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Notice complète:

Titre : La Maison de La Jaille / par le Marquis de Brisay,...

Auteur : Brisay, Mis de. Auteur du texte

Éditeur : H. Champion (Paris)

Date d'édition : 1910

Sujet : La Jaille

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb31874340c

Type : monographie imprimée

Langue : français

Langue : Français

Format : 1 vol. (463 p.) : pl. ; in-8° + 1 album ; in-fol.

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Description : Contient une table des matières

Description : Avec mode texte

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k5580266v

Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 8-LM3-3065 (TEXTE)

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 12/04/2010

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LA

MAISON DE LA JAILLE

PAR

LE MARQUIS DE BRISAY

AVEC TABLEAUX GENEALOGIQUES

PARIS

LIBRAIRIE ANCIENNE, HONORÉ CHAMPION

5, Quai Malaqnais.

1 010



LA MAISON DE LA JAILLE.


Tiré à 206 Exemplaires, dont :

4 sur papier du Japon, nos 1 à 4. 2 sur papier de Hollande, nos 5 à 6.

N° 206

MAMERS. — IMPRIMERIE FLEURY. — 1910.



MAISON DE LA JAILLE

SCEAU DE JEAN DE LA JAILLE (1356)

SCEAU DE. TRISTAN DE LA JAILLE (1380)

SCEAU DE TRISTAN DE LA JAILLE (1392)


LA

MAISON DE LA JAILLE

LE MARQUIS DE BRISAY

AVEC TABLEAUX GÉNÉALOGIQUES

PARIS

LIBRAIRIE ANCIENNE, HONORÉ CHAMPION

5, Quai Malaquais.

1 9 1 0



LA

MAISON DE LA JAILLE

. I.

TIGE PRINCIPALE : LES YVONS

C'est au règne de Charles le Simple en France, qu'il faut remonter pour trouver l'origine de la famille dont nous écrivons l'histoire. Ce prince avait pour résidence l'ancienne cité royale des Mérovingiens, Compiègne, où son aïeul avait fondé la célèbre abbaye de Saint-Corneille. Un des dignitaires de la cour de Charles, portant le nom d'une localité voisine, Yves de Creil, obtint du monarque l'inféodation dé la partie méridionale du Perticensis pagus, où il éleva dès 940 la forteresse de Bellême (1), centre d'une juridiction bientôt étendue à la totalité du Perche, exception faite de Mortagne reprise par les rois. Les conquêtes personnelles du premier comte de Bellême, la faveur résultant des services qu'il rendit à la couronne lui permirent de s'étendre jusqu'à Alençon (2), où il fixa sa puissance par la construction d'un château dont il reste de curieux vestiges.

Yves de Creil, comte de Bellême et d'Alençon, en 948, fut confirmé dans ses possessions à titre héréditaire par Richard II, duc de Normandie, et par Lothaire, roi de

(1) Bellême, arrondissement et à trois lieues au sud de Mortagne (Orne).

(2) Alençon, chef-lieu du département de l'Orne, évêché de Séez.


— 2 -

France, qui en donnèrent l'investiture à son fils aîné Guillaume, présenté par acte authentique en pleine possession, l'an 997 (1). Les descendants de celui-ci formèrent la première Maison des comtes d'Alençon et de Bellême, dont les membres très puissants furent, au dire de certains auteurs « fameux par leurs méfaits (2) ».

D'une femme appelée Godehilde, Yves de Creil avait eu plusieurs enfants. Le troisième de ses fils, Yves ou Yvon, est connu par l'attestation qu'il donna à une fondation faite en faveur de l'église Saint-Vincent du Mans par,l'évêque Avesgaud, son frère (3).

Yves ou Yvon serait, au dire de plusieurs historiens, la tige des sires de Châteaugontier, ce que rend probable la faveur dont lui-même et les siens paraissent avoir joui auprès des comtes d'Anjou, possesseurs d'une partie du Maine. Yves fut, en effet, comme l'attestent plusieurs titres, un des fidèles de Geoffroy Grisegonnelle et de Foulques Nerra (958-1040).

Le père Anselme dit que les seigneurs de Châteaugontier sont « vraisemblablement » puînés de Bellême, Yves, troisième fils d'Yves de Creil, étant « cru avec quelqu'espèce de probabilité » l'auteur de cette Maison (4). Ménage paraît le croire aussi en maintenant une réserve prudente (5). Bry de la Clergerie n'ose pas l'affirmer, mais il ne soutient pas l'opinion contraire. Les contradicteurs de cette donnée généralement admise, ont argué d'un texte émanant du cartulaire particulier de Philippe-Auguste (6), où il est dit que Renaud de Châteaugontier avait pour mère la fille de Rotrou, comte du Perche, voulant ainsi rattacher le premier

(1) Dictionnaire historique par Lalanne, pages 48, 247.

(2) Dictionnaire historique par Lalanne, page 247.

(3) Histoire du Perche par Bry de la Clergerie, livre II, chap. VII.

(4) Le père Anselme, tome III, pages 283, 317.

(5) Histoire de Sablé, par M. Ménage.

(6) La châtellenie de la Jaille-Yvon, par A. Joubert, p. 1.


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au second par les femmes seulement. Mais ils se. sont trompés de sept générations; Philippe-Auguste ne visant, dans ses notes, qu'un Renaud qu'il avait connu dans sa jeunesse, lequel avait pour mère Béatrix de Bellême (1). Il est signi- ' ficatif de constater que, dès l'usage des sceaux, les sires de Châteaugontier portèrent les mêmes armes que les comtes d'Alençon : d'argent à trois chevrons de gueules (2), dont ils brisèrent, au début, le premier chevron, établissant ainsi nettement leur situation de cadets de la Maison de Bellême. Yves, dont le nom latin Yvo, Yvonis, a été traduit par Yvon, fut l'un des personnages qui coopérèrent à l'assise de l'empire des comtes ingelgériens dans les plus belles provinces de l'ouest de la France. Entre 1000 et 1020, quand Foulques Nerra, maître absolu de l'Anjou, du Maine, de la Touraine et d'une partie du Poitou, jugea utile d'entourer ses états d'une ceinture de forteresses qui en défendit les approches, Yvon fut celui des officiers de la Maison du prince, à qui fut confiée la mission d'élever cette motte féodale « dont la masse redoutable surplombait, du haut d'un rocher abrupt, les eaux de la Mayenne, en aval de Châteaugontier et dominait de son donjon altier la contrée environnante (3) ». Telle fut l'origine de la localité appelée La Jaille-Yvon, située au-dessus du Lion d'Angers, à une dizaine de lieues au nord d'Angers même, dont le fondateur posséda aussi, dans la contrée au XI° siècle, les châtellenies de Segré, de Châteaugontier et plusieurs des paroisses situées au confluent de la Maine. — Quant à la désignation locale attribuée à ce domaine particulier, Ménage croit en trouver l'étymologie dans le mot Gallia qu'il traduit en langage vulgaire par Maison du coq (Gallus),

(1) Cartulaire de Philippe-Auguste. Manuscrits de la Bibliothèque nationale.

(2) Le père Anselme, tome III, p. 383.

(3) La châtellenie de la Jaille-Yvon par A. Joubert, p. 1.


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dont on aurait fait Jallia (1) ; mais il a négligé d'observer que Gallus au féminin fait Gallina, et que les plus anciens titres désignent le lieu dont il est ici question, par les termes Gallica, Gallia, ce qui donne une terminaison différente. Pour nous, la forteresse construite par Yvon, fils d'Yves de Bellême-, reçut une désignation rappelant l'origine de son fondateur : on l'appela Gallia, Gallica, parce qu'elle était la Maison du Franc (Gallia France) (2).

YVON 1er, seigneur de la Jaille est donc le premier feudataire dont la domination s'étendit sur cette localité dénommée Gallia-Gallica-Zalla-Jallia, pendant le onzième siècle ; et Jalleia-Jarla-Jalle, au douzième, laquelle ne prit qu'au quatorzième siècle le nom Jallia-Yvonis (3), pour la distinguer des autres habitations du même nom (La Jaille) créées dans les environs, et conserver ainsi la tradition de son origine. C'est un gros bourg de 650 habitants, auquel on accède, des rives de la Mayenne, par de rudes sentiers tournants, taillés dans le roc à pic à travers bois. Au sommet l'église dédiée à Saint-Loup domine la vallée ; à courte distance au-dessus se remarque l'ancienne Motte féodale élevée à main d'homme, exhaussée de dix mètres sur les terrains environnants. C'est là que fut construite, au commencement du XIe siècle, la tour carrée flanquée de tours, rondes aux angles, selon l'usage de l'époque, le tout enveloppé d'un fossé large de quatre mètres, ayant 196 pas de circuit intérieur, dont la dépression est encore existante. Du haut de cette butte artificielle la vue s'étend sur sept paroisses et sur la ville de Châteaugontier (4).

(1) Dictionnaire des étymologies de la langue française, par G. Ménage.

(2) Gallina se traduit par poule, Gallica par France.

(3) La Jaille-Yvon, canton du Lion d'Angers, arrondissement de Segré, département de Maine-et-Loire.

(4) Dictionnaire historique et géographique de Maine-et-Loire, par Célestin Port, p. 392.


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Nous n'étonnerons personne en disant que les faits et gestes d'Yvon I sont peu connus. Cependant, on le compte au nombre des chevaliers qui battirent, avec Foulques Nerra, les Normands et les Bretons réunis, dans la célèbre journée de Conquereux (1), en 1003. Son nom figure au bas du diplôme par lequel ce prince, en expiation du sang chrétien versé sur le champ de bataille, accorda à l'abbé de Saint-Maurille d'Angers, en présence de l'évèque Renaud (973-1010), une complète immunité du service de guerre pour les serfs de l'abbaye (2). L'existence d'Yvon est en outre constatée par la filiation authentique attribuée à son fils aîné ; et, comme celui-ci vivait dans la première moitié du XIe siècle, nous en concluons que la période d'existence d'Yvon doit s'étendre de 950 à l'année 1020 environ. C'est une époque obscure, dont les documents sont rares et peu précis. Néanmoins on a, sinon la certitude, au moins une grave présomption que le fondateur de la Jaille eut deux fils : —1° Renaud de Châteaugontier, dont la filiation procède de deux énonciations certaines ; — 2° Yvon de la Jaille, dont la filiation résulte du double nom porté par lui dans les actes publics. Dé plus, les rapprochements de personnes et la communauté des intérêts, pendant la seconde partie du XI° siècle, entre les seigneurs de la Jaille et les seigneurs de Châteaugontier, sont tels qu'il en résulte l'évidence d'une proche parenté entr'eux.

IL BRANCHE AINÉE : CHATEAUGONTIER

I. — RENAUD 1er, seigneur de Châteaugontier — Rainaldus videlicet Yvonis — selon que l'énoncent les moines de

(1) Conquereux, canton de Guesmené-Penfao, arrondissement de Savenay, département de Loire-Inferieure.

(2) Dom Housseau : Anjou-Touraine, tome II, pièce 333.


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St-Aubin, — Rainaldus filius Yvonis — d'après le texte des chartes du Ronceray, naquit avant l'an 1000, puisque son fils aîné est connu depuis 1035, et que les deux fils de Renaud étaient, dès 1045, en âge de prendre rang dans un plaid de justice.

— « Il y a diversité d'opinion, dit Ménage, touchant Yvon père du premier Renaud de Châteaugontier... (1)». Nous venons de dire pourquoi nous nous rangeons du côté de ceux qui voient dans cet Yvon, fondateur du château de la Jaille voisin et dépendant de Châteaugontier, le troisième fils d'Yves de Bellême, comte du Perche et d'Alençon, dont l'origine franque se trouve confirmée par le nom donné à la fondation de ce fils : Gallia. Une preuve de l'identité de ces personnages et du lien de famille qui les unissait, se trouve dans le fait que la forteresse de la Jaille relevait comme un parage (bien de cadet) du domaine de Châteaugontier. On en conclut que Renaud, détenteur de Châteaugontier et de la Jaille, comme d'un même héritage, délivra à son frère puiné Yvon, la seconde de ces forteresses, avec ligeance envers la première.

Renaud 1er, qualifié par un auteur moderne « petit fils d'Yves de Bellême premier comte d'Alençon (2) », fut plus encore que son père le favori de Foulques Nerra, comte d'Anjou. Il en reçut des honneurs et de grands domaines, notamment cette abbaye de Saint-Maurille, dont Yvon était sans doute patron fidéjusseur, puisqu'on l'y rencontre dans un rôle prépondérant, en 1003, laquelle fut plus tard rachetée à Renaud par l'évêque d'Angers (3).

Renaud fils d'Yvon, homme de valeur — optimo milite — fut un chevalier de renom, un grand personnage. — L'an 1007, à Bazouges, sur la rive droite de la Mayenne,

(1) Histoire de Sablé, par M. Ménage, Paris, chez Le Petit, 1683.

(2) Les Seigneurs de Laval, par l'abbé Foucault, p. 41, note.

(3) Dictionnaire de Maine-et-Loire, par Célestin l'ort, au nom St-Maurille.


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en lisière de l'immense forêt séparant les états angevins des turbulents bretons, Foulques Nerra avait jeté les fondations d'une citadelle, dont il confia l'achèvement et la garde à un fonctionnaire de son palais, le receveur général des impôts ruraux — villicus — et non pas son « concierge » comme l'a dit négligemment Ménage. Ce dignitaire s'appelait Gontier. Il était homme de guerre — miles. — Il avait enrichi les moines de Saint-Aubin d'Angers, en 994, d'une vigne située, aux arènes, derrière la ville (1). A Bazouges, Gontier et son fils Gilbert travaillèrent à l'érection d'une tour ; mais ils durent abandonner leur oeuvre lorsque le comte Foulques livra aux moines tous les revenus de l'endroit, à titre de fondation pieuse.

Les années s'écoulèrent. La tour restait inachevée. Les guerres devenaient plus fréquentes, et la nécessité s'imposait de défendre le passage de la Mayenne contre les incursions des Bretons. Foulques, pour en finir, inféoda les lieux à son fidèle Renaud fils d'Yvon, avec mission de terminer la forteresse et de s'en ériger le défenseur. Pour mener cette oeuvre à bien, Renaud-Yvon dut avoir recours aux moines de Stain-Aubin. Il obtint d'eux le quart des revenus que l'abbaye prélevait à Bazouges et environs. L'édifice, dans ces conditions, put être achevé, « entouré d'une ceinture continue flanquée de tours nombreuses (2) », garni de troupes et habité par Renaud, qui prit le nom déjà donné au château de Gontier — Castellum Gonterii.

Ce nom, Renaud le portait dans les actes publics dès l'année 1026 (3). Il obtint son maintien en possession définitive dans un plaid solennel, en 1037, où Geoffroy Martel, successeur de Foulques, approuva l'accord passé entre Renaud et les moines d'Angers (4).

(1) Cartulaire de St-Aubin-d'Angers. Bibl. nat., Impr. L/2 K, 4294, p. 67.

(2) Les Seigneurs de Laval, par l'abbé Foucault, par 41, note.

(3) Dom Housseau, tome II/l, pièce 384.

(4) Cartulaire de St-Aubin publié par M. de Broussillon, charte I.


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Renaud de Châteaugontier figure en plusieurs diplômes du comte Geoffroy, qui le combla aussi de faveurs. Renaud eut de ce prince la cession des domaines de Segré et de Châteaurenaut, qu'il garnit d'importantes citadelles. A plusieurs reprises on le voit attester les libéralités du comte aux abbayes de Saint-Florent, Marmoutiers, Vendôme (1). Son nom est au bas de chartes datées de 1045, 1050,1052. Renaud fils d'Yvon et Alard, son fils — S. Rainaldi filii Yvonis. S. Adelardi filii sui — signèrent avec les hauts barons, la charte par laquelle le comte Geoffroy et la comtesse Agnès concédèrent à l'abbaye du Ronceray, devant l'évêque Hubert (avant 1049) les redevances foncières du bourg formé autour de l'abbaye (2). Les mêmes figurent dans une libéralité de Geoffroy Martel datée de 1058. Mais quelques nuages s'étaient élevés entre Renaud et l'évêque d'Angers, au sujet des possessions de ce dernier à Morannes (3) ; peu de temps avant sa mort, et moyennant un don de trois livres, Renaud restitua à l'évêque Eusèbe, ce qu'il avait arbitrairement confisqué. Ses fils et ses filles approuvèrent cette réparation (4). Il disparut vers 1061, laissant deux fils connus : — 1° Alard ; — 2° Renaud.

II. — ALARD 1er, seigneur de Châteaugontier, était déjà, en 1035, un des chevaliers de la suite de Geoffroy, fils du comte d'Anjou, à Vendôme, quand ce prince et Agnès de Bourgogne, sa femme, donnèrent à l'abbaye de la Trinité, pour l'expiation du meurtre de leur cousin Maurice, les deux moulins de Pontperrin (5). Entre 1040 et 1060, il attesta plusieurs

(1) Cartulaires de ces abbayes, passim.

(2) Archives d'Anjou par Marchegay. Bibl. nat., Imp., L/2 K 136, t. III, p. 3.

(3) Morannes, château des évêques d'Angers sur la Sarthe, canton de Durtal, arrondissement de Baugé, département de Maine-et-Loire.

(4) Histoire de Sablé par Ménage, Paris 1683.

(5) Cartulaire de là Trinité de Vendôme. Bibl. nat. ms. lat. nouv. acq. 1232, ch. VI.


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dons faits à la même abbaye. En 1045, Alard et Renaud, frères, figurèrent avec Renaud de Châteaugontier, leur père, dans un plaid où le comte d'Anjou rétablit les droits de St-Florent de Saumur contre les exactions d'Albéric de Montjean (1). De 1050 à 1060, Alard de Châteaugontier apposa sa signature sur plusieurs diplômes des comtesses Agnès et Grécia d'Anjou, femmes de Geoffroy Martel. Dans la chambre du comte, à Angers, il fut l'arbitre d'un différend élevé entre les moines de Saint-Aubin et Eudes de Blason, au sujet du pâturage des prairies de Beaufort (2), et il parvint à décider Eudes à cesser ses abus (3).

Alard disparut vers 1063. Marié avec Mathilde, fille de Robert le Bourguignon (neveu du comte Geoffroy) et d'Adèle de Sablé, par conséquent petite-fille de Renaud de Bourgogne, comte de Nevers et d'Adèle de France l'une des filles du roi Robert, il'en eut une fille unique nommée Bourgogne, héritière de Châteaugontier qu'elle porta en mariage à son cousin germain, Renaud de Segré.

III. — RENAUD II, seigneur de Segré et de Châteaurenaut, ne fut seigneur de Châteaugontier qu'en qualité de tuteur de sa nièce, fille unique d'Alard 1er. En 1063, il était marié avec Elisabeth, fille de Foulques de Mathefélon ; il avait déjà deux fils avec lesquels il figure dans un don à Marmoutiers (4). Cependant, il était en procès avec cette puissante abbaye, au sujet des droits de la forêt de Blimard (5), voisine de Châteaurenaut qu'il possédait alors. Une sentence du comte Geoffroy antérieure à 1050, lui avait enjoint d'apaiser une querelle déjà longue (6). Les usurpations successives sur

(1) Notes sur Montjean par l'abbé Allard, p. 41.

(2) Beaufort-en-Vallée, canton et arrondissement de Baugé, Maineet-Loire.

(3) Dom Housseau, tome II/2, page 35, n° 593 bis.

(4) Cartulaire de Marmoutiers, ms. lat., 5441/4, p. 107, Bibl. nat.

(5) Blimard, commune d'Autrèche, canton de Châteaurenaut, arrondissement Tours-Nord.

(6) D. Housseau, tome 12/2 n° 6752.


— 10des quartiers de cette forêt, donnés aux religieux par le comte de Blois depuis un demi siècle, lui attirèrent, paraîtil, la vengeance des Bretons, qui portèrent la guerre sur son domaine. Renaud, fait prisonnier, obtint de Marmoutiers les fonds nécessaires à sa rançon, moyennant l'abandon de ses injustes prétentions. Sa fille aînée, Milsende, qui résidait à Châteaugontier, donna son consentement à cette négociation (1).

Renaud II, reparut alors à la cour du comte Geoffroy le Barbu, neveu et successeur de Geoffroy Martel. Il présenta ses deux fils à ce prince qui promit de les prendre sous sa protection. Mais il est à croire que Renaud n'en obtint pas la satisfaction qu'il attendait, car on le vit bientôt conspirer contre son maître au profit du frère de celui-ci, qui devint comte d'Anjou, par usurpation, en 1069.

En 1063, sous la prééminence d'Albert, abbé de Marmoutiers, Renaud II de Châteaugontier, seigneur de Châteaurenaut, dont les possessions s'étendaient jusqu'au sud de la Loire, donna au prieuré de Foncher, près Colombiers (2), tout ce qu'il possédait sur le cours du Cher, libéralité approuvée par sa femme Elisabeth, et par ses deux fils Renaud et Guicher (3). Les mêmes, en 1066, donnèrent aux moines de Saint-Julien de Tours, l'église de Saint-André de Châteaurenaut, avec les revenus ordinaires et la permission de reconstruire, jusqu'aux fossés du château, des maisons qu'un incendie avait détruites (4).

D'après Chalmel, Renaud de Châteaugontier, Geoffroy de Prully, Girard de Montreuil et Robert, prévôt d'Angers, ouvrirent les portes de cette ville à Foulques Réchin et

(1) Dictionnaire de la Mayenne par l'abbé Angot, tome I, au nom.

(2) Colombiers, aujourd'hui Villandry, à 4 1. sud-ouest Tours, Indreet-Loire.

(3) Marmoutiers. ms lat. 5441/4, p. 107.

(4) D. Housseau, tome 11/2 p. 128, n° 693.


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« livrèrent lâchement leur comte à son frère » (1). Le lendemain, jour du jeudi saint, l'an 1066 (5 avril 1067), les habitants s'étant armés sortirent tumultueusement dans les rues, s'emparèrent des auteurs de la conjuration et les mirent à mort. Ménage affirme également que Renaud fut massacré à Angers, dans une émeute populaire, «comme un des chefs du parti du Réchin contre le comte Geoffroy le Barbu (2) ». Il laissait deux fils connus : — 1° Renaud, qui suit ; — 2° Guicher, dit de Segré (Witterius de Segredo) (3), seigneur de Châteaurenaut, auteur de la seconde race des seigneurs de ce lieu éteinte avec Sibylle, épousée par Thibaut de Champagne, comte de Blois, en 1154 (4). Ménage donne à Renaud II un troisième fils nommé Geoffroy, dont le comte Geoffroy le Barbu aurait été le parrain. Il en fait le héros d'un petit roman où figure Béatrix de Sablé, sa prétendue femme, « puellam nobilissimam corpore et vultu pulcherrimam » et Renaud, leur fils, fondateur de Châteaurenaut, en Touraine. C'est une légende tirée des Gesta consulum andegavensium, dont l'abbé Angot a fait bonne justice (5).

IV. — RENAUD III, dit de Châteaugontier, d'abord seigneur de Segré, fils aîné de Renaud II et d'Elisabeth de Mathefélon (6), vécut en minorité jusqu'en 1075 environ, ce qui explique le silence où son nom reste plongé pendant cette période. On ne trouve de lui qu'une mention relative à l'année 1066, par laquelle il appert que Renaud de Segré et Renaud de Châteaugontier son père, l'année même de sa mort, ont approuvé l'abandon de certains revenus à

(1) Chalmel, Histoire de Touraine, t. I, p. 380. : (2) Ménage, Histoire de Sablé, 1683.

(3) Bibl. nat. ms franc. 22450, p. 175.

(4) Chalmel, Histoire de Touraine, t. III, p. 56.

(5) Dictionnaire de la Mayenne, par l'abbé Angot, au nom Châteaugontier.

(6) Bibl. nat. ms. nouv, d'Hozier, 93.


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Saint-Nicolas d'Angers, par Eudes de Blason et Robert le Bourguignon, seigneur de Sablé (1). On lui fit bientôt épouser sa cousine germaine, Bourgogne de Châteaugontier fille unique d'Alard 1er, que Chérin appelle à tort Bargondie de Chantocé (2). C'est par cette union que Renaud devint possesseur de la châtellenie dont il prit le nom. Un texte rédigé vers 1085 rappelle que Renaud de Châteaugontier se trouvant à Segré, devant la porte du château où il tient sa cour (ad pedem motae ante aulam suam), donna à Natal, abbé de Saint-Nicolas, un four situé dans la citadelle de Segré (in castra Segreis), la dîme du marché de la ville, la dîme des vins chargés sur bateaux, un autre four construit dans le château neuf (in castro novo), ce qui prouve que là encore, des édifices importants avaient assuré la domination de la famille Yvon. Elisabeth, mère de Renaud, augmenta ces dons de quelques libéralités personnelles approuvées par le jeune Alard, fils de Renaud, à peine âgé de quelques années (3). On pense que ces largesses avaient pour but l'expiation des violences commises au cours d'une guerre que le sire de Châteaugontier venait d'avoir avec le sire de Laval (4).

Renaud III était en faveur auprès du comte Foulques, qui lui avait accordé, avec empressement, dit Ménage, l'investiture de Châteaugontier, comme à un parfait chevalier. (miles strenuus). Foulques le qualifiait « carissimo meo fideli », mais profitait de cette tendresse pour le prier, autoritairement, de cesser les usurpations qu'il se permettait, au Ménil, sur les biens des moines de Vendôme (5). Cette institution ne cessait de se trouver en dissentiment

(1) Cartulaire de St-Nicolas. Bibl. nat. ms. français 22450, fol. 69.

(2) Bibl. nat. ms. Chérin, vol. 200.

(3) Cartulaire de St-Nicolas, Bibl, nat. ms franç., 22450, fol. 72.

(4) Dictionnaire de la Mayenne, par l'abbé Angot, d'après les chroniques de St-Aubin d'Angers.

(5) Ménage. Histoire de Sablé.


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avec les descendants d'Yvon, jaloux d'une prépondérance qui les offusquait. Il n'en était pas ainsi des monastères angevins, Saint-Aubin, Saint-Nicolas, le Ronceray. Renaud est resté célèbre par sa générosité à l'égard de ces maisons religieuses, notamment par la cession faite à l'une d'elles de sa terre patrimoniale de Montreuil.

Montreuil-sur-Màine (1), à petite distance au nord du Lion d'Angers, était un centre d'où rayonnaient, dès le XIe siècle, les premières générations des descendants d'Yvon, fondateur de la Jaille. Montreuil fit assurément partie dès biens d'Yvon, puisqu'on le retrouve partagé entre les deux branches de ses descendants, les sires de Châteaugontier et les sires de la Jaille. Les Châteaugontier cédèrent leur part de ce domaine à l'abbaye du Ronceray, vers 1090 ; cette part constituait la dot de Bourgogne, fille d'Alard 1er, et femme de Renaud III. Le Ronceray, favorisé par Bourgogne, avait offert de Montreuil un prix que Renaud ne trouvait pas rémunérateur. Renaud préférait négocier avec l'abbé de Stain-Nicolas qui offrait plus d'avantages. Cependant les dames du Ronceray l'emportèrent grâce à la volonté manifeste de dame Bourgogne, désireuse, avant tout, de voir son bien réservé, passer aux dames de la Charité. Mais l'abbé de Saint-Nicolas revint à la charge ; il remit à Renaud soixante livres de surenchère. En apprenant ce coup néfaste, l'abbesse Richilde, malade, alitée, chargea le moine Adelaume de protester en son nom et de combattre pour sa maison. Natal, pour toute réponse, appela Richilde au tribunal du comte d'Anjou ; mais, après l'exposé complet de l'affaire, le comte Foulques ordonna à Natal de reprendre ses fonds, et il investit l'abbesse de la possession de Montreuil, en raison de la préférence que Bourgogne, sur ce bien propre,

(!) Montreuil-sur-Maine, 950 habitants, canton du Lion d'Angers, arrondissement de Segré, département de Maine-et-Loire.


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lui avait accordée. Renaud dut se soumettre à opérer la transmission de bien (1).

Renaud III, seigneur de Châteaugontier, s'est illustré par la part qu'il prit à la première croisade. Agé et fatigué, il avait laissé partir la première armée. Le pape Urbain II étant venu relancer le vieux Robert le Bourguignon jusque dans sa demeure, à Sablé, une seconde expédition fut décidée. Robert entraînait avec lui ses parents, ses amis, et Renaud en était ainsi que d'autres antiques barbes angevines.

Vers 1092, Renaud de Châteaugontier avait renouvelé et augmenté l'ancien don des eaux vives du Cher, au prieuré de Foncher relevant de Marmoutiers. Quand son départ pour la Terre Sainte fut décidé (quando supradictus Rainaldus ille scilicet de Castro Gunterii perrexerit Jérusalem), il emprunta sur ces pêcheries quarante sous à Gautier de Montsoreau qui passa sa créance à Geoffroy des Ormes, remboursé plus tard par l'abbé de Marmoutiers (2). Tels étaient les virements de fonds que nécessitait un voyage outre-mer. A la quadragésime de l'an 1097, Robert le Bourguignon et Renaud de Châteaugontier mirent le pied à l'étrier, après une visite à Saint-Nicolas d'Angers, gratifié de leurs dons pour bonne route (3).

Renaud, après avoir été un des plus fermes soutiens de la royauté triomphante de Godefroy de Bouillon, mourut, croit Ménage, auprès du Saint-Sépulcre en 1101. Ménage dit que son fils, appelé Renaud comme son père, mourut à Châteaugontier le même jour (4).- Il se trompe. Renaud III, n'a pas eu de fils portant son nom. Renaud III mourut à Châteaugontier et non à Jérusalem, d'où revenu, sa pré(1)

pré(1) d'Anjou par Marchegay, t. III, pages 144, 146.

(2) D. Housseau, t. III, n° 932.

(3) D. Housseau, t. XIII, n° 9617.

(4) Ménage, Histoire de Sablé, 1683.


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sence est constatée à Angers, en 1101 (1). Le surnom de Hiérolimite, à lui donné par ses contemporains, prouve suffisamment qu'il avait été revu par ceux-ci, car on ne donne pas de sobriquet à un mort.

Les enfants de Renaud furent : — 1° Alard, qui suit ; — 2° Laurence, mariée, selon Anselme, à Turpin, auteur des Turpin de Crissé. Elle figure avec Renaud de Châteaugontier, son père, Alard, son frère, et le jeune Alard, fils de celui-ci, dans uu don fait au Ronceray, par un officier de leur maison, dans la première année du XIIe siècle. Bourgogne de Châteaugontier, près la mort de son mari, prit le voile, au Ronceray. Les titres de cette maison la nomment fréquemment. Elle mourut dans un âge avancé, prieure d'Avesnières, près Laval, dépendance de cette abbaye où elle avait pris retraite (2).

V. — ALARD II, seigneur de Châteaugontier, est cité, dès 1085, comme fils de Renaud III, dans la charte du don fait aux moines de Saint-Nicolas, à Segré (3). Un titre de l'abbaye de la Roë le déclare petit neveu de Renaud l'Allobroge, seigneur de Craon, qui était le frère de Mathilde, fille de Robert le Bourguignon. Ce texte prouve que Bourgogne de Châteaugontier, mère d'Alard, dont le prénom rappelle en outre son grand'père, était bien la petite fille de Robert, par sa mère Mathilde (4). Par elle, les sires de Châteaugontier avaient dans les veines du sang des rois capétiens. Dans un titre de Saint-Aubin, daté du 9 septembre 1109, confirmant à cette abbaye la possession d'un étang donné par son père, Alard se déclare fils de Renaud le Hiérolimite (Rainaldi Jerosolimitani filius) (5).

(1) Archives d'Anjou par Marchegay, t. III, Cartulaire du Ronceray, pages 22, 87.

(2) Archives d'Anjou par Marchegay, t. III, Ronceray, p. 90.

(3) Cartulaire de St-Nicolas, Bibl. nat., ms. franc. 22450, fol. 135.

(4) Cartulaire de la Roë, Bibl. nat., ms, nouv. acq. latin 1227, p. 24.

(5) Cartulaire de St-Aubin (Broussillon), Bibl. nat. Imp. L/2 K, 4294, t. III, p. 195.


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Alard, au cours d'une prééminence de quarante ans, eut l'occasion de se signaler par des bienfaits. . et par des injustices. Les religieux de la Trinité de Vendôme l'appelaient tyran, par suite des molestations qu'il leur avait fait subir, bien que l'abbé Geoffroy fut son cousin. Alard fut excommunié, en 1107, par le pape Pascal II, pour ses exactions contre le prieuré de Saint-Clément de Craon, relevant de la célèbre abbaye Vendômoise (1). Cependant, il prit part à un plaid de justice, dans lequel le comte d'Anjou et sa cour défendirent les intérêts de la même abbaye, contre Maurice de Craon, autre cousin d'Alard (2). Envers Saint-Aubin, il se montra généreux, renouvela sans contestations, en 1109 et 1112, toutes les libéralités faites à cette Maison par ses prédécesseurs (3). Ses largesses envers l'abbaye Craonnaise de la Roë furent dignement reconnues comme on le verra plus loin. Saint-Nicolas lui dut. la fondation du prieuré de Génesteil, à la porte de Châteaugontier, avec des rentes suffisantes à l'entretien du personnel. Ainsi qu'avait fait son père, il maintint les religieux de cette Maison (Saint-Nicolas) en possession des vignes de Gennes, objet de troubles antérieurs (4). Plus tard il leur accorda son arbitrage dans un différend avec Mathieu du Plessis; mais, parce que Renaud, son père, s'était montré trop généreux en acquiesçant aux dispositions d'un vassal qui le privait d'agréables revenus, Alard confisqua les biens de ce vassal, appelé Raoul-leGros-du-Bois, en jouit longtemps à l'aise, et ne les restitua à Saint-Nicolas qu'en 1118 (5).

Alard de Châteaugontier fut marié deux fois. Sa première femme, Mathilde, semble avoir été la fille de Lisiard d'Am(1)

d'Am(1) de la Mayenne par l'abbé Angot, t.I. p. 595.

(2) D. Housseau, tome.IV, n° 1247.

. (3) Cartulaire de St-Aubin, Bibl. nat. Imp. L/2 K, 4294, t. II, pages 175 et suivantes.

(4) Cartulaire de St-Nicolus, ms. franc. 22450, p. 46.

(5) D. Housseau, t. XIII, nos 9531 et 9539.


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boise, dont Alard était intéressé à la succession pour plus de cent livres (1) : il en avait deux fils, en 1102.

En février 1121, Alard et sa femme, Mathilde, signaient un accord passé devant le comte Foulques V, entre les religieux de Saint-Nicolas et l'Hôpital d'Angers, au sujet des revenus de la paroisse Saint-Saturnin d'Azé (2). Le 1er mars 1123, Alard et Mathilde, avec leur fils aîné Alard, avaient renouvelé par serment entre les mains de l'évêque, toutes les.concessions faites à Saint-Aubin; le 20 décembre suivant, Mathilde était décédée; Alard confirmait une fois de plus ces mêmes libéralités pour le salut éternel de sa femme (3).

Veuf, Alard épousa Exélie, fille du sire de Briollay. L'an 1129, il tomba malade et fut soigné par les moines de Saint-Nicolas, avec tant d'attention et de succès, qu'il leur témoigna sa reconnaissance en abandonnant au prieuré de Génesteil, tout ce qu'il s'était réservé sur les dépendances de cette institution. Son fils Alard approuva pieusement ce don (4). Vers le même temps ce jeune seigneur mourut, et son père pour lui assurer une place au Ciel, céda l'église Saint-Just de Châteaugontier à l'évêque Ulger (1124-1149) grand acquéreur et grand libérateur d'églises paroissiales. Exélie approuva cette cession, à laquelle donnèrent leur acquiescement Renaud et Alard le jeune, autres fils de Mathilde et d'Alard II. Tous reçurent des gratifications en argent et des bénédictions abondantes (5).

On retrouve Alard de Châteaugontier à la cour du comte d'Anjou, Geoffroy-le-Bel, fils de Foulques V, en 1131, assistant à une nouvelle acquisition d'église par l'évêque Ulger (6) ; enfin, en 1140, pour la dernière fois, dans un

(1) D. Housseau, t. III, p. 32, n° 1201.

(2) D. Housseau, t. XIII, n° 9414.

(3) Cartulaire St-Aubin. Impr. L/2 K, 4294-, t. II, pages 175 et suiv.

(4) D. Housseau, t. XIII, n° 9416.

(5) D. Housseau, t. IV, n° 1441.

(6) D. Housseau, t. IV, n° 1535.

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échange consenti, devant le comte Geoffroy, entre l'abbaye de Saint-Laud et celle du Ronceray, à Angers (1). Ses enfants nous sont connus : — 1° Alard, mort avant 1130, dans l'âge mûr ; — 2° Renaud, qui suit ; — 3° Alard le jeune, qui vient après ; — 4° Geoffroy, cité dans un titre de 1128 ; — 5° Marguerite, religieuse du Ronceray.

Le vieil Alard avait, en plus, un fils adoptif ou naturel nommé Hervé, qu'il confia à l'abbé de la Roë pour en faire un clerc. L'abbé accepta, en raison de la vénération qu'il portait à ce grand seigneur, et par reconnaissance de ses bienfaits. Alard voulut faire, à ce sujet, de nouvelles libéralités, auxquelles ses fils Renaud et Alard, et même sa femme Exélie de Briollay, prirent part. On voit figurer par la suite, parmi les clercs de la Roë, cet Hervé de Châteaugontier, comme vicaire de Saint-Pierre de Vaux et prieur de Fontaine-Couverte. Mais, était-il prêtre ? Epoux légitime d'une nommée Grossa, il en eut des fils dont l'un, Robert, contesta certaines fondations de son père à la Roë, puis, pour quelques pièces de monnaie, revint à résipiscence (2).

VI. — RENAUD IV, seigneur de Châteaugontier en 1441, eut une courte prééminence. Bourdigné le cite au nombre des grands feudataires angevins qui contribuèrent au gain de la bataille d'Alençon par le comte Foulques le jeune coutre le roi d'Angleterre, en 1115 (3). Renaud, à cette date, était jeune et non en possession de son fief. Il se peut qu'il ait été confondu avec son cousin Renaud, porteur du même nom, mais seigneur de Châteaurenaut, à qui Chalmel, d'après les anciens chroniqueurs de Touraine, attribue le même rôle (4).

(1) D. Housseau, t. IV, n° 1635.

(2) Cartulaire de la Roë, Bibl. nat. ms. nouv. acq. lat. 1227, pages 46, 73, 84, 88.

(3) Chroniques d'Anjou et du Maine, par Bourdigné, I, p. 393.

(4) Histoire de Touraine, par Chalmel, tome I, p. 428.


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Les titres de Marmoutiers relatent, à plusieurs reprises, la présence de notre Renaud, en Bretagne, et notamment comme défenseur des intérêts de l'abbaye à Lamballe et à Dinan (1122-1123) (1). On voit en lui un bienfaiteur de l'abbaye de Fontaine-les-Blanches, fondée en Touraine en 1140 (2) ; mais ici encore, il est probable qu'on l'a confondu avec Renaud de Châteaugontier, seigneur de Châteaurenaut, son parent. Ce sont deux personnages contemporains et différents quoi qu'en pense Ménage. On ne lui connaît pas de postérité. Il eut pour successeur son frère puîné, qui suit.

VII—ALARD III, seigneur de Châteaugontier, successeur collatéral du précédent, renouvela, en 1145, la cessionde l'église de Saint-Just de Châteaugontier, en mémoire de son père Alard et de sa mère Mathilde, jadis détenteurs de cet édifice, établissant ainsi son état civil (3). Il fut souvent témoin de libéralités faites aux abbayes angevines, tantôt seul, tantôt avec Renaud de Châteaugontier, son fils (4). Ensemble, ils approuvèrent, en 1148, le don à Nyoiseau, par Mathieu Harel, leur vassal, d'une grange pleine de vin et de froment (5). En 1150, à Angers, ils assistèrent à divers accords passés entre l'abbé de Saint-Aubin et Jouslain de Tours, sénéchal du roi d'Angleterre, en présence de Foulques de Candé, Guillaume de la Guerche, Maurice de Craon (6). L'existence d'Alard III ne paraît pas avoir dépassé de beaucoup cette date. Une dame Milsende, inhumée dans la cathédrale Saint-Maurice, à Angers, est citée par l'obituaire de cette église, comme femme d'Alard, seigneur de Château(1)

Château(1) Bibl. nat.ms. lat. 5441/3, p. 223.

(2) Peregrinus, historien des origines de cette communauté.

(3) Histoire de Sablé, par Ménage, 1683.

(4) Cartulaire de St-Nicolas, Bibl. nat. ms. franc. 22450, passim.

(5) D. Housseau, t. IV, n° 1161.

(6) D. Housseau, t. V, n° 1749.


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gontier. Il en eut : — 1° Renaud, qui suit ; — 2° Barthélémy, fréquemment nommé dans les cartulaires comme frère de Renaud, et dont on suit les traces jusqu'à la fin du XII° siècle (1) ; — 3° Helwige, mariée, au dire de Chevillard, avec Yvon de la Jaille (2) ; — 4° Guiberge, religieuse à Nyoiseau où elle vivait encore en 1188. — L'abbé Angot présente Alard de Châteaugontier comme un des bienfaiteurs de l'abbaye de Bellebranche (3), fondée en 1152, par Robert de Sablé, sur les bords de la Mayenne. L'abbé Foucault affirme qu'il y reçut sa sépulture (4).

VIII. — RENAUD V, seigneur de Châteaugontier, ayant accédé, en 1153, à la seigneurie, se rendait, avec sa femme et ses enfants, et avec son frère Barthélémy (Barthelot) à l'abbaye de la Roë, dans le but de confirmer les dons de ses auteurs. Pour le faire avec plus de cérémonie, il a pris à deux mains la mitre de l'abbé Michel, en présence de Normand, évêque d'Angers, qui mourut la même année, et il en coiffa de nouveau l'abbé en signe d'investiture. Renaud reçut, comme compensation, un palefroy valant 10 livres, mais il remit à l'abbé 60 sous pour acheter une mule (5). En 1158, après une station à Saint-Nicolas, où d'accord avec son fils Renaud, il a confirmé les dons d'Alard, son père, nous, le voyons, à Nyoiseau, assister à la nomination de l'abbesse Adélaïde de Craon (surnom d'Adélaïde de la Jaille) et consentir aux dons de bienvenue offerts par Mathieu Harel, Foulques de la Jaille, Bernard de Bouillé et autres, à cette supérieure d'une maison si considérée (6).

(1) Bibl. nat. ms. latin 5446, p. 306 et autres.

(2) Bibl. nat. ms. Histoire de la Maison de Beauvau, par Chevillard.

(3) Dictionnaire de la Mayenne, par l'abbé Angot, au nom Châteaugontier.

(4) Les.Seigneurs de Laval, par l'abbé Foucault, p. 98.

(5) Cartulaire de la Roë. Bibl. nat., ms. nouv. acq. lat. 1227, p. 152.

(6) D. Housseau, t. V, p. 30.


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Il fit, au dire de l'abbé Angot, un voyage en Terre-Sainte, en 1162, et mit son épée au service du royaume de Jérusalem attaqué par les Sarrasins. Il revint en 1165 (1). Les frais nécessités par ce voyage obligèrent Renaud à chercher des ressources dans la confiscation du four productif de Génesteil, dont son père avait autorisé l'érection entre le pont de Châteaugontier et le prieuré. Les moines jetèrent les hauts cris, et Renaud revint sur ses empiétements en permettant la vente du pain à la porte du monastère, moyennant la remise d'une part des profits (2). Il chercha querelle ensuite aux religieux de Gennes, dont les vignes prospéraient grâce aux concessions de ses aïeux. Plus tard, soucieux d'une mort prochaine, il remit au total ce que ses prédécesseurs et lui avaient reconnu comme bien de cette maison. Il présenta, comme garants de sa bonne foi, Geoffroy de Bellenoue, son sénéchal, Guillaume de la Magnère, son chapelain,. Mathieu de la Jaille, son chevalier (3).

Renaud de Châteaugontier avait été marié trois fois — tres uxores habuit — au dire du roi Philippe-Auguste qui le connut intimement. La seule de ces trois femmes dont nous connaissions, le nom, Béatrix de Bellême, fille de Rotrou, comte du Perche, lui donna : — 1° Renaud, qui suit ; — 2° Béatrix (4). D'une autre union provint ; — 3° Guillaume, énoncé à plusieurs reprises dans les négociations des sires de Châteaugontier.

IX. — RENAUD VI, seigneur de Châteaugontier, succéda au précédent vers 1180. Dans son enfance (Rainaldus infantulus), il avait voulu gratifier les dames du Ronceray de quelques petites faveurs destinées à assurer, plus tard, le

(1) Dictionnaire de la Mayenne, par l'abbé Angot, I, 585.

(2) Cartulaire de St-Nicolas d'Angers, Bibl. nat. ms franc. 22450, p. 212.

(3) D. Housseau, t. V, p. 158, n° 1883;

(4) Cartulaire du roi Philippe-Auguste, fol. VIII, ms. de la Bibl. nat.


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salut de son père et de sa mère encore vivants (1). Sitôt son accession à la seigneurie, il abandonna aux religieux de Saint-Nicolas tous les droits que son père et lui prélevaient sur les' vassaux du prieuré de Gennes, sur ceux du prieuré de Génesteil et autres possessions. Son frère Guillaume approuva ces pieuses dispositions, le jour même où leur père fut inhumé dans l'église de cette abbaye, en présence de Barthélémy de Châteaugontier, leur oncle, de nombreux prélats et seigneurs (2). Quelques années plus tard, Renaud VI donna à l'église Saint-Just, pour le repos de l'âme de sa mère, Béatrix, sept sous de rente à prendre sur les moulins d'Angers (3). Avec Guillaume, son frère, il avait attesté, en 1190, les dons d'Hubert de Champagne aux moines de Gouis, dans la forêt de Chambiers (4). En 1191 et 1193, il apparaît dans les titres de Saint-Aubin, avec ses deux fils, Renaud, l'aîné, Alard, le jeune; il en avait un troisième nommé Geoffroy (5). Le nom de sa femme n'est pas connu. Il avait repris au prieuré de Génesteil les droits de four et de vente de pain, objet de contestations perpétuelles ; mais, en 1193, il restitua le tout « par amour pour son frère Guillaume qui l'en avait prié s »(6). Ses fils l'approuvèrent. Son sénéchal, Geoffroy de Ramefort scella l'acte. Renaud disparut vers 1200 (7).

X. — RENAUD VII, seigneur de Châteaugontier, désigné sous le nom de Renaud le jeune, dans une attestation donnée à Saint-Nicolas, en 1185 environ (8), pouvait être

(1) Archives d'Anjou, par Marchegay, t. III. Ronceray, p. 89.

(2) D. Housseau, t. V, n° 1883.

(3) Bibl. nat. ms. latin 17126, p. 94.

(4) Cartulaire de Saint-Aubin. Bibl. nat. Impr. L/2 K, 4294, p. 290.

(5) Cartulaire de la Roë, Bibl. nat. ms. n. a. lat. 1227, p. 277.

(6) Dictionnaire de la Mayenne, par l'abbé Angot, I, 585.

(7) Bibl. nat. ms. latin 17126, p. 145. (8) D. Housseau, t. XIII, n° 9982.


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faible de corps et d'esprit, et ne géra la seigneurie qu'avec le concours de son frère Alard. C'est ainsi que Renaud et Alard, qualifiés tous deux seigneurs de Châteaugontier, concoururent, en 1206, à la fondation de l'hôpital de cette ville, construit à l'entrée du pont sur la Mayenne, et donnèrent à Gosselin, abbé de Saint-Nicolas, la chapelle qu'ils y firent élever, pour qu'elle soit desservie par les bénédictins résidant à Génesteil (1). Renaud mourut peu après, sans héritier direct, et fut enterré à Bellebranche qu'il avait, paraît-il, enrichie.

XL — ALARD IV, seigneur de Châteaugontier et successeur collatéral de Renaud VII, son frère aîné, marque vingt années d'une prééminence pleine de mérite et de dignité. Son père, Renaud VI, en concédant à Achard, abbé de Saint-Serge, la dîme de Veindrey et quelques autres biens, avait voulu prendre l'approbation d'Alard encore enfant, à qui l'abbé donna douze sous de gratification : « Velut alludens puerili ejus animo » (2). Des contestations furent élevées, par la suite, sur les acquisitions de Veindrey. On vit Renaud VI et sa soeur Béatrix, appeler l'abbé de SaintSerge en justice pour certaines usurpations dans les bois de Grattecuisse, en 1195. Cependant, le sénéchal et l'évêque leur donnèrent tort et maintinrent Saint-Serge en saisine régulière de ces bois (3). Alard, jeune encore, et son frère Geoffroy, avaient insisté auprès de l'abbé de la Roë, Michel, pour l'entrée au couvent du jeune Hervé, fils aîné de leur sénéchal, au moment où celui-ci mourut. Ils donnèrent, pour la bure de ce moinillon, deux setiers de froment de rente, sur le domaine de Clermont (4).

Ménage dit que ce seigneur de Châteaugontier enrichit

(1) D. Housseau, t. XIII, n° 9874.

(2) Cartulaire de Saint-Serge d'Angers, ms. latin 5446, p. 310.

(3) Cartulaire de Saint-Serge d'Angers, ms. lat. 5446, p. 75.

(4) Cartulaire de la Roë, Bibl. nat. ms. n. acq. lat. 1227, p. 277.


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Bellebranche. Selon l'abbé Angot, il fit de grandes libéralités à Chalocé, en 1207, à l'occasion de son mariage avec Emma de Vitré. Peu après, Saint-Nicolas de Vitré reçut ses bienfaits. En 1210, il fit hommage à l'abbé de Saint-Aubin, en plein Chapitre à Angers, pour certaines dépendances de son domaine (1).

Alard, noble et puissant seigneur angevin, repoussant l'impérialisme étranger, fut un des premiers qui se tournèrent vers le roi de France, dans la lutte contre les Anglais ; il prit une part active, sous le grand sénéchal, Guillaume des Roches, aux campagnes qui concoururent à l'expulsion des Plantagenet. Il était chevalier banneret, sous PhilippeAuguste, clans l'armée du prince Louis, opérant sur la Loire, en 1214 (2). Guerrier intrépide, Alard, l'épée remise au fourreau, se montrait à nouveau chrétien fervent et généreux ; aux frères de Grandmont, dits Bonshommes de la forêt de Craon, il fournit, en 1216, un de ses serfs et sa famille pour le service de leur hermitage, marquant l'acte de cession d'un sceau présentant un écu de gueules à trois chevrons d'or, le premier brisé (3).

Alard IV mourut en 1226, laissant un" fils unique qui lui succéda. Il fut, au dire de l'abbé Foucault, inhumé à Bellebranche..

XII. — JACQUES, seigneur de Châteaugontier et plus tard de Nogent-le-Rotrou, appelé James ou Jamet en plusieurs actes, ce qui laisse supposer qu'il eut pour parrain un chevalier anglais, avait, au début de sa prééminence, refusé à l'abbé de Saint-Aubin, l'hommage qu'avait rendu son père. De plus, Jacques avait injurié ce dignitaire ecclésiastique et molesté les moines de son obédience. Ces écarts lui valurent un procès, à la suite duquel il fut condamné, par

(1) Bibl. nat. ms. latin 17126, p. 147.

(2) Laroque, Traité du ban et arrière-ban de France.

(3) D. Housseau, t. IV, n° 2415.


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l'archevêque de Tours, à 150 livres de restitution envers l'abbé, et à des excuses pro illatis injuriis, l'an 1237 (1).

Chevalier banneret, Comme son père, il répondit, en 1242, à la convocation royale à Chinon (2). Il accompagna Louis IX dans la campagne terminée si brillamment par la défaite des Anglais à Taillebourg et à Saintes. En mai 1246, il fut, avec Geoffroy de Châteaubriant, Hugues de Baucey, Renaud et Robert de Maulévrier, Payen de Chourses, Jodouin de Doué, Aimery de Blou, au nombre des barons angevins qui passèrent, avec le roi, à Orléans, un traité de règlement sur le rachat des biens nobles (3).

La mort, en 1226, de Guillaume de Bellême, évêque de Châlons, et dernier comte du Perche, avait ouvert à la Maison de Châteaugontier, des droits sur la succession du comté d'Alençon, par suite de l'héritage de Béatrix de Bellême, bisaïeule de Jacques et tante du prélat décédé. Cette succession engendra de longs procès ; Jacques obtint gain de cause ; il devint un des plus riches seigneurs de la cour de France. Cette position le conduisit à une brillante alliance. Il épousa, en 1239, Avoise de Montmorency, fille . du connétable Mathieu II, de glorieuse mémoire. En 1254, Jacques et Avoise passaient un accord avec les moines de l'abbaye de Saint-Denis, au sujet des prétentions qu'éle- • vaient ceux-ci sur les bois de Verneuil, au Perche, donnés par le dernier comte. Jacques, héritier de celui-ci, avait cru pouvoir améliorer la contrée en mettant en culture de grands espaces, entre Tréhant et Verneuil. Il fut arrêté dans cette opération par les moines, qui l'obligèrent à comparaître devant le bailli royal pour obtenir une délimitation de propriété (4). La. même année, Jacques vendit au roi ses

(1) Bibl. nat. ms lat. 17126, p. 149. (2) Laroque, Traité du ban et arrière-ban de France.

(3) Archives d'Anjou, par Marchegay, t. II, p. 184.

(4) D. Housseau, t. VIII, n° 3051.


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droits sur le Perche, se réservant le château et le domaine de Nogent-le-Rotrou. Bientôt, il se vit lancé clans de nouveaux litiges, au sujet des immenses bois de cette contrée, sur l'attribution desquels il était si difficile de se mettre d'accord. Jacques déclarait s'être réservé les bois de Bellême et .... beaucoup d'autres. Les agents royaux prétendaient que tout avait été compris dans le marché passé avec le fisc. Le roi Louis, par égard pour son vieux serviteur, voulut que la jouissance des bois du Perche fut laissée au sire de Châteaugontier sa vie durant (1). Celui-ci vivait encore en 1257, scellant un acte d'un cheveronné de six pièces, avec légende Veritas, et autour : Sig. Jacobi Domini Castri Gonterii (2). Il avait supprimé la brisure depuis l'extinction de la branche aînée des descendants d'Yves de Bellême.

Veuve en 1263, Avoise de Montmorency réclamait la saisine de sa légitime. Elle plaidait, en 1270, devant le bailli de Mantes, sur les droits de justice de son domaine de Hérouville-en-Vexin, provenant de la succession de son père (3). Elle avait donné à la Maison de Châteaugontier un rejeton appelé Renaud, qui mourut avant son père. Il restait deux filles : — 1° Emma, mariée en 1259 à Geoffroy de la Guerche, d'où provint Jeanne, dame de Châteaugontier, unie à Jean-de Beaumont-Bressuire ; — 2° Philippe, dame d'Hérouville (4), mariée avec Guillaume de Longray, vivante encore en 1319.

(1) D. Housseau t. VIII, n° 3292.

(2) Bibl. nat. ms. du cabinet des titres, au nom Châteaugontier.

(3) Olim, Arrêts du Parlement de Paris, publiés par Boutaric, année 1270.

(4) Hérouville, canton de L'Isle-Adam, arrondissement de Pontoise, département de Seine-et-Oise.


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III

BRANCHE PUINÉE: LA JAILLE

I. — YVON II, seigneur de la Jaille, fils puiné d'Yvon, fondateur de la forteresse de la Jaille sur la Mayenne, et son héritier sur ce point, était contemporain de Renaud I de Châteaugontier, son frère aîné ou cru tel selon toute probabilité. Par conséquent, la période de son existence couvre la première moitié du XIe siècle.

On rencontre Yvo de Gallia, pour la première fois, clans un plaid de justice où l'abbesse du Ronceray eut raison d'un écuyer appelé Gosbert, qui l'avait dépouillée d'une terre située à Ferrières, donnée à l'abbaye, douze, ans auparavant, par la veuve d'un certain Sicart. L'illustre comte Foulques Nerra, vieux et malade, voulut siéger dans cette affaire et se prononça en faveur de l'abbesse. Marchegay attribue ce document à l'année 1035 (1). Le même seigneur de la Jaille figure, sous le nom d'Yvon de la Galle, au nombre des barons angevins qui mirent leur seing au bas d'une charte par laquelle Geoffroy Martel, peu après son accession au principat, c'est-à-dire vers 1040, approuva la cession du bois de chauffage à prendre dans la forêt de Chazé (2), faite par Foulques Nerra, son prédécesseur, aux dames du Ronceray, dites de la Charité (de Caritate) (3).

Il est aisé de confondre ce personnage avec son fils aîné, qui se présente avec la même désignation dès l'an 1052. Mais ce dernier se distingue par le rapprochement de ses frères, dont on rencontre les noms avec le sien en plusieurs

(1) Archives d'Anjou, par Marchegay, Bibl. nat. Imp. L/2 K, 136, t. III, p. 163.

(2) Chazé-Henry, canton de Pouancé, arrondissement de Segré, Maine-et-Loire.

(3)D. Housseau, t. II, 1, n° 466.


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actes contemporains. Ils forment ensemble une génération occupant la seconde moitié du XIe siècle, génération qui paraît un peu étendue — au point de vue chronologique — mais résultant d'énonciations authentiques qu'on ne saurait controuver. De plus, la position d'Yvon II est fixée par la filiation d'un de ses fils, Geoffroy, énoncé fils d'Yvon de la Jaille et frère d'un autre Yvon de la Jaille, en plusieurs actes dont les textes seront développés plus loin.

Yvon Il doit donc être considéré comme le père de :

1° Yvon, qui suit ;

2° Geoffroy, qui vient après ;

3° Fromond, nommé avec son frère Yvon de la Jaille, dans un titre de l'abbaye de la Trinité de Vendôme (1). Fromundus de Jalleia ou de Gallia est cité à plusieurs reprises parmi les témoins des libéralités faites, à l'abbaye du Ronceray, par des membres de sa famille. Sa période d'existence s'étend jusqu'à 1110, à moins que ces attestations ne soient données par deux personnages du même nom, le père et le fils, l'oncle et le neveu (2) ;

4° Guy, témoin avec son frère Yvon de la Jaille, de la confirmation des acquisitions de l'abbaye de Vendôme par le comte d'Anjou, en 1062 (3). Ce Guy — Wido de Gallia — était au nombre des dignitaires qui entouraient, à Angers, le comte Geoffroy-le-Barbu et la comtesse Agnès, lorsque, dans un plaid solennel de tous les barons, prélats et abbés • de la cour angevine, les moines de la Trinité de Vendôme firent, avec les chanoines de Saint-Maurice, un traité de concorde et d'amitié (4). Les titres du prieuré de Bellême, obédience de Marmoutier, présentent Guy de la Jaille parmi les témoins produits devant l'évêque de Séez, Yvon de Bellême, et le comte Geoffroy d'Anjou, en 1069. Il approuva

(1) Bibl. nat. ms. lat. nouv. acq. 1232, p. 47, charte 64.

(2) Archives d'Anjou, par Marchegay, t. III, pages 176, 213, etc.

(3) D. Housseau, t. II/2, n° 650.

(4) D. Housseau, t. XIII, n° 10871.


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également, avec son écuyer Thédouin, un don de terre à ce même prieuré par un certain Ernaut de Danzé (1). Guy est alors passé au service de Robert II, comte d'Alençon et du Perche, qu'il accompagnera dans les guerres de la fin du XIe siècle. En 1092, devant Bréhenne, assiégé par le roi de France, Robert demandant à Philippe 1er l'autorisation d'installer des bénédictins dans son église de Saint-Léonard, à Bellême, présentera comme garant du diplôme obtenu, son fidèle chevalier Guy de la Jaille (2). Celui-ci ne poursuivit pas jusqu'au bout les entreprises de son maître. Les historiens des Croisades le citent au nombre des seigneurs angevins qui prirent part à la conquête de Jérusalem, en 1099 (3) ;

5° Corbin, énoncé frère de Fromond de la Jaille que nous savons frère d'Yvon, dans un accord entre l'abbé de SaintSerge et Gautier Marmion (4), devant Renaud de Châteaugontier et Foulques de Mathefélon, vers 1080 — Corbinus de Zallia — était à la suite de Foulques Réchin visitant les abbayes de Saint-Aubin et Saint-Nicolas, aux meilleurs jours de son long règne. Vassal du Lion d'Angers, il en fréquentait le château et mettait son nom sur les actes de libéralités de son suzerain, en 1090 et 1097, datés avancées de son existence (5) ;

6° Béliarde, énoncée dans un titre du Ronceray, soeur d'Yvon de la Jaille, abbesse de cette institution célèbre, entre 1062 et 1073. Dès la première année de sa gestion elle eut à défendre les possessions de l'abbaye contre un fameux larron, Fouquart, seigneur de Rochefort, qui venait d'élever, autour de son château, une nouvelle enceinte,

(1) Marmoutiers, ms. lat. 5441/2, p. 294.

(2) Marmoutiers, ms. lat. 5441/2, p. 303.

(3) Archives d'Anjou, par Marchegay, t. III, p. 215.

(4) D. Housseau, t. XIII, n° 9982.

(5) Cartulaire Saint-Nicolas, ms. lat. 22450, p. 29.


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pour enfermer les troupeaux enlevés dans la campagne. Elle l'appela au tribunal du comte d'Anjou. Le prince ordonna l'enquête sur le fait. Il en chargea Hugues Mangebreton et Robert le Prévôt, qui, ne pouvant obtenir un aveu ou une rétractation, conclurent au combat singulier.

Béliarde, avec son frère Yvon -- cum Yvone fratre suo de la Jalliam — avec Roger Malfilâtre et Girard-le-Chauve, vassaux des la Jaille, à Montreuil, se présenta clans le champ clos. Elle produisit, selon qu'il avait été résolu, un serviteur et un paysan. Mais Fouquart dédaigna de se commettre avec ces vilains. L'abbesse fournit alors un chevalier monté, armé de toutes pièces. Fouquart refusa d'entrer dans la lice et les juges déclarèrent : « in turto Fulchardi remansum est ». Béliarde, les mains levées vers le tribunal, s'écria :

— « Je te demande, ô comte, de déclarer maintenant lequel de nous doit rentrer dans son bien !»

Geoffroy-le-Barbu fit remettre en possession la courageuse abbesse, en 1063 (1).

II. — YVON III, seigneur de la Jaille, fut à la Cour des comtes d'Anjou un haut dignitaire, dont le rôle important ressort d'une quantité d'attestations données aux diplômes de ces princes. Il occupait, auprès d'eux, une fonction analogue à celle qui fut qualifiée plus tard des titres de Conseiller et Chambellan des princes régnants. Dès 1052, en pleine fonction déjà,.à la cour d'Angers, il signe Yvo de Gallica, avec son frère Fromond, et les principaux barons du plaid, la charte par laquelle le comte Geoffroy et la comtesse Agnès de Bourgogne ont, pour le salut de l'âme de Foulques et d'Hildegarde, leurs prédécesseurs, remis à l'abbaye de la Trinité de Vendôme, les droits qu'ils partageaient avec l'abbé de Saint-Florent, sur les transports de

(1) Archives d'Anjou, par Marchegay, t. III, p. 125.


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la Loire, entre Saumur et Ancenis (1). En 1058, il figure au nombre des chevaliers de la suite de Grécie de Montreuil, comtesse d'Anjou, Alard de Châteaugontier, Hugues de Loudun, Savari, frère du vicomte de Thouars, Aimeri de Rançon — c'est une sorte de ministère ■— qui enregistrèrent le don de l'église Saint-Pierre de Montreuil-Bellay à Saint-Nicolas d'Angers, sous le patronage de l'évêque Eusèbe (2). Yvon est également nommé parmi les barons qui sanctionnèrent la confirmation donnée par Geoffroy Martel aux acquisitions des moines de Saint-Aubin, à Châteaugontier (3). Il marchait de pair avec les plus puissants.

Sous Geoffroy-le-Barbu, Yvon de la Jaille conserva la même faveur. Il était, en 1062, au nombre des officiers généraux de la Maison du comte, sur le conseil desquels ce prince s'appuyait, pour rendre aux religieuses du Ronceray des vignes à Saumur, confisquées par son prédécesseur (4). On trouve son seing — S. Yvonis de Gallâ — et celui de son frère Guy, avec ceux des principaux barons sur la charte par laquelle Geoffroy-le-Barbu, à Angers, le 24 février 1062, confirme à l'abbaye de Vendôme la possession de l'église de Saint-Jean-sur-Loire et de ses dépendances (5). La même année il fut, avec les grands dignitaires, témoin de la confirmation, par le même comte Geoffroy, de toutes les acquisitions des moines de SaintNicolas (6).

Yvon de la Jaille demeura en charge jusqu'en 1069, date à laquelle sa présence est encore constatée à la Cour d'Anjou. Il est probable que sa fidélité au Barbu l'incita à quel(1)

quel(1) nat. ms. lat. nouv. acq. 1232, p. 47, charte 64.

(2) Cartulaire de Saint-Nicolas, ms. franç., 22450, fol. 51.

(3) Cartulaire de Saint-Aubin d'Angers, publié par Broussillon, t. II, p. 173.

(4) D. Housseau, t. II/2, n° 615.

(5) D. Housseau, t. II/2, n° 650.

(6) D. Housseau, t. II/2, n° 660.


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que protestation, lorsque le Réchin détrôna et séquestra son frère, et qu'une disgrâce en fut, pour Yvon, la conséquence. Yvon III conserva ses fiefs, mais disparut dès lors de l'entourage du prince. Un titre de Saint-Nicolas, daté de 1086, rappelle certains dons consentis sur- les revenus de son propre domaine, par cet Yvon de la Jaille, au chapelain du château de Segré que Renaud de Châteaugontier avait reconstruit peu auparavant (1).

Y"von prit part, comme Renaud, son cousin, à la seconde expédition des croisés, à celle que dirigèrent vers la Palestine Alain Fergent, Rotrou du Perche, Geoffroy de Mayenne et Robert de Sablé ; Beaudouin de Vern en était, qui, avant le départ, dicta un long testament dont une disposition en faveur de l'abbaye du Ronceray nous a conservé le texte ; les noms des témoins y sont inscrits, Yvon de la Jaille est l'un d'eux (2).

Les historiens de la première croisade disent que, parmi les contingents de l'ouest lancés à l'assaut des murs de Jérusalem, en juillet 1099, « Yvo de Jallia serviebat, cum centum tnilitibus, » et que Guy de la Jaille, son frère, combattait auprès de lui (3). Tous deux s'y distinguèrent, puisque leurs noms ont passé à la postérité. Il est probable qu'Yvon III mourut en Terre-Sainte: entre 1100 et 1102, son neveu Yvon lui avait succédé.

III. — GEOFFROY I, dit Geoffroy de Segré (Goffridus de Segreio) détint vraisemblablement le domaine de la Jaille

entre deux Yvon, dont le premier était son frère, et le second son fils. Un acte classé entre 1060 et 1070, relatif à un don de Renaud Grassin 'à Saint-Nicolas d'Angers, le nomme Geoffroy, fils d'Yvon de la Jaille (Yvon II), ce qui

(1) cartulaire de Saint-Nicolas, uns. franç., 22450, folio 72.

(2) Archives d'Anjou, par Marchegay, t. III, p. 215.

(3) L'Ouest aux Croisades, par M. de Fromont, t. I, p.84. p. 84.


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fixe son état-civil (1). En 1086, on le trouve sous le nom de Geoffroy de Segré, eh possession du château de Segré, détenu encore en 1085, par Renaud de Châteaugontier qui, dans sa jeunesse, en avait aussi porté le nom. Le motif de l'abandon, à un parent, d'un fief de cette importance, n'est plus révélé. On peut y voir le résultat d'une répartition plus équitable des biens de famille, alors que Renaud, par suite de son mariage, est devenu possesseur de Châteaugontier, qu'il n'avait pas eu par héritage. De Segré (2), le comte fit aux la Jaille dévolution définitive, car ses successeurs reprirent plus tard arbitrairement Segré aux la Jaille sans que les sires de Châteaugontier aient pu élever une protestation. Renaud avait entouré la ville de murailles et construit une forteresse nouvelle, dans laquelle, en 1085, les moines de Saint-Nicolas étaient venus plaider, devant Renaud — « in aula Domini Raginaldi de Castro Gunterii ad Segreium » — de leurs droits sur partie de l'héritage de Tancrède Barbotin, à Sainte-Gemme, où Renaud les avait lui-même installés (3). Devenu à son tour possesseur du château de Segré, Geoffroy de la Jaille approuvait, en 1086, l'installation des bénédictins à Sainte-Gemme (4), ainsi que dans la.chapelle de son château, oeuvres de son prédécesseur Renaud, et recevait de l'abbé Natal, en réunion capitulaire, le bénéfice aux oraisons, des religieux pour lui, pour sa femme et pour ses fils nommés Yvon et Normand. • Geoffroy confirma au chapelain Gautier et a ses successeurs dans le même office, la jouissance d'une prébende tenue, partie eh son fief, partie dans le fief d'Yvon de la Jaille (Yvon III), son frère, qui avait aussi des retenues dans le domaine de Segré (5). Après la mort de Geoffroy,

(1) D. Housseau, t. XIII, n° 9576.

(2) Segré, sur l'Oudon, chef-lieu d'arrondissement à 101. n. d'Angers (Maine-et-Loire).

(3) D. Housseau, t. XIII, n° 9556.

(4) Sainte-Gemme d'Andigné, à 1/2 lieue de Segré (Maine-et-Loire).

(5) Cartulaire de Saint-Nicolas.ms. franç., 22450, p. 171.

3


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survenue en 1102, « Yvo filius Goffredi de Segreio » confirma les concessions paternelles (1).

IV. — YVON IV, seigneur de la Jaille et de Segré. dont la filiation vient d'être établie, occupa, comme ses prédécesseurs, une place considérable dans l'entourage des comtes d'Anjou. Foulques Réchin régnait alors (1069-1109); il avait envisagé avec scepticisme la grande manifestation de la chevalerie chrétienne en Orient. Yvon IV observa, touchant la croisade, l'abstention de son maître. C'est ce qu'on déduit de sa présence, en 1099, au moment de la prise de Jérusalem où ses oncles triomphaient, dans le Chapitre paisible de Saint-Nicolas d'Angers, parmi les officiers que le comte Foulques avait envoyés à cette abbaye, avec l'ordre de soutenir les droits de la Maison contre Philippe de la Pouëze, contestant les libéralités que son père Josselin avait faites dans le but d'obtenir la fin d'une rude captivité (2). En 1101, Yvon de la Jaille se rencontrait, à Angers, avec Alard de Châteaugontier, l'abbé de Marmoutiers les héritiers de Lisiard d'Amboise (3) ; à Rennes, peu après, avec Pierre de Chemillé, Mathieu Amenart, Garin le Loup, chez l'évêque Marbode (4). A Angers, le jour de la Pentecôte, l'an 1102, Yvon pénétra dans le Chapitre de Saint-Nicolas, dont la porte ne s'ouvrait qu'aux insignes bienfaiteurs, et confirma les libéralités faites par son père et ses prédécesseurs dans le château de Segré, la ville, les environs, en présence du célèbre Robert d'Arbrissel, de l'abbé du Louroux et d'Albert de la Ferrière (5). Yvon IV venait de recueillir la succession paternelle et l'héritage des aînés de sa Maison.

Lorsque le 8 des ides d'octobre 1109, le nouveau comte

(1) D. Housseau, t. XIII, n° 9558.

(2) D. Housseau, t. XIII, n° 9566.

(3) D. Housseau, t. IV, n° 1201.

(4) D. Housseau, t. IV, n° 1084.

(5) 0. Housseau, t. XIII, n° 9558.


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d'Anjou, Foulques V (1109-1130), futur roi de Jérusalem, se trouvant dans le cloître de Saint-Laud, à Angers, accueillit favorablement la supplique des moines de SaintNicolas, tendant à ce que toutes les faveurs accordées à leur Maison par le défunt comte Réchin, son père, fussent de lui approuvées, sanctionnées. Geoffroy de Clervaux, Carbonnel de Saint-Michel, Pierre de Champchevrier, Raoul de Grez, Aimery Chamaillart, Yvon et Normand de la Jaille, barons de l'escorte du prince, eurent l'honneur de faire inscrire leurs noms à la suite du nom de Foulques sur le parchemin des moines (1). C'est à cette occasion que le Chapitre de Saint-Nicolas enregistra les deux frères Yvon et Normand de la Jaille parmi leurs principaux bienfaiteurs (2). Ce même Normand s'était révélé, dix ans plus tôt, par sa présence au Lion d'Angers, où les cadets de sa Maison étaient possessionnés, comme témoins d'une cession de bien faite par Jean Gamâche au prieuré de cette ville (3). Un des titres de gloire invoqués par les historiens d'Anjou, au profit des frères de la Jaille, est la notable part, par eux prise, à la fondation de l'abbaye de Nyoiseau, située clans la paroisse de Saint-Aubin-du-Pavoil (4), dont ils étaient seigneurs. Sans leur concours, cette institution n'aurait pu s'achever, malgré les dons et les pieux efforts de Souhart Barraton, de Geoffroy de Nyoiseau et de sa femme. La cession de terrains faite par ces fidèles au vieil ermite Salomon, disciple de Robert d'Arbrissel, n'était valable qu'avec l'assentiment des suzerains, les sires de la Jaille ; ceux-ci le donnèrent sans restriction. Lorsqu'en 1109, Renaud de Martigné, évêque d'Angers, vint poser la première pierre du monastère, Bernard de Bouillé mit la

(1) D. Housseau, t. IV, n° 9612.

(2) Cartulaire de Saint-Nicolas, ms. franc. 22450, p. 159.

(3) D. Villevieille, ms. franç. 31931, au nom Jaille.

(4) Saint-Aubin-du-Pavoil, canton et arrondissement de Segré Maine-et-Loire.


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seconde ; la troisième et la quatrième furent scellées par Yvon de la Jaille et par son fils aîné, appelé Geoffroy (1). Leur concours au succès de cette fondation se continua. En 1112, Souhart Barraton ayant disposé au profit de Nyoiseau, d'une partie des revenus de l'église de SaintAubin, ainsi que du presbytère et des terrains qui l'entouraient, Yvon de la Jaille, seigneur dominant — « Yvo de Jalleia capitalis dominus ejusdem loci » — approuva ces dispositions devant l'évêque d'Angers (2). .

Les généalogistes affirment que, de 1104 à 1120, l'abbaye du Ronceray reconnut également Yvon IV comme un de ses bienfaiteurs. En effet, l'abbesse de cette maison d'ordre relevé, où l'on n'admettait que les femmes de grande extraction, était la tante du sire de la Jaille. Cette abbesse nommée Tiburge, ayant accueilli, parmi les religieuses de son cloître, Aremberge, sa nièce, Yvon, frère d'Aremberge, dota sa soeur de deux arpents de vigne et de recettes censives à prendre au bourg de Montreuil, domaine de la Maison de la Jaille (3). On conclut du texte de cette fondation que Tiburge était la soeur de la mère d'Yvon et d'Aremberge, ou peut-être la soeur de Geoffroy de Segré, leur père. Son nom de famille ne nous est pas connu. L'acquisition de l'église Saint-Michel de Fains par le Ronceray, au temps de cette abbesse (1104-1121), ainsi que l'entrée au monastère de Tiphaine, fille de Gautier de Doitsauvage, eurent pour témoins Yvon et Fromond de la Jaille (4).

Enfants d'Yvon IV et de Mathilde de Craon (5) que l'on croit avoir été sa femme :

1° Geoffroy, qui suit ;

(1) Revue d'Anjou et de Maine-et-Loire. Bibl. nat. Impr. L/c 9, 12, page 80.

(2) D. Housseau, t. IV, n° 1315.

(3) Archives d'Anjou, par Marchegay, t. II, p. 233.

(4) Archives d'Anjou, par Marchegay, t. II, p. 176.

(5) Craon, armes : losangé d'or et de gueules.


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2° Normand, témoin à Angers, en 1125, d'une libéralité d'Hubert de Champagne, et, vers 1130, du don d'une dîme sur le domaine de Candé, par le jeune Geoffroy Rorgon, seigneur du lieu (1). Les titres du Ronceray font voir que ce Normannus de Jalleia fut père de famille. Il avait une fille qui revêtit le peplum noir et reçut l'anneau d'or de la main de l'évêque Ulger (1125-1449). Son père la dota de deux métairies et de vingt sous de rente sur le port d'Angers in aquariâ. Nous pensons voir dans cette none libre, car les dames du Ronceray circulaient dans le monde, l'active et bienfaisante Richilde de la Jaille, qui joua un rôle dans les règlements d'affaires assez épineux, intervenus entre les membres de sa famille et les moines de SaintAubin, à Montreuil-sur-Maine, en 1152 et 1155. En 1161, on la retrouve avec Milsende de Cholet, Milsende de Chemillé et. autres soeurs de son ordre, sous l'égide de l'abbesse Orsande, consentant la vente de quelques arpents de vigne à Isembert du Pont (2). En 1164, elle était prieure de Chauvron (3). L'abbé Guillaume, de Saint-Aubin, qui lui portait une grande amitié, par suite des services qu'elle avait rendus à sa Maison, promit par écrit à Richilde de la Jaille, dame de Sainte-Marie de la Charité, — ainsi.qualifiait-on le Ronceray — qu'au jour de sa mort, un service solennel serait célébré pour elle, dans la basilique de Saint-Aubin, avec la pompe habituelle aux funérailles des moines (4). Un certain André de la Jaille (Engressus de Jallia) témoin dans les actes où figure Richilde à Montreuil, en 1152-1155, pouvait être son frère (5).

(1) Cartulaire de Saint-Nicolas, ms. franç. 22450, pages 93 et 159.

(2) Archives historiques d'Anjou par Marchegay, t. III, p. 201.

(3) Chauvron, île sur la, Mayenne, en aval de Montreuil.

(4) Bibl. nat. ms. lat. 17126, p. 276.

(5) Cartulaire de Saint-Aubin, publié par Broussillon, t. II, p. 154.


— 38Il faut rayer ici du nombre des personnages connus decette famille, certain Aubert de la Jaille, inscrit sur la liste des chevaliers qui auraient accompagné Geoffroy de Mayenne, en Palestine, et y seraient morts, en 1158. Cette liste, trop favorablement accueillie et reproduite par Ménage, dans son Histoire de Sablé, puis par quantité de copistes trop crédules, a été démontrée fausse et composée de toutes pièces au XVIIe siècle, par messire Jean de Goué, intéressé à sa publication (1) ;

3° Guichart, énoncé frère de Normand de la Jaille, dans l'acte où tous deux figurent comme témoins des libéralités de Geoffroy Rorgon de Candé au prieuré du Lion (2). Il était vassal du Lion. Nous y retrouverons Guichart de la Jaille, lorsque nous parlerons de la branche de sa famille dont il est l'auteur ;

4° Robert, qualifié fils d'Yvon (Robertus filius Yvonis), dont la résidence était à Segré. Robert-Yvon, sa femme Julienne, ses fils Lucas, Garin, Gervais et Pierre, donnèrent à l'évêque d'Angers, Ulger, avant 1149, l'église de SaintVincent de Segré, à courte distance au nord de cette ville, pour qu'elle fut administrée par le Chapitre de la cathédrale. Ils y ajoutèrent quelques immunités. Philippe de Saucoigné, leur proche parent, approuva cette concession (3). Robert ayant acheté à Philippe de Saucoigné, son neveu, une terre près du bois de Flée (4), la donna Nyoiseau pour l'admission de sa femme Julienne dans le couvent en 1144, avec l'assentiment de ce même neveu et de ses fils (5). On constate, à cette époque, l'enthousiasme pour la vie religieuse, qui était aussi la vie paisible, confortable,

(1) Bibl. nat. Imp. L/7 K, 30104. Intéressante dissertation de M. l'abbé Angot.

(2) Cartulaire de Saint-Nicolas, ms. franç. 22450, p. 159.

(3) D. Housseau, t. IV, n° 1472.

(4) flée, au nord de Segré, Maine-et-Loire, frontière du département de la Mayenne.

(5) D. Housseau, t. IV, n° 1648.


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intellectuelle et même mondaine, d'un siècle très pieux. On conçoit que les sordides bastides entourées d'eau croupie et le heurt des soudards qui s'y entassaient, eussent fait préférer aux natures délicates cette élégance, cette mise en scène et ces réunions choisies dont les abbayes, au Moyen-Age, offrent le pompeux tableau. La règle était aisée, le costume joli. Au dedans comme au dehors, les femmes étaient l'objet du respect et de l'admiration générale. Beaucoup abandonnaient les devoirs de l'épouse et de la mère de famille, pour se retirer à Nyoiseau, au Ronceray et Fontevrauld. Moins de dix ans après l'entrée de Julienne à Nyoiseau, les portes de l'abbaye s'ouvrirent à Béatrix, femme de ce Philippe de Saucoigné qui vient d'être nommé. Elle y mourut, fut inhumée sous le portail de l'église, et son mari donna deux sous de rente pour l'entretien d'une lampe en son souvenir (1). Nous verrons, à la même époque, une autre dame de la Maison de la Jaille, quitter la vie civile pour prendre le voile à Nyoiseau. — RobertYvon figure au nombre des chevaliers de Châteaugontier convoqués aux assises de Craon, en 1162, pour juger le cas des moines de la Roë qui avaient refusé de fournir des hommes, pour faire la guerre, en Poitou, au compte du roi d'Angleterre ; le jugement rendu par les chevaliers fut favorable à l'abbé Michel (2).

5° Aremberge, mariée à Philippe de Saucoigné, père de celui dont nous venons de parler, lequel, malade, craignant la mort et ses suites, a donné aux moines de Saint-Aubin, pour de bonnes prières, la dîme du moulin de la Roche (3), par lui possédé en commun avec les la Jaille. Après sa mort, Aremberge, de qui venait ce bien, et Philippe, son fils, approuvèrent le don et l'augmentèrent du revenu d'un four, pour la célébration d'un anniversaire (4). Aremberge,

: (1) D. Housseau, t. V, n° 1822.

(2) Cartulaire de la Roë, ms. lat. nouv. acq. 1227, p. 255.

(3) Moulin sur la Mayenne entre Chambellay et Montreuil.

(4) D. Housseau, t. IV, n° 1442.


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Philippe et Béatrix se trouvèrent mêlés, en 1155, au procès intenté par les moines de Saint-Aubin aux cadets de la Jaille, touchant les acquisitions du prieuré de Montreuil, dont relevait le moulin de la Roche, cité plus haut, et ne chicanèrent pas les religieux. Ils appuyèrent de leur attestation un accord définitif (1) ;

6° Adélaïde, troisième abbesse de Nyoiseau (1158-1183) énoncée Adelaïdis abbatissa et de Creonis (2) dans un texte émanant de sa propre abbaye, peut-être parce qu'elle était fille d'une personne de la Maison de Craon (on croit en effet qu'Yvon IV avait épousé Mathilde de Craon), ou qu'elle avait été élevée dans cette ville ; mais l'obituaire de Nyoiseau l'appelle Alice de la Jaille au jour de son décès (3). Nous verrons qu'elle était tante de Foulques de la Jaille et de Philippe de Saucoigné le jeune, issus, l'un de Geoffroy, l'autre d'Aremberge, connus comme enfants d'Yvon de la Jaille : elle, était donc bien la fille de ce dernier.

V. — GEOFFROY II, seigneur de la Jaille et de Segré, se qualifiait fils d'Yvon de la Jaille (Goffredus filius Yvonis de Jallia) lorsqu'à son accession aux fiefs d'aînesse de la Maison, l'an 1121, il confirma aux moines de Saint-Nicolas le droit de desservir la chapelle de son château de Segré, l'église de Sainte-Gemme, et de percevoir les revenus afférents à ces bénéfices octroyés, par ses prédécesseurs (anteceasores meos). Il en renouvela la solennelle investiture en plein Chapitre, à Angers, devant Hamon de Combrée, Nivelon de Daon, Guillaume de Moulins et Robert de Désertines (4).

(1) Cartulaire de Saint-Aubin, par Broussillon, t. II, p. 154.

(2) D. Housseau, t. V, n° 1809.

(3) Célestin Port, Dictionnaire historique de Maine-et-Loire, t. III. page 29.

(4) D. Housseau, t. XIII, n° 9652.


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Un titre de Saint-Nicolas nous apprend que Geoffroy avait pour femme une Mendique (Mendica — la Mendiante), surnom inattendu chez une personne de cette qualité. — « Geoffroy de la Jaille et Mendique, sa femme, dit cet acte, ont renoncé à la contestation qu'ils avaient élevée contre nous, au sujet des dons de Mathieu du Plessis (de Plessista — Plessis-Macé) au prieuré de la Magnère (1) ». La Magnère, aujourd'hui la Meignane (2), était, alors la paroisse où se trouvait le château du Plessis ; l'abbaye en possédait l'église, dont le seigneur touchait néanmoins une partie des offrandes. Si Geoffroy de la Jaille et sa femme, contestaient, réclamaient puis abandonnaient leurs droits sur les libéralités du seigneur du Plessis, c'est qu'ils avaient une part à prélever dans sa succession. Il apparaît donc que Mendique appartint à la famille du Plessis-Macé, célèbre à cette époque en Anjou. Marchegay, dans un essai généalogique sur cette Maison, a présenté Foulques I, seigneur du Plessis, comme fils de Mathieu, anciennement Macé, qui a laissé son nom à la localité, et mari d'une Agnès dont il eut deux fils et une fille, celle-ci surnommée Mendica (3). Il est évident que nous tenons ici la Mendique prise à femme par Geoffroy, seigneur de la Jaille et de Segré, vers 1110 (4).

Mais Geoffroy de la Jaille, veuf ou non, avait, avant 1127, quitté la cuirasse et revêtu le froc. Si nos châtelaines renonçaient à leurs manoirs pour peupler les couvents, nos chevaliers non moins imbus de dévotion à leur manière, cherchaient aussi les douceurs de la retraite, s'affiliaient à un ordre, fondaient ou se faisaient donner, sans être prêtres, un prieuré, grosse sinécure, résidence de choix,

(1) Cartulaire de Saint-Nicolas, ras. franç. 22450, p. 176.

(2) La Meignane, commune du Plessis-Macé, arrondissement et 31. n. d'Angers, Maine-et-Loire.

(3) Le Mai'ne et l'Anjou pittoresque, par Paul Marchegay.

(4) Plessis-Macé, armes : de gueules au treillis d'or.


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respectée même des coureurs de route et des soudards en campagne, auxquels l'habit religieux imposait des égards. Le prieur laïc, largement entretenu sur son domaine et soumis à une apparence de règle, avait un vicaire pour le service divin dans sa domesticité. Geoffroy de Segré était prieur des Alleuds (1), obédience de Saint-Aubin ; il y fut en 1143, témoin d'un échange de terres entre ce prieuré et Raoul Boitsoleil, consenti devant Robert-fils-Yvon, que nous savons être son frère (2). Geoffroy, mort vers 1150, fut inhumé dans l'église du prieuré de Montreuil, dont il était fondateur titulaire (3). Ses enfants furent :

1° Yvon, qui suit ;

2° Foulques, qui vient après ;

3° Aimery, seigneur de Montreuil, dont la mémoire est restée célèbre par l'éloge que fait de lui le cartulaire de Saint-Aubin d'Angers.

Montreuil était, nous le savons, un alleud ayant appartenu de tout temps aux la Jaille. Ils y avaient, de concert avec les seigneurs de Chambellay, localité voisine, installé les bénédictins de Saint-Aubin, pour l'exercice du culte (4). Ceux-ci, grâce au généreux concours des descendants d'Yvon, fondèrent, sur les lieux, un prieuré avec de riches dépendances et un personnel assez nombreux. Plusieurs membres de la famille de la Jaille, bienfaiteurs insignes, furent inhumés dans leur église, dont le titre de fondateur était attribué à l'aîné de la race. D'autre part, les dames du Ronceray avaient été introduites à Montreuil par Bourgogne de Châteaugontier. Sous cette haute protection, leur timidité

(1) Les Alleuds, hameau sur la rive gauche de la Mayenne, en amont du Lion.

(2) Cartulaire de Saint-Aubin, par le comte de Broussillon, t. I, p. 241, II, p. 113.

(3) Cartulaire de Saint-Aubin, par le comte de Broussillon, t. II, page 154.

(4) Célestin Port, Dictionnaire historique de Maine-et-Loire, au nom Montreuil.


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première avait fait place à l'esprit de lutte. Des querelles surgirent entre Saint-Aubin et le Ronceray. Sous Tiburge

et sous Natal, la crosse et le peplum se firent la guerre

pour douze sous de rente que produisait l'écluse de la rivière ! Les religieuses ne voulaient point abandonner ce gros profit ; les moines se l'attribuaient de droit et, disonsle, d'une façon léonine. Ils poussèrent l'arbitraire jusqu'à la confiscation du poisson de pêche et de la farine du moulin. Il fallut l'intervention de Foulques de Mathefélon et d'Yvon de la Jaille pour départager l'objet du différend. Pour mettre , fin à des tourments renouvelés sans cesse, les dames de la Charité vendirent leur domaine de Montreuil aux moines de Saint-Aubin (1).

Aimery de la Jaille vivait dans ce milieu éminemment monastique. Le cartulaire de Saint-Aubin le qualifie « courageux guerrier d'une noble race ». Il s'était croisé, en 1146. Il avait, comme nous le verrons plus loin, fait la funeste campagne d'orient, sous Louis VII, avec son frère Yvon. Quoiqu'il fut « chevalier jeune encore », de l'aveu des moines, il rapporta de son voyage en Terre-Sainte, les germes d'une maladie incurable, la lèpre, dont il ressentit les premières atteintes, en 1150, peu après son retour à Montreuil. Les moines, médecins du corps comme de l'âme, lui prodiguèrent leurs soins, pour lesquels Aimery leur donna sa part de revenu du moulin de la Roche, indivis avec Robert-Yvon. Cependant, le mal s'aggravait; ni les remèdes, ni les prières n'amenèrent la guérison. Un an écoulé, Aimery de la Jaille quittait cette vie, revêtu de la bure du bénédictin, entouré, consolé par les moines de Montreuil, auxquels il laissait, par don testamentaire, le manoir où il résidait, avec les prairies, les bois, les terres cultivées ou non, le moulin, les serfs composant le domaine, à condition que des trois prêtres qui l'habiteraient, l'un

(1) Célestin Port, Dictionnaire historique de Maine-et-Loire, au nom Montreuil.


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d'eux célébrât tous les matins, pour le donateur, la Sainte Messe et l'Office des défunts. Aimery donnait en plus, aux moines de Saint-Aubin, sa métairie de Charray (1) et les prés de la Gilarderie, tout un magnifique héritage dont la disposition allait engendrer, entre les bénéficiaires de cette largesse et les héritiers naturels du défunt, de terribles querelles détaillées plus loin. Aimery de la Jaille, magnifié comme un héros, porté aux bras de six religieux, entouré d'une escorte de chevaliers, d'écuyers et d'hommes d'armes, fut déposé en grande pompe dans l'église de Montreuil et fut, après d'imposantes funérailles, inhumé sous la dalle où reposaient depuis peu, comme l'affirment les bénédictins, les restes de son père Geoffroy. Parmi les assistants, le prieur Girard, le moine Gaudin, Geoffroy Bourgevin, Philippe de Vern, Lisoie de la Chouannerie, Guy Affiébart, les nones Richilde et Hildegarde consentirent à faire poser leurs noms sur l'acte attestant ces événements, accomplis l'an 1151 (2) ;

4° Pierre, énoncé frère d'Aimery et d'Yvon de la Jaille, dans une lettre de l'évêque d'Angers relative à leur départ pour la Terre-Sainte, et frère de Foulques de la Jaille, dans un don fait par celui-ci à Nyoiseau (3), — Petrus de Jarlâ — fut témoin, vers 1140, avec Philippe de Saucoigné et Geslin de Saint-Michel, du don d'un muid de seigle, à prendre sur la métairie de la Rosière, par Renaud le Roux et sa mère Hermengarde, au profit de Nyoiseau (4). Ce Renaud, que nous retrouverons dans la compagnie des frères la Jaille, au départ de la seconde croisade, était le fils de Foulques du Plessis-Macé, qui l'avait intéressé, en 1129,

(1) Charey, hameau de la commune de Montreuil, sur un coude de la Mayenne.

(2) Cartulaire de Saint-Aubin, par le comte de Broussillon, t. II, page 154.

(3; D..Housseau, t. IV, n° 1141. (4) D. Housseau, t. IV,' n° 1152.


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dans une largesse faite à Saint-Nicolas, et par conséquent l'oncle des la Jaille (1). Pierre semble avoir consacré son existence au service du Saint-Sépulcre. Il ne revint pas avec ses frères, en France. En 1150, il était classé parmi les chevaliers du royaume de Jérusalem ; et c'est lui que nous retrouverons plus tard, au nombre des guerriers d'élite qui retardèrent, par de courageux efforts, le triomphe de Saladin en Palestine (2).

. VI. — YVON V, seigneur de la Jaille, dont un titre de Saint-Nicolas établit la filiation, en le disant fils de Geoffroy lequel était fils d'un autre Yvon (3), n'est connu que par le concours qu'il donna à la seconde guerre sainte prêchée par saint Bernard. Une lettre d'Ulger, évêque d'Angers, écrite au printemps de 1146, informe que Yvon de la Jaille, partant pour Jérusalem après avoir pris la croix dans la cathédrale d'Angers, est venu le trouver en son palais épiscopal accompagné de ses deux frères Aimery et Pierre, de Geoffroy Tendon et de Renaud le Roux ayant également pris la croix, et qu'il offrit au prélat et au Chapitre de SaintMaurice, en pure aumône, pour le salut de ses père et mère, le sien et celui de ses frères, la cession de l'église Saint-Martin-du-Bois (4), provenant de l'héritage paternel, dont il lui remit l'investiture à l'aide du bâton pastoral, déposé par Yvon sur le maître-autel, en signe d'engagement définitif. Ulger ajoute que, pour aider ces pieux croisés à subvenir aux coûteuses nécessités du voyage, il remit à Yvon et à ses frères, ainsi qu'à Geoffroy et à Renaud, qui partaient avec eux, la somme de trois cents sous. Le doyen, l'archidiacre, tous les titulaires du Chapitre de la cathédrale, étaient présents à cette négociation (5).

(1) D. Housseau, t. IV, n° 1504.

(2) L'Ouest aux Croisades, par M. de Fromont, p. 84.

(3) Histoire de Sablé, par Ménage, lre partie, p. 98.

(4) Saint-Martin-des-Bois, canton du Lion d'Angers, arrondissement, de Segré, Maine-et-Loire.

(5) D. Housseau, t. IV, n° 1726.


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On sait que la seconde croisade fut une des plus désastreuses campagnes que nos féodaux aient faites en Orient. La trahison des Grecs, les surprises et les attaques réitérées des Turcs, le passage du Méandre et la dispersion qui s'en suivit, le séjour pernicieux d'Antioche, les défaites de Laodicée et de Damas coûtèrent beaucoup de monde à l'armée conduite par Louis VII et la reine Aliénor. Ilsemble toutefois que les historiens ont exagéré nos pertes, si l'on en juge par la présence, après le retour en France, d'un grand nombre de personnages dont les actes avaient relaté le départ, et qui confirmèrent, postérieurement à la croisade, les fondations faites en but du voyage. Yvon dela Jaille et son frère Aimery furent de ceux qu'épargnèrent les grandes épreuves. Nous savons comment Aimery revint mourir à Montreuil, en 1151. Yvon s'était attaché, en Orient, par les liens de la confraternité d'armes, à l'un des principaux chefs croisés, Alain de Dinan, qu'il accompagna dans ses domaines, au nord de la Bretagne, où il demeura quelque temps. A la fin de 1149, Alain de Dinan, peut-être blessé, sans doute malade, mais revenu comme les autres au logis, donnait aux religieux de Lehon, modeste prieuré sous, le coteau en face son château, la permission de prendre du bois de chauffage dans la Haye de Dinan (in bosco meo quod Ahia de Dynan dicitur), et faisait attester sa libéralité par son frère Robert et par ses amis présents, Yvon de la Jaille, chevalier, Geoffroy fils Haimon, Geoffroy de la Boissière, Raoul d'Aubigny. Il scellait l'acte d'un placard rond présentant l'image d'un chevalier monté, vêtu d'une cotte de mailles adhérente au corps, sans robe, tête nue, le bras nu brandissant une épée, la main gauche ramenant un bouclier gigantesque sur la poitrine, les talons armés de prodigieux éperons (1). Tel le costume dans lequel on peut se

(1) Marmoutiers, ms. lat. 5441/3, p. 204.


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figurer Yvon de la Jaille et ses compagnons poussant une charge contre les Sarrasins.

Chevillard donne pour femme à Yvon V, Helwige de Châteaugontier (1), sans dire à quelle source il a puisé ce renseignement (2). L'alliance est possible, mais elle ne produisit pas de rejetons, car on voit, en 1152, 1155 et 1163, la succession d'Aimery, frère d'Yvon, revendiquée par les enfants de l'oncle (patrui) de ces deux seigneurs, dont les droits eussent été primés par ceux de neveux au premier degré, s'il en eut existé.

