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Titre : Annales de la Congrégation de la Mission ou Recueil de lettres édifiantes écrites par les prêtres de cette congrégation et par les Filles de la Charité employés dans les missions étrangères
Auteur : Congrégation de la Mission. Auteur du texte
Auteur : Filles de la Charité de Saint-Vincent-de-Paul. Auteur du texte
Éditeur : E.-J. Bailly et cie (Paris)
Date d'édition : 1895
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb344683714
Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb344683714/date
Type : texte
Type : publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 4036
Description : 1895
Description : 1895 (T60).
Droits : Consultable en ligne
Droits : Public domain
Identifiant : ark:/12148/bpt6k5603529k
Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 8-H-101
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 24/01/2011
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Nota. — A ce numéro sont jointes deux feuilles de Notices et la couverture destinée à les recevoir, ainsi que les feuilles déjà parues; celles-ci doivent être détachées des numéros des Annales de Tannée dernière.
SOMMA-IRE DU NUMERO
LES FÊTES en l'honneur de la Manifestation derTImmaculée Vierge de la Médaille miraculeuse :
I. La Préparation. . 6
Invito Sacro de S. Em. le Cardinal-Vicaire à Rome ..... 6
II. Les Fêtes à Paris : à la Maison-Mère de la Mission n
III. A la Communauté des Filles de la Charité 12
Homélie de S. Em. le cardinal Richard^ archevêque de Paris. 21
IV. Les Fêtes dans les Diocèses. 3o
V. En Italie '..'..' 46
VI. En Espagne 47
VII. En Autriche 64
VIII. En Amérique. . , . 72
Faculté de célébrer la fêté de la Manifestation dans' une église
étrangère. . 78
Faculté de transférer la solennité de la fête de la Manifestation. cSo
!.'' FRANCE
Paris. Allocution de S. Em. le cardinal Bourret en la fête du bienheureux Jean-Gabriel Perboyre, 7 novembre 1894. ..... 82;
— Visite des pèlerins d'AlbHaux Reliques de saint Vincent de Paul. \f . . 8(5
Prime-Combe. Lettre dé M. L. Dillies. 88
Mont-de-Marsan. Lettre de la soeur Petit, fille de la Charité . . Sq
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ANNALES
DE LA CONGRÉGATION
DE LA MISSION
Nota. — A ce numéro sont jointes deux feuilles de Notices et la couverture destinée à les recevoir, ainsi que les feuilles déjà parues; celles-ci doivent être détachées des numéros des Annales dé L'année dernière.
, SOMMA-IRE DU NUMÉRO
LES FÊTES en l'honneur de la Manifestation der l'Immaculée Vierge de la Médaille miraculeuse :
I. La Préparation 6
Invito Sacro de S. Ém. le Cardinal-Vicaire à Rome 6
II. Les Fêtes à Paris : à la Maison-Mère de la Mission n
III. A la Communauté des Filles de la Charité 12
Homélie de S. Em. le cardinal Richard, archevêque de Paris. 21
IV. Les Fêtes dans les Diocèses 3o
V. En Italie . ' 46
VI. En Espagne 47
VII. En Autriche » 64
VIII. En Amérique. . , \ 72
Faculté de célébrer la fête de la Manifestation dans' une église
étrangère , 78
Faculté d'e transférer la solennité de la fête de la Manifestation. So
FRANCE
Paris. Allocution de S.' Em. le cardinal Bourret en la fête du bienheureux Jean-Gabriel Perboyre, 7 novembre 1894 82
— Visite des pèlerins d'Albi\aux Reliques de saint Vincent de Paul ',,. 8(5
Prime-Combe. Lettre de M. L.'Dillies 88
Mont-de-Marsan. Lettre de la soeur Petit, fille de la Charité . . 8q
PROVINCE .D'AUTRICHE
M Cilli. Lettre de M. J. Maçur. . . >l ni
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PROVINCE D'ESPAGNE \
\
Madrid. V.to\c M aria Cristina. Lettre de )a;ceur Thérèse Lardeui;. q5
' V
.ÂifNALES
DE LA CONGRÉGATION
DE LA MISSION
NOTRE-DAME DE LA MEDAILLE MIRACULEUSE
O Marie conçue sans péché,
priez pour nous qui avons recours à vous
ANNALES
DE LA CONGREGATION
DE LA MISSION
ou
RECUEIL DE LETTRES ÉDIFIANTES
ÉCRITES PAR LES,- PRÊTRES DE CETTE CONGRÉGATION ET PAR LÉS FILLES DE LA CHARITÉ
PARAISSANT TOUS LES TROIS MOIS
TOME LX — ANNEE i8q5
A PARIS, RUE DE SÈVRES, 95
AUTRES EDITIONS DES ANNALES
ÉDITION ALLEMANDE ÉDITION ESPAGNOLE
GRAZ (Styrie), Mariengasse, 14. MADRID, Barrio de Chamberi.
ÉDITION ANGLAISE _ '
EMMITSBURG (Maryland; États-Unis), ÉDITION ITALIENNE
St. Joseph. TURIN, via Nizza, 18.
ÉD«» POLONAISE : CRACOVIE (Galicie; Autriche); S. Vincent, faubourg Kleparz.
1895
LES FETES
EN L'HONNEUR DE LA
MANIFESTATION DE L'IMMACULÉE VIERGE
DE LA MÉDAILLE MIRACULEUSE 1894
Les fêtes solennelles qui viennent de se célébrer, on peut le dire, dans toutes les contrées du monde, en l'honneur de l'apparition de la très sainte Vierge et de la Médaille miraculeuse, ont été comme l'éclatant épanouissement des sentiments de reconnaissance et d'amour qui grandissaient depuis plus de soixante ans dans les âmes.
Verrait-on l'Eglise sanctionner un jour par son autorité la miraculeuse apparition? On se le demandait; l'information canonique de i836 était en effet incomplète : pourrait-elle servir de base à une décision authentique?
Heureusement Dieu, on peut l'ajouter, prit lui-même en cette circonstance sa cause en main : la Vierge Immaculée apparut de nouveau en 1842 a M. Ratisbonnesous la forme même qu'avait décrite la soeur Catherine et que reproduisait la Médaille miraculeuse. Un procès canonique rigoureux et précis fut aussitôt instruit à Rome; et grâce à cette miraculeuse confirmation de l'apparition de i83o — sur laquelle s'appuya le très bienveillant promoteur de la Cause, S. Em. le cardinal Aloisi-Masella, — Léon XIII a daigné instituer la nouvelle fête. On demandait seulement de célébrer dans un office particulier la mémoire des grâces obtenues par la Médaille miraculeuse; Rome a accordé bien plus : on honore et on célèbre l'apparition même ou la Manifestation de l'Immaculée Vierge delà Médaille miraculeuse à Catherine Labouré, l'humble novice des Filles de la Charité. Ainsi se trouvait encore réalisée une des pa-
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rôles de la voyante : « Adressez-vous à Rome; on vous accordera plus que vous ne demanderez. » - L'apparition a été un bienfait pour tous les chrétiens; aussi l'Eglise a laissé voir son désir que tous pussent témoigner leur gratitude et leur joie pour le don céleste de la Médaille miraculeuse, comme ils le font pour le Scapulaire et pour le saint Rosaire. Elle l'a en effet déclaré dans les leçons liturgiques par ces paroles inusitées et qui ressemblent, comme on T'a justement remarqué, à une pressante invitation : « Cet office sera accordé à tous les diocèses et à tous les ordres religieux qui demanderont à le célébrer l. »
I LA PRÉPARATION
Des appels autorisés se firent entendre de tous côtés pour provoquer le peuple chrétien à participer aux joies et aux grâces spirituelles de cette fête. Voici, comme exemple de ce que l'autorité diocésaine fit en plusieurs endroits, l'Invitation {Invito sacro), ou le Mandement que Son Eminence le cardinal Parocchi, chargé, au nom du Saint-Père, de l'administration spirituelle de la ville de Rome, adressa aux habitants de cette capitale du monde chrétien.
INVITO SACRO DE S. ÉM. LE CARDINAL VICAIRE
« Lucidus Marie, cardinal Parocchi, par la miséricorde de Dieu, évêque d'Albano, vicaire de Sa Sainteté, etc.
« La fête que nous vous annonçons, ô Romains, est nouvelle ; mais par son objet elle est ancienne. Elle vous est
i. Le diocèse de Paris vient d'obtenir l'autorisation de célébrer la fête de la Médaille miraculeuse ; elle est fixée au 27 novembre. — On lit aussi dans la Semaine religieuse de Cambrai (22 décembre 1894) : « Par un rescrit en date du 20 novembre 1S94, le Saint-Père a autorisé le diocèse de Cambrai à célébrer la fête de la Médaille miraculeuse le 27 novembre et à reporter au 29 du même mois la fête transférée de saint Didace, confesseur. »
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déjà connue et elle vous est très chère. C'est la fête de la Manifestation de l'Immaculée Marie, dite de la Médaille miraculeuse; elle est devenue célèbre parmi vous par le prodige de la conversion d'Alphonse Ratisbonne, arrivée en 1842 dans l'église de Saint-André délie Fratte, où chaque année on en solennise la mémoire.
« Cette consolante et admirable manifestation de Marie Immaculée, que Notre Saint-Père Léon XIII a bien voulu permettre de célébrer cette année pour la première fois, fut entourée de tous les caractères des événements surnaturels ; elle présagea à l'Eglise une ère de grandeurs et de bienfaits égaux aux épreuves qui devaient sans trêve l'assaillir.
« La manifestation dont fut favorisée l'humble novice de la Maison-Mère des Filles de la Charité à Paris, en i83o, se rattache par les liens les plus étroits à la définition dogmatique qui occupe une place si importante dans l'histoire de notre siècle, la définition de l'Immaculée Conception de la très sainte Vierge Marie, proclamée vingt-quatre ans plus tard, le 8 décembre 1854.
« L'attitude de la Vierge qui apparut à l'heureuse fille de saint Vincent de Paul, foulant aUx pieds la tête du serpent; la belle prière enseignée par la Vierge elle-même et gravée par son ordre sur la Médaille miraculeuse : O Marie conçue sans péché, prie\ pour nous qui avons recours à vous, exprimaient une doctrine en harmonie avec les aspirations de toutes les générations catholiques ; c'était l'affirmation solennelle d'une vérité divinement révélée et qui allait devenir un dogme de foi : V Immaculée Conception de Marie.
« La manifestation que notis allons célébrer contribua d'une manière merveilleuse à la définition du dogme. Cette définition eut, en effet, van caractère tout spécial : alors que dans l'histoire des dogmes on ne saurait trouver une autre définition qui n'ait été provoquée par l'hérésie, le schisme ou l'incroyance, la bulle dogmatique sur l'Immaculée
Conception de Marie, elle, a été provoquée par la foi, par la piété et par l'élan de tous les croyants.
« Avec la Médaille miraculeuse qui porte l'image de l'Immaculée et sur laquelle on lit cette invocation, expression du dogme : O Marie, etc., la pieuse cro3rance se répandit dans de telles proportions qu'au temps de la définition dogmatique il n'y avait presque pas un point de la terre où on n'eût recours avec la foi la plus vive et la plus ardente dévotion à Marie conçue sans péché. Il se trouva que la Médaille miraculeuse, répandue partout, avait popularisé la sainte croyance ; que, grâce aux innombrables prodiges dont elle avait été l'instrument, elle avait appris aux peuples à invoquer la Vierge conçue sans péché. Elle avait, avec une ineffable suavité, tourné tous les esprits vers Celle qui devait être le salut de notre siècle, qu'on peut bien appeler le siècle de l'Immaculée.
« Toutes ces choses montrent clairement l'importance de cette manifestation que les enfants de saint Vincent se préparent à célébrer avec les plus vifs transports de piété et de joie; elles tournent aussi à la louange du glorieux saint et des deux instituts fondés par lui, les Prêtres de la Mission et les Filles de la Charité, et leur donnent une place parmi ces familles religieuses que Pie IX de sainte mémoire, dans la Bulle Ineffabilis Deus, déclare avoir bien mérité par le culte et par la dévotion à l'Immaculée Conception. « Le rôle tout spécial qu'eurent les Prêtres de la Mission et les Filles de la Charité, « par la diffusion de la Médaille « de la Vierge Immaculée, dite Médaille miraculeuse », confiée par la Vierge elle-même à la soeur Catherine Labouré, est une véritable mission du Ciel. Les enfants de saint Vincent peuvent, à juste titre, se glorifier et la regarder comme une de leurs gloires les plus pures, de même qu'autrefois c'avait été un très particulier sujet d'honneur et un objet spécial de zèle pour leur bienheureux Père de propager le culte de la Vierge conçue sans péché.
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« La confirmation de cette sublime mission venue de Dieu et de la Vierge Marie, pour la très noble fin que nous venons d'indiquer, se trouve dans les innombrables prodiges de tout ordre et de toute nature qui, depuis soixantequatre ans, s'opèrent par la Médaille miraculeuse, selon la promesse de l'Immaculée Vierge et notre tendre mère Marie.
« C'est pourquoi, afin de rendre les actions de grâces qui sont dues et à Dieu dont la gloire éclate dans la Vierge Immaculée, et à Marie qui, par le culte rendu à son plus beau privilège, attire à elle tous les coeurs et répand le trésor infini des grâces dont elle est la mère miséricordieuse, Notre Saint-Père Léon XIII a accordé la solennité que je vous annonce.
« Elle aura lieu, etc. (Suit le dispositif.)
« -j- L. M., cardinal vicaire. « P., chan., CiiECcm, secr. »
Chacun s'empressait de contribuer pour sa part à la célébration de la fête et désirait la rendre aussi glorieuse que possible pour la Vierge immaculée.
Un court et populaire récit de la céleste apparition fut composé; il était orné de gracieuses gravures représentant les diverses scènes de l'événement consolant dont on allait célébrer le souvenir. En quelques semaines, l'imprimeur ' eut à en fournir plus de 3oo ooo exemplaires; c'était pour l'édition française. Il avait fallu simultanément donner des éditions en langues anglaise, espagnole, italienne et flamande. Pendant les jours qui précédèrent la fête, les fabricants de Paris ne suffisaient pas ,à frapper des médailles, et on ne pouvait qu'imparfaitement satisfaire aux demandes adressées de tous côtés.
Il fallait donner une voix à la prière liturgique et aux formules sacrées que l'Église, dans l'office qu'elle avait
i. M. Paillard, à Abbeville (Somme).
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institué, mettait sur les lèvres de ses enfants pour célébrer la céleste Manifestation de la Vierge immaculée.
L'illustre auteur des Mélodies grégoriennes, dom Pothier, voulut bien joindre aux paroles sacrées le rythme sur lequel désormais, dans toute l'Église, l'âme chrétienne louera la Vierge de la Médaille miraculeuse.
Voici les paroles qui accompagnaient le précieux tribut de son grand talent et de sa tendre piété envers la Mère de Dieu :
« Ligugé. le 3 octobre 1894. « MON RÉVÉREND PÈRE,
« Je suis heureux de pouvoir vous envoyer aujourd'hui l'office noté de la Médaille miraculeuse, et de vous montrer, en cela du moins, ma bonne volonté et le désir que j'ai eu de répondre pro modulo meo à la demande que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser. J'aurais voulu en même temps répondre à la grandeur du sujet : les prédicateurs se plaignent de ne pouvoir parler dignement de Marie; qui osera croire qu'il l'a chantée dignement? Heureusement, c'est la Mère de miséricorde : elle sourit de nos audaces, et accueille avec bienveillance ce que nous balbutions en son honneur. Dignare me landare te, Virgo
sacrata. »
« Fr. J.-M. POTHIER, m. b. »
On peut dire qu'aux jours du Triduum ou de la solennité tous les coeurs étaient prêts à jouir des splendeurs et des consolations qui leur étaient réservées. Les Semâmes religieuses d'un grand nombre de diocèses avaient annoncé la fête et publié les leçons historiques de l'office qui en exposent l'origine et l'objet. Les grands journaux catholiques, de leur voix autorisée ou par leur immense publicité, se firent l'écho de ces fêtes ; ils contribuèrent à en porter l'édifiante impression, jusque dans les régions les plus lointaines, aux âmes qui s'y associaient avec un ardent et pieux intérêt.
II
LES FÊTES A PARIS
LA MAISON-MÈRE DE LA MISSION
A la chapelle si aimée des deux familles, où reposent les restes de saint Vincent, on n'eut en quelque sorte que l'aurore des solennités. Chacun sentait que la splendeur des fêtes devait éclater au lieu même de la céleste apparition. Mais déjà les âmes goûtèrent de très douces émotions.
La chapelle avait été gracieusement parée d'une légère et délicate ornementation. De riches oriflammes pendaient aux colonnes, et l'autel surtout attirait tous les regards.
Avec une filiale audace on avait comme prié l'humble saint Vincent de s'effacer... Ce n'était presque que pour un jour; et c'était pour laisser apparaître l'image de Celle qui se manifesta pleine de grâce et de vérité dans un sanctuaire non moins aimé. Peu à peu disparurent de devant la châsse du saint les lampes qui ne s'éteignent jamais, et bientôt se dressa la statue grandiose, très modeste et très douce, de la Vierge de la Médaille miraculeuse. Les rayons descendaient de ses mains étendues, et lorsque la lumière dont on l'avait inondée l'environna, ce fut comme un reflet de l'apparition elle-même. L'image de la Vierge immaculée, avec son manteau d'azur, son vêtement sans tache, son front resplendissant de pureté et de douceur, attirait tous les regards; tous les coeurs se sentaient comme captivés dans cette contemplation.
Durant les jours du Triduum, la foule, poussée par un instinct surnaturel, accourut empressée pour prier aux pieds de l'image vénérée. Chaque soir, un auditoire nombreux vint entendre le récit des merveilles que Dieu avait accomplies par l'apparition de sa Mère et par la manifestation de la miraculeuse Médaille. Le dimanche, eut lieu
la solennité présidée par Mgr Crouzet; la pompe des cérémonies sacrées, la beauté des chants liturgiques avaient attiré une foule nombreuse, et à vêpres, la belle et vaste chapelle se trouva remplie, comme aux jours des plus grandes solennités, par un auditoire avide d'entendre raconter les merveilles de l'apparition et de célébrer les louanges de la Vierge de la Médaille miraculeuse.
Ce n'était qu'un prélude à d'autres fêtes. Bientôt les lampes se rallumèrent autour des reliques de saint Vincent: de plus éclatantes solennités allaient commencer au sanctuaire de l'Apparition, dans la chapelle même où il fut donné à la soeur Catherine Labouré de contempler et d'entendre la Vierge immaculée.
III
A LA COMMUNAUTÉ DES FILLES DE LA CHARITÉ
On comprend la religieuse émotion qui se manifesta dans la pieuse demeure et autour du sanctuaire où l'on se sentait heureux de redire: C'est ici que l'Immaculée Vierge Marie est apparue !
C'est pourquoi, aux approches de la fête, la Maison-Mère des Filles de la Charité se transforma, on pourrait dire, en une ruche d'abeilles en mouvement ! Au milieu de cette activité même, le recueillement des travailleuses, leur oubli du surcroît de fatigues témoignent qu'elles agissent sous l'impulsion d'un ardent amour pour l'Immaculée Marie; les moindres détails deviennent autant d'hommages de piété filiale.
La voie est préparée, c'est la grande avenue qui conduit de l'entrée de la rue du Bac à la chapelle : des mains diligentes l'ont tapissée de lierre et de guirlandes; aux angles s'élèvent de verdoyants massifs, d'où s'élancent des touffes de chrysanthèmes et des camélias. Les invocations des litanies de la sainte Vierge, inscrites sur de blanches bannières,
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et, en prévision des fêtes du soir, les lanternes vénitiennes aux couleurs de Marie, complètent l'ornementation extérieure. Le vestibule de la chapelle devra souvent servir d'annexé au lieu saint, trop étroit pour la foule qui s'y presse. Des tentures blanches et or le décorent; des tableaux rappellent les différentes circonstances de l'apparition. Deux soeurs s'y tiennent de chaque côté de la porte, distribuant des médailles bénites et la Notice, comme souvenir du pèlerinage.
De fait, dès le premier jour, le concours ininterrompu de pieux fidèles, les nombreuses députations qui se succédaient, donnèrent à la solennité le caractère des pèlerinages : « On viendra en pèlerinage, » avait dit l'heureuse voyante. Qui décrira la piété et la beauté de la chapelle ellemême? «N'est-ce pas ici le ciel? demandait un enfant à sa mère, pourquoi n'y restons-nous pas? » — Non ! ce n'était pas le ciel; mais un reflet du ciel semblait éclairer ce lieu béni, lorsque le sanctuaire étincelait de mille feux. Là, au-dessus de l'autel, un peu en arrière du tabernacle, à l'endroit où la Vierge apparut, se détache, presque transparente, la blanche statue de l'Immaculée ; sa lumineuse couronne d'étoiles, le symbolique monogramme reproduit à sa droite et à sa gauche, les centaines de coeurs de vermeil, déposés en ex-voto, forment un reflet d'or parmi les nuages et rappellent cette nuit miraculeusement éclairée qui était « comme la nuit de Noël ». Les regards sont captivés par cette merveilleuse reproduction, et les rayons scintillants semblent se répandre comme une pluie de grâces.
Et puis, une prière ! Elle est sculptée en relief sur la frise de la coupole : « Je crois et confesse votre sainte et immaculée Conception ! » Elle environne comme un nimbe de gloire la Vierge incomparable. A ses pieds, le croissant symbolique; sur les marches de l'autel, un tapis, ouvrage de patient labeur et de filial amour offert par de jeunes catholiques d'Angleterre.
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Dans la nef, les lis et les roses s'échappent des corbeilles rustiques suspendues à la voûte ou formant des gerbes fleuries.
Une tenture bleu céleste à franges d'or, drapée en festons, suit les arceaux de la tribune, d'où retombent des oriflammes sur lesquelles se lisent des paroles tirées de l'office liturgique. Son Excellence le Nonce apostolique et son Éminence le Cardinal Archevêque de Paris doivent honorer la solennité de leur présence; le trône et la chaire sont élégamment ornés.
L'âme de toute cette pompe extérieure fut la piété et l'amour dont tressaillaient tous les coeurs.
Pendant une neuvaine préparatoire, M. le Supérieur général est venti chaque jour célébrer le saint sacrifice à la chapelle de l'Apparition ; une députation des séminaristes et des étudiants de Saint-Lazare y assistait,
LE TRIDUUM.— Premier jour.
Le matin, les messes se sont succédé sans interruption. Des religieux, des prêtres séculiers se présentaient, désireux d'attirer sur leur congrégation, sur leur paroisse et sur eux-mêmes les grâces promises en ce saint lieu. A peine la messe de communauté était-elle achevée, que déjà les cours, les corridors, la grande avenue ne pouvaient plus contenir les Enfants de' Marie internes, bien qu'il n'y eût de présentes que celles qui avaient été désignées pour représenter les diverses associations. Peu à peu elles prennent place à la chapelle, conservant, malgré maints sujets de distraction, un remarquable recueillement. Elles s'approchent de la table sainte, et pendant environ trois quarts d'heure, deux prêtres sont occupés à distribuer le pain de vie. L'association d'Enghien, de la maison où vécut la soeur Catherine, a le privilège, que personne ne lui conteste,d'interpréter les sentiments de cette assemblée d'Enfants de Marie, saintement fières de la Médaille miraculeuse.
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Ces pieuses jeunes filles doivent faire place aux fidèles qui, durant la bénédiction du Très Saint Sacrement, attendaient jusque dans la rue. Les députations des couvents et des pensionnats se succèdent; des religieuses de tout Ordre tiennent à hon neur de rendre leurs hommages à l'Immaculée Marie dans ce sanctuaire où elle est descendue.
Entre tous ces pèlerinages, celui des Dames de NotreDame de Sion venait, à des titres particulièrement chers et très doux, prier dans le sanctuaire de l'Apparition : le nom de M. Ratisbonne restera à jamais lié au souvenir d'une des plus éclatantes manifestations de la miséricordieuse puissance de la Vierge de la Médaille miraculeuse.
Cette première journée se termina par l'instruction et le salut indiqués pour cinq heures du soir; c'est M. le curé de Saint-Sulpice qui officia.
Bon nombre de personnes attirées par une pieuse curiosité, se retiraient émues, disant : « Je ne savais pas que ce lieu était si saint, cette médaille si précieuse ! »
Second jour du Triduum.
Le dimanche 2 5 novembre était le second jour du Triduum. La cloche de l'oraison du matin ne s'était pas encore fait entendre, et déjà le saint sacrifice commençait à la chapelle de l'Apparition. La grand'messe était indiquée pour sept heures et demie; une assistance nombreuse s'y pressait. La messe achevée, il fallut se hâter de faire place aux associations externes d'Enfants de Marie; il s'en trouvait de tous les quartiers de la capitale et même des environs. Vu leur grand nombre, on n'avait pu admettre qu'une députation de chaque association proportionnée au nombre de ses membres.
Les communions furent nombreuses, et le cachet d'une particulière modestie faisait reconnaître ces nombreuses jeunes filles et ouvrières des patronages.
Eu égard à la multitude des personnes désireuses de
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satisfaire au précepte de l'Église en la pieuse chapelle, des messes nombreuses furent encore célébrées. Les soeurs du séminaire contribuèrent de tout leur coeur et de toutes leurs voix à rendre plus solennelles les bénédictions du Saint Sacrement, qui se réitéraient fréquemment pendant la journée.
L'heure de vêpres pour la Communauté étant arrivée, on dut inviter les personnes qui eussent voulu demeurer en prière dans la chapelle, à se retirer. Quant aux soeurs, bon nombre d'entre elles durent demeurer debout, quoique le vestibule servît d'annexé à la chapelle; mais tout ennui était oublié lorsqu'on avait entrevu le trône resplendissant de la Vierge Immaculée, lorsqu'on avait entendu célébrer les louanges de cette Mère bénie.
Le salut du Saint Sacrement terminé, il fallut employer de nouvelles instances afin d'obtenir que la chapelle fût rendue au public.
C'était le temps marqué pour la réunion des membres des Conférences de Saint-Vincent de Paul : ces généreux chrétiens remplissent la nef. On voit aussi parmi eux des uniformes de soldats. Tous sont animés d'une même foi, d'un ardent amour pour Dieu et pour leurs frères. Autour d'eux se pressent ces ouvriers, ces jeunes gens des patronages, ces apprentis dont ils sont les appuis dévoués et les sages conseillers.
L'orphéon de Neuilly avait voulu payer son harmonieux tribut à la Vierge delà Médaille miraculeuse; il fil entendre de pieux accords pendant la cérémonie.
Le successeur de saint Vincent, M. le Supérieur général, adressa à cette réunion d'élite d'opportunes paroles de félicitations et d'encouragement.
Le salut solennel ayant [été donné, une nouvelle foule envahit la chapelle et ses abords; et, après une pieuse exhortation, une autre bénédiction du Très Saint Sacrement fut accordée à la religieuse assistance. On aurait dit
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que les fidèles avaient peine à s'éloigner de l'enceinte bénie.
Une reproduction transparente de l'apparition de Marie
Immaculée, placée au-dessus de la porte de la rue, mais à
l'intérieur, consolait encore leur regard au moment où ils
se retiraient.
Troisième jour du Triduum.
Parmi les pieux visiteurs et les députations nombreuses qui se succédèrent durant ce jour, le séminaire des Missions étrangères a tenu le premier rang ; c'est le vénéré Supérieur, M. Delpech, qui a offert le saint sacrifice, et qui a ensuite donné la bénédiction solennelle aux vaillants missionnaires ses chers fils.
Les futurs apôtres de Marie dans les régions infidèles quittèrent son sanctuaire pour faire place à d'autres apôtres, ceux de la charité. Les membres des Conférences de SaintVincent de Paul s'étaient de nouveau donné rendez-vous pour une messe de communion, et ils s'y trouvèrent nombreux. La messe de huit heures et demie réunit les Dames de charité en l'une de leurs grandes et édifiantes assemblées; convoquées en cette fête de la Manifestation, aux pieds de l'Immaculée Marie, elles s'y rendirent avec un pieux empressement. La plupart de ces généreuses amies du pauvre reçurent la communion de la main de M. le Supérieur général, qui offrit le saint sacrifice pour l'OEuvre tout entière.
Le successeur de saint Vincent adressa aux dignes continuatrices de l'oeuvre si aimée du charitable saint, une allocution tout à fait de circonstance et pleine de pratiques encouragements. Elle commençait par le commentaire de ce texte : Vadam et videbo hanc visionem magnam; « J'irai et je verrai cette grande vision, » disait Moïse; Je contemplerai cette manifestation miraculeuse, avez-vous dit, etc.
« Ce trésor est le vôtre, continua le successeur de saint Vincent; cette médaille, instrument de miséricorde, vous appartient, à vous, Mesdames, puisqu'elle a été confiée aux
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B'illes de la Charité, et que dans la pensée du saint Fondateur vous êtes les aînées de la famille. »
Une admirable variété parmi les élus de Dieu fait la beauté de la Jérusalem céleste; cette variété contribua aussi à la beauté de la chapelle de l'Apparition, en cette journée si bien remplie, et durant les jours qui suivirent, jusqu'à la fête de l'Immaculée-Conception. Le séminaire des Irlandais, celui de Saint-Sulpice, ceux de Vaugirard et d'Issy; les Pères de Notre-Dame de Sion, le noviciat des Frères des Écoles chrétiennes, les Enfants de la première communion d'Auteuil, les vieillards des Petites Soeurs des pauvres, etc., etc., vinrent tour à tour offrir à la Vierge Immaculée les plus touchants tributs d'amour. La Maîtrise de Notre-Dame de Paris s'y était rendue l'une des premières, et se fit remarquer par sa piété et sa tenue recueillie; les jeunes gens d'Enghien et du Bourget, les orphelins de Ménilmontant y vinrent à leur tour; ceux de la Convalescence eurent le fréquent honneur de servir les prêtres qui offraient le saint sacrifice. Les enfants de diverses écoles laïques se présentèrent aussi, la classe terminée.
Les pensionnats des Oiseaux et du Roule envoyèrent leurs députations; ceux des Dames de Saint-Maur, des Dames de Nevers, des Dames Auxiliatrices, et beaucoup d'autres arrivèrent successivement, parfois même ensemble, afin d'avoir aussi leur part des bénédictions qu'on venait solliciter de l'Immaculée Marie.
Les cierges et les bouquets étaient offerts à profusion ; on les passait de main en main pour les faire parvenir plus promptement à l'autel.
Le nombre des messes qu'on voulait faire dire à l'autel de l'Apparition fut si considérable qu'il fallut demander un délai notable aux personnes pieuses, pour qu'on puisse satisfaire à leurs pieuses intentions.
Mille détails traduisaient la foi et la piété des fidèles. — Heureusement, Son Éminence le cardinal archevêque de
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Paris avait autorisé à donner la bénédiction du Saint Sacrement aux divers pèlerinages qui se présentaient : un vénérable ecclésiastique, prosterné sur les marches de l'autel, y demeurait dans l'attitude d'un profond recueillement : « S'il vous était possible, Monsieur, de donner une bénédiction du Très Saint Sacrement? — Volontiers, » répond à ma Soeur Assistante le digne grand vicaire M ***. Et il attendait, priant encore, les préparatifs de ce salut improvisé.
Le même soir, pendant le souper de la Communauté, se présente le général***; il demande pourquoi il y a cette affluence extraordinaire. Et, après une courte explication, lui-même entre, s'agenouille dans les bancs du séminaire, et, sa prière achevée, il demande une médaille qu'il veut porter; il en réclame une autre pour sa dame, puis la petite Notice de la Manifestation, et ne s'éloigne qu'après avoir remis à la Soeur à qui il s'était adressé, une généreuse aumône pour les pauvres.
Au moment d'un exercice de la Communauté, les autres personnes s'étant retirées, une brave femme persiste à rester :' « Je suis venue de Vincennes pour prier devant la sainte Vierge, disait-elle : impossible de la quitter sitôt ! » — « Laissez-moi prier encore, disait une grande dame; votre chapelle, pour moi, à Paris, c'est Lourdes!» Comme à Lourdes, on voyait des prêtres vénérables et de pieux fidèles baiser le pavé de la chapelle de l'Apparition.
Et qui dira les grâces intérieures par.lesquelles des âmes ont été ramenées à Dieu ? Une dame qui avait la réputation d'être pieuse, mais qui ne pratiquait pas depuis vingt ans, est venue, un des jours du Triduum, avec sa nièce qui est sourde, pour demander la guérison de cette dernière. Au lieu de cette guérison, elle obtint celle de son âme qu'elle ne demandait pas. Au milieu d'un chant, peut-être celui de « O Marie conçue sans péché », elle fut saisie d'un profond sentiment de c omponction et prit larésolution d'aller
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se confesser pour faire la sainte communion le 27 ; ce qu'elle accomplit. Le prêtre qui la confessa, étonné de ce retour, lui demanda, a-t-elle écrit, quelle dévotion elle avait conservée; elle répondit qu'elle assistait souvent à la messe, et qu'elle n'avait cessé de dire tous les jours l'invocation : « O Marie conçue sans péché, etc. »
Au salut du soir, une foule compacte avait envahi la chapelle : on s'y tenait à genoux, debout, sans prendre garde à la durée de l'office, durant lequel pourtant une instruction devait précéder la bénédiction.
LE JOUR DE LA FÊTE
L'aurore du 27 novembre a été de beaucoup devancée par la ferveur des enfants de saint Vincent; les uns montent à l'autel quelques minutes après quatre heures; les autres contemplent, prosternées, le reflet céleste qui transforme le sanctuaire.
M. notre très honoré Père s'est réservé de distribuer le pain des anges à ses chères filles. Il a le bonheur de recevoir les premiers voeux de quelques-unes d'entre elles.
Le chant, la musique, le bel ordre des cérémonies, tout est en parfaite harmonie avec la solennité de cette journée mémorable.
Aux messes succèdent les messes, jusqu'à l'arrivée de Son Éminence le cardinal Richard, que M. le Supérieur et M. le Directeur reçoivent à l'entrée de la chapelle. La messe pontificale commence, et lecture solennelle est donnée du décret d'institution de la fête dont on inaugure aujourd'hui la célébration. Après l'Evangile, Son Éminence daigne adresser aux Filles de la Charité ces bienveillantes et éloquentes paroles dont nous sommes heureux de pouvoir donner le texte.
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HOMÉLIE
PRONONCÉE EN LA CHAPELLE DES FILLES DE LA CHARITÉ DE SAINT-VINCENT DE PAUL
PAR SON ÉMINENCE LE CARDINAL RICHARD
ARCHEVÊQUE DE PARIS A LA MESSE PONTIFICALE DE LA SOLENNITÉ
DE LA MÉDAILLE MIRACULEUSE 27 NOVEMBRE 1894
« MES CHÈRES FILLES,
« L'Église, notre mère, choisit avec une sagesse admirable les parties de la sainte Écriture qu'elle propose à nos méditations dans ses diverses solennités. Aussi nous sentons-nous incliné aujourd'hui à chercher dans le passage du saint Évangile qui vient d'être chanté à la messe l'intelligence de cette fête de la Manifestation de la Vierge Immaculée par la Médaille miraculeuse.
« C'est le commencement du second chapitre de l'Évangile selon saint Jean, où le disciple bien-aimé de Jésus raconte le premier miracle opéré par le Sauveur : Hoc fecit initium signorum Jésus in Cana Galileoe. La très sainte Vierge était présente aux noces de Cana, et ce premier miracle fut accordé à son intercession.
« Les saints Docteurs se sont plu à remarquer que c'est à l'intervention de la Bienheureuse Vierge que furent opérés le premier miracle de Notre-Seigneur dans l'ordre de la grâce et son premier miracle dans l'ordre de la nature. A la voix de Marie saluant sainte Elisabeth, saint Jean-Baptiste tressaillit de joie et fut sanctifié dans le sein de sa mère. A la prière de Marie, l'eau fut changée en vin à Cana en Galilée. C'est ainsi que se révèle, dès l'origine, le dessein miséricordieux de la Providence que saint Bernard a résumé dans un mot : Deus totum nos voluit habere per
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Mariant; « Dieu a voulu que nous ayons tout par Marie '. » « C'est pour nous, mes chères Filles, une grande consolation de voirie conseil divin recevoir son accomplissement dans la manifestation de la Vierge Immaculée par la Médaille miraculeuse, et c'est là ce que je voudrais essayer de comprendre avec vous. •*
I
« Le 27 novembre i83o, la Bienheureuse Vierge daignait se révéler à votre pieuse soeur Catherine Labouré. Elle lui apparaissait les mains pleines de grâces symbolisées par les rayons lumineux qui descendaient sur le monde. Autour de sa tête se dessinait, comme un arc-en-ciel de paix, l'invocation : O Marie conçue sans péché, prie\ pour nous qui avons recours à vous. Puis, au revers de cette image mystérieuse, elle lui montrait la croix, surmontant deux coeurs : celui du Sauveur, environné de la couronne d'épines, celui de sa Mère, transpercé par le glaive de douleur qu'avait prédit, le saint vieillard Sïméon. La très sainte Vierge donna l'ordre à la soeur Catherine de s'employer à faire frapper une médaille qui reproduirait fidèlement la vision mystérieuse.
« Nous n'avons pas à entrer dans les détails qui vous sont connus depuis longtemps, et dont le souvenir est ravivé en ce moment, non sans un dessein particulier de la Providence. Le vénérable archevêque de Paris, Mgr de Quélen, de pieuse mémoire, après un examen attentif, permit la fabrication de la médaille, qui se répandit avec une rapidité inouïe et des prodiges multipliés chaque jour. Le peuple chrétien lui donna son véritable nom : la Médaille miraculeuse.
« Avant de pénétrer plus avant dans l'étude des desseins de Dieu, remarquons, mes chères Filles, que le Seigneur a continué dans cette circonstance ce qu'il a fait dans son
1. Sermo in Nativ. B. M. V., n° 7.
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Église depuis l'origine. Infirma mundi elegit Deus ut cônfwidat fortiax. Il a choisi ce qui était infirme et faible selon le monde pour confondre l'orgueil et la puissance du siècle. C'est à l'humble Vierge de Nazareth que l'ange Gabriel fut envoyé pour annoncer le mystère de l'Incarnation du Fils de Dieu. C'est à une humble soeur de la Charité, sortie des champs, sachant à peine écrire, que la très sainte Vierge confie la mission de révéler sa gloire par la diffusion de la Médaille miraculeuse. Ce qui nous ravit, c'est de voir la soeur Catherine vivant inconnue jusqu'à la mort, parmi ces petits du monde à qui le Sauveur révèle, en tressaillant de joie, les secrets qu'il cache aux sages et aux
prudents du siècle.
II
« Mais admirons la suite des desseins providentiels. Six ans se sont à peine écoulés; et voilà qu'une nouvelle manifestation de Marie se produit au sein de la capitale. Le vénérable curé de Notre-Dame des Victoires, M. DufricheDesgenettes, se sent inspiré de consacrer sa paroisse au Coeur de la Vierge Immaculée, Refuge des pécheurs. Il avait été un des premiers témoins des merveilles de la Médaille miraculeuse, lorsqu'il gouvernait la paroisse de Saint-François-Xavier, dont l'église était alors si voisine de votre Maison-Mère où la Bienheureuse Vierge avait apparu. C'est le 11 décembre 1836 qu'avait lieu la première réunion de l'archiconfrérie de Notre-Dame des Victoires. Deux ans après, le Souverain Pontife Grégoire XVI l'éri' geait en archiconfrérie pour le monde entier, et à la mort du pieux fondateur, elle avait agrégé quinze mille associations; Nous nous souvenons de l'émotion que produisit la création de l'archiconfrérie de Notre-Dame des Victoires, qui avait donné à ses associés la Médaille miraculeuse comme signe distinctif d'union et de confiance en Marie.
i. I Cor., i, 27.
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« Et voilà qu'au bout d'une nouvelle période de six années éclate encore une manifestation de la miséricorde de la Bienheureuse Vierge dans la conversion de M. de Ratisbonne, le 20 janvier 1842. Quelques jours auparavant, il avait reçu des mains de son ami M. le baron de Bussière la Médaille miraculeuse et la prière toute puissante de saint Bernard à Marie : Souvenez-vous. Admirons, mes chères Filles, la conduite de la Providence : c'est à Rome même, où est établie la Chaire apostolique, que s'accomplit le miracle de conversion qui consacre l'union de la Médaille miraculeuse et de la prière pour la conversion des pécheurs ; c'est par l'autorité même du Vicaire de Jésus-Christ qu'est constatée la vérité de ce miracle de grâce opéré par Marie.
III
« Il faut ici nous arrêter, mes chères Filles, pour essayer de comprendre les oeuvres de la Sagesse divine qui, selon la parole de nos saints Livres, atteint ses fins avec force et douceur : suaviter etfortiter.
« Si nous jetons les yeux sur l'état des esprits en notre siècle, nous voyons un orgueil insensé qui veut se passeï de Dieu. L'homme, fier de ses découvertes et des progrès matériels de la civilisation, prétend se suffire à lui-même. Il nie le péché originel et ne veut pas reconnaître qu'il ■<. besoin d'un sauveur et d'un rédempteur. Mais, commi l'homme ne peut résister à Dieu .et avoir la paix, les âme superbes tombent dans le découragement et le désespoir sous le poids de la douleur et du péché qu'elles cherchen inutilement à nier. Qui pourra dissiper les ténèbres d< l'orgueil et rapprendre aux hommes le chemin de la mi séricorde et de la paix, en les amenant à Celui qui nou enseigne à être doux et humble de coeur pour trouver 1 repos de nos âmes ? C'est la divine Marie, en nous rêvé lant d'une part sa Conception Immaculée, et d'autre par la tendresse de son Coeur, refuge des pécheurs.
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« Quand nous invoquons cette divine Mère en lui disant : O Marie conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous, nous confessons la déchéance de notre nature par le péché originel, les défaillances qui sont la conséquence de la chute de nos premiers parents. Mais nous confessons aussi que nous avons un Rédempteur, le Fils béni de la Vierge Marie, qui a exempté sa Mère de la tache originelle, et nous a purifiés nous-mêmes par la grâce du saint baptême. Nous confessons notre glorieux titre de chrétiens enfants de Dieu; et si, dans le chemin de la vie, nous avons eu de douloureuses défaillances, c'est encore la Vierge bénie qui vient à nous, en nous apprenant à l'invoquer comme refuge des pécheurs. Nous sentons que Dieu ne l'a faite si pure et si grande que pour lui donner une toute-puissance de miséricorde et de bonté.
« Admirable concert de louanges et de prières qui s'élève de toutes les parties de l'univers : O Marie conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous. O Marie, refuge des pécheurs, priez pour nous!
IV
« Regardez encore, mes chères Filles : à partir de ces grandes manifestations de la sagesse et de la bonté divine marquées du sceau de l'humilité dans tous ceux qui en ont été les instruments, le Seigneur semble hâter l'accomplissement de ses desseins éternels pour la glorification de sa très sainte Mère. De toutes parts les évêques portent au pied du trône pontifical les voeux et les instances du peuple chrétien qui sollicite la définition du dogme de l'Immaculée-Conception.
« Le 8 décembre 1854, Pie IX, de glorieuse et sainte mémoire, proclame solennellement dans la basilique vaticane, sur le tombeau des saints apôtres Pierre et Paul, que la doctrine de la Conception Immaculée de Marie fait
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partie du trésor de la révélation divine. La terre tressaille de joie et les hymnes de l'action de grâces sont chantées dans toutes les langues de l'univers. C'est le genre humain bénissant la Trinité sainte des merveilles qu'elle a opérées pour son salut par le divin Rédempteur, et la remerciant d'avoir fait passer ses grâces par les mains de la Vierge mille fois bénie.
« Les desseins de Dieu continuent à se dérouler sous nos regards, et, le n février i858, la Bienheureuse Vierge vient à Lourdes confirmer elle-même les hommages qui lui sont rendus dans l'Église par cette parole qui, depuis un quart de siècle, attire avec un charme invincible les foules aux rochers de Massabielle : Je suis VImmaculéeConception.
V
« Le moment était venu où la Médaille miraculeuse devait briller d'un nouvel éclat parmi le peuple chrétien. C'était la source humble et obscure d'où est sorti le fleuve de grâces qui coule sur le monde dans notre siècle. On raconte que le vénérable fondateur de l'archiconfrérie de Notre-Dame des Victoires disait à vos soeurs qui venaient prier à son autel : «Pourquoi venez-vous prier ici? N'avezvous pas dans votre chapelle la source des grâces que la Vierge Immaculée répand dans ce sanctuaire? »
« Le Souverain Pontife, en établissant cette année, à la prière du successeur de saint Vincent de Paul, votre très honoré Supérieur, la fête de la Manifestation de la Vierge Immaculée par la Médaille miraculeuse, vous a donné, mes chères Filles, et a donné à la double famille spirituelle du Père des pauvres, une mission providentielle.
« Notre-Seigneur a confié à l'Ordre des Carmes la mission de garder et de propager le scapulaire, vêtement de protection et d'honneur pour les chrétiens. Il a confié aux enfants de saint Dominique l'enseignement et la propagation du saint Rosaire, cette prière puissante qui met sur
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nos lèvres les paroles du Sauveur lui-même dans l'Oraison dominicale, la Salutation de l'ange et l'invocation suppliante de l'Église dans VAve Maria, et qui nourrit intérieurement nos âmes de la méditation des mystères de Notre-Seigneur et de la très sainte Vierge. A vous, mes chères Filles, la proclamation de la Médaille miraculeuse. Nous ne pouvons nous empêcher de remarquer l'harmonie qui existe entre votre vocation de Filles de la Charité et la manifestation de cette Médaille bénie. Dieu s'est servi de ce signe pour la conversion des âmes et la guérison des corps. Par votre vocation vous êtes destinées à soigner les malades et, en soulageant leurs douleurs, à ramener leurs âmes vers Dieu. Que Dieu soit loué d'avoir mis entre vos mains le signe mystérieux de sa miséricorde !
« Les sages du monde riront de votre simplicité et de votre confiance. Mais sous ce symbole, dans cette prière, est caché, nous avons essayé de vous le dire, un enseignement solide pour confondre les erreurs superbes de notre siècle et relever les âmes qui défaillent dans' le découragement et le désespoir. Allez donc.avec confiance porter la Médaille aux petits et aux grands, aux savants et aux ignorants, en répétant pour eux et avec eux : O Marie conque sans péché, priez Pour nous qui avons recours à vous. O Marie, refuge des pécheurs, priez pour nous l
« Ainsi, de nos jours, au milieu de la capitale de la France, que la Bienheureuse Marie a toujours aimée, se vérifiera la consolante doctrine que nous enseigne l'évangile de cette fête, où nous voyons la très sainte Vierge recevoir de son divin Fils la mission d'initiatrice des miracles de grâce et de nature opérés dans le monde ! Ainsi soit-il. »
Après ces éloquentes paroles, la célébration de l'adorable sacrifice continue et la bénédiction solennelle termine l'imposante cérémonie.
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L'action de grâces achevée, Son Éminence se rend au séminaire : sa paternelle bienveillance a encore quelques paroles d'encouragement et de félicitations pour les jeunes soeurs. C'était bien spécialement la fête de celles au milieu desquelles Dieu avait choisi la voyante à qui il révéla ses mystères.
A la chapelle continuent les pèlerinages. Bientôt arrive l'heure de vêpres pour lesquelles seront réunis les membres delà double famille; à eux se sont joints quelques privilégiés, des religieux et des prêtres, qui ont pu pénétrer dans la trop étroite enceinte du très aimé sanctuaire.
Dans la rue, la foule se pressait aux portes de la demeure privilégiée. Un membre de la presse catholique, qui en fut le témoin, écrivait :
<t On a rarement vu un pareil concours. Les religieuses chargées de la garde des portes épuisent toutes les formules de la politesse et de la charité pour contenir le flot des visiteurs que leur humble chapelle ne saurait contenir.
— Il nous faudrait Notre-Dame, nous dit l'une d'elles.
— Tant mieux ! ma soeur. Et louée soit la sainte Vierge.
— Mais revenez ce soir; vous pourrez peut-être entrer.
— Nous tâcherons, ma soeur 1 »
Une conférence qui rappelle les enseignements de la Médaille miraculeuse est donnée par le pieux et dévoué prédicateur de ces jours bénis. Son discours reçoit un heureux complément dans les quelques mots suivants qui furent adressés comme conclusion par M. notre très honoré Père, aux membres des deux familles qui se trouvaient réunis :
« A Domino factum est istud; « Ceci est vraiment l'oeuvre « de Dieu. » En effet, Messieurs et mes chères filles, aucune autre expression ne saurait rendre les sentiments qui remplissent mon âme : « L'hiver est passé, le printemps est « venu. » Jamais je n'aurais osé espérer de tels prodiges, d'aussi indicibles consolations !
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« Voici qu'en ces jours bénis le lis, la violette et la rose ont réuni leurs parfums pour transformer cette chapelle en un paradis de délices, symbolisant en même temps les vertus que l'Immaculée Marie demande de chacun de nous.
« Les leçons de la Médaille miraculeuse vous ont été pieusement commentées, il ne me reste qu'une parole à vous adresser, et mes lèvres émues ne peuvent que vous redire, à vous qui êtes jeunes encore : Préparez-vous à la belle mission que la Vierge Marie daignera vous confier ; si vous êtes d'un âge plus avancé, mon coeur aura pour vous une parole d'encouragement : Continuez, jusqu'au complet épuisement de vos forces, à servir les âmes, à servir les pauvres, à glorifier l'Immaculée Marie; soyez ses apôtres par le plus constant et le plus généreux dévouement, toujours et jusqu'à la fin : Quantum potes, tantum aude, quia major omni laude. »
Son Excellence le Nonce apostolique à Paris, Mgr Ferrata, officia au salut du Saint Sacrement, dont les chants furent exécutés avec entrain et .avec piété. Mgr le nonce se rendit ensuite, lui aussi, au séminaire, afin de bénir spécialement les novices.
Pendant les jours qui ont suivi, jusqu'à l'ImmaculéeConception, des pèlerinages nombreux sont encore venus à la chapelle de l'Apparition y saluer à leur tour la Vierge Immaculée, afin d'y recevoir une bénédiction d'adieu. Les coeurs conçoivent d'autres désirs, et ils saluent d'avance d'autres fêtes, celles du Couronnement de la Vierge de la Médaille miraculeuse...
Et puis, un jour ne viendra-t-il pas, ô soeur Catherine Labouré, fille de saint Vincent de Paul, notre soeur, où il nous sera donné de vous voir glorifiée sur la terre, vous qui avez été l'heureux instrument d'une si éclatante glorification de la Vierge Immaculée : Reposita est hoec spes in sinu meo? Nous voulons garder cet espoir dans notre coeur!
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IV LES FÊTES DANS LES PAROISSES
De tous côtés, on peut le dire, dans la mesure où le permirent les circonstances, l'apparition de la Vierge Immaculée a été célébrée avec splendeur. Souvent même, MM. les curés, sentant les populations qui leur sont confiées disposées à accueillir les saintes pensées que suggèrent ces fêtes, les ont célébrées solennellement dans l'église paroissiale.
Au jour où nous écrivons ce résumé (9 décembre), commence, en l'église Saint-Vincent-de-Paul de Paris, un solennel Triduwn. L'immense et magnifique église, enrichie des fresques de la Procession des saints, l'immortel chefd'oeuvre d'Hippolyte Flandrin, que l'Europe tout entière a le droit d'envier à Paris, a été splendidement décorée. Pendant le Triduum se dérouleront d'éclatantes cérémonies, et, deux fois chaque jour, des prédicateurs célèbres loueront la Vierge de la Médaille miraculeuse.
A l'église du Grand-Montrouge, à Paris, M. le curé, au jour de la fête du bienheureux Gabriel Perboyre, avait convoqué, pour honorer le martyr de Jésus-Christ, non seulement les Filles de la Charité de sa paroisse, mais tous les fidèles ; il ne les a pas trouvés moins empressés à honorer, au 27 novembre, la Vierge Immaculée. Lui-même voulut distribuer aux assistants la Médaille miraculeuse. Leur nombre et leur piété lui ont apporté une très grande consolation.
Voici quelques détails des fêtes célébrées dans les divers diocèses.
Amiens. — M. Siguier, supérieur du grand séminaire, écrit à M. le Supérieur général :
« Amiens, 2 décembre 1S94.
« Nous avons eu une belle et pieuse fête. Comme la Vierge Immaculée était apparue à une fille de la Charité,
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nous avons pensé qu'il serait mieux de la célébrer dans une de leurs chapelles ; et, pour cette année, nous avons choisi la maison de la Visitatrice, ma soeur Récès.
« Je n'ai pas besoin de vous dire de quel coeur on s'est préparé à cette délicieuse solennité.
« L'Immaculée Vierge, toute blanche sur un fond d'azur, attirait tous les regards ; rien qu'à la voir on était ému des. mille souvenirs de l'apparition de i83o; et l'on priait avec ferveur.
« Mgr Renou a voulu présider à cette solennité. Nos deux vicaires généraux, M. Mollien et M. Dely, étaient là. M. Daveluy, archiprêtre de la cathédrale, a chanté la messe. Tous les curés de la ville étaient présents. Inutile d'ajouter que tous les prêtres de la Mission s'étaient donné rendezvous à cette fête.
« Toutes'les Filles de la Charité, c'est-à-dire plus de cent cornettes blanches, formaient là, aux pieds de la Vierge, comme un parterre de lis, et auprès d'elles plus de quatre cents Enfants de Marie.
« Nos séminaristes, avec leurs belles voix picardes, s'étaient bien volontiers unis à nous; et, par leur piété et leurs beaux chants, ils ont ajouté à l'éclat de la solennité. Nos Soeurs, en sortant de la chapelle, se disaient : « On se • « croyait à Saint-Lazare. »
« C'est moi qui ai prêché, et il m'a été facile de montrer à ces bonnes filles combien Marie les aime. Elle, qui leur a laissé cette parole : « J'ai toujours l'oeil sur vous ! »
« Et je crois avoir donné un peu de fierté aux Enfants de Marie, en leur rappelant que, si les autres Congrégations de la Vierge ont eu pour fondateurs des prêtres pieux et saints, pour elles leur honneur était bien plus grand, puisque c'est la Vierge Immaculée elle-même qui les a fondées.
« Pour clore cette belle journée, Monseigneur a bien voulu recevoir lui-même quarante-deux Enfants de Ma-
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rie. Inutile de vous dire la joie de ces jeunes âmes : il v aura émulation, à Amiens, pour devenir Enfant de Marie, si tous les ans cette belle cérémonie se renouvelle.
« La cérémonie terminée, on se séparait à regret; les âmes étaient refaites pour quelques jours ; et l'on avait goûté, aux pieds de la Vierge, en un trop court instant, quelque chose de la joie du paradis.
« Mgr l'Évêque veut demander la fête pour tout le diocèse. «
A Arras, Mgr Williez avait tenu à présider lui-même le salut solennel célébré le 27 novembre. Bien longtemps à l'avance, la chapelle est comble et l'autel resplendissant de lumières; plus brillante encore l'Apparition, avec ses chatoyants effets de perles, de diamants et de feux, sous le jet intense et parfait qui de la tribune l'enveloppe tout entière et l'idéalise. On ne se lasse pas de contempler et de prier la Vierge Immaculée.
M. Liénard, vicaire général, monte en chaire et parcourt successivement la vie merveilleuse de Catherine Labouré et les prodiges de la Médaille miraculeuse. Sous sa convaincante parole, devient plus vive encore la piété de tous à la sainte Médaille et à la prière que la Vierge Immaculée elle-même y a fait inscrire : « O Marie conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous ! »
A Béthune, « la journée du 27 novembre a été une journée du ciel ». La chapelle, les corridors, tout était rempli, et la provision de médailles à distribuer n'a pas suffi.
L'Émancipateur, rendant compte des fêtes de Cambrai, écrivait :
« La fête de la Médaille miraculeuse a été célébrée, hier, dans la chapelle de la fondation Van-der-Burch et dans celle du grand séminaire, avec une grande piété.
«A Van-der-Burch, M. le doyen de Saint-Géry dit la
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messe de huit heures et distribua ensuite des médailles à toute l'assistance.
«Au grand séminaire, même distribution eut lieu après la grand'messe et après les vêpres.
« Les chants, tant de la messe que des vêpres, eurent ce cachet que nous leur constations dernièrement encore, d'aller droit au coeur, par leur accent, leur ensemble, leur sentiment de foi profonde,
« Hier soir, notamment, à l'issue du salut, pendant le Magnificat et les cantiques qui suivirent, toute l'assistance se joignant aux séminaristes, on sentait les larmes monter du coeur jusqu'aux yeux, disant avec la foi le bonheur intime de l'âme.
« Le côté consolant de ces choses, pour nous Français, c'est que ce soit toujours le sol de notre patrie que la Reine du ciel choisisse ainsi pour se manifester.
« Cette insistance de sa part ne doit-elle pas faire naître en nous, pour l'avenir, de patriotiques et chrétiennes espérances? »
Nous empruntons à un compte rendu intéressant quelques détails sur les fêtes du Triduum à Carcassonne.
« M. l'abbé Dariez, curé de la paroisse Saint-Vincent, a été heureux de célébrer dans son église le premier jour de ces fêtes.
« Des préparatifs avaient été faits pour rehausser la splendeur de cette solennité. Dans le sanctuaire s'élevait un grand trône, richement orné, sur lequel, au milieu des bannières et de la verdure, apparaissait une magnifique statue de Marie Immaculée.
« Toute la journée, une foule pieuse est venue prier et faire brûler des cierges devant cette image qui rappelait si bien à tous les coeurs les faveurs de Marie par les rayons qui, s'échappant des mains de la Vierge, tombaient sur le globe terrestre, placé sous ses pieds.
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-34« foule assistait nombreuse à celte messe solennelle; mais c'est surtout à l'office du soir que, immense, elle voulut être le témoin d'un vrai triomphe pour Marie. Les élèves du grand séminaire ont exécuté les chants des vêpres. L'entrain de leurs voix, trahissant l'enthousiasme et la piété, montrait combien ils étaient heureux de partager la joie de leurs maîtres, combien surtout ils étaient heureux de chanter les gloires de Celle qu'ils invoquent comme la Reine du clergé; deCelle qu'une voix allait saluer du beau titre de Reine de France !
« M. le curé de Saint-Vincent, en effet, ému à la vue de cette démonstration religieuse, monta en chaire, et s'inspirant des plus beaux sentiments qui peuvent faire battre un coeur sacerdotal et français, commenta ce mot : Regnum Gallioe, regnum Marioe ; « La France c'est le royaume de Marie. »
« L'orateur fit cette heureuse remarque, que si ailleurs se trouve la tête du corps de l'Église, à Rome, résidence de.la papauté, il est une nation qui en est comme le coeur : la France, patrie du dévouement et du sacrifice. M. le curé prouva combien le Cielet surtout Marie ont toujours montré de prédilection pour ce pays, foyer de l'amour généreux et de la charité ! Ayant pris pour cela le fait capital de ce siècle, la définition du dogme de l'Immaculée-Conception, il rappela avec bonheur que cette définition avait été sanctionnée après par une apparition de Marie sur la terre de France, à Lourdes; de même qu'elle avait été préparée avant par cette autre apparition, aujourd'hui glorifiée, faite à la soeur Catherine Labouré, dans la Maison-Mère des Filles de la Charité, à Paris.
« M. le curé avait à peine terminé son discours, que les ■séminaristes reprirent leurs beaux chants. A ce moment, le spectacle de l'église Saint-Vincent était grandiose. Une illumination générale ajoutait aux gloires dont on environnait Marie : aussi avec quelle ferveur, au moment-du
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Salut, la foule répéta dans son coeur le refrain du cantique . la Vierge de France, de Gounod, chanté par les séminaristes, du haut de l'orgue : « O Marie conçue sans péché, « priez pour nous qui avons recours à vous. »
« Les cérémonies du Triduum célébré sur la paroisse de Saint-Vincent, se continuèrent le lundi dans la Communauté de la Miséricorde, en des cérémonies religieuses dignes de celles qui avaient précédé.
« Le troisième jour du Triduum fut le digne couronnement de ces fêtes consolantes. Les offices eurent lieu dans la chapelle du grand séminaire. C'était bien dans ce sanctuaire qu'on s'attendait à voir l'éclat de toutes les pompes que pouvait revêtir une pareille solennité.
« Durant les deux jours précédents, les séminaristes n'y avaient célébré que des fêtes intimes. Monseigneur, toujours heureux de faire croître leur piété, était venu, la veille, les consacrer lui-même à Marie Immaculée. Ces heures de recueillement, les paroles laissées par leur évêque, les avaient préparés à l'enthousiasme du dernier jour. Tout, d'ailleurs, dans la chapelle du grand séminaire, annonçait la joie et le triomphe. La décoration était splendide.
« La messe solennelle fut célébrée parM.lecuré de SaintVincent, mais les offices du soir devaient offrir encore plus de grandeur. Bien avant l'heure des vêpres, toutes les places disponibles étaient occupées. La foule, qui, pendant ces trois jours, avait montré tant de fidélité à Marie, se pressait dans cette chapelle devenue trop étroite.
« Après le chant solennel des psaumes, tous les coeurs étaient préparés à accueillir la parole de l'orateur sacré. Une légitime impatience faisait désirer ce moment. C'était, en effet, M. Larroque, archiprêtre de la cathédrale, qui allait, en ce jour, chanter les gloires de Marie.
« Faire l'historique de l'apparition de la très sainte Vierge à soeur Catherine Labouré, fut tout son dessein. ■Mais quels tableaux délicats il esquissa au milieu de ce
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récit! Et avec quels accents il fit tressaillir les âmes tour à tour de regrets, de joie et d'espérance!...
« Le lendemain, au soir, le temps devenu plus propice, permit de glorifier encore une fois la Vierge Immaculée. Une illumination splendide eut lieu dans la cour du grand séminaire. L'enthousiasme, comme doublé par le contretemps apporté la veille par la pluie, se manifesta avec plus de force. Au milieu des feux de bengale et des pièces d'artifice, les séminaristes traduisirent leur joie par des chants ; la foule applaudissait à ces hommages rendus à Marie. Enfin, après quelques vibrantes paroles, prononcées au milieu de cet enthousiasme par M. le curé de Saint-Vincent, on vint à la chapelle s'agenouiller une dernière fois au pied du trône de la très sainte Vierge, et un salut très solennel clôtura ces fêtes inoubliables. »
Les divers comptes rendus ont leur caractère à part. A Dieppe, on se félicite surtout, en décrivant les fêtes, d'avoir pu donner aux orphelins de la terre la joie de se sentir, pendant quelques jours, si près de leur Mère du ciel.
Le récit des fêtes de Moulins se termine par ces mots qui en indiquent la piété et la douceur : « Mon Dieu, pourquoi faut-il que ces fêtes durent si peu ! » A Issoudun, le concours si dévoué des prêtres du Sacré-Coeur et de la respectable fondatrice de l'oeuvre a donné aux solennités une splendeur dont tous sont encore charmés.
Parfois, comme à Metz, la préparation a été l'occasion de touchants actes de vertu. « Nos petits garçons, écrit-on de la maison des orphelins, instruits de l'importance qu'il y a de se bien préparer pour recevoir les grâces attachées à la première célébration de cette fête, s'étaient disposés d'avance par une fervente neuvaine, ajoutant leurs petits efforts de sagesse et d'application, comme des fleurs immortelles offertes à la sainte Vierge. Les plus sérieux ont pous-
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se la ferveur jusqu'aux petites mortifications, comme la privation de leur goûter et d'autres choses semblables ; tout cela de leur propre mouvement, de sorte qu'il fallait les arrêter dans leur ardeur. »
Il convenait que le berceau de l'heureuse voyante Catherine Labouré se distinguât par des fêtes solennelles. Il en fut ainsi. Les Filles de la Charité de Moutiers-Saint-Jean avaient eu l'heureuse pensée de préparer les âmes en envoyant à chaque famille de Moutiers et de Fain, patrie de la soeur Catherine, la Notice de la Médaille miraculeuse ; une neuvaine fut suivie avec empressement par la population, et au jour de la fête, une religieuse cérémonie, où un nombreux clergé entourait M. le curé de Moutiers-SaintJean, réjouit toutes les âmes. L'éloquente parole de M. le chanoine Caseneuve, curé de Saint-Vincent-de-Paul de Marseille, félicita la population du bonheur de compter parmi ses enfants la soeur favorisée de si particulières grâces du ciel.
Mgr Fallières, évêque de Saint-Brieuc, avait adressé au clergé et aux fidèles de son religieux diocèse une lettre pastorale destinée à leur faire connaître la nouvelle fête que Rome venait d'instituer en l'honneur de la Vierge de la Médaille miraculeuse. La voix si autorisée du pasteur de ce diocèse avait été entendue, et la Semaine religieuse a pu faire précéder son compte rendu de ces lignes :
« Préparées par la lettre de Monseigneur et par un attachement déjà ancien des fidèles de Saint-Brieuc à cette sainte Médaille, les fêtes du Triduum ont eu un éclat exceptionnel. »
Exceptionnel : c'est le cachet presque universel de l'éclat des solennités, c'est aussi celui de l'édification et des fruits de piété produits par cette fête. Les récits venus de Rennes, de Vitré, de Sedan, de Dijon, de Tours, de Pau, d'Uzès, que nous avons sous les yeux, en sont le témoignage.
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Dans la Semaine catholique de Luçon qui a donné le compte rendu des belles fêtes de Fontenay-le-Comte, nous aurions bien des détails gracieux à recueillir. Citons au moins ce beau cantique écrit par un poète vendéen.
A LA VIERGE DE LA MÉDAILLE MIRACULEUSE
Puisque vos mains s'ouvrent à qui vous prie, Vous nous vo}rez encore à vos genoux; Reine très pure et de grâces remplie, Priez, priez pour nous qui recourons à vous.
I Dans une médaille bénie L'artiste a gravé vos attraits, Votre regard, Mère chérie, El vos mains pleines de bienfaits.
II J'accueille votre sainte Image Comme le gage du bonheur, Et pour sceller votre héritage Je veux la mettre sur mon coeur.
III Si le royaume de Marie Était menacé dans sa foi, Palladium de la patrie, J'espérerais encore en toi.
IV Je veux, ô Médaille chérie, T'embrasser à mon dernier soir; Puis, ô Mère, douce Marie, Là-haut je m'en irai vous voir. G. P.
De la maison des Filles de la Charité de Saint-Jean, à Lyon, on écrit : « Pendant le Triduum, notre chapelle se remplissait sans cesse d'une foule recueillie, avide d'entendre louer Marie Immaculée et raconter les privilèges sans nombre dont fut favorisée soeur Catherine Labouré, à qui fut réservé l'honneur de répandre et de faire connaître la Médaille miraculeuse, et que la sainte Vierge choisit pour
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être la confidente des secrets de son âme. Les Enfants de Marie, venues en grand nombre, purent emporter dans leur coeur la douce persuasion de l'amour de choix que Marie avait eu pour elles, puisque c'est elle-même qui demanda l'institution de cette Congrégation. Le bien immense, les miracles sans nombre de guérison, de conversion, qu'a produits cette médaille, furent pendant trois jours les sujets principaux qui occupèrent notre esprit. Enfin, mardi, jour de la fête, fut le triomphe de ces jours bénis. A quatre heures et demie nous arrivions d'abord, avides d'adorer notre Dieu et d'avoir les premiers regards de la Reine du ciel; mais nous ne restâmes pas longtemps seules; dès cinq heures, des religieuses de différentes Communautés voulurent assister à la première messe, et depuis ce moment jusqu'au soir, Notre-Seigneur, exposé toute la journée, eut des adorateurs empressés et recueillis.
« Les messes se succédèrent nombreuses dans nos chapelles : MM. les vicaires généraux, plusieurs chanoines, M. le curé nous avaient fait l'honneur et avaient voulu avoir la consolation d'offrir le saint sacrifice chez nous. Mgr l'Archevêque voulut rehausser l'éclat de la fête en venant lui aussi dire la messe aux pieds de Marie Immaculée. Il nous a été bien doux d'entendre tomber de ses lèvres des paroles pleines de foi et d'espérance, redisant dans un langage éloquent les bontés et les grâces nombreuses que Marie eut pour notre chère Communauté et pour soeur Catherine, qu'il avait, eu dit-il, le bonheur de connaître au début de son ministère, lorsqu'il était aumônier à Enghien.
« Tout le jour, nos petites orphelines venaient par groupes, voilées de blanc, réciter le chapelet, et du matin jusqu'au soir Marie entendit son nom mille fois redit par ces lèvres innocentes.
« A une heure, c'était les pauvres, les malheureux, les affligés qui venaient demander aide et protection à Marie.
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Rendez-vous leur avait été donné et les deux paroisses avaient tenu à être fidèles à cet appel : les hommes, en grand nombre, ouvraient la marche, puis les femmes suivaient. Ce spectacle était émouvant : la voix brisée des vieillards se mélangeant à la voix jeune et fraîche des enfants, formait un concert qui a dû plaire à la sainte Vierge, consolatrice de toutes les douleurs et soutien de toutes les faiblesses.
« Au soir, M. le curé, pour clore ces fêtes, voulut bien, dans un bref mais éloquent discours, nous montrer soeur Catherine Labouré, comme la plus simple et la plus humble, mais la plus fervente des novices. Puis, il raconta les apparitions, et décrivit l'influence qu'avait exercée dans la société la Médaille miraculeuse.
« Vingt-cinq grosses de médailles et quinze cents brochures ont été distribuées. »
La Supérieure de la maison Sainte-Geneviève de Reims écrivait à l'une des soeurs de la Communauté, à Paris, ces lignes :
« Jamais fête, je crois, n'a mis plus d'allégresse dans les âmes ! Vous étiez là-bas les privilégiées. Ici, nous avons été plus que dédommagées.
« On estime que six mille personnes environ sont venues prier à Sainte-Geneviève pendant le Triduum; le jour delà fête, l'église n'a pas désempli. Et il faut se souvenir que nous sommes loin de la ville, et que si on est venu, c'était uniquement pour prier. Chaque soir, l'église était comble, plus d'hommes que de femmes. Que n'avez-nous entendu ces mille voix d'ouvriers chantant les louanges de Marie ! J'avais fait imprimer des feuilles qui leur permettaient de s'unir à tous les chants ; le Magnificat surtout semblait fendre la voûte ; je n'ai jamais vu enthousiasme semblable. « Mais ce qui surpasse tout, ce sont les retours à Dieu; des retardataires de dix, quinze, vingt, et un même de cinquante ans, se sont approchés des sacrements.
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« Mardi matin, à quatre heures dix, j'ouvrais la porte de l'église et déjà de pauvres gens attendaient pour se confesser. Il y avait foule à chaque messe, et il y en a eu sans interruption depuis quatre heures et demie, pendant toute la matinée. »
Au milieu de ces échos tout religieux, veut-on la note donnée par un journal de la ville? U1 Avenir de Reims (29 novembre 1894) écrit :
« Il y a à Paris, dans une chapelle de la rue de Reuilly, un tombeau où dort une fille de la Charité dont la cendre, hier, aura dû se sentir réchauffée par tous les hommages rendus à l'Immaculée Conception de la sainte Vierge, qui fut la joie de son âme et comme la passion de toute sa vie.
« Le choix divin, qui fit de cette simple fille des champs une voyante et une prophétesse, nous ramène aux jours lointains des saintes visions, lorsque Dieu s'entretenait au désert avec les pasteurs de Thécué.
« Je vous l'ai déjà dit bien souvent, nous avons le tort de nous arrêter toujours aux superficialités de l'histoire, de n'en voir que les apparences éclatantes ou grisâtres, sans regarder la trame surnaturelle, le tissu divin qu'elles recouvrent.
« Cet inconnu que nous négligeons, que le monde ne soupçonne pas ou qu'il méprise, c'est cependant |la substance de l'histoire, le fond réel où tout s'appuie, l'ordre irrésistible et caché, selon lequel s'enchaînent les combi-; naisons et tous les efforts humains.
« Quel autre sens pourriez-vous donner à cette parole qui résume l'histoire universelle : « L'homme s'agite et « Dieu le mène » ?
« La pauvre soeur Catherine Labouré, dans ses visions, a lu en abrégé l'histoire divine de ce dix-neuvième siècle, si pauvre au point de vue humain, si grand par le divin qui fermente en lui et le mène.
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« Elle a pu contempler le coeur de saint Vincent, et cette apparition, dont Dieu l'a favorisée, est comme l'abrégé de l'histoire des efforts tentés depuis par Ozanam, par les Conférences de Saint-Vincent de Paul et les oeuvres analogues, pour réagir, au moyen de la charité, contre l'égoïsme que la Révolution a légué à ce siècle avec son impiété.
« Détachez de l'histoire du dix-neuvième siècle ce chapitre de la charité, vous resterez effrayés du peu que vaut tout le reste....
« La plaie de ce siècle est l'horreur du sacrifice. Toujours, le sensualisme des moeurs plonge ses racines dans l'égoïsme, dans cet amour dumoz, primant toute autre préoccupation et s'exagérant, lorsqu'il manque du contrepoids de la charité, jusqu'aux proportions d'un culte monstrueux.
« Partout vous rencontrez les accessoires de ce culte idolâtrique, comme autant de pièges tendus aux âmes pour les déformer et les avilir en les amollissant.
« Le remède que Dieu tenait en réserve contre cet abject sensualisme qui enfièvre ce dix-neuvième siècle, la pauvre Catherine Labouré l'a vu, c'est l'Immaculée Mère de Dieu. A toutes nos souillures, à toutes nos corruptions Dieu oppose la pureté idéale de la Vierge-Mère ; et n'êtes-vous pas frappés de ce fait, que sa pureté est plus particulièrement mise en lumière et que sa conception immaculée est solennellement définie dans un siècle corrompu comme le nôtre?
« Voilà ce qu'a vu l'humble fille de la Charité : la Vierge sans tache, triomphante, versant ses grâces sur le monde qui est à ses pieds. Puis, comme Dieu ne fait rien à demi, vingt ans plus tard, l'Église proclamait solennellement le dogme de la conception immaculée de Marie, et quelques années après, à la grotte de Lourdes, une pauvre enfant contemplait à son tour la céleste beauté de la Mère de D ieu qui confirmait l'infaillible jugement de Pie IX en
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disant à cette humble et pieuse enfant, à la France, et par elle, au monde entier : « Je suis l'Immaculée-Concep« tion. »
« Depuis, la Vierge Immaculée a vu, à Lourdes, la France entière à ses pieds.
« Faites ici une pause, réfléchissez au merveilleux appoint que les pèlerinages de Lourdes ont donné à la foi des Français, .aux jaillissantes prières, aux témoignages héroïques d'amour de Dieu, aux incroyables- sacrifices dont ils ont été l'occasion, et dites-moi à quel degré, depuis la Révolution, nous serions descendus, si la Mère de Dieu ne nous avait pas tendu la main.
« Elle a entrevu toutes ces grâces, la pieuse Catherine Labouré. N'a-t-elle pas lu sur la Médaille miraculeuse les merveilles de charité qu'allait produire la dévotion au Sacré Coeur ! Et la connaissance prophétique qu'elle eut de la fondation de l'Association des Enfants de Marie, n'estelle pas l'intuition surnaturelle de la réaction qui allait se produire contre un des fruits les plus malfaisants de l'égoïsme, je veux dire l'individualisme, dont les barrières allaient enfin tomber, pour laisser leur libre et féconde expansion aux groupements religieux et professionnels?
« Tout cela vu et amoureusement regardé par une pauvre fille de la Charité qui partagea son temps durant quarante années entre le bon Dieu, des vieillards et des pigeons, c'est le résumé d'un siècle de contre-révolution, la trame divine de notre histoire contemporaine.
« Ah ! soeur Catherine, que le bon Dieu est bon de nous avoir informés par vous qu'il nous prenait en pitié, et qu'il allait porter remède aux souffrances de cette époque déliquescente !
« L'Église a donc voulu, dans une fête, commémorer cette apparition de la Médaille miraculeuse, et hier toutes les Filles de la Charité ont solennisé cet anniversaire. « J'ai vu toutes les belles choses qu'elles ont accomplies
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dans ma paroisse, à Sainte-Geneviève. Une des principales est le choix qu'elles ont fait du prédicateur, qui, dans un puissant et simple langage, a dit tout ce qu'il était plus particulièrement nécessaire d'entendre, et après avoir longuement parlé s'en est allé, laissant à ses auditeurs le regret qu'il eût sitôt fini.
« Cette église de Sainte-Geneviève, hier soir, par un temps neigeux, scintillait dans la nuit par tous ses vitraux embrasés. L'intérieur était éblouissant, c'était tout simplement une féerie.
« Toute la nef drapée aux couleurs de la sainte Vierge, les banderoles légères de gaze blanche piquées d'or, les écroulements de fleurs le long des piliers, l'immense trône de la Vierge Immaculée drapé de soie bleue au-dessus de l'autel, et l'image souriante de Marie, mystérieusement portée sur des nuées lumineuses, le tout encadré de milliers de feux disposés en gracieuses girandoles, quel coup d'ceil saisissant !.....
« Je ne finirais point s'il me fallait parler de la musique, des longues théories de jeunes filles en blanc et de l'ordre parfait des cérémonies que présidait Mgr Péchenard, et des milliers de médailles miraculeuses distribuées, et des sacrements reçus, et des hommes en grand nombre qui sont venus à l'église.
« Que voulez-vous, c'est la prédiction de la pauvre Catherine Labouré qui s'accomplit. L'humble voyante n'avait-elle pas dit qu'il y aurait beaucoup de grâces répandues? »
Nous voudrions, en finissant de jeter ce coup d'oeil sur les fêtes de la Médaille miraculeuse en France, citer l'élégant compte rendu des solennités au grand séminaire de Meaux. Disons au moins que pendant les jours du Triduwn on a vu la population croyante de la ville venir en groupes nombreux à la chapelle du séminaire, y prier la
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Vierge de la Médaille miraculeuse et gagner l'indulgence attachée à cette visite. Le petit séminaire, les écoles des Frères, puis les pensionnats de jeunes garçons et de jeunes filles, enfin les diverses paroisses, sous la conduite de leurs pasteurs, s'y succédèrent.
Le jour de la solennité, Mgr l'évêque de Meaux voulut bien officier pontificalement lui-même dans la chapelle du séminaire. Le clergé était nombreux.
« Nous remarquons aussi, aux premiers rangs de l'assemblée, dit le compte rendu, les Filles de la Charité de Meaux, Lagny, Jouarre, Villenoy et Coupvray. C'était justice que les compagnes, les soeurs de Catherine Labouré fussent les premières appelées et eussent une place d'honneur à nos fêtes. Les séminaristes chantent une messe de Gounod et méritent, pour leur exécution, les félicitations d'un juge autorisé.
■ « A l'issue de la cérémonie, le choeur entonne une cantate qui reproduit, dans son émouvante réalité, la scène de l'Apparition. A l'harmonie de ces accords, l'oreille est charmée et l'âme s'abandonne aux plus douces impressions.
« C'est d'abord un salut à la Vierge, une prière à sa maternelle bonté. Puis les sons s'éteignent peu à peu. C'est l'heure du repos, le silence de la nuit :
O soeur, qu'entendez-yous?
« Faibles comme un écho lointain,les accords se prolongent et la Voyante, par une douce mélodie, répond :
Une voix qui m'appelle : Viens, viens, fille de Dieu.
« Déjà l'on sent planer le mystère. Mais l'action se déroule et le choeur reprend avec fermeté :
Sans peur elle suit la vision étrange "Jusqu'à l'autel étincelant. Tout se tait, dans le sanctuaire,
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A peine un souffle murmurant...
Et légère une ombre descend.
« C'est l'apparition, c'est la Vierge. Alors les notes jusquelà vibrantes du choeur viennent mourir en un suave murmure, et le soliste module son chant si expressif :
O noble France, entends ma voix, Un jour, tu me choisis pour Reine ; Hélas! infidèle à ton choix, Tu fuis, et ma tendresse est vaine. Reviens, ô France, à mon amour,
Garde sur ton coeur mon image.
« Par un vigoureux élan, le choeur répond à l'appel de Marie; il adresse une prière à la Voyante, « l'aimable soeur, « la fleur du Paradis ». Enfin, une dernière supplication monte, pleine de confiance et brûlante de zèle :
Conduis nos pas, ô Vierge immaculée, Au saint autel qu'appellent nos désirs. Prêtres demain, sublime destinée, Soyons apôtres, et, s'il le faut, martyrs.
« Cette cantate a été particulièrement goûtée, et les éloges n'ont pas fait défaut à l'auteur et à ceux qui ont si heureusement interprété son oeuvre. »
V LES FÊTES EN ITALIE
Les récits des solennités qui ont eu lieu dans les autres pays n'ont pas pu tous nous arriver encore; nous les publierons dans le prochain numéro des Annales. Nous mentionnons ici ceux qui nous sont parvenus.
Nous savons qu'à Rome la fête a été célébrée avec une grande splendeur. Une neuvaine et un Triduum ont précédé la solennité. Chacun des jours du Triduum, il y a eu office pontifical, la messe étant célébrée par un des Eminentissimes cardinaux, et le -soir, sermon solennel avec
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bénédiction du Saint Sacrement donnée encore par l'un d'eux. Le dernier jour, c'est le cardinal Parocchi qui a dû pontifier, et le soir a été chanté un Te Deum solennel.
Plusieurs prélats, comme le cardinal-vicaire de Rome, adressèrent des « Invitations » ou mandements à leur peuple pour les exhorter à célébrer la fête; Mgr l'archevêque de Sienne en particulier. Annonçant le Triduum qui devait se célébrer à l'église Saint-Jérôme, dans la maison centrale des Filles de la Charité, le prélat daignait ajouter de nouvelles indulgences pour les personnes qui viendraient y assister, et il annonçait qu'il pontifierait lui-même au jour de la solennité.
A Bologne, une immense et très riche inscription était affichée dans la ville; on y lisait que Son Éminence le cardinal archevêque, Mgr Svampa, viendrait présider la fête chez les Filles de la Charité. Elle était ainsi conçue :
A'OILA QUE SOURIT ET APPORTE UNE SAINTE ALLÉGRESSE
LE XXVII DE NOVEMBRE MDCCCXCIV
POUR LES FILLES DE LA CHARITÉ DE S. VINCENT
DANS LA MODESTE DEMEURE DE LEUR HOSPICE DE SAINTE-ANNE
A BOLOGNE
ELLES AURONT L'HONNEUR DE RECEVOIR ET DE FÊTER L'ÉMINENTISSIME ARCHEVÊQUE
CARDINAL DOMINIQUE SVAMPA
AFIN DE SOLENNISER POUR LA PREMIERE FOIS
AVEC LES SPLENDEURS DU CULTE LITURGIQUE
LE JOUR TRÈS HEUREUX CONSACRÉ
A LA VIERGE DE LA MÉDAILLE MIRACULEUSE DE QUI ELLES IMPLORENT SUR LEUR ANGÉLIQUE MINISTERE LES ABONDANTES ET MATERNELLES BÉNÉDICTIONS 1.
i. Sorride di pia letizia — il xxvn novembre MDCCCXCIV — aile
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A Caltanisetta ont eu lieu des fêtes magnifiques annoncées dans un éloquent Invita sacro publié par Mgr l'évêque de cette ville '.
A Turin, les solennités célébrées à Saint-Sauveur, maison centrale des Filles de la Charité, ont eu un caractère de piété profonde. La respectable soeur Visitatrice a bien voulu nous faire remettre le compte rendu suivant : , « Précédée d'un Triduiim, rendu aussi solennel que possible, notre chère fête du 27 novembre s'est passée à la grande joie et consolation de tous. Dès la première annonce qu'en donna M. notre très honoré Père, on s'y prépara et on s'en réjouit du plus intime du coeur. La fête ne fut pas seulement pour l'intérieur de la Communauté, mais les pieux fidèles accouraient et se remplaçaient sans cesse au pied de la statue de notre Mère Immaculée, qui dans sa douce attitude et avec sa couronne d'étoiles brillantes et ses rayons tout lumineux, rappelle celle du sanctuaire béni de la Maison-Mère. Dominant l'autel qui scintille de lumières et qui est tout paré de lis, la Vierge Immaculée était vraiment « toute belle » et elle attirait irrésistiblement les coeurs, en les pénétrant de confiance et de reconnaissant amour; aussi la chapelle était-elle trop petite pour contenir toute l'assistance, surtout au moment des offices. « Le 26, le digne et bon curé de la paroisse voulut bien présider notre fête, à commencer par le saint sacrifice de la messe, qu'il célébra; le soir, après les vêpres solennelles, il monta en chaire, et avec une parole pleine d'onction et
Figlie délia Carità di S. Vincenzo, — che tra le modeste pareti — del loro Ospizio di S. Anna — in Bologna — accolgono festosamente Peminentissimo arcivescovo— CARD. DOMENICO SVAMPA — per solennizare la prima volta —-colla maestà reverenda del rito — il faustissimo giorno sacro — alla Medaglia miracolosa délia Vergine, — da cui implorano fidenti — sul loro angelico ministero — la copia délie materne benedizioni.
1. Nous le publierons dans le prochain numéro.
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d'ardent amour pour Marie, il montra quel trésor inépuisable de miséricorde et de grâces renferme en elle la Médaille mi raculeuse, et combien elle est une « toute-puissance », entre les mains des enfants de saint Vincent surtout. Un salut solennel venait couronner cette journée, comme les précédentes, et préluder à celle du lendemain. « Au matin du 27 et dès quatre heures, la Vierge bénie était déjà tout illuminée et paraissait plus que jamais sourire à ses filles, qui se hâtaient à l'envi, pour être des premières à la saluer; à quatre heures et quart, toute la Communauté était déjà réunie, et d'un commun élan, sans qu'on se fût entendu à l'avance, mais comme pour répondre à un pressant besoin du coeur, le chant de la prière : « O Marie conçue sans péché, » trois fois répété, s'échappa de toutes les lèvres; il fut dit et redit ensuite bien des fois,et après la prière du soir, la même chère invocation adressée à Marie, dans un même filial et pieux transport, venait clore cette mémorable et belle journée. La première messe de communauté fut dite par le respectable Visiteur et Directeur de la province, lequel, dans sa conférence pratique et solide du dimanche précédent, avait aidé notre préparation prochaine, nous donnant pour modèle accompli notre soeur Catherine Labouré, type de la vraie .fille de la Charité : humble, simple, obéissante et mortifiée. Pour la grand'- messe, tous les Missionnaires vinrent comme ceux de SaintLazare à Paris s'unir à leurs soeurs, pour célébrer ensemble les miséricordes de Marie et son tendre amour pour les deux familles de saint Vincent. Il en fut de même pour les vêpres, suivies d'un beau sermon adapté à la circonstance, après lequel Mgr l'archevêque de Turin vint luimême donner la solennelle bénédiction du Très Saint Sacrement.
«Ce qui fut demandé, donné, distribué de médailles et de petites brochures sur la Médaille miraculeuse, avant et durant ces jours bénis, est presque impossible à dire; on ne
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pouvait qu'à grand'peine suffire à toutes les demandes venues de tous les points de la province et au delà.
« Le jour même du 27, cette chère Médaille faisait sentir sous nos yeux sa miséricordieuse et puissante influence. De quelques lieues de Turin,, où elle résidait, arrivait le 26 à Saint-Sauveur, pour voir une de ses parentes, employée à l'hôpital qui tient à la maison centrale, une femme dont l'état de conscience était lamentable depuis nombre d'années. Elle ne songeait à rien moins qu'à y mettre ordre. Mais celle qui est le « Refuge des pécheurs », l'attendait ici et avait commencé à disposer les choses de manière à ce qu'elle ne pût venir à Turin que durant ces jours de grâces, alors que depuis des semaines elle projetait et voulait faire ce voyage. Une Soeur ayant été informée des tristes conditions d'âme de cette pauvre pécheresse, lui offrit une médaille, qu'elle accepta, plus par complaisance que par d'autres sentiments.
«Devant dès le lendemain matin retourner chez elle, elle voulut bien consentir à assister, avant de partir, à la première messe du 27 novembre ; c'était le moment qu'avait choisi Marie Immaculée pour toucher le coeur de cette brebis égarée... Que lui dit-elle?... Que lui fit-elle sentir?... C'est son maternel secret et celui de l'heureuse convertie !... Toujours est-il qu'on vit celle-ci fondre en larmes durant le saint sacrifice, et sortir ensuite de la chapelle, toute changée et transformée, disant qu'il n'était plus question pour elle de partir tout de suite, mais de rentrer en grâce avec son Dieu par une bonne et sincère confession. Elle le fit, en effet, dans la même journée, avec toutes les marques d'une vraie conversion. Le lendemain, elle reprenait le chemin de son pays, en de tout autres dispositions qu'elle ne l'avait quitté. Nous en avons eu depuis des nouvelles consolantes, et nous . savons que son intention est de revenir dès qu'elle le pourra, passer quelque temps ici et affermir de plus en plus ses saintes résolutions. Gloire et reconnaissance en soient
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rendues à notre Mère Immaculée et à sa chère Médaille ! « Nous ne finirions pas si nous voulions rapporter en entier tous les détails pieux et consolants qui, de presque chaque maison de notre province du Piémont, nous ont été donnés sur cette fête de la Manifestation de l'Immaculée Vierge de la Médaille miraculeuse ; elle a provoqué partout un remarquable élan, non seulement de la part des enfants de saint Vincent, mais encore de la part de tous les membres du clergé, de MM. les curés, en particulier ; ils se sont prêtés avec une grande bonté et un grand zèle, dans les petites comme dans les grandes localités, à faire célébrer ce Tridnum et cette fête avec le plus de pompe possible. De leur côté les fidèles des diverses classes de la société ont répondu partout à l'annonce de la fête avec le même pieux enthousiasme. En bon nombre d'endroits, le Triduum produisit l'effet d'une mission et plus encore ; les chapelles et les églises ne pouvaient contenir la pieuse assistance ; les hommes se faisaient remarquer par leur assiduité à venir entendre la parole sainte, annonçant comme une nouvelle ère de miséricorde inaugurée par Marie Immaculée et sa miraculeuse Médaille. La fréquentation des sacrements fut partout aussi des plus consolantes.
« Toutes les provisions de médailles qui avaient été faites furent insuffisantes, et il fallut les renouveler. Combien de milliers de fois se répéta, de coeur et de bouche, la chère invocation : « O Marie conçue sans péché, etc. », ne se peut calculer ; il y avait jusqu'aux petits enfants de nos asiles qui ne cessaient de la balbutier, sans qu'on ait besoin de le leur suggérer.
« On eût dit que Marie venait alors seulement d'apparaître et de promettre ces trésors de grâces et de bénédictions que chacun sollicitait avec grande confiance, et que cette bonne Mère répandit en effet avec profusion, durant' ces jours bénis. Ici, c'est une pauvre femme, gravement
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malade et en péril de mort ; on lui porte une médaille, on fait brûler, en son nom, un cierge devant la chère statue de la Vierge Immaculée, et en moins d'une heure elle est hors de danger et en voie complète de guéiïson ; là, c'est une association d'Enfants de Marie, végétant depuis longtemps, faute d'un directeur local : ce directeur est maintenant trouvé, et plein de l'esprit de Dieu, il prend à coeur de relever ci de soutenir cette chère association.
« Nous regrettons de ne pouvoir tout citer ; mais chaque narration est un hymne de louange et de reconnaissance à Marie Immaculée, qui semble avoir elle-même disposé et préparé les coeurs de tous ses enfants à cette solennelle fête de la Manifestation de la Médaille miraculeuse ; elle en rendra elle-même aussi les fruits durables, nous en avons la confiance.
« Un mot de spéciale gratitude est dû à nos dignes Missionnaires qui, dans les lieux respectifs où ils sont établis, ont déployé un zèle et un fraternel dévouement qui n'ont pas peu contribué à accroître les pieux résultats^de ces fêtes, dont le doux souvenir ne s'effacera jamais de nos coeurs. » Telles furent les fêtes de la Province de Turin.
A Naples, les solennités ont été dignes de cette grande cité où dès le début la miraculeuse médaille avait trouvé un accueil si particulièrement empressé.
Voici lé programme du Triduum : , « Chaque jour, à dix heures, messe solennelle, chantée, le premier jour, parle R. Père provincial de la Compagnie de Jésus, le deuxième jour par le Supérieur des Pères de l'Oratoire, le troisième jour par le Visiteur de la Congrégation de la Mission. — A trois heures et demie, vêpres solennelles présidées, le premier jour par le R. Père provincial desBarnabites, le deuxième jour par le R. Père provincial des Rédemptoristes, le troisième jour par le Supérieur des Missionnaires de la maison de Saint-Nicolas de Tolentino.
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Après les vêpres, discours; puis chant de la strophe enseignée par l'Immaculée Vierge à la novice des Filles de la Charité : « O Marie conçue sans péché, priez pour nous « qui avons recours à vous. » — La bénédiction du Saint Sacrement sera donnée le premier jour par le R. Père provincial desThéatins, le deuxième jour par le R. Père provincial des Scolopi ; le dernier jour, après le Te Deum, par Mgr Zezza, évêque de Pouzzoles. »
Ces fêtes, célébrées à la principale maison des Missionnaires (Strada Vergini), attirèrent le peuple de toute la cité, au témoignage du journal la Libertà cattolica :
« Le temple sacré, dit-il, avait reçu une décoration pleine de grandeur. Sur l'autel est exposé un tableau représentant l'Apparition de Marie Immaculée à soeur Catherine Labouré, et sous la voûte, un cadre ovale reproduit la Médaille miraculeuse. Du matin au soir, les fidèles accourent pour vénérer la Vierge. Un grand nombre de prêtres du clergé séculier et régulier s'y rendent pour célébrer le saint sacrifice et: assister aux offices qu'accompagne le chant grégorien exécuté par les chantres de la cathédrale. Les chefs de divers Ordres religieux y officient alternativement. Le soir, la belle église construite au siècle dernier, d'après le plan du célèbre Vanvitelli, illuminée par d'innombrables candélabres, présente le plus imposant coup d'oeil.
« La clôture des fêtes fut particulièrement solennelle. Une foule compacte, venue des parties les plus éloignées de la ville, assistait aux cérémonies pleines de grandeur et de magnificence. Les trois orateurs, le R. P. Vento, le R. P. Merano et M..le chanoine Provitera, ont occupé la chaire à l'unanime satisfaction de l'auditoire. Les messes et les vêpres solennelles exécutées en plain-chant, les litanies de la sainte Vierge et l'invocation : O Marie conçue sans péché, etc., furent vraiment enlevées par les chantres de la cathédrale, sous la direction du maestro Scalella; et l'hymne ambrosienne, entonnée par Monsei-
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gneur Zezza, évêque de Pouzzoles, avant la bénédiction du Très Saint Sacrement, fut chantée avec un enthousiasme indescriptible par des milliers de voix. »
Voici, sur la fête delà maison centrale des Soeurs à Naples, les détails adressés à la très honorée Mère Lamartinie :
« La chapelle était garnie de tentures en soie bleu de ciel recouvrant le fond du sanctuaire, tandis que des draperies de même couleur alternant avec des draperies en soie blanche descendaient en festons du cintre qui termine la voûte du choeur. Il en résultait un aspect mystérieux et recueilli qui faisait ressortir plus pure, plus brillante, la statue de Marie Immaculée ; et lorsque la clarté des lumières, des rayons, des étoiles de la couronne, se reflétait sur ce fond d'or et d'azur, on pouvait croire vraiment qu'on entrevoyait un coin du ciel. Des oriflammes rappelant les paroles de la sainte Vierge à ma soeur Catherine ornaient chaque pilier, donnant à la chapelle un air de fête et de triomphe.
Le dimanche, à l'heure où les Enfants de Marie de nos maisons de Naples devaient arriver pour la réunion générale, le temps qui le matin était pluvieux s'éclairât, et à la pluie succéda un soleil magnifique; on avait cette belle température d'automne dont nous jouissons encore à Naples. A neuf heures la chapelle était pleine, et ces nombreuses Enfants de Marie rappelaient les plus belles réunions de la Maison-Mère. Après la messe, une très touchante instruction retraçait les différentes apparitions de la sainte Vierge à soeur Catherine : les enfants suivaient avec émotion toutes les circonstances merveilleuses de ce récit qu'elles écoutaient avec la plus grande attention. Ensuite, la procession commença à se dérouler dans les corridors et le jardin, qui retentirent plusieurs fois du chant de l'Ave maris Stella répété par plusieurs centaines de jeunes filles; un salut solennel suivi de la distribution de la petite brochure de la Médaille
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miraculeuse terminait à midi cette belle et pieuse cérémonie. — A trois heures, vêpres solennelles.
« Le lendemain 26, à neuf heures, réunion de toutes les élèves des classes de la maison centrale, des différentes catégories. Au milieu de la nef, ma soeur Hélène avait rangé son petit bataillon de l'école enfantine : ces enfants pauvres, plus de cent, avec leur petite fanchon en tulle et leur petit tablier blanc sur lequel un ruban bleu retenait une médaille, ressemblaient à une guirlande de petites fleurs qui venaient s'épanouir aux pieds de la sainte Vierge, dont elles portaient les couleurs symboliques. Pour conserver à cette réunion son caractère enfantin, les enfants se sont chargées elles-mêmes.du chant, qui fut bien exécuté dans sa simplicité. Le jeune auditoire écouta ensuite très attentivement le récit qui lui fut fait par un de nos dignes Missionnaires de l'apparition de la Médaille miraculeuse dont chaque enfant emporta une petite notice. — A trois heures, premières vêpres solennelles de la fête.
« Le 27, à la messe de communauté, trois jeunes soeurs eurent le bonheur de prononcer leurs saints engagements ; puis communion générale des jeunes filles de l'Ecole normale et des enfants de l'internat. Dès le grand matin, plusieurs prêtres vinrent dire la messe dans notre chapelle; ils se succédèrent ainsi toute la matinée. Pour que « nos chers « maîtres » eussent aussi leur part des rayons de joie de ce beau jour, un grand nombre de pauvres du quartier avaient été convoqués et sont venus recevoir une médaille et un pain. A dix heures, grand'messe pontificale dite par Mgr Renzullo, évêque de Noie, assisté d'un nombreux clergé; déjà les enfants avaient dû céder une partie des places qui leur sont réservées aux nombreuses personnes qui étaient venues s'associer à notre fête. Mais, le soir, pour les vêpres, la chapelle se trouvait trop petite pour l'assistance qui s'y pressait et augmentait de minute en minute ; il semblait impossible de faire entrer une personne de plus,
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et cependant peu à peu tout le monde a pu se placer et dans un recueillement admirable assister à cette dernière et si belle cérémonie. Après les vêpres pontificales, chantées par Mgr Renzullo, Mgr Cosenza est monté en chaire, et a fait éloquemment ressortir l'authenticité du miracle de la manifestation de la Médaille miraculeuse, le but de Marie Immaculée dans cette manifestation, et les grâces obtenues par la Médaille miraculeuse. Son Éminence le cardinal de Naples, qui avait promis sa visite pour la fin de cette belle journée, est arrivé au moment du salut et il.a pris dans le choeur la place qui lui était réservée.
« L'autel était resplendissant de lumières; les rayons qui s'échappaient des mains de Marie en paraissaient plus brillants, les étoiles de la couronne plus lumineuses, la statue de notre Immaculée Mère plus ravissante. Le Saint Sacrement était exposé; un nombreux clergé l'entourait, et les chants pieux, unis à une musique douce et religieuse, élevaient l'âme vers le ciel.
« Que de coeurs auraient voulu suspendre le cours de ces trop rapides instants ! on avait tant à prier, à demander encore!... Mais Jésus nous avait bénis, les lumières s'éteignaient peu à peu, il fallait se retirer, car les joies de la terre sont courtes !... Espérons que dans chacun des coeurs qui avaient goûté de si douces etdesi célestes émotions, avaient pénétré quelques-uns des rayons maternels que Marie a répandus avec tant de profusion en ce beau jour, et que tous répétaient ces paroles : « Elle ne m'a rien dit, mais j'ai tout «■ compris en la voyant ! »
« Son Eminence a bien voulu se rendre ensuite à la chambre de Communauté et distribuer une médaille à chacune de nos soeurs avec une bienveillance toute paternelle. Elle paraissait très heureuse au milieu de cette petite partie de son troupeau. »
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LES FÊTES EN ESPAGNE
Les lettres suivantes rendent compte des fêtes célébrées dans la catholique Espagne, toujours si prompte au culte de l'Immaculée Conception de Marie.
Lettre de M. SATURNIN JANICES, prêtre de la Mission, à M. A. FIAT, Supérieur général.
Madrid, le i°r décembre 1894.
MONSIEUR ET TRÈS HONORÉ PÈRE,
Votre bénédiction, s'il vous plaît!
Quand nous avons reçu votre Circulaire du 21 septembre de la présente année, annonçant les fêtes de la Médaille miraculeuse, tous les coeurs ont tressailli de joie. La lecture qui nous en fut faite enflamma tous les coeurs « plus rapidement qu'une étincelle, comme dit la Sainte Ecriture, n'embrase un plant de roseaux». De toutes parts commencèrent à pleuvoir les consultations, les demandes de prédicateurs, de médailles, de livres, d'images, etc., etc. Partout c'était la même ardeur et le même enthousiasme. , M. Arnaiz, qui devait partir pour la nouvelle fondation de Las Palmas (Canaries), avança son voyage de trois jours, afin d'être de retour pour le jour de la fête, ce qui cependant n'a pu se réaliser. Dieu soit béni en tout et pour tout! Cependant, avant de se mettre en route, il avait réglé les solennités qui devaient se célébrer dans la maison centrale des Prêtres de la Mission et dans celle des Filles de la Charité de la province espagnole. . En voici le résumé :
MAISON DES MISSIONNAIRES On y a célébré la fête avec la plus grande solennité possible, étant données les dimensions restreintes de notre église et la présence des séminaristes et des étudiants de la
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Province. Sous un dais blanc garni d'étoiles et entouré de lumières, se détachait l'image de Marie, telle qu'elle se trouve sur la face de la Médaille miraculeuse. Sur le piédestal qui soutenait la sainte image on voyait briller le revers de la Médaille; et l'autel, couvert de fleurs et de lumières, resplendissait. A cinq heures et demie du soir, on voyait, prosternés aux pieds de Marie, les deux cents Missionnaires qui composent notre maison, lui demandant chacun, par des prières ferventes, ce dont ils avaient besoin. On n'entendait point les harmonieux échos des cantiques; mais le coeur ressentait les effets de la Mère de bonté et de miséricorde.
Les six premiers jours de la neuvaine passés, on commença le Triduum solennel,[durant lequel la pieuse méditation était accompagnée des cantiques les plus expressifs, toujours en présence du Très Saint Sacrement ; et à ces cantiques et à ces expositions du Très Saint Sacrement s'unissaient les prières de nos chers séminaristes qui demandaient à leur Mère l'amour de leur vocation, des étudiants qui lui demandaient" la persévérance, des prêtres qui lui demandaient la foixe pour remplir leurs obligations respectives, et des Frères coadjuteurs qui lui demandaient les grâces salutaires de foi, d'humilité et de charité.
Ainsi se passèrent le 25 et le 26 novembre. Le 27, il y eut messe solennelle chantée, et le soir, vêpres et salut du Très Saint Sacrement.
Comme ces solennités se sont passées dans notre petite église, on n'a pas pu leur donner toute la publicité qu'on aurait souhaité; elles ont laissé cependant dans nos coeurs le plus agréable souvenir.
MAISON CENTRALE DES FILLES DE LA CHARITÉ DE LA PROVINCE ESPAGNOLE
Si l'enthousiasme a été grand chez les membres de la Congrégation pour célébrer la fête de l'Apparition de la
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Vierge Immaculée à la soeur Catherine Labouré, il n'a pas été moindre chez les Filles de la Charité de cette Province et chez les personnes qui demeurent avec elles.
La Visitatrice eut aussitôt l'idée de faire faire un beau tableau qui représenterait exactement l'Apparition. Elle en chargea l'habile peintre M. Palmeroli, directeur du Musée national d'Espagne. Puis elle invita Sa Grandeur Mgr l'archevêque-évêque de Madrid-Alcala à pontifier le 27 novembre, et Sa Grandeur Mgr l'évêque de Sion à prendre la parole ce jour-là 1 ; tous les deux voulurent bien accepter.
Comme nous avons ici, en Espagne, le privilège de célébrer avec la couleur bleue la fête de l'Immaculée-Conception, M. Valdivielso, assistant de notre maison, jugea convenable de demander à notre Procureur général à Rome si l'on pouvait célébrer avec la même couleur la fête de la Manifestation de la Vierge Immaculée de la Médaille miraculeuse; et celui-ci répondit par un télégramme qu'on le pouvait faire : il avait obtenu cette faveur de Léon XIII, vivoe vocis oraculo. ■
Le 24, 25 et 26, eut lieu un Triduum solennel de préparation à la grande fête du 27. Mais avant d'arriver à ce jour, disons quelques mots de la décoration de la belle église des Filles de la Charité.
Au lieu où est habituellement placée la statue de Marie Immaculée, se trouvait lé tableau qui représente la Manifestation de la très sainte Vierge à soeur Catherine, dans un cadre doré d'un travail achevé. Il a 3 mètres de hauteur sur 1 m. 5o de longueur. C'est un travail remarquable; il représente exactement l'apparition telle qu'elle a eu lieu dans le sanctuaire de la Maison-Mère de Paris.
Les fleurs d'argent, les tentures azurées, tout concourait
1. Mgr Jacques Cardona y Tur, évêque titulaire de Sion, aumônier général de l'armée espagnole, l'un des orateurs les plus renommés de l'Espagne.
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à donner une splendeur vraiment royale au trône de Marie Immaculée.
Le 27, à huit heures et demie du matin, l'église retentit des harmonieux accords de la marche royale, et S. G. Mgr l'archevêque-évêque de Madrid-Alcala fit son entrée et commença la célébration du saint sacrifice. Tout s'accomplit avec une rare perfection. Les religieux accents du plainchant accompagné de l'orgue furent suivis des harmonies graves du Kyrie du maestro Bordesse et du Gloria du célèbre Gounod. A l'offertoire, nous pûmes apprécier une fois de plus la beauté de l'Ave Maria si connu de ce dernier compositeur. Rien ne manqua à la parfaite exécution de ces chants.
Il nous tardait d'entendre les louanges de Marie sur les lèvres de l'éloquent orateur Mgr Cardona, et nos espérances ne furent point trompées. Nous regrettons de ne pouvoir pas rendre ici ses accents pénétrants. Il avait pris pour texte ces paroles : Gratias agamus Domino Deo nostro, dignum etjustum est. « Rendons grâces au Seigneur notre Dieu : c'est justice et c'est un devoir-pour nous. »
Il retraça, à grands traits, les différentes et multiples apparitions de Dieu aux hommes, en commençant par celle qui se trouve à la première page des Livres saints; il fit un récit intéressant des apparitions dont furent favorisés Noé, Abraham, Isaac, Jacob, Moïse, etc., peignit avec une éloquence rare l'Apparition par excellence du Verbe divin sur le trône le plus digne qu'il y ait eu sur la terre, dans les bras de Marie, « et depuis ce jour, continua-t-il, les Apparitions de la Mère alternent avec celles du Fils, comme le font voir toutes les pages de l'histoire, jusqu'au jour où elle apparut à l'humble fille de la Charité soeur Catherine Labouré, et lui montra ce céleste emblème, la miraculeuse Médaille. »
Vers quatre heures du soir, on chanta solennellement complies, qui furent suivies de la bénédiction du Très Saint
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Sacrement, La Vierge très bonne voulut qu'au moment de commencer l'office arrivât Sa Grandeur Mgr l'évêque de Tarazona, qui, se laissant aller à sa bonté naturelle, accepta 'de pontifier. Après avoir renfermé la sainte réserve, iladressa aux Filles de la Charité une éloquente allocution, dans laquelle il leur recommanda la simplicité, l'humilité et les autres vertus de leur Institut.
Avant de quitter cette chère maison, la soeur Visitatrice donna à tous les chantres et à MM. les prêtres un précieux souvenir de la fête. A la porte, deux soeurs distribuaient des . médailles à tous ceux qui passaient, et qui certes n'étaient pas en petit nombre.
Telle a été, Monsieur et très honoré Père, la fête que nous avons eu la joie de voir célébrer dans l'église des Filles de la Charité de la Province espagnole. Elle laissera un souvenir impérissable dans les deux familles de saint Vince nt, qui y étaient réunies aux pieds de Marie, notre avocate et notre protectrice.
On nous a adressé des diverses maisons les programmes des cérémonies qu'on allait y célébrer. Il faut mentionner celui deTeruel, où, pour plus de solennité, les deux familles se sont réunies et où Mgr l'évêque a pontifié; celui deSaintJean de Burgos, où le chanoine Metola a pris la parole; celui de la Bienfaisance d'Alicante, où l'on a fait un Triduum solennel et où des orateurs distingués ont parlé; celui de Carmona, etc.
Dans celte capitale de l'Espagne ont été célébrés des triduums solennels : à l'Asile du Sacré-Coeur de Jésus, où le très savant Père Fita, de la Compagnie de Jésus, célébra dans un solennel discours les gloires de Marie ; à l'Asile de las Mercedes, à l'Hôpital général. Des offices solennels eurent lieu dans toutes les maisons des Filles de la Charité.
Je pourrais également décrire les cérémonies qui ont eu lieu" dans la chapelle des Filles de la Charité de Santa
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Isabel (maison centrale de la Province française); mais une autre plume le doit faire.
Permettez-moi, mon très honoré Père, de joindre mes humbles prières à celles que vous faites monter vers la • Vierge, et croyez-moi toujours, en l'amour de Notre-Seigneur et de Marie Immaculée,
Votre enfant affectionné et obéissant,
SATURNIN JANICES,
I. p. d. 1. M.
Voici la description des fêtes de la maison de Sanla-Isabel :
Lettre de la soeur PINAT, Fille de la Charité, à M. A. FIAT, Supérieur général.
Madrid, Casa de Santa Isabel, 7 décembre 1S94.
MONSIEUR ET TRÈS HONORÉ PÈRE,
Votre bénédiction, s'il vous plaît !
En Espagne, on a une dévotion particulière pour l'Immaculée Conception, et tout ce qui s'y rattache trouve facilement écho dans les coeurs. Notre chapelle était magnifiquement ornée pour les fêtes.
Nous avions fait venir des rayons pour compléter notre Vierge de la Médaille miraculeuse, et la lumière électrique faisait vraiment resplendir l'autel et la guirlande de roses qui, en forme d'ovale, entourait la statue.
Surtout on respirait dans cette chapelle un parfum de piété, d'amour pour la très sainte Vierge, qui reposait l'âme.
Nos Enfants de Marie ont répondu à l'appel qui leur a été fait, et sont venues en grand nombre les quatre jours, surtout le 27; les communions étaient très nombreuses. Nous aurions eu une affiuence beaucoup plus considérable si les dimensions de la chapelle l'eussent comporté.
Nous avons eu grand'messe solennelle tous les jours : celle du premier jour fut chantée par M. le Directeur.
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La messe de communion du lundi fut dite par Mgr l'évêque de Madrid, qui, ensuite, nous fit l'aimable surprise de nous adresser quelques mots de félicitations à l'occasion de cette fête, et distribua des médailles à tous ceux qui étaient présents.
Le 27, c'est Mgr le Nonce apostolique qui a bien voulu célébrer la messe. Toutes nos oeuvres étaient représentées : les pauvres, les enfants des classes, les Enfants de Marie, les Dames du Comité, et beaucoup d'autres personnes qui avaient eu la bonne fortune de pouvoir entrer.
Mgr le Nonce nous témoigna une grande et paternelle bienveillance ; il paraissait heureux au milieu de la famille de saint Vincent; et, avant de se retirer, il chargea ma soeur Visitatrice d'offrir son respect à nos Supérieurs.
Les quatre jours, à quatre heures et demie, nous avons eu exposition du Très Saint Sacrement, récitation du chapelet, sermon et bénédiction solennelle.
Les trois prédications du Tridwnm avaient été réservées à notre pieux et fervent aumônier, M. Saturnino Janices, Missionnaire de la maison de Barrio de Chamberi.
Et le 27, le sermon fut donné par M. le curé de notre paroisse, qui avait également chanté la messe ce même jour. Ce digne prêtre, si dévoué à la très sainte Vierge, était heureux de déployer son zèle en l'honneur de cette Immaculée Mère. Il engagea fortement à propager la Médaille miraculeuse ; pour notre part, dans ce seul jour, nous en avions donné plus de neuf cents, rien qu'à nos enfants des classes, sans compter celles distribuées toute la journée aux personnes qui venaient visiter la chapelle.
L'affluence était si considérable que quantité de personnes . durent se retirer sans pouvoir entrer.
Dans l'intervalle des offices, pendant les quatre jours, le chapelet fut récité sans interruption dans la chapelle.
Nous ne doutons pas que la très sainte Vierge n'ait regardé avec complaisance ces témoignages de filiale gra-
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64titude, accordera à chacun des bénédictions proportionnées à la préparation apportée à ces fêtes, qui ont laissé en nos âmes un parfum tout céleste, et un désir plus grand encore qu'auparavant de faire connaître et aimer celte Immaculée Mère.
Je termine par un trait en l'honneur de la Médaille.
Il y a quelque temps, la mère d'une de nos enfants des classes, affolée par la mort de sa fille, se précipait de la fenêtre d'un troisième étage.dans le dessein de se donner la mort; mais la médaille qu'elle portait la préserva de la mort éternelle. Elle vécut assez pour se reconnaître; elle déclara à haute voix sa sinistre intention, et affirma que c'était à la médaille qu'elle portait qu'elle attribuait d'avoir été préservée de la mort immédiate qui eût été cause de sa damnation.
Chaque jour, nous apprenons de nouvelles marques de protection qui font croître sans cesse la confiance dans cette chère Médaille.
Ma soeur Visitatrice et ma soeur Econome vous offrent leur filial respect, ainsi que celle qui a l'honneur d'être en Jésus et Marie Immaculée,
Mon très honoré Père,
Votre très humble et très obéissante fille, Soeur PINAT,
I. i'. d. 1. C. s. d. p. m. VII LES FÊTES EN AUTRICHE
MAISON CENTRALE DE GRAZ
Nous recevons de Graz, en Styrie, lieu de la résidence du Visiteur des Missionnaires et de la Visitatrice des Soeurs pour la province d'Autriche, le pieux et intéressant compte rendu qu'on va lire, rédigé par les Filles de la Charité :
« Dans notre Province, comme on l'a fait certainement partout ailleurs, nous avons tâché de célébrer la belle fête
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de la Manifestation de la Médaille miraculeuse aussi solennellement que possible ; et c'est avec la plus vive.reconnaissance envers la très sainte Vierge que nous repassons en notre esprit les grâces qu'elle a daigné répandre sur nous et sur le monde entier. Nos deux maisons centrales ont eu leur Triduum en même temps.
CHEZ LES MISSIONNAIRES
« L'église des Missionnaires étant ouverte au public comme toujours, notre église resta réservée aux Soeurs; mais les personnes qui désiraient y prier étaient admises dans notre, cher sanctuaire.
« Chez les Missionnaires, l'église était splendidement décorée et illuminée ; des guirlandes de verdure ornaient les colonnes, non seulement dans le sanctuaire, mais dans toute la nef, et entouraient des tableaux portant l'invocation : « O Marie conçue sans péché, priez pour nous qui « avons recours à vous. » Des deux côtés du maître-autel on voyait la Médaille en très grands transparents magnifiquement éclairés qui faisaient un merveilleux effet. Plus de deux cents cierges illuminèrent le sanctuaire, sans compter l'illumination des autres autels et de la nef. Audessus de la balustrade de communion s'élevait un transparent formant un arc gothique garni de verdure, avec l'invocation : « O Marie conçue sans péché, etc. » Toutes les décorations tendaient au but d'inviter les fidèles à invoquer la très sainte Vierge avec les paroles qu'elle a daigné elle-même nous enseigner.
« Au-dessus du portail de l'église, une grande croix éclairait la rue, au moyen du gaz, comme s'il eût fait grand jiour; elle attirait les fidèles, en même temps que la sonnerie solennelle des cloches de nos deux églises annonçait la grande fête.
« La population était enthousiasmée, l'église ne pouvait contenir les fidèles qui accouraient de toutes parts pour
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assister aux saints offices et entendre célébrer les grandeurs de la Vierge Immaculée.
« Les messes se succédaient pendant toute la matinée. A dix heures, grand'messe pontificale célébrée, les trois jours, par l'un des prélats mitres du chapitre, Mgr notre princeévêque étant à Jérusalem. Pendant toute la journée, 1 église ne désemplissait pas. A quatre heures de l'après-midi, les fidèles récitaient à haute voix le chapelet ; puis à cinq heures, sermon.
« Le jour de l'ouverture, un Père dominicain parla aux fidèles de l'importance de cet'e fête de l'Apparition de la sainte Vierge à soeur Labouré, et il invita les assistants à porter pieusement la sainte Médaille et à réciter le chapelet dévotement. Le premier jour du Triduum, un Père franciscain rappela, en traits courts mais enflammés, les diverses apparitions qui font le sujet de la fcte; et il fixa l'attention de son auditoire surtout sur la Médaille miraculeuse et sur toutes les grâces dont elle a été la source. Le lundi, un Père jésuite expliqua éloquemment l'image de la Vierge Immaculée, comme elle est représentée sur la Médaille, écrasant de son pied virginal le serpent infernal et répandant des trésors de grâces sur l'univers entier. Enfin, le dernier jour du Triduum, Mgr le Directeur du grand séminaire expliquait aux fidèles les symboles gravés au revers de la Médaille, et qui parlent si clairement au coeur du chrétien : les étoiles entourant le saint nom de Marie, les deux Coeurs sacrés, tout ce que ce côté de la Médaille nous prêche fut montré aux fidèles avec une éloquente simplicité.
« Après le sermon avait lieu le salut solennel. Le dernier jour, salut pontifical, et les voûtes de l'église retentirent du chant solennel et enthousiaste du Te Deum. Les bons Frères coadjuteurs ne pouvaient presque satisfaire la piété des fidèles; toute cette foule se pressait pour demander des médailles et les petites brochures de la Médaille miraculeuse.
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« Dans notre chère église, la fête était peut-être moins éclatante, mais assurément elle n'était pas moins belle. Le sanctuaire et les colonnes de l'église étaient garnis de ravissantes guirlandes de laurier, et d'une colonne à l'autre, au bas des fenêtres du sanctuaire, se balançaient de belles guirlandes de roses et de lis. La Vierge Immaculée était sur un trône au-dessus de l'autel, entourée d'anges portant les insignes de sa royauté et de sa virginité immaculée ; ses mains abaissées vers notre pauvre terre étaient chargées de magnifiques rayons (ils nous arrivaient de Paris juste à temps pour le jour de la fête). Des deux côtés, un beau ruban décoratif entrelacé, fond d'or et au revers bleu de ciel, portait, en belles lettres très distinctes, l'invocation : O Maria sine labe originali concepta, intercède pro nobis, qui ad te confugimus. L'autel était garni de roses et de lis sur un fond de verdure, et magnifiquement éclairé; mais ce qui rehaussait encore la beauté de tout cet ensemble, c'étaient deux grandes lampes à reflet illuminant si bien la. sainte Vierge et l'ornementation, qu'on ne pouvait se lasser de la contempler et que tous les coeurs en étaient émus. On eût voulu ne pas quitter l'église, et non seulement nos soeurs, mais encore les personnes du monde en étaient frappées ; beaucoup d'entre elles fondirent en larmes. Une dame disait : « Ici, je vou« draisine confesser à haute voix ; » et une autre ; « On « croirait être au ciel, la sainte Vierge semble être vivante^ « elle vous parle au coeur. » Un Révérend Père jésuite, après avoir longuement prié, dit : « On voudrait pouvoir « passer sa vie dans cette église, tant elle est belle. » Les Dames du Sacré-Coeur, qui ne peuvent sortir, avaient envoyéune de leurs élèves prier dans notre église, avec ordre de leur faire une description bien exacte de ce qu'elle aurait vu. Mais cette jeune demoiselle dit à ces bonnes religieuses
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qu'elle en était incapable, que c'était vraiment comme une apparition céleste et que l'illumination était si belle et si mystérieuse, que la sainte Vierge et les anges lui avaient semblé être vivants.
« Nous avions aussi tous les matins, à cinq heures et demie, grand'messe solennelle, chantée par notre très digne Père Directeur, et puis des messes basses. A deux heures et demie, notre bon Père Directeur nous faisait une belle instruction sur notre chère soeur Labouré et sur les vertus qui ont fait d'elle l'enfant de prédilection de la Vierge Immaculée, et que nous devons imiter, afin de mériter les grâces de choix de la très sainte Vierge. A trois heures, salut solennel.
« Jamais nos soeurs n'ont chanté avec tant d'enthousiasme que pendant ces trois jours bénis; la grand'messe, les litanies de la sainte Vierge, le chant de « O Marie conçue sans péché, etc.. », le cantique qui nous a été envoyé de notre chère Maison-Mère : « Novembre sur la terre « jette son manteau noir, » que nous avons traduit, tout cela était si bien chanté que l'on croyait avoir un avantgoût du ciel.
« Messieurs les Missionnaires, les séminaristes et les Frères coadjuteurs assistaient, autant que possible, à toutes nos solennités ; de même nos Enfants de Marie — cent soixante environ — vêtues de blanc, qui, elles aussi, se sont préparées avec ferveur à cette fête. Nos orphelines et les enfants de l'école se sont aussi bien appliquées à faire plaisir à la sainte Vierge par de petits actes de vertu et par leurs prières.
« Une coïncidence qui augmentait encore notre joie en cette fête bénie, c'est que le 27 novembre nous célébrions aussi le quatre-vingtième anniversaire de la naissance et du baptême de notre bien digne et respectable soeur Visitatrice, — soeur Brandis, •— et tous nos coeurs se réunissaient dans une même et grande prière à la Vierge Imma-
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culée, de nous la conserver encore bien longtemps. Il faisait si bon prier en ces jours de grâces! nous avons bien demandé à la très sainte Vierge de bénir au centuple nos très honorés Supérieurs et nos deux familles.
« Non seulement à la maison centrale, mais dans toutes les maisons de nos soeurs, la fête a été on ne peut plus belle. Ce qui étonne surtout, c'est le grand nombre des personnes qui se sont approchées de la sainte table pendant ces jours de grâces; il y en eut beaucoup qui depuis vingt à trente années n'avaient pas reçu les sacrements. Un jeune médecin de Graz, qui devait passer ses examens un des jours du Tridiium, et qui craignait avec fondement de ne pas réussir, accepta de nos soeurs une médaille, en disant : « Est-ce que cela aide aussi un juif? » (Il n'était pas juif, cependant.) Le lendemain, il arriva, rayonnant de joie, à l'hôpital, et, à la demande de nos soeurs s'il avait réussi, il répondit: « Brillamment, brillamment! » Depuis, sa chère médaille ne le quitte plus, il la porte à sa chaîne de montre où tout le monde peut la voir.
« A Grosswardein, en Hongrie, nos soeurs eurent dans chacune des quatre maisons Triduiim solennel et exposition du Saint Sacrement pendant les trois jours, depuis six heures du matin jusqu'à six heures du soir. La Soeur servante de l'école Saint-Vincent écrit que Mgr l'évêque coadjuteur venait chaque matin exposer lui-même le Très Saint Sacrement. Les messes se suivaient sans interruption jusqu'à midi; à neuf heures, il y avait'grand'messe solennelle. Plus de trois cents communions ont été distribuées dans cette petite chapelle, qui ne désemplissait pas, et toute la journée on priait à haute voix et on chantait. Le 27, à six heures du soir, plus de trente prêtres et tous les théologiens du séminaire venaient rendre leurs hommages à Marie Immaculée, et après les litanies solennelles, le Te Deum fut chanté avec un enthousiasme inexprimable.
« A l'école de l'Immaculée-Gonception de la même ville,
la fête était non moins belle, la chapelle ne pouvait contenir la foule des fidèles qui se pressait toute la journée autour de la Vierge Immaculée ; les messes avec communions se succédaient pendant toute la matinée. Plusieurs prêtres dirent n'avoir en aucune autre circonstance entendu autant de confessions que pendant ces jours de grâces. Le nombre des médailles distribuées est incalculable.
« A Budapest, capitale de la Hongrie, la fête fut célébrée non seulement dans toutes les chapelles des divers établissements desservis par nos soeurs, où toutes leurs élèves et un grand nombre de pauvres malades se sont approchés des saints sacrements, mais, par ordre de l'évêque, dans toutes les églises de la grande ville; un grand nombre de personnes du monde y ont reçu la sainte communion. Une jeune ouvrière de fabrique, à Budapest, vint demander à nos soeurs huit cents médailles, afin de les distribuer à toutes ses compagnes; nos soeurs en étaient tout émues, et •elles aiment à penser que la sainte Vierge préservera ces jeunes âmes exposées à tant de dangers.
« A Anina, en Hongrie, où nos soeurs desservent un hôpital d'ouvriers mineurs, M. le curé ne put annoncer l'indulgence plénière que la veille de la fête, la permission de l'évêque n'étant pas arrivée plus tôt; mais il prévint le petit nombre de personnes qui se trouvaient lundi matin à la messe et les chargea de le dire aux autres; deux bonnes femmes eurent la charité d'aller dans toutes les maisons annoncer la fête. De grand matin l'église était pleine. M. le curé et son vicaire ne pouvaient suffire à entendre ces braves gens qui voulaient se confesser et recevoir la sainte communion. Jamais, écrivent les Soeurs, nous n'avons vu fête plus touchante dans ce pauvre petit endroit.
« Dans un grand nombre des maisons de nos soeurs, ■en Hongrie, le Saint Sacrement fut exposé pendant les trois jours, ou du moins le jour de la fête. Dans le diocèse de Laibach, c'est Mgr le Prince-Évêque qui a daigné offrir
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lui-même aux Missionnaires et à nos soeurs, la faveur d'avoir ainsi le Saint Sacrement exposé.
«• Nos soeurs de Vienne nous écrivent qu'elles ne peuvent énumérer toutes les grâces obtenues en ces jours de bénédictions pour leurs malades; nous ne citons qu'un exemple, pour ne pas trop prolonger le récit : Un jeune homme, qui malheureusement s'était grandement éloigné du Dieu de son enfance, mais qui avait une mère très pieuse et très bonne, était dangereusement malade ; la mort approchait à grands pas, et il ne voulait pas entendre parler de Dieu ni de religion. Sa pauvre mère, après avoir tout essayé en vain, prit une médaille miraculeuse, et la mit dans le lit du malade, sans que celuici l'eût aperçue. Tout d'un coup le voilà qui s'agite vivement et dit à sa mère : « Qu'avez-vous mis dans mon lit, * je n'ai plus aucun repos? » Sa mère cherche à le calmer, sans lui dire toutefois ce qu'elle avait fait. Mais lorsqu'elle fut obligée de s'absenter pour quelques instants, le jeune homme, quoique très faible, jette tout hors de son lit et découvre enfin la médaille; alors il devient furieux, il prend l'image de Marie, se traîne jusqu'à la porte, la jette dehors en criant : « Je n'ai pas besoin de « ces choses-là. » La sainte Vierge, traitée si indignement par ce pauvre malheureux, avait cependant pitié de lui, et, par un miracle presque inouï de miséricorde, soudain le jeune homme était changé complètement : il demandait à sa mère d'aller chercher un prêtre, il se confessait avec le plus vif repentir, et mourait le lendemain, muni de tous les sacrements de la sainte Église.
« De plusieurs maisons on nousannonce un récit détaillé des fêtes, mais comme nous craignons de retarder trop notre envoi et de trop étendre ce récit, nous demandons à nos très honorés Supérieurs de vouloir bien agréer cette humble petite narration de leurs enfants d'Autriche. »
VIII
LI£S FÊTES EN AMÉRIQUE
La lettre suivante rend compte des solennités qui ont eu lieu à Germantown, résidence du Visiteur de la province orientale des États-Unis d'Amérique.
MONSIEUR ET TRÈS HONORÉ PÈRE,
Votre bénédiction, s'il vous plaît!
Nous reçûmes avec un coeur plein de joie la Circulaire dans laquelle vous nous fîtes connaître le bienfait singulier que le Souverain Pontife avait accordé aux deux familles de saint Vincent de Paul, quand Sa Sainteté nous permit de célébrer l'Apparition si pleine de prodiges de la Vierge de la Médaille miraculeuse.
Plusieurs motifs nous excitèrent à célébrer la fête avec beaucoup de joie. D'abord nous sommes des enfants de l'Église catholique ; de plus, instruits par l'exemple illustre de notre bienheureux Père saint Vincent, nous avons toujours honoré la Conception immaculée de la Mère de Dieu. Mais un autre motif tout particulier pressait les enfants de la Congrégation, ici, aux États-Unis, de célébrer solennellement cette fête : c'est que notre glorieuse patrie s'est mise sous la protection de Marie, sous le titre de la Conception immaculée.
M. Mac Gill, Visiteur de notre province, guidé par un grand amour envers îrotre céleste Reine, décida qu'il y aurait un Triduum solennel en l'honneur de Notre-Dame de la Médaille miraculeuse; et conformément au désir exprimé en votre Circulaire, il fit faire la lecture de 1' « Histoire de la Médaille-miraculeuse », écrite par M. Aladel. Il n'est pas nécessaire de dire que la lecture de ce livre augmenta notre amour pour Marie Immaculée, envers laquelle notre saint Fondateur avait une si grande dévotion ; il n'est pas nécessaire non plus d'ajouter que le récit des miracles
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obtenus par la Médaille miraculeuse nous invitait à l'espérance d'obtenir, nous aussi, des grâces abondantes.
Très honoré Père, l'empressement manifesté dans la préparation à nos solennités fut très admirable. Le sujet de conférence pour le mardi précédent était « les motifs et les moyens de se bien préparer au Triduum que nous allions célébrer ». M. le Visiteur, inspiré par le zèle pour la gloire de Dieu, pour l'honneur de Marie, et en vue de notre intérêt spirituel, nous suggéra les meilleurs moyens pour cela.
Pendant les trois semaines qui précédèrent le Triduum, les séminaristes s'employèrent avec empressement à préparer la chapelle; toute la maison fut quasi renouvelée pour recevoir dignement les ecclésiastiques qui avaient promis de venir parmi nous pour contribuer par leur présence à honorer Marie conçue sans péché. Le Visiteur et les autres officiers de la maison n'épargnèrent ni travail, ni dépense, ni temps pour rendre honneur à la Vierge Immaculée. On invita les prédicateurs les plus distingués du diocèse de Philadelphie pour exhorter le peuple à l'amour de Marie et pour l'instruire de la manière de lui témoigner cet amour. On envoya presque deux cents invitations aux ecclésiastiques de Philadelphie et du diocèse voisin de Tranton.
Il est à propos de remarquer, très honoré Père, que la vénération que l'on a ici pour notre saint Fondateur inspira aux membres de plusieurs communautés et ordres religieux qui sont ici les mêmes sentiments qui étaient aux coeurs des enfants de la Congrégation. On eut donc à se féliciter d'avoir invité ces respectables ecclésiastiques à notre Triduum. Tout était préparé avec un soin parfait, tout était un symbole des sentiments de dévotion et d'amour qui régnaient dans les coeurs des enfants de la Congrégation pour Marie Immaculée.
Le jour attendu avec impatience arriva enfin. Les fidèles, en entrant à la chapelle, étaient ravis par la beauté des
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décorations. Au-dessus du grand autel on avait érigé un trône très élevé, sur lequel les étudiants posèrent une grande statue de la Vierge Bienheureuse, environnée de palmiers et de verdure; on l'aurait crue vivante. Le sanctuaire était paré de tentures blanches et bleues, couleurs dont la sainte Vierge était vêtue quand elle apparut à la soeur Catherine Labouré. Au-dessus de cet autel était un superbe tableau de l'Apparition de l'Immaculée Vierge de la Médaille miraculeuse à la soeur Catherine; ce tableau servit à instruire les fidèles de l'objet de la solennité.
A dix heures et demie, le Triduum s'ouvrit par la messe solennelle, célébrée par M. le Visiteur. M. Talley, Supérieur de la paroisse à Germantown, devait prêcher ce jourlà; la maladie l'en empêcha. Alors M. Dunphy, un de nos Missionnaires vénérables, le remplaça. Vous eussiez dit, mon Père, M. Portail, M. Pilé ou quelque autre des premiers compagnons de notre saint Fondateur, exhortant le peuple à l'amour de Marie. Le soir, aux vêpres solennelles, les psaumes furent chantés par les élèves de notre école apostolique, par nos séminaristes et nos étudiants. Le sermon sur « la Manifestation de la Médaille miraculeuse» fut prêché par M. Kiaran, docteur en théologie de l'archevêché de Philadelphie; c'est un prédicateur très connu par ses talents oratoires et par sa vertu. La bénédiction très solennelle du Saint Sacrement termina ce premier jour de notre Triduum.
Le second jour, la messe solennelle fut célébrée par M. Dunphy,- le prédicateur de la veille, et le sermon : « Pourquoi les catholiques honorent Marie », fut prêché par M. Drennan, directeur de l'école apostolique. Le soir, M. Likly, directeur du séminaire interne, célébra les vêpres solennelles, et le sermon, sur « le Pouvoir de Marie », fut prêché éloquemment par M. Krunady, docteur en théologie et professeur de théologie dogmatique au séminaire diocésain de Philadelphie.
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Arriva enfin le 27, jour de la solennité tant désirée. Les Filles de la Charité, qui dès le début du Triduum étaient accourues de leurs établissements de Philadelphie, étaient aussi présentes ce jour-là pour rendre hommage à Marie Immaculée et'honorer l'apparition dont avait été favorisée leur soeur Catherine Labouré, la privilégiée de la très sainte Vierge. . • . .
Près de soixante-dix ecclésiastiques du diocèse étaient venus à notre solennité ce jour-là. Parmi eux, nous pouvons nommer le P. Dooley, jésuite, et le Supérieur du Gesu à Philadelphie, le P. Drescoll, le Provincial des Augustins avec plusieurs de ses confrères, un vénérable Rédemptoriste, etc.
A l'heure de la grand'messe, entra avec ses assistants Mgr Ayan, archevêque de Philadelphie, qui était venu pour présider ces belles solennités; il fut conduit au côté de l'Évangile, où son trône avait été dressé. Le célébrant de la messe était Mgr Mac Faul, l'évêque nouvellement sacré de Tranton, dans le diocèse duquel est située notre maison de campagne, autrefois la propriété de l'exilé Joseph Bonaparte. Une nouvelle messe fut exécutée par notre choeur, et certainement cette exécution fut à l'honneur de notre professseur, M. Maune, qui l'avait préparée. Le prédicateur fut M. Monahan, prêtre jeune et pieux, et de douces larmes coulaient de bien des yeux en l'entendant louer si éloquemment Marie conçue sans péché.
Après la messe pontificale, eut lieu un banquet, où s'assirent les évêques qui nous honoraient de leur présence, les ecclésiastiques qui s'étaient unis à nous, et les membres de la Congrégation. Tout était digne de la fête dans le réfectoire, décoré avec beaucoup de goût. Chacun trouva sur son assiette une médaille miraculeuse. A la fin du repas, le Visiteur, M. Mac Gill, se leva pour exprimer ses remerciements aux évêques et ecclésiastiques venus pour honorer Marie Immaculée; il accompagna ses remerciements de
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76paroles et bienveillantes. Alors Mgr l'archevêque se leva et parla de l'objet du Triduum; il ajouta : « Il y a maintenant quarante et un ans que M. Mac Gill et moi nous fûmes ordonnés par Mgr Kenrick, le vénérable archevêque de Saint-Louis ; depuis ce temps-là, M. Mac Gill est toujours resté le même : zélé, simple, se sacrifiant lui-même; véritable prêtre de Jésus-Christ. » Monseigneur dit aussi qu'il se réjouissait de voir présent M. O' Callaghan, le représentant de M. le Supérieur général. A leur tour prirent la parole M. O' Callaghan, le P. Dooley, le P. Mac Evoy, un Père Augustin et plusieurs membres du clergé séculier. En nous quittant, nos hôtes voulurent bien nous dire que la simplicité et la cordialité de saint Vincent sont encore les traits de ses enfants.
Le soir, les vêpres solennelles furent présidées par M. O' Callaghan. Le peuple de Germantown, à ce dernier exercice du Triduum comme aux précédents, manifesta avec éclat son amour et sa dévotion envers la Vierge Immaculée. Le sermon sur « l'Amour de Marie pour les enfants, de saint Vincent » fut donné par M. O' Connor, l'un des orateurs sacrés les plus renommés aux États-Unis. Ne convenait-il pas qu'on nous rappelât la dette de gratitude que les deux familles de saint Vincent ont contractée envers l'Immaculée Reine du ciel? A la bénédiction solennelle du Très Saint Sacrement, qui suivit le sermon, M. O' Steefe, curé de la paroisse voisine, daigna chanter un Ave Verum qui charma l'assistance. Le Te Deum termina notre solennel Triduum en l'honneur de Notre-Dame de la Médaille miraculeuse.
La dévotion envers Marie et la sympathie pour notre petite Congrégation, manifestées par les prélats et les ecclésiastiques qui nous visitèrent, et par le peuple de Germantown et des paroisses voisines, furent au-dessus de toute attente. Un grand nombre de fidèles s'approchèrent de la sainte table tous les jours du Triduum, et une foule
telle se pressait aux offices que beaucoup ne pouvaient entrer dans notre spacieuse chapelle. M. Moore, le procureur de la maison, a distribué déjà plus de quatre mille médailles miraculeuses, et avant que vous receviez cette lettre, avec la bénédiction de Dieu, on en aura encore, je pense, distribué autant.
Nous espérons, très honoré Père, que ce glorieux Triduum en l'honneur de l'apparition de la Vierge Immaculée à la soeur Catherine Labouré, apportera sur les deux familles de notre saint Fondateur, répandues par tout le monde, et sur les fidèles, toutes les bénédictions du Ciel, dont la moindre n'est pas la protection et l'amour de l'Immaculée Mère de Dieu.
Je demande votre bénédiction pour la province orientale des États-Unis, et vous prie de me croire, etc.
Des plus lointaines contrées de l'Amérique du Sud, nous recevons des détails sur les fêtes qui, quelques jours avant le 27 novembre, se préparaient avec empressement et avec amour : A Buenos-Aires, Triduum, messe pontificale, procession, etc.; à Montevideo, c'est Mgr l'évêque lui-même qui a dû prêcher le jour de la solennité; à San Juan, par suite du tremblement de terre, le séminaire est devenu inhabitable, l'église a perdu ses deux tours ; c'est à la maison de campagne où l'on s'est réfugié que se feront aussi solennellement que possible les fêtes auxquelles on se prépare avec activité.
C'est donc un concert de prières, de louanges et d'actions de grâces qui monte au ciel de toutes les parties de la terre vers l'Immaculée et miséricordieuse Vierge de la Médaille miraculeuse.
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FACULTE
DE CELEBRER CHAQUE ANNÉE LA FÊTE DE LA MANIFESTATION DANS UNE ÉGLISE ÉTRANGÈRE, ET A TOUS LES PRÊTRES D'Y DIRE LA MESSE PROPRE DE CETTE FÊTE.
12 novembre iSg4.— A perpétuité.
POUR LA CONGRÉGATION DE LA MISSION ET LES FILLES DE LA CHARITÉ
Un Induit apostolique du 23 juillet de cette année accorde aux membres de la Congrégation de la Mission la faculté de célébrer chaque année la fête de la Manifestation de l'Immaculée Vierge Marie par la sainte Médaille dite Médaille miraculeuse, le 27 novembre, sous le rite double de seconde classe, avec l'office et la messe propres, tels qu'ils ont été approuvés. Mais il arrive parfois que les membres de ladite Congrégation ou les Filles de la Chanté n'ont en leur résidence qu'une chapelle trop peine, ou en manquent complètement. Aussi le Révérendissime M. Antoine Fiat, Supérieur général de la Congrégation de la Mission et des Filles de la Charité, a-t-il adressé en leur faveur à Notre Saint Père le Pape Léon XIII, de nouvelles prières, lui demandant pour lesdits Missionnaires et Filles de la Charité l'autorisation de célébrer cette fête
CONGREGATIONS MISSION1S ET FILIARUM CHAR1TAT1S
Ex Apostolico Indulto diei 23 .lulii hoc anno Congregationis Missionis Alumnis concessum est, ut ab ipsis festum Manifestationis Immaculatoe Virginis Marias a Sacro Numismate, -vulgo délia Medaglia miracolosa, quotannis die vigesima septima Novembris sub ritu duplici secundoe classis recolatur, cum Officio ac Missa propriis, rite approbatis. Quum vero contingat, ut aliquibus locis memorati Alumni vel Filirc Charitatis Ecclesia suae domui contigua haud satis ampla utantur, vel careant omnino, Rmus. Dnus. Antonius Fiat, Moderator.Genefalis Congregationis Missionis etFiliarum Charitatis, Sanctissimum Dominum Nostrum Leonem Papam XIII iteratis precibus rogavit, ut ab iisdem enuntiatum festum in aliéna Ecclesia,
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dans une église étrangère avec le consentement du curé ou pasteur respectif. Il sollicite pour tous les prêtres qui y offriront le saint sacrifice, la faculté de dire la messe propre récemment accordée aux membres de sa Congrégation.
