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Notice complète:

Titre : Bulletin de la Société archéologique du Gers

Auteur : Société archéologique, historique, littéraire et scientifique du Gers. Auteur du texte

Éditeur : Impr. L. Cocharaux (Auch)

Date d'édition : 1912

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34451430x

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb34451430x/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

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Description : 1912

Description : 1912 (A13).

Description : Collection numérique : Arts de la marionnette

Description : Collection numérique : Fonds régional : Midi-Pyrénées

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k5602771j

Source : Société archéologique du Gers

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 19/01/2011

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BULLETIN

DE LA

DU GERS

XIIIme ANNÉE. — 1er Trimestre 1912

AUGH

IMPRIMERIE BREVET

18, RUE DE LORRAINE, 18

1912


SOMMAIRE

Pages.

Liste des membres de la Société Archéologique du Gers 5

Bureau de la Société pour l'année 1912 11

Le maître Guillaume de Carlat dans la tentative d'envoûtement de Bernard VII

d'Armagnac, par M. le comte de DIENNE 13

Une réclame de notaire au XVIIIe siècle, par M. R. PAGEL .... 23

Étude sur le docteur Auguste-Prosper Filhol, médecin et annaliste d'Auch, par

M. Léon BOMPEIX 31

Coutumes de Turutel (commune d'Auradé), par M. Paul LAPORTE 45

Réduction des consuls de l'Isle-Jourdain de sept à quatre, le 12 janvier 1484, par

M. SAVERNE 56

Un cippe funéraire trouvé à Castet-Arrouy, par M. le docteur de SARDAC 62

La Société montagnarde de Fleurance pendant la période révolutionnaire, par

M. Noël CADÉOT 65

D'Artagnan, par M. A. LAVERGNE 86

Note. — Instrument de fesande de noble Bernard de Lacassagne, seigneur de La

Caussade 92

Séancedu 8 janvier 1912 94

Nouveaux membres de la Société 94, 99

Banquet du 4 janvier 1912 96

Discours de M. Lauzun 96

Séance du 11 mars 1912 99


BULLETIN

DE LA

SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS



BULLETIN

DE LA

DU GERS

TREIZIÈME ANNÉE

AUCH

IMPRIMERIE BREVETÉE LÉONCE COCHARAUX

18, RUE DE LORRAINE, 18

19 12



LISTE DES MEMBRES

DE LA

SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS

ALEM, , conseiller général, à Boulaur.

ALIÈS, , sous-ingénieur, à Éauze.

ALLIOT, entrepreneur, à Auch.

AMIOT, ingénieur des mines en retraite, à Paris.

ARCANT (Louis), propriétaire, à Montiron.

ARCHIVER DÉPARTEMENTALES DU GERS.

ARDILOUZE, greffier du Tribunal civil, Condom.

ARDIT, architecte, à Auch.

ARIES (Victor), négociant, à Auch.

ARNOUS, propriétaire, château de la Testère, Sainte-Christie (Gers).

ARRIVETS (l'abbé), curé d'Orbessan.

ARRIVETS (Noël), à Auch.

AVEILLÉ (Henry), président du Tribunal, à Villeneuve-sur-Lot.

AYLIES (Ch.), à Barran.

BAILE, sous-préfet, à Lectoure.

BAQUÉ, instituteur adjoint, à Vie-Fezensac.

BARADA (Jean), à Auch.

BARAILHÉ, docteur, à Vie-Fezensae.

BARRÉ (l'abbé), curé de Montaut.

BARRIAC, conducteur des Ponts et Chaussées, à Fleurance.

BARRIAC, pharmacien, à Fleurance.

BARRIEU, photographe, à Fleurance.

BARRIS (Paul), à Montesquiou.

BARRY (Marc de), chef d'escadrons, à Sidi-bel-Abbès (Algérie).

BARTHE, notaire, à Auch.

BASTARD, conducteur des Ponts et Chaussées, à Mézin.

BATCAVE (Louis), avocat, à Paris.

BATZ-TRENQUELLÉON (Ch. de), à Bordeaux.

BAUBY (Léopold), avocat, à Orthez.

BAUDUER, à Auch.

BAUDY, maire, à Nérac.

BAZEX (Ch.), docteur, à Montestruc.

BAZIN (Maurice), château du BuscaManiban, à Valence.

BELLANGER, professeur, à Auch.

BÉNAC (l'abbé), vicaire général, à Auch.

BÉNÉTRIX (Paul), bibliothécaire de la ville d'Auch.

BERNARDIE (de La), capitaine au 9e chasseurs, rue du Tapis -Vert, à Auch.

BEZOLLES, propriétaire, à Montréal (Gers).

BIANE, à Auch.

BIBAL, conseiller général, à Masseube.

BIBLIOTHÈQUE DE LA VILLE D'AUCH.

BIBLIOTHÈQUE DE LA VILLE DE FLEURANCE.

BIBLIOTHÈQUE DE LA VILLE DE MIRANDE.

BLAJAN (l'abbé), à Masseube.

BLUEM, capitaine au 9e de ligne, à Agen.

BOMPEIX, interne à l'Asile, à Auch.

BONASSIES (Louis), avocat, à Auch.

BONNAT, archiviste de Lot-et-Garonne, à Agen.


6

SOCIETE ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

BONNEMAISON (Mlle), à Lectoure.

BONNET (Jules), négociant, à Auch.

BOUBÉE (de), à Lectoure.

BOUBÉE (Louis), I. à Auch.

BOUÉ DU BOISLONG, notaire, à Lectoure.

BOUQUET (Théodore), à Auch.

BOURGADE (Paul), à Auch.

BOUSSÈS (Antoine), receveur de l'Enregistrement.

BOUSSÈS (Pierre), juge de paix, à Jegun.

BOUTAN (Auguste), directeur de la Compagnie du gaz, à Lyon.

BOUZIGON, maire de Courrensan.

BRANET (Alphonse), à Auch.

BRÉGAIL (G.), professeur au Lycée.

BRESSOLLES, commis principal des Contributions indirectes, à Auch.

BROCA (de), capitaine au 88e de ligne, à Auch.

BROQUA (Joseph de), château de Prémeaux (Côte-d'Or).

BROUZES, I, économe au Lycée, à Auch.

BRUX (Joseph de), à Castelnau-Barbarens.

BURGALAT (Mme), (Pierre de Libertad), à Auch.

BURGEAT, négociant, à Auch.

CABANNES (René), négociant, à Auch.

CABIRAN (docteur), à Seissan.

CABIRAN, à Pessan.

CADÉOT (Noël), maire de Fleurance.

CADÉOT, à Lectoure.

CADÉOT, pharmacien, au Saint-Puy

(Gers). CAILLAVET, receveur de l'Enregistrement,

à Cadillac (Gironde). CALCAT (Pierre), juge d'instruction, à

Bellac. CALVETOU, rédacteur à la Préfecture,

rue Garibaldi, à Auch. CAMPISTRON (l'abbé), curé de Labarthe. CANDELON, avoué, à Lectoure. CANTAU, négociant, à Simorre. CANTÉRAC (docteur), à Castéra-Verduzan. CARCY (Ant.), à Sainte-Mère (Gers). CARRÈRE (Henri), à Marciac. CARRÈRE (Alban), à Nérac.

CARSALADE DU PONT (Mgr de), évêque

de Perpignan. CARDE (l'abbé), curé de Laroque-Ordan. CARDES (Gabriel de), à Auch. CARRAU, commandant en retraite, à

Auch. CASSAGNAC (Guy de), à Paris. CASTAIGNON (Eugène)., à l'Isle-de-Noé. CASTELBAJAC (l'abbé de), curé-doyen de

l'Isle-Jourdain. CASTELBAJAC (le marquis de), au château de Caumont. CASTEX (Émile), château du Mail,

près Gondrin. CASTEX (Paul), caissier de la Caisse

d'épargne, à Auch. CASTEX (Paul), président du tribunal,

à Lectoure. CASTÉRA (Raymond), conducteur des

Ponts et Chaussées, à Vic-Fezensac. CASTÉRA (Urbain), sous-ingénieur des

Ponts et chaussées, à Nérac. CAZAUBON ( Antonin ), instituteur en

retraite, à Saint-Mézard (Gers). CAZENAVE, à la Rochette, près Pessan. CAZENOVE, à Lectoure. CÉNAC (Henri), substitut, à Marseille. CÉZÉRAC (Mgr), évêque de Cahors. CHANCHUS, instituteur, à Labarrère. CHAUVELET, à Auch. CHÈNE, vétérinaire, à Auch. CHEVALIER-LAVAURE (docteur), Auch. CHER (Charles), avoué, à Lectoure. CIEUTAT (Léon), président de

chambre à la Cour d'Appel, à Agen. CLÉMENS (l'abbé Léon), curé, Valence. CLERGEAC (l'abbé Adrien), à Auch. CLERMONT (l'abbé), curé, à Lias (Gers). COCHARAUX (Frédéric), à Auch. COCHARAUX (Léonce), à Auch. CORNUAULT (André), ingénieur, à Paris. COUEDIC DU COSTQUER, lieutenant au

9e chasseurs, à Auch. COURNET (Joseph), ingénieur, à Samsoun

(Turquie d'Asie). COURNET (J.-Gabriel), juge, à Vesoul

(Haute-Saône).


LISTE DES MEMBRES.

COURNET (Lucien), à Auch.

COURNET, pharmacien, à Auch.

COURS (Jean de), à Auch.

COUSTAU (Henri), à Auch.

COUSTAU (Fernand), chirurgien-dentiste,

à Auch. CROISET (Georges), proviseur

honoraire, à Auch.

DAGASSAN, juge, à Auch.

DAMBIELLE (l'abbé), pro-curé, à Samatan.

DANDOUAU (Albert), directeur de l'École Européenne, à Analava (Madagascar).

DANDREY, instituteur, à Montréal.

DARBLADE (l'abbé), curé de Courrensan.

DARÉES (l'abbé), curé de Blaziert.

DARNÉ (Henri), à Fleurance.

DARTIGUES, avocat, à Auch.

DAUGÉ (l'abbé), curé de Saint-Lary.

DAUTOUR, juge de paix, à Plaisance.

DÉBATS, professeur en retraite, rue de Metz, à Auch. DÈCHE, instituteur, à Saint-Lary.

DELLAS (François), avocat, à Auch.

DELOM (Joseph), capitaine aux affaires indigènes (Tunis).

DELON (Gabriel), notaire, à Auch.

DELON (Henri), avoué, à Auch.

DELPECH-CANTALOUP, conseiller général, à Saint-Clar.

DELMAS DE CAMBACÉRÈS, route de Toulouse, à Auch.

DELPRAT, pharmacien, à Auch.

DELRIEU, sculpteur, à Gimont.

DELSUS (l'abbé), curé de Pavie.

DELUCQ (docteur), maire de Vie-Fezensac.

DEPIS, substitut du procureur de la République, à Auch.

DEPIS (A.), à Lectoure.

DESPAUX (Charles), à Auch.

DESTIEUX-JUNCA, sénateur, à Sorbets.

DESTIT, juge, à Auch.

DESTIVAL (Charles), directeur des mines d'Espinac (Saône-et-Loire).

DEUPÉS (François), à Auch.

DEVILLE, à Manent-Montané.

DIEUZAIDE (le docteur), à Lectoure.

DILHAN, à Auch.

DISCORS (Emile), chef d'escadrons en retraite, à Toulouse.

DOAZAN, à Fleurance.

DONNODEVIE (André), à Lectoure.

DOUAT (Mme), à Miélan (Gers).

DOUJAT (baron), à Auch.

DRUILHET (Adrien), à Valence.

DUBÉDAT (Jean), docteur, à Saint-Sever.

DUBIE, lieutenant au 9e chasseurs, Auch.

DUBOURDIEU, notaire, au Saint-Puy.

DUCASSÉ (l'abbé), chanoine, à Auch.

DUCLOS, contrôleur principal des Contributions directes, à Auch.

DUCOM, substitut, à Mirande.

DUCURON (l'abbé), ex-aumônier de l'escadre de l'Extrême-Orient, à Auch,

DUFFAU, pharmacien, à Sos (Lot-et-Gar.).

DUFOURC, propriétaire, à Auch.

DUFRÉCHOU (Gabriel), à Toulouse.

DULAC (Édouard), publiciste, à Paris.

DULUC (A.), ingénieur civil, à Lectoure.

DULUC, à Fleurance.

DUMAS (Prosper), à Auch.

DUPEYRON (Joseph), propriétaire, à SaintArailles.

DUPLANTÉ-MARCEILLAC (Bernard), à Leucate (Cologne-du-Gers).

DUPONT (François), élève à l'école des Chartes, Paris.

DUPOUY (le docteur Édouard), conseiller général, à Auch.

DUPRAT, à Auch.

DUPUCH, capitaine au 9e de ligne, Agen.

DUPUY, maire, à Puycasquier.

DUPUY (l'abbé), à Auch.

DUPUY (l'abbé), curé de Bivès.

DUPUY-LABARTHE (René), à Condom.

DURRIEUX, avocat, à Lectoure.

DUSSERT, notaire, à Montestruc.

Dussuc, à Magnas.

DUTHUZO (Robert), à Montauban.

EMBASAYGUES, à Saverdun (Ariège). ENCOGNÈRE, avoué, à Auch. ESPAGNAT (l'abbé), curé-doyen, à Cazèressur-Garonne (Haute-Garonne).


8 SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

ESPIAU, à Auch.

ESQUIEUBET (l'abbé), curé de Miramont. ESTÉVENET (l'abbé), curé de Belmont. EYDOUX (le général), en mission en Grèce.

FABRE, négociant, route de Roquelaure, à

Auch. FAULONG (Joseph de), propriétaire, à

Valence, FAVERON (Jean), négociant, à Auch. FERRAS (docteur), Éauze. FEUGA (Joseph), instituteur, à l'IsleBouzon.

l'IsleBouzon. notaire, à Vie-Fezensac. FONTAN (Marius), propriét., à Aignan. FONTENILLES (de la Roche-Fontenilles,

marquis de), à Paris. FONTIN (Auguste), à Perpignan. FRANCOU, architecte, à Auch.

GABARROT (Paul), à Beaumarchés. GALARD-CAPTAN (le marquis de), château

de Captan (Landes). GALARD-MAGNAS (Mme la vicomtesse de),

membre de la Société des bibliophiles

français, à Paris. GALARD-TERRAUBE (vicomte de), à Sirac. GARDÈRE (Joseph), biblothécairearchiviste,

biblothécairearchiviste, Condom. GAUTÉ, chef de bureau à la Préfecture du

Gers, à Auch. GILLY, lieutenant au 9e chasseurs, à Auch. GIRARD, ancien économe de Lycée, à

Encausse. GLANNE, avoué, à Lectoure. GONTAUT-SAINT-BLANCARD (le marquis

de), maire de Saint-Blancard. GRABIAS-BAGNÉRIS, capitaine en retraite, à Toulouse. GRENIER, à Lannepax. GRENIER, professeur de philosophie, à

Bagnères-de-Bigorre. GUÉRARD (Émile), greffier, Alais (Gard). GUILHAUMONT, commis des ponts et

chaussées, à Auch.

JAUBERT, procureur de la République, à

Lombez. JAURGAIN (de), à Cibourre (Basses-Pyr.) JOLLIS (de), docteur-médecin, Lectoure. JOURNET (Paul), à Auch. JUNCA, à Pessan.

LABADIE (l'abbé), curé de Gondrin. LABADIE (Michel), à Vie-Fezensac. LABAT, instituteur, à Berrac. LABAT (Dr Emmanuel), à La Plume

(Lot-et-Garonne). LABEDAN (Camille), à Puycasquier. LABORDE (Ludovic), à Lectoure. LABORIE (Eugène), à Auch. LABORIE (Jules), à Auterrive. LACAVE-LAPLAGNE-BARRIS (Mme), à Castelnau-d'Anglès.

Castelnau-d'Anglès. (Paul), ancien

officier, à Montesquiou. LACOMME (Auguste), sous-ingénieur des ponts et chaussées, à Auch.

LACOMME (François), pharmacien, à Auch. LACOMME (Joseph), inspecteur des Contributions directes, à Auch.

LACOSTE, pharmacien, à Auch.

LACOUTURE (l'abbé), à Mirande.

LACROIX, avoué, à Lombez.

LAFFARGUE, chef de division, à la Préfecture du Gers en retraite, à Auch.

LAFFARGUE, juge, à Lectoure.

LAFFARGUE (Paul), propriétaire, à Auch.

LAFFITE (Henri), à Condom.

LAFOURCADE (Paul), à Auch.

LAGARDE (François), avocat, à Auch.

LAGARDÈRE, notaire, à Seissan.

LAGISQUET (l'abbé), curé de Barcugnan.

LAGLEIZE (l'abbé), curé-doyen, Fleurance.

LAGNOUX, receveur des postes, à ArgelèsGazost.

LAGORCE, avocat, à Auch.

LALANNE, instituteur, à Casteln.-d'Auzan.

LAMAESTRE (François de), château de Gimat, par Vie-Fezensac.

LAMAZOUADE (l'abbé), à Auch.

LAMBERT (de), à Roques (Gers).

LANASPÈZE (Victor), à Auch.


LISTE DES MEMBRES.

LANDELLE, chirurgien-dentiste, à Auch. LANNES, sous-ingénieur des Ponts et

Chaussées, à Toulouse. LAPASSE (de), O conservateur des

Eaux et forêts, à Ajaccio. LAPEYRE (Mme), à Fleurance. LAPEYRÈRE, à Paris. LAPEYRÈRE, préposé en chef des octrois,

à Auch. LAPORTE,instituteur,à Endoufielle (Gers). LARIS (de), notaire, à Gan (Basses-Pyr.). LARY (Ernest de), château d'Olympe,

Fleurance. LARRIEU, pharmacien, à Cologne. LARRIEU (Léopold), à Auch. LARRIEU (Georges), à Auch. LARNAUDE (Ferdinand), professeur à

la Faculté de droit, à Paris. LARROUX, mécanicien principal de la

Marine en retraite, à Auch. LASSERRE (Albert), avocat, à Saint-Clar. LATOUR, ancien notaire, à Fleurance. LATREILLE (l'abbé), curé de Saint-Jeande-Bazillac.

Saint-Jeande-Bazillac. (Fernand), à Paris. LAUDET (René), à Éauze. LAURENT, percepteur, à Couhé (Vienne). LAURENTIE, à Fleurance. LAUZUN (Ph.), à Valence-sur-Baïse. LAVERGNE (Adrien), à CastillonDébats. LÉGLISE (Jean-Louis), 83, rue de la Tour,

à Paris. LÉGLISE (Gabriel), à Auch. LESTRADE, avoué, à Auch. LESTRADE (le docteur), à Auch. LESTRADE (Léon), à Pont-de-Bordes (Lotet-Garonne). LESTRADE ( Raymond ), pharmacien, à

Plaisance. LEVENS (Louis), à Paris. LÉZIAN (Etienne), à Fleurance. LOUBENS (Pierre), à Gimont. LOZES (Marcellin), à Auch. LUPPÉ (le. marquis de), membre de la

Société des bibliophiles français, Paris. LURO, juge, conseiller général, à

Bagnères-de-Bigorre.

LURO, maire de Blousson-Sérian (Gers). LUSCAN (Mme), à Pessan.

MACARY, à Saint-Georges (Gers).

MAGOULÈS, professeur au collège de

Lectoure.

MARBOUTIN (l'abbé), curé de Saint-Pierrede-Gaubert (Lot-et-Garonne).

MARMIER, lieutenant au 50e de ligne, à Périgueux.

MARMONT (l'abbé), archiprêtre de la Cathédrale, à Auch.

MARROU, substitut, à Condom.

MARSAN, employé des Postes, à Auch.

MASSIF, juge, à Lectoure.

MASSOC, à Fleurance.

MASSON, ancien avoué, à Cardeilhan (Lectoure).

MASSOTTA, à Biarritz.

MASTRON (de), à Saint-Arailles.

MATET (Maurice), à Auch.

MAUMUS (Justin), avocat, à Mirande.

MAUROUX, capitaine au 13e chasseurs, à Valence.

MAURY (Fernand), propriétaire, à SaintClar (Gers).

MAZÉRET, instituteur, à Gondrin.

MEILHAN, pharmacien, à. Marciac (Gers).

MELLIS (de), château de Bivès (Gers).

MENU (Abel), inspecteur des Postes et Télégraphes, Bordeaux.

MÉRILLON, château de Pallanne, Marciac.

MESSÉGUÉ, au Gavarret, par Montestruc.

MÉTIVIER, architecte, à Auch.

MICHELET, I, à Paris.

MIR (Armand), notaire, à Auch.

MOLAS (le docteur), I, à Auch.

MOLLIÉ (Joseph), commis de direction des Postes et Télégraphes, à Auch.

MONDON, colonel, commandant le 135e territorial, à Saint-Gaudens (HauteGaronne).

MONLAUR (Fernand de), à Seissan.

MONSARRAT (J.), négociant, à Fleurance.

MONTOUSSÉ-DULION (Louis), Toulouse.

MORTÉRA, conducteur des Ponts et Chaussées, à Condom.


10

SOCIETE ARCHEOLOGIQUE DU GERS.

MOUCHET (Mme), à Auch. MOULIÉ (l'abbé), curé de Rozès. MOURGUES, lieut. au 88e de ligne, à Auch. MOUSSARON (l'abbé), vicaire à Lectoure.

NICOLAS, propriétaire, à Seissan. NOÉ (le comte de), à l'Isle-de-Noé. NOÉ, procureur de la République, à Auch. NOGUÈS, contrôleur des Contributions

directes, à Orthez. NOIREL (Ferdinand), à Montestruc. NORGUIN (Mme), à Asnières (Seine). Nux (P.), conseiller gén., à Lectoure. Nux (Adrien), à Lectoure.

ORTHOLAN (Joseph), à Auch. ORTHOLAN (Quentin), à Auch.

PAGEL (René), archiviste du département

du Gers, à Auch. PELLETIER-DOISY (Charles), ancien officier

de cavalerie, à Auch. PELLISSON (Jean), à Condom. PÉPHAU (amiral), GO 14, rue des

Chênes, Le Vésinet (Seine-et-Oise). PÉRÈS (Paul), à Auch. PÉRIÉ (Jules), négociant, à Fleurance. PÉRIGNON (le marquis de), château de

Maravat, par Puycasquier. PEYRECAVE (abbé), Lialores. PINS (comte Odon de), château d'Aulagnères,

d'Aulagnères, Valence. PONSICO (Pierre), négociant, à Fleurance. POUY (le comte Fernand de), chef de

bataillon, à Paris. PRUÈS, O vétérinaire départ. Auch. PRUÈS (Dr), rue Joseph-Chénier, à Auch. PUECH, professeur, à Auch. PUEL, procureur de la République. PUJOS (Guillaume), vice-consul d'Espagne, à Auch.

RAVENEZ (général), Auch.

RIBADIEU, au château de Baradot, près

Vie-Fezensac. RICAU, ancien maire, à Viella. RICAU, pharmacien, à Lectoure.

RICAU (André), à Lectoure.

RISCLE (Firmin), à Mirande.

RISCLE (Théodore), à Auch.

RIZON (Joseph), propriétaire, à Berrac.

ROCOURT (Mme de), institutrice, à Miélan.

ROLLAND, greffier, à Marciac.

ROQUEMAUREL (de), à Beaupuy, par l'IsleJourdain (Gers).

ROQUES, représentant des mines de Carmaux, à Auch.

ROSSIGNOL, avocat, à Mirande.

ROZIS (Cyprien), propriétaire, à Antras.

ROUILHAN (Antoine de), à Montaut.

RUSSELL-KILLOUGH (le comte), château de Fondelin (Gers).

SAINT-AVIT (l'abbé), curé de Biran. SAINT-MARTIN, instituteur, à Simorre. SAINT-MARTIN (Louis), avocat, à Auch. SALLES, propriétaire, à Lectoure. SALLUSTE DU BARTAS (de), contrôleur des

Contributions directes, à Villeneuve. SAMALENS (Eugène), à Auch. SAMALENS (Joseph), propriétaire, à Laujuzan,

Laujuzan, Nogaro. SAMALENS (Henri), consul à Costa-Rica. SAMALENS (le docteur), maire d'Auch,

député du Gers. SAMALENS (Henri), négociant, à Auch. SAMARAN (Charles), archiviste, à Paris. SANCET (le docteur), sénateur, à Auch. SANSOT (Joseph), à Auch. SANSOT (Victor), avoué, à Auch. SARDAC (le docteur de), à Lectoure. SARRADE, commandant en retraite, à

Bernède. SARRAN (l'abbé), à Auch. SARRAT, à Aurimont.

SARRIEU, professeur au Lycée d'Auch. SAUBIAC (Alban), à Condom. SAUQUÉ, instituteur, à Lagraulet. SAVERNE, directr d'école, à l'Isle-Jourd. SENTEX (Albert), à Auch. SEILLAN (Adrien), propriétaire, Auch. SENTOUX (Auguste), ingénieur en

retraite, à Mirande. SENTOUX (le docteur), à Auch.


LISTE DES MEMBRES.

11

SEPTE (Victor), receveur municipal, à

Auch. SÈRE, ancien économe de Lycée, à Auch. SÉRÈS (Raymond), chef de division à la

Préfecture, à Auch. SERRES (Mlle Noélie), à Auch. SEXE, instituteur, à Castillon-de-Batz. SOLIRÈNE (Paul), à Paris. SOLON (René), à Auch. SOURNET, capitaine au 23e de ligne, à

Bourg (Ain).

TALLEZ (le chanoine), à Auch.

TARAVANT, à Jegun.

TARBÉS (Louis), à Auch.

TARRIEUX, à l'Isle-de-Noé.

TASTE (Jean), conducteur des Ponts

et Chaussées, à Lectoure. TATTET, à Paris.

TELMON, propriétaire, à Fleurance. TERCÉ, capitaine au 10e dragons, à Montauban.

Montauban. (Albert), pharmacien, à Auch. THORE (François), I, à Auch.

THIEERY-CAZES, député du Gers, 27 bis, boulevard Diderot, Paris.

TIERNY (Paul), ancien archiviste, château de Sautricourt (Pas-de-Calais).

TORIGNAC, notaire, à Montaut.

TOURNIER (Théodore), à Fleurance.

TOURNIER (l'abbé), curé de Laujuzan.

TOURNIER, instituteur, rue du Pont-National, à Auch.

TREILLE (le docteur), à Bassoues.

TRÉMOULET, commis principal des postes et télégraphes, à Auch.

TRILHE (le chanoine), à Auch.

TROUETTE (Maurice), négociant, à Auch.

TROUETTE (Albert), avoué, à Auch.

TROUETTE (Gabriel), professeur à l'école d'agriculture d'Alger, 17, place Hoche.

TROYES, juge-suppléant, à Lombez.

TUJAGUE, I, pharmacien, à Lombez.

VERDIER (le docteur), à Auch. VIGNAUX (l'abbé), archiprêtre, à Condom. VILLAIN, professeur en retraite, rue Baudin, à Auch.

BUREAU DE LA SOCIÉTÉ

POUR L'ANNÉE 1912.

Présidents d'Honneur : M. LE PREFET DU GERS, Mgr DE CARSALADE DU PONT, G. C. d'Isabelle la Catholique, Évêque de Perpignan.

Président : M. PHILIPPE LAUZUN, I.

Vice-Présidents : MM. ADRIEN LAVERGNE, P. LAGLEIZE et Dr DE SARDAC, I.

Secrétaires : MM. RENÉ PAGEL, ALPHONSE BRANET et Louis PUECH,

Trésorier : M. CHARLES DESPAUX.


12

SOCIETE ARCHEOLOGIQUE DU GERS.

SOCIETES QUI FONT ÉCHANGE DE LEURS PUBLICATIONS

AVEC LE BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

SOCIÉTÉ HISTORIQUE DE GASCOGNE, à Auch.

SOCIÉTÉ DE BORDA, à Dax.

SOCIÉTÉ ACADÉMIQUE DES HAUTES-PYRÉNÉES, à Tarbes.

SOCIÉTÉ RAMOND, à Bagnères-de-Bigorre.

REVUE DES HAUTES-PYRÉNÉES, à Tarbes.

SOCIÉTÉ DES LETTRES, SCIENCES ET ARTS, de Pau.

SOCIÉTÉ DES ÉTUDES HISTORIQUES DE COMMINGES, à Saint-Gaudens.

SOCIÉTÉ A RIÉGEOISE DES LETTRES, SCIENCES ET ARTS et SOCIÉTÉ DES ÉTUDES DU COUSERANS, à Saint-Girons.

ESCOLE GASTOU-FÉBUS, à Pau.

ESCOLO DERAS PIRÉNÉOS, à Saint-Gaudens.

ANNALES DU MIDI, à Toulouse.

SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU MIDI DE LA FRANCE, à Toulouse.

REVUE DES PYRÉNÉES, à Toulouse.

SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DE TARN-ETGARONNE, à Montauban.

SOCIÉTÉ D'AGRICULTURE, SCIENCES ET

ARTS, à Agen. SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DE LA CHARENTE,

à Angoulême. COMITÉ ARCHÉOLOGIQUE DE NOYON. SOCIEDAD ARQUELÒGIQUA LULIANA, à

Palma de Mallorca (Espagne). UNION PYRÉNÉENNE, 20, rue Cler, à Paris. SOCIÉTÉ D'ARCHÉOLOGIE LORRAINE, à

Nancy. REVUE MABILLON, R. P. Dom J.-M. Besse,

à Chevetogne, par Leignon (Namur),

Belgique. BULLETIN ARCHÉOLOGIQUE DES TRAVAUX

HISTORIQUES DU MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, à Paris. SOCIÉTÉ DES ÉTUDES DU LOT, à Cahors. SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DE CONSTANTINE

(Algérie). RÉPERTOIRE D'ART ET D'ARCHÉOLOGIE,

19, rue Spontini, Paris.

COMISSION DE MONUMENTOS HISTORICAS

DE NAVARRA, Pamplona.


SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE

DU GERS

COMMUNICATIONS.

LE MAITRE GUILLAUME DE CABLAT

DANS LA

TENTATIVE D'ENVOUTEMENT DE BERNARD VII D'ARMAGNAC,

PAR M. LE COMTE DE DIENNE 1.

Elle est bien curieuse l'histoire de cette tentative d'envoûtement de Bernard VII d'Armagnac par son cousin le comte de Pardiac, en l'an de grâce 1400, alors qu'une lutte sans merci était engagée, depuis longtemps déjà, entre ces deux branches de la même famille, et que les intéressés ne reculaient devant aucun moyen pour arriver à leurs fins.

C'est avec force détails inédits que nous la raconte M. le comte de Dienne, si versé par ses travaux antérieurs dans l'étude des faits et gestes des d'Armagnac; et si, par le rôle qu'a joué un des complices, maître Guillaume de Carlat, il la rattache à l'histoire de son pays natal, le Carladez, c'est bien plus la Gascogne qu'elle intéresse, puisque tous les faits se sont passés au coeur même de cette région et qu'elle a été témoin des derniers actes

Aurillac, imp. Bancharel, 1911. (Extrait de la Revue de la Haute-Auvergne.)


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des sanglantes tragédies qui ont mis fin à ces deux grandes maisons.

Aussi ne saurions-nous trop la louer, comme tout ce qui sort de la plume de notre cher et érudit confrère, en même temps que notre devoir est de la faire connaître, en un rapide résumé, à tous ceux que charment encore les annales de la petite patrie.

Mais, d'abord, qu'est-ce que l'envoûtement? Quel était-il au moyen âge? Qu'est-il encore de nos jours? Délicates questions que n'hésite pas à aborder M. de Dienne et sur lesquelles il nous apprend de bien étranges choses.

« Envoûter (en latin invultare) consiste à former une figure de « cire à la ressemblance de quelqu'un, avec la pensée de lui faire « souffrir, à la suite de certaines pratiques, tout ce qu'on est « censé faire souffrir à la figure de cire.

« Cette figure s'appelle vult ou voult (vultus). Elle repré« sente, en effet, le visage de l'envoûté, le visage étant l'image « sensible de l'âme et nous révélant toutes ses impressions.

« Ducange définit l'envoûteur : Prestigiator qui ad artes « magicas vultus effigit. »

Partant de là, l'auteur remonte à l'origine de l'Hermétisme chez les anciens : il nous montre ses pratiques en Chaldée, en Egypte, chez les Grecs, chez les Latins; il nous apprend quelle fut au moyen âge la rivalité des deux écoles italique et ionique, la première reconnaissant l'air, la seconde le feu, comme principe de tout; et il nous fait comprendre pourquoi le Christianisme condamna ces pratiques, et comment, malgré ses défenses, elles demeurèrent fort en vogue aux XIVe et XVe siècles, c'est-à-dire à l'époque qui nous occupe.

« Les images », écrit-il, a se vendaient généralement toutes « faites, sauf à l'envoûteur à les modifier, en les consacrant selon « le visage de l'envoûté. Une grande fabrique de voult existait à « Milan. C'est de cette ville que provenaient celles que l'on avait « prié Guillaume de Carlat de consacrer ou de faire consacrer « par Jean d'Astarac, comme nous le verrons plus loin. »

Et comme exemple de ces sortilèges, M. de Dienne raconte


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dans tous ses détails le procès célèbre d'Etienne Pépin, inculpé d'avoir cherché à envoûter, vers le milieu du XIVe siècle, l'évêque de Mende, procès qui se déroula devant l'officialité de cette ville, le théâtre du crime ayant été le château d'Arzenc.

Mais ce n'est pas seulement au moyen âge, au beau temps de l'alchimie, que l'envoûtement a été à la mode. Il l'est encore de nos jours, et de nombreux savants se livrent à des expériences dont les résultats sont tout à fait stupéfiants. Ne sont-elles pas étranges les théories du docteur Liébault, de Nancy, qui cherche l'explication des communications psychiques à distance dans une sorte de mécanisme télépathique, et notamment l'expérience suivante du colonel de Rochas :

«... Une petite statuette, confectionnée avec de la cire à ce modeler et sensibilisée par un séjour de quelques instants, en ce face et à une petite distance du sujet, reproduit les sensations. ce Les piqûres dont je la perçais vers le haut du corps si je per« çais la statuette à la tête, vers le bas si je la perçais au pied, « étaient ressenties, d'une manière plus ou moins vague, dans les « régions qui avaient envoyé plus directement leurs effluves. « Cependant je parvins à localiser exactement la sensation, en « implantant, comme les anciens sorciers, dans la tête de ma ce figurine, une mêche de cheveux coupée à la nuque du sujet « pendant son sommeil. C'est là l'expérience dont notre collaboce rateur du Cosmos a été le témoin et même l'auteur. Il avait « emporté la statuette, ainsi préparée, derrière les casiers d'un ce bureau où. nous ne pouvions la voir, ni le sujet, ni moi. Je « réveillai Mme L qui, sans quitter sa place, se mit à cauce ser avec lui, jusqu'au moment, où se retournant brusquement ce et portant sa main derrière sa tête, elle demanda, en riant, qui ce lui tirait les cheveux. C'était l'instant précis où M. X avait, « à mon insu, tiré les cheveux de la statuette. »

Plus étonnante encore est la seconde expérience, où le colonel dé Rochas, ayant reproduit sur une plaque photographique l'image de Mme L piqua violemment par deux fois, avec une épingle, là main droite sur le négatif, et provoqua, à une


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très grande distance, une telle douleur à la main droite de Mme L qu'elle poussa un cri perçant et perdit connaissance. De tous ces faits, M. de Dienne est assez prudent pour ne tirer d'autre conclusion que de dire avec Oriani : ce La vie est « un abîme d'autant plus insondable que nous essayons d'en ce pénétrer les mystères ». Et il est amené par là à nous raconter ce qui se passa en Gascogne à la fin du XIVe siècle.

Or donc au mois de mai de l'an de grâce 1400, Gérard V, comte de Pardiac, qui depuis longtemps était en guerre ouverte avec son puissant cousin, Bernard VII, comte d'Armagnac, dont il convoitait les domaines et cherchait à profiter de son absence de Gascogne, pour accroître sa maison de Fezensaguet, se voyant sur tous les points et en toutes occasions humilié et battu par lui, résolut de le faire disparaître en l'envoûtant, ce Turbu« lent autant que brave, écrit M. le comte Paul Durrieu dans la ce première relation qu'il a faite de ce singulier procès 1, à la fois ce emporté et astucieux, se laissant aveugler par la fureur, et ne ce reculant devant rien pour satisfaire sa haine ­­», Géraud V, irrité surtout de ce que dans le procès en séparation de son fils Jean avec son épouse Marguerite de Comminges, que Bernard VII avait voulu épouser, ce dernier, pris comme arbitre, s'était déclaré en faveur de la comtesse, décida, n'ayant pu réussir par la voie des armes, d'employer les manoeuvres occultes contre son puissant ennemi.

Un soir de mai, de cette année, il arriva donc, entièrement déguisé, à Rabastens du Tarn, et vint frapper, suivi de deux écuyers, à la porte du seigneur Guillaume de Carlat, un des descendants de l'illustre maison de ce nom, originaire du Carladez. Ce qui est une occasion pour M. de Dienne de fournir d'importants documents inédits sur cette famille, son origine, ses lieux de résidence, et, dans des pages charmantes, pleines de la

1 Archives historiques de la Gascogne, fascicule deuxième : Documents relatifs à la chute de la maison d'Armagnac-Fezensaguet et à la mort du comte de Pardiac (Auch, 1893). Chapitre XIV, p. 59-69. Dépositions de Guillaume de Cellier et attestation de Jean d'Astarac (1401).


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plus troublante poésie, de peindre l'aspect du pays Carladez après la guerre de Cent Ans, de nous dire quelles étaient les moeurs bizarres, les croyances étranges de ses habitants, portés naturellement, par l'ambiance de cette contrée sauvage, à toutes les superstitions, personnifiés qu'ils étaient en quelque sorte par maître Guillaume de Carlat, envoûteur patenté, dont on ne s'approchait qu'avec crainte et respect.

« La nuit tombait. Le comte de Pardiac », dépose Guillaume de Cellier, « prit à part Guillaume de Carlat, et une longue ce discussion s'engagea entre eux, dont le témoin n'entendit pas ce les paroles, bien qu'ils parlassent avec une grande vivacité. ce Une demi-heure après, ils sortirent du couvent sans prendre ce de lumière. Un dîner avait été préparé à la maison de Guil« laume de Carlat. Le comte s'attabla, et le témoin, qui n'oublie ce aucun détail, dit qu'il mangea du bouilli et du roti avec ses « compagnons.

ce Le comte et Guillaume tinrent ensuite un grand conseil, ce auquel n'assista pas le témoin. Puis, ils se rendirent dans la ce maison de dame Marguerite où ils couchèrent. De grand matin ce tous se levèrent, et le comte de Pardiac, Guillaume de Carlat, ce Guillaume de Cellier et Arnaute quittèrent Rabastens, traver« sèrent le Tarn à Coufoulenx et se rendirent à La Plume 1. ce Le soir qui suivit leur arrivée, le comte de Pardiac fit fermer ce les portes de la maison où ils étaient descendus et tous tinrent ce un grand conseil pendant un long temps, avant d'aller prendre ce un repos nécessité par une journée de fatigue et de chevau« chée.

« Le lendemain matin, vers neuf heures, les écuyers du comte ce lui apportèrent un coffret de bois, enveloppé de drap vert, ce fermé avec des clous de fer. Il le fit ouvrir et en fit sortir trois ce images de cire de trois couleurs, les unes longues, les autres ce petites, enveloppées de toile de chanvre. Et les ayant décou1

décou1 Plume était la capitale du Brulhois, qui faisait partie des possessions du comte de Pardiac. Dès l'année suivante, Bernard VII s'en déclara seigneur et unit cette vicomté à ses domaines d'Armagnac. Le château se trouvait à l'extrémité sud du village.


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ce vertes, il les plaça près de lui. On lui présenta alors un livre, « il le prit et dit en gascon à Guillaume de Carlat : Mossen ce Guillaume, je veux que vous juriez sur ce livre de me donner ce conseil contre toutes les personnes que je vais nommer.

ce Guillaume fit ses réserves relativement à lui, aux siens et à « la famille du comte d'Armagnac. Pardiac répondit avec colère « qu'il n'en acceptait aucune. Ses compagnons et lui sortirent « leurs épées du fourreau et se précipitèrent contre Guillaume, ce auquel Pardiac dit en gascon : Mossen Guillem de Carlat, nos ce renegan Dieus et la Verges Maria, vos mores tantost, ho vos ce dires doc à las causas dessus dichas. Devant cette violence, ce Guillaume consentit à tout ce qu'on lui demanda. On lui ce promit 7.000 francs d'or et un château.

« Pardiac lui déclara alors que celui dont il désirait la mort ce était le comte d'Armagnac, qu'il voulait avoir ses domaines, ce sa femme, ses enfants et ses nièces, et mettre tout à destrucce tion. Et après lui avoir dit qu'il avait fait faire ces images à ce Milan, il lui demanda de les faire consacrer par Monseigneur ce Jean d'Astarac, et principalement une brune représentant le ce comte d'Armagnac, par le moyen de laquelle il obtiendrait sa ce mort.

ce Guillaume de Carlat promit, et, après une courte séparation, ce ils se réunirent de nouveau pour dîner ensemble. En effet, « Guillaume de Carlat alla trouver Jean d'Astarac à Montgis« card, et le témoin apprit qu'ils s'étaient entendus pour défendre ce le comte d'Armagnac et sa famille contre le comte de Pardiac, ce et que Jean d'Astarac avait même dit : Et jeu renegui Dieu et ce sanct Jordi, si jeu no fau metre destruch lo comte de Pardiac « els siens. Guillaume retourna à Rabastens-sur-Tarn, et, de là, ce huit jours après, alla visiter de nouveau Jean d'Astarac à Tou« louse. »

Si nous avons reproduit cette déposition tout au long, c'est que les autres, entendues sur cette tentative d'envoûtement, sont à peu près identiques, n'apportant aucun fait nouveau. M. le comte de Dienne, néanmoins, les analyse et en cite de nombreux extraits, ayant toujours soin d'en donner la traduction fidèle,


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chose que n'avait point faite M. Paul Durrieu dans sa publication, qui est en latin.

Mais si cette première partie du procès n'est point absolument inédite, il n'en est pas de même pour la seconde. M. de Dienne a été assez heureux, en effet, pour découvrir dans le précieux fonds d'Armagnac d'abord, aux Archives départementales de Tarnet-Garonne, puis, sur les indications de M. Ch. Samaran, dans le riche chartrier du duc de Levis-Mirepoix, au château de Léran, six autres dépositions qui complètent les premières et fournissent même d'utiles renseignements nouveaux, notamment la fixation de la date du voyage du comte de Pardiac à Laplume, qui est du mois de mai 1400.

Elles nous apprennent, en outre, que, faite à la poursuite de Bernard VII d'Armagnac, cette enquête fut suivie d'une procédure interminable, qui dura tout le XVe siècle. Elle fut reprise ensuite au XVIe par les soi-disant héritiers de la maison de Fezensaguet et ne se termina qu'à la fin du XVIIe siècle. Elle ne fut commencée néanmoins qu'après la mort tragique de Géraud V et de ses enfants, sur laquelle elles nous fournissent des détails également nouveaux, et alors que le futur connétable, victorieux sur toute la ligne, cherchait, par tous les moyens possibles, à assouvir sa haine et sa vengeance.

On n'ignore pas, en effet, quelle fut l'épouvantable fin du dernier comte de Pardiac. Entreprise le 9 mars 1401, sous l'autorisation du roi de France, la campagne de Bernard VII contre son infortuné cousin était terminée les derniers jours du mois de mai suivant. Assiégé dans son château-fort de Monlezun, près de Marciac, et pris les armes à la main, Géraud V fut emmené au château de Rodelle, aujourd'hui commune du canton de Bozouls, arrondissement de Rodez, et jeté, après avoir été horriblement mutilé, dans une citerne où il trouva la mort. Ses deux fils ne furent pas plus épargnés. Nous en avons la preuve dans le passage suivant de la déposition de Bernard de Sariac, conservée dans les archives du château de Léran (liasse 17, nos 8, 14, 15, 20, et C 18, n° 2) :

ce Can lad. Margarita, ma gran may, ausic ladita preza,


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« aguet gran malinconia et no fazé que plora per ladita preza « deud. conte, et alera ma auyola et gran may la confutaba, « disen : « No plores, ma filha, me prenetz pacienza come jo feri. « Lo comte d'' Armanhac destrusi Monlesun et prenguec mosenho « lo conte et ses dus filhs et los fec tos tres mori bilanamen, « deuscals, à l'ung trego los oeilhs ab un bassi ardent et, no « content de quero, usurpe totas las terras et senhorias, et deshe« ritat la filha de la mayson, lacala es maridada à la mayson de « Mirèpeys et ad era s' apartieba la successiou deud. contat de « Pardiac, Fezensac et autras terras; et se vos bibetz per vostres « jorn vos veyrats que la mayson d'Armanhac biera a ruina a « causa deus grans maus et bilans cas que an cometutz los seus. »

« Rien », ajoute M. de Dienne, « n'est plus poignant, il nous « semble, que cette conversation entre l'aïeule et la bisaïeule de « Bernard de Sariac. Elle nous a toujours frappé et nous en « avons déjà cité la fin prophétique dans notre précédente étude « sur la vénérable Bonne d'Armagnac. »

Les autres dépositions sont plus explicites encore. Que ce soit Raymond-Aymeric de Barsillac, sénéchal de Carcassonne, ou Jehan de la Barthe, sénéchal d'Aure et de Manhoac, tous parlent dans les mêmes termes de la cruauté du comte d'Armagnac. C'est ainsi que le premier, après avoir raconté l'arrestation à Auch de Jean et d'Arnaud-Guilhem de Pardiac, malgré les instances faites en leur faveur par le comte de l'Isle, ajoute qu'après la ce mort de Géraud, Arnaud-Guilhem fut conduit à « Rodelle, où son père était mort prisonnier, et qu'à la vue de « ce château il mourut de saisissement, tombant de son cheval « tout mort. »

« II venait de Lavardens, où Bernard avait fait conduire les « deux frères. Celui-ci aurait, à Rodelle, fait rompre les deux « jambes et les cuisses de Géraud d'Armagnac, puis l'aurait fait « mettre ce au fond d'une cisterne estant audit chastel, et là, très « piteusement, lui fit finir ses jours; et, après sa mort, le fict « mettre en terre prophane au pied dudict chastel. — Item, lesd. « Geraut et Arnaud- Guilhem estant ainsi trespassés, il commanda « lui garder Jehan d'Armanhac et affin plus aprement le faire


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« languir et misérablement finir ses jours, lui fict mettre ung « bassin ardent devant sa face et si prest aproucher que veritable« ment il lui fict perdre la veue, et finallement le fict mourir à « très grand misère et povreté. »

« Telle fut la fin », ajoute M. de Dienne, « d'une branche de « la maison d'Armagnac, dont le procès en sorcellerie, que nous « venons d'étudier, n'a été sans doute qu'un prétexte d'en préci« piter la chute. Des tentatives d'envoûtement ont certainement « eu lieu, malgré les dénégations des enfants de Géraud dans « leur interrogatoire. Ils pouvaient du reste les ignorer. »

L'expiation ne se fit pas longtemps attendre. Saisi dans la nuit du 21 mai 1418 par la populace de Paris, Bernard VII d'Armagnac, devenu depuis cinq ans connétable et maître de la France, était traîné au palais avec deux mille hommes de sa faction; puis, le 12 juin, massacré avec le chancelier de Marle, à coups de maillets. Son corps fut exposé sur les carreaux de la Conciergerie; on l'entoura d'une écharpe faite avec sa propre peau, en dérision de l'écharpe blanche qu'il faisait porter à ceux de son parti; et on le jeta à la voirie avec les corps de ses partisans. Ses restes furent cependant enlevés et ensevelis dans le choeur de Saint-Martin des" Champs, puis transférés et enterrés à Auch.

« A partir de ce moment », écrit M. le comte de Dienne, « le « malheur tombe sur la maison d'Armagnac; et, avec une sorte « de parallélisme effrayant, sur les deux fils du connétable et sur « toute leur descendance. »

Et l'auteur d'énumérer les morts, presque toutes tragiques, de chacun des descendants de cette ancienne et illustre famille. « On aperçoit », dit-il, « lorsqu'on étudie l'histoire, des coïnci« dences bizarres indiquant une sorte de justice immanente qui « châtie les coupables même de leur vivant ou de celui de leurs « enfants. C'est la justice poursuivant le crime, du célèbre « tableau du Louvre, et l'atteignant alors même qu'il est protégé « par l'obscurité de la nuit; mais dans le sujet que nous traitons, « il semblait protégé plus efficacement par la puissance et par la « fortune. Nous savons que les observations que nous faisons à

2


22 SOCIÉTÉ ARCHEOLOGIQUE DU GERS.

« ce propos feront sourire nos confrères de l'école positiviste. « Mais ils ne pourront nous blâmer de transcrire ici nos impres« sions en raison des faits certains sur lesquels elles s'appuient. » Et jetant un dernier regard de pitié sur la décadence irrémédiable et la chute de cette grande maison d'Armagnac : « N'est-ce pas le cas », écrit-il en terminant, ce de répéter, même « après un des grands orateurs chrétiens : Et nune... erudimini! »

Ph. LAUZUN.


PREMIER TRIMESTRE 1912. 23

UNE RECLAME DE NOTAIRE AU XVIIIe SIÈCLE,

PAR M. R. PAGEL.

En une brochure in-4°, de 8 pages, Jacques-Antoine Gaultier, notaire royal de Vic-Fezensac au XVIIIe siècle, annonce à sa clientèle qu'il a fait le dépouillement de tous les actes et minutes qu'il a en sa possession. Ces actes comprennent des contrats de mariage, des reconnaissances de dot, des transactions, des testaments et leurs codicilles. Ces documents peuvent servir à établir des filiations, des droits seigneuriaux sur les terres, etc.

Voulant recueillir le bénéfice de son travail, il fixe la rétribution qui lui est due : pour la lecture de l'analyse d'un acte, à 5 sols; pour connaître les pièces qui existent sur une maison, 12 sols; pour la copie de l'analyse de chaque acte et pour l'extrait complet d'un acte, on paiera d'avance la moitié du prix convenu.

Il tient en plus à la disposition de ses clients un tableau de la valeur des monnaies anciennes et des mesures usitées dans différents lieux.

Enfin il refusera toute lettre non affranchie.

Suit l'énumération :

1° Des notaires dont il possède les minutes : Vic-Fezensac, Roquebrune, Lannepax, Marambat, Beaumarchès, Biran, Pavie, Dému, Roques, Gondrin, Lupiac, Riscle, Valence, Saint-Paul, Justian, Besolles;

2° Des noms des familles dont il a analysé les actes. Citons les plus connus : Albret, Antin, Antras, Arcamont, Armagnac, Aux, Bassabat, Balsac, Barbazan, Barbotan, Baudéan, Bellegarde, Benque, Besolles, Bilhères, Bonnefont, Busca, Carmaing, Cassagnet, Castelbajac, Castelnau, Castillon, Commenges, Espagne, Esparbés, Faudoas, Ferrabouc, Galard, Gontaut, Gramont, Jaulin, Lahitte, Lambes, Latran, Lour, Lescun, Lomagne, Luppé, Malartic, Manas, Melet, Monluc, Narbonne, Navailles,


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Noé, Ornézan, Pardaillan, Pins, Poyanne, Preyssac, Roquelaure, Sengresse, Serignac, Toumemire, Vesun, Villars, etc.

On peut juger par cette brève énumération de l'intérêt que devait présenter le travail de Me Gaultier. Certes il avait dû. susciter parmi ses confrères de l'époque une certaine stupéfaction à la vue d'une réclame à laquelle on n'était pas habitué.

De ce travail il ne nous reste malheureusement que le prospectus, et l'on ne peut que regretter l'absence des documents analysés par Me Gaultier.

TRÉSOR MANUEL,

où l'on trouve le nom, surnom et demeure de certains anciens notaires, à commencer en 1161, les registres desquels sont en tout ou en partie au pouvoir de Me Jacques-Antoine GAULTIER, notaire royal, à la résidence de la ville de Vic-Fezensac, ensemble le nom propre des maisons ou familles qui ont stipulé des actes, comme contrats de mariage, quittances ou reconnaissances dotalles, transactions, testamens, codicilles, et tous autres propres à servir à faire des filiations, ou à prouver l'existence de tel en tel temps, des uns en quantité, des autres en petit, nombre; l'on y trouve aussi nombre d'actes pour l'établissement des droits seigneuriaux dans plusieurs terres.

Ledit Me GAULTIER avertit qu'il a fait un dépouillement et pris la substance de tous les actes propres à ce qui est dit ci-dessus, qu'il les a mis en cahier, que chaque acte est séparé et a son numéro. Il donne communication de son dépouillement à qui veut, eu lui payant cinq sols pour la lecture de chaque précis d'acte; si quelqu'un est curieux de sçavoir ce qu'il a de chaque maison, il donne copie de la substance ou précis de chaque acte en lui payant d'avance douze sols par acte; et si l'on se décide pour faire faire l'extrait de quelque acte, l'on devra lui payer d'avance la moitié du prix convenu. Il ne recevra pas de lettre qui ne soit pas affranchie. L'on trouve encore chez ledit Me Gaultier la valeur des anciennes monoyes et des mesures en différens lieux.

NOMS ET SURNOMS DES NOTAIRES.

Pierre

Arnaud

François

Claude

Dieuzeyde

Arnaud

Aragon, notaire de Roquebrune. Arcebal, notaire de Launepax. Astruc, notaire de Vic-Fezensac. Bandonis, idem. Baquerio, idem. Baquerio, idem.


PREMIER TRIMESTRE 1912.

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Vital

Arnaud

Huguet

Joseph Pierre Jean-Antoine

Raymond

Raymond

Bertrand

Géraud

Pierre

Pierre

Pierre

Jean

Pierre

Pierre

Guillaume

Jean Pierre

Joseph

Raymond

Jean

Autre Jean

Oddon

Odet

Pierre

Bernard

Jean

Gabriel Pierre

Jean-Antoine Pierre

Barrau, notaire de Marambat. Barriquera, notaire de Vicfezensac. Barta, idem.

Batelhis, notaire de Lanepax. Beaustes, notaire de Vicfezensac. Benque, notaire de Beaumarchés. Bessaignet, notaire de Lanepax. Blanchardy, notaire de Biran. Bonne-Amour, notaire dudit Vie. Bordes, notaire de Pavie. Bordili, notaire dudit Vic. Broqua, notaire de Dému. Cassaignolles, notaire de Vic. Gavarret, notaire de Roques. Clarac, notaire de Vic. Clauso, notaire de Gondrin. Come, notaire de Vic. Corne, notaire de Lanepax. Corne, idem. Cossio, idem. Cotin, notaire de Vic. Cotin, notaire de Vic. Crampe, notaire de Gondrin. Darnautouet, notaire de Gondrin. Daubas, notaire de Lupiac. Dernont, notaire de Lupiac. Descousse, notaire de Dému. Destouet, notaire de Vic. Ducousso, notaire de Lupiac. Dupuy, notaire de Vic. Dupuy, notaire de... Fabri, notaire de Vic. Fabri, notaire de Vic. Fitte, notaire de... Fitte, notaire de Riscle. Gardebos, notaire de Vic. Gavarret, notaire de Vic. Grison, notaire de Vic. Grisoni, notaire de Vic. Lacroix, notaire de Vic. Lalanne, notaire de Vic. Lancerelli, notaire de Vic.


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SOCIETE ARCHEOLOGIQUE DU GERS.

Moyse

Jean

Guillaume

Raymond

Jean

Pierre

Dieuseyde

Guillaume

Huguet

Jean

Pierre

Bernard

Pierre

Raymond

Jean

Annet

Jean

Pierre

Raymond

Jean

Antoine

Joseph

Jean

Pierre

NOMS ET SURNOMS DES MAISONS OU FAMILLES

ABBADIE. Aberaet. Aberon. Abilhac. Albret. An tin. Antras. Arcamont. Archamont. Arcisas. Armanhac. Armentiu-Lapalu.

Armuhan.

Arquier.

Arreanis.

Arremuhano.

Artinis.

Arzac.

Astarac.

Asté.

Averon.

Avilhac.

Aurensan.

Aux.

Auxion.

BABOYM.

Baboyni.

Bagen.

Balits.

Balsabar.

Balsac.

Baqué.

Barbalane.

Barbazan.

Barbé.

Barbotan.

Barege.

Baron.

Barrau.

Barre.

Barrère.

Barrière.

Barros.

Barthaloua.

Bascous.

Basillac.

Bassabat.

Batarnat.

Batcabe.

Bats.

Baudean.

Lapeyrère, notaire de Vic. Larrocquau, notaire de Valence. Larrocquau, notaire de Valence. Lascunio, notaire de Roquebrune. Lascunio, notaire de Roquebrune. Latrille, notaire de Vic. Liebrario, notaire de Vic. Loubère, notaire de Saint-Paul. Lucat, notaire de Lanepax. Mailhos, notaire de Lanepax. Marrauld, notaire de Roques et Justian. Mauria, notaire de... Modenx, notaire de Lanepax. Montlong, notaire de Besolles. Paratgio,

Notaires de Lannepax. Paratgio,

Paratgio,

Paulin, notaire de Vic.

Peguilhem, notaire de Roquebrune.

Peyreguerio, prêtre, notaire de Besolles.

Planis, notaire de Gondrin.

Ponfomt, notaire de Vic.

Puistienne, notaire de Lannepax.

Riviere, notaire de Vic.

Roillan, notaire de Lanepax.

Sodimont, notaire de...

Trobat, notaire de Gondrin.


PREMIER TRIMESTRE 1912. 27

Baulat.

Baulx.

Bayamont.

Baynac.

Bayo.

Beari.

Béarn.

Beau.

Béaumont.

Beauregard.

Beauvoir.

Bedat.

Bedout.

Begaba.

Belengar.

Belengue.

Bellegarde.

Belle-ville.

Belloc.

Bellon.

Belmon.

Belsunce.

Benoict.

Benque.

Benquet.

Beon.

Berat.

Beraud.

Berduzan.

Bere.

Berechau.

Bereychan.

Bereyssan.

Berglus.

Bergognan.

Bergouhan.

Bernay.

Bernede.

Bery.

Besandun.

Besolles.

Beshous.

Besinis.

Besins.

Beu ou Beon.

Beu villa.

Beze.

Bezin.

Bianne.

Bidos.

Bidosa.

Bidose.

Biere.

Bilhac.

Bilheres.

Bilhy.

Binholis.

Binos.

Biran.

Bobenx.

Bochagio.

Boloys.

Bonnefont.

Bonnefoy.

Bordes.

Borrolhan.

Bosco.

Bosset.

Boulouix.

Bourbon.

Bourgoing.

Bousti.

Bouté.

Boutges.

Bouzet.

Boyer.

Brandelise.

Bressan.

Brilhac.

Brouil.

Bruet.

Brunet.

Bruyers.

Buade.

Burosse.

Bus.

Busca.

CABANHAN.

Caboussel.

Cadan.

Caisson.

Cailhau.

Calvamonté.

Camin.

Camp (du).

Campagne.

Cane.

Canet.

Captan.

Capspert.

Carchet.

Carget.

Carmain.

Carmaing.

Carnac.

Casaux.

Cassaetheto.

Cassaigne.

Cassaignet.

Cassanhe.

Cassanhet.

Castaing.

Castelbajac.

Castelnau.

Castéra.

Castéras-Seignan.

Castéras-Seignan. Cas tets. Castillon. Cavanhan. Caubirac. Cauderon. Caumont. Caupène.

Cayson.

Cazalet.

Cazaux.

Ceailes.

Cedes.

Cedirac.

Cezan.

Charchet.

Charget.

Charles-d'Armagnac.

Charles-d'Al - bret.

Chelle.

Chemin.

Chic.

Claverie.

Cluset.

Colombat.

Colomé.

Colonies.

Comenge.

Consitte.

Costal.

Coste.

Cotin.

Cours.

Cramail.

Cranenseres.

Cremen.

Cressio.

Curton.

DALHON.

Damboise.

Dandré.

Dangosse.

Daraignes.

Dararbert.

Darblade.

Darbyus.

Darcizans.


28 SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

Dardenne.

Darousin.

Darribère.

Darties.

Darzac.

Daspremont.

Dastorg.

Das tuba.

Dastugue.

Davasis.

Dauberensse.

Daugeyros,

Daulede.

Daure.

Dausun.

Dauxion.

Daymier.

Daysieu.

Delont.

Demont.

Descoubleau.

Despalanques

Desparbès.

Desparsac.

Despeyroux.

Despiet.

Deusfers.

Deuffort.

Deulas.

Deydie.

Doazan.

Dombrac.

Dorfeilhe.

Dorlan.

Dorsue.

Dorti.

Dubédat.

Dubois.

Duchemin.

Duclos.

Ducoussol.

Dudroict.

Dufaur,

Duforc.

Dufort.

Dufour.

Dufourc.

Dulac.

Dumaine.

Dumont.

Dumoulin.

Dupin.

Dupré.

Duputs.

Dupuy.

Dureigne.

Durfort.

Duzaige.

ESCALEHX.

Espagne. Estarac.

Fabri.

Fabrica. Fagedet. Faget. Falmont. Favard. Faudoas. Faur. Fayadet. Ferrabouc. Ferragut. Ferrieres. Feuïs. Fezenbat. Fitte.

Flamarens. Florian. Foix. Forcés. Forfolheres. Forgas.

Forgis.

Forgues.

Forjes.

Fortet.

Fousseries.

Fremat.

Fulcon.

Furco.

Furno.

GARCIE.

Gardelle.

Ganbayn.

Gaubelie.

Gaudos.

Gauran.

Gayrosse.

Gelas.

Genhan.

Geste.

Giere.

Ginhan.

Giscaro.

Goa.

Golard.

Gondrin.

Gontault.

Gorgue.

Gorsoles.

Got.

Gots.

Goulart.

Gout.

Goyrans.

Gramont.

Graumont.

Grimault.

Grison.

Grisonis.

Gueste.

Guet.

Guiscofio.

Guts. Guy.

JAULIN. Jussan.

LABADIE.

Labardac.

Labarrere.

Labarriere.

Labarte.

Labaune.

Laboutique.

Labruilhe.

Lacassaigne.

Laceran.

Lacoste.

Ladevese.

Lafabrique.

Lafauraria.

Laffargue.

Lafite.

Laforcade.

Lafrete.

Lagarde.

Lagrafa.

Lagraulet.

Lahitte.

Lalanne.

Lamarque.

Lamaurelle.

Lamazere.

Lambamera.

Lambernille.

Lambes.

Lamensan.

Lamesan.

Lamoissic.

Lana.

Lanagassas.

Lanagassons.

Lanagerie.


PREMIER TRIMESTRE 1912.

29

Lanagos. Lannes. Lanis. Lanux. Lapeyre. Lapeyrie. Laplaigne. Laraca. Laraqua. Larée. Laret. Larocailh. Larocalh. Larocanh. Larochanh. Laroquainh. Laroqualh. Larroche. Laroque-Armand. Larroque - Sieurac.

Larroque. Lart. Las.

Lassai le: Lasseran. Latapie. Latran. Latrau. Lau. Laval. Lavardac. Lavedan. Laugide. Laviolette. Laumont. Laura. Lauriere. Lautrec. Lebïac. Lebret.

Leopouy.

Leotard.

Lescot.

Lescout.

Lescun.

Lespinasse.

Lestrade.

Levis.

Leypé.

Leypodio.

Lian.

Lignac.

Lille.

Lille-Darbeyssan.

Lille-Darbeyssan. Lin.

Lorraine. Lortet. Loumagne. Loumanhe. Lubbielle. Lucante. Lucas. Lucomont. Lude. Lupé. Lupodio. Lustrac. Luxembourg.

MALABIELHA.

Malartic.

Malaubert.

Malavelha.

Malhinhan.

Malvin.

Manas.

Manhan.

Manhaut.

Maniban.

Marcorelle.

Mardo.

Marée.

Marestang.

Marguestau.

Marin.

Marmiesse.

Marrens.

Marsan.

Massabat.

Massans.

Massas.

Massencome.

Mau.

Mauleon.

Maupas.

Mauro.

Mautin.

Melet.

Mendosse.

Mercé.

Mercier.

Méritens.

Meriteyns.

Modens.

Mola.

Molere.

Monbardon.

Moncaup.

Monclar.

Mondenart.

Monferrand.

Mont.

Monluc.

Montastruc.

Montaut. t.

Montazet.

Montcaut.

Montclar.

Montegut.

Montemerle.

Montesquieu.

Montferran.

Montimory.

Montlezun.

Montmorin.

Montouset.

Montpesat.

Moret.

Morlan.

Moysset.

Mirabat.

NAGERIE.

Nalies.

Napce.

Narbonne.

Navailles.

Navarre.

Noé.

Noel.

Nogués.

Nauailhan.

OMBRAC. Ornezan.

PAILHERES.

Palheria.

Pansa.

Pardelhan.

Pardiac.

Parron.

Pasteguy.

Patau.

Patras.

Pauet.

Pavie.

Pena.

Pensenx.

Perés.

Perrin.

Peyrecave.

Pierre-Pertuse.

Pins.


30 SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

Pis.

Plaigne.

Planea.

Plehot.

Podanas.

Podenas.

Pol.

Pamaret.

Pompignan.

Ponsan.

Pontac.

Poulastron.

Pouzols.

Pouy.

Poyane.

Poyardin.

Poyto.

Préchac.

Prenhan.

Preychac.

Preyssac.

Prissac.

Proferis.

Puibusque.

Puisegur.

Puistienne.

Pujollé.

Pulcro.

Puyane.

Rabellin.

Racqua.

Raymond.

Rebinhan.

Reinhan.

Relongue.

Remenhan.

Resseguier.

Reynaud.

Rieux.

Riols.

Ripperia.

Rippia.

Riviere.

Rocailh.

Rocain.

Rocaly.

Rohan.

Roquain.

Roquainh.

Roquanio.

Roquefort.

Roquelaure.

Roquepine.

Roques.

Rouzés.

Royers.

Ruppé.

Saint-Alban.

Saint-Anhan.

Saint-Aubin.

Saint-Christau.

Saint-Denis.

Saint-Étienne.

Saint-Germain

Saint-Germé.

Saint-Gresse.

Saint-Griede.

Saint-Jean.

Saint-Julien

Saint-Lane.

Saint-Lary.

Saint-Léonard.

Saint-Martin.

Saint-Pasteur.

Saint-Pastou.

Saint-Pastour.

Saint-Pé.

Saint-Pierre.

Sabanhac.

Sabere.

Salabert.

Salavert.

Sales.

Salle.

Sallebert.

Sallebet.

Samamo.

Sanguinede.

Sariac.

Sardeyre.

Sarrau.

Saués.

Sealhes.

Secondat.

Sedirac.

Seiches.

Selle.

Sencosta.

Sendrac. Sereges.

Seriac. Serinhac.

Sernin.

Serres.

Seyssac.

Sieurac.

Sorberio.

Sorbets.

Soreac.

Soucaret. Soulages.

Storalha. Suderie.

Surbiette.

TARRIDE.

Taur.

Tausia.

Tausian.

Tayan.

Teulas.

Teyfozin.

Thazanhas.

Therisson.

Thilladet.

Thomas.

Thieste.

Tieste.

Tilhoze.

Toart.

Tornemire.

Toyose.

Trabe.

VASSINHAC

Veau.

Verduzan.

Vesins.

Vicomont.

Vilheres.

Villars.

Villepinte.

Vinholles.

Vittemont.

Vivent.

Voisins.

Vise.

Vurona.

Umbrac. Urro.

ADDITIONS.

Ledit Me Gaultier fait tous les jours de nouvelles découvertes et se procure de nouveaux registres; l'on pourra donc s'adresser à lui quand même son répertoire ne sera pas chargé de ce dont on aura besoin.


PREMIER TRIMESTRE 1912. 31

ÉTUDE SUR LE DOCTEUR AUGUSTE-PROSPER FILHOL,

Médecin et Annaliste d'Auch

(1772-1849),

PAR M. LÉON BOMPEIX.

Notice biographique.

Le registre de la paroisse Sainte-Marie, heureusement sauvé de la tourmente révolutionnaire, et actuellement conservé aux archives municipales d'Auch, porte la mention suivante :

Augustin-Prosper Filhol, fils légitime de Monsieur Jean Filhol, marchand-, et de demoiselle Claire Sentous, est né le neuf septembre 1772 et a été baptisé le même jour par moi vicaire soussigné; la marraine a été Marie-Anne Filhol sa tante, qui a signé, le père absent.

Marie-Anne FILHOL. SENTOUS, vicaire.

D'autre part on peut relever sur le registre spécial déposé au greffe du Tribunal civil un acte de dépôt ainsi conçu :

N° 152. Filhol, médecin à Auch. — Du sept thermidor an XII.

A comparu Monsieur Auguste-Prosper Filhol, docteur en médecine, habitaut d'Auch, lequel, pour se conformer aux dispositions de la loi du 19 ventôse an XI sur l'exercice de la médecine, nous a exhibé et presenté un diplôme de docteur en médecine qui lui a été délivré par l'École de Médecine de Montpellier, le vingt-sept frimaire an XII, ledit diplôme signé : René, directeur; Poutingou, professeur; Barthe, professeur; Baumes; Dumas; Barthez et Picou, secrétaire ; de quoi il nous a requis acte concédé et a signé.

FILHOL, médecin.

Un troisième registre nous apprend enfin que. Filhol (AugusteProsper) est décédé dans sa maison, située rue Encape (actuellement rue Désirat), le 10 mai 1849.

Tels sont les principaux documents qui fixent l'identité de l'homme que nous voulons étudier; des recherches complémentaires ont abouti à établir que celui-ci était le second d'une famille de neuf enfants. Les deux premiers ont exercé la méde-


32 SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

cine 1; le troisième garçon fut avocat; quant aux autres, nous ignorons ce qu'ils devinrent; tous durent certainement recevoir une instruction solide, soit au collège, soit peut-être par l'intermédiaire du vicaire Sentous, soit par celui d'un oncle paternel qui était curé de Maravat. En tout cas, bien que le père fût un simple marchand bourgeois, il y avait dans la famille de nombreux lettrés, et cela seul justifie le développement intellectuel des descendants.

Nous aurions voulu présenter une biographie de A.-P. Filhol plus complète et appuyée sur des témoignages irrécusables, mais nos recherches ont été vaines ou insuffisantes au sujet de son portrait physique et de sa vie privée. Faute de renseignements précis, nous avons donc lé regret de laisser dans l'ombre une figure originale à coup sûr dont notre imagination seule pourrait reconstituer les traits principaux et les fixer à nouveau dans leur cadre primitif; encore faudrait-il, tâche difficile, revivre successivement avec notre héros les époques de notre histoire nationale les plus fécondes en changements de toute nature, c'est-à-dire depuis Louis XVI jusqu'à la fin du règne de LouisPhilippe.

Au début de la Révolution, Auguste Filhol était évidemment trop jeune pour apprécier ce qui se passait autour de lui, mais nous aurions été curieux de connaître son état d'esprit au moment où il étudiait à Toulouse ou à Montpellier. En effet, il serait difficile de croire qu'il n'a nullement partagé les enthousiasmes, les frémissements qui animent la jeunesse des écoles chaque fois qu'un événement considérable, politique ou autre, sollicite l'attention, l'effort, l'angoisse d'un peuple. Plus tard enfin, lorsqu'il vint exercer son art parmi ses concitoyens, qui pourra déceler le secret de cette âme qui nous apparaît jusqu'à présent comme uniquement ouverte aux vertus professionnelles et aux récréations scientifiques?

Le nom d'Auguste Filhol figure sur le catalogue de la Biblio1

Biblio1 Jean-Louis-Anne Filhol, fut médecin à Grenade-sur-Garonne ; il mourut en 1855, âgé de quatre-vingt-cinq ans. Il avait publié en 1846 une étude historique sur le village de Pessan (Gers).


PREMIER TRIMESTRE 1912. 33

thèque municipale d'Auch; il y occupe une place si discrète que la renommée de ses écrits ne semble pas avoir franchi les limites du département, ni peut-être même celles de la ville. Certes, le personnage est loin d'avoir atteint la valeur et la réputation de ces enfants du Gers : Sénac, qui fut premier médecin de Louis XV et le père du fameux littérateur connu sous le nom de Sénac de Meilhan ; — Raulin, qui fut médecin ordinaire du roi et laissa de nombreux ouvrages écrits en un style clair et concis; — Capuron, qui fut probablement le condisciple de Filhol et professa d'abord à Montpellier avant d'être agrégé à Paris.

A côté de ces grands noms, dont l'histoire a consacré la célébrité médicale, il eu est d'autres, plus modestes, que nous pourrions citer, car le trésor historique de l'Armagnac ne le cède en rien à celui des autres régions pour la richesse et l'intérêt qu'on peut en tirer. En effet, il existait autrefois à Auch une société savante, « l'Athénée », fondée par arrêté préfectoral le 1er prairial an IX. Des savants et des littérateurs la composaient. Parmi les médecins ou chirurgiens qui participaient aux travaux de la société figurent les Lantrac, les Destieux, les Pardiac, Forgues, Boutan, Laborde, Dominique Gilbert, Bernard Roques, Bousquet, etc. Nous sommes malheureusement réduit à des conjectures en ce qui concerne la durée et l'importance scientifique de l' « Athénée du Gers », car nous possédons seulement deux exemplaires de ses cahiers et d'autre part la collection la plus riche des Annuaires du Gers, c'est-à-dire celle qui figure aux Archives départementales, présente une interruption malencontreuse qui va de 1805 inclusivement jusqu'à 1818. Or l'acte de dépôt du diplôme de Filhol portant la date du 9 thermidor an XII, nous ne pouvons certifier que ce médecin prit une part directe au mouvement scientifique de l'Athénée. Malgré cela nous avons été amené à entreprendre l'étude de son oeuvre personnelle, à la vérité peu considérable, non pas tant pour le lustre que l'auteur a pu jeter sur sa ville natale — le mérite a ses degrés — que pour essayer de mettre en relief, parmi tant d'autres, une physionomie auscitaine intéressante à divers titres.

Auguste Filhol, qui s'attribue habituellement les qualificatifs


34 SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

cle « médecin et propriétaire », le détail a son importance, aimait les sciences et les belles-lettres; il le prouva en laissant des ouvrages divers, riches en citations littéraires qui dénotent une connaissance approfondie des auteurs anciens en même temps que des maîtres de la médecine. Peu de temps après son installation, il publia en latin une Topographie médicale de la ville d'Auch et de ses environs (1806); le manuscrit des Mélanges de médecine porte la date de 1812 ; il ne fut pas imprimé. Son rapport au comité d'hygiène, Observations sur la vaccine, n'est pas daté, toutefois nous pouvons supposer qu'il dut paraître avant la Restauration, attendu qu'il parut chez Duprat, place Impériale, à Auch. Enfin les Annales de la ville d'Auch et leur Supplément vont de 1789 à 1842.

De la lecture de ces oeuvres, il résulte que leur auteur était un esprit curieux et observateur, un médecin honnête et consciencieux, un citoyen probe et humain. Son style n'est pas de ceux qui captivent le lecteur par l'élégance de la forme et l'élévation de la pensée ou la finesse du trait d'esprit; soit qu'il emploie le français, soit qu'il manie la langue de Tacite, il s'exprime avec bonhomie; le raffinement est remplacé chez lui par la simplicité, le bel esprit par la bonne humeur.

BIBLIOGRAPHIE. — Travaux de l'Athénée du Gers (1er et 2e semestres de l'an XII) (Bibliothèque municipale d'Auch).

Annuaire du Gers (Archives départementales).

Un révolutionnaire gersois : F.-M. Lantrac (1760-1848), par G. BRÉGAIL. Cocharaux, éditeur.

Note complémentaire. — L'exemplaire des Annales de la ville d'Auch qui figure aux Archives départementales du Gers est incomplet ; il y manque le supplément.

La Bibliothèque municipale possède deux exemplaires de la Topographie médicale, dont l'un comporte des additions écrites de la main de l'auteur. Il y est dit notamment que le manuscrit des Mélanges de médecine sera revu et qu'un second exemplaire a été remis à M. Dayrenx, avocat.

OEUVRE MÉDICALE DE FILHOL.

La fondation de 1' « Athénée du Gers », au début du premier Empire, favorisa dans le département l'éclosion d'un mouvement


PREMIER TRIMESTRE 1912. 35

médical que nos investigations actuelles ont mal suivi; toutefois, la lecture des rares et précieux cahiers de la Société, ainsi que les indications fournies par l'Annuaire, en donnent une idée suffisante. Les membres de l'Athénée ne tranchaient pas dans le vif à la manière de Filhol; leurs communications, qui portaient généralement sur des questions banales, prenaient plutôt un air pédant. M. de Vérigny, préfet du Gers, écrivait un jour au duc Decazes, à propos de Lantrac, le plus connu d'entre eux 1 : « C'est un bon médecin, surtout dans une ville où. pas un autre « ne s'élève au-dessus du médiocre... ». Ce jugement, qui diminue jusqu'à l'effacement les contemporains de Lantrac, nous paraît exagéré, et nous croyons en trouver la meilleure preuve dans l'oeuvre même que nous allons analyser, oeuvre bien personnelle, originale autant par sa forme que par la variété des sujets traités.

« Augustin-Prosper Filhol, docteur en médecine de la Faculté « de Montpellier, médecin du Dépôt de mendicité de la ville « d'Auch et de son bureau de bienfaisance, médecin des épidé« mies, secrétaire du Comité départemental de vaccine », tels sont les titres inscrits au frontispice du manuscrit des Mélanges de Médecine offert par l'auteur à son ami le bibliothécaire Sentetz, en décembre 1813, ainsi qu'en fait foi une lettre autographe de l'auteur, annexée à l'ouvrage.

Le docteur Filhol n'avait pas la prétention de faire étalage de son savoir personnel, et son but ne fut pas davantage d'exposer méthodiquement les progrès de la science médicale de son temps. De même que chez lui l'annaliste s'est désintéressé des faits imposants de l'histoire, préférant à une vue d'ensemble le spectacle minuscule d'événements familiers, de même l'historien médical ne fait pas pressentir l'essor considérable que donnèrent à la médecine ses contemporains les plus connus, Pinel, Esquirol, Corvisart, Larrey, Dupuytren, le jeune Laennec, Cruveilher et tant d'autres. S'il lui arrive d'exalter Barthez et l'Ecole de Montpellier, alors dans toute sa splendeur, c'est parce qu'il garde

1 Lantrac, par G. BRÉGAlL. Cocharaux, éditeur, Auch.


36 SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

autant de vénération que de reconnaissance pour ceux qui furent ses maîtres. Il serait injuste, cependant, de méconnaître le réel mérite de ce médecin de province qui a consacré une grosse part de son existence à développer l'étendue de ses connaissances; d'ailleurs, nous sommes autorisés à croire que sa culture générale et ses titres lui permirent de briller parmi ses confrères et de jouir de la considération que le monde réserve aux esprits éclairés.

Son premier ouvrage en date, écrit en latin, est une Topographie médicale de la ville d'Auch et de ses environs, que l'on peut considérer à un double point de vue. Au point de vue littéraire, elle est comme un hommage suprême, une dernière lance rompue généreusement en l'honneur d'une langue que le dédain de l'Université ne cessera pas d'amoindrir. Au point de vue de la composition, elle constitue un exposé parfaitement net et consciencieux de la géographie médicale de la région. La situation de la ville d'Auch, l'aspect général du pays, la flore et la faune, les eaux thermales de Barbotan et de Castéra-Verduzan, les ressources locales, les moeurs, les maladies y sont passés en revue 1.

Critique médical ou annaliste, Filhol ne s'est pas embarrassé du choix d'une méthode.

Omne tulit punctum qui iniscuit utile dulci Lectorem delectando pariterque monendo.

Cette citation, qu'il emprunte lui-même à Horace, aurait pu servir d'épigraphe à son oeuvre. En dépit du négligé de la forme, du laisser-aller parfois choquant, le manuscrit des Mélanges de médecine est vraiment curieux. Certes, il est difficile de trouver des phrases plus boiteuses, un style moins châtié, mais on découvre un certain esprit primesautier et des qualités d'observation qui font oublier ces défauts.

Les Mélanges débutent par trente observations concernant les sujets les plus disparates, parfois complètement étrangers à la

1 La Topographie médicale d'Auch et de ses environs, par lé Dr L. MOLAS (1821), est une copie, presque une traduction littérale de l'oeuvre de Filhol; le nom de celui-ci n'y figurant même pas, nous signalons cette dérogation à la déontologie médicale.


PREMIER TRIMESTRE 1912. 37

médecine. Le comique 1 et le sérieux s'y coudoient; les aspirations humanitaires voisinent avec la plus ferme intransigeance. L'auteur laisse courir complaisamment sa plume tantôt pour hippocratiser, tantôt pour platoniser; c'est ainsi qu'il abandonne délibérément la thérapeutique pour rapporter l'émotion qu'il ressentit à la vue d'une Biscayenne admirablement belle; une autre fois son langage tient du lyrisme lorsqu'il parle du chant du rossignol ou de l'apparition prématurée du coucou. Le spectacle d'une sentinelle endormie devant l'ennemi inspire en quelque sorte de l'indiscipline à cet ancien militaire quand il proteste contre la disproportion de la faute et du châtiment. Devançant Lamartine, qui devait prononcer en 1848 les admirables discours que l'on sait contre la peine de mort, cet homme de bien s'oppose avec une simplicité courageuse à l'application de la peine capitale :

« Il faut faire attention que s'il n'en coûte pas beaucoup pour « donner la mort, il en coûte au moins bien pour donner la vie... « Un homme mort est un homme perdu pour la société. » Et plus loin le médecin, doublé du philosophe, esquisse avant la lettre la théorie de la responsabilité atténuée qui devait transformer notre législation actuelle. « Car ce n'est que dans la volonté, in « ea libertate quoe ad bonum vel ad malum versatilis est, que « consiste la faute; car d'une fois que l'homme est nécessité dans « son action, il est sans crime comme sans mérite. »

La bravoure militaire, la vraie noblesse, l'humanité, excitent la verve de Filhol, mais il faudrait citer aussi quantité d'observations se rapportant à la pathologie générale, à la chirurgie des plaies par armes à feu, à la thérapeutique.

