal de Toulouse, 62 francs d'or pour la réparation des feux faite par le juge de Villelongue, et 60 florins d'or prêtés par l'évêque de Montauban pour acquitter l'impôt (2). Le 18 avril 1369, les habitants de Cordes doivent le quatrième quartier, soit 31 francs d'or et l'écu pour l'impôt royal de 12 deniers par livre, et le 13e du vin imposé pour armer les gens d'armes ; le receveur veut faire mettre les biens à l'encan, mais le baile se refuse à démonter les portes et à les briser. Les consuls eurent alors recours aux banquiers de l'époque, et, trois ans après, ils devaient 66 francs d'or à Vivian Bénech, juif de Toulouse, et à Isalier de Perpinhano, juif de Carcassonne (3).

Dans ces temps si troublés (c'était inévitable), la justice clochait plus d'une fois. Les juges consulaires, quoique éclairés par des assesseurs légistes, se montrent pleins d'indulgence, en 1367, a Cordes où ils renvoient libres trois habitants convaincus d'avoir volé de nuit, dans une ferme, un grand nombre de porcs et de les avoir vendus dans les possessions anglaises à Moissac ou à Puymirol (4) ; à Castelferrus, en 1371, où, bien que de vultu Dei prodeant judicia et oculi videant oequitatem, comme le dit le juge en ses considérants, un homme qui avait volé une charrue est relaxé (5) Les juges des grands feudataires, tous clercs du roi, et offrant à" cet égard plus de garanties d'indépendance et de science juridique, n'étaient pas non plus des modèles d'équité, s'il faut en croire la lettre de Jean, comte de Poitiers, datée à Verdun le 19 mai 1358, qui instituait des commissaires réformateurs des sénéchaux, baillis, prévôts, juges, etc.(6). Quant aux officiers du roi, ils avaient inauguré, avant 1340, un; nouveau mode de justice consistant à racheter par des amendes les crimes et délits (7); mais, dans la seconde moitié du siècle, la rémission, même sans compensation pécuniaire, semble acquise de droit, surtout à celui qui peut faire valoir les services rendus pendant la guerre. C'est, en 1351, le cas de plusieurs hommes de Bertrand de l'Isle, seigneur de Launac, impliqués dans une querelle qui avait entraîné mort d'homme et poursuivis par le juge de Verdun. Il est vrai que, au moment où les Anglais menaçaient le Toulousain, il eût été impolitique de mécontenter un des principaux seigneurs de la Gascogne toulousaine, membre de la puissante famille de l'Isle-Jourdain (8). Antoine, bâtard de Terride, reçut en 1371

(1) Fortanier de Podio, notaire de Montech.

(2) Idem.

( 3) P. Bailini, notaire de Cordes-Tolosanes.

Idem.

( 5) Idem.

(6) Histoire de Languedoc, t. X, Preuves, col. 1142.

(7) Idem, Preuves, n° 420-CXIII, 3o8, etc.

( 8) Idem, t. X, Preuves, note p. 629.


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des lettres de rémission de ses nombreux méfaits, parce qu'il avait délivré deux chevaliers des mains des ennemis (1). Gautié Vaquié, qui s'était emparé de Bourret, reçut en 1337 le pardon de ses vols et autres crimes (2). Thomas Neveu, à cause de ses exploits à la guerre de Flandre, obtint en 1392 ses lettres de rémission pour les razzias opérées dix ans auparavant, dans quatre provinces (3). Enfin, les bourgeois d'Escatalens, qui n'avaient aucun service à faire valoir, obtinrent, en 1362, rémission du fait d'avoir prêté la main aux Routiers de Cordes, en payant une amende de 260 francs d'or(4).

Si les courses des Routiers n'avaient eu de cesse, c'était la ruine complète du pays, la famine et la mort des habitants à bref délai. Dans cette extrémité, les habitants traitèrent avec les Compagnies. Au moyen de conventions appelées patis ou suffertas, obtenues à prix d'argent et souvent renouvelées, le paysan pouvait, sans trop de risque, cultiver ses champs, garder son bétail et ses récoltes. En 1386, les Anglais avaient fait des courses jusqu'aux environs de Toulouse, et toutes les villes et villages s'étaient apatisés avec eux (5). Le roi pardonna plus tard ces transactions plus ou moins coupables, et ce fut pour lui un moyen de battre monnaie. Castel-Sarrasin et Beaumont payèrent leurs lettres de rémission en 1384; Grenade les obtint gratuitement (6). Aucamville les obtint aussi en 1390 (7). Ce village avait traité dès 138o avec les Routiers de Bourret; les consuls payèrent au capitaine 7 francs 4 gros, puis ils lui portèrent du vin sur l'ordre de Pierre de Nizam. Obtenir la neutralité d'une compagnie ne suffisait pas, il fallait financer pour toutes les autres; aussi voyons-nous les autres chefs de bandes accourir à Aucamville et y festoyer. Ce sont les seigneurs de Durban, Bertrand de Launac, Raymond de Marquefave et plusieurs autres(8); puis c'est Pierre de Montaut qui reçoit un pipot de vin pour lui et ses hommes d'armes. Ce sont encore les capitaines de Savenès, Pierre et Bertrand de Banèges qui touchent pour 24 gros 1/2 de vin et 17 gros d'avoine. C'est le capitaine Ménadut qui reçoit ensuite du pain pour 20 gros. Plus tard, au moment de la récolte, à la Saint-Jean-Bapliste, le même capitaine Menadut revient, et, avec le capitaine del Poco, il reçoit pour 7 gros de vin (9).

( 1) Idem, n° 583. (2) Idem, n° 624. ( 3) Idem, n° 742.

( 4) Archives de Tarn-et-Garonne, fonds de Moissac, G. 700. ( 5) Histoire de Languedoc, t. X, Preuves, n° 687-CLXll. ( 6) Idem, t. IX, 918-919.

( 7) Archives communales d'Aucamville. Comptes consulaires. ( 8) Item solverunt capitaneo de Borrello pro pati VII francos IIII grossos. Item portaverunt vinum apud Borrellum ex parte domini Pétri de Nizam. Item dederunt prandium domino de Durban, Bertrando de Launaco, Raymundo de Marcafabba et pluribus aliis; decostilit VIII grossos. (9) Archives communales d'Aucamville. Comptes consulaires.

HIST. ET PHILOL, 12


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Fatiguées des incursions et des pillages, les Communes du pays se concertèrent en 1381, prirent Bourret et dispersèrent ces bandes de pillards ( 1)

Castelcuiller en Àgenais, qui avait déjà obtenu en 1368, des consuls' d'Aucamville, une contribution de guerre de 25 francs, paraît avoir été un des derniers refuges des Routiers. En 1390, ceux-ci avaient fait prisonniers quatre hommes d'Aucamville, dont trois consuls ; il les retinrent prisonniers pendant sept mois, jusqu'à complet paiement de leur rançon (2). Par deux fois, en 1393 et 1396, lé roi leva un impôt spécial de 12 et 16 sols par feu, pour retirer cette place des mains de Bertrand, bâtard d'Armagnac (3).

Une question en finissant : les officiers du roi furent-ils imitateurs où complices des pillards?

Lès écuyers, hommes d'armes et valets qui, sous la protection du fort de Bourret, commirent dé 1378 à 1381 tant de méfaits, servaient sous lè pennôn de Benoît Chapperel, partisan du roi (4). En 1380, les consuls d'Aucamville, avant de traiter avec ces Routiers, envoyèrent deux fois à Grenade prendre l'avis du lieutenant du juge; la réponse qu'ils obtinrent peu après coûta 8 gros ; plus tard, ils consultèrent le même personnage pour savoir s'ils devaient tenir l'engagement qu'ils avaient pris (5). Déjà en 1373, ils payaient directement au capitaine de Verdun 2 francs d'or pour un pati ; Ie jour de Pâques, ils lui remirent 12 gros, et, après là SaintMartin, une paire d'oies coûtant 6 gros et une paire de gélines coûtant 7 gros G'.

Faut-il conclure de là que hommes de guerre, juges et capitaines pillaient eux aussi les sujets du roi, et que, marchant sur les brisées des Routiers, ils vendaient leur neutralité et ajoutaient à leurs émoluments le fruit de leur rapine? De la part de Chapperel, il ne serait peut-être pas téméraire de l'affirmer; quant au lieutenant du juge, voyant l'impuissance du roi à protéger ses vassaux, il crut peut-être bon d'autoriser le pati. Le cas du châtelain de Verdun est plus embarrassant; pour en juger sainement, il faudrait peut-être d'autres renseignements.

(1) Chronique de Miquel del Vernis publiée dans le Panthéon littéraire,communiquée par M. Edmond Cabié.

(2) Archives communales d'Aucamville. Comptes consulaires.

( 3) Histoire de Languedoc, t.. IX, 968 et 973.

(4) Idem, t. X, Preuves, n° 742.

( 5) Iverunt Granatam pro servando pati de Borrello.Item sleterunl Granala pro videndo si possent habere pati cum illis de Borrello; per Il dies expèdierunt Il grossos.

Item habuerunt unam litteram domini locumtenentis de dicto pati; decostilit VIII grossos.

Item ivit Johannes Ponsoti Granalam pro videndo si tenerent pati ; expedil I grossum.

(6)| Archives communales d'Aucamville. Comptes consulaires.


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II

PROCESSION D'ACTIONS DE GRACES A BRIGNOLES ( VAR) EN L'HONNEUR DE LA DÉLIVRANCE D'ORLÉANS PAR JEANNE D,ARC (1429).

Communication de M. Mireur, correspondant du Ministère.

Nos anciens historiens provençaux, racontant les faits du règne de Louis III, comte de Provence, fils de la reine Yolande (1417-1434), ont parlé incidemment des graves événements qui s'accomplirent en France au début du règne de Charles VII, son beau-frère, et de la merveilleuse épopée de Jeanne d'Arc. C'était « presques au mesme poinet, dit Nostra- - damus arrivé en l'année 1429, que la pucelle Jeanne, tant illustrement chantée par les histoires françoises, alloit au secours de sa ville, couverte d'armes blanches contre les Anglois, ausquels elle fit quitter et abandonne le siège d'Orléans (1). » Honoré Bouche, qui a connu le rôle patriotique de la reine Yolande à la Cour de France, aujourd'hui mis en pleine lumière (2), place le sacre de Charles VII « au temps calamiteux de l'occupation d'une grande partie de la France par les Anglois et du temps de la Pucelle d'Orléans, si renommée daus les histoires, environ l'an 1429... (3). » Mais ni ces auteurs, qui ont écrit longtemps après, sur des renseignements généraux, ni ceux qui sont venus ensuite, n'ont produit, à notre connaissance, aucun témoignage direct et contemporain de l'impression que les nouvelles extraordinaires de France causèrent en Provence. On pourrait se demander même, étant donnés l'éloignemenl du théâtre de la guerre, la lenteur et la rareté relative des communications, à quel moment, plus ou moins tardif, ces nouvelles parvinrent, et si elles avaient été capables d'émouvoir un pays absorbé dans la préoccupation de sa propre défense contre les attaques des Aragonais et épuisé par une longue guerre.

Les lignes suivantes, extraites d'un compte trésoraire de Brignoles, contiennent à cet égard une attestation éloquente et précieuse du sentiment des Provençaux. Elles nous apprennent que, le bruit s'étant répandu dans celle ville de la délivrance d'Orléans —car c'est bien d'elle qu'il s'agit, — l'enthousiasme fut si soudain que, sans même consulter comme d'ordinaire le conseil, on organisa des réjouissances publiques pour fêter l'éclatant succès dû à l'intervention de cette jeune fille étrange — illius piuselle — dont la renommée avait volé jusqu'en notre lointaine

(1) Histoire et chronique de Provence, p. 574, E.

(2) « Yoland d'Aragon, mere de notre -Louis, demeuroit ordinairement

en la Cour du... Roy de France, Charles VII, son beau-fils, et estoit utilement employée aux pourparlers et accords entre les ducs de Bretagne et de Bourgogne avec le Roy de France, -pour chasser les Anglais. » (Histoire de ■Provence, t. II, p. 448)- Cf- Vallet, Histoire de Charles VII; A. Lecoy de la Marche, Le Roi René ; Siméon Luce, Jeanne d'Arc à Domrémy, etc.

(3) Id., ibid.


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contrée. Une procession d'actions de grâces fut ordonnée, et, pour en relever l'éclat, les syndics de la communauté prirent sur eux d'y envoyer des ménétriers, aux frais de la ville, certains d'avance de l'adhésion de leurs collègues du conseil (1).

L'article du compte qui, seul, nous a transmis cet intéressant souvenir historique n'est pas daté, non plus que le compte lui-même, qui a malheureusement perdu son feuillet d'en-tête; en outre, par une coïncidence fâcheuse, les délibérations de l'époque n'existent plus. Toutefois, il suffit de parcourir le document pour se convaincre qu'il appartient sans conteste à l'année 1429, et que la cérémonie elle-même fut nécessairement célébrée entre le 15 mai et le 20 juin, dates extrêmes (2).

Sur le premier point, l'identité des noms des syndics communaux qui y figurent avec ceux des syndics en exercice durant ladite année serait déjà une forte présomption. En effet, Geoffroy d'Entrecasteaux ( 3) et Louis Laugier, nommés au recto du feuillet d'où le texte est tiré, et ailleurs, ne sont autres que ceux qui avaient été élus le 21 février 1429 pour rester en fonctions, selon l'usage local, jusqu'au mois de février de l'année suivante (4). Il y a mieux encore. Sur un chapitre du compte qui suit immédiatement la mention de la procession, se trouve le millésime de 1429 à une date postérieure au 25 mars, qui était celle du commencement de l'année (5).

Sur le deuxième point, la place matérielle que cette mention occupe dans l'énumération des dépenses courantes, enregistrées selon un ordre chronologique rigoureux, la circonscrit forcément dans les limites de temps précitées. D'une part, l'un des deux articles qui la précèdent est consacré au paiement des frais faits pour la Penlecôte, qui tomba en 1429 le 15 mai, et ces frais — pour le dire en passant — sont encore ceux de

(4) La minimité de la dépense n'aurait pas suffi pour autoriser les syndics à l'ordonnancer de leur propre chef. L'extrait suivant, puisé à la même source, prouve qu'on ne pouvait sortir un simple gros de la caisse sans un vote préalable du conseil :

« Item... ponit idem thesaurarius solvisse, in exequilione ordinalionis facte per dictum consilium, magistro Johanni Graciani, notario, pro labore per ipsum passo in sumendo notam procure et potestatis per dictum consilium atribute nobilibus viris Gaufrido de Intercatris et Ludovico Laugerii, sindicis, de concordando questionem..., videlicet grossum unum... g. 1» (S. C. C. Comptes trésoraires, 1419-1437, f° I3I).

( 3) La place qu'occupe le cahier du compte de 1429-1430 dans le registre dont il fait partie, ne peut pas servir à déterminer l'année, les comptes ayant été classés, non dans l'ordre de leur date, mais dans celui de leur reddition.

( 2) Département du Var, arrrondissement de Brignoles, canton de Cotignac.

( 4) Cf. le procès-verbal des élections communales du 21 février 1429 (archives communales de Brignoles S. BB. 4, f° 135 v°). Ce procès-verbal termine le registre, et la suite des délibérations de cette année manque à la collection.

(5) Voir pour le texte de cet article la note suivante.


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ménétriers, les mêmes sans doute, ayant aussi joué à la procession de cette solennité. D'autre part, le troisième des articles qui suivent et le premier daté porte le quantième du 20 juin (1). Les réjouissances eurent donc lieu antérieurement à cette date et cependant, après le 15 mai, un peu plus près, semblerait-il, de celle-ci que de celle-là, s'il fallait tenir compte du nombre des opérations financières effectuées dans l'intervalle (2)

Or, à ce moment, quelle pouvait être la décisive nouvelle, franchissant ainsi les distances et provoquant jusqu'à l'étranger cette manifestation spontanée et solennelle en l'honneur de la vaillante pucelle, sinon celle de la reprise inespérée de « sa ville? »

Le texte suivant, dans sa laconique simplicité, nous révèle l'état des esprits en Provence, avec quelle vive et anxieuse sympathie pour la cause du roi de France on y suivait de loin les émouvantes péripéties de la lutte. Les liens de parenté étroite qui unissaient les souverains des deux nations expliquent cette sympathie, et plus encore peut-être la crainte de l'extension de la domination anglaise, naguère menaçante pour les prétentions de nos comtes sur le royaume de Naples (3). Toutefois, la véritable importance historique du document, son intérêt général qu'il n'est pas besoin de faire ressortir, résident surtout dans le témoignage nouveau qu'il nous apporte de l'étonnante popularité de Jeanne et du grand et rapide retentissement de son admirable campagne d'Orléans.

a Item ponil idem thesaurarius solvisse, ex precepto sindicorum, me(1)

me(1) après le paiement des frais de la procession en l'honneur de Jeanne, la série des dépenses ordinaires se trouve interrompue par un chapitre spécial consacré à divers remboursements d'emprunts et ne reprend qu'ensuite.

Voici le commencement de ce chapitre :

Secuntur restituta pro mutuo facto per olim consilium. Item ponit idem thesaurarius solvisse magistro... florenos decem per eumdem magistrum... mutuatos olim consilio, que (sic) solvit anno Incarnation^ Domini mïllesimo IIIIe, XXIX et die nona mensis maii, flor. X. Ce quantième du 9 mai, venant deux articles après celui de la Pentecôte, prouve, il est vrai, que le compte a été rédigé après coup, au moment de sa reddition, et que le chapitre des emprunts n'a pas été intercalé à sa véritable place. Mais il ferait présumer aussi que l'intercalation a eu lieu plutôt en mai qu'en juin, et que dès lors la dépense de la procession appartient bien au mois de mai. Quoi qu'il en soit, dans ce chapitre spécial comme dans le restant du compte, les articles se suivent dans un ordre régulier, et cela suffit pour assigner à la cérémonie une date approximative certaine.

(2) Le texte communiqué est séparé par un seul article de celui de la fête de Pentecôte et par deux de l'article daté du 20 juin.

( 3) Voir les Historiens de Provence sur le projet d'adoption du comte de Richemont, frère de Henri V, roi d'Angleterre, par Jeanne II, reine de Naples, en 1419.


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nisteriis qui fecerunt festum, dum fecerunt processionem ad honorem Dei, dum venerunt nova illius Piuselle que eratinpartibus Francie, videlicet grossum unum g. I (¹); »

(Archives communales de Brignoles s, CC. Comptes trésoraires, 1419-1437, f° 128 v°).

III

LES NOMS DE BAPTÊME A AMIENS(²). Communication de M. Dubois.

Désirant répondre à la dixième question du programme d'histoire et de philologie du Congrès des Sociétés savantes pour 1893, j'ai dû me livrer à un travail de recherches très important.

Je me suis d'abord servi de travaux qui sont encore manuscrits et qui ont rempli les loisirs de mon existence (I-IV).

I. — Liste des chanoines d'Amiens. II. — Liste des maieurs et échevins d'Amiens.

III. — Liste des maieurs de bannières ou auteurs au 2e degré.

IV. — Liste des bourgeois reçus à Amiens (XIVe, XVe, XVIe et XVIIe siècles). V. — Recherches dans des chartes et documents authentiques.

VI. — Relevé sur les registres de baptêmes de la paroisse Saint-Leu (1563-1599).

VII. — Relevé des noms donnés au baptême sur toutes les paroisses

de la ville (1691). VIII. — Même relevé pour 1791.

IX. — pour 1891.

X. — Liste des habitants d'Amiens qui ont concouru depuis 6 lots jusqu'à 32 livres au paiement de l'aide de 5795 livres réclamée par le roi Charles VI le 24 avril 1386, pour une descente en Angleterre (communication que j'ai faite à la Société des Antiquaires de Picardie).

XI. — Noms de baptême donnés aux protestants (1601-1682).

J'ai dù décomposer tous ces documents afin de trouver quels étaient les noms le plus souvent donnés et par conséquent les plus populaires.

Il est bon de faire remarquer que jusqu'à la fin du XVIe siècle on ne donnait qu'un seul nom au baptême et qu'à cette époque, si on en rencontre deux, ils sont timidement donnés. Tandis qu'aujourd'hui on

(¹) Il ne faut pas perdre de vue, pour expliquer cette rédaction au temps passé, que le compte ne fut rédigé qu'un an ou peut-être deux ans après.

(¹) Ici devrait trouver place la communication de M. Gauthier, archiviste du Doubs, sur la fabrication du papier en Franche-Comté ; elle paraîtra dans le Bulletin de 1894-


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accorde 2, 3, 4 et même5noms; ainsi en 1691 époque à laquelle la ville d'Amiens n'a pas 3o,ooo habitants, il y a 763 baptêmes à un nom, 5II à deux noms et 9 à trois noms; en 1791, avec une population de 39,000 habitants, on trouve 170 à un nom, 715 à deux noms, 4II à trois noms et 5I à quatre noms; et en 1891, avec une population de 80,000 âmes, il y en a 3o1 à un nom, 917 à deux noms, 457 à trois noms, 60 à quatre noms, 67 à cinq noms.

Nos ancêtres avaient presque toujours le soin, et c'était une religion de famille, de donner à leurs enfants des noms pouvant rapprocher les aïeux, tandis qu'à présent, il n'est plus besoin de souvenirs : ce sont des noms ronflants, qui caressent agréablement l'oreille de qui les entend pronon cer, ce sont en grande partie des noms de romans, d'opéras ou de pièces qui ont frappé l'imagination des parents.

Pour preuve de ce que j'avance, c'est que, anciennement et pour le sexe masculin, on avait choisi les noms des apôtres. Pierre, par exemple, se trouve 1072 fois dans les tableaux que j'ai dressés jusqu'en 1891 ; Jacques 752 fois et Mathieu 261 fois pour ne citer que ces trois noms.

Pierre, de 68 en 1691, n'est plus donné que 25 fois en 1891.

Jacques, 25 fois en 1691, n'a donné qu'une fois son nom en 1891.

Et Mathieu, de 2 fois en 1691, est absent en 1891.

Le seul nom qui a eu le plus de vogue à Amiens est celui dp Jean ou Jehan. Il était déjà porté dans les Xe, XIe et XIIe siècles, mais son renom dans noire cité n'a commencé qu'au XIIIe siècle.

Le chef de saint Jean-Baptiste fit son entrée à Amiens le 17 décembre 1206, apporté par Wallon de Sarton, chanoine de notre cathédrale. La relique fut alors et pendant fort longtemps l'objet d'une vénération toute particulière, et reçut la visite de rois, reines, princes et princesses et autres personnages marquants. Ainsi, le 2 avril 1392, le duc de Lancastre, fils de Richard II, roi d'Angleterre, donne un masque d'or du poids de 4 marcs pour couvrir le chef.

La reine Isabeau de Bavière vint à Amiens en 1385, sous prétexte de vénérer le chef saint Jean, mais bien pour y conclure sa funeste alliance avec Charles VI, elle y revint en 1398. Le 16 octobre 1436, Isabeau de Portugal, troisième femme de Philippe: de Bourgogne, vint prier devant le chef saint Jean. Le 12 janvier 1474, le roi Louis XI, qui avait une certaine dévotion pour la relique, envoya, pour l'orner, son rubis Babay enchâssé d'or. Le 29 mai 1517, François 1er, accompagnéde la reine Claude, de Mme d'Angoulême sa mère et de Mme d'Alençon sa soeur, vint faire ses dévotions au chef saint Jean. La ville d'Amiens leur fit présent de trois chefs de fin or, marqués au bas des armes du roi et de la ville et, richement dorés et émaillés à l'entour de l'histoire du saint, aux reliques duquel ils avaient été fraîchement touchés. Celui du roi pesait 3 marcs; celui de Madame, I marc et celui de Mme d'Alençon, demi-marc.

Le 14 juin 1518,Humfray de Vinilde, envoyé du roi d'Angleterre, offre la figure du saint, en argent.


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Jehan de Verve, troisième du nom, comte d'Oxfort, grand chambellan et amiral d'Angleterre, fit faire en l'honneur du saint : huit grandes châsses de velours, quatre tuniques, une chasuble et un devant d'aùtel où étaient représentées, en broderie, la vie de saint Jean et l'invention du chef.

L'affluence du peuple du dehors qui venait vénérer le chef saint Jean était tellement importante qu'il s'établit à Amiens une foire qui durait huit jours et qui subsiste encore aujourd'hui sous le nom de foire de la Saint-Jean; elle a maintenant une durée d'un mois. La veille de la fête, le 23 juin, les maieurs et échevins allumaient, au devant de l'Hôtel-deVille, un feu de joie, feu de la Saint-Jean, ou feu d'or. Encore à présent et à pareil jour, des feux de joie sont allumés dans toute la ville par les habitants. Il y avait en outre à Amiens l'abbaye de Saint-Jean, une des plus importantes qui, ruinée plusieurs fois, fut complètement détruite lors de la prise de la ville, en 1597, car elle se trouvait en dehors de la muraille. Les moines se retirèrent en 1601 dans l'hôtel des Marcounelles, actuellement le lycée depuis 1800.

Par les chiffres qui sont en regard du nom de Jean sur les tableaux, on peut se rendre compte de la popularité de ce nom dans les temps reculés. Cette vogue est singulièrement tombée à présent; déjà en 1691, et pendant toute cette année, 44 enfants ont reçu ce nom au baptême; 26 en 1791 et 17 seulement en 1891.

Il est vrai de dire qu'à partir de 1691, on a énoncé le nom en entier, c'est-à-dire Jean-Baptiste : 97 cette année; 179 en 179I et 16 seulement en 1891.

Une chose digne de remarque, c'est que les noms qui sont donnés comme vocable à des églises dans le diocèse, sont pour la plupart les moins donnés au baptême.

Ainsi saint Martin, qui a 139 églises dans son vocable, n'est presque pas donné au baptême; saint Firmin, le premier évêque d'Amiens, a qui l'on fait une grande fête le 25 septembre de chaque année et qui a 24 vocables, subit le même sort; il en est de même de Nicolas, patron des garçons, qui a 35 vocables, Léger 3o, Vast 25, Germain 14, etc., etc.

Quant aux noms masculins protestants, le dominant est toujours Jean qui s'y trouve 312 fois en 80 ans; puis vient Pierre, 309 fois; Jacques, 142; Abraham, 90; Isaac, 82; Daniel, 45; Etienne, 64; Jacob, 52; Samuel, 46; Philippe, 39; Louis, 26, etc., etc.

Pour les noms féminins, Marie tient la dominante (et cela se conçoit), même chez les protestants qui en comptent 421Le

421Le de Marguerite se maintient ; dans l'église Saint-Acheul se trouve la ceinture de sainte Marguerite à laquelle les dames ont une grande confiance, car le 20 juillet de chaque année, les femmes enceintes vont dans l'église se faire mettre la ceinture pour être protégées contre les maux de reins et avoir une couche heureuse. Cette relique fut apportée vers 1214 par un chanoine de l'abbaye Saint-Acheul du nom de Guibert; Françoise, de 82 en 1691, n'a plus que 4 aux baptêmes de 1891; Jeanne,


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de 82 en 1691, n'a plus que 21 en 1791 et il remonte à 70 en 1891; Madeleine se conserve; Marie-Anne, de 63 en 1691, n'en compte plus que 3 en 1891. Et Catherine, la patronne des demoiselles qui donnait 58 noms en 1691, n'en a plus que 3 en 1891.

Par contre, les noms nouveaux, Angèle, Fernande, Germaine, Yvonne, etc., etc., dominent en 1891.

Dans les noms féminins donnés chez les protestants, après Marie, viennent Madeleine, 255; Suzanne, 23o; Jeanne, 117; Judith, 101; Elisabeth, 83; Anne, 75; Esther, 44; Marthe, 28; Catherine, 16, etc., etc.

Pour donner une idée du peu de stabilité d'un nom qui ne flatte pas l'oreille et qui offre quelque difficulté dans son émission, c'est le nom de Theudosie qu'il faut choisir.

Le 12 octobre 1853, une entrée triomphale fut faite à Amiens à des reliques trouvées dans les catacombes de Rome : celles de sainte Theudosie, native d'Amiens. Ce nom eut peu de durée; de 1853 à 1862, le nom fut donné 56 fois; de 1863 à 1872, 5 fois seulement; il ne fut plus donné une seule fois en 1891.

IIII

DE LA STROPHE ET DU POÈME DANS LA VERSIFICATION FRANÇAISE, SPÉCIALEMENT EN VIEUX FRANÇOIS.

Communication de M. de la Grasserie.

Les deux unités rythmiques supérieures aux vers sont la strophe ou stance, et le poème.

Elles ont leur autonomie parfaite, et ne sont pas de simples aggrégats de vers juxtaposés, mais des composés organiques dont les diverses parties sont différenciées et concourent à un effet commun. A côté et tout à fait en dehors se trouvent dans toutes les versifications des poèmes qu'au point de vue purement rythmique on peut qualifier d'amorphes, en ce qu'ils consistent en une suite indéfinie de vers égaux entre eux que nul lien secondaire ne réunit en unités intermédiaires ; ceux-là sont en dehors de notre étude.

C'est uniquement dans la versification française que nous étudions ici la strophe et le poème, et surtout dans leur constitution logique et leur évolution historique à partir du vieux français. Mais ce sujet dans son ensemble est beaucoup trop vaste pour être cité dans les courts instants qui nous sont accordés ; nous voulons seulement donner quelques aperçus nouveaux, poser quelques principes, et ajouter des éléments utiles pour l'investigation de ces questions encore peu ou point explorées. Nous parlerons d'abord de la strophe.


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I. —De la strophe.

La strophe ou stance est une unité rythmique qui se compose de plusieurs vers qui forment un tout désormais indivisible, et dont le lien est marqué à la fois par le sens et par le rythme, de manière à ce qu'une strophe ne puisse être confondue avec celle qui la suit.

Avant d'examiner son origine en français, il faut observer sa constitution actuelle, de même qu'en géologie les phénomènes contemporains mettent sur la voie et peuvent donner l'explication des phénomènes anciens.

La strophe française actuelle, qui porte, dans certains cas surtout, aussi le nom de stance, se forme, lorsqu'on l'envisage dans sa constitution intérieure, c'est-à-dire lorsqu'elle n'est pas encore suivie d'une autre strophe, par trois moyens : I° la rime strophique ; 2° l'hétérométrie ; 3° la clôture du sens, et lorsqu'elle est considérée dans sa constitution extérieure, c'est-à-dire dans sa connexion avec un autre vers, par deux autres moyens : I° l'égalité du nombre de vers;2° le refrain; 3°la correspondance de vers à vers. Mais ce dernier procédé appartient surtout aux métriques étrangères; il y en a cependant un exemple en français.

D'un autre côté, de même que le vers, ainsi que la mesure dans la musique, peut être à deux temps ou à trois temps, de même aussi la strophe peut être à deux temps ou à trois temps, ce qui lui imprime un caractère tout différent.

Ce sont ces idées nouvelles qu'il s'agit de développer.

Le premier moyen de constitution rythmique de la strophe est la suite du sens, le second qui l'accompagne est la rime, soit croisée, soit enveloppante. Pour le faire comprendre, nous devons prendre la stance la plus usitée chez nous, celle qui semble tout à fait propre à la poésie lyrique contemporaine, le quatrain. Si nous ajoutons qu'il se compose le plus souvent d'octosyllabes, et que sous cette forme il est le plus ancien des vers français peut-être, on comprendra toute son importance et comment nous pouvons le présenter comme type.

Le quatrain se compose normalement de quatre vers dont le Ier et le 3e riment ensemble, tandis que riment ensemble, à leur tour, le 2e et le 4e; en d'autres termes une rime commune unit les deux vers pairs, une autre rime commune, les deux vers impairs, le sens ne se termine qu'à la fin.

En voici un exemple pour la démonstration.

Mes enfants,il faut qu'on travaille; Il faut tous; dans le droit chemin Faire un métier, vaille que vaille, Ou de l'esprit, ou de la- main.

Que se passe-t-il dans cette stance au point de vue rythmique?


