UV. III, CHAP, III. 96
S 30. — Des motifs honnêtes, et des motifs vicieux.
J'appelle motifs honnêtes et louables, ceux qui sont pris du bien de l'Etat, du salut et du commun avantage des citoyens. Ils ne vont point sans les raisons justificatives, car il n'est jamais véritablement avantageux de violer la justice. Si une guerre injuste enrichit l'Etat pour un temps, si elle reetde ses frontières, elle le rend odieux aux autres Nations, et l'expose au danger d'en être accablé. Et puis, sont-ce toujours les richesses et l'étendue des domaines qui ton t le bonheur des Etats? On pourrait citer bien des exemples; bornons-nous à celui des Romains. La république romaine se perdit par ses triomphes, par l'excès de ses conquêtes et de sa puissance. Rome, la maîtresse du monde, asservie à des tyrans, opprimée sous le gouvernement militaire, avait sujet de déplorer lessuccès de ses armes, de regretter les temps heureux où sa puissance ne s'étendait pas au dehors de l'Italie, ceux-là même où sa domination était presque enfermée dans l'enceinte de ses murailles.
Les motifs vicieuoe sont tous ceux qui ne se rapportent point au bien de l'Etat, qui ne sont pas puisés dans cette source pure, mais suggérés par la violence des passions. Tels sont l'orgueilleux désir de commander, l'ostentation de ses forces, la soif des richesses, l'avidité des conquêtes, la haine, la vengeance.
S 31.— Guerre dont le sujet est légitime, et les motifs vicieux.
Tout le droit de la Nation, et par conséquent du souverain, vient du bien de l'Etat, et doit se mesurer sur cette règle. L'obligation d'avancer et de maintenir le vrai bien de la société, de l'Etat, donne à la Nation le droit de prendre les armes contre celui qui menace ou qui attaque ce bien précieux. Mais si, lorsqu'on lui fait injure, la Nation est portée à prendre les armes, non par la nécessité de se procurer une juste réparation , mais par un motif vicieux, elle abuse de son droit : le vice du motif souille des armes qui pouvaient