La Sacrée Congrégation des Rites, usant des pouvoirs spéciaux qu'elle a reçus de Sa Sainteté, a daigné accorder la faveur, telle qu'on l'avait demandée, en se conformant aux rubriques. Nonobstant toute déclaration contraire.
Ce 12 novembre 1894. Pour VEminentissime et Révérendissime Cavd. Préfet Aloisi-Masella, Le Cardinal L. M. PAROCCHI.
Pour le R. P. D. Louis Tripepi, secrétaire, ANTOINE SARDI, pro-secrétaire.
de consensu respeclivi Parochi vel Rectoris, recoli valeat; facta scilicet potestate singulis Sacerdotibus inibi Sacrum facturis, Missam propriam celebrandi nuper Alumnis sure Congregationis concessam. Sacra porro Rituum Congregatio, utendo facultatibus ab eodem Sanctissimo Domino Nostro sibi specialiter tributis, bénigne annuit pro gratia in omnibus juxta preces : servatis Rubricis. Contrariis non obstanlibus quibuscumque. Die 12 Novembris 1894.
Pro Emo. et Rmo. Dno. Card. C. Aloisi-Masella Praifeclo,
L. M. Card. PAHOCCHI.
Pro R. P. D. Aloisio Tripepi, secretario, ANTONIUS SARDI, substitutus.
— So — FACULTÉ
DE TRANSFÉRER A UN AUTRE JOUR LIBRE SUBSÉQUENT LA FÊTE DE LA MANIFESTATION
12 novembre iSg4.— A perpétuité.
POUR LA CONGRÉGATION DE LA MISSION
Pour favoriser de plus en plus le culte et la piété envers l'Immaculée Vierge Mère de Dieu, qui a daigné se manifester par la sainte Médaille dite Médaille miraculeuse, en même temps que pour assurer le plus grand bien spirituel des fidèles du Christ, le Révérendissime M. Antoine Fiat, Supérieur général de la Congrégation de la Mission, a adressé à Sa Sainteté le Pape Léon XIII, de très humbles prières, à l'effet d'obtenir que la solennité extérieure de la fête de la Manifestation pût être transférée à l'un des jours qui précèdent ou suivent le 27 novembre, avec faculté de célébrer toutes les messes conformes à la fête. Les membres de la Congrégation delà Mission et les Filles de la Charité pourraient ainsi, dans les endroits où on le jugerait plus expédient, célébrer cette fête un autre jour, avec le consentement du Révérendissime Ordinaire, dans les oratoires publics, propres ou étrangers à la Congrégation.
CONGREGATIONIS M1SSIONIS
Quo cultus et pietas erga Immaculatam Virginem Deiparam a Manifestatione Sacri ipsius Numismatis, vulgo la Medaglia miracolosa, magis magisque i'oveatur, et majori Christifidelibus spirituali bono consulatur, Rmus. D. Antonius Fiat, Moderator Gencralis Congregationis Missionis, Sanctissimum Dominum Nostrum Leonem Papam XIII, humillimis precibus exoravit, ut extrinseca solemnitas ejusdem Manifestationis tum ab Alumnis ipsiusmet Congregationis, tum a Filiabus Caritatis, in Ecclesiis, sive publicis, sivepropriis, sive aliorum, de Rmi. Ordinarii consensu, Oratoriis, ubi opportunius videbitur pro locorum adjunctis, institui valeat aliqua die vigesimam septimam Novemb'ris subséquente vel antécédente, facta potestate Missas omnes celebrandi proprias de eodem festo.
— Si —
La Sacrée Congrégation des Rites, usant des facultés que Sa Sainteté lui avait spécialement attribuées, a daigné agréer ces prières et permettre de reporter la solennité à l'un des jours qui suivent la fêle, mais non qui la précèdent; sont exceptés toutefois pour la' messe solennelle les fêtes doubles de première classe, les dimanches privilégiés de première classe, ou les fêles de la Mère de Dieu ; et pour la messe basse, les fêtes doubles de deuxième classe, ou les dimanches privilégiés de seconde classe. La messe conventuelle ou la messe paroissiale correspondant à l'office du jour, ne sera jamais omise dans les lieux où il y a obligation de la célébrer '. On se conformera aux rubriques. Ce décret vaut nonobstant toute autre déclaration contraire.
Ce 12 novembre 1894. Pour VEminentissime et Révérendissime Card. Préfet Aloisi-Masella,
Le Cardinal L. M. PAROCCHI. Pour le R. P. D. Louis Tripepi, secrétaire, ANTOINE SARDI, pro-secrétaire.
Sacra porro-Rituum Congregalio, ulendo facuitatibus ab eodeni Sanctissimo Domino Nostro sibi specialiter tributis, ita precibus bénigne annuit, ut expetita solemnitas peragi valeat una e subsequentibus diebus minime festum ipsum antecedentibus; dummodo non occurrat Duplex prima; classis vel Dominica privilegiala prima; classis, aut aliquod festum Deiparre quoad Missam solemnem, et Duplex etiam aut Dominica privilegiala secundse classis, quoad Missas lectas, Missa quoque Conventuali, vel Parochiali officio diei respondente non omissa, ubi eam celebrandi omis adsit : servatis Rubricis. Contrariis non obstanlibus quibuscumque. Die 12 Novembris 1894.
Pro Emo. et Rmo. Duo. Card. C. Aloisi-Masella proefecio,
L. M. Card. PAROCCHI. Pro R. P. D. Aloisio Tripepi, secretario, ANTONIUS SARDI, substilutus,
1. Celte obligation spéciale n'existe que-pour les chapitres ou pour quelques Ordres religieux chargés des paroisses.— Note des Annales.
FRANCE
ALLOCUTION PRONONCÉE PAR S. ÉM. LE CARDINAL BOURRET
ÉVÊQUE DE RODEZ
A LA MAISON-MÈBE DES PRÊTRES DE LA MISSION, A PARIS,
LE 7 NOVEMBRE 1894,
EN LA FÊTE DU B. JEAN-GABRIEL PERBOYRE, MARTYR
C'est avec la solennité habituelle qu'a été célébrée à la MaisonMère, à Paris, la fête du bienheureux Jean-Gabriel Perboyre. Son Éminence le cardinal Bourret avait bien voulu accepter d'y officier . pontificalement.
Le souvenir des exemples que le glorieux martyr a donnés à ses frères dans cette demeure même, la présence de ses cendres qui reposent sous le marbre de son autel, les chants de l'Église célébrant la gloire d'un martyr que plusieurs de ceux qui les redisent ont connu : tout cet ensemble émeut particulièrement les âmes.
S. Ém. le cardinal Bourret, à la vive satisfaction de son nombreux: auditoire, a traduit les impressions et les enseignements de cette solennité dans une paternelle et éloquente improvisation. Nous sommes heureux de pouvoir la reproduire à peu près textuellement, il nous semble :
MES SOEURS, MES PÈRES, MES ENFANTS,
Je suis un habitué de la maison, et je suis heureux de témoigner aujourd'hui ma reconnaissance pour la sacerdotale hospitalité que je reçois dans cette sainte demeure. C'est pour accéder aux désirs de M. le Supérieur, à qui j'ai presque fait voeu d'obéissance, que je vais m'entretenir quelques instants avec vous. Je vous parlerai donc sans fleurs de rhétorique, je vous adresserai un discours sans apprêts, peut-être sans attraits.
A Cahors, il y a trois ans, l'on célébrait un Triduum en l'honneur du bienheureux Jean-Gabriel Perboyre. Je par-
lai le premier, on appela cela iTnvilatoire. Je viens aujourd'hui faire la péroraison. Voici comment je la comprends : Quand, dans vos travaux apostoliques, vous avez fait un beau sermon, et par beau sermon je n'entends pas un discours de rhétorique : c'est commun et surfait ; mais j'entends l'enseignement de l'Évangile, alors vous résumez dans un dernier élan les conseils pratiques, fruit de ce que vous avez enseigné. En agissant ainsi, et il ne faut jamais l'omettre, vous faites votre péroraison. Voici la mienne, voici mes conseils pratiques.
Nous célébrons aujourd'hui le bienheureux Jean-Gabriel Perboyre : ses vertus, sa gloire, son martyre. Que vous dirai-je ? Qu'il faut l'imiter? Oui. Dans sa vie? Oui. Et encore, dans ce qu'il a de plus beau, de plus glorieux, dans son martyre? Oui bien. Et je viens vous dire que tous, absolument tous, pères et soeurs, vous êtes appelés à l'honneur, à la grâce, à l'inappréciable bienfait du martyre. Comment?
Vous étudiez la théologie, mes chers fils, on l'étudié ailleurs. En Allemagne, les docteurs s'accordent à ajouter une cinquième note aux marques de la véritable Église, et ceci je le tiens de Mgr Freppel, mon ancien condisciple, et parfaitement versé dans la théologie allemande. Les théologiens d'Allemagne s'accordent donc à donner une cinquième note de la véritable Église : c'est le témoignage du sang perpétuellement donné. Oui, l'Église seule, à l'exclusion des autres, porte sur son front, et profondément gravée, cette cinquième marque.—Tous et toutes, vous êtes appelés à donner le témoignage du martyre.
Et d'abord, prenons ce mot dans le sens littéral.
Plusieurs d'entre vous, mes enfants, sont peut-être marqués, prédestinés par la Providence, pour ce grand et glorieux combat. Ce ne sera pas le grand nombre, je l'espère, sans regretter pourtant qu'il en fût autrement, parce que le sang des martyrs est la fécondation de l'Église.
- 84Mais
84Mais un peu le sens, sans le forcer, du mot martyre. Martyre veut dire témoignage, confirmation, profession, et s'il va jusqu'au sacrifice de la vie et du sang, alors il n'est rien au-dessus. Messieurs, on n'y réfléchit pas : donner sa vie peut se faire de plusieurs manières. Voyez cette jeune soeur qui, joyeuse, porte ses vingt ans aux régions brûlantes de l'Afrique. Lorsqu'après quelques années elle meurt à la tâche, est-ce qu'elle n'a pas donné le plus pur de son sang, est-ce qu'elle n'est pas martyre? Peutêtre son sacrifice est-il plus méritoire que celui qui se termine d'un seul coup, et qui épargne les douleurs, les angoisses d'une longue agonie. Celte autre soeur va dans un hôpital où régnent la fièvre typhoïde, la petite vérole, la diphtérie ; elle y laisse sa vie ; n'est-elle pas martyre? Que dit l'Évangile ? Celui qui donne sa vie donne le plus grand témoignage : Majorent... dilectionem nemo habet. Peutêtre y a-t-il plus de mérite à accepter cette mort qu'à recevoir au coeur une flèche rapide qui- fait franchir d'un saut le passage du temps à l'éternité.
Et vous, mes enfants, lorsque vous allez partout, en Afrique, en Amérique, vous exposer aux intempéries d'un climat meurtrier, affronter le soleil des sables brûlants ou les glaces des montagnes, et que vous y laissez votre vie, serait-on bien venu à vous disputer l'honneur du martyre? Et qu'est-ce qu'être martyr? C'est donner sa vie. Donc, sans rien outrer, retenons ce qui est à notre avantage : Majorent dilectionem nemo habet. Parmi vous, mes enfants et mes soeurs, il y en aura un grand nombre qui donneront ce témoignage : c'est notre gloire et votre consolation. Et tandis qu'on vous regardera comme des apôtres ou des vierges chrétiennes, les anges vous mettront au rang des martyrs.
Je vais plus loin et je dis que les saints Pères n'en demandent pas autant pour le martyre. L'acceptation de la volonté de Dieu au moment de la mort pour lui céder la
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vie qu'il nous a donnée, l'acquiescement parfait à l'appel qu'il nous fera de lui remettre noire âme, cette disposition est suffisante pour le martyre; et ce martyre, les gens du monde eux-mêmes sont appelés à le pratiquer. Sainte Thérèse, d'après plusieurs, a mérité d'être martyre à ce titre.
A cela je rattache un autre martyre qui, s'il ira pas la littéralité du premier (car je prétends que toutes les espèces de martyre dont je viens de vous parler conservent toute la littéralité du mot), a du moins avec lui plusieurs traits de ressemblance et d'analogie. Je veux parler du martyre moral qui nous atteint tous, plus ou moins, sous quelqu'une de ses mille formes : martyre de l'intelligence, martyre du coeur, martyre de la volonté ; de ce martyre qui va à notre honneur, s'il est accepté avec courage, à notre écrasement, si la nature est plus forte que la grâce.
C'est d'abord le martyre de l'intelligence : martyre de l'intelligence tourmentée par les craintes, les scrupules, les angoisses, martyre si terrible que ceux-là seuls qui Pont éprouvé peuvent en connaître toute l'amertume; martyre de l'intelligence obscurcie par le doute — pas ici, mais ailleurs, •—• martyre aussi terrible où il faut fouler aux pieds son intelligence qui se révolte.
Martyre du coeur ! Ah ! vous l'avez tous éprouvé. Monter sur le coeur de sa mère pour arriver jusqu'au tabernacle, fouler aux pieds ce qu'on a de plus cher pour arriver jusqu'à la croix! Martyre des sécheresses, des désolations, où le coeur est broyé dans le mortier des épreuves avec un pilon bien dur quelquefois. Ah ! dans ce martyre, prenons notre coeur brisé, présentons-le au divin Maître et disonslui : Seigneur, mon coeur est blessé, mais il est à vous ; je l'ai brisé pour vous le garder ; c'est pour vous que je l'ai tué, à vous de le ressusciter.
C'est aussi le martyre de la volonté. Il en coûte de se soumettre à une règle, même quand on l'a voulue et cherchée. Quel martyre d'abnégation dans ce que je puis appe-
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1er l'embrassement de ce qui coûte et de ce qui déplaît ! C'est là que l'on reconnaît les forts et les généreux. Il est facile de monter sur son intelligence, sur son coeur, sur sa volonté pendant le noviciat, mais il faut veiller avec soin pour ne pas reprendre par parties ce qu'on a donné d'un seul coup dans la ferveur d'un jour de vêture ou de profession.
Voilà les grands horizons que nous ouvre le christianisme et que nous présente aujourd'hui la vie du bienheureux Perboyre. Beau tableau, ravissant spectacle! à nous d'en profiter et de nous mettre dans ces dispositions. Puisque nous pouvons prétendre à la palme du martyre, et qu'il est le but de notre vie, à nous d'y tendre de toutes nos forces : Notre-Seigneur n'a été vraiment parfait Rédempteur qu'en montant sur la croix pour y répandre sa vie avec son sang : au Thabor, c'est bien ; au Tabernacle, c'est bien ; à la Cène, c'est bien; mais s'il veut nous sauver, il faut qu'il gravisse le Calvaire, qu'il monte sur la croix.
Donc, comme conclusion, regardons la croix et efforçons-nous de posséder l'esprit de sacrifice : que la croix soit le miroir où nous contemplerons nos traits.
Enfants des martyrs, ah ! ne marchandez pas votre générosité et votre dévouement, afin qu'un jour aussi vous ayez part à la gloire dont jouit le martyr que nous célébrons aujourd'hui. Ainsi soit-il.
VISITE DES PRÊTRES DU PELERINAGE D'ALBI
AUX RELIQUES DE S. VINCENT DE PAUL, A PARIS
On lit dans le compte rendu du pèlerinage organisé dans le diocèse d'Albi, pour venir prier dans l'église du SacréCoeur, à Montmartre, les détails suivants {Albia apostolica, supplém., 2e ann., p. 3) :
« L'organisation d'un pèlerinage d'Albi à Montmartre
-87était
-87était nous une entreprise toute nouvelle, et sur l'issue de laquelle nous pouvions avoir quelques craintes. Le succès a été bien plus grand que nous n'aurions osé l'espérer.
« Le sanctuaire de Montmartre a été le but principal de notre pèlerinage, mais il n'en a pas été l'objet unique. « Le jour de notre arrivée à Paris, 24 septembre, nous visitions la Salle des martyrs, au séminaire des Missions étrangères. Nous ne saurions exprimer avec quelle émotion et quel saisissant intérêt !
« Nous avons dû à regret précipiter cette première visite pour nous rendre immédiatement à la chapelle des Prêtres de la Mission, où nous étions attendus pour la bénédiction du Très Saint Sacrement.
« Nous avons reçu le plus sympathique accueil dans cette seconde maison, où on a bien voulu nous faire visiter d'ab-ord les reliques du bienheureux Perboyre, et ouvrir pour nous la châsse de saint Vincent de Paul.
« Membres du clergé albigeois qui a l'insigne honneur de posséder pour patron saint Vincent de Paul, initiés à la vie sacerdotale par les prêtres de la Mission qu'il a établis, nous ne pouvions venir à Paris sans aller nous mettre sous la protection de ce grand saint, et l'invoquer dans la chapelle où reposent ses restes vénérés.
«Aussi nous sentions-nous à notre place dans cette enceinte bénie que domine la châsse de notre glorieux patron ; et c'est avec une joie bien sentie que nous y avons chanté l'hymne propre à sa fête, que nous avons baisé ses reliques, renouvelé au fond de nos coeurs nos résolutions sacerdotales et reçu la bénédiction du Très Saint Sacrement. »
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PRIME-COMBE
Lettre de M. L. DILLIES, prêtre de la Mission, à M. A. FIAT, Supérieur général.
Prime-Combe, 7 novembre 1S94.
MONSIEUR ET TRÈS HONORÉ PÈRE, Votre bénédiction, s'il vous plaît!
Je sais combien vous tenez aux oeuvres inspirées par saint Vincent, voilà pourquoi je me permets de vous faire part de notre dernière retraite d'ouvriers qui a eu lieu pendant trois jours, les 26, 27 et 28 octobre, aux pieds de Notre-Dame de Prime-Combe. Vous bénirez Dieu avec nous du bien qui a pu s'y faire.
Quatre-vingt-quatre ouvriers de Nîmes, de Montpellier, d'Alais, de la Grand'Combe, des campagnes des deux diocèses, ont pris part à cette retraite. Le zèle des Filles de la Charité n'est pas étranger à ce beau résultat. On avait pu craindre, au début de cette oeuvre, que les ouvriers du Midi fussent moins faciles à se laisser entraîner aux retraites; depuis quatre années, nous voyons que cette oeuvre s'acclimate parfaitement dans le Midi.
Vous auriez joui, très honoré Père, de voir cette obéissance simple et entière, la bonne volonté de ces braves ouvriers. Nous les occupons toute la journée, à des exercices très variés et très intéressants pour eux : cinq instructions et conférences, lectures avec gloses, messe, chapelet, chemin de la croix, examens faits par nous. « Mais nous n'avons pas le temps de nous ennuyer, » nous disentils. Le plus remarquable est l'attitude au réfectoire : on écoute avec passion la lecture de l'ouvrage : Réponses aux objections contre la religion, par Mgr de Ségur:
Parmi ces quatre-vingt-quatre retraitants, un certain nombre étaient venus les années précédentes; nous les avons constitués les anges des nouveaux. La dernière nuit qu'ils ont
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passée à Notre-Dame de Prime-Combe, plusieurs ont voulu passer toute celte nuit auprès du Très Saint Sacrement. Leur communion a été admirable. Un d'entre eux nous disait: « Je fais ma cinquantaine. » Pauvre ouvrier, il y avait cinquante ans qu'il n'avait pas communié !
Une chose me fait grand plaisir, c'est que MM. les curés nous disent que ces retraites ont opéré de vrais miracles dans quelques-uns de leurs paroissiens, et que ceux qui y ont pris part deviennent des apôtres dans leurs paroisses.
Je dois vous dire, très honoré Père, que tous nos confrères savent comprendre le bien qui se fait par ces retraites, qu'ils s'y intéressent et qu'ils m'aident.
Nous avons eu cette année huit retraites de différents genres.
Nous avons terminé dimanche dernier la saison des pèlerinages et des retraites par une oeuvre très intéressante. MM. les membres des Conférences de Saint-Vincent de Paul du diocèse sont venus tenir une réunion générale aux pieds de la très sainte Vierge; j'en ai'été très heureux.
Puissions-nous offrir quelques épis à la gerbe que la
Congrégation est heureuse de présenter à Notre-Seigneur !
Veuillez, très honoré Père, etc.
L. DILLIES,
I. p. d. 1. M.
Lettre de la soeur PETIT, Fille de la Charité, à M. FIAT, Supérieur général.
Grâces attribuées à la Médaille miraculeuse.
Hôpital de Mont-dc-Marsan, 29 novembre 1894.
MONSIEUR ET TRÈS HONORÉ PÈRE,
Votre bénédiction, s'il vous plaît!'
Je ne veux pas tarder plus longtemps à vous faire part de notre joie. Le Seigneur, par sa divine Mère, a daigné visiter et réjouir notre hôpital en montrant sa puissance; une
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Enfant de Marie, malade depuis huit années, au lit depuis six ans et demi, ne se nourrissant que de lait, a repris, mardi 27 novembre, à midi, instantanément, la vie ordinaire. Elle s'est levée, a marché, a pris des aliments solides ; elle-même vous écrira sous peu. La science pourra n'admettre rien de surnaturel dans cette guérison d'une maladie nerveuse; mais qu'importe la science humaine? Pour M. l'archiprêtre, comme pour moi, comme pour la malade, il y a certainement du surnaturel dans cette prompte guérison. M. l'archiprêtre nous recommande la prudence, mais nous engage à faire une neuvaine d'actions de'grâces que ■ lui-même fait faire aux Enfants de Marie. Déjà quelques journaux ont parlé du fait. Je pourrais encore, mon très honoré Père, vous exposer deux grâces de conversion dues à 'la Médaille. Deux poitrinaires se voyaient mourir et ne voulaient pas se réconcilier avec le bon Dieu. L'un d'eux, l'an dernier, nous avait causé quelques ennuis : après un mois de séjour, il était sorti ; or, il y a un mois, il revint à l'hôpital. Il était au dernier période de sa maladie, mais toujours aussi mal disposé; du reste, c'était un typographe écrivant dans un mauvais journal. M. l'aumônier lui donna, la semaine dernière, une médaille miraculeuse qu'il accepta par convenance. Deux jours après, il demandait au médecin permission de se retirer chez lui; nous étions toutes très peinées car la mort le suivait de près. La veillé de son départ, à huit heures du soir, il fit demander M. l'aumônier et voulut se confesser avant de se retirer. Le lendemain, il fit la communion en de bonnes dispositions, il s'en alla et quatre jours après on le portait en terre.
Veuillez, Monsieur et très honoré Père, me croire en l'amour de Notre-Seigneur et de son Immaculée Mère, Votre respectueuse et obéissante fille,
Soeur PETIT,
]. f. d. 1. C. s. d. p. m.
PROVINCE D'AUTRICHE
Lettre de M. J. MAÇUR, prêtre de la Mission, à M. A. FIAT, Supérieur général.
Décès de M. Jacques Horvat, prêtre de la Mission; ses vertus.
Cilii, le Ier septembre 1894.
MONSIEUR ET TRÈS HONORÉ PÈRE,
Votre bénédiction, s'il vous plaît !
J'ai attendu longtemps que, dans les Annales, un confrère plus compétent que moi écrivît quelques lignes pour consacrer, selon l'esprit de saint Vincent, le souvenir d'un Missionnaire qui a tant mérité de la Congrégation, et dont le pape Léon XIII, les évêques, le clergé et le peuple ont fait l'éloge; je veux dire notre très digne Supérieur, M. Jacques Horvat. C'est comme confident de ce qu'il avait de plus intime et comme membre dé la maison de Cilli, que je vous envoie ces quelques détails pour notre édification commune.
Appelé par télégramme, j'arrive d'une mission fort éloignée, le matin à quatre heures et demie, et je vois, et avec moi beaucoup d'autres personnes, autour du Mont-SaintJoseph, où nous habitons, une grande quantité de lumières qui nous frappent tous d'étonnement. Le Très Révérend abbé de l'endroit me dit : « Ce sont les âmes que le défunt a sauvées qui viennent à sa rencontre. »
A neuf heures, le 9 mars 1-891, le mercredi, jour dédié à saint Joseph, pour lequel M. Horvat avait eu une rare dévotion, des milliers de personnes arrivaient en pleurant et désiraient faire toucher au corps du défunt des chapelets et autres objets de piété. Notre cher confrère semblait rajeuni de vingt ans, et il avait l'air souriant.
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A neuf heures et demie, le Très Révérend abbé mitre de l'endroit arriva avec une nombreuse assistance et bénit le défunt, qui avait été porté à l'église et entouré d'un brillant luminaire. Puis il monta en chaire et fit l'éloge du regretté défunt. Voici en substance son discours:
« Omnibus omnia foetus sum, ut omnes Christo hterifaciam;» Je me suis fait tout à tous pour les gagner tous à Jésus-Christ. » Il n'y a qu'une voix dans notre ville : Un saint est mort au Mont-Saint-Joseph : Gospod Jacob I c'est-à dire Monsieur Jacques. Tout le monde.le connaissait et l'appelait Gospod Jacob, et non le Supérieur.
« M. Jacques Horvat était né dans la commune de SaintLaurent (en slave, Goricah,) le 3 juillet 1811. Sept diocèses ont eu le bonheur de connaître cet homme au zèle ardent, à l'air ascétique et cependant aimable et gai; cet homme qui, bien qu'octogénaire, avait encore les cheveux noirs et gardait son énergie. Qui de vous ne l'a entendu prêcher, même plusieurs fois le jour ? Qui de vous ne l'a vu prier longtemps devant le Saint Sacrement, avant et après les confessions? Aussi n'est-il pas étonnant que tous, prêtres et fidèles, aient voulu faire leur confession générale à ce Missionnaire à la fois si mortifié, si patient et si doux. Dès son enfance, il avait appris de sa pieuse mère cette leçon de souffrir en silence avec Jésus-Christ : Tace et patere cum Christo. Dans tout notre diocèse de Lavant, il n'y a pas un seul prêtre qui restât au confessionnal du matin jusqu'au soir, comme le très regretté Gospod Jacob.
« El tous, tant que nous sommes, nous devons une très grande reconnaissance au Très Révérend Supérieur, M.Horvat : nous autres, prêtres, qui avions trouvé en lui un ami sincère, un excellent confesseur et un sage conseiller même dans les affaires de notre diocèse ; et vous, fidèles, dont il a rassasié si souvent la faim spirituelle par sa vie exemplaire et par la prédication de la parole de Dieu. Et cette reconnaissance doit eue partagée, au même degré, par les
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Prêtres de la Mission et par les Filles de la Charité, par tout le diocèse, par l'Autriche tout entière.
« Le vénéré M. Horvat et M. Klaischer ', tous deux Slaves, étaient entrés ensemble au noviciat de Paris et revenus ensemble en Autriche. L'évêque de Lavant les accueillit avec bonheur le 7 septembre 1822, dans la maison de Saint-Joseph de Cilli. En les introduisant, Sa Grandeur Mgr Slomsek leur demandait « de travailler dans la « vigne du Seigneur contre l'infidélité, l'indifférence, etc., « dans les hôpitaux et autres lieux ». Ah ! que de missions, que d'exercices spirituels prêches par M. Horvat, et cela, malgré son grand âge, jusqu'à sa dernière maladie! Songez que dans l'église de Saint-Joseph on donnait chaque année vingt-neuf mille communions. Aussi, ne faut-il pas s'étonner que le pape Léon XIII, informé par le cardinal Ledochowski de ses mérites, lui ait envoyé, à l'occasion de sa fêle, une lettre de félicitations et lui ait accordé à lui et à tous ceux qui étaient présents une indulgence plénière.
« Et la fin de sa vie, oh! qu'elle a été édifiante ! Il a dit la messe jusqu'au jour de sa mort; et même ce jour, il a récité encore l'office divin. La dernière nuit, il dit à deux reprises au prêtre et au frère qui le veillaient : « Demain, à neuf heures...; maintenant, allez vous reposer. » Et, comme ceux-ci ne voulurent point se retirer, il répéta encore avec un sourire paternel : « Demain, à neuf heures... »
« A cinq heures du matin, il dit au prêtre : ce Mon cher « confrère, allez dire la sainte messe; puis vous viendrez « me donner les derniers sacrements. » Et avant de les ce recevoir, il dit ces paroles d'un ton pénétrant : « En « ce moment redoutable où je vais paraître devant mon « Seigneur et mon Dieu, je remercie nos vénérables cotir ce frères.prêtres et nos frères coadjuteurs de la charité qu'ils
1. On peut lire la notice singulièrement édifiante de M. Jean Klaischer dans les Relations abrégées, t. IV, p. 346-372. ;
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« m'ont témoignée. Persévérons dans l'amour envers Jésusce Christ et les uns envers les autres; bientôt nous nous « reverrons auprès de lui. »
« Un peu avant neuf heures, il fit un grand signe de croix, puis prenant sa croix des voeux, il ferma les lèvres et les yeux, et... c'en fut fait de Gospod Jacob.
« Ah! cruelle mort, qu'as-tu fait? Pourquoi as-tu brisé une vie si chère? pourquoi as-tu éteint une lumière si brillante? pourquoi as-tu mis fin aux pulsations de ce coeur épris de l'amour de Dieu et du prochain? Pleure, diocèse de Lavant, qui as perdu celui qui t'a cultivé avec tant de zèle! Pleurez, Missionnaires qui avez perdu un père et un confrère excellent! Pleure, province des Missionnaires d'Autriche, qui n'as plus ton fondateur ! Pleurez, pauvres, veuves et orphelins! celui qui vous soutenait va descendre dans la tombe. Jésus-Christ a appelé son bon serviteur à la récompense éternelle des élus. » — Vous comprenez l'émotion que ces paroles ont fait naître.
Qui peut dire les larmes qui ont été versées, les chapelets qui ont été dits, les visites qui ont été faites au tombeau de notre vénéré et très regretté M. Horvat! Nous ne savons' encore nous-mêmes tout ce que nous avons perdu en sa personne.
Et .maintenant, Monsieur et très honoré Père, veuillez
confier à nos Annales le peu que j'ai rapporté, afin qu'on
n'oublie jamais ce véritable imitateur de saint Vincent.
Daignez me bénir, ainsi que nos missions si difficiles, et
me croire, dans les saints Coeurs de Jésus et de Marie,
Votre très obéissant fils,
MAÇUIÎ,
■I. p. d, 1. M.
PROVINCE D'ESPAGNE
Lettre de la soeur THÉRÈSE LARDEUR, Fille de la Charité, à la très honorée Mère LAMARTINTE.
Visite de S. M. la reine à l'asile Maria Cristina '.
Madrid, école de Maria Cristina, le 14 novembre iSg.i.
MA TRÈS HONORÉE MÈRE,
La grâce de Notre-Seigneur soit avec nous pour jamais l
Ma soeur Visitatrice me charge de vous rendre compte de ia visite de Sa Majesté qui est venue, hier, nous surprendre, on peut le dire, puisque ce ne fut pas même une heure auparavant que, par hasard, nous apprîmes qu'elle se dirigeait de notre côté. Il est vrai que ses dames nous avaient annoncé sa visite, mais sans préciser le jour; quant à Sa Majesté, elle s'était complètement opposée à ce qu'on nous prévînt, et nos enfants prenaient leurs ébats à la Casa de campo, magnifique possession royale qui, vue des fenêtres de la classe, forme un panorama splendide, attendant joyeusement un photographe qui nous avait prié de les laisser poser. Aussitôt, tout changea de face. Il n'y avait pas une minute à perdre, heureusement nous n'étions qu'à cinq minutes de la maison.
Les enfants aussitôt prirent place dans leurs classes respectives, sans se douter de ce dont il s'agissait. Elles étaient plus nombreuses et dans une tenue plus convenable que jamais. Les Soeurs avaient les regards tournés vers le « chemin de l'Ange », nouvelle route tracée pour Sa Majesté, qui lui donne la facilité d'arriver chez nous sans sortir de
1. Les Annales ont donné Tannée dernière le récit de l'inauguration de cette maison par S. M. la reine régente. (T. L1X, p. 3i7.)
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son domaine. Tout à coup nous entendons la cloche de la Communauté. Croyant que c'était l'exercice de deux heures, je reste bien tranquille; déjà Sa Majesté était dans l'escalier.
Ce fut à la classe des petites qu'elle entra d'abord. Elle resta émerveillée de ce beau coup d'oeil, de l'heureuse installation, et aussi, il faut le dire, de la bonne tenue des enfants qui, déjà, ne lui ont plus paru les mêmes que le premier jour. Pour les mieux voir, elle s'assit au bureau de la maîtresse, les fit interroger par la soeur, les fit lire •elle-même, regarda leurs ouvrages, voulut qu'elles lui chantassent un cantique. Les murs de la classe lui paraissant un peu nus, et la dame qui l'accompagnait me soufflant tout bas de n'avoir pas peur de tout lui exposer, je demandai les tableaux de l'Histoire sainte, ce qui fut aussitôt accordé, et ensuite une Vierge. Sa Majesté ayant appris avec beaucoup de plaisir qu'il y avait une petite bourse, appelée « des sacrifices», où s'accumulaient tous les jours les centimes destinés par les enfants à l'achat de la statue : « Il faut les aider, » dit-elle.
En sortant de la classe, avant de monter à l'étage du haut, Sa Majesté se fit ouvrir chaque appartement; elle s'arrêta un instant dans l'un d'eux pour lire le compte rendu de l'inauguration qu'elle daigna signer, et ensuite à notre réfectoire, devant le cadre des communions. Lui ayant, à cette occasion, parlé des fêles que nous allions célébrer, la reine me demanda si la médaille appelée « miraculeuse » n'était pas celle qui pendait à son bracelet. Je lui répondis que oui ; et elle ajouta que ses enfants aussi la portaient. Comme elle voulait savoir les détails de l'apparition, je lui offris de lui envoyer la Notice, à quoi elle répondit qu'elle la lirait avec un grand plaisir.
Nous avions déjà parcouru tout le haut de la maison. A la classe des grandes, même bonté, même intérêt de Sa Majesté qui me fit demander, comme aux petites-, qui elle
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était; les petites, un peu moins stylées, avaient répondu tout d'une voix : « la Reine ». En haut, d'un ton un peu plus modéré, on dit : « Sa Majesté la Reine». Tous les ouvrages passèrent par ses mains. Enfin le cadeau d'une Vierge, ici aussi, couronna tous les désirs et récompensa tous les sacrifices. En descendant l'escalier, elle riait de tout son coeur, car il est un peu raide et étroit, et elle s'attachait à une soeur pour ne pas glisser.
Enfin nous sommes en bas, à la chapelle. Après avoir prié, Sa Majesté s'y rendit compte de tout, dit qu'on allait la peindre ; que ce qui pouvait y manquer encore viendrait.
Après nous avoir familièrement entretenues et nous avoir de nouveau donné sa main à baiser, la reine se retira au milieu des vivat delà foule, qu'elle salua avec beaucoup de grâce, nous laissant confondues de toutes ses bontés.
Vos trois filles de YEstramadura s'unissent pour vous offrir l'expression de leur plus filial respect, et en particulier, celle qui se dit, en l'amour de Notre-Seigneur et de son Immaculée Mère, Ma très honorée Mère,
Votre très humble et reconnaissante fille,
' >- Soeur THÉRÈSE LARDEUE,
, I. f. d. 1. C. s. d. p. m.
ITALIE PROVINCE DE NAPLES
RETRAITE ET CONFERENCES D'EVEQUES
A LA MAISON DE LECCE
Le journal officiel de l'autorité ecclésiastique de la province des Pouilles, il Vessillo cattolico (n° du 17 novembre 1894), rend compte d'un fait plein d'édification. Les évêques de cette province se sont réunis en retraite spirituelle à la maison des prêtres de la Mission deLecce, et, du i3 au 19, se sont recueillis dans la prière et la méditation. En même temps, ils ont tenu des conférences pour se rendre compte de leur action et de leurs oeuvres diocésaines.
Les prélats étaient au nombre de quatorze. C'étaient
• NN. SS. les archevêques de Bari, d'Otrante et de Tarente ;
NN. SS. les évêques de Gravina, Lecce, Nardo, Ugento,
Molfetta, Gallipoli, Ruvo, Andria, avec son auxiliaire,
de Castellanneta et de Monopoli.
Les prélats assistaient à deux sermons par jour, et, en outre, tenaient de dix heures à midi une conférence. Ils s'étaient mis sous la direction du Supérieur de la maison des Lazaristes, M. P. Chieco i, qui donnait chaque jour l'instruction du matin; son confrère, M. di Palma, donnait l'instruction du soir.
Le Vessillo cattolico ajoute : « Pour n'être point troublés par les visites, ils avaient fait afficher à la porte de la maison un avis par lequel ils priaient toutes les personnes de ne pas demander à leur parler avant la fin de la retraite, qui a duré sept jours complets. »
1. M. Chieco a professé la théologie avec distinction en France, à Châlons-sur-Marne et à la Rochelle.
PROVINCE DE CHINE
VICARIAT DU TCHE-LY SEPTENTRIONAL
Lettre de M. ALPHONSE FAVIER, prêtre de la Mission, à M. BETTEMBOURG, procureur de la Congrégation.
La guerre entre la Chine et le Japon.
Pékin, g octobre 1894.
MONSIEUR ET TRÈS HONORÉ CONFRÈRE, La grâce de Notre-Seigneur soit avec nous pour jamais!
Vous devez être impatient de recevoir quelques nouvelles de Pékin. J'arrive de Tien-tsin et je vous écris ces quelques notes.
Le Japon a forcé la Chine à lui déclarer la guerre ; préparé depuis longues années, il se bat contre un colosse qui n'est pas prêt et il n'a pas de peine à le vaincre. Il n'y a plus un seul Chinois en Corée, les Japonais occupent et gouvernent le pays si facilement conquis.
La bataille de Ping-yang a été un désastre pour la Chine, qui a perdu un général et 6 5oo hommes. Les troupes non prisonnières se sont retirées derrière le fleuve Ya-lou, qui sépare la Corée de la Mantchourie. Elles sont là; de nombreux renforts leur arrivent et aujourd'hui il y a, pour disputer le passage du fleuve, au moins 60 000 Chinois assez bien équipés, mais loin de valoir les Japonais, qui sont presque en nombre égal. On s'attend à une nouvelle bataille.
La bataille navale à l'embouchure du Ya-lou a été terrible. Les Chinois avaient 10 navires, dont 2 cuirassés de 7 000 tonnes ; les Japonais en avaient 12, dont 3 gardes-
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côtes armés du canon Canet de 32 c. (les plus fortes pièces de l'extrême Orient). Pendant cinq heures les 2 cuirassés ont supporté le feu convergent des 7 plus forts navires du Japon, sans avaries trop sérieuses. 4 navires chinois, dont 2 croiseurs protégés, ont été coulés ou brûlés ; au dire de Von Hanneken, qui m'a conté le combat, au moins 3 navires japonais sont également perdus. Le fait est qu'à cinq heures du soir les Japonais se sont retirés et les Chinois ont débarqué leurs 5 000 hommes sans encombre, ce que le Japon voulait empêcher.- Si l'on veut, c'est une victoire pour la Chine ; mais si elle en a encore beaucoup comme cela il ne lui restera bientôt plus rien. Elle n'a maintenant que 6 navires réellement de combat, mais parmi eux sont les 2 cuirassés que les Japonais craignent beaucoup, car ils n'ont rien à leur opposer. Bref, ce n'est pas fini. Depuis lors, on nous dit chaque jour : « Les Japonais sont débarqués ici ou là, s et jusqu'à présent rien de certain. Ils voudraient venir de suite à Pékin et finir la guerre, et ils ont raison ; car une campagne d'hiver est bien difficile, sinon impossible pour eux.
Les événements vont donc se précipiter. Les dames européennes et leurs enfants ont, sans exception, quitté Pékin ces jours derniers. Personne ne bouge ni à la Mission ni chez les Soeurs.
Le gouvernement chinois a fait un décret superbe pour la protection des Européens, des Missionnaires et des chrétiens.
Si les troupes chinoises vaincues et pourchassées venaient par ici, il pourrait y avoir un mauvais moment à passer : mais le vice-roi, qui se porte fort bien, quoi qu'on en dise, se prépare à une résistance désespérée. Jusqu'ici nous sommes donc en parfaite sécurité. Ce qu'il y a de plus cruel, c'est la cherté des vivres ; tout a doublé de prix et nous aurons beaucoup à faire pour joindre les deux bouts. Toutes les fêtes en l'honneur de la soixantième année de
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l'impératrice sont décommandées. Le prince Kong est revenu au pouvoir et on espère en lui pour une paix moins désastreuse.
Priez pour nous tous.
Veuillez me croire, en l'amour de Notre-Seigneur, Monsieur et cher confrère,
Votre bien dévoué serviteur,
A. FAVIER, I. p. d. 1. M.
Voici le décret de protection dont il est fait mention plus haut :
« Galette de Pékin, du 14e jour de la 9e lune de la 200 année Koang-siu (le 12 octobre 1894).
DÉCRET IMPÉRIAL
« Les Missions religieuses de tous les pays jouissent depuis longtemps de la sécurité dans la circonscription de la capitale ; il convient de les protéger en toutes circonstances conformément aux traités. Aucune des puissances européennes n'est engagée dans la guerre faite actuellement par le Japon, mais il est à craindre que, parmi la grande multitude d'hommes qui viendront cette année à Pékin de toutes les provinces, des gens ignorants ne fassent naître à tort la suspicion et la haine, et que, s'il arrivait quelque difficulté, des scélérats et des gens sans aveu n'en profitent pour créer des troubles. Il est de toute nécessité de prendre des mesures préventives.
« En conséquence, Nous enjoignons au gouvernement militaire de Pékin et aux censeurs chargés de la police d'ordonner à tous leurs subordonnés de réprimer avec vigilance et de protéger avec soin. On arrêtera immédiatement les malfaiteurs qui voudraient faire naître des troubles et on les punira avec la plus grande sévérité. 11 ne-sera permis de montrer aucune indulgence. « Respect à ceci ! »
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VICARIAT APOSTOLIQUE DU TCHÉ-KIANG
Lettre de la soeur N., Fille de la Charité,
à M. A. FIAT, Supérieur général.
Visite des malades dans la plaine de Kia-ching.
MONSIEUR ET TRÈS HONORÉ PÈRE, Votre bénédiction, s'z'Z vous plaît !
Il était à peine quatre heures du matin, que la barque de la Mission quittait le pont blanc dit des Anges, pour conduire, dans un village de l'intérieur du Kia-ching, les Filles de la Charité, dont les bons Chinois de ces lieux réclamaient une apparition. De plus, une riche famille chrétienne qui venait chercher les soeurs avait parlé de deux pauvres ouvriers, employés à préparer la poudre, qui venaient d'être horriblement brûlés. Enfin, le digne Missionnaire avait dit de ne pas regretter cette journée consacrée à aller voir les pauvres gens qui ne connaissaient pas les soeurs, et encore moins l'hôpital où l'on pouvait transporter les malades. Nous partîmes-donc. Ma soeur Supérieure demeura gardienne du logis.
J'avais eu soin, comme toujours, de prendre avec moi l'image de ma puissante protectrice : le cher tableau de Louise de Marillac béni par vous, mon très honoré Père, était là dans le petit sac de voyage, et j'ai souvent tourné ma pensée vers lui afin que cette journée tourne à la gloire de Dieu.
Vers midi nous arrivâmes dans le joli village de To-ka, situé au milieu des mûriers qui couvrent la plaine de notre district. Nous descendîmes- dans le petit Koun-so ou chapelle des chrétiens, entretenue par les trois vierges de la famille qui nous recevait. Il serait trop long de faire la description de notre arrivée, il suffit que je vous dise que nous étions à peine débarquées que l'on vint nous cher-
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cher pour les deux brûlés, dont l'un était presque mort, disaient ces pauvres gens. Nous sûmes depuis que le médecin chinois n'avait donné aucun espoir. Nous partîmes aussitôt.
Mon très honoré Père, vous ne pourriez vous imaginer la foule qui courait devant nous pour nous annoncer. Qu'étions-nous? des femmes? des esprits ? quoi ?... «Ce sont des vierges chrétiennes venues d'Europe pour faire des bonnes oeuvres, pour glorifier Dieu, » répond notre conductrice!... et l'estime paraît grandir.
Enfin nous voilà chez les pauvres brûlés. Parents, amis, voisins sont là dans une grande anxiété. Fallait-il préparer le cercueil et les cérémonies funèbres, ou bien pouvait-on espérer encore? Le pauvre malheureux devait se marier ; sa noce avait été fixée à la huitième lune.
Pauvre garçon, nous eûmes du mal à l'apercevoir dans son grabat. Toute la tête jusqu'à la poitrine était comme un charbon noir ; les mains étaient en pourriture par suite des remèdes que l'on avait appliqués les uns sur-les autres. Enfin j'aperçois les yeux, et je tire quelques paroles du pauvre malheureux. Après avoir invoqué Louise de Marillac, ma chère bienfaitrice, je demande intérieurement à Notre-Seigneur ce que nous devons dire à ces pauvres spectateurs. Alors j'adresse quelques paroles d'espérance, et la joie apparaît aussitôt sur toutes ces physionomies anxieuses.
Mais le remède que-nous portons est en quantité insuffisante, car il y a deux malades qui en réclament. Nous en donnons d'abord la plus grande part à celui qui est le plus en danger, et nous les engageons tous deux à se faire porter chez nous lorsque ce leur sera possible. Après avoir donné une médecine à boire au malade, je prie la compatissante et pieuse Mère Louise de Marillac d'obtenir du Sacré Coeur de Jésus, auquel elle avait tant de dévotion, que les remèdes soient suffisants jusqu'au jour où le blessé
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qui a été le plus atteint pourra se faire transporter chez nous.
Mais comment sortir de cette demeure, car c'est par centaines que l'on se groupe à la porte? Enfin nos conducteurs frayent un passage et nous arrivons dehors. Là, on nous accable de questions ; on nous présente des malades, des enfants, des aveugles; un peu plus, on déterrerait les morts pour nous prier de les ressusciter. Nous distribuons ce que nous avons de remèdes, bien insuffisants, car nous ne nous étions pas attendues à trouver une pareille foule. Mais voilà que les voisins accourent déposer dans un panier de la famille du brûlé, des oeufs, des jujubes, etc., etc. Pauvres gens, ils ne savaient que faire pour nous témoigner leur reconnaissance; puis la foule nous suit comme pour une procession. On court à travers les champs, on s'appelle, on est heureux !
Nous nous arrêtâmes chez l'honorable famille qui nous avait invitées. Quand nous sortîmes, les chrétiens de l'endroit nous attendaient pour nous saluer, les femmes portaient de petits présents. Bientôt les païennes augmentent la foule. Nous étions peinées de n'avoir plus de remèdes pour ces braves gens, et nous leur promîmes de revenir. Enfin nous dûmes nous acheminer vers la barque.
Mais que faut-il voir ? Chose que nous étions loin de soupçonner, il y avait ce jour-là grande comédie païenne dans le village; des milliers de gens peut-être, venus des lieux voisins, y assistaient. En un clin d'oeil la comédie est déserte, la foule court à travers les champs, tous veulent voir nos cornettes blanches, ils veulent savoir qui nous sommes, quel motif nous mène dans ce lieu, etc. Il n'y eut pas une injure, pas une parole mal placée, quoique nous ayons du mal à nous faire un passage pour arriver à notre barque. Nous quittons ces lieux avec la conviction que ces pauvres gens désormais n'auront pas peur, dans leurs maladies, de se faire conduire à l'hôpital
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du Sacré-Coeur, où la grâce pourra alors se faire jour dans leur âme.
Quatre jours après cette fatigante mais heureuse journée, ma soeur Supérieure me fait appeler. Une barque arrivait. Je n'en crus pas mes yeux : c'était notre pauvre brûlé: celui au cercueil duquel on avait déjà pensé. Il est là, debout, en pleine voie de guérison. Les remèdes ont été suffisants jusqu'à ce jour, et il vient en chercher de nouveau. 11 resta deux jours pour achever sa guérison, et ne savait comment dire sa reconnaissance. On profita de son séjour pour lui dire les premières paroles sur le Dieu qu'il ignore, et tout bas, dans mon coeur, je remerciai Louise de Marillac qui, je me plais à le croire, a obtenu du Coeur de Jésus qu'elle aima tant, un regard de compassion pour ces pauvres brûlés qui bénissent déjà le nom chrétien.
La guérison du brûlé de To-ka était déjà connue, et hier, vers onze heures, l'on venait nous chercher pour un autre brûlé de Ta-kay-yé. Je pris à la hâte une partie de mon repas, et me voilà dans la barque qui devait me conduire près du pauvre païen. Dans ma précipitation, j'allais oublier mon cher tableau de Louise de Marillac, mais mon bon ange sans doute me le rappelle, et je le prends avec moi dans la barque, où j'ai soin de mettre dessus ce qui doit me servir au pansement.
Ce qui est arrivé à To-ka se renouvelle ici, mon très honoré Père. Le malade est à un ly des chrétiens. Les habitants n'ont jamais vu de soeurs, aussi sont-ils là plus d'une centaine sur la porte et à la fenêtre, pour assister au pansement. Je repars, emportant toutes sortes de bénédictions que je renvoie à la gloire de Dieu que ces braves gens disent déjà tin-hao, très bon; mais comme je n'ai pas de remèdes pour tous ceux qui viennent me consulter, je dois rentrer à la maison suivie d'une barque pleine de gens qui viennent chercher au dispensaire ce que je n'ai pu
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porter pour eux. J'ai le plaisir de conduire une malade à notre hôpital, et de faire porter une petite fille au dispensaire pour recevoir le saint baptême que je lui donne sous le nom de Louise; bientôt, je l'espère, elle ira dans le ciel remercier sa bienfaitrice. La journée a donc été assez fructueuse. J'ai visité la petite chapelle de Ta-kay-yé, dédiée à saint Vincent; elle est très propre, mais d'une pauvreté qui fait mal; le tableau de notre saint Fondateur est de belle peinture, mais très vieux et pas encadré, ce qui fait que les pluies et l'humidité du pays l'ont tout abîmé. Pour les fleurs, l'on ne voit plus la couleur qu'elles ont eue. Pas de tapis ni de tour d'autel. Aussi les charmantes Fo-tseng et Fo-nay, qui sont deux jeunes filles des plus pieuses de l'endroit, me disaient tout bas à l'oreille : « Si la Soeur pouvait nous procurer quelques fleurs, un tour d'autel, etc. » Je souris, mais ne pus répondre que ces seuls mots : « Poulie moment, impossible !... » et je pensais combien un peu de décoration ferait bien pour cette pauvre chapelle de notre bon Père saint Vincent. Elle est souvent visitée par les païens, et ils ont vite du mépris pour tout ce qui touche la religion, dès que cela a triste apparence.
J'ai engagé mon conducteur et ma conductrice à être bien fervents. Espérons que bientôt la foi se fera jour parmi ces bons Chinois de Ta-kay-yé que je vous prie de bénir, mon très honoré Père, avec celle qui les aime déjà tant comme tous ces pauvres infidèles.
Votre soumise fille,
Soeur N.,
t. f. d. 1. C. s. d. p. m.
AMÉRIQUE ÉTATS-UNIS
Lettre de M. O'CALLAGHAN, prêtre de la Mission, à M. A. FIAT, Supérieur général.
Retraite au clergé de S.-Louis (Missouri) et aux Filles de la Charité.
Emmiltsburg, S. Joseph, 19 juillet 1S94.
MONSIEUR ET TRÈS HONORÉ PÈRE, <■ Votre bénédiction, s'il vous plaît!
... Le Visiteur et le Supérieur du séminaire diocésain de Saint-Louis me pressent, par des raisons qui me persuadent, de donner la retraite aux prêtres séculiers de ce diocèse dans le mois d'août prochain; Mgr l'archevêque y a joint ses instances. J'y ai consenti.
Je me propose de partir pour l'Ouest le 26 de ce mois, ayant terminé la visite de nos maisons de la province de l'Est.
Aujourd'hui, j'ai terminé la retraite des Filles de la Charité. Il y avait plus de trois cents soeurs aux exercices, et parmi elles environ cent soeurs servantes. La retraite était singulièrement édifiante. Il y a dans la province une foule de soeurs parfaitement admirables sous tous les rapports.
Les Soeurs servantes sont venues avec empressement, et plusieurs de bien loin. Quelques-unes ont fait mille lieues. Il y avait en ce moment de très grandes difficultés à faire un pareil voyage. Les employés des chemins de fer refusaient de travailler jusqu'à ce que leurs gages soient aug-
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mentes. Dans quelques endroits il y avait des émeutes terribles. La police et l'armée étaient partout. Les soldats étaient bien contents d'avoir les soeurs parmi les voyageurs. Ils disaient qu'elles étaient la meilleure protection pour le train.
Je suis, avec le plus grand respect,
Monsieur et très honoré Père,
Votre fils tout dévoué,
M. O'CALLAGHAN, I. p. d. 1. M.
VIE DÉ M. FELIX DE ANDREIS
PRÊTRE DE LA MISSION (1778-1826) * ( Suite 1)
CHAPITRÉ X
Vie intérieure de M. de Andreis.
Après avoir décrit la vie extérieure si variée et si admirable de M. de Andreis, il nous faut chercher quel fut le principe et le soutien de tant de dévouement et de tant de sainteté, c'est-à-dire étudier sa vie intérieure.
Nous entendons par vie intérieure, cette application soutenue par laquelle un serviteur de Dieu s'occupe d'éloigner de son âme les imperfections, dans le but de devenir déplus en plus agréable à Dieu. M. de Andreis s'était tracé un plan de cette vie intérieure peu de temps après son arrivée à Rome. Les règles suivantes qu'il s'était imposées furent fidèlement observées dans tout le cours de sa vie.
1. Le matin, aussitôt mon réveil, je m'exciterai à une sainte joie dans la pensée que Dieu m'accorde encore un jour pour faire pénitence de mes péchés et mériter le ciel, en formant de dévotes affections dans ce sens.
1. Voir t. LIX, p. 213.
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2. En célébrant la sainte messe, en étudiant, en prenant mes repas, je me tiendrai dans l'esprit de sacrifice, dans l'esprit d'une abnégation universelle et d'une entière soumission à la volonté de Dieu, comme si j'étais dans l'acte même d'un véritable holocauste.
3. Les jours où j'aurai subi plus d'humiliations, de mépris et de peines, je me réjouirai d'une sainte allégresse en m'efforçant d'exciter en moi ce sentiment par les motifs du pur amour.
4. Mais quand tout aura été suivant mes vues, je me tiendrai dans des sentiments d'humilité, toujours par les mêmes motifs d'un très pur amour de Dieu. A cet exercice intérieur j'ajouterai les règles suivantes pour ma conduite extérieure :
5. Je dois m'efforcer en toute occasion de me faire tout à tous; cherchant, sans attendre qu'on me le demande, à consoler, à assister et à servir les autres ; agissant et parlant toujours de manière que tout procède du solide principe de l'humilité, de la charité et de la douceur ; ne tenant jamais compte de la répugnance, de l'amour-propre ou de la froideur ; m'efforçant, même quand je suis seul, de dominer les troubles intérieurs ou les révoltes que la manière d'agir des autres peut provoquer en moi. Je dois faire cela soi. gneusement, comme étant la chose que Dieu demande de moi. Cette résolution sera l'objet de ma présente retraite, le but de mes méditations, de mes examens, de mes lectures et de mes autres exercices spirituels. Je lirai dans ce but la Vie et les oeuvres de saint Vincent et de saint François de Sales. Il va sans dire que l'exercice que je me propose me demandera une vertu -plus forte que celle que j'ai imparfaitement pratiquée jusqu'à aujourd'hui. Cette vertu ne consistait en quelque sorte que dans le silence et l'inaction, dans la résistance aux attaques de mes passions, dans des pratiques -purement négatives, telles que d'éviter de me produire au dehors, de ne pas m'excuser ni
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me plaindre, et autres actes semblables. Maintenant je me propose quelque chose de positif ; il faut combattre continuellement, et je ne pourrai jamais me flatter d'avoir atteint au pur amour de Dieu, si je ne commence par là; espérer y atteindre par une autre voie serait témérité.
Je reconnais que trop fréquemment je suis coupable de cette présomption, parce que je néglige l'avis denotredivin Sauveur : Tenez-vous à la dernière place, et ne montez pas plus haut jusqu'à ce qu'on vous y invite et qu'on vous dise: ascendesuperius. Je rougis d'avoir été trop souvent assez présomptueux pour aspirer au baiser des lèvres divines, c'està-dire à l'état d'amour pur, avant d'avoir suffisamment pratiqué le baisement des pieds, c'est-à-dire les vertus d'humilité et d'affabilité'. Je demande pardon de ma présomption et je veux me dévouer à cette dernière pratique en reconnaissant que les refus que j'ai reçus étaient bien mérités. Celui qui désire monter trop haut mérite de tomber au degré le plus bas, et je devrais bien avoir reconnu cette vérité après avoir lu tant de vies et d'ouvrages des saints. J'apprendrai maintenant à m'humilier moi-même et à ne jamais croire que je suis trop abaissé ; m'efforçant d'écarter les spécieux arguments de l'amour-propre par cette parole d'or de saint François de Sales : « Excusez les fautes et patientez avec votre prochain avec beaucoup de douceur de coeur ; ne philosophez pas sur les contradictions qui peuvent vous arriver. Ne vous arrêtez pas à les considérer elles-mêmes, mais ne voyez que Dieu en tout, sans exception, et acquiescez avec simplicité à ses desseins. »
« Je dois considérer souvent, écrivait-il pendant sa retraite de 1808, que l'estime des hommes n'est rien; que si elle était quelque chose je ne la mériterais pas, et que quand même je la mériterais, je devrais la sacrifier pour Dieu, car sans cette disposition, tout le bien que je puis faire sera atteint par le venin de l'orgueil, et quel fruit en resterait en mes mains? »
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« Pour vaincre cet orgueil, dit le serviteur de Dieu en un autre endroit, je dois être bien convaincu que ceux qui me blâment me flattent encore, car ils ne connaissent pas toute l'étendue de ma misère ; ils se sont peut-être mépris sur ce qu'ils mettent à ma charge, mais s'ils savaient que malgré tant de lumières et de grâces, je demeure toujours au milieu de mes infidélités, ils ne pourraient s'empêcher de me considérer comme un homme indigne de vivre dans la maison de Di'eu et parmi ses serviteurs ; ils me devraient même plutôt chasser : le corbeau ne doit pas habiter avec les colombes, ni l'âne à tête dure au milieu des chevaux richement caparaçonnés. Oh ! que ma. misère est grande et que je sens de difficulté à refréner mon amour-propre ! »
C'est dans ces épreuves et ces combats que se développait la vie intérieure de M. F. de Andreis. Elle était complètement voilée aux yeux des hommes, et nous n'en connaîtrions absolument rien, si pour sa propre gouverne il n'avait mis par écrit plusieurs des divines opérations que Dieu accomplissait dans son âme pour le détacher des moindres affections au péché et pour le conduire à travers les plus pénibles épreuves au pur amour de son Créateur.
CHAPITRE XI Les vertus. — Foi, espérance, charité, pratiquées par M. de Andreis.
Le lecteur a pu déjà se former une idée de la sainteté du serviteur de Dieu, soit par ses lettres que nous avons reproduites, soit par les témoignages des prêtres éclairés qui l'avaient longtemps connu dans l'intimité. Nous indiquerons ici seulement en quelques traits comment notre saint missionnaire fut au plus haut degré doué de toutes les vertus théologales et morales dont la réunion constitue les grands saints auxquels l'Eglise de Dieu décerne un culte.
Il possédait la vertu de foi à un degré si éminent, et il avait reçu de Dieu tant de lumières qu'il eût volontiers
donné sa vie pour éclairer les coeurs de ceux qui étaient malheureusement dans le doute ou dans l'ignorance des divins mystères. Il ne se croyait pas digne du martyre, mais son coeur brûlait du désir de le souffrir en mourant pour la défense de la religion dans quelque coin ignoré du monde. Avec quel zèle ne l'avons-nous pas vu prêcher dans Rome les vérités de la foi pendant les jours malheureux où le Souverain Pontife Pie VII était chassé de son siège apostolique, et où cette sainte cité voyait dans son sein les ravages de l'erreur, de l'hérésie et de l'incrédulité propagées par des impies. Dans leurs écrits infâmes, ces hommes reniaient les vérités de la foi et insinuaient l'incrédulité au coeur des imprudents et des faibles. M. de Andreis s'efforça aussitôt de contrebalancer leurs efforts par les irréfutables dissertations où il prémunissait les fidèles contre ces doctrines erronées.
C'est dans le but d'étendre l'empire de la foi qu'il renonça entièrement à son pays, à ses parents, à ses études favorites, à des fonctions qu'il aimait, à Rome elle-même, si chère à son coeur, et qu'il partit pour l'Amérique du Nord, parce qu'il savait que des milliers de ses semblables y étaient privés des lumières de l'Evangile, et par conséquent ensevelis dans les ombres de la mort. Combien grand fut le zèle qui le dévora, quand après avoir surmonté d'innombrables dangers, il arriva au milieu des nations sauvages, et qu'il les vit de ses propres yeux mener une vie semblable à celle des bêtes de leurs forêts. Nous pouvons dire avec assurance que son coeur s'émut de douleur et de compassion, comme celui de saint Paul à son entrée dans Athènes.
L'ardeur de sa foi grandissait par suite des dons extraordinaires que Dieu répandait à profusion sur son âme. « Les lumières que je reçois, dit-il dans un de ses Mémoires, sont si nombreuses, si vives et si étendues, les sentiments et les émotions que j'éprouve font une impression si cer-
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taine en moi, que je puis vraiment dire que c'est à peine si j'ai besoin de la foi pour croire, tant il me semble toucher au doigt ces vérités.
« Que sont toutes les connaissances naturelles d'un homme ou d'un ange en comparaison des divines inspirations de la foi? Elle est un soleil dont la splendeur éclipse tous les astres inférieurs. Oh ! qu'il est sage de se reposer entièrement sur elle et de mépriser absolument toutes les opinions et les recherches incertaines de l'esprit humain ! L'homme animal ne comprend point le gouvernement invisible de Dieu qui ordonne et prépare toutes choses avec cette admirable sagesse dont les dispositions sont perceptibles seulement pour les yeux delà foi. Oh ! quel spectacle est celui-là, pourquiconque estcapabled'enadmirer la grandeur ! Quelle paix, quel contentement ne produit-il pas au milieu des vicissitudes de la vie, des diverses commotions civiles et politiques qui agitent les royaumes, les cités et les familles ! Quelle joie de savoir que tout est dirigé par Dieu pour sa plus grande gloire et pour le bien de ses élus ! »
Son espérance d'obtenir le salut éternel par Tes mérites de Jésus-Christ était si solide que M. de Andreis semblait avoir une espèce de certitude de son bonheur futur dans le ciel. De là son ennui de rester plus longtemps sur la terre, « où, pour nous servir de ses propres paroles, il désirait ne plus voir même son ombre »; de là ce détachement complet qu'il avait de toutes les créatures, et son indifférence pour les honneurs etles louanges qu'il recevait des hommes; de là son vif désir de hâter la consommation du sacrifice de sa vie, afin de pouvoir monter au ciel pour y contempler la sagesse, la vérité et la gloire de Dieu; de là, en un mot, ces émotions intérieures qui absorbaient les sens mêmes de son corps et qui l'attiraient vers les beautés ineffables de son Créateur, sa fin dernière.
Cette espérance se changeait en une confiance absolue
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en Dieu et un abandon total à Lui de toutes choses. Voilà comme il exprime ces sentiments : « Après tout, je puis tirer cette conclusion : Toutes les lumières et inspirations que j'ai reçues, toutes les épreuves que j'ai endurées, aboutissent admirablement à ceci : que je dois toujours et en toutes choses m'abandonner avec une tendresse sincère et filiale entre les mains de mon Dieu très bon, mon père, mon époux bien-aimé, ma vie, mon tout, afin d'être conduit à son gré, et comme il le juge plus convenable, sans chercher à connaître le quand, le pourquoi ou le comment. Puisque, à cause de mon ignorance et de ma malice, je ne puis rien savoir ni rien faire et ne suis capable que de gâter l'ouvrage, que me reste-t-il sinon de m'abandonner tout à lui ? Je ne sais pas ce qu'il demande de moi, ni par quels chemins il veut m'y mener, ni ce qu'il attend de moi, ni ce qu'il ne veut pas que j'entreprenne. Les voies de Dieu sont toutes saintes et justes, admirables et aimables; mais elles sont en général, secrètes, impénétrables et incompréhensibles. Les secrets de Dieu, dit saint Augustin, doivent provoquer l'attention, mais non l'opposition de notre part. J'ai grand besoin d'adopter et de mettre en pratique la maxime de saint Vincent, notre saint Fondateur, qui disait : « J'ai un grand attrait pour suivre pas à pas la divine Providence sans vouloir la prévenir. » Par conséquent, ayant toujours en vue la sainte volonté de Dieu, je dois être indifférent à tout, souffrance ou plaisir, repos ou travail, à faire ceci ou cela, rester ici ou aller là, traiter avec telle personne ou avec telle autre, le tout selon les manifestations de la volonté divine à mon égard. C'est là mon étoile polaire, c'est là que, comme l'aiguille de la boussole, mon coeur doit toujours se tourner; avantages spirituels, vie ou mort, éternité même, je ne désirerai rien qu'autant et en la manière que Dieu voudra me l'accorder. . « O Altitude divitiarum sapientioe et scientioeDell Com-
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bien grand est mon aveuglement puisque je manque d'intelligence même pour ce qui me concerne et pour voir où Dieu me conduit; et je me plains encore quand cette intelligence m'est refusée ! Mon Dieu, quelle folie ! comme s'il ne devait rien rester de propre à l'incompréhensibilité de la divine Justice et au mystère de sa conduite ! Comme si je ne devais pas me fier entièrement en vous, ô mon Dieu ! Quelle absurdité d'imaginer que le gouvernail serait mieux placé dans ma main, et de vouloir vous demander compte pour chaque mouvement que vous faites à droite ou à gauche ! Ce qu'on n'oserait pas faire à l'égard d'un pilote terrestre, on n'ose que trop souvent le faire à l'égard du grand pilote des âmes, le Saint-Esprit. Il est vrai que les jugements secrets de Dieu inspirent à mon âme de la frayeur, et une très grande frayeur, car je sais que Dieu pourrait faire de moi un exemple de la manière dont sa divine justice traite les prodiges d'orgueil et d'ingratitude tels que je suis. Mais si cette frayeur est accompagnée, comme elle doit toujours l'être, de l'humilité et de la soumission à la volonté divine; elle rendra ma confiance plus tendre et plus vive, et donnera la paix à mon âme, même au milieu des plus épaisses ténèbres et des troubles les plus effrayants. »
La plus sublime des trois vertus théologales, la charité, avait de profondes racines dans l'âme de M. de Andreis; nous ne pouvons pas en donner une meilleure preuve qu'en transcrivant ses propres paroles au sujet de cette vertu : « Enfin, dit-il, est apparue la lumière qui a dissipé autour de moi les ténèbres et qui m'a montré d'une manière certaine le bonheur de mon état qui s'avance rapidement vers sa fin et qui consiste à me purifier complètement. J'ai compris très clairement ces paroles : Instruam te in via hac qua gradieris, et ces autres : Qtiid mihi est in coelo et a te quid volui super terrain? J'ai vu que lorsque je me
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jette tout en Dieu je jouis d'une grande paix et d'une grande lumière. Ce n'est qu'en traitant avec le prochain sur des sujets indifférents, sans les rapporter immédiatement à Dieu, que je me sens en quelque façon tout étrange et tout éperdu; je souffre d'indicibles agonies d'esprit que peuvent comprendre ceux-là seuls qui ont passé par là; c'est quelque chose comme l'impression qu'éprouverait un homme renversé au-dessus d'un abîme sans fond... Tout en Dieu, pour Dieu, avec Dieu, selon les vues de Dieu, et rien autre chose !
« Ce me serait un grand bonheur d'être dans quelque coin de la maison, oublié comme un mort, résolu à ne goûter d'autre compagnie que celle de Jésus-Christ, le délicieux époux de mon âme, dévouant entièrement à son service ma langue, mon esprit, mon coeur, mon corps, ma vie, mon temps et tout ce qui m'appartient. »
Pendant la retraite que M. de Andreis fit en 18.10, il examina avec le plus grand soin toutes les affections de son coeur et conclut ainsi : « Il me semble que par la grâce de Dieu je suis dans une disposition telle que si je savais dans mon coeur une seule fibre qui ne fût pas entièrement à Dieu, je l'arracherais aussitôt, dût-il m'en coûter la vie ; » à q'uoi.il ajoute: « Dieu seul est grand, à Dieu seul soit tout honneur et toute gloire! Dieu seul, et rien autre chose! » — « Ces jours-ci, dit-il, le 3 novembre, j'ai reçu du Tout-Puissant une grâce précieuse : c'est le beau mais • solide désir de me dépouiller, une fois pour toutes, de tous mes défauts, de toutes mes imperfections, pour me revêtir de Jésus-Christ et brûler de son divin amour de manière à pouvoir enflammer le coeur des autres : Flammescat igné caritas, accendat ardor proximos. »
Telle était la flamme qui le consumait nuit et jour. Elle éclatait dans ses paroles et leur donnait le pouvoir de toucher même jusqu'aux larmes les pécheurs les plus endurcis ; elle paraissait sur son visage, qui, naturellement
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pâle, se colorait vivement dès que, en public ou en particulier, il parlait des vérités de la foi ou des mystères de notre sainte religion ; on remarquait encore ce feu sacré dans son horreur des plus petites fautes, dans la ferveur de ses prières, dans son zèle pour sa propre sanctification, dans sa sollicitude pour former de bons sujets à la Congrégation, enfin dans son insatiable soif de gagner des âmes à Dieu. Tout cela procédait de l'intensité de son amour pour Dieu; et à ce sujet il écrivait, le i 01' mai 1814, quelques aspirations secrètes, — ainsi les appelait-il lui-même; — il n'y a rien de mieux que de citer ici ses paroles telles qu'elles se trouvent dans son manuscrit :
« 1. Je me détermine maintenant et pour toujours à détester et à éviter tout péché, mortel ou véniel, et même la plus légère imperfection, tout ce qui serait en quoi que ce soit contraire aux maximes de Jésus-Christ et pourrait tendre à fortifier l'influence de l'amour-propre ou de quelque autre passion, ou enfin attirer mon coeur à chercher son repos dans les créatures. Aussitôt que j'apercevrai quelqu'une de ces passions, j'élèverai mon coeur vers Dieu par un acte d'amour, par un simple regard intérieur de l'âme, implorant humblement son secours que j'attends avec confiance, car sans ce secours je ne suis capable de rien sinon de pécher, en quoi je puis surpasser les plus grands criminels.
« 2. Je suis résolu,dès la première apparence d'une tentation quelle qu'elle soit, de m'attacher aussi étroitement que possible, par un mouvement intérieur du coeur, à la sainte et aimable loi de Dieu dans toute son étendue, désavouant toute répugnance de ma concupiscence perverse et protestant contre elle de tout mon coeur.
« 3. Dans toutes mes entreprises,mais spécialement dans l'accomplissement des fonctions du saint ministère, je me propose de n'avoir en vue que la gloire de Dieu et le salut des âmes; comptant pour rien le respect humain et ne désirant avoir sous ce rapport, le péché excepté, que déri-
— iiSsions, moqueries et persécution en toutes les manières possibles.
« 4. Je me propose de rester toujours uni à Dieu, résigné à sa sainte volonté dans tous les événements de la vie, considérant tout comme disposé par son aimable Providence pour mon plus grand bien, puisque j'ai reçu tant de preuves positives de ses soins bienveillants pour moi ; aussi, détournant le regard de toutes les choses humaines, je ne me livrerai à l'admiration, à la joie ou à la peine, qu'en Dieu et pour Dieu.
« 5. Je m'inquiète peu que l'on cherche àm'humilier, ou à me faire la plus grave injure; je ne m'en attacherai que plus étroitement à la croix, et je tressaillirai en Dieu en disant : Christo confixus suin cruci... inihi absit gloriari nisi in cruce, etc. « Je suis attaché à la croix avec JésusChrist; loin de moi de me glorifier en autre chose que dans la croix, etc. »
« 6. Je prends la résolution de ne rien penser, désirer ou dire, qui tende directement ou indirectement à ma satisfaction. Mais, si je le puis sans enfreindre aucune loi, je m'efforcerai toujours d'agir contre mon inclination naturelle, ayant confiance que j'en viendrai à bout par.la grâce de Dieu.
« Pour m'attacher plus étroitement à la croix, je prends enfin la résolution de renoncer à toutes les consolations spirituelles même jusqu'à la mort; dans le sens suivant néanmoins : 1. Je n'entends par là faire aucun voeu, ni me lierplus que par une simple promesse. 2. J'entends par là queje ne chercherai, désirerai ni demanderai aucune douceur spirituelle, que je n'y aspirerai même pas, me croyant en toute sincérité indigne de telles faveurs. 3. Je prierai, au contraire, la divine Bonté de me donner à la place un accroissement de lumière pour mieux savoir ce que je dois faire, etla force d'exécuter sa volonté toujours en vue de Dieu seul. 4. Si Dieu, qui est si bon, daigne répandre sur moi les
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douceurs spirituelles, je m'en humilierai et je m'en confondrai, je l'en remercierai et je tâcherai de trouver une occasion de souffrir ou de m'humilier, en proportion, s'il est possible, du plaisir que j'aurai goûté. 5. Je ne devrai j>as faire grand cas de cette faveur sensible, mais la cacher avec beaucoup de soin, affectionnant de plus en plus mon coeur aux souffrances et aux humiliations. »
Dans la retraite que le serviteur de Dieu fit en 1814, il confirme les résolutions précédentes : « Je me déterminé maintenant à réserver toute espèce de joie et de repos pour le paradis; et à ne chercher rien autre chose dans cette vie que la fatigue, la souffrance et le mépris. »
Quand M. de Andreis parle de soupirer après de plus grands travaux, il les rapporte à l'avantage spirituel du prochain, car la charité envers le prochain procède de la même source que l'amour de Dieu; à proprement parler, ces deux vertus n'en sont qu'une, mais agissant en différentes directions, comme un arbre dont les premières branches regarderaient le ciel, et dont les autres s'inclineraient vers la terre. Notre fervent Missionnaire a souvent montré que les oeuvres qu'il entreprenait pour le bien du prochain n'étaient provoquées que par l'amour de Dieu; il exprime plus nettement cette pensée dans les paroles suivantes :
« Je suis résolu à considérer dans mon prochain la vivante image de "la sainte Trinité, à regarder tous les hommes comme les enfants adoptifs de Dieu, et leurs âmes comme les. épouses de Jésus-Christ, et je lâcherai par tous les moyens de procurer leur salut et leur perfection. Comment alors pourrai-je ne pas être empressé à les fortifier, à les édifier, à les instruire, à les servir et à les assister? Pour y réussir convenablement, je veux adopter avec tous, sans distinction, les moyens les plus efficaces, c'est-à-dire l'humilité, le respect et l'affabilité dans les paroles et les actes; sans rien demander moi-même, à moins que la volonté de Dieu ne l'exige.
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J'aurai bonne opinion de tous, j'excuserai tout le monde, je compatirai à tous, j'estimerai un chacun, en lui désirant du bien; je ne m'arrêterai jamais à réfléchir sur des soupçons ou des on-dit, comme étant choses de peu de conséquence ; mais bien convaincu des misères et de la faiblesse de la nature humaine, je m'écrierai courageusement : « Je suis le père de tous. »
Le désir de s'accommoder aux autres lui fit, comme à saint Vincent, retrancher dans son extérieur ce qui semblait trop sérieux et trop réservé. « Le Seigneur, dit-il, m'a révélé, pendant cette retraite, qu'il est temps de rabattre quelque chose de ma réserve habituelle; ce point m'a été aussi signalé par mon Supérieur dans ma communication; lui aussi croit que je dois le faire. Apprends donc, ô mon âme, à te faire toute à tous, à vivre dans la pratique continuelle d'une humilité active, douce, simple, cordiale, mortifiée et zélée, faisant de cela une étude spéciale dans tes méditations et tes examens de conscience, te proposant de suivre l'exemple de M. de Pétris; et quoique le temps de la récréation soit pour toi comme une espèce de torture, il faut que tu la supportes, et que tu te surmontes par la pensée que notre vocation exige de nous la gaieté avec un extérieur affable et ouvert.
« Si tu n'es pas doux et bon toi-même, tu ne le seras pas à l'égard des autres. Quoique tu t'étudies à avoir un air gai et joyeux, tu laisseras bientôt voir que ce n'est qu'artificiel. Malgré toi, tu trahiras le trouble de ton coeur; et quels que soient les efforts que tu fasses pour le déguiser, tes efforts mêmes l'attesteront; comme nous agissons d'après l'habitude acquise, en dépit de tes efforts, tu seras parfois troublée intérieurement, et tu laisseras paraître quelque chose de ton trouble dans tes manières par le silence ou par la sécheresse des paroles. Allons donc, mon âme, prenons courage, etc. »
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CHAPITRE XII
Les vertus. — Simplicité, prudence, force, humilité et douceur de M. de Andreis.
La simplicité, que quelques-uns ont le tort de confondre avec l'ignorance et la faiblesse de caractère, et qui n'est regardée par eux que comme une marque d'infériorité d'âme, est une certaine disposition d'esprit et de coeur par laquelle l'homme va à Dieu avec une intention pure et droite de le glorifier; cette disposition lui fait aussi redouter toute duplicité dans les rapports avec le prochain.
La vertu de simplicité étant la première que saint Vincent recommande à ses enfants, M. de Andreis en fit le premier objet de ses plus sérieux efforts. « J'ai reconnu par expérience, écrit-il le 3 novembre 1811, qu'il n'y a rien de mieux dans le service de Dieu que de simplifier toutes nos intentions en les dirigeant vers Dieu seul. Une fois, la joie que j'éprouvais à souffrir me fit croire que ce serait bien de désirer et même de demander d'être continuellement dans cet état, sans lequel je croyais que la faiblesse humaine ne pourrait se soutenir au milieu des travaux et des épines du saint ministère; mais je vois maintenant qu'il faut plus, c'est-à-dire souffrir sans jouir d'aucune consolation, et apprendre à dire : « La croix, la croix, toujours la croix et Dieu seul. » Je voudrais au moins savoir quelle est l'inspiration qui me guide sans se dévoiler entièrement à mon esprit. Mais c'est la volonté de Dieu que je renonce même à cette satisfaction, et que ma volonté, ma mémoire et mon intelligence soient entièrement abandonnées entre ses mains, afin de pouvoir dire avec le Psalmiste : Dominus régit me; « Le « Seigneur me conduit, » etc. ; ajoutant : Ut jumentumfactiis swn apnd, te, et ego serriper tecum. « Je suis devenu devant « vous, ô mon Dieu, comme la bête de somme, et je demeure « ainsi toujours en votre sainte présence. » La croix dans
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toute sa nudité, les peines et l'ignominie, tel doit être mon unique partage.
« Maintenant, je comprends ce que la divine Bonté a opéré en moi, il y a seize ans, pendant le temps de mon séminaire. Alors, je ne pouvais pas encore m'expliquer comment la solitude, le silence, les privations, le recueillement, la mort et l'annihilation intérieures avaient tant de charmes pour moi. Oh! Bonté infinie! Dieu seul en toutes choses! Il doit être mon unique but; en parlant et en traitant avec les hommes, je dois m'efforcer constamment de réprimer toutes les intentions accessoires qui surviendront. « O belle et aimable simplicité! Tu vas droit au coeur de Dieu; jamais je ne t'abandonnerai quels que soient les appâts du serpent infernal pour m'enlacer dans ses voies tortueuses ! je dirai toujours : Qu'y a-t-il autre chose pour moi au ciel ou sur la terre que vous seul, ô mon Dieu! Donec deficiam non recedam a simplicitate mea. Tant que que je vivrai, je n'abandonnerai pas ma simplicité. Mon coeur suivant ses secrètes inspirations a cherché à faire connaître Dieq à une foule aveugle 1. Sed Assur sine causa calumniatus esteum 2. Elle a méconnu mes intentions. Une si belle ressemblance avec l'Homme-Dieu que je découvre en cette affaire, me transporte hors de moi : Et nnde hoc mi-hit »
Animé de tels sentiments, il était toujours simple dans ses affections, ses intentions,.ses paroles et ses actions, de telle sorte qu'il ne savait ni déguiser ses pensées, ni envelopper artificieusement ses desseins. Sa conversation était franche et sincère; il était incapable de prendre un air de mystère ou de dire une chose pour en faire croire une autre. Son seul but était de plaire à Dieu et d'aider son proi.
proi. à la publication de son Catéchisme à Rome pendant la Révolution. ■: 2. Is., LU, 4. .
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chain autant qu'il le pouvait: c'était sa seule préoccupation, soit en public, soit en particulier. Il mettait les paroles de l'Evangile dans la plus grande lumière possible en ses prédications; mais il s'inquiétait peu alors de savoir s'il prêchait bien ou mal, et si sa parole plaisait; il ne visait aucunement à parer ses discours ou à orner son enseignement. Il ne s'inquiétait pas non plus de savoir si ses auditeurs étaient riches ou pauvres, habiles critiques ou profonds penseurs; et c'est par là précisément qu'il plaisait à tous, car on voyait clairement qu'il ne connaissait ni les vaines habiletés ni les blâmables atténuations apportées parfois à l'esprit de l'Évangile pour plaire aux riches ou pour se rendre populaire.
Selon le précepte de Notre-Seigneur, il unissait la prudence à la simplicité, et cette vertu se manifestait admirablement dans son attention à éviter le faux zèle, qui se cache si souvent sous le spécieux prétexte de la charité, et qui fait que nous nous recherchons nous-mêmes, notre estime, notre récompense, alors même qu'en apparence nous travaillons uniquement en vue du salut des âmes; fatale illusion contre laquelle nous prévient l'Imitation, quand elle nous dit : « Nous sommes souvent conduits par la passion, et nous croyons que c'est du zèle. » Désireux d'éviter les pièges de ce faux zèle, le serviteur de Dieu prenait la résolution de se faire tout à tous. Il n'était pas moins soigneux à n'entreprendre aucune fonction, à moins d'en être chargé par ses supérieurs, ou d'y être obligé par une nécessité évidente. « En travaillant assidûment à l'oeuvre de ma perfection, dit-il ailleurs, je profiterai plus aux autres que par des milliers de sermons et de missions. »
Il avait une extrême horreur de la prudence de la chair, et il en parle en ces termes : « Le démon se sert de la langue de plusieurs personnes prudentes pour retirer les autres du chemin de la croix et de la pratique de la mortification,
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sous prétexte de ménager la santé, tandis qu'on se porte beaucoup mieux à l'ombre de la croix que partout ailleurs. Je reviens donc, ajoutait-il, à ma première habitude de privation de la sieste et de quelque mortification au repas du soir. » Ailleurs il parle dans les termes suivants :
« Oh ! qu'il est aisé de se laisser entraîner au courant et de relâcher la doctrine de l'Evangile pour l'adapter aux vues et aux coutumes du monde. Si nous n'y mettons pas une vigilance plus qu'ordinaire, nous devenons bientôt « ennemis de la croix », et nous réduisons l'Evangile à un système purement naturel dans lequel nous laissons simplement planer une espèce d'ombre de la religion ; ou plutôt nous cherchons à servir deux maîtres en associant la religion avec le monde. Sous le prétexte que Dieu est bon et que Jésus-Christ est venu en ce monde pour le salut des pécheurs, le vice est flatté, et certaines maximes de prudence de la chair, inconnues à Jésus-Christ, aux Apôtres et aux saints Pères, sont acceptées et prêchées. Le monde demande des prédicateurs « sans préjugés », il déclame contre le rigorisme et le fanatisme — car c'est ainsi qu'il appelle le détachement, l'humilité et la sainteté. O temps malheureux ! quelle force il faut pour ne pas s'écrier avec le prophète : « Les paroles des impies ont prévalu sur nous! »
Instruit à l'école de saint Vincent, qui était ennemi déclaré de tout ce qui sentait la précipitation, il l'évitait dans ses projets et ses délibérations. Aussi, à moins que la nécessité ne l'obligeât à agir immédiatement, le serviteur de Dieu prenait le temps de mûrir son avis, en étudiant sous toutes ses faces le sujet sur lequel il avait à se prononcer. Quoique très instruit, il consultait les hommes de science et d'expérience, et recourait à Dieu par de ferventes prières et des pénitences. Muni de ces précautions, sûr de la volonté de Dieu, il se mettait alors à l'oeuvre sans hésiter et travaillait avec un courage intrépide.
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M. de Andreis donna des preuves de la vertu de force qui était en lui, dans les peines d'esprit auxquelles il plut à Dieu de le soumettre pendant tant d'années. Ces peines ne peuvent être que difficilement comprises par ceux qui n'en ont pas éprouvé de ce genre. Presque tous les saints ont enduré de semblables épreuves, surtout sainte Thérèse, sainte Marie Madeleine de Pazzi, sainte Véronique de Julianis, et saint Jean de la Croix, qui nous a laissé un tableau effrayant de ses souffrances dans son ouvrage de la Nuit obscure; il y représente les épaisses ténèbres au sein desquelles son âme était plongée, agonie qui lui faisait endurer dans ses aridités et sa désolation tous les tourments d'une âme livrée aux puissances de l'enfer. M. de Andreis eut à passer par ces tortures, et leur intensité fut telle que sa constitution en fut atteinte et sa santé altérée pour le reste de sa vie. Il lutta cependant si bien contre tous ces tourments que personne ne connut alors la cause de ses infirmités. Il répétait souvent, en se tournant vers Dieu, ces paroles de Job : « Quand bien même il m'ôlerait la vie, j'espérerais en lui; après les ténèbres j'attends la lumière. »
Enfin, la force de ce grand serviteur de Dieu se révéla pleinement dans la mission d'Amérique. Les extraordinaires fatigues d'un si long voyage, le danger du naufrage, la rudesse du climat, la faim, la soif, la disette extrême des choses nécessaires à la vie, ses maladies habituelles, toutes ces épreuves n'ébranlèrent jamais sa constance, qui semblait croître au contraire à mesure qu'elle était assaillie par de plus tristes événements. Le lecteur l'aura reconnu sans doute dans plus d'une des circonstances que nous avons rapportées; il suffit donc qu'il les rappelle maintenant à sa mémoire.
Mais nous ne devons pas passer sous silence ce qui regarde son humilité, cette vertu qui d'après les saints Pères est, le fondement de toutes les autres et la.base sur laquelle
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doit s'élever l'édifice spirituel de notre sanctification. Nous citerons encore ici les paroles du serviteur de Dieu : « En méditant sur l'humilité et en considérant combien d'efforts j'avais faits pour acquérir celte vertu, et toujous sans fruit, je me sentis intérieurement abattu et presque saisi par le désespoir; mais alors notre Dieu si miséricordieux éclaira mon âme par une inspiration opportune, qui me montra en un clin d'oeil l'origine de toutes mes misères spirituelles. J'aperçus tout d'un coup qu'en m'affiigeant si fort et en me livrant à un trouble excessif, je manquais manifestement au complet abandon à la divine Providence, et que cette tristesse était un signe évident que je mets trop de confiance en mes propres forces et trop peu dans le pouvoir de la grâce. Ce matin encore, en méditant sur la douceur, il m'a été montré que je ne serais jamais doux et affable envers les autres, si je ne le suis pas envers moi-même. Mon Dieu ! que de mal je fais par ce,t excès de soins et d'inquiétude auquel je suis si enclin !
« Cette disposition ne peut pas venir de Dieu, dont l'esprit est paix et douceur ; elle vient donc ou de l'esprit humain toujours empressé et impétueux, ou plus probablement du démon, qui par .ce moyen atteint plus sûrement ses fins, qui sont en premier lieu, détruire la paix du coeur par les scrupules et les anxiétés; en second lieu, empêcher la fréquente communication de l'âme avec Dieu, en l'empêchant de suivre l'attrait de la grâce et en la faisant agir selon ses goûts ; en troisième lieu, raviver l'esprit d'orgueil en faisant croire que l'on fait beaucoup de bien, que l'on peut se reposer sur les forces de son âme, et en excitant celleci à voler sans se servir des ailes; en quatrième lieu enfin, nous exposer à de nombreux dangers, surtout à celui de ne jamais atteindre notre perfection, et même de nous mettre en risque de commettre de grandes fautes par orgueil ou par découragement. La fausse humilité a souvent servi de prétexte pour négliger l'avis que nous recevons sur ce su-
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jet. — O pauvre et aveugle créature, si tu avais un peu réfléchi, tu aurais vu que ce n'était pas l'humilité, mais l'orgueil le plus raffiné. Allons donc, mon âme, prenons courage. Saint Vincent lui-même, dans plusieurs de ses retraites, a vu la nécessité de prendre des résolutions sur un point semblable. Ne te trouble pas de tes fautes, mais attache-toi à la doctrine de saint François de Sales qui disait : « Aie couce rage, mon âme ; prends garde seulement de ne pas mettre « d'obstacle à la grâce, et tâche au contraire d'y coopérer. » « Inspirations que j'ai reçues à la fête de la Pentecôte et sur lesquelles je dois méditer tous les matins :
« i. Dieu veut absolument que je devienne un saint. « 2. Je ne le serai jamais si je ne suis humble. « 3. Je ne serai jamais humble si je ne recherche pas les humiliations, si je les crains, si je les redoute, ou, ce qui est pire, si je cherche à m'élever.
« 4. Je ne réussirai jamais à fuir les honneurs et à aimer les humiliations, si je ne pratique chaque jour des actes de cette nature.
« 5. Je ne les pratiquerai jamais comme il faut si je ne les prévois dans ma méditation du matin.
« Trois classes d'actes particuliers sur lesquels je dois insister.
« jrc Classe. 1° Reconnaître devant Dieu mon néant, dans l'ordre de la nature et de la grâce, en disant par exemple : Substantia mea tanquam nihilum ante te. « Je ne suis que « comme un néant devant vous, ô mon Dieu! » (Ps.)
« 20 M'avouer indigne de m'associer ou de converser avec mes confrères, à raison de mes fautes et de mes nombreuses infidélités; m'efforcer dans cette vue de produire des actes d'étonnement et de surprise de ce qu'ils me supportent avec tant de douceur et de charité.
« 3° Reconnaître mon indignité quand je n'éprouve même pas.ces sentiments dans mon coeur, selon ces paroles 'de saint Augustin : Quid misei'ius miser 0 non miser ante
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seipsum, en ajoutant cette invocation : Noverim te, noverim me, etc. » Qu'y a-t-il de plus misérable que l'homme qui « n'a pas conscience de sa propre misère? » — « Que je vous « connaisse, Seigneur, et que je me connaisse moi-même! » (S. Aug.)
« 2e Classe. i° Veiller attentivement sur toutes les pensées d'orgueil et de vanité qui s'élèvent dans mon âme; les réprimer immédiatement, renoncer alors à tous les prétextes, si plausibles soient-ils, que l'amour-propre peut suggérer, car le coeur se nourrit facilement de cette espèce de poison.
« 2° Ne jamais parler de moi-même, soit en bien, soit en mal, à moins d'une nécessité réelle.
« 3° Choisir toujours la dernière place, le dernier office ou le dernier emploi, m'efforçant d'aimer à être inconnu, oublié, mal vu, méprisé.
« 3Q Classe. i° Parler volontiers à la louange des autres, particulièrement des absents, et surtout en faveur de ceux pour qui je me sens plus de répugnance intérieure.
« 2° Ne jamais m'excuser sans nécessité évidente; mais, si je suis accusé, je dois reconnaître que je suis plus coupable qu'on ne dit, et me mettre à un degré plus bas encore que celui où me placent mes accusateurs; m'humilier intérieurement, et avouer que je mérite ces humiliations.
« 3° Redouter autant que possible ce qui tend à m'élever dans l'estime des autres, tout en embrassant avec joie chaque occasion de m'humilier. Je dois même m'ingénier à trouver ces occasions.
« Si je rencontre de la di fficulté dans la pratique de ces actes, je ne dois pas pour cela perdre courage, mais au contraire faire de plus généreux efforts pour en venir à bout par la prière, déplorant mon ignorance et ma faiblesse et me confondant à la vue des saints et de Jésus-Christ, le vrai Fils de Dieu, qui s'est tant humilié pour l'amour de moi.
« Je ne dois pas me flatter au sujet des faveurs que j'ai
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reçues de Dieu. Qui en a reçu plus que Saûl, Salomon ou Judas? et cependant quelle fut leur fin? Je ne sais pas si celui que je méprise n'est pas très grand devant Dieu, tandis que je ne peux pas dire que je sois seulement dans sa grâce. Quand je saurais avec certitude que je suis bien avec Dieu et que cette personne a perdu la grâce sanctifiante, les rôles ne.peuvent-ils pas changer ? Je ne sais pas quels sont les desseins de Dieu.
« Ainsi, pour ma sécurité, il ne me reste qu'à m'humilier en prenant toujours la dernière place. En effet, si je me préfère, ne fût-ce qu'à un seul, ce peut être une méprise fatale, tandis que je n'ai qu'à gagner en me mettant au-dessous de quelqu'un qui serait en réalité moindre que moi devant Dieu; alors j'imiterais le grand modèle des âmes, Celui qui est venu « pour servir et non pour être servi » et qui a paru sur la terre comme le dernier des hommes et le rebut du peuple. Novissimus virorum (Is.) et abjectio plebis (Ps.). Oh ! que cette annihilation est nécessaire ! pour la faire entrer dans mon âme, il faut que je sois bien convaincu que je suis un vase d'abomination, qu'il n'y a personne qui me soit plus nuisible que moi-même, et qu'au contraire je suis pour mes confrères le sujet d'un exercice continuel'de patience, de mortification et d'autres vertus. Je dois éloigner soigneusement toute idée contraire à celle-là. Il est évident que de moi-même je ne puis rien. Dieu m'a fermé tous les chemins", excepté celui-là. Je dois m'anéantir complètement, afin que l'ouvrage de Dieu soit plus visible, pendant qu'il travaille comme il fait sur ce bois desséché, sur ce vase de faiblesses et d'impuretés. Alors la gloire de son ouvrage lui retournera sans qu'on lui en enlève la moindre parcelle. Je dois me réjouir quand je trouve l'occasion de paraître dénué d'intelligence, de savoir-faire et de toute aptitude; mais je dois trembler de frayeur si j'aperçois jamais la moindre estime.
« Salva me ex ore leonis. « Sauvez-moi, Seigneur, de la
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« gueule du lion. » —Aujourd'hui, Dieu m'a montré clairement, et à ma grande horreur, le monstre de mon amourpropre encore tout vivant dans mon coeur.
a II ressemble à l'animal féroce qui, la gueule béante, est prêt à tout dévorer, comme une proie. Ce monstre vorace a tant d'empire sur moi, que de temps en temps il me dérobe encore quelques-unes de mes actions ; et si je ne suis pas habjile à les lui arracher de la gueule, il me les aura bientôt dévorées. O mon Dieu, Salva nosperimus : «Sauvez-moi, « car je sens que je péris. »
A cette pratique de l'humilité, M. de Andreis joignait son inséparable compagne la douceur. Cette vertu lui a coûté de longs et généreux efforts. D'une nature très sensible, accoutumé comme il le dit lui-même à avoir, tout à souhait, estimé, applaudi, caressé par tout le monde^ favorisé par Dieu même, au commencement de sa vie spirituelle, des plus délicieuses consolations, la contradiction fit sur lui une si forte impression que sa santé en fut atteinte. Cependant, il se surmonta si bien qu'il finit par trouver ses plus grandes délices dans ce qui avait été pour lui le sujet de la plus pénible épreuve. Son âme d'élu n'était pas épargnée par Dieu qui se sert des peines pour pousser en avant certaines âmes, pour les amener à se détacher de tout et à chercher leur nourriture dans le pain de la tribulation. La douceut: fit que M. de Andreis supporta d'abord avec résignation, puis avec calme, et enfin avec plaisir toutes ces touches du doigt de Dieu. Les premières épreuves furent des angoisses d'esprit, l'abattement, l'obscurité et l'abandon ; à travers tout cela, la douceur l'amena à l'état du calme parfait, de la bienheureuse tranquillité des saints, qui le faisait soupirer après d'autres épreuves et d'autres croix.
« Dieu, dit-il dans un de ses Soliloques, me conduit par un chemin ténébreux et effrayant et tout semé d'épines, qui sont les peines et les épreuves de tout genre que je subis
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sans pouvoir trouver moyen d'y échapper. De temps en temps, il m'envoie un rayon de lumière qui dissipe les ténèbres dont je suis environné, éloigne le trouble de mon âme, et la rafraîchit par quelque consolation impossible à ■ décrire. Alors, je vois clairement le bonheur de mon état et la valeur inestimable des effets produits dans mon âme par ces épreuves, et je m'écrie : « Oui, voilà la véritable vie, fouler aux pieds toutes choses et ne chercher que Dieu seulPlus je mortifie mes sens, plus je m'humilie, plus je me défais de toute attache aux créatures, et plus je m'approche de Dieu. Au moment où je m'efforce le plus sérieusement de renoncer à moi-même, où je cherche à oublier ma propre satisfaction, à ce moment-là je jouis des plus célestes délices; oh! si seulement elles s'établissaient en moi!... Mais bientôt après, je me retrouve aussi misérable qu'auparavant. C'est là un effet ineffable de l'amour que Dieu nous porte, de remplir notre- vie de tant de chagrins et deiroubles que nous ne puissions trouver de repos qu'avec lui.» Un homme si accoutumé à considérer tout en Dieu et comme venant de Dieu, à s'abandonner si complètement à ■ sa divine conduite, ne pouvait qu'être au-dessus de tout mauvais traitement, vînt-il de la malice des autres. C'est cequ'il fut, en effet, non par sentiment de hauteur ou de mépris, mais par des motifs de résignation à la volonté de Dieu et de tendre charité envers tous les hommes. Ecoutons-lc nous révéler les secrets de son coeur au sujet de cette aimable vertu de douceur.
« Tu dois, ô mon âme, éloigner tes regards de tout ce que les hommes peuvent dire ou faire, et les tenir invariablement fixés sur les aimables desseins de Dieu... Tu rejetteraspromptement toute pensée malveillante qui te viendrait au sujet de la conduite des autres à ton égard, et tu attribueras leurs actions à des motifs charitables, croyant que tu leur es grandement obligée pour la patience avec laquelle ils supportent tes défauts... » Il ajoutait (Soliloque 34) : « Quel-
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quefois, par la permission de Dieu, le démon arrange tout de telle façon que les gens les plus pieux et les plus charitables ne peuvent s'empêcher d'errer dans leurs jugements, ou au moins d'hésiter; ils ne le font pas témérairement, et par conséquent c'est, de leur part, sans péché aucun; et ces jugements se réunissent sur une pauvre âme affligée qui peut
dire alors:Hominemnon habeo Opprobriumvicinismeis
valde. « Il n'est personne qui soit là pour m'aider... Je suis «devenu un sujet d'opprobres, même pour ceux qui me sont «les plus proches. » Ils voient tout du mauvais côté; et la pauvre âme, malgré elle, s'en aperçoit et elle en souffre. Tous semblent conspirer contre elle : In eodeni convenerunt simili; accipere animammeam consiliati sunt. Quelquefois, pendant la récréation, il vous semble que c'est contre vous que se dirigent tous les regards, toutes les paroles... « Mais « j'ai espéré en vous, Seigneur. J'ai dit: Vous êtes mon Dieu, « mon sort est entre vos mains, » Ego autem in te speravi, Domine, dixi Deus meus es tu, in manibus luis sortes meoe. Telle est l'unique consolation de mon âme. Un rayon de . lumière suffit pour lui rendre la paix.
«Noli ergo vinci a malo, sedvince in bono malum, écrivait-il ailleurs (n° 71): « Ne nous laissons pas vaincre par le « mal; mais triomphons du mal par le bien. » Dieu soit loué, le nuage s'est dissipé par degréSj et laisse voir le plus beau ciel... O bonté de Dieu, que vous vous êtes montrée grande dans ce que vous avez permis qui m'arrivât ! C'était pour m'éprouver, et pour établir foncièrement en moi cette charité qui était la vertu distinctive de saint Vincent de Paul et de saint François de Sales; cette vertu dont j'ai tant besoin, quoique malheureusement je ne m'aperçoive pas de ma pauvreté !... Hier, nous avons célébré la fête de saint Vincent. Je veux aussi être Vincent (c'est-à-dire victorieux). Je suis déterminé à vaincre ou à mourir, mais sans recourir à d'autres armes qu'à ces trois : l'humilité, la charité et la douceur. »
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« Vincenti dabo manna absconditum et nomen novum. « Je « donnerai à celui qui vaincra une manne cachée et un nom «nouveau. » O manne délicieuse! rafraîchissement désirable ! mais vous n'êtes donnés qu'aux vainqueurs. Et ne nous trompons pas sur le sens du mot. C'est un fait bien connu que le monde entend les choses dans un autre sens que l'Evangile, et par conséquent il nous faut prendre le sens de l'Evangile et laisser celui du monde. Vaincre selon le monde, c'est triompher, c'est couvrir de confusion son rival, c'est se glorifier de sa défaite. Mais selon Jésus-Christ, c'est une tout autre chose; il nous dit que nous ne sommes vainqueurs que lorsque, méprisé par les autres, nous nous abaissons encore davantage; lorsque, calomniés, nous ne nous excusons pas; lorsque nous rendons le bien pour le mal, lorsque nous apaisons nos adversaires par le moyen de l'humilité, de la charité et de la douceur. « Faites bien attention à votre conduite, dit saint Chrysostome danssavingt« quatrième homélie sur saint Mathieu,tantquenous restons « brebis nous triomphons, y eût-il autour de nous des loups « par milliers; mais si nous devenons loups, nous succom« bons, car alors, nous sommes privés du secours du pasteur « qui garde non les loups, mais les brebis. »
Quoique M. de Andreis pratiquât à un si haut point la délicatesse, les égards, la condescendance à l'égard de son prochain, il ne lui céda jamais en approuvant le mal ou en le tolérant par faiblesse. Au contraire, il était, par la vertu de force, comme.un rempart inébranlable pour s'opposer aux moindres infractions des règles ou de l'esprit de son état ; on peut en voir quelque chose dans ses résolutions (n°56).
« Qui in verbo non offendit perfectus est vir. Après bien des réflexions, écrit-il, je trouve que le meilleur parti à prendre pour moi pendant la récréation, c'est de parler très peu. D'abord, parce qu'étant jeune, il ne m'appartient pas de diriger la conversation; secondement, parce que parmi
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les sujets qui viennent alors sur le tapis, il y en a plusieurs ■sur lesquels je puis à peine dire quelques mots; troisièmement, parce que j'ai eu souvent à me repentir d'avoir dit seulement ces quelques mots. Ainsi, je serai aussi gai et aussi aimable que possible; si je suis interrogé, je répondrai modestement, et je m'efforcerai de maintenir la récréation dans les limites que prescrit la règle. »
Enfin, M. de Andreis fit usage de cette vertu de douceur pour supporter patiemment ses propres défauts : ils lui devenaient d'autant plus pénibles qu'il avançait davantage •dans l'amour de Dieu, ei jamais il ne les flatta. Saint François de Sales dit qu'une âme qui tend à la perfection a plus besoin de douceur envers elle-même qu'envers les autres, ■car plus une âme avance dans la vie spirituelle, et plus elle .aperçoit de défauts en elle. « Me voici à la fin, écrit M. de Andreis dans sa retraite de i8i3, fatigué d'essayer de chercher mon Dieu. Je ne vois rien que moi et ma propre pauvreté; j'ai grand besoin de la grâce, quoique je sois indigne ■de l'obtenir. Je sais que la sainteté ne consiste pas seulement à avoir cette grâce, mais à atteindre le degré de vertu que Dieu nous a fixé, et rien moins que cela. Je dois m'y attacher pas à pas, à mesure que Dieu me fait connaître les •desseins de sa Providencej prier que sa sainte volonté sefasse •en moi, et l'accomplir sans désirer tel ou tel don : Ipse dividit singulisprout vult : « C'est lui, en effet, qui les distribue comme il le veut. »
PROVINCE DE
LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE
Lettre de M. HECK, prêtre de la Mission, à M. A. FIAT, Supérieur général.
Tremblement de terre à Saint-Jean de Cuyo.
Buenos-Ayres. ; octobre 1S94.
MONSIEUR ET TRÈS HONORÉ PÈRE, Votre bénédiction, s'il vous plaît!
Le télégraphe aura déjà transmis dans ce moment, la triste nouvelle du terrible tremblement de terre qui a eu lieu à San Juan, où sont établis nos confrères dans le séminaire conciliaire.
C'est le samedi 27 octobre, vers quatre heures et demie de l'après-midi, qu'est arrivée l'épouvantable catastrophe qui a ruiné presque tout San Juan, ville de 26 000 habitants. Le souvenir s'en gravera d'une manière ineffaçable dans la mémoire de ceux qui en ont été spectateurs.
Toutefois Dieu dans sa bonté a permis que la catastrophe arrivât pendant le jour. Sans cette circonstance, le nombre des morts, qui n'a guère dépassé la douzaine, eût été infiniment plus considérable. Le chiffre précédent se rapporte à la seule ville de San Juan. Quant à ceux qui sont morts dans le reste de la province, on n'en connaît encore pas exactement le nombre. Les dégâts matériels sont incalculables : il n'est presque pas une maison qui n'ait souffert.
Au séminaire, la Providence a visiblement veillé sur les enfants de saint Vincent. Le Supérieur, M. Meister et M. Varela étaient à confesser dans l'église de'Saint-Augus-
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tin, annexée au séminaire, quand ils remarquèrent des oscillations du sol si prononcées qu'ils se dirigèrent en hâte vers la cour voisine; de là, ils virent les tours de l'église s'ébranler de telle façon qu'ils craignaient de les voir s'écrouler d'un moment à l'autre. Par bonheur cela n'est pas arrivé ; mais le mur du fond de l'église est tombé, et les crevasses sont si nombreuses et l'édifice si chancelant, qu'il est à présent fermé au public et inutilisé. Pareille chose est. arrivée à toutes les églises de la ville, moins la vieille église des Dominicains et une chapelle de couvent. Au moment du tremblement, M. Lescano se disposait à sortir avec trois séminaristes, quand tout à coup le fronton et la corniche de la porte du séminaire s'effondrent avec fracas. Ce poids eût suffi pour les écraser, mais par une protection providentielle, aucun débris ne les atteignit. M. Naon, qui se trouvait également de ce côté-là, au moment de l'effondrement, n'éprouva lui non plus aucun accident.
Si nous bénissons la main toute-puissante du Seigneur qui a protégé de la sorte nos confrères et les séminaristes, nous devons aussi baiser cette adorable main qui a permis que nous éprouvions des pertes matérielles considérables. Il n'y a guère d'appartement qui n'ait souffert et qui ne soit lézardé, surtout aux angles. D'autre part, si le tremblement de terre proprement dit a cessé, des secousses souterraines continuent à se faire sentir fréquemment. Les séminaristes n'étant pas en sûreté dans le dortoir crevassé, ont passé plusieurs nuits dans la cour de l'école qui dépend du séminaire. Comme les secousses ne discontinuaient pas, on a décidé de les envoyer à Marquezado, à deux lieues de la ville, où est située la maison de campagne. C'est là qu'ils sont logés actuellement, sous la sauvegarde de Dieu. Nous ignorons si cette ville si affligée se trouve à la fin de ses épreuves, ou si elle n'en voit que le commencement. Les secousses continuent toujours ; de nombreuses crevasses
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sillonnent le sol en laissant s'écouler de nouvelles sources dont l'eau a le plus souvent la couleur de la cendre et le goût salé. Quelques-unes de ces sources sont de véritables fontaines jaillissantes qui projettent l'eau à plus d'un mètre de hauteur. Au nord de la province s'est ouvert un nouveau volcan qui lance de la fumée et de la lave, quoique en petite quantité. Dans la ville même de San Juan, le peuple entier, que la crainte des écroulements tient à distance de tout édifice, campe sous des tentes sur les places et dans les jardins ; sans foyers et sans temples, il est dans des alarmes et dans une désolation difficiles à exprimer. Nous nous consolons en pensant que Dieu veille sur tout et que rien n'arrive que par sa suprême volonté.
Je vous supplie d'offrir vos prières au Seigneur pour qu 'il daigne abréger ces jours d'épreuve et qu'il ait pitié de la pauvre ville de San Juan, et en particulier dû séminaire.
Je suis, dans l'amour de Jésus et Marie Immaculée,
Monsieur et très honoré Père,
Votre fils dévoué,
G. HECK,
I. p. d. 1. M.
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ATTRIBUÉES A L'INTERCESSION DU B. JEAN-GABRIEL PERBOYRE
Nous avons mentionné déjà la belle traduction de la Vie •du Bienheureux qui a paru à la Nouvelle-Orléans [Annales, tome LIX, p. 552) '. L'Appendice qui a été ajouté au texte par M. Nugent rapporte une série véritablement admirable de grâces obtenues par l'intercession du bienheureux martyr.
« Nous donnons ci-après, y est-il dit, quelques extraits de lettres qu'on nous a adressées en réponse à celles que nous avions écrites pour nous renseigner sur les faveurs obtenues par l'intercession de notre bienheureux martyr.
« Sur la demande de ceux qui nous ont écrit, le plus souvent on n'a pas indiqué les noms; mais, s'ils étaient réclamés par les autorités compétentes, on les pourrait produire, et l'on verrait que les faits que nous citons ici sont entièrement conformes à la vérité.
« Les récits sont donnés ici pour ce qu'ils sont réellement : le témoignage sérieux, loyal, de croyants pour qui la doctrine de la communion des saints est une réalité vivante et non une vague théorie, et qui savent et sentent que les saints de Dieu peuvent entendre nos prières et obtiennent souvent ce que nous désirons. Si ces chrétiens avaient besoin de preuves pour démontrer cette foi qui est • en eux, ils en ont d'abondantes, pour eux du moins, dans les faits qu'ils produisent ici. Ils ont appris qu'ils avaient un nouvel avocat au ciel ; et sachant combien ardemment il aimait Dieu, et combien la preuve qu'il a donnée de cet amour est éclatante, ils sont allés, sans hésiter, kii demander
i. Life of the blessed servant of God, the heroic martyr John Gabriel Perboyre, priest of the Congrégation of the Mission. Translated from. the french by lady Clare Fielding. Appendix specially prepared for American édition. Finney, New Orléans, 1894. Un vol. in-18 de 177 pages.
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d'user pour eux de son influence devant le trône de Dieu pour qui il a vécu et pour qui il est mort. La suite montre qu'ils n'ont pas été frustrés. »
i. Lettre venue d'un orphelinat de l'Etat de Michigan : « Il y a environ deux ans, nous reçûmes dans notre asile un enfant atteint d'une gale incurable, et, avant que nous l'eussions découverte, la contagion s'était répandue parmi les autres enfants. Tous nos soins ni ceux du médecin ne purent l'arrêter.
« La soeur chargée des enfants, désolée, à bout de remèdes, exposa une image du bienheureux Jean-Gabriel et fit une neuvaine pour obtenir la cessation du mal par son intercession; et, à la fin de la neuvaine, la maladie si désagréable avait entièrement disparu, et nous n'en avons . plus vu de trace. »
2. Une personne de la Pensylvanie écrit : « Il y à quelque temps, notre cher et bien regretté M. Mandine 1 m'avait donné une relique de notre bienheureux martyr. Un jeune homme était réduit à l'extrémité par la fièvre typhoïde, et les médecins ne conservaient que bien peu d'espoir de le sauver. Je lui donnai ma relique,- et une neuvaine fut commencée. Un changement soudain se manifestai et la prompte guérison du jeune homme surprit tout le monde, en particulier le médecin. »
3. « Le fait suivant a été attesté par la Faculté et les • élèves de l'Université de Niagara; il ne manque pas, par conséquent, de preuves sérieuses et autorisées.
« Denis Keyes, après plusieurs années de services dévoués, comme frère coadjuteur de la Congrégation de la Mission, fut atteint de phtisie lors de son séjour au collège et séminaire de Notre-Dame des Anges (Université de Niai.
Niai. de la Mission, directeur des Filles de la Charité; décédé à Emmittsburg (États-Unis). — Voy. Annales, t. LVIII, p. 12g.
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gara; N. Y.). Les ravages du mal non seulement le rendirent incapable de remplir son office, mais encore son esprit s'affaiblit et il donna des signes évidents d'aliénation. Cette maladie prit chez lui la forme particulière d'aversion pour les choses religieuses. Lui parler de messe, de confession, de prières, c'était provoquer le pauvre frère aux plus horribles blasphèmes, en sorte qu'on crut que le mieux était de le laisser dans son délire. Au printemps de 1890, il fut forcé de se mettre au lit; et même alors, quand on lui parlait de la mort et de la nécessité de recevoir les derniers sacrements, il continuait ses propos impies contre Dieu, la sainte Vierge, les sacrements. A cette époque, on allait célébrer à Niagara un Triduum solennel en l'honneur de la béatification du vénérable Jean-Gabriel Perboyre. M. Hayden, directeur des séminaristes, recommanda les besoins spirituels du frère, et demanda qu'on fît une. neuvaine en l'honneur du bienheureux Jean-Gabriel, afin d'obtenir pour le malade la grâce de recevoir les derniers sacrements dans de bonnes dispositions.
« Le jour de la clôture de la neuvaine, le directeur fut très agréablement surpris : en entrant dans la chambre du frère, il l'entendit exprimer le désir de se confesser et de se préparer à une bonne mort. Un examen sérieux fut fait, et l'on ne trouva plus trace de ses précédentes dispositions d'esprit; il était calme, raisonnable dans ses paroles et dans ses actes. Ce qui n'est pas moins remarquable, c'est qu'il se montrait fort porté aux pratiques pieuses; il demandait le crucifix et le baisait avec toutes les marques d'une touchante dévotion. Les derniers sacrements lui furent, par conséquent, administrés; il avait la pleine connaissance de ce qui se passait autour de lui, et on voyait qu'il se préparait au redoutable passage du temps à l'éternité.
« Pendant les dix jours qui s'écoulèrent entre la réception des derniers sacrements et sa mort, bien qu'il souffrît beaucoup à certains moments, aucune plainte ne s'échap-
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pait de ses lèvres; ce n'était qu'oraisons jaculatoires et actes de résignation à la volonté de Dieu. L'esprit de sa vocation était revenu en lui; l'humble fils de saint Vincent et frère du bienheureux Jean-Gabriel Perboyre, était redevenu luimême. Et c'est ainsi, entouré des prêtres et des frères de l'établissement, qu'il quitta ses frères d'ici-bas pour rejoindre ceux qui sont réunis là-haut, autour de leur Père saint Vincent de Paul, près du trône de Dieu.
Voici les autres grâces mentionnées dans cet ouvrage :
Pensylvanie (États-Unis). Guérison par l'application de la relique du Bienheureux. Page r5i.
Saint-Louis (Missouri). Conversion. P. I5I.
Hôpital de la Maternité (Pensylvanie). Guérison d'un enfant atteint de gangrène ; conversion d'un pécheur.
P. 152.
Collège Saint-Charles (Virginie). Guérison d'un jeune séminariste. Guérison d'une jeune fille atteinte de paralysie. P. i53.
Boston; hôpital Carney. Conversion de cinq protestants malades (1891). Guérison de deux malades désespérés (1892). P. i55.
Etats de l'Est. Conversion d'une personne protestante (7 novembre 1893, fête du Bienheureux). P. 156.
Baltimore. Guérison obtenue par la médaille et l'invocation du Bienheureux. P.159.
États de l'Ouest. Retour à la religion de plusieurs jeunes personnes de treize à vingt ans. Conversion du père d'une Fille de la Charité. P. 162.
Washington. Guérison de deux jeunes filles atteintes de périostite, obtenue par l'application de la médaille du Bienheureux (1893). P. 163.
Nouvelle-Orléans. Guérison. P. 164. Vallée du Mississipi. Guérison. P. 164. Nouvelle-Orléans. Conversion. Guérison d'un abcès à la
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gorge. Guérison d'une enfant de quatre ans, tombée et menacée de rester estropiée toute sa vie, obtenue par Ponction faite avec l'huile d'une lampe qui avait brûlé devant l'image du Bienheureux. Une Fille de la Charité, malade et désespérée, guérie par l'application de la relique du Bienheureux. P. i65 et suiv.
États-Unis du Sud. Touchante conversion d'un francmaçon malade, obtenue par la médaille du Bienheureux. P. 168.
N. Conversion d'un enfant protestant, âgé de huit ans, qui demandait au Bienheureux la grâce du baptême, pendant le Triduum. Guérison d'une jeune fille protestante, atteinte de paralysie de la moelle épinière, pendant le Triduum. P. 170.
Nouvelle-Orléans. Guérison' d'un mal d'oreille incurable (1S91). P. 174.
Donaldsonville (Louisiane). Guérison d'un enfant atteint de paralysie des jambes, obtenue par l'application de la médaille du Bienheureux (1894). P• 17^-
Et encore d'autres grâces extraordinaires tant du corps que de l'âme. P. 177.
Nous citerons aussi ces grâces obtenues en d'autres pays:
A Xérès (Espagne). Guérison de la marquise de Bertemati de Lassaleta. —Annales, éd. esp., t. II, p. 3s3-327.
A Rambouillet. École militaire préparatoire (France). Guérison de la soeur Raymond, fille de la Charité. — Lettre du 23 septembre i8q4.
A Yerres, près Brunoy (France). Guérison de M. Pheulpin. — Lettre de la soeur N.; novembre iSg4.
A VerViers (Belgique). Guérison de Mme Marguerite Peeters Hannote. •—Lettre du 10 novembre i8g4.
Enfin, on nous communique la note suivante de grâces obtenues par l'intercession du bienheureux martyr :
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Soeur Bourrillon, supérieure de Villers-Bretonneux (Somme); faveur obtenue.— Lettre du 22 octobre i8g4.
Famille Geslin, de Segrie (Sarthe). Grâce obtenue. Même jour.
Anonyme d'Auteuil. Reconnaissance au bienheureux martyr Jean-Gabriel. 25 octobre.
Mlle de Serre, paroisse Sainte-Clotilde, Paris. Guérison. 2j octobre.
Soeur Marguerite-Marie, de Saint-Brieuc. Grâce obtenue. 6 novembre.
Soeur Chevaucherie, de l'Immaculée-Conception, maison Saint-Joseph, Saint-Pol-de-Léon. Guérison d'une fièvre typhoïde. 12 novembre.
Mme L. Gozzi, d'Appietto (Corse). Grâce obtenue. 2j novembre.
Mlle C. T..., Paris. Guérison d'un cancer. 4 décembre.
Les aumônes destinées à l'OEuvre des Missions, placée sous le patronage du bienheureux Jean-GabrielPerboyre, doivent être adressées à M. Angeli, rue de Sèvres, 95, Paris.
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OEUVRE DE LA SAINTE-AGONIE
Noiis publions sur l'OEuvre de la Sainte-Agonie le document suivant, qu'on a pu lire déjà dans le Bulletin de cette association.
On nous a prié aussi d'insérer d'autres pièces : circulaire aux associés, correspondance; on l'a fait avec une insistance qui est très honorable pour nos Annales, nous le reconnaissons, mais qui nous oblige à donner une explication.
Nos Annales ont leur objet spécial : la Congrégation de la Mission et la Compagnie des Filles de la Charité. Sur les autres associations, nous avons pu donner une Notice, un renseignement; nous l'avons fait notamment pour l'OEuvre de la Sainte-Agonie : Voy. Annales, t. LIV, p. 376-381 ; t. LVI, p. 3o7~336; t. LVII, p. 640, et nous le faisons encore aujourd'hui. Nous avons aussi, déjà prêtes, des notices sur plusieurs autres associations auxquelles s'intéresse aussi la double famille de saint Vincent; mais nous devons pour bien des raisons nous restreindre.
Ajoutons que quelques-unes de ces associations ont ellesmêmes leurs propres organes de publicité : Annales, Bulletin de la Sainte-Agonie.
LÉON X11I, PAPE.
Pour en perpétuer la mémoire.
Selon les traditions des Pontifes romains Nos Prédécesseurs, Nous sommes dans l'usage de favoriser par Nos
LEO PP. XIII.
Ad perpétuant rei memoriam.
De more Romanorum Pontificum Proedecessorum Nostrorum, pias sodalitates ad pietatis et charitatis opéra exercenda institutas pecu-
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louanges et d'enrichir de privilèges particuliers les pieuses confréries instituées pour l'exercice des oeuvres de dévotion et de charité.
Au nombre de ces associations fécondes en fruits de salut, Nous savons de science certaine, et il est manifeste, qu'on peut à juste litre ranger la pieuse Confrérie dite de l'Agonie de Notre Seigneur Jésus-Christ.
Cette Association . fut d'abord érigée canoniquement dans le diocèse de Lyon, en l'église dédiée à la sainte Vierge Mère de Dieu, au lieu vulgairement appelé « Valfleury», et en peu de temps elle produisit des fruits si précieux et si abondants dans la vigne du Seigneur, que, dès l'année MDCCCLXV, Notre Prédécesseur Pie IX, d'heureuse mémoire, daigna l'ériger en Archiconfrérie, pour le diocèse de Lyon seulement, par Lettres Apostoliques datées du dix-huitième jour de mars. Huit ans après, en vertu d'une concession accordée par le Souverain Pontife, le siège de cette Archiconfrérie fut transféré de la susdite église dans la maison principale des Prêtres séculiers de la Congrégation de la Mission, à Paris, et en même temps fut concédée la faculté d'agréger les autres associations de même nom et de même nature sur toute l'étendue du territoire de la République française.
liaribus honoribus ac privilegiis augere et locupletare solenius. Harum in numerum frugiferarum societatum, exploratum apprime Nobis est atque perspectum jure recensendam esse piam Confralernitatem cui ab Agonia Domini Nostri Jesu Christi nonien factura. Hoec societas in Ecclesia titulo Deiparae Virginis, loci vulgo « Valfleury » nuncupati, in dioecesi Lugdunensi erecta primum canonice fuit, ac lantos, brevi tempore, tamque uberes nacta est in vinea Domini fructus, ut eam fel. rec. Pius P. P. IX. Decessor Noster jam inde ab Anno MDCCCLXV, per Apostolicas Litteras die décima octava Martii datas, Archisodalitatis titulo pro Lugdunensi tantum dioecesi decoraverit. Octavo postea anno sedes memoralae Archisodalitatis e proedicta Ecclesia in principem domum Presbyterorum secularium Congregationis Missionis Parisiis, ex Apostolica item venia, translata est, addita quidem licentia alias ejusdem nominis atque instituti so-
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Mais le Directeur actuel de cette société Nous a représenté que, pendant les années précédentes, par la grâce de Dieu, elle a pris de très grands développements, grâce surtout aux soins assidus des pieuses Filles de la Charité et des prêtres de la Congrégation de la Mission, qui, dans toutes les régions du monde, même dans des contrées très éloignées et situées au delà des mers, s'appliquent avec un zèle ardent et infatigable à propager cette oeuvre très utile; pour ce motif, il souhaite ardemment que, par l'effet d'une bienveillante concession de Notre part, la faculté dont jouit l'Archiconfrérie de Paris .de s'affilier d'autres associations soit étendue à l'univers entier.
Nous, considérant d'une part là lin très opportune de cette société féconde en fruits de salut, d'autre part les approbations d'un grand nombre de Révérendissimes Evêques, et surtout la haute recommandation de Notre cher fils François Richard, cardinal-prêtre de la sainte Eglise romaine, par la grâce du Saint-Siège apostolique archevêque de Paris, Nous avons cru pouvoir exaucer celte demande, et de grand coeur. C'est pourquoi, embrassant par la pensée avec une particulière bienveillance tous et chacun
cietates inlra fines Gallica; Reipublica: aggregandi. Nunc vero cum hodienms ipsius sodalitii Modcrator JN'obis exponendum curaverit maxima tandem societatem superioribus annis féliciter suscepisse in Domino incrementa, obsedulam potissimum operam religiosarum •sororum a Charitale, et sacerdotum Congrealionis Missionum, qui in universastotius orbis regiones, vcl longo terraium marisque spatio sejunctas, perutile hujusmodi institutum alacri atque impigro studio pi'ovehere satagunt; ideoque in votis admodum sibi esse ut facullatem alias societates sibi aggregandi qua Parisiensis Archiconfraternitas pollct ad universum terrarum orbem extendere de benignitate Nostra velimus; Nos proe oculis habentes, et frugiferoe ipsius societatis peropportunum fi nom, et plurimorum sacrorum Antistitum suflïagia, et luculentum potissimum testimonium dilectï Filii Nostri Francisco sancta; Romanoe Ecclesia; Presbyleri Cardinalis Richard, ex Apostolica dispensatione Archiepiscopi Parisiensis, votis hujusmodi annuendum propensa voluntale existimavimus. Quare omnes et singulos quibus Nostra; ha: Littcra; favent peculiari benevolentia
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de ceux que Nos présentes Lettres favorisent, les absolvant et les tenant pour absous, uniquement toutefois afin que cesLettres aient tout leur effet, de toutes espèces d'excommunications et d'interdits et de toutes autres censures ecclésiastiques, sentences et peines portées contre eux de quelque manière que ce soit et pour n'importe quelle cause, en cas qu'ils en aient encouru, en vertu de ces Lettres, et dans la plénitude de Notre puissance apostolique, Nous concédons et accordons pour toujours aux directeurs et aux membres présents et à venir de la susdite Archiconfrérie de l'Agonie de Notre Seigneur JésusChrist, canoniquement érigée dans l'église annexée à la ■ maison principale des prêtres séculiers de la Congrégation de la Mission de la ville de Paris, le plein pouvoir d'affilier par eux-mêmes licitement et validement toutes autres confréries de même nom et de même nature, établies en quelque lieu de la terre que ce soit, toujours en se conformant aux dispositions de la Constitution du Pape Clément III, Notre Prédécesseur, et aux autres prescriptions apostoliques qui traitent de res matières, ainsi que le plein pouvoir de communiquer licitement et validement à ces confréries toutes les indulgences, rémissions de péchés et relaxations de pénitences, sans exception aucune, accordées à l'Archiconfrérie elle-même tant par Nous que
complectentes, et a quibusvis excommunicationis, et interdicti, aliisque ecclesiasticis censuris, sentcntiis, et poenis quovismodo vel quavis de causa lalis, si quas forte incurrerint, hujus tantum rei gratia absolvcnles, et absolutos fore censentes, supramemoratoe Archisodalitatis ab Agonia Domini Nostri .lesu Christi canonice erectoe in Ecclesia principi domui adncxa Presbyterorum secularium Congregationis Missionum Civitalis Parisiensis officialibus et sodalibus praîsentibus et futuris ut ipsi alias quascumque confraternitates ejusdem nominis atque institua ubiquc terrarum existantes, servatis jugiter forma Constitutionis démentis P. P. VIII. Proedecessoris Nostri, aliisque Apostolicis ordinationibus desuper editis, aggrcgare, illisque omnes et singulas Indulgentias, peccatorum remissiones, et poenitentiarum relaxationes ipsi Archisodalitati tam a No-
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par Notre Prédécesseur, pourvu qu'elles soient commun) - cables aux autres.
En outre, en vertu pareillement de Notre autorité apostolique, Nous confirmons et ratifions pour toujours toutes les indulgences, rémissions de péchés et relaxations de pénitences, sans exception aucune, accordées à l'Archiconfrérie elle-même soit par Lettres semblables, soit par d'autres concessions apostoliques ; et à tous et à chacun des membres présents et à venir de la dite Archiconfrérie, Nous accordons également à perpétuité l'indulgence plénière et la rémission de tous leurs péchés, aux fêies de la commémoraison de la Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ (Mardi après le dimanche de la Sexagésime), de l'Invention et de l'Exaltation de la sainte Croix, pareillement le troisième dimanche du mois de septembre, et le troisième dimanche après Pâques, le Jeudi saint, jour où le Christ a été réduit à l'agonie et a sué le sang, le jour de la fête de saint Dismas (24 avril), le jour de la fête de saint Vincent de Paul, qui est regardé comme le Protecteur de l1 Archiconfrérie, enfin à la fêle des Saints Anges gardiens (2 pcbis
pcbis a Decessore Nostro concessas, et aliis communicabiles, communicare licite possint, et valeant, de Apostolicoe Nostra; potestatis plenitudine, prsesentium Litterarum vi, perpetuum in modum concedimus, atque clargimur. Proeterea, de Apostolica similiter Nostra auctoritate omnes et singulas Indulgentias, peccatorum remissiones, et pcenitentiarum relaxationes ipsi Archisodalitati, tum per similes Litteras, tum per alias Apostolicas concessiones tributas, in perpetuum confirinamus, sancimus, omnibusque et singulis nunc et in posterum existentibus dicta; Archisodalitatis sodalibus, qui vere pcenitentes, et confessi, ac S. Communionc refecti diebus festis Comm'emorationis Passionis Domini Nostri Jesu Christi, videlicet feria tertia post Dominicam Sexagésimal, Inventionis, et Exaltationis SS. Crucis, necnon Dominica Septembris mensis tertia, ac Dominica post Pascha tertia, feria quinta in Ccena Domini, qua die Christus factus est in agonia, et sanguinem sudavit, die festo S. Dismae, nempe vigesimo quarto mensit Aprilis, die festo S. Vincentii a Paulo, qui ut Protector Archisodalitatis habetur, demum festo sanctorum Angelorum Custodum, scilicet mensis Octobris altero, ac feria
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tobre), et le vendredi après l'octave de la solennité du Très Saint Sacrement, pourvu que, étant vraiment pénitents, s'étant confessés et s'étant fortifiés en ces jours-là par la sainte communion, chaque année, à partir des premières vêpres de ces fêtes jusqu'au coucher du soleil de ces mêmes jours, ils visitent dévotement une église dans laquelle la même confrérie soit canoniquement érigée, en ,quelque lieu de la terre que cette confrérie soit établie, et que là ils adressent à Dieu de pieuses prières pour la concorde entre les princes chrétiens, l'extirpation des hérésies, la conversion des pécheurs et l'exaltation de notre mère la sainte Église.
De plus, puisant largement dans les trésors de la miséricorde du Seigneur, Nous accordons encore, et aussi pour toujours, l'indulgence plénière et la rémission de tous leurs péchés aux associés de cette même Archiconfrérie qui s'appliqueront à méditer sur l'agonie de Notre Seigneur JésusChrist, ou sur sa Passion, ou bien sur les douleurs de la bienheureuse et immaculée Vierge Marie, au moins pendant un quart d'heure, une fois par semaine pour le moins, l'espace d'un mois entier, et qui, un jour de ce même mois, à leur choix, étant vraiment repentants, s'étant confessés et fortifiés par la sainte communion, visiteront une des églisexta
églisexta octavani Celebritatis sanctissimi Corporis Christi, Ecclesiam quamlibet in qua sodalitium idem sit canonice erectum ubique similiter terrarum existens, aprimis vesperis usque ad occasum solis dierum hujusmodi singulis annis dévote visitaverint, ibique pro Christianorum Principum concordia, hoeresum extirpatione, peccatorum conversione, ac S. Matris Ecclesioe exaltatione pias ad Deum preces effuderint, qua ex iis die id praestiterint, Plenariam omnium peccatorum suorum Indulgentiam et remissionem, perpetuum- itidem in modum concedimus. Insuper, atque etiam in perpetuum, iisdem sodalibus qui saltem semel per singulas hebdomadas integro mensis spatio sacris meditationibus Agoniae Domini Nostri Jesu Christi, sive Passionis, sive dolorum Beatissimoe Marias Virginis Immaculatae, saltem 1 horoe quadrante vacaverint, et una ejusdem mensis die ad arbitrium eligendo vere poenitentes, et confessi, ac S. Commu-
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ses ci-dessus désignées, en n'importe quel lieu de l'univers elle soit située, et y prieront aux intentions prescrites par la coutume, comme il a été dit précédemment.
Enfin, aux mêmes fidèles, déjà reçus dans ladne Archiconfrérie, et à ceux qui y seront reçus à l'avenir jusqu'à la fin des temps, Nous faisons remise, dans la forme accoutumée de l'Eglise, de irois cents jours des pénitences qui leur seraient enjointes ou qu'ils auraient encourues par ailleurs de quelque manière que ce soit, et cela tous les jours, lorsque, étant au moins contrits de coeur, ils méditeront, comme il a été dit, sur les sujets indiqués plus haut; Nous leur accordons la même indulgence chaque fois que, convoqués et réunis dans les églises ou chapelles dans lesquelles l'Archiconfrérie est érigée canoniquement, ils réciteront de pieuses prières pour la paix de la sainte Eglise; comme aussi toutes les fois qu'ils secourront, conformément aux statuts de l'Association, un chrétien à l'article de la mort.
Nous appuyant sur la libéralité du Seigneur, Nous accordons que toutes et chacune de ces indulgences, rémissions de péchés et relaxations de pénitences, puissent aussi être appliquées par mode de suffrage aux âmes des fidèles sorties de ce monde en état de grâce avec Dieu.
nione refecli, Ecclesias de quibus habita supra mentio est, in universo terrarum orbe sitas, rite uti superius dictum est orantes inviserint, etiam Plenariam omnium peccatorum suorum indulgentiam et remissionem misericorditer in Domino elargimur. Denique iisdem fidelibus, nunc et in posterûm perpetuis futuris temporibus dictam in Archis.odalitatem adlectis, qui qualibet die, corde saltem contriti, proedictis meditationibus, ut supra, vacaverint, etquoties in Ecclesiis, seu Cappellis, ubi canonice erecta est Archisodalilas rite congregati pias pro Sancta; Ecclesia; pace preces effuderint, et quoties, juxta societatis statuta, cuilibet in mortis articulo constituto Christi fi deli atrxilium proesliterint, tercentum dies de injunctis eis seu alias quo3nodolibet debitis poenitentiis in forma Ecclesia; consueta relaxamus. Quas omnes et singulas Indulgentias, peccatorum remissiones, et pcenitentiarum relaxationes, etiam animabus Christifidelium qua;
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Nous confirmons dès maintenant, et pour toujours, la teneur de Nos présentes Lettres ; signifions qu'elles ont dès ce jour et conserveront à jamais toute leur force et leur efficacité ; voulons qu'elles sortissent et obtiennent leurs pleins effets, qu'en tout et de toutes manières elles puissent être invoquées en leur faveur par ceux qui y sont intéressés ou qui plus tard y seront intéressés d'une façon quelconque ; déclarons que s'il arrivait à quelqu'un d'essayer de faire quelque chose contre le contenu de ces Lettres, cela serait nul et sans valeur, qu'on l'eût fait sciemment ou par ignorance, et au nom d'une autorité quelconque. Nonobstant les Constitutions et Ordonnances apostoliques et toutes autres choses contraires.
Donné à Rome, à Saint-Pierre, sous l'anneau du Pêcheur, le xxin 0 jour de juin MDCCCXCIV, et la dix-septième année de Notre pontifical.
Pour le cardinal Rampolla,
NICOLAS MARINI,
(Place du sceau.) Substitut des Brefs.
Deo in charitate conjunctïe ab hac luce migraverinl per modura suffrage applicare possint in Domino elargimur. Décernantes pra;sentes Litteras Nostras firmas, validas et etlicaces semper existera et fore, suosque plenarios et integros effectus sorliri et obtinere, ac il lis ad quos spécial et pro tempore quomodolibet spectabit in omnibus et per omnia plenissime sufl'ragari, et irrilum esse et inane si secus super his a quoquam, quavis auctoritate, scienter vel ignoranler, contigerit attentari. Non obstantibus constitutionibus et ordinationibus Apostolicis, ceterisque contrariis quibuscumque. Datum Romce apud Sanctum Petrum sub Ânnulo Piscatoris die XXIII Junii MDCCCXCIV, Pontificatus Nostri Anno Decimo seplimo.
Pro Domino Cardinali Rampolla, NICOLAUS MARINI, (Locus sigilli.) Subst. a Brevibus.
Le Gérant : C. SCHMEYEK.
Imp. D-. Dumoulin et C'°, à Paris.
LES FETES
DE LA
MANIFESTATION DE LA MÉDAILLE MIRACULEUSE
L'écho des solennités par lesquelles a été inaugurée la belle fête du 27 novembre se continue, et nous voudrions bien que rien n'en fût perdu pour les coeurs si attachés à l'Immaculée Vierge de la Médaille miraculeuse.
Nous donnerons donc dans la plus large mesure possible les comptes rendus qui nous sont parvenus, ceux surtout des contrées lointaines. — On comprendra la nécessité de nous borner en des récits où le même amour s'est plu à se traduire habituellement par les mêmes, manifestations.
I
LES FÊTES EN FRANCE
Dans le nord de la France, Lille a manifesté sa profonde et ardente piété : la fête a été plus intime à la chapelle de la maison où réside la Visitatrice de la Province : les fidèles y sont accourus autant que l'étroite enceinte le permettait : les élèves du séminaire de l'Université y ont accompli un pieux pèlerinage. A Lille-Wazemmes, M. le doyen, heureux de faire connaître et aimer de plus en plus la sainte Vierge en célébrant avec solennité la nouvelle fête, eut la consolation de voir la population accourir avec un empressement qui dépassait toutes les prévisions.
Aux mines de Vermelles, les familles des mineurs répondirent à l'appel de leur pasteur en célébrant à l'église « du Philosophe » la glorieuse apparition, et elles témoignèrent ainsi leur attachement aux Filles de la Charité qui depuis de nombreuses années déjà visitent les malades et élèvent
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les enfants dans les écoles et à l'ouvroir. L'église était brillamment illuminée chaque soir, et la musique de la fosse numéro 3 contribuait à la beauté de la fête par son harmonieux concours.
Le compte rendu de Valognes signale un bienfait particulier de l'Immaculée Vierge pendant les fêtes •. cette bonne Mère, pendant une neuvaine qu'on lui faisait, guérit instantanément à la maison des Soeurs une des orphelines atteinte d'une contracture de l'épine dorsale et de tout le côté gauche. Le peuple ému entonna le Magnificat, et on s'en allait en disant : « Le bon Dieu aime cette maison ! »
Du récit des fêtes de Pouancé, présidées le dernier jour par M. le chanoine Baudriller, vicaire général de Mgr l'évêque d'Angers, nous citerons ces lignes d'un témoin : « Entre les chants si expressifs de ces solennités on remarque en particulier la mélodie appliquée aux paroles gravées sur la médaille : « O Marie conçue sans péché, priez pour nous « qui avons recours à vous. » Je l'avais entendue à Paris, dans la chapelle de Notre-Dame de Sion, lorsque les voix des religieuses et des nombreuses pensionnaires chantent après l'élévation le Pater, dimitte illis ; non enim sciunt quidfaciunt. » Cette cantilène, d'une facture si'simple et pourtant si pénétrante, que l'orgue soutient de ses larges accords et qui, par trois fois, s'élance vers Dieu, en élevant le ton de sa mélodie suppliante, m'avait profondément impressionné et j'étais heureux de la retrouver sous les paroles adressées à l'Immaculée. »
A Vannes, des grâces particulières signalent la fête. A Angers, la paroisse de la Trinité, où sont établies deux maisons de soeurs, célèbre un solennel Triduum, et Mgr l'évèque veut bienvenir, le 27, prendre part à la fête qui se célèbre avec splendeur à l'hôpital, et y offrir le saint sacrifice de la messe. Mgr l'évêquede Langres témoigna la même bienveillance aux Filles de la Charité de sa ville épiscopale, et nous aurons peut-être un jour le bonheur de reproduire en
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nos Annales l'éloquent discours que M. l'abbé Dormoy prononça ce jour-là à la chapelle de l'hôpital de la Charité, sur la Médaille miraculeuse. Au nom de cette ville se rattache le souvenir d'un de ces traits merveilleux comme on en cite déjà un grand nombre. C'est le fait de la préservation d'un jeune militaire, M. E. B., qui, dans la guerre de 1870, fut sauvé par la miraculeuse médaille ; il conserve cette médaille, sur laquelle une balle prussienne s'arrêta comme sur un bouclier.
A l'école des enfants de troupe de Montreuil, à Quesnoysur-Deûle, dans le Nord ; au Mans, à Sablé, dans l'Ouest; à la Genevraye, qui allait être marquée par un deuil si douloureux ; à Pennautiers, à Marmande, à Marseille, à la Teppe, à Pau, à Toulouse, à Tarbes, dans le Midi, se célèbrent des fêtes dont les récits sont comme les strophes d'un harmonieux cantique. Dans le diocèse d'Aire, à Mont-deMarsan, les solennités furent marquées par une grâce merveilleuse que nous avons déjà mentionnée et dont nous donnons plus loin le récit autorisé.
A Albi, Mgr l'évêque, qui préside aux fêtes du séminaire, entouré de ses vicaires généraux, de son vénérable chapitre métropolitain et du clergé de la ville, veut que ces joies et ces bénédictions s'étendent à tout son peuple. Il s'est adressé à Rome, dit la Semaine religieuse du diocèse, pour obtenir que la fête de la Médaille miraculeuse prenne rang dans le calendrier du Propre du diocèse, et soit célébrée un dimanche du mois de mai, par privilège, avec le rit double majeur.