La seconde partie des Mélanges de médecine n'offre pas les

1 « Observation VII.— Broussonet (de Montpellier) et le maniaque. « Eh bien, «. Monsieur le curé, comment vous trouvez-vous ? » — Ce prêtre lui répondit d'un air niais : « Monsieur c'est toujours la même chose, j'aurais envie de vous mordre ». M. Broussonet paraissant être fâché lui répondit : « Et moi j'aurais envie de vous f... « un coup de pied par le cul ». Le prêtre qui avançait effectivement pour le mordre recula bien vite en entendant cette réponse. Ce qui fait voir, comme le dit le célèbre Pinel, qu'il ne faut pas toujours ménager les somnambules ni les fous. »

3


38 SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

proportions d'un exposé magistral, néanmoins son intérêt est indéniable au point de vue historico-médical. Elle comprend l'histoire de la Constitution médicale de l'année 1811 observée à Auch. Est-il téméraire d'estimer qu'il y règne parfois une « obscure clarté », suivant l'expression de Corneille, soit par excès de latinité, soit que le charlatanisme y soit trop longuement et trop copieusement malmené. Une sage concision nous aurait tout aussi bien appris que la rougeole et la petite vérole firent particulièrement des ravages au cours du premier trimestre de 1811; on vit également fleurir les fluxions, les rhumatismes, les rhumes, les paralysies, les courbatures. Durant le second trimestre de la même année la fièvre catarrhale sévit de préférence sur les enfants et les vieillards : « Voici les symptô« mes généraux qui la caractérisaient dans son état de simpli« cité : sentiment de lassitude et d'abattement dans les extrémi« tés, courbature générale, pesanteur de tête ou céphalalgie « forte, embarras légèrement douloureux des narines, de l'arrière « bouche et de la poitrine : coryza, toux, enrouement, horripila« tions vagues mêlées de bouffées de chaleur à la peau, augmen« tation de tous les accidents vers le soir, et ces accès avaient « quelquefois le type tierce ou double tierce... ».

Ne croirait-on pas lire le tableau classique de cet état morbide que la médecine actuelle dénomme influenza ou grippe?

Le troisième trimestre est marqué surtout par la fréquence des diarrhées et des dysenteries.

Pendant le quatrième trimestre, « les maladies consistaient en « toux légères, coryzas, angines, bronchi, raucedines, fluxions « sur le système muqueux et glanduleux, et ces maladies « cédaient aux moyens appropriés les plus doux. Pour maladies « intercurrentes nous avons eu à noter des hémorragies utérines, « des apoplexies, des paralysies soit générales, soit partielles, des « hydropisies, quelques affections hystériques, des échauboulures, « des furoncles, des suppressions des évacuations périodiques ou « leur trop grand et fréquent écoulement, maladies qui ont été « toujours très communes ».

Un siècle après cette description, nous ne dresserons pas ici le


PREMIER TRIMESTRE 1912. 39

tableau comparatif de l'état sanitaire actuel, car nous estimons avec Filhol que la différence résiderait à peu de chose près dans les appellations nouvelles des maladies. Toutefois une constatation s'impose pour le passé, c'est la rareté des affections cardiaques et de la tuberculose considérée dans sa généralisation, c'est-à-dire en dehors de la phtisie pulmonaire. Nous ne savons s'il faut attribuer ce bénéfice à l'excellence reconnue du climat du Gers ou à l'ignorance des procédés d'auscultation et de percussion qui allaient immortaliser le nom de Laennec après celui de Corvisart, le traducteur d'Auenbrugger. De même la nature et le diagnostic de certaines maladies infectieuses comme le diabète 1 paraissent avoir échappé à notre observateur.

Le praticien se transforme en théoricien, on peut dire en juge sévère et impitoyable dans la dernière partie des Mélanges de médecine; c'est là qu'il expose les mesures à prendre contre « le brigandage » des empiriques, des charlatans et des docteurs sans scrupules, « marchands de formules, assommeurs de remèdes », de même que contre l'élasticité des diplômes régulièrement conférés par la Faculté. L'abandon du latin le désespère par-dessus _tout.

La légende veut que les armées de la Révolution soient remarquables, moins peut-être par leurs victoires extraordinaires que par leurs chefs et leurs soldats improvisés; on oublie trop vite que l'ancien régime mesurait les grades au nombre des quartiers de noblesse; le plus souvent aussi la faveur du courtisan suppléait à la science militaire. Au contraire, les hommes instruits abondaient autour du Premier Consul comme autour de l'Empereur, et la plupart d'entre eux étaient fortement imprégnés des lettres anciennes. La mode de l'ère impériale n'étaitelle pas aux antiques, aussi bien pour le langage que pour les moeurs ? Certains officiers, à l'exemple de Paul-Louis Courier, mettaient à profit les loisirs de la guerre pour s'instruire et s'inspirer à l'occasion des grands hommes du temps passé. Cédant peut-être à cette ambiance ainsi qu'à ses goûts person1

person1 sur un cas de soif.


40 SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

nels, Auguste Filhol, qui a été soldat, lui qui a pu conserver à l'heure même de la bataille assez de sang-froid et de liberté d'esprit pour évoquer des souvenirs classiques sous le feu de l'ennemi, devient l'ardent défenseur du latin, ce qui lui vaut un jour un accès d'humeur qu'il rapporte en ces termes : « Relative« ment au latin, j'eus une petite altercation avec un jeune avocat « revenant de Paris, qui me disait que le latin était une langue « inutile. Je lui répondis, transporté de colère : Monsieur, la « langue latine a été toujours la langue des savants; il paraît «qu'elle ne sera jamais la vôtre 1 ». Une telle réponse a chez lui toute la force d'un aphorisme.

On trouve plus loin cet aveu ingénu : « Tel est le charme de la « latinité, même médiocre, qu'elle semble donner du prix à des « choses qui par elles-mêmes n'en paraissent point avoir. On lit « avec plaisir en latin des choses triviales et généralement « connues quand on ne les supporterait point en français ou dans « la langue nationale ».

Il y avait pourtant autre chose qu'un simple souci littéraire dans cette campagne en faveur du latin. Les médecins et les savants français avaient donné le mauvais exemple en délaissant celui-ci; exemple funeste que les étrangers avaient suivi rapidement. De là la multiplicité des ouvrages depuis qu'il n'y a plus de langue internationale ; les rivalités pourront se développer et le plagiat profitera du mystère des idiomes désormais différents. Quelle diminution de prestige pour la corporation en général, et quelle source de discorde entre les maîtres ! N'était-ce pas assez d'assister au spectacle lamentable des abus qui se glissaient de plus en plus dans l'exercice de la médecine; nous ne parlons pas seulement des charlatans, des empiriques 2, de tous les ignorants dangereux en un mot, mais encore des exploiteurs sans vergogne qui, sous le couvert d'un masque hypocrite, cherchent à asseoir leur crédit. Filhol stigmatise les uns et les autres avec la sévé1

sévé1 de médecine. — Observation XI.

2 Annuaire du Gers, an XII. Sarran et Goulard exerçaient à Fleurance « sans lettres ni diplômes ».


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rité d'un La Bruyère; son ironie fait songer à certain conte plaisant de Grécourt :

Un médecin d'ignorance accomplie, Chez moi,' débuta l'autre jour En me disant : « Monsieur, je vous supplie, « En ma faveur, d'écrire à votre cour. •— Et pour quel sujet je TOUS prie ?

— Le roi me fait venir pour être... — Quoi ?

— Son... hem !...

— Cordonnier ?... — Médecin... — Médecin !

Je m'écrie : Domine salvum fac Regem.

Au point de vue strictement doctrinal, ce qui préoccupe notre réformateur c'est la réglementation par les pouvoirs publics des droits bien distincts du médecin et du chirurgien. Loin de lui la pensée d'établir une priorité quelconque en faveur de l'un ou de l'autre; c'eût été d'ailleurs peine perdue à une époque où. l'Europe n'était plus qu'un immense champ de bataille. Chaque campagne, chaque bataille occasionnait une saignée gigantesque, une amputation colossale qui faisait en quelque sorte du chirurgien le maître de l'heure; grâce aux convois de blessés qui sillonnaient la France entière, la vue du sang était devenue un spectacle familier. Toutefois, si l'habileté et le sang-froid de l'opérateur triomphaient du mal, on peut dire que la tâche était singulièrement facilitée par la fermeté du patient, attendu que l'anesthésie .opératoire était absolument inconnue et insoupçonnée à cette époque. Velpeau, écrivant beaucoup plus tard la préface de son traité de chirurgie, se refusait même à envisager l'hypothèse d'une aussi merveilleuse découverte. Le bénéfice d'une telle situation ne pouvait être que lucratif pour les « médecins opérants », qui n'hésitaient pas, eux, à transformer leur bonnet de docteur suivant le cas à traiter. Le professeur Sécheyron, de Toulouse, expliquait cette tendance naturelle lorsqu'il rapportait en 1898, à propos de Raulin, les remarquables paroles prononcées par le chirurgien Morand dans l'éloge de Jean Faget, de Castelnau-d'Auzan : « Il n'y a. point de province en France


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« qui nous fournisse autant d'élèves que celle dont le comté « d'Armagnac fait partie. Le climat du pays semble leur avoir « donné le droit de compter sur une sagacité naturelle qui les « rend actifs et laborieux. La chirurgie est une espèce de patri« moine qui leur est transmis par leurs ancêtres et qu'ils culti« vent avec succès ».

Malheureusement Filhol en est réduit à s'indigner sans succès de l'indifférence générale avec laquelle on accueille ses protestations et ses doléances; exempt de rancune, il s'égaye au besoin de la réponse faite par un ancien président « à une personne qui « l'exhortait, pour le bien de ses semblables, à faire établir un « mur de séparation entre la médecine et la chirurgie. — « Je le « veux bien », répondit le président, « mais enfin de quel côté « mettrons-nous le malade ?»

Tout en indiquant les réformes les plus urgentes, Filhol pressent que certaines difficultés se dresseront comme des obstacles irréductibles. Que réclame-t-il en substance ? En premier lieu, l'uniformité de langue, c'est-à-dire l'emploi du latin dans les leçons et les écrits pour lesquels il est presque universellement abandonné; enfin il exige l'uniformité des principes et celle des ouvrages dans toutes les écoles de l'empire. C'était vouloir transporter du théâtre à la médecine la règle des trois unités et donner des chaînes à une science qui se pique de n'en point avoir. Ne le taxons pas de folie, car il répond lui-même d'avance : « Tous les hommes sont fous et, malgré tous leurs soins, ne diffè« rent entre eux que du plus ou du moins ».

D'autre part, nous sommes fixés sur l'état des esprits, sur les querelles intestines qui divisent alors les maîtres. L'Ecole de Montpellier, « la plus fameuse du monde, qui conserve dans son « sein le dépôt sacré de la doctrine de Cos, réfléchit la philoso« phie médicale sur les différentes parties du globe », était un foyer ardent continuellement attisé par l'esprit combatif de ses représentants les plus autorisés. Tantôt c'est Barthez qui raconte à Filhol comment ceux-ci, qui furent ses élèves avant de devenir ses égaux, l'ont dépouillé tour à tour du fruit de ses recherches fécondes; il va jusqu'à les comparer à de vulgaires larrons :


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Fures sunt tui prof essor es?... Le vieux savant fulmine en patois, mais en des termes si crus que son visiteur a jugé plus décent de les rapporter dans la langue complaisante de Virgile. Tantôt c'est Baumes et Dumas, « les deux flambeaux de médecine « de Montpellier », qui disputent éloquemment de l'uniformité des .principes et des ouvrages. Le même sujet amène sur le pré deux jeunes médecins d'avenir, de Vic et Montblanc : « Le « duel se présenta, tous les deux vont au rendez-vous sous les « arceaux du Peyrou; M. de Vic tombe mort; il fut bien regretté, « mais pas moins mort. L'un n'avait pas plus de tort que « l'autre, mais celui qui fut sous terre fut toujours le plus à « plaindre ».

En fin de compte, que faut-il penser de cette prétention véritablement étrange qui consistait à vouloir séparer nettement les futurs médecins des futurs chirurgiens, c'est-à-dire à bannir systématiquement des cours et des cliniques, internes ou externes suivant le cas, les étudiants qui briguaient l'un ou l'autre diplôme de docteur? Sans vouloir élargir un débat qui n'a plus de raison d'être à l'heure actuelle, nous ne pouvons concevoir l'opportunité d'une pareille mesure. Est-ce à dire que de son passage aux armées Filhol avait conservé une conception de la chirurgie qui la ramenait à une vision sanglante de réparation esthétique, à l'exclusion de la réparation physiologique? Est-ce à dire que le docteur-médecin devrait être le simple thérapeute, ou le cerveau qui enfante le diagnostic, le chirurgien étant alors le bras qui exécute passivement sans que l'un et l'autre puissent jamais s'associer et s'unifier? Le temps a fait bonne justice d'une théorie aussi erronée.

Il nous paraît superflu de discuter plus longuement ce programme mort-né de réformes qui a peut-être inspiré à lui seul la composition des Mélanges de médecine. Il représente assurément le côté le plus curieux et le plus intéressant de cet ouvrage, et, s'il avait connu le grand jour de la publicité, il est probable qu'il aurait soulevé des controverses ardentes.

Dans son Rapport sur la vaccine Filhol s'élève sagement contre l'ignorance et la routine. « La médecine et la philosophie


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« ont été toujours la science des âmes indépendantes », dit-il quelque part. C'est en vertu de ce principe qu'il proteste hautement contre l'incurie des uns et les méfiances des autres, aussi cherche-t-il à dissiper celles-ci en stimulant le zèle de ses confrères auscitains, et surtout en prêchant d'exemple. A ceux qui doutent encore de la méthode Jennérienne, il s'efforce de démontrer l'efficacité durable des vaccins. Comme s'il avait soupçonné, un demi-siècle avant les travaux de l'immortel Pasteur, l'existence des microbes et des toxines, il s'insurge avec chaleur contre ceux qui mettent en doute « qu'un corps desséché, « qu'une croûte, qui est privée de tout principe de vie, puisse « avoir une propriété quelconque, la vertu de communiquer à « un autre corps une qualité qui lui serait inhérente ». Sa confiance est telle dans la vaccination qu'il en préconise même l'emploi dans la coqueluche, à la deuxième ou troisième semaine de la maladie, suivant ainsi l'exemple du médecin anglais Archer. Ce n'est pas ici le lieu de discuter les moyens qu'il conseille d'employer pour la conservation des vaccins, la méthode était un peu primitive, mais il faut bien reconnaître que si Filhol n'avait pas l'étoffe d'un grand théoricien, ce fut un praticien constamment soucieux d'exercer son art dans les meilleures conditions possibles.

En résumé, l'ensemble de l'oeuvre médicale que nous venons d'examiner dénote un esprit d'initiative digne d'être retenu chez un modeste médecin de province, éloigné des grands centres d'études et des foyers de discussion; pur de toute idée de lucre, l'Esculape auscitain fut inspiré par les sentiments les plus nobles, l'amour de la science et le bien de l'humanité.

(A suivre.)


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COUTUMES DE TURUTEL

(Commune d'Auradé),

XI110 siècle, PAR M. PAUL LAPORTE.

Turutel, aujourd'hui Turtet, important domaine situé dans la commune d'Auradé, propriété de M. A. Délieux, ancien député de l'arrondissement de Lombez, conseiller général du canton de l'Isle-Jourdain, formait au XIIIe siècle une seigneurie distincte, ayant son territoire déterminé, des limites fixes, une existence autonome.

Le plus ancien document relatif à Turutel est fourni par la Saume de l'Isle ou Cartulaire des seigneurs de l'Isle-Jourdain, dont une'copie est déposée aux Archives départementales de Tarn-et-Garonne; c'est un acte du 14 janvier 1275 par lequel dame Anglésie de Marestaing et son fils Michel de Ros, coseigneurs d'Endoufielle, agissant avec le consentement de Hugues de Ros et de Rrux-Martine, autres enfants d'Anglésie et frère et soeur de Michel, cédèrent, à titre d'échange, à Jourdain de L'Isle tout le domaine avec juridiction haute, moyenne et basse qu'ils avaient à Auradé, Blanquefort et Turutel, apud Turutellum. L'acte spécifie que Turutel consistait en maisons, domus, fundamentum et edificium domum, et en territoire qui s'étendait en deçà de Bolose, du côté de l'Isle. Anglésie et Michel autorisèrent Jourdain à se faire reconnaître comme nouveau seigneur et à les posséder de la même manière qu'eux-mêmes les avaient tenus de toute antiquité à raison de leur seigneurie d'Endoufielle, ex ratione dominii de Andosvilla, ex antiquitate.

Quelle que soit la précision de cet acte, il semble prouvé par plusieurs documents contemporains et ultérieurs qu'il ne saurait concerner la seigneurie elle-même, mais seulement le droit d'hommage que les coseigneurs d'Endoufielle exerçaient sur les seigneuries de Turutel, Auradé et Blanquefort.


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Et tout d'abord Turutel ne se trouve pas mentionné dans la liste des seigneuries de la baronnie de l'Isle dont Jourdain prit possession à la mort de son père, en 1288. Par contre, ce lieu est désigné avec ses confrontations parmi les territoires où le seigneur de l'Isle se prétendait en droit de recevoir les appels et dont la reconnaissance eut lieu par ses ordres la même année 1288. Il est dit dans ce document que Pierre Duros, chevalier, procureur du seigneur de l'Isle, montra à Etienne Decalquens, juge de Verdun, oculo ad oculum, les limites de la seigneurie de Turutel qui s'étendent entre le chemin d'Endoufielle, le chemin qui va de l'Isle à Samatan, le chemin qui va vers Auradé, la Boulouse, et du côté de l'Isle jusqu'à un ruisseau appelé Caguapayrol. (Saume de l'Isle, fos 1469-1483.)

Le vendredi avant la fête de saint Thomas de l'année 1342 et sur les ordres de Jean, évêque de Beauvais, lieutenant du roi de France dans la province d'Aquitaine, fut dressée par Guidon Rolland, docteur ès lois, juge de Villelongue, une estimation des hommages et rentes assignées par le roi à Bertrand de L'Isle sur diverses seigneuries, parmi lesquelles Auradé, Blanquefort, Azimont. Consuls et prud'hommes des trois seigneuries sont unanimes à déclarer que la moitié des hommages desdits lieux appartient à la famille seigneuriale des Lastours, barons d'Endoufielle, et l'autre moitié aux seigneurs de L'Isle. Ceux même de Blanquefort ajoutent et déclarent « avoir ouï dire par « leurs ancêtres que les seigneurs de Blanquefort devaient « rendre -hommage aux seigneurs d'Endoufielle, et que le « seigneur de L'Isle avait acheté la moitié de cet hommage à « Michel de Ros et à sa femme (sa mère eût été plus exact), « l'autre moitié restant aux seigneurs de Lastours d'Endou« fielle ». (Extrait d'enquête tiré de la Chambre des Comptes de Paris.)

Cette déclaration vient confirmer l'opinion déjà émise que l'acte précité du 14 janvier 1275 ne concernait que la juridiction et la moitié de l'hommage des localités qui y sont indiquées.

Du reste, en la même année 1275, la seigneurie proprement dite de Turutel appartenait à Jehan de Bartes qui, le 1er mars,


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passe avec Curne et Guido de Lastours, ses coseigneurs d'Endoufielle, une transaction retenue par Saux Bran, notaire d'Endoufielle, par laquelle il est convenu que « lesdits de Lastours ne « porront édiffier molin ny passure sur la rivière de Bolose, « despuis. l'anglade dicte des Campilhas jusqu'à la rivière de « Save, et ce moyennant un cazau de terre que ledit de Bartes « baille auxdits de Lastours au lieu dit à La Falhe (prob. La « Haille, dans Endoufielle), joignant le cazau du sieur de Saintce Germier, et la somme de 100 souls morlas l ».

Le 13 avril 1291, le même Jehan de Bartes, chevalier, agissant avec l'agrément de son fils, Arnaud de Bartes, damoiseau, octroya aux habitants de Turutel la charte des coutumes et libertés qui sera ci-après transcrite. Il suffit de la parcourir pour demeurer convaincu qu'elle est plus précise, plus étendue et sur divers points plus, libérale que bien des actes similaires de la même époque. Il y a lieu de signaler, au hasard de la plume, les articles relatifs à la liberté de fournage (2e), à la garde des récoltes (3e), à la nomination et aux fonctions des consuls (4e), à la franchise des chemins, eaux et herbes (9e), à la liberté des dépaissances (10e), à la concession de deux padouencs (11e), à la liberté d'avoir poissons et pigeons (13e), à la défense d'employer faux poids et fausses mesures.(22e), à la tromperie sur la qualité de la viande (23e), clauses que l'on a le regret de ne pas trouver dans de nombreuses chartes concédées à des localités beaucoup plus importantes.

La famille seigneuriale de Bartes ne se contenta point de posséder noblement la petite seigneurie de Turutel, et au commencement du xve siècle elle avait réuni sous sa domination la majeure partie de la seigneurie limitrophe d'Auradé. On trouve, en effet, dans un document de la Société Archéologique, mention de l'hommage rendu le 27 septembre 1422, à l'IsleJourdain, apud castrum comitale ville Insuloe-Jordanis, au comte d'Armagnac, Fezensac, Rodez,'Pardiac, l'Isle, vicomte de Lomagne, Ayguetinte, etc., par Jean de Bartes qui reconnaît tenir en

' Arch. départ, du Gers, n° 1605.


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fief, rend hommage et prête serment de fidélité pour le lieu de Turutel avec ses dépendances qu'il possède en toute juridiction, haute, moyenne et basse, et consistant en château-fort, cum ospicio forti, terres, prés, bois, moulins sur la Boulouse; il rend en même temps hommage pour les sept huitièmes de la seigneurie d'Auradé, où il possède un château-fort et qu'il tient en toute juridiction.

Quelques années plus tard, Jean de Bartes avait encore ajouté à ses deux seigneuries celle d'Azimont. Pour expliquer ce rapide accroissement de domination, il est nécessaire de rappeler que ce seigneur avait épousé Izabeau de Ros, de la famille d'un des coseigneurs d'Endoufielle, dont nous avons déjà mentionné les droits sur les quatre localités qui forment aujourd'hui la majeure partie du territoire d'Auradé. Assurément Jean de Bartes devait à son mariage l'agrandissement de ses domaines; mais cet agrandissement constituait un grave danger pour la seigneurie de Turutel qui, étant la plus petite, devait fatalement, comme celles de Blanquefort et d'Azimont du reste, être englobée et comme noyée dans la seigneurie beaucoup plus importante d'Auradé.

Marguerite de Bartes, fille et unique héritière des précédents, épousa, par contrat du 14 février 1440, Arnauld Guilhem d'Ornézan, second fils de Bernard d'Ornézan, seigneur de SaintBlancard, et de Cébellie de Cédos. Les nouveaux époux furent la tige des barons d'Auradé, où ils établirent leur résidence et qui devint le centre de leur seigneurie. Dès lors fut consommée la décadence de Turutel qui, abandonné, déserté par ses antiques possesseurs, diminué dans ses habitants déjà fort peu nombreux, perdit en fait son titre de seigneurie pour devenir un simple domaine noble; et c'est sous cette dénomination que ce lieu figure dans le dénombrement présenté par Jean d'Ornézan, seigneur d'Auradé, en l'année 1503, et dans ceux présentés les 11 avril 1539 et 19 novembre 1554 par son fils et successeur ArnauldGuilhem d'Ornézan, deuxième du nom.

Ainsi finit la seigneurie de Turutel dont l'histoire est relativement brève; mais avant de se laisser absorber par celle d'Auradé, elle eut la gloire d'imposer à cette dernière la famille


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seigneuriale dont elle avait été le berceau, ces barons d'Ornézan, vrais cadets de Gascogne, dont la lignée continuée par les marquis de Fimarcon en 1592, par ceux de Cassagnet-Tilladet en 1630 et par les marquis de Preissac-Esclignac en 1760, jeta un si vif éclat pendant trois siècles et demi, fournit à la couronne de brillants officiers supérieurs, versa son sang sur tous les champs de bataille de l'époque et posséda sans interruption la seigneurie d'Auradé jusqu'au moment de la Révolution.

L'acte qui va être ci-après transcrit "est un document déposé aux Archives départementales du Gers, où il est inventorié sous le numéro 18.594, nouveau fonds. Il occupe huit pages et demie d'un cahier de papier ayant comme dimensions 0m245x0m18. L'écriture en est assez lisible, mais il présente quelques erreurs de copie qui dénaturent le sens de certains membres de phrase ou du moins, l'obscurcissent. Il est à peine besoin de dire que ce n'est point la charte originale, mais une simple copie certifiée conforme par Destarac, notaire d'Endoufielle, et extraite par lui, le 3 mars 1624, sur un collationné tiré de l'original le 10 février 1624, par Saud, huissier en la Cour du Parlement de Toulouse. Ce dernier a le soin de prévenir que ce l'original est escripte en ce une demy-peau de parchemin de lettre fort entienne et difficile « à lire, et à cause de la dite difficulté de lire, les mots qui sont ce en blanc au présent extrait ont été lessés pour ne pouvoir les ce lire. »

La charte est rédigée en langue vulgaire et se poursuit d'une façon continue sans autre ponctuation que le point final de chaque clause. Pour la rendre plus intelligible, il nous a semblé préférable de présenter chaque article sous forme d'un alinéa précédé d'un court sommaire français, et de mettre dans cette copie la ponctuation que le sens rendra nécessaire.

Coutumes du lieu de Turutel, par Jean de Bartes, chevalier, 13 apvril 1291.

El nom de nostre Seignour dieu Jésus crist, le pay, le filh et sant sperit, amen. Conegude cause sie que mousur Johan de Bartes, cabalier, dautreg ab


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lausament den Arnaut de Bartes, douzel, filh deldit mousur Joan de Bartes, per su et per tots ses successours et per tout son ordent, doneg et autregec franquesses et costumos, so es a saber en Pey de Busquet et an Bernad M or, cossouls de la ville de Turutel, et an Helias de La Rocha, et an Bernard de La Rocha, frayres, et an Teneu Sans... Bergonho, habitadours de ladicte ville de Turutel per si et non del consoulat et de la unibersitat de ladite ville, et per touts lours habitadours et singulars tant presens quant abenedours, recebens et boulens lasdites libertats et coustumos que lodit mousur Joan de Bartes per si et per sous heretes et per son bordent. Lasquals toutes causes losdits cossols en nom de lour et de lour cousolat et les autres desus mommats per si et per sous successours et per lour ordent et per la unibersitat et pelles singulars de la uuibersitat. de ladicte ville, tant presens quant debenedours, lasditous coustumos et libertats de laditte ville per tout temps serbadoures et compledoures diceren et ordoneren, bolgeren et autrageren ausi com deius es contengut et encare mes declarat.

1. — Rentes des travailleurs.

Tout premièrement fouc fait et ordenat convent entre aquets desus nommats en nom que desns que cascun habitadour et habitans de ladicte ville de Turutel ou de las pertenences labourant ab un g pareilh de boues ou de besties, ou ab mes ou ab mens, ou que nou lauro, ja sio que esten dedens los termes de ladicte ville, donne et sio tengut de donar cascun an, en la festo de Touts Sants, al seignour deldit loc et à son orden, per questo, doutze dîners tolosans et dous galinats estibalens tant soulomen.

2, — Droits de fournage.

Item, ledit seignour retengouc asi'métis fors; empero cascun home ou famo foc tenent eldict loc pot et es legudo cause a luy fare et tenir (forn) en la maison sue per cose son pan propi et nou pas lautin (cor. l'autre); et per lodit fournage deu donar cascun home ou femme foc tenent et font (cor. forn) aldit seignour dous galinats, exemptats en Pey de Bousquet, en Helias de la Rocha... cascun aldit seignour per sengles fours sengles carteries... de sivaze tant soulament et non galinats.

3. — Garde des récoltes. — Corvée dans les terres seigneuriales.

Item, los dicts hommes deben elegit (r) messegues en las maisons (cor. moissons) desd. homes et deldict seignour, et lodit (seignour) deu aproar aquet; et de la messegario que daquy en sira deu lodit seignour aue la terso part, et messeguer l'autre terso part, et ayso dels homes de ladite ville de Turutel et de lad...; empero dels hommes estraims lodict seignour deu abe la maitat, et ladito unibersitat et messeguer de Turutel deben aver l'autre maitat. Et per comper ladite messegarié, deu oubrar cascun lar et foc tenent cascun an ung die en las vignes ou en las obros deldit seignour, et ledit


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seignour deu perbesir aldicts hommes aysi obrants uno begade le dye en mangar en lobre sobredite.

4 — Nomination et fonctions des consuls. Item, bolgeren et autregeren que sien aqui dos cossols que sian elegits cascun an per los coussols predecessours deldit loc en la festo de la Nativitat de nostre Seignour; eldit seignour deu aquets confermiar sinou que fossen persones nou dignes a tenir lou prédit offici; et aquels cossouls aysi elegits et confermats conesquen et posquen conege per enseus ab lou baille deldit loc et las causes civilles et criminals el dit loc, et que lesdits cossouls sien coietats (peut-être créats) cascun an en ladito festo de Natibitat.

5. — La forge appartient au seigneur. Item, retengoc a si ledit seignour las forgues et las forgaderias aisi corne es uzitat els locs vezis ou tant simplement de la dite ville et de cinq sols tolosans tant solament et d'autres pothous fer entro a deux sols tolosans.

6. — Amende pour plaie légale. Et de cade plague leyal que de aquero plago leyal deu aber ledit seignour XL sols tolosans, si clamour d'aqui sera fait et proubade la dite plague, satisfait premieroment al darapnatge suffreut segon la conesenco desdits cossouls.

7. — Amende pour effusion de sang.

Item, de sang fozon'si clamor daqui sio feyt et proade la sang fousso, ledit seignour deu aber per la clamor dex sols tolosans.

8. — Menaces avec un couteau. Item, si aucung tray cotel contre nulles persones, dex sols tolosans, si clamor d'aqui sio feyt.

9. — Franchises des chemins, eaux et herbes.

Item, donec le prédit seignour alas prédits homes et famés et lous enfans et a lour ordeu ;entieremens et expressemens francs, ses (cor. senes) balle, et vies publiques et especialeiiient d'aiguës et de fulles des bosqs et d'erbes a oper de lous corses et de lous bestios.

10, — Liberté de dépaissances. Item, donec le prédit Mousur Joan per si et per sous successous et per lour orden als prédits liabitadours et a lour orden, per si en nom que dessus recebens, aiguës et pastens, herbe et fulhe franchement al bestias los propis et encare mes de gazaille don empero que sian habitadours ou dels liabitadours de la dite ville, et encare mes que frauchament, ses prestation de fourastage, posque cascun dels habitadous de la dite ville tenir en gazaille d'autre ou d'autres persones estrauges onze entro doutze bestios grosses, trente porcs ou trouges et cinquanto aoeilles; et si outre ledit nombre aucun dels


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habitadous de la dite ville tenie besties en gazaille dancun home estrange que nou fousse habitadour de la dite ville, daquere que sera outro ledit nombre done et pague al seignour deldit loc forastage aisi com s'acordaran entre lour, et toutes estes causes et sengles soubre les bestias et per lour libertat premorement dites boulgouc ledit seignour per- tout temps observaroue que sie als liabitadours deldit loc enpero que ung die peisen et pastenquan, posquen anar del loc de Turutel et troubar en aquet métis la aiso, boulgouc et mandée aychi et cet feit et torbat ses talle de faicts domages et de furts que sou en locs costumats exceptats de ses (ou deves).

11. — Concession de deux padouencs.

Item, ledit seignour per si et en nom que dessus donnée et autregec als habitadours deux locs mortials, la ung outre Boulouse confrontat à la honor den Bernad deu Busquet et ab la bordo et ab la honour del prédit mosen Joan de Bartes et ab la Boulouse et ab le praf del torren sant. L'autre padoenc en desa la Boulouse arabes le castet d'Andofielle, confrontat ab la vigne et ab la honor del prédit mosen Joan de Bartes et ab la honor den Bernad Mor de Turutel et ab la vie publique et ab la honor den Bernad Baque.

12. — Corvée communale.

Item, les hommes del prédit castel de Turutel deuen far obres besiaux per ung die en cascuna seminane de la festo de Nadal entro la festo de sainct Jean-Baptiste de cascun ostau foc tenent une persone a coneyehenco deus prédits cossols et del baille deldit loc.

13. — Liberté d'avoir poissons et pigeons.

Item, donec le prédit seignour als prédits hommes et a lour ordent que cascun posque far et tenir et sie legude cause far et tenir pesques et colombes en lours propios honours.

14. — Vol nocturne de fruits ou récoltes.

Item, boulouc et mandée le prédit seignour que si aucun aura panât aucune cause de neyt en las pertenences deldit castel, so es a saber rasins et fruicts d'arbres et de maisons (cor. moissons) ou de vignes on de causes seublaus, que aquel que aura panât, proubat le furt et confessât, sio punit en nom de pêne en soixante sols tolosans; et si pagar nou les pot que sio punit ad arbitre desdits cossols, corren la ville ou en autre maneyre selon la qualitat del forfeyt.

15. — Punition de l'adultère.

Item, que si aucun ou aucune avio cometut adulteri el dit loc de Turutel, probat l'adulteri ou confessât, l'adultère pague al seignour deldit loc en nom de pêne soixante sols tolosans, et sy nou pot pagar que nuts ou nude courre la ville, et que les bes daquet delinquent sion et benguen en conimes al seignor del dit loc.


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16. — Liberté de vendre ses produitsItem, bolgouc et autregec ledit seignour que les homes de ladite ville posquen vendre blat et bin et car et pan et causes senblaus, mes enquero que bendon a leyal mesure bones carnes et ses (cor. senes) fraude.

17. — Droit d'achat à crédit.

Item, foc convent entre lousdits homes et lousdits seignours que lesdits homes tenguen bende des moutous que auran et le seignour boulle et que loudit seignour ne prengue a bonne penhere et ab fermansas baient la terco part ledit prex plus que ladite cause bendude, et que esperen ledit seignour per ung mes; et ab cap del mes si no labio reservant que losdits homes posquen vendre los penhs quand se boullen, et que la mes valente renden aldit seignour; et sino baille le cabal, que le seignour suplisque aldit crescidour et satisfasse competement; et si nou poden troubar a qui vendre ny empeignar lodit penha, que les posquen retenir a lour meteisi aisi coume a lours propis.

18. — Punition du meurtre.

Item, foc convent entre lesdits homes et ledit seignour que tout homme ou femne que fara homicidi eldit castel ou en las pertenences, proat homicidi ou confessât, le corps daquel homicidiet les bées benguen en commes al seignour deldit loc.

19. — Punition des injures aux femmes.

Item, que aquel que famme maridade ou besoue ou non maridade ou auen ou non auen abeugar (cor. sar) apelara bagasse, putane, donne al seignour deldit loc dex sols, sinon prouve que fousse atal com lapelauo.

20. — Punition des injures aux hommes.

Item, que aquel ou aquello que apelara aucun ou aucune traidour ou traidoures, mesel jugge, menture, fals, ou dira causes a d'aquestos semblaus, que pague en nom de pêne aldit seignour deldit loc dex sols, sinon prouve aquel ou aquello ser aytal cal lauye apellat, et aiso la cort que y aio agardar segou mays ou mens et satisfaict premièrement al dampnatge sufiieut.

21. — Punition du vol.

Encara mes qui aura panât eldit loc aucune cause balent doutze dines tol. et de doutze atras entro atres, que pague al seignour deldit loc dex sols tol. et ayso de deiours et sio relegat de ladite ville per un an et courre la ville. Empero si aucun ou aucune aura panât de dies causes balens couate dines toi. ou mens, que n'ordonne la court aisi com sera ali bist en las causes dessus dictes, sio restituit le dampnatge el suffertant ou le furt restituit.

22. — Usage de faux poids et de fausses mesures.

Item, aquel ou aquello que mesure ou pes falses ou que ab fals pes ou ab


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fals mesure a vendre tendra, ou ab fals pes ou ab fals mesure vendra blat ou bin ou autre cause, ou mesurai' ou pesar aura acostumat, pague al seignour deldit loc vingt sols tol.

23. — Tromperie sur la qualité de la viande vendue.

Item, qui carns trogines ou pourcines ou moutouines ou baccines ou oubines per aucun an aucune maueyre per bones aura vendudes, sinon que manifest sio aquel que aura crompat esse aytals, pague al seignour deldit loc per justisia vingt sols tol.

24. — Entrée nocturne dans une maison.

Item, aquel ou aquello que entrara maison estranie de neit per couratge de mal far pague al seignour deldict loc per justisia soixante sols tol.

25. — Incendie des moissons et récoltes.

Item, aquel ou aquello que foc mettra sientmens ou combimra maison ou garbes d'aucun, la vue madel foc mettent, et touts sous bes sion en commes al seignour deldit loc.

26. — Entrée de jour dans une maison.

Aquel empero que de dies maison estraine entrara ab couratge de delenquir pague aldit seignour vingt sols tol. pro justicio.

27. — Incendie de pailles ou foins.

Aquel empero que pallier ou fener ou pailheres ou feneres ab foc aura cremats ou arces (arses) pague al seignour deldit loc soixante sols tol. per justicie, faite esmende ad aquels de qui las causes seran estades.

28. — Vol de récoltes commis de Jour.

Item, qui rasins ou fruicts domestiqs de dies panara ou prenera pague la messegarie et esmende le dampnatge al sufferant.

Las predictos coustumos et libertats ledict mosen Joan de Bartes, son fil, douzel, per si et per sos snccessous touts presens et endebendous doneren et autrageren as prédits cossols en nom de lour et de lous cossolats et als autres dessus nommats en nom de la unibersitat presens et endebendous recebents aisi com dessus es dict; et tant le predict mosen Joan de sobre dict, Arnaud, son fil, d'autoritat et dautreg del prédit son paire, quand encaro mes lesdits cossouls en nom de lourdit cossolat et les autres dessus nommats en nom de lour et de lour unibersitat de lad. ville et dels singulars de ladite unibersitat presens et endebendous lous prédits estatuts et las ordonances dessus dittes... et toutes et senglas causes dessus dites per costumos et libertats et usatges de ladite ville de Turutel et de ses pertenences al honor de Dieu et de la gloriouse berges Maryo et de toute la court selestial si et sos heretes et suc-


PREMIER TRIMESTRE 1912. 55

cessous per tout temps serbaran justomen et fiselmen prometeren et si fassederen et curades (cor. curaren) et encaro mes que toutes las causes universes et sengles be et loialmen aisi com miels es dict eldict loc de Turutel et en saspertenences sian obserbades.

Aiso foc feyt le tretzième jour à l'entrât del mes d'apvril, régnant Philip, rey de Franco, Hue, ebesque de Tholose, l'an mil deux cens nouante et ung. Daiso son testimonis; Hue de Bolosa, Dominic de Begone et jou, Saux Brau, notari public d'Andofiello qui este carto ay esciïuto et signade.


56 SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

REDUCTION DES CONSULS DE L'ISLE-JOURDAIN DE SEPT A QUATRE,

LE 12 JANVIER 1484,

PAR M. SAVERNE.

L'Isle-Jourdain est une des rares villes du département du Gers dont le passé n'ait guère piqué la curiosité de nos érudits gascons, si compétents et de plus en plus nombreux. L'Isle mériterait pourtant de trouver son historien, et le résultat compenserait la peine, car il y aurait des pages fort intéressantes à écrire sur cette localité, importante par sa situation, le nombre de ses habitants et la diversité de ses institutions.

Son château eut son histoire; son église, dotée d'une collégiale ou'chapitre, ne fut pas sans grandeur; l'Isle enfin eut sa part et joua son rôle dans les affaires qui s'agitèrent dans notre pays, notamment au XVIe siècle. Le désintéressement quasi complet de nos chroniqueurs ne peut s'expliquer par la seule pénurie des documents. Ceux-ci, en effet, sans être des plus abondants et pour se trouver disséminés de ci de là, sont bien loin de faire défaut.

La mairie, pour sa part, en possède d'appréciables : un texte fort ancien, sinon original, des coutumes dont M. Parfouru préparait l'édition, les procès-verbaux des délibérations communales remontant à 1569 ne sont pas les moindres richesses du dépôt, encore qu'il s'en y trouve beaucoup d'autres. Et c'est même parmi ces autres, trop nombreuses pour être énumérées ici, que se trouve un acte de réduction du nombre des consuls dont la description ne sera pas sans doute dépourvue d'intérêt. Ce document se présente d'abord au regard sous l'aspect d'un volumineux rouleau de parchemin qui ne mesure pas moins, développé, de 2m30 en longueur sur 0m57 en largeur. Il porte à l'extérieur plusieurs titres, dont voici le plus court et celui qui paraît être le plus ancien : Réduction des consuls de V'IsleJordain de sept à quatre, et permission d'avoir robes et chaperons aux despens communs. La cote est indiquée par cette mention : Série A A 10.


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Le document lui-même s'ouvre sur une déclaration d'un nommé Jean Chevalier, notaire et collationnaire des papiers de Pierre de Fourez, décédé, quand vivait notaire à l'Isle. Le 18 mars 1545 Jean Chevalier a reçu commandement, accompagné de lettres de compulsoire, de la part du syndic de l'Isle, aux fins d'expédier au même syndic « certain instrument concernant les privi« lèges et règlements de la police de lad. ville retenu par led. feu « de Fourez ». Lettres de compulsoire et commandement sont transcrits à la suite. Recherches faites, le document réclamé fut trouvé en un des « prothocolles » intitulé « Liber v. », livre vert. Il est écrit en latin, en voici le résumé : L'Isle-Jourdain, au diocèse de Toulouse, ville fort peuplée avec ses diverses catégories d'habitants, nobles, bourgeois, marchands et autres, fut dotée par ses comtes de très nombreux et très honorables privilèges. De ce nombre fut l'autorisation de nommer chaque année des consuls dont le mode d'élection fut fixé de telle sorte que l'égalité serait observée entre tous, grands et petits, et qu'il ne devait surgir de ce fait aucune difficulté entre le seigneur et l'université des habitants.

A ces fins fut imaginé le procédé d'élection suivant : à la Noël, les vicaires du seigneur de l'Isle et les consuls anciens devaient élire les soixante principaux citoyens de la ville. Des enveloppes, sortes de boules de cire, en nombre égal, seraient préparées, et sept d'entre elles devaient contenir une feuille de papier, cedula,. où. serait écrit le mot consul, à l'exclusion de tout autre. Après quoi, on appréhenderait le premier passant venu, étranger ou enfant, par qui seraient distribuées les soixante enveloppes aux soixante citoyens convoqués. Les sept à qui écherrait l'enveloppe renfermant la mention consul seraient effectivement désignés pour être consuls l'année suivante. A leur entrée en charge ils devaient prêter serment entre les mains du seigneur ou de son vicaire. Les consuls sortants n'étaient pas rééligibles et les soixante notables ne pouvaient être à nouveau choisis avant l'expiration du terme.

Il fut ainsi pratiqué très longtemps, jusqu'au jour où la mortalité décima la population au point qu'il devint impossible de


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trouver soixante notables. De concert avec le seigneur, ce nombre fut réduit à quatorze, nommés sept par sept par le représentant du seigneur et les anciens consuls. On procédait à ce choix de la manière suivante : le seigneur ou son vicaire choisissait les sept premiers notables, quatre dans la bourgeoisie, trois parmi le corps des marchands. Le nom des élus était inscrit sur une liste soumise aux anciens consuls qui éliminaient ceux qu'ils croyaient devoir repousser. Le seigneur ou son vicaire remplaçait ces derniers jusqu'à ce que l'accord fût parfait. De même, les anciens consuls choisissaient leurs sept candidats, quatre dans la bourgeoisie, trois chez les marchands, et soumettaient leur choix à la ratification du seigneur qui pouvait également éliminer ceux qu'il jugeait à propos. Les noms sur lesquels l'accord s'était établi étaient ensuite transcrits sur une feuille de papier, huit d'un côté, six de l'autre, un grand espace blanc laissé entre chacun des noms. Puis on faisait préparer sept bulletins fort petits où l'on avait écrit le mot consul. Ces bulletins minuscules étaient ensuite placés dans des boules de cire rouge ou d'autre couleur; sept autres boules de cire de même couleur, mais vides de bulletins, étaient disposées séparément. Celles-ci étaient ensuite séparées en deux groupes, quatre d'un côté, trois de l'autre. Puis on prenait quatre boules de celles où l'on avait renfermé la cédule et on les plaçait auprès des quatre autres vides ; les trois qui restaient, prises à leur tour, étaient placées près des trois boules du second groupe. Alors on appelait le premier enfant ou passant venu. On lui remettait d'abord le groupe des huit boules qu'il mêlait ensemble; les prenant ensuite, il en mettait une sur le nom des huit bourgeois écrit sur une partie de la feuille préparée déjà. Les noms sur lesquels reposait la boule contenant la cédule désignaient les consuls de l'année suivante. La même opération se répétait pour les six autres noms, ceux des marchands. Les consuls ainsi élus l'étaient pour un an et devaient prêter serment avant d'entrer en charge.

La mortalité et de nouveaux malheurs ayant encore réduit la population de l'Isle-Jourdain, il fut impossible de trouver bientôt, en nombre requis, des hommes capables de gérer les affaires


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publiques. Cela détermina la communauté à exposer ses doléances sur ce sujet au comte de l'Isle, Jean, duc de Bourbon, qui fit expédier des lettres-patentes modifiant l'ancien usage; voici partie de leur teneur :

Jehan, duc de Bourbon et d'Auvergne, compte de Olermont, de Fourests et de I'Isle-Jordain, seigneur de Beaujeu, per et chambrier de France, à tous ceulx qui ses présentes lettres verront, salut.

Savoir faisons nous avoir receu l'humble supplication de nous bienamés les consuls, bourgeois, manans et habitans de nostre ville de I'Isle-Jordain, contenant que dès longtemps par privilège à eux donné par nous prédécesseurs contes de Lysle et du tems que iceuls nous prédécesseurs se tenoyent en ladite ville, auquel temps icelle ville estoit fort publée et y'habitoyent plusieurs gentils hommes, marchands et aultres de divers estats, iceulx supplians se firent et eslirent consuls et scindiques pour le manyment et governement dicelle ville jusques au nombre de sept, lequel nombre y'a despuis esté et est encore entretenu; mais pour ce que despuys, par guerres, mortalités et autres cas fortuits et imprévus, lad. ville a esté tellement oppressée, quelle est à présent fort inhabitée et sont lesd. supplians bien en petit nombre comme il est tout notoyre, icelluy nombre de sept consuls leur est de grand surcharge, despense, et pourroyent les affaires de lad. ville estre souffisamment traitées et gouvernées par moindre nombre de consuls et scindiques et désireroient iceulx suppliants pour le soullagement de lad. ville ledict nombre des sept consuls estre réduit au nombre de quatre. Et encore pour l'honneur de lad. ville et entretenement des louables coustumes anciennes seroyent délibérés dabvoir de fère doresnavant ausdicts quatre consuls robbes et chaperon délivrés aux despens communs dicelle ville, ainsin qu'ils solloyent anciennement avoir, se nostre playsir estoict de ces choses fère, leur impartir nous congé et licence.

Et en oultre nous ont remonstré que à nostre ville de l'Isle, à chacun jour de sabmedi, marché publicque, lequel a coustume destre tenu une foys dedans le borg devers le castel et l'autre foys au lien appelé au Marcadiu et pour ce que cest au bien, proffict et utilité de lad. ville supplient et requièrent que nostre plaisir soict entretenir led. marché en la manière dessusdicte et nostre gracieux et convenable remède sur ces choses dessusdictes leur estre imparty.

La suite des lettres n'est que la confirmation de cette requête. Le duc de Bourbon accorde ce qui lui est demandé. Quant au marché, une réserve est faite : on s'en tiendra aux usages observés durant les dix dernières années, en attendant plus amples informations.


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Ces lettres portent la date du 28 mai 1474; seulement les consuls négligèrent de les faire entériner et d'obtenir jouissance des privilèges qu'elles contenaient. Aussi demeurèrent-elles en suspens et sans effet. Il fallut donc en obtenir de nouvelles qui furent sollicitées du même duc de Bourbon à qui furent présentées, par la même occasion, diverses autres doléances. En ce qui touche la réduction des consuls, les lettres s'exprimaient ainsi : « t quant est de remectre vous sept consuls à « troys sic), nous le vollons pour vous sollager et vous l'octroyons « par ces présentes jusques à ce plus que plus a plain serions « informés s'il est plus utile ou non ». Ces lettres ne portent pas d'autre date que celle du 27 mars. Les consuls s'empressèrent de les faire enregistrer et d'obtenir qu'elles sortissent leur effet principalement en ce qui touchait la réduction des consuls que la majeure et plus saine partie de la communauté voulait voir ramener de sept à quatre.

Les consuls demandèrent également que plusieurs articles des coutumes intéressant l'élection des consuls et autres attributions devinssent l'objet d'un instrument notarié. Une nombreuse assemblée, où assistaient le juge et commissaire de LIsle et le gouverneur du comté de le pour le duc de Bourbon se tint dans la maison commune, à l'effet d'élaborer ce règlement, qui fut rédigé en gascon et dont voici la teneur :

Siecce la formo que a estado concordado esser tenguda et observada doroeavant perpetuallement dins la election des cossols fasedor en la billa de la Ylen Jordan per et enter los cossols de l'an présent mil cccc LXXXIIII. Los conseillers et ultres populars de la dicta villa de Laylha ou la maiori et plus sana partida en la maison communale de la dicta villa, le donzeme journ de janie l'an susdict mil quatre cens quatre bingts et quatre.

Premio : que lo marcat sera tengut per totz temps aysi que fe de présent so es la ung dissapte au borg et l'autra au marcadieu anssi que las letres de Monsr. disen et narrent.

Item que doras en avant la élection et création des cossols de lad. villa de laylha sera al nombre de quatre cossols elegidors et creadors so es dous cossols de la partida del bourg et aultres dous cossols de la partida del Marcadieu chascun au temps et forme ques contengut et descriut en lo libre de la dicte bille apperat lo libre bert, sans contre dict.


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Item que os dous cossols deu bourc auran lo poder et potestat de cognoyscer en las causas civilles et criminallas et auer lo judici et proférer sententia en la absencia des dous deu Marcadiu. La et quant los deu Marcadiu no y sient apperats per lo sargeant, ansi que los quatre deu borg faisent par dauant en semps ab lo bègue eu las causas cryminalas chryminalloment intentadas. Et anssi los dous deu Marcadiu ab lo bègue quab los deux deu bourg donar sentencias.

Item lo sargeant sera tengut de les anar serquar toutz quatre per far les actes necessarys

Item que los deus cossolz deu Marcadiu no osquan profferer sententia que non y'agia ung ou deus deu bourg.

Item que la hung des cossolz deu borg garde le saget deu cossolat ayssi que es acoustumat et sera elegit per toutz quatre.

Item que los cossos deu bourg garden una clau deux archivs et los quossols deu Marcadiu l'aultre clau ansi que es acoustumat.

Item a tous aultres actes deu cossolat comme es acoustumat lesdicts cossols deu bourg auran lo poder comme auen los quatre deu bourg par davant en la absencia deus dous cossolz deu Marcadiu aperats comme dessus.

Item que los dus cossols deu Marcadiu ayan lo poder precminensa et potestat que sollen auer los très cossols deu Marcadiu par dauant.

Item la élection, création deux quatre cousolz sera feite en la forme que se fase deus sept consolz escriut au libre berd de la cominau et lo segament acoustumat.

Le document s'achève dans une très longue conclusion, destinée à assurer l'observation exacte de ces dispositions, subordonnées toutefois au bon plaisir du comte. Une amende de cent marcs d'or, applicable moitié au seigneur, moitié à la ville, devait punir les contraventions interdites sous tout prétexte.


62 « SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

UN CIPPE FUNÉRAIRE TROUVÉ A CASTET-ARROUY,

PAR M. LE DOCTEUR DE SARDAC

On vient de découvrir dans la commune de Castet-Arrouy \ au lieu dit à Corné, dans un champ appelé à Neyssens, des débris nombreux de poteries romaines, de tuiles à rebords et des substructions importantes. Au milieu de ces vestiges, mêlés de charbons et de cendres, qui font croire que l'on se trouve en présence d'une villa romaine détruite par l'incendie, on a mis à jour un très beau cippe funéraire en parfait état de conservation.

Ce monument est en pierre du pays; il a une hauteur totale de lm28; ( il présente la forme "t d'une colonne rectangulaire avec base et surmontée d'un chapiteau avec fronton.

Les faces antérieure et postérieure mesurent 0m325, les faces latérales ont 0m 30; seule la face antérieure porte une inscription de onze lignes, les autres faces sont anépigraphes et sans décorations.

La hauteur du fût de la colonne est de 0m 85 85, la hauteur de la base est de 0m 11; ses faces mesurent 0m45 et 0m41.

Le chapiteau a une hauteur de 0m13; audessus se trouve un fronton assez finement sculpté, offrant sur les faces antérieure et postérieure le dessin de deux volutes en forme de S se rejoignant sur le milieu et présentant une grosse torsade sur les faces latérales.

Ce cippe funéraire est surmonté d'une masse ovoïde ornée de cannelures en spirale; ce motif de décoration est cassé dans sa partie terminale.

■ L'inscription est de onze lignes; les lettres sont grossièrement gravées, celles de la première ligne ont 0m05 de haut, les autres

1 Castet-Arrouy, commune du canton de Miradoux, à l'est de Lectoure.


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Om03. La lecture en est facile, on peut hésiter à la fin de la dernière ligne à cause d'un trou de la pierre.

Les lettres de la première ligne, D. M., sont séparées par une feuille de lierre, la pointe en bas.

Voici ce que je propose pour la lecture de cette inscription : Diis manibus et memorie Ullie Secundille Sarmesibia Nepotilla filia ejus faciendum curavit et sub ascia dedicavit. « Aux dieux ce mânes et à la mémoire de Jullia Secundilla, Sarmesibia Nepo« tilla sa fille a eu soin de lui faire construire [ce tombeau] « qu'elle a dédié sous l'ascia. »

La dernière ligne offre quelque difficulté dans son interprétation ; après le V, il y a un défaut de la pierre qui empêche de lire d'une façon certaine la fin de l'inscription qui se termine par les lettres IT. Deux lettres pourraient être placées à la partie manquante; existaient-elles réellement? Je laisse à plus compétent que moi le soin de le décider.

Ne pourrait-on pas admettre que l'accident de la pierre remonte au moment où l'ouvrier gravait l'inscription, et, comme il était sur le point de terminer son travail, il s'est contenté d'ajouter, après le défaut accidentel de la pierre, les lettres IT pour finir le mot DEDICAVIT?

Ce cippe funéraire est intéressant pour plusieurs raisons : il est d'abord dans un parfait état de conservation, il nous donne un nom que nous ne connaissions pas, des surnoms peu communs et des formules funéraires nouvelles pour notre région.

Le nom de IULLIA est très fréquent dans notre épigraphie gasconne; au musée de Lectoure, j'ai relevé trois fois ce nom : IULIA VALENTINA, IULIA *CLEMENTIANA, IULIA NICE; mais le surnom de SECUNDILLA est inconnu dans notre province, où l'on ne trouve que SECUNDUS 1 et SECUNDINUS 2.

M. Camille Jullian 3 cite bien une SECUNDILLA dans une inscription de Bordeaux, qui a disparu aujourd'hui. On rencontre

1 BLADÉ, Epigraphie antique de la Gascogne, p. 128.

2 Julien SAOAZE, Inscriptions antiques des Pyrénées, pp. 223, 357, 418.

3 Camille JULLIAN, Inscriptions romaines de Bordeaux, t. I, p. 232.


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aussi deux fois ce « cognomen » au musée de Lyon ] et trois fois au musée de Nismes 2.

Par contre, je n'ai vu nulle part le nom de SARMESIBIA, tandis que le surnom de NEPOTILLA 3 est cité une fois par Allmer.

La formule funéraire FACIENDUM CURAVIT ET SUB ASCIA DEDICAVIT n'est pas employée dans notre épigraphie régionale. Je l'ai vainement cherchée dans Sacaze, Espérandieu 4 et Bladé. M. Jullian 6 décrit deux inscriptions du musée de Bordeaux où cette formule subit une légère variante et où on lit : PONENDUM CURAVIT ET SUB ASCIA DEDICAVIT. Allmer 6 nous dit que la dédicace SUB ASCIA était surtout usitée à « Lyon et dans la contrée environnante »; là encore on retrouve la variante PONENDUM CURAVIT.

L'orthographe de cette inscription est vicieuse en plusieurs endroits. Dans MEMORIE, ULLIE, SECUNDILLE, l'E final est mis à la place de AE. Je dois signaler enfin la disparition de l'I de IULLIE.

Le taurobole du musée de Lyon, où se trouve le nom d'AEMILIA SECUNDILLA 7, est daté: il remonte à l'année 197; je ne crois pas le cippe funéraire que je viens de décrire aussi ancien. La forme grossière des lettres et la formule 8 DIIS MANIBUS ET MEMORIAE, qui a été surtout employée au IIIe siècle, me font penser que ce monument est de la fin du IIIe siècle ou du IVe.

1 ALLMER et DISSARD, Musée de Lyon, inscriptions antiques, t. I, p. 38 ; t. IV, p. 491. s Inscriptions antiques de Nismes, Toulouse, Privât, 1893, pp. 654, 760.

3 ALLMER et DISSARD, loc. cit., 1.1, p. 128; t. V, p. 6.

4 ESPÉRANDIEU, Inscriptions antiques de Lecloure, Auch, G. Foix, 1892.

5 JULLIAN, loc. cit., p. 153.

6 ALLMER, loc. cit., t. III, p. 148.

7 ALLMER, loc. cit., t. I, p. 37.

8 ESPÉRANDIEU, Épigraphie romaine du Poitou et de la Saintonge, p. 235.


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LA SOCIÉTÉ MONTAGNARDE DE FLEURANCE

PENDANT LA PÉRIODE RÉVOLUTIONNAIRE,

PAR M. Noël CADÉOT.

.Dès l'année 1790, le mouvement révolutionnaire, qui de Paris s'étendait chaque jour à la province, fit éclore dans la plupart des villes et même des villages des sociétés ou clubs politiques. Ces groupements avaient surtout pour but principal de défendre la République naissante et de surveiller les attentats qui pouvaient être dirigés contre elle, « Associations spontanées, natu« relies », dit un historien, « auxquelles on aurait tort de cher« cher une origine mystérieuse ou bien des dogmes cachés. Elles « sortirent de la situation même, du besoin le plus impérieux, « celui du salut. Elles furent une publique et patente conjura« tion, en partie visible, en partie cachée, de l'aristocratie 1. »

Comme tant d'autres localités du département du Gers, Fleurance eut une Société populaire. Malheureusement, le registre des délibérations de cette association a disparu. Les Archives départementales ne conservent que les registres des Sociétés populaires d'Auch, de Lectoure, de Gondrin, de Manciet et de Roquelaure 2.

Faut-il attribuer la disparition du registre des délibérations de notre Société à l'incendie qui détruisit l'hôtel de ville en 1833 et qui aurait détruit, du même coup, le grand coffre de chêne à trois clés où il était sans doute renfermé? Faut-il admettre qu'il ait subi le sort du Livre noir, dont un ignorant employé de la municipalité arrachait chaque jour une poignée de feuillets pour allumer le feu de MM. les consuls? Ce sont deux hypothèses fort

1 MICHELET, Hist. de la Révolution française, livre IV, chap. IV.

2 Reg. de la Société populaire d'Auch, du 3 frimaire an II au 17 vendémiaire an III; — Reg. de la S. P. de Lectoure, du 30 mai 1791 au 9 pluviôse an III ; — Reg. de la S. P. de Gondrin, du 3 mai 1791 au 27 brumaire an II ; — Reg. de la S. P. de Manciet, du 4 frimaire an II au 20 frimaire an III; — Reg. de la S. P. de Roquelaure, du 19 mai 1793 au 30 frimaire an III (Archives départementales).


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possibles. Mais il se peut encore que ce registre ait été dérobé par des personnes mal avisées, qui croyaient avoir un intérêt ou une satisfaction dans la disparition de ce document et conservaient l'espoir, par cet acte, de laisser ignorée la' part prise par les ascendants dans le mouvement révolutionnaire 1.

Ainsi que cela résulte d'une pièce qui existe-dans nos archives communales, la Société de Fleurance avait pris le titre de « Société des amis de la République ». Parfois les délibérations municipales la dénomment « Société des amis de la Constitu« tion », et les divers documents que nous avons eu l'occasion d'interroger, la désignent plus communément sous le nom de « Société montagnarde » ou de « Société populaire ».

Il ne nous a pas été possible d'établir la date de la formation de cette Société. Toujours est-il que, dès le principe, elle n'accepta point avec enthousiasme les idées nouvelles, et son existence fut de courte durée puisqu'elle avait cessé de vivre au commencement de 1791. Elle avait d'ailleurs été remplacée par une nouvelle association d'allures plus républicaines.

En effet, le Club des Jacobins de Paris ayant demandé à la Société populaire de Lectoure divers renseignements concernant la Société de Fleurance, les citoyens Léglise et Bourgade furent désignés par leurs collègues lectourois pour procéder sans délai à l'enquête nécessaire. Les deux enquêteurs vinrent à Fleurance puiser sur place les renseignements dont ils avaient besoin, et huit jours après, le 24 juillet 1791, ils firent connaître à leurs collègues le résultat de leur mission qui fut transmis au Club des Jacobins. « La Société de Fleurance », dirent-ils, ce qui est « inculpée par celle des Jacobins de Paris, n'existe plus, mais il ce s'en est formé une autre dont les principes méritent toute « sorte de louanges 2. »

1 II en aurait été de même plus tard, à notre avis, pour les documents relatifs à la période assez agitée de 1848 à 1852, documents qui ont disparu des archives communales de Fleurance.

2 Registre de la Société populaire de Lectoure, séances des 17 et 24 juillet 1791 (Archives départementales, L 697).


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Les séances de la Société populaire avaient lieu dans la salle de la maison commune, dont les dimensions étaient fort réduites. Comme le nombre des membres augmentait de jour en jour, le local mis à la disposition de la Société devint vite insuffisant. Afin de parer à cet inconvénient, le citoyen Louis Percin-Prat, dans les premiers mois de 1793, au nom de la municipalité et du peuple, fut chargé de solliciter du directoire du district de Lectoure l'autorisation, pour la Société populaire de Fleurance, de tenir désormais ses séances dans la « ci-devant église » des religieuses Ursulines 1.

L'immense couvent des Ursulines était vacant. Abandonné depuis cinq mois environ par les religieuses, pour se conformer au décret de l'Assemblée nationale du 17 août 1792, cet immeuble, qui avait été mis, par arrêté du directoire du département, à la disposition de quatre compagnies de volontaires, venait d'être évacué. L'église ou plus exactement la chapelle des religieuses, autant qu'il est possible de l'évaluer après les transformations successives subies par l'immeuble, devait mesurer environ douze mètres de longueur sur cinq mètres de largeur; c'était déjà une salle spacieuse. Elle se trouvait incorporée dans l'immeuble occupé aujourd'hui par M. Larroque, receveur des Contributions indirectes, rue Gambetta, qui en est devenu le propriétaire.

Il n'y avait point de questions intéressant la vie de la commune, les besoins et les intérêts de la collectivité des citoyens que la Société montagnarde ne prit en mains. Ses requêtes à la municipalité étaient toujours appréciées, et si elle n'en vint pas à dicter ses ordres à l'Administration communale elle-même, celle-ci, jugeant sans doute qu'elle ne pouvait se passer du concours actif de la Société populaire,, l'invitait, dans bien des circonstances, à s'adjoindre à elle, et les décisions étaient prises

1 Registre des Pétitions du district de Lectoure (Archives départementales, L 223, f° 127, n° 1145).


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souvent en commun. Parfois encore, des membres délégués par la Société populaire étaient admis à participer aux séances du Conseil général de la commune 1, et ils prenaient la parole dans ces assemblées.

Afin de mieux surveiller les agissements de la contre-révolution, la Société populaire, devançant les arrêtés qui furent pris plus tard par les représentants du peuple en mission dans le Gers 2, demanda à la municipalité et obtint la création d'un comité de surveillance. Voici le texte de cette délibération :

Aujourd'hui vingt-cinq avril mil sept cens quatre-vingt treize, la municipalité assemblée, présens : Percin, maire; Molères, Dutaut, Laurentie, Mauroux, Fitte, agent national,

A été dit par le citoyen président que dans ce moment de crise où nous somes menacés de toutes parts par les ennemis estérieurs, tandis que nous voyons dans l'intérieur des troubles, des insurrections et des trames ourdies par les malveillans pour renverser la Constitution de la République; il lui paroit, ainsi qu'à certains membres de la municipalité, que choisis par le peuple pour veiller à ses plus chers intérêts, ils ne sçauroient être entourés d'assés de lumières et de prudence pour arrêter ou déjouer toutes ces trames, comme aussi pour empêcher que l'esprit des simples ne fust travaillé d'aucune façon par le fanatisme. Ledit président soumet à la sagesse de l'Assemblée s'il ne seroit pas prudent, à l'exemple des villes voisines, d'établir un comité de sûreté et de surveillance qui, de concert avec la municipalité, feut particulièrement chargé de cette tâche.

Sur quoy, ouï le citoyen Fitte, procureur de la commune,

A été unanimement délibéré et arrêté :

Article premier. — Il sera établi un commité de sûreté ou de surveillance dans la ville de Fleurance, lequel, de concert avec la municipalité, avisera aux moyens qu'il y auroit à employer pour déjouer toutes les trames, et quelles mesures les plus promptes et les plus efficaces qu'on pourroit employer pour y parvenir.

Art. 2. — Ce commité sera composé de six membres, sçavoir : de deux officiers municipaux, de deux membres de la commune et de deux membres de la

1 L'administration communale de Fleurance reposait sur un conseil de trente jurats choisis parmi les plus haut taxés de la commune et s'appelait le Conseil général.

- Arrêté de Dartigoeyte, du 11 octobre 1793, créant un comité de surveillance dans chaque district (Arch. dép., L 146). Arrêté de Monestier, du 7 nivôse an II, instituant des comités de surveillance dans les départements du Gers et des Landes (Arch. dép., L 147).


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Société des Amis de la Constitution de cette ville, lesquels seront spécialement chargés de veiller les malveillans, ceux qui depuis le commencement de la Révolution se sont tonjours montrés opposés aux principes de la République et enfin ceux et celles qui ont employé toutes espèces de moyens pour fanatiser les simples et le peuple, tant au commencement de la Révolution que depuis.

Art. 3. — Le présent arrêté sera communiqué à la première séance où le Conseil général de la commune se trouvera assemblé, afin que l'on fasse le choix de deux bons patriotes pour opérer le bien que les officiers municipaux en espèrent.

Copie du présent sera également remis au président de la société des amis de la Constitution de cette ville, afin qu'il en donne connoissance à la société, qui délibérera dans sa sagesse les sujets qu'elle croira devoir nous associer.

L'assemblée délibérant ensuite pour procéder à la nomination des deux officiers municipaux qui doivent être du commité de sûreté ou de surveillance, les voix se sont réunies sur les citoyens Molères et Dutaut. Arrêté à Fleurance le jour et an que dessus, l'an second de la République françoise.

Signé .- PERCIN, maire ; MAUROUX, officier municipal ; DUTAUT, officier municipal; MOLÈRE, officier municipal; LAURANTIE, officier municipal ; FITTE, procureur de la commune ; ARMAIGNAC, secrétaire-greffier **

Le même jour, le Conseil général de la commune, consulté pour donner son avis sur l'opportunité de la création du comité de sûreté, approuvait l'arrêté et désignait les citoyens Larrey et Noguès, notables, pour être adjoints aux deux officiers municipaux et aux deux membres de la Société populaire. Nous ne connaissons pas les noms de ces derniers; seul, le registre disparu aurait pu nous les apprendre.

Il est possible que ce comité était affilié au comité de surveillance siégeant au chef-lieu du département. Ainsi d'ailleurs s'expliquerait facilement la dénonciation qui parvint au comité de sûreté d'Auch contre le citoyen Percin, curé de Fleurance, que l'on accusait d'être opposé aux principes de la Révolution parce qu'il avait prêché contre la loi du divorce 2.

1 Archives communales de Fleurance, registre des délibérations municipales.

2 Arch. départementales (procès-verbaux des séances de l'administration départementale, 24 vendémiaire an II, L 117).

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70 SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

Lorsque les sociétés montagnardes du département du Gers se réunirent en congrès, à Auch, les 22 et 23 septembre 1793, sous la présidence de Lantrac \ la Société populaire de Fleurance se fit représenter à cette manifestation qui donna au mouvement révolutionnaire, dans notre région, une impulsion nouvelle.

Il est probable que les délégués de la Société de Fleuranc.e réussirent à faire partager à leurs collègues et concitojrens un peu de l'enthousiasme révolutionnaire qu'ils avaient puisé au congrès d'Auch. Nous savons, en effet, que le 8 frimaire suivant, nos montagnards firent décider par le conseil général de la commune qu'il y avait lieu de renoncer définitivement à la célébration du culte catholique 2, et nous allons les voir ensuite demander au corps municipal que tous les objets du culte soient offerts en don volontaire à la Patrie.

Nous croyons intéressant de reproduire le texte de cette délibération :

Ce jourdhuy huitième jour du mois de frimaire l'an II de la République française une et indivisible, ou 28 novembre 1793, vieus style, dans la maison commune de Fleurance, le Conseil général permanent sont assemblés les citoyens Percin, maire, Mauroux, Laurantie, Molère, officiers municipaux, Fitte, agent national, Garac, Soustra, Tarissan, Larrey, Poncin, Denjoy, Noguès.

Les citoyens Larrey et Laval, commissaires de la Société montagnarde de cette commune, admis à la séance, ayant obtenu la parole, ont dit, que la Société dans son assemblée d'hier avoit unanimement déterminé de proposer au Conseil général de la commune, s'il ne conviendrait pas d'offrir sur l'autel de la patrie en don volontaire tous les vases et autres effets servant au culte catholique, toutes Les matières d'or et d'argent qui peuvent se trouver dans la cy-devant paroisse; que les commissaires nommés par cette Société pour faire part au conseil général, de son voeu, espéraient que l'assemblée s'occuperoit de suite de leur demande.

Sur quoy, ouy l'agent national,

1 Voir Bulletin de la Société archéologique du Gers, année 1900 (Deux grands congrès des Sociétés populaires, par BREGAIL).

2 Les délibérations de frimaire an II manquent dans les archives communales de Fleurance, mais une délibération postérieure (24 germinal) ne laisse aucun doute sur la décision qui fut prise par l'assemblée.


PREMIER TRIMESTRE 1912. 71

Le Conseil général :

Considérant qu'il est urgent de faire disparaître de suitte tous les effets qui ont servi à nourrir trop longtemps le fanatisme, que l'employ proposé est le plus analogue à l'intention de chacun des membres;

Considérant en outre, que cette offrande devroit être augmentée par le montant du traitement du cy-devant curé, qui se trouve imposé sur le rôle de 1793;

Arrête que toutes les matières d'or et d'argent et cuivre appartenant à cette commune et qui se trouvent dans l'église de la ci-devant paroisse seront portées au département pour y être offertes en don sur l'autel de la patrie et que, Percin, maire, Mauroux et Fitte, agent national, en fairont l'inventaire; qu'à ce don sera joint celuy du montant du traitement du cy-devant curé.

Arrête de plus que ces dons seront offerts par les citoyens Garac et Denjoy, membres du Conseil, et par les commissaires de la Société populaire au nom de la municipalité et des habitants de Fleurance.

Signé : PERCIN, maire; MAUROUX, officier municipal; LORANTIE, officier municipal; MOLÈRE, officier municipal; FITTE, agent national; GARAC, SOUSTRA, TARISSAN, LARREY, FONCIN, DENJOY, NOGUÈS, membres; ARMAIGNAC, secrétaire-greffier 1.

Que se passa-t-il ensuite ? Nos montagnards étaient-ils, en réalité, moins farouches qu'ils ne voulaient le paraître ou bien leur ardeur révolutionnaire aurait-elle été émoussée par les difficultés de toute sorte que la contre-révolution ne cessait pas un instant de soulever ? Nous l'ignorons. Ce qui est bien certain, c'est qu'un mois après avoir renoncé au culte, la Société populaire prenait l'initiative de faire réouvrir l'église; elle déléguait, â cet effet, le 7 nivôse an II, quatre de ses membres, les citoyens Carboneau aîné 2, Castarède fils, Larribeau père et Laurent Coué, pour demander au Conseil de consentir à la reprise du culteDans la circonstance, le citoyen Castarède, secrétaire de la Société populaire, était l'orateur de la délégation. Son éloquence

1 D'après copie Tarbouriech, prise sur un extrait du temps appartenant à M. Desponts, pharmacien à Auch.

2 Carboneau (Arnaud), tuilier, frère de Jean Carboneau. Les deux frères étaient officiers municipaux pendant, la Révolution. Ils firent partie tous les deux de la loge maçonnique et probablement aussi de la Société populaire de Fleurance. Jean, fut l'arrière-grand-père maternel de M. Thierry-Cazes, député actuel de l'arrondissement de Lectoure.


72 SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

ne décida point le Conseil général à revenir sur la décision qui avait été prise, puisque l'église servait encore de magasin à fourrage au commencement de 1795 et qu'elle ne fut rendue au culte qu'à la suite d'un arrêté du département en date du 29 prairial an III, sur la pétition de cinquante-cinq habitants.

Selon toutes probabilités, on doit admettre que la Société montagnarde avait, comme sa devancière de 1790, dévié quelque peu de ses principes. C'est d'ailleurs le reproche qui lui fut adressé lorsqu'elle demanda son affiliation à la Société montagnarde d'Auch, qui ne transigeait point. Dans sa séance du 25 germinal an II, la Société montagnarde d'Auch arrête « qu'avant d'accorder à la Société de Fleurance l'affiliation « qu'elle a demandé, elle sera purgée des intrigants qui viennent « de s'y introduire; qu'à cet effet, deux citoyens nommés par le « Comité s'y transporteront pour juger de la vérité des faits 1 ».

Quelques jours après l'échec de la démarche relative à la réouverture de l'église, une nouvelle délégation de la Société populaire demandait au Conseil général de la commune d'inaugurer le temple de la Raison, et l'assemblée communale décidait, séance tenante, que le lendemain même, 11 ventôse an II, il serait procédé à cette inauguration dans l'église paroissiale 2.

Sans désemparer, la Société populaire se préoccupa de la fête de l'Être suprême. Elle invita le Conseil de la commune à faire célébrer ce culte nouveau dans l'église de la paroisse, et soumit à l'assemblée communale un programme détaillé de la fête inaugurale. Le Conseil général accepta le programme tel qu'il lui' était présenté et décida que la fête aurait lieu le lendemain, 20 prairial an II, et qu'à cet effet on dresserait « un autel et « autres décorations ». La municipalité se chargeait en outre d'inviter toute la population à assister à cette manifestation" de la religion de Rousseau et de Robespierre, et de parer à tous les frais qu'elle pourrait entraîner 3.

1 Archives départementales, L 694 (reg. des délibérations de la Société montagnarde d'Auch). 1 Archives communales (délibération du 9 ventôse an II). 3 Archives communales (délibération du 19 prairial an II).


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Si les moindres désirs exprimés par la Société populaire étaient généralement considérés comme des ordres par le Conseil général ou le corps municipal, il faut dire que, dans une circonstance banale, la municipalité, n'osant peut-être pas s'opposer ouvertement à la proposition qui lui était soumise, fit semblant d'y faire droit, mais essaya de résister par la force d'inertie. Voici à quelle occasion.

La Société populaire avait décidé que l'arbre de la Liberté, « qui avoit séché, seroit enlevé et remplacé par un vert qui « pourroit prendre racine ». Le citoyen Margoët, juge de paix, fut chargé d'exposer au Conseil général le voeu de la Société. L'assemblée communale ne fait aucune objection à ce projet; elle arrête qu'on plantera de suite un nouvel arbre, « qu'on prendra « toutes les précautions pour que l'arbre prene racine, l'enfermer « dans une boete, y poser des chasse-roues afin de le préserver « des accidens inséparables des mouvements d'une ville 1 ». Rien ne fut fait cependant, et cette décision resta en suspens pendant plus de dix-huit mois. Il ne fallut rien moins que l'énergique intervention du citoyen Garac, agent national, intervention d'ailleurs pleine de menaces, pour obtenir que le projet arrêté et accepté fût mis à exécution 2.

Depuis quelques années, les récoltes en grains et fourrages laissaient à désirer dans la contrée. Cela n'avait point empêché l'Administration départementale d'exiger des quantités considérables de grains, notamment pour subvenir aux besoins soit des départements voisins, soit de l'armée des Pyrénées. Ces réquisitions, exercées à chaque instant dans l'arrondissement de Lectoure, avaient fini par épuiser les existants, et les Fleurantins se demandaient, non sans terreur, au prix de quelles privations ils pourraient attendre la récolte prochaine. Préoccupée de cette situation lamentable, la Société montagnarde de Fleurance adressa une requête aux administrateurs du département et à

1 Archives communales (délib. municipale du 27 pluviôse an II). 3 Archives communales (délib. municipale du 5 messidor an III).


74 SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

Dartigoeyte 1, représentant du peuple en mission dans le Gers. Pour donner plus de poids à sa demande, la Société populaire fit appel à la municipalité, et la requête fut rédigée d'un commun accord comme suit :

Au citoyen Dartigoeyte, représentant du peuple, et aux citoyens administrateurs du département du Gers.

La Société montagnarde de Fleurance, réunie à sa municipalité, vous expose :

Que la population de cette commune est de deux mille quatre cent quatre personnes 2;

Que, d'après le recensement rigoureux qui a été fait, il y a plus d'un mois, de sa production, il est clair qu'elle n'a pas eu ou presque pas eu de résidu, les semences prélevées; de manière qu'elle n'a pas rendu cinquante livres pesant de grains par tête, déjà à peu près consommés.

Son arrière-récolte en millets et légumes se réduit cette année à zéro.

Or, il est démontré que la stricte consommation d'une population de deux mille quatre cent quatre personnes est de neuf mille six cent seize sacs de grains.

Ce qui prouve aussi que nos besoins physiques sont de plus de huit mille sacs.

Déjà nous ressentons les atteintes de la faim, et plusieurs de nos concitoyens, forcés de se nourrir de grains qu'ils destinoieut pour ensemencer, n'ont ni pain pour vivre ni du bled pour semer.

Cependant il a été déclaré à notre commune, par des étrangers de cette ville, une assés forte quantité de bled et d'haricots, déposés par eux dans des greniers, et devenus matière à procès. Quelques pressants que soyent nos besoins, nos mains ont respecté ces denrées.

' Dartigoeyte (Pierre-Arnaud), né à Mugron (Landes), le 12 mars 1763, était procureur-syndic du district de Saint-Sever quand il fut élu par le département des Landes député à la Convention. Envoyé en mission dans le Gers, il y exerça ses pouvoirs de mai 1793 à vendémiaire an III, et se montra impitoyable'pour lés fédéralistes et les contre-révolutionnaires. Pendant son absence, il fut élu secrétaire de la Convention. Après le 9 thermidor, accusé de dilapidation,-la Convention le rappela et. sur la dénonciation de Durand-Maillane, il fut décrété d'arrestation, puis remis en liberté par l'amnistie du 4 brumaire an IV. Il se retira dans son pays à Lahosse, près Mugron, où il mourut en 1812. Il avait épousé MLLe Sophie de Foix-Candale.

2 D'après un recensement fait en 1790, la population était de 2.884 habitants, soit 2.557 dans Fleurance et sa juridiction, et 327 dans Saint-Hurbary, son annexe (délibération municipale du 31 janvier 1790).

Le nombre des feux (allumants) était de 588 en 1789.


PREMIER TRIMESTRE 1912. 75

CITOYENS,

Dans ces circonstances nous avons cru aussi sage que nécessaire de vous instruire de- toutes ces choses et de recourir à votre sensibilité paternelle. Nous vous demandons donc :

1° De vouloir bien excepter de la loi de l'impôt en nature les citoyens domiciliés de cette ville et communes voisines ;

2° D'autoriser la municipalité à puiser dans le dépôt susdit ce qui manque de semences à nos concitoyens et à faire porter les haricots au marché ;

3° De vous faire représenter le plutôt possible le tableau des millets et légumes crus dans les communes de Lectoure, Lisle-Bouzon, Saint-Clar, Grammont, Saint-Léonard et autres adjacentes, et d'en ordonner, la chose vérifiée, que le résidu de leur dépense annuelle soit mis à la disposition de notre municipalité.

Signé : PERCIN, maire; MAUROUX, officier municipal; MOLÈRE, officier municipal; SOUSTRA, notable; LARREY, notable; HORNOGA, secrétaire; GARAC, FITTE, PERCIN, ROUQUETTE,

NOGUÈS '.

Cette requête, datée de brumaire an II, après un avis favorable du Directoire du district de Lectoure, fut transmise par Dartigoeyte au Conseil général du département, avec l'autorisation de « statuer définitivement et prendre sur le champ de promptes « mesures à l'effet que les citoyens ayent les semences et des « moyens de subsistance soit en fèves, soit de toute autre « manière ».