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Ceci d'abord. Au point de vue intellectuel, psychique, le sens se repose à la fin du premier vers d'abord, là où il n'y a aucun danger qu'on croie la stance terminée, puis il ne se repose plus qu'à la fin. Voilà le premier lien strophique ; il n'y a dans toute la strophe qu'une phrase ; il faut aller jusqu'à la fin du dernier vers pour en avoir le sens complet.

Le second moyen de constitution rythmique que nous venons d'indiquer est la rime strophique, c'est-à dire une rime qui n'est pas plate, comme dans ie poème amorphe, non différencié en parties autres que les vers, mais qui est soit croisée, soit embrassante.

Dans l'exemple ci-dessus la rime est croisée. Voici ce qu'il en résulte.

Dès que la rime du premier vers est apparue, travaille, l'oreille attend impatiemment son retour, à la fin du second vers, mais alors elle est déçue, car le mot final est : chemin, qui ne rime pas avec travaille : elle est satisfaite à la fin du 3° vers qui se terminé par ce mot : vaille, mais en même temps, l'oreille a été mise en éveil à la fin du second vers par le mot : chemin, elle cherche une assonance pour ce mot à son tour, et ne la trouve qu'à la fin du 4° et dernier vers et en même temps, à la fin de la stance par le mot : main.

Ainsi, pendant toute la stance, l'oreille qui, dans le vers français, cherche instinctivement la rime, parce qu'elle est avertie d'avance par la coutume, ne trouve sa satisfaction qu'à la fin de la strophe. Cette attente avant d'obtenir le plaisir de la concordance rythmique constitue l'harmonie différée; au contraire, si l'on eût dit :

Mes enfants, il faut qu'on travaille En son métier, vaille que vaille, Ou de l'esprit, ou de la main, En suivant tous le droit chemin.

On aurait une mauvaise stance, je ne dis pas seulement au point de vue de la pensée poétique, mais aussi à celui du rythme; les rimes seraient plates, et le lien strophique disparaîtrait, l'harmonie serait immédiate : le mot vaille accourt de suite à l'appel du mot: travaille et chemin à l'appel du mot : main. Il n'y a plus alors que juxtaposition de vers, et non unité organique. C'est l'harmonie différée résultant de la rime croisée qui constitue celle-ci.

Le lien strophique de quatrain est encore bien plus sensible, si la rime, au lieu d'être croisée, devient embrassante.

Modifions dans ce sens la même stance.

Mes enfants,il faut qu'on travaille; Il faut tous, dans le droit chemin Ou par l'esprit ou par la main Faire un métier, vaille que vaille.

L'oreille éveillée par le mot final du premier vers : travaille, lui cherche


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incessamment une rime; elle est déçue à la fin du second vers où elle ne rencontre que le mot : chemin ; à la fin du troisième où elle ne rencontre que le mot : main, et n'est satisfaite qu'à la fin du quatrième vers où vaille vient rimer avec travaille, en embrassant ainsi toute la stance ; mais en même temps la stance est finie; cette satisfaction qui s'est fait attendre pendant toute la période strophique accuse ainsi nettement la strophe, la différencie des autres vers du poème. Il y a eu ici l'harmonie différée mais plus complète. Cependant, elle est un peu atténuée, en ce qu'en route, l'oreille a reçu une demi satisfaction par le concord entre les mots : chemin et main.

On peut faire dans le sens de l'unité strophique un pas de plus, ce pas est fait par la poésie populaire, très curieuse à cet égard. Si nous consultons le folk-lore poétique, nous trouvons une foule de stances, comme celles-ci (elles sont généralement constituées par des vers de six syllabes).

Quand j'étais chez mon frère, Petite à la maison, J'allais à la fontaine Pour cueillir du cresson.

Ici les vers pairs riment seuls, les vers impairs sont des vers blancs, et pourtant l'oreille ne s'en aperçoit pas trop ; s'il s'agissait d'un poème continu, elle serait tout de suite choquée, mais comme il s'agit de stances, elle ne cherche que la rime strophique, la rime finale: elle glisse sur les autres fins de vers, moins contrariée même de ne pas y rencontrer de rime du tout qu'elle ne l'est dans la versification lettrée de rencontrer une rime contraire. Mais ici le caractère strophique de la rime ressort bien plus parce qu'on n'en est distrait par aucune autre.

Dans la poésie espagnole, ce genre de stance a passé dans la versification lettrée ; elle constitue celle in romance ; nous le trouvons aussi dans la versification chinoise, dans le quatrain dit rubai des Arabes et dans la strophe du moyen haut-allemand avec le vers orphelin, waise ; en France, il n'est pas sorti de la versification populaire, et le folk-lore seul nous l'a révélé.

Voilà donc notre type de stance constitué intérieurement par: I° l'arrêt du sens à la fin de la strophe ; 2° la rime finale résolvant une harmonie différée.

Un autre procédé, rare dans le quatrain, mais que nous rencontrons fréquemment ailleurs, c'est l'hétérométrie du dernier vers.

En voici un exemple :

Le ciel est noir, pas une étoile ; Les regards fixement baissés, Jeanne effile un lambeau de toile Pour les blessés.

Sully PRUDHOMME.


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Ici l'unité rythmique de la stance est renforcée : outre les moyens cidessus, la stance se détache du reste du poème par un vers final, pour les blessés, qui n'a que la moitié de la longueur de chacun des vers précédents. Ce vers final est la clausule. Après lui l'oreille la plus paresseuse est avertie que la strophe est finie et qu'une autre va commencer.

Voilà le quatrain constitué à l'intérieur ; il s'agit de le mettre en rapport avec les autres quatrains qui composent le même poème; c'est sa constitution externe.

Elle se fera d'abord par un moyen qui n'a pas besoin d'explication, chaque stance composant le poème aura le même nombre de vers et, en outre, les vers, ayant respectivement une place correspondante dans chaque strophe, auront le même nombre de syllabes et le même agencement de rimes. C'est la symétrie qui constitue d'ailleurs aussi bien le poème que la stance, car ce qui est constitution extérieure de la stance est constitution intérieure du poème.

Puis, un second procédé tout différent sur lequel il faut appeler l'attention est celui du refrain. Le refrain le plus simple consiste à répéter à la fin de la stance le vers du commencement.

Il est facile d'obtenir ce résultat en répétant la stance de l'apodé cidessous, en y ajoutant simplement un cinquième vers.

Mes enfants, il faut qu'on travaille ; Il faut tous dans le droit chemin Faire un métier, vaille que vaille Ou de l'esprit, ou de la main Mes enfants, il faut qu'on travaille.

Ce système, assez usité aujourd'hui, a un double avantage, d'abord celui d'insister sur un sentiment ou une pensée qu'on veut mettre en relief, et cela en le ramenant à quelques vers de distance, puis celui qui nous intéresse en ce moment, de clore la stance par ce retour même qui rattache la fin au commencement. Nous n'insisterons pas davantage, parce que nous reviendrons sur le refrain, plus complet cette fois, qui sert à constituer l'unité du poème.

Quelquefois ce refrain n'a lieu que par la répétition dans un cinquième vers de la rime finale du premier où du mot qui termine celui-ci, ce sont des refrains de plus en plus atténués.

Au contraire, y a le refrain strophique renforcé ; on en voit un exemple dans le triolet, où les deux premiers vers sont répétés à la fin de la strophe; nous en donnons un exemple plus loin à propos des stances à trois temps. Mais en dehors du triolet, voici un exemple de ce procédé qui peut produire de grands effets.


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LE TURCO

C'était un enfant, dix-sept ans à peine,

Des beaux cheveux blonds et de grands yeux bleus,

De joie et d'amour sa vie était pleine

Il ne connaissait de mal ni de haine;

Bien aimé de tous et partout heureux.

C'était un enfant, dix-sept ans à peine,

De beaux cheveux blonds et de grands yeux bleus.

Quelquefois le refrain strophique ne se met pas exactement à la fin.

Porte-drapeau mon camarade, Au combat comme à la parade Ton chemin est le droit chemin C'est un fier poste que ton grade ; Porte-drapeau mon camarade, Tu tiens la France dans ta main.

Le dernier procédé employé pour former l'unité rythmique l'est rarement chez nous. Il consiste à établir une union entre deux strophes qui se suivent, de manière à ce que la seconde réponde absolument à la première et lui donne le complément qui lui manquait. Ce processus reçoit des variantes dans son application; des exemples sont nécessaires pour le faire comprendre.

D'abord on peut constituer une strophe de manière à ce qu'aucun des vers qui la composent ne riment entre eux ; il ne faut pas que ces vers soient trop nombreux de manière à ce que l'oreille se lasse d'attendre et cesse d'être en éveil. Ce mode est fréquent dans des versifications étrangères, dans la javanaise, par exemple, et aussi en arabe, avec une nuance, dans le rythme muçammat. Voici deux strophes dans ce genre.

ire Strophe

Seigneur, immuable, impossible

Dans ta solitude éternelle

Toi qui n'a jamais rien souffert,

2e Strophe

Pourquoi fis-tu l'homme possible

Le malheur qui se renouvelle

Le bonheur qui toujours se perd ?

Où l'on voit que la deuxième strophe rime vers à vers avec la première dont les vers ne riment pas entre eux.

Une autre variante du même procédé consiste à faire rimer ensemble les vers de la première strophe, soit par la rime croisée, soit par la rime


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embrassante, soit de toute autre manière, puis à reprendre lès mots de fin de chaque vers pour les placer dans un autre ordre inverse à la fin de chacun des vers de la seconde strophe. C'est ce qu'on peut observer dans la sextine et dans d'autres formules d'ailleurs assez artificielles.

Enfin un rythme beaucoup plus usité se rattache à ce système, c'est le tercet.

En voici le mécanisme :

Frère, voici pourquoi les poètes souvent

Buttent à chaque pas sur les chemins du monde,

Les yeux fixés au ciel ils s'en vont en rêvant.

Les anges secouant leur chevelure blonde

Penchent leurs fronts sur eux et leur tendent les bras,

Et les veulent baiser avec leur bouche ronde.

Eux marchent au hasard et font mille faux pas,

Ils cognent les passants, se jettent sous les roues,

Ou tombent dans les puits qu'ils n'aperçoivent pas, etc.

Théophile Gautier fait-il dans ces vers la critique des poètes ou leur éloge? Sans doute les deux à la fois; mais ce qui nous occupe en ce moment est tout autre chose.

Dans le premier tercet la rime du second vers : monde, reste sans écho, cet écho elle va le trouver dans le second tercet, mais alors double à la fin du premier et du troisième vers : blonde, ronde. A son tour, la rime du second vers du second tercet : bras, vase trouver sans écho, et elle ne le rencontrera que dans le troisième tercet, et ainsi de suite. Un tel système lie très fortement les tercets l'un à l'autre, mais en même temps elle les détache fortement, quoique par un procédé singulier. Il s'établit une chaîne dont chaque chainon ressort parfaitement.

Cette chaîne entre les strophes s'établit aussi d'une autre manière dans le pantoun qui nous vient de l'Orient.

Dans ce poème, le second vers de la première strophe se répète et devient le premier vers de la seconde; de même le quatrième vers de la première strophe se répète et devient le troisième vers de la seconde d'après le modèle suivant.

Mille oiseaux chantent, querelleurs ; Sur la rivière, un cygne glisse. Dors sous ces branches d'arbre en fleur, 0 toi, ma joie et mon délice.

Sur la rivière, un cygne glisse Dans les feux du soleil couchant ; 0 toi, ma joie et mon délice Endors-toi bercé par mon chant.


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Le procédé diffère au point de vue rythmique, chaque strophe se suffit à elle-même. Cet enchaînement se fait par une sorte de refrain. Mais ce refrain diffère de celui que nous trouverons dans le poème; il est ici purement strophique.

Telles sont les différentes manières de constituer la strophe dans la versification française.

Maintenant, examinons quelles sont les différentes mesures, les différentes coupures de la strophe. Sans doute elle se divise en vers, mais le nombre de ces vers n'est pas toujours le même, et ce nombre importe, car selon que la strophe contient tel ou tel nombre de vers, son caractère change; puis les vers qui la composent peuvent se grouper de manière à constituer des parties, des unités dans la strophe elle-même, unités intermédiaires, en quelque sorte, entre la strophe et le vers. Cela constitue ce que nous appellerons la mesure propre de la strophe.

Tout le monde connaît les différentes mesures de la musique; elles sont nombreuses, mais peuvent se ramener à deux principales : celle à deux temps et celle à trois temps; les autres peuvent s'y réduire : en tout cas se résoudre en deux genres, le binaire elle ternaire. La mesure à quatre temps n'est qu'une mesure à deux temps dédoublée où au temps fort et au temps faible on ajoute un autre temps faible et un temps sous-fort. Ces mesurés existent aussi dans la versification, en particulier dans la française.

D'abord dans le vers la mesure est généralement à deux temps, puisqu'il est divisé en deux hémistiches par un accent tonique prononcé et même par une fin de mot, et par un arrêt du sens de la phrase à la césure ; les deux temps sont égaux entre eux, même quand le nombre des syllabes de chaque hémistiche diffère, ce que nous avons démontré ailleurs. Dans la versification classique, il n'existe pour le vers que la mesure à deux temps.

Il y a une seule exception ; c'est pour le vers de neuf syllabes. Sa division régulière est en trois parties égales ; il est donc à trois temps.

En voici un exemple dans ces vers du Prophète.

Oui, c'est Dieu qui t'appelle et t'éclaire, A tes yeux a brillé la lumière, En tes mains il remet sa bannière.

Dans la versification contemporaine, les vers à trois temps sont beaucoup plus nombreux, quoique toujours exceptionnels.

Un de ses types les plus remarquables c'est l'alexandrin bicésuré dont voici un exemple :

Par les vallons,par les grands monts, parmi le flot,

Un souffle passe, Déracinant chêne et clocher dans son sanglot,

Semence et race.


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Il se divise en trois parties par des toniques bien marquées, son effet est particulier.

De même en latin et en grec, le vers hexamètre est tantôt à trois temps, tantôt à deux temps, de par le nombre des césures. Le plus usité est à deux temps.

Tytire, tu patulse recubans sub tegmine fagi,

Voici celui à trois temps :

Formosam resonare doces Amaryllida sylvas.

Le premier ayant une césure peuthémimère à peu près médiane.

Le second ayant deux césures, la trihémimère et l'hepthémimère, ce qui le rend bicésuré.

Mais nous ne parlons ici du vers, lequel n'est pas dans notre sujet, que pour mieux faire comprendre les diverses sortes de mesures.

Revenons à la strophe.

La strophe, elle aussi, est à deux temps, ou à trois temps.

La forme la plus ordinaire de la strophe à deux temps est le quatrain que nous venons de décrire. Le premier couple de vers forme le premier temps, le second couple forme le deuxième, ou si l'on préfère, le quatrain est la mesure à quatre temps, développement de celle à deux temps, et chaque vers forme un temps.

La mesure à deux temps pure se trouve dans une combinaison de deux vers formant stance qui n'a pas reçu de nom et que nous appellerons la stance binaire. Elle se rencontre souvent chez Brizeux.

Par un soir de grand deuil, de tous les bords de l'île

Vers l'église on les vit s'avancer à la file.

Toutes, elles avaient leur chapelet en main, Lentement égrené par ce triste chemin.

Jusqu'à terre à longs plis pendait leur cape noire, Mais leur coiffe brillait, blanche comme l'ivoire.

Elle a été empruntée par lui aux chants armoricains qui affectent souvent ce rythme.

Cette mesure à deux temps se rencontre aussi dans la stance populaire que nous avons citée et où les vers pairs seuls riment entre eux.

Enfin elle possède des réalisations nombreuses. Si dans le quatrain, par exemple, on dédouble chacun des vers impairs, on obtient le sixain suivant qui rentre dans le même système.

Lorsque l'enfant parait, le cercle de famille, Applaudit à grands cris ; son doux regard qui brille Fait briller tous les yeux.

HIST. ET PHILOL. 13


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Et les plus tristes fronts, les plus souillés peut-être, Se dérident soudain à voir l'enfant paraître Innocent et joyeux.

Victor HUGO.

La strophe dans son ensemble tourne sur deux vers, le troisième et le sixième, qui sont les vers essentiels au point de vue rythmique ; les premier, deuxième, quatrième, cinquième sont libres ; ils ne sont là, rythmiquement toujours, que pour remplir l'espace et éloigner l'un de l'autre les vers essentiels, le troisième et le sixième. On aurait pu aussi bien mettre dans l'intervalle des vers ne rimant pas, comme dans le quatrain populaire précité.

De la même manière, le quatrain peut se développer en strophe de cinq vers de la manière suivante :

Ah ! bien loin de la voie Où. marche le pécheur, Chemine ou Dieu t'envoie : Entant, garde ta joie, Lis, garde ta blancheur.

où les.deux vers essentiels, le dernier à rime embrassante, sont le premier et le cinquième, celui-ci entourant tous les autres, et par sa rime créant l'unité strophique, les deux formant la mesure à deux temps.

Je me contenterai de ces exemples. Il serait facile de démontrer que la strophe de huit vers dans la formule AAABCCCB, ou celle de dix vers dans la formule AAAABCCCCB ou dans celle AAABBBCCCB sont aussi des mesures à trois temps.

Mais ici se rencontre une objection, chaque vers ayant une durée de temps égale, comment, dans la strophe ci-dessus citée.

Ah! bien loin de la voie.

où il y a six vers divisés ainsi 2+3, trouver une mesure à deux temps? Sans doute alors la coupure ne donne pas deux parties égales, mais il n'y en a pas moins division en deux parties, quoique contenant chacune un nombre de vers inégaux. Le même fait se présente, au point de vue de la mesure du vers, dans le décasyllabe classique divisé en 4+6 syllabes. La mesure strophique à trois temps est beaucoup moins usitée. Elle a pour racine le ternaire dont Brizeux a fait un grand usage.

Sur la roche escarpée où ta fleur est éclose Homme heureux, ne sois pas tel que l'aloès rose, Fleur amère où jamais l'abeille ne se pose.

Les trois vers de la stance portent la même rime, qui, par conséquent, est redoublée. Ce redoublement de la rime donne un caractère et aussi


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un charme particulier à cette stance, tout en créant un peu de monotonie.

Mais le ternaire reçoit de nombreux développements. Entre chacun des trois vers qui riment ensemble, et suivant la formule AAA, on peut en intercaler d'autres en nombre indéfini, intercalation qui n'altère pas le caractère primitif qui consiste dans le redoublement de la rime radicale.

Voici les formules de ces variantes :

I° BABABA; 2° BBACCADDA; 3° BBBACCCADDDA, c'est-à-dire une strophe de six vers, une de neuf vers, une de douze vers, ou bien encore BABBACCCA et une foule d'autres combinaisons.

En voici un exemple dans une strophe de neuf vers.

Ainsi, quand nous cherchons en vain dans nos pensées D'un air qui nous charmait les traces effacées,

Si quelque souffle harmonieux, Effleurant au hasard la harpe détendue, En tire seulement une note perdue,

Des larmes roulent dans nos yeux! D'un seul son retrouvé l'air entier se réveille ; Il rajeunit notre âme et remplit notre oreille

D'un souvenir mélodieux.

LAMARTINE.

Les rimes essentielles, les rimes strophiques, au milieu de toutes les autres, sont constituées par les mots : harmonieux, yeux et mélodieux, les trois vers qui les forment se détachent sur le reste, leur faisceau s'entr'ouvre, pour ainsi dire, pour laisser s'intercaler entre eux les autres vers avec leurs autres rimes.

On peut en conclure qu'il ne concourt à fonder la véritable unité strophique,- parmi les rimes, que celle du dernier vers, et celles qui lui correspondent.

Nous venons d'analyser la strophe française de deux façons : d'abord quant à ses divers moyens de constituer son unité, puis, quant à ses diverses divisions internes, ses différentes mesures. Mais ce n'est pas tout, la mesure de la strophe se combine avec ses procédés d'unité strophique, et si nous unissons ces deux éléments, si nous les multiplions l'un par l'autre, nous entrons dans une analyse plus profonde de la strophe, mais en même temps la difficulté s'accroît, car nous nous trouvons devant plus de complexité, devant un organisme dans son ensemble concret. Essayons cependant.

La strophe à deux temps constitue son unité strophique par les procédés ci-dessus énumérés, qui sont : I° la ctôture du sens; 2° la rime strophique, 3° l'hétérométrie, 4° l'égalité du nombre des vers dans chaque strophe ; 5° la correspondance vers à vers ; 6° le refrain. Comme nous avons présenté l'application de tous ces procédés en prenant pour exemple des strophes à deux temps, nous n'avons pas à y revenir. Il ne nous reste plus qu'à les appliquer aux strophes à trois temps. Rien de particulier,


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même pour celle-ci, en ce qui concerne la clôture du sens à la fin et seulement à la fin de la strophe; passons aux autres procédés.

La rime strophique dans la strophe à trois temps consiste en ce que la rime finale qui constitue l'unité strophique ne doit plus rimer seulement avec un autre vers, mais avec deux, ce qui forme alors à la fois l'unité strophique et la division tripartite.

L'hétérométrie consiste à donner au vers qui contient la rime finale, et aux deux autres rimant avec lui la même longueur, mais une longueur différente de celle des autres vers, de préférence, plus courte. Il en résulte que le vers clausule n'est pas isolé ici, comme il l'est dans la mesure à deux temps, mais qu'il doit être soutenu par deux vers similaires à l'intérieur de la stance.

Rien de particulier en ce qui concerne l'égalité du nombre des vers et leur disposition de strophe à strophe, ni non plus en ce qui concerne la constitution de la strophe seulement extérieure, c'est-à-dire le cas où aucun des vers ne riment entre eux, mais riment seulement avec les vers correspondants d'une autre strophe.

Mais le refrain strophique renferme, au contraire, une particularité curieuse, quand il s'agit de la strophe à trois temps. Il donne naissance au triolet qu'on a bien à tort rangé parmi les poèmes, et qu'il faut classer plutôt parmi les variétés des stances.

Tout le monde connaît le triolet, mais il est nécessaire d'en citer un pour notre démonstration.

De tous côtés, d'ici, de là,

Les oiseaux chantaient dans les branches,

En si bémol, en ut, en la,

De tous côtés, d'ici, de là.

Les prés, en habit de gala,

Étaient pleins de fleurettes blanches,

De tous côtés, d'ici, de là

Les oiseaux chantaient dans les branches.

Cette stance est très curieuse au point de vue rythmique.

Ce qui constitue ici l'unité de la stance est le refrain, et comme la stance est à trois temps, le refrain doit se répéter trois fois : ce refrain se compose de deux vers.

Nous avons vu le refrain strophique dans la strophe à deux temps; dans le quatrain par exemple, il s'obtient en répétant le premier vers, après le quatrième.

Ici nous trouvons le même vers; de tous côtés, d'ici, de la, répété trois fois, mais il ne serait pas exact de dire que c'est ce vers seul qui forme refrain, c'est la réunion dès deux vers.

De tous côtés, d'ici, de là,

Les oiseaux chantaient dans les branches.


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Il faudrait donc, semble-t-il, répéter trois fois ce distique; cependant on ne le répète que deux fois et demie ; plus exactement on tronque la première répétition en retranchant le second vers. Ce retranchement est dans un double but : celui de constituer l'unité strophique, en faisant en sorte que la fin du second vers : branches, ne rime pas seulement avec lui-même, et trouve son écho seulement dans la seconde partie de la strophe, et celui de créer une harmonie différée; parce que la première répétition tronquée fait attendre et désirer une seconde répétition, pleine celte fois.

Telles sont les modifications que les procédés d'unité strophique subissent dans la mesure à trois temps.

Soit pour l'une, soit pour l'autre mesure nous avons jusqu'à présent laissé de côté le système rythmique qui consiste à former une unité intermédiaire entre le vers et la strophe, eu composant la strophe non seulement de vers, mais de fractions strophiques différenciées les unes des autres. Ces fractions de strophes ne doivent pas être cependant réciproquement indépendantes, car si elles l'étaient, on aurait affaire, en réalité, à des strophes distinctes. Il faut que, si elles sont entièrement distinctes par le rythme, elles soient unies étroitement par le sens, ou qu'au contraire, si elles sont séparées par le sens, elles soient incomplètes, chacune prise séparément, par le rythme. La division des strophes en fractions strophiques peut être bipartite ou tripartite. Examinons successivement chacune d'elles.

La strophe bipartite s'établit en composant, pour ainsi dire, deux strophes, dont la seconde a un nombre de vers supérieur à celui de la première, ou dans lesquelles la seconde a des vers plus longs ou plus courts. Chacune est complète rythmiquement, et présente aussi un sens complet, mais la seconde, tant au point de vue du sens qu'à celui du rythme, est un développement de la première : c'est la grande strophe lyrique.

En voici une de douze vers de Victor Hugo.

Pauvre Grèce, qu'elle était belle Pour être couchée au tombeau Chaque vizir de la rebelle S'arrachait un sacré lambeau. Où la fable mit ses Ménades, Où l'amour eût ses sérénades, Grondaient les sombres canonnades Sapant les autels du vrai Dieu; Le ciel de cette terre aimée N'avait sous sa voûte embaumée De nuages que la fumée De toutes ses villes en feu.

Où l'on voit, malgré la multiplicité des vers, que la strophe se compose de deux stances, chacune à deux temps, la première d'un quatrain, la


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seconde d'un huitain. Les rimes diffèrent dans chacune. Les strophes suivantes reproduisent la même disposition.

La division bipartite peut être composée-aussi par une inégalité entre les vers, comme dans la strophe suivante.

La terre ne sait pas la loi qui la féconde, L'Océan refoulé sous mon bras tout-puissant Sait-il comment au gré du nocturne croissant

De sa prison profonde

La mer vomit son onde,

Et des bords qu'elle inonde

Recule en mugissant,

Ici la séparation en deux parties par l'hétérométrie est très nette, et cependant l'unité strophique est bien établie, car aucune des parties ne peut rimer d'une manière autonome, et le sens non plus n'est pas interrompu.

La division bipartite peut se constituer par l'arrêt du sens au milieu de la strophe, et de plus par le virement du sens en cet endroit, de telle sorte que, dans un quatrain, les deux premiers vers expriment une idée, et les deux derniers une idée parallèle ou continue. C'est ce qui a lieu dans le pantoun.

Sur le bord de ce flot céleste, Mille oiseaux chantent querelleurs. Mon enfant, seul bien qui me reste, Dors sous ces branches d'arbre en fleurs.

Dans lequel Banville décrit : dans les deux premiers vers, la nature ; dans les deux seconds le sentiment maternel, et cela dans chaque stance. Mais ces idées différentes, dont chacune possède une partie de la strophe, sont reliées par la rime qui présente l'unité strophique.

Dans la ballade, si nous en prenons à part une strophe, nous trouvons aussi la strophe bipartite, c'est-à-dire ayant dans chacune de ses parties un tout complet; la fin de la première partie est même particulièrement marquée par une rime redoublée. Entre les deux aucun lien établi par la rime ; bien plus, l'agencement des rimes diffère dans chacune d'elles : la formule de la première est ababb et celle de la seconde ccdcd.

La division de la stance en trois parties dont chacune a son autonomie n'existe plus dans la versification française actuelle, mais elle a joué un grand rôle autrefois, et a été très usitée sous le nom de strophe tripartite dans la poésie germanique et dans la romane.

En allemand, elle se compose de deux parties semblables nommées stolten et d'une partie finale et dissemblable par le rythme et la place des rimes, appelée l'abgesang. C'est une imitation par la strophe de la structure de l'ancien vers germanique qui se compose dans le premier hémis-


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tiche de deux stollen, et dans le second d'une seule stolle au point de vue de l'allitération.

En vieux français ainsi qu'en italien, où Dante l'employa souvent, elle présente la même disposition. En voici un exemple datant du XIIIe siècle.

Je di que c'est grans folie D'essaier ne d'esprover Ne sa femme ne s'amie Tant com on la veult aimer. Si se doit on bien garder D'enquerre par jalousie Ce qu'on n'i vodrait trover.

Gace BRULÉ.

Où l'on voit que l'unité strophique est constituée par l'unité de rime; qu'il y a trois parties bien distinctes, chacune des deux premières de deux vers, la troisième de trois.

Nous retrouverons dans le poème celte division tripartite, mais bien amplifiée.

Notons que, comme la mesure à trois temps de la strophe et du vers, elle appartient surtout à la versification courtoise ou lettrée, tandis que la division bipartite, de même que la mesure à deux temps, appartient à la versification populaire.

La connexion de la poésie lyrique et du chant est très étroite ; mais, en ce qui concerne la strophe, ce n'est pas au stade de l'art contemporain qu'il faut se placer pour l'apercevoir. Les vers ne se chantent plus, ils se déclament à peine, ils se lisent surtout. Il en est de même en ce qui concerne le poème entier, sauf une exception pour la chanson. Au contraire, en étudiant les origines, nous trouverons l'influence du chant.

A côté de ces strophes qui se constituent non seulement intérieurement, comme nous venons de le voir, par la rime strophique, l'hétérométrie, l'arrêt final du sens, le refrain intérieur, mais aussi extérieurement par le refrain externe et surtout par la symétrie de stance à stance, laquelle se réalise par le même nombre de vers dans chaque stance, par la même longueur des vers correspondants, par le même agencement de leurs rimes, existent des strophes anormales qui n'ont, pour ainsi dire, que la formation interne, mais auxquelles la formation externe fait défaut, tellement qu'il n'existe entre les diverses strophes aucune symétrie, chacun possède un nombre inégal de vers, les vers ne sont pas de même longueur dans chacune, et enfin la distribution des rimes n'est pas la même. C'est la liberté de la strophe, liberté qui n'est pas seulement une licence poétique, mais dont l'usage se raisonne et qui peut produire les plus grands effets.

Nous verrons un peu plus tard que cette strophe tend à reproduire l'état primitif de la laisse monorime, qu'elle n'est pas sur une seule rime, il est vrai, mais sur deux, et sur deux rimes fréquemment répétées.


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Il est facile de comprendre ce que l'on a appelé le vers libre et la strophe libre. Le vers libre constitue ce qu'on peut appeler le vers amorphe, c'est-à-dire ayant une existence interne complète, mais une existence externe seulement rudimentaire. La strophe libre est toute différente; elle constitue la strophe amorphe. De même, quand il s'agira du poème, nous verrons qu'il existe le poème amorphe, c'est-à-dire celui composé de vers en nombre indéterminé, soit isométriques, soit libres, mais ne se groupant point en strophes.

La strophe libre se distingue essentiellement du vers libre, en ce que, dans celui-ci, il n'existe aucun arrêt du sens correspondant à un accomplissement d'une période rythmique. Le sens court toujours, de même que le rythme de son côté, sans qu'il soit nécessaire qu'ils se rencontrent à un point d'arrêt. Au contraire, dans la strophe libre, quand le sens s'arrête, il y a autre part un rythme accompli. Ce point de repère est sûr, et permet de faire varier, tant qu'on le désire, l'étendue de la strophe, sans que le sens devienne obscur.

La strophe libre est très rarement employée. Elle a l'avantage de se prêter d'une manière élastique à l'imagination et au sentiment du poète.

En voici un exemple tiré d'une poésie intitulée De brumaire à vendémiaire , et où chaque strophe, consacrée à un mois différent, est d'étendue différente.

BRUMAIRE

Brumaire, c'est brumaire. Ah ! partout c'est la brume ; Point d'astre dans le sud, et point de pôle au nord; La vapeur et la nuit montent comme une écume, C'est le temps qu'a prédit la Sybille de Cume, La terre enfantera quand l'homme sera mort, etc..

FLORÉAL

Cherchez dans les trésors, fouillez au métal rare, Regardez la facette au diamant avare, Contournez les dessins, caressez la couleur, Tout est vain... d'elle-même apparaîtra la fleur, La fleur qui dans les monts même prend sa racine, La fleur qui de la boue en son germe est voisine. Vers le sommet, près le jardin, près la ravine, Elle est toujours la fleur, elle est encor divine, Floréal l'apportait du fond de la douleur, La gardait jeune et fraîche et cachant la ruine, El de nouveau le bien a fleuri sur le mal, Bénissez le beau mois, le mois de floréal.