VII. — FOULQUES I de la Jaille, fils puîné de Geoffroy II et de Mendique du Plessis-Macé, fut seigneur de Segré, par succession paternelle, et devint seigneur de la Jaille après la mort de son frère aîné, Yvon V, décédé à une date voisine de l'an 1150. Les titres de l'abbaye de Nyoiseau le nomment fréquemment ; mais, comme ils ne sont pas datés, nous sommes réduits à cataloguer les dons de ce seigneur de Segré, dans l'ordre présenté par les copistes.

1° Fulco de Jaelliâ donne à Sainte-Marie de Nyoiseau, trois setiers et demi de seigle à prendre, chaque année, à la fête de la Bienheureuse-Marie, dans ses moulins, et six deniers de rente pour son salut, douze pour celui de Philippe le Roux ; témoins Pierre de la Jaille et Bernard de Bouillé (3).

2° Fulco de Jarlâ donne à Nyoiseau six sous de cens à toucher au château de Segré, le dimanche des Rameaux, chaque an, et la dîme de ses moulins du même lieu. Plus tard, sa femme Agnès, ayant voulu quitter la vie séculière pour entrer dans ce monastère recherché des femmes de qualité, il offrit, pour son admission, dix sous de rente à

(1) Châteaugontier, armes : d'argent à trois chevrons de gueules.

(2) Histoire de la Maison de Beauvau, par Chevillard. Bibl. nat. ms. franc. 16795.

(3) D. Housseau, t. IV, n° 1106.


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prélever, par moitié, sur les moulins de la Jaille et sur les moulins de Daon (1), plus la dîme des moulins-tannerie de Segré, en présence de ses frères Yvon et Pierre de la Jaille, de son cousin Philippe de Saucoigné, avec l'approbation du jeune Yvon, fils d'Agnès et du donateur (2).

3° Fulcodius de Jalleiâ fut témoin avec Philippe de Saucoigné, Renaud et Olivier de Bouille, Pierre de Campiré, alors sénéchal du château de Segré, d'un don de terrains fait à l'abbesse Aremberge, deuxième supérieure de Nyoiseau, par Guillaume de la Guerche, puîné de Chateaubriand (3).

A l'occasion de la promotion d'Adélaïde de Craon (Alice de la Jaille, d'après l'obituaire) troisième abbesse de Nyoiseau, Fulco de Jalleia et Philippe de Saucoigné, neveux d'Adélaïde, satisfaits de tant d'honneur (gaudentes honoris ejus) et voulant l'enrichir, lui assurèrent, le premier, trois setiers et une mine de seigle, avec dix deniers de rente à prendre, en deux termes, au château de Segré, chaque année, le second, deux setiers de seigle sur sa dîme de Fiée (4).

Après la mort d'Agnès, sa première femme, arrivée vers 1150, Foulques de la Jaille avait épousé sa cousine germaine Thiphaine de la Jaille (5), fille aînée de Guichart, l'un des frères de Geoffroy II, père de Foulques, et d'une dame nommée Laure que nous ferons connaître en son lieu. Aimery de la Jaille, encore vivant, avait promis en dot à Thiphaine la métairie de Charray, qu'il donna, le jour de

(1) Daon en amont de la Jaille-Yvon, sur la Mayenne; ces moulins furent appelés au moyen-âge, moulins de la Haute et Basse-Jaille (Dictionnaire de la Mayenne, par l'abbé Angot).

(2) D. Housseau, t. IV, n° 1141.

(3) D, Housseau, t. V. n° 1658: Beaudouinus, faute de copiste pour Fulcodius.

(4) D. Housseau, t. V. no 1809.

(5) La Jaille, armes anciennes : vairé contrefaire plein, d'après un sceau de 1211.


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son décès, au prieuré de Montreuil. Foulques n'approuva point cette générosité qui le dépouillait, car son nom ne figure pas au bas de l'acte de concession dont nous avons reproduit les termes. Il se tint cependant à l'écart de contestations qu'il ne jugea pas dignes de sa haute position. Puis, quand tout parut arrangé, en 1155, il se mit à élever des réclamations sur Charray, cette ferme qu'il avait acceptée en prenant Thiphaine pour femme : excitatus est contra monachos quidam miles Fulco de Jallia qui Theophainam filiam Lore primogenitam duxerat in marilagium. Après quelques tiraillements — mulloties monachos inquielavit, — il fit la paix — tandem pax diremit — et il reconnut la juste possession des religieux devant André de la Jaille, Lucas de Suivre, Souhait de la Chapelle, Pierre de Vern, Béatrix, femme de Philippe de Saucoigné et la mère de ce dernier, Aremberge de la Jaille (1).

Il est probable que Foulques I se laissa entraîner dans les complots fomentés à plusieurs reprises par les barons angevins, contre Henri II, roi d'Angleterre, lorsqu'il devint comte d'Anjou. La répression fut toujours très sévère. La maison de la Jaille y perdit le domaine de Segré remis, après 1162, aux sires de la Guerche (2), qui le revendiquèrent, avec succès, même contre la reine Bérengère à qui Richard jugea opportun de la donner en douaire (3). Ni les la Jaille, ni les Châteaugontier ne récupérèrent Segré par la suite. — Veuf une seconde fois et privé du principal de ses biens féodaux, Foulques de la Jaille, après avoir assisté aux obsèques de Renaud V de Châteaugontier, mort vers 1180 (4), se retira en Terre-Sainte, où l'appelait sans doute

(1) Cartulaire de Saint-Aubin, publié par Broussillon (L/2 K, 4294 t. II, p. 156.

(2 et 3) Célestin Port, Dictionnaire historique de Maine-et-Loire, au mot Segré.

(4) D. Housseau, t. V, n° 1883.


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son frère Pierre, toujours au service du royaume de Jérusalem. Malgré son âge avancé, il entra dans la milice du Temple. Il prit une part glorieuse aux luttes ultimes de la chrétienté contre les Musulmans. En 1184, à Jérusalem, frère Foulques de la Jaille et plusieurs autres Templiers et Hospitaliers composaient, avec quelques chevaliers au nombre desquels sont nommés Pierre de la Jaille et Geoffroy Tyel — celui-ci petit-fils de Foulques — le groupe de guerriers qu'André de Vitré conduisait, sous la bannière du comte de Tripoli, contre le fameux Saladin, forcé cette fois de lever le siège de Karrac et de battre en retraite sur Damas (1). Il est à croire que Foulques périt, avec la plus grande partie de son entourage, dans la funeste journée de Tibériade, hécatombe des Templiers, en juillet 1187. On lui connaît deux fils :

1° Yvon, qui ne laissa pas de postérité;

2° Geoffroy, qui continua la race.

Cet Yvon, dit de Saint-Vincent, était adulte quand sa mère entra à Nyoiseau pour le reste de ses jours. Il avait suffisamment connaissance de ses actes, pour que son acquiescement fut requis à la dotation faite par son père à Agnès. C'était en 1140 environ (2). Yvon, élevé au château de Segré, fut reconnu, du vivant de son père, seigneur dominant dans la paroisse de Saint-Vincent (3), dont, pour cette cause, on lui attribua le nom, selon un usage répandu alors. Sur ce petit apanage, Guichart de la Jaille, dit du Lion pour un motif analogue, et Robert-Yvon, oncles de Foulques, avaient des possessions vassales, dont ils ne pouvaient disposer sans l'autorisation d'Yvon, comme le

(1) Reproduction photographique d'une curieuse, charte d'André de Vitré, à Jérusalem, publiée dans le Bulletin historique et philologique de 1899.

(2) D. Housseau, t. IV, n° 1141.

(3) Saint-Vincent, hameau de la commune de Segré (Maine-et-Loire) à 3 k. n. de la ville.


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font voir les titres de leurs fondations pieuses. Ils étaient tenus au service de garde dans la forteresse de Segré, dont le receveur nommé Rosselin (Rosselinus vicarius de castro Segredi) devait également obtenir l'approbation d'Yvon de Saint-Vincent, fils de Foulques et d'Agnès, pour disposer de ses biens. Quelques années plus tard, vers 1150, les possessions de l'abbaye de Nyoiseau s'étant accrues autour de Segré, l'abbesse demandait et obtenait qu'elles fussent garanties par Yvon, le fils de cette Agnès qui venait de décéder religieuse dans la maison. Yvon obtenait de son côté l'association aux prières des nones. Plus tard, on constate de nouvelles acquisitions sur des terrains situés dans le voisinage de l'église de Saint-Vincent de Segré, relevant en fief d'Yvon de Saint-Vincent et de Geoffroy, son frère, pour six sous de cens à payer leur vie durant. Cette redevance fut reconnue éteinte à la mort d'Yvon, par ses héritiers qui étaient ses neveux. Yvon, mort avant son père, n'a jamais porté le nom de la Jaille, bien que sa filiation soit certaine (1).

VIII. — GEOFFROY III, seigneur de la Jaille, après le départ de son père pour la Terre-Sainte, c'est-à-dire vers 1180, portait le surnom de Téhel qui semble provenir d'un parrainage de la Maison de Chateaubriand, dont quelques membres se distinguèrent par ce prénom celtique. Les la Jaille avaient, depuis quelques années, fondé, avec les Chateaubriand, ces relations étroites que devait cimenter plus tard une alliance : on le voit par la présence de Foulques de la Jaille, à Pouancé, chez Guillaume de la Guerche, cadet de cette illustre Maison, lorsque ce dernier enrichit Nyoiseau de quelques parcelles de son domaine, sous l'abbesse Aremberge, vers 1150 (2). Ce rapprochement vient

(1) Nombreux titres de l'ab. de Nyoiseau : D. Housseau, t. IV, passim.

(2) D. Housseau, t. V, n° 1658.


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à l'appui de l'opinion des généalogistes qui voient, dans notre Geoffroy, un seigneur de Saint-Michel-du-Bois, vassal de Pouancé, continuateur des relations de son père avec ces puissants feudataires bretons. Nous ferons valoir plus loin les arguments qui militent en faveur de cette situation, résultant, croyons-nous, de l'union de Foulques avec la fille et l'héritière du seigneur de Saint-Michel, cette Agnès qu'il eut pour première femme.

Au dire de du Pas, Geoffroy Téhel aurait été seigneur ou plutôt gouverneur de Moustiers, forteresse située entre Pouancé et la Guerche, et comme tel « l'homme » de Guillaume de Chateaubriand, sire de la Guerche. C'est au nom de ce suzerain qu'il aurait donné asile, dans sa forteresse, à André et Robert de Vitré en guerre avec Conan, comte de Bretagne, en 1158 (1). C'est principalement aux environs de Craon que se montre Geoffroy Téhel, un des fidèles de l'abbaye de la Roë (2), fondée au milieu des bois par Robert d'Arbrissel, au début du XIIe siècle. Son nom figure parmi les attestations accordées aux acquisitions nombreuses de l'abbé Michel, et principalement aux dons des habitants de toute la châtellenie. La raison en est que Geoffroy avait épousé la fille de Barthélémy de Craon, peut-être puîné de la Maison de ce nom, dont ce mariage l'aurait rapproché davantage. Sa femme était soeur de Tison de Craon (3), soeur aussi de Garin des Moustiers, mari d'Elisabeth de la LandeBalisson, proche parente des seigneurs de Saint-Michel de la Roë, avec lesquels Elisabeth avait une communauté d'intérêts dans la paroisse de Saint-Michel (4).

(1) Histoire de plusieurs familles illustres de Bretagne, par le frère Augustin du Pas. Paris, 1620, L/m2, 23, article Chateaubriand.

(2) La Roë, commune de,Saint-Aignan-de-la-Roë, canton de Craon, arrondissement de Châteaugontier, Mayenne.

(3) Tison de Craon, armes : une bande à bordure tréflée, selon un sceau de 1206.

(4) Saint-Michel-de-la-Roë, commune de Saint-Aignan, canton de Craon, arrondissement de Châteaugontier.


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Garin des Moustiers (Garinus de Monasteriis), non moins dévot qu'Elisabeth et tous les siens, voulut, avec l'approbation de celle-ci, donner à l'abbé Michel, l'église de SaintSauveur de Fiée (1), partie du domaine de sa chère épouse. Tison de Craon, son frère, Agnès, femme de Tison, Bernard de Saint-Michel, parent d'Elisabeth, approuvèrent cette disposition. Il n'en fut pas de même de Geoffroy Téhel, beau-frère de Garin, qui disputa cette acquisition aux moines les armes à la main. Il revendiquait, en outre, une part de l'héritage de son beau-père, Barthélémy, dont il n'avait pas eu livraison. La diplomatie des moines eut bientôt raison de ces rigueurs ; Geoffroy indemnisé, permit aux bénédictins de prendre l'église de Flée, et laissa la terre de Choussignon à Garin des Moustiers, jusqu'à sa mort (2). Mais la querelle devait être reprise par Pierre, fils de Geoffroy Téhel, et poussée à l'état aigu.

L'acquisition de l'église de la Prévière (Piparia), près Pouancé (3), par l'évêque d'Angers, Raoul (1177-1197) eut pour témoins et pour garants Robert de Craon, Barthélémy de Châteaugontier et Geoffroy de la Jaille (4). Le nom porté par celui-ci, dans cette circonstance, prouve bien qu'il détenait alors le fief des aînés de la Maison. On doit également conclure des positions établies par ce titre, que Geoffroy de la Jaille possédait la seigneurie de Saint-Micheldu-Bois (5), dont le voisinage de la Prévière, au sud de

(1) Saint-Sauveur-de-Flée, canton et arrondissement de Segré, à 21. n-o. de cette ville.

(2) Cartulaire de la Roë. Bibl. nat. ms. nouv. acq. lat. 1227, pages 226, 227, 232, 233.

(3) Pouancé, chef-l. de canton, arrondissement de Segré, Maine-etLoire, frontière du département de la Loire-Inférieure.

(4) Archives d'Anjou, par Marchegay, t. II, p.. 97.

(5) Saint-Michel et Chanveaux, canton de Pouancé, arrondissement de Segré, Maine-et-Loire. Il ne faut pas confondre ce lieu, ainsi que l'a l'ait l'abbé Angot, dans son Dictionnaire de la Mayenne, t. III, p. 644, avec Saint-Michel-de-la-Roë qui n'a jamais appartenu aux La Jaille,


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Pouancé, explique sa présence sur les lieux. Dire comment Saint-Michel-du-Bois vint à Geoffroy de la Jaille, sort du domaine des constatations certaines. Notre avis est que sa mère, Agnès, était fille unique d'un Geslin de Saint-Michel, que nous vîmes attester une donation avec les la Jaille, ce qui prouve leurs relations. On retrouve Geslin de la Jaille, petit-fils de Geoffroy Téhel, possesseur de Saint-Michel-duBois, en 1208, ce qui prouve que ce fief était, comme un bien maternel, héréditaire pour les cadets.

Geoffroy III eut quatre fils :

1° Yvon, qui suit ;

2° Pierre, dit des Moustiers, lieu probable de sa naissance, énoncé frère d'Yvon de la Jaille dans un don de ce dernier à l'abbaye de la Vieuxville, en 1179 (1), et qui est déclaré, dans les titres de la Roë, fils de Geoffroy Téhel, neveu et héritier de Garin des Moustiers (2), dont la veuve, Elisabeth, était remariée à Hovin, personnage qui s'entendait trop bien avec Pierre des Moustiers pour molester les pauvres moines de la Roë.

Pierre contestait le don de l'église de Saint-Sauveur de Flée, partie de l'héritage de Garin, son oncle. Il la reprit par violence, en chassa les desservants et la fit garder par ses vassaux, à leurs risques et dépens. Ni conseils, ni prières, ni propositions ne le ramenèrent à la raison. L'abbé Michel le fit citer au tribunal de l'évêque de Rennes, Etienne (1168-1178). Il s'y présenta cuirassé, éperonné, l'épée au flanc. Malgré le respect dû à l'assistance, il s'emporta, menaça l'abbé Michel des pires représailles. Il fut excommais

excommais une famille de Saint-Michel, dont on suit les traces, sur ce point, jusqu'au milieu du XIIIe siècle comme le fait voir un don de Robert de Saint-Michel sur des dimes prélevées « in parochia sancli Michaëli de Bosco prope Rotam » (Archives départ., Maine-et-Loire, série G. 338, fol. 11).

(1) Histoire de Bretagne, par D. Maries, preuves, t. I, col. 678.

(2) Moustier, canton de la Guerche, arrondissement de Vitré, Ille-etVilaine.


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munie. Pierre des Moustiers demeura longtemps sous les foudres .... et puis le remords vint. Il convoqua l'abbé et les moines devant le doyen de la Guerche et les remit en possession de l'église de Flée, moyennant quarante sous d'indemnité. Les deux frères de Pierre, Yvon de la Jaille et Geoffroy Téhel approuvèrent la restitution. Ils promirent, avec Pierre, de ne rien entreprendre pour y contrevenir (1). Pierre fut père de :

a. Yvon, dit des Moustiers, seigneur de la Jaille après 1200, dont l'article viendra ;

b. Gosselin ou Geslin, nommé dans le testament de Maurice de Craon, partant pour la Terre-Sainte en 1190, et fondateur de la branche de Saint-Michel, rapportée plus loin .

3° Geoffroy, dit Téhel ou Tyel, énoncé frère d'Yvon de la Jaille et de Pierre des Moustiers, dans l'acte d'un don passé au profit de l'abbaye de la Vieuxville, en 1179, donc le troisième fils de Geoffroy de la Jaille, dit. Téhel, dont il a été fait mention au numéro VIII. Jeune homme, il accompagna son aïeul Foulques en Palestine, entra dans l'ordre du Temple et signa immédiatement après frater Fulco de Jallia, la charte de donation d'André de Vitré, datée de" Jérusalem, en 1184. Il prit part à la campagne de Karrac contre Saladin et mourut outre mer ;

4° Guerrif, également énoncé dans l'acte concernant la Vieuxville (2) comme frère d'Yvon de la Jaille, et dont on ne trouve pas autre trace.

IX. — YVON VI, seigneur de la Jaille, fils aîné de Geoffroy III, occupa une situation des plus distinguées à la cour d'Anjou-Bretagne, formée par l'union de Constance, héritière de Conan IV, avec Geoffroy, comte d'Anjou, fils du roi Henri II d'Angleterre. Dès l'an 1179, il

(1) Cartulaire de la Roë, ms. n. a. lat. 1227, p. 239.

(2) Histoire de Bretagne, par D. Morice, preuves, t. I, col. 678.


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faisait partie de la Maison de Geoffroy d'Anjou, lorsqu'avec ses frères Pierre des Moustiers, Geoffroy Téhel et Guerrif, il fit don à l'abbaye de la Vieuxville, près Nantes, de.tout ce qu'il possédait dans la dîme de la Hérelle, en présence de plusieurs seigneurs bretons et angevins. Le duc Geoffroy confirma et scella ce don (1).

Yvon de la Jaille est le premier témoin d'un acte de confirmation de don à l'abbaye de Savigny, en 1185, approuvé, à Rennes, par le même duc de Bretagne, Geoffroy, fils du roi Henri II, en présence de plusieurs dignitaires de la Cour (2). Après la mort prématurée de ce prince, auquel il témoigna son dévouement par la fondation d'une rente en grains, octroyée à l'abbaye de la Vieuxville pour le salut de l'illustre défunt, le sire de la Jaille resta le conseiller intime de la duchesse Constance, et soutint énergiquement sa cause contre lés empiètements du roi d'Angleterre. Les barons ayant expulsé le comte de Cheister, imposé par Henri II comme époux à Constance, Yvon de la Jaille fit partie, avec le vicomte de Thouars et Guy de Thouars, celui-ci accepté pour mari par la duchesse, avec Guillaume de Chateaubriand, Guillaume de Fougères, Renaud de la Chapelle et quelques prélats, du conseil de régence et de tutelle chargé de l'administration du duché pour le jeune Arthur, héritier de Geoffroy. En 1190, à Angers, devant ces personnages, Arthur, duc de Bretagne et comte d'Anjou, âgé de quatre ans, amené par sa mère Constance à l'HôtelDieu de cette ville, donnait à cet établissement le droit de recueillir du bois de chauffage dans toute la vallée de la Maine : solennelle aumône instituée pour le, salut des âmes du roi Henri « son bon aïeul » et du duc Geoffroy, son défunt père (3). C'est que le sire de la Jaille et les seigneurs susnommés accompagnaient toujours Constance à Angers

(1) Histoire de Bretagne, par D. Morice, preuves, t. I, col. 678.

(2) Cartulaire de Savigny, pièce reproduite par D. Morice, ut supra.

(3) Histoire de Bretagne, par D. Morice, preuves, t. I, col. 704 à 730.


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« où elle se plaisait », paraît-il (1). Yvon de la Jaille et Geoffroy de Chateaubriand voyageaient encore avec la princesse, en 1192, quand il plut à celle-ci d'établir à Saint-Malo, un marché dont le péage fut versé au trésor de la cathédrale (2). En 1193, la Jaille adhéra à la ligue formée par les Chateaubriand et quelques seigneurs nantais dans le but de protéger le jeune Arthur contre les entreprises de son oncle, le roi Richard ; et, dans le château de Nantes, il contrôlait des actes au bas desquels son nom figure avec ceux de Maurice de Craon, sénéchal de Bretagne, Rougé, Goulaine, Varades et autres conseillers composant le ministère de la régence (3). L'année suivante, dans la maison de Judicaël, à Guérande, Constance distribuant des largesses à l'abbaye de Buzay, avait auprès d'elle les évêques de Vannes et de Saint-Malo, Alain de Dinan devenu son sénéchal, Guillaume de Lohéac, Geoffroy de Chateaubriand, Yvon de la Jaille (4).

Dans son testament daté de 1196, André de Varades déclare qu'il a nommé exécuteurs de ses bonnes oeuvres Yvon de la Jaille, Olivier de Châteaufromont, Hugues de Montejean, mais qu'il compte particulièrement sur le sire de la Jaille et le vicomte de Thouars pour distribuer ses aumônes, toucher les revenus de ses terres, acquitter ses dettes, marier sa fille à un honnête homme (5).

Vers le même temps, Yvon VI gratifiait l'abbaye de la Melleraye, fondée en 1132, entre Nantes et Chateaubriand, de quelques dons destinés à le faire considérer comme un des bienfaiteurs de cette église. D'abord, il avait souscrit, devant l'évêque Maurice de Blason (1184-1198) une libéralité d'Eudes de Pontchâteau. Puis il fit la cession d'un

(1) Histoire de Bretagne, par D. Lobineau, t. I, p. 175.

(2) Histoire de Bretagne, par D. Morice, preuves, t. I, col. 704 à 730.

(3) Histoire de Bretagne, par D. Morice, preuves, t: I, col. 704 à 730.

(4) Histoire de Bretagne, par D. Morice, preuves, t. I, col. 704 à 730.

(5) Histoire de Bretagne, par D. Morice, preuves, t. I, col. 704 à 730.


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champ de vigne situé à Angers, dans l'ancien fief « messire Berlay de Montreuil », cession approuvée par sa femme, qui n'est pas nommée, pendant un séjour dans un logis qu'ils avaient à Chalonnes (1), où se trouvaient avec eux Geoffroy du Teil, Olivier de Rougé, Guillaume Mabon, Mathurin de Bains, Renaud de la Chapelle. Peu après, Yvon se rendit à la Melleraye où il déposa l'acte de don, après l'avoir fait approuver par Bonabes de Rougé, qui était, paraît-il, « son suzerain et son ami » (2). L'acte en question fut revêtu du sceau du donateur, première expression d'un emblème héraldique dans la famille. Dom Morice nous en a transmis l'empreinte : un grand placard rond contenant une croix frettée, c'est-à-dire sillonnée de losanges, avec la légende circulaire : Sigillum Ivonis Jatte (3).

Yvon de la Jaille avec Châteaugiron, Beaumont, Tourneham sénéchal d'Anjou, et Guillaume Richer, s'était porté garant de l'accord passé, le 14 juin 1198, entre André de Vitré et Guillaume de la Guerche, touchant certain hommage et service de guerre dû par celui-ci au château de Vitré. Des troubles avaient agité ces deux maisons. D'autre part, le sire de Vitré avait eu de graves dissentiments avec le nouveau comte de Bretagne, Guy de Thouars, troisième époux de Constance, qui avait confisqué le domaine d'André. Sous l'arbitrage d'Yvon de la Jaille, le domaine fut restitué par Constance, et les susceptibilités du sire de la Guerche furent apaisées. Cette double intervention s'expliquera si nous admettons, avec Chevillard, que le sire de la Jaille avait pour femme Anne de Vitré (4), fille d'André et d'Anne de Mortagne (5), alliance illustre mais sans profit, car elle ne laissa point de rejetons.

(1) Chalonnes, sur la Loire, à 6 1. en aval d'Angers, Maine-et-Loire.

(2) Dom Villevieille, ms. fonds français 31931, au nom Jaille.

(3) D. Morice, preuves, t. I, col. 727, 730, et sceaux pl. 12.

(4) Vitré, armes : de gueules au lion d'argent rampant.

(5) Histoire de la Maison de Beauvau, Bibl. n. ms. français 16795.


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Le duc Arthur grandissant chevauchait escorté de ses hauts barons. Yvon de la Jaille le suivait, en 1199, au Mans, où il mit son seing sur la charte de fondation d'une rente offerte par le prince à Saint-Julien, pour la célébration des anniversaires du duc Geoffroy de Bretagne et du roi Henri Plantagenet (1). Enfin, en 1201, date extrême de son existence, Yvon VI assista à la fondation de l'abbaye de Villeneuve, installée sur les dépendances de Buzay, près Nantes, par la duchesse Constance et le comte Guy, son époux (2).

Nous ne pensons pas que ce fut cet Yvon de la Jaille qui fit, en 1202, le voyage d'Orient dont nous parlerons plus loin, mais que ce fut son successeur. Il n'est pas admissible, qu'un des serviteurs les plus dévoués d'Arthur de Bretagne ait quitté ce prince, au moment où sa destinée se jouait sur les champs de bataille. Si les chroniqueurs ne citent pas le nom de la Jaille parmi les prisonniers de Mirebeau et les victimes de Jean-sans-terre , c'est que le sixième Yvon des seigneurs de la Jaille était décédé.

X. — YVON VII, seigneur de la Jaille au début du XIIIe siècle, était le neveu et le successeur du précédent. Dans une lettre de Jean, évêque de Dol, datée de 1201, énumérant plusieurs dons faits à l'abbaye de la Vieuxville, sous sa garantie, est mentionnée la cession de la dîme de la Hérelle par Yvon de la Jaille, reconnue et sanctionnée par Yvon des Moustiers, neveu et successeur de ce seigneur — ex dono Ivonis de Jallia .... concedente Ivone de Monasteriis nepote suo qui haeres ipsius erat » (3). Cet Yvon était donc le fils de Pierre des Moustiers, qui avait, avec son frère Yvon, coopéré, en 1179, au don de la dîme de la Hérelle à la Vieuxville. On ne peut trouver une succession collatérale mieux établie.

(1) Archives dép. de la Sarthe, titres de la cathédrale du Mans.

(2) D. Morice, preuves, t. I, col. 786.

(3) Histoire de Bretagne, par D. Morice, preuves, t. I, col. 785.


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Cependant, les croisades se succédaient avec d'autant plus d'urgence et de nécessité, que la chrétienté perdait plus de terrain en Palestine. Beaucoup de gentilshommes avaient pris la croix en 1199, à la voix du moine Harloin prêchant ès cités et ès châteaux avec insistance. Au printemps de l'an 1202, les pèlerins, après avoir essuyé « mainte larme plorée au départir de lor païs et de lor gens », se dirigèrent sur l'Adriatique, où le Doge de Venise offrait l'embarquement. La concentration devait se faire sur ce point ; mais les exigences des Vénitiens écartèrent un groupe important de croisés, qui descendirent au sud de l'Italie, pour s'embarquer à meilleur compte. On cite parmi ceux-ci Etienne, comte du Perche, Yvon de la Jaille, Rotrou de Montfort, Geoffroy de Beaumont. Ils gagnèrent la Pouille « et passèrent au passage de Mars en Syrie » 1203. Leurs compagnons d'armes restés à Venise blâmèrent ces « lâcheurs » ; mais ceux-ci ne regrettèrent pas leur détermination, quand ils sûrent que le Doge Dandolo avait détourné l'armée des croisés sur Zara, pour la lancer à la conquête de Constantinople (1).

A Saint-Jean-d'Acre, cependant, nos croisés apprennent que certaine trève s'oppose à leurs projets belliqueux. Ils en ressentent du dépit. Les difficultés de la vie leur rendent l'attente impossible. A tout risque, on décide de se porter sur Antioche. Après quelques jours de marche, l'armée chrétienne arrive devant Laodicée dont le seigneur, bien que musulman, fait aux chevaliers francs lé meilleur accueil et leur fournit des vivres en abondance. Puis il reçoit les chefs dans son palais et les dissuade de poursuivre la campagne, les informant que toute la contrée est garnie de forces imposantes. Mais nos chevaliers veulent partir. — « Je vous conduiray en sauveté sur ma terre, leur dit l'hôte généreux, mais sachez qu'aussitôt que vous en serez sortis, vous serez

(1) Chroniques, de Villehardouin, ch. 29 ; Bernard le Trésorier p. 264.


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pris, car on vous guette ». En effet, les chrétiens ne sont pas plus tôt entrés en territoire ennemi qu'ils sont attaqués, et, vu leur petit nombre, enveloppés et faits prisonniers, en sorte que « ceste force de soy bonne s'en alla à néant en fumée, et périt ceste entreprise pleine de zèle » (1). Beaucoup perdirent vie ; plusieurs chevaliers se rachetèrent à grosse rançon qui revinrent en leurs seigneuries : Yvon de la Jaille était de ces derniers. Un titre de Saint-Serge démontre qu'il vivait encore dix-huit ans plus tard : Ivo de la Jale, pour le salut de son âme, pour le salut de sa femme Hortense (Hortensia), et celui de tous ses héritiers, concéda au prieuré des Grez (2), dépendance de cette abbaye, les libéralités que feu Jean Erraut, son vassal, habitant les Grez, avait faites à cette communauté, lesquelles consistaient en dîmes achetées à Geoffroy Charbonnel, autre vassal d'Yvon ; et, pour que ses chevaliers, ses hommes de service et ses sujets, non moins que ses héritiers n'y pussent contrevenir, Yvon scella sa reconnaissance, l'an 1220, d'un sceau malheureusement perdu (3).

Par un testament dont la date n'est pas connue, Yvon VII, seigneur de la Jaille, avait institué une fondation de trois chapelains au prieuré de Machefrotte (Mansifrotte) (4) que ses ancêtres avaient créé dans une des gorges les plus sauvages de la forêt de Flée. Pour décider les moines à s'enfermer dans l'épineuse thébaïde, Yvon leur avait fixé des revenus sur les dîmes de blé de son domaine de la Jaille et sur celles qu'il faisait amasser au hameau du Chevreuil (5), près Segré. Après lui, il arriva que sous un prétexte qui n'est pas sans exemple à cette époque, les

(1) Bernard le Trésorier, p. 265.

(2) Grez-Neuville, sur la Maine, canton du Lion, arr. Segré, M.-et-L.

(3) Cartulaire de Saint-Serge d'Angers, Bibl. n. ms. latin 5446, p. 121.

(4) Machefrotte, ham. de la com. de Saint-Sauveur de Flée, à 2 1. n. de Segré.

(5) La Chèvrie, hameau de la commune de Segré, Maine-et-Loire.


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agents du fisc royal saisirent une partie de ces dîmes. Les rentes destinées aux ermites de Machefrotte se trouvèrent « tombées en la main du roi », et les pauvres religieux mouraient de faim, vu que les obligataires se refusaient à subvenir autrement à leurs besoins. Enfin, l'an 1244, un accord fut passé entre l'abbé de la Roë, dont ce prieuré dépendait, et les exécuteurs testamentaires du dernier seigneur de la Jaille, en vertu duquel les susdits chapelains durent recevoir, pour leur entretien annuel, une part suffisante des dîmes de blé recueillies aux moulins de la Jaille, après que le curé de La Jaille-Yvon aurait prélevé sur les mêmes dîmes, trente setiers de blé (1). — Arrêtonsnous un instant sur ce texte, en notant que, pour la première fois, nous trouvons le lieu féodal et primitif de la Jaille-sur-Mayenne, qualifié du nom de la Jaille-Yvon, qu'il portera dorénavant. Nous verrons que cette désignation était alors devenue nécessaire par suite de la création du lieu seigneurial de la Jaille-en-Noëllet, dont il fallait le distinguer.

C'est par Yvon « vivant en 1200 » que Frère Augustin du Pas, prétendant n'avoir point trouvé de documents antérieurs, commence la généalogie des seigneurs de la Jaille, dont la maison, dit-il, « a tousiours esté estimée l'une des plus nobles et illustres du païs d'Anjou » (2). A cette époque, on l'a vu, elle était ancienne dans la province, et tellement connue, et tellement signalée par ses services, par sa fortune, qu'on la plaçait au premier rang dans la noblesse angevine, ainsi que le démontrent les faits qu'on lui attribue et les alliances qu'elle a contractées.

Frère du Pas raconte, avec l'accent sincère de la vérité, que « visitant le thrésor des chartes de Châteaubriant, l'an

(1) Archives dép. de la Mayenne, série H, abbaye de la Roë, reg. 163.

(2) Histoire généalogique de plusieurs maisons illustres de Bretagne, par frère Augustin du Pas, Paris, 1620. Bibl. n. imp. L/m 2, 23, pages 333 et suivantes.


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1602 », il a « rencontré un acte duquel il a appris que Yvon de la Jaille, seigneur dudit lieu, qui vivait l'an 1200, eust deux fils, l'aisné appelé Foulques, et est, dans l'acte, honoré de ce beau titre latin miles, qui est à dire qu'il estoit chevalier », l'autre appelé Nicolas.

Betenant l'affirmation si bien documentée de du Pas, nous donnons pour fils à Yvon VII : — 1° Foulques, seigneur de la Jaille-en-Noëllet, domaine par lui fondé près Saint-Michel-du-Bois, auquel il donna son nom, connu dès 1210 et 1212, par des querelles avec l'abbé Geoffroy, de Saint-Serge, à qui, pourtant, il avait témoigné de meilleurs sentiments, en assistant, avec Pierre de la Ferrière et Pierre d'Orveaux, à l'installation de ses moines, dans la chapelle du château d'Iré, par Renaud et Guillaume, seigneurs du lieu (1). Mais après qu'il eut épousé la fille du seigneur de Combrée, il se targua de prouver que ses ancêtres, lorsqu'ils possédaient Segré, avaient à tort donné l'église de Combrée aux bénédictins de Saint-Serge, et violemment il la saisit et fit sienne avec tous les émoluments qu'elle produisait, dîmes, offrandes, casuel, quêtes etc. Or, il fut démontré que cette église, jadis cédée aux bénédictins par les seigneurs de Vern, avait obtenu de ceux de Segré, ancêtres de Foulques, une approbation absolue de sa destination nouvelle. Foulques, après avoir quelque temps méprisé les remontrances de l'abbé de Saint-Serge, finit par renoncer à une abusive usurpation. Il remit l'église de Combrée aux mains de l'abbé Geoffroy, et lui apporta la renonciation des exigences élevées par ses frères Geoffroy, clerc, Philippe et Nicolas (2).

Foulques, chevalier, servit la maison de Bretagne sous Guillaume de Thouars, seigneur de Candé, neveu de Guy

(1) Le bourg d'Iré, entre Segré et Combrée, arrondissement de Segré, Maine-et-Loire.

(2) Cartulaire de Saint-Serge, ms. lat. 5446, p. 113 et 210. D. Villevieille, fr. 31931.


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de Thouars, troisième mari de la duchesse Constance. Il est probable que ces services datent du temps où les Bretons s'unirent aux Angevins, pour lutter contre le roi d'Angleterre, et qu'ils se signalèrent au cours des campagnes dirigées par le comte Guy contre les forteresses de Normandie. En 1212, Dominus Fulco de Jallia était témoin, avec Alain de Saint-Michel, son cousin, d'un don de trois cents sous de rente accordé par Guillaume de Thouars à Chotard de Vritz (1), au bourg de la Suze (apud Sursam), à peu de distance du Mans, c'est-à-dire en pleine chevauchée contre Jean-sans-Terre (2). Le même Guillaume de Thouars, satisfait du concours des la Jaille en diverses expéditions, assigna à notre chevalier, tant pour le récompenser de ses bons services que pour le retenir sous sa bannière, une rente dé douze livres (3) à prendre sur le péage de Candé (4).

Ces positions, particulières à Foulques II de la Jaille, nous fixent dans un centre nouveau. Nous avons constaté, jusqu'ici, la transmission régulière, à tous les aînés de la race, du fief principal fondé par le premier des Yvon. Foulques, décédé avant son père, ne détint pas la motte féodale de la Jaille-sur-Mayenne ; il était, par son père, Yvon des Moustiers, issu des cadets de la famille. Or, ceuxci, nous le savons, avaient hérité de biens maternels considérables, situés entre Segré et Pouancé, dont le noyau formait le domaine de Saint-Michel-du-Bois, où nous vîmes apparaître Foulques I de la Jaille et Geoffroy II son successeur dont Foulques II était l'arrière-petit-fils. Des actes font connaître que ce domaine des cadets de la Jaille

(1) Chotard de Vritz était le frère et fut l'héritier, vers 1243, d'Olivier de Vritz, seigneur de Saint-Mars l'Olivier, localité voisine de Candé que posséderont bientôt les la Jaille.

(2) Histoire de Bretagne, par D. Morice, preuves, t. I, col. 820, 882.

(3) Histoire de Bretagne, par D. Morice, preuves, t.i, col. 820, 882.

(4) Candé, chef-1. de canton, arr. et à 41. s.-o. de Segré, vers Nantes.


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s'étendait, autour de Saint-Michel, sur les paroisses avoisinantes. Les bois de Chanveaux, au sud, une partie de la forêt de Juigné à l'ouest, des métairies appelées l'Hommais, le Châtelier, la Pinçonnière, la Chesnaie, la Maine, le Ronceray etc., d'autres bordages dans la paroisse de Pouancé et jusqu'à Armaillé, de petits fiefs en Noëllet, en Combrée, vers Segré, faisaient partie de celte circonscription féodale très étendue. Dans les partages que subit ce domaine qui n'était pas d'aînesse, il est naturel de voir Foulques de la Jaille prendre un quartier et s'y créer un domicile. Foulques n'a guère laissé de traces qu'entre Noëllet, Combrée et Candé. Nous l'avons vu disputer l'église de Combrée aux bénédictins ; nous l'avons signalé à la Roche d'Iré avec les seigneurs du lieu, ceux d'Orveaux et de la Ferrière, voisins et paroissiens de Noëllet ; c'est avec Guillaume de Thouars, seigneur de Candé, de qui relève Chanveaux et toute la partie méridionale de la terre de Saint-Michel, c'est avec Alain de Saint-Michel, son cousin et son plus proche voisin, que l'on rencontre Foulques de la Jaille dans les périodes agissantes de son existence ; enfin c'est à Combrée qu'il se marie, avec la fille du seigneur de la paroisse. Il semble donc logique d'attribuer à ce chevalier la formation d'un fief sur un lot de territoires lui appartenant et, dans ce fief, l'installation de son domicile et de son ménage par la construction d'un château, qui existe encore, entre le village de Noëllet et la forteresse de Saint-Michel, château qui prit, selon l'usage presque général, le nom de son fondateur : la Jaille-en-Noëllet (1). C'est là que, rendant un faible hommage au seigneur d'Armaillé, et un plus important, le service de guerre, à celui de Candé, Foulques aurait vécu avec Pétronille de Chazé (2), sa femme, dont la famille

(1) La Jaille, chât. dans la com. de Noëllet, canton de Pouancé, arr. et à 4 1. o. de Segré.

(2) Chazé, armes : de gueules à six aiglons d'argent, 2 en chef, 2 en face, 2 en pointe.

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résidait dans le voisinage. Une communauté d'existence, de service et d'intérêt avec son frère Nicolas, permet de croire qu'ils habitaient sous le même toit, partageant les mêmes bénéfices et les mêmes obligations, dont ce dernier resta seul usager après Foulques (1234-1244), et qu'il transmit à ses descendants. Ce qui demeure actuellement des substructions de la forteresse de la Jaille-Yvon, près Châteaugontier, démontre qu'elle n'a été ni reconstruite ni restaurée aux XIIIe et XIVe siècles, alors que tous les châteaux furent remaniés selon les besoins d'une société plus policée. On en doit conclure que, si la tour primitive entourée de fossés, put servir de logement à ses possesseurs au XIe et au XIIe siècle, les descendants de ceux-ci l'abandonnèrent à sa destination de poste-caserne, et fixèrent leur séjour dans une demeure mieux appropriée à leur condition. C'est donc, de toute évidence, dans ce château de la Jaille-en-Noëllet, que nous suivrons les générations nouvelles de la famille, qui s'y succédèrent pendant la période du Moyen-Age, allant du règne de saint Louis à celui de Charles VII.

Pétronille de Chazé, veuve sans enfants de Foulques II, était remariée à Guillaume Griffier en 1234 (1) ;

2° Nicolas, seigneur de la Jaille-en-Noëllet, comme héritier ou co-partageant de son frère Foulques, qualifié aussi du « beau titre de chevalier », dit l'excellent du, Pas, connu depuis 1212, à Combrée, reparaît en 1234, à Candé, dans la cour de Guillaume de Thouars, procédant, avec Guillaume Griffier, chevalier, et Pétronille de Chazé, femme de celuici, et veuve de Foulques, frère de Nicolas, au partage de la rente de douze livres, dont le sire de Candé avait gratifié Foulques intuitu servicii sui, laquelle avait été cédée à Nicolas, par Foulques, au moment de son décès. La cour attribua six livres de rentes à chacun des intéressés, pour

(1) Bibl. n. mss. P. 0. Carrés d'Hozier, au nom Chateaubriand,


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en jouir tant qu'ils demeureraient au service du sire de Candé, avec leurs écuyers et leurs chevaux, et feraient annuellement sept jours de garde dans un des châteaux du dit sire, sans franchir la rivière de Loire (1).

Nicolas de la Jaille vivait encore en 1239, marié au dire de Chevillard, à Huberte de Beaumont (2), dont il eut: — A. Yvon, qui suit; — B. Jeanne, femme de Beaudouin de Beauvau avec lequel elle est nommée dans un arrêt du Parlement, en 1259 (3) ;

3° Geoffroy, clerc, signataire de l'abandon de l'église de Combrée, en 1212 ;

4° Philippe, signataire du même acte.

XL— YVON VIII, seigneur de la Jaille-en-Noëllet, par succession de son père, puis seigneur de la Jaille-Yvon vers 1244, par succession de son aïeul, Yvon VII, se montra, dès les débuts de sa prééminence, plein de zèle et de bon vouloir envers l'abbé de Saint-Nicolas, à qui il abandonna tous les droits qu'il touchait sur les choses données à ce dignitaire ecclésiastique par Pierre Coquelin, son vassal (4). L'acte consignant cette largesse a l'avantage de nous avoir transmis l'empreinte du nouveau sceau des sires de la Jaille.

Nous savons qu'à la fin du siècle précédent, ce sceau portait une croix frettée ; celui dont se servit Yvon VIII pour authentiquer l'obligation contractée envers SaintNicolas présente un lion passant. Ce changement n'a rien qui surprenne l'historien habitué aux variations continuelles des empreintes de cette nature, sur les actes relatifs au XIIIe siècle. Ces variations avaient pour but de dépister lés faussaires, plus nombreux qu'on ne le suppose ; elles n'entraînent aucune conséquence au point de vue de l'iden(1)

l'iden(1) Morice, preuves, t. I, col. 882.

(2) Beaumont-le-Vicomte, armes : d'azur à un lion d'or grimpant.

(3) Histoire de la Maison de Beauvau, par Chevillard, ms. fr. 16795.

(4) D. Housseau, t. XIII, n° 9796, vers 1248.


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tité des familles ; faute d'en avoir fait l'observation rigoureuse, un auteur imbu de préjugés modernes, tomberait en de graves erreurs. Il y a certitude absolue qu'Yvon de la Jaille, vivant en 1250, est l'arrière-neveu de l'autre Yvon dont nous avons signalé la croix freltée, en 1196, et qu'il fut son successeur dans les biens d'honneur et d'aînesse de la maison. Le lion passant qui surgit sur le blason de la famille sera modifié, moins de cinquante ans plus tard, par les descendants directs de celui qui l'arborait ici. Nous signalerons d'autres variations de sceau, tout aussi tranchées, dans les branches cadettes de la maison de la Jaille. Les Chateaubriand, ces compagnons d'armes si habituels des la Jaille, étaient devenus seigneurs de Candé et du Lion d'Angers, et, comme tels, suzerains d'une partie de ce domaine que-Foulques, Nicolas, et maintenant Yvon détenaient en Noëllet. On a remarqué les liens qui attachaient les deux premiers au sire de Candé lorsqu'il était Guillaume de Thouars. Yvon VIII s'attacha à ces nouveaux voisins, dont la ligeance cimentait l'amitié, comme l'avait fait son oncle et son père à l'égard de leur prédécesseur. Il accompagna à la Croisade, en Egypte, l'an 1248, ce fameux Geoffroy de Chateaubriand, que la reconnaissance de SaintLouis, pour d'éminents services, a rendu célèbre en lui conférant le droit de porter les lys de France. Les historiens de cette croisade citent Yvon de la Jaille parmi les chevaliers qui firent montre devant Damiette (1), et il n'est pas douteux qu'il ait assisté au désastre de la Massoure. Echappé aux épreuves de cette expédition, aux combats, aux maladies, aux massacres de captifs, il rapporta de ce sanglant pèlerinage les coquilles que ses enfants chargèrent en orle sur leur écu, témoignage ordinaire de plus paisibles manifestations. Mais la valeur déployée par Yvon sur les champs

(1) Histoire de plusieurs illustres maisons de Bretagne, par A. du Pas, article Chateaubriand.


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de bataille, son dévoûment au chef qu'il avait choisi, la piété dont son écu porta longtemps les traces, eurent une plus intime répercussion dans l'union que lui fit faire Geoffroy de Chateaubriand peu après son retour en France.

Geoffroy, prisonnier au Caire avec sa suite, et rendu à la liberté, après un an de captivité, par les soins et par les fonds des frères de la Trinité, dits Rédempioristes, auxquels il éleva un prieuré à Chateaubriand, en août 1252 (1), avait retrouvé de nouvelles épreuves au logis. Sa femme, Sibylle, morte, dit-on, de joie ou de surprise, en le voyant rentrer d'un voyage dont peu de chevaliers revenaient, laissait quatre enfants. Le second de ses fils, Briant, venait d'être fiancé ou marié à la fille du sire de Beaufort, qu'un puissant seigneur breton voulait donner à son héritier.

Par un singulier acte transactionnel, passé l'an 1251, Geoffroy de Chateaubriand, à peine de retour, et Briant, fils de Geoffroy, obtinrent de Thibaut, seigneur de Rochefort, vicomte de Donges, et de Bonabes, son fils, par l'entremise et bon office d'Olivier de Tinténiac, allié aux Châteaubriand, que Jeanne, fille d'Alain de Beaufort et femme de Briant de Chateaubriand, subrepticement par le sire de Rochefort enlevée, serait rendue à Briant, moyennant que Marguerite, fille de Geoffroy, serait donnée en mariage à Guillaume, deuxième fils de Thibaut, et qu'elle aurait en dot les terres de Chateaubriand et de Candé, dont Thibaut et Guillaume de Rochefort garantiraient, même par les armes, la jouissance à Geoffroy sa vie durant, s'engageant à payer une rente de 140 livres à Marguerite, dans le cas où leur garantie deviendrait illusoire (2). De ce contrat, dont nous n'avons pas à apprécier les clauses au moins bizarres, on conclut à la gêne où se trouvait la maison de Chateaubriand, à la suite des sacrifices imposés par là Croisade, Ce contrat,

(1) Histoire de plusieurs illustres maisons de Bretagne, par A. du Pas, article Chateaubriand.

(2) Bibl. n. ms. Chérin, vol. 52, au nom Chateaubriand.


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nous pouvons dire qu'il devint heureusement caduc, grâce à une solution plus digne de l'équité chevaleresque. Voici comment intervint cette solution en 1252.

Guillaume de Thouars, qui fut seigneur de Candé et du Lion par suite de son mariage avec Isabelle de la Guerche, dont la soeur avait épousé un Chateaubriand, était mort en 1244, sans héritier direct, laissant par testament les seigneuries angevines de Candé et du Lion, au sire de Chateaubriand (père de notre Geoffroy) (1) en exprimant le désir, on peut même dire à condition, bien que le texte n'entre point dans ces détails, que ses deux nièces Aumure et Belleassez de Thouars seraient mariées dans la maison de ce dernier. Il apparaît par l'accord intervenu, en 1251, entre les Chateaubriand et les Rochefort, que la condition d'établissement des nièces de Guillaume n'avait pas encore été remplie ; la jeunesse de ces enfants, peut-être l'opposition de la famille ou quelques motifs d'intérêt avaient fait obstacle à sa réalisation, de sorte qu'on avait eu recours à des moyens coërcitifs pour retenir l'héritage de Guillaume de Thouars. Le veuvage de Geoffroy de Chateaubriand et, peutêtre, une intervention supérieure permirent de dénouer, autrement qu'à coups d'épée, ce noeud gordien. Geoffroy, qui n'avait pas quarante ans, épousa Aumure : son fils aîné, Geoffroy, nouvellement émancipé, épousa Belleassez,de sorte que, sans qu'il fut besoin du concours équivoque des sires de Rochefort, les domaines de Candé et du Lion d'Angers, de Chanveaux et les moulins de la Vauguyon, dot des demoiselles de Thouars, demeurèrent à la maison de Chateaubriand et rétablirent une fortune endommagée (2). Le projet de 1251 se trouva donc abandonné, et Marguerite

(1) La baronnie de Candé, par le marquis de l'Esperonnière, t. I, documents. (2) D. Villevieille, ms. fr. 31970, pages 78 et 79.


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devenue libre fut donnée pour épouse, par son père, à Yvon de la Jaille (1).

Marguerite de Chateaubriand (2) était la fille aînée de Sibylle. Son apport légitime augmenta sensiblement la fortune de la Maison de la Jaille, entamée, elle aussi, par les voyages outre mer et les rançons payées à plusieurs reprises. On pense qu'elle eut de son père la châtellenie de Saint-Mars, au sud-ouest de Candé, provenant de Chotard de Vritz qui la détenait en 1244, don ou cession dont on ne retrouve pas l'origine ; de plus, elle était, par sa mère, dame du Pordic, terre importante, plus tard baronnie dans le comté de Penthièvre, avec une grosse forteresse appelée le château des Portes, laquelle donnait rang de banneret à ses possesseurs.

Yvon et sa femme Marguerite renouvelèrent, en 1263, date de la mort de Geoffroy de Chateaubriand, une donation faite à l'abbaye de Beauport, vingt ans auparavant, par Mahaut, dame du Pordic, ayeule de la dame de la Jaille, laquelle Mahaut était fille de Conan, sire du Pordic, fils d'Henri de Guingamp, vivant en 1187 et 1203, chef d'une branche collatérale de la maison de Bretagne (3). Ce fut donc comme parents des ducs que les la Jaille apparurent en Bretagne.

XII. YVON IX, seigneur de la Jaille-Yvon, de la Jaille en Noëllet, de Saint-Mars (d'après son contrat de mariage daté de 1275), et de la châtellenie du Pordic, fils unique du précédent, vivait en 1285 uni à Marthe de la Mote (4), fille de Philippe de la Mote de Juigné, seigneur de Saint-Micheldu-Bois, et soeur' de Mesdames de Rosmadec et de la

(1) Histoire de plusieurs illustres familles bretonnes, par A. du Pas, articles Chateaubriand et la Jaille.

(2) Chateaubriand, armes : de gueules semé de fleurs de lys d'or.

(3) Arch. dép. des Côtes-du-Nord, titres de l'abbaye de Beauport.

(4) Lamote-Baracé, armes : d'argent à la fasce de gueules fleurdelisé de six pièces.


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Hunaudaie (1). Nous donnerons quelques détails sur cette alliance, en traitant de la branche de la Jaille-Saint-Michel. Yvon IX n'a laissé de traces dans l'histoire que par la mention de ses funérailles : « Le VII des calendes de juillet mil deux cent quatre vint et quatorze (24 juin) mourut le seigneur Yvon de la Jaille, chevalier, revêtu de l'habit des frères » selon l'obituaire des Cordeliers, d'Angers, dont il aurait été bienfaiteur (2), Il laissait deux fils :

1° Yvon, qui suit ;

2° Briant, seigneur de Saint-Michel, dont il sera parlé plus loin.

XIII. —YVON X, seigneur de la Jaille-Y von, de la Jaille-enNoëllet, de Saint-Mars et du Pordic, né vers 1276, est à peine entrevu dans l'histoire de sa famille : on ne le connaît que par des actes postérieurs à.son. existence. Ainsi l'obituaire de la cathédrale d'Angers a enregistré son décès, en la pénultième année du XIIIe siècle, avec un don de vingtcinq sous, pour un anniversaire, offert au chapitre par la veuve et les héritiers du défunt — domini Yvonis de la Jallia-Yvonis militis (3). Au sujet de ce don, il est indispensable de rectifier l'erreur commise par Célestin Port et par M. Joubert, à l'égard d'une prétendue transmission de la seigneurie de la Jaille-Yvon dans une autre famille. Tous deux présentent Mathieu des Roches comme détenteur de cette antique seigneurie avant la fin du XIIIe siècle, sous prétexte que le dit Mathieu possédait des rentes sur la Jajlle-Yvon. Des rapprochements font voir que, dès 1256,

(1) Le Coudraj-Montpensier, par l'abbé Bosseboeuf, p. 190, d'après une généalogie manuscrite de la Maison de Lamote-Baracé, aux archives du dit château.

(2) D Villévieille, ms. franc. 31931, au nom Jaille.

(3) Célestin Port, Dictionnaire historique de Maine-et-Loire, A. Joubert, monogr. de la Jaille, 3 p.


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Mathieu des Roches avait acheté, à Guy Turpin, des rentes sur la terre de Martigné située devant la Jaille, rive gauche de la Mayenne. En 1284, son fils Guillaume reconnut à la cathédrale d'Angers la vente faite par son père « de dîmes à Martigné et de rentes sur la Jaille-Yvon et les deux moulins qui en dépendent » (1). Dix ans plus tard, nouvelle reconnaissance de Jean des Roches... Est-ce que ces textes prouvent que la famille des Roches possédait la terre de Martigné et le domaine réservé des aînés des Yvons ? Non, puisque Martigné se retrouve aux générations suivantes chez les Turpin et la Jaille aux Yvons..Sans insister davantage, citons des textes : l'obituaire de Saint-Maurice d'Angers vient de nous démontrer qu'Yvon X possédait la Jaille-Yvon, au jour de sa mort, l'an 1299 ; nous verrons plus loin que son fils aîné en était seigneur effectif, en 1322 ; un aveu de la fin du XIVe siècle prouve qu'à cette époque, la Jaille-Yvon était encore entre les mains des descendants en ligne directe du fondateur de l'a primitive forteresse. Si des aliénations avaient été consenties sur des parcelles du domaine, le domaine en lui-même n'avait pas moins été conservé dans la famille.

Yvon X avait laissé veuve Isabeau de Couesmes (2) avec la garde de trois enfants mineurs. Un des premiers actes de l'administration de la tutrice fut de passer l'accord suivant, au sujet de la succession de la bisaïeule de ses enfants :

« Comme contenz fust emeu entre noble home Jouffrey, sire de Chasteaubrient, et noble daine Ysabeau de Coismes, dame de la Jaille, en son nom et en nom de Yvonnet son fuix et aultres enfans d'elle et de feu Monsour Yvon de la Jaille, par raison de l'eschoite dame Marguerite de Chasteaubrient, jadis dame de la Jaille, tante au dit Jouffrey et bisaïole dou dit Yvonnet, selon la costume commune de fez

(1) Archives dép. Maine-et-Loire, série G, 352, fol. 274.

(2) Couesmes, armes : de gueules à six annelets d'argent.


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et baronnie à Chasteaubrient, les dictes parties transigèrent etc ; et s'obligèrent en garantie de leur foi, nobles homes Monsour Briant de Montejean, Monsour Jouffrey de Luigné, Monsour Briant de la Jaille, chevalers, et Robin de Coysmes, valet, l'an M. C. C. C. (1) ».

Le sceau dont la dame de la Jaille marqua cet acte porte un lion passant entouré de cinq coquilles, ce qui constitue le blason modifié, les coquilles ayant été ajoutées à l'écu de 1250, en souvenir de la Croisade d'Egypte.

XIV. — YVON XI, seigneur de la Jaille-Yvon, de la Jailleen-Noëllet, de Saint-Mars et du Pordic, appelé Yvonnet dans sa jeunesse, vécut sous la tutelle de sa mère jusqu'en 1320 environ. Prenant alors en main l'administration de ses biens, il reçut l'hommage de ses vassaux. Parmi les aveux qui lui furent remis, on a conservé celui de Robert de Loncheray, seigneur d'un fief relevant de la Jaille-Yvon, vers Saucoigné. Yvon est qualifié dans cet acte seigneur de la Jaille-Yvon en toutes lettres, ce qui exclut de cette châtellenie tout autre possesseur. Cet acte est de 1322 (2). La même année, Yvon racheta au Chapitre de la cathédrale d'Angers, une rente grevant ses moulins de la Jaille ; c'était une obligation de la nature de celle dont les des Roches avaient été créanciers. Elle avait été consentie, sorte d'emprunt hypothécaire dissimulé, en faveur de Robert de Loncheray qui l'avait cédée à un endosseur nommé Mathieu d'Anjou; Mathieu avait passé cette rente au Chapitre. L'acte d'amortissement est daté du 8 septembre 1322 ; les termes latins donnent à Yvon le titre dominus de Jallia Yvonis (3). En 1326, « la veuve et les héritiers d'Yvon de la Jaille » étaient déclarés redevables, envers le curé de Brissarthe, d'une rente de

(1) Histoire de Bretagne, par D. Morice, preuves, t. I, col. 1137.

(2) La Châtellenie de la Jaille- Yvon, par A. Joubert, art. Loncheray.

(3) D. Housseau, t. XVI, fol. 341.


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vingt-cinq sous « sur les moulins, la chaussée et les prés de la Jaille-Yvon » (1), d'où l'on conclut une fois de plus qu'ils possédaient ce domaine. Les débiteurs avaient nom Isabeau de Couesmes, Yvon, Briant et Raoul, ses fils, dont quelques documents postérieurs révèlent à plusieurs reprises l'existence. C'est ainsi que « nobles homes monseignour Yvon de la Jaille et Brient et Raoul de la Jaille, ses frères » sont nommés exécuteurs des dernières volontés de Jean le Bigot, chevalier, seigneur de Laigné, par le testament de ce personnage daté du mercredi avant la Madelaine (18 juillet) 1333 (2).

Briant et Raoul de la Jaille reparaîtront à leur rang dans la branche de Saint-Michel.

Yvon, seigneur de la Jaille, fils d'Isabeau de Couesmes, « fust chevalier fort adroit et renommé » dit du Pas, ce qui semble viser des qualités de guerre et de tournois. Il accompagna, ajoute cet historien, le duc de Normandie, futur roi Jean II, « au voyage qu'il fist l'an 1336 pour chasser les Anglois hors le païs de Vermandois » avec tous les principaux bannerets angevins. Bourdigné se plaît à les suivre dans leur campagne en Hainaut, où ils laissèrent un sanglant souvenir de leur passage (3). Sa position de banneret breton amena le sire de la Jaille, comme châtelain du Pordic, à prendre part à la querelle qui embrasa le duché entre Jean de Montfort et Charles de Blois. Le nom d'Yvon de la Jaille figure avec ceux de Chateaubriand, Rougé, Montejean, Chemillé, Laval, etc. sur la liste des chevaliers à bannière que le roi de France, soutien de la cause de Charles, envoya, en 1346, en Bretagne, pour combattre Montfort et les Anglais (4). Il est compté parmi « les

(1) D. Villevieille, ms. franç. 31931, au nom Jaille.

(2) D. Villevieille, ms. franç. 31931, au nom Jaille.

(3) Chronique d'Anjou et du Maine, t. II, p. 51.

(4) Laroque, Traité du ban et de l'arrière-ban de France.


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principaux seigneurs » qui périrent, le 18 juin 1347, à la bataille de la Roche-Derrien (1).

Yvon XI avait épousé, en 1317, Marguerite de Rochefort (2), laquelle n'appartenait point, comme on l'a cru, à la famille des seigneurs de Rochefort-sur-Loire, éteinte dans la maison de l'Ile-Bouchard depuis plus d'un siècle, mais à celle des vicomtes de Donges, que nous avons vus plus haut en contact avec les Chateaubriand. Ces vicomtes étaient de très puissants seigneurs bretons, dont l'un des principaux, ce même Guillaume qui avait dû épouser Marguerite de Chateaubriand, avant qu'elle devint dame de la Jaille, avait suivi Alphonse, comte de Poitiers, en Egypte, en 1248. Thibaut, son fils, marié à la fille d'un cadet de Thouars, engendra Bonabes de Rochefort, époux de Marie. d'Ancenis, mort en 1339. Leurs enfants furent Thibaut, vicomte de Donges ; Guillaume, seigneur d'Assérac ; Guy, seigneur de la Muce, et Marguerite unie au sire de la Jaille (3). De cette union vinrent :

1° Yvon, qui suit ;

2° Charles, « mort aux guerres de Bretagne » selon du Pas ; tué avec son père au combat de la Roche-Derrien, selon les autres historiens ;

3° Jean, tué à la bataille d'Auray, en 1364, selon les mêmes historiens ;

4° Aliénor, unie en 1330 — elle n'avait que douze ans — à Olivier de la Lande, fils de Geoffroy de la Lande, dignitaire de la Cour de Bretagne ;

5° Isabelle, mariée à Sylvestre du Chiaffault, vicomte de Nantes. — « Monseigneur Sevestre du Chaffault, chevalier, et madame Ysabeau de la Jaille, sa femme, achetèrent en cour de Nantes, en septembre 1351, une rente de dix livres

(1) D. Morice, D. Lobineau et autres historiens de Bretagne.

(2) Rochefort-Donges, armes : d'or au champ plein de vair.

(3) D. Villevieille, ms. franç. 31970, au nom Rochefort.


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pesant sur tous les biens de Jean le Prévost et de sa femme Perrole, en présence de Jehan de la Tousche, valet, qui scella Pacte de son sceau à la prière des intéressés (1). Isabelle mourut en 1353. Son fils Sévestre ou Silvestre du Chaffault était qualifié neveu de messire Guy de Rochefort dans le testament de celui-ci, ce qui prouve que Marguerite de Rochefort, son aïeule, était de la même famille (2).

XV.—YVON XII, seigneur de la Jaille-Yvon, de la Jaille-enNoëllet, de Saint-Mars et du Pordic, banneret d'Anjou et de Bretagne, naquit en 1324, accompagna, au dire de du Pas, Louis de France, premier duc d'Anjou, frère du roi, aux guerres de Guyenne et du Poitou, contre « nos anciens ennemis et rebelles les Anglois » (3). Il est inscrit sur la liste des barons angevins convoqués en 1346, pour s'opposer à l'invasion des provinces du nord ; il assista sans doute au désastre de Crécy (4). Il est cité dans le livre de la levée des troupes féodales, parmi les chevaliers qui reçurent, en juillet 1350, lettres closes du roi Jean, accédant au trône de France, pour les prier de se tenir prêts à prendre les armes pour sort service (5). Il est donc probable qu'il fit les campagnes dirigées par le maréchal de Beaujeu en Loudunois, en Artois et ailleurs, mais on ignore s'il assista à la bataille de Poitiers, en 1356.

Le sire de la Jaille joua, comme son père, un rôle important dans la lutte contre Montfort, pour le duché de Bretagne. Vassal et ami de Charles de Blois, il approcha de si près ce prince vertueux, que son témoignage a été requis, sur un fait de moeurs privées, dans' l'enquête de canonisation faite

(1) D. Villevieille, ms. franç. 31970, d'après les titres de la Vieuxville.

(2) D. Villevieille, ms: franç. 31970, titres de la Vieuxville.

(3) Histoire de plusieurs Maisons illustres de Bretagne, par A. du Pas, p. 335.

(4) Laroque, Traité du ban et de l'arrière-ban de France.

(5) Collection Decamps, vol. 82.


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en 1371. « Noble homme messire Yvon de la Jaille, chevalier, seigneur du dit lieu et seigneur du château de SaintMars au diocèse de Nantes, se déclarant âgé de 46 ans », interrogé sur la nature des relations ayant existé entre Charles de Blois et la dame de la Grange, veuve de messire Pierre Brouassin, chevalier, affirma que tout s'était passé entr'eux selon les règles de la plus saine morale (1).

De cette déposition assez curieuse, nous retenons principalement que le sire de la Jaille, encore possesseur de l'ancien fief dont il portait le nom, détenait en outre, le château de Saint-Mars, au diocèse de Nantes. Nous savons que depuis 1275, les sires de la Jaille possédaient la seigneurie de Saint-Mars, mais de ce que le texte parle explicitement ici d'un château, nous concluons qu'Yvon avait élevé, à Saint-Mars, une forteresse nouvelle. Si l'on constate, avec Rymer (2), que le château de la Roche d'Iré, voisin de celui de la Jaille-en-Noëllet, fut pris et occupé par les Anglais, de 1359 à 1362, on ne doute plus de la réalité des désastres dont les environs de Segré, et par conséquent les biens des la Jaille, subirent les effets pendant la plus violente et la plus inhumaine des invasions. Il est certain que, de cette période de l'occupation anglaise, date la destruction des anciens manoirs de la Jaille et de SaintMars, lesquels furent, après l'évacuation du pays consécutive aux clauses du traité de Brétigny, réédifiées sur un plan nouveau. Ces restaurations seraient dues à Yvon XII, puisque des ruines encore existantes en partie révèlent le style du quatorzième siècle. C'est depuis cette époque que Saint-Mars, antérieurement qualifié l'Olivier en souvenir des Olivier de Vritz, ses possesseurs, a ajouté à son nom primitif celui de la Jaille, désignation particulière de la

(1) Histoire de Bretagne, par D. Morice, t. II, col. 31.

(2) Diplômes et traités des rois d'Angleterre, par Rymer, vol. III, pages 536, 547.


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nouvelle forteresse. Ce nom appelle l'attention sur une citation du manuscrit de Bayeux, dont l'auteur place, au nombre des chevaliers de la première croisade, deux Jean de la Jaille, l'un seigneur de Saint-Mars armé d'un léopard, l'autre portant sur son écu une bande fuselée. Outre l'inconséquence d'attribuer des emblèmes héraldiques aux chevaliers du XIe siècle, on ne trouve pas trace d'un Jean de la Jaille au temps de Pierre l'Ermite. La fausseté du manuscrit de Bayeux, reproduit par tant d'auteurs, a été démontrée par M. Douet d'Arcq, qui a prouvé que la liste des croisés contenue dans ce prétendu document, est l'oeuvre du héraut Navarre, hardiment dressée, en 1396, avec les noms des rois, princes et principaux seigneurs vivant à l'époque. De fait, deux la Jaille portant le prénom de Jean vivaient à la fin du XIVe siècle, l'un en Loudunois, dans sa terre de la Jaille, à Sammarçolle, ayant pour blason une bande fuselée, l'autre en Anjou et Bretagne, possesseur du château de Saint-Mars-la-Jaille ; celui-ci appartenant à la branche aînée arborait le léopard ourlé de coquilles (1).

Ayant épousé, vers 1344, Marguerite de Mathas (2), dame du Bouchaud en Poitou, fille de Robert et de Marie de Thouars, Yvon XII en eut au moins trois fils et une fille :

1° Yvon qui suit ;

2° Jean, qui vient après ;

3° Charles, « tué devant Saint-Jame » selon du Pas, lequel donne à tort à Yvon la paternité de Briant de la Jaille, qui était son cousin-germain ;

4° Marguerite, dame du Bouchaud, mariée à : 1° Jean de Chateaubriand, fils de Jean, seigneur des Boches-Baritaud et du Lion-d'Angers, issu de Geoffroy et de Belleassez de Thouars ; il n'était plus jeune et la laissa veuve sans enfants ;

(1) Manuscrit de Bayeux, p. 29, reproduit par Dumoulin : Histoire de Normandie.

(2) Mathas, armes : losange d'or et d'azur.


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2° Hardouin de la Porte, seigneur de Vezins, en 1363, dont elle eut un fils destiné à devenir héritier de toute la fortune des la Jaille : elle vivait encore en 1399 : elle laissa la terre du Bouchaud aux Vezins (1).

XVI. —YVON XIII, seigneur de la Jaille-Yvon, de la Jailleen-Noëllet et du Pordic, fit ses premières armes, comme écuyer, à la bataille d'Auray, en 1364. Il prit part ensuite aux luttes acharnées qui rendirent la victoire aux Français. Il faut insister sur la situation complexe des bannerets de cette Maison, astreints au service de guerre, en Bretagne et en Anjou, en raison des châtellenies possédées par eux dans ces deux provinces ; c'est pourquoi ils se montrent, tantôt au service de la Maison de Blois, dont ils sont vassaux au comté de Penthièvre, tantôt au service de la couronne de France lorsqu'elle lève le ban, soit à Angers, soit à Châteaugontier. C'est à ce dernier titre, que messire Yvon de la Jaille se trouvait chevalier-lieutenant de la compagnie d'hommes d'armes de messire Pierre de la Hunaudaie passée en revue à Blois, sous le commandement du connétable Bertrand du Guesclin, le 29 janvier 1370(2). Il prit donc part à la campagne illustrée par la victoire de Pontvallain, au Maine, et à la poursuite au sud de la Loire, par Sainte-Maure, Bressuire et Saumur, de l'armée de Robert Kenolles qui avait menacé Paris, campagne terminée par la victoire de Chizay, en Poitou, particulièrement glorieuse pour les Bretons (29 juillet 1372). Bourdigné cite le sire de la Jaille au nombre des seigneurs ayant fait, avec le duc d'Anjou, la campagne victorieuse de Gascogne, en 1373, pris La Réole, Moissac, et soumis le pays jusqu'aux Pyrénées; « lesquels, ajoute-t-il, avoient en son armée acquis par leur prouesse et vaillance grant renommée et honneur ».

(1) Le père Anselme, réédité par Pol de Courey, t. II, p. 448.

(2) Histoire de Bretagne, par D. Morice, preuves, t. I, col. 1646.


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Ils rentrèrent triomphalement à Angers, avec le prince « qui les festoya par aucuns jours » (1). Yvon XIII mourut avant 1389, laissant veuve Jeanne de Guignen (2), avec plusieurs enfants en bas âge :

1° Yvon suit ;

2° Charles, mort jeune ;

3° Marguerite, mariée à son cousin-germain, Hardouin de la Porte « au château de la Jaille » en 1400 (3) ;

4° Aliénor, unie à Henri de Juch, laquelle reçut, le 5 janvier 1424, du duc de Bretagne, un don de cent livres sur la recette du trésorier Dronyon (4) ;

5° Marié, femme de Pierre de Bostrenen ;

6° Béatrix, célibataire ; toutefois est-il probable que ces deux dernières étaient plutôt les soeurs que les filles d'Yvon XIII, car Jeanne de Guignen était bien jeune pour avoir eu d'Yvon de la Jaille, tant d'enfants. On la retrouve mariée en secondes noces avec Guillaume de la Lande, puis mère de Tristan de la Lande, grand maître de la Maison de Bretagne, en 1431, avec lequel Jeanne, qualifiée dame de Guignen et de la Jaille, plaidera au Parlement de Paris contre Guillaume de Créguenc et Louis de la Mote, à une date où elle aurait eu plus de 80 ans (5).

XVII.—YVON XIV, seigneur de la Jaille-Yvon et du Pordic, est le dernier de cette longue série des la Jaille qui portèrent, avec une religieuse tradition, le prénom du fondateur de la race ; mais celui-là, hélas ! rejeton épuisé par une végétation trop intense, ne fut pour sa famille qu'un dernier,

(1) Chronique d'Anjou et du Maine, par Bourdigné. Edit. nouv., t. II, p. 88.

(2) Guignen, armes : d'azur semé de fleurs de lys d'argent, au lion de même, brochant sur le tout.

(3) La Jaille-en-Noëllet, près Segré, et non la Jaille, à Saint-Mars, qui appartenait à son oncle Jean.

(4) Histoire de Bretagne, par D. Movice, preuves, t. II, col, 1195. (5) Registres du Parlement de Paris, année 1454, date de la Sentence.

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un faible Yvonnet. Il ne détint les fiefs d'aînesse que sous la tutelle de sa mère, qui recevait, en 1389, les aveux des vassaux de la Jaille-Yvon, notamment celui de Jean Bérard, sieur de la Mothe, au nom de son fils « maindre d'ans » (1). En 1392, Jeanne recevait au même titre l'aveu du château de Bouille, rendu par Jean Quatrebarbes, seigneur du lieu (2).

C'est par erreur que du Pas présente Yvon XIV comme père de Charles de la Jaille, qui lui aurait succédé et serait mort sans enfants en 1392. Il suffit d'étudier les dates afférentes à l'existence de Jeanne de Guignen, pour reconnaître que cette dame, encore existante au milieu du XVe siècle, a dû être mariée vers l'an 1380, aux prémices de sa nubilité (usage du temps dans les grandes maisons), et devenir mère au cours d'une première union dont la durée n'excéda pas huit années et prit fin, nous le savons, peu avant 1389. A supposer qu'Yvon XIV ait été l'aîné de ses enfants, il est constant qu'il avait dépassé de peu sa septième année lorsqu'il perdit son père. La tutelle de sa mère, exercée en 1389, 1392, 1395, prouve son état de minorité à chacune de ces dates. Comment eut-il été marié, comment eut-il laissé un fils majeur en état de lui succéder, soit en 1392, comme dit du Pas, soit en 1395, date extrême de son existence, s'il n'était parvenu à l'âge viril ? On doit donc admettre qu'Yvon et Charles étaient frères, et qu'ils moururent en bas âge sans laisser de postérité. Nous verrons bientôt que leur soeur, Marguerite, était détentrice des biens de la Maison dans les premières années du XVe siècle.

XVIII. — JEAN de la Jaille, seigneur de Saint-Mars-la(1)

Saint-Mars-la(1) C. fol, 16, citation de M. A. Joubert dans La châtellenie de la Jaille-Yvon.

(2) Bibl. nat., ms. P. 0. Dossier Quatrebarbes, archivés du château de la Rongère, extrait de 1694.


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Jaille (1) par succession de son père Yvon XII, devint chef des nom et armes par suite du décès prématuré de ses neveux Yvon et Charles, survenu en 1395. IL fut comme curateur et administrateur des fiefs de ses nièces, héritières de leurs frères, reconnu seigneur de la Jaille-Yvon, dont on lui voit porter le titre, de 1395 à 1409. C'est encore une erreur de du Pas, d'avoir fait de ce Jean un frère puîné d'Yvon XIV, puisqu'il était majeur au temps de la minorité de celui-ci. En 1395, Jean de la Jaille avait déjà géré la tutelle de Jean de Bougé, laquelle venait de prendre fin. Jean de Rougé, devenu majeur, actionnait Jean de la Jaille en cour de Nantes pour un règlement de comptes. Il gagna le procès. Mais, au Parlement de Bretagne siégeant à Bennes en août 1395, « Jehan de Rougé présenté contre Jehan, sire de la Jaille, en cause d'appel d'un jugement rendu par la court de Nantes pour le dict de Rougé contre le dict de la Jaille », fut introduit « en celle cause». Jean de la Jaille « acquit parlier en son appel ». Jean de Rougé attaqua « les actions, compromis et grez que lui, sire de la Jaille, comme son tuteur et garde, avait faitz durant le temps de sa minorité ». Il fallut procéder à une enquête. Le jugement rendu en septembre 1398 ne fut point favorable à l'ex-tuteur : « entre Jehan, seigneur de la Jaille, appelant d'une part, et Jehan de Rougé, d'autre : sur ce que le dict de Rougé avoit autrefois faict ajourner par la cour de Nantes le dit de la Jaille à choasir curateur ès causes que le dit de Rougé entendoit avoir affaire envers ledit de la Jaille, lequel avoit choaisi Edouard de Rohan, celui de Rougé avoit dit que celle choaisie ne valoit point ; et sur le débat et les raisons d'entre eux avoit esté procédé par le dict de Rougé contre le dict de la Jaille, et pour ce que le dit de la Jaille n'avoit point relevé la dite appellation

(1) « Jehan de la Jaille, seigneur de Saint-Mars », selon la déclaration de son contemporain, le héraut Navarre, en 1396. Manuscr. de Bayeux.


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dedans les quarante jours prochain venans après la sentence donnée, a esté l'appellation déserte et icelluy de la Jaille condamné aux despens envers la partie adverse » (1).

En 1399, le 23 décembre, au dire de du Pas, Jean de la Jaille composa, avec Jeanne de Guignen « pour son douaire ». Elle obtint la jouissance et peut-être la propriété totale de la terre de la Jaille-en-Noëllet, où elle faisait résidence et dont elle portait encore le titre au cours de son second veuvage ; c'est par elle que ce domaine sortit de la maison qui l'avait fondé.

Si nous jetons les yeux sur la vie publique du dernier des la Jaille, de la tige qui a formé les « grands » de la race, c'est-à-dire les hauts et puissants bannerets angevins et bretons, nous reconnaissons dans Jean un des chevaliers les plus distingués de la Cour de Bretagne, et un guerrier ami des audacieuses entreprises. Le duché, allié à la France depuis le mariage de son héritier avec la fille de Charles VI, faisait forte guerre aux Anglais. La noblesse, à l'exemple de Glisson, frettait, montait les navires et courait jusque sur les côtes de la perfide Albion. En 1403, nos chevaliers armèrent, à Saint-Malo, une flotille de deux mille hommes, dont les sires de Chateaubriand, du Châtel et de la Jaille eurent le commandement. En mer,: la division éclata parmi les chefs ; Chateaubriand s'écarta à la poursuite d'un butin illusoire ; du Châtel et la Jaille vinrent mouiller à Yarmouth. Les Anglais avaient caché dans des fossés, près du rivage, six mille archers retranchés derrière un remblai de terre. Du Châtel, ayant reconnu la position, proposa d'attendre l'arrivée des Vaisseaux de Chateaubriand pour opérer la descente, mais la Jaille rejeta cette mesure de prudence comme une lâcheté. Les plus grands malheurs de la France se sont produits au MoyenAge sur semblable appel au point d'honneur, le téméraire

(1) Histoire de Bretagne, par D. Morice, preuves, t. II, col. 688.


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courage étant, chez nos ancêtres, réputé supérieur.à toute tactique. La chronique de Saint-Brieux rapportant le fait, dit que ces trop braves chevaliers mediante illorum superbia coururent à leur perte, en débarquant sans précaution sur le territoire anglais (1). La Jaille entraînait ses hommes en déclarant qu'il n'y avait rien à craindre ; du Châtel le suivit pour ne pas rester en arrière. Ils tombèrent dans le guet-apens. Le carnage fut terrible : sur deux cents Bretons mis à terre, il n'en resta vivants que vingt-quatre, tous prisonniers. La Jaille, blessé et désarmé, fut conduit au roi d'Angleterre qui le traita avec distinction et le mit à rançon raisonnable.

Lorsqu'en 1404, la Maison du nouveau duc Jean V fut formée, le sire de la Jaille, Pierre de Rochefort, Bertrand de Montauban et Tristan de la Lande furent nommés maîtres d'hôtel, avec service par quartier, ayant « du dit tems qu'ils serviront chascun x livres par mois et bouche à cour chascun pour soy et son gentilhomme » (2). Cette charge, Jean de la Jaille la remplit toute sa vie ; jusqu'en 1428, on trouve son nom inscrit sur les listes des dignitaires de la Cour nantaise qui recevaient, du duc, gages, étrennes et dons. En 1420, il témoigna de sa fidélité au duc Jean V, en prenant les armes, avec un grand nombre de seigneurs, pour délivrer leur maître qu'Olivier de Blois avait traîtreusement arrêté, et tenait enfermé à Chantoceaux. Ce prince, remis en liberté, leur en délivra, à Vannes, un diplôme portant l'expression de sa reconnaissance et le remboursement des frais occasionnés par leur chevauchée (3).

Le duc de Bretagne ayant levé un corps de troupes féodales pour secourir Charles VII contre les Anglais, Jean de

(1) Histoire de Bretagne, par D. Lobineau, t. I, col. 850.

(2) Histoire de Bretagne, par D. Morice, t. I, p. 435; et preuves, passim. (Voir les tables au nom La Jaille).

(3) Histoire de Bretagne, par D. Morice, t. I, p. 435; et preuves, passim. (Voir les tables au nom La Jaille).


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la Jaille, sous le sire de Rohan, prit part à la campagne du Maine et sans doute au combat de la Gravelle, en 1423 (1). Il figure quatrième chevalier au nombre de quarante-six hommes d'armes composant la montre de la compagnie de guerre commandée par Guy de Laval, sire du Gâvre, en revue à Nantes le 22 mars 1426, et désignée pour servir sous le connétable de Richemont dans le Maine et la Normandie (2).

Après 1429, date à laquelle il est cité dans un compte de Jean Dronyon, trésorier ducal, le dernier des la Jaille de Bretagne a disparu, ayant porté la cuirasse jusqu'au bout d'une carrière bien digne d'illustrer sa Maison.

XIX. — MARGUERITE de la Jaille, fille aînée d'Yvon XIII et de Jeanne de Guignen, héritière de ses frères et de son oncle morts sans postérité, avait épousé, en 1400, son cousin-germain Hardouin de la Porte, baron de Vezins, qualifié par du Pas « très brave et vaillant chevalier » ; on lui avait attribué d'abord, dans la succession de son père, les fiefs de la Haye et de la Provostière, en Bonnoeuvre, relevant du château de Saint-Mars ; dès les premières années du XVe siècle, elle se trouva dame effective de la Jaille-Yvon, où son mari reçut pour elle, le 4 novembre 1409, l'aveu de Jean-Quatrebarbes, pour-la terre de Bouille relevant de cette châtellenie (3). On ne sait pas exactement si ce fut dès sa majorité, ou seulement après la mort de son oncle Jean, que Marguerite devint dame de Saint-Mars. Jean de la Porte, son fils aîné, portait les titres de seigneur de Saint-Mars-la-Jaille, de la Jaille-Yvon et du Pordic, dans son contrat de mariage avec Marie de Rieux, en 1431. Une fille unique, mariée à Gilles Tournemine, seigneur de la

(1) Histoire de Bretagne, par D. Morice, t. I, p. 435; et preuves, patsim. (Voir lestables au nom La Jaille).

(2) Histoire de Bretagne, par D. Morice, preuves, t. II, passim.

(3) Bibl. nat., P. 0. Dossier Quatrebarbes, généalogie cle 1694.


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Hunaudaie, étant issue de ce Jean de la Porte et n'ayant point laissé d'enfants, les terres des la Jaille firent retour à François de la Porte, frère de Jean, dont le fils, également appelé Jean, devint baron de Vezins, de Saint-Mars-la-Jaille et du Pordic : on le qualifiait ainsi. Sa fille, Marthe, héritière des susdites baronnies, les porta à son mari Jean-François le Porc, par contrat de mariage passé le 15 juin 1535, « le mesme jour, affirme du Pas, où furent faictes leurs fiançailles au château de la Jaille » (1).

C'est du château de la Jaille, situé au bourg de SaintMars, qu'il s'agît ici. De l'étude très approfondie à laquelle s'est livrée madame J. Baudry, il résulte qu'il n'a jamais existé de château dans le bourg même de Saint-Mars, mais seulement un prieuré et une' cour de justice où s'exerçaient les droits seigneuriaux. Un affaissement de terrain s'étant produit d'une façon tout accidentelle, en 1905, devant le château actuel de Saint-Mars-la-Jaille, qui se trouve à un millier de mètres à l'ouest du bourg, sur le cours de l'Erdre, des fouilles pratiquées aussitôt ont mis à jour de vieilles murailles en glacis, revêtues de tiges de lierres, ce qui prouve que ces murs étaient extérieurs, et une porte cintrée, de petite ouverture, donnant sur un reste d'escalier étroit montant dans la base d'une tour, avec, à côté, deux pans de mur perpendiculaires, écartés de quatre-vingts centimètres entr'eux, semblant être une des parois d'un pont-levis, flanqué d'une poterne ouvrant sur les anciens fossés de la forteresse. Ces ruines, par leur aspect antique, révèlent la construction et l'emplacement du château édifié, croyons-nous, par Yvon de la Jaille, après 1363. Les constructions postérieures, notamment celles du XVIIe siècle et le château actuel occupent, à peu de distance près, le même emplacementLa baronnie de la Jaille-Yvon, dont les seigneurs « s'étaient

(1) Histoire des principales familles de Bretagne, par A. du Pas. Paris, 1620.


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distingués aux XIVe et XVe siècles, par leur intrépidité contre les Anglais », dit M. Joubert, en invoquant l'autorité des chroniqueurs « qui ont relaté leurs exploits » (1) — nous savons que ces chevaliers de renom sont les membres de la famille qui nous occupe — était passée, par acquisition, aux mains de René de la Chapelle-Rainsouin, qui s'en déclarait possesseur récent dans un aveu rendu à Louis de Beaumont, en 1448, et en portait aveu direct, le 6 mars 1455, au seigneur de Châteaugontier (2).

Quant à la terre de la Jaille-en-Noëllet, dont le château reconstruit au XIVe siècle, comme l'attestent les ruines subsistantes, servait de résidence habituelle à la famille qui lui a donné son nom, il sortit également de la Maison à la mort de Jeanne de Guignen, qui Pavait en douaire, et fut acquis par un gentilhomme poitevin appelé Guillaume d'Avoines, le premier connu en Anjou, d'une famille ne manquant pas de relief, dont nous croyons utile de donner une brève généalogie, en raison de la confusion trop facile entre ses membres, qualifiés depuis le XVe siècle, seigneurs de la Jaille, et les descendants des sires de la Jaille-Yvon qui n'ont aucune affinité, parenté ni alliance avec ces sosies dont on a tenté de faire contre toute vérité, une branche des descendants d'Yvon.

Un acte de partage de la succession de Guillaume d'Avoines, daté de Poitiers, en mai 1450, attribue à Pierre, fils puîné de Guillaume, la terre de la Jaille, sise en la paroisse de Noëllet près Segré (3).

(1) La châtellenie de la Jaille-Yvon, par A. Joubert, p. 5.

(2) Cet acte cité par M. Joubert, fait voir crue la Jaille-Yvon, parage antique de Châteaugontier, exerçait la haute, moyenne et basse justice, avec droit de pressoir banal et ban vin, chasse à toutes bêtes dans les bois de la Dragerie, et suprématie féodale sur une vingtaine de fiefs, dont les principaux étaient.Bouillé-Téval, Loncheray, la Mothe.... etc.

(à) Dictionnaire des familles du Poitou, par MM. Beauchet-Filleau, t. I, p. 206.


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Marc d'Avoines, seigneur de la Jaille, fils de Pierre, était uni à Jeanne du Bois, en 1475.

Jean, leur fils aîné, épousa Jeanne de Rorthays, fille du sieur de la Durbellière et de Catherine de Maillé. Elle était veuve sans enfants en 1523.

Sébastien, second fils de Marc, devenu seigneur de la Jaille, épousa Louise Garrault, dont il était veuf en 1529, et fut père de :

René I d'Avoines, seigneur de la Jaille et de la Pommeraye, marié en mai 1553, avec Mathurine Briant. Maintenu noble, avec son fils Guy, en 1587, il avait justifié son ascendance jusqu'à Guillaume d'Avoines son trisaïeul. Il eut trois filles, Françoise, Charlotte, Perrine, encore vivantes en 1594.

Guy d'Avoines, seigneur de la Jaille, fils et héritier de René I, épousa le 17 juin 1575, Marie Aubry, dont il eut René, François, Jacques, Madelaine, Charlotte, Sainte et Marie, qui partagèrent la succession paternelle, en 1611.

René II d'Avoines, seigneur de la Jaille, était veuf en 1614 et père de Marguerite, Suzanne, Françoise et Charlotte, mariée à Joseph d'Andigné, qui vendit le domaine de la Jaille-en-Noëllet à son oncle Jacques d'Avoines, frère puîné de René IL

François I d'Avoines, sieur de la Pommeraye, frère cadet de René II, continua la postérité avec Guillemine Couperie, sa femme, qui lui donna François et Renée unie à René d'Andigné.

François II d'Avoines, sieur de la Pommeraye, se qualifiait seigneur de la Jaille, bien qu'il ne possédât point cette terre. Il épousa Jeanne Furet, en 1649, et fut père de RenéFrançois, Elisabeth, Jeanne, Marguerite et Renée.

René-François d'Avoines prenait, comme son père, le titre de seigneur de laJaille ... tout de courtoisie. De Marie Nicolas, il eut : — 1° Jean-Joseph, dit seigneur de la Jaille . . . par courtoisie ; né en 1683, page du roi en 1703,


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mousquetaire en 1709, maintenu noble en 1715, marié en 1712 avec Marie Drouillard, mort avant 1756 ; —2° Sébastien, marié avec Rose Dupont et vivant encore en 1763, dont :

Ambroise-Joseph-François d'Avoines, sieur de la Bonnaudière où il résidait; marié à Nantes, le 4 octobre 1761, avec Agnès Boissonnière, d'une famille de Saint-Domingue, dotée de 50,000 livres argent d'Amérique, et 12,000 livres argent de France. Cette fortune lui permit d'acquérir la terre de Combrée, et de payer 6,500 livres à Pierre-Jacques Ferron de la Ferronnays, maréchal de camp, le fief paroissial de Croisset. Peu après, il devint seigneur effectif de la Jaille-en-Noëllet, par acquisition sur les Maillé ; il recherchait, en 1782, pour son fils, les honneurs de la Cour, se targuant de ce que ce domaine avait été possédé, depuis 1450, par les descendants de Guillaume d'Avoines, sans intervalle jusqu'à cette date. Il avait imposé une litre à ses armes : de gueules au léopard d'argent, à l'église de Noëllet, comme prééminéncier paroissial, en 1777. Son fils unique, François-Joseph-Armand d'Avoines, né en 1762, vivant en 1779, 1782, porta principalement le titre de seigneur de Combrée, dont il habitait le château. Il a joué un rôle actif dans la troupe de Chouans commandée par le vicomte de Scépeaux, à Candé, en 1795 ; mais ce n'est pas lui qui, sous le nom de chevalier de la Jaille, périt en défendant Charette, à Froidefont, en 1796. M. de Combrée avait épousé, le 17 octobre 1779, Elisabeth-Rose de la Mothe de Senones, morte en 1823 ; lui-même était décédé en 1809, laissant deux filles, Rose et Elisabeth d'Avoines, dont la seconde, mariée à Achille Veillon de la Garoullaye, en 1813, fut la mère de Jules Veillon, marié en 1843 avec Alexandrine de l'Esperonnière.

Jacques d'Avoines, troisième fils de Guy et de Marie Aubry, mariés en 1575, était devenu seigneur de la Jailleen-Noëllet, par retrait lignager opéré clans la succession


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des filles de René II d'Avoines, son frère aîné. Obligé de chercher fortune dans le service, il avait été page, puis écuyer de la Grande Ecurie de S, M. Ses mérites furent appréciés, il devint gouverneur dé Montpellier, chevalier de l'ordre du roi (Saint-Michel), et capitaine des gardes de M. le maréchal de Schomberg qu'il suivit assidûment dans ses. campagnes, et qui le fit intendant général de ses domaines en Anjou, dont le centre était Durtal. Il acheta, en 1623, le château de Gâtines, paroisse de Fougère, au nord de Baugé, masse importante flanquée d'une tour à chaque angle, qu'il restaura et augmenta d'une chapelle inaugurée le 14 octobre 1640. Jacques d'Avoines fut tué devant Perpignan, au service du roi, en 1642 ; son coeur fut rapporté à Gâtines et placé sous le maître-autel de' l'église Saint - Quentin - de - Beaurepaire. Sa veuve, Marié Labbé de Champagnette, épousée en mai 1632, se retira au couvent de la Visitation de La Flèche, où elle vivait encore en 1664. Leur fils unique, Jean-François d'Avoines, seigneur de la Jaille, de Gâtines, baron de Fougère, né en 1633, épousa, le 10 juillet 1664 Suzanne de Maillé de la TourLandry, fille de Louis de Maillé, marquis de Guibourg, et d'Eléonore de Jalesnes. Lieutenant-général pour le roi, à Montpellier, en 1649, il mourut au château de la Jaille, le 7 juin 1689, âgé de 68 ans, et fut inhumé le 12 juillet suivant dans l'église de Fougère. Il laissait : Joseph-François, qui suit; Françoise d'Avoines de la Jaille, mariée à François du Boul, et trois autres filles dont une religieuse à La Flèche.

Joseph-François d'Avoines, seigneur dé la Jaille, marquis de Fougère, désigné par Laisné sous le titre marquis de la Jaille (1), marié avec Marie Bigot de Linières, mourut en 1714, laissant une fille unique, Marie d'Avoines de la Jaille, unie à Charles-Henri de Maillé de la Tour-Landry, marquis

(1) Annales de la Noblesse, par Laisné, généalogie du roi, t. 9, p. 460.


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de Jalesnes et baron de Gâtines, mort en 1760. C'est le portrait de cette marquise de Maillé, née la Jaille, que Célestin Port cite comme une des peintures qu'on admirait au château de Jalesnes, alors propriété des Maillé (1).

Nous avons dit comment le château de la Jaille fut racheté aux Maillé par Ambroise d'Avoines, après 1763. Mais le fils et unique héritier de cet acquéreur étant décédé sans hoirs mâles, le domaine fut racheté à nouveau par Charles-François de Maillé, qui le laissa, avec Gâtines, à sa fille Isabelle, marquise de Contades-Gizeux, en 1845 (2).

D'après Célestin Port, le château de la Jaille était encore entouré, il y a un demi-siècle, d'une enceinte fortifiée de hautes murailles, dans le style du XIVe siècle, et de cinq tours, dont l'une était assez vaste pour contenir une chapelle. Des fossés pleins d'eau complétaient cette clôture qu'un portail, avec pont-levis et poterne, ouvrait sur une grande avenue. Actuellement, on n'y voit plus qu'une construction assez somptueuse du commencement du XVIIe siècle.

IV

BRANCHE DE SAINT-MICHEL

I. — GESLIN de la Jaille, seigneur de Saint-Michel-duBois (3), près Pouancé, est considéré par les généalogistes de la Maison de Quatrebarbes, alliée aux la Jaille, comme l'auteur de cette branche cadette de la lignée d'Yvon. Geslin serait le troisième fils d'Yvon de la Jaille, seigneur dudit lieu, près Châteaugontier, vivant au commencement du

(1) Célestin Port, Dict. hist. de Maine-et-Loire, t. II, pp. 187 et 233.

(2) Bibl. nat., ms. Cabinet des titres, fonds d'Hozier et Chérin, dossiers Avoines.

(3) Saint-Michel et Chanveaux, canton de Pouancé, arrondissement de Segré, département de Maine-et-Loire).


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XIIIe siècle, de qui Geslin aurait reçu en partage la terre de Saint-Michel-du-Bois. Cependant, nous connaissons, par un titre de 1212, les quatre fils d'Yvon limitativement énoncés dans un accord d'intérêt collectif (1) ; le nom de Geslin de la Jaille n'y figure point. La période d'existence de ce seigneur de Saint-Michel en fait plutôt un contemporain qu'un successeur d'Yvon VII. Nous avons dit que Geslin ou Gosselin de la Jaille, familier de la Maison de Craon, à laquelle appartenait son aïeule, était nommé pour un legs de dix livres, dans le testament de Maurice de Craon, daté du départ de la croisade, en 1190 (2). Nous voulons voir en lui un fils de ce Pierre des Moustiers, que. ses intérêts retenaient en Craonnais ; il aurait été frère puîné d'Y von VII, dénommé Yvon des Moustiers avant son accession à la châtellenie de la Jaille (1200). Dès lors, on devra reconnaître en Geslin un petit-fils de Geoffroy Téhel, craonnais avéré, mais possesseur depuis 1150 environ, par succession maternelle, croyons-nous, de la terre de Saint-Michel-du-Bois, dont il sera naturel qu'ait hérité son petit-fils. C'est aussi par cette voie que Geslin sera entré en possession du fief de la Rouaudière, près Saint-Aignan-de-la-Roë, en Craonnais, longtemps conservé par ses descendants. Les généalogistes des Quatrebarbes l'en ont reconnu détenteur en 1203 (3).

Chevillard (4) marie Geslin, qu'il nomme Gisles ou Gislain de la Jaille, avec Nicole de Beauvau (5), alliance possible mais ne ressortant d'aucun texte. Les titres de la Primaudière font voir qu'avant les premières années du XIIIe siècle, Geslin avait pour femme Agathe, fille unique et héritière

(1) Bibl. nat., ms. latin 5446, fos 113 et 210.

(2) D. Housseau, t. VI, n° 2135. Gosselino de Jalià X libras.

(3) Bibl. nat., mss. dossier bleu 549 : Quatrebarbes.

(4) Histoire de la Maison de Beauvau, ms. 16795, à la Bibl. nat. Paris.

(5) Beauvau, armes : d'argent à quatre lionceaux cantonnés de gueules.