A son tour le Conseil général du département arrête que les citoyens de Fleurance seraient dispensés de l'impôt en nature, et autorise la municipalité à prendre les grains nécessaires à l'ensemencement des terres chez les particuliers qui pouvaient en posséder.

Cependant, en dépit du zèle fort louable que dépensèrent à la fois et la Société populaire et la municipalité, le marché de Fleurance restait fort mal approvisionné. La misère devenait chaque jour plus intense. Dans l'espoir que les représentants du peuple éviteraient aux Fleurantins des réquisitions nouvelles et viendraient à leur aide en leur faisant obtenir les secours immé1

immé1 communales. Archives départementales, L 223 (registre des pétitions du district de Lectoure).


76 SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

diats dont ils avaient le plus grand besoin, la municipalité déléguait deux de ses membres à Auch pour exposer aux citoyens Dartigoeyte et Monestier 1 « la détresse où se trouve la majeure « partie des individus de cette commune par le manquement des « subsistances ».

Mal informé, Dartigoeyte, le farouche terroriste, reçut la délégation et lui reprocha vivement l'égoïsme de la municipalité qui, d'après ses renseignements personnels, faisait distribuer le blé porté au marché aux seuls habitants de la commune. Il ajoutait qu'en agissant ainsi « on ne cherchait à accaparer les grains que « pour substanter les muscadins ».

La Société populaire, émue de ces représentations sévères, prit la défense de la municipalité. A son tour, elle désigna deux de ses membres auxquels le Conseil général de la commune adjoignit les citoyens Noguès et Poncin pour aller démontrer à Dartigoeyte que la municipalité de Fleurance avait été calomniée.

Ces ambassadeurs n'eurent pas beaucoup de peine à prouver au représentant du peuple qu'il avait été trompé. Il convient de dire que la délégation avait eu soin de se munir des registres sur lesquels étaient inscrites les ventes et livraisons de grains opérées par les soins de la municipalité sur nos marchés; ces registres portaient les noms des différentes personnes des communes voisines qui avaient bénéficié de ces grains sur le vu de certificats établissant qu'elles étaient sans subsistances 2.

Dartigoeyte, convaincu, dès lors, des sentiments républicains et patriotiques de la municipalité et de la Société populaire, résolut de faire plus ample connaissance avec les « bons sansculottes » de Fleurance. Il leur fit annoncer par le citoyen Dauriol, administrateur du département, sa visite pour le 16 ven1

ven1 (Benoît-Jean-Baptiste), député du Puy-de-Dôme à la Convention, né à Sauvetat (Haute-Loire), le 31 octobre 1745. Avant la Révolution, il était curé de SaintPierre-de-Clermont, puis premier vicaire épiscopal. A la Convention, il siégea à la Montagne. Devint président du tribunal criminel du Puy-de-Dôme. Envoyé en mission dans l'armée des Pyrénées en 1793, il fut accusé de dilapidation et bénéficia de l'amnistie du 4 brumaire an IV. En 1800, il prit une charge de notaire, qu'il conserva jusqu'en 1814, et mourut à Anthezat (Puy-de-Dôme), en 1820.

2 Archives communales (délibération municipale du 3 ventôse an II).


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tôse an IL A cette nouvelle inattendue, le corps municipal se réunit et prend des dispositions pour recevoir le représentant du peuple avec les honneurs qui lui sont dus. On décide qu'un banquet aura lieu à cette occasion et que les membres de la Société populaire seront spécialement invités, ainsi que les trois officiers de la garde nationale et les citoyens Babijon 1, Limozin 2 Gauran 3, agent national du district, et Carrère-Lagarrîère 4, administrateur.

La réception qui fut faite à Dartigoeyte dut être fort enthousiaste; supposer qu'il en fut autrement serait méconnaître le tempérament et le caractère des Fleurantins. Il apparaît dans tous les cas que le représentant du peuple sut parler à ses hôtes le langage qui leur plaisait et qu'il conquit leur sympathie. Nous en voyons la preuve dans la manifestation que lui fit le Conseil général de Fleurance aussitôt qu'il fut instruit du « danger « qu'avoit couru le citoyen Dartigoeyte, représentant du peuple, « et de l'attentat qui avoit failli être comis en sa personne dans « la ville d'Auch 5 ». L'assemblée municipale, convoquée en toute

1 Babijon (Pierre), capitaine en premier an 12e régiment de hussards, domicilié de la commune de Monclar (Lot-et-Garonne), était marié à Limozin (Julie-Louise). Il habita Fleurance pendant plusieurs années.

' Limozin (Jean-Marie), homme de loi, maire de Fleurance en 1790 ; il fut réélu de nouveau à cette fonction en l'an III et exerça ces fonctions jusqu'en l'an IX.

3 Gauran (Paul), avocat, né à Lectoure le 2 avril 1758; administrateur du département, procureur-syndic du district de Lectoure. Il fut élu député du Gers au Conseil des Cinq-Cents en 1797; exclu de la représentation nationale après le 18 brumaire, il devint par la suite conseiller à la Cour d'Agen. Il mourut en 1841, à Pérès, aux environs de Lectoure.

4 Carrère-Lagarrière (Caprais-Jean-Baptiste), né à Montestruc (Gers), le 25 septembre 1755, devint, en 1790, administrateur du département du Gers et fut élu député au Conseil des Cinq-Cents, le 24 germinal an V. Au 18 brumaire, il refusa d'adhérer au coup d'Etat et fut exclu de la représentation nationale. Il se retira à Fleurance où il avait acquis, comme biens nationaux, une partie du couvent des Augustins.

5 Le 17 germinal an II, Dartigoeyte, dans une réunion de la Société montagnarde, au théâtre d'Auch, était à la tribune quand une brique, tombée des galeries supérieures, vint se briser à ses pieds. Cet événement prit de suite des proportions fantastiques : on cria qu'on avait voulu attenter aux jours du représentant du peuple. Il y eut de nombreuses arrestations : un jeune volontaire du bataillon de Mirande, Lacassaigne, fut accusé, jugé et exécuté, séance tenante, sur la place de la Liberté. Quelques mois après cet incident, l'innocence de Lacassaigne était reconnue.


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hâte, parut, en effet, « vivement affectée de témoigner, par une « députation, à ce représentant, combien elle est pénétrée du « danger qu'il a couru », et décida que les citoyens Larrey et Laborde du Gébra iront lui remettre une adresse de sympathie \ Dans cette adresse, les membres du Conseil général témoignaient à Dartigoeyte « tout ce que leur coeur avoit souffert « pour le danger qu'il avoit couru », et ils ajoutaient : « qu'il « n'avoit qu'à parler, ils partiroient de suite pour lui aller faire « un rempart de leurs corps ».

Si la Société populaire de Fleurance était une organisation avec laquelle le Conseil général de la commune devait parfois compter, elle n'entendait s'occuper que des affaires qui lui convenaient ou de celles qu'elle considérait comme pouvant être de son ressort ou de sa compétence. Elle ne jugeait pas toujours utile de donner son avis chaque fois que la municipalité le sollicitait soit officieusement, soit même officiellement. C'est ainsi qu'elle laissa sans réponse une demande du Conseil général ayant pour but de faire désigner par la Société populaire deux citoyens qui auraient les dispositions requises pour être gardes champêtres de la commune 2. La Société populaire avait sans nul doute jugé qu'elle ne s'était pas constituée pour cela.

Mais, en revanche, la réorganisation de l'enseignement primaire paraît avoir été l'une des préoccupations dominantes de la Société populaire. Chaque fois qu'une question touchant de près ou de loin à l'instruction était agitée, la Société s'empressait de la faire sienne et essayait de la mener à bonne fin, selon ses vues.

En 1793, une seule salle de la maison commune constituait tout le local scolaire de Fleurance; au surplus, ce local était fort exigu et très malsain. Le presbytère désaffecté restant vacant, la municipalité, qui avait besoin de toutes ses ressources, décida d'aliéner par vente pure et simple cet immeuble inoccupé, ainsi

1 Archives communales (délibération municipale du 19 germinal an II).

2 Archives communales (délibération municipale du 2 fructidor an II).


PREMIER TRIMESTRE 1912.

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que ses dépendances, « pour le prix en provenant être employé à « l'avantage de la commune 1 ». Mais l'autorisation de vendre demandée au district ne fut point accordée.

C'est alors que la Société montagnarde forma le projet d'installer l'école dans le presbytère désaffecté et adressa une requête au département, à cet effet. Cette pièce, la seule qui existe dans nos Archives communales, porte le timbre de la Société populaire que nous reproduisons ci-dessous avec le document dans son intégralité :

La Société montagnarde de Fleurance aux citoyens administrateurs du département du Gers.

CITOYENS ADMINISTRATEURS,

Notre commune a été des premières à se débarrasser du joug sacerdotal et de tous les brimborions dont il amusoit la crédulité publique. Nous n'avons donc plus de prêtres et- nous avons renoncé de bon coeur à leur savoir-faire. La majesté de l'Être suprême nous luira bien sans eux, avec cette seule différence que nous en verrons de plus près le flambeau sacré de la raison naturelle.

Nos premières pensées étant un tribut qui lui' est réservé et à la patrie, nous tournons dans ce moment les secondes vers l'éducation et l'instruction publique. Le ci-devant presbitaire, acheté par la commune, il y a environ

1 Archives communales (délibération municipale du 24 germinal an II).


80 SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

quarante ans, présente un local commode pour l'établissement des écoles primaires.

C'est d'après ces considérations, citoyens, que nous nous déterminons à vous le demander pour cet usage important, et nous espérons que vous ne mettrés pas d'obstacles aux soins qui nous animent en faveur de la jeunesse républicaine.

Signé : BIGOURDAN, président; CASTARÈDE, secrétaire; LARÉE, secrétaire.

Le Conseil général de la commune, auquel la pétition fut transmise, donna un avis favorable à la demande de la Société populaire et celle-ci fut autorisée par le district à prendre possession de la maison curiale pour y installer les écoles, mais sous la condition que l'on effectuerait au préalable les réparations nécessaires, attendu, dit l'arrêté du district, « que ce logement « menace une ruine prochaine ».

Donc, les réparations terminées, l'école fut transférée au nouveau local plus spacieux, mieux aéré et mieux aménagé que le précédent. Mais la Société populaire ne voyait pas dans ce simple transfert la réalisation des espérances qu'elle avait fondées sur l'école primaire en général. Peut-être eût-elle désiré une population scolaire plus dense, peut-être aussi un programme d'enseignement différent de celui qui était appliqué ! Elle fit connaître son sentiment directement à la Convention nationale, cette fois, et c'est à un journal du temps 1 que nous empruntons, dans le compte rendu sommaire des séances de la Convention, l'adresse suivante :

Les citoyens composant la Société populaire de Fleurance, district de Lectoure, département du Gers, écrivent à la Convention nationale :

LÉGISLATEURS,

Votre courage vient de remporter sur la tyrannie une victoire mémorable qui occupera les feuillets les plus iutéressans de notre histoire; vous avez livrés au glaive de la loi les têtes coupables du dictateur et de ses complices ; elles sont tombées ! Nous vous en renouvelions nos actions de grâces.

Nous venons vous prier aujourd'hui de fixer votre tendre sollicitude sur l'instruction publique. Déjà le nuage mortifère de l'ignorance semble vouloir

1 Annales patriotiques et littéraires (numéro du 18 vendémiaire an III, séance de la Convention du 16 vendémiaire).


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s'épaissir sur une terre depuis longtemps illustrée par les productions de l'esprit humain et à laquelle il ne manquoit, pour tout éclipser, que l'inauguration de la liberté* et de la vertu. Partout les enfans, cet espoir de la République, abandonnés à eux-mêmes, languissent sans instruction et sans culture, et attendent dans les bras de la nullité l'âge où la patrie est en droit de les appeller au développement des principes et des talens militaires ou à l'exercice des fonctions publiques. Cependant, là où il faut des hommes pour exécuter et pour obéir, il faut des hommes pour conduire et pour gouverner. Rarement la nature supplée à l'instruction ; c'est à celle-ci à finir ce que cellelà n'a qu'ébauché.

Au milieu des tyrans coalisés au dehors et en proie aux conjurations du dedans, qui donc nous éclaireroit sur les projets des ennemis de la République, si son flambeau venoit à s'éteindre ?

REPRÉSENTANS,

Chez un peuple libre, l'ignorance est une conspiration.

Que toutes les sources d'où peuvent couler le patriotisme et les connoissances soient enfin ouvertes à la jeunesse, pour la former aux bons principes et aux arts ; que tontes les lumières brillent à la fois d'un bout de la France à l'autre, pour éclairer les citoyens et préserver le peuple d'erreur. Alors la liberté sera parmi nous inébranlable, et la nation françoise, se surpassant ellemême, deviendra de plus en plus l'ornement de l'univers, le modèle de tous les peuples et l'école de tous les hommes.

Il ne nous a pas été possible de connaître, même approximativement, le nombre des membres de la Société populaire. Par un document qui précède nous avons appris le nom du président, Bigourdan, et celui des deux secrétaires, Castarède et Larée.

Le citoyen Etienne Bigourdan, officier de santé, devait être sinon le doyen, du moins l'un des doyens de la Société, car il était âgé de soixante-dix ans en 1793; c'est probablement à ce titre qu'il fut désigné pour remplir les fonctions de président.

Larée (Jean-Bernard) était instituteur, et s'il fut nommé secrétaire de la Société populaire, la foi et l'ardeur qu'il manifesta constamment pour la Révolution furent certainement, à l'exclusion même de ses obligations professionnelles, une des causes de ce choix. En sa qualité de fonctionnaire, et pour obéir aux lois en vigueur, il fut obligé, afin de conserver son poste d'instituteur,


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de prêter serment à la Constitution, et dut obtenir de la municipalité un certificat de civisme. Le certificat qui lui fut délivré à cette occasion n'était plus conforme à la formule courante que l'on remettait à tous ceux qui n'avaient point trop ouvertement combattu la Révolution; il était dit dans ce certificat que Larée était « un bon patriote, un bon républicain qui n'avait jamais trempé dans le fédéralisme 1 ».

Il est probable que lorsque la loge maçonnique « la Victoire 2 » se mit en sommeil, la plupart de ses membres passèrent à la Société populaire qui, à tout prendre, était une sorte de maçonnerie politique. La loge « la Victoire » avait cessé ses réunions en 1789, c'est-à-dire quelques mois seulement avant la fondation de la première société jacobine; celle-ci, en somme, paraît être le prolongement de celle-là.

Nous savons qu'en dehors du président et des deux secrétaires, la Société populaire comptait encore parmi ses membres les plus actifs : les citoyens Margoet, juge de paix; Larrey, homme de loi, maire de Fleurance en 1792; Coué Laurent, charpentier; Laval de Saint-Martin; Jean Mauroux, officier municipal; Arnaud Carboneau, tuilier; Louis Percin-Prat; Cabiran Dominique, cordonnier et commandant de la garde nationale; et Larribeau père. Nous savons aussi que ceux-ci ou presque tous avaient été inscrits sur les contrôles de la loge.

Une étude fort intéressante, publiée par le Bulletin de la Société Archéologique du Gers 3, nous a fait connaître les différends qui existèrent entre les loges maçonniques de Fleurance et de Lectoure, vers la fin du XVIIIe siècle. Très probablement, parce qu'une partie des membres des deux loges rivales s'était retrouvée dans les Sociétés populaires des deux localités, nous allons voir ces deux Sociétés se surveiller et se dénoncer mutuellement. Est-ce que les montagnards avaient gardé quelque

1 Archives communales (délibération municipale de germinal an II).

2 Bulletin de la Société archéologique du Gers, année 1909, p. 154 {La FrancMaçonnerie à Fleurance au XIIIe siècle, par M. P. LAGLEIZE).

3 Bulletin de la Société archéologique du Gers, année 1909, p. 187 (La FrancMaçonnerie à Lectoure à la fin du XVIIIe siècle, par M. PUEL).


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ressentiment des discussions échangées précédemment entre •frères maçons, ou bien la traditionnelle rivalité entre Lectourois et Fleurantins cherchait-elle à s'exercer encore jusqu'au sein des Sociétés populaires? Il est certain que le moindre incident suffisait à la société adverse pour incriminer son antagoniste. Nous en trouvons un exemple dans le registre des délibérations de la Société populaire de Lectoure :

Séance du 27 avril an II.

Un des membres a dit : Citoyens, il est venu à ma connoissance et à celle de la Société que celle de Fleurance avait fait une dénonciation contre nous d'avoir délivré un certificat au citoyen Bastard qui a été de passage dans cette ville, et dont le civisme est incertain. Cette dénonce, citoyens, paroit être mal réfléchie de la part de la Société de Fleurance puisqu'ils auraient dû avant tout s'informer avec des frères et amis le motif qui les avoit déterminés à luy donner, non, comme ils le disent, un certificat de civisme, mais un certificat d'affiliation, et ils auraient appris de nous qu'il ne l'avoit eu que d'après le voeu de celui qui l'avoit rapporté du département du Gers et du district de Nogaro, qui avait été visé l'avant-veille par les administrateurs du district d'Auch, mais encore par tout le directoire du département. Si donc, la Société a manqué en quelque chose en délivrant un pareil certificat, elle étoit tellement en bonne foi puisqu'elle n'a marché que d'après la surveillance rigoureuse et sur la bonne foi des signatures du directoire du département. C'est pourquoi il demande que la Société aye à délibérer sur la motion qu'il fait que la dénonce faite par la Société de Fleurance soit vouée au plus parfait mépris comme dénuée sous tous les rapports d'aucun fondement.

Ainsi délibéré.'

Séance du 30 avril an II.

Le président a dit qu'il recevoit à l'instant une lettre de la Société de Fleurance et qu'il alloit en faire la lecture.

La Société ayant ouï les considérants qu'il est faux que, comme le disent les citoyens de Fleurance, notre Société aye délivré un certificat de civisme au citoyen Bastard, ci-devant chanoine ;

Considérant en outre qu'elle ne reconnoît pas des frères gangrenés d'aristocratie; ne faisant nulle attention à la menace que nous fait la Société de Fleurance de nous dénoncer si nous ne faisons point un scrutin épuratoire, a arrêté que le citoyen Demay serait prié de répondre à cette lettre et de faire part de sa réponse à la Société avant de l'envoyer 1.

1 Archives départementales, L 697 (registre des délibérations de la Société populaire de Lectoure).


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On le voit, les Lectourois n'étaient pas tendres pour leurs voisins les Fleurantins. Cet incident cependant paraît avoir été applani facilement, car les délibérations ne mentionnent aucune suite de cette discussion.

N'est-ce point à la Société populaire qu'est due la nouvelle désignation, adoptée pendant la période révolutionnaire, de quelques rues de Fleurance? Il est permis de supposer qu'elle ne fut pas étrangère à ce changement, d'ailleurs momentané, puisqu'en 1795 les rues avaient repris la dénomination qu'elles avaient précédemment.

C'est ainsi que la rue Castelnau devint rue de la Montagne ou rue des Montagnards, la rue Saint-Jean (aujourd'hui rue Gambetta) se dénomma rue Marat, et les rues de Marsolan et de l'Evêché (aujourd'hui rue de la République) prirent le nom de rue des Sans-Culottes. Après la démolition des remparts, qui allaient de la porte de la Pachère à la porte de Montestruc, on aplanit cette large promenade qui fut aussitôt complantée d'ormeaux (actuellement allées de la Vignette), et on la désigna sous le nom de quai de la Liberté.

Il ne nous a pas été possible d'établir si la Société populaire de Fleurance avait exercé une réelle influence sur les moeurs ou les usages du moment. Nous inclinerions cependant à penser qu'elle ne modifia rien dans les habitudes de nos ancêtres. Dans tous les cas, malgré tout l'étalage qu'elle put faire de ses sentiments révolutionnaires, la Société populaire ne parvint pas notamment à vulgariser ce que l'on a appelé les baptêmes républicains.

On sait qu'à cette époque il fut de mode, pour les Montagnards intransigeants ou ceux qui avaient besoin de paraître tels, de donner à leurs enfants, au lieu des prénoms habituels, un nom choisi soit dans l'histoire de la Révolution, soit dans celle de l'antiquité.

L'exploration des registres de l'état civil de cette époque troublée nous a permis de relever seulement les deux actes de naissance de Brutus Cabiran et de Liberate Percin.


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A quel moment notre Société cessa-t-elle d'exister ? C'est encore un point important qu'il ne nous a pas été possible de préciser. Elle ne fut pas dissoute, comme les Sociétés populaires de Miélan et d'Auch, par arrêté des représentants en mission dans le Gers. Nous croyons qu'elle disparut pour obéir au décret rendu par la Convention, le 6 fructidor an III, sur le rapport des Comités de Salut public, de Sûreté générale et de Législation. « Toute assemblée, disait ce décret, connue sous le nom de Club « ou de Société populaire est dissoute; en conséquence, les salles « ou lesdites assemblées tiennent leurs séances seront fermées « sur-le-champ, et les clés en seront déposées, ainsi que les « registres et papiers, dans le secrétariat des maisons com« munes. »

En réunissant ici les rares documents relatifs à la Société montagnarde de Fleurance, nous n'avons eu qu'un but : apporter une modeste pierre pour l'étude de la gestation des idées nouvelles dans les masses profondes du peuple des campagnes. Si nous n'y avons point réussi, la faute en est au manoeuvre malhabile qui, en assemblant ces matériaux, n'a pu viser, et pour cause, à la compétence de l'architecte.


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D'ARTAGNAN .

Pour compléter mes études sur les de Batz-Castelmore, j'ai eu le projet d'écrire l'histoire du personnage qui a illustré cette famille : Charles de Batz-Castelmore dit d'Artagnan, capitaine-lieutenant de la première compagnie des mousquetaires. J'étais occupé à réunir des notes dans ce but, quand notre confrère M. Samaran me confia qu'il avait le même dessein. Il aurait été téméraire d'essayer de faire mieux que le savant archiviste aux Archives nationales. Bien m'en a pris; car l'ouvrage que vient de publier M. Samaran abonde en renseignements neufs ; la lecture en est fort agréable, il est parfait.

Quand ou parle de d'Artagnan, notre esprit est aussitôt hanté par les romans d'Alexandre Dumas ; et, après s'être amusé avec les aventures dites par le merveilleux conteur, on se demande si son personnage a existé.

Bien avant le romancier du XIXe siècle, un certain Courtils de Sandras avait publié les prétendus Mémoires du héros gascon 2. Ce. livre tomba entre les mains de Dumas; et celui-ci, avec sa brillante et prodigieuse imagination, l'embellit et le transforma pour notre plus grand plaisir.

Quelle confiance peut-on avoir en Courtils de Sandras ? Si j'avais écrit l'histoire de d'Artagnan, j'aurais laissé complètement de côté Courtils de Sandras, me défiant de cet impudent menteur; j'étais trop

1 D'Artagnan, capitaine des mousquetaires du roi. Histoire véridique d'un héros de roman, par Charles SAMARAN (Paris, Calman-Lévy, s. d., 1912, in-12, 351 pp. et un portrait).

- Mémoires de Monsieur d'Artagnan, capitaine-lieutenant de. la première compagnie des mousquetaires du roi, contenant quantité de choses particulières et secrètes qui se sont passées sous le règne de Louis le Grand. lre édition, Cologne, Pierre MARTEAU, 1700-1, 3 vol., in-12; — 2e édition, Amsterdam, Pierre ROUGE, 1704, 4 vol., in-12, avec en tête un portrait gravé ; — 3e édition, Amsterdam, Pierre DE COUP, 3 vol., in-12.


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pauvrement • outillé d'ailleurs pour le contrôler. M. Samaran, mieux armé que moi, n'a pas hésité à pénétrer dans ce fouillis ; et avec sa grande érudition, sa prudence, son esprit critique, il a su faire la part du vrai et du faux.

En arrivant à Paris, le jeune d'Artagnan entra dans les gardes-françaises, prit une part brillante à quantité d'expéditions de sièges et de batailles. Au siège de Bourbourg, il reçut trois coups de feu dans ses habits et un dans son chapeau ; il fut blessé au siège de Stenay. Ses services et sa bravoure lui obtinrent le grade de capitaine. Gentilhomme au service de Mazarin, il montra qu'il était homme sûr et qu'il savait accomplir les missions les plus délicates avec habileté et discrétion. Enfin, en 1658, d'Artagnan fut nommé sous-lieutenant de la compagnie des mousquetaires, dont\ le roi était capitaine et le duc de Nevers capitaine-lieutenant.

Le duc de Nevers ne s'occupant guère de faire son métier, d'Artagnan fut le chef véritable de la compagnie, ainsi il se trouva en rapports constants avec le roi, et il put se lier d'amitié avec des hommes comme Lionne, Le Tellier, Servien et Fouquet... Alors commença pour d'Artagnan la vie parisienne partagée entre les obligations militaires et les devoirs de société... Mme de Sévigné, qu'il retrouvera dans l'affaire Fouquet, parle de lui comme d'une vieille connaissance \

Par contrat du 5 mars 1659, signé par le roi, le cardinal Mazarin et autres grands personnages, d'Artagnan épousa Charlotte-Aune de Chanlecy, dame de Sainte-Croix, veuve d'un gentilhomme bourguignon. « Épouser une veuve », a dit Labruyère, « en bon français signifie faire « fortune. Il n'opère pas toujours ce qu'il signifie. » D'Artaguan épousa une femme riche, mais, comme nous le verrons, la jouissance de son bien lui échappa bientôt.

Peu après, il accompagna le roi dans le Midi à l'occasion de son mariage avec l'infante d'Espagne.

1 D'Artagnan, pp. 129 et 130.


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Le 23 avril 1660, le cortège royal venant de Toulouse passa l'Isle-Jourdain; le lendemain, il était à Auch. Le 25, suivant toujours la route de Toulouse à Bayonne, le roi et la reine firent leur entrée vers quatre heures du soir à Vic-Fezensac... et le procès-verbal ne manque pas de mentionner que Leurs Majestés étaient escortées de la compagnie des mousquetaires, que le sieur d'Artagnan, lieutenant d'icelle, la commandait et faisait la garde ordinaire. On passa le lendemain non loin du château de Castelmore ; et bientôt les carrosses s'engagèrent dans les chemins boueux de l'Armagnac. L'étape s'acheva à Nogaro 1.

Le 26 août 1660, le roi et la jeune reine firent leur entrée solennelle dans Paris. La Gazette de France a fort amplement conté cette magnifique et superbe entrée. Dans le long défilé elle mentionne « la-compagnie « des anciens mousquetaires revêtus de casaques de velours bleu, enri« cliies de croix en broderie... tous avantageusement montés, ayant à « leur tête le sieur d'Artagnan, tout à fait bien ajusté et sur un cheval « de prix. »

Vers le commencement de l'année 1660, pendant que son mari escortait le roi au midi de la France, Mme d'Artagnan mit au monde son fils aîné. Le 5 juillet 1661, ils eurent un second fils, dont M. Samaran a donné l'acte de naissance dans les pièces justificatives. « Il a été baptisé « sans nom et sans aucune cérémonie 2 », dit ce document. On a publié les actes des baptêmes solennels de ces deux enfants ; ils furent célébrés après la mort de leur père, à Versailles, et par Bossuet : celui de l'aîné, le 3 mars 1674 (il avait quatorze ans), avec le roi pour parrain et la reine pour marraine; celui du second, le 5 avril de la môme année (il avait près de treize ans), avec le dauphin pour parrain et MLLe de Montpensier pour marraine 3.

Après six ans de mariage, le 6 avril 1665, nous voyons Charlotte de Chanlecy renoncer au greffe du Châtelet, à Paris, à la communauté des biens qui existait entre elle et son mari, et se retirer en Bourgogne 4.

1 D'Artagnan, pp. 133 et 134.

2 Id,. p. 300.

3 Ces deux actes, communiqués par le conservateur du Musée historique de Versailles et publiés par M. Jal, sont-ils authentiques? Comme M. Samaran ne les mentionne pas, je me méfie.

4 D'Artagnan, pp. 150 à 152.


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Cette séparation est-elle motivée par l'inconduite ? C'est l'opinion de Courtils de Sandras, qui se plaît à gratifier d'Artagnan d'un dévergondage extraordinaire. J'aime mieux penser que l'épouse prudente agit ainsi afin de conserver son bien pour ses enfants. Le mousquetaire avait trop d'occasions de dépenser pour soutenir l'éclat de sa compagnie. D'ailleurs il en coûtait de tenir bon rang à la cour 1.

Cependant Louis XIV aimait et estimait fort son lieutenant aux mousquetaires; souvent il lui manifesta son contentement pour l'ordre, la discipline et la belle tenue de ce corps d'élite. Mis à l'épreuve par le cardinal Mazarin, d'Artagnan avait montré un zèle et une habileté qui lui valurent la confiance du roi.

Chargé de saisir, de garder et de conduire à Pignerol, d'abord le surintendant Fouquet, puis le duc de Lauzun, il sut exécuter avec une scrupuleuse exactitude les ordres sévères qu'il avait reçus, et mériter par ses attentions délicates la reconnaisance de ses prisonniers. Mme de Sévigné garda jusqu'à sa mort le souvenir ému de la générosité et de l'humanité du mousquetaire 2.

Au début de 1667 d'Artagnan succéda au duc de Nevers et devint capitaine lieutenant de la première compagnie des mousquetaires 3. Eu cette même année il servit en qualité de brigadier de cavalerie au siège de Lille 4. Du mois d'avril au mois de novembre 1672, il remplaça le maréchal d'Humières en qualité de gouverneur de cette ville 5.

Il termina glorieusement sa carrière au siège de Maëstrich, le 25 juin 1673. En un moment critique, le lieutenant-général fit demander des mousquetaires à d'Artagnan. Celui-ci n'était pas de jour, ayant donné la nuit précédente à la tête de sa compagnie; cependant il voulut payer de sa personne; mais quand les mousquetaires revinrent, les épées faussées et sanglantes, le capitaine manquait à l'appel. Ses soldats allèrent le relever sous le feu des ennemis. Une balle lui avait traversé la gorge 6.

1 D'Artagnan, p. 214.

2 Id.r p. 200.

3 Id., p. 218.

4 Id., p. 220. •

5 Id., pp. 231 et suivantes.

6 Id., pp. 261 et 263.


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Les regrets que d'Artagnan laissa après lui furent immenses et sincères... En prose et en vers on chanta ses mérites. Le roi le pleura et le loua dignement 1.

L'histoire de notre héros, débarrassée des aventures amoureuses et pittoresques imaginées par les romanciers, nous le montre non pas comme un gaillard à bonnes fortuues, mais comme un brillant officier, aimé de ses soldats, veillant à l'honneur et à la bonne renommée de sa compagnie, comme le plus brave des mousquetaires, comme un serviteur du roi, habile, sûr et absolument dévoué, comme un homme bon et bienveillant. Ainsi le d'Artagnan de l'histoire nous semble valoir mieux que celui de la légende. Mais le monde est si léger qu'il préférera celui de la légende à celui de l'histoire.

APPENDICE I.

LA STATUE DE D'ARTAGNAN.

Les journaux ont parlé d'une statue de d'Artagnan qu'on aurait le projet d'élever à Lupiac, chef-lieu de la commune dans laquelle est situé le château de Castelmore. Un membre de l'Académie française et de celle des Beaux-Arts, qui nous appartient par sa famille, M. Henri Roujon, en a parlé dans le journal le Temps. Il semble, en effet, que la statue du mousquetaire devrait être mise sur la place entourée des cornières, en l'endroit même où l'on vit jusqu'à la Révolution le donjon d'Artagnan.

Trompé par des cartes postales (que d'erreurs elles propagent!), j'ai dit que Pau avait déjà honoré notre compatriote d'une statue dans le jardin public de la ville. M. l'abbé Dubarrat a eu la bonté de rectifier cette assertion. Une délibération du Conseil municipal de la ville béarnaise constate que cette statue (oeuvre de M. Desca) représente un soldat quelconque d'Henri IV ou de Louis XIII qui, au retour des guerres, salue son pays.

1 D'Artagnan, p. 263.


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Cependant l'idée d'une statue à notre héros n'est pas nouvelle. En 1896, M. Philippe Tamisey de Larroque s'exprimait ainsi :

Le félibrige parisien vient de décider qu'une statue serait élevée à Charles de Batz de Castelmore, comte d'Artagnan, noblement mort au siège de Maestricht (25 juin 1673). On compte sur le prompt succès de là souscription, car tous les bons gascons iront de leur pistole au moins, en l'honneur de leur célèbre compatriote, et pas un des lecteurs des Trois Mousquetaires ne refusera soun escut à la commission où siègent des hommes aussi sympathiques que MM. Maurice Faure, Sextius Michel et Albert Tournier 1.

Je n'en sais pas davantage sur ce projet félibréen.

Le projet dont on parle aujourd'hui aura peut-être plus de succès.

APPENDICE II.

LA TOUR D'ARTAGNAN ET LES FORTIFICATIONS DE LUPIAC.

Avant la Révolution, Lupiac était une ville forte. J'en ai trouvé la description que voici dans un opuscule intitulé Rapport sur la reconstitution et l'agrandissement de Véglise de Lupiac..., par M. de Gavoty, homme de lettres 2.

Plusieurs habitants se rappellent avoir vu dans leur enfance les fossés

de huit mètres de large, à peu près comblés aujourd'hui, qui défendaient les remparts de tous côtés. Ces remparts d'environ 5 mètres de hauteur formaient un mur d'enceinte continu de 465 mètres de pourtour. La distance d'une porte à l'autre, toutes deux placées sur le même axe, l'une à l'est et l'autre à l'ouest, était de 173 mètres, et celle du mur du nord à celui du midi de 89 mètres; le tout présentant une surface intérieure de 13.494 mètres carrés.

L'une de ces portes, celle de l'est, nommée porte de Fezensac, était adossée à la maison de M. Mora; l'autre, nommée porte d'Armagnac, à l'ouest, adossée à la maison de la dame Pomé. Ces deux portes armées de leurs herses.

Une grande tour carrée, bâtie eu pierre de taille, couverte en tuile, appelée la tour d'Artagnan, s'élevait au centre de la ville sur la place actuelle.

Une prison, sans aucun jour au dehors, occupait tout le rez-de-chaussée. On y entrait par une porte basse et étroite située au nord. La voûte au-dessus était percée sur le milieu par un regard fermé au moyen d'un gril en fer et propre à surveiller les prisonniers.

1 Revue de Gascogne, XXXVII, p. 299. 2 Auch, impr. G. Foix, 1850, in-8°, 63 pp.


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Aucune trace d'escalier ne paraissait ni à l'intérieur ni à l'extérieur de la tour; une porte d'assez grande dimension, au midi, placée sur la voûte de la prison était la seule voie par laquelle on pût atteindre aux étages supérieurs; des pierres d'attente, à demi brisées, placées de ce côté au niveau du seuil de cette porte, indiquaient en effet qu'un bâtiment quelconque avait occupé l'espace compris entre le rempart et la tour.

Ce dernier édifice, pris dans son entier, avait 7 mètres de largeur à sa base et 35 mètres de hauteur.

Au sud-ouest de celui-ci, une tourelle crénelée flanquait le rempart à 60 mètres de la porte d'Armagnac; elle était aussi construite en pierre; sa circonférence extérieure était de 15 mètres et sa hauteur de 20. Elle renfermait un escalier, dit à limaçon, qui conduisait aux deux étages au-dessus du rez-de-chaussée, ayant chacun un plancher en bois; elle était adossée à la maison du sieur Geaucoux fils, poëlier.

La tour d'Artagnan fut démolie en 1793; la tourelle quelques années plus tard.

Ces détails nous ont été donnés, en présence de M. le maire, par M. Amade, né eu 1767, et par M. Mora, né en 1773, rentiers à Lupiac; le premier, chargé, daus le temps, de surveiller ces démolitions. La précision avec laquelle ces respectables vieillards racontent les circonstances ci-dessus prouve" leur authenticité.

A. LAVERGNE.

NOTE.

Instrument de fesande de noble Bernard de Lacassagne, seigneur de La Caussade.

L'an mil Ve cinquante huit et le 17eme jour du moys de décembre, à Jegun, establys eu leur personne, Jehan et Pierre Lana, père et filh de Jegun, d'une part, et noble Bernard de Lacassaigne seigneur de la Caussada, d'aultre ; et lequel seigneur a bailhé auxdits Lana la borda appelée à la Caussada au faict de Viran, pour 6 années et culhètes aux pactes que s'ensuivent :

Et premièrement lesdicts Lana père et filh ont promis laborer et cultiver les terras de la dicta borda en père de familha, et chacung d'eulx sera tenu fornir la moytié des semences et les profits se partiront par mys.

Item, lesdicts Lana seront tenus reculler les baratz.

Item, lesdicts Lana père et filhs seront tenus sarcler les semis et dailher les preds de Iadicte borda à leurs despens, sauf que led. seigneur les bailhera chacung an dus sacz bled et dus mixtura.


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Item, lesd. Lana payeront audict seigneur chaseung an septze chefz capous, septze garias, huit aucas, payable le tout à toutz Saintz.

Item, led. seigneur la bailhé en faict de gazaille 18 breaux, cabal de 6 scutz petits a desmy perte et profitz.

Item, doutze crabos, cabal de six scutz petits et bailheront chaseung an vingt quatre fromages pretz et secz.

Item, led. seigneur la bailhé quatre bâches poil rouge blanc et castaigne, cabal de 24 scutz petits et cinq sacz bled payable a Nostre Dame d'Aoust et sera tenu led. seigneur les prendre por le. mesme prys pourvu que ne soient affolées.

Item, dus troyas, cabal de dus scutz a desmy perte et profits.

Item, leur a bailhé dus areytz garnis et chaseung an led. seigneur leur bailhera la somme de dix sols bons et ne sera tenu fornir rn plus aux aretz, et seront tenus de laisser dus aretz garnits.

Item, les vignes que faront en profits sera parte par my et la tribalheront en bona familla.

Item, laisseront l'estram à la dernière année.

Item, seront tenus luy fère una concada bareit fenage vert et luy semer le bled jusques una concada.

Item, lesdicts Lana père et filhs ne seront tenus pour leur eaffage couper aucung chaîne ni à coper que ne sont de vouloyr dud. seigneur... pour leur caffage porront prendre d'aultres boys que ne porte à profilz.

MERCIER, notaire à Jegun.


SEANCE DU 8 JANVIER 1912.

PRÉSIDENCE DE M. PHILIPPE LAUZUN, PRÉSIDENT.

Sont admis à faire partie de la Société :

M. A. MOURGUES, lieutenant au 88e d'infanterie, à Auch, présenté par MM. de Broca et Despaux;

M. Joseph DUFFAU, pharmacien à Sos, présenté par MM. Castéra et Bastard ;

M. DUPONT, élève à l'Ecole des Chartes, présenté par MM. Pagel et de Cours ;

M. AMIOT, ingénieur des mines en retraite, 4, rue Weber, Paris, présenté par MM. Lauzun et Despaux.

La date du banquet annuel est fixé au 4 février prochain.

LE TRÉSORIER rend compte de la situation financière pour l'année 1911.

M. PAGEL donne lecture d'un extrait des actes mortuaires de l'église de Lombez relatant les funérailles faites à Mgr Richier de Cerisy, évêque dudit lieu, le 24 juillet 1771. Ce prélat avait succédé sur le siège à Mgr de Maupeou et était mort à Montpellier, le 14 juillet 1771. Son corps fut transporté à Gimont et de là à Lombez où. les honneurs funèbres lui furent rendus.

M. BOMPEIX, dans un travail très documenté, étudie la vie et les oeuvres de Filhol, médecin et annaliste d'Auch. Dans la pre-


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mière partie, il donne un aperçu général de l'état de la médecine dans le Gers au commencement du XIXe siècle, des études médicales à l'Athénée, du personnel, etc. Ensuite il analyse l'oeuvre de Filhol : Topographie médicale; manuscrit que M. Bompeix a trouvé à la bibliothèque d'Auch et qui lui permet d'étudier d'une façon approfondie les idées de Filhol sur la médecine. Dans une seconde partie, il envisagera l'oeuvre de Filhol au point de vue historique.

M. LAMAZOUADE donne un aperçu historique et archéologique de la communauté d'Ansan aux XVIIe et XVIIIe siècles. Il signale l'arpentement de 1612. Il entre ensuite dans de nombreux détails sur la dramatique perquisition faite au château de Lucvielle, dont les propriétaires étaient soupçonnés de cacher un prêtre insermenté, l'abbé Pic.

M. le docteur de SARDAC donne la description d'un cippe funéraire découvert dans la commune de Castet-Arrouy, au lieu dit à Corné, dans un champ appelé Neyssens. Le monument est une pierre d'une hauteur de lm28, en forme de colonne rectangulaire avec base et chapiteau supérieur orné. (Voir page 62.)

Cette intéressante pièce sera probablement acquise par le musée de Lectoure.

M. DESPAUX présente à la société trois matrices de sceaux anciens dont l'un provient de l'ancien couvent de Boulaur.


BANQUET DU 4 FÉVRIER 1912.

Le banquet annuel et traditionnel de la Société Archéologique du Gers s'est tenu dans les salons de l' Hôtel de France. En voici le menu excellemment servi :

CONSOMMÉ PRINCESSE.

FILET DE SOLES MARQUERY.

CIVET DE LIÈVRE SAINT-HUBERT.

PARFAIT DE FOIE GRAS BELLEVUE.

FAISANS AUX PERLES DU PÉRIGORD.

SALADE MACÉDOINE.

COUPE ENCHANTÉE.

SAUTERNES, VOLNAY, MERCIER.

Au champagne, M. Ph. LAUZUN, président, a prononcé l'allocution suivante :

MES CHERS COLLÈGUES,

Ne vous semble-t-il pas, si vous voulez bien jeter, avec moi, un regard attentif sur les derniers mois écoulés, qu'un vent de littérature, de poésie, a plus particulièrement soufflé cette année sur la~ Gascogne; — non pas, peutêtre tout à fait : Ce vent d'est tout rempli des larmes du printemps, que chante le poète, — mais une brise légère, qui, venue du côté de la montagne, a imprégné notre beau pays de ses senteurs vivifiantes et lui a donné comme un renouveau de jeunesse et de vigueur.

Il vous aurait fallu assister, en effet, avec nous, — et c'est là un reproche que vous me permettrez bien d'adresser une fois de plus à votre indifférence en matière de congrès, — à la splendide félibrée du mois d'août dernier, dans les ruines majestueuses du vieux château de Mauvezin, alors que l'étendard de Gaston Phebus flottait au sommet du donjon, et que les deux écoles félibréennes du Sud-Ouest fraternisaient amicalement sous les chauds rayons d'un soleil radieux, devant le plus beau panorama pyrénéen qui se puisse dérouler.

Que n'étiez-vous là, mes chers Collègues, pour entendre les brindes qui ont été portées en l'honneur de la langue gasconne, les charmantes poésies qui


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les ont suivies, et pour vous laisser séduire par les grâces captivantes des Eeines et des Muses de cette élégante Cour d'Amour; — telle celle tenue, il y a près de quatre siècles, sous ce même ciel pyrénéen, par la Marguerite des Marguerites, l'auteur charmant de l'Heptaméron !

Et si je remonte un mois en arrière, ne vois-je pas aussi, à l'autre extrémité de la chaîne bleue de ces montagnes, dans ce cadre incomparable que forment les rochers de Biarritz, battus par une mer éternellement agitée, un autre congrès, celui de l'Union de nos Sociétés savantes du Sud-Ouest, d'où la poésie, il est vrai, a été exclue, mais qui n'a pas moins consacré à la littérature et à la philologie les plus importantes de ses séances, toujours fort suivies et fort goûtées ?

Si j'arrive enfin à l'hiver dernier, ne vois-je pas ici même, dans notre département, des réunions fréquentes dues à l'initiative de nos plus audacieux confrères, et n'est-ce pas un devoir pour moi d'applaudir des deux mains à cet essai de décentralisation scientifique et littéraire que vous avez appelé Lou Larè Gascoun ? ' Je n'ai pas besoin de vous rappeler quel succès a obtenu, dans toutes les villes du département où elle est allée, cette jeune société de conférences, issue de l'une de nos côtes, dont le but était de faire mieux connaître, en les vulgarisant, la géographie, l'histoire, la langue, les institutions, en un mot la vie artistique, littéraire et sociale de notre pays. Honneur donc au Larè Gascoun dont les efforts ont été couronnés, et seront couronnés encore, car il entend bien continuer son oeuvre méritoire, d'un plein et entier succès.

Qu'il me permette cependant, au nom de notre Société archéologique, de lui signaler une. lacune de son programme. Dans vos éloquentes causeries, mes chers amis, vous passez tout en revue, vous effleurez toutes les branches de la science, vous vous posez sur tous ses rameaux. Seule est oubliée l'archéologie. Ne serait-il pas bon cependant qu'à chacune de vos séances un jeune conférencier se levât, — vous êtes tous jeunes d'ailleurs, — et qui, en vingt minutes à peine, prit à tâche de signaler, dans chaque ville où vous portez la bonne parole, ses curiosités archéologiques, ses souvenirs historiques particuliers. Car il en existe toujours quelqu'un, qu'il soit préhistorique, romain, barbare, moyenâgeux, moderne; que ce soit le château ou l'église, ou seulement un mur ancien, une inscription, une maison à pans de bois, une croisée, un objet mobilier artistique, que sais-je encore, qu'il importe de faire connaître et sur lequel il est quelquefois urgent d'attirer l'attention. Quels horizons nouveaux n'ouvririez-vous pas à tous ces esprits qui n'ont jamais entendu vanter l'intérêt et la beauté des choses anciennes ! Quels services ne rendriez-vous pas à la science et à la petite patrie ! Si les anciens d'entre nous ne peuvent vous suivre, ils mettront, j'en suis sûr, à votre disposition toutes les notes et les fiches qu'ils ont accumulées et qui dorment inutiles dans leurs cartons; et tous, ainsi, nous contribuerons à l'oeuvre si bien commencée.

Je vous parle toujours d'archéologie, me direz-vous ? Mais, n'est-elle pas


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notre principale raison d'être ? Puis, si je me taisais, ne parlerait-elle pas d'elle-même et ne viendrait-elle pas nous rappeler nos devoirs. Ne voyonsnous pas, en effet, dans ce moment, de tous côtés, les pierres se dresser ellesmêmes et provoquer notre curiosité : à Miradoux, c'est un cippe funéraire, parfaitement conservé ; — à Valence, une mensa ponderarïa; — un peu plus loin, à Beaucaire, une mosaïque à peine effleurée; — à Séviac, près de Montréal, une villa gallo-romaine tout entière, dont les superbes mosaïques, les fûts de colonne, les frises, les frontons, les marbres précieux, l'orteil en bronze énigmatique, dénotent l'ampleur et la magnificence; — à Sos, un nouvel autel à la déesse Tutèle, et aussi d'autres découvertes qui n'ont pas manqué déjà de remettre sur le tapis la vieille controverse relative à l'emplacement de l'oppidum des Sotiates. Partout le sol gascon nous parle; il nous demande impérieusement, pour ses richesses, aide et protection.

Empressons-nous donc de les lui accorder. Et pour cela, ouvrons toutes grandes les portes de notre Musée. Finissons-en le plus vite possible avec cette irritante question. L'an passé, je poussais ici-même un cri d'alarme; ce cri a été entendu. L'État a reconnu le bien-fondé de nos réclamations, et il a cédé à la ville ce qu'il détenait par erreur et injustement.

Que la ville d'Auch profite donc au plus vite de ses bonnes dispositions. Qu'elle ne perde pas de temps. Car chaque jour lui voit enlever une importante découverte, ces objets même que je viens d'énumérer, qui lui étaient peut-être destinés, et qui, devant la fermeture des portes du Musée, s'en sont allés ailleurs, revendiqués et captés par les Musées voisins, dont quelques-uns, comme celui du Castéra-Verduzan, si j'en juge par les dispositions prises pour son installation et son entretien, menacent de lui créer une redoutable concurrence. C'est le conseil que je me permets de lui donner, dicté par mon désir de voir enfin ouvert à Auch un Musée, digne du chef-lieu de notre département, comme aussi par celui de sentir à l'abri de toute disparition nos collections archéologiques, pour la formation desquelles notre chère Société a pris tant de peine et consacré tant de soins.

A sa prospérité, toujours croissante, mes chers Collègues, comme aussi à la réalisation de tous vos souhaits.

Cette fête s'est terminée à 10 heures du soir.


SÉANCE DU 11 MARS 1912.

PRESIDENCE DE M. PHILIPPE LATJZUN, PRESIDENT.

Sont admis à faire partie de la Société :

M. TORIGNAC, notaire à Montant, présenté par MM. Pagel et Mir ;

M. François de LAMAËSTRE, au château de Gimat, présenté par MM. Ribadieu et Despaux;

M. LALANNE, instituteur à Castelnau-d'Auzan, présenté par MM. Brégail et Chanchus.

La SOCIÉTÉ émet le voeu que la cathédrale de Lectoure soit classée comme monument historique.

MM. le comte de DIENNE et Oh. de BATZ-TRENQUELLÉON offrent à la Société d'intéressantes brochures qu'ils viennent de publier. Des remerciements leur sont adressés.

M. BAQUÉ envoie à la Société la fin de la table alphabétique des dix premiers volumes du Bulletin. Cette table, qui est en cours d'impression, est destinée à rendre de grands services aux travailleurs.

M. BOMPEIX continue la lecture de son étude sur Filhol. Dans les Annales de la ville d'Auch, cet auscitain a publié des notes sur l'époque révolutionnaire dans notre ville et les découvertes archéologiques faites au début du XIX° siècle.

M. CADÉOT étudie l'histoire de la Société populaire de Fleurance pendant la Révolution.


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Cette Société paraît avoir inspiré la plupart des décisions prises par la municipalité de Fleurance. C'est elle qui réclama la cessation du culte catholique et la transformation de l'église en temple de la Raison puis de l'Etre Suprême. Elle s'occupa aussi activement de la question des subsistances. Cette communication est d'autant plus intéressante que le registre des délibérations est perdu.

M. LAUZUN lit un compte rendu des fouilles de Sos, d'après les renseignements donnés par MM. Dufan et Bastard, membres de la Société. Sos se trouve placé sur un promontoire protégé de trois côtés par les pentes naturelles. Vers le nord, le plateau est séparé des coteaux voisins par un ravin de quinze à vingt mètres de profondeur et creusé de main d'homme. Près de là, des travaux récents ont fait découvrir deux fragments de murs parallèles, bâtis avec des pierres de 1 mètre de long sur 0m 60 de haut, et une inscription gallo-romaine portant le nom d'un dieu aquitain. Ces découvertes ne paraissent pas avoir l'importance qu'on leur avait donnée d'abord et trancher en faveur de Sos.

Les notes sur quelques récoltes au XVIIIe siècle, de M. R. PAGEL, sont des plus instructives, elles nous font connaître les diverses maladies qui assaillaient les récoltes et qui, sous des noms différents, se sont reproduites à un siècle de distance.

Les mesures prises par les intendants, pour remédier aux maladies produites par les intempéries et à la disette qui en résultaient, montrent bien qu'ils avaient une sollicitude toute particulière pour l'agriculture et les agriculteurs de leur gouvernement.

M. Adrien LAVERGNE analyse l'ouvrage récent de M. Charles Samaran, Dominique de Gourgues. Ce valeureux marin, d'origine gasconne, sera mieux connu grâce aux documents nouveaux découverts par M. Samaran. L'existence mouvementée de ce héros, qui commandait l'expédition de la Floride, ne pourra qu'intéresser les lecteurs de ce savant ouvrage.

Le Gérant : Léonce COCHABAUX.


COMMUNICATIONS.

FONDATION IGNOREE DE DEUX DASTIDES EN ASTARAC

AU XIIIe SIÈCLE

(La Lanne-Arqué et Cabas),

PAR M. LE LIEUTENANT-COLONEL MONDON.

LES BASTIDES DE L'ASTARAC FURENT-ELLES IMPOSEES AUX COMTES PAR LE PEUPLE OU PAR LE ROI DE FRANCE?

Un ancien magistrat, M. Curie-Seimbres, a publié en 1880, à Toulouse, un Essai sur les villes fondées dans le sud-ouest de. la France, aux XIIIe et XIVe siècles, sous le nom générique de bastides. C'est un ouvrage que son caractère spécial désigne à l'attention des personnes désireuses de connaître les causes de l'édification presque simultanée de ces villes fortifiées, dont le nombre fut considérable, surtout à la fin du XIIIe siècle. Il nous paraît que, en raison de ce caractère spécial, il est nécessaire de •présenter quelques observations sur la thèse soutenue dans cet ouvrage et de compléter, ne fût-ce que pour l'Astarac, l'énumération des bastides qui y est contenue.

Dans la première partie de son Essai, l'auteur expose les causes qui, selon lui, ont amené l'édification des bastides. Il le fait avec clarté et érudition, sans s'apercevoir toutefois qu'il généralise beaucoup trop la thèse qu'il soutient et qu'il a puisée dans l'étude des documents du Trésor des Chartes, des Compilations, d'Oïhénart, de la Collection Doat, 'de- L' Histoire de Languedoc, par dom Devic et dom Vaissete, et enfin des Glanages,

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de Larcher, ainsi qu'il l'écrit. Influencé extraordinairement par un seul milieu, le Languedoc, il n'a pas vu que la situation politique des régions du Sud-Ouest proprement dit n'était pas la même — et ne fut pas la même pendant presque tout le XIIIe siècle — que celle des pays des comtes de Toulouse. Cette influence sur l'esprit de l'auteur a été certainement la cause de la généralisation qu'il a faite d'une thèse que nous voulons signaler.

La thèse de l'auteur de l' Essai— lequel ne veut pas voir, et avec juste raison, un mouvement communaliste dans la fondation des bastides, même en Languedoc — porte que « les masses « [populaires] se sentaient appelées à former non seulement une « nation compacte, mais un royaume de France régi par un seul « pouvoir », parce que, « sentant le besoin d'une tutelle puis« santé », elles étaient entraînées clans l'orbite de la royauté, ce derrière laquelle s'entrevoyait l'Etat 1 » (p. 62). Et il ajoute « qu'un instinct très logique guidait l'aristocratie et le haut « clergé clans la résistance qu'ils opposaient à ces fondations »

(P- 79).

Cette idée de l'Etat dépassait certainement la réalité des

aspirations populaires, même en Languedoc, au XIIIe siècle finissant. Quant à la résistance opposée à la fondation des bastides par l'aristocratie et le haut clergé, elle est absolument chimérique en dehors du Languedoc 2. Il est certain que la secousse violente des institutions et des intérêts qui suivit la guerre dite des Albigeois mit en complet désarroi la province des comtes de Toulouse, mais elle ne se fit pas sentir aussi violemment dans nos régions; et si la Bigorre, où elle s'arrêta, en pâtit par la suite, — sans très grande douleur toutefois jusqu'en 1251, —

1 M. Curie-Seimbres appuie son dire sur les « actes de l'assemblée des communes de Languedoc, tenue à Toulouse en juillet 1316 », et il renvoie pour ces actes à « D. Vaissete, Preuves, n° 47 ». Malgré nos recherches dans l'Histoire de Languedoc de cet auteur, nous n'avons pu trouver cette référence, pas même à l'année 1361, où il y eut une assemblée.

2 Il suffit pour s'en rendre compte de compulser la deuxième partie de l'ouvrage même de M. Curie-Seimbres.


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cela fut dû simplement aux...-humeurs matrimoniales de Pétronille, sa souveraine.

La situation politique du Languedoc pouvait exiger d'Alphonse de Poitiers la création de nombreuses bastides dans le pays qu'il gouvernait un peu contre l'aristocratie locale; cette même situation pouvait obliger Philippe le Hardi à suivre la tactique de son oncle dans ce même pays, tant contre l'aristocratie que contre le haut clergé 1. Mais l'état politique de l'Astarac imposait-il la même obligation au comte qui régissait ce territoire? Oui, pour des motifs différents : en Languedoc, il s'agissait de la conquête, imparfaite encore, et de la prise de possession, encore incomplète, de la province, tandis que le comte d'Astarac n'avait et ne pouvait avoir pour but que la défense de son petit pays.

Le pays d'Astarac, limité par l'Armagnac, le Comminges, la Bigorre et le Pardiac, s'étendait de la Gimone à l'est jusqu'aux monts d'Astarac à l'ouest. Moréri, dans son Grand dictionnaire historique, lui donne « sept ou huit lieues de longueur ». Au nord, il confinait à la ville d'Auch, du côté où se trouvait le parsan (quartier) de l'archevêque 2. Il fut régi de 1244 â 1291, — c'est l'époque qui nous intéresse d'abord, — par le comte Bernard III 3.

La première bastide construite dans la comté date, d'après M. Curie-Seimbres, de 1274 : c'est Masseube, qui tient la haute vallée du Cédon et permet de se porter facilement dans celle du Sousson, deux affluents de gauche qui rejoignent le Gers en amont et non loin d'Auch.

La deuxième bastide construite ■— que n'a pas connue M. Curie-Seimbres —■ est celle de La Lanne-Arqué, bâtie dans

+1 Voir une note de A. Molinier sur les bastides royales dans l' Histoire de Languedoc, t. IX, p. 12, éd. Privât. Elle est extrêmement suggestive. Sa longueur ne nous permet pas de la reproduire, son importance nous défend de l'analyser. \ 2 V. LAFFORGUE, Hist. de la ville d'Auch, etc., t. I, p. 63.

3 D'après La Vasconie, par de JAURGAIN. Dans l'Essai sur les villes fortifiées, CurieSeimbres fait régner ce comte de 1249 à 1291 et lui donne le numéro ordinal IV, ainsi que Lafforgue.


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la vallée de la Gimone, en 1278 1. Elle n'est pas éloignée de la vallée de l'Arrats, que tient Castelnau-Barbarens, résidence, comme Castillon 2, du comte d'Astarac, et elle est placée non loin des confins du Comminges et de la Bigorre.

La troisième bastide (après intercalation de La Lanne-Arqué dans la nomenclature de l' Essai) serait Meilhan. Elle fut construite, en 1280, sur la Lauze, affluent de gauche de la Gimone qui passe à Simorre, où se trouvait une abbaye avec laquelle le comte Bernard III était en discorde. De plus, Meilhan doublait La Lanne-Arqué vers le Comminges.

En 1281 (presque à la même date que Meilhan), Pavie est construite sur l'emplacement de Sparsac, à l'embouchure même du Cédon, doublant ainsi la bastide de Masseube, couvrant Castelnau-Barbarens et menaçant Auch.

M. Curie-Seimbres fait figurer ensuite Mirande parmi les bastides de l'Astarac, en mettant toutefois la bastide au couchant de Mirande, là où se trouvait le vieux château de Lézian. Cela fut fait en 1282. Mirande, sur un bras occidental de la Baïse, se trouvait à peu près à égale distance de l'Armagnac au nord, de la Bigorre au sud, du Béarn â l'ouest et du Comminges à l'est.

Mais en 1293, le nouveau comte d'Astarac, Centulle III (1291-1300?), séduit probablement par les avantages de Mirande, voulut mettre dans une bastide son château de Castillon : il résolut de créer autour de celui-ci, comme son père l'avait fait pour Lézian, une ville fortifiée à laquelle il donna le nom de Villefranche-d'Astarac. Mais le 22 octobre 1297, le roi de France s'en saisit, comme il se saisit, le 14 novembre suivant, de Simorre, abbaye contre laquelle la bastide de Villefranche avait été fondée 3.

1 II n'y a pas à s'arrêter, selon nous, au fait que l'acte de fondation de la bastide de La Lanne-Arqué ne fut délivré, par suite de circonstances relatées à la fin de l'acte, qu'en 1286.

. 2 Aujourd'hui, Villefranche, canton de Lornbez (V. D. BRUGÈLES, Chiron. eccl. du diocèse d'Auch. Preuves de la 2e partie, p. 23).

3 Nous nous sommes écarté dans ce paragraphe de l'article que consacre M. C.-S. à Villefranche-d'Astarac {Essai, pp. 299 et suiv.) et où il s'est sensiblement embrouillé. Pour la prise de possession, en 1297, v. D. BRUGÈLES, Chron. eccl. du diocèse d'Auch, preuves, 2° partie, pp. 24-26.


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Enfin, en 1296, le même comte Centulle III fonde une nouvelle bastide non mentionnée dans l' Essai de M. Curie-Seimbres : Cabas, sur un bras occidental de l'Arrats. La longue vallée de l'Arrats est par suite mieux gardée et la défense contre la Bigorre mieux établie. La comté d'Astarac est coupée ainsi du sud-est au nord-ouest par une ligne médiane presque droite allant de La Lanne-Arqué à Mirande par Cabas et Masseube.

Nous ne nous occuperons pas des deux autres bastides citées dans l' Essai: Tournay (1307) et Trie (1324), qui n'ont pas été construites par les comtes souverains d'Astarac.

Ainsi donc, la création de la première bastide en Astarac date de 1274, ce qu'il est utile de souligner avant de rechercher les causes de la fondation des villes fortifiées dans cette région.

Sans tenter de faire un précis d'histoire générale ou locale, essayons de remettre très succinctement les choses dans leur milieu historique.

La comté de Toulouse étant devenue vacante par la mort d'Alphonse de Poitiers et de Jeanne, sa femme, survenue en 1270, le roi de France réunit, en 1271, à Toulouse, les principaux vassaux des anciens Raymond, Le comte d'Astarac s'y rendit; le comte d'Armagnac n'y parut pas. Au commencement de 1272, une querelle s'éleva entre ce dernier et le seigneur de Gaure 1, en Bas-Armagnac, à propos de Sompuy, qui avait été vendu aux Casaubon par un comte d'Astarac. Le comte d'Armagnac, qui était du parti anglais, en réclamait l'hommage, et le seigneur de Graure ne voulait le rendre qu'au comte de Toulouse, qui était à cette date le roi de France. Le comte d'Armagnac marcha contre Sompuy, où son frère fut tué par Casaubon luimême. Irrité, il résolut de tirer vengeance de cette mort. A cet effet, il demanda aide à tous ses proches. Le comte de Foix, son beau-frère, résolut d'aller à son secours et se mit, avec une armée, en marche sur Sompuy. Aussitôt Casaubon se plaça, lui et ses biens, sous la sauvegarde du roi de France; le sénéchal de Toulouse fit apposer les panonceaux royaux sur le château et

1 Représenté aujourd'hui, à peu de choses près, par l'arrondissement de Lectoure.


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défendit à toute personne de l'attaquer. Cette défense n'empêcha pas les comtes d'Armagnac et de Foix d'assiéger Sompuy, de le prendre d'assaut, de l'incendier après massacre des habitants et de ravager ensuite les domaines de Géraud de Casaubon.

Le roi de France, informé de cet attentat, résolut de le punir sévèrement. Dans cette vue, il fit publier le ban et l'arrière-ban dans tout le royaume et citer à sa cour les comtes d'Armagnac et de Foix. Le premier comparut et demanda grâce; il l'obtint au prix d'une amende de 15.000 livres tournoises; l'autre ne fit aucun cas de la citation et se mit en état de défense. Le roi de France l'assiégea dans le château de Foix, où il le fit prisonnier le 5 juin 1272.

A l'extrémité occidentale de l'Astarac, une autre lutte s'éleva, peu de temps après, entre le roi d'Angleterre, duc de Guyenne, et Gaston de Béarn, qui, d'après Monlezun (Hist. de la Gascogne, t. II, p. 372), « commandait depuis Maubourguet jusqu'au « pied des Pyrénées et aux portes de Bayonne, ville presque ce libre, mais qui reconnaissait la souveraineté nominale de ce l'Angleterre; de Bayonne se repliant vers la Garonne, il « donnait des lois à Mont-de-Marsan et à Aire; Eauze et ce Gavarret le reconnaissaient pour maître; et par delà Condom, ce son autorité s'étendait jusqu'à Layrac et aux environs ce d'Agen ». C'était, on le voit, un seigneur autrement puissant que le comte d'Astarac. Or, le roi d'Angleterre avait, paraît-il, à s'en plaindre à cause.de mouvements que Gaston aurait suscités contre lui. Gaston, de son côté, était fort mécontent du roi d'Angleterre au sujet des châteaux de Cognac et de Confolens, qui appartenaient à sa femme. C'est le différend — accru peutêtre de ce que Gaston n'avait pas suivi le roi Edouard en TerreSainte — qui fit que ce dernier, revenant d'outre-mer, se dirigea droit sur la Gascogne au lieu de se rendre en Angleterre pour y être oint et couronné.

Donc, en 1273, Gaston fut assigné par-devant le sénéchal de Gascogne, en la cour de Saint-Sever; il ne daigna pas se présenter. Le sénéchal ordonna la saisie des terres de Gaston et voulut faire exécuter son ordonnance dans la ville d'Orthez. Il y


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trouva de la résistance à main armée. C'est pourquoi le roi Edouard s'approcha jusqu'à la ville de Sainte-Quiterie au diocèse d'Auch, où Gaston vint le saluer, présenter ses excuses et offrir de répondre en la cour de Saint-Sever sur les chefs d'accusation portés contre lui. Mais Edouard n'était pas Philippe le Hardi. Si celui-ci pardonna en 1272 le comte d'Armagnac repentant, le roi d'Angleterre n'agit pas de même envers Gaston en 1273; il le fit arrêter et emprisonner à Sault-de-Navailles (Basses-Pyrénées). Ceci se passait fin septembre 1273. Le 2 octobre, Gaston dut promettre dans sa prison d'exécuter, cinq jours après, le jugement de saisie donné contre lui par la cour de Saint-Sever, de remettre entre les mains du roi d'Angleterre Orthez et ses habitants, principalement ceux accusés d'avoir arrêté le commissaire du roi d'Angleterre.

Gaston de Béarn connaissait la procédure féodale. Il avait, au moment de sa capture, fait contre cette violence appel au roi de France, seigneur suzerain des deux parties. Aussi, dès sa mise en liberté, il se retira au château d'Orthez. Le roi d'Angleterre, indigné, fit renouveler contre Gaston l'assignation devant la cour de Gascogne, à Saint-Sever; celui-ci se fit représenter et resta à Orthez. Après une procédure des plus compliquées, les délégués de la cour de Gascogne se transportèrent à Orthez et firent, le 1er novembre 1273, des sommations à Gaston pour qu'il se présentât devant Edouard par abandon de son appel au roi de France. Gaston refusa. Le roi d'Angleterre fit marcher, le 11 novembre, son armée contre son vassal, qui s'était retiré d'Orthez à Senbouës, à une lieue d'Orthez, où il fut assiégé.

L'appel au roi de France n'était pas resté sans effet. Le roi d'Angleterre retira ses troupes en janvier 1274, les fit marcher de nouveau contre Gaston, et enfin fit voile vers l'Angleterre en mai 1274. En septembre, l'affaire fut appelée devant le parlement de Paris; Gaston poussa le cri de trahison, ce qui impliquait le duel. Le roi de ' France régla le différend, et Gaston reçut 300 livres tournoises du roi d'Angleterre 1.

1 Pour de plus amples détails, v. Hist. de Béarn, par MARCA, livre 7e.


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La succession de Navarre, ouverte depuis le 22 juillet de cette même année 1274, amena les troupes du roi de France dans le Béarn. Celui-ci, sur la demande de messagers navarrais, avait désigné un gouverneur. Ce fut Eustache de Beaumarchais, sénéchal de Toulouse. Il leva, en 1275, des troupes dans sa sénéchaussée et gagna la Navarre par Sauveterre de Béarn, SaintJean-Pied-de-Port et Roncevaux 1; ; Gaston l'accompagnait, ainsi que les comtes d'Armagnac et d'Astarac. Il fallut envoyer des renforts avec le comte d'Artois une première fois, puis une deuxième fois avec le roi de France en personne, toujours par le même chemin. Mais Pampelune ayant été prise (septembre 1276) et les vivres faisant défaut en Gascogne, le roi fit demi-tour. Il laissait nos régions complètement épuisées.

En 1279, le comte d'Armagnac prit les armes contre l'autorité du roi de France. Le sénéchal de Toulouse l'assiégea dans Auch et le fit prisonnier 2.

En 1281, lutte entre le comte d'Armagnac et le comte de Pardiac, à laquelle mirent fin par arbitrage les comtes d'Astarac et de Comminges.

En 1283, Esquivât, comte de Bigorre, mourut. Aussitôt recommencèrent les compétitions qui s'étaient élevées au sujet de la succession de cette comté, en 1251, à la mort de Pétronille. Les compétiteurs furent aussi nombreux en 1283 qu'en 1251. Esquivat avait désigné sa soeur Laure, vicomtesse de

1 Per venir en Navarra, 'N Estacha issitz fo De Tolosa la nobla, a lei de bon baro : Ab si menet un sabi qu'entendia razo, E maint bela compaynna e maint balester bo. E cavalguet alegre, per coita d'espero, E passet per Gascoynna, per la terra en Gasto, E venc a Sauba Terra, on l'ondreguon el Gasco. L endema eavalguet tro a dintz Sant Iohan fo, E totz cels de vila joy e festa 'n fero. El endema passero les portz, si que foro Dedintz en l'ospital, on ben accuillitz fo, Qu'on ditz de Ronçavals, ont se da gran perdo. (La Guerre de Navarre en 1276 et 1277, par Guillaume ANELIER. Vers 1455 à 1466.) 2 Hist. de Languedoc, éd. Privat, t. IX, p. 69.


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Turenne, pour lui succéder. Gaston de Béarn réclama ce droit de succession pour sa fille Constance. Les Etats de Bigorre se prononcèrent pour cette dernière. Laure porta plainte au sénéchal de Gascogne pour le roi d'Angleterre, à qui Constance fut obligée également de remettre l'affaire. Celui-ci se saisit de la Bigorre le 16 février 1285. Cependant, en 1288, le 1er septembre, Constance put prendre possession de la souveraineté de la Bigorre. Mais l'Eglise du Puy-en-Velay, l'archevêque d'Auch et le roi d'Angleterre vinrent discuter leurs revendications, en 1289, aux assises de Langon, sans autre résultat que d'en appeler au roi de France, qui, par son parlement, jugea en 1290 en faveur de l'Eglise du Puy. L'opposition des Etats de Bigorre contre la dépossession de Constance dura jusqu'en 1293 1.

Un grave événement, qui devait augmenter les difficultés que présentait la succession de la Bigorre, s'était produit en 1290; Gaston de Béarn mourait et laissait héritier le comte de Foix. Or, Mathe, comtesse d'Armagnac, ne voulut pas plus reconnaître la validité du testament de son père que la teneur de l'acte de 1286, qu'elle avait précédemment accepté et qui réglait la réunion définitive des maisons de Béarn et de Foix. En 1291, la guerre éclata entre le comte de Foix et celui d'Armagnac, jetant la désolation dans toutes nos régions. Le roi de France en profita pour mettre sous séquestre la Bigorre et le Nébouzan-en-Çomminges. La guerre générale contre les Anglais interrompit cette lutte en 1295. Rappelons brièvement les faits de la guerre de Guyenne ou de Gascogne jusqu'en 1299.

En décembre 1293, Philippe le Bel avait cru devoir citer le roi d'Angleterre, comme duc de Guyenne, devant le parlement de Paris à propos de rixes entre marins des deux nationalités. Le roi Edouard, dans le but de régler le différend à l'amiable, fit remettre au roi de France plusieurs places fortes de Guyenne jusqu'à ce qu'une enquête eût établi les responsabilités. Le roi de France, dès qu'il eut occupé ces places, s'empressa de faire envahir, en 1294, la Guyenne par Raoul de Nesle, connétable de

1 Pour de plus amples détails, v. Essais histor. sur la Bigorre, par DAVEZAC-MACAYA, livre 5.


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France, et de la mettre sous séquestre. Les succès en Guyenne furent rapides. Mais à la fin de décembre 1294, les Anglais débarquèrent à l'embouchure de la Garonne et s'emparèrent de quelques places situées le long du fleuve. Le 1er janvier 1295, ils reprirent, Bayonne, puis Sordes et Saint-Sever. Le comte de Valois, frère du roi de France, accourut au secours du connétable Raoul de Nesle. Podensac, La Réole, Saint-Sever, etc., retombèrent au pouvoir du roi de France, en 1295. Le comte de Valois ayant été rappelé dans le nord de la France, Robert d'Artois vint prendre sa place; il arriva le 15 août 1296 devant Dax assiégée, la délivra et courut contre le château de Bellegarde. Pendant qu'il était en position, les troupes anglaises de Bayonne vinrent l'attaquer; il les battit. En 1297, la présence du comte d'Artois ne fut plus nécessaire dans la Guyenne, qui fut placée sous le gouvernement de Guichard de Marciac, sénéchal de Toulouse 1. La guerre continua jusqu'en 1299, date à laquelle fut conclue une trêve de deux ans.

Y a-t-il, vraiment, quelque rapport entre cette situation des pays du Sud-Ouest et celle de la province de Languedoc, malgré la campagne de 1272 contre le comte de Foix, dont nous avons parlé, malgré les luttes d'influence entre le roi de France et d'Aragon, malgré le différend entre le roi de France et de Castille et celui de Majorque, malgré la guerre de Catalogne, en 1285, malgré les troublants démêlés entre les rois de Majorque et d'Aragon, en 1289, — événements les plus importants survenus autour de cette province de 1270 à 1300 ? Et n'est-il pas compréhensible que le petit comte d'Astarac, — pour, revenir à lui, — qui voyait séquestrer autour de lui les pays de Gaure et de Nébouzan, la Bigorre, le Pardiac et la Guyenne, qui assistait, même en personne, aux perturbations causées par les successions des comtés de Toulouse, — dont il était vassal depuis 1244, — de Navarre, de Bigorre et de Béarn, prît des précautions contre ses puissants voisins, rois ou comtes, pour garantir contre eux

1 Pour de plus amples détails, v. Hist. de la Gascogne, par MONLEZUN, livre IX, ch. 3.


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sa petite terre? Et en adoptant pour cela le système des bastides au lieu de celui des châteaux-forts, il sacrifiait à l'engouement du moment, à la mode. Aujourd'hui, on est revenu au système des forts, — les châteaux d'autrefois, — contre celui des villes fortifiées; ainsi vont les choses.

Celles que nous venons d'exposer sont, pourrions-nous dire, d'ordre extérieur. A l'intérieur, le comte d'Astarac, Bernard III, conformant sa politique à celle de plusieurs de ses prédécesseurs, voulut empêcher les seigneurs ecclésiastiques d'exercer le droit de souveraineté qu'ils possédaient, d'après eux, dans la comté, ce qui occasionna de nombreux démêlés. Il témoigna aussi une préférence marquée pour l'abbaye de Berdoues, ce qui amena de nombreux conflits avec celle de Simorre. Aussi l'abbé de Simorre eut-il recours à la protection royale, qui s'exerça en 1284, 1287, par des décisions du roi de France, et en 1288 par un arrêt du parlement de Toulouse condamnant le comte d'Astarac à réparer les dommages qu'il avait causés à l'abbaye de Simorre. Le loup était aux portes de la bergerie d'Astarac. En 1297, sous Centulle III ou Bernard IV 1, le roi de France prit possession de

1 D'après l'Hist. de la Gascogne, par MONLEZUN (t. III, p. 57) et La Vasconie, par de JAURGAIN (t. II, p. 173), Ceutulle III, comte d'Astarac, se serait, en 1294, dépossédé de la comté en faveur de son fils, Bernard, afin de permettre à celui-ci d'épouser Mathe, fille du comte de Foix. Il l'avait émancipé. Il se serait réservé Miramont et Labéjan, près de Mirande, Castillon, près de Simorre, et Saint-Jean-le-Comtal, entre Mirande et Auch, avec 20.000 tournois noir de rente (31 octobre). Il se serait repenti bientôt de cette générosité et aurait cherché à recouvrer sa comté les armes à la main. Mais un accord, passé en août 1299, lui aurait rendu Castelnau-Barbarens, Durban et Pavie. — Ces données nous paraissent, en partie, inexactes. En effet, dans l'acte de paréage de Cabas, passé le 16 juin 1296, le comte d'Astarac est appelé Centulle, et non Bernard; toutefois, il est spécifié dans le paréage (art. 5) que Centulle devra faire approuver et ratifier par Bernard, son fils, toutes les dispositions contenues dans l'acte. Et à la fin de celui-ci on lit qu'il fut établi à Castelnau-Barbarens, qui appartenait par conséquent, en 1296, contrairement à l'assertion de YHist. de la Gascogne, à Centulle, lequel signe le document comme comte d'Astarac. (Philippo, rege Francorum régnante, eodem. Gentullo, COMITÉ ASTARIACI) Il est vrai que Centulle lui-même avait été qualifié de comte d'Astarac en 1280, du vivant de son père, d'après La Vasconie (même tome). Quant à l'indication relative à la ratification de l'acte du paréage de Cabas par le fils de Centulle, il n'a rien d'anormal. A notre connaissance, cette disposition figure dans un grand nombre d'actes du XIII° siècle établis par des seigneurs ou des chefs de famille qui étaient indubitablement maîtres de leurs terres au moment du contrat. La vérité


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Simorre et de Castillon que, dès 1293, le comte d'Astarac avait entrepris d'enserrer dans une bastide appelée par lui Villefranche d'Astarac. Le loup était entré dans la bergerie d'Astarac...

En résumé, les bastides en Astarac, fondées dans la période qui s'étend de 1274 à 1297, ne furent pas demandées par le peuple ou imposées par le roi de France. Elles furent édifiées par la volonté même du comte souverain d'Astarac fort menacé, sans doute, par de puissants et entreprenants voisins. Quant au haut clergé, il n'opposa aucune résistance dans cette région à ces fondations, même en ce qui concerne Pavie, qui ne causa d'émotion qu'à Auch; en revanche, les abbayes et les ordres militaires de Saint-Jean-de-Jérusalem et du Temple (nous ne parlons pas de celui de la Paix, créé à Auch en 1229 et aboli en 1260) poussèrent à l'édification de ces bastides, ce qui a été déjà indiqué pour les abbayes et ce que démontrent pour les ordres militaires les deux actes ci-après.

IL

FONDATION DE LA LANNE-ARQUÉ (1278) ET DE CABAS (1296).

§ 1er. La Lanne-Arqué. — Dans l' Histoire du Grand Prieuré de Toulouse l'auteur signale qu'il n'a pas découvert dans le fonds de l'Ordre de Malte, aux Archives départementales de la HauteGaronne, l'acte de paréage survenu, le 17 juillet 1278, entre Bernard, comte d'Astarac, et les Templiers pour le lieu de La Lanne-Arqué. Ce document a certainement échappé à ses invesest

invesest dans ceci : Centulle III, lors du mariage de Bernard son fils, qui eut lieu en 1294, émancipa celui-ci et lui constitua un apanage (peut-être Miramont, Labéjan, Castillon et Saint-Jean avec 20.000 t. n. de rente). L'erreur commise, selon nous, par Monlezun, où de Jaurgain a puisé, provient d'une fausse compréhension de l'émancipation, procédure nouvelle introduite par Arnaud Novelli, professeur de droit civil à l'Université de Toulouse, dans la Bigorre et le Béarn, d'où elle a dû s'introduire dans l'Astarac. D'après l'acte d'émancipation établi par Gaston de Béarn, le 6 mai 1286, en faveur de sa fille Marguerite, femme du comte de Foix, celle-ci était délivrée de la puissance paternelle, ce qui lui donnait « pouvoir franc et libre pour agir, répondre, contracter et faire en jugement et hors icelui toutes autres choses qu'une mère de famille peut faire légitimement ». (Hist. de Béarn, MARCA, liv. VIIe, ch. xxv, § 2.) Et Gaston de Béarn exerça jusqu'à sa mort, en 1290, tous ses droits de souveraineté. C'est certainement ce qui se passa pour Centulle après l'émancipation de son fils.


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tigations, car il se trouve dans le dossier d'un procès survenu, vers 1696, entre le duc de Roquelaure, comte d'Astarac, et les bayles et consuls de La Lanne-Arqué et de Cabas, dossier classé dans la liasse I. Cabas. C'est une copie du vidimus délivré par le juge de Rivière aux bayles et consuls de la communauté de La Lanne-Arqué, probablement pour le procès contre Roquelaure.

L'acte de paréage établi en 1278 n'est, à vrai dire, qu'un canevas, car il ne contient que les notes prises par le notaire Bacon en présence des parties. La mort frappa ce notaire avant qu'il eût pu rédiger en due forme l'acte de paréage. Son successeur crut devoir respecter dans leur simple teneur les notes prises par Bacon, lesquelles lui parurent suffisantes pour constituer un instrument complet, quoiqu'il ne contînt aucune des formules sacro-saintes dans lesquelles on noyait au moyen-âge les faits principaux d'un contrat. Nous allons l'analyser, ce qui en facilitera la lecture.

Le 17 juillet 1278, « les chevaliers du Temple voulant construire une bastide sur ce territoire [de La Lanne-Arqué], assez improductif pour eux, — dit l'auteur de l' Histoire du Grand Prieuré, p. 221, — implorèrent l'assistance du comte d'Astarac ». Ils chargèrent les précepteurs d'Argenteins, Bordères et Vieuzos de traiter avec ce dernier. Les procureurs du Temple et le comte d'Astarac convinrent de fonder la bastide sur les terres de La Lanne-Arqué et sur celles, limitrophes, de Coumes, en ne prenant sur ces dernières, qui appartenaient au comte, que ce qui serait nécessaire.

Tous les revenus temporels et les produits de La Lanne et de Coumes, l'administration et la confiscation par autorité de justice des biens meubles et immeubles, seront par moitié. Il est toutefois réservé que, en matière criminelle, après que les personnes prévenues de crime auront été reconnues coupables par la cour et les bayles du comte et du précepteur, la peine encourue par le criminel sera prononcée par le comte ou son bayle. Et dans ce cas, tout stadium 1 et confiscation des biens meubles et immeu1

immeu1 n'avons pu trouver ce mot. Ne faut-il pas lire vadium = vadimonium, fidejussio,pignus,poenu, muleta, etc.? V. Du CANGE, au mot vadium.