Quelques traits recueillis dans les nombreuses lettres qui nous ont apporté des détails sur la fête montreront combien partout les coeurs se sont montrés empressés à louer la Vierge si aimable de la Médaille miraculeuse.
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II LES FÊTES A THEUX
On sait que les Missionnaires de la province de Prusse sont toujours sous le coup de la loi d'expulsion portée contre eux à l'époque du Kulturkampf. Le collège qu'ils ont établi à Theux en Belgique, près de la frontière allemande, est dans un état de grande prospérité. C'est de là que nous viennent les détails suivants :
« Exilés que nous sommes en pays étranger, où nous n'avons guère d'autres fonctions que l'éducation de la jeunesse qui nous est confiée, et ne nous occupant presque pas au dehors du saint ministère, nous n'avons pu avoir, pour rehausser l'éclat de nos fêtes, ni l'affiuence de peuple, ni la.pompe et les splendeurs dont ont joui d'autres maisons. C'était une fête en famille, mais elle n'a été ni moins fervente ni moins consolante.
« Bien des semaines auparavant, la maison tout entière attendait avec une sainte impatience la célébration de la nouvelle fête en l'honneur de l'Immaculée. Nos frères coadjuteurs ainsi que nos étudiants et séminaristes rivalisaient d'ardeur pour la préparer.
« L'extérieur même de la maison et en particulier de l'église témoignait par les nombreux drapeaux, bannières et oriflammes, par les guirlandes et les couronnes qui les ornaient, que les fils de saint Vincent de Paul étaient à la veille de célébrer une fête extraordinaire.
« Un solennel Triduum précéda; puis vint le jour de la solennité. Le vénéré M. le curé de Theux, qui depuis longtemps entretenait une dévotion spéciale à la médaille miraculeuse et s'était déjà montré très zélé à la répandre, s'était appliqué, en chaire, à faire connaître l'objet des fêtes à ses paroissiens; il les avait exhortés à profiter de cette occasion pour s'approcher des sacrements et aussi à venir visiter notre église. Son appel fut entendu. Il avait égale-
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ment annoncé en chaire qu'on pourrait recevoir chez lui des médailles miraculeuses; il fut littéralement-débordé et épuisa toutes ses provisions. Il en fut de même chez nous. Nos petits collégiens donnèrent même volontiers tout ce qu'ils en avaient recueilli pour les distribuer aux pauvres gens des environs. Plusieurs jours après la fête on venait encore pour recevoir des médailles, et quand nos étudiants sont en promenade, les enfants vont au-devant d'eux en disant : « Une médaille, mon Père, s'il vous plaît. »
« La grand'messe solennelle, à laquelle le clergé des environs assista, fut chantée par M. le doyen de Spa. Un de nos confrères, M. Franzen, prononça un panégyrique en l'honneur de l'immaculée Vierge Marie de la Médaille miraculeuse, avec toute l'ardeur et l'amour qu'un enfant de saint Vincent doit avoir pour notre bonne Mère.
« Le matin déjà, le coeur de nos enfants avait eu une grande part aux heureuses émotions qui nous ont touchés; et rarement nous avons entendu des morceaux aussi bien exécutés que ces choeurs à quatre et à six voix qu'ils nous ont fait entendre à la cérémonie du soir. Au moment de la bénédiction, tandis qu'un océan de lumière enveloppait l'autel et le sanctuaire, pendant que les accords de l'orgue unis aux chants du choeur parvenaient à nos oreilles comme les voix des anges, nous aurions pu nous croire admis un instant à la société des bienheureux dans le ciel. Nous avons alors prononcé avec toute l'ardeur de notre âme, en soupirant vers le séjour de la paix éternelle, la prière : « O Marie conçue sans péché.... » et basant notre espoir sur l'intercession puissante de notre bonne Mère, nous avons récité la finale du Te Deum : In te, Domine, speravi ; non confundar in oeternum.
« Ces beaux jours sont maintenant écoulés ; mais leur souvenir nous reste, et avec lui une nouvelle ardeur à honorer l'Immaculée Vierge Marie de la Médaille miraculeuse. Notre voeu le plus cher est de répandre partout cette dévo-
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tion, surtout dans notre patrie; principalement au moyen
de la sainte Médaille. Daigne Celle par qui « régnent les
rois et les puissants gouvernent la terre » nous rouvrir
bientôt les portes de la patrie pour que nous puissions en
personne travailler de toutes nos forces à y répandre son
culte béni !
« FR. LESSENICH,
«I. p. d.l. M ..
III
LES FÊTES EN A'UTRICHE
Nous avons déjà publié le compte rendu des belles solennités accomplies dans les deux Maisons-Mères de cette province, à Graz, ainsi que dans plusieurs autres établissements. Nous donnerons encore un récit : c'est celui de la fête dans une prison. — Les Filles de la Charité, comme on a pu le lire dans les Annales (tomeXLHI, p. 102), exercent une action très salutaire parmi les malheureuses détenues de la prison de Vigaun : elles ont voulu faire goûter à ces infortunées quelque chose de la joie commune en ces jours de fête. On comprendra comment le régime pénitentiaire, au lieu d'exaspérer et de pervertir, serait capable d'exercer une influence salutaire sur ceux qui y sont soumis, si on laissait la'religion exercer sa salutaire influence, comme cela s'est pratiqué à Vigaun.
« Pour la neuvaine préparatoire, chaque matin il y avait une messe avec exposition du Saint Sacrement; durant la journée on récitait les litanies de l'Immaculée Conception et l'on travaillait avec ardeur à la confection des fleurs et autres accessoires nécessaires à l'embellissement de notre chapelle, que dès le vendredi on se mit à transformer. Ces préparations extérieures eurent grande influence sur les âmes du personnel général de notre établissement! Un saint enthousiasme semblait animer nos prisonnières, tout aussi bien que les soeurs.
« Le samedi, on se mit tout à fait à l'oeuvre, afin de cou-
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vrir l'autel de gaze aux nuances d'or, d'argent et d'azur. Cette gaze, on l'avait parsemée de roses, de myosotis et de marguerites. Derrière le tabernacle, la niche dans laquelle devait être placée la statue de la Vierge Immaculée, fut richement ornée. L'autel, entièrement entouré de lis, offrait au regard la vue bienfaisante d'un sanctuaire religieux,- préparé pour une solennité tout intime. Le maître-autel fut terminé le dimanche, et les hommes de garde déposèrent à la place qui lui était destinée, notre chère statue de la salle de communauté. Il fallait voir avec quelle respectueuse dévotion ils s'acquittèrent de cette charge !...
« Le lundi suivant, étant exclusivement réservé à la confession de nos deux cent quarante prisonnières, M. l'aumônier fut aidé par deux autres prêtres ; de sorte que tout se termina vite et en ordre dans le courant de la journée, où l'on travailla encore avec une sainte ardeur à la préparation de deux immenses représentations de la Médaille, que l'on suspendit par une large banderole bleue, au-dessus des deux autels latéraux de Saint-Joseph et de Saint-Vincent; nous les entourâmes de palmes, de lis et de roses, prenant pour modèles les images frappées sur la petite notice récemment parue.
« Le lieu saint est déjà tout en fête !... les âmes surtout sont purifiées, les coeurs bien disposés !... Nous ne sommes encore qu'à la veille de la solennité. La voix grave de la grosse horloge de l'église paroissiale fait entendre cinq heures du soir, et notre cloche, qui depuis quelques minutes à rassemblé tous les membres de notre famille religieuse, tinte une seconde fois pour faire mettre en marche la procession dans les corridors de notre prison, qui ce jour-là avait l'aspect d'un cloître ! Cinq ecclésiastiques, revêtus des ornements sacerdotaux, pénètrent dans le choeur; on porte en triomphe l'image décorée de l'apparition de la sainte Vierge à notre chère soeur Catherine Labouré.
« Le cortège, formé de nos soeurs portant chacune un
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lis et un flambeau, de nos prisonnières ayant un petit bouquet de fleurs naturelles, de la famille de M. l'inspecteur, de pieuses personnes, un cierge à la main, chante d'une voix unanime et émue les louanges de Marie Immaculée; ce fut d'abord un cantique en allemand, puis un en slave, ce dernier composé pour la solennité et mis en musique mélodieuse par un Révérend Père franciscain; ensuite, on récite le chapelet en se rendant de nouveau à la chapelle. En passant devant l'autel, chaque main et chaque coeur dépose sa fleur au pied du trône de Marie !... Un salut solennel termina la veille du beau jour !...
« Mais, celui-ci, pourrai-je le dépeindre?... Sans nul doute, cette nuit se passa en esprit, pour la plupart, toute à la chapelle; et lorsqu'à cinq heures et demie, la chapelle brillamment illuminée fut remplie par les convives du céleste banquet, et que commença la sainte messe, avec exposition du Saint Sacrement pour toute la journée, lorsque l'orgue, accompagnant d'habitude les voix privilégiées, fit résonner la voûte sacrée de ses accords harmonieux, une émotion douce et pénétrante parcourut l'assemblée. Durant cette messe solennelle, on en célébra deux autres encore. Le moment de la sainte communion approche ! Oh ! qu'il fait bon voir nos pauvres prisonnières s'unir à notre Dieu, Lui aussi prisonnier ! Une autre messe fut célébrée en action de grâces, à laquelle fit suite un beau sermon en allemand; puis, tout le monde, à l'exception des adoratrices, se retire pour le déjeuner, qu'il faut se hâter de prendre : on en a juste le temps !...
« Il est huit heures ; et une grand'messe solennelle invite de nouveau les âmes à se baigner dans l'océan de la Bonté divine !... On ne saurait se lasser de contempler la Vierge bénie dont le sourire maternel semble nous dire: « Plus vous « demanderez, plus vous obtiendrez !... » Nous connaissons cette tendresse de notre Mèrel nos pauvres captives n'y sont pas étrangères, et c'est à peine si elles peuvent quitter
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l'enceinte bénie ! Seul le règlement les y décide, et dans le cours de la journée, tout en les surveillant, on les laisse libres de satisfaire à leur dévotion. Deux d'entre elles passèrent toute la journée à la chapelle, sans qu'il fût possible de les en faire partir. Une autre — une chanteuse — voulut garder toute la journée un jeûne rigoureux.
« A deux heures, bénédiction solennelle du Saint Sacrement; puis, heure d'adoration pour chacune des trois divisions ; si bien que cinq heures ne se font pas attendre!... on voit arriver ce terme avec joie, dans la pensée d'un hommage rendu à Marie ! Mais... tout va finir !... et le soir d'un si beau jour jette dans l'âme un rayon de douce mélancolie dont on ne peut se défendre et qu'on ne voudrait pas ignorer ! On chante un nouveau Te Deum avant de remettre le Saint Sacrement dans le tabernacle. On termine enfin par le chant de : O Marie, conçue sans péché, etc.,avec accompagnement de l'orgue !... Tout est fini '....
« Mais non ; le lendemain encore, messe d'action degrâ- . ces ! et, durant toute l'octave, et comme préparation à la fête del'Immaculée-Conception, notre chapelle conserve sa parure. Le dernier jour de l'octave, la représentation des médailles, de nouveau illuminée, fut comme le dernier reflet de ce jour à jamais mémorable ; et nous espérons que, si la solennité extérieure à dû disparaître, les fruits seront abondants et le souvenir perpétuel. Nos prisonnières, déjà munies de médailles, en demandent encore pour leurs parents et pour leurs connaissances.
« Daigne la Vierge Immaculée donner à ces pauvres égarées la vraie lumière, le seul vrai bonheur !... Daigne son amour maternel nous donner abri sous son manteau virginal et diriger toujours nos pas vers l'éternelle béatitude !»
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IV LES FÊTES EN BELGIQUE
La Semaine catholique du diocèse de Liège avait publié une intéressante notice sur la Médaille miraculeuse. La fête fut célébrée avec une grande piété dans toutes les maisons des Filles de la Charité de la Belgique.
A Ans, maison centrale de la Province, les murs de la nouvelle chapelle s'élevaient, mais le nouveau sanctuaire ne pouvait se prêter aux solennités qui s'y seraient déployées à l'aise : il fallut se restreindre à la chapelle provisoire, où l'on admit le plus grand nombre possible des fidèles désireux devenir rendre leurs hommages à la Vierge Immaculée. Patronage de jeunes filles, patronage de jeunes garçons, mères chrétiennes, dames patronnesses, vinrent tour à tour y prier. La maison de la Providence eut aussi ses solennités. A tous pouvaient s'adresser les paroles de confiance de M. le Directeur de la Province, aux Filles de la Charité, quand il leur disait : « Souvenez-vous de la verge miraculeuse dont Moïse se servait pour accomplir des prodiges : Prenez de même la Médaille entre vos mains, avec elle vous fere\ des merveilles. » (Exod. iv, 17.)
Anvers, si dévot à la Vierge et où une statue de Marie orne la façade de l'hôtel de ville ; Nivelles, Hodimont, Corbeck-Loo, près Louvain, Saint-Gervais-les-Namur célébrèrent la fête avec une sainte émulation de piété. De moindres cités comme Dînant, Beloeil ou comme MontSaint-Jean, qui touche le célèbre champ de bataille de Waterloo, aussi bien que les plus grandes villes, comme Bruges, Gand et Verviers, témoignèrent un filial empressement auprès des autels de l'Immaculée, soit dans la maison des Soeurs, soit aux églises paroissiales ou à la Primatiale. A Dison-lez-Verviers, une conversion sollicitée par l'intercession de l'Immaculée Vierge de la Médaille miraculeuse, signala les jours de la neuvaine préparatoire à la fête.
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La notice sur la Médaille miraculeuse, traduite en flamand, fut comme la bonne semence qu'on répand à profusion et qui donne droit d'espérer pour un temps plus ou moins rapproché des fruits abondants.
V LES FÊTES EN ESPAGNE
Nous avons dit avec quel éclat fut célébrée la fête à Madrid, chez les Missionnaires et chez les Filles de la Charité. Les autres maisons d'Espagne ont apporté le même entrain et la même piété. Voici quelques traits du récit de la fête de Barcelone, Casa de caridad :
« Un tableau représentant l'apparition de Marie Immaculée à la soeur Catherine Labouré était placé au-dessus du maître-autel, et une lumière ménagée avec art en faisait ressortir les détails ; on pouvait se croire à la MaisonMère : un doux ressouvenir envahissait les coeurs.
« Des draperies de gaze bleue, portant les paroles de la Vierge à soeur Catherine, flottaient autour de l'enceinte, entremêlées d'écussons rappelant les détails de la Médaille miraculeuse.
« Le jour de la fête, à dix heures, eut lieu la messe solennelle, dans la grande chapelle ; les cérémonies en ont été célébrée s avec une imposante majesté. Les chants des jeunes filles de la maison, et les morceaux de musique exécutés par les jeunes gens en rehaussaient la pompe. Après l'évangile, un R. Père Dominicain retraça, devant l'assistance recueillie et pieusement émue, les faits touchants de la manifestation. Le Saint Sacrement est resté exposé après la messe. A vêpres, une nouvelle prédication, suivie d'un salut solennel, est venue clôturer cette journée du ciel.
« Les cérémonies religieuses terminées, les jeunes gens de l'académie de musique ont fait entendre encore, dans la grande cour d'entrée, les plus brillants morceaux de leur répertoire.
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« Un fait bien touchant à signaler entre tant d'autres, c'est que tous les employés de la Junta ont voulu porter la Médaille miraculeuse. »
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LES FÊTES EN ITALIE
ROME. A MONTE CITORIO
Nous avons déjà publié YInvito sacro par lequel S. Em. le cardinal Parocchi convoquait le peuple de Rome à prendre part aux fêtes de la Médaille miraculeuse, qui allaient se célébrer à la maison des Missionnaires de Monte Citorio. Le programme de la fête que nous avons cité a été parfaitement rempli : la foule se pressait dans la belle église des Missionnaires ; elle emplissait les larges corridors et refluait jusqu'à la place de Monte Citorio.
La chapelle était richement parée ; cinq rangées de lustres étaient suspendues dans le sanctuaire, s'avançant depuis le tableau qui domine l'autel jusqu'au grand arceau qui est au-dessus de l'entrée du choeur. Une frappante représentation de l'apparition de l'Immaculée Vierge donnant à Catherine Labouré sa surnaturelle mission, impressionnait vivement la foule.
Au-dessus de la porte qui ouvre sur la rue de la Mission était cette inscription dictée par Mgr Vincent Sardi, le célèbre épigraphiste :
EN L'HONNEUR DE MARIE
LA GLORIEUSE MERE DE DIEU
VICTORIEUSE, SAINTE, IMMACULÉE DES L'ORIGINE
POUR HONORER LA SAINTE MEDAILLE
GRAVÉE PAR SON ORDRE
ET DESTINÉE A GUÉRIR LES DOULEURS ET A RAVIVER LA PIÉTÉ
LES ENFANTS DE SAINT VINCENT
EN CETTE EÊTE ANNIVERSAIRE INSTITUÉE PAR LEON XIII
CÉLÈBRENT CE SOLENNEL TRIDUUMl
1. Marias .— Matri Dei magna; — Victrici Sanctse ab origine Imma-
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Une neuvaine précéda la fête ; M. Parodi prêcha chaque jour et les prières se terminaient par la bénédiction du Saint Sacrement, donnée par Sa Grandeur Mgr Thomas, de la Congrégation de la Mission. Avant de s'éloigner, le peuple redisait, avec une ferveur marquée, l'invocation : O Marie conçue sans péché, etc., mise en musique pour cette circonstance par le célèbre maestro Capocci.
Chaque jour du Triduum, les communions furent extraordinairement nombreuses : un prêtre dut aider à distribuer l'eucharistie celui des éminentissimes cardinaux qui, chaque jour, vint célébrer la messe de communion; ou plutôt, ces communions ne cessèrent pas depuis le matin jusqu'à l'heure de la messe pontificale.
Le premier jour, l'office pontifical fut célébré par Mgr Jacques Thomas, archevêque d'Aridrinople ; le sermon du soir fut prononcé par le Révérend professeur Cucchi, dont la parole persuasive est si goûtée des Romains; le cardinal Serafino Vannutelli donna la bénédiction du Saint-Sacrement.
Le second jour, la messe pontificale fut célébrée par Mgr Antoine Sardi, évêque d'Anagni. Au soir, le discours fut prononcé par l'éloquent professeur Ignace Salvatori, du Séminaire Vatican.
Le troisième jour, étant l'anniversaire de la céleste apparition, devait revêtir une plus grande splendeur encore. Des collèges ecclésiastiques, des réunions d'Enfants de Marie occupaient ce que la foule n'avait pas envahi de place dans l'église. C'est le vicaire de Sa Sainteté, Son Eminence le cardinal Parocchi, qui célébra l'office pontifical. Il entra dans l'église au chant de l'antienne Ecce sacerdos magnus, pendant que se déroulait devant lui une
culatce — Ob sacrum Numisma — jErumnis levandis, pietati restituendce — admonilu ejus cusura — Sodales Vincentiani — festo anniversario Leonis XIII, P. M. auctoritate instituto —Triduana soleirmia.
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magnifique procession de cent clercs en habit de choeur : école cléricale de M. Valentini, séminaristes, étudiants; ils étaient suivis de dix diacres en dalmatique et d'autant de prêtres en chasuble.
Les regards de la foule étaient fixés sur l'auguste célébrant pendant que s'accomplissaient, avec l'exactitude habituelle dans l'église de Monte Citorio, les multiples cérémonies. A l'évangile, Son Eminence prononça une homélie sur l'objet de la fête de la Médaille miraculeuse : ce fut comme le plus beau fleuron à cette couronne de fêtes ; cette parole élevée et religieuse inondait en quelque sorte de lumière et de joie les âmes qui la recueillaient avec avidité.
Dans l'intervalle des offices et pendant la neuvaine qui suivit, le peuple venait en foule à la sacristie, demandant des médailles et des brochures. Le soir, ce fut la parole à la fois délicate et puissante de Mgr Vincent Sardi qui ravit l'auditoire par le merveilleux récit des prodiges accomplis par la Médaille miraculeuse. Après quoi, au milieu d'une éblouissante illumination, Son Eminence le cardinal di Pietro termina par la bénédiction du SaintSacrement, la solennité qui laissait les coeurs de toute l'assistance remplis de joie et d'un amour nouveau pour l'Immaculée et si douce Vierge Marie.
ROME. A SANTA MARIA IN CAPELLA
Les Filles de la Charité des diverses maisons de Rome n'ayant pas de chapelle capable de recevoir une réunion nombreuse, n'avaient pu que s'associer, en cette fête qui était surtout la leur, aux solennités de l'église des Missionnaires, à Monte Citorio.
A Santa Maria in Capella, on put cependant célébrer avec splendeur la fête de la Manifestation ; voici les principaux traits des notes que nous a fait adresser la respectable soeur Marie Lequette :
« Nous avions résolu de célébrer la fête de la Médaille
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miraculeuse avec toute la solennité possible, puisque, plus favorisées que nos soeurs de Rome, nous avions une chapelle assez spacieuse et ouverte au public. Mais faut-il le dire? nous n'étions pas sans appréhensions; nous rappelant l'éclat inoubliable des fêtes célébrées il y a si peu de temps en l'honneur de notre glorieux martyr Jean-Gabriel Perboyre, nous avions peur de ne pouvoir offrir des hommages aussi éclatants à la Reine des martyrs. Nos craintes augmentèrent encore quand nous reçûmes YInvito Sacro par lequel Son Eminence le Cardinal Vicaire invitait les fidèles de Rome à prendre part aux fêtes qui allaient avoir lieu chez les Missionnaires de Monte-Citorio, et pour lesquelles on avait fait de grands préparatifs.
« Néanmoins le jour approche. Les ouvriers se mettent à l'oeuvre, et, guidés par une main aussi habile que généreuse, ils parent en quelques jours notre belle et antique chapelle du douzième siècle; nous lui avons donné plus d'un trait de ressemblance avec celle de la chère MaisonMère.
« Le samedi 24 novembre, nous commençons donc, après une neuvaine de ferventes prières, le Triduum solennel qui précède immédiatement la fête.
« Femmes de peu de foi, que nous connaissions peu le pouvoir de Marie sur les coeurs, et que nous avions peu apprécié la vertu du précieux talisman confié par Dieu à la famille de saint Vincent ! La pensée qu'on travaille pour la fête de la meilleure des mères a fait réaliser des merveilles; aussi est-ce à grand'peine que nous pouvons contenir notre admiration. La chapelle est transformée; les murs et les colonnes ont disparu sous de riches tentures aux couleurs de Marie ; l'azur, l'argent et l'or sont gracieusement entremêlés. La voûte de la chapelle elle-même est formée en entier par un magnifique vélum qui va du fond de la chapelle au choeur ; il forme des cercles gracieux entre chaque deux colonnes. Trente lustres étincelants environnent
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la nef et le choeur et font resplendir les ornements et l'autel magnifiquement parés.
« Et l'assistance ? Dès le premier jour la chapelle était remplie; mais à mesure que la connaissance de la fête et de son objet se répandit, la foule accourut de toutes parts; les académies et les universités elles-mêmes se ressentirent de cet élan, et pendant les jours du Triduui7i plus d'une place, paraît-il, y resta vide. Le troisième jour, la chapelle est prise d'assaut, les personnes de garde ne peuvent suffire à leur tâche. Enfin, le jour de la fête, il est impossible de satisfaire tout le monde : les privilégiés ne voudraient quitter l'église qu'au dernier moment; ceux qui attendent les supplient de leur céder la place un instant. « Vous êtes restés « dans le paradis, disent-ils, laissez-nous venir un instant « à notre tour aux pieds de la Madone. » Ce fut le seul désagrément de ces beaux jours. Qu'il était consolant de voir cette foule prosternée aux pieds de Marie, ne se lassant pas de la regarder, unissant dans ses prières, dans ses bénédictions, Marie, Rome et la France. On a vu des soldats venus pour maintenir l'ordre en cas de besoin, demander la médaille et la baiser comme de petits enfants sans respect humain, et assurer qu'ils ne s'en sépareraient jamais.
« Le premier jour, à huit heures, Mgr Berlucca, évêque d'Elenopolis, célèbre la sainte messe avec toute la pompe possible, pendant qu'à la tribune se font entendre de beaux chants appropriés à la circonstance. Les messes basses se succèdent durant toute la matinée, ce jour là et les jours suivants. Outre plusieurs prélats de la Cour romaine, outre plusieurs chanoines et curés, mentionnons des députations nombreuses, d'abord des prêtres de la Mission, et puis' des Pères Bénédictins, des Pères Chartreux, des Messieurs de SaintSulpice, des Pères Canadiens.
« A l'office du soir, éloquent panégyrique par Mgr Angeli, secrétaire privé de Sa Sainteté, qui se déclare d'autant plus heureux de prendre part à cette fête, qu'il est membre
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agrégé de la famille de saint Vincent. Après le chant des litanies, salut solennel donné encore par Mgr Angeli, puis clôture du premier jour du Triduum par le chant de l'invocation : O Marie conçue sans péché
Dimanche 25. Comme la veille, à huit heures, messe célébrée par le Révérendissime Père Hildebrand, primat des Bénédictins, qui a la bonté d'offrir la Sainte Victime pour toute la Compagnie des Filles de la Charité. Le soir, le panégyrique est donné par un Père Bénédictin, le R. P. Léon, dont l'ardente parole touche et édifie les coeurs. Le Révérendissime Père Hildebrand, revêtu de tous les ornements pontificaux, donne ensuite le salut.
« Le troisième jour du Triduum, 26, messe solennelle par Mgr Stenner, évèque. Le soir, savant et éloquent panégyrique par un R. Père jésuite. Ensuite, bénédiction du Très Saint Sacrement donnée par un archevêque, Mgr Fausti. Mardi 27. Jour béni et à jamais mémorable; la fête prend un caractère encore plus solennel, si c'est possible. La ferveur augmente avec le nombre des fidèles qui envahit la chapelle; dès cinq heures et demie, on commence à célébrer des messes basses. A sept heures, messe solennelle avec communion générale célébrée par Son Éminence le cardinal Rampolla, secrétaire d'État de Sa Sainteté Léon XIII et protecteur de la maison.
« Pendantla journée, pèlerinage continuel; nousdonnons ce qui reste de notices, environ deux cents; quant au nombre de médailles distribuées, il est incalculable. Le soir, panégyrique par un des Révérends Pères Minimes, curé de la paroisse de Saint-André délie Fratte, église, dans laquelle M. Ratisbonne eut l'apparition de la Vierge de la Médaille miraculeuse.
« Le salut de clôture fut donné par Son Éminence le cardinal Serafino Vannutelli, assisté par deux prêtres de la Mission, de la maison de Via délia Croce, qui étaient venus chaque jour prêter leur assistance à nos pieuses cérémonies,
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et par les étudiants de la Congrégation des Frères de SaintVincent, qui, eux aussi, ont bien voulu prêter tous les jours leur concours pour l'office du soir. Cependant le beau jour touche à son terme, et Son Éminence entonne elle-même l'hymne de l'action de grâces, actions de grâces bien légitimes, car si on jette un coup d'oeil sur ces quatre jours, on peut dire en vérité que Marie a été magnifiquement honorée.
Enfin, ce qui ne frappe pas moins que l'affluence et le recueillement des fidèles, c'est le concours extraordinaire du clergé. Pendant ces jours, notre chapelle a été honorée de la présence de plusieurs cardinaux et évêques, de nombreux prélats; nous ne pouvons dire le nombre des prêtres, curés, membres de congrégations, qui ont eu la dévotion d'y venir rendre leurs hommages à Marie.
« Que dire maintenant des faveurs et des grâces obtenues par Marie? Nous en connaissons déjà de bien frappantes, d'autres seront connues dans la suite, mais combien ne seront révélées qu'au dernier jour !
« La foule s'éloigne lentement, elle jette à peine un regard sur la brillante illumination qui domine le portail de la chapelle et entoure le jardin; un feu de bengale, les ballons qui montent dans les airs n'excitent pas davantage son admiration; c'est que chacun est encore sous le coup des impressions profondes de ce jour; c'est que chacun éprouve par sa propre expérience la vérité des paroles de M. de Ratisbonne : « Elle ne m'a point parlé, mais j'ai tout compris. »
« Nos pauvres malades sont tous transformés, beaucoup répètent au milieu de leurs larmes qu'ils n'ont plus peur de mourir, si les fêtes du paradis doivent l'emporter encore sur les fêtes de la terre. »
En outre des fêtes de Turin, de Naples et d'autres villes d'Italie que nous avons citées, nous avons encore plusieurs
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récits sous les yeux. A Plaisance, par exemple, à la maison de Santa-Euphemia, où Mgr Vinati voulut bien aller célébrer la messe le jour de la fête, tout fut d'une rare édification; les Missionnaires, en particulier le respectable M. Manzi, supérieur du collège Alberoni, avaient secondé ce beau mouvement.
A Bénévent, un orateur distingué traita supérieurement le fait et les surnaturelles convenances de la céleste apparition. C'est un regret pour nous de ne pouvoir reproduire ces justes et saisissantes considérations. Son Éminence le Cardinal di Rende, naguère nonce apostolique en France, a reporté sur les Filles de la Charité de sa ville épiscopale la haute et paternelle bienveillance dont il les honorait à Paris : il a bien voulu, le jour de la fête, aller célébrer le saint sacrifice de la messe chez les Filles de saint Vincent.
A Caserte, le palais était pour les rois de Naples ce qu'était pour les rois de France le château de Versailles ; les Filles de la Charité, chargées de l'hôpital militaire, y ont célébré la fête dans leur trop étroite chapelle. Ce fut comme une mission pour les soldats, qui se sentaient surnaturellement ramenés à la pratique des sacrements. Le jour de la fête, ils portèrent ostensiblement la Médaille comme le font les Enfants de Marie. Les jours suivants, le mouvement de retour à Dieu se continua. « Ma soeur, disait un de ces soldats malades à la Supérieure, après qu'il eut accompli ses devoirs religieux, je suis content comme si j'étais devenu un grand seigneur. » Et un autre, avec des larmes dans les yeux : « O ma soeur, cherchez-moi dans ce livre la plus belle prière, afin que je puisse remercier la sainte Vierge. »
A Sassari, en Sardaigne, les fêtes ont été marquées par ce trait particulier qu'un autel fut dédié à la Vierge de la Médaille miraculeuse. Voici l'inscription écrite sur parchemin et signée des témoins, qui a été déposée, avec les reliques, dans le sépulcre de marbre de cet autel. Elle nous a été
communiquée par le respectable M. Meloni, supérieur de la maison de Sassari :
« L'an 1894 et le 26 du mois de novembre, nous Diego Marongio, archevêque de Sassari, avons consacré cet autel en l'honneur de l'Immaculée MèredeDieu, la Vierge Marie, dite de la Médaille miraculeuse, et nous y avons déposé des reliques des saints martyrs Innocent, Benoît, Vital, Eugène, du bienheureux Jean-Gabriel Perboyre et du saint confesseur Vincent de Paul. Et à tous les fidèles chrétiens nous avons accordé, aujourd'hui, une année d'indulgences; et pour le jour anniversaire de cette consécration, à tous ceux qui visiteront cet autel, quarante jours dans la forme habituelle de l'Église '. »
A Catane, en Sicile, à la chapelle des Missionnaires, Mgr le Vicaire capitulaire voulut bien présider la solennité, assisté de deux chanoines et entouré des élèves du séminaire.
Mais c'est à Caltanisetta surtout que la gloire de l'Immaculée Vierge de la Médaille miraculeuse fut célébrée avec splendeur. Elle avait été admirablement préparée par le magnifique Invito Sacro que Mgr Guttadauro, évêque de cette ville, avait publié. En voici les principaux traits : « Une fête nouvelle, qui apportera une grande joie dans le monde entier, a été récemment approuvée par le SaintSiège, en l'honneur de l'apparition de l'Immaculée Vierge, Mère de Dieu, à l'humble Fille de la Charité de saint Vincent de Paul, soeur Catherine Labouré, dans la cha1.
cha1. MDCCCXCIV die XXVI mensis Decembris Ego Didacus Marongio Archiepiscopus Turritanus, consecravi altare hoc in honorem Immaculata? Dei Genitricis Maria; (vulgo délia Medaglia Miracolosa ) et reliquias Sanctorum Martyrum Innocent», Benedicti, Vitalis, Eugenii; Beati Joannis-Gabrielis Perboyre; et Sancti Confessons Vincentii a Paulo in eo inclusi. — Et singulis Christi (idelibus hodie annum unum; et in die anniversario Consecrationis hujusmodi ipsum visitantibus, quadraginta dies de vera indulgentia, in forma Ecclesioe consueta concessi.
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pelle de la Maison-Mère, à Paris, le 27 novembre i83o. Dans cette manifestation, la très sainte Vierge indiqua à la pieuse et simple novice la Médaille qui, par ses ordres, frappée, bénite et propagée, devait, à cause des miracles opérés et des grâces obtenues, être appelée Miraculeuse.
« Ce témoignage de singulière affection de la Vierge Immaculée envers l'heureuse famille de saint Vincent de Paul, devenu désormais le signe universel de la dévotion pour le privilège ineffable de l'Immaculée Conception, a été reconnu authentiquement être venu du ciel; il sera désormais fêté le 27 novembre de chaque année, avec office et messe propres de la Manifestation.
« Nous nous réjouissons de pouvoir l'annoncer aux pieux fidèles de notre diocèse, en faveur desquels nous implorerons du Saint-Siège apostolique l'extension des privilèges accordés aux Enfants de saint Vincent de Paul. Mais c'est surtout aux fidèles de cette ville et à ceux de la commune de Mussomeli, où par une faveur particulière de Dieu, depuis plusieurs années, les Filles de la Charité sont venues apporter les bienfaits de leur admirable Institut, que nous en faisons part...
« Les fruits que cette fête produira dans l'Église, on peut facilement les prévoir, en considérant que la dévotion à Marie Immaculée, honorée dans sa Médaille, est universelle. Il est immense le nombre des personnes sur les poitrines desquelles brille ce signe miraculeux.
« De même que le Scapulaire du Carmel et le saint Rosaire distinguent les dévots de la sainte Vierge et réjouissent leurs coeurs, le jour où la sainte Église célèbre ces dons reçus de la Reine du ciel; ainsi, désormais, le 27 novembre sera un jour de grande joie pour ceux qui honorent la sainte Médaille, merveilleux présent de la bonté et de la puissance de l'auguste Reine des cieux à notre siècle...
Suit une éloquente interprétation des symboles de la Médaille. Ulnviio sacro continue en ces termes :
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« Filles fortunées de saint Vincent de Paul ! par un élan héroïque de charité envers le prochain, vous avez depuis longtemps exercé un apostolat sublime en faveur de l'humanité, vous étant vouées à adoucir toutes sortes de douleurs. Votre mission vous amenait auprès de ceux que les misères corporelles oppriment, et vous avez été leurs anges consolateurs. Voilà ce qui avait touché le coeur de la Vierge, « Salut des infirmes » et « Consolatrice des affligés ». Elle a voulu vous donner la récompense de votre dévouement, et faire voir au monde combien est agréable à son coeur maternel l'apostolat de la charité chrétienne. La Médaille a été votre plus belle récompense; vous n'auriez pu en souhaiter de meilleure. Elle est la gloire de votre famille religieuse; c'est comme une céleste auréole qui descend sur vous : elle fera briller d'un nouvel éclat vos saintes oeuvres. « Oui, voici que la Mère très auguste de Jésus Rédempteur met dans vos mains virginales, par la Médaille, un moyen puissant pour guérir les infirmités des coeurs et la misère qu'entraîne la faute.
« Quand vous la suspendrez sur la poitrine du malade qui chancelle dans la foi, elle affermira dans son coeur ce don précieux; celui qui sera resté loin de la confession sera excité à demander à Dieu pardon pour ses fautes passées. Ces grâces de conversions des incrédules et des pécheurs seront nombreuses; vous verserez des larmes d'une sainte joie quand vous verrez des âmes entièrement mortes à la grâce, rappelées à la vie par la belle prière : O Marie conçue sans ■péché, prie\ pour nous qui avons recours à vous!
« L'événement a répondu à la promesse faite quand vous reçûtes ce don merveilleux. Dans lie cours des soixantequatre dernières années, l'apostolat de la Médaille a remporté des triomphes, grâce à l'intervention maternelle de Marie. Réjouissez-vous-en, tressaillez, chantez l'hymne d'allégresse : Gaudete, exsultate, hjnnnum dicite, et cantate illi.
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« Par la Médaille de Marie, les nations infidèles recevront de plus en plus la lumière de l'Évangile et connaîtront le vrai Dieu; ils le reconnaîtront, grâce à l'éclat qui entoure ce nouveau symbole, ceux qui en ont perdu toute croyance, ceux qui ont oublié le Seigneur. C'est pour cela que la Femme pleine de grandeur, décrite en nos saints Livres, nous est apparue, et dans cette nouvelle apparition elle renouvellera les anciens prodiges. C'est avec raison que la sainte Église chantera au jour delà nouvelle fête : «Afin que tous vous connaissent comme nous vous connaissons nousmêmes, et qu'ils sachent qu'il n'y a pas d'autre Dieu que vous, Seigneur, accomplissez de nouveaux prodiges et renouvelez les merveilles de votre puissance; » Ut cognoscant te, sicut et nos cognovimus, quoniam non est Deus proeter te, Domine, innova signa et immuta mirabilia. (Eccli. xxxvi, 5-6.)
« Mais une autre mission a été donnée aux Filles de saint Vincent par la très sainte Vierge, dans sa si douce apparition à soeur Labouré. Ne dédaignant pas de se faire voir sous des apparences humaines à l'humble fille qui lui avait demandé cette grande faveur, et qui est conduite en sa présence par son ange gardien, Marie se montre à elle vêtue de blanc et couverte d'un voile d'azur. L'heureuse voyante fut admise à un entretien familier avec la Reine du ciel. Cette divine Mère lui dit sa volonté, qui était de voir les jeunes filles se réunir sous son nom pour s'animer ensemble à l'amour de la pureté et au désir des choses du ciel, signifiés par son vêtement blanc comme l'aurore et bleu comme l'azur du firmament. De là aujourd'hui ces innombrables troupes de jeunes filles chrétiennes formées aux sublimes vertus de la Mère de Dieu, dont elles s'appellent les Enfants, et dont elles portent l'esprit dans les familles chrétiennes en répandant partout les vertus du christianisme. Désormais, pour tendre au relèvement du monde moral, il n'y aura pas de moyen plus facile que le ministère
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de la femme vierge, élevée à l'école de l'Évangile, formée à l'exemple de Celle qui est appelée toute belle, toute pure, Immaculée.
« Qu'elle brille donc sur la poitrine des vierges chrétiennes, comme une perle précieuse, la Médaille de Marie; et que s'allume dans leurs coeurs, la pure flamme de la divine charité. Imitant les vierges bienheureuses qui, dans le ciel, suivent l'Agneau partout où il va, et chantent un cantique toujours nouveau, qu'elles élèvent, elles aussi, vierges de la terre, leur voix par le cantique nouveau à la Reine Immaculée; qu'elles répètent partout, en harmonieux accords : O Marie conçue sans péché, prie% pour nous qui avons recours à vous.'... »
Telle fut au peuple de Caltanisetta l'éloquente invitation de son pasteur; il y répondit avec un pieux empressement.
VII LES FÊTES EN PORTUGAL ET EN POLOGNE
Le Portugal a rendu dignement ses hommages à la Vierge Immaculée. A Santa-Quiteria en particulier, les trois jours de la solennité, comme l'écrit un des Missionnaires, furent trois journées du ciel. Les deux collèges étaient réunis pour la clôture des solennités; l'école apostolique y contribua spécialement par ses harmonieux accords : les fidèles accourus en grand nombre se retiraient charmés et édifiés.
Dans la Pologne autrichienne, la fête de la Manifestation a été célébrée dans toutes les maisons des Missionnaires et des Soeurs. On nous écrit :
« Chacun l'a fait dans toute la mesure que permettaient les circonstances; on n'espérait pas que le peuple y prît autant de part. A Cracovie, la fête coïncida avec une retraite donnée dans la maison de Saint-Vincent; les habitants, un peu gênés par cette circonstance, se sont portés pour satisfaire leur dévotion à notre église du faubourg de
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Stradom (grand séminaire); et, il faut le dire, ils se sont bien dédommagés. La solennité a coïncidé avec la fête de l'Immaculée-Conception. — Il en a été de même dans notre nouvelle église à Nowa Wies, dédiée à l'Immaculée-Conception. Pendant trois jours l'église a été remplie, il y a eu prédication matin et soir, force confessions, distribution de médailles et de scapulaires de l'Immaculée-Conception. C'est aussi ce qui a eu lieu à Stradom.
« Dans notre belle église de Jezierzany, la solennité a eu lieu aussi à l'époque de l'Immaculée-Conception; jamais on n'y avait vu autant de monde réuni. Il y a eu beaucoup de confessions et de communions.
« Dans toutes nos maisons de Soeurs il y a eu un grand élan. On me cite une petite maison où il y a eu plus de quatre cents confessions ; une grande partie du village s'est à cette occasion approchée du sacrement. Le clergé s'est prêté avec empressement à la solennité. »
VIII
LES FÊTES EN ASIE
Des rivages et du milieu des montagnes de l'Asie se sont aussi élevés vers le ciel les cantiques de louanges et d'actions de grâces à l'honneur de la Vierge de la Médaille miraculeuse.
De Smyrne, la soeur Mairet, fille de la Charité, Supérieure de la Maison de Marie, écrivait à M. le Supérieur général :
« Inutile de vous dire, mon très honoré Père, que toutes vos filles de Smyrne ont rivalisé de zèle afin que, dans chacune de leurs chapelles solennellement décorées, notre Immaculée Mère reçût les hommages des fidèles. La Maison de Marie, consacrée d'une manière spéciale à la Vierge Immaculée, ne devait pas rester en arrière. Chacun voulut concourir à orner la chapelle. Une jeune Grecque (schismatique), ancienne élève, habile en peinture, se mit à la
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disposition de nos Soeurs, et chaque jour elle venait de très loin pour aider à préparer la fête. Ce qui nous combla surtout de joie, ce fut la piété avec laquelle les fidèles de Smyrne vinrent prier Marie Immaculée. La veille, les confessionnaux étaient assiégés, non seulement par les Enfants de Marie, mais encore par un grand nombre de dames, désireuses de gagner l'indulgence plénière. Sa Grandeur Mgr l'archevêque vint dire la messe à sept heures ; les communions y furent très nombreuses; aussi la chapelle était-elle trop petite en cette circonstance.
« A neuf heures, Monseigneur assista, sur son trône, à la grand'messe qui fut célébrée avec toute la pompe possible par M. le Supérieur du collège. Le soir, vêpres solennelles, sermon; enfin un salut, qui fut donné par Monseigneur, termina cette mémorable journée. Avec quel transport le Te Deum y fut chanté par les enfants des deux familles de saint Vincent et par les pieux fidèles !
« Une heure après, les cloches de l'église du Sacré-Coeur appelaient de nouveau les plus fervents à un salut donné pour les élèves du collège; on y accourut avec allégresse pour redire encore le Te Deum et renouveler le tribut d'amour et de reconnaissance à Marie Immaculée.
« Combien nous avons prié pour nos deux familles, et en particulier pour vous, mon très honoré Père, en cette fête, afin qu'il vous soit donné d'en présider d'autres, surtout celle de la béatification de notre pieuse Mère. « En attendant cet heureux jour, veuillez, etc. »
Du collège d'Antoura, M. Saliège écrit :
« Les belles fêtes du 27 novembre, célébrées à Paris dans les deux communautés avec tant de pompe, ont eu leur écho jusque dans nos montagnes du Liban. A Antoura, nous avons eu d'abord un solennel Triduum, durant lequel on a beaucoup prié. — Le premier jour, ce fut pour l'union des Églises orientales; c'est par la prière, et la prière à
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Marie, pour laquelle les deux Églises ont conservé un culte sincère, qu'on obtiendra le succès de cette grande affaire. Nuls moyens humains n'auront, à eux seuls, raison des Églises séparées. Dieu seul peut faire ce miracle; nous le lui avons demandé par l'intercession de la Vierge immaculée.
« Le second jour, nous avons tous prié pour la France. Quels que soient ses torts, elle reste le pays des grands dévouements et la nation aimée de Marie. C'est ce que nous disions à nos enfants, en les engageant à prier pour que, sous les auspices de Marie, la France retrouve la foi des anciens jours.
« Le lundi, veille de la grande solennité, nous avons fait appel à toutes les âmes dévouées aux deux familles de saint Vincent, sollicitant le concours de leurs prières pour nous aider à remercier le Ciel de nous avoir choisis pour propager le culte de Marie par le moyen de la Médaille miraculeuse. Les Carmes sont les apôtres du scapulaire, les Dominicains les apôtres du rosaire, les enfants de Vincent de Paul ont la joie et maintenant le devoir d'être les apôtres de la Médaille miraculeuse.
« Je ne décrirai pas le jour de la fête : il fut digne de la préparation qu'on y avait apportée. La grand'messe a été célébrée dans notre chapelle d'Antoura. Mais le soir de ce beau jour toute la Communauté est allée clôturer celte consolante solennité dans la chapelle de nos soeurs de Zouk. « Une brillante illumination couronna cette mémorable journée.
« Ces saintes impressions sont demeurées dans le coeur de nos élèves : je suis heureux de le constater. C'était bien ce que nos coeurs de Missionnaires pouvaient le plus souhaiter. »
C'est à peine si l'heureuse annonce de la fête nouvelle put arriver à temps dans nos Missions lointaines de la
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Chine. Ces privations ne sont pas les moins sensibles. Mais la publication trop récente de l'office avait à peine laissé le temps de le faire imprimer pour qu'il arrivât avant le jour assigné à la solennité.
IX LES FÊTES EN AFRIQUE
Sur le sol de l'Afrique, saint Vincent de Paul avait, au temps de son esclavage, chanté les louanges de la Mère de Dieu, lorsque, à la prière de la femme de son maître, lui demandant les cantiques de sa religion, il entonnait le Salve Regina. Ses enfants ont fait éclater leur amour pour Marie en cette nouvelle occasion qui leur était offerte. Mgr l'archevêque d'Alger, dans une lettre adressée à tout son clergé, avait bien voulu annoncer la fête de la Médaille miraculeuse en des termes pleins de bienveillance pour la double famille de saint Vincent de Paul, et convoquer lui-même tous les fidèles à venir célébrer cette solennité dans les chapelles des prêtres de la Mission et des Filles de la Charité.
X LES FÊTES DANS L'AMÉRIQUE DU NORD
MEXIQUE
Au Mexique, les associations d'Enfants de Marie ont pris un extraordinaire développement, grâce au zèle des Missionnaires qui s'efforcent de suppléer par ce moyen au bien que faisaient les Filles de la Charité avant leur expulsion par un gouvernement révolutionnaire. Dans ce milieu béni, la fête nouvelle de la Vierge Immaculée a été célébrée avec les plus grandes manifestations de joie.
Les grands et les petits séminaires ont aussi participé à ces solennités. Du séminaire de Mérida, dans la province de Yucatan, on nous écrit :
« Grande a été l'allégresse de nos coeurs à la nouvelle de
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la concession de la fête de la Manifestation de l'Immaculée Vierge de la Médaille miraculeuse, dont Sa Sainteté Léon XIII a gratifié la famille de saint Vincent de Paul.
« La fête fût annoncée aux fidèles pour le 27 novembre. La veille, les vêpres chantées furent présidées par Mgr l'archidiacre de la cathédrale, protonotaire apostolique ; le jour de la fête le saint sacrifice de la messe a été célébré avec grande solennité et un concours inusité de fidèles, à l'autel de la sainte Vierge, orné avec profusion de fleurs et de lumières. La statue qui servit en cette occasion fut celle de l'Immaculée-Conception, disposée suivant la forme de la Médaille miraculeuse. »
ÉTATS-UNIS
Nous avons dit déjà comment aux États-Unis la fête avait été célébrée avec splendeur; nous avons donné le récit qui nous a été adressé de Germantown. Nous voudrions citer en entier la très intéressante description des solennités qui ont eu lieu à la maison centrale des Soeurs de la Province des États-Unis, à Emmittsbourg (Saint-Joseph), près de Baltimore. En voici de larges extraits :
« Il était à souhaiter que nos fêtes ressemblassent à celles de la Maison-Mère de Paris, et nous nous sommes appliquées à reproduire les saints événements accomplis dans cette chapelle privilégiée.
« Le court intervalle qui nous séparait de la fête fut employé à la préparer activement. Lorsque enfin arriva la veille du Triduum, le soir du 24 novembre, une douce paix, une bénédiction spéciale semblaient planer sur la vallée Saint-Joseph. On était heureux de pouvoir se dire que tout était prêt. Les élèves du pensionnat s'étaient disposées par une fervente neuvaine. Leur chapelle présentait un aspect très agréable avec sa délicate parure, lorsque le crépuscule mêlait ses derniers rayons aux lampes qui brillaient tout autour de l'image de notre Mère. A la salle de communauté,
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la belle statue n'a guère besoin d'ornement ; mais une ingénieuse disposition faisait pleuvoir des rayons de ses mains, tandis qu'une lumière très douce s'échappait du croissant illuminé qui se trouve aux pieds de Notre-Dame. Au séminaire, tout est disposé avec un goût parfait ; tout resplendit d'un éclat inaccoutumé pour saluer l'Unique Privilégiée dans la grandeur de son immaculée Conception. Le blanc, l'or et l'azur sont mélangés dans un ordre qui ne laisse rien à désirer. Autour du globe sur lequel Marie se tient, les plis délicats d'une gaze teintée d'azur et de rose simulent l'aurore, tandis que des mains sacrées de la Vierge tombe, avec un éclat éblouissant, une pluie des rayons merveilleux. Du côté droit de l'autel est un grand tableau qui représente notre soeur privilégiée dans la nuit mémorable de sa vision. Ce tableau est placé au milieu d'un cadre formé de fleurs odorantes et de feuilles d'or et d'argent. Au-dessous sont ces paroles si pleines d'encouragement pour nous tous : Vene\ au pied de cet autel ; là, des grâces seront versées sur vous et tous ceux qui les demanderont, riches ou pauvres. Puis, on voit, gravées en lettres d'or et dispersées heureusement parmi les décorations, les célestes communications faites par notre sainte Mère à son enfant ravie : Ces rayons sont le symbole des grâces que la sainte Vierge obtient à ceux qui les lui demandent. Il y en a une qui appartient spécialement à la province des Étals-Unis, et qui est pour cela bien chère à tous nos coeurs, à savoir : Une Communauté viendra s'unir à la vôtre ; je le désire,, le bon Dieu bénira Vunion. Près du piédestal de la statue de saint Joseph, on lit l'inscription : Te Deum laudamus, qui semble répondre à une autre inscription en lettres d'or : Laudate, pueri, Dominum, placée devant la statue de saint Vincent. La représentation d'une personne à genoux et habillée en soeur du séminaire rappelle notre bien-aimée soeur Catherine Labouré.
« Cependant la chère église a encore plus d'attractions.
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Nous n'en décrirons pas l'ornementation ; nous remarquerons seulement que tout autour de la nef se déroule une longue bordure de couleur bleu foncé, qui sert de fond à l'inscription en lettres dorées, hautes de 18 pouces, de l'antienne de la fête : Tota pulchra es, Maria, et macula non est in Te ! « Vous êtes toute belle, o Marie ! et il n'y a pas « de tache en vous. »
« Au-dessus du choeur était cette devise : Laudate Mariam ! écrite en grandes lettres d'argent sur un fond blanc et azur ; elle annonçait que tout ici devait avoir une voix pour concourir à ces hommages rendus à Marie. Deux excellents joueurs de harpe unissaient leurs accords à la grandiose et douce mélodie de l'orgue. Il serait difficile de louer dignement la musique du Triduum, soit que nous relevions les mérites propres du choeur, soit que nous mentionnions ce qu'y ajoutait la ferveur de l'assemblée : incapable de résister à l'élan du choeur, elle s'unissait avec délices au concert des louanges, surtout lorsque de temps à autre retentissait la mélodie de l'invocation si chère à tous : « O Marie conçue sans péché, priez pour nous qui « avons recours à vous. » O Maria, sine labe concepta, ora pro nobis ad Te recurrentibus. C'était le refrain irrésistible, si bien approprié à la circonstance qu'aucun autre ne pouvait le suppléer pour traduire la prière des assistants. On voulut bien nous rappeler les paroles du vénérable archevêque de Baltimore, Mgr Kenrick ; il avait coutume de dire, quand il venait assister à quelque cérémonie dans notre église : « On croirait que les choeurs des anges sont « descendus ici pour nous donner un avant-goût de la « musique du ciel ! »
« Le sanctuaire lui-même était un bijou de simplicité et d'élégance. Des roses et de majestueuses palmes naturelles, symbole de victoire, remplissaient les arcades, et leurs branches frémissaient doucement au moindre souffle qui traversait le lieu saint.
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« Le trône de S. Em. le cardinal Gibbons, notre archevêque vénéré, fut dressé dans notre sanctuaire. L'ensemble était l'un des plus gracieux que le regard puisse rencontrer. Au centre, était le grand tableau peint à l'huile, donné au séminaire, il y a vingt ans, par ma soeur Chatard. Cette précieuse peinture avait été placée dans la niche au-dessus du tabernacle. Cette disposition e'tait très avantageuse ; l'art imitait vraiment la nature; le luminaire était si bien disposé que l'effet produit par l'ensemble était merveilleux. L'oeil et le coeur cro)raient pénétrer à travers la niche dans la chapelle de l'Apparition, où notre si privilégiée soeur Catherine Labouré était agenouillée, quand à ses yeux fui découverte la glorieuse Manifestation.
« Pendant le Triduum, la messe de communauté fut célébrée tous les jours par M. Lennon, prêtre de la Mission, notre Directeur. Le dimanche 25 novembre, le célébrant fut M. le Dr. Allen; et les officiers de la grand'- messe et des vêpres étaient du séminaire Sainte-Marie. Le prédicateur était le directeur de cette même maison, le Dr. Mac Sweeney, qui a eu une soeur Fille de la Charité, morte il y a quelques années. C'est aussi lui qui prêcha lors du Triduum du bienheureux J.-G. Perboyre. Nous voudrions citer tout son discours du 25 novembre; voici l'exorde dans lequel il salua la France, lieu de l'apparition, et la terre vraiment privilégiée de la part de la Reine du ciel :
« C'est encore une fois la France, la France si belle! La « dernière fois que j'eus l'honneur de vous adresser ici la « parole, ce fut sur un Français. Oh! France au doux « climat! Ses charmes ont été reconnus par tous les tou« ristes qui ont abordé sur ses rivages, qui ne regardent « pas leur voyage comme complet, s'ils n'ont séjourné dans « sa capitale plus longtemps que partout ailleurs. Toutes « les nationalités honorent cette terre et les hommes la « regardent avec tant d'admiration que, si la divine Provi« dence ne leur avait ordonné de saluer le lieu de-leur nais-
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« sance en un autre endroit de ses domaines, ils voudraient « que la France plutôt que tout autre pays fût leur patrie. « Mais, qu'a-t-elle fait, la France, et que fait-elle pour « être ainsi favorisée parmi toutes les nations de la terre? « C'est la question que s'adresse l'auteur du livre de la « Médaille miraculeuse ; c'est la question qui se présente « naturellement à nos esprits. Quels que soient les desseins « du Ciel sur ce pays si populaire, et qui a connu tant de « gloire, une chose est certaine, c'est que nous sommes « redevables à ses Missionnaires de la lumière de l'Évan« gile. A la France appartiennent les noms immortels des « Dubois, des Brute, des Cheverus, des Brébeuf, des « Jogues, des Lallemand, — et quelle liste sans fin ne dres« serions-nous pas si nous voulions les citer tous!
« Et ces sociétés de nobles femmes : les Dames du « Sacré-Coeur et tant d'autres communautés? Elles sont « connues là-haut, car ici-bas leurs noms sont cachés par « leur consécration religieuse.
« Et, bien que je parle en votre présence, laissez-moi a vous dire que la grande attraction que la France a pour « moi, c'est qu'elle est le pays des Filles de la Charité. Le « 19 juillet dernier, j'étais à Paris et j'ai eu aussi le « bonheur de m'agenouiller pour y offrir ma prière, devant v la châsse qui contient les reliques de saint Vincent, cet a homme au coeur si grand, si vaste. J'ai vu dans les rues « de Paris ses enfants, les Filles de la Charité; ici, une; « là, deux ou davantage, parmi les pauvres, saluant l'un, « parlant à un autre, donnant des secours ou des conso« lations selon l'occurrence; et tout cela, d'une manière si « simple, si humble, si naturelle, si gracieuse ! Je ne a m'étonne pas que Marie ait choisi une de ces humbles « filles de saint Vincent pour être sa messagère auprès de « l'Église de Dieu, pour déclarer au Souverain Pontife que « le temps était venu de définir le dogme de son Imma« culée Conception.-»
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« Alors le docteur Mac Sweeney, redisant à son tour les paroles de Jean Duns Scot, cet homme, gloire immortelle de l'Église d'Irlande : «Dignare me laudarete, Virgo sacrata; « O Vierge sainte, accordez-moi de vous louer dignement ! » célébra éloquemment la Vierge immaculée. Il fit ressortir les leçons de sainteté et l'honneur qui rejaillissaient sur le monde de la pureté sans tache de Marie.
« Les évêques des États-Unis, dit-il en terminant, choisi« rent l'Immaculée Conception comme notre fête patro« nale, avant même que le dogme fût proclamé. Nous « avons été grandement honorés par le jugement du Saint« Siège. Nous devons renouveler tous les jours notre con« sécration à notre Immaculée Mère, demeurer saints, et, « par notre dévotion à la pureté personnifiée de Marie, « montrer notre horreur pour 'les maux qui voudraient « nous envahir, le mormonisme, le libertinage et le divorce « sacrilège.
« Réjouissez-vous, femmes, de ce que votre sexe a été « choisi pour réparer les ruines creusées par l'homme ! « Imitez la pureté de Marie, et implorez sa protection par « les paroles révélées dans la Manifestation de la Vierge « Immaculée que vous célébrez ensemble : O Marie « conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à « vous ! »
« Lundi 26 novembre, M. Lavezeri, prêtre de la Mission, notre aumônier, officia solennellement. Il ne put assister à nos autres solennités, car un Triduum solennel eut également lieu à Emmittsburg, où il resta pour aider M. Kavanagh, curé, qui profita de cette occasion pour organiser dans sa paroisse l'Association des Enfants de Marie parmi les élèves de l'école Sainte-Euphémie, dirigée par nos soeurs.
« Mais le 27 a été vraiment un jour de touchants, de précieux souvenirs qui ont embaumé nos coeurs et que nous aimerons à nous rappeler chaque fois que nous célébrerons cette fête.
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« Déjà notre grand cardinal, Mgr Gibbons, avait donné des preuves fréquentes de sa paternelle affection et du cor* dial intérêt qu'il porte aux enfants de saint Vincent; et cette fois encore, bien que pressé par les affaires, il n'a pas voulu omettre de venir prendre part à nos solennités. Arrivé lundi soir, il célébra le lendemain la messe pontificale. M. Lennon, notre Directeur, y faisait l'office de prêtre assistant; tous les autres officiers étaient des prêtres et des séminaristes du séminaire Sainte-Marie, qui nous est si dévoué.
« Quel beau spectacle notre belle église présentait pendant l'office pontifical ! Assistance d'élite, splendeur des cérémonies, perfection des chants sacrés, tout concourait à ravir les âmes et les entretenait dans le rêve en quelque sorte que l'esprit peut se faire du ciel. Le curé de la cathédrale de Baltimore, M. Thomas, a été l'orateur de ce jour-là. Dans un discours très éloquent et approprié à la circonstance, il montra les trois Manifestations reconnues par l'Eglise, à savoir celle du Rosaire, celle du Scapulaire du Mont-Carmel, et celle de la Médaille miraculeuse,• et il se plut à faire remarquer ce que cette dernière avait de particulièrement précieux, comme preuve de l'Immaculée Conception.
« Son Éminence, obligée de retourner à Baltimore dans l'après-midi, voulut bien, avant de partir, recevoir les compliments des élèves du pensionnat et tint à saluer la Communauté. Monseigneur nous adressa alors quelques paroles avec sa bienveillance habituelle, « Je n'ai que le temps de vous « bénir, dit Son Éminence, je veux aussi vous féliciter de « la belle fête de la Médaille miraculeuse. Cette fête, ainsi « que l'a fait remarquer l'orateur que nous avons entendu, « bien qu'elle soit un jour de réjouissance pour toute « l'Église, en est un surtout pour vous. » Son Éminence donna ensuite la bénédiction, et, lorsqu'elle quitta la salle, nous dit: «Je sais, mes enfants, que vous prierez pour moi.»
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« Des milliers de médailles ont été distribués pendant le Triduum, chaque visiteur en recevant une.
« Vers midi, le télégramme suivant nous apporta les souhaits bienveillants de Mgr l'Archevêque de Cincinnati :
« Cincinnati (Ohio), 27 novembre 1894. « Les Soeurs s'unissent à moi et à la foule des fidèles « pour rendre grâces pour la Médaille. Recommandez« nous à notre Immaculée Mère. »
« -j- "W. H. ELDER. »
« Des personnes pieuses, y compris les séminaristes et les étudiants du collège et du séminaire de Sainte-Marie, ont" continué à visiter l'église pendant tout l'après-midi. Arriva aussi un pèlerinage de l'école Sainte-Euphémie, garçons et filles, portant tous des rubans bleus avec la Médaille dont ils avaient été revêtus le matin en qualité d'Enfants de Marie. Il était conduit par le curé, M. Kavanagh, prêtre de la Mission, dévot serviteur de Marie Immaculée.
« Vers le coucher du soleil, les vêpres et la bénédiction solennelles annoncèrent cette solennité dont le souvenir ne s'effacera jamais de nos esprits et de nos coeurs. Quand le dernier écho de l'invocation bien-aimée O Maria, sine labe concepta s'éteignit, nous soupirâmes en voyant ces jours de douce fête terminés, car nous savions que de semblables faveurs sont rarement accordées deux fois à ceux qui accomplissent leur pèlerinage sur cette terre.
« Empruntant et nous appliquant les paroles que M. Mac Dermott, prêtre de la Mission, adressa en ce jour de fête à nos soeurs de Saint-Louis (Missouri), nous pouvons dire, nous aussi : « Voilà en toute vérité notre jour, notre jour « de saint et noble triomphe. Quel grand honneur que « d'être une humble Fille de la Charité! L'éclat de l'or « peut-il nous élever à une pareille hauteur? Ce jour nous « mène encore plus près de la source de la Charité, qui est « Dieu. »
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« Daigne l'Immaculée Marie, selon ses promesses, se souvenir de nous, puisqu'elle est la Mère tendre et aimante des deux familles. Qu'elle ne plaide pas seulement notre propre cause, mais encore, dans la surabondance de sa miséricorde, celle de tous ceux dont nous voulons soulager les misères, tant spirituelles que corporelles, puisque c'est là la mission que son divin Fils nous a donnée. »
XI LES FÊTES DANS L'AMÉRIQUE CENTRALE
A Cali, en Colombie, centre de la province de l'Amérique centrale des Missionnaires, la fête célébrée avec le concours du clergé paroissial a, comme en tant d'autres endroits, dépassé toute attente. L'enthousiasme et la dévotion des . fidèles étaient tels, que l'on venait longtemps avant l'heure fixée pour les offices, afin d'être sûr de trouver une place. Beaucoup de personnes même ont dû s'en retourner sans pouvoir entrer.
On a donné la communion jusqu'à des heures inaccoutumées.
A San José de Costa Rica, Mgr Thiel a, le jour de la fête, célébré la sainte messe au séminaire, et Sa Grandeur a fait une touchante instruction sur l'objet de la solennité. La chapelle de l'hospice des Orphelins avait été désignée pour la célébration des offices publics de ce beau jour. Assistaient aux offices solennels, outre le personnel ordinaire, les religieuses de Notre-Dame de Sion, qui ont voulu prouver par leur présence la part qu'elles prenaient à cette fête, qu'elles considèrent comme l'origine de leur institut.
On écrit de la maison centrale des Filles de la Charité, à Guatemala :
« Aussitôt que nous avons reçu le bref du Saint Père, nous nous sommes empressées de le communiquer au gou-
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verneur ecclésiastique qui remplace ici Mgr l'Archevêque exilé depuis plus de sept ans. Il l'a accueilli avec une grande bienveillance et a donné les plus amples permissions pour célébrer un Triduum solennel à la Maison centrale, et faire tout ce qu'on jugerait à propos pour augmenter la dévotion des fidèles et les exciter à profiter des faveurs spirituelles accordées à cet effet.
« Le décret traduit en espagnol et imprimé a été publié dans les feuilles catholiques, affiché à la porte des églises et distribué par milliers d'exemplaires; il a été accueilli avec enthousiasme. Malheureusement le temps était un peu limité pour tous les préparatifs que nous aurions désiré faire, mais la bonne volonté a suppléé. Les prêtres invités à prêcher ont accepté avec plaisir la douce mission de faire connaître et apprécier la bonté et l'amour de notre Immaculée Mère dans la manifestation de la sainte Médaille. Un des membres du clergé, très dévoué aux deux familles de saint Vincent, qu'on avait oublié d'inviter, est venu faire de grands et aimables reproches de cet oubli, et il a demandé comme faveur la permission de faire tous les soirs du Triduum une instruction sur la dévotion à la Médaille miraculeuse, vrai trésor des Filles de la Charité.
« Grâce à une lettre d'une de nos soeurs de la sacristie, nous avons pu nous faire une petite idée de la décoration de la chère chapelle de notre Maison-Mère, et nous nous sommes efforcées de l'imiter le plus parfaitement possible.
« Je regrette de ne pouvoir vous envo)rer les trois beaux sermons prêches pendant le Triduum, le premier par M. Ramirez-Colom, secrétaire de l'archevêché, le second par M. Torres, prêtre de la Mission, et le troisième par M. Orantes, le curé de notre paroisse. Ils vous feraient plaisir et vous montreraient que dans ce lointain pays de l'Amérique Centrale il y a une foi vive, une grande dévotion à la très sainte Vierge, des personnes qui nous sont très dévouées et un immense bien à faire. »
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XII LES FÊTES DANS L'AMÉRIQUE DU SUD
Du Brésil, de la' République Argentine, du Pérou, les plus édifiants récits nous sont parvenus. De Lima (Pérou), la soeur Castagnet écrit : « Chacun des trois jours du Triduum, il y a eu messe des plus solennelles célébrée par un prélat. La foule était si grande que l'église, quoique vaste, ne pouvait la contenir. Le 27, nous avons fait la procession; toutes les Enfants de Marie externes et internes de toutes les maisons y ont assisté en blanc, avec leurs bannières et oriflammes. La procession s'est faite dans les cloîtres et le jardin de la Maison centrale et autour de la place qui est devant la maison et l'église. Il y avait un autel orné de lis au centre de la maison ; là une enfant de Santa Rosa a fait une consécration à la sainte Vierge. Un autre autel était dressé, dans le jardin; on y venait par une grande et belle tonnelle de vigne qui, en ce mois de novembre, était déjà couverte de raisins; une enfant de la maison de Saint-André a fait la seconde consécration à la sainte Vierge; la troisième a été dite par une enfant de Santa Ana, dans l'église, après le sermon.
■ « L'ornementation de la façade de notre église a été louée universellement. A l'intérieur, était dressée la grande et belle statue que notre Mère Havard m'a donnée quand j'ai été à Paris; elle a fait l'admiration de la ville de Lima tout entière. »
Au centre de l'Amérique du Sud, à Mariana (Brésil), les élèves et les orphelines de l'établissement des Soeurs, au nombre de deux cents, toutes habillées de blanc et revêtues de leurs médailles d'Enfants de Marie, se rendirent processionnellement à l'église du séminaire et assistèrent à la messe solennelle. Ainsi les deux familles de saint Vin-
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cent se trouvèrent réunies pour honorer dignement ia Vierge de la médaille miraculeuse.
La chapelle offrait le plus beau spectacle, elle paraissait comme remplie d'une blanche et mystérieuse nuée. On y voyait deux cent vingt séminaristes revêtus du surplis et portant, suspendue à la poitrine, la médaille miraculeuse. Les élèves du grand séminaire étaient présidés par leur professeur de théologie morale, le respectable M. Chanavat, et ceux du petit séminaire l'étaient par deux de leurs professeurs, MM. Castaldo et Defranceschi. Après l'Évangile, parut en chaire M. Cornagliotto, qui, depuis quarante ans, administre le séminaire. Dans un discours admirable et en même temps à la portée de tout son immense auditoire, il raconta l'histoire de cette fête magnifique. Il en avait vu les origines dans son enfance; il en avait suivi les progrès jusqu'à ce qu'elle fît partie de la liturgie de l'Église. La narration qu'il fit de divers prodiges et des conversions obtenues par la Vierge de la Médaille, fit couler bien des larmes. A la tombée de la nuit, la façade du séminaire apparaissait tout illuminée; la musique du séminaire exécutait joyeusement divers morceaux, pendant que des salves de feux d'artifice manifestaient l'allégresse commune.
A Fortalezza, province de Céara, au Brésil, c'est à la maison tenue par les Filles de la Charité qu'eut lieu la solennité. La superbe façade de cet établissement, longue de 3oo mètres, était magnifiquement décorée.
Le séminaire et les internes assistèrent à la messe solennelle dans la chapelle, hélas ! trop étroite. Le soir, à cinq heures, eut lieu la réunion de toutes les oeuvres ; les jardins, les vérandas immenses, tout était rempli par la foule. Les personnes qui avaient pu entrer à la chapelle entendirent un beau sermon, puis eut lieu la procession solennelle. Le coup d'oeil était féerique, car la nuit tombait et chaque enfant pauvre ou riche de cette immense multitude avait sa
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lanterne de papier aux diverses couleurs. On se groupa sur la place, aux endroits indiqués ; le séminaire et les jeunes gens entourèrent la Vierge Immaculée et entonnèrent VAve maris Stella. Ensuite une courte et chaleureuse allocution fut faite. Avant de conclure, le prédicateur demanda aux enfants et au peuple : «'Aqui voulez-vous vous consacrer?» Les enfants et le peuple-répondirent d'une seule voix : «A Marie Immaculée. —Qui voulez-vous pour Reine et Souveraine ? » Et la foule redit : « Marie Immaculée. » Enfin : « Mes enfants, qui voulez-vous pour Mère? — Marie Immaculée! » fut-il encore répondu. Le chant de la consécration suivit aussitôt. Les enfants internes commencèrent le cantique du couronnement : « Pourquoi cette vive allégresse, » etc. ; et au refrain : « Vierge, reçois cette couronne, » deux petits anges déposèrent la couronne sur la tête de notre Mère Immaculée !
Les séminaristes reprirent le chant ; ils défilèrent, recevant chacun une médaille qu'ils baisaient avec dévotion; la distribution générale des médailles avait lieu en même temps aux deux bouts de la procession. La foule immense qui se trouvait sur la place déclarait qu'elle n'avait jamais rien vu de comparable.
Voici le récit de la fête célébrée à Bahia (Brésil), à la maison de Campo da Polvora :
« Nous n'avions en Amérique, ni les riches ornements, ni les décors pompeux de la France; heureusement la piété ingénieuse et la foi du peuple bahianais surent y suppléer. A peine la fête fut-elle annoncée à Bahia, qu'on n'entendit plus parler de tout côté que de préparatifs pour le 27, que de procession solennelle, d'office pontifical, etc. Les filles de Marie, qui, grâce à Dieu, sont ici très nombreuses, prirent aussitôt cette fête à coeur ; M. le Supérieur leur avait justement fait observer qu'elle était tout particulièrement la leur, puisque leur pieuse association avait son origine
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dans les révélations de la sainte Vierge à l'humble soeur Catherine Labouré. Mgr l'Archevêque, accueillant avec bienveillance notre invitation, nous .donna l'office pontifical le matin et le soir de cette belle journée. Nous eûmes le bonheur d'entendre l'un des orateurs les plus distingués de la ville, un prêtre brésilien, neveu de Mgr de Macedo. « Le soir eut lieu la procession. Près de quatre cents filles de Marie, vêtues de blanc, une branche de lis en main, une couronne de roses sur la tête et portant une ceinture bleue en souvenir des apparitions de la Vierge Immaculée, y prirent part. Le cortège fit le tour de la ville. Monseigneur, avec un grand nombre de prêtres, marchait à la suite, et une foule immense accompagnait la procession. Jamais spectacle pareil ne s'était vu dans l'antique cité de Bahia. On fut émerveillé du spectacle de ces vierges chrétiennes; du haut des fenêtres on leur jetait des roses, des bouquets ravissants : rien ne troublait leur modestie. Nous eûmes le dernier écho de cette belle journée à l'hôpital. Là, au déclin du jour, au moment où le silence de la nuit portait le calme et le recueillement dans tous les coeurs, plus de deux cents malades portant des lanternes vénitiennes firent la procession dans l'immense jardin. Il était vraiment touchant de voir ces infortunés goûter un moment de douce et paisible joie. En les considérant, on eût cru avoir sous les yeux cette multitude qu'autrefois le divin Maître consolait et guérissait sur les chemins de la Judée. C'est aussi, il faut le dire, le'lot privilégié des Filles de la Charité dans ces vastes contrées du Brésil. C'était un spectacle vraiment touchant de voir ces bonnes Soeurs passer d'un endroit à un autre, tantôt pour remettre l'ordre dans les rangs, tantôt pour soutenir un pauvre malade que ses pieds ne peuvent plus porter, et qui veut cependant à tout prix suivre la procession.
« Les saintes impressions de ces fêtes demeurent, et nous en voyons les fruits. On montre une confiance sans borne
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dans la sainte Médaille. Nous en avons distribué des milliers : nos provisions sont épuisées. Le gouverneur de la province a envoyé dernièrement un de ses fonctionnaires pour en demander pour lui et pour toute sa famille. Nous avons à peine eu de quoi satisfaire ce pieux désir.
Dans la République Argentine, le journal La Perla del Plata a consacré à la pieuse commémoration de l'apparition de la Vierge de la Médaille miraculeuse ces lignes émues :
« Une cérémonie à la fois simple et grandiose a eu lieu, le 27 novembre, dans la chapelle du collège l que dirigent à Lujan, avec tant de constance et de dévouement, les vertueuses Filles de Saint-Vincent de Paul. C'était pour célébrer une des nombreuses manifestations dont la sainte Vierge a favorisé l'humanité.
« Ces solennités, qui n'appellent point l'attention générale parce qu'elles n'offrent pas ce que le mondain recherche, méritent cependant d'être prises en attentive considération, tant à cause de l'idée dont elles sont l'expression, qu'à cause du charme qui les entoure.
« Etendre le culte de ce que la religion chrétienne a de plus beau et de plus sympathique, comme est Marie, c'est le propre des âmes nobles et élevées qui, ayant brisé les liens de la chair, vivent surtout de la vie de l'esprit, compagne inséparable d'une contemplation qui les rapproche de leur Créateur en les inondant de torrents de grâces que le monde ne peut comprendre, avec ses illusions et ses vanités.
« Et, quand ces sentiments s'incarnent dans des coeurs comme ceux des Filles de Saint-Vincent de Paul, embrasés d'une charité à laquelle le monde rend hommage et qu'il vé1.
vé1. nomme collège en Amérique toute réunion de jeunes garçons ou de jeunes filles : école orphelinat, etc.
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nère, ce sont des exemples sublimes de foi et d'abnégation. Toutes les aspirations du coeur humain, tous ses désirs, toutes ses espérances, ces saintes filles les font converger vers un unique idéal : « aimer Dieu et le prochain ». N'est-ce pas sublime, de la part de ces âmes, d'être les esclaves d'un amour que personne ne peut s'empêcher de respecter et d'admirer ?
« Ces manifestations du sentiment mystique et de la charité sont les parfums qui purifient l'atmosphère de ce monde matériel et qui l'empêchent de se corrompre et de répandre la mort. Voilà pourquoi, détournant nos regards des banalités et des misères que le monde lui-même condamne, nous tournons avec satisfaction nos yeux vers ces spectacles divins.
« L'anniversaire de l'apparition de la Médaille miraculeuse fut célébré par les Filles de Saint-Vincent de Paul de Lujan, dans leur sphère restreinte, avec l'enthousiasme et le zèle que leur inspiraient leur simplicité et leur amour.
« A la grand'messe solennelle officièrent les prêtres de la Mission de Saint-Vincent de Paul, MM. Salvaire, Brignardelli et Bajac. Les accords harmonieux du chant montaient vers le ciel avec l'encens et remplissaient tout l'édifice sacré. La chapelle était ornée avec goût, et la nombreuse et pieuse assistance qui priait devant l'image de Marie, leur donnait un aspect vraiment enchanteur.
« Après l'évangile, M. Salvaire, dans une simple, élégante et chaleureuse allocution, recommanda aux assistants le culte d'une Médaille si véritablement miraculeuse, en montrant les biens qu'elle procure, et en retraçant les circonstances de sa manifestation, d'abord à la Maison-Mère des Soeurs, à Paris, puis dans l'église de Saint-André délié Fratte, à Rome.
« Après le chant du Te Deum et la bénédiction du Très Saint Sacrement, on distribua, en souvenir, des médailles à tous les assistants.
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« Nous offrons nos'sincères félicitations à la Soeur Supérieure du collège et à ses vertueuses compagnes qui la secondent avec tant de générosité! Puissent-elles toujours trouver pendant leur vie, dans la céleste mission qui leur est confiée, les satisfactions et les récompenses qui correspondent à leurs sublimes aspirations ! »
Nous terminerons ces édifiants, nous pouvons dire ces merveilleux récits des fêtes en l'honneur de la Vierge Immaculée, par les lignes adressées de la capitale de la république de l'Uruguay, Montevideo :
« Je tiens à vous dire, écrit la soeur Duthu, Fille de la Charité, à M. le Supérieur général, combien les coeurs de vos filles d'ici vous sont reconnaissants de ce que vous avez fait pour obtenir la fête que nous venons de célébrer. Le clergé, le peuple, les Enfants de Marie y ont apporté un véritable enthousiasme. Mgr l'évêque veut que, comme temple national, une des églises soit dédiée à la Vierge Immaculée de la Médaille miraculeuse. »
C'est l'église de la paroisse de l'Union, située à une petite distance de la ville même de Montevideo, qui recevra ce beau privilège. « La construction de l'autel commémoratif, écrit ma soeur Four, supérieure de la maison des Soeurs de la paroisse de l'Union, demandera l'agrandissement de l'église et par suite des frais considérables. Comment cela se fera-t-il ? La sainte Vierge le sait. La réalisation de ce dessein du premier pasteur du diocèse prouvera une fois de plus le pouvoir de Marie Immaculée.
« Lorsque la bonne soeur Duthu adressait de Montevideo cette lettre qui a été reproduite dans nos Annales comme exemple des nombreuses demandes adressées pour la célébration de cette fête, elle ne s'attendait pas à voir ses voeux si largement exaucés. Ne devons-nous pas voir en ceci comme une extension de cette prophétie de Catherine Labouré: « Vous obtiendrez, en faveur delà Médaille, plus que « vous n'oserez demander, » car qui d'entre nous eût osé espé-
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rer de Mgr l'évêque, en faveur de son église de l'Union qui nous est confiée, un si glorieux patronage ? »
Voici le récit de la solennité du 27 novembre :
« Les fidèles avaient été préparés par les annonces de la presse et la diffusion de feuilles imprimées contenant la notice sur la Médaille miraculeuse, et la continuation du mois de Marie, qui se célèbre dans ces pays-ci pendant le mois de novembre, suppléa le Triduum préparatoire. Mais, hélas! dès l'avant-veille du 27 novembre, le ciel se rembrunit, le vent souffle en tempête de l'Océan, et, durant deux, jours, déverse les rafales continues d'une pluie battante sur le continent. Bien des prières furent adressées à Marie, et cependant le 26 au soir la confiance avait disparu de bien des coeurs. Mais voici que dès l'aube du 27, pas un nuage n'est au ciel, l'étoile du matin apparaît radieuse; le soleil dès six heures brille de tout son éclat : il nous promet et il nous a donné une journée magnifique.
« Les enceintes des églises ou chapelles des deux familles de saint Vincent, à Montevideo et à l'Union, ne purent ce jour là contenir l'afnuence des fidèles qui venaient participer à cette solennité.
« Je ne puis passer sous silence le beau panégyrique de la Vierge de la Médaille miraculeuse prononcé par Mgr Haretche, vicaire général du diocèse, à l'issue de la messe, célébrée par Mgr l'évêque, chez les Filles de la Charité de la maison de Saint-Vincent. Il avait pris pour texte ces paroles du premier livre des Paralipomènes, citées dans le Graduel de la Fête : Recordamini mirabilhim ejus quoe fecit : signorum illius etjudiciorum oris ejus. Développant en trois points ces trois idées du texte et les appliquant à la circonstance, il nous montra : les merveilles si touchantes de l'apparition de Marie à Catherine Labouré, — la puissance de la Médaille manifestée par tant de prodiges — et les utiles enseignements que nous devions recueillir des paroles sorties des lèvres mêmes de la Vierge
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Immaculée et adressées à tous les catholiques de l'univers. De bien des yeux coulèrent des larmes d'attendrissement. « A peu près à la même heure, une semblable solennité réunissait les Enfants de Marie et les pieux fidèles de la paroisse du Cordon, chez les Filles de la Charité de la rue Colonia, tandis que notre paroisse de l'Union était honorée par la présence de Mgr Stella, évêque coadjuteur, qui vint y célébrer la messe de communion générale.
« Quant aux Filles de la Charité de l'Union, elles se réunirent aux Missionnaires pour célébrer avec eux une fête commune. C'est surtout grâce à elles que notre église fut décorée avec toute la magnificence et le goût que réclamait une- si grande solennité. Oh! comme la Vierge bénie de la Médaille miraculeuse était belle, resplendissant sur son trône dressé sur une montagne de fleurs de lis, et avec quel charme elle allait contempler à ses pieds, dans la soirée de ce beau jour, ces mille jeunes filles qui venaient la proclamer leur Mère et la porter en triomphe ! Ici, ces pieuses associations imposent par leur solide vertu ; et elles exercent sur une société d'ailleurs bien plus et mieux civilisée qu'on ne le croit communément en Europe, une influence assez puissante pour pouvoir revendiquer l'exercice public de leur foi, tel que les processions solennelles. Nous jouissons de toute liberté pour cela à l'Union, et le pouvoir tant civil que militaire se joint à nous chaque fois que nous faisons appel à sa bonne volonté.
« Un grand journal catholique de Montevideo : El Bien, a donné le compte rendu de la cérémonie. Voici la traduction :
FÊTE DE LA MÉDAILLE MIRACULEUSE A L'UNION
« On peut évaluer à cinq mille le nombre de fidèles qui « se sont réunis hier à l'Union pour y célébrer cette fêté. « Nos principales familles y étaient représentées. (Suit une « longue nomenclature de noms.) Les Enfants de Marie de « Montevideo, Cordon, Union et Aguàda y assistaient en
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« corporation, la plupart vêtues de blanc. A trois heures, « l'église était littéralement remplie dans ses trois nefs, et « bon nombres de fidèles occupaient le portique, la rue et « la place adjacentes, faute d'espace dans l'intérieur.
« En première ligne, figuraient les Enfants de Marie « agenouillées autour de leurs riches bannières, éloquent « tableau, synthèse admirable de foi, d'innocence et de pur « amour envers la très auguste Vierge, Mère de Dieu et des « hommes. A trois heures dix minutes, Mgr Soler, l'évê« que diocésain, prononçait, du haut de la chaire sacrée, « une brillante allocution sur le sujet de la fête, dans laïc quelle, exaltant la gloire de la Reine du ciel, il démontra « comment, à mesure que la dévotion à Marie diminue « parmi les peuples, ceux-ci reculent et s'affaissent, tandis « qu'ils progressent et grandissent en proportion du degré « où s'élèvent aussi leur amour, leur culte et dévotion en« vers une si sainte et si digne Mère.
« Sa Grandeur termina en annonçant qu'elle allait de« mander à Rome l'extension de cette fête annuelle dans « tout son diocèse, c'est-à-dire dans toute la République. « Monseigneur plaça ensuite la paroisse de l'Union sous « l'invocation de Marie Immaculée de la Médaille miracu« leuse, sans préjudice de son patron titulaire saint Au« gustin, recommandant aux prêtres de la Mission, aux « Filles de la Charité et aux Enfants de Marie de redoubler « de zèle afin d'élargir l'enceinte de ce temple destiné dé« sormais au culte de la très sainte Vierge, sous ce nouveau « vocable, et à devenir un centre de pèlerinage de tous les « points de la République.
« Après le Te Deum et le Tantum ergo, admirablement « chantés, Monseigneur donna la bénédiction du Très Saint « Sacrement.
« Il était quatre heures et demie lorsque la procession se « mit en marche, parcourant les belles et larges rues de « l'Union. En tête, s'avançaient, en deux rangées, deux
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« cents jeunes filles vêtues de blanc, couronnées de roses « et tenant chacune en main une tige de fleurs de lis natu« relies. Venaient ensuite les diverses associations d'En« fants de Marie avec leurs bannières respectives ; en der« nière ligne, la garde d'honneur. Devant le clergé s'a« vançait la statue de la Vierge Immaculée, portée par les « Enfants de Marie désireuses de se charger, chacune à « son tour, du précieux fardeau ; les dernières favorisées « à la rentrée dans l'église furent les demoiselles Arocena, « Olarte, Ponce et Carril.
« Monseigneur était accompagné de ses deux vicaires « généraux, du R. P. Garriga, supérieur du séminaire, du « docteur Pons, des prêtres de la Mission et des membres « d'autres communautés religieuses. L'église était ornée « avec art et avec goût, aux couleurs de la Vierge, blanc et « bleu, qui sont aussi les couleurs de la patrie.
« La musique militaire et un piquet des soldats de l'ar« tillerie légère accompagnaient la procession.
« Avec la bénédiction de Monseigneur se termina cette « fête qui fera époque dans notre histoire religieuse et ouvre « une ère nouvelle de régénération pour cette République, « en ce qu'elle élargit les horizons de ce beau culte de la « Reine du ciel. Aux Filles de saint Vincent et aux prêtres « de la Mission, nos sincères félicitations. »
« Telle est la fidèle relation de la fête nouvelle, dans la capitale de l'Uruguay 1. »
i. Ce compte rendu était imprimé lorsque nous avons reçu le récit des solennités célébrées à Constantinople dans l'église de SaintBenoît, et celui des fêtes de Salonique. On nous écrit de cette dernière ville : « Dans l'église paroissiale de la Mission, au séminaire bulgare de Zeitenlik, au couvent des religieuses Eucharistines, à l'orphelinat des filles de Calamari, et à la chapelle tout récemment construite de l'hôpital italien Sainte-Marguerite, sur ces divers points qui enlacent pour ainsi dire la ville entière, Marie Immaculée a pris comme position de reine au milieu de ses fidèles sujets qui se glorifient de l'avoir pour patronne principale depuis plus d'un demisiècle. »
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Le prophète invitait autrefois toutes les nations et tous les peuples de la terre à louer Dieu : Laudate Dominum omnes gentes, laudate eum omnes ■populi. En finissant de transcrire les récits qui nous sont venus de toutes les parties du monde, nous pouvons redire que toutes les nations ont, en cette circonstance, loué Dieu, en rendant des hommages pleins d'amour à sa divine Mère, à l'Immaculée Vierge de la Médaille miraculeuse.
INDULTS
Un induit du 12 novembre 1894 accorde la faculté de célébrer chaque année la fête de la Manifestation dans une église étrangère lorsque les chapelles des Missionnaires ou des Filles de la.Charité ne se prêtent pas à cette solennité; et alors tous les prêtres peuvent y dire ces jours-là la messe propre de la fête (voy. ci-dessus, page 78). Le Bref suivant, dont nous n'avions pas encore donné le texte, accorde une indulgence plénière à gagner en cette circonstance.
INDULGENCE PLÉNIÈRE
A GAGNER DANS LES CHAPELLES ET ORATOIRES DES MISSIONNAIRES ET DES FILLES DE LA CHARITÉ OU DANS TOUTE AUTRE ÉGLISE, LE JOUR OU S'Y CÉLÈBRE LA FÊTE DE LA MÉDAILLE MIRACULEUSE.
77 novembre I8Q4.— Pour dix ans.
LÉON XIII, PAPE,
A tous les fidèles du Christ, qui verront les présentes, salut et bénédiction apostolique.
Pour augmenter la religion des fidèles et procurer le salut des âmes, considérant les trésors célestes de l'Église, dont
LEO PP. XIII Universis Christifidelibus pra;sentes litteras inspecturis salutem et Apostolicam Benedictionem. Ad augendam fidelium religionem et
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la pieuse sollicitude nous est confiée, nous accordons miséricordieusement dans le Seigneur, aux conditions requises, l'indulgence plénière et la rémission de tous leurs péchés à tous les fidèles de l'un ou l'autre sexe et à chacun d'entre eux; pourvu que vraiment contrits, s'étant confessés et ayant fait la sainte communion, ils visitent pieusement une église ou oratoire public, soit des Prêtres de la Congrégation de la Mission fondée par saint Vincent de Paul, soit des soeurs, dites Filles de la Charité, se rattachant à la même Congrégation, au jour où on y célèbre la fête de la Manifestation de l'Immaculée Vierge de la sainte Médaille. On pourra, chaque année, gagner cette indulgence, depuis les premières vêpres de la fête, jusqu'au lendemain au coucher du soleil, à condition d'offrir à Dieu de pieuses prières pour la concorde entre les princes chrétiens, l'extirpation des hérésies, et l'exaltation de notre Mère la sainte Eglise. Cette indulgence pourra également être appliquée par mode de suffrage aux âmes des fidèles qui, unis à Dieu par les liens de la charité, auront quitté cette terre.
Dans les endroits où la Congrégation n'a pas d'église particulière, nous accordons auxdits Prêtres de la Mission,
animarum salutémcoelestibusEcclesioe thesauris pia charitate intenti, omnibus et singulis utriusque sexus Christifidelibus vere poenitentibus et confessis ac sacra communione refectis, qui quamlibet Ecclesiam scu Oratorium publicum tum Presbyterorum Missionariorum Congregationis S. Yincentiï de Paulo, tum religiosarum sororum, Filias quas vocant charitatis, ejusdem Congregationis, quo die ibidem f'estum Manifestationis Immaculata: Virginis Maria; a Sacro Numismate, servatis servandis, celebretur, a primis vesperis usque ad occasum solis diei hujusmodi singulis annis dévote visitaverint atque ibi pro christianorum Principum concordia, hoeresum extirpatione, peccatorum conversione ac S. matris Ecclesioe exaltatione pias ad Deum preces effuderint, Plenariam omnium peccatorum suorum indulgentiam et remissionem, quam etiam animabus Christifidelium quas Deo in charitate conjunctoe ab hac luce migraverint per raodum suffragii applicari posse misericorditer in Domino concedimus.
Concedimus etiam ut iis in locis ubi propria Institut! desit Ecclesia supradictis presbyteris et religiosis sororibus liceat de respecti-
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et aux Filles de la Charité, du consentement des évêques respectifs, de célébrer la fête de la Manifestation dans une autre église ou oratoire public. Et les fidèles pourront, ce jour-là, gagner la même indulgence ou l'appliquer aux défunts, en se conformant en tout aux susdites prescriptions.
Les présentes seront valables pour dix ans. Nous voulons que les copies ou exemplaires même imprimés de ce décret, revêtus de la signature d'un officier public, et portant le sceau d'une personne constituée en dignité ecclésiastique, jouissent de la même autorité que le décret lui-même montré ou exhibé.
Donné à Rome, près de Saint-Pierre, sous l'anneau du Pêcheur, le 17 novembre 1894, la dix-septième année de
notre Pontificat.
Pour Son Eminence le cardinal De Ruggiero,
NICOLAS MARINI.
vorum ordinariorum consensu in quavis alia Ecclesia seu publico sacello idem festum celebrari, et fidèles inibi eodem die festo eamdem indulgentiam vel defunctis applicabilem acquirerepossint valeantque dummodo suprascriptoe conditiones omnino serventur. Praesentibus ad decennium valituris. Volumus autem ut proesentium Iitterarum transumptis seu exemplis etiam impressis manu alicujus Notarii publici subscriptis et sigillo personaî in ecclesiastica dignitate constituta; munitis eadem prorsus adhibeatur fides quoe adhiberetur ipsis praesentibus si forent exhibitse vel ostensoe.
Datum Romae apud Sanctum Petrum sub Annulo Piscatoris die XVII Novembris MDCCCXCIV, Pontificatus Nostri anno decimo septimo.
Pro Domino Card. De Ruggiero,
NICOLAVJS MARINI. Concordat cum originali :
ALEFRIDUS MILON, Secr. Congr. Miss.
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FACULTE
DE CÉLÉBRER CHAQUE JOUR LA MESSE VOTIVE DE LA MANIFESTATION DE L'IMMACULÉE VIERGE DE LA MÉDAILLE MIRACULEUSE DANS LA CHAPELLE DE LA MAISON-MÈRE DES FILLES DE LA CHARITÉ, A PARIS.
12 janvier i8g5.— A perpétuité. CONGRÉGATION DE LA MISSION
Le RR. M. Antoine Fiat, Supérieur général delà Congrégation de la Mission, a très humblement demandé à Notre Saint Père le pape Léon XIII, la faculté pour tout prêtre de célébrer, en tout temps de l'année, dans l'oratoire public de la Maison-Mère des Filles de la Charité, à Paris, la messe votive propre de la Manifestation de l'Immaculée Vierge Marie de la Médaille miraculeuse, lors même que l'office du jour est du rite double.
C'est pourquoi la Sacrée Congrégation des Rites, usant des facultés spéciales que Notre Très Saint Père lui a accordées, a bien voulu accéder à cette demande, en ce sens que les prêtres seulement qui viennent à cette chapelle comme à un pieux pèlerinage et veulent y célébrer le saint sacrifice, puissent dire la messe votive demandée. Sont exceptés les fêtes doubles de première et de seconde classe, les dimanCONGREGATIONIS
dimanCONGREGATIONIS Reverendissimus domirius Antonius Fiat, Superior generalis Congregationis Missionis a Sanctissimo Domino Nostro Leone Papa XIII privilegium humillime expetivit, quo cuilibet Sacerdoti in publico Oratorio Parisiensi adjecto Domui principi Filiarum Caritatis, Missam votivam quovis anni tempore celebrare liceat propriam de Manifestatione B. M. V. Immaculatoe a Sacro Numismate; etiamsi officium ritus duplicis occurrat. Sacra porro Rituum Congregatio, utendo facultatibus ab eodem Sanctissimo Domino Nostro sibi specialiter tributis, ita precibus bénigne annuit, ut sacerdotibus tantum pios perigrationis causa illuc accedentibus et sacrum ibidem facturis expetitam Missam votivam liceat celebrare; exceptis Duplicibus primai et secundae classis, quovis festo Deiparae, necnon Dominicis,
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ches, les fériés, Vigiles et Octaves privilégiées; les Rubriques étant observées. Nonobstant tout ce qui serait contraire. — Le 11 janvier 1895.
CAJ. card. ALOISI-MASELLA, préfet.
(Place du sceau.)
A. TRIPEPI, secrétaire.
Nous savons que déjà plusieurs diocèses et diverses congrégations religieuses ont demandé et obtenu l'autorisation d'adopter l'office propre de la Manifestation de l'Immaculée Vierge de la Médaille miraculeuse.
Nous pouvons citer les diocèses suivants : Amalfi (Italie), Albi, Amiens, Alife (Italie), Paris, Ciudad Rodrigo (Espagne), Cambrai, Perpignan, Evreux, Acireale (Italie), Oran (Algérie), Port-au-Prince (Haïti), Limoges, Oria (Italie), etc. Et parmi les diverses congrégations : l'Oratoire de Pérouse, les Capucins de la province de Savoie, l'Ordre de Saint-Jean de Dieu de la province de France, la Société des Maristes, etc.
NOS ANNALES
Ce numéro paraît quelques semaines avant l'époque ordinaire; il en sera de même pour les numéros suivants. C'est afin que la publication des autres éditions puisse ellemême se rapprocher du commencement de chaque trimestre.
Toutes les éditions annoncées, grâce au dévouement des
feriis, Vigiliis Octavisque privilegiatis : servatis Rubricis. Contrariis non obstantibus quibuscumque. •— Die 11 Januarii 189D.
Card. ALOISI-MASELLA, proef. A. TRIPEPI, secretarius.
Concordat cum originali : ALEFRIDUS MILON, Secr. Congr. Miss.
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membres de nos deux familles qui ont bien voulu se charger de l'exécution de cette oeuvre désirée de tous, paraissent maintenant régulièrement; toutes aussi,— éditions anglaise, allemande, espagnole, italienne, polonaise, — ont dès le début atteint une perfection de forme à laquelle il est juste de rendre hommage et qui contribuera pour sa part à rendre agréable la lecture de ce recueil qui nous est cher.
En même temps que ce numéro des Annales paraîtra en volume la Vie de M. de Andreis dont la traduction a été publiée ici par fragments. Elle forme un beau volume in-8 de 155 pag-es. On n'en a tiré qu'un petit nombre d'exemplaires; ils sont en vente à la Procure de la Maison-Mère, rue de Sèvres, 95.
A cette occasion nous donnons ici la listé de quelques au très biographies des membres de la Congrégation. Ce sont celles que nous avons sous la main et qu'on peut se procurer à la Maison-Mère. Nous mentionnerons bien volontiers aussi celles que l'on nous signalera. Les brochures inscrites dans cette liste sont ordinairement extraites de nos Annales.
Vie de M. Jean-Marie ALADEL, prêtre de la Mission. Paris, 1873. Un vol. in-12 de 3oo p.
Vie. de M. ALMÉRAS, deuxième Supérieur général de la Congrégation de la Mission. Paris, i83g. Un vol. in-8 de 115 p.
Life of the very Rev. Félix de ANDREIS, of the Congrégation of Mission. Baltimore, Kelly, 1861. Un vol. in-12 de 276 p.
Mgr Jean-Henri BALDUS, de la Congrégation de la Mission, vicaire apostolique du Kiang-Si (par M. l'abbé J.-B. Serres). Mauriac (Cantal). Kossman-Becker, 1892. Un vol. in-18 de 168 p.
Eugène BORE, xve Supérieur général de la Congrégation
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delà Mission. Notice biographique (par M. Pémartin). 2° édition. Paris, 1879. Un vol. in-8 de 372 p.
Eugène BORE, Supérieur général de la Congrégation de la Mission et des Filles de la Charité, par Léonce de la Rallaye. Paris, Delhomme, 1893. Un vol. in-8 de 3oo p.
Vie de Léon BRANCOURT, novice de la Congrégation de la Mission. Paris, 1894. Brochure in-8 de 45 p.
Notice biographique sur le Vénérable CLET (par M. Vauris). Paris, i853. Un vol. in-12 de 166 p.
Vie du Vénérable François-Régis CLET, prêtre de la Mission et martyr, par Mgr Charles Bellet. Paris, Bloud, 1891. Un vol. in-4, illustré, de 176 p.
Vie du Vénérable François-Régis CLET, prêtre de la Mission, martyrisé en Chine, par M. Demimuid. Paris, i8g3. Un vol. in-8 illustré, de 435 p.
Notice sur M. Narcisse CORBY, prêtre de la Mission, ancien supérieur du petit séminaire de Montpellier. Paris, 1887. Brochure in-8 de 24 p.
Notice sur M. Antoine DAMPRUN, prêtre de la Mission. Paris, 1889. Brochure de 26 p.
Vie de Mgr DANICOURT, de la Congrégation de la Mission, vicaire apostolique du Kiang-Si (Chine), par M. E.-J. Danicourt. Un vol. in-8 de 535 p. — Chez l'auteur, à Naours par Canaples (Somme).
Vie de M. Th. DAZINCOURT, prêtre de la Mission, par un de ses confrères. Paris, 1892. Un vol. in-8 de 570 p.
Vie et apostolat de Mgr DELAPLACE, vicaire apostolique de Pékin. Auxerre, 1892. Un vol. in-8 de 287 p.
Un Missionnaire sedanais, M. Lambert DUCHESNE, par M. l'abbé Lejay. Charleville. Brochure in-8 de 34 pages.
Il Padre DURANDO, délia Congregazione délia Missione, perFr. Martinengo. Torino, 1888. Un vol. in-8 de 340 p.
Vie de M. ETIENNE, xive Supérieur général de la Congrégation de la Mission et de la Compagnie des Filles de la
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Charité, par un prêtre de la Mission. Paris, 1881. Un vol. in-8 de 576 p.
Notice sur la vie de M. Pierre FAROUX, prêtre de la Mission, vicaire apostolique d'Alger et de Tunis (1705-1740), par M. l'abbé Haclin. Amiens, 1872. Un vol. in-18 de 124 p.
Vida de EE. et RR. Senhor Antonio FERREIRA VIÇOSO, obispo de Marianna, pelo padre Gomes Pimenta. Marianna, 1876. Un vol. in-8 de 426 pages.
Notice sur le Frère Joseph GÉNIN, coadjuteur de la Congrégation de la Mission. Paris, 1894. Brochure in-8 de 22 p.
Notice sur M. Joseph GIRARD, prêtre de la Mission, premier supérieur du séminaire d'Alger. Paris, 1881. Un vol. in-8 de 227 p.
Un missionnaire français en Tunisie au xvne siècle. Notice sur M. Julien GUÉRIN, prêtre de la Mission. Paris, 1894. Brochure in-8 de 3o p.
L'Abyssinie et son apôtre. Vie de Mgr Justin de JACOBIS, delà Congrégation de la Mission. Paris, 1866. Un vol. in-12 de 450 p.
Notice sur M. Marien KAMOCKI, prêtre de la Mission. Paris, 1893. Brochure in-8 de 40 p.
Notice sur M. Ernest LACOUR. Paris, i883. Brochure in-8 de 38 pages.
Eloge de M. MACÉ, prêtre de la Mission, supérieur du séminaire delà Rochelle. 1769. Brochure in-12 de 40 p.
Notice sur M. Louis MELLIER, prêtre de la Congrégation de la Mission. Paris, 1881. Brochure in-8 de io3 p.
Notice sur M. OUDIETTE, prêtre de la Mission. Angoulême, 1878. Un vol. in-8 de 174 p.
Vie du bienheureux Jean-Gabriel PERBOYRE, prêtre de la Mission, martyrisé en Chine (par M. Vauris). Paris, 1889. Un vol. in-8 illustré, de 473 p. — Éditions en plusieurs langues.
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Il missionario apostolico Giovanni PINNA (prête délia Missione). Torino, 1873. Brochure in-18 de 84 p.
Notice sur Mgr Adrien ROUGER, de la Congrégation de la Mission, vicaire apostolique du Kiang-si méridional. Paris, 1889. Un vol. in-12 de 209 p. —Traduit en italien.
Notice sur M. P. L. SABALETTE, prêtre de la Mission. Paris, 1884. Brochure in-8 de 54 pages.
Notice sur la vie de M. Dominique SALHORGNE, XII" Supérieur général de la Congrégation de la Mission. Paris. Brochure in-8 de 38 p.
Brève Raggaglio délia vita del signor Carlo-Antonio VACCHETTA, sacerdote délia Missione, scritta dal Pr. Felice Tempia. Torino, 1751. Un vol. in-12 de 260 p.
Miroir du frère coadjuteur, comprenant la vie du Frère Alexandre VÉRONNE, de la Congrégation de la Mission, par le Frère Chollier. Paris, 1875. 200 p. in-8.
Notice sur M. Eugène VICART, prêtre de la Mission. Angoulême, 1878. Brochure in-8 de io5 p.
Notice sur M. Ernest VICART, prêtre de la Mission, ancien supérieur du collège de Montdidier. Paris, 1881. Brochure in-8 de 43 p.
D. Jeronimo VILADAS y Lamich, de la Congregacion de la Mision, por Fernando de Casa-Nova. Habana, i883. In-8 de 47 pages.
Nous donnerons plus tard la bibliographie des VIES DE SAINT VINCENT, avec quelques renseignements et quelques appréciations.
Il nous suffit aujourd'hui de mentionner la Vie publiée par Abelly. Elle a été placée en tête de la collection des OEuvres de saint Vincent, qui comprend douze volumes in-8 (1880-1891), dont voici le détail :
Tomes I, II, III. Vie de saint Vincent. Le tome III est celui des Vertus ; il peut se vendre séparément ;
Tomes IV, V, VI, VII. Lettres de saint Vincent ;
Tome VIII. Conférences aux Missionnaires ;
Tomes IX et X. Conférences aux Filles de la Charité ;
Tome XI. Supplément aux Lettres et Conférences. . Tome XII. Table complète de tout ce qui est contenu dans la Vie, les Lettres et les Conférences de saint Vincent sur les événements, les personnes et sur tous les sujets de •doctrine et de piété traités par le saint. Cette Table, qui n'est inférieure à aucun des plus remarquables travaux accomplis dans ce genre, donne à la collection, si importante déjà par elle-même, une valeur inappréciable.
Cette collection — sauf les trois premiers volumes ■— est •à l'usage exclusif de nos deux Communautés.
FRANCE
LA RETRAITE DES MARINS A SAINT-SERVAN DIOCÈSE DE RENNES
Un témoin de cette retraite nous a adressé cet intéressant compte rendu :
Une oeuvre naissante, déjà sympathique entre toutes, car elle est vraiment patriotique et chrétienne, plaide en ce moment la cause des pêcheurs de Terre-Neuve, et les vrais Français ont été saisis d'une vive et profonde commisération à la vue de tant de misères physiques et morales, laissées jusqu'ici sans soulagement. On a fait des peintures bien émouvantes des souffrances endurées pendant de longs mois de labeur, par ces pauvres marins, et, au nom de l'humanité, la souscription du riche et l'obole du pauvre vont apporter à nos compatriotes, les secours dont ils sont privés, et dont ils ont cependant un si pressant besoin 1.
Mais les âmes chrétiennes ne sauraient oublier que ces malheureux pêcheurs sont avant tout des hommes de foi, et la belle manifestation qui vient d'avoir lieu à SaintServan est une preuve bien évidente des sentiments religieux qui les animent. Ils étaient là, dans la maison du Rocher, au nombre de quatre cents, parmi lesquels soixante capitaines et patrons, accourus de toutes parts à l'appel de leur vaillant aumônier, M. l'abbé Bélin, pour suivre, dui.
dui. souhaiterait, et l'on croit que ce désir va être réalisé, que les marins français fussent, comme les marins anglais, accompagnés par un bateau de secours lorsque la flotte de pêche part chaque année pour Terre-Neuve ou pour l'Islande. Ce bateau contient un matériel assez complet de médicaments; il porte un aumônier, et pendant la campagne il procure aux autres navires les secours religieux et matériels dont ils peuvent avoir besoin.'— N. de la R.
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rant cinq jours, les exercices d'une retraite fermée. Certes, elles ont été bien dignes et bien touchantes ces cérémonies de la retraite, et, pendant ces jours bénis, il nous a été donné, au milieu des tristesses de l'heure présente, d'assister au plus consolant spectacle. Avec son éloquence chaude, sa parole embrasée, le prédicateur de la retraite, M. Anger, lazariste, supérieur de la maison Sainte-Rosalie, à Paris, a remué vivement les coeurs.
On jouissait en voyant la joie qui se lisait sur le visage épanoui de ces robustes matelots, et leur front rayonnait de la paix et de la sérénité de leur âme. Ah ! ils ne sont pas, ces braves, de ceux qui tremblent devant l'impiété ou qui rougissent de leur foi, et à leur courage chrétien s'unit une rude franchise et une rude conviction. Les exercices du chemin de la croix étaient particulièrement édifiants et l'on sentait, à travers les ferventes prières et les actes de pardon adressés au Ciel, la sincérité et l'espérance d'une âme pleine de regrets d'avoir offensé son Dieu. Rappelleronsnous les processions solennelles à travers les jardins, où marchaient, le chapelet à la main, précédés du drapeau de la patrie, le vieux matelot aux cheveux blanchis par les rudes labeurs, et le jeune mousse que n'attriste pas la perspective d'un naufrage peut-être prochain et de la mort la plus horrible, tant est forte en son coeur la noble et glorieuse vocation de la mer. Impossible de rendre l'impression qu'on ressentait en entendant ce concert de voix d'hommes et de jeunes gens chantant des cantiques d'amour à l'Étoile de la mer ! — Marie, la patronne des matelots, comme ils l'ont invoquée pendant ces jours bénis et avec quel élan d'amour et quelle ferveur ils se sont donnés à Elle dans une consécration solennelle !
La cérémonie de l'amende honorable a été aussi bien émouvante et plus d'un oeil s'est mouillé de larmes lorsque tous, du plus profond du coeur, ont récité à haute voix la formule de l'acte de contrition. Au milieu de la retraite,
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quarante de ces braves ont reçu de S. G. Mgr Labouré,, archevêque de Rennes, le sacrement de confirmation.
Mais la plus belle des cérémonies a été celle des adieux, lorsque, revêtus du saint scapulaire et de la médaille miraculeuse qu'ils venaient de recevoir, nos marins, en présence du Saint Sacrement, ont fait la rénovation des voeux, du baptême. On sentait alors que Jésus régnait en souverain sur cette immense assemblée qui, ne pouvant contenir au dedans d'elle-même les élans de son repentir, de sa ferveur et de son amour, s'écrie : « O Jésus, nous renonçons à Satan, à ses pompes, à ses oeuvres!... O Jésus, nous vous demandons pardon!... O mon Dieu, nous vous aimons,, nous voulons désormais être tout à votre service. » Puis, tous les fronts s'inclinent sous la bénédiction papale; on reste prosterné pendant que Jésus, en nous bénissant à son tour, met le comble à ses bontés et le sceau à toutes cesdémonstrations de la foi de son peuple.
Après les dernières agapes, capitaines, patrons de barque et matelots quittent la sainte maison, jetant sur l'avenir un regard plein d'incertitude, mais pleins de confiance en Jésus, qu'ils possèdent dans leur coeur; en Marie, l'Étoile de la mer, leur patronne et leur sauvegarde. Ils partent, reconnaissants de l'accueil qu'ils ont reçu dans la maison du Rocher, et vivement touchés du dévouement que leur ont prodigué les saintes Filles de la Charité.
Pendant huit mois de l'année, on le sait, nos marins sont privés, de tout secours religieux; mais cette année, espérons-le, ils goûteront les consolations que leur apportera le prêtre. Aussi nous engageons vivement nos lecteurs à envoyer leurs offrandes à l'CEuvre de. mer. Partout les souscriptions sont ouvertes, et la charité fera son oeuvre avec ce zèle, cette abnégation qui assureront un prochain succès.
UN TÉMOIN.
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MONT-DE-MARSAN
GUÉRISON ATTRIBUÉE A INEFFICACITÉ DE LA MÉDAILLE MIRACULEUSE
Nous avons mentionné, dans le précédent numéro des Annales (cidessus, p. Sg), une guérison sollicitée par l'intercession de l'Immaculée Vierge de la Médaille miraculeuse et obtenue le jour même de la fête de la sainte Médaille. Nous empruntons le récit détaillé de cet événement à la Semaine religieuse du diocèse d'Aire et de Dax (numéro du 16 février i8g5). Mgr l'évêque a bien voulu nous faire savoir que c'est par son ordre que ce récit y a été publié; celte circonstance donne au compte rendu que nous allons reproduire une valeur particulière.
GUÉRISON DE MARIE SAINT-GERMAIN
Nous croyons devoir tenir la promesse faite aux lecteurs de la Semaine en leur racontant une guérison vraiment extraordinaire obtenue le 27 novembre dernier, après une neuvaine à la très sainte Vierge. Ce récit, disons-le tout d'abord, ne relate que des faits absolument certains et parfaitement contrôlés. Il édifiera, nous en avons l'espoir, et accroîtra la confiance de nos pieux lecteurs envers notre Mère du ciel. En le commençant, quelle que soit notre conviction personnelle, nous tenons à déclarer que nous réservons la question du miracle. Nous n'avons pas mission pour le constater. Nous ne sommes que des témoins, et comme témoins nous racontons simplement ce que nous avons vu.
Marie Saint-Germain était, en 1886, sous-maîtresse à l'ouvroir dirigé, à Mont-de-Marsan, par les Filles de la Charité. Intelligente, pleine de douceur et de piété, elle faisait raj'onner son heureuse influence sur ses compagnes et sur ies enfants qui lui étaient confiées. Vers la fin de décembre, le jour même de la Noël de cette année 1886, elle tomba tout à coup dans un état qui devait progressivement s'aggraver. Sa faiblesse devint extrême, le dégoût des ali-
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ments absolu. Elle dut interrompre son travail. Le médecin qui la soignait crut constater en elle une gastralgie aiguë, avec anémie générale. Pendant neuf mois, les soins les plus assidus lui furent prodigués; mais le mal, au lieu de céder, ne fit que grandir, en prenant des formes qu'il n'avait pas revêtues jusqu'alors. Des crises nerveuses, d'une violence inouïe, se produisirent, suivies de syncope et de prostration générale. Bientôt ces crises arrivèrent à leur paroxysme. Elles furent aussi pénibles pour la pauvre malade qui les subissait, que pour les personnes qui l'entouraient. Ses membres se distendaient, sa respiration devenait haletante, sa tête s'agitait convulsivement, et des cris inarticulés de souffrance et d'angoisse s'échappaient de sa gorge contractée. Pendant ces heures pénibles, Marie Saint-Germain ne perdait ni sa paix, ni sa patience, ni surtout sa confiance en la Vierge Immaculée. Elle pressait sur ses lèvres la Médaille miraculeuse et offrait à Dieu ses effrayantes douleurs. On crut devoir appeler un second médecin en consultation avec le premier. Le traitement fut modifié, on se décida à essayer d'une cure d'eaux. L'été de 1887 venu, Marie se rendit aux Baignots de Dax. Pendant quelques jours, les bains et les douches amenèrent une légère amélioration qui ne dura guère; bientôt les crises recommencèrent comme par le passé. Ce n'est pas tout. L'estomac était devenu réfraetaire à toute nourriture : le lait écrémé était le seul aliment qu'il pût accepter; encore n'était-ce très souvent qu'au prix des spasmes les plus fatigants.
En 1888, les médecins, — tous les docteurs de la ville, du reste, se sont succédé auprès du lit de la malade, — essayèrent de vésicatoires, de pointes de feu et de révulsifs énergiques. Le tout fut inutile. Une nouvelle saison aux eaux de Dax fut alors conseillée. Marie revint donc aux Baignots pendant l'été. Elle y fut tour à tour traitée par l'hydrothérapie et par l'électricité; mais rien ne réussit. Devant la science impuissante, — impuissante même à
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définir clairement son mal, — Marie, calme et résignée, se réfugia en Dieu. Elle aimait alors, dans ses cruelles épreuves, à dire son contentement de ressembler, par la souffrance, à son divin modèle. Ce n'est pas sans émotion et sans une respectueuse sympathie que ses compagnes et ses amies, qui venaient souvent la visiter, admiraient en elle cette paix, cette allégresse inaltérable qui se reflétait sur ses traits pâles et amaigris. Immobilisée sur son lit comme sur une croix, elle passait les longues heures de ses journées et les heures plus longues encore de ses nuits sans sommeil à prier, à réciter son Rosaire, les yeux fixés sur l'image de la Vierge Immaculée. Sa grande joie, joie souvent accordée, était de recevoir son Dieu dans la divine Eucharistie.
En juin 1888, Marie, sur les instances qui lui furent faites, se laissa transporter à Lourdes. En parlant de ce pèlerinage, qui ne lui donna que des consolations spirituelles, mais qui ne lui procura aucun soulagement corporel, elle disait à son directeur :
ce Je ne manquai en ce moment ni de foi ni de confiance, mais je n'éprouvai en moi aucun indice de guérison : il me semblait que ce n'était pas la volonté de Dieu que je fusse encore délivrée de mon mal. »
Dès lors, l'état empira et devint douloureux au suprême degré. La malade perdit absolument l'usage de ses jambes ; elle perdit aussi la parole. L'alimentation par le lait, la seule possible, devint elle-même excessivement difficile. Son estomac ne pouvait le supporter qu'au prix de crises aiguës et prolongées. La difficulté de déglutition était telle, en effet, qu'elle ne pouvait recevoir, lorsqu'elle communiait, qu'un fragment de la sainte hostie, et jusqu'au 27 novembre dernier, il ne lui a pas été possible de communier autrement. Cependant, toujours maîtresse d'elle-même, Marie acceptait silencieusement le martyre qu'elle endurait et dont elle cachait autant que possible les cruelles soufi5
soufi5
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frances, afin d'épargner la sensibilité de sa vieille mère, qui, pendant toute sa maladie, l'a environnée de sa tendresse et de ses soins les plus dévoués et les plus constants.
1889 et 1890 s'écoulèrent sans que rien vînt modifier cet état. Au mois de septembre 1891 le mal empira subitement. La malade se trouvait dans l'impossibilité d'avaler même quelques gorgées de lait. On ne pouvait atténuer ses crises qu'en employant la morphine et à haute dose le chloral et le chloroforme. L'anémie devint complète. La fin paraissait prochaine; Marie demanda et reçut les derniers sacrements. Après l'extrême-onction il y eut accalmie, et peu à peu le danger disparut.
Les années 1892 et 1893 virent, comme les années précédentes, se reproduire les mêmes accidents et les mêmes crises. Ces crises cependant avaient une telle acuité, elles lui arrachaient des cris si déchirants, que le propriétaire de l'appartement qu'elle occupait avec sa mère lui donna congé. Ce fut alors qu'elle obtint d'être admise comme pensionnaire à l'hospice. Elle y reçut, dans une chambre séparée des salles ordinaires, les soins les plus empressés des bonnes Soeurs de Saint-Vincent, ne cachant pas sa joie de se voir abritée sous ce toit doucement et saintement hospitalier.
Nous sommes aux derniers mois de l'année 1894. Le docteur D..., qui, depuis 1886, soignait Marie avec le plus grand dévouement, voulut, au commencement de novembre, faire constater son état, fort singulier au point de vue pathologique, à deux de ses confrères. Il leur montra donc son sujet, et leur exposa longuement les phases diverses de la maladie. Il ne leur dissimula point que le diagnostic de cette névrose lui avait paru fort embarrassant. Le cas intéressa vivement l'un de ces messieurs, le docteur C..., qui prit à coeur de traiter Marie. Il la revit quelques jours après et lui dit, avec autant de bienveillance que de franchise : « Je n'ai pas l'intention de vous guérir, mais je voudrais
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vous soulager. » Il la pria alors de se prêter à ses expériences. Marie accepta. Deux infirmières, aidées du docteur, la soulevèrent de son lit. Mais dès qu'on essaya de faire reposer ses pieds sur le sol, ses jambes atrophiées ne purent la soutenir; une crise violente se déclara, et après l'avoir assise et maintenue quelques instants sur un fauteuil, il fallut la remettre, presque inanimée, sur son lit. Le médecin, aussi surpris qu'ému de cette scène douloureuse, s'excusa de l'avoir occasionnée, et dit à la malade : « Mademoiselle, j'ai le regret de vous déclarer que vos pieds ne doivent plus toucher le plancher de votre chambre : désormais, ne quittez plus votre lit. » Ceci se passait le 21 novembre.
Tous ces traitements divers, tous ces essais inutilement renouvelés, montraient bien l'impuissance de la science. Huit médecins, en effet, avaient à diverses reprises examiné et traité la malade sans arriver à un résultat appréciable, sans avoir pu même définir son cas autrement que par des termes génériques. Aussi, Marie ne comptait guère sur les secours de l'art, bien qu'elle fût très reconnaissante à ceux qui les lui prodiguaient. Elle espérait en la Vierge Immaculée, et attendait son heure.
Cette heure allait venir. Le 27 novembre, l'Eglise devait célébrer, pour la première fois et solennellement, la fête de la Médaille miraculeuse, récemment instituée par le Souveverain Pontife. A Mont-de-Marsan, les Filles de la Charité se disposaient à donner à cette fête un éclat tout particulier. Marie Saint-Germain, en apprenant ces préparatifs, éprouva ce qu'elle n'avait jamais ressenti jusqu'à cette heure, avec le désir d'une guérison qui serait tout à l'honneur de la Vierge, l'espoir intime qu'elle pourrait bien l'obtenir. Autour d'elle on l'engage, du reste, à faire une neuvaine à la Vierge Immaculée, honorée dans sa Médaille miraculeuse. Elle accepte avec reconnaissance, place elle-même cette neuvaine sous le patronage de saint Antoine de Padoue, et demande à ses compagnes, aux Enfants de Marie,
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de vouloir bien y prendre part. A certaines heures il y a comme un courant qui vient du ciel et qui entraîne les .âmes. La Vierge, par sa Médaille miraculeuse, avait opéré taat de miracles ! Pourquoi n'accorderait-elle pas à celle •qui fut son enfant privilégiée une grâce qu'elle méritait à tous égards?... Les soeurs de l'Hospice et de l'Ecole s'unirent aux prières des congréganistes. L'une d'elles, cependant, la bonne sceurX..., se tint à l'écart. La foi, certes, ne iui manquait pas, mais la grâce qu'on demandait lui paraissait si extraordinaire qu'elle préféra ne pas la solliciter. Pourquoi signalons-nous l'abstention, singulière au premier abord, de cette réfractaire? On le verra tout à l'heure. Nous voici au 27 novembre. Il avait été décidé que ce four-là, coûte que coûte, l'on transporterait Marie Saint■Germain à la chapelle sur un fauteuil-lit, afin qu'elle pût ■assister à la sainte messe, et le soir, si ses forces le lui permettaient, aux vêpres solennelles. Mais, avant de poursuivre notre récit, résumons en quelques mots l'exposé que nous menons de faire. A cette date du 27 novembre :
Il y a sept ans que Marie est sans atténuation aucune •dans son mal, immobilisée et comme clouée dans son lit. SI y a sept ans qu'elle subit des crises nerveuses si violentes, que peu de personnes en peuvent supporter le douloureux spectacle.
[1 y a sept ans que sa seule nourriture consiste dans un peu de lait, avalé, du reste, avec beaucoup de peine.
Il y a sept ans qu'elle n'articule plus une parole vraiment intelligible, et qu'elle est obligée de recourir à des -signes ou à quelques mots tracés sur une ardoise pour se faire comprendre.
il y a sept ans que ses jambes ne peuvent plus la porter, •et que ses pieds ne peuvent, sans d'intolérables souffrances, anême effleurer le sol.
Tel était donc l'état de notre pauvre malade, le 27, le jour de la fête de la Médaille miraculeuse. A six heures du
matin, un infirmier vigoureux la prend dans ses bras eî la transporte sur le fauteuil-lit qui lui a été préparé dans la chapelle. Toute la.Congrégation se trouve déjà réunie. Marie assiste au saint sacrifice et communie. Après la messe,, on la reporte dans un parloir du rez-de-chaussée, eî ors l'étend sur une chaise longue. Elle est lasse, mais bien paisible et bien calme. Son directeur vient la saluer. « Que je suis heureuse, lui dit-elle, j'ai pu assister à la sainte messe l Il y a si longtemps que ce bonheur ne m'avait pas été accordé ! Je ne suis pas guérie, il est vrai, mais que la volonté de Dieu soit faite. Je ne veux que ce qu'il veut ! encore Bne fois ma joie est bien grande aujourd'hui ! » Elle reçut ensuite la visite de quelques-unes de ses amies et des soeurs de l'hospice. La matinée se passa ainsi. Vers midi, les soeurs la quittèrent pour aller au réfectoire. Marie resta seule. A ce moment la fatigue était grande chez elle : elle crainî de ne pouvoir assister aux cérémonies de l'après-midi, et elle se sent envahie par une impression intime et poignante.... Elle se rappelle alors son long passé de souffrances, cemartyre de plusieurs années, dont elle ne peut, hélas ! entrevoir la fin, sa mère gravement malade, elle aussi, ses privations, ses tristesses de toute sorte.... Mais voici que tout à coup, à ces réflexions et à ces retours si pénibles succèdeune pensée pleine de confiance et d'espoir. « Si la sainteVierge m'avait guérie, se dit-elle, si j'essayais de me lever l » Elle hésite un instant : si elle se soulève, elle va évidemment retomber lourdement sur le sol, et personne n'esî là pour lui venir en aide... qu'adviendra-t-il d'elle?... N'est-ce pas imprudence, témérité que de faire seule une tentative dont rien, dans son état présent, ne peut lui faire espérer le succès? Mais la foi l'emporte sur ces hésitations. Elle baise avec amour, avec ardeur, la Médaille miraculeuse qu'elle porte sur elle; elle dit avec toute son âme l'invocation si souvent exaucée : « O Marie conçue sans péché », elle saisit la poignée de la porte qui est près d'elle, et elle se dresse.
O surprise ! les jambes sont fermes et ne fléchissent plus. Profondément émue, mais calme dans sa joie, elle s'assied sur la chaise longue, et attend quelques instants. Le repas des soeurs est terminé, et l'une d'elles, la soeur X., la soeur réfractaire, la soeur qui n'avait point voulu de la neuvaine, vient au parloir retrouver la malade. « Ma soeur, lui dit Marie, dont la parole, si elle n'est pas entièrement revenue, est assez distincte en ce moment, je veux me lever et marcher. « La soeur X..., troublée d'abord, sent bien vite la confiance la gagner, elle aussi. « Eh bien ! dit-elle, répétons trois fois l'invocation : O Marie conçue sans péché, et puis levez-vous, je vous soutiens. » L'invocation est dite. Marie se lève, marche et se promène dans l'appartement. La soeur la regarde avec saisissement. « Ah ! c'est trop fort, s'écrie-telle, à la fois tremblante, heureuse et confuse. Voici que la sainte Vierge m'oblige à être, la première, témoin d'un miracle que je n'ai pas eu le courage de lui demander. » Et les larmes s'échappent de ses yeux. Les autres soeurs arrivent alors et poussent des crisd'étonnement et de joie. Le parloir donne sur le jardin. Marie y pénètre, traverse les allées et se rend au pied de la statue de la Vierge. Là, le Magnificat est chanté par les Filles de la Charité et par quelques congréganistes du voisinage immédiatement accourues. Mais après avoir remercié sa mère du ciel, la miraculée veut aller embrasser sa mère de la terre : elle monte les longs escaliers de la maison et va trouver Mme SaintGermain, alitée depuis quelques semaines, et dont il serait difficile d'exprimer la surprise et l'attendrissement.
Cependant la nouvelle de la guérison subite se répand comme une traînée de poudre dans la ville entière. Les visiteurs affluent et, les larmes aux yeux, félicitent l'heureuse jeune fille qui ne sait exprimer sa gratitude et son bonheur qu'en pressant sur son coeur la Médaille miraculeuse.
Le soir, malgré les émotions de la journée, Marie se
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rend, au bras d'une soeur, à la chapelle et assiste facilement aux vêpres et au sermon. Mais ce n'est pas tout, après avoir marché, mangera-t-elle? On lui offre son lait habituel : accusant alors un besoin qu'elle ne connaissait pas depuis bien des années, un vif appétit, elle réclame un repas plus substantiel et prend du bouillon, des oeufs, des gâteaux. La stupéfaction était générale. Le lendemain, Marie se levait à six heures, assistait à la messe, se rendait seule à la sainte table et communiait. Dans la journée, elle prenait part au repas commun des pensionnaires. Trois jours après, le 3o novembre, après la récitation du chapelet faite en commun et à laquelle elle assistait, la parole lui était subitement et complètement rendue. La guérison était entière.
Depuis ce jour, les forces sont revenues à vue d'oeil. Il ne reste à Marie de son ancienne maladie qu'un peu de faiblesse dans les jambes ; mais l'état général est excellent. A la date où nous traçons ces lignes, le 7 février, elle a repris sa vie ordinaire d'autrefois et s'occupe sans fatigue de lingerie et de couture.
Tels sont les faits. Nous les relatons tels que nous les avons vus et avec une scrupuleuse exactitude. La science voudra-t-elle les expliquer naturellement? C'est, possible. Mais avec un praticien de valeur qui rendait visite à Marie Saint-Germain, quelques jours après sa guérison, nous dirons : « Belle cure ! Que les gens du métier qui n'en sont pas surpris, en fassent autant ! »
Pour nous, tout en restant dans cette réserve prudente qui s'impose lorsqu'il s'agit de qualifier un fait de miraculeux, nous remercions Dieu de ses dons, la Vierge de sa maternelle tendresse, et nous répétons avec plus de confiance que jamais : O Marie conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous.
PROVINCE D'AUTRICHE
Lettre de M. SZABARI, prêtre de la Mission, à M. A. FIAT, Supérieur général.
Heureux succès de mission.
Graz, ie 3 février 189J.
MONSIEUR ET TRÈS HONORÉ PÈRE, Votre bénédiction, s'il vous plaît I
En parlant des Missions avec un de nos chers confrères, j'ai pris la résolution de vous donner quelques détails sur deux missions que nous venons de faire. Puissent-ils vous être agréables.
Le 8 janvier, nous partîmes, trois Missionnaires de "Vienne, pour nous rendre en Hongrie dans l'intention d'y donner quatre missions dans une seule tournée. Dieu en décida autrement, et nous avons dû en laisser deux. Le lieu où la sainte mission fut ouverte, le 9 janvier, s'appelle Csoth, dans le diocèse de Veszpoém. On aurait pu craindre que la mission fût peu suivie, car le temps était alors très mauvais. A certains endroits la neige qui bordait le chemin était si élevée qu'elle atteignait la hauteur de nos chevaux. Notre voiture fut obligée, pendant un certain temps, de passer à travers champs, car la route était impraticable, quoique de nombreux ouvriers munis de pelles fussent occupés à enlever la neige. Le froid était assez intense, et le vent qui soufflait avec violence avait renversé la baraque où l'on vendait les objets de piété. Malgré cela l'affluence des gens qui accouraient de près et de loin était si grande que nous en étions dans l'étonnement. Il y en avait qui se levaient à deux heures de la nuit et faisaient plusieurs lieues
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pour venir à la sainte mission : c'est par amour pour Dieu, pour sauver leur âme immortelle qu'ils agissaient ainsi. L'église était toujours comble. Une circonstance surtout fut touchante, c'est lorsqu'une Juive, qui assistait aux instructions, le 17 janvier, jour où l'on parla du Très Saint Sacrement, dit tout haut après l'instruction : Dieu vous bénisse, très révérends Messieurs I et elle vint nous baiser la main. Elle voulut même acheter des cierges pour l'église. Il faut encore mentionner qu'une jeune fille de quatorze ans montra ici un courage vraiment admirable contre son propre père. Elle était issue de mariage mixte. Elle assistait à tous les exercices de la mission ; le dernier jour, son père, qui était protestant, la surprit et la maltraita au point qu'on la crut morte. Elle se confessa et communia le 19 janvier, et trouva dans le pain des anges la force de supporter les persécutions dont elle était l'objet.
Dix jours étaient passés, et nous nous rendîmes à la station suivante, Vanyola, à peu de distance de Csoth. C'est une localité dont la moitié des habitants sont luthériens. Notre joie y fut encore plus grande qu'à Csoth. L'église se trouve à une quinzaine de pas du presbytère; nous ne pouvions cependant arriver qu'avec peine à la sacristie qui n'a point de porte ouvrant au dehors. Pour y parvenir, il falfait traverser une foule compacte qui s'était massée dans l'église : impossible de passer sans le bedeau, et il fallait voir comme celui-ci s'efforçait de nous ménager un étroit passage. Malgré l'affluence si grande, le silence le plus absolu régnait dans l'église, particulièrement durant les instructions ; il ne fut interrompu que lorsque, par suite de la chaleur étouffante produite par l'agglomération, quelques personnes se trouvèrent mal.
Notre Directeur de mission, M. Lollok, nous assura que parmi les missions des petites localités, il n'y en avait pas encore eu de plus belle. Ah ! comme les luthériens étaient avides d'entendre la parole de Dieu ! Us le montrèrent bien
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en prenant, hommes, femmes, enfants, une part assidue à tous les exercices. Plusieurs, levant les mains, s'écriaient : « Nous ne resterons point luthériens. » L'un d'eux voulut se confesser. Daigne le Seigneur accorder à celui-ci et à tous nos frères égarés la grâce de la conversion, afin qu'ils retrouvent le bercail de Jésus-Christ !
M. le curé de la paroisse, qui est âgé de soixante-douze ans et compte ici trente-sept ans de ministère, nous a déclaré que la sainte Mission a été ce qu'il lui a été donné de voir de plus beau depuis qu'il est à la tête de la paroisse. Les habitants disaient qu'ils étaient au ciel. Pour vous faire une idée, mon très honoré Père, de l'occupation que nous ont donnée les missions, surtout à Vanyola, il faut savoir que le monde venait nous trouver dans notre maison avant quatre heures du matin, et que nous étions obligés de donner à nos prières le temps destiné à la récréation. Le nombre des communions a été, à Csoth et à Vanyola, de près de 2 400, sans compter les enfants.
Nous étions tout prêts à aller donner la Mission à Vaszar, quand arriva une lettre inattendue de M. le Visiteur qui nous rappelle à Graz. Cela nous faisait de la peine, mais vox Superioris est vox Deî. Cette nouvelle fut connue le même jour par les habitants de Vaszar, qui avaient déjà érigé une croix de mission. Ils vinrent chez nous en foule, s'approchèrent des saints sacrements et demandèrent ce qui s'était passé. Nous avons vu pleurer même des hommes que nous ne pûmes consoler qu'en leur assurant que la sainte Mission chez eux n'était point omise, mais simplement différée. Ils avaient le coeur bien gros à notre départ.
Plus de quarante missions populaires sont inscrites pour la Hongrie. Quand pourrons-nous les donner? Nos forces sont bien faibles : Operarii pauci.
Voilà ce que je voulais vous communiquer brièvement. Je me recommande à vos ferventes prières, ainsi que le bon
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M. Medits, qui depuis vingt-huit ans, l'âme de nos missions hongroises, ne peut plus depuis novembre dernier, par suite de son infirmité, prendre part à aucune; et je demeure, en l'amour de Notre-Seigneur et de Marie Immaculée,
Monsieur et très honoré Père,
Votre fils très humble et très obéissant,
MICHEL SZABARI,
I. p. d. 1. M.
PROVINCE D'ESPAGNE
LA DEVOTION
AU BIENHEUREUX JEAN-GABRIEL PERBOYRE A JEREZ DE LA FRONTERA '
Les fidèles de Jerez de la Frontera professent une dévotion particulière à notre glorieux martyr, le bienheureux Jean-Gabriel Perboyre. Nous en avons une nouvelle confirmation dans une lettre que soeur Jeanne Aguirre, Fille de la Charité, supérieure de l'asile Saint-Joseph, écrivit, à la date du 8 novembre, à M. Valdivielso, prêtre de la Congrégation de la Mission. Elle dit qu'on a célébré dans l'asile Saint-Joseph, à l'occasion de la fête du Bienheureux (7 novembre), un Triduum auquel le peuple de Jerez est accouru en foule ; beaucoup de prêtres ont voulu célébrer le saint sacrifice sur l'autel érigé dans l'asile en l'honneur de l'insigne confesseur de la foi; toute la journée, la chapelle a été remplie de personnes qui venaient prier le bienheureux martyr.
A propos de l'autel élevé, dans l'asile Saint-Joseph, au bienheureux Perboyre, le journal de Jerez, Guadalete, a publié ce qui suit :
« Hier jeudi, 3o août, on a inauguré dans l'église de l'asile Saint-Joseph un autel où est placée la vénérable image du courageux champion de Jésus-Christ, le glorieux martyr, le bienheureux Jean-Gabriel Perboyre.
« Etant donnée la situation difficile où se trouve ce bienfaisant établissement, puisqu'il n'a point d'autres rentes que celles de la charité, les aumônes avec lesquelles on
ï. Jerez ou Xérès de la Frontera, ville de la province de Cadix (Andalousie).
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entretient deux cents personnes, vieillards pauvres incapables de travailler, femmes âgées et abandonnées, enfants; étant donné que cette triste condition est augmentée encore par la cherté des vivres, nous admirons qu'on ait pu ériger cet autel. Nous l'avouerons d'ailleurs, il a été fait de diverses pièces anciennes, mais très heureusement ajustées par les soins délicats des héroïques Filles de la Charité, soeurs de l'illustre martyr. Car on sait qu'il appartenait à la célèbre Congrégation fondée par saint Vincent de Paul pour évangéliser les pauvres.
« Fait comme nous l'avons dit, l'autel, malgré les soins intelligents de M. Séraphin de Maria, n'est pas terminé : restera-t-il inachevé? Les glorieuses filles de saint Vincent de Paul, qui se lèvent à quatre heures du matin en tout temps et toute leur vie (acte qui, s'il était imposé comme pénitence pour les péchés les plus atroces, coûterait immensément à ceux qui voudraient l'accomplir avec l'exactitude qu')r apportent ces femmes innocentes) ; elles ne se couchent quelquefois que le lendemain, lorsqu'elles sont obligées de veiller les rùalades; les filles de saint Vincent, qui consolent tous les affligés, secourent tous les nécessiteux, soulagent tous les malheureux dans les asiles, les hôpitaux de toutes sortes, les crèches, les écoles d'enfants et d'adultes; les filles de saint Vincent qui font d'une manière si touchante et si admirable le bien le plus élevé auquel on puisse aspirer sur la terre, le bien de la charité, se considérant, ainsi qu'elles le sont réellement, comme les représentantes de la Providence de Dieu dans le monde, et imitant ce même Dieu, dont l'attribut le plus beau par rapport à la créature est de faire du bien; ces pieuses filles ne peuvent quêter, les règles de leur saint Institut ne le leur permettent point. Néanmoins, rien ne manquera aux oeuvres charitables qui leur sont confiées, car c'est la grande charité de la digne population de Jerez qui veut y pourvoir.
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« Les dévots du glorieux martyr, ceux en si grand nombre déjà qui ont été favorisés de grâces par la puissante intercession de l'invincible athlète de Jésus-Christ, méritent nos félicitations ; ils ont déjà dressé un autel vers lequel ils peuvent, comme vers un foyer de lumière et vers une source de confiance, tourner leurs regards, et de là faire monter leurs supplications vers le trône de l'Eternel. Dieu, nous l'avons constaté, se plaît à exaucer les prières de l'illustre héros qui, devant les tyrans et les bourreaux, a su, pour son amour et pour confesser ses grandeurs, verser tout son sang généreux.
« A l'Asile Saint-Joseph de cette ville de Jerez de la Frontera, appartenait le grand honneur d'être la première maison où, sur un autel spécial, on vénérât l'image du glorieux confesseur de la foi de Jésus-Christ; carcettemaisonfut également la première qui le proposât, dans son église, à la dévotion des fidèles.
« Rarement l'histoire peut constater ce fait touchant de la présence des membres rapprochés de la famille, comme les parents, les frères, les enfants, à la glorification de ceux qui ont vaincu le monde et jouissentdéjàdu bonheur du ciel. Cependant les enfants de sainte Elisabeth, reine de Hongrie, couvrirent de couronnes et de larmes le corps bienaimé de leur sainte mère, au moment solennel où ils le virent exposé à leur vénération sur les autels. La mère de saint Louis de Gonzague portait la bannière où était peinte l'image de son fils, lors des solennités qu'on célébra à l'occasion de sa béatification.
« Le 11 septembre prochain, il y aura cinquante-quatre ans que le généreux confesseur de Jésus-Christ, Jean-Gabriel Perboyre, fut martyrisé en Chine. Et son propre frère, M. Jacques Perboyre, lui aussi Missionnaire de saint Vincent de Paul, vit encore; il réside à Paris, où il aie bonheur de célébrer tous les jours l'auguste sacrifice de la messe sur l'autel où l'on vénère les saintes reliques et
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les trophées du martyr Jean-Gabriel 1. Nous l'honorons sur les autels, et parmi ceux qui s'agenouillent devant ses restes précieux pour implorer sa protection bienfaisante, se trouvent les enfants de son propre père !
« L'inauguration du nouvel autel, dont nous tenions à faire mention, a été célébrée par une messe solennelle chantée par celui que nous pouvons appeler le propagateur de la dévotion au glorieux martyr, notre illustre et respectable ami, M. Baldomer de Lorenzo y Leal. »
i. Deux des soeurs du bienheureux martyr, Filles de la Charité, servent encore Dieu et les pauvres depuis de longues années dans la famille de saint Vincent de Paul : l'une à la maison principale des Soeurs à Naples, l'autre sur cette terre de Chine que son bienheureux frère a arrosée de son sana.
PROVINCE D'IRLANDE
Lettre de M. PATRICE BOYLE, supérieur du Collège des Irlandais, à Paris, à M. A. FIAT, Supérieur général.
Mort de Mgr Laurent Gilloly, de la Congrégation de la Mission, évêque d'EIphin i (Irlande).
Paris, le 22 Janvier 1S95.
MONSIEUR ET TRÈS HONORÉ PÈRE,
Votre bénédiction, s'il vous plaît !
Mgr Lynch m'écrit : « Veuillez remettre à notre bienaimé Père général la pièce ci-jointe...
« Il regrette, je n'en doute pas, la perte de notre bien cher confrère l'évêque d'EIphin, dont la sainteté et le zèle a illustré l'épiscopat ainsi que notre Congrégation, qu'il a tant aimée. Les journaux sont pleins de ses louanges. » — Ainsi s'exprime Mgr Lynch.