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de Geoffroy Bourreau (1), seigneur de Migné-Bourreau (2) et de la Tonnelle, près Montreuil-Bellay, vivant en 1170. Lorsqu'en 1208, Geoffroy de Chateaubriand, Guillaume de la Guerche, seigneur de Pouancé, Hervé de la Prévière, fondèrent, avec l'approbation de l'évêque d'Angers, le prieuré de la Primaudière (3), au bord d'un ruisseau entouré de bois, à l'extrémité orientale de la forêt de Juigné, Geslin de la Jaille, un des plus proches voisins de cet établissement, en raison de sa résidence de Saint-Michel, joignit ses dons à ceux des fondateurs. Il enrichit le nouveau monastère de vastes terrains situés aux alentours de Saint-Michel, et de rentes à prélever sur son domaine de la Huberdière, près Pouancé. Agathe Bourreau, sa femme, Alain, leur fils aîné, approuvèrent ces concessions dont résulteront plus tard des procès, par suite d'excessif empiètement des moines. Mais Agathe, devenue veuve et voulant faire dire des messes pour son mari, augmenta les libéralités de celui-ci par des dons de dîmes sur ses propres biens, 1226 (4). On leur connaît deux fils : — 1° Alain, présent à la fondation du prieuré de la Primaudière, en 1208, qui servit sous la bannière de Guillaume de Thouars, seigneur de Candé, contre les Anglais, et faisait partie, en 1212, avec Foulques de la Jaille, son cousin, d'une chevauchée stationnant à la Suze, au sud du Mans (5) ; il portait le nom d'Alain de Saint-Michel, et mourut avant son père, sans hoirs ; — 2° Raoul, qui suit.

II. — RAOUL I de la Jaille, seigneur de Saint-Michel-du(1)

Saint-Michel-du(1) armes : d'argent à six frezées de sable posées en bande.

(2) Migné-Bourreau, commune de Méron, canton de Montreuil-Bellay, arrondissement de Saumur, département de Maine-et-Loire.

(3) La Primaudière, hameau de la commune de la Prévière, canton de Pouancé, arrondissement de Segré (Maine-et-Loire.)

(4) Bibl. nat., mss. P. O. 473, dossier bleu 549, p. 460.

(5) Histoire de Bretagne, par D. Morice, preuves, t. I, col. 820, 882.


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Bois, la Huberdière, la Rouaudière (1), Migné-Bourreau et le Pin, avait succédé à son père et à son frère, en 1226, date à laquelle, se disant fils et héritier de Geslin de la Jaille et d'Agathe Bourreau, il donnait aux religieux de la Primaudière un setier de blé de rente, mesure de Pouancé, à prélever sur son tènement de la Huberdière (2). En 1232, nouvelle libéralité envers la même Maison, gratifiée par Raoul d' « une place à faire un étang pour édifier un moulin » dans les bois de Saint-Michel, origine probable de l'étang de la Primaudière et du moulin de l'Etang, situés aux sources de l'Oudon, en bordure de la forêt de Juigné.

Raoul avait épousé Olive.d'Ampoigné (3), laquelle n'était pas une personne de Segré (persona Segrei) (4), comme l'a cru M. Joubert, mais simplement la fille ou la nièce de Philippe d'Ampoigné, curé de la paroisse de la Madeleine.de Segré (sacerdos persona ecclesix, Sanctae Magdalenae Segrei) (5), selon un texte de l'abbaye craonnaise de Grandmont, daté de 1227, et dont elle hérita, notamment la métairie du Pin (6).

Les historiens de la Maison Quatrebarbes, sautant à pieds joints trois générations, attribuent à Raoul I la paternité de Briand de la Jaille, dont ils constatent la présence à Ampoigné, en 1316. La filiation de Briand n'est pas énoncée: on remarque seulement qu'il se trouve, au début du XIVe siècle, en possession de tous les biens jadis détenus par

(1) La Rouaudière, canton de Saint-Aignan-de-la-Roë, arrondissement de Châteaugontier (Mayenne). On y voyait encore, il y a un demisiècle, les restes d'un château fort relevant de Pouancé.

(2) La Huberdière, hameau de la commune de Pouancé, arrondissement de Segré (Maine-et-Loire).

(3) Ampoigné, armes : d'argent au treillis de sable, avec une fasce de gueules en surtout.

(4) Arch. dép. de Maine-et,Loire, E 1139, 1140 : H, cart, de Grandmont, fos 49-91.

(5) D. Housseau, t. VI, n° 2655.

(6) Le Pin, hameau de la commune d'Ampoigné, arrondissement et à 2 lieues.ouest de Châteaugontier..


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Raoul de la Jaille. La transmission de ces biens paraît s'être produite par une double alliance dont il est nécessaire d'établir les lignes.

Disons d'abord que l'héritage total de Raoul était, en 1244, au mains de Guillaume de la Mote de Juigné, gentilhomme d'un voisinage très proche, qui, à cette date, gratifia la Maison de la Primaudière, de toutes les dîmes en blé et vin qu'il prélevait à l'Hommais (1), près Armaillé, à la Chesnaie, bordage de son château de Saint-Michel-du-Bois et au Ronceray, paroisse de Noëllet (2). Bien que la généalogie des seigneurs de Lamote-Baracé donne pour femme à ce Guillaume une Emine de Bourmont (3), dont on ne trouve point la trace dans les actes de ce personnage, nous pensons que, marié deux fois, cas très fréquent à toute époque, Guillaume de la Mote a dû épouser, en second lieu, la fille de Raoul de la Jaille qui lui apporta, avant 1244, les terres de SaintMichel, la Rouaudière, l'Hommais. .. . etc., ainsi que celle du Pin, provenant d'Olive d'Ampoigné.

Guillaume eut pour successeur dans ces biens essentiellement maternaux, son fils puiné, Philippe, dont le prénom rappelle d'assez près celui du curé de Segré, beau-père de Raoul de la Jaille, pour faire supposer qu'il ait été le petitfils de Raoul de la Jaille et d'Olive d'Ampoigné.

Philippe de la Mote, qualifié seigneur de Saint-Michel-duBois, était, avec Gérard Chabot, les évêques de Rennes et de Nantes, exécuteur des dernières volontés de Geoffroy de Chateaubriand, son parent, dont la fille était mariée avec Yvon de la Jaille, 1263 (4). Philippe eut trois filles unies aux sires de la Jaille, de Rosmadec et de la Hunaudaie.

(1) L'Hommaie, hameau de la commune d'Armaillé, canton de Pouancé, arrondissement de Segré.

(2) D. Housseau, t. VII, n° 2930 et ms. français 31705.

(3) Le Coudray-Monlpensier, par l'abbé Bosseboeuf, p. 170.

(4) Généalogie manuscrite de la Maison de Lamote-Baracé ; com. du marquis de Lamote.


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Marthe de la Mote, l'aînée, héritière de Saint-Michel, la Rouaudière, le Pin, Migné-Bourreau, c'est-à-dire de tous les fiels provenant du ménage la Jaille-Ampoigné, rapporta ces biens dans la Maison de la Jaille en épousant, en 1275, Yvon IX, et les transmit à son fils puiné, qui suit :

III. — BRIAND I de la Jaille, seigneur de Saint-Michel-duBois, la Rouaudière, la Huberdière, le Pin et Migné-Bourreau, hérita des biens maternaux comme fils puiné d'Yvon IX, seigneur de la Jaille-Yvon et de Marthe de la Mote. Nous l'avons placé à son rang dans la filiation de la branche aînée. Son prénom, provenant de la Maison de Chateaubriand, laisse supposer qu'il eut pour marraine sa grand'mère, Marguerite, dont la succession ne fut réglée qu'en 1300. Il marquait ses actes du sceau des aînés de la Jaille, avec une légère brisure de cadet : d'or à un léopard lionné de gueules et cinq croisettes d'azur en orle (1), au lieu des cinq coquilles rappelant la croisade de Damiette ; mais les croisettes comme les coquilles sont les emblèmes caractéristiques du voyage en Orient. La première notion qu'on ait de lui date de 1300 : « Monsour Brient de la Jaille, chevaler » figure, à cette date, comme garant de l'accord passé entre Geoffroy de Chateaubriand et Isabeau de Couesmes, touchant les droits des jeunes la Jaille, ses neveux, dans la succession de Marguerite de Chateaubriand, leur « bisaiole » (2). Briand de la Jaille ne.pouvait jouer ce rôle qu'à titre de curateur des fils de son frère, nommés Yvon, Briand, Raoul, que nous verrons lui succéder. Nous avons dit qu'on avait relevé la présence de Briand I, à Ampoigné, en 1316. Il y faisait, avec Jean de la Loherie et Denise, sa femme, un échange de biens situés à Charmbre(1)

Charmbre(1) nat., ms. P. 0. 473. Dossier Bourreau.

(2) Histoire de Bretagne, par D. Morice, preuves, t.1, col. 113


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zais, entre le manoir de la Loherie et la métairie du Pin (1). Briand I mourut célibataire, laissant sa fortune à ses neveux.

IV. — BRIAND II de la Jaille, seigneur de Saint-Micheldu-Bois, la Rouaudière, la Huberdière, le Pin et MignéBourreau, était le second fils d'Yvon X, seigneur de la Jaille-Yvon et d'Isabeau de Couesmes. Il était sous la tutelle de sa mère en 1300. Il est nommé, avec ses frères en 1333, dans le testament de Jean le Bigot, seigneur de Laigné (2). Le contrat de mariage de sa nièce, passé vingt ans plus tard, nous apprend qu'il posséda les biens de la branche de Saint-Michel et les transmit par héritage à son frère Raoul.

V. — RAOUL II de la Jaille, seigneur de Saint-Micheldu-Bois, etc., est énoncé frère et héritier de Briand dans le contrat de mariage de sa fille, passé après son décès. Connu en 1300, cité dans l'acte testamentaire du sire de Laigné, en 1333, il n'existait plus en 1350. Il avait épousé, en 1330, Catherine, dame de l'Angle, dont il eut :

1° Briand, qui suit ;

2° Hector, qui vient après ;

3° Olive, mariée par contrat du 8 avril 1353, à Pierre de Quatrebarbes, seigneur de la Rongère. Sa mère, du consentement de son fils aîné Briand de la Jaille, donna à l'épouse 200 écus d'or en dot, avec l'hébergement de Maine, en la paroisse de Saint-Michel-du-Bois, la terre du Pin, sise à Ampoigné « ainsi que la souloit tenir monsour Briand de la Jaille, frère de Raoul, dernier déceddé, avecques tous les héritaiges qui en despendent, tant à Saint-Ouvoul corne ailleurs » (3). Le mariage fut célébré à Angers.

(1) Bibl. nat., ms. P. O., carrés d'Hozier, aux noms la Jaille et Quatrebarbes.

(2) D. Villevieille, ms. français, 31931, au nom Jaille:

(3) Bibl. nat., ms., dossier bleu, 549, p. 43.


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VI. — BRIAND III de la Jaille, seigneur de Saint-Micheldu-Bois . . . etc., avait succédé à son père, Raoul II, en 1350, quand il répondit personnellement à l'appel de l'arrière-ban d'Anjou (1). Il assista, le 8 avril 1353, à Angers, au mariage de sa soeur Olive avec Pierre de Quatrebarbes, et consentit aux époux des avantages assez considérables pour qu'on puisse en conclure qu'il n'était pas marié. Il se réservait « à défaut d'enfant mâle » devant provenir de sa soeur, la reprise du domaine du Pin, concédé en dot à celle-ci (2). Il eut pour héritier son frère, qui suit.

VII. — HECTOR I de la Jaille, seigneur de Migné-Bourreau et de l'Angle, second fils de Raoul II et de Catherine, accéda, après Briand III, aux fiefs d'aînesse de sa branche et continua la postérité. Les générations de cette branche de la Maison de la Jaille sont restées confuses pour les généalogistes, qui n'ont vu qu'un seul Briand dans les trois seigneurs de Saint-Michel qui viennent de se succéder, non moins que pour l'excellent du Pas, qui a fait de Briand III un fils d'Yvon XII, tandis qu'il est issu, au second degré, d'Yvon X. Les documents provenant de la Maison Quatrebarbes ont servi à éclaircir cette question. Mais les plaidoiries, surtout, d'un procès jugé au Parlement de Paris, en 1445, ont jeté un jour nouveau sur les filiations, en faisant connaître Hector I, grand-père du plaidant, en le disant fils de Raoul et petit-fils du seigneur de la « baronnie ancienne » de la Jaille, qualification qui ne peut s'adapter qu'à Yvon X, seigneur de la Jaille-Yvon, connu de nous, déjà, comme père de Raoul II. C'était une réponse contradictoire à l'adversaire, prétendant que le père du plaignant était de « bien petite abstraction ». Hector de la Jaille était sur(1)

sur(1) mun. d'Angers. Collection Thorode.

(2) Bibl. nat., ms., cabinet d'Hozier, 281, Quatrebarbes, 1er cahier, fol. 8.


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nommé le Guierchois, ce qui fait croire qu'il résidait souvent à la Guerche, la Rouaudière, terre de sa famille étant voisine de cette ville. Il est certain qu'il y possédait des moulins à foulons, à tanner, etc., comme il y en avait partout à l'époque, et qu'il en surveillait d'assez près l'industrie, ce qui faisait dire à l'avocat de l'adversaire : « Cestui-là fust tanneur, riches homes, et tint son fils en estat pour sa richesse .... » insinuation digne de tout avocat à toute époque. « Oncques l'aïeul du défendeur ne fust tanneur . .. oncques n'oy parler de guiercher ne de tanner dans son lignage ... », voilà ce qui fut parfaitement établi en pleine Chambre des Requêtes (1).

Hector de la Jaille avait épousé N. de Théhillac, qui eut la seigneurie de l'Angle pour son douaire (2). Ils laissèrent :

1° Briand, qui suit ;

2° Raoul, seigneur de la Rouaudière, où il prit à femme une Perronelle, qui, veuve de Raoul de la Jaille, portera, en 1414, à Pouancé, l'aveu de la métairie des Ormeaux, qu'elle avait en douaire (3). Il délivra, le 7 février 1370, à un nommé Colin de Tours, fermier de certaines recettes, au pays Nantais, quittance de vingt-sept francs huit sous dont il se tint « pour bien paie », étant la dite somme tout ce qu'il pouvait prétendre sur sa « recepte du Maillan », depuis le temps que ce Colin en avait la gestion (4). Il scella cette pièce d'un écu coupé en chef de cinq, fleurs de lys, avec, dans le champ, un léopard passant, nouvelle modification du blason des la Jaille. Il fit la guerre en Flandres, sous Charles VI, comme le prouve une revue signalée plus loin, et vécut jusque vers 1413 ; comme il n'eut pas d'enfants, ses biens firent retour à son frère aîné ;

3° Isabeau, mariée en 1392, à Amaury de Mathefélon.

(1) Arch. nat., reg. X/la 4800, fol. 103-104.

(2) Dict. des fiefs de la Loire-Inférieure, par M. de Cornulier,

(3) Dict. de la Mayenne, par l'abbé Angot, au nom la Bouaudière.

(4) Arch. dép. de la Loire-Inférieure, E 233.


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VIII. — BRIAND IV de la Jaille, seigneur de Saint-Michel, la Rouaudière, la Huberdière, Migné-Bourreau, l'Angle, fils aîné d'Hector I et héritier de son oncle Briand III, servait, comme écuyer, avec Raoul de la Jaille, son frère, dans une compagnie de trente hommes d'armes commandée par Jean du Hallay, aux guerres de Flandres, devant le Dam, près Arras, « à rencontre des Anglois » et des Flamands leurs alliés, sous la bannière du sire de la Trémoille (1). Il ne tarda pas à être armé chevalier et fournit une carrière militaire digne de considération. Riche homme, le disait-on, et tenant son « estat », il en fit preuve par un brillant mariage ; il épousa, vers 1395, Jeanne de Tigné (2), fille de Nicolas, sire de Tigné, possesseur de la forteresse de ce nom, au sud de Saumur (3), une des principales de cette partie de l'Anjou. Jeanne était la nièce de Jeanne de Tigné, alors veuve de Jean de Beauvau, mort en Italie, en 1391, un des officiers les plus distingués de la Cour angevine, dont les fils, Pierre de Beauvau, seigneur de Champigny ; Bertrand, seigneur de Pressigny, et Jean, évêque d'Angers, allaient jouer un rôle prépondérant dans les affaires publiques (4). Des filles de la même Maison, tantes ou soeurs de la dame de la Jaille, étaient les clames de Montbrillais, de Bouille, etc. On voit dans quel milieu vivait Briand de la Jaille, que la médisance des plaideurs n'épargnait pourtant pas. « Le seigneur de Tigné, déclarera l'avocat Rapiout, au procès de 1445, avoit une fille qui n'estoit guères bien censée, et pour ce fust-elle baillée à ce fils de tanneur » (5). Jeanne de Tigné, très âgée à l'époque

(1) Clérambault, titres scellés, vol. 57, fol. 4223 bis.

(2) Tigné, armes : d'argent à la croix paltée et gironnée de sable et de gueules de l'un dans l'autre.

(3) Tigné, sur le Layon, canton de Vihiers, arrondissement de Saumur (Maine-et-Loire). — Ruines remarquables.

(4) Bibl. nat., ms., dossier bleu 634, et cabinet d'Hozier, 35.

(5) Arch. nat., reg. X/la 4800, fol. 103-104.


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où parlait Rapiout, était tombée en enfance, car on voit par le contrat de mariage d'une de ses petites filles, daté de 1443, que le fils était alors « curateur donné par justice à la dite dame de Tigné, sa mère ». Insidieusement, l'avocat faisait remonter cet état jusqu'à l'époque du mariage de Jeanne.

Briand de la Jaille aimait le séjour de Saint-Michel-duBois, dont il avait reconstruit les tours et les murailles sur un plan formidable, assure-t-on (1). Il y régla, par un accord passé avec le prieur de la Primaudière, les droits d'usage qu'ils exerçaient en commun dans les bois de cette seigneurie.

Le prieur de la Primaudière prétendait avoir, comme ses prédécesseurs avaient, de toute ancienneté, le droit de prendre sur la métairie du Chastellier appartenant à messire Briand, deux setiers de seigle de rente, mesure de Pouancé. Il prétendait exercer le forestage (2) sur la coupe des taillis de Saint-Michel, par don spécial des anciens seigneurs du lieu. Il prétendait pouvoir circuler avec gens, troupeaux, chariots, sur les chemins de la seigneurie pour aller et venir à son prieuré, sans indemnité ni péage. Il prétendait chasser, prendre bêtes rousses ou noires, dans les taillis du Chastellier et de la Pinçonnière, propriété du seigneur Briand. Il prétendait encore avoir le pâturage, le segréage et la glandée sur toute la terre appartenant au dit sire. Mais le sire de Saint-Michel affirmait que jamais ses ancêtres n'avaient consacré de tels empiétements ; que les exigences du prieur résultaient d'abus tolérés par la complaisance des métayers au détriment du maître .... et qu'il voulait en avoir raison. Aussi l'accord intervenu ne reconnut-il au prieur de la Primaudière que

(1) Célestin Port, Dict. hist. de Maine-et-Loire, au nom Saint-Michel et Chanveaux.

(2) Douze deniers par livre sur la vente du bois.


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sa rente de seigle et le pâturage parmi les brousses et les landes du Chastellier et de la Pinçonnière ; le surplus fut abrogé, et les conclusions adoptées furent transcrites sur un acte, à la Primaudière, le 19 décembre 1403, en présence de Simon de la Porte, Jean Tillon, Raoul de la Jaille, Thomas Moreau, Perrot de la Touche et Macé Tessier (1).

A la mort de Raoul, la terre de la Rouaudière avait fait retour à Briand, qui en fit aveu, à Pouancé, l'an 1414 (2).

Briand IV, que sa haute situation de fortune et sa parenté avec les Beauvau attiraient au centre des affaires publiques, était chambellan du comte d'Armagnac, beau-père du duc d'Orléans, et prenait part à toutes les luttes des partis qui déchiraient la France. C'est à lui que la chronique de Cottignies attribue un rôle épisodique, durant le sac de l'abbaye de Saint-Denis, par les Armagnacs, en août 1412. Sachant que les trésors d'Isabeau de Bavière avaient été déposés dans les caveaux, le comte « les parcourut à la lueur des torches, accompagné du sire de la Jaille, son chambellan, et de quatre écuyers (3) ». A la découverte d'un grand coffre de fer fermé de serrures d'argent, le comte, sur le refus d'ouvriers qui ne voulurent pas consentir à une violation, saisit un gros marteau dont la Jaille et lui, tour à tour, frappèrent et rompirent le coffre, après deux heures d'efforts. On y trouva beaucoup d'argent, des bijoux, même une couronne qui fut remise au duc d'Orléans, dont ce parti prétendait faire un roi de France (4). Briand de la Juille, avec tout ce que la Cour contenait de plus empanaché, paya sa témérité et celle des siens, l'année 1415, en octobre,

(1) Arch. dép. de Maine-et-Loire, G 931.

(2) Dict. hist. de la Mayenne, par l'abbé Angot, au nom la Rouaudière.

(3) Mazas. Vie des grands capitaines français du Moyen-Age, t. IV, p. 363.

(4) Charles, duc d'Orléans, fils de Louis, assassiné par. le duc de Bourgogne, et petit-fils de Charles V.


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sur le champ de bataille d'Azincourt. Il y périt avec ses deux fils aînés (1). La bannière qu'il arborait, dans cette journée funeste, portait, paraît-il, les armes pleines de la branche aînée : d'or au lion de gueules passant entouré de coquilles d'azur, mais on y voyait en plus, pour brisure : « une fleur de lys d'argent en l'espaulle », c'est-à-dire en canton, selon un manuscrit du XVe siècle, qui le nomme Brieux (2).

Des enfants laissés par Briand IV, nous connaissons :

1° Guillaume, qui suit ;

2° Hector, qui vient après ;

3° Marguerite, mariée à Jean Hérisson, seigneur du Plessis-Buret ;

4° Guyonne, unie à Guy de la Jaille du Vivier.

IX. — GUILLAUME I de la Jaille, seigneur de SaintMichel .... etc., se signala dans les guerres contre les Anglais, à l'époque de l'invasion de l'Anjou. Il s'unit, en 1422, aux gentilshommes qui, sous les ordres du comte d'Aumale et du duc d'Alençon, défendirent avec succès Craon et Châteaugontier. L'année suivante, William Poole, comte de Suffolk, s'établit devant Segré, sans parvenir à enlever la place ; les troupes anglaises pillèrent et rançonnèrent les environs; elles occupèrent plusieurs forteresses, entr'autres le château de Saint-Michel-du-Bois (3), par Guillaume remis à la garde de son frère, Hector, à qui l'on reprochera plus tard de l'avoir laissé prendre. Ils échouèrent devant la Gravelle, sur les marches de Bretagne, où le comte d'Aumale les attaqua et les dispersa. Guillaume de

(1) Arch. nat., reg. X/la. 4800, fol. 103 et suiv.

(2) Histoire de la Maison de Broc, par l'abbé Ledru. — Bibl. nat., imp. Lm/3, 2517.

(3) Célestin Port, Dict. de Maine-et-Loire, au nom Saint-Michel et Chanveaux.


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la Jaille périt le 17 août 1424, à la bataille de Verneuil, tombeau de la chevalerie française (1).

X. — HECTOR II de la Jaille devint seigneur de SaintMichel-du-Bois, la Rouaudière, Migné-Bourreau, après son frère aîné. Il avait eu d'abord en partage la seigneurie de l'Angle, en Guenrouët, provenant de sa bisaïeule. Il la vendit quelques années après à Robert Eder, qui s'en qualifiait seigneur en 1435.

Hector, disait-on, étant jeune écuyer « issu de grant et noble lignée et de père et de mère et des plus grans de Bretagne » (2), avait assisté à la bataille de Baugé « ou fust tué le duc de Clarence », 22 mai 1421. L'année suivante, il s'était distingué au combat de la Gravelle, où il fut armé chevalier. Mais par suite d'une surprise ou d'une absence, il avait « laissié prendre la place de Saint-Michel quant les Anglois y sont venuz ». Hector racheta cette défaillance par le concours donné aux expéditions de Jeanne d'Arc et du comte de Richemont. Servant alors à la tête de trois cents hommes d'armes à sa solde, Hector de la Jaille, qualifié chevalier, conseiller et chambellan du roi, prit rang, en 1429, parmi les bannerets envoyés au secours d'Orléans contre les Anglais, eut part active aux combats donnés autour de la ville, assista au Sacre du roi à Reims, et signala sa valeur « en plusieurs nobles journées », pendant la durée de la glorieuse campagne qui suivit. Il est cité au nombre des capitaines de gens d'armes qui reçurent du trésorier Hémon Raguier, des récompenses en argent pour leur service « en plusieurs places fortes et campagnes au delà des rivières de Seine et de Marne » (3).

En 1431, venant d'épouser Jeanne Le Sénéchal (4), Hector

(1) Arch. nat., reg. X/la 4800, fol. 103 et suiv.

(2) Arch. nat., reg. X/la 4800, fol. 103 et suiv.

(3) Bibl. nat., ms. français 20684, p. 563.

(4) Le Sénéchal, armes : d'azur à neuf losanges d'or, posés 3, 3, 3.


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faisait un séjour dans le château de l'Angle, encore en sa possession, et en portait l'aveu à la baronnie de Fresnay. Il y recevait ensuite les déclarations de ses vassaux pour les villages de l'Angle, Guinhu, Crondas, Trégueux, SaintClair, Trélan, Juzan, Levrisac, Mahneuf, en Guenrouët... (1).

Veuf peu après, il épousa, en 1433, Isabeau de Husson (2), fille d'Olivier, comte de Tonnerre, chambellan du roi Charles VII, et de Marguerite d'Orange, dame de Mathefélon et de Durtal, terres considérables dont Hector devint possesseur, par ce mariage. Ces terres, apanage de la Maison de Champagne, avaient passé, par une alliance, aux Parthenay-l'Archevêque. Marie de Parthenay les porta à Louis de Châlon-d'Orange, comte de Tonnerre, dont la fille aînée fut unie à Olivier de Husson, père d'Isabeau, la nouvelle dame de la Jaille.. Elle en fit, par son mari, l'aveu au duc d'Anjou, et reçut aussitôt les déclarations de ses vassaux, dont un des principaux était Geoffroy de Chemans, seigneur de Moulins (3). Le ménage la Jaille compléta ses droits sur ces riches domaines, en achetant, pour dix mille écus d'or, à Jeanne de Châlon, soeur de la mère d'Isabeau de Husson, toute la réserve qu'elle avait sur Durtal, Mathefélon et Cingé. L'aveu en fut remis à la reine de Sicile, duchesse d'Anjou, l'an 1434 (4).

Une forteresse de l'importance de Durtal était exposée aux coups de main des Anglais. Le roi y entretenait une garnison. Les compagnies franches de Gautier de Brusac et de Louis de Bueil l'occupèrent pendant les premières années du règne de Charles VII. En 1435, Jean de Brézé touchait « xxx paies à Durestal », et plus tard, « mil francs »,

(1) Arch. dép. de la Loire-Inférieure, E 325. Guenroüet, canton de Saint-Gildas-du-Bois, arrondissement de Savenay.

(2) Husson-Tonnerre, armes : d'azur à six annelets d'argent.

(3) Arch. dép. de Maine-et-Loire, série E 2902.

(4) Histoire de plusieurs illustres Maisons de Bretagne, par A. du Pas, Paris, 1630.


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avec un écorcheur nommé Floquet, pour l'entretien de leur bande dans cette place (1). Il paraît que messire Hector, tout entier aux douceurs de la lune de miel, avait, peu après son mariage, laissé prendre aux ennemis le château de Durtal, comme il avait auparavant laissé prendre SaintMichel ; mais ici « la Jaille le reprint d'amblée » c'est-à-dire d'assaut, ce qui constitue un joli fait d'armes. Quand Jean de Brézé, envoyé pour occuper la forteresse, se présenta avec ses routiers, le pont-levis fut levé ; la Jaille ne voulait pas d'intrus chez lui. Jean de Brézé feignit la retraite, revint de nuit et entra par escalade. Le jeune ménage surpris, perdit la tête « et se muça la Jaille en la paille du lict ». Voilà la suite des cancans des avocats du Parlement de Paris ! Quoi qu'il en soit, dix ans plus tard, Hector de la Jaille, assagi, avait la garde de forteresses picardes situées en pleine occupation anglaise ; il était, en 1445, gouverneur et bailli des villes et places fortes de Nesles, Athis et Cappy (2), postes avancés, positions de confiance où il n'était point d'usage de se cacher, à la moindre alerte, dans la paillasse d'un lit. On le revit encore en service actif, sous le duc de Calabre, au siège de Rouen et durant la brillante campagne de Normandie, signalée par la prise de Cherbourg, 1449-1450 (3).

C'est l'époque du procès Tigné, dont les plaidoiries ont projeté, sur nos personnages, de si curieux rayons de lumière. Nous en avons déjà utilisé quelques-uns ; il n'est pas sans intérêt d'en puiser d'autres dans les développements de cette affaire compliquée.

Nous avons dit qu'Hector de la Jaille était le fils de Jeanne de Tigné, soeur de Jean II, seigneur baron de Tigné, qui, lui-même, était neveu d'une autre Jeanne de Tigné, mère

(1) Char trier de Thouars, trésor de Craon, publication de M. le duc de la Trémoïlle.

(2) D. Villevieille, ms. français, 31931, au nom Jaille.

(3) Chronique d'Anjou et du Maine, par Bourdigné, t. II, p. 197.


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des Beauvau. Jean avait eu, d'une première femme dont le nom n'est pas connu, deux fils, Amaury, marié avec Jeanne de Maillé, et Renaud, époux de Catherine de la Porte; les jeunes hommes moururent sans hoirs avant leur père. Celui-ci, pouvant dès lors disposer de ses biens comme il l'entendait, légua la terre de Tigné, valant 1000 livres de revenu, à Jean de Beauvau, deuxième fils de Bertrand, seigneur de Pressigny, qui prit, selon le désir du. testateur, le nom de Beauvau-Tigné ; puis il fit don de tous ses meubles à son autre neveu, Hector de la Jaille, parent d'un degré plus rapproché et qui aurait bien voulu faire révoquer le don de Tigné aux Beauvau. Il n'y parvint pas, malgré l'empressement qu'il mit à se rendre au chevet de son oncle mourant.

Jean de Tigné avait contracté une seconde union avec une Guillemette de la Croix, qu'on disait bien née, parente des Tucé et même du fameux Ambroise de Loré. Son frère était marié à Isabelle d'Orenges, cousine-germaine du comte de Laval. Pour beaucoup, Guillemette était une aventurière. Veuve d'un breton, Macé Hacry « qui pour noble estoit tenu, aussi vivoit-il noblement et richement », elle avait épousé en secondes noces le sire de Bérainville, « vaillant chevalier, cousin du sire d'Estouteville et du baron de Colonges », qui, simple page, s'était, à la bataille de Baugé, « si bien aidé d'un arc et d'une lance», que Colonges l'avait fait son écuyer. Le duc d'Aumale, l'année suivante, l'arma chevalier devant la Gravelle. Le duc d'Alençon lui donna la capitainerie de Châteaugontier, et le roi le nomma conservateur des trèves, mission confiée aux plus considérés. Bérainville mourut sous Avranches, enlisé dans les sables mouvants en poursuivant les Anglais vers Tombelaine, et. ses compagnons d'armes le firent inhumer au Mont-Saint-Michel.

Tels étaient les deux premiers maris de Guillemette de la Croix, au dire de ses amis. D'autres les présentaient sous


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des aspects moins brillants ; d'après ceux-ci, Hacry n'était qu'un « riche marchant publique». On avançait que Bérainville « fust premièrement charretier suyvant les guerres, puis fust archer, puis butineur de gens d'armes » et voilà tout.. Quant à Guillemette, après la mort de Bérainville, « elle demora avecques ung nommé Halet et se esbaty bien avecques lui ».

Ces propos sont peu croyables, lorsqu'on voit Guillemette de la Croix traiter du mariage de sa fille avec un personnage de l'envergure de Jean de Tigné. Car ce fut le sujet qui les rapprocha ; mais Guillemette encore jeune, intrigante et « riche dame », comprit bientôt que le galant tournait vers elle. Jean de Tigné « fit grans diligences et dons à aucuns pour Guillemette avoyr à femme, car moult l'amoyt ». Il l'épousa. Elle apporta dans le ménage les terres d'Aubigné et du Ménil, beaucoup d'argent liquide, et reçut un douaire de 300 livres de revenu. Cette fortune fut en partie gaspillée par Jean de Tigné qui « gouvernoit à son plaisir comme mary doit faire ».

Celui-ci mort, Hector de la Jaille et Guillemette de la Croix se trouvèrent en conflit immédiat. L'héritier « fist porter aussitôt le defunct à l'église pour n'y avoyr plus cure ». Guillemette voulait « qu'il fust fait honourablement Où qu'elle aimeroyt mieux païer ». Mais il y eut « très petites finances » aux funérailles du baron ; et le tout « ne cousta que sept francs pour convoitise d'avoyr plus ... », bien qu'Hector eut « prins deux tasses montant plus de quatre marcs d'argent pour fayre les frais funéraires ».

L'inventaire commença. Guillemette se refusa d'exhiber tous les objets mobiliers ; elle y mit une telle âpreté, qu'il fallut la tenir « prisonnière » et « gehenner Colas Hugain, argentier, jusqu'à effusion du sang par les conduiz », pour obtenir la délivrance de certains dépôts. Hector, escorté du sieur de Couesmes, son capitaine d'armes, dut « aler au coffre de Boisbelet où y avoit VIIIe escus à Guillemette que


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il print, bien que elle avoit dit que n'avoit rien au coffre », ce qui paraissait frauduleux. Bref, les difficultés opposées par la veuve Tigné ne permirent de dresser l'inventaire que « de chambre en chambre en superficie sans desclarer ni estimer », ce qui suffisait de la part de l'héritier pour accepter la donation.

Cette situation devait conduire à un procès. Il s'ouvrit au Parlement de Paris, en 1443, et dura jusqu'en 1445. Guillemette de la Croix réclamait la délivrance de son douaire ; de plus, elle actionnait la Jaille au sujet de prétendus excès commis contre elle au moment de l'inventaire. Hector avait, au dire de la plaignante, « baillé une grande déclaration qui montait beaucoup et reçu XVIIIe escus pour le relief de certaines terres, plusieurs rentes viagères à retrait et en recevait tous les jours », tandis qu'il la laissait dans la pénurie et dans l'embarras, n'ayant touché que 200 francs, obligée de vendre des héritages appartenant à son fils, pour vivre et s'entretenir petitement.

Luillier, avocat de la Jaille, réduisait à leur valeur, comptes en main, les droits et les exigences de la plaignante, mais il avait le tort de faire, sur la vie privée de cette dame, une excursion manquant de toute réserve, affirmant que « ceci sert bien à son propos » lequel tendait à « monstrer le gouvernement dont elle a tousjours esté ».

Rapiout, l'adversaire, avocat en vogue car on voit son nom au bas d'un nombre considérable de plaidoyers, ripostait avec une langue de vipère. C'est lui qui lançait à la face d'Hector de la Jaille tous les commérages que nous connaissons, basse extraction, fortune tirée d'une tannerie, piètre conduite à la guerre, abandon à l'ennemi des forteresses de Saint-Michel et de Durtal, et cette faiblesse, devant Brézé, de. s'être caché dans la paillasse de son lit. De ces injures, la Jaille en reçut « que ne voulsit lui avoyr esté dit pour xm escuz d'or ».

Sachant combien, de ce côté-ci, les dires de l'avocat


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étaient contraires à la vérité,' nous devons conclure à l'exagération dans les pointes de Luillier contre Guillemette de la Croix.

La Cour, dans la séance du 28 avril 1444, ouï Me Jean Barbin, avocat-général, blâmant les parties de s'être « injurié l'une l'autre », reconnut le sieur de la Jaille en juste et valable saisine des biens meubles dont l'inventaire avait été régulièrement dressé, et fixa le douaire de la veuve Tigné à cinq cents livres de rente (1).

L'année suivante, Hector de la Jaille ayant réuni provisions de ses cohéritiers dans la succession de Jean de Tigné, c'est-à-dire de Guillaume Senglier, seigneur de Montbrillais, Foulques de Bouille, seigneur de BouilléMénard, Guy de la Jaille, seigneur du Vivier, Jean Hérisson, seigneur du Plessis-Buret, intenta une action au Parlement de Paris, contre Jean de Beauvau, seigneur de Tigné, dans le but de faire casser la donation de la terre de Tigné. Il échoua. La Cour, arrêt du 25 juin 1446, confirma Jean de Beauvau dans la possession de Tigné; elle ordonna toutefois que chaque intéressé recevrait une compensation en argent, égale à la part qu'il avait droit, par succession naturelle, de revendiquer dans le domaine. Elle se basait sur ce que Jean de Tigné ayant fait autrefois donation de sa terre à son fils aîné, Amaury, ne pouvait en avoir recouvré la possession entière, car « donner et retenir ne vault » ; les cousins d'Amaury devaient donc être considérés comme héritiers de celui-ci, au moins pour un tiers à prélever sur la donation totale (2). Hector recueillit là de nouvelles ressources ; elles lui permirent de doter ses filles.

Hector de la Jaille, comme son père, habitait de préférence le château de Saint-Michel. Si ce dernier en avait relevé les fortifications, celui-là se plut à remanier l'habita(1)

l'habita(1) nat., reg. X/la 4800, fol. 104.

(2) Bibl. nat., mss. P. O. Cabinet d'Hozier, 35.


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tion dans le style élégant du XVe siècle, dont Célestin Port affirme avoir vu des restes. Il y résidait en famille, quand de 1447 à 1457, il eut à défendre ses droits de haute justice et de châtellenie contre les restrictions intempestives du sire de Candé, Guy de Laval, son suzerain. Il fut, par ordre de ce dernier, saisi le 23 juillet 1451, mais des lettres de la chancellerie du duc d'Anjou, le rétablirent en possession intégrale six mois après. Le 24 mars 1452, sain d'esprit, mais atteint d'infirmités inspirant pour sa vie des inquiétudes, Hector procéda à la rédaction de ses dernières volontés. Sa « chière et amée compaigne Isabeau de Husson » était présente. Jean Hérisson, son beau-frère, Guillaume de Vern, son ami, Jean de Couesmes, principal officier de sa Maison, l'assistaient. Il les nomma ses exécuteurs testamentaires. Il fondait trois cents messes à célébrer, pour le salut de son âme, dans l'église de Saint-Michel, contenue dans l'enceinte de sa forteresse, au choeur dé laquelle il devait être inhumé. Il donnait à Jeanne, sa fille naturelle, assise à son chevet, cent écus d'or, pour elleet ses enfants, à rapporter à sa succession si elle venait à mourir sans hoirs. A Charles, son fils naturel, présent aussi, il léguait ses chevaux et harnais de guerre, pour en faire bon usage au service du roi. A Jacques le Bastard, son serviteur, il donnait 15 livres de rente et douze hommées de vignes ; à Jean de Couesmes, son officier, la charge de lieutenant du capitaine-gouverneur du château de Durtal, aux gages habituels du lieu. Après ces dispositions étrangères à sa lignée directe, le testateur songea à ses enfants légitimes : Jeanne, sa fille aînée, recevait cinquante livres de rente ; Louis et Jean, ses fils cadets, quelques souvenirs insignifiants ; l'héritier principal n'était pas mentionné, il avait sa réserve, c'est-à-dire toute la succession. Les domestiques avaient leur tour : Jean Saunoy, valet, recueillait dix livres


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.... et Jamet Trappier, métayer de la Mothe, la moitié de ses bêtes (1).

« Estor de la Jaille » vivait encore l'année suivante, faisant aveu de la Rouaudière au château de Pouancé, décembre 1453 (2). Mais dame Isabeau de Husson, fille d'Olivier, comte de Tonnerre, se dira veuve et tutrice de ses enfants, lorsque, le 27 juin 1457, elle donnera pouvoir à Jean de Husson, comte de Tonnerre, son frère, de faire foi et hommage au seigneur de Candé, pour Saint-Michel-du-Bois (3). Un acte du 15 mai, 1458. atteste que cette même veuve, encore tutrice de ses enfants, était remariée à Arthur de la Chapelle-Rainsouin, veuf de Christine du Châtellier (4). Elle présentait aussi, vers cette époque, à Pierre II, duc de Bretagne, la déclaration de foy et hommage pour ses terres du Thoreil et de Lespinay, relevant de Chantocé (5). Quelque temps après — 1461 — elle passait un accord avec Pierre de Champagne, au sujet des droits de chasse que tous deux exerçaient dans les bois de Lésigné (6). Le domaine seigneurial de Lésigné (7), avec haute justice et prééminence paroissiale, situé sur la crête du côteau bordant la rive gauche du Loir, entre Durtal et la ChapelleSaint-Laud, voisin de la forêt de Chambiers et conséquemment giboyeux, avait fait partie de l'ensemble des biens de la Maison de Mathefélon, dont la résidence féodale se trouvait un peu plus au sud, dans la paroisse de Seiches. Il avait été détaché au profit de Jeanne de Châlon, tante de madame de la Jaille, puis racheté par celle-ci. Il allait passer aux la Jaille d'une autre branche, par suite d'une double

(1) Arch. dép. de Maine-et-Loire, E 2902 (dossier la Jaille).

(2) Dict. de la Mayenne, par l'abbé Angot, au nom la Bouaudière.

(3) Bibl. nat., ms., cabinet d'Hozier, 281.

(4) Maine et Anjou, étude hist. et généal., par le baron de Wismes.

(5) Arch. dép. de la Loire-Inférieure, E 150.

(6) Arch. dép. de Maine-et-Loire, E 2903.

(7) Lésigné, canton de Seiches, arrondissement de Baugé (Maine-etLoire), à 1 lieue S.-O. de Durtal.

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alliance avec des filles de la branche de Saint-Michel ; nous l'y retrouverons plus tard.

Les enfants d'Hector II et d'Isabeau de Husson furent :

1° François, qui suit ;

2° Louis, seigneur de la Rouaudière, dont il fit aveu en 1494(1). Il l'abandonna à son frère aîné pour entrer dans les Ordres. Sa carrière s'y perd. On le retrouve, très âgé, en 1540, doyen de N.-D. de la Fosse, aumônier de messire Louis de Rohan qui lui accordait « bouche à cour, un cheval à livrée et, pour son estat, la cure de Locmalo » (2) ;

3° Jean, ecclésiastique, d'abord moine à l'abbaye de SaintSerge, à Angers, puis écolâtre de la cathédrale, titulaire, en 1474, de l'abbaye de l'Épau, en commende, nommé, en 1486, abbé de Chalocé (3), monastère dont les barons de Mathefélon étaient fondateurs, Maison au nom de laquelle Jean de la Jaille traitait, en 1508, certaines affaires avec le R.-P. abbé de Saint-Nicolas ; puis le 7 novembre 1510, Jean baillait à ferme la métairie de la Cahagne, près Mathefélon, pour 120 boisseaux d'avoine par an, revêtant cet acte d'un sceau d'abbé mitre, avec contre-sceau portant un écu chargé de six écussons, par 3, 2, 1 (4) ; il mourut en charge le 7 juillet 1521 ;

4° Jeanne, mariée à Malhurin de Montalais, seigneur de la Roche-Abilen ;

5° Renée l'aînée, unie à Baugé, le 9 septembre 1456, à François Turpin, seigneur de la Mothe-Angibert, fils de Jean Turpin et de Marie Malarde, d'où provint Antoine Turpin. Elle fut dotée des fiefs Bourreau et de la Tonnelle détachés de la terre de Migné, avec 200 écus d'or. Veuve avec la Mothe-Angibert comme douaire, elle se remaria,

(1) Dict. de la Mayenne, par l'abbé Angot, au nom la Rouaudière.

(2) Histoire de Bretagne, par D. Morice, preuves, t. III, n° 1039.

(3) Chalocé ou Chaloché, commune de Chaumont, canton de Seiches, arrondissement de Baugé (Maine-et-Loire),

(4) Cart. de Saint-Nicolas, ms. français 22450, pp. 231 et 361.


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en 1461, devant Robert Sarrazin, seigneur de Chivré, Guillaume de Vern, Jean de Couesmes, François du Cloître, Guillaume Pannetier et François Turpin, son beau-fils, avec son cousin au quatrième degré, Pierre, de" Quatrebarbes, seigneur de la Rongère, qui abandonna pour elle une demoiselle de grande Maison, à laquelle il avait promis le mariage ; celle-ci se vengea de son inconstance en lui faisant prendre du poison. Il n'en mourut point, mais il s'en ressentit toute sa vie (1). Une transaction passée, en 1510, entre Jacques de Quatrebarbes, seigneur de la Rongère, Jean, seigneur de Marson, son frère, et. Antoine Turpin, touchant le partage de la succession de Renée de la Jaille, leur mère, énonçant l'origine des héritage?, prouve que Raoul II de la Jaille, seigneur de Saint-Michel, et Catherine de l'Angle, père et mère d'Olive de la Jaille, qui fut femme de Pierre de Quatrebarbes en 1353, étaient bisaïeuls d'Hector de la Jaille, marié avec Isabeau de Husson, père et mère de René de la Jaille, épousée par Pierre de Quatrebarbes en 1461, ce qui fixe bien à leur rang, ainsi que nous le leur avons assigné, les générations de cette famille au XIVe siècle (2).

6° Renée la jeune, unie à Guillaume Turpin, de la paroisse d'Aubigné (3), frère ou cousin germain du mari de la précédente, lequel, en 1494, avouait un fief par lui détenu comme « jadis mari de Renée de la Jaille » (4) ;

7° Françoise, femme de Jean de la Jaille, seigneur du Vivier en Lésigné ;

8° Isabeau, mariée à Jean de Chazé, dont les enfants partagèrent avec ceux de Jean de la Jaille, leurs cousins germains, dans la succession de leurs cousins de Quatre(1)

Quatre(1) nat., ms., cabinet d'Hozier 281, et dossier bleu 549.

(2) Arch. dép. de Maine-et-Loire, E 523.

(3) Aubigné-Briant, sur le Layon, canton de Vihiers, arrondissement de Saumur (Maine-et-Loire).

(4) Arch. dép. de Maine-et-Loire, E 523.


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barbes. Son mari, partant pour la guerre de Bretagne (1488) « où beaucoup prendront fin de leurs jours », disait-il, lui donna, par testament, sa maison d'Angers (1).

Au dire des généalogistes des Quatrebarbes, la veuve d'Hector de la Jaille aurait été inhumée dans l'église de Chalocé, au temps où son fils Jean gouvernait cette abbaye. On y voyait en 1694, « son tombeau élevé de pierres de marbre » (2).

XI. — FRANÇOIS I de la Jaille, baron de Durtal, Mathefélon, Saint-Michel-du-Bois, la Rouaudière, Migné . . .. etc ; était encore mineur en 1456, lorsqu'il assista au mariage de sa soeur aînée Renée, avec François Turpin. En 1475, qualifié « haut et puissant seigneur », il recevait avec « haute et puissante dame » Isabeau de Husson, sa mère, les comptes de Macé Caroceau, receveur du domaine de Durtal (3). Au mois de février de l'année suivante, François de la Jaille écrivait au susdit receveur, pour lui demander des nouvelles de Guiteau « qui est à Chignon », lui recommandant de l'informer par retour du porteur « comment les affaires de Madame se comportent et s'il y a du nouveau ». Il est regrettable que nous ne possédions aucun renseignement relatif au sujet de cette correspondance, revêtue de signatures autographes dénotant une instruction soignée (4). En 1471 et 1472, François avait repris, avec sa mère, le procès entamé par son père contre les Beauvau, au sujet de la baronnie de Tigné. Le roi Louis XI, par lettres-patentes, autorisa l'appel au Parlement. Après avoir obtenu une première assignation contre Bertrand de Beauvau, seigneur de Pressigny — la bête noire du monarque aux petites médailles. — ils durent en demander une nou(1)

nou(1) nat., ms., cabinet d'Hozier, 281.

(2) Bibl. nat., ms., cabinet d'Hozier, 281.

(3) Arch. dép. de Maine-et-Loire, E 2902.

(4) Arch. dép. de Maine-et-Loire, E 2902.


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velle contre Jacques de Beauvau, dit de Tigné, le 8 novembre 1488. De 1485 à 1490, nouvelles lettres-patentes au profit des la Jaille contre le sire de Tigné. La sentence, rendue en 1493, les débouta définitivement de leurs prétentions, parce que leurs droits avaient été remboursés par une indemnité en argent (1). Pannetier de Louis XI et de Charles VIII, dont la condescendance pour lui était manifeste, François de la Jaille reçut à ce titre, lettres royales de 1489, lui accordant « en recongnoissance des bons et agréables services par cy devant faicts en plusieurs manières, et pour qu'il puysse soi entretenir au service du roy, lequel nécessite grandes impenses», 420 livres tournois de pension annuelle (2).

François de la Jaille, baron de Durtal, avait épousé : 1° Jeanne de la Chapelle (3), fille d'Artus de la ChapelleRainsouin, second mari de sa mère, et de Christine du Châtellier : 2° Jeanne Pierres (4), fille de Pierre Pierres, seigneur du Plessis-Beaudouin, et veuve du sieur du MénilAménard, à laquelle il attribua en douaire la terre de la Rouaudière, qu'il lui reprit ensuite moyennant compensation, pour en opérer la vente en 1503 (5).

Quelques documents provenant d'archives privées nous ont fourni, sur Saint-Michel-du-Bois, à cette époque, des aperçus qu'on ne saurait négliger. Le 14 février 1487, messire Abel de Sellions avait fait aveu de ce fief, à Candé, pour François de la jaille et Jeanne de la Chapelle, sa femme, qui le renouvelèrent personnellement le ler juin 1498. En juillet 1507, un nouvel aveu fut rendu par procureur. En mai 1508, Jean de Laval, seigneur de Candé, reconnut définitivement les droits de châlellenie longtemps

(1) Arch. dép. de Maine-et-Loire, E 2902.

(2) Arch. dép. de Maine-et-Loire, E 2902.

(3) La Chapelle-Rainsouin, armes : de gueules à la croix d'or.

(4) Pierres, armes : d'or à la croix pattée de gueules.

(5) Arch. dép. de Maine-et-Loire, E 2902.


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discutés, à condition que François de la Jaille se soumit au guet à faire à la forteresse de Candé et à l'hommage « d'ung espervie au poing ». Le sire de Saint-Michel n'eut point le loisir d'exécuter cette obligation ; il mourut la même année; en 1509, son fils et héritier vint à Candé l'épervier au poing, et fut admis aux honneurs et prérogatives consenties.

Mais, château et forteresse étaient en ruine, à SaintMichel, « parce qu'ils furent abatus par l'effect des guerres qui derrenièrement ont eu cours en Bretaigne ». Cela nous fait remonter à la campagne de 1488, au début de laquelle le pays avoisinant Ancenis et Châteaubriand fut saccagé. La basse-cour, au moins, était relevée en partie ; elle était « close de corps de maisons èsquelles y a chambres, salles, garde-robes, boullengerie, grange, estable, greniers et scelliers, et à la première porte de l'entrée de la dicte bassecour la maison où demeure le portier ». L'église paroissiale servait de clôture, par un côté, à cette basse-cour, et le seigneur du lieu qui en est fondateur « a une porte pour aller, venir, entrer, yssir de son dict chasteau en la dicte église, de laquelle il a baillé la clef en garde à son plaisir ». Château, basse-cour, église, étaient « circuytes et entourées d'un estrage appelé l'estrage du chasteau » ; en avant et aux alentours s'étendait une vaste prairie de cinquante journaux (1).

François I de la Jaille avait eu de sa première femme :

1° François, qui suit ;

2° Marguerite, qui vient après ;

3° Françoise, mariée en 1492, à Louis Rouault, seigneur du Plessis-Bachelier, avec 2.000 écus d'or, dont ils donnèrent quittance à Durtal, le 8 mars 1496 (2).

4° Artuse, religieuse au couvent de Lencloitre, dépendance de l'abbaye de Fontevrauld, avec 25 livres de rente,

(1) Arch. du château de Noyant, reg. S, fol. 136.

(2) Arch. dép. de Maine-et-Loire, E 2902.


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données par son père, à la résidence de Saint-Michel, le 18 octobre 1495 (1).

XII. — FRANÇOIS II de la Jaille, baron de Durtal, Mathefélon, Saint-Michel-du-Bois, Migné, les Allières et le Coudray, né après 1465, épousa le 16 avril 1489, Anne Bourrée (2), fille de Jean Bourrée, seigneur du PlessisBourrée, un des personnages politiques les plus considérables du XVe siècle, capitaine d'Angers, gouverneur du Dauphin, que Louis XII qualifiait «. l'omme du royaulme qui sçavoit le plus des affaires des rois trépassez », mort en 1506. Anne reçut en dot les terres de Marans, Corzé, le Coudray et 6.500 écus d'or.

De quelqu'importance qu'ait été la succession du richissime Jean Bourrée, François de la Jaille fut obligé de plaider pour obtenir la totalité de la légitime de sa femme et le complément de sa dot dont il n'avait touché que la moitié. Il se qualifiait, du chef de celle-ci, seigneur du Coudray et des Allières, en 1491, à Châteaugontier, dans une libéralité par lui faite au prieur de Genesteil (3). Le 25 mars de la même année, il délivrait à ce prieur un titre définitif revêtu d'un sceau penché portant un léopard ourlé de cinq coquilles, sans brisure ni canton (4).

François II ne portait que le titre d'écuyer, modeste pour l'époque. Peut-être une complexion délicate, peut-être la gestion d'une grande fortune ou tout autre motif qui nous échappe, le tinrent éloigné des affaires publiques et militaires de son temps. Ce temps fut, en outre, celui où perçait une couche nouvelle, tendant à remplacer les traditionnels hauberts de la chevalerie. Les traces que nous a laissées

(1) Arch. dép. de Maine-et-Loire, E 2902.

(2) Bourrée, armes : d'argent à la bande fuselée de gueules, entourée de six besants de sable.

(3) Dom Housseau, t. XIII, n° 9849.

(4) Cart. de Saint-Nicolas, ms. français 22450.


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François, sont toutes d'intérêt privé. C'est l'aveu de Louis de la Palu, qu'il reçoit à Durlal, en 1503 (1) ; c'est en 1508, à Angers, sa présence, comme baron de Durtal, à la rédaction de la Coutume d'Anjou (2) ; ce sont des procès longs, fréquents ; il en gagne un à Angers le 23 février 1519, et if meurt avant que l'action par lui intentée, en 1521, contre son beau-frère, Charles Bourrée, au sujet de la part de mobilier qui doit lui revenir et qui lui est refusée, ait amené un résultat (3).

Anne Bourrée eut, pour son douaire, une rente de 225 livres à prélever sur les revenus de Saint-Michel. Dès la première année de son veuvage, la rente n'étant pas payée, elle fit saisir et vendre cette énorme terre, d'un rapport si maigre. Saint-Michel fut acheté le 3 mars 1522, par Nicolas Lenfant, seigneur de Louzil, qui se trouva heureux de le rétrocéder, l'année d'après, à François de Scépeaux, fils de Marguerite de la Jaille, lequel avait déjà tous les droits de sa mère sur ce bien de famille. Depuis quarante ans, la restauration du château se poursuivait avec une lenteur extrême. Scépeaux y mit la main et l'acheva clans un grand style. Le 5 novembre 1542, il en fit aveu à Candé. Il énonçait sa forteresse fermée de pont-levis, douves, vieilles tours et anciennes murailles, avec la bassecour devant le château « close de corps de logis » dont un se trouvait être l'église paroissiale du lieu. Les droits formant le revenu presque unique de la châtellenie, étaient rétablis et très rigoureusement exigés : péage sur toutes marchandises et denrées passant et repassant sur le territoire de la châtellenie, ban à vendre vin depuis la SaintMichel jusqu'à la Toussaint, « chasses à toutes bestes, bayes persées et garennes deffendables .... » (4).

(1) D. Housseau, t. XIII, n° 9058.

(2) Carré de Busseroles. Annales de la noblesse de Touraine.

(3) Arch. dép. de Maine-et-Loire, E 2902.

(4) Arch. du château de Noyant, reg. S, fol. 136.


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Anne Bourrée vivait encore en 1530, et songeait au salut de son âme : elle fondait pour seize livres de rente,une messe à dire avec un De Profundis chanté à la fin, par un frère franciscain d'Angers, à la fête de la Conception NotreDame (1). Elle n'avait pas donné d'héritier à son mari ; leurs bien passèrent à Marguerite de la Jaille, dont l'article suit.

XIII. — MARGUERITE de la Jaille, soeur aînée survivante et héritière de François II, recueillit les principaux domaines de la Maison. Elle se qualifie dame de Mathefélon et Durtal, Migné et Saint-Michel-du-Bois, en 1529, dans un procès soutenu contre Hardouin de Champagne, seigneur de la Vaucelle, devant le sénéchal d'Anjou ; avec les mêmes titres elle se porte acheteuse, en 1533, de la terre du Perrin (2). Elle avait épousé, vers 1490, René du Mas, seigneur de la Vézouzière et de Bouère, au Maine (3), dont elle eut deux fils, René, qualifié baron de Durtal, Mathefélon et SaintMichel, dans une transaction passée avec sa mère en 1531, touchant sa légitime paternelle, mort sans enfants de Bertrande de Souvigny en 1539, et Jean, évêque de Dol, en 1556, sous le nom du Mas de Mathefélon, mort le 12 septembre 1557, après avoir recueilli, dans la succession de sa mère, la terre de Migné, près Montreuil-Bellay, et dans celle de son cousin de Quatrebarbes, fils de Renée de la Jaille, les fiefs de Bourreau et de la Tonnelle qui en avaient été distraits au profit de celle-ci. Les deux frères du Mas laissèrent leurs biens au maréchal de Vieilleville.

Marguerite de la Jaille s'était unie en second lieu, vers 1508, avec René de Scépeaux, seigneur de Vieilleville. Lui était « haut et puissant seigneur », elle, une « haute et vertueuse dame », tous deux « gens de bien, d'honneur et sans aucun reproche, vivants si vertueusement que toute

(1) Cart. de Saint-Nicolas, ms. français, 22450, p. 245.

(2) Arch. dép. de Maine-et-Loire, E 2902.

(3) Bouère, cant. de Grez, arrond. de Chateaugontier (Mayenne).


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la noblesse du pays d'Anjou et du Maine y prenoit exemple, qui estoit cause qu'estant ordinairement visités et hantés par la dite noblesse et autres gens d'estat, ils tenoient une fort magnifique et ouverte maison et des plus libérales du pays » (1). Ils engendrèrent François de Scépeaux, connu dans l'histoire du XVIe siècle, sous le nom de maréchal de Vieilleville, notabilité militaire des règnes de François Ier et de Henri II, créé par Charles IX, comte de Durtal. C'est à Durtal, dont il avait somptueusement reconstruit le château, en conservant les énormes tours de l'ancienne forteresse, que le maréchal s'éteignit, le ler janvier 1571.

Marguerite de la Jaille, dans l'abandon qu'elle avait fait de ses principales terres à son fils aîné, René du Mas, s'était réservé Saint-Michel-du-Bois, avec l'habitation du château, le mobilier, la jouissance des cour, jardin, parc, prairies, étangs et circuit alentour, plus 400 livres de rente sur les bordages de la propriété. En 1521, mariant son fils puîné, François de Scépeaux, avec Renée le Roux, de la Maison de la Roche-aux-Aubiers, elle lui fit don de Saint-Michel, ainsi que de tous les meubles lui revenant de la succession de Pierre de Quatrebarbes, seigneur de la Rongère, son cousin (2). C'est ce qui explique que, dès l'année suivante, le nouveau marié put parer au coup de Jarnac porté par Madame sa tante, Anne Bourrée, dame du Coudray et des Allières, et douairière de Saint-Michel, en exerçant le retrait lignager contre le sieur de Louzil qui venait, à la requête de cette excellente parente, de se porter acquéreur de Saint-Michel-du-Bois. Il y fit dès lors les réparations et reconstructions nécessaires, et il y résida fréquemment. C'est là qu'il venait se reposer de ses campagnes, cherchant dans la chasse, la pêche et tous les exercices chers aux

(1) Mémoires sur la vie du maréchal de Vieilleville, par Vincent Carloix, liv. I, col. 1.

(2) Titre original aux mains de M. le marquis de la Jaille.


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gentilshommes de tous les temps, les délassements de la rude vie des camps. La contrée était restée, elle est encore, extrêmement primitive et sauvage. Ce n'étaient que landes et bois à perte de vue, coupés de ruisseaux, de marécages et d'étangs, traversés par une unique et longue voie venant de Pouancé, au milieu de laquelle se voit, à l'entrée de la paroisse, un menhir de six mètres de hauteur, sur sept de circonférence à la base. Le château, une des principales places fortes de l'Anjou sur la frontière bretonne, clos de murailles très élevées et de deux mètres d'épaisseur, flanquées de tours énormes, présentait cette particularité de contenir dans son enceinte, non seulement l'église, comme il a été dit, mais la basse-cour seigneuriale et de nombreux logis d'estagiers chargés, en temps de guerre, de la défense du lieu, défense bien négligée comme nous l'avons constaté au cours de cette histoire. Une double entrée donnait accès dans cette enceinte, l'une, accostée d'une tour ronde, l'autre en retrait fermée par un portail protégé par deux tours plus grèles. Le corps de logis, autrement l'habitation du seigneur, possédait deux minces tours octogonales contenant escalier pour l'accès aux étages et pour le guet. Cette intéressante masse féodale rappelle dans ce qu'on en voit encore debout, déclare M. Célestin Port, le style du XIVe siècle par son enceinte de murailles et de tours, et celui du XVe par son habitation. Les ruines en sont encore imposantes par leur étendue et les pans gigantesques couverts de lierre ; elles sont enveloppées d'immenses douves. Sur une pierre d'un bâtiment du XVIe siècle resté debout, on lit la date de la restauration — 1542 — et les noms des propriétaires: François de Scepeaux et Renée Le Roux (1).

Monsieur de Vieilleville, homme du monde accompli, « plein d'esprit de conduite autant que vaillant capitaine », savait attirer à Saint-Michel une société nombreuse et

(1) Célestin Port. Dict. hist. de Maine-et-Loire, au nom Saint-Michel et Chanveaux.


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choisie, au temps où Chateaubriand recevait la Cour de France et les visites de son roi. C'est dans le château de Saint-Michel-du-Bois que fut célébrée, le 25 février 1549, avec une pompe princière, l'union de Mademoiselle de Scépeaux avec le marquis d'Epinay. Celui-ci, qu'avant son mariage on appelait Monsieur de Segré, avait dix-huit ans, quarante-mille livres de rente, sans dettes, et possédait la maison de Bretagne la plus richement meublée. Il était « de fort agréable rencontre et de très belle contenance ». Sa fiancée, jeune personne de seize ans « haute, droite et de fort belle taille », ayant « les cheveux blonds luisants sans aucune rousseur, le teint merveilleusement clair entremêlé d'une naïve blancheur », avait de l'esprit, de la modestie, de la grâce et de l'instruction autant que son âge le lui permettait. Après un séjour à la cour et à l'armée où Jean d'Epinay conquit faveurs et grades, son mariage avec l'aimable Marguerite fut fixé. Bien qu'on fut en hiver, bien que le pays fut dépourvu de ressources, de chemins et presque d'habitants, il y eut six jours de fêtes et une nombreuse assemblée de la meilleure noblesse : le prince et la princesse de la Roche-sur-Yon, celle-ci cousine du père de là mariée, le duc d'Etampes, Messieurs de Rohan et de Gié, les Thévalle, les Kercado, les La Tour-Landry, les Montsoreau, les Montboucher, les Kéroman, les Goulaine,les Guémadeuc, Molac et Rosmadec, les du Bordage, de Boisorant, du Hallay... L'abbé de Saint-Thierry, doyen de la cathédrale d'Angers, frère de monsieur de Vieilleville, avait amené les évêques d'Angers et de Dol, Bouvery et de Laval, les dignitaires du chapitre de Saint-Maurice, et l'un des hommes les plus distingués du clergé Nantais, Philippe du Bec, futur évêque de Nantes, futur archevêque de Reims (1598).

Il y avait une telle presse parmi les invités, que tous les villages, hameaux et métairies des environs étaient pleins de la suite et du train de cette brillante société. « Cela paroissoit non seulement la cour d'un grand roi, dit un


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témoin oculaire, mais une grosse armée ! ». A chaque repas quatorze tables étaient dressées, sur chacune desquelles quatre services se succédaient. Le vin coulait comme de l'eau, et devant une telle abondance, ce qui excita l'admiration, fut que « il n'y sourdit jamais une seule querelle pas même entre les valets qui beuvaient à toute bride (1) ».

Ces détails tirent leur intérêt de ce qu'ils ont trait à l'héritière des la Jaille de Saint-Michel.

V.

BRANCHE LOUDUNOISE

La plupart des historiens qui ont traité de l'antique Maison de la Jaille, si remarquable à plus d'un titre, ont subi l'illusion produite par sa fécondité: ils ont cru voir des familles différentes dans les rejetons variés d'une même souche.

C'est ainsi que la division de cette Maison en deux branches, dès le XIIe siècle, époque obscure au point de vue des filiations, a laissé supposer l'existence simultanée de deux familles de la Jaille, dont l'une aurait vécu au nord de l'Anjou, l'autre en Loudunois, la Loire séparant leurs berceaux. Ménagé auteur judicieux, mais insuffisamment documenté et dont la réputation est surfaite, laisse percer celte opinion (2). M. Bonneserve de Saint-Denis émit, depuis, la même idée, dans ses notes relatives à la noblesse angevine. M. Joubert, historien récent de la châtellenie de la Jaille-Yvon, a suivi la voie de celui qu'il appelait son « vieil et éminent ami », de qui la Science, prétendait-il, faisait foi.... ! (3). Cette foi nouvelle, si nous la partagions,

(1) Mémoires du maréchal de Vieilleville, par V. Carloix, son secrétaire.

(2) Hist. de Sablé, par Ménage, Paris, chez Le Petit, 1683.

(3) Lettre de M. A. Joubert à M. le comte de Saint-Prix, du 6 juin


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nous entraînerait dans un système préconisé par les généalogistes modernes, que nous considérons comme dangereux, hypothétique et faux. Ce système, dont l'absurdité est trop souvent certaine, consiste. à voir autant de familles séparées d'origine et sans lien commun, qu'il existe de localités du même nom dans les provinces même limitrophes, comme s'il n'était pas de tradition ancienne et d'usage moderne qu'un homme ayant acheté un bien immeuble, ayant construit un château, une métairie, installé et dirigé une exploitation agricole, ait la plupart du temps donné ou laissé donner par son entourage, par le dicton public, son nom propre à cette création... N'insistons pas, la discussion nous entraînerait trop loin ; cette hypothèse telle qu'elle se présente ici, tendant à troubler si profondément nos anciennes familles — c'en est d'ailleurs le but caché — nous n'avons à la combattre qu'en ce qui concerne le sujet spécial à notre étude, terrain sur lequel elle se développerait d'une façon intensive, en raison des nombreuses localités portant le nom de la Jaille sur la carte des départements de la Touraine et de l'Anjou. Eh bien ! la lutte est facile et nous ne sommes pas seul pour la mener à bien. M. de Beauchesne, dans un remarquable, ouvrage sur la châtellenie de la Roche-Talbot (1), au Maine, possession des La Jaille de la branche Loudunoise aux XVe et XVIe siècles, sans se laisser influencer par les opinions émises, mais en homme d'esprit qui a la sienne et la pousse à fond dans la recherche de la vérité, a jeté un jour lumineux sur l'aurore de cette branche des descendants d'Yvon, par la démonstration d'un rapprochement intime entre les aînés et ceux qui ont fondé et possédé la seigneurie de la Jaille-en-Chahaigne, au nord de la Touraine, où de sceptiques auteurs ont attisé le foyer d'une

1889, dans laquelle, d'ailleurs, l'auteur revient sur l'opinion émise et reconnaît l'unité d'origine de la famille.

(1) Le château de la Roche-Talbot et ses seigneurs, par le comte de Beauchesne. Bibl. nat., imp., L/7 K, 28819.


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famille étrangère à la précédente. L'opinion de M. de Beauchesne, appuyée sur les plus authentiques documents, nous a ouvert la piste directe par laquelle nous arrivons au point de suture existant entre la branche Loudunoise de la Maison de la Jaille et la tige principale de la race, les seigneurs de la Jaille-Yvon. Ce lien se trouve à la quatrième génération du tableau que nous avons dressé des descendants du premier Yvon, entre Yvon IV, vivant en 1101 et 1120, et le troisième de ses fils, nommé Guichart.

I. — GUICHART de la Jaille, troisième fils d'Yvon IV, seigneur de la Jaille et de Segré (1101-1120), se déclarait frère de Normand de la Jaille (Normandus de Jallia et Wichardus frater ejus), dans l'attestation que tous deux donnèrent, avec Olivier et Beaudouin de Vern, Garin de Châlain, Hamelin d'Angrie, aux libéralités de Geoffroy de Candé, leur suzerain, dans la châtellenie du Lion, à SaintNicolas d'Angers (1). Il était, par conséquent, le frère de Geoffroy de la Jaille, II du. nom, que nous avons vu, en 1121, seigneur de Segré, ce qui explique qu'il ait été l'oncle paternel (patruits), ainsi que le désignent les moines de Saint-Aubin, d'un Aimery de la Jaille connu pour être le fils de ce Geoffroy. L'état civil de Guichart est donc régulièrement établi par cette parenté, qui le rattache aux descendants directs d'Yvon. Un document sur lequel nous allons revenir, fait voir que Guichart habitait le Lion d'Angers, qu'il possédait certains fiefs pour lesquels il était vassal des seigneurs du Lion et de Candé. C'est donc lui qui, sous la désignation de Guichart du Lion, confirmait peu avant 1150, aux religieuses de Nyoiseau (2), toutes les acquisitions qu'elles avaient faites, autour du Lion d'Angers, dans le fief de deux personnages, nommés Yvon fils d'Agnès

(1) Dom Housseau, t. XIII, n° 9681.

(2) Dom Housseau, t. V, n° 1735.


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et son frère Geoffroy, signalés ailleurs comme fils de Foulques de la Jaille, seigneur de Segré. Ces jeunes gens étaient les petits neveux de Guichart.

Celui-ci avait épousé, vers 1130, Laure, dame de Chahaigne (1), terre relevant de la châtellenie de Marson située en frontière de Touraine, Vendômois et Maine, à l'extrémité des états du comte d'Anjou. On s'étonnera moins d'une alliance dans ces parages, si on se rappelle que les la Jaille étaient parents des comtes du Perche, et que l'un d'eux, à une génération précédente, avait été attaché à la personne du comte Robert, en résidence à Bellême, qu'il suivit dans les guerres. Cette alliance a servi de prétexte ou de mirage aux historiens, pour écarter la descendance de Laure de la souche principale de la maison de la Jaille, mais leur tentative se trouva réduite à néant par la connaissance exacte, maintenant obtenue, de la filiation de Guichart, époux de Laure. L'union de Guichart et de Laure est dûment constatée par les pièces d'un procès intenté, au milieu du XIIe siècle, à leurs héritiers, par les moines de Saint-Aubin d'Angers, sur un sujet que nous connaissons déjà, mais dont il faut développer les péripéties successives.

Nous avons dit qu'Aimery de la Jaille, résidant à Montreuil-sur-Maine, fils puîné de Geoffroy II, seigneur de la Jaille et de Segré, avait, au moment de la mort, donné au prieuré de Montreuil, dépendant de l'abbaye de Saint-Aubin, la maison qu'il habitait, sa part du moulin de la Roche, la métairie de Charray et les prés de la Gilarderie (2). Ces biens relevaient de la juridiction du Lion d'Angers, où Robert, abbé de Saint-Aubin, s'empressa de faire enregistrer la donation par Foulques de Candé, seigneur du lieu, en 1151, devant Guichart et Aimery de Neuville, Philippe de

(1) Chahaigne, commune du canton de la Chartre-sur-Loir, arrondissement de Saint-Calais (Sarthe).

(2) Ces localités s'échelonnent sur la rive droite de la Mayenne, entre Montreuil et Chambellay.


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Vern, Robert et Aubin de la Cornuaille, Payen et Garin le Ferle, Albério de Varades, Bernard de Bollée et la none Richilde de la Jaille.

Mais Aimery, mort célibataire, laissait des héritiers naturels, ses cousins germains, les enfants de Laure actuellement veuve de Guichart de la Jaille, lequel est déclaré alors oncle paternel (patruus) d'Aimery, c'est-à-dire frère de son père Geoffroy. Moins d'un ah après la mort d'Aimery, Laure réclamait dans la succession du défunt la part afférente aux droits de ses enfants, principalement la métairie de Charray promise en dot à sa fille aînée Tiphaine, mariée à Foulques de la Jaille, seigneur de Segré. N'ayant rien obtenu à l'amiable, Laure se résolut à l'emploi des moyens violents. Elle fit envahir, piller, incendier les immeubles de l'héritage d'Aimery dévolus au prieuré de Montreuil. Ces moeurs étaient courantes mais elles ne demeuraient pas sans sanction. Les moines de Saint-Aubin adressèrent à qui de droit des plaintes justifiées. Leur réclamation fut évoquée au tribunal du comte d'Anjou, après avoir passé par les assises du châtelain du Lion. Ce dernier avait fait saisir tout ce que Laure et ses enfants possédaient dans sa juridiction, où nous savons déjà que Guichart, leur père, était principalement possessionné. Le sénéchal d'Anjou confisqua la terre de Chahaigne (de Chaennas), que Laure détenait dans la vassalité du comte Henri Plantagenet. La révoltée dut alors se soumettre à la justice de ses supérieurs. Elle comparut. avec son fils aîné, Mathieu, devant la cour du Lion (in Legione castro), où, renonçant dans les mains de Foulques de Candé à ses usurpations, et ayant consenti les réparations nécessaires, elle fut rétablie dans la possession de tous ses biens, et reçut du R. abbé de Saint-Aubin pleine et entière immunité, c'est-à-dire absolution, pour elle et pour ses enfants nommés Mathieu, Guichart, Lucas, Avoie, en présence de Lisoie et Gervais de Saucoigné, Samuel

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d'Angrie, Hamelin de Vaux, Lucas de Suivre et Philippe Accipitre, le lundi des Rameaux Tan 1155. Foulques de la Jaille fit sa soumission plus tard ; il entraîna celle de Philippe de Saucoigné, fils d'Aremberge de la Jaille, soeur de Guichart (1). Voilà l'événement relaté en détail dans une longue et authentique pièce de cartulaire latin, auquel nous devons la connaissance du lien de famille et de l'identité d'origine existant entre les deux premières branches de la maison de la Jaille : la révélation qui en est faite permet d'affirmer qu'il n'y avait alors qu'une seule famille de ce nom, dont les seigneurs de la Jaille en Chahaigne se détachent sur ce point.

Les enfants de Guichart et de Laure sont :

1° Mathieu qui suit ;

2° Guichart, cité à plusieurs reprises avec son frère Mathieu, tant en Anjou qu'en Touraine ;

3° Lucas, dont l'existence est révélée par l'acte de 1155, et qui fut moine de Saint-Aubin, à Angers, puis prieur du monastère de Brion, situé entre Angers et Beaufort-enVallée, peut-être fondateur d'un fief de la Jaille situé au nord de la commune voisine de Brain sur l'Authion (2). Le 14 mars 1175, Lucas de la Jaille, prieur de Brion, accepta pour celte maison le don du moulin de Mounet, offert par Pierre, seigneur de Brion ; dans cette acquisition, Mathieu de la Jaille figure au nombre des témoins présentés par le donateur ;

4° Tiphaine, seconde femme de Foulques de la Jaille ;

5° Avoie.

II. — MATHIEU I de la Jaille, seigneur de Chahaigne du

(1) Cart. de Saint-Aubin d'Angers, publié par le comte Bertrand de Broussillon, Bibl. nat., imp., L/2 K, 4294, t. II, pp. 154 et suivantes, complété par les extraits de D. Villevieille, ms. français 31931, au nom Jaille.

(2) Brain-sur-1'Authion, canton et arrondissement d'Angers, à 3 lieues E. de cette ville (Maine-et-Loire).


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chef de sa mère, hérita des biens de son père au Lion d'Angers, avec son frère Guichart généralement associé à ses intérêts. Ils ne tardèrent pas, l'un et l'autre — et ce fut sans doute après la mort de leur soeur Thiphaine qui ne laissa point d'enfants — à exiger des moines de Saint-Aubin la délivrance de Charray, dont ils se disaient les ayantsdroit comme cousins et héritiers d'Aimery de la Jaille. Et sans attendre qu'une transaction intervint, ils firent main basse sur la métairie, en chassèrent les moines et leurs serviteurs, la firent exploiter à leur profit, non sans avoir insulté et maltraité le prieur de Montreuil qui avait risqué une protestation. En agissant ainsi les deux frères comptaient peut-être sur la bienveillance du roi d'Angleterre, comte d'Anjou, dont ils étaient les favoris. Les chroniqueurs citent Mathieu de la Jaille avec Jean Talvas, Robert de Sablé, Hugues de Sillé, Geoffroy de Brûlon et quelques autres seigneurs Angevins, au nombre des partisans ayant soutenu Henri II révolté, de 1151 à 1156, contre les dernières volontés de son père, enlevant par les armes les provinces de l'Ouest à son jeune frère Geoffroy Plantagenet. Cependant, lorsque l'âge et l'affermissement de sa couronne eurent assagi ce prince, et qu'il eut calmé par des bienfaits l'avidité de son entourage, des restitutions furent ordonnées. Les prieurs de Montreuil virent revenir les meilleurs jours; mais il ne leur suffit pas d'avoir recours à l'autorité royale pour obtenir le désistement des frères la Jaille sur le domaine de Charray ; Tabbé de Saint-Aubin, leur supérieur, dut remettre huit cents sous, à Mathieu et cinquante à Guichart à titre de compensation. Cet accord fut passé à Angers, l'an 1167, en présence du roi d'Angleterre, de Conan, comte de Bretagne, d'Alain de Rohan et Simon Tourneboeuf, personnages dont l'attestation donne une haute idée de l'importance des intéressés (1).

(1) D. Villevieille, ms. français 31931, au nom Jaille.


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C'est à Mathieu I qu'il faut attribuer, et non comme le propose M. de Beauchesne à un Pierre de la Jaille qui n'appartient pas à cette branche, la construction à Chahaigne, sur le coteau dominant le bourg et la rive droite du Loir, du château qui reçut de son fondateur le nom de la Jaille, héritage naturel de Laure de Chahaigne, possédé jusqu'au XVIe siècle, après des alternatives diverses, par les descendants directs de Guichart et de Laure, et dont ruines apparaissent encore à travers les brumes du vallon. Cest donc par erreur que M. Joubert, s'inspirant de Ménage, a risqué cette affirmation dans son étude sur la Jaille-Yvon : « La maison de la Jaille actuelle est sortie de la Jaille, fief considérable au Moyen-Age, hameau maintenant, ayant toujours son castel de la Jaille et qui dépend de Chahaigne, près Château-du-Loir ». Cette opinion est aujourd'hui controuvée par le résultat des recherches faites par M. de Beauchesne et publiées à l'appui d'un ouvrage savamment édifié, non moins que par la reconstitution de la généalogie de cette branche de la maison Angevine de la Jaille, telle qu'elle ressort des titres du cartulaire de Saint-Aubin précédemment cités.

Mathieu I de la Jaille était connu, en Touraine, sous le nom du fief paroissial qu'il y possédait : on l'appelait Mathieu de Chahaigne. Il n'est pas rare de voir à cette époque le fils, héritier-de sa mère, porter le nom du fief de celle-ci. Le prieuré de Château-du-Loir a gardé les traces du séjour de ce seigneur dans sa nouvelle résidence. L'église Saint-Jean de Chahaigne qui en dépendait, formant avec ce prieuré une obédience de l'abbaye de Marmoutiers dans les limites du diocèse de Tours, avait appartenu en commun au seigneur du lieu et à Simon de la Chartre (de Carcere) qui voulurent la faire desservir par des réguliers et, dans ce but, demandèrent des bénédictins à l'archevêque de Tours. C'est ce qui explique que Matheus de Chahannis et Guichardus frater ejus, c'est-à-dire les frères la Jaille eussent,


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avec l'assentiment de Simon de la Chartre et le concours d'Hélie de Vaux, abandonné au prieur de Château-du-Loir, membre de la grande abbaye tourangelle, la nomination du desservant de leur église. Peu après, Simon, entraîné par un si bon exemple, remit au prieur tous ses droits sur l'église de Chahaigne, devant Robert de Bonneveau, sous Barthélemy de Vendôme, archevêque de Tours, c'est-à-dire après 1172. Aimery son frère fit de même ; mais la génération suivante montra moins de dévotion. L'église de Chahaigne envahie et reprise, l'archevêque dut lancer l'excommunication majeure contre Simon, Aimery et Sarrazine de la Chartre, héritiers des précédents. II.fallut l'intervention du pape Innocent III pour obtenir une efficace restitution (1). Ces alternatives s'accomplissaient sous les yeux des la Jaille, fils et petits-fils de Mathieu de Chahaigne, qui ne les approuvaient point, car ils n'avaient rien tenté, de leur côté, contre les clauses de la donation de leur aïeul.

Mathieu, tourangeau par intervalle, n'avait point dit adieu à l'Anjou. On retrouve son nom au bas d'une donation de Pierre de Brion, en 1175. Il paraît avoir été attaché à la. personne de Renaud V, sire de Châteaugontier, dont il attesta plusieurs actes. Il assista aux funérailles de ce seigneur et attesta les libéralités faites par Renaud VI, à cette occasion vers 1180 (2).

Mathieu I laissa :

1° Mathieu, qui suit :

2° Renaud, héritier des biens de son oncle Lucas, donateur de cinq sous huit deniers de cens, en 1249, au prieuré de Sainte-Gemme, sur les revenus qu'il touchait dans cette paroisse voisine de Segré (3), et à Saint-Nicolas d'Angers de trois sous quatre deniers de cens qu'il tenait de Lucas de la Jaille (quos habebat a Luca de la jalleia) (4).

(1) Marmoutier, Bibl. nat., lat. 5441/2, pp. 211, 243.

(2) D. Housseau, t. V, n° 1883.

(3) D. Villevieille, ms. français 31931, au nom Jaille.

(4) D. Housseau, t. XIII, n° 9817.


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III. — MATHIEU II de la Jaille, seigneur de la Jaille en Chahaigne et des biens de sa branche autour du Lion d'Angers, n'eut pas plutôt recueilli l'héritage paternel, qu'il se jeta avec avidité sur cette métairie de Charray qu'avaient donnée, reprise, restituée ou abandonnée ses auteurs et dont il se disait, à son tour, injustement frustré. Il en chassa les serviteurs du prieur de Montreuil et fit subir à ce dernier des outrages intolérables. Mathieu conserva longtemps Charray. Il n'en consentit la restitution que vingt ans plus tard ; nous verrons dans quelles circonstances ; l'acte intervenu alors donnera sa filiation et celle de ses enfants, car la convoitise, la violence, les dénis de justice, et puis le repentir, les larges réparations de ces étonnants féodaux au caractère altier, mais à l'âme dévote, ont été l'occasion des compromis, des sentences et des abandons volontaires dont les textes, conservés avec soin dans un but d'intérêt matériel, sont devenus pour nous le trésor inestimable d'où sort la réalité de leur existence, de leurs générations et de leurs gestes personnels.

Vassal du roi d'Angleterre en Anjou, mais tenu sous la surveillance directe du roi de France, aux frontières du Maine, quel rôle notre chevalier joua-t-il dans la lutte engagée, de 1173 à 1203, entre les deux monarchies ? On sait qu'en 1192. Philippe-Auguste enleva Loches aux Plantagenets. La même année, Mathieu de la Jaille apparaît dans la fonction de prévôt de Loches, sans qu'on sache au service de quelle couronne (1). Dès lors, Mathieu II se montre beaucoup plus tourangeau qu'angevin. Son mariage, le second pensons-nous, avec l'héritière de Gizeux (2), a fixé Mathieu dela Jaille sur la rive droite de la Loire.

Gizeux est une seigneurie importante qui a donné son

(1) Carré de Busseroles. Dict. d'Indre-et-Loire, t. III, p. 210.

(2) Gizeux, canton de Langeais, arrondissement de Chinon (Indre-etLoire), au nord de Bourgueil.


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nom à une famille récemment éteinte : Hugues de Gizeux est mort en Palestine, au cours de la dernière croisade, 1191. André de Doué, son gendre ou son petit-fils, est seigneur de Gizeux en 1192 ; comme tel, il offre sa garantie aux acquisitions des moines du Louroux, dans la paroisse de Parçay, sur son fief (1). C'est la fille de cet André, appelée Agnès (2), que Mathieu de la Jaille avait épousée, avant 1200. Mathieu fréquentait alors dans l'abbaye de Bourgueil et dans la maison de Montsoreau dont Gizeux relevait en fief direct. C'est peut-être lui qui a fondé une chapelle de la Jaille dans l'église de Candes (3) et l'aura dotée d'une rente sur des biens situés en Saint-Germain-sur-Vienne ; sa présence prolongée dans les environs permettra-t-elle de lui attribuer cette oeuvre pie ? Il s'intéressait aussi à l'abbaye de la Boissière, sise près Noyant, au nord de Gizeux, par son fils aîné doté généreusement, à laquelle Mathieu apporta plusieurs fois l'attestation de sa parole et de sa signature. En 1200, avec Pierre Savari, gendre du sire de Montsoreau, Geoffroy de Villaines, Geoffroy d'Auverse, Hardouin et Raoul Maumoine, Mathieu de la Jaille affirmait les libéralités de Guillaume des Roches, vassal de Montsoreau, et de Philippa sa femme, à l'abbaye de la Boissière (4). Cette Philippa était la belle-soeur du fils aîné de Mathieu, ce qui prouve qu'on a souvent raison de voir des alliés et des parents dans les co-témoins d'un acte public.

Vers 1212, Mathieu de la Jaille, seigneur de Gizeux, et sa femme Agnès s'étaient interposés dans un différend élevé entre Alix de Courléon, leur vassale, et l'abbé de Bourgueil, au sujet de la succession d'Aimery Graffin dont l'abbé se prétendait bénéficiaire au total. Les intéressés se réunirent

(1) D. Housseau, t. V, n° 2066.

(2) Doué, armes : d'argent ourlé d'un losange de sable.

(3) Candes, arrondissement de Chinon (Indre-et-Loire), au confluent de la Vienne et de la Loire.

(4) D. Housseau, t. VI, n° 2129.


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chez Hugues du Bellay, avec Eudes de Mesangers et autres pacificateurs. Il fut réglé que tout ce que Graffin possédait sous le suzerainat de l'abbé resterait à l'abbé ; ce qui relevait de Gizeux serait laissé à la dame de Courléon et à ses héritiers (1).

En 1231, Mathieu de la Jaille, seigneur de Gizeux, passait avec l'abbaye du Louroux un accord concernant une rente de dix sous que le défunt chevalier croisé Hugues de Gizeux, avait constituée au profit de cette maison, sur ses censives d'Avrillé, au moment de partir pour la Terre Sainte. Agnès, héritière de Gizeux, et Mathieu son époux s'étaient longtemps opposés à l'établissement de cette rente. Des légats du pape, des évêques, des dignitaires de divers chapitres avaient pesé sur leurs consciences à peu près inutilement. Ils finirent par se soumettre, car l'âge, et l'approche de la mort leur donnaient à réfléchir. Ils s'engagèrent à restituer avec compensation (2).

Agnès de Doué ne donna pas d'héritiers à Mathieu II, puisqu'après elle la terre de Gizeux fit retour à la maison de Doué. Cependant, Mathieu de la Jaille, IIe du nom, laissa deux fils parfaitement connus. Il se peut qu'il les ait eus de Marie de Rochefort, soeur de Payen, sire de Rochefort-surLoire, sénéchal du roi Richard en Anjou et Touraine, qu'une généalogie composée à Loudun en 1541, marie à un Emeri de la Jaille, dit le grand, qui n'a jamais existé. L'union de cette Marie avec Mathieu est plus vraisemblable et toute de tradition : elle aurait eu lieu vers 1180.

Ce n'est qu'en 1211 que les dissentiments élevés entre les moines de Saint-Aubin et les la Jaille, au sujet des dons faits au prieuré de Montreuil soixante ans auparavant, furent pour toujours assoupis. Nous avons énuméré les revendications exercées à cet égard par Mathieu I et par

(1) D. Housseau, t. VI, n° 2335.

(2) D. Housseau, t. VII, n° 2703.


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Guichart, son frère ; nous avons fait voir les sacrifices consentis par les moines pour satisfaire les héritiers d'Aimery — Haimericus cognatus Mathei — ainsi qu'ils le désignaient par énonciation certaine de sa consanguinité ; nous avons nommé les hautes autorités qui sanctionnèrent leur compromis.

Mais Mathieu II, haut et puissant seigneur, fort de l'appui des cours, campé sur son épée, plus attaché aux biens de la terre qu'aux contemplations célestes, jeta les mailles de sa cote d'armes sur la métairie de Charray, en extirpa, les .moines comme des goujons et fit rentrer ce bien de famille dans son domaine, d'où, croyait-il de bonne foi, personne n'avait jamais le droit de l'en faire sortir. A plusieurs reprises (multolies) raconte le scribe de Saint-Aubin, l'abbé et le prieur de Montreuil firent des démarches polies pour récupérer cette métairie, offrirent des dons en bétail, en argent et mille et mille bénédictions. Ils ne reçurent que rebuffades injurieuses, menaces, beaucoup de tourments. Lorsqu'une meilleure justice fut répartie sur les états angevins, par suite de l'administration française, les religieux de Saint-Aubin renouvelèrent une timide tentative et rappelèrent l'acte d'accord sanctionné en 1167 par le. roi d'Angleterre et le comte de Bretagne. Mathieu le voulut ignorer ; Matheus illam pacem denegans monachos in causa trahit, c'est- à-dire qu'il les fit citer devant le tribunal souverain pour se voir débarrassé de ces gêneurs.

La cour suprême angevine était alors tenue par le célèbre Guillaume des Roches, grand sénéchal héréditaire des provinces de l'Ouest (1202-1222). Mathieu espérait sans doute obtenir de réels avantages des bonnes relations qu'il entretenait avec ce dignitaire, dont ses fils étaient les meilleurs officiers. Il ne paraît point qu'il en tira autre chose, qu'un concordat définitif, dont le texte nous est parvenu, lequel ressemble beaucoup plus à une sentence en faveur des moines qu'à une négociation. Les clauses de cet acte


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traitant d'objets matériels à une époque reculée de sept siècles, ne nous intéressent plus. Ce qui importe à l'histoire de la famille, c'est de trouver sur le papier les noms des intéressés, leur filiation, le sceau personnel équivalent à leurs signatures. Le sénéchal, dit l'extrait tiré des archives de Saint-Aubin, fit sceller la pièce du sceau de ses armes, ainsi que du sceau de Mathieu et de ceux de ses deux fils nommés Aimery et Guillaume. Des copistes ont reproduit ces empreintes. Dom Villevieille, d'après l'original, attribue à Mathieu un écu gravé d'un lévrier grimpant. Roger de Gaignières a dessiné à la plume un palé contrepalé de toutes pièces, ou vairé plein, entouré de la légende Sigillum Aimerici de Jallia, et un palé contrepalé chargé en chef de trois croix ancrées chacune enfermée dans un cercle, avec la légende circulaire Sigillum Guillelmi de Jallia, les deux contre-sceaux portant un lévrier grimpant (1). Tels furent les premiers emblèmes blasonnés employés par les chevaliers de la branche cadette de la maison de la Jaille. Nous verrons qu'ils ne furent pas conservés.

IV. — AIMERY Ier de la Jaille, seigneur de la Jaille en Chahaigne, et plus tard de Beuxe et des Roches, en Loudunois, était, comme on vient de le voir, le fils aîné de Mathieu II. Cette filiation, strictement établie, démontre l'inexactitude de Ménage présentant d'après une généalogie fantaisiste, « Emeri de la Jaille fils d'Emeri de la Jaille, seigneur de la Jaille et de Beuxe et de Marie de Rochefort ». Il n'existe point, à cette époque, deux Aimery de la Jaille père et fils ; mais on sent qu'au jugé des auteurs de la généalogie composée à Loudun en 1541, le premier connu des Aimery, le donateur de Montreuil, que les moines qualifiaient « miles armis strenuus genere nobilis », ait dû pri(1)

pri(1) Gaignières. Bibl. nat., ms. lat. 17126, p. 110 ; D. Villevieille, ms. français 31931, au nom Jaille.


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mer et annihiler toute autre personnalité de son nom, et qu'ils aient, en lui donnant le surnom de grand, préféré faire d'un tel héros le chef de la maison (1). Certes, la maison de la Jaille possède assez d'illustration pour qu'on n'ait point recours à ces niaiseries.

Nous avons dit que le fils de Mathieu II avait été l'un des bienfaiteurs de l'abbaye de la Boissière, fondée près Denezé, aux environs de Baugé, en 1148. La charte par laquelle Guillaume de Beaumont, évêque d'Angers, confirma les dons faits à cette maison religieuse, le jour de la consécration de l'église abbatiale, en 1213, note Haimericus de Jallia pour un setier de seigle de rente à prélever chaque année sur sa dîme de Chahaigne (apud Chehens) (2).

Il est probable qu'Aimery était déjà en possession, par avancement d'hoirie, de cette seigneurie de Chahaigne dominée par le manoir de la Jaille dont les ruines pittoresques ont subsisté jusqu'à nos jours. C'est là qu'on voit, dès les premières années du XIIIe siècle, Aimery et ses fils agir autour des principaux seigneurs de la contrée, Jean d'Alluye, seigneur de Châteaux et de,Saint-Christophe, Jean de Marson, suzerain de Chahaigne, Henri de Montreuil, l'abbé de la Clarté-Dieu, et surtout Guillaume des Roches, seigneur de Château-du-Loir et de Mayet, le plus important personnage de la cour des Plantagenets et, plus tard, de celle de Philippe-Auguste, sénéchal héréditaire des provinces de Touraine, Anjou et Maine, titulaire d'un commandement militaire très étendu et d'une autorité si considérable qu'il trouvait tout naturel de porter sur son sceau un buste d'empereur (3). Aimery de la Jaille remplit auprès dé ce

(1) Généalogie manuscrite, aux mains de M. le marquis de la Jaille.

(2) D. Housseau, t. VI, n° 2328.

(3) Ce buste d'empereur sort de l'imagination gouailleuse de Célestin Port, comme Minerve du front de Jupiter. Le contre-sceau du sénéchal présente une tête d'homme imberbe, aux cheveux longs et nus, couronnée de lauriers. C'est plutôt la reproduction du sénéchal victorieux. Ce type de sceau n'est pas unique ; on en retrouve d'autres exemplaires, sans couronne, dans les cartulaires angevins.


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grand seigneur les fonctions les plus honorables. Trincant, dans son Histoire des Savonnières, qualifie notre Aimery « double bachelier et le premier seigneur d'Anjou de ceux qui devaient être faits chevaliers à la première occasion », ce qui ne répond pas à une situation technique', puisque la cérémonie de la chevalerie n'était alors que le résultat de la situation de fortune et de l'âge du candidat ; mais il lui donne aussi le titre de sénéchal d'Anjou, ce qui est énoncé par d'autres historiens, et doit s'entendre d'une sorte de lieutenance déléguée par le grand sénéchal, accablé par l'étendue et la multiplicité de ses pouvoirs (1). Il est donc probable qu'Aimery de la Jaille fut préposé au gouvernement de l'une de ces villes données par Arthur de Bretagne et par Philippe-Auguste au sénéchal, Baugé par exemple, ou même Loudun où Aimery avait des biens, tandis que, pour faire face à Jean-sans-Terre, Alleaume du Plessis était placé à Saumur, Hamelin de la Roorte à Tours, Thibaut de Saint-Cassien à Chinon et Guillaume de Cursay à MontreuilBellay.

Les relations de voisinage, de service et de vassalité constatées entre Aimery de la Jaille et le grand sénéchal héréditaire des trois provinces, la coïncidence fortuite de noms similaires, la constatation d'armoiries presque semblables, puisque Guillaume des Roches portait sur son blason une bande fuselée « qui est de la Jaille » selon les écrivains en la matière, mais avec une modification, un lambel à cinq pendants, comme le prouvent les nombreuses empreintes relevées sur ses diplômes, ses sentences, ses actes; tous ces rapprochements ont impressionné les généalogistes, et leur ont suggéré l'idée d'une alliance contractée par Aimery de la Jaille avec Léotice des Roches, crue fille de Guillaume

(1) Les notes de Trincant, procureur du roi à Loudun, en 1630, se trouvent dans les volumes de la collection Duchesne, passirn; la citation faite ici provient de l'Histoire de Sablé, par Ménage ; elle n'a pas d'autre valeur.