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bles appartenant aux condamnés et situés dans la bastide ou dans les territoires de La Lanne et de Coumes se feront par moitié; en ce qui concerne les immeubles de ces condamnés situés audehors, ils seront attribués suivant la coutume du lieu où ils se trouvent.

Tout ce qui précède étant indivis, aucun des contractants ne devra agir en justice contre cette indivision.

Les Templiers reconnaissent tenir du comte les terres et les droits ci-dessus comme d'un seigneur souverain. Et ils concèdent que l'on appelle de leur cour au comte lui-même.

Les Templiers retiennent pour leur Ordre, du consentement du comte, la maison et la grange entourées de fossés qu'ils ont à La Lanne, ainsi que la vigne et le champ voisin qu'ils veulent complanter en vigne sans que le comte puisse y avoir part; de son côté, le comte peut construire une maison et planter une vigne sans que le Temple puisse y avoir part.

Le comte a sur les habitations de la bastide de La Lanne le droit d'usage qu'il possède dans le reste de la comté là où il existe, mais seulement dans les deux cas suivants : s'il lui était fait une injure manifeste; s'il lui était fait violence par chevauchée. Dans les autres cas, il ne doit chasser personne de la bastide, ni rien exiger de ses habitants.

§ 2. Cabas. — L'acte de paréage de Cabas a été écrit sur un parchemin, aujourd'hui en fort mauvais état, qui se trouve aux Archives départementales de la Haute-Garonne. (Fonds de Malte. Cabas, liasse i, n° 2.) Ce parchemin mesure 0m51 de côtés et il contient quatre-vingt-dix lignes. De la première à la troisième ligne, il y a un trou de 0m015 sur 0m028; de la quatrième à la vingt-cinquième ligne, un autre trou de 0m032 sur 0m140; enfin, de la quarante-neuvième à la cinquante-neuvième ligne, le trou est de 0m020 en moyenne dans les deux sens. La marge du parchemin est rongée à droite, depuis le haut jusqu'à la vingtcinquième ligne, sur une largeur variant de 0m010 à 0ra060, entamant fortement le texte. La marge gauche est rongée de la vingt-troisième à la vingt-huitième ligne, sur une largeur variant de 0m010 à 0m030; le texte est aussi entamé fortement.


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Des transcriptions de ce parchemin se trouvent dans cette même liasse sous les numéros 3 et 9. Elles sont sur papier. La transcription numéro 3 se termine ainsi :

L'an mil six cens septante ung et le cinquième jour du mois de décembre, par nous, frère Pierre Brunet, prêtre, religieux de l'ordre de S. Jean de Hierusalem, notaire du Sainct-Siège, secrétaire du vénérable Chapitre provincial dud. Ordre el archivisse pour icelui au grand prieure de Tholose, à la réquisition de Me Jean Baup, prêtre, curé de Besues 1, au dioceze d'Aux, députté par les consuls et communaulté de Cabas, en conséquence de la délibération prinse en corps de communaulté ressonné (sic) par Souilles 2, notaire de Sainct-Plancard 3, et en sa présence et dessoubs soubssignés, a esté procédé à la faction du présent extraict tiré de son grossoyé escript en parchemin et lettres fort antiennes, deffectueux et rompeu en divers endroicts, qu'avons marqués et désignés par les blancs sur lesquels avons tiré une ligne pour empêcher qu'ils ne peussent être remplis d'aulcune escripture; led. grossoyé trouvé aux archives dud. ordre, en l'armoire de la commanderie de Baudiac 4 deppendant dud. grand prieur, où il a esté remis, préalablement dressé; collation faicte sans y avoir rien adjousté, ny diminué, ny tesmoignatge; de quoy nous sommes soubssignés avec led. sieur Baup; et pour plus grande foy, avons cy apposé le sceau, ordinaire dud. Chapitre; Me Bernard Lobmhes, docteur et avocat, et Me Bertrand Soules aussy soubssignés.

Signatures autographes.- J. BAUP, f. P. BRUNET, LOBMHES, SOULES. ' (Manque le sceau du chapitre.)

La transcription numéro 9 porte sur la dernière feuille servant de chemise l'indication suivante :

1296. Cabas. Pariage entre le commandeur de la lane arque et le compte d'astarac par lequel l'ordre associe led. compte eu la moitié de la justice directes et autres droicts qu'ils avaient au lieu de Cabas.

C'est une copie faite au XVIIIe siècle de la transcription n° 3. Nous avons utilisé les pièces suivantes pour essayer de combler autant que possible les vides du parchemin (n°2) 2); elles ne

1 Bézues-Bajon, canton de Masseube (Gers), au nord de Cabas.

2 Soules, à la signature.

3 Arrondissement de Saint-Gaudens (Haute-Garonne).

4 Aujourd'hui Boudrac, arrondissement de Saint-Gaudens.


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sont pas numérotées dans la liasse, où elles se trouvent avec d'autres pièces se rapportant au procès de Roquelaure :

(a) Précis du contenu au Pariage de Cabas appelé autrement Ste Grâce de 1296.

(b) Advertissement que met et baille par devant vous nos seigneurs des requestes de l'hostel, religieux seigneur Frédéric de Berre de Collogne, chevalier de l'Ordre de S. Jean de Jérusalem, grand prieur de Toulouse, deffendeur.

Il porte la mention •: signé Le Barbier, avec paraphe, mais aucune signature, ni aucune date, ne figurent sur la pièce. Nous y lisons le renseignement suivant, qui corrobore notre sentiment sur la fondation des bastides en Astarac :

Ce fut en 1296 que se fit ce traité [de paréage de Cabas] et ce qui porta Guillaume de Villare (sic) a le faire fut que ses vassaux étant exposés aux vexations de ses voisins et ne pouvant les secourir en personne parce qu'il se trouva obligé de se rendre en Asie pour les interests de la relligion, et où il fut eslu grand-maitre quelques jours après, il choisit le comte d'Astarac, puissant sur les lieux, pour l'engager à prendre leur protection. Mais le comte u'entreprit pas leur défense gratuitement; il reçut en récompense tous les droits dont il est parlé, etc.

Il est évident qu'il ne s'agit pas seulement de la protection des habitants de Cabas, qui n'était qu'une grange appartenant aux hospitaliers, mais des vassaux de cet Ordre, « qui avait d'autres « possessions dans l'Astarac et dehors la seigneurie de ce comté ». (Art. 23 du paréage.)

Nous donnons ci-après l'analyse de ce paréage d'après l' Inventaire des titres et documents de l' Ordre de Saint-Jean de Jérusalem (Arch. départementales de la Haute-Garonne. Fonds de Malte, numéro 122 bis, pp. 641 et suiv.) établi au XVIIIe siècle. Elle ne donne pas toujours toutes les dispositions contenues dans le texte, l'analyste ayant craint probablement... les vides. Ceux-ci, en somme, n'atteignent, à notre avis, que une, peut-être deux propositions principales; au contraire, la teneur des formules en a beaucoup plus souffert, ce qui est, nous semble-t-il, peu important. Nous compléterons, quand nous le croirons utile,


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le travail de l'analyste, eu mettant entre crochets les dispositions qu'il aurait négligées. Néanmoins, il sera bon de recourir à l'acte lui-même, qui contient des détails intéressants sur l'état de la procédure et du droit dans nos régions, à la fin du XIIIe siècle.

Pariage et accord fait entre magnifique seigneur Centulle, comte d'Astarac, d'une part, et frère Bertrand Cadolhan, commandeur de Cabas et procureur de frère Guillaume de Vilar et, grand-prieur de Saint-Gilles, d'autre, comme s'en suitl :

1. Premièrement : Led. commandeur veut et consent que led. sr comte aye et prenne la moitié par indivis de tous les revenus temporels et censives de tout le terroir de Cabas. Et s'il faut faire quelques despenses à la forge ou au four, ou autres choses, il sera tenu d'en payer la moitié; se réservant, néanmoins led. commandeur l'église dud. lieu avec tous droits de dixmes, prémices, oblations et autres droits appartenant à lad. église, comme aussy les hospitaux, ladreries et recluses. Et ne sera permis à qui que ce soit de faire bastir aucune chapelle, ny establir prestre en icelle sans le sceu et consentement dud. sieur commandeur.

2. Led. commandeur se réserve tant pour soy que pour ses successeurs à l'advenir de pouvoir bastir et construire des moulins en sa propre terre et y retenir des places pour lesd. moulins, ce qui sera permis aussy aud. comte.

3. Il est convenu que led. comte ne pourra bastir aucune ville à demie lieu (sic) près du terroir de Cabas.

4. Il est accordé que si aucun accord se faisait avant de prononcer sentence ou après concernant les choses qui regardent le mère Impere 2, ce qui proviendra de tels accords sera divisé entre led. commandeur et led. comte par égalles portions.

5. Led. comte aura le mère Impere-en sa terre propre qu'il mettra eu pariage comme il avait auparavant; [la même disposition s'appliquera au précepteur.] Lequel dit comte sera tenu de faire ratiffier les choses contenues au présent instrument par Bernard, son fils. Et que led. commandeur [doit] le faire notiffier à frère Guillaume de Villaret et scéeller de son sceau.

- ' La lettre de Guillaume de Villaret, insérée au commencement de l'acte de paréage, ne vise pas seulement la fondation de la bastide de Cabas, mais aussi un échange à faire de l'église de Sabaillan, appartenant à l'archevêque d'Auch, contre celle de Saint-Léonin (?), qui était au Temple. 2 La justice criminelle.

8


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6. Led. commandeur se réserve tant pour soy que pour ses successeurs de pouvoir faire passer les eaux et faire des caneaux dans la ville ou dehors et en tel lieu que bon luy semblera; et bastir des moulins là où il jugera à propos, sans contradiction ny empeschement, excepté qu'il ne pourra faire passer lesd. eaux dans les terres qui ont été inféodées que s'il est nécessaire que lesd. eaux passent dans lesd. terres. lied, commandeur sera tenu de payer le domage au dire d'expert à celluy à qui appartiendra lad. terre.

7. Led. commandeur se réserve par exprès, tant pour soy que pour ses successeurs, toutes les aumosnes, légats pies et autres héritages ou donations faittes entre vifs sans empeschement dud. comte et sans qu'il y puisse rien prétendre.

8. Item, se réserve la grange sive maison de lad. commanderie, ensemble la vigne, verger et autres choses qui sont environnées des fossés à l'entour de lad. grange pour en faire à ses plaisirs et volontés, excepté que si aud. enclos on bastissoit des maisons ou plantoit des vignes et qu'on les baillât à nouveau fief aux habitaus dud. lieu, led. comte en aura la moitié des censives et autres droicts.

9. Led. commandeur se réserve 20 paires de boeufs de pred ' à prendre où bon lui semblera dans tout le district dud. lieu.

10. Il est convenu que led. comte pourra prendre des terres pour bastir maison, jardin et preds aud. lieu [autant qu'en aura led. précepteur].

11. Led. commandeur se réserve le labourage de 12 paires de boeufs 2 à sou proffict et utilitté sans qu'il [soit] obligé de les donner à fief auxd. habitans, si ce n'est pour les faire travailler.

12. Il se réserve dans led. lieu une place pour bastir une église avec un cimetière et pour construire la maison presbiteralle, le tout comme il verra estre expédient et nécessaire.

13. Il se réserve 2 places 3 de terre pour bastir son palais et auprès dud. palais les maisons qui lui seront nécessaires.

14. Led. commandeur a consenty que led. comte aye une maison dans l'enclos dud. lieu près de celle dud. commandeur ou ailleurs où bon luy semblera, laquelle sera de même grandeur et longueur que celle dud. comman1

comman1 : la quantité de prés nécessaires à la nourriture de vingt paires de boeufs, soit environ une trentaine d'hectares au minimum pour l'Astarac.

2 C'est-à-dire : les terres déjà cultivées, ou défoncées ou boisées que pourront labourer douze paires de boeufs, soit environ deux cents hectares.

3 Environ quinze ares.


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deur [ou plus petite ou plus grande, à la volonté du précepteur et des habitants].

15. Us ont voulu et ordonné, led. comte et commandeur, qu'il ne sera permis à aucun chevalier, clerc, religieux homme ny femme, de bastir aucune maison ny faire résidence dans led. lieu, terroir et appartenances d'icelluy sans le sceu et consentement dud. comte et commandeur ou de leurs procureurs.

16. Ils ont ordonné que tous ceux qui fairont résidance aud. lieu presteront le serment de fidellité auxd. comte et commandeur toutes fois et quantes qu'ils en seront requis.

17. Led. commandeur s'est réservé que en cas led. lieu viendroit à estre détruit à l'advenir et qu'il n'y restat que 30 maisons inclusivement, led. lieu avec tout le terroir culte et inculte, distroit et appartenances d'icelluy avec toute juridiction haute, moyenne et basse, retournera entièrement et sans aucune contradiction aud. commandeur en seul, comme il l'avait auparavant que led. lieu fut construit et peuplé. En telle sorte néantmoins que si quelque habitant était obligé de quitter le bien qu'il tenoit en fief et qu'après il voulut revenir habiter aud. lieu, il pourra reprendre son fief dans l'an et jour de son absence et en jouir comme auparavant.

18. Led. commandeur a consenty que sy lad. population venoit à s'augmenter au-delà de 30 maisons, led. comte et ses successeurs auront la moitié de tous les droicts dud. lieu comme il l'avait auparavant.

19. Led. comte pourra faire des pesquier 1 partout où bon lui semblera, excepté en la rivière de Larat 2, sans pourtant porter aucun domage à aucun habitant dud. lieu.

20. Lesd. comte et commandeur ont convenu que led. comte ny ses successeurs à l'advenir ne pourront léguer, changer, engager, bailler à nouveau fief, ny en aucune autre manière aliéner les biens quy luy ont esté baillés par led. commandeur,-ni les vendre ou donner, si ce n'est aud. commandeur ou à ses successeurs.

21. Comme aussy led. commandeur consent que led. comte jouisse de la moitié à luy donnée, sans pourtant porter aucun domage aud. commandeur. Lequel comte sera tenu de jurer solennellement à chaque changement de commandeur en lad. maison de Cabas.

1 Viviers pour garder les poissons.

2 L'Arrats naît dans le Magnoac et conflue dans la Garonne à Valence-d'Agen (Tarn-et-Garonne).


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22. Et parce que led. commandeur a accordé aud. comte la moitié de la justice tant des meubles et immeubles par indivis, lesd. comte et commandeur ont arresté entre eux que en cas les biens d'aucun desd. habitans seroient confisqués pour avoir commis quelque crime ou infidelitté, led. comte aura et le apartiendra la moitié des biens meubles qny auront été confisqués. Et l'autre moitié appartiendra aud. commandeur. Et quant aux biens immeubles confisqués, les bailles commis desd. commandeur et comte seront tenus de les vendre aux habitans dud. lieu dans un au après, et bailler la moitié du prix à chascun desd. commandeur et comte, en telle sorte néantnoins que si led. comte n'avoit rien sur lesd. biens confisqués ou tombés en commis, ils appartiendront en seul aud. commandeur, ce que sera de mesme à l'esgard du comte.

23. Et parce que led. commandeur pour la deffence, garde et augmentation dud. lieu et de tous les biens que led. commandeur a en lad. comté d'Astarac et dehors la seigneurie dud. comte, led. comte prend la moitié des revenus dud. lieu de Cabas, comme dit est, lesd. comte et commandeur ont arresté que led. comte et ses successeurs deffendront et maintiendront les habitans dud. lieu en leurs libertés et coustumes, en sorte qu'on ne leur pourra imposer aucune taille, queste ny albergue, ny autrement les molester en leurs corps et en leurs biens sans le consentement dud. commandeur. Et si led. comte exigeoit quelque chose des habitans, led. commandeur s'en réserve par exprès la moitié.

24. Le comte ne pourra empescher à aucun homme ou femme de sa terre de venir faire résidence en lad. ville de Cabas, sinon en cas ils tinssent des biens de luy.

25. Le comte établira en lad. ville le marché un jour de chaque sepmaine tel que led. commandeur advisera estre plus commode, comme aussy une ou 2 foires en tel temps et tels jours que led. commandeur trouvera à propos.

26. Le comte permettra aux habitans dud. Cabas de faire paistre leur bétail par toute la comté d'Astarac.

27. Ils ont convenu que led. commandeur ne payera aucun droict de leude en lad. ville, ny eu aucun lieu de lad. comté d'Astarac, des bleds, vins, bestiaux gros et menus, ny d'aucunes autres choses qu'il exposera en vente par toute lad. comté. [De même, le comte ne payera aucun droit pour la vente à Cabas.]

28. Comme aussi, il [le précepteur] les pourra faire transporter hors lad. comté librement; et semblable privilège aura led. comte en lad. ville de Cabas.


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29. Le comte a promis aud. commandeur de luy faire rendre toutes les possessions, pasturages et bois quy lui sont indument détenus.

30. Ils ont accordé qu'ils mettront leurs bailles en lad. ville, qui presteront le serement de fidelitté auxd. seigneurs; [et que la sentence prononcée contre un criminel sera exécutée immédiatement par le comte ou son bayle]; et que des sentences données par les consuls dud. lieu, les condamnés pourront estre appellant par devant le juge d'appeaux dud. comte.

31. Lesd. bailles amasseront les rentes, censives, justices 1, leudes, péages et autres droictz dans le distroict et appartenances dud. lieu. Et après qu'ils les auront amassés, ils eu rendront comte par devant lesd. seigneurs ou leurs procureurs et bailleront à chascun sa part et portion.

32. Si lesd. commandeur et comte veulent eslire et establir d'autres bailles pour garder leurs biens et pour faire leurs affaires, il leur sera permis et loisible.

33. Il sera permis à chascun de changer son baille annuellement sy bon luy semblera.

34. Lesd. comte et commandeur créeront six consuls annuellement, lesquels consuls, ensemble le baille, seront voisins ou habitans dud. lieu de Cabas.

35. Ils ont arresté que chaque nouveau comte jurera entre les mains dud. commandeur qu'il gardera et observera toutes les choses susd. pendant toute sa vie, duquel serement il en sera fait acte public. Comme aussy promettra de garder et conserver les biens dud. commandeur et des habitans dud. lieu, comme led. comte a juré et promis à peine de 100 marcs d'argent.

36. Il est convenu qu'en cas led. comte ou ses successeurs fairoient aucun domage aud. commandeur ou auxd. habitans, il sera obligé de réparer led. domage dans quinze jours après la dénonce quy luy en sera faitte, scavoir envers led. commandeur le double et aux habitans le simple domage. Le tout à la cognoissance dud. commandeur et de ses successeurs.

37. Led. comte ne pourra faire ost ny cavalcade hors la comté d'Astarae, ny dedans, sans le consentement dud. commandeur.

38. Les terres qui ont esté inféodées cy devant par led. commandeur demeureront en leur force et vigueur; [et que le comte garde et deffende de tout son pouvoir le précepteur et les frères, ainsi que leurs biens, où qu'ils soient]. Aucun homme ny femme [dud. précepteur] n'y [à Cabas] viendra habiter sans l'exprès consentement dud. commandeur 2.

1 Amendes.

2 C'est le complément de l'art. 24 ci-dessus, réservé probablement au moment de la


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39. Les droitz de lods et ventes, rière accaptes 1 et autres droictz seront divisés entre lesd. commandeur et comte. — Il ne sera permis aux habitans de travailler leurs terres que celles dud. commandeur ne soient labourées et cultivées.

40. Lesd. comte et commandeur et leurs successeurs auront le pouvoir de créer aud. lieu un notaire public et autres personnes communes, scavoir un juge qui prestera le serement entre les mains desd. seigneurs. Lequel ouïra les causes mues entre les habitans dud. lieu suivant les fors et coutumes de lad. ville, et le baille comun pour exécuter ce qui sera ordonné par led. juge, [le bayle du comte restant chargé des causes criminelles].

41. La cognoissance des causes féodales appartiendra entièrement auxd. comte et commandeur, en telle sorte qu'aucun juge n'en pourra cognoistre sans leur consentement. — Bien que led. commandeur permette aux habitans dud. lieu de dépaistre par tout le distroit de lad. ville, néantmoins il se réserve que personne n'y pourra faire cabane pour dépaistre que led. sieur commandeur.

42. Les bailles commis du consentement des juratz establiront des gardes et mességuiers, lesquels [bailles] percevront la moitié des émoluments, l'autre moitié appartiendra auxd. gardes.

43. Led. comte a juré, sa main mise sur les Saincts Évangiles, de tenir, garder et observer tout ce dessus.

44. Et en cas de contravention [du comte], les bailles qui sont commis pour la levée des deniers comuns les délivreront aud. commandeur.

45. Si led. commandeur a quelques terres qui n'ayent pas été baillées auxd. habitans, il aura le droict d'agrier 2 en seul desd. terres.

46. Et ensuitte lesd. comte et commandeur jurèrent réciproquement sur les Saincts Évangiles Nostre-Seigneur de garder et observer le contenu au présent pariage, ainsy qu'appert d'icelluy retenu par Bernard Bacou (sic), notaire d'Astarae, le 15e juin 1296; escrit en une peau de parchemin un peu déchirée.

(A suivre.)

rédaction de ce dernier article, puis accepté et inscrit au présent article 38. Cette manière de faire était très fréquente au XIIIe siècle.

1 Droit à payer à chaque changement de seigneur (V. du CANGE : Retrocapitum).

2 Droit sur les moissons ou simplement sur le champ cultivé.


DEUXIÈME TRIMESTRE 1912. 123

ÉTUDE SUR LE DOCTEUR AUGUSTE-PROSPER FILHOL,

Médecin et Annaliste d'Auch

(I 772-1849),

PAR M. LÉON BOMPEIX.

(Suite et fin.)

OEUVRE HISTORIQUE DE FILHOL.

L'oeuvre historique de Filhol est peu volumineuse, mais elle est disséminée jusque dans ses écrits médicaux, ce qui rend délicat pour le critique l'emploi de la méthode descriptive. Cependant elle est plus particulièrement représentée par les Annales de la ville d'Auch, simple memento chronologique auquel une phrase un peu prétentieuse de Cicéron sert d'épigraphe : « L'histoire est le témoin des temps, la lumière de la vérité, « la vie de la mémoire, la maîtresse de la vie, la messagère de « l'antiquité ».

En dépit d'une certaine sécheresse, le tableau de la Révolution, à Auch, tel qu'il est fixé dans les Annales de la ville, mérite de retenir l'attention. Il n'est pas inutile de noter que, guidé par une sorte de prescience, le jeune Filhol a mis en vedette un nom particulièrement retentissant, celui de Mirabeau, le fils du célèbre physiocrate devenu seigneur de Roquelaure, dans le Gers; non qu'il ait voulu inarquer par là son enthousiasme juvénile pour un personnage déjà illustre, mais plutôt pour préciser certains côtés du rôle joué par celui-ci; encore procède-t-il, sans le savoir, avec la mesure et l'impartialité qu'on attend généralement de la seule postérité.

A Auch, comme partout, la terreur panique avait fait jaillir des milices,-attendu que l'année 1789 est communément appelée l'année de la peur. Bien que la tradition populaire ait conservé cette dénomination, Filhol est peut-être le seul auteur gascon qui mentionne historiquement le fait en l'expliquant.


124 • • SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

L'historien n'avait alors que seize ans; malgré sa jeunesse et son inexpérience, il a décrit la panique avec autant de clarté que de sang-froid; ses phrases courtes, incisives, n'ont rien du ton péremptoire des gros traités d'histoire, ni de l'exagération inconsciente des mémoires copieux. Le jeune homme se montre sceptique : il ne croit pas à la réalité de cette armée de trois cent mille brigands dont on signale la présence partout à la fois et qu'on ne voit nulle part. Cependant le tocsin sonne; les troupes sont sur pied, battent le pays; chacun tremble; tout le monde fuit, abandonnant maisons et récoltes. Cet état de choses dura trois jours au bout desquels tout s'expliqua : « C'était un coup qui venait de Paris. »

« C'était un coup de théâtre joliment exécuté. On sait que « c'est Monsieur de Mirabeau qui en est l'auteur. C'était pour ce faire armer tout le monde, et on y réussit bien. Semblable au « fluide électrique qui traverse l'atmosphère avec une étonnante « rapidité, de même l'armement de tout le royaume eut lieu en « un seul jour et presque en un instant. »

On s'explique ainsi pourquoi la mort du tribun admirable, qui de son vivant synthétisait presque la Révolution, autour duquel gravitaient toutes les espérances et toute l'ardeur du Tiers-Etat, jeta le deuil et la consternation dans le coeur des patriotes. Le 8 avril 1791, Alexandre Ladrix prononçant au club auscitain des Amis de la Constitution l'éloge funèbre du grand orateur, évoquait la fameuse journée du 23 juin 1789. Il rappelait Mirabeau « assis sur les restes de la Liberté en ruines, défendant ses autels, « les tenant embrassés, et s'écriant : « On ne m'en détachera que « mort, les baïonnettes pourront seules m'en arracher ». C'est ainsi qu'une fin prématurée avait préservé de la guillotine le plus habile des agitateurs et le conduisait à l'apothéose.

A Auch, comme dans toute la France, on se ruait littéralement vers les idées nouvelles; une soif d'affranchissement, ici comme ailleurs, faisait détrôner Dieu au profit-de la déesse Raison; on plaçait au frontispice de l'église Sainte-Marie cette inscription : Le peuple français reconnaît l'Etre Suprême et l'immortalité de l'âme. Les dix commandements de la République et les six


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commandements de la Liberté étaient adoptés par la Société populaire d'Auch. Un peu plus tard, ce fut la réaction; on put chansonner impunément Robespierre et goûter les joies des fêtes civiques sans que le spectre terrifiant de la guillotine vînt se dresser sur la tête des suspects et des ci-devants. Entre temps, les adresses des comités, les proclamations des patriotes se multiplient dans le Gers comme dans les autres départements : les textes que l'on retrouve dans les Annales de la ville d' Auch en font foi.

En vérité, le spectacle impressionnant de la Révolution aurait dû inspirer un observateur moins froid que le médecin auscitain, mais sa simplicité répugnait à escalader les sommets de l'Histoire.

Auch a perdu son lustre d'autrefois, alors que Pline, Strabon, Pomponius Mela la comptaient parmi les trois grandes villes de la Gaule. Les Goths, les Vandales, les Normands, les Sarrasins, les pestes même qui sévirent en 1342, en 1564 et en 1632 ont eu beau la ravager, elle garde encore la marque impérissable de la domination romaine. L'ancienne Villa Clara ne sera jamais plus ce qu'elle a été, mais elle porte assez noblement sa déchéance pour que Filhol ait aimé sa ville natale par-dessus tout. A côté de ce généreux sentiment, il eut pour l'archéologie une prédilection marquée; peut-être pensait-il que cette science est à la cité ce que l'arbre généalogique est à la famille, ce que les parchemins sont aux descendants des preux. Les marbres mutilés, les effigies rongées par le temps, qu'il étudiait avec respect, constituaient les quartiers de noblesse de la ville, véritables textes sacrés dont il se fit l'exégète complaisant. Servi par un goût artistique aussi prononcé, Filhol porta toute sa vie un intérêt considérable aux fouilles et aux découvertes que l'on fit dans la région. Quels que soient le titre et l'objet de ses ouvrages, il ne manque pas de signaler la mise au jour des temples, des tombeaux, des statues, des mosaïques, des médailles, des objets d'art de toute nature dont Climberris était alors la mine inépuisable. Chaque fois que la chose est possible, il mentionne même les noms des amateurs éclairés, d'ailleurs nombreux, qui recueillent les trésors journel-


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lement soustraits au mystère du sol. C'est ainsi que nous pouvons apprécier rétrospectivement, grâce à lui, la valeur de certaines collections aujourd'hui dispersées, ainsi qu'il le prévoyait lui-même. Son ami intime, M. Dayrenx, avocat à Auch, possédait, dit-il, un cabinet remarquablement riche en tableaux, livres rares, médailles historiques, sculptures, etc. MM. Berot de Cologne, Sentetz fils, bibliothécaire de la ville, David, avocat, furent également des collectionneurs avertis, et lui-même dut laisser à sa mort un héritage artistique important dont on ignore le sort actuel.

Étudier la numismatique avec Filhol, ce n'est pas seulement reconnaître l'importance ethnographique et la richesse archéologique de Climberris, c'est comprendre la mentalité latine de cet Auscitain dont les ancêtres voulurent être des Romains de la première heure en réclamant la « latinitas », comme citoyens de l'Empire, ce droit marquant pour eux le passage de la barbarie à la civilisation.

Si l'on est accoutumé à entendre dire que le latin dans les mots brave l'honnêteté, il n'est peut-être pas exagéré de prétendre que Filhol le fit servir à braver la modestie. C'est, en effet, dans cette langue qu'il dépeint, avec une complaisance extrême, la constitution physique, les moeurs, l'intelligence de ses concitoyens; il admire aussi, ou sait excuser, le cas échéant, leur verbe abondant, aussi souple que hardi. Un siècle s'est écoulé depuis la publication de ce portrait vraiment élogieux, néanmoins les Auscitains d'aujourd'hui seraient flattés à coup sûr de se reconnaître dans la traduction partielle qui suit :

Les hommes sont de taille moyenne, cinq pieds trois pouces environ, et bien constitués pour le travail. Leur physionomie est franche, aussi les diverses émotions s'y reflètent fortement; leur teint est naturellement vif: leurs cheveux sont noirs, souvent frisés ; on en voit peu qui aient le teint et la chevelure rouges. Ils jouissent d'une robuste constitution ; leurs muscles sont développés et leur peau est ferme; beaucoup d'entre eux sont extrêmement forts et vaillants. Leur attitude est pleine de noblesse et leur démarche alerte ; ils sont affables et doux, fidèles et dévoués.

Le beau sexe n'est pas moins favorisé; la stature des femmes est conve-


DEUXIÈME TRIMESTRE 1912. 127

nable ; elles ont le teint blanc, la peau douce et fine, les formes pleines, le visage expressif et la santé délicate.

Quant.aux vieux usages locaux, Filhol leur garde un attachement inaltérable, tant il est vrai « qu'il n'est rien d'aussi stable dans une race que le fond héréditaire de ses pensées 1 ». Tout en cultivant les arts et la littérature qui ont fait d'Athènes et de Rome des cités immortelles, il ne rougit pas de rester fidèle au patois. D'ailleurs, comment pourrait-il proscrire ce parler rustique alors que l'illustre Barthez, son maître vénéré, l'emploie pour converser avec lui; alors qu'il a entendu un professeur de Faculté, choqué de l'ignorance manifeste d'un candidat, s'écrier publiquement : Ai sabes pas et les infirmies at saben.

Bien mieux, il met une sorte de coquetterie à faire ressortir que le climat et le patois confèrent à tout Gascon une gaillardise et une ingéniosité dignes d'être enviées par les autres provinciaux. Après lui, son confrère le Dr Molas écrivait en 1821 ces lignes suggestives :

Tout ce que l'on débite sur le compte des Gascons est grossi à la loupe parisienne. Il est vrai que leur esprit, leur gaîté, leurs saillies heureuses, les hyperboles de leur patois et leur accent particulier leur donnent hors de chez eux quelque chose de plaisant et même d'extraordinaire, ce qui leur a valu la réputation de fanfarons et d'exagérateurs ; mais on peut assurer qu'ils ne le sont réellement qu'autant que les autres le sont moins. On conviendra, en effet, qu'il est tout aussi naturel à un Gascon d'entendre trotter une mouche sur les clochers de Notre-Dame, qu'il l'est à un Parisien de la voir courir2... »

Pourquoi l'orgueil des avantages physiques et intellectuels, réels ou imaginaires, n'est-il pas complété par la prospérité matérielle de la ville ! Hélas, l'intendant d'Etigny n'est plus là pour parachever son oeuvre d'embellissement et d'enrichissement. Lorsqu'il arrive à Filhol de faire allusion au génie et à la puis1

puis1 des foules, par LE BON. — « Les vivants auxquels on obéit ne font bien souvent, quand ils commandent, qu'exécuter à leur insu les ordres silencieux de certains morts, et je sais tel penseur qui gouverne plus souverainement les hommes du fond de son tombeau, que le plus absolu des monarques ne le fit du haut de son trône. — Louis BLANC. »

2 Esquisse d'une Topographie médicale d'Auch, par le Dr MOLAS, 1821.


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sance de Napoléon, ce n'est qu'un prétexte de sa part pour déplorer l'indifférence des pouvoirs publics qui n'ont pas poursuivi les projets excellents de l'Empereur ou ceux de l'intendant, notamment au sujet d'une question dont l'importance est capitale à ses yeux pour la ville d'Auch, celle du Gers navigable ou même celle de l'eau potable. En 1814 il écrit cette phrase pleine d'amertume : « Le canal de la Baïse se fait, et celui du Gers ce dont on parle depuis longtemps est encore à faire ». Que d'ironie contenue dans cette phrase, quand on songe que le département n'a pas encore résolu le problème et ne semble pas près de le résoudre. La réalisation et l'exploitation du Gers navigable pouvaient devenir une source de richesse' pour le pays en créant un débouché naturel pour les marbres et les bois des Pyrénées; d'autre part, l'écrivain savait tout le prix que les Romains ont attaché à la bonne qualité des eaux destinées à leur table et à leurs bains.

L'astronome Bouvart porta sur Barthez un jugement en forme de boutade : ce C'est un excellent professeur, c'est un homme « universel, il sait le droit, la physique, les mathématiques et ce même de la médecine ' ». A l'exemple de son maître dont il fut l'admirateur fervent, Filhol n'a pas été séduit seulement par la médecine et la philosophie ou même l'archéologie; toutes les questions agricoles l'ont intéressé. C'est donc intentionnellement qu'il ajoute à ses titres universitaires ou honorifiques celui de propriétaire; ce lettré est un homme des champs clans la bonne acception du mot. Historien, il est sobre de détails jusqu'à l'exagération ; il laisse à d'autres le soin d'exalter les bienfaits de la Révolution ou la gloire naissante de Bonaparte; l'épopée impériale ne l'éblouit pas outre mesure. En revanche, avec lui, le simple particulier ne perd jamais ses droits; toutefois la facture littéraire de Filhol est telle, qu'elle conduit souvent à une énumération fastidieuse en apparence, mais susceptible d'éclairer un peu l'histoire locale. L'année 1799., entre autres, est marquée dans les Annales de la ville d'Auch non par le Dix-Huit Bru1

Bru1 Médecine en France, par Alexis MONTEIL.


DEUXIÈME TRIMESTRE 1912. 129

maire, date à jamais fameuse dans les fastes de la nation, mais par l'apparition d'un très humble, très obscur ouvrage agricole, l'Art du taupier, par le citoyen Dralet, conservateur des forêts. Nombreuses sont les années dont il n'a retenu qu'un événement infime, par exemple la découverte d'une médaille ancienne sur l'emplacement de Climberris; ce menu fait prévaut sur la splendeur théâtrale du sacre de Napoléon et masque même l'éclat du légendaire soleil d'Austerlitz. En. 1810 le médecin s'intéresse, avec la Société d'agriculture du Gers, à la forme et à la capacité des vaisseaux vinaires, de même qu'au problème important de la perfection des vins. En 1815, lorsque aux triomphes éclatants de nos armes succèdent les horreurs de l'invasion, le récit de cette transition cruelle nous est épargné. Considérons,° d'autre part, avec quel soin il observe habituellement l'état de l'atmosphère, les floraisons, la marche des récoltes; avec quel amour il parle des arbres, avec quelle pitié il signale les années de disette et la misère qui s'ensuit. Plusieurs pages sont consacrées à la description de l'hiver si rigoureux de 1829. Mêmes inquiétudes en 1834; par bonheur la situation s'améliore, il enregistre avec joie l'abondance des récoltes, ainsi que la découverte de nombreuses médailles anciennes. A côté de cela il faudrait citer des remarques naïves dans le genre de celle-ci : ce Les martinets, espèce d'hirondelle, ont paru ici pour la première fois (1810) ». Les éleveurs du Gers apprendront peut-être avec plaisir que l'homme qui a pu assister, sans émotion apparente, aux plus grands bouleversements politiques ne méprisait pas le charme d'une attraction nouvelle signalée en ces termes : ce Le 16 février 1834, des courses à cheval ont eu lieu sur la route d'Agen; un monde immense s'y est rendu pour les voir »,

Le supplément aux Annales de la ville d'Auch est très bref; il y est fait mention de quelques trouvailles, par exemple la découverte, en 1842, de deux colonnes qu'on voit aujourd'hui au portail de la petite église Saint-Pierre; d'autres colonnades furent transportées dans la propriété de M. David. Les premières sont les vestiges d'un temple de Bacchus, les autres proviennent d'un temple de Priape.


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En publiant son livre, Filhol pensait ce que le public en verrait ce l'impression avec plaisir » ; cependant, on ne trouve plus dans les Annales de la ville d'Auch cette chaleur et cet amour du paradoxe qui caractérisent les Mélanges de Médecine, conçus, il est vrai, en pleine maturité physique et intellectuelle. Faut-il donc considérer l'écrivain comme un historien, au sens complet du mot? Non, assurément. Loin de rechercher le panégyrique ou d'être l'interprète scrupuleux de toute une époque, il n'a fait qu'effleurer et même éluder les questions capitales. Son existence se déroula au milieu des régimes les plus variés et les plus troublés, c'est-à-dire depuis la fin du règne de Louis XV jusqu'à la seconde République; tant de changements avaient dû impressionner cet homme que l'anarchie professionnelle désolait déjà; d'autre part, il vit son confrère Lan trac emprisonné, traqué par la Restauration pour avoir joué un rôle actif dans la Révolution. Voilà peut-être quelques-uns des motifs pour lesquels il. s'est abstenu d'exprimer catégoriquement son idéal politique. Cette abstention est néanmoins de nature à surprendre chez celui qui écrivait : ce On doit émettre son opinion avec fermeté, avec cou« rage, avec cette franchise qui écarte tous les égards 1 ». Bref, soit que Filhol n'ait pas eu le loisir de rechercher les causes essentielles, soit qu'il ait éprouvé une indifférence complète pour la politique, on ne rencontre dans ses notes aucune critique ouverte, aucun de ces aperçus piquants que suggère aisément le spectacle d'une nation en perpétuel travail. Il se borne à raconter ce qu'il a vu ou entendu, en témoin soucieux de ne porter ombrage à personne; s'il transcrit un document, il laisse à la postérité le soin de le commenter; ce n'est qu'un citadin écoutant et recueillant les bruits de sa ville.

Pour toutes ces raisons, on souhaiterait trouver dans les Annales un cachet de personnalité qui leur fait défaut; il est surprenant, en effet, qu'un écrivain faisant besogne d'historien, curieux par essence et par goût, ait pu arriver à s'effacer d'une façon aussi complète dans le compte rendu qu'il donne d'environ

1 Mélanges de Médecine.


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cinquante ans d'histoire. Quelle tâche devait être plus captivante, plus passionnante aussi que celle de peindre une époque où l'on a vu tout un peuple monter d'un seul élan à l'assaut des privilèges séculaires et renverser les dynasties. C'est donc poser un problème délicat que de rechercher quel fut à ce point de vue le sentiment du docteur Filhol. Il a fait de rares et courtes allusions à la Révolution proprement dite, de même qu'à l'Empereur; lorsque celui-ci séjourne à Auch, l'annaliste tire assez peu de vanité de cette visite; il n'a pas fait partie de l'escorte d'honneur 1.

Il parle encore moins.de Louis XVIII et de ses successeurs, ou même il n'en parle pas du tout. En 1830, au moment où la dynastie des Bourbons est définitivement chassée du trône, qui pourrait soupçonner son écroulement dans cette phrase énigmatique : ce Le 4 août le drapeau tricolore fut placé à l'hôtel-de« ville ».

Pour comprendre la psychologie de Filhol il est nécessaire d'en rechercher les manifestations dans son oeuvre entière et de combler certains vides laissés par lui dans son histoire.

Au moment où l'annaliste d'Auch entreprit sa tâche, la Révolution grondait. La noblesse, toujours frondeuse et versatile, se désagrégeait autour de la monarchie, comme si la grandeur de l'idée de patrie lui avait échappé. Le clergé conservait son intransigeance, mais il y avait dans son sein une majorité humiliée et réduite à la portion congrue 2, sans compter de nombreux voltairiens. Du côté du Tiers-Etat, la révolte couvait. Ajoutons à cela un courant d'idées généreuses et humanitaires, un tropplein de sensibilité créé et entretenu par la lecture des économistes ou des philosophes comme J.-J. Rousseau. De là le langage emphatique et pompeux non seulement des dirigeants de 1789, mais encore des simples citoyens. Comme bien d'autres, au début du mouvement révolutionnaire, Filhol eut l'esprit d'un

1 Voir Bulletin de la Société Archéologique du Gers, 1904-1905 : La Garde d'honneur de Napoléon Ier à son passage à Auch, par M. BARADA.

2 Budget d'un curé au XVIIIe siècle, par J. MASTRON (Bulletin de la Société Archéologique du Gers, 2e trimestre 1905).


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républicain au sens latin du mot, certains passages de ses écrits le démontrent. Soldat à l'armée des Pyrénées, il se conduit bravement; il a même été blessé lors de la prise de Tolosa; mais ni l'appât des grades, ni la perspective d'une ascension et d'une fortune rapides, comme il en voyait autour de lui tant d'exemples merveilleux, n'ont pu le tenter.

Il n'oublie pas de raconter dans ses Mélanges de médecine que son régiment affrontait l'ennemi en chantant la Marseillaise1 l'hymne républicain par excellence. Il évite, il est vrai, de dire que la Révolution fit tomber bien des têtes; mais s'il n'avoue pas que sous la Terreur la guillotine fut installée en permanence à Auch et clans le département, c'est sans doute parce qu'il lui garde une secrète rancune. En effet, cet homme, qui avait choisi la mission sacrée de guérir et de conserver, paraît s'inspirer de Beccaria et — curieux rapprochement — de Robespierre, qui disait : ce Au nom de la vérité et de la justice, ces scènes de mort, ce que la société ordonne .avec tant d'appareil, ne sont pas autre ce chose que de lâches assassinats, que des crimes solennels, ce commis non par des individus, mais par des nations entières ce avec des formes légales ».

Patriote, il n'hésite pas à proclamer son horreur de la guerre; citoyen respectueux des lois de son pays, il réprouve cependant l'esprit de conquête jusqu'alors nécessaire au prestige de l'antique droit divin des rois; démocrate, il définit la vraie noblesse, celle qui n'a pas besoin de parchemins. Il fait entrevoir l'évolution des masses, dont il épouse les intérêts vitaux comme médecin et propriétaire, évolution qui sera si rapide et si puis1

puis1 de Médecine, Observ. XI : « Au moment où notre corps s'y attendait le

« moins, comme si le génie de la Liberté et encore mieux l'amour de la Patrie les eût « électrisés en même temps, nous entendîmes chanter par les bataillons français du « camp, avec un transport de joye inexprimable, l'hymne :

Allons enfants de la Patrie, Le jour de gloire est arrivé.

« L'Espagnol indigné avance plus vite et avec plus d'acharnement; un combat « opiniâtre s'engage ; l'éclair homicide brille de tous côtés ; l'ennemi est vaincu et mis « en déroute complète. »


DEUXIÈME TRIMESTRE 1912. 133

santé grâce au parlementarisme. Ces masses, qui se mettaient spontanément à genoux pour chanter le couplet :

Amour sacré de la Patrie

Conduis, soutiens nos bras vengeurs...

ont porté tour à tour au pinacle les idoles du jour, Robespierre ou Bonaparte, quitte à les sacrifier; de même qu'elles ont chassé Charles X le jour où la nation chercha une orientation nouvelle vers le développement économique.

Certes la plume d'un gascon servie par la verve méridionale aurait été bien qualifiée pour nous fournir d'autres précisions. Durant quarante ans toute la nation fermentait, vibrait; il faut croire que Filhol n'était pas au diapason ou ne voulut pas s'y mettre. Il est vrai qu'il avait soixante-trois ans lorsqu'il livra ses Annales à l'impression; or, à ce moment, le temps avait assagi et calmé la plupart des hommes de sa génération : leurs yeux, qui avaient pu voir tant de grandes choses, étaient rassasiés de regarder; ce n'étaient plus que des miroirs ternis par l'usage; leur mémoire, lasse d'enregistrer des souvenirs, enveloppait d'indulgence ce qui avait été peut-être l'unique passion de leur jeunesse; beaucoup n'avaient plus d'yeux et plus de mémoire que pour contempler et distraire leurs jeunes descendants.


134 SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

LE GENERAL LAROCHE,

PAR MM. BARADA ET BRÉGAIL.

Parmi les soldats du Gers qui ont combattu pour la Patrie pendant les guerres de la Révolution, il n'en est point qui se soient plus distingués que le général Laroche par leurs talents militaires, leur intelligente audace et leur grande bravoure.

D'autre part, nous verrons plus loin que le général Laroche eut des rôles importants à remplir, soit comme chef d'état major à l'armée des Pyrénées-Occidentales, soit plus tard comme un des principaux lieutenants de Moreau, à l'armée de Rhin-et-Moselle. Aussi s'explique-t-on difficilement pourquoi son nom ne figure pas en bon rang à côté de ceux des illustres soldats du Gers dont les noms sont gravés sur le marbre et dont les historiens de la petite patrie cultivent pieusement le souvenir glorieux. Laroche ne méritait certainement pas cet oubli. Les magnifiques services qu'il rendit à la défense nationale et le sang qu'il versa généreusement pour le pays auraient dû, semble-t-il, lui assurer un honorable et fier souvenir dans les coeurs de ses compatriotes. Or, c'est à peine si ce souvenir se témoigne par un portrait du général que la ville de Condom conserve dans son musée 1. . C'est, en effet, tout près de Condom, à Lialores, que naquit le 16 novembre 1757, Antoine Laroche-Dubouscat, fils de Pierre Laroche-Dubouscat, écuyer, et de dame Suzanne Danes, son épouse.

Il avait un frère de cinq ans plus âgé et dont nous aurons l'occasion de reparler au cours de cette étude.

La famille de Laroche, qui était très ancienne, n'avait pas toujours habité le Condomois. Elle avait pour souche la famille de La Roche qui résidait à La Plume, en Agenais. Le gouvernement du Bruilhois avec les vingt-sept bastilles qui en ressortis1

ressortis1 ce portrait est-il relativement moderne, étant dû au pinceau de M. de Lassalle-Bordes.


LE GÉNÉRAL LAROCHE-DUBOUSCAT

(1757-1831).



DEUXIÈME TRIMESTRE-1912. 135

saient était, dit-on, héréditaire chez eux depuis Jean de La Roche qui le tenait de la reine Marguerite de Navarre.

La branche qui nous occupe, celle des La Roche, de la Montjoie, fut constituée en 1560 par Raimond de La Roche, qui alla s'établir au Bouscat, près Lialores. C'est du Bouscat que l'arrière-grand-père du général vint acheter à Lialores le Padouen, terre qui appartenait à Charles de Mondénard, son cousin. Son mariage avec Anne Salles de Lamaurague le fixa définitivement dans le pays.

C'est, dit-on, cette branche des Laroche qui donna naissance à certain Benoît de La Roche, mestre de camp des armées de Henri IV et gentilhomme de sa chambre. On possédait et l'on gardait dans la famille des lettres de ce ce bon prince »; elles portaient toutes, au dire de Jean-Philippe de Laroche, qui s'occupait de généalogie, ce le caractère d'une confiance extrêmement honorable et d'une bienveillance rare 1 ».

Quoi qu'il en soit, à la naissance des deux fils de Pierre de La Roche, la famille paraissait avoir un peu perdu de son prestige et de son éclat. L'aîné, Jean-Philippe, entra dans les ordres; quant à Antoine il fut destiné par son éducation à la carrière du barreau. Mais, ce décidé par goût dès son enfance à prendre le ce parti des armes 2 », en vrai cadet de Gascogne, il s'engagea à l'âge de dix-sept ans dans le régiment des dragons de Monsieur (1er juillet 1774). Il y passa quatre années, mais ne trouvant probablement pas dans ce corps les chances d'avancement assez grandes, il se retira le 3 novembre 1778.

C'était au moment où la France luttait en faveur de l'indépendance des Etats-Unis et où elle se préparait à lutter contre l'Angleterre; le prince de Nassau-Siegen n'eut aucune peine à recruter, en trois semaines, une légion de douze cents hommes destinés à servir sur mer. Ce fut dans ce corps que Antoine de Laroche s'enrôla le 1er avril 1779 : il y servit en qualité d'aide de camp du colonel propriétaire.

1 Papiers de famille.

2 Mémoire du général Laroche. Imprimé s. 1. n. d.


136 SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

Le 30 avril, le prince de Nassau fut chargé, avec sa légion, de tenter un coup de main sur Jersey; mais le vent et les marées étant contraires, les troupes ne purent même pas débarquer. La flotte anglaise survenant ne laissa au prince d'autre alternative que de se retirer au plus vite, sous l'abri des batteries de terre des baies de Cancale et de Saint-Malo. L'ennemi l'y poursuivit, et finalement la flottille fut obligée de se faire échouer. Laroche reçut là sa première blessure. Bien que l'opération n'eût pas réussi, le prince de Nassau obtint de la cour toutes les faveurs qu'il demanda pour sa légion qui s'était parfaitement comportée.

Laroche, souffrant toujours de sa blessure et craignant même de ne plus pouvoir faire campagne, demanda à entrer dans la gendarmerie. Il y fut incorporé le 22 mai 1779. Mais, bientôt lassé sans doute par la vie monotone de garnison, il se fit rayer, le 5 octobre, des contrôles de cette arme.

En 1780, il s'engagea dans la légion que le chevalier de Luxembourg avait levée pour le service de la France.

En 1781, ce corps essaya de nouveau d'enlever l'île de Jersey aux Anglais. La conduite de l'opération fut confiée au baron de Rullecourt, ancien lieutenant-colonel de la légion de Nassau. Le 5 janvier, il partit de Saint-Malo avec les douze cents hommes de la légion de Luxembourg, qui devaient être soutenus par trois, cents dragons et cinq canons amenés d'un autre point de la côte par le major d'Herville.

Laroche fut encore blessé dans cette malheureuse expédition. Bientôt après, le hasard des événements l'amena à quitter la France.

On sait que les Hollandais étaient engagés dans la guerre contre l'Angleterre. Or, sachant que toutes leurs possessions des Indes étaient menacées, sans défense et prêtes à se rendre à la première sommation, ils se hâtaient de recruter partout des officiers et des soldats pour leurs armées d'outre-mer.

C'est ainsi qu'ayant obtenu l'assentiment du roi de France, ils traitèrent avec le chevalier de Luxembourg dont la légion passa tout entière à leur service pour la défense des colonies.

Le désir d'acquérir de la gloire, l'espoir d'un chemin plus


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rapide dans sa carrière, en passant dans l'Inde, l'avantage d'y faire la guerre contre les ennemis de sa patrie et en faveur des alliés des Français avaient déterminé Laroche à s'engager dans la légion de Luxembourg.

Il s'embarqua, ce à la tête d'une superbe compagnie de grena« diers 1 », sur la frégate L'Apollon pour le Cap de Bonne-Espérance. Cette frégate, qui avait obtenu du chef d'escadre Peigné la permission de voyager seule à cause de la supériorité de sa marche et aussi à cause d'une épidémie qui régnait à bord, fut attaquée par deux corsaires anglais avant de passer la ligne. Le vaisseau était encombré, le capitaine, tous les officiers, l'équipage et le détachement malades : il n'y avait que quelques grenadiers et Laroche qui fussent en état de combattre. Ils déblayèrent le vaisseau, disposèrent sa batterie et soutinrent un feu qui dura sept heures. Les vaisseaux ennemis étant désemparés et la route libre, la frégate fut conduite au Cap.

Dès lors, Laroche s'efforça de soigner les malades et de procurer des rafraîchissements à l'escadre, qui n'arriva qu'au bout de vingt-deux jours, ayant subi de grandes pertes par suite de la longueur de la traversée et de l'épidémie qui régnait dans les vaisseaux.

La légion fut affectée à la défense de la colonie du Cap, et Laroche fut nommé capitaine aide-major. La manière dont il remplit ces fonctions lui valut du maréchal de camp Camvrai, qui commandait au Cap, d'abord des éloges flatteurs, puis, bientôt après, la place de major.

Il y avait dix mois que la légion était dans cette colonie. Plusieurs détachements partis d'Europe pour la compléter étaient arrivés et avaient été instruits; elle présentait alors une masse d'hommes imposante par sa bonne tenue, sa discipline, sa bonne organisation et sa valeur. Tous demandaient à paraître devant l'ennemi. L'ordre d'embarquer pour Ceylan arriva enfin. Au témoignage de Laroche, le régiment de Luxembourg défendit très bien les postes qui lui furent confiés. Il

1 Mémoires du général Laroche.


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empêcha les Anglais de se rendre maître de Ceylan et il força les rois de Candie et de Travancour à ne rien entreprendre contre lès Hollandais. Mais il était destiné à ne pas trouver à Ceylan la même tranquillité qu'au Cap, et les temps difficiles allaient commencer. Au moment de son départ du Cap, la légion de Luxembourg, au grand complet et dans le plus bel état, avait un état-major ainsi composé : Jean-Nicolas d'Hagonet, chevalier de Saint-Louis, colonel-commandant; François de Bas, chevalier de Saint-Louis, colonel en second; Raymond, lieutenant-colonel; Antoine de Laroche-Dubouscat, major.

La colonie Hollandaise de Ceylan était gouvernée par un certain Van de Graff, lequel, loin d'avoir les qualités d'un homme d'État, n'avait, nous dit Laroche, ce que l'ignorance et la sotte ce vanité d'un parvenu. Il n'était jamais sorti d'Asie et avait sucé ce avec le lait le goût et le sentiment de la tyrannie ». De telles gens ne sont jamais agréables à rencontrer. Mais quand, pour son malheur, on les rencontre à l'autre bout du monde et investis d'un pouvoir presque absolu, on n'a aucune raison de s'en réjouir. La légion de Luxembourg et ses malheureux officiers devaient en faire la triste expérience. Une capitulation extrêmement précise les régissait, mais elle n'était pas au goût du gouverneur.

Il prétendait donc casser cette capitulation pour imposer à la légion un nouveau régime et l'assimiler pour la paie aux troupes hollandaises; quant aux officiers, il ne parlait rien moins que de les renvoyer et d'en nommer d'autres de son choix.

A tous risques, les officiers de la légion, dépositaires du traité passé entre les ce Hollandais et le prince de Luxembourg, du ce consentement du roi et du ministre Vergennes », s'opposèrent absolument à cette entreprise. Mais l'astucieux gouverneur chercha à séparer de leur cause un des leurs, le lieutenant-colonel Raymond, officier ambitieux et mécontent, à qui il promit le commandement de la légion et qui se fit le dénonciateur de ses camarades. Deux mois se passèrent en démarches de toutes sortes et eu plaintes réciproques. Le gouverneur résolut enfin de tenter un coup de force.

Le 12 septembre 1785 il invita le colonel de la légion à se


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rendre au gouvernement avec ses trois officiers supérieurs. On devait donner une réponse satisfaisante à toutes les demandes qu'il avait formulées pour les besoins de sa troupe. On lui dit que ce le gouverneur désirait se rapprocher de lui et faire succéder la ce confiance à l'espèce de défiance qui avait régné jusqu'alors ». Le colonel et ses trois officiers se rendirent à l'heure indiquée au siège du gouvernement. Ils furent reçus par un major hollandais qui les conduisit dans un salon ce où l'on avait pris toutes les ce dispositions nécessaires à l'entretien qui devait avoir lieu. Tout « à coup les portes s'ouvrent, on entend le bruit des armes et la ce marche des troupes, on voit entrer des hommes armés de ce sabres et de pistolets qui crient: « Rendez vos armes ou vous ce êtes morts ». Les officiers hésitèrent un instant; puis supposant que rien n'arrêterait le gouverneur dans cet affreux abus de pouvoir, ils obéirent et se laissèrent désarmer, non toutefois sans que Laroche, s'adressant à ces ce sbires », ne leur eût demandé ce que signifiait ce lâche guet-apens. ce La guerre », leur dit-il, ce est-elle déclarée entre les deux puissances ? Dans le cas « contraire, je ne vois qu'un exemple d'une pareille trahison, ce c'est celle qui se commit dans le gouvernement de Bruxelles, ce sur les comtes d'Egmont et de Horn ». Cette apostrophe et cette réminiscence n'ayant eu aucun succès, Laroche consentit, comme ses camarades, à être privé de sa liberté, de .ses effets, de ses biens qui étaient estimés 18.000 florins et qui furent confisqués par l'avide de Graff. Cette captivité dura un an pour le colonel d'Hagonet, le colonel en second de Bas et le major de Laroche auxquels on avait joint le lieutenant de la compagnie d'artillerie de la légion, Melchior Bezave Desenfers. Elle ne fut pas de si longue durée pour le vil Raymond. Il n'eut que les apparences des arrêts, et le ce despote » lui rendit aussitôt son épée, « avec la pomme d'or qu'on lui avait promise, c'est-à-dire ce avec le commandement de la légion ».

Aidé par le fiscal de Ceylan, qui était sou beau-frère et que la plus élémentaire probité aurait dû empêcher de paraître dans cette affaire, le gouverneur épuisa sur ces malheureux tout ce que l'on peut imaginer en fait de barbarie. Après avoir essayé


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plusieurs fois de les ce perdre », il se vit contraint de les traduire devant le tribunal souverain de Batavia qui devait les juger définitivement. Ils y arrivèrent enfin après une traversée de dixhuit cents lieues, fertile en accidents de toutes sortes, et de suite on les jeta séparément dans les cachots de la tour, qui servait de prison d'Etat. Le colonel d'Hagonet et le colonel de Bas subirent là de graves atteintes à leur santé. Le premier écrivit au gouverneur de Batavia une véhémente protestation; et sa lettre ce courte et énergique portait le caractère d'un homme ce innocent que les persécutions affaiblissent, mais que le malheur ce n'a pas encore abattu ». Comme on peut se l'imaginer le gouverneur de Ceylan et le fiscal, son beau-frère, n'y étaient point épargnés.

Enfin, après tant de vicissitudes, l'heure de la justice allait sonner. Le gouverneur général, touché de compassion, ordonna que leur captivité fût adoucie, et que les officiers supérieurs fussent mis en liberté provisoire. En outre, il ordonna au fiscal de s'occuper sans trêve ni relâche de ce ce monstrueux ce procès ». Le fiscal, ce homme d'esprit », débrouilla le chaos. Après vingt-six mois des plus exactes et des plus scrupuleuses recherches, le conseil suprême de Batavia reconnut unanimement l'innocence des officiers et la proclama publiquement le 29 août

1787. ce En leur rendant la vie et l'honneur », il infligeait le plus cruel démenti et la plus méritée des leçons au gouverneur van de Graff et au .fiscal de Ceylan, Chrétien Dangelbeck.

Bien que l'arrêt du conseil supérieur prescrivît leur rétablissement dans leurs honneurs et dignités, les officiers, fatigués au moral comme au physique du séjour de l'Inde, résolurent de ce fuir cette terre de feu qui les avait consumés », et de ce revoir ce leur patrie vers laquelle leurs regards étaient toujours ce tournés ». Munis d'un congé du gouverneur général, ils s'embarquèrent pour la France. Ils y arrivèrent à la fin de juillet

1788, ce ayant éprouvé tous les accidents, toutes les privations, ce tous les fléaux » qu'on peut subir en mer. Si l'on veut bien se représenter que cette traversée coûtait à Laroche 1.500 florins de Hollande, on comprendra qu'il ait gardé un amer souvenir


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de ces neuf mois où, ballotté sans cesse dans l'entre-pont d'un navire, confondu avec les matelots, il n'avait pour se nourrir que -du biscuit véreux et de la viande pourrie. Ajoutez à cela la présence de la peste à bord et soixante-cinq jours de lazaret. Post varios casus et tôt discrimine rerum, cite-t-il, non sans amertume.

Arrivé en France, après avoir payé son ce tribut à la nature et ce à l'amitié », il fut rejoindre ses deux compagnons, le colonel d'Hagonet et le colonel en second de Bas, à Paris, où tous les trois s'étaient donné rendez-vous pour poursuivre devant le Gouvernement français leurs réclamations contre la Hollande. Le ministre des Affaires étrangères prit connaissance de leur affaire. Mais le moment était mal choisi pour la traiter. La France, par suite de la révolution survenue en Hollande, n'y avait plus aucun crédit ni aucune chance de se faire écouter. Très loyalement, le ministre le leur avoua. Aussitôt ils résolurent d'aller eux-mêmes faire valoir leurs droits devant la chambre des Dix-Sept qui siégeait à Amsterdam. Le colonel d'Hagonet, trop malade, resta à Paris. De Bas et Laroche tombèrent en pleine réaction ce stathouderienne » : les Français étaient honnis et vilipendés; aussi, malgré toutes leurs démarches, ils ne purent obtenir que des fins de non-recevoir. Le colonel de Bas, excédé de peines, d'ennuis, de désagréments, mourut là dans les-bras de Laroche désolé, en lui disant qu'il était las de vivre. C'était un vieux soldat, qui s'était signalé en son temps à la bataille de Rosbach et au siège de Cracovie. Découragé, Laroche se résolut à une dernière démarche : cette fois il obtint au moins une réponse; il est vrai qu'elle était peu satisfaisante. Aux officiers trahis, dépouillés, emprisonnés injustement qui réclamaient leur solde, leurs biens et des dommages-intérêts, la chambre des Dix-Sept répondit froidement qu'elle était incompétente et qu'il fallait renvoyer l'affaire aux tribunaux ordinaires, en l'espèce à celui de Batavia 1.

Laroche comprit que des difficultés de toute sorte rendaient impossible une action judiciaire, et, découragé, il renonça à

1 Mémoire du général Laroche.


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poursuivre. Son affaire, ainsi renvoyée aux ce calendes grecques », ne pourrait jamais avoir de solution utile. Il valait mieux l'abandonner.

C'est en Hollande que Laroche apprit les graves événements qui marquèrent la réunion des Etats généraux :

Le rapport du ministre Necker, que j'avais lu en Hollande, dit-il luimême, m'avait fait pressentir un nouvel ordre de choses, un grand changement dans le gouvernement de la France. Il me tardait d'y être de retour pour voir les États généraux et la marche qu'ils allaient prendre. J'y arrivai au commencement de juin 1789.

Paris était devenu une nouvelle Athènes ; on voyait partout des hommes attroupés, parlant des affaires et faisant le procès à la cour, à la noblesse et au clergé, ne voulant plus d'États généraux, demandant à grands cris une assemblée nationale.

Cette disposition des esprits annonçait une prompte révolution ; le refus de la majorité de la noblesse et du clergé de se réunir au tiers, l'accéléra ; j'étais à Versailles lorsque l'assemblée se constitua ; j'y étais lors de la séance royale, et je me trouvai aussi à la prise de la Bastille. C'est à ces trois époques mémorables et très rapprochées que j'attache le bonheur de la France, parce que ce sont elles qui fixent le système de son indépendance et la chute du despotisme qui l'avilissait.

Je ne devais point être un homme passif dans la Révolution ; mes principes, mes opinions et mes persécutions me la rendaient chère et précieuse : je devais me déclarer son défenseur ; je le fus, je le suis et je le serai toute ma vie l.

Toutefois Laroche dut quitter Paris bientôt après le 14 juillet 1789 pour aller en Hollande rejoindre son régiment. Or, une année ne s'était point encore écoulée que la légion de Luxembourg fut licenciée. Laroche, complètement libre, se disposa à rentrer en France, et, vers la fin de juillet 1790, il débarqua au port de Lorient.

Ce licenciement, dit-il, me fit grand plaisir et me mit à même de servir plus efficacement la cause que j'avais embrassée. Je ne songeai plus qu'à la faire triompher et à aider mes concitoyens à s'affranchir du joug odieux qui pesait sur leurs têtes. J'avais lu Rousseau, Mably, Condillac et Raynal ; je connaissais Blankstone et quelques publicistes et je savais presque par coeur

1 Mémoires du général Laroche.


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les ouvrages de Mirabeau ; enfin tout ce que j'avais éprouvé, tout ce que je sentais me faisait applaudir aux événements qui s'opéraient en faveur de la liberté. Je la voyais faire de nouveaux progrès, se répandre dans tous les coeurs et les électriser ; et comme l'aurore d'un beau jour remplit d'allégresse ceux qui la contemplent à son lever, de même cette divinité faisait bouillonner de plaisir ceux qui s'attachaient à son char éblouissant 1.

C'est dans toute l'ardeur de ces sentiments révolutionnaires que Laroche reparut au milieu de ses concitoyens. Dès lors, toutes les occasions lui parurent bonnes pour prononcer des harangues enflammées dans lesquelles il affirmait son républicanisme, sa foi patriotique, ainsi que sa haine contre les émigrés et contre ceux qu'il appelait ce les ennemis de l'ordre social ». Il attira ainsi l'attention des représentants du peuple Dartigoeyte et Ichon qui se l'attachèrent en lui donnant le titre de « secrétaire de la Commission nationale dans le Gers et les Landes ». Leur principale préoccupation étant d'organiser la défense nationale; il est certain que le concours de Laroche, officier intelligent, actif et zélé, leur était particulièrement précieux. Peu de temps après un arrêté de ces mêmes représentants le nomma agent supérieur pour diriger clans les départements du Gers et des Landes toutes les opérations relatives au recrutement, conformément à l'article 28, titre II de la loi du 24 février 1793 2.

Mais tout en s'acquittant d'une façon remarquable des fonctions difficiles dont il avait été chargé, Laroche était sans cesse hanté par le désir de reprendre son épée et d'aller partager la gloire des héroïques soldats qui combattaient sur les frontières. Or, les volontaires du 4e bataillon du département des Landes réalisèrent ses voeux en l'élisant lieutenant-colonel à l'unanimité de leurs suffrages (mai 1793). Dès lors, il prit congé des administrateurs du département du Gers le 18 mai 17933 et puis il se hâta d'aller rejoindre son nouveau corps à la citadelle de Bayonne, où il venait de se rassembler.

1 Mémoires du général Laroche.

2 .Archives du Gers, L 115. Procès-verbaux des séances du Conseil du département. Séance du 26 avril 1793.

3 Archives du Gers, L 115. Séances du Conseil du département du 18 mai 1793.


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L'instruction de son bataillon ne suffisait point à sa remarquable activité. Il se mit à étudier les moyens de défendre Bayonne et, sur cette importante question, il soumit au comité de Salut public quelques observations qni furent très appréciées. Aussi, le 8 juillet 1793, était-il nommé adjudant général, chef de brigade provisoire. C'est en cette qualité qu'il fut chargé de se rendre à Pau pour y prendre le commandement de quatre mille recrues qui s'y trouvaient rassemblées. De jeunes gens indisciplinés et sans frein qui se livraient à tous les excès, il fit en peu de temps d'excellents soldats, qu'il répartit ensuite dans les divers cadres de l'armée.

La situation était critique, on était alors au mois de juillet 1793. L'armée espagnole avait envahi notre territoire, et la nôtre était simplement en voie d'organisation avec le général Labourdonnaye pour chef provisoire. Sa faiblesse la contraignait à observer une défensive rigoureuse. Aussi le général Delbecq, qui avait succédé à Labourdonnaye dans le commandement de l'armée des Pyrénées-Occidentales, chargea-t-il Laroche de pourvoir à la défense des cols et passages pyrénéens susceptibles de livrer passage à des armées espagnoles qui voudraient atteindre Tarbes par les vallées de Gavaruie et d'Azun, ou bien Pau par les vallées d'Aspe et d'Ossau. Avec une habileté remarquable, qui lui valut les plus grands éloges du général Delbecq, Laroche mit toutes les principales gorges en état de défense. Cependant, à l'intérieur des départements, la situation était fort troublée. Les sociétés populaires s'agitaient contre les fédéralistes. Les royalistes relevaient la tête. Les prêtres faisaient sourdement une active propagande contre-révolutionnaire. Enfin, dans l'armée, la discipline était sans vigueur et les désertions se multipliaient. Le département du Gers et celui des Hautes-Pyrénées étaient relativement calmes, mais ceux de la Gironde et des Basses-Pyrénées ne l'étaient point. La ville de Pau était en fermentation, et la contre-révolution était, paraît-il, sur le point de triompher à Bayonne. C'est dans ces graves conjonctures que le 12 septembre 1793 Laroche fut nommé commandant de la place de Bayonne. Il se mit aussitôt à l'oeuvre, et neuf jours après il rendit compte


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au comité de Salut public de la situation intérieure de Bayonne dans les termes suivants :

Le commerçant regrette les sacrifices momentanés qu'il est obligé de faire. En le stimulant en faveur de la chose publique, je cherche à lui persuader que sa sûreté personnelle dépend du salut général... Avant-hier la tête d'un prêtre réfractaire est tombée, et, pour imprimer la terreur daus le coeur des conspirateurs, j'ai entouré l'exécution de tout l'appareil possible en y envoyant toute la garnison. Plusieurs arrestations ont été faites ; le maire a été transféré à la Maison d'arrêt de Tarbes. Déjà la société populaire s'épure ; elle réduit au silence ces hommes de boue qui, ne calculant jamais que leur intérêt personnel, aliénaient par leurs discours spécieux l'opinion de ces braves sans-culottes qui, avec leur gros bon sens, tendent toujours au bien public 1.

Hâtons-nous de dire que si quelques citoyens se virent privés de leur liberté, si les sections furent dissoutes, les comités de surveillance renversés, les clubs épurés, la municipalité renouvelée, ce fut surtout l'oeuvre des représentants du peuple Pinet et Monestier. Quant à Laroche, dont le jacobinisme était très prononcé à cette heure, il se borna à seconder ceux-ci, à favoriser complaisamment leurs desseins et à les servir avec un zèle d'autant plus grand qu'il en attendait la récompense. Car si Laroche est certainement un laborieux, un studieux et un brave, il ne paraît pas posséder au même degré les qualités de modestie et de désintéressement. Ses préoccupations militaires ne l'empêchent pas de songer à son avancement, et c'est dans ce but, sans nul doute, qu'il écrit fréquemment au comité de Salut public sur un ton de triomphe pour lui faire part des améliorations qu'il a réalisées et des résultats de son commandement. Ainsi, le 24 septembre 1793 il mande à ce comité :

La ville de Bayonne, qui était en contre-révolution il y a quinze jours, est aujourd'hui une nouvelle Athènes. On s'y dispute l'honneur de marcher à l'ennemi, on y soulage le pauvre, on y honore la vieillesse, on y suit la loi, on y respecte les propriétés et on commence à y chérir la liberté. C'est à qui fera des dénonciations utiles, des actions importantes et civiques, enfin à qui mieux mieux. On n'y trouve plus un maire perfide, un maire accapareur, mo1

mo1 générale de Carnot, tome III, page 183.


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nopoleur (sic), agioteur; on n'y trouve plus des sociétés gironcrates, il n'y a plus de conciliabules nocturnes ; on ne voit qu'une ville en état de siège et qui n'a besoin pour se défendre que des sans-culottes qui y sont. On entend partout ce cri de ralliement : « La liberté ou la mort! Vive la République! Vive la Montagne ! »

Il faudra bien faire reluire ici les jours de l'antique Lacédémone et établir un banquet où tous les sans-culottes se trouveront1...

Le zèle et l'activité déployés par Laroche ne tardèrent pas à recevoir une double récompense. Le 2 octobre 1793 les représentants du peuple Pinet et Monestier le nommèrent, en effet, général de brigade et, le même jour, il fut choisi comme chef d'état-major par le général Muller, qui venait de recevoir le commandement suprême de l'armée des Pyrénées-Occidentales. L'étendue et l'importance de sa nouvelle fonction lui imposaient de grandes obligations à remplir.

On peut affirmer qu'il s'acquitta merveilleusement de son rôle. A cet égard il est un témoignage particulièrement précieux, car il émane du général en chef de l'armée ennemie lui-même. Voici, en effet, ce qu'écrivait le général espagnol Caro, à la date du 30 août 1793, dans un rapport officiel adressé à son gouvernement :

... La plus belle acquisition que fit cette armée fut dans la personne du général Laroche, élevé aux hautes fonctions de chef de l'état-major de l'armée des Pyrénées-Occidentales. Cet excellent officier, qui a laissé si peu de souvenirs dans l'armée à laquelle il donna la vie, est à notre avis un des types les plus extraordinaires de cette guerre et mérite une mention toute particulière.

L'éloge n'est point exagéré, car c'est bien Laroche qui sortit l'armée du chaos dans lequel elle était plongée. Lorsqu'on lui confia les difficiles et délicates fonctions de chef de l'état-major général, la discipline était sans vigueur dans les corps de troupes, car ils étaient composés, en grande partie, de jeunes recrues dont le patriotisme était ardent, mais qui ne se rendaient pas

1 Correspondance générale de Carnot, t. III, p. 206.


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compte des exigences de la vie militaire. On manquait de subsistances et de fourrages. Les espions pullulaient. Les armes manquaient. « Il est douloureux pour une âme fière et républi« caine de se voir sans armes au milieu des camps », écrivait Laroche au comité de Salut public. « Le ridicule en est iusup« portable... Au nom de la patrie, au nom de l'humanité, rendez « au soldat français toute sa dignité en lui mettant une arme « dans la main; il sait en faire un si terrible usage! » (6 octobre 1793) 1.

Le désarroi existait aussi dans le commandement, et les divers éléments qui composaient l'année manquaient totalement de cohésion. Enfin, le plus grand désordre régnait dans les bureaux. Laroche, secondant admirablement son chef, le général Muller. Il établit une parfaite discipline, mit de l'ordre dans la comptabilité, réorganisa l'armée et rattacha à un centre commun les divers éléments qui la constituaient. Enfin, pour ce qui concerne l'ordre qui régnait dans les bureaux de l'état-major, on pourrait citer ces paroles de Robespierre : « L'armée des Pyrénées-Occi« dentales est le bijou de nos armées 2 ».

Le siège du quartier général ayant été fixé à Bayonne, le général Laroche put conserver le commandement de cette place en abandonnant les détails au commandant temporaire et en ne se réservant que la grande police. Dès qu'il se trouva investi de ses fonctions de chef d'état-major général, il s'empressa d'écrire directement au comité dé Salut public pour l'en informer et lui dire qu'il tâcherait de mériter sa confiance. « Si je suis assez « heureux de m'en rendre digne », lui écrivait-il, « un sourire « de ma chère patrie sera pour moi une récompense bien plus « précieuse que tous les honneurs stériles des despotes 3 ».

Sans perdre de temps, il adressa aux départements environnants une proclamation énergique et tout enflammée de patriotisme, dans laquelle il les exhortait à lever promptement des bataillons pour la défense du territoire : Armez-les, disait-il, de

1 Correspondance générale de Carnot, par E. CHARAVAY, t. III, p. 260.

2 Cf. Galerie militaire, par BABIÉ et BEAUMONT, t. V, p. 84.

3 Correspondance générale de Carnot, par E. CHARAVAY, t. III, p. 267.


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fusils de chasse si vous manquez de fusils de calibre; si vous manquez de fusils de chasse, armez-les de piques : dans les mains libres et courageuses, toutes les armes deviennent terribles!

Laroche eut la satisfaction de voir que son cri d'alarme avait été entendu, car des recrues furent levées avec une étonnante rapidité. Bientôt les départements du Gers, de la Haute-Garonne, du Tarn, du Lot, de la Dordogne, des Landes, des Hautes et Basses-Pyrénées firent affluer des troupes nombreuses dans l'armée des Pyrénées-Occidentales.

Dès lors la défense de la frontière put être assurée avec plus d'efficacité, et c'est avec un empressement joyeux que Laroche annonce au comité de Salut public les succès répétés de nos armes. Le 23 octobre 1793 il l'informe que les Espagnols ont été repoussés et complètement battus dans deux attaques qu'ils ont dirigées, l'une vers Saint-Jean-de-Luz, l'autre vers Saint-JeanPied-de-Port. « Nous leur avons fait quelques prisonniers et tué « cent cinquante hommes », écrit-il. « Nos soldats brûlent de « de courage; ils se sont retirés en criant : Vive la République! « Vive la Montagne! Bientôt ils feront parler d'eux d'une autre « manière!1 ».

Le 2 novembre il rend compte que la situation de Bayonne, de Saint-Jean-de-Luz et de tous les départements qui avoisinent l'armée est on ne peut plus satisfaisante et que tout y est à la hauteur de la Révolution 2!

Le 5 novembre suivant il annonce au comité de Salut public qu'il s'occupe de mettre Bayonne en bon état de défense, et il rend compte des efforts qu'il a tentés pour façonner la jeunesse au métier des armes. Dans cette même lettre il semble deviner des hostilités sourdes qui commencent à s'agiter autour de lui, et il paraît avoir le pressentiment d'une prochaine disgrâce. Il va même au-devant des reproches qu'on lui adressera peut-être un jour, car il termine ainsi sa lettre : « Je ne suis pas républicain « d'un jour, je le suis depuis que j'ai une conception. Il y a long1

long1 générale de Carnot, par E. CHARAVAY, t. III, p. 395.

2 Moniteur officiel du 13 brumaire an II, n° 53. (Lettre de Laroche).


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« temps que j'ai voué une haine implacable aux tyrans et aux «despotes1.».

Ces paroles étaient-elles sincères, nous n'oserions certes pas l'affirmer.

Presque jour par jour, durant ce mois de novembre 1793, il continue de correspondre avec le pouvoir central. Mais il a beau mettre discrètement en relief les résultats obtenus par son zèle républicain et attirer l'attention du comité de Salut public sur les bons résultats de ses efforts, celui-ci se borne à les enregistrer sans s'intéresser au mérite personnel du général.

Laroche ne se décourage point. Le 14 novembre, continuant la série de ses lettres, il écrit au ministre de la guerre Bouchotte pour lui annoncer qu'on vient de réparer en deux jours toutes les fautes commises par l'armée depuis le commencement de la campagne. En effet, le 20 brumaire (10 novembre) il a quitté SaintJean-de-Lnz avec le général Muller, et le 21 (11 novembre) il s'est mis à la tête de l'avant-garde et s'est installé sur la hauteur dominant la Croix-des-Bouquets, qui se trouve hors de la portée des batteries de Biriatou. Et Laroche poursuit ainsi :

On ne peut rien ajouter, citoyen ministre, au zèle, au courage, à l'énergie et au patriotisme qui animent maintenant l'armée. Les troupes d'Athènes et de Lacédémone n'avaient point un plus grand caractère, ni plus de vertu. Elles n'étaient pas plus accoutumées aux privations; la sauce noire des Spartiates conviendrait à nos soldats, s'ils n'avaient pas d'autres aliments... Avec une pareille troupe on doit tout oser, on doit tout faire... J'espère que nous chasserons entièrement l'ennemi qui a tout évacué excepté Biriatou, où il se retranche et se fortifie, que nous brûlerons Fontarabie et que nous passerons la Bidassoa 2.

Entre temps il correspond également avec ses compagnons d'armes, et quelques-unes de ses lettres ne manquent pas d'intérêt. Telle est, par exemple, celle qu'on va lire et qui est adressée au général de brigade Arnaudat :

Pardonne à mon silence, mon cher général, mes nombreuses occupations le justifient. Je suis bien aise que tu sois à Ascain et que tu aies le comman1

comman1 générale de Carnot.

2 Correspondance générale de Carnot, par E. CHARAVAT, t. IV, p. 107.

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dément de l'aile droite de la division du centre. Cette position te mettra à même de figurer avantageusement, si l'ennemi a jamais l'audace de nous attaquer ou si la guerre devient offensive de notre côté.

Tiens, mon ami, tiens tes soldats en haleine. Exerce-les autant que tu le pourras aux manoeuvres les plus ordinaires de la guerre ; fais-les bien marcher en colonne, apprends-leur à bien conserver leurs distances, soit en masse, soit dans l'ordre naturel, et fais-leur faire des déplacements dans tous les sens ; que les soldats sachent bien rompre et bien se mettre en bataille ; qu'ils manient bien leurs armes, qu'ils ajustent bien et qu'ils nourrissent parfaitement un feu de file. Voilà ce qu'il nous faut et ce qui nous conduira à la victoire. Tu trouveras peut-être ces détails minutieux, mon cher camarade, mais tu me le pardonneras quaud tu sauras l'envie que j'ai de manoeuvrer nos troupes, de leur faire faire de grands mouvements de guerre et de les rendre dignes de la brillante destinée à laquelle elles sont appelées ; tu me le pardonneras quand tu sauras que des bataillons que j'ai passés en revue et qui existent depuis trois ans ne connaissent ni leur droite ni leur gauche et sont aussi ignorants que ceux de la masse, quand tu sauras que je suis fatigué de me trouver dans une armée qui n'a encore rien fait et de laquelle on attend les plus grandes choses.

Je crois qu'il serait utile d'établir un poste près l'oratoire de Saint-Ignace ; c'est au général de division qu'il appartient de prendre des dispositions; d'après ses instructions et ses renseignements, le général Duprat n'y manquera pas.

Si la désertion continue toujours dans le département des Landes, je ne vois qu'un moyen de l'arrêter, c'est de livrer au tribunal révolutionnaire ceux qui seront conduits au corps et de faire prendre un arrêté aux représentants du peuple qui force les districts et les municipalités à ramener ceux qui s'y trouveront ; quand cette mesure sera établie, quand plusieurs exemples auront été faits, nul doute alors que la désertion ne cesse et que la subordination et la discipline ne prennent la place du désordre et de la licence.

Adieu, mon cher Arnaudat, soit toujours vigilant, sois toujours actif, toujours sur tes gardes et toujours prêt à repousser les stupides et féroces Espagnols. Il serait très possible que M. Caro 1, instruit des succès de M. Ricardos 2, voulût faire une tentative; mais alors, je le répète, il faut fondre sur lui et l'écraser (25 nivôse an II, 14 décembre 1793) 3. (A suivre.)