Un journal irlandais adonné un bien beau résuméde la vie de Mgr Gilloly. Pendant son épiscopatilafait bâtir—il dirigeait tout lui-même— une cathédrale, un séminaire et un palais épiscopal, vingt-sept églises, quarante-sept presbytères, cinq maisons de religieuses, cent quarante-six écoles. Quoiqu'absorbé par l'administration, il faisait régulièrement une heure d'oraison le matin et une demi-heure le soir.
Pendant les vacances dernières, j'ai passé, sur son désir, quinze jours avec lui. Comme il m'avait exprimé le souhait de lire la Vie de M. Etienne, je lui' en ai envoyé un exemplaire. Il m'a écrit pour me remercier, et dans sa lettre il
1. Elphin, ville de la province de Connaught. Évêché.
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dit : « Je l'aimais beaucoup (M. EtienneJ, et j'espère que 1 lecture de sa Vie me fera du bien. »
Puisqu'il n'est plus, il ne sera pas indiscret de ma part de dire qu'il a exprimé sa grande estime pour le successeur actuel de M. Etienne.
Aujourd'hui, 22, ses obsèques solennelles ont lieu à Sligo.
Veuillez agréer, Monsieur et très honoré Père, l'expression des sentiments dévoués avec lesquels j'ai l'honneur de
rester
Votre tout dévoué fils en Notre-Seigneur.
PATRICK BOYLE, I. p. d. 1. M.
Mgr Gilloly (Laurent) était né en Irlande en 1819. Il fit ses études au séminaire des Irlandais, à Paris, et alla les terminer, pour trouver un climat plus doux, au grand séminaire de Montpellier. Il entra dans la Congrégation de la Mission en 1844. Il fut promu malgré lui à l'épiscopat en i856, et depuis trente-huit années, le diocèse d'EIphin, en Irlande, son diocèse d'origine, a été le théâtre de ses travaux et de son zèle. Il laisse une mémoire vénérée. Nous nous proposons de publier sa notice biographique dans les Annales.
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ITALIE
PROVINCE DE LOMBARDIE
Lettre de M. TASSO, prêtre de la Mission, à M. A. FIAT, Supérieur général.
Vertus et mort de M. Théodore Dalfi, prêtre de la Mission.
Chici'i, le 10 février >St)5.
MONSIEUR ET TRÈS HONORÉ PÈRE, Votre bénédiction, s'il vous plaît !
Dieu est venu frapper à la porte de notre Maison. Il a appelé à lui notre cher et vénéré doyen, M. Théodore Dalfi, âgé de soixante-dix-huit ans. Il y en avait dix-huit qu'il appartenait à la famille de saint Vincent.
Il était déjà, avant d'entrer chez nous, un « homme puissant en oeuvres et en paroles », et c'était en toute vérité un vieillard charmant et édifiant.
Il était né à Saint-Maurice Canavese, non loin de Turin, le 21 juillet 1817. Devenu prêtre en 1842, et curé en i85o, la paroisse de Casanova, dont il resta chargé pendant vingt ans, était devenue semblable à une communauté : il y était vénéré comme un père, et il en était l'économe, le trésorier, le médecin, le pharmacien et le conseiller.
C'est en 1857 qu'attiré par sa dévotion pour les Lieux saints, il s'unit à un pèlerinage qui partait de France et alla visiter la terre sanctifiée par la présence du Sauveur. En i865 il y retourna ; il y fit un séjour prolongé d'où il rapporta des souvenirs précieux sur l'Egypte, l'Arabie Pétrée, la Palestine, la Syrie et l'Asie Mineure, qui sont devenus sous sa plume un vaste et précieux ouvrage : le Voyage
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biblique en Orient, accompagné de cartes spéciales, dresséessous sa direction avec un soin remarquable et qui ajoutent à l'oeuvre un grand prix 1.
Témoin de tout le bien qu'il faisait à Casanova, Mgr Lorenzo Gastaldi, alors archevêque de Turin, jugea bon delui confier en 1876 la paroisse de Lanzo, beaucoup plusimportante et qui offrait de particulières difficultés. M. Dalfi' l'accepta par obéissance. Mais il ne tarda pas à s'apercevoir que sa nouvelle paroisse ne pouvait point être misesur le pied de celle qu'il venait de quitter. C'est alors que., homme d'une conscience inflexible et caractère tout d'une pièce, sentant l'impossibilité de plier les autres au devoir,, après six mois de tentatives inutiles, il prit, malgré ses soixante ans, la résolution de laisser là le gouvernement de sa. paroisse pour se retirer du monde; il vint frapper à la porte de notre Congrégation pour y trouver ce que le monde ne pouvait lui donner, c'est-à-dire la paix de l'âme dans l'humble soumission et la parfaite obéissance.
Pour montrer toute l'estime qu'il avait de sa nouvelle etr chère vocation, qu'il nous suffise d'ouvrir le Journal danslequel il consignait les actes les plus remarquables de sa. vie.
Ayant été admis dans notre Maison de SantaMaria délia-- Pace, à Chieri, le 28 avril 1877, il écrit à cette date :. « Messe à Chieri, à mon intention, dans l'église et à la maison où se trouve le séminaire interne des prêtres de la Mission de Saint-Vincent. J'ai célébré pour rendre grâces à< Dieu qui a bien voulu nie tirer des agitations du siècle. >; Puis, épanchant son coeur, il écrit en caractères plus fortset soulignés : « J'ai trouvé la paix dans cette demeure. Puis— sé-jey mourir! » Il devait en effet dix-huit ans plus tard y rendre à Dieu son âme dans la paix. Ensuite il écrit : « Ceî.-
1. Viaggio biblico in Oriente. Torino, i86q. 4 vol. in-8.—Ils:, aussi publié : Manuale dei catechisti. Torino, 1878. In-12, 280 p.
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heureux premier jour du mois de Marie, après avoir quitté les paroisses de Casanova et de Lanzo, je deviens à l'âge de soixante ans le serviteur du Seigneur, entré dans la famille des Prêtres de la Mission. » Puis, en grosses capitales : « Premier Mois du Noviciat de M. Dalfi. Alléluia ! Alléluia !
Deux ans après, le 4 mai 1879, il écrivait : « Ce matin, à cinq heures, dans notre oratoire privé, j'ai fait les voeux de chasteté, de pauvreté, d'obéissance et de stabilité dans la Congrégation de Saint-Vincent. Oh ! que je suis heureux d'avoir été — bien qu'ouvrier de la onzième, et peut-être de la dernière heure — jugé digne par Dieu de prononcer ces voeux. J'ai toujours aspiré à la Mission... »
Toujours il était prêt à aller en Mission, adonner des exercices spirituels; il prêcha tant que ses forces physiques lui en laissèrent la liberté. Il ne reculait devant aucune fatigue, ne donnait jamais le moindre signe d'impatience ou de lassitude, allait partout où l'obéissance l'envoyait pour n'importe quelle fonction et avec n'importe qui comme compagnon. Toujours joyeux et dispos, il était aussi plein d'entrain sur la fin de sa vie qu'aux premiers jours de son entrée parmi nous. Le zèle pour la gloire de Dieu et le salut des âmes était sa vertu caractéristique.
Ce lui fut une peine vraiment sensible quand, perdant tout à fait la mémoire en dépit d'une santé encore florissante, il ne put plus s'adonner à l'exercice si aimé de la prédication.
Il trouva dans la prière le remède à ses maux, s'adonna plus assidûment encore au confessionnal et se montra, jusque dans les moindre détails, le fidèle observateur de nos règles et pratiques communes. Il était le premier rendu à tous nos exercices de communauté, et cela, jusqu'au moment où, cinq jours seulement avant sa mort, il fut forcé de s'aliter pour ne plus se relever.
Malgré ses soixante-dix-huit ans, la mort semblait vouloir le respecter encore, quand une fluxion de poitrine
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vint, en moins de huit jours, le ravir subitement à notre affection et à notre édification.
Les dernières paroles qu'il m'a dites en épanchant son grand coeur, paroles accompagnées de ses larmes, étaient pour redire sa reconnaissance à Dieu et à ses supérieurs de ce qu'on avait bien voulu le recevoir dans la Congrégation en dépit de ses soixante ans, et aussi de ce qu'il avait pu « faire une centaine de missions et donner deux mille sermons ».
Quand il lui fallut renoncer à son exercice si cher des missions, il demanda à revenir de la maison de Casale à celle de son noviciat, Chieri, maison qu'il affectionnait vraiment. Il y passa les dernières années de sa vie religieuse, à la grande édification de nos jeunes gens qui aimaient à s'édifier de sa piété, de son amour du silence, d'une gravité qui n'excluait pas une douce gaieté, et de son exemplaire ponctualité à toutes nos pratiques de communauté.
Un jour, quelqu'un, abusant de son manque de mémoire, lui donna à entendre en riant que, faute de ressources, le séminaire serait nécessairement fermé et les séminaristes renvoyés. Le bon vieillard, qui avait des ressources personnelles, courut chez le Supérieur pour lui dire qu'il voulait qu'on les employât toutes à la conservation du séminaire et des séminaristes.
11 ne me reste plus, mon très honoré Père, qu'à implorer le suffrage de vos prières pour notre cher défunt, et votre paternelle bénédiction pour nous tous qui ne trouvons d'allégement à cette pénible séparation qu'en pensant au profit spirituel que nous pouvons tirer des pieux exemples du cher et vénéré M. Dalfi.
Je suis, en l'amour de Notre-Seigneur et de Marie Immaculée, Monsieur et très honoré Père,
Votre fils très humble et très obéissant,
V. TASSO.
I. p. d. 1. M.
ASIE PROVINCE DE CHINE
ILa guerre qui a éclaté entre la Chine et le Japon au sujet de la •^revendication de la suzeraineté sur la Corée, continue avec tous les anaux qu'entraîne cette situation.
L'empereur de la Chine, nommé Kwang-Sié, âgé de vingt-deux ans, •zsî peu connu de son peuple. C'est l'impératrice mère — nous dirions ■CE France, l'impératrice douairière — qui gouverne ; elleavait exercé Zz. régence de 1881 à 1889. Elle se nomme Tsom-Hsi. L'empereur dii Japon, ou Mikado, gouverne lui-même avec l'intervention des ■Chambres ; il est âgé de quarante-deux ans.
Après le succès des Japonais à Ping-yang et à l'embouchure du ■'i)c\ive Ya-lou, puis -à Port-Arthur dont ils se sont emparés, la cause des Chinois paraissait désespérée. Ceux-ci viennent de subir un nouveau désastre dans un autre de leurs grands ports militaires où ils :3c sont courageusement défendus, à Weï-Haï-Weï. La paix s'impose, ;n-iis les Japonais semblent vouloir pousser l'invasion jusqu'à Pékin. :Ues pourparlers viennent cependant de s'engager; c'est le vice-roi • de Tien-tsin, Li-Hung-Chang, qui en est chargé au nom de la Chine. Nos divers vicariats apostoliques ne se trouvent pas sur la route des armées, sauf celui du Tché-ly septentrional, qui comprend la capitale de l'empire, Pékin. — Nous donnons un article d'un journal •conservateur (Le Soleil, numéro du 14 janvier 1S95), qui décrit •d'une manière exacte la situation de la colonie étrangère à Pékin; :puïs quelques extraits des lettres de M. Favier, missionnaire, et de la. soeur Jaurias, Fille de la Charité, qui habitent depuis de longues années cette capitale. La situation n'a pas changé depuis que ces t'ettres ont été écrites, sinon que la misère s'est accrue.
L'armée japonaise marche sur Pékin. Les hauts personnages s'enfuient déjà. Nos compatriotes ne songent nullement à les imiter. Ils estiment qu'ils n'ont rien à craindre ■des éventualités militaires et que le vainqueur ne menace nullement leur sécurité.
Les Français, et les Françaises sont nombreux en Chine, •à Shang-Haï, notamment; mais si on envisage exclusive-
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ment ce qui intéresse la capitale même, le nombre de nos compatriotes est restreint.
On sait, en effet, qu'en principe aucun négociant européen ne peut se fixer à Pékin. Les exceptions, tolérées en ce qui concerne nos compatriotes, sont au nombre de deux, de trois au maximum. L'un de ces privilégiés tient un hôtel.
L'université anglaise pour l'éducation des agents de la douane chinoise compte aussi deux maîtres français, le professeur de français et le professeur de chimie.
Ce sont surtout les membres de la légation française et ceux de la mission catholique qui forment l'élément français : en tout quatre-vingts personnes environ.
La légation de France à Pékin, combien de diplomates s'y sont succédé depuis 1870 : M. Brenier de Montmorand, M. de Geoffroy, M. Bourée, M. de Semolé, M. Tricou, M. Patenôtre, M. Cogordan, le général Chanoine, M. Constans, M. Lemaire !
Les plénipotentiaires sont aidés par deux secrétaires, un attaché, deux interprètes, un attaché militaire, un médecin, un chancelier. Aussi, en comptant quelques serviteurs, le personnel de Français logé à la légation atteint à peine le chiffre de quinze.
D'autre part, les Français de la mission catholique forment une communauté d'environ soixante membres. La moitié sont des Pères Lazaristes; l'autre moitié des soeurs de charité. Ces vaillants fils, ces vaillantes filles de saint • Vincent de Paul ont hérité, à Pékin, des savants jésuites qui ont fondé en Chine, au dix-huitième siècle, le tribunal des Mathématiques, ciselé de merveilleux instruments en bronze à l'observatoire des Empereurs, construit le palais Louis XV et aménagé les eaux jaillissantes dans le parc du Palais d'été.
Les missionnaires russes, qui vivent dans les meilleurs termes avec les nôtres, ne sont que quatre ou cinq. Quant
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aux pasteurs protestants venus d'Angleterre ou d'Amérique et appartenant à diverses sectes, ils sont difficiles à dénombrer exactement, parce que, de la prédication biblique, ils passent dans le service consulaire ou dans l'administration de la douane : on peut estimer leur chiffre à vingt, et à quinze celui des dames qui les secondent dans leur ministère. S'il faut en croire l'article de la Fornightly Reviejp sur la « Grande inutilité des missions protestantes », leur propagande serait peu sérieuse.
Le doyen des Français de Pékin est le Père Favier. Il y arrivait en 1862. Je ne sais si ses notes très volumineuses, enrichies de dessins précieux, seront un jour publiées. Je les ai lues : elles constituent un vrai trésor d'observations détaillées sur le pays, ses moeurs, ses usages. Ce vieil habitant de Pékin a rendu à la patrie des services que ses concitoyens ne doivent pas oublier.
Il y a huit ans, en effet, il quitta (1886) sa chère mission chinoise pour venir plaider et gagner en Europe la cause de la France, lorsque des influences puissantes travaillaient à dépouiller la légation de France de son vieux privilège de protectrice, en Chine, des missions' catholiques.
Il ne fut pas moins heureux lorsqu'il négocia le transfert du Pétang, c'est-à-dire des terrains et des édifices de la mission catholique française, limitrophes autrefois du palais impérial et transportés aujourd'hui dans un autre quartier, rétablis et reconstruits aux frais du gouvernement chinois, avec la plus large entente.
Il est intéressant de remarquer que ces missionnaires français peuvent circuler et posséder'en Chine, mais qu'ils sont seuls à le pouvoir faire. C'est le bénéfice d'une clause spéciale insérée dans le traité conclu avec la Chine ; clause que l'Angleterre ne revendiqua pas dans son traité, et que seule fit reconnaître la France. De telle sorte qu'à cette heure la Chine peut contester à toute mission catholique le
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droit de posséder, sur le territoire du Céleste-Empire, si cette mission n'est pas française'.
A Pékin, comment vivent les quatre-vingts Français, presque aussi nombreux à eux seuls que les Européens de tous les autres pays ensemble ?
Les Français de la légation restent vêtus à l'européenne et participent à la vie animée, sportive, que les Anglais de la douane chinoise ont mise en honneur. Il y a des bals, des garden-partys, des comédies et même des courses de chevaux. On a du vin de France et des eaux minérales.
Les Français de la mission, au contraire, portent le costume du pays avec la queue de cheveux postiches. Le Père Favier est même mandarin à bouton bleu. Ils se nourrissent modestement des aliments du cru. L'eau malsaine de Pékin les éprouverait beaucoup s'ils n'avaient adopté l'usage local de ne la boire que bouillante, sous forme de thé. Ils parlent la langue du peuple très péniblement apprise. Ils ont utilisé pour les objets du culte l'art chinois du cloisonné. Les offices du nouveau Pétang, très pompeusement célébrés par un vicaire apostolique qui a le caractère épiscopal,. au milieu de nombreux séminaristes chinois, sont suivis par les indigènes, convertis ou non, ainsi que par les légations d'Autriche, d'Espagne, d'Italie, de Portugal, de Belgique, avec la légation de France, toujours à la place d'honneur.
D'ailleurs, ecclésiastiques et laïques français vivent dans une parfaite union. La diplomatie française a retenu, grâces à Dieu, l'axiome de Gambetta, savoir que l'anticléralisme n'est pas un article d'exportation; et il est curieux d'entendre les missionnaires venant de Pékin parler avec une sympathie reconnaissante de M. Constans, lequel figui.
figui. faculté va probablement être étendue à toutes les autres missions. (AT. d. l.R.)
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rait dans leur église ou l'officiant célèbre avec un calice donné par Louis XVI et porte un ornement brodé par Marie-Antoinette.— L. DE LA BRIÈRE.
M. Favier écrit de Chine :
Pékin, i3 décembre 1S94.
Les Japonais demandent beaucoup et semblent désirer un refus qui leur permettrait de marcher sur Pékin. La ville est tranquille et rien ne peut faire prévoir des troubles. Les marins européens vont monter à Pékin au nombre d'environ deux cent cinquante, pour défendre au besoin les légations; mais il est bien probable qu'on n'en aura pas besoin. Les vicariats de Mongolie orientale sont en paix; les fuyards vont plus au nord.
Beaucoup de pauvres soldats chinois reviennent et n'ont guère le coeur à combattre, voire même à piller; c'est navrant. Il en passe ainsi des milliers en dehors de Pékin.
La misère est grande, nos hôpitaux regorgent de malades, nos orphelinats sont pleins; les Soeurs du Jen-tse-tang ont huit cents enfants ! Il faudrait un miracle cette année pour que nos ressources ordinaires suffisent. Tout a doublé de prix et les misères de toute nature ont triplé ! Des secours extraordinaires seraient bien utiles.
16 décembre 1S94.
Hier soir, a paru un nouveau décret impérial dans la ■Galette de Pékin, et je vous en envoie la traduction.
DÉCRET IMPÉRIAL
« Cette année, beaucoup de gens de dehors arrivent à Pékin à cause du froid violent; il y a lieu de craindre que, parmi ces gens, il n'y ait des malfaiteurs cherchant des prétextes pour fomenter le trouble.
« C'est pourquoi, en ce qui regarde spécialement la protection des légations et des églises, j'ordonne au grand tribunal de préparer des troupes d'infanterie et de les faire
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commander par les chefs les plus habiles, afin de réprimer toute sédition ou de rechercher tout perturbateur. Il faut que cette protection soit sérieuse. Si donc quelque malfaiteur essaye de troubler de quelque façon la tranquillité de ces établissements, qu'il soit de suite saisi et traité avec la plus grande rigueur, que rien ne soit négligé et qu'on n'ait aucune indulgence pour ces gens-là. Nous affirmons ainsi de nouveau notre amitié pour les nations étrangères. « Respectez ceci. »
En somme, le gouvernement chinois montre de la bonne volonté, mais il paraît que les ministres européens vont exiger cependant que leurs soldats montent à Pékin.
Lettre de la soeur JAURIAS, Fille de la Charité, à M. J. CHEVALIER, assistant de la Congr. de la Mission.
Pékin, maison de l'Immaculée-Conception, le S novembre 1S94.
MON TRÈS RESPECTABLE PÈRE,
La grâce de Notre-Seigneur soit avec nous pour jamais!
Le bon Dieu nous visite. Cette malheureuse guerre entre les Japonais et les Chinois nous cause beaucoup d'inquiétude et nous amène une misère effrayante. Nous avons une vraie famine à Pékin. L'hiver sera affreux pour les pauvres. Les inondations, la rapacité des soldats chinois indisciplinés ont tout dévasté dans la province autour de Pékin. Les vivres ne peuvent arriver de loin; il s'ensuit que tout est à un prix tellement élevé, qu'il est impossible au peuple d'acheter. Il nous faudrait un saint Vincent et un frère comme était son commissionnaire. On pourrait craindre que cette situation n'amenât quelque pillage; j'espère cependant que nos bons anges nous garderont. Nos huit cents enfants sont au bon Dieu, le bon Maître le sait, il y a longtemps que je les lui ai confiés.
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Nous avons craint d'être obligées de quitter Pékin. Il y a eu une panique; toutes les dames sont parties. Nous avons la chance d'avoir un bon ministre français qui, loin de vouloir nous faire partir, est très content que nous n'ayons pas peur. Il répond de la position et il s'est chargé d'avertir nos dignes Missionnaires si le danger devenait imminent.
J'espère que le bon Dieu nous fera la grâce de rester à notre poste. Il serait navrant pour nous de laisser nos chères enfants. Nous prions beaucoup le bienheureux Perboyre de s'intéresser à nos oeuvres et de nous obtenir la paix. Nous espérons l'avoir bientôt, et si le bon Dieu nous la donne, nous l'en remercierons de bon coeur.
Au milieu de ces bouleversements, la grâce du bon Dieu ne nous fait pas défaut. Nos Soeurs sont très courageuses; tout marche comme à l'ordinaire, même avec plus d'ardeur. En un sens, nos affaires vont mieux que jamais : tous les jours nous acceptons plusieurs enfants qui viennent augmenter la famille. Les pauvres ne se comptent pas. La Providence le sait, j'espère qu'elle y pourvoira.
Heureusement pour nous, les santés sont assez bonnes. Je prie le bon Dieu de nous préserver de maladie pendant ces jours mauvais.
J'ai l'honneur d'être, avec le plus profond et filial respect, mon très respectable Père,
Votre très humble et très obéissante fille,
Soeur JAURIAS,
I. f. d. 1. C. s. d. p. m.
PROVINCE DE SYRIE
Lettre de M. CLÉMENT, prêtre de la Mission, à M. A. FIAT, Supérieur général.
Fête de la Médaille miraculeuse. Les oeuvres.
Akbès, le 10 décembre 1894.
MONSIEUR ET TRÈS HONOBÉ PÈRE,
Votre bénédiction, s'il vous plaît !
Je viens rappeler à votre paternel souvenir notre petite famille d'Akbès. Nous sortons de retraite; nous l'avons terminée le jour de la fête de l'Immaculée-Conception. Nous voilà bien retrempés et tout disposés à vivre en chartreux à la maison pour être des apôtres au dehors.
Pendant que nous méditions sur la mort, on est venu me chercher pour administrer les derniers sacrements à l'un de nos paroissiens qui a fait la mort d'un saint. Vraiment le royaume des cieux est pour les pauvres ! Ce brave homme nous laisse sur les bras une veuve et trois petits enfants. Cela fait sur la paroisse cinq veuves et onze enfants complètement à notre charge. Que Dieu nous vienne en aide! Le 27 septembre, fête de l'Apparition de la Médaille, a été un beau jour pour Akbès. Nos chrétiens ont tous chômé. Nous avons eu une très belle fête. Les bons Pères Trappistes sont venus en grand nombre pour prendre part aux offices et ont bien voulu partager notre dîner. Notre cher frère Alexis avait orné notre petite chapelle avec on ne peut plus de goût et de talent; elle était toute tapissée de fleurs naturelles que les Pères Trappistes nous avaient gracieusement offertes. A peu près tous nos paroissiens, hommes,
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femmes et enfants, ont fait la sainte communion pour gagner l'indulgence plénière.
Il y a quelques jours, nous avons béni d'un seul coup trois mariages et fait un baptême; c'est le vingt-sixième depuis mon arrivée à Akbès. Je vous donne bien simplement ces petits détails, Monsieur et très honoré Père, pensant que cela vous fera plaisir.
La famille d'Akbès s'unit à moi pour se recommander à vos bonnes prières.
J'ai l'honneur d'être, Monsieur et très honoré Père, en l'amour de Jésus et de Marie Immaculée,
Votre enfant très affectionné et bien respectueux.
P. CLÉMENT, 1. p. d. 1. M.
AFRIQUE
VICARIAT APOSTOLIQUE D'ABYSSINIE
Dans sa circulaire du 1er janvier i8g5, adressée aux Missionnaires, M. notre très honoré Père a fait connaître la modification que subit notre mission d'Abyssinie. « Vous n'ignorez pas, Messieurs et mes chers frères, écrivait-il, les mesures que le Souverain Pontife a cru devoir prendre par rapport à notre mission d'Abyssinie. Toute la partie située dans la zone italienne est érigée en préfecture apostolique et confiée aux Révérends Pères Capucins de la province de Rome. Le vicariat apostolique d'Abyssinie nous est néanmoins maintenu. Le siège en sera fixé plus tard. »
La transformation annoncée par ces lignes de M. le Supérieur général est en partie accomplie. Elle était le résultat d'une mesure à laquelle la S. C. de la Propagande a pour règle de se prêter et qui consiste à attribuer les pays de mission qui sont occupés par une nation européenne à des missionnaires de cette nationalité. Voici à titre de renseignements quelques détails.
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On lit dans YAfrica italiana (n° du i5 décembre 1894) une correspondance datée de Keren, 10 décembre, dont nous détachons quelques traits :
« Le 9 décembre, dans la soirée, le P. Michel de Carbonara, Supérieur des Capucins, a pris possession de la préfecture de l'Erythrée, en présence du gouverneur et des. officiers. A la quinzième heure (trois heures du soir), l'église de la Mission était remplie. Le Père Coulbeaux vint au devant du gouverneur et l'y introduisit; à la droite étaient les capucins italiens, à la gauche les lazaristes français.
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Après une prière, lecture fut donnée en latin des deux décrets du i3 septembre et du i°r octobre, le premier instituant la préfecture apostolique de l'Erythrée, le second la confiant aux Capucins de la province de Rome, et désignante P. Michel de Carbonara comme préfet apostolique. « Alors le P. Coulbeaux, lazariste, se tournant vers le peuple, lui traduisit entigrigné (langue vulgaire du Tigré) les deux décrets. Un des Pères capucins adressa à l'assistance un discours.
« Le préfet apostolique prit ensuite la parole ; il paya son tribut d'hommages aux lazaristes : « A eux, dit-il, la gloire « d'avoir ouvert et aplani le chemin dans cette mission; « à nous le devoir d'employer nos forces sur la voie qui « nous est déjà frayée. »
Les Missionnaires lazaristes accueillirent les RR. Pères capucins avec toute la déférence due à l'autorité qui les envoyait ; ils leur offrirent l'hospitalité de leur demeure de Kéren et leur abandonnèrent aussitôt pour leur usage la moitié de leur propre habitation, ce dont les religieux ont à plusieurs reprises exprimé leur satisfaction.
C'est à cette époque que sur un mot d'ordre la presse juive et officieuse d'Italie commença une campagne d'imputations calomnieuses contre les Missionnaires français. C'était vraisemblablement dans le but de préparer la mesure projetée de leur expulsion de la colonie italienne.
Aucune de ces accusations n'était accompagnée de preuves, comme a dû l'avouer une des feuilles les plus ardentes, le journal la Tribuna; mais cela importait peu pour le but à atteindre. Nous devons constater que les journaux les plus estimables de l'Italie exprimèrent leurs sentiments de réprobation pour de pareils procédés, l'Osservatore ro - mano, la Voce délia verità et, en particulier, VItalia reale.
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Nous nous contenterons de mettre sous les yeux de nos lecteurs l'appréciation de l'oeuvre des Missionnaires français et des Filles de la Charité en Abyssinie, donnée à l'époque de l'enquête officielle italienne (i891) par un journal qui n'est pas suspect de complaisances à l'égard de la France et des intérêts catholiques, le Popolo romano. Nous avons donné connaissance de cette appréciation aux lecteurs des Annales, lorsqu'elle parut, et nous avons cité alors de larges extraits (t. LVII, p. i33, année 1892). En voici de nouveau quelques fragments :
« Il était naturel que, désireux d'étudier le problème de l'établissement des écoles dans la colonie, je connusse avant tout les maisons d'éducation déjà fondées.
« La mission française tient incontestablement ici le premier rang. C'est la plus ancienne institution de propagande religieuse et civile implantée en Abyssinie et sur les côtes de la mer Rouge. Hier matin, donc, je frappais à la porte de la pieuse demeure et demandais à être introduit. Je fus accueilli avec courtoisie et je pus à mon gré me livrer à un examen minutieux.
« La mission appartient à la Congrégation fondée par saint Vincent de Paul et dont le siège est à Paris. Elle pénétra, il y a un demi-siècle environ, en Abyssinie, et y fonda un vicariat apostolique dont le siège est à Kéren. Chose curieuse et digne de remarque, cette mission, si française qu'elle soit d'origine, compte de très hautes et très nobles traditions italiennes. Mgr de Jacobis, vrai fondateur du premier établissement de la mission, a laissé, dans toute l'Abysssnie, une mémoire sainte et vénérée. Par lui la Congrégation a acquis ce grand ascendant qu'elle exerce sur les indigènes. L'enthousiasme que son nom excite encore est tel que la menace seule d'enlever son corps, qui repose dans un modeste tombeau, a suffi pour jeter le trouble sur les hauts plateaux. Un homme seul a joui d'une influence égale : Mgr Massaia.
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« Les moyens dont la mission dispose sont considérables cl lui donnent une grande puissance morale. Elle est très sagement organisée et dirigée avec un tact exquis. J'ai commencé ma visite par l'église et la maison des Missionnaires à Ras Medur. Les Soeurs ont un établissement particulier situé au centre de Massaouah. L'église, située, comme je l'ai dit, à la pointe extrême de Ras Medur, est très simple, rustique. C'est une construction blanche, en pierres, surmontée d'une petite coupole orientale au-dessus de laquelle s'élève une croix de fer. Elle ne renferme que peu d'ornementations. Deux Pères (lazaristes) italiens et un Père (lazariste) indigène en font le service. La prédication sur le saint Evangile se fait en langue italienne.
« Près de l'église se trouvent l'habitation des Missionnaires et l'école. Le local est petit, bien aéré. Les élèves, tous jeunes, appartiennent à toutes les races de la côte et de l'intérieur. Ils sont environ cinquante.
« L'école est pauvre et dépourvue de matériel. Quelques cartes murales et une planche-tableau en constituent l'ornement. En dehors de l'instruction religieuse, les enfants reçoivent des leçons de français et d'italien. Ces petits bonshommes apprennent bien et facilement. Ils lisent et parlent notre langue avec une clarté suffisante et sans gêne. En somme il s'agit d'une instruction rudimentaire, et j'eus le plaisir de constater combien dans l'école les enfants rece-' vaient l'influence de notre nationalité.
« C'est surtout de l'orphelinat des Soeurs de la Charité que j'ai rapporté une impression profonde, inoubliable. Le Père Giannone eut la bonté de me présenter à la supérieure, qui, avec une politesse exquise, me permit de visiter son établissement. La soeur supérieure, une Française, qui, sous la blanche cornette de la fille de la Charité, a conservé toutes les manières et la distinction de la société d'élite, me
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dit en français : « Pardonnez-moi, Monsieur, si je ne parle « point votre langue; elle est douce et harmonieuse comme « votre beau pays, mais elle ne m'est point familière; au « reste vous trouverez ici de vos compatriotes. »
« Je fus en effet présenté aux Soeurs, parmi lesquelles se trouvent une Piémontaise et une Napolitaine, la soeur Volaro, nièce du député du même nom. Cette dernière me fit les honneurs de l'école. Le local est très beau, propre, plein d'air et de lumière. Dans fort peu de nos écoles élémentaires on sent un tel esprit d'ordre, de bonne éducation et de tranquillité recueillie. Les élèves européennes, divisées en deux classes, sont au nombre de vingt. Celles de nationalité italienne sont les plus nombreuses. L'enseignement pour les classes élémentaires est conforme au programme ministériel. La langue parlée est l'italien, de plus le français est également enseigné. J'ai assisté à divers exercices de lecture qui m'ont convaincu non seulement du talent de la maîtresse, mais encore de la sérieuse valeur de sa méthode. Les cahiers sont parfaitement tenus. J'ai eu le plaisir de lire, sur une feuille indiquant la tâche du jour, une délicieuse poésie de Prati au drapeau national. On ne peut flairer là une supercherie, ma visite n'ayant pas été annoncée. J'insiste sur ces particularités, car elles ont une grande signification : il s'agit d'un Institut français de propagande, tenu comme suspect d'hostilité nationale.
« J'ai ensuite visité l'ouvroir. Les enfants, toutes orphelines indigènes, étaient au travail. J'en ai compté plus de quarante. Là, j'ai admiré le miracle de patience et d'affection maternelle de cette soeur, enveloppée d'une auréole de lumière et de charité chrétienne. J'ai examiné les ouvrages, d'une exécution parfaite, lingerie commune, élégante et solide, pièces marquées d'un goût artistique. En pensant à ces pauvres enfants, venues on ne sait d'où, appartenant à une race pour laquelle la femme n'est rien, j'ai compris la valeur de cette civilisation sainte et pure, et je me suis senti
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pris d'un sentiment de vénération religieuse pour ces femmes humbles et modestes qui abandonnent leur patrie, leurs plus nobles affections, pour se livrer avec simplicité au divin exercice du bien. Tout cela est haut, grand, même aux yeux d'un sceptique.
« Je dirai peu de chose du dortoir : simplicité, propreté extrême, conditions de l'hygiène réunies. A la cuisine tout brille et est à sa place; à la buanderie, à la dépense, partout le même ordre, le même soin, la même sensation de bienêtre. Ce n'est pas un établissement, c'est un petit monde, dans lequel, pour la première fois, j'ai respiré un air vivifiant de progrès et de modernité européenne.
« L'établissement renferme en outre une pharmacie et un modeste laboratoire. La pharmacie est tenue par une soeur française qui, à une expérience consommée, joint une vaillance remarquable. Jusqu'à ces derniers temps, tous les matins, la pharmacie était ouverte au public, et la soeur administrait les remèdes gratuitement, soignait les maladies communes de la peau, comme les plaies, qui mettent en danger la vie d'un si grand nombre de noirs, et se montrait la providence des misérables. Le mois dernier, le gouverneur, par un ordre imprévu, fit fermer le dispensaire et défendre à la soeur de se livrer à ce pieux office de médecin volontaire des pauvres, auquel elle s'était dévouée avec tant d'amour. Quel mal faisait cette soeur, à soigner les malheureux couverts de plaies? On me répond que les lois s'opposent à cela !
« Avant mon départ, la supérieure a voulu me montrer aussi la petite chapelle du pieux Institut. Quand je suis entré, une lumière claire se répandait dans le blanc vaisseau. Une petite soeur indigène priait, la tête inclinée, plongée, fervente et recueillie dans son adoration.
« Au fond, sur l'autel, une Vierge au Rosaire souriait doucement à travers les fleurs et les candélabres d'argent. Une simplicité sereine, un calme supérieur et mystique
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pénétraient le coeur d'une suave mélancolie. Dans cette chapelle toute blanche, embaumée du parfum de l'encens offert à la Vierge clémente, sur les degrés de l'autel, ces soeurs viennent implorer force et courage pour l'accomplissement de leur mission divine. Nulle récompense mondaine pour elles : la reconnaissance des bons, des malheureux, des soulagés et la protection du ciel.
« Les Filles de la Charité, particulièrement, méritent que le gouvernement, en dehors de toute autre considération politique, les protège et les aide. Il serait inopportun, dangereux, de rompre tout à coup les rapports que nous avons avec elles et de refuser leurs bons offices.
« La juridiction spirituelle appartient à la mission française. Tant à Kéren qu'à Akrour, elle fait de nombreux prosélytes. Le terrain est favorable. Une grande partie des Bogos, le Dembesan, presque tous les Okulay-Gouzay sont catholiques.
« Du reste, on ne peut nier que la mission française n'ait de grands mérites. La raison de son prestige et de son autorité, on la trouve dans les bienfaits de toute nature qu'elle a prodigués autour d'elle. Elle est sagement organisée et dirigée avec un tempérament et une finesse extraordinaires. Pendant cette dure période de tension violente entre la France et l'Italie, alors que nos relations avec nos frères trans-cenisiens étaient de plus en plus troublées, la mission d'Abyssinie, qui n'a jamais nié être française, s'est toujours maintenue dans un équilibre remarquable. »
Ces appréciations étaient accompagnées d'insinuations peu bienveillantes, et elles concluaient simplement à ceci, on l'a vu, « qu'il serait inopportun et dangereux de rompre tout à coup ». — On sait ce qui depuis lors s'est fait peu à peu.
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Voici quelques détails sur les derniers événements. Dans le courant de l'année dernière, des procès ont été intentés à la Mission sur la valeur des titres de ses propriétés. La mission perdit les procès et ses biens furent déclarés « biens domaniaux ».
Le 20 janvier, des perquisitions ont été faites dans toutes les maisons des Missionnaires par le gouvernement italien. AMassaouah, pendant cinq heures durant, toutes les armoires ont été ouvertes, tous les papiers passés en revue.
Bien entendu, nulle part on n'a rien trouvé de compromettant. Aussi l'arrêté d'expulsion notifié le 22 janvier n'articulait-il aucun fait. Il décrétait que les Pères lazaristes devaient partir au plus tard le 4 février '.
Les Filles de la Charité ne pouvaient demeurer : la suite le montra. Les Missionnaires et les Soeurs qui résidaient à Massaouah s'embarquèrent le 3o janvier par le bateau direct d'Alexandrie; les Missionnaires et les Soeurs de Kéren s'embarquèrent le 4 février par la voie d'Aden.
Quelques jours plus tard, VOsservatore romano publiait les lignes suivantes :
« Une famille d'une grande ville d'Italie, qui avait une fille parmi les Soeurs de la Mission française de Keren, a reçu une lettre datée d'Aden, dans laquelle la Soeur raconte de quelle façon brutale les Missionnaires et les Soeurs ont été expulsés de l'Erythrée.
« Pendant que les enfants de la mission pleuraient le départ des religieuses, la populace, soldée par les sectaires italiens, sifflait les Soeurs et se répandait en moqueries à
1. Voici le texte : « Considerando corne la permanenza dei Padri Lazzaristi del vicariato apostolico di Abyssinia netl' Eritrea tenda a menomenare (amoindrir) l'autorità ed il prestigio del governo italiano nella colonia, e sia incompatibile colla pubblica tranquillité;
« Decretiamo : i° I Padri Lazzaristi di nazionalità europea sono expulsi délia colonia Eritrea ; 20 Partiranno al più tardi il 4 febbraio. »
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l'adresse des enfants, ce qui donnait lieu à une scène véritablement barbare.
« La Soeur qualifie de mensonges toutes les accusations dirigées contre les Lazaristes (et au fait personne jusqu'ici n'a su dire de quoi il était question). Elle ajoute que les Pères lazaristes ont été admirables au moment de céder leur poste et leurs droits aux Pères capucins qui venaient se substituer à eux.
« Il est temps de mettre fin à cette campagne sectaire contre les dignes Pères lazaristes, en mettant en lumière les intrigues des anticléricaux. »
Ultalia reale a publié la lettre véritablement touchante de cette Fille de la Charité.
Les âmes apostoliques savent ne pas se troubler de ces attaques passagères : Dieu et même les hommes savent que des peuples entiers ont reçu grâce aux Missionnaires la lumière de la vraie foi et ont été initiés aux bienfaits de la civilisation chrétienne. Les ouvriers de Dieu, ayant fait son oeuvre sur un point de la terre, iront recommencer ailleurs à évangéliser et à consoler les âmes : c'est là leur seule entreprise. Dans son accomplissement ils ne se découragent jamais, parce qu'ils n'attendent leur récompense que de Dieu.
* *
Dans sa réunion du 4 février 1895, la Sacrée Congrégation de la Propagande a décidé de proposer au Saint-Père M. Jougla (Sylvain-Etienne), prêtre de la Mission, comme vicaire apostolique de l1 Abyssinie. Dans l'audience du 9 février, Sa Sainteté a daigné agréer cette proposition.
M. Jougla est né dans le diocèse de Carcassonne (France), en 1854; il a été reçu dans la Congrégation de la Mission en 1876. Il est depuis quinze ans dans la mission d'Abyssinie et connaît par conséquent les moeurs et la langue de ce pays.
AMÉRIQUE DU NORD
ETATS-UNIS
VIE DÉ M. FELIX DE ANDREIS
PRÊTRE DE LA MISSION (1778-1820) ( Suite 1 )
CHAPITRE XIII
Les vertus. — Mortification et zèle de M. de Andreis.
Nous disons avec assurance que tous ceux qui ont connu M. de Andreis dans l'intimité peuvent rendre témoignage que l'occupation continuelle de sa vie fut de mourir à luimême par le moyen de la mortification la plus sévère et la plus universelle, tant il voulait s'attacher étroitement à la croix de son Sauveur. Ses résolutions tendaient sans cesse, s'il avait découvert dans son coeur les moindres inclinations vicieuses, à les redresser par le moyen de la mortification. Il nous suffira de reproduire ces résolutions pour donner une idée de la mesure dans laquelle il possédait cette vertu.
« Quand je considère la conduite que j'ai tenue jusqu'aujourd'hui, je le vois, le peu de bien que je fais n'est que superficiel. Il me semble que je n'ai point de ferveur intérieure, mais que je suis comme un arbre chargé de fleurs qui n'aboutissent jamais à donner des fruits, faute de vigueur suffisante dans la sève. Je fais le bien par entraînement, mais non par une énergie intérieure. En un mot, je vois
1. Voir ci-dessus, p. 108.
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clairement que le vieil Adam vit en moi; il y a la taille d'un géant, pendant que Jésus-Christ n'y est que comme un enfant, si toutefois il s'y trouve. Il me faut donc combattre vaillamment contre ce vieil homme, l'exterminer, le détruire, afin que Jésus-Christ habite en moi. Tantum proficies quantum tibi ipsi vint intuleris. « On progresse en la vertu dans la mesure de la violence que l'on se fait. » (De Imit.)
Les résolutions suivantes furent prises le jour de la FêteDieu. Résolutions. — Motifs.
i. Dieu m'a souvent appelé à l'honneur de l'union avec lui en me faisant goûter les délices de l'amour divin afin de m'aider à me détacher entièrement de moi-même; et voyant que je n'achève pas de rompre avec mon amour-propre pour embrasser la mortification qui est le fondement de cette union, il permet que je sois assailli par les tentations les plus effrayantes; semblables à des verges employées par son amour, elles m'obligent à faire ce qu'il désire. Oh! que sa bonté est grande !
2. Pour me défaire pleinement de ces imperfections, l'expérience m'a appris qu'il n'y a pas de meilleur moyen que de se revêtir de l'esprit de mortification universelle.
3. Pour réussir dans les fonctions sacrées de notre ministère, et pour vaincre les défauts que je vois enracinés dans mon coeur, un haut degré d'union avec Dieu est absolument nécessaire, et je ne puis l'atteindre sans cette mortification.
4. M'étant placé hier dans l'état du plus complet abandon aux pieds de la très sainte Vierge, pour lui demander de me montrer le chemin par lequel je pourrais sortir des ténèbres qui m'environnent et sauver mon âme, il m'a semblé qu'elle me présentait la croix en l'appliquant sur moi, et qu'elle me disait : « Il faut que tu t'y attaches; ne la quitte jamais. »
Je prends donc la résolution, et j'en ferai le principal
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objet de cette retraite, d'embrasser cette vertu de mortification et de me placer sur la croix de manière à n'en jamais descendre de ma vie. Et pour entrer dans le particulier, je me détermine spécialement les articles suivants : Mortification de l'imagination et de la mémoire. i. Être attentif à la présence de Dieu, mais sans inquiétude ni contrainte; rejeter toute pensée inutile, folle ou curieuse, ou toute idée qui n'a pas une utilité évidente.
2. Dans la prière, et particulièrement en récitant l'office divin, je serai exact à mettre en pratique les résolutions que j'ai prises dans la retraite de 1811. Jugement et entendement.
Eviter toute investigation curieuse, et me soumettre gaiement à l'opinion des autres toutes les fois que ma conscience ne demandera pas que j'agisse autrement. La volonté.
Observer minutieusement chaque point de la Règle, surtout ce qui est dit art. 3, chap. ir : « De la conformité à la volonté de Dieu. » La langue.
i. Aimer le silence, et ne jamais parler quand la règle prescrit de le garder.
2. Même en récréation, éviter de trop parler.
3. Ne jamais parler de moi-même sans nécessité, et alors le faire avec humilité et précaution, afin que l'amour-propre perde plus qu'il ne gagne dans ce que je dirai. Ceci s'applique particulièrement à ce qui concerne le pays, les amis, les parents, et autres objets semblables.
4. Ne jamais faire étalage de science en parlant sans nécessité sur des sujets scientifiques ou religieux; et, quand il faut parler sur ces matières, m'arranger de façon à ce que l'humilité ne perde pas au jeu.
5. Ne jamais mépriser ni accuser personne, mais au contraire estimer et excuser tout le monde en réservant mon mépris pour moi seul.
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Le goût.
i. Me refuser entièrement les mets pour lesquels je me sens un attrait excessif; cela s'entend de ceux vers lesquels mon inclination naturelle me porte avec trop d'ardeur.
2. Ne jamais manger toute la portion qui m'est servie, à moins qu'il n'y ait nécessité réelle.
3. Sacrifier quelque partie de ce qui serait le plus agréable au goût, avec la disposition intérieure de me priver du tout si c'était la volonté de Dieu.
Ouïe, vue et odorat.
Me refuser sous ce rapport toute satisfaction qui ne serait pas nécessaire ou au moins utile, et même alors diriger mon intention vers Dieu.
Toucher et maintien.
i. Dormir sur la paille et me tenir dans une posture modeste pendant le sommeil.
2. Brider mon impétuosité naturelle et tâcher de marcher et d'agir avec gravité, modestie et humilité, cherchant toujours la dernière place.
3. Souffrir patiemment les piqûres des insectes qui viennent me molester, et penser quîils doivent me tenir lieu de cilice.
4. En un mot, trouver toujours quelques moyens de rester sur la croix d'une manière ou d'une autre.
Ces résolutions sont difficiles, mais j'espère que la pratique me les fera trouver aisées; c'est Dieu qui me les a inspirées; il veut par conséquent me donner la grâce de les exécuter, et la très sainte Vierge Marie la demandera pour moi. De mon côté, j'emploierai les moyens suivants: 1. Méditer souvent ces résolutions, et lire la vie des saints qui se sont le plus distingués par l'amour de la mortification. — 2. M'examiner souvent sur ce point et ne me passer aucun manquement sans le punir. — 3. Prier Notre-Seigneur de me donner la force de porter ma croix et de ne pas permettre que je vive un seul moment selon les suggestions de la
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nature : Foj-tis est ut mors dilectio. « L'amour de Dieu est fort comme la mort. »
Quoique cette pratique de la mortification ne puisse, semble-t-il d'abord, recevoir une plus grande étendue, M. de Andreis néanmoins la porta plus loin en renonçant aux consolations mêmes qu'il éprouvait de temps à autre au début, et qu'il ressentit ensuite très souvent, dans le service de Dieu. Voici ce qu'il écrit à ce sujet :
« Je dois aussi éloigner de mon esprit une autre illusion qui consiste à m'imaginer que je puis jouir dans cette vie misérable, d'une manière permanente, du bonheur qu'on ressent à pratiquer la vertu.
« Si les choses étaient ainsi, les paroles de Notre-Seigneur, qui nous dit de prendre notre croix et de la porter tous les jours, en nous renonçant nous-mêmes par de grandes souffrances, pour entrer dans le royaume de Dieu, seraient convaincues de fausseté,
« Certaines consolations appartiennent au ciel, et la divine Bonté nous en donne quelques gouttes de temps en temps pendant cette vie, comme un avant-goût et pour nous encourager à souffrir. Désirer qu'elles soient complètes, c'est désirer ce qui ne peut se faire que dans le paradis. Ainsi, laissant tout à la volonté de Dieu, j'ai pris par son inspiration, ce me semble, la résolution suivante :
Comme les douceurs de Dieu ne sont pas Dieu lui-même, et que les poursuivre trop avidement empêche de pouvoir dire : Mon Dieu et mon tout, et de m'uniravec Dieu seul; « J'ai résolu de renoncer à toutes les joies spirituelles jusqu'à la mort. J'entends par là : ne point les chercher, ne point les désirer, ne point les demander, ne point y aspirer en quelque manière que ce soit, dans la pleine conviction que je suis indigne de telles faveurs. »
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Zèle.— La fin que M. de Andreis avait en vue dans cette
mortification si étendue, était de parvenir plus sûrement à
l'union intime avec Dieu et d'acquérir cette charité ardente
qui ne peut s'empêcher de communiquer sa flamme aux
autres, et de procurer leur salut par le sacrifice complet de
soi-même, selon ces paroles de l'Apôtre : Optabam ego ipse
anathema esse a Christo profratribus meis. (Rom., rx, 3.)
« En vérité, écrit-il en 1814, on n'est jamais plus disposé
à aimer le prochain comme il faut, purement par charité,
que lorsqu'on se considère comme mort dans le coeur des
hommes. Sous le prétexte spécieux de charité, d'obligeance,
de politesse, de civilité, que de pailles, de motifs secondaires
se trouvent cachés ! Pour que la flamme qui brûle dans mon
coeur puisse enflammer le coeur des autres, elle doit d'abord
consumer et purifier le mien; le feu ne s'étend et n'envoie
de la chaleur que lorsqu'il a dévoré tous les aliments qui
l'entourent immédiatement. Je dois donc aider ma flamme
et la presser de détruire le vieil homme en éloignant tout
ce qui fortifierait son empire. »
Si nous jugeons de lui par la description qu'il fait de cette flamme de l'amour divin, nous dirons que véritablement elle était ardente en lui et qu'elle était capable de répandre la chaleur dans une multitude d'âmes les moins susceptibles de la recevoir.
« Quiconque a la vocation de travailler au salut des autres, dit M. de Andreis (Soliloques, 44), doit être comme un rayon reflété par un autre corps. Son coeur doit premièrement aller directement à Dieu et de là revenir se mêler parmi les créatures en conversant avec elles, en leur prêchant, en les conseillant dans leurs difficultés. C'est alors seulement que l'ouvrier apostolique travaille sûrement avec zèle et succès, car la bénédiction de Dieu l'accompagne selon ces paroles du Psalmiste : Beatus vir cujus voluntas in lege Domini ; omnia quoecumque faciet prosperabuntur. »
2Ô2
Avec de tels principes mis en pratique, il est facile de comprendre comment M. de Andreis renonça non seulement à toutes les espérances du monde, mais encore à celles que pouvait lui offrir la Congrégation elle-même, et comment il se trouvait heureux au milieu des travaux, des sacrifices, des maladies et même des persécutions. « Estime, honneur, nourriture, repos, dit-il (Soliloq. 33), je dois tout regarder comme de la fange pour gagner Jésus-Christ. Je ne dois jamais permettre à mon esprit de s'y arrêter même un moment, car cela ne me regarde pas : Quid ad te? tu me sequere. Voilà ce que j'ai à faire : suivre Jésus-Christ dans le sublime ministère auquel il a daigné m'appeler, et m'appliquer comme étant adressées à moi-même ces paroles qu'il dit dans l'Évangile à quelqu'un qui, avant de le suivre, lui demandait d'aller ensevelir son père : « Laisse les morts ensevelir leurs morts, et toi va annoncer le royaume de Dieu. » O mon Dieu! quelle glorieuse destinée; faire le trafic des âmes, entrer en société de commerce avec le Fils de Dieu incarné, avoir la même vocation spéciale, celle d'étendre le royaume de Dieu, et détruire l'empire du démon et du péché; convertir lésâmes à Dieu, les éclairer et les ramener dans les voies de la justice et du salut, les conduire à leur premier principe et à leur dernière fin! O mon Dieu! et unde hoc mihi! Que n'a pas fait le Tout-Puissant dans mon âme pour la rendre capable d'un si noble emploi ! Ne serait-ce pas une honte pour celui qui est appelé à un ministère si sublime de se livrer à la vanité et aux jouissances du monde? Comme s'il n'avait qu'à chercher des honneurs terrestres, ou à s'amuser à recueillir des toiles d'araignées ! Duc in altum, duc in altum et mitte retia in capturant — non in capturant auri vel argenti, vel vanitatis, sed in capturam animarum. »
Nous comprenons par là comment M. de Andreis, en dépit de la délicatesse de sa santé, put dans sa jeunesse, comme étudiant et comme prêtre, supporter tant d'application et de
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travail ; comment il passa à travers tant de dangers et de fatigues qui selon toute apparence auraient dû lui coûter la vie. « Fortis est ut mors dilectio, écrivait-il : l'amour n'est pas satisfait tant qu'il ne se mesure pas avec la mort. L'estime propre et l'orgueil sont plus étroitement unis à l'âme que la peau ne l'est à la chair qu'elle recouvre. Le parfait détachement d'esprit n'est pas moins pénible que l'écorchement du corps ; chaque jour il faut mourir. »
Et il ajoute : « Mille années devant vos yeux, ô Dieu, sont comme le jour d'hier qui n'est plus. — Ce que nous voyons n'est que temporel, ce que nous ne voyons pas est éternel. — Le monde passe ainsi que sa concupiscence, mais la vérité du Seigneur demeure éternellement. — Voilà trois paroles à la lumière pénétrante desquelles le chrétien doit tout juger : les travaux, les désagréments, les honneurs, les plaisirs et les consolations de cette vie flottante. Oh ! bienheureux qui peut plonger ses pensées dans cette bénie éternité! Alors il se formera une idée juste de tout ce qui est icibas, et il apprendra à vivre comme un étranger qui passe dans ce monde; il apprendra à soupirer continuellement après les joies du ciel, à ne tenir à rien de ce qui disparaît avec le temps et à demeurer gai au milieu de tous les désagréments qui pourront tomber sur lui, car ce qui n'est pas éternel n'est rien. »
Nous ne finirions jamais si nous voulions reproduire ici tous les sentiments du zèle le plus pur qui s'épanchent dans tous ses écrits, car la bouche parle de l'abondance du coeur. Nous terminerons par deux passages où il détaille les qualités qu'il se proposait de donner à son zèle. « J'ai considéré que cette vertu doit se tenir dans un chemin également éloigné des deux extrêmes du respect humain, et de l'excessive sévérité, de manière à ce que l'on puisse être ferme et magnanime sans dureté ni âpreté, doux et agréable sans lâcheté ni pusillanimité...
« L'inquiétude et l'empressement naturels sont toujours
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de mauvais conseillers en matière de zèle. C'est pourquoi je prends la résolution de ne jamais parler ni agir lorsque je me sens fortement ému à le faire, et de consulter alors sérieusement la charité et l'humilité, afin que ces vertus puissent tempérer l'effet de mon zèle. Oh ! quelle sainte ingénuité suggère l'humilité! Quelle courageuse ardeur inspire la charité ! »
CHAPITRE XIV
Progrès de la religion catholique dans les Etats-Unis, particulièrement dans la Louisiane, depuis le commencement de ce siècle jusqu'à l'année 1860. — Union de la Communauté des Soeurs fondées par M™ Seton à la Compagnie des Soeurs de Saint Vincent de Paul.
Ce chapitre servira de complément à la vie de M. de Andreis, car il est évident que si la religion a fait des progrès si considérables dans la portion occidentale des États-Unis, ils sont dus pour une bonne part à ses travaux et à ceux des Missionnaires dont il était Supérieur.
Au commencement du siècle il n'y avait que deux évêques dans tout le pays, Mgr Jean Caroll, natif du Maryland, et nommé premier évêque de Baltimore le6 novembre 1789, par le Pape Pie VI, et Mgr Louis Penalver y Cardenas, créé premier évêque de la Nouvelle-Orléans en 1793 ; tous deux se distinguaient par leurs talents, leur zèle et leur piété. Dans le sud-ouest, les catholiques étaient assistés par quelques ecclésiastiques français et un petit nombre de franciscains espagnols ; dans l'est, le nord et le nordouest, par quelques prêtres français ou anglais, dont plusieurs appartenaient à la Compagnie de Jésus. Ainsi deux évêques et un petit nombre de Missionnaires dévoués avaient à pourvoir aux besoins spirituels d'un pays immense embrassant un espace de plusieurs centaines de mille lieues carrées.
En 1801, Mgr Penalver fut transféré au siège métropoli-
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tain de Guatemala, dans l'Amérique centrale, et un autre évêque de la Nouvelle-Orléans fat sacré à Rome en 1802, mais il mourut peu après et ne monta jamais sur son siège. L'absence de premier pasteur et le fréquent changement de gouvernement contribuèrent beaucoup à retarder et. même à diminuer les progrès de la religion dans la Louisiane.
Ce fut seulement quand le pays fut repris, pour les Français, par Jefferson, en i8o3, que Mgr Caroll fut canoniquement chargé de l'administration du diocèse de la NouvelleOrléans; M.Olivier, alors aumônier du couvent des Ursulines de cette ville, fut constitué son vicaire général avec les pouvoirs les plus étendus. Cet ecclésiastique distingué mourut en 1S10; M. Sibourd, à ce que l'on croit, lui succéda dans cette fonction jusqu'à la nomination de M. Dubourg en 1812; celui-ci resta pendant deux ans administrateur du diocèse. Il paraît que, même dès cette époque, il y avait dans ce diocèse 60 000 catholiques, mais la plupart ne l'étaient que de nom.
D'un autre côté, les Sulpiciens arrivaient dans le pays en 1792, à la requête de Mgr Caroll; M. Pagot, supérieur de la première bande, fut bientôt suivi d'une colonie de la même Congrégation. Ils établirent à Baltimore le premier séminaire ecclésiastique et prêtèrent ainsi un puissant concours au collège de Georgetown, fondé en 1788 par M. Caroll, alors vicaire général. Les Sulpiciens commencèrent aussi le célèbre collège de Mont-Sainte-Marie, près d'Emmittsburg, dans le Maryland.
L'accroissement de la population catholique réclamait un accroissement dans le nombre des évêques; c'est pourquoi, à la prière de Mgr Caroll, Pie VII, par un Bref daté du: 8 avril 1808, établit quatre nouveaux sièges : Bardstown, Philadelphie, New-York et Boston. Mgr Joseph Flaget,
1. Vie de Mgr Flaget, par Mgr Spalding.
18
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sulpicien, fut nommé pour Bardstown; Mgr Michel Eagan, franciscain, pour Philadelphie; Mgr Luke-Concanon pour New-York, et Mgr J.-B. Cheverus pour Boston. Charleston eut aussi un évêque en 1820, Cincinnati et Richmond en 1821, Mobile en 1824, Saint-Louis en 1826, Détroit en i832, Vincennes en 1834, Nashville, Dubuque et Natchez en 1837, Pittsburg et Little Rock en 1843, Hartford, Chicago et Milwaukee en 1844, Orégon en 1845.
En 1841, Mgr Ryan, depuis évêque de Buffalo, alors Provincial des Missionnaires de Saint-Vincent de Paul ou Lazaristes, fut envoyé au Texas en qualité de Vicaire apostolique. Il revint aux Barrens bientôt après, et M. Odin, delà même Congrégation, fut envoyé à sa place. Le 6 mars 1842, ce dernier fut consacré évêque in partibus, et en 1847 il fut établi évêque de Galveston. Dans la même année furent érigés trois nouveaux sièges épiscopaux : Albany, Buffalo et Cleveland. D'autres contrées s'étantannexées à l'Union, les territoires occidentaux érigés en Etats]; furent aussi pourvus d'évêques; ce furent, en i85o, Nesqualy, Santa-Fé et Saint-Paul. La même année, Wheelingfut érigé en siège épiscopal, et en I85I on établit un vicariat apostolique pour les Montagnes-Rocheuses. En i853 des sièges épiscopaux furent établis à Brooklyn, Burlington, Natchitoches et Monterey, et en i855 à Portland. Alton et Fort Wayne devinrent aussi sièges épiscopaux en 1857; cette même année, la Floride et Saut-Sainte-Marie devinrent résidences de deux vicaires apostoliques, tous deux évêques in partibus; Nébraska obtint le même privilège en 1859.
A mesure que croissait le nombre des évêques, il fallait aussi des prêtres, des églises, des communautés religieuses, des séminaires, des collèges, des écoles gratuites, des hôpitaux, des orphelinats et de pieuses associations. Les livres catholiques, qui au commencement de ce siècle étaient très chers et très rares, se multiplièrent graduellement; aujourd'hui la presse catholique exerce son in-
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fluence et ne contribue pas peu au développement de la science et de la littérature.
Il serait difficile de fixer positivement la moyenne de l'accroissement annuel de la population catholique dans les États-Unis; cependant on peut s'en faire une idée par le fait de l'établissement de quelques sièges épiscopaux chaque année, et des nombreuses émigrations de catholiques allemands et irlandais qui apportent en Amérique leur religion, leur industrie, et une portion de leurs richesses.
Dès avant 1847, le digne prélat qui occupait le siège de l'archidiocèse de Saint-Louis reçut le pallium; Baltimore auparavant était l'unique siège archiépiscopal dans les États-Unis. En i85o, cinq autres furent établis :1a NouvelleOrléans, New-York, Cincinnati, Oregon et San-Francisco. Ainsi sept provinces ecclésiastiques avaient été formées de celle de Baltimore; d'autres ont été créées depuis, et ce nouvel arrangement donna une vive impulsion à la religion' dans ce pays.
Alors le catholicisme y était à peine connu, excepté dans la Louisiane et le Maryland, et l'évêque de Baltimore, avec vingt-cinq prêtres, avait à pourvoir aux besoins spirituels des fidèles dispersés sur ce vaste continent.
Revenons maintenant à la Louisiane. Le pays ainsi nommé renfermait originairement le territoire immense qui appartient maintenant aux États-Unis et qui s'étend depuis le Mississipi jusqu'à l'océan Pacifique. On l'appela Louisiane en 1632, en l'honneur de Louis XIII, alors roi de France. Selon les rapports les plus probables, elle fut d'abord visitée par Ferdinand de Soto en 1541 ; la première colonie y fut fondée par Herville, qui vint du Canada en 1699. Avant l'année 1763, ce territoire appartenait à la France.
La Compagnie du Mississipi en posséda une bonne partie qui lui avait été donnée, mais ses spéculations ne furent pas heureuses. A la fin de la guerre des Français en Amé-
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rique, la Louisiane devint possession anglaise, et peu après passa entre les mains des Espagnols. Elle fut rendue à la France en 1800 et achetée par les Etats-Unis en i8o3, pour soixante millions de francs. Le diocèse de la Louisiane comprenait aussi le vaste territoire des deux Florides, découvert par Cabot en 1496, ou plus probablement par Ponce de Léon en i5 12. Il l'appela Floride parce qu'il trouva ce pays couvert de la plus riche végétation 1. En vertu d'un traité avec l'Espagne, les Florides devinrent propriété des États-Unis en 1821.
On pourra se faire une idée du triste état du catholicisme dans la Louisiane et les Florides, quand on saura qu'en 1820 il y avait à peine vingt communions pascales dans la Nouvelle-Orléans. Mgr Dubourg, qui, comme nous l'avons vu, y fut envoyé en 1812, se rendit vite compte des besoins spirituels du pays; c'est pourquoi, lorsqu'il fut nommé en 1815 évêque delà Nouvelle-Orléans, il vint à Rome dans le but d'obtenir des prêtres pour l'assister dans le défrichement de cette portion du champ du Père de famille qui venait de lui être confiée. Le nombre des églises dans ce diocèse était très petit ; la Nouvelle-Orléans n'en avait qu'une, Saint-Louis n'avait qu'une petite chapelle pour les catholiques anglo-américains et la chapelle du couvent des Ursulines. Mais cet évêque ayant obtenu des prêtres, vit bientôt les églises se multiplier et la foi et la piété renaître parmi les fidèles. Une pieuse veuve, Mme Smith, donna une terre où les Pères Jésuites établirent le collège' du Grand-Coteau ; un autre collège fut commencé dans SaintLouis même par la même Société ; le séminaire de cette ville fut, comme nous l'avons vu, commencé par M. de Andreis. Les Dames du Sacré-Coeur ouvrirent un pensionnat au Grand-Coteau, un autre fut érigé peu après à
1. Ou plutôt parce que cette terre fut découverte le jour des Rameaux ou de Pâques fleuries.
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Saint-Michel, et un troisième à Saint-Louis même. La religion continua ainsi graduellement mais solidement à s'établir et à progresser, et nous pouvons donner comme preuve du changement opéré le nombre des communions pascales qui en i838, dans la seule ville de la Nouvelle-Orléans, montait jusqu'à dix mille.
Cette même année, les Missionnaires de Saint Vincent de Paul, sous les auspices de l'archevêque, Mgr Blanc, commencèrent le séminaire diocésain dans la paroisse de l'Assomption. Ce séminaire aussi bien que la paroisse et celle de Donaldsonville furent dirigés par MM. Armengol, Bouillier, Chandy et autres. Il futbrûléle 28 février i855, mais un autre fut rebâti à Jefferson-City par les soins de M. Delcros, et il fut placé sous la direction des fils de saint Vincent qui eurent aussi la charge de la paroisse. En i858, la Congrégation de la Mission fut encore chargée de la paroisse et de l'hôpital Saint-Joseph.
En 1829, les Soeurs de la Charité de Mme Seton avaient pris la direction de l'orphelinat Poydras, puis de l'hôpital de la Charité. En 1844, une autre colonie des mêmes Soeurs vint s'établir à Donaldsonville, où elles continuent à diriger un orphelinat et une école. En i85i, elles se chargèrent de la maison de santé où elles demeurèrent jusqu'à sa transformation complète en Hôtel-Dieu, en i858. En 1855, elles commencèrent une école à Bouligny, et, l'année d'après, l'orphelinat Sainte-Elisabeth pour les grandes orphelines. En i858, elles ouvrirent un asile, et en 1860, une autre école s'est ajoutée à leurs nombreux établissements dans cette cité. Depuis i85o, les Rédemptoristes travaillent aussi avec efficacité au salut des âmes, et leur zèle apostolique a déjà recueilli les fruits les plus abondants à Lafayette, qui est le district confié à leur sollicitude. Les Jésuites, établis à la Nouvelle-Orléans, ont fait en cette ville beaucoup de bien par l'éducation de la jeunesse et par l'exercice du saint ministère dans une paroisse confiée à leurs soins. Qu'il nous
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suffise de dire que les besoins des fidèles augmentant, les églises, les écoles, les pieuses associations, les sociétés charitables surgirent à proportion.
Quand M. de Andreis et ses compagnons arrivèrent à Saint-Louis, il n'y avait qu'une pauvre chapelle en bois visitée de temps en temps par un prêtre qui résidait à Florissant. La population comptait quatre mille habitants, presque tous catholiques, mais plutôt de nom qu'en pratique. La Haute-Louisiane tout entière, qui en 1826 devint le diocèse de Saint-Louis, ne renfermait que sept petites chapelles en bois, quatre prêtres et huit mille catholiques. Les chapelles étaient situées à Saint-Louis, Sainte-Geneviève, Kaskaskia, Florissant, Prairie du Rocher, Cahokia et New Madrid. Sur les quatre prêtres, trois étaient déjà avancés en âge et moururent peu de temps après; le quatrième, M. Olivier, se relira aux Barrens où, devenu aveugle et sourd, il donna dans une sainte vieillesse les plus beaux exemples d'édification. Douze ans après sa retraite, il mourut en odeur de sainteté (1840). Pendant nombre d'années les Lazaristes et les Pères Jésuites furent les seuls prêtres du diocèse de Saint-Louis. Parmi ces derniers, le P. Van de Velde, devenu évêque de Natchez, le P. Elet et d'autres rendirent de grands services à l'Église. Ce ne fut qu'à la longue que de nouveaux prêtres vinrent former le clergé de ce diocèse.
M. Rosati, devenu évêque de Saint-Louis, rebâtit l'église et construisit une maison plus commode où lui et son clergé vivaient en communauté. Le bon évêque eut encore la consolation de bâtir plus tard une cathédrale qu'il consacra en 1834 avec grande solennité. Il est difficile de comprendre comment Mgr Rosati trouva les moyens de construire un si magnifique édifice, surtout si l'on se rappelle qu'à cette époque la main-d'oeuvre était d'un prix exorbitant. Heureusement il eut à son service le frère Oliva, frère coadjuteur de la Congrégation de la Mission, qui,
excellent architecte et sculpteur, dirigea en grande partie la construction de la façade de l'église. Cet édifice magnifique, qui était non seulement le plus beau monument de la ville, mais encore la plus belle église de tout l'Ouest, fournit aux catholiques le moyen d'assister aux divers offices et d'entendre des instructions, en français, en anglais et en allemand. Les protestants, attirés soit par la curiosité, soit par le sentiment religieux, vinrent surtout aux grandes fêtes contempler les cérémonies qui s'y faisaient ; et alors, touchés par la grâce, ils profitaient des instructions et embrassaient la foi. Les catholiques allemands devinrent nombreux, etl'église Sainte-Marie, commencée par eux en 183g, fut terminée en 1843.
Les Dames du Sacré-Coeur commencèrent leur établissement à Saint-Louis en i835, sur un terrain qui leur fut donné pour un pensionnat par le juge Mullanphy. Pendant vingt-cinq ans cette communauté a aussi dirigé l'établissement de Florissant, qui est aujourd'hui entre les mains des Soeurs de Saint-Joseph.
Les Soeurs de la Charité de Mme Seton s'établirent à Saint-Louis, en 1827. Le même juge Mullanphy leur donna, pour un hôpital, un assez vaste espace de terrain sur lequel elles construisirent une petite maison en bois. Cet hôpital de Saint-Louis fut le premier établissement catholique de ce genre dans les États-Unis. Mgr Rosati leur donna sa propre montre, qui pendant longues années fut la seule pièce d'horlogerie qui fût à leur usage. Leur pauvreté était si grande que, pendant le premier hiver, ayant un malade qui se trouvait très mal, une des soeurs se crut autorisée à aller prendre deux bûches de bois à un protestant, son voisin, auquel elle raconta le fait le lendemain; cet homme compatissant eut pitié de leur état et envoya le jour même une belle provision de bois à l'hôpital. — Une autre colonie de ces soeurs de Charité se chargea d'un orphelinat, d'abord dans une maison de bois, et plus tard dans un bâtiment
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plus commode, près de la cathédrale. Saint-Louis comptait déjà, en 1860, 190 000 habitants, dont 95 000 sont catholiques, et, en i85g, il y avait 3o 000 communions pascales. Ce mouvement n'a fait que grandir '.
Un tel progrès est véritablement merveilleux et digne d'admiration, car nous ne trouvons point, dans les âges précédents, ni dans aucun endroit du monde, un accroissement si rapide de la foi catholique. Il est juste que nous reconnaissions la source d'où après Dieu un bien si considérable a découlé sur les Etats-Unis, ou plutôt que nous découvrions le principal instrument dont Dieu a voulu se servir pour renouveler la face d'une contrée si stérile au commencement de ce siècle. Le premier instrument de la
1. On a publié en 1894 la statistique suivante du progrès de l'Église catholique dans les États-Unis de l'Amérique du Nord :
Le nombre des catholiques s'élève à 12 millions et s'accroît régulièrement chaque année.
Le pays compte 16 archevêques, 71 évêques et un cardinal. Nous y trouvons 9 717 prêtres, dont 2 732 font partie d'ordres religieux : Jésuites, Franciscains, Rédemptoristes, Lazaristes, etc.
Il y a 8 720 églises, et 5 704 chapelles ou stations ; il y a 8 universités et 25 séminaires préparant au saint ministère 2076 élèves. Les ordres religieux ont, en outre, 61 séminaires et 1 456 élèves. Nous voyons 172 hautes écoles pour les garçons, et 148 pour les filles, et 3 772 écoles paroissiales, donnant l'instruction à 765 388 enfants, plus 753 institutions de charité. Le nombre total des enfants dans les écoles catholiques est de 860 3g6.
L'augmentation dans l'année est, pour la population, de 96 000, de 320 prêtres et 232 églises.
En 1790, il n'y avait que 3o 000 catholiques; en 1894, la population des États-Unis est de 62 millions; celle des catholiques de 12 millions; on calcule qu'en 1900 elle dépassera i5 millions.
L'archevêché de New-York tient la tête du mouvement, il compte plus de 800000 catholiques, 555 prêtres et 212 églises. Cette province embrasse l'État de New-York, les évêchés d'Albany, de Buffalo, de Brooklyn, de Newark, d'Ogsdenburg, de Rochester, de Syracuse et de Trenton, 8 évêques et un archevêque : n'est-ce pas autant qu'un grand État?
C'est là un progrès merveilleux, et dont il faut bénir la Providence.
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miséricorde de Dieu fut Mgr Louis-Guillaume Dubourg. « Je dois donner gloire à Dieu, écrivait M. de Andreis, en 1816, et rendre témoignage à la vérité. Je puis affirmer qu'après Dieu, le mérite de tout ce qui a été et de ce qui sera fait est dû aux rares talents, à l'industrie, à l'expérience, à l'activité, à l'habileté, à la prudence, à la vigilance, à la patience, au zèle, en un mot à l'infatigable persévérance de cet homme extraordinaire. Mgr Dubourg, homme incomparable, servira de modèle aux âges futurs. C'est lui qui trouve des sujets et des ressources en abondance, qui nous fournit de l'argent, qui sait nous adresser et nous recommander à qui il faut en chaque endroit, qui nous prépare les voies, écarte les obstacles, et quoiqu'il soit encore en France, il ménage tout si admirablement, qu'ici, en Amérique, nous n'avons qu'à suivre ses instructions les yeux fermés. Son influence, ses manières agréables prédisposent les coeurs en sa faveur et en faveur de ses compagnons. Sous ses auspices, nous voyageons à travers ce pays immense en rencontrant partout le plus cordial accueil. »
« Si maintenant, écrivait encore M. de Andreis en 1819, nous possédons un collège pour l'éducation de la jeunesse, si nous avons une pension de religieuses pour les jeunes filles, un séminaire pour les clercs, une cathédrale dans laquelle nous pourrons faire bientôt les offices, nous le devons à l'activité, à la discrétion, à l'intrépidité de son zèle. Il prêche continuellement, soit en anglais, soit en français, avec un succès.que personne n'égale. Les nombreuses conversions qui s'opèrent, et en un mot tout le bien qui se fait— et grâce à Dieu il est grand — doivent remonter à lui. On le rencontre agissant partout : il prêche, il confesse, il fait les baptêmes et les mariages; il visite les malades : il est tout à la fois général, capitaine et soldat. Il passe une partie de la nuit à répondre aux lettres qu'il reçoit d'Europe ou des autres parties de l'Amérique; il a pour lui la sollicitude journalière d'un diocèse immense. Plaise àDieu lui conser-
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ver la santé, et alors le bien que nous attendons d'un homme si apostolique dépassera tout ce que l'on peut imaginer. La main de Dieu l'accompagne visiblement, et c'est elle seule qui peut le récompenser convenablement : notum est Domino opus ejus. »
Nous ne devons pas omettre de mentionner ici le rôle de Mgr Dubourg dans la fondation des Soeurs de la Charité aux États-Unis. Il fit connaissance avec Mme Seton à New-York, vers la fin de 1806. Dès lors il lui suggéral'idée d'établir pour les États-Unis une société qui pût répondre au désir qu'elle avait de se consacrer à Dieu dans la vie de communauté. C'est lui qui procura plus tard à Mme Seton et à ses compagnes une maison à Baltimore; il fut nommé Supérieur de la nouvelle communauté par Mgr Caroll, archevêque de cette ville, et il traça les premières règles de la Congrégation naissante. Cette semence précieuse déposée par son habile main sur le sol vierge de l'Amérique, reçut les bénédictions de la grâce divine; elle donna une tige vigoureuse qui répandit autour d'elle la bonne odeur de la divine charité, jusqu'à ce que la Providence vînt la greffer sur l'arbre franc planté plus de deux cents ans auparavant par saint Vincent de Paul. C'est maintenant une des branches de l'arbre immense aux racines profondes, qui étend son ombrage sur le monde tout entier, abritant l'orphelin, la veuve, le malade, le vieillard et l'enfant trouvé, secourant en un mot toutes les infortunes humaines.
C'est un fait admirable que la rapide extension de celte petite communauté d'Amérique. Déjà en 1848 elle comptait plus de trois cents soeurs et trente-six établissements, orphelinats, écoles et hôpitaux.
A cette époque, M. Deluol, Supérieur de la Communauté, s'occupa sérieusement du projet d'unir cette société si prospère à la Compagnie des Filles de la Charité, instituée par
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saint Vincent. Pendant plusieurs années, les soeurs, d'après ses conseils, offrirent à Dieu des prières journalières pour la réalisation d'un projet qui avait toujours fait l'objet des désirs de Mme Seton 1, et qui, plusieurs années après sa mort, avait été repris par Mgr Rosati, mais sans succès, parce que le moment de la Providence n'était pas encore arrivé. L'archevêque de Baltimore, Mgr Euleston, premier Supérieur de cette communauté, et qui avait mission de veiller sur ses constitutions, donna une pleine approbation au plan proposé par M. Deluol. Mgr Chauce, évêque de Natchez, s'étant, sur ces entrefaites, mis en route pour l'Europe, visita Baltimore; là, il se chargea volontiers de la mission qui lui fut confiée par les supérieurs de la nouvelle communauté, de traiter de cette réunion avec M. J.-B. Etienne, Supérieur général de la double Congrégation fondée par saint Vincent, celle des Prêtres de la Mission et celle des Filles de la Charité.
M. Etienne, sur les premières ouvertures qui lui furent faites par le prélat, donna une réponse qui équivalait à un refus formel, mais qui ne découragea pas le digne intermédiaire. Après quelques moments de réflexion, il reprit : « Monsieur, si telle était la volonté de Dieu que cette union se fît, refuseriez-vous encore? — Non sans doute, répondit M. Etienne, mais je ne vois pas que ce soit la volonté de Dieu. — Quelles preuves vous faut-il pour que vous soyez convaincu que Dieu veut cette union? ■—■ En premier lieu, il faut que les Soeurs désirent être réunies, et en fassent une demande officielle formulée par leurs supérieurs. Secondement, que l'archevêque de Baltimore et la majorité des évêques dans les diocèses desquels se trouvent lesdites Soeurs, donnent leur consentement à cette mesure. Troisièmement enfin, que les Soeurs consentent à adopter les règles et le costume des Filles de la Charité d'Europe. » Sur cela,
1. Voir la Vie de Mme Seton, par M. White.
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Mgr Chauce présenta aussitôt la lettre que M. Deluol lui avait adressée pour lui confier la mission de traiter cette affaire, ajoutant qu'il était entièrement certain du consentement général des évêques, vu qu'il s'était déjà entretenu avec plusieurs d'entre eux sur ce sujet. Quant à la troisième condition, il la regardait comme une conséquence naturelle qui ne manquerait pas de se réaliser dans le cas où la réunion viendrait à se consommer. M. Etienne, après avoir lu le document qui lui était présenté, ne le trouva pas suffisant et continua à réclamer la demande officielle faite par les Soeurs. Il voulut aussi prendre du temps pour réfléchir et pour consulter Dieu.
M. Etienne écrivit alors — 5 avril. 1849 — à M. Maller, Visiteur de la Congrégation de la Mission dans les ÉtatsUnis, pour le prier de conférer avec Mgr l'archevêque de Baltimore, de visiter la maison Saint-Joseph d'Emmittsburg, d'interroger les Soeurs et de lui apporter ensuite personnellement son rapport. M. Maller, après avoir exécuté ces ordres, partit pour Paris. En même temps, M. Deluol, sur le point de s'embarquer pour l'Europe, fit sa dernière visite à Saint-Joseph, et dans les sentiments les plus paternels parla aux Soeurs de la prochaine réunion projetée. Bientôt après, il arrivait à Paris pour présenter la requête en forme. M. Etienne consentit alors à ce que M. Maller prît la direction des Soeurs des États-Unis; leur union complète avec celles d'Europe fut consommée le 2 5 mars i85o, jour où elles prononcèrent leurs voeux selon la forme prescrite par saint Vincent aux Filles de la Charité.
Le costume ne fut pas changé universellement du premier coup ; les supérieurs jugèrent plus expédient de l'introduire peu à peu, et seulement dans les maisons qui le demandaient. Au commencement, la nouveauté de cet habit attira l'attention du peuple, qui n'en avait pas encore vu de semblable, mais on le trouva bientôt plus beau et mieux adapté que le précédent aux emplois des soeurs, surtout dans
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le service des malades. Du reste, ce fait édifiant de trois cents soeurs changeant d'habit sans la perte d'une seule vocation, est un fait peut-être unique dans l'histoire de l'Église, et l'on doit avouer qu'il dit beaucoup en faveur du bon esprit qui animait les Soeurs d'Amérique. Aussi Dieu bénit leur générosité, et un nombre considérable de jeunes personnes vinrent grossir leurs rangs; leurs établissements augmentèrent en importance et en nombre, et de nouvelles oeuvres de charité furent confiées à leurs soins. En 1860, il y avait aux États-Unis huit cents soeurs et soixante-sept établissements. Ce nombre n'a pas cessé de s'accroître.
Tant que vécut M. de Andreis, il fui l'âme des conseils de Mgr Dubourg, son bras droit dans ses travaux et son plus zélé coopérateur pour tout le bien qu'il fit dans son vaste diocèse. Il fut en outre le premier Supérieur et le fondateur des établissements des Missionnaires de SaintVincent de Paul en Amérique. Ses instructions et ses exemples formèrent d'excellents sujets. Il les appelait lui-même des « anges de vertu ». C'est par le moyen de ses disciples que la religion prit de si prodigieux développements dans la Basse-Louisiane, de sorte que l'on peut appliquer à sa vie si rapidement écoulée, ces paroles de la sainte Écriture : « Consommé en peu d'années, il a fourni une longue carrière. » L'histoire de sa vie le prouve amplement ; et l'on doit peut-être attribuer plus de succès à ses mérites et à son intercession devant Dieu, qu'à tous les travaux de ceux qui l'ont suivi. Dieu fit à l'égard de l'Église d'Amérique ce qui est dit du temple de Salomon et du temple de la Jérusalem céleste : il cacha dans ses fondations les saphirs, les topazes et toutes les pierres les plus précieuses, — nous voulons dire des hommes d'une rare sainteté et d'une héroïque vertu.
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SUPPLÉMENT LES COMPAGNONS DE M. FÉLIX DE ANDREIS
ET LES PREMIERS ÉTABLISSEMENTS DE LA CONGRÉGATION DE LA MISSION AUX ÉTATS-UNIS
Il ne sera pas inutile de donner quelques renseignements sur les enfants spirituels de M. de Andreis aux États-Unis et sur leurs principales oeuvres. Le bon esprit qu'il leur inspira pendant qu'ils étaient sous sa direction dans le séminaire de Saint-Louis, les prudents avis qu'il leur donna au moment où ils faisaient les premiers pas dans la carrière apostolique, les encouragements qu'il leur avait fournis par ses lettres au milieu des difficultés du saint ministère, ne manquèrent pas de produire des effets salutaires ; de telle sorte que prêtres et peuple ressentirent la sainte influence de l'esprit de Dieu qui leur était ainsi transmise par les élèves du serviteur de Dieu.
Nous avons dit dans un autre chapitre que M. Rosati fut envoyé aux Barrens en 1818, pour y établir le séminaire Sainte-Marie, et que les catholiques de l'endroit avaient donné six cents acres de terre pour l'entretien d'un prêtre au milieu d'eux. Mais les événements dépassèrent de beaucoup leurs prévisions ; car des Barrens sortirent au bout de quelques années un grand nombre de prêtres, et ce fut Y Aima Mater de beaucoup de bons citoyens et de fervents catholiques.
M. Rosati et ses compagnons furent accueillis cordialement par les habitants, et reçurent l'hospitalité dans la maison de Mme Hayden, pieuse catholique dont le fils devint membre de la. Congrégation de la Mission. Son premier soin fut de construire une chapelle en bois assez grande pour contenir les quarante familles catholiques de la localité. Ce peuple se prêta avec un grand dévouement à
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préparer les matériaux nécessaires, et le bâtiment fut bientôt achevé. M. Rosati, assisté de MM. Dahmen, Caretti et Ferrari, en fit la bénédiction avec solennité, à la grande joie de tous les habitants. En même temps, une cabane de bois de 25 pieds de long sur 28 de large fut construite pour abriter les prêtres, les séminaristes et le frère Blanka. Cette cabane était tout à la fois chapelle, dortoir, étude, cuisine, salle de récréation et boutique de tailleur ; mais tout y avait son temps et y trouvait sa place ; tout se faisait avec autant d'ordre que dans le séminaire le plus régulier. La charité, la piété, la pauvreté s'y donnaient la main, et ces commencements si pauvres qui ont donné un sujet d'admiration aux anges, frappaient d'étonnement le peuple du pays environnant. Là on pouvait voir en même temps d'un côté, M. Rosati, enseignant la théologie à un petit groupe de séminaristes; d'un autre, le bon frère préparant le modeste dîner; M. Cellini travaillant à crépir là maison, et, pour compléter ce qu'il y a de pittoresque dans le tableau, une vache passant la tête par la porte pour demander maussadement sa portion du repas.
Pendant les premiers hivers, comme la cabane était grossièrement construite et encore plus mal couverte, la pluie et surtout la neige pénétraient par d'innombrables ouvertures. Il arriva plusieurs fois que, le matin, les peaux de buffle et les couvertures sous lesquelles les habitants du logis dormaient paisiblement, se trouvaient chargées d'une quantité considérable de neige. Leur pauvreté ne leur permettant pas de se donner des fenêtres vitrées, ils remplaçaient le verre par du papier ou de la mousseline blanche. On ne voyait du vin qu'au saint sacrifice de la messe, et encore était-il extrait des raisins sauvages qu'on recueillait alors dans le voisinage. Quoiqu'aucun des Missionnaires n'eût manié la hache auparavant et qu'ils eussent au contraire été élevés assez délicatement, il leur fallait abattre des arbres et couper le bois qui était nécessaire pour le
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chauffage et pour la cuisine. On peut se faire une idée de leur pauvreté par le fait suivant. Un jour de Pâques, après qu'on eut célébré la fête aussi solennellement que possible, avec grand'messe en musique et beau sermon, on trouva sur la table, pour dîner de fête, un plat de fèves bouillies, et de la bonne eau fraîche. Le pauvre M. Cellini, qui était bien fatigué, et qui outre les fonctions du jour avait encore entendu beaucoup de confessions et fait bon nombre de baptêmes, ne put s'empêcher de laisser échapper quelques gémissements. Mais comme chacun avait bon appétit, les fèves eurent bientôt disparu. Malgré tout, chacun était heureux ; et longtemps encore, pendant les années suivantes, on rappela avec des transports de joie ces moments qu'on appelait « le bon vieux temps ».
• Mais comme la famille s'augmentait, la cabane devint trop petite et l'on commença la construction d'une maison. M. Delacroix fit le plan d'un édifice de 5o pieds de long sur 3o de large avec deux étages. Le plan dépassait les moyens d'exécution. Cependant on se mit à l'oeuvre, et au bout de quelque temps l'édifice était habitable. Quoiqu'il n'y eût point de plafond, on y entra pour être un peu plus au large que dans la cabane. M. Cellini se chargea de plafonner plus tard les appartements, mais le tout ne fut terminé qu'en 1840.
En 1823, on pria les Missionnaires de recevoir chez eux quelques enfants pour les élever. C'est ainsi que commença le collège qui alla croissant jusqu'en 1842, époque à laquelle il fut transporté-au Cap-Girardeau.
En 1820, les Missionnaires avaient déjà reçu du renfort, MM. de Nékère, Brands et Doutrelingue étaient arrivés. M. Paquin, américain, était entré dans la Congrégation. Ce secours les mit à même de pourvoir aux besoins des fidèles dans différentes parties du diocèse. En 1822, M. Odin, déjà diacre, et en 1S23, M. Timon, simple étudiant, entré-
rent aussi dans la famille de saint Vincent de Paul. Le premier devint archevêque de la Nouvelle-Orléans, et le second évêque de Buffalo.
En 1826, Mgr Rosati ayant été consacré évêque coadjuteur de la Nouvelle-Orléans, ne put continuer de résider aux Barrens. Il continua néanmoins d'être Supérieur des Missionnaires jusqu'à l'arrivée de M. J.-B. Tornatore en i83o. En l'absence de l'évêque, M. de Nékère faisait les fonctions de supérieur.
A cette époque, il arrivait des sujets non seulement d'Italie, mais encore de France, d'Allemagne, d'Espagne, de Belgique; M. de Nékère leur donnait à tous des conférences dans leur propre langue, qu'il parlait très bien. Les travaux ayant affaibli sa santé, on l'envoya dans la Louisiane, où il demeura quelque temps. M. Cellini avait été envoyé aussi dans cette partie du diocèse.
Pendant ce temps, la population des Barrens ayant considérablement augmenté, une église plus grande y devint nécessaire. Le plan de l'église de la maison de Monte-Citorio ayant été envoyé de Rome, on chargea le frère Oliva de reproduire cet édifice. Mais on trouva que l'exécution de ce modèle dans tous ses détails devait dépasser de beaucoup les ressources, et l'on en restreignit les dimensions. Le nombre des prêtres, étudiants, séminaristes et élèves s'étant aussi accru, on bâtit une maison en briques. En peu de temps le collège fut achevé, mais les travaux de l'église allaient plus lentement, faute de ressources.
Ce fut ce qui détermina M. Odin à partir en i833 pour aller quêter en Europe. Sa simplicité, son amabilité, ses bonnes manières lui gagnèrent la bienveillance et lui procurèrent des collectes abondantes en argent, ornements d'église, etc. Il obtint aussi un certain nombre d'ecclésiastiques, soit de la Congrégation de la Mission, soit membres du clergé diocésain; les uns l'accompagnèrent à son retour, les autres le suivirent plus tard. Parmi ceux qui vinrent
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avec lui en 1835 furent M. Gandolfo, prêtre; M. Simonin, sous-diacre; MM. Giustiniani, Parodi, Figari, Chandy et Robert, étudiants; tous étaient membres de la Congrégation. Ils avaient été précédés par MM. Rolando, Mignard et Raho, et ils furent suivis par MM. Burke, Ring et Collins.
Vers la même époque, la révolution d'Espagne ayant chassé les Missionnaires de ce pays, MM. Armengol, Alabau et Domenech furent envoyés aux États-Unis, et en i835 M. Timon succéda à M. Tornatore comme Supérieur des membres de la Congrégation dans ce pays. De précieux renforts étant arrivés, le nouveau supérieur put envoyer d'autres sujets en mission. MM. Bouillier et Borgno furent envoyés aux Vieilles-Mines et ils avaient à visiter Richwood et Potos.
M. Bouillier bâtit l'église et le presbytère des VieillesMines, en grande partie avec son patrimoine, en i835, et en 1840 il commença l'église actuelle de Donaldsonville qui fut terminée en 1842 et consacrée la même année par Mgr Blanc. L'établissement des Soeurs de la Charité doit son existence à son zèle infatigable.
MM. Rolando et Gandolfo eurent charge de visiter New Madrid et ses environs. MM. Brands et Simonin allèrent à Arkansas, où ils baptisèrent beaucoup d'enfants et fournirent le moyen de s'approcher des sacrements à un grand nombre de catholiques qui n'avaient pu le faire depuis qu'ils s'étaient établis dans le pays.
M. Timon vint en Europe, et, pour la première fois, le Supérieur général de la Congrégation eut la consolation de voir un Missionnaire américain dans la Maison-Mère à Paris. Pendant le séjour de M. Timon dans cette capitale, on fit les arrangements nécessaires pour ériger la Congrégation dans les États-Unis en Province régulière, et M. Timon en fut nommé le premier Visiteur. A son retour dans
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les États-Unis, la construction de l'église des Barrens fut. poussée avec une nouvelle ardeur; la vieille église de boistombait littéralement en ruines et il était nécessaire de 1'étayer de tous les côtés. Un incident assez plaisant eut lieu le samedi saint 1837. Pendant que M. Timon officiait, et faisait la cérémonie de la bénédiction des fonts, la pluie,. trouvant un passage à travers les nombreuses ouvertures, tombait sur lui d'une manière fort déplaisante. Oubliant que toutes les vitres de l'église étaient à jour, il pria lesecclésiastiques qui l'entouraient de fermer les fenêtres. On ne put s'empêcher de sourire à cette demande, et l'on ne. réussit à le défendre de la pluie qu'à l'aide des manches de surplis que plusieurs de ses voisins étendirent au-dessus-- de sa tête. Dans les derniers temps de l'existence de cetteéglise, le peuple et le clergé étaient souvent obligés de faire usage du parapluie pendant les divins offices. Enfin la nouvelle église fut terminée, et Mgr Rosati vint la consacrer au mois d'octobre 1837.
Les catholiques de Sainte-Geneviève, animés par leur zélé pasteur M. Dahmen, étaient venus à bout de bâtir aussi une belle église de pierre, qui fut consacrée par Mgr Rosati au mois de novembre de la même année.
Cette année encore, un nouveau champ fut ouvert aux: travaux de la Congrégation. On commença le séminaire de la Fourche, dans la Louisiane. MM. Armingol,. Chandy et quelques autres furent chargés de sa direction. MM. Bouillier et Giustiniani furent envoyés à Donaldsonville. Ceux du séminaire étaient chargés de Paincourtvilles. le Canal, et autres endroits dans le Brûlis et au delà des lacs. Les Missionnaires de Donaldsonville donnaient leurs soinscomme ils ont continué de le faire à différerites stations ou plantations, dans le but d'instruire les noirs des devoirs de; la religion.
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Pressé par les prières de M. Byrne, excellent catholique, Mgr Rosati demanda à M. Timon de se charger de la mission de La Salle dans l'Illinois, où un grand nombre d'Irlandais catholiques travaillaient sous les ordres de ce M. Byrne, et désiraient ardemment avoir un prêtre avec eux. M. Raho et M. Parodi furent envoyés à cet endroit, où ils firent beaucoup de bien, au milieu de nombreuses difficultés et de grandes privations. Ils visitèrent régulièrement Péru, Peoria, Kickaboo, Black, Partridge et autres localités, et ils eurent la consolation de bâtir cinq églises ou chapelles. Ces missions sont maintenant devenues paroisses avec curés à demeure. Les Missionnaires n'ont gardé que La Salle, où il y a maintenant une paroisse florissante de quatre mille catholiques (1060).
M. Parodi était un prêtre extraordinairement pieux et zélé. Son amour pour les pauvres le porta plusieurs fois à leur donner ses propres habits et à se priver de nourriture en leur faveur. A la fin, ses bienfaiteurs trouvèrent nécessaire de ne plus lui donner d'habits, mais seulement de lui en prêter. Une pauvre femme ayant partagé avec lui le pain qu'elle avait cuit, remarqua qu'après en avoir pris son déjeuner il donnait le reste aux pauvres; elle lui dit qu'elle n'avait pas moyen de nourrir une douzaine de personnes en même temps que lui et qu'elle lui enverrait sa portion à chaque repas. Les dimanches, il prenait souvent la quête de l'église destinée à son entretien, et, sans même en examiner le contenu, il distribuait tout aux pauvres qu'il rencontrait avant d'aller prendre son dîner. Quand il était à SaintLouis, il était infatigable à visiter les malades et à soulager les pauvres. L'Orphelinat de cette ville, tenu par les Soeurs de Saint-Joseph, lui doit son existence. Pendant sa dernière maladie, au moment où la mort approchait, le prêtre qui l'assistait lui dit : « Eh bien! Monsieur Parodi, n'oubliez pas notre bonne Mère. — Oh ! non, dit-il ; ma bonne Mère, puis-je vous oublier? Adhoereat faucibus meis lingua mea
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si non meminero tui. « Que ma langue s'attache à mon palais « si jene me souviens devous. » Il mourut quelques instants après, de la manière la plus édifiante, au commencement de janvier i853.
En 1840, un autre prêtre, M. Gandolfo, fut envoyé à Sainte-Geneviève pour aider M. Dahmen, qui, depuis 1822, avait suffi seul aux besoins des catholiques de cet endroit. De nouvelles missions ou stations furent ouvertes dans ce district par le zèle de M. Gandolfo ; ce furent celles du Petit-Canada, Mine-Valley, Mine-Lamotte, River-Ovas et de M. Herdick.
La même année, Cap-Girardeau, qui jusque-là avait été visité par quelqu'un des Barrens, eut un prêtre à résidence; ce fut M. Brands. Quelque temps avant qu'on eût commencé à visiter cette, localité, une dame protestante, Mme Watson, qui habitait cet endroit, fut pendant une longue maladie fatiguée par de violentes perplexités au sujet de la religion. Dans son anxiété, elle demandait ardemment à Dieu ses lumières; soudain elle tomba dans un profond sommeil et il lui sembla voir en songe un homme vénérable revêtu d'habits blancs; en même temps elle entendit une voix qui lui disait de faire tout, ce que cet homme lui dirait et que par là elle parviendrait à la con naissance de la vérité. Elle s'éveilla, raconta à ses amis ce qu'elle avait vu, exprimant son désir de voir, s'il était possible, le personnage qu'elle avait aperçu dans son rêve. D'après la description qu'elle en fit, quelques-uns pensèrent que ce ne pouvait être qu'un prêtre catholique, et pour la satisfaire on alla chercher M. Timon, qui après quelques entrevues la prépara au baptême. Aussitôt qu'elle le vit avec le surplis et l'étole, elle fondit en larmes et s'écria : « Voilà l'homme que j'ai vu; Dieu soit loué! » M. Timon fut grandement étonné lorsqu'il entendit de sa bouche les
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^particularités de ce songe mystérieux, et il lui demanda ce qu'elle pouvait avoir fait pour mériter une aussi grande faveur du Ciel. Sur les réponses qu'il en reçut, il découvrit que cette bonne dame avait toujours été affable et généreuse pour les pauvres. Mme Watson vit encore dans la même ville (1860) et raconte souvent avec les plus vifs sentiments de reconnaissance la grande faveur du songe que :nous venons de mentionner.
Pendant plusieurs années, au Cap-Girardeau, le saint sacrifice ne fut offert que dans une petite cabane de bois qui avait servi de remise. En 1837 on commença à construire une assez grande église de pierre. Mgr Rosati vint la consacrer au mois de juillet 1839, le dimanche dans l'octave • de saint Vincent. Cette église, aussi bien que plusieurs édifices de cette ville, fut détruite par une trombe en i85o,
■ mais quelque temps après une autre plus belle fut élevée à sa place.
Au mois d'octobre i838, une autre bande de Missioninaires arriva d'Europe; ce furent MM. T. Amat, plus tard évêque de Los Angeles, en Californie, Masnou, Calvo, Cer■
Cer■ F. Burlando, prêtres, et M. J. de Marchi, étudiant; tous venant d'Espagne, excepté les deux derniers qui étaient Italiens. MM. Amat, Masnou et un troisième allèrent au séminaire de la Fourche; les autres se rendirent aux Barrens
tpoury apprendre l'anglais. L'année suivante (1839), M. Timon étant en Europe obtint d'autres sujets, et MM. Maller, Sareta et Pascual vinrent en Amérique ; ils furent suivis à «diffférents intervalles par MM. Penco, Boglioli, Roata, :Barbier, Frasi, Verrina, Anthony, Knowd et d'autres. MM. Andrieux et Mac Gerry entrèrent alors dans la Con.grégation. Le nombre des Missionnaires étant ainsi augmenté, les Supérieurs jugèrent à propos de prendre de nouvelles oeuvres. Ainsi les Missionnaires se chargèrent en ■1840 du séminaire Saint-Charles, à Philadelphie. MM. Mal-
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1er et Burke furent envoyés à cet établissement, où ils furent suivis par MM. Penco, Frasi et Rolando. En 1841, trois autres séminaires furent confiés à la Congrégation, ce furent ceux de Saint-Thomas, à Bardstown, de Fayetteville, dans l'Ohio, et de New-York. Mais on ne garda ces séminaires que quelques annéesDans
annéesDans 1841, M. Odin ayant été nommé vicaire apostolique du Texas, dont on le fit bientôt évêque, quittait Galveston en compagnie de M. Calvo et d'un autre Missionnaire. Pendant qu'il naviguait sur le Mississipi, à la hauteur de Natchez, une trombe épouvantable détruisit cette dernière ville, et arracha tous les arbres qu'elle rencontra sur son passage. Elle saisit aussi plusieurs bateaux à vapeur, et celui qui portait les enfants de saint Vincent arriva juste à temps pour recueillir les naufragés qui étaient emportés par les eaux.
Des Barrens, les prêtres de la Congrégation visitaient plusieurs stations, à savoir : Boisbrûlé-Bottom, SainteMary's Landing, Manning's, Apple Creek, etc. Cette dernière station est une colonie située à quatre lieues sud-ouest des Barrens, et ce fut dans la maison d'un Allemand, vénérable vieillard nommé Snorbush, que le saint sacrifice fut offert pour la première fois et que le prêtre reçut l'hospitalité. Pour cela, on arrangea une vieille grange en forme de chapelle, en disposant derrière l'autel un petit appartement qui servait de sacristie et de chambre à coucher pour le Missionnaire. Un samedi, pendant l'automme de 1840, le prêtre qui venait à cet endroit fut saisi sur la route par une horrible tempête, loin de toute habitation. Sans réfléchir au danger, il alla s'abriter sous un arbre, et bientôt la foudre tomba à dix pieds de lui en fracassant les arbres, mais ni lui ni son cheval ne reçurent de blessures. Il lui fallut néanmoins continuer sa route avec ses habits tout trempés, et à peine arrivé à la station il fut attaqué d'un violent en-
rouement accompagné de fièvre. Seul dans sa petite sacristie, se trouvant sans remèdes, et préoccupé de l'impossibilité où il allait se trouver d'accomplir son ministère, il se souvint qu'il avait quelques pommes dans les poches de sa selle. Il les fit cuire et les écrasa dans un amict, seul linge qu'il eût alors sous la main, puis il s'appliqua le cataplasme sur la gorge et se coucha. Dès le lendemain il était complètement guéri, la fièvre avait disparu, et il put chanter la messe, prêcher, baptiser, confesser, sans le moindre inconvénient.
Vers la même époque, le bon vieillard allemand, âgé de soixante-dix ans, se mit à l'oeuvre presque seul pour élever les murailles de l'église de pierre qui existe encore aujourd'hui (1860) et qui fut achevée et bénite à la fin de 1841.
En 1840, un petit séminaire fut commencé au Cap-Girardeau. Quelques enfants de la Louisiane et du Missouri et un de Philadelphie furent réunis dans la maison du Missionnaire. M. Domenech, nommé plus tard évêque de.Pittsburg (décembre 1860), y fut envoyé avec deux autres confrères. L'essai fut heureux et le personnel du petit séminaire devint bientôt plus nombreux que la maison ne le comportait. Le bâtiment du collège s'élevait en même temps et fut achevé en 1842. Alors les prêtres, les élèves, les séminaristes et les frères se transportèrent des Barrens pour venir s'y établir, et M. Domenech, avec les élèves de son petit séminaire, alla prendre leur place aux Barrens. Ce petit séminaire continua de prospérer et a donné à l'Église bon nombre de Missionnaires et de prêtres séculiers.
En 1842, à la demande de l'archevêque de Saint-Louis, le grand séminaire fut transporté dans cette ville. Un petit local lui fut consacré et on y construisit une chapelle provisoire où les Américains et les Allemands venaient entendre des instructions dans leur langue respective.
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M. Timon, Visiteur, M. Amat, Supérieur du séminaire, et MM. Roho, Paquin et Dahmen composaient cette maison. On s'occupa de bâtir l'église Saint-Vincent, dont la construction fut poussée avec vigueur et qui fut consacrée par Mgr Kenrick, le i5 novembre 1843. Le séminaire avait été transféré auparavant à une maison proche de l'église, où il demeura jusqu'en 1848, époque à laquelle il fut transporté à Carondelet et confié à d'autres professeurs.
En 1846, M. Delcros arriva d'Europe ; il fut envoyé au séminaire de Philadelphie, puis à Donaldsonville et enfin à Bouligny, où il bâtit l'église qui existe aujourd'hui et le séminaire, tout enfaisant de nombreuses conversions parmi les âmes.
Le 11 juin i858, ce digne Missionnaire s'était embarqué sur le vapeur le Pensylvania pour aller à Saint-Louis. A la hauteur de Memphis, par suite de la négligence du machiniste, l'eau devint trop basse dans les chaudières, et, vers quatre heures du matin, une explosion terrible eut lieu. Elle fit sauter en pièces la moitié du pont supérieur et lança la plupart des voyageurs dans l'éternité. On s'aperçut bientôt que M. Delcros manquait. Comme le bateau était en flammes, les passagers survivants étaient descendus dans un autre que la divine Providence avait envoyé à leur secours ; et au bout de quelque temps on aperçut, flottant sur l'eau, quelque chose qui ressemblait à une épave. C'était le pauvre M. Delcros. Il est difficile de concevoir comme il se trouvait là et comment dans cette position il ne s'était pas enfoncé dans l'eau. Mais Dieu sans doute L'avait ordonné ainsi pour l'accomplissement de quelque miséricordieux dessein. Le naufragé fut recueilli dans le bateau et placé aussi commodément que possible eu égard à son déplorable état. Comme les autres il avait -été horriblement brûlé, mais s'occup'ant à peine de ses souffrances, il s'informa s'il y avait autour de lui quelque catholique mourant. Comme
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on lui répondit qu'il y en avait en effet plusieurs, il les exhorta à faire un acte de contrition et leur dit qu'il allait leur donner l'absolution. Alors il pria une fille de la Charité, la soeur Marie-Hélène, qui, elle, avait échappé saine et sauve, de lui soutenir le bras afin qu'il pût avec la main élevée faire le signe de la croix en prononçant la formule de l'absolution sur ses compagnons mourants. Quelques heures après, on lui dit qu'il n'avait plus longtemps à vivre, parce que la vapeur qu'il avait aspirée l'avait brûlé intérieurement. Il prononça d'une voix intelligible son acte de résignation, se recueillit pour prier et expira deux heures plus tard. M. Verrina lui succéda comme supérieur au séminaire de Bouligny et comme curé de la florissante paroisse qu'il y avait formée.
En 1847, les Missionnaires d'Amérique perdirent leur b ien-aimé visiteur, M. Timon, qui fut nommé évêque de Buffalo. M. Maller lui succéda dans la charge de Visiteur; mais après qu'il eut été chargé de la direction des Filles de la Charité, on lui donna, pour le remplacer dans la charge de visiteur, M. Penco. En mars i853, M. Maller, fuyant l'épiscopat qu'on voulait lui imposer, partit pour le Brésil en qualité de Visiteur de la Congrégation de la Mission et de Directeur des Filles de la Charité. Son successeur à Saint-Joseph d'Emmittsburg, M. Burlando,y arriva un mois après son départ, et il est demeuré pendant de longues années chargé de la direction de ces pieuses filles. Quelque temps auparavant, M. Penco avait rappelé de Galveston MM. Lynch et Hennessy, le premier pour prendre la conduite du séminaire des Barrens, et le second pour être à la tête du collège du Cap-Girardeau. C'est sous la supériorité de ce dernier que l'on agrandit le bâtiment et que l'on construisit l'église. Mais il ne put demeurer longtemps à ce poste, sa santé, déjà altérée par son séjour au Texas, fut bientôt entièrement épuisée, et il mourut vers le milieu de 1853 ; il fut remplacé par M. Masnou.
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Sur ces entrefaites, M. Penco partit pour l'Europe, et, en juin i855, M. Masnou fut nommé pro-visiteur, office qu'il quitta au bout d'un an, lorsqu'il fut rappelé pour prendre le poste de Visiteur de la Congrégation de la Mission en Espagne. En 1857, M. Ryan (Etienne) fut nommé Visiteur des Etats-Unis, fonctions auxquelles on joignit bientôt la supériorité du séminaire des Barrens.
Dans l'intervalle de 1847 à i855 cette Province perditun grand nombre de sujets; plusieurs moururent, et d'autres, parmi lesquels presque tous les Espagnols, repassèrent en Europe. Les Supérieurs avisèrent en conséquence à diminuer le nombre des maisons : ainsi furent supprimées les missions de Sainte-Geneviève, Natchitoches, les VieillesMines, Galveston et S. Antonio du Texas. M. Amat, qui avait été pendant quatre ans Supérieur du séminaire SaintCharles de Philadelphie, ayant été nommé évêque de Monterey en Californie, l'établissement passa en d'autres mains. Cependant trois nouvelles maisons de la Congrégation furent formées dans ces derniers temps; entre autres celle de Baltimore, où les soins de M. Anthony élevèrent une chapelle de l'Immaculée-Conception et la maison qui existe encore aujourd'hui. Après lui. M. Giustiniani commença et acheva l'église neuve qui fut consacrée en i858 par Mgr Timon. En i856, M. Lynch commença le séminaire ds Sainte-Marie-des-Anges, jprès des chutes du Niagara. Comme les autres, cet établissement eut des difficultés au commencement; elles furent surmontées par l'invincible persévérance deson courageux fondateur, et quelques années après, ce séminaire, en pleine prospérité, préparait ausacerdoce une cinquantaine de ^séminaristes. M. Lynch en fut le Supérieur jusqu'en i85g, époque à laquelle il fut sacré évêque coadjuteur de l'évêque de Toronto, dans le Canada. Le titulaire, Mgr Charbonnel, ayant bientôt après donné sa démission, lui laissa toute la charge de l'épiscopat. M. Jean
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O'Reilly succéda à Mgr Lynch dans les fonctions de Supérieur du séminaire de Niagara.
En novembre i858, la Congrégation fut chargée de la paroisse de Saint-Joseph de la Nouvelle-Orléans, M. Hayden en fut nommé Supérieur.
En 1859, l'établissement du Cap-Girardeau subit une notable transformation. L'organisation en collège fut abandonnée, au grand regret de beaucoup d'amis qui avaient vu les heureux succès de cette institution pendant trente-trois ans. On pensa qu'un séminaire provincial ferait un plus grand bien, et par l'accord unanime de l'archevêque de Saint-Louis et de ses suffragants le séminaire y fut inauguré le Ier septembre 1859. Il comptait deux ans après soixante séminaristes des différents diocèses des États-Unis.
Ces détails, quelque rapides qu'ils soient, suffiront néanmoins pour montrer que l'établissement de la Congrégation dans les États-Unis, fait par M. de Andreis d'une manière si humble et avec si peu de prétentions, a opéré sa bonne part de bien dans l'extension de la religion en Amérique.
Il semble que l'on ne peut terminer ce chapitre sans dire quelques mots du disciple et compagnon de travaux de M. de Andreis, Mgr Rosati, premier évêque de SaintLouis. D'après ce qui a été dit d'une manière incidente dans les chapitres précédents, on peut aisément se former une idée des talents et de la vertu que la divine Providence avait déposés en lui. C'était la connaissance que M. de Andreis avait de ces excellentes qualités qui le porta à le demander pour son compagnon dans la mission d'Amérique en 1815, qui l'engagea à lui confier en 1818 la formation du séminaire de Sainte-Marie des Barrens, et enfin, en 1820, à le désigner pour son remplaçant comme Supérieur des Missionnaires en Amérique. Sa piété, son zèle, sa prudence et sa science, engagèrent également Mgr Dubourg à le demander
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en 1824 pour son coadjuteur. Plus tard, pour les mêmes motifs, il procura son élévation à l'épiscopat, et lui confia la Haute-Louisiane, après avoir obtenu en 1827 du pape Léon XII l'érection de Saint-Louis en siège épiscopal. Il le chargea encore de l'administration de la Basse-Louisiane jusqu'en 1829. Mgr Rosati eut à embrasser de rudes travaux dans cette vaste contrée qui s'étend au nord, plus loin que les eaux navigables du Mississipi, et à l'est, au delà des sources du Missouri, et qui, excepté quinze ou vingt villages habités par des descendants de Français ou d'Espagnols et quelques Américains, n'était qu'une immense forêt servant de refuge à de nombreuses tribus d'Indiens. Ces travaux et les privations qui ne lui manquèrent pas dans ses voyages longs et périlleux; les obstacles qu'il eut à surmonter dans l'exercice du saint ministère, et dans la direction d'un séminaire qu'il commença presque complètement dénué des secours humains, au milieu d'un désert; enfin les difficultés qu'il rencontra pendant près de deux ans dans l'administration de deux immenses diocèses, sont autant d'occasions de mérites dont on ne pourra se rendre compte qu'au ciel, où elles ont sans doute trouvé leur récompense.
Fidèle enfant de saint Vincent, il observa les règles et les usages de la Congrégation même après son élévation à l'épiscopat. Pénétré du sentiment de la responsabilité qui incombe à un évêque, et voyant « que la moisson était grande et le nombre des ouvriers petit », il priait sans cesse le Seigneur de lui envoyer des ouvriers évangéliques. Il pria les Pères Jésuites de pénétrer dans les forêts où ils travaillèrent avec grand succès à la conversion des Indiens. Il appela aussi les Dames du Sacré-Coeur, les Soeurs de la Charité, celles de la Visitation et de Saint-Joseph, pour fournir leur part de travail dans la vigne du Seigneur. Il éleva bon nombre d'églises dont la principale fut la cathédrale de Saint-Louis, regardée à son époque comme une merveille
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d'architecture. Il fonda deux collèges pour l'éducation de la jeunesse, celui de Saint-François-Xavier et celui de Sainte-Marie des Barrens, et trois maisons d'éducation pour lés jeunes personnes, une à Saint-Louis, une autre à Kaskaskia et la troisième à Carondelet. L'hôpital de SaintLouis et l'Orphelinat sont des monuments du zèle et de la charité pour le prochain dont était animé cet homme vraiment apostolique. Dans l'espace de seize ans il vint à bout de fournir amplement à tous les besoins de son diocèse et de préparer encore des ressources pour l'avenir.
Il était doué d'un grand esprit de discernement, qu'il manifesta en plusieurs circonstances importantes, par exemple dans le choix qu'il fit de M. de Nékère pour succéder à Mgr Dubourg sur le siège de la Nouvelle-Orléans, et de son propre coadjuteur, aujourd'hui archevêque de SaintLouis, Mgr Pierre Richard Kenrick, qui, entrant pleinement dans les vues de son prédécesseur, a fait faire au catholicisme de si grands et de si rapides progrès dans son diocèse, que Saint-Louis est aujourd'hui appelé proverbialement « la Rome de l'Amérique ».
Pénétré de respect et d'affection pour les beautés du sanctuaire, il avait soin que les églises, malgré leur pauvreté, fussent convenablement ornées, et que les divins offices y fussent célébrés avec tout le respect et toute la majesté possibles. Telle était la bonté de son coeur et l'affabilité de ses manières, qu'il gagnait immédiatement la confiance et l'estime de tous ceux qui le connaissaient. Il aimait, respectait, accueillait et traitait chacun avec la tendresse d'un père. Aussi on ne trouvait à dire de lui que du bien. Sous le rapport de la science ecclésiastique, il était un excellent théologien et universellement estimé comme tel. C'est pour cette raison qu'il jouissait d'une grande influence dans les délibérations des conciles provinciaux. Plusieurs de leurs lettres synodales furent son ouvrage ; celles entre autres qui furent adressées aux archevêques de Cologne et de Posen
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sont dignes d'un saint Ambroise et d'un saint Cyprien. Le 25 avril 1840, il partit pour Rome. Le pape Grégoire XVI le reçut avec les témoignages de la plus grande estime et le nomma nonce près la République d'Haïti. Avant de se rendre à cette mission, il retourna aux EtatsUnis, arriva à Boston le 18 novembre 1841, et peu après à Philadelphie où il sacra son coadjuteur, Mgr Kenrick. La République d'Haïti le reçut avec tout le respect qu'inspiraient sa mission et sa personne. Il revint en France en 1842. Il tomba malade à Rome, où le Pape lui avait fait le plus bienveillant accueil. S'étant rétabli, il reprit le chemin d'Haïti et arriva jusqu'à Paris. Là, une rechute dé - termina les médecins à le faire retourner en Italie, où il mourut le 25 septembre 1845. Le Souverain Pontife, qui appréciait les éminentes qualités de ce digne prélat, et qui l'honorait de sa confiance, s'apprêtait à aller le visiter sur son lit de douleur, lorsqu'on vint lui apprendre sa mort. Il fut un véritable Missionnaire, un supérieur admirable et un excellent évêque; en un mot, il vérifia pleinement ce qu'avait dit de lui M. de Andreis, « qu'il était doué des qualités les plus distinguées, et que Dieu avait de grands desseins sur lui ».
FIN
AMÉRIQUE CENTRALE
RÉPUBLIQUE DE COSTA-RIGA
Lettre de M. KRAUTWIG, prêtre de la Mission, à M. A. FIAT, Supérieur général.
Limon (Costa-Rica), 26 décembre 1894.
MONSIEUR ET TRÈS HONORÉ PÈRE,
Votre bénédiction, s'il vous plaît!
Notre nouvelle petite famille ici se trouve bien. J'ai été pendant le mois de septembre très malade; maintenant je suis entièrement guéri.
Jusqu'à présent nous travaillons de notre mieux. J'ai parcouru notre vaste paroisse deux ou trois fois ; partout les catholiques, abandonnés, en ont ressenti les bons effets; le danger de tomber dans les filets des protestants est éloigné maintenant pour eux. Nous avons déjà projeté la construction de trois chapelles. Il y a plusieurs centres principaux de catholiques; à peine puis-je y faire une visite chaque mois; nous sommes dans une activité ininterrompue.
Souvent viennent des Indiens pour me prier d'aller les visiter et de les baptiser; l'autre semaine, c'étaient quatre jeunes hommes, aujourd'hui ce sont deux autres, venus d'une autre rivière. Hélas! je crains qu'ils ne tombent à la fin dans les mains des protestants qui sont si actifs. J'ai le coeur brisé en voyant cette moisson à notre porte, sans pouvoir la recueillir. Mgr Thiel le désire ; vous, mon très honoré Père, m'en avez donné la mission; mais il est impossible de l'entreprendre, si Theux ne nous envoie quelques Missionnaires : à deux nous ne pouvons suffire pour le soin des sauvages et pour celui de la paroisse. Nous espérons.
Je suis, etc. KRAUTWIG,
I. p. d. 1. M.
GRACES
ATTRIBUÉES A L'INTERCESSION DU B. JEAN-GABRIEL PERBOYRE
Lettre de la soeur POYETON, Fille de la Charité, à la très honorée Mère LAMARTINIE.
Aubry, par Anzin (Nord), ]e 7 novembre iSo<|.
MA TRÈS HONORÉE MÈRE, La grâce de Notre-Seigneur soit avec nous pour jamais !
Permettez-moi de venir acquitter, auprès de vous, une dette de reconnaissance envers le bienheureux Jean-Gabriel Perboyre. Il y a deux ans. ma petite nièce, Gabrielle Beghin, âgée alors de trois ans et demi, était atteinte d'une grenouillette devenue tellement grosse qu'on ne lui voyait plus la langue. Le docteur disait qu'elle finirait par être étouffée, et il jugeait qu'une opération était inévitable. D'un autre côté, la délicatesse de constitution de cette enfant faisait beaucoup redouter ce moyen extrême. Mes parents étaient dans la plus grande désolation. Nous avons eu alors la pensée de recourir au Bienheureux. Toute notre chère maison d'Aubry, Soeurs et enfants, s'est jointe à ma famille pour commencer une neuvaine, terminée par la sainte communion. En même temps, on faisait porter à la petite Gabrielle une relique de son puissant protecteur. La grosseur, qui ne faisait qu'augmenter jusqu'à ce jour d'une manière effrayante, a commencé aussitôt à diminuer, et à la fin delà neuvaine, elle était tout à fait disparue. Depuis, mon père a demandé plusieurs fois au docteur le certificat constatant cette guérison. Il répondait invariablement qu'il fallait attendre pour être bien certain que cela ne reparaîtrait plus. Il vient de le donner, après sérieux examen, et je
m'empresse de vous l'envoyer, heureuse de pouvoir enfin
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remplir ma promesse de le faire inscrire dans les Annales. J'ai l'honneur d'être,
Ma très honorée Mère,
Votre très humble et très obéissante fille, Soeicr POYETON,
).f. d.l.C. s. d. p. m.
Autres grâces obtenues :
A Alcamo (Sicile). Trois guérisons.— Lettre de la soeur Madeleine, 3i octobre 1894.
A Parme (Italie), hôpital civil. Guérison.-—Lettre de la soeur Bauchiero, septembre 1894.
A Girgenti, (Italie). Guérison.—Lettres de la soeur Viola, 11 décembre 1894, et 1^ janvier 1895. Attestation du chapelain de l'Hôpital, 14 janvier 1895.
A Elbeuf (France). Grâce.—Lettre du i5 janvier 1895.
A Bordeaux [France). Grâce de guérison.—Lettre du 18 janvier 1895.
Le Mans (France). Grâce.'— Lettre du 28 janvier 1895.
Naples. Guérison du frère V. Natola, clerc étudiant de la Congrégation de la Mission.—Lettre du 25 janvier 1895. Attestation du chanoine Louis Goffredi, et de la soeur Phi. lomène Antonelli, fille de la. Charité, 12 janvier i8g5.
NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
21. —Ilparrocho del villaggio provveduto intomo ail'' eserci\io délie sacre fun^ioni parrochiali ordinarie e stra - ordinarie, del sac. P. M. DE AMICIS, délia Missione. (Le curé des paroisses rurales instruit de la pratique des fonctions paroissiales ordinaires et extraordinaires, par M. P. M. de Amicis, prêtre de la Mission.) — Roma, tipog. délia Pace, 1894. Un fort vol. in-12 de 882 pages.
Le mouvement d'adhésion aux règles de la liturgie romaine a été si universel et si empressé depuis cinquante ans, que maintenant tousles manuels pratiques de liturgie sont exacts. Celui-ci nous paraît même très exact. Il se recommande de maîtres très autorisés, de Herdt, les Ephémérides liturgiques de Rome, et en tête est un éloge très accentué de Mgr Sardiy substitut de la Sacrée Congrégation des Rites : « Je dois, pour dire vrai, avouer que je ne sais ce que je doisdavantage louer en cet ouvrage, la vaste érudition des choses liturgiques,, l'heureuse intelligence des lois ou la rectitude du sens pratique avec lequel on en détermine l'application. »
Pourquoi l'auteur a-t-il intitulé son livre Manuel pour les petites paroisses? L'ouvrage est fort complet. Il équivaut presque à l'excellent cérémonial français, de Levavasseur, en deux volumes, sauf que les références y sont moins nombreuses ; il y a en plus quelques explications du sens des cérémonies qui, jetées çà et là, enlèvent à ce. Manuel l'aspect aride de la plupart des livres de même nature.
22. ■—■ Etude.de chant grégorien, par M. D. CHOISNARD. prêtre de la Mission.— Paris, Lefort, rue des Saints-Pères,. 3o. Un vol. in-8 de 126 pages. Prix : 2 fr. 5o.
Dans cette Étude, l'auteur expose les lois d'une reconstruction assez complète de l'oeuvre grégorienne, tant au point de vue du texte des mélodies qu'à celui des règles d'exécution. Il s'éclaire surtout des principes qui ont inspiré les membres de la Commission rémocambraisienne en i85o, et aussi des théories savamment remises en. lumière par Dom Pothier et les rédacteurs de la Paléographie musicale. Cet ouvrage pourrait servir de thème aux explications d'un professeur dans un grand séminaire, pour le cours de science grégorienne.
L'auteur a reproduit un certain nombre de pièces tirées de manuscrits, en les transcrivant dans leur ancienne notation, ce qui peut donner matière à d'intéressants travaux.
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En tête du livre est une lettre d'approbation et d'éloge de Mgr l'archevêque de Cambrai.—La partie principale de l'ouvrage est une thèse sur la question de la valeur des notes. La puissance de l'habitude est très grande et elle fait accepter l'exécution à la fois traînante et saccadée du plain-chant, telle qu'elle se pratique en beaucoup d'endroits : mais qui pourrait dire sincèrement que cette exécution a charmé son coeur ou son oreille? De. là vient, semble-t-il, que les uns se désintéressent absolument du plain-chant et que les autres se jettent dans la musique très profane qu'ils introduisent dans le sanctuaire. Puisse cette Étude aider à procurer aux fidèles une exécution de plain-chant qu'ils goûtent et qui les aide à prier.
23. ■—Méthode pour apprendre rapidement le grec moderne, par M. Nicolas Murât, C M. — Constantinople, imprimerie Minasse, 1890. Un vol. in-12 de 172 pages.
Méthode en caractères latins pour apprendre facilement la langue turque. 20 édition, soigneusement revue et corrigée. — Constantinople, imprimerie Minasse, 1894. Un vol. in-12 de 134 pages.
Lexique turc-français. Lexique français-turc. 2 vol.
in-24 de 159 et 244 pages. Constantinople, imprimerie
Minasse, 1891 et 1892.
Les ouvrages que nous venons de mentionner sont le fruit de la longue expérience de M. Murât, pour qui les missions du Levant sont devenues une seconde patrie. C'est faire oeuvre d'apôtre que de faciliter, à ceux qui arrivent dans un pays, le moyen de communiquer ce qu'ils apportent de science et de foi religieuse. Ces livres élémentaires sont aussi, sans affectation, des livres d'apostolat. Au milieu des nécessaires banalités des dialogues insérés dans tous les ouvrages de cette nature, on trouve ici des phrases et des axiomes qui peuvent rester comme un germe utile dans le coeur de l'enfant à qui on les fait apprendre.
24. — Noechstenliebe des Knaben Vincen\ von Paul. Dramatische Kinder-Idylle in einem Auf\ug. Nach dem Franzoesischen des P. V. Delaporte, S. J. Munster, Russel, 1894. In-12 de 32 pages. — Traduction allemande de Les trente sous de Vincent de Paul, du P. V. Delaporte, S. J. ', par A. Jox, C. M.
1. Chez Retaux; Paris, rue Bonaparte, 82.
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Rien de plus gracieux que 1' « idylle dramatique enfantine » publiée par IeR. P. Delaporte, S. J., et traduite en allemand avec l'autorisation de l'auteur, par M. A..lox, prêtre de la Mission à Theux. Cette scène (un acte, en vers) est très courte, très simple quoique variée, facile à rendre sur un petit théâtre de collège. Jusque-là, rien que d'ordinaire peut-être ; ce qui ne l'est pas, c'est de trouver, sous cette forme « idyllique » ou « enfantine », des pensées si justes et si élevées, et un goût littéraire parfait, tranchant avec les négligences et les mièvreries qui malheureusement caractérisent d'habitude les scènes de ce genre.
Au milieu d'une scène charmante parmi de jeunes pâtres, Vincent accourt ; il apporte à un mousquetaire qui va en Barbarie, ses trente sous : il voudrait racheter un captif. Le mousquetaire, à sa grande désolation, est déjà parti.... Survient un vieillard, et Vincent dépose entre ses mains son petit trésor.. C'est alors que le mystérieux vieillard — c'était sans doute un ange — prophétise .
LE VIEILLARD, se levant, se dressant, de toute sa taille et tenant les mains de Vincent.
Un jour, ces deux mains que je tiens, Sur l'Orient maudit, sur les pays chrétiens, Sur Paris affamé, sur toutes nos provinces; Ces mains, que baiseront les peuples et les princes, Qu'arroseront de pleurs l'esclave et l'indigent, Verseront des flots d'or et des neuves d'argent.
VINCENT, troublé. Seigneur, s'il était vrai !....
LE VIEILLARD.
Très vrai : je te le jure. La France entière, un jour, la France, en vérité, Au seul nom de Vincent répondra : Charité.
Adieu.
LE VIEILLARD disparait.
Nous avons vu représenter cette scène touchante : tout l'auditoire en a été charmé.
M. Jox a publié plusieurs autres ouvrages importants de piété et d'érudition en langue allemande :
i. La Mission catholique allemande Saint-Boniface, à Londres. Wurzbourg, 1881.
2. La Relique du Précieux Sang à Bruges. Luxembourg, 1S80.
3. Méditations pour le temps du Jubilé, par Bossuet. Traduction. Berlin, 1876.
4. Sermons sur les Privilèges de Marie. Traduction. Trêves, 3880
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5. Louise Lateau, de Bois-d'Haine. Ratisbonne, iS83.
6. Saint Vincent de Paul, patron de toutes les oeuvres de charité. Paderborn, 1888.
7. Courtes instructions sur la foi et la morale. Traduction. Dulmen, 1884.
8. L'Amour du Sauveur eucharistique. Dulmen, 1891.
9. Souvenirs eucharistiques. Dulmen, 1892.
10. La pieuse servante de Dieu, Louise de Marillac. Dulmen, 1892.
11. L'Imitation de Jésus-Christ avec Introduction et Prières. 6" édit. Dulmen, 1894.
12. Mort de Jean-Gabriel Perboyre. Drame en 5 actes, par un prêtre de la Mission. Traduction. Munster.
25. — Manuel de la langue tigraï, parlée au centre et dans le nord de l'Abyssinie, par J. SCHREIBER, prêtre de la Congrégation de la Mission, dite des Lazaristes, fondée par saint Vincent de Paul. Vienne, Hcelder, 1887. In-8 de yii-227 pages.
Ce Manuel, édité avec luxe par l'imprimerie de la Cour impériale à Vienne, avec le généreux concours du ministère de l'instruction publique d'Autriche, donne pour la première fois, croyons-nous, un essai de grammaire et de syntaxe de langue parlée au nord et dans la plus grande partie du centre de l'Abyssinie, pays que l'auteur a évangélisé pendant plusieurs années 1. C'est un de ces patients et très méritoires travaux auxquels se dévouent les Missionnaires dans les pays où ils vont porter la foi et la civilisation. Quelques lignes de l'Introduction en indiquent la nature :
« On parle dans l'Abyssinie proprement dite, outre plusieurs langues chamitiques ou sémitiques, trois idiomes plus ou moins dérivés ou voisins de l'ancienne langue éthiopienne ou ghée%, qui est aujourd'hui une langue morte, connue cependant par une littérature assez riche, et en usage encore dans la liturgie. •— Ces trois langues sont : Vamarigna, le tigraï ou tigrigna et le tigré. Le tigré, qui se
i. M. Claude BOHÉ, lui aussi prêtre de la Mission, après un séjour de plusieurs années dans la mission d'Abyssinie, a composé une oeuvre très considérable : c'est un Dictionnaire en sept langues : le français, — l'amarignan, le tigrignan ou tigraï, le ghez, le tigré, l'arabe et le chao. Cette dernière langue est celle qui se parle à Alitiena, dans l'Agamié et dans l'Assaorthan. Ce Dictionnaire est suivi d'un autre, tigrignan-français. — Tout ce travail est resté manuscrit. M. Bohé, originaire du diocèse de Lyon, est mort l'an dernier, le 23 août 1894, à Paris, où il était revenu épuisé, quoique jeune encore, par le travail et par la maladie contractée dans la mission d'Abyssinie.
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parle sur la lisière nord de l'Abyssinie, à Massawa et dans ses environs, ainsi que dans plusieurs îles, se rapproche le plus du ghéez ; le tigraï, parlé à peu près sur toute l'étendue du territoire de l'ancien royaume du Tigré, est déjà plus éloigné du ghéez, et l'amarigna ne lui emprunte guère que la majeure partie de son lexique, tandis que dans sa grammaire il suit une voie tout à fait indépendante de la langue antique. »
L'auteur a écrit son Manuel en langue française, bien que ce ne soit pas sa langue maternelle, afin d'être plus communément compris, dit-il, de ceux à qui son travail s'adresse. Il parle la langue française avec une parfaite correction et une grande clarté.
26. — Actamartyrum et sanctorum. Ed. Paulus BEDJAN, Congr. Miss. Tomus V. Lipsioe, i8g5.— Un vol. in-12 de xi-705 pages.
Ce volume de la vie des martyrs et des saints de l'Orient, est la continuation du grand ouvrage, en langue chaldéenne, entrepris par M. P. Bedjan, et si apprécié des érudits. Les vies contenues dans ce volume ont été relevées et confrontées sur divers manuscrits du British Muséum, des bibliothèques nationales de Paris, de Berlin et de Saint-Pétersbourg, mis avec complaisance à la disposition de M. Bedjan. Son Éminence le cardinal Préfet de la Propagande lui en a adressé de vives félicitations.
Le Gérant : C. SCHMEYER.
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ARCHICONFRÉRIE
DE L'OEUVRE DES CAMPAGNES
RUE DE LA PLANCHE, 7, PARIS
On nous a prié d'insérer la notice suivante sur l'Archiconfrérie de l'OEuvre si utile et si intéressante des campagnes. Nous le faisons très volontiers.
Frappé de l'abandon dans lequel se trouvaient les campagnes et du découragement de leurs pasteurs; ayant entendu souvent retentir à ses oreilles ces désolantes paroles : « Il n'y a plus rien à faire », un saint prêtre, il y a trentehuit ans, se fit une loi. de relever les courages abattus, et en opposition avec la formule d'impuissance, prit pour devise de sa vie apostolique : « Il y a toujours quelque chose à faire! » L'OEuvre des campagnes était fondée.
Son but exclusif est de soutenir l'énergie, de ranimer le zèle des curés par tous les moyens en son pouvoir, prédications des Missions, maintien des écoles, fondation des bibliothèques.
Elle a besoin, pour l'atteindre, du secours de tout ce qui prend à coeur le sàlut des âmes. La grande famille de saint Vincent ne peut le lui refuser puisque son Fondateur et son Père ont fait de la sanctification du clergé et de la rénovation des campagnes son oeuvre de prédilection.
Les souscriptions sont de 10 centimes, i fr. et 12 fr. De nombreuses indulgences ont été accordées par le SaintSiège.
Pour les demandes de renseignements et de secours on peut s'adresser au siège de P OEuvre ou à Mme de la Roquette, secrétaire générale, 33, rue de l'Université.
Imp. D. Dumoulin et C'°, à Paris.
L'INDULGENCE
DE LA PORTIONCULE
Voici le texte du Bref en vertu duquel on peut gagner l'Indulgence de la Portioncule dans les établissements appartenant aux Filles de la Charité ou tenus par elles (28 juin i8g3 ; pour trois ans).
TRÈS SAINT-PÈRE',
Le Procureur général de la Congrégation de la Mission, prosterné à vos pieds, demande que soit prorogée la durée du Bref pour l'indulgence de la Portioncule, accordé le 20 juillet 1887, pour les chapelles des Filles de la Charité. On demande qu'il soit étendu aux convalescents, à ceux qui servent dans les dits hôpitaux où sont employées les Filles de la Charité, et à ceux qui y sont attachés, ainsi qu'à ceux qui sont reçus dans les maisons d'hospitalité dont elles ont le soin. Dont, etc.
En vertu des facultés spéciales accordées par Notre SaintPère le Pape Léon XIII, la Sacrée Congrégation des Indulgences et des saintes Reliques accorde volontiers la proro1.
proro1. PADRE,
Il Procuratore Générale délia Congregazione délia Missione, prostralo al bacio del piede, implora la proroga dell'estensione del Brève deil' Indulgenzc délia Porziuncola, accordato il 20 Luglio 1887 per le Cappelle délie Figlie délia Cari ta. L'eslensione. si domando pei convalescenti, inservienti ed addetti agli Ospedali, dove sono le Figlie délia Carità, nonche pei ricoverati délie Case di mendicità da esse assistite.
Che délia grazia.
Vigore specialium facultatum a Sanctissimo D. N. Leone P. XIII tributarum, S. Congregatio Indulgentiis Sacrisque Reliquiis proepositi bénigne annuit pro petita prorogatione ad aliud trienniam a data
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gation pour trois autres années, à partir de la date des présentes, dans la forme et teneur de la précédente concession. La présente devant valoir sans expédition de Bref. Nonobstant tout ce qui serait contraire.
Donné à Rome, à la secrétairerie de la même sainte Congrégation, le 28 juin 1893.
IGNACE, cardinal PERSICO, préfet.
A., archev. de Nicopolis, secrétaire.
Le Bref du 20 juillet 1887, dont il est fait mention cidessus, a été publié par M. le Supérieur général, dans une circulaire spéciale aux Filles de la Charité, à la date du 27 juillet de la même année.
La faculté temporaire de 1893 expirera avec l'année courante. Elle sera renouvelée pour l'année prochaine, comme on le fait pour toutes les facultés temporaires. Si ces facultés cessaient, ou si elles étaient modifiées, on" en donnerait avis.
praesentium computandum, servata forma et tenore prascedentis concessionis. Proesenti valituro absque ulla Brevis expeditione, Contrariis quibuscumque non obstantibus. Datum Romoe ex Secretaria ejusdem S. Congregationis. Die 28 junii i8g3.
IGNATIUS Card. PERSICO, proefectus.
•J- A. Archiep. Nicopolit. secret.
FRANCE
PARIS
TIUDUUM DE PRIÈRES POUR L'EXPEDITION DE MADAGASCAR FÊTE DE LA-TRANSLATION DE S. VINCENT DE PAUL
Son Eminence le cardinal Richard, archevêque de Paris,, prescrivant des prières pour le corps expéditionnaire de Madagascar qui va revendiquer dans la grande île africaine les droits séculaires de la France, a bien voulu désigner l'église de la Mission, à Paris, pour la célébration du Triduum à cette intention dans la capitale.
Dans son Mandement du 18 avril 1895, son Eminence a rappelé les raisons qui l'avaient portée à choisir, pour ces prières, l'église où reposent les reliques de saint Vincent de Paul. Voici ses paroles :
« 11 y a un souvenir qui doit nous être cher, particulièrement à Paris. L'homme qui s'intéressa le premier à la civilisation chrétienne de Madagascar, ce fut le saint le plus français de ces derniers siècles, saint Vincent de Paul.
« Quand la Compagnie de l'Orient et plus tard la Compagnie des Indes Orientales, qui lui succéda, formèrent leur entreprise commerciale, elles eurent recours, pour obtenir l'élément religieux dont elles reconnaissaient la nécessité afin de faire une oeuvre durable, à l'homme qui, dans son humilité, exerçait et exerce encore sur notre monde moderne une influence féconde par la puissance de la charité. « Voilà un beau champ que Dieu nous ouvre à « Madagascar » : ce fut la première parole de saint Vincent de Paul, quand il apprit que la Providence lui confiait
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cette mission. Rien n'est touchant comme la charité de cet admirable prêtre pleurant sur la mort de ses missionnaires qui succombaient au travail, et s'attacriant chaque jour à son oeuvre avec un plus opiniâtre dévouement.
« La France renonça à ses projets sur Madagascar. Les enfants de saint Vincent de Paul durent se retirer ; mais la Providence avait fait entrevoir le concours que la charité évangélique pouvait donner à l'action civilisatrice de la France.
« Quand il envoyait les prêtres de sa Société à Madagascar, saint Vincent de Paul devinait aussi les services que rendraient dans les pays de mission les Filles de la Charité, à peine instituées par lui. « Votre nom est connu « même à Madagascar », écrivait-il cinq ans avant sa mort aux Soeurs qui s'étaient offertes à lui pour aller dans cette île. Il annonçait ainsi deux siècles à l'avance la mission que les Filles de la Charité rempliraient un jour dans les pays infidèles.
« La Compagnie de. la Mission et celle des Filles de la Charité ont été appelées ailleurs par la Providence. D'autres congrégations sont venues reprendre de nos jours l'évangélisation de l'île africaine. Mais nous aimons à retrouver à l'origine le nom de saint Vincent de Paul traçant, pour ainsi parler, le programme de l'oeuvre de civilisation chrétienne qui sera toujours, nous l'espérons pour l'honneur de notre patrie, la mission particulière de la France. « Un trait achève de dessiner ce programme. Saint Vincent de Paul fut à son époque le grand libérateur des esclaves, et les historiens de sa vie assurent qu'il dépensa trois millions .pour racheter les malheureux captifs des bagnes de Tunis et d'Alger.
« Or, n'est-ce pas là encore ce que nous pouvons espérer du protectorat de la France sur la grande île africaine? Il s'exercera là où le commerce des esclaves cherche à se maintenir davantage. La France, là encore, apportera, nous
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en avons la confiance, un concours efficace à l'oeuvre antiesclavagiste bénie par Léon XIII et si vaillamment prêchée par l'illustre cardinal Lavigerie.
« Nous avons donc, N. T. C. F., comme Français et comme chrétiens, des raisons spéciales de prier pour l'armée expéditionnaire. Après les souvenirs que nous venons de vous rappeler, vous comprendrez pourquoi nous avons voulu mettre spécialement nos soldats sous la protection de saint Vincent de Paul dans le diocèse de Paris.
« Le dimanche 28 avril, on y célèbre la fête de la translation de ses reliques. Cette fête sera précédée d'un Triduum de prières dans l'église des Prêtres de la Mission pour attirer la bénédiction de Dieu sur l'expédition de Madagascar.
« ... A ces causes :
« Après en avoir conféré avec nos vénérables Frères, les Doyen, Chanoines et Chapitre de notre église métropolitaine;
« Le saint nom de Dieu invoqué ; « Nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit : ARTICLE PREMIER. — UnTriduum de prières pour l'expédition de Madagascar sera célébré le jeudi 25, le vendredi 26 et le samedi 27, dans l'église des prêtres de la Mission. « Une messe basse, accompagnée de chants, sera dite à huit heures et demie.