Dans cet exemple les vers sont de même longueur, mais l'étendue de chaque strophe et la symétrie des rimes sont différentes. Mais chacune


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d'elles est bien séparée des suivantes par un accomplissement complet du rythme et un virement de pensée.

Un des types les plus connus du vers libre c'est celui employé par La Fontaine dans ses Fables. Ce choix donne une grande vivacité à sa pensée. La caractéristique du vers libre s'y remarque bien, et empêche toute confusion avec la stance libre. La Fontaine s'efforce de faire continuer le sens quand le rythme s'arrête et au contraire d'arrêter le rythme quand le sens court, de telle sorte que les deux se rejoignent rarement, si ce n'est à la fin du poème, ce qui y constitue justement une unité spéciale. En d'autres termes, la rime reste incomplète dans une phrase et attend sa réalisation dans la phrase suivante. Il en résulte une harmonie différée, qui tient toujours l'esprit et l'oreille à la fois en éveil. Il est cependant certain que ce désaccord voulu entre la phrase rythmique et la phrase grammaticale n'existe pas toujours, et qu'il y a des passages où le vers libre peut constituer accidentellement une strophe libre.

Dans un travail récent, qui présente un grand intérêt : Les stances libres dans Molière, M. Charles Comte a observé qu'à la différence de La Fontaine qui employait le vers libre, Molière a souvent, surtout dans Amphitryon et Psyché, fait usage de la strophe libre, ce qui est bien différent. Sa démonstration nous semble faite, et sans le suivre dans les détails, nous trouvons dans ces poèmes l'application du critérium que nous venons de poser, et qui consiste dans l'arrêt simultané du sens et de l'accomplissement rythmique. Ce dernier, la clôture rythmique, consiste précisément en ce que Molière n'emploie pas la rime plate, qui est précisément antistrophique, mais la rime croisée ou la rime embrassante qui constituent une unité. M. Comte démontre que lorsque la rime plate se rencontre, elle n'est qu'apparente, mais forme, en réalité, soit celle nécessaire pour l'action d'une autre rime embrassante, soit un redoublement ou un triplement de rime nécessaire pour augmenter l'attente et ce que nous appelons l'harmonie différée. Ce qui est remarquable dans cet emploi par Molière de la stance libre, c'est qu'il la fait servir au d'alogue, que chaque stance différente appartient à l'un des interlocuteurs, qu'en variant la longueur des vers il peut reproduire l'alternance des sentiments et leur plus ou moins de vivacité, et qu'enfin il tend à créer la strophe scénique, non plus seulement celle destinée au choeur, mais celle à l'usage des personnages de l'action. La fin de la strophe est quelquefois marquée avec insistance par la répétition d'une rime, comme dans l'exemple suivant :

SOSIE

Que d'un peu de pitié ton âme s'humanise, En cette qualité souffre moi près de toi. Je te serai partout une ombre si soumise Que tu seras content de moi.

MERCURE Point de quartier; immuable est la loi.


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Les auteurs dramatiques n'ont pas suivi cet. exemple de Molière : dans , les livrets d'opéras seuls on peut relever des strophes libres, mais qui ont si peu de valeur poétique qu'elles ne frappent pas l'attention.

Les lyriques emploient rarement les strophes libres, comme nous l'avons dit; cependant, cette strophe (libre, au moins, quant au nombre de vers); forme le fond du virelay nouveau, poème à forme fixe. Chaque stance y. est de longueur inégale et ad libitum.

On ne saurait méconnaître la grande analogie qui existe entre la strophe libre et la laisse monorime du vieux français que nous allons trouver. Dans la laisse la monorimie cesse seulement avec l'arrêt complet du sens et peutêtre aussi arrêle-t-on le sens, quand on n'a plus de rime. Il y aurait retour à un état, primitif, et la forme épique serait devenue, ou aurait tendu à devenir forme dramatique.

Telle est la composition de la strophe dans la versification française actuelle ; recherchons maintenant ce qu'elle a été à l'origine.

Le vieux français distingue deux sortes de strophes : la strophe épique, constituée par la monorimie; la strophe lyrique, laquelle s'établit, en-gênérai, sur deux rimes au moins. Cette distinction correspond à la différence profonde qui existe entre la poésie narrative et la poésie lyrique, au point de vue de la versification et aussi à celui de la relation avec la musique. La poésie narrative n'a qu'un lien relâché avec le chant ou les instruments; le chant, pour elle, devient une sorte de psalmodie. Les instruments sont ceux à corde pincée qui l'accompagnent de temps à autre sans suivre une mesure régulière, tandis que la poésie lyrique ou chantée est accompagnée par des instruments à son continu et suit une mesure rigoureuse.

Tandis qu'actuellement la poésie épique se réalise par assemblage de vers non groupés en strophe, elle fut strophique à l'origine, la strophe qui lui est propre s'appelle la laisse ; cette laisse est monorime et se compose d'un nombre de vers inégal dans les laisses successives, si bien qu'on croit qu'il y a dans la laisse une strophe improprement dite.

La poésie narrative, quant à sa forme, est-elle issue de la lyrique, ou au contraire la lyrique de la narrative? La laisse est-elle une strophe embryonnaire ou une strophe défigurée? On n'en sait rien.

Nous n'avons à examiner ici que la strophe proprement dite, la strophe lyrique.

Son origine est entourée d'une épaisse obscurité, ainsi que celle du vers français lui-même.

Chose singulière ! toutes les langues romanes dérivent de la langue Jatine; elles y ont mêlé peu d'éléments étrangers; aussi retrouve-t-on les lois linguistiques certaines de leur dérivation. On peut suivre l'évolution pas à pas.

S'agit-il de la versification ? c'est tout le contraire, le fil est brusquement rompu. Les efforts n'ont pas abouti ; on en est réduit à des conjectures.


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Les recherches n'ont pas été poussées très loin en ce qui concerne la strophe, mais elles ont été longues et minutieuses en ce qui concerne le vers.

Pour lui elles ont abouti aux systèmes suivants dont aucun n'est satisfaisant ni prouvé.

Ier Système. — Le vers rythmique roman a sa racine, non dans le vers métrique et savant gréco-latin, qui n'était même pas indigène en Italie, mais dans le vers rythmique populaire latin qui a de tout temps coexisté avec l'autre, et on invoque le vers saturnien et d'autres.

2e Système. — Le vers rythmique roman a une origine populaire, mais il est né directement sur le sol et à l'époque romane par un développement spontané.

3e Système. — Le vers rythmique roman a bien une origine populaire dans un vers rythmique, soit apparu tout à coup, soit préexistant, mais il a pris le calque des formes latines, en remplaçant partout l'accent par la quantité. C'est le vers savant latin qui lui a servi de modèle.

4e Système. — Le vers rythmique latin s'est formé avant qu'il existât un vers rythmique roman. Il a été la conséquence de l'effacement lent de la quantité devant l'accent.

5e Système. — Il y a eu un intermédiaire entre le vers métique latin et le vers rythmique même latin; cet intermédiaire est le vers liturgique qui a subi des influences multiples : populaire, chrétienne, orientale ; toutes les rythmiques, même celle des Germains, qui paraissent si originales, sont les imitations des vers et des chants liturgiques. C'est par les hymnes, les antiennes et les proses que s'est accomplie l'évolution.

6e Système. — Rien de tout cela ; l'évolution est plus simple. Il y a eu; comme toujours, dans le passage d'une langue à sa dérivée, une désintégration suivie d'intégration nouvelle. L'ancien système contient une amorce du suivant.

Phase de désintégration. — Donnons pour exemple l'hexamètre le plus commun, le penthémimère.

La quantité s'efface peu à peu. Que reste-t-il comme parties fermes ? L'arrêt du sens à la fin du vers et à la césure ; de plus, à la fin un dactyle suivi d'un spondée accentuel. Le nombre des syllabes de quantité indifférente est indéterminé.

Phase d'intégration nouvelle. — Dans le spondée final, la seconde partie étant atone, devient muette, suivant les règles de la langue, le vers finit donc par une syllabe accentuée, ou par une accentuée suivie d'une muette, suivant que la fin est masculine ou féminine.

Il en est de même à la césure, laquelle, par conséquent, peut être masculine ou féminine.

Voilà deux points bien affermis. Là syllabe de la fin du vers se corrobore par la rime qui est le développement dernier de l'accent,


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Enfin le nombre des syllabes devient uniforme.

Le vers nouveau est né. Les pieds nouveaux sont nés des césures anciennes.

On trouverait le même processus dans le vers iambique, lequel a donné l'octosyllabe.

C'est ce dernier système que nous croyons vrai. Mais il n'en existe pas de preuve matérielle. Pourquoi?

C'est que nous ne possédons pas la chaîne non interrompue des intermédiaires, laquelle pourrait nous donner la vérité historique.

La même obscurité entoure la strophe. Recherchons les anciennes formes et voyons les dérivations qui en ont été affirmées, et ce qu'elles valent.

La poésie du moyen âge, au point de vue strophique, comprend : I° la poésie populaire et semi-populaire ; 20 la poésie, dite courtoise, c'est-àdire celle artificielle et maniérée dont de nombreux monuments nous sont restés.

Il n'en est pas de même de la première, plus ancienne, plus sincère, mais qui ne nous est pas parvenue.

Nous avons bien les chansons populaires modernes, mais à quelle époque remontent-elles? A quelle époque remonte leur rythme?

Un point est certain, c'est que la stance lyrique française primitive a été chantée et même dansée. Nous avons fait ressortir ailleurs comment le chant est à la racine de la poésie lyrique, et comment la danse, art plus matériel, est à la racine de l'une et de l'autre. Le plus ancien monument est la cantilène d'Eulalie ; cette cantilène se chantait sur un air liturgique. Il en est de même de la Vie de saint Léger, de la Passion et de {'Alexis, qu'on peut considérer comme des cantiques.

Beaucoup de strophes très anciennes sont monoassonantes, ce qui semblerait prouver que la strophe lyrique est dérivée de la laisse épique. Seulement à la strophe monorime on joint une clausule formée par un vers plus court qui ne rime pas. Telle est la facture d'une strophe qui est souvent citée, qui est du XII° siècle, mais a des modèles antérieurs.

Sir Raynaut, je m'en escondirai (justifierai) (Avec) A cent puccles sor sainz vos jureroi A trente dames que avec moi memrai Conques nul hom fors votre corps (vous) n'aimoi Prenez l'emmende (excuse) et je vos baiserai. Raynaut amis.

C'est la formule strophique AAAAAB. Le dernier vers est répété a la fin de chaque strophe.

Quelquefois ce 1 sont les deux derniers vers qui diffèrent du reste de la stance monorime et riment entre eux au moyen d'une rime nouvelle. Les vers monorimes, qui précèdent sont en nombre variable. Ces deux


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derniers vers se répètent ensuite au bout de chaque strophe comme refrain. Ainsi dans la Belle Aiglantine qui est du XIIe siècle :

Belle aiglantine, en roïale chatnbérine (chambre) Devant sa dame, cousait une chemise. Aine n'en sut mot quand bone amor l'atise.

Or orrey jà Comme la belle aiglantine exploita (agit)

Puis la monorime disparaît chassée peu à peu par l'influence dissimilante du refrain. Le processus est facile à saisir. Le refrain, après avoir été distinct et par le sens et par le rythme, tend à se fondre avec la stance, à s'en rapprocher d'abord par le sens et par le rythme, puis à rimer avec lui. Cependant, dans ce dernier but, il ne faut pas qu'il aille jusqu'à se confondre avec cette stance par monorimie. Aussi la monorimie est-elle détruite, et va naître la strophe à rime croisée sur deux rimes.

Ainsi la stance lyrique serait née de la laisse épique par l'introduction d'un refrain qui aurait détruit la monorimie.

Puis le refrain lui-même disparaît et l'on a la strophe sur deux rimes où le vers de la fin, par l'hétérométrie qui continue de subsister, forme clausule. Quelquefois il n'y a même pas hétérométrie, mais les deux vers de la fin riment entre eux et d'une rime différente de celle des autres, comme dans certaines stances.

Le second moyen de constitution de la strophe ancienne fut l'hétérométrie, qui consistait dans une réunion de six vers, par exemple, avec le troisième et le sixième plus longs que les autres, ce qui donne à la strophe une cadence particulière, très caractéristique. Cette forme très usitée donne naissance à la strophe dite couée, parce que le troisième et le sixième vers, plus courts ou plus longs que les autres vers, sont comparés à une queue.

Dans la forme la plus ancienne de cette strophe, les troisième et sixième vers sont plus longs que les autres ; le premier et le deuxième riment entre eux, mais non avec le quatrième et le cinquième, puis l'inverse a lieu ; enfin toutes les combinaisons se produisent.

Tôt a estru Vei, Marcabru Que comjat voletz domàndar Del mal partir Non ai cossir Tan sabetz mesura esgardar.

Le troisième tient à la poésie plus populaire ; il consiste dans la rime enveloppante. Nous avons signalé ce rythme si commun encore qui consiste dans un


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quatrain où les vers pairs seuls riment entre eux. Nous devons insister sur ce point.

Nous ouvrons le tome V du Recueil des chansons populaires de France, par Rolland ; les cinq premières sont conçues dans cette forme, sans compter beaucoup d'autres.

Le vers employé n'est pas l'octosyllabe, mais le vers de six syllabes, celui le plus usité dans cette versification. Voici quelques spécimens.

Par un soir à la brune Allant m'y promener Par la grand rue je passe, J'ai vu une clarté, C'était ma bonne amie Qui allait se coucher. Frappant du pied la porte, La porte ouvrirez-vous, Je suis couvert de neige Mouillé jusqu'aux genoux, Voilà la récompense Que je reçois de vous.

Tous les vers impairs sont sans rime.

Mon père m'a marié

A la Saint-Nicolas ! ah ! ah !

Il m'a donné un homme

Que mon coeur n'aime pas ! ah ! ah !

Ah! ah! ah! cela ne va guère

Ah! ah! ah! cela ne va pas.

Même processus ; en outre, les deux derniers vers forment ici refrain et se répètent à la fin de la strophe suivante d'où, en réalité, la stance est un quatrain.

Mon mari est bien malade En grand danger d'en mourir, Il m'a demandé un prêtre Je suis allé li en cri.

On trouve le même rythme dans les refrains.

Ah! oui vraiment, Je n'aurais jamais cru Un homme aussi heureux Que le petit bossu.

Il faut remarquer que les vers populaires sont toujours très courts, de même très courte est la phrase musicale rudimentaire. Le vers de six syl-


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labes semble bien un point de départ. En effet, il l'est, et il a abouti à deux résultats différents qui ne se contrarient point.

Ces vers étant très brefs, il semble à l'oreille populaire bien suffisant que les rimes viennent d'un vers l'un; d'ailleurs, pour constituer l'unité strophique par la rime, il suffit que cette rime existe à la fin de la strophe, et pour cela, que la dernière syllabe du dernier vers assone avec une syllabe finale d'un quelconque des vers. Quant aux deux autres vers, ils peuvent consonner entre eux ou ne pas consonner, cela est indifférent au point de vue strophique. A ce point de vue même, il vaut mieux qu'ils ne consonnent pas et que rien ne vienne contrarier l'effet dominant de la rime du vers final avec la fin de l'un des autres. Cette stance populaire lie donc mieux la strophe que le système ordinaire.

Mais à mesure que la civilisation avance, l'esprit est capable d'une plus longue pensée, la langue d'une plus longue phrase, l'oreille d'un plus long chant, le vers s'accroît; c'est ainsi que la succession historique amène successivement l'octosyllabe, puis le décasyllabe, puis le dodécasyllabe ou alexandrin.

Or, il suffit d'une simple disposition graphique pour faire du quatrain populaire à rime paire deux alexandrins à rime complète, les vers descendant au rang d'hémistiche.

Mon père m'a marié à la Saint-Nicolas

Il m'a donné un homme que mon coeur n'aime pas

Seulement un de ces vers a une césure féminine, à l'hémistiche, ce qui est défendu aujourd'hui, mais était permis alors; en d'autres termes, le vers est asynarlète ; la suite de l'évolution le corrigera et il deviendra synartète et parfait. On pourrait faire de ces vers si connus de Racine un quatrain de la forme populaire.

Oui je viens dans son temple Adorer l'Éternel. Je viens, suivant l'usage Antique et solennel

Suivant nous, l'alexandrin, dont on n'a jamais recherché soigneusement l'origine (après avoir poursuivi avec grand soin celle du décasyllabe, on déclare ensuite que l'alexandrin n'est qu'un décasyllabe allongé), proviendrait de la suture de deux petits vers populaires de six syllabes dont le premier était sans rime. Ce vers de six syllabes était trop court pour que chaque vers rimât; celte rime multipliée aurait détruit l'effet de la rime finale strophique. Mais il n'en était plus de même dans l'octosyllabe ; dès que ce vers fut disposé en quatrain on se contenta de la rime du dernier vers avec un vers quelconque pour établir l'unité strophique, et on laissa les deux autres vers, les impairs, rimer entre eux d'une autre rime, ce qui constitua la rime croisée ou embrassante.


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Ainsi la versification du vieux français constitua son unité strophique : I° à une période antérieure par la monorimie qui confondait le lyrique avec le narratif, et qui provenait de la force de l'accent; 20 à une époque postérieure. — 1° Par le refrain; 20 par J'hptérométrie; 3° par la rime strophique sous sa double face (a) de rime unique (b) de rime alternée ou embrassante.

Réunissant ces résultats en synthèse, on peut concevoir la versification française naissant spontanément sur le sol à l'époque romaine, sans recours aux emprunts ou aux dérivations latines de la manière suivante.

Le vers isolé serait peut-être emprunté à une source latine, malgré l'abîme qui sépare le système rythmique du système métrique ; mais une fois en possession du vers, les langues romanes se seraient construit d'elles-mêmes leur strophe.

Le premier moyen aurait été de faire rimer tous les vers de la strophe, processus mécanique, non d'abord fonctionnel. L'accent de la dernière syllabe, son homotonie dans chaque vers aurait appelé l'homophonie, comme cela a eu lieu ailleurs, dans l'hymonographie grecque.

Puis l'oreille aurait cherché à écarter cette monotonie qui nuit à l'effet lyrique. Alors à la rime versuelle serait venue se joindre la rime strophique; or cette rime c'est le refrain; le refrain est au poème et à la strophe, ce que la rime est au vers. Nous avons vu plus haut l'effet de ce refrain introduit. Mais quelle est son origine? Elle est très discutée. Nous l'établirons en parlant du poème.

Puis on passe à divers moyens plus librement. On emploie l'hétérométrie dans la strophe couée. On emploie la rime strophique finale dans le quatrain populaire de six syllabes, jusqu'à l'épanouissement de la versification actuelle. Le système va de plus en plus en s'amplifiant. Il commence par un petit vers et un petit nombre de vers, il continue par des vers et des périodes plus longues.

Il n'y a pas besoin de faire intervenir à chaque instant le rythme latin quantitatif qui répondra plus ou moins au rythme français ; le roman s'est suffi à lui-même pour sa strophe. Quant aux hymnes et aux proses de l'Église, elles n'ont pas servi de modèles ; c'est la rythmique populaire et romane qui s'est reflétée sur eux.

Tel est le premier système. Il en existe un autre diamétralement contraire que nous devons exposer maintenant. Tout serait latin dans la strophe française.

Laissant de côté la laisse rhonorime qui est surtout épique, et aussi le quatrain populaire à vers non rimes et rimes alternant, certains auteurs analysent et expliquent la strophe française primitive de la manière suivante.

Les types primitifs seraient : i° aabaab; 2° ababab ab; 3° aaaB, aaoBB, aab ab. Ier type : aab aab. — Il s'agirait soit de la strophe couée dont nous avons parlé, soit du sixain avec le troisième et le sixième vers originairement


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plus longs, plus tard plus courts que les autres. En voici encore un exemple.

D'aisso lau Dieu E sant Andrieu Qu'om non es demaior albir Qu'ieu suy, som cug E non fas brug A voirai vos lo perquédir.

Cette strophe aurait pour origine le démembrement de deux longs vers latins, de deux tétramètres trochaïques. Le tétramètre se divisait dans le latin liturgique en trois parties séparées les unes des autres par des césures. Ce tétramètre est de huit pieds ou seize syllabes, mais s'il est catalectique, de quinze syllabes seulement. La première césure avait lieu après la quatrième syllabe, la seconde après la huitième. Les césures rimaient ensemble; quant aux longs vers, à leur tour, ils rimaient, entre eux par leur syllabe finale.

En voici un exemple :

Omni die, die Marise, mea laudes anima ; Ejus festa, ejus gesta co le devotissima.

Cette rime entre les deux premiers hémistiches est bien remarquable: elle vient à l'appui de ce que nous avons dit plus haut et ailleurs; suivant nous la-rime de la fin du vers est née, non du besoin de renforcer les vers ayant perdu la quantité métrique, car il n'y a pas de cause finale en versification, non pius qu'en linguistique; les processus sont tout mécaniques d'abord et ce n'est que plus tard qu'ils concourent à un but ; mais de la force de l'accent.

Expliquons-nous. L'accent, la quantité elle-même, quoique moins puissantes lorsqu'elles parviennent à une grande intensité, finissent par changer le son.

En français par exemple l'a dans la n'a pas le même son que dans helas ! parce que dans l'un il est bref et dans l'autre il est long. Il y a entre les deux l'espace d'un demi-ton sur la gamme des voyelles. De même le manque d'accent en russe change tous les o en a. Or, l'accent frappant très fortement la dernière syllabe de tous les vers tend à les rapprocher qualitativement, à leur faire prendre le même ton, il y réussit par la rime.

Le même effet se produit par le repos de la césure ; il imprime un contre-coup à la voyelle qui précède, et, accentuée ou non, il tend à lui donner le même son qu'à celle qui précède l'autre césure.

Ainsi quantité, accent, césure, tendent à uniformiser Je son qui précède. La strophe couée reproduit exactement la structure de la strophe liturgique ci-dessus. Il suffit de détacher graphiquement chaque hémistiche qui devient ainsi un petit vers. Il est vrai que quelquefois le troiHIST.

troiHIST. PHILOL. I4


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sièmé et te sixième vers sont plus longs au lieu d'être plus courts, niais cela est résulté de la suite des temps. Il est vrai qu'il est peu naturel d'avoir fait rimer en latin les syllabes non accentuées, c'est que le rythme s latin pourrait bien être plutôt le reflet d'un rythme romain.

2 type : ab ab ab ab. — Ce serait un huitain. Il correspondait à quatre longs vers latins reliés entre eux par une rime intérieure et unerime finale; Il s'agit encore du tétramètre trochaïque, toujours le catalectique, par conséquent, de I5 syllabes divisé en 8 -j- 7.

Admiranda , sed favoris dïgna dies oriiur Celebranda cunctis horis vita sancli panditur

Pierre DASUEK (XI* siècle).

On voit que l'hémistiche du Ier vers rime ici avec celui du second et que chaque vers n'est plus partagé qu'en deux.

Il en résulte non plus une rime enveloppante comme plus haut, mais une rime croisée, les deux longs vers formant un quatrain, les deux vers suivants, un autre quatrain, et ainsi de suite.

3e type : aaaB, et àaâBB. — Le grand B indiquant un vers de refrain. — Il s'agit des strophes que nous avons citées plus haut et dans lesquelles . se trouve un refrain, soit d'un seul vers B, soit de deux vers BB.

Voici dite variante de type aaa bB.

Kant li vilains vaint à marchier,

Il ni vait pas pour berguignier

Mais por sa fème à esgaitier

Ke niins ne li forvoie

A cuer les ai les jolis malz, cornent en guâriroie

Rom. I , 25.

En supprimant le refrain et en le remplaçant par le vers ordinaire, on aurait le type aab ab.

Dans cette forme les deux derniers Vers tiennent la place d'un refrain ; à l'Origine, à l'époque du tétramètre, ce refrain devait se composer d'un long vers .égal à ceux du couplet; c'était un tétramètre. Puis lès Vers courts remplacèrent dans la poésie lyrique les longs vers, et le refrain seul à cause de son caractère traditionnel serait Testé ce qu'il était ; on eut alors, par exemple, les chiffres exprimant le nombre de syllabes de chaque vers, et les lettres-, les rimes : Sa8a8a8ab 12 B, ou si le refrain est de deux vers 8a8a8a8b8C4B, puis on raccourcit le quatrième vers et l'on eut 8a8a8a 4 & 8 A, 4 B, puis en supprimant le vers refrain 8a8a8ba 4 b 8a 46 (Janrôy. page 400).

Trois faits sont à remarquer ici :

Le refrain aurait été un facteur puissant de ce type, puis aurait disparu après avoir accompli son oeuvre StropMque ; au contraire le refain


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subsiste toujours dans la chanson, c'est-à-dire dans le poème proprement, dît.

Le point de départ de ce genre est bien la moaorimie que le refrain est venu battre en brèche et détruire.

Enfin la strophe serait née couée au moins en partie, du brisement du vers long latin. Les peuples dans l'enfance ne peuvent pas employer des longs vers; ceux 1res courts leur sont seuls assimilables; s'ils sont obligés d'en emprunter à une langue où les vers sont trop longs, Us les coupent en cherchant le joint des césures et ils l'ont de chaque hémistiche envers, la production nouvelle se fait par scissiparité.

Ce système est donc bien obligé d'admettre un facteur dont il n'indique . pas l'origine latine, qui semble bien de provenance romaine : le refrain, dont nous étudierons plus loin l'origine.

D'autre part, il cherche le prototype rimé dans les télramètres latins rimes d'époque récente, et alors il n'y a pas déraison pour que ces télramètres ne soient pas les imitations des rythmes romans.

Entre ces deux systèmes lequel choisir? Il est bien difficile de le faire d'une manière sûre. On manque de preuves historiques convaincantes. Il y a certainement imitation, mais de quel côte ? Les déductions rythmiques par le raisonnement et la comparaison n'amènent pas non plus à des conclusions sûres.

Pour nous, nous croyons qu'au moins quant à la strophe, il y a eu re naissance du rythme. Deux éléments romans absolument nouveaux ont" apparu dans le vers : l'accent et la rime : dans la strophe et le poème: le refrain qui n'est que le prolongement de la rime ; en d'autres termes l'élément accentuel et l'élément qualificatif des phonèmes ont envahi le rythme qui n'était gouverné que par l'élément quantitatif.

Ces éléments n'ont pas été transmis par le latin, ils sont de naissance romane.

Cela étant, et le vers .roman étant formé, le génie roman a pu constituer librement sa strophe; la rime soit versuelle, soit du poème (refrain), lui a suffi pour cela.

Elle n'a pas eu besoin de la taille et des retailles du vers latin.

Mata en pareille matière tout n'est encore qu'hypothétique. On peut se iaisser provisoirement conduire par l'instinct, par l'oreille, qui, en matière rythmique, est un excellent avertisseur.

C'est ainsi que nous sommes amenés à croire à un rythme général roman.

Passons maintenant au poème. Nous aurons un terrain plus favorable poury chercher le vrai caractère et l'origine du refrain qui le domine tout entier.

2° Du Poème. Le poème est l'unité rythmique supérieure, mais il faut qu'il soit


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unité rythmique pour que nous nous en occupions ici ; en effet, le poème, peut n'être unité qu'au point de vue psychique, poétique, mais au point de vue du rythme rester amorphe, sans parties différenciées, n'être qu'un simple aggrégat de vers de nombre et de forme indéterminés. C'est ce qui arrive quand il ne se divise pas en strophes, lorsqu'entre le vers et le poème il n'y a pas d'unité rythmique intermédiaire. Peu importe d'ailleurs alors que les vers qui le composent soient uniformes, ou libres ; cette distinction regarde le vers lui-même et non la strophe, le poème n'en reste pas moins amorphe.

Mais n'a-t-on affaire à un poème véritable au point de vue rythmique que lorsque l'aggrégat de vers se divise en strophes se suivant en nombre indéterminé ? Non ; dans ce cas le poème est encore amorphe, ce sont les strophes seules qui sont constituées.

Pour constituer le poème véritable, il faut qu'il se compose d'un nombre de strophes préfix, dont l'une sera différenciée régulièrementdes autres de manière à former des parties concourant à un tout, ou d'un nombre de strophes indéterminé, mais chacune se reliant à l'autre par un lien poématique, un refrain, par exemple. Ce sont des moyens que nous allons examiner, mais la simple juxtaposition de strophes, même parfaites en elles-mêmes, ne peut constituer le poème au point de vue rythmique. Car toute unité organique doit se composer de parties différenciées dans ce but. Dans le monde physique un aggrégat de cellules identiques ne peut non plus constituer un organisme.

Nous allons retrouver dans le poème la plupart des processus que nous avons observés dans la strophe.

D'un côté, moyens de formation soit par l'hélérométrie, soit par le refrain qui est la rime du poème, soit par les coupures du sens.

D'autre côté, mesure binaire et mesure ternaire, en d'autres termes, mesure à deux temps et mesure à trois temps.

Comme nous l'avons fait en ce qui concerne la strophe, nous allons examiner l'état du poème dans la versification contemporaine, puis dans le vieux français.

A) Du poème dans la versification contemporaine.

Le poème dans le sens rythmique où nous l'entendons est ce que l'on appelle communément le poème à forme fixe, quoique ces deux termes ne se recouvrent pas tout à fait, ou plus exactement la forme fixe l'est à plusieurs degrés différents :.ou bien, l'on fixe le dessin rythmique et le nombre de vers et de stances, c'est ce quia lieu par exemple dans le sonnet ; ou, au contraire, le nombre des stances est indéterminé, comme dans la villanelle, la ritournelle, mais c'est le dessin rythmique qui est fixé vers par vers ; ou bien enfin tout est indéterminé, sauf le retour périodique d'un refrain, comme dans la chanson. Mais, quel que soit le degré de fixité, la forme est toujours fixe dans un certain sens, sans cela il n'y aurait pas de poème au sens rythmique.

Avant d'examiner les diverses sortes de poèmes, leurs divisions quant


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aux moyens d'unité poématique employes et quant à la mesure, il importe d'analyser et d'observer dans leur ensemble les deux grandes idées qui dominent ici: l'idée du refrain, l'idée de l'épode.

Le refrain qui commande la plus grande partie de la poésie lyrique française et entièrement la poésie populaire n'est autre chose que la rime spéciale au poème; rime et refrain tiennent à la même racine. Ils ont entre eux un intermédiaire qui va servir à nous montrer le point de jonction,

La rime, comme nous l'avons vu, n'est pas, en réalité, versuelle mais plutôt strophique, c'est-à-dire qu'en français même un vers isolé se conçoit parfaitement, sans rime, surtout quand c'est un vers à césure. Dès qu'on est en présence de deux vers rimant ensemble et non suivi d'autres, on possède un distique, c'est-à-dire le minimum de la stance.

Si la rime est strophiqne, le refrain est poématique, et concourt puissamment à former l'unité du poème.

En quoi le refrain ressemble-t-il à la rime? En quoi en diffère-t-il?

Il ressemble à la rime en ce que tous les deux se constituent principalement par le retour des mêmes éléments à des places symétriques et que ces éléments en retour contiennent une consonnance.

Le refrain est, à ce point de vue, une rime plus étendue. Ce qui est au fond du refrain comme de la rime et plus encore du refrain, c'est le besoin de l'oreille, comme de l'esprit, de revenir au point de départ, soit à la fin seulement, soit de temps en temps. Ils correspondent à ce qu'est en musique le retour fréquent du même motif qui domine la composition, et aussi quelquefois le leit motiv diffère du motif proprement dit en ce qu'il vient traverser de temps en temps un ordre musical tout différent. Ce besoin du retour, cette nostalgie du commencement, du pays natal, de l'ancienne habitude, lequel est bien dans la nature de l'homme, c'est l'une de ses plus secrètes et intimes attirances; il est au sentiment humain ce que l'attraction de la pesanteur est au monde physique.

Mais si la racine de la rime et du refrain est la même, ils divergent bientôt, et nombreuses sonl leurs différences. La rime est purement phonique ; elle consiste dans la répétition du même son : le refrain est à la fois phonique et psychique ; il consiste dans la répétition à distance, à la fois du même son et de la même idée, du même mot, bien plus, de la même pensée de la même phrase souvent aussi de celle d'une stance entière.