1 Caro, général espagnol de l'armée des Pyrénées-Occidentales.

2 Ricardos, général commandant l'armée espagnole des Pyrénées-Orientales.

3 Lettre de Laroche à Arnaudat (Bayonne sous la Révolution, par E. DUCÉRÉ. Ouvrage manuscrit conservé à la bibliothèque municipale de Bayonne).


DEUXIÈME TRIMESTRE 1912. 151

LA PERIODE REVOLUTIONNAIRE A EAUZE

(Années 1789, 1790, 1791),

PAR M. CASTEX.

(Fin.)

M. Daysse, procureur de la commune, pour donner plus de poids encore aux déclarations de son collègue Fourtet, ajoute : « Que le pain est trop nécessaire à la subsistance pour que les « boulangers puissent se permettre d'en manquer un seul « instant.

« Que les procédés des boulangers est d'autant plus coupable, « qu'ils contreviennent aux ordonnances et peuvent à juste titre « causer le soulèvement du peuple.

« Il est essentiel, Messieurs, que vous usiez de votre authorité « non seulement pour les punir, mais pour les obliger encore à « avoir constamment du pain bien conditionné. »

D'un accord unanime, les commissaires condamnèrent quatre boulangers de la ville à 25 livres d'amende chacun envers la Nation, et payables le jour même. Il était dit dans le jugement que les boulangers « recevaient ordre d'avoir constamment du « pain â vendre et débiter à toute personne, sans exception ny « distinction, bien cuit et conditionné, et sera confisqué toutes « les fois qu'il sera mixtionné de seigle, gros milloc, son, rèzes « ou de tout autre espèce de légumes. Ils seront, en outre, tenus « d'apposer leur marque à chaque pain sous peine de confisca« tion ».

Cette délibération et ce jugement furent les derniers actes de la commission provisoire. Les membres de cette commission furent, en effet, relevés de leurs fonctions quelques jours plus tard, le 13 novembre.

A cette date arrivait.à Eauze M. Cleizac, administrateur du district de Condom; et, le jour de son arrivée, il convoquait à la maison commune les commissaires provisoires. Il les remercia au nom des administrateurs du Directoire du département du zèle


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dont ils avaient fait preuve dans un moment aussi critique, et leur adressa des louanges bien méritées. Il leur donna lecture de l'arrêt qui avait été rendu, le 8 novembre courant, après requête présentée par les officiers municipaux suspendus et qui était ainsi libellé :

Que la suspension provisoire, prononcée le 3 may dernier, contre lesdits officiers municipaux serait révoquée, et que M. Cleizac se transporterait à Eauze pour y procéder à la réinstallation desdits officiers municipaux, chacun dans sa place respective et pour assister au remplacement desdits officiers municipaux sortis ou à sortir par le sort.

En conséquence requiert que le dit arrêté soit...

A la suite de cet arrêté et le même jour, dans l'après-midi du 13 novembre, les anciens membres furent réinstallés par M. Cleizac, qui leur adressa le discours suivant :

MESSIEURS,

Vous voilà réintégrés dans vos fonctions. Je suis d'autant plus flatté de la commission dont je suis honoré qu'elle me met dans le cas de mettre sous vos yeux les garants les plus sûrs de la tranquilité publique : « La soumission à la loi ». Voilà votre boussolle pour peu que des magistrats permettent aux passions d'en affaiblir les ressorts. L'anarchie prend le dessus, chacun cherche à éluder les obligations que la loi impose ou de la faire plier sous l'empire de ses passions. De là naissent et la discorde et les troubles. Le résultat nécessaire de l'oubli de l'un et les désordres qui suivent ordinairement de l'autre sont incompatibles avec cet esprit de paix, cette heureuse paix sans laquelle un grand empire ne saurait se soutenir; la loi est partout la même, et si parmi les différents corps de magistrature qui forment le gouvernement général de l'empire français il s'en trouvait quelques-uns qui ne portassent pas le plus grand zèle à maintenir ou à faire naître cette armonie que l'esprit de paix amène nécessairement, il en résulterait un bouleversement absolument incompatible avec le bonheur des citoyens.

Leur félicité dépend donc, Messieurs, de votre zèle à maintenir et à défendre la loi.

Voilà votre devoir. J'ay la plus grande confiance que vous ne négligerez rien de ce qu'il peut faire jouir vos concitoyens de cet avantage iuaprétiable d'où dépend votre gloire et leur bonheur.

Ainsi parla M. Cleizac; toute l'assemblée, reconnaissant « la « vérité des représentations dudit commissaire, la sagesse et la


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« justice qui régnent dans son discours, ne peut que lui en témoi« gner les sentiments de la plus vive reconnaissance, avec prière « de les transmettre aux corps administratifs dont il est l'organe, « sous la ferme promesse que les officiers municipaux font de « veiller par toutes sortes de moyens à la tranquilité publique, « de prévenir toute altération ou atteinte qui pourrait lui être « portée ».

Le premier soin de la nouvelle municipalité fut de s'occuper de la « constitution » municipale telle qu'elle était régie par l'art. 34 des lettres patentes, contenues dans le décret de l'Assemblée nationale, décret qui ordonnait de diviser le corps municipal en « conseil » et en « bureau », « le but des législa« teurs étant d'affermir les pouvoirs en les séparant » (séance du 4 décembre). M. Baylin de Millet, procureur de la commune, expliqua la teneur de ce décret; il indiqua aux officiers municipaux qu'il y avait lieu de distinguer :

1° Le conseil général de la commune d'avec le corps municipal ;

2° Le corps municipal d'avec le conseil et d'avec le bureau ;

3° Ces deux derniers l'un d'avec l'autre.

La municipalité, par suite, devait se composer de quatre corps : 1° du bureau; 2° du conseil; 3° du conseil et du bureau; 4° du corps municipal et des notables ou conseil général de la commune.

« Je demande, ajoute le procureur, que pour mettre le meilleur « ordre possible dans toutes nos opérations, vous déterminiez le « nombre de coups de cloche devant servir de ralliement pour « chacun de ces corps en particulier ».

Il fut décidé qu'on sonnerait :

Pour l'assemblée du bureau : deux fois dix coups continus, « chaque fois séparée par une petite pause » ;

Pour l'assemblée du conseil : trois fois dix coups;

Pour l'assemblée du corps municipal : quatre fois dix coups;

Pour l'assemblée du Conseil général : Cinq fois dix coups.

Chaque sonnerie de dix coups continus serait une réclame; il faudra donc deux, trois, quatre ou cinq réclames..


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Il fut convenu en même temps : que le Conseil s'assemblerait une fois par mois; que l'assemblée du Conseil serait fixée au premier dimanche de chaque mois; que pour ne pas faire tomber dans le mépris les ordonnances de police ou autres annonces publiques, relatives aux fonctions des corps municipaux, ces ordonnances et annonces ne seraient proclamées qu'à suite d'arrêtés pris « en bureau ou en corps municipal ». Parmi les ordonnances visées dans cet arrêté sont comprises celles qui regardent la propriété, la salubrité, la sûreté et la tranquillité dans les rues et lieux publics.

Sont encore comprises, celles qui ordonnent aux bouchers de vendre de bonne viande; aux boulangers, de faire du bon pain; aux cabaretiers et marchands de se servir des poids et mesures « avoués par la police ».

« Considérant en outre », ajoutent les officiers municipaux, « qu'il serait bon que la commune et le directoire du district de « Condom fussent'instruits de leur zèle pour le bien du service, « avons arrêté que la présente délibération sera lue et affichée « dans tous les lieux accoutumés ».

Sur la « réquisition » du procureur de la commune et dans la séance du lendemain, il est unanimement décidé qu'on enverra de suite les trois adresses suivantes :

Une à M. Montrouant, ainsi libellée :

Brave et loyal capitaine, vous êtes prié de déclarer par écrit le nombre des soldats qui sont sous votre commandement, ensemble le nombre des lits qui leur sont nécessaires.

Une autre à M. Thore :

Il vous plaira, Monsieur, vous rendre après-demain, septième du courant, dans la maison commune de cette ville, à une heure après-midi, pour remettre entre les mains du corps municipal les clefs et les effets dont vous êtes dépositaire.

Et la troisième :

A MM. les Administrateurs du directoire du district de Condom.

Salut et gloire dans l'esprit de la Constitution, l'an 3e de la Liberté.

La municipalité d'Éauze, désireuse de mériter votre estime et voulant vous


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donner une preuve de son zèle pour le bien du service, me.donne la charge honnorable de vous faire parvenir un extrait des arrêtes de ce jour. Elle espère que vous agréerez cet envoi comme une marque de sa confiance en vous, et que dans des circonstances sinon difficiles du moins embarrassantes, vous voudrez bien l'aider de vos conseils.

La municipalité, à la suite de cette lettre, demandait si l'église des Pénitents-Blancs appartenait à la Nation ? Si, dans ce cas ou dans le cas contraire elle serait fermée ? S'il était permis à une société quelconque d'exercer un culte religieux ? Dans ce cas, à quelles conditions? Dans l'état où. était en ce moment cette église, pouvait-on permettre à des prêtres réfractaires de dire la messe ?

On accuse, disait en terminant M. Baylin, procureur de la commune, quelques-uns de nos vicaires non assermentés, mais salariés par.'l'Etat, d'avoir donné la bénédiction nuptiale sans avoir préalablement satisfait aux usages de l'Église. — Dois-je prendre connaissance de cette affaire ?

Je sais que s'il était purement réfractaire en ne faisant pas les fonctions publiques de la paroisse, je sais, dis-je, qu'il aurait ce droit; la liberté des opinions religieuses m'en est un seul garant, mais il est, comme je l'ai déjà dit, vicaire de la paroisse.

Il s'élève des murmures sur ces questions délicates, je n'ignore pas les ménagements qu'elles exigent par le mal que je sais que ces sortes de matières ont fait dans tous les temps. Les deux partis ne cessent de se heurter l'un contre l'autre, de sorte qu'il est urgent que je sache ce que je dois faire au nom de la loi.

Je vous promets de la modération, de la tolérance et une grande déférence à vos décisions.

Malgré ces protestations de civisme de la part des officiers municipaux d'Eauze, les membres du Directoire de Condom envoyèrent à M. Baylin une lettre de « rappel » très vive. Le canton d'Eauze avait reçu du Directoire de Condom une certaine somme (un don) pour la création d'ateliers de charité. La municipalité élusate n'avait pas encore, au mois de décembre 1791, non seulement créé ces ateliers, mais encore accusé réception de la somme. Le Directoire, mécontent, envoya, comme nous l'avons dit plus haut, une lettre de rappel très vive, dans laquelle il était dit en substance « qu'on ne comprenait pas un pareil retard et


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« qu'il fallait, sans doute, en attribuer la faute aux prédéces« seurs ». Emu de ces plaintes et de ces critiques, le Conseil municipal se réunit le 13 décembre, et le procureur de la commune invite les membres à faire diligence : « Je réclame, dit-il, « en mon particulier, votre activité pour le soulagement des « pauvres de l'hôpital. Cette classe, vraiment intéressante par le « poids du malheur qui pèse constamment sur elle, mérite toute « notre attention ».

Sur quoi les membres du Conseil arrêtent que dès ce jour ils enverront une lettre-circulaire à toutes les municipalités du canton pour les prier de se réunir à eux le dimanche 18 courant, à la maison commune, pour choisir les lieux où il serait convenable de créer des ateliers de charité.

Au jour indiqué se trouvèrent réunis, à une heure de l'aprèsmidi, dans la maison commune, le Conseil général de la commune d'Eauze; les municipalités de Saint-Amand, Bretaigne, Noulens, Ramouzens, Bascous et Lisle-Bascous. Le procureur de la commune d'Eauze, après avoir donné lecture de la lettre du Directoire de Condom, en date du 1er novembre, prit la parole en ces termes :

Nous devons donc, Messieurs, former quatre ateliers de charité et nommer un trésorier ou receveur. Ces ateliers doivent être établis dans des chemins vicinaux qui demandent le plus prompt secours. Vous pourriez, par exemple, fixer votre attention sur le chemin dit Lacassaigne; sur le pont dit du Martin; sur le lieu dit la Cotte et ruisseau de Barbé; sur le ruisseau de la Rieu-Majou; sur le lieu dit le pont de Baqué en Noulens ; enfin sur le contour de la ville d'Eauze depuis la porte Saint-July passant par Carbonas jusqu'à la porte Neuve.

Quel que soit le lieu que vous choisirez, vous n'oublierez pas le but des bienfaiteurs : c'est celui d'occuper le plus de pauvres possibles.

Ce serait mal remplir leurs vues que d'employer le don qui nous est fait à des ouvrages qui demanderaient nue main recherchée.

En conséquence, point de pont de pierre voûté, mais quelque pont de bois; des ruisseaux à dégorger; des cloaques à combler; des petites chaussées à élever.

A la suite de cette réunion il fut créé quatre ateliers de charité : le premier fut attribué à la municipalité de Saint-Amand


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et installé au lieu dit Pont-du-Martin ; le second, à la municipalité d'Eauze, aux lieux dits la Cotte et ruisseau de Barbé; le troisième, à la même municipalité, et s'échelonna depuis la porte Saint-July, passant par Carbonas, jusqu'à la porte Neuve; le quatrième, à la municipalité de Noulens, au lieu dit Pont-duBaqué.

Les municipalités présentes approuvèrent toutes le choix qui venait d'être fait; la municipalité de Bretagne, toujours frondeuse, protesta en se retirant avant la fin de la réunion.

Trois jours avant cette réunion générale des municipalités environnantes, le conseil d'Eauze avait eu à s'occuper d'une bien plus grave et plus délicate question : le changement ou le retrait de la troupe (15 décembre). Civils et militaires se regardaient, comme dit la chanson, en chiens de faïence. Des rixes avaient lieu presque journellement, et le conseil, craignant « une nouvelle « journée », envoya les deux lettres suivantes :

Monsieur le procureur de la commune de la ville d'Eauze à MM. les officiers du 7me régiment, pour être par eux lue à haute voix à leur détachement.

De toutes parts on me porte plainte contre vous. A Dieu ne plaise que je pense que vous Soyés tous coupables, je suis au contraire persuadé qu'il y en a beaucoup parmi vous qui, ne pouvant réprimer en leur nom la licence effrénée de leurs camarades, souffrent intérieurement de leurs désordres. Il vous importé, MM., de connaître ces ennemis des lois et de la Constitution et faire refluer vers eux la honte, le mépris et l'opprobre dont ils se couvrent.

Encore une fois, je me plais à croire qu'il y en a beaucoup parmi vous qui, connaissant leur devoir, savent qu'ils ne sont et ne peuvent être estimables que par une obéissance aveugle à la loi et à leurs supérieurs qui commandent par elle.

Depuis huit jours, la municipalité a été requise trois fois pour réprimer les désordres de quelques-uns de vous dans un lieu public, notamment dimanche 11 courant, après 10 heures du soir, et, ce que j'aurais peine à croire si cela ne m'était attesté par des officiers municipaux, vous vous êtes oubliés au point de mépriser la loi dans la personne de magistrats revêtus de leurs écharpes, les menaçant de faire des cocardes de leurs écharpes. Vous avez fait plus, vous les avez insultés, vous les avez menacés, vous leur avez jette des pierres jusques à la maison commune.

J'approuve et loue la conduite de mes confrères qui, se reposant sur la


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sagesse de votre commandant, se démirent en quelque sorte de leur autorité en sa faveur.

Je vous fais cet avertissement comme frère et bon patriote, et je vous ordonne, comme procureur de la commune, d'être à l'avenir plus circonspect, plus soumis à la loi et plus respectueux à l'égard de vos supérieurs.

A MM. les administrateurs composant le Directoire du département du Gers. Salut et gloire dans l''esprit de la Constitution.

La lettre ci-dessus est un effet de ma prudence et de ma politique. Je n'ay pas cru devoir, malgré l'avis de la commune, dresser procès-verbal des griefs dont ledit détachement est accusé. J'ai craint de compromettre l'autorité de la municipalité, et qu'en ouvrant une espèce de guerre entre les deux partis, je ne les exposasse en venir anx mains.

La municipalité, désireuse de maintenir l'ordre et la tranquilité, ne demande pas que vous retiriez purement et simplement le dit détachement, mais qu'il vous plaise au moins le changer.

La municipalité pourra dans tout le temps attester les désordres dudit détachement, mais elle espère de votre sagesse que vous étoufferez ces troubles dès leur naissance, en retirant ledit détachement, qui est en horreur à la plus grande partie de la ville et qui ne sert que trop d'instrument à la haine particulière de quelques individus.

Le 18 décembre, le Directoire de Condom répondit par nn refus formel a la supplique de la municipalité d'Eauze.

Le procureur de la commune, après avoir pris l'avis de ses collègues, rédigea une seconde pétition, et le 19 il écrivait à Condom et s'étonnait « de la rigueur du Directoire de maintenir « dans la ville, plutôt que de le changer, un détachement qui ne « lui plaît pas ».

Il envoyait en même temps un exprès au chef-lieu du département pour prier les membres du Directoire « de délivrer la « commune d'un détachement qui lui est en horreur ».

Le département, comme le district de Condom, resta sourd aux suppliques réitérées des officiers municipaux. Il eut tort; des rixes éclatèrent; des procès-verbaux furent dressés; plusieurs officiers quittèrent le détachement, et ce ne fut que le 10 février 1792 que les soldats quittèrent Eauze au milieu des cris de joie d'une population difficilement contenue.

Nous terminerons cette étude en disant qu'il fut décidé aussi


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dans cette séance du 19 décembre, qui fut la dernière tenue en l'année 1791, que les effets qui se trouvaient dans l'église des Pénitents-Blancs seraient inventoriés et que cette église serait fermée. (Lettre du procureur général du 12 décembre.)

Parmi les délégués pour procéder à cet inventaire se trouvait, naturellement, le curé Buret.

NOTE.

Sceau d'Armand de Villemur, abbé de Saint-Sernin (XIIIe siècle).

Je possédais depuis quelques années un sceau fort ancien, que je n'avais jamais étudié d'une manière sérieuse. Grâce au Gallia Christiana, j'ai aujourd'hui des renseignements précis sur le personnage auquel appartenait le sceau. Au centre une croix abbatiale, à gauche et à droite le soleil et la lune, la nouvelle foi et la synanogue, que l'on retrouve surtout au XVIe siècle; et en exergue l'inscription suivante en abrégé : Arnaud de Villemur, abbé de Saint-Sernin. « Arnaud de Villemur est indiqué comme existant en l'année. « 1268 dans un ancien acte de Pamiers. En l'année 1269, il reçut d'Alphonse, «comte de Toulouse, une lettre par laquelle celui-ci donne à l'abbé et au « couvent de Saint-Sernin tout ce qu'il possédait au lieu de « Taqueriis ». Il « reçut de Bertrand, évêque, le jeudi après Saint-Nicolas, en l'année 1278, la « mission de rechercher si Jourdain, seigneur de l'Isle-Jourdain, qui étant « enfant avait porté l'habit des chanoines réguliers de l'église cathédrale de « ce lieu, devait être astreint à leur règle. Cette question examinée avec soin, « il déclara Jourdain libre de toute obligation. Il fut témoin des privilèges « que Raymond Atau, abbé du Mas-d'Azil, concéda pendant les nones d'avril « 1286 aux habitants de ce lien. La même année, à la prière de Bertrand, « abbé de Grandselve, il accorda la permission de construire une église dans « l'institut de théologie que cet abbé avait fondé à Toulouse. On retrouve « aussi son nom en 1292 dans une charte du Mas-Garnier 1 ». C. D.

1 Gallia Christiana, t. XIII, col. 95-96.


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MOSAÏQUE DÉCOUVERTE A AUGH,

PAR M. MÉTIVIER.

La mosaïque découverte, ces jours derniers, dans le jardin de M. Dumont, route de Pessan, est du plus haut intérêt et peut être considérée comme une véritable oeuvre d'art.

J'en ai fait un relevé aussi fidèle que possible que je m'empresse de communiquer à notre Société Archéologique, mais en supprimant volontairement toute coloration, pour le cas où il paraîtrait convenable à cette dernière d'en faire faire une reproduction phototypique.

Il s'agit, comme on peut le voir, d'un dessin d'ensemble formé d'un enchevêtrement de diverses formes géométriques dont la sécheresse est heureusement tempérée par une série d'ornements oh dominent les emblèmes, tresses, entrelacs, boucliers, etc., d'un très heureux effet. L'ensemble a une apparence de grande richesse, et il est indéniable que l'habileté qu'a déployée là l'ouvrier ou plutôt l'artiste qui l'a composée et exécutée est vraiment extraordinaire.

Comme toutes celles découvertes antérieurement dans les environs, mais qui étaient de bien plus petites dimensions et à l'état de simples fragments, cette mosaïque était enfouie dans le sol à environ 0m60 de profondeur; et il faut admettre que si l'agglomération de la cité romaine avait bien son centre, comme cela paraît certain, dans le triangle formé par le terrain de l'Hôpital et voire même celui dit de Mathalin, l'habitation qui possédait cette mosaïque ne pouvait être que celle d'un riche patricien dont la villa se trouvait presque comprise dans la cité elle-même. Quoi qu'il en soit, on reste vraiment confondu si on essaie de se représenter quel pouvait bien être le luxe déployé dans le resté de cette habitation, lorsqu'on voit de pareils frais faits pour orner le sol d'une clés pièces de cette opulente demeure.


MOSAÏQUE DÉCOUVERTE A AUCH

CHEZ M. DUMONT.



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Et maintenant on peut se demander quel a été le procédé employé par l'habile mosaïste pour l'exécution d'un pareil travail, étant données la complication du dessin et la variété des couleurs. C'est sans doute le procédé classique et rationnel dont on usa exclusivement dans les premières années de notre ère, la seconde manière, dont je dirai un mot plus loin, n'ayant été pratiquée qu'à partir du VIe siècle, à Venise et à Constantinople principalement.

Ce procédé primitif consistait en ceci : le dessin de la mosaïque étant établi grandeur naturelle, sur un modèle exécuté à part, avec indication des couleurs, un tracé semblable était répété sur l'aire devant recevoir la mosaïque, et la reproduction était obtenue définitivement en enchâssant un à un chaque petit cube dans la gangue de ciment préparée pour le recevoir, en suivant fidèlement le tracé fait sur l'aire.

Le second procédé, d'invention vénitienne, qui est employé couramment de nos jours, pour les mosaïques sans personnages tout au moins, est beaucoup plus pratique et moins coûteux. Le modèle étant peint sur carton, l'ouvrier prend les cubes et les colle par la face sur le carton même; puis, lorsque la composition est terminée, il prend le carton et l'applique sur le ciment formant l'aire de la pièce. Mais on peut remarquer que ce système est à peu près impraticable pour les travaux artistiques, car, dans ce cas, le mosaïste est presque inconscient de son travail qu'il ne voit qu'à l'envers et sous un tout autre aspect que celui qu'il produira à la vue; tandis qu'avec la méthode directe, celle employée évidemment pour la mosaïque de la route de Pessan, l'artiste est resté maître de son ouvrage et l'a jugé à tous moments, au fur et à mesure qu'il prenait sa forme définitive.

Ce qui rend cette mosaïque particulièrement intéressante, c'est son étendue de douze à treize mètres superficiels, qui forme un ensemble assez complet pour qu'on puisse saisir facilement l'ingéniosité du canevas et des trames de ce tapis multicolore. Tant qu'à l'époque où elle a été exécutée, il est facile d'entrevoir que ce ne peut être vraisemblablement que celle de la


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période de calme et de prospérité qui a suivi la conquête et précédé la chute de l'empire romain, soit, par exemple, la seconde moitié du IIIe siècle ou, encore mieux, la première partie du IVe, époque où Constantin nous gouvernait encore, avant de s'en aller transformer Byzance pour en faire la ville qui porte aujourd'hui son nom.

On peut se demander comment il se fait que les démolisseurs de la partie détruite, puis les propriétaires eux-mêmes du champ, respectèrent la partie de mosaïque qui vient d'être mise à jour. Faudrait-il admettre que le champ en question soit resté inculte pendant très longtemps, plus de huit cents ans peut-être, de telle sorte que, pendant cette longue période, un exhaussement d'une trentaine de centimètres du sol de la vallée ait suffi pour préserver la mosaïque du contact de la bêche ou de la charrue?

Mais abandonnons-le domaine des conjectures, qui n'a du reste ici qu'assez peu d'intérêt, pour ne plus considérer que celui des réalités présentes.

Ce qu'il y a de certain, c'est que la ville d'Auch possède, depuis ces jours derniers, une curiosité de plus, et qu'il faut à tout prix qu'on la conserve à la vue de ses habitants et des étrangers. Un modeste hangar suffirait pour l'abriter contre les intempéries, et il serait à désirer que la municipalité ou, à son défaut, un généreux Auscitain voulût bien prendre à sa charge les frais de cette petite construction; de même que le propriétaire du sol pût se trouver suffisamment indemnisé de la petite partie de son jardin soustraite à la culture, par la modeste redevance que lui donneraient les visiteurs. Tous les archéologues et amis des arts n'ont qu'à souhaiter une chose, c'est qu'il en soit bien ainsi.

Auch, 30 mars 1912.


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ORIGINE ET DÉVELOPPEMENT DE VIC-FEZENSAC,

PAR M. Z. BAQUÉ.

1. — Populations primitives. — « Les Gaulois comptaient « plusieurs espèces de villes fortifiées que César appelle indiffé« remment oppida; les unes placées sur quelque pointe de rocher, « et autant que possible dans le voisinage d'une source, étaient « défendues par l'escarpement naturel de leur site et par des « murailles formées de gros quartiers de roches brutes amonce.« lées vers le point où l'escalade aurait été trop facile. Un « double fossé entourait cette fortification grossière dont l'inté« rieur ne contenait aucun édifice, bien qu'elle fût destinée à « servir de refuge aux habitants et aux troupeaux d'un pays « envahi. Ceux qui s'y retiraient s'y construisaient des abris « temporaires avec des matériaux apportés du dehors 1. »

Cette description s'applique trait pour trait à la colline de Saint-Jean de Castets (2 kil. au S.-E. de Vic-Fezensac). A cent quatre mètres au-dessus du niveau de l'Osse s'étend un plateau ovale d'environ deux cents mètres de long sur cent de large, sensiblement horizontal, et dont les bords sont formés par un banc de calcaire taillé à pic sur quatre mètres d'épaisseur. Les pentes qui descendent vers la rivière et vers deux petits ruisseaux sont encore abruptes, bien que la culture les ait modifiées.

Ce plateau n'est accessible que du côté levant, où une sorte d'isthme, d'une vingtaine de mètres de large, le relie aux coteaux séparant l'Osse de la Baïse. Là on peut saisir le travail accompli à une époque fort ancienne pour transformer en oppidum ce point naturellement fortifié. L'isthme a été profondément entaillé et les terres rejetées vers le plateau, de façon à y former un talus défiant l'escalade.

Aujourd'hui encore, après de nombreux siècles qui ont amené l'écrêtement du parapet et le comblement du fossé, la hauteur de

1 A. HUGO, Histoire de France, t. I, p. 34.


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l'escarpement est de huit mètres et la largeur du talus en atteint le double. Ce mode primitif de fortification se retrouve fort rarement de nos jours. Le Gers n'en compte qu'un autre exemple : la colline de Cieutat, près Roquelaure 1.

2. — L'époque gallo-romaine. — Sur la géographie de la Gaule romaine méridionale nous ne possédons que deux documents : la carte de Peutinger et l' Itinéraire de Bordeaux à Jérusalem, Chacun d'eux mentionne une voie stratégique reliant Bordeaux à Toulouse (par Bazas, Eauze et Auch), et cette route se reconnaît encore en maint endroit autour de Vic-Fezensac.

Vers le couchant de la ville elle monte sur le coteau de Laouarde, traverse l'Auzoue au nord de Beaulieu 2 et, par Lannepax et Ramouzens, rejoint Eauze à Cieutat dans les environs de la gare 3.

A l'est, après avoir longé le cimetière et l'ancien monastère de Notre-Dame, elle devient le chemin de Saint-Paul-de-Baïse. Mais il faut tenir compte d'une déviation : l'ancienne voie se détache à droite, quelques mètres avant le pont du chemin de fer, et escalade le coteau en ligne droite, formant une rampe très forte que le cadastre désigne du nom caractéristique de Côte-dela-Justice. De la crête des coteaux elle se dirige vers Saint-JeanPoutge par Brouquens et Nalies; puis elle traverse la Baïse sur les bords de laquelle était Vanesia 4; enfin elle gagne Auch par les hauteurs de La Couture, d'Enton, d'Ordan, de La Tourette, où des piles marquent soit son emplacement, soit son voisinage immédiat 5.

Entre Elusa et Climberris (Eauze et Auch), la carte de Peutinger place une mutatio 6 du nom de Besino, qui a été iden1

iden1 LAVERGNE, Excursions archéologiques, 1881, pp. 2 et 3.

2 Cartulaire noir du chapitre Sainte-Marie d Auch (Archives historiques de la Gascogne, p. 11).

3 Semaine religieuse du diocèse d'Auch, 1889, p. 619.

4 Itinéraire de Bordeaux à Jérusalem. Vanesia, Baesia, Baïse, selon les règles de. la philologie gasconne.

5 Mgr DE CARSALADE DU PONT (Soirées archéologiques, 1889, p. 103). 6 Mutatio, gîte d'étape pour les troupes.


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tifiée avec Vic-Fezensac1 La preuve peut en être facilement faite : Besino est distante d'Eluza, d'après la carte de Peutinger, de dix lieues gauloises 2; treize lieues la séparent de Climberris, soit 28 kil. 800; or, si l'on rapporte au curvimètre sur une carte à grande échelle (celle des ponts et chaussées, par exemple) les distances ci-dessus en suivant les traces de la voie romaine, on constate que le raccordement se fait bien à Vic-Fezensac.

3. — La mutatio Besino occupait l'emplacement du quartier du cimetière que dès le Moyen âge 3 on appelait — et qu'on appelle encore aujourd'hui — Masbielh. Ce nom de mas correspondant à mansio 4, d'après les règles les plus certaines de la philologie gasconne, ne laisse guère de doutes sur l'origine gallo-romaine des premières constructions de ce quartier.

Les vestiges gallo-romains, d'ailleurs, ne sont pas rares dans la commune de Vic. Au milieu de la place du Commerce, les fouilles destinées à la construction d'un aqueduc mirent au jour une mosaïque authentique (1908). M. Baqué a également trouvé une clef de l'époque qu'il a donnée à la Société Archéologique du Gers 5. Il y a un demi-siècle, à Las Cournères, sur les bords de la route de Valence, on pouvait voir des ouvrages eu terre où l'on reconnaissait aisément les restes d'un camp romain. Tout près de là furent découvertes de nombreuses pièces de monnaie datant du IIIe siècle de notre ère". A Grassio, au bas de l'oppidum de Saint-Jean-Castex, on déterre journellement des tuiles à rebord, en se heurtant à des constructions souterraines. M. Auxion, le propriétaire, a recueilli des chapiteaux caractéristiques, des poids en terre cuite et des pièces de monnaie.

1 Opinion de la Commission de la topographie des Gaules, de Camoreyt, d'Alfred Sansot, etc.

2 La lieue gauloise valait quinze cents pas doubles (lm48), soit 2 kil. 200.

3 Cartulaire noir, op. cit., p. 9, en note, et p. 180. — Charte du XIIIe siècle. 4 Mansio, auberge, relai à l'usage des fonctionnaires romains.

5 Bulletin de la Société.

6 Baron CHAUDRUC DE CRAZANNES, Notice sur la découverte d'un camp romain aux environs de Vic-Fezensac (Revue d'Aquitaine, 1861, pp. 479 et 481).

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4. — Les invasions barbares. — Au Ve siècle de notre ère, les Alains, les Suèves, les Vandales, arrêtés dans leur course par les Pyrénées, se répandirent dans la région sous-montagneuse (405). Faisant cause commune avec les indigènes ruinés par l'administration romaine, ils tombèrent sur les cités et les villas pour y accumuler des ruines incalculables.

Peu après, l'Aquitaine fut de nouveau ravagée par les Wisigoths (419), qui s'installèrent dans les villas abandonnées ou confisquées sans plus de formes : notre ville, du moins son territoire, fit ainsi partie du domaine particulier de leurs rois 1.

D'autres barbares, les Francs, vinrent leur disputer cette conquête. On sait qu'à Vouillé, où se heurtèrent les deux peuples, les Wisigoths furent défaits et réduits à passer en Espagne (507). Clovis, chef des vainqueurs, partagea le butin et les terres conquises entre ses compagnons d'armes, sans oublier — nouveau converti — de faire la part des évêques. S'il fallait en croire une charte écrite au XIIe siècle, et qui. peut être suspectée à plus d'un titre : « Le roi donna à Dieu, à la bienheu« reuse Vierge Marie et à l'évêque d'Auch Perpétue l'église et « la ville de Vic-Fezensac, avec toutes leurs dépendances, « laquelle ville et église appartenaient alors au fisc royal 2 ».

Il est bien possible que l'Église possédât Vic depuis la conquête franque. Mais on est obligé de remarquer que Vic n'existait pas sous ce nom au VIe siècle, et qu'on n'a aucune preuve sérieuse du passage de Clovis dans la ville épiscopale. La charte citée doit donc être considérée comme absolument apocryphe.

5. — Naissance de la ville actuelle. — Après les Wisigoths et les Francs, les Sarrasins et les Normands couvrirent la Gascogne de nouvelles ruines. Eauze fut réduite en cendres et tout porte à croire que Besino eut un même sort. Si l'on accepte les dires des Bollandistes, sainte Fauste aurait été martyrisée dans

1 Cartulaire noir, p. 159 et en note.

2 Idem.


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une église du territoire environnant — Sainte-Marie-dè-Laouarde — brûlée en 864 1.

Sans aucun doute, au IXe siècle, Besino, située dans la plaine du ruisseau de l'étang de Lannes, et partant trop difficile à défendre, fut abandonnée par les habitants qui allèrent bâtir de nouvelles demeures sur le mamelon délimité par l'Osse, le ruisseau des Bourbonnes et celui des Capots. Ainsi se trouva constitué un vic, vicus, c'est-à-dire : « Un village quelconque non « défendu par des murs, une agglomération assez importante « mais qui ne méritait pas le nom de ville : urbs et plus tard « villa 2 ».

Ce mot de vicus, remarquons-le, était un nom commun; la ville s'appela anciennement Fidentia d'où est venu Fezensac 3. Ainsi d'après l'acte de fondation du comté d'Astarac, il existait en 920 un château de Fezensac, résidence des ducs de Gascogne : « Actum Fidentio Castro 4 ». Ailleurs on trouve : « Actum in « Castro comitale de Fidentiaco 5 ». Sainte Fauste aurait également été martyrisée à Fezensac 6.

La ville ne tirerait donc point son nom du pays; mais elle le lui aurait donné.

D'où vient Fidentia ? Pour M. A. Sansot, Armagnac, Astarac, Fezensac seraient dérivés du nom de certains gros propriétaires gallo-romains. Fidentia, Fezensac, désignerait la villa de Fidentius, tout comme Astarac désignerait celle d' Astar 7. C'est une hypothèse ingénieuse mais difficile à vérifier 8.

6. — La ville 'primitive. — Au IXe siècle, à l'époque où la

1 Les petits Bollandistes (vie des Saints), par Mgr Paul GUERIN, édition 1888, p. 134.

2 Du CANGE, Glossaire de la basse latinité. Cité par Monlezun, Histoire de VicFezensac, p. A.

3 CHAUDRUC DE CRAZANNES; art. cité (Revue d'Aquitaine, 1861, p. 479).

4 Dom BRUGELES, Chroniques, preuves de la 3e partie, p. 81. 5 IDEM, p. 498.

6 Les petits Bollandistes, op. cit., p. 134.

7 A propos du Castrum Fidentiacum (Revue de Gascogne, mars 1909).

8 Acceptée par M. Sarrieu, président de la société Era Bouts deras Pirenéos. — Bulletin de la Société Archéologique du Gers, 2e trimestre, 1910.


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nouvelle ville se constitua, deux puissances rivales vivaient côte à côte : l'Église et la féodalité. Il est probable qu'en ce siècle et au siècle suivant elles exercèrent chacune sa domination sur des territoires séparés; cette considération seule permet d'expliquer certaines particularités de l'histoire et de la topographie de Vic-Fezensac.

En effet, tandis que les chartes ecclésiastiques coordonnées dans le Cartulaire noir de Sainte-Marie d'Auch parlent du vicus fidentiacus, « le bourg de Feuzensac l », que possédait l'Église en toute propriété, des documents d'un autre ordre disent que le comte possédait et habitait le castrum fidentiacum. Ainsi Totilon, comte franc, reçut en fief de Louis le Débonnaire la ville de Bordeaux et le castrum fidentiacum.

On pourrait peut-être supposer que castrum et vicus ont désigné indifféremment la même agglomération. Je ne le pense pas. L'histoire de Raymond Paba 2 nous apprend qu'au XIe siècle les comtes de Fezensac donnent à un de leurs vassaux le vicus fidentiacus. Ils ne donnaient certainement pas leur chez soi, le castrum fidentiacum qu'ils habitaient ! A mon avis le castrum et le vicus étaient distincts; ils désignaient, l'un le parsan du comte, l'autre le parsan de l'archevêque. L'agrégation de ces deux centres a constitué la ville actuelle.

L'étude archéologique-topographique de Vic-Fezensac fortifie singulièrement cette opinion.

7. — La route nationale, construite au XVIIIe siècle par l'intendant d'Etigny, a complètement modifié la physionomie de la ville.

Antérieurement, telle qu'on peut se la représenter d'après le cadastre de 1726, elle était formée de deux noyaux distincts et

1 Astronome Limousin. Cité dans l'Histoire du Languedoc, de Dom VAISSETTE, t. II, p. 270, et par MONLEZUN, Histoire de la Gascogne, t. I, p. 332.

D'après Du Cange (Glossaire de la basse-latinité, les vicus sont de simples bourgades non défendues par des murs, tandis que les castra sont des villages fortifiés. Les deux expressions prirent avec le temps une signification assez vague qui ne correspondit plus à une distinction aussi rigoureuse.

2 Cartulaire noir, chartes 134 et 135. — Voir plus loin le chapitre sur l'église.


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inégaux en grandeur : d'une part, celui du nord, constitué par une masse centrale carrée, entourée de murs et de fossés, à laquelle étaient accolés trois quartiers suburbains également fortifiés; d'autre part, celui du midi, qui avait conservé ses limites et son enceinte primitives. Le premier centre était le coeur de ville; le second s'appelait quartier du château.

Un plan identique avait présidé à leur formation, car. dans chacun deux rues principales se coupaient à angle droit; l'église et le château touchaient aux remparts et occupaient les extrémités opposées des rues orientées nord-sud. Ils avaient été construits en même temps et d'un commun accord, car ces deux rues se prolongeaient l'une par l'autre, dans le même axe, à travers les terrains vagues qui les séparaient.

8. — Le château occupait, sur un mamelon tout à fait au midi de la ville actuelle, l'emplacement des maisons Brana, Larrieu,


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Lescure, à l'extrémité de la rue Cherche-Midi 1. Il avait servi de résidence aux comtes de Fezensac, éteints dans leur ligne directe vers 1140. Leurs successeurs, les comtes d'Armagnac, firent d'Auch leur capitale, mais conservèrent à Vic le caractère de chef-lieu judiciaire 2 qu'attestaient la résidence du juge-mage et la présence du principal dépôt d'archives du comté 3. Ils gardèrent leur demeure de Vie pour y passer quelques jours de temps à autre. Au xve siècle ils y firent faire même de grosses réparations; Bernard de Grossoles, intendant de Bernard VII, écrit à son maître qu'un prisonnier souffre cruellement dans sa geôle de la Tour-Neuve, non couverte et « dont le plancher est fait de « boue »; mais qu'il n'ose prendre sur lui de le transférer dans le vieux donjon qui ne lui paraît pas assez sûr 4.

La rue Cherche-Midi, partant de la porte principale du château 5, se prolongeait vers l'église et s'arrêtait à la place du Commerce. Les massives maisons de MM. Branet et Cazes, bâties en moyen appareil, sans autres ouvertures antiques que trois meurtrières bien conservées, étaient sans nul doute une forteresse, une tour peut-être, destinée à flanquer la porte de ville qui se trouvait en ce lieu.

Une autre maison, ayant la même apparence, le même caractère, les mêmes murs épais, celle de Mme veuve Lamaur, devait avoir le même rôle; elle gardait l'entrée de la rue qui permettait d'aller au moulin de la ville, dont on trouve trace au XIe siècle 6,

1 LA PLAGNE-BARRIS, Anecdotes sur Vic-Fezensac au XVe siècle (Revue de Gasa 1893, p. 493). — Également cadastre de 1726.

2 CALCAT (Revue de Gascogne, 1894, p. 559).

3 SAMARAN, La maison d'Armagnac au XVe siècle, p. 30.

4 Revue de Gascogne, 1893, p. 440. — Nous ne possédons pas d'autres renseignements sur le château de Vic, démoli vers 1760. Dans la même revue (1894, p. 178), l'abbé Breuils, interprétant de vieux actes du notaire vicois Ponsan, prend pour le château lui-même l'expression « au château », désignant alors comme aujourd'hui tout un quartier de la ville. Il situe ce château dans le pré de la caserne de gendarmerie, à quelques mètres de l'Osse (!) au pied du coteau (!!), et en donne une description ultra fantaisiste qui fait seulement honneur à la richesse de son imagination.

5 Cadastre de 1726 ; aux archives municipales. 6 Cartulaire noir, op. cit., p. 166.


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— du moins en cet endroit trouvait-on la porte du Moulin1.

A l'opposé, vers le couchant, était la porte Marcadere qui s'ouvrait sur- le chemin menant aux Capots, puis à Cézens 2.

L'enceinte du quartier était formée par des murs bordés de fossés dont les vestiges. constituent le vivier communal. Elle s'étendait tout autour du foirail, sur la partie qui sert de route et en forme la bordure au midi et au couchant 3. La rue du général Labadie était occupée par un fossé que remplissait le ruisseau des Capots, lequel ensuite continuait sa course sur le tracé de l'avenue de la gare. Du levant au couchant le mur d'enceinte suivait les arceaux et la rue Marcadere.

9. •— Le Coeur-de-ville fut de bonne heure fortifié tout comme le quartier du Château. A la place des fossés qui l'entouraient sont aujourd'hui les allées Gabarrot, la rue de la Porte-Neuve, la rue des Arts, la route nationale. Les rues qui s'y coupaient en croix s'appellent aujourd'hui rue du Coeur-de-ville, rue du Triomphe, rue Saint-Pierre, rue du Général-Delort.

A l'entrée de ces rues correspondaient quatre portes fortifiées qui occupaient la place prise aujourd'hui par l'atelier Carsalade aîné, la verrerie Fitte, l'épicerie Lagarde, le magasin Cave 4. Cette dernière porte a subsisté jusqu'en 1822; elle était flanquée d'une grosse tour carrée dite tour de l'Horloge, qui servait de prison, où l'on gardait les archives et par-dessous laquelle on passait 5. Un quart du Coeur-de-ville était occupé par l'église Saint-Pierre et le cloître attenant.

On le voit, les deux centres de Vic étaient bien distincts. Nul doute que l'un ne fût le parsan du comte, l'autre le parsan de l'archevêque; le castrum et le vicus. Plus tard les deux autorités se partageront le paréage des deux centres accolés et de la cité agrandie.

1 Cadastre de 1726.

2 Idem.

3 Idem.

4 MONLEZUN, Histoire de Vic-Fezensac, p. B.

5 SAMARAN, La maison d'Armagnac au XVe siècle, p. 30.


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10. — Du XIIIe au XIVe siècle. — De 1260 à 1330 nous assistons à une période de prospérité qui vit éclore la plupart des communes importantes de notre département : Fleurance, Mirande, Plaisance, etc. Vic-Fezensac s'accrut de trois quartiers suburbains qui se fortifièrent et s'accolèrent au Coeur-deville

Coeur-deville le Barry, le quartier de l'Hôpital et celui de la PorteDessus.

Ce dernier était le moindre; il ne comprenait qu'une rue (dite aujourd'hui du Général-Cassaignolles) prolongeant vers l'ouest celle du Coeur-de-ville et se terminant à une porte fortifiée dite porte Dessus, à l'endroit où se trouve aujourd'hui l'école publique de garçons. Les fossés qui entouraient le quartier sont aujourd'hui comblés et leur place occupée par la route nationale et la rue des Femmes. Quelques pans de murailles fortifiées existent encore vers le nord, dans les jardins qui vont de l'école de garçons à la rue Verdier.


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Sur la rive droite de l'Osse avaient été consignés les gens sans aveu, les vagabonds, les étrangers, ceux que la malignité publique appelait juifs l sans se soucier de l'ethnographie : telle fut l'origine du Barry 2 de delà Losse = Barrio de ultra Ossam.

Il s'ouvrait au levant par la porte d'Espérobént, de Birobént ou de Bouhobént, ainsi nommée parce qu'elle était placée sur le chemin des moulins à vent de Martin. Au nord était la porte de Notre-Dame, dont les restes se voient à droite et à gauche du chemin de la Brèche et qui permettait d'accéder à la grange Notre-Dame, bâtie par les Prémontrés de La Case-Dieu au bord de la voie romaine.

Le faubourg s'arrêtait à l'Osse, qui n'occupait pas son lit actuel. Alors, elle continuait sa course au delà de la digue du

1 Le cadastre de 1726 nomme le Barry « faubourg de Judée ».

2 Barry = barrio, faubourg, quartier.


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moulin, à travers les jardins du Barry, sur l'emplacement de la boulangerie coopérative et de la maison Pandelé; puis, à travers les prés de la Brèche. Le canal de fuite du moulin (qui n'a pas été modifié avant les travaux du chemin de fer) rejoignait l'Osse au nord du monastère de Notre-Dame, au confluent du ruisseau de la Glacière 1. De telle sorte qu'au couchant du Barry était une île. Là on avait bâti un hôpital Saint-Jacques dont il ne reste plus que quelques ruines dans la maison de M. Planté, maçon.

Les fossés faisant le tour du Barry ont été comblés pour construire la route nationale, la route de Marambat et le chemin de ronde de la Brèche. Il reste quelques pans de murs appareillés en bordure de ce chemin. Chez M. Pandelé on peut voir encore un large escalier en spirale qui était logé dans une tourelle formant encoignure en cet endroit-là.

Le quartier de l'Hôpital fut en quelque sorte une extension du Coeur-de-ville. La rue Saint-Pierre se prolongea vers le cimetière de toute la longueur de la rue du Collège ; la rue du Triomphe fut continuée par la rue Touade jusqu'à la porte Débat (au croisement de la rue La Fayette), ainsi nommée parce qu'elle occupait le point le plus bas de la ville, tout comme la porte Dessus en occupait le point le plus élevé.

Le fossé qui fermait le Coeur-de-ville vers le levant devenait inutile; on le combla et sa place fut occupée par la rue des Arts qui formait cul-de-sac. Elle s'arrêtait net à hauteur de la rue de la Porte-Neuve, située elle aussi sur l'emplacement du fossé nord du Coeur-de-ville. La rue des Arts s'ouvrit au midi par la porte Mourelot (café du Globe), sur une place vague où se tenaient le marché aux bestiaux et qui garda cette destination jusqu'au XIXe siècle.

Le mur d'enceinte du nouveau quartier partait de la porte Neuve, ménagée au coin nord-ouest du Coeur-de-ville, et se

1 La transformation des lieux fut l'oeuvre de d'Étigny. Pour n'avoir à construire qu'un pont sur la route nationale, il dévia le vieux lit de l'Osse et le fit se déverser dans le canal de fuite du moulin, un peu en amont du pont placé sur ce canal.


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dirigeait en droite ligne vers la porte du Portique, située dans la rue du Portique, à hauteur de la maison Gabarrot; puis il rejoignait la porte Débat. Le chemin de ronde, comme son nom l'indique, faisait le tour des remparts; en le suivant on remarque des restes de fortification : an jardin Daugé, dans les maisons de la rue des Remparts et dans les caves de la maison Gabarrot.

11. — Comme on le voit, le quartier du Château restait isolé. A l'époque de la guerre de Cent ans on éprouva le besoin de le relier au reste de l'agglomération : une muraille partit du château pour rejoindre la porte Débat. La tour de la mairie est un reste de ce travail. Contigus à elle, sous la maison Castaing, sont deux immenses souterrains voûtés qui devaient servir de citerne et de cave à provisions aux défenseurs logés dans la tour. Le ruisseau des Capots fut dévié : au lieu de suivre la rue du GénéralLabadie et la rue des Arts, il coula au pied de la nouvelle muraille et se jeta dans l'Osse, au-dessous de la place des Jardiniers.

A l'est du château, à l'extrémité de la rue du GénéralLabadie, qui remplaça le fossé primitif, fut ménagée la porte de la Hountasse qui donnait accès vers la fontaine dite Hountette, autrefois Houn-grosso.

12. — Au XIIIe siècle, également, s'était constitué le quartier des Capots. Ce nom de Capots, qui se retrouve dans la majeure partie des vallées pyrénéennes et la plupart des villages de la Gascogne, s'applique au lieu où étaient relégués (jusqu'au XVIIe siècle) les représentants d'une race maudite connus sous le nom de cagots, capots, gahets, chrestias. Ils ne pouvaient s'allier qu'entre eux; il leur était défendu d'exercer d'autres métiers que ceux de plein air; une église et un cimetière distinct leur étaient réservés; le peuple les traitait en parias.

Qu'était-ce au juste que les capots ? Les auteurs voient en eux des lépreux ou des descendants de lépreux dont l'affection, devenue bénigne, se manifestait par des éruptions cutanées, la


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SOCIETE ARCHEOLOGIQUE DU GERS.

déformation des doigts, l'ulcération du lobule des oreilles, la fétidité de l'haleine et de la sueur, etc. 1.

13. — Au XIVe siècle. — Il semblerait que les perturbations occasionnées par la guerre de Cent ans eussent dû amener une crise économique et arrêter tout progrès. Pourtant les incursions du prince Noir ne troublèrent point Vic au point d'arrêter son essor commercial 2 : à cette époque fut construite une halle qui fut démolie en 1866.

LA HALLE DE VIC (1426-1866) (Restitution d'après un fragment de photographie).

Toutes les bastides avaient leur halle sur la place centrale; mais Vic avait deux centres et point de place : où mettre la halle ? Au seul endroit possible, sur les terrains vagues qui séparaient le domaine ecclésiastique du domaine comtal.

Elle fut commencée en 1426, comme l'indiquait l'inscription suivante qu'on pouvait lire en lettres gothiques sur l'un de ses piliers :

« La halle de la présente ville, dont la première pierre du « fondement fut posée le quatorze septembre mil quatre cent

1 Dr FAY, La lèpre dans le sud-ouest de la France (passim).

2 Le Guide Johanne mentionne que Vic fut pris par les Anglais. Je n'ai pas trouvé d'autre trace de cette assertion.


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« vingt-six, fut construite par l'ordre de l'abbé de Vic. Jean « Dubignaux, Jean Dupuy, N..., N..., consuls de Vic 1. »

Elle comprenait vingt-cinq piliers de pierre disposés en carré sur le terre-plein qui entoure le kiosque. Ils soutenaient une toiture disposée en auvent. Les neuf du centre supportaient, en outre, un étage assez bas où l'on trouvait la salle de justice et le lieu de réunion' des consuls. Sous le terrassement destiné à donner au sol un niveau horizontal, on avait ménagé des prisons dont l'entrée avoisinait la rue du Général-Labadie. Un petit mur de clôture faisait le tour de la halle, et dans un coin étaient des mesures publiques de pierre, las peyrolos, qui servaient autant aux transactions commerciales qu'aux ébats des jeunes garçons de la ville.

14. — Disparition des murailles. — Plus encore que ses murs de clôture, l'ombre du château comtal assurait à Vic une paix profonde que ne troublait pas la garnison des gens de guerre 2. Toutefois, lorsque le comte Jean Ier d'Armagnac se mit en devoir de protéger la Gascogne contre les incursions du prince Noir, il fit relever les murailles en-mauvais état, réparer le château et ajouter au donjon une tour nouvelle (1355) 3.

La fin du xve siècle et le commencement du XVIe furent peu favorables au développement de la ville : son autonomie d'ailleurs disparaissait; peu à peu, noyé dans cet immense tout, broyé, comprimé, trituré, opprimé, Vic est réduit en servitude par les officiers royaux qui traitent la Gascogne en pays conquis après le meurtre du dernier comte d'Armagnac 4.

Vinrent les guerres de religion. Vic est une place de guerre que catholiques et protestants se disputent avec la dernière

1 Cité par MONLEZUN, Histoire de Vic-Fezensac, p. P.

2 LA PLAGNE-BARRIS, Anecdotes sur Vic-Fezensac (Revue de Gascogne, 1893, p. 493).

3 BREUILS, Jean Ier (Revue des questions historiques, janvier 1896).

4 LA PLAGNE-BARRIS, op. cit., p. 497.


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énergie. Mongommery s'en empara en 1569 et signala son passage par la destruction de l'église et du cloître Saint-Pierre 1.

Les catholiques la reprirent par surprise en avril 15802. A deux reprises différentes elle passa et repassa des mains des catholiques dans celles des protestants. En juillet 1585 les protestants reviennent à la charge, entrent dans Vic, la livrent au pillage et font des habitants un carnage affreux.

Sans se décourager, les ligueurs veulent reconquérir la cité perdue, mais leur tentative échoue. Ils la renouvellent deux ans plus tard et cette fois avec plus de succès 3.

Les protestants reprirent la ville une fois encore et ne l'évacuèrent qu'en 1589, après l'héroïque résistance de Parrabère 4. Au total, huit sièges dans l'espace de vingt ans!

Dans quel triste état devaient être les fortifications ! Le faubourg du Barry possède du côté nord une ruelle dite de la Brèche, ainsi appelée parce qu'elle occupe la place d'une brèche ouverte en 1585 par les protestants qui assiégeaient Vic 5. Cette brèche ne demeura pas seule : en 1589, les catholiques, craignant que la ville n'échappât à leur domination, et pour lui enlever une importance dont les protestants eussent encore pu abuser, détruisirent les fortifications.

Le travail ne fut pas poussé très loin; mais trente-trois ans après (1622), Louis XIII, poursuivant les protestants dans tout le Midi, craignit de les voir exciter des troubles dans Vic, resté leur centre le plus important de la Gascogne. Dans cette appréhension, il ordonna la démolition de tout ce qui subsistait des anciennes murailles. L'ordonnance resta lettre-morte. En effet, en 1626, le seigneur de Puységur, vice-sénéchal d'Armagnac, chargé de dresser un état des places de son ressort, visite Vic et s'exprime ainsi :

1 MONLEZUN, Histoire de Vic-Fezensac, page M. 2 CAZAUDRAN, Notre-Dame de Biran, p. 175. 3 CAZAURAN, Notre-Dame de Biran, p. 179. 4 MONLEZUN, Histoire de Vic-Fezensac, p. 0. 5 IDEM.


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« La ville de Vic, capitale du Fezensac, est enceinte de « murailles avec tours et guérittes. S. M. fist expédier comman« dement l'an 1622, au sieur Bertrand, conseiller au parlement « de Tholose, pour la desmolition des fortiffications de lad. ville, « lequel y fist travailler quelques jours et fist abattre un ravelin, « ayant enjoinct aux habitans de procéder eux-mêmes au reste « de la desmollition avec l'aide des villages circonvoisins; « lesquels s'obligèrent... dans trois mois de combler les fossés, ce « qu'ils n'ont pas faict, y restant encore une très bonne tour « carrée avec mâchicoulis et flancs et les murailles avec leurs « courtines, guérittes et défiances 1. »

Pour avoir échappé à la pioche des démolisseurs, les fortifications n'évitèrent pas leur sort. Abandonnées à elles-mêmes, n'ayant plus d'utilité, elles furent rasées morceau par morceau chaque fois que la commune eut besoin de matériaux de construction. Les particuliers eux-mêmes ne se faisaient guère scrupule d'utiliser à leur profit les pierres appareillées qui étaient à la portée de leurs mains : les consuls durent le leur défendre 2. Les fossés loués pour l'élevage du poisson ne rapportaient qu'un maigre revenu compensant mal les frais de leur entretien; on les vendit 3.

En 1671, de Pellebène acheta celui qui était devant sa maison et le convertit en jardin; c'est sur son emplacement que s'élèvent les maisons qui vont de la rue des Arts à la rue La-Fayette 4.

Les cordeliers s'emparèrent de ceux qui faisaient le tour de leur enclos, aujourd'hui le foirail 5.

En 1716, la porte Dessus fut démolie par de Benquet, capi1

capi1 archéologiques, 1889, p. 47. — Communication de Mgr de Carsalade du Pont pour rectifier l'assertion de Monlezun (Hist. de Vic), selon laquelle, malgré les supplications des habitants, la démolition des murailles de Vic aurait été consommée en 1621.

2 Délibérations municipales, 10 mars 1788.

3 Nombreux actes dressés par Gaultier, notaire à Vic, 1784.

4 Délibérations municipales (passim.).

5 Pétition de l'an VII au conseil de préfecture (Archives municipales).


180 SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

taine de dragons, qui employa les matériaux au pavage des rues. La porte Mourelot (entrée de la rue des Arts) servit à réparer la halle 1 (1737).

En 1744, plusieurs autres portes menaçant ruine tombèrent par ordre de Colluët, sous-ingénieur des ouvrages du roi.

Le château comtal fut donné par Louis XV aux capucins, qui de ses pierres firent bâtir leur monastère vers 17602.

La porte Débat fut démolie en 1788 pour construire un aqueduc conduisant à l'Osse les issues du quartier de l'Hôpital. La tour de l'Horloge subsista jusqu'en 1822 3.

15. — L'état actuel de Vic. — D'Étigny modifia complètement l'aspect de notre cité lorsqu'il construisit sa route nationale de Toulouse à Bayonne.

Dans sa traversée de Vic. cette route décrit une ligne polygonale de six côtés raccordant deux tronçons à angle droit. Or, quiconque a remarqué la superbe indifférence de l'intendant à l'égard des côtes les plus-raides, et son souci constant de la ligne droite..., doit s'imaginer qu'une raison majeure dérangea ses plans.

La tradition rapporte que ses ingénieurs voulaient prolonger l'avenue d'Auch en ligne droite à travers le quartier du Barry. Eventrer le Barry! A cette nouvelle, une émeute faillit éclater. Consuls en tête, les habitants allèrent trouver l'intendant et lui présentèrent leurs doléances avec tant de force qu'ils obtinrent l'abandon du projet. Alors, un peu plus qu'aujourd'hui peut-être, le Barry de Vic — comme tous les Barry d'ailleurs — attestait un assez médiocre souci de l'hygiène publique : « Gens du « Barry », dit d'Etigny avec sa bonhomie et son franc parler habituels, « gens du Barry, dans la m... vous êtes nés; dans la « m... vous crèverez! » Et il dévia sa route.

Il lui fit longer les murailles du faubourg, occuper la place des

1 Délibérations municipales (passim.).

2 MONLEZUN, Histoire de Vic-Fezensac, p. T.

3 Délibérations municipales (passim.).


DEUXIÈME TRIMESTRE 1912. 181

fossés du Coeur-de-ville et de ceux du quartier de la PorteDessus. A cette route, devenue aujourd'hui rue principale, sont venues se raccorder des routes départementales qui, dans leur traversée de Vic, occupent elles aussi la place d'anciens fossés : tel est le cas de l'avenue de la gare, de la route de Bassoues, de la route de Valence. Le chemin dit de Ronde, celui de la Brèche, les allées du Foirail peuvent également se prêter à la même remarque. Ce fait n'est point particulier à Vic-Fezensac, mais il y apparaît beaucoup plus qu'ailleurs.

Peu à peu, le long des rues nouvelles, se bâtirent des maisons neuves, et la ville prit peu à peu son aspect actuel.

NOTE.

Addition au « Gallia christiana ». ARNAUD-GUILLAUME DE LESCUN, ÉVÊQUE D'AIRE.

Le Gallia n'a trouvé trace de l'épiscopat de Mgr de Lescun que jusqu'en 1427 : « ... verum in quodam catalogo lego Arnaldum anno 1427 concessisse « décimas de Monte-Acuto domino loci illius 1 ».

D'après un contrat d'échange passé entre lui et Pierre, seigneur et baron de Castelnau-Tursan, il vivait encore le 11 juillet 1428 2.

1 L. C, t.I, col. 1161.

2 Archives du Gers, E, addition 454.

12


182 SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

LA JOGONDE

Du. château de l'Isle-de-Noé, PAR M. R. PAGEL.

Certes, nous n'avons pas la prétention d'avoir retrouvé le chef-d'oeuvre du Louvre, qui est allé faire un long voyage duquel il reviendra sans doute maquillé, défiguré, méconnaissable. Nous voulons du moins faire connaître aux membres et aux lecteurs de notre Société une autre image de la Joconde, si belle, si transparente qu'elle nous fait moins regretter l'original.

Ce tableau, par une heureuse fortune, est la propriété de notre confrère M. le comte de Noé, qui, inutile de le dire, s'est fait un plaisir de mettre à notre disposition et l'oeuvre d'art et ce qu'il en savait.

L'histoire de la Joconde de l'Isle-de-Noé est malheureusement très brève. Elle fut trouvée vers 1845 ou 1846, à Nancy, bouchant la fenêtre d'un grenier, couverte de poussière, par le comte William de Noé, chef d'escadron au 1er hussards, oncle de notre confrère.

Très amateur de dessin et de peinture, il sauva le tableau et le mit dans ses collections. Il était le frère de Cham (Amédée de Noé), le célèbre caricaturiste.

Voilà tout ce que l'on sait de la Joconde de l'Isle-de-Noé.

A la différence de l'original dérobé qui est peint sur bois, elle est faite sur toile. Sa hauteur est de 0,79 C. et sa largeur de 0,52 c.

Nous ne sommes pas assez connaisseur pour apprécier convenablement le tableau. Cependant nous avons pu remarquer que le fond de l'oeuvre est moins net que dans l'original; le cou serait aussi un peu raide, les mains un peu moins bien tracées; mais la figure, le « sourire » énigmatique se retrouve identique, et la Joconde de l'Isle-de-Noé vous regarde aussi ironiquement que pouvait le faire celle du Louvre.


Reproduction interdite.

Cliché CHAUVEI.ET.

LA JOCONDE DE L'ISLE-DE-NOÉ.



DEUXIÈME TRIMESTRE 1912. 183

On appréciera mieux ce chef-d'oeuvre en considérant la superbe photogravure que nous en donnons dans ce Bulletin. Et quelque connaisseur plus éclairé pourra peut-être nous dire si la Joconde de l'Isle-de-Noé est une copie ou une réplique de la Joconde du Louvre, question que nous n'avons pas osé résoudre.

NOTE.

Les « Tumuli » de Castelnau-Barbarens.

Au sud-ouest de Castelnau-Barbarens, entre les lieux dits au Minard et au Pesquè, à la base d'une croupe de montagne, se trouvent deux tumuli accolés l'un à l'autre.

D'après leurs formes, on peut affirmer que ce ne sont pas des mottes féodales. Leur situation dans la plaine exclut toute idée de défense. On ne trouve autour d'eux aucun glacis, aucun fossé. D'ailleurs deux mottes aussi rapprochées l'une de l'autre n'auraient pu que se gêner. Ce sont donc deux tumuli. Voici leur description sommaire :

Grand tumulus. — Il est de forme ovale. Le plus grand diamètre (orientation ouest-est) au sommet est de dix-neuf mètres, le plus petit de quinze mètres. La circonférence à la base est de cent quatre-vingts mètres. La hauteur au-dessus du sol environnant est de quatorze mètres environ. A la base nord de ce tumulus se trouve une source très abondante.

Il y a quelques années les propriétaires du terrain firent une tranchée au sommet, les fouilles ne donnèrent aucun résultat.

Petit tumulus. — Comme le grand il est de forme ovale orienté aussi d'ouest à est. Au sommet le plus grand diamètre est de dix-sept mètres, le plus petit de neuf mètres. La circonférence à la base est de cent quarante mètres et la hauteur de huit mètres.

Ces deux tumuli sont pour ainsi dire réunis. Cet accouplement se retrouve dans notre pays, en particulier à Caussens.

Il serait intéressant de pratiquer des fouilles dans ces monuments pour pénétrer le mystère qu'ils cachent dans leurs flancs.


184 .SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

DOCUMENTS RÉTROSPECTIFS D'ÉCONOMIE RURALE.

CRÉATION ET PROSPÉRITÉ DES FOIRES DE LAVARDENS (1596),

PAR M. L'ABBÉ S. DAUGÉ.

« Lavardens : Hero dous matulhs. » C'est ainsi que, dans sa liste des foires du Gers l' Armanac de la Gascougno catalogue la foire de Lavardens 1. Elle se tient, — peut-être vaudrait-il mieux dire : « elle se tenait », — le 17 novembre. Les semailles étant ordinairement finies à cette date, les cultivateurs ont mis au repos leurs outils destinés à écraser les mottes de terre, lous matulhs. De là, la qualification donnée à cette foire.

Si l'on consulte l'Armanac de la Gascougno plus ancien 2, on trouve que Lavardens a eu d'autres foires mobiles qui se tenaient les premiers lundis de janvier, février, mars, juillet, septembre et novembre, le deuxième lundi de mai, le troisième lundi d'août, qui ne sont plus annoncées dans les années plus récentes, ni dans l'Almanach des postes et télégraphes. D'autres almanachs populaires, particulièrement l'Almanach de Limoges, très répandu dans les campagnes du Gers, mentionnent encore ces foires mobiles de Lavardens. C'est à tort, car, de fait, ces foires ne se tiennent plus. Des marchés, même le simple souvenir s'est effacé.

Sous la domination des comtes d'Armagnac, Lavardens, siège d'un archiprêtré, était une des principales places de tout le pays; son château était regardé comme le plus fort de tout le Fezensac 3. Chef-lieu de district pendant la période révolutionnaire, chef-lieu de canton encore sous le premier empire, cette ville fut bientôt supplantée par Jegun, où fut transporté le siège de la justice de

1 Armanac de la Gascougno, 1908, 1909, 1910, 1911. Auch, impr. Cocharaux.

2 Cf. Armanac de la Gascougno, 1898, 1899, 1900.

3 « Le château de Lavardens (fortalicia sive caput castri) était déjà considéré au « milieu du XIIIe siècle (15 septembre 1254) comme une place forte très importante. » Ch. SAMARAN : Le Gers dans les « rôles gascons », Revue de Gascogne, nouvelle série 1, t. VII, p. 540, et tirage à part. Auch, imp. Centrale, 1907, p. 14.


DEUXIEME TRIMESTRE 1912. 185

paix. Au cours du XIXe siècle, Jegun a prospéré; Lavardens a plutôt décliné, gardant toutefois, avec son imposant-château construit par le premier maréchal de Roquelaure, son beau clocher du XVe siècle que le chancre dévore, ses tours en appareil moyen, ses ruelles étroites et tortueuses, le morne aspect, d'une grandeur éclipsée.

Avant ou au moins en 1596, « il avait plu au roi d'octroyer » des foires et marchés à cette ville, et elles durent y réussir car, le 16 juin de cette année, la communauté se proposait de bâtir une place de dix cannes de côté, avec seize piliers en pierre de taille et une maison au-dessus pour y traiter les affaires, ainsi qu'en témoigne le document suivant.

Nous ignorons si ce projet fut réellement exécuté. Peut-être les quelques modestes arcades qui soutiennent la maison commune actuelle au midi en sont-elles le résultat.

Syndicat des consuls de Lavardenx.

L'an mil cinq cens nonante six et le dimanche setziesme jour du mois de juin, heure de deulx apprès midy, dans la ville de Lavardenx, comté de Fezensac et seneschaucée d'Armaignac, présans les tesmoings bas nommés establys en leurs personnes Jehan Courtade, François Conquet, Pierre Gay, marchant, autre Pierre Gay filz a feu' autre Pierre, consulz 1, Arnault Vignaulx, Jehan Carrère, M0 Pierre Fisse, Guillaulme Bessaignet, Bertrand Fisse filz a feu Anthoyne, Andrieu Espiau, Jan Andriot, Jehan Courtade, Pierre Espiau, jureu ; Raymond Espiau Piché, Jehan Courtade, sirurgien, Jehan Courde, Bertrand Baychos, Jacques Niran, Jehan Magdalene, François Goaillard, Jehan Jazédé, Saixon Espiau, Raymond Espiau filz à feu lou Poutarrout, Pierre Serres, Jean Espiau Dulle, Jean Espiau Parrat, Guillaulme SainctLary, Pierre Lartigue, Pierre Espiau Mesgnebet, Guaychion Espiau, Jehan Gardère, Oddet Jazédé, Bernard Gay Cuge, Saixon Branet, Saixon Gellas, Guillaulme Serres, Fris Serres, Jehan Castéra, Guilhem Courtade, Bernard Jazédé, Janisson Espiau, Arnault Courtade, Jan Lane, François Courtade, faisant la plus grande et saine partie des jurés et habitants dud. Lavardenx, lesquels de leurs greds et volontés et tant pour eulx que les aultres habitants dud. Lavardenx absans ausquels sy besoing est, ont promis faire approuver le contenu aulx présantes, ont faict crié et institué pour leur syndic et procu1

procu1 l'usage, fondé sans doute sur la coutume locale, la communauté de Lavardens était administrée par quatre consuls en exercice.


186 SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

reur spécial et général sy que lespécialité ne desroge la généralité, ny au contraire scavoir est M0 Joseph Lane, nothaire royal du lieu de Rocquelaure, natif dicelluy Lavardenx, absant pour supplier la court souveraine du Parlement de Thoulouze vouloir permettre, ratifier et lever sur tous les manans et paye tailhans aud. Lavardenx la somme de cinq cens eseuts sol ou telle quil plairra à lade court, pour icelle estre employée à l'esdification et bastiment d'une plasse qu'il convient esdifier à icelluy Lavardenx pour l'entretiennemeut des foires et marchés qu'il a pleu au roy nous octroier estant de besoiug icelle plasse de dix cannes 1 de tout carrées, avec setze grands piliers de pierre tailhée et une maison sur icelle pour dans icelle traicter et négocier des affaires. Et pour obtenir lade supplication faire toutes réquisitions et autres choses qu'il conviendra comme lesd. constituans fairaient ou faire pourroient sy présans y estoient donnant puissance aud. Lane de fonder à lad. court tel ou telz advocats ou procureurs que bon luy semblera concernant icelle supplication prometant lesd. constituans avoir et tenir pour faict et agréable tout ce que led. La Lane scindic ou autres par luy fondés sera faict, dict, comprouver et les relepver et indempniser de tous dépans, domaiges et intéretz soubs hipothèque et obligation des biens commis dicelluy Lavardenx. Les ont soubmis aux forces et rigueurs de lade court et autres du présant royaulme de France ou la cognoissance en appartiendra. L'ont juré pour les autres non présan. Ainsin l'ont juré moienant serment pousant la main sur les quatre sainctz évangilles [de] Notre Seigneur Dieu et ont renoncé aulx renonciations à ce nécessaires. A ce presens les Pierre Moriscon de Mérenx, Jan La Marche, maçon de Cézan, Pierre La Mothe de Jegun, Arnault Barciet de Roquelaure et Arnault Canezin de La Saubetat en Gaure, habitants qui ne scavent escripre. Lesd. constituans et ceulx qui ont sceu escripre se sont signés et moy.

P. BIGNAUS, J. CONQUET, consul ; P. GAY, consul ; E. FISSE,

G. BESSAIGNET, J. FISSE, A. ESPIAU, D. NIRAN, notaire 2.

(Seules signatures ayant pu être lues.)

1 La canne est une mesure qui avait à Lavardens lm 80 de long. La place devait avoir, par conséquent, 18 mètres sur toutes ses faces.

2 Minutes D. Niran, notaire à Lavardens.


DEUXIÈME TRIMESTRE 1912. 187

FRAIS OCCASIONNÉS PAR LES ASSEMBLÉES Convoquées pour la nomimation fles Députés aux États généraux de 1789,

PAR M. RENÉ PAGEL.

La convocation et la réunion des assemblées pour nommer des députés aux États généraux n'alla pas sans entraîner de nombreux frais, tels qu'imprimés, journées de députés, ameublement et entretien des lieux d'assemblées, etc.

M. de Boucheporn, intendant de la généralité d'Auch, ne sachant sur quels fonds les payer, s'adressa à Necker, son ministre, pour obtenir des éclaircissements à ce sujet. Celui-ci lui répondit, le 18 avril 1789 1, qu'un règlement ultérieur déterminerait pour tout le royaume la manière de les acquitter.

Ce règlement parut le 30 mai 1789, qui disait entre autres choses que les frais d'impression et de publication seraient acquittés sur les revenus du domaine; ceux d'ameublement des locaux d'assemblées seraient pris sur les deniers communs des villes lieux de réunion; enfin les taxes des journées de députés, après avoir été régularisées et réduites, seraient remboursées au marc la livre des impositions roturières.

Evidemment ces divers remboursements n'allaient pas sans soulever des protestations et des réclamations qui nécessitaient une abondante correspondance entre l'intendant d'Auch et le pouvoir central.

Finalement tout fut acquitté et nous allons nous occuper seulement du détail des divers frais occasionnés dans les diverses sénéchaussées qui étaient comprises dans la généralité d'Auch. Nous signalerons principalement les faits intéressants rencontrés dans les états de frais présentés à l'occasion des réunions de députés.

SÉNÉCHAUSSÉE D'AUCH.

Pour la sénéchaussée d'Auch, la réunion eut lieu dans l'église du couvent des Cordeliers. Pour transporter des chaises prises

1 Archives du Gers, C 18.


188 SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

aux églises Sainte-Marie et Saint-Orens on se servit de cavaliers du régiment de Royal-Navarre et on les gratifia de 18 livres. Des sièges furent empruntés aux Pénitents bleus. Leur transport et leur rangement deux fois par jour, pendant dix jours, clans l'église des Cordeliers, coûta 20 1. 10 s.

On emprunta aussi deux grandes tables à l'hôtel de ville 1.

Le service d'ordre du 22 mars au 3 avril coûta 273 livres que réclamaient les huissiers au sénéchal. Divers mémoires furent enfin présentés pour réparations aux chaises empruntées pour les réunions.

Mais où certainement surgirent le plus de difficultés ce fut dans le paiement de l'indemnité de déplacement aux députés par leurs communautés respectives. Certains, généreux, renoncèrent à toute indemnité. Ce furent les plus rares. Citons quelques noms: Buzet, de Cassaigne; Terrade, de Lagraulas; Dralet, de Marsan; Barailhé, de Saint-Sauvy; Bonnemaison, de Lussan; Nassans, de Masseube, etc.

D'autres consentirent, de gré ou de force, à voir leur taxe réduite d'un ou deux tiers,

La plupart réclamèrent la taxe entière.

L'affaire ne dut pas marcher toute seule, car dans la sénéchaussée d'Auch diverses réclamations se produisirent, entre autres celles des députés de Jegun : Daubas, ancien avocat du roi au sénéchal d'Auch; Mautreyt, procureur au même siège; Druilhet et Lasmezas, avocats au Parlement. La communauté de Jegun avait refusé de s'imposer peur les couvrir de leurs frais 2.

Mêmes difficultés à Camous, Mazères, Castelnau-d'Arbieu, Auterrive, etc.

Les frais totaux d'installation pour la sénéchaussée d'Auch s'élevèrent à 460 1. 5 s.

On ne possède pas l'état complet des indemnités payées aux députés de cette sénéchaussée. Mais on peut les évaluer approximativement à 30.000 livres.

1 Etat des frais faits par les huissiers audienciers au sénéchal, O 18.

2 Ldem.


DEUXIÈME TRIMESTRE 1912. 189

SENECHAUSSEES DE LECTOURE ET DE L ISLE-JOURDAIN.

Les frais occasionnés par les assemblées peuvent se résumer ainsi pour Lectoure :

Chapitre 1er. — Impression, publication et port des lettres de convocation . . . 405 1. 18 s.

Chapitre 2e. — Location des chaises « dans l'église des Carmes » pour l'assemblée du tiers-état et à la cathédrale pour l'assemblée des trois ordres 24 1.

Chapitre 3e. — Taxe des frais de voyage et de séjour des députés 23.474 1.

Pour la sénéchaussée de l'Isle-Jourdain voici quelques chiffres :

Impression et publication des lettres 40 1. 4 s.

Salle rien.

Taxe des députés 2.019 1. 2.

Il ne semble pas y avoir eu de difficultés pour l'acquittement de ces frais.

Citons le nom du seul député qui a renoncé à la taxe : Laclaverie, de La Chapelle, plus tard député à la Constituante.

SÉNÉCHAUSSÉE DE CONDOM.

Les frais d'impression, de publication et de port des convocations 184 1.

L'installation des assemblées au couvent des Cordeliers coûta. . 1201.

La taxe des députés monta à 3.904 1.

Quelques députés renoncèrent à la taxe : Gaichies, conseiller au présidial; Duffau, avocat; Palanque-Béraut, procureur du roi; Jérôme de Laboupilhère, avocat, de Condom ; de Cailhous, lieutenant au sénéchal; Robert de Rizon, de Larressingle; de Père, Dubarry-Laprade, de Brescon, Berges, de Mezin.

Bernard Dupouy, imprimeur de la ville de Condom, se plaignit plus tard aux administrateurs du département du Gers de

1 Arch. du Gers, C 18.


190 SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

ne pas avoir été payé des frais d'impression pour la convocation aux assemblées 1.

SÉNÉCHAUSSÉES DE C0MMINGES ET DE NÉBOUZAN.

Nous ne possédons pour ces sénéchaussées que très peu de documents qui ne nous permettent pas d'établir exactement les frais exposés.

PAYS ET JUGERIE DE RIVIÈRE-VERDUN, GAURE, BARONNIE DE LÉONNAC

ET DE MARESTAING.

Le dossier concernant ces pays contient les procès-verbaux d'élection des députés aux assemblées préparatoires du SaintPuy 2.

Après l'assemblée ces députés 3 exposèrent à leurs commettants qu'ils avaient à cette occasion exposé certains frais dont ils demandaient le remboursement. L'assemblée communale leur alloua 119 1. 14 s. d'abord et le 10 m'ai 1789, 217 1. 12 s.

Ces fonds ne durent pas leur être remis de sitôt, car ils les réclamaient encore l'année suivante.

SÉNÉCHAUSSÉE DE TOULOUSE.

Bien que la partie de la sénéchaussée de Toulouse comprise dans la généralité d'Auch fût peu importante, elle dut contribuer pour la somme de 396 1. aux fournitures faites à l'assemblée de sénéchaussée. Les Hautes-Pyrénées, l'Ariège et la HauteGaronne fournirent aussi leur quote-part 4.

Le 3 décembre 1792, les administrateurs du département du Gers écrivaient à leurs collèges de la Haute-Garonne pour leur donner les raisons d'ordre administratif qui leur faisaient refuser de payer la contribution à l'assemblée de 396 1.

Ces frais, d'installation principalement, avaient été assez considérables et étaient montés à la somme de 5.556 1. occasion1

occasion1 d. Arch. du Gers, C 18.

2 15 mars 1789.

3 Soubdès, Dubarry, avocats au Parlement, de Malaubère et Somabère, notaire. P. V. du 13 avril 1789.

4 18 août 1792, C 18,


DEUXIÈME TRIMESTRE 1912. 191

nés surtout par des fournitures de luminaire, des réparations à la Dalbade et à la salle des Illustres, des fournitures de chaises, de tapisseries, de lustres, etc. '.

Telles sont, en résumé, les quelques notes que nous avons cru utile de donner au sujet des assemblées préparatoires dont les élus directs allaient assister, soit comme témoins, soit comme acteurs, à la crise nationale de la Révolution.

BIBLIOGRAPHIE.

La Gerbe d'or, par Ludovic LOUBON (Paris, Alphonse Lemerre, 1910, in-12, 105 pp.)

Je m'étonne de voir en nos temps prosaïques abonder les poètes. Trop souvent les meilleurs sont étouffés dans la foule. Et l'on sait la profonde indifférence du plus grand nombre des gens pour la poésie. On le sait, mais qu'importe ! c'est si beau, les beaux vers ! Quelle joie quand une belle pensée, un sentiment exquis se sont rendus maîtres de la rime.

Fille d'Antée, Je t'aidomptée ! Sous ma dictée, Souple et chantant, Mon beau vers sonne, Et je frisonne, Pensant : Personne N'en fit autant !

Cependant le poète comprend la difficulté de se faire entendre au milieu du monde affairé qui l'environne :

Poète si les sons trop faibles de ta lyre Se perdent dans les bruits confus de l'univers, Chante, chante toujours ! Peut-être que tes vers Feront naître une larme et fleurir un sourire !

Le poète qui a fait ces vers est un de nos compatriotes. M. Loubon est de Gaujac (canton de Lombez) et de bonne famille, car il a dans ses ancêtres des gens d'épée et des gens de robe. Il a chanté la maison familiale bâtie et

1 C 18.


192 SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

les arbres plantés par son grand-père, le cimetière où reposent les aïeux et des souvenirs d'enfance dans les Marchandes d'oubliés et le Cheval mécanique. Plus tard, officier, il monta de vrais chevaux.

Les uns, ployant leur encolure, En haute école étaient dressés ; Par-dessus talus et fossés Les autres, à fougueuse allure, L'oreille au vent, la flamme aux yeux Lorsque sur un terrain plus large Les trompettes sonnaient la charge, Bondissaient hardis et joyeux.

Sa destinée le conduisit en Normandie dont il nous a peint les paysages.

Sous les pommiers fleuris aux branches enlacées, Viens goûter la fraîcheur de ces vallons herbeux, Où- les yeux demi-clos, pleins d'obscures pensées Le soir paisiblement ruminent les grands boeufs.