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des Roches et de Marguerite de Sablé. Cette assertion tombe devant les termes de l'enquête sur les usages d'Anjou, Touraine et Maine, citée par Chalmel : « ot messires Guillaume des Roches deux filles, desquelles messires Amorris de Craon ot l'aisnée (Jeanne) et par ce ot le diz Amorris totes les appartenances au dit Guillaume, sans que l'autre fille (Clémence) qui fut comtesse de Blois ot rien en l'héritage ne es conquestes oultre son mariaige que son père li donna (1) ». On conclut naturellement de ce texte que le grand sénéchal n'eut point une troisième fille nommée Léotice. Trincant et puis M. de Beauchesne ont avancé sur la foi de la généalogie loudunoise déjà citée, qu'Aimery « fut marié avec la soeur du sénéchal Guillaume des Roches nommée Lettice ». Ménage, de son côté, croit qu'Aimery fut le beau-frère du sénéchal, aux funérailles duquel il fait assister lui et ses fils « vraisemblablement en qualité de parents (2) ». Ces auteurs pleins de bonne foi, ont, par une confusion de personnes, mis la lumière sous le boisseau. Nous allons démontrer qu'Aimery de la Jaille fut réellement le beau-frère d'un Guillaume des Roches ; mais que celui-ci n'était pas le grand sénéchal avec lequel on l'a confondu à plusieurs reprises.

Disons de suite qu'il existait au sud de Montsoreau, lieu fréquenté par les la Jaille depuis qu'ils possédaient Gizeux, un fief des Roches sur lequel vivait, dès le XIe siècle, une famille qui en portait le nom. Séguin des Roches et Geoffroy Maumoine étaient les principaux officiers du château de Montsoreau, en 1100 (3). A l'abbaye voisine, à Fontevrauld, Marcoux des Roches et Geoffroy Maumoine, escortaient l'abbesse Pétronille, en 1118, et Gausbert des Roches lui faisait don, quelques années plus tard, d'une terre située dans la vallée de l'abbaye, où se trouvait son fief relevant

(1) Chalmel, Hist. de Touraine, t. III, p. 334.

(2) Hist. de Sablé, par Ménage, édit. de 1683, p. 202.

(3) D. Housseau, t. IV, n° 1278.


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de Montsoreau (1). Il n'y a pas de doute qu'un Guillaume des Roches, apparaissant à Montsoreau en 1200, ait été le descendant des précédents et le possesseur de ce fief des Roches dont la position vient d'être déterminée. Or, dans la même contrée, à l'extrémité orientale de cette forêt de Bor appartenant en entier à la Maison de Montsoreau, se trouvait la seigneurie de Beuxe, détenue par une famille féodale dont on connaît Aimery de Beuxe, vivant en 1115, et un autre Aimery de Beuxe (de Buece), bienfaiteur de l'église Sainte-Croix de Loudun, en 1198 (2). Il existait d'inévitables relations entre les seigneurs des Roches et ceux de Beuxe, relations qui furent cimentées par une alliance au temps où nous nous plaçons.

Dom Housseau rapporte un titre de l'an 1200, par lequel un Guillaume des Roches, sans désignation de qualité alors que, depuis quatre ans, le sénéchal de ce nom était en fonctions et portait le titre de sa dignité, a donné à l'abbaye de la Boissière deux arpents de prairie situés dans l'île Longue, sur la Loire, vis-à-vis Dampierre et Sonzay. Cette libéralité consentie devant Pierre Savari, gendre du sire de Montsoreau, Mathieu de la Jaille, voisin et vassal de Montsoreau, à Gizeux, qu'en qualité de père d'Aimery de la Jaille, on trouvera naturel de voir figurer dans cette réunion, etc., etc., a été approuvée par Philippa, femme de Guillaume des Roches, et par Hilaire de Beuxe, mère de Philippa (3). La situation de ces personnes, ainsi que le lieu qui les rattache à Aimery de la Jaille, ressortent clairement du texte qui suit.

« Hilaire de Beuxe (Hilaria de Buece) avait, par dévotion particulière et pour le salut de ses proches, donné à l'abbaye

(1) Clypeus fontebraldensis ordinis, par le P. Lamainferme, t. II, p. 334.

(2) Bict. de la Vienne, par Révert, p. 36.

(3) D. Housseau, t. IV, n° 2019.


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de Fontevrauld, en juin 1217, son domaine à Dampierre (1) et tous les droits qu'elle prélevait sur le cours de la Loire, sur les îles et sur les rives, entre Saumur et Montsoreau ; en plus, quatre setiers de seigle, mesure Loudunoise, à prendre sur les revenus de sa dîme de Marigny, partie de sa terre de Beuxe (quae trahitur a Buece). Elle fit approuver ce don par ses trois filles : Agnès, la plus jeune, mère de Geoffroy, Guillot, Agace ; Philippa, mère d'Etienne des Roches, son premier né, remariée à Guillaume de Souday, dont Guillaume de Souday, le jeune, était fils ; Létice, l'aînée, femme d'Aimery de la Jaille, dont étaient nés Geoffroy de la Jaille, Aimery, Jean, Mathieu, Guillaume, Jeanne et Marguerite. » Hilaire eut soin de stipuler que sa libéralité était faite avec l'approbation d'Aimery de la Jaille, son gendre, à qui devait revenir après elle la terre de Beuxe (2). Assensu et voluntate Aimerici de la Jaille qui est heres rerum praedictarum (3).

Les conclusions qui découlent de ces deux extraits, complétés l'un par l'autre, éclairent les parties obscures de la généalogie que nous rectifions ici ; on doit en tirer les enseignements suivants :

1° Hilaire, dame de Beuxe, peut-être veuve du dernier Aimery de Beuxe connu en 1198, ayant, à Dampierre et sur les îles de la Loire, un héritage provenant, semble-t-il, de la Maison de Dampierre, dont elle aurait été issue, avait plusieurs filles, l'une, Philippa, mariée en 1200 avec Guillaume des Roches, vassal de Montsoreau, lequel, mort avant 1217 et remplacé auprès de Philippa, par Guillaume de Souday, ne peut être assimilé au sénéchal, son homonyme, qui vécut jusqu'en 1222, uni, dès 1198, à Marguerite de Sablé, qui lui survécut.

(1) Dampierre-sur-Loire, canton et arrondissement de Saumur, (rive gauche), Indre-et-Loire.

(2) Beuxe, canton et arrondissement de Loudun, au N.-E. de cette ville (Vienne).

(3) Cart. de Fontevrauld, ms. lat. 5480, p. 62.


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2° L'aînée des filles d'Hilaire, nommée Létice de Beuxe et non des Roches, belle-soeur et non soeur de Guillaume des Roches, qui ne fut pas le sénéchal, était, en 1217, la femme d'Aimery de la Jaille, la mère de ses. sept enfants. La coutume, dont Chalmel nous a plus haut fourni le texte, voulait qu'elle fut l'héritière des fiefs de sa Maison. C'est par elle que la Maison de la Jaille entra en possession de Beuxe, et mit pied en Loudunois où ses membres devaient résider pendant quatre siècles, étendant leur domaine sur les paroisses de Sammarcolle, Basses, Arçay, Saint-Cassien, Loudun même, où ils détinrent, dans le faubourg de cette ville, vers l'est, un petit fief nommé les Roches (1), rappelant par une singulière coïncidence, les deux Guillaume dont aucun n'en était originaire.

La nature des services rendus par Aimery de la Jaille au sénéchal Guillaume des Roches, dans la lutte du parti franc contre l'anglais, n'est pas connue dans ses détails, mais on doit croire qu'ils débutèrent avec l'année 1200, date à laquelle Aimery avait l'âge d'être armé chevalier. Pour entrevoir le lieutenant du sénéchal dans, son rôle, il est nécessaire de tracer un court portrait du sénéchal même, et de signaler les principaux faits de son existence.

Bien que les historiens (2) n'aient rien su de son origine, il est aisé de retrouver le berceau de sa famille et le sien, sur cette frontière de la Touraine qui confine au Maine et que le département de la Sarthe a englobé dans sa partie méridionale. Le Dinan, ruisseau à moulins tournants par

(1) Les Roches-les-Loudun, plus tard les Roches-Rabaste, commune du canton et arrondissement de Loudun (Vienne).

(2) Il faut rejeter les opinions émises sur l'origine de Guillaume des Roches, par Ménard, Baluze, Carré de Busseroles, Ménage et tutti quanti, non moins que par M. l'abbé Ledru dans son Histoire de. la Maison de Broc. Celui-ci a voulu voir le sénéchal dans ce Guillaume des Roches, époux de Philippa en 1200, dont nous avons cité plus haut les dons à la Boissière, tandis que le sénéchal était, depuis 1198, le mari de Marguerite de Sablé ; la confusion n'est, pas possible.


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eau, sorti de la forêt de Bercé, laisse Jupilles au nord, passé à Thoiré et vient affluer au Loir, sur sa rive droite, entre la Chartre et Château-du-Loir. A Thoiré. même, sur le revers escarpé du côteau, un hameau des Roches encore existant, semble avoir été le fief dont Guillaume et ses ancêtres portèrent le nom. Un titre de Marmoutier révèle que Guillaume était fils de Beaudouin des Roches et petit-fils d'Herbert des Roches, possessionnés dès longtemps dans les environs de Château-du-Loir, où tous les trois touchaient des censives faisant partie de leur domaine héréditaire (hereditario jure). Un autre titre fait savoir qu'ils avaient logis seigneurial à Luceau (1), bourg situé sur le val de Préfondevaux, à une demi-lieue au nord de Château-du-Loir. Avant l'époque de sa faveur, Guillaume des Roches avait fondé, à Luceau, un prieuré relevant de Marmoutier. Devenu riche et puissant, il le dota de biens divers, notamment d'une place pour construire la maison des moines devant son propre château, locum aptum construendis domibus monachorum apud Hussum manerium meum (2), Il donna également à cette maison religieuse ses ferrages de Jupilles et de Villaujet, non moins qu'une vigne à la Grange, près Château-du-Loir. Il ne faut donc pas s'étonner de voir le Sénéchal des trois provinces entouré, au temps de sa puissance, par les seigneurs de Chahaigne (la Jaille), de Marson, de Saint-Christophe et Châteaux, d'Ourne, Troô, Lavardin, Montreuil, Outillé, Clefs, Neubourg, qui tous étaient ses voisins et ses compagnons d'armes. Les localités dont ces personnages portent les noms, se retrouvent à distances variées du cours moyen du Loir (3). Il ne faut pas s'étonner non plus de voir Guillaume demander au roi Richard, au début de sa car(1)

car(1) l'Husseau, l'Husson, traduction de Hussum, préférable à Houx, inconnu sur la carte, mais imaginé par Ledru.

(2) Mai-moutier, Bibl. nat., ms. lat. 5441/2, p. 239.

(3) Ms. lat. 5441/2 passim. ; titres des prieurés de Château-du-Loir, Luceau et Vaas.

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rière, et obtenir la cession de cette châtellenie de Châteaudu-Loir, qui lui sera reprise dans un moment de défaveur pour entrer en composition du douaire de la reine Bérengère, puis rétrocédée par celle-ci à son titulaire, en 1204 (1). Guillaume des Roches était là au centre même de ses intérêts.

Sitôt après la mort de Richard, dont il avait été quelque temps un des intimes conseillers, des Roches, peu satisfait de la reine Aliénor auprès de laquelle on le voit à Fontevrault, comme sénéchal d'Anjou « régnant le roi Jean (2) » (1199), s'était froissé de la morgue des seigneurs anglais, et, retiré à Angers, il y avait appelé Arthur de Bretagne et formait autour de ce prince un nouveau parti, dont l'activité nécessita une prompte intervention du roi d'Angleterre. La prise de Beaufort et d'Angers par Jean-sans-Terre mit les Angevins à la raison ; mais deux ans plus tard, le mécontentement général permit à Arthur de reprendre Angers et de se faire reconnaître comte de Touraine et d'Anjou. C'est alors que des Roches se vit investi des pouvoirs les plus étendus dans les provinces de l'ouest. Il en profita pour négocier la paix entre le jeune comte et le roi, son oncle. Il se rendit au Mans, dans ce but, mais il ne parvint qu'à se faire enrôler par l'astucieuse politique de Jean, qui utilisa les forces de ce général d'armée pour attaquer les Poitevins et les Angevins réunis, les battre à Mirebeau, faire prisonnier Arthur avec ses principaux partisans. On sait quels furent les Résultats de cette malheureuse entremise ; le rôle du sénéchal resterait odieux, dans cette campagne, s'il n'avait racheté sa faute en faisant une guerre sans merci au roi d'Angleterre, après que la cour des pairs eut condamné Jean à l'expropriation de ses terres françaises, par suite de l'assassinat de son neveu Arthur.

Dès lors, Guillaume des Roches prête à la conquête de

(1) D. Housseau, t. VI, n° 2186.

(2) Fontevrauld, ms. lat. 5480/1, pp. 285 et 469.


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l'apanage des Plantagenets, par Philippe-Auguste, un concours assidu. Il s'empare des places fortes restées fidèles à l'Anglais, Beaufort en 1203, et, en 1204 Chinon, après un long siège. Philippe lui remet les domaines conquis, Beaufort, Baugé, Châteauneuf, Loudun, Brissac, Château-du-Loir, Chinon, ne s'en réservant que la prévôté ; il le confirme dans l'administration générale des trois provinces, et le crée, dans l'ordre nouveau de chevalerie qui vient d'être institué, son premier banneret d'Anjou. Les principaux officiers de l'armée du général obtinrent, avec lui, la faveur d'être nommés bannerets. On les retrouve sur une liste des titulaires de l'ordre dressée en 1209, dont une copie datée de 1216 était conservée à la Cour des Comptes ; parmi eux, le nom d'Aimery de la Jaille prend place entre ceux d'Olivier de Daon et d'Aimery d'Avoir (1).

Il est d'usage de considérer les bannerets français comme ayant tous pris part à la bataille de Bouvines, en 1214. Une restriction doit être posée à l'égard d'un groupe important de ces chevaliers. Si formidable qu'ait été la coalition contre la couronne de Philippe, au nord de la France, il eut été trop dangereux de dégarnir les provinces de l'ouest de leurs défenseurs, pour que l'habile monarque eut tenté un appel de tous les féodaux sur la frontière flamande. Pour preuve de sa réserve, nous citerons le célèbre banneret Thibaut de Mathefélon, qui « portait sa bannière dans la guerre de Poitou, en 1214, ainsi qu'à la prise de Montcontour, d'Angers et de Beaufort» (2). On peut en dire autant de Guillaume des Roches et de tous les officiers formant sa suite.

En 1206 et 1208, Guillaume des Roches avait dû assembler les chevauchées de son gouvernement, pour faire la guerre aux seigneurs poitevins soulevés par le vicomte de

(1) Laroque, Traité du ban et de l'arrière-ban de France : milites ferentes banerias. — Historiens de France, col. par MM. de Vailly, Delisle et Jourdain, t. 26, p. 683 : de mililibus ad exercitum vocandis.

(2) Chalmel, Histoire de Touraine, t. II, p. 106.


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Thouars et Savari de Mauléon au profit des Plantagenets. Il les battit, fit prisonniers les chefs ; puis il réprima les courses de Payen de Rochefort sur les rives de la Loire, et construisit, contre ce partisan des Anglais, la forteresse de la Roche-au-Moine, au sud d'Angers.

Au début de la campagne de 1214, pendant que PhilippeAuguste opposait aux Allemands une armée composée des contingents du nord, de l'est et du centre, dans laquelle on ne voit figurer, comme bannerets de l'ouest, que quelques Bretons, le prince Louis, son fils, en formait une autre sur la Loire, pour contenir Jean-sans-Terre qui venait, d'entrer à Angers, par surprise, et marchait sur Saumur. La situation, sur ce point, était d'autant plus inquiétante que, d'après la chronique de Rigord, la plupart des seigneurs angevins, manceaux et normands, entrevoyant la ruine du roi de France, avaient pris de secrets engagements avec le roi d'Angleterre. Rigord excepte de cette volte-face prématurée Juhel de Mayenne, le vicomte de Sainte-Suzanne, Guillaume des Roches et les chevaliers subissant l'influence de ces fidèles. Mais les procédés arbitraires et vexants de Jeansans-Terre ne tardèrent pas à détacher de lui la noblesse de ses anciens états, en la rejetant vers Louis de France, que son mariage avec Blanche de Castille, petite-fille d'Aliénor d'Aquitaine, couronnait de cette auréole dont la chevalerie s'était laissée fasciner sous le règne de la duchesse-reine. Louis composa donc son armée de tous les bannerets d'Anjou, Touraine, Maine et Poitou qu'il put réunir, prit Beaufort, Montcontour et lés Châteaux de la Loire ; puis il attaqua et dispersa les Anglais devant Rochefort, dans un violent et meurtrier combat, cependant que Guillaume des Roches, qui ne pouvait se trouver en même temps à Bouvines, reprenait Angers avec la pléiade de satellites attachés à sa brillante fortune (26 juillet 1214).

Au cours de cette campagne victorieuse, quel fut le rôle d'Aimery de la Jaille auprès du grand sénéchal ? Laissa-t-il


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de côté sa propre bannière pour porter le fanon de son

général Marcha-t-il à la tête des quatre mille féodaux

levés par des Roches ayant à la main cette enseigne déployée sur laquelle se fixaient les yeux des combattants.... l'arracha-t-il aux mains de l'ennemi dans une mêlée périlleuse la planta-t-il au sommet d'une citadelle reconquise ? Qui pourrait nous apprendre de tels détails ! Il est cependant logique d'admettre un fait de ce genre, quand on constate qu'à la suite de cet événement Aimery de la Jaille avait arboré, sur ses armes, les insignes particuliers du grand sénéchal. Aimery, dont le sceau portait en 1211, un palé et contrepalé plein, scellait, trois ans après la campagne de la Loire, d'une bande fuselée simple, reproduction du blason même de Guillaume des Roches, dégagé du lambel en chef, tout à fait personnel au sénéchal.

Un préjugé plus mondain que scientifique attribue une importance exagérée à l'unification des armoiries. On cherche la preuve d'un lien de famille dans la similitude des blasons, ou, tout au contraire, une suppression radicale de parenté entre gens du même nom portant des armes différentes. L'étude des familles anciennes, sur les documents revêtus de leurs sceaux démontre l'inanité de cette prétention. Au XIIIe siècle, des variations d'emblèmes blasonnés sont constatées clans une grande quantité, d'empreintes provenant des mêmes personnages, ou d'individus rattachés par des liens authentiques. Il semble que le sceau eut été, au début, un objet de caprice et de luxe dont les pièces pouvaient être modifiées à volonté. Elles étaient changées aussi par nécessité, pour confondre les faussaires, pour affirmer une alliance ou assurer une succession, pour distinguer une bannière de celle d'un adversaire ou d'un voisin, dans une concentration de troupes ou une rencontre inattendue.

On pourrait citer bien des exemples, en Anjou et en Touraine, à l'appui de ces mutations ; la maison de la Jaille


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en offre un des plus complets. Mathieu II, en souvenir de quelque voyage en Orient d'où vint l'usage des emblèmes héraldiques, avait inauguré un sceau portant un lévrier grimpant. Ses deux fils, ayant relégué l'intéressante petite bête au fond de leurs sceaux secrets, plaquèrent d'abord leurs actes de ce palé et contrepalé accompagné de croisettes que nous avons relevé sur l'accord consenti avec SaintAubin en 1211 (1). Lorsqu'en 1217, les religieuses de Fontevrauld firent approuver par Aimery de la Jaille les libéralités consenties par sa belle-mère sur Beuxe, ce chevalier apposa sur la charte un sceau chargé d'une bande fuselée coupant l'écu de droite à gauche (2), pièce caractéristique du blason de Guillaume des Roches. Il n'est pas, toutefois, sans intérêt de remarquer que d'autres compagnons de Guillaume, parmi les plus intimes, chargèrent alors leurs écussons des fuseaux de leur chef : Hamelin de la Roorte, sénéchal de Tours en 1200, et d'Angers en 1220, portait la bande fuselée entourée de six alérions (3), Hugues du Bellay accompagnait sa bande fuselée de six fleurs de lys (4), Renaud de Berrie entourait la bande fuselée de six tourteaux (5), Guillaume de Broc usait d'une bande fuselée avec une bordure à Vécu (6) ; quant à Geoffroy des Roches, seigneur de Jarzé et de Longue, petit-neveu de Guillaume, il scellait d'une bande fuselée entourée d'une orle de six besants, ce qui constitue exactement les armoiries des la Jaille d'à présent. On peut croire que la similitude des

(1) D. Villevieille, ms. français, 31931, au nom Jaille.

(2) Fontevrauld, ms. latin 5480/1 p. 62.

(3) Marmoutiers, ms. latin 5441/2, p. 150.

(4) Galland, fonds français 16784.

(5) Fontevrauld, ms. latin 5480/1 p. 359.

(6) Don à la Boissière, citation de l'abbé Ledru dans son Histoire de la Maison de Broc. C'est sans doute par plaisanterie que cet érudit a tiré argument de la bande fuselée portée par les des Roches, les la Jaille, les de Broc, les Courcillon, les Sarcé, etc., pour en faire des branches de la même famille....


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emblèmes héraldiques, chez ces chevaliers, est moins fortuite qu'elle n'est le résultat d'un souvenir, d'un hommage rendu ou d'un témoignage accordé à des oeuvres méritoires accomplies en commun.

La carrière du grand sénéchal se terminait, tantôt dans la guerre, telle que celle des Albigeois en 1218, tantôt à la cour de France où il recevait les plus grands honneurs. Il se retirait par intervalle, et le fit définitivement en 1220, dans son domaine de Château-du-Loir, où ses séjours sont signalés par des oeuvres de bienfaisance ou de justice. En 1214, il prononça un arrêt sur le différend élevé entre le prieuré de ce lieu et Guillaume de Jupilles, qui avait repris aux religieux les produits de la prévôté de Jupilles, cédés par son père Adam. Guy de Courtiras, frère de Guillaume et sénéchal de Château-du-Loir, témoignait en faveur du prieuré. Guillaume des Roches condamna le sire de Jupilles, en présence de Henri de Montreuil, Hamelin de la Roorte, Guillaume de la Jaille, Guillaume de Ourne, Guillaume de Neufbourg, chevaliers (1). Le prieuré de Saint-Guingalois reçut en 1219, de nouveaux avantages, afin qu'il put fournir des prêtres à l'église Notre-Dame fondée par le grand sénéchal devant son château de Luceau. Celui-ci avait alors en sa compagnie Jean de Lavardin, Payen du Bois, Mathieu de la Jaille, Henri de Montreuil, Geslin de Troô, Richard de la Haye (2). La même année, il fonda en souvenir de son fils Robert, enlevé prématurément, l'abbaye de Bonlieu pour femmes qu'il dota également et que ses amis dotèrent aussi avec largesse. Il n'avait pas été moins généreux envers l'abbaye de la Boissière ; son exemple avait entraîné Guillaume de Clefs, Guillaume de Broc, Amaury de Craon, Olivier de Daon, Aimery de la Jaille dans la voie des riches offrandes (3).

(1) Marmoutiers, ms. latin 5441/2 p. 227.

(2) Marmoutiers, ms. latin 5441/2 p. 239.

(3) Célestin Port, Bict. hist. de Maine-et-Loire, t. I, p. 461.


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Aimery I de là Jaille, banneret d'Anjou, après avoir pris part aux opérations militaires du sénéchal des Roches, vit, en 1222, disparaître ce chef vénéré, qui fut inhumé dans l'abbaye de Bonlieu devant la plus noble assistance. Aimery résidait alors dans son manoir, à Chahaigne, puisqu'on relève les traces de son passage dans les environs au cours de cette même année. Bien que ses fils soient seuls cités au nombre des bienfaiteurs de cette abbaye, dans cette circonstance, il n'est pas douteux qu'Aimery ait assisté, avec eux, aux funérailles du haut et puissant seigneur de Château-duLoir, dont il avait reçu honneurs et bienfaits. Mais si son nom ne figure pas sur la liste des notabilités que les dames de Bonlieu ont relevée pour Ménage, sur leur cartulaire, Aimery de la Jaille et son frère Guillaume n'en étaient pas moins, le même jour ou peu après, avec Herbert Turpin, Hamelin de la Roorte, Guillaume de Fougères, Geoffroy Riboul, en compagnie de Jean d'Alluye, sire de Châteaux, dans une visite au prieuré de Luceau, dressé à la porte de la résidence du sénéchal défunt, se portant garants d'une fondation de rente perpétuelle, 1222 (1). Après cette date, Aimery I semble avoir donné ses préférences à la résidence du Loudunois, où il exerçait, croyons-nous, une sorte de gouvernement ou sénéchalat délégué, depuis 1204 environ, par Guillaume des Roches. Les relations d'Aimery avec ce pays dans lequel il détenait plusieurs fiefs, résultent de ce fait qu'en 1232, Geoffroy de Cursay, ayant donné à l'abbaye de Fontevrauld quatre mesures de blé à prendre sur sa dîme de Chassigny, en la paroisse d'Arçay sous Loudun, en fit approuver la cession par Aimery de la Jaille comme suzerain de fief (2). Aimery scella cet acte de la bande fuselée simple, dont nous avons ici une seconde reproduction. Dans les dernières années de leur vie commune

(1) Marmoutiers, ms. latin 5441/2 p. 242.

(2) Fontevrauld, ms. latin 5480/2 p. 407.


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Emericus de la Jailla et Leticia uxor sua, donnèrent, pour leur salut éternel, à l'église Sainte-Croix de Loudun, une rente de quinze setiers de froment et cinq de seigle, à prélever sur leur métairie de Challais (1), avec vingt sous de rente sur la dîme de Bournais, partie de leur domaine des Roches, au faubourg de Loudun (2). Peut-être est-ce sur cet acte, dont nous n'avons qu'une mention succincte, que Trincant, procureur du roi à Loudun, en 1630, ayant pu voir l'original, a pris notion du titre de sénéchal d'Anjou qu'il donne à Aimery de la Jaille.

La charte de 1217 (Fontevrauld) a nommé les sept enfants d'Aimery I et de Létice, en les classant ainsi :

1° Geoffroy, qui suit ;

2° Aimery, seigneur de Beuxe, qui a continué la postérité ;

3° Jean, nommé parmi les gentilshommes qui assistèrent aux funérailles de Guillaume des Roches, en 1222 (3) ;

4° Mathieu, témoin en 1219 d'un don fait par Guillaume des Roches, au prieuré de Saint-Guingalois de Château-duLoir, sur son domaine de Jupilles (4) ;

5° Guillaume, très jeune en 1217, vivant encore en 1276, et présent à cette date, avec Geoffroy de Mathefélon, à un échange de biens consenti par Guillaume de la Barre et sa femme Jeanne, au profit de Guillaume de Ourne, écuyer (5);

6° Jeanne ;

7° Marguerite.

Aimery I de la Jaille avait, on se le rappelle, un frère, Guillaume, nommé dans la transaction de 1211, qu'il scella d'un palé contrepalé surmonté d'un chef de trois croisettes enfermées dans un cercle, avec contre-sceau d'un lévrier grimpant, emblèmes particuliers aux chevaliers qui avaient

(1) Chalais, cant. et arr. de Loudun, au sud de cette ville (Vienne).

(2) Généalogie de la maison de la Jaille composée à Loudun en 1541.

(3) Histoire de Sablé, par Ménage, titre cité de l'abbaye de Bonlieu.

(4) Marmoutiers, ms. latin 5441/2, p. 242.

(5) D. Villevieille, ms. français 31931, au nom Jaille.


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fait le voyage de Palestine, d'où l'on peut conclure que Guillaume de la Jaille a pu faire partie de la jeune noblesse angevine qui accompagna Richard Cceur-de-Lion en Orient, l'an 1190. A cette fin du XIIe siècle, Guillaume de la Jaille s'était déjà révélé, en Anjou, par l'attestation qu'il avait donnée aux libéralités de Bonabes de Rougé à l'abbaye de la Melleraye (1). Une alliance contractée vers 1210 le ramena au nord de la Touraine. Il épousa Mahaut (Mathilde) dame d'Outillé, fille et héritière d'un Guillaume d'Outillé (2) qu'on voit figurer en bonne place, à la Cour d'Henri II, tant au Mans qu'à Chinon, entre 1170 et la fin du règne (3). Par suite des relations de famille et d'un voisinage assez proche, puis qu'Outillé (4) n'est séparé de Jupilles et de Luceau que par les sapinières de la forêt de Bercé, Guillaume de la Jaille devint un des principaux officiers de Guillaume des Roches, tant à Château-du-Loir que dans les campagnes d'Anjou.

De 1212 à 1214, Guillaume de la Jaille eut de forts démêlés avec le chapitre de la cathédrale du Mans, au sujet de l'exercice de la justice dans son domaine d'Outillé. Le chapitre maître de l'église Saint-Mars, avait une juridiction étendue dans la paroisse et prétendait exercer les droits de haut justicier, recueillir les épaves, donner les mesures, fixer le ban, retenir les hommes en exemption du service de guerre. Ce n'était pas le compte de Guillaume qui, précisément au temps de la lutte contre les Anglais, devait lever des soldats et imposer à tous ses vassaux le guet dans sa forteresse. Sur ce point, surtout, les chanoines ne voulaient rien entendre et se refusaient énergiquement à laisser enrôler leurs hommes. Pour entamer ce privilège abusif, il fallut avoir recours au roi ; le gouverneur de la province fut

(1) D. Villevieille, ms. français 31931, au nom Jaille.

(2) Outillé, armes : d'azur à la croix alaisée et fourchée d'argent.

(3) D. Housseau, t. IV, nos 1769 et suivants.

(4) Saint-Mars-d'Outillé, à 5 lieues au sud du Mans, Sarthe.


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chargé d'en connaître. Guillaume des Roches fit donc une enquête et rendit bonne justice : le chapitre eut sur les doigts ; on lui abandonna les essaims d'abeilles et les frusques des pauvres gens morts sans hoirs, mais la punition des crimes fut dévolue au sire de la Jaille et surtout la levée des troupes, dont le roi avait si grand besoin. Ce règlement fut approuvé par Philippe-Auguste, à Pâques de l'an 1213 (1).

Le 3 septembre 1218, en pleine réunion capitulaire, au Mans, le sire d'Outillé réconcilié avec le chapitre, fit don à Saint-Julien de toutes les dîmes de sa paroisse et des offrandes déposées dans l'église de Saint-Mars, s'engageant à subir la confiscation de ses bois et même l'interdit sur sa terre, à encourir les foudres de l'excommunication majeure, s'il violait son serment (2).

En 1222, Guillaume de la Jaille et sa femme Mahaut assistèrent aux obsèques de Guillaume des Roches, à l'abbaye de Bonlieu, qu'ils dotèrent d'une partie des revenus de leur moulin d'Outillé (3). La même année, accompagnant Jean d'Alluye, sire de Châteaux, dans une visite au prieuré de Luceau, près Château-du-Loir, Guillaume de la Jaille, déclaré frère d'Aimery de la Jaille présent à la même visite, attesta avec ce dernier, les libéralités de Jean d'Alluye à Notre-Dame de Luceau, fondation du grand sénéchal (4).

Guillaume de la Jaille ne laissa pas de postérité; mais, en janvier 1226, étendant de paternelles bontés sur une jeune chambrière nommée Rose, fille de Renaut Guiraut, qui s'était dévouée à son service, il la dota de la maison habitée par son père près l'église Saint-Mars d'Outillé, avec les revenus de la Vigne qu'il exploitait, l'exempta de toutes

(1) Archiv. de la Sarthe, Livre blanc de Saint-Julien du Mans, p. 39.

(2) Archiv. de la Sarthe, Livre blanc de Saint-Julien du Mans, p. 30.

(3) D. Villevieille, ms. français 31931, au nom Jaille.

(4) Marmoutiers, ms. latin 5441/2, p. 242.


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redevances seigneuriales et la maria avec un habitant de Chémeré, appelé Guillaume (1).

Le sire d'Outillé scellait ses actes d'une croix alèzée ne rappelant en rien ses emblêmes personnels, mais que nous . savons être le sceau de la maison d'Outillé.

V. — GEOFFROY IV de la Jaille, seigneur de la Jaille en Chahaigne, désigné comme fils aîné d'Aimery et de Létice dans la charte du don de dame Hilaire de Reuxe, son aïeule, à Fontevrauld, en 1217, n'est connu que par sa présence aux obsèques de Guillaume des Roches, sénéchal héréditaire des trois provinces, célébrées à l'abbaye de Bonlieu en 1222, devant une notable réunion de prélats et de chevaliers. Nous devons à Ménage la liste d'une partie des assistants (2): en tête figurent les évêques du Mans et d'Angers, puis les gendres du défunt, Amaury de Craon et Geoffroy de Châteaudun, son neveu Baudouin des Roches marié à Odette de Brain ; parmi les plus connus de ses compagnons d'armes viennent successivement Thibaut de Blason, Geoffroy de Pouancé, Josselin de Champchévrier, Geoffroy de Mathefélon, Hugues de La Ferté-Bernard, Renaud et Robert de Maulévrier, Hugues de Saint-Michel, Foulques de

Mathas, Hugues du Bellay etc; au nombre de ses plus

proches voisins, Pierre et Payen de Channay (3), Hugues de Loche (4), Urselin d'Epeigné (5), Guillaume de Clefs (6) Geoffroy de la Jaille (7), Jean de la Jaille, Mathieu de Bou(1)

Bou(1) Housseau, t. VI, n° 2638.

(2) Histoire de Sablé, par Ménage, lre partie, p. 367.

(3) Channay près Château-la-Vallière, au nord de Tours, Indre-etLoire.

(4) Loche, par. de Fondettes, au nord de Tours, Indre-et-Loire.

(5) Epeigné-sur-Deine, près Neuvy-le-Roi, au nord de Tours, Indreet-Loire.

(6) Clefs, canton et arr. de Baugé, Maine-et-Loire.

(7) Seigneur de Chahaigne, à courte distance vers l'Est, de Châteaudu-Loir.


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Toire (1), Olivier de Daon (2), Guillaume de Marson (3), Guillaume de la Jaille-Outillé (4).

Geoffroy de la Jaille s'attira la reconnaissance des dames de Bonlieu, en leur offrant, à l'occasion de cette mémorable cérémonie, un demi-arpent de pré situé dans le Val du Loir, près Marson, c'est-à-dire aux dépendances de sa terre de Chahaigne (5).

Chahaigne relevait du château de Marson à foi et hommage-lige, et Marson était une de ces anciennes forteresses élevées par les comtes d'Anjou sur les frontières de leurs états. Belin la détenait en 1060 ; elle était, en 1203, à Geoffroy de Marson qui se déclarait vassal d'André d'Alluye, seigneur de Saint-Christophe (6) et de Châteaux, de sorte que Chahaigne relevait en arrière fief des sires d'Alluye. Mais, dans leur paroisse, les la Jaille avaient la prééminence et la principale seigneurie après la leur, Bénéhart, relevait de leur juridiction. Bénéhart n'a pas laissé de traces dans l'histoire, avant d'avoir appartenu aux Maillé grandement possessionnés au nord de la Touraine. Hardouin de Maillé, VII du nom, détenait Bénéhart dans la seconde moitié du XIIIe siècle. Marié d'abord avec Isabelle de Chateaubriand, puis, après 1275, à Jeanne de Beauçay, il avait eu de la première une fille unique, Catherine, qui fut dame de la paroisse de Chahaigne au total, durant toute la premièremoitié du XIVe siècle. Au fief de Bénéhart héréditairement possédé, avait été réuni, pour elle, le domaine seigneurial de la Jaille, d'où s'éclipsent les membres de la famille de ce nom, dès la période d'existence de ce même Hardouin de

(1) Bouloire, canton et arr. de Saint-Calais, Sarthe.

(2) Daon, sur la Mayenne, en aval de Châteaugontier.

(3) Marson, cant. de la Chartre-sur-Loir, arr. de Château-du-Loir, Sarthe.

(4) Outillé, au nord de Château-du-Loir en allant vers le Mans.

(5) Histoire de Sablé, par Ménage, lre partie, p. 367.

(6) Saint-Christophe, cant. de Neuvy-le-Roi, arr. et au nord de Tours, Indre-et-Loire.


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Maillé. Que s'est-il donc passé ? Rien sans doute qu'une évolution de biens ordinaire à toutes époques : Geoffroy de la Jaille étant mort sans enfants, l'un de ses frères — nous trouvons encore Guillaume de la Jaille à Château-du-Loir en 1276 — aura cédé la seigneurie de Chahaigne au sire de Maillé, désireux d'agrandir sa terre de Bénéhart.

Catherine de Maillé, dame de Chahaigne, vécut soixantedix ans, célibataire. Elle mourut en 1350. Elle était dame d'honneur de la reine Jeanne de Boulogne (1326-1360) femme de Jean le Bon. Bien qu'elle portât à ses frères Jean et Payen de Maillé une sollicitation allant jusqu'à toucher, pour leur compte, leur solde de service militaire pendant leurs campagnes, Catherine disposa par testament de sa terre de Chahaigne au profit des moines de Marmoutiers, possesseurs, nous le savons, de l'église du lieu. Elle pria la reine de faire envoyer ces religieux en possession du domaine légué. Mais les dames de Maillé et de Clervaux, héritières de Catherine (elles étaient veuves de ses deux frères et avaient des enfants) ayant élevé des réclamations, l'abbaye consentit à.leur remettre la terre de Chahaigne moyennant une indemnité raisonnable (1). Aussitôt ce domaine fut grevé d'une rente de trente livres que Jean de Maillé, sire de Clervaux, avait laissée à Marmoutiers par son testament daté de 1349. Bientôt, par suite des guerres et de la ruine qui en fut la conséquence, la rente ne put être payée. Chahaigne était aux mains des Anglais : le château de la Jaille est classé au nombre des places fortes occupées par l'ennemi de 1356 à 1364 (2), et, bien qu'il fut tenu en respect par la garnison française de Beaumont-Pied-deBoeuf, les ravages causés dans le pays supprimaient tout rendement des biens fonds. Un document cité par l'abbé Ledru, dans son Histoire de la Maison de Broc, prouve la profonde misère dans laquelle était plongée la contrée

(1) D. Villevieille, ms. français 31937, au nom Maillé.

(2) Arch. nat., JJ107, n° 361 et JJ 90, n° 375.


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voisine de Château-du-Loir, en conséquence des dégâts commis par les troupes d'occupation étrangères, en station « au fort la Jaille (1) ».

En vain Hardouin de Maillé, XIe du nom, devenu seigneur de Chahaigne, avait-il transféré, de la Jaille à Bénéhart, le siège de la juridiction seigneuriale, recette, amendes et grange dîmière ; les revenus ne rentraient pas suffisamment même pour couvrir les obligations ; il fallut, pour satisfaire les moines, leur abandonner tout Chahaigne, en 1364, pour la somme dérisoire de 450 livres (2). Les bénédictins de Marmoutiers rencontrèrent aussitôt les mêmes embarras pour gérer ce bien ; moins de dix ans après, ils se déclarèrent contents de trouver dans Payen II de Maillé, sire de Brézé, un acquéreur pour la terre de Chahaigne, moyennant le remboursement de la rente dont elle était grevée. La Jaille et Bénéhart confondus dans le même héritage, se retrouvèrent dans la succession de ce seigneur, dont la fille aînée ayant épousé, comme nous le verrons, Tristan de la Jaille, en 1371, recueillit le château de la Jaille et ses dépendances au profit de ses enfants. Les Maillé gardèrent Bénéhart. L'un d'eux, Hardouin de Maillé-Brézé, ayant épousé Anne de Villiers-Mar, voulut employer la dot de sa femme au rachat de toutes les anciennes parties du fief de Chahaigne, et par conséquent exercer un retrait féodal sur la Jaille. Pierre de la Jaille, son cousin, ne lui permit point de mettre ce dessein à exécution ; il obtint du Parlement, en 1467, une sentence le maintenant en possession de la terre de ses ancêtres, si fortuitement rentrée dans sa famille (3).

VI. — AIMERY II ou HENRI (4) de la Jaille, seigneur de

(1) Histoire de la Maison de Broc, par M. l'abbé Ledru, B. N. impr.

(2) B. N. ms, P. O.1798.

(3) Diction. de la Sarthe, par Pesche, t. I, p. 261.

(4) Haimericus, Aimericus, Emericus, Hemricus, Henricus sont le même prénom.


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Beuxe et des Roches, en Loudunois, énoncé second fils d'Aimery I et de Létice, dans l'acte de donation consentie à Fontevrauld en 1217, recueillit, comme c'était la coutume, les biens maternaux dans la succession de ses auteurs. C'est lui qui, faute d'héritiers directs provenant de son frère Geoffroy, a continué la descendance de la branche loudunoise de la maison de la Jaille, possessionnée à Beuxe jusqu'à son extinction. Malgré l'obscurité qui règne sur les filiations de cette branche au XIIIe siècle, on doit le considérer comme père du suivant.

VIL — TRISTAN Ier de la Jaille, seigneur de Beuxe et des Roches, énoncé par les généalogistes fils d'Aimery I et de Létice, doit être considéré comme leur petit-fils, car il n'est pas nommé dans la charte de 1217, portant déclaration des sept enfants de ce couple, et le temps où il vécut le reporte à la génération suivante. Il épousa Antène de Doué (1), et non Eustache de Doué qui était la femme de Barthélémy de l'Ile Bouchard en 1252. Antène appartenait à la branche cadette de cette famille, implantée à Gizeux et au Maine, elle était peut-être la fille de Guillaume de Doué, rentré en possession de Gizeux après la mort d'Agnès, femme sans enfants de Mathieu Il de la Jaille ; André de Doué, issu de Guillaume, était seigneur de Gizeux en 1277.

Les généalogistes donnent à Tristan I une fille nommée Guyonne, mariée à André Vachereau, mais selon les notes recueillies dans les papiers de famille, nous croyons devoir la reporter à la génération suivante.

VIII. — AIMERY III ou HENRI de la Jaille, seigneur de Beuxe, des Roches et de Rouesson, sans filiation énoncée, se rattache au premier Henri, ou Aimery II, fils certain d'Aimery I, en raison de l'usage pratiqué assez régulière(1)

régulière(1) armes : d'argent ourlé d'un losanger de sable.


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ment alors, de donner au petit-fils le prénom de l'aïeul. Cette présomption est sérieuse, mais l'importance que nous y attachons prouve que les documents nous manquent pour établir les échelons de notre généalogie d'une façon rigoureuse. Les sceptiques et les démolisseurs de tradition triompheront-ils ici ? Oui, s'ils exigent un acte de baptême... Mais les générosités des nobles envers les maisons religieuses ont cessé au XIIIe siècle, le notariat est en embryon, les aveux encore rarement écrits sont encore plus rarement conservés, les transactions demeurent entre les mains des particuliers et périssent, les testaments, les, donations, les contrats, tout le monde n'en fait pas. Alors, on doit se contenter de considérer comme descendant les uns des autres les personnages du même nom de famille que l'on retrouve sur la même terre, et si Beuxe possédé par Aimery de la Jaille, en 1217, est, comme nous le constaterons, en 1340 aux mains de Jean de la Jaille, il faut logiquement reconnaître que celui-ci est l'arrière petit-fils de celui-là, son héritier direct, et que tous les personnages du même nom que l'on rencontre dans l'intervalle de ces cent vingt ans, surgissant dans le même milieu, ont droit à être classés sur les dégrés successifs de la généalogie. Néanmoins la lacune est regrettable pour une famille représentée jusqu'à présent d'une façon si régulière dans chacune de ses générations.

« Mgr Henri de la Jaille, chevalier » est cité dans le recueil des levées de troupes féodales, au nombre des bannerets et hauts bacheliers qui prirent part à la campagne de Gascogne, contre les Anglais, avec le roi Philippe le Bel, en 1294. Le monarque, satisfait de ses services, fit à Henri de la Jaille un don en argent, comme compensation aux pertes subies dans les rencontres avec l'ennemi (1).

Le rang occupé par ce chevalier aux armées royales fait voir en lui le détenteur des grands fiefs tenus au service de

(1) B. N. ms. de la collection Decamps, vol. 82. p. 284.

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guerre. Possesseur des terres du Loudunois, il était revenu prendre pied dans les environs de Château-du-Loir, en épousant, croyons-nous, la soeur ou la fille de ce Guillaume de Ourne que nous vîmes, en 1276, dans la société de Guillaume de la Jaille, proche parent d'Henri. Il est certain qu'il en fut l'héritier, puisque l'on retrouve la terre de Ourne aux mains de ses enfants. Il est évident aussi que ce fut par l'apport dotal de sa femme que notre Henri devint seigneur de Rouesson, fief ayant métairie, moulin, étang, pêcheries et dépendances sur le ruisseau de la fontaine des Vallées, paroisse de Saint-Aubin-le-Dépeint (1), au nord de la Touraine, à très petite distance de la rive gauche du Loir. Il y était vassal de l'abbé de la Clarté-Dieu (2), avec lequel il passait un bail conclu clans les termes suivants :

« Lettre de l'abbé de la Clarté-Dieu à Monseigneur Henri de la Jaille, chevalier, seigneur de Roisson.

« Hugues, abbé de la Clarté-Dieu, de l'ordre de Cîteaux, au diocèse de Tours, reconnaît avoir baillé à Monseigneur Henri de la Jaille, chevalier, seigneur de Roisson et à ses hoirs, une pièce de pré d'un arpent près le pré GuillaumeSallé, d'une part, et touchant de l'autre le pré du dit chevalier séant en la paroisse de Saint-Aubin-le-Dépeint au fief de l'abbaye, pour lequel arpent de pré le dit chevalier et ses hoirs devront foy et hommage, comme pour toutes les autres possessions qu'ils tiennent de l'abbaye, et quinze sous tournois de service annuel et perpétuel à payer à l'abbaye au lendemain de la fête de Tous-les-Saints, sous peine de l'amende ordinaire. Donné à l'abbaye en juin 1296 (3) ».

Puisque, de l'aveu de l'abbé Hugues (1289-1298), Henri

(1) Saint-Aubin-le-Dépeint, cant. de Neuvy-le-Roi, arr. et au n. de Tours, Indre-et-Loire.

(2) La Clarté-Dieu, hameau de Saint-Paterne près Saint-Christophe, au n. de Tours.

(3) D. Housseau, t. VII, n° 3406.


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de la Jaille eut « des hoirs » nous devons lui attribuer la paternité de :

1° Tristan, qui suit ;

2° Aimery qui vient après ;

3° Guyonne mariée avec André Vachereau, seigneur de Chevillé, au Maine, terre voisine de Château-du-Loir et par conséquent voisine aussi de ce château de Ourne, où dût résider Henri de la Jaille. Au dire de Pesche (1), Chevillé aurait appartenu à Pierre de Longueil, évêque du Mans, en 1309, il s'en serait défait au profit d'André Vachereau, fait fixant au début du XIVe siècle l'existence d'André et son alliance avec Guyonne de la Jaille.

IX. — TRISTAN II de la Jaille, seigneur de Beuxe et des Roches, n'est connu que par son union avec Mabile de Maulévrier (2), que les généalogistes font vivre à la fin du XIVe siècle, époque à laquelle la maison de Maulévrier était éteinte.

Pour rétablir Tristan II à son degré filiatif, il suffit d'étudier les dates afférentes à l'existence de sa femme Mabile, laquelle est plus connue que lui. Elle appartenait à une famille illustre et ancienne dont quelques membres s'étaient signalés sous la bannière de Guillaume des Roches. L'un d'eux, Renaud, engendra Guillaume marié à Julienne de Ramefort qui donna le jour à Renaud de Maulévrier, vivant de 1268 à 1303, et à Mabile mariée avec Guy de Chemillé (3).

C'est de Renaud que dût naître Mabile Seconde, unie à Tristan de la Jaille.

Ces Maulévrier, originaires du Bas-Anjou, s'étaient répandus jusqu'en Touraine et au nord du Poitou. A l'époque où Louis IX eut à disputer cette province aux Plantagenets, les

(1) Bictionnaire de la Sarthe, par Pesche, au nom Chevillé.

(2) Maulévrier, armes : d'or à un chef de gueules.

(3) D. Hous., t. VI, n° 2688, et D. Villevieille, ms. franç. 31940.


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Maulévrier profitèrent du séjour de la cour à Loudun, pour obtenir du roi l'autorisation d'élever une tour en tête du pont qui venait d'être construit sur la Dive, à Cursay, pour en défendre le passage, 1228. Du consentement du roi la nouvelle forteresse fut adossée, de gré ou de force, aux édifices même du château de Cursay, dont elle forma le portail principal. Le Proust, clans ses recherches sur la coutume du Loudunois, dit : « Maulévrier était une grosse tour ancienne qui, autrefois, servait de frontière pour repousser les Anglais, dedans laquelle et la clôture d'icelle y avait un corps de logis enfermé de fossez et un portail qui sert d'entrée au château de Cursay (1) ». Celle tour avait, comme on le voit, reçu le nom de ses possesseurs. Sa situation explique la présence des sires de Maulévrier en Loudunois où ils acquirent des fiefs, et leurs relations avec les familles locales.

Guillaume de Maulévrier, que nous croyons frère de Mabile Seconde, avouait au roi, à Loudun, en 1319, quarante jours de service de guerre pour ce qu'il'avait « à Curçay et ses environs (2) ». Cela lui rapportait cinquante livres de rente pour lesquelles il était tenu, avec deux siens vavasseurs, Guillaume Bideau et Jean Baillaie, à garder le pont. Celte « Salle des Maulévrier », comme on l'appelait, devait réunir, de temps à autre, les seigneurs du canton. Les la Jaille y fréquentaient puisqu'ils possédaient des résidences voisines. Nous avons constaté déjà les relations d'Aimery I de la Jaille avec un seigneur de Cursay ; l'idée de voir Tristan venir, en cette tour, chercher une épouse, n'a rien qui surprenne. Un autre la Jaille y viendra prendre femme moins de cent ans plus tard.

(1) Le Proust, Recherches sur les coutumes du Loudunois, préface, et notes manuscrites de M. le comte de Rilly, d'après les archives de son château de Cursay.

(2) Idem.


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La résidence de Mabile de Maulévrier à Cursay ne fait pas de doute, lorsqu'on sait qu'elle avait eu pour premier mari un seigneur angevin nommé Hugues de Parthenay, non pas membre de cette grande maison de Parthenay-l'Archevêque, qui fournit, à cette époque, deux Hugues morts sans enfants, mais sorti d'un fief de ce nom situé dans la paroisse de Sainte-Gemmes-sur-Loire (1), près les Ponts-de-Cé. Cette famille avait étendu ses possessions jusqu'en Loudunois. En 1277, Philippe de Parthenay (de Partenoyo) et sa femme Isabelle vendaient au chapitre de la cathédrale d'Angers des dîmes sur les paroisses de Chatigné et Distré (2), bordant la Dive, à égale distance de Saumur et de Loudun; cette cession obtenait l'assentiment du seigneur dominant appelé Jean de Cursay (3). C'est après avoir perdu cet Hugues de Parthenay, vraisemblablement fils de Philippe et d'Isabelle, qui lui laissait deux filles, Jeanne et Eustache (4), que Mabile épousa, vers 1300, Tristan de la Jaille et qu'elle habita « l'hôtel seigneurial de la Jaille en la paroisse de Sammarcolle » qui lui demeura en douaire (5).

Nous avons ici la première notion du château de la Grande-Jaille, dont les restes assez bien conservés présentent encore un aspect très féodal, et qu'un titre du

(1) Sainte-Gemmes-sur-Loire, cant. de Saint-Aubin-les-Ponts-de-Cé, arr. d'Angers, Maine-et-Loire.

(2) Distré sur la Dive, chef-lieu de canton de l'arrondissement de Saumur (Maine-et-Loire).

(3) D. Housseau, t. VII, n° 3295.

(4) Histoire de la Maison de France et des grands officiers de la Couronne, par le P. Anselme.

(5) Tous ces développements paraîtront romantiques ; ils ne sont que la déduction de faits authentiques dont l'auteur a cherché à tirer des conséquences. Il est certain que Mabile de Maulévrier habitait le Loudunois, qu'elle était veuve d'Hugues de Parthenay et qu'elle avait deux filles, nommées avec leurs maris dans son testament. Les notes généalogiques lui donnent pour second mari Tristan de la Jaille ; rien ne le prouve et rien ne s'y oppose. Il est prouvé seulement qu'Aimery de la Jaille était son gendre.


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XVe siècle qualifiera « annexe de Beuxe (1) ». La tradition locale, confirmée par les recherches des archéologues, affirme qu'il n'y a jamais eu de logis seigneurial à Beuxe. Les la Jaille, installés en Loudunois au XIIIe siècle, n'auraient donc pas tardé à étendre leur domaine dans la paroisse de Sammarcolle (2), entre Beuxe et Loudun et à y construire un manoir qui prit leur nom, comme l'avaient fait toutes les créations de la famille. On apprendra par la suite que ce domaine comprenait encore une ferme appelée la Petite-Jaille, un moulin sur le Négron appelé Palluau, des prairies dans le vallon dites les Longsprés, et beaucoup d'autres dépendances qui en faisaient une seigneurie importante relevant de la Mothe de Bauçay. C'est dans ce manoir que Mabile de Maulévrier fit son testament et mourut, en 1329. Elle nommait exécuteurs de ses dernières volontés ses chères filles Jeanne et Eustache de Parthenay et leurs maris Jean de Maillé et Aimery de la Jaille, en présence de l'abbé de Seuilly, un de ses proches voisins, et des gentilshommes qui fréquentaient dans sa maison par suite de leur résidence rapprochée : Pierre de Marmande, seigneur de la Roche-Clermaut, Guyon de la Haye, seigneur de Bournan, Guy Aménart, seigneur de Chanzé, marié à Catherine de Bauçay, suzeraine et amie de la testatrice, et les trois frères de Chartres, gentilshommes habitant Loudun. Ce testament fut. entériné à Angers après la mort de Mabile, comme l'a noté M. de Gaignières (3).

On peut conclure de ce testament qu'aucun enfant n'était venu ou demeuré de Tristan II alors décédé et de Mabile,

(1) Arch. du château du Coudray-Montpensier : « Le fief d'Andilly relève à foi et hommage-lige de la seigneurie de la Jaille, annexe de la seigneurie de Beuxe ».

(2) Sammarcolle, cant., arr. et à 1 1. N.-E. de Loudun, Vienne.

(3) B. N. fonds latin 17129, p. 615. La Roche-Clermaut, Bournan, la Mothe-Baucay, Saint-Chartres, sont des localités voisines de Loudun, de Sammarcolle ou de Beuxe.


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car le personnage suivant, qui fut leur gendre, ne pouvait en conséquence être issu d'eux.

X. — AIMERY IV de la Jaille, seigneur de Ourne et de Rouesson, selon la liste des chevaliers des appartenances du Maine et de l'Anjou, qui firent, en 1310, appel contre les abus fiscaux de Charles de Valois (1), devint seigneur de Beuxe, la Jaille et les Roches, en Loudunois, après la mort de Tristan II, dont il était apparemment le frère puîné. Marié avec Eustache de Parthenay (2), il fut l'un des exécuteurs testamentaires de sa belle-mère, Mabile de Maulévrier, en 1329. Il fut père de :

1° Jean, qui suit ;

2° Jeanne, unie à Guy de Bournay, bon gentilhomme du Loudunois, dont le père périt à la bataille de Poitiers en 1356.

Guy de Bournay dut faire, à l'occasion de son mariage, un emprunt à un lombard (juif de l'époque) appelé André de Gâtines. Ce dernier mal remboursé et peut-être rudoyé, car ces usuriers étaient souvent mal traités, soudoya les frères Guy et Perrot de Martigny et Jean de Monts, qui pourtant étaient riches : « ils avoient moult grant béritaige et moult bel herbergement qui puent bien valoir Vc à VIc livres de rente », mais sans doute, avaient-ils une mauvaise querelle à vider, cas fréquents entre hobereaux jaloux et violents. Guy de Bournay était entouré de mauvais serviteurs. Il entretenait à la chambre, pour l'alaitement de son jeune enfant, une Perroche la Grant garche dont le surnom n'est pas un brevet de moralité. Cette valetaille achetée à son prix ouvrit nuitamment aux assassins le logis du maître. Guy de Bournay fut tué au lit, sous les yeux de sa femme et de son fils, dans son manoir de la Martinière, en Clau(1)

Clau(1) nat., reg. JJ. 178 B.

(2) Parthenay, armes : d'argent à la croix pattée de sable.


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nay (1). Le crime accompli, les meurtriers cherchèrent un refuge chez les Anglais occupant le Poitou, Jeanne de la Jaille eut le courage de les poursuivre jusque chez les plus mortels ennemis de son pays. Elle obtint leur extradition, leur transfert à Paris, leur internement à la Conciergerie du Palais, leur procès en bonne forme devant la Chambre criminelle du Parlement. Les témoignages recueillis, les déclarations des complices, l'aveu même des coupables motivèrent une juste condamnation. Guy de Martigny et Jean de Monts furent décapités en 1362 « pour cause de certains homicide et traison qu'ilz avaient faiz et perpétrez » (2). Leurs biens furent remis aux Maréchaux de France.

Il est probable que Jeanne de la Jaille recueillit, dans la succession paternelle, la terre de Ourne, qu'elle porta dans une famille où elle aura contracté une seconde alliance ; car ce domaine, après Aimery IV, ne se retrouve plus dans la maison.

XI. — JEAN I de la Jaille, seigneur de Beuxe, des Roches, de la Jaille en Sammarcolle et d'Avrillé en Anjou, naquit en 1324 de l'union d'Aimery IV et d'Eustache de Parthenay. Il fut élevé dans un milieu de haute chevalerie, où rayonnaient alors les Maillé, les Bauçay, les Maulévrier, les Marmande, les Montbason, fine fleur de cette aristocratie qui allait verser son sang et offrir sa fortune, pour la libération du territoire franc envahi par les Anglais. Jean nous le verrons, prendra une part active à cette oeuvre. A vingt ans, déjà chevalier, possesseur des fiefs d'honneur et d'aînesse de sa famille, il jouissait d'une telle considération que sa cousine par alliance Aumure de Maillé, femme d'Amaury de Bauçay, dictant son testament, à Loudun, le 15 février l344, le dési(1)

dési(1) canton et arrond. et à 2 lieues E. de Loudun, Vienne.

(2) Archiv. Nat. registre X 2 a 6, fol. 5.


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gnait comme le premier de ses exécuteurs testamentaires, les autres étant Jean et Hardouin de Maillé, Bonabes de Rougé, André de Condelle, tous présents au chevet de la testatrice (1). Avant 1345, Jean avait épousé Jeanne Gourmont (2), dame de Ranton (3), fille de Guillaume, seigneur de la Tour-du-Bois-Gourmont (4), une des plus anciennes forteresses du Loudunois. Jean assignait à sa femme, à cette date, deux cents livres de rente sur son domaine de Beuxe, à titre de remploi dotal.

Cette période si troublée du XIVe siècle est une de celles où le merveilleux ait exercé le plus d'empire en France. Les pratiques ténébreuses, l'occultisme captivaient tellement la société, qu'un très grand nombre d'arrêts du Parlement et de lettres de rémission de nos rois se rapportent aux excès, aux scandales et aux crimes qu'elles occasionnèrent. En ce qui concerne notre province, on peut citer le procès d'envoûtement intenté contre Guillaume de Montsorbier, ou l'arrêt condamnant François de Montcatin au bûcher comme sorcier, évocateur d'esprits... etc(5). On ne s'étonnera donc pas qu'une tradition répandue dans le Loudunois, et consignée dans les notes généalogiques du XVIe siècle, ait présenté le sire de la Jaille comme initié aux mystères ésotériques, évoquant, provoquant et combattant le roi des sombres demeures. — Le vendredi 28 août 1541, Pierre de Molard, procureur spécial de noble et puissant Monsieur René de la Jaille, chevalier, « en la présence de maistre François du Chesne, prêtre, demeurant en la ville de Loudun, ayant la garde d'aucuns papiers, titres et enseignements concernant les terres et seigneuries du dit de la

(1) Bibl. Nat. mss. P. O.1998.

(2) Gourmont, armes : d'or à la croix ancrée de gueules.

(3) Ranton, chat, fort relevant de Loudun, sur la Dive, à 2 lieues O. de la ville.

(4) Bois-Gourmont, chat, fort relevant de Loudun, à 11. N. de la ville.

(5) Arch. Nat. reg. X l a 9199, fol. 275, et, X 2 a 26, fol. 272.


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Jaille sises au pays du Loudunois », pria François Chauvet, licentié en droit, lieutenant général à Loudun « d'extraire certains articles relatifs aux prédécesseurs du dit sieur de la Jaille » d'un registre couvert de parchemin, contenant 189 feuilleis, que le sieur du Chesne « exiba », et dont le dernier feuillet était émargé par les chapelains des châteaux de la Jaille et de Ranton, desquels articles reproduits textuellement et garantis conformes à l'original par la signature du lieutenant Chauvet et celle de son greffier Carat, nous extrayons celui-ci : « Messire Jan de la Jaille, ainsi qu'on dict, combattit le diable par plusieurs fois, l'une fois aux halles du Val (1), l'autre auprès du Bois-Gourmont, auquel lieu mourut lors un de ses gens nommé Malandre de Peurguis (2)». Trincant, procureur du roi à Loudun, en 1630, a reproduit la même légende, en fixant aux halles de Basses, situées en face le château de la Jaille en Sammarcolle, le lieu de la première rencontre de Jean de la Jaille avec le diable, affirmant que « plusieurs fois le dit Jean eust à faire à luy ailleurs et tousjours le connoissoit-il bien » (3). L'histoire prêterait à rire, si les manifestations du spiritisme expérimental, les découvertes scientifiques, sur l'existence et les phénomènes du fluide magnétique (4) n'attiraient pas l'attention sur ce qu'on appelle ironiquement superstitions d'un autre âge.

Ramenons notre héros sur le terrain de la réalité. L'époque où évolua son existence est une des plus douloureuses de notre histoire, temps de luttes acharnées, de défaites, de ruines, d'invasion étrangère, temps de décadence morale,

(1) Levai de Basses, com. du cant. et arrond. de Loudun, sur la rive gauche du Négron.

(2) Généalogie composée à Loudun en 1541, copie aux mains de M. le marquis de la Jaille.

(3) Note conservée dans les papiers du marquis de la Jaille.

(4) Voir Expériences de William Crookes et Extériorisation de la sensibilité par le colonel de Rochas.


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d'anarchie administrative, de relâchement de tout lien. Après être tombée bien bas, la France se ressaisit, se releva sous l'impulsion du génie, du dévouement et du courage. Nous pouvons affirmer que dans chacune des trois branches qui la composaient alors, la maison de la Jaille fournit des hommes qui prirent part, au premier rang, à l'effort héroïque dont la nation tira sa délivrance. Jean fut un de ceuxlà, ainsi que le démontrent les documents qu'il nous a été permis d'utiliser à son sujet.

Jean de la Jaille.apparaît, pour la première fois, sur le , registre de la levée des troupes féodales, en 1340. Il a seize ans. Il commande trois écuyers qu'il conduit bravement à l'armée de Flandres, pour servir contre les alliés de l'Angleterre. Parti de Bretonval (1) avec sa petite troupe, il reçoit la paye de sept jours de route « à l'host de Bouvines » (2) en pleine frontière. C'est ainsi que simple damoiseau, chef d'une petite unité de vingt combattants environ, Jean inaugurait contre les Flamands soutenus par les Anglais et battus à Saint-Omer, le 24 juin, la carrière des armes qu'il devait suivre toute sa vie, avec les alternatives de succès et de revers habituelles à ce rude métier. Nous ne savons rien de la part que prit la Jaille, à la campagne terminée par le désastre de Crécy (1346) non plus qu'au siège de Loudun (1350) auquel il assista certainement avec toute la gendarmerie féodale de la contrée (3). Mais nous le trouvons, en 1355, à la suite de Jean de Clermont, Maréchal de France, lieutenant général pour le roi en Touraine et Poitou, l'un des plus brillants seigneurs de la cour de Jean le Bon. Ce dignitaire fut, paraît-il, le plus élégant et le plus raffiné d'un

(1) Sans doute Bethonvilliers près Nogent-le-Rotrou.

(2) Col. Decamps, vol. 83. Acq. nouv. mss., Bibl. Nat. 7413, p. 361.

(3) Loudun pris par surprise, en mai 1350, par le Bascon de Mareuil et les Anglo-Navarrais, fut repris en septembre suivant à la suite d'un assaut meurtrier livré par le maréchal de Beau jeu et les bannerets de Touraine et d'Anjou.


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milieu où le caractère chevaleresque s'affirmait avec intensité. Il piqua d'émulation la noblesse de son gouvernement par le soin qu'il mit à composer son entourage. Il n'y admit que le premier choix dans la naissance, la distinction, l'esthétique, la valeur reconnue, l'esprit militaire expérimenté. Ce fut une faveur enviée par la jeunesse que de faire partie des officiers de la bataille du maréchal : Jean de la Jaille en était. Il accompagnait ce chef, avec huit écuyers, dans ses excursions en armes. Le 19 janvier, à Pouancé, sur les frontières d'Anjou et de Bretagne, il recevait de Jean de Clermont 145 livres dont il donna quittance (1). Quelque temps après, le maréchal, rentré à Tours, fêtait, cajolait les belles dames de la ville, dont quelques-unes, pensez-le bien, gardaient des faveurs pour son état-major. Cela n'empêchait pas nos chevaliers de préparer la défense de la ville menacée d'une invasion (2). En mars, Clermont était descendu à Poitiers, pour surveiller les menées du Prince Noir et, le 20, Jean de la Jaille touchait à la caisse de Robin François, trésorier des guerres, trente-quatre livres tournois pour son entretien dans la compagnie de messire Jean de Clermont, sire de Chantilly. La quittance délivrée par Jean de la Jaille, à Poitiers, dans cette occasion, est revêtue d'un sceau portant la bande fmelée simple, avec une tête de loup en cimier (3).

Nous ne pouvons douter que le sire de la Jaille ait été présent à la funeste journée du 19 septembre 1356, dite bataille de Poitiers, où, dans les champs de Maupertuis, son capitaine et tant d'autres valeureux chevaliers trouvèrent la mort. S'il fut épargné, ce fut sans doute parce qu'il était de l'avant-garde, faite prisonnière après un court engagement de début. Clermont était monté en éclaireur sur le mamelon

(1) Clairambault, titres scellés, t. 2, p. 300.

(2) Chalmel, Histoire de la Touraine, t. III, p. 375.

(3) Clairambault, titres scellés, t. 1 p. 391 et t. 61, p. 4669.


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où les Anglais s'étaient retranchés. Il cherchait noise à Chandos qui avait arboré une bannière semblable à la sienne, et il l'appelait au combat. Son impétuosité fit fléchir les barrières, mais bientôt il se trouva, ainsi que toute sa chevauchée, entouré et serré de près et cruellement occis presque seul, en punition de son insolence. Les autres chevaliers eurent quartier et furent mis à rançon (1).

Louis de France, comte d'Anjou, ayant succédé à Clermont dans le gouvernement de la Touraine, la Jaille s'attacha au service de ce prince, et reçut de lui l'ordre verbal d'occuper Loudun en qualité de « capitaine du chastel, ville, chastellenie et ressort ». La Jaille obéit. Il accomplit fidèlement sa mission. Il garnit la place de troupes, répara les murailles, acheva la construction d'une tour sur la porte de laquelle on voyait encore son blason au XVIIe siècle, le comte de Tancarville vint l'y rejoindre, porteur d'un ordre du roi pour occuper la ville et le ressort avec le titre de gouverneur. La Jaille se refusa à livrer la place, parce que, ainsi que le reconnut le régent Charles, plus tard Charles V, « nostre très cher et amé frère le comte d'Anjou et du Maine, comme lieutenant du roi et le nôtre ès partie de Touraine, lui avoit donné commandement exprès et deffense de bouche qu'il ne remit ou délivrât la dicte ville de Lodun à personne quelconque, saut à la personne de nostre dit frère, si corne nostre dit frère nous en a tesmoigné et révélé » (2). Le Régent félicita la Jaille par ses lettres datées de Boulogne, l'an 1360, au mois d'octobre, et le maintint dans son commandement. Plus tard, Charles V nomma la Jaille « par recompensation des services qu'il nous a rendus en nos guerres » maître d'hôtel du roi (3), fonction de cour alors recherchée, mais dont le titulaire usa

(1) Froissard et tous les chroniqueurs contemporains.

(2) Arch. Nat. registre JJ. 88, folio 74.

(3) Généalogie de Loudun, en 1541, authentiquée par le lieutenant Chauvet.


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peu n'ayant pas, sous ce règne, quitté le harnais de guerre. Jean de la Jaille, durant la période critique comprise entre la pris*! de Poitiers et la descente de Du Guesclin sur la rive gauche de la Loire, période au cours de laquelle presque toutes nos forteresses furent enlevées par l'ennemi, se montra le plus vigilant, le plus audacieux adversaire des Anglais sur la frontière poitevine. Il sauva Loudun de l'occupation et du pillage. Uni dans une fraternité chevaleresque à Hugues de Cursay, à Guillaume Gourmont, à Jean de Bueil, à Robin de la Haye-Bournan, il traqua l'ennemi à tous les passages, le surprit et le battit en maintes occasions, notamment au combat du pont de la Mothe-Bourbon (1), sur la Dive, et à la reprise du château de la Mothe-Baucay (2). En 1369, enfermé dans Loudun avec les principaux vassaux du fief, il tint tête à l'armée conduite par Chandos et par Pembrocke, et fit preuve d'une telle énergie que le torrent de fer et de feu passa sans l'entamer. Parmi les officiers de Jean de la Jaille, à cette époque, il est juste de citer ses fils, Tristan, l'aîné, qu'il s'était fait donner pour lieutenant dans la capitainerie de Loudun, Guichart, dont nous parlerons, et son gendre Alès de Brisay, dont, les terres, en Mirebalais, venaient d'être ravagées par l'ennemi et qui, de son manoir de Destillé où il s'était retiré près Chinon, prêtait main forte aux défenseurs de Loudun, comme le prouvent les actes passés par lui en cette ville, de 1369 à 1373(3). Mais un temps d'épreuves et de dangers continuels n'est pas sans ouvrir, sur l'éternité, les yeux d'un croyant. Jean de la Jaille et Jeanne Gourmont, sa femme, fondèrent alors, pour le salut de leurs âmes, une rente de soixante setiers de froment et quinze livres tournois, à prendre

(1) La Mothe-Bourbon, hameau sur la route de Loudun à MontreuilBellay.

(2) Bibl. Nat. mss., P. O,1565. — Le Proust, préface des Coutumes du Loudunois.

(3) Arch. Nat., regis. JJ. 100, et arch. du chat, de Brisay, vol. C.


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chaque année sur tous leurs biens, au profit d'une chapelle instituée par leurs soins dans l'église Sainte-Croix de Loudun, à condition d'y avoir leur sépulture et beaucoup de bonnes prières après leur mort (1). Jeanne y sera inhumée en 1373, laissant trente-deux ans de vie à son mari, que le Diable, assurément, n'osait plus approcher.

A ce. champion de la cause nationale, il ne suffisait pas de mener bonne guerre contre les ennemis du royaume, lorsqu'il les rencontrait en rase campagne. Il les défiait, durant les trêves, à des combats singuliers, combats souvent mortels mais très appréciés dans la chevalerie des deux camps. Au château de Chinon, chez le comte d'Anjou, devant une brillante réunion de barons et de dames, Jean de la Jaille appela dans les douves un Anglais fanfaron, réputé pour son adresse au maniement des armes : « il le combattit à outrance dont il eut du meilleur et lui perça sa lance au travers du corps » (2).

Au commencement de 1371, Jean de la Jaille fait montre de quatre chevaliers et trente-cinq écuyers, effectif considérable, effectif de banneret, à la tête duquel il se joindra, clans le courant de l'été, au maréchal de Sancerre « pour ayder à essayer réconforter le fort de Montcontour » (3), effort sans résultat, car il faudra l'épée de Du Guesclin pour emporter cette forteresse. A la suite du connétable, la Jaille pénétrera, en 1372, en Poitou, et fera la brillante campagne par laquelle l'Anglais sera refoulé en Guyenne. Jean, devant Cognac, commandait un chevalier et six écuyers. (quelle consommation de braves gens en. si peu de temps !). La ville prise, il est ramené en Normandie et coopère à « la journée entreprise devant Saint-Sauveur-le-Vicomte » (4).

(1) Arch. Nat. reg. JJ. 164, fol. 73,

(2) Généalogie composée à Loudun en 1541, authentiquée par le lieutenant Chauvet.

(3) Col. Decamps, vol. 84, page 156.

(4) Col. Decamps, vol. 84, p. 227.


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La Touraine, le Poitou déblayés, Saint-Sauveur rendu au roi de France, le théâtre de la guerre est reporté en Bretagne. Notre chevalier, à la tête de dix lances, est au nombre des féodaux mis à la disposition d'Olivier de Clisson, pour avoir raison du duc Jean. Il est, en 1376, à Saint-James de Beuvron (1), point de concentration des troupes françaises, et marche sur Ploërmel, Josselin, Vannes. Mais bientôt le duc de Bretagne s'est embarqué pour l'Angleterre et Clisson demeure vice-roi du duché au nom de Charles V. La Jaille a quitté la Bretagne au printemps de 1377. C'est sous le duc d'Anjou qu'il combat, cette année-là, en Guyenne. Il est au siège de Bergerac où Fulton est battu, à la prise des villes de Sainte-Foy, Castillon, Saint-Macaire, entre la Dordogne et la Garonne. Il assiste à la conquête des « six vingt et treize puissantes forteresses » (2) enlevées par l'armée du prince Louis. Le 17 octobre, sa compagnie est passée en revue par le sire de Montelais, devant Saint-Macaire, près la Réole ; elle comprend :

« Premièrement Messire Philippe Chenu

Messire Jehan de la Jaille, Jehan d'Ingrande, Antoine Glahaut, Jehan Salomon, Marpaut de la Tousche, Aimery de Piédonant, Jehan de Montelais, Jcachim de la Ferté, Bridaut de Tarnin, Guillaume de Chincé, Jehan Artus, Morice de Diexaie, Fouquet de la Trestonnière, Jehan de Champagne, Simon Bonenfant, Jehan de Coulaines, Morice du Pin, Thomelin Haussebery, Geoffroy le Gras, Guillaume de Péronne, Etienne de Castillon, Sanche Ferrande, Guillaume Barbot, Arnauton de Gratien, Jehan des Clousis, Jehan Froutart, Phelipot de Balu, Jehan de la Nau, Arnauton de Cameré » (3).

Jean devint bientôt chef unique de cette « chambrée » de

(1) Saint-James sur le Beuvron, chef-lieu de canton de l'arrondissement d'Avranchés, Manche. (2) Chroniques d'Anjou et du Maine, par Jean de Bourdigné. (3) Pièce originale aux mains de M. le marquis de la Jaille.


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composition bizarre, où l'on trouve, côte à côte, des tourangeaux, des poitevins, des bretons, des picards, un espagnol et un anglais. Il se présenta seul, à Pontorson, le 1er Septembre 1379, mais son effectif n'était plus que de dix écuyers (1).

L'année suivante, au moment de la mort de Charles V, il faisait partie des contingents jetés à la poursuite de Buckingham, dans le Maine ; le 1er septembre, il recevait à Pontorson 105 livres pour lui, un chevalier et dix écuyers sous ses ordres (2).

Le nouveau règne n'a pas apporté d'amélioration à l'état d'anarchie — où la France est plongée. Si, de la part des Anglais et du côté de la Bretagne une accalmie s'est produite, la guerre n'en reprend pas moins clans les Flandres en 1382. Charles VI, en novembre , remporte la victoire de Rosbecque ; puis, dès le printemps de l'année suivante, une convocation générale est adressée aux féodaux. Jean de la Jaille n'est point des derniers à y répondre. C'est à Paris, où il remplit sans doute les fonctions de maître d'hôtel du roi dont il est titulaire depuis longtemps, que l'ordre le trouve. Il part à la tête de sa compagnie, avec un bachelier et cinq écuyers, pour servir le roi « en la chevauchée qu'il fait mettre sur les champs pour aler au païs de Flandres ». Jean reçoit, pour frais de son voyage, 82 livres sur mandat du duc de Berry (3). Il est évident que la Jaille assistera au siège de Bourbourg « qui fut très opiniâtre », et qu'il aura pris part aux campagnes de 1384 et 1385, toutes deux « fort pénibles », au dire des chroniqueurs et terminées bientôt parla paix de Tournay.

Le sire de la Jaille avait alors soixante ans passés. Son

(1) Hist. de Bretagne, par D. Morice, preuves t. I, p. 1648.

(2) Idem, t. II, col. 452.

(3) Clairambault, titres scellés, vol. 61, p. 4691.

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nom ne figure plus sur les ordres de guerre. Le temps du repos est venu. Les soins de sa seconde union avec Yseult de Sainte-Maure (1) et les embarras d'une fortune endommagée retiennent au logis notre chevalier, dont la vieillesse sera attristée par les misères qui assaillent une longue existence.

C'est à tort que les généalogistes ont uni Yseult de Sainte-Maure avec Pierre de la Jaille, troisième fils de Jean. Yseult, fille de Pierre I de Sainte-Maure, seigneur de Mongauger et de Mahaut de Marmande, dame du Coudray, était née vers 1325 et se trouvait contemporaine de Jean. Elle avait au moins quarante-huit ans lorsqu'en 1373, Jean de la Jaille devint veuf de Jeanne Gourmont, sa première femme. Leur union est prouvée par l'acte de rachat d'une rente fondée au profit de l'abbaye de Villeloin, par Pierre de Palluau, seigneur de Montrésor, dont le capital fut amorti, en 1377, par Geoffroy de Palluau, son fils, avec le consentement d'Yseult de Sainte-Maure, mère de Geoffroy. Le texte présente Yseult, veuve de Pierre de Palluau, comme étant alors « remariée avec noble personne Jean de la Jaille, chevalier » (2).

Cette alliance rapprochait deux natures généreuses et deux âmes de haute valeur. Yseult, du plus illustre sang de la vieille Touraine, avait consenti la perte de la fortune provenant de Jeanne de Rancon, son aïeule, pour ne pas devenir « subjecte et obéissante » du prince de Galles (3). Cette face à l'antique dut aimer la tête de loup du vainqueur du diable. On croit que la seconde union de Jean de la Jaille date de 1373. Il est dans tous les cas certain que, dès le milieu de l'année suivante, elle était accomplie. Une instance ouverte au Parlement de Paris, le 7 août 1374,

(1) Sainte Maure, armes : d'argent à la fasce de gueules.

(2) Bibl. Nat. mss. fonds français 17129, page 63.

(3) Arch. Nat., reg. X 1a 23, fol. 363 v 0.


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par les fils de Jeanne Gourmont, contre leur père Jean de la Jaille, sur le règlement de la succession de leur mère, nomme Yseult de Sainte-Maure comme épouse de Jean (1). Cette pièce fait connaître les âpres difficultés d'un règlement d'autant plus malaisé que, sur les champs de bataille, le sire de Beuxe et des Roches avait gagné beaucoup d'honneur mais peu de bien.

Des transactions survinrent ; trente années s'écoulèrent sans qu'une conclusion définitive fut adoptée. — En 1404, Jean de la Jaille avait quatre-vingts ans. Il était « sourt, idiot et impotent de ses membres ». De plus, il était ruiné. Ses terres avaient été si souvent pillées, épuisées, grevées de rentes lourdes et usurières que « ne luy estoit rien demouré de héritaige ». Ayant dû, à la suite de son second mariage, abandonner à son fils aîné les domaines provenant des Gourmont et peut-être une part de son patrimoine propre, la Jaille s'était trouvé dans la nécessité, de concert avec son second fils, de vendre la terre de Beuxe : un riche voisin, Guillaume Sanglier l'avait payée trois mille cinq cents livres. Le contrat stipulait que la terre de Beuxe était remise franche de toutes charges. Quelle fut donc la surprise de l'acquéreur quand Tristan de la Jaille, petit-fils de Jean et de Jeanne Gourmont, vint réclamer sa part d'une rente de deux cents livres que, par son contrat de mariage, l'aïeul avait constituée en remploi dotal sur les revenus du domaine. Jean de la Jaille avait-il oublié cette clause de son contrat, ou bien comptait-il sur un mouvement généreux de son petit-fils? Cette affaire fit un tapage désagréable. Le Sanglier intenta une action civile en résiliation de vente, et une action criminelle tendant à ce que le vendeur « soit pugny de son corps et sur ses biens comme faulx et condampné à fayre amende honorable ès ville de Chinon, Lodun et Saumur, devant l'église parochial, à jour de

(1) D. Housseau, t. XIII, n° 3670.


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demanche et heure que les gens istront de la grant messe », en plus à deux mille livres de dommages-intérêts envers l'acquéreur, « et à tenir prison fermée jusques a pleine satisfaction des chouses dessus dictes ». Le roi Charles VI, trouvant le coup de boutoir trop raide contre un si bon serviteur du trône, ne permit pas que le vieux chevalier fut « honteusement destruit et désert à grant infamie à la fin de ses jours ». Il lui fit délivrer des lettres de rémission (1). Jean de la Jaille mourut en 1405, laissant de sa première femme trois enfants : 1° Tristan ; 2° Guichart, type de l'aventurier chevaleresque des romans de cape et d'épée. — Dès sa jeunesse, sous les ordres de son père, il s'était familiarisé avec cette vie des camps qui fut un goût et une nécessité de son temps. Soit contre archers anglais, soit contre routiers en pillage, soit contre gens d'armes bien montés et ferrés de toutes pièces, partout où la cause nationale et l'intérêt de la couronne avait besoin d'un bras fort, d'un esprit rusé, d'un courage intrépide, on trouvait Guichart de la Jaille casque en tête et la lance au poing. Mais si l'officier de fortune ne reculait devant aucun danger, il s'entendait à. recueillir les.menus avantages du métier, comme le prouve l'anecdote suivante : Au moment où Buckingham menaçait Paris (août 1380), Guichart de la Jaille traversant en chevauchée Machaut en Brie (2), à la rencontre de l'arméedu comte de Soissons, s'était, avec un camarade, Adrien Davy, arrêté dans une hôtellerie tenue par Clémentine de Villepeinte, veuve d'un chevalier appelé Jean de Guyencourt, laquelle, au milieu des tribulations d'une existence difficile, s'était mise à tenir auberge, ouvrant, sa porte à deux battants aux soudards en campagne. Eh ! si elle ne leur ouvrait que cela !..... Mais elle

tendait volontiers les bras, et Guichart, après boire, n'eut

(1) Arch. Nat. reg. JJ. 158, n° 202, fol. 102 v ».

(2) Machault, à 5 lieues Sud-Est de Melun, Seine-et-Marne.


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faute de s'y empêtrer. Adrien Davy, son compagnon, fit de même. Ils étaient excusables, on leur avait dit « qu'elle faisait pour les hommes ». Pourtant cette créature capricieuse porta plainte, se disant violentée par nos gentilshommes. Une plainte aussi mal fondée fut rejetée par la justice du roi (1).

Guichart, toujours en quête d'un coup à donner avait fait, avec son frère Tristan, sous les ordres de Jean de Bueil, la guerre en Bretagne puis en Gascogne: et, la paix survenue, il s'était attaché à la suite du maréchal Boucicaut le jeune, dont l'expansion guerrière se portait au-delà des frontières du royaume. Il fit la terrible campagne de Hongrie, en 1396. A Nicopolis, Boucicaut avait autour de lui une trentaine de gentilshommes poitevins et tourangeaux apparentés à sa famille où à celle de sa mère, Flavie de Linières. On cite Godemart de Linières, Guy de La Rochefoucauld, Renaud de Chauvigny, Louis de Maillé, Jean de Neuchèze, Mérigot de Brémont, Guichart de la Jaille et son neveu Gilles de Brisay (2). Ils eurent un sort commun dans la défaite: la captivité ou la mort. Guichart fut racheté et revint. Lorsque, quatre ans plus tard, Boucicaut, pour se venger des mauvais traitements subis à Brousse, courut au secours de Constantinople attaqué par Bajazet (1400), Guichart suivit le maréchal en Orient, et lui sauva d'abord la vie dans une surprise où leur vaillante petite troupe était accablée par les Ottomans. Il prit part au combat naval des Dardanelles, où seize vaisseaux furent enlevés à l'abordage, démâtés à coups de hache, et jetés à la dérive par la petite escadre des Français. Il occupa Constantinople, dont le' territoire fut, à quinze lieues de distance, balayé des mécréants. Il passa le Bosphore, concourut à la défaite de

(1) Arch. Nat., reg. JJ 119, n° 36, fol. 17 v °.

(2) Bibl. Nat. montres et revues de Boucicaut à Saint-Jean d'Angély ; mss. P. . 522.


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huit mille Turcs défendant le rivage de l'Asie Mineure, à la prise de Nicée après un échec sur Nicomédie, et à la destruction de plusieurs forteresses. Devant Chofta, les Osmanlis ont rempli les fossés de bois vert imprégné de goudron. Ils en ont recouvert le haut des murailles. Ils y jettent au moment de l'assaut des torches enflammées. En peu. d'instants la ville est enveloppée d'une ceinture de flammes et de fumée. Barbasan hésite. La Jaille monte le premier à l'échelle et Thorigny le suit. Ils atteignent le sommet du rempart au milieu d'un torrent de feu, se jettent dans la place. Mais l'épée de Guichart de la Jaille s'est rompue sur les crânes ennemis ; il est contraint de faire, place à Thierry de Thorigny derrière lequel il se tapit, ouvrant le chemin de la victoire avec le tronçon de son glaive (1).

Guichart de la Jaille fut un des chevaliers français qui formèrent l'entourage de Boucicaut à Gênes, lorsque le maréchal accepta de gouverner cette république au nom du roi de France. Le plus grand désordre y régnait. Le maréchal dut réprimer l'anarchie par la fermeté et par les coups d'audace. Après avoir apaisé l'intérieur, il dut porter la guerre au dehors pour soutenir les droits de cette république rivale de Venise. Avec une escadre brillante il reprit Famagouste au roi de Chypre, puis il menaça les États barbaresques par une descente à Tripoli. Tout pliait, tous imploraient la paix devant la phalange du maréchal. Mais Venise jalouse avait armé une flotte pour surprendre Boucicaut au retour et couler ses vaisseaux. La rencontre eut lieu le 8. octobre 1403, au mouillage de Zonchio, sur les côtes de Morée. Le combat commença par une canonnade, après laquelle on en vint à l'abordage. La galère montée par Boucicaut prenant trop d'avantage, une manoeuvre

(1) Bibl. Nat. Impr. 260-10. Le livre des faits de messire Boucicaut, page 605.


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habile de l'amiral vénitien engagea les agrès et l'immobilisa. Après quatre heures d'une lutte acharnée, les Français purent accomplir leur retraite n'ayant perdu que deux vaisseaux. Parmi les guerriers qui se distinguèrent dans ce combat on signale Louis de Culant, Odoard de Chassaigne et surtout Guichart de la Jaille lequel à coups de hache, rompait les câbles, ouvrait les sabords, abattait les hommes et se frayait un passage à travers tous les obstacles (1).

Rentré en France, en 1405, la Jaille retombait sur de pires ennemis. Guillaume Sanglier et sa troupe de procureurs et d'avocats avaient retourné contre lui l'action civile concernant Beuxe. Ils venaient d'obtenir de la Chambre des requêtes une sentence favorable à leurs prétentions. Il fallait s'exécuter. De ce coup plus pénible qu'une estocade en pleine poitrine, Guichart mourut, croit-on. En août 1406, Guichart de la Jaille venait de quitter ce monde. Il laissait, de Jeanne de Clermont (2), deux filles, dont l'aînée, Renée, avait épousé au château de la Guérite-Saint-Amand, le 1er septembre 1402, Hardi le Roux de la Roche-auxAubiers (3) ; la seconde mineure, avait nom Berthelonne, elle avait été remise à Hector André, riche lombard ou banquier tourangeau, nommé tuteur à la requête de la famille. Ce financier trouva si compromettant de régler l'affaire de Beuxe, qu'il se démit de la tutelle presqu'aussitôt. Le 21 mai 1407, le Parlement, sur requête de messire Guillaume Sanglier, confiait au bailli de Touraine le soin de nommer un nouveau tuteur à la jeune fille, pour liquider la succession (4). 3° Bertrande, mariée vers 1366, avec Alès de Brisay,

(1) Vie des grands capit. franç. du Moy.-Age, par Mazas, t. IV, p. 313.

(2) Clermont-Gallerande, armes : d'azur à trois chevrons d'or le premier brisé.

(3) D. Fonteneau, t. 9, fol 369. Le copiste a écrit François au lieu de Guichart. Il n'a existé aucun François de la Jaille à cette époque.

(4) Arch. Nat., reg. X 1a 1478, p. 323.


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seigneur de Destillé. Quelques auteurs confondent avec la fille de Guichart cette Bertrande de la Jaille, appelée quelquefois Berthelonne ; mais les actes qui se réfèrent aux deux personnes prouvent que celle qui épousa le sire de Destillé était la soeur, et non la fille de Guichart ; elle mourut d'ailleurs en 1404 (1), tandis que sa nièce, encore mineure, vivait en 1407.

De son second mariage Jean de la Jaille avait eu un fils, Pierre, fondateur de la branche de Marcilly, reportée plus loin.

XII. — TRISTAN III de la Jaille, seigneur de Ranton et du Bois-Gourmont du chef de sa mère, et d'Avrillé par contrat de mariage, décédé avant son père, avait de bonne heure suivi les traces de celui-ci dans la carrière des armes. Né avant 1350, il avait plus de vingt ans au moment de la campagne du Poitou contre les Anglais. Il y prit part de 1370 à 1373, à la tête d'une compagnie dont son frère Guichart était lieutenant, tous deux comme chevaliers et dont les écuyers avaient nom : Bertrand de Chourses, Josselin de Tricon, Robinet de Dénezay, Guillaume de la Vallière, Guyon de Pouilly, Adrien Davy, Geoffroy M attirant (2). En 1376, il exerçait la lieutenance de son père au gouvernement de Loudun, lorsqu'au joli mois de mai, étant, avec Jean Olivier, un de ses compagnons de guerre, sorti de la ville à la tête d'une bande un peu tapageuse « pour s'amuser et esbattre », il imagina de conduire cette troupe à Challais (3), distant d'une lieue de la ville, pour demander aux religieux du prieuré la remise d'une redevance en nature que le prieur avait l'habitude de payer ce jour-là à la confrérie de Saint-Nicolas dont Tristan et beau(1)

beau(1) du château de Brisay, vol. A, p. 153.

(2) Hist. de Bretagne, par D. Morice, preuves, t. II, col. 1405.

(3) Challais, cant. et arrond. de Loudun, Vienne.


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coup de ses compagnons étaient membres. La réclamation inattendue, et peut-être un peu tumultueuse de cette jeunesse, indispose les gens du prieuré qui répondent par un refus. Un sergent, dépêché au prieur, est renvoyé « avec de grosses paroles ». On se fâche et l'on menace d'en venir aux mains. Les portes du prieuré se ferment et la crête des murs se garnit de moinillons armés d'arbalètes et de frondes dont ils lancent des projectiles en criant : « Barnabo et Galiache ! » Sobriquets insolents parce qu'ils assimilent la Jaille et Olivier à Galéas et Barnabe, usurpateurs du duché de Milan gouverné alors avec une odieuse tyrannie. Tristan de la Jaille a reçu un caillou dans. la. face, et le sergent, par ordre de son chef, lance sa verge dans la cour du prieuré, ce qui est une manière de dresser procès-verbal, la verge lui est rejetée avec mépris. Un moine « de mauvaise famé et renommée », appelé Jean Fèvre, tire un vireton contre Olivier et l'atteint à la jambe. Voilà les deux officiers blessés, le sergent injurié, la fleur de la société loudunoise tenue en échec par une rébellion saugrenue. Alors, la pieuse confrérie de Saint-Nicolas se laisse aller à sa « chaude cole ». Elle se précipite contre les murs, les escalade, rompt les huis, emporte le prieuré d'assaut. Dans l'intérieur pêle-mêle général et rossée de bois vert au personnel du couvent qui est emmené prisonnier au château

de Loudun Telles les bonnes plaisanteries de l'époque.

Elles ne sont pas sans effusion de sang. Cette fois, le mauvais moine aura payé son écot. Il mourut quinze jours après l'affaire, par suite des coups et blessures reçus dans la chaleur du combat. Mais comme il avait pardonné à la main qui l'avait frappé — celle de messire Jean Olivier en personne — nul ne fut tourmenté pour un aussi léger badinage (1). Tristan poursuivit avec honneur et succès la carrière

(1) Arch. Nat., reg. JJ. 109, n° 89, fol. 48 v °.


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militaire. En mai 1380, sous la bannière de messire Pierre de Bueil, il envahit la Bretagne, à la tête d'une belle et nombreuse compagnie dont son frère Guichart est le second chevalier, et dont les écuyers sont : André Davy, Jean Macé, Pierre de la Béraudière, Jean Bouchard, Léonnet de Billy, Estelle de Marçonnay, Jean Gouffler, André de Ry, Philippe Vigier, Gérard de Bréhant, Trouillard d'Usages, Jean de Maure, Jean Broisson, Guillaume le Roy, Guillaume Mory. Au départ du Mans il touche, sur la caisse de Jean le Flamant, trésorier du roi, 150 livres pour lui et ses écuyers. Cette troupe est rappelée sur Paris, au moment où Buckingham exécute le raid audacieux qui menace Charles V expirant à Beauté-sur-Marne, dans l'été de 1380. Tristan est à Châteaugontier le 19 juillet, à Chartres, le 20 août. Le 30 il est à Melun, d'où Guichard de la Jaille et André Davy, lancés en éclaireurs jusqu'à Machault, éprouvaient l'humeur acariâtre d'une aubergiste de haute volée. Le 5 septembre, on le trouve sur la Loire, à Cléry. Ces diverses positions, fixées par des quittances de solde, permettent de croire qu'il suivait l'armée avec laquelle le comte de Soissons battit les Anglais, sur la Sarthe, au-dessus de Sablé, le jour où mourut le roi (16 septembre 1380).

Le 11 novembre, le capitaine Tristan était placé avec sa compagnie, sous les ordres directs de messire Jean de Bueil, sénéchal du duc d'Anjou, un des grands généraux de

l'époque, alors chargé d'un commandement dans l'Ouest

Sur tous ces points Tristan de la Jaille a délivré aux trésoriers des guerres des quittances de service revêtues d'un sceau en cire rouge, portant l'empreinte d'un écu penché à droite, dans lequel est gravée la bande fuselée simple, avec une étoile en canton à chef. La pointe senestre de l'écu supporte, en cimier, une tête de loup.

La Jaille était, au dire de la chronique d'Oronville, maître d'hôtel du duc de Bourbon, Louis de Clermont, beau-frère


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de Charles V et l'un des tuteurs des enfants royaux. Il fit partie de l'ambassade de Château-Morand, envoyé par le duc en Bretagne pour décider Jean de Montfort à quitter le parti des Anglais. Il concourut alors à la défense de Nantes, où Buckingham prétendait enlever Montfort. Dans une sortie un peu vive, Tristan « par sa folle ardeur » comme dit Froissart, se fit prendre par Thierry de Sommain, écuyer de Hainaut. Un échange de prisonnier, lui rendit aussitôt la liberté, qu'il mit à profit pour continuer ses exploits. — « Châteaumorand, dit Masas, envoya proposer à Buckingham un combat en champ clos, de cinq français contre cinq anglais. Le combat eut lieu en présence du duc de Bretagne dans les douves du château de Nantes. Tristan de la Jaille, Jean de Châteaumorand, le Barrois, le bâtard de Glarins, le vicomte d'Aunoy, tous cinq de l'hôtel du comte de Clermont, se présentèrent pour soutenir dans cette lutte l'honneur du nom français » (1). Dom Morice et dom Lobineau affirment qu'ils se battirent à pied, individuellement l'un contre l'autre, armés de la lance, de l'épée, de la hache et de la dague. Tristan de la Jaille abattit Jean de Pavio, son adversaire et concourut pour une bonne part à la victoire des siens. Le duc de Bretagne leur donna à souper (2). Poursuivant la reprise des places fortes occupées par l'ennemi, le duc de Bretagne, avec les chevaliers français, mit le siège devant Hennebont. Tristan l'y suivait, et c'est au début de cette campagne qu'il avait, pour charmer le prince, soutenu devant le château des Lices, à Vannes, contre Jean d'Aubrechicourt, un nouveau combat où il se comporta « moult vaillamment » (3).

Tristan de la Jaille n'était pas moins attaché à la personne du duc d'Anjou, roi de Sicile, Louis de France, Ier du nom.

(1) Vie des grands Capit. franc, du Moyen-Age, par Masas, t. IV, p. 64.

(2) D. Morice, Hist. de Bretagne, t. I, p. 380. (3) Note fournie par M. de Beauchesne.


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Barthélemy Roger le nomme parmi les chevaliers qui firent la campagne de Guyenne, avec ce prince, en 1377, et furent ensuite choisis pour occuper des charges à la cour (1). Il le suivit en Italie l'an 1382, pour tenter la conquête de ce royaume de Naples que la reine Jeanne avait légué au frère de Charles V, entreprise téméraire et mal combinée qui fut fatale à la maison d'Anjou et à la meilleure noblesse de son apanage. Devant Bari, avec son prince, avec la plupart de ses compagnons d'armes, Tristan de la Jaille trouva une mort misérable, sans combat, sous un climat meurtrier, au milieu de la famine et des maladies (2).