Le refrain est bien plus complet que la rime; il ne s'adresse pas seulement à l'oreille, mais aussi à l'esprit. Les mêmes pensées reviennent doublées du même son, impérieuses, persistantes, dominant les autres, liant le poème.

Le refrain, de même que la rime, est si naturel qu'il est essentiellement populaire. Il disparaît souvent de la poésie lyrique, courtoise ou lettrée, mais reste dans le genre populaire, dans la classe où il a pris naissance.

Il se lie intimement aux deux arts qui accompagnent et surtout qui accompagnaient à l'origine la poésie : la danse et le chant. Le couplet correspond auchant en solo ou en duo, lr refrain au chant en choeur ; nous


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verrons comment cette fonction explique l'origine mécanique du refrain; mais cela concerne l'évolution que nous n'étudions pas en ce moment.

De même, dans la danse, le couplet correspond à la danse en couple, le refrain à celle en ronde qui souvent suit l'autre.

Tel est le refrain dans son ensemble, mais il renferme diverses espèces :

I° Le refrain peut se composer ou d'une stance entière de 4. 3 ou 2 vers; 20 d'un seul vers; 3° d'un seul mot. Ceci concerne l'étendue du refrain.

Le refrain le plus ordinaire, celui resté dans les chansons populaires, se compose d'une stance entière, quelquefois réduite à deux vers, mais ce n'en est pas moins une stance. Il est bien connu, nous n'avons pas à nous y arrêter.

Le refrain composé d'un seul vers est plus rare ; on le trouve régulier rement dans la ballade. Dans ce petit poème, chacune des trois stances semblables et la stance dissemblable de l'envoi doivent se terminer par le même vers. Ce vers, élantunique, doit naturellement rimer avec un des derniers de la même stance, ce qui entraîne indirectement pour Ja seconde partie de chacune des strophes et pour le dernier des vers rimants, les mêmes rimes.

Enfin, le refrain peut consister dans un seul détaché, ne rimant pas et formant comme le commencement d'un vers entier tronqué. C'est ce qui a lieu dans le rondeau.

Ce processus peut être touché du doigt si l'on compare le rondel an rondeau.

On verra que le rondeau n'est qu'une sorte de rondel tronqué où l'on n'a gardé que le premier mot du vers refrain.

Rondel.

Le soleil éteint son flambeau

Mais Tamonr dans les cieux se lève,

La lune dort, l'étoile rêve,

Le jour de la nuit est plus beau.

Les aimés sortent du tombeau. Ils ont une caresse brève, Le soleil éteint son flambeau Mais l'amour dans les cieuoe se lève.

Midi t'éveille à fleur de peau,

La nuit on voit monter la sève On entend battre le coeur d'Eve ; Voici le chant de Salambô! Le soleil éteint son flambeau.

Transformation en rondeau.

Le soleil éteint son flambeau, Mais l'amour dans les cieux se lève.


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La lune dort, l'étoile rêve, Le jour de la nuit est plus beau. Les aimés sortent du tombeau ; Ils ont une caresse brève, Le soleil!

Midi t'éveille à fleur de peau,

La nuit on voit monter la sève, On entend battre le coeur d'Eve, Voici le chant de Salambô, Le soleil!

Sans doute la pensée est défigurée, car ce que l'on conçoit comme rondel ne peut être conçu indifféremment comme rondeau. Mais au point de vue rythmique on touche le processus.

Quant à la vraie forme du rondeau la voici :

Maman, ce n'est pas même nom que mère, L'enfant l'a trouvé dans sa plainte amère, L'enfant l'a clamé dans son cri joyeux, Il lui sort des mains, il lui part des yeux, Plus beau que papa, bien plus doux que père. Il dure le temps de vie éphémère, Le garçon grandi, voudrait bien le taire, Dans le noir chagrin il crie encore mieux Maman !

L'épouse est venue, on n'a plus que faire De ce nom si vieux, on le laisse à terre, Nous voici parti soudain vers les cieux, Bonjour les petits, bonsoir les aïeux! Mais je redescends le coeur solitaire.... Maman !

Oh voit que la forme rythmique diffère un peu, mais qu'au fond le rondeau est un rondel abrégé quant au refrain qui ne contient plus que le premier mot du vers.

Dans un autre sens le refrain peut être de mots entiers, ou seulement de sons. Nous connaissons le premier. Le second consiste à établir, à la fin de chaque couplet par exemple, deux vers qui riment entre eux toujours avec la même rime différente de celle des couplets.

Les exemples de ce procédé sont rares. En voici la formule : Ier couplet BCBC, refrain AA; 2e couplet DEDE, refrain AA, etc.

Dans un troisième sens le refrain peut précéder le couplet ou le suivre. Le second cas est le plus fréquent et bien connu, nous allons revenir sur le premier tout à l'heure. Dans un autre sens le refrain peut être entier, ou divisé et alternatif, Le refrain complet est celui qui revient


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dans une stance complète à la suite de chaque couplet. Le refrain divisé et alternatif est le suivant, on peut l'observer idans la villanelle et dans la glose.

Dans la glose on commence par un refrain de quatre vers qui n'est pas encore' refrain, puisqu'il n'a pas encore été répété, mais qui servira à faire un refrain; puis à chacune des stances suivantes, on ajoute un des vers de cette stance refrain.

Stance fournissant le refrain.

Au clair matin je t'aime ma mignonne, . Quand midi brille il est sur notre amour, Le soir je t'aime encore plus que le jour, La douce nuit, c'est elle qui le donne.

STANCES FORMANT LES COUPLETS

1re Stance.

Le pur baiser que permet la Madone C'est ton baiser de la fleur à l'oiseau, C'est ton baiser de l'haleine au roseau : Au clair matin je t'aime ma mignonne,

2e Stance.

De tes grands yeux à midi c'est le tour, Tout le soleil avec toute sa flamme Ne vaut jamais ce rayon de ton âme ; Quand midi brille il est sur noire amour.

3e Stance.

L'heure est plus lente et partout alentour Sont les parfums, les désirs et le rêve, Et l'amour croît et tout veut qu'il s'achève,

Le soir je t'aime encore plus que le jour.

4e Stance.

Mais quand la nuit a mis sa dernière ombre, Alors mon coeur s'approche encor du tien, S'approche tant que ton coeur est le mien. La douce nuit c'est elle qui te domie Au clair matin.

On voit que chaque stance formant couplet détache de la stance type un de ses vers pour le répéter et en former un refrain partiel. Le poème n'est fini que quand tous les vers du refrain sont épuisés ainsi.


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La glose y ajoute la répétition à la fin du poème des mots du commencement au clair malin. Mais c'est là un procédé tout différent dont nous avons déjà parlé à propos du rondeau.

Dans la villanelle le procédé est le même, mais le poème est à étendue indéterminée ; on peut répéter les vers alternés du refrain à l'infini.

Stance fournissant le refrain.

La nature est jolielle Le soleil peut s'allumer La fleur à fait sa toilette

1re Stance (couplet).

Le thym et la sariette Croissent pour la parfumer; La nature est jolielle.

2e Stance (couplet).

Plus bas est la violette Qui ne peut plus se fermer, La fleur a fait sa toilette.

3e Strophe (couplet).

La vache tranquille allaite Son petit pour le calmer, La nature est jolie le.

On voit que sur la stance refrain, le vers médian ne sert qu'à faire pivoter le rythme, mais que les deux autres vers fournissent alternativement un refrain à toutes les autres stances.

Dans un autre sens le refrain peut être extérieur à chaque couplet et distinct de lui, ou, au contraire, ne faire qu'un avec le couplet lui-même, être intérieur.

Cette sorte de refrain, pour ainsi dire latent, est très remarquable. On l'observe dans la sextine et dans le rythme réversif.

Dans ces cas il ne s'agit plus que d'un refrain consistant en un seul mot.

Voici d'abord un exemple de la sextine.

r»e Strophe.

Le coeur aime en tout temps, le coeur aime à tout âge Quand le regard fleurit sous un rayon divin, Lorsque la beauté bonne est belle davantage, Du bien c'est le bonheur qui reste en héritage ; Le baiser plus léger ne fut qu'un baiser vain, C'est sa bonté qui fit que son amour me vint.


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2e Strophe.

L'oiseau sans le savoir, un jour sous mon toit vint, Il avait dans le ciel passé tout son jeune âge, De sa riche couleur très joyeux et très vain, Il était tout trempé du feuillage divin, La rosée il l'avait cueillie en héritage,

Je le pris, il ne peut en cueillir davantage.

On voit que, comme de vrais bouis-rimés, tous les mots de la fin de chacun des vers de la Ire strophe se retrouvent à la fin de ceux de la 2e strophe, mais-dans un ordre différent.

La première strophe ayant : dge, divin, davantage, héritage, vain, vint.

La seconde a : vint, âge, vain, divin, héritage, davantage.

Il y a si bien refrain, et non rime, que les mots ne doivent pas changer de sens.

Cet arrangement de retour est très complexe. Le sextine ne doit finir 'que lorsque le roulement des finales a ramené la fin du premier vers. Le sextine est ainsi un poème à durée préfixe, dépendant de la première stance.

Nous parlerons plus loin de la clôture de la sextine qui rentre dans un ordre d'idées autre que celui du refrain.

Le rythme réversif est beaucoup plus simple, il consiste à finir les vers de toutes les strophes par les mêmes mots, mais placés dans un ordre inverse.

L'aurore est venue et tu dors mignonne, L'oiseau dans la feuille est tout reposé, Prêt à recevoir le jour que Dieu donne... Mais te réveiller je n'ai pas osé

Un petit baiser serait trop osé; Le baiser plus doux que celui qu'on donne C'est le baiser pur, frais et reposé Qu'elle-même fait ta lèvre, mignonne.

Il y a dans ce procédé une véritable rotation du poème sur un pivot composé de quelques mots. C'est un refrain d'une espèce toute particulière.

Le refrain peut devenir purement phonique, c'est-à-dire dégénérer en rime ; mais c'est un refrain encore, car il sert à unir les strophes et à fonder l'unité poématique ; mais en réalité le système est un peu différent, et nous nous trouvons alors en présence de la rime poématique, dont nous parlerons un peu plus loin.

Telle est la première idée qui domine le poème en français, c'est celle du refrain. La seconde n'est pas moins importante, et nous verrons qu'elle


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s'unit souvent à la première, c'est celle de l'épode. Mais l'épode n'est pas spéciale à la versification française, on la retrouve ailleurs plus dominante, par exemple, dans la lyrique grecque.

Qu'est-ce au fond que l'épode ?

De même que le refrain est la rime propre en poème, l'épode est l'hètéromélrie propre au poème.

L'' hètèrométrie qui est un des plus puissants moyens de formation de la strophe, consiste en ce qu'un des vers, en général le dernier, diffère des autres par sa longueur ou par sa forme; l'épode consiste en ce qu'une des stances du poème, en général, la stance finale, diffère des autres en ce qu'elle est tantôt plus longue, tantôt plus courte et généralement autrement construite. :

Mais ici l'hétérométrie se rattache par son point de formation à dos arts souvent connexes à la poésie ; le chant et la danse.

Au commencement de la lyrique grecque, le poème se chantait et se dansait en même temps.

Or, la danse se composait de trois mouvements : I° mouvement progressif par un danseur seul ou par un couple, peu importe; a0 mouvement régressif en refaisant les mêmes pas et sur le même air ; 3° mouvement rotatoire, probablement de tous les groupes réunis dans une ronde sur un air différent et aussi d'une durée autre, généralement plus courte.

La partie du poème qui accompagne le mouvement progressif est la strophe; celle qui accompagne le mouvement régressif est l'antistrophe, celle qui accompagne le mouvement rotatoire accompli par tous ensemble est l'épode.

Dans les odes grecques, l'allure de la strophe est lihre, les vers ne sont pas semblables les uns aux autres; mais l'antistrophe doit reproduire root à mot et vers à vers le dessin rythmique de la strophe; au contraire, l'épode est une réduction de la strophe, elle est hêtérométrique et forme clausule.

La réunion de la strophe, de l'antistrophe et de l'épode forme la triade. Il est vrai, une ode peut se composer de plusieurs triades qui se suivent, mais on a alors une suite de poèmes juxtaposés, mais distincts, formant chaîne, comme on obtient maintenant des chaînes de sonnets.

La plus légère différence suffit d'ailleurs pour distinguer l'épode, On peut citer comme exemple le commencement du poème d'Hélène dans les poèmes antiques de Leconte de l'isle où il imite, autant que possible, l'ode grecque triadique.

Chaque strophe s'y compose de neuf vers ; mais, tandis que dans la strophe et dans l'antistrophe les 5° et 9e vers sont plus courts que les autres, dans l'épode ce sont les trois derniers vers qui sont plus courts ; de plus, la disposition des rimes est changée ; et le poème obtient ainsi un peu l'effet du rythme antique.

Celle constitution triadique du poème au moyen d'une épode différente de la strophe et de l'antistrophe, et en formant une réduction de manière


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à créer une clausule poématique par l'hétérométrie, s'est retrouvée dans la poésie française et à son origine, seulement elle s'est revêtue de nouveaux, noms, et nous croyons être le premier qui l'ait reconnue sous de nouveaux costumes.

Il y a là une renaissance du rythme et non une conservation ou une formation par évolution. C'est aussi la danse avec ses figures qui a donné naissance en France à la poésie lyrique épodique.

L'idée de l'épode diffère profondément de celle du refrain, non seulement en elle-même, mais par les milieux qu'elle affectionne pour son développement. Le refrain est tout populaire ; au contraire, le rythme épodique fait partie de la poétique savante, en particulier, en vieux français, de la poésie courtoise ; ses formes sont un peu artificielles et affinées.

D'autre côté, le refrain semble se, rattachera la danse la plus simple, à la ronde, dans laquelle, par des mouvements alternatifs, il y a des balancements et une sorte de galop rotatoire, et au chant le plus simple, celui où l'un chante et les autres reprennent en choeur quelques mots du chant. Au contraire, la forme épodique se rattache à la danse plus complexe, au quadrille, avec ses figures comprenant le mouvement progressif, le régressif et le rotatoire, et en musique, au duo suivi de choeur. La marche a été la même en Grèce et en France. Quant à la France, c'est certainement le chant avec refrain qui est la forme la plus usitée. Quant à la Grèce, Christ, page 617 de sa Métrique, démontre que le rythme lyrique n'apparût pas d'abord sous la forme triadique.

Comment l'idée épodique se manifeste-t-elle dans la poésie lyrique française? Pour le comprendre, il suffit de prendre quelques types de poèmes à forme fixe. Voici, par exemple, la ballade :

Ce poème à forme fixe se compose de quatre strophes dont la dernière est de moitié plus courte que les autres, et sous la rubrique d'envoi sert d'épode. Supposons une strophe de huit vers, l'envoi n'en aura que quatre. Les quatre premiers vers de chaque stance ne seront pas de même rime dans les différentes stances, mais, au contraire, les derniers vers devront, être de mêmes rimes que celles des derniers vers des autres stances et de l'envoi. Voilà ainsi la forme triadique constituée. Ajoutez à cela que le dernier vers de chacune des stances et de l'envoi est identique, mais ceci a trait au refrain et non au caractère épodique. Nous ne donnons pas d'exemple de la ballade, cette forme est trop connue'. Nous croyons seulement que l'épode porte ici un nom spécial : l'envoi, et qu'il est juste la moitié de la strophe; l'hétérométrie poématique est tout à fait saillante. -

Nous venons de parler de la sextine à un autre point de vue, mais nous avons passé sous silence sa dernière strophe, qui a bien le caractère d'une épode. En effet, elle se compose de moitié moins de vers que les autres strophes et forme ainsi clausule par hètèrométrie. Par exemple, si la strophe avait six vers, celle finale n'en a que trois. Mais, chose curieuse, ces trois vers doivent contenir les six mots formant refrain qui sont répartis dans les six vers des autres strophes. Pour obtenir ce ré-


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sultat, trois de ces mots se retrouvent à l'hémistiche ou vers l'hémistiche. De cette sorte on n'a pas seulement une abréviation mais une réduction

véritable de la strophe. C'est très artificiel, mais très épodique. L'épode est bien visible dans le tercet : tandis que toutes les autres

strophes du tercet se composent de trois vers, la strophe finale, véritable

épode, se compose d'un vers unique. On connaît le mécanisme du tercet.

Ire stance, A B A. 2e stance, B C B. 3e stance, C D C. 4e stance, D E D. 5e stance, E F E. 6e stance, F.

La structure de toutes les stances est semblable, contient une harmonie immédiate, puisque des vers riment ensemble, et une harmonie différée, puisque le troisième vers ne rime que dans la stance suivante ; l'épode ne contient qu'un seul vers, celui nécessaire pour apporter la rime qui manque et qui soutient tout l'édifice.

Quelquefois c'est, au contraire, la dernière stance, l'épode, qui est la plus longue. Dans la villanelle que nous avons citée déjà, chaque stance ne contient que trois vers et ne répète comme refrain qu'un des vers de la première; la dernière stance, l'épode, contient quatre vers et répète deux des vers de la première.

Le sonnet offre un des exemples les plus marqués du caractère épodique, et l'on peut dire que c'est ce caractère qui a fait sa fortune. Ici l'épode est plus longue que la strophe et que l'antistrophe; tandis que chacune de celles-ci consiste dans un quatrain ; l'épode consiste en six vers divisibles en deux tercets. Le dessin rythmique est absolument le même dans les deux quatrains, comme dans l'ode antique. La formule de la première strophe est A B B A, de antistrophe A B B A. Au contraire tout change dans l'épode dont la formule consacrée est C C D-E D E. On voit que non seulement le nombre des vers mais aussi l'agencement est différent. Ce n'est pas tout. Nous avons une épode rythmique très parfaite, mais il s'y joint une épode psychique ; c'est le trait final. Le double tercet formant épode doit trancher sur les quatrains par le sentiment ou la pensée qu'il renferme, et donner, pour ainsi dire, une solution au petit poème.

Quelquefois l'épode peut résulter de la coupure brusque du refrain, c'est ce qui a lieu dans le rondel.

D'autres fois, l'épode se trouve intercalée entre la strophe et l'antistrophe, c'est ce qu'on peut observer dans le rondeau.

Nous poumons pousser cette recherche plus loin et atteindre l'épode dans beaucoup d'autres poèmes à forme fixe, mais cet exposé suffit pour montrer sa généralité et, pour ainsi dire, sa nécessité rythmique:

Nous avons montré séparément ces deux grands principes du rythme du poème, c'est-à-dire le refrain et l'épode, et nous en avons fourni des exemples.

Souvenl ces deux moyens sont réunis et concourent au rythme, sans


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: même qu'on puisse dire lequel exerce l'action principale. Il nous faut en indiquer quelques exemples :

Dans la ballade, les deux sont réunis, Il y a refrain puisque toutes les strophes et l'envoi lui-même finissent par le même vers; il y a en même temps épode, nous avons vu que l'envoi en remplit la fonction.

Daûs la sextine, il y a un refrain d'un genre particulier, consistant en des mois seuls, et d'autre part il existe une épode bien marquée dont nous avons vu la construction.

Dans la villanelle, l'épode même se fait par le même moyen que le refrain, et il y a indivisibilité entre les deux processus. Tandis qu'à chaque strophe on ne répète qu'un vers du refrain, à la dernière qui sert d'épode ou en répèle deux.

Dans d'autres poèmes, au contraire, on n'emploie que l'un ou l'autre de ces deux moyens.

C'est ainsi que la chanson est essentiellement le poème du refrain, mais ne contient pas trace d'épode.

Cèst ainsi, par contre, que le sonnet contient une épode bien marquée , mais pas de refrain.

Telles sont les deux idées qui dominent le rythme du poème, celle du refrain et celle de l'épode. Maintenant nous pouvons examiner plus rapidement les divers moyens de constituer l'unité du poème et lés diverses mesures de celui-ci.

Le poème, comme unité rythmique, se constitue par les moyens suivants : I° le refrain correspondant à ce qui est la rime pour la strophe; 2° la construction triadique et épodique, correspondant à ce que sont l'hétéromëtrie et la clausule pour la slance; 3° l'arrêt du sens; 4° la rime de stance à stance; 5° la répétition du même vers dans les deux strophes qui se suivent; 6° l'allitération.

Nous avons décrit tout à l'heure les deux premiers moyens; il nous reste à dire quelques mots des deux autres. La constitution organique du poème peut se faire par un moyen tout psychique, c'est-à-dire par la gradation et la conclusion du sens. C'est dans le sonnet surtout que l'on observe ce processus; c'est ce qui fait du sonnet un poème fixe à part qui a survécu à tous les autres et tente les plus grands poètes. Il a pour avantage stylistique une grande condensation de la pensée, mais son avantage rythmique n'est pas moindre; cependant ce rythme est, en partie, de pensée. Nous voulons parler du trait final qui résout et dénoue tout le poème. Jusqu'à lui la pensée se charge et recharge sans cesse, la décharge, sorte de décharge électrique, n'a lieu qu'au dernier vers. Ce moyen est moins sensible dans les autres poèmes, mais y existe pourtant.

Le dernier vers qui décharge les tercets joue un peu le même rôle; il ne décharge pas seulement le rythme par la rime finale qu'il apporte, mais aussi la pensée et le sentiment de tout le poème.

La rime de stance à stance est celle qui consiste à faire sur la même


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rime, ou plus exactement par les mêmes rimes, toutes les stances du poème jusqu'à la lin

Supposons, par exemple, que les deux quatrains du sonnet se continuent sur les mêmes rimes pendant un temps plus ou moins long, on aura un moyen de relier les strophes et d'établir l'unité du poème. Gela deviendra monotone, mais la monotonie ne nuit qu'à l'effet esthétique, et d'ailleurs elle disparaît si au lieu de la forme ABBA ABBA-ABBA toujours répétée, on emploie par exemple ABAB-ABAB-ABAB où les rimes ne su touchent plus, mais reviennent seulement. On peut aussi ne faire rimer de stance à stance que deux des vers sur quatre.

La répétition des deux vers dans les strophes qui se suivent forme un moyen assez original. On commence, par exemple, chaque strophe par le dernier vers de la strophe qui précède, il en résulte un enchaînement continu. Ou bien dans le quatrain suivant sont reproduits toujours deux vers du quatrain précédent. C'est la structure rythmique du pantoun.

Discrets, furtifs et solitaires,

Où menez-vous petits chemins,

Vous qu'on voit pleins de frais mystères

Vous cachant aux regards humains?

Où menez-vous petits chemins, Tapissés de fleurs et de mousse Vous cachant aux regards humains ? Que votre ombre doit être douce!

Le 2e et le 4e vers de la première stance forment le icr et le 3° de la seconde.

L'allitération est un moyen mécanique qui a servi dans les vieilles langues germaniques à constituer le vers. En français, il s'emploie dans l'intention tout intellectuelle de l'adoucir ou de lui donner plus d'énergie. On peut l'employer aussi à la constitution de l'unité du poème. La même articulation se répétant souvent dans toutes les strophes constitue un lien.

Tels sont les moyens de constituer le poème en une véritable unité organique.

Le poème, comme la strophe, comme le vers, peut suivre des mesures différentes : la mesure binaire ou la mesure ternaire, la première à deux ou à quatre temps.

Que signifie cette mesure quand il s'agit du poème? Le vers est à deux temps quant il se divise en deux parties égales ou inégales au moyen de la césure, il est à trois temps quand il se divise en trois parties au moyen de deux césures.

A son tour la strophe est à deux temps, quand elle se divise en deux parties égales où inégales par divers moyens, entre autres, lorsqu'elle repose sur la rime de deux vers pairs dont le dernier est final.


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Elle est à trois temps, quand elle se divise en trois parties au moyen, en particulier, de trois rimes qui souliennont la stance et dont la dernière est finale.

De même, le poème est à deux temps lorsqu'il procède par couples de deux stances dont la dernière est hétérogène. Ainsi, par exemple, dans la chanson dont la durée est indéterminée, le poème procède par un couplet suivi d'un refrain, puis par un autre couplet suivi du même refrain, et toujours ainsi ; il en résulte que sa division est bipartite, qu'il s'avance par couples, que sa mesure.est à deux temps.

Au contraire, le poème est à trois temps lorsqu'il ne se compose que de trois strophes dont l'une est différenciée, de manière à former épode, ou de groupes de trois strophes, ainsi constituées : la strophe, l'antistrophe, l'épode, formant les trois temps poématiques. Peu importe que l'épode soit plus longue ou plus courte que la strophe ; la matière rythmique dans chaque division peut être inégale.

Il en résulte que la plupart des poèmes à forme fixe et savante sont à trois temps; dans cette classe on doit ranger le sonnet, la ballade, le tercet, la villanelle, la glose, la sextine, le virelay. A la mesure à deux temps, au contraire, appartiennent la chanson, le pantoun.

La mesure à trois temps s'applique, en général, aux poèmes épodiques ; celle à deux temps, aux poèmes à refrain.

Tel est le poème dans la poésie française contemporaine. Étudions maintenant son origine et son évolution en vieux français.

Une idée doit dominer notre élude; nous avons cherché à dégager des formes actuelles les intentions rythmiques qu'elles contiennent, ou plutôt les effets qu'elles peuvent produire. Mais placer ces intentions ou ces effets à l'origine de l'évolution serait un non-sens ; c'est une résultante, non un point de départ, ou une cause. A l'origine, le point de départ fut tout mécanique.

De ces deux genres si nettement délimités : le poème à deux temps et à refrain, et le poème à trois temps et épodique, C'est certainement le premier qui fut le plus ancien, qui est et restera populaire, tandis que le second appartenait à la poésie courtoise et présente quelque chose d'artificiel. Il est issu du premier par des transformations successives.

Le genre le plus ancien est donc la chanson ou, tout au moins, le poème à refrain.

Nous avons examiné le refrain dans ses effets et sa portée poétique, il faut l'envisager maintenant dans son processus mécanique et voir les explications qui en ont été données.

L'etymologie du mot refrain amène au sens de briser et non à celui de répéter; cette étymologie est incertaine. En tout cas il semble bien que le refrain est d'abord sans l'apport avec le texte du reste de la chanson. Suivant les uns il remplit la place qui était tenue d'abord par des mois explétifs ou par de simples modulations de la voix. Suivant d'autres il est


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un débris d'autres chants plus anciens sur lesquels la chanson nouvelle a été composée et que connaissaient déjà les auditeurs de celle-ci.

Cette dernière explication nous semble plausible. Les auditeurs formaient le choeur et répétaient en réponse quelques-uns des mots de l'ancienne chanson. Nous avons déjà exposé cette théorie à propos de la strophe. Le grand nombre de chansons populaires où ce processus a lieu en est la preuve évidente. Quelquefois même le choeur intervient au milieu du couplet par une exclamation formant une fraction de refrain et sans rapport avec le texte.

Au jardin de mon père (vive l'amour) Des oranges il y a.

Ailleurs le refrain se trouve mêlé au couplet, mais plus étendu :

Mon père a fait faire un étang , C'est le vent qui va frivolant, Il est petit, il n'est pas grand, C'est le vent qui vole, frivole, C'est le vent qui va frivolant.

Il est certain que le vent qui va frivolant a été importé d'une autre chanson dans celle-ci. Et ailleurs:

Mon père n'avait pas guenillon

Valant une épille, Mais il avait bien guenillon

Une jolie fille Ah! ah! ah! ah! guenillon Sautons la guenille. Et enfin :

C'était une bergère Ron, ron, petit papabon, C'était une bergère Qui gardait ses moutons.

Dans tous ses exemples, le refrain entre dans la chanson, dans le couplet lui-même, le choeur collabore à chaque instant.

Ce refrain incorporé au couplet explique la structure de la villanelle, du rondel ou du rondeau qui ne se comprendraient pas avec le refrain toujours final.

11 nous semble donc bien probable que le refrain était le fossile d'une ancienne chanson qu'on incorporait à celle nouvellement composée et chantée sur le même air, et qui tantôt servait au choeur à répondre à une chanson qu'il ne connaissait pas, tantôt pénétrait le couplet lui-même, lui fournissait des rimes, des points d'appui, quelquefois une charpente HIST. ET PHILOL. I5


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entière. Ce qui est frappant, c'est que le pantoun malais, le vrai, non l'imitation qu'on en a faite, repose exactement sur le même procédé.

Telle est l'origine mécanique du refrain; examinons le processus qu'il a suivi. Il créait du premier coup la chanson, mais comment est-il arrivé .aux autres poèmes?

Il faut d'abord observer que ces autres poèmes n'ont pas eu à l'origine la forme fixe qu'on leur donne aujourd'hui; ils ont été longtemps fluides.

L'intercalation du refrain dans le couplet lui-même forme la transition entre la chanson et le poème à forme fixe proprement dit. C'est le facteur de l'évolution..

Intercalez le refrain trois fois, vous avez la strophe du triolet ou quelque chose d'approchant, ce sera le rondel, forme du xrv<= siècle.

Choeur.

Hareu, li maus d'amer M'ochist!

Couplet. Il me fait désirer

Choeur. Hareu, li maus d'amer

Couplet.

Par un doux regard Me prist

Choeur.

Hareu, li maus d'amer M'ochist !

Il y a alternance continuelle entre le soliste et le choeur. Le même processus conduit au rondel, et par là au rondeau qui n'est qu'un rondel dont le vers refrain est tronqué. C'est toujours le refrain qui se mêle au couplet et qui se répète deux fois, ce qui fait passer du poème à deux temps au poème à trois temps.

En alternant les diverses parties du refrain et en les plaçant chacune dans un couplet différent, ce qui est possible et même nécessaire quand la strophe est très courte, on obtient la villanelle el la glose. Ici nous devons nous arrêter un moment et bien assigner au refrain sa véritable place primitive, puis marquer son évolution de sens. . Nous croyons que le refrain, au lieu de venir pour la première fois après le premier couplet, était au commencement du poème. D'abord,


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tant qu'il fut le débris d'un autre poème plus ancien indiquant le rythme et la musique qu'on devait employer, il était utile de se mettre tout de suite dans le ton, et acteur et choeur le faisaient en chantant ensemble le bout de chanson qui allait servir de modèle à la chanson nouvelle.

Plus tard, lorsque le refrain fut adapté à la chanson nouvelle etne fut plus sur un sujet différent, ce procédé devint moins fréquent, étant moins utile, et le refrain n'apparut plus pour la première fois qu'après le premier couplet.

Il fut même souvent alors le bis, la répétition du dernier vers de ee premier couplet dont les paroles se différenciaient peu à peu.

Mais la place du refrain en tête du poème a laissé de nombreuses traces. C'est cette place qu'il tient encore dans le triolet, la villanelle, la glose, le rondel, le rondeau, le virelay nouveau et une foule d'autres petits poèmes.

L'évolution du sens du refrain n'est pas moins importante. Le refrain d'abord puisé dans une autre chanson plus ancienne se tire ensuite de la chanson même. Il est alors d'abord la répétition simple d'un des vers. Ce procédé est fréquent, on le rencontre encore dans des chansons populaires :

J'ai un navire à Couèron

Choeur. J'ai un navire à Couèron

Pour emporter Marion.

Choeur. Pour emporter Marion.

Le choeur, par son refrain, ne fait ici que répéter vers à vers ce qui vient de se chanter en solo. Puis les paroles diffèrent, mais le sens reste le même.,

Mon Dieu! quel homme, quel petit homme! Mon Dieu! quel homme, qu'il est petit! Ou bien :

Point de couvent je ne veux, ma mère!

Point de couvent je ne veux, maman!

Dans ces deux exemples, il n'y a guère que : transposition de mots. Dans d'autres on change quelques mots, il n'y a pas d'autres modifications comme dans cette stance espagnole :

Ay, Juana, cuerpo grarido ! Ay, Juana, cuerpo galano!


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Donde le dejas a tu buen amigo ? Donde le dejas a tu buen amado?

Ainsi tantôt le refrain se trouve mêlé au contexte de la stance du couplet, et, à un vers du soliste correspond un vers du choeur; tantôt le refrain suit le couplet entier comme dans nos chansons actuelles littéraires; tantôt enfin le refrain précède le crémier couplet.