Dans le rude hiver, le poète nous montre,

Sur les prés blancs de gel, les pommiers dont les branches Craquent sous les glaçons du givre cristallin

Et dès qu'un trait de feu fait scintiller le gel Les branches des pommiers, toutes poudérisées, Sont de lilas, de mauve et de rose irrisées.

Il faudrait beaucoup de citations pour donner une idée de la variété des sujets et des rythmes. Je vois dans ce volume des sonnets sur les hommes et les choses de la Rome antique dignes de Hérédia, et tout à côté les plus gracieuses idylles. On sent partout la main d'un habile ouvrier. Mais je voudrais surtout mettre en relief l'élévation de la pensée et du sentiment.

Voici un sonnet évidemment inspiré par un paysage pyrénéen.

Le torrent coule au fond d'une gorge sauvage Dont les flancs, tapissés de bruyère et de thym, Se couronnent de rocs. L'aigle et le bouquetin Perchent seuls au sommet de cet ultime étage.

Malgré le bruit de l'eau grondant comme l'orage, Le grêle carillon d'un grelot argentin Nous signale un troupeau paissant, dans le lointain, Sur les monts sourcilleux, un maigre pâturage.

Si vous levez les yeux, après avoir scruté Les ravins et les pics dont il s'est abrité, Vous découvrez enfin le groupe minuscule ;

Il paraît si petit, sur ce rocher géant,

Que l'oeil surpris compare et que l'esprit calcule

Combien l'homme est infime et voisin du néant.


DEUXIÈME TRIMESTRE 1912. 193

Plus loin je le trouve tourmenté par la pensée de l' au-delà. Le nautonnier sait vers quel but invisible il dirige sa barque; les bandes d'oiseaux émigrent vers des pays hospitaliers qu'ils ne voient pas.

Et moi, voyageur inquiet Que ballotte une mer sauvage, Sais-je ou je vais, et ce qui est Au terme d'un si long voyage.

Le poète a fini son voyage ici-bas. Dès que je l'ai connu, je me suis fait un devoir de le signaler pour qu'on lui donne la place qu'il mérite parmi nos meilleurs artistes de la parole. Pour honorer sa mémoire, je souhaite que dans l'une des séances littéraires qui suivent nos banquets annuels, un de nos bons diseurs nous fasse entendre l'une de ses principales poésies. Je recommande la Légende du pays Gascon, si musicale et si touchante.

A. L.

La légende dorée en Caladez. La bienheureuse Bonne d'Armagnac (1434-1462), par M. le comte de DIENNE [Aurillac, impr. E. Bancharel, 1910, in-8°, 56 pp., une planche et un tableau généalogique].

J'ai eu l'honneur d'entretenir la Société Archéologique du bel ouvrage de M. de Dienne intitulé : Étude historique sur la vicomte de Cariai, et j'ai tâché de faire ressortir son importance dans l'histoire de la maison d'Armagnac {Bulletin, 1904, p. 310). Notre président vous a parlé de deux ouvrages plus récents du même auteur : Deux Carladèsiens célèbres au XVIIIe siècle (l'un d'eux est Alexandre-César d'Anteroche, dernier évêque de Condom), et Le maître Guillaume de Cariât dans la tentative d'envoûtement de Bernard VII d'Armagnac. Je veux vous faire connaître un autre écrit dans lequel M. de Dienne nous raconte la vie d'un des plus sympathiques personnages de la famille de nos comtes : La bienheureuse Bonne d' Armagnac. Cette pieuse Franciscaine fait un heureux contraste au milieu des défaillances inconcevables et des crimes qui déshonorent l'illustre maison d'Armagnac, et aussi des calamités inouies qui l'anéantirent à jamais.

Pour venger un manquement grave à une parole donnée, Bernard VII le Connétable se saisit de son cousin Géraud, comte de Pardiac, et de ses deux fils, et les fit périr de la mort la plus barbare. Mais à son tour Bernard VII fut assassiné et son corps jeté à la voirie. Jean V, son petit-fils, amant de sa propre soeur, pris à Lectoure par l'armée royale, fut assassiné à son tour.


194 SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

Charles, dernier comte d'Armagnac, emprisonné, exploité par son curateur, se comporta comme un insensé et mourut sans enfant légitime.

Bernard, comte de Pardiac, second fils de Bernard VII, fut, dit-on, de grande « vaillance et prud' homie ». Il eut Jacques, duc de Nemours, Jean, évêque de Castres, et deux filles religieuses.

Jacques, après avoir été le favori de Louis XI, prit parti contre son roi. Pendant un an il fut enfermé dans une cage de fer, puis décapité sur la place de Grève. Jean de Nemours, l'aîné de ses fils, privé d'intelligence, mourut trompé par sa femme et pillé par le complice de celle-ci. Louis, l'autre fils, vice-roi de Naples, accusé par les seigneurs français de trop de temporisation, se jeta comme un fou au milieu de la bataille de Oerignolles, où il trouve la mort. Les trois soeurs de ces princes : la duchesse de Bourbon, la maréchale de Gié et la femme de Charles de Rohan moururent toutes « en gésine », comme si la Providence, ayant pris en horreur le sang d'Armagnac, eût voulu en tarir la source 1.

Ainsi finit cette héroïque liguée dont la destinée fatale, a dit Bladé, égale en horreur ce que la légende thébaine raconte de la famille de Laïus '\

Cependant Bernard, comte de Pardiac, second fils du connétable Bernard VII, ne ressemblait en rien à ses neveux Jean V.et Charles, derniers comtes d'Armagnac. Jean Chastelain, dans sa Chronique, vante sa piété, en même temps que sa chevaleresque valeur 3.

Il se maria avec Éléonore de Bourbon. Désolés de n'avoir pas d'enfants, les nobles époux virent sainte Colette, la célèbre réformatrice des trois ordres de saint François, et lui firent part de leur chagrin. La sainte religieuse leur annonça oe qu'ils auraient deux fils, mais à la condition que la première fille devant venir au monde... serait consacrée à Dieu. Ils promirent 4 ». Et la prédiction de sainte Colette se réalisa.

Bonne, l'aînée des filles, naquit vers 1434, au château de Cariât, sorte de nid d'aigle sur un rocher aux escarpements verticaux de quarante mètres, audessus de pentes raides qui descendent à une profondeur moyenne de deux à trois cents mètres 5.

« Quand elle fat en âge, son père se décida à lui exposer les circonstances « dans lesquelles Éléonore de Bourbon et lui avaient, devant sainte Colette, « pris les engagements auxquels il lui fallait souscrire ; mais il trouva sa « fille... absolument opposée à quitter le monde.

1 Le maître Guillaume de Cariât, pp. 49 et 50.

2 Rev. de Gasc, I, p. 72.

3 La bienlieureuse Bonne d'Armagnac, p. 24.

4 Idem, p. 17.

5 Idem, p. 18.


DEUXIÈME TRIMESTRE 1912. 195

« Alors Catherine d'Armagnac, soeur cadette de Bonne..., déclara qu'elle « paierait la dette contractée par ses parents, et alla de suite s'enfermer... au « monastère des Clarisses d'Amiens...

« Cette action généreuse semble avoir ému profondément Bonne. Elle « dissimula cependant, se revêtit d'élégantes toilettes, prit part à toutes les « fêtes et à tous les divertissements qui lui furent offerts '.

Bile eut de grands succès dans le monde, car il fut question de la marier avec le dauphin, le futur Louis XI 2.

a Mais un jour, assistant à la messe, elle entendit une voix forte qui lui « dit : « Bonne, si tu n'es pas religieuse, tu seras bien punie ». C'était au « moment de l'élévation... Regardant du côté de l'autel, elle vit Jésus-Christ « de grandeur naturelle et le corps couvert de plaies sanglantes... La messe « finie... un ange avait remplacé le Sauveur et lui présenta trois couronnes « d'or, sur chacune desquelles était gravé un de ces mots : Pauvreté, Chasteté, « Martyre 3. »

Bénie par son père et par sa mère, elle se fit conduire au monastère des Clarisses de Lézignan, où elle fit des miracles, car les vies des saints sont toujours merveilleuses.

A ses derniers moments elle aurait été, comme saint François d'Assises, favorisée, encore une fois, de l'apparition du Christ ensanglanté ; et. comme saint Antoine de Padoue, elle aurait tenu l'Enfant Jésus entre ses mains.

Elle mourut le 3 janvier 1460.

Les crimes de la maison d'Armagnac demandaient l'expiation. Combien l'expiation volontaire et modeste par les austérités du cloître est plus belle et plus méritoire que la mort violente que donne l'assassin ou le bourreau !

Après avoir achevé l'ouvrage de M. de Dienne, je me suis rappelé cette pensée de La Bruyère : « Quand une lecture vous élève l'esprit et qu'elle vous « inspire des sentiments nobles... ne cherchez pas une autre règle pour juger « de l'ouvrage : il est bon et fait de main d'ouvrier ». A la sûreté des informations historiques M. de Dienne joint, en effet, le charme du style et la noblesse des sentiments religieux.

En tête de sa brochure, l'auteur donne une photogravure représentant le buste reliquaire de la bienheureuse, et il le termine par un tableau généalogique indiquant sa parenté avec les maisons de France, d'Orléans, d'Armagnac, d'Anjou et de Bourgogne. J'extrais de ce tableau ce qui concerne les d'Armagnac.

1 La bierilieureuse Bonne d'Armagnac, p. 25.

2 Idem, p. 26.

3 Idem, p. 28.


t—

BERNARD VII, comte d'Armagnac, connétable de France, époux de Bonne de Berry, veuve d'Amédée VII, comte de Savoie (1393).

(1) M. de Dienne donne à tort pour mère an cardinal d'Armagnac Yolande de La Haye, suivant l'Histoire généalogique des grands officiers de la couronne. Cette erreur a été réfutée par Mgr de Carsalade du Pont (Soirées archéologiques, 1893, p. 53, et Revue de Gascogne, XXXIV, 1893, p. 447).


CHRONIQUE.

SÉANCE DU ler AVRIL 1912.

PRESIDENCE DE M. PHILIPPE LAUZUN, PRESIDENT.

Sont admis à faire partie de la Société :

M. DESTIT, juge au Tribunal civil, à Auch, présenté par MM. Lestrade, avoué, et R. Pagel ;

M. CANTAU, négociant à Simone, présenté par MM. SaintMartin et Despaux;

Mlle Noélie SERRES, à Auch, présentée par Mme Luscan et M. Despaux.

M. LAUZUN se fait l'interprète de la Société pour exprimer les regrets unanimes causés par la mort de M. Adrien Planté, président de la Société félibréenne l'Escole Gastou-Febus, auteur de nombreux ouvrages historiques et archéologiques. C'est une grande perte pour les Sociétés savantes du Sud-Ouest.

M. BAQUÉ étudie l'origine de la ville de Vic-Fezensac. Là se trouvait d'abord une station de la route de Toulouse à Bordeaux par Auch et Eauze, et qui portait le nom de « Besino ». Cette station, détruite par les invasions barbares, fut plus tard remplacée par une nouvelle agglomération. C'était sans doute le castrum Fidentiacum mentionné dans les chartes et qui a donné son nom au pays de Fezensac. A côté, autour de l'église SaintPierre, se forma un autre noyau distinct qui prit le nom de Vicus, Vie. C'est la réunion du castrum, et du viens qui a formé la ville actuelle.

13


198 SOCIETE ABCHÉ0L0GIQUE DU GERS.

M. MÉTIVIER communique un beau dessin de la mosaïque récemment découverte, à Auch, route de Pessan, dans le jardin de M. Dumont. Il décrit le dessin de la mosaïque, qui devait orner la villa de quelque riche famille gallo-romaine. Il fait des voeux pour que ce monument antique soit conservé.

M. PAGEL lit une étude sur la « Joconde » du château de l'Isle-de-Noé. Ce tableau peint sur toile fut découvert et acheté à Nancy, vers 1845, par un oncle de M. le comte de Noé. Des photographies prises et communiquées par M. Chauvelet montrent la valeur du tableau, qui rappelle absolument le chefd'oeuvre dont on déplore la disparition.

M. DESPAUX parle des fouilles sous-marines de Mahdia (Tunisie), qui ont vivement intéressé l'auditoire. Si M. Despaux a pu retracer la genèse de ces découvertes extraordinaires qui ont ému le monde savant, c'est grâce aux communications que M. le docteur Marini lui a adressées pour en faire part aux membres de la Société, aux conférences publiées et aux travaux si bien décrits par MM. Merlin, commandant Hannezo et L. Poinssot. C'est ainsi que nous avons pu, à l'aide des superbes héliogravures qui ornaient ces savantes descriptions, juger de la beauté de ces statues de bronze qu'aucune revue n'avait encore publiées d'une manière aussi vraie, aussi élégante et aussi complète. Le narrateur n'a pas oublié les dangers et les fatigues de ces hommes qui, à cinq kilomètres au large et à quarante mètres de profondeur, vont arracher à la mer ces trésors de l'art grec, enfouis depuis plus de deux mille ans, qui font aujourd'hui l'ornement du musée du Bardo à Tunis. Bien que notre Société soit avant tout une société régionale, elle ne saurait se désintéresser des merveilles mises au jour dans ce prolongement de la patrie qu'est la Tunisie.

De chaleureux remerciements sont adressés à M. le docteur Marini, devenu par son alliance notre compatriote, et nous avons l'espoir que, lorsque d'autres richesses artistiques seront découvertes, il voudra bien, selon sa promesse, nous en faire part.


DEUXIÈME TRIMESTRE 1912. 199

M. Despaux soumet ensuite à l'assemblée un album dont les planches en couleur représentent des terres cuites funèbres de l'époque grecque, grandeur nature, qui ont pu servir de terme de comparaison avec les statues de Mahdia.

M. LAVERGNE entretient la société de l'ouvrage de M. le comte de Dienne : La bien heureuse Bonne d' Armagnac, et met en relief les crimes qui déshonorèrent la maison de nos comtes d'Armagnac depuis Bernard VII le connétable, et aussi les calamités qui l'accablèrent jusqu'à la mort de Louis de Nemours, tué à la bataille de Cerignoles, au début du seizième siècle.

Mais à cette famille appartient une sainte religieuse, Bonne d'Armagnac, petite-fille de Bernard VIL Sa vie merveilleuse, comme celle de tous les saints, est racontée par M. de Dienne avec une grande sûreté d'information et un grand charme de style.


SÉANCE DU 6 MAI 1912.

PRESIDENCE DE M. PHILIPPE LAUZUN, PRESIDENT.

Sont admis à faire partie de la Société :

M. le général RAVENEZ, commandant la 68e brigade, à Auch, présenté par MM. Ph. Lauzun et G. Pujos;

M. de JAURGAIN, à Cibourre (Basses-Pyrénées), présenté par MM. Lauzun et Branet;

M. Louis MONTOTJSSÉ-DULION, 27, rue de la Dalbade, Toulouse, présenté par MM. Grabias-Bagnéris et Branet;

M. Adrien SEILLAN, propriétaire, à Auch, présenté par MM. Branet et Despaux;

M. l'abbé PEYRECAVE, curé de Lialores, par Condom, présenté par M. l'abbé Daugé et M. Despaux.

M. LAUZUN dépose sur le bureau l'ouvrage de M. de Jaurgain, La Maison de Caumont La Force, offert par l'auteur à la Société. Il en sera rendu compte.

M. BRÉGAIL lit la première partie de l'étude qu'il a faite avec M. Barada, sur la carrière du général Laroche du Bouscat, né à Lialores, près Condom. Engagé encore très jeune dans la légion de Nassau, il fut blessé à Jersey (1779). L'année suivante, il entra dans la légion du Luxembourg qui passa au service de la Hollande. Ce corps fut embarqué pour l'Inde, où il arriva après un séjour au Cap. Il servit dans l'Inde et à Ceylan; mais là, des difficultés s'élevèrent avec le gouverneur de Graf qui, d'accord avec le lieutenant-colonel Raymond, fit arrêter, en 1785, le colonel de la légion et trois officiers dont Laroche qui remplissait


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les fonctions de major. Après un procès sur les lieux, ces quatre personnages furent transférés à Batavia où siégeait un tribunal supérieur. Là, après vingt-six mois de captivité, ils furent reconnus innocents et mis en liberté. Ils rentrèrent en France en 1788 et passèrent aussitôt en Hollande pour réclamer une indemnité, mais ne purent rien obtenir.

M. BOMPEIX lit, un travail sur les mesures prises à la fin du XVIIIe siècle dans notre province pour combattre la dépopulation dont les effets se faisaient déjà sentir. En 1770, une sage-femme, Mme Ducoudray, vint en mission à Auch, où elle ouvrit un cours gratuit et public dont les frais étaient supportés par la municipalité. Plus tard, en 1783, un autre cours d'accouchement fut organisé. Ce cours, professé par M. Benoît, durait quatre mois par an et était complet en deux ans. Le nombre des-élèves était de trente, ensuite réduit à vingt. Des prix en argent furent créés pour les meilleures élèves. Le tout fonctionnait au moyen des fonds fournis par la capitation. A la même époque, un accoucheur de Gimont, Daurignac, demanda à ouvrir un cours dans cette ville, mais l'autorisation lui fut refusée.

M. BRANET lit deux extraits du Journal du Gers de 1820, où est signalé le don fait par le roi Louis XVIII à la ville d'Auch de la statue du général Espagne. Or, la statue qui s'élève en face de la Préfecture porte la date 1842. Comment ces deux dates peuvent-elles s'expliquer ?

Un livre de M. Robinet de Cléry, Les deux Fusions, nous donne la solution de ce problème. La statue donnée par Louis XVIII, d'abord destinée à prendre place sur le pont de la Concorde, à Paris, était du sculpteur Callamard; elle resta déposée aux Invalides où Louis-Philippe la trouva et la fit transporter à Versailles, pour orner la cour du château. Mais le personnage parut de trop peu d'importance. On décida de transformer le monument en statue du maréchal Lannes. Des modifications furent apportées à l'uniforme, et la tête coupée fut remplacée par celle de Lannes. La famille du général Espagne ayant


202 SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

protesté, une autre statue fut commandée à Oudiné. C'est celle qui a été donnée à la ville d'Auch, en 1887, et érigée sur une de nos places.

M. BAQUÉ communique la suite de son étude sur 1' Origine et le développement de Vic-Fezensac. Du xme au xive siècle, la ville s'accrut de trois quartiers suburbains qui se fortifièrent : le Barry, le quartier de l'Hôpital et celui de la Porte-Dessus. A la même époque s'était constitué le quartier des Capots où étaient relégués les lépreux et leurs familles. En 1426 fut commencée la construction de la halle démolie en 1866. Les guerres de religion ne favorisèrent pas le développement de la ville. De 1569 à 1589, Vie subit neuf sièges. C'est dire dans quel état devaient être les fortifications. Louis XIII en ordonna le démantèlement. Ses ordres ne furent pas exécutés, mais le temps et les déprédations des voisins achevèrent ce que n'avait pas accompli la pioche des démolisseurs.

M. LAVERGNE rend compte d'un travail de M. Samaran sur d'Artagnan, où il a essayé de séparer la légende de l'histoire.


SÉANCE DU 3 JUIN 1912.

PRESIDENCE DE M. PHILIPPE LAUZUN, PRESIDENT.

Sont admis à faire partie de la Société :

M. Etienne LAPEYRE, propriétaire à Castets (Landes), présenté par MM. Lagleize et Despaux;

M. Louis MASSOC, négociant à Fleurance, présenté par MM. Lagleize et Despaux.

Le XIVe Congrès international d'Anthropologie et d'Archéologie préhistorique aura lieu cette année à Genève, du 9 au 15 septembre 1912.

M. de LARY communique la première partie d'une étude sur les dissentiments survenus au XVIe siècle entre les familles de Lary-Latour et de Monlezun. Françoise de Bezolles, veuve de Bernard de Lary, un des compagnons du duc François de Guise, tué à Dreux, dont elle avait cinq enfants, épousa Jean de Monlezun, seigneur de Baratnau, sénéchal d'Armagnac, et c'est à la suite de ce mariage que commença la querelle entre les deux familles, querelle qui fera l'objet de la deuxième partie de cette étude.

M. BRÉGAIL continue la lecture de son travail sur le général Laroche du Bouscat. Ayant quitté le service de la Hollande, celui-ci s'occupa de la levée des volontaires du Gers (1792). Il servit ensuite dans l'année des Pyrénées-Occidentales en défendant les cols des Pyrénées, puis en commandant la place de Bayonne. Destitué et arrêté, le 9 thermidor le fit rentrer dans la


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même armée sous les ordres du général Moncey. Il prit brillamment part à l'affaire de Vergara, en Espagne. Par une sorte de fatalité il fut destitué en 1795. Toutefois, en 1796, il fut remis en activité par le Directoire et envoyé à l'armée de Rhin-et-Moselle.

M. LAMAZOUADE donne lecture de quelques notes historiques sur la commune de Monclar. Il étudie la manière d'y recouvrer les impôts aux XVIe et XVIIe siècles. Puis il fait l'historique succinct des divers seigneurs depuis les origines : les Lasséran, les Marrens, etc.

M. PAGEL communique à la Société le résultat de ses recherches sur les frais occasionnés par les assemblées préparatoires aux Etats généraux. Ces frais, supportés par le Domaine et par les Communautés, se divisent en trois espèces : 1° impression, publication et port des lettres de convocation; 2° entretien et ameublement des locaux de réunion des députés; 3° taxes octroyées aux mêmes députés pour frais de voyage et de séjour.

Ces frais, assez peu élevés pour les deux premiers chapitres, devenaient considérables pour le troisième. Ainsi rien que pour ies députés de la sénéchaussée d'Auch ils s'élevèrent à plus de 30,000 livres; pour la sénéchaussée de Lectoure, à 23.474 livres, etc. Quelques rares députés renoncèrent à la taxe; à certains on la réduisit d'un ou deux tiers, mais la plupart touchèrent taxe entière. En ce qui concerne les députés de la généralité de Toulouse, qui votaient à Toulouse, la quote-part des frais s'éleva à 396 livres, qu'en 1792 les administrateurs du département du Gers refusèrent énergiquement d'acquitter.

M. LAVERGNE rend compte de divers ouvrages : de M. Samaran, une Lettre inédite de Louis XI; de M. Loubon, la Gerbe d'Or; de M. Clergeac, Chronologie des archevêques, évêques et abbés de la province d'Auch; la Curie et les Bénéfices consistoriaux.

Le G-èrant : Léonce COCHABAUX.


COMMUNICATIONS.

LATOUR ET LE BARATNAU.

Rivalité de deux maisons de Gascogne

Au XVIe et au XVIIe siècle, PAR M. LE VICOMTE E. DE LARY DE LATOUR.

Dans son paisible vallon, dominant sa longue prairie que borde un grand bois, étalant au soleil ses terrasses, Latour ' est de nos jours une demeure riante et hospitalière; mais ses tours, ses restes de grands fossés, ses épaisses murailles parlent encore d'un passé guerrier, d'alertes, de luttes que notre époque ne connaît plus. Autour de toute vieille demeure flotte comme un parfum de mystère, le mystère des histoires, des légendes d'autrefois; on y devine l'écho voilé des rires et des larmes du passé. Que de voix rieuses d'enfants ont résonné dans ces murs ! Que de minois mutins de fillettes vêtues à la mode de jadis ont apparu à ces fenêtres ! Qui sait leurs noms ? Qui sait les douces chansons que l'amour a chantées ici ? Qui sait les pages sombres que la mort est venue y inscrire ? Dans bien des vieilles maisons ces questions restent sans réponse. La Révolution a dispersé les archives que les protestants déjà avaient saccagées. Latour a été plus heureux, et dans une chambre voûtée de son donjon se trouve encore une armoire pleine de haut en bas de parchemins et de vieux papiers. C'est là comme le génie du château; un

1 Canton de Fleurance (Gers). Dans plusieurs vieux textes on trouve « La Tour », en deux mots, mais c'est là une manière d'écrire erronée, et le chef de famille a toujours signé « Latour » en un seul mot.

U


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génie qui a inscrit, pour les empêcher de disparaître à jamais, les noms de ceux qui ont habité ces murs et qui tous ont vu dans l'état où elle est toujours cette vieille salle aux très vieilles peintures. Ces vieux feuillets aux étranges écritures nous ont conté de bien captivantes histoires. Il en est une que nous voudrions aujourd'hui répéter après eux sans y rien ajouter et sans y rien retrancher, s'il est possible, de la naïve grâce des vieux récits.

Nous sommes en 1563, dans les premiers jours de février. Charles IX est roi de France et la guerre civile se promène sur son royaume. Latour est dans la tristesse et le deuil. Son seigneur, Bernard de Lary, le brillant capitaine qui guerroyait là-bas, ce en France », vient de mourir au loin. Une lettre d'un de ses fidèles compagnons d'armes, le seigneur de Mons, vient d'apporter la triste nouvelle à Françoise de Bezolles, dame de Latour, la femme, la veuve à présent, du capitaine. ce Madamoy«'selle », lui dit-il, ce je suis marry de vous envoyer une si ce piteuse nouvelle que de la mort de feu Mons 1' de la Tour duquel "j'espérois honneur beaucoup, vous prian aultan affectueusece .ment que je puys y avoir pacience et vous reconforter en « l'honneur qu'il a receu de mourir en ung si honnorable lieu que ce en la p[rese]nce de plusieurs princes desquels a este aultan ce regrete que gentilhomme de ceste armée... Et sur ce prie Dieu, ce Madlle, vous donne heureuse longue vie.

ce De Bloys, ce XXIXme janvier 1562 2.

ce Votre humble et obéissant à jamais vous faire servise.

ce MONS. »

Françoise de Bezolles, dans sa douleur, dut revivre en pensée les dix années dé vie heureuse passées à Latour : dix ans de bonheur sont vite écoulés !

C'est en 1552, il y a près de onze ans déjà, qu'elle est devenue dame de Latour. Françoise de Bezolles n'a pas eu à se dépayser pour venir ici; elle n'a pas eu à suivre au loin un mari inconnula veille. Crastes, où elle est née, est tout près dans les Coteaux,

. 'Le terme de « France » désignait alors plus spécialement les pays situés au nord de la Loire.

8 En réalité 1563; l'année commençait alors à Pâques.


TROISIÈME TRIMESTRE 1912. 207

et dès son enfance Françoise de Bezolles connaissait celui qui devenait son époux car, orphelins de bonne heure, Bernard de Lary et sa soeur Jeanne avaient eu précisément parmi leurs tuteurs Jean de Bezolles, seigneur de Crastes, père de Françoise' et bon ami du défunt seigneur de Latour. Bernard de Lary était alors un tout jeune homme et déjà c'était un hardi capitaine ayant fait maintes campagnes. Depuis lors, une grande partie de sa vie s'était aussi écoulée loin de Latour, toujours auprès du même vaillant chef, le duc François de Guise, dans ces vieilles bandes si renommées pour leur Valeur.

En 1556 le seigneur de Latour avait suivi Guise en Italie. Et Françoise de Bezolles se souvenait bien sûr de cette journée de la fin de décembre où, près de quitter pour longtemps (qui savait si ce ne serait pas pour toujours ?) sa jeune femme et ses trois enfants dont l'aîné avait trois ans à peine, Bernard de Lary avait réuni à Latour ses meilleurs amis; il avait écrit en leur présence ses dernières dispositions, pensant à chacun et à tout et n'oubliant ni les fidèles serviteurs, ni les hôpitaux, ni les lépreux. Puis à tous il avait fait ses adieux et il était parti emportant dans son coeur comme un trésor l'image de cette maison et de tous ceux qui lui étaient chers. Ensuite plus d'un an d'absence, des nouvelles bien rares, et enfin la joie du retour, cette joie si grande que Françoise de Bezolles ne connaîtra plus. Le retour et ses longs récits de voyages et de campagnes où défilaient les pays lointains et merveilleux, les villes aux splendides cathédrales, les palais pleins de mille chefs-d'oeuvre et aussi les combats et les aventures, où passaient les hommes célèbres, les princes, le pape lui-même et toute sa cour, cette cour pontificale que Bernard de Lary avait vue de près lorsque d'Ancône, son quartier général, Guise l'avait envoyé en ambassade auprès du cardinal Caraffa, le neveu et le tout-puissant ministre du pape Paul IV. Après cette longue séparation, Françoise de .Bezolles et Bernard de Lary avaient retrouvé quelque temps la douceur dé vivre paisiblement ensemble à Latour. Bernard de Lary était redevenu un, bon gentilhomme campagnard, achetant des terres, surveillant ses domaines et s'absentant peu. Pendant cette


208 SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

période heureuse ils n'avaient connu qu'une courte séparation; c'était lors de l'avènement de François II ; Monluc, qui cousinait avec Latour et connaissait les qualités de diplomate de Bernard de Lary, l'avait envoyé en mission secrète auprès du duc de Guise pour renseigner celui-ci sur l'état d'esprit et les dispositions du roi de Navarre dans la rivalité des Guise, d'une part, de Condé et de Coligny, de l'autre\

Puis il y a quelques mois Bernard de Lary était reparti. Cette fois il laissait cinq enfants à Latour. La guerre n'était plus au loin, mais en France même et contre des Français. Dès le début de la campagne les nouvelles de sa valeur, de ses brillants faits d'armes s'étaient succédé; à leur suite les honneurs arrivaient; à la fin de juillet c'était le commandement d'une vieille bande et le gouvernement de Quiers en Piémont, gouvernement lointain où, dans cette heure de péril, Guise se garda bien d'envoyer son fidèle lieutenant. La lutte s'annonçait dure et meurtrière, et à Blois, au mois d'août, ce le camp du roy marchant », Bernard de Lary avait rédigé une seconde fois son testament.

En automne, c'est le siège de Rouen; Bernard de Lary s'y distingue encore, et après la prise de la ville le roi le récompense par des lettres de gentilhomme ordinaire de sa chambre. Après Rouen, catholiques et réformés, s'attaquant et se poursuivant, reviennent vers Paris que Condé, le chef des protestants, espère un instant enlever. 11 échoue. Paris reste aux mains des catholiques, et de cette ville, qui est déjà le rendez-vous de toutes les choses belles et rares, Bernard de Lary a expédié à Latour, le 6 décembre, il y a quelques semaines, deux ce bahutz » tout remplis de riches étoffes, de beaux damas, de satins, de velours, de taffetas, ce armoisin beau par excellence », et aussi des nappes damassées, des serviettes ouvrées, des coupes, des aiguières, des salières d'argent! Ainsi, dans la fièvre et l'enivrement des batailles, ses pensées, son affection ne quittaient pas Latour et les êtres chers qu'il y avait laissés. Et ces belles choses étaient parvenues ici il y a si peu de jours ! C'était là le dernier souvenir, la

1 « Instruction pour Monsieur de Latour », signée Biaise de Monluc, le 22 juillet 1559. Bibl. nat. — Voir Commentaires de Monluc, édition de Ruble, t. IV, p. 107.


TROISIÈME TRIMESTRE 1912. 209

dernière marque de tendresse, le suprême adieu de celui qui était parti quelques mois auparavant plein de jeunesse et de courage, de celui qui il y a quelques jours encore recevait du roi de si flatteuses attentions et semblait promis à la plus brillante carrière, de celui surtout qui, ici, à son foyer, était si aimé, si attendu.

C'est à Dreux que Bernard de Lary était tombé, dans la sanglante bataille du 20 décembre, l'une des plus terribles de ce siècle guerrier. La Fortune indécise avait penché dans un camp, puis dans l'autre, jusqu'à l'instant où Guise et ses vieilles bandes — et Bernard de Lary commandait l'une d'elles — l'avaient saisie et fixée du côté catholique. Après la victoire, le capitaine avait été ramené à Dreux, « vulneray et blesse ». Plusieurs jours il lutta contre ses blessures, et le 7 janvier il refit encore son testament, le dernier cette fois; il ajoutait à ses anciennes dispositions 500 livres.à chacun de ses fidèles compagnons d'armes, Renaud de Mauléon et François de Mons, ses cousins. Bernard de Lary précédait de peu dans la tombe le chef qu'il avait toujours vaillamment servi. Ils avaient débuté ensemble; ensemble à présent ils tombaient. En allant de Dreux au siège d'Orléans, où Guise fut assassiné, l'armée catholique traversa Blois, et c'est de cette ville, nous l'avons vu, qu'est datée la lettre de François de Mons.

Françoise de Bezolles n'avait pas trente ans. Elle se trouvait seule à la tête d'une nombreuse famille, cinq enfants, bientôt six, car elle était enceinte et mit au monde un fils peu de temps après la mort de son mari. Ces enfants étaient d'abord une fille, Jeanne, qui avait environ neuf ou dix ans, puis un fils, Bertrand, l'héritier de Latour, et, après lui, Biaise, Paule et Jean ; le fils posthume fut aussi nommé Jean. La darne de Latour avait à s'occuper de grands biens, car le capitaine laissait d'importants domaines et plusieurs belles seigneuries. Françoise de Bezolles sut admirablement s'acquitter de ses nombreux devoirs. Dès la première année de son veuvage, elle fit restaurer et embellir le grand castel qu'elle aimait, et la jolie porte Renaissance, surmontée des armes écartelées des Lary et des Bezolles, parle


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encore d'elle à ceux qui viennent à Latour. Au-dessous de Técusson de pierre se lit la devise des Lary : Durum patientia frango. Peu de races ont été plus batailleuses et moins patientes, et l'ancêtre qui, le premier, a choisi cette devise espérait sans doute par là donner aux siens et à lui-même la qualité qui leur manquait le plus. Le grand escalier de pierre et sans doute aussi toute une aile du château sont dus également à Françoise de Bezolles. Elle achète aussi des métairies et termine avantageusement les procès pendants. Tout prospère à Latour, grâce à elle. Personne d'ailleurs ne la guide; Jean de Bezolles, son père, vient de se remarier, 1 et, bien qu'il soit en très bons termes avec sa fille, leurs vies sont très séparées; du côté de son mari, Françoise de Bezolles n'a qu'une belle-soeur mariée au loin, en Béarn 1, et la dame de Latour se trouve ainsi tout à fait isolée. Au début de son veuvage, une jeune fille lui tient compagnie, c'est Catherine de Faudoas, d'une excellente famille, mais sans fortune. En 1564, Catherine de Faudoas se maria; son mariage fut célébré à Latour, et Françoise de Bezolles augmenta la dot de la jeune mariée et lui donna sa robe de noces. Puis Françoise de Bezolles reste seule à Latour avec cinq enfants, cinq et non plus six, car le petit Biaise est mort à une date indéterminée.

Hâtons-nous de regarder avec complaisance et d'admirer ce joli tableau de la jeune veuve maintenant partout la prospérité autour d'elle, embellissant la demeure, augmentant les domaines, faisant le bien et se donnant toute à ses enfants. La fin de cette ère de paix heureuse est proche, et c'est Françoise de Bezolles elle-même qui va détruire son oeuvre en un jour.

A moins de deux lieues de Latour, dominant la vallée du Gers, au-dessus du village de Montestruc, se dresse le vieux château du Baratnau. Au XVIe siècle le Baratnau appartenait aux Monlezun, ancienne famille issue des comtes de Pardiac. Bertrand de Monlezun, seigneur de Baratnau, mourut vers 1566, et son fils aîné, Jean, hérita du Baratnau et de Montestruc. Ce Jean de Monlezun était un courageux capitaine; il avait souvent

1 Jeanne de Lary, mariée à Bertrand de Miossens, seigneur de Sansous.


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déjà donné les preuves d'une grande valeur bientôt récompensée d'ailleurs par le collier de l'ordre du roi. Mais la violence et la cruauté de Monlezun égalaient son courage, et aucune considération de crainte, d'intérêt, d'honneur même, ne l'arrêtait dans ses emportements.

Jean de Monlezun n'était pas marié. Malgré ses défauts et ses vices, c'était un brillant cavalier. De son côté Françoise de Bezolles était belle, intelligente, riche, jeune encore, et le seigneur du Baratnau songea à elle. Ce farouche guerrier, qui pour elle seule s'adoucissait, sut conquérir la dame de Latour, lasse sans doute de sa vie isolée et sévère de veuve succédant aux heureuses années de jadis. Françoise de Bezolles accorda sa main à Jean de Monlezun, et c'est à Latour que les pactes de mariage furent passés, le 30 novembre 1568. Jean de Bezolles s'y trouvait, ainsi que le frère de Jean de Monlezun, Bernard de Monlezun, dit le capitaine Baratnau, et plusieurs autres gentilshommes.

Et Françoise de Bezolles abandonna ses enfants et Latour, et suivit au Baratnau son nouvel époux.

Latour n'est plus habité que par des enfants. Le jeune chef de famille, Bertrand de Lary, seigneur de Latour, n'a que quatorze ans, mais déjà il montre l'intelligence et la hardiesse de son père. , Bertrand de Lary avait vu avec tristesse le second mariage de sa mère et l'abandon qu'elle faisait de ses enfants. Bientôt des questions d'intérêt surgirent entre eux et les rapports devinrent très tendus entre la mère et le fils. Ils en vinrent à un procès, entamé le 15 mars 1570, devant le sénéchal de Lectoure, et terminé, le 22 décembre de cette même année, par une sentence arbitrale rendue à Toulouse par des amis communs. Comme toutes les sentences arbitrales, celle-ci donnait un peu tort et raison à chacun. Avant la conclusion de cette affaire, Monlezun avait écrit à son beau-fils pour se plaindre des conseils que celui-ci recevait de ses amis, et Bertrand de Lary de répondre que ceux-ci ce sont tous deu mestier », c'est-à-dire du'métier des armes, et que ce qu'ils ont dit ils le soutiendront ce en toutes les ce façons que sauries panse », y compris l'épée à la main.


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Si Bertrand de Lary était vif, il était sans rancune et se réconcilia sans arrière-pensée avec sa mère et son beau-pèré. Il était tout joyeux d'ailleurs de se sentir à dix-sept ans libre et riche. La cour et la guerre s'offraient à lui avec leur brillant mirage d'amour et de gloire, et le jeune homme s'élança gaiement vers ce rêve enchanteur. Le 9 avril 1571, le seigneur de Latour donne procuration générale pour l'administration de tous ses biens à Antoine Vans, son fidèle maître d'hôtel, et s'envole vers la cour.

Toute la petite nichée de ses frères et de ses soeurs s'est dispersée, et leur mère n'en a recueilli aucun. Jeanne, l'aînée, une grande jeune fille de dix-huit ans, est au château de Pouypardin, chez des parents. Vans va plusieurs fois la voir et lui porte ce des ce hardes » et de l'argent. Paule est en pension à Toulouse, au couvent de Sainte-Claire; avant son départ, Bertrand, prenant au sérieux son rôle de chef de famille, s'est préoccupé de ses toilettes et lui a commandé chez un bon tailleur de Toulouse une ce vertugade », une robe de damas gris et aussi ce ung corset de ce toille ». Vans ne l'oublie pas non plus, et le 7 décembre il expédie ce un home avec une cavale pour aporter quellques pères ce de chapons, oies et fourmages a Sente-Clere ». , Les deux Jean ont aussi quitté Latour. L'aîné des deux est désigné sous le nom de chevalier; il est à Gramont, auprès du baron de Montaut, grand ami des Latour. Enfin le dernier petit Jean, qui n'a que huit ou neuf ans, est au collège d'Auch.

Vans entretient admirablement le château et les terres; il fait resuivre les toitures, soigner les rosiers, planter des saules et semer des bois de chênes. La journée d'un ouvrier est alors d'un sol et celle d'une femme de deux liards ou un demi-sol.

Vans a surtout beaucoup à faire pour répondre aux incessantes demandes d'argent de son jeune maître. Aux dépenses de la cour sont venues s'ajouter, en octobre, celles d'un grand voyage en Italie. Le XVIe siècle n'était pas, comme le nôtre, une époque de tourisme, et il est fort peu probable que ce soient uniquement les merveilles d'art du pays sans pareil qui aient attiré si loin le jeune seigneur de Latour. D'Italie il revint à


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Paris, et en passant à Lyon il dépêcha jusqu'à Latour M. dé Mérens, son dévoué lieutenant. Vans et Méreiis vont alors à Nérac ce parller avec Monsr de Montamat », l'un des principaux chefs protestants, et Mérens, très porté à la coquetterie, profite de l'occasion pour commander une superbe paire de bottes ce au ce cordonier de Monsr le prince 1 ». C'était alors l'époque des négociations en vue du mariage de Henri de Navarre et de Marguerite de France, soeur du roi. Henri de Navarre était protestant et Marguerite catholique; il fallut l'autorisation dû pape, et ce voyage en Italie, suivi de pourparlers avec l'un des principaux personnages de la cour de Nérac, pourrait bien se rapporter aux négociations préliminaires du mariage de notre futur Henri IV -avec la reine Margot.

Le mois de mai 1572 voit le retour en Gascogne de Bertrand de Lary. Latour et le Baratnau sont en paix; Jean de Monlezun est devenu sénéchal d'Armagnac et plusieurs enfants sont nés de son mariage avec Françoise de Bezolles. Son frère, le capitaine Baratnau, vient de mourir laissant une toute jeune veuve, Anne de Goth, dame de Manlêche 2, qui va bientôt venir prendre une grande place dans notre récit. Anne de Goth, née en mars 1556, avait perdu ses parents de très bonne heure. Lorsqu'elle eut quatorze ans, le parlement de Toulouse la déclara majeure, et tout aussitôt ses tuteurs 3 convoquèrent tous ses proches parents ce por tracter et adviser sur le mariage d'icelle ». Le choix de ce conseil de famille se porta sur le capitaine Baratnau, Bernard de Monlezun. Anne de Goth fut-elle seulement consultée ? Rien ne le dit, et il est permis d'en douter un peu. Le contrat de

1 Henri de Navarre, le futur Henri IV.

2 Auprès d'Astaffort, sur le bord du Gers.

3 Les nombreux parents d'Anne de Goth s'étaient vivement disputé sa tutelle et l'administration de ses riches domaines ; c'étaient Pierre du Goût (ou de Goth), protonotaire de Manlêche; Antoine de Pardaillan, seigneur de Gondrin ; Jean de Galard, seigneur de Brassac; Jean du Goût, seigneur de Montastruc; François de Lomagne, seigneur de Barbonelles ; Guy du Goût, seigneur de Saint-Germain ; Jean de Grossoles, " seigneur de Saint-Martin ; Paul de Lion, seigneur de Milhau, et Antoine d'Arbieu, seigneur dudit lieu. La garde de l'enfant avait été confiée à demoiselle Sobirane de Goth, femme de Arnaud-Guilhem de Polastron, seigneur de Montaignac.


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mariage de Bernard de Monlezun et de Anne de Goth, dame de Manlêche, de Lomagne et du Pergain fut signé le 6 juillet 1570, et le capitaine vint s'installer à Manlêche auprès de sa femme de quatorze ans.

Un an et demi après, en février 1572, Bernard de Monlezun mourait. Par son testament, écrit peu de temps avant sa mort, il instituait héritier universel son frère, le seigneur du Baratnau, et laissait à sa femme l'usufruit de 19.000 livres qu'il avait; disait-il, employées au dégagement de plusieurs terres et seigneuries dépendant de la maison de Manlêche, mais il y mettait cette condition que Anne de Goth ne se remariât qu'avec l'avis et le consentement de Jean de Monlezun.

Voici la dame de Manlêche, veuve à moins de seize ans et placée en quelque sorte sous la dépendance du seigneur du Baratnau. Celui-ci ne tarda pas à user du pouvoir qui lui était donné, et c'est au seigneur de Latour, son beau-fils, qu'il accorda la main de Anne de Goth. Bien jeune et gentil ménage où l'époux n'avait pas dix-huit ans, où l'épouse en avait seize à peine ! Treize ans auparavant, le trône de France avait montré une semblable union de deux enfants, et la vie des jeunes seigneurs de Latour rappellera par plus d'un trait la triste destinée de François II et de Marie Stuart.

Jean de Monlezun n'avait pas eu à exercer de pression sur Bertrand de Lary et sur Anne de Goth. Pour eux nul calcul dans cette union, rien que le frais et simple amour de deux enfants que la Providence semblait avoir créés l'un pour l'autre. Leurs pactes de mariage furent passés à Fleurance, le 3 juin 1572. Anne de Goth était assistée de Jean de Monlezun, et Bertrand de Lary, de Françoise de Bezolles, sa mère. Quelques gentilshommes peu nombreux étaient aussi présents.

Dès les pactes passés Jean de Monlezun fit signer aux nouveaux mariés un accord ou plutôt un arrangement au sujet de la

1 II est à peine nécessaire de rappeler ici que la maison de Goth, l'une des plus illustres de Gascogne, a fourni un Pape, Clément V, et a possédé la vicomte de Lomagne. Les seigneurs de Manlêche étaient issus de ceux de Rouillac, dont le chef était Gaillard de Goth, frère de Clément Y.


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succession du défunt capitaine Baratnau. Bertrand de Lary et Anne de Goth acceptèrent tout sans rien examiner : que n'eussent-ils pas signé en un tel jour ! Les détails d'affaires ont peu d'intérêt, mais cet accord aura de telles conséquences qu'il mérite un instant d'attention. Le voici en quelques mots : le seigneur du Baratnau l'énonçait en faveur de Anne de Goth à la nue-propriété des 19.000 livres dont l'usufruit avait été laissé par son frère à la dame de Manlêche. Il recevait en échange 10.000 livres; 6.000 lui furent payées aussitôt par Bertrand de Lary; les 4.000 restantes devaient être acquittées en deux termes égaux de 2,000 livres payables le 3 juin 1573 et le 3 juin 1574. Jean de Monlezim troquait ainsi une créance à très longue échéance, étant donné l'âge de Anne de Goth, beaucoup plus jeune que lui-même, contre une bonne somme de deniers comptants, sans compter que ce fameux apport de 19.000 livres à Manlêche par le capitaine Baratnau n'avait jamais été constaté par personne et était peut-être sujet à caution.

Les jours heureux n'ont pas d'histoire et l'année 1572 s'écoula joyeuse et paisible pour les jeunes hôtes de Latour. Autour du foyer ressuscité tous les enfants sont rassemblés. Jeanne, Paulë, Jean « le chevalier » et le dernier petit Jean ont accueilli de grand coeur leur nouvelle soeur et tous vivent « fraternellement « et avec une bonne amytié et concorde ». .

L'été de 1572 est pour le vieux château comme une brève ensoleillée. De Toulouse viennent à foison les « belles estofes » et les « beus passements », et aussi le sucre et les épices, « poilvre », « gingambre », « quanelle », « clou girofle », alors le grand luxe de la table. La châtelaine file à la lueur des chandelles et c'est aussi de Toulouse que l'on porte pour elle « une « conoulhë, fusets et verteilh 1 » plus beaux et plus fins sans doute que ceux des paysannes voisines et plus dignes de ses blanches mains. M. de Mérens, le lieutenant de Bertrand de Lary, est aussi à Latour, toujours fort soucieux de son élégance;

1 Quenouille, fuseaux et verteil ; le verteil est un petit poids dont se servent les fileuses pour tenir le fil tendu.


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à ses bottes princières de Nérac vient s'ajouter un superbe chapeau « en taffetas à ung panachon ». De nombreux valets à la livrée claire et gaie : « incarnat, blanc et vert », s'agitent dans la maison. Tout est jeunesse, abondance, gaîté.

Puis l'hiver arrive, un triste hiver qui ramène avec lui la guerre civile, la quatrième depuis dix ans. Jadis Bernard le capitaine est tombé à la première guerre de religion ; maintenant ses fils ont grandi et vont prendre la place que sa mort a laissée vide.

Bertrand de Lary part pour l'armée royale emmenant avec Jui son frère Jean le chevalier et de nombreux serviteurs, Bertrand n'avait pas vingt ans et Jean n'en avait pas seize. On devine les pleurs, les inquiétudes qui accompagnèrent cette séparation. Vers la fin de février nous retrouvons Bertrand et Jean de Lary au siège de la Rochelle. Là Bertrand dépense sans compter son argent et son courage. Bientôt les sommes apportées de Latour sont épuisées; heureusement le crédit du jeune seigneur est grand et les bourses de ses amis s'ouvrent largement à lui. M. de Savaillan lui prête 500 livres, le seigneur de La Mothe Bardigues, 750, le capitaine Alexy, autant, M. de Roquepine, 500, M. de Marambat, 150, et le seigneur de Béraud, 200, en tout quelques 3.000 livres, une trentaine de mille francs de maintenant. Il achète aussi à crédit « ung rondache » ou bouclier rond au capitaine Séridos.

Cependant le siège se prolongeait; plusieurs assauts furent donnés et le capitaine Latour combattait au premier rang. « Au « siège de La Rochelle », dit Brantôme, « l'une des belles choses « qui s'y soient faites fut celle que M. de Nevers inventa et « ordonna, qui fut l'escalade que nous donnâmes le plein jour, le « matin à 6 heures, en été... Le roy de Navarre qui ne venoit « que de frais dresser sa garde, pria Monsieur 1 qu'elle fist la « première poincte, qui la fit très bien, et la fit beau veoir atout « leurs beaux mandils 2 neufs de vellours jaune, avecques du pasi

pasi duc d'Anjou, frère du roi, le futur Henri III ; il commandait alors l'armée royale.

2 Manteaux.


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« sèment d'argent et noir. Entr'autres premiers fut un La Fles« che d'Anjou, un La Cassaigne et un Latour, gascons, qui ne « venoient que de fraiz du siège de Montz d'avecques M. de « La Noue, très braves et très renommez soldats en ce siège 1. »

Ce « Latour, gascon..., très brave et très renommé soldat », n'est autre que Bertrand de Lary. Mais ce que ne dit pas Brantôme, c'est qu'à ce siège, où sa valeur le distinguait ainsi, et peut-être dans ce même assaut où. il s'élançait le premier, le jeune capitaine trouva la mort. Plusieurs papiers de Latour nous le disent, et voici des passages de l'un d'eux : « ... feu Bertrand « de Lary... estant pour le service du Roy au camp de La « Rochelle au moys d'apvril ou environ de l'an mille V° septante « troys estant blessé en l'expédition de la guerre dung coup « d'arquebusade par son corps seroyt mort... Bertrand au dit « temps qu'il deceda estoit moindre de vingt et cinq ans et voyre «de vingt ans ».

Et ainsi, par une belle matinée de printemps, si belle que Brantôme en garda le souvenir d'une journée d'été, en habits de fête, gaiement, comme il irait à un rendez-vous d'amour, le jeune seigneur de Latour s'élança vers la mort. Vingt ans, une jeune femme chérie, les biens de la terre en abondance, le courage, la renommée déjà... et la mort vient faucher tout cela! Mais c'était une mort glorieuse et digne de tous ces sacrifices !

Après les siècles écoulés, la brillante image du capitaine s'élève encore vivante et séduisante devant nous, avec tout le charme de ses vingt ans et de son jeune amour, tout l'éclat de son élégance et de sa hardiesse, toute la mélancolie de sa mort glorieuse et prématurée. Et comme cadre de cette vie étincelante et brève, un vieux château aux hautes tours, habité seulement par de joyeux enfants, la cour avec son luxe et ses fêtes, un instant le chaud rayonnement du ciel de l'Italie, puis la guerre, ses assauts furieux, ses prouesses merveilleuses et ses immenses douleurs. Que de choses dans une si courte existence !

Et maintenant ce sont les funérailles de Bertrand de Lary.

1 BRANTÔME, Vie du prince de Qondé, t. V, p. 307.


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Elles eurent lieu au camp de La Rochelle et furent dignes de sa valeur. Jean, son frère et son compagnon d'armes, y veilla, et les dépenses s'élevèrent à 3.000 livres (30.000 fr. de nos jours). Cependant le siège durait toujours. Après les derniers honneurs rendus à son aîné, Jean de Lary, le nouveau chef de famille, rassembla ses serviteurs et reprit tristement avec eux le chemin de Latour, dont il était maintenant le seigneur.

Les enfants'se serrent auprès du foyer frappé par le malheur. Bertrand, si jeune encore, occupait ici une telle place. C'était l'époux, le frère aîné et aussi le chef et le seigneur. : Jean de Lary est revenu vers la fin d'avril et dès le premier jour les soucis, les responsabilités pieu vent sur sa tête de quinze ans. Jean est très intelligent, très fin; moins ardent peut-être que son frère Bertrand, il est cependant aussi courageux, aussi insensible à toute intimidation et en même temps plus ferme et plus tenace. Il lui manque l'expérience de la vie et surtout la connaissance de la fausseté et de la cruauté des hommes.

L'ennemi de ce pauvre nid sans défense c'est celui-là même qui .devrait en être le protecteur : Jean de Monlezun.

Bertrand s'était réconcilié avec son beau-père, et lors de son mariage il avait accepté, sans discussion et sans examen, les arrangements proposés par le seigneur, du Baratnau. Jean n'était pas si facile à manier et n'entendait pas être dupe; aussi, dès son retour, les rapports se tendent jusqu'à se briser entre Latour et le Baratnau. La question litigieuse, la source de tout ce conflit, ce fut cette jouissance de 19.000 livres laissée à Anne de Goth par son premier mari, le capitaine Baratnau. Nous avons vu l'acquisition du capital lui-même faite par Anne de Goth et Bertrand de Lary à Jean de Monlezun moyennant 10.000 livres. Sur cette somme 6.000 livres avaient déjà été acquittées et la, première des deux échances de 2.000 livres approchait, sa date étant fixée au 3 juin de cette année 1573. Deux jours avant cette échéance, le 1er juin, Jean de Lary passa avec Anne de Goth une transaction qui mettait toute cette affaire à sa charge, et il se trouva ainsi seul adversaire de Jean de Monlezun. Celui-ci ne tarda pas à le sommer de payer le terme échu, mais aussitôt


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Jean de Lary attaqua devant le sénéchal de Toulouse la validité de l'accord de 1572. Manlêche, disait-il, rapportait par an plus de 4 à 5.000 livres (40 à 50.000 francs); comment admettre que Bernard de Monlezun ait dû consacrer 19.000 livres à réparer et à améliorer une maison aussi riche? Aucun acte ne faisait foi de cet apport, et ce n'était là sans doute qu'une invention de Jean de Monlezun. N'était-ce pas celui-ci, après.tout, qui avait forgé ce prétendu testament de son frère afin de mieux abuser de la crédulité de son jeune beau-fils, Bertrand de Lary, qui lors dé cet accord « estoit moindre d'aage et à cause de ce facille a estre « trompe et decu » ? Questions difficiles à résoudre et qui ne; le furent pas de longtemps.

L'attaque de Jean de Lary avait porté à son comble! la fureur de Monlezun. Dès lors, il s'abandonne sans mesure à sa violence et n'hésite pas à recourir au crime pour arriver à ses fins.

Un jour de juin, dont la date exacte est perdue, Latour mirait paisiblement ses murailles dans l'eau de ses larges fossés. Tout respirait le calme et la sécurité. Entrons dans le château.-La chaleur de l'été n'a pas pénétré dans les grandes salles aux murs épais, aux grandes cheminées de pierre; de belles tapisseries ornent les murailles; partout des meubles précieux, de riches étoffes, des bahuts et des coffres pleins d'argenterie. C'est ici une opulente demeure. Il est une heure ou deux de l'après-midi. Jean de Lary est là avec ses deux soeurs, Jeanne et Paule, et sa jeune belle-soeur, Anne de Goth. De quoi causent-ils ? Du Barat-' nau, bien sûr; .de ce Jean de Monlezun qui devait être pour eux tous comme un père et dont le nom seul résonne ici comme une' terrible menace. Après tout qu'ont-ils donc à craindre de lui ? Ne sont-ils pas, du moins pour l'instant, dans une forteresse imprenable, entourés par des serviteurs d'un dévouement à toute épreuve? Les murailles sont hautes et solides, les fossés larges et pleins d'eau; le pont-levis est levé et Monlezun ne peut les atteindre. Il y a cependant un point faible sous toute cette apparence de force : c'est la jeunesse et l'inexpérience du seigneur de Latour et de ses compagnes; c'est là qu'est le vrai, l'immense


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danger. Il manque ici un chef ferme et expérimenté; il manque à ces pauvres enfants un père.

Tout à coup une bande guerrière est signalée. Sans doute c'est un serviteur qui du sommet d'une tour, ou bien d'une des guérites 1 accrochées aux angles du château pour guetter aux quatre coins de l'horizon, a aperçu au loin le scintillement des armes des cavaliers. Les voici qui se rapprochent; ils sont nombreux, une trentaine peut-être, et l'on distingue leurs épées et leurs arquebuses. L'un d'eux est à quelques pas en avant des autres et Jean de Lary, accouru pour voir par lui-même les inquiétants visiteurs, reconnaît de loin sa stature et son maintien ; c'est Jean de Monlezun. Que veut-il ? Pourquoi tous ces hommes armés comme pour un combat ? Auprès du jeune seigneur de Latour Anne de Goth est là, tremblante, effrayée. En vain ses belles-soeurs veulent la rassurer; depuis longtemps elle connaît et elle redoute le farouche seigneur du Baratnau, et c'est avec terreur qu'elle le voit approcher aujourd'hui. Elle est la cause involontaire et innocente de toute cette querelle; ne va-t-elle pas en être la victime ? 0 Latour ! si cher, où sa jeunesse rêvait toute une vie de bonheur, où autour d'elle ses yeux ne rencontraient que des regards amis ! Latour ! garde, défends celle qui t'aime !

Mais Monlezun est là de l'autre côté du fossé; il appelle. Jean de Lary lui-même vient parlementer avec lui et lui parle de la fenêtre de la tour d'entrée, juste au-dessus du pont relevé. Huit ou dix pas les séparent. Le visage de Monlezun est aimable et souriant; il passait avec sa compagnie d'hommes d'armes et il a voulu voir un instant ses enfants de Latour; Françoise de Bezolles l'a chargé de mille choses pour eux. Toutes ces malheul'euses affaires d'argent ne doivent altérer en rien les affectueux rapports de Latour et du Baratnau ; bientôt d'ailleurs elles prendront une plus heureuse tournure, Monlezun s'en porte garant.

Jean de Lary est perplexe. Tout cet émoi, toutes ces mesures de défenses ce n'étaient donc là que l'effet de craintes enfantines

1 II y avait alors quatre guérites accrochées chacune à l'un des angles dii château.'


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et sans fondements. Pourtant cet homme aux mines doucereuses, Jean de Lary connaît bien la violence de sa nature; les raisons n'ont pas manqué ces derniers temps pour éveiller sa colère, ne dissimule-t-il pas pour mieux l'assouvir ? Ne doit-on pas tout craindre de lui ? Et cependant, s'il était vrai qu'il n'eût contre Latour aucune' intention criminelle, si vraiment il vient en ami dans cette demeure, peut-on lui en refuser l'entrée? Faut-il le repousser ? Ne serait-ce pas lui faire là un affront inutile et dangereux et risquer de s'en faire un mortel ennemi ? Monlezun; sénéchal d'Armagnac, avec sa nombreuse compagnie d'hommes d'armes prêts à toutes les besognes est un ennemi si redoutable; Il ne peut rien, il est vrai, contre ces fossés et ces gros murs, mais on ne peut vivre des mois comme prisonniers; Jean de Lary, ses soeurs et Anne de Goth aiment à parcourir la campagne voisine; ils vont souvent à Fleurance, à Auch et aussi dans les châteaux des environs. Ils ne peuvent être toujours à l'abri d'un coup de main. Mieux vaut donc essayer d'améliorer les rapports avec Monlezun, en tout cas éviter de les aigrir davantage. Toutes ces pensées se pressent dans l'esprit de Jean de Lary. Antoine Vans, le maître d'hôtel, est auprès de lui et tous deux hésitent et ne savent que décider. Enfin une idée vient à Jean de Lary. Monlezun est gentilhomme, d'une noble et antique maison; un gentilhomme n'a qu'une parole; il faut que Monlezun donne la sienne que ni lui ni les siens ne causeront ici aucun désordre. Monlezun sourit à cette proposition et l'accepte avec empressement. Il étend sa main et jure. C'est un ami désormais. Jean de Lary fait aussitôt abaisser le pont-levis; il n'a plus aucune inquiétude : ne serait-ce pas faire injure à Monlezun que de douter un instant de sa parole ? Monlezun franchit le pontlevis; il passe sous la grande porte que surmontent les armes écartelées des Lary et des Bezolles, et ces armes de sa femme qui le reçoivent ici lui redisent clairement qu'il est chez ses enfants et qu'il doit à cette demeure amitié et protection. Jean de Lary et ses compagnes s'empressent autour de lui. Ensemble, ils traversent la grande cour bordée de galeries 1, dépassent le grand

1 Les galeries n'existent plus, niais elles sont décrites dans les vieux' inventaires.

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puits de pierre et se dirigent presque en face de la tour d'entrée, vers la porte principale du logis; là aussi les armes de Françoise de Bezolles rappellent les liens étroits qui unissent le Baratnau à Latour.

Voici le groupe parvenu près du péristyle à colonnes 1 qui précède la porte. Monlezun interrompt un instant ses aimables propos et se retourne vers ses hommes. Tous sont là; plusieurs tout près de. lui. Les serviteurs de Latour ont déposé leurs armes et s'apprêtent à fêter dignement leurs hôtes; beaucoup sont d'ailleurs pour eux de vieilles connaissances. Cependant les hommes de Monlezun sont toujours armés; ils causent, ils rient, mais souvent leurs regards reviennent vers leur chef comme s'ils épiaient un ordre, un signal. Une vague inquiétude flotte dans l'air. Pourtant Monlezun a juré : que peut-on craindre ?

Il a juré! Ah ! que lui importe! Soudain il fait un signe; de tous côtés ses hommes se précipitent; les armes sortent des fourreaux, les lames brillent et des coups de feu retentissent. L'appât du butin anime tous ces bandits. A leurs cris, à leurs blasphèmes répondent les cris de surprise et d'effroi de leurs malheureuses victimes. Presque tous les serviteurs de Latour sont sans armes; ils se défendent cependant avec une énergie désespérée; les uns volent au secours de leurs maîtres; d'autres essaient de courir aux épées, aux arquebuses déposées l'instant précédent dans la tour d'entrée, mais déjà les Monlezun sont maîtres de cette tour; quelques-uns, enfin, parviennent à s'élancer dans l'intérieur du château où leurs adversaires les poursuivent, et tous, après une résistance plus ou moins acharnée, plus ou moins héroïque, tous tombent blessés, prisonniers, réduits à l'impuissance.

Et Jean de Lary? Sa surprise n'a duré qu'un éclair, et, son épée à la main, il s'est précipité sur Monlezun; Vans s'est élancé avec lui appelant à l'aide les serviteurs les plus proches. S'ils tuent le chef peut-être viendront-ils à bout ensuite des autres bandits désemparés. Mais Monlezun, hélas ! est maître dans l'art de l'épée; il tient un instant ses adversaires en respect, et c'est

1 Le péristyle à colonnes a été également détruit.


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assez pour que plusieurs de ses soldats accourent à son aide. Jean de Lary est cerné avec la poignée de braves qui l'entoure; Antoine Vans tombe à ses pieds, mortellement frappé; deux autres fidèles serviteurs, Arnaud Labanon et Antoine Dualle, sont tués aussi; tout espoir de résistance est perdu, et, la rage et le désespoir au coeur, Jean de Lary se voit lui-même terrassé et désarmé, à la merci de son ennemi. Anne de Goth et les soeurs de Jean ont assisté avec terreur à toute cette scène tragique déroulée en un instant autour. d'elles. En vain elles voulaient fuir, de tous côtés l'ennemi leur barrait la route. Monlezun reste sourd maintenant à leurs sanglots et à leurs supplications. Ce n'est pas la première fois qu'il voit des femmes et des enfants se traîner en le suppliant à ses pieds et son coeur ne se laisse pas attendrir à ces spectacles. Il les repousse brutalement et les fait saisir et garder prisonnières.

Puis c'est le pillage de Latour; meubles précieux, argenterie, papiers importants, tout est la proie de Monlezun et de sa bande. Mais le malheureux seigneur de Latour craint de perdre plus encore que ses richesses, plus que sa vie qu'il exposait sans hésitation tout à l'heure; une extrême inquiétude l'étreint et ses regards contemplent avec anxiété le groupe éploré de Jeanne, de Paule et de Anne de Goth, gardées comme lui par des hommes d'armes. Anne,de Goth! Qu'est-ce que Monlezun va faire de la douce dame de Latour ? De celle qui aime tant cette maison et tous ceux qui vivent ici, et qui n'a pas d'autre famille, pas d'autres soeurs, ni d'autres frères, ni d'autre affection ? Sans Monlezun, encore quelques années, quelques mois peut-être, et Anne de Goth serait devenue sans doute une seconde fois dame de Latour. Qu'est-ce que Monlezun va faire d'elle?

Cependant les pillards ressortent chargés de butin, et leurs cris de joie et de triomphe insultent encore à la douleur de Jean de Lary. Monlezun tient une liasse de papiers dont la possession semble le ravir; mais ce n'est pas seulement pour eux qu'il a monté toute cette expédition et causé la mort de plusieurs hommes. Il s'approche d'Anne de Goth et lui ordonne de le suivre; il veut, il commande qu'elle l'accompagne au Baratnau. Elle


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refuse et ses soeurs s'attachent désespérément à elle, mais les hommes de Monlezun les séparent brutalement et « par force et violence » Anne de Goth est arrachée à Latour.

Puis Monlezun et sa bande d'assassins s'en vont, délaissant leurs malheureuses victimes « en desespoir et despoille de tout « secours et moyen ».

Tout ce drame n'a duré que peu de temps; une heure peutêtre. Rien ne semble changé, mais là, près de cette porte, trois hommes sont étendus, baignés de sang; l'un d'eux vit encore, et deux jeunes filles, aux riches vêtements déchirés, aux yeux rougis de larmes, essaient de panser ses blessures. D'autres hommes blessés gémissent.

Jean de Lary contemple avec douleur ses fidèles serviteurs tombés pour le défendre; il pénètre dans sa maison, et partout le désordre, les meubles brisés, les coffres éventrés et vides lui redisent l'étendue de son malheur. Et sa pensée suit là-bas sur le chemin du Baratnau une troupe de cavaliers aux mines farouches; derrière l'un d'eux une jeune femme est attachée; elle pleure et cherche à travers les arbres à voir une dernière fois Latour.

Tout crie vengeance autour du malheureux seigneur de Latour. Mais la vengeance est difficile contre un adversaire tel que Monlezun. La force armée et la justice sont dans sa main, et dans tout l'Armagnac nul n'oserait lui tenir tête. Dans sa détresse Jean de Lary fait appel à ses parents, aux anciens compagnons d'armes de son frère et de son père, et Monluc, le plus influent des cousins de Latour, prend lui-même l'affaire en mains. Le 3 juillet, au camp de La Rochelle, accompagné de plusieurs gentilshommes également alliés de Latour, il présente au duc d'Anjou une requête où tous les faits sont exposés. Le duc d'Anjou, le futur Henri III, venait d'être élu roi de Pologne; c'était lui qui commandait l'armée royale à La Rochelle, et l'on comptait sur sa sympathie pour le frère et compagnon d'armes du hardi capitaine tué dans ce même siège quelques semaines auparavant. Voici cette requête :


TROISIÈME TRIMESTRE 1912. 225

Reqte presantee au roy poloignie par Messieurs le maresclial de Monluc et autres gentilhomes. — Au roy de Polonye. Sire, les srs de Montlue (sic), La Mofche Bardigues 1, Savaillan 2, Massas 3 et les capp[itai]nes Serillac 4, Roquepine 5 et autre Massas efc Castelgeloux 6 fcresfcous parens et aliez du feu capp[itai]ne La Tour vous remonstrent que après sou desses et ayant este tliué eu ce sieige comme il vous est notoyre et à ung ch[ac]un Jehan de La Tour son frère puynse à luy successeur se retira de ce camp en sa maison avec six des serviteurs de son frère ou il trouva ses soeurs et belle-soeur vefve (veuve) du deffunct en delliberation de vivre fraternellement et avec une bonne amytie et concorde avec elles comme ils s'estoinct promis réciproquement lung à lautre ce qu'ils ussent faict sans certaine malice et hayne que le sr du Baratnau a de longtemps conçue contre la maison de La Tour à tort efc sans cause et voullant estre maistre sans propos ne raison se dellibera de voye et de faict accompaigue d'un grand nombre d'arquebuziers d'entrer dans le chasteau de La Tour ce que led[it] sr de La Tour luy accorda voullontairemeut soubs sa foy et promesse qu'il n'y seroit fait aucun désordre par luy ny les siens comme il feut accorde aud [it] se de La Tour efc au mesure instant toutes les portes luy furent ouvertes et montre tons les conduits de lad[ite] maison. Mais non content de cella d'une aflreuce malice thua, massacra, fist thuer et massacrer tous les serviteurs domestiques dud[it] de La Tour, pilla, saccaigea, fist piller et saccaiger lad[ite] maison, emporta et fist emporter tous les deniers dud[ifc] de La Tour et le plus precieulx de ses mubles, ensemble tous les papiers, tiltres efc documeus des terres efc seigneuries dud[it] La Tour et en admena la vefve (veuve) par force et violence délaissant led[it] de La Tour en désespoir efc despoille de tout secours et moyen.

A ceste cause, sire, considérant les services que led[it] feu de La Tour, ses prédécesseurs et les supplians avec led [it] de La Tour, frère du deffunct, ont faict et espèrent faire à Vos Majestés il vous plaise de vos bénignes grâces escrire, ordonner efc comander à la court de parlement de Thle (Toulouse) d'en prendre cognoissance de cause corne à elle appartient efc comettre l'un des conseillers du corps d'icelle non suspect ne favuorable aux parties lequel appelle avec soy le procureur] g[énér]al ou son substitut qui se transporte sur le lieu po[ur] informer dud[ifc] faicfc, circonstances efc deppendanees d'icelluy en la plus grande surette et selerite que fere ce pourra et l'information faite l'envoyer ou apporter cloze devers lad[ile] court pour ce faict administrer telle justice et droict aud[ifc] La Tour et supp[li]ans que la gra1

gra1 de Goth, sr de La Mothe-Bardigues.

2 Denis de Mauléon, sr de Savaillan.

3 M. de Massas, sr de Gastillon-Massas.

4 Jean de Faudoas, sr de Serillac.

6 Bertrand.du Bouzet, sr de Boquepine. 6 Biaise de Biran, sr de Casteljaloux.


226 SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

vite du cas le requiert et ils prieront Dieu po[ur] la prospérité estât et grandeur de Vos Majestés,

DE MONLUC, — SAVAILLAN, — D. DE LAYLHBRE l,

B. DE ROQUEPINE, — DE SERILHAC, — DE MASSAS.

Au-dessous, d'une autre écriture : « Le roy de Pollongue a advise que le contenu en la présente req [uô]te se doibt traicter pardevant messrs de la cour de parlement de Thlc (Toulouse) ou les p[ar]ties se doibvenfc pourveoir ainsi qu'ils verront estre à faire priant Sa Ma [jes] te lad[ite] court de leur faire et administrer la plus brefve et prompte justice que faire ce pourra.

Faict au camp de Nyent (?) ce in juillet 1573. — SARRED.

A la suite de cette requête le parlement de Toulouse s'empare du procès; mais bientôt Jean de Lary s'aperçoit que l'influence de Jean de Monlezun est très grande sur les juges dont plusieurs, d'ailleurs, sont ses parents et ses amis. Si la cause reste devant le parlement de Toulouse, Jean de Lary ne peut espérer pleine et entière justice. Il le comprend et n'hésite pas à partir pour Paris. Là il réussit à faire transporter l'affaire devant le Conseil privé du roi, qui fait procéder à une enquête contre Monlezun. Ce succès obtenu, Jean de Lary revient à Latour; il ne s'y endort pas, et le 8 octobre il va trouver Monluc pour lui demander de nouveau conseil et appui.

Mais Monlezun de son côté ne reste pas inactif et fait tout au monde pour reconquérir l'avantage perdu; ses efforts tendent avant tout à ramener l'affaire dans sa zone d'influence. Il y réussit, hélas ! et le 5 janvier 1574, le Conseil privé rend un arrêt renvoyant de nouveau les parties devant le parlement de Toulouse. Désormais l'affaire traîne en longueur. Plaidoiries, requêtes, lettres royaux, défauts, appels se succèdent et se multiplient sans amener de résultat. En juin 1575, deux ans après l'attentat, tout est encore en suspens. Monlezun, sénéchal d'Armagnac, chevalier des ordres du roi, l'un des principaux personnages de Gascogne, est trop redouté, trop puissant; jamais Jean de Lary n'obtiendra justice.

Ainsi Monlezun a triomphé. Il est parjure, il est vrai; il est

1 N. de Polastron, sr de La Hillère.


TROISIÈME TRIMESTRE 1912. 227

aussi voleur et assassin, mais peu lui importe; il tient ces richesses qu'il convoitait depuis longtemps, et, plus encore, il tient Anne de Goth, la riche héritière dont il compte maintenant diriger à son gré les affaires.

Les années s'écoulent désormais sans affaiblir la haine mutuelle de Jean de Lary et de Jean de Monlezun; aucun acte violent cependant ne vient la mettre en évidence. Latour et le Baratnau semblent s'ignorer. A Latour, Jean de Lary prend d'une main ferme la direction des affaires et ramène bientôt une grande prospérité dans la maison. En 1576, sa soeur aînée, Jeanne, épouse Jean de Monlezun-Lupiac, seigneur de Moncassin ', cousin éloigné du seigneur du Baratnau, son homonyme. Puis c'est Jean lui-même qui se marie en 1583 avec dUe Catherine de Bassabat, de Castex 2. Le frère cadet de Jean de Lary, nommé aussi Jean, devient capitaine et meurt jeune en Dauphiné. Enfin Paule épouse en 1589 Bernard de Polastron, seigneur de Maurens 3. Malgré tous ces départs Latour n'est pas dépeuplé; les enfants de Jean de Lary et de Catherine de Bassabat remplacent, et au delà, leurs oncles et leurs tantes dispersés. L'aîné se nomme Jean, comme son père, et porte le titre de sieur de Manserapuy 4.

Au Baratnau Jean de Monlezun et Françoise de Bezolles ont eu plusieurs enfants, leur fils aîné est François de Monlezun, sieur de Montestruc.

Et Anne de Goth ? Les papiers de Latour se taisent maintenant sur elle; plus un détail intime, pas un écho de ses regrets et de ses larmes. En l'arrachant à Latour, Monlezun nous l'a ravie aussi. Désormais nous ne connaissons plus que quelquesuns des faits principaux de sa vie, entre autres son troisième — et dernier — mariage avec Jacques de Preissac, seigneur du

1 Jean de Monlezun, sr de Moncassin, devint lieutenant-général au gouvernement de Metz et pays messin, chevalier de l'ordre du roi, gentilhomme ordinaire de sa chambre et capitaine de cinquante hommes d'armes de ses ordonnances.

2 Près de Cazaubon.

3 Près de Gimont.

4 Entre Mauvezin et Puycasquier.


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Gavarret. Jacques de Preissac vint habiter Manlêche comme l'avait fait auparavant le capitaine Baratnau : c'est pour Latour seulement que Anne de Goth a consenti à quitter sa maison paternelle. Anne de Goth et Jacques de Preissac ont plusieurs filles et un seul fils, Jean-Pierre de Preissac.

Les affaires d'intérêt, cause première de tout le conflit entre Latour et le Baratnau étaient toujours pendantes. Elles furent enfin résolues le 3 mars 1597, près de vingt-quatre ans après l'enlèvement d'Anne de Goth, par un accord signé au Baratnau. Cet accord était dû à l'entremise d'un grand nombre de parents et d'amis communs et surtout aux efforts du seigneur de Moncassin 1. Cependant ni Jean de Lary ni Anne de Goth ne voulurent entrer dans la maison de Jean de Monlezun; ils donnèrent procuration pour les représenter, le premier au seigneur de Sérilhac et la seconde au seigneur du Gavarret, son mari.

Latour et le Baratnau sont enfin en paix; mais c'est une paix plus apparente que réelle, sans confiance et sans amitié, troublée par les rancunes du passé qui restent dans les coeurs comme un perpétuel ferment de discorde.

En 1600, François de Monlezun se marie avec demoiselle Jeanne de Mal vin de Montazet, qui lui apporte en dot la grosse somme de 31.000 livres tournois. Puis, le 4 juillet 1602, c'est la mort de Françoise de Bezolles; la dame du Baratnau était devenue toute Monlezun, et son testament, écrit quelques jours après l'accord de 1597, avantageait, autant qu'il était possible, son mari et son fils François. Jean de Monlezun lui fit faire des funérailles princières dont les frais s'élevèrent à 3.500 livres. Jean de Lary et Jean de Monlezun continuent à rester étrangers l'un à l'autre, mais François de Monlezun vient parfois dans la demeure de son demi-frère; nous l'y trouvons, le 30 novembre 1603, pour le contrat de mariage de sa nièce Jeanne. Jeanne de

1 Cet accord fut conclu en présence de nobles Jean de Lupiac, sr de Moncassin ; Odet de Monlezun, baron de Campaigne ; Jean de Faudoas, sr de Sérilhac ; JeanPierre du Goût, sr de Daubèze ; Gabriel de Bevignan, s' dudit lieu ; Pierre de Patras, sr de Laurensan; Jean de Percin, sr de Montgaillard, et de MM. Jean Espiau, chanoine de l'Église métropolitaine d'Aucb; Hélie Basse et Jean Lussy, avocats.


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Lary, fille de Jean, épousait Jean-Pierre de Preissac, le fils de Anne de Goth 1. Ce dut être une grande joie pour Jean de Lary et pour Anne de Goth que cette union de leurs enfants, et la dame de Manlêche, l'ancienne dame de Latour, n'avait eu qu'à suivre le penchant de son coeur pour venir demander une nouvelle fille à cette maison si chère pour elle où s'étaient écoulés les plus beaux, les plus heureux mois de sa jeunesse. Le marié, Jean-Pierre de Preissac, seigneur du Gavarret, n'avait encore que quatorze ou quinze ans, et l'on dut attendre quelques années pour « la consommation et accomplissement du mariage 2 ».

La présence de François de Monlezun à cette fête de Latour semblait un signe de paix complète et définitive. Signe trompeur! Les Monlezun sont toujours les mêmes, et avec la génération nouvelle la vieille lutte de Latour et du Baratnau va se réveiller plus cruelle et plus atroce que jamais. Après les pères, les fils la reprennent.

En 1608, « aux festes de la Pentecoste », Jean de Lary, seigneur de Mansempuy, vient « dans la ville de Florence en « Guienne, à cheval, sans bottes, espée ny pistolet, suivy d'un « petit laquay »; il parvient dans la rue Saint-Jean, l'une des principales de la ville et s'arrête devant la maison où demeure son oncle, François de Monlezun. Voici le seigneur de Montestruc; un page et un palefrenier sortent après lui de sa maison. Que se passe-t-il entre l'oncle et le neveu? Sans doute ils se querellent, car tout à coup Monlezun et ses hommes se jettent sur le jeune homme sans défense, et, avant qu'il ait eu le temps de fuir, le malheureux seigneur de Mansempuy est précipité à bas de son cheval et tombe mortellement frappé aux pieds de ses assassins. L'on imagine aisément l'émoi causé dans Fleurance par ce crime atroce commis ainsi en plein jour, au centre de la ville. Le peuple se rassemble, les notables arrivent; tous parlent, discutent, racontent devant la maison dont toutes les ouvertures

1 Jacques de Preissac, seigneur du Gavarret, troisième mari de Anne de Goth et père de Jean-Pierre était mort en 1601.

2 Jean-Pierre de Preissac mourut en 1609, laissant une fille unique, Anne-Catherine, qui épousa en 1623 Michel du Bouzet, sr de Marin et de La Montjoie, plus tard lieutenant général.


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sont maintenant closes et verrouillées; le mourant est relevé, transporté dans une maison amie, tandis que sa monture est rattrapée et que son jeune serviteur affolé part à toute bride pour apporter à Latour la sinistre nouvelle. Puis c'est la douleur de Jean de Lary et de Catherine de Bassabat, accourus auprès de leur fils mort, leur fils aîné ! qui les a quittés, il y a quelques heures à peine, plein de jeunesse et de vie, pour venir tomber ici sous le poignard d'un Monlezun !

Mais pourquoi ce nouveau crime ? Aucun document ne nous le dit. François de Monlezun était marié depuis plusieurs années; il avait deux fils, Jean et Geoffroy; il était fort riche et tout lui souriait. Cet assassinat, commis dans une ville où tous le connaissaient, allait briser sa vie et détruire à jamais tout son bonheur. Un tel acte ne peut avoir été accompli que dans un moment de fureur et d'aveuglement bien admissible d'ailleurs chez un Monlezun. Nous avons vu jadis Jean de Monlezun venir en plein jour piller et saccager la demeure de ses enfants; en 1576, étant sénéchal d'Armagnac, il osa, en bonne compagnie, traiter les protestants de canaille et proférer des menaces de mort contre le roi de Navarre qui, furieux, le chassa de Lectoure 1. Et Jean de Monlezun-Magensan, « frère cadet du fameux Baratnau 2 », en 1562 il sauve la vie à Monluc au combat de Ver, puis, en 1565, occupant Pamiers, il y commet les plus grands excès. Ainsi chez ces Monlezuns, bravoure, violence et crime vont toujours de pair : c'étaient de nobles brigands. Le seigneur de Montestruc était un vrai Baratnau, digne de son père et de son oncle, et la plus naturelle explication de son crime semble être une dispute violente aboutissant à un dénouement tragique, mais non prémédité. Le sujet de cette querelle échappe d'ailleurs, car il n'y avait à cette époque aucun procès entre Latour et le Baratnau.

1 Mémoires de Jean d'Aniras, notes, p. 152.

' Idem.

3 Tout ceci ne s'applique bien entendu qu'à Jean de Monlezun, ses frères et son fils, et je ne veux nullement attaquer une famille illustre et à laquelle je suis fier de me rattacher par plusieurs de mes aïeules.