Tristan III de la Jaille, fils aîné de Jean et de Jeanne Gourmont, avait épousé à Saumur par contrat du 15 novembre 1371, Éléonor de Maillé (3), fille aînée de Payen II, seigneur de Brézé, mari de Jeanne du Puy et chef d'une branche se rattachant aux aînés de cette grande maison par Payen Ier, troisième fils d'Hardouin VII et de Jeanne de Beauçay. Éléonor apportait à son mari « toute la terre de sa feue mère » avec les revenus dus par son père depuis le décès de celle-ci ; plus deux cents livres de rente en terre promise en mariage à sadite mère, sur lesquelles Payen n'avait touché que le capital de soixante livres de revenu, soit une somme de quinze cents livres environ qu'il a « pour sa nécessité mis et transporté hors de sa main », c'est-à-dire dissipées. Pour en donner « recompensation » à sa fille, il lui en assurait la valeur sur son propre héritage, au détriment du douaire de sa seconde femme Jeanne Bouchard. Cette clause, par laquelle Éléonor se trouvait créancière privilégiée de la succession paternelle, explique qu'à la mort de Payen de Maillé, elle soit

(1) Hist. d'Anjou, par Barthélemy Roger, dans la Revue d'Anjou et du Maine, an. 1852. Bibl. nat., Imp. Lc 9, 12.

(2) Généalogie de la Maison de la Jaille, dressée à Loudun en 1541.

(3) Maillé, armes ; d'or à trois fasces ondées de gueules.


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devenue propriétaire de la terre de Vaillé-Brézé (1), en Anjou, dont, en 1410, son second mari, Robert d'Anjou, rendit aveu pour elle à la châtellenie de Vihiers (2) ; et qu'elle ait recueilli en plus cet ancien fief de la Jaille en Chahaigne détaché, à son profit, de Bénéhart, dont les fils d'Éléonor, qui en portaient le nom, devaient avoir la joie de recouvrer la possession par son entremise.

Tristan entrait en ménage avec la terre d'Avrillé (3) appartenant à son père. La position de ce fief, dans le voisinage des Ponts-de-Cé, permet de le croire provenu de la succession Parthenay, c'est-à-dire de la mère de Jean Ier. Placé sur le coteau dominant un coude du Louët, entre Brissac et Gilbourg, ce manoir féodal relevait de ce dernier château auquel il devait onze nuits de garde pendant la guerre (4). Le domaine ne rapportait alors que cent livres de rente'; comme tel il était assigné en douaire à la veuve de Tristan, avec recours complémentaire, sur les autres terres de Jean de la Jaille et de Jeanne Gourmont, si la nécessité s'en faisait sentir. Enfin les nouveaux mariés, la résidence d'Avrillé ne leur convenant pas, pourraient, avec leurs enfants et leurs serviteurs, prendre gîte chez, leur père, au château de la Grande-Jaille « à leurs propres coûts » (5).

Ils eurent deux fils :

1° Tristan, qui suit ;

2° Jean, auteur de la branche du Vivier, décrite après celle-ci.

Éléonor de Maillé était, en 1385, remariée avec Robert d'Anjou, chevalier, seigneur de la Roche-Talbot.

(1) Vaillé-Brézé, par. de Nueil-sous-Passavant, cant. de Vihiers, arr. de Saumur, Maine-et-Loire.

(2) Dict. de Maine-et-Loire, par Célestin Port, au nom Vaillé-Brézé.

(3) Avrillé, par. de Saint-Jean-des-Mauvërets, cant. des Ponts-de-Cé, arrond. d'Angers.

(4) Dict. de Maine-et-Loire, par Célestin Port, au mot Avrillé.

(5) Arch. dép., Maine-et-Loire, E. 2902.


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XIII. — TRISTAN IV de la Jaille, seigneur de Ranton et du Bois-Gourmont (1) du chef de sa mère, d'Avrillé à la mort de son père, et de la Grande-Jaille en 1405 après son aïeul Jean Ier, devint seigneur de la Jaille en Chahaigne par succession de sa mère, en 1424. Né en 1372, on le trouve, en 1386, âgé de quatorze ans, au nombre des guerriers aventureux « tous gens d'élection » qui s'embarquèrent à la Rochelle, pour aller faire la guerre au duc de Lancastre, en Castille. Froissart a conté les exploits de « messire Tristan de la Galle » à la Corogne où l'armée prit terre ; à Compostelle, où, venus en pelerins, nos chevaliers reçurent le baptême du sang ; au Ferrol, quand deux cents Anglais « mordrinrent la poucière » ; enfin dans cette rencontre où le sire Talbot, ayant marché la lance en arrêt sur la Jaille, dut se retirer « sans avoir prins advantage », métaphore polie dissimulant la défaite de l'insulaire (2).

Au Mans, le 2 juillet 1392, Tristan de la Jaille prenait rang dans la puissante armée que le roi assemblait pour « le présent voyage qu'il fait en cette ville et ailleurs où il lui plaira » et attendait l'ordre de se rendre où « métier sera ». Son sceau, sur une quittance de solde délivrée dans cette circonstance, diffère de ceux précédemment décrits. Il est rond comme une pièce de monnaie ; il présente l'écu de face portant une bande de trois fuseaux (les autres en ont cinq), sans canton"; sans ornements, sans cimier, avec la simple légende circulaire : S. Tristan de la Galle (3).

En 1396, Tristan était encore mineur, malgré que depuis dix ans il portât la cuirasse et commandât une compagnie

(1) Ranton, forteresse sur la rive droite de la Dive, relevant de Cursay, et Bois-Gourmont, forteresse, par. de Véniers, canton de Loudun, Vienne.

(2) Chronique de Froissard, édit. Leltenhoven, t. III, ch. LV.

(3) Clairambault, titres scellés, vol. 61, p. 4671, 4673. II est curieux devoir cette expression de Galle, encore usuelle dans le langage vulgaire, se rapprocher de l'étymologie Gallia dont elle semble être la simple reproduction.


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en qualité de banneret. Sa mère Eléonor et son beau-père Robert d'Anjou présentaient, en son nom, un titulaire pour desservir la chapelle fondée par Jean de la Jaille et Jeanne Gourmont dans l'église Sainte-Croix de Loudun. (1) La même année, ils l'unissaient à Lorette d'Anjou (2), dotée de la terre des Froides-Fontaines, sise au nord d'Angers.

Les hautes charges remplies par Tristan IV auprès des ducs d'Anjou, non moins qu'un inaltérable dévouement témoigné à la couronne de Sicile, ont fait croire qu'il avait épousé une fille bâtarde du roi Louis II, à qui l'on a voulu donner pour concubine Jeanne de Mâcon, mère de Lorette. C'est une erreur aggravée d'une calomnie. Lorette d'Anjou appartenait à une famille chevaleresque connue dans la province depuis le XIIe siècle. En 1173, dans une réunion à Bouère, au Maine, apparaît Geoffroy d'Anjou dans l'entourage du roi d'Angleterre. Geoffroy était-il un bâtard des Plantagenets ? Son prénom et son nom de famille autoriseraient à le croire, si certain document dont il sera question plus loin, ne formulait avec vraisemblance la prétention de la famille de Lorette à remonter jusqu'au XIe siècle. Geoffroy était alors installé sur la rive droite de la Sarthe, à Souvigné-sous-Sablé, dans une seigneurie importante appelée la Roche-Talbot (3), où se succédèrent les générations qui procèdent de lui. C'est là que vécurent Michel, Robin et Renaud d'Anjou, bienfaiteurs de l'abbaye de Clermont au commencement du XIIIe siècle ; Herbert, présent à la cour d'Angers en 1270 ; Pierre d'Anjou et ses frères, chevaliers de la suite de Charles, frère de saint Louis, à la conquête du royaume de Naples, et plus tard, Jean et Geoffroy d'Anjou appelant au Maine, contre les abus de Charles de Valois (1310).

(1) Archives dép., Maine-et-Loire, E, 2902.

(2) Anjou, armes : d'azur à la fasce d'or.

(3) La Roche-Talbot, com. de Souvigné, cant. de Sablé, arr. de La Flèche (Sarthe), château appart. à M. le marquis de Beauchesne.


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Mathieu d'Anjou et Robert, son fils, firent des libéralités à la cathédrale d'Angers et achetèrent sur les moulins de la Jaille-Yvon des rentes revendues ensuite au seigneur du lieu (1322). Macé ou Mathieu, fils de Robert, officier de la maison de Craon, concourut, en 1357, à « certains négoces et besogne exigeant prompte solution », qui eurent pour résultat le rachat d'Amaury de Craon, prisonnier des Anglais à la bataille de Poitiers. Macé uni à Lorette Morin, dite la Morine, engendra deux fils, dont l'aîné, Pierre, eut une fille unique. Le second Robert, était seigneur de la RocheTalbot en 1393, lorsqu'il racheta aux religieux de la Haye des Bonshommes, pour 350 livres, les rentes établies au profit de cette communauté sur ses terres d'Écharbot, les Protteaux et Mauny (1). Marié en premières noces avec Jeanne de Mâcon, il en eut deux enfants, Pierre, mort sans postérité, et Lorette mariée en 1396, avec Tristan de la Jaille. De sa seconde femme Éléonor de Maillé, morte en 1424 et qu'il suivit de près dans la tombe, il avait eu Jeannette d'Anjou, unie à Jean Auvé, seigneur de Soulgéle-Briand. Pierre d'Anjou, seigneur de la Roche-Talbot, ayant péri, en 1428, à l'attaque du Mans, où Bourdigné le place dans la compagnie de Jean de Bueil, Lorette, sa soeur, recueillit tous les biens de la maison d'Anjou, ensemble un pénible procès entamé par son père contre l'abbaye de Saint-Serge d'Angers, au sujet duquel la dame de la RocheTalbot plaida jusqu'à sa mort, survenue en 1452 (2). Elle fut inhumée aux Cordeliers d'Angers, dont elle était bienfaitrice.

En 1409, Tristan de la Jaille, un des principaux capitaines de l'armée angevine, avait accompagné Louis II à la conquête du royaume de Naples. Tentative inutile quoique moins funeste que la précédente. Rentré en France en 1411, il vit

(1) La Châtellenie de la Roche-Talbot, par le comte de Beauchesne.

(2) Cart. de Saint-Serge d'Angers, latin 5446, p. 75.


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ses services justement, récompensés. Nommé gouverneur d'Angers (1), Tristan hôte habituel de la demeure royale, assista, en avril 1417, à la mort prématurée du roi de Sicile ; puis en 1418 au mariage d'Hugues de Châlon, comte de Tonnerre, avec Catherine de l'Ile-Bouchard (2), et demeura un des conseillers les plus assidus de la reine Yolande d'Aragon qui lui confia, en 1419, une mission particulière auprès du roi d'Angleterre. Henri V envoya au sire de la Jaille un sauf-conduit pour gagner Rouen, dont il venait de s'emparer, et commit Roland Leyntale pour lui amener le messager de la reine de Sicile, avec laquelle il consentit une trêve (3).

Louis III d'Anjou ayant pris en main l'administration complexe de ses États, prépara une nouvelle campagne en Italie. Il emmena dans ce but, à Aix, chef-lieu de son gouvernement, un haut personnel de conseillers et de. chambellans parmi lesquels Bertrand de Beauvau et Tristan de la Jaille occupaient la première place. Ayant marché avec succès jusqu'à Naples, il leur fit, le 19 février 1421, au château royal d'Averso, ratifier son contrat de mariage avec Isabeau de Bretagne. Le 31 mars 1424, en résidence au même château, il délivra pour la consommation du mariage, à Jean de Craon et Guy de Laval, une procuration contresignée des très nobles et distingués personnages Pierre de Beauvau premier chambellan, Tristan de la Jaille, et deux autres chambellans ordinaires (4). Tristan de la Jaille, nommé grand sénéchal de Provence en 1423, assistait à ce titre, à « l'inventaire du chastel de Chasteau-Regnart, lequel a rendu le noble Thibaud de la Garinière » (5) ; mais il fut

(1) Hist. d'Anjou, par Barthélemy Roger.

(2) Bibl. d'Angers, ms. 859, original en parchemin.

(3) Rymer ; Recueil des Diplômes royaux, p. 92.

(4) Hist. de Bretagne, par D. Morice, preuves, t. II, col. 1103, 1169.

(5) Arch. dép. des Bouches-du-Rhône, B, 1188 et 664.

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remplacé en 1427, dans cette charge importante, par le prince Charles, comte du Maine, frère du roi Louis. La Jaille (la JalheJ grand maître d'hôtel du roi de Sicile, en 1424, avait reçu, en 1425, provision de l'office « de garde et capitaine du château de Loudun » (1), où il retrouvait, avec le glorieux souvenir de l'aïeul, le prestige du nom traditionnel et l'autorité d'une grande situation. Mais l'exercice de fonctions plus hautes et plus actives entraîna Tristan dans les lointaines destinées. Il partit de nouveau pour Naples, avec le roi Louis, en 1429, concourut à la victoire d'Aquila et reçut le gouvernement de Reggio, où il mourut peu après.

Un singulier caprice de la destinée appelait Tristan IV à finir ses jours sur un sol meurtrier dans lequel reposaient déjà les restes de son père. La généalogie faite à Loudun cent ans plus tard dit : « Messire Tristan dernier trépassé mourut en Italie à la guerre du roy de Sicile, où pareillement mourut monsieur son père » (2). Il laissait trois fils :

1° Robert, tué le 15 octobre 1415, à la bataille d'Azincourt, où périrent également Briand de la Jaille, seigneur de SaintMichel et ses deux fils aînés ;

2° Bertrand, qui suit ;

3° Chrétien, grand sénéchal de la maison du roi de Sicile, contresigna avec Guillaume de Villeneuve, et Hélion du Faucon, chambellan, le contrat de mariage de François de Bretagne, comte de Montfort et de Yolande d'Anjou, fille de Louis III, à Angers, le 13 août 1431 (3).

XIV. — BERTRAND I de la Jaille, seigneur de la GrandeJaille et de Ranton en Loudunois, d'Avrillé en Anjou, puis de Beuxe, racheté par lui aux Sanglier, plus tard de la

(1) Arch. départ, des Bouches-du-Rhône, B, 1387.

(2) Généalogie loudunoise authentiquée par Chauvet, en 1541.

(3) Hist. de Bretagne, par D. Morice, preuves, t. II, col. 1240.


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Roche-Talbot, en Souvign é, de la Balayère, en Bierné, de la Varenne-Bouzeaux, près Morannes, par succession maternelle, et de plusieurs autres, terres, domaines et fiefs, car il en possédait beaucoup ayant recueilli la plus grande partie des héritages des Maillé, des d'Anjou et des Mâcon, fut un très grand seigneur, investi de la confiance et des faveurs de la maison d'Anjou-Sicile, qui se fondait alors dans la maison royale de France, par le mariage de Charles VII et la coopération du comte du Maine aux affaires de la couronne.

Gouverneur de Beaufort-en-Vallée, une des résidences privilégiées de la cour angevine, il y recevait de fréquentes gratifications du roi et de la reine de Sicile, comme le prouvent les comptes de leur maison entre 1418 et 1423 (1). En 1429, il succéda à son père dans la charge de capitainegouverneur des ville et château de Loudun. Il avait passé sa jeunesse à Ranton, près Loudun, dans le voisinage de cette, tour de Cursay à laquelle il devait un service de garde n'excluant pas le « service d'amour », cher à nos chevaliers. Cursay appartenait alors aux Odart, grande et antique maison autochtone, dont le rôle aux Croisades et dans la lutte contre les Anglais est à la hauteur de celui des la Jaille. Bertrand de la Jaille épousa à Loudun, le 19 janvier 1418, Guillemette Odart (2), fille de Guillaume Odart, seigneur de Cursay, Veniers, Verrières etc., et d'Isabelle

de Craon ; elle était veuve, paraît-il, de Renaud Chabot, mort en 1416 (3). Cette union avec la petite-fille des sires de Sainte-Maure et de Craon, cousine des La Trémoïlle, des La Rochefoucauld et de beaucoup d'autres grandes familles françaises, apparentait le sire de la Jaille à ce que la cour et la province contenaient de plus distingué ; elle le

(1) Bibl. nat., ms. 20684, comptes de la chambre d'Anjou.

(2) Odart, armes : d'argent à la croix de gueules chargée de 5 coquilles d'argent.

(3) Histoire de Sablé, par Ménage, Paris, 1683.


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faisait cousin du duc d'Alençon, chef d'une branche puînée des Valois ; elle augmentait sa situation déjà brillante à la cour de Sicile ; elle lui ouvrait.toutes les portes à la cour de France où son beau-frère, Jacques Odart, écuyer de la reine Marie d'Anjou et favori du roi Charles VII, distribuait des faveurs. Mais celte alliance à laquelle il devait encore l'apport de quelques domaines tourangeaux, tels que Rilly, Préaulx et Ceaux promis à sa femme, avec une dot de 150 livres de rente et 250 francs de hardes, allait plonger Bertrand de la Jaille dans un réseau de procès, à l'occasion de la succession de Craon ouverte en 1429. — Dès 1425, il avait fallu répondre à une assignation des moines de Marmoutier, au sujet de certains droits exigés par ces religieux sur la terre de Colombiers (1), à la possession de laquelle prétendait Bertrand. Cette affaire compliquée entraîna de telles formalités et procédures, qu'elle revenait encore au tribunal du bailli de Touraine, à Chinon, en juin 1434 (2).

En 1435, Bertrand de la Jaille, Louise de Lougny, sa belle-soeur, veuve de Pierre Odart, et Pierre d'Alençon, leur cousin, fils du duc Jean II, se chamaillaient par l'organe de leurs procureurs, au Parlement de Paris, sur les reliquats de la succession d'Eustache d'Anthenaise, leur bisaïeul (3). La sentence intervenue le 5 septembre fixa à chacun sa cote-part de débours dans une certaine rente de 120 livres, dont était grevée la succession de Craon, par suite d'un emprunt fait pour payer la rançon de l'aïeul Pierre d'Alençon, jadis prisonnier des Anglais (4).

En 1441, Bertrand de la Jaille fit valoir, avec une nouvelle insistance, les droits de sa femme sur les terres de Colombiers et de Savonnières. Bien qu'il ait prétendu être autorisé

(1) Villandry, sur le Cher, à 3 1. 1/2 S.-O. de Tours (Indre-et-Loire).

(2) D. Villevieille, ms. français 31948, au nom Odart.

(3) Idem.

(4) Notes de M. le comte de Rilly sur les Odart du Loudunois.


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à en porter les titres, il est acquis que cette partie de la succession de Craon ne lui fut dévolue que sous forme d'une indemnité pécuniaire, qui lui permit d'acheter la terre des Petites-Goulaines, située clans la paroisse de Savennières, en Anjou (1).

En 1456, Bertrand de la Jaille, toujours hanté de cette même succession, s'entendait avec Thierry de Chateaubriand, Louis Chabot et la veuve du sire de Montbason, pour en disputer des bribes, en cour du Parlement, à Joachim de la Haye et Catherine de la Tour, sa femme (2).

Très jeune — ayant à peine atteint sa douzième année, Bertrand, imitant son père et tous ceux de sa race, avait revêtu d'une cotte de mailles ses membres d'éphèbe, et suivi l'armée angevine en Italie (1409). Il avait bravement fait la guerre auprès de son père Tristan, et prit part aux trois expéditions qui se succédèrent sur le territoire de Naples, terminées par.la victoire de Rocca-Secco, le 19 mai 1411 (3). Le roi Louis III, à son accession au trône de Sicile (1417) honora Bertrand de la charge d'écuyer de sa Maison, et, plus tard, des fonctions de conseiller et chambellan de sa couronne, renouvelées en faveur du titulaire, par le roi René, en 1434. Bertrand les exerçait en 1445 (4), et les conserva sans doute jusqu'à sa mort. Quand les Anglais firent un retour offensif sur le Bas-Maine, Bertrand de la Jaille unit ses efforts à ceux de la noblesse du pays pour les expulser. En 1441, au siège de Saint-Denis d'Anjou, il était de ceux qui « chargèrent si rudement les Anglois que de première pointe en occirent deux cens et plus et les autres desconfirent et mirent, en fuyte » (5).

(1) D. Housseau, t. XII 2, n° 6871.

(2) D. Villevieille, ms. français 31930, au nom la Haye.

(3) Généalogie loudunoise de 1541 signée Chauvet.

(4) Bibl. nat., ms. 20684, comptes de la Chambre d'Anjou.

(5) Annales et Chroniques d'Anjou et du Maine par Jean de Bourdigné.


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Bertrand défendait ses propres domaines, situés sur cette rive de la Sarthe que la victoire de Saint-Denis dégagea entièrement. Tout près de là, sa mère vivait encore, au château de la Roche-Talbot, et durant quelques années, Bertrand alterna ses séjours entre ce château qui allait lui revenir, et son vieux manoir de la Jaille, en Chahaigne, dont il rendit l'aveu en 1443, au seigneur de Marson, nommé Amaury de Fromentières (1). Dès lors, il aurait pu jouir de la tranquillité rétablie par le départ des ennemis séculaires de la France ; mais, en 1449, il reprit les armes pour suivre le duc de Calabre à la conquête de Normandie, avec toute la haute baronnie de l'apanage angevin (2). Il pénétra avec Charles VII dans Rouen, Caen, Cherbourg, et fit toute la campagne. Ayant perdu sa mère en 1452, il entra en possession de la Roche-Talbot dont il fit sa résidence préférée. C'est de là qu'il donna procuration pour défendre ses intérêts contre l'abbaye de Saint-Serge, toujours en instance de restitution bien ou mal fondée; de là qu'il négocia le mariage de sa fille Jacqueline avec le sire de Brouassin, acheta la terre de la Magnane (3), dont il fit aveu à la châtellenie de Bouère, et remboursa tous les droits de la succession de Guillaume Sanglier sur la seigneurie de Beuxe, réintégrée au domaine des la Jaille en Loudunois (1452-1456).

Bertrand de la Jaille a laissé un mot historique qui couronne honorablement sa carrière. Lorsqu'en avril 1429, le connétable de Richemont se dirigeait, malgré les efforts du premier ministre, son rival (la Trémoïlle), sur Selles en Berry, pour se joindre au duc d'Alençon et porter secours à Jeanne d'Arc, le roi « envoya monseigneur de la Jaille au devant de luy qui le trouva à Loudun. Si, le tira à part,

(1) D. Villevieille, ms. français 31931, au nom Jaille.

(2) Annales et Chroniques d'Anjou par Jean de Bourdigné, Angers 1529.

(3) Meignane, com. de Grez-en-Bouère, cant. et arrond. de Châteaugontier, Mayenne.


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raconte Guillaume Gruel, écuyer du Connétable, et luy dit que le roy luy mandoit qu'il s'en retournast à sa maison, et qu'il ne fust pas tant hardy de passer avant, et que s'il passoit oultre le roy le combattrait. Lors mon dict seigneur répondit que ce qu'il en faisoit estoit pour le bien du royaulme et du roy, et qu'il verrait qui le vouldroit combattre. Fors le seigneur de la Jaille lui dit : — « Monseigneur, il me semble que vous ferez très bien ». Si print monseigneur le chemin et tira sur la rivière de Vienne et passa à gué, puis de là tira à Amboise » (1).

Cette entrevue, à Loudun. eut lieu avant le 1er mai, date du passage de la Loire par Richemont. Il n'est donc pas exact que la Jaille, comme dit Masas, ait informé le connétable de la prise d'Orléans accomplie le 8 (2) ; il n'est pas exact non plus d'avancer que Bertrand de la Jaille fit partie des troupes envoyées au secours de cette ville, puisque cette colonne, formée à Amboise, en partit le 23 avril et délivra la ville le 8 mai, précisément pendant le temps où s'accomplissait la mission de Bertrand auprès du Connétable, mission dont il dut rendre compte à Charles VII avant toute autre affaire. Nous savons qu'Hector de la Jaille fit la campagne de 1429, et nous verrons plus, loin qu'il faut attribuer à un autre parent de Bertrand, portant le même nom, le rôle de « compagnon de la Pucelle ». Bertrand de la Jaille n'a pas quitté dans cette circonstance, l'entourage de Charles VII.

Bertrand I mourut le 13 septembre 1459, à la RocheTalbot, et fut inhumé dans la chapelle Saint-Roch, à Souvigné, sa paroisse, qu'il avait désignée pour sa sépulture, en la gratifiant de ses dons (3). Guillemette Odart survécut à son mari. Elle mourut au château de Ranton, dont elle

(1) Guicherat. Procès de Jeanne d'Arc, t. IV, p. 316.

(2) Vie des grands Capitaines français du Moyen-Age, par Masas, t. V. p. 124.

(3) Carré de Busseroles. Dict. d'Indre-et-Loire, au nom Souvigné.


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avait l'usufruit en douaire. Elle reçut sa sépulture dans l'église des Cordeliers de Loudun, enfeu des Odart.

Leurs enfants furent :

1° Philibert, grand maître d'hôtel du roi de Sicile, mort avant son père ;

2° Pierre, qui suit ;

3° Hardouin, qui lui succéda ;

4° Bertrand, qui vient après ;

5° Jaqueline, unie, en 1452 à Laval, à Jean Auvé, seigneur de Brouassin, avec 300 livres de rente à prendre sur les revenus du Manoir Ouvrouin, la ferme de Villoisel, le domaine de Choiseau en la paroisse d'Argentré, la métairie du Boulloy, les prés du Passeur et de Neuville, les cens et rentes de la Charbonnellière et la rente due par la succession de dame Jeanne Ouvrouin, ainsi que sur le domaine de la Touche et sur les rentes levées dans la paroisse de Bierné (1).

XV. — PIERRE I de la Jaille, seigneur de la Jaille en Chahaigne, qu'il défendit avec succès contre les entreprises d'Hardouin de Maillé en 1456, par conséquent du vivant de son père, devint après ce dernier, seigneur de la GrandeJaille et de Beuxe, la Roche-Talbot, la Balayère, la Varenne, la Magnane, La Roche-Morier dont il fit aveu au château du Mans, en 1467, etc. (2).

Né en 1419, il fut élevé page du comte de Richemont, à Parthenay et était déjà écuyer du Connétable en 1429, c'està-dire âgé de dix ans, lorsque Richemont se rendit délibérément au secours de Jeanne d'Arc, aux prises avec les Anglais, ce qui implique la présence de Pierre de la Jaille à la bataille de Patay et aux campagnes du connétable de

(1) Arch. dép. de Maine-et-Loire, E 2902.

(2) Arch. dép.. Indre-et-Loire, G, 588.


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Richemont qui suivirent cette mémorable journée (1). Il servit ce prince, tant comme haut dignitaire de la couronne de France que comme duc de Bretagne, jusqu'à la mort de Richemont survenue en décembre 1456. Le trésorier Raoul de Launoy portait sur ses comptes de l'an 1443, un don de 10 écus « à Pierre de la Jaille, escuyer de mon dit seigneur le Connétable, qu'il lui a donnés pour un mois de ses gages, néanmoins qu'il n'ait servy que environ dix jours d'iceluy » (2). Pierre, en effet, s'occupait de beaucoup d'autres besognes. Dès l'âge le plus tendre, tout en prenant part aux chevauchées de l'illustre guerrier, il avait été mêlé aux intrigues et aux violences nées de la lutte jalouse de Richemont contre la Trémoïlle. Ce fut sans doute dans les phases d'une existence soumise à de telles péripéties, qu'il apprit à manier les caractères et à jouer de la politique.

Pierre de la Jaille, en effet, s'affirme comme fin diplomate et courtisan habile, plutôt que comme capitaine à tous crins. Ce fut lui qui, dans cette période où les membres de sa famille remplirent de hauts emplois, occupa la situation la plus stable et la plus relevée clans l'entourage des princes. Grand chambellan du roi de Sicile, grand sénéchal de Provence, conseiller et chambellan des ducs de Bretagne, il parviendra encore à gagner la faveur de Louis XI, monarque particulièrement attentif au choix de son personnel.

En 1456, le nouveau due de Bretagne, François II, successeur d'Arthur de Richemont, donnait à Pierre dé la Jaille, la mission d'aller trouver en Lorraine le duc de Calabre, pour lui offrir les foy et hommage que sa couronne devait au roi de Sicile, duc d'Anjou, pour Chantoceaux (3). En 1458, la Jaille accompagnait ce même duc de Bretagne à la cour de Chinon et jouait un certain rôle dans les

(1) Bibl. nat., ms. franç. 20684, comptes de la Chambre d'Anjou.

(2) Bibl. nat., ms. franc., 20684.

(3) Hist. de Bretagne, par D. Morice, t. II, p. 63.


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intrigues de son maître auprès de Charles VII. A Pierre de la Jaille, le duc donnait des étrennes, et le roi des présents (1). En 1461, il s'armait avec les gens d'armes de la garde du duc, menacé par Louis XI, sous la conduite de Jean Blosset, leur capitaine, et touchait trois cents livres de solde sur la caisse du trésorier Olivier Baud (2). En août 1462, le duc de Bretagne ayant offert au château de Clisson, le spectacle favori d'un tournoi à Antoinette de Maignelais, dame de Villequier, sa maîtresse, Pierre de la Jaille entra en lice et rompit quelques lances avec les seigneurs bretons Jean de Rosmadec, Hector de Mériadec, Guillaume du Guiny, Silvestre du Chaffault, Pierre du Couédic (3).

C'est vers ce temps que Pierre de la Jaille, âgé de quarante ans passés, épousa Isabeau de Beauvau (4), fille du fameux Bertrand, seigneur de Pressigny (nous savons qu'il était l'oncle de Hector de la Jaille de Saint-Michel), premier ministre sous Charles VII, disgracié sous Louis XI. Sa fortune, sa position, ses relations de famille rendent naturelle une telle alliance, mais ce qui est intéressant à constater, c'est qu'elle le plaçait entre une maison particulièrement hostile au nouveau règne et au monarque qui recherchait ses services. La haute intelligence et la souplesse naturelle de Pierre, l'adresse avec laquelle il avait su se maintenir entre les Jeux partis du roi et du Dauphin, attirèrent sur lui l'attention de Louis XI ; ce prince, dès 1462, l'attacha à sa personne et en reçut « de grands et fidèles services lors de la division qui estoit entre luy et les princes » (5), ainsi que nous l'apprend un personnage

(1) Hist. de Bretagne, par D. Morice, preuves, t. II, col. 1725 et 1771.

(2) Idem.

(3) Lettre de M. du Couëdic, habitant Versailles, à M. l'amiral de la Jaille, d'après un document inédit.

(4) Beauvau, armes : d'argent à quatre lionceaux de gueules armés, lampassés et couronnés d'or.

(5) Philippe de Commines. Mémoires.


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vivant alors à la cour de France. Cette faveur fut interrompue par les démêlés du roi avec le duc de Bretagne allié au comte de Charolais, et l'ombrageux monarque ayant conçu des doutes sur les sentiments du sire de la Roche-Talbot, l'exila à Angers, où l'étonnant diplomate appliqua ses facultés aux négociations du mariage plutôt bizarre, de Bertrand de Beauvau, son beau-père alors septuagénaire, avec Blanche d'Anjou, fille naturelle du roi René. Celui-ci, l'affaire menée à bien, témoigna sa reconnaissance à l'intermédiaire, en le nommant son conseiller, et en lui confiant la direction des affaires les plus délicates d'un royaume partagé en quatre sections très éloignées l'une de l'autre : Naples, Provence, Lorraine et Anjou. Dès lors, le rôle de Pierre de la Jaille appartient à l'histoire générale, et principalement à celle du roi René si bien traitée par le comte de Villeneuve-Bargemont. Le cadre restreint que nous nous sommes imposé, ne permet pas d'entrer dans les détails ; nous dirons seulement que l'affaire dans laquelle Pierre déploya le plus de talent fut la remise du duché de Bar aux commissaires du roi de France, le ministre de René ayant débattu avec persistance et plein succès les intérêts de son maître contre les exigences de l'astucieux Louis XI (1480). Au dire de Villeneuve-Bargemont, historien du roi René, lorsque ce prince sentit venir ses derniers moments, il fit appeler auprès de lui son frère, le comte du Maine, quelques intimes et « le grand sénéchal Pierre de la Jaille » auxquels il voulut remettre ses recommandations. Une tradition rapporte que trois seigneurs étaient reconnus en droit de se couvrir en présence du roi de Sicile, et que Pierre de la Jaille était l'un d'eux. A ce sujet, je tire d'une généalogie privée la citation suivante : « Monsieur le marquis de Beauvau de Montgauger a la copie d'un acte d'aveu rendu par le duc d'Anjou, accompagné de sa haute noblesse et,


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entr'autres d'un Beauvau, d'un la Jaille et d'un Maillé, lesquels se couvrirent comme étant ses cousins » (1).

Le rôle de Pierre en Loudunois se borne à peu de chose : Quelques intérêts matériels réglés en son nom, tels la location du moulin d'Andrault, consentie le 4 novembre 1467, « par Pierre de la Jaille seigneur de Beuxe au profit de Louis de Bournan avec quatre boisselées de terre, pour sept sous et six deniers de cens payables à la seigneurie de Beuxe » ; ou l'aveu fait le 14 février 1473 à « Monsieur de la Jaille, des choses et héritaux tenus de sa seigneurie de Beuxe », par le même Louis de Bournan, seigneur du CoudrayMontpensier (2). Plus curieux fut le rôle joué par sa femme, à la Roche-Talbot ; elle y tenait assemblée, en l'absence de son mari, de tout ce qu'il y avait de plus qualifié en « nobles sires et honnestes dames », d'une société dont elle avait toujours été l'élégante expression. M. de Beauchesne a fait ressortir avec un soin particulier dans son ouvrage si intéressant sur le domaine qu'elle habitait, cette période de la vie d'Isabeau de Beauvau, clame d'honneur (3) de la reine Jeanne de Sicile et, malgré cette dignité tourmentée par la politique tortueuse de Louis XI, qui. voyait des. complots partout. C'est chez elle et sous ses yeux qu'en août 1481, fut arrêté par ordre du roi « avec une extrême sévérité » René duc d'Alençon, lequel allait chasser dans la forêt de Charnie et recevait de cette cousine une passagère hospitalité (4).

Pendant ce temps Pierre de la Jaille, investi par le roi René du gouvernement général de la Provence résidait à Aix, où il vit mourir son prince en juillet 1480. Il mourut

(1) Essai de généalogie de la Maison de la Jaille par le comte de Saint-Prix, aux mains de la famille.

(2) Le Coudray-Montpensier, par l'abbé Bosseboeuf, p. 230..

(3) Archives départ, des Bouches-du-Rhône ; B. 2510.

(4) Le château de Sourches et ses seigneurs, par le duc des Cars et l'abbé Ledru, p. 61.


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lui-même en 1483 sans héritiers directs. Isabeau quitta dès lors la Roche-Talbot, pour aller inaugurer une existence moins mondaine au château de la Grande-Jaille dont elle avait l'usufruit en douaire. Elle s'y remaria avec un gentilhomme du Loudunois, Arthur de Volort, seigneur de la Chapelle-Bellouin, vécut dans un âge avancé, et fut inhumée en 1513, aux Cordeliers de Loudun (1).

XVI. — HARDOUIN de la Jaille succéda à son frère Pierre clans les fiefs d'honneur et d'aînesse de la maison en 1483. Il les occupa pendant six ans. C'est un personnage illustre, à son époque, mais demeuré tellement étranger à son pays d'origine, où il n'a laissé ni un acte, ni le souvenir d'aucun fait. Uniquement attaché à la personne du duc de Calabre (Jean d'Anjou, fils du roi René) dont il fut le grand Chambellan, son rôle se borne aux affaires de ce prince dans le duché de Lorraine dont Jean fut titulaire par sa succession de sa mère, en 1453, où Hardouin de la Jaille le servit constamment jusqu'en 1470, en résidence à Nancy dans un hôtel auquel il donna son nom.

Il était chevalier du Croissant, depuis la fondation de l'ordre en 1448, par le roi René. M. de Beauchesne a fait ressortir dans son histoire des seigneurs de la RocheTalbot, l'importance d'Hardouin de la Jaille à la cour de Sicile où il fut l'arbitre des combats en champ clos, si chers à sa famille et dont la mode battait son plein, encouragée d'ailleurs par le roi René et tout son entourage ; il y faisait généralement office de. Maréchal, il était le plus souvent choisi comme juge expert dans les différends élevés à l'occasion de ces joutes, parfois meurtrières, auxquelles se plaisait la chevalerie de son temps. Cette spécialité lui a permis d'en consigner les usages, règles et cérémonies, telles qu'elles se pratiquaient dans tous les états d'Europe,

(1) Arch. nat., X 1a 4856, n° 170.


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en un petit manuel adressé à son maître, formant un curieux code des duels au quinzième siècle (1). Hardouin de la Jaille s'acquitta toujours avec un dévouement et un soin absolus, des missions à lui confiées par son prince en Anjou, en Lorraine, en Provence, en Italie et jusqu'en Aragon, où le plus chevaleresque des prétendants l'envoya revendiquer une couronne qu'il croyait tenir de son aïeule Yolande, nièce du roi Martin V. Il appuya lui-même cette démarche à la tête d'une brillante armée ; Jean d'Anjou ne fut point roi d'Aragon ; il périt au delà des monts pyrénéens, et son corps fut ramené en France par son premier chambellan, Hardouin de la Jaille (1470).

Hardouin mourut sans hoirs en 1493. Il laissait ses biens à ses neveux, entr'autres son hôtel à Nancy et une terre en Lorraine appelée la Grande-Bonassière dont la jouissance fut concédée à Isabeau de Beauvau, veuve de Pierre, sa vie durant ; et qui revint en 1513 à un cadet de la famille (2).

XVII. — BERTRAND II de la Jaille (3), seigneur d'Avrillé et de Ranton, terre que lui attribua en mourant son père dont il était le quatrième fils, reçut en don de son frère Pierre, en 1473, la terre de Beuxe et succéda à son frère Hardouin en.1493 dans tous les autres biens du patrimoine. Vivant à l'ordinaire en Loudunois, il y avait épousé Catherine Le Roy (4), fille de Guillaume Le Roy, seigneur de Chavigny et de Françoise de Fontenay. Elle appartenait à une famille déjà très considérée et dont les membres occupaient des charges importantes dans l'Etat et dans l'Eglise. Ce mariage rapprocha Bertrand de la cour, où son beau-père et son beau-frère jouissaient d'une grande

(1) Célestin Port. Dict. de Maine-et-Loire au nom Jaille.

(2) Arch. dép. de Maine-et-Loire, E, 2903.

(3) Qualifié par du Paz « vicomte de la Roche-Talbot et d'Avrillé ».

(4) Le Roy, armes : d'hermines au lion de gueules.


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faveur. Louis XI le nomma son échanson, aux gages de 330 livres par an, dès 1468 (1). On voit dès lors Bertrand à la suite du roi à Montils-les-Tours, Amboise et autres résidences. Lorsque Louis XL créa la première compagnie de ses gardes, Bertrand de la Jaille fut un des cent gentilshommes de la maison militaire du roi ; il reçut dès lors de Nicolas Herbelot, changeur du trésor royal, la somme de 120 livres pour sa pension en cet office, dont il délivrait une quittance en 1493 (2). Charles VIII le créa conseiller et chambellan et lui donna mission de lever sous cette qualité en 1495, une aide sur les manants et les citadins de la Sénéchaussée du Maine. Bertrand II mourut en 1496 au retour des campagnes d'Italie après avoir fixé le douaire de sa veuve sur la Roche-Talbot où elle ne lui survécut que peu d'années. Leurs enfants furent :

1° René, qui suit ;

2° Gilles, mort jeune ;

3° Madelon, fondateur de la branche du Châtelet, au Maine, rapportée ci-après ;

4° Pierre, prêtre, curé de Souvigné, protonotaire apostolique, et sans doute aumônier du roi, à qui la reine Anne de Bretagne portait une grande considération, et fit don de deux panneaux de tapisseries flamandes représentant le sacrifice d'Abraham, marquées d'un écusson écartelé, dont aucune pièce ne rappelle les armes de la maison de la Jaille, conservées cependant dans une salle du château de Langeais sous la désignation : Tapisseries de la Jaille;

5° Jeanne, dame d'honneur de la reine de Sicile Jeanne de Laval, de qui elle recevait, à la résidence d'Aix, en Provence, bonnets à la mode de Cathalongne (comptes d'Antonin de la Croix, argentier du roi René) (3) et dont

(1) Bibl. nat., fonds français, 20685, p. 476.

(2) Bibl. nat., fonds français, 32511, p. 266 v°.

(3) Arch. départ, des Bouches-du-Rhône. B. 3480.


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elle contresignait au château de Beaufort, le 2 novembre 1498, les lettres de présentation au chapitre de la cathédrale d'Angers en faveur de messire Jean de Laval, pour les fonctions de chapelain de la Chaumissonnière, dépendance de cette église (1), épousa en 1505 Charles Bourée, seigneur du Plessis et de Vaux, dotée de la terre de la Balayère, en Bierné, qu'elle possédait encore en 1523 ; vivante en 1542 mais veuve et recevant comme dame de Vaux, déclaration de Michel Lancelot, pour une vigne à Chemiré ;

6° Marguerite, mariée le 15 mai 1510 avec François de Bouille et dotée de cent livres de rente à prélever sur les revenus de la Roche-Talbot (2) ;

7° Isabelle, religieuse au Ronceray d'Angers, d'abord supérieure du prieuré de Seiche près Baugé, dépendance de cette abbaye dont elle touchait les rentes pour le fief de l'Aumône en mai 1503 ; puis abbesse du Ronceray en 1505, où elle mourut au printemps de l'an 1515, laissant quelques biens à ses frères René et Madelon qui se partagèrent sa succession le 27 juillet de cette année-là (3), laquelle succession comprenait, dans le mobilier personnel de madame l'abbesse une série de panneaux de tapisserie, à ses armes, portant la date de 1510, d'une exécution remarquable, représentant des scènes religieuses relatives à l'adoration du Saint-Sacrement ;

8° Françoise, religieuse de l'ordre de Saint-Benoît, à Saint-Sulpice de Rennes.

XVIII. — RENÉ I de la Jaille, seigneur de la RocheMorier, dont il fit aveu au Mans en 1494, puis de la GrandeJaille, Beuxe, Ranton, la Jaille-en-Chahaigne, la Varenne, la Roche-Talbot et Souvigné, épousa à Loudun en 1494

(1) Bibl. nat., ms. français, 22450, p. 61.

(2) Arch. dép. de Maine-et-Loire, E, 2903.

(3) Arch. du château de Bocé, au comte de Baglion, communication.


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Jeanne Hérisson (1), fille de Pierre Hérisson, seigneur de la Chétardière, près Langeais, et de Jeanne de Laval ; elle était petite-fille de Marguerite de la Jaille de la branche de Saint-Michel. Cette alliance explique peut-être que les tapisseries recueillies par René clans la succession de sa soeur, l'abbesse du Ronceray, se fussent trouvées clans les temps modernes au château du Plessis-Macé, propriété de M. de Hérisson, lequel céda pour trente mille francs, au dire de M. de Beauchesne, ces chefs-d'oeuvre, d'une si grande valeur artistique qu'ils ont été photographiés et reproduits en lithographie dans des publications spéciales ; ces spécimens d'un mobilier de luxe, donnent une idée du rang et de la fortune de ceux qui en tapissaient les murs de leur habitation au XVIe siècle. Fils, neveu et descendant d'hommes d'une haute distinction, René, on s'en étonne, reste plongé clans une obscurité à travers laquelle percent quelques traits de moeurs insuffisants à l'illustration d'une carrière. En 1499 il s'était livré à des excès contre des voisins qui le poursuivirent en justice ; il lui fallut expliquer sa conduite et trouver des raisons suffisantes à l'obtention d'une grâce spéciale du roi (2). L'année suivante il eut à répondre au tribunal d'Angers, pour un fait analogue, sur l'accusation d'avoir outragé et battu, à la Vezougière, un hobereau nommé Pierre de la Grenouillerie, dont l'on « espérait plus la mort que la vie»; cette querelle était la conséquence de l'acquisition d'un bien, dit la Rigollière, que René de la Jaille venait d'acquérir et dont il fit aveu à la Vezougière, le 15 octobre 1506 (3). La mort de ce haut et puissant seigneur survenue à la date du 15 octobre 1515, un mois après la bataille de

(!) Hérisson, armes : de gueules au chef d'or accompagné de trois hérissons d'argent.

(2) Arch. nat., reg. JJ. 235, d'après Clairambault, vol. 629, p. 1893.

(3) Bibl. d'Angers, col. Thorode, ms. 1004.10e carton.

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Marignan, laisse croire qu'il y prit part et ne survécut point à certaines blessures. Il avait attribué l'usufruit de ses terres du Loudunois à sa veuve qui en jouissait encore en 1541 ; elle s'était remariée à Gabriel de la Châtré. Enfants :

1° René, qui suit ;

2° Claude, mariée en 1518 à Loudun, avec Guy de Laval, seigneur de Lezay, prisonnier à Pavie (1525) et mort de ses blessures ; puis en 1526 avec Claude de Laval, seigneur de Bois-Dauphin, qui, veuf entra dans les ordres, fut nommé archevêque d'Embrun en 1554 et mourut avant d'être sacré.

XIX. — RENÉ II de la Jaille, seigneur de la GrandeJaille, Beuxe, Ranton, la Jaille-en-Chahaigne, la RocheTalbot, Souvigné, la Varenne-Bouzeaux, la Roche-Morier, etc., avouant encore de petits fiefs angevins en 1541 et 1549, tels que vignes à Saint-Denis-d'Anjou, prés à Morannes, métairie au Génetay (1), naquit avant 1500 et dès 1518, majeur ou émancipé, parut au milieu des seigneurs du Loudunois réunis en assemblée, le 2 août à Châtellerault, pour donner leur approbation à la reconstitution des coutumes de leur bailliage (2). Il reçut une éducation toute militaire, d'où provint sa carrière brillante dans les armées constamment en guerre des rois François Ier et Henri II. Après des débuts qui restent ignorés, peut-être dans la compagnie, de son beau-frère Lezay, il devint lieutenant des gens d'armes du sire de Montejean, qu'il commanda à la descente par Suze dans le Piémont et à la prise de Turin en 1535. Il renforça l'armée du marquis de Saluées pour secourir Fossan attaqué par les Impériaux, soutint quelques escarmouches et dut se soumettre à l'ordre prématuré de

(1) D. Rousseau, t. XIII, nos 8929, 9015.

(2) Histoire de Richelieu, par l'abbé Bosseboeuf, p. 94.


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rentrer en France. Au printemps suivant, étant à Draguignan avec la compagnie qu'il avait sous ses ordres, la Jaille s'unissait à Bonneval pour faire le dégât de Marseille à Grasse sur la route qu'allait suivre l'armée impériale. Montejean, étant venu prendre le commandement à Brignoïles, se jeta à l'aventure sur un fort parti espagnol, fut battu et resta prisonnier. La Jaille, échappé à la poursuite de l'ennemi, avait couru toute la nuit à la rencontre de Bonneval. Il demandait avec insistance « qu'on allast droit au dict lieu de Brignolles essayer recouvrer les prisonniers ». Ce courageux élan ne concordait plus avec une élémentaire prudence. On lui donna vingt chevaux pour aller « entendre des nouvelles si l'ennemi marchait en avant ». Il partit néanmoins, et vint jusqu'à prendre contact avec une avant-garde qu'il escarmoucha sans pouvoir l'entamer.

On retrouve, en 1537, la Jaille au siège de Montcallieri, à la tête des cent hommes d'ordonnance de Montejean reconstitués. La prise de ce château ouvrira aux Français les portes de Turin. Montejean nommé maréchal de France et Gouverneur du Piémont, gardera auprès de lui René de la Jaille qui ne rentrera en France qu'après le décès du maréchal, en 1539, pour recevoir le commandement de mille hommes de pied, avec lesquels il combattra, le 14 avril 1544, à la journée de Cérisolles, entre les vieilles bandes de M. de Thais et le gros bataillon de fantassins suisses, qui assurèrent le gain de la bataille (1).

Entre temps, René de la Jaille avait été promu chevalier de l'Ordre du roi (Saint-Michel), distinction alors rare et recherchée. Nous pensons que ce fut pour être admis à la cérémonie de la remise du collier, que René de la Jaille fit dresser, par Pierre de Malard et autres compétences, en 1541, cette généalogie authentiquée par le lieutenant du

(1) Mémoires de Guillaume et de Martin du Bellay, livres VI et VIII.


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bailliage de Loudun, à laquelle nous avons emprunté quelques enseignements curieux portant la saveur des lointaines traditions.

Monsieur de la Jaille passait, à Montrichard, près Tours, le 22 juin 1544, la revue de sa compagnie revenue du Piémont. Il avait pour lieutenant Claude de la Jaille, seigneur de la Thuaudière, son cousin et pour porteenseigne Simon de la Jaille, seigneur de la Tour Saint-Gelin, membre de sa famille clans une autre branche. Il recevait des trésoriers Houdry et Perdurau, 225 livres tournois pour le quartier écoulé. Une revue analogue fut passée, avec le même personnel, en février 1547 (1).

Le 10 août 1548, Monsieur de la Jaille, revêtu des importantes fonctions de sénéchal d'Anjou et de capitaine général de l'arrière-ban de France, recevait de M. du Lude, gouverneur du Poitou, avis de faire lever la noblesse de la province et de l'assembler à Poitiers, Lusignan et SaintMaixent, pour s'opposer à la marche d'une multitude d'individus « tant aguerroyés que communes ayant grosse artillerie, qui font montre et revue par chascun jour, et se multiplient au moyen qu'ils contraignent les villes, bourgs et paroisses, qu'ils poussent à leur bailler gens en armes, munitions et vivres à tocque sainct sonnant et pour applaudir le peuple ne parlant que de liberté et de ôter les

gabelles et les magasins (2) ». Il fallut dix mille hommes

avec cavalerie et artillerie, pour disperser ce mouvement populaire auquel les Huguenots n'étaient pas étrangers. En 1553, le sire de la Jaille prit le commandement général de l'arrière-ban de France, pour le conduire à rencontre des Espagnols, en Picardie. Devant Corbie, sous les ordres du connétable, on vit prendre rang « les nobles et rière(1)

rière(1) originaux en parchemin aux mains de M. le marquis de la Jaille.

(2) Arch. hist. du Poitou, t. IV, p. 293, 295, 300.


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bans complets de trois mille chevaux desquels était général le seigneur de la Jaille » (1). Cette institution était caduque, parce que tout ce qui avait quelque valeur militaire dans la noblesse composait les compagnies d'ordonnance appelées gendarmerie royale. Elle eut cependant une bonne tenue au siège de Cambray et à la bataille cle Cateau-Cambrésis, grâce à l'expérience et à l'énergie de son chef, qui avait fait connaissance, en Italie, avec toutes les règles de la stratégie et de la discipline; mais elle s'effondra dans une circonstance désastreuse, dont fut victime le sire de la Jaille à qui un glorieux passé méritait moins d'infortune.

Pendant la campagne de 1555, l'arrière-ban occupant les frontières de Picardie, concerta une opération avec quelques compagnies de cavalerie légère battant les champs entre Arras et Bapaume. L'entreprise était bien combinée puisque cette troupe revint « ramenant gros nombre de butin ». Mais les nobles marchaient à la débandade « comme gens mal exercés aux armes et non accoutumés de porter longtemps travail et sueur de harnois ». Le gouverneur de Bapaume ayant reconnu cette troupe en désordre, la surprit entre un bois et un village où elle se reposait, au bord d'une rivière dont les ponts avaient été coupés. Éperdus d'une attaque inattendue et ne pouvant battre en retraite, les « rière-ban furent desfaits et mis à vau de route par bien petit nombre de gens à cheval et quelques gens de pied ramassés ». Ils étaient quinze cents chevaux, quatre cents, fantassins, dont beaucoup restèrent sur le carreau, laissant à l'ennemi « grande quantité de prisonniers entre lesquels se trouva le sieur de la Jaille leur général » (2).

Captif des Espagnols, il fallait se racheter. Cela coûtait vingt mille écus pour un seigneur de l'importance de René de la Jaille. Cette somme à trouver, les frais considérables

(1) Hist. de France, par Garnier, et Commentaires de François de Rabulin.

(2) Commentaires de François de Rabulin, col. Petitot, vol. 31, p. 212.


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de la vie des camps et ceux de la vie à la cour entamèrent la fortune de M. de la Jaille. Il dut vendre plusieurs terres en Anjou et en Loudunois. Celles qui nous intéressent le plus, la Grande-Jaille fut achetée par Louis de la Grésille, qui eut, à ce sujet, un procès avec Gabriel d'Apchon, gendre de René, en 1557 (1) ; la Jaille en Chahaigne retourna aux Maillé qui en firent l'acquisition pour la fondre dans le marquisat de Bénéhart.

René II, mort en 1557, avait épousé en 1530, Madeleine de Montgommery (2), soeur de Gabriel de Montgommery qui eut le malheur de blesser mortellement Henri II dans un tournoi. Il eut une fille unique, Françoise, mariée à Gabriel, baron d'Apchon, à la descendance de qui passèrent les biens de la branche loudunoise de la Jaille.

VI

RAMEAU DU VIVIER

I. — JEAN II de la Jaille, seigneur du Vivier en Lésigné et de Vaillé-Brézé, près Passavant, second fils de Tristan III et d'Eléonor de Maillé, né vers 1380, épousa en 1410, Roberte Robinard, fille de Jean Robinard, seigneur du Deffay, près Laval, et de Catherine de Champagne (3). Cette terre du Vivier située dans la paroisse de Lésigné (4), sur la rive gauche du Loir, entre Durtal et Montreuil, comprenant métairie, terres de rapport et manoir, près le bourg, vers le sud-est, avait fait partie des biens de la maison de Mathe(1)

Mathe(1) nat., X 1a, 8385.

(2) Montgommery, armes : d'azur au lion d'or armé et lampassé d'argent.

(3) Arch. dép. de Maine-et-Loire. E, 2902.

(4) Lésigné sur le Loir, cant. de Durtal, arrond. de Baugé, Maine-etLoire.


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félon, dont la liquidation avait suivi la mort des deux derniers seigneurs de ce nom, tués à Nicopolis en 1396. Elle semble avoir été, par les la Jaille, acquise de la maison de Mâcon, héritière par une Ouvrouin, femme de Gilles de Mâcon et fille d'une Mathefélon, d'un tiers des biens de cette illustre famille. Jacques de Mâcon était resté débiteur, au profit du Vivier, d'une rente grevant une partie de ses biens. D'autre part, le contrat de mariage de Jacqueline de la Jaille, arrière petite-fille de Jeanne de Mâcon, révèle que son père jouissait des revenus du manoir Ouvrouin, ainsi que d'une rente due par la succession de Jeanne Ouvrouin, dame de Poligné. A cette époque, la famille Ouvrouin, illustrée par un évêque de Rennes (13281341), venait de disparaître par suite du décès de Jean, seigneur de Poligné, tué à Baugé en 1421. Il est probable que Jean de la Jaille devint possesseur du Vivier par suite d'un arrangement avec son neveu Tristan, époux de Lorette d'Anjou, fille de Jeanne de Mâcon.

Quant à Vaillé-Brézé (1) au sud de Saumur, c'était un bien de la maison de Brézé, dont le fief avait pris le nom pour le distinguer de Vaillé-Rochereau dans la même paroisse. Eléonor de Maillé en fut dotée par contrat de mariage, mais elle n'en jouit qu'après la mort de son père. Jean de la Jaille recueillit Vaille dans la succession de sa mère en 1424, seulement, comme le prouve l'aveu qu'il en rendit cette même année à Vihiers.

Lorsque Jean II l'épousa, Roberte Robinard était orpheline. Dès 1414, il délivrait pour elle l'autorisation de régler, par elle-même certains différends avec des seigneurs voisins, sur son fief du Deffay. En 1418 il rendit aveu, pour Roberte, de cette seigneurie (Le Deffay-Robinard, paroisse

(1) Vaillé-Brézé, cant. de Vihiers, arrond. de Saumur, com. de Nueilsous-Passavant.


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de Saint-Jean-sur-Mayenne, au sud de Laval) (1) ayant un manoir important, dont on voit encore les ruines, tout neuf alors, construit en 1400 par Jean Robinard et sa femme Catherine de Champagne. Dans les premières années de leur union, Jean et Roberte durent défendre en justice leurs intérêts menacés par un intrigant nommé Jean Dinay. Ce personnage de bonne maison et riche, avait, parait-il, la réputation de convoiter les biens des autres. Voilà ce qu'en disaient ses victimes. Au cas particulier qui nous occupe, on lui reprochait d'avoir « avec malice et pervertion » attiré et gardé « en son hostel » le tout jeune frère de Roberte, Jean Robinard second, dès l'âge de huit ou neuf ans, orphelin et possesseur de sept à huit cents livres de rentes, sans aide ni protection d'aucun parent, vu que son oncle et tuteur messire Jean de Champagne ne s'occupait ni de sa personne ni de ses affaires. Dès que l'enfant eut quatorze ans, Dinay le fiança et peu après le maria avec Raoulette, sa fille, bien que cousine-germaine du jeune homme et âgée de moins de dix ans. Cette précocité ne fut point favorable au ménage. Jean Robinard, logé, entretenu chez Dinay « sans que la chose lui plust », et le suivant dans ses voyages, mourut brusquement à Paris. Dans ses derniers moments, ayant à peine connaissance, le beau-père lui fit faire un testament par lequel Raoulette avait le tiers de tous ses biens et la terre de la Botherie, paroisse de Longchamp ; Dinay se faisait attribuer un don de mille livres pour ses frais et soins. Contre cette captation, Jean de la Jaille et sa femme, « seuls héritiers légitimes de Robinard, » adressaient en 1415, une requête au roi Charles VI, lequel ordonna qu'information fut faite sur « la manière comme le testament du dit Robinard a esté passé, et les voyes qui y ont esté tenues » (2). La possession intégrale du Deffay, par

(1) Le Deffaix, com. de Saint-Jean-sur-Mayenne, cant. et arr.de Laval. Mayenne.

(2) Arch. dép. de Maine-et-Loire. E. 2902.


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le ménage la Jaille, en 1418, prouve que justice lui fut rendue.

En 1417, Jean de la Jaille, écuyer, avait avoué à Jean Cornu, seigneur de Launay, la métairie de Souerlon, appartenant à sa femme. En 1424, il portait à Jean de Bocé, seigneur du Fouilloux, l'aveu des terres de Montmoul et la Roche, au même titre. En 1442, il prenait part à certaines négociations entamées par son fils aîné, avec son approbation contre la maison de Beauvau. Il mourut peu après. Raoulette, sa veuve, ayant pour douaire la jouissance de la terre du Vivier, assistait, en 1443, au mariage de son fils Guy et poursuivait en 1448 avec l'appui de son autre fils Aimery, le paiement de certaines obligations grevant à son profit la terre du Vivier. Leurs enfants viennent d'être nommés :

1° Guy, qui suit ;

2° Aimery, seigneur du Deffay, familièrement' appelé Emon, était avec sa mère au Vivier en 1448, lorsqu'au nom de celle-ci (appelée Jeanne par erreur dans l'acte) il intenta des poursuites contre Jacques de Mâcon, seigneur de Bléré et de Bonitournant, au sujet des cens, rentes et autres privilèges que ce personnage devait à la dame du Vivier, mère du demandeur, sur les revenus de ses terres, qu'il avait négligé de payer depuis trente ans et se refusait d'acquitter. On transigea.

Mâcon s'obligea à verser la rente à l'avenir, et la Jaille abandonna les arrérages en retard ; mais comme l'époque était celle où les rentes n'étaient pas payées en raison des calamités publiques, cet arrangement occasionna bientôt un nouveau procès. Aimery n'en vit pas la fin, il disparut vers 1450, laissant un fils unique qui continua la branche.

A l'époque de la délivrance d'Orléans par Jeanne-d'Arc — 8 mai 1429 — la maison de Laval avait fait de grands sacrifices, pour lever dans ses domaines un corps de troupes féodales destinées à secourir la ville. Le comman-


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dement en fut confié à Guy de Montmorency, seigneur de Montjean, ayant sous s'a bannière les principaux gentilshommes de la châellenie. A Selles-en-Berry, il les présenta au roi qui les remercia de leur dévouement à sa couronne. On remarquait parmi ces féodaux, dit un chroniqueur célèbre, les seigneurs de la Chapelle, de. la Jaille (1), etc. Il faut voir dans ce dernier, le seigneur du Deffay, vassal du château de Laval, Jean II de la Jaille. Guy de Laval annonçait à sa mère le 8 juin qu'il leur avait fait passer la Loire. Ils combattirent à Patay le 18 avec la Pucelle et Richemont, et accomplirent la remarquable campagne du Sacre. C'est à ce fait et à ce personnage que se réfère l'inscription des armes de la branche loudunoise de la maison de la Jaille (d'argent à la bande fuselée de gueules) sur un tableau publié en 1895, à l'occasion des fêtes d'Orléans, reproduisant les bannières de tous les compagnons connus de Jeanne d'Arc. 3° Marie, femme de Jean Cornilleau.

II. — GUY de la Jaille, seigneur du Vivier, de Vaillé-Brézé et du Denail, ordinairement appelé Guyon, se disant fils aîné et principal, héritier de feu messire Jean de la Jaille et de dame Roberte Robinard, sa veuve, épousa en présence de cette dernière, l'an 1443, Guyonne de la Jaille (2), fille de Briand IV, sire de Saint-Michel et de Jeanne de Tigné, devant Hector de la Jaille, seigneur de Durtal et de SaintMichel, frère de Guyonne, héritier unique, alors, de messire Briand, son père, et de Guillaume, son frère, par conséquent chargé du règlement des intérêts de l'épousée. Hector donna à celle-ci la seigneurie paroissiale de Lésigné, ce qui. plaisait au ménage possesseur du manoir du Vivier en la même paroisse (3). Vers le même temps,

(1) Chroniques d'Anjou et du Maine, par Jean de Bourdigné.

(2) La Jaille, armes : d'or au lion de gueules passant entouré de cinq coquilles d'azur.

(3) Arch. dép. de Maine-et-Loire. E, 2902.


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Guy se laissa entraîner dans la querelle intentée par Hector de la Jaille, son beau-frère, à Jean de Beauvau, au sujet de la succession Tigné dans laquelle sa femme avait des droits méconnus. Mais dès 1442, l'année d'avant son mariage, Guy de la Jaille et Jean II, son père, avaient déjà donné leur acquiescement aux poursuites d'Hector contre Beauvau, ce qui laissa, supposer que dès lors, l'union entre les deux branches de la famille était résolue et que peut-être le concours du sieur du Vivier en était une condition. Nous savons que Guy eut, comme tous les intéressés, sa part dans l'indemnité attribuée, par sentence du Parlement, en 1445, aux héritiers de Jeanne de Tigné.

Nous relevons les traces de Guy de la Jaille en 1460, au château de Juigné, où il porte une déclaration de biens (1) ; en 1472 à Lésigné, passant un accord avec le prieur d'Huillé son voisin (2) ; en 1473, comme acquéreur d'une rente foncière de vingt-cinq livres sur Pierre de Champagne (3); en 1476, à la cathédrale d'Angers dont le chapitre accepte ses dons (4) ; en 1479, au même chapitre dont il se déclare vassal pour son fief de Gratecuisse, dépendant du prieuré de Saint-Denis-d'Anjou (5).

Le 27 octobre 1478, Guyon de la Jaille fit aveu au sieur de la Morinière, de son fief du Denail, qu'il vendit la même année à Jean Cornilleau, son beau-frère. C'était un hébergement seigneurial avec garenne, métairie et beaucoup de prairies; le prix payé ayant été reconnu trop élevé, Guy dût remettre la somme de douze cents écus à Cornilleau qui en donna quittance en 1490 (6).

(1) Arch. dép. de Maine-et-Loire, E, 2902.

(2) Cart. Saint-Serge. Bibl. nat. ms. latin 5446, p. 205.

(3) Arch. dép. de Maine-et-Loire. E, 2902.

(4) Bibl. nat., ms. latin 22450, p. 128.

(5) Saint-Denis d'Anjou, cant. de Bierné, arrond. de Châteaugontier, Mayenne.

(6) Arch. dép. de Maine-et-Loire. E, 2902.


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Guy vécut longtemps, simple écuyer, en résidence au Vivier, où il soutint pendant les dernières années de sa vie, un procès qui dura dix ans, avec Jean Bruneteau et Hélie Morel, successivement prieurs de Chalonne. Le bon droit était du côté de Guy, comme le reconnut le Parlement de Paris par un arrêt du 3 septembre 1490 (1), déboutant le prieur Morel de ses prétentions et le condamnant aux frais. Il mourut sans hoirs, en 1492, ses biens passèrent à son neveu qui suit.

III. — JEAN III de la Jaille, seigneur du Deffay-Robinard en 1451, date d'un aveu par lui rendu et renouvelé en 1487 (2), puis seigneur de Vaillé-Brézé et du Vivier par succession du précédent, était le fils d'Aimery de la Jaille et par conséquent le neveu de Guy, dont il fut l'héritier ; sa mère n'est pas connue. Jean, élevé à la cour de Sicile, comme page du roi René d'Anjou, se montra cligne de la faveur constante de ce prince, auprès duquel les aînés de sa maison servaient brillamment. Viguier d'Aix, il accompagnait le roi René et la reine Jeanne clans leurs voyages en Provence. Il y séjourna avec la cour. Les comptes du trésorier Simon Rolland mentionnent à plusieurs reprises les gages payés à Jean de la Jaille, sieur du Vivier, comme écuyer de la reine de Sicile, entre 1459 et 1480(3). En 1466, il était échanson du roi. En 1477, il reçut cinquante florins, pour aller « veoir sa famé » en Anjou (4). A plusieurs fois, il reçut des gratifications en argent.

Après la mort de René (1480), Jean devint premier écuyer de la reine, avec la direction générale du personnel de la maison. C'était un ministère. En cette qualité, il contresigna en 1481, les lettres royales datées de Beaufort, par les(1)

les(1) nat., X 1a 4823, fol. 120 v°.

(2) Dict. de la Mayenne, par l'abbé Angot, au nom Deffaix.

(3) Arch. dép. des Bouches-du-Rhône, B. 1224, 2491.

(4) Idem. B. 2511.


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quelles Jeanne de Laval, veuve de René d'Anjou, ordonnait de faire enlever secrètement les dépouilles mortelles de son mari, de l'église de Saint-Sauveur, à Aix, pour les porter à Angers (1). En 1483, il contresignait d'autres lettres de la même princesse, ordonnant à Jacques de Vaugiraud, son écuyer tranchant, de prendre possession pour elle du château de Launay, faisant partie de son douaire. Il recevait avec le même sire de Vaugiraud, le 15 août 1486, des lettres de Charles VIII, leur accordant exemption de comparaître à l'appel de l'arrière-ban d'Anjou parce qu'ils accompagnaient la reine de Sicile « sa bonne tante » dans un voyage en Provence (2). Commensal habituel de la maison de la reine, à Saumur, Jean était témoin, le 13 août 1485, avec Pierre Garnier, confesseur, maître Martin, médecin, et Jacques de Vaugiraud, écuyer tranchant, du testament d'Hardouin de la Touche, seigneur des Roches-Tranchelion, maître d'hôtel de la princesse. Le dernier paragraphe de ce document porte : « Je nomme, ordonne et eslys exécuteurs de ce présent mon testament et dairenière voulenté, messire Philippe de Menou, mon gendre, et Jehan de la Jaille, escuyer d'écurie de la dicte dame royne de Sicile, s'il leur plaist en prendre la charge » (3). Jean de la Jaille, sieur du Vivier et Jacques de Vaugiraud, maître d'hôtel, Secondin du Solier, premier écuyer d'écurie, Thibaut de Cossé, capitaine de Beaufort, et plusieurs conseillers intimes souscrivirent la fondation faite le 20 août 1493, par la reine Jeanne, duchesse d'Anjou, d'une messe quotidienne à dire en la cathédrale d'Angers, sur l'autel de marbre, devant le tombeau du roi René, à la dotation de laquelle étaient affectés les revenus des métairies des Rivets et du. Chemineau, près les Ponts-de-Cé (4).

(1) Bibl. nat., ms. P. O. et Carrés d'Hozier, 626.

(2) Idem.

(3) Carré de Busseroles, Dictionnaire d'Indre-et-Loire, t. IV, p. 405.

(4) D. Villevieille, Trésor généalogique, voir t. 49. Arch. du chapitre d'Angers.


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En décembre 1492, un procès allait être entamé entre Jean de la Jaille, seigneur du Vivier, sa femme, ses fils Jean, Abel et Honorat, René de Feschal, fils de Jeanne Cornilleau, contre François de la Jaille, seigneur de Durtal et Saint-Michel, au sujet de la succession de Guy et Guyonne de la Jaille, morts sans enfants, dont les demandeurs étaient les héritiers naturels, empêchés d'entrer en jouissance par le sire de Durtal, en raison de « l'avantage appartenant à l'aîné noble », qu'il se targuait d'être et qu'il était en effet, comme fils premier né d'Hector de la Jaille, frère de Guyonne. Grâce à l'entremise bienfaisante de messire Bertrand de la Jaille, seigneur d'Avrillé, une transaction fut acceptée par les parties : les la Jaille et Feschal abandonnèrent leurs réclamations moyennant quelques indemnités, dont la plus importante fut la cession des terres de Lésigné, près Durtal, et de la Bucherie, près Laval, dont Jean de la Jaille eut la jouissance jusqu'à sa mort. François de la Jaille, fils aîné de Jean III, absent au moment de ce règlement, le revêtit peu après de son approbation personnelle (1).

Nous apprenons par cette pièce que la femme de Jean III était Françoise de la Jaille (2), l'une des filles d'Hector II, seigneur de Durtal et Saint-Michel, et d'isabeau de Husson. On lui laissa, pour sa légitime, cette terre de Lésigné dont avait joui sa tante Guyonne, et dont elle entra en possession de suite après l'accord de 1492. Ce document, d'ailleurs précieux, en raison de l'obscurité résultant de l'encombrement de personnages du même prénom se heurtant dans des branches alliées, nous permet de classer ainsi les enfants de Jean III :

1° François, qui suit ;

2° Hardouin, quelquefois appelé Arthur, seigneur du

(1) Arch. dép. de Maine-et-Loire. E, 2902.

(2) La Jaille, armes : d'or au lion de gueules passant, entouré de cinq coquilles d'azur.


— 223 —

Vivier en la paroisse de Cheffes (1), et du Deffay, près Laval, marié avec Jeanne, d'autres disent Yvonne de la Roë (2), dame de. la Perrine et de Bomefort, en la paroisse de Cossé-le-Vivien, en eut un fils unique, François, né en 1497, mineur et orphelin de sept ans en 1504, date à laquelle son tuteur Jean de la Roë rendait aveu pour lui dir fief du Deffay-Robinard, le déclarant neveu d'Abel et d'Honorât de la Jaille, alors vivants, fils puînés de Jean III (3). François de la Jaille, titré seigneur du Vivier et d'Aligné, dans un procès par lui soutenu en 1528 contre Louis de Nouthon, seigneur de la Mothe (4), vendit Romefort en 1531 à Louis de Montécler, laissa des traces de son existence au Vivier-en-Cheffes en 1533, au Deffay en 1535, et fut en 1539 l'un dés héritiers des frères Quatrebarbes, ses cousins, en qualité de petit-fils de Françoise de la Jaille, soeur de Renée de la Jaille, mère des Quatrebarbes. Il mourut sans hoirs et probablement célibataire vers 1548, ayant vendu la terre du Vivier à Pierre de Paignel, et laissant le Deffay à son cousin René de là Jaille, dont nous parlerons plus loin, qui céda ce domaine en 1552 à Georges Chevalerie : celui-ci devait en faire un foyer d'huguenoterie (5) ;

3° Jean, d'abord écuyer dans une compagnie de guerre assemblée à Dinan en 1489 par messire Pierre de Rohan, pour envahir la Bretagne (6) à la suite d'un traité passé entre le roi d'Angleterre et la duchesse Anne, se fit prêtre par la suite et vécut d'un petit bénéfice du chapitre d'Angers.

4° Abel, prêtre, chanoine de la cathédrale d'Angers et curé de Saint-Florent, légataire de Jacques de Quatrebarbes,

(1) Viviers-en-Cheffes, sur la Sarthe, cant. de Briollay, arrond. de Baugé, Maine-et-Loire.

(2) La Roë, armes : d'argent à une roue de gueules.

(3) Dict. de la Mayenne, par l'abbé Angot, au nom Deffaix.

(4) Arch. dép. de Maine-et-Loire. E, 348, 2639, 2902.

(5) Célestin Port. Dict. de Maine-et-Loire, au nom Vivier.

(6) Hist. de Bretagne, par D. Morice, preuves, t. III, p. 631.


— 224 —

seigneur de Marson, son cousin, donna procuration, à Angers, l'an 1540, à son neveu René de la Jaille, pour toucher son legs (1) ;

5° Honorat, dont on parlera plus loin ;

6° Jeanne, religieuse de choeur à Fontevrauld, fit profession sous madame Renée de Bourbon, abbesse, le 22 février 1518 (2).

IV. — FRANÇOIS III de la Jaille, seigneur du Vivier et de Lésigné, né vers 1468, se révèle en 1492, par son intervention dans l'accord passé entre son père et ses frères, et l'aîné de la branche de Saint-Michel à laquelle appartenait sa mère.

En 1521, il avait à répondre à la sénéchaussée d'Anjou, d'une plainte portée contre lui, qualifié « sieur du Vivier » fort modestement, par un prêtre, messire Pierre Belocier, au sujet de « coups et blessures » par ce dernier reçus, et demandant réparation (3).

En février 1523, François de la Jaille, écuyer, seigneur du Vivier et de Lésigné, passa avec Jean Nepveu, tuteur des enfants de feue Françoise de Mâcon, fille d'Aubin de Mâcon et de Catherine de Neufville, un accord destiné à apaiser les contestations périodiquement élevées au sujet de la rente de dix livres assise sur les terres de Bléré et Bonitournant, dont Jacques de Mâcon avait été obligé par contrainte, de s'acquitter envers Guyon de la Jaille en 1448 (4). En 1530, François reçut la déclaration de messire Jean Ogier, curé de Lésigné, pour le temporel de son église. Il résidait constamment au château du Vivier, où il mourut la veille de la Toussaint, l'an 1540, et fut, le 2 novembre, inhumé dans l'église de Lésigné (5).

(1) Arch. dép. de la Sarthe, Série H. Bibl. nat., Carrés d'Hozier 281.

(2) Bibl. nat., ms. latin 5480/1 p. 513.

(3) Arch. dép. Maine-et-Loire. E, 2902.

(4) Idem.

(5) Idem.


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François de la Jaille avait été marié le 23 décembre 1526 avec Marie le Roux des Aubiers (1), veuve du sieur du Refuge qui lui survécut sans enfants.

V. — HONORAT de la Jaille, seigneur de Vaillé-Brézé, par disposition testamentaire de son père en 1510, fit aveu de ce domaine en 1523 (2). Il est sous ce titre inscrit au compte de la Grande Bourse d'Angers en juillet 1535. Il avait été « escuyer de monseigneur le duc d'Alençon » ainsi que le révèlent les vers burlesques d'un poëte qui fut son ami, qui entretenait correspondance avec lui et l'appelait le « gentil Honorat » (Guillaume du Bois, dit Crétin — petit panier — vivant de 1460 à 1525). En 1540, il devint seigneur du Vivier et de Lésigné, en partie, comme successeur direct de son frère François, mort sans hoirs, et il recueillit en 1546, tous les droits de son frère Abel, sur les biens de la famille. A ce titre, en août, cette m ême année, il se faisait délivrer la moitié des fruits et revenus de la seigneurie de Lésigné, dont l'autre moitié lui appartenait personnellement (3). Malgré ces avantages de la fortune, il ne laissa qu'une succession embarrassée. Par procuration donnée à son fils René, au château de Vaillé-Brézé, où il était au lit, malade, et pourtant signée de sa main, il autorisa la vente de cette terre à Claude de Bussy, seigneur de Fontaines, le 17 février 1551. Cette vente, consentie au prix de cinq mille livres, contenait une clause en vertu de laquelle, le fils du vendeur conserva le domaine jusqu'à sa mort; mais il en payait le loyer (4). Honorat mourut peu d'heures après avoir conclu cette négociation, car son nom

(1) La Roche-aux-Aubiers, armes : gironné d'argent et d'azur de huit pièces.

(2) Célestin Port, Dict. Maine-et-Loire, aux noms Vivier et Vaille Brézé.

(3) Arch. dép. de Maine-et-Loire. E, 2903.

(4) Bibl. nat., ms. Cbérin 130. Dossier Marconnay.

15


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ne figure point dans le contrat de mariage de sa.fille passé quelques jours après au château de Vaille. Il avait épousé Louise du Refuge (1), dont la mère, Marie le Roux des Aubiers alors défunte, avait été la femme de François de la Jaille, père d'Honorat. Ces alliances, répétées entre les deux maisons, s'expliquent par ce fait, que le château de la Roche aux Aubierset celui de Vaillé-Brézé étaient voisins. Honorat engendra :

1° René qui suit ;

2° Louise, mariée le 23 février 1551 avec Jacques de Marconnay, seigneur de Parnay, demeurant au château de Marconnay, paroisse de Sainte-Radegonde en Mirebalais.

Le mariage s'accomplit dans « le manoir noble de VailléBrézé, aujourd'hui réduit en ferme, conservant encore des fenêtres antiques à grillage de fer, dont deux portent des têtes de moines sculptées, au-dessous plongent de vastes caves voutées ». Louise de la Jaille avait en dot les droits de sa mère défunte, 2,000 livres d'argent liquide et 60 livres de rente, pour sa ligitime, sur la métairie de la Volière, dépendance de Vaille.

Elle pouvait réclamer sa part dans la succession de son oncle Abel, sur les terres du Vivier et Lésigné, mais elle renonça à ces droits au profit de « noble homme René de la Jaille, son frère qui l'assistait ». Son douaire fut de 300 livres de rente, avec habitation à Marconnay. La bénédiction nuptiale lui fut donnée dans l'église de Nueil-sousPassavant, en présence de Louis Le Roux, seigneur de la Roche aux Aubiers, frère François de Pineau, prieur de Lépinay, Lancolot de Marconnay, seigneur de Colombiers, Claude de la Jaille, seigneur de la Thuaudière et Guillaume Cady(2);

(l)Du Refuge, armes : d'azur à deux fasces de gueules à deux couleuvres affrontées d'azur languillées de gueules ondoyantes en pal et brochant sur le tout.

(2) Bibl. nat., ms Chérin 130.


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3° Françoise, mariée avec Charles de la Roë, demeurant au château de la Roë, paroisse de Fontaine-Couverte, laquelle, séparée de biens de son mari, réclamera en 1584, sa part du produit de la vente de Vaillé-Brézé (1).

VI. — RENÉ III de la Jaille, seigneur de Vaillé-Brézé, fut en 1540, revêtu d'une procuration de son oncle Abel, pour se porter en son nom bénéficiaire dans la succession Quatrebarbes. Héritier de son cousin, François de la Jaille, fils d'Hardouin et de Jeanne de la Roë, il vendit le Deffay en 1552 à Georges Chevalerie (2).

En février 1560, il céda, pour 5,000 livres, Lésigné et le Vivier, à Jean Dohin de la Valaisière, procureur de Louis de Rohan, seigneur de Guémenée. Cette vente, consentie au château du Vivier, fut approuvée en 1561, par la femme de René, dont la l'ésidence était le château de Vaillé-Brézé. Si l'on, ajoute à cette opération la vente à terme de ce dernier domaine, consentie dès 1551, on se demande le motif d'une liquidation si complète des biens de la maison. Il n'y a pas apparence de ruine, ni de partages ; mais René qui devait adhérer à la religion prétendue réformée, cherchait peutêtre à mettre son bien à l'abri des saisies opérées, par suite des édits royaux très rigoureusement appliqués en Anjou. Il avait épousé depuis une quinzaine d'années, Jeanne Bouchard (3), dame d'Anezay, appartenant à une famille du Poitou, très avancée dans le parti de la réforme. Jeanne, veuve de Jean Goumard, était fille de Méry Bouchard, fils puîné de François Bouchard d'Aubeterre, seigneur de Saint-Martin-la-Coudre, près Saint - Jean - d'Angély ; sa mère était Renée Gillier, dame d'Anezay (4), des seigneurs

(1) Arch. dép. de Maine-et-Loire, E, 2902.

(2) Dict. de la Mayenne, par l'abbé Angot, au nom Deffaix.

(3) Bouchard, armes : losange d'or et d'azur au chef de gueules.

(4) Anezay, cant. de Chef-Boutonne, arr. de Saint-Jean d'Angély, Charente-Inférieure.


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de Villedieu. Ce personnel composait un foyer calviniste des plus ardents. On ne peut admettre que René de la Jaille ait été accueilli dans ce milieu s'il n'eût fait profession de la même doctrine. Mais tandis que ces religionnaires s'agitaient en Saintonge et prenaient les armes sous Navarre et Condé, un terrible exemple avait pu maintenir dans une réserve prudente René de la Jaille, à Vaillé-Brézé : son voisin, son parent, René le Roux de la Roche aux Aubiers, eut la tête tranchée sur la place publique à Angers, en 1561, pour ses excès dans la propagation des doctrines nouvelles. Que se passa-t-il alors? René, compromis par sa femme dans le parti huguenot, abjura-t-il, dans la crainte d'un sort semblable, ou profita-t-il de la réaction pour manifester ses répulsions à l'égard d'une fausse réformation religieuse, qu'il n'aurait d'abord acceptée qu'en apparence ?. . . . Sa femme et lui se séparèrent, et divorcèrent, puisque le divorce était admis dans l'église de Calvin, surtout contre des renégats ; Jeanne Bouchard quitta l'Anjou pour se fixer en Saintonge, dans son château d'Anezay, avec ses enfants. René, de la Jaille, vivait, en 1568, avec une dame Corille de Turgis (1) qui, se disant sa femme, faisait ménage à VailléBrézé, issue d'ailleurs d'une très bonne famille du Saumurois où les Turgis sont connus depuis le treizième siècle. A Vaille, cependant, le couple, locataire comme nous le savons, du domaine, végétait dans un certain malaise. Mathurin Cormeau, fermier et bailleur de fonds, avait payé plusieurs fois les arrérages, dus sur la terre, tant à l'acquéreur qu'à plusieurs créanciers. Il fallait satisfaire notamment les chanoines d'Angers, le seigneur de Petite-Ville et quelques autres personnages très exigeants. Cormeau faisait des avances ; puis il demandait un règlement. Les tribunaux eurent plusieurs fois à intervenir, et la sénéchaussée de

(1) Turgis, armes : d'or au chevron de sable accompagné de trois palmes de même.


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Saumur obligea bientôt les la Jaille à rembourser Cormeau et à faire un nouveau bail avec ce gérant (1). En 1584, René de la Jaille venait de disparaître. Simon de Bussy, seigneur de Fontaine obtenait un arrêt par lequel lui étaient adjugées certaines sommes, provenant de la vente de Vaillé-Brézé, « lesquelles il a ceddées à Mathurin Cormeau » ainsi que le remboursement de 950 livres payées par lui à « damoiselle Corille Turgis, veuve du défunt noble René de la Jaille (2), selon certains arrangements passés entre son père et messire Honorat de la Jaille, lors du contrat de vente conclu entr'eux. Gorille de Turgis était donc bien la femme

égitime de René III et Jean ne Bouchard vivait encore.

Les la Jaille disparaissaient du sud de l'Anjou, mais ils y laissaient comme partout où cette famille a séjourné, leur nom à un hameau de la paroisse de Nueil, devenu un des faubourgs de Passavant (3).

De Jeanne Bouchard, René III avait eu deux enfants, dont les prénoms appartiennent à n'en pas douter, au martyrologe favori des protestants à cette époque ; c'étaient : 1° Théréclite, vivant sous la tutelle de son père en 1561, mais réclamant, contre celui-ci, et par l'entremise d'un procureur spécial, nommé Claude Cautineau, seigneur de Lorgère, le retrait à son profit, de la terre du Vivier et de la seigneurie de Lésigné, acquises par Louis de Rohan et détenues maintenant par sa veuve. Le 9 novembre, la dame de Rohan consent au retrait ; le 8 décembre, Théréclite de la Jaille est autorisé, par justice, à exercer le retrait ; le 15 février 1563, les deux terres sont, par permission du juge, délivrées à Marguerite de Scepeaux, dame de Vieilleville, qui les paie trente mille livres tournois. On se rappelle qu'elles avaient été livrées pour cinq mille livres aux Rohan,

(1) Arch. dép. de Maine-et-Loire. E, 2903.

(2) Arch. dép. de Maine-et-Loire. E, 2902.

(3) Passavant, cant. de Vihiers, arr. de Saumur, Maine-et-Loire. On y trouve encore le hameau de la Jaille.


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mais comme madame de Vieilleville devait avoir Durtal, on comprend l'intérêt qui poussait cette cousine des la Jaille et celte petite fille des la Roche-aux-Aubiers, à annexer ces terres voisines. Théréclite en profitait. Mais que fit-il de cet argent? Que devint-il à la suite de ce dépouillement de ses biens héréditaires? Nous pensons qu'il suivit sa mère en Saintonge, et qu'il disparut dans les péripéties d'une époque et d'une contrée perdues au milieu des guerres civiles, des meurtres, des ruines et du désordre. Aucune autre mention n'est faite de. ce Théréclite de la Jaille, fils de Jeanne Bouchard d'Aubelerre, avec qui s'éteignit le rameau du Vivier.

2° Dorothée, dont voici l'extrait textuel du contrat de mariage : « Antoine de Beaucorps, écuyer, sieur de Guillonville, baillage d'Orléans, demeurant à Saint-Jean-d'Angély, a fait accord de mariage, le 25 novembre 1585, avec damoiselle Dorothée de la Jaille, veuve de Laurent de Many, aussi écuyer, sieur de Mannerville, fille naturelle et légitime de feu René de la Jaille, écuyer, sieur de Vaillé-Brézé et de damoiselle Jeanne Bouchard, dame d'Anezay, assistée de la dite Bouchard, sa mère, et de Prégent de Châteauneuf, écuyer, sieur de la Beauce en Touraine et Louis Pannetier, sieur de Donzac, ses parents et amis ; le dit mariage devant s'accomplir suivant l'église réformée, en faveur duquel le dit de Beaucorps a promis prendre la dite pourparlée avec tous ses droits, entre lesquels était la somme de huit mille livres à elle due par la dite damoiselle Jeanne Bouchard, sa mère, comme l'ayant reçue de haute et puissante dame Jeanne de Gontaut de Biron, dame de Brisambourg, de laquelle elle avait fait don à la dite de la Jaille, par contrat reçu par Vincent, notaire royal, le 16 décembre 1578. Ce contrat pour l'insinuation duquel au siège de Saint-Jeand'Angély, les dits pourparlés ont constitué leur procureur, Me Sourin Fromentin, fut passé au lieu noble d'Anezay,


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devant Allenac, notaire juré pour le roy, sous le scel établi aux contrats au dit Saint-Jean » (1).

Il est à peine nécessaire de constater le caractère luthérien de ce contrat. L'épouse et sa mère étaient huguenotes. Le mari était un personnage notable du parti protestant. Amené en Saintonge par son père qui avait, au début des guerres civiles, péri au service du prince de Condé, en défendant Jean d'Angély, Antoine de Beaucorps était resté fixé dans la place, où il commandait une compagnie à la tête de laquelle il se distingua à la bataille de Jarnac (1569) et à la défense de Brouage (1577). En 1578 retiré au manoir de Châteaubardon avec sa mère, Jeanne le Maréchal, à qui cette demeure appartenait, il avait vendu ses biens de Beauce à son cousin Jacques de Beaucorps, resté catholique. Chargé par Henri IV, en 1592, de lever cent hommes de guerre à pied, pour la garnison de Saint-Jean-d'Angély, il en fut nommé capitaine sous le gouvernement de Mr de SainteMesme.

Après sa mort en 1619, Dorothée de la Jaille, Henri, Pierre, David, Léa et Dorothée de Beaucorps ses enfants, firent partage de sa succession au château de Coupelay, près Surgères. La mère abandonna à ceux-ci la terre d'Anezay. Elle se retira à Saint-Jean dans l'hôtel que lui avait laissé son mari. Henri prit le château et ses dépendances immédiates ; Pierre, la métairie de la Baraudière ; David, celle de la Bastière ; Léa, des vignobles au fief des Granges; Dorothée, les champs de la Perroche, les vignes du Guignier et le pacage des marais d'Anezay. Ce partage démontre que Dorothée de la Jaille n'avait alors ni frère, ni soeur, ni neveu qui put faire valoir des droits dans la succession de sa mère. Elle maria son fils David en 1625 sous le concours d'un membre quelconque de la maison de la Jaille

Cependant il subsistait en Saintonge, une famille de ce

(1) Bibl. nat., ms. Carrés d'Hozier 71, p. 97.


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nom, sans qu'il se trouvât, au pays, le moindre lieu appelé la Jaille.

Guillaume de la Jaille, pasteur des âmes, à Saujon (1), près La Rochelle, fut « un homme de grand mérite, jouissant de l'estime et de la considération de tous ses collègues, et réunissant le dévoûment d'un apôtre à une science biblique très complète et à de véritables dons oratoires » (2). Tel est le jugement porté sur ce personnage, par les historiens des églises réformées. Nous ajouterons que ce pasteur a laissé un souvenir si vénéré parmi les fidèles de ces églises, qu'aujourd'hui même certaines personnes d'une dévotion sensible tombent à genoux, comme devant l'image d'un saint, lorsque le nom de La Jaille est prononcé devant elles. Cette tradition semble insuffisante à l'historien scrupuleux dont la science est surtout basée sur des documents. On n'en trouve pas sur ce Guillaume. On sait qu'il eut l'honneur de présider le synode provincial réuni à Pons le 1er février 1576 et qu'il fut désigné pour remplir les fonctions de secrétaire au synode national de Sainte-Foy en 1579, dont l'assemblée avait pour but l'approbation du traité de Nérac, signé entre le roi de Navarre, pour les églises, et la cour de France. Il exerça temporairement son ministère à Saintes en 1583. Un « état de la dépense que le roy ordonna estre faite en la présente année 1590, pour le paiement des gages, pensions et entretainements des ministres des églises réformées ès provinces d'Aunis et de Saintonge » nomme « la Jaille ministre à Saujon » pour des honoraires de deux cents livres par an. Il fut remplacé dans cette église, vers la fin du XVIe siècle, par Paul Bonnet, fils du pasteur de Saintes. Il laissait un fils, Isaac de la Jaille, qui fut longtemps pasteur à Saint-Denis d'Oléron et mourut.

(1) Saujon sur la Seudre, chef-lieu de cant., arr. de Saintes, Charente-Inférieure.. (2) Roufineau, Crottet, Moutarde.


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en 1620. On croit que ce fut à sa veuve que Louis XIII accorda l'autorisation de vendre un domaine dans la province Rochelloise, « ' bien qu'elle soit issue de parents appartenant à la religion prétendue réformée ». Dès lors, on voit surgir çà et là, en Saintonge et Bas-Poitou, des individualités sans lieu de parenté certaine, mais portant le même nom : — 1° Esther de la Jaille, marraine à Saintes, . le 15 mai 1644, avec le pasteur Rivet, d'Esther Trigallet, fille d'un marchand appelé Abraham Trigallet; — 2° Judith de la Jaille « âgée de soixante ans, mère de famille, femme d'Isaac Chevillard, sieur de Chanteroche », enfermée au couvent des nouvelles catholiques, à Pons, le 6 octobre 1687, jusqu'au 3 février 1688, pour obtenir son abjuration. Le sieur Chevillard avait été porté en 1682, avec ses deux filles, sur la liste des nouveaux convertis, à Fontenay près Niort; — 3° Elisabeth de la Jaille,. femme de GuillaumeGeorges Payne ; — 4° Charlotte de la Jaille, enfermée au couvent à Pons, ou elle mourut en 1704, ayant rempli tous ses devoirs de catholique ; — 5° Marie de la Jaille, originaire de l'île d'Oléron où elle avait été élevée dans la religion réformée, était parvenue à l'âge de 22 ans sans vouloir abjurer. Elle fut « par suite de son refus de se faire catholique », enfermée pendant deux mois au couvent de Pons, en 1734(1).

Un rameau de la famille Luthérienne de la Jaille était passé en Angleterre, après la révocation de l'édit de Nantes (1683). Un certain Jean Tartarin épousa à l'église française de Londres, le 21 décembre 1690, Suzanne de la Jaille. Il émigra aux Etats-Unis et devint Ancien de l'église française de Boston. Les descendants de ce mariage ont cherché à créer des relations avec la famille existante de la Jaille,

(1) Communication de M. de Richemond, archiviste de la CharenteInférieure, d'après les nombreux registres de son dépôt.


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dont ils ont pris le nom ; ils ont fait faire, en Saintonge, des recherches, tandant à prouver leur extraction, qu'ils prétendent provenir de l'ancien pasteur de Saujon, resté célèbre dans leur Eglise. Leurs efforts sont restés sans résultat effectif, en raison de la destruction des documents ayant trait à leur origine. Ces documents, en effet, auraient été principalement puisés dans les registres de l'état civil; mais ces registres déposés aux mains des commissaires enquêteurs de la noblesse, au point de vue de l'exemption de la taille, en 1666, n'ont pas été restitués aux intéressés, et furent détruits pour la plupart après 1684. D'autres actes filiatifs avaient été notés par les pasteurs sur des bibles de famille, que l'autorité royale a confisquées et brûlées après la révocation de l'Edit. Quant aux actes privés, que pourraient fournir les études de notaires, ils sont d'autant plus rares que les pasteurs protestants étaient pauvres, et que ceux d'origine noble avaient subi la confiscation ou l'expulsion de leurs biens.

Si la famille luthérienne de la Jaille se rattache, ce qui est probable, à la branche loudunoise de cette antique maison, la preuve n'en peut plus être faite, mais les présomptions les plus admissibles, en feront trouver la suture dans le rameau du Vivier, en raison de l'alliance protestante de René III avec Jeanne Bouchard, de l'union en église réformée de Dorothée de la Jaille avec Antoine de Beaucorps, et de l'existence de Théréclite, Dorothée et Jeanne, dans ce château d'Anezay, près Saint-Jean-d'Angély, foyer calviniste ardent, d'où surgit dans le même temps, le pasteur Guillaume de la Jaille, — peut-être fils, peut-être frère de Théréclite, — qui fut assurément l'auteur de cette lignée luthérienne. Néanmoins le problème demeure sans solution absolue.


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VII

BRANCHE DU CHATELET

I. — MADELON I de la Jaille, seigneur d'Avrillé, en la paroisse de Saint-Jean des Mauverets,. au sud de la Loire, fils puîné de Bertrand II et de Catherine le Roy de Chavigny, passa à Angers, le 10 octobre 1509, sous l'autorité de son frère aîné, René, seigneur de la Roche-Talbot, contrat de mariage (1) avec Françoise Crespin (2), dame de la Thuaudière, en paroisse de Pincé (3), et du Châtelet en SaintJean-d'Erve (4), où elle exerçait tous droits de prééminence, ainsi que de Bonnemarie, paroisse de Thorigné, relevant en arrière-fief de Sainte-Suzanne. Par ce contrat Madelon reçut, comme part d'héritage paternel, les terres d'Avrillé et de Montaillé, en Anjou, la terre de la Grande Bonnassière, en Lorraine et l'hôtel de la Jaille, à Nancy, dont Isabeau, de Beauvau, sa tante, avait encore la jouissance. Catherine le Roy, par ce contrat donnait à son fils tous ses meubles et la terre de Mauny, qu'elle avait acquise en Anjou, du sieur de ce nom. Madelon partagea en 1515, avec son frère René, la succession d'Isabeau de la Jaille, abbesse du Ronceray, leur soeur, et recueillit, pour son lot, la métairie de la Comté, paroisse d'Anthenaise (5), dont il dut rendre hommage à son frère. La même année, il se vit poursuivre en justice par le seigneur de Sainte-Suzanne, suzerain de

(1) Arch. dép. de Maine-et-Loire. E, 2903.

(2) Crespin, armes : d'azur au chevron d'or accompagné de trois pommes de pin de même la queue en bas.

(3) Pincé, cant. de Sablé, arr. de La Flèche, Sarthe.

(4) Saint-Jean-sur-Erve, cant. de Sainte-Suzanne, arr. de Laval, Mayenne.

(5) La Chapelle Anthenaise, cant. d'Argentré, arrond. de Laval, Mayenne.


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plusieurs de ses fiefs, qui l'accusait d'avoir chassé la grosse bête, dans la forêt de Charnie, sans y avoir droit, réclamant cent livres d'indemnité pour chaque bête rousse ou noire, mise à bas. Mais d'après l'instruction judiciaire levée à ce sujet, il fut déclaré que le nouveau sieur du Châtelet, avait droit de chasser « toutes grosses bestes sauvaiges, rouges, rousses ou noires » dans la dite forêt et pouvait en user à son gré (1).