Dans ce dernier cas nous allons assister a une évolution particulière' du rythme. Une forte base rythmique a été donnée au poème; celui-ci va se dérouler suivant une mesure binaire, c'est-à-dire qu'on va alterner continuellement entre le couplet et le refrain.

Mais alors le rôle du choeur est bien considérable vis-à-vis de celui du soliste, il est presque écrasant, tandis que le choeur ne doit qu'accompagner, donner de temps en temps une stance plus courte, un vers, un simple mot même. Puis ce retour continuel du refrain est très monotone. C'est alors que l'instinct pousse à couper le couplet servant de refrain lorsqu'il devra être répété et en répéter alternativement, par exemple, une des deux parties, ce qui donne plus de variété, du piquant, une certaine surprise, et tiendra par cette alternance le choeur en alerte.

Tel devient le procédé qu'on réalise dans: les poèmes cités tout à l'heure, glose, villanelle, virelay; c'est le système de ce que nous appellerons le refrain fractionnaire à parties alternantes.

Mais alors on peut dire que, tant que dure le poème, le refrain est incomplet, puisqu'après chaque stance on n'en a redit qu'une fraction; l'oreille est constituée en attente, elle désire qu'à un moment quelconque!, le refrain entier apparaisse, jusque-là elle ne sera pas satisfaite. A quel' moment lui donnera-t-on celte satisfaction? Lorsque le petit poème va finir, c'est le point où l'on peut répéter le refrain entier pour un motif justifié, celui de marquer la fin du chant. La fin va reproduire le commencement, c'est-à-dire le refrain complet. C'est ce qui a lieu, en effet, dans les petits poèmes cités ci-dessus.

Mais par ce fait seul et sans s'en apercevoir, on est passé du système du refrain pur à celui de l'épode. Une stance se trouve ainsi différenciée de toutes les autres : la dernière, la finale ; elle contient les mêmes vers que les précédentes dont un de refrain, plus un autre vers de refrain; elle est plus longue et à ce titre épodique, de sorte que dans la villanelle, ! par exemple, la première stance de trois vers où l'on puise le refrain forme la strophe, les autres, sauf la finale, sont autant de strophes et d'antistrophes, et la finale forme épode. Nous avons réuni les deux systèmes, celui du refrain modifié et celui de l'épode, et c'est le premier qui a conduit au second.

Dans la ballade, nous avons une autre transition à observer. Nous ' avons dit que les poèmes à forme fixe ont été longtemps à l'état fluide. La ballade en est un exemple et rien ne ressemble si peu à la ballade définitive que la ballade primitive.


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Un métricien distingué, Gustav Grôber, a bien constaté cette évolution. Les plus anciennes formules seraient : I° a7 a7a7 a7 b6 C9 C6 C8, les chiffres marquant le nombre de syllabes des vers, les lettres minuscules les rimes du couplet et les majuscules les rimes du refrain; 20 AA aaaa dans lequel le refrain précède la première strophe ; 3° BB aa b. Il en dégage une forme primitive BB aa b BB venue d'une forme plus primitive encore BB a bb BB. Quant au nombre de strophes, la ballade en aurait eu d'abord trois, puis cinq. Quelquefois on répétait le premier vers du refrain après le premier vers de chaque strophe. Nous ne le suivrons pas dans ses démonstrations. Ce que nous en retenons, c'est qu'ici aussi le refrain avait très anciennement précédé la première strophe, ce qui nous ramène au système subsistant actuellement dans la villanelle; et c'est, d'autre part, que la répétition du refrain à la fin du couplet élait complète.

Plus tard, celle répétition a été tronquée; au lieu de répéter le refrain entier, on n'a plus redit à la fin de chaque couplet que le premier vers ou le dernier de ce refrain qui avait lui-même disparu. A cela on a obéi encore, à la loi du moindre effort, dominante enrythmique comme en linguistique.

Voilà un refrain bien restreint, mais étant réduit à un seul vers il va faire corps avec le reste du couplet, il va s'y unir intimement par la rime, et comme ce vers est le même dans toutes les strophes, il va en résulter que dans toutes les strophes il y aura à la fin deux rimes semblables dans tout le poème. En outre, par une certaine attraction et par l'instinct de reconstituer par la rime un refrain qui manque par les mots, on sera amené à faire rimer entre eux les quatre derniers vers de toutes les strophes au moins sur deux rimes. C'est ce qui a lieu en effet.

Il en résultera une division de chaque strophe en deux parties dont l'une sera un couplet pur, dont la seconde sera mixte entre le couplet et le refrain, et pourra être considérée comme un refrain, au moins au point de vue phonique.

Lorsqu'on sera parvenu à la fin du poème, comment le clore? Assez naturellement par un refrain redoublé. C'est ce qu'on fait. De là une véritable épode connue sous le nom d'envoi.

Cet envoi, d'ailleurs, a une autre origine. C'est, pour ainsi dire, l'adresse de la lettre envoyée à un haut personnage, à un Mécène. Quoi de plus épodique dans une lettre que sa suscription et les salutations de la fin!

Nous venons de décrire l'évolution et surtout le passage du système populaire du refrain, à celui plus savant, plus littéraire, de l'épode, dans tous les poèmes qui restent populaires à un certain degré. Mais au delà se placent les poèmes qui sont une invention de lettrés, ils se distinguent des autres, en ce qu'ils n'ont pas de refrains proprement dits, mais seulement le caractère triadique et épodique.

Ils viennent cependant de l'imitation des formes populaires. Nous ne parlerons pas de la sextine qui est tout à fait hétérogène et artificielle,


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mais d'un poème important, le sonnet. Le sonnet a été longtemps dans une forme plus fluide que celui prétendu régulier. Il se composait de la juxtaposition d'une stance de six vers et d'une stance de huit, et sa formule était non comme aujourd'hui abba abba ccd cdc, mais bien abababab ' cdcdcd. On était encore dans la mesure binaire ; au solo de la première partie correspondait le choeur plus court de la seconde. Puis le groupe de huit vers se scinda eh deux quatrains; et l'on eut alors la formule abab abab cd cd cd. Désormais, il y avait strophe, antistrophe, épode plus longue que chacune des deux autres séparées. Enfin, à l'instar du groupe de huit vers, celui de six se souda à son tour et l'on eut : abab abab cdp dcd. C'est le sonnet moderne, sauf l'agencement des rimes. On modifia bienlôt la formule ainsi: abba abba x x, substituant dans les quatrains la rime embrassante à la rime croisée, et laissant ad libitum l'agencement des tercets, si bien que la formule en est souvent cddc eé avant de parvenir à celle qu'elle a définitivement adoptée.

Plus tard, l'élément psychique s'ajoute au sonnet par le trait final, et lui donne une importance particulière; sans ce trait final, le sonnet aurait péri comme beaucoup de ces petits poèmes.

Telle est, croyons-nous, le point de départ, et dans ses grandes lignes, l'évolution des poèmes proprement dits, de ceux qui le sont au point de vue rythmique, des poèmes à forme fixe, et leur développement mécanique; nous avons vu plus haut quelles intentions, pour ainsi dire, ils ont pris dans la versification contemporaine. Combien l'effet produit est éloigné des motifs du processus tout matériel et nécessaire qui l'amena, et combien furent humbles les origines dû rythme qui transporte si haut le coeur et l'esprit de l'homme! Et cependant, nous nous sommes occupés ici, non pas du commencement de la civilisation rythmique, mais seulement de sa transmission, de son virement et de son partiel renouvellement dans la langue française.

VISITE DV COMTE DE NOWCARMES DE SAINTE-ALDEGONÙE À PARIS, FERNEY

ET B AVEN CHEZ ROUSSEAU , VOLTAIRE ET GESSNER, EN 1 774.

Communication de M. Couard, archiviste de Seine-et-Oise.

Le comte de Noircarmes, Philippe-Louis-Maximilien-Ernest-Marie de Sainte-Aldegonde, qui mourut en 1821, à l'âgé de soixante-quatorze ans, en son château de Rieulayt1', avait pris, dès sa jeunesse, l'habitude de garder copie des lettres qu'il adressait à sa famille, à ses amis, à ses hommes d'affaires. Il formait ainsi des « Recueils », dont quelques-uns sont actuellement conservés aux Archives départementales de Seinè-et0ise (2).

W Département du Nord, arrondissement de Douai, canton de Marchiennes, (2) Série E, articles 1991 bis-1994


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Les divers éléments dont se composent ces manuscrits n'ont pas toùs , on le conçoit, une égale valeur, mais il s'y trouve, heureusement, à côté des missives insignifiantes, pour nous du moins, des lettres qui ne sont pas dénuées d'intérêt, en ce qu'elles témoignent des goûts, du caractère, de la tournure d'esprit de ce personnage, qui était un fervent adepte des doctrines de Jean-Jacques Rousseau en même temps qu'un disciple attardé de Pythagore; car il proscrivait rigoureusement de son alimentation l'usage delà viande. C'est de lui que Voltaire dira en 1778 CI : « Nous avions il y a quelque temps, dans notre château, un M. le comte de Sainte-Aldegonde, qui aurait cru faire un grand crime s'il avait touché à une perdrix venue d'Angoulême au lac de Genève. Je crois que c'est le seul Pythagoricien qui reste dans les Gaules. Sa vie est la condamnation de notre gourmandise. Mes quatre-viugt-quatre ans et mon extrême faiblesse me rendent encore plus Pythagoricien que lui. »

Le voyage auquel Voltaire fait allusion remontait au mois de juillet de l'année 1774; M. de Sainte-Aldegonde avait alors vingt-sept ans. Les lettres qu'il écrivit en cette circonstance à sa jeune femme et à ses amis permettent de savoir dans quelles conditions il accomplit son voyage, et comment il fut reçu par Rousseau, Voltaire et Gessner. Ajoutons que cette correspondance, qui n'était pas destinée à la publicité, contient des réflexions piquantes, parfois humoristiques, sur les hommes et sur les choses. N'estce pas une raison suffisante pour y faire quelques emprunts?

Le I3 juillet 1774 (2), M. de Sainte-Aldegonde annonçait comme trèsprochain son départ pour la Suisse : « Je pars pour Genève dans trois ou quatre jours au plus tard », écrivait-il, de son domaine de Rieulây, à Mme la comtesse de Nédonchel. « Vous vous rappelez sans doute que vous aviez envie de me donner quelques commissions pour ce païs-là, et j'ai l'honneur de vous demander vos ordres. Je vous serai obligé de vouloir bien me faire une petite liste des choses que vous souhaitez et je m'empresserai de vous les procurer. » Pour son compte personnel, il profiterait de son séjour à Genève pour « y acheter bien des livres curieux. » Aussi avait-il, peu auparavant, demandé à « M. Amelot, à Angers » de lui envoyer au plus vite « le catalogue do ce que l'on a fait de plus fort contre la religion chrétienne. Quand je dis fort, ce n'est point en plaisanteries, mais en raisonnements. J'aime les athlètes et non les arlequins. » Il avait l'intention d'y chercher tout spécialement des ouvrages capables de satisfaire son goût pour les sciences, la philosophie et l'histoire.

Pour se rendre à Genève, le voyageur passera-t-il par Paris? Sans être tout à fait fixé sur ce point, il le croit cependant, et dans ce cas, il con(1)

con(1) du 23 janvier 1778. Allusion à un pâté de perdrix envoyé par M. d'Argens, et dont Mme Denis et les autres dames se « sont crevées. » (Voltaire, édition Beuchot, t. LXX et XX de là Correspondance.)

( 2) La présente notice est rédigée principalement à l'aide des documents contenus dans le manuscrit coté E, 1991 bis.


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sacrera quelques jours à ses amis : « Je me serais déjà rappelé à votre souvenir, «écrit-il à Mme la comtesse de Beauharnais, « si une maladie et des affaires ne m'en avaient empêché. Mais, quoi que j'en aie encore quelques-unes qui m'arrêtent, je romps toutes les barrières, et ne puis être privé plus longtemps delà douceur que je trouve à m'entretenir avec vous. Je me propose à la vérité quelque chose de plus flatleur encore, et peut-être bientôt. C'est de vous faire ma cour à Paris, où je crois que je dois passer pour aller à Genève. Je vais enfin effectuer dans trois ou quatre jours ce voïage projelé depuis si longtemps. J'ai reçu de Genève une lettre qui ne me permet point de différer. Je verrai aussi cet illustre solitaire en qui les années ont à peine étouffé ce feu poétique et presque divin qui l'inspira dès sa naissance. Si je vais par Paris, comme il y a de l'apparence, je compte, madame, vous y demander vos ordres et la continuation de vos bontés. Votre ouvrage me charme autant qu'il m'étonne. Je ne puis concevoir cette rapidité, ce décousu original, cette frivolité solide, cette philosophie légère qui brillent à chaque pas et y forment des tableaux aussi contrastés que ravissans. Une femme seule sçait écrire ainsi; mais peu de femmes joignent au coloris les idées. L'Arioste, s'il eût vécu dans ce siècle, ne vous aurait point oublié dans son catalogue. »

Il verra également à Paris son ancien précepteur, M. Ballin, « rue des Carmes, au collège de Presles, » et la lettre qu'il lui adresse pour l'en prévenir montre qu'il se servait ordinairement de la langue latine pour correspondre avec lui. « Promptius ad te scripsissem, amice, si non me

multa magnaque negotia retinuissent Tibi nuntio me Genevam profecturum.

profecturum. (sic mini dictum est) Lutetiam transire, etgaudeo,

tecum loqui licebit Ego Volterium Gesnerumque videbo. A Gesnero

litteras accepi et me desiderat. Nescio si ad Genevam vel Zurich primum ibo. Videbimus infrà, inquit Gallianus, et hic sermo hic convenit. Vale. »

Arrivé le 16 juillet dans la capitale. « par la diligence, en bonne santé, mais très las du chaud et delà voilure, » M. de Sainte-Aldegonde y reste quatre jours avant de se remettre en roule. Le 17, il se présente au domicile de Jean-Jacques Rousseau, et le philosophe l'accueille fort aimablement. Aussi prend-il soin de raconter aussitôt à sa femme les détails de l'entrevue.

« Je viens de chés Rousseau, mon coeur, et je vous l'écris sur-le-champ. Il m'a reçu à merveille, m'a beaucoup parlé de vous ainsi que sa femme, et m'a paru fort aise de me revoir. Il m'a trouvé en meilleure santé, le visage plus plein ; quant à lui, il a un peu mal à la gorge et même quelque fièvre, Cependant il était allé se promener, et je ne l 'ai vu qu'après avoir causé avec Mme Rousseau environ un quart d'heure. Il rentrait, et a été surpris de me voir. Je 'pars après demain par la diligence de Lion, et je crois prendre le plus court et le meilleur marché. Moins de tems en route, par conséquent moins de nourriture à paier. S'il y a quelque chose de plus pour la place, ce léger surcroit sera bien compensé par la prompti-


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lude du chemin. Rousseau m'a chargé de vous dire mille choses de sa part, ainsi que Mme Rousseau

« J'ai dit à M. Rousseau, dans la conversation, que vous donniés de la bouillie à la petite (1) Sans blâmer absolument cette conduite, il paraîtrait préférer que vous fissiez griller un peu la farine. C'est lui qui vous parle et non pas moi ; je ne suis que son interprète, rn'étant fait une loi sévère de ne jamais rien dire sur ces objets jusqu'à un certain tems. J'ai promis le silence et le garderai. Imaginés vous donc entendre Rousseau, et faites de sa remarque le cas que vous voudrés. »

M. de Sainte-Aldegonde prend, le 20 juillet, la diligence de Lyon, muni de «cent cinquante louis en or.» Des considérations d'économie lui ont dicté ce choix. « J'ai calculé le prix et le tems, et je crois qu'il est mieux de partir par la diligence de Lion. Il ne m'en coûtera guères que cent cens pour aller de Paris à Genève, et, comme j'arriverai plutôt, j'aurai la nourriture de moins à paier. On compte cent lieues de Paris à Lion et vingt-huit de Lion à Genève. Dans le vrai, il n'y a de Paris à Genève, par la ligne la plus courte, que quatre-vingt-quinze lieues, mais on ne peut la suivre, attendu qu'il n'y a point de voilure publique. » Il est a Lyon le 25, «après cinq jours de marche» et là, il attend une occasion pour Genève. «Je puis y aller en poste, en diligence ou en voilure louée. Je crois que la dernière façon est à meilleur compte. Si je pouvais trouver un cabriolet de renvoi, je le prendrais et je paierais encor moins. » Et comme il tient à ne pas manquer Gessner, il lui envoie de cette ville un mot, qu'il fait partir le môme jour.

« Comme je sçais, Monsieur, que vous allés aux bains près de Zurich pour quelques tems, et que j'ai craint que vous neparlissiés pour un païs plus éloigné, je vous écris sur le champ. Je suis en route pour Zurich, et je compte vous embrasser dans les premiers jours d'aoust. J'espère •vous trouver encor à Zurich ou aux Bains; de toute manière je vous verrai sûrement. Je voudrais pouvoir me faire des ailes pour arriver plutôt où vous êtes, si je ne craignais le sort d'Icare. Au reste mon but est bien différent du sien. Le sentiment et non l'orgueil me conduit vers vous. Jugés de mon empressement, et plaignes moi de mes délais involontaires que je brûle réparer. »

Le voyageur comptait ne rester que deux jours à Lyon; mais la difficulté qu'il eut « de s'arranger avec des voituriers pour aller à Fernei » le contraignit d'y prolonger son séjour. Il finit heureusement par en trouver un qui consentît à le mener à Ferney, qu'il atteignit le 29, après avoir « été trois jours en route. » II en avise sa femme, le 3o juillet, par une lettre qu'il lui écrit de Genève.

« Enfin me voici arrivé, mon coeur, à l'endroit de ma destination, ..... à Fernei où j'ai demandé un logement dans une auberge appartenant à M. de Voltaire. J'y ai laissé mon porte-manteau et mes affaires, et suis

(1) Sa fille, née le 26 février 1774.


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parti à pié pour Genève., où j'ai commandé une perruque, la mienne étant fort maltraitée du voiage. Je ne puis voir M. de Voltaire sans être un peu honnêtement, Madame Denis y est, dit-on, et ne la connaissant pas, je dois ne me point offrir à ses yeux dans la rigueur philosophique. J'irai ce matin un peu dans la ville, et le soir je retournerai à Fernei, où je serai quelques jours. De là, je partirai enfin pour Zurich, où vous pourrés m'adresser dorénavant vos lettres en toute sûreté. Je crois que Je reviendrai par Besançon, Vitry-le-Français, etc. Je m'informerai à Zurich de ce qui en sera et vous le manderai. Si cela est, je vous prierai de prendre dans mon secrétaire les lettres de M. Baultené, sans rien déranger cependant à l'ordre dans lequel toutes choses sont arrangées, attendu que je ne m'y reconnaîtrais plus. Outre cela, je vous serai obligé de,, m'envoier aussi plusieurs papiers volans qui se trouvent au milieu, dans le tiroir le plus bas, et qui contiennent des listes de tous les livres qui peuvent m'être utiles dans le genre philosophique ou religieux.... N'oubliez pas de parler à M. Métal au sujet de mon catalogue général et du petit catalogue particulier qui doit contenir tous les livres qui me manquent, dans quel ouvrage, de quelle édition et le quantième volume. Je reviendrai de Zurich à Paris et je pourrai complelter mes ouvrages imparfaits. On trouve sur les quais de quoi s'assortir. Adieu, mon coeur, portés-vous bien, ainsi que la petite. Je vous écrirai aussi souvent que

le tems me le permettra Ma santé est bonne, cet air est pur et j'en

suis content. »

Si la note sentimentale ne domine pas dans les lettres qu'il adresse a sa femme, le ton est tout différent dans celles qu'il écrit à J.-J. Rousseau.

« Je suis à Genève depuis ce matin », fait-il savoir au philosophe, le 3o juillet. « J'ai parcouru la ville ; j'ai vu le lac, les promenades. J'y étais venus il y a cinq ans, mais je m'en resouvénais peu. C'est un agréable séjour, autant qu'une ville peu l'être, je l'aimerais si je parvenais à.me faire illusion sur l'ingratitude de. ceux qui furent vos concitoiens ; aussitôt que je retrace cette image, l'indignation s'empare de moi et je détourne ,, les yeux.

« J'ai traversé depuis Lion jusqu'à Genève les plus touchantes horreurs. 0, que je me fixerais volontiers au pié de ces montagnes solitaires, si la conscience de ce que je dois âmes semblables, si des liens sacrés ne < retenaient mon coeur. Libre au sein de la nature; ignoré, sans rapports, je coulerais mes jours dans une contemplation tranquille, et ne dépendrais que des évènemens, Il est vrai que, peut-être, je ne pourrais soutenir cet état d'abandon absolu. Mon âme déjà affaiblie par la société 'a l; perdu son ressort et le recouvrerait difficilement. Au reste, n'y pensons plus. Me voici parmi les hommes , il faut y rester. J'ai des devoirs à remplir, je ne suis plus à moi-même, je ne suis plus homme, je suis citoien. Quelle différence.

« J'aurais voulu rapporter des livres et je ne sçais comment m'y prendre. Vous n'ignorez pas avec quelle rigueur on est visité en France; Cette


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raison m'arrête, et je n'ose me livrer à mon goût. Si j'avais quelque expédient pour me tirer d'embarras, je le saisirais bien vite, car j'ai vu ici des ouvrages qui me conviendraient beaucoup. En quelque endroit que je les veuille transporter, les difficultés sont égales.

« Je vous écris avec le même désordre, avec la même confiance que si je vous parlais. Vis-à-vis de tout autre je lierais mes idées : je vous les présente comme elles me viennent. Vous sçaurésrejetter les unes, corriger les autres, et me rendre justice en tout. A qui pourrais-je écrire ceci si ce n'est à vous ?

« Je ne sçais quand je partirai pour Zurich. Je serai quelques jours à Fernei et j'y verrai Voltaire. J'ai d'ailleurs une lettre à lui donner de la part de quelqu'un de Paris. De là j'irai trouver Gesner, et je parcourerai une partie de la Suisse. J'y ferai provision de vulnéraires et de plantes. Je ne sçaurais m'ôter de la tète que les végétaux n'aient quelque vertu médicinale. A la vérité, cette vertu, si elle existe, est dangereuse à un corps sain; niais elle peut être salutaire à un corps malade.

« Permettes que Madame Rousseau trouve ici l'assurance de mon respectueux attachement. Adieu.

« P. S. — Je voudrais savoir le nom de ce professeur dont vous parlés avec éloge dans voire Emile. S'il est encore à Genève, je l'irai voir. Je m'en informerai à tout hasard. »

M. de Sainte-Aldegonde apprit plus tard que cette lettre n'était « point parvenue à son adresse, rue Platrière », ce dont il ne s'étonna du reste pas : « Je l'avais mise à la poste par distraction. » Celle qu'il envoya le même jour à Voltaire pour lui demander une entrevue, eut un meilleur sort. Elle était conçue en ces termes : « Me voici enfin, Monsieur. II y a longtemps que je serais arrivé, mais je n'ai pu soumettre les circonstances à mon empressement. Je vous ai mandé les raisons qui m'ont empêché de partir; d'autres m'on encore retardé depuis. Jugés de mon impatience. Je vous demande votre moment, et j'espère que vous voudrés bien me le donner. Vous devés sentir, mieux que personne, avec quel désir je l'attens : les minutes sont des heures, lorsqu'on veut voir un grand homme. »

Voltaire ne voulut pas mettre sa patience à l'épreuve et l'invita, au reçu de ce billet, à venir souper chez lui. Une lettre écrite par le voyageur à « M. .Barbier de Neuville, maison neuve des Prémontrés, rue Cherche Midi, à Paris » montre comment il fut reçu par le patriarche,

« Je vous avais promis, » fait-il savoir à M. Barbier de Neuville, « de vous dire quelque chose de ma réception chés M. de Voltaire, et je vous tiens parole. Je l'ai vu avant-hier au soir [3o juillet], après lui avoir écrit quelques mots pour lui demander son heure. Il m'a fait prier sur-le-champ de venir souper et même loger chez lui. Je m'y suis rendu, et il a paru à mon arrivée. J'y ai trouvé Madame Denis et un officier du roi de Prusse. Il m'a traité avec toute l'honnêteté imaginable, sans pourtant entrer dans aucun détail. On s'est mis à table peu de momens après, et j'y ai pris


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mon lait et mes fruits. Il a été fort gai pendant le repas. En général, je lui ai trouvé une meilleure santé et moins de caprices que je ne croiais : au reste, voir un jour n'est rien. Le lendemain 31(1) , j'ai diné chés lui, mais non avec lui. Il ne dine pas, ce me semble. D'ailleurs il avait mal dormi la nuit précédente et se trouvait dérangé. Je m'en suis apperçu . dans sa manière d'être, quoique toujours très polie. J'en suis sorti de bonne heure, et j'y suis revenu le soir, il était mieux et plus ouvert. En général, il vaut mieux, à ce qu'il m'a paru, le voir le soir que le matin, du moins jusqu'à présent. Je serai encor ici un jour ou deux. Après quoi je m'en irai à Zurich, où Gesner m'attend avec impatience. Je vous écrirai plus longuement de Zurich même. Mille choses tendres à Madame Barbier et à Messieurs vos fils. Songes à votre départ pour Rieulai, et tâchés à déterminer Rousseau, si cela se peut, à revenir avec nous. Vale. »

M. de Sainte-Aldegonde paraît donc enchanté, et la satisfaction qu'il éprouve se manifeste encore dans une lettre qu'il adresse, le ier août, à Mme la comtesse de Beauharnais. « J'ai remis avant-hier votre lettre à Monsieur de Voltaire. Il l'a reçu avec reconnaissance et avec plaisir; du moins son visage en a-t-il fait foi. Vous vous y attendiez sûrement bien : c'est l'effet que doivent produire toutes vos lettres auprès de ceux qui ont le bonheur d'en recevoir. Il ne m'a point encore parlé de me donner la réponse, et cela ne m'a point étonné; il sçait que je rie repasserai plus par Fernei, et il veut certainement que vous l'aiez sur-le-champ. Du reste je l'ai trouvé bien portant et d'une humeur assez égale, autant qu'il est possible d'en juger pendant deux jours. J'ai vu chez lui un officier prussien ; c'est le seul étranger qui y soit, excepté un officier russe qui est venu hier au soir et parti ce matin. Je ne compte pas madame Denis qui y est de fondation. Je ne la connaissais d'aucune manière. Il a aussi avec lui une petite parente du grand Corneille, qui y est à demeure, suivant ce que j'imagine.

« Toutes les fois que j'irai à Fernei, je vous demanderai une lettre à porter à M. de Voltaire. C'est un titre pour être bien venu ; vous trouvères bon que je m'en serve. L'intérêt personnel fait ici son métier, et vous connaisses trop son pouvoir sur les hommes pour être surprise de ce que je dis là.

« Je partirai dans deux ou trois jours pour Zurich. Je trouverai Gesner en cette ville ou à quatre lieues. Il m'a prévenu qu'il allait prendre les bains de Baden vers la fin du mois dé juillet. Mon intention est de les prendre aussi. J'ignore le temps de mon absence, au moins deux mois, peut-être davantage : je passerai par Lausanne et je parcourerai presque toute la Suisse. J'ai vu dans ma roule des montagnes, des rochers, des solitudes. Ce spectacle a dû plaire à mon âme naturellement portée aux réflexions et au silence. Il me serait doux de passer ma vie dans ces dé serts, non pas absolument seul à la vérité, mais avec une ou deux per1)

per1) manuscrit porte, à tort évidemment, « le lendemain 3o. »


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sonnes qui pourraient partager mes transports et goûter mon genre de félicité. Le coeur s'épure dans ces retraites ; loin de la corruption humaine, il rerient par degrés à sa noblesse originaire; il est tout surpris de n'être plus ni faux, ni vain, de ne plus éprouver de la fougue des passions et de sentir le bonheur renaître en lui. Que le monde paraît vil après un tableau si touchant! Qu'il est dur après avoir été soi, de remettre un masque.

« J'aurai soin de vous chercher les meilleures herbes de Suisse. Je consulterai Gesner et, s'il m'indique un habile botaniste, je m'adresserai à lui. Je demanderai aussi des vulnéraires composés ; j'en fais peu de cas,à la vérité, mais que sçait-on? Il est peut-être quelques occasions privilégiées où elles peuvent être utiles.

« Je pense à mon retour être à Paris quelque teins. Je vous y ferai ma cour de suite, et ce ne sera pas là pour moi un des moindres agrémens que m'offrira la capitale. Votre conversation pleine de solidité et de charmes, se présente sans cesse à mon souvenir, et l'instant qui doit me la rendre sera pour moi une époque bien agréable. »

Mais le temps presse, et M. de Sainte-Aldegonde ne voudraitpas quitter Ferney sans avoir, avant son départ, un entretien plus intime, un tête-àtête, avec Voltaire. Il lui en exprime donc le désir à la date du 2 août.

« Je compte partir demain matin pour Zurich, Monsieur, pénétré de vos bontés et de la réception que vous m'avez faite. Mais vous l'avouerai-je, homme célèbre ? Il me reste encore quelque chose à désirer. C'est d'avoir avec vous, ne fût-ce que pendant un quart d'heure, une conversation particulière. Mon âme, incertaine et avide de s'éclairer, peut-elle mieux s'adresser qu'à vous, dont les lumières et l'indulgence lui sont également connues? Peut-elle mieux choisir son flambeau? peut-elle trouver ailleurs un homme plus capable de lever ses doutes, de guider ses recherches, de détruire ses erreurs ? Aies égard à sa bonne foi, et ne vous refusés point aux justes transports qui l'animent. Daignés vous prêter à son enthousiasme. Faites-moi la grâce de me repondre, de m'indiquer l'heure à laquelle je pourrai vous voir sans vous gêner; et pour vous engager davantage à vous rendre à mes désirs, songes que je suis jeune, que j'aime la vérité, que j'admire vos écrits et que j'attens vos conseils. »

A une demande présentée dans des termes si pressants, Voltaire pou. vait-il ne pas faire droit? Non, sans doule; et c'est pour ce motif que M. de Sainte-Aldegonde prolongea jusque vers le 6 du mois d'août son séjour à Ferney « Volterium vidi » fait-il savoir à M. Ballin; « de eo locuturus sum. Bene valet : plus abundat ossibus quam carne ; diaphanus penè est Ad illum statim cum advenissem, scripsi : verbaliter responsum dédit et a me petiit ut in domo suà subito irem et hospitalilatem acciperem. Octo dies fui cum illo. Solus in cubiculo intravi, et locuti sumus. »

Que se dirent-ils, et les espérances qu'avaient conçues M. de Sainte-Aldegonde ne se réalisèrent-elles pas entièrement? On serait presque tenté de le croire, en lisant la lettre suivante qu'il écrit à sa femme, des bains


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de Baden, et, dans laquelle certaines expressions semblent dénoter un mécontentement intérieur; ou, tout au moins, s'accordent mal avec l'enthousiasme dont il était rempli lorsqu'il arrivait à Ferney.

« Je ne vous ai point écrit de Ferney, mon coeur, autant que je l'aurais désiré par la difficulté d'envoierà tout moment les lettres à la poste. On ne pouvait les mettre qu'à Genève et cette ville est à deux lieues du château de M. de Voltaire ; or il aurait fallu qu'on y allât tous les jours à pié, car je n'ai point de voilure ni de chevaux; d'ailleurs, je n'y suis resté que sept à huit jours. Il faudra que la longueur de cette lettre vous dédommage de mon silence passé, si toutefois le terme dont je me sers n'est pas trop présomptueux et pour dire vrai trop fat. Au reste, vous sçavés que ce n'est point mon défaut, et que je pécherais plutôt par l'excès contraire.