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La douleur de Jean de Lary, à la mort de son fils, se traduit à nous par sa ténacité à poursuivre le coupable : son frère !

Le 29 mai 1608, les consuls de Fleurance ordonnent d'appréhender au corps François de Monlezun en quelque lieu qu'on le trouve; on ne le trouva d'ailleurs nulle part. Le 28 juin, les mêmes consuls rendent contre lui une sentence de mort. Le coupable devra « fere esmande honorable dans le parquet de la « p [rese] ente court en jour d'audience, teste et piedz.nutz, la « hart au col, en chemise, ayant une torche de deux livres « ardente en main; demander pardon à Dieu, au Roy et à justice « et aud[dit] sieur de la Tour, puis estre deslivre entre les mains « de l'exécuteur de la haulte justice, lequel luy fera fere sur une « claye les tours acostumes par les rues et carrefours de la « p[rese]nte ville de Florence, et après iceux conduit au devan « le lougis et domicilie dud[it] de Monlezun en la rue Saint-Jan « ou le murtre a este commis, auquel lieu luy fera perdre le « poing droit sur ung pilotin de bois que a ces fins sera dresse, « et, ce faict, fera trayner en la place publique de lad[ite] ville « et illec luy tranchera la teste sur un eschefaud que a cest effect « y sera dressé. Laquelle teste ordonons que metra et affichera « en hault et sur le toit de la tour et porte de lad[ite] ville a appelée de Montestruc, sur un pivot que a ses fins sera érige « sur lad[ite] tour ». Si Monlezun ne peut être saisi, il sera « représente au vif » sur un tableau, et ce tableau sera pendu à un poteau sur la place de la ville. De plus, François de Monlezun est condamné à 34.000 livres de dommages et intérêts envers le seigneur de Latour, sans compter 1.000 livres pour la réparation de la ville et 1.000 livres pour les pauvres. Le procureur général fit appel de cette sentence devant le parlement de Toulouse, qui rendit, le 3 décembre 1608, un arrêt définitif. François de Monlezun était condamné à mort avec accompagnement de promenade, membres tranchés et autres raffinements alors en honneur. Vu sa fuite, la sentence devait être exécutée en effigie. L'indemnité envers Jean de Lary était fixée à 25.000 livres; de plus 6.000 livres d'amende devaient être employées à l'ordonnance de la cour, 500 livres « à la réparation du consistoire des consuls


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« de Fleurance », 300 aux pauvres de cette ville et 200 pour « fere prier Dieu pour l'aine dudict feu de Lary murtry en « Tesglise ou il a este ensevelly ».

Cependant, aussitôt après l'assassinat, François de Monlezun avait pris la fuite, tandis que sa femme et ses enfants se retiraient au Baratnau. C'est en Espagne que le seigneur de Montestruc alla chercher un refuge. L'année suivante il fut pris, et c'est Henri IV lui-même qui nous l'apprend dans une de ses lettres au marquis de la Force, lieutenant en Béarn. ce J'ay esté bien « aise », dit-il, « d'apprendre par la vostre que le sieur Montas« truc-Baratnàu ait esté arrester prisonnier par la chancellerie « de Pampelune, pour le meurtre qu'il avait ci-devant commis ex en la personne de son neveu, le fils du sieur de La Tour, mais « je ne crois pas pour cela qu'ils en fassent justice, et comme « vous me mandez tiendront cette affaire en longueur, pour par « la pratiquer quelques-uns au préjudice de mon service 1 ». Ainsi le bruit du meurtre de Jean de Lary avait dépassé de beaucoup les limites de la province, et le roi lui-même s'y intéressait. Les prévisions de Henri IV et du marquis de La Force se réalisèrent d'ailleurs, et bientôt, soit qu'il eût réussi à s'évader, soit qu'il eût été relâché, François de Monlezun avait échappé à la justice et se retrouvait libre en Espagne.

Au bout de quelques années l'exil lui parut lourd, et le 28 août 1614 il reparaît brusquement en Gascogne. Il est à cheval et vingt ou trente gentilshommes, à cheval comme lui, l'accompagnent; tous sont armés d'un couple de pistolets et la plupart portent en outre une carabine; des laquais armés aussi de carabines les suivent. Cette troupe guerrière arrive à Montestruc dans l'après-midi et s'jr arrête. Là François de Monlezun parle dans la rue avec l'un et avec l'autre, sans plus se soucier de la maréchaussée que si elle n'existait pas. Il couche avec ses compagnons à Montestruc; il y dîne encore le lendemain 29 août, puis prend avec sa bande le chemin de Lavardens. Près de la porte de cette ville, François de Monlezun rencontre un -de ses

1 Lettre du 26 juillet 1609. Voir Mémoires du duc de la Force, Paris, 1843, tome II, page 233.


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amis, le seigneur de Pouy, et met pied à terre pour le saluer et causer un moment avec lui; il lui dit entre autres choses « qu'on ce le voyoit avec vingt-cinq ou trante gentilhommes, que dans « peu de joursTin le verroict de retour avec plus de quatre vingtz; « que puis qu'il n'y avoict moyen d'avoir paix avec le sr de la « Tour, il estoict resolleu de se perdre ou de le faire mourir ». Puis il remonte à cheval, et tous disparaissent dans la direction de Vic-Fezensac, vers l'Espagne.

François de Monlezun n'exécuta jamais ses menaces contre Jean de Larjr; il mourut d'ailleurs peu après son apparition en Gascogne, vers la fin de 1615 ou le début de 1616. Son vieux père le suivit de près dans la tombe et mourut en mars 1616. Le petit Jean de Monlezun, l'un des fils de François, était mort déjà, et c'est Geoffroy, le second fils, qui recueillit l'héritage de son aïeul.

Déjà Anne de Goth était morte vers 1610 et Jean de Lary restait seul survivant de tous les acteurs de cette lutte, qui depuis quarante-six ans n'avait eu que de bien courtes éclaircies; lui et les siens avaient toujours été les offensés, jamais les coupables; et s'il fallait, en fin de compte, décider quel parti fut définitivement vainqueur, il semble bien que ce fut Latour, car à la fin de sa vie, au moment où il va suivre dans la tombe son fils criminel, mort là-bas en exil, Jean de Monlezun semble bien un vaincu.

Latour cependant ne gagnait pas grand'chose à la disparition de ses ennemis. Les 25.000 livres d'indemnité que François de Monlezun devait donner à Jean de Lary n'étaient pas acquittées encore lors de sa mort; leur paiement avait soulevé un interminable procès qui dura toute la vie de Jean de Lary, toute celle ■ de son fils Bernard, et ne fut terminé que le 1er décembre 1650 — quatre-vingts ans après les premières hostilités entre Latour et le Baratnau ! — par une transaction passée à Latour entre Charles-Louis de Lary, petit-fils de Jean, et Geoffroy de Monlezun. Celui-ci payait, en tout et pour tout, 8.000 livres; les frais seuls depuis tant d'années devaient dépasser de beaucoup cette somme.


234 SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

Et. depuis ces temps éloignés, peu à peu, l'oubli s'est étendu sur toutes ces choses. Longtemps, sans doute, la dramatique histoire que nous venons de redire s'est perpétuée dans les campagnes voisines, transformée et embellie par la naïve imagination des conteurs; puis les siècles ont passé et le fil fragile de la tradition s'est rompu. Cependant Latour, le Baratnau et Manlêche sont toujours là, et, plus fidèles que la mémoire des hommes, les vieux papiers poudreux ont ressuscité pour nous une parcelle de la vie d'autrefois, parcelle bien petite sans doute, mais si peu que cela soit, il est doux de ravir au temps une miette du trésor qu'il nous a dérobé, trésor des grâces, des émotions, des souffrances et des joies d'autrefois.


Tableau généalogique des descendants de Françoise de Bezolles.


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FONDATION IGNORÉE DE DEUX BASTIDES EN ASTAÏAC

AU XIIIe SIÈCLE

(La Lanne-Arqué et Cabas),

PAR M. LE LIEUTENANT-COLONEL MONDON.

(Suite et fin.)

I.

Parèage entre Bernard 1, comte d'Astarac, et les Templiers pour le lieu de La Lane-Arqué.

(Passé le 17 juillet 1278, délivré le 12 décembre 1286.)

In nomine Domini. Amen.

Noveriut universi et singuli, présentes pari ter et futuri : Quod, nos, Guillermus Pastalis, in legibus licentiatus, Judex Kipparie 2 in partibus Vasconie Domini nostri Francie Régis, vidimus, tenuimus et de verbo ad verbum perlegimus quodam instrumentum Pariziis dudum faetuin inter egregium virum Bernardum, comitem Astariaci, et preceptorem 3 de Argentino et de Borderiis et de Viuses4 procuratorem Magistri Milicie Templi in Provincia, in territorio de La Lanarque5, non vicialum, non eancellatum, nec in aliqua sui parte suspeotum, cujus ténor talis est :

1. Noverint universi présentes, pari ter et futnri, Quod, Nos, Bernardus, Dei gratia cornes Astariaci, pro se et suis successoribus, et Preceptdres de Argentino et de Bodraco ° et de Viuses, procuratores Magistri Militie Templi in Provincia, convenerunt.quod faciant bastidam in territorio de La Lanarque communiter, insimul, per médium. Et quod, tota terra, quam dicta Domus habet ibi, sit per médium dicti domini comitis et dicti ordinis, et tota terra

1 Bernard III (1244?-1291?), d'après de Jaurgain (La Vasconie); Bernard IV (1249-1291), d'après Curie-Seimbres (Essai sur les bastides).

2 Pour la jtigerie de Rivière, voir Histoire de Languedoc, éd. Privât, t. XII,.notes p. 335.

3 Pierre de Sombrun.

4 Argenteins, près de Nérae, lieu disparu; Bordères, arrond. de Tarbes (HautesPyrénées) ; Vieuzos, près de Castelnau-Magnoac (Hautes-Pyrénées).

5 Écrit : La monarque dans le ms. La Lanne-Arqué, cant. de Masseube (Gers).

6 Boudrac, eant. de Montréjeau (Haute-Garonne). Plus haut : Borderiis, ce qui est exact (voir à la fin de l'acte la désignation des témoins).


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quam dictus dominus cornes habet in territorio de Coumes (ou Cornues) et de honore efc de districtu dicte bastide faciende. Et sit per médium dicti domini comitis et dicti ordinis. Et si dictus cornes haberet ibi plus de terra quam sit dictum territoiïum de la Lana (sic) predicta, illud plus sit dicti domini comitis versus partem que minus esset utilis dicte bastide.

2. Et quod : omnes redditus de temporalibus, et proventus predictorum locorum, et juridictio, efc incursns mobilium et immobilium, sint perpetuo per médium, salvo refcento eidem comiti quod : in criminalibus que imponunt penam corporis, cùm illi qui commiserunt crimen convicti fuerunt coram Curia et bajulio ipsorum et confessi seu probati et convicti de crimine coram ipsis et Curia, tradantur ad judicandum et penam corporis impositis, vel aliam, eidem comiti vel ejus bajulo. Et hoc casu, omne stadium et omnis incursus sit per médium mobilium efc immobilium que erunt in dicta bastide et in dictis terrifcoriis ; et si extra habent immobilia, ubicumque quod in illis haberent, quod deberent habere secundum usus et consuetudines Patrie.

3. Item, convenerunt quod : omnia supradicta habeant et teneant per médium pro indiviso; et quod nullus possit agere ad divisionem faciendam.

4. Item, et dicti procuratores recognoverunt et concesserunt predictas terras et juridictionem predictam tenere a dicto domino comité tanquam ab ordinario efc superiore domino, et quod, ab Curia coram eorum appelletur ad ipsum comitem.

5. Item, de voluntate dicti domini comitis, dicti procuratores retinuerunfc pro dicto ordine domum que est ibi et bordam, sicufc clauduntur cum vallis, et vineam quam ibi habet predicta domus cum quodam campo prope dictam vineam pro viuea facienda, sine parte dicti comitis; et quod dictus cornes possit tantum de terra habere pro aula et pro vinea facienda loco opportuno, sine parte Templi.

6. Item, convenerunt quod : idem cornes in habitationibus precedentis dicte bastide habeat exercitium, quando exercitium habebifc communiter et generaliter de comitate suo. Efc hoc, in duobus casibus, scilicefc : si fieret ei 1 injuria manifesta et si fieret sibi vis pro cavalgate. Et pro aliis casibus, non débet de dicta bastida aliquem extrahere, nec aliquid petere ab eisdem.

Actum fuit hoc décima septima Julii apud Castrum novum et (sic) Barbarensem, anno Domini millesimo duscentesimo septuagesimo octavo, Philippo, rege Francie régnante; Bernardo predicto, comité Astariaci, Amaneuo 2,

1 Ms : et.

2 Ms : Arduino.

16


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archiepiscopo Auxis. Hujus rey sunt testes : Michaël de Monte efc magister Guillermus de Condomio et frater Bernardus Doslens, preceptor Aquefcinte 1, et frater Pulcherius, Bernard de Lane, Petrus de Sombruni 2, preceptor Argentin!, et frater Petrus de Gavarret 3, preceptor de Borderas, et frater Petrus de Tornes ", preceptor de Viuses, et Sancius de La Riba, et Johannes Cornes, et Vitalis de Sancto Romano, et Bernardus des Basfco, et Brunius 5, publrcus notarius Astariaci, qui de presenti negotio, ad faciendum inde instrumentum, receperafc mandamentum; sed, morte preventus, perficere seu complere non potuifc. Post eu jus decessum, nobilis vir, dominus Bernardus, cornes predictus, voluifc efc mandavit efc judicio cognovit quod, ego, Bernardus Baco, notarius Astariaci, de materiis dicfci Brunii (sic), notarii jam deffuncti, possent conficere publica instrumenta eisdem verbis et rationibus et juxta substantiam et formam earumdem materiarium; et quod instrumenta per me inde confecta eanidem obtineant valorem efc efficaciam et roboris firmitatem ac si per eumdem Brunium, notarium predictum, jam delfunctum, vivum existentem, fuissent confecta.

Hec cognitio fuit facta per dictum comitem, anno Domini millesimo dusceutesimo octuagesimo sexto, in vigilia béate Lucie 6; hujus facte cognitiortis et probatiouis dicti domini comitis, in eadem auctoritate efc cognitione dicti domini comitis in eadem continentes, presens instrumentum scripsi, concessi et in publicam formam redegi et de materiis et notis papieris (sic) abstrahi predicfci notarii jam deffuncti et signo meo cousueto signavi.

In cujus visionis et inspectionis, sigillum regium dicte nostre Iudicature 7 hiis presentibus impendenfci duximus apponendum. Datum Bonone 8, die décima lerfcia mensis julii, anno Domini quadringentesimo decimo tertio. Collafcio fit cum originali instrumento preinserto J. de Piella, cui constat de

1 Ms : Aquetunte (Àyguetinte), membre de la commanderie de La Cavalerie, près de Vic-Fezensac, est aujourd'hui dans le canton de Valence (Gers).

2 Ms : de Somboi.

3 Ms : Gannoret.

4 Probablement, Pierre de Tourne]. V. à ce nom, l'Hist. du Gh-and Prieuré deTouuse, par Du BOURG.

6 Ms : Briuius.

G Le 12 décembre.

7 II s'agit ici du juge de Rivière qui a délivré la copie de l'acte établi par les notaires Brun et Bacon.

8 Boulogne-sur-Gesse, arrond. de Saint-Gaudens (Haute-Garonne). N'est pas indiqué dans YHist. de Languedoc (v. note 2 supra) comme ayant été siège de la jugerie de Rivière.


TROISIÈME TRIMESTRE 1912. 239

rasura ubi dicitur : materiarum. Presens copia instrument! pariagii fait correcta ex maudato dominorum bajulorum efc consulum ac tofcius uiiiversitafcis de Lane Arquerii, comitatus Astariaci et Auxis diocesis, cum suo vero originali, a quo fuit absfcrafca per me, Pefcrum de Corfcesio, publicum anctoritate regia notarium Bonone, habitafcorem ordinarium, efc dictorum bajulorum et consulum prefati loci de la Lane Arquerii. In cujus rey testimonium, hic, me, manu mea propria, subscripsi et in eodem signuni meum autenticum quo ufcor in meis publicis instrumeutis opposui, in fidem et testimonium omnium et singulorum promissorum.

Presens instrumentum predicti vidimenti copia fuit ab alia copia origïnalis extracta per me, lohannem de Pardinis, publicum auctoritate dominorum de Capitulo Tolose notarium, ville Bonone habifcatorem; in cujus rey fidem efc testimonium, hic me signo manuali signavi. — Signé, Pardinis, avec paraphe.

IL

Charte de fondation de la bastide de Galas (Astarac). (16 juin 1296.)

Noverinfc universi présentes par!ter et futuri quod magnificus vir dominus Centullus \ dei gratia cornes Astariaci, et frater Bertrandus Cadolha, preceptor domorum de Cabatio et de Sabalhano efc de Saucto Leoni 2, procurator constitutus per fratrem Guilhelmum de Villare 3, sancte domus hospitalis sancti Johannis hierosolomitani, priorem Sancti Egidii, prout in quadam lifctera sigillata... apparebafc sigillo dicti domini prioris Sancti Egidii continebafcur. Cujus quidem littere ténor talis est.

Noverint universi présentes litteras inspeeturi quod, nos, frater Guilhelmus do Villare, sancte domus hospitalis Sancti Joannis hierosolimitani, priôr Sancti Egidii... diligenti administratione ac prudenfcia efc legalitate in Christo nobis carissimi fratris Bertrandi Cadolha, precepfcoris [de Cabatio], de Sabalhano et de Sancti Leonini (sic), confidentes de voluntate, consilio et expresso assensu nostri generalis capifculi Frontonii 4, anno domini millesimo ducentesimo nonagesimo sexto, videlicet post dominicam mensis madii cele'

cele' III (1291-1300?).

2 Cabas-Loumassès, canton de Masseube (Gers); Sabaillan, canton de Lombez (Gers); Saint-Léon (ou Léonard ?) n'a pu être situé.

3 Guillaume de Villaret, élu grand-maître de l'Ordre de Saint-Jean en 1300.

4 Fronton, canton de Toulouse (Haute-Garonne), chambre prieurale de l'Ordre de Saint-Jern.


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brati, ipsum fratrem Bertrandura, procuratorem nostrum tam gêneraient quam specialem, ita quod non sit nielior conditio occupantis, facinius, constifcuimus, ponimus, creamus et etiam ordinamus... et fundanda bastida in territorio de Cabatio et inbiendum (lire : inhiandum) et faciendum pariagium super fundatione bastide cum magne nobilitatis viro domino Gentullo, dei gracia comité Astariaci, ad faciendum excambium seu permutationem cum reverendo [pâtre] in Cliristo domino Amaneuo, archiepiscopo Auxensis, de domo nostra Sancti Leonini et ecclesia sua de Sabalhano... eidem procuratori nostro plenam et libei'am potestatem, auctoritatem ac specialem mandatum faciendi, fundandi et edificandi bastidam predictam, ac pariagium iniendi cum prefato domino comité et dictum excambium seu permutationem faciendi cum predicto archiepiscopo, ac demnm omnia alia faciendi, exercendi, coneedendi, complendi, que, nos, faceremus et... si présentes adessemus personaliter ratum, gratum, stabile et perpetuo babituri quidquid per dictum procuratorem nostrum factum, concessum, procuratum in premissis et premissa tangentibus exerceret aut alias ordinaret. Preterea volumus quod dictus procurator noster sex viginti libras turonenses mutuo recipere valeat, si fiât excambium supradictum, et hoc... eoncesse potest. Significamus per lias présentes litteras, sigilli nostri munimine roboratas. Datum Frontonii, die, loco et prefixis 1.

Videlicet : dictus dominus cornes Astariaci, pro se, et frater Bertrandus predictns, preceptor domorum predictarum, pro se, procuratore nomine dicti prions Sancti Bgidii, et pro omnibus success[oribus]... et villam in loco vocato : de Cabatio pariagium fecerunt, convenerunt et promiserunt, unus eorum alteri, firma e solemni stipulatione, dictam bastidam et villam facere in dicto loco de Cabatio sub pariagio, pactis et modis conditionibus infrascriptis pro utilitate ac defensione dicte [domus ? et pro] stabi[litate rerum mobilium ?] et immobilium presentium et futurorum et jurium ad dictam domum de Cabatio expectantium et personarum fratrum proxime dicte domus.

1. In primis, voluit, concessit dictus preceptor pro se et suis successoribus

quod dominus in dictam villam... moveant quam esse dixerunt in territorio

de Cabas (sic) que bastida vocatur : de Saucta Gratia, et ratam habeat et recipiat in dicta bastida et villa que est in comitatu ejusdem domiui comitis

Astariaci medietatem per indiviso omnium rerum [denariorum i et a]grariorum

a]grariorum omnium aliorum infra villam et e[xtra ?] percipere débet a dictis

1 Le ras. porte après ce mot la mention suivante : Constat de interlinearii : signifleamus.

2 V. Adverlissement que met... Frédéric de Berre de Cologne. Arch. Toulous. Fonds de Malte. Liasse Cabas. Procès de Roquelaure, 1692.


TROISIÈME TRIMESTRE 1912. 241

populatoribus, habitatoribus dicte ville quocumque nomine censeantur. Ita tamen quod, si aliquas expensas facere oporteret pro illis aut in illis, in quibus aut de quibus, dominus cornes medietatem perciperet, videlicet : in

fabrica et in furnis aut vallis aut causis, ipse et successores ejus teneantur

solvere expensarum. Hoc tamen salvo quia pacto expresso retinuit sibi dictus preceptor pro se et suis successoribus, de voluntate dicti domini comitis et expressum ad hoc specialiter consentientis ecclesiam seu ecclesias omnes dicte ville cum omnibus decimis, premitiis, predialibus et persoualibus oblationibus et omnibus aliis, ad jus ecclesiarum nomine censeantur, et hospitalia, leprosiam et reclusas et omnia alia que ab ipsis causis possunt assignari; nec aliquis possit in dicta villa facere aut edificare capellaniam aut ponere capellanum sine dicti preceptoris bene placito et mandate

2. Item, retinuit sibi et suis successoribus dictus dominus preceptor [posse aquam ducere intra et foras villam. Ita tamen :] preceptor et sui successores in territorio dicte bastide, in sua terra propria, possit construere molendina et retinere terrain ad opus molendinorum. Et nichilominus fuit dictum et in pacto deductum inter dictos dominum comitem et perceptorem quod : dictus

dominus cornes idem possit facere in sua propria terra; et etiam quod :

dicte bastide sint per médium dictorum domini comitis et preceptoris et suorum successorum.

S. Item, quod dictus dominus cornes non construat nec construere possit bastidam seu villam, bastidas seu villas, in aliquo loco sui comitatus infra mediain leucaru territorii dicte bastide.

4. Item, fu[it aetum quod ?] : si compositio fieret ante sententiam, vel in ipsa, vel post, super his que tangunt merum imperium quod illud quod proveniet ex compositione, vel aliter, ex causis meri imperii, si fuerint res mobiles, sint per médium domini comitis et preceptoris.

5. Item, fuit actum quod : dictus dominus cornes et preceptor habeant merum imperium in terra sua propria, quam ponent in pariagio, ut primo habebant; et quod : dictus dominus cornes faciat omnia et singula premissa et infrascripta laudare, ratificare et approbare Bernardo 2, filio sno, hinc ad festum Pasche-Domini; et quod: dictus preceptsr fa[ciat laudare, ratificare et approbare 3] Guilhelmo de Yillare, vel successoribus suis, [in litteram*]

1 V. Advertissement cité à la note précédente.

2 Bernard IV, 1300 ? 1324.

3 Precis,..du partage... de 1296. Aroh. Toulouse. Fonds de Malte Cabas. Liasse I, n° 3.

4 Ou : in çartam. Le copiste a omis ces mots.


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sigillatam suo sigillo, vel successorum suorum de omnibus et singulis premissis et infrascriptis laudandis, ratificandis et approbandis.

6. Item, retinuit sibi et successoribus suis d,ctus preceptor potestatem ducendi aquas per villam, vel extra villam... taies aque per quecumque loca dominus voluerit, et edificandi, construendi moleudinum seu molendina absque contradictione et impedimento quandocumque et quocumque et ubicumque dicto preceptori et suis successoribus visum fuerit expedire. Ita tamen quod : si, per vtneam, ten-am vel locum alium quemlibet alteri datum in feodum vel in emphiteosim, confeingeret vel necesse esset facere rivalem, aggerem vel aque ductum, aut edifîcare molendinum, vel pillorium, dictus

preceptor et sui successores tenentur facere emendam et satisfacere vel

quorum loca per dictum preceptorem vel ejus successores fuere occupata secundum arbitrium trium virorum a dicto preceptore seu ejus successoribus hominibus dicte bastide seu ville ad hoc extimandum pariter selectorum.

7. Item, retinuit dictus preceptor, pacto expresso, omnes elemosinas et legata, hereditates, donationes inter vivos ex causa mortis cujuscumque relieta generisque fuerit dicte domui totaliter et intègre, sine diminutione et perditione aliqua facienda eisdem domino comiti vel suis successoribus, tali modo quod dicto comiti vel [suis successoribus ?]... infra annum illud servitium vel legatum dicto preceptori a quolibet defuncto vel legato dicte ville per dictum preceptorem in loco salvo et idoneo domino comiti supradicto.

8. Item, sibi retinuit dictus preceptor grangiam seu domum dicte preceptorie

preceptorie vinea, pomeriis secundum quod distiuguit fossatum in

circuitu dicte grangie seu domus, ad faciendum de his que infra ambitum dicti fossati continetur ad voluntatem dicti preceptoris et commode secundum dicto preceptori et suis successoribus visum fuerit expedire sine diminutione excepto quod : si vinee vel domus ibi facte fuerint habitatoribus dicte ville tradite in feodum, dominus cornes et sui successores percipiant medietatem censuum et omninm aliorum jurium.

9. Item, sibi dictus preceptor retinuit intègre, totaliter, viginti jugera [prati ubi*] preceptori placuerit infra districtum dicte ville.

10. Item, fuit actum et in pacto deductum quod : dominus cornes, pro domo construenda, orto, prato seu pratis et vinea faciendis in dicta bastida de Sancta Gratia et territorio ejusdem in quo equali et in eadem mensura habeat terrain ibidem preceptor seu ejus successores.

1 Advertissement, etc., cité note 6 supra.


TROISIÈME TRIMESTRE 1912. 243

11. Item, retinuit dictus preceptor sibi terram seu terras cultas de novo, vel extirpandas, seu memorosas, quantum duodecini jugera bovum poterunt arare seu excolere, per annum, per agriculturam dicti preceptoris et ejus

utilitatis et voluntatis per omnia, secundum quod dicto preceptori

et suis successoribus visum fuerit expedire, nec teneantur dictas terras tradere habitatoribus dicte ville ad construendas domos, ortos faciendos, plantandas vineas, seu locare et tradere dictas terras habitatoribus dicti loci, si voluerint excolendas vel ext [irpandas], secundum quod eis visum fuerit expedire.

12. Item, retinuit sibi dictus preceptor infra ambitum dicte ville locum ad construendum ecclesiam, cimeterium, atrium et domum seu domos libéras, in qua vel in quibus capellanus habitare possit dicti loci honeste, secundum quod dicto preceptori visum fuerit expedire.

13. Item, retinuit sibi dictus preceptor duas plateas terre ad hedificandum palatium et juxta palatium domus sibi necessarias ubicumque et quandocumque dicto preceptori placuerit infra ambitum dicte ville; que omnia esse libéra voluit pro facienda utilitate et voluntate sua de his et de omnibus supradictis.

14. Ifcem, voluit et re[tinuit] sibi dictus preceptor quod : dominus cornes habeat unum palatium vel domum, sive pluri, infra ambitum dicte ville juxta domum dicti preceptoris, vel alibi, in villa predicta ubi eidem comiti placuerit, ad hospitandum ibi dùin venerit; que sit libéra sicut domus dicti preceptoris; que sit ejusdem longitudinis et latitudinis sicut domus dicti precedtoris, vel pluris, vel minus, ad voluntatem dicti preceptoris et populationis \

15. Item, voluerunt et concesserunt dicti dominus cornes et preceptor quod : aliqui milites, clerici, religiosi, liberi, vel aliqui homines quicumque, vel mulieres^ non recipiantur in dicta populatione ad edificandum aut babitandum in dicta villa et infra districtum omnium locorum ad dictam villam pertinentium, sine voluntate et mandate expresso et consensu dicti preceptoris et qui pro tempore fuerint et dicti domini comitis, vel illius seu illorum qui (sic) per dictum preceptorem et comitem ad hoc faciendum fuerint âssignati.

16. Item, voluit et concessit dictus preceptor quod : omnes homines ibidem advenientes et domicilium eligentes jurent homagium dicto preceptori et qui

' Ces deux derniers mots ont été ajoutés à la fin de l'acte sous la formule : constat de interlinarii.


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pro tempore fuerint et dicto domino comiti quandocumque super his fuerint requisiti.

17. Item, retinuit sibi dictus preceptor specialiter pacto solempni quod : si contingeret in posterum, quod absit! dictam villam aliquo casu vel occasione destrui seu depopulationem annulari usque ad triginta domos [in]clusive, quod locus dicte ville cum territorio culto et inculto et toto districtu et pertinentiis dicte ville cum omni juridictione majori, média vel minori, remitatur et teneatur libère absque contradictione alicujus intègre et insolidum et totaliter ad jus et proprietatem dicti preceptoris prout habebat et possidebat tempore quo incepta fuit populatio seu acta, prout ante et unquam plenius possedit; et si magna vel aliqua pars depopulent et remaneant inculta, illud totum quod non excoletur per populatores retinet dictus preceptor ad jus et proprietatem et usum singularium suum et suorum successorum qui pro tempore fuerint. Ita tamen quod : si aliqua terra culta vel inculta fuisset data vel concessa in feodum alicui populatori dicte ville et ille recederet vel dimitteret aliquo casu et postea vellet reverti ad populandum et habitandum in dicta villa infra annum et diem et minus et plus ejus arbitrio p[otuit] recuperare cum feodo jam debito quocumque prius dimisisset.

18. Item, voluit dictus preceptor quod : si, aliquo tempore, dicta populatio sive villa recipiebat augmentum ultra triginta domos post annulationem dicte ville, quod dictus dominus cornes et ejus successores habeant medietatem in omnibus juribus dicte bastide, prout prius ante [donationem dictus] cornes habebat, non obstantibus aliquibus de premissis.

19. Item, voluit dictus preceptor quod : dictus dominus cornes possit facere piscarium vel piscaria in pertinentiis dicte bastide ubicurnque ei placuerit, excepto flumine vocato Larat sine injuria alicujus habitatoris dicte ville in alia facienda, non obstantibus [aliquibus de prejmissis retentis superius a dicto preceptore.

20. Item, convenerunt dictus preceptor et dominus cornes predictus, firma stipulatione, quod : dictus dominus cornes nec ejus successores non possint legare, seu permutare, seu cambiare, arrendare, seu impignorare, in feudum concedere, vel alio quolibet modo alienare, vel quere[re et ?] ultima voluntate relinquere quocumque modo, sive dividere aliquid de illis que in predicta villa seu populatione eidem dédit et concedit dictus preceptor, aut extra manum suam ponere, dare aut vendere nisi dicto preceptori et suis successoribus.

21. Voluit etiam dictus preceptor quod : dictus dominus cornes predictam


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medietatem quam eidem dédit et assignavit, dictus preceptor possideat et habeal ille qui fuerit cornes et dominus Astariaci pro tempore, ad honorem et utilitatem et proficuum suum, sine damno tamen dicti preceptoris et fidelitate; et quod teneatur hoc solemniter promittere et jurare cum instrumento publico totiens quotiens mutabitur preceptor in dicta domo de Cabatio.

22. Item, quia dictus preceptor dicto comiti et suis successoribus concessit medietatem jùstitiarum, rerum mobilium et immobilium pro indiviso, voluerunt tamen dicti preceptor et dominus cornes et inter se convenerunt quod : si alicujus bona pro delicto, crimine aut infidelitate, aut aliqua justicia, causa légitima de jure, possunt et debeant (sic) confiscari medietatem mobilium, statim percipit dominus cornes, vel alius de mandato ejus, et aliam medietatem percipit ille qui locum dicti preceptorio tenuerit in dicta villa. Immobilium vero quod predicto modo inciderint in commissum, teneantur vendere habitatoribus dicte ville bailivi comunes preceptoris et comitis constituti pro ipsis dominis infra annum: et medietatem illius pecunie teneantur reddere dicto preceptori et aliam medietatem dicto domino comiti. Ita tamen quod : quidquid pro dicto preceptore tenebat ille cujus bona inciderint in commissum, videlicet : terras cultas et incultas de quibus dictus dominus cornes vel • sui nihil debent recipere, sed preceptori adquiratur. Eodem modo, si pro comité aliqua tenuerit in quibus dictus preceptor nihil habebat, si in commissum inciderint, totaliter comiti adquiratur.

23. Item, quia dictus preceptor, propter defensionem et procurationem et custodiam et augmentum dicte populationis et omnium bonorum dicti preceptoris qui in comitatu ejusdem habet dictus, aut extra dominium dicti comitatus, recipit in parte reddituum dicte ville, sicut predictum est. Et voluit etiam convenire dictus preceptor cum dicto domino comité, firma et solemni stipulatione, quod: dominus cornes Astariaci et ejus successores homines predicte ville défendant et manu teneant et teneantur in libertate sua et custodiant eos et jura sua, fora et consuetudines. Ita, quod : non possint eis facere tallias, questas, petitiones, albergas, vel in aliquo eos vexare, vel molestare, seu gravere in rébus mobilibus nec immobilibus, aut personis vel eorum corporibus et juribus, nec petere ab eis sine voluntate et bene placito et consuetudine vel concensu dicti preceptoris. Et si aliqua peteret, vel reciperet, idem dominus cornes ab hominibus dicte ville, omnium que illorum retinuit dictus preceptor pacto expresso et solempni stipulatione.

24. Item, quod non prohibeat dictus dominus cornes, vel sui successores, nec prohiber! permittat homines vel nmlieres totius terre sue qui venerint ad


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populandum dictam bastidam libère et absolute cum omnibus bonis suis, nisi ignis sibi extinguatur, nisi ab eodem domino comité terrain teneant.

25. Item, quod constituât ibidem forum, vel mercatiuin, una die competenti in qualibet septimana, quali die dicto preceptori congruentius videbitur expedire; muudinas semel, vel bis, in anno, in temporibus vel diebns quibus dicto preceptori congruentius videbitur expedire.

26. Item, quod dictus dominus cornes permittat homines dicte ville cum pecoribus suis et armentis pascere per omnia loca sui comitatus, et tam ipsos quam res ipsorum custodiat et [sal]vet per omnia loca comitatus ipsius,

27. Item, voluerunt et concesserunt dictus preceptor et dominus cornes Astariaci quod : de rébus venalibus, videlicet : blado, vino, bestiis maioribus vel minoribus, vel quibuscnmque aliis rébus dicti preceptoris, non teneantur solvere leudam seu pedagium, sed libère et sine impedimento et gravamine, possit vendere eas cui voluerit in dicta villa, vel per dictum comitatum quando et quotiens dicto preceptori et suis fuerit oportunum; et banc et eamdem libertatem habeat idem dominus cornes et ejus successores de rébus quas vendere voluerit in dicta villa prenominata.

28. Convenit dictus preceptor solempni stipulatione cum dicto domino comité quod : idem preceptor et sui successores omnia quecumque habet et habebit, recipiet et recepit in dicta villa, seu domo et pertinentiis eorum in blado, in vino, seu peccoribus, seu rébus quibuslibet aliis possit dicto preceptori vineas dicte domus libère et sine contradictione ipsius domini

comitis et eius successoral!! libère extrahere de commitatu Astariaci et portare, ducere cum necesse fuerit et voluntate dicti preceptoris et domus predicte.

29. Item, convenit et promisit dictus (vreceptor) dominus cornes dicto preceptori omues possessiones, pascua, nemora, que hodie habet dicta domus et que débet habere et ab aliis iudebite detinentur defendat dictam domum; et idem dominus cornes et sui jurent dictam domum fideliter et eficaciter in

recipiendis illis pascuis et possessionibus et re[bus] ad jus et

proprietatem dicte domus que a militibus et quibuslibet aliis sunt indebite occupata.

30. Item, convenerunt dicti preceptor et dominus cornes quod : ponant in dicta villa baiulos suos; qui baiuli teneantur fidelitatem jurare dictis dominis;

et quod : baiulus dicti comitis post lata sententia super aliquo

crimine commisso per aliquem seu aliquam hominem vel mulierem sub juri1

juri1 mot est pointillé dans la charte et doit être supprimé.


TROISIÈME TRIMESTRE 1912. . 247

dictione et districtu dicte bastide faciende in dicto loco nunc vocato : de Sancta Gratia, executio cujuslibet delinquentis sub dicta juridictione et districtu penitus, incontinenti, post latam sententiam et non ante, sit dicti domini comitis et suorum baiulorum; et ad euni et suis baiulis nomine ipsius pertineat, et non alicui, ullo modo; et quod : a sententia et interlocutoriis et aliis cognitionibus latis per consules et curiam dicte ville de Sancta Gratia immédiate sive sint late super causa seu causis civilibus vel criminalibus, vel super quolibet alio negotio, vel negotiis, ad judicem ordinarum dicti domini comitis apelletur; et quod : coram eodem judice dicte cause apellationis veiitilentur; et antequam ad aliud, apelletur, difiniatur et exterminetur.

31. Item etiam, quod : predicti baiuli dictorum preceptoris et domini comitis colligant omnes redditus, census et justitias, leudas et pedagia, et omnia alia ad dominium pertinentes in dicta villa et ejus districtu. Et cum colligerint omnia, reddant computum in presentia dicti preceptoris et domini comitis vel aliorurn qui ad hoc fuerint instituti ab eis; et reddant pretium per comunem ipsum contingentem.

32. Item, quod : si dicti dominus cornes et preceptor voluerint instituera alios baiulos pro aliis rébus suis custodiendis, vel negotiis gerendis, licitum sit hoc facere cuilibet eorum.

33. Item, quod : ipsi baiuli ambo possint mutaii annuatim, quando dicto preceptori de suo baiulo, vel domino comiti de suo baiulo, visum fuerit expedire.

34. Item, quod : sex consules sint dicto preceptori, videlicet : singulis annis a preceptore et domino comité instituantur et confirmentur; et quod : baiuli et consules sint vicini et habitatores dicte ville.

35. Item, voluit et convenit dictus preceptor et concessit cum dicto domino comité quod : quilibet qui de novo successerit in comitatu, vel quilibet alius dominus dicti comitatus de novo recipiens, teneatur statim jurare super quatuor dei evangelia dicto preceptori; et quod : predicta omnia et singula et alia que ad provocationem et custodiam dicte bastide faciént inviolabilitèr, et legaliter observabunt toto tempore vite sue; et quod : de dicta villa et aliis juribus, bonis pertinentibus ad dictam domum, erit fidelis in personis et rébus hominum dicti loci, nec aliud servitium, seu dominium, seu jus quolibet attentabit sibi vendicare in habitatoribus, seu rébus, dictorum habitantium dicte ville, nisi illud quod per eum eidem concessum fuerit per présentera paginam, constitutum hoc. Idem, teneatur jurare quilibet preceptor eidem domino comiti et suis successoribus, pacto expresso, ut de his semper quod


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juramentum fiât publicum instrumentum ante omnia premissa et singula; promisit solemni stipulatione dictus dominus cornes, pro se et suis sucessoribus, dicto preceptori et suis successoribus, attendere et observare et non contra facere vel venire sub pena centum marcarum argenti constata committatur; et exigi potest, vel possit, quotiens contra faceret, vel veniret; et pena soluta vel non, semper predicta rata, sint et firma.

36. Item, dominus cornes, firma et solempni stipulatione, promisit dicto preceptori quod : si qnid, quod absit ! dictus dominus cornes vel ejus successores per se, vel per alium, contra facerent in predictis, vel aliquid predictorum aliquo facto ingenio, vel aliqua ratione ullo modo omnia et singula dampna data dicto preceptori et hominibus dicti loci, infra quindeoim 1 dies postquam sibi fuerit denuntiatum teneatur ibidem dominus cornes emendam facere in duplum dicto preceptori et aliis dicti loci dampnum pro eis ad coguitionem tamen dicti preceptoris semper et suorum successorum.

37. Item, fuit actum et in pactum deductum in ter dictos preceptorem et comitem, quod : idem dominus cornes non possit homines dicte ville compellere ad faciendum host, nec hordam, nec cavalgadam, extra comitatum Astariaci, nec infra, nisi de voluntate dicti preceptoris vel suorum successorum.

38. Item, quod : terre seu prata que a preceptore dicti loci fuerunt actenus in feodum concesse hominibus remaneantur in suo statu. Item, quod : dominus cornes teneatur fideliter dictum preceptorem et suos custodire et defendere pro posse suo bona dicte domus mobilia et immobilia ubicumque sint et qualia quecumque sint eundo et redeundo, stando, et specialiter in suo comitatn. Item, quod : homines nec mulieres dicti preceptoris non recipiantur in dicta populatione, nisi de ipsius preceptoris voluntate et concensu.

39. Item, quod : dicti preceptor et dominus cornes habeant per médium in dicta populatione et ejus pertinentiis venditiones, impignorationes et retrocapita (sic), quando evenerint. Item, idem dominus cornes promisit quod non per[mi]teret habitatoribus dicte populationis terras militum vel quorumlibet aliorum excolere vel extirpare, donec omnes terre et possessiones dicte domus et continentie infra districtum dicte ville" culte et extirpate fuerint ab eisdem.

40. Item, quod : dicti domus cornes et preceptor et eorum successores habeant potestatem ponendi et creandi in dicta villa scriptorem publicum et alias personas comunes, videlicet : judicem; qui jurent preceptori et comiti predictis fidelitatem; et audiant causas et judicent inter populares et alios

1 Précis, etc. (op. cit. note 9 supra) porte : viginti.


TROISIÈME TRIMESTRE 1912. 249

secundum forum et statuta et consuetudinem ipsius ville; et baiulus comunis, qui judicatum fuerit in causis civilibus, exequetur nomine dictorum domiuorum; in criminalibus, baiulus comitis, ut est dictum.

41. Item, quod : dominus cornes et preceptor predicti cognitionem et juridictionem plenariam omnium feudorum ad ipsos et ad dictam villam pertinentium habeant; ita, quod, in causis feudalibus, non possit alius judex, sine mandato domini comitis et dicti preceptoris et concensu, ponere partes suas. Idem, licèt dictus preceptor concédât habitatoribus dicte ville herbagia, pascua, per omnia loca ad dictam villam pertinentes, retinuit tamen expresse dictus preceptor quod : nullus possit facere aut ponere cabanam infra districtnm dicte ville, nec pascere herbagia, nisi idem preceptor.

42. Item, fuit actum quod : baiuli comunes, de consilio juratorum, possint ibi apponere messeguerios; de consilio juratorum apponens illis penam quam, de consilio juratorum, decreverunt apponendam. Et de justicia vel pena qua baiuli apposuerint, ipsi baiuli percipiant medietatem et messeguerii aliam medietatem.

43. Item, insuper, dominus cornes juravit supra sancta dei evangelia corporaliter manu ejus tacta dicto preceptori omnia predicta et singula universa et attendere, complere et servare et, ullo modo vel ingenio, contra facere, vel venire per se, vel 1 per alium, et se facturum et curaturum juravit quod predicta omnia universa et singula aliis pro suo posse faciat observare.

44. Item, fuit actum inter dictos preceptorem et comitem quod : si dictus cornes faceret facere, vel veniret contra predicta, vel aliquid predictorum, consules, jurati et baiuli dicte ville qui pro tempore fuerint, redditus, fructus et proventus et jura quecumque et quatiacumque sint dicto domino comiti, expectantia teneant dare dicto preceptori, vel alii ejusdem preceptoris, absque omni requisitione, nuntiatione, ipsi dom[ini] comitis facienda duxerit ordinandum, et hec teneantur dicto preceptori per sacramentum et sub pena centum marcarum argenti in singulis capitulis commiscenda et dicto preceptori applicanda.

45. Item, fuit actum et in pactum deductum inter dictos dominum comitem et preceptorem quod : si dictus preceptor habebat aliquas terras in territorio et pertinentiis dicte bastide de Sancta Gratia, quod non concedatur ad arpenta, vel aliter, juxta formam presentis instrumenti habitatoribus dicte

1 Le Précis, etc. (op. cit., note 9),porte: vel per interpositam personam in totum vel in parte. Kenuntians omnibus juribus tam civilibus quam canonicis cum quibus vel per que possent se jurare, vel modo aliquo se tueri. V. la formule à l'art. 46 ci-après.


250 SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

ville; quod : dictus preceptor et ejus successores habeant et percipiant agrarium in solidum de eisdem.

46. Item, insuper, predicti dominus cornes et preceptor juraverunt, ad sancta dei evangelia propres manibus corporaliter tacta, omnia premissa et singula tenere et servare et non contra facere, vel venire, in judicio, vel extra, per se vel per iuterpositam personam in toto, vel in parte; renuntiantes omnibus juribus tam civilibus quam canonicis cum quibus vel per que possent se jurare, ullo modo aliquo se tueri.

Actum fuit hoc apud Castrum novum de Barbarenchis 1, décima quinta die exitus mensis junii 2, anno ab incarnatione domini millesimo ducentesimo nonagesimo sexto, Philippo rege Prancorum régnante, eodem Centullo, comité Astariaci, Amaueuo, archiepiscopo Auxis, in presentia et testimonio dominorum Arnaudi de Sancto Romano 3, Mancipii de Milanis 4, militis, domini Fulcodionis de Turribus, rectoris ecclesie de Andervilla 3, Bernardi de Senasenchis 6, Gaysie de Solerio, domini Iohannis de Sancta Maria, presbiteri, et Bernardi Baconis, publici notarii Astariaci, qui, de voluntate ad requisitionem dictorum domini comitis et preceptoris, cartam istam scripsit cum alia per alphabetum divisa, et subsignavit.

(Suivent des cancellations, dont il a été tenu compte.)

1 Castelnau-Barbarens, canton de Saramon (Gers).

2 Le 16 juin.

3 Saint-Arroman, canton de Masseube (Gers).

4 Miélan, arrond. de Mirande (Gers).

5 Adervielle, arrond. de Bagnères-de-Bigorre (Hautes-Pyrénées) (?).

6 Senarens, canton du Fousseret (Haute-Garonne) (?).


TROISIÈME TRIMESTRE 1912. 251

LE GÉNÉRAL LAROCHE,

PAR MM. BAR AD A ET BRÉGAIL.

(Suite et fin.)

Le 15 frimaire an II (5 décembre 1793) Laroche participa brillamment aux délibérations d'un conseil de guerre qui se tint chez les représentants du peuple en vue d'organiser l'offensive. Il présenta un plan d'attaque fort bien conçu qui tendait à l'envahissement du Gkripuzcoa et d'une partie de la Navarre par la vallée du Bastan et à l'occupation de Vera, d'Irun et de Fontarabie. Cette tactique habile et hardie présentait le double avantage de reporter le théâtre de la guerre sur le territoire espagnol et de faire vivre nos armées aux dépens de l'ennemi.

Ce plan fut envoyé au comité de Salut public, qui le trouva ingénieux et hardi; mais le ministre de la guerre Bouchotte, qui n'aimait point, paraît-il, l'armée des Pyrénées-Occidentales, s'efforça d'en arrêter ou tout au moins d'en retarder l'exécution, en distraisant dix mille hommes de l'armée des Pyrénées-Occidentales pour les envoyer à l'armée de l'Ouest et à l'armée des Pyrénées-Orientales.

Laroche avait été très heureux de l'accueil fait à son plan de campagne par toutes les autorités compétentes, et il en concevait une légitime fierté. Il était convenu que la réalisation de ce plan allait du même coup assurer la victoire de nos armes dans les Pyrénées-Occidentales, attirer l'attention sur lui et peut-être le conduire à la gloire; aussi s'abandonna-t-il pendant quelques jours aux plus belles espérances.

Malheureusement le plan qu'il avait si laborieusement conçu ne se réalisa point, et Laroche, cruellement déçu, dut se résigner. L'amertume qu'il ressentit se dégage très apparemment de la lettre suivante qu'il adressa le 14 pluviôse an II (2 février 1794) â son ami Jean Laisle, membre du directoire du département des Hautes-Pyrénées.


252 SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

Pardon, mon cher ami, si je n'ai pas répondu plus tôt à la lettre que tu m'as écrite le 1er pluviôse, pardon si je t'ai forcé par mon silence de m'écrire une seconde fois pour le même objet. Je n'étais point à Bayonne, j'étais à la division du centre occupé à des reconnaissances militaires importantes et bien utiles; j'étais à me convaincre que si mon plan (que tu as entendu lire au camp de Belchenea) eût été exécuté dans le temps et comme je l'ai proposé, rien ne pourrait en arrêter le succès; nous serions aujourd'hui maîtres de la vallée de Bastan et en possession des nombreux magasins de l'ennemi; nous n'aurions plus en évidence et braquées contre nous ces innombrables pièces à feu qu'on aperçoit dans le golfe d'Lrun; nous chanterions la Carma* gnole à Fontarabie, à Saint-Sébastien et à Passages; nous aurions de quoi faire subsister notre armée; nous aurions de quoi armer nos jeunes volontaires; nous aurions empêché par cette diversion la déroute de l'armée des Pyrénées-Orientales, les succès de Ricardos, et nous serions en même de nous porter, au 1er germinal, à Pampelune et dans tout le pays qu'arrose l'Ebre.

Ah ! mon ami, que je souffre de voir le, plan renversé et de changer une offensive brillante et certaine en une défensive rigoureuse et humiliante. Cependant il faut s'y soumettre; il faut obéir au décret de la Convention nationale et croire que ses combinaisons qui s'étendent sur tous les points de la République valent mieux que celles d'un individu qui ne voit qu'un objet 1.

Muller et Laroche durent se résigner à assurer, aussi bien que possible, la défense de la frontière avec les troupes qui leur restaient. Cependant ils firent de nouveaux efforts pour renforcer leur armée par de nouvelles recrues, et ils y parvinrent dans une certaine mesure. Les Espagnols, escomptant imprudemment sa faiblesse, prirent soudainement l'offensive dans la journée du 17 pluviôse an II (5 février 1794). Avec quinze mille hommes, marchant sur cinq colonnes et soutenus de quinze pièces d'artillerie, ils attaquèrent le camp des Sans- Culottes, qui était défendu par trois mille hommes 2. Le général Frégeville, clans la division duquel se trouvait le camp des Sans- Culottes, en avait confié le commandement au colonel Lespinasse. L'attaque fut des plus vives, mais la défense fut encore plus vigoureuse, et, après six heures de combat, les Espagnols durent prendre la fuite. Ce fut là la première victoire de l'année des Pyrénées-Occidentales :

1 Bayonne sous la Révolution, par E. DUCÉEÉ. Ouvrage manuscrit conservé à la bibliothèque municipale de Bayonne. — Lettre n° 16.

2 Ce camp, établi sur un plateau qui domine Hendaye du côté de l'est, tenait en respect les Espagnols qui avaient franchi la Bidassoa et couvraient la route de Bayonne.


TROISIÈME TRIMESTRE 1912. 253

cinq mille soldats français y triomphèrent du nombre et de l'acharnement des ennemis.

Justement fiers de ce brillant fait d'armes, Muller et Laroche s'empressèrent d'en rendre compte au comité de Salut public. Laroche s'exprima en ces termes :

La journée du 17 pluviôse, Citoyens représentants, dont le général de l'armée 1 vous fait passer les détails, est belle, glorieuse et honorable; elle prouve ce que peut le courage lorsqu'il est animé par le sentiment sublime de la liberté et de l'égalité.

Quinze mille Espagnols se sont présentés au point du jour, avec beaucoup d'artillerie et de cavalerie; ils ont forcé nos avant-gardes à se replier, ont enlevé deux de nos postes et fait du chemin en peu de temps; mais, certes, le pas de charge et l'ardeur inconcevable de nos soldats les ont forcés bientôt à rétrograder et à faire une retraite honteuse et humiliante.

Vive la République ! Vive le pas de charge 2 !

LAROCHE.

Deux mois après environ, le 21 prairial, l'auteur de cette lettre était destitué, comme suspect d'incivisme, par le ministre de la guerre Bouchotte, en dépit des glorieux services rendus au pays. Avec dix-sept autres officiers généraux, il reçut l'ordre de se retirer dans sa commune et d'y vivre sous la surveillance des autorités constituées.

Le 3 floréal an II (22 avril 1794), les représentants du peuple à l'armée des Pyrénées-Occidentales protestèrent contre les destitutions des généraux Frégeville, Lespinasse, Delalain, Duprat, Chapelette et Laroche. Dans une lettre adressée, à cet effet, au comité de Salut public, ils reprochaient à Bouchotte « d'épancher « sa bile » contre l'armée des Pyrénées-Occidentales, parce que cette armée n'avait jamais été ministérielle. Puis, parlant du général Laroche, ils ajoutaient :

La justice nous force de vous parler d'un général de brigade compris dans la destitution. C'est le fils d'un laboureur, qui n'a jamais été noble, et qui

1 Le général Muller.

2 Moniteur officiel, du 26 pluviôse an II, n° 146. Lettre de Laroche aux membres du comité de Salut public, datée du quartier général de Chauvin-Dragon, ci-devant SaintJean-de-Luz.

17


254 SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

les (sic) déteste autant qu'il aime la Montagne et la Révolution. Il se nomme Laroche, chef de l'état-major; nous le connaissons depuis huit mois; il parcourt la même carrière que nous, et jamais il n'a fait le plus léger faux pas. Notre collègue Ysabeau, qui nous avait précédé ici; Baudot, Chaudron-Rousseau, tous lui avaient accordé leur confiance. Il a la nôtre, et il n'a pas cessé de la mériter. Enfin, l'état-major de l'armée ne marche que depuis qu'il en est le chef. Son zèle et son activité pour le bien du service ne se sont jamais démentis, et personne n'a montré plus de respect et de dévouement à la représentation nationale et fait exécuter les arrêtés du représentant du peuple avec plus d'exactitude et de ponctualité que lui. Les représentants disent qu'ils soupçonnent pour auteur de la calomnie dont Laroche est victime un mauvais sujet qui n'aime pas les officiers de l'année qui ont renoncé aux ministres et à l'intrigue pour ne s'attacher qu'à la Convention nationale, au comité de Salut public et aux représentants du pays. Cet homme entoure actuellement les bureaux du ministre de la guerre, qui vient de l'élever au grade d'adjudant général chef de brigade après avoir été destitué par nous 1.

En réponse à cette lettre, le comité de Salut public fit savoir à Pinet et à Cavaignac que Laroche avait été destitué parce que pendant son séjour à Paris il s'était fait passer pour noble. En apprenant cela, les deux représentants du peuple approuvèrent la mesure sévère prise contre Laroche, et, à la date du 7 floréal an II (26 avril 1794), ils écrivirent au comité de Salut public :

Si cette circonstance, que nous ignorions lorsque nous avons écrit notre lettre du 2 de ce mois, est vraie, nous vous prions de regarder comme non avenu tout ce que nous avons dit à son sujet dans la même lettre. Laroche nous a paru bien aller, mais s'il a été coupable de se donner pour noble, ou s'il l'est en effet, il nous a trompés, et pour lors il a mérité son sort 2.

Laroche, destitué, était déjà paraît-il sur la liste des victimes que devait immoler le tribunal révolutionnaire; mais le 9 thermidor, en l'arrachant au sort qui le menaçait, le rendit aussi à ses fonctions; le 21 thermidor (8 août 1794) il fut en effet rappelé à l'armée des Pyrénées-Occidentales où il fut accueilli avec joie par ses frères d'armes et en particulier par le général Moncey, qui lui confia le commandement de l'aile droite de l'armée établie

1 Recueil des actes du comité de Salut public, de ADLAED, tome XII, p. 771.

2 Archives nationales AF, II, 263 et Recueil des actes du comité de Salut public, de AULARD, tome XIII, p. 87.


TROISIÈME TRIMESTRE 1912. ' 255

à Saint-Sébastien et à Passages. Dans le mouvement qui eut lieu le 26 vendémiaire l'ennemi se porta sur cette aile pour tenter une diversion utile à ses projets; mais les mesures prises par le général Laroche la rendirent sans succès 1.

Il participa ensuite à l'expédition de Bergara : la division de droite de l'armée française se mit en marche le 7 frimaire an III (27 novembre 1794). Elle était disposée en trois colonnes. La première, commandée par Laroche, se dirigeait vers Aspétia; la seconde, ayant à sa tête le général Schilt, marchait sur Griietaria, et la troisième, commandée par le général de division Frégeville, se dirigeait sur Villeréal. Le jour suivant la bataille s'engagea et les Espagnols vaincus furent mis en déroute et chassés de toutes leurs positions. Un butin considérable fut le fruit de cette victoire 2.

La participation de Laroche à cette brillante affaire lui valut de la Convention nationale le témoignage d'avoir bien mérité de la patrie.

Après cette expédition, et l'armée étant rentrée dans ses premières lignes, le général en chef Moncey crut devoir établir une division entre les côtes de l'Océan et la ville de Tolosa, dans le but de contraindre l'ennemi à éparpiller ses forces et de mieux assurer les quartiers d'hiver de ses propres troupes. Il confia à Laroche le soin d'exécuter son plan, et celui-ci s'en acquitta avec un zèle et une conscience très méritoires. Il s'appliqua, par exemple, à faire respecter par les soldats les personnes et les propriétés du pays occupé par la division. Aussi les populations de ce pays rendirent-elles hommage à sa conduite humaine et généreuse.

Cependant, une sorte de malheureuse fatalité semblait s'attacher â la carrière militaire du général, et toujours le destin l'accablait au moment même où il donnait à la patrie les gages les plus certains de dévouement. C'est ainsi qu'il se vit une seconde fois destitué de ses fonctions. Le 24 prairial an III

1 Cf. Galerie militaire, par BABIÉ et BEAUMONT, tome V, p. 87.

2 Cf. Moniteur officiel du 22 frimaire an III, n° 82 : « Lettre des représentants du oe peuple près l'année des Pyrénées-Occidentales au comité de Salut public ».


256 SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

(12 juin 1795), un arrêté de Meilhan et de Chaudron-Rousseau, représentants du peuple près l'armée, le destituait et lui ordonnait de se retirer immédiatement dans sa commune, sans passer par Bayonne. Cet arrêté était pris au moment même où il était inscrit sur le tableau d'avancement pour le grade de général de division.

Toutes les démarches que fît Laroche pour connaître les motifs de sa suspension furent sans résultat. Toutefois, quelques mois après, le « Directoire exécutif )) ayant succédé au « comité « de Salut public », il fut remis en activité et envoyé à l'armée de Rhin-et-Moselle (14 ventôse an IV = 4 mars 1796).

Laroche demanda au Directoire exécutif à être employé de préférence à l'armée du Nord, parce que cette armée fournissait plusieurs divisions en Hollande, et qu'ainsi il eût pu y défendre ses intérêts particuliers en même temps que ceux de la chose publique. Le Directoire le maintint dans l'armée de Rhin-etMoselle et lui déclara qu'il se chargeait de faire présenter et appuyer ses réclamations auprès de la convention Batave 1.

Rassuré sur ses intérêts, Laroche partit de Paris le 22 ventôse an IV pour se rendre à Haguenau, quartier général de l'armée. Il y arriva au moment où le général Moreau, ayant franchi le Rhin, se disposait à entrer dans les défilés des Montagnes Noires. Craignant que pendant sa marche les ennemis ne vinssent déboucher sur ses derrières, il chargea Laroche d'une mission de confiance : il s'agissait de balayer tous les rassemblements de paysans armés qui se tenaient dans les gorges de la vallée de Reuchen et surtout d'aller débusquer du Knubis, la plus haute des Montagnes Noires, le prince de Wurtemberg, qui se trouvait à la tête du contingent de son pays.

L'artillerie, par des chemins détrempés, n'avait pu suivre nos troupes; au contraire, le prince avait fait de la très forte position du Knubis un réduit fortifié et casemate : Laroche n'hésita pas à donner l'assaut, et après avoir combattu tout le jour, ne voulant pas attendre la nuit qui aurait permis à l'ennemi de se renforcer,

1 Mémoire du général Laroche.


ANTOINE LAROCHE-DUBOUSCAT

CHEF D'ÉTAT-MAJOR A L'ARMÉE DES PYRÉNÉES OCCIDENTALES EN 1783 ET 1794 GÉNÉRAL DE DIVISION

(1757-1831)



TROISIÈME TRIMESTRE 1912. 257

il se jeta de sa personne dans les retranchements, entraînant avec lui la 21e demi-brigade légère. Accueilli par une pluie de grenades, il lança sa troupe à la baïonnette, et l'ennemi, forcé dans ses positions, se retira par la gorge de la redoute, abandonnant à Laroche le terrain couvert de morts, quatre cents prisonniers dont dix officiers, deux pièces de canon et deux drapeaux \

Le 16 messidor suivant, l'armée de Rhin-et-Moselle marchait sur Rastadt et Freudenstadt. Le général Laroche, chargé d'attaquer cette position, l'enleva à la baïonnette, malgré la plus vigoureuse résistance. Laroche reçut dans ce combat une blessure assez grave à la main; il ne parut y songer que lorsque la défaite de l'ennemi et l'abandon du champ de bataille l'eurent rendu certain de son triomphe. Le général ennemi Hùgel se retira avec tant de précipitation qu'il laissa dans nos mains une batterie de vingt et une pièces de canon. Ce combat eut ce résultat heureux qu'il décida le duc de Wurtemberg à faire des ouvertures de paix à la République et à rappeler le contingent qu'il avait fourni à la coalition. Commandant l'avant garde du général Saint-Cyr (21e légère, 31e de ligne, 2e de chasseurs, 9e hussards, compagnie d'artillerie légère du capitaine Legras), il se distingua d'abord à Etingen où il culbuta un corps de Saxons qui venait renforcer l'armée du prince Charles, puis à Pfortzheim, à Calv et à Veil où il se mesura victorieusement avec la cavalerie du prince de Lichenstein.

Le 3 thermidor, au passage du Necker, Laroche se distingua de nouveau. Chargé de l'attaque d'Elsingen, il y trouva les Autrichiens en grand nombre. Il les poussa vivement et leur fit perdre huit cents hommes tant tués que blessés. Dans ce combat acharné, il eut affaire à dix-huit mille hommes. Il dura depuis cinq heures du matin jusqu'à huit heures du soir; par trois fois Laroche fut obligé, pour entraîner ses troupes, de charger luimême à la baïonnette et de combattre constamment à la tête de ses colonnes. Sa bravoure et son dévouement furent remarqués de l'archiduc lui-même. Le centre de l'armée, sous le commande1

commande1 militaire, par BABIÉ et BEAUMONT, an XIII, t. V.


258 SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

ment de Saint-Cyr, passa le Lech le 3 fructidor, sous le feu de l'ennemi. Laroche fut chargé de l'opération. A peine arrivé sur l'autre rive, il marcha droit au village de Lech-Hausen, l'enleva, y prit cinq pièces de canon, chassa l'ennemi des abords du pont du Lech, le rétablit pour y faire passer l'artillerie, et enfin força le défilé du pont que les Autrichiens essayèrent vainement de défendre.

Moreau, dans sa correspondance, ne tarissait pas d'éloges sur l'activité, l'intelligence et la bravoure de Laroche; maintes fois, il signala sa brillante conduite au Directoire qui lui témoigna sa satisfaction par la lettre suivante :

Le Directoire exécutif au général Laroclie.

Le général en chef, en faisant connaître au Directoire les officiers qui se sont distingués dans les importantes opérations de l'armée de Rhin-etMoselle, vous a désigné comme un de ceux qui ont concouru puissamment à en assurer le succès et particulièrement à l'affaire de Knubis; le Directoire vous en témoigne sa satisfaction.

Par le Directoire exécutif, le secrétaire général, LAGARDE. Pour expédition conforme : CARNOT, président 1.

La campagne terminée et sa blessure « exigeant la douche », le général se rendit aux eaux minérales de Barèges.

Nous avons-de lui une lettre datée du Ie1-août 1797, 4 thermidor an V, à Barèges; bien qu'il « puisse monter à cheval et aller « à Luz, il s'ennuie, il faut être bien malade pour y rester », dit-il, c( on n'y voit que des infirmes et on n'y mange rien de bon. « Heureusement que Oassan (c'est son hôte) le traite en ami, « qu'il lui sert parfois de ces bons plats qui ne sont qu'à lui, et « que les plus riches friands ne sauroient se procurer ». La société est nombreuse mais point brillante, au point « qu'il lui « seroit impossible de citer un être aimable de l'un ou de l'autre « sexe ». Cet état de chose lui fait désirer un prompt rétablissement et un prompt retour dans sa famille. Puis, comme il écrit au « citoyen Laroche aîné, commissaire exécutif auprès du ce canton de Condom », il aborde la politique et ajoute : « Le

1 Mémoire du général Laroche.


TROISIÈME TRIMESTRE 1912. 259

« Directoire était perdu ainsi que la chose s'il n'eût pas changé « de marche; il lui faut, pour se soutenir, des ministres habiles et « éprouvés en patriotisme; il lui faut un système politique autrece ment conçu que celui que de perfides amis lui avaient suggéré.

ce Le commencement de son installation prouve qu'il saura le ce prendre et le mettre en exécution ; sauf cela la décadence de la ce République serait plus que certaine. »

Guéri et de retour à Paris, Laroche fut envoyé sur sa demande à l'armée d'Angleterre; mais après la trêve de Rastadt, il fut nommé général de division (12 thermidor an VII) et envoyé en cette qualité à l'armée d'observation du Rhin. Il commandait la 5e division militaire à Strasbourg lorsque, le 11 floréal, il eut à rendre compte au « citoyen Masséna, général en chef de l'armée ce du Danube », d'un événement « horrible et tel que l'histoire « n'en offre pas de semblable ».■

Cet événement sensationnel, dont il avait presque été le témoin, était l'assassinat des plénipotentiaires français à Radstadt : ce Ils ont été assassinés », écrit-il, ce le 9 avec une barbarie « atroce et combinée. Les citoyens Bonnier et Robergeot ont été « hachés et mis en pièces, et le citoïen Jean Debry ne s'est « sauvé que parce qu'étendu sur le terrain il ne présentait plus « aucun signe de vie. Il est entré à une heure ce matin à Stras« bourg; j'ai volé à son secours et fait appeler de suite les ce hommes de l'art les plus habiles; j'espère que nous aurons le ce bonheur cle le conserver 1 ».

Pendant les six mois que dura son commandement, Laroche fit partout régner l'ordre, la discipline et le respect des lois; en outre, il organisa le 1er bataillon auxiliaire du Bas-Rhin.

A la fin de thermidor an VII, le général Muller, commandant provisoirement l'armée du Rhin, arriva à Strasbourg pour y prendre certaines dispositions en vue d'un mouvement qu'il avait ordre d'entreprendre pour attirer sur lui une partie des forces ennemies qui marchaient sur l'Iielvétie. Retrouvant là son

1 Carnet de la Sabretache, communication de M. le baron P. de Bourgoing (année 1899).


260 SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

ancien chef d'état-major de l'armée des Pyrénées-Occidentales, Muller lui demanda un mémoire écrit où Laroche devait exposer les renseignements qu'il avait recueillis au cours des campagnes précédentes dans les Montagnes Noires, ainsi que quelques idées sur les différentes manières dont on pouvait faire une diversion heureuse et utile à l'armée d'Helvétie.

Cette campagne, qui eut un plus grand succès qu'on ne l'avait espéré, donna l'occasion à Laroche de se distinguer une fois de plus. Sa défense énergique des ouvrages de Neckereau et de Manheim prouva à Muller que son ancien chef d'état-major était toujours le brillant soldat des premiers jours de la République 1.

Lorsqu'on réorganisa l'armée du Rhin, il commanda l'une des trois divisions d'infanterie et repoussa à leur tête les Mayençais qui étaient en avant de Cassel. Quelque temps après, il fut chargé du commandement et de l'organisation des quatre nouveaux départements de la rive gauche du Rhin, ainsi que du commandement des pays conquis depuis le Necker jusqu'à l'Aar.

A la paix, un arrêté du premier consul le nomma à Caen, au commandement de la 14e division militaire, composée des départements de la Manche, du Calvados et de l'Orne. Dans ces contrées, encore troublées par les souvenirs douloureux d'une longue lutte, le général Laroche, par sa fermeté, sa sagesse et ses talents, sut se concilier l'estime de tous.

Désormais, il ne devait plus faire campagne, et cela nous surprend, car il n'était pas très âgé et avait encore devant lui une belle carrière à parcourir. Laroche avait toujours prouvé qu'il y avait en lui l'étoffe d'un excellent officier, aussi propre à servir dans un état-major qu'apte à manier les troupes; mais jamais le général en chef de l'armée d'Italie n'avait aimé les ce messieurs » de l'armée du Rhin. Leur discipline exacte, leur politesse raffinée contrastaient trop avec la libre désinvolture des vainqueurs d'Arcole et de Rivoli.

Plus tard, après le procès et l'exil de Moreau, le dissentiment entre ses anciens lieutenants et l'Empereur ne fit que s'accroître.

1 Galerie militaire, par BABIÉ et BEAUMONT, an XIII, tome V.


TROISIÈME TRIMESTRE 1912. 261

La jalouse rancune des uns, pas plus que la méfiante hostilité de l'autre, ne désarma jamais.

Le général Dessolles, très distingué par sa valeur militaire, fut en son temps une victime de cet état d'esprit. Le général Laroche subit le même sort.

L'heure de la retraite arrivée, Laroche se retira, le 18 janvier 1808, dans son modeste château de Las, qu'il avait acheté en thermidor an VI. Il avait, par des acquisitions successives, fort arrondi ce domaine. Il était maire de la commune de Caillavet, sur le territoire de laquelle était situé le manoir de Las. Il y mourut le 21 juin 1831, à l'âge de soixante-treize ans.

De son mariage avec MUe Jeanne-Françoise-Marguerite Picot, qui devait lui survivre de longues années, il avait eu deux fils, Auguste et Théodore. Tous deux furent élevés à Sorèze. Auguste ne se maria pas; quant à Théodore, il épousa MUe Hélène Mothe. De ce mariage naquit une fille, mariée à D. José Vidal y Leiva. Leur fils Albert mourut, jeune encore, à Grand-Bassam, où, à sa sortie de l'Institut agronomique, il était allé diriger de vastes exploitations agricoles. Leur fille, dernière descendante du général, est mariée à M. Eichler.

Le général Laroche-Dubouscat était commandeur de la Légion d'honneur. Son nom est inscrit sur le côté nord de l'Arc de Triomphe de l'Étoile.


262 SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

MISSION DE Mme DO COUDRAY, SAGE-FEMME ROYALE EN 1770,

École d'accouchement d'Auch. (1783-1789),

PAR M. L. BOMPEIX.

Sous l'ancien régime, une question s'imposa véritablement, celle de la dépopulation, conséquence fatale de l'impéritie des accoucheuses, en même temps que se posait déjà le problème de l'hyponatalité ou, suivant un terme récent, de la paucinatalité.

La Gascogne figurait parmi les provinces les plus menacées, mais il s'agissait en réalité d'un péril national dont il est nécessaire de faire un historique rapide avant d'aborder exclusivement l'histoire locale.

C'est au XVIIIe siècle, il faut le reconnaître, que revient l'honneur d'avoir tenté d'enrayer un mal déjà profond. L'Allemagne littéraire avait eu sa période de tempête et d'impulsion, ou, pour mieux dire, de trouble et d'accouchement (die sturm und Drang période); en France, la secousse fut plus étendue, puisqu'elle embrassait à la fois la vie intellectuelle et la vie sociale de la nation. Poètes, philosophes ou économistes avaient jeté dans les esprits une semence féconde qui prédisposait ceux-ci à chercher une solution aux problèmes les plus divers. On naissait à la politique; on se préoccupait de définir les droits et les devoirs de chacun; de même, on étudia la question de la dépopulation qui mettait en péril la vitalité du pays.

Jusqu'au XVII° siècle, l'enseignement de l'obstétrique fut nul ou presque nul; on en était réduit aux pratiques surannées; la place la plus large était réservée aux matrones; c'est ainsi qu'un simple certificat de moralité, délivré par le curé de la paroisse, tenait lieu de diplôme et d'approbation pour pouvoir assister les femmes en couches. En matière d'accouchement, on a pu écrire avec raison que les matrones d'autrefois jouissaient d'un privi-


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lège platonique, attendu que la nature suppléait à tout 1; certes, les accidents étaient jadis si rares que la tâche des accoucheuses était facile.

Le souci instinctif de la conservation de la race faisait alors de la maternité une obligation à laquelle l'épouse ne cherchait pas à se soustraire; il est vrai que la femme apportait à l'homme l'harmonie de sa jeunesse et de sa constitution vigoureuse : stérile, elle s'exposait à être répudiée. La puériculture elle-même comportait parfois des règles sévères ou excessives. L'histoire rapporte qu'à Sparte la législation était impitoyable : tout enfant faible ou mal conformé était transporté par son père au sommet du mont Taygète pour y périr abandonné; garçons et filles étaient exercés à supporter le chaud et le froid, la faim et les coups, etc. De telles moeurs préparaient la résistance de la race aux épreuves physiques et morales les plus dures. Les combats livrés pour la défense de la patrie privaient-ils une mère de ses enfants, l'amour.de la patrie la consolait et lui inspirait l'orgueil d'enfanter de nouveau.

Dans la France du Moyen âge, ces coutumes avaient peu varié. En temps de guerre, les pratiques brutales qui accompagnaient la prise d'une ville ou le sac d'un château, — en temps de paix le mélange des races vaincues aux races victorieuses, — facilitaient les unions fécondes. Malheureusement, la situation s'altérait au fur et à mesure que la civilisation progressait : les grands renonçaient à la frugalité et à la sobriété des premiers âges; les humbles connaissaient souvent la misère et la disette; tous abandonnaient peu à peu les saines habitudes d'hygiène si chères aux anciens, si bien qu'un jour vint où, conformément au mot de la Genèse, la femme engendra vraiment dans la douleur.

L'obstétrique sortait lentement de son sommeil séculaire sous l'influence des causes les plus diverses : causes religieuses, politiques, philosophiques et médicales.

Le Christianisme exerça notamment une influence imprévue; d'après cette religion, nul être ne pouvant entrer dans l'immor1

l'immor1 scientifique, 1909. — EIBEMONT-DESSAIGNES, Sages-femmes d'autrefois et d'aujourd'hui.


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talité s'il n'avait préalablement reçu le sacrement du baptême, les médecins chrétiens n'hésitèrent plus à pratiquer l'opération césarienne ou la symphyséotomie \

A mesure que la monarchie absolue s'organisait, les besoins de la nation augmentaient; lorsque la patrie française fut constituée et que les mercenaires étrangers chargés de la défendre devinrent plus exigeants ou moins sûrs, le recrutement ou racolage vint distraire de la nation ses éléments les plus valides pour les livrer à la fortune des combats si meurtriers à cette époque. C'est ainsi que la race s'épuisait, s'anémiait peu à peu sans que nul remède fût porté à ses maux.

En outre la constitution progressive des grosses agglomérations, les mauvaises conditions de l'existence et les hérédités morbides lentement accumulées préparaient sa déchéance. A partir du xvne siècle le taux de la natalité s'abaissait; par contre, la mortalité infantile était considérable en Gascogne, où' les enfants du sexe féminin étaient spécialement frappés, probablement parce que les meilleurs soins étaient réservés à la descendance mâle. Dès cette époque on aurait pu dire avec une terrible concision : « Nous avons peu de.berceaux et beaucoup de cercc cueils 2 ».

L'influence des philosophes se fit heureusement sentir au XVIIIe siècle. Locke avait attiré l'attention du public avec son Traité de l'éducation des enfants, dont les éditions et les traductions se multipliaient. Jean-Jacques Rousseau ne fit que s'inspirer de cet ouvrage lorsqu'il écrivit son Emile, mais le retentissement de ce dernier fut si grand que toutes les femmes en firent pour un temps leur livre de chevet 3. Incontestablement, ce fut

1 Abrégé de l'embryologie sacrée, par l'abbé DINOUARD, 1774. — L'ingérence du clergé était telle que. toute grossesse était surveillée en prévision d'un accident volontaire ou involontaire. La mère succombait-elle avant la délivrance, le premier venu pouvait et devait pratiquer l'opération césarienne afin de pouvoir baptiser le foetus. Le 10 avril 1500, un châtreur de cochons, Jacques Nufer, fit la première opération césarienne sur une femme vivante, la sienne propre. L'opération réussit.

' Revue des Deux-Mondes, 1911. — Dr Em. LABAT, En Gascogne.

3 Le succès d'Emile fut peut-être favorisé par les persécutions dont il fut l'objet dans plusieurs pays, comme en France : « On ne peut s'empêcher de consigner ici un


TROISIÈME TRIMESTRE 1912. 265

l'éternel vagabond, l'errant inquiet qui se disait « citoyen de « Genève », ce fut J.-J. Rousseau, cet affamé d'amour maternel jusqu'aux bras de ses complaisantes protectrices, cet époux malheureux et ce père détestable qui transforma la société de son temps; grâce à lui, un engouement aussi subit qu'énorme s'empara de chacun, de telle sorte que la sollicitude générale s'orienta vers tout ce qui touchait â l'enfance.

De son côté, le monde médical n'était pas resté inactif. Ambroise Paré et Mauriceau avaient été d'excellents précurseurs, malgré l'obstruction déguisée du clergé vis-à-vis des accoucheurs 1.

En dépit des efforts réunis de tous les esprits éclairés, le péril s'affirmait, surtout en Gascogne. La population de cette province se raréfiait de plus en plus. Depuis le règne de Henri IV, une foule de Gascons avait définitivement abandonné le sol natal que les guerres de religion et les « missions bottées » contribuèrent à rendre encore plus désert. En outre, si l'on considère que la Gascogne était une vieille terre huguenote, on peut en déduire aisément l'effet désastreux provoqué par l'ordonnance royale du 28 février 1680. Cette ordonnance faisait défense expresse aux accoucheurs et aux maîtresses sages-femmes appartenant à la Religion prétendue réformée d'exercer leur art, même en faveur de leurs coreligionnaires, sous prétexte qu'ils ne pouvaient assurer le salut spirituel des nouveau-nés. L'obscurantisme livrait certaines régions aux dangereux parasites de la médecine.

« bon ou plutôt un grand mot de M. le Dauphin. On lui faisait la lecture, pendant qu'il « était dans le bain, de la Gazette de Hollande, où était annoncée la proscription du « livre de l'Education. « C'est fort bien fait », dit M. le Dauphin : « ce livre attaque la « religion, il trouble la société, l'ordre des citoyens, il ne peut servir qu'à rendre « l'homme malheureux : c'est fort bien fait... » (BACHAUMONT, Mémoires récents.")

1 Un prêtre, neveu de Mme de La Marche, sage-femme à la Maternité de Paris, a écrit une dissertation «. pour prouver qu'une femme, en se laissant accoucher par un « homme, pouvait perdre cinq vertus : la pudeur, la pureté, la fidélité du mariage, le ce bon exemple et la mortification ». Tel n'était pas l'avis de Mgr Scotti, archevêque de Thessalonique : « On comprit bientôt que l'assistance des femmes en couches était « oeuvre virile; que l'homme était préférable à la femme, en cette circonstance, pour la « vigueur du coup de main, la fermeté du courage, la sagacité du conseil et les lumières « plus développées de la" science » (Le Médecin chrétien, 1821).


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Faute de bras, les travaux masculins incombaient souvent à la femme, préparant ainsi des maternités pénibles et moins nombreuses. Les exigences grandissantes du fisc et, d'autre part, le souci plus accentué du bien-être personnel, intervinrent dans-la nuptialité; celle-ci fut compliquée par l'intérêt: l'importance de la dot d'une fille fut désormais prisée plus haut que l'aptitude au travail et à la fécondité. De là à rétrécir volontairement le cercle de la famille, il n'y avait qu'un pas.

Lorsque le péril fut évident, le gouvernement s'émut. Quelques femmes dévouées furent chargées de se transporter dans les provinces les plus éprouvées. Une sage-femme royale vint à Auch porter l'encouragement de sa parole et de son talent. Angélique-Marie Boursier du Coudray descendait d'une sagefemme célèbre, Louise Bourgeois, dite Boursier, élève d'Ambroise Paré, qui avait été l'accoucheuse habituelle de Marie de Médicis.

M™ du Coudray jouissait d'une réputation méritée; habile et fort instruite, elle avait publié un Abrégé de l'art des Accouchements avec plusieurs Observations sur des cas singuliers, qui eut, de 1759 à 1785, six éditions. Lorsqu'elle eut assumé la tâche de parcourir la France afin d'organiser çà et là des cours publics d'accouchement, elle ne ménagea ni son temps ni sa peine.

Un ingénieux mannequin, inventé par l'accoucheuse, rendait ses démonstrations plus claires lorsqu'elle décrivait les manoeuvres obstétricales essentielles. Cette invention avait reçu l'approbation de l'Académie royale de Chirurgie de Paris, et Mme du Coudray poussait la générosité jusqu'à en laisser un modèle dans chacune des écoles fondées par elle.

Une copie, sans date ni signature, intitulée Réflexions concernant la commission de la dame du Coudray, s'exprime ainsi :

Le ministre était informé, dès l'aimée 1763, des suites funestes occasionnées par l'ignorance des sages-femmes de province, et il voulut y remédier, autant qu'il était possible, en chargeant la dame du Coudray de se transporter successivement dans les différentes provinces du royaume pour y donner des leçons aux femmes qui se destineraient à l'art des accouchements...