Madelon de la Jaille, seigneur riche et considéré, suivant la cour, où ses enfants occupèrent des places distinguées, avait pris part aux campagnes d'Italie, sous Louis XII et combattu brillamment à Ravennes, en 1512. Le collier de Saint-Michel fut la récompense de sa bravoure (2). Il disparaît après 1518, date à laquelle on le vit prendre part à un accord avec le prieur d'Huillé, traitant de certains intérêts avec le sieur de Lésigné, François de la Jaille du Vivier, qu'il visitait, entretenant avec cette branche de sa famille les meilleures relations ; et la dame du Châtelet, sa veuve, lui survécut jusqu'en 1539 (3). Enfants: — 1° Claude, qui suit; — 2° Marguerite, femme d'Ambroise le Cornu; — 3° Renée, demoiselle d'honneur de Marguerite de France, fille de François I, et honorée de la faveur de ce monarque qui la dota généreusement. Renée de la Jaille, étant à la suite de la princesse, épousa le 25 janvier 1545, à SaintGermain-en-Laye, séjour de la cour, François de l'Hôpital, fils de Charles, baron de Vitry, avec l'agrément du roi, qui lui fit compter trente mille livres argent, et trente autres mille livres à fournir en immeubles. Les témoins de cette union furent Charles d'Annebaut, amiral de France, procureur et représentant de S. M., Joachim de la Châtre, capitaine des gardes du corps, Charles Tiercelin, seigneur

(1) Dict. de la Mayenne, par l'abbé Angot, au nom Grand Châtelet.

(2) Arch. du château de Boscé, communication de M. le comte de Baglion.

(3) Cart. de Saint-Serge, ms. latin 5446, p. 307.


roi

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de la Roche du Maine, capitaine des ordonnances du roi (cinquante lances), Christophe d'Harville, abbé de Grandchamp (1).

II. — CLAUDE I de la Jaille, seigneur d'Avrillé, la Thuaudière, le Châtelet, le Genetay, Bonnemarie, La Vau, La Guerche et les Petites Goulaines, etc., chevalier de l'ordre du roi, apparaît en 1532 comme possesseur de la terre de Bonnemarie, dont il fit aveu. En 1540 venant d'hériter de sa mère, il avouait tenir en Anjou le château de la Thuaudière, avec les dépendances, en la paroisse de Pincé, droit de pêche dans la Sarthe, les métairies de la Thuaudière, de la Jeannière et du Boulay, droit de moyenne et basse justice, avec hommage simple au baron de Sablé, les fiefs de Lary et de la Chevalerie, tenant du sieur de la Vairie. Il tenait déjà de son père le manoir d'Avrillé, avec métairie, bois, prairies, relevant de Guilbourg ; le tout lui donnait trois cent cinquante livres de rente (2). Il avait alors vingt-cinq ans et servait dans la compagnie des mille hommes de pied, dont messire René de la Jaille, son cousin, avait le commandement. Il était lieutenant de cette compagnie en 1544 et 1547, et fit avec elle la plupart des campagnes de guerre, sous le règne d'Henri II. Par la suite, il prit rang dans la compagnie d'hommes d'armes du duc de Montpensier, et fit, sous ce général célèbre, les guerres religieuses qui partagèrent la France en deux camps. Le 18 mai 1562, Claude de la Jaille, délivrait une quittance militaire à la solde du roi, étant sous la bannière de Montpensier « pour les troubles estans au royaulme », c'est-à-dire qu'il combattit à la bataille de Dreux, du côté des royaux auxquels Montpensier, l'un des plus ardents défenseurs du catholicisme en France, apporta un précieux concours. Il prit également part aux campagnes, marches, sièges de villes, combats et

(1) Arch. du château de Boscé, aux arch. dép. de la Loire-Inférieure.

(2) Arch. dép. de Maine-et-Loire. E, 2903.


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pourchas, par lesquels ce général « purgea » le Maine, la Touraine, l'Anjou, le Poitou, des hérétiques qui y pullulaient. La compagnie Montpensier (Louis de Bourbon duc de) fut celle qui de 1561 à 1570 fit la guerre la plus acharnée aux Huguenots, et contribua le plus au soutien du trône de Charles IX. Claude de la Jaille y gagna le collier de SaintMichel, généralement donné aux officiers supérieurs qui se distinguaient par un long service ou quelque action d'éclat.

En 1551, avant les troubles, Claude de la Jaille avait assisté au mariage de Louise de la Jaille, avec Jacques de Marconnay, célébré au château de Vaillé-Brézé, non loin de celui d'Avrillé en Anjou (1). Il signait, le 9 septembre 1566, une quittance de 45 livres, payées sur la succession de Renée Le Breton, dame de la Touche (2). Il exerça en 1567 un retrait féodal sur les terres de la Vau, la Guerche et les Petites Goulaines, dans la paroisse de Savennières, près d'Angers, lesquelles avaient appartenu à Bertrand de la Jaille, son aïeul et passa, le 3 mars suivant, un accord touchant les droits de relief avec le suzerain de cette paroisse, René d'Anjou baron de Mézières, fils de Louis, bâtard du comte du Maine (3).

Claude de la Jaille vendit Avrillé au cardinal Mathieu Cointrel « stipulant et acceptant pour lui vénérable et' discret maître Pierre Gilbert, prêtre, aumônier de Moranne et noble homme Madelon Hunaut, sieur de la Thibaudière, par contrat passé à Angers, le 16 mars 1576, chez Michel Hardy, notaire » (4). Cette terre, nous le savons, avait jadis appartenu à Jean I de la Jaille qui, sans doute la tenait de sa mère, et de lui, par les Tristan, les Bertrand, était parvenue à Claude ; ce n'était donc pas, comme le croit Ménage, par Eléonor de Maillé qu'elle était « entrée dans la maison

(1) Bibl. nat., ms. Chérin, 130.

(2) Clairambault, vol. 27, pièce 4673.

(3) Arch. dép. de Maine-et-Loire. E. 2903.

(4) Hist. de Sablé par G. Ménage, 2e partie, p. 72.


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de la Jaille de la Roche-Talbot ». Nous avons fait voir par le contrat de mariage d'Eléonor que le domaine d'Avrillé n'avait été pour elle qu'un douaire.

Marié le 23 janvier 1545, à Angers, avec Françoise Cadu (1), dame des Brosses, de la Foresterie et de beaucoup d'autres terres, fille de Jean Cadu, maire d'Angers, Claude en eut :

1° Pierre, seigneur de la Foresterie, du Châtelet et des Brosses-Marquier, mort sans hoirs en 1591 ;

2° Madelon, qui suit ;

3° René, mort avant 1578 ;

4° Ambroise, qui a continué la descendance ; 5° Françoise, née en 1550, unie à Jean de Bois-Lehoux par contrat passé à la Thibaudière, le 8 février 1574, en présence d'une notable réunion de gentilshommes, parmi lesquels René de Langan, chevalier de l'ordre, seigneur de Boisfévrier, Roland Vachereau, chevalier, seigneur de Chenais, Nicolas de la Corbière, seigneur de Montlève, Ancel Ricardeau, seigneur de la Pécardière, V. et D. frère Robert de la Corbière, seigneur de Gaulaie, Hervé Baraton, seigneur de Varennes-Bouret, Gilles des Portes, seigneur de Saint-Père, Pierre de Montereuil, seigneur de la Vallée, Jean Séguyer, seigneur de la Roche, Jean le Comte et Jean le Coq, témoins ;

6° Renée, femme de François de Vaucouleurs, avec qui elle résidait à Combourg en Bretagne, lorsqu'en 1600, elle passa un accord avec son frère Madelon, seigneur du Génetay, touchant le partage du mobilier de cette maison (2) ;

7° Jeanne, née en 1552, unie à Arthur de Boisbéranger, puis à Pierre de Turgis ;

8° Claudine, mariée avec: — 1° Louis de Lamboust; — 2° René de Houssemagne.

(1) Cadu, armes : d'azur à la fasce d'or accompagnée de trois étoiles de même.

(2) Arch. dép. de Maine-et-Loire. E. 2903.


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Ces enfants furent élevés à Angers, où leurs parents habitaient dans la rue de l'Huisjaune, paroisse Saint-Denis, l'hôtel d'Avrillé, adjacent à une maison provenant des Cadu, appelée l'hôtel de Bernay, possession de Françoise Cadu, leur mère. Ils y passèrent, au printemps de 1572, un partage de la succession de. celle-ci, devant le sénéchal Guy de Daillon, seigneur du Lude. Ce partage, daté du 9 mai, attribuait à l'aîné, Pierre de la Jaille, seigneur du Châtelet, l'hôtel d'Avrillé où il mourut en 1591, et dont la vente fut poursuivie à cette date par François le Gay, créancier du défunt. Le surplus distribué aux puînés encore mineurs, sauf Madelon, sieur de la Guyonnière (1), à la requête de qui le partage était fait, comprenait les fiefs de Grésigné et Villetrouvée (2), la Cochardière, les métairies de la Fosse et des Granges, l'hôtel de Bernay, à Angers, résidence de la défunte « demoiselle de la Tousche Cadu » mère de Françoise Cadu et aïeule des intéressés, avec la maison de location qui y est adjacente, sauf le jardin entouré de murs que se réservait le sieur du Châtelet (Pierre de la Jaille) pour l'annexer à son hôtel d'Avrillé, des vignes à Montigné (3) et à la Possonnière (4), aux Fougerets à Beaupréau, à Savennières (5), le domaine du Vivier en la paroisse de Martigné-Briant (6), relevant de la seigneurie des Brosses, celui des Rousses en la paroisse d'Ambillou (7), avec la closerie de la Grésille, celui de la Dorbière chargé d'un legs d'flélie Cadu en la paroisse de Maignane, celui des Moulins en Savennières, de Baude en Athée, une maison

(1) La Guionnière, au sud de Rochefort-sur-Loire, cant. de Chalonne, arrond. d'Angers, Maine-et-Loire.

(2) Villetrouvée, cant. de Gennes, arrond. de Saumur, Maine-et-Loire. (3) Montigné, cant. de Montfaucon, arrond. de Beaupréau, Maine-et-L.

(4) La Possonnière, sur la Loire, au sud-ouest d'Angers, M.-et-L

(5) Savennières, sur la Loire, cant. de Saint-Georges-sur-Loire, arrond. d'Angers, Maine-et-Loire.

(6) Martigné-Briant, cant. de Doué, arrond. de Saumur, Maine-et-L.

(7) Ambillou, cant. de Doué, arrond. de Saumur, Maine-et-Loire.


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en Savennières contre la chamelle Saint-Jean de la Foresterie, avec pressoir et closerie. — Claude de la Jaille présidait à cette opération de partage en qualité de tuteur de ses enfants « lequel protestait de ses meilleures intentions à leur, égard » (1). René avait quinze ans, Jeanne dix-huit et Françoise vingt et un. Malgré les « protestations » de leur père, on leur donna un curateur, dans la personne de Me Jacques Talluau. Cette grande fortune avait été fort entamée par les dissipations de Pierre de la Jaille, mondain et viveur, qui se faisait appeler le marquis de la Foresterie ; en 1572, à la mort de sa mère, il était criblé de dettes ; comptant sur la succession de celle-ci pour sortir d'embarras, il dut cependant passer, avec son père, un arrangement basé sur « l'honneur, obéissance et service » dus à l'auteur de ses jours, et subir les avantages que.la défunte et son mari s'étaient concédés par une donation mutuelle de leurs biens remontant à l'année 1562. Déjà Pierre escomptant l'avenir, s'était installé auprès de sa mère au château de la Thuaudière, gérant les terres, faisant comme en 1571, l'aveu de certains domaines, notamment de la Brissonnière à messire René du Vau. Son père l'évinça et s'installa avec son autre fils, Ambroise, qualifié dès lors baron de Pincé, en raison de l'importance qu'avait la seigneurie de la Thuaudière en cette paroisse. C'est là, qu'en 1576, tous deux se portèrent bénéficiaires d'une somme de 45 livres que par sentence du Parlement, Gabriel d'Apchon se voyait obligé de verser aux la Jaille de cette branche.

Pierre de la Jaille s'était retiré au manoir des BrossesMarquier qu'il habitait en 1578, d'où il donna à son frère Ambroise l'autorisation de vendre la métairie de la Cochardière, sise en la paroisse de Saint-Pérachant, provenant de leur mère, que leur frère René venait de laisser à Ambroise par testament.

(1) Arch. dép. de Maine-et-Loire. E,2903.

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L'héritage du marquis de la Foresterie mort à 45 ans, célibataire et ruiné, était chargé d'un passif écrasant. Après la vente de l'hôtel d'Avrillé et celle des terres, notamment la Foresterie, adjugée pour 24,000 livres, à un avocat d'Angers, François Bitaud, il restait dix mille livres à acquitter. Ce fut, parmi les frères et soeurs du défunt, à qui rejetterait de son mieux cette succession obérée. Ils disaient que « leur frère était mauvais ménager et homme facile au préjudice de sa personne, de façon qu'il avait vendu et engagé ses biens inconsidérément et consenti plusieurs dettes qui absorbaient son hérédité ». Ils renoncèrent donc aux lettres de récession, abandonnant tout ce qui restait aux créanciers (1).

Claude de la Jaille né en 1515 d'un ménage uni en 1509, avait, atteint la soixantaine, lorsqu'il épousa en secondes noces, le 13 février 1575 en la châtellenie de Seaulx, Charlotte de Charnacé (2) dont il eut trois enfans :

1° Urbain, fondateur du rameau du Génetay, reporté plus loin ;

2° Jean, seigneur de la Thuaudière ;

3° Marie, femme de Pierre de Chal us, seigneur de Fresnay, laquelle mourut en couches, le 22 janvier 1618 à Bourneuf près Laval, après douze jours de maladie, visitée et réconfortée par le curé de Savigny et son confrère de la Croisille qui l'innumèrent en l'église paroissiale, « au grand décime regret et domaige de tous ceulx qui y assistèrent ».

Claude I, une des figures les plus intéressantes de sa race, mourut très âgé en 4593. Ses biens furent partagés en 1599, à Laval, entre ses enfants et petits-enfants.

III. — MADELON II de la Jaille, seigneur de la Guyonnière

après le décès de sa mère, en 1572, d'Avrillé et du Châtelet après son père, avait, hérité de son frère René, le fief de la

(1) Arch. dep. de Maine-et-Loire, E, 2903.

(2) Charnacé. armes : d'azur a trois croissants pattés d'or.


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Cochardière qu'il céda en 1578 à son frère Ambroise. Meilleur administrateur de sa fortune que ne l'avait été leur aîné, Pierre, il se chargea de liquider la succession de celui-ci, en 1591, vendit la Foresterie, les Brosses, les maisons d'Angers et parvint à sauver le Châtelet. Mais il ne s'en tira point sans un procès que lui fit René de la Planche en 1599. Il était en résidence à Avrillé, lorsqu'en 1599, il signa l'acte de partage de la succession paternelle. Cette terre rapportait alors sept cents livres de rente, mais elle était grevée de rentes hypothécaires qui en nécessitèrent la liquidation. Madelon après l'avoir rachetée par retrait lignager, la laissa par testament à son neveu Jacques qui dut s'en défaire. Madelon II avait épousé vers 1575 Marguerite de Loré (1), à laquelle il constitua mille livres de rente en douaire, et qui ne lui donna point d'enfants mâles, mais seulement une fille Marie, unie à un proche parent de sa mère, Ambroise de Loré, seigneur de Coupetrain. Madelon de la Jaille, qu'on trouve au Génetay, en 1600, traitant d'un partage du mobilier de ce château, avec sa soeur, Madame de Vaucouleurs, avait disparu avant 1609.

IV. — AMBROISE de la Jaille, seigneur de la Thuaudière dit le baron de Pincé, épousa le 9 juillet 1578, Françoise de Mégaudais (2), dame de la Pellerinaye, en présence de Guillaume de Mégaudais, chevalier de l'ordre du roi et Françoise de Courtarvel, père et mère de l'épousée, Louis de Mégaudais, son.frère, Michel de Mégaudais, son oncle, Claude de la Jaille, père du marié, Madelon, son frère et quelques amis. Ambroise avait dix mille livres d'apports, avec la terre de la Cochardière, paroisse de Saint-Père, et l'espoir de quelque rentrée de fonds, par le gain escompté d'un procès pendant entre son père et ses cousins Jacques

(1) Loré, armes : d'hermines à trois quintefeuilles de gueules.

(2) Mégaudais, armes : de gueules à l'aigle d'argent membre et becqueté d'or.


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et Louis de Bellanger. L'épouse apportait les métairies des Forges et de Bélouzé (1) avec 666 écus d'avancement d'hoirie (2).

Ambroise a laissé la réputation d'un homme de valeur. Le collier de Saint-Michel qu'il portait comme chevalier de l'ordre du roi, prouve qu'il avait rendu des services aux armées, dans la lutte soutenue par la cour contre les Huguenots, ou contre la Ligue. Mais Ambroise avait reçu une instruction soignée ; il aimait les arts, les lettres. Il les cultivait, il s'adonnait aux spéculations de l'esprit. Voyageant en Allemagne, en Italie, il faisait part de ses remarques et de ses découvertes à des amis d'une intellectualité supérieure. Ambroise de la Jaille est connu dans les milieux académiques par l'amitié qui l'unissait à Cujas, le fameux jurisconsulte toulousain, dont il avait sans doute suivi les cours à Paris. On a retrouvé le brouillon d'une lettre de la main de Cujas, datée du 24 octobre 1574, adressée à cet ami, à ce disciple, encore célibataire et très jeune homme. Alors en Italie, Ambroise étudiait la langue harmonieuse et les chefs-d'oeuvre artistiques de cette nation ; il adressait au maître Cujas, des communications précieuses, révélant tous les fruits qu'il avait retirés de ses classes. — Ex epistolis tuis doctissimis salis jam ostendis te uberrimos

fecisse profectus lui répondait le maître, sans que

nous sachions le point exact dont traitait la correspondance d'Ambroise de la Jaille avec le savant docteur. Une autre lettre établissait les relations existantes entre Ambroise et un familier du même Cujas, François de Roaldès, dont l'un des descendants a fait, sur les rapprochements sympathiques de ces trois personnages, un rapport à l'académie de Toulouse en 1877 (3).

(1) Ces métairies se retrouvent dans la commune de Saint-Berthevin, arrond. de Mayenne.

(2) Arch. personnelles du comte de Baglion, copie aux mains de M. le marquis de la Jaille.

(3) Recueil de l'Académie de Toulouse, années 1877-78, p. 270.


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En résidence habituelle dans la paroisse de Lévaré (1) où sa femme possédait le fief de la Pellerinaye et le manoir de l'Epinotière, Ambroise y maintenait des relations constantes avec les membres de la famille de celle-ci. Son beau-père, Louis de Mégaudais, l'avait gratifié d'un legs en 1591 ; l'année suivante, le 21 avril, il avait été témoin, avec Michel et Jean de Mégaudais, ce dernier curé de Saint-Denis de Gâtines, du partage des biens nobles des défunts Louis de Mégaudais et Jeanne le Jarriel sa femme, et de René leur fils aîné, entre les susdits et leurs soeurs Marie, Mathurine, Guyonne de Mégaudais (2). Ambroise avait été curateur de Jacques de Mégaudais, autre neveu de sa femme, dont il avait conclu le mariage en 1585. Il était mort en 1607, quand Françoise de Mégaudais, sa veuve, se fit remettre, par Pierre le Marchand, docteur ès droits, la somme de 733 livres, pour le prix de la terre de la Chevallerie, que son mari avait vendue à ce dernier ; elle la partagea avec Madame de Boislehoux, sa belle-soeur (3). Françoise de Mégaudais eut, durant son veuvage, de sérieuses contestations, avec la puissante maison de Lévaré, au sujet de la prééminence seigneuriale dans la paroisse de Saint-Berthevin-la-Tannière, que cette maison lui disputait. Guillaume de Mégaudais l'avait acquise par échange en 1564, prétendait-on de ce côté, et l'avait exercée comme seigneur de la Pellerinaye. Ambroise de la Jaille, lui ayant succédé, voulait en perpétuer la tradition et Françoise à son tour, y maintenait ses droits ; mais les Lévaré prouvèrent qu'ils avaient exercé un retrait à leur profit, et Jean des Vaux de Lévaré ayant fait constater que sa compétitrice ne détenait, en Saint-Berthevin, qu'une métairie sans jouissance de fief, fut mis en possession des honneurs paroissiaux en 1619 (4).

(1) Lévaré, cant. de Gorron, arrond. de Mayenne, Mayenne.

(2) Bibl. nat., ms. Chérin, 133.

(3) Arch. dép. de Maine-et-Loire. E, 2903.

(4) Arch. pers. du comte de Baglion, communication.


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Les enfants et petits enfants de Françoise continuèrent néanmoins à prendre le titre de seigneur de Saint-Berthevin, mais ce ne fut pour eux qu'une concession courtoise ; ils n'exercèrent dans cette paroisse aucun privilège ; ils finirent par céder la place aux Lévaré, en leur vendant la Pellerinaye dans le courant du XVIIe siècle.

Les enfants d'Ambroise de la Jaille sont :

1° Gabriel, qui suit ;

2° Louis, seigneur de la Haye, gentilhomme ordinaire de la Chambre du roi, tué au siège de la Rochelle en 1629 ;

3° Jean, seigneur du Châtelet « mort aux guerres et en charge » ;

4° Jacques, seigneur d'Avrillé et de Saint-Berthevin. Sous le titre de seigneur d'Avrillé, terre de famille vendue par son aïeul Claude et rachetée par son oncle Madelon, qui. la lui laissa, mais qu'il dut revendre à son tour, Jacques de la Jaille mit, au dire de Célestin Port « trois distiques latins de sa façon en tête de la première édition d'Hiret Les antiquités d'Anjou, en 1609 ». Evidemment ce jeune homme était un lettré comme son père. Marié, le 9 avril 1616, au Mans, avec Catherine de Vennières (1), il en eut une fille nommée Marie, unie en 1653 à Brice Gaudais, sieur de la Sébaudière. Jacques mourut comme ses frères, au service du roi.

V. — GABRIEL de la Jaille, seigneur du Châtelet, Longlé, la Pellerinaye, Bonnemarie, dont il fit aveu en 1620, gentilhomme ordinaire de la Chambre du roi, résidait avec toute sa famille au château du Châtelet, paroisse de Saint-Jeand'Evre, près Sainte-Suzanne, lorsqu'il épousa le 1er juillet 1606, au château de Longlé-Renaut, Renée de Ségusson, orpheline sous la tutelle de messire Pierre de Samay, archidiacre de la cathédrale du Mans. Louis de la Jaille, sieur de la Haye, Marc de Blain, sieur des Pins, Claude et Joseph

(1) Vennières, armes : d'argent au lambel de sable en chef.


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des Salles, François de Coisnon signèrent son contrat (1). Il assista, en 1616, au Mans, avec ses frères Louis et Jean, et comme procureur de Françoise de Mégaudais, leur mère absente, au mariage de son jeune frère Jacques, résidant alors à la Pellerinaye, avec Catherine de Vennières, en présence de l'évêque Charles de Beaumanoir, parent de la mariée (2).

Gabriel fit, en 1630, avec Jean et Jacques ses frères survivants et Françoise de Mégaudais, leur mère, un partage des biens de la succession de leur père, Ambroise de la Jaille, partage tardif, mais non définitif, dans lequel étaient réservés les droits de Marie de la Jaille, fille de Jacques, pour certain legs dont elle était bénéficiaire (3). Cette jeune personne devait être mariée peu après (1633), par les soins de Françoise de Mégaudais, son aïeule, qui la dota du domaine de Belouze, en Saint-Berthevin. Le partage entre les la Jaille fut repris en 1635, après le décès de Jean et de Jacques, tués dans les campagnes du règne de Louis XIII (guerres en Italie, en Languedoc).

Gabriel, en qualité d'aîné (ego nominor leo), s'attribua la majeure partie des biens de la famille, ses soeurs (que nous ne connaissons pas) et sa nièce étant maigrement loties (3). En 1636, il recueillit encore la métairie de Langebardière, que sa mère avait jadis assurée à son frère Louis (4). Il mourut dans sa demeure du Châtelet et fut inhumé dans le chanceau de l'église paroissiale de Saint-Jean-d'Ev.re, le 22 octobre 1654 (5).

Les enfants de Gabriel sont :

1° Pierre, qui suit ;

2° François, né en 1620, capitaine au régiment de la

(1) Arch. dép. de Maine-et-Loire. E, 2903.

(2) Arch. du comte de Baglion, copie aux mains de M. le Mis de la Jaille.

(3) Arch. dép. de Maine-et-Loire. E, 2903.

(4) Arch. pers. du comte de Baglion, communication.

(5) Dictionnaire de la Mayenne, par l'abbé Angot, au nom Châtelet.


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Marine, tué à Fontenay, pendant la campagne d'Artois, en 1634; son coeur fut rapporté dans l'église de SaintJean-d'Evre (1) ;

3° Renée, unie en 1653, en présence de son père, veuf, à René d'Urban, seigneur d'Aubigné ;

4° Louise, femme de Jean-Baptiste du Cormier ;

5° Madeleine, épouse de Madelon de Bonétat.

VI. — PIERRE II de la Jaille, seigneur du Châtelet, Longlé, Bonnemarie, la Pellerinaye, la Haye, prééminencier effectif dans la paroisse de Saint-Jean-d'Evre, mais de courtoisie seulement dans celle de Saint-Berthevin (ces titres étaient recherchés en raison des érections de terre en marquisat et comté à obtenir par suite du nombre des paroisses dont on était seigneur), né en 1614 au Châtelet, fut en 1646 l'objet de poursuites judiciaires pour un homicide dont il était accusé. Se rendant du Châtelet au manoir de Longlé, qu'il tenait de sa mère, il fut attaqué près du château de Coulaines, par un nommé Gannes, qu'il tua d'un coup d'épée. Toute action fut suspendue contre Pierre, quand il eut démontré qu'il était en cas de légitime défense (2). Par contrat de mariage passé le 9 juin 1648, au château d'Aubigné, paroisse de Vaiges(3), en présence et du consentement de monsieur du Châtelet, son père, en présence d'André, marquis de Montéclerc, colonel d'infanterie, et de la marquise née la Flèche, de Guy de Valory, gentilhomme de la chambre du roi, et de ses fils Louis et Brandely, de Charles et Jacques de Guibert, et autres parents, Pierre épousa demoiselle Renée d'Urban, âgée de 19 ans, fille de René, seigneur d'Aubigné, et d'Esther des Vaux. Pierre entrait en ménage avec 2,000 livres de rentes constituées sur la terre du Châtelet et le fief de la Pellerinaye. En 1653,

(1) Dict. de la Mayenne par l'abbé Angot, au nom Châtelet.

(2) lbid., au nom Saint-Jean-d'Evre.

(3) Vaiges, cant. de Sainte-Suzanne, arrond. de Laval, près d'Évron, Mayenne.


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il était, avec son père et ses soeurs, mesdames du Cormier et de Bonétat, témoin du mariage de M. d'Aubigné, son beau-frère, avec Renée de la Jaille, sa soeur, laquelle devenue veuve peu après, était remariée à la date du 17 avril 1655 avec Gilbert de la Haye, seigneur de Mongason, qu'elle chargea d'une procuration pour la représenter dans le règlement de la succession de son père, Gabriel de la Jaille qui venait de mourir. Cette succession difficile allait engendrer un procès. Il débuta en 1654, à la suite d'une renonciation à ses droits d'héritière, donnée par Renée de la Jaille à son frère Pierre, renonciation que ne voulut point ratifier M. de Mongason. On plaida de 1655 à 1657. Ambroise de la Jaille, aïeul des intéressés, mort en 1615, avait laissé une dette de 6,000 livres contractée envers Etienne Duménil, avocat à Angers, pour l'amortissement de laquelle son fils aîné Gabriel, et sa femme, se trouvant à Paris, logés au Barillet-d'Or, rue de la Huchette, avaient emprunté à messire René le Clerc, seigneur de Coulaines, 3,000 livres garanties sur la Pellerinaye. Pierre, Louise et Madeleine de la Jaille parvinrent à rembourser cette obligation, le 27 avril 1657, sur le produit de la vente de la Pellerinaye, achetée pour 17,200 livres par Jean des Vaux, marquis de Lévaré (1).

Pierre de la Jaille, seigneur du Châtelet, prit part à la levée de l'arrière ban de France en 1675 et 1689 (2), mais cette institution caduque était à l'agonie ; elle n'était plus utilisée que pour maintenir l'ordre dans les provinces. Pierre II vivait encore en 1691, assistant le 9 juillet, à Sainte-Suzanne, au règlement des comptes de tutelle de sa fille Marie. Il mourut en 1700, âgé de 85 ans, et fut inhumé le 5 mars dans l'église de Saint-Jean-d'Evre ou reposaient ses prédécesseurs (3). En 1701, dame Renée d'Urban, veuve

(1) Arch. dép. de Maine-et-Loire, E, 2903.

(2) L'Ouest aux Croisades, par M. Henri de Fourmont, t. III, p. 33.

(3) Registres paroissiaux de l'église de Saint-Jean-d'Evre, Mayenne.


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du sieur du Châtelet, faisait à ses deux filles, Marie et Louise, l'abandon de tous les biens composant l'héritage de leur père et le sien, c'est-à-dire les seigneuries des Pinsau-Large, la Brochardière, Langebardière, Lespinay, Courtandon, Villiers, Lébaudière, les métairies du Vauclerc, Censie, la Cognardière, les Closeries et la terre de Launay dont plusieurs étaient grevées de rentes hypothécaires au profit des sieurs de Millon, de Bonétat, et autres. Cette nomenclature ne comprenait pas les biens réservés à l'aîné de la maison. Renée d'Urban mourut le 2 juin 1707, âgée de 77 ans.

Enfants de Pierre II :

1° René-François, né au Châtelet en 1650, baptisé à SaintJean-d'Evre en 1651 ; mort jeune ;

2° François, né en 1656 ; mort jeune ;

3° Henri, né en 1660 ; mort jeune ;

4° Charles, qui suit ;

5° Julien, vivant en 1701 ;

6° Marie, unie en 1665 à Jean de Biars, veuve avant 1691;

7° Renée-Madeleine, née en 1662, baptisée à Vaiges en 1665, mariée en 1678 avec Joseph de Bouille ;

8° Louise, femme d'Henri dé Masseilles en 1688 (1).

VII. — CHARLES I de la Jaille, seigneur du Châtelet, prit part, avec son père, à la levée de l'arrière ban de France, en 1689. Lui et son frère Julien furent, en 1701, maintenus nobles à l'intendance de Bretagne, ressort de Fougères, avec armes d'argent à la bande fuselée de gueules, à.la bordure de sable chargée de huit besants d'or (2). Leurs décès prématurés firent passer à leurs soeurs Marie et Louise, seules survivantes les biens de la succession paternelle et maternelle, notamment le Châtelet, possédé quelque temps après par

(1) Registres paroissiaux de l'église de Saint-Jean-d'Evre, Mayenne.

(2) Nobiliaire de Bretagne, par Potier de Gonrey, p. 451.


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madame de Masseilles, puis cédé définitivement à la famille de Biars, qui le conserva jusqu'à la Révolution (1). Il paraît d'ailleurs que Pierre de la Jaille en prévision de l'absence de descendants mâles parmi ses héritiers, avait substitué ses biens aux enfants de Jean de Biars, le mari de sa fille aîné, qui possédèrent aussi, après Renée d'Urban, leur aïeule, Courtandon, la Brochardière et Lespinay, en SaintJean-d'Evre ; les Pins-au-Large et Bonne-Marie, en Thorigné, passèrent aux Bouille. Cette branche de la maison dé la Jaille était donc éteinte à l'aurore du XVIIIe siècle.

VIII

RAMEAU DU GÊNETAY

I. — URBAIN I de la Jaille, seigneur du Gênetay (2), fils aîné de Claude de la Jaille et de Charlotte de Charnacé, sa seconde femme, recueillit dans la succession paternelle, liquidée en 1599, le domaine du Gênetay, acheté par son père, au prix de 46,000 livres, le 4 juillet 1579, à Jean de Chourse, et dont Claude avait fait aveu au château de Morannes en 1581 (3). C'était une terre assez importante avec un château sur le côteau dominant la rive droite de la Sarthe, en face Morannes, domaine des évêques d'Angers : Urbain le détint en indivis avec ses frères et soeurs ; ils en partageaient les revenus non moins que les obligations. Il existe un arrêt de 1602 condamnant solidairement Urbain, Jean et Marie de la Jaille, à s'acquitter, envers la cathédrale d'Angers, d'une rente due sur la terre du Gênetay (4).

(1) Dict. de la Mayenne, par l'abbé Angot, au nom Châtelet.

(2) Les Gènetais, commune de Morannes, cant. de Durtal, arrond. de Baugé, Maine-et-Loire.

(3) Arch. dép. de Maine-et-Loire. E, 2903.

(4) Bibl. d'Angers, collection Thorode.


— 252 —

Marié en 1601, avec Julienne Jacquetot, Urbain donna, en 1608, une procuration à son beau-frère, Marin Jacquetot, sieur de la Mothe, demeurant avec lui au Gênetay, pour traiter, en vertu d'actes qu'il lui remit en main, tant en son nom qu'au nom de Jeanne de la Jaille, sa soeur, et de Bouchard et Guiomard de Turgis, enfants de Jeanne, des intérêts d'une succession qui leur était commune et dont la liquidation se produisit en 1613 et 1615 (1).

Il engendra :

1° Urbain, qui suit ;

2° Charles, clerc du diocèse d'Angers, titulaire du prieuré de Ballée, de 1618 à 1626 (2) ;

3° Jacques, capitaine au régiment de Bresse, tué au siège de Saint-Omer (1638) ;

4° Marquis ;

5° Elisabeth, mariée avec Pierre le Clerc, seigneur des Roches de Morannes, château situé en face le Gênetay sur l'autre rive de la Sarthe. Il fit dresser en 1647, par les notaires de Morannes, un résumé généalogique des auteurs de sa femme depuis Madelon Ier, fils de Bertrand II et de Catherine le Roy, pour établir authentiquement sa descendance de la maison de la Roche-Talbot, dans un but dont le motif reste ignoré (3) ;

6° Françoise ;

7° Renée, religieuse aux filles de N.-D. de la Flèche.

8°, 9°, 10° Julienne, Charlotte, Louise, dites mesdemoiselles de la Thuaudière « laquelle terre leur a été donnée par leur oncle Jean de la Jaille » (4).

II. — URBAIN II de la Jaille, seigneur du Gênetay, y demeurant, paroisse de Morannes, épousa le 23 novembre

(1) Arch. dép. de Maine-et-Loire, E. 2903.

(2) Arch. de la Sarthe, série G, 355.

(3) Pièce en copie aux mains de M. le Mis de la Jaille.

(4) Document provenant des arch. du château des Roches-Morannes. Arch. part, de la Jaille.


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1639, Renée Cornilleau (1), native de la paroisse de Grenval, diocèse du Mans, d'une famille déjà alliée à la sienne. Il en eut :

1° Urbain, qui suit ;

2° Olive, mariée par contrat du 22 juillet 1664, avec son cousin Jean Cornilleau ;

3° Elisabeth, religieuse et supérieure de l'hôpital SaintJean, à Craon (2).

III. — URBAIN III de la Jaille, seigneur du Gênetay, épousa par contrat du 24 avril 1674, Julienne, dame de la Praye, dont une fille unique, Julienne de la Jaille, héritière du Gênetay, devint la femme du comte de Guichen et engendra Urbain du Bouexie, comte de Guichen, chevalier des ordres du roi, général des armées navales (1712-1790), mort au château de Portzantrez, près Morlaix (Finistère) (3).

Il n'existait plus, à la fin du XVIIIe siècle, aucun membre des branches de la maison de la Jaille implantées en Anjou et au Maine ; celles de la Roche-Talbot, du Châtelet et du Gênetay étant éteintes. Pour retrouver la branche qui s'est prolongée jusqu'au XXe siècle, et dont les membres vivent au milieu de nous, il faut franchir de nouveau la Loire et nous porter au sud de la Touraine, en remontant à l'époque de la guerre de Cent ans, c'est-à-dire aux dernières années du quatorzième siècle.

IX

BRANCHE TOURANGELLE I. — PIERRE III de la Jaille, seigneur des Roches,

(1) Cornilleau, armes : d'argent à trois corneilles de sable becquetées et membrées d'or.

(2) Dict. de la Mayenne, par M. l'abbé Angot, au nom Craon.

(3) Arch. du dit château.


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troisième fils de Jean II, vivant au XIVe siècle, né de sa seconde femme Yseult de Sainte-Maure, de qui le père et le frère portaient le prénom de Pierre, s'éclipse entre ses deux frères, Tristan et Guichard, dont les contemporains ont célébré les hauts faits, mais il a le mérite d'être l'auteur de cette branche nouvelle, par laquelle les descendants d'Yvon se sont prolongés jusqu'à nos jours.

Né vers 1375, il recueillit en 1405 de la succession paternelle la terre des Roches-lès-Loudun (1), déjà ancienne dans le patrimoine, et passa en 1409 un accord avec le prieur de Sainte-Croix de Loudun, au sujet de la rente dont son père avait grevé ce lieu, pour une fondation mortuaire, au profit de la dite église (2). La part héréditaire de ce cadet se trouva augmentée des possessions de son père à Challais, aux Bournais, ainsi que de la métairie de la Petite-Jaille en Sammarçolle, détachée à son profit avec le moulin de Palluau, du fief de la Grande-Jaille, annexe de Beuxe, réservé à l'aîné. Telle était la situation de fortune de ce puîné, simple écuyer, privé, en raison de leur importance militaire, des grands fiefs de la maison, lorsqu'un riche mariage, dû vraisemblablement à. l'entremise d'Yseult de Sainte-Maure, sa mère, vint faire de Pierre le détenteur de seigneuries, nombreuses et importantes en Touraine. Il épousa, vers 1395, Jeanne du Tillay (3) ou du Tilleul, petite-fille et héritière de Jean du Tilleul et d'une dame Perrote, dont le nom de famille n'est pas parvenu jusqu'à nous.

D'ancienne noblesse, puisque son nom est connu en Touraine, depuis le XIIe siècle, Jean du Tilleul, ou Theillé, Teilley et Tillay selon les textes du XVe siècle, originaire de Loches, avait passé sa vie, qui fut longue, au service de

(1) Les Roches-Rabaste, faubourg de la ville de Loudun, Vienne.

(2) Arch. dép. de la Vienne. D/3, t. I, p. 73.

(3) Tillay, armes : de sable à la bande d'or à un épagneul de gueules brochant sur le tout.


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la maison de Sainte-Maure, une des plus puissantes du pays, comme conseiller, comme intendant, puis sénéchal d'un immense domaine couvrant une partie des arrondissements actuels de Chinon et de Loches. Sur son épargne et par les dons de ses maîtres, il acquit successivement un grand nombre de fiefs relevant de ce domaine. Il en posséda aussi aux environs de Loches, et, pour ainsi dire sous le clocher de sa paroisse. En 1330 déjà on le trouve seigneur de Pérusson (1) ; en 1338, il détient le fief de la Bellandière, en Saint-Sénoch (2), qu'il donne au chapitre de Loches, avec la ferme de la Fontaine, dépendance de la seigneurie du Châtellier, relevant du château de Loches. Un peu plus tard, il possède le manoir de la Roche-Nason, en Ciran (3).... etc. On peut donc tenir pour certain que les biens - fonds dont les La Jaille seront trouvés détenteurs, aux environs de Loches, au XVe siècle, provenaient de la succession du Tilleul.

En 1378, le 2 novembre, au château de Sainte-Maure, Isabeau de Craon, autorisée des lettres de Louis de Sully, son mari, lui abandonnant la jouissance et l'administration de ses terres en Touraine, donnait à Jean du Tilleul, son amé et féal conseiller, en récompense « des longs, vrais et agréables services » qu'elle en avait reçus, pour.la conservation de ses biens au temps de l'invasion anglaise, l'hôtel et la seigneurie de Draché (4) « avec haute justice et tous droits seigneurieaux » pour les tenir du château de Sainte-Maure à hommage-lige et à « un annel d'or poissant une florence vieille (5) ».

De son séjour dans le château de Sainte-Maure, comme

(1) Perusson, cant. et arrond. de Loches, Indre-et-Loire.

(2) Saint-Senoch, cant. de Ligueil, arrond. de Loches, Indre-et-Loire.

(3) Ciran, cant. de Ligueil, arrond. de Loches, Indre-et-Loire.

(4) Draché, paroisse de Sainte-Maure, cant. de la Haye-descartes, arrond. de Loches, Indre-et-Loire.

(5) Carré de Busseroles, Dict. d'Indre-et-Loire, t. II, p. 477.


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sénéchal ou gouverneur, date certainement l'acquisition, par Jean du Tilleul, des terres de la Roche-Ramée, Beauvais et autres fiefs que les la Jaille posséderont après lui. Avec une grande fortune, il est aisé de faire du bien ; messire Jean du Tilleul et dame Perrote, sa femme, voulurent par une fondation pieuse instituée en leur ville natale, où ils avaient encore un hôtel, assurer le salut de leurs âmes. En 1375 ils fondèrent dans l'église N.-D. de cette ville une chapelle du Saint-Sépulcre, pour y être enterrés la dotant largement sur leurs biens à Pérusson, Saint-Senoch, Vou, Sepmes, Varennes, la Mauvinière, Montaugon, Flèré, etc.. afin que l'on y chantât quotidiennement une messe au point du jour et qu'on jetât de l'eau bénite sur leurs sépultures (1).

Jean du Tilleul disparaît en 1395. Dès l'année suivante Pierre de la Jaille se présente comme héritier de ce personnage à Draché, puis à Beauvais en Draché, terre dont Jean du Tilleul se déclarait possesseur en 1372. Cette saisine régulière permet de conclure à la même origine de transmission pour les domaines de la Roche-Ramé et des Aubuis, en Maillé-Lallier (2), dont Pierre de la Jaille est possesseur en 1396 et 1398, domaine relevant de la châtellenie de Nouâtre (3).

Jeanne du Tilleul ou Tillay, qu'on trouve dotée dans la seconde partie du XIVe siècle, des terres qui appartiendront, par la suite, à ses fils, mourut dans les premières années du quinzième. Son testament signé « Georges pour damoiselle Jehanne du Teillay femme de messire Pierre de la Jaille, écuier seigneur de la Mothe et de Draché » est daté du 9 mai 1405 (4). La même année Pierre de la Jaille portait

(1) Carré de Busseroles, Dict. d'Indre-et-Loire, t. IV, p. 94.

(2) Maillé-Argenson, cant. de Sainte-Maure, arrond. de Chinon, Indreet-Loire.

(3) Carré de Busseroles, Dict. d'Indre-et-Loire, t.I, p. 195, t. II, p. 477, t. IV, p. 348, t. V, p. 390.

(4) D. Villevieille, ms. français 31931, au nom Jaille.


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à Jean de Craon, grand échanson de France, seigneur de Sainte-Maure et de Nouâtre, son hommage pour Draché, Beauvais et pour « l'hostel fort de la Roche-Ramé » (1).

En 1412, il rendra son aveu pour la terre de la MotheYvon (2), à trente jours de service de guerre et quatre livres aux loyaux-aides, partie de l'héritage de la maison de Sainte-Maure, provenant de sa mère. Cette seigneurie, outre les terres, bois, prairies, carrières, eaux-vives, dont elle tirait son revenu, contenait une ancienne résidence féodale pourvue de fortifications imposantes et d'un château élevé, auprès de l'antique monticule, formé à main d'homme, ayant servi de base à la forteresse primitive ; dans l'ensemble : basse-cour, communs, métairie protégés par les « ameurs », et parc, garenne, entourés de. murs couvrant l'espace compris entre le cours de la Vienne, rive gauche, et le coteau de Douce, avec, dans l'intérieur du logis, une chapelle desservie par un moine de l'abbaye de Noyers (3). Multiples furent les dons offerts à cette abbaye voisine par les seigneurs de la Mothe, aux XIe et XIIe siècles, au temps où les puînés des sires de Nouâtre créèrent en face de leur résidence, ce poste militaire et fiscal destiné à commander le passage de la rivière et en écumer le péage. Ils eurent pour successeurs les fils Yvon, cadets de l'Ile-Bouchard, dont la postérité, sous le prénom continuellement porté d'Aimery (bannerets sous Philippe Auguste) se perpétua jusqu'au XIIIe siècle en ce fort, à cause d'eux dénommé la Mothe aux fils Yvon, la Mothe feu Yvon, et enfin la Motte-Yvon, dans lequel, par un singulier retour vers son origine, Pierre de la Jaille retrouvait le nom du fondateur de sa race (4).

(1) D. Rousseau, t. XIII, n° D 8214.

(2) La Mothe-Yvon, com. de Marcilly, cant. de Sainte-Maure, arrond. de Chinon, Indre-et-Loire.

(3) D. Rousseau, t. XIII, n° 8215.

(4) Cartulaire de Noyers, par l'abbé Chevalier et Dict. d'Indre-etLoire, par Carré de Busseroles, t. IV.

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La vassalité de la Mothe-Yvon comptait sept grands fiefs à hommage-lige : l'hôtel de la Boissière, les seigneuries du Marais-Bonard, de la Turbellière, de Pussigny et du Puyde-Noyers, les fermes de Ballesmes et des Bouctonnières. Le seigneur exerçait la moyenne justice avec les droits les plus complets sur la voirie terrestre et fluviale. Il était patron de la paroisse de Marcilly-sur-Vienne (1), dont les la Jaille firent reconstruire la vieille église; ils y eurent une chapelle particulière et un enfeu derrière le choeur, sur l'ouverture duquel étaient sculptées leurs armoiries. Tous les ans, le jour de l'Ascension, le curé de Marcilly se rendait au château de la Mothe en procession pour lire l'évangile du jour dans la chapelle seigneuriale, et le seigneur lui servait, ainsi qu'aux assistants, un quartier de mouton rôti, garni d'orties. Enfin le fief de Marcilly, tant honorifique que lucratif, avec une métairie appelée le Marais faisait partie des propres de MM. de la Jaille qui en portèrent longtemps le titre (2).

Pierre III ayant vécu jusqu'après 1420, laissait ce bel héritage à ses quatre fils, Charles, Hector, Jean et Gabriel, « lesquels toute leur vie ont esté gens de guerre et toujours à la défense du royaume » (3).

1° Charles, qui suit ;

2° Hector, possesseur en 1441 de rentes en « blez, deniers, poulailles, estant en la ville de Faye et au villaige de Limeuil », pour lesquelles il était homme-lige du sire de Bueil(4), se trouva transplanté dans les environs de Loches, tant sur les biens qu'il eut, pour sa part de la succession du Tilleul, que par suite de son mariage avec Raouline d'Azay (5). Cette grosse succession de l'aïeul ne fut pas

(1) Marcilly-sur-Vienne, cant. de Sainte-Maure, arrond. de Chinon, Indre-et-Loire.

(2) D. Housseau, t. XIII, nos 8214 et 8215.

(3) Bibl. nat., ms. P O, n° 1565.

(4) Arch. nat., P 341/9, p. 108, fo 53 v°, aveu de Faye-la-Vineuse.

(5) Azay, armes : d'argent à la bande de gueules.


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sans amener quelques nuages entre les frères la Jaille. Hector, dans son testament rédigé bien longtemps après, avouera que ce fut à la bonne entremise et à la sincère affection de sa soeur Yseult, qu'il dut d'obtenir de son frère aîné, Charles, la remise des terres de la Roche-Nason, Bossée, Vauchinard et les bois de Montaugon, provenant de la fortune de leur mère (1). On le trouve en 1451, seigneur du Profond-Fossé, en Trogues, détenteur en Saint-Sénoch et aux environs des terres vassales du château de Loches. En 1452, il a vendu ses domaines de Fromenteau et Bigorne au chapitre de N.-D., à Loches, qui les paie 2,000 livres léguées à cette église par Agnès Sorel (2). Hector et Raouline, doués l'un et l'autre d'une longévité remarquable, vivaient encore en 1480,. dans leur maison de Loches, laquelle venait à n'en point douter de l'aïeule Perrote. Ils y dictèrent, le 9 avril, devant les chanoines Pierre le Roux et Renaud Verrier, un testament dont le texte est entièrement conservé. Après avoir restitué à ses neveux, les enfants d'Yseult de la Jaille, les terres qu'il disait n'avoir eues que par suite des bons procédés, de cette excellente soeur, et distribué quelques souvenirs à Antoine de Challes, prêtre et fils du premier lit de sa femme, Hector de concert avec Raouline, fondait dans l'église de Ferrières-Larçon (3), une chapelle dédiée à Sainte-Catherine, leur patronne favorite, et la dotait de dix livres de rente, à prendre sur les revenus de toutes les terres qu'il possédait aux environs de Loches, instituant comme protecteur et présentateur de cette chapelle Pierre de Betz, chevalier, mari de sa nièce Catherine de la Jaille, qui fit approuver cette fondation par l'archevêque de Tours, six mois plus tard. Hector alors décédé avait été, selon ses dernières volontés, inhumé dans l'église

. (1) Toutes ces localités se retrouvent dans l'arrt. de Loches, Indreet-Loire.

(2) Carré de Busseroles, Dict. d'Indre-et-Loire, t. IV. p. 98.

(3) Ferrières-Larçon, cant. du Grand-Pressigny, arrond.de Loches, Indre-et-Loire.


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de Ferrières-Larçon, tandis que sa femme, qui lui survécut, eut sa sépulture en l'église de Saint - Flovier (1). Ils n'avaient eu qu'une fille prédécédée. Elle s'appelait Catherine, dame de Ciran, fief relevant aussi du château de Loches ; elle avait épousé avant 1450, Guillaume de Beauregard, seigneur du Verger, dont le fils, Mathurin, vendit Ciran en 1489 au chapitre de l'église de Tours ;

3° Jean, fondateur du rameau de la Roche-Ramé, rapporté plus loin ;

4° Gabriel, mort célibataire ;

5° Yseult, dame de Cloudis (2), mariée à :

1° Jean Bousseau, sieur de la Mothe, dont veuve en 1444, elle éleva comme dame de la Mothe-Rousseau, des prétentions sur la métairie de Thiors, en la châtellenie de SaintVarant, près Thouars, donnée par Penthecôte Raimon à Guillaume Chasteignier, son fils (3) ; 2° Pierre Souvestre, avec lequel elle est nommée dans un acte de 1466.

II. — CHARLES II de la Jaille, seigneur des Roches, la Petite-Jaille et Palluau, en Loudunois, la Mothe-Yvon, Draché, la Tour Saint-Gelin, en Chinonais, le Chatellier et les Bournais, près Loches, fils aîné de Pierre III et de Jeanne du Tilleul, né avant 1400, héritier de son père avant 1424, rendait aveu cette même année, à Ambroise de Fontenay, seigneur de Saint-Cassieu, pour ce qu'il possédait à Challais et à Arçay relevant du fief de ce gentilhomme, dans le voisinage de Loudun. Comme seigneur des Roches, il passait un nouvel accord avec le prieur de Loudun en 1442, touchant la rente due à son église, objet de fréquentes contestations (4) ; à la Petite-Jaille en 1446 il se laissait

(1) Saint-Flovier, cant. du Graad-Pressigny, arrt. de Loches, Indreet-Loire.

(2) Cloudis ou Cloutière, en Perusson, fief relevant du chât, de Loches.

(3) Hist. des Chasteigniers, par André Duchesne, p. 47, 86, 259.

(4) Arch. dép. de la Vienne, fonds des Cordeliers de Loudun.


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qualifier « noble et puissant seigneur » par Antoine Pasquier, son fermier, avec lequel il renouvelait un bail (1) ; en 1448, à Claunay, il portait déclaration de certains biens au profit de messire Olivier Frétard, seigneur de Tursay (2) ; en 1450, à Loudun, il rendait un nouvel aveu à Jean de Fontenay ; en 1453, de nouveau à la Petite-Jaille il consentait une location de terre à Antoine Pasquin. Voilà le rôle de Charles de la Jaille dans le patrimoine héréditaire. Dès 1429, on le trouve sur le terrain plus solide des acquisitions de provenance maternelle. Il est en possession de la terre du Châtelier et du fief des Bournais, dont il porte aveu au château de Loches (3). Il existe, en Saint-Sénoch, une métairie appelée la Jaille, et plus près de Loches une autre localité de la Jaille (Cassini) dénommée modernement Mon tains, en Saint-Flovier, dont la situation au milieu d'un si grand nombre de,biens-fonds possédés par les frères de la Jaille, laisse entrevoir une dénomination donnée par ces possesseurs nouveaux, lesquels étaient inconnus dans la contrée avant le XVe siècle.

En vieux français vulgaire du XVe siècle, on appelait Jaille un chaix ou une grosse tonne, si l'on en juge par les vers de Guillaume du Bois à Honorat de la Jaille, jouant sur son nom et lui disant : Fais que n'entre en la Jaille vin, verd.... etc. Est-ce à dire que les cinq ou six localités du nom de la Jaille qu'on trouve sur la carte du département d'Indre-et-Loire, ont pour origine une exploitation vinicole? Je ne le crois pas en constatant la présence des membres de la famille de ce nom dans chacun des cantons où se trouvent ces localités ; je préfère voir dans le nom porté par un hameau un souvenir de leur installation au moins passagère.

Charles de la Jaille séjournait ordinairement au château de la. Motte-Yvon, d'où, en 1441, il fit, avec Aymard de

(1) Papiers de famille.

(2) Béthencourt, noms féodaux.

(3) Bibl. nat., ms..latin 17127, Hommages de Touraine.


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la Rochefoucauld, seigneur de Sainte-Maure, un accord suivi de plusieurs aveux, concernant Draché et Beauvais. Il obtint de ce suzerain l'autorisation de construire « tours arbaletières, canonnières, douves et autres sortes de fortifications au château de Beauvais, sur les ruines anciennes de semblables bâtiments (1), pour soutenir et exercer les droits de haute justice et de commandement militaire. Ces fortifications élevées avec soin et terminées en 1444, comme le prouvent les aveux, furent détruites deux cents ans plus tard. L'époque était toute consacrée aux dernières luttes contre les Anglais, qui, peu à peu lâchaient pied sur le territoire de France. Charles de la Jaille fut un des chevaliers qui coopérèrent aux oeuvres militaires de Jean de Bueil, un des meilleurs généraux de Charles VII, dont il était homme-lige à Faye-la-Vineuse (2). Le sire de Bueil, en son aveu de 1441, cite le sire de la Jaille comme un vassal privilégié, au point de vue du service de guerre, puisqu'il devait 30 jours de garde à l'étroit besoin de la défense de la citadelle de Faye, et une paire d'éperons dorés, chaque fois que son suzerain le convoquait à la chevauchée féodale (3). Charles détenait, en plus, dans la châtellenie, des rentes foncières et seigneuriales à Morceaux et à Jaulnay (4), dont nous ignorons la valeur. Ces biens, dans la châtellenie de Faye, pouvaient provenir de la succession du Tilleul, puisque Hector avait aussi des recettes à Faye et, dans ce cas, ils auraient fait partie de l'héritage de dame Perrote, que nous croyons être une Savary. Les relations de Charles de la Jaille avec la maison de Bueil se manifestèrent en une occasion solennelle, Louis de Bueil, frère de Jean, avait, comme seigneur de Marmande (5),

(1) D. Rousseau, t. XIII, n° 8140.

(2) Faye-la-Vineuse, cant. de Richelieu, arrt de Chinon, Indre-et-Loire.

(3) Arch. nat., reg. P. 341-3, p. 108, fol. 53 v°.

(4) Jaulnay, cant. dé Richelieu, arrond. dé Chinon, Indre-et-Loire..

(5) Marmande, ruines féodales, commune de Vellèche, cant. de Leigné-sur-Usseau, arrond. de Châtellerault, Vienne.


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l'obligation d'assister à l'entrée solennelle de l'archevêque de Tours dans sa métropole, au jour de l'intronisation de ce prélat, et de remplir auprès de sa personne une fonction importante. En 1441, comme il était occupé au siège de Sainte-Suzanne pour en déloger l'anglais, il donna mission à Charles de la Jaille de le remplacer à la cérémonie de prise de possession par l'archevêque Jean Bernard. Charles porta donc un bras de la chaise du prélat, dans le cortège allant à la cathédrale, et surveilla le repas qui suivit, afin qu'aucun plat, ou qu'aucune pièce d'argenterie ne fut détournée de la table épiscopale, selon l'obligation consignée dans les aveux de Marmande (d'où l'on tire un curieux exemple de la domination du clergé sur la chevalerie) ; mais il n'eut pas la part, de la vaisselle plate qu'il était d'usage d'attribuer, en compensation d'un service de valet ou de gendarme, en cette occasion au sire de Marmande. Louis de Bueil fit un procès l'année suivante à Jean Bernard revendiquant son droit méconnu. On plaida et l'on transigea. Charles de la Jaille, seigneur de la Tour Saint-Gelin, et Macé Tiercelin, seigneur de la Roche du Maine, les deux principaux feudataires de Faye-la-Vineuse, figurent comme agents de conciliation dans l'accord, daté du 20 août 1442, signé par l'archevêque et le sire de Marmande (1).

Charles mourut fin de 1453, laissant d'une femme dont le nom n'est pas connu :

1° Pierre, qui suit ;

2° Catherine, mariée par son père à Sainte-Maure, le 27 novembre 1444, avec Pierre de Betz, chevalier, conseiller et chambellan du roi. Elle était dame de Mény-eu-Vou, près Loches, en 1454 ; et par acte du 19 juin 1495, elle fonda avec son fils Pierre une chapelle dans l'église de Betz, en souvenir de son mari défunt, la dotant de rentes à prélever sur sa métairie de Roure (2).

(1) D. Rousseau, t. XIII, n° 6240.

(2) D. Housseau, t. XIII, n° 5054, Le Roure, corn. de Ciran, près Loches.


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III. — PIERRE IV de la Jaille, seigneur des Roches, la Petite-Jaille, la Tour Saint-Gelin, la Mothe-Yvon, le Breuil, Draché, Beauvais, Crouzilles, le Chatellier et autres lieux, présentait en 1454, à Douce, fief de l'abbaye de Noyers, situé sur la colline qui domine la paroisse de Marcilly, la déclaration des biens par lui possédés en cette juridiction, c'est-à-dire sa maison du Breuil (1), et des terres labourables, vignes, prés, appelés les Rémonnières, dépendance de la fresche du Clos, pour lesquelles il payait douze boisseaux de froment et quelques chapons de redevances annuelles. Il rendit aveu en 1464, au château de Sainte-Maure, pour sa châtellenie de Draché, puis à Nouâtre pour « la place de son hostel et herbergement en la ville de Nouastre, jouxte le chemin par lequel l'on va de Sainte-Maure au port, et son port sur la Vienne au dit Nouastre, avec plusieurs escus de rente qui en dépendaient » (2). En 1472, il avoua également à Nouâtre (3), la possession de sa « place forte » de la Mothe avec les droits de « aubénage, épaves, mesures, grande et basse voirie, seigneurie et vengeance » (4).

Il eut, avec les agents du domaine royal à Loudun, des démêlés terminés à son avantage par des lettres royales, délivrées en 1482, dont la teneur suit :

« Loys, par la grâce de Dieu roy de France, scavoir faisons Nous avoir receu l'humble supplication de nostre cher et bien ami Pierre de la Jaille, escuyer, seigneur de la Mothe, près Nouastre et des Roches-lès-Lodun, contenant que à certains justes titres et moyens luy compecte (5) et appartient la dicte seigneurie des Roches qui est tenue à

(l)Le Breuil, com. de Marcilly, cant. de Saint-Maure, arrond. de Chinon.

(2) D. Villevieille, arch. du château de Sainte-Maure.

(3) Nouâtre, rive droite de la Vienne, cant. de Sainte-Maure, arrond. de Chinon, Indre-et-Loire.

(4) D. Rousseau, t. XIII, n° 8215.

(5) Par suite du testament du roi René d'Anjou mort en 1480.


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foy et hommage-lige de nous, à cause de nostre seigneurie de Lodun, lesquelles foy et hommages, il nous a faict despuis que la dicte seigneurie de Lodun nous est advenue et aussy est seigneur et lui compecte et appartient les prés de Longueprée relevant de nous à cause de nostre dicte seigneurie de Lodun, et par raison d'iceulx nostre procureur au dit lieu de Lodun le tient en procès par raison de cinq septerées de froment de rente avec ung molin et bois appelé Palluau, et d'une maison appelée La Jaille, près Sammarcolle, appartenant au dict suppliant. Et combien que le dit suppliant ait très bon droit, nous a humblement supplié et requis, joindre et réunir les dicts troys hommages en ung seul, pourquoi Nous, les choses dessus considérées et mesmement les bons, continuels et agréables services que le dit Pierre de la Jaille, suppliant nous a par cy devant faicts .... lui avons accordé le contenu de sa demande » (1). En 1483, Pierre de la Jaille était encore cité comme possesseur de la Mothe-Yvon, relevant de Nouâtre. Il passait alors quelques arrangements avec son cousin Aimar de la Jaille, au sujet du domame de la Roche-Ramé, sur l'étendue duquel le roi Louis XI, toujours bienveillant pour les gentilshommes de cette maison, avait concédé le droit de haute justice, la même année (2). En 1484, Pierre et Aimar étaient en commun seigneurs de Crouzilles (3), en la châtellenie de l'Ile-Bouchard. A Draché, on retrouve les traces de Pierre jusqu'en 1490, date voisine de sa mort : le 4 novembre, il avait pris part valide et monté, aux montres de l'arrière-ban passées en revue à Chinon, par messire Jean du Fou, bailli de Touraine (4). Pierre avait été marié à :

(1) Arch. nat., X/1a 8608, fol. 163 v°.

(2) Arch. nat., X/la 1490, fol. 285.

(3) Crouzilles, cant. de l'Ile-Bouchard, arrond. de Chinon, Indre-etLoire.

(4) D. Housseau, t. XII/2, n° 7053.


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1° Marguerite de Coudun (1), fille de Guillaume, seigneur des Ouches, et de Marie de Clermont, dont il eut une fille unique Catherine, dont nous parlerons plus loin ; 2° Jeanne de Raillay (2) avec laquelle il vivait en 1479 et qui lui donna :

1° Simon, qui suit ;

2° René, auteur de la branche de Marcilly.

IV. — SIMON I de la Jaille, seigneur des Roches, de la petite Jaille et de la Tour Saint-Gelin (3), était présent avec son père, aux montres de la noblesse de Touraine, passées en revue à Chinon en 1490. Il épousa Marie Senglier (4), d'une des principales maisons du Loudunois. Il était décédé le 1er mars 1509, quand « sur le procès intenté par maistre Guy de Jouy, curé de la cure paroissiale de la Tour SaintGelin, contre Marie Senglier, veuve de Simon de la Jaille et Gilles, et Maistre Pierre de la Jaille, enfants et héritiers du dit défunt et d'elle, ayant répons et procès en procédant au lieu du dict défunct, au sujet du partage des dismes des terres de la Tour Saint-Gelin et des Neddes, la cour a produit une sentence en la chambre des requestes du Palais, portant que le demandeur restera en saisine valable et régulière de toutes les dismes tant grosses que menues, venans et croissans dedans les fins et limites de la dite paroisse et cure, tant en fiefs qu'arrière-fiefs, excepté les dismes des fruits et des fiefs baillés à ferme, et que les défendeurs resteront en possession de toutes les dismes provenant de leurs fiefs et domaines personnels tant à la Tour qu'aux

(1) Coudun, armes : d'or au sautoir de gueules au chef de même.

(2) Raillay, armes : d'argent à trois quintefeuilles de gueules boutonnées d'or.

(3) La Tour-Saint-Gelin, cant. de Richelieu, arrond. de Chinon. Indre-et-Loire.

(4) Senglier, armes : d'or à un sanglier furieux de sable, défendu et allumé d'argent.


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Neddes, sans que le curé y aist que congnoistre » (1). Cette pièce révélant quelque dispute de clocher, nous donne les noms des fils de Simon I :

1° Gilles, qui suit ;

2° Pierre, dont la qualification révèle un clerc.

Catherine de la Jaille, soeur aînée de Simon, a laissé des traces nombreuses de son existence par l'intérêt qu'elle portait à ses affaires. Elle avait épousé, en 1481, Jean de Crevant, seigneur de Bauché, en Berry, d'une famille déjà puissante qui devait donner plus tard à l'armée un maréchal de France, Louis de Crevant d'Humières, créé duc et pair en 1690, par Louis XIV, à la suite de son commandement de l'armée de Flandres. Jean était conseiller et chambellan du roi Louis XI, qui le félicitait des « grans et continuels et recommandables services faitz chascun jour à l'entour de sa personne en ses plus grans et principalles affaires èsquelles, il s'est employé et emploie en grant soin et diligence » (2). Aussi la recommandation de ce gendre de Pierre de la Jaille avait-elle été d'un grand poids pour l'obtention, en 1482, de l'unification des terres du Loudunois au profit de celui-ci. Jean mourut en 1496, laissant Catherine tutrice de six enfants dont elle administra diligemment l'héritage. Sitôt veuve, en effet, elle s'efforça, par un partage arbitraire de diminuer la légitime de son beaufrère, Jacques de Crevant qui dut avoir recours au Parlement pour obtenir, en 1500 (3), une répartition plus équitable. Elle se retourna du côté de ses frères. Par suite des reprises dotales de sa mère, dont elle était l'unique héritière, et des héritages tombés dans la maison de la Jaille, dont les biens en formaient la garantie, elle se rendit bientôt maîtresse d'une grande partie des terres paternelles, qu'elle fit passer aux Crevant pendant que ses neveux, réduits à une dimi(1)

dimi(1) nat., X/3a 19.

(2) Arch. nat., X/la 8608, fol. 163 v°.

(3) Carré de Busserolles, Dict. d'Indre-et-Loire, t. II, p. 299.


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nution de biens sensible, se trouvaient dans une situation qui n'est plus en rapport avec la supériorité de leur race. Sitôt son père mort, madame de Crevant, mettant la main sur les terres de Beauvais et Draché, en faisait aveu à la maison de Sainte-Maure (1). Son frère aîné disparu, nous la voyons en possession des Roches-lès-Loudun et des dépendances aux Bournais, à Challais, avec Longueprée, dont elle fait aveu au roi le 2 mars 1495 (2). Elle y installe un régisseur nommé René Audebert, dont les comptes, pour quinze années, nous sont parvenus. Il résulte de ces comptes que « noble homme Pierre de la Jaille, écuyer » avait renouvelé en 1477, le bail d'Antoine Pasquin (3) pour dix livres de revenu, bail partiel, car, de 1500 à 1516, la terre des Roches, aux mains de Catherine de la Jaille, était louée à Gilles Hubert pour 95 livres par an, compris Longueprée, Fontaines-Blanches et La Perrière (4). En 1510, Catherine avait donné procuration à son cousin Aimar de la Jaille, seigneur de la Roche-Ramé, pour faire foi et hommage, en son nom, à Sainte-Maure, des terres qui en relevaient. Ce haut fonctionnaire de la maison Sainte-Maure ne pouvait s'acquitter de cette mission que fort régulièrement. En 1515, elle trônait en dame et maîtresse à la Mothe-Yvon, malgré les protestations de son neveu Guillaume de la Jaille qui avait pris et continuait à porter le titre de cette terre ; néanmoins, ce neveu ayant disparu, elle conserva ce bien considérable, ce fief d'honneur et d'aînesse, cette antique forteresse, qu'on regrette de ne plus voir occupée par le chef de la famille (5). Du côté de la lignée maternelle, madame de Crevant ne

(1) D. Housseau, t. XII, fol. 37.

(2) Arch. dép. des Deux-Sèvres, reg. 77, n° 253.

(3) Papiers personnels aux mains de M. le marquis de la Jaille.

(4) Fontaines-Blanches, moulin, com. de Loudun, La Perrière, moulin, eu Claunay, cant. de Loudun, Vienne.

(5) Carré de Busserolles, Dict. d'Indre-et-Loire, au nom La Motte de Marcilly.


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négligeait aucune revendication. De son château de la Mothe de Nouâtre, ou la Mothe-Yvon, on la voit lancer ses agents d'affaires et ses procureurs. En mai 1516, en son nom et au nom de ses enfants mineurs, elle actionnait au Parlement de Paris, Catherine de Belleville, veuve de Philippe de Coudun, son oncle, au sujet des droits à elle transmis par Marguerite de Coudun, sa mère, sur les terres de Migré et de Marcheroux, voisines de Saint-Jean-d'Angély, en Saintonge, provenant de son aïeule Marie de Clermont. Elle réclamait cinq cents livres que l'oncle Philippe lui avait promis lors de son mariage, et sa part des arrérages du patrimoine de maître Hélie de Coudun, mort en 1481, maître des requêtes et conseiller au Parlement, avec la moitié de son mobilier et de ses rentes sur la vicomte de Paris. Elle obtint gain de cause ; puis, par acte passé au château de la Mothe, le 27 novembre 1526, elle céda à son cousin François de Coudun, seigneur des Ouches, pour la somme de quinze cents écus d'or, une partie des droits reconquis, c'est-à-dire une rente annuelle de quarante livres que Philippe de Coudun lui payait sur la terre de Chévigné et une obligation analogue « que le dit feu Philippe avait jadis contractée au profit de feu Pierre de la Jaille, écuier, et de damoiselle Marguerite de Coudun son épouse, père et mère de la dite dame venderesse » (1). Catherine de la Jaille mourut au château de la Mothe, le 12 mai 1528.

Au moment de pénétrer dans ce seizième siècle, qui fut, par suite de la découverte des pays de métaux précieux et par les modifications apportées au régime militaire de la nation, une époque de changement radical dans la fortune publique et dans les conditions sociales, nous pensons devoir jeter un coup d'oeil d'ensemble sur la situation de la famille dont nous écrivons l'histoire, en ce qui concerne l'étendue des biens-fonds qu'elle possédait, dans le but de

(1) Original en parchemin aux mains de M. le marquis de la Jaille.


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créer un point de comparaison bien net, entre la position occupée par elle au temps de la chevalerie, et le rôle nouveau que vont lui imposer les événements.

La tige principale de cet arbre aux ramifications florissantes venait de s'éteindre dans une relative opulence que laissent entrevoir l'activité déployée par les bannerets du nom d'Yvon, leur présence aux armées à la tête d'unités féodales., leurs transactions, leurs places auprès des princes, ainsi que la reconstruction de leurs châteaux sur un plan grandiose. La possession simultanée des quatre grandes terres : La Jaille-Yvon, dite « baronnie ancienne », la Jailleen-Noëllet, dont les ruines attestent une réelle importance, Saint-Mars-la-Jaille devenue châtellenie par suite de l'érection d'une nouvelle forteresse dont Yvon XII fut l'auteur, enfin, au fond de la Bretagne cette autre châtellenie du Pordic, lambeau d'un héritage princier, ayant aussi son château fort, masse de granit appelée les Portes, sur les tours de laquelle flottait en vue de l'Océan, la bannière au lion léopardé, cet ensemble de biens considérable, donne une haute idée du rang occupé dans la chevalerie au MoyenAge, par ces Yvon, que des alliances dignes d'eux, et une parenté des plus distinguées maintenaient au juste niveau de leur origine.

Contenue sur un plan secondaire, tant que vécurent les Yvon, la branche de Saint-Michel, sortie de l'un d'eux, prit son essor à leur déclin. Elle avait profité d'un cas rare, le rapport, par une grand'mère, de biens anciens tombés en quenouille et soustraits, durant un demi-siècle, à la famille. Elle y ajouta, par ses alliances, des terres considérables : Durtal, forteresse royale, Mathefélon, Lésigné, Cingé, héritage d'une illustre race, qu'elle posséda au même temps que Saint-Michel-du-Bois, gigantesque citadelle contenant un château, une église, un village, au centre d'une immense paroisse, payant tout entière au seigneur la dîme de ses produits ; la Rouaudière, autre château fort en frontière


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bretonne, la Huberdière, le Pin, en Craonnais, et en pleine Bretagne cette terre de l'Angle à la recette de laquelle dix villages versaient leurs contributions en argent et en nature. Au sud de la Loire, entre Saumur et Loudun, elle détint aussi le château de Migné avec les dépendances acquises par les Bourreau, et son alliance avec la fille de Jean Bourrée lui apporta le Coudray, les Allières, Marans, Corzé entre Baugé et Segré. Cette belle fortune avait permis aux sires de Saint-Michel de faire belle figure à la Cour, aux armées, de remplir des charges de chambellans et de commander des unités de combat ; l'un d'eux périt à Azincourt, un autre suivit Jeanne d'Arc dans ses conquêtes, à la tête d'une compagnie de guerre entièrement levée à ses frais ; le dernier remplit la charge d'officier général.

Si nous portons les regards sur les cadets de cette illustre maison, nous les voyons dès le début de leur histoire, mieux partagés en biens que ne le sont ordinairement les puînés de maison noble. Possessionnés à Segré, au Lion-d'Angers, à Montreuil-sur-Maine, un mariage les attire sur le haut Loir, tout au nord de la Touraine. Ils se créent, à Chahaigne près La Chartre un établissement qui prend leur nom par suite de l'érection d'une forteresse ; peu à peu ils étendent leurs possessions sur Marçon ; Ourne, Rouesson en SaintAubin-le-Dépeint ; tout-à-coup le terrain leur manque, ils disparaissent. Mais au sud de la Loire entre Chinon et Loudun, ils avaient pris d'autres racines, dans des biens recueillis d'une famille tourangelle, Beuxe, la Grande-Jaille, en Sammarcolle, et les Roches, faubourg de Loudun, ville où leur rôle de chevaliers s'affirme hautement au XIVe siècle. C'est-là qu'on les retrouve en possession de l'héritage ancestral, avec des parcelles de biens à Challais, Arçay, Claunay, et les forteresses de Ranton et Bois-Gourmont où les fixe une alliance. Dans l'intervalle, un d'eux avait détenu la seigneurie de Gizeux près Bourgueuil, un autre celle


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d'Outellé, au nord de Château-du-Loir, sans y laisser d'héritier.

Jean de la Jaille, le héros des guerres de libération, est mort en 1405, presque dépouillé de tout son avoir. Il avait dû céder à son fils aîné Ranton et Bois-Gourmont, provenant de sa mère, et lui donner Avrillé en Anjou, par contrat de mariage ; il avait vendu Beuxe pour soutenir son fils puîné dans les guerres lointaines. De sa seconde femme, il n'avait rien recueilli ; elle lui avait donné un fils, héritier d'elle. Il ne lui restait que la Grande-Jaille et les Roches grevées de rentes, de fondations, avec une centaine de livres de revenus — 3.000 francs d'aujourd'hui — et beaucoup de dettes. Sa situation était si précaire, à quatre-vingts ans, que le roi lui témoignait sa pitié .... sans lui faire la moindre pension.

Cette ruine, due aux sacrifices consentis pour le soutien de la couronne, fut passagère. La renommée valait alors une ceinture dorée. L'alliance Maillé rapporta la Jaille-enChahaigne et introduisit Vaillé-Brézé à la génération suivante. Peu après, la Roche-Talbot, Souvigné, la RocheMorier, la Balayère, la Varenne, vinrent des successions d'Anjou et Mâcon. La succession Ouvrouin donna Villoisel, Choiseau, le Boulay et autres terres dans la province avoisinant Laval, des acquisitions résultant des bénéfices recueillis dans les hautes charges procurèrent Meignane, près Sablé, les Petites-Goulaines, au sud d'Angers, Beuxe racheté au profit de l'ancien domaine, même un hôtel à Nancy et la terre de la Grande-Bonassière en Lorraine. Pierre de la Jaille construisait à la Buschière, dans le BasMaine, un manoir remarquablement sculpté et orné de pinacles, meneaux, choux, gargouilles et tourelles en culde-lampe, pour y cacher une dame de. Maillé dont il était l'ami. On ne voit pas que les sires de la Roche-Talbot, bien qu'ils eussent rempli les plus importantes fonctions à la cour du roi de Sicile, aient reçu de ces princes, comme


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beaucoup d'autres, des dons en argent. Ils étaient assez riches pour dédaigner ce genre de faveurs.

Cette branche de la Roche-Talbot éteinte, le rameau du Châtelet qui en était sorti, se répandit dans les paroisses de Saint-Denis-d'Anjou, Morannes, Pincé, Thorigné aux environs de Sablé et Saint-Jean-d'Evre dans la direction de Laval. Ses résidences principales : le Châtelet, le Genétay, la Thuaudière, se composaient chacune d'un château et d'un nombre assez considérable de métairies, donnant un beau revenu. Il s'enrichit encore de l'héritage Cadu, comprenant une douzaine de fiefs dont quelques-uns très importants, la Foresterie, la Guionnière, la Brosse-Margnier, le Vivier, la Dorbière, Baude, etc., tant au sud qu'à l'ouest d'Angers ; plus tard, il s'installa à la Pellerinaye, en SaintBerthevin, au nord de Laval, posséda Longlé, la Haye, Bonnemarie, les Pins-au-Large, la Brochardière, Langebardière, Lépinay, Courtandon, Villiers, Lebaudière, Vauclerc, la Cognardière, les Closeries et Launay sans oublier la Cochardière, une grosse ferme en Saint-Père-Avant, Bélouze, l'Epinatière et la Chevallerie en Livaré. Ses membres occupèrent un rang distingué à la cour et en province mais disparurent en 1700.

D'autre part, le rameau du Vivier, détaché antérieurement, détenait Vaillé-Brézé, au sud de Saumur et le Vivier près Durtal. Par l'alliance Robinard, il acquit la seigneurie du Deffaix, près Laval, dont la possession amena Jean II de la Jaille sous l'étendard de Jeanne d'Arc ; Soueslon, Montmou, la Roche en dépendaient ; les fiefs du Denail et d'Aligné en accrurent l'héritage ; Lésigné fut apporté par une la Jaille de Saint-Michel ; l'alliance la Roë donna la Perrine et Ramefort, en Craonnais. Tous ces biens disparurent en bloc, laissant, on ne sait pourquoi, le dernier rejeton de cette branche dans une précarité plus qu'évidente, mourir au château de Vaille, vendu mais gardé en location jusqu'à

l'extinction du dernier occupant.

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Quatre branches de la maison de la Jaille vivaient simultanément en Anjou, Maine et Touraine au XVe siècle : leurs possessions réunies auraient formé un petit royaume. La dernière, issue de Jean I, mort ruiné en 1405, était remontée sur le pavoi par la succession du Tilleul. Elle possédait sur la rive gauche de la Vienne, la Mothe-Yvon, Marcilly, le Breuil, le Clos, la Tour Saint-Gelin, laVallière, Norceaux, la Fuye de Nancré ; sur la rive droite Crouzilles, le ProfondFossé, la Roche-Ramé, les Aubuis, la Rabaudière ; audessous de Sainte-Maure, Draché, Beauvais, Parigny, la Berangeraie, la Ramelière, la Giraudière ; aux alentours de Loches, le Châtellier, les Bournais, Montelais, la RocheNason, Ciran, Bassée, Vauchinard, Montaugon, Fromentan, Bigorne, Perusson, Chédigny et des revenus fonciers à Loches, Beaulieu, Ferrières-Larçon, Saint-Flovier et Von. Sur quelques-uns de ces fiefs se dressaient des manoirs et des forteresses, notamment à la Mothe, la Tour Saint-Gelin, la Roche-Ramé, la Roche-Nason, Beauvais, Parigny ; et selon l'habitude de la famille, des métairies avaient été créées, sur quelques autres de ces fiefs qui avaient reçu le nom de leur fondateur, la Jaille, en la commune de Loches, aujourd'hui Montains et un peu au sud de Loches, la Jaille en Saint-Sénoch, la Jaille, commune de Trogues, par celles du domaine du Profond-Fossé, la Jaille sur la Vienne en Pouzay, en aval de Nouâtre, c'est-à-dire du château de la Mothe-Yvon. Les la Jaille de cette branche n'étaient pas moins riches que leurs parents angevins. Leur maison de Nouâtre, leur prééminence à Marcilly et la forteresse de la Mothe occupée par eux de l'autre côté de la Vienne, non moins que celle de Beauvais à Draché, les faisaient premiers vassaux de Sainte-Maure possédé tour à tour par les Craon, les Marck, La Rochefoucauld, Rohan. A Faye-la-Vineuse, ils suivaient la bannière des Bueil possesseurs aussi de Marmande, château dont les ruines colossales attestent l'ancienne prédominance dans la contrée.


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La plus grande partie de cette fortune territoriale à laquelle s'ajoutaient les possessions loudunoi ses de moindre importance, la seigneurie des Roches avec dépendances à Challais, Arçay, Claussay et la métairie des Bournais venait de passer, nous l'avons vu, aux mains de Madame de Crevant : elle détenait les Roches, la Mothe, Draché, Beauvais, Parigny, Crouzilles, la Roche-Ramé, les Aubuis et plusieurs métairies voisines de Sainte-Maure avaient été dévolues à Aimar de la Jaille, dont nous parlerons plus loin ; les terres voisines de Loches étaient passées aux de Betz et aux Souvestre héritiers d'Hector de la Jaille et de Mathurin de Beauregard, son petit-fils. Par suite de dépenses que l'on soupçonne sans en trouver l'indice certain, le châtellier et ses dépendances en Varennes, en Saint-Sénoch avaient été vendus, ainsi que la Fuye-de-Nancré, sous Marmande et quelques autres bribes de ce vaste héritage.

Le temps était venu où les dépenses de nos gentilshommes à la cour, aux armées, ou dans leurs manoirs reconstruits, meublés avec plus de luxe, ouverts à leur voisinage, n'étaient plus en rapport avec le rendement des terres ; l'argent était avili, le commerce inaccessible, la culture négligée, les rentrées incomplètes, la vie difficile, on mangeait le capital en le grevant de rentes foncières, c'est-àdire hypothécaires. Les frères de Madame de Crevant ne possédèrent que la Tour Saint-Gelin et la Petite-Jaille, part d'aîné, Marcilly et le Breuil pour le cadet. Cette situation réduite laissa la famille dans le malaise et l'insuffisance. Nous verrons les descendants d'Yvon et de Jean se débattre sous l'auréole d'un nom illustre, contre les étreintes de la gêne et les coups de la mauvaise fortune. D'ailleurs la plus grande partie de la noblesse de province subissait cette crise à l'époque d'une renaissance qui n'était pas la sienne.

V. — GILLES de la Jaille, seigneur de la Petite-Jaille et la Tour Saint-Gelin, comme fils aîné et héritier de Simon I,


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portait aussi le titre de seigneur des Roches, bien que ce domaine appartînt à sa tante Catherine, d'où l'on conclut à l'existence de certaines contestations entr'eux. Il rendit aveu au roi, de ses biens loudunois en 1524 (1). Quelques années auparavant, le même aveu avait été rendu par Pierre de la Jaille, frère puîné de Gilles, dont celui-ci venait donc d'hériter (2). La Petite-Jaille en Sammarcolle, objet principal de ces déclarations, était alors.une « maison et métairie noble appelée la Jaille, comprenant labourage à six boeufs ». Elle produisait 105 livres de rente ; elle était louée à un fermier nommé Thibaut Clément, domicilié à Loudun (3).

Gilles, majeur en 1511, puisqu'il soutenait alors un procès au Parlement contre Aimery du Bois « écuyer de Touraine » (4) vivait encore en 1540, date à laquelle, au château de Saumur, devant le sénéchal d'Anjou, fut produite « la déclaration des fiefs et seigneuries que noble homme Gilles de la Jaille, escuier, seigneur de là Tour Saint-Gelin, tient noblement.... ; et premièrement son hostel noble du dict lieu de la Tour et appartenances d'iceluy, qu'il tient à foy et hommage-lige de la seigneurie de Faye-la-Vineuse, à trente jours de garde au chastel de Faye.. . » C'est un hébergement contenant maison, cour et jardin d'un arpent, clos et verger entouré de murs de trois arpents, une métairie attenante à l'hôtel appelée les Neddes, de trente-cinq arpents et d'un revenu annuel de 40 livres tournois, 8 setiers de froment rendus à la Saint-Michel, 4 livres tournois de cens, 12 chapons de rente valant 4 sous, la dîme seigneuriale de la paroisse de la Tour sur les blés, le vin, les chanvres valant 20 livres par an ; la métairie de la Bouchardière, paroisse de la Tour, avec 50 arpents de terre mis en valeur depuis deux ans et rapportant 35 livres de reve(1)

reve(1) dép. de la Vienne, fonds des Cordeliers de Loudun.

(2) D. Béthencourt, noms féodaux.

(3) Arch. dép. de Maine-et-Loire, E 2903.

(4) Arch. nat. X/la, 4852.


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nus ; les prés de la Tour, d'un rapport de 100 sous, les bois taillis rapportant 100 sous tous les neuf ans; le fief de Norceaulx uni à l'hommage de la Tour Saint-Gelin, valant 4 livres de rentes. Les charges sont : 10 setiers de blé, 20 poules, les frais du tribunal montant à 100 sous pour le sénéchal, 60 sous pour le procureur, 40 sous pour le greffier, 30 « aux officiers tenans les assises » ; le sieur de la Tour Saint-Gelin devant en plus « quand l'arrière-ban est appelé, fournir un archer du coût de 6 livres » (1).

Il résulte donc de cette pièce que sous le règne pompeux de François Ier, un gentilhomme tourangeau devait vivre et entretenir sa famille dans un manoir assez important, avec un revenu de 200 livres environ, ce qui représente, selon la valeur de l'argent à l'époque, quatre mille francs de rente de nos jours.

Gilles de la Jaille avait une belle et facile écriture, si l'on en juge par la signature autographe, en cursive, hâtivement jetée sur la pièce dont nous venons d'exposer le détail. — On ignore le nom de sa femme ; il laissa :

1° Simon, qui suit ;

2° Madeleine, mariée à Joachim de Bazilly ; pour la doter, Gilles dut emprunter une somme d'argent garantie sur les revenus de la Tour Saint-Gelin ; il est probable que le prêteur fut cet Olivier Brossin qui se qualifiait en 1532, sans doute comme créancier privilégié, seigneur de la Tour Saint-Gelin, tandis que Gilles de la Jaille en était détenteur effectif. De plus « a esté par le dit seigneur desmembré et mis hors de son houstel et dépendances de la Tour, la maison et mestairie noble appelée la Jaille, » laquelle fut ache(4)

ache(4) dép. de Maine-et-Loire, E 2903. — La Tour Saint-Gelin parait avoir appartenu aux Savary qui ont laissé leur nom à plusieurs localités des environs : Chezilles-Savary, la métairie des Savarys, en Marcilly-sur-Vienne, etc. Elle aurait passé aux la Jaille dans la succession de dame Perrotte, que je crois fille de Jean Savary, seigneur du Plessis-Savary, Ciran, Perusson, la Roche-Nason etc., en 1380, toutes terres que les la Jaille ont possédées au XVe siècle.


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tée par le fermier Thibaut Clément, de Loudun, pour la somme de 2.500 livres, remise et versée par lui à noble homme Joachim de Razilly, gendre du vendeur (1). Après la mort de Madeleine, cette ferme de la Petite-Jaille fut reprise par retrait féodal. Simon de la Jaille, frère de Madeleine, la détenait en 1542. Elle fut après lui, acquise par Nicolas Coustureau, conseiller du roi, président de la Cour des Comptes de Bretagne qui en fit aveu à Loudun , en 1588(2).

VI. — SIMON II de la Jaille, seigneur de la Tour SaintGelin et de la Petite-Jaille, ayant succédé à son père, épousa vers 1542 Simonne de Montléon (3), fille de Louis de Montléon, seigneur de Cravant, près de l'Ile-Bouchard, et de Louise Goulard, sans dot ou à peu près, car elle était la quatrième fille de ce seigneur, doué lui-même de plus de considération que de fortune. — Simon nous est connu par les aventures tragiques que lui occasionnèrent l'honneur de lever l'enseigne de la compagnie du sire de la RocheTalbot, son arrière-cousin. Le 22 juin 1544, à Tours, il touchait 60 livres et 5 sous tournois, comme porte-drapeau de la bande commandée par René de la Jaille, général de l'arrière-ban de France et colonel d'un régiment de mille fantassins. Il touchait au même titre, à Montrichard, le 14 février 1547, 15 livres, par ordonnance de M. le bailli de Touraine (4). C'est pendant cette seconde mobilisation que, se trouvant à Poitiers il eut à se plaindre des procédés d'Hector d'Availloles, seigneur de Roncée, près l'Ile-Bouchard, commissaire des guerres du roi, et voisin de campagne avec lequel il avait eu quelques disputes de clocher.

(1) Carré de Busserolles, Dict. d'Indre-et-Loire, t. VI, p. 312.

(2) Arch. dép. de Maine-et-Loire, E 2903.

(3) Montléon, armes : de gueules au lion léopardé d'argent, armé et lampassé de gueules.

(4) Pièce originale aux mains de M. le marquis de la Jaille.


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Simon assaillit en pleine ville, ce haut fonctionnaire, et lui fit subir quelques violences. Il en résulta contre lui un procès devant la connétablie « en matière d'excès ». Une sentence rendue par cette juridiction analogue à un conseil de guerre, ordonna que le coupable fut « prins et saisy en quelque lieu, que prins et appréhendé pourra estre, même en lieu sainct, et mené es prisons de la conciergerie à Paris ». La Jaille réclama, pour son cas, le tribunal de droit commun. Une autre sentence, du 12 mai 1547, le renvoya en qualité de seigneur de la Tour Saint-Gelin, devant son juge ordinaire, celui de Faye-la-Vineuse, avec appel à Saumur, malgré la réclamation du sieur de Roncée, prétendant que « l'excès commis en sa personne luy a esté faict de guet-apens pour le deu de son estat de commissaire des guerres, et par le faict des monstres des compagnies estant en garnison au dict pays et ès environs. »

L'affaire traîna, car au temps de la convocation de l'arrière-ban du Poitou levé contre les premiers huguenots qui bouleversèrent la Saintonge et le Bordelais, en 1548, on aperçoit Simon de la Jaille derrière les barreaux de fer de la conciergerie ; il y est encore le 1er septembre de cette même année, détenu « en matière criminelle » ; et un peu plus tard c'est au château de Saumur que le connétable l'envoie purger sa condamnation pour voies de fait sur la personne du commissaire des guerres (1). Pendant que le pauvre écuyer est sous les verroux, un certain Damien et quelques escarpes ont envahi et saccagé la ferme de la Petite Jaille en Sammarcolle. La femme du prisonnier et ses jeunes enfants sans défense inspirent la pitié aux juges. Le sénéchal d'Anjou — c'était René de la Jaille de la RocheTalbot — rend le 13 octobre 1549 un arrêt par lequel « Simon de la Jaille, écuyer, seigneur de la Tour Saint-Gelin, prisonnier en la ville de Saumur, est eslargy par les mains

(1) Arch. nat., X/la, 105.


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de Jehan le Royer, sergent royal au dict lieu » (1). Mais une vengeance implacable poursuivait la Jaille, suscitée par la haine que lui portait le commissaire. Simon n'avait pas plutôt remis les pieds dans la châtellenie de Faye, qu'à la porte même de sa maison, il était assassiné par un nommé Yves Billard, sbire du sieur de Ronce. Le 23 décembre 1549, Simonne de Montléon « veuve de Simon de la Jaille, en son vivant sieur de la Tour Saint-Gelin », introduisait au Parlement une instance contre Guyonne, femme d'Yves Billard et sa complice. Celui-ci appréhendé par ordre antérieur du sénéchal d'Anjou, gisait à son tour « ès prisons de la conciergerie du Palais, à Paris » attendant de comparaître devant les juges ; mais Guyonne, femme Billard, était accusée par la veuve de Simon de la Jaille d'avoir pris part à « l'hommicide commis en la personne du dict défunt » et, depuis la prise de corps de son mari, elle et quelques autres « ses complices s'étaient retirés avec le dict commissaire, au château et maison forte d'iceluy (Roncée) où il les gardait et recelait avec une grande compagnie de gens d'armes » (2).

Les poursuites entamées devant la juridiction criminelle, du parlement de Paris, par la dame de la Jaille, au sujet de l'assassinat de son mari, devaient se prolonger durant plusieurs années avant d'aboutir à un résultat. Les meurtriers convaincus de leur crime auraient appelé d'une sentence prononcée par le sénéchal, aux termes de laquelle « pour réparation de l'hommicide et assassinat commis en la personne du dict de la Jaille » Yves Billard avait été condamné « être traîné sur une claye au cul d'ung tombereau depuis les prisons d'Angers jusques à la place des Lices, et là être rompu, brisé et mis sur la roue » après avoir subi la question extraordinaire, afin « d'estre receu par sa bouche,

(1) Arch. nat., Z/1c/8.

(2) Arch, nat., X/2'107.


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la vérité sur les fauteurs, consentants et participants avec lui au cas d'hommicide, et de l'entreprise, délibération, machination, forme et exécution d'iceluy ». La même ordonnance avait prononcé la saisie et la confiscation des biens du sieur Billard et le frappait « pour réparation civile », d'une indemnité de deux mille livres à la veuve, sur lesquelles seraient prélevées cinq cents livres pour la fondation « en l'église paroissiale de la Tour » d'une chapelle où chaque samedi serait dite une messe basse, et célébré un service solennel le jour de Saint-Barthélémy, pour l'âme du défunt. Le patronage de cette chapelle appartiendrait à perpétuité aux successeurs de Simon dans la seigneurie de la Tour de Saint-Gelin.

Un arrêt de la cour du Parlement confirma cette sentence le 6 mars 1555, et même exigea qu'Yves Billard, expiant sur le lieu même le crime qu'il avait commis, fut « pendu et estranglé près la maison de Fleuriot, à la Tour SaintGelin, lieu le plus en vue et commode » pour une exécution publique.

Sur les biens confisqués, 1600 livres furent remises à la veuve de Simon et 400 consacrées à la fondation de la chapelle et à la pose d'une plaque de marbre commémorative de l'événement (1).

Le pouillé de l'archevêché de Tours, dressé en 1648, mentionne une chapelle de Sainte-Catherine, patronne favorite des la Jaille, desservie en l'église paroissiale de la Tour; et l'aveu rendu en 1665, pour le fief seigneurial du lieu, cité au nombre des droits, le patronage de cette même chapelle instituée cent ans auparavant, sur la dépouille de Simon de la Jaille déposée en ce lieu saint.

Quant à l'assassin, le clergé de la paroisse avait voulu, par un monument durable, consacrer le souvenir de son supplice en élevant une croix sur le lieu où la sentence de

(1) Arch. nat., X/2a 120.


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mort avait été exécutée, l'aveu dont il est mention, cite « la Croix-Billard » parmi les dépendances du fief seigneurial ; elle était située à la jonction des chemins allant de Courcoué à l'Ile-Bouchard et de la Mabellière à la Tour Saint-Gelin ; c'est là que Simon de la Jaille avait été assassiné ; c'est-là que Yves Billard a expié au printemps de 1555, son crime sur le gibet.

Cette résidence de la Tour Saint-Gelin, telle que la décrivent les aveux, donne une idée intéressante de la gentilhommière de ce temps. Sur un ensemble de sept boisselées de terre entourées de vieux murs et de vieux fossés, se dressaient une grosse tour carrée très ancienne, avec portail et pont-levis, un bâtiment seigneurial à deux étages, un colombier, une écurie, un pressoir entourant, une « haute cour », puis la « Basse-Cour » dans laquelle se trouvaient d'un côté, les bâtiments d'exploitation, de l'autre, l'église dédiée à saint Gelin, avec une porte donnant de la bassecour dacs la dite église. Derrière ce logis, vingt-cinq boisselées de terre entourées de murs contenaient le jardin potager, des vignes et des prairies ; quatre arpents et demi à la suite, plantés en bois d'agrément, formaient le « parc de la Tour», longé par le chemin allant au cimetière; peu de dépendances, la métairie des Neddes et celle de la Bottraye au village de la Tour ; la haute justice, le ban des vendanges ; les dîmes d'une partie de la paroisse, le reste appartenant au curé qui en devait déclaration, et quelques vassaux dont les Beauvau, seigneurs du Rivau, étaient les mieux lotis : enfin à chaque mariage, dans la paroisse « le premier plat de potage du festin, accompagné de deux poulets rôtis » devait être déposé par le marié sur la table à manger du maître de la maison (1).

Combien de temps, en cette demeure, Simonne de Montléon resta-t-elle tutrice des « enfants mineurs d'ans du dict

(1) Carré de Busseroles. Dict. d'Indre-et-Loire, t. VI, p. 313.


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deffunct et d'elle », ayant pour curateur François du Raynier, veuf de Yolande de laJaille, cousine de Simon II ? Nous l'ignorons, Simonne était, peu après, remariée avec Pierre de Quineuf, seigneur de la Taissière ; et en 1570, Louis Brossin décédait au château de la Tour Saint-Gelin dont il était propriétaire, comme créancier ou par retrait féodal.

Les enfants de Simon II étaient : 1° Françoise, unie en 1563 à Gabriel de Beauvau, seigneur du Rivau, dont elle fut la troisième épouse; 2° Anne, mariée le 20 juillet 1566 avec Jean Poussart, seigneur du Bas-Vendré, un des principaux adeptes de la religion réformée, d'après Haag.

X

RAMEAU DE LA ROCHE-RAMÉ

I. — JEAN IV de la Jaille, seigneur de la Roche-Ramé et des Aubuis, en Maillé-Lallier (1), des Bérangerais et du Clos, en Marcilly, de Crouzilles, près l'Ile-Bouchard, troisième fils de Pierre III et de Jeanne du Tilleul, fit aveu de ses terres en 1430, à Nouâtre, puis de nouveau en 1472, au même fief (2). Vassal d'Aimar de La Rochefoucauld, seigneur de Sainte-Maure, et peut-être officier à son service, il fut appelé à figurer, en 1440, comme témoin de la vente des terres de Pressigny et de Ferrières-Larçon, cédées à Bertrand de Beauvau, par Françoise de La Rochefoucauld, soeur d'Aimar ; il se trouvait là, d'ailleurs, sur le terrain des possessions de ses frères. Plus tard, il devint lieutenant du gouverneur de Saumur ; en cette qualité, il rendit aveu au

(1) Maillé-Argsnson, rive droite de la Vienne, com. de Sainte-Maure, arrond. de Chinon, Indre-et-Loire.