« Je vous dois le récit de mon arrivée à Fernei, et de la réception qu'on m'y a fait. J'ai écrit, un jour après mon arrivée à M. de Voltaire (vous sçavés pourquoi je n'avais pas été le voir d'abord) et il m'a fait répondre verbalement qu'il me priait de venir souper et loger chès lui. Vous sentes que je n'y ai pas manqué. J'ai tiré ma révérence à Madame Denis, au Père Adam, à un officier prussien qui était là, et surtout à l'illustre cadavre pour qui je venais de si loin. Jamais momie d'Egypte ne fut si décharnée. Ses yeux seuls, ses yeux ont conservé de l'éclat. Il m'a traité à merveille, Madame Denis même s'est humanisée avec moi; le Père Adam m'a fait des salamalèques. Tout s'est bien passé. Après avoir causé quelque lems, on s'est mis à tabie ; mon fait et mes fruits étaient préparés. Je suis sorti de l'appartement à onze heures et j'ai été me retirer dans le réduit qui m'était destiné. Cette manière de vivre a continué tout le temps que j'y ai passé! Je n'ai guères vu M. de Voltaire que le soir. Il ne dîne pas, et en général le matin il travaille; j'ai, comme vous le sçavés, l'honneur de lui ressembler en cela. J'y suis resté, comme je vous l'ai dit, sept à huit jours; après quoi j'ai pris congé du vieux Appollon, de la Vénus surannée et du Père Tout à tous, et suis parti le lendemain pour Zurich.

«J'ai été 6 jours en route : il y a cinquante-cinq lieues de Fernei à Zuric. J'avais pris un voiturier de renvoi. Cet homme est Allemand et ne sçait pas un mot de français, chose charmante en voiage, qui, à la vérité, épargne à mon oreille beaucoup de bêtises, mais aussi des détails essentiels que j'ai perdus, faute d'entendre mon ange conducteur. Enfin, vaille que vaille, il m'a mené à Baden, à quatre lieues de Zuric. Arrivé là, me souvenant que M. Gesner devait aller passer quelques tems aux bains de cette petite ville, j'ai fort prudemment dépêché un gros allemand pour sçavoir si par hasard il n'y serait pas. Ce Mercure tudesque m'a rapporté qu'oui, et sur le champ ravi intérieurement de mon habileté, j'ai fait prendre au voiturier le chejnin des bains de Baden. Comme je m'en allais, Monsieur Gesner lui-même s'est offert à moi, s'est nommé, m'a embrassé, ce que je lui ai rendu de bon coeur, et m'a dit que je trouverais à me loger aisément aux bains. Je lui ai promis de le revoir dans la soirée. Il m'a


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quitté, et moi j'ai continué ma route jusqu'aux bains. Il n'y a qu'un quart de lieue de là à Baden, d'où je parlais. J'ai pris mon logement aux bains tout en arrivant, et effectivement j'ai vu le soir M. Gesner. Il joint de l'esprit à la bonhomie allemande. Nous nous en sommes déjà donné à coeur joie sur la poésie. J'ai causé avec un jeune homme de sa connaissance, qui ne m'a point paru entièrement dépourvu de lumières ni d'amabilité, j'entends ce dernier mot à ma manière.

« Je serai ici trois semaines ou environ, après quoi je pourrai bien aller droit à Paris, où M. Barbier m'a fait quasi promettre de reparaître. Son

projet est de m'accompagner ensuite jusqu'à Rieulai On ne dit rien de

nouveau; j'espère que vous vous portés bien ainsi que la petite. Le teins est beau et la chaleur est vive. Je prends les bains, j'ai commencé hier, je les continuerai quelques jours Adieu. »

C'est dans les mêmes termes, mais en se servant d'une langue différente que M. de Sainte-Aldegonde manifeste à M. Ballin la joie qu'il éprouve à vivre dans l'intimité de Gessner. Son enthousiasme ne tarde même pas à dépasser la mesure : à forée d'admirer le Théocrite allemand, il en arrive par l'effet d'une généralisation trop absolue, à attribuer à toute une race les qualités qu'il rencontre dans un individu et, par suite, à dénigrer les Français, ses compatriotes. Écoutons-le encore.

« Gesnerus optime me excepit, non lantum urbaniter, sed affectuose, melius est. 0 quam Germanorum rustica (ides vana Fraucorum proestat simulachra. Bene dicimus ipsi, bene faciunt hi; in vullu nostro, in corde illorum virtus. Cûi fit ut quo magis natio modificatiouibus, eo minus essentia valeat? Cûi fit ut decentia mores temeret? Verum est, tu scis. Romani féroces invicti; litterati, gloriam amisi sunt antiquam, Groeci rudes Persas devinciunt. ARomanis posteaeffeminati, subjecti sunt. Non scientias, litteraturam, urbanitatemque vitupero, sed dico omnia facile corripienda. Vis non mala, sed denaluratio; et de omnibus aliis dicendum

est Sacra hic vincit libertas : aperiunt animoe, adsunt homines, non

timor veritatem conterit. Gaudeo, et ego aller mihi videor ipse. Dominât respublica, fugit adulatio, transformati sunt omnes. »

Cette dernière lettre, datée du I5 août 1774, clôt la série de celles que renferme le « premier volume », qui était suivi d'un deuxième, dont nous n'avons trouvé jusqu'ici que la seconde partie commençant au 18 mars 1775.

Force est donc de nous séparer du comte de Noircarmes avant la fin de son voyage, sans qu'il nous soit donné de recueillir ses dernières impressions. Puissent du moins les quelques renseignements que nous avons cru devoir extraire de sa correspondance, surtout en ce qui concerne Rousseau, Voltaire et Gessner, avoir paru présenter un intérêt suffisant pour justifier la présente communication!.


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Du THEATRE EN LlMOUSIN AU XVIe SIÈCLE.

Communication de M. le chanoine Arbellot.

A l'époque de la Renaissance, le goût des représentations théâtrales se répandit en Limousin. Mais alors on ne représentait sur la scène que des sujets religieux, choisis presque toujours dans l'Évangile et la Bible ou dans la vie des saints. C'étaient des sermons mis en action, dont les formes dramatiques intéressaient vivement le peuple, toujours avide d'émotions et de spectacles. A Limoges en particulier et à Saint-Junien on s'intéressait vivement à ces pieuses représentations, et quelquefois, surtout dans le principe, les chanoines des deux collégiales de Saint-Martial et de Saint-Junien figuraient parmi les acteurs. Ces représentations avaient lieu surtout aux années d'ostension, où une foule immense d'étrangers accourait pour vénérer les saintes reliques.

L'ostension des reliques des saints est une coutume particulière au Limousin, à certaines époques, on montre, on expose solennellement les reliques des saints à la vénération des fidèles. Cette ostension a lieu tous les sept ans. à l'imitation de ce qui se faisait à Aix-la-Chapelle, au moyen àge(1) . C'est à partir de l'an I5I9 , que le retour septennal des ostensions a eu lieu régulièrement.

Le chapitre de Saint-Junien encourageait les représentations théâtrales par sou exemple et ses libéralités. « Le 16 juillet I5I9 (année d'ostension), on prêta tous les ornements qu'on avait aux enfants de la ville (c'est-àdire aux habitants), pour représenter le mystère de la Sainte-Hostie; on exempta même de l'assistance au choeur tous ceux qui voulurent y jouer, et on donna aux acteurs un écu d'or au soleil » (qui valait alors deux livres) ( 2)

Deux ans plus tard, en I52I, on permit aux chanoines de Saint-Junien d'aller à Limoges pour voir jouer le mystère de la passion, « il y avoit plusieurs années, dit le P. Bonaventure, qu'on avoit pris la coutume à Limoges de représenter sur des théâtres, sous les arbres de Saint-Martial, des histoires saintes qui excitoient le peuple à dévotion. Or celte année I52I, le 2* dimanche d'aoust, I I e jour du moisson commença à représenter en figure le Mystère de la passion de Noire-Seigneur Jésus-Christ, avec solennité et magnificence, durant les fêles jusqu'au second dimanche de septembre. Le sieur Fouschery, chanoine de Saint-Estienne, qui y assista, assure que les vestements, joyaux et autres choses nécessaires à ces Actes furent si riches et si précieuses, que plusieurs Parisiens, Poitevins, Xaintongeois, Tolosains, Lyonnois et autres qui en furent les spec(1)

spec(1) In urbe Aquensi, décima quinta die julii, cum populo sacrai monstrarentur reliquiaa, prout septemnium semel consuevil fieri. etc. {Chronicon, Cornelii Zantfliet; ap. Martenne, Ampliss. Collect.. », t. V, col. 446.)

( 2) Nadaud, Mém. mss., t. IV.


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tateurs, seigneurs, nobles, hommes et femmes confessoient unanimement qu'on n'avoit jamais vu rien de plus magnifique. Maitre Antoine de la Chassaigne, Limosin, recteur de Villeréal, licencié endroit, homme docte et dévot, représenta en ce Mystère la personne du Sauveur avec grande piété et humilité M. »

On trouve quelques autres détails sur cette représentation dans les Registres consulaires de Limoges.

« Item aussi est à noter que aucuns noctables personnages, comme gens desglise, consulz, bourgeois, marchans et auctres gens, ayans bon zel au fait politique, et pour augmenter la foy catholique, deliberarent, en lan dessoult escript, se jouver par représentation de personnages la aspre passion de Nre Salveur Jésus Cript. laquelle fui jouve auetenliquement et moult richement, et commansa le second dimanche daoust l'an mi lVeXXj, et finit le second jor de septembre. Lequel mistere fut jouve en la place communément nommée Dessoult lez Arbres, e les escbaffaulx furent fait fort sontueuzement et richement, tous couvers de toillez, lesquieulx constarent,comprint les faintes qui estoient à se fere nécessaires, environ troys mil livres tournoys ; et fust faict appoinctement entre mesdisst£ lez consulz et révérend père en Dieu Mons I'abbe de sainct Martial, frère Albert Jouvyont et ces religieux touchant le différent qui pouroit advenir de lexercice de la justice durant ledit mistere, lequel fust passe par nre graffier criminel, maistre Marcial Bardin; et audit mistere joua Dieu M. de Villeréal, et Nostre Dame joua Eslienne Baud(2). »

Ainsi ces représentations durèrent 22 jours, depuis le dimanche n août jusqu'au lundi 2 septembre. 5

Nous ne savons si, à l'ostension de I526, on donna quelques représentations théâtrales : nous n'en avons trouvé aucune trace. Mais sept ans après, en I533, on représenta le mystère de Sainte-Barbe et de Théophile, comme nous le voyons dans les Registres consulaires de Limoges : « pour amplier et décorer lesdites ostensions et esmouvoir le peuple à dévotion, furent joués par grand appareil le mystère de sainte Barbe et de Théophile, par personnages, durant IX journées ( 3) »

Le P. Bonaventure reproduit le fait en ces termes : « La coutume, qui s'étoit introduite de célébrer tous les ans(?) quelque histoire des saints pour exciter le peuple à la dévotion et piélé, continua cette année (i533), en laquelle on représenta la passion de sainte Barbe(1) »

Six ans plus tard (1539), c'est un libraire (bibliopola), nommé Claude Cheyrou, qui demanda au chapitre de Saint-Martial l'autorisation de faire représenter une pièce dans le cimetière (devenu plus lard la place de Dessous les Arbres), comme nous le voyons par les lignes suivantes,

(') P. Bonavent, t. III, p. 754(*)

754(*) consulaires de Limoges, t. I, p. 108.

( 3) Registres consulaires, t. I, p. 226.

Cl P. Bonaventure, t. III. p. 764.

HIST. ET PHILOL, 16


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que l'abbé Legros avait tiré des Actes capituiaires de l'église de SaîntMarlial, fol. 3, recto).

« Le 10 février de celle année I538 ( vieux style), Cheyrou demanda au chapitre de Saint-Martial la permission de faire représenter (sans doute dans le cimetière, aujourd'hui la Place des Arbres), le spectacle ou moralité de l'Enfant prodigue, ce qui lui fut accordé, à condition qu'il n'y aurait ni ne s'en suivrait aucun scandale ( 1) »

En I54o (année d'ostension), les représentations théâtrales eurent lieu à Limoges et à Saint-Junien, l'Assomption de la Sainte-Vierge et la Passion de Jésus-Christ. Mais la représentation de Jacob, à Limoges, donna lieu à divers incidents que rapporte le P. Bonàventure, et qui empêchèrent de jouer le mystère de Job, qu'on avait préparé.

« L'an I54o, dit cet annaliste, le 28 d'avril on fit l'ostention du chef de saint Martial et des autres saints du Limosin. Elle dura jusqu'au pénultième jour de may, et tout ce temps fut fort doux et serein. Ceux qui avoient coutume chaque année de représenter sur le théàlre quelque histoire sainte pour réjouir le peuple et l'exciter à dévotion commencèrent leur jeu sur celle de Jacob, sous les arbres, au jour delà pentecose,quoy que le peuple y répugnât (à mon avis, à cause de la solennité de ce jour, qui exigeoil l'assistance aux divins offices).

Cependant le temps se changea, les tonnerres grondoient dans l'air, et le peuple courut à Saint-Pierre pour sonner les cloches et dissiper cet orage. Le lieutenant criminel et le juge de la ville allèrent pour faire cesser celte sonnerie, ce que le peuple ne voulut faire. Le samedy après, on représenta cet acte, et on acheva tout au sarhedy suivant. Il y eut grand tonnerre le mardy prochain, et il tomba une gresle si furieuse, que des trois quarts des vignes, les deux en furent frappées, et devindrent sans feuilles co mme à Noël quoy qu'elles fussent bien avancées ; et dans quelques paroisses les herbages furent aussi fracassés par cette tempesle, qui dura dix jours, et à diverses reprises, gâtant tantôt une paroisse, tantôt une autre du Limosin; et on oyoil les diables heurler en l'air comme autheurs de ce ravage. En la paroisse des Eglises tomba une pierre plus grosse qu'un baril, et entra dans la terre à la profondeur de deux aulnes, laquelle on tira avec des barres de fer : il y eut d'autres pierres de gresle de là grosseur des oeufs. La populace, croyant que ces représentations susdites estoient la cause de ces malheurs, empêchèrent ces acteurs déjouer l'Histoire rie Job, qu'ils avoient préparé (2). »

Les choses se passèrent avec plus de calme à Saint-Junien. Nous avons lu dans les Mémoires manuscrits de l'abbé Nadaud :

« En 1540, le Chapitre de Saint-Junien permit à deux chanoines de représenter le mystère de l'Assomption de la sainte Vierge. Au mois de mai

1') Journal de la Haute-Vienne, 1808, p. 217. — Bulletin archéologique dii Limousin, t. XI, p. 239. (») P. Bonavent., t. III, p, 769.


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de cette année, on exempla de l'assislance au choeur ceux qui voulurent, représenter le mystère de la Passion (1). » L'affiuence des étrangers qui vinrent à l'ostension des reliques devait rendre ces représentations plus brillantes ou du moins plus nombreuses.

A l'ostension suivante (1547), il n'y eut pas de représention à cause de la peste, qui fit périr à Limoges et aux environs six à sept mille personnes, comme nous le voyous par le passage suivant des Registres consulaires : « En l'an mil cinq cens quarante sept, tant en l'an précédent que durant ledict temps, moururent en ladicle ville, faulx bourgs, cité et autres lieux adjacents, le nombre de six à sept mille personnes, desquelz Dieu veuille avoir les âmes (2) . »

L'ostension des reliques eut lieu sept ans après, en I554 : mais « en cette oslension, dit le P. Bonaventure, on ne fit aucuns jeux, le peuple étanlafffigé à cause des subsides imposés par le Roy, et que, durant celte ostention, les gend'armes gascons et basques passèrent par trois fois dans le pays (3). »

La coutume était tombée, mais pas d'une manière définitive, car, même dans notre siècle elle s'était relevée : aux ostensions de 1820 et 1827, la corporation des bouchers (confrérie des pénitents Rouges) donnait un spécimen de la Passion : le Christ portant, sa croix tombait sous les coups des bourreaux : Véronique s'approchait et essuyait avec un linge la face ensanglantée du Sauveur. Nous-mème, aux ostensions de I849 et de I854, nous avons vu représenter le drame en vers du martyre de sainte Félicité, où figuraient, avec l'empereur romain et l'impératrice, sainte Félicité et ses sept enfants (4). »

RESTITUTION ET INTERPRÉTATION DON TEXTE LAPIDAIRE DU XVIIIe SIÈCLE, RELATIF A LA BATAILLE DE BOUVINES.

Communication de M. Guesnon.

La vieille porte intérieure du bastion de Saint-Nicolas, à Arras, portait jadis, à son double frontispice, une inscription en prose latine du côté des champs et une inscription en quarante-deux vers français du côté de la ville.

Celte dernière serait la plus ancienne inscription lapidaire en langue

(1) Nadaud, Mém., ms., t. IV.

(2) Registres consulaires de Limoges, t. I, p. 4i3.

( 3) P. Bonaventure, t. III, p. 776.

(4) C'est à tort que M. Leymarie, dans son Histoire de la Bourgeoisie, t. 1, p. 307, appelle ce drame « La famille du Machabée », « ou La mère des sept enfants. »


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romane que l'on connaisse. L'une et l'autre remontent à la construction de la porte, contemporaine de la bataille de Bouvines; elles ont pour objet de perpétuer la date de cette construction avec le nom de l'architecte, maître Pierre de l'Abbaye.

De l'inscription latine, je n'ai qu'un mot à dire, c'est que la première transcription qui nous en soit parvenue n'appartient pas, comme on le croit, à Ferry de Locre : elle avait été relevée plus d'un demi-siècle auparavant par Denis de Bersacques, échevin d'Arras, puis trésorier de Charles d'Artois de I545 à I555, auteur d'une chronique encore inédile que l'auteur du Ghronicon Belgieum cite à chaque page (sous la rubrique Bersacius).

Quant à l'inscription romane, copiée d'abord en partie par Ferry de Locre, publiée d'une manière plus complète par Floris vander Haer, l'historien des châtelains de Lille, elle a été maintes fois reproduite, notamment par M. Victor Le Clerc qui lui a consacré plusieurs pages dans le XXIIIe volume de l'Histoire littéraire de la France.

M. C. Le Gentil a résumé ces divers travaux dans la Statistique monu' mentale du Pds-de-Calais, publiée par la Commission des monuments historiques, t. III, 6e livraison, p. 3 (1880). On y trouvera les textes dans leur disposition épigraphique, telle que nous l'a conservée Floris vander Haer.

Mais il s'en faut que tout soit facile à expliquer dans celte transcription plus ou moins fidèle du xvne siècle ; la preuve, c'est que le savant doyen de la Faculté des lettres de Paris a vainement essayé d'en éclaircir les obscurités.

La première difficulté porte sur la désignation des deux empereurs mentionnés sous les noms d'Oton Oteuns ; l'un, celui de Bouvines,

Oton, li faus empereor,

l'autre, bien antérieur, qui, en 978,

Fu desor Aisne desconfis Oteuns, emperère molt fiers.

Parlant du dernier, Floris vander Haer fait l'Observation suivante :

« Oteuns ne se doit prendre pour Otte le premier, car cet empereur Otto fu le deuxiesme de ce nom ; et partant ce mot Oteuns se doit entendre de Otte qui estoit un empereur moult fier. »

Sur quoi Victor Le Clerc remarque que « l'observation de vander Haer éclaircit peu le texte. »

Assurément, l'observation pourrait être plus claire ; cependant, je m'étonne qu'elle n'ait pas suffi à mettre sur la voie un esprit aussi sagace que celui du savant doyen.

En effet, lorsqu'il avertit le lecteur de ne pas interpréter Oteuns par Othon premier ( Ote uns) puisqu'il s'agit ici d'Othon deux, le chanoine de ; Lille donne, en la rejetant et sans s'en douter, la vraie leçon de ce pas-


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sage, car on doit lire et écrire en deux mots Ote uns, mais en transposant la virgule, et alors tout s'éclaircit :

Ote, uns emperere molt fiers.

C'est .à quoi n'ont songé ni vander Haer ni Victor le Clerc; la correction était cependant des plus simples.

Je passe à l'autre Othon (IV), celui de Bouvines.

Parmi les comtes qui suivaient sa bannière, l'inscription cite un comte de Lus :

Et li quins fu li quens de Lus

M. Le Clerc pense qu'on peut reconnaître dans le personnage soit le comte de Loss, soit le comte de Lollande sous le titre accessoire de comte de Loos.

Mais d'abord l'identification des formes Loss et Loos avec Lus ne s'impose pas; ensuite, l'incertitude avec laquelle elles sont présentées prouve que l'hypothèse manque tout autant de base historique que de vraisemblance philologique. On est donc autorisé à chercher autre chose. - La Chronique de Flandres, éditée en I562 par Denis Sauvage, d'après un texte très ancien, nomme parmi les compagnons d'Olhon IV à Bouvines, « le comte palatin du Rin. » Mais une note à la marge nous avertit que le texte original portait « le comte pelu du Rin. » C'est d'après J. Meyer que l'éditeur a substitué palatin à pelu. Plus loin, ce même comte pelu figure au nombre des prisonniers.

Une autre chronique manuscrite du temps de Philippe-Auguste, récemment découverte en Angleterre par M. L. Delisle et achetée par la Bibliothèque nationale, est venue fort à propos, grâce à la bienveillante communication de noire savant compatriote, confirmer sur ce point mes premières suppositions. Cette chronique en effet, que la Chronique de Flandres reproduit textuellement dans un grand nombre de passages (1) , mentionne parmi les compagnons d'Othon « uns cuens d'Alemaigne que on apeloit le conte velu. »

D'après cette double leçon, je pense que le comte DE Les de l'inscription n'est antre que le comte PELUS et qu'on peut, sans témérité, corriger ainsi la lecture du vers inexpliqué :

Et li quins fu li quens pelus

Il s'agit évidemment là de ce Raugrat, que Guillaume le Breton a ainsi désigné dans un vers de la Philippide (2) :

(1) Voyez les extraits de cette chronique publiés dans Notices et extraits des manuscrits, t. XXXIV, part. I, p. 385.

(2) L. X, vers 409. Voyez la note que M. François Delaborde a insérée sur ce vers dans l'édition de la Philippide puhliée par la Société de l'histoire de France, p. 298.


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Et comitem quem Theutonici dixere Pilosum.

Pour ne pas allonger démesurément celte note, je passe sur la resti-, tution dé certaines formes orthographiques afin d'arriver plus vite à la chronologie du document..

Voici le passage à éclaircir, tel qu'il est imprimé dans l'Histoire littéraire de la France, XXIII, 434.

Advint ceste chose certaine El mois de juil une depmaine, v j ors devant aoust entrant, Et droit XXXVI ans devant, Ces x jors mains avec I I mois Fu primes coroné li rois;

Et III ceus (ans) devant et vi Eu desor Aisne desconfis Oteuns, emperere molt fiers Si le venqui li rois Lohiers.

Après avoir constaté que la date de la bataille de Bouvines, 27 juillet 1214, est clairement indiquée dans les trois premiers vers. M. Victor Le Clerc commente ainsi ceux qui suivent.

« Si le dernier vers transcrit par Ferré de Locre veut dire, comme il y a lieu.de le croire, qu'il y-avait jusle trente-six. ans que ces .événements, s'étaient passés, il faut en conclure que c'est seulement en 1260 que fut rédigée cette inscription. » Et plus.loin .

« Si les notes numérales de cette seconde date sont exactes, elles sembleraient désigner l'année 1284, et il serait possible, ou que toute la pièce fût de cette année, ou que les quatre derniers vers eussent été. ajoutés trente-quatre ans après les .premiers. »

Comme on le voit, le savant doyen ne conclut pas, il abandonne aux lecteurs le choix entre ces diverses hypothèses et le soin de les concilier avec l'objet que dut se proposer l'auteur, ou du moins l'inspirateur de, cette double inscription, qui ne saurait être que maître Pierre de l'Abbaye, architecte de I2I4.

L'explication suivante nous paraît à la fois plus simple et plus vraisem-, blable.

Les chiffres de l'inscription ont été transcrits d'une manière inexacte; ces notes numérales sont des synçhronismes de la bataille de Bouvines.

L'un donne le rapport chronologique existant entre lé 27 juillet I2I4 date de cette bataille, et le couronnement du roi, 29 mai 1180 : différence trente-quatre ans et deux mois, moins deux jours.

L'autre rapporte, à la date de cette même bataille celle de la défaite d'un autre Othon sur l'Aisne par Lolhaire et Hugues Capet, en 978, différence : deux cent trente-six ans.




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Voilà, si je ne me trompe, ce que rappelle l'inscription. On a additionné, il fallait soustraire en rectifiant certains chiffres.

Nous croyons donc pouvoir avec une certitude absolue quant au sens, et une approximation littérale suffisante, restituer ainsi les derniers vers :

Et droit XXXVI ans devant Et droit XXXIV ans devant,

Ces x jors mains avec II mois Ces II jors mains avec II mois,

Fu primes eoroué li rois; Fu primes coronés li rois;

Et III cens (ans) devant et vi Et n cens xxx avant et v1 (1)

Fu desor Aisne desconfis Fu desor Aisne desconfis

Oteuns, emperère molt fiers, Ole, uns emperere molt fiers

Si le venqui li rois Lohiers Si le venqu? li rois Lohiers.

Le dérasemenl prochain du bastion, s'il nous rend ce précieux texte lapidaire enfoui sous le lerre-plein-lors du siège de 1640, aura du moins pour nous cet avantage, qu'il nous permettra de vérifier l'hypothèse. Si légère que soit cette compensation, en présence des regrets que nous cause le parti pris de ne pas laisser debout le moindre souvenir historique rie ces vieilles murailles, il faut pourtant reconnaître qu'au point de vue du perfectionnement des méthodes, la démolition à outrance peut avoir ses avantages : en archéologie, comme en médecine, le meilleur critérium du diagnostic, c'est l'autopsie.

Quand la note qui précède fut communiquée à la Commission des Monuments historiques, le bastion était encore debout. Depuis lors, la démolition a achevé son oeuvre, et nous avons été déçus dans notre dernière espérance, celle de retrouver sous le terre-plein la vieille porte et son inscription; les remaniements successifs opérés de ce côté du rempart en avaient depuis longtemps consommé la ruine.

Seule, une des deux tours rondes en grès qui flanquaient la porte émergeait encore de sept mètres; c'était une relique à conserver, on s'est empressé de la démolir, comme d'ailleurs tous les autres souvenirs historiques du passé militaire d'Arras, dont pas un n'a trouvé grâce devant le parti pris municipal.

De l'inscription, nous n'avons sauvé qu'une pierre et un fragment noyés dans les décombres. Cette pierre, provenant des assises calcaires qui forment le sol même du bastion, porte, en capitales et onciales mélangées, les deux premiers hémistiches des quinzième et seizième vers : .

SI -: ERT ; DE : VEGIER DESIRANS LI UNS : OT ; NOM LI CVENS FERRANS

La séparation des mots est indiquée par trois points symétriques en ligne verticale (2) .

(1) Ou : Et u cens devant XXX et VI (2) Voir la planche ci-jointe.


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L'autre fragment, beaucoup moins important, présente les deux groupes superposés, NK et CV. Ils appartiennent évidemment aux vingt-troisième et vingt-quatrième vers :

SI ERT DE TI NK ENEBORC SIRE L IQUARS FU CV ENS DE SALESBIRE

Ces caractères, gravés en creux, ont de om,it à om,I2.

Quant à la pierre, elle mesure om,6o de long sur om,35 de haut, avec une épaisseur de 0m,20.

D'après ces dimensions, il devient facile de rétablir exactement celles du frontispice. Nous savons en effet par Floris vander Haer que les quarante-deux vers de l'inscription étaient répartis dans quatre colonnes de dix vers chacune, surmontées des deux premiers vers en une seule ligne formant titre. Or, une pierre pour deux hémistiches suppose, par chaque colonne de dix vers, un double rang de cinq pierres juxtaposées, en tout quarante pierres semblables à celle que nous possédons. D'où l'on peut conclure que l'inscription couvrait une surface de 4m,8o sur une hauteur de Im,75, sans y comprendre le titre, non plus que la moulure dont elle devait être encadrée.

Et maintenant, qui dira ce que toutes ces pierres sont devenues, celles de l'inscription romane comme celles de l'inseription latine, qui n'a pas laissé la moindre trace? Comment se fail-il que ses ruines mêmes aient péri? On comprend qu'à défaut de mesures conservatrices, plus d'un de ces précieux débris ait pu être jeté pêle-mêle avec les autres moellons dans les tombereaux des remblais. Ce soupçon, que malheureusement toutes les vraisemblances autorisent, ne saurait cependant s'appliquer à la disparition en bloc de matériaux aussi considérables que ceux des deux monuments. On est donc amené à conclure que leur anéantissement remonte plus haut, sans qu'on en connaisse l'auteur, ni qu'on puisse en préciser l'époque. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'à Arras le vandalisme ne date pas d'hier, et qu'ici, comme partout, les niveleurs se suivent et se ressemblent.

L'IMPRIMERIE A ALENÇON DE 4529 A 1575 Communication de Mme Gérasime Despierres.

Nous n'avons, à cette session, que l'intention de faire connaître les documents relatifs à l'établissement de l'imprimerie à Alençon de 1529 à I575.

Des libraires étaient établis dans cette ville antérieurement à cette date. Louis Gaumer, demeurant à Alençon, est l'un des libraires mentionnés à


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la fin d'un « Manuale ad usum sagiensem », imprimé en I5I5, à Rouen, chez Martin Morin, et dont il existe un exemplaire dans la bibliothèque du grand séminaire de Séez.

Le 14 février I52I, « Loys Gaulmier, libraire, bourgeois d'AIençon, reçut de Michau Letort, libraire, natif de la paroisse de Montigny (1) près d'AIençon, et de Mariette, sa femme, la somme de trente livres à cause de livraison de libvres de librairie. »

Le 19 octobre I53o, Loys Gaulmier, libraire, prenait comme apprenti pour un an Jehan Girouard, « fils de Guillaume Girouard, teinturier, pour luy apprendre son mestier de libraire. » (Tabell. d'AIençon.)

Louis Gaulmier fit construire, en I535, une maison près le pont du Guichet'-). Il fait marché avec « Guillaume Hérisson, cherpentier, de la paroisse de Saint-Pol-Le-Vicomte(3), pour luy fournir le boys d'une maison de la longueur de vingt-sept piedz 1/2 et de la largeur de vingtcinq piedz. »

Louis Gaulmier était décédé avant le 21 juin I554 ; à cette date, « Richard Gaulmier, libraire, demeurant à présent au Mans, fils de déffunct Loys Gaulmier, vend à Pierre Bonvoust et Suzanne Gerveseaulx, sa femme, une portion de maison assise sur la grant rue d'AIençon et joignant l'allée du Gravier ...»

Il eut encore pour fils Guillaume Gaulmier, libraire à Alençon en I562. Le 21 octobre I562, « Guillaume Gaulmier, bourgeois d'AIençon, époux de Pasquière Hébert, vendit à Claude Guyon, et Ysabeau Gaulmier, sa femme, soeur dudit Guillaume, une pièce de terre. En présence de Pierre Lasne, libraire à Alençon. »

Claude Guyon était libraire à Alençon avant 1662. Le 25 novembre, Ysabeau Gaulmier, sa femme, lui donnait ce jour « une procuration pour la choisie des lots de deffuncte Robine Fresnel sa grand-mère. »

Pendant plus d'un demi-siècle, les Gaulmier ou Gaulnier ont donc été libraires à Alençon.

Le 29 avril I533, Jehan Lasne, libraire, demeurant à Alençon, s'obligeait « de payer à Loys Gaulmier la somme de quinze livres pour et à cause de vendicion de denrées et marchandises de librairie. Es présence de Raulin Heurtault et Jehan Louvel. »

En I543, le 16 juillet, « Guillaume Lepaige, libraire, louait de Pasquier Taulpin, marchand, bourgeois d'AIençon, une partie de maison sise en cette ville d'AIençon près la porte de la Barre. » II avait épousé Jacquine Boullant. Le 6 juin I556, ils habitaient la ville de Fougères en Bretagne et vendaient à Marc Boullant « la tierce partie d'une maison. »

Pierre Lasne, libraire, bourgeois d'AIençon, marié à Marthe Beuschet,

(1) Montigny, commune du département de la Sarthe, arrondissement de Mamers, canton de Fresnay-sur Chedouet. (2) Pont jeté sur la rivière de Briante dans la Grande-Rue. (3) Saint-Pol-le-Vicomte.