Le péril, dû à l'ignorance seule, n'était pas imaginaire; avant


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la Révolution, les statistiques les plus favorables donnent pour certaines régions 47 % de conjoints sachant signer; en Gascogne, la proportion se réduisait à 15 et jusqu'à 10 % ; souvent même la signature était tout ce que savait écrire un paysan de l'ancien régime 1.

Le 4 juin 1770, l'assemblée communale d'Auch délibérait au sujet de l'arrivée et de l'installation de la maîtresse sage-femme :

Nous avons reçu une lettre de M. l'Intendant, du 21 mai dernier, qui nous annonce l'arrivée de Mme du Coudray, brevetée et pensionnée du roi, qui doit rester environ trois mois ici pour ouvrir un cours public et gratuit d'accouchement, et à laquelle M. l'Intendant nous charge do fournir le logement, les ustensiles de cuisine, le linge de table, les draps, le bois et la lumière, et qu'il faut incessamment pourvoir à ces objets ainsi qu'à une date publique pour donner ses leçons. Nous allons vous faire lecture de la lettre de M. l'Intendant pour vous mettre à portée, en connaissant ses intentions, de prendre les arrangements nécessaires.

Au cours de la même séance, l'assemblée communale décide :

Sur la quatrième proposition, que la lettre de M. l'Intendant, dont lecture vient d'être faite, sera enregistrée, et que l'assemblée charge et prie MM. les officiers municipaux de suivre en tout les intentions de M. l'Intendant, et de procurer à la dame du Coudray tout ce qui est porté par ladite lettre, tous les agréments qui dépendront d'eux, s'en rapportant à leur prudence et les autorisant aux dépenses nécessaires à cet objet 2.

Du 20 juin 1770. — Vu mandement sur M. Ni nous, receveur syndic, montant 150 livres en faveur de Cazac, hôte, à compte de 240 pour le logement qu'il doit fournir d'ici au 1er octobre à M" 1" du Coudray, accoucheuse, suivant la lettre de M. l'intendant, du 21 mai, et délibération de la communauté, du 4 juin courant 3.

Tels sont les documents officiels rappelant le séjour de Mme du Coudray à Auch; il est plus difficile de fournir des détails sur sa. mission elle-même; sans nul doute, son cours d'accouchement dut être réduit à des leçons orales et aux démonstrations familières les mieux susceptibles d'être comprises

1 Études historiques sur le XVIe et le XVIIe siècle, par HANOTAFX.

- Archives communales d'Auch, BB, 13.

3 Arch. commun., reg. de comptabilité, CO, 73, f° 3.


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et retenues par des élèves au cerveau probablement très fruste. L'intelligence et le zèle de Mme du Coudray n'avaient pu suffire à une tâche dont l'accomplissement exigeait une activité physique considérable et un temps moins limité 1. Le 15 février 1777, un Gascon, Raulin, médecin ordinaire du roi, adressait de Paris à l'intendant de la généralité d'Auch la lettre suivante :

MONSIEUR,

J'ai eu ce matin une conversation avec M. de Fleury; je lui ai parlé de l'ancien projet concernant les écoles gratuites de sages-femmes de province; il m'a répondu qu'on ne pouvait faire rien de plus utile pour le bien de l'humanité; il ajoute que, pendant trois jours qu'il avait resté en campagne, il avait été témoin de deux accidents qui démontraient la nécessité d'un tel établissement. Tout le monde tient le même langage; si vous suivez les sentiments de votre coeur pour cet établissement, vous mettrez le comble à votre gloire.

Je suis avec respect, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

RAULIN 2.

Certes l'opinion publique était saisie 3, mais il ne faut pas oublier l'état des esprits à cette époque; que de réformes étaient

1 Réflexions sur la commission de la dame du Coudray. — Le gouvernement reconnaît lui-même que la maîtresse sage-femme est une éducatrice dévouée : « Elle va dans « les principales villes, mais c'est principalement dans les villages que le mal fait des « progrès. Il arrive tous les jours que par l'ignorance de ces sages-femmes les mères et « les enfants périssent en même temps, ou si les mères survivent, elles restent estro« piées et par conséquent hors d'état d'en avoir d'autres. On en a journellement des « exemples qui font frémir, et le ministre lui-même en a été informé par M. de Miro« mesnil... »

2 Archives dép., I. c, 21.

3 Arch. dép., I. c, 21. — Police générale concernant les sages-femmes des provinces du royaume, leur instruction, leurs devoirs, etc., 1783. ce Tous les ordres du royaume, tous ce les citoyens gémissent sur la cause de la dépopulation reconnue dans l'impéritie ou ce la cruelle ignorance des sages-femmes des provinces. Tous implorent, la protection du ce ministère pour faire cesser cette désolation ; le public saisira avec reconnaissance le ce moyen qu'on lui présentera pour remplir cet objet important; rien n'est aussi préce cieux à l'humanité que la propagation et la conservation des hommes; rien n'est ce aussi digne de l'attention du ministère et d'en faire un objet principal de la haute ce police. »


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en voie de gestation ! Les fils de ceux qui n'avaient même pas osé murmurer devant le Roi-Soleil s'ingéniaient à créer de l'opposition au pouvoir royal, si bien que les projets s'accumulaient et que les mesures les plus urgentes subissaient de ce fait des retards considérables. Ce n'est qu'en 1783 que l'idée de Raulin fut reprise et que la création d'une Ecole d'accouchement à Auch fut la conséquence logique et le complément heureux de l'oeuvre ébauchée par Mme du Coudray. Le ministre de Vergennes écrivit dans ce sens à l'assemblée communale d'Auch pour annoncer l'ouverture d'un cours public dans cette ville : le docteur Benoist est désigné comme professeur; le premier cours commencera le 1er avril de chaque année et finira le 1er juin; le second commencera le 1er octobre et finira le 1er décembre suivant. La durée des études sera de quatre mois en deux années différentes. Trente élèves seront admises à suivre les cours et ne seront reçues qu'autant qu'elles n'auront pas passé l'âge de trente ans et qu'elles auront atteint leur vingtième année. « On « choisira de préférence celles qui sauront lire. Elles seront « tenues de présenter au professeur, lors de leur arrivée à Auch, « leur extrait baptistaire et un certificat de bonnes vie et moeurs « dûment légalisés. » La dépense de chaque élève, supportée par la communauté qui l'avait désignée, devait s'élever au chiffre de 40 livres pour chaque cours et le montant en devait être prélevé sur les fonds libres de la capitation.

Par une lettre du 9 août 1784, l'Intendant de la Généralité d'Auch, Fournier de La Chapelle, réduisit à vingt le nombre des élèves, sous prétexte de faciliter la tâche du docteur Benoist. Ce dernier voulut écrire pour ses élèves un ouvrage sur l'art des accouchements; après avoir préalablement soumis le manuscrit à l'examen de la Société royale de Médecine, le ministre en autorisa l'impression aux dépens des fonds libres de la capitation.

Un an plus tard, Benoist rédigeait une circulaire par laquelle il invitait les diverses autorités à collaborer au recrutement des élèves sages-femmes, et les informait que des récompenses seraient attribuées aux meilleures d'entre elles.

18


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Auch, ce 25 août 1785.

Doués-d'une âme sensible et patriotique, je sais, Messieurs, qu'il est inutile de vous peindre les avantages que les écoles en l'art des accouchements offrent aux élèves sages-femmes, pour vous engager à déterminer des femmes ou filles à embrasser cette profession; j'ai encore pour garant votre zèle à suivre les intentions du gouvernement que M. l'Intendant vous a fait connaître avec le plus grand empressement; je me bornerai donc à vous informer que, vu les succès des sages-femmes que j'ai déjà formées, il leur donnera gratis, ainsi qu'aux élèves qui viendront suivre l'école à Auch, un exemplaire d'un ouvrage que j'ai fait sur les accouchements, pour faciliter leur instruction et leur donner un guide au milieu de la pratique; de plus, il sera distribué, aux deux élèves qui se seront le plus distinguées et qui auront fini leur temps d'étude, deux prix en argent, savoir : 18 livres pour le premier prix et 12 livres pour le second.

Veuillez, je vous prie, Messieurs, faire part de cet avertissement à M. votre curé, consulter la lettre que M. l'Intendant vous a écrite dans son temps sur cet objet, dont l'enregistrement a dû être fait dans chaque communauté, vous conformer pour le présent et l'avenir à tout ce qu'elle contient, et me croire avec considération, Messieurs, votre très humble et très obéissant serviteur.

BENOIST, professeur en accouchement.

Un nouveau règlement fut encore élaboré et soumis à l'approbation de l'administration provinciale. Le directeur de l'école rêvait un recrutement plus sérieux et des études plus longues, avec un chiffre de cinquante élèves. Au surplus, l'utilité de l'institution fut si bien reconnue que le sieur d'A-urignac, chirurgien-accoucheur à Gimont, sollicita auprès du ministre l'autorisation d'organiser un cours dans cette ville; sa requête fut d'ailleurs repoussée pour ne pas nuire à la capitale de la province.

Malgré des efforts constants et des progrès réels, aux approches de la Révolution, en 1787, d'après un rapport de l'assemblée provinciale, ce le spectacle fut déchirant » en Gascogne 1. Le

1 Voir TAINE : L'Ancien régime.

Au cours de la séance du 13 décembre 1787, le bureau du Bien public fait le rapport suivant :

ce Messieurs, nous nous occupions depuis plusieurs jours d'examiner l'établissement ce fait dans la ville d'Auch pour l'instruction des femmes de cette province qui se desce tinent aux accouchements; nous recherchions s'il n'est point trop borné dans ses


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règlement nouveau, préparé par Benoist en novembre 1788, se trouva paralysé par la Révolution. La Convention commit une erreur inexplicable en fermant toutes les écoles d'accouchement. Chose à peine croyable, la jeune République, qui allait faire une immense consommation d'hommes, ne songea pas le moins du monde à maintenir une institution salutaire entre toutes et qui fonctionnait de mieux en mieux.

Le 11 messidor an X, le ministre Chaptal combla cette lacune en décrétant la création, à la Maternité de Paris, d'une école destinée à toute la France. A la suite de cette décision, la Gascogne perdit définitivement 1 le bénéfice d'une organisation dont elle avait compris l'impérieuse nécessité; la répercussion de cette mesure a été telle pour cette malheureuse province qu'elle justifie le cri d'alarme poussé récemment par un démographe doublé d'un Gascon fervent : « Sur la carte de la natalité de la « France, la tache noire de la Gascogne, la plus sombre de « toutes, n'est pas un vain symbole 2 ».

« effets, s'il n'est pas susceptible de quelque extension désirable : après avoir donné à « cet objet toute l'attention qu'il mérite, nous n'aurions pas craint de manquer à la « reconnaissance envers l'auteur de cette institution salutaire; nous nous serions plutôt « flattés d'entrer dans ses vues en vous y faisant apercevoir quelques-unes de ces « imperfections qui semblent être le sceau de tout ce qui part de la main des hommes, « et en vous proposant quelques changements dont l'expérience et le temps ont « démontré la nécessité. La pensée de délivrer les naissances de tous les obstacles et «. de tous les malheurs dont la routine et l'ignorance les embarrassent, nous menait « naturellement à celle de la conservation des hommes... »

1 Une nouvelle école d'accouchement fut organisée à la Maison de secours d'Auch, sous la Restauration, par les soins du baron de Lascours (V. Esquisse d'une topographie médicale d'Auch, par le docteur L. MOLAS, 1821). Sans avoir le mérite d'une innovation, qu'on lui attribuait à tort, cette école eut, comme la précédente, une durée éphémère.

2 Revue des Deux-Mondes, 1911. — En Gascogne, par Em. LABAT.


272 SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

LA RÉVOLUTION DANS LE GERS

(Mirannes),

PAR M. J. MASTRON.

Sur un plateau dominant la rive gauche de la Baïse, à dixneuf kilomètres sud-est de Vic-Fezensac, chef-lieu de canton, et à vingt-trois kilomètres sud-ouest d'Auch, chef-lieu du Gers, on aperçoit une modeste église avec son clocher à queue d'aronde, signe distinctif de la plupart des anciens édifices religieux de la région.

Cette église était jadis presque isolée, n'ayant, à une cinquantaine de mètres, que deux maisons particulières, dont l'une servait de maison curiale, la paroisse étant dépourvue d'immeuble à cet effet.

C'était, avant la Révolution, le chef-lieu de la paroisse et de la communauté de Mirannes, territoire sous la suprématie du temporel de Barraii, bourg sis à six kilomètres vers l'est.

Sous la Révolution, ce lieu dépendit du canton de Barran, plus tard de Vic-Fezensac, lors de la suppression de ce premier chef-lieu.

La construction d'un presbytère, d'une maison d'école, d'une mairie, un service du culte régulier ont transformé, animé ce site pittoresque jadis triste et délaissé.

La paroisse de Mirannes est connue dès le XIIIe siècle, par suite de différends entre des communautés religieuses et même avec l'archevêque d'Auch, co-seigneur de Barran, en paréage avec le roi.

Il convient de mentionner à ce sujet 1 :

Au XIIe siècle, donation de Rieutort (Mirannes) au chapitre d'Auch par Odon d'Arbéchan.

En 1252, différend pour pâturage entre les moines de Font1

Font1 de Sainte-Marie et de Berdoues.


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froide (Moutesquiou) et les frères de Fontrevault, du couvent du Brouilh. Limites vers Brétous (Saint-Arailles).

En 1256, différend pour Rieutort entre le chapitre d'Auch et le couvent du Brouilh. Sentence arbitrale dans la salle du Balado (Mirannes), fête saint André.

En 1279, différend entre l'archevêque et le couvent du Brouilh pour dîmes. Sentence arbitrale prononcée à Mazères (Barran), vendredi octave de l'Epiphanie.

Mirannes ayant joué un rôle prépondérant durant la période révolutionnaire, nous transcrirons divers actes afin d'avoir une idée exacte de la vie locale, étude envisagée à quatre points de vue :

1° Le culte paroissial; 2° ministre du culte; 3° affaires municipales; 4° fêtes civiques.

1° Le culte paroissial 1.

En conformité de l'arrêté du 25 ventôse an II, la municipalité de Mirannes dressa l'inventaire des objets mobiliers de la ci-devant église, le 5 germinal an II, et transmit le 18 prairial, à l'exception des chandeliers et vases de bois nécessaires pour la célébration des fêtes décadaires.

Le transfert nécessita des frais portés en compte sur les budgets :

Nous officiers municipaux mandons à Jean Deupés, receveur actuel de la commune, de payer à Arnaud Bénac la somme de 3 livres 12 sous, pour le port des meubles et effets et des chiffons de la ci-devant église, le tout pesant trois quintaux, dans les magasins du district d'Auch.

Mirannes, le 20 messidor an II.

SALA VERT, maire; BERNÉS, officier; PÉRÈS, agent.

Divers objets détournés furent retrouvés et transmis plus tard :

Pérès a rendu compte d'un calice avec sa patène, d'un ciboire, d'un soleil sans pied et d'un porte-Dieu, le tout en argent pesant quatre marcs six grains, provenant de la ci-devant église.

Mirannes, le 30 messidor an II.

SALAVERT, maire; BERNÉS, officier; PÉRÈS, agent.

1 Archives municipales de Mirannes.


274 SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

La transformation de la ci-devant église en temple de la Raison donna lieu à des dépenses :

Le 10 fructidor de l'an second de la République française une et indivisible, après la célébration de la décade, le conseil municipal s'est réuni.

Présents : Salavert, maire; Bernés et Bstibal, officiers; Pérès, agent.

Salavert a dit qu'il restoit encore dans le temple de la Raison dédié à l'Éternel quelques traces de fanatisme, qu'il avait cru de son devoir de les faire effacer entièrement et d'employer les débris à faire disposer des sièges pour la commodité du peuple assemblé lès jours de décade; il a produit la liste des journées : maçons et charpentiers, dix journées à 1 livre 15 sols; manoeuvres, quatre journées à 1 1. 5 s. Total : 22 1. 10 s. Il demande que cette somme soit approuvée et que le conseil fasse payer le montant.

Le conseil municipal, l'agent national entendu, considérant que l'objet de cette dépense est tout à la fois utile, économique et louable, approuve les ouvrages faits, arrête qu'il sera délivré un mandat aux ouvriers pour être payés de leur salaire sur les fonds de la commune, ce qui a été exécuté sur le champ.

SALAVERT, maire; BERNÉS, officier; PÉRÈS, agent; DASTE, DEUPÉS.

Conformément à une lettre du district d'Auch, en date du 5 fructidor an II, la municipalité dressa l'état nominatif des monuments :

Salavert fait lecture de la lettre du 5 fructidor du district d'Auch qui réclame l'état nominatif de tous les monuments tels que temple aujourd'hui de la Raison, des maisons occupées par la municipalité et des bâtiments nationaux adjugés à la commune.

Le conseil municipal, l'agent entendu, déclare qu'il y a dans la commune :

1° Une ci-devant église aujourd'hui temple de la Raison;

2° Que la municipalité occupe cette maison soit pour ses réunions, soit pour celles du peuple dans les assemblées décadaires et qu'il n'en existe point d'autre appartenant à la commune ni à la nation;

3° Qu'aucun bâtiment n'a été adjugé à la commune.

Mirannes, le 10 fructidor an IL

SALAVERT, BERNÉS, PÉRÈS, DASTE, DEUPÉS.

Conformément à la loi du 11 prairial an III, les principaux habitants se réunirent en assemblée générale pour choix d'un édifice du culte :

Le 9 brumaire an IV de la République Française une et indivisible, devant


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nous maire et agent national ont comparu les citoyens... (au nombre de trente), lesquels nous ont déclaré qu'ils ont choisi la ci-devant église pour l'exercice du culte.

SALAVERT, maire; PÉRÈS, agent.

Par arrêtés des 7 et 18 germinal an II, les trois communes de Saint-Arailles, Mirannes et Saint-Jean-d'Anglés devaient former une' paroisse unique ; la municipalité de Mirannes protesta contre l'annexion :

Le vingtième jour du mois de nivôse de l'an XII de la République Française une et indivisible, le conseil municipal de Mirannes réuni.

Le maire a donné lecture : 1° De l'arrêté du préfet du Gers du 7 ventôse an XII, relatif au culte de la réunion des trois communes : Saint-Arailles, Mirannes et Saint-Jean-d'Anglés.

2° De deux arrêtés du Gouvernement desd. 7 et 18 germinal an II tendant au même but, et a chargé le conseil de prendre en considération les trois arrêtés et de vouloir y délibérer pendant la session.

A cet effet, le conseil prenant en délibération l'art. 3 de l'arrêté du préfet portant que Saint-Arailles, Mirannes et Saint-Jean-d'Anglés formeront à elles seules une paroisse dont le chef-lieu est Saint-Arailles ;

Le conseil, considérant que depuis plusieurs années la commune de SaintArailles ou habitants qui la composent n'ont jamais cessé de faire des injures aux ministres qui y ont professé le culte, soit en leur écrivant des lettres anonymes, soit en affichant sur différentes portes des atrocités contre eux, enfin en barbouillant d'une pommade sterquorique le confessionnal, portes d'église et des différents particuliers qui donnaient asile ou recevaient chez eux le ministre desservant;

Considérant encore que lesd. habitants de Saint-Arailles ne se sont pas bornés à tourner leur méchanceté contre ses ministres, mais qu'encore ils ont porté leur folie jusques à souffrir qu'on fît brûler dans leur commune des meules de paille et tas de bois ou bûches à différents particuliers qui voulaient se servir desd. prêtres;

Considérant enfin qu'il n'y a pas un mois que le plus honnête particulier de la commune a été menacé par écrit ou par le fait d'un incendie total de tous ses effets combustibles dont l'effet s'en serait probablement suivi si ces incendiaires n'eussent été dérangés par ce qu'on ne peut prévoir,

En conséquence, le conseil municipal de Mirannes, reconnaissant l'aménité, tranquilité et bonnes moeurs des habitants de la commune dont ils font partie, reconnaissant encore qu'il y aurait du danger pour ceux-ci qu'on les réunit à cette commune turbulente d'après son inconduite, a unanimement délibéré qu'ils n'entendent point être réunis à Saint-Arailles, et que si le


276 SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

Préfet et le Gouvernement persistent dans leurs arrêtés, qu'ils ne répondent pas des suites auxquelles ils pourraient donner lieu.

Délibérant ensuite sur l'art. 72 de la loi du 18 germinal an X, relatif aux dispositions à prendre par la commune :

1° Pour la réparation du bâtiment destiné au culte;

2° Pour l'établissement ou la réparation du presbytère.

Le conseil, délibérant sur les deux articles, a reconnu que l'église de Mirannes n'est pas de longtemps susceptible de réparations, et que lorsqu'elle en aura besoin, les habitants la feront réparer sans qu'il soit besoin d'une imposition.

Quant au presbytère, le curé que nous avons est bien logé et meublé.

Le conseil estime en conséquence qu'il serait très dispendieux, même ruineux, pour sa commune, qu'on allât la réunir à une autre qui aurait la frénésie de faire de grandes réparations à l'église et de faire bâtir un presbytère.

Le conseil, délibérant ensuite sur l'art. 67 de la loi, a reconnu n'avoir pas de revenu pour augmenter le traitement du curé, mais que la générosité des habitants fournira amplement, comme dans le temps où ils n'avaient rien.

Délibéré, etc.

ROGUT, PÉRÈS, DASTE, MEILHAN, MESPLÈS.

Vaines protestations, l'annexion eut lieu jusqu'en 1877, date de l'érection en succursale; la nouvelle paroisse aura un titulaire en 1899.

2° Ministres du culte 1.

La municipalité de Mirannes se réunit en vue d'une déclaration de civisme relative au ci-devant prêtre et curé de la paroisse :

Le conseil général de la commune, présents : Salavert, maire; Bernés et Estibal, officiers municipaux; Pérès, agent national; Ramon, Couperet, Garros, Sabathé, notables,

Délibérant sur la pétition de Nicolas Cardeilhac, ex-vicaire épiscopal, à l'effet d'obtenir son certificat de civisme pour recevoir la pension comme ci-devant prêtre,

Déclare que Nicolas Cardeilhac, qui étoit curé dans cette commune avant sa promotion à la place de ci-devant vicaire épiscopal, a constamment professé les principes du civisme le plus pur.

Arrêté à Mirannes, le 30 messidor de l'an second de la République.

SALAVERT, maire; BERNÉS, COUPERET, PÉRÈS ; les autres ne savoir.

1 Archives municipales de Mirannes.


TROISIÈME TRIMESTRE 1912. 27!

Elle accorde au susdit un certificat de civisme :

Nous maire et officiers municipaux certifions que le citoyen Nicolas Cardeilhac, ci-devant prêtre, a résidé depuis les six derniers mois sur le territoire de la République et qu'il fait sa résidence élective à Mirannes, lieu de son domicile; que la demande pour obtenir le présent certificat a resté affichée pendant trois jours sur la porte de la maison commune, tout ce dessus attesté par les citoyens Jean Deupés et Biaise Pérès, domiciliés dans la commune, qui ont signé avec nous et ledit Cardeilhac.

Fait à la maison commune, le 30 messidor de l'an second.

SALAVERT, maire; BERNÉS, PÉRÈS, DEUPÉS, CARDEILHAC

Le ministre du culte se présente devant la municipalité par suite de l'incitation relatée autre part et se soumet aux lois :

Le 27 thermidor de l'an III de la République Française une et indivisible, devant nous officiers municipaux de la commune, a comparu Nicolas Cardeilhac, ministre du culte catholique, domicilié dans cette commune, lequel nous a déclaré qu'ayant été incité par plusieurs citoyens du susdit lieu à exercer le ministère du culte dans l'édifice public ouvert à cet effet, il se soumet aux lois de la République.

D'après cette déclaration, nous avons rédigé le présent acte que Nicolas Cardeilhac a signé avec nous.

SALAVERT, maire; PÉRÈS, agent; CARDEILHAC.

Le susdit prête un second serment :

Le 9 brumaire de l'an quatrième de la République Française une et indivisible, devant nous maire et officiers municipaux de la commune est comparu Nicolas Cardeilhac, habitant de Mirannes, lequel a fait la déclaration suivante :

« Je recounois que l'universalité des citoyens français est le souverain, et « je promets soumission et obéissance aux lois de la République. »

Nous lui avons donné acte de cette déclaration et a signé avec nous. SALAVERT, maire; PÉRÈS, agent; CARDEILHAC

Il prête un troisième serment plus explicite :

Le 4 vendémiaire de l'an sixième de la République Française une et indivisible, devant nous agent municipal de la commune a comparu Nicolas Cardeilhac, ministre du culte catholique, habitant de Mirannes, lequel a fait la déclaration :


278 SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

« Déclare haine à la royauté et à l'anarchie, attachement de fidélité à la « République et à la Constitution de l'an III. » Nous lui avons donné acte de cette déclaration qu'il a signée.

DASTE, CARDEILHAC.

Lofs de l'annexion précitée, M. Nicolas Cardeilhac dut quitter à regret une paroisse qui lui était chère, où. des intérêts matériels le retenaient, ayant fait construire une maison servant de local curial.

Installé à Saint-Arailles, chef-lieu de la nouvelle circonscription, le 1er ventôse an XII, il mourut dans un voyage à Mirannes le 2 ventôse an XIII.

3° La municipalité 1.

Les habitants de la commune furent requis pour le transport de denrées et fourrages de Mazères à Auch :

24 thermidor an II : 6 charretiers pour transport de subsistances.

9 fructidor — : 6 bouviers pour bois, blé, paille, avoine. 20 — — : 11 bouviers pour porter deux cents quintaux de grains.

12 nivôse an III : 11 bouviers pour transport de paille.

Les susdits durent fournir et transporter à Auch :

13 frimaire an II : 13 sacs avoine. — Prix, 131 1. 18 s. 11 d. — Port, 9 1.10 s.

4 ventôse — : 7 sacs avoine. — Prix, 77 1. 7 s. 7 d. — Port, 5 1. 10 s.

30 thermidor — : 42 sacs avoine. —Prix, 343 1. 4 s. 9 d. —Port, 28 1. 5 s. 3 d.

— — : 8 sacs de blé pour armée. Trois citoyens en font don. .

— — : 16 quintaux de grains, 3/4 froment, 1/4 seigle ou orge. 10 pluviôse an III : un quintal de blé pour l'hôpital militaire et mendicité. Les citoyens Deupés et Tarnble donnent chacun 25 livres; quatre autres

chacun 12 1. 1/2.

3 floréal an III : 92 quintaux de blé pour l'armée des Pyrénées.

Cette réquisition dépassant les ressources : 376 quintaux 75 livres pour 281 habitants.

8 fructidor an III : quatre propriétaires fournissent 26 quintaux de paille.

10 — : quatre propriétaires fournissent 8 sacs de blé.

1 Archives municipales de Mirannes.


TROISIÈME TRIMESTRE 1912. 279

La nomenclature qui précède est digne de remarque à divers points de vue : elle offre une juste idée des charges incombant à la communauté.

Conformément à l'arrêté du district d'Auch et du représentant des 15 et 27 pluviôse an II, un grenier commun, dit de la République, fut établi.

La récolte faite, on opérait un recensement général des grains qui étaient réunis dans le susdit grenier, ne laissant que cinquante litres par individu.

Le prix était soldé aux intéressés par l'État; la répartition était trimestrielle et opérée par un garde choisi. Mentionnons à ce sujet :

5 ventôse an II : recensement général, laissé 50 litres, le reste au grenier.

6 — : quinze propriétaires de la commune versent : 54 sacs blé,' 4 sacs mixture, 2 mesures orge, 1 mesure seigle, 2 sacs fèves, 2 sacs garrosses, 2 mesures pois, 1 sac 3 mesures haricots.— Prix, 1.087 livres 3 sols.

3 germinal an II : Jean Deupés, garde, se plaint des rats; distribution.

4 — : distribution interrompue par suite d'une réquisition.

8 floréal an II : Jean Deupés répartit la somme sus-relatée et garde 110 1. 11 s. 7d.

Cette tentative infructueuse d'un grenier ne fut pas renouvelée.

Les défenseurs de la patrie donnèrent lieu à deux actes.

Le 30 fructidor an II, pétition des citoyens Bernard Daste, Bernard Garros, Jean Sabathé, Jean Meilhan et François Daste, tendant à obtenir leur certificat de civisme pour être aptes à remplir des grades.

Le 4 des sans-culotides, Biaise Pérès, volontaire de la première classe, déclare qu'appelé à la défense de la Patrie, il se voit obligé d'abandonner son bien. Le déclarant n'ayant aucun parent qui puisse le représenter en son absence, remet sous la garde de la municipalité sa maison, ses bestiaux et sa propriété.

Les officiers municipaux dressent acte et déclarent que sa maison, ses bestiaux et sa propriété seront sous la sauvegarde de la loi, et que la municipalité portera à leur conservation toute la


280 SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

vigilance qu'un citoyen défenseur de la Patrie peut attendre des magistrats du peuple.

L'arbre de la liberté ayant été coupé, l'agent coupable de négligence fut révoqué :

Le 17 nivôse an VI, le Directoire exécutif, en vertu de l'art. 196 de la Constitution et de la loi du 13 vendémiaire : Art. 1 : L'agent municipal est révoqué. — Art. 2 : Le citoyen Deupés est nommé agent municipal.

Le susnommé fit replanter l'arbre de la liberté :

Le 28 pluviôse an VI, nous Jean Deupés, agent municipal et Biaise Agut, adjoint, en vertu de l'avis qui nous a été donné de l'administration centrale du département du Gers, nous avons fait replanter l'arbre de la liberté dans notre commune.

DEUPÈS, agent; AGUT, adjoint.

Une réunion de notables eut lieu en vue de l'enseignement primaire :

Le 10 fructidor an II, Mirannes et Saint-Arailles, communautés réunies pour une école; siège dans la première, Lartigue ouvrant son école le 1er vendémiaire. Mirannes, 36 élèves.

4° Fêtes civiques 1.

Relatons le compte rendu de trois fêtes civiques :

14 juillet. — Le 26 messidor an VI de la République Française une et indivisible, sur la convocation faite par Bernard Daste et Biaise Pérès, agent et adjoint municipaux de la commune de Mirannes pour la célébration de la fête du 14 juillet (vieux style) le peuple s'est assemblé, notamment la garde nationale, elle s'est entourée autour de l'arbre de la liberté; un citoyen a prononcé un discours analogue à la fête; l'agent a prêté le serment de : « Haine à la royauté et à l'anarchie, attachement et fidélité à la République « et à la Constitution de l'an III ».

Tous les citoyens l'ont répété, la fête s'est terminée par des chants patriotiques et des cris retentissent de toutes parts : « Vive la République ! Vive la Constitution de l'an III ! »

De tout quoy nous avons dressé le présent procès-verbal que nous avons signé.

DASTE, PÉRÈS, adjoint municipal.

1 Archives municipales de Mirannes.


TROISIÈME TRIMESTRE 1912. 281

Souveraineté du peuple.

Aujourd'huy trente ventôse an VI de la République Française une et indivisible, nous Jean Deupés, agent municipal de la commune de Mirannes, nommé le 17 nivôse dernier par un arrêté du directoire exécutif et Biaise Agut, mon adjoint, certifions avoir fait célébrer la fête de la souveraineté du peuple ledit jour trente ventôse, dans notre commune, conformément à la loy du treize pluviôse dernier et à l'arrêté du directoire exécutif du vingt-huit même mois. . A la foy de ce, etc.

DEUPÉS, agent; AGUT, adjoint.

Fête de la jeunesse.

Le 10 germinal an VII de la République Française, nous Jean Deupés, agent municipal de la commune de' Mirannes, avons convoqué tous les citoyens et citoyennes de la commune à l'effet de célébrer la fête de la jeunesse.

La garde nationale a été mise en activité, elle s'est entourée autour de l'arbre de la liberté, les vieillards de tout sexe se sont mis d'un côté, les jeunes citoyens et citoyennes ont chanté des hymnes patriotiques, les vieillards de tout sexe ont mêlé leur voix avec la leur; l'agent municipal leur a prononcé un discours analogue à la fête : elle s'est terminée par des applaudissements et des cris à se retentir de toutes parts par : « Vive la République ! Vive la Constitution de l'an III ».

Après quoy l'agent municipal a ouvert le registre civique où tous les citoyens qui ont atteint l'âge de vingt et un ans se sont fait inscrire sur le registre; au même instant l'agent municipal a invité tous les citoyens âgés de seize ans à s'approcher pour se faire inscrire sur le registre de la garde nationale : tous les citoyens qui n'étoient pas inscrits se sont fait inscrire.

De tout quoy avons dressé le présent procès-verbal et avons signé.

DEUPÈS, agent national.

Ces relations font connaître l'enthousiasme des habitants de Mirannes dans leurs réjouissances, heureux et fiers d'être libres.


282 SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

AUJAN-MOURNEDE

(Documents inédits), PAR M. L'ABBÉ P. LAMAZOUADE.

Le modeste village d'Aujan, avec son annexe Mournède, situés à dix kilomètres environ à l'ouest de Masseube, est un pays fertile où les habitants sont exclusivement adonnés aux travaux des champs. Il est traversé dans toute sa longueur par un petit cours d'eau qu'un ancien chroniqueur de la contrée a, par mégarde sans doute, décoré du titre flatteur de fleuve du Sousson. L'exagération est des plus plaisantes.

Pas d'industrie, commerce sans importance.

Les maisons seigneuriales que mentionnent les vieux documents de la commune donnent cependant à son histoire locale un intérêt que l'on ne saurait dédaigner.

Nous y remarquons, en effet, les biens nobles des moines de Berdoues, des familles de Larroux, de Saubiac, de Laforgue et de Monluc dont nous parlerons dans ce travail.

D'après l'arpentement général du territoire d'Aujan (15 janvier 1777), les propriétés furent rangées, selon l'excellence des terrains, en six catégories distinctes.

Nous y remarquons, d'abord, le chapitre des lieux sacrés, comprenant l'église et le cimetière d'une contenance de onze places (premier degré).

Vient ensuite le chapitre des biens nobles : l'abbé de Berdoues, seigneur d'Aujan, qui possédait noblement quelques pièces de terre; les religieux de Berdoues avaient, à Aujan, une métairie avec sol, pâtus, jardin, pré et terre labourable, situés au quartier de Lagfange, et vigne, au Peyras; des pièces de terre, aux quartiers du Hourquet, de Lamathe, de las Cassoulett.es, au Cassagneau, à las Anglades; vignes et bois à las Madederes. Total : trente-sept arpents.


TROISIÈME TRIMESTRE 1912. 283

Maisons seigneuriales.

1° M. de Larroux possédait des terres aux quartiers du PetitBlat, de Houret, Brouca, Hourquet, Lasmades, au chemin de Saint-Ost, etc., d'une contenance de onze arpents 1;

2° M. de Saubiac ne possédait, à Aujan, qu'une petite propriété située près de la rivière, et d'une contenance de deux cazeaux et quatre places et demie 2;

3° Messire de Laforgue. Le plus important des domaines seigneuriaux d'Aujan-Mournède était, sans contredit, celui de messire de Laforgue, seigneur de Poinarède, baron de Lordes et autres lieux. Il possédait à Aujan un château féodal avec grange, pigeonnier, basse-cour, jardin, hautin, prés, terres labourables; plusieurs métairies avec jardins, prés, vignes, terres incultes, bois et taillis, d'une contenance d'environ cent seize arpents. Il avait, en outre, des propriétés en Mournède, d'une contenance de deux arpents un cazal.

Les vieillards eux-mêmes de la contrée n'ont gardé ni le souvenir de cette famille, ni de son habitation d'Aujan. Tout nous porte à croire, cependant, que le château de messire de Laforgue n'était autre que le domaine désigné de nos jours sous le nom de l'Houstau.

Les registres de catholicité de la paroisse d'Aujan nous révèlent que messire Bertrand de Laforgue épousa Marguerite de

Castaigner de La Pomadère. Ils eurent plusieurs enfants :

28 septembre. 1669, André de Laforgue;

3 juin 1671, Jean-François de Laforgue, qui mourut à l'âge de quatre ans;

4 septembre 1673, Jean-Baptiste de Laforgue;

26 mai 1675, Marie-Marthe de Laforgue, qui mourut à l'âge de dix ans; 28 octobre 1677, Louise de Laforgue, qui mourut à l'âge de treize ans; 28 juin 1680, Marie-Anne de Laforgue, qui mourut à l'âge de vingt ans; 10 avril 1684, Jean-Jacques de Laforgue.

Le 28 novembre 1687, mourut Bertrand de Laforgue, à l'âge

1 Livre terrier d'Aujan, fol. 12.

2 Idem, fol. 45.


284 SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

de soixante-quatre ans. Il fut enseveli dans l'église d'Aujan, à la chapelle Saint-Joseph.

Mme de Laforgue mourut le 23 février 1712, âgée de soixantedix ans. Leur fils André de Laforgue épousa demoiselle Françoise de Mons. Ils eurent aussi plusieurs enfants :

Le 9 avril 1709, Marguerite de Laforgue;

8 août 1710, Jean de Laforgue;

19 janvier 1713, Jeanne-Françoise de Laforgue;

3 août 1714, Marie-Angélique de Laforgue;

15 avril 1717, Bertrand-Albert de Laforgue;

23 août 1718, Arnaud-Jean de Laforgue, qui mourut à l'âge de quatorze ans.

Les registres paroissiaux d'Aujan mentionnent encore le mariage de demoiselle Angélique de Laforgue (14 octobre 1739) avec noble Jean-Bertrand Adoué, seigneur de Saillas, de Garaùet et directe de Sales, ancien capitaine au régiment de Richelieu.

Enfin, quelques années plus tard, le 19 janvier 1763, messire Jean de Castaigner de Laforgue, seigneur de Pomarède, Aujan et Viozan, donne sa fille Marguerite, encore mineure, en mariage à messire Gabriel-Olivier Cas de Ben os (veuf de dame Marianne Busquet), seigneur et baron de Lez, fils de feu messire François Cas de Benos, seigneur et baron de Lez, gouverneur de Castetléon, et de dame Elizabeth de Larboust de Manrique, seigneuresse de Lodes, de la paroisse de Lez, diocèse de Comminges.

Les archives de la famille Abeille, de Mournède, nous révèlent que, dès 1753, la famille de Laforgue résidait tantôt à Aujan, tantôt à Toulouse. Peu à peu elle vendait ou échangeait une partie de ses propriétés, jusqu'au jour où. elle quitta définitivement son domaine seigneurial d'Aujan, après avoir vendu pour la somme de 1.200 livres, en 1779, ses biens à M. Roques, licencié en droit, demeurant à Mournède.

Messire de Monluc.

Messire François de Monluc possédait dans la paroisse d'Aujan des terres labourables au quartier de la Mathe, un pré au quartier de l'église, des propriétés à la coste de Saint-Ost et


TROISIÈME TRIMESTRE 1912. 285

au Mounet, un bois au Bousquet, ainsi que des terres incultes; le tout d'une contenance de seize arpents 1.

Outre les propriétés que possédait à Aujan messire François de Monluc, seigneur de Mournède, il avait dans cette dernière commune une métairie avec grange, parc, jardin, appelée aux Barrauch, des terres, bois, prés, taillis, d'une contenance de dix arpents 2. Mais c'est principalement à Lagarde-Noble que se trouvait la plus grande partie de ses propriétés d'Astarac. En 1669, il payait 185 livres 4 sols 8 deniers pour les terres qui n'étaient pas nobles 3.

Les archives de la famille Abeille, de Mournède, rapportent que, le 6 août 1746, le domaine seigneurial de messire François de Lasséran-Monluc-Manssencôme, chevalier, marquis d'Ornano, de Miramont, seigneur de Saint-Martin et autres places, fut mis en vente à la requête de dame Renée de Fleur, veuve de M. de Monluc.

L'énumération de toutes les propriétés constituant cette succession fut, ce jour-là, affichée sur la porte du château féodal. Ce document nous donne quelques détails sur le plan et l'importance du château lui-même et de ses dépendances.

Nous y lisons, en effet, que cette maison seigneuriale était bâtie « en muraille à haut étage, de la longueur de vingt cannes « (environ 45 mètres) sur une largeur de quinze cannes « (33 mètres environ), trois croisées et une fenêtre avec la porte « metresse sur le levant et au bas autant de fenêtres sur le haut « et'une tour de colandage sur ladite porte, trois fenêtres sur le « nord et une porte accompaignée, sur le nord des écuries et ce ménagerie avec une petite cour et une porte cochère, le tout « en feint de parvis éperses à la hauteur de deux cannes, et lesd. « granges séparées de la longueur de huit cannes et largeur « quatre cannes et demy, le tout de la contenance les garaines, « bois, vignes, qui sont contigues, de cinq arpents un cazal... »

Suit la liste des différentes propriétés composant le domaine

1 Livre terrier d'Aujan, 1774.

2 Livre terrier de Mournède, 1681.

3 Livre terrier de Lagarde-Hachan, 1669.

19


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seigneurial. Mme de Monluc, qui s'était retirée à Paris après la mort de son époux, revendiquait sur ces propriétés, « d'abord les « 75.000 livres constituant sa dot, 1.000 livres de préciput, « 6.000 livres de doire et 30.800 livres d'autres intérêts desdites « sommes pris saisy et de fet mis sous la main du roy et de « justice... »

C'est en vain que de nos jours on chercherait une trace de ce domaine seigneurial si important dans les siècles passés. Pas une muraille n'indique aujourd'hui que là résida jadis un des plus hauts et puissants seigneurs de cette contrée, un noble chevalier de l'ordre militaire de Saint-Louis, brigadier des camps et armées du roy. Sic transit gloria mundi.

Vient ensuite l'énuinération des bénéfices réalisés par le fermier sur le bétail des différentes métairies du seigneur de Monluc, et du capital que représentait le bétail lui-même, détails qu'il serait trop long de mentionner ici 1.

Plus tard,, le 28 fructidor an X, ces métairies, que possédait jadis messire de Moulue en Lagarde, Aujan et Samaran, furent vendues au citoyen Jean-Frix Roques, homme de loi, habitant Mournède, par Bernard-Brice Darrieux, notaire à Bordeaux, moyennant la somme de 12.000 francs 2.

Le 6 novembre 1709, le bétail que possédait dans ses métairies, à Mournède, messire de Monluc fut évalué à ce six vingt« sept livres 3 ».

Quelques années plus tard, le 17 septembre 1745, le seigneur de Monluc afferme au sieur Roques, de Mournède, ses terres seigneuriales de Lagarde-Hachan pour six années, moyennant la somme annuelle de 2.600 livres, payables la moitié à la Noël et la seconde moitié à la Saint-Jean 4.

Les propriétés de Mournède furent affermées à ce même Roques pour neuf années, à raison de 400 livres par an 5.

1 Archives de la famille Abeille, de Mournède.

2 Id.

3 Id.

4 Id.

5 Id.


TROISIÈME TRIMESTRE 1912. 287

Les mêmes archives mentionnent l'état des charges royales que M. le marquis de Monluc payait à Lagarde, Hachan, Aujan, Mournède,. « tant en biens nobles que rurals », et qui consistaient :

1° Capitation noble 249 livres.

2° Dixième noble 307 —

3° Charge des biens rurals de Lagarde 143 —

4° Charges royales de Hachan 27 —

5° Charges royales d'Aujan 70 —

6° Charges royales de Mournède.' . . 54 —

7° Charges royales de Samaran 9 —

. Total : 859 livres.

Ces mêmes archives municipales' disent que la commune d'Aujan-Mournède, mise en demeure d'envoyer des subsides à nos armées d'Espagne, acheta (juillet 1813) au sieur Cénac un boeuf pour la somme de 220 francs. M. le maire donna 12 francs à la personne qui devait le mener jusqu'à Orthez et 1 franc à celle qui était chargée de conduire l'animal à Massenbe.

Vient ensuite dans le registre de l'état civil la réquisition faite près des habitants pour fournir cinq quintaux de foin, à raison de 12 francs le quintal, et dix hectolitres de blé vieux fournis par sept propriétaires, et que l'on s'engagea à transporter au magasin de Mirande. Ce sont là les seuls événements mentionnés dans les archives locales relatifs au temps de l'Empire.

Elles nous font assister ensuite (21 mai 1815) à la nomination du premier magistrat de la commune. Sur trente-sept bulletins, M. François Gardères recueille trente et un suffrages. Il est proclamé maire d'Aujan-Mournède et s'empresse de prêter serment de fidélité dans les termes suivants. Ce sera aussi la formule adoptée après la nomination des autres officiers municipaux.

Nous la transcrivons telle que nous la relatent les archives :

Je jure et promets à Dieu de garder obéissance et fidélité au Eoy, de n'avoir aucune intelligence, de nassister en aucun conseil, de nentretenir aucune ligue qui serait contraire à son autorité, et si dans le ressort de mes fonctions ou ailleurs j'apprends qu'il ce trame quelque chose à son préjudice, je le ferai connaître au B-oy.


288 SOCIÉTÉ ARCHEOLOGIQUE DU GERS.

Sitôt que M. Gardères eut prononcé la formule de ce serment, il fut installé solennellement maire des communes d'Aujan et Mournède.

NOTE.

Note sur le veltage.

Aujourd'hui l'usage des bascules est devenu commun et on pèse presque toujours le vin et l'eau-de-vie quand il s'agit de les vendre. Jadis on mesurait le contenu des fûLs à l'aide d'une règle graduée en fer qui s'appelait berge en gascon, et qui est la mite. On ne s'en sert guère plus et le souvenir risque de s'en perdre : celte note ne sera donc pas inutile peulêlre à nos arrières-neveux, quand ils reliront notre Bulletin.

Le mot berge servait à désigner et la règle à jauger et l'unité de mesure pour les liquides: une berge valait huit litres. Un pol en cuivre ou en fer blanc qui servait à la manipulation des liquides s'appelait pot à berge, pot à velle, et contenait huit litres.

La barrique de l'Armagnac, dite aussi chalosse, se vendait pour quarante veltes ou bergas, soit trois cent vingt litres, et la pièce d'eau-de-vie pour cinquante veltes ou quatre cents litres : la première est en châlaigner et se fabrique communément en Chalosse; la deuxième est en chêne et se fabrique en Armagnac et pays circonvoisins.

La berge, graduée par divisions de huit litres, s'introduisait dans les fûLs par la bonde; on l'inclinait de façon que le bas touchât le juble, c'est-à-dire l'angle formé par le fond de la futaille à sa partie inférieure, et au point où s'arrêtait la partie mouillée par le liquide, on lisait la contenance.


TROISIÈME TRIMESTRE 1912. 289

LES AGES DE LA PIEEEE DANS LE GERS,

PAR M. LUDOVIC MAZÉRET.

PALÉOLITHIQUE.

Quatrième é:poç[-u.e. — Le solixtréenL'époque

solixtréenL'époque tire son nom de la belle et riche station de Solutré, dans la Saône-et-Loire, signalée par de Ferry et explorée avec beaucoup de soin par Arcelin et Ducrost.

L'industrie solutréenne est surtout caractérisée par deux outils en pierre, de forme allongée, rappelant soit la feuille de laurier, soit la feuille de saule. Plusieurs de ces pointes portent un cran sur l'un des côtés de leur base, et se nomment pour cette raison pointes à cran. Elles étaient emmanchées.

Les pointes solutréennes se distinguent encore des pointes moustériennes en ce qu'elles sont finement retaillées sur leurs deux faces.

Les grattoirs sont des éclats allongés, rectangulaires, à sommets arrondis et retouchés avec soin ou bien de forme amygdaloïde.

A propos de cette dernière forme, nous allons nous permettre de signaler de tout petits grattoirs, appelés grattoirs convexes, recueillis en grande quantité dans les Landes, à Brassempouy. Voici ce que nous lisons à ce sujet dans le Bulletin de la Société de Borda, 1894, p. 143 : « M. Laporterie a recueilli dans les « amas éléphantiens de Brassempouy des grattoirs convexes « dont il a comparé la forme à celle des écailles d'une pomme de « pin. M. Piette avait trouvé cette forme de grattoirs à Gourdan « (Haute7Garonne), associés à d'autres grattoirs amygdaloïdes « terminés en pointe antérieurement, convexes sur tout le pour« tour, excepté sur l'un des côtés où une large échancrure laté« raie formait un grattoir concave... Ces restes d'industrie, ajoute « M. Piette, me paraissent devoir être rapportés à la fin des « temps solutréens ».


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Les perçoirs sont à pointe centrale, dégagée des deux côtés en vrillette ou à pointe latérale. Certains affectent la forme discoïdale avec une ou deux pointes opposées.

Pour l'époque de transition, le Grue ne nous a fourni qu'une pointe bien caractérisée. Elle est en silex blanc, bien cacholonné, large, mince et courte, à sommet en ogive et à base presque droite, très finement retouchée sur toute sa surface supérieure, sauf vers la base où un large éclat a été enlevé pour ne pas gêner la préhension. Sa face d'éclatement est indemne. Elle se rapproche beaucoup des pointes triangulaires, à base amincie, trouvées par le Dr H. Martin à la station de La Quina 1. Nous avons recueilli sur le plateau de Pellehaut deux pointes en silex gris avec tentative de cran. La plus grande (0m0.52X0m 033) est à peine retouchée sur sa face supérieure, tandis que les bords de sa face d'éclatement, sont finement retouchés, sauf à la base. La seconde (0m036X0m022) est retouchée vers le sommet sur les deux faces. Enfin signalons trois pièces rappelant, en petit, les belles pièces de La Quina, un peu bossues, très finement retouchées sur tout leur pourtour et formant double pointe.

Le Bégour a produit quelques pointes incomplètes, retouchées vers la pointe et leur face d'éclatement. Il devait y en avoir cependant de relativement assez longues si nous en jugeons par un fragment, le plus complet que nous ayons trouvé. Il est en silex jaune cire du Grand-Pressigny et mesure encore 0m087X0m028. Il est retouché sur ses deux faces, vers les bords et la pointe. Il a peut-être servi de scie.

Réaut, encore imparfaitement fouillé, a fourni sept pointes avec tentative de cran. Elles sont en silex marron et gris. La plus grande a 0m065 de long et la plus petite 0m029. En général, elles ont le sommet émoussé par l'usage et sont assez bien retouchées sur leurs deux faces, vers les bords. Certaines se dégagent de la forme lourde et grossière et se rapprochent de la forme fuséiforme.

Bull. Soc. préhist. de France, 1906, p. 237.


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Les bords du Bergons, à Riscle, que nous étudions en ce moment, nous ont également révélé la présence de pointes avec tentative de cran. Les deux que nous y avons recueillies sont gauches, grossièrement taillées,' mais à caractère bien défini. Elles sont en silex jaunâtre et mesurent 0m047 et 0m038 de iong.

Nous avons commencé d'étudier une nouvelle station, à Maumusson-Laguian, située dans les vignes entourant l'église. Elle i-emonte aux premières époques paléolithiques. Nous en ferons plus tard une étude plus détaillée. Pour l'instant, nous nous permettrons de signaler une pointe avec tentative de cran, en silex gris marron, mesurant 0m032 de long, à sommet émoussé par l'usage.

Les grattoirs sont- rares. Pellehaut nous en a fourni trois allongés, retouchés sur les côtés en racloir et la pointe qui est arrondie. Ils sont en silex jaunâtre et mesurent 0m052, 0m041- et 0m037.

A Courrensan, on rencontre un assez grand nombre de grattoirs bien retouchés sur les bords et sur la pointe; mais leur forme est encore bien lourde et trapue. C'est un éclat de silex blanc translucide, bien cacholonné et mesurant 0m 045 de long. Il est bien retouché sur tout son pourtour, sauf à la base. La face d'éclatement est retaillée par places.

Réaut ne nous a donné jusqu'à ce jour que deux grattoirs dont un incomplet. Le plus grand, dont la base manque, est en silex jaunâtre, retouché sur tout son pourtour et sur la face d'éclatement, mais peu sur le bord droit où les retouches sont espacées. Il conserve son cortex sur la plus grande partie de sa face supérieure. Le second, tout petit, est en silex cornalinifère et bien retouché sur tout son pourtour, sauf à la base. Il est également retouché sur une partie de sa face d'éclatement.

Les bords du Bergons nous ont fourni une forme de grattoir fort rare dans la contrée. C'est un grattoir retouché sur le bord gauche et la base : son extrémité antérieure est haute, mais son plan est à angle droit avec la face inférieure. C'est un grattoir, rugine, dont l'inventeur, le Dr Henri Martin, a donné la descrip-


292 SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

tion 1. Il l'a trouvé pour la première fois dans ses fouilles à La Quina (Charente).

Le solutréen proprement dit n'est représenté au Grue que par un petit grattoir convexe bien retouché au sommet et sur le côté gauche, tandis que le côté droit est à cassure nette. C'est le grattoir découvert à Brassempouy et dit ce écaille de pin ».

Pellehaut nous a fourni quelques outils dans ce genre-là, plus une belle pointe à cran (0m 072 X 0m 043) en silex blanc mât, bien retouchée sur les deux faces et vers les bords. Elle est large pour une pointe de flèche : elle a dû servir de lame de poignard.

Le plateau du Cuillère, au nord de Gondrin, était habité à l'époque solutréenne, car on y trouve d'abondants éclats de silex blanc translucide. Nous y avons recueilli quelques grattoirs « écaille de pin » et plusieurs lames très petites en feuilles de saule, les plus longues ne dépassent guère 5 à 6 centimètres. L'une d'elles, retouchée sur le côté gauche, vers la base, paraît être l'ébauche d'une pointe à cran.

Nous avons remarqué, il y a déjà quelques années, dans la collection de notre regretté ami H. Daignestous, des feuilles de saule et clés pointes à cran semblables, provenant de Cacarens.

L'atelier de Courreusan renferme plusieurs grattoirs retouchés vers le sommet et sur l'un des côtés : ils rentrent dans la catégorie des grattoirs dits ce écailles de pin ». Plusieurs autres sont retouchés aux deux bouts et forment des doubles-grattoirs^ Le plus joli est sans contredit celui que nous avons trouvé à Langrue, clans les mêmes parages. Il est en silex jaunâtre, bien retaillé aux extrémités qui sont arrondies et sur le bord gauche. Il mesure 0m054 de long. Citons enfin un double poinçon, discoïdal, bien retouché tout le tour, ressemblant à ceux recueillis à la grotte de l'Eglise, commune de Saint-Martin d'Exideuil 2 (Dordogne).

Les grattoirs convexes du Bégour sont plus petits et plus minces que d'ordinaire. Certains n'ont même pas un centimètre

1 Bull. Soc. préhist. de France, 1906, p. 237.

2 Musée préhistorique (1906), par G. et A. de MOBTILLET, planche xvm, n° 140.


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de long. L'exiguïté des outils dans cette station provient de la rareté du silex. On a utilisé jusqu'aux moindres éclats.

L'industrie solutréenne est représentée à Réaut par deux sortes de pointes. Les pointes à cran qui sont petites et seulement retouchées pour former l'entaille. Nous avons dit plus haut que ces outils n'étaient que des ébauches; mais il ne serait peutêtre pas téméraire d'avancer que ces pointes ont servi telles qu'elles si nous tenons compte de la pénurie du silex. Les autres sont de petites feuilles de laurier, de 0m022 à 0m025 de long, retouchées parcimonieusement sur les deux faces : elles rappellent celles trouvées à la grotte de l'Eglise, commune de SaintMartin d'Exideuil (Dordogne), avec cette différence qu'elles sont plus petites.

Les grattoirs de forme rectangulaire, en silex gris translucide maculé de blanc, sont remarquables par la finesse de la taille. Ils sont, en général, façonnés en doubles-grattoirs et retouchés sur les bords en racloirs.

Les perçoirs ne sont représentés que par un seul outil, en mauvais silex grisâtre, de forme massive, à manche vertical et large, retouché sur son pourtour pour ne pas blesser la main, et à pointe oblique bien dégagée.

Les bords du Bergons ne nous ont encore fourni qu'une pointe à cran, malheureusement incomplète. Elle se distingue de celles des autres stations en ce qu'elle est retouchée sur sa face inférieure et que son sommet est dégagé en pointe longue ou vrillette.

Les grattoirs sont également rectangulaires, bien retouchés sur leurs extrémités et sur l'un des bords, en angle curviligne, de façon à former un racloir concave. Quelques autres rappellent les grattoirs convexes, dits « écailles de pin », mais ils sont plus grands que dans les autres stations. Tous ces outils sont en silex jaune cire du Grand-Pressigny. Au reste, le silex jaunâtre ou jaune cire a été importé : il est étranger au pays.

L'emploi de l'os, qui se montre, à la fin de l'époque solutréenne, dans la confection de certains outils, n'a pas encore été signalé dans le Gers, non plus que pour les époques subséquentes.


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NOTE.

Inscription de la cloche de Barcugnan. La cloche de Barcugnan porte, en relief, l'inscription suivante : Ste MARTINE ORA PRO NOBIS HT ET PVISSANT SGVR ANTOINE JEAN BAPTISTE GASTON DVC DE ROQVELAVRE COMTE D'ASTARAC ET EN CETTE QVALITE SGVR DE BARCVGNAN PAlk ET MCHL DE FRANCE CHLR DES ORDRES DV ROY LAN MDCCXXX.

Le duc de Roquelaure, qui fut le donateur et sans doute aussi le parrain de la cloche de Barcugnan, est le fils de ce duc qui s'est rendu célèbre par ses bouffonneries et ses bons mots. S'il faut en croire Saint-Simon, il aurait été d'une incapacité remarquable; et s'il fut nommé commandant en chef et gouverneur du Languedoc, « au scandale de toute la France », la faveur dont sa femme, Mlle de Laval, jouissait auprès du roi Soleil, n'aurait pas été tout à fait étrangère à cette élévation. Le duc se montra, d'ailleurs, à beaucoup de points de vue, gouverneur actif et vigilant 1.

L'inscription de la cloche témoigne de l'intérêt qu'il portait à son comté d'Aslarac.

Le duc possédait-il quelques terres et un château à Barcugnan ? Cela est assez probable, puisque, en 1754\ le nouveau comte d'Aslarac. « M. le duc « de Rohan, seigneur dominant dud 1 pays, haut justicier moyen et bas « foncier et directe du présent lieu » de Barcugnan, « tient et possède dans « led 1 lieu un chatteau où il ne reste que des vielles mazures, situé à l'aspet « du midy de l'église parroissiale 3 ».

Le duc de Rohan possédait aussi dans Barcugnan huit pièces de terres ou de bois qui se montaient « en total quarante-six arpens six mesures et « l'alivrement huit livres cinq sols un dénié : 46ar 6ms 81 5S la ».

N'était-ce pas là lout l'héritage que le duc de Rohan avait reçu, à Barcugnan, du duc de Roquelaure?

Pourquoi le château était-il en ruines ? Une naïve légende populaire — que l'on raconte aussi à Monlezun-en-Pardiac — dit que des canons anglais l'auraient mis à bas, une nuit, grâce à la trahison d'une servante qui avait placé une bougie dans le trou de l'évier et dirigé ainsi le tir des Anglais qui se trouvaient sur les hauteurs de Dufïort.

1 D'après M. J. Mandoul, dans le Nouveau Dictionnaire Larousse.

- D'après le cadastre de cette année 1754.

3 On voit encore des murs à fleurs de terre, sur un des plus beaux mamelons qui festonnent la rive droite de la Baïse, et tout le long d'une magnifique terrasse entourée de fossés qu'on appelle encore le château.


CHRONIQUE.

SÉANCE DU ler JUILLET 1912.

PRESIDENCE DE M. PHILIPPE LAUZUN, PRESIDENT.

Sont admis à faire partie de la Société :

M. DESBARATS (Frix), propriétaire à Lestensille, en Lannepax, présenté par MM. le docteur Grenier et Adrien Lavergne;

M. DUMAS (Jean-Marie) négociant à Lannepax, présenté par MM. A. Lavergne et Despaux;

M. CHIROL, propriétaire à Lectoure, présenté par MM. de Sardac et de Jolis;

M. NOGUÈS (Roger), 5, rue de La Rochefoucauld, Paris, présenté par MM. de Brux et Despaux.

L'Académie de Bordeaux invite les sociétés de la région à prendre part aux fêtes organisées à l'occasion du deuxième centenaire de sa fondation.

M. Paul CASTEX a retrouvé la procédure d'une action en recherche de paternité en 1665. Après une enquête à laquelle procéda le juge de Lectoure, le père présumé fut emprisonné et condamné à payer 500 livres ou à épouser la plaignante. Le tout ne prit pas plus d'une journée. On ne peut qu'être agréablement surpris de la célérité de la justice à cette époque.

M. DANDOUAU envoie pour la bibliothèque de la Société deux brochures fort intéressantes : Coutumes funéraires dans le nord-


296 SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

ouest de Madagascar ; Documents concernant Jean Laborde. Des remerciements lui sont votés.

Il demande aussi une adhésion de principe à un projet de monument à élever à Jean Laborde à Auch. La Société donne son adhésion immédiate à cette proposition et promet tout son concours à M. Dandouau pour l'oeuvre qu'il entreprend, car Laborde fut non seulement un enfant d'Auch, mais aussi un grand Gascon et un grand Français.

M. de LARY continue son étude sur la rivalité de deux maisons de Gascogne aux XIVe et XVIIe siècles, Latour et Baratnau. La querelle roulait sur la jouissance d'une somme de 19.000 livres, laissées à Anne de Goth par son mari, le capitaine Baratnau. Jean de Lary avait acheté ses droits à cette dernière et se trouvait en face de .Jean de Monlezun pour la discussion. Celle-ci, d'abord juridique, s'envenima peu à peu, et Jean de Monlezun, traître à sa parole, s'empara du château de Latour, le pilla, en assassina les défenseurs et emmena prisonnière Anne de Goth. L'affaire ne se termina que vingt-quatre ans plus tard.

M. LAUZUN donne communication d'une lettre que M. le docteur Georges Martin, de Bordeaux, président actuel de la Société des Archives historiques de la Gironde et auteur de savants travaux ampélographiques, adresse à tous les présidents des Sociétés savantes du S.-O. pour leur signaler les dangers que les grands froids de l'hiver font courir aux vignes greffées et pour indiquer comme préservatif le couchage desdites vignes. Il demande en conséquence à toutes les Sociétés fédérées de vouloir bien le renseigner sur la question de savoir dans quelle direction et jusqu'où se font sentir d'ordinaire les froids qui atteignent les vignes des départements voisins de la Gironde et quels ont été chez eux les hivers viticides depuis le xve siècle. De ces données, l'agriculture et la météorologie ne pourront retirer que le plus grand profit; car l'histoire doit nous apprendre à craindre ces fléaux anciens pour nous amener à les combattre et à nous en préserver à l'avenir.


TROISIÈME TRIMESTRE 1912. 297

M. Ch. DESPAUX analyse un procès intenté par une jeune fille à son amant qui l'avait abandonnée après une promesse formelle de mariage. D'où condamnation du jeune homme par le juge de l'ordinaire, tribunal ecclésiastique. L'infidèle fait appel de la sentence devant le Sénéchal d'Auch, mais avant on tâche d'arranger l'affaire en cours, au moyen d'arbitres choisis par les parties en cause. Le curé de Barcugnan et celui de Sadeillan sont désignés. Les textes invoqués par le curé de Barcugnan semblent devoir donner gain de cause au jeune homme; parmi les raisons alléguées, il prétend que les engagements ne sont pas réciproques, qu'il n'y a aucun écrit et qu'il faut se souvenir avant tout du vieil axiome : verba volant, scripta manent.

De plus, la somme de deux cents livres promise au futur époux n'ayant pas été comptée, il a bien le droit de reprendre sa parole et envoyer la jeune fille se pourvoir ailleurs d'un mari.

M. BRÉGAIL continue la lecture de la biographie du général Laroche. Au cours de la campagne des Pyrénées-Occidentales, Laroche avait été destitué. Réintégré dans ses fonctions et envoyé à l'armée de Rhin-et-Moselle, il se distingua en maintes occasions et notamment dans l'attaque du Knubis, la plus élevée des Montagnes Noires. Le général en chef Moreau ne tarissait pas d'éloges sur le compte de Laroche, auquel le Directoire adressa une lettre de satisfaction des plus flatteuses.

Lorsqu'on réorganisa l'armée du Rhin, il fut chargé de l'organisation et de l'administration de quatre nouveaux départements de la rive gauche du Rhin ainsi que du commandement des pays conquis compris entre le Necker et l'Aar.

A la paix, le premier consul le nomma au commandement de la 14e division militaire à Caen. Il mourut en 1808, dans sa maison de Las, dans la commune de Caillavet. Il était commandeur de la Légion d'honneur et son nom est gravé sur l'arc de triomphe élevé à la gloire des Armées françaises.


SÉANCE DU 7 OCTOBRE 1912.

PRESIDENCE DE M. PHILIPPE LAUZUN, PRESIDENT.

Sont admis à faire partie de la Société :

Mme BÉRARD, professeur agrégée d'histoire au lycée de jeunes filles de Montpellier, présentée par MM. le comte de Noé et Castaignon ;

M. CLARAC (Louis), docteur en médecine, 41, cours Pasteur, à Bordeaux, présenté par MM. Ribadieu et Despaux;

M. CLARAC (Jean), négociant à Vic-Fezensac, présenté par les mêmes;

M. NABARROT (Louis), fonctionnaire colonial au Dahomey, présenté par MM: Bompeix et Despaux;

M. DE COMBES, à Tunis, présenté par MM. Pierre Boussès et Barada;

M. MAUQÙIÉ (Paul), docteur en médecine, à Montgaillard (Tarn-et-Garonne), présenté par MM. Delucq et Lavergne.

M. le docteur DUPOUY propose à la Société d'adresser un voeu à la municipalité d'Audi pour qu'elle fasse, dans les noms des rues, une plus large place aux célébrités locales et pour que certains noms, rappelant l'histoire de notre ville, ne soient pas sacrifiés. Le voeu est adopté à l'unanimité.

M. Paul CASTEX communique à la Société trois actes de réparation publique dans l'église de Saint-Clar, en 1678, 1684 et 1687, pour demander pardon à Dieu et aux hommes de la vie scandaleuse menée par plusieurs habitants de cette ville. Cette coutume, pratiquée aux premiers siècles de l'Église, était depuis


TROISIÈME TRIMESTRE 1912. 299

longtemps abandonnée au xvne siècle. On se demande ce qui la, fit remettre en usage sous l'épiscopat d'Hugues de Bar, évêque de Lectoure.

M. A. LAVERGNE croit qu'il faut voir là une mesure rigoureuse prise par ce prélat, qui était janséniste.

M. François DUPONT analyse un contrat passé entre un laboureur et le seigneur de Belmont pour la prise à bail d'une métairie sise dans le comté de Fezensac. Ces conventions, réglées au XVIIe siècle, diffèrent peu de celles que l'on passe de nos jours : tout y est stipulé : les droits sur le bétail, partage des denrées, rentes de volailles et oeufs à Pâques et à la Toussaint, etc. Ce bail permet à notre confrère d'étudier la vie du paysan de notre pays et les rapports qu'il avait avec le propriétaire de la terre; il semble en résulter que ces rapports étaient excellents. C'est en bon père de famille qu'il travaillera et exploitera la propriété; il devra, et ceci est peut-être une obligation avantageuse, faire moudre ses grains au moulin du seigneur. Il est dit aussi dans ce bail que la métairie est couverte de tuiles à canal, ce qui indique un certain luxe, attendu que les écrivains de cette époque nous parlent d'êtres qui vivent misérablement sous le chaume et broutent de l'herbe comme les animaux; nous sommes plutôt tentés de croire qu'assez bien logé, le paysan de Gascogne, plus heureux, mettait déjà la poule au pot tous les dimanches.

M. l'abbé DAUGÉ signale plusieurs chrismes ou monogrammes du Christ qui ont appartenu à des édifices religieux, aujourd'hui disparus, et qui sont conservés à Biran, à Peyrusse-Massas et à Roquefort.

M. BRÉGAIL lit deux poésies contre-révolutionnaires. Dans la première, qui paraît inédite, les noms des principaux personnages de la Révolution sont donnés comme synonymes de qualificatifs peu flatteurs.

M. LAVERGNE appelle l'attention de la Société sur les cadrans


300 SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS.

. solaires qui portent des inscriptions. Il rappelle l'inscription du cadran solaire qui se trouve dans la cour de l'Hôtel de France de l'Isle-Jourdain et qui a été communiquée par M. Cabrol, dans une séance des Soirées archéologiques (1895, p. 55). C'est un vers pentamètre :

Jam dédit timbra notam, suive viator abi.

Elle est datée de 1764.

M. LAVERGNE communique à la Société la photographie du cadran solaire qu'il a trouvé au château de Saint-Martin, chez Mme Rivaland, commune de Roquebrune. Il est daté de 1786 et porte, outre plusieurs inscriptions latines connues, ces deux vers

français :

Tu vois l'heure qu'il est quand le soleil m'éclaire, Mais serais-tu bien prêt si c'était ta, dernière.

M. LAVERGNE rend compte d'une brochure intitulée : Un Jugement de Haute Justice en Gascogne, par M. le baron de Batz.

En 1786, à la veille de la Révolution, les magistrats d'Alexandre de Batz, baron de Mirepoix, condamnèrent à mort un habitant de Crastes qui s'était permis de maltraiter sa femme et de lui faire plusieurs graves blessures. Le coupable ayant disparu, il fut exécuté en effigie par le bourreau, sur la place de Mirepoix.


SÉANCE DU 4 NOVEMBRE 1912.

PRESIDENCE DE M. PHILIPPE LAUZUN, PRESIDENT.

Sont admis à faire partie de la Société :

M. BoussÈs (Maurice), lieutenant de vaisseau, présenté par MM. les docteurs Samalens et Dupouy;

M. MÉNARD, directeur de la succursale de la Banque de France, à Auch, présenté par les mêmes;

M. MENDOUSSE, professeur de philosophie au Lycée d'Auch, présenté par MM. Bellenger et Brégail;

M. D'ESPARBÉS (Louis), employé au Crédit Lyonnais, à Foix, présenté par MM. Lagleize et Despaux.

M. l'abbé DAUGÉ continue son étude sur les chrismes ou monogrammes du Christ qui existent dans notre département aux musées archéologiques de Lectoure et d'Auch, des tombeaux de S. Léothade à la cathédrale d'Auch; d'Anesance, de Toulouse, à Espagnet; des vicomtes de Marsan, à Malaurey (Manciet); des portes des églises de Peyrusse-Vieille, de Genens, de Saint-Pé (Castillon-de-Batz), de Lagardère, de Préneron, de Flaran, de La Castagnère (Ban-an).

M. DULAC signale les nombreux gascons qui ont servi en Corse, sous le commandement du fameux Sampiero d'Ornano: Celui-ci débarqua en Corse avec vingt-cinq Gascons et vingt-cinq Corses et arriva à s'emparer de l'île tout entière.

M. BRANET étudie les divers travaux exécutés de 1643 à 1678 par le sculpteur Jean Douilhé, originaire de Mortain, en Nor20

Nor20


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mandie, dans un grand nombre d'églises du diocèse d'Auch, et même dans la vallée d'Aure et des Landes. Il paraît avoir joui d'un grand renom dans notre pays. Il est l'auteur de treize retables des autels et chapelles de la cathédrale d'Auch (1682). Ces retables étaient ornés de sujets en hauts reliefs, représentant la vie de la Vierge. Un seul est arrivé intact jusqu'à nous, à cause de son isolement, celui qui se trouve dans la chapelle où l'on renferme les chaises. Il est aussi fort probable que les boiseries de la chapelle de la Compassion, représentant la Passion, ont pour auteur Jean Douilhé.

M. l'abbé LAGISQUET a retrouvé dans les archives de Barcugnan, le texte d'un contrat passé en 1736 entre Dominique Fauqué, habitant dudit lieu, et le curé et les marguilliers, pour l'achat d'une sépulture dans l'église. La somme était minime (3 livres), elle devait être employée à la décoration de l'église. Mais Fauqué n'avait pas hâte d'habiter la dernière demeure, car deux années après on trouve un reçu où il donnait une nouvelle somme de 3 livres, pour être employée pour le repos des âmes de ses parents. Il existait un cimetière autour de l'église et ce n'était qu'exceptionnellement que l'on enterrait dans les églises en payant une redevance.

La cloche de l'église de Barcugnan, dont M. Lagisquet a relevé l'inscription, est fort intéressante. Elle porte la date et le nom du donateur qui dut être en même temps le parrain. Antoine-JeanBaptiste-Gaston duc de Roquelaure, était seigneur de Barcugnan, où il possédait des terres qui passèrent plus tard au duc de Rohan; il fut à son tour seigneur du présent lieu, haut justicier, etc. Il y possédait un château qui a complètement disparu, mais qui est mentionné dans les actes anciens.

Le duc de Roquelaure, le donateur de la cloche, était le fils de celui qui se rendit célèbre par ses bouffonneries. Il obtint de hauts emplois, commandant en chef et gouverneur du Languedoc, malgré son incapacité notoire, au grand scandale de toute la France. Mais les mauvaises langues de l'époque prétendaient qu'il devait ces faveurs imméritées au crédit dont sa femme, la


TROISIÈME TRIMESTRE 1912. 303

belle Mlle de Laval, jouissait auprès du Roi Soleil. Très curieuse est la légende qui attribue la destruction du château à une servante qui avait, à l'aide d'une lumière, guidé le tir des canons anglais placés sur les hauteurs de Duffort. A quelle date? A quelle époque ?

On raconte la même légende à propos de Monlezun, en Pardiac. Un travail prochain nous donnera des certitudes et fera la part de la légende.


SÉANCE DU 2 DÉCEMBRE 1912.

PRESIDENCE DE M. PHILIPPE LAUZUN, PRESIDENT.

Sont admis à faire partie de la Société :

M. Ducos (Abel), à Lannepax, présenté par MM. Lavergne et Grenier;

M. FOURCADE (abbé), curé de Barrai), présenté par MM. Branet et Latreille;

M. FONTAGNÈRES, notaire à Lectoure, présenté par MM. Cier et de Sardac.

Le même bureau est réélu à l'unanimité.

M. LAUZUN signale à la Société l'état de dépérissement où se trouve l'église de Verduzan, sise à deux kilomètres à l'ouest de la station thermale du Castéra, et principalement les curieux objets mobiliers qu'elle renferme.

C'est d'abord une croix de cimetière, en pierre sculptée, représentant d'un côté le Christ crucifié, de l'autre la Vierge-Mère, et sous les bras de la croix les statuettes de saint Pierre et de saint Laurent. Les croix de pierre sculptées sont assez rares en Gascogne. M. Lauzun a proposé celle de Verduzan pour être classée comme monument historique.

Il a proposé également, toujours avec photographies à l'appui, un précieux devant d'autel en cuir mordoré, peint, sur lequel sont figurés saint Laurent, la palme du martyre à la main, et d'élégants bouquets de fleurs aux vives couleurs. Il cite aussi un fort


TROISIÈME TRIMESTRE 1912. 305

joli tabernacle en bois, autrefois doré, et deux tableaux, malheureusement très détériorés, l'un au-dessus du maître-autel représentant le Christ en croix, avec la Vierge et saint Jean à ses côtés, l'autre dans la chapelle latérale, la Mise au tombeau; ce dernier, dans un magnifique cadre Louis XIV.

Tous ces objets semblent porter la date du e siècle.

M. Louis SAINT-MARTIN communique plusieurs documents concernant l'instruction, à Simorre, aux XVe, XVIe et XVII 3 siècles. En 1575, le parlement de Toulouse avait décidé la suppression d'une place de moine dont les revenus seraient employés au paiement d'un maître d'école. Un arrangement de 1578 entre la communauté et l'abbaye fixa la somme annuelle qui devait être payée par les moines à 60 livres; la ville y ajoutait 70 livres. C'est le traitement que recevait le régent Dominique Puntous, en 1692. De plus, la communauté fournissait la salle d'école louée 3 livres par an, en 1693. Sous Louis XV, les gages du régent furent portés à 150 livres.

Le régent était nommé par l'abbé et la communauté, et cette nomination approuvée par les vicaires généraux. Une autre école paraît avoir existé à l'abbaye, mais elle était, sans doute, réservée aux clercs. ■

M. BOMPEIX a retrouvé plusieurs pièces se rapportant à une espèce de schisme qui s'était produit dans l'Ordre des Soeurs de Charité ou de Saint-Vincent de Paul. Une dizaine de maisons étaient en rébellion contre la supérieure générale, sans qu'on connaisse les causes de cet état de choses. Le ministre de l'Intérieur, Bigot de Préamenen, écrivit, en mars 1812, au préfet du Gers pour qu'il obtienne la soumission des dissidentes qui se trouvaient au nombre d'une trentaine, dans les hôpitaux d'Auch. Condom et Lectoure. En cas d'obstination des religieuses, elles devaient, sur l'ordre de l'Empereur, être renvoyées et remplacées dans les vingt-quatre heures. Aucune ne voulut se soumettre et l'on eut beaucoup de peine, le ministre ayant renouvelé ses ordres, à assurer le service des hôpitaux alors encombrés de pri-


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sonniers espagnols, la plupart atteint d'une maladie contagieuse appelée fièvre des prisons.

M. DE SARDAC analyse le travail de M. Emile Marty sur les ce Archives des notaires de Rabastens ». L'auteur inventorie, analyse ou publie les actes passés chez les notaires de Rabastens de 1322 à 1907. Cette étude, des plus intéressantes, sera très utile aux historiens de Rabastens et aux érudits gascons.

M. BAQUÉ communique la seconde partie de son étude sur Vic-Fezensac, qui est consacrée à l'histoire du chapitre SaintPierre. Fondé avant 1089, il était composé d'un certain nombre de chanoines réguliers. Le cloître primitif fut construit vers 1190. Un prieur administrait le chapitre. Sous Henri II, il fut sécularisé, et jusqu'à la Révolution les chanoines logèrent isolément en ville. Les revenus du chapitre se composaient surtout des dîmes et s'accrurent par la suite en raison des donations qui lui furent faites par les familles nobles et bourgeoises. M. Baqué termine son étude par un historique succinct de l'archiprêtré de Vie.

M. LAVERGNE analyse longuement l'intéressant ouvrage de notre confrère M. Troyes, avocat près le Tribunal de Lombez, intitulé : La justice ancienne et moderne. Documents sur les institutions judiciaires du comté de Gomminges et monographie du tribunal de Lombez.


TABLE DES MATIÈRES.

Pages.

Liste des membres de la Société 5

Bureau de la Société pour 1912 11

Echange avec d'autres Sociétés 12

Le maître Guillaume de Cariât dans la tentative d'envoûtement de Bernard VII

d'Armagnac, par M. le comte de DIENNE 13

Une réclame de notaire au XVIIIe siècle, par M. PAGEL 23

Étude sur le docteur Prosper Filhol (1772-1849), par M. BOMPEIX 31,123

Coutumes de Turutel (XIII° siècle), par M. LAPOEÏE 45

Réduction des consuls de l'Isle-Jourdain de sept à quatre (1848), par M. SAVERNE. 56

Un cippe funéraire trouvé à Castex-Arrony, par M. DE SARDAO 62

La Société montagnarde de Fleurance pendant la période révolutionnaire, par

M. CADÉOT . ' 65

D'Artagnan, de M. Samaran, par M. LAVERGNE 86

Fondation ignorée de deux bastides en Astarae, au XIIIe siècle, par M. MONDON. 101, 236

Le général Laroche, par MM. BARADA et BRÉGAIL 134, 251

La période révolutionnaire à Éauze, par M. CASTEX (fin) 151

Mosaïque découverte à Auch, par M. MÉTIVIER 160

Origine et développement de Vic-Fezensac, par M. BAQUÉ 163

La Joconde du château de L'IsIe-de-Noé, par M. PAGEL 182

Création et prospérité des foires de Lavardens, par M. S. DAUGÉ 184

Frais occasionnés par les Assemblées convoquées pour la nomination des députés

aux États-Généraux de 1789, par M. PAGEL 187

Latour et le Baratnau. Rivalité de deux maisons en Gascogne, aux xvie et

XVIIe siècles, par M. de LARY DE LA.TOUR 205

Mission de Mme du Coudray, sage-femme royale, en 1770, par M. BOMPEIX. . . 262

Révolution dans le Gers (Mirannes), par M. MASTRON 272

Aujan-Mournède, documents inédits, par M. LAMAZODADE. 282

Les âges de la pierre dans le Gers (4e époque), par M. MAZÉRET 289

CHRONIQUE :

Nouveaux membres de la Société. ... 95, 99, 197, 200, 203, 295, 298, 301, 304

Banquet 96

Allocution de" M. LAUZUN 96

Voeu pour que la cathédrale de Lectoure soit classée comme monument historique 99

Compte rendu des fouilles de Sos 100

Mort de M. Adrien Planté 197

Fouilles sous-marines de Madhia (Tunisie) 198


308 TABLE DES MATIÈRES.

XIVe Congrès national d'anthropologie 203

Adhésion de la Société à un projet de monument à Jean Laborde 296

Histoire des grands froids 296

Voeu de la Société au sujet des noms de rues d'Auch 298

Note. — Instrument de fesande de Bernard de Lacassagne 92

Note. — Addition au Oallia Christiana, A.-G. de LESCUN 181

Note. — Les Tumuli de Castelnau-Barbarens 183

Note sur le veltage 288

Note. — Inscription de la cloche de Barcugnan 298

La Gerbe d'or, par M. Ludovic LOUBON 191

La légende dorée en Caladez. La bienheureuse Bonne d'Armagnac, par M. le

comte DE DIENNE 193

La statue du général Espagne 201

GRAVURES HORS TEXTE:

Le général Laroche (portrait de M. de Lassalle-Bordes) 134

Mosaïque découverte à Auch 160

La Joconde de l'Isle-de-Noé 182

Le général Laroche 257

Le Gérant : Léonce COCHARAUX.


BULLETIN

DE LA

SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU GERS

TABLE GENERALE