(2) Carré de Busseroles. Dict. d'Indre-et-Loire, t. V, p. 390.


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château l'an 1469, de terrains situés sous les murs de cette ville, provenant de la dot de sa femme.

Celle-ci s'appelait Antoinette Ribolite ; la longévité de ce personnage vivant en 1472, n'a rien d'étonnant si on la compare à celle de son frère Hector. Celui-ci dans un testament daté de 1480, qualifie de neveu (nepos), Aimar fils de Jean, ce qui maintint les deux frères sur le même échelon.

Il engendra :

1° Aimar, qui suit ;

2° Jean, seigneur du Clos, porté sur la liste des gentilshommes qui comparurent aux montres de l'arrière-ban, à Chinon, en 1490 ;

3° et 4° Jeanne et Perrine, d'après l'Hermite-Souliers.

II — AIMAR de la Jaille, seigneur de la Roche-Ramé, les Aubuis, la Bérangerie, la Bournelière, les Rabaudière et Parigny, dont le prénom rappelle celui d'Aimar de La Rochefoucauld, qu'il dut avoir pour parrain, et dont il fut un des principaux fonctionnaires à Nouâtre, est déclaré neveu d'Hector, dans le testament de celui-ci. Hector avait assuré à Aimar, au moment de son mariage, une partie de sa succession. Il le déshérita en 1480, au profit de Madame de Betz, Catherine de la Jaille, sa parente au même degré (1), par la suite, Aimar témoigna des sentiments hostiles aux aînés de sa branche, en se tournant du côté de Madame de Crevant dont il fut le commensal à la Mothe-Yvon. C'est lui qui, d'accord avec sa cousine concourut à la réédification de l'église paroissiale de Marcilly dédiée à saint Biaise, relevée au commencement du XVIe siècle, par les la Jaille de cette branche, sur les restes d'un vieux monument religieux du onzième. Sur la clef de voûte du portail de cette église furent sculptées les armoiries d'Aimar reconnaissables à la brisure d'un petit

(1) D. Housseau, t. IX, n° 4069.


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écu de gueules à fasce d'or qu'il portait au Chef de l'écu fuselé, accolées à celles des Crevant, écartelé d'argent et d'azur; et le même écu d'Aimar de la Jaille, seul, apparaît sur le sommet de la voûte surplombant l'autel. Un autre blason écartelé d'une bande fuselée avec un petit écu en chef, à gauche, qui est la Jaille de la Roche-Ramé et d'un lion armé et lampassé de sable, qui est la Touche d'Avrigny, fut placé ensuite au dessus d'une chapelle latérale, en souvenir du mariage d'Aimar (1).

Ce seigneur, qui occupe une place de choix dans l'histoire de la Touraine, se trouvait depuis 1478, date probable de la mort de son père, dans l'indivision avec son cousin Pierre, seigneur de la Mothe-Yvon, touchant quelques biens de la succession du Tilleul. L'aveu rendu alors par les héritiers de Madame de la Trémoïlle, pour l'Isle-Bouchard, énonce « Pierre de la Jaille et Aymar de la Jaille, hommage simple, un roussin de service et 50 sous aux aides à cause de la seigneurie de Crouzilles, vallant environ 60 livres de rente», et plus loin « le sieur de la Jaille, hommage lige à cause de son fief de Montalays vallant xx livres » (2). Par suite d'un arrangement survenu, en 1483, Aimar resta définitivement possesseur de ces deux fiefs riverains de la basse Vienne. Vers la même époque, on le voit porter à Nouâtre l'aveu de ses terres de la Bonnelière, la Rabaudière, etc; En 1490, il était présent aux revues de la Noblesse de Touraine à Chinon (3).

Aimar que des relations très amicales et peut-être quelque lien de parenté unissait aux La Rochefoucauld successeurs de la Maison de Craon, à Ste-Maure et à Nouâtre, était sénéchal et gouverneur de cette ville et de ce château très

(1) Carré de Busseroles. Dict, d'Indre-et-Loire, t. IV, p. 169 et D. Housseau, t. XIII.

(2) Carré de Busseroles. Dict. d'Indre-et-Loire, t. III, p. 367.

(3) D. Housseau, t. XII/2, n° 7053.


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important alors. Il y avait vu Jean du Fou, bailli de Touraine, épouser Jeanne de la Rochefoucauld ; il accompagnait Jean du Fou dans l'inspection des Montres (1). En 1492 Aimar de la Jaille avait été appelé à assister, comme témoin, au mariage de Louis de Rohan, seigneur de Guémenée, avec Renée du Fou, dame de Sainte-Maure, et la confiance qu'il inspirait à cette maison, le fit choisir, en 1498, comme curateur de la tutelle de Françoise de la Rochefoucauld, soeur utérine de Renée du Fou (2) ; enfin, le 17 novembre 1511, il apposa sa signature au contrat de mariage de Louis de Rohan, gouverneur de Touraine, seigneur de Montbason, Sainte-Maure et Nouâtre, comme héritier de Renée du Fou, mère, avec Marie de Rohan. — Renée du Fou, veuve en 1498, avait épousé en secondes noces Guillaume de la Marck, fils du sanglier des Ardennes. Au nom de ce personnage, Aimar de la Jaille, sénéchal de Nouâtre, recevait les aveux des vassaux du fief. Le 21 avril 1505, « ayant pouvoir de haut et puissant seigneur Guillaume de la Marck et de noble et puissante dame Renée du Fou, femme et épouse du dit Seigneur » Aimar enregistrait l'aveu de François Gueffaut, pour les terres de la Bellelière, les Airaudières et Argenson (3) ; ce nom, bien petit encore, devait s'enfler comme un ballon aux siècles suivants. Aimar endossait et signait ces pièces, et les recouvrait de son écu portant la bande fuselée avec en chef à senestre un petit écusson chargé d'une fasce et en pointe une étoile. Lui-même rendait, en 1510, à sa cousine Catherine, dame de la Mothe, le service d'accomplir en son nom, les formalités d'hommage et rapports dus à la Châtellenie. Marié à Catherine de la Touche (4), il en eut : 1° Charles, seigneur des Aubuis, l'un des 70 hommes

(1) D. Housseau, t. XII/2, n°s 7055 et suivants.

(2) D. Housseau, t. X1I/2, nos 6872 et 7070.

(3) D. Housseau, t. XII, n° 4917.

(4) La Touche d'Avrigny, armes : d'or au lion de sable armé, lampassé et couronné de gueules,


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d'armes commandés, en Italie, par le sire de la Trémoïlle, en 1524, qui combattirent à Pavie, sous la conduite de Claude d'Étampes, lieutenant de la compagnie (1). Arrivée de Milan, peu de temps avant la bataille, cette compagnie fit partie de la chevalerie d'élite entourant le roi, qui se fit décimer pour le défendre. Charles de la Jaille trouva la mort à cette place d'honneur, auprès de Louis de la Trémoïlle, son capitaine — 24 février 1525.

2° Françoise, mariée avec François d'Allemagne, capitaine de couleuvriers à main. Devenus propriétaires de la Roche-Ramé, ils firent construire en 1526 dans ce château, une chapelle dédiée à « Madame Sainte-Barbe vierge et martyre », selon que, « l'intention de feus nobles personnes Erriar de la Jaille et demoiselle Catherine de la Touche, père et mère de la dite Françoise estoit de fonder et de doter perpétuellement la dite chapelle et icelle faire édiffier et bâtir en l'houstel noble et maison forte de la RocheRamé, situé en la paroisse de Maillé, chastellenie de Noastre, diocèse de Tours, pour en icelle faire dire et célébrer une messe par chascun jour de l'an et après leur trespas ; aussi feu messire Charles de la Jaille, chevalier leur fils et frère de la dite damoiselle Françoise de la Jaille avait fait dire la dite messe tous les jours, jusques à son décès et trespas qui fut l'an mil cinq cent vingt et quatre (2) au pays de Lombardie, aux armées du roy, lequel serait allé de vie à trespas sans hoirs procréés de sa chair auxquels a succédé la dite damoiselle Françoise de la Jaille, femme du dit François d'Alemaigne ». Cette fondation à quatre chapelains appointés de cent sous chacun par an, était dotée sur la ferme des Aubuis et sur les dîmes des Bournais et de Loches, rapportant 30 livres, la dîme de Bourniers, paroisse de Sainte-Maure, 25 livres ; les revenus des

(1) Clairambault, titres scellés, vol. 107, fol. 8387.

(2) L'année commençait à Pâques,. En février, 1524 n'était pas révolu.


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fiefs des Trois-Frères et Lambaud en Pouzay, 10 livres, 45 sous de rentes dûs par le sieur des Roziers, à Pouzay, 12 sous de rentes dûs par un autre petit vassal. Pour 4 livres prélevées sur ces sommes, le curé de Maillé et ses vicaires sous le bon agrément de l'archevêque de Tours, devaient venir chaque année au château de la Roche, célébrer par matines, grand'messe chantée et vêpres, la fête de SainteBarbe, avec les quatre chapelains, et chanter dans son église un libéra à l'anniversaire du décès des fondateurs (1). Il reçut en don de ceux-ci le 27 juin 1527 «un calice d'argent, des livres, deux cierges pesant chacun une livre et une torche pour la levation du corps de Jésus-Christ » (2). Françoise de la Jaille en plus de la Roche-Ramé et des biens désignés dans cette fondation, possédait Chasseigne près Marmande, Croizilles et Montalais, près l'Ile-Bouchard, la Vallière-en-Courcoué, la Bonnelière près Nouâtre, la Giraudière en Marçay-sur-Esves. Comme elle mourut sans hoirs, la plus grande partie de ses biens fit retour vers 1550 à René de la Jaille, seigneur de Marcilly, son neveu.

XI

BRANCHE DE MARCILLY

I. — RENÉ IV de la Jaille, seigneur de Marcilly (3), second fils de Pierre IV, seigneur de la Mothe-Yvon, et de Jeanne de Raillay, était, en 1473 « clerc, escollier, étudiant en l'Université de Paris » soutenant un procès au sujet de l'église de Draché, diocèse de Tours, contre François le Roy,

(1) Archives de la Vienne, D, 172.

(2) Carré de Busseroles. Dict. d'Indre-et-Loire, t. IV, p. 144.

(3) Marcilly-sur-Vienne, cant. de Sainte-Maure, arrond. de Chinon, Indre-et-Loire.


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« clerc, escollier, étudiant en l'Université d'Angers » (1). C'était le temps où tout le monde se disputait les lambeaux de ce régime féodal qui s'écroulait. Le succès de sa poursuite permit à René de la Jaille de se faire rendre le curieux devoir imposé aux nouveaux mariés de sa paroisse qui, « le lendemain de la Pentecôte, lorsqu'ils vont en procession à Noyers, sont tenus d'avoir trois esteufs neufs au lieu appelé le Cany de la justice de Nouastre, et iceux présenter, desquels je suis fondé, dit le titulaire, d'en recevoir un, et les deux autres je les fais jeter ». Les jeunes femmes, au retour de la procession lui chantaient (fleurette ?) à la grosse borne du cimetière de Maillé. Les veufs remariés devaient sauter un ruisseau à la roche appelée le Chilou, ou payer cinq sous d'amende (2).

René ne persista point dans l'état ecclésiastique. Marié vers 1478 avec une fille à de Macé André (3), seigneur de la Rivière-Marteau, il eut un fils qui suit et une fille appelée Françoise, prénom aussi cher à la famille que celui de Catherine. C'est à tort que Chérin lui donne pour femme Madeleine de Montgommery ; celle-ci fut l'épouse de René II, seigneur de la Roche-Talbot.

En 1495, après le décès de son père et celui de Simon I, son frère aîné, le sieur de Marcilly avait pris le titre de seigneur de la Mothe-Yvon, terre qu'il revendiquait dans sa part d'héritage. Les démêlés à ce sujet avec sa soeur Catherine furent tranchés à son détriment. Nous savons que madame de Crevant sut se maintenir dans ce château où elle mourut en 1528 et qu'elle transmit à ses enfants.

II. — GUILLAUME II de la Jaille, seigneur de Marcilly, le Breuil, la Garde (4), la Tour-Balan et la Fuie-de-Nancré, est

(1) Arch. nat., X 1a 4814, fol. 149 v°.

(2) Carré de Busseroles, Dictionnaire d'Indre-et-Loire, t. II, p. 477.

(3) André, armes : d'argent au chevron d'azur.

(4) La Garde, en Marcilly, provenant des Andrés, seigneur de la Rivière-Marteau.

19


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énoncé fils de René de la Jaille dans le procès-verbal de maintenue de noblesse, délivré en 1635, à Jacques de la Jaille, seigneur de Marcilly, son arrière petit-fils (1). Exclu des fiefs importants possédés par son grand'père en raison des droits de primauté de sa tante Catherine, il protestait de son mieux, mais inutilement, en se qualifiant seigneur de la Mothe-Yvon, même en 1510, date à laquelle madame de Crevant faisait personnellement aveu de cette terre, sous la protection de son cousin Aimar, sénéchal de Nouâtre.

Guillaume se contentait de la seigneurie paroissiale de Marcilly, avec un hébergement au bourg, la métairie du Marais, les Vergers, la Garde relevant de Douce (2), ce qui n'était qu'un maigre héritage ; mais il entra en possession de terres de la Fuie-de-Nancré et de Breuil par suite de circonstances qui améliorèrent sa position.

La Fuie-de-Nancré (3), hébergement et dépendances situés dans le voisinage du château de Marmande et qu'on dit avoir fait partie des biens de la maison de la Jaille dès le XIVe siècle (4), et la ferme du Breuil, paroisse d'Antogny, voisine du château de Mondon, près Nancré, avaient été aliénés moyennant une rente de trois cents sous dont Guillaume de la Jaille fit réclamer le montant aux détenteurs, Jean Turguet, dit Villain, et Françoise Nyprée, sa femme en 1497. Guillemot, huissier à Châtellerault apporta, pour toute réponse « qu'ils n'avaient pour lors de quoy payer ». Il fit saisir. Les arriérés non payés montaient à 96 livres, que la vente du mobilier et du bétail ne parvint pas à couvrir. Les deux terres furent offertes à la criée, sous la halle de Châtellerault, un jour de marché par le hucheur Dosine. Per(1)

Per(1) Housseau, t. XII, n° 6379.

(2) Douce, com. de Rilly, cant. de l'Ile-Bouchard, arrond. de Chinon, Indre-et-Loire.

(3) Nancré, com. de Marigny-Marmande, cant. de Richelieu, arrond. de Chinon.

(4) Carré de Busseroles, Dictionnaire d'Indre-et-Loire, t. III, p. 329.


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sonne ne s'étant porté acquéreur, la Fuie et le Breuil furent adjugés à Guillaume (1). La Fuie-de-Nancré, dont la composition et le revenu ne nous sont pas connus, relevait de la Tour-Balan, fief proche à foi et hommage-lige, une paire de gants blancs et vingt sous aux loyaux aides, ce qui révèle un ancien fief de chevalerie. Guillaume de la Jaille racheta peu après la Tour-Balan (2) dont le terrier de Châtellerault le porte seigneur haut justicier en 1505. Il scellait l'aveu qu'il en fit d'un cachet-portant d'argent à la bande fuselée de gueules (3). Quant au Breuil, c'était une simple métairie avec un droit de justice foncière, ayant maison de fermier et basse-cour, verger, clos de vignes, sur le chemin de Marmande à Nancré, très près de la Fuie, dans un de ces vallons, ombragés des futaies de la forêt de Naye, dont les sources se déversent en ruisseaux dans la Vienne. Les dépendances se montaient en cinq septiers de terres labourables, trentedeux boscellées de vignes et de bois joignant le bois de Mondon (4). Guillaume de la Jaille avait épousé, en 1499, Yolande de la Barre (5), fille de Guy de la Barre et de Yolande de Rohan. Veuve, elle fit aveu du Breuil à Guy le Roy, seigneur du Chillou et de Mondon, le 26 juillet 1515 (6). Leurs enfants furent :

1° René, qui suit ;

2° François, qui vient après ;

3° Jean, prieur de Saint-Jacques la Lande, dépendance de Bois-Aubry, clans la paroisse de Neuilly, près la HayeDescartes, qui fit aveu de ce fief ecclésiastique au château de Neuilly-le-Noble, en 1540 ;

(1) Procès-verbal original aux mains de M. le marquis de la Jaille.

(2) La Tour-Balan, com. et cant. de Leigné-s-Usseau, arrond. de Châtellerault, Vienne.

(3) Hist. du Châtetraudais, par l'abbé Lalanne, t. I, p. 364.

(4) Procès-verbal aux mains du Mis de la Jaille.

(5) La Barre, armes : d'argent à trois lions de sable armés, lampassés et couronnés d'or.

(6) Carré de Busseroles. Dict. d'Indre-et-Loire, t. III, p. 323.


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4° Catherine, unie à Jean du Rivau, seigneur de VilliersBoivin ;

5° Françoise, mariée avec : 1° Pierre Gibier, seigneur du Passant ; 2° René de Chergé, seigneur de Ruault-Persil.

III. — RENÉ V de la Jaille, seigneur de Marcilly, de Touchaut (1) et du Breuil, né vers 1500, se trouvait en 1515, sous la tutelle de sa mère avouant pour lui, les terres de la succession paternelle ; la parenté, de celle-ci avec les Rohan, ouvrit à ses fils un accès auprès de ces puissants seigneurs'. René de la Jaille fut toute sa vie gentilhomme d'épée de Louis de Rohan, comte de Montbazon, seigneur de SainteMaure et de Nouâtre. Il avait auprès du comte, en 1540, « bouche à cour, deux chevaux à livrée et pour son estat cent livres » (2). Vivant à la suite de Louis de Rohan, au château de Nouâtre, des émoluments de sa charge et du maigre revenu de ses terres, il vit, sur le tard de sa vie, venir à lui la fortune : il hérita peu avant 1550, de sa cousine Françoise de la Jaille, veuve d'Allemagne, morte sans hoirs, les beaux domaines de la Roche-Ramé, Parignyle-Poitevin, les Bournais, Chasseigne, la Vallière, Montelais et Crouzillles, dont il fit aveu entre 1551 et 1557. Il reçut à son tour quelques aveux dont voici un modèle : « De vous, René de la Jaille, écuier, seigneur de la Roche-Ramé, je Jehanne de Faye, damoiselle, veufve de deffunct noble homme Morice de Baigneulx, écuier, luy vivant seigneur de Launais, tiens et advoue tenir à cause et pour raison de vostre maison noble et seigneurie de la Roche-Ramé, au debvoir de six deniers tournois de franc debvoir rendu en vostre houstel de la Roche-Ramé, par chascun an, au jour et teste Saint-Michel, c'est à savoir les fief, terre et seigneurie des Civils de Mons, droit de justice et juridiction, vente,

(1) Touchaut et non Trouchay (Beauchet-Filleau), t. I, p. 563, com. de Leigné, près Châtellerault.

(2) Hist. de Bretagne, par D. Morice, preuves, t. III, col. 1039.


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cens, rentes et debvoir à moy dus par mes hommes et subjects. Le 14 octobre 1551 (1). »

René de la Jaille avoua la Roche-Ramé, en 1557, à Louis de Rohan, prince de Guémenée. Cetait. « un houstel construit et basti à tours barbacanes et machicoulés, en forme de chastel et forteresse » ; et, la même année, 19 mars, il fit un partage avec René de. La Rochefoucauld, seigneur de Neuilly-le-Noble, mari de Françoise de Chergé, qui était fille de René de Chergé et de.Françoise de la Jaille, soeur de René (2). Il mourut l'année 1560, laissant de Jeanne de la Bodinière (3), deux filles :

1° Yolande, unie à François du Raynier, dans la paroisse de Verneuil-le-Château (4), dont le fils Dominique possédait la Roche-Ramé, en 1600. Par lettre enregistrée, Jean de. Daillon, comte du Lude et seigneur de Rillé, abandonnait, en 1561, à titre gracieux, les droits de rachat dus pour la seigneurie de Bray (5), échue à Françoise du Raynier, par suite de son mariage avec Yolande de la Jaille (6) ;

2° Marguerite mariée par contrat du 17 juillet 1553, passé à Chinon, avec Etienne de Marçay, seigneur du dit lieu, l'un des cent gentilshommes, de la maison du roi, qui promit en douaire à sa femme la terre de la Griffonnière, à Doussay (7), en Mirebalais. Elle eut en avancement d'hoirie les métairies du Marais et du Petit Verger en Marcilly. Le mariage fut célébré dans la chapelle du château de la RocheRamé, en présence de Jacques de Brusac, seigneur de la Tour de Ry, François du Raynier, seigneur de la Tour du

(1) D. Housseau, t. XII, n° 4941.

(2) Bibl. nat., ms. latin 17129, p. 490.

(3) La Bodinière, armes : d'hermines à trois fasces de sable.

(4) Verneuil-le-Château, cant. de Richelieu, arrond. de Chinon, Indre-et-Loire.

(5) Bray, com. de Bréhémont, cant. d'Azay-le-Rideau, arrond. de Chinon, Indre-et-Loire.

(6) Arch. dép. d'Indre-et-Loire, B 21 ; E 318.

(7) Doussay, cant. de Lencloitre, arrond. de Châtellerault, Vienne.


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Raynier, R. P. Jean de la Jaille, prieur de la Lande, Denis de Brusac, seigneur des Chaumelles (1). Madame de Marsay mourut l'année suivante.

Au temps ou ces événements s'accomplissaient, la Touraine était agitée par les troubles suscités pour et contre les disciples de Calvin. Les Huguenots s'assemblaient en armes, parcouraient le pays, excitant les catholiques ou papistes à entrer en lutte, malgré les édits royaux interdisant toute « réunion illicite ». Dans la contrée habitée par les la Jaille, l'agitation était très violente, elle occasionnait des rixes, des meurtres, des incendies et toute espèce d'excès. Un arrêt du grand conseil, prononcé le 23 janvier 1555, à Blois, déférait à la justice criminelle Robert de la Garde, Jean Germeau et complices, retenus aux prisons de Tours pour homicide commis « en la personne de feu Jehan de Laulnays ». Un supplément d'enquête impliqua dans l'accusation René de la Jaille, sieur de la Roche-Ramé, François du Reynier, son gendre, René de Bernezay, le cadet de Brou et un prêtre appelé Anthoine Cothereau, surpris « avec port d'armes en assemblées illicites » et qui pour leur défense adressèrent « certaines remonstrances » ou exceptions heureusement admises par le conseiller Nicolas Duval, sieur du Ménil, dont le rapport favorable sauva leurs têtes (2). On les retrouve libres et agissants ès-années 1558, 60, et jusqu'en 1566, date à laquelle François du Raynier mariait, en plein monde calviniste, sa pupille Anne de la Jaille, fille de Simon, sieur de la Tour Saint-Gelin.

IV. — FRANÇOIS IV de la Jaille, seigneur de la Garde en Marcilly et des Bellonnières en Bertegon (3), près Faye-laVineuse, second fils de Guillaume II et de Yolande de la Barre, fut, comme son frère aîné, gentilhomme d'épée du

(1) Bibl. nat., ms. lat. 17147, pp. 18 et suivantes.

(2) Arch. nat. V/5, 1224, fol. 52-53.

(3) Bertegon, cant. de Mont-sur-Guesnes, arrond. de Loudun, Vienne.


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comte de Montbason ayant « deux chevaux à livrée, bouche à cour et pour son estat deux cents livres » (1). Epoux en 1530, de Charlotte de Saint-Jouin (2), issue d'une antique famille autocthone, il posséda, du chef de sa femme, cet hébergement des Bellonnières, dont il prit le titre et fit sa résidence. Il laissa trois fils, dont nous parlerons successivement, mais que nous présenterons d'abord en bloc, agissant dans leur intérêt commun.

Leur père mort, ils avaient vécu sous la tutelle et la garde de leur oncle René, à la Roche-Ramé, recevant de celui-ci, par annuités, les revenus demeurés indivis de certains biens provenant de leur aïeul ; cela produisait 175 livres à partager en trois. Après le décès de l'oncle (1560) deux années s'écoulèrent sans que les trois frères aient reçu la moindre distribution. Ils menacèrent d'un procès leur cousin, François du Raynier, gendre de René de la Jaille, héritier pour ses enfants de la Roche-Ramé et autres biens considérables, dont la possession n'était pas sans vexer les frères de la Jaille petitement partagés. Mais à la prière de « plusieurs gentilshommes leurs parents et amis pour ce assemblés en conseil », ils consentirent à passer un accord à Loudun, aux termes duquel François du Raynier, « représentant l'aîné de la maison en chascune des choses et succession », attribua aux frères la Jaille la maison de Marcilly et dépendances avec les domaines de Touchaut et de Breuil, en la châtellenie de Faye-la-Vineuse, ainsi que Guillaume de la Jaille et René, son fils aîné, en avaient joui de leur vivant, avec un bois de haute futaie dans la paroisse de Mondion (3), appelé le bois de la Chassagne, que Yolande de la Barre avait, en son veuvage, acquis du seigneur de Mausson, possesseur de la terre voisine de Chanteloup. Le

(1) Hist. de Bretagne, par D. Morice, preuves, t. III, col. 1039.

(2) Saint-Jouin, armes : de gueules au lion d'argent.

(3) Mondion, cant. de Leigné-sur-Usseau, arrond. de Châtellerault, Vienne.


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restant de la succession, ainsi que la métairie de la Vallière, en Courcoué, provenant de Françoise de la Jaille, veuve d'Allemagne, resterait aux du Raynier. Huit cents livres furent offertes et acceptées pour les revenus restés en souffrances depuis trois ans et plus (1). Les cousins se reconcilièrent en présence d'Arthur de Saubuie, Jacques Davy, Jean Tiercelin, Pierre et Jean de Vaucelles, Jean de Mesme, Etienne Chauvet. Dix ans plus tard, un autre arrangement, passé à Faye-la-Vineuse, entre les frères de la Jaille, compléta l'acte de Loudun par une répartition équitable de la succession de l'aïeul. L'aîné et le dernier qui avaient puisé dans la bourse de leur frère et reçu de lui des avances de fonds, le dédommagèrent en lui abandonnant en totalité le Breuil et Touchant et celui-ci lui remit encore sept cents livres en échange de la métairie de la Guillanchère, au bourg de Bertigon (2), dont il entra en jouissance en 1573 (3). Voici les noms des trois fils de François de la Jaille :

1° Claude, qui suit ;

2° René, qui vient après ;

3° Mathurin, auteur des seigneurs du Thou et de Molante (branche existante).

V. — CLAUDE II de la Jaille, seigneur des Bellonnières, fils aîné de François IV, né vers 1540, épousa, en 1587, Claire d'Averton (4), laquelle devenue veuve en 1613, obtint de ses neveux l'autorisation de résider aux Bellonnières jusqu'à sa mort (5). Claude de la Jaille (6) (et non du Chilleau),

(1) Pièce originale aux mains de M. le marquis de la Jaille.

(2) Bertigon, canton de Mont-sur-Guesnes, arr. de Loudun (Vienne).

(3) Papiers personnels aux mains du Mis de la Jaille.

(4) Averton, armes : d'azur au sautoir d'argent accompagné de quatre molettes d'or.

(5) Papiers de famille.

(6) Dictionnaire des familles du Poitou, par Beauchet-Filleau, t. I, p. 201.


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gentilhomme d'honneur de la reine Catherine de Médicis, ne laissa pas d'enfants et sa succession passa à ses neveux.

VI. — RENÉ VI de la Jaille, seigneur de Touchaut et du Breuil, deuxième fils de François IV, connu en 1562 et 1573, était en 1581 redevable envers la seigneurie de Brisay, entre Mirebeau et Faye, d'une rente de dix-huit boisseaux de froment et six chapons « pour raison d'une maison, cour et jardin assise à Bertegon, située sur le chemin allant de l'église du dit Bertegon, à Loudun (1) ». C'est la Guillanchère citée plus haut, servant alors de résidence à René de la Jaille, qui épousa dans le voisinage, vers 1570, Renée dela Béraudière (2), fille de Philippe, seigneur de Monts, et de Françoise de Vivonne. Il en eut :

1° François, qui suit ;

2° Claude, seigneur de la Loge, près Faye, qui soutint, en 1618, une instance au plaid de Faye-la-Vineuse, avec Jacques Bonin, Jacques de Chergé Geoffroy Beaufils, René de l'Estang (3). Il était gouverneur de Saint-Martin de Retz. Sa femme Catherine de l'Estang (4) lui donna Armand, tué au service ; Claude, prêtre de Saint-Sulpice, à Paris, curé de Sainte-Croix, à Nantes ; René, chevalier de Malte, tué en Turquie, dont le procès-verbal de réception dans l'ordre porte la date 1599.

VII. — FRANÇOIS V de la Jaille, seigneur du Breuil, Touchaut, les Bellonnières, né en 1572, épousa en 1590 Renée Marck ou Marque (5), avec laquelle il conclut quelques affaires de famille. Le 30 janvier 1624, à Yseures, tous

(1) Arch. du château de Brisay, vol. fat., p. 87.

(2) La. Béraudière, armes : écartelé d'or à l'aigle à deux têtes de gueules couronnées de sinople et d'azur, à la croix d'argent alaisée et fourchée de trois pointés.

(3) Arch. dép. d'Indre-et-Loire, papiers de greffe.

(4) De l'Étang, armes : d'argent à 7 fusées de gueules placées 4 et 3.

(5) Marque, armes : de gueules au lion d'argent.


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deux signèrent au contrat de mariage de leur neveu Jacques de la Jaille, seigneur de Marcilly (1). En 1628, à Chinon, ils achetèrent à ce dernier une partie du domaine des Bellonnières, en Bertegon (métairie avec logis à deux étages, cour, jardin, garenne, futaie, prés, vignes, labourages.) provenant de l'héritage de Claude II, passé à Mathurin, son frère, et de Mathurin à Jacques, son petit-fils. Ils payèrent cette acquisition 4,500 livres, moins 1,825 livres que, l'année précédente, à Tours, François de la Jaille et Renée Marque avaient avancées pour rembourser un emprunt fait par René de la Jaille à Antoine Grimaut, sieur de la Gallasconnière et à Françoise Macé, sa femme ; le surplus, soit 2,675 livres, devait être payé directement par les acquéreurs, à Suzanne Gaut, veuve de noble homme Etienne Pallu, échevin de Tours, qui en était créancière (2). On voit que les seigneurs de Marcilly étaient entrés dans la voie des emprunts. François IV eut un fils unique qui suit.

VIII. — CLAUDE III de la Jaille, seigneur des Bellonnières, Touchaut, le Breuil et la Fondrière, né en 1590, était le capitaine gouverneur du château de Dampierre (3) près Versailles, pour Claude de Lorraine, duc de Chevreuse, pair de France. Il y fut mêlé aux intrigues d'une politique agitée, dont la duchesse Marie de Rohan était l'âme. Elle était fille d'Hercule de Rohan, duc de Montbason, seigneur de Nouâtre. Elle avait donc des liens de parenté avec les la Jaille, qui d'ailleurs persistaient à occuper à Nouâtre l'ancienne situation à eux créée par les du Fou, les la Rochefoucauld et les Rohan. Il est évident que c'est à elle que Claude dut sa situation à Dampierre. Il y mourut en pleine fonction, le 20 février 1645, à l'âge de cinquante-cinq ans,

(1) Papiers de famille aux mains de M. le marquis de la Jaille.

(2) Papiers personnels de M. le marquis de la Jaille.

(3) Dampierre, cant. de Chevreuse, arrond. de Rambouillet, Seineet-Oise.


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et fut inhumé dans l'église paroissiale de Dampierre à laquelle il laissait « la somme de cent livres pour un obit à perpétuité au jour de son décès », ainsi qu'on lit sur son épitaphe (1). Marié à Gabrielle Bégaut (2), il laissa :

1° Claude, qui suit ;

2° René, aide de camp de Mgr le Prince de Condé, tué à Senef, en 1674 ;

3° Gabrielle, femme de François de la Grange, en 1645.

IX. — CLAUDE IV de la Jaille, seigneur des Bellonnières et de Touchaut, faisait sa résidence habituelle à Bertegon, en cet hébergement de la Guillanchère, situé au bourg, qui semble n'avoir été qu'une grosse ferme. Le personnage paraît s'être attaché à la vie étroite mais tranquille de sa province. Il fréquentait dans la maison voisine de la Tour du Bouchet, appartenant aux Brossin de Méré. En qualité de fondé de pouvoir de sa cousine Marguerite de la Rochefoucauld, arrière-petite-fille d'une la Jaille, veuve de Louis Brossin, seigneur de Méré, il assista le 3 septembre 1656, à Loudun, à la signature du contrat de mariage de Claude Brossin, sieur de la Tour du Bouchet, fils puiné de Louis et de la dite dame, avec Marie le Comte, fille de Jean le Comte, domicilié à Loudun. C'est au château de Mondion, voisin de la terre de Touchaut (3), que Claude de la Jaille connut sans doute Françoise le Simple (4), femme d'Urbain de Mondion, qu'il épousa après la mort de celui-ci, en 1659, à Chinon. Elle avait quatre enfants, mais le décès de ses frère et soeur

(1) Inscriptions de France, publiées par le Ministre de l'Intérieur, t. III, p. 392.

(2) Bégaut : de gueules à six fleurs de lys d'or posées en pal 3 et 3 au franc quartier de sable, chargé d'un lion d'or armé, lampassé et couronné de gueules.

(3) Touchaut, hameau commune de Leigné-sur-Usseau, arrond. de Châtellerault, Vienne.

(4) Le Simple, armes : d'azur au chevron d'argent fretté de gueules, accompagné de trois cors de chasse d'or liés et enguichés d'argent.


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la faisaient dame de la Cour au Berruyer, remarquable château construit sous Henri II, sur le coteau qui domine la rive gauche de la Loire, au point où l'Indre, dans la commune de Cheillé, débouche sur le fleuve. Ce domaine, jadis résidence de personnages illustres dans l'Eglise, et même béatifiés, passa par la suite aux Rochefort-Luçay, représentés de nos jours par le célèbre écrivain de la Lanterne. Claude ne laissa qu'une fille, Louise, qui fut le 21 septembre 1688, dans l'église de Bertegon, marraine d'Anne Brossin, fille de Jean Brossin et d'Anne Hincque, parrain.Alexandre Hincque, seigneur de Boissy (1). C'est par elle, que les biens de cette branche passèrent aux Goussay la Milonnière.

XII

BRANCHE DU MARCILLY-THOU

I. — MATHURIN de la Jaille, seigneur de Marcilly, de la Garde et de Thou, troisième fils de François IV et de Charlotte de Saint-Jouin, recueillit dans le partage qu'il fit avec ses frères, la succession de leur aïeul Guillaume et de leur oncle René, en 1562, le fief de Marcilly, composé d'une maison d'habitation, jardin et dépendances, situé au bourg de Marcilly-sur-Vienne, avec prééminence paroissiale et du droit de fondation héréditaire dans l'église Saint-Biaise du dit lieu, plus la Métairie du Marais, le clos du Petit-Verger, et le fief de la Garde, dans la même paroisse. Il eut aussi la maison de ville, à Nouâtre, sur la rue du port, dont Pierre de la Jaille avait, on se le rappelle, rendu aveu en 1464, laquelle semble avoir fait de tout temps partie de la seigneurie de Marcilly. Cette seigneurie, peu considérable au point de vue des revenus, avait une importance traditionCi)

traditionCi) nat., P. O, dossier bleu 139.


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nelle par suite de la suprématie honorifique attribuée à ses possesseurs, dont les armes ornaient les piliers, les voûtes, les portes et les vitraux de l'édifice religieux contenant également leur chapelle particulière et leur enfeu. — « Le caveau de la famille de la Jaille est dans celte église du côté de l'évangile ; on voit au-dessus les armes pleines de la Jaille timbrées d'un casque posé sur l'angle de l'écu penché supporté par deux anges. Le tombeau d'une dame de la Jaille est un peu reculé de la muraille ; il est élevé d'environ huit pouces, couvert d'une pièce sans inscription ; on voit seulement à l'extrémité qui fait face à la porte les armes pleines de la Jaille sans timbres ni supports (1) ».

Ayant épousé, en 1580, Françoise d'Averton (2), fille de Jean d'Averton, seigneur de Thou, en la paroisse d'Yseures,. limitrophe de la Touraine, du Berry et du Poitou, Mathurin devint possesseur du domaine de Thou, dont il fit aveu, au nom de sa femme l'an 1582, à la baronnie d'Angles. C'est donc lui qui, par suite de cette alliance amena sa famille de la Jaille dans cette contrée nouvelle où elle se développa avec une remarquable intensité. En 1613, Mathurin passait, avec sa belle-soeur- Claire d'Averton, veuve de Claude de la Jaille, un accord par lequel il lui abandonnait la jouissance dé la terre des Bellonnières, qu'avait possédée son mari, en échange des droits héritaux qu'elle avait sur le domaine de Thou, dont il resta unique propriétaire.

Thou (3), situé dans une contrée sauvage, landeuse et pittoresque, sur la déclivité sud d'un plateau relativement élevé

(1) D. Rousseau, t. XIV, p. 230. L'auteur ajoute : « l'église est située sur les bords de la Vienne, à une lieue de Moyers, presque vis-à-vis de Nouâtre ».

(2) Averton, armes : d'azur au sautoir d'argent accompagné de quatre molettes d'or.

(3) Thou, commune d'Yseures, sur la Creuse, cant. de Preuilly, arrond. de Loches, Indre-et-Loire.


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(133 mètres d'altitude) entre le versant de la Creuse et celui de son affluent la Gartemple, avait fait partie des biens de la maison du Plessis, originaire d'Angles (1), dont la branche cadette ramenée par une alliance en Chinonnais, a formé les ducs de Richelieu. Thou était resté l'unique patrimoine des aînés de cette maison, si pauvre avant son illustration, que l'un d'eux, Sauvage du Plessis, avait dû vendre cette terre en 1504, pour satisfaire ses créanciers. En 1542, Thou était aux mains de Jean d'Averton, membre de l'ancienne chevalerie, dont les services militaires remontent à 1302.

Mathurin de la Jaille, entrant à Thou, en 1580, trouva le manoir en si mauvais état, qu'il dut, pour l'habiter, le reconstruire en partie. Le.château, tel qu'il existe aujourd'hui, a l'aspect d'une construction de la fin du XVIe siècle et porte encore les traces des luttes religieuses. C'est un corps de logis très ample, irrégulièrement percé d'ouvertures dont la principale, éclairant la grande salle offre un encadrement d'une exécution finie, à moulures sculptées, avec croisillons de pierre, propre au style de la renaissance, paraissant remonter à une date antérieure à l'époque caractérisée par le reste du bâtiment ; du même temps serait la tour ronde à l'extrémité du logis, servant d'escalier ; cette travée de bâtisse manifestement gothique, constitue la partie primitive du manoir (XVe siècle) dont le sommet a été démantelé et abaissé sous toiture de près de deux mètres. Trois pavillons carrés de dimension étroite, un à chaque bout du logis et un autre derrière, révèlent l'oeuvre postérieure attribuée à Mathurin de la Jaille : sur la façade, sur la tour ronde et sur les pavillons, sont percées des meurtrières. L'épaisseur des murs, la rareté des fenêtres, ces meurtrières placées aux endroits d'où l'on peut découvrir le plus aisément la campagne, trahissent, chez les construc(1)

construc(1) commune de Saint-Savin, arrond. de Montmorillon, Vienne.


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teurs ou les réparateurs du manoir, la préoccupation de mettre les habitants de cette demeure en mesure de se défendre contre une attaque imprévue, ou de soutenir un siège, soins qui ne furent pas inutiles comme l'atteste l'empreinte des balles que l'on remarque encore çà et là dans le tuffeau des bâtiments.

Un portail, flanqué d'une tourelle en échauguette protégée par une meurtrière, dans un angle rentrant du château, donne accès à la cour close où s'ouvre la demeure ; à droite de ce portai] se dresse une chapelle dont la construction n'est pas antérieure à la fin du XVIe siècle : c'est un lourd édifice carré, surmonté d'un toit à quatre pans égaux réunis en pointe au sommet. La façade, sans ornements, est percée d'une porte cintrée et d'une étroite fenêtre au dessus de laquelle se voient trois meurtrières. Des traces de balles, encore apparentes au dessus de l'entrée, témoignent des scènes violentes dont cette chapelle a été le théâtre, soit entre catholiques et huguenots, soit au cours d'un combat de partisans sous la Révolution. A l'extérieur, le château se profile agréablement sur la déclivité du coteau, entre des bouquets d'arbres et des brandes. Adossé de ce côté, sur un pavillon aux arêtes élégantes portant des fenêtres cintrées et des meurtrières, il présente les restes d'une lucarne ruinée, couverte d'un toit surbaissé dont l'écrasement prouve, comme les sommets tronqués de la tour ronde et de l'échauguette, une diminution de la hauteur des murs de l'édifice et un abaissement général de la toiture opéré sans doute au cours de la reconstruction.

La disposition intérieure du château de Thou, est celle de beaucoup d'habitations rurales de cette époque. La famille du fermier était logée sous le même toit que celle du maître, à qui les « chambres hautes » étaient.réservées. La partie la mieux conservée est une grande salle de huit mètres de côté, précédée d'un vestibule de même longueur. Le plafond élevé de quatre mètres, est formé de solives apparentes,


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en bois de chêne moulées et bien appareillées. Il n'y a pas de trace de peinture, mais les murs crépis à la chaux pouvaient être ornés de tapisseries. Les cheminées sont d'un style sobre, elles se dressent sur de forts piliers ronds en pierre de taille, avec socle et chapiteau unis. Toutes les pièces sont dallées. En somme, on peut conclure à l'aspect de ce qui reste de cette habitation sévère, que tout luxe était étranger aux seigneurs de Thou, mais le vaste soussol ne laisse pas douter qu'on y amassait d'abondantes provisions, ce qui rassure sur les conditions de bien-être et de sécurité des habitants du domaine (1).

II. — RENÉ VII de la Jaille, seigneur de Marcilly, la Garde, Douce, Verneuil, Artiges et Thou, né vers 1582, marié le 13 février 1600, à Tours, avec Françoise Gillier (2), fille de feu Jacques Gillier, sieur de la Forestange et de Jacquette d'Orfeuille. De leur résidence à Nouâtre, monsieur et madame de Thou avaient donné procuration de les représenter au mariage de leur fils, à Jacques d'Autivreau, seigneur de la Quantinière. L'épouse était accompagnée de Jacques de Larçay, seigneur de Bouge et de Lancillonne du Raynier, sa femme, dont elle était nièce du côté paternel, ainsi que de Gabriel de Larçay, seigneur de Montalais, leur fils, cousin germain, représentant François Gillier, seigneur de Verneuil, oncle de la mariée. Celle-ci apportait dans la communauté des sommes d'argent liquide destinées à des remplois en immeubles, sauf 450 écus qu'elle donnait à son mari. Elle était héritière présomptive de son oncle François Gillier, alors veuf sans enfants. René de la Jaille avait six cents francs de rente assurés sur la terre de Thou (3), avec

(1) Communication de M. Arnold Mascarel, propriétaire actuel de Thou.

(2) Gillier, armes : d'or au chevron d'azur accompagné de trois macles de gueules.

(3) La terre de Thou rapporte aujourd'hui 10.000 livres de revenu.


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permission d'habiter le château, ou de faire, s'il préférait, domicile commun à Nouâtre avec ses parents, défrayé par eux des dépenses de son ménage. Voilà qui révèle déjà une situation aisée. Le jeune ménage demeura d'abord à Nouâtre, car ce fut dans la maison de campagne de Marcilly qu'il traita les affaires délicates concernant la succession de François Gillier, mort en 1601. Cette succession dégagée d'un passif de 4.000 livres dues à François de Razilly, frère d'Antoinette de Razilly, première femme de François Gillier et d'un douaire assuré à Jeanne d'Artiges (1) sur la terre d'Artiges et la métairie des Rosiers, près Chauvigny, laissait à madame de Marcilly le domaine de Verneuil (2) avec son château de Grandvau, la ferme du Petit-Jaunay, la prééminence paroissiale, la cour châtelaine, sur laquelle Gabriel de Raynier, autre neveu de Gillier, et Gabriel Rellivier, au nom de sa femme Marie Gillier, autre nièce, élevèrent des prétentions qui furent apaisées par une distribution de trois cents livres, que Mathurin de la Jaille, au nom de son fils, déposa à Tours, chez le sieur de Gousillon, échevin de la ville. René et sa femme restèrent paisibles possesseurs de Verneuil, où nous retrouverons celle-ci, en son veuvage.

Le 14 août 1613, Jeanne d'Argouges, seconde femme de François Gillier, étant décédée, René de la Jaille, prit, au nom de sa femme, possession de la terre d'Artiges ; il en porta de suite l'hommage à l'évêque de Poitiers (HenriLouis Chasteignier) dont elle relevait en vassalité de la baronnie de Chauvigny ; il paya dix sous de mutation. Ce bien ne fit que passer dans ses mains. Le 6 juin 1615, étant à Tours, faubourg de Saint-Etienne, à l'hôtel Saint-Jacques, il vendit Artiges et les Rosiers à Jacques de Larçay, cousin de sa femme, pour 6,000 livres, dont 1,900 furent consacrées

(1) Artiges, com. de Chauvigny, arrond. de Montmorillon, Vienne.

(2) Verneuil-le-Château, cant. de Richelieu, arrond. de Chinon, Indre-et-Loire.

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au remboursement de rentes constituées sur ces terres, et 4,000 livres à l'acquisition de la charge de sénéchal de Nouâtre, que le titulaire, Jean Philibert, céda à René de la Jaille pour ce prix (1).

Vers le même temps décédèrent Mathurin de la Jaille et sa femme Françoise d'Averton. En prenant possession de Thou, René de la Jaille y trouva installée madame de Toladu ; c'était une fille de sa mère, née d'un premier mari, Antoinette d'Audouin, que monsieur de Marcilly avait élevée et mariée à un capitaine du régiment de Picardie. Le ménage faisait valoir ses droits de succession et réclamait le tiers de la terre de Thou, provenant des d'Averton. Antoinette forçait la note. Elle prétendait que, durant la tutelle de M. de Marcilly, second mari de sa mère, « de grandes démolitions et ruines de maison » se seraient produites à son détriment, ce qui laisse entrevoir à Thou quelques désastres accomplis au cours de guerres civiles et religieuses qui se prolongèrent de 1570 à 1620. Aussi trouverait-on, dans la plainte d'Antoinette, l'explication de cette reconstruction bien apparente, correspondant à cette époque, et justement attribuée à Mathurin de la Jaille. René de son côté; en invoquait la dépense pour déclarer hautement que « la maison noble de Thou » lui appartenait en entier et que les droits de sa soeur ne pouvaient s'exercer que sur les meubles. Il retrouva dans les papiers de son père une quittance datée de 1590, signée par Toladu et Antoinette, par laquelle était accepté le compte de tutelle. Une somme de trois mille francs promise à Antoinette, dans son contrat de mariage, n'avait pas été payée, mais René prétendait la retenir pour les frais d'entretien et d'éducation de sa soeur. Bertrand de Toladu, rond comme

(1) Papiers de famille. — Sous cette rubrique, j'indique le produit d'une grosse valise de laquelle sont sortis tous les enseignements utiles à la reconstruction de cette généalogie pendant trois siècles. Elle est entre les mains de M. le marquis de la Jaille.


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son baudrier, préféra entente à procès. Il accepta six mille francs, payables en un an, jusque-là hypothéqués sur la totalité des biens de son beau-frère, en échange de l'abandon fait par Antoinette, de ses prétentions sur Thou. C'est alors que pour s'acquitter envers sa soeur, la Jaille que retenait un bien plus puissant à Nouâtre, voulut vendre Thou. Il en proposa l'acquisition à Jacques de Larçay qui consentit à passer un acte, puis renonça. Thou demeura dans la famille, mais le fief de la Garde, en Marcilly, dont René de la Jaille, avait fait aveu en 1607, fut cédé à Jean d'Armagnac, seigneur de la Mothe-Yvon, qui en passa déclaration en 1628 (1). Cette vente ne suffit pas. René de la Jaille dut emprunter 1850 livres, en 1619, à Antoine Grimaut, sieur de la Gallasconnière, à qui Françoise Gillier, poursuivie en justice par ce créancier de son mari défunt, sera condamnée en 1625, à restituer pareille somme. François de la Jaille, sieur des Bellonnières, voudra bien la lui avancer, sur une quittance délivrée à Tours en 1627. René VII était mort à Verneuil, en 1622, âgé de quarante ans. On ignore les circonstances d'une fin prématurée. Le rapprochement des dates permet de croire que René succomba à la suite des blessures reçues au siège de Montauban, car un brevet délivré par le roi Louis XIII, le 9 avril 1619, au « sieur de la Jaille, bon, loyal et expérimenté personnage » pour lever une compagnie de cent fantassins et la commander « aux guerres présentes » ne permet pas de douter de la part qu'il prit aux campagnes contre les protestants. Françoise Gillier, sa veuve, convola l'année suivante avec Roch Ysoré, de la maison de Pleumartin. Veuve à nouveau, en 1628, elle résidait en son château de Verneuil, avec ses enfants, comme il semble qu'elle eut toujours fait depuis la mort de son premier mari. On la trouvé à Verneuil, en 1624, réglant avec l'aîné de ses fils, l'assise de son douaire fixé sur les revenus de Thou ; en

(1) Carré de Busseroles. Dict. d'Indre-et-Loire, t. III, p. 157.


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1625, lorsqu'au plus clair de la lune de miel avec le Roch Ysoré, l'assignation du sieur de la Gallasconnière, vint la surprendre en exigeant l'acquit d'une somme dont elle ne pouvait disposer, et qu'un oncle bienveillant lui avança ; en 1641, dans une réunion de famille, traitant avec son fils aîné et madame de Chergé, sa fille, du moyen de satisfaire leurs créanciers communs ; en 1646 enfin, sur son lit de mort et à la cérémonie de l'inhumation dans l'église de Verneuil, en présence de toute la noblesse du duché de Richelieu, après laquelle ses enfants procédèrent au partage de sa succession. Cette succession était en déficit : six mille livres de dette grevaient là terre ; quelques meubles épars et certaine « vaisselle d'étaing » de peu de valeur répondaient aux droits héritaux des trois filles. Elle laissait cinq enfants vivants :

1° Jacques, qui suit ;

2° Moïse, dit Monsieur de Verneuil, entré de bonne heure au service du roi, auquel il consacra son existence ; en 1631 et 32, il fit, dans la cavalerie légère, campagne en Lorraine et en Allemagne, son frère aîné lui ayant avancé trois mille livres pour son équipement en « habits, armes et chevaux », et autre somme pour lui permettre de servir au siège de Nancy, en 1633, sous le marquis de Fourilles, dette reconnue le 3 octobre de cette même année, par Moïse de la Jaille, qui s'engagea à la rembourser dans cinq ans, sur sa part de Verneuil ; mort en 1646, en Languedoc, lieutenant du roi dans le château de Bresson, où son frère René lui succéda ;

3° René, auteur du Rameau de Douce, rapporté plus loin ;

4° Eléonore, mariée en 1629, avec Pierre Bellivier, seigneur de la Forêt, résidant à Poitiers, fils de Marie Gillier de la Forestange, par conséquent cousin de sa femme ;

5° Madeleine, femme de Pierre de Chergé, seigneur des Aunaies, demeurant en la paroisse de Verneuil, en la « Maison de Chergé », où elle se retira le jour même de la mort de sa mère, et mourut le 17 août 1680 ;


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6° Françoise, unie à Gautier du Verdier, seigneur de la Bastide, décédé avant 1646, date à laquelle sa veuve résidait au château de Verneuil.

III. — JACQUES I de la Jaille, seigneur de Marcilly, Verneuil, Thou, succéda à son père dans le gouvernement du château et de la ville de Nouâtre, et, à ce titre, habita longtemps le château de Nouâtre, d'où sont datés plusieurs de ses actes, notamment en 1624, 1631, 1637. Cette antique forteresse du Xe siècle, reconstruite en 1464, se dressait en « pourpris, circuit et clouaison » entourée de hauts murs crénelés, tours à machicoulis, boulevart et fausses braies, le tout baigné d'eau, d'un côté par le cours de la Vienne, de l'autre par un affluent qu'une écluse permettait de faire déborder à volonté, et qui séparait le château de la ville également close de murs.

Sous le maître actuel, Hercule de Rohan, duc de Montbason, ne faisant que de rares apparitions à Nouâtre, la place de gouverneur était agréable et lucrative. Comme sénéchal de la châtellenie, Jacques de la Jaille commandait les dix-huit chevaliers, et les cent cinquante arrièrevassaux pouvant être mobilisés pour la défense de la forteresse ; il les recevait aux foy et hommage, signait les aveux, endossait les contrats ; la justice était rendue sous sa main, exécutée sous sa surveillance ; il exerçait les droits honorifiques dans l'église et ailleurs, chassait dans les domaines de Nambon, Dumeré, la Pommeraye ; il recrutait, armait et dirigeait la garnison. L'exercice de cette charge produisait des émoluments, remises sur les amendes, lots et ventes, octrois, péage, indemnités versées par les vassaux qui se faisaient exempter du guet, bénéfices sur les fournitures de la troupe, habillement, armes, aliments, prises et confiscations, butin, aubénage, etc.

Jacques de la Jaille aurait-il pu, sans le secours de sa charge, satisfaire les créanciers de sa mère, prêter de


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l'argent à son frère pour des équipements, dégrever Thou de ses charges, indemniser ses soeurs de leur légitime et faire face aux dépenses de la levée d'une compagnie d'hommes d'armes, qu'on lui voit commander, par commission royale, dans les campagnes contre les espagnols? Nous ne le pensons pas.

Monsieur de Marcilly, tel le nom que Jacques s'est donné après la mort de son père, passait à Thou l'hiver de 1623, en compagnie de proches parents. Il visitait et festoyait ses voisins, notamment les Chasteignier de la Roche-Posay, dont une branche habitait le château de Marigny, dans la même paroisse, par suite de l'union de François Chasteignier avec Renée Gédouin, dame de Marigny et de Molante. C'est dans cette illustre famille poitevine qu'il prit alliance presqu'aussitôt. Le 30 janvier 1624, monsieur de Marcilly, assisté de son oncle François, seigneur des Bellonnières, de Roch Ysoré, seigneur de Roisgarnaut, second mari de sa mère, et Jacques Amiraut, seigneur de Grantpré, son cousin, passait contrat de mariage avec Madeleine Chasteignier (1), fille d'Edmond, seigneur d'Andonville, et de Marie Fumée, demeurant au château de Marigny, paroisse d'Yseure, en présence de Jean Chasteignier, seigneur de Molante, et Louis Chasteignier, secrétin de l'abbaye Preuilly, frères de la nouvelle épouse, Louis de Mareuil et Anne Chasteignier, ses beau-frère et soeur, René de Crevant, chevalier de l'ordre du roi, Louis Fumée, seigneur de la RocheAmbelin, René d'Argence, seigneur de Jouy, Melchior d'Argence, frère Louis Ancellon, chambrier du chapitre de Sainte-Croix d'Angles, Paul de Heaussé, Pierre Boylesve, Charles Boylesve, Florent de Gandru, Louise de Menou, Philippe Vasselot, parents de la mariée. Celle-ci avait 8,000 livres de dot, soit 2,300 livres à recevoir de Guy Fumée,

(1) Chasteignier, armes : d'or au lion passant de sinople, armé et lampassé de gueules.


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gentilhomme de la chambre du roi, par suite d'une transaction passée en 1607, 700 livres données par haute et puissante dame Madeleine de Crevant, veuve de messire Martin Fumée, en vertu d'une obligation remontant à 1616, 2,000 livres données par Claude Fumée, tante de Madeleine, et 3,000 livres données par sa soeur Anne, sur la seigneurie de Poussac, en Poitou, avec assentiment de Louis de Mareuil, mari de la donatrice. Ces sommes devant être employées en acquisition d'immeubles, étaient hypothéquées sur la terre de Thou. Cette hypothèque semble avoir été l'occasion des vicissitudes subies par le domaine de Thou, que Jacques par un acte daté du château de Nouâtre, le 29 septembre 1631, consentit, sans avoir consulté sa femme, à vendre pour le prix de trente mille livres, à Anne Nau, femme de Renaut Mauvoy, agissant au nom de son père Claude Nau, avocat au Parlement de Paris. La cession portait sur « maison seigneuriale ayant murailles et fossés autour avec pont-levis, cour, basse-cour en avant du logis et fuye, bois de haute futaie, bois taillis, fiefs, arrière-fiefs et domaines, étangs, droit de rivière et de pêche, autres droits, renies, usages, prés, brandes, buissons, vignes, terres labourables et non labourables, avec deux métairies, l'une appelée la Porte, l'autre la. Bauge, situées au-dessous du château, dans levai de la Gartempe ». Quelle valeur avait ce contrat? Quels résultats produisit-il? Nous n'en voyons provenir aucune mutation : Thou resta dans la famille et l'on y voit reparaître Jacques de la Jaille quelques années plus tard.

Cependant M. de Marcilly, résidant à Nouâtre, donnait satisfaction au fisc, en faisant ses preuves de noblesse remontant à Guillaume, seigneur de Marcilly, fils de René et petit-fils de Pierre de la Jaille, seigneur de la MotteYvon, mari de Jeanne de Raillay, il obtint un arrêt de maintenue, en qualité d'écuyer, délivré à la généralité de Tours, en 1632 (1). La même année, il reçut du roi

(1) D. Housseau, t. XII, n° 6079.


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Louis XIII, la commission pour lever cent hommes d'armes, destinés à renforcer l'armée du duc d'Epernon, en Guyenne.

En juillet 1641, M. de Marcilly, veuf de sa première femme était chez sa mère, à Verneuil, il y était encore en 1646, lorsque celle-ci mourut. Dans le partage de biens qui suivit, Jacques fit valoir une créance privilégiée de 3,000 livres, sa part encore due de la venté de la ferme des Bellonnières, soit 4,500 livres, un legs de 3,000 francs, à son profit, de son frère Moïse, récemment décédé, enfin son droit d'aîné ; il abandonna' à ses cohéritiers une partie des meubles de la défunte, et s'attribua au total la châtellenie de Verneuil, qu'il destinait à son fils aîné. Mais Verneuil le Château ne devait pas rester dans la maison. Ce domaine fut vendu, le 13 mai 1653, pour 24,500 livres à Charles de Voul, seigneur de Vau, qui en fit des paiements espacés : le 13 mars 1658, de Voul s'acquittait du solde en versant 6,000 livres qu'il devait encore.

M. de Marcilly s'était remarié, en 1642, avec Claude de Quineuf, d'une famille du Chinonnais, qui mourut peu après. En 1653, il prit une troisième femme ; elle s'appelait Marie Philibert, sans doute fille de cet avocat de Chinon, Jean Philibert, à qui René de la Jaille, avait, en 1614, acheté la charge de sénéchal de Nouâtre ; elle était veuve d'un certain Charles Léonard, commandant des îles de la Guadeloupe. Jacques de la Jaille, bien qu'il fût toujours gouverneur de Nouâtre et en portât le titre, installa son nouveau ménage à Thou, dans les conditions suivantes : — L'indivision des biens subsisterait entre le mari et ses enfants du premier lit, devenus ses créanciers pour les remplois de la dot de leur mère Madeleine Chasteignier ; la vie serait donc commune à Thou entre le père, la belle-mère et les quatre enfants, jusqu'à la mort de Jacques, époque où le partage pourra se faire. Mais cette communauté ne serait pas à la charge de Marie Philibert ; les beaux-enfants se nourriront et s'entretiendront sur les revenus de la terre de Thou qui


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leur appartiennent. Devenue veuve, si « la dicte Philibert n'estait satisfaite des actions et déportements des dits enfants de la Jaille », elle pourra prendre sa résidence à Nouâtre, en rapportant ce qu'elle aura eu de son mari, selon un inventaire dressé au moment du mariage. Cette prévision était superflue ; madame de Marcilly mourut plus de quinze ans avant son époux.

Jacques de la Jaille, décédé en 1675, laissait :

1° Edmond, qui suit ;

2° Antoine, auteur de la branche de Molante ;

3° Jacques, auteur du rameau de l'Esle ;

4° et 5° Madeleine et Louise.

IV. — EDMOND de la Jaille, seigneur de Verneuil et de Thou, né vers 1630, appelé Monsieur de Verneuil, dans sa jeunesse et même après la vente de cette terre, dut présenter à la réformation de la noblesse, en 1666, ses preuves pour l'exemption de la taille. Son frère et lui obtinrent, en 1669, un procès-verbal d'exemption signé de l'intendant général Voysin de la Noiraye, sur production de pièces remontant à 1497 seulement, parce que, affirmait-on, les titres plus anciens n'étaient pas aux mains de M. de Marcilly, mais étaient détenus par la comtesse de Béthune, à Paris, « laquelle possédait la plus grande partie du domaine de la maison de la Jaille» (?).

Edmond avait épousé, à Yseures (1), le 13 janvier 1661, Marie Frouin (2), fille de Claude Frouin, président au grenier à sel de Cholet, et de Marthe Gazeau, résidant à Yseures. M. de Verneuil habitait Thou ; il était assisté de son père, Jacques de la Jaille, d'Edmond Chasteignier, son oncle et de Marie Préaux, femme de ce dernier, d'Aimar Chasteignier et de Marie Denis, sa femme, et de son frère

(1) Yseures, cant. de Preuilly, arrond. de Loches, Indre-et-Loire.

(2) Frouin, armes : de gueules à trois épis d'or.


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Antoine de la Jaille. La mariée avait pour témoins R. P. en Dieu, Mre Jean Bourgeois, conseiller et aumônier du roi, abbé commendataire de la Merci-Dieu (1), représentant Jacques Fleuriot, mari d'Eléonore Frouin, soeur dé la mariée, tous deux habitant Nantes, Jean Frouin, seigneur de la Bretonnière, sénéchal de la baronnie de Gonnord, oncle, et Pierre Gaberot, sieur de la Cailletière, résidant habituellement à Thouars, proche parent de la mariée.

Chacun des époux mettait 3.000 francs dans la communauté. Edmond de la Jaille, recevait de son père l'abandon de la terre de Thou, moyennant certains arrangements à intervenir entre le bénéficiaire et ses cohéritiers. Deux ans plus tard, tout étant réglé Jacques de la Jaille, veuf une troisième fois et délié de toute obligation, abandonnera définitivement à son fils aîné, les bestiaux et le matériel de culture contenu dans la basse-cour, ce qui laisse entrevoir l'exercice par Edmond et par son père d'une des occupations préférées de nos aïeux, l'agriculture, lorsqu'ils ne consacraient pas leur existence entière au métier des armes.

Un certificat de présence à l'armée de Flandre, l'année 1674, délivré à Edmond de la Jaille, prouve que ce gentilhomme avait ceint l'épée pour servir dans le ban de la noblesse poitevine, sous le prince de Condé. Il assista sans doute au sangla-nt combat de Senef où périt un de ses cousins, dans l'entourage de M. le Prince ; ses cousins germains, François et Jean, s'y trouvaient avec lui.

Cependant la situation de fortune de la maison de la Jaille était embarrassée. Edmond avait dû prélever 4.000 francs sur la dot de sa femme pour acquitter d'anciennes dettes laissées par son père, à Thou ; 150 livres de rentes devaient être remises à madame de Verneuil, sur les fruits du domaine. Après la mort de M. de Marcilly, Edmondde la Jaille

(1) Abbaye située sur la rive gauche de la Gartempe, proche et au sud-ouest de Thou.


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obtint la survivance de son père dans le gouvernement de Nouâtre, dont on le voit titulaire en 1676, consentant un bail à ferme de la fuie à pigeons du château, pour Mme la princesse de Guémenée, à Anne Goultreau, femme de François Taffonneau (1). Il n'y fit que de rares séjours, sa fortune amoindrie ne lui permettait plus d'y briller comme l'avait fait son père.

On le retrouva à Thou, en septembre 1676, en juillet 1677, en mai 1680 ; tous ses enfants y sont nés, de 1663 à 1680. En 1673, madame de Verneuil avait perdu sa mère. Afin de mettre à l'abri le peu qui lui revint de celle-ci, elle jugea utile de demander et obtint une séparation de biens. Elle mourut en 1682

Madame de Verneuil avait donné à son mari une procuration pour procéder au partage de la succession de ses père et mère, avec sa soeur Eléonore, femme de Jacques Fleuriot, sieur de la Serrie. Ce partage, fait à Ancenis, avait engendré des procès, si l'on en juge par certain résumé portant l'énumération des sommes payées, quatorze ans plus tard, par M. de la Serrie, pour frais de justice dans une action intentée contre M. de Verneuil. Du fatras enchevêtré de cette procédure, il résulte qu'à la suite du décès de M. de Marcilly, la terre de Thou avait été mise en décret et adjugée à Marie Frouin, femme séparée de biens de M. de Verneuil. M. de la Serrie était au château de Thou, en juin 1682, surveillant comme curateur, la tutelle de son beaufrère, dont les enfants étaient tous mineurs. Il en profita pour conclure un arrangement touchant les intérêts qu'ils avaient en commun. Il s'agissait surtout d'un bien appelé Langebergère, près Maulevrier (2), en Anjou, provenant de Claude Frouin, loué 275 livres par an, et peu à peu acquis par amortissement.

(1) Arch. dép. d'Indre-et-Loire, série E, 297.

(2) Maulevrier, cant. de Cholet, arrond. Baupréau, Maine-et-Loire.


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Les détails de cette affaire seraient fastidieux. En 1687, les sommes provenant de la liquidation définitive de ce bien, permirent de dégrever le domaine de Thou, sombrant sous les hypothèques et d'y maintenir, chacun dans ses droits, les enfants de Marie Frouin, dont plusieurs avaient atteint leur majorité. Cette terre de Thou, devenue propre materne), tombait dans l'indivision d'un héritage reposant sur onze têtes. Le revenu n'en était que de 1500 livres. Sur ce revenu il fallait payer encore 150 francs d'intérêt à un créancier qui n'avait pas été désintéressé, et satisfaire aux exigences de Louis de Mauplaie, prêteur réclamant, depuis 1685, un règlement complet dont nous ignorons le montant. Des gendres, avides à palper la moindre parcelle de dot, demandaient des fonds : M. du Taillis, époux de Marie de la Jaille, était un des moins patients. En 1702, il monta une cabale, dans laquelle plusieurs beaux-frères et belles-soeurs jouèrent leur partie. Il s'agissait d'appeler papa en justice pour le forcer à leur remettre tout ce qui avait appartenu à leur mère et présenter les comptes de sa gestion de tutelle. L'honnête gentilhomme était mal à Taise. Il déclarait ne rien posséder de son propre, n'étant que le gérant de l'indivision et ayant chaque année, depuis vingt ans, distribué à chacun de ses enfants, la part d'arrérages convenue sur les produits de la terre commune. M. de Verneuil offrait aux plus exigeants de leur laisser l'entière jouissance, même la gestion du domaine de Thou, moyennant une pension alimentaire de 200 livres. Les ayants-droit acceptèrent, mais soit par intérêt, soit par respect pour le chef d'une communauté restée toujours unie sous le même toit, comme les poussins sous l'aile de la couveuse, ils rendirent bientôt à leur père la direction du domaine sur lequel ils vivaient ensemble. En août 1704, Edmond était à la tête de son exploitation ; c'est comme détenteur réel du fief noble de Thou, qu'il reçut à nouveau de la généralité de Tours, un certificat de noblesse en bonne forme signé Turgot. L'âge


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venait. Edmond de la Jaille atteignait son seizième lustre. L'impotence, les infirmités dont il se trouvait atteint, le mettant « hors d'état de'faire valoir le dit lieu de Thou », il en fit, l'an 1710, la cession complète à son fils tiersné , la plupart des autres ayant disparu, moyennant une rente de 400 livres, « tant pour luy que pour damoiselle Madelaine de la Jaille, sa fille, qu'il garde près de luy pour le gouverner (1).

Les enfants d'Edmond de la Jaille, tous originaires de la paroisse d'Yseures, furent, par ordre de naissance :

1° Marie, née le 1er décembre 1663, baptisée le 2 ; parrain Mathurin Salvert, marraine Françoise Franchaud, pauvres gens ; elle épousa Jacques du Taillis ;

2° Madeleine, née le 2 janvier 1665, baptisée le lendemain ; parrain Pierre Bellivier, seigneur de la Forêt, marraine Marie de Fréaulx, femme de M. d'Andonville ; mariée à André de Néron ;

3° Edmond, né le 14 août 1666, baptisé le 10 novembre suivant ; parrain René de la Jaille, seigneur de Douce, marraine Marie-EIéonore de Chergé. On l'appela dans sa jeunesse M. de Verneuil. Il n'existait plus en 1702. On pourrait croire qu'entré dans les ordres, ce personnage fut « monsieur l'abbé de la Jaille, intendant des Invalides » cité par le curé de Forges, comme ayant obtenu en 1689, de madame de Maintenon, l'entrée à Saint-Cyr de sa cousine Françoise de la Jaille, dont nous parlerons ci-après. Mais les recherches les plus minutieuses, sur l'histoire des Invalides, n'ont point fait découvrir un intendant du nom dé la Jaille, à cette époque. Cependant nous retenons renonciation du curé de Forges et nous pensons qu'Edmond

(1) Toutes les énonciations relatives à Thou, Verneuil, et aux membres de la famille de la Jaille depuis le milieu du XVIe siècle, proviennent des documents contenus dans la valise conservée par M. le marquis de la Jaille, à Paris. C'est une source privée ; je ne les ai pas rappelés en note.


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a pu être aumônier à l'hôtel des Invalides au temps de la suprématie de madame de Maintenon ;

4° François, né le 23 septembre 1667, baptisé le 25 ; parrain François Chasteignier, marraine Françoise de Grailly ; entré au service en 1683, comme cadet de la compagnie de M. de la Gitardie, il fut, par ordre du roi, reçu lieutenant dans la compagnie de Chaubard, au régiment de Navarre, en garnison à Perpignan, le 8 août 1688, et mourut au service ;

5° Jean, seigneur de Thou, auteur de la branche bretonne décrite au paragraphe XVII ;

6° Louis, né le 15 août 1671, baptisé le 22 ; parrain, Louis de Monbel ; marraine, Madeleine de la Jaille, mort à Molante en 1732.

7° Geneviève, née le 29 juin 1672, baptisée le 14 juillet suivant ; parrain, Charles de Monbel ; marraine, Geneviève du Closet, dame de la Ménardière, mariée après 1702, avec François de Ricoux, seigneur de Chiron ;

8° Jacques, né le 10 décembre 1675 baptisé le lendemain ; parrain Jacques de la Jaille, seigneur des Vaux ; marraine, Madeleine Brossin de Méré ;

9° Madeleine, née le 18 juillet 1676, baptisée le même jour ; parrain Gabron ; marraine Marie de la Jaille, morte la même année ;

10° Madeleine, née le 26 septembre 1677, baptisée le même jour; parrain, Louis de Bellon, sieur de la Bérie ; marraine, Madeleine de Vertilhac de la Brossé ; c'est elle qui se consacra aux soins de son père octogénaire, 1710 ;

11° Jeanne, née' le 16 mai 1680, baptisée le même jour ; parrain, Jean Réaut ; marraine, Françoise Gounelle, pauvres gens (1), admise en 1701, par le roi Louis XIV, à parfaire son éducation dans la maison royale de Saint-Cyr, après la

(1) Registres paroissiaux de l'église d'Yseures, Indre-et-Loire.


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production de ses preuves de noblesse et de son écu portant : d'argent à la bande fuselée de gueules (1).

XIII

BRANCHE DE MARCILLY-MOLANTE

I. — ANTOINE I de la Jaille, seigneur de Marcilly, second fils de Jacques I et de Madeleine Chasteignier, résidait à Thou, lorsqu'il épousa, dans l'église d'Yseures, l'an 1666, Françoise de Grailly (2) appartenant à une famille de la paroisse d'Angles qui se disait cadette des comtes de Foix et en portait les armes. Leurs premiers enfants y naquirent. Mais Antoine et sa femme se transportèrent bientôt sur les rives de l'Océan, où par suite d'une succession provenant, croyons-nous, des Gillier possessionnés en Aunis, ils se trouvèrent propriétaires d'un hôtel à la Rochelle et de,certains fiefs dans les environs, ainsi qu'en Bas-Poitou. La résidence d' « Antoine de la Jaille, écuyer, seigneur de Marcilly et de dame Françoise de Grailly, sa femme », est attestée à la Rochelle, à Forges, à la Réorthe, par la naissance de plusieurs de leurs enfants.

A la suite des accords de famille qui suivirent la mort de M. de Marcilly, Antoine, qu'on trouve à la Rochelle, en 1676 et dont la femme y résidait encore en 1679, lui absent, s'établit au château de Molante (3) provenant, de la succession de sa mère, qui le tenait des Gédouin. C'était un vaste et lourd édifice du XVIIe siècle, annexé à des locaux d'ex(1)

d'ex(1) nat., ms. Cabinet des titres, vol. 307. Preuves pour l'admission à Saint-Cyr.

(2) Grailly, armes : d'or à la croix de sable chargée de cinq coquilles d'argent.

(3) Molante, com. de Saint-Pierre-de-Maillé, cant. de Saint-Savin, arrond. de Châtellerault, Vienne.


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ploitation, permettant de loger une nombreuse famille et des fermiers ou métayers pratiquant la vie commune. Antoine y mourut le 30 novembre 1684, et fut inhumé dans l'église de Saint-Pierre-de-Maillé, sa paroisse. Il laissait :

1° Antoine, qui suit ;

2° Jacques, baptisé à Yseures, mort jeune ;

3° Marie, née à la Rochelle, le 18 janvier 1671, baptisée le lendemain à l'église de Saint-Jean-du-Perrat (1), sa paroisse, par frère Eugène du Saint-Sacrement, religieux Carme ; parrain M. Charles Marson et marraine Mlle Marie Violette. Un extrait de l'acte de baptême délivré par le curé Simonneau, le 6 septembre 1681, lut déposé dans les registres des naissances à l'église Saint-Martin d'Angles, paroisse habitée par les Grailly, seigneur de Certeaux. Marie, lit-on sur cet extrait, « fut demeurer avec madame des Hors le mardi 29 janvier 1689 » ;

4° Jean, né à la Réorthe, le 26 avril 1672, et baptisé dans l'église du lieu ;

5° Alexandre, né et baptisé à la Réorthe (2), le 4 mai 1673 ;

6° Charlotte, née et baptisée à la Réorthe, le 14 juin 1674 ;

7° Etienne, né et baptisé à la Réorthe, le 31 mai 1676 ;

8° Marianne ;

9° Françoise, née à la Rochelle et baptisée le 27 septembre 1679, par l'abbé Gousseaume, curé de Forges, dans l'église Saint-Laurent du dit lieu, parrain Jacques de la Jaille, frère de son père, marraine Françoise de Grailly, soeur de sa mère. Le 1er mai 1681, sur la demande de la marraine, le curé Jusseaume délivra, à Forges, un extrait de l'acte de baptême de cette enfant âgée de deux ans, qui fut déposé, comme celui de sa soeur Marie, à la sacristie de l'église Saint-Martin d'Angles (3), où ces documents se

(1) Registres des naissances de la ville de la Rochelle, CharenteInférieure.

(2) État-civil de la Réorthe, cant. de Sainte-Hermine, arrond. de Fontenay, Vendée.

(3) Registre paroissial de Saint-Martin d'Angles-sur-Anglin, Vienne.


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retrouvent encore sur la couverture d'un registre paroissial. « La dite Françoise, rapporte textuellement cette inscription de la main du curé d'Angles, vint avec moi le 27 août 1688 et partit pour aller à Paris, par l'ordre de M. l'abbé de la Jaille, son cousin, intendant des Invalides ; le 7 août 1689, elle va pour être reçue en la communauté de Saint-Louis, à Saint-Cyr, près Versailles, madame de Maintenon, lui ayant accordé une place à la prière de M. l'abbé » (1).

Les enfants d'Antoine étaient dits les la Jaille de Molante, comme on le voit par la signature de quelques-uns. L'un d'eux, Jean de la Jaille, entra au service dans les gendarmes du roi, et obtint, le 17 novembre 1701, un certificat de présence au corps signé du prince de Soubise, capitainelieutenant de la compagnie (2). Après avoir quitté le service, il se retira à Molante, où il mourut âgé de soixante-six ans et fut inhumé à Saint-Pierre-de-Maillé, le 3 juin 1738 (3).

II. — ANTOINE II de la Jaille, seigneur de Marcilly et de Molante, né à Thou, en 1068, épousa, à 19 ans, le 28 janvier 1687, Sylvine de Thianges (4), âgée de 30 ans, fille de Sylvin de Thianges, seigneur de Puygirault, et de Louise de Rys, en présence de Joachim de Grailly, son oncle maternel, Sylvin Pinaut, son cousin, Françoise de Grailly, sa tante alors veuve de Jacques de la Jaille, sieur de l'Isle, Marie et Marianne de la Jaille, ses soeurs, Jacques de Thianges, frère de l'épousée, Jean de Rys, Hugues de Bridiers, ses oncles, Suzanne et Hubert de Couhé de Lusignan, ses cousins.

(1) Toutes les recherches faites aux Invalides et aux archives du Ministère de la Guerre, ainsi qu'à la Bibliothèque nationale, pour retrouver un intendant des Invalides du nom de la Jaille, en 1688, sont restées infructueuses.

(2) Original aux mains de M. le marquis de la Jaille.

(3) Registres paroissiaux de Saint-Pierre-de-Maillé, Vienne.

(4) Thianges, armes : d'argent à trois trèfles de gueules.

21


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Ayant fixé' sa résidence à Molante, dès la mort de son père, en 1680, Antoine vendit Marcilly, à Jean d'Armagnac, dont la famille possédait la Mothe-Yvon depuis la fin du XVIe siècle. Il se défit également des possessions de son père, en Aunis, laissant à son oncle Jacques une partie des biens de cette provenance, se réservant l'hôtel de la Rochelle où nous retrouverons son fils Jacques. Antoine dut peut-être à son séjour dans cette ville le goût de la marine, dans laquelle il prit du service ; il avait atteint le grade d'aide-major dans la brigade d'artillerie de la défense des ports, à Brest, lorsqu'il mourut le 10 septembre 1732, âgé de 64 ans, et fut inhumé dans l'église de Maillé (1).

Antoine II, dans ses séjours à Molante, avait assisté au mariage de ses deux soeurs, célébré en l'église de Maillé (2), Marie, âgée de 22 ans, unie en mai 1693, avec Henri d'Aux, seigneur de Chaumont, qui en avait 30, et Françoise, de moins de 19 ans, qui prit pour époux Jean Bonnet, sieur de la Tempellerie, comptant juste « quatorze ans deux mois et demy ». Voici ses enfants :

De Sylvine de Thianges : Jacques qui suit et qui coûta la vie à sa mère, morte le jour de sa naissance, inhumée à Saint-Pierre de Maillé.

De Marie Chasteignier (3) sa seconde femme, fille de Roch Chasteignier, seigneur de la Gabillière et de Charlotte de Couhé-Lusignan :

1° Alexandre, né le 1er janvier 1693, tenu sur les fonts baptismaux par Alexandre de la Jaille, son oncle, et Marie de la Jaille, sa tante, mort à 20 ans, en 1714 ;

2° Etienne, né le 18 mai 1694, qui fonda le rameau du Lussay, paragraphe XIV (4).

(1) Registres paroissiaux.

(2) Registres paroissiaux.

(3) Chasteignier, armes : d'or au lion passant de sinople, armé et lampassé de gueules.

(4) Registres paroissiaux.


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III. — JACQUES II de la Jaille, seigneur de Molante, né au château de Molante, le 21 mars 1688, dont Jacques de Thianges et Suzanne de Couhé furent parrain et marraine et qui ne connut point sa mère, eut une existence incohérente, agitée par des oppositions de doctrine. Tantôt à Paris, tantôt dans le Poitou, il semble qu'il eut recherché la société des dissidents religieux dans leurs dernières luttes contre la catholicité triomphante.

Il est mention, dans les registres de sa paroisse, des absences qu'il faisait, et de certains séjours « en son hôtel à la Rochelle », habitation qu'il tenait de son grand-père, en ce foyer de Calvinisme mal éteint. C'est lui, certainement, qui fut poursuivi dans cette ville, en 1746, pour avoir fait le prédicant (1). Il n'était pas protestant; ses enfants étaient baptisés et inhumés dans l'Église romaine ; lui-même avait été élevé dans son sein, s'y était marié, devait y mourir. Mais comme un autre Jacques de la Jaille, dont nous parlerons, et qui venait d'être victime d'un sentiment de tolérance et de justice, celui-ci pouvait s'être élevé, trop ouvertement contre des procédés violents et arbitraires employés à rencontre d'amis, de parents, dont il ne partageait pas la secte, dont il. éprouvait le besoin de défendre la liberté. La famille Ardouin, à laquelle il était allié, comptait « dans les îles de la Saintonge » des membres qui eurent beaucoup à. souffrir des dragonnades (2) et nous savons qu'au XVIIIe siècle, il existait encore dans ces mêmes îles, et sur le continent rochellois, des personnages du nom de la Jaille, qu'on obligeait par des moyens coërcitifs, à rentrer dans le giron de l'église catholique.

Cet esprit d'indépendance, aliéna-t-il son entourage ? Expliquerait-il la solitude qui se fit autourde Jacques, en Poitou, dans les derniers temps de son existence?

(1) Arch. dép. de la Charente-Inférieure. Papiers d'intendance.

(2) Haag, La France protestante, 2e édit. au nom Ardouin.


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M. de la Jaille-Molante, selon les signatures apposées par Jacques II, sur les registres de sa paroisse, en 1740 et 1742, mourut en son logis de Molante, le 21 août 1750, âgé de 62 ans. Il fut inhumé dans l'église de Maillé, en présence de ses fermiers et de ses serviteurs, sans qu'il soit fait mention à ses funérailles d'aucun parent, d'aucun ami (1). Beaucoup de ses enfants avaient disparu ; les deux fils qui survivaient étaient célibataires et retenus au loin par leur service aux armées. Il laissait derrière lui, sa vieille tante Marie de la Jaille, âgée de 80 ans qui résidait aussi sous le toit ancestral et y mourut trois mois après. La famille allait donc s'éclipser dans cette paroisse de SaintPierre de Maillé, où en quatre générations elle avait produit devant les fonts baptismaux trente-huit individus des deux sexes. Les enfants de Jacques II étaient :

De Marthe Desmons (2), sa première femme :

1° Jacques, mort après 1735 ;

2° François ;

3° Louis-Antoine, mort en 1742 ;

4° Marie-Anne, née en 1723, dont « Louis, fils naturel pâtre incognito » baptisé à l'église de Maillé, le jour de sa naissance, 15 octobre 1739, en présence de Louis Clavendrie et Madeleine Laniboire « qui ont déclaré ne savoir signer » ; morte à 26 ans, le 8 avril 1749 (3).

De Marie Ardouin (4), sa seconde femme, épousée à Saint-Pierre de Maillé, le 1er octobre 1734 :

1° Anne, née le 30 août 1735 ; parrain, Jacques de la Jaille, marraine, Marie-Anne de la Jaille, qui ne savaient écrire, morte le 4 août 1738 ;

(1) Registres paroissiaux.

(2) Desmons, armes : d'argent à la bande de gueules chargée de trois griffes de lion d'or.

(3) Registres paroissiaux.

(4) Ardouin, armes: d'azur au lion couronné d'or, regardant une étoile de même ayant un croissant de même sous les pieds, au chef d'argent à l'aigle de sable becquetée et piétée d'or.


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2° Jeanne, née le 13 juillet 1737 ; parrain, Louis-Antoine de la Jaille, marraine, Anne Guignard ; entrée à Saint-Cyr le 12 juin 1749 ;

3° Antoine, né le 28 août 1739 ; parrain et marraine, des laboureurs ; son article suit ;

4° Marie-Marthe, née à Paris en 1742, morte huit jours après, rapportée à Saint-Pierre de Maillé, où elle reçut la sépulture, le 24 avril 1743, dans le cimetière et non dans l'église, comme l'avaient reçue tous les autres en l'enfeu dé la famille ;

5° Marie-Madeleine, née le 1er août 1743 ; parrain Antoine Riou, chirurgien, marraine Marie-Anne de la Jaille « qui ne savait écrire » (1).

IV. — ANTOINE III de la Jaille, seigneur de Molante, l'aîné des fils de Jacques II et de sa seconde femme, Marie Ardouin, né en 1739 (2), embrassa la carrière de son aïeul, il était capitaine d'artillerie de marine en 1758. Le service le tenait éloigné du logis paternel, dont il était devenu possesseur, comme « héritier du sieur Jacques de la Jaille, chevalier, seigneur de Molante, son père ». Le domaine était géré par d'honnêtes fermiers, les sieur et dame Rideau, qui, depuis 1754, se voyaient harcelés par les réclamations des créanciers de la succession de Jacques, lequel avait criblé la terre de Molante de ces projectiles appelés hypothèques.

La plus grande partie des revenus passait au paiement des intérêts de ces obligations. Les principaux créanciers étaient les héritiers Rouault, de Poitiers, les seigneur et dame de Charraut. Chacun, pour sa part, s'efforçait de tirer à soi le plus possible des fruits assez maigres d'un domaine appauvri. Ils se témoignaient leur jalousie et leur avidité par

(!) Registres paroissiaux de Saint-Pierre-de-Maillé, Vienne..

(2) Tout ce qui a trait à l'état civil de la famille est tiré des registres paroissiaux de Saint-Pierre-de-Maillé et transmis par M. l'abbé Liège, curé de Saint-Pierre-de-Maillé.


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l'envoi de ramettes de papier timbré, dont une liasse a passé sous nos yeux. Nous ne nous arrêterons pas à cette procédure, inaugurée par une sentence dû 3 juillet 1754, que pour constater qu'en février 1766, Antoine de la Jaille fut assigné à comparaître devant le juge, à Poitiers, pour consentir la délivrance des deniers et meubles « sur luy saisis » ; qu'il mourut peu après ; que son frère cadet, Louis, héritier de Molante, fut assigné à son tour, en mars 1766, que le 21 septembre suivant, les revenus du domaine — 500 livres — furent saisis aux mains du fermier Rideau ; que le 20 février 1767, Louis de la Jaille, pour se débarrasser des créanciers, vendit Molante aux sieur et dame de Charraut (Antoine Fumée et Elisabeth de Béchillon) alliés aux Chasteignier, ce qui explique leurs relations avec les la Jaille, vente comprenant avec l'immeuble, les bestiaux, semences, mobilier, instruments aratoires, droits seigneuriaux dans là paroisse de Maillé, tous les bois taillis et futaies, l'habitation seigneuriale, estimée mille francs, et la bassecour, le tout pour la somme de onze mille trois cent cinquante francs, sur laquelle les du Charraut étaient créanciers pour sept mille sept cent cinquante-deux francs, ayant acheté plusieurs créances hypothécaires, et pour quinze cents autres francs antérieurement avancés au sieur de la Jaille (1).

Nous ne nous occuperons pas du surplus de cette affaire nous bornant à constater que ce fut, à partir de l'année 1767 que la terre, de Molante cessa d'appartenir à la maison de la Jaille, disparue depuis lors du Poitou. Néanmoins, croyons-nous devoir identifier le dernier des la Jaille, dont il est ici question, avec un N. dit le chevalier de la Jaille, que l'on retrouve aux avant-postes de débarquement des troupes royales à l'île de Ré, au temps de la

(1) Ensemble de pièces originales parvenues aux mains de M. le marquis de la Jaille par l'entremise de M. l'abbé Liège, curé de SaintPierre-de-Maillé.


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guerre vendéenne, 1793. L'opinion des gens les plus érudits en matière d'histoire de l'émigration, voit en lui l'officier du nom de la Jaille « déjà vieux» qui périt en défendant Charette à Froidefond, le 21 février 1796 (1). Il ne faut pas le confondre, ni aucun membre de sa famille, avec un certain Alexis Allmer de Lajaille, d'origine allemande, qui combattit dans l'armée républicaine sous le général Hoche, dont une récente brochure a voulu faire, sans aucune vraisemblance, un membre de la famille qui nous occupe. Il est de tradition dans la famille qu'un « chevalier de la Jaille » faisant partie du corps de débarquement des émigrés sur les côtes de Bretagne et de Vendée, fut tué aux avantpostes (c'est celui qui périt à Froidefonds) ; mais le fait qu'un Allmer de la Jaille, se trouvant à Quiberon dans les rangs des volontaires de Paris, aurait donné la vie à un royaliste de son nom, qu'il reconnut pour son cousin sur le terrain de la lutte, n'est qu'une fable à laquelle on ne doit pas ajouter foi.

XIV

RAMEAU.DU LUSSAY

I. — ETIENNE de la Jaille, seigneur de Lussay, fils puîné d'Antoine II et de Marie Chasteignier, né en 1694, fit sa résidence dans le manoir du Lussay, paroisse de SaintPierre de Maillé, relevant de la baronnie d'Angles, provenant des Chasteignier. Marié avec Marie de Gréaulme (2), d'une ancienne famille écossaise, dont les lords Graham reconnaissaient la parenté, il en eut deux garçons et trois filles,

(1) Le fait a été affirmé par M. le général de Charette à M. l'amiral de la Jaille. Il est, d'ailleurs, cité par M. Alphonse Beauchamp dans son Histoire de la Guerre de Vendée et des Chouans, t. III, pp. 262 et 390.

(2) Créaulme, armes : d'azur à trois sauterelles d'argent posées 2 et 1.


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dont l'ainé seul, Antoine, est connu, et dont aucun n'était marié en 1760 ; il est probable qu'ils s'éteignirent dans l'obscurité.

II. — ANTOINE IV de la Jaille, seigneur de Lussay, fils aîné d'Etienne, entra très jeune dans l'artillerie de marine, où servait aussi son cousin, Antoine de la Jaille de Molante. Il était officier major clans ce corps, en 1764, quand, le 27 mars, il présenta aux fonts baptismaux, à Saint-Pierre de Maillé, son filleul Antoine-Isaac Viallard (1).

M. Taine, dans son ouvrage sur la Révolution, a cité, d'après Yung, comme preuve du manque de « scrupules » de Napoléon Bonaparte, l'arrestation du major d'artillerie de la Jaille et d'autres officiers, clans le but de s'emparer de la citadelle d'Ajaccio (2).

M. Arthur Chuquet, dans un récent ouvrage sur la « jeunesse de Napoléon » rapporte cette aventure avec détails et force documents à l'appui. Le fait présente assez d'intérêt pour que nous lui consacrions quelque développement.

Antoine de la Jaille était né, dit l'auteur, à Saint-Pierre de Maillé (Vienne), le 28 juillet 1736. Il entra clans le corps royal d'artillerie de marine, comme surnuméraire, le 10 mars 1751, âgé de 15 ans. Cadet le 12 août suivant, il fut admis à l'école d'Auxonne, dont il sortit sous-lieutenant le 1er janvier 1757 ; lieutenant en 3e en 1760, sous-aide-major en 1762, major en 1764, lieutenant en 1er en 1765, son avancement était poussé par M. d'Argenson, ancien minisire, auquel il était apparenté d'assez près. Il montrait d'ailleurs de l'intelligence et de l'aptitude au métier, mais il était viveur, dissipé et quoique très bien né, fort pauvre. Capitaine sans appointement en novembre 1766, il fut envoyé à Besançon, où sa conduite obligea de le détacher sur BelleCi)

BelleCi) paroissiaux.

(2) Les origines de la France contemporaine, par Taine, t. IX, p. 31.


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Isle-en-Mer, en 1771, afin d'y rafraîchir « sa tête chaude ». Il mérita et obtint la croix de Saint-Louis, en 1776, puis les grades de capitaine de bombardier en 1777, de canonnier en 1778. Nommé le 19 juin 1785 chef de brigade, il fut placé au régiment de Metz. Là encore la Jaille se montra turbulent, car pour des motifs de « paix et tranquillité » on l'enlève de Metz pour l'envoyer en Corse, en mai 1790. Il remplaçait, à Ajaccio, comme capitaine en premier, M. Borel de l'Or ; il avait 3,000 francs d'appointement en plus de la solde de chef de brigade. La Jaille, dès son arrivée à Ajaccio, comme capitaine en premier, se trouva mêlé aux troubles suscités par Napoléon contre l'autorité royale. Bonaparte soutenait les idées de la Révolution ; il attaquait tout ce qui restait attaché à l'ancien régime. Il voulait que le commandant des forces militaires dans l'île, se soumit au conseil municipal et permit à la milice bourgeoise de pénétrer dans la citadelle, pour y faire le service avec les soldats. La Jaille, directeur de l'artillerie, n'était pas homme à livrer ses canons.

Son opposition aux exigences de la garde nationale, le fit considérer comme un réactionnaire, dont la perte fut décidée.

Dans la journée du 25 juin 1790, il fut, en pleine ville, insulté, frappé, couché en joue, et sous les pointes des stylets levés sur sa poitrine, enfermé aux Capucins. Aussitôt la municipalité l'interroge, le presse de se reconnaître en faute, pour avoir obéi à la consigne, lui fait un crime de porter sur lui deux pistolets, quand personne, dans Ajaccio, ne sort sans armes, etc.; le conseil de la commune ne consentira à rendre la Jaille au gouverneur, qu'à condition que cet officier sera enfermé dans la citadelle, jusqu'à son départ pour la France, la population ne pouvant le voir, ni le supporter « à cause des propos hostiles qu'il a tenus en plusieurs occasions ».

Le 27 juin, la Jaille, réclamé par les soldats de la garnison, dut être conduit par cinq conseillers à la citadelle, au milieu d'une foule effervescente, hurlant des cris de mort. Le


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6 septembre, l'agitation persistant, les gardes nationaux exigeaient que la Jaille soit fusillé. Le gouverneur de File, vicomte de Barrin, écrivait alors au ministre que la vie de M. de la Jaille n'était pas en sûreté et crue son rappel s'imposait. De son côté, Antoine de la Jaille adressait à son parent, M. de la Châtre, député, un mot sur sa situation critique, affirmant que l'origine de la fureur des Corses contre lui, provenait de ce « qu'il avait voulu s'opposer à leurs désordres ».

La Jaille, à qui « son zèle pour le service du roi a attiré la haine des citoyens d'Ajaccio qui ont juré sa perte » comme le déclara M. de la Châtre à l'Assemblée Nationale, obtint un congé de six mois renouvelable ; mais bien qu'il eut un brevet de major, il ne passa pas lieutenant-colonel ; il fut atteint par la loi du 27 avril 1791 qui mit fin à sa carrière.

Napoléon Bonaparte avait rédigé le rapport à l'Assemblée Nationale sur l'échauffourée d'Ajaccio. Il y prenait la défense des Corses, accusant les fonctionnaires du roi d'avoir « concerté d'infâmes complots contre la loi » et préparé une « coupable rébellion ».

« La Jaille, dit M. Chuquet, homme vif, impétueux, très peu accommodant, avait tenu des propos que Napoléon déclarait révoltants et indignes d'un citoyen. Il comptait quarante-cinq ans de service, neuf campagnes et plusieurs sièges ; mais parmi ces campagnes était celle de Corse, et, disait-il lui-même, les Ajacciens « sont toujours furieux de ce que j'ai fait la guerre contre eux » (1) — il s'agit ici de la guerre de 1768-69, dans l'île, contre Paoli. Voilà comment il devint, une des premières victimes de la Révolution.

Antoine de la Jaille, selon toute probabilité, émigra. Il obtint un grade supérieur, soit dans l'armée de Condé, soit à la solde anglaise ; peut-être prit-il part à la descente de

(1) Bibl. nat. Impr. 1/44, f. 1573. La jeunesse de Napoléon, par Arth. Chuquet. IIIe vol. : La Révolution, p. 116.


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Quiberon, où figurèrent quatre officiers du nom de la Jaille. Retiré à Jersey, sous l'Empire, il y portait le titre de colonel et se glorifiait d'avoir tenu tête à Napoléon. On ne sait ni où ni quand il mourut, mais il est certain qu'il était célibataire et qu'il n'a pas laissé de postérité.

XV.

RAMEAU DE L'ILE

I. — JACQUES III de la Jaille, seigneur de l'Ile et de Vaux, deux petits fiefs assis près de Molante, sur le chemin d'Angles, en Saint-Pierre-de-Maillé, fils unique de Claude de Guineuf et de Jacques Ier, seigneur de Marcilly et dé Thou, né en 1646, épousa, à 22 ans, le 27 novembre 1668, dans l'église de Maillé, Marie Auboutet (1), âgée dé 20 ans, habitant la même paroisse, d'une famille originaire d'Angles-sur-Anglin. Les témoins furent Louis Auboutet, seigneur de Ghenevaux, père de la mariée, veuf de Marie Robin ; Edmond de la Jaille frère aîné de l'époux et Marie Frouin, sa femme, habitant le château de Thou ; Pierre Auboutet, seigneur de Laroux, frère de la mariée et Anne Madeleine de Quinemont, sa femme ; Antoine Auboutet, autre frère de l'épouse, et Honorat de la Bussière, seigneur de la Rousselière (2).