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achetait, le 17 février I55o, une maison située « sur la grant rue joignant

d'un costé la rue de la Posterne » Elle lui fut vendue par Henri Lasne

et Catherine Le Fevre sa femme. Pierre Lasne signait encore à Alençon un acte de I565.

Tous les actes concernant ces libraires (car ils ne semblent pas,avoir, exercé d'autre profession) ne nous les ont jamais fait connaître comme imprimeurs.

Jusqu'à présent, aucun document de nature à démontrer d'une façon absolue que l'Imprimerie était établie à Alençon dès la première moitié du XVIe siècle, n'a été publié.

Il est vrai cependant que sur un « Traité du summaire de toute médecine et cirurgie par Jehan Goevrot médecin de François 1er et de Marguerite d'AngouIème. » édité en I53o(1), et sur le: Miroir de lame pécheresse de Marguerite d'AngouIème,édile en I53I et en' I533, nous voyons figurer le nom de Simon Dubois le premier imprimeur connu, installé à Alençon. (Brunet, Manuel du libraire).

Si nous consultons le Dictionnaire de Lottin nous voyons un Simon Dubois, Imprimeur à Paris de I525 à 1529. et nous trouvons à son actif, dans divers catalogues, les ouvrages suivants :

I525. — Novum lestamentum galliee, ex versione Jacobi Fabri Stapulens. Parisiis apud Simonem du Boys I525 (Panzer, Annales typographiques, t. VIII, p. 92. d'après Mettairie ). — Le seul exemplaire connu est à la Bibliothèque de Genève, n° 806 B. b.

M. A. L. Herminjard signale, reliés à la suite du Nouveau Testament, trois traités d'Erasme qui sortent également des presses de Simon Dubois ce sont

Déclaration des louanges du mariage ; — Brefve admonition de la manière de prier ; — Le Symbole des Apostres et la complainte de la paix

Les Épistres et Évangiles pour les cinquante deux semaines de l'année de Le Fevre d'Etaples parurent aussi en I525 (3).

(1) Il nous a été impossible de découvrir un exemplaire de ce traité' provenant des presses de Simon Dubois. M. A. Claudin à bien voulu nous prêter un de ces ouvrages rares; son exemplaire est sans lieu ni date. Il porte, il est vrai, la main indicatrice employée quelquefois par Simon Dubois, mais quelques lettres diffèrent de celles que notre imprimeur mettait dans ses autres livres : on ne peut donc pas lui attribuer ce volume.

(2) Bull. hist. et lilt. de la Société de l'Histoire du protestantisme français, n° 9, année I888.

( 3) M. N. Weiss, dans son intéressant travail sur la littérature de la réforme française qu'il publie dans le Bull. hist. et lilt. de la Société de l'Histoire du protestantisme français, cite ces épistres et évangiles. Nous ferons à cet auteur divers emprunts que nous signalerons; mais nous tenons ici à remercier M. Weiss de l'extrême obligeance qu'il a eue pour nous au cours des recherches que nous avons faites à la bibliothèque protestante; nous lui savons


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I525. — Trailez singuliers contenus au présent opuscule. — Les trois comptes intitulez de Cupido et de Alropos dont le premier fut inventé par Séraphin poête Italien . — Le second et tiers de linvention de maistre Jehan Le Maire, et a este cet oeuvre fondée affin de retirer les gens de folles amours. — Les epitaphes de Hector et Achilles, avec le jugement de Alexandre Le Grand, composées par Georges Cbaplain dit laventurier. — Le temple de Mars faitet composé par J. Molinet. — Plusieurs chants royaulx Balades Rondeaux et épistres composées par feu de bonne mémoire Maislre Guillaume Crétin, nagueres chantre de la Saincte Chappelle du palais. — Lapparition du feu Maréchal de Chabânes faicte et composée par le dit Crétin.

Il se vend a Paris en la grant salle du palais en la boutique de Galliot du pré. — Avec privilège du 8 février I525. Bibliothèque de l'Arsenal. Le recueil de la Bibliothèque Nationale, cote Ye 1256 réserve. est incomplet à partir des cahiers Lr.

1527. —Notables enseignemens, adages et proverbes faitz et composez par Pierre Gringoire dit Vauldemont herault d'armes de hault et puissant seigneur Monsieur le duc de Lorraine, nouvellement imprimez à Paris avec privilège du roy notre sire. — On les vend en la grant salle du pallais au premier pillier, en la boutique de Galliot Du Pré marchant libraire juré de luniversité. — A la fin du livre : (pl. IV) « Nouvellement imprimez à Paris p. maistre Simon Du Boys, el furent achevez d'imprimer le premier jour du mois de febvrier lan de grâce mil cinq cens vingt et sept ». Petit in-8° goth. de 68 ff. (Bibliothèque Nationale, cote Ye, 1328 réserve).

L'impression du titre seulement est faite aux encres rouge et noire. Au verso du second feuillet est une gravure sur bois avec la Croix de Lorraine a droite. Elle représente Gringoire offrant son livre au roi, assis. Dans le fond, un jardin avec une ruche et des abeilles voltigeant autour.

1027. — Seneque. Les motz dorez des quatre vertus cardinales composé par maistre Claude de Seissel.

Imprimé à Paris par Simon Dubois pour la veufve de Antoine Vérard le 20 avril 1627. Petit in-8° goth. (Brunel, Manuel du libraire, v. 281).

1527.—Chantz royaulx. oraisons et autres petitz traitez faitz et composez par feu de bonne mémoire Maistre Guillaume Crétin en son vivant chantre de la Saincte Chappelle royale à Paris et trésorier du bois de Vincennes.

Avec privilège.

On les vend à Paris en la grant salle du pallais au premier pillier en la boutique de Galliot Dupré, marchand libraire juré de luniversité. — Le litre seulement est imprimé aux encres rouge et noire; nous avons souligné, tous les mots imprimés en rouge. In-8° goth de 188 ff. non compris 8 f. préliminaires.

gré également d'avoir mis à notre disposition six clichés des planches qu'il avait reproduites dans son Bulletin.


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Les chants royaulx, oraisons et autres petits traités se trouvent reliés avec les Traitez singuliers dont nous avons parlé plus haut et portent le même n° d'inventaireà la Bibliothèque Nationale (Ye 1256). Sur le feuillet qui suit le privilège nous avons relevé la lable des traités contenus dans le volume des chants royaulx; elle est ainsi conçue :

Premièrement | chants royaulx | ballades | et rondeaulx au feuille premier II-III à XVII.

Orayson à Nostre dame de Lorette, f. XVIII. Orayson sur la salutation angélique, f. XVIIII. Orayson à Saincte Geneviève, f. XXVI.

Déploration sur le trespas de feu Dhergan, trésorier de Sainct Martin de Tours, f. xxvn. Complaincte sur le trespas du feu viconte de Falaise, f. XXXVI Le débat des deux dames sur le passetemps des chiens et oyseaulx, f. L. L'apparition du feu mareschal de Chabannes, f. LXXIX. Le plaidoye de l'amant doloreux, f. cv. Le pastoral sur la nativité de monseigneur le Dauphin, f. cxi. Invective contre les gens d'armes français, f. cxx. Epistre au roy Charles huytiesme, f. CXXVI. Epistre au roi Louis douzième, f. CXXIX. Epistre au duc de Valoys à présent roy, f. cxxx. Troys épistres au roy François, f. CXXXII.

Epistre à la royne de Navarre au nom de la royue d'Angleterre, f. CXXXVI. Epistre aux Bourguignons et Flamengs, f. CXLII. Epistre à feu monsieur l'admiral, f. cxt/v. Deux épistres a Jacques de Bigne, f. CXLVI. Epistre à maistre Macé de Villebresme, f. CXLIX. Deux épistres à Honorât de la Jaille, f. CLIII.

Quatre épistres à maistre François Charbonnier,, vicomte d'Arqués, f. CLVII. Epistre à Christofle de Refuge, f. CLXXI. Epistre à une dame de Lion, f. CLXXII. Epistre à Monseigneur l'évesque de Glandesves, f. CLXXV. Deux épistres à Jehan Martin Célestin, f. CLXXVM. Epistre à la contesse de Dampmartin, f. CLXXXIIII. Translation du chant de misère, f. CLXXXVI. Invective contre la mort, f. CLXXXVH et se termine au f. 188.

Les chantz royaulx sont précédés d'une dédicace à « très hault et | tres puissante princesse | et dame la royne de Navarre | duchesse de Berry D'alençon | et comtesse Darmegnac, et du Perche | honneur | joye | sante | et longue prospérité, par son très humble et obéissant et ancien serviteur François Charbonnier.

1527. — Rondeaulx en nombre trois cent cinquante, singuliers et à tous propos composés par Pierre Gringoire.

Nouvellement imprimez à Paris , à la fin : « Imprime à Paris par

Maistre Simon du bois pour Galliot du pré le vingtième jour de may mil


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cinq cens vingt et sept. » Petit in-8° goth. de 6 et CXij ff. (Brunet, 1328, Manuel du libraire).

1527. — Hore in laudem beatissime Virginis Marie, secundum consuoludinem Ecclesio Parisiensis. Vénales babentur Parrhisiis | apud Magistrum Golafredum Torinum Biturigicum : sub insigni Vasis effracti : Gallico sermone. Au pot cassé.

Ces Heures de la Vierge à l'usage de Paris sont précédées d'un almanach ou table des pâques pour les années (1528 à 1548). Un calendrier pour les douze mois de l'an y fait suite.

L'éloge des Heures que Geoffroy Tory, peintre, graveur, etc., fit imprimer par Simon Dubois en 1527 n'est plus à faire. On y voit vingt-six encadrements composés dans le goût dit à la moderne. Les cadres sont des

arabesques formées de plantes, d'insectes, d'oiseaux, d'animaux Dans

le bas des feuilles FF couronné de François Ier et la salamandre, L couronné de Louise de Savoie, ses armes, sa cordelière de veuve. L'H et l'M de Henry d'Albret et de Marguerite d'AngouIème. Treize grands sujets au trait sont intercalés dans le texte. Il est difficile, dit Auguste Bernard, de pousser plus loin l'amour de l'harmonie artistique.

Ces Heures magnifiques sont conservées à la Bibliothèque Nationale, cote B 2942, réserve.

La souscription finale est ainsi conçue : « Ces présentes Heures à l'usage de Paris... furent achevées d'imprimer le vingt deuxiesme jour d'octobre mil cinq cens vingt sept, par maistre Simon du Bois, imprimeur, pour maislre Geofroy Tori de Bourges. »

1527. — Hore secundum ritum Ecclesiae Romanae. Impresse Parisiis arte magistri Symonis Sylviis impressoris ere ac impendia honesti viri Patri Roffet 1527. — Sequuntur suffragia plurimorum sanctorum et sanctarum.

Ces deux ouvrages reliés en un seul volume (petit in-8° goth.) se trouvent désignés dans le catalogue n° 28 de l'année 1891, librairie Techener.

1528. :— Rhazes de ratione curandi pestilentiam e Groeco in latinum versus per Georgium Wallam. — Item Alexander Benedictus Veron de Peslilenti Febri 1528, in-4 goth. — D'après une note inédite de Mercier de Saint-Léger, qui nous a été communiquée par M. A. Claudin (1).

1528. — La théorique des cielz | mouvemens | et termes practiques des sept planètes | nouvellement et très clerement rédigée en langaige françois. Avec les ligures très utiles en leurs lieux proprement insérées. — Cum privilegio. — A Paris, M,D,XXVIII, in-fol. de XLV feuillets chiff. caract. goth. avec figures sur bois, livre très rare.

Simon Dubois demeurait alors rue Judas (entre la rue de la Montagne Sainte-Geneviève et la rué des Carmes). Il imprima la Théorique des cielz de Oronce Fine, pour Jehan Pierre de Tours, marchand, demeurant au cloistre

(1) M. A. Claudin, dont chacun apprécie la rare érudition, nous a donné plusieurs titres d'ouvrages imprimés par Simon Dubois, ainsi que des notes de Mercier de Saint Léger sur ces livres peu connus.


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Saint-Benoît, le 8 août 1528. Exemplaire imprimé fout en noir. De nombreuses planches représentant les planètes sont intercalées dans le texte.

Il est conservé à la Bibliothèque Nationale, cote V 207 réserve.

1528. — Le traité de la Sphère : translate de latin en français par Maislre Nicole Oresme ] très docte et renommé philosophe | . On les vend à Paris | en la rue Judas | chez Maistre Simon Dubois, imprimeur, in-4° goth. Le I04 catalogue mensuel des livres d'occasion de M. Baillieu (43,quai des Grands-Auguslins), où figure ce titre nous apprend qu'à l'époque de la publication de ce livre, orné de planches, il avait été collé sur le titre une Sphère avec cette indication : « On les vend à Paris | en la rue SaintJacques à l'imaige de lhomme sauvaige. » En 1530 l'enseigne de l'homme sauvage était celle de Nicolas Savetier, imprimeur, rue des Carmes, dont on a conservé un « Summaire très singulier de toute chirurgie de Jehan Goevrot » Bibliothèque Mazarine, n° 24048 réserve.

1529. — Le livre de vraye et parfaicte oraison. Imprimé à Paris par Maistre Simon Dubois pour Chrestien Wechelz, libraire juré de l'université de Paris, demeurant en la rue Saint-Jacques à l'enseigne de l'escu de Basle mil cinq cens XXIX au mois de apvril, in 8°. goth. imprimé en rouge et noir. La lettre majuscule qui commence le pr. XX se retrouve dans la Théorique des cielz et dans les Quatre instructions aux simples et aux rudes. La date de l'impression se trouve sur la dernière page de l'ouvrage.

Plusieurs exemplaires du livre de Vraye et parfaicte Oraison sont connus(1).

1530. — Le summaire de toute médecine et chirurgie contenant les remèdes les plus spéciaux et expérimentés de toutes maladies survenants quotidiennement au corps humain nonseulement nécessaire aux médecins et chirurgiens, mais a toutes gens de quelqu' état et vocation qu'ils soient, tant pauvres que riches. Par Jehan Goevrot, médecin du roy très chrestien François Ier de ce nom et de Madame Marguerite d'AngouIème. Alençon, chez Simon Dubois, in-I6 ou petit in-8° de S8 feuillets goth. Édition citée dans le Manuel de Frère, t. II, p. 34. Ce traité est suivi « dung régime singulier contre la peste, composé par Maistre Nicolas de Houssemaine aussi médecin en luniversité d'Angiers. »

153r. — Le miroir de lame pécheresse auquel elle recongnoit ses faultes et péchez aussi les grâces et beneficez a elle faitz par Jesus-Christ son époux. — La Marguerite très noble et précieuse s'est préposée a ceulx qui de bon cueur la cerchoient. A Alençon, chez Maistre Simon Dubois M.D.XXXI. Bibliothèque Nationale, cote 204-205 réserve, in-4° goth. de 6I feuillets non chiffrés, impression toute en noir.

1) Société de l'Histoire du protestantisme français; Bull, historique et lilt., n° 3, 1888. Notes sur les traités de Luther, traduits en français et imprimés en France de I525 à I534, par M. Weiss.


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I533. — Dialogue en forme de vision nocturne entre-très noble et excellente princesse ma dame Marguerite de France ] soeur unique du roy nostre sire | p. la grâce de Dieu Royne de Navarre | duchesse Dalençon et Berry | et lame saincte de defuncte ma dame Charlotte de France | lille aysnée du dit sieur | et niepce de la dite dame Royne, suivi du Miroir de ame pécheresse cité précédemment... Discord estant en Ihomme par la contraincle de l'esprit et do la chair et sa paix par vie spirituelle.

Une oraison a Nostre Seigneur Jésus Christ.

A Alençon | chez Maislre Simon Dubois. Mil cinq cens trente et trois. (Bibliothèque Mazarine, n° 21662, réserve).

Ces deux opuscules reliés en un seul volume ont dû être vendus séparément au moment de leur publication qui n'etait pour le Miroir de Came pécheresse qu'une deuxième édition.

Nous croyons devoir placer à la suite des ouvrages avec date imprimés par Simon Dubois ceux qui sortent assurément de ses presses, mais qui n'ont ni lieu, ni date. Ils sont, comme les précédents, imprimés soit en noir, soit en rouge et noir, mais ceci ne suffit pas pour en déterminer la date.

Nous avons vu que si les premiers livres de Dubois étaient aux encres noires, le Miroir de l'âme pécheresse, imprimé en I53I et I533, y était également. Nous laissons aux chercheurs le soin de découvrir la date exacte des publications suivantes.

S. L. N. D. — Consolations chrestiennes l contre les alfiitions de ce monde | et scrupules de conscience... suivi d'un Almanach spiri || tuel et perpétuel II nécessaire a tout || homme sen || suel et lem || porel, imprimés tous les deux avec les mêmes caractères (1) Petit in-8° goth. en noir, à la Bibliothèque protestante de Paris.

S. L. N. D. — Quatre instructions fidèles pour les simples 1 et les rudes. — La première. L'homme fidèle | visitant. — La seconde. L'homme fidèle | catéchisant. La tierce. — L'homme fidèle 1 introduisant a levangile.

levangile. quarte. — L'homme fidèle psalmodiant Petit in-8° goth. aux

encres rouge et noire. Un exemplaire se trouve au British Muséum, cote 622 a. 51 ; un autre appartient à M. Gaifled.

S. L. N. D. — Le livre des psalmes ; une vignette embrasse toute la page et représente l'ange secourant Jésus et les trois apôtres endormis ; au bas est écrit : Miséricorde environnera celuy qui espère | au Seigneur Dieu. Petit in-8° goth. aux deux encres rouge et noire (Bibliothèque Mazarine, cote 34874, réserve et Bibliothèque de M. Gaiffe).

M. Douen a ainsi décrit ce livre d'après l'exemplaire de M. o. Douen ( 3) : « au verso du titre, un tableau des dates du Carême, Pâques, de l'Avent...

C) Ibid., Bull. hist. et lilt., n° 12, 1887. (2) Bull. hist. et litl., n° 8, 1888.

( 3) Société de l'histoire du protestantisme français, Bull. hist. et lilt., n° 2, IS93.


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pour les années 1532 à 1540 (1) La vignette servant de litre a son analogue dans le livre de Vraye et parfaicte oraison ; la lettre ornée par laquelle débute la préface M se retrouve dans les Quatre instructions fidèles pour les simples et les rudes. Les deux mains indicatrices figurent aussi au litre d'un livre appartenant à la même famille (3), enfin le caractère gothique employé est celui de la Consolatipn chrestienne ; des Quatre instructions.fidèles ; des Epistres et Évangiles et du Nouveau testament imprimé, en octobre 1525, par Simon Dubois.... »

Nous croyons comme M. Douen que le Psautier attribué par lui à Pierre Caroli (4) et dont nous avons vu un exemplaire à la Bibliothèque Mazarine, est bien sorti des presses de Simon Dubois, quoique la date et la provenance de ces ouvrages ne soient mentionnées nulle part.

Simon Dubois, imprimeur à Paris, serait-il venu se fixer à Alençon? Nous l'affirmons et nous ajoutons que s'il ne conserva pas un établissement à Paris, il imprima dans notre ville : Le livre des Quatre instructions fidèles... peut-être même, Les Consolations chrestiennes ainsi que le Psautier ou livre des Psalmes cités plus haut.

On sait que si bon nombre de libraires étaient imprimeurs au XVIe siècle, beaucoup aussi faisaient mettre leurs noms sur les ouvrages dont ils commandaient l'impression; de là pourraient survenir des confusions re^- grettables pour l'histoire, confusions quelquefois faciles à faire, surtout quand sur un titre d'ouvrage on y lit simplement : « Chez Maistre Simon Dubois à Alençon. »

Or à la Bibliothèque Nationale par exemple nous trouvons reliés en un seul volume le « Miroir de l'âme pécheresse et la Description des merveilles du monde, par Jehan Parmentier. » Sur la première page, qui se rapporte uniquement à l'oeuvre de Marguerite d'AngouIème est imprimé : « chez

(1) Ces dates de 1532 à 1540 permettent de supposer que le Psautier fut imprimé à Alençon de 1532 à 534 Par Simon Dubois qui, nous le savons, imprima à Alençon le Miroir de l'âme pécheresse, 1531 et 1533.

(2) L'exemplaire de la Bibliothèque Mazarine n'a point de préface.

( 3) Dans plusieurs ouvrages imprimés par Simon Dubois, conservés aux Bibliothèques nationale, Mazarine, etc., les mains indicatrices, les feuilles jetées se retrouvent soit au titre, soit au commencement des lignes ou à la fin du livre. Il est vrai que certains de ces signes furent employés par d'autres imprimeurs, mais quand on trouve dans une édition sans lieu ni date les mêmes signes, les mêmes lettres, et les mêmes majuscules, il n'y a plus d'hésitation possible.

(4) Pierre Caroli, docteur en théologie, curé de Notre-Dame d'AIençon, donnait à bail le 5 juillet 1530 à « miaistres Gilles Sereze et Jehan Le Richomme prestres toutes les charges, en quoi le dit curé estait tenu à lesgard de l'Esglise ou chappelle de Monsieur Saint-Léonard et tout ainsi que Jacques Couppé par cy-devant et de naguère chappelain ou vicaire sous le dit sieur curé en avait esté tenu sans aulcune chose en réserver. Le bail fait pour un an et demy commençant de suite et pour la somme de soixante livres tournois ». (Tabell. d'AIençon.)


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Maistre Simon Dubois à Alençon I53I, » tl, à la fin du volume qui n'intéresse que le deuxième travail ; « Imprimé à Paris en la rue de Sorbonne, le 7° jour de janvier I53I; » au-dessous la marque de Gérard Morrhy Deschamps, libraire à Paris de 1530 à 1532 (1) On serait tenté de croire que Simon Dubois était seulement libraire.

Nous savons déjà, par la liste des ouvrages cités plus haut, que Simon Dubois était imprimeur à Paris ; et nous verrons, par la suite, combien on serait peu autorisé à ne le considérer que comme libraire à Alençon.

Poulet-Malassis, dans ['Annuaire des bibliophiles (1861), s'exprime ainsi en parlant du recueil de poésies de Marguerite d'AngouIème : « Ce recueil, un des deux volumes connus sortis de l'imprimerie de Marguerite de Navarre, dirigée à Alençon par Simon Dubois, ainsi qu'il est permis de le conjecturer d'après ce fait, que les presses de ce typographe n'ont pas produit d'autres ouvrages que les poésies de la princesse sa protectrice et un livre de Jehan Gouevrot, médecin du Roi et de la Reine de Navarre; ce recueil, disons-nous, est aussi mentionné en partie dans Brunet, 2° édition du Manuel du libraire, article MARGUERITE. »

Il est probable que si la reine de Navarre avait pris Simon Dubois pour diriger son « imprimerie particulière », elle ne l'eut pas laissé manquer d'argent et aurait pourvu à tous ses besoins, mais dans aucun acte à notre connaissance, concernant Simon Dubois, il n'est fait mention de la duchesse d'AIençon.

Dès 1529, Simon Dubois était suffisamment établi à Alençon pour prendre un apprenti, comme nous le montre le document suivant :

« Devant les tabellions d'AIençon, le 13 octobre 1529, furent présents Denis Le Mesle par cy-devant serviteur de Maistre Estienne Lecourt, prestre curé de Condé ( 2) lequel s'est alloué et mis avccques honneste

(1) Les majuscules seules diffèrent; les autres lettres, les feuilles jetées sont de mêmes dimensions et de même forme que celles du Miroir de l'âme pécheresse qui précède la Description des Merveilles du monde Nous n'avons

point encore trouvé la marque de Simon Du bois, j

(2) Estienne Lecourt, curé de Condé-sur-Sarthe, arrondissement d'AIençon, fut brûlé comme hérétique à Rouen, le II décembre 1533. Ses procès furent nombreux. Dès 1530, il était poursuivi pour avoir prêché contre l'Église romaine en faisant connaître à ses paroissiens le Nouveau Testament qui venait d'être traduit par Le Fevre d'Etaples, et imprimé par Simon Dubois. C'est lors de ce procès sans doute, qu'il dut renoncer à l'office d'administrateur de l'Hôtel-Dieu de Mortagne (Orne). Un acte notarié relate ainsi cette renonciation : « Le 5 septembre 1530, maistre Estienne Lecourt, prestre, curé de Condé-sur-Sarthe, renonce par ces présentes au profit de, vénérable et discrète personne, maistre Gervais Bazen prestre, c'est asscavoir a tout et tel droit qu'il pouvait avoir et luy appartenir à l'office d'administrateur de l'Hostel-Dieu de Mortaigne, et que par le vouloir et commendement de la Royne de Navarre, duchesse d'AIençon, luy avait esté octroyé et bailli par les habitants de Mortaigne, selon la teneur de l'instance des dits bourgeois, du

HIST. ET PHILOL. 17


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homme, Maistre Symon Duboys, imprimeur, à présent demeurant à Alençon, pour luy monstrer estât de imprimerie le temps de troys ans pendant lequel temps le dit Duboys promet et s'oblige monstrer le dit estat au dit Le Mesle au mieulx quy luy sera possible; le loger, nourrir, coucher... Es présence de Pierre Dumesnil, escuier, sieur du Pey, et Guillaume Rouillon lesmoins (1). »

Les tabellions ne lui reconnaissaient donc pas plus le droit de cité qu'ils ne lui octroyaient le titre de bourgeois ; quoi qu'il en soit, cet engagement démontre nettement qu'un imprimeur de ce nom était établi à Alençon.

La création d'un établissement de ce genre devait être pour lui fort dispendieuse car, le 19 janvier 1029, Simon Dubois imprimeur demeurant à Alençon reconnaissait devant les tabellions de celte ville « devoir à Maislre Guillaume Le Coustellier (2) sieur de Saye, la somme de cent neuf livres neuf sols tournois, à cause de loyal prest qu'il confesse luy avoir esté faict parle dit sieur de Saye, à son grand besoin et nécessité.

Lequel Duboys s'est tenu, corps et biens, luy païer cette somme toute fois et quant le dit Le Coustellier le jugera... Présence de Adam Martel prestre curé. » (Tabeil. d'AIençon).

Au mois d'avril suivant c'est « la dame d'Avoise»' 3' qui cautionne Simon Dubois et arrête les poursuites que Le Coustellier voulait diriger contre lui; ce dernier n'avait-il plus confiance dans une pareille entreprise, ou les idées de Simon Dubois n'étaient-elles pas en rapport avec celles de Le Coustellier? l'acte suivant ne nous renseigne pas à cet égard.

« Comme Maistre Simon Duboys, imprimeur à Alençon, avait gagé de son gré devant les tabellions d'AIençon payer et rendre à Guillaume Le Coustellier, sieur de Saye, cent neut livres neuf sols tournois à cause de pur et loyal prest à son grand besoin et nécessité; aujourd'hui, pour le reste montant à quatre vingt troys livres neuf sols, le dit Le Coustellier entend uzer de ses droits à rencontre du dit Duboys lequel s'était engagé

9 novembre 1528... et ce a esté faict moyennant et obéissant ledit Lecourt au vouloir et commandement de la dicte dame à luy faict et escript... moyennant que tous et chacun des meubles biens qu'il peut avoir en ycelui Hostel-Dieu depuis son installation luy seront rendus restitués selon qu'il en vérifiera... Présence de Charles Torcy, escuier, sieur des Marres et de Pasquier Gaucher. » (Tabell. d'Alen.).

Le 11 juillet 1532, « messire Léonard Le Peltier, prestre ethonneste homme Denis Lecourt, licencié es loix, demeurant à Mortaigne, piégèrent maistre Estienne Lecourt, curé de Condé-sur-Sarthe, pour une dolléance insérée à l'Echiquier d'AIençon, sur Pierre Dumesnil, escuier, lieutenant à l'encontre de maistre Pierre Gouevrot... » (Tabeil. d'AIençon).

(1) Étude de M. Cohu, notaire à Alençon.

(2) Guillaume Le Coustellier, sieur de Saye, secrétaire, greffier des Conseils, avait épousé Guyonne Loret (Tabell. d'Alenç. 11 janvier 1520).

(3) Jeanne d'Avoise, veuve de Cleriadus de Saint Morre, demeurait au château d'Avoise, commune de Radon, arrondissement d'AIençon.


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corps et biens; faisons scavoir que devant nous fut présente Jehanne d'Avoise dame du lieu, laquelle voulant supporter le dit Symon Duboys et voulant faire cesser les poursuites, s'engage à payer au dit Le Coustellier la somme encore due... Faict au lieu d'Avoise le 15 apvril 1529 en présence de Martin Hourdebourg et Laurent Argentelle. »

Nous ne savons dans quel quartier de la ville Simon Dubois installa son imprimerie en 1529; le 14 décembre I531 « Noble Jacques de Montigny(1) sieur du lieu baille à titre de ferme et à prix d'argent, à Maistre Symon Duboys, imprimeur, les maisons appartenant au dit sieur de Moutigny assises en ceste ville d'AIençon entre les rues du Jeudy et de la Personne, se réservant seulement le dit de Montigny la petite maison qui joint Jehan Blondel, ainsi qu'une sortie sur la rue du Jeudy. Le dict bail faict pour payer annuellement la somme de seize livres dix sols... »

La première imprimerie fondée à Alençon par Simon Dubois fut donc située entre les rues du Jeudi et de la Personne (aujourd'hui rue du Bercail) dans une des maisons de la rue du Jeudi faisant face à la Place du Palais.

Nous avons donc maintenant la certitude qu'en 1329 l'imprimerie était établie à Alençon par Simon Dubois imprimeur venu de Paris.

Il y imprima encore en i533 une édition du Miroir de l'âme pécheresse précédé d'un dialogue en forme de vision nocturne. C'est là le dernier renseignement que nous ayons recueilli sur lui.

Nous ignorons combien de temps il resta à Alençon après cette date (1533); le nom de Simon Dubois ne figure plus, à notre connaissance, dans aucun acte ou sur aucun livre.

Nous voyons seulement à Paris, en 1534, son nom sur la liste des cinquante et un suspects « Adjournez à troys briefz jours à peine de bannissement» à la suite de l'émotion provoquée par des placards séditieux (1).

(1) Jacques Piloys, sieur de Monligny, capitaine au château d'AIençon, avait épousé Marie de Fredet (Tabell. d'AIençon).

(1) Nous lisons dans le Journal d'un bourgeois de Paris de ce qui s'est passé sous François ler, page 441. En l'année 1534 vers le 24 octobre, furent affichés par les hérétiques des placards contre le Saint Sacrement de l'autel et l'honneur des saints, ce qu' entendu par la cour, fut sonné par deux trompettes, et crié au palais sur la table de marbre, que s'il y avait personne qui scut enseigner celuy ou ceulx qui avaient fiché les dits placards en révélant en certitude, il leur serait donné cent escus par la cour.

« Le jeudy et le dimanche suivant, furent faites des processions générales ou fut porté le Corpus Domini.... »

Sur la liste donnée des cinquante et un suspects nous relevos, en dehors du nom de Simon Dubois, imprimeur, ceux de maistre Pierre Caro/i, ancieu curé de Notre-Dame d'AIençon et de François Ledevyn, orpheuvre. Un François Ledevyn, orphèvre, fils de Cordin Ledevyn et de Jacquine Legrand, était d'AIençon (Tabell. d'AIençon). Cette liste, qui se trouve à la Bibliothèque na-


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Simon Dubois n'aurait-il point été, comme tant d'autres à cette époque, brûlé comme hérétique?(1).

Ne le trouvons-nous pas en effet : I° imprimant les livres qui devaient répandre en France les idées de la Réforme!(1) : 20 prenant comme apprenti à Alençon, Denis Lemesle, ancien domestique d'Estienne Lecourt, curé de Condé-sur-Sarthe, brûlé à Rouen, comme hérétique, le II décembre 1533; 3° quand Guillaume Le Coustellier lui relira, le 15 avril 1529, l'argent qu'il lui avait prêté pour son établissement, ne le voyons-nous pas encore cautionné par Jehanne d'Avoise poursuivie ainsi que son domestique et plusieurs autres habitants d'AIençon, en 1534, comme partisans des doctrines nouvelles et condamnés comme blasphémateurs (3)?