« Le salut du très saint Sacrement sera donné chaque soir à cinq heures et demie. En outre des prières ordinaires, on y chantera les litanies de la très sainte Vierge.
« ART. 2. — Le dimanche 28, nous célébrerons pour la clôture du Triduum la messe pontificale à neuf heures, dans l'église des prêtres de la Mission.
« Nous présiderons les vêpres à deux heures et demie, et, après le sermon, nous donnerons la bénédiction du saint Sacrement. On y chantera, comme les jours précédents, les litanies de la sainte Vierge.
ci Et sera Notre présente Lettre pastorale publiée au prône de la messe paroissiale, le dimanche de Quasimodo, 21 avril, et lue dans toutes les communautés et établissements religieux du diocèse.
« Donné à Paris, sous notre seing, etc.
«.-}- FRANÇOIS, cardinal RICHARD,
« Archevêque de Paris. »
Les cérémonies ont eu lieu comme elles avaient été annoncées. Chaque jour du Triduum une nombreuse assistance de fidèles se pressait dans l'église de la Maison-Mère devant la châsse découverte de saint Vincent de Paul. Un missionnaire, M. Milon, a rappelé l'objet de ces pieuses réunions : les droits, la mission, les espérances de la France dans cette expédition de Madagascar. Pour montrer le rôle de saint Vincent de Paul et de ses Missionnaires dans l'action civilisatrice et chrétienne de la France sur la grande île africaine, il n'y avait presque qu'à recueillir quelques-uns des plus touchants et des plus héroïques récits du tome IX • des Mémoires de la Congrégation de la Mission, consacré tout entier à Madagascar.
La châsse resplendissait. Les précieux vêtements dont le saint corps est orné ont été renouvelés l'année dernière-, même la parure de l'autel et du sanctuaire reçurent à cette occasion un nouvel éclat : offrande filiale et généreuse d'une âme habituée à venir dès son enfance prier auprès de ces saintes reliques.
Le jour de la fête de la Translation des reliques, Son Eminence le cardinal Richard officia pontificalement à notre chapelle à la messe, aux vêpres et au salut solennel. Le sermon fut prononcé, à la grande satisfaction de l'auditoire d'élite réuni ce jour-là, par M. l'abbé Boudier, curé doyen du Raincy, diocèse de Versailles. Les cérémonies arf aitement exécutées et les chants soit liturgiques, soit de
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circonstance, très heureusement rendus, donnèrent à la fête un grand éclat.
Son Eminence, qui voulut bien passer la journée entière à notre maison-mère, reçut après la messe toute la Communauté dans la salle des Reliques. M. le Supérieur général lui offrit les hommages de toute la famille de saint Vincent de Paul, et l'éminent et vénéré prélat voulut bien y répondre par des paroles d'une touchante bonté et d'une paternelle et toute particulière bienveillance.
Après dîner, Son Eminence accompagnée de M. le docteur Ferrand qui avait accepté d'être du nombre de nos hôtes ce jour-là, alla visiter les malades à l'infirmerie, les consoler et les bénir.
A la cérémonie du soir, la foule se pressait plus nombreuse que jamais, et l'enceinte de l'église était trop étroite. Plus d'une heure avant le's vêpres une dame qui avait suivi tous les exercices du Triduum ne trouvait plus de place. Elle entra à la maison et supplia qu'on, la fît pénétrer à la chapelle : « J'ai des parents à Madagascar » disait-elle. Un frère coadjuteur ne put réussir à lui trouver une place •, il fallut l'intervention du prêtre chargé d'organiser les cérémonies. Une autre personne se présenta avec une lettre à la main : « J'ai mon fils à Madagascar, disait-elle ; voyez, Monsieur, c'est une lettre qu'il m'écrit. » Evidemment, quoiqu'il n'y en eut plus, on trouvait des places encore, lorsqu'elles étaient demandées dans des circonstances si touchantes.
Afin de laisser plus de place aux fidèles, les Filles de la Charité de la Maison-Mère de la rue du Bac, soeurs et novices, avaient, ce jour-là, fait le sacrifice de la consolation qui leur est accordée chaque année de venir assister aux offices de notre chapelle, devant les reliques de saint Vincent de Paul. Le lendemain, elles s'y rendirent ensemble pour assister à la messe de M. le Supérieur général et y communier de sa main.
Pendant la neuvaine de la Translation, des pèlerinages ont eu lieu comme d'habitude auprès des Reliques de saint Vincent de Paul. Nous pouvons citer notamment :
Lundi, à sept heures, la Congrégation des Frères de Saint-Vincent-de-Paul : orphelinat et scolasticat ; Mardi, à six heures, le séminaire de Saint-Sulpice; Mercredi, à six heures, le séminaire des Irlandais. Le soir, à deux heures et demie, le séminaire d'Issy, philosophie ;
Jeudi, à neuf heures, réunion générale de la Sainte-Enfance, présidée par Mgr de Courmont, vicaire apostolique de Zanzibar ;
Vendredi, le séminaire des Missions étrangères. Puis, les Dames de la Chanté ; leur réunion était présidée par Son Eminence le Cardinal Archevêque de Paris qui a célébré la messe devant les Reliques de saint Vincent de Paul; Samedi, à dix heures, les Orphelins polonais; Dimanche, à sept heures, les Enfants de la maison d'Enghien. A neuf heures et demie, les Enfants de Marie, exter nés, environ i 5oo. Le soir, à cinq heures et demie, le petit séminaire de Paris ;
Lundi, à huit heures et demie, réunion des Enfants de Marie, internes, environ i 5oo ;
Le quatrième dimanche après Pâques, deuxième réunion des Enfants de Marie, externes, environ i 800. Le soir, les Alsaciens-Lorrains.
GUERISON
ATTRIBUÉE A L'INTERCESSION DE SAINT VINCENT DE PAUL, ET OBTENUE A LA MAISON-MERE DES LAZARISTES, LE 2 2 AVRIL 1894, DEVANT LA CHASSE QUI RENFERME LES RELIQUES DU BIENHEUREUX.
Nous avons reçu le compte rendu suivant : Tous les ans, le quatrième dimanche après Pâques, les membres de l'OEuvre allemande, dite de Sainte-Elisabeth
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de Thuringe, boulevard d'Italie, 5o, à Paris, font un pèlerinage au tombeau de saint Vincent de Paul.
Ceux qui, jusqu'à présent, ont eu l'avantage d'assister à ce pieux concours d'Alsaciens-Lorrains chassés de leur pays et perdus dans cette immense capitale, ont pu.remarquer quelle confiance ils ont dans l'intercession de saint Vincent; combien ils honorent et aiment le Patron de leur OEuvre, l'ami des travailleurs et le père des pauvres.
Or, ce qui a signalé le pèlerinage de cette année, ce fut une guérison que les hommes de l'art eux-mêmes ont déclarée miraculeuse.
Nous en publions le récit dans ces Annales pour nous conformer au désir qu'en a formellement exprimé le T. R. P. Fiat, Supérieur général de la Congrégation de la Mission.
L'hiver dernier, Joseph S., un enfant de neuf ans, fils de Guillaume S., d'origine alsacienne, fut atteint d'un mal aussi étrange que douloureux, provenant, paraît-il, d'une décomposition du sang. Toutes les parties du corps se couvrirent de tumeurs noirâtres. Mais, grâce aux soins assidus du père et de la mère et à une médication énergique, la guérison fut relativement prompte,
La joie dans la famille de Guillaume S. fut grande, mais courte, hélas ! En effet, à peine quelques semaines se furentelles écoulées, que l'enfant subissait un mal autrement terrible que le premier. Tout le côté droit de son corps, depuis la tête jusqu'à la plante des pieds, était frappé de paralysie. Les membres étaient absolument inertes : impossibilité donc pour le pauvre petit malade de s'en servir. Qu'on juge de la désolation de ses parents! Leur douleur fut d'autant plus poignante, qu'il s'agissait d'un enfant dont les qualités naturelles faisaient concevoir les plus belles espérances.
On eut recours aux spécialistes les plus en renom ; mais tous furent unanimes à déclarer le cas très grave et la gué-
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rison plus que problématique. Ils ne voulurent sans doute pas avouer qu'elle était impossible.
Les parents employèrent pendant de' longues semaines tous les remèdes imaginables, mais en vain : le triste état de l'enfant resta le même. Cependant, le pauvre père ne laissa passer aucun de ces jours d'angoisses sans réciter le chapelet et la prière à saint Vincent de Paul, avec Joseph, le malade, et ses deux plus jeunes frères; ces prières étaient dites avec une grande ferveur.
« Puisque les médecins d'ici-bas ne peuvent rien pour nous, disait ce père chrétien, il faut recourir avec d'autant plus de confiance à ceux d'en haut : nos saints patrons, le bienheureux martyr Gabriel Perboyre, notre chère sainte Elisabeth et, surtout, le grand saint Vincent de Paul; ceuxlà, j'en suis convaincu, guériront mon pauvre petit Joseph. »
Celui qui parlait ainsi était un simple ouvrier, mais d'un caractère énergique, aux convictions catholiques inébranlables. Chaque matin, avant de se rendre au travail, il assiste, autant que possible à la messe. Chaque jour aussi, entouré de ses enfants, il renouvelle ses supplications au bienheureux Perboyre, à la sainte princesse de Thuringe, surtout à saint Vincent de Paul, pour lequel ses fonctions de caissier des deux Sociétés de Sainte-Elisabeth et de SaintVincent-de-Paul lui ont depuis longtemps inspiré une dévotion particulière. Que de fois ne s'est-il pas écrié : « O bienheureux protecteurs de notre OEuvre, je Suis un pauvre pécheur; si mes prières ne méritent pas d'être, exaucées, entendez du moins celles de mes enfants qui, eux, sont innocents ; rendez la santé à mon pauvre Joseph. Je rélèverai, quoiqu'il puisse m'en coûter, de manière à ce que vous n'ayez pas à vous repentir de votre bienveillante intervention. » Telles furent les prières du pieux ouvrier jusqu'au jour du pèlerinage.
Le 22 avril, l'auteur de ces lignes se rendit en voiture à
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l'église des Lazaristes, rue de Sèvres, 95, accompagné du pauvre petit malade et de son père.
En quittant le boulevard d'Italie, les trois voyageurs gardaient lé silence : ils priaient intérieurement. Tout à coup le brave ouvrier, relevant la tête, me dit d'une voix dont l'accent serait difficile à rendre : ce Mon révérend Père, j'ai fait une promesse au bon Dieu pour le cas où saint Vincent guérirait mon Joseph aujourd'hui. » Et, après une courte pause, il reprend : « saint Vincent donnera, ce soir, une
preuve de sa puissance Vous verrez !... »
Quand on fut arrivé à l'église de la rue de Sèvres, Guillaume S. mena le petit paralytique et ses deux frères au tombeau du martyr Gabriel Perboyre, pour l'intéresser une fois encore à la guérison demandée.
Les exercices du pèlerinage commencèrent. . Le R. P. Nix, de la Compagnie de Jésus, rappela aux pèlerins, dans une chaleureuse allocution, les traits les plus frappants de l'admirable vie de l'Apôtre de la Charité, puis les exhorta à se rendre avec confiance devant les reliques sacrées et à y déposer leurs voeux.
A peine le défilé devant la châsse a-t-il pris fin, que le père et la mère du petit malade le portent péniblement plutôt qu'ils ne le conduisent jusque devant les reliques, placées, comme on sait, à une certaine hauteur derrière le maître-autel.
Là, la pieuse famille tombe à genoux ; le père saisit aussitôt son fils, l'élève jusqu'à la châsse, la lui fait baiser à plusieurs reprises, y applique, en l'y maintenant, le bras malade et paralysé ; puis, des coeurs de ces pauvres gens en larmes, s'échappe une touchante prière.
Alors, arrive le sacristain de l'église : « Braves gens, dit-il, l'heure est venue, veuillez, s'il vous plaît, vous retirer. »
Chose étrange ! Joseph, le paralysé, est le premier à se mettre debout, et cela sans le secours de personne.
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Il est guéri ! Il se rend d'un pas ferme avec les siens dans la chambre dite des reliques, au pied de la statue du bienheureux Perboyre, où l'heureuse famille reste encore longtemps en prières.
Au sortir de la maison des Pères Lazaristes, il restait trois quarts d'heure de chemin à faire pour regagner la maison paternelle. Le miraculé parcourt cette distance à pied avec ses parents et ses plus jeunes frères. Il n'éprouva pas la moindre fatigue.
Maintenant, comment redire la joie de Guillaume S. et de sa femme, quand, à table, ils virent leur enfant se servir, comme autrefois, de la main droite pour manger ! — Pendant sa maladie, il fallait lui mettre les aliments dans la bouche, comme à un petit enfant. — Quelle joie, quand, après le souper, ils le virent prendre une plume, — pareille chose lui eût été impossible auparavant, •— et tracer plusieurs lignes en allemand et en français d'une main aussi ferme qu'avant la maladie !
Cependant, il fallait s'assurer de la réalité de la guérison. Les parents menèrent donc leur fils chez un médecin tout à fait inconnu et le prièrent d'examiner l'enfant. L'homme de l'art s'acquitta de cette tâche avec une scrupuleuse attention. « Cet enfant, dit-il, quand il eut achevé son examen, n'est pas d'une constitution très robuste; malgré cela, je n'ai pas trouvé la moindre trace de faiblesse dans aucun de ses membres ; le bras droit, en particulier, est dans un état parfaitement normal. N'ayez aucune inquiétude. »
Quant aux docteurs de la clinique, où Joseph avait été soigné au commencement de sa maladie, la vue du changement survenu dans l'état de leur ancien malade, les jeta dans un étonnement voisin de la stupéfaction.
A l'heure qu'il est (janvier i8g5), Joseph est gai, d'une santé florissante, tout heureux de vivre comme autrefois. Aussi les actions de grâces se poursuivent-elles sans interruption. Faut-il ajouter que la ferveur avec laquelle le
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père, la mère et les enfants remercient et vénèrent saint Vincent de Paul, n'est pas près de se ralentir.
Enfin, pour mettre le comble au bonheur de ces braves gens, le T. R. P. Supérieur général des prêtres de la Mission et des Filles de la Charité voulut bien recevoir en particulier le père et l'enfant miraculé; ils ne sortirent qu'après avoir été bénis et chaleureusement félicités par le successeur de saint Vincent '.
Paris, le 29 janvier 1S95.
P. KREUTZER, I. p. d. 1. M.
Le récit qu'on vient de lire rappelle ce qu'a écrit justement l'un des plus remarquables historiens de saint Vincent, l'abbé Maynard. Après avoir décrit un grand nombre de miracles obtenus par l'intercession du saint, il ajoute :
« Il en est toujours ainsi, notamment à la maison-mère de la Mission, où son saint corps repose. Pas une des fêtes du saint qui ne soit marquée par quelques miracles, particulièrement opérés sur les petits et les pauvres, par ce père et ce patron des misérables. Tous les ans, et plusieurs fois chaque année, ce fidèle disciple du débonnaire Sauveur semble répéter la parole divine : « Allez, et dites partout : « les aveugles voient, les sourds entendent, les boiteux « marchent, les infirmes sont guéris, les pauvres sont évan« gélisés. » — Maynard, Saint Vincent de Paul, liv, X, ch. 11. »
1. A ce récit l'auteur a joint le nom et l'adresse de la famille dont il est question, et les détails qui précisent les autres circonstances. — Noie de la Rédaction des Annales.
— 3i8 — INAUGURATION DE LA NOUVELLE MAISON
DES FILLES DE LA CHARITÉ A GRENOBLE
Les Filles de la Charité de Grenoble habitaient une maison qui fut l'objet d'un décret d'expropriation pour cause d'utilité publique. Elles se sont transportées dans une autre maison connue sous le nom d'hôtel de Vaulserre. On nous a écrit le 28 novembre 1894 : « Hier soir, à cinq heures, sous la présidence de M. Faure, vicaire général, délégué de Mgr l'évêque, a eu lieu l'inauguration de la nouvelle résidence des Soeurs de Saïnt-Vincent-de-Paul; c'était aussi l'anniversaire de l'apparition de la Médaille miraculeuse à'Soeur Catherine Labouré, Fille de la Charité, en i83o. Cette double solennité avait attiré à l'hôtel de Vaulserre une assistance nombreuse et choisie. Mgr Charles Bellet, l'auteur de la belle Vie du vénérable François Clet, s'inspirant des circonstances, a fait ressortir dans une charmante allocution le caractère du christianisme qui est tout amour et dévouement : amour pour les grandes et saintes causes, dévouement pour tout ce qui est souffrance, privation et misère.
Après avoir rappelé la fondation de l'OEuvre des pauvres par M. le chanoine Gerin, le saint curé de la cathédrale dont Grenoble se souvient toujours, et par Mme Rollin de Savoie; après avoir rendu un juste hommage au zèle et à l'initiative de M. Perrin, le curé actuel, Monseigneur a souhaité la bienvenue dans leur nouveau local aux filles de Saint-Vincent-de-Paul.
Cette demeure garde précieusement les traces du passage de Pie VI; c'est là qu'il logea lorsqu'il passa par Grenoble, prisonnier de la Révolution. Ce souvenir portera bonheur aux Filles de la Charité, et ce bonheur retombera en bénédictions ^de tout genre sur les malheureux de la ville, puisque l'hôtel de Vaulserre est devenu l'hôtel des pauvres de Grenoble.
3ig
HAZEBROUCK
GUÉRISON DE MA SOEUR DECOOPMAN, FILLE DE LA CHARITÉ, ATTRIBUÉE A. L'iNTERCESSION DE LOUISE DE MARILLAC
La soeur Dewulf, supérieure de la Maison de Charité d'Hazebrouck,
a écrit elle-même les détails suivants sur la guérison d'une de ses
compagnes, la soeur Decoopman.
Hazebrouck, le 4. juillet 1S94.
C'est le 7 décembre 1891, alors qu'elle était à Bois-Guillaume, que ma soeur Decoopman s'aperçut qu'elle avait, un peu en dessous du sommet de la tête, une grosseur de la valeur d'une noisette, dont elle ne fit d'abord que rire, attendu qu'elle ne lui faisait aucun mal. Quelques jours après, elle ressentit des douleurs très fortes : sa tête devint si sensible qu'il lui était impossible de poser le pied par terre; dès qu'elle appuyait le talon, elle éprouvait un retentissement douloureux dans la tête.
On consulta le médecin qui, croyant à un petit abcès, perça la grosseur, mais il n'en sortit rien autre chose que du sang; l'ouverture pratiquée se referma aussitôt et les douleurs recommencèrent toujours en augmentant. Environ quinze jours après, elle retourna chez le médecin qui, croyant toujours à un abcès, lequel, disait-il, se promenait fit une nouvelle incision à une petite distance de la première. Comme la première fois, aucune matière ne sortit, la plaie se referma aussitôt et les douleurs acquirent un nouvel accroissement.
A une distance d'une quinzaine de jours, on fit une troisième incision qui, comme les précédentes, n'eut d'autre résultat que d'accroître la souffrance. Huit jours après, nouvelle incision, cette fois en forme de croix et beaucoup plus large et plus profonde. La pauvre patiente était épuisée, ses douleurs allaient croissant; c'était un martyre. Consulté de nouveau, le médecin répondit cette fois que la malade était atteinte de la carie des os. C'est alors que notre soeur
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fut envoyée à la communauté où elle arriva le Ier février 1892, dans un état déplorable, n'ayant pas la force de se tenir debout, ni même de tenir un tricot. Le médecin de la communauté déclara qu'il jugeait nécessaire qu'on opérât le grattage de l'os, ce qui laissa supposer qu'il pensait comme son confrère de Rouen.
Il fut alors décidé d'envoyer la malade à Hazebrouck, son pays natal, où elle arriva le 6 février dans le plus pitoyable état; il fallut la monter à l'infirmerie; elle ne pouvait, pour ainsi dire, rester ni levée, ni couchée, ne pouvant poser le pied par terre, ne sachant comment appuyer sa pauvre tête endolorie.
Le médecin de la localité ne se prononça pas; il se contenta de faire de nouvelles incisions à droite, à gauche, un peu plus haut, un peu plus bas, s'étonnant toujours de l'intensité des douleurs et faisant laisser dans la plaie une mèche de coton afin qu'elle ne se refermât pas. ce à quoi elle tendait toujours.
Grâce à l'air natal et aux bons soins qui lui furent prodigués, la malade avait pourtant repris un peu de forces. C'est alors qu'on la conduisit à Lille pour consulter un spécialiste distingué, M. Duret, qui déclara que c'était une loupe, laquelle n'ayant pas été reconnue et par conséquent pas traitée comme telle, s'était étendue et qu'une opération était nécessaire. Cette opération fut faite immédiatement. Hélas! pas plus que les incisions précédentes, elle ne soulagea 'la pauvre soeur. Les mêmes douleurs reprirent, mais celte fois avec une violence inouïe et la plaie si profonde ne se refermait pas !
Le célèbre docteur déclara alors que probablement il n'avait pas tout extrait et fit une nouvelle opération qui n'eut, elle aussi, d'autre résultat que celui d'augmenter la violence des douleurs. La malade était revenue à Hazebrouck; un médecin de passage, M. le docteur Mahieu, de Rumbèke, déclara que ces intolérables douleurs dureraient
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autant que la vie de la patiente, car un nerf avait été pris dans la ligature. Toujours courageuse, la pauvre soeur se rendit à Lille où, le 19 décembre, elle subit une troisième opération infiniment plus douloureuse que les précédentes. Et le mal continuait toujours et si bien que cette fois la malade ne se remettait plus.
Le docteur dit alors que ces douleurs provenaient de névralgies et ordonna un large vésicatoire à la nuque ajoutant : « Si un ne suffit pas, mettez-en deux », et, ce disant, il fit un signe qui voulait dire : et puis après, je n'y connais plus rien!...— Ceci se passait les premiers jours de janvier 1893. On mit le vésicatoire qui fit horriblement souffrir et qui n'aboutit, lui aussi, qu'à aggraver le mal.
Désespérant, la pauvre soeur était revenue à Hazebrouck, le 19 janvier. Elle souffrait d'une manière épouvantable; un jour elle nous dit : « Cette fois, ma tête va éclater ». Sa situation était affreuse. Bien résolue à accomplir jusqu'au bout les ordres du médecin, je me décidai à lui poser le second vésicatoire qui, comme le précédent, ne fit qu'augmenter les douleurs. Nous avions fait déjà bien des neuvaines, nous étions à bout de ressources.
Souvent, bien souvent, pendant mon oraison, alors que je priais le bon Dieu de m'inspirer, cette pensée me poursuivait : Notre pieuse Mère, plus que tout autre doit savoir si la soeur est propre à notre petite compagnie; si elle reconnaît en elle les qualités voulues, elle saura bien la guérir et augmenter ainsi notre dévotion envers elle. Je me dis alors: Oui, c'est elle que nous devons invoquer désormais, et fortifiée, pleine de confiance et d'ardeur, j'en parlai à mes compagnes. Le 6 mars, nous commençâmes une neuvaine à notre pieuse Mère, bien décidées à continuer jusqu'à ce que notre malade fut guérie, mais avec le désir et l'espoir que ce serait pour le i5, jour anniversaire de sa précieuse mort. Nous priions avec ardeur, car les douleurs devenaient atroces, la position était critique!
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Enfin le 12, qui était un dimanche, ma soeur Decoopman fut tout étonnée de s'éveiller sans aucune douleur. La veille, elle avait eu beaucoup de peine à pouvoir s'endormir, et le sommeil qui, depuis plus d'un an lui étaitpresque inconnu, n'était arrivé que vers onze heures. Elle dormit ainsi profondément jusqu'au matin, sans.aucune interruption; et, à son réveil, elle ne sentait plus aucun mal. Elle ne pouvait croire cependant que sa guérison fût réelle. Toute la journée, elle avait les larmes aux yeux; et pourtant, hésitant dans la crainte que le mal ne reprit, elle nous disait : « Mais je n'ai plus de mal!... »
Et depuis, elle n'a plus rien ressenti : elle se lève à quatre heures , elle travaille faisant même plusieurs offices lavant, repassant, etc. Voici maintenant plus de quinze mois que ma soeur Decoopman ne ressent plus aucune douleur et le docteur Mahieu auquel je suis allée la montrer hier a constaté et sa pleine guérison et l'impossibilité de l'attribuer aux ressources de la science.
« Daigne, Marie Immaculée, Mère de notre pieuse Mère et la nôtre, permettre que ce fait serve à la glorification de celle qui fut la fidèle imitatrice de sa charité. »
La soeur Decoopman a confirmé ce récit en ces termes :
« Je viens de lire le récit que ma soeur servante a eu la
bonté de faire de mon heureuse guérison, et je puis affirmer
qu'il est en tout conforme à la vérité. Que Dieu, sa sainte
Mère et notre pieuse et vénérée Fondatrice en soient bénis. »
Signé : Soeur DECOOPMAN,
I. f. d. 1. C. s. d. p. m.
Attestation du Supérieur du Séminaire. « Le soussigné, Supérieur du petit Séminaire d'Hazebrouck est heureux de certifier que le récit ci-joint concernant la guérison de ma soeur Decoopman est très exact. »
Signé : A. BARON,
Hazebrouck, le 4 juillet 1894. Sup., cl), h.
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Certificat du Médecin.
« Je soussigné, docteur à Rumbeke, déclare que la soeur Decoopman a été atteinte d'ostéite de la table externe du crâne, maladie qui s'est guérie exceptionnellement sans adhérence du cuir chevelu à l'os. Cette maladie n'était curable de cette façon par aucun traitement connu.
« En foi de quoi, j'ai délivré le présent certificat. »
Signé : D 1' MAHIEU.
Rumbeke, 3 juillet 1894.
Lettre de la soeur CUCHE, Fille de la Charité, Visitatrice à Lille.
« C'est dans notre maison que ma soeur Decoopman a
subi les opérations dont il est parlé dans la relation sur sa
guérison. Nous avons été témoins des affreuses douleurs de
cette bonne petite soeur, et, comme toutes les personnes qui
l'ont vue alors, nous avions fini par croire que sa maladie
était incurable. Son courage et sa persévérance au milieu
de tant de souffrances m'avaient donné la conviction qu'une
vocation achetée à ce prix devait être conservée, et je suis
heureuse de reconnaître dans ma soeur Decoopman un
témoignage de la divine Bonté par l'intercession de notre
pieuse Mère. »
Signé : Soeur M. CUCHE,
I. f. d. 1. C. s. d. p. m. Soeur Servante de la Miséricorde de Lille. Lille, ce 22 août 1S94.
PROTECTION
ATTRIBUÉE A LA MÉDAILLE MIRACULEUSE
Extrait d'une lettre d'une Fille de la Sagesse de Cholet (Maine-et-Loire), à ma soeur MONTESQUIOU le 14 octobre 18 g 4.
« Mercredi soir à onze heures, nous sommes éveillées en sursaut aux cris : le feu ! le feu ! Il n'était pas chez nous,
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mais nous en étions menacées. Une scierie dans laquelle on venait de rentrer pour 80 000 francs de bois et deux hôtels où on venait de faire les provisions de foin pour l'année étaient en feu, au pied de notre jardin. Notre serrebois touchait presque la scierie. Nous descendons à la hâte pour aider aux premiers secours. Les pompiers n'étaient pas encore appelés; de plus, il n'y avait pour ainsi dire pas d'eau ailleurs que chez nous. Nous voilà donc à faire la chaîne et à pomper jusqu'à ce que l'armée arrive pour nous remplacer. Alors, seulement, nous nous apercevons du danger que nous courons, de gros charbons allumés tombent sur nos pieds.
« Ma bonne Supérieure pense aux médailles miraculeuses que je lui avais données, elle en porte aux serre-bois, sur les murs delà maison. Moi, je cours chercher celles qui nie restaient, je les donne à un abbé, sous-diacre, qui était là, en lui disant : « Portez-les au feu! » Il y court, en jette dans des maisons qui commençaient à brûler; aussitôt le vent tourne et cesse; le feu qui, jusque-là, s'était étendu avec une rapidité effrayante ne va pas plus loin et tout danger cesse pour nous.
« La sainte Vierge nous protégeait et faisait un vrai miracle en notre faveur.
« Un des hôtels que l'on sacrifiait pour faire la part du feu reste intact grâce aux médailles. Tout le monde se demande comment il en a été épargné.
« Pour nous, nous ne voyons en tout cela que la bonté de Marie Immaculée qui nous a protégées par la vertu de la sainte médaille. Toutes mes soeurs m'en demandent. A toutes, je raconte l'histoire de l'Apparition; c'est vous dire, ma soeur, avec quel bonheur, nous recevrons les médailles que vous allez nous envoyer. Nous nous proposons d'en clouer à toutes les portes de la maison. »
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LA TEPPE
C'est un devoir de reconnaissance et d'édification de mentionner ici le souvenir de M. Léon Jacob, décédé à l'Établissement de la Teppe, le 22 février 1894.
Un journal de Valence écrivait, quelques jours après les obsèques, ces détails exacts et touchants :
« M. Léon Jacob, avocat distingué, pensionnaire depuis plus de trente ans de l'Etablissement des épileptiques de la Teppe, près Tain, a rendu sa belle âme à Dieu, après une courte maladie.
« Dans le bel établissement où le dévouement des Filles de la Charité de Saint-Vincent-de-Paul, n'a d'égal que leurs vertus et leur charité, M. Léon fut guéri, peu de temps après son arrivée, du terrible mal qui l'avait forcé avenir se . faire prodiguer des soins chez les bonnes soeurs de la Teppe. « Il aurait pu alors retourner occuper une place brillante au barreau de Paris où il était attaché; mais le souvenir et la reconnaissance qu'il avait pour ses admirables filles de Charité le retint à la Teppe où il s'est consacré tout entier, de concert avec elles, à l'embellissement, à l'agrandissement et à la prospérité toujours croissante de la maison si réputée et si connue aujourd'hui.
« Il en devint même le conseil le plus intime et rien ne se décidait sans que l'homme droit, l'homme' bon, fût consulté et n'ait donné son avis, que l'on pouvait suivre avec une entière confiance.
« Fondateur de la conférence de Saint-Vincent-de-Paul à la Teppe, il était à la tête de toutes les oeuvres locales; secourant discrètement la nombreuse famille des déshérités de la vie. Il apportait à tous en même temps que les consolations matérielles les consolations spirituelles.
« Que de misères ignorées ont été soulagées, que d'actions de grâces, que de reconnaissance, toutes les oeuvres ne lui doivent-elles pas. »
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La soeur Laffon, supérieure des Filles de la Charité, à la Teppe, écrit d'autre part :
« Nous venons de faire une perte bien douloureuse en la personne de M. Léon Jacob. Sa bonté, son dévouement pour la maison et pour la Communauté, ne se sont jamais démentis pendant les trente-trois années qu'il est demeuré dans ce cher asile de la Teppe. Aussi la mort qui nous l'a enlevé si rapidement est-elle considérée comme une grande épreuve, et cause une affliction générale : chacun perd en lui un ami dévoué; nos jeunes gens, un véritable père.
« M. Léon Jacob est arrivé à la Teppe en 1861, dans les premières années de la fondation de l'asile ; il avait trentetrois ans. Il mit aussitôt à la disposition delà Supérieure ses aptitudes exceptionnelles, ses connaissances comme avocat, concourant de tout son pouvoir au développement matériel et moral de la maison; et tout cela avec tant de modestie, qu'en rendant d'éminents services, il paraissait être luimême l'obligé. Tel je l'ai trouvé, lorsque je suis arrivée ici il y a seize ans. Il avait été l'appui et la consolation de mes devancières : il est demeuré le même, et son appui m'a été infiniment précieux.
« Ses rares qualités de prudence, de bonté et de douceur formaient son prestige et l'ont naturellement placé à la tête de tout ce qui constitue à la Teppe l'esprit de famille. Il trouvait, dans sa foi profonde et dans la communion fréquente, cette force d'âme, cette élévation de sentiments qui l'avait amené à bénir Dieu de l'avoir frappé de la cruelle maladie. Et s'il a joui de la grâce de la guérison, il n'a pas voulu sortir de la voie dans laquelle son épreuve l'avait conduit : mais il a remercié Dieu de pouvoir se dévouer davantage-pour les autres. Je dois dire ici que les moyens par lesquels il s'était fixé à la Teppe pour la vie en ont fait un insigne bienfaiteur de la maison.
« Président de la Conférence de Saint-Vincent-de-Paul, établie à l'asile, parmi les pensionnaires, pour venir en
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aide aux pauvres de Tain et des environs, il a déployé un zèle infatigable, une charité qu'aucun obstacle n'arrêtait, pour soulager les infortunes qui lui étaient signalées. Dieu seul sait la compatissante bonté et l'amour de âmes qui accompagnaient ses secours matériels.
« Mais ses occupations les plus sérieuses n'empêchaient pas son action dans les récréations procurées ici aux malades pour les distraire et les aider à supporter leur épreuve. Il savait se prêter à tout : capitaine des pompiers, directeur du théâtre, président de la fanfare, il avait créé et soutenu ces institutions utiles et récréatives qui concourent si efficacement à soutenir le moral de nos chers malades, lesquels, séparés forcément de leurs familles, ont grand besoin de dédommagement dans leurs privations. M. Léon montrait tant d'affection, d'indulgence dans ses procédés vis-à-vis de nos jeunes gens, qu'il obtenait leur attachement et toute leur bonne volonté. Il était l'âme de ces réunions et de toutes les fêtes de famille, dont il aimait à faire les frais. Qui ne garde ici, parmi ceux qui l'entendirent, le souvenir du gracieux et touchant petit discours qu'il adressa à notre très honorée Mère Havard, pour lui souhaiter la bienvenue, lors de sa visite en 1891. Sa piété, sa respectueuse déférence, son esprit de confraternité, ressortent de ces quelques paroles qui le révèlent tout entier.
« Atteint d'une fluxion de poitrine le 16 février, il a compris, dès le début, la gravité de son mal et n'a pas tardé à faire son sacrifice. Pendant les sept jours qu'a dures sa maladie, il n'a proféré ni plaintes ni regrets, ne témoignant que satisfaction et bonheur d'être si bien aidé, pour le dernier passage, par les consolation de la religion. Et c'est dans la paix la plus profonde qu'il a rendu sa belle âme à Dieu, le vendredi 22, à une heure et demie du soir. « Si je ne puis, dans ces quelques lignes, dépeindre ce que fut M. Léon, à qui je devais cependant ce faible témoignage de ma reconnaissance, j'ai au moins la consolation
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de pouvoir dire que nous avons eu un digne résumé de sa vie à la Teppe, du dévouement qu'il y a exercé et des regrets que cause cette perte irréparable. C'est dans le discours prononcé, après la cérémonie religieuse, par M. le comte de Larnage, le fils aîné du fondateur de l'asile, alors que la dépouille mortelle du cher défunt allait s'éloigner pour être transportée dans le caveau de sa famille. Ces accents profondément sympathiques ont été droit au coeur de tous et ont confirmé notre confiance que M. Léon sera encore au ciel le protecteur et l'ami de cette chère famille de la Teppe, à laquelle il a fait tant de bien et à qui il laisse l'exemple des plus hautes vertus ».
NOTICE SUR LEON BRANCOURT
CLERC DE LA CONGRÉGATION DE LA MISSION
DÉCÉDÉ A L'AGE DE VINGT ET UN ANS LE 20 AOUT 1864
L'indécision dans la direction de la vie est un tourment qui paralyse, parfois les plus belles qualités; l'impatience dans les souffrances et les épreuves fait perdre des trésors de mérites et lasse le dévouement de ceux qui voudraient apporter à la douleur les consolations dont elle aurait besoin.
La vie du jeune Léon Brancourt, moissonné au printemps de la vie, comme le furent saint Louis de Gonzague et saint Stanislas de Kostka, pourra servir de modèle aux jeunes gens dans l'étude de leur vocation et dans l'acceptation des sacrifices que Dieu demande à ses meilleurs amis.
CHAPITRE PREMIER ' Naissance.— Famille et enfance de Léon.
Léon-Edmond Brancourt naquit à Chalandry, commune du canton de Crécy-sur-Serre, dans le département de
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l'Aisne, le 10 juin 1842. Il était le quatrième de cinq enfants dont deux étaient morts avant lui dès leur plus jeune âge. Son père, Lucien-Florentin Brancourt, appartenait à une famille composée de douze enfants, non moins fecommandable par sa position que par sa foi. Sa mère se nommait Marie-Anne Turquin.
Léon avait reçu de ses parents avec la vie les dispositions à la délicatesse de la conscience et à l'héroïsme du sacrifice; avec la grâce du saint baptême il reçut les inclinations les plus sensibles pour l'innocence des moeurs, la piété et l'amour de Dieu.
Pour rien au monde, cet enfant à la nature frêle et délicate n'aurait voulu manquer à ses prières. Quelquefois, le soir, désireux d'entendre la conversation des personnes sérieuses, il ne pouvait se décider à aller prendre son repos. Sa mère, en vraie chrétienne, voulant lui donner dès l'enfance une haute idée de ses devoirs envers Dieu, et en même temps le former à l'obéissance, n'avait qu'à lui dire que, s'il n'obéissait pas tout de suite, il ne ferait pas sa prière ; l'enfant répondait alors avec une certaine douleur qui venait sans doute de l'Esprit-Saint : « Maman, je vous en prie, laissez-moi prier le bon Dieu; j'obéirai tout de suite. »
A cette piété toute surnaturelle, Dieu ajouta une grande charité pour les pauvres. Un jour qu'il avait acheté un jouet et se rendait au milieu de ses petits camarades, son oncle, aumônier d'un couvent à Saint-Quentin, lui dit : « Je te croyais assez bon coeur pour ne pas dépenser ton argent en futilités, mais pour en réserver un peu aux pauvres. » L'enfant, qui n'avait que huit ans, comprit la leçon de charité qui venait de lui être donnée, si bien que jamais plus il n'acheta rien d'inutile et regarda l'aumône aux pauvres comme une de ses plus douces jouissances.
D'un caractère gai, décidé, et d'une volonté énergique, il écoutait avec une.grande attention les recommandations de ses parents, se soumettait avec empressement à leurs moin-
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dres commandements et s'efforçait de mettre à profit leurs avis et leurs conseils.
A l'âge de dix ans, il quitta la maison paternelle pour commencer ses études de latinité dans une institution de Saint-Quentin. Là, bien que son ardeur fût souvent contrariée par sa délicate santé, il n'en fut pas moins heureux dans ses classes, remportant chaque année de consolants succès.
Le jeune écolier avait l'avantage de revenir tous les soirs chez son oncle, aumônier de la Croix.
Cet ecclésiastique, aussi recommandable par sa haute piété que par sa science, mit tous ses soins à préparer l'âme du petit Samuel à entrer en communication avec son Dieu, jusqu'au jour très désiré de sa première communion. Cette nature si naïve et si pure était admirablement disposée pour recevoir la connaissance des enseignements que Dieu révèle aux petits, pour goûter la saveur des fruits de la divine Sagesse, et jouir de la vision réservée aux coeurs purs.
Deux ans après sa première communion, qu'il fit le 22 juin 1856, il écrivit à sa soeur qui venait de prendre part, à son tour, au festin des anges dans l'adorable sacrement de l'Eucharistie :
« Ma bien chère soeur,
« Il m'est impossible de laisser passer un si beau jour sans te faire part du bonheur que j'éprouve avec toi en ce moment. Ah! dis-moi, chère Marie, as-tu jamais passé un jour plus beau, plus heureux, que ce saint jour où notre Dieu daigne visiter pour la première fois ton âme, la nourrir de son corps sacré, de son sang précieux?
« Quelle différence ne dois-tu pas remarquer entre cette joie du coeur, cette paix de la conscience, et la joie que jusqu'alors tu avais pu ressentir dans les diverses circonstances de ta vie! L'allégresse que donnent quelquefois les plaisirs de la vie est limitée et bien courte. Mais la joie de se voir en grâce avec son Dieu, de le posséder dans son
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coeur, enivre l'âme d'un bonheur inexprimable, faible image du bonheur des saints dans le ciel, notre patrie future, si nous imitons les beaux exemples de ces fidèles serviteurs du Seigneur.
« Ce matin, mon frère a dit la sainte messe à ton intention ; c'est moi qui la lui ai servie. J'ai été très heureux de pouvoir ainsi unir mes prières aux siennes. Puisse Dieu les avoir exaucées et trouver ainsi en toi une belle demeure où il pourra rester toujours. Depuis quelque temps je priais encore plus particulièrement pour toi ; j'espère qu'en retour tu ne m'oublies pas en ce moment où abonde dans ton coeur la plénitude des grâces de Dieu. »
Cette lettre, où l'on retrouve la douce amitié d'un frère et une piété ardente, était datée du petit séminaire de Soissons, où Léon était entré après avoir exprimé à ses parents le désir d'être prêtre.
Ce fut le jour de sa première communion, 22 juin 1854, qu'il manifesta l'appel dont Dieu l'avait favorisé. Son oncle lui avait recommandé de demander à Notre-Seigneur, quand il le posséderait dans son coeur, la grâce la plus utile pour son âme. Quand il l'interrogea, au soir, sur ce qu'il avait demandé à Dieu pendant son action de grâces, l'enfant répondit, sur un ton pénétré d'humilité : « J'ai demandé d'être prêtre. »
Dès lors, comme s'il avait été assuré que Notre-Seigneur avait exaucé sa prière, il ne varia jamais dans son dessein de se consacrer au service de Dieu.
CHAPITRE II
Entrée de Léon au petit séminaire Saint-Léger, à Soissons. — Son émulation. — Sa piété; dévotion envers la sainte Vierge; culte envers la sainte Eucharistie.
Léon avait quatorze ans lorsqu'il entra au petit séminaire de Saint-Léger, à Soissons, au mois d'octobre 1856. Son
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frère y professait la classe de quatrième. Ce fut sous l'habile direction de ce maître que l'enfant prit l'habitude d'un travail assidu et attentif, aimant à se rendre compte de ce qu'il étudiait.
Cette première formation eut une très grande influence sur les dispositions qu'il apporta à l'étude. Plus tard, il manifestera son attrait pour les auteurs sérieux, de préférence aux livres qui ne racontent que des fictions. « On vient d'introduire dans le programme des études, écrivaitil à son frère, obligé de quitter l'enseignement pour cause de santé, un ouvrage que l'on désirait depuis longtemps. C'est un choix de poètes chrétiens pour contrebalancer Virgile, Ovide, Horace et toute leur compagnie. Il était triste en effet pour un séminariste de terminer ses études avec la persuasion que les écrivains chrétiens n'avaient rien laissé qui pût être comparé aux vaines fictions du paganisme. Je vous le demande, quelle bizarre idée de mettre à la torture de jeunes esprits sur des ouvrages qui ne leur racontent que des mensonges! L'art lui-même des auteurs chrétiens n'est pas à dédaigner; et puis, il ne s'agit pas de mettre de côté les classiques païens, non, mais on veut introduire dans les études l'élément chrétien à côté de l'élément profane. » Parfois sa santé délicate le mettait à de rudes épreuves. L'absence de son frère lui était très pénible. Il lui écrivit un jour pour lui dire ses inquiétudes sur sa santé, ses difficultés dans les études et lui avouer un peu de découragement. Un mot de son excellent frère suffit. « Je suis mieux, répondit bientôt Léon. C'est un nuage qui était venu subitement. Il est passé, n'en parlons plus. »
Ces luttes du jeune étudiant contre les difficultés et les épreuves font ressortir les efforts de son âme pour l'accomplissement du devoir; elles montrent qu'il savait chercher un appui autour de lui dans les avis d'un bon conseiller, et, au-dessus de lui, dans le secours de Dieu.
En 1857, une protection vraiment miraculeuse de la
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sainte Vierge vint accroître dans le jeune Léon sa confiance envers la Reine du ciel, et son attrait pour la piété.
Vers le mois d'août, il accompagnait en voiture son père à Soissons. En chemin, le cheval, effrayé, recula sur le bord de la route, élevée à cet endroit de douze à quinze pieds, puis fit un bond, et la voiture fut renversée. Léon fut lancé à quelques mètres de là, et la voiture, en roulant, vint passer sur son corps. Son père, à demi mort de frayeur en le voyant étendu à terre, craignit de n'avoir plus à relever qu'un cadavre. Mais bientôt l'enfant se leva de luimême : il était sauvé. Il s'était recommandé à Notre-Dame de la Salette. Depuis ce jour il voua à sa libératrice une reconnaissance et une affection qui ne l'abandonnèrent jamais.
Tous les ans, en vacances, il faisait à pied une ou deux fois le pèlerinage de Liesse, à quinze ou seize kilomètres. Ce pèlerinage, était pour lui une grande fête. En allant, le long du chemin, il ne cessait de prier. En revenant, il était rempli de joie et ne sentait pas la fatigue du voyage : NotreDame avait été véritablement pour lui Notre-Dame de Liesse, c'est-à-dire de grande joie.
Mais ces pèlerinages faits à quelques lieues de son pays ne suffisaient pas à son coeur reconnaissant. Il conçut le projet d'aller à la Salette, pour remplir, croyait-il, une dette envers Celle qui l'avait sauvé. Voici la lettre adressée à son frère à qui il avait donné toute sa confiance :
« Soissons, 3i septembre iS5g.
« Depuis que vous êtes allé à Paris avec mon oncle, onme promet toujours de m'y conduire ; mais malgré toute la reconnaissance que je vous ai de cette bonté à mon égard, je suis heureux de pouvoir aujourd'hui m'épancher dans votre coeur. Vous le savez, le mien vous est ouvert ; vous en connaissez jusqu'aux moindres replis ; s'il en était autrement ce ne serait pas ma faute.
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« Cependant il est une petite affaire que je n'ai pas encore osé vous dire. C'est que, je vous l'avoue franchement et simplement, je me soucie fort peu de ce vo57age de Paris, qui en résumé ne charmerait que mes j'eux et laisserait mon âme aussi vide qu'avant, si toutefois il ne la blessait. « Mais il est un autre voyage auquel je pense depuis six ans : c'est le voyage de Notre-Dame de la Salette. Dès la première année que je suis arrivé à Saint-Quentin, en i852, —• il n'avait que dix ans alors, — ce pèlerinage m'a frappé. Depuis ce temps cette pensée ne m'a pas quitté.
« Après avoir prié la sainte Vierge et réfléchi sérieusement, je crois que le moment est venu. C'est donc pendant les vacances de Pâques que je veux réaliser ce projet parvenu à sa maturité. Si je ne puis avoir de l'argent, je ferai le chemin à pied. Lors même que j'aurais de l'argent, je ferais une partie de la route à pied afin que ce soit un vrai pèlerinage . C'est Notre-Dame de la Salette qui m'a sauvé la vie. Sans elle, j'étais mort sur le chemin de Soissons, avant d'avoir fait encore aucune pénitence. Il est juste et même nécessaire que je fasse quelque chose pour Celle à qui je dois la vie.
« Mon itinéraire est tracé. Je ne prendrai avec moi que des choses indispensables, comme une Imitation, un livre de méditations et de prières et un livre de lecture.
' « Avant d'accomplir mon voyage il me manque une chose importante, c'est votre consentement. Oh ! je vous en supplie, tendre frère, ne refusez pas à votre frère suppliant cette grâce. Ne refusez pas à la sainte Vierge elle-même; faites attention au but de ce voyage; rappelez-vous que je dois la vie à Notre-Dame de la Salette. »
Son digne frère répondit par des conseils de sagesse et de prudence, lui montrant les difficultés insurmontables, disait-il, qui s'opposaient à ce voyage. Léon lui écrivit alors de nouveau :
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« 7 février 1860.
Bien cher et tendre frère, « Votre lettre m'a fait une vive impression. C'est encore les larmes aux yeux que je vous écris en ce moment, car en la lisant cette lettre, digne d'un vrai coeur de frère, je l'ai arrosée de mes larmes, mais de larmes bien sincères.
« Aujourd'hui, je puis vous donner quelques détails que j'ai omis dans ma dernière lettre. En allant à la Salette, j'ai aussi un autre but. Près de là se trouve le saint curé d'Ars. Je lui ferai une confession générale de toute ma vie, avec tout le soin et la sincérité de mon coeur, et je prierai le bon Dieu de me faire connaître par sa bouche s'il est utile pour ma vocation et mon salut que je me dirige vers la Grande Chartreuse. Car je crois que Dieu veut que je me consacre à lui sans réserve, laissant de côté tout ce qui a rapport au monde. Je voudrais être tout à Dieu; je ne soupire qu'après le moment où je n'aurai plus à m'occuper que de Dieu, à faire pénitence pour mes péchés.
« Ce ne serait pas pour rester à la Chartreuse, croyez-le bien; je ne voudrais pas désobéir au bon Dieu, en m'exposant à aller contre la volonté de mes parents. J'y resterais seulement quelques jours et je reviendrais préparer les voies. Si Dieu m'appelait à une si heureuse vocation, il me semble que je quitterais facilement toutes les choses du monde. Ce qui me serait pénible, ce serait de quitter ma famille; mais Dieu est encore au-dessus. Priez-le bien de m'accorder une telle vocation; peu importe le lieu où je sois, pourvu que je n'aie à m'occuper que de lui, qu'à pleurer mes péchés ; que je sois en un mot là où il me veut. Demandez-lui surtout l'abnégation parfaite de moi-même avant tout. »
Ce pieux, jeune homme de dix-huit ans était de la trempe de saint Louis de Gonzague, qui pleurait lui aussi sur ses péchés et ne rêvait que de se donner tout entier à Dieu.
Il ajoutait, dans sa lettre, ces lignes empreintes de confiance et de docilité : « J'espère de votre bonté qu'elle vou-
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dra bien, dans chaque lettre, jusques à Pâques, mettre des avis pour la circonstance; je les porterai avec moi, ce sera mon règlement. »
Son frère lui écrivit pour lui montrer de nouveau les difficultés ou plutôt les impossibilités de ce voyage, et Léon répondit alors, avec une édifiante déférence :
« Bien cher frère, « Si je n'avais pas eu l'intention de soumettre ma volonté à votre décision, je n'aurais pas eu besoin de vous faire part de mes idées. Aussi, je m'y soumets comme à la volonté de Dieu. Dès lors, je n'y pense plus. Mais je n'oublie pas le grand point : c'est-à-dire d'abandonner tout pour aller faire pénitence. Il faudrait que le bon Dieu opérât en moi un grand changement pour me le faire oublier. »
Le pieux serviteur de Marie, pour se dédommager de son pèlerinage à la Salette, voulut offrir à la sainte Vierge une couronne achetée à ses frais. Il alla prier le Directeur chargé de la Congrégation de la Sainte-Vierge, de vouloir bien accepter cette couronne pour sa bonne Mère du ciel, mais en lui demandant le secret le plus absolu sur sa démarche. Quelques jours après, en effet, en présence des associés et à la suite d'une cérémonie préparatoire, la couronne bénite fut déposée sur le front de la statue de Marie. Ce fut le 3i décembre 1859 qu'il fit part à son frère de cette pieuse offrande. « Il avait demandé, lui disait-il, un Memorare et un Ave Maria en retour. Je laissai, ajoutait-il, le reste à la générosité de M. le Directeur. Toutes les prières me sont appliquées à moi-même; mais je veux, vous n'en doutez pas, que ces grâces se répandent plus particulièrement sur mes parents. Est-il nécessaire qu'on le sache; je ne crois pas. La sainte Vierge connaît mon intention, elle partagera elle-même mieux que nous ne pourrions faire. »
C'est le cas de se souvenir que les Docteurs de l'Eglise
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ont regardé la dévotion à la sainte Vierge comme un signe de prédestination pour une âme, et dès ici-bas comme un gage assuré d'une protection maternelle de la part de cette divine Mère.
Marie, qui a amené Jean au Calvaire pour contempler les secrets de la science suréminente de la charité de Jésus-Christ, conduit l'âme chrétienne à l'Eucharistie qui réalise de nouveau ces merveilles dans l'immolation de la divine victime et dans la sainte communion.
Nous avons vu comment, tout jeune encore, Léon communiquait à sa soeur, qui allait participer à la sainte Eucharistie, le feu qui l'embrasait. Ses pèlerinages à Notre-Dame de Liesse étaient couronnés par la sainte communion. C'est à jeun et à pied qu'il les faisait, afin de pouvoir y communier, quoique à une heure avancée de la matinée.
Léon eut l'avantage de rencontrer, un jour, un religieux qui remerciait Notre-Seigneur de lui avoir accordé la faveur de voir, pendant la sainte messe, son côté tout rayonnant dans un tableau qui le représentait crucifié. Ce religieux communiqua à l'âme du pieux serviteur de Marie un désir ardent de communier souvent. Il eut toute latitude pour satisfaire cette soif. Il ne se contentait pas de se rassasier de cette manne divine ; auprès de ses condisciples et surtout des membres de la Congrégation de la SainteVierge, il se faisait le propagateur de cette sainte pratique. Le feu peut-il cacher sa chaleur? Aussi la communion fréquente, qui entrait si bien dans les sentiments de saint Vincent de Paul, était-elle mise en honneur par les prêtres de la Mission, ses enfants, qui étaient chargés de la direction du petit séminaire.
Jésus-Christ au tabernacle recevait bien souvent aussi les visites du pieux étudiant. Dans la crypte de la magnifique église de Saint-Léger, le Saint Sacrement était conservé. Les congréganistes étaient fidèles à aller, par de courtes mais fréquentes visites, porter leurs adorations au
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divin prisonnier d'amour. Léon se faisait remarquer par son assiduité ; au commencement et à la fin des récréations, après les classes, il était le premier arrivé et le dernier à se retirer ; il ne détachait qu'avec regret ses regards de ce tabernacle d'où Notre-Seigneur répandait sur lui ses saintes inspirations et ses bienfaits.
Assister au saint sacrifice de la messe était une jouissance pour lui ; servir le prêtre à l'autel était une de ses chères ambitions. Tout jeune, il avait été formé à ce pieux ministère par son oncle et par son frère, prêtres. L'embellissement de l'autel lui causait une grande joie; les cérémonies le ravissaient. Il avait naturellement, du reste, une belle prestance, une tenue recueillie et grave.
« Que votre modestie, disait l'apôtre saint Paul aux premiers chrétiens, soit connue de tous les hommes ; car le Seigneur est proche.» Léon sentait en lui cette présence de Dieu; aussi la plus douce modestie rejaillissait sur son visage.
Ce fut dans la sainte Communion qu'il puisa cet amour du dévouement et de la charité qui le portait à un grand zèle pour la gloire de Dieu et à une très grande bonté pour ses condisciples. Il était très incliné à donner, à prêter, à se- dépenser lui-même pour faire plaisir. Il accueillait avec une confiance qui les touchait ceux mêmes qu'il voyait pour la première fois.
Le « bon Léon », comme on l'appelait, était donc prêt, avec de semblables qualités, à exercer l'apostolat de charité et de dévouement dans une conférence de Saint-Vincent de Paul dont nous allons parler.
CHAPITRE III
Léon fait partie de la Conférence Saint-Vincent de Paul au petit séminaire de Soissons.
En 1858, le grand séminaire, et, l'année suivante, le petit séminaire de Soissons avaient été confiés par Mgr de Garsignies à la direction des Prêtres de la Congrégation de la
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Mission, qui eut pour fondateur saint Vincent de Paul. Les directeurs ne pouvaient que voir avec plaisir et encourager tout ce qui était conforme à l'esprit de leur saint et charitable père. De fait, le Supérieur du petit séminaire, M. Augustin Dupuy, avait pu apprécier tout le bien opéré par les Conférences Saint-Vincent de Paul, tant sur les membres qui en font partie et sur les témoins de leur zèle qu'auprès des pauvres. Il était bien convaincu qu'il trouverait un puissant élément de bien dans l'établissement d'une Conférence parmi les élèves du séminaire. Elle fut donc érigée au petit séminaire de Soissons, dès le commencement de l'année 1860. L'agrégation, demandée au Conseil général à Paris, fut accordée sans retard, parce que dès le commencement les cadres s'étaient formés, le bureau s'était constitué, des familles pauvres avaient été adoptées. Les membres de la Conférence de la ville se firent un plaisir d'initier les nouveaux confrères à la visite des pauvres. Les principaux habitants de la ville, les de Sahune de Blavette, de la Prairie, Branche de Flavigny, voulurent bien mêler à leurs noms ceux des jeunes étudiants, membres de la nouvelle Conférence.
Grâce à ces leçons de charité, d'humilité et de confraternité données par des confrères expérimentés et de très haute distinction, les jeunes recrues de la petite Conférence se trouvèrent en peu de temps très au courant du Règlement et de la manière de pratiquer ses admirables conseils. Rien n'instruit comme l'exemple ; et rien n'est pratique comme la vie nécessairement active d'une Conférence de Saint-Vincent de Paul.
Les deux premiers membres choisis pour faire partie de la nouvelle Conférence furent deux jeunes gens de la classe de rhétorique. L'un, qui étudia ensuite la médecine, est mort à la fleur de l'âge. Le second, conduit par des voies vraiment merveilleuses de la Providence, est devenu évêque. Comme son ami, ce dernier avait aussi formé le projet
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d'aller à Paris étudier la médecine; mais Dieu lui fit comprendre qu'au-dessus du ministère de la charité corporelle il y avait un ministère plus élevé, celui des âmes. Tous les jours, après le repas de midi, il s'en allait avec son ami distribuer les dessertes laissées par les élèves, aux pauvres qui venaient les recevoir au séminaire. Les visites des pauvres à domicile furent organisées. La charité, flamme divine apportée par Notre-Seigneur au monde, et dont il a voulu que tous les coeurs fussent embrasés, ne tarda pas à communiquer une vie nouvelle à nos jeunes conférenciers.
Le jeune Léon ne tarda pas à se faire enrôler dans la Conférence établie au séminaire.
Ce fut une joie pour lui de faire part à sa famille de cette heureuse nouvelle. Il écrivit à sa soeur Marie :
« Ma bien chère soeur,
« Je connais ton bon coeur pour les pauvres; plusieurs fois je t'ai vue manifester pour eux de vifs sentiments de compassion. Cette pensée me presse aujourd'hui de te communiquer les détails d'une petite oeuvre destinée à consoler ' les représentants de Notre Seigneur Jésus-Christ et à soulager leur misère.
« Cette oeuvre est une petite Conférence de Saint-Vincent de Paul établie dans le séminaire. Tu sais, sans doute, ce que c'est qu'une Conférence de Saint-Vincent.Tuas dû entendre parler bien souvent de celle de Saint-Quentin. Eh bien! au séminaire, la Conférence est la même quant à son principe, quant à ses règles, quant à sa fin. Ici, tu vas me demander : Mais avec quoi faites-vous l'aumône? Ces Messieurs des villes sont riches ! Mais vous, séminaristes, de quoi pouvez-vous disposer?
« C'est vrai, nos ressources sont petites, nos fonds ne sont pas considérables. Mais notre cher Supérieur, enfant de saint Vincent de Paul, nous apprend à nous réjouir comme ce grand saint d'être forcés de pratiquer la charité même
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dans la pauvreté. Car, nous dit-il, si vous aviez tout à votre disposition, si l'on venait vous mettre l'argent dans la main, quel mérite auriez-vous? aucun peut-être. Tandis que n'ayant rien, il faut s'industrier pour avoir quelque chose à donner. Cependant, nous avons chaque jour les restes de nos tables qui, proprement conservés, sont distribués aux pauvres par deux conférenciers. Cinq familles viennent ainsi recevoir leur aumône quotidienne. Trois autres familles reçoivent des bons de pain. De sorte que déjà, en ce moment, huit familles sont secourues par notre Conférence. Elles sont visitées à peu près chaque semaine par deux membres de la Conférence et un Directeur de la maison qui les accompagne.
« C'est dans ces visites que l'on voit la misère dans toute son étendue, que l'on apprend à compatir aux douleurs des malheureux. »
Cette lettre de Léon est un clair exposé du programme des Conférences de Saint-Vincent de Paul. La Conférence d'un petit séminaire est identique aux autres Conférences qui existent dans les grandes villes.
Nous dirons plus tard de quelle façon notre jeune mem- . bre des Conférences, Léon, entendait trouver dans l'oeuvre une école de progrès spirituel.
Son âme était très sensible et son coeur généreux; il ne pouvait contenir son émotion à la vue des pauvres sans ressources. 11 avait besoin de dire sa peine comme saint Vincent de Paul qui s'écriait autrefois : « Les pauvres sont mon poids et ma douleur. »
Il écrivait, au mois de novembre 186 r, à son frère : « Notre petite Conférence est toujours en vigueur. Mais, que nos ressources sont faibles, comparées aux besoins de nos pauvres! Combien n'ont même pas le pain nécessaire! L'un d'eux, encore en ce moment, homme courageux, est sans travail et dans l'impossibilité d'en trouver. Le voilà
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avec cinq enfants sans la moindre ressource, sauf que sa femme gagne six sous par jour. Que ces malheureux auraient de mérite aux yeux de Dieu s'ils savaient supporter leurs peines! »
En moins de dix ans la Conférence du petit séminaire Saint-Léger comptait régulièrement plus de cinquante membres choisis dans les classes supérieures, et elle arrivait à un budget de trois mille francs. L'excellent président, M. Baudon, qui encourageait si bien les jeunes gens dans leur apostolat de charité, en recevant le compte rendu des oeuvres de cette Conférence, écrivait à M. le Supérieur : « Je suis émerveillé de ce que font vos jeunes conférenciers; ils ont des oeuvres aussi importantes que des Conférences anciennes établies dans de grandes villes. » Les oeuvres, en effet, se multipliaient alors même que les ressources n'étaient pas extraordinairement abondantes.
D'où venait cette fécondité prodigieuse? Sans doute de Dieu, de qui descend tout don parfait, et de la prière qui le provoquait à répandre ses bénédictions; mais aussi de la sainte émulation de charité qui régnait entre les membres. Chaque semaine, les conférenciers, après avoir rendu compte de leur visite aux familles assistées, disaient en toute simplicité leurs désirs, leurs projets, les industries nouvelles de leur zèle pour développer les oeuvres et trouver des ressources. Aux oeuvres ordinaires de la Conférence du petit séminaire de Soissons, il convient d'en ajouter une que les circonstances firent surgir.
Sans doute il faut que toutes les ressources d'une Conférence aillent aux pauvres, mais n'a-t-on pas vu les Conférences se cotiser dans le monde entier pour concourir à édifier la chapelle de Saint-Vincent de Paul dans la grande basilique du Sacré-Coeur de Montmartre, à Paris?
Or, la Papauté, qui est l'arche bénie où tous les peuples sont appelés à chercher un refuge pour échapper au déluge du mal, se trouvait exposée à la plus affreuse tempête. Elle
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était menacée de perdre avec le pouvoir temporel séculaire que Dieu, les rois et les peuples lui avaient reconnu, la liberté nécessaire pour gouverner l'Église.
Les catholiques les plus fidèles aux traditions de foi et de patriotisme donnèrent le sang de leurs enfants dont plusieurs moururent martyrs sur les champs de Lorette, de Castelfidardo. Au sang, ils joignirent les sacrifices d'argent.
Mais les petits comme les grands aimaient Pie IX; eux aussi accoururent comme soldats ou portèrent leurs modestes offrandes au denier de Saint-Pierre.
Les jeunes conférenciers de Saint-Léger sentaient leurs désirs s'étendre, et ils voulurent soutenir la cause de la Papauté comme la cause de Dieu. Pendant deux ans ilss'industrièrent et purent soutenir à leurs frais deux zouaves pontificaux, versant pour chacun la somme nécessaire, i ooo fr.
CHAPITRE IV
Léon trouve dans la Conférence de Saint-Vincent de Paul un puissant moyen de sanctification.
On lit dans la Vie de saint Vincent de Paul « qu'il avait très sagement jugé qu'il ne pouvait marcher ni conduire les autres par une voie plus droite ni plus assurée que par celle que Celui qui est le Verbe et la Sagesse dé Dieu même lui avait tracée par ses exemples et par ses paroles. C'est pourquoi, ajoute le biographe, il s'est proposé avant toute autre chose de travailler avec le secours de la grâce à sa propre sanctification; sachant bien que la règle la plus juste et la plus assurée de l'amour que nous devions à notre prochain était le véritable amourque nous étions obligés d'avoir pour nous-mêmes. » (ABELLY, liv. III, ch. xxiv.)
Combien on rencontre dans les associations charitables de laïques chrétiens qui sont animés des mêmes sentiments. Aspirant à une vie de perfection, ils désirent pour eux et pour d'autres de leurs confrères jetés dans les oeuvres extérieures de la charité quelque- chose d'analogue aux tiers
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ordres, une sorte de règle leur indiquant des exercices de piété et les autres moyens d'arriver à une plus complète sanctification de leur vie.
Le règlement des Conférences de Saint-Vincent de Paul répond à ce désir. Il suppose une vie vraiment chrétienne et prévoit bien des sacrifices à faire pour servir les pauvres de Jésus-Christ. On y a laissé sagement une large part à l'initiative des membres. Entre les moyens les plus efficaces pour avancer dans la perfection, on peut signaler les retraites générales fermées, inaugurées depuis un certain nombre d'années : elles sont un des secours les plus propres pour seconder ces pieux et légitimes désirs de sanctification personnelle. Saint Vincent avait de son temps organisé à Saint-Lazare ces retraites spéciales.
L'aspiration vers une vertu plus généreuse et un état de perfection que nous constatons dans les hommes du monde, se manifeste plus vivement encore dans les réunions formées de jeunes gens chrétiens.
Notre jeune conférencier Léon sentait cet attrait surnaturel; il rêvait même la perfection dans la vie religieuse.
Autour de lui, de semblables ardeurs embrasaient le coeur des autres membres de la jeune Conférence, du sein de laquelle sortirent de nombreux apôtres. L'un, prenant le chemin rêvé par saint François-Xavier, gouverne maintenant comme évêque un vicariat du Kiang-si, en Chine. Un autre fondait grand et petit séminaire au milieu des populations de l'Amérique du Sud. Dans un État voisin, son confrère recueillait par les missions les fruits les plus abondants.
N'est-ce pas un devoir de saluer aussi avec vénération l'héroïque missionnaire qui s'offrit comme victime au pied des autels pour arrêter les désastres du bombardement de la ville d'Alexandrie?
En Orient, dans la capitale de l'empire turc, un membre de cette Conférence dirige le collège catholique delà Mission; un autre se dévoue dans le collège de la Propagande,à Smyrne.
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Combien n'en pourrait-on pas citer encore, portant sur la terre étrangère, depuis le mont Liban jusqu'à la chaîne des Andes, la lumière de l'Évangile avec le nom et l'influence de la France.
Plus de trente sont sortis de cette Conférence pour se consacrer, dans la vie religieuse et particulièrement dans la famille de saint Vincent de Paul, à l'apostolat des missions ou à l'enseignement de la jeunesse. C'est parmi eux que voulut être compté Léon.
Après la rentrée du mois d'octobre 1861, le 21 octobre, un de ses anciens condisciples, entré dans l'Ordre des Dominicains, lui écrivait : « Je viens d'apprendre, mon bien cher ami, que vous êtes élu préfet de la chère Congrégation de la Sainte-Vierge. » Ce titre seul indique assez qu'aux yeux de ses condisciples qui l'avaient élu, Léon était un modèle de piété et de régularité.
Quel était le stimulant de sa vertu et de son zèle? Luimême en livre le secret : il voulait être religieux. Le 20 février 1860, il écrivit à son frère :
« Je ne puis résister à une pensée qui m'occupe depuis
quelque temps. Je suis bien certain que vous ne le devinez
guère. Voici une résolution qui répond à ma pensée : je vous
promets de travailler si bien que j'arriverai à comprendre à
la lecture la prose grecque. J'espère bien pouvoir en faire
autant, et à plus forte raison, des auteurs latins. Mais c'est
à une condition. Je connais trop votre grand désir de mon
avancement pour hésiter à vous la proposer; la voici : c'est
que vous prierez tant Notre-Seigneur à la messe et la sainte
Vierge qu'ils seront bien forcés de m'accorder la grâce
que je leur demande, c'est-à-dire la vocation religieuse...
« Je vous défie de deviner combien je vous aime.
« Votre frère tout dévoué,
« LÉON. »
Le 7 février 1860, en parlant de son projet de faire un
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pèlerinage à la Salette, il avait exprimé le désir de pousser jusqu'à la Grande-Chartreuse, non pour y rester, mais pour y passer quelques jours et revenir préparer les voies si Dieu l'appelait à une si heureuse vocation.
Il ne savait pas encore vers quelle communauté il porterait ses pas, mais il avait senti déjà quelque attrait poulies missions. Il avait écrit à son frère, en i85g : « Je voudrais avoir quelque chose de décidé pour ma vocation; alors je dirigerais toutes mes actions vers ce but. D'un autre côté, je sens bien qu'il faut de la patience en tout et surtout de la prudence. Si vous pouviez me procurer la Vie de Mgr Borie, évêque d'Acanthe, je vous en serais très reconnaissant. J'aurais bien besoin de quelque chose comme cela pour m'encourager... En ce moment, je serais porté à être dominicain, car les dominicains vont aussi en mission. Je vous prie de me faire parvenir cette Vie; je crois qu'elle pourra m'être très utile; je pourrai y voir les sacrifices qu'il y a à faire et les consolations à espérer.» Dans une autre lettre il avait écrit :
« Mon bon frère, il me semble que je serais bien heureux d'avoir des relations avec quelque missionnaire ou quelque moine, comme par exemple le Père qui nous a prêché la retraite. Dites-moi simplement ce que vous en pensez, je ne ferai rien sans vous. Vous savez quels sont mes sentiments à ce sujet; je suis de plus en plus décidé à me mettre dans un Ordre religieux. Je me dis : Si c'est la volonté du bon Dieu que je sois missionnaire, il pourra m'y amener comme il voudra par la sainte obéissance. En ce moment, il faut songer à s'y préparer. Depuis l'an dernier, je n'ai pas encore eu la pensée de changer de résolution, je souhaite qu'il en soit toujours ainsi. »
Par ses nombreuses lettres, on voit que cette vocation n'est pas simplement l'effet d'une imagination ardente. Par nature, du reste, il était très réfléchi et ne se prononçait qu'après avoir mûrement examiné.
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CHAPITRE V Obstacles que Léon éprouve pour entrer dans la vie religieuse.
L'attrait du jeune conférencier vers la vie religieuse n'était pas sans lutte-et sans épreuve. Le 17 juillet 1860, il écrivait à son bon frère :
« En ce moment, et depuis à peu près quinze jours après la rentrée de Pâques, je suis entre le monde et Dieu. J'ai un pied d'un côté et un de l'autre. D'une part, je me sens attiré par les fausses douceurs du monde. D'autre part, je sens la vanité de tous ses plaisirs; mais la nature en moi ne les voit pas du même oeil. Dans le fond du coeur, je voudrais avoir les deux pieds avec Dieu, mais je suis comme attaché, et, pour rompre la chaîne, il faut un grand effort
et une violence continuelle Il est nécessaire que je me
décide à n'avoir qu'un maître. J'ai dix-sept ans, c'est l'âge des tentations et des passions ; c'est aussi l'âge des décisions. Je regarde celle que je vais prendre comme très sérieuse ; de là peut dépendre mon éternité. Voilà pourquoi je vous avais demandé d'aller pendant les vacances faire une retraite à Liesse pour bien me convaincre des vérités fondamentales de la religion, pour me décider à servir Dieu seul et toujours. »
Son bon frère, pour des raisons de sage prudence, lui avait dit qu'il ne croyait pas nécessaire de faire cette retraite. Aussi, Léon, toujours disposé à ne jamais agir de lui-même, lui écrivit : « Je comprends très bien que vous me conseilliez de ne pas aller à Liesse pour une retraite. Cependant, tout en me soumettant de tout coeur à votre décision, écoutez, je vous en prie, le récit de mes misères. » Et il lui fait le récit des luttes de l'âme racontées plus haut.
A cette épreuve intérieure vint s'en ajouter une autre très sensible. Il avait ajouté à la fin de sa lettre du 17 juillet 1860 : « Priez bien pour moi, j'en ai besoin plus que jamais.
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Il s'agit de ma vocation, il est nécessaire que je sois décidé avant la fin des vacances. »
Son digne oncle, M. l'abbé Turquin, aumônier des religieuses de la Croix à Saint-Quentin, pour qui Léon professait une grande vénération, désirant éprouver ces désirs de vocation, lui écrivit une longue lettre pour le détourner de son projet. Ce fut ensuite, dans le même sens, une lettre du frère très aimé qui avait dirigé son enfance.
Le jeune Léon accepta avec humilité toutes ces observations, et il eut recours à la prière afin de pouvoir discerner la voix du ciel de celle de la terre.
Puis il demanda conseil à son directeur. Son frère, dans une nouvelle lettre, lui suggère d'attendre le sous-diaconat pour se prononcer dans cette affaire importante. Léon lui répond avec la simplicité de son âme : « Vous me dites : « Pourquoi ne pas attendre le sous-dia« conat? » Déjà je vous ai répondu, lorsque je causais avec vous sur ce sujet. : Combien ne pourriez-vous pas me citer d'exemples de jeunes gens qui, pour ne pas avoir répondu assez promptement à l'appel du bon Dieu, ont perdu leur vocation? On voit peu de sous-diacres suivre une vocation religieuse, moins encore'de diacres et bien moins encore de prêtres. Il en coûte à un certain âge, lorsque l'on a ses habitudes, de s'enfermer sous une règle plus étroite. On attend un ou deux ans, on attend toujours. On se forme, du reste d'autant plus difficilement que l'on est plus âgé. »
C'était un jeune élève de philosophie qui raisonnait avec cette maturité.
On.se demande où il puisait cette sagesse. C'était dans l'Évangile, car il ajoutait :
« A la fin, on fait comme ce jeune homme à qui NotreSeigneur conseillait de vendre tous ses biens et de le suivre. C'était un conseil, ce jeune homme pouvait être sauvé sans l'embrasser dans toute sa rigueur. Mais quellegloire céleste, que de trésors de grâces il se serait acquis en le suivant ! »
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Il terminait ainsi : « Vous m'avez dit pendant l'hiver : La voix du directeur c'est la voix de Dieu. Je ferai en sorte d'écouter cette voix et de lui obéir. »
Enfin, au mois de janvier 1862, il écrivait à son frère, dans une lettre latine très heureusement rédigée, et que nous traduisons :
« ... Mon directeur a parlé. Et j'ai dit à Dieu : Me voici; Je suis convaincu que Dieu m'appelle à l'état religieux; mais dans quelle Communauté, je l'ignore encore. Il me reste huit mois pour interroger Dieu; j'espère qu'il me parlera, soit par quelque attrait notable qu'il provoquera en moi, soit par mon directeur, qui est homme d'une très grande prudence.
« La mort de mon père bien-aimé me confirme dans mon dessein ; la mort de mon ami Destrumelie m'y affermit de plus en plus. »
Léon avait en effet perdu son père peu de temps auparavant. Cette perte avait profondément remué son âme affectueuse. Elle le détachait delà terre, qui offrait tant d'amertumes et de tristesses.
Mais, d'un autre côté, cette mort de son père avait provoqué une tendresse plus grande pour sa mère, son frère et sa soeur, et cette intensité d'affection allait accroître encore la douleur de la séparation.
Le cours de philosophie se terminait. C'était le moment pour Léon de se prononcer entre le grand séminaire et sa vocation à l'état religieux. Après avoir bien prié, il alla faire part à son directeur de sa décision arrêtée d'entrer dans la Congrégation de la Mission de Saint-Vincent de Paul.
Le Directeur, respectueux de la recommandation que saint Vincent avait faite à ses prêtres de ne rien faire pour attirer quelque sujet dans leur Congrégation, s'était tenu jusque-là dans une absolue réserve.
La transplantation de Léon sur un autre sol ne de-
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vait pas le préserver d'un trépas prochain. Mais la mort n'avait-elle pas frappé son meilleur ami Destrumelle sur le sol natal ? Et la vie de saint Louis de Gonzague et de saint Stanislas de Kostka dans leur noviciat de la Compagnie de Jésus n'a-t-elle pas été un gain pour eux et pour la jeunesse dont ils sont les modèles, quoiqu'ils aient été ravis, eux aussi, à la fleur de leur âge?
CHAPITRE VI
Entrée du jeune membre de la Conférence Saint-Vincent de Paul au noviciat de la Congrégation de la Mission.— Son bonheur dans la vie religieuse.
Le 26 septembre 1862, Léon quittait le presbytère de Fluquières (Aisne), où se trouvaient réunis son frère, curé de la paroisse, sa mère et sa soeur.
Voici quelques traits des impressions de son départ; nous les trouvons dans une lettre adressée à un de ses cousins, excellent chrétien :
« ...Depuis le commencement des vacances j'avais toujours cette dernière séparation devant les yeux, et je voulais la rendre à ma mère le moins pénible que je pourrais. Depuis huit jours elle savait que je partirais. Aussi, l'heure venue, son sacrifice était pour ainsi dire fait déjà en son coeur. Cependant, vous excuserez le refus que je vous ai fait de vous accorder la journée du lendemain : c'eût été prolonger sa peine et ses larmes, et, pour moi, je redoutais ces larmes d'une mère qui quitte son fils et l'abandonne à Dieu. Je sais bien ce qui se passait en moi en vous embrassant tous; mais il me semblait aussi que Dieu m'appelait, et je comptais que sa grâce m'accompagnerait dans ce moment. »
Ce sont les émotions qui remplirent le coeur de bien des saints lorsqu'ils quittaient ceux des leurs qui demeuraient dans le monde, et qu'ils allaient s'ensevelir dans la solitude et y chercher la vie religieuse.
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Quelques jours plus tard, Léon, écrivant à son oncle et à sa tante, leur racontait ainsi son arrivée :
« Je me trouve très heureux du parti que j'ai pris et que j'avais tant désiré. Le premier moment de la séparation est pénible; c'est un sacrifice qui coûte à la nature; mais le bon Dieu donne des grâces en proportion. Ma peine a été bien moins grande quand j'ai vu la résignation de ma mère : elle a offert son sacrifice à Dieu. Assurément le bon Dieu la surpassera encore en générosité.
« Pour moi, arrivanf seul dans Paris, sans connaissance, je me trouvai un peu stupéfait. Toutefois je ne me déconcertai point. Je demandai à un prêtre s'il allait du côté de la rue de Sèvres, etc. Il me fit monter dans sa voiture et me conduisit jusqu'à Saint-Lazare. J'appris ensuite que c'était un vicaire général de Paris 1. J'étais tout honteux d'avoir osé faire ainsi sa connaissance.
« En arrivant, je fis une petite retraite, et quelques jours après, la grande avec la Communauté. Maintenant, je suis habitué au train de la maison. Je suis tranquille, heureux ; je remercie le bon Dieu de mon bonheur. Je le prie pour vous tous en particulier.
« Cette première année de noviciat, qu'on nomme séminaire interne, je n'ai que ceci à faire : corriger mes défauts, étudier la vie de saint Vincent, fondateur de notre communauté, m'appliquer à certains exercices de piété, suivre un cours de prédication, un autre d'Écriture Sainte, et un troisième des saints Pères. Ici nous sommes tous frères et nous nous rendons tous heureux. Enfin, je me recommande à vos bonnes prières afin que Dieu m'accorde la sainte persévérance. »
Dans sa première lettre à son frère et à sa soeur, Léon fait connaître le bonheur qu'il goûte dans sa vocation.
i. M. l'abbé Bayle.
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<( Octobre 1862.
« ...Vous savez donc que je suis à Paris depuis le samedi 27 septembre. J'ai pris l'habit des Missionnaires le mardi suivant, de sorte que maintenant j'ai le bonheur d'être au nombre des novices appelés ici séminaristes. J'entendais souvent dire que le bon Dieu récompensait au centuple les sacrifices que l'on faisait pour lui. Aujourd'hui je comprends la vérité de cette parole, car je suis vraiment heureux à Paris. Je ne désire plus qu'une seule chose, c'est la persévérance. A cette intention je me recommande plus que jamais à vos bonnes prières. Je suis arrivé en même temps que quatre Irlandais, et depuis deux autres jeunes gens sont venus du midi de la France. Je me félicite d'être parti à ce moment. »
Trois mois se sont écoulés dans les premières joies que Dieu donne à l'âme qui vient de se donner pleinement à lui. Le bonheur de Léon continue. Voici quelques lignes de la lettre qu'il écrivit à sa mère au mois de janvier i863.
« Ma bien chère Mère,
« L'année n'est que le temps de l'exécution des voeux que l'on souhaite au premier jour de l'an. Aujourd'hui, permettez-moi de vous redire combien je vous aime et j'espère vous aimer de plus en plus, à mesure que je comprendrai la grandeur de vos bienfaits et des sacrifices que vous vous êtes imposés pour moi. Je vous en serai éternellement reconnaissant, et en particulier de celui que vous avez fait si généreusement pour m'abandonner au bon Dieu.
« Je le comprends, ce sacrifice vous a coûté plus que les autres. Mais confiance, ma bonne mère; ne soyons pas avares envers le bon Dieu et il ne se laissera pas vaincre en générosité. Souvent même il récompense dès cette vie de tels actes de générosité.
« Pour moi, je remercie Dieu du bienfait de ma voca-
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tion ; je le supplie de vous dédommager amplement et de m'accorder la persévérance. Je suis toujours ici bien heureux, bien content. Je prie pour vous et pour notre pauvre père décédé. Ma santé est bonne. .« Je vous aime et vous embrasse de tout mon coeur.
« Votre fils tout dévoué,
« LÉON. »
Il éprouve le besoin de dire aussi son bonheur à un de ses cousins demeuré dans le monde.
« Mon cher cousin,
« Que la vie religieuse est préférable à la vie du monde ! Pour vous qui vivez au milieu du monde, presque comme dans un désert, n'ayant de communication avec lui que pour avoir occasion d'acquérir le mérite de la charité et de l'humilité, vous l'avez compris depuis longtemps. Vous savez bien qu'en un sens toute la différence qu'il y a entre un vrai chrétien et un religieux n'est pas très grande : le vrai chrétien dans le monde n'a-t-il pas aussi pour unique affaire l'amour de Dieu et du prochain aux-dépens de l'amour de soi-même? Dieu ne demande pas de tous le même degré de perfection ; il ne donne pas non plus les mêmes vocations rii les mêmes moyens. Tous cependant peuvent goûter combien le joug du Seigneur est doux, et bien à plaindre sont ceux qui ne veulent pas l'éprouver. Vous savez tout cela mieux que moi, cependant je me plais à le redire avec vous, parce que maintenant je sens mieux le malheur de ceux qui ne servent pas Dieu. N'est-il pas vrai que dans nos pèlerinages à Notre-Dame de Liesse nous éprouvions une joie plus pure et plus suave que celle que nous aurions éprouvée au milieu des plus belles réunions? Vous qui pouvez encore aller témoigner sensiblement votre dévotion à Notre-Dame de Liesse, remerciez-la pour moi de la grâce de ma vocation. Suppliez-la, puisqu'elle a com24
com24
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mencé, d'achever son oeuvre en m'obtenant la sainte persévérance.
« Vous savez par ce que je vous ai dit avant mon départ quel est le genre de vie que je mène ici. Tout se trouve comme je le voyais d'avance dans ma pensée, et mes espérances ont été plutôt surpassées que déçues. C'est donc vous
dire que je suis heureux, content Oui, mon cher cousin,
la vocation religieuse est une bien grande grâce. Les secours spirituels abondent. On n'est entouré que de bons exemples. On n'est occupé qu'à des travaux qui ont pour
but de nous sanctifier et à des études pieuses Mais aussi
quel compte à rendre à Dieu de ces faveurs ! Quel malheur si je viens à en abuser! Oh ! demandez pour moi, je vous en prie, que je n'aie jamais ce malheur ! »
On peut juger par ces lettres des sentiments d'humilité du pieux novice. Ces demandes incessantes de prières pour obtenir la grâce de la persévérance montrent la défiance qu'il avait de ses propres forces, et sa confiance dans le secours du Ciel dont il sent la nécessité.
CHAPITRE Vil Charité et zèle de Léon.
Le zèle de Léon ne pouvait se limiter à l'oeuvre de sa propre sanctification ; la charité de l'ancien conférencier de Saint-Vincent de Paul l'a accompagné dans sa nouvelle vie, et se retrouve jusque dans le silence de sa solitude.
Il écrit donc à son cher frère, curé dans un pays industriel, et qui avait fondé dans sa paroisse une pieuse congrégation :
« J'espère que votre Congrégation marche bien et
commence déjà à produire de bons fruits. Mais il est bien probable que vous avez eu des difficultés à surmonter pour l'établir et pour la maintenir. Je me rappelle que vous redoutiez beaucoup le mal qui pouvait résulter pour les âmes de l'établissement d'une fabrique dans le pays. Je
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prie bien le bon Dieu qu'il fasse prospérer cette congrégation et qu'il vous comble de grâces pour opérer en elle et par elle tout le bien que vous en attendez. »
Pendant ce temps, sa joie persévérait : « Les journées, écrivait-il, se passent si rapidement que je ne puis m'y habituer. Au bout de chaque semaine j'en suis surpris.' »
Voici une lettre tout empreinte de reconnaissance, qu'il écrivit à son oncle et à sa tante, qui lui avaient été extrêmement attachés et dévoués. Elle révèle aussi toute la tendresse qu'il eut pour son père et pour sa mère.
« Paris, 29 janvier iS63.
« .... Je vous l'assure, l'affection que je vous dois à si juste titre et que j'ai toujours eue ne s'est point amoindrie. Les sacrifices que notre bien-aimé père et que notre bonne mère se sont imposés eux-mêmes pour moi, ne s'échappent pas si vite du coeur de leur enfant. Je vous l'avoue, avant de venir à Paris, j'avais bien des fois versé des larmes en me rappelant la tendresse de ce père si aimé, et surtout certaines circonstances qui demeurent plus particulièrement présentes à mon esprit. Je le vois dans sa dernière maladie surtout, expirant en baisant son crucifix, et je me surprends le cierge funèbre à la main, à son chevet, le regardant et le contemplant. Et pour cette tendre mère, après de si rudes épreuves, elle a mis le comble pour ainsi dire à son amour pour Dieu et à son affection pour son enfant, en l'offrant au bon Dieu sans y être contrainte, mais de bon coeur, parce que cela semblait être conforme à la volonté divine. Oh ! non, une telle générosité ne peut pas rester sans récompense. Mais pour moi, après avoir imposé ces sacrifices, combien je serais coupable si je ne faisais pas ce que Dieu veut de moi et ce que vous-mêmes avez droit d'en attendre.
« Oh I je vous en conjure, mon cher oncle et ma chère tante, priez pour moi. Je vous le demande par cette même bonté et cette même affection qui m'ont donné en vous un
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autre père, une autre mère, qui vous ont fait me supporter. Pardonnez-moi toute la peine que je vous ai faite et croyez que je vous aime tendrement, comme je le dois, dans les Coeurs de Jésus et de Marie.
« Votre neveu reconnaissant et affectionné,
« LÉON. »
La reconnaissance ne s'arrêtait pas à l'enceinte étroite de la famille. Le coeur de cet excellent jeune homme n'oubliait personne, ni le respectable curé de sa paroisse, ni ses anciens maîtres du petit séminaire.
La vie religieuse est loin d'étouffer les sentiments de reconnaissance, d'affection et de dévouement que l'on doit à la famille; elle les purifie et les élève; elle sanctifie et consacre l'attachement filial ou fraternel et les liens de l'amitié.
Léon trouva de temps à autre le moyen d'utiliser sa présence à Paris, pour rendre quelques petits services à ses parents ou à ses amis. Il écrivait un jour agréablement à sa mère :
« Mon frère a dit à mon oncle de Trépigny qu'il ne devaitpas compter beaucoup sur moi pour ses affaires. Je l'en remercie. Toutefois je suis allé chez le marchand d'ornements en question. On a su tout de suite de quoi je voulais parler. Le marchand m'a dit aussitôt « que le ciel de ce dais « qui devait ombrager le Très Saint Sacrement ne lui avait « pas procuré le ciel, à lui ». Enfin, les choses se sont éclaircies, du moins à la façon du marchand. J'ai répondu à mon oncle le plus clairement que j'ai pu. Mais j'appréhende ces affaires, parce que je n'y connais pas grand'chose. »
Pendant ce temps, Léon se livrait, on peut le dire, tout entier au travail important de sa sanctification. Il estimait que c'est une oeuvre qui demande une application tout particulièrement personnelle : « Ne croyez pas, écrivait-il, que l'on soit saint parce qu'on a un genre de vie saint dans la maison où l'on est. Ce n'est pas le lieu qui rend saint, mais
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la manière dont on s'y comporte. » Il décrivait ainsi son genre de vie : « Nous ne nous occupons à aucune autre étude qu'à celle de Dieu, de soi-même, des exemples des saints, de leurs vertus. » Saint Vincent de Paul étant le fondateur et l'instituteur de la Communauté dans laquelle il se proposait de se former pour travailler ensuite à évangéliser : « Ma principale étude, disait-il, est d'étudier saint Vincent, et de me corriger pour me modeler sur lui. » Il écrivait à un de ses amis : « J'éprouve un goût très particulier pour Rodriguez. Son livre De la Perfection chrétienne me plaît beaucoup. Je m'étonne, ajoutait-il, que vous ne m'en ayez jamais parlé. Si vous ne l'avez pas, ce qui n'est guère croyable, procurez-vous-le donc, et lisez-le. »
Pour le jeune novice, le travail de formation ne consistait pas seulement dans la joie de s'entretenir avec Dieu ou de goûter les saintes lectures ; il s'appliquait dans son zèle à se vaincre lui-même et à croître dans l'amour de l'esprit de sacrifice.
« La vie de communauté, écrivait-il à sa soeur, est destinée à polir les caractères, à les adoucir, à les arrondir comme l'eau du torrent polit, adoucit et arrondit les cailloux. »
Dans une lettre à sa mère, après une visite qu'il avait reçue de son oncle et de son frère, il écrivit :
« Mon frère et mon oncle vous ont appris combien j'étais heureux* et content; vous n'avez plus lieu de craindre que je ne sois ici aussi bien que vous voudriez m'y voir, —■ Reste, je le sais, l'amertume de la séparation ; je l'ai sentie, je la sens encore. Pour la nature, cette séparation est pénible, mais espérons qu'elle est agréable à Dieu, et soyons certains que la joie que nous recevrons au ciel compensera sans mesure ces quelques instants de vie que nous aurons passés dans le sacrifice. Unissons nos coeurs dans cette même confiance en Dieu. Prions bien la sainte Vierge, de nous conduire tous au ciel auprès d'elle. C'est là que nous verrons notre pauvre père et que nous serons heureux tous ensemble. »
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Les solennités religieuses avaient un charme particulier pour son âme très portée à goûter la piété. Il les décrivait avec un plaisir manifeste à ceux auxquels il écrivait après en avoir été le témoin.
Ayant assisté à la fête de la Translation des reliques de saint Vincent : « Ce jour-là, j'aurais voulu transporter devant vos yeux, écrivait-il à sa mère, les magnifiques cérémonies auxquelles j'assistais et que vous auriez vues avec tant de consolation et de piété. Je crois qu'il suffirait au coeur le plus endurci d'assister à quelqu'une de ces solennités pour se donner à Dieu. » Une autre fois, c'étaient les cérémonies d'une ordination qui le touchaient; plus tard, la procession pour la clôture du mois de Marie, ou la procession du Saint-Sacrement, auxquelles il avait pris part dans le jardin de la Communauté des Filles de la Charité, à Paris.
« Pour la procession du Saint-Sacrement, écrivait-il, je n'ai point d'expression pour vous redire les sentiments de foi qu'elle inspire ici.
« Pour vous donner une légère idée de cette fête, représentez-vous plus de cinquante prêtres revêtus des plus riches ornements, les diacres et les sous-diacres, fort nombreux, en dalmatique, et le reste de la Communauté, étudiants et novices de notre séminaire, en surplis, etc. Les murs, les arbres étaient parés de tentures blanches, parsemées de fleurs, d'inscriptions, etc. Oh! que Dieu m'a fait une grande grâce en m'appelant à le servir dans une communauté religieuse. Aidez-moi, je vous prie, à remercier la sainte Vierge, qui en ce point a tout fait pour moi. »
La vocation à la vie religieuse emporte avec elle un grand désir de se former à un apostolat fructueux, et cet apostolat suppose la science. C'est pour cela que, même pendant le temps de leur noviciat, les jeunes religieux n'interrompent pas toute étude. C'est ainsi que le jeune Léon étudiait l'Écriture Sainte, les saints Pères, les principes de la prédication.
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Il ne manquait pas de sagacité, aussi profitait-il de ces études édifiantes. En récréation, en promenade, il aimait à interroger les novices qui avaient déjà fini leurs études. Il y a fréquemment dans les noviciats des prêtres qui ont déjà exercé le saint ministère ou qui ont vécu dans l'enseignement, et qui se préparent à la vie religieuse. Ce contact d'hommes mûris par l'expérience et dont l'esprit est orné de connaissances variées, exerce une très heureuse influence sur le développement intellectuel des jeunes novices. Léon sut en profiter largement.
CHAPITRE VIII
Léon contracte ses premiers engagements dans la Congrégation de la Mission. — Fervente préparation qu'il y apporte.
Saint Vincent ramenait, pour la conduite de ses missionnaires, les enseignements évangéliques à cinq vertus : la simplicité, l'humilité, la douceur, la mortification et le zèle des âmes, voulant qu'elles fussent, disait-il, « comme les facultés de l'âme de toute sa congrégation ».
C'est à la pratique de ces vertus que s'attacha le jeune novice Léon. Ses lettres en sont vraiment embaumées.
Ame extrêmement candide, la simplicité de la colombe se révèle dans les aveux qu'il fait de ses manquements, de ses oublis, de ses inattentions, de ses négligences, mettant sur le compte de sa propre misère ce qui pouvait être excusé bien légitimement. Dans sa droiture, il ne cherchait que Dieu dans les élans touchants de sa piété; dans sa délicatesse, il avait horreur des moindres détours et s'inquiétait lorsque, sa pensée n'ayant pas été comprise, on pouvait lui en supposer une autre.
Nous avons vu comment il avait, par son humilité, su faire tourner au profit de sa vertu les remontrances que son frère bien-aimé et son oncle avaient cru pouvoir lui adresser pour éprouver sa vocation. Il fut longtemps tour-
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mente par la pensée de faire pénitence pour expier ses péchés, disait-il. Défiant de lui-même, il implorait sans cesse de tous côtés des prières pour obtenir la sainte persévérance et ne pas abuser des grâces de Dieu. Jamais l'orgueil ou la suffisance ne parurent ni dans son air, ni dans ses paroles, ni dans sa conduite extérieure. C'était pour lui comme un besoin de s'humilier aux pieds des autres, en leur demandant d'avoir la charité de l'avertir de ses défauts.
Il était doué d'une douceur naturelle et très sympathique. Elle provenait en partie de son tempérament et se manifestait dans la douceur de son regard; son teint pâle révélait une santé frêle et délicate ; ses traits calmes ne laissaient jamais paraître le mouvement des passions. Léon n'eut pas en apparence de grands efforts à faire pour acquérir la douceur. Mais il eut l'avantage de la conserver aussi inaltérable que sa candeur. Nous ne croyons pas qu'il se soit jamais fâché contre personne. D'un coeur très bon, très affectueux, il était très serviable et prêt à rendre service atout le monde en s'oubliant lui-même.
Délicat dans sa santé, il aurait semblé qu'il dût se ménager. Cependant, tout jeune, il faisait ses pèlerinages à pied à Notre-Dame de Liesse. Pénétré de l'esprit de pénitence, loin de rechercher ce qui aurait pu être un adoucissement, il avait souci comme saint Vincent de choisir plutôt ce qui pouvait gêner ou servir à dompter la nature. Scrupuleux observateur des règlements, jamais il ne s'en écarta. A la fin de ses études il eut le prix d'honneur qui couronnait la sagesse, la discipline et le travail unis au succès. Au noviciat, il regarda la règle comme l'exercice ordinaire de la mortification, mais il y ajouta avec la permission de son directeur des macérations et des austérités qu'il était heureux d'offrir à Notre-Seigneur comme un témoignage d'amour pour l'adorable Victime immolée au Calvaire et à l'autel.
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On peut dire que la plus grande passion de Léon fut le zèle pour le salut des âmes. Pendant ses humanités, élu membre président de la Congrégation de la Sainte-Vierge, puis membre de la Conférence de Saint-Vincent de Paul, il était considéré par ses condisciples comme pouvant donner plus que tout autre une véritable impulsion aux oeuvres de charité et aux oeuvres de zèle. Ce fut pour répondre à cette charité de Dieu qui le pressait, qu'il voulut devenir missionnaire. Dans ses conversations comme dans ses lettres, il semblait vouloir communiquer aux autres le feu divin dont il était embrasé. Ne pouvant se livrer au ministère des âmes pendant le noviciat, il tâchait d'y suppléer par la prière fervente et par les pénitences qu'il s'imposait. Il priait surtout pour les missionnaires exerçant leur apostolat dans les missions étrangères.
La pratique assidue de ces vertus fit juger à ses supérieurs que le jeune novice était, digne de prononcer les premières promesses ou le « bon propos », c'est-à-dire de présenter à Dieu son désir bien arrêté de prononcer, après une seconde année de formation, les voeux mêmes de pauvreté, de chasteté, d'obéissance et d'une consécration spéciale à l'évangélisation et au service des pauvres.
Voici ce qu'il écrivit à sa mère à cette occasion :
« Dieu vient de m'accorder, le 27 septembre, jour anniversaire de la mort de saint Vincent, une nouvelle faveur. Il est vrai que par cet engagement je ne suis pas encore irrévocablement lié au service de Dieu par les saints voeux, mais après les voeux c'est bien la promesse la plus solennelle. Je vous en conjure, remercions ensemble le bon Dieu qui est si bon à mon égard. Demandez-lui pour moi la persévérance et la fidélité dans ma promesse. Oh ! oui : n'est-ce pas le plus grand de tous les bonheurs, que d'être à Dieu par des voeux et pour la vie? Que les riches gardent leurs trésors et les empereurs leurs trônes ; pour moi, ma vocation me suffit, je n'envie point leur sort. Que le bon Dieu me
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donne la persévérance, et cela me suffit. Oh! que je vous remercie, vous aussi, ma tendre mère, d'avoir fait à Dieu le sacrifice de votre fils; Puissiez-vous en être dès ici-bas récompensée au centuple. »
Tels étaient les pieux sentiments qui remplissaient son âme à la suite des saints engagements qu'il venait de contracter.
Dans une autre lettre, il disait à sa bonne mère : « Je ne pourrai vraiment écrire de suite à mon oncle, d'autant que l'on vient de me confier une occupation qui me laisse peu de temps pour la correspondance. Mais on obéit, et c'est beaucoup, et c'est tout pour nous autres; le bon Dieu arrange le reste. »
La sainteté de son âme éclatait dans son attitude extérieure. Sa modestie se refléta dès son enfance sur son visage, dans son regard et dans toute sa tenue. Il portait à Dieu ceux qui le voyaient, surtout à l'église, où il priait avec le recueillement d'un ange. Il était très réservé dans ses paroles, qui étaient tout imprégnées de la piété de son âme. Très prudent dans ses démarches, il fuyait tout ce qui eût pu porter la moindre atteinte au trésor d'innocence qu'il appréciait par-dessus tout.
Autant il était doux de caractère, autant il était énergique et ferme pour éviter le mal; il semblait que Dieu lui avait donné un ange pour le maintenir toujours dans cette sage réserve d'une vertu contenue autant qu'elle était persuasive.
Le jeune membre des Conférences de Saint-Vincent de Paul avait puisé dans cette association l'amour de la vocation spéciale qui l'appliquait dans la Congrégation de la Mission à l'évangélisation des pauvres. Les membres des Conférences ne se contentent pas, en effet, de porter l'aumône à leurs pauvres; à chaque visite ils doivent s'occuper de leurs intérêts spirituels, verser dans leur âme la douce lumière des vérités de la foi, dissiper leur ignorance, leurs
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préjugés, leurs erreurs, les retirer de l'indifférence religieuse, les ramener à Dieu.
Le jeune novice ayant fait dans sa Conférence l'apprentissage de cette évangélisation, son plus grand désir était d'arriver au terme dé ses études pour se consacrer à l'oeuvre des missions.
CHAPITRE IX La maladie et la mort.
Léon ayant terminé sa première année de probation, il était entré dans la catégorie des étudiants. Il avait été dans le ravissement en voyant la pompe avec laquelle furent célébrées les fêtes de Noël. Il l'écrivait à sa mère, au mois de décembre i863. Il terminait sa lettre par ces mots : « Demandez que nous soyons tous ensemble réunis au ciel. » Était-ce un pressentiment? On voit dans presque toutes les lettres du pieux novice la pensée et la soif du ciel se révéler alors comme une de ses plus fréquentes aspirations. Ses voeux n'allaient pas tarder à être exaucés.
Dieu voulait élever cette âme déjà si pure à une plus haute sainteté par la voie réservée aux meilleurs amis de son divin Fils, la souffrance. Ce fervent novice supporta avec un courage invincible les épreuves de la maladie qui vinrent fondre sur lui.
Il écrivait à un de ses cousins, au mois de février 1864 : « Bien du temps s'est écoulé depuis que j'ai reçu votre bonne lettre; il y a trois mois. Je m'étais fixé un moment pour m'entretenir quelques instants avec vous, mais le bon Dieu a voulu me priver de cette consolation. Il m'a envoyé un mal de reins assez prononcé, et quelques jours après se déclarait une maladie que bien du monde redoute, c'est la petite vérole. Lorsque cette espèce de lèpre fut enlevée de tout mon corps, il me survint quelques abcès qui se chargèrent de purifier mon corps. Pour le présent, je ne crois avoir rien à craindre des suites de la maladie. Je vous prie
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d'en remercier le bon Dieu avec moi, car on avait sujet de croire qu'il n'en serait pas ainsi. »
De fait, la maladie fut violente et l'on eut beaucoup à craindre pour les jours du pieux novice. Elle se prolongea, et trois mois après il était encore à l'in'firmerie. Vers la fin d'avril cependant, il parut être en pleine convalescence; toutefois, il lui restait aux jambes des tumeurs qu'il fallait percer et brûler presque chaque jour. Ce mal résistait aux remèdes ; les médecins ordonnèrent alors les eaux de Bourbon-!'Archambault. M. le Supérieur général lui ordonna de s'y rendre et lui donna pour l'accompagner un excellent Frère infirmier, le Frère Vernière, qui l'avait soigné pendant sa longue maladie.
Léon partit le 8 juin. Les trois premières semaines furent très heureuses. Les plaies séchèrent; tout semblait annoncer une véritable et complète guérison, lorsque tout à coup la fièvre typhoïde se déclara, et se compliqua d'autres infirmités. On profita de vingt-quatre heures de calme pour le ramener à Paris, où il arriva le 2 3 juillet. Le 4 août, une lettre annonçait à sa famille que des vomissements violents venaient de lui enlever toutes ses forces et qu'il était en grand danger. Il semblait qu'en multipliant les souffrances Dieu voulait donner à son bien-aimé serviteur une ressemblance plus parfaite avec la Victime de Gethsémani.
Sa mère, sa tante et son frère accoururent. Ils trouvèrent le malade fortifié par les derniers sacrements, qu'il avait reçus avec une piété des plus touchantes. La vue delà famille sembla ranimer en lui la vie qui s'éteignait. Voyant la douleur de sa mère, il lui raconta, pour la consoler, combien la vie était douce pour lui à Saint-Lazare, se plaisant à redire que l'on était bien heureux au milieu de cette famille de frères, entouré de prévenances, de soins affectueux. Avant de recevoir les derniers sacrements, il avait eu le bonheur d'être admis à prononcer les voeux des membres de la Congrégation de la Mission, enfants de saint Vincent de Paul, et
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cette faveur lui avait donné une très grande consolation qui se traduisait en saillies aimables, épanchement de sa joie intérieure.
Au milieu d'une crise qui survint alors, le Frère infirmier lui présenta le crucifix de ses voeux en l'exhortant à s'abandonner à Dieu : « Placez l'image de mon bon Sauveur sous mes yeux, répondit-il, il me donnera du courage ; » et son regard ne cessait de considérer l'adorable Victime aux souffrances de laquelle il unissait ses propres douleurs. Son bon frère, qui ne l'avait pas quitté, l'encourageait à prier: «Oh! lui dit-il, faites-le vous aussi pour moi; je ne puis presque que souffrir. »
Le mercredi fut un jour plus terrible encore. Les vomissements reprirent et se renouvelèrent d'heure en heure jusque vers le soir. Les efforts étaient violents ; la sueur que ces secousses violentes provoquaient et les cris qu'elles lui arrachaient témoignaient de ce qu'il devait souffrir. C'était à chaque fois une scène déchirante. Pour lui, à peine la crise était-elle terminée, que son visage retrouvait la paix et le sourire reparaissait sur ses lèvres. Il ajoutait, en parlant des infirmiers qui l'aidaient : « Qu'ils me rendent service! ils s'entendent à soigner les malades. Ici on ne s'épouvante pas, et les choses en vont mieux. »
Rempli de docilité envers le Frère infirmier, il se soumettait avec un entier abandon à tout ce qui lui était prescrit.
Le coeur rempli de charité, il s'occupait plus des autres que de lui-même. Il demandait à ses visiteurs des détails sur ce qui pouvait les intéresser. Préoccupé de la fatigue que pouvait éprouver son digne frère, prêtre, il disait à l'infirmier : « Quand je suis pris de vomissements, il faut renvoyer mon frère ; cela lui fait trop de mal ; » et puis il ajouta : « Si je m'en allais, vous lui donneriez ce reliquaire de la vraie croix que je porte toujours sur moi. »
Le jour de l'Assomption de la sainte Vierge, son frère lui
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ayant dit que la sainte Vierge lui ferait une bien grande grâce si elle le guérissait ce jour-là même, « Cela dépend, » répondit-il. Car, connaissant très bien son état, il ne craignait pas la mort. A la question qu'on lui posa : « Avezvous peur de mourir? — Oh! non, » répondit-il en souriant. C'était d'un regard plein de sérénité qu'il envisageait la mort; il la voyait comme la porte du ciel. Son oncle, l'aumônier, étant venu le voir, lui dit : « Que demanderezvous pour nous quand vous serez au ciel? — Que vous convertissiez beaucoup d'âmes! » C'était comme un écho des paroles du Sauveur mourant pour les pécheurs.
Son oncle, étonné de voir un pareil calme au moment de la mort, lui dit : « Vous êtes bien malade, et cependant vous riez toujours.— Que voulez-vous, répondit-il, quand on a le coeur content, on rit. »
Le samedi, jour de sa mort, ayant entendu prononcer le mot de bienheureux dans une conversation qui se tenait près de sa fenêtre, il dit tout à coup à son oncle : « Quels sont donc ceux qu'ils proclament bienheureux? » Et comme la réponse n'arrivait pas immédiatement, il ajouta : « C'est qu'ils l'ont mérité par de grandes vertus. — Sans doute, lui dit son oncle, c'est comme vous, vous serez bienheureux, car le bon Dieu vous couronnera pour votre patience à souffrir. — Il faut qu'il soit bien bon, reprit-il. — Aussi, il l'est, répondit le pieux aumônier, et il le sera pour vous. Vous rappelez-vous les pèlerinages que vous faisiez avec tant de bonheur à Liesse, vos communions, votre zèle à visiter les pauvres? Croyez que Notre-Seigneur vous aime beaucoup, et la sainte Vierge aussi. — Vous croyez? dit le jeune malade en souriant, du ton d'un homme qui n'est pas étonné qu'il en soit ainsi; vous croyez? —Oui, je le crois. — Eh bien, moi aussi, et je les aime de tout mon coeur. » Vers le soir, son oncle lui suggéra quelques pieuses aspirations; il les répétait amoureusement, disant : « Jésus, ayez pitié de moi ; sainte Vierge Marie, priez pour moi ;
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saint Vincent de Paul, priez pour moi. » Et comme on poursuivait, voyant qu'on passait le nom de son patron, il interrompit pour ajouter : « Saint Léon, priez pour moi ; saints et saintes du ciel, priez tous pour moi. »
C'est au milieu de ces saintes pensées et de ces ferventes invocations qu'il rendit sa belle âme à Dieu, le samedi 20 août, à onze heures cinquante minutes du soir. La très sainte Vierge aura voulu sans doute faire entendre à son pieux serviteur les derniers échos de la belle fête de l'Assomption célébrée au ciel par les anges et les élus.
Le 22, un service solennel fut chanté pour lui à la chapelle de la Maison-Mère. Mgr Spaccapietra, lazariste, archevêque de Smyrne, qui était allé le visiter et le bénir pendant sa maladie, voulut assister à ses funérailles. Après la cérémonie, son frère et ses oncles, prêtres, firent transporter ses restes mortels à Chalandry, dans le tombeau de leur famille.
Comme l'avait fait toute la Communauté à Paris, tous les habitants de son pays prirent part à la douleur que provoqua la perte d'un si excellent jeune homme. Huit prêtres, plusieurs séminaristes assistèrent à l'inhumation. Il n'y avait qu'une voix pour regretter le pieux et si aimé défunt. M. le doyen de Crécy s'inspira de la spontanéité et de l'unanimité de ces sentiments de sympathie pour adresser à la foule attendrie quelques paroles que nous reproduisons ici ; elles sont le portrait fidèle de cet aimable disciple de saint Vincent de Paul et l'expression de la haute estime dont il jouissait dans son pays :
« Ne vous attristez pas comme font ceux qui n'ont pas d'espérance.
« Voilà, mes Frères, les paroles de consolation que du fond de cette tombe vous adresse le pieux lévite dont vous environnez la dépouille mortelle avec tant d'amour et de larmes. Vous ne le verrez plus en ce monde, il est vrai ; l'Église est privée des services que par son zèle précoce, ses
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talents distingués, il semblait appelé à lui rendre, et sa famille ne jouira plus de la joie que lui procuraient ses précieuses qualités.
« Il y a quelques mois, il me disait, impuissant à le contenir, le bonheur de sa vocation, avec cette sainte exaltation que la foi communique à un coeur de feu. Déjà il s'en allait, lui semblait-il, traverser les mers pour porter à des peuples lointains l'amour de Jésus-Christ dont son coeur était embrasé.
« Dans son pieux enthousiasme, il rêvait souffrances, persécutions, martyre pour la gloire de son divin Maître. En face de cet avenir, la joie dont son âme surabondait rejaillissait sur son visage, et venait ajouter à l'amabilité de ses traits comme un rayonnement qui faisait paraître toute l'étendue de sa bonté plus aimable que jamais.
« Redisons avec nos saints Livres : « La vie n'est qu'un « souffle, la santé la plus brillante n'est qu'une fleur bien vite desséchée. » Dieu voulait se contenter de sa bonne volonté, et après lui avoir fait goûter ici-bas les délices d'une âme fidèle à la grâce, l'enlever aux déceptions, aux tristes réalités de la vie ; il a le bonheur d'avoir assez vécu pour recueillir le mérite de son innocence, pas assez pour avoir à expier dans un autre monde la faiblesse de la fragilité humaine.
« Si dans cette déchirante séparation la nature réclame ses droits, acceptez, mes Frères, les consolations de la foi. Que vos larmes soient saintes, purifiées par l'espérance chrétienne, dignes enfin de celui dont la vie et la mort furent celles d'un prédestiné.
« Ce fils si aimable, ce frère si afiectueux, ce parent, cet ami si digne d'attachement, il ne vous est pas enlevé, les liens qui l'attachent à vous ne sont pas brisés ; il vit encore, il vivra à jamais dans le ciel, admis dans les rangs de ces jeunes lévites dont il a ici-bas retracé les gracieuses vertus, et un jour vous le reverrez sans plus craindre une déchirante séparation.
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« Parents chrétiens, qu'elle vous demeure douce la mémoire de cet enfant, comme un doux parfum qui console, sanctifie votre tristesse, et qui remplisse votre vie de la bonne odeur de ses vertus.
« Et vous tous, mes Frères, associés à cette douleur profonde, attachez-vous avec un nouvel amour à la foi si puis-: santé dans ses inspirations, si consolante dans ses immortelles espérances, et, par la pureté de votre vie, méritez une part à ce repos sans fin, à cette éternelle félicité qu'il plaise au Seigneur d'accorder à l'aimable enfant dont la douce mémoire demeurera à jamais gravée dans nos coeurs. »
Le souvenir de ce vertueux enfant, pieux séminariste, membre fervent des Conférences de Saint-Vincent de Paul, novice exemplaire, reste gravé dans le coeur de tous ceux qui l'ont connu, et il y a laissé l'impression de la sainteté. Un séminariste qui avait assisté à ses funérailles et qui avait été son condisciple, était interrogé plus tard par celui qui écrit ces lignes et qui lui demandait s'il avait gardé la mémoire de Léon Brancourt : « Oh ! oui, répondit-il; c'était vraiment un saint. »
PROVINCE D'AUTRICHE
Dans la première quinzaine du mois de mai 1895, se sont fait sentir en Autriche des secousses de tremblements de terre, particulièrement à Vienne, àGraz, à Cilli, à Laibach. Dans les lettres suivantes, se trouvent des détails qui donneront l'idée de cette redoutable épreuve.
Lettre de ma soeur LÉOPOLDINE BRANDIS, Fille de la Charité, à M. A. FIAT, Supérieur général.
Graz, le 17 mai iSçjy.
MONSIEUR ET TRÈS HONORÉ PÈRE,
Votre bénédiction, s'il vous plaît I
Ici, le tremblement de terre, que nous avons ressenti dans la nuit du dimanche au lundi de Pâques (14-15 avril), a été assez fort; pourtant, sans endommager nos maisons. Mais il l'a été bien plus à Laibach, de sorte que nos chères Soeurs de l'Hôpital général nous ont communiqué par télégraphe qu'elles avaient été forcées de quitter l'hôpital avec leurs malades pour se réfugier au jardin, malgré le froid qui y était survenu. Dans la ville, comme nous venons de l'apprendre, beaucoup de murailles tombèrent et quelques personnes en furent tuées. Mgr l'évêque de Laibach ordonna, pour le lundi de Pâques, que les saintes messes devaient être célébrées hors des églises. Pour le moment, nous sommes sans autre nouvelle de la part de. nos Soeurs, et notre demande télégraphique est restée sans réponse; probablement parce que le bâtiment de l'office télégraphique, comme nous venons de l'apprendre, est près de tomber en ruine.
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18 avril. — Hier, bien tard, mon très honoré Père, nous avons reçu la réponse attendue de nos chères Soeurs. Il y est dit : « Les Soeurs et leurs malades sont placés tous dans le jardin sous des tentes. Les Soeurs sont bien épuisées par les soucis, les travaux et le manque de sommeil. Les bâtiments de l'hôpital ne sont plus habitables. La chapelle est près de s'écrouler ; la sainte messe est célébrée au jardin; bientôt il y aura transfert en d'autres locaux. »
Nous vous prions, mon très honoré Père, de vouloir envoyer votre bénédiction paternelle à nous toutes et surtout à vos pauvres filles de Laibach, et daignez agréer les sentiments du plus profond respect et de la plus filiale soumission avec lesquels j'ai l'honneur d'être, en Jésus et Marie Immaculée,
Mon très honoré Père,
Votre très humble et très obéissante fille,
Soeur LÉOPOLDINE BRANDIS,
1.1". d. ]. C. s. d. p. m.
P. S.—Permettez, mon très honoré Père, que j'ajoute que l'orphelinat de Laibach est aussi bien endommagé, ainsi que l'hôpital des enfants et le Josephinum ; grâce à Dieu, l'église et la maison de MM. les Missionnaires sont à peu près conservées.
Lettre de M. NEZMACH, prêtre de la Mission, à M. A. FIAT, Supérieur général.
Laibach, le 1" mai iSg5.
MONSIEUR ET TRÈS HONORÉ PÈRE,
Votre bénédiction, s'il vous plaît !
La main de Dieu nous a frappés gravement dans la nuit du dimanche de Pâques au lundi. A onze heures et vingt minutes s'est fait sentir ici un terrible tremblement de terre. Les journaux ont exagéré les malheurs de cette catastro-
phe; nous, qui avons tout vu, nous pouvons dire la vérité. A onze heures dix-huit ou vingt minutes du soir du 14 avril, on a senti comme une épouvantable explosion au dedans de la terre, qui souleva les maisons et les fit se balancer quelque temps. La bibliothèque de notre chambre, le chandelier, et d'autres objets tombèrent à terre, la caisse du Procureur s'ouvrit; j'ai ouï nos Frères crier, et le Frère Philippe, qui était alors malade, est tombé du lit à terre.
Au premier coup, nous nous sommes levés et habillés, pour aller avec M. le Supérieur à la salle de la récréation dire les Litanies et prières indiquées au Rituel pour cette calamité. Nous restâmes là environ jusqu'à deux heures après minuit. La vibration de terre durait encore et les roulements se renouvelèrent plusieurs fois; on en compta de vingt à quarante ce jour-là
Quelle confusion et quel trouble dans la ville! Pour tranquilliser et consoler les habitants épouvantés, Mgr l'évêque, à minuit, parcourut avec deux chanoines la ville et se montra partout. Nos Soeurs et les pieuses servantes des malades à l'hôpital enlevaient les malades de leurs lits et les portaient au jardin. On a vu de riches habitants de la ville qui mettaient leurs petits enfants dans des voitures et les emportaient pour les sauver. Environ trois mille personnes, hommes et femmes, se rendirent à la banlieue pour y dormir dans les wagons; c'est ce que fit lui-même M. le gouverneur de la province de Carniole. Ainsi finit la terrible nuit du 14 au i5 avril.
Laibach, la capitale de la Carniole, est maintenant presque vide. Car nous sommes aujourd'hui déjà au dix-septième jour après la catastrophe; mais le tremblement de terre ne cesse pas : les roulements se renouvellent encore, quoique pas aussi forts. Pour nous, nous avons dormi hors de la maison pendant quelque temps, sous la véranda, et les Soeurs, dans une baraque du jardin de l'hôpital.
Quelle terrible conséquence a le tremblement pour Laibach! La ville est ruinée. On a évalué le dommage à 5 millions de florins. Il y a des maisons qui se sont écroulées; il y en a plus de deux cents qu'il faut abattre-et démolir. La plupart des églises de la ville sont aussi ruinées : il faudra ou entièrement ou en partie les démolir. Hors la cathédrale, toutes sont fermées. On dit les saintes messes au marché ou à quelque chapelle de la campagne.
Les Soeurs, à Laibach, ont six établissements; mais aucun n'est aussi gravement endommagé que l'hôpital et son église. On a commencé à les démolir.
Le cabinet impérial, à Vienne, a envoyé ces jours-ci dix ingénieurs à Laibach afin de faire constater les dommages et le danger. Un de ces ingénieurs était hier dans notre maison et à notre église pour faire l'inspection ; le résultat a été que la maison est encore bien conservée et n'a pas beaucoup souffert; mais il a fait fermer l'église. Les curés de la campagne demeurent dans des maisons louées, et cette année il n'y a pas de mois de Marie, pas de prédicacations, pas de messes solennelles : le bon Dieu même a prêché.
Cependant nous travaillons aux missions surtout dans les paroisses où les églises ne sont pas ébranlées. Lundi passé, 29 avril, je retournai de la mission, et, si le bon Dieu le veut, j'irai le samedi 4 mai à une autre mission.
Mon très honoré Père, ayez la bonté de nous recommander aux prières de la famille. Aflagello terroe motus libéra nos Domine !
J'ai l'honneur d'être, Monsieur et très honoré Père, Votre fils tout dévoué et très respectueux.
URBAIN NEZMACH, ■ 1. p. d, 1. M.
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Voici quelques autres détails communiqués par les Filles de la Charité, au sujet de la catastrophe dont on vient de lire le récit.
Notre digne Soeur Léopoldine Brandis, Visitatrice, qui avait un grand désir devoir nos pauvres Soeurs de Laibach et de les consoler, partit de Graz le 6 mai; elle passa la nuit chez nos Soeurs à Cilli, où le tremblement de terre a fait quelques dégâts, mais pas trop considérables; elle repartit le lendemain, à quatre heures du matin, et arriva vers six heures à Laibach, où elle trouva bien triste l'aspect de celte pauvre ville prête à tomber en ruines ; mais nos Soeurs sont, par la grâce de Dieu, très courageuses et dévouées. Ma Soeur Hoppe, Supérieure de l'Hôpital général, la conduisit d'abord à la maison du faubourg d'Utmad, qui, étant toute neuve, n'est pas si fortement endommagée; au moins, on peut y rester sans danger. C'est là que nous entendîmes la messe, après laquelle notre digne Soeur Visitatrice alla de maison en maison voir nos Soeurs, leurs malades et leurs enfants, les encourager et les consoler.
Après le dîner, il fallait se hâter pour arriver à l'hôpital, car à deux heures la circulation des voitures cessait, à cause de l'arrivée de S. M. l'Empereur, qui, étant en route pour Pola, voulut venir lui-même consoler les malheureux et les aider efficacement dans leur détresse. Pour la première fois, depuis le grand malheur, les pauvres habitants étaient dans la joie, à la pensée de voir le monarque bien-aimé.
La première visite de Sa Majesté fut pour l'hôpital. Les médecins et employés de l'hôpital, plusieurs messieurs et dames de l'Association de la Croix-Rouge (qui avaient fourni gratuitement les baraques pour l'hôpital), notre Soeur Visitatrice, avec la Soeur supérieure et plusieurs autres Soeurs qui n'étaient pas occupées auprès des malades, attendaient Sa Majesté au jardin, à la porte d'entrée. Vers trois heures et demie, on entendait déjà de loin les acclamations enthousiastes de la foule, et l'Empereur, avec une grande
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suite, le ministre de la Guerre, plusieurs maréchaux et grands seigneurs, descendaient dans le modeste jardin. Sa Majesté s'entretint un peu avec les médecins d'une manière très affable, et demanda où les malades étaient logés, si personne n'a pris mal et si les baraques promises pourront suffire. Puis, s'adressant à notre digne Soeur Visitatrice, il dit d'un ton très aimable : « Je me réjouis infiniment de vous revoir. » A la réponse que nous étions très heureuses de la grâce que Sa Majesté daignait nous accorder, il dit : « J'ai déjà appris avec quel courage et quelle vaillance les Soeurs ont sauvé leurs malades en si peu de temps. » Et, se tournant vers la Soeur supérieure : « Où est-ce que les Soeurs habitent maintenant? — Dans des baraques, Votre Majesté. — Mais vous avez aussi passé la nuit dehors, même plusieurs nuits, n'est-ce pas? »
L'Empereur adressa encore rapidement la parole aux représentants de l'Association de la Croix-Rouge, puis monta lestement l'escalier, d'où il pouvait voir les dégâts affreux; en descendant, Sa Majesté se tourna vers notre Soeur Visitatrice en disant : « Mais c'est affreux ! le bâtiment est terriblement endommagé ! » Puis l'Empereur retourna au jardin avec sa suite, et alla de baraque en baraque pour voir et consoler les pauvres malades ; il adressa la parole à plusieurs d'entre eux, de la manière la plus affable. Dans une des baraques, Sa Majesté dit à nos Soeurs : « Les pauvres Soeurs ont eu bien peur aussi, n'est-ce pas? et maintenant elles doivent vivre dans des baraques avec leurs malades ; voilà bien l'occasion d'accumuler des trésors pour le ciel. »
Ayant fini la tournée, Sa Majesté retourna vers la porte d'entrée où la voiture l'attendait, et tous ces grands seigneurs suivirent l'Empereur. Voilà que tout d'un coup Sa Majesté rebrousse chemin, passe à travers ces messieurs, s'arrête devant notre Soeur Visitatrice (qui avait suivi de loin avec les autres Soeurs), et, le chapeau à plumes en
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mains, il dit à voix haute, lentement et solennellement : « Ma reconnaissance et ma plus chaleureuse approbation à toutes les Soeurs, pour la charité et le dévouement avec lesquels elles soignent et ont sauvé leurs malades. » Sa Majesté daigna encore adresser la parole à ma Soeur Marie Brandis, en disant : « Ah! je vous reconnais bien! Votre père est maintenant à Vienne, n'est-ce pas? » Puis Sa Majesté monta en voiture, suivie des acclamations et des bénédictions de la foule.
L'Empereur visita encore beaucoup d'autres bâtiments, et on signale plusieurs traits qui montrent combien son coeur est bon et compatissant envers les malheureux; nous en citerons seulement un. En voyant de loin un champ sur lequel les plus pauvres avaient leurs tentes, l'Empereur descend de voiture, va droit vers une de ces lentes, y entre, et le voilà entouré de ces pauvres gens, qui racontent leur malheur; les habitants des autres tentes accourent aussi, et Sa Majesté les console comme un bon père qui compatit à la douleur de ses enfants.
A six heures et demie, l'Empereur visita encore l'hôpital des cholériques, et daigna dire à nos Soeurs qu'il était charmé de l'ordre et de la propreté qui y régnent. A sept heures, Sa Majesté partit pour Pola, ayant promis d'aider la ville le plus efficacement possible.
Notre digne Soeur Visitatrice visita le lendemain encore plusieurs maisons de nos Soeurs qu'elle n'avait pu voir la veille, et elle repartit l'après-midi.
Les Soeurs écrivent aussi que le dimanche 12 mai S. Exe. le Prince-Évêque avait ordonné une procession générale, afin d'implorer la grâce divine. Presque tous les habitants y prirent part, chacun dans sa paroisse. A deux heures et demie, les paroissiens s'étaient rassemblés devant leurs églises respectives ; le curé de Saint-Pierre porta le SaintSacrement, et toutes les processions s'acheminèrent vers une petite chapelle dédiée à la sainte Vierge, qui se trouve
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sur un pré hors'de la ville ; on chanta les litanies des saints. Monseigneur arriva avec son chapitre et tout le clergé de la ville. Il fallut une heure pour que toutes les processions fussent rassemblées.
A la chapelle, on récita d'abord le chapelet avec les mystères douloureux; puis, on chanta les litanies delà sainte Vierge, et, après chaque troisième invocation, tout le peuple entonnait la prière suivante : « O Marie, nous, pauvres enfants d'Eve, misérables et délaissés dans cette vallée de larmes, nous crions en pleurant : Venez à notre secours! » Puis on récita à haute voix l'acte de contrition ; tout le monde pleurait.
On fit alors un voeu solennel. Voici ce qu'on promit: premièrement, tous les ans une procession solennelle se fera le dimanche de Pâques; secondement, cinq messes seront fondées à perpétuité; troisièmement, cette année on jeûnera chaque samedi. Ce dernier voeu n'oblige que ceux qui veulent bien le faire. Puis on récita les prières de l'Eglise contre le fléau du tremblement de terre; Son Eminence donna alors la bénédiction du Saint-Sacrement, et toutes les processions réunies accompagnèrent notre divin Sauveur, caché sous les saintes Espèces, vers l'église Saint-Pierre. Monseigneur porta le Très Saint-Sacrement et donna encore une fois la bénédiction à la foule humblement prosternée ; puis les processions retournèrent dans leurs paroisses en priant et en chantant. Ce spectacle était très émouvant; bien des larmes coulèrent.
Daigne la Vierge Immaculée intercéder auprès de son divin Fils et venir en aide à son pauvre peuple de la Carniole !
PROVINCE D'ESPAGNE
ANTILLES
Des bandes d'insurgés se sont soulevées dans l'île de Cuba (Antilles espagnoles). Le gouvernement de la métropole a envoyé des troupes commandées par le général Martinez Campos pour réprimer l'insurrection.
Lettre de M. RAYMOND GUELL, prêtre de la Mission, à M. A. FIAT, Supérieur général.
Santiago de Cuba, 37 avril 1895.
MONSIEUR ET TRÈS HONORÉ PÈRE, Votre bénédiction, s'il vous plaît !
Vous serez sans do ute bien aise d'avoir quelques renseignements sur notre situation.
Nous avons logé dans notre maison 450 soldats venus de l'Espagne. Les casernes étaient insuffisantes pour recevoir tant de monde, et les maisons de la ville trop petites, de sorte que les pauvres soldats auraient dû coucher sur les places publiques. Il est juste qu'on fasse quelque sacrifice pour la patrie, d'autant plus qu'elle envoie ses enfants pour garder ce qu'elle a justement acquis.
Bien des fois, je me suis rappelé que saint Vincent a logé des soldats à Saint-Lazare. Plaise à Dieu que nous sachions imiter et sa charité et son recueillement au milieu de cette agitation. Pour nous, nous occupons un bâtiment séparé; ce n'est que par le jardin qu'on peut communiquer avec les troupes, et nous tâchons de l'éviter. Tant que la guerre durera, nous aurons, je crois, des soldats à loger ; et elle n'est pas près de finir, malgré les troupes nombreuses que l'Espagne a envoyées et enverra dans cette île. Aujourd'hui,
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la guerre est concentrée dans celte province, et l'on craint qu'elle ne se propage dans les autres. Que Dieu ait pitié de nous!
L'hôpital militaire a vu augmenter le nombre des malades et des blessés, et les Filles de la Charité sont surchargées de travail, bien qu'elles soient la plupart âgées et infirmes. J'ai déjà écrit à M. Garcia, de la Havane, ainsi qu'à M. Arnaiz, afin qu'ils prennent des mesures opportunes.
On calcule que les insurgés en armes sont environ 12 000. Leur approvisionnement se fait facilement par les EtatsUnis qui les regardent avec complaisance. Le gouvernement a de grandes difficultés pour surveiller les côtes de l'île, laquelle a 700 lieues de contour, de sorte qu'il n'est pas aisé d'empêcher la descente d'hommes et de matériaux de guerre. De plus, il y a, à peu de distance, les îles de la Jamaïque, d'Haïti et Saint-Domingue, et à 25 lieues (heures) seulement du cap de Saint-Antoine se trouve le Yucatandu Mexique. Toutes ces circonstances font craindre que la guerre ne soit longue. Puissé-je me tromper!
Recevez lçs sentiments de filiale affection de mes bons confrères, ainsi que ceux de
Votre dévoué, bien qu'indigne fils,
RAYMOND GUELL, 1. p. d. 1. M.
P. S. —A cause du trouble qui, par suite de la guerre, règne parmi le peuple, les missions dans les campagnes, si heureusement commencées, ont dû être interrompues.
PROVINCE D'IRLANDE
NOTICE SUR M. JEAN BURKE
PRÊTRE DE LA MISSION DÉCÉDÉ A MILL-H1LL (LONDRES), LE 7 AOUT I 894
M. Burke avait atteint l'âge de soixante-treize ans, dont il, avait passé cinquante-trois ans dans la Congrégation, lorsque Dieu le rappela à lui le 7 août dernier. C'est donc une longue carrière qu'il avait déjà remplie ; mais, en considérant combien il avait encore conservé d'activité et d'énergie, et combien il continuait encore de répandre l'édification autour de lui, son décès doit être regardé comme une perte sensible.
Notre regretté confrère était né d'excellents parents, dans l'archidiocèse de Tuam, en Irlande. Dès son enfance, il se fit remarquer par son caractère doux et sa tendre piété. Se sentant de bonne heure de l'inclination pour l'état ecclésiastique, il fit ses études préparatoires dans son diocèse natal. Ensuite, son archevêque l'envoya, pour étudier la philosophie et la théologie, au célèbre séminaire national de Maynooth.
Maynooth s'est toujours distingué par les éminentes qualités de son corps enseignant, par la solidité des études qu'on y fait, et par le nombre de ses étudiants qui dépasse aujourd'hui 5oo. Il a fourni à l'Église d'Irlande et aux pays éloignés, des évêques et des prêtres remarqués à la fois par leurs grands talents et par leur esprit ecclésiastique et leur zèle pratique. C'est à Maynooth que la Congrégation des missionnaires de Saint-Vincent-de-Paul est redevable des pierres de fondation de la province irlandaise. De là, sont
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sortis un très grand nombre de missionnaires qui se sont dévoués aux oeuvres entreprises dans l'esprit de saint Vincent, notre bienheureux Père.
C'est dans ce célèbre Séminaire que M. Burke commença ses études préparatoires au sacerdoce. Il avait fait deux ans de philosophie et un an de théologie, lorsqu'il se sentit appelé à entrer dans la famille de saint Vincent. Après avoir fait sa demande d'admission dans la Congrégation, il fut accepté et envoyé, pour faire son séminaire à la maison-mère, à Paris. Là, ses belles qualités se développèrent de jour en jour : sa solide, mais franche piété, faisait l'admiration de ses confrères du Séminaire; sa simplicité d'enfant, jointe à sa belle intelligence, charmait tous ceux qui se trouvaient en contact avec lui. Sa modestie surtout faisait une douce et profonde impression sur ceux qui en étaient les heureux témoins ; ils se la rappelaient après bien des années écoulées, avec édification, et ils en citent encore des traits frappants.
Le noviciat terminé, M. Burke retourna en Irlande où, ayant complété ses études théologiques, il reçut l'ordination sacerdotale et s'adonna avec un zèle calme, mais constant, • aux fonctions ecclésiastiques qui lui furent confiées.
Le premier poste qu'il occupa fut celui de professeur au collège de Castleknock; il y était fort apte, ayant été toujours un élève distingué. Le dimanche, il était envoyé à l'église paroissiale pour faire le catéchisme aux enfants du village, et parfois, pour prêcher aux fidèles rassemblés; c'était sur la demande du digne curé et par l'ordre de son supérieur. Ses sermons étaient simples, mais soignés et souvent vraiment éloquents. Les comparaisons et les exemples dont il se servait étaient heureusement tirés, tantôt de la Sainte-Ecriture, tantôt de l'Histoire de l'Eglise, tantôt même de l'histoire profane. Ayant une connaissance très étendue des Pères, et doué comme il l'était d'une mémoire très heureuse, il enrichissait ses discours de citations par-
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fois imprévues et toujours très bien appropriées qu'il tirait de leurs écrits. A cette époque, sa mine était tellement juvénile que, après un de ses sermons, un paysan disait qu'il n'avait jamais entendu un prédicateur qui le touchât autant que « cet enfant qui était prêtre », M. Burke.
Longtemps, il resta attaché au personnel de la mission. En ce temps, les missions de l'Irlande étaient extraordinairement laborieuses ; elles demandaient une grande énergie et un zèle qui ne se déconcertât pas. Il possédait ces qualités, et ses efforts furent récompensés par des succès dont le peuple et les prêtres, au milieu desquels il travaillait, ont gardé le souvenir. Fréquemment l'obéissance le chargea de donner des retraites au clergé; et il remplit cette mission avec les meilleurs résultats dus à la fois à son savoir varié et sa piété simple, digne et édifiante. Après une de ces retraites, un prêtre, qui y avait assisté et qui était lui-même remarqué par son savoir et son éloquence, faisait observer que c'était vraiment une chose intéressante et étonnante d'entendre M. Burke, aussi jeune encore, faire avec tant de facilité un usage aussi heureux des citations des Pères.
L'archevêque de Dublin, alors Mgr Murray, donna son entière approbation à l'établissement dans son archidiocèse de deux Instituts de sourds-muets, l'un pour les garçons, l'autre pour les filles. De semblables institutions étaient inconnues jusqu'alors en Irlande, en Angleterre et en Ecosse. La pensée de la création en avait été conçue et mûrie par feu notre vénéré confrère, M. Mac Namara. Celui-ci s'était ménagé le concours de quelques laïques charitables et influents. Sur sa demande, les religieuses dominicaines se chargèrent des filles, et les Frères des écoles chrétiennes des garçons; l'un et l'autre arrangement reçurent la sanction et la bénédiction de l'archevêque.
Dès sa fondation, M. Burke porta à cette excellente oeuvre de charité le plus grand intérêt. Pour pouvoir se
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rendre pratiquement utile, il s'appliqua, dans ses rares moments de loisirs, à l'étude du langage figuré des soùrdsmuets. Mais, pour que l'oeuvre fût durable, il fallait la faire connaître, l'encourager, la soutenir par toute l'Irlande. A cet effet, M. Burke fut prié d'aller de ville en ville faire des conférences en faveur de cette charitable institution, et, après avoir obtenu la permission du Supérieur général et celle de son Supérieur particulier, il partit plein de zèle pour cette délicate mission.
Dans sa tournée, il était accompagné de deux petits sourds-muets; il parla devant des auditoires nombreux, et ses efforts furent couronnés d'un succès qui dépassa l'attente.
De larges aumônes furent données pour avancer cette bonne oeuvre; et des enfants, qu'auparavant on laissait courir çà et là, dans l'ignorance des vérités religieuses les plus nécessaires, soit à cause de leur incapacité, soit à cause de la négligence de ceux qui en étaient chargés, peuvent être maintenant envoyés à l'Asile des sourds-muets ; ils y reçoivent une instruction soignée, non seulement au point. de vue religieux, mais encore au point de vue social.
La bonne oeuvre commencée alors continue à se développer et à prospérer, car les deux établissements offrent un abri et donnent une éducation très soignée à environ 600 enfants des deux sexes.
La. mort de notre dévoué confrère, M. Cooney, en l'année 1870, laissa vacante la chaire de morale au séminaire des Irlandais, à Paris; M. Burke fut choisi par ses supérieurs pour remplir ce poste important. Modèle de docilité, il partit pour Paris, aussitôt que la décision lui fut notifiée; car, en lui,- il n'y avait jamais de tergiversation, lorsque l'obéissance était en question. A propos de son esprit d'obéissance, celui qui écrit ces lignes se rappelle qu'ayant un jour demandé à notre regretté confrère,
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lorsque celui-ci se trouvait encore au séminaire des Irlandais, pourquoi il ne se prévalait point d'un privilège dont l'usage profiterait à sa santé sans porter atteinte à aucun principe, M. Burke répondit : « Je vais vous dire ce que je n'ai jamais dit à personne : depuis mon entrée dans la Congrégation, je me suis fait une règle de ne jamais rien demander, ni refuser. Si mes supérieurs m'avaient dit de faire ce que vous me suggérez, je l'aurais fait, mais comme ils n'ont pas cru devoir me le dire, je n'ai pas cru avoir à en faire la demande. »
Les travaux de M. Burke, au séminaire des Irlandais, furent bénis par des succès réels. L'auteur de cette notice l'affirme sur une autorité qu'on ne peut mettre en doute, et il ajoute, comme son opinion personnelle, que, si jamais il est arrivé que le cher défunt ne donnât pas tout ce qu'on eut attendu de lui, il le faut attribuer à sa modestie extrême.
M. Burke occupa la chaire de morale pendant vingtquatre ans; comme il avait atteint alors l'âge de soixantedix ans, on crut bon de le décharger d'un office particulièrement onéreux. En ce moment même, on avait besoin d'un missionnaire expérimenté pour aider le Directeur des Filles de la Charité de la Maison Centrale de la province anglaise, qui se trouve à Mill-Hill, dans la banlieue de Londres; M. Burke fut désigné par le visiteur, le respectable M. Morrissey, comme ayant les qualités nécessaires pour un poste si important. Il accepta avec joie, car son plus grand plaisir avait toujours été de rendre quelque service à nos Soeurs, et sa nomination à Mill-Hill devint pour lui la source d'un réel bonheur. A son arrivée, il dit à M. le Directeur, sans se douter qu'il disait aussi vrai : « Haec requies mea! hic habilabo! C'est ici le lieu de mon repos, c'est ici que je resterai désormais; » il ajouta que c'était la plus haute récompense qu'on pût lui accorder que de lui
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permettre de dépenser le reste de ses jours pour la famille des Soeurs de Saint-Vincent de Paul.
Pendant près de trois ans, M. Burke travailla dans ce champ nouveau et fertile, au grand profit de toutes les âmes qui eurent des rapports avec lui; non seulement les membres de la famille, mais encore les externes ont été grandement édifiés par lui.
Les Soeurs de la Maison Centrale de Mill-Hill payant leur tribut de reconnaissant souvenir à la mémoire du digne M. Burke, déclarent qu'elles ne peuvent oublier son dévouement pour elles pendant son séjour à Mill-Hill : « Elles aiment, écrivent-elles, à s'entretenir souvent de l'édification qu'il a laissée. Sa piété si tendre, sa charité pour tout le monde et surtout pour les pauvres, son humilité, sa parfaite et toute filiale déférence aux moindres désirs de leur digne Directeur, sont pour elles des exemples. Elles les considèrent comme une grâce particulière qui leur a été donnée et qui les aidera dans la pratique des vertus de leur vocation, dont ce digne missionnaire les a si souvent entre- ■ tenues. »
A la nouvelle de la mort de M. Burke, catholiques et protestants, prêtres et laïques, qui l'avaient approché, exprimèrent l'admiration qu'ils avaient pour lui, ainsi que leur regret de l'avoir perdu. C'est le 7 août 1894 que, résigné, confiant et fortifié par les derniers sacrements, il reçut la récompense de ses longs et fructueux travaux. Sa mort a été exemplaire comme sa vie.
M. Burke a été un digne fils de saint Vincent. Il possédait les vertus de son bienheureux père dans une mesure peu commune, quelques-unes à un degré vraiment extraordinaire. Personne ne pouvait passer, même quelques instants dans sa compagnie, sans remarquer son aimable simplicité. Mais la vertu qui le caractérisait et qui semblait résumer toutes les autres, ce fut son obéissance. La docilité qu'il mettait à remplir les désirs de ses supérieurs était
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vraiment touchante. Il semble avoir voulu que tous ses mouvements, même les plus insignifiants, fussent marqués au coin de l'humilité et de l'obéissance.