De cet ensemble de faits si concordants entre eux et dont l'interprétation ne nous échappera pas, il résulte que Simon Dubois, dont nous perdons la trace fut sans doute comme son confrère Etienne Dolet (s'il n'alla point chercher son salut dans l'émigration) : un partisan des idées de la Réforme et un martyr de sa foi.

La signature de Simon Dubois se voit au bas de plusieurs actes passés devant les notaires d'AIençon.

Il faut laisser écouler un certain laps de temps avant de retrouver consigné dans les minutes des notaires d'AIençon le plus petit renseignement sur l'imprimerie qui fut sans doute délaissée pendant plusieurs années dans notre ville. Ce n'est qu'en 1563 que les protestants, alors très nombreux à Alençon, songèrent à rétablir cette branche de travail industriel; à cet effet, « le 25 février 1563, Maistre Guillaume Bidard ministre

tionale n° 23289 f. fr. et à la Bibliothèque de Soissons, a été publiée dans la France protestante (2m° édition, t. V, p. 880}, de Eugène et Emile Haag.

(1) Dans le Journal d'un bourgeois de Paris, relatant ce qui s'est passé sous le règne de François Ier, p. 442 on lit : « Le troisième qui fût brûlé après les placards, fut un imprimeur de la rue Saint Jacques qui avait vendu et imprimé les livres de Luther. Et pour ce par sentence confirmée par arrêt, il fit amende honorable devant l'église Notre-Dame (de Paris), de là mené brûler tout vif en la place Maubert. »

( 2) Simon Dubois publia en 1625 la dernière édition du Nouveau Testament de Le Fevre d'Etaples; en 1525, pour Chrestien Wechelz (il demeurait a l' Écu de Basle en la rue Saint Jasques). Le livre de Vraye et parfaicte oraison. On retrouve chez Louis de Berquin, brûlé à Paris en 1529, l'original d'un des trois traités de ce livre dont le privilège était du 17 juin 1528 (Soc. de l'hist. du protestantisme français, Bull. hist. et litt., 1888, article de M. Weiss.

(3) D'un document conservé aux Archives Nationales, et publié par M. Paul Guérin, dans le Bull. hist. et litt. du protestantisme français, année 1884, il résulte que quarante alençonnois furent poursuivis en 1534; nous croyons devoir donner, en publiant cette liste, quelques détails sur eux dans un appendice faisant suite à ce travail.


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de l'Église Reformée d'AIençon (1), Maistre Pierre Perdriel (2) Maistre Lucas Caigetl (3), Noël Bahuet (1), Nicolas Le Vasseur (2) , Collas Caiget (3) cautionnèrent, Maistre Joachim des Conslrières, imprimeur, pour une somme de cent livres moyennant dix livres de rente à la demoiselle de Bois Gérard (7), et cent cinquante livres moyennant quinze livres de rente à la veufve et enfants de Jacques Badouère (8). Celte somme de deux cent cinquante livres pour l'aider à le secourir à lever estat de imprimerie à Alençon ». Comme Simon Dubois, de Contrières ou des Constrières eut recours à des emprunts pour s'établir. Le 23 septembre 1564, Maistre Joachim de Contrières naguères demeu(

demeu( Le contrat de mariage de Guillaume Bidard, l'un des ministres de la religion réformée d'AIençon, avec Magdelaine Barbier est du 22 février 1561. Le futur était assisté de maistre François Ponisson et Jehan Bompart, ministres en la dite église, Robert Caiget, licencié es loix, Jehan Dumesnil, sieur du Pey, Nicolas Barbier... (Tabell. d'AIençon).

(2) Maître Pierre Perdriel, escuier, sieur de Massillay, lieutenant de monseigneur le vicomte d'AIençon, avait épousé Jeanne Thouars.

(1) Lucas Caiget, curé de Notre-Dame d'AIençon, fils de Léonard Caiget, et de Marie Baillif, se fit protestant vers 1563. Il était encore vivant en 1671 (Tabell. d'AIençon).

(4) Noël Bahuet, fils de Louis épousa (contrat 6janvier 1563), Catherine Barbier. Sa soeur, Françoise Bahuet, épousa à Alençon « contrat du 15 mai 1567, Marin Lesage, ministre de la parole de Dieu à Saint-Denis, fils de Thomas Lesaige et de Perrine Bigot de lit paroisse de Condé-sur-Sarthe. En présence de Gilles de Guette, ministre de la parole de Dieu, de Gilles Dumesnil, escuier, de Henri Rabelain, Louis Lepeintre et Nicolas Caiget » (Tabell. d'AIençon).

Marin Lesage, ministre de la parole de Dieu à Saint-Denis, avait esté curé de Cuisse (Orne).

( 2) Nicolas Le Vasseur, fils de Christofle Le Vasseur et de Louise Pilon, épousa (contrat 10 janvier 1532), Jacquine Liger (Tabell. d'AIençon).

(6) Collas ou Nicolas Caiget, était frère de maistre Lucas Caiget, déjà cité; il épousa par contrat du 24 octobre 1544, Marie Cormier.

(7) Le surnom de sieur de Bois Gérard ou Girard, était porté en I55I, par maistre Abraham Thorel, licencié es loix, marié à Julienne de Barentin (Tabell. d'AIençon).

(8) Jacques Badouère, marchand, bourgeois d'AIençon en 1552, s'engageoit « avec Guillaume Gerveseaulx, Pierre Juglet et Jehan Graindorge tous échevins, à prêter douze cents livres à Nobles hommes Maistres Jehan de Frotté sieur de Couterne secrétaire du roy, Charles de Sainte-Marthe docteur es droits et honeste homme Guillaume Laudier, sieur de la Fontaine. Ce prest, fait pour deux ans, devoit estre employé par le dit de Sainte-Marthe à ung estat de magistrat au siège présidial d'AIençon; en cas de deffault d'avoir le dit estat les dits de Frotté de Sainte-Marthe, et Laudier ont promys rendre la dicte somme aux échevins quand il leur plaira et accordent, que s'il n'y avait delfaut de la part du dit de Sainte-Marthe et qu'il montre y avoir esté à temps et trouvé le nombre de magistras fournis; les échevins rabattront les frais en raison du noble voïage. » (Tabell. 10 septembre 1552).


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rant à Caen (1) reconnaissait encore devant les tabellions d'AIençon que: « Par le moyen de Maistre Jehan Dumesnil escuier(2), Thomas Cormier, Pierre Perdricl ; Jehan Lesaige l'aisné (3); Guillaume Quillet (4); Lucas Caiget; Innocent Le Renvoizé (5); Jacques Lesaige ( 6) Nicolas Bouvier (7); Guillaume Prodhomme (8); Richard de Marcilly (9) ; Guillaume Le Rouillé (10); Nicolas Le Vasseur; Nicolas Caiget;Noël Bahuet Jebande Saint-Eiyer! (11); et Pierre Dibon (1); Jacques Legendre lui a baillé la somme de deux cents cinquante livres pour viugt-cinq livres de rente; par l'assurance que les dessus dits luy ont donnée, tous sous leurs seings, de piéger le dit de Contrière; sans laquelle assurance le dit Legendre n'eust! baillé la dite somme. « De Contrière promit alors que pour la dite assurance aulcuns d'eulx n'auraient perle ni dommage mais les indemnisera tellement qu'ils n'en tomberaient en aulcun intérest; et davantage, le dit de Contrière promet racquilter la dite rente de dans troys ans prochainement venant à compter du dit jour. En oultre pour assurance d' icelle promesse tant de l'indemnité que admorlissement a promys par formé 7 de gaige leur bailler et mecIre aux mains dedans ung mois d'aujourd'hui ting nombre suffisant de libvres Intitulées l'Harmonye, ou autres ayant cours, jusques à la valeur

(1) Ce n'est plus Paris qui nous envoie ses artistes mais une de nos grandes villes de Normandie. Le nom de Contrière n'était pas connu.

(2) Jean Dumesnil, escuier, sieur du Pey, fils de Léonord Dumesuil, est cité dans un acte du 15 août 1555, comme cousin de Lucas Caiget.

( 3) Jean Lesaige, l'aisné, secrétaire des Roy et Royne de Navarre, duc et duchesse d'AIençon, marié àBarbe Le Vilain, vers 1531, fit construire un Jeu de Pauline en I53I (Tabell. d'AIençon).

(4) Guillaume Quillet, licencié en médecine, étoit fils de Guillaume Quillet et de Marie Le Robardel.

(5) Innocent Le Renvoizé, avocat, fils de Maistre Nicolas Le Renvoizé et de Guillemyne Pichonnet.

( 6) Jacques Lesaige, fils de Guillaume, épousa, (contrat 3 novembre 1540) Leonarde de Juvency. (Tabell. d'AIençon).

(7) Nicolas Bouvier était Receveur en la vicomte d'AIençon.

( 8) Guillaume Prodhomme était potier à Alençon avant 1538 (Tabell. d'AIençon).

( 9) Richard de Marcilly, escuïer, fils de Jehan et Noëlle Bonvoust fut fiancé dans la maison de Maistre Michel Farcy, Enquesteur, le 11 octobre 1549 à Anne Farcy, fille de Guillaume et de Marie Caiget. Le contrat rédigé en présence de Maistre Lucas Caiget curé de Vire, de Michel Farcy conseiller du Roy et de la Royne de Navarre. (Tabell. d'AIençon).

( 10) Guillaume Le Rouillé, licencié es loix, sieur de La Rouauldière, fils de Guillaume sieur de la Gravelle et de Catherine Reynart, épousa (contrat 10 may 1557) Françoise Desbois. Son père lui donna a son contrat « sa librairie de droit ne se réservant la jouissance que d'une portion. »

(11) Jehan de Saint-Elyer épousa Magdelaine Le Vasseur, fille de Nicolas et de Catherine Liger. (Tabell. d'AIençon, 17 octobre 1563).

( 12) Pierre Dibon avait épousé Marie Taulnay.


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du dit principal, qui en pourront échoir pendant les dits troys ans. Ce qui a esté accepté par les dits Caiget, Cormier, Lesaige, Bouvier, etc.. Es présence de Pierre Racinette et de Pierre Dutertre. »

Cautionné par la plupart des protestants, Joachim de Contrières pour la garantie des sommes empruntées, leur avait remis trois cents ouvrages de L'Armonye sur les Evangiles et actes des aposlres. Ces ouvrages furent livrés à Jacques Legendre ( 1) qui se substitua ainsi aux véritables créanciers; l'acte est ainsi conçu : « Le 11 Mars 1565 ; Comme le 25 Février 1563 devantles tabellions d'AIençon, Maistre Guillaume Bidard en son vivant Ministre de l'église Reformée d'AIençon, Maistre Pierre Perdriel, Lucas Caiget, Nicolas Bouvier, Collas Vasseur, Noël Bahuet et Collas Caiget se fussent

(1) Jacques Legendre, diacre en l'église Reformée, fit un testament, le 8 septembre 1563, ainsi conçu : « Maistre Jacques Legendre bourgeois d'AIençon, recommande son âme à Dieu le suppliant de la prendre en sa garde et des biens qu'il à pieu à Dieu luy donner en a disposé comme il suit : c'est asscavoir qu'il donne aulmone, la somme de cent livres a prendre sur ses biens, meubles et bêtes acheptel qui seront par ses exécuteurs testamentaires mises aux mains des anciens de l'église Reformée d'AIençon pour être par eux donnés et distribués aux pauvres du dit lieu comme à gens vieulx, invalides, honteux, veuves, orphelins et filles orphelines pour les aider à apprendre mestier et à les marier, le tout à la discrétion des anciens et y appelleront les diacres et eschevius de la ville pour s'enquérir par les quartiers du dit lieu des dites pauvres gens.

« Item a donné et donne par héritage à la dite église Reformée pour bailler aux ministres d'icelle pour les aider à avoir des libvres, la somme de cinquante sols tournois de rente à prendre sur les hoirs de Jean Glatigny au terme du 13 février laquelle rente sera reçue par le recepveur d' icelle église ou autre député pour la bailler aux ministres; et s'il n'y avait ministres, ou que les héritiers du testateur ne voulussent permettre les dits cinquante sols de rente estre baillez a iceulx ministres d'icelle ville pour estre. livrez et baillez aux principal et régents du dit lieu pour l'augmentation du collège qui sera érigé au dit lieu d'AIençon.

« Item, six sols de rente à la Maison Dieu a prendre sur une maison et jardin près des fossez de l'Encrel.

« Item à sa soeur veuve de Jean Beaudoin vingt-cinq livres à prendre sur ses meubles et 50 sols de rente.

« Item à ses troys nièpees filles de Maistre Jean Legendre, son frère, qui sont : Marie femme de Léonard Boullay, Claudine et Catherine a chacune dix livres; a ses deux nièpees mariées filles de deffunt Jean Legendre son neveu a chacune vingt livres pour aider à les marier; à Collas et Jean Beaudoin ses neveux, chacun cent sols; à Mathurm et Marguerite Legendre ses enfants chacun 20 livres et 6 draps: à Jean Hinoust et Marie sa femme, 10 livres tournois pour la nourriture de Marguerite sa femme. Le testateur déchire debvoir à Jehan Prod' homme son compère sieur des Patis, cent sols de reste de marchandises, Jean de Saint-Denis sieur de Lancissière et Jehan Prod' homme sont ses exécuteurs testamentaires ». (Tabel d'AIençon).


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pour Maistre Joachim de Contrières, Imprimeur, obligez envers la demoiselle de Bois Gérard en dix livres de rente pour cent livres tournois et en quinze livres de rente pour cent cinquante livres, envers la veufve et enfants Jacques Badouère, et depuis la création d'ycelles rentes le dit Bidard serait décédé et advenu que les dits Perdriel | Bouvier | Vasseur | Collas Caiget | Bahuet | maistre Thomas Cormier | Innocent Le Renvoisé | Jehan Lesaige Jehan Prodhomme | et Guillaume Quillet eussent sous leurs seings promys décharger les tuteurs de l'enfant du dit defunct Bidard et les autres y obligés de la constitution des dites rentes; reconnurent que les dits deniers mys aux mains du dit de Contrières pour le secourir à lever estat d'Imprimerie en ceste ville d'AIençon ; lequel de Contrières saisi des deniers aurait promys admortir les dites rentes dedans deux ans et en décharger le dit Bidard et aultres avec luy obligez.

« Depuis cela serait advenu que le 24 septembre 1564 devant les tabellions d'AIençon yceluy de Contrières aurait vendu et se serait obligé envers Maistre Jacques Legendre d'AIençon(1) en la somme de vingt-cinq livres d'autre rente pour une somme de deux cents cinquante francs quy luy ont esté payez et baillez par le dit Legendre dont le dit de Contrières aurait été plegé par les dits Perdriel , etc. (voir précédemment

tous les noms), avec promesse faicte par le dit de Contrière qu'il racquitterait et admortirait les dites vingt-cinq livres de rente envers le dit Legendre dedans troys ans et pour l'assurance de ces admortissements de rente eust mis aux mains des dits pièges le nombre de troys cents libvres nommés l' Harmonye sur les Evangiles et actes des Apostres. Scavoir faisons : que devant nous furent présents le dit de Contrières se submettant en cette juridiction et de tous autres, a présent demeurant en celte ville d'AIençon d'une part: et le dit Jacques Legendre bourgeois d'AIençon d'autre part, et maistre Innocent le Renvoizé... tous bourgeois d'AIençon d'une autre part font accord par lequel le dit Legendre a dès à présent quitté et déchargé par ces présentes décharge les dits Cormier | Bouvier ] ..., etc., de la constitution des vingt-cinq livres de rente de la demoiselle de Bois Gérard et les enfants Badouère et ce faict pour mectre

aux mains du dit Legendre les dites troys cents Harmonyes a eulx baillez pour l'assurance suffisante par le dit de Contrière,, pour d'ycelles Harmonyes le dit Legendre en disposer et faire une vente ainsi qu'il advisera

bon estre Es présence de Maistre Robert Le Crosnier Imprimeur et de

Jehan Le Conte d'AIençon. » (Tabell. d'AIençon).

Un autre acte du 22 Mars 1565 nous montre Robert Le Crosnier, cité précédemment comme imprimeur, associé avec Contrières; cet acte rap(1)

rap(1) Jacques Legendre était prêtre à Alençon sous Lucas Caiget curé de Vire et d'AIençon. 11 ne serait pas étonnant que ce fût celui que nous citons ; il dut se faire protestant vers 1560 ou 1563 ainsi que plusieurs autres ecclésiastiques qui ne suivirent eu cela que l'exemple donné par Lucas Caiget leur curé.


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pelle les précédents pour les emprunts d'argent qui ont été faits ; « Pour faire plaisir au dit de Contrières et pour le secourir à lever Imprimerie en cette ville d'AIençon. Jacques Legendre fait accord ce jour avec de Contrières pour vendre ensembles les troys cents Harmonyes ; le prix qui en sortira sera reçu par le dit Legendre pour en convertir les deniers à l'amortissement des rentes et tous deux se sont promys l'un l'autre faire achapt de papier pour relever l'imprimerie et le faire a communs frais et profilz. Pour l'assurance de tout cet accord le dit de Contrières mectra es mains du dit Legendre telle part et portion a moitié que le dit de Contrières a en l'imprimerie estant en cette ville : tant en fontes, presses, cases, et aultres ustensils appartenant à Testât d'imprimeur suivant l'inventaire signé du dit de Contrières, et dont l'autre moitié appartient à Maistre Robert Crosnier Imprimeur au dit Alençon. »

Jacques Legendre parait être surtout dans celte association un bailleur de fonds ; peut-être même s'était-il établi libraire à Alençon, car dans son testament du 8 septembre 1568 il déclare : « laisser à jamais à l'Eglise de Dieu qu'on appelle Reformée, quarante sols de rente pour subvenir aux Ministres d'ycelles, et à sa femme, Marie Lecourt, la maison habitée par eux acquise de Christofle Le Vasseur... »

Voici la rédaction de la fin de son testament qui seule nous intéresse : « Je laisse à mon frère Maistre Jehan Legendre toute ma librairie que j'ai en ma possession soyent : Harmonyes, Bibles, Nouveaux Testaments, Psalmes, Décades, libvres degrammaire, Alphabetz,Traitez des scandales, de la Pesle et tous aultres libvres et avecques ce laisse à mon dit frère, Maistre Jehan Legendre, tous les caractères, lettres de fonte de l'imprimerie comme cases, presses, que aultres ustensils servante l'imprimerie jouxte lerécépisé que j'en porte signé de Maistre Joachim de Contrières et Robert Crosnier imprimeurs, le tout à la charge de payer deux cents cinquante livres » (Tabel. d'Al).

Ce testament annulait celui qu'il avait fait le 8 septembre 1563 et dans lequel était stipulé qu'il donnait cinquante sols de rente aux Ministres de l'église Réformée et que s'il n'y avait point de Ministres, la rente devait être faite aux Régents du « Collège qui devait estre érigé en celte ville d'AIençon. »

La fondation du Collège, d'après ce qui précède, paraît coïncider avec l'établissement de Maistre Joachim de Contrières et Robert Crosnier Imprimeurs associés avec Jacques Legendre.

Maistre Joachim de Contrières, bourgeois d'AIençon, signait encore dans un acte du 13 octobre 1573.

La liste des ouvrages imprimés par Robert Crosnier et Joachim de Contrières reste entièrement à faire ; nous n'avons quant à présent rien découvert à cet égard. Nous désirons, par la suite, compléter celle étude sur les imprimeurs d'AIençon; il nous suffit pour l'instant d'avoir pu faire connaître deux noms d'imprimeurs ignorés, et surtout d'avoir, à l'aide de documents irréfutables, relaté dans quelles conditions les deux pre-


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mières imprimeries Alençonnaises ont été établies et mis hors de doute le rôle de Simon Dubois.

APPENDICE

Liste des quarante Alenconnais poursuivis en 1534 et détails concernant leurs

familles.

1-2. —Jehan Coumyn et Laignel dit Potier. « Pour estre entrez denuyt de propos délibéré et par effraction de verrières la vigïlle de la fesleDieu 1533, en lesglise et chapelle Saint-Blaize, située hors la Porte de Sées et en icelle chapelle avoir prins et emportez les ymaiges de la glorieuse Vierge Marie et de Saint-Claude, icelles ignomineusement pendues à deux gouttières de la dicte ville d'AIençon, contre l'honneur et révérence de Dieu... Les conseillers juges commissaires du roy les condamnent àavoir devant la chappelle Saint-BIaize le poing dextre couppé, cloué et attaché à deulx pousteaulx qui pour ce faire y seront mis et dressez. Ce faict iceulx prisonniers menez es lieux et rues où ils pendirent les dites ymaiges esquelz lieux seront dressez deux potences esquelz les dits prisonniers seront penduz et estranglés par le temps et espace de troys heures. Ce faict leurs têtes estre coupées et chacune d'elles mises au-bout du 1er de lance et portéez aux deux principalles portes de la ville d'AIençon; et leurs corps portés et penduz aux fourches patibulaires d'icelle ville, leurs biens confisquez à qui appartiendra. Prononcé et exécuté le 15 septembre 1534». — La famille Commyn ou Coumyn était établie à Alençon, dès 1450. Le premier du nom à celle date était, Perrin Coumyn (Tabell. d'AIençon).

3. — Jehan Ruel, natif de Courteilles <'' « Pour raison de plusieurs grans et excécrables blasphèmes par luy dictz et proférez contre le Saint Sacrement de l'autel, l'honneur de la Vierge Marie... est condamné à l'aire amende honorable devant la principalle porte de Lesglise NostreDame d'AIençon et illec à genoux tenant une torche de cire ardent du poix de deux livres, requérir pardon à Dieu, à la Vierge, aux Saints, au Roy, et à la justice des dits blasphèmes et diceulx se dédire et repentir; estre mené aux Marchis hors la Porte de Sées et illec au lieu le plus commode... sera planté ung pouleau à l'entour duquel sera faict ung grant feu, et après avoir esté estranglé, estre ars bruslé et son corps converti en cendres et ses biens confisquez a qui le droit. » Jehan Ruel était avocat, et avait épousé Roberde de Bernay qui fut elle-même poursuivie. Sa mort est du 9 septembre 1534.

4. — Nicolas Briolay, subit le même supplice que celui de Jean Ruel,

( 1) La famille Ruel de Courteilles donne dans les diverses branches d'industrie exercées à Alençon ou ses environs des chefs actifs et entreprenants. Nous en voyons la preuve dans les forges, faïencerie, toile, point d'AIençon.


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mais ce fut au lieu des Poulies que son corps fut brûlé. Nicolas Briolay, bourgeois d'AIençon, fils de Jean Briolay et de Mariette X sa femme, vendait, le 24 décembre 1529, dix-neuf sols de rente à Nicolas de Boyville (Tabell. d'Al.).

5. — Jehan Lebrun, détenu aux prisons de Sées et transféré à Alençon, subit le même supplice que le précédent; son corps fui brûlé le 16 septembre, sur le chemin de Sées.

6. Jehan Chastellays, de Courteilles, fut condamné pour avoir parlé indiscrètement du Saint Sacrement de l'autel... et s'estre trouvé es assemblée des gens suspects de la secte réprouvée et non autorisée de prêches... a faire amende honorable devant lesglise Nostre-Dame d'A1ençon ayant la corde au col les pieds et la tête nuds, à genoux en chemise portant en ses mains une torche de cire ardent du poix de deux livres ensuite demander pardon à Dieu... puis estre battu fustigé par les carrefours de la ville d'AIençon et au lieu de Courteilles ». (Com. de l'arr. d'AIençon).

7-8. — Bertault Prevel. — Michel Petit, natif de Courteilles « furent condamnés à faire amende honorable et de plus assister à la mort de Jehan Lebrun ». Michel Petit devait de plus être fustigé à Cerise (Com. de l'arrond. d'AIençon).

9. Pol Mabon, grenetier, fils de Guillaume Mabon et de Jeanne de SaintDenis, était en fuite : n'a pas été statué sur son cas.

IO-II. — Pol Graindorge, prêtre, et Jehan Chassevent, « Chappelin de l'hostel Dieu, » furent renvoyés après avoir fait les soumissions accoutumées à I'Évesque de Séez. Jehan Chassevent fils de Jean Chassevent et de Laurence X, eut pour soeur Jeanneton Chassevent. boulengère au l'our a ban de la rue du Bercail, et femme de Jean Mercier qui est issu Michel Mercier, chirurgien, sieur de La Perrière, dont la femme en imitant le Point de Venise, inventa le Point d'AIençon (voir notre Histoire du Point d'AIençon).

12-13.— Guillaume Rolland, curé de Condé, successeur d'Etienne Le Court et frère Germain, cordelier, étaient en fuite. Il fut promis vingt écus à qui les trouverait.

14. — Geoffroy Crochard, fils de Jehan Crochard, et dont la famille habitait Alençon dès 1463, n'a eu aucune condamnation. Le document cité par M. Paul Guérin n'est sans doute pas complet en ce qui concerne les punitions.

15-16-17. — René Dufour, religieux Augustin. — Isaac Legoulx dit Tardif. — Noël de Meaulx — tous en fuite, devaient être brûlés vifs.

18. — Jehan Lepeltier, avocat, licencié es loix, marié à Renée X, devait être banni du royaume. Nous le retrouvons à Alençon en 1544; il fut sans doute gracié.

19-20. — Jehan Boullemer, marchand de fil, en fuite, devait être brûlé vif Jacques Hourdebourg, cordonnier, banni du royaume. Il était fils de Robert Hourdebourg et de Michelle Fillon et avait épousé Louise Tulieuvre (Tabell. d'AIençon).


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21-22-23. — François Chapelain. — La femme de Vincent Chapelain. — Georgine femme d'Isaac Legoulx renvoyés dans leurs maisons.

24-25-26. — Robert Huron. — Jehan Hesnault. — Françoise Larcher, dite. Gueville, élargis des prisons.

27. — Julien de Bernay, sergent à Radon, en fuite : devait être brûlé vif. Cette sentence n'eut probablement pas de suite car nous retrouvons Julien de Bernay, beau-frère de ce malheureux Jehan Ruel, de nouveau à Alençon en 1545 le 25 novembre, vendant avec Marie de Bernay cent sols de rente à Pierre Duval (Tabell. d'AIençon).

28. — Marie femme de Nicolas Dupont, fils de Philippot Dupont et de Simonne Coffin. Encore vivant en i556.

29. — Marie de Bernay, femme de Jehan Ruel ; on ne trouve point qu'il ait été statué sur son cas. Elle eut procès ainsi que ses filles et Julien de Bernay tuteur de ses enfants soubs âge avec François Drouyn, pour des gouttières à mettre entre leurs maisons situées sur la grande rue près le Pont du Guichet (Tabell. d'AIençon 2 avril 1545).

30. — La femme de Macé Petit, fut envoyée dans sa maison. Dans un acte du 15 janvier 1541 la femme de Macé Petit se nommait Mathurine Clouet.

31-32. — Marguerite Edme fut bannie du royaume. — Michon femme de Jehan Juliotte, mise hors des prisons. La femme de Jean Juliotte était Michelle Gruel fille de Pierre Gruel, bourgeois d'AIençon et de Rauline Roulland.

33-34- — Simon Bahuet, en fuite; « adjourne a troys briefz jours.... ». Il était marchand mercier dès 1508, et avait épousé Nicolle X. Son fils Bertrand Bahuet, également en fuite, était marchand de draps de soie ; ce fut lui qui fournit la « sarge noire » pour la représentation des Mystères à Alençon en 1520 (1). Il épousa par contrat du 6 novembre 1519, Jacquelte Le Hayer, fille de Laurent Le Hayer et de Ysabeau Debray. (Tabel. d'Al.).

35. — Jehan Duval, avocat et praticien, fut élargi des prisons. Il était fils de Jehan Duval, barbier, et de Marie Chéron, et épousa Claire Pichonnet; encore vivant en 1551 (Tabel. d'Al.).

36. — Jehanne d'Avoise, fut retenue prisonnière, mais il n'y eut pas de jugement prononcé contre elle dans le document que nous citons. Elle était veuve de Cleriadus de Saint-Morre escuier. La famille noble d'Avoize se trouve désignée dans les registres des notaires d'AIençon dès 1455. Le neveu de Jehanne d'Avoize, Jehan d'Avoize sieur de Grand-Champ, épousa en 1526 Marguerite de la Motte Fouquet.

37. — De La Fosse, domestique de Jehanne d'Avoize, poursuivie comme elle, était en fuite. Nous retrouvons un René De La Fosse « paticier de Madame la Princesse de Navarre» marié à Simone Erard; est-ce le même?

38. — Pierre Caroli : son cas devait être soumis au roi « pour en estre

(1) Voir, pour cette description, notre brochure intitulée : Le Théâtre et les Comédiens à Alençon au XVI e et XVII e siècles (1892).


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par luy ordonné ce qu'il luy plaira. » Pierre Caroli docteur en théologie curé de Noire-Dame d'AIençon avait succédé à Jehan Baillet. Mathurin Quillet avait la charge de la cure de Notre-Dame, par acte passé le II mai 1526, entre « Messire Jehan Baillet, prestre, chapelain ordinaire de Madame la « Régente de France, » curé de Notre-Dame d'AIençon. Le bail en était fait pour deux ans. Jacques Couppé, prêtre, eut la charge de Saint-Léonard. Pour faire le service divin; ils eurent « les fruitz, revenuz avec les gages des deux chapelains de Notre-Dame et Toussaint » (ou Saint-Léonard). Jacques Couppé se désista de son bail pour Saint-Léonard, le 5 juillet 1530 et Maître Pierre Caroli, docteur en théologie, curé d'AIençon, bailla à Gille Sereze et Jehan Le Richomme, toutes les charges en quoi il était tenu à l'égard de l'église ou chapelle de Saint-Léonard ainsi que nous l'avons indiqué dans une note précédente. (Tabell. d'AIençon).

39. — Jehan Juliotte était en fuite. C'était un des sculpteurs distingués d'AIençon au XVI siècle (1) IL avait épousé, Michelle Gruel. Il fut « adjourne à troys briefs jours sous peine de bannissement » fut-il « appréhendé » et amené prisonnier? le document reste muet sur ce point.

40. — Guillaume Lyon, n'a point été statué sur son sort. Il était serrurier; son oeuvre de maîtrise, faite le 4 février 1520, était une « serrure de coffre à quatre pertuys double gâchette.... aux coings de la dite serrure quatre avigelotz fermant a viz sur le morillon ung imaige et ung pot du lys, un chapistreau sous les dites imaiges et des filets a l'entour de ladite ferrure... » (Tabell. d'AIençon).

(1) Voir notre Notice sur les menuisiers.imagiers ou sculpteurs des XVIe et XVIIe siècles à Alençon (1892).






ERNEST LEROUX, ÉDITEUR

rue Bonaparte 28 ;

INSTITUT DE FRANGE

ACADÉMIE DESINSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES

FONDATION PIOT

PUBLIÉ l'AU

L'ACADÉMIE [DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES

Commissaires-Directeurs délégués: MM GEORGES PERROT ET ROBERT DE LASTEYRIE

Membres de l'Institut

Secrétaire : M. JAMOTAncien

JAMOTAncien de l'École d'Athenes,

Par traité signé le 22 avril 1893 avec M. le Secrétaire perpétuel del'Academie des Inscriptions et Belles-Lettres,en vertu de la délibération prise par l'Académie le 17 février, M. Ernest.Leroux a été chargé d'éditer le Recueil de Monuments de Mémoires relatifs à l'Archéologieet àl'Histoire de l'Art dont l'Académie a dé cidé la publication.

Le Recueil paraîtra à des époques, indéterminées, par fascicules d'importance plus ou moins considérable,dontla réunion formera des volumes d'environ 30 feuilles, de format in-4°, avec nombreux dessinsdans,le texte et dès planches en héliogravure et en chromolithographie.

On souscrit par volume au prix le: 32 francs pour Paris; 35 francs pour les dé-; partements ;36 francs pour l'étranger.

ANGERS, IMP, A. BURDIN ET Cie, RUE GARNIER, 4.