Sa dévotion à Marie Immaculée était très tendre. Suivant l'exemple de saint Alphonse de Liguori, il voulait ajouter ce nom au sien et s'appeler : Jean-Marie Burke. Sa piété était très tendre sans avoir rien d'affecté.
Sa dévotion au T. S. Sacrement, comme envers la sainte Vierge, était particulièrement frappante. Rarement adressait-il la parole à une réunion sans faire intervenir ses deux chères dévotions, et il le faisait avec tant d'expression que tous ceux qui l'entendaient étaient convaincus que « sa bouche pariait de l'abondance de son coeur ».
ITALIE
ROME
BÉNÉDICTION DE LA CHAPELLE DE LA MAISON SAINT-VINCENT DES FILLES DE LA CHARITÉ
Voici quelques-uns des détails qui nous ont été communiqués sur cette pieuse cérémonie :
La Chapelle de la maison Saint-Vincent, terminée depuis plusieurs semaines, attendait l'arrivée de l'Hôte divin, placé dans un tabernacle provisoire.
Son Éminence le cardinal vicaire, qui avait promis déjà de la bénir, était en ce moment très souffrant et, ne pouvant se rendre à l'invitation qui lui a été faite, a délégué pour le remplacer Mgr Berlucca.
C'est le 19 mars, jour de la fête de saint Joseph, à cinq heures du soir, que s'est faite cette bénédiction dans toute la simplicité et l'intimité de la famille.
Toutes les Soeurs servantes de Rome, avec plusieurs de leurs compagnes, se sont rendues avec bonheur dans cette maison de Saint-Vincent-de-Paul qui est chère à toutes.
Que de grâces, de bénédictions particulières et abondantes ont été demandées pour nos vénérés Supérieurs, pour la chère Communauté, dont tous les membres ont si finalement contribué à l'achat de cette maison et à l'ornementation de celte chapelle où se chantaient alors avec un pieux enthousiasme les versets du Te Deum.
La première messe fut dite le lendemain matin à sept heures. Plus de quarante Soeurs venues des différentes maisons de Rome, étaient rangées d'un côté de la nef; les Enfants de Marie remplissaient l'autre.
Mgr Bisleti fit descendre pour la première fois l'Auguste
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Victime dans ce nouveau sanctuaire. Des chants pieux furent très bien exécutés par les jeunes filles de l'Ouvroir. Le même jour, à quatre heures, un salut solennel, donné par Mgr Thomas, réunissait encore les deux familles aux pieds de Notre-Seigneur. — Cette fête intime et religieuse laisse un doux souvenir; elle a réalisé un des plus chers désirs de nos Soeurs de la maison de Saint-Vincent de Paul.
PROVINCE DE POLOGNE
Lettre de M. SOUBIEILLE, prêtre de la Mission, à M. MILON, secrétaire général de la Congrégation.
Cracovie, 20 mars 1S9D.
MONSIEUR ET BIEN CHER CONFRÈRE,
La grâce de Notre-Seigneur soit avec nous pour jamais!
Voici quelques renseignements qui pourront vous donner une idée des petits travaux de nos Missionnaires missionnants. Nous ne pouvons pas concentrer toutes nos forces dans les Missions. Nous avons le séminaire interne, le professorat pour les clercs et pour les jeunes étudiants, le soin des Soeurs et de leurs écoles, celui des prisons, des hôpitaux. Toutes les oeuvres prennent du monde.
Nos travaux apostoliques se divisent en deux classes : les travaux d'hiver et les travaux d'été.
Les travaux d'hiver, ce sont les retraites que nous donnons dans notre maison de Cracovie aux gens de la campagne, venant un peu de partout, de la Galicie, de la Pologne russe et surtout de la Prusse. Pour avoir de nombreux retraitants, il n'est pas nécessaire de s'industrier. 11 faut, au contraire,-s'étudier à ce que la foule ne soit pas trop grande, car il faut loger tout le monde et le confesser; et encore chacun demande à faire la confession générale et a la prétention de s'adresser aux Missionnaires.
Cette année, les retraites ont commencé le 14 novembre et ont fini avec la semaine de la Sexagésime.
Pendant ces deux mois et demi, 4470 personnes, dont 1 400 hommes, ont pris part à la retraite.
Ces retraites se font de la sorte. Il y a la catégorie des
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hommes mariés, des femmes mariées, des jeunes gens et des jeunes filles. Ces retraites durent depuis le lundi soir jusqu'au vendredi, jour de la Communion générale et de la réception à la Société de tempérance, aux scapulaires et aux diverses Associations.
Pendant le temps de la retraite, on est à l'église à cinq .heures ; prière avec exhortation de la part du Directeur de la retraite. — A cinq heures et demie les messes commencent; les gens chantent les heures de l'Immaculée Conception et divers cantiques. — A sept heures et demie on sort de la Chapelle, on prend un petit déjeuner. La plupart restent à jeun.
A huit heures on rentre, et alors lecture à voix haute, par un des retraitants ou une des retraitantes, d'un catéchisme qui explique admirablement toutes les vérités de la religion. — A neuf heures, une instruction par un missionnaire. Ensuite viennent des prières et de nouveau recommencent les lectures sur les vérités de la religion; de temps en temps le missionnaire qui conduit la retraite arrête la lecture, en fait ressortir l'importance, excite les auditeurs à divers actes de vertu. — A onze heures et demie, examen particulier par le Missionnaire sur certains points qui peuvent le plus intéresser l'auditoire. ■— A midi, on sort de l'église et les braves gens acceptent une modeste réfection qui leur est offerte par les Missionnaires. C'est le plus souvent l'unique repas de la journée.
Avant deux heures, tout le monde rentre à l'église, on chante des cantiques et, à deux heures, un Missionnaire fait une seconde instruction. Après vient le Chemin de la Croix si la foule le permet; puis les lectures avec les explications et les avertissements donnés par le directeur recommencent. On va ainsi jusqu'à six heures du soir. Alors grand sermon. Salut du Saint-Sacrement. La journée estfinie. Les retraitants se retirent dans les endroits qui leur ont été assignés ; ce sont les locaux des Missionnaires. Quand
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le nombre est trop grand, s'il s'agit des femmes, les Soeurs nous viennent en aide pour trouver des logements.
Après le premier jour, les confessions commencent; il s'agit de travailler toute la journée sans perdre une minute. Pour entendre quatre ou cinq cents confessions générales pendant ce court espace de temps, il faut un travail énergique. Des prêtres de bon vouloir viennent à notre aide.
Les fruits qui accompagnent ces retraites récompensent de toutes les fatigues. Au dire de certains, ces retraites produisent plus de bien réel et durable que les Missions. Pourtant nos missions, dont je vous parlerai dans une autre circonstance, sont généralement bien fructueuses.
Je suis, Monsieur et cher confrère, votre tout dévoué en
Jésus et Marie.
■ P. SOUBIEILLE, 1. p. d. 1. M.
PROVINCE DE CHINE
Les lettres suivantes donneront une idée de la situation qui a été faite aux Missionnaires et aux Filles de la Charité pendant la guerre entre la Chine et le Japon. Leurs établissements ne se sont pas trouvés sur le théâtre même de la guerre, mais partout on en a ressenti les terribles elléts.
Pékin, maison de l'Immaculée-Conccption, 12 mars 1S95.
Je ne puis décrire la misère que nous voyons. Notre maison est bien grande et cependant elle est toute remplie; on y voit partout une multitude de petites têtes. Les pauvres meurent de faim, ils se débarrassent de leurs enfants, dont beaucoup sont voués à la mort et malheureusement sans baptême. Les privilégiés de la divine Providence nous sont apportés en grand nombre, souvent trois ou quatre par jour. Chers petits anges, nous en avons près de cinq cents en nourrice et presque autant dans la maison. Tous sont les enfants du bon Dieu; les prendre c'est leur ouvrir la porte du Ciel; les refuser, c'est la leur fermer pour l'éternité. Je n'en ai pas le courage. Je sais bien que notre allocation ne suffira pas, mais j'espère que la Providence y suppléera. Le bon Dieu sait bien que ces pauvres petits délaissés sont les siens et que c'est pour ce motif que nous les aimons et que nous voulons les sauver.
La misère est si générale ici, que l'on s'étonne même qu'il n'y ait pas eu plus de troubles dans la ville; c'est ce qui est à craindre en ce moment. Cette malheureuse guerre traîne en longueur; on n'en voit pas la fin, que l'on espère toujours et qui n'arrive jamais.
Nous n'avons qu'à remercier Dieu et notre Immaculée Mère qui nous ont si bien gardées tout l'hiver et nous ont obtenu la grâce de pouvoir rester à notre poste pendant la
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guerre. J'espère bien que nous ne serons pas obligées de
quitter notre cher petit monde.
Soeur JAURIAS,
I. f. d. 1. C. s. d. p. m. Tclieng-ting-fou, i5 janvier 189J.
Des bruits malveillants et des calomnies furent répandus contre les Missionnaires et les Soeurs, et, le troisième jour de la douzième Lune, des soldats de passage voulurent forcer la maison des Filles de la Charité. Le lendemain dimanche ils revinrent plus nombreux; ils se rendirent àla Résidence en bande indisciplinés et y firent des menaces ! Mgr Bruguière était absent. Le diable jaloux probablement du bien que Sa Grandeur et ses dévoués missionnaires font en prêchant des retraites qui ont été très nombreuses et très consolantes, — il y a eu plus de sept cents retraitants et retraitantes, — excitait le peuple et les soldats ; on assurait que par la dynamite nous allions faire sauter les mandarinats et la ville toute entière!
M. Moscarella fit écrire immédiatement aux trois grands mandarins, très bienveillants pour nous, qui envoyèrent immédiatement des gens armés, pour faire cesser le tumulte et mettre fin à la bagarre. Le sous-préfet lui-même vint à la résidence des Missionnaires pour les assurer de sa protection; il fit placarder à nos portes et à celles de la ville et des mandarinats, de grands édits qui y sont encore et qui, par les explications qui sont données, ramenèrent le calme.
Depuis, nos maisons sont toujours gardées par les soins des mandarins, et nous ne sommes pas troublées. Seulement le dernier dimanche de Tannée se passa sans aucun exercice religieux en commun, à l'église, pour ne pas exciter le peuple, par le son des cloches et le chant des chrétiens.
Nous continuons nos oeuvres, tout en ayant cette année, beaucoup moins de monde au catéchisme et aux classes.
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Dans quelques mois nous connaîtrons les desseins de Dieu sur cette pauvre Chine; nous prions et faisons beaucoup prier. Par suite de cette guerre, tout est plus cher; les denrées même ne peuvent guère arriver, et les soldats, séjournant dans la ville, gaspillent et volent tout ce qu'ils trouvent sous la main. Nous avons bien besoin que la divine Providence veille sur nous d'une manière particulière ; Elle le fait ; nous l'avons bien constaté surtout dans ces
derniers jours.
Soeur GUERLAIN,
t. r. d. 1. C. s. d. p. m. Ticn-lsin, hôpital Sainl-Joseph. 6 avril 1895.
Vous avez sans doute appris l'accident arrivé au vice-roi de Tien-tsin qui est allé a'u Japon pour traiter la paix, et qui a été l'objet, d'un attentat. Sa blessure n'est pas grave. On dit qu'il s'est embarqué hier sans avoir pu faire grand 1 - chose; cependant, ici dans le nord de la Chine, il y a un armistice de trois semaines pendant qu'on continue de se battre dans le midi, à l'île Formose.
Beaucoup de blessés de la Mandchourie et de Weï-haïWeïsont venus à Tien-tsin; jusqu'à présent nous n'avions reçu que des malades isolés de temps en temps, parce qu'ils étaient envoyés à l'hôpital du vice-roi et chez les protestants qui ne sont point inactifs. Avant-hier soir, un des docteurs des concessions vint nous avertir qu'on nous enverrait des blessés ; quelques-uns arrivèrent en effet presqu'aussitôt après, et les autres hier matin. Il y en a cinquante à l'hôpital ; ils sont blessés depuis un mois et quelques-uns assez gravement. N'ayant pas eu de soins jusqu'à présent, ils sont dans un pitoyable état. Le plus grand nombre n'ont que de petites plaies, mais ils sont épuisés de fatigue, et nous sommes heureuses de pouvoir les soulager un peu. On nous a demandé si nous n'aurions pas d'autre
place; mais, avec nos autres malades, l'hôpital est plein.
Comme la Mission a des maisons à quelques minutes de
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distance d'ici, encore sur le territoire de la concession française, nous projetons d'installer là une petite ambulance où nous irons soigner les blessés. Si dans quelques jours les combats recommencent à Ta-kouin, près de Tien-tsin, nous seront alors encombrées, je pense. Pourvu que nous puissions contribuer au salut de quelques-unes des âmes de ces pauvres soldats, nous serons bien dédommagées de nos peines.
Des troubles ont été suscités à Tchen-ting-fou par les soldats de passage. Par précaution, Mgr Bruguière a envoyé alors six des Soeurs chez nous ; elles y sont encore en ce moment, et elles nous aident à soigner les blessés. Elles espèrent que la guerre ne sera pas trop longue et souhaitent que la paix se rétablisse afin de pouvoir retourner dans
leur chère Mission.
Soeur M.-T. DEREU,
I. f. d.l. C. s. d.p. M.
La paix a été conclue entre la Chine et le Japon au mois d'avril par un traité signé à Simonosaki et dont le Japon a dicté les conditions. Mais la famine et la misère, conséquences de la guerre, continueront encore pendant longtemps à se faire sentir.
RAPPORT SUR LES MISSIONS
PAR M. BETTEMBOURG
PROCUREUR GÉNÉRAL DE LA CONGRÉGATION l894
( Suite i)
CHINE
VICARIAT DU TCHÉ-LY SEPTENTRIONAL
Pour donner un aperçu de la situation véritable et de l'importance de la mission de Péking, je crois ne pouvoir mieux faire qu'en copiant purement et simplement le tableau des fruits spirituels de l'année dernière ( 1893 ) :
1. Localités où sont établis des chrétiens que les Missionnaires
visitent chaque année 460
2. Nombre approximatif de chrétiens 38 63g
„ _ .. , , \ des enfants païens 1 618
o. Baptêmes confères a , , lt
r ' des adultes 1 igy
4. Catéchumènes donnant des espérances sérieuses de conversion
conversion 304
5. Confirmations administrées 1 53o
. _ l annuelles 26 606
6. Confessions , ,, .. .,, „ c
/ de dévotion ao 620
_ . 1 annuelles ., 21 847
7. Communions <_,,-.. E
' I de dévotion 32 244
8. Extrême-Onction administrée 621
g. Mariages bénis 317
( grandes, avec résidence pour les missionnaires. -i5
.- ,. ) petites, ou chapelles publiques 160
10 Lslises s r > '
5 J oratoires privés, mais fréquentes par les chré(
chré( 106
( Européens 23 }
11. Missionnaires lazaristes ) Chinois i3 (
' Frères coadjuteurs européens 4? Prêtres séculiers indigènes n)
1. Voy. t. LIX, p. 162, 228 et 541.
— 3g7 —
( Européen : élèves 28 1
12. Collèges ] Franco-Chinois : élèves. , i5o .' 248
' Chinois : élèves 70 )
( prêtres 6 -.
i3. Trappistes européens et indigènes j religieux de choeur 16 > 44
- frères convers. . . 22 )
14. Petits Frères de Marie 18
( élèves au grand 21 I
10. Séminaires ; ... „„.-,. ( 63
! élevés au petit 42 1
/ nationale : élèves 10
( de garçons 71
\ — élèves 1 oo3
16. Écoles < de filles 70
j — élèves 1 3o5
[ catéchuménats 25
V catéchumènes qui y sont venus étudier .... 779
( Filles de la Charité 36
17. j Filles de Saint-Joseph, toutes indigènes 5o
l Vierges qui vivent dans leur famille 342
18. Personnes pieuses admises pendant l'année dans les
Confréries 1 3g 1
ig. Nombre de malades admis dans les trois hôpitaux desservis par les Filles de la Charité 4 021
20. Pauvres et malades soignés dans les trois dispensaires. io5 332
21. Vieillards dans les hospices 73
22. Retraites spirituelles prêchées 1S2
Ce tableau d'oeuvres et de résultats est, ce me semble, des plus consolants. Il me serait facile de parler longuement du bien accompli, de l'influence des Missionnaires et par conséquent de la religion auprès des hauts fonctionnaires chinois, et aussi auprès des représentants des nations européennes, catholiques ou autres.
Quant aux oeuvres de la Mission, elles se développent de plus en plus, dit Mgr Sarthou dans son rapport que je copie :
« Le nombre d'infidèles qui entrent dans le giron de la sainte Église devient plus considérable; et n'était le tapage et les tracasseries des RR. ministres anglais, américains, allemands, suédois, un certain nombre de leurs adeptes chinois s'adjoindraient à nos néophytes; donc ces missionnaires de l'erreur travaillent indirectement pour nous. Il y
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a tel et tel de nos districts où nous enregistrons chaque année quelques conversions de cette nature au catholicisme; plusieurs centaines de ces hérétiques se sont déjà fait inscrire à nos catalogues des catéchumènes. Malheureusement leurs coreligionnaires leur suscitent des persécutions en les attaquant devant les mandarins, dont plusieurs découvrent les odieux mensonges et tranchent en faveur des catholiques. Pour lutter avec avantage, nous aurions besoin de plus de ressources, hélas ! Toutefois, je tiens à montrer que nous ne capitulons pas devant les protestants. Depuis longtemps ils étaient fortement établis à Tien-tsin, y avaient ouvert une sorte de collège pour les enfants européens, dont la plupart sont protestants. Nos Petits Frères de Marie, par leur dévouement, leur enseignement et leurs bonnes manières gagnèrent à un tel point la confiance des familles dès leur arrivée, qu'elles s'empressèrent de retirer leurs enfants des mains des ministres pour les confier à nos bons frères. Les écoles protestantes furent entièrement délaissées.
« A mesure que nos néophytes se multiplient, il est nécessaire d'ériger de petites chapelles ou oratoires pour leur faciliter le moyen de se réunir les dimanches et fêtes. Chaque année, nous élevons ainsi quelques modestes petites chapelles, et nous dépensons au moins une dizaine de mille francs. Pour remplacer chaque année dans les endroits qui ont huit cents à mille chrétiens certains hangars vermoulus par de petites églises coûtant environ 5 ooo francs chacune, il nous faudrait une autre dizaine de mille francs. Ces petites églises à construire sont au nombre de dix à douze. Nous avons le projet d'en bâtir une ou deux chaque année. »
Dans le vicariat de Péking, on compte 4 maisons de Filles de la Charité et 6 maisons de Filles de Saint-Joseph. Celles-ci cherchent à implanter ou acclimater dans l'intérieur les oeuvres auxquelles elles ont été initiées par les Filles de la Charité. Pour donner une idée du bien qui
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s'accomplit dans ces maisons, je fais quelques emprunts au rapport de soeur Jaurias, supérieure de la maison principale de Péking :
« L'école externe compte actuellement 160 enfants ou jeunes filles entièrement à la charge de la maison; elles sont nommées externes parce qu'elles appartiennent à des familles connues, chrétiennes, mais la plupart très pauvres et ne donnant rien pour leurs enfants, qui ne retournent chez elles qu'à l'époque de leur mariage. Bon nombre de jeunes chrétiennes n'ayant chez leurs parents aucun moyen de s'instruire de la religion et manquant même du riz de chaque jour, ne peuvent être reçues à l'externat faute de ressources pour les nourrir et les entretenir.
« Le dispensaire, où se rendent environ 3oooo malades par an, contribue beaucoup à dissiper les préjugés des infidèles, à les rapprocher des chrétiens; plusieurs parmi les malades pauvres consentent à entrer dans l'un des hôpitaux catholiques où ils meurent baptisés; d'autres se convertissent, et, rentrés dans leurs familles, les amènent à la vraie foi.
« Le catéchuménat, transféré de Cha-la-eul à la maison de l'Immaculée-Conception, est ouvert pour les femmes et veuves chinoises. Il compte une quarantaine de personnes : c'est afin de les recevoir et de les loger qu'on a dû construire deux salles. Nourriture et chauffage très coûteux mais indispensable; même une partie des vêtements doivent leur être fournis gratuitement, alors que nous ne recevons aucune rétribution des chefs de districts ou des répondants de ces braves femmes. Seize ont pu être admises au saint baptême; le seul motif qui arrête l'extension de cette oeuvre est encore le manque de ressources suffisantes. »
VICARIAT DU TCHÉ-LY OCCIDENTAL
Quoique ce vicariat soit moins important que celui de Péking. sa situation générale n'est ni moins prospère, ni
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moins consolante. Je me plais à le démontrer aussi par le tableau de ses oeuvres :
i. Nombre approximatif de chrétiens 29734
d'adultes 3io
2. Baptêmes , ,. , ,
r 1 de catéchumènes gg3
3. Églises • 46
4. Chapelles publiques ^o
/ ... . ... ( européens i5 \
■■ ~, ,1 Missionnaires lazaristes j , . . / „
3. Cierge .' ( chinois 11 } 32
( Prêtres séculiers indigènes 0 )
6. Séminaires : élèves 25
7. Collège : élèves 5o
8. École normale de filles élèves 44
( de garçons 47
o. Écoles ) - élèves 79°
} de filles 26
( — élèves 597
10. Catéchuménats 35
—■ néophytes 826
1 Filles de la Charité 10
' ( Filles de Saint-Joseph (indigènes) 48
12. Malades soignés à l'hôpital 54.3
i3. Malades soignés au dispensaire . iq 291
14. Enfants païens baptisés à l'article de la mort 36 383
Ces chiffres comparés à ceux des années précédentes sont une preuve de la marche ascendante de la religion dans cette partie de la Chine.
VICARIAT DU KIANG-SI SEPTENTRIONAL
On se rappelle que la création de ce vicariat ne date que de i885. Quoique Mgr Bra)r ait établi déjà bien desoeuvres, il en manque encore; les chapelles, les écoles et les catéchuménats font défaut dans bien des localités où se trouvent des familles chrétiennes. Ce vicariat relativement récent a son centre à Kiu-kiang, qui est un port de second ordre sur le Yong-tse-kiang; on y compte beaucoup d'Européens; la très grande majorité est protestante, c'est dire que les ministres et les diaconesses y abondent et font étalage de leurs oeuvres avec un luxe d'autant plus facile qu'ils sont
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riches et que la mission catholique est pauvre. Dans le but de lutter contre l'influence protestante, particulièrement auprès des autorités chinoises, Monseigneur a voulu commencer par établir solidement les établissements catholiques de Kiu-kiang. Il n'est pas parvenu à ce résultat, qui primait à ses yeux, sans de grands sacrifices.
Monseigneur n'a cependant réalisé que le strict nécessaire. Le vieux hangar qui servait d'église* suffisait alors pour les fidèles de la localité; il ne songea pas un instant à construire une église même très modeste pour le centre de la mission. Aujourd'hui cet abri menace ruine et est insuffisant pour le nombre des chrétiens; Monseigneur doit se proposer de le remplacer.
C'est là en effet un projet qui s'impose. Il n'est que trop juste qu'il y ait au moins une église, je ne dis pas qui l'emporte s«r le temple protestant de Kiu-kiang, mais seulement convenable dans tout ce vicariat. Ailleurs on se contente de très modestes chapelles; on serait trop heureux d'en avoir partout où le besoin est pressant.
Voici le tableau de la situation de ce vicariat; ces chiffres seront des plus éloquents si l'on veut bien se rappeler la création récente de ce vicariat, l'abandon où il était et les épreuves qui ont déjà fondu sur lui :
i. Nombre approximatif de fidèles 5 009
2. Baptêmes de catéchumènes 600
3. Missionnaires européens 7
4. Prêtres indigènes 4
5. Filles de la Charité 10
6. Chapelles 6
7. Oratoires 20
8. Écoles 20
9. Catéchuménats S
io. Pauvres et malades soignés au dispensaire 14 418
il. Malades soignés à l'hôpital 637
On remarquera sans doute qu'il n'y a point de séminaire dans ce vicariat; il en est de même au Kiang-si oriental. Mais on ne saurait qu'applaudir à la pensée qui a provo27
provo27
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que cette mesure : par raison d'économie pour le personnel et les ressources, les trois vicariats apostoliques se sont entendu pour n'avoir qu'un seul petit et grand séminaire, et c'est au Kiang-si méridional qu'on a résolu de l'établir.
VICARIAT DU KIANG-SI ORIENTAL
Les oeuvres de cette mission paraissent être en très bonne voie et font concevoir les plus belles espérances. Pour s'en convaincre, il n'y a qu'à parcourir le tableau de l'état du vicariat :
i. Nombre approximatif de fidèles n goo
2. Catéchumènes i 622
, _ ( d'infidèles à l'article de la mort 4 680
3. Baptêmes j ,, , ■.„ ,
r ( d'adultes 304
, Églises 2
4. ) Chapelles 25
( Oratoires 32
5. Nombre de chrétientés 2i5
! Missionnaires européens de la Congr, de la Mission. . i3
Missionnaires chinois 3
, Prêtres séculiers indigènes 6
/ de garçons 3o
1 — élèves 532
7. Écoles | de filles 5o
I — élèves 874
V Catéchumènes 487
8. Vierges vivant dans leurs familles 80
/ Orphelinats 4
g. ! Nombre d'enfants 620
( Enfants en nourrice 63g
Ces résultats sont^assurément des plus consolants ; ils tendent à devenir plus considérables; le vicaire apostolique fait part dans son rapport de ses espérances : « De tous les points de cette mission, écrit-il, se lèvent de nombreux néophytes qui ne demandent qu'à être instruits de notre sainte religion. Je demanderais non à provoquer, ni même à favoriser ce mouvement de conversions, mais au moins à le suivre; que d'âmes nous sauverions !... Hélas ! il nous faut
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tout ramener à cette terrible et cruelle question : nos ressources sont-elles suffisantes pour faire face à cette nouvelle dépense?... Les sueurs et le sang de nos aînés nous ont préparé une ère de prospérité relative, que les prévisions humaines, il y a moins de cinquante ans, ne pouvaient guère entrevoir. Aujourd'hui, les préjugés sont tombés; non seulement nous sommes tolérés, mais nous avons les sympathies et nous sommes désirés par la foule. Pour gagner les lettrés, il n'y faut pas compter ; avec leur Confucius, ils n'apprendront qu'une seule chose : la science de la vanité et de la suffisance, de la duplicité, du mensonge et de l'injustice.
« La liberté dont nous jouissons nous permet de nous établir, de développer nos oeuvres et de nous organiser à notre gré, à peu près partout. Le moyen que j'estime le plus efficace en Chine pour gagner les esprits et étendre notre influence, c'est surtout l'instruction, par la fondation d'écoles. Mais, pour assurer le succès de cette oeuvre, il nous faut créer une sorte d'école normale ; de là, une source de dépenses qui m'effraie et me désespère parfois ; puis il y aura la question des écoles à construire, à entretenir, etc. « Oh ! si l'OEuvre de la Propagation de la Foi pouvait nous fournir les moyens de créer de nombreuses écoles ! que de bien n'accomplirions-nous pas ? Nos élèves deviendraient peu à peu autant d'apôtres dans leurs familles, chez leurs voisins ! Le passé, dit-on, est bien un peu prophète de l'avenir ; or, les chrétientés nouvelles n'ont point en général d'autre cause. Au besoin, ajoute Mgr Vie, nous appellerions à notre aide une congrégation enseignante, comme on l'a fait à Péking, où les Petits Frères de Marie sont de si utiles auxiliaires de la mission. »
VICARIAT DU KIANG-SI MÉRIDIONAL
Cette mission se relève peu à peu de ses épreuves passées; chaque année elle voit sensiblement croître le nombre de
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ses fidèles, celui de ses établissements et de ses oeuvres. Mgr Coqset et ses confrères savent au prix de quels efforts, de quelles fatigues et privations ils obtiennent ces résultats que j'ai consignés dans le tableau de la situation générale de ce vicariat ; en le parcourant, on voudra bien se souvenir •qu'il y a moins de quatorze ans, cette mission n'existait pas; que, depuis, elle a été plusieurs fois sous le coup d'épreuves qui ont failli la détruire et qu'aujourd'hui encore elle est loin de jouir de la même liberté que sa voisine dont je viens de parler.
i. Nombre de fidèles 4200
2. Catéchumènes 35o
3. Baptêmes d'enfants chrétiens et adultes . . 271
4. Églises 5
5. Chapelles publiques 17
( Prêtres de la Congrégation de la Mission 8
' | Prêtres séculiers indigènes 3
7. Résidences de Missionnaires 3
8. Chrétientés visitées 125
\ Grand séminaire: élèves 16
"" ( Petit séminaire : élèves 3o
I de garçons -, i3
l — élèves i85
û„„i„„ / de filles 3
10. Jttcoles \ , ,
j — élevés 84
f catéchuménats 4
1 — catéchumènes étudiants . 143
Sans doute ces chiffres sont modestes, eu égard à la plupart des missions précédentes, mais je crois que c'est celle de nos missions qui mérite le plus d'encouragement et où nos confrères trouvent le plus de mérite. Outre l'éloignement des chrétientés les unes des autres, les chemins ou les sentiers de communication sont plus que rares et c'est à pied qu'il faut parcourir les distances et gravir les montagnes qui les séparent. De plus, toutes les oeuvres sont à réédifier puisqu'elles ont été précédemment détruites ; c'est une à une qu'on les relève péniblement et non sans s'être demandé bien des fois s'il n'est pas téméraire de les entre-
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prendre avec un budget aussi réduit, et si une autre oeuvre plus vitale n'urge pas davantage et ne ferait pas plus de bien. Ce sont là les préoccupations et les craintes de chaque jour de Mgr Coqset et de ses confrères.
Mgr Coqset se propose de recommander particulièrement à votre charité la double oeuvre des écoles et des catéchuménats ; il a la conviction intime que c'est par l'extension et la multiplicité de ces deux moyens que l'on répandra le plus sûrement et le plus rapidement notre sainte religion à travers la Chine.
J'ajouterai, ainsi que je l'ai dit plus haut, que c'est dans ce Vicariat qu'ont été établis le petit et le grand séminaire, des trois missions de la province du Kiang-si.
VICARIAT DU TCHÉ-KIANG
Sur la Chine, je termine par cette mission bien connuede la plupart des membres des Conseils de l'OEuvre de la Propagation de la Foi. Les années précédentes, je me suis permis de rapporter les paroles découragées et alarmantes de Mgr Reynaud, en face de ses immenses et urgents besoins et de ses ressources désespérément insuffisantes ::
« Mes confrères et moi, écrivait-il, nous ne marchandons ni nos sueurs, ni nos privations de toutes sortes;, notre sang même ne suffirait pas, il faut de l'argent pour faire quelque bien en Chine. »
Le tableau comparatif de la situation générale de cette
mission, en i883 et en 1893, démontrera victorieusement
combien sont fondées les réclamations pressantes de;
Mgr Reynaud :
1883 1893
1. Nombre de chrétiens 6 332 g 120
2. Chrétientés 80 IOQ
1 Églises S 10
3. ! Chapelles de communauté '. 4 10
I Oratoires 34 54
4. Catéchumènes 6i5 2987-
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1883 i8g3 [ de garçons 18 35
5. Écoles l ~ élèves 263 576
) de filles 5 14
\ — élèves g2 34g
, i Hôpitaux 4 6
( Malades 1 275 2 849
( Dispensaires 2 4
'" ( Personnes traitées 33 742 gg 653
j Missionnaires 18 22
' j Frères coadjuteurs '..... 1 2
( Grand séminaire : élèves 7 8
"' ( Petit séminaire : élèves i3 20
10. Filles de la Charité 24 32
11. Visites à domicile (oeuvre récente) » 47 898
S Orphelinats » g
Garçons » 86
1 Filles » 677
I Enfants en nourrice » 714
Ainsi que ces chiffres le démontrent, cette mission est en voie de progrès inespéré après de longues années d'état stationnaire. L'heure du réveil semble avoir sonné, le nombre des catéchumènes, 3 000 environ, indique le travail qui se fait dans les esprits en faveur de notre foi. Tout le Tchékiang connaît les missionnaires et n'ignore pas qu'ils sont les ministres d'une religion dont font partie maints de leurs compatriotes ; les Filles de la Charité avec leur cornette blanche sont aussi très populaires dans la plus grande partie de cette province; on les appelle «des oiseaux blancs d'Europe! »
II est certain que c'est en très grande partie, après Dieu, aux oeuvres hospitalières de charité, relativement nombreuses dans ce vicariat, que l'on doit ce chiffre étonnant de catéchumènes et qu'on provoque la curiosité sympathique et l'estime de la part des païens. Mgr Raynaud se propose de reconstruire l'hôpital de Ning-Po qui menace ruine et d'agrandir celui de l'archipel deThousan. Bien entendu, il ne s'agit pas d'hôpitaux comme ceux d'Europe ; avec une
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dépense de 3o ooo francs au plus on assurerait le fonctionnement parfait de ces deux établissements. Monseigneur voudrait aussi construire un petit séminaire et une résidence centrale à Ning-Po.
SYRIE
I. OEUVRES DES MISSIONNAIRES
BEYROUTH. 5 prêtres; 4 frères coadjuteurs. — C'est la maison du Visiteur et celle où se trouve l'administration centrale pour toutes nos oeuvres en Syrie, en Palestine et en Egypte, soit des Missionnaires, soit des Filles de la Charité. Pour se rendre compte des travaux auxquels sont appliqués les prêtres de cette maison, je transcris simplement le rapport du Supérieur : « La maison des Missionnaires de Beyrouth s'occupe surtout des oeuvres des Soeurs. Ce sont eux qui catéchisent et confessent tous les enfants qui fréquentent leurs classes et leurs ouvroirs; ils dirigent aussi les nombreuses congrégations de jeunes filles établies par les Filles de la Charité. Le service de l'hôpital réclame à lui seul la sollicitude d'un Missionnaire. Nous avons des périodes où le travail est accablant. Notre église qui est très grande et commode attire énormément de monde; et les dimanches et fêtes elle est toujours remplie. On y prêche tous les dimanches; durant le mois de mai, il y a deux instructions par semaine. Les confessionnaux sont assiégés surtout par les pauvres ; c'est' là notre partage. Il nous arrive aussi beaucoup de gens de la montagne qui désirent tranquilliser leur conscience. Nous les recevons volontiers, mais cela demande du temps et de la peine.
« En somme, la maison fait du bien, et tout le monde est surpris qu'avec si peu de monde nous puissions mener de front tant d'oeuvres importantes. On nous demande pour les missions dans les villages, mais tant que nous ne serons pas plus nombreux, il nous sera impossible d'y aller. « Nos dépenses sont relativement fortes, d'abord à cause
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des frais d'entretien qui, en ce pays, sont toujours très élevés, ensuite à cause de la situation de la maison qui sert de pied-à-terre et de lieu de halte aux Missionnaires de la province. De plus, il ne se passe presque pas d'année où il ne faille venir au secours soit de quelqu'une de nos maisons, soit des pauvres du pays qui sont nos enfants et que nous ne pouvons pas repousser. Notre église, qui est une des principales de la ville, n'a aucune ressource propre; l'entretien exige d'assez fortes dépenses. En cetteannée 1893, on a dépensé pour l'église près de 2 000 francs en réparations et achat d'ornements nécessaires. Notre petit orphelinat agricole de Moer-Mitri, où se trouvent deux de nos frères coadjuteurs, fait à peu près-ses frais; depuis quelque temps nous avons même fait quelques bénéfices que j'estime monter à environ 800 francs. »
Ce sont aussi les Missionnaires de cette maison qui visitent la très grande partie des villages où sont établies nos cent douze écoles. On se rappelle la fondation de cette oeuvre que Dieu continue à bénir d'une façon particulière, et qui fait un si grand bien et aux maîtres et aux élèves. Les maîtres de ces écoles sont les curés des villages ; autrefois ils travailaient leurs champs de leurs propres mains; ils ne célébraient guère la sainte messe que le dimanche, parce qu'ils ne recevaient point d'honoraires et que le travail de leur coin de terre urgeait ; aujourd'hui, nous avons pris des arrangements avec les curés de ces cent douze villages, et nous louons ou achetons, suivant les circonstances et l'état de la bourse, une maison où ils réunissent les enfants. Un Missionnaire est particulièrement chargé de cette oeuvre; il passe son temps à parcourir la montagne et va surprendre son monde pour s'assurer que tous sont à leur poste et que les engagements sont sérieusement exécutés. ANTOURA. Collège. — 10 prêtres; 9 frères coadjuteurs; 3oo élèves. La situation de cet établissement continue à prospérer.
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Il est tellement en vogue, que plusieurs jours avant la rentrée on a dû avertir les familles, par la voie des journaux, que toutes les places étaient occupées, qu'on était dans l'impossibilité de recevoir un plus grand nombre d'enfants; on priait en conséquence les parents de ne point prendre la peine de venir au collège, qu'ils y essuieraient un refus certain. Malgré cette précaution, beaucoup se présentèrent et on fut dans la nécessité de louer des maisons dans le village et d'y installer tant bien que mal un certain nombre d'élèves.
TRIPOLI. Mission. — 4 prêtres; 3 frères coadjuteurs. Les oeuvres de cette maison comprennent l'aumônerie de la maison des Filles de la Charité, qui compte plus de six cents personnes, et les missions dans la montagne. L'oeuvre capitale de cette maison est celle des missions parmi les Maronites du Liban. Nos confrères ne réussissent jamais à satisfaire aux nombreuses demandes qui leur sont adressées; ils ont pris le parti de s'adjoindre, pendant les huit mois que durent les missions, des prêtres zélés du pays : « Les résultats de nos courses apostoliques, écrit le Supérieur, sont merveilleux; la gloire de Dieu et le salut des âmes y sont intéressés au delà de ce que je puis dire. » AKBÈS. •— 2 prêtres; 2 frères coadjuteurs. Nos confrères font là beaucoup de bien. Il y a une douzaine d'années, on ne comptait à Akbès et dans les environs que cinq cents catholiques, aujourd'hui ils atteignent le chiffre de deux mille. C'est là, sans contredit, un très beau résultat. Malgré ces succès, nous nous demandons parfois si nous n'allons pas nous trouver dans la nécessité de remettre cette mission à Mgr le délégué de Beyrouth. La pénurie de notre personnel et de nos ressources nous force de songer à cette mesure. De plus, le départ probable et prochain des Trappistes qui s'étaient établis dans le voisinage de nos confrères, va peut-être hâter la décision, à moins que la divine Providence ne vienne à notre aide.
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DAMAS.— 6 prêtres; 4 frères coadjuteurs; 200 élèves dans les classes ; aumônerie de la maison des Filles de la] Charité.
Voici le compte rendu de l'année scolaire 1892-1893, que nous adresse le Supérieur de cette maison; il vous mettra plus à même, je l'espère, de juger quelle est l'étendue de nos besoins pour l'avenir :
« Nous avons, à Damas, des oeuvres multiples qui exigent de nous non seulement une grande sollicitude, mais encore des sacrifices pécuniaires considérables. Ainsi, pour notre collège, étant donné le petit nombre de Missionnaires (5), nous sommes obligés de prendre, pour nous aider, de nombreux collaborateurs, ce qui est pour notre budget une lourde charge. Nous devons prendre les meilleurs, ceux qui ont une certaine réputation dans le pays pour la langue arabe, afin de conserver à notre établissement la réputation qu'il a su se conquérir. Dans ce collège, nous recevons des pensionnaires et des demi-pensionnaires qui payent quelque chose, et c'est là notre unique ressource, ressource aléatoire comme toutes celles de ce genre.
« Parallèlement à cette oeuvre, nous avons encore chez nous une école externe, très fréquentée par les enfants pauvres, et celle-ci complètement à notre charge; les élèves de cette école sont nombreux, cent quinze à cent vingt, et ils le seraient davantage si nous pouvions leur offrir les avantages qu'ils trouvent dans d'autres établissements, en particulier chez les protestants, qui donnent gratuitement les fournitures classiques aux élèves de leurs écoles. Cela ne paraît rien, quelques livres et un peu de papier, et cependant c'est énorme pour les gens de ce pays. C'est un grand sacrifice pour eux de donner 1 franc ou 1 fr. 5o pour un livre; et, en effet, c'est la journée d'un ouvrier à Damas. Voilà le défaut de notre cuirasse ; je tiens à vous le faire connaître, persuadé que vous y apporterez remède dans la mesure qui vous sera possible. Vous voudrez nous aider,
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en augmentant notre allocation, dans cette oeuvre si intéressante de l'enseignement de la jeunesse qui porte déjà de bons fruits, car nous avons autour de nous des enfants de tous les rites orientaux; les catholiques dominent, mais les dissidents trouvent chez nous une instruction religieuse qui apporte la lumière à leur esprit et les rapproche insensiblement de Rome. Nous avons eu la consolation de voir rentrer dans le giron de l'Église un de nos professeurs, ancien élève de notre maison; lui et sa mère ont quitté le schisme et se sont faits catholiques.
« Quant aux Musulmans, c'est bien malgré eux qu'ils nous ont quittés, et vous apprendrez avec plaisir qu'ils commencent à nous revenir ; nous en avions à peu près vingt-cinq cette année parmi lesquels cinq fils du consul de Perse, et plusieurs grands jeunes gens employés au sérail ; ils venaient chaque matin prendre des leçons de français avant de se rendre à leur bureau.
« Là encore notre action n'est pas à dédaigner ; ces enfants ne connaissent les chrétiens que d'après les paroles de leurs cheiks, mais ils nous voient à l'oeuvre ; quand ils ont respiré l'atmosphère chrétienne, bien des préjugés tombent, chez eux d'abord et ensuite dans leurs familles. D'ailleurs, notre position nous met nécessairement en rapports avec les parents, et nous sommes vraiment surpris de la cordialité que nous rencontrons dans ce milieu. Plusieurs pachas qui avaient leurs enfants chez nous, continuent à nous témoigner l'amitié la plus sincère ; qu'il me suffise de dire qu'avec l'aide et l'appui de ces personnages, j'ai pu arranger des affaires très compliquées et qui intéressaient grandement notre mission. Que vous dirai-je encore? Nous avons notre église qui, sans être paroisse, réunit un assez grand nombre de fidèles, auxquels nous devons le secours de notre ministère. Nous sommes aussi chargés des enfants des Soeurs, quatre cent cinquante à cinq cents. Nous leur donnons tous nos soins pour l'instruction religieuse, la
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réception des sacrements, les retraites, etc Ces quelques
détails suffiront pour donner une idée de nos oeuvres à Damas; ces oeuvres prospèrent, mais elles deviendraient plus florissantes encore si nos ressources étaient au niveau de notre bonne volonté. »
2. OEUVRES DES FILLES DE LA CHARITÉ
BEYROUTH. Miséricorde. — 3y soeurs; 924 enfants dans les classes ; école normale pour les villages de la montagne; 2 ouvroirs externes ; nombreuses réunions de charité, de pauvres; visites des familles à domicile; enfants trouvés ; n5 000 pauvres ont reçu des soins et des remèdes au dispensaire.
Cette maison a été créée en 1846 ; depuis lors elle a eu à sa tête la respectable soeur Gelas I. Cette bonne soeur a été l'instrument docile et confiant dont la Providence s'est servi pour établir les diverses et florissantes oeuvres des Filles de la Charité qu'on voit aujourd'hui en Syrie. La Miséricorde de Beyrouth a été la ruche active d'où elles se sont successivement échappées. On a vu, par l'énumération faite ci-dessus, le grand nombre d'oeuvres qui sont comme tassées dans les vieux bâtiments de la Miséricorde. Malgré leur installation un peu primitive, c'est-à-dire modeste, elles sont toutes très prospères. Je ne veux ici arrêter l'attention que sur les écoles de la montagne. On sait que la soeur Gelas en a été la créatrice. Dans une de ses lettres, elle écrit : « Le clergé et les villageois font de vives instances pour augmenter le nombre de ces écoles ; les ressources permettent à peine de soutenir celles qui sont établies. L'Angleterre et l'Amérique répandent l'or avec profusion pour corrompre ce pauvre peuple. Malgré leurs prodigieuses libéralités, elles ne remportent pas de succès. A
1. Voyez t. LIX, p. 271 ; les Maisons de Syrie ont été constituées l'année dernière (1894) en Province distincte.
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Oidi-Chare, une bonne maîtresse, remplie de l'esprit de saint Vincent, déjoua tous leurs pernicieux projets ; elle montra, avec son coeur d'apôtre, aux gens du village, leur culpabilité de laisser l'erreur s'introduire au milieu d'eux. Par ses remontrances elle décida tous les parents à retirer leurs enfants des écoles protestantes. Trois fois les protestants tentèrent de s'établir à Oidi-Chare, et trois fois ils durent se retirer devant le zèle de cette jeune fille. — Comme il n'y a guère dans les villages que nos écoles pour les jeunes filles, écrit encore la soeur, il arrive que toutes les autres enfants sont élevées dans une ignorance complète de la religion ; ces maronites, dont on vante tant l'attachement à la foi, savent à peine faire le signe de la croix et réciter le Pater. Chaque année, il descend du Liban un grand nombre de ces jeunes filles pour travailler dans les filatures des environs de Beyrouth. Nous avons établi un patronage exprès pour elles ; nous les attirons chez nous le plus possible, afin de les soustraire à ce milieu contagieux où elles vivent. Les directeurs de ces usines, qui sont catholiques, se prêtent volontiers à seconder le zèle de nos soeurs ; mais ailleurs, quand la cornette a été repoussée, nous envoyons à notre place quelques Enfants de Marie, ou les jeunes filles de nos Dames de Charité ; chacune d'elles est fière d'être chargée de cet apostolat et de venir nous raconter ses succès. Elle réunit plusieurs ouvrières, leur montre de l'intérêt, leur parle de leur famille, etc., puis leur enseigne les prières et le catéchisme. Les résultats sont des plus consolants ; nous nous adonnons d'autant plus à cette oeuvre que sans cela la plupart de ces jeunes filles deviendraient sûrement la proie des protestants et répandraient, à leur retour dans la montagne, le poison de l'hérésie, »
En parlant de cette oeuvre, je n'ai fait qu'indiquer un très petit côté du bien qui se fait à la Miséricorde ; il me serait facile déparier encore des réunions de pauvres, telles que celle des mères de famille pauvres qui viennent cha-
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que dimanche assister à la sainte messe, à une instruction, puis reçoivent un petit pain ou quelque morceau d'étoffe avant de retourner chez elles. Ces oeuvres et les autres que je tais dans le rapport de cette année, sont gratuites, je n'ai pas besoin de le dire.
Les résultats obtenus tiennent du prodige, eu égard au chiffre de la dépense ; la respectable soeur Gelas doit avoir un secret pour rendre aussi fructueuses les ressources mises à sa disposition. Toutefois ces nombreuses oeuvres gratuites, malgré l'industrie des soeurs, sont une bien lourde charge, même quand il n'y a que les dépenses ordinaires ; mais cette année une terrasse s'est effondrée, un mur a croulé : soeur Gelas n'avait pas prévu ces accidents en dressant son modeste budget, elle a donc dû contracter une dette de dix à douze mille francs. Aussi elle disait dans une de ses lettres : « Le gouvernement français m'a décorée ; s'il m'avait donné quelques billets de mille francs, cela ferait bien mieux mon affaire ; je rembourserais l'emprunt que j'ai dû contracter, et paierais aux nourrices les mois en retard de nos enfants trouvés. »
BEYROUTH. Orphelinat Saint-Charles. — 14 soeurs; 3oo orphelines.
Ces enfants sont reçues gratuitement dès l'âge de trois ans ; on les forme aux différents travaux : lingerie, broderie, repassage, etc.... La Supérieure de cette maison écrit que : « si la place et les ressources le permettaient, les orphelines pourraient être de cinq à six cents, tant les demandes sont nombreuses, pressantes et intéressantes. La maison, élevée à la hâte au lendemain des massacres de Damas, avait un besoin urgent de réparations, réclamées même par le public ; nous les avons entreprises bien à contre-coeur, puisque nous n'avions aucune ressource d'avance ; elles s'élèvent au moins à 25 000 fr. ; pour payer nous avons dû emprunter ; désormais nous aurons donc un lourd intérêt qui viendra paralyser l'état florissant de notre
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intéressante oeuvre, jusqu'à ce que Dieu inspire à des âmes charitables de nous prendre en pitié. Autrefois, notre allocation ordinaire de la Propagation de la Foi s'élevait à 10 ooo fr. ; depuis que ma devancière a créé un orphelinat de garçons qui est aujourd'hui complètement séparé du nôtre, nous ne recevons plus que 6 ooo fr. ; les quatre autres mille ont suivi l'orphelinat qui n'existait pas précédemment ; nous sommes réduites à 6 ooo fr., et cependant le personnel reste le même. Jugez par là des difficultés de notre situation. »
Pour montrer combien intéressante est l'oeuvre de l'orphelinat Saint-Charles, je dois ajouter que la plupart des enfants qui en sortent demeurent dans le monde bonnes chrétiennes ; il est très rare d'entendre parler de chutes parmi les anciennes orphelines de Saint-Charles.
BEYROUTH. Orphelinat Saint-Joseph.— io soeurs; 12 chefs d'atelier; i3o orphelins.
Cet établissement n'est créé que depuis 1881 ; il est étonnant que la Syrie, qui compte tant d'établissements religieux, ait été aussi longtemps privée d'un orphelinat de garçons. Les protestants, il faut bien l'avouer, ont largement profité de cette lacune des oeuvres catholiques.
Au lendemain des massacres de Damas, on éleva l'orphelinat de filles dont je viens de parler, le gouvernement français aida puissamment à l'érection de cette oeuvre; il fit encore davantage pour la création d'un orphelinat de garçons dont se chargèrent les RR. PP. Jésuites. J'ignore à la suite de quelles circonstances le projet ne reçut point son exécution. Quoi qu'il en soit du passé, soeur Meyniel était, en 1881, supérieure de l'orphelinat Saint-Charles; elle voyait, avec la plus vive douleur, conduire les jeunes frères de ses petites orphelines dans les établissements protestants. Il en était ainsi dans toute la Syrie ; il est à craindre que, sous ce rapport, rien n'ait changé depuis, en dehors de la ville de Beyrouth. Je ne sais si on se rend un compte
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exact des efforts que font en Syrie les protestants et des succès qu'ils remportent ; une Revue publiait dernièrement leur situation en Orient, c'était plus que désolant pour nous. Un catholique de Beyrouth s'est mis en tête de connaître les enfants catholiques reçus dans les divers établissements protestants de Be3rrouth ; son enquête lui en a fait découvrir i 400 ; ce chiffre me semble effrayant. Un de nos plus respectables Missionnaires de Syrie m'écrivait à la date du 18 décembre : « La construction du port et les travaux de la voie ferrée de Beyrouth à Damas ont attiré ici toute une population d'Européens, de Français surtout. Forcément nos oeuvres catholiques doivent satisfaire tous les besoins de ces familles européennes ; à l'étranger, tous nos compatriotes sont catholiques, quand ce ne serait que par fierté nationale; mais si nous ne sommes pas installés raisonnablement, qu'arrivera-t-il ? Ce que j'ai vu ces jours derniers : trois jeunes filles françaises, à qui j'avais fait 1» catéchisme, ont fait leur première communion chez nous, mais ces pauvres enfants vont en classe chez des maîtresses protestantes et prussiennes. Pourquoi? On le devine. Voilà des faits isolés aujourd'hui, ajoute-t-il, qui seront fréquents demain ; qu'y faire? »
On voudra bien me pardonner cette nouvelle digression, mais la question du protestantisme en Orient, en Syrie en particulier, m'apparaît tellement importante que je me demande si nous nous en préoccupons suffisamment, si nos efforts de ce côté ne devraient pas être plus considérables et plus encouragés.
Je reviens à l'orphelinat Saint-Joseph, Il est évident que soeur Meyniel ne put demeurer impassible en voyant les jeunes frères des petites orphelines qu'elle recevait, conduits dans des établissements protestants ; dès lors, la création d'un orphelinat de garçons devint pour elle comme une idée fixe. Dieu voulait d'elle cette oeuvre ; elle osa l'entreprendre ; des circonstances aussi heureusee qu'im-
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prévues lui prouvèrent maintes fois que son projet était béni du ciel. Des encouragements et des secours lui arrivèrent et de la part de particuliers généreux et de la part du gouvernement français ; l'OEuvre de la Propagation de la Foi contribua largement aussi à l'établissement de cette oeuvre, la plus complète de ce genre de tout l'Orient.
« Les enfants travaillent et ils apprennent divers métiers dans les nombreux ateliers qui sont installés à l'orphelinat. Les tailleurs font les costumes des collégiens d'Antoura et d'autres établissements : les cordonniers travaillent pour toutes les communautés de la ville ; il en est de même des menuisiers ; les jardiniers fournissent les légumes nécessaires à la maison et en vendent une partie sur le marché public ; le plus grand nombre de ces enfants est occupé à tisser des étoffes de soie et de coton. Ainsi qu'on le voit, cet établissement est réellement en bonne voie et dans une situation prospère. Évidemment on réalise des bénéfices, mais la Supérieure nous prouve par ses comptes qu'ils suffisent à peine au payement des maîtres ; puis on a construit, mais grâce à des emprunts. Aussi soeur Meyniel termine son rapport ;par ces .lignes ; « Le fonctionnement « de nos ateliers absorbe nos faibles ressources et plus ence core. Depuis trois ans que nos constructions sont ache« vées, nous n'avons pu encore solder les dettes contractées. « Un secours particulier pourrait seul nous faire sortir de « cet état de gêne si pénible. »
BEYROUTH. Hôpital. — 10 soeurs; 800 malades ont été reçus et soignés cette année à l'hôpital.
On sait que cet établissement sert de clinique à l'école de médecine, il est donc impossible aux soeurs de réaliser certaines économies dans la nature des remèdes ordinaires, comme elles ne manquent pas de le faire ailleurs où elles sont libres, afin d'étendre leurs soins à un plus grand nombre de malades. Ici, les professeurs exigent, sans tenir compte de la dépense, des remèdes qui coûtent cher ; ils
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veulent se livrer à des expériences de médecine, de chirurgie, etc.; malgré tous ses regrets, la Supérieure est dans la nécessité de ne point persévérer dans ses refus ou objections : lorsqu'elle résiste, on fait intervenir le chancelier de l'Université ou le consul de France.
Cette année a été particulièrement laborieuse pour les soeurs de cet hôpital : deux épidémies ont envahi Beyrouth et la banlieue. Des émigrants de laTripolitaine ont apporté le typhus en Syrie ; quand cessa ce fléau, qui avait atteint tout le personnel infirmier de l'hôpital, au point que personne ne voulait plus venir au secours des soeurs, la variole fit son apparition. On dut tant bien que mal installer un peu partout les malades qui nous arrivaient en si grand nombre que nous étions dans l'impossibilité de les renvoyer. . L'hôpital était à peine évacué et assaini, que les ouvriers des carrières et du chemin de fer furent pris de fièvres et arrivèrent en foule réclamer les soins des soeurs. Etait-il possible, durant cette année d'épidémies, de tenir closes les portes de l'hôpital et de ne recevoir que le strict nombre de malades ordinaires. La Supérieure ne l'a pas cru et nous ne saurions la blâmer de sa résolution. Les malades, que bien à contre-coeur elle était dans la nécessité de ne pas recevoir, trouvaient largement asile dans les hôpitaux schismatiques et surtout protestants. Mais cette année se solde par un passif que nous ne savons comment combler ; les dépenses ont dépassé les recettes de 12 000 francs; pour payer, ici aussi, on a dû emprunter.
Malgré cette situation précaire, les médecins ont reconnu, à la suite des épidémies dont j'ai parlé, la nécessité d'établir un pavillon d'isolement ; ils pressent et réclament d'urgence cette installation. Pouvons-nous raisonnablement nous engager dans ces nouvelles dépenses ? Sans doute la vue des hôpitaux protestants, confortablement aménagés et largement outillés, n'est pas étrangère aux désirs qu'ils ont cru devoir exprimer, même avec la menace de faire suppri-
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mer l'allocation de 8000 francs du gouvernement, si nous ne faisions pas droit à leur demande. Actuellement le litige en est là. Nous résisterons jusqu'à ce qu'une bonne âme ou l'OEuvre de la Propagation de la Foi nous mette à même d'entreprendre l'installation dont nous ne méconnaissons pas l'utilité.
RAZ-BEYROUTH. — 9 soeurs ; 400 enfants ; 2 ouvroirs ; pharmacie, dispensaire, visites à domicile.
Cette maison reproduit, en des proportions modestes, les oeuvres de la Miséricorde. Ce quartier éloigné ne pouvait rester indifférent au dévouement des soeurs ; il est envahi par les protestants et les francs-maçons; c'est là qu'ils ont établi le centre de leurs oeuvres. Pour bien marquer la situation particulière de cette maison, je ne fais guère que copier le rapport de la Supérieure :
« Les écoles sans Dieu qui nous entourent, dit-elle, nous obligent à des efforts inouïs ; les oeuvres protestantes que nous voyons augmenter chaque jour, en face et à côté de nous, nous mettent dans un embarras dont vous ne pouvez vous rendre compte ; je ne puis vous dire que ceci : c'est que souvent notre coeur est bien malade ! Comment n'en serait-il pas ainsi quand les âmes bien disposées se perdent à la portée de notre main, pour une question d'argent, parce que nos ressources sont insuffisantes ? la lutte est inégale. Les écoles maçonniques qui sont à côté de nous reçoivent à peu près quatre cents enfants, mais leurs recettes s'élèvent à 45 000 francs. Chaque année, les secours leurs arrivent plus abondants, tandis que les nôtres dimintï-ent ; nous ne demandons qu'une chose : de pouvoir soutenir nos oeuvres existantes. Nous nous demandons parfois avec larmes si nous n'allons pas être réduites à les abandonner ? Quel triomphe ce serait pour nos voisins, protestants'et francs-maçons !... Je ne puis vous le dissimuler, malgré la peine que vous en ressentirez, mais le mal se fait, se propage, je le reconnais; la secte gagne du terrain, c'cît incon-
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testable. Je vous en prie, ne nous abandonnez pas ; si nous délaissions ce quartier, ce serait la perte de toutes ces âmes que nous soutenons, que nous instruisons, que nous défendons. A toutes nous devons donner du courage pour la lutte, pour affirmer leur foi ; nous venons vous demander pour nous-mêmes un peu de courage, un peu d'espoir ! Par le passé nous nous sommes, mes compagnes et moi, imposé des sacrifices personnels de toutes sortes pour augmenter nos ressources ; malgré l'économie la plus stricte, nous avons dû emprunter ou nous en aller ; nous avons préféré contracter une dette de 40 000 francs. »
Zorjcic-MiKAEL. — 9 soeurs; 170 enfants dans les classes; 48 enfants trouvées ; i5 vieillards, dispensaire.
Zouck est le village voisin d'Antoura. La présence des soeurs y a produit un changement si complet parmi les maronites que ce village ne ressemble nullement à ceux dont jiai parlé plus haut, à l'occasion des écoles. -Les hommes et les femmes n'ignorent pas le catéchisme ; bien entendu, la maison et la chapelle des soeurs sont, après Dieu, cause du bien opéré. Les protestants n'ont pas osé même essayer de s'installer à Zouck.
Cette maison reçoit un petit secours par l'allocation de la Propagation de la Foi, mais c'est surtout la Supérieure, soeur Billy, qui entretient les oeuvres avec ses ressources personnelles.
BROUMANA. — 5 soeurs; 40 enfants trouvés; école poulies filles du village; école pour les jeunes filles qui travaillent dans les filatures : toutes ces filatures appartiennent à des protestants; ouvroir pour les femmes, où on enseigne à travailler en même temps qu'on apprend les prières et les catéchismes; pharmacie; dispensaire; visites à domicile, à Broumana et dans les villages des environs.
« Ce n'est que par les nombreuses oeuvres qu'il nous est possible, écrit la Supérieure, de faire quelque bien aux âmes de nos pauvres maronites; leur contact quotidien avec les
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protestants, les druses et les grecs schismatiques les rend, hélas! à peu près indifférents en matière de religion. » Ailleurs, elle dit encore : « Notre position à Broumana, au milieu d'une population hétérogène, est fort délicate. Nous avons à lutter contre une propagande protestante formidable. Broumana est le quartier général du protestantisme dans le Liban. Les sociétés bibliques de tous pays se donnent pour ainsi dire rendez-vous ici et y ont établi des oeuvres aussi nombreuses que florissantes. Ces sociétés ont à leur disposition des ressources immenses, et on sait que les Orientaux en particulier ne sont pas insensibles à cet argument. Dernièrement, j'ai appris que plusieurs de nos jeunes filles du patronage, qui travaillent dans des filatures protestantes, ont été reçues en pension à demeure et gratuitement chez les protestants; la modicité de nos ressources nous interdit absolument d'héberger chez nous ces pauvres jeunes filles. Avant de se rendre chez les protestants, elles m'avaient demandé de les recevoir, c'est sans doute sur mon refus qu'elles ont pris ce parti; elles ont préféré l'apostasie à la promiscuité.
« Les protestants ont créé à Broumana un dispensaire, où rien, au point de vue matériel, ne fait défaut. Avant la consultation du médecin, les malades et les pauvres doivent chaque jour subir le prêche d'un ministre et d'un catéchiste; puis viennent les diaconesses; elles enseignent des sentences, des prières, etc. ; jamais elles ne se retirent sans emporter quelques dépouilles opimes : ce sont les scapulaires, les médailles, les chapelets, les crucifix, etc., qu'elles enlèvent à nos pauvres chrétiens !
« Pour tenir tête à l'influence protestante, nous faisons le possible et l'impossible; parmi ces moyens, nous nous félicitons d'avoir obtenu du consul de France, après des sollicitations instantes et multipliées, une allocation de i ooo francs, avec affectation au médecin de notre dispensaire. Mais, hélas ! au point de vue matériel, notre dispen-
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s.aire, notre école, notre ouvoir, toute notre maison du reste, est d'une installation fort primitive; il nous faudrait une somme de 25 à 3o opo francs pour établir convenablement toutes nos petites oeuvres. »
TRIPOLI DE SYRIE. — ig soeurs; 600 enfants; classes; orphelinat; pharmacie; dispensaire; retraites; hôpital.
Toutes les oeuvres de charité et de propagande sont réunies dans cette maison; et la Supérieure ajoute que les oeuvres seraient plus nombreuses et plus prospères si les ressources étaient plus abondantes. Les soeurs ont installé à l'orphelinat une filature; les bénéfices du travail suffisent à peu près à l'entretien des enfants. Nos Missionnaires ont engagé la Supérieure de cette maison à ouvrir, à l'imitation de la soeur Gelas, à Beyrouth, une sorte de petite école normale destinée à fournir des maîtresses pour les villages situés dans la partie du Liban qui avoisine Tripoli. Déjà on a établi sept écoles, autant de jeunes filles les dirigent, non sans succès.
« Cette oeuvre, écrit la Supérieure, était nécessaire : nos pauvres petites maronites ne recevaient aucune instruction religieuse, pas même ce qui est absolument nécessaire au salut; personne ne s'en soucie. Quoique nous n'ayons pas reçu un centime pour cette oeuvre, je l'ai entreprise, comptant sur la divine Providence. Chacune de ces écoles nous coûte, tout compris, 5oo francs : cela fait 35oo francs, sans compter les dépenses qu'occasionne notre petite école normale, qui est indispensable pour former de bonnes maîtresses. »
DAMAS. — 22 soeurs; 519 enfants; classes; orphelinat; hôpital; 2 dispensaires; visites à domicile; 80000 pauvres ont été soignés à l'un de ces dispensaires, et 64000 à l'autre. Damas a toujours été considérée comme la ville musulmane par excellence, à cause du fanatisme de ses habitants. Pour ne provoquer aucunement par notre présence ce sentiment religieux, nous nous sommes toujours appliqués
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à n'y point faire étalage de nos établissements et même de nos oeuvres de charité ; les massacres de 1860 ne sont pas encore oubliés à Damas. Malgré la modestie derrière laquelle nous nous abritons, nous avons été à diverses époques en relations suivies et cordiales avec les hautes familles musulmanes de la ville; en ce moment même, plusieurs de ces familles envoient leurs fils en classe chez les Missionnaires et leurs filles chez les Soeurs.
Aujourd'hui, la ville de Damas, toute musulmane qu'elle soit, va être pénétrée par la civilisation européenne. Deux lignes de chemin de fer vont y aboutir; elles sont en voie d'exécution; l'une'par le Hauran se dirige vers la Palestine, l'autre relie Damas à Beyrouth en traversant le Liban et l'anti-Liban. C'est un bouleversement général, peut-être une résurrection qui va s'ensuivre dans ces pays autrefois si riches et si fertiles. Ne serait-ce pas l'heure pour nous de prendre, à Damas au moins, une plus large place au soleil, c'est-à-dire de donner de l'extension à nos oeuvres et de suivre l'exemple des protestants ? Beaucoup le croient et nous le conseillent, dans l'intérêt de la foi. Les compagnies de chemins de fer, les consuls d'Autriche et d'Italie, celui de France surtout, nous pressent au moins d'ouvrir un hôpital; nous résistons; mais est-il humain de résister? est-il de notre intérêt, de celui de la France et de la religion de ne pas céder aux instances qui nous sont faites? La Supérieure des Filles de la Charité, harcelée de toutes parts, est très embarrassée; elle demande que M. le Supérieur général l'autorise :
i° A demander et à recevoir quelques sommes en vue de l'hôpital ; 20 à acquérir, dans ce dessein, un terrain qui leur a été désigné par tous comme très avantageux et qu'on lui céderait au prix de 12000 francs; 3° à commencer sur ce terrain, suivant les ressources, une construction qui serait une pierre d'attente de l'hôpital futur. Jusqu'à ce jour, l'autorisation tant désirée a été refusée; mais sera-t-il possible
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de continuer à résister? Les protestants l'espèrent, car, durant nos hésitations, ils s'installent à leur gré; n'arriverons-nous pas trop tard? La Soeur le craint; elle termine son rapport par ces mots significatifs, surtout quand on la connaît :
« Jamais secours n'aura été mieux employé, dit-elle; les protestants se réjouissent de nos retards et s'apprêtent à prendre notre place... Les Européens abondent ici, à cause des travaux des voies ferrées; beaucoup sont minés par la fièvre ou renversés par une insolation. Mon coeur, écritelle, est navré à la vue de tant de détresse et de mon impossibilité de secourir tant de victimes... Je ne sais rien de plus à plaindre, ajoute-t-elle, qu'un étranger en ces pays, pauvre, malade, délaissé. »
JÉRUSALEM. — 16 soeurs; hospice de vieillards; enfants abandonnés; dispensaire où l'on soigne chaque jour plus de 700 pauvres; visites à domicile dans la ville sainte et les villages environnants; hôpital municipal musulman; soins aux lépreux.
Ces dernières années, ayant plus spécialement attiré l'attention de MM. les Membres des conseils de l'OEuvre de la Propagation de la Foi sur ce nouvel établissement, il me semble que je ne puis me restreindre cette fois à une simple énumération. J'ajouterai seulement que ces oeuvres continuent toutes à prospérer; s'il y a un arrêt, il n'est dû qu'au manque de ressources, qui n'arrivent pas aussi abondamment que soeur Sion se complaisait à l'espérer.
La maison sise à la porte de Jaffa est encore loin d'être achevée, par conséquent l'oeuvre des vieillards et celle des enfants trouvés n'ont pu prendre de développements, mais toutes les autres sont en plein épanouissement.
Pour montrer l'influence acquise en si peu de temps par les Filles de la Charité à Jérusalem, je me permettrai de rapporter la réflexion suivante, faite par un personnage éminent, à l'occasion du Congrès eucharistique : « On n'en
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parle pas pour divers motifs, dit-il, mais l'élément qui .a le plus contribué à rendre possible et praticable la tenue du Congrès eucharistique dans la ville sainte, c'est la venue des Filles de saint Vincent de Paul. Jusqu'en 1886, c'est-àdire jusqu'à leur arrivée, les communautés religieuses ne manquaient pas à Jérusalem, mais elles étaient toutes cloîtrées ou quasi-cloîtrées ; elles s'appliquaient bien à des oeuvres hospitalières, mais derrière leurs murs gigantesques: les Turcs et les Juifs n'avaient pas l'air de s'en douter. Mais quand les Filles de la Charité, loin de se cacher, recherchèrent les pauvres, les malades, les lépreux, qu'elles les soignèrent et les pansèrent publiquement, ce fut d'abord de l'étonnement, puis de l'admiration ; et enfin la sympathie et la protection fut telle de la part des autorités turques, que la cornette blanche de la Fille de saint Vincent de Paul visite les casernes, descend dans les prisons, traverse à son gré la mosquée d'Omar, en un mot parcourt en tous sens cette cité musulmane, et y rencontre peut-être plus de respect et de sécurité que dans les rues de Paris. Ce sont nos soeurs ! disent les Turcs et les Juifs, en parlant des Filles de la Charité.
« A mon sens, ce sont elles qui ont surtout ouvert les portes de la ville sainte au cardinal-légat de Léon XIII. » BETHLÉEM.— g soeurs; hôpital; visites à domicile; divers dispensaires établis dans les villages où les Soeurs se rendent plusieurs fois par semaine.
« L'hôpital et le dispensaire de Bethléem, écrit la Supérieure, soeur d'Aiguillon, sont toujours très fréquentés, et les visites à domicile se poursuivent activement. Les constructions de cet établissement ont été forcément interrompues, faute de ressources; il serait nécessaire de pourvoir à son achèvement; jusque-là, les chambres particulières qui font partie des trois corps de bâtiment déjà terminés ne peuvent être mises à la disposition des malades; lacune bien déplorable, qu'on a souvent l'occasion de regretter vis-à-vis
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des pèlerins qui affluent en Terre-Sainte, et qui, victimes d'accidents, éprouvent une vraie déception en constatant qu'en effet ils ne peuvent décemment trouver place en cetasile, dont la vue seule avait ouvert leur coeur à l'espérance. Il serait bien à désirer que quelques fonds spéciaux fussent attribués à l'achèvement de cet asile de l'infortune, appelé à rendre de si éminents services, et à procurer un si grand bien au point de vue de la foi.
Les visites et les dispensaires dans les villages nécessitent bien des frais, particulièrement pour Hébron, où le bien déjà fait et à faire serait incalculable si les ressources permettaient de s'y rendre chaque semaine. Les protestants y ont installé une résidence depuis quelques mois. Oh ! que la Providence vienne donc à notre aide pour pouvoir soutenir la lutte!... On ne peut douter du bien de toute sorte que l'établissement de Bethléem est appelé à réaliser: de nombreuses demandes ont déjà été faites et viennent d'être réitérées par l'autorité ecclésiastique, pour l'ouverture de classes externes qui lui paraissent absolument nécessaires, malgré celles qui sont déjà établies sur un autre point de la ville. L'ignorance est à son comble. Ce serait un bien .immense à faire à cette population, si délaissée jusqu'à présent.
{A suivre.)
AMERIQUE
ÉTATS-UNIS
VIE DE MONSEIGNEUR JEAN-MARIE ODIN
DE LA CONGRÉGATION DE LA MISSION
ARCHEVÊQUE DE LA NOUVELLE - ORLÉANS
1822-1870
PAR M. L'ABBÉ BONY
CHAPITRE I«r
L'enfant et le pauvre. — Baptême. — Un prêtre constitutionnel. — Scènes religieuses pendant la Révolution.— Ambierle.— Caractère de Jean Odin.— Premières leçons. — Première communion. — Il ; a un bon coeur.
« Mère, c'est bien à moi ce que tu viens de mettre dans mon assiette. Vraiment, c'est bien à moi, disait avec insistance un enfant de sept ans à peine, qui recevait sa part du gâteau rustique de la famille. — Mais oui, mais oui, c'est bien à toi », répondait en souriant la mère. Aussitôt l'enfant se levait et portait joyeusement son repas à un voisin dont la pauvreté extrême l'avait ému. Cette scène, qui se passait, vers 1807, dans un petit hameau du Forez, peint en deux traits caractéristiques l'âme de celui dont nous entreprenons d'écrire la vie, et qui fut Mgr Odin, archevêque de la Nouvelle-Orléans. Nous voyons, en effet, reluire dans cette belle nature une raison positive, qui veut connaître nettement ce qu'elle peut et doit faire, et une bonté généreuse qui se livre sans compter.. Nous retrouverons plus tard dans le caractère de l'enfant, du missionnaire, de l'évêque, cette intelligence et cette rectitude qui s'assure de
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son droit et qui pousse son devoir jusqu'au dévouement le plus absolu.
La famille dans laquelle Jean Odin vint au monde, en 1800, habitait le hameau de Hauteville, dépendant de la paroisse d'Ambierle. Elle était composée du père, de la mère et de six enfants. Jean était le septième, et quelques années après trois enfants venaient encore la compléter. Le baptême fut administré le jour même de la naissance, comme il ressort de l'acte que nous citons : « Le 25 février 1800 est né, à midi, et a été baptisé Jean Odin, fils légitime de Jean Odin et de Claudine-Marie Seyrol, sa femme, habitant Hauteville. Le parrain a été Jean Perrichon, son cousin, et la marraine, Virginie Seyrol, sa tante. Signé : Loche, curé. » Par une anomalie que rien n'explique dans cette partie-du Forez, si fidèle à la religion pendant la Révolution, la paroisse d'Ambierle, qui ne le cédait à aucune pour sa foi et sa piété, avait, depuis 1792, un pure constitutionnel. C'est le même qui signe l'acte de baptême de Mgr Odin. Faut-il croire à une ignorance profonde de la part de la famille si religieuse où l'enfant vient de naître, ou à une défection passagère. Ni l'un ni l'autre. D'après les traditions de la famille, qu'on nous a fait connaître, le baptême a été conféré à Jean Odin, comme à quatre autres de ses frères et soeurs, par un prêtre fidèle, M. Didier, curé de Boisset, près de Roanne, soit dans la maison Odin, à Hauteville, soit dans des assemblées nocturnes, comme elles avaient lieu dans les environs. Le curé schismatique, homme bon et pacifique, qui semble n'avoir été constitutionnel que par ignorance ou par faiblesse, enregistra plus tard ces actes et les signa.
C'est bien à titre d'exception que nous voyons près de Roanne un prêtre assermenté, car le pays était représenté à l'Assemblée constituante par cet admirable curé Goulard, qui fit entendre dans la discussion du 2g mai 17g! ces mémorables paroles : « Les curés dépendent des évêques, et
MONSEIGNEUR JEAN-MARIE ODIN
DE LA CONGRÉGATION DE LA MISSION DE S, VINCENT DE PAUL
ARCHEVÊQUE DE LA NOUVELLE-ORLÉANS
1822-187O
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les évêques dépendent du Pape. Telle est ma foi, telle est celle de tous les vrais chrétiens. On peut changer le gouvernement civil, on ne peut changer celui de l'Église : il est inaliénable, inaltérable; sinon, il n'y aurait plus d'autorité; sinon, il n'y aurait bientôt plus de religion. » Et il concluait : « On détruit l'autorité des évêques, c'est le presbytérianisme qu'on veut établir. » Ces nobles paroles avaient retenti dans toute la France catholique ; elles étaient l'écho de cette population du Roannais, dont Goulard était le représentant. En effet, pendant les jours mauvais, elle restait fidèle à sa foi et vit pendant plusieurs années la tyrannie la plus épouvantable, celle de la conscience, s'abattre sur elle.
Il fallait du courage et de l'habileté pour pratiquer sa religion et pour échapper au péril qui menaçait de toutes parts.
Nous trouvons dans la vie de Mgr Dauphin, écrite par M. Béluze, de si douce mémoire, un épisode de ces temps qui nous a donné une idée exacte des périls que l'on courait dans ce coin de la France.
Dans le village de Crozet, peu éloigne d'Hauteville, où habitait la famille Odin, le maître d'école, cumulant divers métiers, mettait tout son zèle et aussi toute son industrie à faciliter au curé fidèle l'exercice de son ministère.
« La plupart "du temps, raconte-t-il, c'était alors dans une simple maison que se disait la messe, à une heure matinale, dans une chambre donnant sur le jardin. Une table servait d'autel, et l'ornement de cette chapelle improvisée était tellement sommaire qu'en cas d'alerte toute trace de cérémonie religieuse pouvait disparaître instantanément, le prêtre lui-même se dérobant au besoin dans une cave dont la porte était dissimulée derrière un bahut. Ces précautions ne furent pas toujours inutiles; car, une nuit, la maréchaussée républicaine, prévenue sans doute par quelque faux frère, envahit soudainement là maison et pénétra
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dans la chambre au moment même où le prêtre venait de réciter le dernier évangile; par bonheur, tout était fini; et, pour mieux donner le change aux gendarmes, la chapelle se trouva subitement transformée en salle de bal. Le bon père Thulliers, qui venait de servir la messe, avait eu le temps de prendre son violon et de donner le branle à une joyeuse bourrée. Des bouteilles placées sur un tonneau, avec des verres à moitié pleins, achevaient de donner à cette chambre une physionomie de tabagie flamande, qui dérouta complètement les braves gardiens de l'ordre public. « Que faites-vous donc là, citoyens, à pareille heure? « dit le brigadier d'une voix un peu rogue. — Vous le « voyez, répondit avec grand sang-froid le magister, nous « buvons un verre de vin et nous dansons un brin. Voulez« vous vous rafraîchir à votre aise avec vos homme* ? — « Pas de refus, reprit le brigadier; une bonne, rasade n'a « jamais fait de mal à la maréchaussée. » Et, aussitôt, la soeur du père Thulliers alla quérir trois verres, et les nouveaux venus, après avoir trinqué, peut-être, hélas ! à la santé de Robespierre, se retirèrent en se léchant les lèvres, car, paraît-il, la récolte du vin avait été d'une qualité excellente en l'an de malheur 1793. » Ce fait, pris entre mille autres, si fréquents en France à cette époque de terreur, indique comment la Providence se manifestait souvent pour protéger les populations fidèles à leur foi. Il nous donne surtout une idée du milieu où allait grandir le jeune Odin. Car, à n'en pas douter, la famille, qui habitait le voisinage, dut faire partie de ces assemblées qui se tenaient en secret pour accomplir les actes de la vie chrétienne.
L'enfant ne connut pas ces scènes religieuses, qui rappelaient celles de la primitive Eglise ; mais que de fois sa mère lui fit les récits de ces assemblées nocturnes où chacun, au péril de sa vie, venait chercher son Dieu ! Surpris, c'était la prison, et à bref délai la condamnation sommaire
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et la mort. Javogues, ce tranquille petit huissier de Montbrison, devenu représentant du peuple, avait promené dans tout le pays sa dictature farouche de commissaire du gouvernement et assouvi ses instincts sanguinaires dans des exécutions sans pitié; car longtemps après, dans tout le Forez, son nom seul prononcé à voix basse faisait tressaillir de crainte et d'effroi. Les familles Odin et Seyrol, répandues dans toute la contrée, n'eurent à déplorer la mort violente d'aucun de leurs membres. Un prêtre, un oncle de Mme Odin, put même échapper à tous les malheurs; il exerça jusqu'en 1811 le ministère dans le diocèse de Lyon.
La piété régnait au foyer de cette humble demeure, et dans tout le pays la religion s'était conservée depuis des siècles vivace et forte, entretenue par l'enseignement et les exemples des moines. On attribue parfois l'indifférence religieuse de certaines contrées à la déplorable influence exercée par les monastères du dix-huitième siècle. Cette opinion est au moins sans valeur pour le pays qui nous occupe.
Àmbierle était un des plus antiques monastères fondé en 902 et dépendant des Bénédictins de Cluny. Dès le douzième siècle, on voit les luttes soutenues pour la franchise des moines et leur indépendance de l'autorité laïque; celleci, violente à cette époque, employait souvent la force pour s'emparer des biens des églises; mais, souvent aussi touchée par le repentir, elle s'inclinait devant le droit revendiqué par des religieux sans défense. Nous en avons pour garant une curieuse pièce citée dans les histoires du Forez et que nous donnons en note 1.
1. Moi, Ataldus Albus, vicomte, fais savoir à tous présents et à venir :
Pour la rémission de mes péchés en général, et plus spécialement de tous les maux que j'ai faits, soit à l'église de Cluny, soit à ses dépendances, pour le salut de mon âme ainsi que de l'âme de mes
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La population vivait paisible groupée autour du prieur bénédictin et de la splendide église gothique bâtie au quinzième siècle. Elle était la gloire du pays comme aussi l'asile des pauvres laboureurs qui venaient y chercher les saintes joies de la religion et ce rayonnement céleste de nos solennités chrétiennes.
Le jeune Odin subit cette influence mystérieuse qui s'exerce sur l'enfant et lui laisse, pour toute la vie, comme une vision lointaine de Dieu dans l'âme. On lui montrait, en les lui expliquant, les trésors de l'Eglise, ce magnifique tombeau des seigneurs de Pierrefitte, ces stalles sculptées où les moines chantaient l'office canonial, ces beaux vitraux
flamboyants au soleil et retraçant les douces scènes évan>
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géliques, ces peintures d'un beau et riche triptyque que l'on conserve précieusement et qui sont attribuées au brillant et vigoureux pinceau de Van Eyck.
A la maison, Jean se montrait, d'après les témoignages que nous avons recueillis, un enfant docile et affectueux.
prédécesseurs et successeurs, je remets et cède, j'abandonne à Dieu la garde d'Ambierle que j'ambitionnais, et toutes les prétentions que j'avais ou pouvais avoir justement ou injustement sur toute la seigneurie d'Ambierle, jusqu'à la rivière de Chanzy, qu'on appelle la Fessonne. Je veux que nous soyons excommuniés, moi, mes hériritiers ou successeurs, si dorénavant nous suscitons au monastère de nouvelles contestations ou querelles. Je ne mettrai désormais la main ni la ferai mettre sur aucun des chapelains, préposés ou hommes du dit Monastère, où qu'il soit, contre la volonté du Prieur.
Ceux de nos hommes qui sont tenanciers de l'église à un titre quelconque, s'ils viennent à forfaire contre le Prieur ou le Monastère, seront traduits devant leur justice, et ils rendront compte de leurs méfaits.
Moi, Ataldus, j'ai arrêté ces dispositions à Ambierle, promettant d'y/être fidèle et m'y engageant par serment, la main sur les saints Évangiles, en présence du seigneur Théobaldus, abbé de Cluny, du seigneur Prieur du présent lieu et d'un grand nombre d'autres, tant clercs que laïcs.
Fait à Ambierle le i« septembre 1180 de l'Incarnation, la première année du règne de Philippe roi des Français, la première année de la procuration du seigneur Théobaldus, le vénérable abbé de Cluny.
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Il aimait ses parents et prévenait leurs désirs. Ses frères et soeurs trouvaient en lui le doux et souriant compagnon de leurs jeux, cherchant à se faire oublier et toujours content de la place qui lui était faite. Au repas de la famille, repas rustique pris un peu primitivement, il fallait souvent que sa mère le pressât : « Oh ! disait-il en souriant, j'ai bien le temps ; quand mes frères seront servis, je commencerai à me servir. »
La douceur de son caractère et son désir de rendre service le faisaient aimer, et un observateur perspicace aurait deviné cette bonté rare qu'on remarqua plus tard chez le missionnaire et qui donna lieu de lui appliquer ce mot souvent cité : « Il y a des coeurs dont la bienveillance seule a plus de rayons que l'affection de beaucoup d'autres. » Quelque chose de calme, de paisible, et en même temps de timide, était dans cette nature, et fit place plus tard à cette gravité sereine et modeste qui était un si puissant attrait pour les âmes.
Il était gai; la plaisanterie lui était familière, et il la maniait avec aisance ; mais les traits n'étaient jamais méchants et ne provoquaient pas autre chose que le rire. Sa bonté naturelle s'opposait à toute malice mordante ou mortifiante. Nous retrouvons encore cette humeur enjouée dans quelques-unes de ses lettres écrites du grand séminaire, et qui sont d'ailleurs toutes pénétrées de piété et de zèle apostolique.
L'enfance à la campagne ne se passe pas dans les loisirs et les jeux, le travail est pour tous, étant à la portée de tous. Il y a là un apprentissage de la vie, que rien ne remplacera. Le jeune Odin était le premier à prendre sa part des travaux; il allait aux champs, et le souvenir de sa vie de berger resta profondément gravé dans sa mémoire. Archevêque de la Nouvelle-Orléans, il aimait à en rappeler le temps, et sa figure s'épanouissait quand il disait : « Ah ! quand j'étais berger. » L'étude l'attirait; son intel-
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ligence précoce le faisait remarquer de toute la famille qui souhaitait pour lui l'instruction.
Ce n'était pas facile au commencement du siècle de s'instruire... La Révolution qui — selon le mot célèbre— n'avait pas besoin de savants, avait tout détruit. De toutes les institutions elle n'avait restauré que les grandes écoles; mais, pour le peuple, elle n'avait eu que des projets. Il n'y avait d'école de village ni à Ambierle, ni dans les environs. Un ancien séminariste, un peu parent de la famille Odin, demeurait à quelque distance, au hameau de Tremières; il réunissait quelques enfants. Jean lui fut confié. Il avait sept ans. C'est là qu'il apprit les premières notions de lecture et d'écriture ; et, deux ans après, il commença l'étude du latin chez son grand-oncle maternel, M. Seyrol, curé de Nouilly. La vocation cléricale semblait se dessiner, et l'on pensa que l'étude du latin, étant comme l'apprentissage du prêtre, on ne saurait trop tôt en apprendre les éléments. Nous n'avons pas à juger ici cette opinion qui semble ignorer les conditions du développement intellectuel et partant la marche progressive des études. L'enfant resta au presbytère, servant à l'autel, rendant mille petits services à son vieil oncle; par son amabilité, sa docilité affectueuse et sa piété tendre, il était comme le doux rayon du soleil dans la maison du vieillard. Entre temps, il balbutiait quelques déclinaisons latines et ruminait quelques règles que le vieux prêtre essayait d'expliquer. La mort vint bientôt interrompre cette vie commune et ces études ébauchées; l'enfant revint à Hauteville et se prépara à sa première communion.
Il s'y disposa de son mieux. C'était en 1812. Le culte catholique avait retrouvé en France son éclat et sa splendeur, mais nulle part peut-être plus que dans le diocèse de Lyon.
Mgr Fesch, oncle de l'empereur, qu'on peut juger bien diversement, et dont la vie pendant la Révolution n'avait eu
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rien d'ecclésiastique, était devenu au Concordat archevêque de Lyon. Son retour aux saintes habitudes de la vie cléricale avait été sincère et définitif, et dans son immense diocèse il employait son crédit et sa fortune à relever toutes les institutions religieuses et à fonder des oeuvres telles que . séminaires, maisons de mission, congrégations religieuses. C'est à cette époque où tout renaissait avec une nouvelle sève de vie, d'autant plus active qu'elle avait été plus longtemps refoulée, que Jean Odin fit sa première communion à Ambierle et l'année suivante, i8i3, il recevait la confirmation, à Saint-Haon-le-Chatel, des mains du cardinal Fesch qui visitait son diocèse pendant le temps que lui laissaient ses ambassades, ses fonctions de grand-aumônier de l'empereur et les conciles qu'il présida à Paris.
Le cardinal était à Roanne lorsque la nouvelle de la victoire de Dresde lui arriva; c'est de cette ville qu'est daté le mandement où il demanda un Te Deum pour remercier Dieu de ses bénédictions.
Revenu à Ambierle, Jean continuait cette vie de piété et de charité, dont nous avons essayé de donner une idée. Sa charité ne faisait que grandir. Le fait cité au commencement de ce chapitre nous le montre dans sa vraie nature. Il aime à secourir les pauvres. Il porte aux voisins nécessiteux sa nourriture, sa mère l'encourage doucement, il s'enhardit. Un jour, il rencontre sur la route un voyageur assez misérablement vêtu, il l'interroge et apprend qu'il se rend à Roanne. La distance est d'une vingtaine de kilomètres. Il voit de gros sabots aux pieds du malheureux, son coeur est ému. Et, sans réfléchir à ce qu'a de singulier sa demande, il vole vers sa mère : « Mère, laissez-moi donner mes souliers à ce pauvre homme, il ne pourra pas arriver à Roanne avec ses mauvais sajsots ! » La mère sourit et lui fait apercevoir que les souliers d'un enfant n'étaient guère faits pour un homme. L'impétuosité de la charité avait emporté le jeune Odin qui était par sa nature timide et
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réservé. Le père de saint Vincent de Paul disait, en parlant de son fils : « Il fera un bon prêtre, car il a bon coeur » ; on • pouvait présager aussi sagement que Jean Odin serait un prêtre dévoué aux âmes et à leur salut.
CHAPITRE II
Éducation cléricale. — Roanne. — Verrière. — L'Argentière.— Alix.
La France, au sortir de la Révolution, avait besoin de se refaire elle-même dans sa constitution, dans ses moeurs, dans sa religion. Tout avait été détruit. Il n'y avait que des ruines sur lesquelles planaient la gloire de nos armées, le courage indomptable et la valeur parfois héroïque de nos soldats, plus encore les grands souvenirs des morts saintes et du martyre de tant de prêtres, de religieuses et des victimes innocentes. Le clergé avait vu un certain nombre de ses membres, infidèles à leurs serments, se prêter aux manoeuvres des impies et entrer dans un schisme qui ne devait pas leur survivre; le plus grand nombre de prêtres cependant s'étaient montrés admirables dans leur dévouement à leur foi; ils avaient vécu cachés dans des retraites solitaires quand ils n'avaient pas péri dans des exécutions sanglantes ou sur les pontons de Rochefort et sous le climat malsain de la Guyane.
Le diocèse de Lyon avait eu ses victimes et ses martyrs, comme, hélas ! ses apostats ; il avait eu aussi ses intrépides confesseurs et ses apôtres qui bravaient la mort en administrant les sacrements. Le recrutement du clergé fut la préoccupation de plusieurs de ces prêtres qui avaient passé leur vie dans des retraites profondes, derrière les forêts ou dans un repli des montagnes. Il y a une page magnifique à écrire sur cette résurrection de l'Église catholique en France où les vocations sacerdotales se trouvèrent bientôt assez nombreuses pour répondre aux besoins des diocèses en leur donnant des prédicateurs et des professeurs, et aux
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besoins des pays étrangers en leur envoyant des missionnaires.
Lorsque Jean-Marie <■ Odin se prépara à entrer dans la milice sainte, sur tous les points du diocèse de Lyon s'étaient établies des maisons pour la formation du clergé. Le diocèse comprenait le département du Rhône, de la Loire, de l'Ain; il renfermait en outre de larges segments des diocèses du Puy, de Clermont, de Mâcon et de Vienne : Pélussin, Condrieu, Bourg-Argental.
Il fut d'abord envoyé à Roanne, vers i8i3, dans une petite pension qui était loin de continuer la gloire du collège des Jésuites fondé au dix-septième siècle par le célèbre Père Coton, et qui ne devait être relevé avec un certain éclat que plus tard.
Son séjour y fut assez court. Tout l'avantage que les parents pouvaient apprécier était la proximité d'Ambierle : vingt kilomètres seulement en formaient la dislance. Il fallut se décider à une séparation plus grande et à un éloignement qui coûtait à la famille.
Jean-Marie fut placé au petit séminaire de Verrières, sur les frontières du département de la Loire et du Puy-deDôme. Ce petit séminaire, situé dans les montagnes audessus de Montbrison, avait été fondé par M. l'abbé Perier, en i8o3, et depuis cette époque il avait vu grandir son importance en raison des services qu'il rendait au clergé et aux familles. L'éducation était sérieusement chrétienne ; les principes de foi les plus solides en faisaient le fondement. Elle ne connaissait guère les délicatesses qu'on a apportées depuis lors à peu près dans toutes les maisons : l'air froid des montagnes, la rigueur des hivers, la grossièi.
grossièi. l'appelons dès ce moment Jean-Marie, car nous retrouvons dans la première lettre écrite à ses parents ce nom de Marie ajouté à celui de Jean qui figurait seul sur les registres du baptême. Sans nul doute, on dut le lui donner de bonne heure en le mettant sous la protection de la sainte Vierge, pour laquelle sa pieuse mère professait une dévotion toute particulière.
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reté de la nourriture, les rudes exercices, rendaient les corps robustes et les âmes vaillantes. Les santés se fortifiaient à la condition qu'elles ne fussent pas trop faibles. Les malades ne pouvaient guère y séjourner; ce n'était pas leur milieu. Jean-Marie Odin s'y trouva bien; ses forces suffirent aux études, mais l'éloignement était cruel à la famille. Pour lui, il en avait pris son parti, et une lettre du 17 novembre 1814 nous le montre consolant sa mère par ces paroles : « Je m'empresse de vous écrire; soyez persuadée que, puisque je suis plus éloigné de vous que si j'étais à Roanne, je pense aussi davantage à vous. » On ne pouvait plus délicatement contenter le coeur d'une mère. Il ajoutait pour calmer toutes les inquiétudes : « Je suis aussi bien ici qu'à Roanne, pour ne pas dire mieux. » C'était à cette époque un vrai exil, et la distance qui séparait Ambierle de Verrière, sans être considérable, demandait près de deux jours de voyage pour être franchie. Le caractère décidé du jeune homme, qui ne connaissait pas les mièvreries maladives de l'affection filiale, acceptait généreusement toutes les séparations pour répondre à sa vocation. Ses études furent continuées. Il faut avouer que jusqu'à cette année 1814, pour avoir été commencées de bonne heure, elles n'avaient pas dû aboutir à un grand résultat, malgré le dévouement des maîtres. On se rappelle que, dans le presbytère du vieil oncle, elles avaient été bien vite interrompues, pour être reprises quelque temps après, lorsqu'il fut revenu à Ambierle. Le curé, M. Real, avait accepté le soin de diriger l'enfant de choeur dans ses leçons de latin. Ce ne fut que pour un temps, car nous le voyons passer près d'un an à Roanne. Ces changements divers n'avaient pas laissé l'esprit du jeune homme recevoir son développement logique et naturel, et cet esprit plus que tout autre ne devait acquérir toute sa valeur que par la suite rigoureuse dans les mêmes méthodes et le même enseignement.
Il rencontra là parmi ses condisciples celui qui devait
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être plus tard l'archevêque d'Albi. Mgr Lyonnet, né à SaintÉtienne d'une modeste mais très honorable famille, était d'un an moins âgé que Jean-Marie Odin. Après avoir suivi quelques cours du collège de Saint-Chamond, il vint à Verrières achever son instruction littéraire. Son esprit juste, son jugement solide devaient lui assurer dans la suite une certaine réputation comme professeur de théologie et comme administrateur plus que comme littérateur, s'il en faut juger par son Histoire du cardinal Fesch. A A^errières, il fut un élève très remarqué et il devint l'ami de JeanMarie Odin en qui il trouvait un émule digne de lui et un camarade simple, bon et pieux. Les événements séparèrent leur vie sans les désunir, et nous les retrouverons en 1862, près de quarante ans après, à la chapelle du grand séminaire de Lyon, à la consécration de Mgr Dubuis, évêque de Galveston.
Aux études littéraires succédait la philosophie qui s'enseignait au séminaire de l'Argentière. Pendant les persécutions de l'empire, où on était obligé d'envoyer les élèves des séminaires fréquenter les hautes classes des lycées et collèges de l'Etat, Verrières avait pu, grâce à son éloignement, réunir les élèves de tous les séminaires pour la philosophie et les mathématiques; mais, depuis 1814, les études régulières furent établies, et l'Argentière, avec Alix transformé, donna seul l'enseignement des sciences qui préparaient l'étude de la théologie.
L'Argentière,fpar sa situation sur les confins des départements du- Rhône et de la Loire, vit bien vite sa population scolaire s'accroître. L'ancien monastère des chanoinesses, bâti en 1788, grâce aux libéralités du duc de Provence, plus tard Louis XVIII, était devenu petit séminaire en 1801 et il fut dirigé pendant quelques années par les Pères de la Foi 1. Jean-Marie Odin y entra en 1818 pour y suivre le
1. Parmi les professeurs qui furent remarqués, signalons le P. Bar-
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cours de philosophie. Ses études littéraires avaient été plus solides que brillantes, comme nous pouvons en juger par ce qui est sorti de sa plume à cette époque; les études philosophiques répondaient mieux aux tendances de son esprit. Il y marqua parmi les nombreux élèves et fut désigné déjà comme un futur maître dés conférences pour le grand séminaire de Lyon 1.
D'après la décision prise, nous ne savons sous quelle inspiration, par ceux qui le dirigeaient, au lieu de terminer à l'Argentière ses études de philosophie et de mathématiques, il fut envoyé au séminaire d'Alix, près de Villefranche. Alix était, comme l'Argentière, un ancien chapitre de chanoinesses nobles, et assez célèbre au dix-huitième siècle par le séjour de Mme de Tencin et de Mme de Genlis.
Le jeune Odin continua sa philosophie et suivit le cours d'éloquence. Y eut-il un vrai profit pour son développement intellectuel ? nous ne pourrions le dire; ce que nous constatons, c'est le travail intérieur qui s'accomplissait mystérieusement dans son âme, à ce moment où la jeunesse est dans toute son effervescence; son coeur était prêt atout ce que Dieu allait exiger de lui.
CHAPITRE III
Le grand séminaire. — Succès dans ses études. — Sa piété. — Correspondance avec sa famille.
Le concile de Trente avait décrété, pour la formation du clergé, l'établissement de maisons spéciales, où le jeune
ret, qui, comme jésuite, se fit une grande réputation. Ce qu'on con- <
naît moins, ce sont ses rapports avec Ampère et Ballanche. Lire, dans la vie d'Ampère par Valson, les détails sur une académie littéraire et scientifique à Lyon qu'avait inspirée M. Barret dans les dernières années de la Révolution.
x. Son professeur de philosophie, M. Crozet, mort chanoine de Lyon, lui reconnaissait un jugement solide et un bon sens supérieur. (Témoignage recueilli par M. Fillon.) .
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lévite se préparerait dans l'étude, la prière et la solitude, au ministère des âmes. Dès le dix-septième siècle, avec les Bérulle, les Bourdoise, les Vincent de Paul, les Olier, les séminaires furent établis en France; on vit le clergé renouvelé dans l'esprit de son état, rester au milieu du monde, plein de foi, de piété, de zèle. L'honneur lui était rendu avec la dignité. Pour apprécier les services de cette institution, on n'a qu'à se rappeler dans quel mépris était tombé le nom de prêtre qui avait été entouré depuis si longtemps de l'auréole du talent, de la piété et du dévouement. Du temps de M. Olier, Lyon vit à côté du séminaire des Oratoriens se fonder un autre séminaire dirigé par les prêtres de Saint-Sulpice. M. de Hurtevent, de si pieuse et si savante mémoire, en avait été le premier supérieur. Au dix-huitième siècle, il rivalisait de zèle avec celui des Oratoriens et des Joséphistes pour l'éducation des clercs.
Immédiatement avant la Révolution, M. Emery venait d'y laisser une réputation de science et d'esprit sacerdotal qui ne fit depuis que grandir pendant les luttes du premier empire et de l'Église. Rendu aux Sulpiciens, en 180g, avec M. Bouilland pour supérieur, le séminaire avait été, par le fait de la suppression de la Société de Saint-Sulpice, en 1812, remis entre les mains des prêtres séculiers. L'embarras avait été grand pour l'archevêché de Lyon; on était allé au plus pressé et, confiant par intérim la supériorité à M. Bochard, vicaire général, on nomma comme professeurs deux jeunes prêtres qui venaient à peine d'achever à Paris leurs études théologiques, MM. Cholleton et Cattet; ils devaient, dans la suite, se faire connaître, le premier comme administrateur dans la charge de vicaire géne'ral, et l'autre par ses écrits de polémique où il y avait souvent plus de zèle emporté que d'exactitude théologique, au dire de Mgr Affre (Ami de la Religion, i835). M. Mioland, mort archevêque de Toulouse, eut à diriger les cérémonies. — En 1820, les professeurs étaient formés. On dis-
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tinguait M. Duplay ( 1789-1887), dont la longue carrière devait se passer tout entière au séminaire, et M. Denavit, mort, en 1867, avec le renom d'un prêtre aussi pieux que sévère.
Le règlement était rigoureux sous la direction de M. Gardette qui quittait le petit séminaire de Saint-Jodard, qu'il avait fondé, pour devenir supérieur en I8I3 et l'être jusqu'en 1840 ; et l'on avait à souffrir de la position par trop exiguë et resserrée du bâtiment. Le séminaire de Saint -
I renée bâti avant la Révolution sur la place Croix-Paquet, assez isolée à cette époque et entouré seulement de communautés religieuses, était devenu un assemblage très irrégulier de bâtiments disparates. Ils étaient enserrés par un amas de maisons ouvrières de la colline Saint-Sébastien qui dominait le séminaire et par le Rhône qui y apportait de l'humidité.
Jean-Marie Odin fut heureux d'entrer dans cette maison, où il sentait que Dieu allait lui faire connaître sa vocation.
II se trouvait à l'aise au milieu des mille entraves qui lient la liberté, car, au séminaire, on ne s'appartient pas; qu'on en juge. Une heure de récréation passée à midi et au soir dans l'étroite cour quand il faisait beau, ou dans la salle commune, interrompait seule les exercices sérieux d'une journée qui commençait à cinq heures du matin et s'achevait vers neuf heures du soir; des prières et des études étaient la trame serrée dont étaient tissées ces journées. Mais l'âme du jeune homme s'épanouissait dans les exercices religieux, dans l'oraison et la prière; et son esprit se plaisait à étudier la suite logique et raisonnée des preuves de la Religion. La théologie, en effet, prenant pour point de départ la Révélation, par la puissance du raisonnement amène l'intelligence à une conviction rationnelle. Justifier la foi en la défendant contre les hérétiques de tous les âges et expliquer les vérités révélées, tel est pour elle le but à atteindre.
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Un esprit philosophique y est nécessaire; la théologie le suppose, mais aussi elle le développe puissamment. Les raisons de croire forment la partie spéculative, les lois qui règlent la conduite en sont la partie pratique.
Un grand bon sens avec la science théorique fait le bon moraliste et le casuiste avisé. L'abbé Odin apportait une raison droite, un instinct logique qui lui était propre avec un grand sens pratique et une sûreté de jugement qui le préparaient merveilleusement à l'étude de la science sacrée. Aussi fut-il désigné,après ses examens,commesuppléantde ses professeurs.
Primitivement, quand, à Saint-Sulpice, on établit les séminaires, les cours de la Sorbonne étaient les seules leçons suivies par les étudiants. Au retour, quelques élèves d'élite étaient choisis comme répétiteurs des leçons entendues. Ce rôle était, il est vrai, modeste. Il ne s'agissait pas de donner le résultat de ses recherches ou des vues nouvelles sur les questions débattues; il suffisait de redire sûrement l'enseignement du professeur, d'en répéter exactement les explications ou de les développer pour les esprits moins ouverts. Lorsque la théologie s'enseigna au séminaire même, SaintSulpice garda l'institution des répétiteurs et leur donna le nom de maîtres de conférence.
L'abbé Odin trouva, dans cet emploi, un moyen excellent d'approfondir les questions et s'assura par lui-même, comme l'expérience le lui avait dit, que jamais on ne se rend mieux compte de son savoir, que quand il faut le communiquer aux autres.
Sa santé cependant ne put tenir longtemps à cette vie si intense ; il tomba malade au bout de quelques mois. Il en plaisante, il est vrai, agréablement dans une lettre, mais il avoue « le poids de misères dont il était accablé et les accès de la plus terrible des fièvres ».
Heureusement son robuste tempérament reprit le dessus, et il fut quitte sans trop perdre son temps dans les lan-
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gueurs de la convalescence et les loisirs forcés de l'infirmerie. Cette petite épreuve ne fut pas inutile à sa piété; nous allons, grâce à sa correspondance, en suivre les étapes et en étudier les progrès. Il envoie à sa soeur une Vie de saint Louis de Gonzague, un petit livre de méditations, et il ajoute : « Je t'invite à lire avec soin la vie de saint Louis de Gonzague. Les grandes pénitences et les austérités de ce saint t'encourageront à supporter avec patience les petites misères de ce monde. Pense souvent à l'éternité, à la gloire dont jouissent les saints dans le ciel, et rappelle-toi que ce n'est que par la voie des souffrances et de la pauvreté qu'ils sont arrivés à cet heureux terme. Offre avec soin à Dieu ton travail; que tes moindres actions soient faites pour sa gloire. Par là tu seras sûre de lui plaire, et sa grâce te soutiendra toujours. »
En quelques lignes, il trace un programme étendu de vie chrétienne où rien n'est négligé. La pratique vient utiles ment se mêler aux exhortations trop générales. Il n'a que quelques mois de séjour à Lyon et déjà le voilà apôtre, voulant faire le bien à ceux qu'il aime.
Vers 1820, le diocèse fut témoin de grandes manifestations religieuses.
Les missions, dont on a tant et si mal parlé, opéraient dans les villes et les campagnes des conversions nombreuses, et luttaient souvent victorieusement contre l'esprit public d'indifférence ou de raillerie voltairienne. Les nouvelles arrivaient au jeune lévite et il laissait la joie éclater dans ses lettres. Cependant le bien ne se faisait pas sans opposition et cette opposition était parfois ardente et même violente. Les impies de tous les temps, qu'ils s'appellent philosophes comme au dix-huitième siècle, libéraux sous la Restauration, libres-penseurs sur la fin du dix-neuvième siècle, usent toujours des mêmes armes pour combattre l'influence de la religion qui, elle, ne s'adresse aux âmes que par la persuasion. Les lettres du jeune séminariste révèlent
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tout l'acharnement que rencontrent les missionnaires dans des groupes impies.
Les missions se terminaient d'ordinaire par une cérémonie imposante; on laissait un souvenir public des instructions données, c'était la plantation de la Croix. Avec l'une de ses cousines, pieuse jeune fille qu'il aidait de ses conseils, il laisse à cette occasion apercevoir un côté plaisant de son esprit qui nous paraît si prématurément grave. « J'ai reçu, lui écrit-il, ta lettre avec la joie la plus vive; ton zèle et ton ardeur à rechercher la parole de Dieu m'ont édifié et confirmé dans la haute idée que j'avais des vertus de ma bonne cousine. Je t'avouerai cependant qu'en compatissant à tes mésaventures et à celles de tes compagnes de pèlerinage pour la plantation de la Croix, je n'ai pu réprimer le sourire qu'elles ont amené sur mes lèvres.... J'ai communiqué le récit de ce voyage à un de mes amis, et nous avons déjà composé une petite pièce intéressante à ce sujet. Je pourrai t'en faire part aux vacances, si toutefois je n'ai pas à craindre de te remplir de vanité, car nous louons fort votre piété. »
C'est le seul trait que nous trouvons dans ses lettres qui soit un écho des plaisanteries qu'il ne redoutait pas en conversation. Le ton d'ordinaire en est sérieux, très sérieux.
Quelque temps après, c'est à cette même cousine qu'il écrivait. C'est un directeur déjà expérimenté. Quel sens de la vie religieuse dans un débutant ! Combien son esprit était pénétré de la grandeur de Dieu et du néant des choses d'ici-bas :
« J'ai reçu ta lettre, ma chère cousine; depuis quelques jours, il me tardait bien de te répondre.
« Les inquiétudes et les soucis de la vocation te troublent un peu. Dieu en soit béni, c'est une preuve qu'il ne s'est pas éloigné de toi. La Providence nous a assigné à chacun la place que nous devons occuper sur la terre; heureux
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ceux qui se préoccupent avant tout de connaître la destinée que le Seigneur leur réserve et ce qu'il attend d'eux. Mais, j'ai cru voir dans ta lettre que cette idée te fatiguait et t'importunait. Ah! ma chère, prie Dieu d'entretenir en toi cette sollicitude jusqu'à ce que tu te sois entièrement décidée sur la voie à choisir; ne t'endors jamais sur l'affaire de ta vocation, car s'il n'est jamais permis d'être indifférent sur cette grande affaire, c'est surtout lorsqu'elle paraît nous appeler à l'état religieux. Ici, que de choses j'aurais à te dire sur le bonheur de ceux qui sont faits pour prendre un si glorieux genre de vie. Etre séparé du monde, de soi-même, ne vivre que pour Dieu, est-il rien de plus heureux, est-il rien que l'on doive désirer avecplus d'ardeur? Hélas, si nous pouvions connaître le monde, nous n'habiterions au milieu de ses dangers qu'autant que la gloire de Dieu nous y appellerait. Dans le monde, que fait-on trop souvent pour Dieu? Que fait-on pour son salut? La dissipation continuelle nous éloigne de Dieu; on se recherche sans cesse, on ne se détache de rien, on ne pense qu'à la vanité.
« Les grandes vérités de la religion sont oubliées, et l'importante affaire du salut est négligée. Oh ! ma chère amie, ne pensons qu'à l'éternité, portons nos regards vers l'éternité, ne nous arrêtons point sur cette terre d'exil, nous la quitterons bientôt, efforçons-nous donc de devenir dignes d'entrer dans notre véritable patrie, dans la demeure de notre Dieu et de ses saints. — Dans un ordre religieux que de secours pour se sanctifier, surtout si l'on suit exactement la règle qui est prescrite; que de grâces! Tout porte à Dieu, tout encourage à le servir. Les sacrifices que l'on fait, l'éloignement du monde et des occasions, le fréquentsouvenir des vérités éternelles; voilà autant d'encouragements forts et puissants pour avancer dans la vertu. »
Après les neuf mois de vie claustrale, le séminariste, obligé par vocation de passer sa vie dans le monde au service des âmes, doit essayer sa vertu et s'exercer à la prit»
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dence et à la discrétion. M. Odin revenait à Ambierle revêtu de la soutane, personne ne s'étonnait de ce changement. Il était né prêtre comme dit un saint Père ; c'est-àdire qu'il avait montré dans sa conduite la modestie, la sagesse et cette gravité pieuse du vieillard (presbyter). Il ne retrouvait plus le vicaire qu'il n'avait fait qu'entrevoir en 1816 et qui était parti pour les missions de la Louisiane, M. Blanc, dont l'âme ardente et le coeur pieux n'étaient restés que quelques mois dans le ministère tranquille de la religieuse paroisse d'Ambierle. Il avait vu et entendu, au grand séminaire, Mgr Dubourg, évêque de la NouvelleOrléans, et, de ce jour, le feu de son zèle l'emportait. Il ne rêvait que missions chez les sauvages avec leurs périls et peut-être la mort. Il s'était vite établi entre le jeune séminariste de seize ans et le nouveau prêtre une amitié qui sort des fibres secrètes de l'âme. Que de pensées communes et de sentiments qui vibraient à l'unisson! M. Blanc s'était en différentes occurrences déclaré hautement le protecteur et l'ami de Jean Odin. Il partit laissant à Ambierle, de son court passage, le souvenir d'un prêtre pieux et zélé pour les âmes.
Notre séminariste passait ses vacances soit chez ses parents à Hauteville, soit chez ses oncles qui habitaient SaintForgeux, Saint-Haon-le-Vieux et Arfeuille. Partout il était aimé, et partout sa piété faisait des prosélytes; son amour pour les pauvres trouvait des occasions nombreuses de s'exercer : il donnait ce qu'il pouvait. On a conservé le souvenir d'un trait de charité touchant. Dans une de ses courses aux Tremières où il avait reçu les premières leçons de son parent, ancien séminariste d'avant la Révolution, il rencontra un pauvre dont la misère l'émut. Des haillons couvraient à peine sa nudité. Notre séminariste se demande comment il peut soulager ce malheureux; une idée prompte et généreuse surgit dans son esprit ; il arrête le pauvre homme et, s'éloignant un peu, il se dépouille derrière
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une haie d'un pantalon neuf qui venait de lui être donné pour remplacer celui qu'il avait rapporté du séminaire et qui était presque hors d'usage. Il l'en revêt joyeux ne demandant qu'une grâce à notre mendiant, celle de ne pas passer pendant quelque temps trop près de la maison de la famille Odin. «Maintenant allez vite, ajouta-t-il en le congédiant, et que personne de mes parents ne vous voie. »
Rien n'était donc perdu pendant ces jours où il retrempait sa santé pour de nouveaux travaux.
Le moment approchait où Dieu allait demander un sacrifice plus complet. Le sous-diaconat, qu'il avait reçu en 1821, l'avait fixé irrévocablement dans la vocation ecclésiastique. Il fallait plus : l'Amérique l'attendait, il s'agissait de préparer sa famille à cette séparation. A cette époque, une des soeurs de l'abbé Odin se sentait attirée à la vie religieuse. Le pieux séminariste avait dû la conseiller et la guider dans cette vocation, surtout dans la négociation pour l'entrée au couvent. L'opposition de la mère fut très vive et un refus absolu basé sur les besoins de la famille arrêta net la poursuite de ce but. C'était, semble-t-il, au séminariste, mieux placé que nous pour apprécier les raisons de famille, une indication de la Providence ; il écrit à sa mère le 9 février 1823 :
« Ma chère Mère, j'ai suspendu toutes les démarches que j'avais faites pour seconder la sainte résolution de ma soeur. Il faut bien que l'état religieux ne soit point celui auquel Dieu la destine, puisqu'une mère, qui n'a rien tant à coeur que le désir de voir ses enfants heureux, s'oppose à ce qu'elle suive l'attrait qu'elle se sent pour cette belle vocation. ^- D'un autre côté, je suis bien persuadé, ma chère mère, que votre piété ne vous permettrait point de vous décider à refuser à votre Dieu un de vos enfants, si vous étiez convaincue qu'il vous le demande. La joie que vous éprouvez en me vsyant entrer dans l'état ecclésiastique, état où il n'est plus permis d'être qu'au Seigneur, me prouve
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bien que vous feriez aussi volontiers le sacrifice de vos autres enfants que vous l'avez fait de moi-même. Ce n'est pas non plus un attachement trop tendre qui apporte des obstacles à cette séparation. L'état où vous vivez depuis longtemps est un état de privations, de peines, de chagrins, et cependant vous le supportez avec patience et résignation. Ah ! sans doute vous ne voudriez pas vous priver du mérite de tant de souffrances, en refusant de recevoir les nouvelles croix qu'il plairait à un Dieu qui s'est sacrifié lui-même pour nous, de vous envoyer. Ce n'aura été qu'après de mûres réflexions et de sages avis que vous êtes déterminée à retenir ma soeur ; je ne vous presse donc aucunement pour vous décider à la laisser partir, au contraire; entrant dans vos vues, je vais me hâter de la détourner de son dessein. Peut-être avez-vous été fâchée de ce que je ne vous ai point manifesté dès le principe les démarches que j'ai faites, mais si je ne vous les ai point déclarées ouvertement, c'était pour ménager votre sensibilité. Et puis comme j'étais bien loin de pouvoir espérer de si bien réussir, pourquoi vous donner des chagrins sur une choses qui ne devait peut-être jamais avoir lieu !
« Votre très soumis et respectueux fils,
<c ODIN J.-M., S. d. »
D'autre part, il écrit à sa soeur pour adoucir le coup qui la frappe et l'encourager à servir Dieu dans la famille avec toute la ferveur de son âme. Ses conseils sont sages et essentiellement pratiques.
a Lyon, i3 avril 1822.
« Ton état, ma chère soeur, dans le monde est aussi heureux que si tu étais en religion, puisque ce n'est que la volonté de Dieu qui t'y retient encore. En y restant tu accomplis donc le bon plaisir du Seigneur, et que devons-nous désirer de plus? Applique-toi à l'amour delà solitude et de la retraite. Dans les moments de repos, le dimanche par
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exemple, va passer quelques instants au pied des autels, et tu goûteras toute la joie, toutes les consolations qu'il est possible de goûter sur cette terre d'exil. Renouvelle souvent à Dieu le sacrifice de toute ta personne, ce sacrifice que tu étais prête à lui faire, si sa volonté ne t'eût pas retenue encore dans le monde, et alors tu auras tous les mérites que l'on acquiert dans la profession religieuse. L'esprit de détachement est très agréable à Dieu, fais-en l'objet de tes études. Je te recommanderai aussi de dire de temps en temps, dans la maison, quelques petits mots propres à réveiller le sentiment de la présence Dieu, et de faire quelques lectures capables de te pénétrer de l'importance du salut et de t'animer du désir de faire quelque chose pour gagner le ciel. Aujourd'hui l'on ne s'occupe que des richesses, des amusements, des biens périssables et l'unique affaire est négligée; pourvu que le corps ait ses aises et ses commodités l'on est parfaitement content, et la pauvre âme est entièrement oubliée. Ah! ma chère soeur, soupirons sans cesse vers le ciel. »
(A suivre.)
PEROU
La guerre civile a désolé le Pérou. Un parti dit des « coalisés », commandé par le général Piérola, luttait contre celui qui se regardait comme constitutionnel et légal, présidé par le général Caceres. C'est à l'heure présente le parti des coalisés qui triomphe après des luttes sanglantes, notamment à Aréquipa et à Lima. Les coalisés ont respecté partout, nous écrit-on, les intérêts religieux.
Les lettres suivantes donnent des détails sur les combats qui ont eu lieu à Lima les 17 et 18 mars 1895.
Lima, maison centrale des Filles de la Charité, 25 mars 1895.
■Nous avons eu dans notre pauvre Lima deux jours de combat dans les rues, lesquelles étaient couvertes de sang et jonchées de cadavres. Cela a été affreux, il y a eu au moins 1 3oo morts et 1 000 blessés ; de ceux-ci plus de 3oo sont à Saint-Barthélémy; presque autant au « Deux-de-Mai» et les autres dans les diverses ambulances et dans nos maisons du Cercado ou aliénés, Santa-Ana et à la Maison centrale .
Toutes nos Soeurs des classes de cette maison et plusieurs de Bellavista et des Incurables sont dans les hôpitaux; nous nous aidons les unes les autres, et toutes nos chères Soeurs sont bien dévouées.
Le 17, vers six heures du matin, on entendit la fusillade. Les coalisés ou Montaneros (parti contre le gouvernement) étaient entrés ; ils ont été favorisés par le brouillard, qui était très épais, et on ne les a vus que quand ils ont été dans la ville. Les balles pleuvaient partout, les canons retentissaient. Le parti qui prenait un clocher sonnait les cloches pour annoncer sa victoire, pendant que l'autre parti délogeait; au milieu de cela, que de victimes ! Un des chefs est entré ici à cheval et a ordonné de sonner. Malgré nos
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résistances, nous avons dû le faire, car il menaça de détruire le clocher si on ne sonnait pas. A ce moment, du fort de l'artillerie,une pluie de balles est venue sur la Maison; neuf ont traversé un dortoir où nous avions quatorze enfants au lit, malades de la rougeole; plusieurs balles sont tombées sur leurs lits et ne les ont pas touchées.
Dans chaque maison il y a eu des merveilles de protection; aux Incurables, une pierre assez grosse, lancée on ne sait d'où, est tombée dans une salle, a fait un grand trou au toit; une de nos Soeurs venait de passer à cet endroit, elle était à un pas.
Mais la plus grande protection a paru à l'hôpital du « Deuxde-Mai ». Ayant appris qu'il s'y trouvait des Montaneros, un bataillon est arrivé en toute hâte. Ma Soeur Crepey a supplié le chef de ne pas laisser pénétrer ses hommes; mais celui-ci a commandé à plus de trente d'entrer, et, à peine entrés, il a commandé le feu. On a tiré au-dessus de Soeur Crépey et de sa compagne ; c'est un vrai miracle qu'elles n'aient pas été tuées ; une seconde fois, le chef a fait faire feu, heureusement que les soldats ont été plus humains que lui, ils n'ont pas tiré en face, autrement les malades des salles auraient été blessés. Ce chef a voulu faire des recherches; ses soldats, arrivés vis-à-vis l'entrée principale, ont aperçu leurs ennemis; alors on a commencé à se fusiller; l'hôpital a été maltraité. Je dirai à ma soeur Crepey qu'elle vous raconte elle-même comment tout s'est passé.
J'ai fait dire plusieurs messes pour remercier le bon Dieu la sainte Vierge, saint Vincent et surtout saint Joseph de la protection qu'il y a eu pour nos maisons, nos Soeurs et nos
pauvres.
Soeur CASTAGNET,
I. f. d. 1. C. s. d. p. m. Lima, hospice Saint-André, i3 avril iSg5.
Nos oeuvres internes et externes occupent à peu près la moitié de l'ancien hôpital d'hommes, qui est à présent au
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« Deux-de-Mai » ; l'autre partie, cédée au gouvernement par la Bienfaisance est devenue depuis longtemps une caserne, et par conséquent un bien dangereux voisinage pour nous, et qui nous a causé bien des frayeurs, soit dans la guerre du Chili, soit dans les nombreuses révolutions qui viennent si souvent troubler le pays.
Le 17 mars, pendant la messe, nous commençâmes à entendre la fusillade, qui s'approchait déplus en plus ( la caserne était presque vide); cependant, après l'action de grâces, les enfants déjeunent bien vite et nous les réunissons dans une grande salle qui est plus éloignée de la caserne et plus près des appartements des Soeurs, salle qui seule dans la maison n'a pas de grandes fenêtres sur le toit. Il y a quelques mois, une porte y avait été ouverte, donnant dans une autre maison qui appartient à la Bienfaisance et que notre inspecteur voulait obtenir pour ouvrir une salle d'asile.
A peine les enfants sont-elles assises que les coalisés, qui entraient par tous les côtés à la fois, et qui ont été prévenus de l'existence de cette porte, la font voler en éclats (elle était pourtant bien épaisse); je n'ai eu que le temps de faire sortir les enfants affolées. Les soldats entrent, le fusil en joue, demandant à passer pour aller à la caserne, et menaçant de briser la porte d'en face, que je leur ai ouverte ainsi que celle de l'escalier du toit ; alors ils ont été très convenables. Ils ont demandé à boire, puis, passant devant la chapelle entr'ouverte, ils se sont mis à genoux et ont demandé tout haut la bénédiction à la sainte Vierge. Ils se sont emparés de la caserne par les toits, qui sont ici tous en terrasse ; mais à peine étaient-ils entrés que les soldats du gouvernement reviennent et le combat commence. Ceux qui avaient passé par notre porte, inférieurs en nombre, s'échappent dans les maisons voisines et dans notre jardin ; nous en avons caché jusqu'au jour suivant, car, s'ils étaient sortis alors, ils auraient été fusillés ; le parti du gouverne-
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ment traitant ainsi les blessés mêmes. Ce qu'il y a eu de providentiel à nos yeux et aux yeux de tous ceux qui ont vu les événements de ces jours-ci, c'est que quand on a enfoncé la porte personne n'ait poursuivi ; que ces soldats de la coalition soient entrés et ressortis sans que l'on soit venu les fusiller devant nous, comme il est arrivé dans presque toutes les maisons, où,dès qu'on les voyait entrer, ils étaient poursuivis et tués, et où même des femmes ont été fusillées. Aussi, ce fut affreux d'entendre pendant deux jours entiers la fusillade, les mitrailleuses, les canons dans toutes les rues ; toutes les maisons en portent les traces; on tirait aussi des tours de toutes les églises. Les morts gisaient dans les rues avec les cadavres des chevaux. Heureusement, saint Joseph, qui est le patron du Pérou, a fait obtenir le 19 une trêve suivie, le 20, des arrangements pour la paix, négociée par les ministres des provinces étrangères, présidés par le délégué apostolique.
Soeur MARIE PERROT,
I. f. d. 1. C. s. d. p. m.
Voici quelques autres renseignements donnés par M. Mivielle, supérieur de notre maison de Lima, qui réussit pendant ces journées redoutables à se rendre à l'hôpital militaire pour y donner aux blessés les secours religieux.
Lima. 10 avril 1895.
Dans la nuit du 16 au 17 mars, on était en fête au palais du Gouvernement ; on s'amusa jusque vers les quatre heures du matin ; lorsque les invités se furent retirés, le président se coucha tranquille ; il fut bientôt réveillé par le bruit de la fusillade. Pendant qu'on faisait fête au palais, les coalisés qui, depuis près de quatre mois, entouraient Lima, s'étaient mis en mouvement, et, trompant la vigilance des avant-postes des troupes du gouvernement, favorisés d'ailleurs par un épais brouillard, ils entraient à Lima par trois points différents. Leur plan était de se retrouver sur la
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place du Gouvernement pour s'emparer du palais, mais la vive résistance qu'ils rencontrèrent sur plusieurs points empêcha le plus grand nombre d'y arriver. Ce que voyant, le gros des forces coalisées, conduites par le candidat à la future présidence, tourna la place et vint établir son quartier général à la place du Théâtre, située à environ cinq cents mètres du palais, et protégée par les deux tours des églises des Augustins et de la Merced, dont ils s'étaient préalablement emparés.
Le combat, qui avait duré toute la journée du 17, recommença le lendemain aussi acharné. Les Soeurs étaientaccabléespar la fatigue, mais rien ne troublait leur courage.
Le 18, dès les premières heures du jour, soeur Barbéyat, jugeant des besoins des autres maisons de nos Soeurs par ceux de la sienne, qui était sans provisions, eut le courage, on pourrait dire la témérité, comme elle l'avait fait la veille, de sortir de son hôpital et d'aller jusqu'à la halle. Les deux jours, elle y trouva ce qui était le plus nécessaire pour alimenter passablement les cinq cents personnes de sa maison et pour venir au secours des autres maisons, où elle put faire passer du pain, de la viande, etc. Le dimanche matin, on se battait déjà devant l'hôpital Sainte-Anne; elle sortit cependant, et, s'approchant du groupe d'où partaient les balles : « Arrêtez un moment, dit-elle, que j'aille chercher du pain pour mes malades... » Surpris, les soldats la regardèrent, un officier lui fit signe de passer ; il l'accompagna, et bientôt elle reparut avec une de ses compagnes qui l'avait suivie, ayant pu obtenir deux sacs de pain ; il est vrai que la boulangerie était à quelques pas.
En prévision de ce qui pourrait arriver, le corps diplomatique avait nommé avant les événements une commission de cinq de ses membres, composée des ministres de France, d'Italie, d'Angleterre, du Chili, et présidée par Mgr Macchi, son doyen, afin que, le cas échéant, ils agissent selon les circonstances. Mgr Macchi, à travers les balles, alla
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trouver les chefs des deux partis : une trêve de quelques Heures pour ramasser les blessés et les morts fut d'abord consentie, et le lendemain, 19, au matin, l'avis en fut donné. Les conditions n'en furent guère gardées par les troupes du gouvernement, mais enfin les combats et les désordres laissaient une certaine latitude pour aller dans les rues. J'en profitai pour visiter les maisons de Soeurs que je n'avais pu voir depuis deux jours.
Le 20, Lima apprit enfin que les horreurs de la guerre civile allaient finir. Un traité avait été signé. Il disait en substance ceci : « Caceres laisse le pouvoir ; il jouira de toute garantie pour sortir du pays ; ses troupes seront licenciées, et les troupes des coalisés occuperont les casernes et seront chargées du maintien de l'ordre. La République sera gouvernée par une commission de cinq membres, ou gouvernement provisoire. Les élections générales auront lieu ensuite ; elles désigneront les députés et sénateurs qui nommeront le président et deux vice-présidents. »
Daigne Dieu donner enfin au Pérou de trouver là paix et d'en jouir.
C. MlVIELLE, I.p.d. 1. M.
PROVINCE DE
LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE
PARAGUAY
Lettre de M. J.-B. DELPECH, prêtre de la Mission, à M. A. FIAT, Supérieur général.
Lnjan, 15 avril 189 5.
MONSIEUR ET TRÈS HONORÉ PÈRE,
Votre bénédiction, s'il vous plaît!
Je viens d'accompagner Monseigneur Crouzet dans sa visite chez nos confrères du Paraguay. C'a été un honneur et un plaisir pour moi de servir de secrétaire et quelquefois d'interprète à Monseigneur.
Pour monter les deux grands fleuves du Parana et du Paraguay jusqu'à l'Assomption, nous avons mis sept jours. Ce voyage a été un peu pénible à cause de la grande chaleur et des insectes qui ne laissent pas dormir même quand on a le plus grand besoin de reposer. Mais, à côté d'un mal, le bon Dieu place ordinairement une compensation, et la contemplation des riches et riants paysages qui s'étendent au loin sur les rives de ces immenses fleuves élevait notre coeur vers le ciel et nous faisait oublier les incommodités de la route.
Arrivés à l'Assomption, au milieu de nos confrères, nous avons été bien consolés. Leurs oeuvres prospèrent et promettent beaucoup pour l'avenir. Monseigneur Bogarin, qui vient d'être consacré et qui est l'unique évêque qu'il y ait dans toute la République du Paraguay, témoigne une grande bienveillance aux prêtres de la mission. Il est plein
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de talent et de zèle, et se préoccupe sans cesse du bien de son immense diocèse. Il veut que nos confrères se consacrent uniquement au soin de son petit et de son grand séminaire et à donner des missions dans les paroisses. Jusqu'ici ils n'avaient pas encore donné de missions, mais Monseigneur Crouzet a établi définitivement cette nouvelle oeuvre. Nos confrères sont, hélas ! peu uombreux. De six qu'ils sont, il n'y en a qu'un qui ait le titre de missionnaire et qui accompagne Monseigneur Bogarin dans les paroisses; les cinq autres sont chargés du petit et du grand séminaire. Ils ont vingt-trois séminaristes ; c'est peu en soi, mais ici c'est beaucoup, dans un pays comme le Paraguay où les vocations ecclésiastiques sont si rares.
Il y a aussi trois maisons de soeurs : laProvidence, l'Hôpital et l'Asile, qui donnent encore quelque occupation à nos confrères. Monseigneur Crouzet les a visitées, et je crois qu'il a été consolé en voyant l'état de prospérité de leurs oeuvres. La Providence est un collège de filles qui compte environ trois cents élèves soit pensionnaires soit externes. Les soeurs de l'Hôpital ont à soigner une cinquantaine de malades et une vingtaine de petites orphelines. Celles de l'Asile se dévouent tous les jours pour de pauvres malheureux que la charité a recueillis.
Il y a encore une oeuvre qui fait beaucoup de bien et dont M. Montagne a été l'initiateur, c'est la Conférence de Saint-Vincent-de-Paul. Nous avons assisté un soir à une réunion de vingt-quatre membres; Monseigneur Bogarin s'y trouvait avec son secrétaire, et nous avons été bien édifiés. Grand nombre de familles pauvres sont visitées et secourues par les membres de cette conférence. Et puis, ils se conservent eux-mêmes plus facilement dans la pratique de leurs devoirs religieux.
Il y a aussi une société de dames chrétiennes qui a pour mission de visiter les malades et de procurer à l'Hôpital et à l'Asile les fonds nécessaires. Une députation de ces da-
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mes est venue visiter Monseigneur Crouzet qui les a félicitées pour lé grand bien qu'elles faisaient et qui les a encouragées à continuer leur oeuvre de charité.
Daignez me croire, dans les saints coeurs de Jésus et de Marie Immaculée,
Mon très honoré Père,
Votre très humble et très obéissant fils,
JEAN-BAPTISTE DELPECH,
I. p. d. 1. M.
GRACES
ATTRIBUÉES A L'INTERCESSION DU B. JEAN-GABRIEL PERBOYRE
A Bullingham, Hereford (Angleterre). Guérison de Joseph Clarr(i8g2), et de Mabel Phibbs ( i8g5), à l'orphelinat des Filles de la Charité.
A S. (Belgique). Guérisons. — Lettre de la Soeur C, i895.
Montredon. Grâce particulière. — X.
Paris. Notre-Dame-des-Champs. Guérison d'un cancer. — Note de M. A., i8g5.
Yvré-1'Evêque (Sarthe). Deux guérisons. •— Lettre, 2g mars i8g5.
Saint-Eugène (Charente-Inférieure). Grâce obtenue. — Lettre, 2 avril iSg5.
Riom-ès-Montagne (Cantal). Grâce obtenue. — Lettre, 2 avril 18g5.
Saint-Étienne. Grâce obtenue. — Lettre, 18 avril i8g5.
Ardres. Hospice civil. Guérison. Lettre de la soeur N., 7 mars i8g5.
NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
27. — Mgr Jean-Baptiste Anouilh, de la Congrégation de la Mission, coadjuleur de Pékin, vicaire apostolique du Tchely Occidental, par l'abbé J.-Th. Sentenac, chanoine de Pamiers. Toulouse, i8g5. Un vol. in-12 de 429 pages.
Nous n'avons pas à louer ici les vertus de Mgr Anouilh : son souvenir reste pour les lecteurs des Annales, où furent insérées plusieurs de ses lettres, comme celui de l'un des plus remarquables missionnaires, des plus grands et des plus sages évêques de la Chine en ce siècle. Ces qualités sont rappelées dans le livre de M. le chanoine Sentenac. Cette biographie a le particulier mérite d'être un livre très exact et très bien renseigné. Le héros, Mgr Anouilh a été mêlé aux événements les plus importants accomplis en Chine depuis 1847 jusqu'en 186g. L'auteur a étudié avec soin non seulement la vie de Mgr Anouilh mais les faits et les milieux auxquels celui-ci fut mêlé : le schisme de Pékin (1848), l'immense et longue insurrection de Kouang-si (i853), l'expédition et le traité deTien-tsiu (i858); après les mille violations du traité Lagrenée la campagne anglo-française nécessitée par la trahison des Chinois accueillant, en iS5q, à coups de canon les plénipotentiaires anglais et français qui venaient échanger les ratifications et coulant leurs navires à l'embouchure du Peï-ho.
Diverses études sur les points principaux des moeurs chinoises complètent la valeur de l'ouvrage : tels, le chapitre intitulé Bonnes et rebelles, ou cet autre qui, sous le titre Les diables du Tché-ly, montre, par des récits curieux mais incontestables, l'influence et la puissance des démons dans ce royaume encore idolâtrique de la Chine. Écrit avec soin et avec goût, sans faux ornement littéraire, l'ouvrage de M. le chanoine Sentenac est de nature à plaire aux âmes qui aiment les récits de la vie apostolique ; il intéressera tous les lecteurs.
Nous avons loué l'exactitude des détails ; notons, en passant, que l'évêque vicaire apostolique actuel du Tche-ly occidental est Mgr Bruguière. Dans une seconde édition, les renseignements qui terminent le volume et qui sont peut-être arrivés tardivement, seront avantageusement incorporés plus intimement à l'oeuvre.
Ce livre est du nombre assez restreint de ceux qui peuvent être choisis pour la lecture publique dans les séminaires. Au moment où l'Europe suit avec attention les conséquences de la lutte récente entre la Chine et le Japon, cet ouvrage a un intérêt particulier; il peut être d'une grande utilité pour juger avec exactitude les événements qui se déroulent dans l'Extrême-Orient.
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2S. — Les publications sur les anciens établissements de la Mission ont pour nos lecteurs un naturel et légitime intérêt. C'est pourquoi nous les signalons ici.
L'ouvrage que M. l'abbé L. Bertrand, sulpicien, directeur au grand séminaire de Bordeaux, vient de publier, sous le titre A^Histoire des séminaires de Bordeaux et de Ba^as, Bordeaux, 1S94, 3 vol. in-S, offre au lecteur une très complète et intéressante étude sur ces établissements. Nous y avons trouvé de précieux renseignements sur les prêtres de la Mission chargés de la direction du grand séminaire de Bordeaux, depuis 1682 jusqu'à la Révolution. Le chapitre intitulé : «le Séminaire des ordinands sous la conduite des prêtres de la Mission » (liv.. II, ch. m, p. 276-820), donne la liste des supérieurs de cet établissement pendant cette longue période. Plus d'un s'est distingué par ses talents et ses vertus. A l'époque où le jansénisme était dans toute son effervescence, les fauteurs de cette hérésie attaquaient avec violence le supérieur du grand séminaire, M. Brousse (reçu dans la Congrégation de la Mission, à Cahors, en 1727), lui reprochant de ne trouver jamais qu'on en ait fait assez contre :<cette hérésie imaginaire », disaient-ils. A MM. Jean Dardenne et J.ean-Baptiste de Bailly, supérieurs avant M. Brousse, revient l'honneur et le mérite d'avoir installé le séminaire dans le beau et commode établissement de la rue du Palais-Gallien, dont ils avaient acheté le terrain en 1722, et qu'ils firent construire et aménager à cette fin en 173g.
On trouve aussi dans cet ouvrage d'intéressants renseignements sur l'établissement de Notre-Dame de Montuzet, dans l'archi prêtre de Blaye, au même diocèse de Bordeaux. (Tome 1, page 3o8.)
M. l'abbé Bertrand était déjà connu dans le inonde de l'érudition par plusieurs publications qu'il avait données sous le pseudonyme d'Antoine de Lantenay. Son nouvel ouvrage sera une importante « contribution » à l'histoire de l'Église de Bordeaux. Trois volumes in-8 sur les séminaires de ce diocèse, c'est beaucoup peut-être; en tous cas ce sont d'abondants matériaux mis sous la main de celui qui voulant en faire un livre estimera avec le poète que : Loin d'épuiser une matière il n'en faut prendre que la (leur.
La récente publication de YHistoire des séminaires de Bordeaux nous donne l'occasion de mentionner des travaux analogues sur plusieurs des établissements tenus avant la Révolution par les Missionnaires. Les Annales ont publié deux études : l'une, sur les maisons de Rochefort-sur-Mer, diocèse de la Rochelle ; l'autre, sur le séminaire de Marseille. Nous devons aussi signaler quelques autres ouvrages, quoique plusieurs datent déjà de quelques années.
29.—Mémoire historique sur le séminaire d" 1 Angoulême, par un prêtre de. la Mission., Angoulême, 1869. In-8 de 99 pages.
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C'est en 1704 que Mgr de Rezai, évêque d'Angoulême, confia la direction du séminaire aux prêtres de la Mission, par un contrat signé par lui le 10 mars, accepté par M. François Watel, supérieur, le 17 du même mois. Les principaux événements relatifs au développement du séminaire d'Angoulême sont rapportés à leui. date dans ce substantiel Mémoire historique : en S712, l'union de la cure de SaintMartial et de la chapelle d'Obezine au séminaire; plus tard, créations de bourses pour l'entretien et l'éducation gratuite de clercs, soit par de généreuses donations (1763), soit par l'union de menses conventuelles (1774). Le. Mémoire historique fournit des renseignements biographiques précieux et pleins d'intérêt sur plusieurs des Missionnaires qui vécurent au séminaire d'Angoulême. Les cinq directeurs du séminaire d'Angoulême, à l'époque de la Révolution, refusèrent tous le serment et furent déportés. L'un d'eux, M. Jean Janet, succomba à l'île Madame, en 1794.
3o. — M. l'abbé Camille Daux a publié une monographie très précise et très documentée, intitulée : le Grand Séminaire de Montauban et les Prêtres de la Mission avant la Révolution. (Paris, Dumoulin, i883. In-8 de 122 p.) Outre les renseignements qui concernent l'oeuvre elle-même et le transfert successif du séminaire de Montech (i652) à Notre-Dame de l'Orme (1664), puis à Montauban (I66O)J cette savante étude fournit de nombreuses et précieuses indications sur le personnel des Missionnaires employés soit à l'enseignement du grand séminaire, soit à l'évangélisation dans les missions paroissiales (pp. g, 16, 21 et 67). Parmi les meilleurs fruits de ces missions, il faut compter les nombreuses abjurations obtenues dans les populations protestantes (pp. 77 et suiv.)..
3i. —M. Louis Audiat, dans une étude abrégée mais riche en documents, a réuni les pièces qui concernent l'origine et les développements des établissements de la Mission à Saintes et à Rochefort : Saint Vincent de Paul et sa Congrégation 'à Saintes et à Rochefort. Étude et documents, par M. Louis Audiat. (Paris, Picard, i8S5, 1 vol. in-8 de 106 p.)
D'une plume rapide et exercée, l'auteur retrace l'histoire de ces deux établissements, et plus particulièrement de celui de Saintes. 11 signale son érection, en 1644, à la suite d'une délibération du chapitre approuvant à l'unanimité cette fondation proposée par l'évêque, et aussi « le choix des prêtres de la Congrégation de la Mission », à la condition toutefois que quelques-uns d'entre eux « continueront la mission aux paroisses du diocèze, ainsy qu'ils ont fait au passé fort utilement pour la gloire de Dieu et le salut des âmes ». De plus, le chapitre vota l'union de la cure de Saint-Preuil au séminaire (p. 7).
C'était Raoul de La Guibourgère, alors évêque de Saintes, qui avait appelé les prêtres de la Mission dans ce diocèse ; son successeur,
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Louis de Bassompierre, ne leur fut pas moins favorable. Il voulut être enterré à Paris dans l'église de Saint-Lazare, et il légua au séminaire de Saintes tous ses biens. Ils servirent à acheter la seigneurie de Gademoulins (1715), et successivement quelques autres propriétés : la métairie de La Grange, en la paroisse de Saint-Georges-desCoteaux, et une autre terre dans la paroisse de Pessines (p. 10 et 11).
Plus tard, les évêques de Saintes, toujours pleins de sollicitude pour le séminaire, lui unirent les prieurés de Saint-Thomas de Cosnac (1742) et de Saint-Fort (1746).
L'auteur constate aussi, avec un soin attentif et bienveillant, les origines et le développement de cette autre famille de saint Vincent de Paul, les Filles de la Charité, dans la Saintonge et dans l'Aunis.
LA CAUSE DE BÉATIFICATION DE LA VÉNÉRABLE LOUISE DE MARILLAC
4 JUIN l8g5
La réunion de la Sacrée Congrégation des Rites, tenue le 4 juin, s'est occupée de l'introduction de la cause de béatification de Louise de Marillac; on a émis un avis favorable. Le Souverain Pontife autorise à donner dès maintenant le titre de Vénérable à la servante de Dieu.
Le Gérant : C. SCHMEYER.
Imp. D. Dumoulin et O, à Paris.
LA FORMULE
DE BÉNÉDICTION SOLENNELLE ET D'IMPOSITION
DE LA MÉDAILLE MIRACULEUSE
Il est dit dans l'Office liturgique de la Médaille miraculeuse que c'est avec l'intention de rendre à la sainte Médaille des honneurs analogues à ceux qui sont attribués par l'Eglise au saint Scapulaire et au Rosaire, que la fête de la Manifestation de l'Immaculée Vierge de la Médaille miraculeuse a été instituée.
Comme pour le Rosaire et le Scapulaire, une formule spéciale de bénédiction et d'imposition de la Médaille miraculeuse vient donc d'être approuvée par la Sacrée Congrégation des Rites. Cette formule est facultative, c'est-àdire que la bénédiction ordinaire suffit toujours, si on le veut, pour la Médaille miraculeuse ; on peut aussi, si on en a le pouvoir, — et il est concédé à tous les prêtres de la Mission, —y attacher les Indulgences apostoliques comme à tout objet pieux. Mais la nouvelle formule sera très convenablement employée, par exemple, pour les réceptions solennelles des Enfants de Marie, ou pour les impositions générales comme à la fin d'une mission. .Dans ces cas, il suffit de prononcer une fois la formule sur toute la réunion des personnes qui prennent la Médaille.
De plus, des indulgences spéciales viennent d'être sollicitées pour les fidèles qui auront reçu avec cette formule la Médaille miraculeuse. Nous espérons pouvoir annoncer bientôt que ces indulgences ont été accordées.
— 466 — RITES A OBSERVER
POUR LA BÉNÉDICTION ET L'IMPOSITION DE LA SAINTE MÉDAILLE DE
L'IMMACULÉE VIERGE MARIE, DITE MÉDAILLE MIRACULEUSE (Décret de la Sacrée Congrégation des Rites du 19 avril i8g5.)
Pour la Congrégation des Missionnaires de S. Vincent de Paul.
Par un effet de la bienveillance du Siège apostolique, un décret en date du 23 juillet 1894 permet la célébration de la fête de la Manifestation de l'Immaculée Vierge Marie par la sainte Médaille, avec office et messe propres ; c'est pourquoi le Révérendissime M. Antoine Fiat, Supérieur général de la Congrégation des Missionnaires de SaintVincent de Paul, supplie très humblement notre très SaintPère le Pape Léon XIII de daigner approuver une formule liturgique pour la bénédiction et l'imposition de ladite Médaille miraculeuse : alléguant que pareille faveur a été accordée plus d'une fois pour les saints Scapulaires et les Médailles en particulier de la très sainte Vierge.
La formule de la bénédiction et de l'imposition proposée est celle-ci :
RITUS BENEDICTIONIS ET IMPOSITIONS
Sacri Numismatis I. V. M., vulgo Médaille miraculeuse.
S.R.C., ig april. iSg5.
CONGIIEGATIONIS MrSSIONAKIORUM S. VINCENTtl A PAULO
Quum de benignitate Apostolica per decretum diei 23 Julii anni 1894 concessa fuerit celebratio festi Manifestationis Immaculatac Virginis Maria; a Sacro Numismate, cum officio et missa propriis, Reverendissimus Dominus Antonius Fiat, Superior Generalis Congregationis Missionariorum S. Vincentii a Paulo, Sanctissimum Dominum Nostrum Leonem Papam XIII humillime rogavit ut quemadmodum pro sacris scapularibus et numismatibus praesertim Marialibus non semel indultum fuit, liturgicam formulam adprobare dignaretur in benedictione et impositione ipsius Sacri Numismatis adhibendam. — Formula autem bencdictionis et impositionis hocc est :
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BÉNÉDICTION ET IMPOSITION DE LA SAINTE MÉDAILLE DE L'iMMACULÉE VIERGE MARIE, DITE MÉDAILLE MIRACULEUSE
Le prêtre qui doit bénir la sainte Médaille de VImmaculée Conception de la Vierge Marie, revêtu du surplis et de Pétole, commence ainsi : '
f. Notre assistance est dans le nom du Seigneur.
ïi). Qui a fait le ciel et la terre.
PRIONS
Dieu tout-puissant et miséricordieux, qui par les fréquentes apparitions de l'Immaculée Vierge Marie, avez daigné opérer sur la terre des prodiges incessants pour le salut des âmes, veuillez répandre votre bénédiction sur cette Médaille, afin que ceux qui l'honoreront avec piété et qui la porteront avec dévotion, ressentent la protection de Marie et obtiennent votre miséricorde. Par Jésus-Christ Notre-Seigneur. Ainsi soit-il.
Puis il asperge d'eau bénite la Médaille et, la donnant au fidèle, il dit :
« Recevez la sainte Médaille, portez-la fidèlement; ayez
BENEDICTIO ET IMPOSITIO SACRI NUMISMATIS 1MMACULATJE VIRGINIS MARI/E, VULGO DELLA MEDAGLIA MIRACOLOSA
Sacerdos bencdicturus Sacrum Numisma Immaculata; Virginis Mariae Conceptionis, superpelliceo et stola indutus absolute incipit : f. Adjutorium nostrum in nomine Domini. u\ Qui fecit ccelum et terrarn.
OREMUS
Omnipotens et misericors Deus qui per multiplices Immaculatte Maria; Virginis apparitiones in terris mirabilia jugiter pro animarum salute operari dignatus es, super hoc numismatis signum, tuam benedictionem benignus infïmde ut pie hoc recolentes ac dévote gestantes et illius patrocinium sentiant et tuam misericordiam consequantur. Per Christum Dominum Nostrum. Amen.
Deinde Numisma aspergit aqua benedicta, et ipsum postea imponens dicit : Accipe sanctum Numisma, gesta fideliter, et digna veneratione pro-
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pour elle une grande vénération, afin que la très pieuse et Immaculée Souveraine des cieux vous protège et vous défende; que, renouvelant les prodiges de son amour, elle vous obtienne dans sa miséricorde les grâces que vous aurez humblement demandées à Dieu; et que pendant votre vie et à votre mort vous reposiez heureusement sur son sein maternel. Ainsi soit-il. »
II poursuit ensuite :
Seigneur, ayez pitié de nous. Jésus-Christ, ayez pitié de nous. Seigneur, ayez pitié de nous.
Notre Père
f. Et ne nous laissez pas succomber à la tentation.
iL Mais délivrez-nous du mal.
f. Reine conçue sans la tache originelle.
^. Priez pour nous.
$. Seigneur, écoutez ma prière.
fy Et que mon cri s'élève jusqu'à vous.
f. Le Seigneur soit avec vous.
i|. Et avec votre esprit.
PRIONS
Seigneur Jésus-Christ, qui avez voulu glorifier par des
sequere : ut piissima et immaculata coelorum domina te protegat atque defendat ; et pietatis suoe prodigia renovans, quas a Deo suppliciter postulaveris tibi misericorditcr impetret, ut vivons ac moriens in materno ejus amplexu féliciter requiescas. Amen.
Inde prosequitur.
Kyrie eleison. Christe eleison. Kyrie eleison.
Pater noster....
y. Et ne nos inducas in tentationem,
ij. Sed libéra nos a malo.
y. Regina sine labe originali concepta,
i$. Ora pro nobis.
y Domine exaudi orationem meam.
if. Et clamor meus ad te veniat.
f. Dominus vobiscum,
ij. Et cum spiritu tuo.
OREMUS
Domine Jesu Christe qui beatissimam Virginem Mariam matrem
prodiges sans nombre la bienheureuse Vierge Marie, votre Mère, dont la Conception a été immaculée ; faites qu'implorant toujours sa protection, nous obtenions les joies éternelles. Vous qui vivez, etc.
La Sacrée Congrégation des Rites, usant des pouvoirs que notre Saint-Père le Pape lui avait spécialement attribués, a revu la formule de bénédiction et d'imposition jointe à ce décret, et, prêtant une oreille favorable aux prières qui lui étaient faites, elle a autorisé cette formule et en a permis l'usage aux prêtres missionnaires de ladite Congrégation de saint Vincent de Paul.
Nonobstant toute clause contraire.
Le ig avril i8g5.
-}• CAJ. ALOISI-MASELLA, Cardinal Préfet. (Lieu -J- du sceau.)
A. TRIPEPI, secrétaire.
Nous rappelons, à l'approche de la Fête de la Médaille miraculeuse, qu'on peut se procurer à nos deux Maisonsmères, à la Procure, rue de Sèvres, 95, ou à l'Economat, rue du Bac, 140, les diverses publications relatives à cette fête :
i° L'Office de la Médaille miraculeuse, noté en plaintuam
plaintuam origine immaculatam innumeris miraculis clarescere voluisti : concède ut ejusdem patrocinium semper implorantes, gaudia consequamur aeterna. Qui vivis.
Sacra porro Rituum Congregatio, utendo facultatibus sibi specialiter ab eodem Sanctissimo Domino Nostro tributis, benedictionis et impositionis formulam a se revisam, prouti huic proejacet decreto, bénigne precibus annuens adprobavit et a sacerdotibus Missionariis prarfatse Congregationis Sancti Vincentii a Paulo adhiberi posse permisit. Contrariis non obstantibus quibuscumque. Die 19 Apriliis 1895.
-J- CAJ., Card. ALOISI-MASELLA, prcef. (Loco -J- sigilli.) A. TRIPEPI, secretarhts.
— 47° —
chant. Deux formats : in-12 et in-18, en feuilles détachées, pour être intercalé dans les livres de chant.
20 \J Office de la Médaille miraculeuse. Texte et traduction, avec un court commentaire. Petite piqûre, du format ordinaire des livres de messe, et destinée à y être insérée. L'exemplaire : 5 centimes.
Nous avons signalé déjà dans les Annales (tome LIX, p. 570) le beau volume de la Médaille miraculeuse, par M. Aladel, io° édition, soigneusement revue et augmentée de l'Office liturgique. Volume de 420 pages, orné de 3o gravures.
Notons aussi la charmante Notice illustrée sur la Médaille miraculeuse, brochure de 32 pages, ornée de 16 gravures. Elle fait partie de la collection illustrée éditée chez Paillard. Cette gracieuse brochure a été traduite en allemand, en anglais, en espagnol, en flamand, en italien, en polonais, etc. L'exemplaire : 10 centimes.— S'adresser à la Maison-Mère, à Paris, ou aux maisons centrales des diverses Provinces des Filles de la Charité.
LA VÉNÉRABLE LOUISE DE MARILLAC
i'ONDATRICE AVEC SAINT VINCENT DE PAUL ET PREMIÈRE SUPÉRIEURE DES FILLES DE LA CHARITÉ
Elle donne ses enseignements aux premières Soeurs. Elle leur dit, en parlant de la très sainte Vierge : « Mes Filles, voilà votre unique Mère. »
LA CAUSE DE BÉATIFICATION DE LA VÉNÉRABLE LOUISE DE MARILLAC
Par un décret du Souverain Pontife du 10 juin i8g5, la cause de béatification de Louise de Marillac est introduite à Rome et se poursuivra juridiquement. Dès maintenant, la pieuse servante de Dieu reçoit de droit le titre de Vénérable. Voici ce décret, qui a apporté une grande joie aux deux familles de saint Vincent :
DÉCRET
(CAUSE DU DIOCÈSE DE PARIS)
CAUSE DE BÉATIFICATION ET DE CANONISATION
~ DE LA
SERVANTE DE DIEU LOUISE DE MARILLAC, VEUVE LE GRAS
COFONDATRICE DES FILLES DE LA CHARITÉ
Entre les vertus de toute nature dont l'Église du Christ est ornée, la Charité domine. Jésus-Christ Notre-Seigneur tirant cette vertu du plus profond de son très saint Coeur, la répandit sur les hommes; il l'enseigna par son exemple et sa parole; il la confirma en la présentant comme son précepte ; il la
DECRETUM
PARISIEN.
Beatijicationis et Canoni^ationis servce Dei LUDOVIC;E DE MARILLAC vidu.ce LE GRAS, confundatricis Puellaritm Charitatis.
■ Inter omnigenas virtutes quibus vera Christi Ecclesia condecoratur, una supereminet charitas, quam Christus Dominus e penetralibus Sacratissimi Cordis sui in hommes effudit, exemplo et verbo docuit, praecepto suo firmavit, et veluti tesseram ad suos agnoscen-
• — 474 — donna comme la marque à laquelle on reconnaîtrait ses disciples ; il voulut enfin qu'elle demeurât en eux avec une telle plénitude qu'elle s'étendît jusque sur les moindres de leurs frères et même sur les ennemis : image ainsi de la très parfaite charité divine. Or, on le sait, l'Église, en France, s'applique sans relâche aux oeuvres de cette éminente vertu. Le Dieu très bon et très grand a daigné la consoler en suscitant, même dans les temps et au milieu des événements les plus troublés, un grand nombre d'hommes et de femmes d'une éminente charité. Entre eux, il faut nommer saint Vincent de Paul, instituteur de la congrégation de la Mission et des Filles de la Charité, et avec lui la servante de Dieu, Louise de Marillac, veuve Le Gras, émule du saint, son imitatrice, et fondatrice avec lui des susdites Filles de la Charité. De noble origine, elle naquit à Paris, le 12 août de l'an 1591. Elle fut très illustre par ses vertus dans le triple état de la virginité, du mariage et de la viduité. Sous la conduite de saint Vincent, elle fit
dos discipulos dédit; quamque in eisdem ita plenam manere voluit, ut fratres etiam minimos ipsosque inimicos comprehenderet et perfectissimoe divinae charitatis esset imago. Compertum porro est hujusce praeclarissimae virtutis operibus, Ecclesiam in Gallia assidue incumbere, quam Deus Optimus Maximus in turbulentissimis etiam temporum rerumque tempestatibus, singulari providentia consolari dignatus est, excitando ssepe soepius viros et mulieres eximios charitatis, inter quos juvat recensere Sanctum Vincentium a Paulo Congregationis Missionis et Puellarum Charitatis institutorem una cum Serva Dei Ludovica de Marillac Vidua Le Gras, ejusdem sancti viri semula, imitatrice et prsefatarum puellarum confundatrice. Qua; nobili génère nata Parisiis die xu Augusti anno MDXCI, clarissima virtutibus in triplici statu virginitatis, conjugii et viduiiatis, sub S. Vin•centii disciplina in viani christianoe perfectionis mirabiliter progressa
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d'admirables progrès dans la voie de la perfection chrétienne, et avec les filles qu'elle s'était associées, elle s'adonna à toutes les oeuvres de miséricorde envers les pauvres, les malades, les gens sans asile et tous les malheureux.
La renommée de la sainteté de sa vie, de ses vertus et des miracles, qui suivirent sa mort arrivée le i5 mars de Tannée 1660, s'étendit tellement que la curie ecclésiastique de Paris fut enfin amenée à faire, sur cette renommée, le procès informatif ordinaire. Cette enquête ayant été accomplie selon toutes les règles du droit, et ayant été transmise à la Sacrée Congrégation des Rites, notre Très Saint-Père le Pape Léon XIII, a daigné accorder qu'on pût examiner s'il y avait lieu de signer la commission d'introduction de la cause de la susdite servante de Dieu, et cela en réunion ordinaire de la même Sacrée Congrégation, sans l'intervention ni le vote des consulteurs. C'est pourquoi, sur les instances du très révérend Mgr Virili, prélat romain et postulateur de la cause, eu égard aux lettres postulatoires de plusieurs des
est, et cum puellis quas sibi sociaverat, in egenos, infirmos, errantes aliosque miseros omnia misericordiae officia impendit. Fama sanctitatis vitoe, virtutum et miraculorum post ejus obitum, qui die xv Martii anno MDCLX accidit, adeo percrebuit ut ad OrJinariam Inquisitionem super eadem fama in Curia Ecclesiastica Parisiensi tandem deventum sit. Ejusmodi autem inquisitione ad juris tramites absoluta, atque ad S. Rituum Congregationem delata, Sanctissimus Dominus Noster LÉO PAPA XIII bénigne indulsit,ut de dubio signanda; commissionis introductionis Causoe prasfatoe Servas Dei agi posset in Ordinariis ipsius Sacra: Congregationis Comitiis, absque interventu et voto Consultorum. Hinc, instante Reverendissimo Domino Raphaële Virili, Antistite Urbano atque hujus Causoe Postulatore,
— 476 — ÉÉmes cardinaux de la sainte Église romaine, des révérends évêques et d'autres personnes ecclésiastiques ou civiles illustres en dignités, le cardinal soussigné, préfet de la Sacrée Congrégation des Rites et rapporteur de ladite cause, dans la réunion ordinaire de la Sacrée Congrégation des Rites tenue au Vatican le jour ci-dessus indiqué, a proposé à la discussion le doute suivant : Faut-il signer la commission d'Introduction de la cause dans le cas et à l'effet dont il s'agit ? Or, la même sainte Congrégation, après avoir tout pesé dans un mûr examen, ayant entendu le rapport fait de vive voix et par écrit par le R. P. Don Augustin Caprara, promoteur de la sainte Foi, a jugé devoir répondre : affirmativement\ s'il plaît à sa Sainteté. — 14 juin i8g5.
Ensuite, rapport ayant été fidèlement fait par moi, cardinal soussigné à Notre Très Saint-Père le Pape Léon XIII, Sa Sainteté a ratifié et confirmé la décision de la Sacrée Congrégation, et a daigné signer de
attentisque Postulatoriis litteris plurium Eminentissimorum S.R. E. Cardinalium, Reverendissimorum Sacrorum Antistitum aliorumque virorum sive ecclesiastica sive civili dignitate illustrium, infrascriptus Cardinalis S. R. C. Prcefectus et ejusdem Causas Relator, in Ordinario Sacrorum Rituum Congregationis Coetu subsignata die ad Vaticanum habito, sequens dubium discutiendum proposuit, nimirum : «An sit signanda Commissio Introductionis Causa' in casu et ad effectum de quo agitnr? » Et sacra eadem Congregatio, omnibus maturo examine perpensis, audito voce et scripto R. P. D. Augustino Caprara Sanctoe Fidei Promotore rescribendum censuit : Affirmative, si Sanctissimo placuerit. Die iv Junii MDCCCXCV.
Facta postmodum de his per infrascriptum Cardinalem Sanctiss imo Domino Nostro LEONI PAPJE XIII fideli relatione, Sanctitas Sua sententiam Sacrse Congregationis ratam habuit et confirmavit, pro-
— 477 —
sa main la commission d'introduction de la cause de la susdite servante de Dieu, le 10 juin 1895.
-]- GAÉTAN, Card. ALOISI-MASELLA,
Préfet de la Sacrée Congrégation des Rilcs.
LOUIS TRIPEPI,
Secrétaire de la Sacrée Congrégation des Rites.
A ROME
Son Éminence le cardinal Aloisi Masella daigna informer lui-même M. le Supérieur général de cet heureux événement par une lettre, datée de Rome, le jour même de la signature du décret.
Lettre de S. Em. le Cardinal ALOISI-MASELLA, préfet de la S. C. des Rites, à M. A. FIAT, Supérieur général de la Congrégation de la Mission et des Filles de la Charité, à Paris.
Rome, le 10 juin 1S95.
MON TRÈS RÉVÉREND MONSIEUR FIAT, Les justes désirs des deux familles de saint Vincent de Paul viennent d'être satisfaits. Dans la Congrégation des Rites réunie le 4 du courant, j'ai plaidé l'introduction de la cause de la servante de Dieu, soeur Louise de Marillac, veuve Le Gras, cofondatrice et première Supérieure générale de la Compagnie des Filles de la Charité. Les cardinaux ont tous répondu affirmativement, et cette résolution a été confirmée par le Saint-Père dans l'audience qu'il vient de m'accorder. Le titre de Vénérable est dû à cette
priaque manu signare dignata est Commissionem Introductionis Causas prasdicloe Servrc Dei die x Junii MDCCCXCV.
-J- CAIETANUS Card. ALOISI-MASELLA S. R. C. Proefectus. (Loco + sigilli.) ALOISIUS TRIPEPI S. R. C. Secretarius.
-47» -
grande servante de Dieu, et Sa Sainteté signera de sa main la commission.
Vous comprenez très bien, mon très révérend monsieur Fiat, avec quel bonheur j'écris ces lignes, quelle part je prends à la sainte joie des Fils et des Filles de saint Vincent de Paul, et combien je serais heureux de voir cette cause si belle arriver au moins à la béatification de la Vénérable; mais je suis trop vieux et les forces faiblissent. En tout cas, c'est une grande consolation pour moi que, non seulement comme Préfet, mais aussi comme rapporteur, j'aie pu contribuer à faire décerner le titre de Vénérable à la première des Filles du grand saint dont vous êtes le digne successeur.
• Son Éminence avait eu la gracieuse attention de solliciter du Saint Père la signature du décret de telle sorte qu'il pût être publié pour la fête de M. notre très honoré Père, saint Antoine. « Eh bien, avait daigné répondre le Souverain Pontife, faites qu'il ait celte consolation. » Et Sa Sainteté avait accordé à cette occasion sa bénédiction apostolique à M. le Supérieur général et à ses deux familles. La lettre de Son Eminence se terminait par ces paroles :
Et maintenant, permettez que je vous offre, moi aussi, mes félicitations et mes voeux les plus sincères pour votre prochaine fête; que le bon et thaumaturge saint Antoine, surtout cette année-ci, où l'on célèbre le septième centenaire de sa naissance, vous obtienne une abondance extraordinaire de grâces et de faveurs célestes.
Agréez, mon très révérend Supérieur général, la nouvelle assurance de mon respectueux dévouement.
-J- GAÉTAN Card. ALOISI-MASELLA.
A PARIS
Aussitôt après la publication du décret de la Sacrée Congrégation des Rites, la très honorée Mère Lamartinie
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s'était rendue à Rome pour exprimer au Souverain Pontife la vive gratitude de M. le Supérieur général, la sienne et celle des deux familles de saint Vincent. Le Saint-Père lui fit, ainsi qu'aux Soeurs qui l'accompagnaient, le plus paternel accueil, et il daigna lui exprimer toute la bien-, veillance qu'il ressentait et le plaisir qu'il avait eu luimême en pensant à la joie que ressentiraient les Filles de la Charité.
La très honorée Mère Lamartinie étant revenue de son pèlerinage à Rome, M. le Supérieur général fixa au 29 juin, fête des saints Apôtres Pierre et Paul, la célébration d'un Salut solennel d'actions de grâces à la chapelle de la maison-mère des Filles de la Charité, où reposent les restes de la vénérable Louise de Marillac. Son Eminence le Cardinal-Archevêque de Paris, qui a daigné témoigner un intérêt tout particulier pour le succès de cette cause, avait autorisé toutes les maisons des Filles de la Charité de son diocèse à célébrer, elles aussi, un Salut solennel pour remercier Dieu et pour obtenir la prompte béatification de leur vénérable fondatrice.
Les deux communautés, Missionnaires et Filles de la Charité, étant donc réunies, le 29 juin, à la chapelle de la rue du Bac, M. le Supérieur général présida la pieuse et solennelle cérémonie.
L'avenue qui conduit de la porte d'entrée à la chapelle était gracieusement ornée de lauriers roses et de lys, qui alternaient; la chapelle était magnifiquement parée. Avant la bénédiction du Saint-Sacrement, M. notre très honoré Père adressa une allocution, à peu près dans les termes suivants :
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ALLOCUTION PRONONCÉE PAR N. T. H. PÈRE
A LA CHAPELLE DE LA MAISON-MÈRE DES FILLES DE LA CHARITÉ
A L'OCCASION DE LA PROMULGATION DU DÉCRET D'INTRODUCTION DE LA CAUSE
DE BÉATIFICATION DE LA VÉNÉRABLE LOUISE DE MARILLAC
MES CHÈRES FILLES,
Nous venons joindre les accents de notre reconnaissance à ceux qui, depuis quelques jours, s'échappent de vos coeurs. Votre Mère, en effet, n'est-elle pas aussi la nôtre? N'avaitelle pas pour Saint-Lazare et pour les Missionnaires une affection toute maternelle? Elle priait pour eux avec une grande ferveur à Saint-Lazare, et raconte son histoire, au pied de la Vierge de Chartres. Dans son testament, elle leur léguait une somme relativement importante. Donc joie commune, reconnaissance également et reconnaissance éternelle.
Que n'a pas été pour saint Vincent votre pieuse Mère? Elle fut sa grande admiratrice, son disciple ou sa dirigée la plus fidèle, et pour mieux entrer dans les desseins de » Dieu, elle faisait voeu d'obéir à tout ce que lui ordonnerait ce saint prêtre. Elle a été son émule la plus parfaite, reproduisant en son particulier les oeuvres et les vertus qu'elle admirait dans son saint directeur. Elle a été son auxiliaire le plus intelligent et le plus dévoué incontestablement. Enfin elle est maintenant, et depuis longtemps, dans l'Église le plus beau rayon de sa gloire, et la gloire que nous souhaitons encore à votre vénérable Mère rejaillira sur la figure même de saint Vincent.
Mais pourquoi rendre grâces au Seigneur de l'introduction de cette cause?
Nous devons rendre grâces à Dieu de ce qu'il a bien voulu se servir de cette vénérable Servante, qui, toujours malade, a pourtant accompli des oeuvres admirables. Nous
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devons rendre grâces à Dieu de ce que, pour vous, il a fait d'elle un modèle accompli des vertus qui doivent briller chez les Filles de la Charité.
Quelques années, quelques jours après sa mort, il s'échappait de son corps une odeur merveilleuse. Aujourd'hui, une odeur d'édification a envahi le monde : Rome ellemême en a été embaumée. Elle n'a fait qu'entrevoir cette vie admirable; elle n'a fait qu'effleurer les écrits de Mlle Le Gras, et elle en est dans l'admiration, et lui décerne le titre de Vénérable, la recommandant ainsi à notre admiration, quoique non pas encore à notre culte.
Notre joie est modérée, elle est restreinte. N'importe, c'est une aurore qui paraît à l'horizon. Ce n'est qu'une aurore, mais c'est une belle aurore, et elle aura son plein midi. Vous et moi nous ne pourrons probablement pas le voir, mais elle l'aura. C'est une aurore qui ira grandissant jusqu'à ce jour où l'Église dira : « Sortez ces restes de ce tombeau et placez-les sur les autels » ; et nous dirons successivement : Vénérable Mère, bienheureuse Mère, sainte Mère, priez pour nous.
Dès maintenant, nous la vénérons avec l'Église, qui la déclare « Vénérable », qui trouve que ses écrits sont dignes de respect, qui admire ses oeuvres et ses vertus, et qui juge par là que vous devez toutes être pénétrées de respect pour ses règles, ses conseils : oui, tout cela doit vous pénétrer de respect.
Il m'est agréable de vous lire le premier acte de l'Église romaine à l'honneur de votre pieuse fondatrice : c'est le décret qu'elle vient de publier sur sa « vénérabilité». Les termes sont dignes d'être médités. Je le lirai, et vous, intérieurement, vous louerez le Seigneur, le maître : Te Deum laudamus.
Il y a douze ans, quand nous avons entrepris cette.cause, nous l'avons mise sous le patronage du Sacré Coeur, après avoir délibéré sur ce sujet. Et le Seigneur a permis que
32
— 4§2 —
l'acte lui-même fit mention du Sacré Coeur de Jésus. En effet, votre Mère fut le précurseur de la bienheureuse Marguerite-Marie, lorsqu'elle peignait le tableau du SacréCoeur longtemps avant les révélations, et surtout parce qu'elle portait dans son coeur la charité de ce Coeur Sacré de Notre-Seigneur.
M. le Supérieur général a donné alors lecture de la traduction du décret.
Cette lecture a été suivie du chant du Te Deum et de la bénédiction solennelle du Saint-Sacrement.
A MONTPELLIER
En plusieurs villes de France des actions de grâces solennelles furent rendues à l'occasion delà promulgation de ce décret.
A Montpellier, Mgr l'évêque publia une éloquente lettre pastorale où il conviait le clergé et les fidèles à une double cérémonie, l'une d'actions de grâces pour le décret de vénérabilité de Louise de Marillac, l'autre de prières pour le repos de l'âme d'un vaillant chef mort chrétiennement sur les rivages de Madagascar.—Voici la partie de la lettre pastorale de Mgr de Cabrière qui concerne la Vénérable fondatrice des Filles de la Charité.
A Montpellier, le 29 juin 1S95, en la fête des SS. Apôtres Pierre et Paul.
Au Clergé et aux Fidèles de la ville de Montpellier, salut et bénédiction en N.-S. J.-C.
« Des raisons graves, nos très chers Coopérateurs et nos très chers Frères, nous font venir vous demander de vous unir à nous, le 3 juillet, à six heures du soir, et le 4 juillet, à neuf heures du malin, pour offrir à Dieu nos prières à deux intentions, différentes dans la forme, mais étroitement unies par le fond.
— 4§3 —
« Vous savez quelle gratitude oblige la France, et même la catholicité tout entière, à l'égard de la pieuse famille des Filles de la Charité. Il n'est pas d'enfants abandonnés, de veuves délaissées, d'orphelins ou d'orphelines sans secours, qui ne connaissent l'humble vêtement, sous lequel aux heures des plus dures angoisses, la Providence divine leur est apparue pour leur assurer un abri, un soutien, un refuge. Quels malades ignorent le nom de ces vierges chrétiennes, liées par choix dans un si grand nombre d'hôpitaux, à soigner les infirmités, même les plus rebutantes ou les plus contagieuses? Nos soldats savent que rien n'effraye la vaillante simplicité de ces religieuses, dont la cornette blanche, plus modeste, mais aussi intrépide que le drapeau d'Henri IV, est toujours prête à s'approcher du péril, à l'affronter, à le dédaigner, dans le seul but de pouvoir, en s'inclinant sur le lit des blessés, leur apporter un encouragement, un rayon d'espérance, et la douce vision des saintes tendresses du foyer domestique.
«Nous ne pouvons d'ordinaire rien donner à ces grandes âmes, si oublieuses à la fois et si prodigues d'elles-mêmes, qui soit un témoignage de notre reconnaissance. Elles ne demandent rien qu'à Dieu, elles n'attendent rien que de Lui ; et les récompenses humaines leur paraissent indignes d'obtenir même un regard rapide et superficiel. Mais voici que le Ciel nous ménage une occasion de prouver aux Filles de la Charité que nous les admirons, que nous les aimons, que nous comprenons toute la grandeur de leur sublime vocation.
«Après un silence de deux cent trente-cinq ans, la tombe de Louise de Marillac, la veuve de M. Le Gras, de « l'émule de saint Vincent de Paul » dans la pratique des bonnes oeuvres, de « l'imitatrice de ses vertus », et de « la cofondatrice » de l'Institut des Filles de la Charité, est visitée de nouveau par le bruit des louanges et des acclamations. Mais, en 1660, quand la pieuse femme expirait, les regrets
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484et éloges qu'on lui décernait, si mérités qu'ils fussent, n'avaient pas d'autre valeur que celle des sentiments, dont les hommes disposent. Aujourd'hui, c'est la voix infaillible du Vicaire de Jésus-Christ, qui retentit au-dessus de cette pierre sépulcrale, pour en célébrer les grandeurs, et pour nous révéler, par avance, ce que, au jugement dernier, nous entendrons à la louange de l'une des plus nobles bienfaitrices de l'humanité !
« Par un décret solennel en date du 10 juin 1895, S. S. le Pape Léon XIII a daigné ratifier l'avis favorable de la Sacrée Congrégation des Rites pour l'introduction de la cause de la soeur Louise de Marillac,Voilà donc cette grande Française, admise, comme la Vierge-Martyre de Domrémy, et presque la même année, au rang de « Vénérable »', c'est-à-dire parmi les âmes, dont le bonheur éternel est certain, garanti qu'il est par des vertus, par des miracles, par une vie entière, dont l'Église a reconnu le caractère héroïque et la sainteté surnaturelle.
« Tous, pieux Collaborateurs et bien-aimés Frères, tous, en union avec les Fils et les Filles de saint Vincent de Paul, dont nous apprécions si bien ici le dévouement et les services, en union aussi avec les religieux et religieuses de tout nom, à qui il doit être précieux de voir s'étendre la liste, déjà si longue, des protecteurs et des protectrices de l'Église et de la France, nous tiendrons à honneur le 3 juillet, à six heures du soir, d'être à la cathédrale, pour chanter le Te Deum d'action de grâces et célébrer le Salut solennel, qui témoigneront de la joie, avec laquelle la France catholique voit une de ses Filles près de recevoir l'éclatante auréole de cette glorification souveraine, dont le reflet fait pâlir tous les honneurs d'ici-bas. »
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Les Analecta ecclesiastica, Revue romaine, en publiant dans leur numéro de juillet i8g5, le décret de vénérabilité de Louise de Marillac, ont jugé opportun de donner, par la plume du P. Pie de Langogne, capucin, un intéressant sommaire de la Vie de la vénérable servante de Dieu. Nous avons cru bon, nous aussi, pour les personnes qui n'auraient pas sous la main une Vie de la Vénérable, de réunir quelques traits qui forment un ensemble biographique :
LA VÉNÉRABLE LOUISE DE MARILLAC
COFONDATR1CE ET PREMIERE SUPÉRIEURE DES FILLES DE LA CHARITÉ ( i5 mars 1660)
SON ENFANCE. SAINT VINCENT DE PAUL LUI PRÉDIT
SA MISSSON PROVIDENTIELLE
Louise de Marillac était née à Paris, le 12 du mois d'août 1591. Toute jeune encore elle eut la douleur de perdre sa mère. Son père, Louis de Marillac, seigneur de Ferrières, lui fit donner une éducation très soignée et très chrétienne qui la prépara à sa mission providentielle.
Elle s'était déjà vouée à la pratique d'une vie toute charitable lorsqu'un jour, saint Vincent de Paul apprenant qu'elle avait visité à Paris un malade, atteint de la peste, lui écrivit : « Ne craignez point, Mademoiselle; Dieu veut se servir de vous pour quelque chose qui regarde sa gloire et j'estime qu'il vous conservera pour cela. »
Ces paroles prophétiques eurent leur visible réalisation lorsque, quelques années après, Louise de Marillac, de concert avec saint Vincent de Paul et sous sa conduite, fonda une compagnie, aujourd'hui répandue dans toutes les parties du monde, celle des Filles de la Charité, comme un peu auparavant sainte Jeanne de Chantai avait, sous la conduite de saint François de Sales, établi l'Ordre de la Visitation.
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SON MARIAGE. PRÉMICES DE LA VIE DE CHARITÉ.
SON VEUVAGE
Louise de Marillac avait reçu la brillante et forte instruction qu'on donnait au dix-septième siècle. Son père lui apprit le latin et la philosophie. Elle cultivait les arts et l'on conserve quelques tableaux de piété peints de sa main. « Elle n'eût su en faire d'autres, » écrit son historien.
Le Ciel, qui la destinait à l'assistance des pauvres, l'unit à une famille qui faisait particulièrement profession d'exercer la charité. Il lui donna pour époux Antoine Le Gras, né à Montferrand, près de Clermont, en Auvergne.
Antoine Le Gras était secrétaire des commandements de la Reine, Marie de Médicis ; sa famille s'était signalée par l'amour des malheureux, et elle avait fondé un hôpital dans la ville du Puy.
Louise de Marillac avait alors vingt-deux ans;'c'est dans l'église de Saint-Gervais, à Paris, qu'elle reçut la bénédiction nuptiale, au mois de février I6I3.
Ce fut sous la conduite d'un saint religieux, le Père Honoré de Champigny, capucin, puis sous celle de l'illustre évêque de Belley, l'intime ami de saint François de Sales, qu'elle se forma d'abord à la pratique de la vie spirituelle dont elle faisait ses délices. « Je suis consolé, lui écrivait l'évêque de Belley, que les exercices du recueillement et les retraites spirituelles vous soient si utiles et si savoureuses. » Dieu sans doute la préparait par là au rôle qui lui était destiné; plus tard, en effet, on vit les plus grandes dames de Paris venir à sa maison des Filles de la Charité y faire auprès d'elle leur retraite spirituelle et s'aider de ses conseils et de son expérience.
Dieu la rendit mère d'un fils qui plus tard fut pourvu d'un emploi à la Cour des monnaies et qui pratiqua toujours les vertus d'une vie très chrétienne. Son mari fut
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emporté par la mort après quelques années de leur mariage. Modèle de la femme forte, Louise de Marillac ne chercha alors d'appui qu'en Dieu : en cette circonstance, elle se confessa et communia non seulement pour se fortifier par la présence de Notre-Seigneur, mais pour se consacrer à lui comme à son unique époux.
C'est alors que son directeur, Mgr Camus, qui la voyait dans le dessein de se donner tout entière aux oeuvres de piété ne pensa qu'à l'y affermir. Ne pouvant lui-même faire de longs séjours à Paris, il crut ne la pouvoir confier à un guide plus sage que Vincent de Paul, dont saint François de Sales, son ami, lui avait donné la plus haute et la plus juste idée.
OVATIONS A BEAUVAIS; ÉPREUVES A CHALONS. LES CONFRERIES
DE CHARITÉ
Saint Vincent de Paul établissait par lui-même ou par ses missionnaires, dans les paroisses où ils prêchaient, des confréries de charité.
C'étaient de pieuses associations de femmes chrétiennes qui se dévouaient pour visiter et soigner les malades de la paroisse. Il fallait entretenir leur zèle, parfois le ranimer : Vincent de Paul chargea de cette mission Louise de Marillac. Elle s'y livra avec un dévouement sans bornes ; elle profitait souvent de cette visite pour créer à côté de la confrérie une autre oeuvre importante, celle des Petites Écoles pour les enfants du peuple.
De nombreuses paroisses des environs de Paris, puis les diocèses voisins furent ainsi visités par Louise de Marillac. A son arrivée à Beauvais elle reçut une sorte d'ovation, mais elle n'en usa que pour la gloire de Dieu. C'est dans cette occasion que son sage directeur, saint Vincent, qui la guidait dans ses consolations comme il l'a soutenait dans ses épreuves, lui écrivit : « Il faut faire comme l'abeille qui compose son miel aussi bien de la rosée qui tombe sur
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l'absinthe que de celle qui tombe sur la rose. » Les hommes voulaient assister aux entretiens de cette femme forte; comme on leur dit que les femmes seules y étaient admises ils se cachèrent dans la chambre où elle parlait, afin de pouvoir l'entendre. Ils demandaient aussi si elle ne confessait pas. La confrérie fut établie dans les dix-huit paroisses de Beauvais. Au moment du départ de la servante de Dieu, on voulut lui faire cortège et la population l'accompagna sur la route de ses bénédictions et de ses hommages. Un enfant tomba sous la roue de la voiture qui l'emportait. Au milieu de l'anxiété générale, elle lit quelques prières et l'on vit aussitôt cet enfant se lever, sans aucune blessure, et marcher avec une entière liberté.
En d'autres endroits, elle trouvait des contradictions : l'évêque de Châlons, entendant parler pour la première fois de ses innovations charitables, s'en émut et laissa savoir ses impressions défavorables. « Dites-lui simplement ce que vous faites, écrivit alors saint Vincent à sa fille spirituelle. Offrez au prélat de retrancher de votre procédé ce qui lui déplaira et de tout quitter s'il le juge à propos : c'est là l'esprit de Dieu; je ne trouve de bénédiction qu'en cela. » Il en fut ainsi ; Louise de Marillac renonça à ses saintes entreprises plutôt que de contrister le prélat.
Un autre jour, le curé de Villepreux s'étant opposé lui aussi à l'établissement d'une confrérie que Louise de Marillac voulait faire en cette paroisse ; « Cédez, lui écrivit Vincent de Paul; un seul acte de soumission est comme un beau diamant qui vaut mieux qu'une montagne de pierres, c'est-à-dire, d'actes faits par votre propre volonté. » Bientôt le curé revint à d'autres sentiments et lui laissa toute liberté d'organiser la confrérie de la charité et les écoles.
FONDATION DES FILLES DE LA CHARITÉ
Louise de Marillac était mêlée à toutes les oeuvres charitables qu'entreprenait Vincent de Paul. Les plus grandes
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dames de Paris s'étaient unies en associations pour visiter les malades des hôpitaux et les pauvres de la ville; mais c'était une tâche considérable et l'on constate qu'il leur était souvent bien difficile d'être assidues. Il fallait des filles dévouées qu'i par amour de Dieu voulussent se consacrer entièrement à ce ministère. Vincent de Paul trouva une de ces âmes d'élite dans une de ses missions, à Villepreux. Il mit cette première Fille de la Charité sous la conduite de Louise de Marillac « qui n'était jamais lasse de bien faire », comme il le dit; après celle-là deux autres, puis un grand nombre, pour qu'elle les formât au soin des malades et à la vie spirituelle: c'était vers i633.
Louise de Marillac donnait elle-même l'exemple de la piété et du travail. Le 25 mars 1634, elle prononça la for mule de sa consécration. Depuis lors, c'est à cette date, en la fête de l'Annonciation de la Très Sainte Vierge, que les Filles de Charité, en souvenir de cette consécration de leur pieuse fondatrice, renouvellent chaque année les voeux qui les lient à Dieu et au service des pauvres. Vincent de Paul leur traça des règles où avec une confiance que l'expérience n'a pas démentie, il mettait toutes leurs autres vertus sous la garde de la charité. Il donnait à ses filles, suivant son expression, « pour monastère la maison des malades, pour cloître les rues de la ville, pour clôture l'obéissance, pour grille la crainte de Dieu, pour voile la sainte modestie. » Cette parole de l'Apôtre : « La charité de Jésus-Christ nous presse » fut leur devise ; leurs oeuvres prirent bientôt une admirable extension.
Dispersée un instant par l'orage de la Révolution, leur communauté s'est reformée en ce siècle; elle est plus florissante encore qu'auparavant.
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TRAVAUX INCESSANTS. LOUISE DE MARILLAC NE VIT QUE PAR
MIRACLE
Avec une santé délicate Louise de Marillac suffisait à des oeuvres sans nombre. Par sa vie*He labeur sans trêve elle était vraiment, comme s'exprimait saint Vincent de Paul, « meurtrière d'elle-même ». Lorsqu'elle succomba, le saint dit aux Filles de la Charité qu'il y avait vingt ans que leur pieuse Mère ne vivait plus que par miracle. « La charité de Jésus-Christ qui les pressait » poussait ses filles partout où il y avait des misères à soulager : elle-même les y conduisait ou allait les visiter. Angers fut la première maison qu'elles acceptèrent hors de Paris. Peu après elle alla les installer à Nantes où elles provoquèrent immédiatetement l'admiration; Louise de Marillac écrivait à cette occasion : « Toutes les Dames de la ville prirent la peine de venir nous visiter. Dès le lendemain de notre arrivée nos soeurs se mirent à travailler avec un grand zèle et en peu de jours il se trouva un tel changement à l'hôpital que le monde prenait plaisir à y venir. Il y avait aux repas des pauvres une telle affluence qu'on ne pouvait presque approcher des tables ni des lits des malades. »
A Paris, le rapprochement des armées amena l'accroissement de la misère, en i652. Louise de Marillac pourvut au soulagement de 14 000 personnes pendant six mois : chaque jour, dans les divers quartiers de la ville, ses filles distribuaient à ces pauvres de quoi entretenir leur vie.
Aux environs de la ville, elle les envoyait panser les pestiférés. — Calais était assiégé, elle y envoya des Soeurs pour soigner les soldats : les deux premières succombèrent peu de jours après leur arrivée : aussitôt vingt autres se présentèrent pour les remplacer. — Les Filles de la Charité, appelées dès lors par Marie de Gonzague, reine de Pologne, avaient pénétré dans ce pays : après avoir soigné les blessés dans les camps et les pestiférés à Varsovie, elles
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ouvrirent dans cette dernière ville une maison pour recueillir les orphelins et abriter les gens sans asile. — Rien n'effrayait Louise de Marillac pour ses filles; ayant à en envoyer quelques-unes pour prendre soin des galériens, après leur avoir recommandé la modestie et la douceur parmi les malheureux habitants des bagnes, elle leur disait de ne pas craindre, « et que Dieu les garderait comme il fit des trois enfants dans la fournaise ardente, puisque c'était par charité et par obéissance qu'elles entreprenaient cet emploi ». C'était là sa grande théorie.
AMOUR DE L'ÉGLISE. — LE PAPE LIEUTENANT DE JÉSUS-CHRIST
Louise de Marillac aimait Jésus-Christ dans les pauvres; elle l'aimait aussi dans l'Église, où il vit dans l'autorité de saint Pierre et de ses successeurs et dans la puissance surnaturelle des prêtres. Pleine d'amour pour le Souverain Pontife, qu'elle appelait « le Père Saint des chrétiens » et le «vrai lieutenant de Jésus-Christ », elle faisait souvent solliciter sa bénédiction. La foi de Pierre était sa foi. Elle rompit ses rapports avec son amie la duchesse de Liancourt parce que celle-ci s'était laissée attirer vers l'hérésie janséniste et ne s'en voulait déprendre. Une autre fois, elle retira les Soeurs d'un établissement — c'était à Chars — parce que le curé était imbu des doctrines de la secte janséniste et qu'elle craignait que ces idées ne vinssent à déteindre sur ses filles.
Sa piété allait s'alimenter aux pèlerinages, notamment à Montmartre, où elle honorait saint Denis, pour qui elle avait une spéciale dévotion. Dans une de ses méditations pour la fête de ce saint, elle a écrit ces paroles : « Obtenez pour ce peuple acquis par votre sang à Jésus-Christ, que cette montagne encore fumante attire la flamme de l'amour sacré; embrasez les coeurs » : comme si elle eût prophétisé l'oeuvre de zèle et d'amour qui devait rayonner au sommet de Montmartre au dix-neuvième siècle.
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LES PAUVRES, « NOS SEIGNEURS ET NOS MAITRES »
Bossuet écrivait un de ses plus beaux discours sur l'éminente dignité des pauvres dans l'Église de Dieu. Louise de Marillac, inspirée par sa charité comme Bossuet l'était par son génie, exposait la même doctrine aux Filles de la Charité qu'elle formait. L'ancien coutumier de la communauté dit : « Mademoiselle — c'est le titre qu'on lui avait gardé parmi ses filles — avait tant de respect et de dévotion pour les pauvres que, dès le commencement de l'établissement de la Charité, elle a recommandé à ses filles de les servir avec une grande charité et humilité, les regardant comme leurs seigneurs et leurs maîtres; pour cet effet, elle voulait qu'on leur destinât le premier morceau de pain que l'on coupait pour le déjeuner et le premier potage qu'on servait pour le dîner. » Elle les soignait de ses mains, comme elle fit un jour en particulier pour un pestiféré : oeuvre dont saint Vincent la félicita. Elle lavait les pieds des pauvres prisonniers. Visitant les villages, elle y faisait l'école pour dresser à cet emploi les maîtresses qu'elle y laissait. Dans ces rencontres, elle vivait souvent très pauvrement, jusqu'à coucher par terre, sur un peu de paille, avec la soeur qui l'accompagnait. Plus d'une fois, elle tomba malade de privations et de fatigues.
LOUISE DE MARILLAC DÉCLARE QU'ELLE RENONCE A LA SUPÉRIORITÉ. ELLE EST ÉTABLIE PAR S. VINCENT SUPÉRIEURE A VIE
Le 3o mai i656, Vincent de Paul promulgua les Statuts de la Compagnie des Filles de la Charité, devant les Soeurs réunies pour une de leurs conférences habituelles.
« Le premier article de vos Statuts, dit-il, établit donc que la Compagnie sera composée de veuves et de filles, qui éliront l'une d'entre elles pour être leur Supérieure pendant trois ans; que cette même Supérieure pourra encore être continuée pendant trois autres années consécutives, mais
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non plus. Ceci, bien entendu, ajouta le saint, n'aura lieu qu'après le décès de Mademoiselle. »
A ces mots, Louise de Marillac se jeta à genoux et supplia saint Vincent de ne pas suspendre l'application de la règle, et de la décharger d'un emploi dont elle s'estimait indigne. Mais le saint s'empressa de la faire rasseoir, et, se refusant absolument d'entrer dans ses sentiments, il exprima le désir que Dieu la laissât à ses Filles encore de longues années pour les conduire. « Il conserve ordinairement, ajouta-il, par des moyens extraordinaires ceux qui sont nécessaires à l'accomplissement de ses oeuvres; et si vous y prenez bien garde, Mademoiselle, il y a plus de dix ans que vous ne vivez plus, au moins de la manière ordinaire. » Il dit, en une autre circonstance cette parole déjà citée, que la servante de Dieu « ne vivait plus que par miracle ».
LA MORT. « NOUS NOUS RETROUVERONS AU CIEL »
Au mois de mars 1660, Louise de Marillac sentait que son exil ici-bas allait finir. La suprême consolation qu'elle avait demandée à Dieu depuis un grand nombre d'années était d'être assistée à ce dernier moment par le père et le guide de son âme, saint Vincent de Paul. Dieu l'en priva. Vincent de Paul était âgé de quatre-vingt-cinq ans; il allait succomber lui-même quelques mois plus tard, et il dut se contenter d'envoyer à sa fille mourante sa bénédiction. Il lui fit dire ces paroles de rendez-vous, sublimes dans leur simplicité : « Mademoiselle, vous allez devant; j'ai l'espoir avant peu de vous revoir au ciel. »
Elle communia des mains du curé de Saint-Laurent, qui l'assistait. Celui-ci l'engagea à donner encore une fois sa bénédiction à ses Filles. Elle y consentit, « Mes chères Soeurs, leur dit-elle, résumant en cet instant solennel ce qui avait été la passion de toute sa vie et le voeu suprême de son coeur, je continue de demander à Dieu pour vous
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sa bénédiction, et je le prie de vous faire la grâce de persévérer en votre vocation pour le servir de la manière qu'il demande de vous; ayez bien soin du. service des pauvres, et surtout vivez bien ensemble dans une grande union et cordialité, vous aimant les unes les autres pour imiter l'union et la vie de Notre-Seigneur, et priez bien la sainte Vierge qu'elle soit votre unique Mère. » Elle ajouta qu'elle mourait dans une haute estime de leur vocation, et que, vécût-elle cent ans, elle ne saurait leur demander autre chose que d'y être fidèles.
Un prêtre de la Mission tenait à son chevet la place de Vincent de Paul et ne la quittait pas. Il lui appliqua l'indulgence de la bonne mort. Vers les onze heures, elle fit baisser les rideaux, comme pour se recueillir, et depuis lors ne parla plus. Un demi-quart d'heure après, elle rendait doucement son âme à Dieu. On était au lundi i5 mars 1660. Le curé de Saint-Laurent, sa paroisse, auquel elle avait fait une confession générale, était présent. Il ne put s'empêcher de s'écrier dans son admiration : « O la belle âme, qui emporte avec elle la grâce de son baptême! »
FUNÉRAILLES. — MERVEILLEUX PARFUMS
Les funérailles furent très simples. C'était pour se conformer à la volonté exprimée par la pieuse fondatrice qu'on ne fît pas plus pour elle que pour ses Soeurs. « Agir autrement, avait-elle dit, ce serait me déclarer indigne de paraître mourir en vraie Soeur de Charité, quoique je n'estimasse rien de plus glorieux que cette qualité. » Elle fut inhumée en l'église Saint-Laurent, dans la chapelle de la Visitation. Ses restes ont été transférés, et ils reposent aujourd'hui dans la chapelle de la maison-mère des Filles de la Charité, rue du Bac, n° 140. C'est la chapelle honorée, en i83o, de l'apparition delà très sainte Vierge et de la manifestation de la Médaille miraculeuse.
L'ancien auteur de la Vie de Louise de Marillac, Go-
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billon, termine ainsi son ouvrage : « Il semble que Dieu né se contente pas d'avoir fait connaître le mérite de cette servante fidèle par tant de biens qu'il a opérés par son ministère, mais qu'il a même quelque dessein de se déclarer, par des preuves sensibles, sur le jugement qu'il a prononcé à sa mort, et qu'il veut découvrir sa gloire par des effets extraordinaires qu'il fait paraître à son tombeau. Il en sort de temps en temps comme une douce vapeur qui répand une odeur semblable à celle de la violette et de l'iris, dont il y a grand nombre de personnes qui peuvent rendre témoignage ; et, ce qu'il y a de plus surprenant, c'est que les Filles de la Charité qui viennent faire leurs prières sur son tombeau s'en retournent quelquefois si parfumées de cette odeur qu'elles l'apportent avec elles aux Soeurs malades dans l'infirmerie de la maison. J'y pourrais ajouter le témoignage de l'expérience que j'en ai faite plusieurs fois. Je pourrais dire qu'après avoir pris toutes les précautions possibles pour examiner si ce n'est point un effet de quelque cause naturelle, je n'en ai pu découvrir aucune à laquelle on le puisse attribuer. Mais, de quelque qualité que soit l'odeur qui s'élève du sépulcre de cette servante des pauvres, il en sort une toute spirituelle des exemples de sa vie, plus précieuse que tous les parfums, qui est un ouvrage miraculeux de la grâce et la marque la plus glorieuse de sa sainteté, et qui s'est répandue dans toute l'Église de Dieu. »
LOUÉE PAR LA BOUCHE DES SAINTS
La plus précieuse déposition au procès de béatification de Louise de Marillac sera toujours l'éloge de saint Vincent, prononcé dans deux conférences qu'il tint à Saint-Lazare pour les Filles de la Charité, quelques jours après la mort de leur Mère, et qu'il présida malgré ses infirmités. Chacune des soeurs fut invitée à rappeler ses souvenirs et à dire ses pensées sur la pieuse fondatrice.
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La première soeur interrogée ne put parler : la douleur et les larmes étouffèrent sa voix; elle ne put se souvenir de sa bonne Mère sans se rappeler qu'elle l'avait perdue, et il fallut attendre que d'autres eussent parlé pour qu'elle prit la parole à son tour. Dans ces conférences ou Vincent de Paul parlait au cours de l'entretien ou le concluait, suivant l'occasion, et qui rappellent les conférences naïves et sublimes des Pères du désert, le saint loua entre autres vertus la prudence hors ligne de Louise de Marillac, sa charité, sa pureté. Il dit entre autres choses :
« Je pensais tantôt devant Dieu et disais : Seigneur, vous voulez que nous parlions de votre servante, car c'est l'ouvrage de vos mains, et je me demandais : Qu'as-tu vu depuis trente-huit ans que tu la connais. Qu'as-tu vu en elle ? Il m'est venu quelque petit moucheron d'imperfection; mais de péché mortel, oh! jamais! jamais!
« C'était une âme pure en toute chose; pure en sa jeunesse, pure en son mariage, pure en son veuvage. Vous aviez sous les yeux, meSjfHles, un beau modèle; il est maintenant là-haut. Votre bonne Mère qui est maintenant au ciel n'aura pas moins de bonté pour vous, qu'elle n'en avait sur la terre. Et quoique l'on ne doive pas prier en public les morts qui ne sont pas canonisés, on le peut en particulier; vous pouvez donc demander des grâces à Dieu par elle. »
La cause de béatification de la Vénérable Louise de Marillac a été introduite par un décret de la Sacrée Congrégation des Rites et sanctionné par le Souverain Pontife Léon XIII, le to juin 1895.
Bien des grâces sont attribuées déjà à son intercession.
Voici les principales publications sur la vie de Louise de Marillac :
La Vie de mademoiselle Le Gras, fondatrice et première
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supérieure de la Compagnie des Filles de la Charité, servante des pauvres malades, par M. Gobillon, prêtre, docteur de la maison et société de Sorbonne, curé de SaintLaurent, Paris, 1676. Un volume in-12'de 333 pages.— Cette vie publiée seize ans seulement après la mort de Louise de Marillac et alors que presque tous les témoins étaient encore vivants, est d'une particulière autorité. Elle a été réimprimée en 1862.— On a une traduction en polonais.
En 1886, les Filles de la Charité l'on fait rééditer pour l'usage de leur Communauté. Au volume de la Vie, elles en ont ajouté trois autres, contenant les Méditations et les Instructions de la servante de Dieu, ses pensées, ses avis, des maximes tirées de ses écrits (t. II) et ses lettres (t. III et IV). — Imprimerie Saint-Augustin, Bruges.
Collet, prêtre de la Mission, auteur de plusieurs ouvrages théologiques estimés, réédita, en 176g, la Vie écrite par Gobillon, en la retouchant assez notablement et en y faisant quelques additions. En tête du livre se trouve un intéressant Mémoire sur l'état actuel de la Compagnie des Filles de la Charité, suivi du tableau synoptique de leurs établissements. Ce Mémoire est l'oeuvre d'un prêtre de la Mission dont Collet ne dit pas le nom. (Voy. Notices bibliographiques sur les écrivains de la Congrégation de la Mission, V° Collet; page 73.) Le travail de Collet a été plusieurs fois réédité, notamment en 1820 et en 1862. — Une traduction en espagnol, par Raphaël de Llinas, parut à Barcelone en 1792. On a donné une traduction en allemand à Graz, en 1875.
Depuis ont paru :
Histoire de Mademoiselle Le Gras, par Mme de Richemond. Paris, Poussielgue, i883. In-8 de 3go pages. Nouvelle édition en 1S94.
Louise de Marillac, fondatrice de la Compagnie des
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Filles de la Charité, par M. le comte de Lambel. Lille, Lefort, 1868. Nouvelle édition en 1884. Un volume in-18 de 200 pages. — Traduction en. espagnol. Paris, Garnier, 1887.
Vie admirable de Louise de Marillac, servante de Dieu et des pauvres, fondatrice et première supérieure des Filles de la Charité. Abbeville, Paillart, 1890. Brochure illustrée. In-18 de 32 pages. Se trouve aussi à Paris, chez Vie, 11, rue Cassette. — Traduction en italien, même librairie.
Louisa de Marillac en hare deelneming aan de stichtingen en werken van den H. Vincentius à Paulo. (Louise de Marillac et sa coopération aux institutions et aux oeuvres de saint Vincent de Paul.) Malines, 1891 (par M. l'abbé Van Hoonacker, professeur à l'Université de Louvain). Brochure in-24 de 62 pages. — Traduction du flamand en anglais. Liège, Dessain, 1891.
Geist der ehrjpilrdigen Louise von Marillac oder Gedanken aus ihren Betrachtungen und Reden gesammelt. (L'esprit de la vénérable Louise de Marillac, ou pensées recueillies de ses méditations et de ses discours, suivi d'un récit abrégé de sa vie. Munich, Stahl, i863.) Un vol in-12 de 162 pages. — Ce volume, publié à Munich où les Filles de la Charité n'ont pas d'établissement, a été édité par les soins des Soeurs de Charité de Munich, qui ont pour patron saint Vincent, et qui ont toujours eu une grande vénération pour la vénérable fondatrice, Louise de Marillac.
FRANCE
APRÈS UNE DÉCORATION
Lettre de la soeur N., Fille de la Charité, à M. A. FIAT, Supérieur général.
N., 1895.
MONSIEUR ET TRÈS HONORÉ PÈRE,
Votre bénédiction, s'z'Z vous pldii !
Votre très indigne fille n'a pas eu, jusqu'ici, le courage de vous écrire la douleur profonde à laquelle le bon Maître l'a soumise. Oh! mon Père, c'a été pour mon coeur une humiliation bien grande. Hélas ! ce sont mes propres péchés qui me l'ont attirée. J'ai prié les saintes âmes du purgatoire, j'ai fait célébrer des messes à cette intention pour ne pas avoir à subir une épreuve si grande : je l'ai trop offensé pour que sa divine bonté daigne m'exaucer. Oh! mon Père, je vous demande bien pardon du plus profond de mon coeur d'avoir peut-être fait tant de peine à mes bons et vénérés supérieurs : je mériterais d'être chassée de la communauté.
Cependant, mon Père, laissez-moi vous le dire, là, aux pieds du Tabernacle, que je n'ai rien fait pour provoquer cette décoration. J'ai eu dans mon office bien des souffrances pendant ces trente-deux ans ; le bon Dieu et vous, mon très honoré Père, en avez été les seuls témoins. Le bon Maître m'a fait cette grâce.
J'ose vous prier, mon très honoré Père, de me continuer vos ferventes prières pour que je devienne une bonne Fille de la Charité, que je me prépare saintement à la mort, mais surtout que je sache souffrir dans la plus grande résignation. Je prie Notre-Seigneur de bénir mes bons et vénérés
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Supérieurs et ma chère communauté. Si le bon Dieu l'a pour agréable, avec votre permission, mon très honoré Père, je lui fais le sacrifice de ma vie pour la précieuse conservation des deux familles de saint Vincent.
Derechef, mon très honoré Père, je me jette à vos genoux pour vous demander très humblement pardon de la peine que je puis avoir faite à mes bons et vénérés Supérieurs.
J'ai l'honneur d'être, mon très honoré Père, votre très
humble et très obéissante fille.
Soeur N.,
1. f. d. 1. C. s. d. p. m.
UN MANUEL DE PIETE
A L'USAGE DES ÉLÈVES DES GRANDS SÉMINAIRES
Selon la pensée de saint Vincent, les directeurs de séminaires doivent se proposer tout particulièrement de former leurs élèves à la « solide piété et dévotion 1 ». Le saint écrivait à l'un d'eux, le i3 juillet 1609 : « Vous devez avoir pour but principal, en l'éducation des ecclésiastiques, de les dresser à la vie intérieure, à l'oraison, au recueillement et à l'union avec Dieu 2. »
C'est pour répondre au désir du saint que les Missionnaires employés à la conduite des séminaires publièrent, sous le titre de Règlement du séminaire de Saint-Firmin, de Règlement du séminaire de Toul, de Poitiers, etc. ; des Manuels où se trouvaient exposés avec les différents ordres du jour, les règles plus générales de la discipline, l'esprit qu'on doit avoir au séminaire, les vertus qu'il faut y pratiquer, etc. 3
C'est un livre de même nature, adapté à notre temps et
1. Abelly, Vie de saint Vincent de Paul, livre III, ch. xxiv.
2. S. Vincent de Paul, t. VII, p. 367.
3. Voy. Notices bibliographiques sur les Ecrivains de la Congrégation de la Mission. Angoulême, 187(8, p. 246.
aux circonstances, que l'on réclamait depuis longtemps pour nos séminaires; nous avons le plaisir d'annoncer aujourd'hui qu'il vient de paraître, sous le titre de Manuel de piété à l'usage des séminaires de la Congrégation de la Mission.
M. le Supérieur général a adressé à l'auteur la lettre suivante :
« Paris, 22 août I8Q5.
« MONSIEUR ET TRÈS CHER CONFRÈRE,
« La grâce de Notre-Seigneur soit avec nouspour jamais!
« Au Congrès tenu à notre Maison-Mère, au mois de juillet 1894, on a émis l'idée de composer un Manuel de piété à l'usage des élèves des grands séminaires, dont la direction est confiée à notre Congrégation. Désireux de voir se réaliser ce projet, je vous ai prié d'en entreprendre l'exécution. Mon attente n'a pas été trompée : le Manuel que vous venez de soumettre à mon approbation me paraît répondre pleinement au désir exprimé dans notre réunion; je vous autorise donc à le publier, persuadé qu'il sera très utile aux séminaristes qui s'en serviront.
« Je suis affectueusement, en l'amour de Notre-Seigneur et de son Immaculée Mère,
« Monsieur et très cher Confrère,
« Votre tout dévoué serviteur,
« A. FIAT, Sup. gén.
« A M. ROSSET,prêtre de la Mission, supérieur du grand séminaire de la Rochelle. »
Nous ne pouvons mieux faire, pour donner une idée exacte de l'ouvrage, que de publier le sommaire des chapitres :
CHAPITRE PRÉLIMINAIRE. Règlement des séminaires de la Congrégation de la Mission.
Art, I. De l'esprit et des principaux exercices du séminaire.
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— Art. II. Ordre des exercices. — Art. III. Règles générales de discipline. — Art. IV. Motifs et moyens de bien observer le Règlement.
CHAPITRE PREMIER. Prières du matin et du soir.
Art.'I. Prière du matin. — Art. II. Prière du soir. — Art. III. Ordre à suivre dans les prières du malin et du soir, depuis les Ténèbres du mercredi saint jusqu'après la messe du samedi saint.
CHAPITRE II. De l'oraison mentale.
Art. I. Nécessité, facilité et méthode de l'oraison mentale. — Art. II. Explication de la méthode d'oraison. — Art. III. Avis importants sur le sujet de l'oraison.
CHAPITRE III. De la sainte messe.
Art. I. De l'ordinaire de la Messe. — Art. II. Méthode pour assister avec fruit au saint sacrifice de la messe.-— Art. 111. De la communion spirituelle.
CHAPITRE IV. De la Confession.
Art. I. Importance de la confession fréquente. — Art. II. Comment il faut se préparer à la confession. — Art. III. Manière de se confesser.
CHAPITRE V. De la sainte Communion..
Art. I. Importance de la communion fréquente. — Art. II. Heureux effets de la sainte communion. — Art. 111. De la préparation à la communion.— Art. IV. De l'action de grâces après la communion.
CHAPITRE VI. De l'examen particulier.
Art. I. Objet de cet exercice, de son importance.— Art. II. Manière de faire l'examen particulier.
CHAPITRE VII. De la lecture spirituelle.
CHAPITRE VIII. De la visite, au Saint-Sacrement
Art. I. Combien cette pratique est estimée et recommandée dans les séminaires. — Art. II. Défauts à éviter et méthode à suivre dans la visite au Saint-Sacrement.
CHAPITRE IX. Delà récitation du chapelet et de la dévotion au Saint-Rosaire.
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CHAPITRE X. De la récitation de l'Office divin.
Art. I. Des moyens d'entretenir l'attention et la piété dans la récitation de l'office divin. — Art. II. Règles à suivre pour la récitation de l'office divin en commun.
CHAPITRE XI. De la communication intérieure ou direction spirituelle.
CHAPITRE XII. De l'étude.
CHAPITRE XIII. Des repas.
CHAPITRE XIV. Des récréations.
CHAPITRE XV. Des retraites.
Art. I. De la retraite annuelle. — Art. II. Des retraites préparatoires à l'ordination. — Art. III. De la retraite du mois.
CHAPITRE XVI. Des vacances.
DE ORDINIBUS CONFERENDIS. (Extrait du Pontifical romain.)
De clerico faciendo. — De ordinatione ostiariorum. — De ordinatione lectorum. ■—-De ordinatione exorcistarum. — De ordinatione acolythorum. — De ordinatione subdiaconi. —• De ordinatione diaconi. — De ordinatione presbyteri.
MONITA AD NEO-SACERDOTES.
Orationes dicendoe cum clericus aut sacerdos sacra induit paramenta.
Le Manuel est en vente à la procure de la Maison-Mère, à Paris, rue de Sèvres, 95. Un vol. in-24. Prix net : y5 centimes.
Il n'en a été tiré qu'un nombre assez restreint d'exemplaires ; on sera bien aise de faire droit dans une prochaine édition aux observations ou aux desiderata qui seraient présentés.
PROVINCE D'AUTRICHE
LE CINQUANTIÈME ANNIVERSAIRE
DE LA FONDATION
DE LA MAISON DES FILLES DE LA CHARITÉ A SCHWARZACH (AUTRICHE)
20 AOUT 1894
Le 20 août 1894, la double famille de saint Vincent de Paul, de Schwarzach, était en fête. On célébrait le cinquantenaire de la fondation de la maison des Filles de la Charité. Les Soeurs y furent installées, en effet, le 20 août 1844. Les prêtres de la Mission ne sont dans cette ville que depuis le 2 octobre 1887, fête du Saint-Rosaire.
L'origine de la maison qu'habitent nos Soeurs remonte à 1737. A cette époque, pour tenir tête à l'invasion des protestants chassés des grandes villes et qui se retiraient dans les pays de montagnes, les évêques firent appel aux ordres religieux. Schwarzach, menacé plus que tout autre village, à cause de sa situation, et qui, en 1731, avait été témoin d'une assemblée de protestants, réunis au nombre de 3o 000, devint un centre d'action catholique, par l'érection d'un couvent de Bénédictins. Quarante autres couvents allemands du même ordre contribuèrent à son prompt établissement. La belle petite église, consacrée en 1759, fut dédiée à l'Immaculée Mère de Dieu, qui triomphe de toutes les hérésies.
Les fils de saint Benoît s'occupèrent, l'espace de soixantedix ans, à leurs oeuvres de dévouement et de zèle. Mais au commencement de ce siècle, ils durent se disperser comme les autres religieux d'Allemagne. Leur couvent fut séculalarisé, ses biens vendus, et la magnifique église, regardée
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comme superflue, était destinée à disparaître. C'est alors que le prince-archevêque de Salzbourg, Frédéric VI, cardinal Schwarzenberg, dans le diocèse duquel se trouve Schwarzach, prévoyant tout l'avantage qu'il pourrait tirer, pour le bien de son peuple, de l'ancien immeuble des Bénédictins, fit l'acquisition du couvent et de l'église, dans le but d'y fonder une maison de Soeurs de Charité de SaintVincent de Paul, qui se chargeraient de donner leurs soins charitables dans un hôpital. Les deux édifices, ayant été abandonnés durant quarante ans, étaient fort délabrés, presque inhabitables. Mais, grâce aux libéralités du cardinal, on fit au couvent toutes les réparations nécessaires pour offrir un abri solide et commode aux malades et aux Soeurs qui allaient se dévouer à les servir. Pour l'église, on dut se contenter momentanément d'y faire des réparations extérieures, remettant à plus tard de lui rendre sa beauté primitive.
C'est de ce couvent et de cette église ainsi restaurés que sept Filles de la Charité prirent possession, le 20 août 1844. Elles sortaient de la maison centrale et de la province de Salzbourg, car on se rappelle que ce n'est qu'en 1882, sous notre très honoré Père M. Fiat et la Soeur Praxmaver, supérieure générale des Soeurs de Charité de Salzbourg, que celte branche distincte de la grande famille de saint Vincent fit son union, en se soumettant aux supérieurs naturels, avec l'autorisation du prince-archevêque de Salzbourg, Mer François-Albert Eder.
Le 20 août 1894 était par conséquent le cinquantième anniversaire de l'arrivée des Filles de la Charité à Schwarzach. Cette date mémorable semblait inviter à faire quelques efforts pour la restauration intérieure de l'église. Au centenaire de sa consécration, en 1859, déjà, grâce à la générosité des fidèles, on avait pu peindre les murs. Les autels mêmes avaient été appropriés ; mais trente ans après, ils réclamaient une réparation radicale, surtout le maître-
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autel. On demanda donc et on obtint, le 8 février 1893, la permission de faire les réparations intérieures nécessaires, et le i5 mai de l'année suivante, on se mit résolument à l'oeuvre. L'ancien maître-autel fut refait, et le vieux tableau de l'Immaculée-Conception enlevé pour faire place à une image plus digne de la Mère de Dieu. Les murs du choeur se couvrirent de belles peintures, en harmonie avec le style de l'édifice, et aux deux fenêtres on posa deux magnifiques vitraux, représentant l'un le Sacré Coeur de Jésus, l'autre le Coeur très pur de Marie ; le pavé délabré fut remplacé, par un élégant dallage ; enfin, les Filles de la Charité ellesmêmes firent faire des travaux pour assainir l'église en la protégeant contre l'humidité.
Disons en passant qu'à la têle de la liste des généreux bienfaiteurs qui contribuèrent à la restauration de l'église de Schwarzach, figurent Sa Majesté Impériale-Royale l'empereur François-Joseph I 01' et le prince de Schwarzenberg. On y lit aussi les noms de bien des prêtres de la Mission et de membres du clergé de tout rang, ainsi que d'un grand nombre de fidèles de toute condition.
Tandis que la restauration avançait rapidement, la nouvelle statue de Marie Immaculée arrive à la gare, d'où, le i5 juillet, elle est conduite, couverte de fleurs et de guirlandes, au son des cloches et au bruit des mortiers, au milieu de ces pieuses servantes des pauvres. Le 19 juillet, fête de saint Vincent de Paul, elle est placée sur son nouveau trône de grâce et de miséricorde pour bénir encore ceux qui ont recours à elle.
Cependant, la grande solennité du 20 août approchait. Pour s'y mieux préparer, on commença le n une neuvaine qui ne fut interrompue un moment que par la bénédiction solennelle du nouveau maître-autel, le 17. Enfin, nous voici au 20, jour si longtemps attendu, dont la pensée faisait tressaillir tous les coeurs ; la nature elle-même semblait s'être mise en fête. La petite église, nouvellement déco-
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rée, brillait dans cette parure d'une splendeur inaccoutumée. La cérémonie commença par l'entrée solennelle du princearchevêque, Mgr Jean Haller, suivi d'un nombreux cortège de dignitaires, ecclésiastiques, civils et militaires.Toutes les Filles de la Charité de Schwarzarch se trouvaient présentes, cela va sans dire, ainsi que celles qui, à Scherenberg, à vingt minutes de Schwarzach, sont chargées d'un asile d'aliénés et d'une maison de prêtres retirés. De plus, chacun des soixante-sept établissements de Soeurs, disséminés dans le vaste archidiocèse de Salzbourg, se fit représenter par quelques-uns de ses membres. Sa Grandeur célébra ensuite l'office pontifical, puis Monseigneur entonna, au son des cloches et au bruit de l'artillerie, le cantique de la reconnaissance, Te Deum laudamus; c'était bien le sentiment qui dominait tous les coeurs, et le chant fut continué avec enthousiasme par la nombreuse assemblée. Le vénéré pasteur, Mgr l'archevêque, daigna ensuite accorder une audience aux Soeurs et leur adressa l'allocution suivante : « Mes Soeurs, j'aurais bien voulu vous adresser quelques paroles dans l'église; mais j'ai craint que ma voix ne me suffît point aujourd'hui. Je ne puis cependant m'empêcher de le faire ici, où il m'est plus facile de me faire entendre. Pourquoi donc, parmi vous, cette réjouissance aujourd'hui? Pourquoi votre profonde reconnaissance? Quels motifs vous y engagent?... Depuis cinquante ans, bien des malades ont été soignés ici, et vous-mêmes vous n'avez jamais cessé d'être exposées aux atteintes des maladies dangereuses. Beaucoup parmi vous, peut-être, ont ainsi reçu le germe d'une mort prématurée. Rendre grâces de cela, ce n'est pas l'usage du monde. Vous l'avez fait^cependant ; vous avez chanté le Te Deum. Pourquoi ? Parce que vous regardez la chose dans un tout autre esprit. Vous vous faites une toute autre idée de votre vocation. Vous vous rappelez les paroles de notre divin Sauveur : « Soyez miséricor'< dieux, je serai également miséricordieux envers vous. »
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Et lorsque vous soignez avec amour un pauvre malade, votre esprit de foi vous fait considérer en lui Notre-Seigneur, qui a dit : « La moindre chose que vous aurez faite « au plus petit de mes frères, c'est à moi que vous l'avez « faite. » Et n'est-il pas juste que vous donniez votre vie à celui qui vous a attirées à lui et qui a donné sa vie pour vous sur la croix? Je ne puis imaginer rien de plus beau que de se dévouer pour l'humanité souffrante, et je vous pourrais appliquer, mes bonnes Soeurs, ce que le Sauveur dit à ses disciples : « Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, « mais c'est moi qui vous ai choisis. » La grâce du Seigneur vous a attirées pour vous adonner à cette pénible vocation, et vous avez suivi son attrait. Aussi n'est-ce point votre ouvrage, mais son ouvrage propre. Et c'est pourquoi vous avez bien fait, et vous avez raison de vous réjouir aujourd'hui, car vous êtes au service de Notre-Seigneur.
« Mes bonnes Soeurs, vous êtes-vous souvenues également aujourd'hui de vos compagnes décédées qui, pendant le cours de cinquante années ou environ ont passé à une meilleure vie? C'est qu'elles aussi participent à votre joie et vous sont intimement unies. Elles étaient animées du même esprit qui anime la Compagnie à présent. Elles aimaient l'humilité, la pauvreté, le renoncement, l'obéissance. Et, qu'est-ce qui serait arrivé si elles ne vous avaient point transmis cet esprit? N'est-ce pas pour cette raison qu'aura lieu le jugement général, afin que nous voyions jusqu'où s'est étendue l'influence de nos actions. Nous ne vivons pas pour nous seulement ; aucun homme ne vit uniquement pour lui-même, pas même celui qui se trouve dans la plus humble condition, car lui aussi, par son exemple, exerce une influence sur les autres. Nos discours et nos exemples continuent parfois longtemps après nous à exercer leur action sur nos semblables. Si les parents ne vivent pas pour eux-mêmes, mais continuent leur existence
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dans leurs enfants et les enfants de leurs enfants, à plus forte raison toute une société.
« Continuez donc votre oeuvre, mes bonnes Soeurs. La sainte règle, l'humilité, la pauvreté, l'obéissance, la charité vous montrent la vraie direction. Regardez vos Supérieurs comme les représentants de Dieu, et soyez-leur soumises. Et quand la tâche vous semblera quelquefois difficile, considérez la récompense magnifique qui vous est promise et dont Notre-Seigneur a fait dire : « Ni oeil n'a vu, ni « oreille n'a entendu, ni coeur n'a senti ce que Dieu a pré« paré à ceux qui l'aiment. » Dans cet aliment divin dont vous avez si souvent le bonheur de vous nourrir, vous recevez force et courage pour persévérer. Oh ! enflammez toujours de plus en plus votre zèle dans l'Eucharistie ! L'esprit dont vous êtes animées maintenant animera aussi celles qui viendront peut-être après vous dans cinquante ans, dans cent ans. Aussi participent-elles déjà en ce jour à votre réjouissance. Conservez-leur ce bon esprit, et, bien que la vie soit parfois dure, considérez la magnificence de ce qui vous est promis; voyez avec quelle rapidité passe l'éclat du monde, et pensez que peut-être plusieurs d'entre vous recevront la récompense céleste, plus tôt qu'elles ne prévoient. Peut-être dans un ou deux ans déjà, l'une ou l'autre parmi vous qui êtes ici présentes, entrera dans la béatitude éternelle. »
Ces paroles si paternelles et si bien senties du vénéré prince-archevêque resteront éternellement gravées dans le coeur des filles de saint Vincent. Elles formaient, pour ainsi dire, la conclusion du demi-siècle écoulé, et la nouvelle mission que leur bien-aimé pasteur leur donne de continuer, avec une égale fidélité, leurs oeuvres de charité à l'égard du prochain. C'est avec ce sentiment qu'elles se sont retirées, au soir de ce beau jour, emportant à leurs compagnes moins favorisées une part des joies et des bénédictions de celte touchante solennité.
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A deux heures et demie eurent lieu les vêpres pontificales, qui furent chantées par le choeur des Soeurs alternant avec celui des prêtres placés dans le sanctuaire. Puis, à quatre heures, Sa Grandeur elle-même quitta Schwarzach avec la haute et pieuse assistance qui l'avait accompagnée.
La fête jubilaire fut dignement couronnée par une Mission donnée à la population de Schwarzach, à partir du 28 octobre, par trois prêtres de la Mission, M. Pertl, supérieur de Laibach, M. Ertl, de Vienne, et M. Kahl, de Graz.
PROVINCE D'ESPAGNE
Lettre de M. ILLERA, prêtre de la Mission, à M. ARNAIZ, Visiteur de la Province d'Espagne.
Relation sur la nouvelle maison de Las Palmas Grande-Canarie.
Las Palmas (lies Canaries), 9 mai 1S95.
MONSIEUR ET TRÈS HONORÉ CONFRÈRE,
La grâce de Notre-Seigneur soit avec nous pour jamais!
!.'-: Je me fais un devoir de vous adresser et par vous aux lecteurs des Annales, quelques détails sur les travaux apostoliques et les oeuvres de charité auxquels se livre, dans cet archipel, la double famille de saint Vincent.
Ce champ, si vaste et si bien préparé, nous appartenait déjà en quelque mesure depuis un certain temps; il nous appartenait non seulement parce qu'il a été évangélisé par un de nos plus illustres et de nos plus chers confrères, Mgr Codina, très digne évêque de Las Palmas, dans la Grande-Canarie 1, devant les restes précieux duquel nous avons eu le bonheur de prier, mais encore parce que, longtemps avant que ce zélé et infatigable apôtre de l'Évangile abordât à ces plages délicieuses, elles avaient déjà été le théâtre glorieux du dévouement constant et de la charité à toute épreuve de nos Soeurs : ce champ commence déjà à ressentir les influences salutaires de l'action bienfaisante des humbles enfants de saint Vincent.
Quelques mots, si vous le permettez, sur le nombre et la position dé ces îles.
t. Vo'y. Rossin-, Notices bibliographiques sur les écrivains de la Congrêgat. de la Mission, pag. 01. .
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L'archipel des Canaries se trouve à l'ouest de la côte africaine, environ à ioo kilomètres du grand désert de Sahara, et i 200 kilomètres de Cadix. Il est situé dans la zone tempérée. Il est composé de treize îles, dont sept sont habitées et six sont désertes. Celles qui sont habitées sont : les îles de Ténériffe, de Grande-Canarie, de Palma, de Lanzarosa, de Fuerteventura, de Gomera et l'Ile de Fer. Ces îles sont séparées entre elles par des bras de mer dont le plus large est de 90 kilomètres; elles ont une superficie de 8 83o kilomètres carrés et une population de 280 000 habitants.
Les îles Canaries appartiennent à l'Espagne. Le sol en est montagneux et fertile, et le climat agréable et sain. Elles doivent beaucoup de leur importance à la position avantageuse qu'elles occupent dans l'Océan Atlantique. A cause des conditions favorables dans lesquelles elles se trouvent, les anciens les avaient appelées Iles Fortunées, et ils croyaient qu'il y avait là des Champs-Elysées, paradis imaginé par les païens. Elles constituent deux diocèses suffragants l'un et l'autre de l'archevêché de Séville : le premier, le diocèse de Las Palmas, qui comprend les îles de Grande-Canarie, de Fuerteventura, de Lanzarosa, et le second celui de Ténériffe, qui comprend les îles de Palma, de Gomera et de Fer.
Ces détails aideront peut-être à apprécier plus exactement et plus facilement les faits que nous allons rapporter. — Voici en quelques mots comment Dieu a voulu que les Enfants de saint Vincent établissent leur résidence dans la Grande-Canarie.
Depuis plus de soixante ans déjà les Filles de la Charité se trouvaient dans la Grande-Canarie, supportant avec une patience persévérante beaucoup de privations et de difficultés, particulièrement en ce qui concerne les secours spirituels pour leurs pauvres malades et pour elles-mêmes. Elles adressaient au Ciel de ferventes prières, invoquant
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surtout le glorieux patriarche saint Joseph, afin qu'il obtînt par sa puissante intercession, de Celui qu'il avait tant de fois serré dans ses bras, le secours dont elles avaient besoin et accordât à leurs instantes supplications la fondation d'une maison de Prêtres de la Mission dans leurs îles. Leurs prières si légitimes furent enfin exaucées : Dieu a voulu qu'une maison de la Mission fût établie dans la GrandeCanarie.
L'instrument dont Dieu s'est servi pour réaliser ses desseins a été le respectable M. Delgado y Vera, théologal de la cathédrale de Las Palmas. Il était poursuivi sans cesse depuis quelque temps d'une pensée, grande comme toutes celles qui ont pour objet la gloire de Dieu et le salut des âmes. Après l'avoir sérieusement méditée devant Dieu, après avoir pris conseil et obtenu l'approbation et l'adhésion de personnes vertueuses, il s'adressa à M. le Visiteur de la Congrégation en Espagne, et lui fit part de son projet de fonder à Las Palmas, dans la Grande-Canarie, une maison de la Mission, qu'il doterait de tout ce qui serait nécessaire à sa subsistance. Celui-ci fut extrêmement édifié de cette offre spontanée et si généreuse, et il acquiesça à de si louables désirs.
M. le Visiteur vint en personne inaugurer la nouvelle maison. Accompagné de MM. Jean Jaume, Gavin Lopez, Antoine Illera et des FF. Ligûenza et Larequi, qui composaient le personnel désigné, il s'embarqua à Cadix, le 7 novembre de l'année dernière, sur le vapeur Ciudad de Cadi\, de la compagnie Transatlantique, et, après une courte et heureuse traversée de cinquante-quatre heures, nous arrivâmes, le 9 au soir, au port de Le Luz, qui est celui de Las Palmas (Grande Canarie).
L'accueil le plus encourageant nous fut fait de la part
de toutes les classes de la société, notamment par le clergé.
Longtemps avant d'arriver au quai, nous pûmes apercevoir,
. parmi les nombreuses personnes qui nous attendaient,
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M. le doyen et la plupart des membres du chapitre de la cathédrale, parmi lesquels notre insigne fondateur, M. le théologal ; M. le vicaire général, les trois curés de la cathédrale, une députation de dames et des membres des confréries de Saint-Vincent de Paul, beaucoup de Filles de la Charité appartenant aux trois maisons de la capitale, qui, après nous avoir souhaité une cordiale bienvenue, eurent la délicate attention de nous accompagner à notre nouvelle demeure.
Dans une fête que les Soeurs de l'hôpital de Saint-Martin célébrèrent à l'occasion de notre arrivée, Sa Grandeur Mgr l'évêque prit la parole devant une nombreuse assistance et, dans un éloquent discours, il fit l'éloge des associations religieuses, daigna dire les espérances de bien qu'il avait conçues pour son cher diocèse de l'établissement de la Congrégation à Las Palmas, se félicitant lui-même et félicitant particulièrement les Soeurs d'avoir maintenant à leur côté les prêtres de la Mission, qui, membres de la même famille, les aideraient de leui£ sages conseils à marcher par l'aride sentier de la vertu.
Depuis le u novembre, date de notre établissement définitif dans la Grande-Canarie, nous avons travaillé suivant que les circonstances nous l'ont permis.
Nous avons contribué pour notre part aux fêtes qui ont eu lieu dans la chapelle de nos Soeurs de l'hôpital pour la célébration de la fête de la Médaille miraculeuse. M. Jaume me confia la charge de faire les sermons du Triduum.
Tous les jours, Mgr l'évêque assista à la cérémonie, et le dernier jour il donna un salut solennel. Parmi l'affluence immense qui accourut chaque soir à ces pieux exercices, nous avons vu beaucoup d'ecclésiastiques et nous avons constaté, non sans une réelle satisfaction, que tout le monde a été heureux de l'éclat qu'on a donné à ces fêtes.
Parmi les nombreuses bonnes qualités qui distinguent les habitants des Canaries, il faut compter leur tendre dé-
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votion à la très sainte Vierge. A peine y trouverait-on une famille, qu'elle habite une pauvre chaumière ou un superbe palais, qui ne récite chaque soir le chapelet; et, selon mon humble sentiment, c'est à cela que les habitants sont redevables de la conservation de leurs croyances religieuses. Marie les protège d'une manière spéciale, et une tradition, née avec la conquête de ces îles parla catholique Espagne, rapporte qu'à peine le glorieux signe de notre rédemption flottait-il sur ces terres fortunées, que Marie Immaculée en prit également possession et y établit le trône de sa puissance, en apparaissant, sous l'invocation de Notre-Dame du Pin, dans la Grande-Canarie, et sous celle de Notre-Dame de la Chandeleur dans l'île de Ténériffe. Sous ce double vocable, on professe pour Marie une grande dévotion, et ses sanctuaires sont très fréquentés par les fidèles des îles.
Les Soeurs font depuis longtemps dans l'hôpital, avec grande solennité, la neuvaine de l'Immaculée-Conception. Cette année aussi on a observé une si louable coutume. Voici l'ordre de la journée : à neuf heures du matin, grand'messe; à sept heures du soir, chapelet, lecture pour la neuvaine, litanies et chants par les Enfants de Marie; à la fin, instruction, dont M. Lopez s'est chargé, et, il faut le dire, à la satisfaction générale de l'assistance distinguée et pieuse accourue à notre église.
M. Lopez a prêché deux fois la Retraite aux prêtres. Notre premier désir lorsque nous fûmes définitivement établis, ce fut de témoigner à notre insigne bienfaiteur la vive et sincère reconnaissance de nos coeurs, en lui offrant les prémices de nos travaux apostoliques. Nous avons pour cela fait une mission dans son pays natal, à Hampuyenta, dans l'île de Fuerteventura. Le 12 février, MM. Jaumeet Lopez, avec le frère Larequi, s'embarquèrent sur le vapeur Pere\-Galdo\, faisant voile pour l'île soeur, distante d'environ dix-huit lieues de la Grande-Canarie. M. Delgado
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avait annoncé d'avance aux fidèles de Hampuyenta la grâce que le Seigneur leur allait accorder. Les résultats furent vraiment pleins de consolation : du premier au dernier jour, ce fut une ardeur indicible parmi ces gens simples pour profiter de la mission. L'église était trop petite pour contenir cette foule pieuse, accourue de tous les points de l'île au prix de mille sacrifices et malgré les difficultés du chemin, etc.... La mission dura quinze jours. Personne, ni à Hampuyenta ni aux environs, ne manqua de se confesser et d'assister durant quelques jours aux pieux exercices de la mission.
MM. Jaunie et Lopez rentrèrent, le icr mai, pleins de joie à Las Palmas, où M. Delgado vint lui-même avec les confrères les recevoir et leur exprimer son bonheur et sa
satisfaction.
(A sinvre.)
PROVINCE DE LOMBARDIE
UNE FLEUR DU SEMINAIRE INTERNE
DE CHIERI
Notes édifiantes des séminaristes et étudiants de Chieri sur le frère Lazare Ramella, clerc, décédé à Turin, le 27 octobre i8g3.
Lazare Ramella était né, d'une famille très chrétienne, au petit village de Borgoretto, diocèse d'Albenga, sur la Rivière de Gênes,le 28 juin 1872. Son père s'appelait Jean; sa mère, Maria Philippi. Il touchait à sa dix-neuvième année lorsqu'il entra dans la Congrégation de la Mission (2 octobre 1890); mais le gracieux ensemble de sa physionomie presque enfantine et de sa stature un peu frêle le faisait paraître plus jeune encore qu'il n'était. On se prenait à penser que Dieu ne l'avait retiré des embrassements de sa mère que pour le porter plein d'innocence et de candeur au sein de la Congrégation. Il fut et sera toujours pour nous un modèle de l'esprit et des vertus de notre Congrégation : la première de toutes, l'aimable Simplicité était, on peut le dire, sa vertu caractéristique, et il ne fit tant de progrès dans les autres vertus que parce qu'il fut remarquablement simple de coeur et d'àme. Au premier abord, cette simplicité pouvait sembler chez lui purement naturelle, mais on ne tardait pas à voir s'y allier la prudence chrétienne, qui en fait cette vertu si rare et appréciée, laquelle ravit le coeur de saint Vincent. Il parlait sans détours, sans malice ; ses paroles révélaient ce qu'étaient son coeur si bon et son âme pleine de droiture ; avec nous ses condisciples, il était simple, mais prudemment circonspect, comme le veulent nos saintes règles, et taisait ce qu'il ne conve-
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nait pas de révéler; mais avec ses supérieurs, il ne connaissait d'autre prudence que de leur faire lire à livre ouvert dans son coeur. Il avait fait échange entre la maison paternelle et sa bien-aimée Congrégation, et dans ses supérieurs il avait sans peine retrouvé et son père et sa mère, et était avec eux comme un enfant bien né, plein de simple confiance et de filial abandon. Son oeil pur et son âme dégagée de toute tendance aux soupçons ne voyaient le mal en personne, et ne savait ce que c'était que murmurer. Son Humilité avait bien le caractère de celle de l'enfant, qui ne se met en peine de nulle autre chose que de plaire à ses parents. Il aimait son devoir et l'accomplissait, parce que Dieu le voulait ainsi, et peu lui importait ensuite d'être blâmé ou loué. Son humilité elle-même se voilait, de sorte que nous ne pourrons nous étendre longuement sur cette vertu ; il mit tous ses soins à la cacher, même à ses propres yeux, et la dissimula saintement, sous le manteau de la vie commune. Il fuyait en effet, avec le plus grand soin, la singularité, et cherchait en tout à passer inaperçu. Sa vertu se révélait cependant, en mille et une occasions, avec nous, ses compagnons; il était toujours plein de condescendance, de déférence et de cordial respect. Si quelques paroles piquantes, ou procédés imparfaits, venaient le blesser, il baissait la tête comme un coupable, rougissait de confusion, mais conservait toujours un calme inaltérable, un aimable sourire et un humble silence. Aussi l'offensant ou l'irrité se trouvait de suite adouci, repentant, et sans tarder venait implorer son pardon, à la grande surprise de notre cher Frère, qui en ces circonstances s'attribuait tous les torts.
La Mansuétude était en lui, au même degré, que la belle et rare simplicité, et toutes deux, unies dans son coeur, et dans la continuelle pratique qu'il en faisait, le rendaient semblable à la colombe, sans malice et sans fiel. La douceur de son âme se répandait sur tout son extérieur et était
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toujours dépeinte sur son visage serein et comme incapable de s'altérer. Durant nos récréations, il se faisait tout à tous, ne contredisait jamais, et si lui-même était contredit, il se taisait et renonçait à sa propre opinion. La douceur affable de son caractère était telle, que les nouveaux venus au séminaire en étaient frappés, et se sentaient tout de suite portés à la confiance. Bon nombre d'entre eux lui étaient confiés à leur entrée, et s'il en voyait, assailli au début, d'un peu de'tristesse et d'ennui, les douces paroles et les encouragements de ce bon ange dissipaient promptement tout sombre nuage. Il ne faudrait toutefois pas croire que le naturel de notre cher confrère lui eût facilité l'acquisition de cette mansuétude; nous savons, au contraire, que dès sa plus tendre jeunesse, son caractère se montra ardent; il n'était donc pas de ces natures impassibles, prenant toutes choses avec calme et sang-froid; cela ne se peut d'ailleurs supposer d'un coeur grand et noble comme était le sien. Et de fait, durant le temps trop court que vécut au milieu de nous notre cher frère Ramella, nous observions en lui, en certaines circonstances, ce contraste et cette lutte de la partie irascible, toujours dominée par une ineffable douceur, laquelle disait clairement que sur les ruines de la nature, sans cesse réprimée, s'élevait solide l'édifice de la vertu.
Dès son entrée au séminaire, la Mortification parut être pour lui chose connue, aisée et facile. Frêle et délicat, il était cependant le premier à répondre, en toutes saisons, au son de la cloche du réveil. Dans les exercices et travaux corporels, il ne calculait jamais la faiblesse de ses forces, et les excédait si l'obéissance ne l'arrêtait pas. Sa santé, déjà bien compromise, réclamait de nécessaires exceptions ; tous le voyaient, mais lui seul n'y prétendait pas et acceptait seulement, par soumission, celles que lui prescrivaient ses supérieurs. Languissant et se consumant lentement, son état de souffrance excitait la compassion de tous, mais
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n'altérait en rien le cahne de cette âme mortifiée et désireuse de souffrir ; son visage restait toujours rayonnant de cette joie innocente et ingénue qui nous ravissait. En une occasion il révéla, sans le vouloir, dans quel esprit il acceptait et endurait la souffrance : se trouvant une fois à la campagne avec un de ses cousins, comme lui étudiant de la Congrégation, mais dans la Maison de Turin, celui-ci, qui ne l'avait pas vu depuis un certain temps, fut frappé de l'altération de ses traits et de l'affaiblissement de toute sa personne : il lui dit alors sur un ton de cordial reproche : « Vous me semblez bien souffrant ; si vous aviez pris un peu plus de précautions, vous ne seriez pas réduit à un tel état !» — « Mais, lui répondit notre cher Frère, y a-t-il de quoi être si surpris de me voir malade? Notre-Seigneur ne nous dit-il pas que pour aller au ciel il faut souffrir ? Vous devriez plutôt être étonné de me voir toujours sain ! »—Ces expressions dévoilent le soin empressé qu'il mettait à cacher ses propres souffrances. Il souffrait pour son Dieu, en vue du ciel, sans désirer en rien la compassion d'autrui.
Le Zèle ardent du salut des âmes et un grand esprit de Charité lui méritaient vraiment le titre de fils de saint Vincent, apôtre de la charité. Son zèle transpirait dans ses paroles et ses oeuvres. Ses entretiens ordinaires roulaient sur les emplois et ministères de la Congrégation et surtout sur les missions et les exercices spirituels des ordinands; il s'animait alors jusqu'à l'enthousiasme, et faisait passer dans le coeur de ceux qui l'entendaient, ce feu de saint zèle dont il brûlait. D'autres sujets de conversations le trouvaient sans parole, et tout en lui disait que l'élève du sanctuaire aspirant à l'apostolat ne doit s'intéresser qu'à ce qui sera un jour son plus noble travail et sa gloire; de même que le jeune soldat parle volontiers des armes, de tactique militaire et, jusque dans son sommeil, rêve camps et batailles. Son jeune coeur eût ardemment désiré se dépenser et se sacrifier sur les terres infidèles ; ses aspirations
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se trahissaient par des expressions de pieuse envie pour ceux auxquels ce bonheur était échu; il eût voulu, comme eux, aller arracher des âmes aux démons et répandre, au prix de sa propre vie, la semence de nouveaux chrétiens! Son zèle actif s'exerçait en toute occasion et spécialement à l'époque des retraites aux externes. Qu'il était beau et édifiant de le voir, lui, le plus faible et le plus délicat des séminaristes, aller, plein de cordiale sollicitude et de joyeux empressement, rendre ses services aux exercitants, prévenir leurs besoins et leurs désirs, n'épargnant ni fatigues, ni peines, pourvu qu'ils fusssent exactement servis et pleinement satisfaits. Il prenait vivement à coeur la bonne réussite de ces retraites, et concourait à ce résultat, dans toute la mesure du possible, par ses prières, son dévouement et la bonne édification. Nous avons su combien souvent son maintien simple et modeste avait heureusement influé sur l'âme des externes, lesquels faisaient au Supérieur l'éloge de ce jeune séminariste, si réservé et si exemplaire, qui les avait frappés plus que tous les autres, à tel point qu'ils n'avaient pu en détacher leurs regards : c'était précisément notre cher frère Ramella.
Après deux ans de séminaire, il pouvait sans crainte jurer fidélité à son Dieu, lui consacrant un coeur entièrement détaché de la terre, de ses plaisirs et de toute volonté propre. Il prononça les voeux le 4 octobre 1892.
Notre cher Frère aimait la Pauvreté, aimait les pauvres, aimait à être pauvre; jamais on ne surprit en lui une parole de plainte au sujet du vêtement, du logement ou de la nourriture; tout était toujours bien et bon, et il se faisait grande conscience de bien ménager tout ce qui était à son usage ; rien pour lui n'était en cela de minime importance. L'on ne trouvait point en lui ces déplorables retours qui ne se rencontrent que trop souvent parmi les personnes consacrées à Dieu, lesquelles, après avoir laissé richesses et confortable de tous genres, s'attachent servi-
lement à des choses de rien. La prompte et cordiale générosité avec laquelle notre bon Frère aimait à donner disait bien haut que son coeur était dégagé et détaché de tout ce qui est d'ici-bas. Nos saintes règles concernant la vertu de pauvreté étaient aussi scrupuleusement gardées par cette conscience juste et délicate.
Le second de nos voeux, la Vertu angélique, n'était en lui que le très pur parfum de cette fleur d'innocence qui n'avait fait que croître avec les années. Il semble que le souffle corrupteur du monde ne l'avait pas atteint et l'avait laissé sans en savoir, pour ainsi dire, les périls, et sans avoir goûté l'amertume de ses déceptions. L'amant divin des âmes, le Dieu qui se plaît parmi les lys, l'attira loin du siècle, et, tout jeune encore, dans notre chère Congiégation ; mais jaloux de ce coeur si pur, et comme impatient de le posséder dans la céleste patrie, il ne fit que nous le prêter et, à peine trois ans écoulés, il nous était ravi! Tel est le bienheureux sort de ces âmes privilégiées et prédestinées qui font envie au ciel et ne font ici-bas que passer. L'Obéissance en lui semblait parfaite. I! la pratiquait avec une promptitude et une docilité qui nous mettaient dans l'admiration. Les ordres, intentions, conseils ou désirs de ses supérieurs, étaient pour lui chose sacrée, et il s'y conformait aveuglément, sans s'arrêter à ses répugnances ou aux inconvénients réels ou imaginaires que pouvait lui présenter à l'esprit son propre jugement. Voyant vraiment Dieu dans ses supérieurs, il avait avec eux grande ouverture de coeur et était entre leurs mains et volontés comme un docile instrument qui ne demande qu'à se laisser manier. Mû par ce grand esprit d'obéissance, il le montrait envers nous, ses frères, ne se refusant jamais à faire ce qui lui était demandé, pourvu que la sainte règle ne se trouvât point atteinte. On le sentait, son esprit de loi lui faisait voir l'expression de la divine volonté en la personne qui lui commandait.
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Nous ne pouvons passer sous silence la Stabilité dans sa vocation qui était son trésor. Ses conversations sur ce sujet avaient quelque chose de si ardent, de si persuasif, que tout ceux qui l'entendaient sentaient promptement et vivement passer dans leur coeur ces sentiments.
Un mot seulement de sa Piété si solide, si simple et en même temps si pleine d'expansion et de foi vive. Dans la prière, nous le voyions modeste sans affectation, recueilli sans efforts ; tout dans son extérieur disait la ferveur de son âme, et une fois en la présence de son Dieu, rien ne l'en distrayait plus. Sa confiance dans l'efficace puissance de l'oraison était illimitée, et son expression ardente et favorite en toutes difficultés était : « Prions! prions! » C'était aussi le plus souvent son salut d'adieu en quittant ses amis ou ses connaissances. Entre ses dévotions, la piété envers la très sainte Vierge tenait un rang tout spécial ; son innocence devait le rendre si cher à cette Mère Immaculée! Quand il parlait d'elle, c'était avec une tendresse et une confiance toute filiale; il recourait à elle en toute occasion, aimait à la prier et se faisait avec bonheur, quand il le pouvait, l'apôtre de sa dévotion.
Enfin, sa fidèle Observance à toutes nos saintes règles protégait toutes les autres vertus. Toutes les règles étaient l'objet de sa vénération et de sa diligente exactitude; il se serait fait scrupule de manquer au silence sans nécessité ou de lever les yeux dans les temps et lieux où l'on doit les garder modestement baissés. Le premier son de la cloche le mettait en mouvement pour se diriger là où l'appelait l'obéissance.
Ce cher Frère ne fut pas seulement pour nous le modèle des séminaristes, mais aussi le modèle des étudiants. Il ne demeura parmi nous, à ce titre, que six mois, mais ce peu de temps lui suffit pour nous laisser les plus beaux et édifiants exemples. Son amour pour l'étude était devenu une sainte passion; son assiduité, son ardeur, sa diligence
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ne varièrent jamais. En lui, la piété et la ferveur allèrent toujours de pair avec l'étude.
Six ou sept mois avant sa mort, les progrès de la maladie qui le consumait peu à peu l'obligèrent au repos absolu ; ce qui alors nous fut révélé de plus édifiant en notre cher Frère lût son inaltérable patience et une sérénité que ne peut troubler la pensée de voir si vite finir une vie qu'il ne faisait que commencer, et dans laquelle il était entré avec une si fervente joie. Au début, il est vrai, il ne se croyait pas encore si près de sa fin ; mais nous savons que toujours il se montra abandonné sans réserve à la divine volonté, et aussi indifférent pour la vie que pour la mort. Tous ceux qui s'approchaient de son lit de douleur restaient émus et touchés de sa patience, de son affabilité, de sa simplicité et de sa candeur; à tous il laissait l'impression d'un petit saint. Toujours souriant et reconnaissant des moindres services, il ne se plaignait jamais de ses douleurs, et si l'on voulait y compatir, il répondait doucement que ce qu'il souffrait n'était rien, en comparaison de ce que .Jésus a voulu endurer pour notre amour. Quelques jours avant sa pieuse mort, le Missionnaire qui l'assistait, lui suggéra de faire volontairement le sacrifice de sa vie, lui ajoutant qu'un tel acte nous fait acquérir, aux yeux du Seigneur, un mérite d'un prix infini, selon la pensée de saint Alphonse. A cette invitation, le jeune et pieux mourant • répondit en rassemblant tout ce qui lui restait de force : « Oui, je veux faire le sacrifice de ma vie; je le veux, je le veux! » Et, depuis ce moment jusqu'au dernier, alors qu'il était déjà entré en agonie, on l'entendait redire, puis murmurer : « Oui, je veux faire le sacrifice de ma vie ; voglio, vogiio morire ! » A un de ses cousins, étudiant de . la Maison de Turin, il avait dit, peu de jours auparavant : ' « Je vois bien que je vais mourir, mais une fois en paradis, ah ! je penserai à vous, à mes supérieurs, à mes confrères, à
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ma chère Congrégation, à mes parents et amis. » Il avait été entouré de tous les secours et de toutes les consolations de la religion/ Sa mort fut vraiment précieuse aux yeux du Seigneur, et la Vierge bénie vint sans doute elle-même au devant de celui qui avait été son enfant dévoué et fidèle, car un moment avant de rendre son dernier soupir, on le vit regarder avec attention quelque chose que lui seul voyait, et faire signe du geste au Missionnaire qui ne le quittait pas, mais ne distinguait rien. Le cher mourant fit alors un mouvement, comme pour s'élancer dans un transport d'amour vers la céleste vision, et tout nous porte à croire qu'il remit, à ce moment, sa belle âme entre les mains de la très sainte Vierge, qui l'introduisit près du Dieu qui n'a dû être pour lui qu'un Sauveur plein de miséricorde et d'amour ! C'était le 27 octobre i8g3.
LES SÉMINARISTES ET ETUDIANTS DE LA MAISON DE CHIERI, 1890-1893.
PROVINCE DE PORTUGAL
Lettre de M. ALEXANDRE CIZEAU ', prêtre de la Mission, à M. A. FIAT, Supérieur général.
Amarante, le 3 juillet 1S95.
MONSIEUR ET TRÈS HONORÉ PÈRE,
Votre bénédiction, s'il vous plaît!
L'année dernière vous annonciez à la Compagnie dans la lettre-circulaire du icr janvier la fondation d'une maison nouvelle dans le Nord du Portugal, à Amarante. Cette petite ville située à trois heures de chemin de fer de Porto est entourée de tous côtés par de vertes collines; sur un second plan on aperçoit au loin les cîmes du Maron qui se perdent dans les nues et dont la coupe bizarre forme un horizon à souhait pour le plaisir des yeux ; au milieu passe leTamaga, affluent du Douro qui divise la ville en deux et communique partout la fraîcheur et la fécondité. C'est en ce site vraiment enchanteur que vient de s'achever le magnifique édifice destiné au collège de San-Gonçalo et dont la Congrégation à pris possession au mois d'avril dernier. La façade tournée vers l'Est a 5o mètres de long, la largeur de la maison est d'environ i5 mètres. Par derrière, deux petits corps de bâtiments. Tout auprès de la maison à 5 mètres se trouve l'église des Franciscains que le gouvernement va mettre à notre disposition à la prière du député d'Amarante.
1. Nous avons eu la douleur d'apprendre la mort de M. Alexandre Cizeau peu de temps après qu'il eut écrit cette lettre. Sujet plein d'espérance, il est décédé pieusement le 22 juillet dernier.
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C'est de cette nouvelle maison de la Congrégation qu'a eu lieu le 4 juin dernier, l'inauguration solennelle. Plusieurs journaux : la Fleur du Tamega, la Feuille de Felgueiras, la Province, le Commerce de Porto, la Parole et le Siècle, journal de Lisbonne peu suspect de cléricalisme ont donné les détails de cette cérémonie. La Parole, après avoir fait l'éloge des bienfaits du christianisme dont l'action se manifeste de tant de manières différentes et qui peut seul, par le sacrifice et l'abnégation produire des héros, ajoute : « Et que n'a pas fait le christianisme par un saint Vincent de Paul, qui, d'esclave à Tunis et de berger dans son enfance est devenu le fondateur des Soeurs de la Charité et des Prêtres de la Mission? Et combien la Congrégation de la Mission n'a-t-elle point été utile? Ayant sa Maison-Mère à Paris, elle s'est répandue par tout le monde et recommence à s'introduire en Portugal notre chère patrie, où elle procure la gloire de Dieu en fondant des maisons d'éducation dans lesquelles la jeunesse portugaise reçoit avec une instruction solide et substantielle, une éducation morale et religieuse des plus soignées. Telle est et telle sera cette nouvelle maison de Lazaristes dont l'inauguration a laissé dans le coeur de tous les assistants la plus agréable impression. »
En effet, ce jour-là à huit heures du matin arriva de Felgueras, précédé de son drapeau et de sa fanfare, le collège de Santa-Quiteria que dirige si bien le bon M. Fragues, compatriote de notre saint Fondateur. Le collège de San-Gonçalo était venu à sa rencontre conduit parle vénéré M. Louison, son supérieur et par M. le Visiteur, venu de Lisbonne. Le cortège accompagné des personnes les plus notables de la ville s'est rendu dans la magnifique église de San-Gonçalo où notre cher confrère, M. Souza célébra la sainte messe pour tous les bienfaiteurs de cette oeuvre naissante. Après la messe on s'est rendu au son de la musique et des pétards au nouveau collège où ont été
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échangés des bouquets et des discours de bienvenue et de remerciements.
Le soir eut lieu une séance littéraire et musicale à laquelle ont assisté plus de deux cent cinquante personnes des plus distinguées de la ville. M. Miel, visiteur de la province, la présidait ayant à ses côtés, M. Louison, supérieur de la maison, le juge, le substitut du procureur royal, le souspréfet, etc. Les élèves du collège de Santa-Quiteria ouvrirent la séance par un très beau morceau de musique et ceux du collège de San-Gonçalo ont très bien parlé et représenté. L'impression que cette petite fête a produite a été très bonne et si Notre-Seigneur lui donne sa bénédiction elle sera pour cette maison le début d'une vie utile. Je ne saurais achever cette lettre, quoique déjà un peu longue, sans vous dire un mot, Monsieur et très honoré Père, des fêtes célébrées en Portugal à l'occasion du septième centenaire de la naissance de saint Antoine votre saint patron. Elles ont été très brillantes et ont duré un mois entier. Un Congrès international a siégé pendant une semaine à Lisbonne, sous la présidence du cardinalpatriarche, avec l'assistance du Nonce apostolique et de tous les Ëvêques de Portugal non empêchés par la maladie.
De leurs rangs sont sortis des voix éloquentes qui ont proclamé l'union des catholiques et plaidé la cause du retour des congrégations religieuses en Portugal. Le démon, jaloux de tout le bien qui se faisait ces jours-ci ne pouvait laisser les fêtes de saint Antoine se terminer paisiblement. Françs-maçons, socialistes, anarchistes, s'entendirent pour produire un grand désordre pendant la procession générale du icr juillet. A un certain moment on entendit crier : « A bas les Jésuites » et on lança de tous cotés au peuple des manifestes anarchistes; en même temps une capsule de poudre éclatait au milieu du cortège. Le peuple effrayé commença à s'enfuir de tous côtés renversant et blessant an grand nombre de personnes. La cavalerie accou-
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rut aussitôt, mais Sa Majesté le roi Dom Carlos qui assistait à la cérémonie du haut d'une terrasse lui fit signe de s'arrêter et s'efforça de tranquilliser le peuple. La reine était très pâle et très affligée. Cependant peu à peu l'ordre se rétablit et la procession rentra à la cathédrale. Il y a eu deux cent cinq arrestations.
En vous priant de me pardonner la longueur de cette lettre et en me recommandant à vos ferventes prières ainsi que la petite famille d'Amarante, j'ai l'honneur d'être, Mon très honoré Père,
Votre enfant très humble et obéissant,
ALEXANDRE CIZEAU, I. p. d. i. M
PROVINCE DE CHINE
VICARIAT DU KIANG-SI ORIENTAL
Lettre de M. TAMET, prêtre de la Mission, à M. A. FIAT, Supérieur général.
Kiou-tou, îS octobre 1S94.
MONSIEUR ET TRÈS HONORÉ PÈRE, Votre bénédiction, s'il vous plaît !
J'ai à vous entretenir des misères du district qui m'est confié plutôt que de nos succès. *
D'abord,c'est la mon de M. Edouard Gattringer, d'autant plus douloureuse qu'elle a été plus subite et que ce cher Confrère donnait les plus belles espérances par son zèle et son affection aux oeuvres.
Nous avons eu pendant l'année beaucoup à souffrir du mauvais vouloir des mandarins locaux.
Ils ont, sous de vains prétextes, incarcéré plusieurs de nos chrétiens, dont l'un a eu la chair déchirée par mille coups de rotin. Un autre, qui nous avait vendu sa maison pour établir une station avec oratoire dans la ville de Louki, l'une des sous-préfectures du district, a reçu en différentes fois près de deux mille coups de rotin et vingt coups de baguettes sur les lèvres.
Il est en prison depuis huit mois, on ne veut lui donner la liberté qu'à condition qu'il rachète sa maison et que nous abandonnions le poste.
Nous avons été plus heureux dans la préfecture de Kientchangfou où nous avons pu acheter un local et élever un petit oratoire. C'est là que M. Gattringer a exercé le
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ministère pendant un mois ou deux avant sa mort, et c'est lui qui a dédié la petite chapelle à Notre-Dame des Victoires.
Les chrétiens du district n'augmentent pas, les néophytes sont en petit nombre et les anciens chrétiens meurent en grande partie sans laisser de postérité.
Mon vénérable Socius M. Joseph Yeou ayant été appelé à Foutcheou, je n'ai pas en ce moment de confrère pour mener la vie de communauté. Je tâche d'y suppléer en suivant les exercices de la journée à la manière et en esprit de communauté.
Je reste dans les SS. Coeurs de Jésus et de Marie Immaculée,
Monsieur et très honoré Père,
Votre très humble et très obéissant fils,
A. TAMET, I. p. d. 1. M.
Lettre de M. DAUVERCHAIN, prêtre de la Mission, à M. A. FIAT, Supérieur général.
Yao-tclieou-fou, 2S avril i8o5. ,
MONSIEUR ET TRÈS HONORÉ PÈRE, Votre bénédiction, s'il vous plaît !
La belle fête de la Translation n'a pas été bien brillante pour moi aujourd'hui : elle a été cependant bien consolante, le Dieu de la charité y avait ajouté un charme tout nouveau.
C'est qu'il y a huit jours, ma soeur Labreuil, visitatrice, après avoir fait la visite des deux maisons de Kiou-Kian, nous arrivait pour visiter la future maison de Yao-Tcheou. C'était un événement pour nous, et quoique nos Soeurs n'aient pu rester ici que trente-six heures, nous n'avons qu'à remercier Dieu de tout.
Arrivées en plein midi, elles ne pouvaient passer ina-
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perçues : leur étonnante cornette leur procura un succès monstre de curiosité; mais les autorités avaient été prévenues, une escorte de soldats leur fit la haie et elles prirent ainsi possession de leur nouvel établissement.
Le lendemain, pour se faire connaître, elles reçurent des malades, et bientôt, il y eut foule, à rompre portes et barrières de l'installation provisoire.
C'est à mes yeux, un fait important : la population n'a aucune crainte, ni aucune antipathie à l'égard de nos chères Soeurs, cependant inconnues.
Nos Soeurs ont été frappées de cet accès facile de la population; de même, le soir, sorties pour faire le tour de la propriété, elles furent édifiées du silence respectueux de la foule qui les suivit : tout au plus, entendait-on ces mots : tso hao seu, « elles font de bonnes oeuvres ».
Nos Soeurs ont déjà laissé un commencement de mobilier et espèrent pouvoir procéder à l'installation définitive après les retraites d'août et septembre.
Pour ce faire, ma Soeur visitatrice, espère que la Providence vous mettra à même, très honoré et très cher Père, d'envoyer encore quelques Soeurs à cette pauvre. Chine que le bon Dieu semble vouloir secouer de sa torpeur.
Veuillez me croire de plus en plus, en l'amour de Jésus et de Marie Immaculée,
Monsieur et très honoré Père,
Votre très humble serviteur et enfant très reconnaissant.
F. DAUVERCHAIN,
I. p. d. 1. M.
RAPPORT SUR LES MISSIONS
PAR M. BETTEMBOUR.G
PROCUREUR GÉNÉRAL DE LA CONGRÉGATION l89 +
(Suite et fin 1)
PROVINCE DE PERSE
1. ÉTABLISSEMENTS DES MISSIONNAIRES
OURMIAH.— 8 missionnaires; 3 frères coadjuteurs; séminaires; écoles; missions; imprimerie, etc.
Dans cette maison réside Mgr Montéty 2 délégué apostolique. Depuis que sa Grandeur est à la tête de la Mission, elle s'est appliquée à concentrer dans cette résidence les oeuvres les plus importantes. Elles sont sur un tel pied qu'elles ne cèdent en rien à celles des Protestants installés en face de nous.
C'est dans cette même pensée de propagande et d'influence, qu'il a fait appel, par la voie des journaux, à la bonne volonté et au dévouement de quelque jeune médecin catholique qui consentirait à aller s'établir en Perse ; sans doute la Mission n'assurerait pas son avenir, mais y contribuerait puissamment en le faisant admettre comme médecin des plus grandes familles du pays et même de quelques membres de la famille du Shah.
De temps à autre on a peut-être remarqué dans la presse, certains télégrammes très laconiques annonçant que des Arméniens schismatiques avaient commis quelques crimes contre les catholiques, par exemple, le meurtre du Supérieur des Pères Mékitaristes. Ces faits malheureusement ne
1. Voy. ci-dessus, t. LX, p. 3g6.
2. Monseigneur a transféré depuis sa résidence à Téhéran.
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sont pas aussi isolés que le laissent croire les journaux. Il faut garder un silence que la prudence impose.
De tout temps on a considéré comme certain le projet de la Russie de s'emparer de la Perse ; c'est en vue de ces événements que nos confrères, dès leurs premiers pas en ce pays, s'appliquèrent à former un clergé indigène sérieux, attaché à son devoir, s'il le faut jusqu'au martyre. Je dois à la vérité de dire, que plusieurs prêtres sortis de ce séminaire, ne paraissent pas en effet au-dessous des espérances qu'on a placées en eux. Quelques-uns sont entrés dans notre Congrégation, témoin M. Bedjan qui par la publication des ouvrages Chaldéens, rend présentement et rendra dans l'avenir les services les plus considérables pour la conservation de la foi catholique parmi ses compatriotes.
Quelles que soient les épreuves que l'avenir réserve aux églises de ce pays, nos confrères se livrent avec un zèle plus ardent encore, si c'est possible, à affermir les prêtres et les chrétiens dans leurs convictions religieuses, et à augmenter le nombre des catholiques. Dans ce but ils ont créé une sorte d'école normale; c'est là que sont formés les jeunes maîtres destinés aux cent et quelques écoles des villages de la plaine d'Ourmiah. Jusqu'à ce jour les résultats les plus satisfaisants ont récompensé les efforts de nos confrères; ces jeunes maîtres sont fort goûtés, paraît-il, se tiennent parfaitement à leur devoir et attirent à eux, au grand désespoir des protestants, la presque totalité des enfants des familles catholiques et schismatiques.
KHOSROVA. — 3 Prêtres ; 2 frères coadjuteurs. La ville et les environs comptent plus de trois mille Chaldéens catholiques. Les évangéliser par des prédications et des catéchismes, enseigner et diriger leurs prêtres, c'est l'occupation quotidienne de nos :;Missionnaires de cette maison ; comme à Ourmiah ils visitent et inspectent les 25 à 3o écoles qui entourent Khosrova.
TÉHÉRAN.— 2 Prêtres; 3 frères coadjuteurs.
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Les oeuvres de nos confrères comprennent les missions et des oeuvres de propagande auprès des Chaldéens et des Arméniens, des écoles de garçons, le service du culte pour la colonie européenne de la ville même, l'aumônerie de deux maisons de Soeurs et l'éducation religieuse des enfants confiés à ces dernières.
2. ÉTABLISSEMENTS DES FILLES DE LA CHARITÉ
OURMIAH. — 8 Soeurs ; orphelinat ; asile et classes externes en ville, et écoles dans 7 villages ; hôtellerie ; dispensaire, 36 000 pauvres y ont été reçus et soignés; visites à domicile; petit hôpital; catéchismes aux femmes dans de nombreux villages ; « accommodement des contestations entre les femmes ».
Ce tableau des oeuvres indique l'importance des services que les Soeurs rendent à la foi en ce pays. Je pourrais facilement entrer dans des détails locaux très intéressants, mais je m'en tiens à la partie du rapport de la Supérieure qui me paraît le mieux démontrer le bien accompli et les besoins les plus pressants : « La maison des Soeurs, écritelle, est située dans le quartier chrétien, à l'extrémité de la ville toute musulmane ; notre externat ne peut donc avoir plus d'élèves que les enfants de la population chrétienne qui, cependant, augmente chaque jour.
« Quant à l'internat c'est différent; il y a dans la plaine d'Ourmiah plus de 60 villages habités par des chrétiens, nestoriens, arméniens et catholiques. Nous recevons les enfants de ces diverses nations; ce sont pour la plupart des orphelines, ou des enfants exposées, ou bien encore des enfants de bonne famille qui peuvent faire plus tard beaucoup de bien autour d'elles. Cette oeuvre est vraiment bien recommandable, mais c'est aussi celle qui demande le plus de dépenses, à cause de la nourriture et de l'entretien. Ici on ne peut trouver aucune industrie pour gagner une partie de la dépense ; en dehors de la classe, nos enfants sont
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occupées à coudre, laver, repasser le linge et les vêtements des Missionnaires et de leurs élèves ainsi que des églises.
« L'oeuvre du dispensaire et des visites à domicile est moins coûteuse, et elle nous donne beaucoup de consolations, vu le grand nombre d'anges que l'on peut envoyer au ciel ; chaque année nos Soeurs ont le bonheur de faire plus de 5oo baptêmes.
« La salle d'asile est bien fréquentée, c'est une oeuvre nouvelle ici, et les grands personnages qui viennent la visiter sont émerveillés d'entendre ces petits enfants chanter et parler en français.
« L'hôpital n'ayant aucune fondation nous ne pouvons avec une allocation si minime recevoir beaucoup de malades.
« Cette année nous avons tâché de rebâtir une partie de notre vieille maison qui tombait en ruine, mais en touchant ces murs, le reste du bâtiment s'est ébranlé. On ne peut voir les crevasses qui s'en sont suivies sans être effrayé des accidents que la saison des pluies peut nous causer. Que faire? Il serait bien urgent pour nous d'avoir un secours extraordinaire pour les réparations de l'année prochaine, sans cela^nous ne pourrons continuer prudemment d'habiter notre maison.
« J'ai aussi grandement à coeur de créer des écoles dans les villages les plus considérables. Hélas! nos ressources ne me le permettent pas; cependant chaque école ne coûte guère que 60 francs en moyenne. J'en fais élever cinq, mais to autres localités au moins en ont besoin. Déjà les diaconesses anglicanes, plus riches que nous, y entretiennent des maîtresses pour y semer l'erreur; nos écoles auraient sûrement la préférence, mais je suis dans l'impossibilité matérielle d'accomplir ce voeu de mon coeur. »
KHOSROVA. — 7 Soeurs; classes externes pour filles et garçons; orphelinat; pharmacie; dispensaire; visites à domicile.
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Les Filles de la Charité opèrent ici, comme à Ourmiah, le plus grand bien; sans leur présence, les protestants domineraient sans conteste à Khosrova. Avant leur arrivée, les Missionnaires, pour respecter les moeurs du pays, ne pouvaient s'occuper de l'instruction des femmes. Aujourd'hui, les jeunes filles élevées par les Soeurs non seulement sont instruites, mais confirment leurs familles dans la foi et repoussent avec un zèle admirable les insinuations des protestants.
Les petites filles reçues à l'orphelinat sont pour la plupart des hérétiques nestoriennes ou arméniennes : c'est pour elles la voie au catholicisme. Plusieurs d'entre elles, si elles n'avaient pas été recueillies par les Soeurs, feraient partie du harem de quelque riche musulman.
A l'orphelinat de Khosrova, avec la foi, on leur enseigne la couture, la cuisine, etc., dans le but d'en faire de bonnes ménagères. Quand les Soeurs les marient à quelques bons chrétiens des villages, ces jeunes filles acceptent volontiers et presque pour rien d'être maîtresses d'école du village où elles sont établies.
Les autres oeuvres, comme le dispensaire, les visites à domicile, etc., font un bien considérable; le manque de ressources est le seul obstacle pour en accomplir davantage. Les Soeurs des deux maisons d'Ourmiah et de Khosrova, outre le but d'affermir les pauvres catholiques dans leur foi, exercent leur zèle à retirer de l'hérésie les nestoriens et les arméniens; je dois dire que leur ministère de charité et de dévouement n'est pas sans gagner nombre d'âmes à la foi catholique, surtout parmi les femmes, surlesquelles les Missionnaires ne peuvent exercer presque aucune action. TÉHÉRAN.—Maison du Sacré-Coeur. 6 Soeurs; orphelinat de filles, 40 enfants; écoles externes de garçons et de filles; ouvroir; petit hôpital pour les Européens et un autre pour les indigènes.
Toutes ces oeuvres fonctionnent avec des succès qui
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seraient facilement plus considérables, si les ressources dont les Soeurs disposent étaient plus abondantes. Je me permets de répéter que la Mission de la Perse ne reçoit point d'autre secours que les allocations de l'oeuvre de la Propagation de la Foi.
TÉHÉRAN. — Maison de la Porte-Casbine. 5 Soeurs; classes pour filles et garçons; ouvroir; dispensaire.
Celte maison a été particulièrement créée pour les Arméniens; elle est située dans leur quartier et fait le plus grand bien parmi eux. Les Arméniens schismatiques sont riches, ont établi des écoles, secourent leurs compatriotes aussi largement que possible; c'était là un très grand danger pour la foi des catholiques, qui sont en général très pauvres. Outre les schismatiques, les protestants épiscopaliens font des efforts inouïs pour attirer à eux les Arméniens; nos Soeurs luttent vaillamment; elles ont besoin d'être encouragées; les secours mis à leur disposition sont absolument disproportionnés en face des richesses de leurs adversaires; mais n'importe, Dieu les bénit dans leur pauvreté; elles réussissent à conserver dans la foi les Arméniens catholiques et comptent chaque année des conquêtes parmi les schismatiques.
Et maintenant, Messieurs, avant de clore ce rapport, permettez-moi de vous remercier à nouveau du généreux concours que vous apportez par vos subsides aux oeuvres de nos Missionnaires et des Filles de la Charité dans les Missions étrangères. Nous espérons que la lecture de ce résumé de leurs travaux apostoliques vous satisfera; vous resterez convaincus que les sacrifices que vous vous êtes imposés jusqu'à ce jour en leur faveur ne sont pas demeurés stériles.
AMÉRIQUE
ETATS-UNIS
INAUGURATION DE LA NOUVELLE MAISON D'ALIÉNÉS
A SAINT-LOUIS ( MISSOURI)
(D'après le Sunday Watchman du 3o juin ]8g5.)
Sa Grandeur Mgr Kain, archevêque de Saint-Louis, a béni, le 25 courant, le plus bel asile d'aliénés que la charité privée ait institué dans l'Ouest, Cet établissement s'appelle asile Saint-Vincent, et il est dirigé par les Filles de la Charité, dont la supérieure, soeur Madeleine, a conçu le vaste et magnifique plan de l'édifice et en a surveillé l'exécution. L'ancienne maison du même genre, située dans la ville, était devenue trop petite pour les exigences du service. La nouvelle, où l'on a mis à profit tous les avantages des maisons similaires modernes, peut contenir plus de mille malades,et elle a coûté une somme très considérable. Elle est située en dehors de la ville, sur un monticule entouré de forêts et de campagnes fertiles.
L'Institut Saint-Vincent était un des plus anciens établissements de bienfaisance privée que possède Saint-Louis. Sa fondation remonte au 10 août 1858, et peu d'années après il était devenu entièrement gratuit pour les deux cents malades qu'il peut loger. Il n'était aucunement une oeuvre de parti, mais il admettait des malades de toute croyance.
C'est vers le Ier septembre que le nouvel asile Saint-Vincent fonctionnera définitivement. L'inauguration qui a eu lieu mardi dernier a débuté par une messe pontificale, chantée par Mgr l'archevêque, entouré d'une brillante as-
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sistance ; les chants et la musique ont été particulièrement admirés. La messe fut suivie de la visite et de l'inspection de l'établissement, et, à midi, un banquet réunit autour de Sa Grandeur de nombreux convives prêtres, religieux et laïques distingués, parmi lesquels beaucoup de protestants. Y furent également présents MM. les Supérieurs et plusieurs confrères de nos deux maisons de Saint-Louis, ainsi que M. Lennon, directeur des Filles de la Charité des États-Unis.
VIE DE MONSEIGNEUR JEAN-MARIE ODIN
DE LA CONGRÉGATION DE LA MISSION
ARCHEVÊQUE DE LA NOUVELLE - ORLÉANS
180O-187O
PAR M. L'ABBÉ BONY
(Suite 1 )
CHAPITRE IV
Vocation du Missionnaire.— Mgr Dubourg à Lyon. — Lettre à son père et à sa mère. — Lettre intime à sa soeur Benoite.
Les lignes que nous venons de citer, de cette lettre adressée à sa soeur, témoignent, dans notre séminariste, un état d'âme prêt à tous les dévouements. Dieu l'avait appelé à la grâce du sacerdoce, sa vocation était évidente, et le sous-diaconat qu'il venait de recevoir était un engagement définitif qui répondait à ses sentiments les plus intimes. Ce n'était pas assez; la vocation de missionnaire allaitdevenir irrésistible. Voici en quelles circonstances elle se déclara. Mgr Dubourg, l'un des prêtres qui profilèrent de leur exil, pendant la Révolution française, pour évangéliser les Etats-Unis, avait été nommé évêque de la Nouvelle1.
Nouvelle1. ci-dessus, p. 427.
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Orléans et sacré à Rome en I8I5. Il s'était, en 1816, arrêté à Lyon, cette Rome des Gaules.
Ses récits sur la situation religieuse, si déplorable aux Etats-Unis, avaient ému les coeurs. En ville, il avait suscité des dévouements, et dans l'organisation régulière de l'oeuvre de la Propagation de la foi, son influence n'avait pas été inutile. On s'était vivement préoccupé de la situation de cette Louisiane, perdue pour la France, il est vrai, mais conquise par elle. La Charité avait donné largement et généreusement; au grand séminaire on fit plus : six ou sept jeunes gens se décidèrent à partir, et nous retrouvons parmi eux deux noms déjà connus, celui de M. Blanc qui avait été envoyé comme vicaire à Ambierle en attendant le départ et pour éprouver sa vocation, et celui d'un jeune clerc de Mombrison, M. Portier, qui n'avait pas achevé ses études. Ces deux noms seront mêlés plus tard à notre récit.
L'impression faite au séminaire fut très vive, et en partant, Mgr Dubourg laissait le germe d'autres vocations. Dans les maisons fermées au bruit du monde, comme l'est un séminaire, les événements sont rares, et quand il s'en rencontre d'extraordinaires, comme le séjour d'un évêque d'Amérique, il se conserve pendant des années dans les conversations, dans la correspondance. En 1822, Mgr Dubourg était venu de nouveau en Europe. Il parcourut la Belgique, l'Autriche, l'Italie, la France, et vint à Lyon retrouver tant d'âmes qui s'intéressaient à ses missions, et le séminaire, qui avait été si généreux six ans plus tôt, devait lui donner de nouvelles et précieuses recrues. L'abbé Odin se vit appelé, à l'évangélisation de ces lointaines contrées.
En quelles circonstances la Providence avait-elle mystérieusement parlé à cette âme? Nous ne le savons pas d'une manière précise; ce qui est certain, c'est que la vocation du jeune Odin fut sérieuse. L'imagination n'avait guère de prise sur son caractère ; il n'avait pas lu Chateaubriand
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et erré à sa suite dans les grands déserts du NouveauMonde, ravi des merveilles d'une nature inconnue à nos vieilles civilisations, et les reflets magiques qui s'étaient échappés de la plume enthousiaste de l'écrivain ne l'avaient pas ébloui. La rencontre de M. Blanc au presbytère d'Ambierle avec les entretiens que ses ardeurs apostoliques rendaient si intéressants, la présence au séminaire du frère de ce dernier qui allait devenir, lui aussi, un apôtre; la lecture des lettres nombreuses qui lui étaient adressées d'Amérique et qui étaient lues par ses amis, tout cela avait dû être pour lui une préparation providentielle. Nous ne voulons pas nous arrêter davantage sur le côté extérieur de sa vocation; nous préférons citer la lettre que l'abbé Odin écrivit de Paris à ses parents. Il avait quitté Lyon sans avoir eu le courage d'aller les embrasser à Ambierle ; la séparation aurait été trop cruelle de part et d'autre, sans aucun profit réel. Nous nous rappelons encore comment, en 1867, revenu à Lyon, il nous racontait simplement la douleur de son départ, et comment il avait gagné Paris, le coeur brisé, craignant toujours de succomber à la douleur. Voici la lettre écrite à sa famille :
« Mon cher père et ma chère mère,
« Quelques instants après avoir eu la consolation de voir mon oncle et ma tante de Saint-Haon-le-Vieux, mes supérieurs m'annoncèrent que l'évêque de la Louisiane demandait quelqu'un pour fonder des séminaires dans son diocèse. Ils furent d'avis que j'accepte cet emploi ; c'est une bien grande faveur que le ciel m'accorde et que mon indignité ne m'aurait jamais permis d espérer. Cependant la joie qu'aurait dû me causer cette nouvelle fut bien troublée par l'appréhension qu'elle ne vous fut point agréable. Votre attachement pour moi est si grand, qu'une séparation pour quelques années va peut-être vous attrister et vous causer quelque chagrin et de l'inquiétude. Mais non, la volonté
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de Dieu vous fut toujours chère, et vous aimâtes toujours à l'accomplir. Cette pensée me ranime, car, mon cher père et ma chère mère, si j'ai accepté cet emploi, ce n'est qu'après les plus mûres délibérations, ce n'est qu'après avoir consulté mes maîtres et mon directeur, après avoir reconnu que je ne pouvais refuser sans résister à la volonté du Seigneur. Oh! si avec des marques si positives de la volonté de Dieu j'eusse encore osé balancer et hésiter, n'aurai-je point agi contre votre gré et contre vos désirs?
« Et puis, quel cruel avenir s'offrait à moi ! Des milliers de protestants et d'idolâtres périssent à chaque instant dans ces pauvres diocèses ; l'enfer se peuple tous les jours d'un nombre prodigieux d'âmes rachetées au prix du sang de Jésus-Christ. Dieu me fait la grâce de me destiner à former des ministres capables de sauver les victimes infortunées, quelle responsabilité si je m'étais refusé à suivre cette vocation ! Cette pensée ne se serait-elle point offerte à chaque instant à mon souvenir et n'aurait-elle point rempli de tristesse et d'inquiétude le reste de ma vie? Aurais-je pu goûter un seul instant de paix et de repos dans un état où Dieu ne me voulait point? Et à la mort, dans ce moment terrible qui me séparera de vous d'une manière plus grande encore, de quels remords n'aurais-je point été accablé; quel affreux avenir se serait offert devant moi ! Quel compte terrible m'aurait-il fallu rendre de ces pauvres âmes au salut desquelles Dieu daigne aujourd'hui me destiner! Oh! mon cher père et ma chère mère, vous-mêmes m'encouragerez les premiers à seconder les vues de la Providence sur moi, car en me permettant d'entrer dans l'état ecclésiastique vous avez voulu me consacrer tout entier au salut des âmes, au service de l'Eglise. C'est un sacrifice que vous avez fait à Dieu. Votre intention n'était que de faire un bon ministre des autels, et de donner à la société un ouvrier disposé à lui être utile.
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« Oui, il m'eût été bien consolant de vivre auprès de vous ; le ciel en ordonne autrement, soumettons-nous à sa sainte volonté. Plus notre sacrifice sera grand, plus il sera agréable aux yeux du Seigneur. Oh ! j'espère qu'il sera pour moi et pour toute la famille une source de faveurs et de bénédictions. Dieu récompense avec tant de libéralité les sacrifices faits pour sa gloire!
« Il est une grâce que je sollicite de la part de mes frères et soeurs avec la plus vive instance, c'est une grande attention à travailler au salut de leurs âmes ; par la tendresse qu'ils m'ont toujours témoignée, je les conjure de faire la joie et la consolation de mon bon père et de ma tendre mère, de les aider dans tous leurs besoins. C'était un grand sujet de joie pour moi de penser qu'un jour il me serait peut-être donné d'adoucir les peines qui ont troublé pendant bien longtemps leurs jours; je ne le pourrai peut-être point de la manière que je me proposais, du moins par mes prières je supplierai le Seigneur de leur être toujours favorable. Je prie aussi ma tante de Saint-Haon-le-Vieux, mon oncle et ma cousine Seyrol qui ont tant de droits à ma reconnaissance, ainsi que tous mes oncles et tantes de recevoir les sentiments de ma gratitude. Toute la famille et un grand nombre de personnes m'ont toujours témoigné le plus vif intérêt ; j'en suis bien reconnaissant, et je m'appliquerai toute ma vie à prier Dieu de leur donner ses grâces et ses bénédictions : c'est la seule marque de reconnaissance qu'ils exigent de moi. Il m'eut été bien consolant de voir toute ma famille avant mon départ; mais il a été trop précipité. Veuillez, mon cher père et ma chère mère, m'écrire de temps en temps, et ne voir dans la démarche que je fais que l'ordre et la volonté de Dieu. Oh ! si vous connaissiez les troubles et les appréhensions, les chagrins qui m'ont agité en pensant que cet éloignement pourrait peut-être vous inquiéter pendant quelques instants !
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« Adieu, mon cher père et ma chère mère, agréez mes sentiments sincères d'attachement et de respect. « Votre bien soumis et affectionné fils,
« ODIN JEAN-MARIE, sous-diacre. »
Après cet adieu où la foi la plus ardente lutte contre les sentiments les plus tendres de son coeur, il écrit à sa soeur Benoîte, qui était plus à même de comprendre la grandeur de la vocation du Missionnaire, et il lui confie dans l'intimité de l'affection fraternelle les angoisses que lui avait coûtées le sacrifice accompli.
« Paris, le 3 mai 1S22.
« La Providence, ma chère soeur, daigne m'associer aux zélés missionnaires d'Amérique, et cela malgré mon indignité. Elle veut bien me choisir pour aller aux secours des misérables sauvages de ces infortunés pays. Par l'amour que tu as pour ton Dieu et par cette amitié que tu me témoignas toujours, permets à ton pauvre frère de solliciter différents services de ta bonté. Je compte encore sur cette tendresse qui te porta toujours à m'obliger. Mon départ sera, je l'espère pour toi, un nouveau sujet de bénir Dieu, si tu le considères avec les yeux de la foi. Mais mon pauvre père et ma bonne mère, mes frères et mes soeurs et toute la famille trouveront dans mon éloignement un grand sujet de tristesse et de chagrin. Ah! ma chère soeur, c'est sur toi que repose tout mon espoir; tu les consoleras, tu leur feras envisager et comprendre l'obligation où je me trouvais de seconder les vues de la Providence sur moi.
« Qu'il est touchant, ma chère Benoîte, l'état pitoyable où se trouvent réduits les pauvres habitants de l'Amérique ! Dans le seul diocèse où je suis appelé, l'on compte des millions d'idolâtres et de protestants; tous les jours ces âmes infortunées tombent dans les enfers, et cinquante prêtres seulement leur prêtent quelques secours. Dans un diocèse plus grand que la moitié de l'Europe, que peut faire
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un si petit nombre d'ouvriers? Et verra-t-on de sang-froid périr ces pauvres âmes, qu'un Dieu a bien voulu racheter au prix de tout son sang? Ce sont des frères qui se perdent, et l'on ne ferait aucun sacrifice pour les sauver ! Oh ! ma bonne soeur, que nous devons bénir la Providence, qui daigne jeter sur moi des yeux de miséricorde pour m'élever à un si grand ministère! que je crains, par mon peu d'ardeur à répondre aux desseins de Dieu, de me rendre indigne d'une si belle vocation! Je ne puis assez admirer la manière dont le Seigneur m'a fait obtenir ce que je désirais depuis si longtemps avec tant d'ardeur. Pendant les vacances, je t'avais souvent manifesté mon goût et mon penchant pour les Missions de la Chine, où j'aurais pu trouver le martyre. Au moment où je ne m'occupais plus de ces projets, et dans le temps où j'attendais avec patience que Dieu me fit connaître sa sainte volonté, tout à coup je suis choisi pour aller professer la théologie dans la Louisiane. Là, un saint évêque m'attend avec empressement. Quelques vénérables missionnaires, déjà bien recommandables par leurs longs et pénibles travaux, sont dans l'impatience de voir arriver de nouveaux ouvriers.
« Oh! ma bonne Benoîte, ne consultons point les sentiments de la nature, n'écoutons point trop la voix de la chair et du sang, et loin de nous attrister de notre séparation, ne pensons qu'à en bénir le Seigneur. Rappelle-toi avec quelle joie et quel courage saint Louis de Gonzague faisait les plus grands sacrifices pour son Dieu. Tous les Saints ont aimé à renoncer à ce qu'ils avaient de cher, pour prouver à leur Rédempteur leur amour et leur dévouement. Ah! c'est surtout au pied de la Croix que l'on se sent animé du noble désir de faire quelques sacrifices pour un Dieu qui s'est immolé lui-même tout entier pour nous. Quand on voit le sang d'un Dieu couler à grands flots, peut-on se sentir retenu par les choses d'ici-bas, et ne désirerait-on pas avoir mille vies pour les consacrer toutes
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à procurer la gloire d'un si bon Maître! Ma bonne soeur, je t'en conjure, ne néglige rien pour adoucir les chagrins de mes pauvres parents. Console mon père, console ma tendre mère. »
CHAPITRE V
Départ. — Comment M. Odin gagne le poil du Havre.— Récit de la traversée. — Nouvelle-Orléans. — Le sort des esclaves. — Visite à la Pointe-Coupée. — Séminaire des Barrens.
Le devoir était accompli, l'abbé Odin obéissait joyeusement à la voix de Dieu, mais le coeur saignait toujours. De Paris au Havre, il prit les messageries qui devaient l'amener au port d'embarquement. Il faillit manquer le vaisseau qui était en partance pour la Nouvelle-Orléans. Laissons M. Fillon nous rapporter l'incident dans l'oraison funèbre qu'il prononça, à Ambierle, en 1870.
« Lui avez-vous entendu raconter, avec sa simplicité charmante, comment il faillit ne pas arriver à temps pour • prendre passage sur le vaisseau qui devait l'emporter au Nouveau-Monde? Il y avait sur la route à-gravir une longue montée. Descendant de voiture, il prit un chemin de traverse et se mit à marcher paisiblement en récitant son bréviaire. S'égara-t-il, ou bien se laissa-t-il attarder dans les émotions de sa prière? Je ne sais. Le fait est, qu'arrivé au sommet de la montagne, il ne retrouva pas la diligence qui était partie sans lui. Le voilà alors à courir avec autant d'ardeur que s'il se fût agi de sa fortune ou de sa vie. Il avait vingt-deux ans, il était vigoureux, il ne put atteindre la voiture, mais, après une course violente de cinq ou six heures, il eut la consolation d'arriver au Havre à moitié .mort, une demi-heure avant le départ du bienheureux navire, qui devait l'emmener, si loin de la patrie, dans les pays sauvages. Vous voyez si l'amour de Dieu le pressait et combien il lui tardait d'entrer dans la carrière de l'apostolat ! »
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La navigation fut assez longue et surtout assez pénible; elle dura plus de deux mois. Tout occupé des graves pensées qui le conduisaient si loin de sa patrie pour évangéliser les sauvages de l'Amérique, il relate très sobrement, dans ses lettres, les incidents de son voyage.
« Le 11 juillet, écrit-il à son père et à sa mère, après une traversée de deux mois et trois jours, nous sommes entrés dans le port de la Nouvelle-Orléans. Les trente premiers jours de notre navigation ont été assez heureux; ensuite, pendant une semaine entière, nous avons été battus par les vents contraires. Les calmes ont retardé notre marche, et quatre ou cinq tempêtes que nous avons essuyées ont fait que notre arrivée a été un peu moins prompte qu'on n'avait lieu de l'espérer. Il y avait cinq ecclésiastiques à bord avec nous. »
Dans une lettre à sa soeur, datée de la Nouvelle-Orléans, le 14 juillet 1822, il donne quelques détails sur les périls qu'ils ont courus.
« Le 14 juin, dit-il, nous avons reconnu différentes îles désertes et inhabitées. Nous avions autour de nous quinze bâtiments. Le 17, en vue de l'île Orangs-key, une violente tempête est venue jeter l'épouvante parmi tous les passagers et même l'équipage. Cependant la Providence a veillé sur nous au milieu des dangers dont nous étions environnés. Le 20, nous sommes entrés dans le golfe du Mexique où les calmes, les tempêtes et les chaleurs torrides nous ont tour à tour accablés,et nous ont fait vivre dans la crainte et les plus douloureuses perplexités. » Son âme toute pleine de sentiments pieux ne sait comment remercier le Seigneur qui l'a conduit et sauvé. « Plusieurs fois, continue-t-il, Dieu nous a protégés d'une manière sensible au milieu des ' dangers sans nombre auxquels nous étions exposés sur mer, car lorsqu'on a confiance en sa providence on jouit d'une tranquillité et d'une paix profonde, même au milieu des plus redoutables orages. » Il a expérimenté cette forte et
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douce vérité du psaume qu'il avait sans cesse à l'esprit : Dens nos ter refugium et virtus, adjutor in tribulationibus quoe invenerunt nos nimis ; ou, comme il est dit ailleurs : «Nous ne craindrions pas quand même toute la terre tremblerait et quand les montagnes seraient précipitées au milieu de la mer. » La poésie des grandes eaux, les vastes horizons sur l'Océan avaient cédé la place pour lui pendant les mauvais jours de la tempête devant la dure réalité d'une vie de passager dans une cabine et les tristes nécessités des fatigues physiques.
Arrivé à la Nouvelle-Orléans, l'abbé Odin fut reçu avec beaucoup de témoignages d'amitié. Cette ville, surtout depuis le commencement du siècle, presque abandonnée par le clergé, était devenue une sentine de vices et un foyer d'impiété. Mgr Dubourg, nommé évêque en I8I5, n'avait pu, à sa grande surprise, lorsqu'il revint de Rome en 1817, revêtu du caractère épiscopal, prendre possession de son siège. Une opposition violente et implacable l'avait forcé de céder devant les passions ameutées et il s'était retiré à Saint-Louis, dans le Missouri. Trois prêtres seulement étaient en 1822 chargés de la direction spirituelle de ces milliers de catholiques de tous les pays, où les Français et les Mexicains dominaient.
Assise sur les bords du Mississipi qui en cet endroit est large d'un kilomètre, la Nouvelle-Orléans est à la fois une ville inquiète, affairée et bruyante où se pressent les trafiquants de toute nation, et, dans certains quartiers, une ville tranquille et silencieuse où les créoles mènent une vie molle et insouciante. Notre missionnaire se soucia peu, d'admirer la beauté du site et de goûter le charme du climat. Il se préoccupait avant tout de l'état de la religion et s'affligeait de la situation morale faite aux esclaves nègres. «Que les besoins de ces pauvres pays sont urgents 1 écrivait-il. Lorsqu'on est en France, on ne peut voir qu'avec compassion l'aveuglement de tant de malheu-
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reux pécheurs qui se perdent, et cependant la plus mauvaise paroisse de notre diocèse est un peuple de saints si on la compare à la population de la Nouvelle-Orléans. Ici on ne connaît que le dieu des richesses et des voluptés, et, à part un petit nombre d'âmes un peu ferventes, le reste est dans une profonde ignorance de la religion. » — Nous enregistrons cette première impression que lui fit une ville où il devait, quarante ans après, monter sur le trône archiépiscopal. — Sa lettre continue ainsi : « Les prêtres chargés du soin de cette grande ville n'ont pas un moment de repos : les baptêmes, la visite des malades, les enterrements, les prédications sont des occupations trop fortes pour qu'ils puissent les supporter longtemps. Déjà plusieurs missionnaires, jeunes encore, ont succombé dans les pénibles travaux des missions. Dans les campagnes, un prêtre a quelquefois un rayon de soixante lieues à desservir. Continuellement il lui faut être à cheval, courir à travers les bois, endurer les chaleurs les plus accablantes et les plus meurtrières. Souvent au milieu des chemins, on trouve des personnes mortes, frappées par le soleil. » Sa soeur put par ces lettres connaître les détails d'une vie qui s'annonçait rude et périlleuse. Elle savait combien son frère avait soif de se donner aux âmes et combien la vie était peu de chose à ses yeux quand il s'agissait de les sauver.
Ce qui émut particulièrement l'abbé Odin, c'est le sort des esclaves; recueillons-en le témoignage : « Il est un spectacle bien digne de pitié, écrivait-il; c'est, celui des nègres qui se trouvent en grand nombre dans ce pays. Ils sont presque tous esclaves. On les traite comme on traiterait en France une bête de somme. Dans les campagnes, ils sont presque toujours nus. J'en ai trouvé qui ne savent pas même qu'il y a un Dieu. Il ne faut pas s'étonner s'ils sont très corrompus; ils vivent hélas! plutôt comme des brutes que comme des hommes. » Dans une lettre écrite quelques mois après, il disait encore : « Le plus grand sujet de tris-
tesse c'est l'esclavage des nègres. Dans la basse Louisiane, les maîtres, pour la plupart, ne veulent pas entendre parler de faire instruire leurs esclaves, de les faire marier. Souvent même ils ne leur permettent pas d'aller à l'église. Vous concevez facilement quels désordres résultent de là. Que je fus désolé dans le commencement en face de cette situation. »
Ces lignes, dans leur simplicité sont un plaidoyer indirect en faveur de l'affranchissement des esclaves. Un système, en effet, qui réduit à un tel abaissement et à une telle dégradation est condamné par la justice la plus élémentaire; il méconnaît les droits les plus sacrés de l'humanité. Elles témoignent aussi chez l'abbé Odin du sens pratique qu'il apportait en tout et de sa préoccupation habituelle de regarder le côté moral et religieux du pays qu'il visitait. Pendant un mois que dura son séjour, il continua, tout en s'appliquant à l'étude de la langue anglaise, d'observer les moeurs et le caractère de ce peuple américain auquel il avait consacré sa vie.
Dans les premiers jours du mois d'août, la petite bande des missionnaires partait pour le séminaire de SainteMarie des Barrens, dans le Missouri. Le voyage se fit en bateau sur le Mississipi. Les bords du grand fleuve sont tour à tour sauvages, grandioses, charmants. Jusqu'à Natchez, à 400 milles au-dessus de la Nouvelle-Orléans, les vastes plaines sont rarement entrecoupées de petites collines. Là, à côté d'immenses forêts, les champs qui bordent le fleuve voient le catalpa, le cotonnier, le saule, le peuplier, le sycomore, se développer avec une exubérance vraiment surprenante. Plus loin, le lit du Mississipi forme des îles boisées, dont la verdure s'élevant au-dessus des eaux, présente un spectacle ravissant. Le silence des immenses solitudes, à peine interrompu par le bruit du bateau ou par le cri de quelque bête des forêts, plongeait l'âme pieuse de notre jeune missionnaire dans de saintes pensées
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et dans une contemplation muette de ces beautés qui lui étaient encore inconnues.
Avant de se rendre au séminaire des Barrens, l'abbé Odin, en compagnie de Jean-Baptiste Blanc, son condiciple du grand séminaire, fit une visite, à la Pointe-Coupée, à l'ancien vicaire d'Ambierle, M. Antoine Blanc. Il en rend compte à sa soeur en quelques mots : « M. Blanc, écrit-il, éprouva beaucoup de plaisir en me voyant et il s'informa bien vite de toute la famille. Il n'a oublié personne. Il fait un grand bien dans les missions, mais la congrégation ou paroisse dont il est chargé, est si considérable et si dispersée, qu'il n'a pu s'occuper des peuplades sauvages. Sa santé se maintient malgré ce ministère écrasant; il m'a semblé peut-être un peu plus maigre et plus pâle que nous l'avons connu 1 » Après quelques jours de halte réconfortante, où l'amitié avait une si large part, l'abbé Odin arrive enfin au but de son voyage, au séminaire des Barrens, établi dans un lieu désert, comme le nom l'indique, à une petite distance de Saint-Louis.
Nous avons raconté dans l'histoire de M. de Andreis, d'après l'écrit anglais de M. Burlando les humbles commencements de cette maison. Sans nous répéter nous devons faire connaître aux lecteurs pour l'intelligence du récit le lieu où l'abbé Odin va passer de si nombreuses années de sa vie de missionnaire en Amérique. Quand Mgr Dubourg revint de son premier voyage d'Europe il emmena avec lui quelques prêtres italiens dont deux en particulier M. de Andreis et M. Rosati, par leurs vertus autant que parleurs talents, devaient laisser une grande mémoire dans la restauration de la Religion aux Etas-Unis au commencement du dixneuvième siècle. M. de Andreis et M. Rosati étaient membres de la Congrégation de Saint-Vincent de Paul.
L'Evêque qui ne pouvait alors s'établir à la Nouvelle-Orléans, comme nous l'avons dit précédemment, fixa son siège à Saint-Louis dans le Missouri. Après
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avoir pourvu aux besoins religieux de quelques contrées catholiques ou comme on les appelle en Amérique, de quelques congrégations telles que Sainte-Geneviève, Kas" kaskia,la Pointe-Coupée, le Petit-Rocher, etc., de concert avec M. de Andreis et de quelques-uns de ses confrères, Mgr Dubourg crut indispensable, d'établir un séminaire pour la formation de son clergé. Les instances pieuses de quelques catholiques dispersés non loin de Saint-Louis dans ces lieux déserts (les Barrens), l'emportèrent sur toutes les autres offres que l'on fit. Quelques lieues de terrains furent données par ces catholiques à l'Evêque, à la condition qu'un prêtre résiderait parmi eux et pourvoirait aux besoins spirituels de toute la congrégation.
La pauvreté était grande parmi ces colons mais leur foi était admirable. C'était la foi vive, ardente, constante des persécutés. Leurs ancêtres avec Lord Baltimore, avaient en 1622, fondé l'Etat du Maryland; mais au bout de trente ans, ils en avaient été chassés par les protestants qu'ils avaient accueillis dans leur propre colonie. — Lord Baltimore, en effet, en fuyant les persécutions sanglantes exercées contre les catholiques en Angleterre avait posé comme base fondamentale de son Etat la liberté pour tous les chrétiens. Pendant que tous les Etats protestants du Nouveau-Monde, se pourchassaient de secte à secte, les catholiques seuls professèrent la tolérance la plus large. L'erreur est persécutrice de sa nature, on le vit une fois de plus, car dès que les protestants purent s'emparerdu gouvernementdu Maryland, ils promulguèrent des lois exécrables contre les catholiques qui les avaient reçus. Quand on en lit les articles, on reconnaît ce que l'ingratitude peut faire de plus abominable, contre des bienfaiteurs. Prêtres chassés, confiscation des biens, exil, héritage des parents vivants accordé aux enfants catholiques qui se faisaient protestants : Tel est le sommaire de ces lois. La législation brutale fut en vigueur pendant tout le dix-huitième siècle. Quelques familles dépouillées aban-
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donnant le domaine de leurs pères pour conserver la liberté de croire vinrent se réfugier dans le Missouri, dans cette Louisiane que la France avait colonisée dès le milieu du dix-septième siècle. Aux Barrens de vastes terrains leur avaient été accordés et c'est parmi eux qu'on bâtit une église et qu'on éleva un séminaire et plus tard un collège. Le séminaire était bien primitif et garda longtemps ce caractère. Nous verrons comment l'abbé Odin le décrit et quelle vie il y mena. — Au mois d'août 1822. M. de Andreis était mort consumé de zèle en face de cette terre promise, je veux dire en face de la région habitée par les peuplades sauvages qu'il avait tant rêvé d'évangéliser. Il laissait du moins le séminaire admirablement bien constitué, la règle et les saintes observances y étaient pratiquées, les études organisées et la pauvreté et les privations joyeusement acceptées par les quinze ou vingt élèves qui le fréquentaient. Il laissait surtout l'exemple de ses vertus religieuses, de son zèle apostolique, de cette union si intime avec Dieu qui le faisait considérer comme un saint. Sa mort avait semblé celle d'un bienheureux, certains signes extraordinaires avaient été comme la marque de sa sainteté. Son souvenir était donc vivant quand l'abbé Odin arriva en Amérique poussé par la vocation et répondant lui aussi généreusement à l'appel divin. C'est une grande grâce faite au jeune homme, lorsque Dieu le conduit dans les lieux habités par des saints. M. Rosati avait succédé à M. de Andreis dans la direction du séminaire et il avait pour le seconder un jeune lazariste, M. de Neckere dont les brillantes et solides qualités promettaient les plus beaux résultats pour la mission. M. Odin y venait comme professeur de théologie, c'est le titre que Mgr Dubourglui avait donné sur les renseignemenjs fournis au grand séminaire deLyon. Il avait besoin auparavant, de se préparer aux saints ordres. Laissons-le, lui-même nous donner une idée de sa nouvelle vie. « Un petit mot maintenant sur notre séminaire, écrit-il.
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Il se trouve au milieu d'une vaste étendue de bois, dans une terre occupée" il n'y a pas longtemps par les sauvages. Il est bâti en bois et dans certains appartements l'on entend encore siffler le vent avec force; cependant nous avons une chapelle, une salle d'étude et quelques autres chambres assez propres. Nous sommes logés bien commodément en comparaison des premiers missionnaires qui sont arrivés ici. Figurez-vous quelques pieds d'arbres entassés les uns sur les autres formant un carré de seize pieds, voilà la pauvre cabane où vingt-cinq missionnaires ont fait leur noviciat. Dans cette cabane était leur chapelle, leur dortoir, leur réfectoire, leur salle d'étude ; pour tout meuble ils avaient une petite table, quelques bancs, etc.. mais ils souffraient pour Dieu et pour les âmes et cela suffisait poulies rendre heureux. Souvent à leur réveil, ils se voyaient couverts d'un demi-pied de neige et dans le cours de la journée, ils avaient à supporter toutes les injures des saisons. N'importe, ils ne pensent encore qu'avec joie au temps où ils étaient tous réunis dans ce modeste asile, et quand ils en ont l'occasion, ils le visitent avec un saint empressement. Sur notre table nous trouvons du lard et du boeuf, du lait et de l'eau. Quelquefois nous allons cueillir dans les bois, des raisins sauvages pour notre dessert. L'Amérique ne produit ici ni cerises, ni aucun des fruits délicats d'Europe. Dans certains coins cependant, il y a des pêches, des prunes et quelques petites poires. Les légumes y sont si rares qu'on est obligé de faire gras, les samedis et pendant tout le carême, à l'exception du mercredi et du vendredi. Le prêtre chargé de la direction du séminaire a aussi la conduite spirituelle de deux mille personnes, dont les familles sont dispersées dans les bois à une grande distance les unes des autres. »
C'est dans cette solitude que l'abbé Odin se prépara à recevoir le diaconat. La maladie vint s'abattre sur lui : une fièvre violente le tortura pendant plusieurs jours. Son
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ordination fut un peu retardée, comme nous l'apprend une lettre du2i octobre 1822 : «Noussommes arrivés le Soaoût au nombre de six; M. Michaud fut appelé à Saint-Louis quelques jours après, pour être ordonné prêtre. Je devais partager son sort; mais la fièvre me retint au séminaire. » Le 10 octobre, Mgr Dubourg vint aux Barrens et ordonna prêtre M. J.-B. Blanc, et diacre i'abbé Odin qui rend compte à sa soeur, de cette visite et du genre de vie que les missionnaires mènent. « Dans le temps de nos récréations, dit-il, nous sommes ordinairement occupés à quelques travaux des mains, nous allons tantôt couper du bois, tantôt faire autre chose semblable. Les prêtres sont les premiers à l'ouvrage, les évêques eux-mêmes quand ils sont dans leurs séminaires, se mettent de la partie. — Dernièrement nous eûmes la visite de notre évêque, il me témoigna beaucoup de bonté et il fut bien joyeux de voir le petit renfort qui lui était arrivé. Je ne pouvais me lasser d'admirer ses grandes vertus. Quoique très souffrant, il était presque toujours au milieu de nous, et venait prendre à notre table la pauvre nourriture qu'on nous y sert. Ses habillements étaient si pauvres et si simples qu'on pouvait à peine le reconnaître pour un prêtre. Il n'avait pour toute marque de distinction que sa croix. Il m'a ordonné diacre et bientôt je serai élevé au sublime et redoutable sacerdoce. En nous quittant, il a passé à Baltimore où l'on va célébrer un concile pour l'extinction d'un schisme qui cause beaucoup de mal à l'Eglise. Dans mes différents voyages, j'ai fait connaissance avec la plupart de nos missionnaires. Il est beau et touchant d'entendre le récit de leurs aventures. Il leur est arrivé de s'égarer dans les bois, de passer plusieurs jours et plusieurs nuits en voyage sans trouver ni maison, ni presque de nourriture. Dans leurs missions loin du lieu de la résidence ordinaire, ils n'ont pour lit que la terre nue, et pour abri que la voûte du ciel. Quelques-uns sont sans domestiques, font leur petite cuisine
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eux-mêmes, soignent leur cheval, etc. Les souffrances qui surviennent dans cette vie, sont la plus douce consolation d'un missionnaire. » — Cette manière d'apprécier la vie sacerdotale, était chez M. Odin la meilleure marque d'unevraie vocation d'apôtre et ajoutons de religieux.
CHAPITRE VI
M. Odin lazariste. — Prêtre. — Sa piété et sa vie intérieure. — Il se réjouit d'évangéliser les sauvages. — Ferveur des catholiques de Barrens. — Conversions de protestants en Amérique vers 1824.
La Congrégation de la Mission dite de Saint-Lazare, fondée par saint Vincent de Paul pour évangéliser les pauvres habitants des campagnes, s'était bien vite étendue aux pays étrangers. On peut en voir les progrès rapides dans ces lettres de saint Vincent où l'on trouve toutes les grandes vues de saint avec les qualités de perspicacité et de sagesse d'un administrateur, disons plus, avec le génie d'un organisateur incomparable. Les lazaristes au dix-septième siècle sont déjà en Italie, en Pologne, en Barbarie, en Orient. La Congrégation resta jusqu'à la Révolution française digne de son saint fondateur, attachée aux traditions romaines, humble, pleine de zèle, cachée, craignant de faire du bruit en faisant du bien. Dispersée et dissoute en France pendant ces années terribles, où l'impiété s'enivrait de meurtres et de blasphèmes, elle continua cependant de subsister dans les missions de l'Orient et de la Chine et en Italie où elle avait de très fortes racines.
Lorsqu'elle essaya en 1802 de se reconstituer à Paris, avec M. François Brunet comme vicaire général, des huit cent vingt-quatre membres qu'elle comptait en 1789, et de ses soixante-dix-huit maisons, elle ne retrouva que quelques prêtres, et la seule maison de Valfleuri, pèlerinage antique de la sainte Vierge dans le diocèse de Lyon.
Reconnue par décret impérial en 1804, elle allait être
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bien vite dissoute par la brutale volonté de Napoléon. M. Hanon, vicaire général, après M. Brunet, avait mérité par ses résistances aux ingérences de l'Empereur, de partager jusqu'en i Si 5 la captivité à Fenestrelles du cardinal Pacca.
En février 1816, Louis XVIII reconnut l'existence légale de la Congrégation. On comptait alors soixante missionnaires. Un an après, elle s'établissait rue de Sèvres, g5, dans l'ancien hôtel de Lorges. Malheureusement elle resta pendant quelques années partagée entre deux obédiences qui, tout en étant fidèles à l'esprit de saint Vincent, n'avaient pas la vigueur nécessaire que communique seule l'unité de commandement, pour rendre à la Congrégation une nouvelle vie.
Cet état dura jusqu'en 1828. Pendant ce temps, la mission d'Amérique avait été fondée parles lazaristes de Rome et quand M. Odin y arriva, poussé par une vraie et solide vocation, il ne songeait nullement aux prêtres de saint Vincent de Paul. C'est aux Barrens qu'il vit clairement que sa vie de missionnaire ne serait féconde qu'autant qu'elle serait sainte, et qu'elle serait sainte plus sûrement dans la vie de communauté.
Nos lecteurs ne s'étonneront pas de cette décision; ses lettres depuis le grand séminaire, nous ont assez montré, les dispositions de son esprit pour voir dans son entrée dans une Congrégation comme le dernier pas de cette marche graduée et ascendante de son âme.
Une lettre adressée à M. Duplay, le 3o mars 1823, annonce cette nouvelle en quelques mots, tant elle dût paraître naturelle. « Je suis entré au noviciat de la Congrégation de la Mission depuis cinq mois, » écrivait-il; ce fut le 8 novembre 1822. Sa formation religieuse dut se faire au milieu des travaux de toutes sortes. « Il paraît, ajoutait-il, que je resterai au séminaire. J'ai tous les jours trois classes à faire et bientôt il me faudra remplacer un
de nos prêtres (sans doute M. de Neckere) qui se voit obligé d'aller prendre quelque repos. Je serai aussi chargé de la visite des malades, et de temps en temps j'irai parmi les protestants. Je travaille dans ce but, et de toutes mes forces je me forme à la controverse. J'éprouve aussi un grand désir d'évangéliser les sauvages, mais tant de saints missionnaires forment le même voeu que je n'ose pas compter sur une telle faveur. » L'ancien séminariste de Lyon revit dans les lignes suivantes : le sacerdoce avait été pour lui le sommet élevé de toutes ses aspirations, mais il se sentait faible pour le gravir et pour y séjourner: « Bientôt, écrit-il, je serai prêtre. Je vois arriver ce jour avec des sentiments de crainte et de joie. Qu'il doit être consolant pour un missionnaire de monter tous les jours à l'autel! »
Trois mois après il recevait à Saint-Louis la consécration sacerdotale. Cette douce consolation qu'il demandait humblement à Dieu lui était accordée. Il en appréciait le prix dans une lettre à ses parents, du 22 mai 1823.
« Que de grâces, le Seigneur m'a accordées! Me voilà prêtre ! Tous les jours je vois Dieu descendre à ma yoix sur les autels, je reçois le Maître du ciel et de la terre dans mes propres mains. Dépositaire des trésors de miséricordes, il m'est donné de réconcilier les pécheurs avec le ciel, de guérir les âmes des blessures du péché! Oh, quelle dignité, quel honneur! mais aussi quelle sainteté ne faudrait-il pas pour remplir dignement un si sublime ministère. Qu'elles devraient être pures les mains entre lesquelles s'immole l'Agneau sans tache, qu'elle devrait être embrasée d'amour l'âme qui se nourrit tous les jours à la table des anges! J'espère qu'en distribuant aux autres les grâces du Seigneur, j'en ferai rejaillir un peu sur moi, et qu'en m'approchant de si près du Dieu de toute sainteté, je penserai davantage à mener une vie sainte. Avec quelle confiance Lui recommanderai-je tous les jours mes bons parents.
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Je Le prie bien souvent, pendant le redoutable sacrifice de vous combler tous de ses grâces, de ses faveurs, de vous consoler dans les peines de cette vie, j'espère qu'il vous rendra libéralement tout. »
Il écrivait quelques mois après, à M. Cholleton, au grand séminaire de Lyon : « Le 4 mai, j'ai eu le bonheur d'être élevé au saint, consolant et redoutable sacerdoce. Tous les jours, j'offre à Dieu, le précieux sacrifice de l'autel. Quelle joie pour moi, quand je vois arriver l'heureux moment de la célébration de la sainte messe! J'ai tant de grâces à demander! Tout froid et tout glacé que je suis à l'autel, je ne perds point courage! » Après les premiers aveux intimes de sa piété, il continue :. « Le lendemain de mon ordination, il m'a fallu commencer à exercer le ministère et cela toujours en anglais. Nous n'avons aucun Français dans le voisinage. A peine pouvais-je balbutier quelques mots en anglais, et il me fallait assister des mourants, entendre des confessions et prêcher. J'étais bien troublé et bien effrayé. Cependant je mets toute ma confiance en Dieu. Il est trop bon pour ne pas oublier les fautes que je fais. » Cette confiance envers Dieu est basée sur la piété la plus tendre envers Notre-Seigiieur : a II est une chose très consolante dans l'exercice du ministère : c'est la visite des malades. L'on vient nous appeler de très loin et nous portons toujours le Saint Sacrement avec nous. Il m'est arrivé de voyager des jours et des nuits avec Notre-Seigneur sur moi. Ah! je regrette bien de n'avoir pas un coeur enflammé d'amour pour m'entretenir avec mon Dieu! » (2 août 1822.)
Pour éprouver ces saints désirs, il faut être comme l'était notre missionnaire, détaché de soi-même, animé des intentions les plus pures et ne chercher, à travers les difficultés de l'apostolat et les souffrances du corps que Dieu et sa gloire, en un mot n'aspirer qu'à vivre avec Lui dans l'union la plus intime.
Voici comment M. Odin trace en quelques lignes, l'idéal
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du vrai missionnaire que lui-même poursuivait et qu'il cherchait à réaliser :
« Il faut d'abord un grand esprit intérieur, parce qu'on n'a pas ici comme en Europe autant d'exemples édifiants et de secours qui nourrissent et entretiennent la piété. Inutile de s'attendre à trouver des consolations : trop souvent, on travaille sans obtenir de grands fruits. Néanmoins nous voyons des missionnaires remplis de l'esprit apostolique opérer des merveilles dans les terres les plus incultes. Le bon Dieu dédommage de toutes les contradictions que l'on a à essuyer.
« D'ailleurs la vie est rude'et les dangers sans nombre. A peine sommes-nous cinquante missionnaires pour travailler au salut de tant d'infortunés. On espérait pouvoir entreprendre une mission chez les sauvages, au printemps prochain, mais la mort nous a enlevé depuis mon arrivée deux missionnaires, et les postes qu'ils laissent demandant des remplaçants, il ne sera p'eut être pas possible de pénétrer encore parmi ces pauvres infidèles. L'un de ces missionnaires est mort martyr de la charité. La ville de la Nouvelle-Orléans ayant été en proie aux horreurs d'un mal épidémique, il fut désigné avec deux autres missionnaires, pour voler au secours des mourants. Bientôt l'un d'eux fut atteint du mal commun, et hors d'état de pouvoir travailler; un autre ne connaissant pas l'anglais ne pouvait être que d'un faible secours, et tout l'ouvrage retomba presque sur le troisième. Chaque jour la mort enlevait quarante ou cinquante personnes, et cela pendant plus de deux mois. Dieu lui donna la force et le courage de travailler sans relâche, jusqu'au moment où le fléau cessa; mais à peine , son ministère devint-il moins nécessaire, qu'il fut frappé luimême et alla recevoir à l'âge de vingt-neuf ans, la couronne du martyre. L'autre est mort d'une violente fièvre, âgé de trente-trois ans. Dieu, toujours adorable dans ses desseins, ne les laissera point sans successeurs. Priez-le donc qu'il
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envoie des ouvriers dans son champ. Oh! qu'il serait affligeant d'être encore contraint de différer la mission des sauvages. Ils témoignent de si bonnes dispositions. Ils ont demandé eux-mêmes des prêtres à notre évêque, et un missionnaire ayant pénétré deux fois parmi quelques peuplades, il fut très bien accueilli, baptisa plus de quarante personnes, et leur inspira un grand désir de se faire instruire davantage; mais il a été obligé de les abandonner pour venir se remettre d'une violente fièvre qui l'avait tourmenté, pendant tout le temps de sa mission. Les protestants leur ont envoyé des missionnaires, mais le Ciel n'a pas permis qu'ils produisissent aucun fruit. Les sauvages pour se délivrer d'eux se sont retirés très loin. Il leur faut des Robes noires, comme ils disent. »
Bientôt une heureuse nouvelle fut annoncée à M. Odin, par Mgr Dubourg lui-même qui avait fait des démarches auprès du gouvernement des Etats-Unis, pour rétablir des missions pour les sauvages. M. Odin l'écrit encore à ses parents.
« Monseigneur est arrivé à Saint-Louis au commencement de mai, après sept mois d'absence. Il a travaillé dans son voyage avec beaucoup de succès peur le bien de la religion. Depuis longtemps, il était dans l'intention de donner une mission aux sauvages, mais les dépenses d'une telle entreprise ne pouvaient s'accorder avec sa pauvreté. La Providence-a tout disposé de la manière la plus admirable. Le gouvernement paiera les deux tiers des frais que l'on fera pour élever les établissements. Puis à l'ouverture des missions, il assignera une pension pour la subsistance des missionnaires et de leurs coadjuteurs. Neuf Jésuites sont chargés des sauvages du Missouri et nous autres prêtres du séminaire de ceux du Mississipi. Cependant on ne donnera aucune mission avant deux ans. On se contentera, vu notre petit nombre, pendant ce temps, de rassembler quelques petits Indiens dans un collège, de les
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instruire et d'essayer avec eux d'apprendre suffisamment la langue. » (Lettre du 12 février 1823.)
Il écrit, d'autre part, à la même époque :
« La plupart des missionnaires vivent pauvrement surtout dans leurs courses, ils se trouvent obligés de passer la nuit sous les arbres; mais tout cela n'est rien. La plus grande privation et surtout la plus sensible est l'isolement où l'on se trouve quelquefois. Souvent un missionnaire est seul pendant quatre mois. Il y en a qui sont à plus de cent lieues de leurs confrères. Il y a quelque temps dans le diocèse du Kentucky, un pauvre missionnaire ainsi rélégué au loin, tomba malade; depuis plusieurs années, il n'avait pu voir aucun prêtre', et il lui fut impossible d'en faire venir un dans ce moment suprême; il se fit porter dans son église; là, après avoir fait une petite instruction aux fidèles qui s'y étaient rassemblés, il se communia de ses propres mains, et ensuite s'endormit de la mort des Justes. »
Les missionnaires arrivaient cependant peu à peu à la Louisiane, prêtres séculiers et religieux. Mgr Dubourg écrivait en août 1825, à son frère qui habitait Bordeaux : « L'acquisition que j'ai faite des Jésuites pour le Missouri me tranquillise singulièrement pour ces quartiers éloignés. Ces bons Pères sont en possession de ma ferme de Florissant, ils ont fait pour s'y rendre plus de quatre cents milles à pied, dont environ deux cents, à travers des pays inondés, où ils avaient souvent l'eau jusqu'à la ceinture; et loin de murmurer ils bénissaient Dieu de leur accorder un début aussi apostolique... Le surintendant des affaires des Indiens les a accueillis avec un vif et tendre intérêt, et se montre hautement le protecteur de leur établissement. »
D'autre part, Mgr Dubourg pouvait enfin s'établir à la Nouvelle-Orléans; il avait été reçu au commencement de 1824, au milieu des transports de joie, de la population entière, car le siège de la Nouvelle-Orléans qui avait été érigé par une bulle pontificale, le 2 3 avril 1793, n'avait été
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occupé que de 1794 a 1800. Mgr Dubourg, en quittant SaintLouis, y laissa Mgr Rosati, lazariste, supérieur des Barrens, qu'il obtint comme coadjuteur. Deux ans après, en 1826, à quelque distance de la Nouvelle-Orléans, le nouveau siège de Mobile était créé et avait pour évêque un missionnaire de Mgr Dubourg, Mgr Portier qui partit de Lyon en 1817 et précéda ainsi M. Odin de cinq ans, dans les mis» sions d'Amérique. La Louisiane ainsi partagée donnait aux ouvriers apostoliques un champ plus déterminé; le résultat de ce partage devait être de multiplier les missionnaires en multipliant les responsabilités. •-: Mgr Dubourg à lui seul, avait réuni de 1815 à 1825. soixante-quinze collaborateurs; mais hélas! la mort avait passé en fauchant des victimes, il n'en restait plus que soixante à cette époque. Malgré ces pertes successives, les missionnaires allaient en augmentant d'année en année : le séminaire des Barrens en était devenu une pépinière féconde. M. Odin depuis la consécration de Mgr Rosati qui en était resté supérieur, avait la direction effective de l'établissement. Outre les leçons de théologie, qu'il donnait régulièrement au séminaire, il était en plus chargé du collège où tous les soins matériels et spirituels retombaient sur lui. Il n'avait que vingt-quatre ans. La population des Barrens recevait aussi ses secours spirituels. En ce moment cette population offrait un spectaele bien édifiant. Il en parle à plusieurs reprises dans ses lettres.
« La ferveur de ces bonnes gens, écrivait-il, retrace à mon esprit la piété des fidèles de la primitive Eglise. Tous les dimanches, ils font cinq, six et jusqu'à dix lieues pour venir entendre la messe. Ils s'approchent tous des sacrements très souvent et vivent dans une pureté et une innocence de moeurs qui étonnent d'autant plus que dans tout le reste de l'Amérique, il serait impossible de trouver un petit coin de terre ainsi prévenu des bénédictions du Ciel. C'est au zèle d'un missionnaire trappiste que l'on doit cela.
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Il eut besoin par hasard de traverser les forêts, et après avoir marché quelque temps, il découvrit une maison et y entra. C'était au moment de la prière du soir, et, en trouvant toute la famille à genoux il ne lui fut pas difficile de connaître qu'il se trouvait avec des catholiques. On lui annonça qu'il y avait au moins cent cinquante familles dans ces bois; il les chercha, les visita toutes, les instruisit et finit par les réunir dans une petite église de bois qui est encore aujourd'hui l'église de la paroisse. Ils ont un si grand respect pour le prêtre, qu'aussitôt qu'ils le voient, ils se prosternent pour demander sa bénédiction. »
Dans une autre lettre il dépeint le courage de ces zélés chrétiens pour assister aux offices du dimanche : « J'ai été bien touché pendant cet hiver de la grande piété de la congrégation des Barrens. Le froid est ici extrêmement rigoureux ; les bois, les fleuves et les montagnes du Nord nous envoient des vents froids et de la neige en si grande abondance que j'ai cru plusieurs fois ne pas pouvoir y résister. Et cependant nous voyons tous les dimanches, ces fervents chrétiens faire plusieurs lieues pour se donner le bonheur d'assister à la sainte messe. Je ne pouvais me lasser d'admirer leur ardente piété. Cette lettre n'arrivera sans doute pas de longtemps. Je ne sais comment l'envoyer au port de mer. Confinés au milieu des neiges, nous ne pouvons communiquer avec les pays voisins. »
■ M. Odin dans ses lettres à sa famille mentionne bien des traits singulièrement édifiants : « Pendant son voyage, écritil (22 mai i823), Mgr Dubourg a eu beaucoup à souffrir au milieu des forêts et des déserts. Pendant trois jours il a été réduit à se nourrir d'oeufs durs que le prêtre qui l'accompagnait avait eu la précaution de faire cuire. Le soir ils ne trouvaient point de maisons pour se retirer, ou bien elles étaient si incommodes qu'ils pouvaient à peine s'y garantir des injures de l'air. Parfois ils étaient heureux d'avoir une peau de bête pour mettre sur eux, ils
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se couvraient ensuite d'un de leur manteau, et dressaient l'autre pour s'abriter du vent. Malgré cela, ils se montraient gais et joyeux. Ils prêchaient souvent dans les différents lieux où ils passaient. Le prêtre qui accompagnait Monseigneur, convertit quatre protestants et confondit un ministre lui faisant avouer que, s'il n'avait pas une femme et des enfants, il s'empresserait d'embrasser la religion catholique. Nous ne pouvons pas nous lasser d'entendre tout ce qu'ils nous ont annoncé sur les progrès de notre sainte religion, parmi les protestants. Partout où le prêtre catholique pénètre, l'on voit de suite des conversions. L'évêque de Cincinnati ayant pris possession de^on siège accompagné d'un seul prêtre, trouva des catholiques en si petit nombre qu'ils n'avaient pas pour eux deux d'occupations suffisantes. Ils firent des missions; maintenant, ils ont formé des paroisses considérables. M. Kill, prêtre de cet évêque, est un général anglais qui a figuré dans toutes les batailles qui se sont données dans les derniers temps. D'abord il était protestant, mais ayant eu le bonheur de connaître la vérité, il l'embrassa promptement, convertit toute sa famille, se fit prêtre et se consacra ensuite aux missions d'Amérique. Ses grands talents et le rôle important qu'il a joué dans le monde lui attirent le respect de tous. Il est devenu l'effroi et la terreur des ministres protestants. En un seul jour, il baptisa soixante-douze méthodistes hérétiques, les plus obstinés de ce pays; tous les jours, il opère de nouvelles conversions, on voit les mêmes fruits et le même succès dans d'autres États protestants. Une seule chose manque : ce sont des ouvriers. Hélas! tant de prêtres sont inutiles en France et ici des âmes périssent faute de secours. Les protestants en sont à demander eux-mêmes des prédicateurs catholiques. Hier un prêtre de notre mission venant au séminaire, trouva un luthérien qui l'engagea beaucoup à leur aller donner une mission dans un village où il y a plus de cent familles protestantes, lui annonçant qu'ils
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avaient bâti une église pour recevoir le premier prédicateur qu'ils pourraient trouver. Il ne s'élève pas une église catholique s '.ns que les protestants souscrivent pour quelque chose, il semble que le temps des miséricordes est venu pour ces pauvres peuples. La capitale des Etats-Unis ne renfermait, il y a quelque temps, que peu de catholiques, aujourd'hui, les deux tiers sont de notre croyance. Nous eûmes la consolation de conférer il y a quelque temps le baptême à un jeune homme, âgé de vingt-deux ans à peu près. Les deux premiers enfants que j'ai baptisés étaient âgés dequatreans. Un consul américain, dégoûtédu monde, va venir dans quelques jours se retirer d'ans notre séminaire pour y vivre dans la retraite, le reste de sa vie. Les communautés religieuses se remplissent de jour en jour; déjà elles sont presque toutes très nombreuses. »
Nous terminons par une lettre à M. Cholleton (1824); elle nous donnera une idée d'ensemble des travaux de nos missionnaires catholiques et des immenses besoins de ces peuples abandonnés à leur ignorance. « Que vous dirais-je, Monsieur, de tant d'Américains, ou infidèles, ou hérétiques, que nous avons trouvés sur notre route? Oh! leur situation paraît encore plus déplorable que celle des catholiques. Nous avons eu presque plus de communication avec eux qu'avec les autres. M. Timon s'était fait une règle de nous annoncer partout comme prêtres catholiques; ce nom seul excitait leur curiosité, partout on nous accueillait favorablement et avec joie. C'était sans cesse des invitations à prêcher, des questions sur notre doctrine, etc. Mon compagnon ne laissait échapper aucune occasion d'instruire surtout sur les mystères dont la connaissance est absolument nécessaire. Pendant que je récitais le saint office, i^ était toujours environné d'une troupe d'enfants. Les grandes personnes elle-mêmes venaient se ranger autour de lui, et souvent les entretiens sur la religion catholique se prolongeaient bien avant dans la nuit : on écoutait avec le
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plus grand plaisir et notre sainte doctrine paraissait à tous la plus raisonnable. On nous conjurait souvent de prier l'évêque d'envoyer des missionnaires.
« Bien peu de ces hérétiques avaient vu des catholiques ; quelques calomnies, qu'ils avaient entendues de la bouche de leurs ministres, formaient toute la connaissance que ces bonnes gens avaient de notre religion. La vue du crucifix était un spectacle tout nouveau et vraiment intéressant pour eux : rien ne pouvait leur faire un plus grand plaisir que le cadeau d'une image de la sainte Vierge ou de la croix. Ils voulaient voir jusqu'aux ornements sacrés et il fallait faire un inventaire de tout ce qui sert au service divin, pour les satisfaire. C'était un sujet de joie pour nous, car cela nous fournissait une occasion favorable pour les instruire.
« Il nous est arrivé des aventures curieuses : M. Timon demanda à une dame presbytérienne, si elle ne connaissait point de catholiques dans son voisinage, a Non, Monte sieur, répondit-elle; ah! je n'aime pas ces catholiques,» ajouta-t-elle aussitôt.— a J'en suis vraiment fâché, répliqua M. Timon, pourrait-on connaître le motif de votre peu d'affection pour eux?... — Ils sont idolâtres. — Il est malheureux que l'on vous ai donné une telle impression, il y a dans le monde près de cent trente millions de catholiques et parmi eux un nombre prodigieux d'hommes très éclairés et très sages, pouvez-vous croire qu'ils seraient si insensés que d'adorer l'ouvrage de leurs mains? — Il semblerait raisonnable, dit la dame, qu'ils ne le fissent pas. »
« Il lui montra le crucifix, lui expliqua le but de nos images, etc. Cette dame tout étonnée, lui demanda avec vivacité : « Est-ce là la manière dont Jésus-Christ a souffert? Oh ! qu'il doit avoir souffert ! » Alors, appelant tous ses enfants : «Venez, mes amis, dit-elle, venez voir combien le bon Dieu a souffert pour nous ! » Dès ce moment, elle se sentit réconciliée avec le nom catholique.
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« Une autre dame, après avoir considéré nos croix avec attention, et s'en être fait expliquer le sens, s'écria : « Oh ! si M. ..., qui est si méchant, voyait ceci, il ne pourrait pas supporter, sans doute, ce spectacle et continuer à vivre comme il fait. » — Ces traits peuventvous faire comprendre quelle est l'ignorance de ces infortunés.
« Cependant tous ces Américains raisonnent très bien, on ne peut attribuer leur ignorance, en fait de religion, qu'au peu de moyens qu'ils ont pour s'instruire. Ils ont, il est vrai, des ministres parmi eux, mais ils sont eux-mêmes aussi ignorants que ceux qu'ils cherchent à éclairer. C'est là la réflexion que nous fit un presbytérien.
« Je m'étonne beaucoup, me dit un Américain, catholique très distingué, qui n'avait pas vu de prêtre depuis un grand nombre d'années; je m'étonne beaucoup de voir que les ministres de la seule véritable religion ne cherchent point à faire des prosélytes, pendant que,les hommes qui n'ont d'autre science que celle de conduire une charrue s'érigent en prédicateurs, pénètrent partout et se font des partisans parmi les hommes, qui, sachant qu'il est bon d'avoir une religion et ne connaissant rien de mieux que ce qu'on leur prêche, embrassent aussi la doctrine qu'on leur propose.
« Un hérétique nous racontait qu'un méthodiste se fit prédicateur avant même de savoir lire. »
On comprend quel vaste champ était ouvert au zèle des Missionnaires et rien ne pouvait plus exciter l'ardeur des jeunes lévites du grand séminaire de Lyon que des lettres, comme celles que nous venons de citer. Mais il fallait s'expatrier, et plus que personne M. Odin savait ce qu'il en coûtait au coeur.
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CHAPITRE VII
Le coeur d'un fils aux prises avec le devoir..— M. Odin console sa mère et ses parents. — Lettre à M. Chollcton sur la mission des sauvages de l'Arkansas. — Un saint prêtre en Amérique.
La volonté de Dieu s'était manifestée d'une manière très claire, la suivre était le devoir, et le devoir ne fléchit pas. Il se formulait pour l'abbé Odin dans ces paroles de l'Évangile :
« Celui qui quitte sa maison, ses frères, ses soeurs, son père, sa mère, son épouse, ses fils, ses champs à cause de mon nom, celui-là recevra le centuple et possédera la vie éternelle (S. Matth., xix, 29). »
Il avait obéi, car il ne voulait pas entendre cette autre parole : « Celui qui aime son père et sa mère plus que moi n'est pas digne de moi! »
Cette loi a paru très dure, dans tous les siècles aux esprits légers et aux coeurs égoïstes et cependant, n'est-ce pas la grande loi des dévouements qui fondent les familles et protègent les nations ? Nous la trouvons nécessaire quand la patrie réclame le sang de ses enfants et nous applaudissons le poète qui a su si énergiquement la chanter :
Mère, si ton enfant grandit sans être un homme;
S'il marche efféminé vers son devoir viril;
Si, quand viendra le jour que notre honneur réclame,
11 n'est pas là, soldat, marchant sans maugréer;
O mère, ta tendresse a mal formé cette âme :
S'il ne sait pas mourir, tu n'as pas su créer.
L'humanité a besoin aussi des soldats pacifiques, des apôtres, pour retrouver son chemin vers Dieu et la vie éternelle; pourrions-nous ménager notre admiration à ces hommes qui sacrifient tout? Et, si nous voulions plaider au nom des sentiments les plus délicats du coeur, il serait facile de constater combien le christianisme sait conserver,
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accroître et faire vibrer plus fortes et plus douces les affections légitimes en les mettant sous la loi du devoir et de la volonté de Dieu ? Le récit que nous faisons de la vie de M. Odin, nous a montré déjà comment tout s'harmonisait dans son âme : vocation divine et affection filiale. Loin de dessécher le coeur, cette obéissance généreuse l'a purifié, et nous, ne connaissons rien de plus beau en ce monde que le coeur brisé par le sacrifice et les larmes versées en accomplissant son devoir.
Nous avons vu, disions-nous précédemment, M. Odin, sur le tard de sa vie, vieillard à cheveux blancs, succombant sous le poids des travaux des missions et devenu archevêque de la Nouvelle-Orléans, rappeler les douleurs de son départ à des séminaristes qu'il engageait à le suivre.
C'était une scène inoubliable et le vrai argument en faveur d'une vie de dévouement et de souffrances.
Nous avons cité déjà plusieurs passages de ses lettres où il s'efforce de faire comprendre à ceux qu'il aime, la volonté de Dieu pour leur faire accepter avec lui le sacrifice.
Nous donnons encore une partie de la lettre qu'il écrivait un an après son arrivée. Au milieu de toutes les pensées de son ordination, dans l'ardeur du zèle pour évangéliser les hérétiques et les sauvages, en songeant à ses parents, il sent pour eux les rigueurs de la séparation et les peines de l'éloignement.
« La crainte et l'appréhension que j'ai de vous avoir donné quelque chagrin par mon départ me causent bien de l'inquiétude et de la tristesse. Souvent votre souvenir fait couler mes larmes. Le Seigneur ne les improuve point, il ne condamne jamais les sentiments légitimes de la nature. Toutes les souffrances que l'on peut endurer dans un pays étranger ne sont rien pour moi. Il n'y a que la seule pensée des regrets causés par mon départ qui m'afflige, mais la volonté de Dieu m'appelle à suivre cette nouvelle carrière, pourrais-je lui résister ? Que de circon
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stances m'ont convaincu à n'en pouvoir douter, que c'est réellement Dieu qui avait daigné me choisir. Oh! mon père, oh ! ma mère, si je vous savais contents !» — Il est plus explicite avec sa soeur, il lui écrit en toute confiance en 1823 :
« Oh ! quelle a été mon affliction en voyant tous les chagrins que je vous ai causés, mes larmes ont coulé bien des fois; cette bonne mère que j'aime tant, ce père qui m'est si cher, ces frères et soeurs que je chéris avec tant de tendresse, serait-il donc vrai que j'aurais troublé toute la paix de leurs jours ! Oh ! que cette idée est accablante, que je ressens vivement le poids de votre douleur ! hélas ! une seule chose me ranime, c'est que le Dieu de bonté qui a exigé de moi tous les sacrifices que j'ai faits est riche en miséricordes. Sans doute, il ne manquera point de vous dédommager de toutes les peines que je vous ai causées pour l'amour de Lui, qui nous a aimés jusqu'à se donner tout entier pour le salut de nos âmes ; hélas ! pourrions-nous nous plaindre lorsqu'il exige de nous quelques petits retours ? Que je lui adresse souvent mes prières pour le conjurer de faire renaître la joie dans vos coeurs ! J'attends tout de sa divine miséricorde. Sois bien sûre, ma bonne soeur, qu'il ne nous afflige que pour nous combler ensuite de ses plus douces consolations. Je vais insérer ici quelques mots de consolation pour ma mère afin que tu les lui communiques.
« Ma bonne mère, l'attachement, l'amour que j'ai toujours eu pour vous et que je me suis toujours efforcé de vous témoigner, autant qu'il a été en mon pouvoir, vous est une preuve que je ne me suis décidé à m'éloigner un peu de vous que pour suivre la volonté du ciel. Si je n'eusse consulté que mon coeur, ah ! jamais je n'aurais eu le courage de faire une telle démarche; Dieu l'exigeait, et c'est lui qui m'a donné la force de l'exécuter. Lorsque je réfléchis sur les différentes circonstances de mon départ, je vois partout la conduite de la divine Providence. C'est Dieu, ma
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bonne mère, c'est Dieu, n'en doutez pas, qui vous a demandé un de vos enfants. Non : vous n'auriez pas voulu le lui refuser. Si je considère avec les yeux de l'amour naturel et du sang les afflictions qui pèsent sur vous depuis bien des années, que de larmes je répands et que ma tristesse est profonde; mais si je les examine avec les yeux de la foi,oh! alors, je cesse de me plaindre, je cesse de soupirer; alors je sais que toutes les peines de cette misérable vie se changeront en une joie qui n'éprouvera aucune altération.
« Oh ! ma chère Mère, si vous pouviez connaîtreles besoins spirituels de tant d'âmes qui périssent dans ces pauvres pays; vous béniriez le Seigneur de ce qu'il a daigné choisir un de vos enfants pour leur porter un peu de secours. Que d'hérétiques, que de mauvais catholiques, que de pauvres sauvages tombent à chaque instant dans l'abîme sans s'en apercevoir ! Que le sort malheureux de tant d'âmes, rachetées au sang de Jésus-Christ, est touchant et digne de compassion. Hélas ! ce sont nos frères, ils sont perdus, non pas pour un moment, mais pour une éternité et personne ne vient à leur secours. Si j'étais resté en France, j'aurais été sans doute presque inutile, nous ne nous serions vus que rarement et en passant; ici malgré toute ma misère et ma faiblesse, j'ai la confiance que je pourrai être de quelque utilité, et ensuite j'ai la douce confiance que tous les sacrifices que nous aurons faits sur cette terre d'exil, nous procureront le bonheur de nous voir pendant toute l'éternité. Mandez-moi, ma tendre mère, que vous êtes consolée, et alors, je commencerai à apprécier autant que je le dois le bonheur d'avoir été appelé à la vocation de missionnaire. » — Nous avons cru devoir insister longuement sur cette double loi de l'Évangile. Nous n'aurions pas sans cela suffisamment saisi la nature intime de notre missionnaire, chez lequel la sensibilité la plus tendre s'alliait au caractère le plus déterminé. Suivons-le maintenant dans ses courses apostoliques.
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Une lettre à M. Cholleton (1824) raconte sa mission chez les sauvages.
« Nous n'avons pu visiter que les Kappars ou Arkansas, qui demeurent sur le bord de la rivière du même nom, près d'un village français ; rien de plus touchant que l'amitié qu'il nous firent. Un des chefs, vieillard très respectable, nommé Sarrasin, informé de notre arrivée dans le village, vint aussitôt nous visiter, accompagné de toute sa famille. « Ah ! dit-il, en me serrant la main, je mourrai content « maintenant que j'ai vu mon Père, la Robe noire de France. » Nous eûmes le plaisir de souper avec lui ; il nous raconta, par la voix d'un interprête, l'histoire de leur religion et de leur nation. Le lendemain, qui était un dimanche, les sauvages assistèrent en grand nombre au saint sacrifice de la messe. Ce grand chef de la nation me dit en m'abordant : t< Mon père, la Robe noire Française, mon coeur est tout con« tent quand il te voit. » Je promis alors d'aller célébrer les saints mystères dans leur village.
« Le lundi, aussitôt que le moment assigné fut arrivé, lé bon chef, Sarrasin, nous envoya ses fils, pour nous aider à traverser la rivière; il vint ensuite dans son grand costume, nous recevoir à une petite dislance de sa cabane, et nous pria de nous asseoir sur sa natte. Des courriers partirent aussitôt pour annoncer notre arrivée au grand chef et à ceux de la nation qui n'étaient pas trop éloignés; déjà il avait eu soin de faire faire des préparatifs pour la célébration du saint sacrifice. Nous dressâmes un petit autel champêtre qui ne sembla point leur déplaire ; les chefs se rangèrent autour, et nous leur donnâmes une petite explication de ce grand mystère, surtout je leur promis de les recommander au grand Esprit.-Oh! que de sentiments doux et déchirants m'agitèrent tour à tour pendant la célébration du saint sacrifice. Je ne pouvais pas voir sans attendrissement tous ces bons sauvages, rangés autour de moi, prêtant la plus vive attention au mystère : la précieuse victime qui était offerte
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alors, s'était immolée pour leur salut sur le Calvaire : mais lorsqu'ensuite je réfléchissais qu'ils n'auraient vraisemblablement jamais le bonheur de connaître la vraie religion, ah ! cette pensée me déchirait le coeur. Aussitôt que le servant se mit à genoux, ils s'agenouillèrent eux aussi, sans doute pour la première fois. Rien de plus touchant que de les voir dans cette attitude. Leurs genoux nus, ne purent pas d'ailleurs supporter longtemps la dureté de la terre : alors, tantôt ils se mettaient sur un genou, tantôt sur l'autre, ou bien ils s'accroupissaient. Après la célébration du saint sacrifice, je leur offris quelques images qu'ils reçurent avec la plus expressive reconnaissance.
« Nous fûmes introduits par eux dans leurs cabanes, même dans l'asile sacré des morts, lieu où il n'est pas donné à tout le monde d'entrer. Ils nous firent voir jusqu'aux chevelures prises sur l'ennemi.
« Ils ont un corps de traditions très anciennes, qui forment leur religion. Trois ou quatre vieillards des plus respectables sont chargés de ce dépôt. Ils croient qu'il y a eu un temps où toute la terre était inondée. Un Dieu tout habillé en blanc et portant un petit sac de tabac sur ses épaules, les tira de cet abîme, et se mit à leur tête pour aller découvrir la terre. Tout alors était encore couvert de ténèbres; un castor plongea et leur rapporta un peu de terre, pour leur montrer que bientôt ils trouveraient un lieu de repos ; quelque temps après ils virent paraître un aigle blanc avec une branche verte à son bec. Le Dieu blanc les quitte alors, après leur avoir donné différents avis. Le pays qu'ils découvrirent était extrêmement froid et au nord. Ils se sont toujours avancés du côté du sud, disent-ils, ayant eu à combattre un grand nombre de nations, avant de pouvoir se fixer sur la rivière des Arkansas. Outre le maître de la vie, c'est-à-dire le Grand-Esprit, qu'ils adorent comme le premier et le plus grand des dieux, ils ont encore plusieurs divinités inférieures, surtout leur vénération pour l'aigle
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blanc est si grande, que si au moment de partir pour la guerre ou pour la chasse, ils l'aperçoivent voltiger autour d'eux, tous leurs projets sont renversés, ils s'arrêtent subitement. Ils semblent aussi avoir une idée d'un temps où les hommes commencèrent à parler diverses langues. Dès que le maïs et les melons sont mûrs, ils en offrent les prémices au Maître de la vie. Les enfants eux-mêmes mourraient de faim, plutôt que de toucher aux nouveaux fruits avant cette offrande, elle se fait avec des circonstances étranges et qui peuvent porter à croire qu'ils ont quelque communication avec les démons. Ils coupent le maïs, les melons, etc., en petits morceaux sur une natte, en présence des vieillards de la nation, qui peuvent assister à cette cérémonie. Un chien est ensuite apporté et coupé en petites tranches, on n'ôte même pas la peau, ni les os; on mêle le tout ensemble. Les vieillards font quelques cérémonies, se mettant à danser, et aussitôt quelques jeunes filles, poussées par un esprit de vertige ou plutôt un esprit diabolique, se précipitent dans l'appartement, se jettent sur l'offrande et font disparaître le tout en un instant. Alors les vieillards les saisissent et les plongent dans la rivière des Arkansas, où elles recouvrent subitement leur première tranquillité. — Ils admettent une autre vie, selon eux la chair meurt, mais l'esprit ne périt point, l'âme du bon sauvage passe dans un pays où les cerfs et les ours sont abondants, gras et faciles à tuer; celle des mauvais Arkansas est envoyée dans une terre où le gibier est peu commun, maigre et difficile à rencontrer. Ils pensent que l'âme suit toujours le soleil, et pour cela ils enterrent leurs morts la tête tournée vers cet astre. Pendant un an ils portent de la nourriture au défunt, et pendant quatre nuits après sa mort, ils allument un feu auprès de sa tête.
tt II serait trop long de vous rapporter tout ce que nous avons appris de ces bons Indiens ; ils veulent absolument avoir une « robe noire », pour apprendre la prière, l'agiï-
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culture, et pour se civiliser ; ils m'ont recommandé de dire cela au père des robes noires ; ils en prendront soin, et il ne mourra pas de faim dans sa cabane. Le bon chef Sarrasin, qui comprend et parle quelques mots français, vint me communiquer ses peines. « Quoique tu sois bien jeune, tu « es mon père, me dit-il; mon frère le Français, ajouta-t-il, « peut venir ici, et nous Arkansas, nous lui donnerons des « terres. Le Français a été bon pour l'Arkansas, il l'a élevé, « l'a nourri et ne l'a jamais maltraité, le Français et « l'Arkansas sont toujours allés sur deux lignes droites. « Mon frère l'Espagnol est venu, l'Arkansas l'a reçu; « l'Espagnol a été bon pour l'Arkansas, l'a aidé et ils ont « tous marché sur deux lignes droites. L'Américain est « venu, l'Arkansas l'a reçu et lui a donné tout ce qu'il pou« vait désirer, et l'Américain va toujours en poussant l'Ar« kansas et en le chassant. » En effet, on vient de les forcer d'entrer dans un accommodement avec les États-Unis, qui les prive de toutes leurs terres. D'abord on était convenu de leur laisser, sur la rivière des Arkansas, quinze milles de front, et soixante de profondeur, mais ce premier traité n'a point été sanctionné au Congrès. Le gouverneur du territoire des Arkansas à qui nous rendîmes une visite, nous dit que le président ne voulait point l'adopter, et qu'il enjoignait de leur faire abandonner leurs possessions et de les envoyer sur les bords de la rivière Rouge, parmi les Cadoux. Nous n'avons pas encore appris quel a été le résultat de tout cela. Les sauvages ne se soumettront que difficilement à ce projet, ils ont déclaré plusieurs fois que mieux valait que les blancs, pour qui ils avaient toujours été bons, les égorgeassent que de les envoyer parmi les nations ennemies, où une mort certaine les attendait. Notre départ les affligea. Ils aiment beaucoup les Français ; ils sont doux et patients, la polygamie ne se trouve point parmi eux; sans doute ils se convertiront aisément.
« Nous nous étions proposé de visiter un grand nombre
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de catholiques le long de la rivière Rouge, du côté du Wouachita, au Bayoux-Saint-Pierre et dans différents postes, en tirant vers les Attacapas ; nous devions passer ensuite parmi les sauvages Chirokys ; de là nous diriger vers la nation des Osages, et enfin revenir le long du Missouri et par Saint-Louis, mais le mauvais état de nos chevaux, la pénurie d'argent et une violente fièvre dont je fus attaqué renversèrent tous nos projets, la maladie fut assez sérieuse pour faire craindre à mon compagnon, qui est un peu docteur en médecine, de me voir mourir sans l'assistance d'un prêtre. Il fallait au moins douze jours pour aller chez le missionnaire le plus proche du lieu où je me trouvais. La Providence vint à mon secours ; au bout de quelques jours je me vis en état de reprendre la route du séminaire ; cependant la fièvre voulut être encore un peu du voyage.
« O Monsieur, que les soins de la Providence ont été admirables envers nous ! Les dangers que l'on court dans les longs voyages sont assez grands : quelquefois dans les pas difficiles nos chevaux s'abattaient sous nous, nous jetaient par terre ou dans l'eau, et il ne nous est jamais arrivé aucun accident. Quelquefois dans les déserts affreux qu'il nous a fallu traverser, nous errions à l'aventure, sans chemin, à travers des roseaux, des bois épais ou des marais, et nous allions toujours aboutir à un point favorable. Surpris par la nuit, loin des habitations, l'horreur des ténèbres ne m'inspirait aucun effroi. Ah! je tremble lorsque je compare, d'un côté, des marques si sensibles de la protection de Dieu, et de l'autre en moi, si peu de zèle et d'ardeur à le faire connaître. »
Le sentiment de ses responsabilités tenait toujours l'âme du pieux missionnaire éveillée, prête à saisir chez les autres tout ce qui pouvait l'édifier. C'est à ce titre que nous citons la lettre suivante : « Le bon Dieu, écrivait M. Odin, nous a enlevé un très saint prêtre, un grand missionnaire, M. Nérinkx, venu de Flandre, il était le second mission-
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naire qui pénétra dans le Kentucky, il y a à peu près vingtdeux ans. Les travaux qu'il a soutenus pour la propagation de la foi sont incroyables. Il a fait bâtir au inoins douze églises, fondé cinq monastères, et au moment où la mort l'a enlevé, il s'occupait d'un établissement d'hommes. Les fruits de son zèle subsisteront longtemps après lui ; il était très strict pour tous ses devoirs, si exact dans toutes ses pratiques de piété, que rien ne pouvait les lui faire omettre. Il a traversé cinq fois l'Océan, parcouru presque tous les établissements ; et, malgré tant de voyages, il était toujours uni à son Dieu. Que de nuits il a passées dans les bois ! Ordinairement il portait, avec un peu de pain pour lui, quelque nourriture pour son cheval, et il ne s'arrêtait qu'après des courses de trente lieues. Alors, s'il trouvait une maison, il y demandait un logement ; était-il au milieu des bois, c'était indifférent pour lui : catholiques, protestants, franc-maçons, tous l'estimaient et l'aimaient. Il vint au milieu de juillet visiter nos religieuses. Oh ! que j'aimais à être avec lui ! Il me recommandait toutes sortesdepieuses pratiques pour l'avancement des âmes, il me communiquait tout ce que son expérience lui avait fait découvrir d'avantageux pour la conversion des hérétiques, et surtout il me parlait souvent de la sainte Vierge. Il nous quitta pour aller à Saint-Louis chercher de petits sauvages, qui vont venir au nombre de douze, aux Barrens, chez les religieuses. Ces bonnes religieuses vont apprendre la langue de ces pauvres peuples, et iront fonder des communautés parmi eux dès que les missionnaires y pénétreront. A son retour de Saint-Louis il s'arrêta parmi les catholiques abandonnés depuis longtemps à raison de la disette de prêtres. Il fit une souscription pour fonder une église dans ce poste, et leur promit d'engager Mgr Rosati à leur envoyer un prêtre de temps en temps. Ce fut là sa dernière bonne oeuvre; il tomba malade en cet endroit, et se fit transporter à SainteGeneviève pour avoir la consolation de mourir entre les
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bras d'un prêtre. Sa sainte vie fut couronnée par une mort précieuse. Nos Barrens ont le bonheur de posséder son corps. Il est enterré dans le cimetière de nos religieuses. Nous le regrettons beaucoup. Mgr Flaget sera bien sensible a la perte qu'il a faite. »
On sent dans cette lettre toute la piété de M. Odin; elle s'épanouit en peignant ce saint missionnaire ! Leurs deux âmes se confondaient dans les mêmes désirs et brûlaient du même amour divin. La même iettre donne des détails curieux sur les religieuses, établies par M. Nerinkx :
« Ces religieuses se nomment les « Amantes de Marie au pied de la Croix ». Leurs règles sont assez austères, et elles les observent avec ferveur. Je vais tous les jours dire la messe dans leur chapelle, j'entends quelquefois leurs confessions ; elles observent presque un silence continuel. En été, elles vont toujours nu-pieds; en hiver, elles peuvent porter des souliers et s'approcher du feu ; leur lit est une simple paillasse. Elles fabriquent elles-mêmes leurs habits, qui sont d'une étoffe très grossière en hiver, un peu plus fine en été, mais cependant très épaisse pour un pays où les chaleurs sont excessives. Elles observent peu de jeûnes outre ceux qui sont prescrits par l'Église, mais leur table est servie très frugalement. Il sera peut-être bon que vous observiez aux filles que vous enverrez, que la nourriture la plus commune est le lard : avec le temps on s'accoutume bien à ce régime. Elle ont une sainte supérieure; voilà cinq ans qu'elle est toujours malade. Pendant l'absence de Monsei gneur on l'a crue plusieurs fois à l'article de la mort J'ai eu le bonheur de la voir et de l'assister dans ses mo. ments si redoutables aux mondains. Oh! quel touchant spectacle ! le sourire était sur ses lèvres ; elle baisait amoureusement la croix de son Sauveur, et jouissait d'un calme parfait. Lui demandait-on si elle avait besoin de quelque chose : « Des prières, une sainte mort, me disait-elle, voilà « tout ce que je désire. »
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Trop de gens ne comprennent pas l'utilité pour le salut du monde, de ces immolations secrètes et de l'union intime avec Dieu; M.Odin n'était pas de ce nombre : il savait plus que tout autre l'apprécier et il voyait dans ces vies sacrifiées une source abondante de grâces et de conversions pour ses chères missions. Aussi, il sollicite le concours de M. Cholleton pour trouver des âmes animées du désir de l'apostolat par la souffrance, et il termine sa lettre par ces réflexions pratiques : « Je crois que ce qui coûtera le plus aux filles françaises c'est de s'habituer à la chaleur, au froid et à la nourriture; du reste, ces difficultés ne sont pas insurmontables. Veuillez, monsieur, vous occuper de cette bonne oeuvre, aussitôt que vous aurez trouvé des jeunes filles guidées par une solide vocation, daignez les faire partir. Il serait bien à propos qu'elles fissent une petite provision de livres de piété et d'instruction, et qu'elles engageassent des âmes pieuses à leur procurer des ornements pour une chapelle. »
CHAPITRE VIII
La vie aux Barrens. — Guérison miraculeuse attribuée au prince de Hohenlohe.— Conversion. — Arrivée de missionnaires, de M. Boullier et de religieuses.
M. Odin continuait à mener la vie réglée du séminaire de Sainte-Marie. Les différents travaux de l'enseignement, ses devoirs de membre delà Congrégation de Saint-Vincent de Paul et quelques missions chez les sauvages occupaient son temps. Il nous initie d'ailleurs lui-même à son genre de vie (lettre à sa soeur, du 24 juillet 1825) : « Depuis mon arrivée en Amérique, le séminaire a toujours été le lieu principal de ma résidence. Je suis chargé ici de l'enseignement au séminaire et au collège, de la direction de la paroisse et du monastère. (Les Religieuses venaient depuis peu de s'établir aux Barrens). De temps en temps je sors pour faire quelques courses surtout pendant les vacances.
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Je dois aller faire bientôt une mission à la Nouvelle-Madrid, avec deux séminaristes; il y a vingt-cinq ans au moins qu'il n'y a pas eu de prêtre dans cet endroit. Tous les jours à quatre heures du matin j'ai le bonheur d'offrir le saint et redoutable sacrifice de la messe. Nous faisons ensuite une heure de méditation; les autres exercices sont à peu près les mêmes que dans les séminaires de France.
« Il faut être prêt à chaque instant à monter à cheval, pour aller assister les malades. Aussitôt qu'on nous appelle nous quittons tout promptement pour voler à leur secours et malgré toute la diligence que nous mettons, nous avons quelquefois le chagrin de les trouver mourants ou morts! » Puis redisant les sentiments de piété exprimés dans une lettre citée plus haut, sur le bonheur de porter avec soi pendant ses voyages la sainte Eucharistie, il ajoutait : « Oh ! si je savais pendant ce temps si précieux, m'entretenir avec Notre-Seigneur, comme je le désire, combien de ressources ne trouverais-je pas en Lui !... que de grâces ne recevraisje pas ! Il m'est arrivé de passer des nuits entières, le saint Sacrement sur mon coeur ! Il n'y a pas de semaines où je n'aie des malades à visiter, et souvent tous les jours; il faut sortir pour cela. Les jeudis sont consacrés aux missions que je donne parmi les protestants; un de nos séminaristes, jeune américain plein de vertus, de zèle et de talents, m'accompagne toujours; c'est ordinairement lui qui prêche. Ces jours-là nous célébrons la messe tantôt dans un lieu, tantôt dans un autre. Le poste le plus éloigné est à vingt milles.
« Un catholique nous prête sa maison. Nous avons un autre poste à quatorze milles. En ce dernier endroit c'est une famille où le mari et la femme ne sont pas baptisés, qui nous prête une chambre ; nous espérons cependant qu'ils entreront dans le sein de l'Église. Ils nous ont déjà promis de baptiser leurs enfants. Quinze personnes ont reçu également le baptême et autant se préparent à cette grâce.
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te Les samedis et les dimanches sont des jours entièrement consacrés à entendre les confessions des catholiques des Barrens. Ils viennent pour la plupart une fois par mois. Pour parcourir ces différentes stations, on est obligé d'aller à cheval ; je fais quelquefois ainsi cinquante milles sans trop de fatigues. Il est difficile de se diriger à travers les bois. Lorsqu'on s'égare, le mieux est de laisser aller son cheval en toute liberté, et pendant la nuit de se guider comme les sauvages par les étoiles qui brillent si éclatantes au ciel de notre Amérique. Le cas cependant n'est pas très agréable dans les temps d'orage et de pluie ou dans les nuits très sombres. Il faut alors mettre pied à terre, marcher en tâtonnant ou s'appuyer contre un arbre. Dieu veille sur nous avec tant de bonté et avec un soin si paterne], qu'il n'est encore arrivé aucun accident; souvent mon cheval s'est abattu, des branches d'arbres auraient dû, à chaque instant, m'arracher la vie, les serpents qui fourmillent presque partout se sont trouvés souvent entre les jambes de mon cheval, des ours ont fui devant moi et parmi tous ces dangers, rien de fâcheux ne m'est arrivé. Oh ! combien ces marques de la protection divine devraient m'attacher au Seigneur et m'encourager à étendre son règne.
te Voilà près d'un an que je suis seul avec Mgr Rosati, pour la direction du séminaire. Que je suis heureux de vivre avec un si bon et si saint évêque ! Il est toujours à la tête de la communauté. Sa nourriture est la même que la nôtre : nous n'avons qu'une seule et même table. Il n'a aucun revenu, aussi notre séminaire se trouve dans une grande pauvreté. La Providence nous a procuré toujours jusqu'ici, tout ce qui était nécessaire; elle ne nous abandonnera pas. Nous avons besoin de compter sur elle. Depuis que je suis en Amérique je n'ai encore reçu que dix écus dans l'exercice du ministère, nous faisons tout sans rétribution. Le séminaire nous fournit ce dont nous avons besoin, habillement, nourriture, logement, etc.
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ee La partie de la Louisiane, où je me trouve, semble faire espérer de grands fruits pour l'avenir. La plupart des habitants sont Américains, ils aiment naturellemement la religion, et dès qu'ils la connaissent, en gens réfléchis qu'ils sont, ils s'y attachent. Dimanche dernier nous baptisâmes un jeune homme de vingt ans, fils d'un ministre méthodiste. De temps en temps, nous avons le bonheur de conférer ce sacrement à des adultes de tout âge. Toutes les fois que nous allons en mission, nous avons un grand nombre d'hérétiques, et même des ministres qui assistent à nos instructions. Il faut avoir avec eux de longues conférences, dans lesquelles, il est aisé de les convaincre ou plutôt de les confondre ; mais il est difficile de les gagner. Les bons sauvages nous environnent de tous côtés et nous ne savons quand nous pourons leur prêcher la foi. Ils campent de temps en temps, auprès du séminaire et nous apportent leurs meilleurs gibiers. Nous leur donnons en retour du pain et quelques objets de dévotion. J'aime beaucoup ces pauvres sauvages, ils sont si bons, si reconnaissants quand on les traite avec humanité. Il faut beaucoup prier pour leur conversion. » Dans la même lettre il est question d'un miracle, obtenu à New-York par les prières du prince de Hohenlohê, miracle qui fit grand bruit dans les journaux des ÉtatsUnis, à cette époque. M. Odin y revient d'ailleurs à plusieurs reprises. On ne peut calculer les résultats heureux qu'obtint le catholicisme à cette occasion dans un pays où il était à l'état de secte méprisée. Le surnaturel surgissait de son sein, et tous ces protestants qui n'ont qu'un christianisme sans vie et sans tradition dans leur Église, voyaient et constataient un fait miraculeux tel qu'ils en lisaient dans les Actes des Apôtres '. M. Odin, enregistre aussi un autre
i. Lacordaire, dans une lettre à Foisset datée d'issy, 28 juin 1824, raconte lui-même le fait de la guérison, dont le récit fut fait aux séminaristes par un Américain, M. Yiller, professeur de physique :
ee Mme Martin, à l'heure indiquée par le prince de Hohenlohê, en-
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fait assez curieux dont il a été témoin : ee Dernièrement, écrivait-il, je fus appelé pour assister un malade d'un genre tout nouveau. C'était un jeune homme adonné à la boisson ; tous les jours il se gorgeait d'une liqueur forte qu'on fabrique dans ce pays, et qui l'enivrait; ses excès étaient connus et sa mauvaise conduite faisait horreur à nos pieux catholiques.
et Un jour, il voyageait avec un de ses amis. Tout à coup il se voit entouré de démons, qui se présentent à lui sous différentes formes. D'abord, il ne fit qu'en rire. Puis, comme ils essayaient de le renverser de cheval, de le percer de traits, de le torturer d'une cruelle façon, il fut saisi de frayeur et se mit à prier. Il dirigea alors sa marche vers le séminaire, dans l'intention de faire une bonne confession. Ses forces le trahirent, et il tomba devant la porte d'un bon catholique qui le recueillit. Sa première parole fut de demander de l'eau bénite. Il se saisit ensuite d'un crucifix et d'un chapelet. On vint alors me chercher ; j'y vole et je le trouve tout tremblant; il se rassure; il me raconte ce qui lui est arrivé, et il fait sa confession avec de grands sentiments de repentir. La confiance renaît dans son âme, il devient calme et tranquille, et il me témoigne le désir de
tend la messe dans sa chambre, étendue sur son lit, ayant à peine un souffle 'de vie; plusieurs personnes étaient présentes, et le saint sacrifice était offert par M. Dubuisson, un prêtre français. Le moment de la communion arrivé, la mourante reçoit le pain sacré, et à peine a-t-elle la force de l'avaler. Tout à coup on entend ces mots prononcés à demi-voix, derrière les rideaux du lit : te O mon Dieu, qui c suis-je pour que vous m'accordiez une telle grâce! » Et à l'instant la malade se lève, s'habille et se montre à tous ceux qui veulent la voir. Le bruit de cette guérison miraculeuse se répand dans Washington avec une rapidité facile à concevoir, et tout aussitôt trente protestants se font catholiques.— Le temps n'est pas encore bien éloigné où ces faits n'auraient produit aucune impression sur mon esprit; qui sait si je ne les eusse pas révoqués en doute? » Et dans une autre lettre : ee J'ai oublié de vous dire que parmi les lettres qu'a reçues M. Viller, il y en a une qui est du président des États-Unis. »
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se retirer pendant quelques jours au séminaire, pour y réfléchir. Là, les séminaristes l'aident par leurs paroles et des lectures spirituelles. Il jouit d'abord d'une grande paix; mais le soir, à peine est-il au lit, que de nouveau il commence à voir des esprits malins. Il se lève, court de côté et d'autre; on vint enfin me réveiller, et je le tranquillisai. Le lendemain, il sort et se met à courir dans les bois, poursuivi, disait-il, par les mêmes esprits. Mais, revenu près de nous, il reste en repos et s'exerce à se corriger de ses défauts et surtout de son ivrognerie. — Je ne sais ce que je dois penser de ce cas. Y a-t-il folie ou maladie nerveuse? Ce qui est certain, c'est que je ne l'ai jamais entendu dire un seul mot contraire au bon sens. Il m'avoua qu'il ne pouvait éloigner ces esprits mauvais que par l'invocation des saints noms de Jésus, Marie et Joseph. »
Malgré sa prudence excessive à se prononcer pour un cas d'obsession diabolique, M. Odin semble évidemment l'admettre. Ce témoignage, que nous venons de rapporter par le récit fidèle de notre missionnaire si réservé, corrobore plusieurs faits du même genre rapportés dans les Annales de la Propagation de la Foi par les premiers apôtres du catholicisme aux États-Unis dans notre siècle.
(A suivre.)
PROVINCE DU MEXIQUE
Lettre de M. BRUNO ALVAREZ, supérieur du Séminaire conciliaire de Monterey (Mexique), à M. A. FIAT, Supérieur général.
Etat de la maison et des oeuvres.
Monterey, le 10 décembre 1894.
MONSIEUR ET TUÉS HONORIS PÈRE, Votre bénédiction, s'il vous plaît !
Nous ne sommes ici, pour le séminaire et les oeuvres dépendant de cette maison, que cinq prêtres et trois frères coadjuteurs. C'est peu, vu le nombre des oeuvres qui nous sont confiées.
Tout ce qui regarde le grand séminaire, même la division des cours, a été tiré de notre Directoire des grands séminaires. Il en a été de même pour le petit séminaire, à part certaines modifications nécessitées par la présence du collège uni au petit séminaire. Mais il me semble que les choses essentielles, telles que les exercices de piété, la division des classes, etc., sont conservées.
Outre le séminaire, nous avons aussi une école de garçons de six à douze ans. Le programme d'enseignement qui y est en vigueur est celui des écoles élémentaires de l'État, car autrement le gouvernement nous défendrait d'y recevoir des élèves. Le programme, d'ailleurs, n'est mauvais que parce qu'il ne comprend pas l'étude de la religion. Il va sans dire que, dans les six classes que comprend notre école, l'étude de la religion, du catéchisme, de l'histoire sainte et des preuves ordinaires de notre sainte foi passe avant toutes les autres études.
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Les jeunes gens de notre grand séminaire ne dépassent pas le nombre de seize, dont dix étudient déjà le dogme, la morale et la liturgie, car ils sont de la troisième et quatrième années de théologie, et les six autres étudient le dogme, l'herméneutique et l'histoire ecclésiastique. Nous allons également établir un cours d'éloquence sacrée. Depuis le commencement de l'année 1895 jusqu'à Pâques ont lieu des thèses théologiques; en outre, les élèves de morale prêcheront deux fois devant les autres théologiens; les autres élèves, une fois. Quant aux diacres, ils doivent, selon l'ordre de Mgr l'archevêque, prêcher trois fois en public, devant les fidèles, avant d'avancer à la prêtrise.
Les jeunes gens de notre petit séminaire, encore peu nombreux, sont distribués en six classes. Ils étudient le latin, le grec, le français et l'anglais, qui est très nécesaire ici; de plus, la religion, la philosophie, la physique, la chimie, les mathématiques, la géographie, la cosmographie, la littérature, la rhétorique et l'histoire, tant universelle que nationale. Us auront en leur temps des exercices littéraires, comme leurs aînés en ont sur la théologie. Dans ce pays, les jeunes gens ont un bon caractère. Leur goût les incline peut-être plus vers la littérature et les sciences physiques que vers les autres matières. Il y en a cependant parmi eux qui sont fort bien doués pour les sciences abstraites.
Notre école est fréquentée par soixante-dix enfants. Tous les samedis, après la récitation du chapelet, un de nos confrères fait une instruction morale devant les élèves du séminaire et les enfants de l'école. Les théologiens ont une fois la semaine la répétition d'oraison et la conférence spirituelle. Parmi les séminaristes et les écoliers, il y a l'Association des Enfants de Marie, et même une sorte de conférence de charité de Saint-Vincent de Paul avec des règles spéciales. Les jeunes gens qui en font partie se privent de l'argent qui leur a été donné par leurs parents pour
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leurs honnêtes amusements ; on paye ainsi la pension d'un élève, on en achète des livres de classe pour beaucoup de pauvres, ainsi que des habits, etc.. ; on donne à d'autres la facilité de suivre les cours; car, le séminaire se trouvant placé en dehors de la ville, beaucoup ne peuveut venir que par les voitures publiques. La quête mensuelle s'élève à près de 60 francs, dont une moitié est remise au séminaire, et l'autre donnée à des personnes pieuses pour bonnes oeuvres. Cette oeuvre de charité, les jeunes gens ne la font pas par contrainte, mais avec grand plaisir. Il suffit de leur parler d'une oeuvre, et, s'ils ont quelque chose, aussitôt ils donnent tout. Si nous avions plus d'élèves, nous pourrions peut-être entreprendre d'autres oeuvres et étendre celles dont j'ai parlé.
Voyez donc, mon très honoré Père, si vous ne pourriez pas obtenir des faveurs spirituelles à cette Association '.
A notre séminaire est contiguë une chapelle publique que fréquente un grand nombre de fidèles.
La fête de la Médaille miraculeuse a été célébrée par un Triduum solennel préparatoire, avec grand'messe, vêpres et sermon. Le 27 novembre, il y a eu de nombreuses communions. La grand'messe a été célébrée par M. l'Administrateur du diocèse, Mgr l'archevêque se trouvant absent ce jour-là. A la messe, on fil le panégyrique de l'Apparition. Aux vêpres était accourue une telle foule que la chapelle
1. Les Associations ou Congrégations de la sainte Vierge, composées de jeunes gens et établies dans les maisons des Missionnaires, peuvent jouir des mômes faveurs spirituelles que les Associations d'Enfants de Marie établies dans les maisons des Filles de la Charité ( Bref de Pie IX, 20 juin 1847; Induit du 19 juillet i85o. Cf. Acta apostohca in gratiam Congr. Missionis, p. io5 et 261).— Les Conférences de Saint-Vincent de Paul établies dans les collèges et séminaires n'ont qu'à se faire agréger à l'oeuvre générale, dont le siège est à Paris, rue de Furstemberg, 6; elles participent alors à toutes les faveurs spirituelles accordées à cette grande association. — Note des Annales.
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n'aurait pu la contenir, quand même elle eût été trois fois plus vaste. Entre tous se faisaient remarquer 3oo Enfants de Marie, appartenant aux familles les plus distinguées. Elles étaient habillées de soie blanche et de ceintures d'azur. On remarquait aussi ïes Dames de la Charité de Saint-Vincent de Paul, avec des distinctions spéciales; toutes portaient des cierges allumés et assistaient à la procession, qui se fit après le chapelet, le sermon et la bénédiction avec le Très Saint Sacrement. Après cette procession, on chanta le Te Deum, pendant lequel les jeunes filles et les autres personnes vinrent faire à la Vierge Immaculée l'offrande de leurs cierge; on en compta 600 à 65o. D'autres déposèrent de l'argent ou d'autres objets. Tous ceux qui étaient venus à la fête retournèrent chez eux avec une grande joie et disaient qu'ils n'avaient jamais vu une ,fête si belle et si bien ordonnée. L'image de Marie Immaculée de la sainte Médaille était placée au milieu de l'autel sous un dais de soie bleue avec des broderies d'argent, oeuvre de personnes pieuses et fruit des aumônes des fidèles. Le manteau de soie avait 15 mètres carrés. La vue de la sainte Image attirait pour ainsi dire tous les coeurs. Quelques Enfants de Marie demandaient si la sainte Vierge ■ était ainsi au ciel. La dévotion envers Marie Immaculée a pris de l'extension ; beaucoup de personnes nous ont demandé la Médaille miraculeuse, et, pour satisfaire le pieux désir des fidèles, nous avons dû en faire frapper une grande quantité en argent. Bien des personnes nous en demandent encore.
Nous célébrons encore d'autres fêtes dans notre chapelle, bien que avec moins de solennité, et à toutes il y a toujours un grand concours de pieux fidèles. Ah! que ne sommesnous plus nombreux ! que de bien nous pourrions faire aux âmes! Nos confrères prêchent quelquefois dans la ville à cause du petit nombre des prêtres séculiers. Pendant le carême, les exercices spirituels sont prêches dans différentes
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églises sous forme de mission. En été viennent des prêtres séculiers pour faire leur retraite. C'est aussi pendant ce temps qu'on donne la retraite aux Enfants de Marie.
Voilà, monsieur et très honoré Père, les différentes oeuvres qui nous sont confiées. Veuillez nous bénir, s'il vous plaît, afin que nous les remplissions bien, et me croire toujours, en l'amour de Notre-Seigneur et de Marie Immaculée, Votre très humble et très obéissant fils.
BRUNO ALVAREZ,
I. p. d. 1. M.
PROVINCE DE
LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE
Lettre de Mgr CROUZET à M. MILON, secrétaire général de la Congrégation de la Mission.
Visite des maisons de la Province de la République Argentine. Coup d'oeil sur les oeuvres.
Mariana, 14 juillet i8g5.
MONSIEUR ET CHER CONFRÈRE,
La grâce de Notre-Seigneur soit avec nous pour jamais!
Il y a quelques années à peine, nous construisions une magnifique église à Saganeiti (Abyssinie). Pour activer les travaux et ménager les dépenses, le chef du pays, le catholique Bahata, avait pris la résolution suivante : « Tout étranger traversant la ville était requis d'apporter une pierre au chantier. » Chacun s'exécutait bravement, hommes, femmes, enfants payaient leur tribut.
Passant à mon tour, je vous apporte ma pierre. Elle n'est pas volumineuse, mais elle vient de loin.
Il est clair que j'aurais bien des choses à vous raconter, Il est certain aussi que bien des faits intéresseraient, édifieraient, mais allez donc trouver le temps d'écrire durant cette course incessante. Alors qu'un travail se présente avant que celui qui 'le précède soit terminé, J'ai près de soixante-dix jours de route sur cent soixante-douze d'absence. C'est la vie à la vapeur, cette vapeur ne serait-elle représentée que par une modeste mule ? Comme on aime encore plus la Congrégation à mesure qu'on avance plus à fond dans ses oeuvres vives ! Comme on se sent heureux
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d'être enfant de saint Vincent quand on peut voir et comprendre le bien que, par nos deux familles, le bon Dieu se plaît à opérer!
Vraiment il y aurait crime à se décourager, à se laisser abattre par la vue des petites misères inhérentes à la faiblesse humaine. Marchons droits et fidèles, et si, comme particuliers, nous ne sommes pas bons à grand'chose comme feuilles et branches, du grand arbre, le bon Dieu féconde toujours nos bonnes volontés.
Je désirerais que cette lettre fut un hommage public rendu à toutes ces bonnes volontés, à tous ces dévouements réunis qu'il m'a été donné d'admirer, en présence desquels je suis resté confus, qui ont été pour moi une occasion constante de rendre mille grâces au divin Maître. Il a raison ce vénéré confrère qui a si bien écrit que dans nos deux familles, nous trouvons tous les exemples consolants et fortifiants, ces exemples de vertu, de générosité que nous sommes portés à apprécier ailleurs plutôt que chez nous. Ils existent, ayons des yeux pour les voir, une intelligence pour les comprendre, la force de les suivre, le coeur assez grand, assez bien placé pour nous en réjouir et en rapporter la gloire au distributeur de tout don parfait. Il me semble que nous ne devrions avoir que cette chose en vue, que nous ne devrions être jaloux que de cela : le bien pour Dieu par nos oeuvres, sauf, bien entendu, à ne pas nous renfermer dans un égoïsme de mauvais aloi. Mais voilà que je me perds, ce n'est pas étonnant, comment me retrouver de Paris au Brésil, passant par le Portugal, l'Argentine, le Paraguay et l'Uruguay! Vous me demandez des renseignements et je vous envoie des bavardages,vous n'êtes vraiment pas servi. J'essaie de vous contenter.
Ne parlons pas de la traversée d'Europe en Amérique. La description en a été faite mille fois. Navire qui se balance, vagues molles ou irritées; vents et soleil, passage de la ligne. Tout est connu.
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La Providence veille; à elle mon souvenir pieux. Un détail cependant. Nous avions à bord six officiers français. Ils se sont offerts à me servir la messe du dimanche et la séparation venue, pendant que dans mes mains, je pressais leurs mains loyales : « Nous connaissons l'histoire de votre mission, m'ont-ils dit : Vous êtes des braves les missionnaires, nos coeurs battent à l'unisson. Adieu et bon voyage. »
C'est court et bon !
Ce qui m'a le plus frappé dans l'Argentine, le Paraguay et l'Uruguay, c'est l'impulsion donnée par nos confrères et nos soeurs aux oeuvres de charité, c'est la manière surtout dont on a été fidèle à cette impulsion.
On ne se contente pas dans ces pays, de prier et de gémir ; on ne se contente pas de soupirer mélancoliquement sur le sort des malheureux, on agit, on agit fortement, courageusement, avec persévérance. On y va de sa bourse, généralement bien fournie, on y va surtout de sa personne. Oh ! cette activité, quels miracles elle opère!
Des dames se réunissent, fondent des orphelinats, des refuges, des écoles pour les pauvres, et les voilà parties; ces maisons sont entièrement entretenues par elles, visitées, agrandies, développées. J'oserai presque dire qu'une fois l'oeuvre en train une fois l'impulsion donnée, par un choc en retour, cette impulsion part des associations et alors., et alors, on entend ce que j'ai entendu : « Envoyez-nous donc un personnel plus nombreux; aidez-nous, nous avons encore ceci et ceci, cela et cela, mais les pauvres Soeurs sont déjà écrasées elles ne peuvent suffire à la besogne, nous comptons sur vous pour avoir des aides. »
— Mais, Madame!... Mais, Mademoiselle !... — « Rien; quand on est visiteur extraordinaire, ce ne peut-être que pour envoyer des sujets là où il en manque! »
Qu'auriez-vous fait à ma place?... Faites-le. Je ne savais où donner delà tête.
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A Buenos-Aires, c'étaient les membres des conférences, les Dames de Saint-Vincent, les Enfants de Marie! Oh! ces Enfants de Marie! plus terribles encore que les autres, j'ai eu toutes les peines du monde à m'en tirer en faisant des promesses! Mais ces promesses? N'insistons pas... Vous comprenez combien souffrent nos confrères et nos soeurs en présence de cet élan... Quand ils et elles se comptent e constatent qu'on ne peut cependant pas couper les personnes en deux.
Je vois encore Monsieur le Visiteur me montrant dans sa vaste maison : le séminaire interne, les étudiants, l'école apostolique, le collège, l'école des pauvres avec ses quatre cents enfants, l'Église d'en face qui dépend de la mission, les quatorze maisons de nos Soeurs avec leurs milliers d'élèves et faisant ensuite un retour mélancolique sur le personnel si peu nombreux dont il dispose.
Je vois la bonne soeur Louis me parlant des établissements, orphelinats, hôpitaux, asiles maternels, me montrant des Soeurs obligées de suffire à plusieurs offices et me disant ensuite : Que faire?
Une bonne Fille de la Charité a trouvé le mot de la situation : « Oh ! Monseigneur, vous aviez un moyen bien simple de terminer la visite en vingt-quatre heures! pour cela, il vous eut suffi d'amener avec vous une nombreuse caravane de missionnaires et de Soeurs, cela eut tout arrangé ! »
Même note, mêmes demandes partout. A l'Assomption, Monseigneur Bogarin , élève de nos confrères, tout jeune encore, plein de talent et de zèle, m'a fait le plus grand éloge de ses anciens directeurs et de M. Montagne qui a donné un excellent clergé au diocèse.
J'ai été obligé d'accéder au désir que Sa Grandeur m'a ' manifesté de fonder une mission et d'ajouter ainsi une belle oeuvre à celle déjà si féconde des deux séminaires réunis.
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Le Pèlerinage de Notre-Dame de Lujan offre également un spectacle magnifique.
Nos confrères ont assumé la lourde et consolante responsabilité d'élever un temple, chef-d'oeuvre d'architecture, à la Reine des cieux. Vous n'ignorez pas le zèle et l'activité qu'ils apportent à cette tâche écrasante.
Dieu les aidera et leur piété envers la bonne Mère sera récompensée dès ici-bas, je l'espère, par le succès dans leur entreprise gigantesque.
Que vous dire de Montevideo? Plusieurs motifs sérieux me faisaient une obligation de m'arrêter dans la capitale de l'Urugay. Je tenais par-dessus tout à remplir la mission qu'avait daigné me confier M. notre très honoré Père, de remercier en son nom les bienfaiteurs insignes de nos deux familles. Mais comment y arriver? J'étais séparé d'eux par une traversée de huit heures et des mesures quarantenaires. qui imposaient dix jours de lazaret à l'île de Florès. Je vous préviens que cette île n'a de poétique que le nom. Il paraît que nous avions le choléra! et moi qui ne m'en doutais pas le moins du monde. Je prolongeai de quelques jours mon existence à Buenos-Ayres, et on en profita pour me faire prêcher une retraite.
Enfin, le bon M. George, Supérieur de notre Maison de l'Union, bravant toutes les pestes et tous les choléras, vint me prendre. Son voyage me porta bonheur. A peine eut-il touché le sol de l'Argentine, qu'un décret, conforme aux prescriptions du bon sens, déclarait libres tous les ports de la République orientale.
Nous prîmes nos places sur un petit vapeur, VOlympe, encore un nom poétique celui-là, et pendant quarante heures nous fûmes obligés de subir coups de vent sur coups de vent. Quarante heures! pour effectuer un trajet qui se fait ordinairement dans l'espace d'une nuit. Tout dansait, jusqu'au piano qui se promenait seul, d'une extrémité à l'autre de la salle à manger.
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Nos confrères jouissent à Montevideo d'une situation absolument exceptionnelle. Curés, missionnaires, aumôniers,ils ont su conquérir l'estime et la confiance de Monseigneur, du clergé et de la population. Nos Soeurs sont aimées, respectées et ont une grande influence qu'elles doivent à leurs oeuvres.
Le 19 juillet doit avoir lieu l'inauguration d'une magnifique maison curiale, due tout entière à la générosité d'une famille dont le nom est inscrit en lettres d'or dans le coeur des membres de notre double famille.
Ces insignes bienfaiteurs font le bien en grand, sans ostentation, avec une bonté, une simplicité dignes des premiers temps de l'Eglise. Possesseurs d'une immense fortune, ils distribuent des sommes fabuleuses, et leur main gauche semble ignorer ce que la droite a donné. Leur nom est synonyme de bienfaisance, et la divine Providence a voulu que cette bienfaisance s'exerçât en grande partie à l'égard de nos Confrères et de nos Soeurs. C'est avec joie que je leur ai transmis les remerciements qu'on m'avait confiés, et, de tout coeur, que je les ai recommandés à Dieu au saint autel.
J'ai trouvé à Montevideo une réunion de Dames de charité françaises, au nombre d'environ cent cinquante, pleines de zèle, et ayant pour but de venir en aide à nos nationaux tombés dans la misère. Cette association, jeune encore, est déjà robuste, pleine de santé et de vie.
Là encore je me suis trouvé en face de ces enfants terribles qu'on appelle Enfants de Marie. Jugez un peu si j'ai raison de les appeler enfants terribles : elles représentent une force et une force extraordinaire ; je ne suis pas le seul à le penser.
Ainsi que vous le savez, Sa Grandeur Mgr Solève, évêque de l'Uruguay, a daigné ériger l'église de la paroisse de l'Union en sanctuaire de pèlerinage, sous le vocable de Notre-Dame de la Médaille miraculeuse. Pour bien faire
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les choses, Sa Grandeur a résolu des embellissements qui exigeront de fortes dépenses. Savez-vous qui a été chargé de réunir les sommes nécessaires? l'Association des Enfants de Marie.
A peine M. George eut communiqué l'expression de ce désir épiscopal que le conseil de l'Association se réunit, et sur-le-champ furent discutées et prises des mesures qui, je vous l'assure, seront efficaces. Cotisations volontaires, circulaires, loteries, appels, etc., tout fut mis en branle dans les vingt-quatre heures.
Cette Association a fondé et entretient onze écoles libres et gratuites pour les enfants pauvres des deux sexes, et les jeunes filles des plus grandes familles vont elles-mêmes se rendre compte de la manière dont sont tenus ces établissements. Avouez que la sainte Vierge doit être contente de ces braves rubans bleus.
Autant il me fut difficile d'aborder, autant j'ai eu de la peine à partir. Trois semaines durant j'ai dû attendre un navire, car là encore nous avions le choléra, et le Brésil ne nous permettait de fouler le sol de la République qu'après un séjour d'une semaine, consacrée à nous désinfecter.
Enfin, le 23 mai, j'ai pu m'embarquer avec le bon M. George, qui a bien voulu m'accompagner et que j'étais si heureux de voir avec moi. Je suis donc au Brésil.
Je me recommande à vos prières et me dis, en NotreSeigneur,
Votre dévoué confrère,
-j- J. CROUZET, C. M.
PÉROU
Lettre de M. DUHAMEL, prêtre de la Mission, à M. A. FIAT, Supérieur général.
Aréquipa, 1CI avril 1895.
MONSIEUR ET TRÈS HONORÉ PÈRE, Votre bénédiction, s'il vous plaît 1
Après deux mois de silence forcé, durant lesquels les événements politiques nous ont mis dans l'impossibilité de vous donner de nos nouvelles, nous pouvons enfin respirer. La guerre civile, qui depuis près d'un an a fait tant de victimes au Pérou, paraît toucher à sa fin. J'en profite pour vous écrire.
Grâce à Dieu, nous n'avons pas eu particulièrement à souffrir de ces luttes intestines. Comme nous nous tenons en dehors de tout parti politique, tous les partis nous res~ pectent et nous manifestent la même bienveillance. Il va sans dire que Missionnaires et Filles de la Charité, nous avons prêté avec le plus grand empressement notre ministère aux blessés, soit à l'hôpital, soit à l'endroit même du combat sanglant, livré dans notre ville le 27 janvier dernier 1. M. Vedy, en particulier, s'est montré infatigable dans son hôpital.
Je suis heureux de pouvoir vous dire, Monsieur et très honoré Père, qu'au milieu de tant de travail vos enfants d'Aréquipa jouissent tous, à l'exception du pauvre M. Escobar, d'une bonne santé.
Malgré les tristes et sanglants événements dont Aréquipa
1. Voy. ci-dessus, p. 452.
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a été le théâtre, notre école apostolique n'a pas laissé d'aller son train. A peine si les classes ont été suspendues quinze jours ; et loin de voir diminuer les élèves, leur nombre a été toujours croissant, grâce au nouveau local, que nous avons loué.
Outre nos douze théologiens et cinquante élèves à l'école préparatoire, nous avons quatre-vingt quinze latinistes •, nous ne pouvons désormais en recevoir davantage parce que nous n'avons pas où les loger. Avec une semblable pépinière nous pouvons espérer d'avoir dans quelques années un grand séminaire nombreux et fervent, d'où sortiront de bons prêtres et de fervents missionnaires. Mais quel surcroît de travail, surtout cette année à cause des circonstances imprévues dans lesquelles nous nous trouvons ! L'an passé nous avions commencé à régulariser les classes de latin, confiées jusqu'ici aux plus grands élèves du collège. M. Guillen, Ensler et Nunez s'étaient chargés chacun d'une classe de latin ; l'on espérait les plus heureux résultats ; mais la force des choses nous a obligés à recourir aux élèves comme professeurs. En effet le pauvre M. Nunez devint gravement malade. Pour soulager quelque peu M. Glénisson, nous pensâmes que M. Escobar pourrait l'aider en faisant quelques cours accessoires au grand séminaire. D'un autre côté le soin de nos petits pensionnaires du cours préparatoire exigeait la vigilance et la coopération active d'un de nous, M. Glénisson se chargea bien volontiers de ces petits élèves, ce qui l'empêcha decontinuer toutes les classes qu'il faisait aux latinistes. De telle sorte que je reste presque seul chargé, avec les élèves les plus avancés des classes, de nos quatre-vingt quinze latinistes. Heureusement que, voyant la grande nécessité du collège, deux de nos anciens élèves, qui ont terminé toutes leurs études et dont l'un est prêtre, s'offrirent pour nous aider cette année : l'un fait le cours de philosophie et l'autre les cours supérieurs de sciences.
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Vous pouvez voir par là, très honoré Père, si nous avons raison d'attendre avec impatience que nos deux chers péruviens de la Maison-Mère, reviennent. C'eut été vraiment une témérité et une imprudence que de donner tant d'extension et d'accroissement à notre oeuvre, si nous n'avions compté sur le concours de ces deux jeunes confrères, dont le dévouement contribuera à entretenir et à développer la piété, la régularité de notre maison en même temps que le succès de nos oeuvres.
On ne saurait vraiment trop admirer les soins et les attentions prévenantes de la Providence à l'endroit de notre Ecole apostolique. A mesure que l'oeuvre grandit et que les dépenses croissent, les ressources vont également augmentant. Nous avons présentement environ huit cents francs de dépenses mensuelles pour l'entretien du collège y compris la nourriture des théologiens ; et facilement nous obtenons cette somme de la pension de nos élèves payants et des aumônes que nous offrent quelques personnes généreuses. Noue trouvons en outre moyen de faire face à certaines dépenses extraordinaires, qui surviennent; c'est ainsi que dans quelques semaines nous trouverons moyen d'envoyer encore à Paris la somme nécessaire pour le retour de nos deux chers Péruviens. Il est vrai que nous vivons d'économies, bien que l'indispensable ne nous manque pas. Daignez, je vous prie, Monsieur et très honoré Père, nous aider à remercier la divine Providence pour les soins si visibles qu'elle daigne prendre de notre petite oeuvre.
Veuillez, je vous prie, Monsieur et très honoré Père, envoyer votre paternelle bénédiction à vos enfants d'Aréquipa, et tout spécialement à celui qui est, dans les Sacrés Coeurs de Jésus et de Marie Immaculée,
Votre très humble, tout dévoué et obéissant enfant,
H. DUHAMEL, I. p. d. 1. M.
Ô02
GRACES
ATTRIBUÉES A L'INTERCESSION DU B. JEAN-GABRIEL PERBOYRE
On nous communique la lettre suivante :
Le S juin 1S95.
MON RÉVÉREND PÈRE ,
L'année dernière, à pareille époque, j'ai promis d'offrir un ex-voto au bienheureux Perboyre, si j'obtenais la guérison de mon fils, condamné par les médecins qui l'avaient so igné.
Je vous envoie donc 20 francs, afin que vous fassiez exécuter un ex-voto avec ces paroles : Reconnaissance au bienheureux Perboyre —pour une guérison.— Juin i8g5.
Recevez, mon révérend Père, l'assurance de mon respect. •— A. B.
Br. (France). Grâces obtenues; offrande pour les Missions. Lettre du 5 juin iSq5.
De plusieurs villes on nous a communiqué de remarquables succès aux examens, attribués à la protection du B. Gabriel Perboyre, spécialement invoqué à cet effet :
A Maretz (Nord).
A Pétropolis (Brésil); etc.
GRACES
ATTRIBUÉES A L'EAU DE SAINT-VINCENT
Guatemala. — Guérison de la soeur Faucheux, Fille de la Charité; fièvre typhoïde. — Lettre du 25 juillet iSg5.
Tcheng-ting-fou (Chine). — Cessation d'une épidémie de maux d'yeux. —Lettre de la soeur Guerlain, Fille de la Charilé, 11 juin iSg5.
- 6o3 — GRACE
ATTRIBUÉE A LA MÉDAILLE MIRACULEUSE
A Huiramba, État du Michoacan (Mexique), une jeune fille, Delphine Carmona, peu de jours avant sa réception comme Enfant de Marie, était tombée gravement malade, et, malgré les secours de l'art qui lui furent prodigués, s'avançait rapidement vers son heure dernière. Le Directeur et le Conseil de la pieuse Association décident alors de la recevoir quand même, remettant à plus tard les cérémonies, de la réception solennelle. Et, ô merveille, à peine la Médaille miraculeuse de la Congrégation a-t-elle été ■ imposée à la jeune fille, qu'elle recouvre aussitôt la santé, à l'étonnement et à l'admiration de tous les nombreux assistants accourus auprès de la malade et des docteurs qui l'avaient soignée et qui ne peuvent s'empêcher de déclarer hautement que « les moyens humains auraient été incapables d" 1 opérer un semblable prodige ». — Bulletin des Enfants de Marie de la République du Mexique, juillet 1893, p. 162. Ce Bulletin paraît par livraisons mensuelles de 24 pages, à Mexico, 2a calle de San-Lorenzo, n° 19.
NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
32. Les premiers martyrs de l'oeuvre de la Sainte-Enfance, ou notices et documents sur les prêtres de la mission et les Filles de la Charité de Saint-Vincent de Paul, massacrés le 21 juin 1890 à Tien-tsin (Chine), par un prêtre delà Mission. Paris, rue de Sèvres, 95, et rue du Bac, 140. Imprimerie du Pé-Tang, Péking, i895. Un vol. in 8° de xii-609 pages.
On ouvre ce beau volume avec une véritable satisfaction pour le regard : netteté du caractère, goût parfait dans la disposition typographique, beauté du papier : tout fait honneur aux presses des missionnaires de Pékin. Nulle part, croyons-nous, ou n'eût mieux fait en France. La lecture comme celle de tous les héroïques récits d'apostolat et de martyre charme et élève l'âme. Pour les enfants de saint Vincent de Paul, ce livre a un intérêt de famille que tous goûteront. Les deux prêtres massacrés étaient deux Missionnaires, MM. Claude Chevrier, français, et Vincent Ou, chinois ; des dix Filles de la Charité mises à mort, une était irlandaise, une italienne, deux belges, six françaises.
Une intéressante notice est consacrée à chacune de ces glorieuses victimes. L'auteur affirme dès le titre de son ouvrage, qu'elles ont été « massacrées en haine de la religion catholique et de ses saintes OEuvres ». On voit dès lors la haute portée de cette grave étude.
33. Leven van den Geluk\aligen Joannes Gabriel Perboire, priester der Congrégatie der Missie, den marteldood gestoven in China den 1 ic" sept. 1840.
( Vie du B. Jean-Gabriel Perboyre, etc. en Hollandais).
Ruremonde, Watterrens, éditeur. 1895.— Un vol. in 8 de
204 pag.
Cette biographie de l'héroïque martyr a été publiée par un savant religieux appartenant à une importante congrégation hollandaise. 11
1. La Vie de Mgr Anouilh, coadjuteur de Pékin, dont nous avons parlé dans le précédent numéro des Annales, est en vente chez l'auteur, M. le chanoine Sentenac, à Pamiers, et chez M. le curé de Prat (Ariège;. On peut aussi s'adresser à la maison-mère de la Mission, rue de Sèvres, 95, Paris.
— 6o5 —
s'est proposé de mettre à la portée de la jeunesse de son pays, les exemples dévie apostolique qui sont l'honneur de l'Église catholique et qui avec la grâce de Dieu, portent dans les âmes généreuses l'étincelle précieuse du zèle pour la conversion des infidèles. L'auteur s'est plu à reproduire surtout les lettres du Bienheureux : elles l'avaient, dit-il, particulièrement charmé : les paroles des serviteurs de Dieu ont toujours une saveur et une force surnaturelle.
La réputation de l'auteur garantit la valeur littéraire de l'ouvrage; il aura, nous n'en doutons pas, travaillé à étendre le royaume de Dieu en montrant la vitalité de l'Eglise catholique et peut-être en suscitant des apôtres.
34. Oserons-nous, dans ces indications de bibliographie, parler musique? Pourquoi pas? « Louons, dit l'Écriture, ces hommes entrés maintenant dans la gloire et qui sont nos pères : eux-mêmes dans leur vie ont soigneusement cherché l'harmonie. Laudemus viros gloriosos et parentes nostros : In peritia sua requirentes modos musicos, etc. Ce pouvait n'être que l'harmonie de leur vie toute sainte qui est un cantique à Dieu. Pour les louer, aujourd'hui, les témoins de leurs oeuvres et leurs enfants se plaisent à accorder leur lyre.
Cantiques de circonstances, de Congrégations et de Confréries, paroles et musique de M. l'abbé Gravier. Chez l'auteur, à Cannes ( Alpes-Maritimes. )
M. l'abbé Gravier dont les cantiques sont connus dans tous les diocèses de France et justement appréciés, a loué dans ses récentes oeuvres les saints, les fondateurs d'Ordres. A côté des François d'Assise, de saint Dominique, de saint Ignace, il a placé saint Vincent de Paul et lui a consacré un de ses beaux cantiques. M. le supérieur général lui en a offert ses remerciements.
Le mot du Guet, cantique en l'honneur de saint Vincent de Paul, par M. P.-A. Blanchet. Au Mans, Grand'Rue, n° 2.
Ce mot du Guet est Charité. Les paroles résument très heureusement et très ingénieusement la vie de saint Vincent de Paul ; la musique est très heureusement adaptée elle-même aux paroles.
La France catholique doit à M. Aloys Kunc le chant de l'immortel cantique Pitié mon Dieu ! c'est un grand bonheur pour la famille de saint Vincent de Paul, que l'éminent artiste ait chanté aussi la Médaille miraculeuse. 11 a écrit pour le 27 novembre 1894, où fut célébrée si solennellement pour la première fois l'apparition de la Vierge miraculeuse, deux pièces dignes de son talent :
i" Tola pulchra es, choeur à 3 voix ;
2° Un Cantique à la Très Sainte Vierge :
Reine du ciel, mère chérie, Répands tes dons sur les Humains.
— 6o6 —
Verse à l'Église, à la Patrie,
O Marie! Les trésors de tes mains.
O Médaille mystérieuse, A nos regards tu resplendis Immaculée et radieuse De la clarté du paradis, etc.
Un fils de saint Vincent de Paul a chanté avec talent et avec amour îa gloire de son bienheureux père dans les Cantiques, hymnes, invocations, etc. à saint Vincent de Paul. Il a aussi publié : Recueil de 25 motets au Saint-Sacrement ; Recueil de Tantum ergo ; Recueil de ;>6 motets à la sainte Vierge; Souvenez-vous, prière de saint Bernard pour soprano ou ténor; Je vous salue Marie, pour voix seule, soprano et ténor; et le même, solo et choeur. Ces chants sont à une, deux et trois voi>-" avec accompagnement. La musique en est facile, pieuse, chantante et toujours en rapport avec le sens des paroles. Au presbytère Saint-Louis, à Vichy (Allier).
Après les louanges de saint Vincent, mentionnons les cantiques qui ont célébré la gloire d'un de ses fils placé sur les autels, le bienheureux Jean-Gabriel Perboyre. Les fêtes de la béatification en i8Sg et 1890 firent éclater des hymnes dont notre âme garde un souvenir ému.
La cantate de Massenet reste hors de comparaison. Ce beau chant restera comme le précieux tribut d'un talent auquel dans tous les milieux on rend un juste hommage.
Un fraternel amour inspira la musique d'une autre cantate : O choeur des bienheureux ! et celle du beau cantique : Triomphe, amour, honneur et gloire.—Au bienheureux Jean Gabriel : chant alerte et enlevant qui obtint un légitime succès.
C'est une moisson d'hymnes et de cantiques que nous recueillerions si nous étions suffisamment informés. Mentionnons : l'hymne au bienheureux : O frère vénéré, etc., poésie et musique de Ch. M.; le cantique au martyr : Salut, salut, apôtre magnanime de J.-B. Maillochaud ; enfin en langue espagnole : Himno al beato Juan Gabriel Perboyre, par D. Juan Dominguez Martinez, presbitero de la Santa Iglesia catedral de Almeria. Paroles de don Joaquin Peralta Valdivia. (Pamplona; Rada, editor)
Il resterait à étudier les pièces de poésie et de chant qui ont revêtu la forme liturgique et qui sont d'un particulier intérêt. Nous le ferons dans une autre note bibliographique, et nous nous proposons d'en faire d'assez larges citations. ;.: ' , ,
Le Gérant : C.:SCHM*E>;YER,''
TABLE DES MATIÈRES
hes Annales 206
LES FÊTES en l'honneur de la Manifestation de l'Immaculée Vierge de la Médaille miraculeuse :
La Préparation 6
Invito Sacro de S. Ém. le Cardinal-Vicaire à Rome 6
Les Fêtes à Paris : à la Maison-Mère de la Mission 11
A la Communauté des Filles de la Charité 12
Homélie de S. Ém. le cardinal Richard, archevêque de Paris . 21
Les Fêles dans les Diocèses de France. . 3o, 154
En Autriche 64, i58
En Belgique ; à Theux 156, 162
En Espagne 47, i63
En Italie 46, 164
En Portugal 176
En Pologne 176
En Asie . 177
En Afrique 180
Dans l'Amérique du Nord 72, 180
Dans l'Amérique Centrale 189
Dans l'Amérique du Sud igi
Indulgence plénière pour le jour de la Fête de la Médaille miraculeuse 202
Faculté de célébrer la fête de la Manifestation dans une église étrangère 78
Faculté de transférer la solennité de la fête de la Manifestation. 80 Faculté de célébrer chaque jour la messe votive de la Manifestation
dans la chapelle de l'apparition, à Paris 2o5
La Formule de bénédiction solennelle et d'imposition de la Médaille miraculeuse 465
LA VÉNÉRABLE LOUISE DE MARILLAC. Décret d'introduction de sa cause de béatification 473
Lettre de S. Em. le Card. Aloisi-Masella sur ce décret 477
— 6o8 —
Allocution de M. A. Fiat, sup. gén.,au salut d'action de grâces à Paris, sur ce décret 480
Lettre pastorale de Mgr de Cabrière, évêque de Montpellier, sur ce décret 482
Notice biographique de Louise de Marillac 485
Les principaux ouvrages publiés sur Louise de Marillac .... 496
L'INDULGENCE DE LA PORTIONCULE dans la chapelle des Filles de la Charité 3o5
EUROPE
FRANCE
Paris. Allocution de S. Ém. le Card. Bourret en la fête du B. JeanGabriel Perboyre, 7 nov. 1894 82
— Visite du pèlerinage d'Albi aux Reliques de saint Vincent de Paul 86
— Triduum de prières pour l'expédition de Madagascar .... 307
— Guérison attribuée à saint Vincent de Paul devant la châsse de ses reliques, 22 avril 1894 312
Notice sur Léon Brancourt, clerc de la Mission (-f 20 avril 1864). 328
A. S. R. Après une décoration. Lettre de soeur N. 499
Cholet. Protection attribuée à la Médaille miraculeuse 3a3
Grenoble. Inauguration de la nouvelle maison des Filles de la Charité 318
Hazebrouck. Guérison de la soeur Decoopman attribuée à l'intercession de Louise de Mérillac 3ig
La Teppe. Mort de M. Léon Jacob (22 fév. 1894) ?25
Mont-de-Marsan. Grâce attribuée à la Médaille miraculeuse. Soeur
Petit, 89; Semaine religieuse d'Aix 215
Primecombe. CÉuvre de retraite. M. L. Dillies 88
Saint-Servan. Retraite donnée aux marins 213
AUTRICHE
Cilli. Notice sur M. Jacques Horvat (-f 9 mars 1891). M.Maçur. 91
Graz. Compte rendu de missions. M. S^abari , . 224
Laibach. Tremblement de terre. Soeur Léopoldine Brandis, 370 ; M. U. Ne^mach, 371; nouveaux détails, 371 ; visite de S. M. l'Empereur d'Autriche 374
— 6og —
Schwarzach. Cinquantième anniversaire (20 août liSgO de la fondation de la maison des Filles de la Charité . 504
ESPAGNE
Madrid. École Maria Cristina. Soeur Thérèse Lardeur. r, . . . g5 Jerez de la Frontera. La dévotion au B. J.-G. Perboyre .... 229 Santiago de Cuba (Antilles). L'insurrection cubaine. M. Raymond
Guell 378
Las Palmas (Canaries). Notice sur ce nouvel établissement.
M. lllera 5n
IRLANDE
Mort de Mgr Laurent Gilloly, de la Congr. de la Mission (janvier 1895).
M. Patrice Boyle 232
Mill-Hill (Londres). Notice sur M. Jean Burke (-j- 7 août 1894).
M. Gavin 38o
ITALIE
Rome. Bénédiction de la chapelle de la maison Saint-Vincent des
Filles de la Charité 387
Chieri. Notice sur M. Théodore Dalfi (-f février i8g5). M. Tasso. 234
— Une fleur du séminaire interne de Chieri ; le fr. Lazare Ramella
(-J-Turin, 27 octobre 1893) 517
Lecce. Retraite et conférences d'évêques 98
POLOGNE
Cracovie. OEuvre des retraites. M. Soubieille 38
ASIE CHINE
VICARIAT DU K1ANG-SI ORIENTAL Kiou-Tou. Épreuves. M. Tamet 53o
Yao-Tcheou-Fou. L'arrivée des Filles de la Charité. M. Dauverchain 531
Rapport général sur les oeuvres. M. Bettembourg 396
40
— 6io —
VICARIAT DU TCHÉ-KIANG Visite de malades dans la plaine de Kia-Ching. Soeur JV 102
VICARIAT DU TCHÉ-LY SEPTENTRIONAL
La mission française de Pékin 238
Pékin. La guerre sino-japonaise. M. Alph. Favier, 99, 242. Soeur Jaurias 243, 3g2
Tien-tsin. La guerre et les blessés. Soeur Dereu.. 3g5
VICARIAT DU TCHÉ-LY OCCIDENTAL Nouvelles de la guerre sino-japonaise. Soeur Guerlain 3g3
PERSE
Rapport général sur les oeuvres des Missionnaires et des Filles de la Charité. M. Bettembourg 533
SYRIE
Rapport général sur les oeuvres des missionnaires et des Filles de la
Charité. M. Bettembourg 407
Akbès. Fête de la Médaille miraculeuse; les oeuvres. M. Clément. 245
AFRIQUE
Coup d'ceil rétrospectif sur la mission d'Abyssinie. ...... 247
AMÉRIQUE
AMÉRIQUE DU NORD
ÉTATS-UNIS
Vie de M. Félix de Andreis (suite et fin) 108, 256
Vie de Mgr Jean-Marie Odin, archev. de la Nouvelle-Orléans. M. l'abbé
Bony 427> 54°
Emmitsburg. Visite de M. O'Callaghan dans la province. . . . 107
Saint-Louis Missouri. Inauguration du nouvel hôpital d'aliénés confié
aux Filles de la Charité 539
6ri
MEXIQUE
TVlonterey. État du séminaire conciliaire et des autres oeuvres. M. Bruno Alvare^ 58/
AMÉRIQUE CENTRALE Limon (Costa Rica). État des oeuvres. M. Krautwig 296
AMÉRIQUE DU SUD
Relation delà visite faite par Mgr Crouzet; vue générale sur les oeuvres de la République argentine : Paraguay, etc 5q2
PARAGUAY L'Assomption; voyage. Les oeuvres. M. Delpech 459
PÉROU
■Lima. La guerre civile; détails. Soeur Castagnet, 462; soeur Perrot, 453; M. Miviellc 455
Aréquipa. La guerre civile; les oeuvres des missionnaires. M. Duhamel 5gg
RÉPUBLIQUE ARGENTINE •San Juan de Cuyo. Tremblement de terre. M. Heck 145
■OEuvre de la Sainte-Agonie. Bref de Léon XIII 144
Archiconfrérie de l'OEuvre des campagnes 304
Grâces attribuées à l'intercession du bienheureux J.-G. Perboyre 128, 297, 460, 602
— à l'eau de Saint-Vincent 602
•— à la Médaille miraculeuse 6o3
BIBLIOGRAPHIE
La vie et les écrits de saint Vincent de Paul 210
Biographie de missionnaires 207
Les principaux ouvrages publiés sur Louise de Marillac 496
— 6l2 -—
Manuel de piété à l'usage des séminaires de la Congr. de la Mission 5ooNotes
5ooNotes 21. Sacre fun^ioni parrochiali, par M. de Amicis, C. M., 299. — 22. Étude de chant grégorien, par M. D. Choisnard, C. M., 299.—23. Méthode pour apprendre rapidement le grec moderne, par M. Nicolas Murât, C. M., 3oo. — Méthode en caractères latins pour apprendre facilement la langue turque. 2e édition, soigneusement revue et corrigée. Lexique turc-français. Lexique français-turc, 3oo. — 24. Noechstenliebe des Knaben Vincent von Paul. Dramatische Kinder-Idylle in einem Aufzug, 3oo.. — 2&. Manuel de la langue tigrai, par J. Schreiber, prêtre de la Congrégation de la Mission, 002 — 26. Acta martyrum et sanctorum. Ecu. Paulus Bedjan, C. M., 3o3. — 27. Mgr Jean-Baptiste Anouilh, de la Congrégation de la Mission, coadjuteur de Pékin,, vicaire apostolique du Tchely occidental, par l'abbé J.-Th. Sentenac, 461. — 28. Histoire des séminaires de Bordeaux et de Ba^as, par T'abbé L. Bertrand, 462. — 29. Mémoire historique sur le séminaired'Angouléme, par M. Rosset, C. M., 462. — 3o. Le Grand séminaire de Montauban et les prêtres de la Mission avant la Révolution, par C. Daux, 463.— 3i. Saint Vincent de Paul et la Congrégation à Saintes et à Rochefort, par Louis Audiat, 463. — 32. Les premiersmartyrs de l'oeuvre de la Sainte-Enfance, à Tien-tsein (par Capy, C. M.), 604. — 33. Vie du bienheureux Jean-Gabriel Perboyre, en: hollandais (frère Aloysius), 604. — 34. Hymnes et Cantiques : En l'honneur de saint Vincent de Paul, l'abbé Gravier; Le mot du Guet, P. A. Blanchet, 6o5. — En l'honneur de la Médaille miraculeuse, Aloys Kunc. — Cantiques, hymnes à saint Vincent de Paul, etc., par Fr. Dellerba, C. M., 606. — Au bienheureux J. Perboyre :• Cantate de Massenet, 606; O choeur des bienheureux, par Dellerba, C. M.; le cantique Triomphe, amour, par Clément Vidal, C. M.; Cantique, par J.-B. Maillochaud; hymne, par. D.Juan Dominguez Martinez, 606. ', . T -
FIN DU TOME LX
Imp. D. Dumoulin et C'0', à Paris.
Supplément aux Annales de la Congrégation de la Mission
ANNÉE 1895 — N° 3
50 Cantiques notés pour UÏ\ son!
Le plus parfait de tous les Manuels parus jusqu'à ce jour pour la concordance rythmique
Une excellente musicienne, ta très digne Mère Gcorgina, supérieure des Dames du Sacré-Coeur, à Confiai! s, près Paris, proclame, « après examen attentif, ce travail plus entièrement y> réussi que ceux des autres auteurs qui ont entrepris la correction du désaccord si fréquent » entre les paroles et la musique. » — Voici le témoignage de MGR COERET-YAKIN, évoque d'Agen : « Choix heureux des plus beaux cantiques connue, concordance rythmique par)> faite... .l'hésité d'autant moins à vous donner ces éloges que dans mes tournées pastorales, » j'ai souvent eu l'occasion de constater avec regret combien certains recueils ont des » défauts opposés aux qualités qui distinguent le vôtre... »
Aussi plusieurs petits séminaires, plusieurs institutions et de nombreux pensionnats de Paris, Lyon, etc., ont adopté l'édition en musique.
Le mieux adapté aux besoins des OEuvres des Soeurs
Soeur Bouclier, itlie de la Charité, à Fresnoy-le-Grand : « Votre délicieux Manuel répond » admirablement aux besoins de nos oeuvres. » — Soeur Nathalie, a Montoiieu : « Ces cantiques sont parfaits sous tous les rapports. Xous faisons des voeux ); pour que ces jolis manuels soient demandés par millions... » etc., etc.
Le plus entraînant pour les Missions
M'.;n FAVA, évoque do Grenoble, ancien missionnaire, écrit : « Bien cher père, merci de vos » 50 cantiques ; ils soiu- très simples, très populaires ; ce livre est on ne peut pins pratique et » d'un bon marché incroyable... Ce sont dis catéchistes à leur manière. Avec ce petit >J bataillon, curés et missionnaires, m'écrivait un de mes professeurs de musique, » peuvent entraîner tout un peuple et mettre le feu à l'église en faisant » chanter tout le monde. Je vous félicite. Tout vôtre en N. S.
» -;* AitMAxrj-JosiuMi, évoque de Grenoble. »
Le plus pratique comme Manuel paroissial et catéchistique
Il est suflisamment complet : ce C'est bien assez do 50 cantiques bien choisis pour une année, » écrivait à l'auteur le vénérablo Supérieur de Saint-Sulpice. Il existe des Manuels de deux ou trois cents cantiques, mais ils contiennent d'inévitables médiocrités. On utilise quelqxtcs numéros de ces Manuels, on en laisse les trois quarts. Le présent recueil s'en tient strictement aux chefsd'oeuvre. — Le curé de Montigny (Aisne) s'exprime en ces termes : « G'est un vrai trésor » pour nous, curés ! i>
Le plus agréable et le mieux illustré
Mon BILLABD, évoque de Carcassonne : te A l'expression de ma reconnaissance pour
» l'apôtre, je joins celle de mon admiration pour l'artiste. Vous n'avez rien négligé, en effet, pour » faire de votre oeuvre, si petite on apparence, mais si belle dans son but et si importante dans » ses résultats, un véritable trésor h mettre entre les mains des enfants. Le choix des cantiques » appropriés aux principales circonstances de l'année liturgique et de la vie chrétienne, vot: e » ingénieux système de notation, les dessins dont votre crayon a orné les pages, » tout concourt à rendre votre Manuel aussi agréable qu'utile. »
Le plus laborieusement composé
Il a fallu doux années d'un travail assidu pour l'amener à son point do perfection. Pour faire la plupart des autres Manuels, il a sulii de quelques heures de travail et d'une paire de ciseaux. « Les faciles auteurs do ces recueils n'ont aucune idée des mille fausses coupures qu'ils laissent » passer, et des choses grotesques qu'ils font chanter. ))
Le moins cher de tous
Mou BILLARD : « Vous avez renoncé à toute idée d'intérêt pécuniaire pour ne regarder que la » gloire de Dieu et le bien des âmes. » — MGR BAPT1FOLIEII, évoque de Monde : « Peur la » modicité du prix, c'est un vrai tour de force. »
Supplément aux Annales de la Congrégation de la Mission
ANNÉE 1895 — N° 3
50 Cantiques notés pour Un sou!
5KX
Le plus parfait de tous les Manuels parus jusqu'à, ce jour pour la concordance rythmique
t'ne excellente musicienne, la très cligne Mère Georgina, supérieure des Dames du Sacré-Coeur, ù Gonflans, prés Paris, proclame, « après examen attentif, ce travail plus entièrement » réussi que ceux des autres auteurs qui ont entrepris la correction du désaccord si fréquent » entre les paroles et la musique. » — Voici le témoignage de Myn CQ^RET-VAIÏIN, évèquc d'Agon : « Choix heureux des plus beaux cantiques comnis, concordance rythmique par» faite... .l'hésite d'autant moins à vous donner ces éloges que dans mes tournées pastorales, » j'ai souvent eu l'occasion de constater avec regret combien certains recueils ont des » défauts opposes aux qualités qui distinguent le vôtre... »
Aussi plusieurs petits séminaires, plusieurs institutions et de nombreux pensionnats de Paris, Lyon, etc., ont adopté l'édition en musique.
Le mieux adapté aux besoins des OEuvres des Soeurs
Soeur Hoiulicr. Mlle de la Charité, à ÏYesnoy-îc-G ranci : « Votre délicieux Manuel répond » admirablement aux besoins de nos oeuvres. » — Soeur Nathalie, à Montoiieu : « Ces cantiques sont parfaits sous tous les rapports. Xous faisons des voeux )> pour que ces jolis manuels soient demandés par millions... » etc., etc.
Le plus entraînant pour les Missions
Mun FAVA. évèquo de Grenoble, ancien missionnaire, écrit : « lîien cher père, merci de vos )> 50 cantiques ; ils sont très simples, très populaires ; ce livre est on ne peut plus pratique et » d'un bon marché incroyable... Ce sont dis catéchistes à leur manière. Avec ce petit ■» bataillon, curés et missionnaires, m'écrivait un de mes professeurs de musique, » peuvent entraîner tout un peuple et mettre le feu à l'église en faisant » chanter tout le inonde, Je vous félicite. Tout vôtre en is. S.
» *|* Ait.MAXD-JosKi'H, évèquc de Grenoble. »
Le plus pratique comme Manuel paroissial et catéchistique
Il est suffisamment complet : « C'est bien assez do 50 cantiques bien choisis pour une année, » écrivait à l'auteur le vénérable Supérieur de Saint-Sulpice. 11 existe des Manuels de deux ou trois cents cantiques, mais ils contiennent d'inévitables médiocrités. On utilise quelques numéros de ces Manuels, on en laisse les trois quarts. Le présent recueil s'en tient strictement aux chefsd'oeuvre. — Le curé de Montigny (Aisncj s'exprime en ces termes : « C'est un vrai trésor » pour nous, curés ! »
Le plus agréable et le mieux illustré
MGI: BILLAlïD, évoque do Careassonne : « A l'expression de ma reconnaissance pour
» l'apôtre, je joins celle de mon admiration pour l'artiste. Vous n'avez rien négligé, en effet, pour » faire do votre oeuvre, si petite en apparence, mais si belle dans son but et si importante dans » ses résultats, un véritable trésor à mettre entre les mains des enfants. Le choix des cantiques » appropriés aux principales circonstances de l'année liturgique et dû la vie chrétienne, voti e » ingénieux système de notation, les dessins dont votre crayon a orné les pages, » tout concourt à rendre votre Manuel aussi agréable qu'utile. »
Le plus laborieusement composé
Il a fallu deux années d'un travail assidu pour l'amener à son point de perfection. Pour faire la plupart des autres Manuels, il a suili de quelques heures de travail et d'une paire de ciseaux. « Les faciles auteurs de ces recueils n'ont aucune idée des mille fausses coupures qu'ils laissent » passer, et des choses grotesques qu'ils font chanter. ))
Le moins cher de tous
MGR BILLAlîD : « Vous avez renoncé à toute idée d'intérêt pécuniaire pour ne regarder que la » gloire do Dieu et le bien des âmes. » — Mail BAPTIFOLTEK, évoque de Monde : « Peur la » modicité du prix, c'est un vrai tour de force. »
Les cantiques chantés à l'unisson par tout le monde sont plus dans l'esprit de l'Église, et produisent un effet plus saisissant que les cantiques chantés en parties.
C'est un mauvais système à tous égards, de mettre sempiternellement en évidence un petit groupe de demoiselles chanteuses à l'exclusion dos autres. Les cantiques qui partent du coeur de tous, comme à Lourdes, comme dans les missions, produisent une émotion bien plus profonde. Sans condamner l'usage restreint des cantiques en parties, disons qu'il vaut mieux faire chanter tout le monde à l'unisson, comme les anges, uno. voce dicentes.
MGIÎ L'FVÊQUE D'AGrEN écrit à l'auteur : « Si la masse des fidèles no prend part à la pompe » du culte divin, la fête est incomplète... Le puissant unisson des voix de tout un peuple, » si admirable d'ailleurs au point de vue artistique, doit être considéré aujourd'hui comme nu » des m illeurs auxiliaires de la vitalité religieuse et de la résurrection chrétienne d'un pays. » (J'ajouterai de la vitalité des congrégations d'Enfants de Marie.)
» Je souhaite à ce modeste recueil, que le prix si modique de 5 centimes met à la portée y> des bourses les plus pauvres, le succès qu'il mérite ; puisse-t-il se répandre par centaines et par » milliers dans toutes les paroisses ! »
Avertissement sur la Notation ingénieuse
qui permet d'apprendre et de retenir aisément les airs sans
savoir la musique
« Cette notation en chiffres de l'édition à un sou, dit MGIÏ CQSUPvET-VAItTN, permet au plus » ignorant de chanter sans erreur possible de mesure et aussi d'intervalle. Et ceci n'est point un » mince résultat.» Désirez-vous des détails plus considérables ? Faites-en la demande, et vous recevrez franco et f/ratis une dissertation imprimée sur cette matière. D'ailleurs, vous trouverez à la dernière page de chaque exemplaire une méthode très sufiisante de la notation ingénieuse qui i s'apprend en tin quart d'heure. Si ce temps vous semble encore trop long, et si vous n'éprouvez aucun désir d'apprendre la musique, fût-ce par une méthode extra-facile, ne rejetez pas pour cela le manuel à un sou : il garde ses autres avantages, et conserve, sur tous les autres Manuels, une supériorité bien établie par ailleurs.
On vous conseille toujours d'acheter quelques exemplaires en musique ordinaire, conjointement avec une ou plusieurs centaines d'exemplaires do l'édition chiffrée. /*-
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L.E MOT DU GUET /
CANTIQUE A SAINT VINCENT-DE-PAUL f
Les paroles du Mot du Guet sont dans le Manuel des 50 cantiques, mais la musique nKJ'y trouve pas ; il faut la demander ù part, avec accompagnement d'orgue et beau frontispice/*— Prix net : 0 fr. 75.
I M A G E S " S E N T E N C E S
DE SAINT VINCENT-DE-PAUL ET DE LOUISE DE MAR1LLAC
Ces images sentences sont destinées aux Soeurs et aux Enfants do Marie. Elles portent ces mots en titre : Souvenir de la Retraite 189:.. "Un portrait do sain:. Yincent, d'une remarquable finesse d'expression, se trouve sur ces images, qui ont été exécutées sur papier porcelaine, minutie.isemeii: et uno h une, comme on fait pour les eaux-fortes et les gravures d'art. — 20 sujets différents. iLes quatre dernières sentences couviennent spécialement aux Soeurs.)
Pour les personnes du monde, les mêmes images existent (10 sujets), no portant pas le titre : Souvenir de la Retraite...
Prix : 50 centimes le paquet do 12, port 5 centimes. — Remises : 7 paquets pour 6 ; 15 pour 12 ; 32 pour 25 ; 70 pour 50 ; 150 pour 100.
ATTESTATIONS
pour Distributions de Prix
Composées exclusivement pour les écoles des Filles de la Charité, ces attestations, si jolies et à si bon marche, n'auront plus d'autre tirage passé l'écoulement do celui-ci ; on fora donc bien de faire sa provision ù l'avance.
Prix : 50 centimes le paquet de 40, port 5 centimes.
Oucrthuv, lionnes (5CG-95)
Les cantiques chantés à l'unisson par tout le monde sont plus dans l'esprit de l'Église, et produisent un effet plus saisissant que les cantiques chantés en parties.
C'est un mauvais système à tous égards, de mettre scmpitcrncllement en évidence un petit groupe de demoiselles chanteuses à l'exclusion des autres. Les cantiques qui partent du coeur de tous, comme à Lourdes, comme dans les missions, produisent une émotion bien plus profonde. Sans condamner l'usage restreint des cantiques eu parties, disons qu'il vaut mieux faire chanter tout le inonde à l'unisson, comme les anges, iina voce dicenien.
Mt;n ÎVKYKQUE D'ÀGEN écrit à l'auteur : « Si la masse des fidèles ne prend part à la pompe » du culte divin, la fête est incomplète... Le puissant unisson des voix de tout un peuple. » si admirable d'ailleurs au point de vue artistique, doit ci rc considéré aujourd'hui comme un >; des m illeurs auxiliaires de la vitalité religieuse et do la résurrection chrétienne d'un pays. >> (J'ajouterai de la vitalité des congrégations d'Enfants de Marie.)
)> Je souhaite à ce modeste recueil, que le prix si modique de 5 centimes met à la portée )» des bourses les plus pauvres, le succès qu'il mérite ; puissj-t-il se répandre par centaines et par )• milliers dans toutes les paroisses ! »
Avertissement sur la Notation ingénieuse
qui permet d'apprendre et de retenir aisément les airs sans
savoir la musique
« Cette notation en chiffres de l'édition à un sou, dit Mon COEUKET-YA1UN, permet au plus » ignorant de chanter sans erreur possible de mesure et aussi d'intervalle. lit ceci n'est point un )> mince résultat.» Désirez-vous des détails plus considérables V Faites-en la demande, et vous recevrez franco et yratis une dissertation, imprimée sur cette matière. D'ailleurs, vous trouverez à la dernière page de chaque exemplaire uno méthode très sullisante de la notation ingénieuse qui.s'apprend en un quart- d'heure. Si ce temps vor.s semble encore trop long, et si vous n'éprouvez aucun désir d'apprendre la musique, fut-ce par une méthode extra-facile, ne rejetez pas pour cela le manuel à un son : il garde ses autres avantages, et conserve, sur tous les autres Manuels, une supériorité bien établie par ailleurs.
On vous conseille toujours d'acheter quelques exemplaires en musique ordinaire, conjointement avec une ou plusieurs centaines d'exemplaires do l'édition chiffrée.
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LE MOT DU GUET /
CANTIQUE A SAINT VINCENT-DE-PAUL ;
Les paroles du Mot du Guet sont dans le Manuel des 50 cantiques, mais la musique nKs'y trouvo pas; il faut la demander à part, avec accompagnement d'orgue et beau frontispice/*— Prix net : 0 fr. 75.
IMAGES-SENTENCES
DE SAINT VINCENT-DE-PAUL ET DE LOUISE DE MARILLAC
Ces images sentences sont destinées aux Soeurs et aux Enfants de Marie. ISlles portent ces mots en titre : Souvenir de la Retraite 189:.. "Un portrait do sains Vincent, d'une remarquable finesse d'expression, se trouve sur ces imagos, qui ont été exécutées sur papier porcelaine, minutïeasemen-. et une à une, comme on fait pour les eaux-fortes et les gravures d'art. — 20 sujets différents. iLes quatre dernières sentences conviennent spécialement aux Soeurs.)
Pour les personnes du monde, les mêmes images existent (10 sujets)., no portant pas le titre : Souvenir de la Retraite...
l*rix : 50 centimes le paquet de 12, port 5 centimes. — Hemiscs : 7 paquets pour 6 ; 15 pour 12 ; 32 pour 25 ; 7u pour 50 ; 150 pour 100.
ATTESTATIONS
pour Distributions de Prix
Composées exclusivement pour les écoles des ïilles de la Charité, ces attestations, si jolies et à si bon marché, n'auront plus d'antre tirage passé l'écoulement de celui-ci ; on fera donc Mon de faire sa provision à l'avance.
Prix : 50 centimes le paquet de 40, port 5 centimes.
CUjei'thur, Keimos (5UG-95)