Le jeune ménage reçut l'hospitalité au manoir de Molante, à très courte distance du bourg de Maillé, sur le chemin d'Angles, dont Antoine de la Jaille, frère du nouvel époux, était possesseur comme héritier d'Edmond Chasteignier, son grand'père. Les enfants de Jacques virent le

(1) Auboutet, armes: d'or au chevron de gueules accompagné de trois merlettes de sable posées 2 et 1.

(2) Registres de la paroisse de Saint-Pierre-de-Maillé, communiqués par M. l'abbé Liège, curé de Saint-Pierre-de-Maillé.


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jour dans celte large et profonde bâtisse, dont les pièces devaient être assez vastes pour contenir, pendant un siècle, un nombre considérable d'individus appartenant à la même famille, depuis l'âge du berceau jusqu'à l'âge octogénaire, et qui tous passèrent, en entrant dans la vie, comme pour en sortir, par le porche de l'église paroissiale de Maillé, où l'enregistrement régulier des sacrements qu'ils reçurent nous en a révélé l'existence. Ils y ont laissé un tel souvenir, que leur nom dans cette paroisse, inspire encore de la vénération.

Voici les enfants de Jacques III et de Marie Auboutet, tousbaptisés à Maillé :

1° Jacques, né le 14 août 1669 ; parrain, Pierre Auboutet ; marraine, Antoinette de la Bussière, mort à cinq semaines ;

2° Silvain, né le 25 juillet 1670; parrain et marraine, le ménage Boidin, laboureurs ; mort le 10 octobre suivant ;

3° Silvain, qui suit ;

4° Honoré, né le 21 mai 1672 ; parrain, Honoré de la Bussière ; marraine, Claude Auboutet ; il épousa Catherine Jarrigeon, clame de la Glanchère, paroisse de Balesme, près la Haye Descartes, de six ans plus jeune que lui, dont il eut deux filles: a. Catherine-Luce, mariée à Paris,le 27 février 1725, avec Claude de Mamiel de Marieulle, lieutenant-colonel du génie, lieutenant de la citadelle de Metz et maire de la ville, qui prit soin de faire dresser une généalogie de la maison de la Jaille, dont le manuscrit est conservé à la Bibliothèque de Metz : b. Silvie, morte religieuse à l'abbaye de Jouarre. Catherine Jarrigeon, dont la parenté avec les Renaudot, fondateurs de la Gazette de France, explique les fréquents séjours à Paris, se retira à la Glanchère, où, veuve d'Honoré de la Jaille, en 1735, elle touchait une rente provenant à son profit de la succession d'Isaac Renaudot, docteur en médecine à Paris, membre de cette remarquable famille loudunoise, dont l'un des


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plus illustres sujets fut honoré d'un fauteuil à l'Académie Française. Catherine mourut à la Glanchère, âgée de 63 ans, et fut inhumée à Balesme, le 23 mars 1741, en présence du curé de Buxeuil ;

5° Pierre, né le 29 juin 1674 ; parrain, Pierre Auboutet ; marraine, Suzanne de Couhé-Lusignan ; mort le 24 juillet suivant ;

6° Jacques, né le 18 avril 1675 ; parrain, Silvain Auboutet ; marraine, Constance du Cher ; mort deux jours après.

7° Pierre, né le 9 septembre 1676 ; parrain, Pierre de Couhé-Lusignan ; marraine, Marie de la Jaille ;

8° Marie, née le 10 avril 1677 ; parrain, René de la Bussière ; marraine, Marie de la Jaille ; mariée avec Jacques de Marans ;

9° René, né le 1er octobre 1678 ; parrain, René Moreau, procureur fiscal ; marraine, Françoise de Vertilhac ;

10° Louise, née le 5 avril 1680 ; parrain, Louis de Beslon ; marraine, Louise du Cher ; morte fin de 1681.

Marie Auboutet, qui en onze ans avait mis au monde dix enfants, mourut à la peine, âgée de 32 ans, le 10 mars 1681. Elle fut inhumée dans l'église de Maillé, en présence de son fils aîné Silvain, de sa soeur Claude Auboutet et de quelques journaliers, obsèques trop modestes pour une épouse si dévouée.

Jacques de la Jaille, seigneur de Vaux, semble avoir eu des intérêts dans la succession recueillie à la Rochelle et aux environs par son frère Antoine, qu'il accompagnait parfois dans ses voyages en Aunis. C'est ainsi qu'en automne 1679, il eut l'occasion d'être parrain, dans l'église Saint-Laurent-de-Forges (1), d'une nièce, née d'Antoine de la Jaille et de Françoise de Grailly, en séjour à la Rochelle. La marraine était Françoise de Grailly, la jeune,

(1) Forges, canton d'Aigrefeuille, arrondissement de Rochefort-surMer, Charente-Inférieure.


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encore « demoiselle », soeur de la précédente. Les parrainages engendrent les mariages. Trois ans après, le 6 juin 1682, à Angles, Jacques de la Jaille, veuf de Marie Auboutet, épousait Françoise de. Grailly (1), la jeune, sa propre belle-soeur. Françoise mit au monde, le 15 mars 1683, un fils, Louis, qui devint seigneur de Salvert, domaine relevant du château de la Roche-Posay (2), épousa Madeleine de la Coussaye (3) le 20 février 1716, à Saint-Georges-lesBaillargeaux (4), dont il n'eut pas d'enfants ; un autre fils,

Honoré, le 13 juillet 1684, et la série allait continuer,

quand Jacques de la Jaille périt victime d'un funeste accident.

On lit dans les registres paroissiaux d'Angles, bourg voisin de Molante : « Le 30 octobre 1685, a été déposé le corps de feu messire Jacques de la Jaille, écuyer, résidant à Molante, tué en cette ville le jour précédent, par les nommés Barraut et la Manse, tous deux dragons dans la Compagnie colonelle de M. le Marquis de Boufflers. A la sollicitation des parents, le corps a été conduit jusqu'à l'église de Saint-Pierre-de-Maillé, lieu de sa sépulture (5) ». Et dans les registres de Maillé : « Le 30e jour d'octobre 1685, a été porté en cette église le corps du défunt Jacques de la Jaille, qu'on a dit avoir été assassiné en la ville d'Angles, le jour précédent, comme appert par procès-verbal du juge des lieux et son ordonnance au bas pour la sépulture ecclésiastique, en vertu de laquelle le dit corps a été inhu(1)

inhu(1) armes : d'or à la croix de sable chargée de cinq coquilles d'argent.

(2) La Roche-Posay,. canton de Pleumartin, arrondissement de Châtellerault, Vienne.

(3) La Coussaye, armes : de gueules au lion d'or au chef d'argent chargé de trois étoiles d'azur.

(4) Saint-Georges-les-Baillargeaux, chef-lieu de canton, à 5 kil. de Poitiers.

(5) Reg. par. de la paroisse d'Angles-sur-Anglin, Vienne ; communiqué par M. l'abbé Liège.


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mé en l'église de ce lieu, en présence d'Isaac Tartarin, et François Gagnant, ses métaiers, laboureurs (1) ». Si l'on rapproche cette mort violente des événements qui mettaient, à la même date, le Poitou en émoi, on peut se demander si Jacques de la Jaille, bien qu'il fut catholique, n'a pas été victime d'un accès d'indignation, en manifestant devant les soldats de Louis XIV, sa manière de comprendre la liberté de conscience autrement que par les dragonnades.

Jacques n'avait que quarante-huit ans. Sa nombreuse progéniture disparut presque tout entière dans l'obscurité.

II. — SILVAIN de la Jaille, seigneur de l'Ile et des Minières, troisième fils de Jacques III et de Marie Auboutet, est le seul qui ait laissé des traces. Né à Molante, le 24 juillet 1671, il eut pour parrain Antoine Auboutet, son oncle, et pour marraine Marie.de Marans. Il épousa, en avril 1698, Jeanne-Charlotte Canche, d'une famille appartenant au clan luthérien de Châtellerault. Quelques membres de cette famille avaient abjuré, en 1685, d'autres n'y consentirent que plus tard. Marie Canche était encore comptée parmi les protestants de Châtellerault, en 1700; elle était proche parente de Mme de la Jaille qui appartenait à la religion catholique (2). Silvain de la Jaille et Jeanne Canche furent maintenus nobles, en 1715. Ils engendrèrent :

1° Jean, titré seigneur du Coudreau, né en 1708, admis en 1726, aux pages de Mgr le duc d'Orléans, sur présentation de sa généalogie remontant à Mathurin de la Jaille, seigneur de Marcilly, marié en 1580 à Françoise d'Averton (3). Il en sortit cornette au régiment de Cavalerie d'Orléans, et fut tué à la bataille de Guastalla, en 1734 ;

(1) Reg. par. de la paroisse Saint-Pierre-de-Maillé, Vienne.

(2) Dict. des familles du Poitou, par Beauchet-Filleau, t. II, p. 114.

(3) Bibl. nat. mss. fonds français 32519.


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2° Clémentine-Anastasie-Silvie ;

3° Marie-Julie, née en 1710, mariée en février 1746 à André-Antoine de Sabran, seigneur du Biosc, dit le vicomte de Sabran, morte à Paris, le 23 décembre 1755, âgée de 45 ans.

XVI.

RAMEAU DE DOUCE

I. — RENÉ VIII, de la Jaille, seigneur de Douce (1), troisième fils de René VII, seigneur de Marcilly et de Françoise Gillier, présent en 1646, à Verneuil-le-Château, aux funérailles de sa mère, assista au partage de la succession de la défunte, avec les ayants-droit, le 24 novembre, chez Mme de Chergé, sa soeur, au château de la Martinière, paroisse de Verneuil; les contractants étaient « Jacques de la Jaille, écuyer, seigneur de Marcilly, fils aîné et principal héritier ; René de la Jaille, écuyer, seigneur de Verneuil ; Pierre Bellivier, écuyer, seigneur de la Forêt et demoiselle Eléonore de la Jaille, son épouse; Pierre de Chergé, écuyer, seigneur des Aulnaies et demoiselle Madeleine de la Jaille, son épouse ; demoiselle Françoise de la Jaille, veuve de défunt messire Gautier Duverdrée, vivant, chevalier, seigneur de la Bastide » (2). René n'eut pas Verneuil, comme pourrait le faire croire, le titre qu'il portait ; il reçut le fief de Douce, dépendant de la châtellenie de l'Ile Bouchard, et payant quelques deniers de cens à l'abbaye de Noyers, provenant des Gillier, puisque Pierre Gillier était classé comme seigneur de Doucé-en-Rilly, parmi les vassaux de l'Ile Bouchard, en 1474. René de la Jaille, mari de Françoise Gillier

(1) Douce, hameau de la commune de Rilly, canton de l'Ile Bouchard, arrondissement de Chinon, Indre-et-Loire.

(2) Papiers de famille.


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en avait porté aveu, en 1601. René VIII en fit de nouveaux aveux, en 1661 et en 1700(1). Le 14 août 1666, étant à Thou, il fut parrain, dans l'église d'Yseures, avec Eléonore de Chergé, sa nièce, marraine de son petit neveu Edmond, fils d'Edmond de la Jaille et de Marie Frouin (2). Rares étaient les apparitions de René dans la famille ; la carrière militaire, qu'il suivait, le retenant dans des garnisons éloignées. Après avoir franchi les bas gracies, il entra comme capitaine dans le régiment de Languedoc, à sa formation, en 1672, et fit les campagnes de Luxembourg, d'Allemagne, de Flandres. Sa belle conduite lui valut la place de lieutenant du Roi à Bresson, citadelle située au sud de la province dont son régiment portait le nom. Il y commandait un détachement, avec la charge de capitaine des Gardes-côtes, sur les rives de la Méditerranée (3). Marié à Marie Martin (4), René VIII en eut trois fils : 1° et 2°, François et Jean, à qui furent délivrés des certificats de service dans le ban de la noblesse poitevine, en 1674, et qui moururent célibataires (5) ; 3° Pierre, qui suit :

II. — PIERRE IV de la Jaille, seigneur de Douce, rendit aveu de cette terre à l'Ile Bouchard, en 1710. Il épousa : 1° Gabrielle-Anne Canche, d'une famille estimée de Châtellerault, dont il n'eut pas d'enfants ; 2° Angélique de Rigné, fille de François de Rigné, seigneur de la Tour Saint-Gelin, et de Madeleine de Chergé, dont il eut :

1° Marie-Catherine, épouse de François de Marguerie,

(1) Carré de Busserolles, Dict. d'Indre-et-Loire, t. II, p. 474.

(2) Registres paroissiaux de la paroisse d'Yseures, Indre-et-Loire.

(3) Saint-Bresson, canton de Sumène, arrondissement du Vigan, Gard.

(4) Martin, armes : d'azur à la fasce d'or chargée de trois roses de gueules.

(5) Papiers de famille.

22


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puis de Mathieu du Villiers. C'est d'elle qu'il s'agit dans la pièce suivante :

« Madame de la Jaille de la Lande (1), est d'une clés meilleures maisons de Touraine ; elle avait épousé en premières noces, le sieur de Marguerie, homme de condition de Normandie, avec lequel elle a vécu en bonne intelligence pendant plus de vingt ans (1715-1736) ; s'est remariée, en 1738, au sieur du Villiers, gentilhomme. L'intérêt ayant eu plus de part à leur union que les sentiments du coeur, d'un autre côté leurs biens réciproques ne répondant pas à leur naissance chacun n'a songé qu'aux siens propres, ce qui a causé des sujets de plaintes et de mauvais traitements, et comme la clame de la Jaille du Villiers n'est pas en état de porter une pareille affaire à la justice ordinaire, elle a cru que la voie de ce tribunal était plus efficace, tant pour contenir le sieur du Villiers dans l'union qui doit régner entre eux, que pour éviter la ruine entière de leur petit bien » (2). Ainsi s'exprimait M. d'Armagnac, seigneur de la MotteYvon dans une communication au lieutenant du roi du gouvernement de Touraine, juge arbitre entre les nobles.

Marie-Catherine de la Jaille, encore en ménage avec Mathieu du Villiers, en 1761, passait le 21 août, à Faye-laVineuse, un accord touchant la moitié de la seigneurie de Bois-Légat, sur laquelle elle avait des droits.

2° Perrine-Félicité, mariée en 1733, avec Gabriel du Chilleau, seigneur de la Tour-Savary, près Châtellerault, qui en eut vingt-quatre enfants. Angélique de Rigné, avec son mari Pierre de la Jaille, avait assisté, en 1723, au mariage de Charles-César de Mondion avec Françoise de Marans, au château de Chezelles-Savary. En son veuvage, habitant lé manoir de Douce, elle eut des difficultés avec les cheva(1)

cheva(1) Lande, près Douce, commune de Rilly, canton de l'Ile Bouchard, arrondissement de Chinon.

(2) Pièce originale aux mains de M. le marquis de la Jaille.


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liers de Malte de la Commanderie de l'Ile Bouchard, dont le voisinage manquait d'aménité. Nous avons sous les yeux une communication officielle de M. d'Armagnac, datée du château de la Mothe de Marcilly, le 30 janvier 1744, transmettant au lieutenant du roi du gouvernement, à Tours, la plainte de « Madame de la Jaille » au sujet d'insultes réitérées que lui faisaient subir les domestiques de M. le chevalier d'Epsé, Commandeur en cette maison, et demandant l'autorisation d'en connaître « et de rendre prompte et bonne justice » (1).

Douce, dernier lambeau des biens des la Jaille, clans le Chinonnais, où ils avaient tant possédé, appartenait en 1769, à Gabriel-Louis du Chilleau, chevalier, seigneur de la Tour-Savary, lieutenant général de la sénéchaussée de Châtellerault (2), fils et héritier de Perrine de la Jaille, dernière survivante de ce nom, sur les rives de la Vienne.

XVII.

BRANCHE BRETONNE

I. — JEAN VI de la Jaille, seigneur de Thou, troisième fils d'Edmond et. de Marie Frouin, naquit au château de Thou le 30 décembre 1669 et fut baptisé le lendemain à l'église paroissiale d'Yseures (3), ayant pour parrain et pour marraine les serviteurs de la maison, Jean Vallade et Perrine Giraut, à défaut de Joachim de Grailly, beau-frère d'Edmond de la Jaille et de Geneviève du Closet, « qui s'étaient dédits ». La jeunesse de Jean fut celle de tous les enfants nobles qui puisaient dans leur naissance le droit de se sacrifier au service du pays. Il fut le premier de sa

(1) Papiers de famille.

(2). Carré de Busseroles, Dict. d'Indre-et-Loire, t. II, p. 474. (3) Registres paroissiaux de l'égalise d'Yseures, orthographié aussi Yzeures (Indre-et-Loire).


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race qui servit sur mer. Sans doute attiré à Brest par son oncle Antoine de la Jaille, en garnison dans cette place de guerre, le jeune homme entra dans la marine royale, en 1687, âgé de 18 ans ; deux ans après, le 31 juillet 1689, Jean de la Jaille était Garde de la marine (1). Embarqué sur le vaisseau de guerre l'Oiseau, en 1696, il devint sousbrigadier le 29 janvier 1697 et se distingua, sous le chevalier de Bresmoy, dans une croisière entre Brest et Lorient, pendant laquelle l'Oiseau, le 15 mai « malgré le feu du canon et toute la mousquelerie dirigés contre lui », prit un yacht anglais et une flûte ; le 18, dans un combat contre cinq gros vaisseaux anglais, il dégagea, par une manoeuvre hardie, le Solide monté par le commandant d'Andennes (2).

L'année suivante, 1698, l'Oiseau commandé par le chevalier de Roussy, capitaine de vaisseau, le chevalier de Blénac, capitaine en second et M. de Beauvau, lieutenant, fit partie de l'escadre conduite par Coëtlogon contre les Salétins, sur les côtes du Maroc ; ce vaisseau fut.chargé d'une mission de l'Empereur marocain auprès du comte d'Estrées qu'il rejoignit à Cadix (3).

En 1702, Jean de la Jaille était à Thou, traitant avec son père, ses frères et ses soeurs, de la succession de leur mère. Au printemps de 1704, la Jaille, dont Duguay-Trouin avait apprécié les moyens, fut mis second à bord du Jason, bâtiment neuf armé en course, monté par ce célèbre capitaine, avec M. de Saint-Auban, comme aide, et 438 hommes d'équipage. C'était au plus fort de la grande lutte navale de notre pavillon contre l'Angleterre alliée à la Hollande.

La première sortie du navire fut une croisière aux îles Sorlingues signalée par l'attaque et la déroute de la Re(1)

Re(1) nat., Personnel de la Marine, C 7 161.

(2) Arch. nat., Campagnes Maritimes, B/4 19.

(3) Idem.


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vanche, la prise, à l'abordage, du Coventry, et la.capture de douze vaisseaux de commerce ramenés à Brest, en pleine lutte contre la Revanche et le Falmouth revenus à la charge. La seconde sortie, était moins heureuse ; après un combat sans résultat avec le Rochester, la perte de l'Auguste mal commandé nécessita la rentrée au port avec trois prises seulement. Pour la troisième expédition du Jason, la Jaille était passé capitaine en second ; dans le canal Saint-Georges, l'Elisabeth et le Chatam canonnés, abordés, baissèrent pavillon-. Le Chatam s'échappa, mais le Jason rentrant au port avec sa prise, l'Elisabeth trouvait encore l'énergie, dans une effroyable tempête, d'attaquer deux hollandais et d'en ramener un prisonnier à Brest.

En 1705, le Jason, de 54 canons, commandé par Duguay, capitaine, la Jaille second, Roscouët commissaire, fait partie d'une flotte de dix-sept vaisseaux sous les ordres du lieutenant général marquis de Coëtlogon, Duguay, en avantgarde avec deux navires, rencontra le Chatam et en est attaqué ; il chasse pour détourner l'ennemi ; quinze vaisseaux le poursuivent ; le Honster, de 64 canons, le touche de près ; Duguay, dans la note française, demande au commandant le nom d'un navire si bien mené; on répond à sa politesse par une bordée tirée à bout portant.

Duguay riposte au cri de Vive le Roy. Sur le pont du Honster, cent anglais tombent à la renverse. Duguay tente l'abordage, mais le vent l'écarté, le Honster s'éloigne en canonnant. A la chute du jour le Jason est entouré par toute l'escadre ennemie. Duguay appelant la Jaille et Bourgneuf-Gravé ses lieutenants, propose, par une attaque désespérée, « une action brillante avant de succomber sous le nombre ». Ces Messieurs approuvent la résolution se disant « prêts à périr plutôt que de se rendre ». Tout est préparé pour l'aube et le capitaine s'étend sur son lit en calculant sa manoeuvre, mais au point du jour le brouillard couvre la mer, enveloppe les navires, et le Jason en


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profite pour se faufiler, vent arrière, entre les gros navires de S. M. B. et gagner du large. Duguay se trouvait alors à la hauteur de Belle-Ile en mer ; il y surprit un corsaire hollandais appelé le Paon, et regagna Brest avec sa prise.

En 1706, la Jaille ayant servi, au dire de Duguay, avec un zèle très distingué, reçoit, comme capitaine de brûlot, le commandement du Paon, armé de 25 canons, son ancienne prise, de Flessingue (1) ayant sous ses ordres d'Andennes, Bary et 127 hommes. Sur la côte d'Espagne, au large de Cadix, il attaque la flotte d'Amérique, 200 vaisseaux portugais pleins de richesses. L'Hercule et le Paon sont aux prises avec le plus gros de ces bâtiments ; une fausse manoeuvre de M. de Ruis fait manquer l'abordage, après que le portugais a reçu « dans le ventre » la bordée de canons à double charge. La Jaille, en péril par sa mâture se dégage, évolue, revient à la charge, faisant feu de tous bords, et le colosse éventré, rasé, sans direction, va s'échouer sur un banc de sable d'où la cargaison est transbordée à souhait (2). Le mouillage à Cadix ne fut pas sans difficultés, surtout de la part des Espagnols, qui nous haïssaient. Une chaloupe de la douane ayant voulu empècher d'approcher du rivage un canot de l'Hercule, parce qu'il manquait de la libre pratique, insulta les hommes qui le montaient, maltraita les officiers qui s'opposaient à la visite. Averti par signaux, Duguay détache deux canots, sous les ordres de la Jaille, avec charge d'arrêter la chaloupe de la douane espagnole. Une bagarre s'en suit, des coups de feu sont échangés, deux soldats français sont tués, deux autres blessés, et la Jaille aie devant de son habit emporté d'un coup de pierrier. Cependant la chaloupe est enlevée de haute lutte, et le personnel conduit prisonnier à l'Hercule. En regagnant Brest la petite division

(1) Arch. nat., Personnel de la Marine, C.7 161.

(2) Arch. nat., Campagnes Maritimes, B/4 31.


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aura encore l'occasion d'attaquer et de prendre douze vaisseaux de commerce anglais.

En 1707, Duguay-Trouin s'est rendu à Versailles. Il a voulu être présenté au roi. Louis XIV a entendu le récit de ses campagnes. S. M. adresse des compliments mérités au chef d'escadre et à l'état-major. Cela ne suffit point à Duguay, il obtient que la Jaille « son fidèle compagnon d'armes » sera promu au grade de lieutenant des vaisseaux du roi. Le brevet n'en fut délivré que l'année d'après (1).

Cette même année, Duguay avait donné à la Jaille le commandement de la Gloire, armé de 40 canons, avec de Blois pour second et 341 hommes d'équipage. La campagne se déployait en opérations variées ; une croisière sous Lisbonne avait amené la capture de deux vaisseaux anglais; au retour dans la Manche une nouvelle prise de quatre anglais avait été l'occasion d'une rentrée triomphale à Brest. Dans une seconde sortie, avec la flotte de M. de Forbin, un combat fut engagé contre cinq frégates ennemies, dont le Cumberlanal portait pavillon d'amiral. Duguay sur le Lys, attaque le Cumberlanal, avec le concours de la Jaille, montant la Gloire. La canonnade et la manoeuvre étaient, avec l'abordage, les moyens de combat alors usités. Le vaisseau anglais, par un mouvement habile, engagea son beaupré dans les grands haubans du Lys, pour l'immobiliser et le canonner en enfilade. La situation de Duguay-Trouin devenait mauvaise, si la Jaille par une manoeuvre hardie ne s'était jeté entre le Lys et le Cumberland et n'eut abordé celui-ci de long en long. Cette affaire est restée célèbre. M. de la Jaille en a, de sa propre main, adressé, en racle de Berthaume, le 26 octobre 1707, une relation détaillée au ministre. On y voit que Duguay engagé par l'avant, recevait des bordées qui le mirent bientôt

(1) M. de la Jaille, lieutenant des vaisseaux le 23 avril 1708. (Extrait de l'alphabet Lafillard, Arch. nat., Personnel de la Marine, C 7 161.


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« en état pitoyable ». Ce que voyant, la Jaille, qui avait mission d'aborder le Lys, pour y verser son équipage, eut le trait de génie d'accoster l'ennemi, sur le même flanc, en lui lâchant toute sa bordée, puis de se jeter à l'abordage, entraînant MM. de la Callande, de Blois, du Mené et l'élite de son monde. Le pilote du Lys avait également fait un bond sur le Cumberland, s'était précipité sur le pavillon, l'avait amené et l'avait jeté à la mer. Les Anglais retirés à fond de cale, ne se sentaient plus en état de résister, « le vent était frais, la mer grosse, le vaisseau ennemi était démâté de son mât de beaupré et de son mât de

misaine, et n'avait rien qui tint » Il se rendit. « Le sieur

de la Jaille, commandant la Gloire, a dit Duguay, dans son rapport sur cette croisière, me suivit avec sa valeur ordinaire. Il fit même plus que je ne devais attendre, car ayant vu que j'avais mis le beaupré de l'ennemi dans mes grands haubans, il l'aborda par le mesme costé que j'avais rangé en lui- tirant sa bordée de canons et de mousquetterie, aussy le pont en fust dans un moment couvert de morts

et de blessés Quant au héros de cette journée, qui

n'avait duré qu'une heure, il disait simplement au ministre : « J'ose assurer votre Grandeur que j'aurais bien voulu estre en situation de prendre un de ces vaisseaux tout seul, par l'envie que j'ay de m'attirer votre protection avec empressement » (1). Le Lys et la Gloire délaissés par M. de Forbin, étaient rentrés à Brest, traînant à la remorque le Cumberland, le Chester, le Ruby et quatre autres navires de moindre importance.

En 1708, la Gloire reprend la mer sous le même commandement. Elle va, de conserve avec sept autres navires chercher à s'emparer de la flotte du Brésil à son entrée dans le Tage. Mais la flotte riche et convoitée ne se présente pas. Une longue, une inutile attente, sous les Açores,

(1) Arch. nat., Personnel de la Marine, C 7 161, p. 178. B/4 32.


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fatigue l'équipage, ruinant le chef d'escadre dont les prises alimentent ordinairement la caisse d'entretien. Un va et vient s'établit avec Vigo. Une descente aux îles SaintGeorges ne procure que de l'eau douce et de maigres vivres. La campagne se termine sans résultat.

En 1709, la Gloire, embusquée au cap Lizard, a mission de disperser trois vaisseaux menaçant l'escadre. Le 14 mars elle les découvre ; elle s'avance, avec l'Amazone, pour une lutte disproportionnée. L'abordage est tenté, mais la mer, trop grosse, déjoue la manoeuvre, et les lames jettent les uns sur les autres les navires à les briser. Les deux frégates canonnées, démâtées, sont recueillies, en grand péril, par Duguay qui « ne put empêcher que la Gloire ne demeurât tout à fait désemparée avec perte d'un grand nombre d'hommes ». La Jaille dut se placer, en poupe du Lys, pour « travailler à se restablir ». A peine remise en marche, la Gloire, tandis qu'elle coopérait à la prise de quatorze navires marchands, était surprise par un cyclone, démâtée, couchée sur le bord. Le Lys n'était guère moins éprouvé. Ils rentrèrent au port « tous deux en fort mauvais estat ». Les réparations s'achevaient rapidement, car, avant la fin de 1709, une seconde sortie permit d'attaquer, dans la Manche, une flottille protégée par le Bristol. Ce gros bateau, battu de tous côtés, abordé, envahi, coula sur place entraînant dans l'abîme Anglais et Français pêle-mêle. Quatorze vaisseaux ennemis étant survenus, il fallut lâcher la proie. Le Lys, sous une canonnade furieuse, prend du vent et s'échappe pendant que la Gloire, moins leste, attire l'ennemi sur elle et succombe, après une résistance prolongée, à l'étreinte de trois ou quatre unités. « M. de la Jaille remplit tous ses devoirs avec sa valeur ordinaire ; il fut enfin contraint de céder à des forces supérieures » Tel l'hommage d'un chef au salut


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duquel la Jaille s'était dévoué (1). Il restait prisonnier des Anglais, qui menèrent leur capture à Plymouth.

La captivité de Jean de la Jaille fut de courte durée. Il reprit du service à temps, pour se joindre à l'importante manifestation de Duguay-Trouin contre le Brésil. Dans cette expédition, la Jaille commandait le Glorieux, de 66 canons avec 528 hommes d'équipage, de la Calandre de Blois comme second, Tonnancourt, du Gasté, de Saint-Prix, Dumenaye, Moulinneuf, Chevalier de Damas, Duval, officiers, plus un détachement de troupes de Kevavel, pour opérer une descente. La passe de Rio fut forcée par 300 bouches à feu sur dix navires, la Jaille, cinquième, le Glorieux prenant rang de matelot d'arrière du vaisseau amiral, poste de confiance et d'honneur. La rade fut occupée, les défenses étant réduites au silence. Au débarquement, la Jaille commanda avec le grade de colonel, le bataillon du Glorieux, fort de 221 hommes, placé au centre de la petite armée dans la brigade du chevalier de Bauve. Il avait sous lui M. de la Calandre, de Tonnancourt, de Sully-Nogent et plusieurs autres officiers (2). La ville, assiégée durant un. mois, et défendue par une grosse artillerie, dut se racheter pour éviter d'être mise au pillage. Cette opération, exécutée en septembre 1711, nous fit perdre 300 hommes, mais elle imposa nos lois aux alliés de l'Angleterre. Le retour, en plein hiver, fut pénible. La tempête ayant dispersé l'escadre, le Glorieux fut, pendant deux jours considéré comme perdu. Duguay pleurait déjà la Jaille, qu'il appelait « son bras droit ». Quand le 26 janvier, à la hauteur de la Corogne, le Glorieux.reparut en vue de la flottille. « M. de la Jaille vint à bord du commandant, raconte M. de Parcevaux dans sa relation de la campagne de Rio, et nous dit que son équipage avait fait un voeu, ayant eu leur

(1) Mémoires de Duguay-Trouin. Amsterdam, 1750.

(2) Revue Maritime et Coloniale, t. XCVI.


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gaillard d'avant une demy-heure dans l'eau ; qu'ils avaient été sur le point de couper leur grand mast et mast d'artimon ; ils pompoient à deux pompes pendant tout le coup de vent et le vaisseau ne gouvernoit point; la mer estoit haute comme des monts » (1). Duguay remorqua le Glorieux jusqu'à Brest où l'ancre fut mouillée le 10 février 1712. L'heure du désarmement avait sonné : la paix avec l'Angleterre mettait fin pour quelque temps aux combats héroïques dont on vient de citer quelques traits (2).

Rendu aux loisirs de la vie privée, Jean de la Jaille, âgé de quarante ans, mis à l'aise par des expéditions qui n'étaient pas sans produire certains émoluments, songea au mariage.

A Brest, le 18 mars 1712, il épousa Maria-Aimée de Betbéder de Bordenave (3), d'une famille basque que des services dans la marine avaient amenée en Bretagne. Elle était âgée de dix-sept ans, fille de Pierre de Betbéder, seigneur de Bordenave, lieutenant des vaisseaux du roi, et de Guyonne Dumain d'Angeret. Le marié, qualifié seigneur de Thou et de Verneuil, déclarait « avoir par devant lui en deniers comptant qu'il a gagnés au service du roi, la somme de trente mille livres » qu'il donnait en totalité à sa femme, si elle lui survivait. Le douaire de celle-ci était fixé à mille livres de viager sur les biens présents et à venir du mari, avec un préciput de deux mille livres en vêtements, bijoux, mobilier. Elle apportait en dot le manoir (4) de Kerasquer, en Lannilis, valant dix mille livres, loué 400 francs l'an à Vincent le Tort et Marguerite Lavenan, sa femme, propriété acquise en février 1707, par Pierre de Betbéder à Mgr Roland-François de Querhoent,

(1) Le Yacht, septième année, n° 309, p. 43.

(2) Mémoires de Duguay - Trouin, lieutenant-général des Armées navales. Amsterdam, 1756.

(3) Betbéder, armes : d'argent à la bande de sable.

(4) Lannilis, chef-lieu de canton, arrondissement et au N.-E. de Brest, Finistère.


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évêque d'Avranches, stipulant pour son frère Sébastien, comte de Coëtanfao, Guidon des gens d'armes de la reine, absent. La jeune épouse apportait, en plus, mille francs de rente annuelle achetée, en 1711, à Guillaume Grivard, sieur de Chef du Bois. La mariée était assistée de sa soeur RenéePerrine de Betbéder, femme d'Alexandre Gobert, inspecteur général des constructions de la marine (1).

M. et Mme de la Jaille firent un voyage à Thou, pendant l'automne qui suivit leur mariage, à l'occasion de la mort de M. de Verneuil, dont la succession nécessitait un règlement dont Jean et sa femme pouvaient seuls se charger.

Au moment où Jean de la Jaille va devenir unique propriétaire de Thou, quelques détails complémentaires sur la situation de cette terre de famille présenteront de l'intérêt. — Elle avait été grevée d'obligations si lourdes, du fait de Jacques, le grand'père de Jean, qu'à plusieurs reprises, elle avait été menacée de saisie.

Propriété vaste, étendue comme superficie, mais sur des terrains sans rapport, elle ne valait que sept mille livres. Sur cette valeur, en 1675, Honoré de la Bussière, seigneur du Tertre et Paul de Mazuère, sieur de la Mansais, se disputaient, la priorité hypothécaire. Leurs créances étaient postérieures à celles de Jean-Armand Fumée, un parent fort exigeant des la Jaille, au profit de qui la terre de Thou fut mise en vérité à la mort de Jacques.

R.-P. en Dieu, M. Jean-Armand Fumée, seigneur des Pioches Saint-Guentri, abbé de Conques, Figeac et SaintGenoux, missionnaire de l'ordre ecclésiastique, avait acheté les créances de Catherine Gautier, veuve de Pierre Harene et obtenu la saisie et mise en criée de la terre de Thou, par décret du 3 septembre 1678, à Tours.

Le château consistait en « maison, bastiment et tours, pavillons, avec chambres basses, salle, cuisine, caves

(1) Papiers de famille aux mains de M. le marquis de la Jaille.


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dessous, chambres hautes, antichambres, cabinets, greniers et combles dessus, écurie, pressouer, cuves, chapelle, grange, fuye à pigeons, haute et basse cour, jardin, terres et vignes, ruches, environnés de toutes parts de bois daspes, métairies, cours, courtières, dépendant de la dite maison noble, chenevières, terres labourables et non labourables, prez, vignes, bois, buissons, garennes, bois de haute futaie, taillis, brandes et paccage, droit de pêche dans la rivière de la Gardampe, cens, rentes, dîmes, terrages, lot et ventes, rachats, rentes foncières, droits et devoirs seigeuriaux et féodaux, droits honorifiques et justice, avec le fief de Monteheu et la mestairie de la Clairandière, le tout relevant de la baronnie d'Angles. » Comme charges domaniales annuelles, cinquante-six boisseaux de grains, un chapon et dix sous de rentes étaient dus à l'évêque de Poitiers, en qualité de baron d'Angles. Quarante-quatre boisseaux de grains à Genitour Poulain, et quatre boisseaux de blé aux religieux de la Merci-Dieu, pour l'enfeu héréditaire des seigneurs de Thou dans leurs églises et une messe chantée le lundi après la Toussaint.

Edmond de la Jaille se porta acquéreur au nom de Marie Frouin, sa femme, au prix de 6000 livres reçues, en 1680, de Messire Pierre Rochard, comme à compte sur la succession de Claude Frouin, père de Marie. Mais cette somme ne suffisait pas à désintéresser tous les créanciers ; Louis de Mauplain, seigneur de l'Isle, réclamait huit cents livres et actionnait sans relâche le ménage la Jaille ; il unissait à son jeu l'évêque, ou plutôt l'héritier de l'évêque, Philippe de Clérembaut qui n'était pas payé de sa rente. Edmond de la Jaille reçut de 1680 à 1685 plusieurs commandements ; il y eut des affiches, des criées, toute une mise en décret ; enfin l'on obtint, en 1687, quelque répit pour l'adjudication publique d'une rente de 48 boisseaux de froment due à la maison de Thou par le sieur de Jeu. Une autre créancière fort agissante était la dame Marie


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Liénard, veuve de Vincent de Chergé, seigneur de la Mansalière, près Sainte-Maure, proche parent de la Jaille. Jacques avait emprunté à son mari 2578 livres qu'il fallut payer en plusieurs à comptes, remis par Edmond de la Jaille et sa femme eu 1678, 79 et 80. Marie Liénard avait encore cédé en novembre 1686 à Pierre Thion, un billet de cent livres sur « Monsieur de Laialle-Verneuil ».

Il résulte en outre de nombreuses sommations faites à M. de la Jaille-Verneuil, au château de Thou, alors qu'il fut tuteur de ses enfants héritiers de leur mère, dès 1687 et jusqu'en 1706, que le domaine restait grevé d'obligations dont l'acquit était des plus difficiles. Certains marchands de Sainte-Maure, fournisseurs de Jacques de la Jaille, au temps qu'il était gouverneur de Nouâtre, menaçaient de faire vendre Thou. Un exploit d'huissier du 28 août 1701 relate le transport de Bergerant, demeurant à Sainte-Maure, jusqu'à Angles, pour dresser « un procèsverbal de rébellion contre le sieur de la Jaille » et même « répétition d'iceluy ». C'est alors que Jacques du Taillis, un des gendres d'Edmond, ayant obtenu la place lucrative de fermier général des seigneuries de Pleurmartin et de Jeu, se vit en mesure d'avancer à son beau-père l'argent nécessaire pour déblayer le terrain. Ces avances, peutêtre moins généreuses qu'intéressées, devinrent par la suite le prétexte de fortes exigences de la part de M. du Taillis.

Jean de la Jaille avait fait une courte apparition à Thou, en mars 1706. Il avait passé au château de Jeu, résidence de son beau-frère du Taillis, un accord touchant les prêts que celui-ci avait fait « tant pour les affaires particulières de feu Messire François de la Jaille, son frère aine, qu'au sieur de Verneuil, leur père, pour l'acquittement des poursuites faites sur la maison de Thou ». Il reconnut devoir de ce chef, 1803 livres qu'il s'engagea à payer à M. du Taillis en deux ans, sans intérêt, mais abandonnant


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à ce dernier 120 livres de rente dont était redevable la seigneurie de Jeu à la seigneurie de Thou ; du Taillis s'engageant à solder 75 livres que M. de Verneuil devait encore aux marchands de Sainte-Maure. Cette heureuse transaction fut signée à Angles, sur le « Conseil et bon avis » de Denis de Massougne, seigneur de Pontmoreau, ami commun des deux beaux-frères.

Jean de la Jaille revint à Thou, en 1710, sans doute pendant qu'il était prisonnier des Anglais, sur parole; c'est alors que son vieux père, âgé de plus de 80 ans et très impotent, jugea nécessaire, peut-être pour la sauver des entreprises de son gendre, de remettre à Jean la gestion' de la terre de famille, à laquelle il fallut de suite fournir un métayer, ce à quoi Jean de la Jaille « lieutenant des vaisseaux du roi » pourvut « estant de présent demeurant au dict lieu de Thou ». Le 13 mai 1710, Jacques du Taillis signa le reçu de la somme de 968 livres à lui remise par Jean de la Jaille, pour lui et pour ses cadets, et il le déclara « libre d'entrer en possession de la maison de Thou, en payant ce qui est porté par la ferme sans dépens ni dommages-intérêts ». Jean n'était donc encore que fermier. C'était là tout ce que lui concédait son beau-frère qui, depuis 1701, avait pris lui-même en mains propres la gestion du domaine de famille et y avait barbotté à son aise. Ce ne fut qu'après son mariage, et après la mort de M. de Verneuil, que Jean parvint à posséder Thou, sans contestation, et en toute propriété. Nous l'y trouvons, avec sa femme, le 25 septembre 1712 ; il achève, au prix de 2050 livres le remboursement total de toutes les avances que son beau-frère prouvait, sur pièces, avoir fournies pour empêcher les créanciers de faire vendre la terre patrimoniale du vivant de M. de Verneuil. Dans cette somme était comprise cent quarante six livres dépensées en réparations faites au château, et M. du Taillis quoiqu'il eut obtenu de ne rendre aucun compte des revenus du


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domaine perçus pendant les neuf ans qu'il l'avait tenu à ferme, se faisait remettre 195 livres d'indemnité pour la plus value du bétail et les améliorations apportées au matériel de l'exploitation. Le 12 octobre suivant, sous le toit paternel, Jean remboursa à sa soeur Geneviève clame de Chiron, femme de François de Ricoux, la part de sa légitime pour 1200 livres. Il obtint crédit pour le reste et put se dire le maître à Thou. On retrouve cependant une procuration délivrée par Jean de la Jaille, en 1730, à Madame de la Jaille se rendant à Poitiers et à Angles, afin de procéder à un dernier règlement de la succession paternelle avec ses soeurs survivantes, Madame de Néron, demeurant à la Vigerie en Saint-Martin de Tournon, et Madame de Ricoux demeurant au château de Chiron. Madame de la Jaille leur versa 600 livres à chacune provenant du remboursement d'un emprunt fait jadis à son mari par Madame de Marans, sa cousine (1). C'est ainsi que Thou, dégrevé de toute obligation et de tout partage, demeura entièrement aux la Jaille qui, d'ailleurs ne tardèrent pas à s'en désintéresser, puisque, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, ce vieux domaine poitevin était devenu la propriété d'un certain Perrat des Roches (2), dont le titre et la date d'acquisition ne nous sont pas connus. En 1715, la Jaille s'était fait maintenir en la qualité de « noble écuyer » comme seigneur de Thou, par la généralité de Tours ; en 1717, il fut nommé chevalier de Saint-Louis ; en 1720, après la mort de son beau-père qui résidait à Brest, dans la Grande Rue ; il s'occupait de faire rentrer des sommes prêtées par ce dernier ; c'est alors qu'il obtenait de François Duval, résidant à Lambezellec, le remboursement de 5000 livres, empruntées en 1686, et de Hyacinthe de Kersalguen, même somme empruntée en

(1) Papiers de famille aux mains du marquis de la Jaille.

(2) Carré de Busserolles.


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1712 ; en même temps il donnait à sa femme l'autorisation d'encaisser 3000 livres provenant de la succession de son oncle Martin de. Betbéder, procureur du Parlement de Bordeaux (1). De cet argent et de ce qui lui reste de ses prises, l'ancien corsaire va faire un noble emploi. Il achète, pour 16000 livres, la charge de gouverneur de la ville de Landerneau, qui avait été supprimée, et que le roi rétablit en sa faveur par lettres patentes du 29 avril 1723, avec 300 livres de pension annuelle à prendre sur les revenus de la ville (2). Le 7 août 1723, en résidence à Brest, M. et Mme de la Jaille se faisaient donation réciproque, entre vifs, de tous leurs biens, meubles et conquets immeubles en raison de « la bonne amitié qu'ils se portent ». Leur fortuné continuait à prospérer ; ils achetaient des terres, notamment en mai 1729, le manoir de Kerbel et dépendances dans la paroisse de Plouzannec, ainsi que la terre de Lanrivanant en Piouguin, arrondissement de Brest, avec des droits honorifiques, de prééminence et de sépulture dans l'église paroissiale qui y étaient attachés. Le lieutenant des vaisseaux du roi n'avait pas quitté le service : il était, à terre, capitaine d'une compagnie franche de la marine. Au renouvellement des hostilités, il embarqua ; il avait, en 1725, 1e commandement de la Thétis. Quelques années plus tard, il fut promu au gracie de capitaine de vaisseau, dans une circonstance dont un de ses contemporains a consigné le récit (3).

« De fort belles actions dans le service de la marine ont immortalisé la Jaille, dit cet auteur anonyme ; fidèle compagnon de M. Duguay-Trouin, il a contribué à sa gloire jusqu'à se rendre prisonnier pour le sauver. Aussi M. Duguay lui rend bonne justice dans ses mémoires ; il lui en donna

(l)Bibl. nat, ms., B/0 325.

(2) Original aux mains de M. le marquis de la Jaille.

(3) Note anonyme d'une écriture du XVIIIe siècle ; papiers de famille.

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surtout des preuves sensibles en 1727. Un. ministre auquel la France doit les plus grands éloges et que le monarque bienveillant qui le gouverne se fait un mérite de consulter, voulait inspecter le port de Brest. Pour y rendre sa présence plus chère, il devait y faire une promotion d'officiers. Avant de publier cette promotion il la communiqua à M. Duguay, qui fut surpris de n'y voir pas le nom de son cher compagnon la Jaille. Il n'hésita pas à en porter ses justes plaintes au ministre, dont la religion avait été surprise par les envieux de la gloire de M. de la Jaille. Il lui fit répondre que ce

dernier était hors d'état de servir ; pour toute réponse

M. Duguay demanda au ministre la permission de le lui présenter. Il le fit le jour même, et le jour même M. de la Jaille fut nommé capitaine des vaisseaux du roi » (1). (Brevet du 17 mars 1727). C'est en cette qualité qu'il fit, en 1728, un voyage de Brest à la Martinique, dont il adressa à la date du 20 juin, à Port-Royal, une relation au ministre, n'ayant trait qu'au mauvais temps, à la cherté des vivres, et à la perte des cocotiers qui réduit les colons à la nécessité de se nourrir de crabes : les rivières en sont pleines, on se bat pour les pecher ! Il attend l'ordre de faire voile sur SaintDominique, où il espère trouver des oeufs plus frais, ne coûtant pas trente sols la douzaine (2). Sur la liste des vaisseaux armés par ordre du roi, à Brest, en 1731, pour former l'escadre de Duguay-Trouin, figure le Mercure, commandant la Jaille : il suivit donc l'expédition d'Alger et Tunis, objet de cette campagne. En février 1733, la Jaille est désigné pour embarquer sur le Griffon, vaisseau amiral monté par le chevalier de Nesmond ; mais trois mois après, il reçoit le commandement de l'Asirée, frégate de 30 canons, à destination de la Mer du Nord, où le comte de la Luzerne, conduit une escadre de treize navires, manifestation destinée à appuyer l'élection de Stanislas au trône de Pologne.

(1) Arch. nat., Personnel de la Marine, G/7 161.

(2) Arch. nat., Campagnes Maritimes, B/4 40, p. 257.


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L'Astrée avait pour second M. de Brugnon, et comme officiers du Buisson, de Varennes, Cany-Drouallen, Bélingant, Parcevaux aîné, Roquefeuille, Tessé, Montallet. Elle ne connut que le feu des banquets, le choc des verres et les pointes de vin, à travers lesquelles « il n'y eut pas un officier qui se soit oublié le moins du monde » (1). Moins diplomatique et moins festoyante fut la campagne de l'année suivante (1734) menée dans la Baltique, contre les Russes, par de Barrail, à la tête de cinq navires, dont le Mercure, commandé par M. de la Jaille. Après une manifestation contre Dantzick, où notre ambassadeur à Copenhague, comte de Plélo fut tué, il fallut battre en retraite devant vingt-huit gros vaisseaux russes armés d'une forte artillerie. Duguay-Trouin, à qui l'on avait négligé de confier cette affaire, écrivait en juillet 1734: — « Mis de Barrail, de Beaumont, la Jaille, d'Estourmel, des Gouttes avaient passez en deux temps différents dans le nord avec leur cinq frégates pour passer ou escorter les troupes qu'on avait envoyées au secours de Dankick, secours trop faible tant par mer que par terre, nos trois bataillons ayant été repoussez et forcez de capituler, lorsque l'armée navale de Russie eut aporté la grosse artillerie pour le siège, et joint leur armée de terre à celle de l'électeur de Saxe, qui formait depuis longtemps le blocus de cette place. Nos frégates ont esté de leur côté obligées de céder la place aux vaisseaux de Russie, garnis de 110 pièces de canon, et d'abandonner la prise d'une frégate russe de 32 canons que MM. de Beaumont et la Jaille avaient fait auparavant » (2).

Ce fut vraisemblablement la dernière campagne de Jean. Au repos, nous le voyons assister, le 12 février 1737, à Brest, avec sa femme et ses enfants, au mariage de Vincent de Pleuc, seigneur de Kerharo, avec Marie Guyonne Gobert, leur cousine.

(1) Arch. nat., Campagnes maritimes, B/4 42.

(2) Arch. nat., Campagnes Maritimes, B/4 41-42.


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Le capitaine des vaisseaux du roi de la Jaille, chevalier de l'ordre militaire de St-Louis, mourut à Brest, le 5 février 1741, âgé de soixante-douze ans et fut enterré dans l'église de Saint-Louis de cette ville (1). Sa veuve, qu'on appelait la dame de Thou, lui survécut jusqu'en 1759. En 1745, elle renouvelait le bail de la seigneurie de Kerasquer, au profit du ménage Louanan ; en 1757, elle renouvelait le bail de la ferme de Gouazannou ; elle était alors tutrice d'André de la Jaille, son petit-fils, dont le père et la mère étaient décédés. En juin 1759, fut fait le rachat de sa succession, c'est-à-dire le paiement.des droits de mutation qui succède à tout décès.

Enfants de Jean de la Jaille et de Marie de Betbédert : 1° Marie-Perrine, née à Brest, le 20 janvier 1715, et baptisée à Saint-Louis par Jean Daguerre, curé de la paroisse ; parrain Pierre de Betbédert, lieutenant des vaisseaux ; marraine Renée-Perrine de Betbédert, femme de Me Gobert ; 2° RenéJean, né à Brest, le 24 avril 1716, baptisé le 12 novembre suivant par Jean-Jacques Perrot, curé de Saint-Louis ; parrain messire René Trouin du Guay, dit Duguay-Trouin, chevalier de Saint-Louis, chef d'escadre des armées navales du roi ; marraine, dame Guyonne Dumain d'Angeret, dame de Bordenave, son aïeule, en présence de M. de Blois, de Bordenave, S'héridan, de l'Isle Kerléan, de Barbinay-Trouin, René de Betbédert et Gobert (2) ; 3° André-François, qui suit.

II. — ANDRÉ-FRANÇOIS de la Jaille, seigneur de Thou, né à Brest le 5 décembre 1718, fut baptisé, le 6, à l'église Saint-Louis, par le recteur Perrot, présenté aux fonts par le capitaine de vaisseau André Géraldin et Françoise Dumain,

(1) Extrait du.registre paroissial de Saint-Louis de Brest. Jean de la Jaille comptait 54 ans dé service, 22 combats, 8 abordages, des mémoires contemporains le qualifient major du port de Brest, décédé dans cette fonction.

(2) Reg. par. de l'église Saint-Louis de Brest.


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sa tante, femme de Jean-Thimoléon de Blois, lieutenant des vaisseaux du roi (1). Devenu chef de sa branche par le décès prématuré de son frère aîné, il épousa, selon contrat daté du 30 novembre 1748, Thomasse-Charlotte Dumain d'Angeret, sa cousine, avec une dispense clans laquelle il est qualifié chevalier, titre repris en vogue à cette époque.

La famille Dumain habitait le château du Nivot, paroisse de Loperrec (2), dans le voisinage de Châteaulin. Il s'y trouvait une chapelle particulière, clans laquelle par autorisation épiscopale du 24 décembre, la cérémonie nuptiale eut lieu aux fêtes de Noël, en présence des témoins et des plus proches parents, parmi lesquels Madame de la Jaille, mère du marié, et Marguerite Auffret, mère de l'épouse, ainsi que sa soeur Anne-Charlotte qui fut plus tard unie à M. de Kersalaun, et Marie-Anne devenue madame de Trémignon. Les intérêts de la communauté étaient ainsi réglés : mille livres de rente sur la terre de Kergoat, 136 livres sur le loyer de deux maisons à Brest, la métairie de Kergra'ch louée 106 livres, et plusieurs petites fermes appelées Coat à poulain, Rosliviec, Kernoisec, Coatnabat, Coattanou, d'un rapport en bloc de 800 livres, voilà la dot. Le mari avait cinq cents livres de rente et la jouissance de la terre de Kerjézéquel valant mille francs de revenu, sans pouvoir couper les « bois de décoration ». Madame de la Jaille offrait de loger chez elle, à Brest, le ménage défrayé de tout entretien. Voici les noms qui figurent aux signatures du contrat: Betbédert de la Jaille, Auffret Dumain, Thomasse- Charlotte Dumain (l'épousée), la Jaille (l'époux), Charlotte Dumain, Dumain de Blois, Kermeno de Gouzillon, la Jaille de Kermeno (3), Ploeuc de Kerarho, Gobert de

(1) Reg. par. de l'église Saint-Louis de Brest.

(2) Loperrec, canton de Châteauneuf-du-Faon, arrondissement de Châteaulin, Finistère.

(3) C'est la soeur du mari qui avait épousé Yves de Gouzillon, seigneur de Kermeno, dont la signature précède la sienne.


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Kerarho, le chevalier de Roquefeuil, M. de Blois, le chevalier d'Ericourt (1).

François de la Jaille, entré au service comme garde de la marine, le 4 janvier 1733, à l'âge de quatorze ans, nommé aide d'artillerie, le 1er avril 1738, était embarqué sur la Gloire, la même année, et le fut sur le Saint-Louis en 1740. Il était passé enseigne de vaisseau, le 1er mai 1741, et commanda en l'absence du capitaine, une frégate, dans la flotte avec laquelle M. de Court livra, en mai 1744, devant Toulon, une bataille dont le succès eut pour résultat de sauver la flotte espagnole des mains des Anglais. La Jaille fut nommé chevalier de Saint-Louis, en récompense de la valeur et de la détermination qu'il montra à l'attaque et à la déroute d'une frégate anglaise plus forte que celle qu'il montait ; mais la relation succincte de cette affaire ne fait pas connaître le nom dû navire qui accomplit ce fait d'armes. Deux ans après, la Jaille commandait la frégate la Palme à destination de l'Amérique : détaché avec la Perle, commandant de Tréoudal, pour donner la chasse à des bâtiments anglais qui semblaient espionner le départ de la flotte, il les poursuivit, même avec « quatre jours de vivres seulement » et s'acquitta d'une mission difficile avec un succès qui lui valut le brevet de lieutenant de vaisseau endate du 1er avril 1748 (2). Une mort prématurée interrompit sa carrière, le 14 janvier 1750, à l'âge de trente et un ans.

Le décès de Madame de la Jaille, survenu moins de six ans après, fut l'occasion de discussions relatives à la succession de M. Dumain d'Angeret, son père. Les Dumain (3), étrangers à la Bretagne, avaient négligé de faire reconnaître leur noblesse. Il en résultait que pour eux un parti)

parti) de famille.

(2) Arch. nat., Personnel de la Marine, C/7 161, et Campagnes Maritimes B 4/56-58.

(3) Dumain, échiqueté d'or et d'azur..


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tage de succession serait réglé en roture, c'est-à-dire par parts égales, sans avoir égard à l'aîné. Cela eut souri à Madame de la Jaille de Thou, la grand'mère, laquelle y voyait un moyen, d'augmenter la fortune de son petit-fils, qui restait son pupille. M. d'Angeret, le fils, n'était pas de cet avis. Une lettre de lui, datée de Toulon, le 24 avril 1757, affirme, que personne dans son entourage, n'a jamais douté de son droit d'aînesse, et que si on lui faisait un procès à ce sujet, il en coûterait 150.000 francs ! ! ! et qu'on ■le perdrait (1). C'est sans doute clans ce but, qu'un arrêt du Conseil d'Etat, en date du 25 avril 1755, insinué à Nantes le 24 janvier 1756, avait reconnu et rétabli la noblesse des Dumain d'Angeret, comme issus d'une famille du Vivarais, connue depuis le XVe siècle, et dont les descendants s'étaient alliés en Bretagne aux de Blois, Villiers de l'Ile d'Adam,Roquefeuil, de Lestrange, etc., qui ne pouvaient admettre chez eux que des congénères. Cet arrêt avait été obtenu contre Thomasse-Charlotte Dumain, dont le mari était qualifié comte de la Jaille, première notion officielle d'un titre dans la famille (2).

En janvier 1760, au château du Nivot, de l'avis et bon conseil de M. Guillaume Pic de la Mirandole, sénéchalde Chateauneuf du Faon, un partage consciencieux fut opéré des biens laissés par Thomas Dumain d'Angeret. Le fils aîné garda la magnifique terre du Nivot et tous ses grands bois formant une forêt ; et le jeune de la Jaille reçut le manoir de Coatrisiou, la maison principale sise Grande Rue, à Brest, des rentes sur Kergoat et autres immeubles...; cela ne produisait toutefois que 1375 livres de rente (3).

III. — ANDRÉ-CHARLES, premier marquis de la Jaille, seigneur de Kerjicquel ou Kerjézequel, Kerasquer, Kergoat,

(1) Papiers de famille.

(2) Papiers de famille.

(3) Papiers de famille.


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le Roual, Coatrisiou, Kerbel, Kéréobret, Kerandraon, Larivanan et beaucoup d'autres fiefs acquis lorsque « l'argent d'Amérique » produit par ses possessions de SaintDomingue provenant d'une succession, vinrent augmenter sa position de fortune, naquit à Brest le 7 décembre 1749, fut ondoyé d'abord, puis baptisé le 17 août 1750, à l'église Saint-Louis par le recteur Perrot, qui, par une mesure de prudence observée en faveur des enfants dont le père a disparu, nota sur son registre « un fils légitime de défunt messire André-François de la Jaille, lieutenant de vaisseau, chevalier de Saint-Louis, et de dame ThomasseCharlotte Dumain, son épouse » (1). Il fut tenu sur les fonts par Charles-Yves de Gouzillon, seigneur de Kermeno et Anne-Marguerite Auffret, veuve de Thomas Dumain. Ayant perdu sa mère en 1756, il passa sous la tutelle de Madame de Thou, son aïeule, et à la mort de celle-ci, sous, son oncle M. d'Angeret qui régla, en 1760, la part de son pupille dans la succession de Thomas Dumain. A quatorze ans, André de la Jaille reçut un brevet de Garde de la Marine, signé du roi, contresigné du duc de Choiseul, le 16 décembre 1764. Après deux ans de stage, il fut embarqué sur le Défenseur, commandé par le prince de Montbason et le comte d'Estaing. Il servit successivement, comme Garde de Pavillon, sur l'Hirondelle, commandant de Briqueville ; sur l'Ecluse, commandant Mingaulx, où il fit, par brevet du 22 janvier 1768, fonction d'officier près M. de Saint-Allouarne ; sur la Perle, commandant de Mort ; sur le Cerf- Volant, commandant la Mothe-Piquet, avec MM. de Goësbriant, de Moëlien, de la Hayrie. Il fut détaché, pour commander par intérim, à Brest, en avril 1772, le Lévrier, commandant de Vaugiraud. Il fut commissionné Garçon-Major d'infanterie en janvier 1773 (2).

(1) Reg. par. de l'église de Saint-Louis de Brest.

(2) Brevets conservés dans la famille.


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Le 22 novembre 1773, à Lesneven (1), André-Charles de la Jaille épousait Marie-Vincente de Kerguiziau de Kervasdoué (2), née en 1755, fille mineure de François-Gilles de Kerguiziau, dit le chevalier de Kervasdoué, lieutenant des vaisseaux du roi, chevalier de Saint-Louis, et de ClaudePerrine du Poulpry. Qualifié « chevalier seigneur de Thou, enseigne- de vaisseaux », André présentait une lettre du ministre de la marine, lui donnant, de la part de S. M. Louis XV, pleine d'approbation pour ce mariage. Le contrat fut signé par du Poulpry de Kervasdoué, Gillette de Kerarvel, Marie-Françoise de Kerguiziau de Kervasdoué, Barbier de Lescoët de Kervasdoué, de Penfeunteniou, du Poulpry de Lauvengat, chevalier de Gouzillon de Bélizal, Jean du Poulpry, du Bouexie de Guicben, noms bien connus dans la marine et dont beaucoup sont encore portés clans la meilleure noblesse du Finistère. Enseigne de vaisseau à la station de Lorient, d'octobre 1773 à mars 1776, seule époque de sa vie où il eut quelque répit, ainsi qu'il le déclarait plus tard, la Jaille commande en second le Faune, sous' le chevalier de Belizal, puis le Laverdy, commandant de Trémignon, avec lequel il fit une campagne aux Iles de France et Bourbon, où sa santé ayant eu à souffrir, il obtint le 16 février 1777, un congé pour rentrer en France et fut rapatrié par le Saint-Germain. Le jeune enseigne était atteint « d'étourdissements répétés et considérables suivis de faiblesse avec perte de connaissance pendant l'espace d'une demie-heure ». Les traitements du bord ne parvenaient pas à le remettre. Il n'eut de soulagement que par « un cautère au bras » entretenu par le bois de Garou ; aux îles, où ce bois manquait, les accidents reparurent et le chirurgien déclara que

(1) Lesneven, chef-lieu de canton de l'arrondissement de Brest, Finistère.

(2) Kerguiziau, armes : d'azur à trois têtes d'aigle d'or.


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« un climat plus modéré servirait seul à une entière guérison ».

On trouve là une des premières manifestations de ce tempérament délicat qu'il croyait robuste, dont sa correspondance laisse percer parfois l'angoisse, et qu'une carrière extrêmement agitée devait soumettre à une terrible épreuve.

La guerre avec l'Angleterre ayant éclaté, la Jaille reprit d'abord du service sur le Coureur, dont par bonheur il remit le commandement à M. de Razilly, qui fut pris par les Anglais, dans la Manche, pendant le combat de la Belle Poule, le 17 juin 1778. Embarqué sur le Zodiaque où il dirigeait la manoeuvre sous M. de la Porte-Vezins, il prit part, le 27 juillet, à la bataille d'Ouessant. Il reçut, le 5 août, une commission de lieutenant, et cinq jours après, un ordre personnel de combat dans l'armée navale du comte d'OrvilIiers. Ce général réclamant l'armement immédiat de deux cotres, l'Expédition de 14 canons, donnée en commandement à M. de la Jaille, partit de Berthaume le 5 septembre et cingla vers les Sorlingues.La rencontre de trois navires anglais l'obligea à venir mouiller au Conquet. Sorti de nouveau en octobre, et séparé par la tempête de trois vaisseaux qui l'accompagnaient, la Jaille est rejoint par un Anglais qui vient à lui. Il court à sa rencontre « assurant d'un coup de canon son pavillon et sa. flamme ». Le cutter plus haut, plus long, plus, fort montre son flanc et lâcha sa bordée. Les deux navires se canonnent en exécutant les manoeuvres si compliquées dont dépendait alors le succès ; l'Anglais, ayant perdu le vent, se laissa côtoyer et foudroyer de cinquante coups à boulets rouges ; l'Expédition, atteinte à son tour dans la soute au pain, se voit obligée de « prendre chasse » ; elle s'écarte en envoyant « une grêle de balles et de biscayens ». Rentré le 3 novembre à Brest, la Jaille présente au comte d'Orvilliers son rapport si bien rédigé, si complet au point de vue technique, que le général s'em-


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presse de l'envoyer au ministre « comme propre à donner une idée du génie et des talents de cet officier». M. de Sartines ne tarda pas à répondre : il adressait, de la part du roi, des félicitations à M. de la Jaille, pour sa conduite clans un combat livré à une force supérieure, et le chargeait de compliments à l'adresse de MM. de Guernisac, du Quesnel et du Chastel, qui s'étaient distingués sous ses ordres (1). Au comte de Maillé qui recommandait vivement alors son protégé pour la croix de St-Louis, M. de Sartines répondait : « Je connais tout le mérite des services de M. de la Jaille et je lui donnerai prochainement le commandement d'un navire qui soit plus en état de seconder son courage », éloge vraiment flatteur, mais certainement mérité.

Après une fatigante croisière d'hiver, sous le comte de Guichen (on sait qu'il était fils d'une la Jaille), dans la rivière de Bordeaux (1778-79), notre jeune officier, que sa correspondance avec le ministre, montre déjà instruit dans son métier, bien noté et ambitieux, quitte la « nacelle », comme il l'appelait dédaigneusement, dans laquelle il avait fait de nouveaux efforts pour « hâter l'effet des flatteuses espérances » qu'on lui avait fait concevoir, et prend en avril 1779, la direction du Chevreuil, dans la flotte formée à Cherbourg, pour conduire 40.000 hommes sur les côtes d'Angleterre. Pendant la préparation de ce projet qui n'aboutit point, il se rendit à Cancale, attaqué par les Anglais, reçut du prince de Nassau le commandement d'une batterie de canons, qu'il n'abandonna que lorsqu'elle fut entièrement détruite par le feu d'un vaisseau anglais de 50 pièces d'artillerie. Il reprit enfin la mer, livra, le 9 juin, un combat contre deux corsaires anglais qu'il captura près de l'île de Jersey, et reçut du ministre, pour ce fait d'armes, une nouvelle lettre de félicitations, datée du 21 novembre 1779(2).

(1) Arch. nat., Campagnes Maritimes, B/4 137.

(2) Papiers de famille et Archives de la Marine.


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Dans la guerre d'Amérique, pendant laquelle trois escadres françaises balayèrent constamment l'Atlantique, le Chevreuil fit partie de la division, avec laquelle le comte de Guichen opéra dans les Antilles où furent livrés trois combats. A la suite de la campagne, l'amiral de Guichen, au nombre des propositions pour récompenses, pensions ou grades supérieurs à donner aux officiers qui s'étaient distingués, demandait pour « la Jaille » montant le Chevreuil « un commandement plus important » (mars 1781). En revenant des Antilles avec plusieurs officiers et quelques troupes, escorté par la Perle et le Léopard, le Chevreuil tomba dans le piège tendu par l'ennemi. « Après 17 jours de contrariétés et 46jours de traversée de la Martinique en France, a dit le commandant clans son rapport, le 14 décembre au point du jour, je me trouvai entouré de trente-huit bâtiments de guerre ; le temps était calme, je voguais à la rame et je partis à la route qui me donnait le plus d'espoir d'échapper à l'ennemi. A deux heures après-midi, j'avais déjà doublé les deux tiers de l'armée anglaise, lorsque le vent s'éleva favorable aux ennemis dont j'étais à portée de canon et qui me barrèrent le passage. Les vaisseaux le Foudroyant et le Courageux me canonnèrent en chasse, et j'étais entre le feu des frégates l'Entreprise de 32 canons et le Monsieur de 40. J'étais résolu à me laisser tirer jusqu'à la dernière extrémité, n'ayant pas le moyen de combattre des forces aussi supérieures ; lorsque le mauvais procédé de la frégate l'Entreprise qui me tira treize coups de canon à mitraille, me détermina un mouvement, de vengeance. J'ordonnai d'ajuster cette frégate, et, dans une bordée qu'elle reçut, elle perdit deux hommes et eut trois blessés ; on endommagea beaucoup ses gréements. Je me rendis enfin, après huit heures et demie de chasse et deux heures de canonnade, ayant reçu douze boulets dans le corps du bâtiment et sa mature, mais pas un homme atteint ».

M. de la Jaille a dit dans son journal du bord, au sujet


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de la prise du Chevreuil: « Je dois les plus grands éloges à la bonne conduite de MM. Scolan, Coffiéry, Bois du Parc et Quéneuf, officiers auxiliaires, et à l'intrépidité sans exemple de mon équipage que je commandais depuis trois ans, qui avait déjà combattu deux fois sous mes ordres et qui n'avait encore éprouvé que les événements heureux qui inspirent une confiance réciproque. Pas un seul homme ne diminua d'activité malgré le sifflement des boulets qui passaient sur leurs tètes. Lorsque je me déterminai à amener le pavillon, vingt voix s'élevèrent et l'on entendit : « Ne vous rendez pas, mon capitaine, nous nous battrons ». MM. de Kergariou, capitaine de vaisseau, d'Yoray, lieutenant dans le royal-comtois, de Kermesnil, lieutenant dans Viennois, tous trois passagers, restés sur le pont pendant toute la canonnade, ne furent pas moins charmés que moi de ce trait d'intrépidité. Je dis très haut que j'amenais le pavillon pour épargner le sang d'aussi braves gens, après avoir prouvé que les sujets du roi se laissent tirer jusqu'à la dernière extrémité lorsqu'ils n'ont pas l'espérance de repousser ou vaincre... Daté d'Aldesfort, le 2 janvier 1781 » (1).

— « Ce fut le plus grand malheur de ma vie ! »

ajoutait tristement M. de la Jaille dans son rapport à M. le duc de Castries. Des hasards heureux étaient venus en aide à sa hardiesse et à sa valeur ; il avait ramené de Bordeaux à Brest un convoi de 130 bâtiments chargés de vivres et par ce fait, ravitaillé les amiraux Guichen et Gaston, qui avaient pu reprendre la campagne. En une autre occasion, il avait échappé à deux frégates et à trois côtres chargés de lui couper la route, dans la passe dangereuse franchie de nuit, qui sépare Saint-Malo de Cherbourg. Mais la roue de la fortune ne présente pas toujours le même rayon. Le commandant du port de Brest, M. le comte d'Hector, avait excusé la Jaille. Le roi et le ministre

(1) Arch. nat., Campagnes de la Marine, B/4 184, Personnel, C/7 161.


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ne lui firent point, comme il le craignait, un grief de sa mésaventure. En 1781, rentré de sa captivité en Angleterre,. André-Charles se rendit à Versailles ; il voulait expliquer sa conduite, faire valoir ses droits à un grade supérieur et demander la croix de Saint-Louis. M. d'Hector, qui l'appuyait, lui écrivait à Morlaix, dès son retour, qu'il rendrait de tout temps justice à son zèle et à son activité. Mais la Jaille était tombé malade dans son château du Roual. Il s'impatientait d'une absence forcée destinée à nuire à ses affaires au moment où le ministre de la Marine devait faire un voyage à Brest. M. d'Hector le tranquillisait, en lui affirmant que sa présence n'était pas indispensable aux besoins du service. Le 1er juin, cet excellent chef communiquait à son subordonné, qui était son ami, une dépêche du ministre l'informant que le roi avait accordé des indemnités pécuniaires aux officiers du Chevreuil et à lui, la Jaille, la croix de Saint-Louis avec pension et la promesse d'un des premiers commandements disponibles. Le brevet de chevalier de l'ordre royal et militaire était daté du 18 mai, et le comte d'Hector, commandeur de l'ordre, avait commission de. S. M. pour recevoir le nouveau titulaire. La cérémonie fut touchante ; les félicitations étaient nombreuses. M. de Custine, homme célèbre de ce temps dans l'armée et à la Cour, adressait par écrit, le 10 juin, ses compliments à « son ami la Jaille », ajoutant que tout le monde approuvait une distinction bien due à ses services et à ses talents (1)..

Etre l'ami de Custine, c'était peut-être un brevet de philosophe, mais c'était avoir accès dans la société, la plus choisie de l'époque. « Madame de Custine était si respectée, a dit Madame d'Abrantès (2), qu'il suffisait d'avoir été admis chez elle pour l'être partout». Cette citation explique

(1) Papiers de famille.

(2) Les Salons de Paris, par la duchesse d'Abrantès, t. II, p. 69.


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que M. et Mme de la Jaille, dont la fortune était devenue brillante, aient aimé à se rapprocher de la cour et à faire, tant à Paris (1) qu'à Versailles, les séjours que le service et la fin de la guerre autorisaient. La marquise de la Jaille a laissé dans ce milieu des souvenirs fixés par une anecdote. Elle avait de la ressemblance, parait-il, avec la princesse de Lamballe et sa réputation de beauté parvint jusqu'à la reine Marie-Antoinette. La reine, voulant la comparer à son amie, désira que Madame de la Jaille lui fut présentée dans le salon intime de Madame de Polignac. La présentation eut lieu et la reine dut convenir de la réalité d'une ressemblance si flatteuse. Une des personnes qui fréquentait le plus le salon de Madame de Custine, était cette comtesse de Crenay, dont l'aventure avec M. de Vaudreuil fit tant de bruit, vers 1786, que les moralistes voulurent y voir, comme dans l'affaire du Collier, un prodrome de la Révolution. André de la Jaille fut un des témoins de Vaudreuil, dans le duel où Crenay trouva la mort. La lettre par laquelle il fit le récit de ce duel terrible à un ami résidant à Brest, a été retrouvée par un romancier moderne originaire de la même ville, qui en a tiré la trame d'un de ses romans dans le texte duquel il l'a citée en entier (2).

Lieutenant de vaisseau au cours de 1781, la Jaille commanda successivement, pendant la suite de la guerre anglo-franque, la Petite-Cérès de 22 canons, l' Active de 28, la Gloire de 36, dont la mise en activité est certaine, mais dont la position dans le groupement des escadres n'est pas connue. Nous savons seulement, par sa correspondance avec le ministre, qu'il fit alors deux stations en Espagne et deux stations en Amérique, qu'il fut, fin de 1781, expédié par le marquis de Bouillé en France « pour rendre

(1) Il habitait à Paris, hôtel de Vendôme, rue des Petits-Augustins.

(2) La Vigie de Coat-Ven, roman maritime par Eugène Sue.


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compte de l'effet de l'ouragan dans les Antilles » (1). On pense que ce fut alors, au cours d'un mouillage au cap haïtien, qu'il recueillit par héritage les biens de rapport dont on le trouve plus tard en possession, origine de la confiance que lui témoignèrent les colons de la grande île clans un moment difficile.

La Pérouse ayant été chargé de détruire les établissements anglais de la baie d'Hudson, l'Engageante de 38 canons, lui fut adjointe, sous le commandement de M. de la Jaille, mai 1782 à mai 1783. Cette campagne fut très pénible. Malgré les obstacles opposés par les brumes, les glaces, on parvint à réduire en cendres les forts d'Yorck et du Prince of Walles, ce qui fit perdre plus de quatre millions à l'ennemi (2). Mais l'Engageante fut très éprouvée ; trois fois elle fut sur le point de sombrer ; elle rompit ses ancres, perdit sa chaloupe et la barre de son gouvernail. Le sang-froid et l'énergie du commandant, au milieu des banquises et de la tempête, assurèrent le salut du navire. La Pérouse donna à son lieutenant un témoignage de haute confiance en lui remettant le commandement de la division pendant la marche à terre. « M. le chevalier de l'Angle et M. de la Jaille, écrivait la Pérouse au ministre, sont par leur zèle et leur manière distinguée de servir, susceptibles des grâces particulières du roi ; je les sollicite en leur faveur » (3).

Du 10 septembre 1782, à l'entrée de la baie d'Hudson, M. de la Jaille adressait un rapport sur le triste état de son bateau et de son équipage ; il avait perdu quinze hommes du scorbut et craignait d'autres décès. « Je ne suis pas exempt, affirmait-il, des maux qu'éprouvent mes hommes, et je sens trop souvent qu'un séjour à la mer,

(1) Arch. nat., Campagnes Maritimes B 4/184.

(2) Bulletin de la Société de Géographie, 7e série, t. IX, 2e trimestre année 1888, p. 158.

(3) Revue du Dauphiné, t. III, année 1879, p. 517.


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de sept ans consécutifs, nuit sensiblement à la santé ; j'oublie mes peines pour ne m'occuper que des moyens de mériter les grâces du roy ». Il mouillait en racle de Cadix, à la fin d'octobre, après 42 jours de traversée, nourri de «viandes salées cuites dans l'eau de mer ». Il avait cent malades à bord, malgré les soins pris pour ce aérer les ponts ». Il se disait « très fatigué ». Non moins fatigué son navire que le choc des glaces avait avarié au point qu'il ne pouvait « virer qu'en quille », le mat de misaine rompu. Toujours nerveux et inquiet, il craignait qu'on le taxât, en haut lieu, de ce quelque négligence» ; il suppliait le ministre d'écarter « tout doute sur sa bonne volonté et son exactitude ». Autre chose le tourmentait aussi ; c'était « compromettre la fortune de ses enfants » par les grosses dépenses qu'entraînait le service. « Trois campagnes de suite en Amérique, disait-il, et quatre ans et demi de commandement depuis une guerre si longue m'ont endetté ». Mais comme la générosité royale était alors la grande ressource des officiers, « il n'y a pas de sacrifice que je ne fasse pour servir le roy », ajoutait-il. Le ministre lui fit transmettre par M. de la Pérouse « la satisfaction du roy pour la manière dont il s'est comporté dans cette campagne » (1).

La paix ayant amené un désarmement, le lieutenant de vaisseau la Jaille eut mission d'aller opérer l'échange mutuel, avec les Anglais, des établissements pris durant la guerre, sur les côtes occidentales de l'Afrique. Il reçut, dans ce but, le commandement de la Bayonnaise de 10 canons, au début de l'année 1784 (2). Il y prit à Bordeaux,

(1) Arch. nat., Campagnes de la Marine, B/4 185.. n° 165.

(2) Arch. nat., Campagnes Maritimes, B/4 267. Pièces 200 et suivantes, contiennent les détails de cette campagne, le mémoire des instructions données par le Roi au « marquis de la Jaille » pendant un séjour à Versailles en novembre 1783, pour les explorations à faire sur la côte africaine, avec les lettres et rapport adressés au Ministre de la

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le comte de Repentigny, nouveau gouverneur du Sénégal, pour le conduire à son poste. Il eut fort à souffrir des caprices et des violences de la barre (1), « monstre engloutissant tout ce qui le brave». Il eut le chagrin de perdre son grand canot monté par neuf hommes dont étaient M. de Tronguédy, le chevalier du Plessis de Parscau et le chirurgien-major Hamel. « Mes regrets, dit-il au ministre, m'interdisent les détails de cette scène d'horreur ». Rentré en juillet, et ayant remis au ministre les cartes et les mémoires relatifs à cette mission, avec tous les commentaires que ses capacités spéciales lui avaient suggérés, il reçut, en octobre, le commandement d'une division composée de l'Emeraude, de 38 canons, qu'il montait, la Blonde de 28 et la Levrette de 10, avec ordre de lever des plans, sur le même côté, entre le Cap Blanc et SierraLeone. Il devait, si la chose était possible, établir un Comptoir sur ce dernier point. Par dépêche du 18 octobre 1784, M. le Maréchal de Castries annonçait à M. de Repentigny, gouverneur du Sénégal, l'envoi de M. de la Jaille, en ces parages, pour rétablissement d'un fort sur l'île Gambia, avec l'ordre donné aux magasins de Brest de fournir tous les effets, les munitions, les objets nécessaires, fixant à quinze hommes le contingent à laisser dans ce fort ; l'Emeraude et la Blonde devaient pousser jusqu'à la rivière de Sierra-Leone, y établir des relations, et rapporter des nouvelles de l'état de ce pays (2).

Conformément à ces prescriptions, la Jaille appareilla le 8 novembre, sortit vent debout, ayant été retardé par l'essai d'un nouveau cabestan, lutta contre, les éléments et après trente-trois jours de navigation difficile, arriva au

marine par le commandant de l'expédition, dont la signature est déjà « Marquis de.la Jaille », titre qu'il avait sans doute reçu à l'occasion de son récent séjour à la Cour.

(1) Il s'agit des fameuses barres (lames déferlantes) du Sénégal.

(2) Arch. nat., Campagnes Maritimes, B/4 270, p. 131.


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Sénégal. Il y resta trois jours, embarqua les quinze hommes, et se fit, par un pilote de Gorée, conduire chez les Bizagots le 25 décembre 1784. Ces sauvages très hostiles et toujours armés « ne recherchent que les armes, le feu et l'eau-de-vie, ne font aucun usage des produits de nos manufactures, non plus que des objets de luxe et d'agrément, auxquels tous les nègres de l'Afrique mettent une valeur' avantageuse pour le commerçant. Les Bizagots sont toujours nus ; plusieurs ont des étoffes d'Europe qui ne sortent de leurs cases qu'à la mort du propriétaire. Alors on étale les richesses du défunt que l'on renferme ensuite jusqu'à la mort du nouvel héritier. Toutes les tribus de ces peuplades se font réciproquement la guerre ; mais les hostilités cessent, et elles se réunissent toutes les fois qu'il s'agit d'attaquer les blancs (1).

Cette haine commune des Européens, M. de la Jaille allait en faire l'expérience. Le 31 décembre, ayant mouillé, à une portée de canon, dans une baie où les naturels lui faisaient des signaux, il détache quatre canots, en tient trois en réserve et s'avance dans le premier. Sur la grève, cinq ou six nègres sans armes gardaient quelques boeufs, avec une nonchalance très pacifique Il débarque avec son pilote ; les indigènes en plus grand nombre accourent, l'entourent et lui touchent la main en signe d'amitié. Mais le bruit de la mer empêchait M. de la Jaille d'entendre les cris et les appels des hommes restés dans les chaloupes, lesquels voyaient sortir des buissons des sauvages portant des lances et des fusils. En un instant il est attaqué, saisi au corps et aux jambes, enlevé et ne doit qu'à sa force et à son agilité de reprendre pied, pour se jeter à la mer, tandis que du canot M. de Garbonneau, qu'un coup de. feu renverse, et M. de Boisguehenneuc se précipitent à son

(1) Rapport de M. de la Jaille, cité par la Revue de Géographie, 11e année, p. 80 à 89.


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secours ; une salve de mousquetons tient en respect les Bizagots ; la Jaille rembarque, traînant le pauvre Carbonneau, qu'il a sorti des lames et qui mourut six jours après des suites de sa blessure. Le 4 janvier 1785, l'Emeraude mouille à Bissao, chez les Portugais, qui reconnaissent aux Français le droit de commerce sur cette côte, déjà explorée par la compagnie des Indes, mais déplorent une tentative à l'égard des sauvages indomptables.

Elle fait route sur l'ile des Idoles, où elle trouve un bâtiment français faisant, la traite des nègres à 20 guinées par tête. Elle file sur Sierra-Leone, où elle mouille le 12 janvier sans avoir pu, à regret, s'arrêter aux îles de Boulanc et de Bourbon. C'est là que, le 14 janvier 1785, M. de la Jaille obtint du roi Panabouré un traité en vertu duquel la France acquérait, contre une rente annuelle de cent barres de fer, un terrain suffisant pour l'établissement d'un comptoir. Les constructions commencées le 19, furent terminées le 26 février et coûtèrent 2900 livres. Mais ce climat malsain s'opposait à un séjour prolongé ; la Jaille était tombé gravement malade ainsi que le commandant du détachement du fort, le chirurgien et quarantecinq hommes. « J'avais le projet de visiter les comptoirs étrangers, a dit la Jaille, lorsque je vins à toute extrémité » Pour chercher des vivres frais, il fit route au

Cap de Monte, perdit son maître canonnier et son second maître de manoeuvre, ne reçut aucun secours des navires rencontrés, entra dans la rivière de Junko pour acheter boeufs et poules ; mais les naturels en exigeaient un tel prix qu'il lui fallut rallier Gorée, le 12 mars, où il rétablit enfin ses malades par 14 jours de relâche ; le 5 juin 1785, il arrivait à Brest (1). « Si l'on considère, écrivait-il, que j'étais infiniment malade, que tout le long de la côte je ne

(1) Il vint de suite à Paris et se trouvait en août aux eaux de Dinan en Bretagne.


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pouvais me procurer aucun secours, que j'avais 200 lieues à faire dans les orages et souvent dans les calmes, je ne serai peut-être pas blâmé d'avoir cédé à l'humanité et à la pitié et au devoir de conserver au roi les sujets qu'il m'a confiés » (1). Il lui fut répondu par des témoignages de satisfaction, et une gratification extraordinaire de 2400 livres lui fut allouée pour les frais du voyage. Il en avait reçu autant avant son départ (2). Ajoutons qu'un siècle et demi après la croisière de M. de la Jaille sur la côte africaine, la postérité maîtresse du Dahomey et du Congo a manifesté, dans une publication spéciale relatant les détails de son expédition, la reconnaissance des Français pour ce premier effort d'expansion coloniale (3).

Un brevet de capitaine de vaisseau sortit en sa faveur, en 1766 : le titulaire était qualifié marquis de la Jaille. Depuis trois ans déjà, tous les ordres de service, toutes les communications de la cour, donnaient au destinataire ce titre de marquis, couvert par la signature du roi Louis XVI et celle du ministre la Luzerne. C'est à partir de 1783 (4) qu'André-Charles de la Jaille prit à bon droit cette qualité dans les actes publics, notariés ou autres et par sa signature, tous actes, brevets officiels et lettres privées, dans lesquels le titre est consigné, étant conservés en grand nombre dans les papiers de la famille et clans ceux du ministère de la marine. Leur existence prouve l'inconséquence avec laquelle un certain vicomte A. de Royer a dit cavalièrement clans la Revue des deux

(1) Arch. nat., Campagnes de la Marine, B/4 210, p. 134 (dossiers Mis de la Jaille).

(2) Il avait reçu 100 pistoles (mille frs.) pour un séjour à la Cour où il donna les plans de son expédition en 1784.

(3) Revue de Géographie, 11e année, article de M. Ludovic Drapeyron,

(4) Nous avons fait voir que dès 1783 Mr de la Jaille portait officiellement le titre de marquis.


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Frances : « les marquisats de la Jaille sont chimériques », et donne la valeur des critiques de cet écrivain.

Major, par intérim, de la troisième escadre au port de Brest, en 1786 ; commandant au premier mars 1787, la Bayonnaise, école dans ce port, le marquis de la Jaille s'occupa de l'instruction des élèves de la marine : c'est le Borda de l'époque. Il y reçoit les princes de Conti, suivis d'un nombre invraisemblable de serviteurs que le commandant renvoie à terre, affirmant devant les élèves réunis que « tous étaient égaux devant la discipline », langage viril, mais un peu à la Custine, c'est-à-dire fermenté dans les idées provenant d'Amérique ; la noblesse s'en bourrait le cerveau, elle en connut trop tard le danger.

Des craintes de guerre, résultant des agissements des Anglais aux Antilles, ayant nécessité la formation d'une escadre, la Jaille prend, fin de 1787, le commandement de la Nymphe de 44 canons, ayant sous sa direction deux frégates de 36 « pour mettre à la mer au premier ordre ». En juillet 1789, il monte l'Engageante armé en guerre, et reçoit fin d'août, un ordre de départ « pour tous les services ». Sa destination était Saint-Pierre et Miquelon, où il devait commander en chef la station du Nord ; on là change bientôt pour les Iles Sous-le-Vent (1). Il prendra à son bord, M. le comte de Peynier, gouverneur de SaintDomingue, porteur d'ordres tellement secrets qu'en cas de mort, M. de la Jaille devait rentrer directement à Brest, pour recevoir des ordres verbaux. Un tel mystère présage des difficultés : Saint-Domingue est un volcan dont l'éruption menace, L'Engageante cingle vers les Antilles; elle mouille à Port-au-Prince et s'y tient à la disposition du gouverneur. Celui-ci donne mission à la Jaille de chasser un forban dans le canal anglais. Il lui adjoint la Philippine. Après quelques semaines de recherches inutiles les deux

(1) Iles sous le vent, Antilles, côtes du Venezuela.


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navires reprennent le mouillage, et assistent à des événements qui marquèrent la première étape de la vie d'agitation à laquelle le marquis de la Jaille semble avoir été, depuis lors, destiné,

La Révolution commençait. Dans la grande île, notre plus belle colonie, la cocarde tricolore fut de suite adoptée. La Jaille la fit prendre à son équipage. En même temps, il déclara à ses hommes que ce n'était pas l'emblème de la licence, que la discipline serait rigoureusement maintenue, et que la sévérité du commandement sévirait comme par le passé, contre tout perturbateur de l'ordre. Mais les temps difficiles étaient arrivés ; cette discipline que l'on voulait défendre, était sapée par les libéraux. Peu à peu les mulâtres s'assemblèrent ; ils prirent des armes, détournèrent des soldats, menacèrent les propriétés privées et les villes. Saint-Marc, sur le point d'être attaqué, dut être protégé par M. de la Jaille, que M. de Peynier envoya faire une descente pour arrêter l'émeute. Il fallut marcher contre l'attroupement pour le disperser. Les autorités de la ville vinrent trouver en corps le commandant de l'Engageante, pour le prier d'occuper la place et tenir en respect les insurgés. Il se rendit à leur voeu. Il ne se rembarqua qu'après avoir rétabli la tranquillité. Puis il leva l'ancre, croisa quelque temps sur les côtes de l'île pour en surveiller les approches, et prit son mouillage au Cap Haïtien, où il resta dix-huit mois. Pendant toute cette période son équipage repoussa tous les séducteurs qui pervertissaient la troupe et garda un ordre et une discipline qui méritèrent les compliments du roi.

Voilà à quoi s'est borné le rôle actif du commandant de l'Engageante à rencontre des entreprises révolutionnaires dans l'Ile de. Saint-Domingue ; rôle effacé, service commandé ...... On verra les calomnies que les.Jacobins en

tirèrent contre lui.

C'est pendant le séjour de M. de la Jaille à Saint-Domin-


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gue, que se produisit la révolte du Léopard. Le navire était commandé par le marquis de la Galissonnière. L'équipage, et surtout les bas officiers, détournés de leur devoir par les excitations des insurgés, firent cause commune avec ceux-ci. A l'ordre du départ, ils opposèrent le refus de manoeuvrer, sous prétexte qu'on voulait les conduire à la boucherie. On leur avait fait croire que l'Engageante, embossée sur leur passage devait les canonner. Le commandant et son étatmajor durent descendre à terre laissant le navire aux mains de ces malheureux qui s'étaient donné pour chef le second du bord, M. de Santo Domingo (1). Cette défection, qualifiée alors « événement aussi scandaleux qu'incroyable dont il n'existe point d'exemple dans aucune puissance maritime », nécessita la réunion d'un conseil de guerre composé de tous les officiers de vaisseau de la région, sous la présidence du marquis de la Jaille, le plus haut en grade après la Galissonnière disqualifié, assemblée qui flétrit l'équipage du Léopard non moins que les officiers restés à bord, et s'entremit auprès des autorités coloniales pour le rapatriement des officiers de ce navire débarqués à Port-au-Prince (7 septembre 1790).

Peu après l'aventure du Léopard, la Jaille reçut d'un officier(2) demeurant au Cap, un exprès porteur d'un message confidentiel, annonçant « de nouveaux troubles et d'une nature plus fâcheuse que les précédents ».

Létoivzé, chef de bandes, envoyé par les Jacobins de la métropole, et amené par un navire américain, était, sous un déguisement, débarqué dans l'île. Il avait passé sous les yeux des sentinelles qui n'avaient rien fait pour le retenir. Il avait rallumé, comme une étincelle sur une traînée de poudre, l'insurrection des hommes de couleur, en adressant au gouverneur général une déclaration d'indépendance

(1) Ce personnage dont la famille existe encore a joui d'une certaine célébrité sur laquelle nous n'aurons pas à insister en cet ouvrage.

(2) M. de Montcabrié.


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L'officier qui communiquait la nouvelle de ce grave événement, prélude de la perte, pour la métropole, de l'île SaintDomingue, annonçait son prochain retour en France, et s'en montrait satisfait. M. de la Jaille ne tarda pas à rentrer à son tour. Le comte de Peynier, gouverneur général, rappelé par le gouvernement, disposa de l'Engageante, pour revenir à Brest, où la frégate arriva en mars 1791. M. de la Jaille se disait alors venu « du bout du monde », et il utilisait, pour le paiement de sa pension dans l'ordre de Saint-Louis, un certificat délivré par Olivier de Bergevin du Lescoat, juge au tribunal de cette ville. Il constatait aussi avec tristesse les efforts d'une populace inconsciente à détourner les hommes d'équipage de leur service et de la discipline, et il s'assombrissait en entendant répéter, sur son compte, des propos malveillants dont il craignait, avec raison, l'influence sur son avenir. Cependant il trouva une compensation clans l'accueil flatteur qu'il reçut à Paris, de la part du ministre de la marine et de ses propres amis.

Sans vouloir pénétrer sur le terrain de la politique qui bouleversait la France à cette époque, il importe à notre sujet de jeter un regard sur la situation faite aux officiers de marine par l'émigration.

« A cette époque, à dit M. de la Jaille, le corps de la marine avait émigré en masse et s'était réuni à Enghien, où il prit la résolution de ne faire aucun service jusqu'à ce que le roy ne fut rendu à la liberté (après le voyage de Varennes), les absents étaient compris, sans être consultés, clans cette détermination de la majorité du corps ». La Jaille se reposant au Roual des fatigues de son séjour aux colonies, se disposait à rejoindre ses congénères, quand il fut rappelé à Paris par la réunion des colons de Saint-Domingue, dont les intérêts étaient connexes aux siens. La situation de cette colonie était lamentable. « A partir de la fin d'octobre 1791, a écrit Taine, la guerre servile, les bêles fauves lâchées contre leurs gardiens, 50000 noirs en campagne et pour


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premier début, 1000 blancs assassinés, 15000 nègres tués, 200 sucreries détruites, le dommage évalué 600 millions, une colonie, qui à elle seule, valait dix provinces, à peu

près anéantie » (1). Voilà le bilan de notre grande

Révolution dans les Antilles.

« Les désastres que les personnes et les propriétés éprouvaient à Saint-Domingue, a dit la Jaille, rappelèrent aux colons de cette île, légalement assemblés à Paris, au nombre de 250, les services que je leur avais rendus dans les commencements de la Révolution, et me croyant mieux informé des localités qu'un autre, désirèrent qu'on me confiât le commandement de l'armement qui se préparait alors pour aller aux secours de cette colonie ».

En effet, une députation composée de MM. le comte de Duras, le vicomte de Maillé, Relin et le chevalier de Labedat, remit au ministre Bertrand de Molleville une pétition demandant le retour de M. de la Jaille au Cap Haïtien, avec une force respectable.

« Il me firent l'honneur de m'en parler, continue l'intéressé, ainsi qu'au comte de Villeblanche, major de vaisseau, colon lui-même. Les capitaines qui devaient commander les vaisseaux le Jupiter et le Duguay Trouin pour l'expédition que le Gouvernement projetait, étant déjà nommés, nous fismes de cette circonstance le motif de notre refus qui ne satisfit point les colons. Pour être en règle avec le corps de la marine, nous fismes demander les ordres de leurs Altesses Royales alors à Coblentz, par MM. le comte de Vaudreuil et de Calone. La réponse de nos princes fut précise et sans réplique. — Saint-Domingue étant considérée faire partie intégrante de l'empire français, tout sujet doit la secourir clans ses périls et les officiers de marine ne peuvent se soustraire à-ce devoir sans, exception. — On décida le capitaine du Duguay-Trouin à remettre ce vaisseau, et, à la

(1) Origines de la France contemporaine, par Taine, t. V, p. 147.


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sollicitation des colons, le ministère m'y nomma, commandant en second l'expédition, le capitaine du Jupiter étant mon ancien » (1). Il faut ajouter, d'après une communication du ministre, que M. de Kerléoret, commandant la frégate la Précieuse, avait été, avec son navire, adjoint à cette expédition (2).

Lorsqu'on apprit à Brest le choix du gouvernement, l'effervescence des Jacobins fut grande. Un commissaire de la marine, alors procureur de la Commune « accumula dans un discours public tous les genres d'outrage, de calomnie et de menace contre l'ancien commandant de l'Engageante ». Les citoyens de Brest, affirmaient les officiers municipaux, n'ont plus connu de bornes à leur indignation, quand ils ont vu mettre à la tête des forces décrétées pour les colonies, des officiers voués à la méfiance publique et notés d'incivisme. On range dans cette classe M. de la Jaille, dénoncé pour avoir commis dans les dernières expéditions aux Iles des vexations qui sont restées impunies et n'ont même pas été démenties (3). Le conseil général du département enchérissait en assurant que « les citoyens indignés voient arriver avec horreur le sieur Lajaille chargé de l'expédition de Saint-Domingue ; cet officier a été dénoncé à la France entière, comme fauteur et complice des Froubles des colonies lorsqu'il commandait la frégate l'Engageante en 1790 ; on l'accuse d'avoir versé le sang des Français. S'il est coupable de ce crime, se peut-il qu'on se permette d'employer encore au service de l'Etat les ennemis de son bonheur ! » (4).

(1) Arch. nat., Personnel de la Marine C/7,161, dossier Lajaille.

(2) M. de Ville blanche, n'étant pas parti, Kerléoret le remplaça comme second. La Jaille resta chef de l'expédition, avec promesse du gouvernement de l'île.

(3) Arch. nat., Dépt du Finistère, F/7, 3676-1. Brest 1791-1792. (4) Arch. nat., id., rapport signé Kergariou, président, Pascal, viceprésident à Morvan, Belval, F.-M. Derrien, capitaine P.-G., L.-J. Gas-


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« M. de la Jaille, officier de marine d'un mérite distingué et héréditaire dans sa famille, rapporte Mallet du Pan dans son journal, s'était rendu à Brest pour commander l'un des vaisseaux que le roi voulait envoyer au secours des colons de Saint-Domingue ». — « N'est-il pas affreux, se sont écriés les patriotes qui exercent le pouvoir législatif, exécutif, administratif et judiciaire clans les rues de Brest, n'est-il pas affreux de récompenser par un commandement un des

agents des premiers troubles des colonies? — C'est un

scélérat qui a fait rougir des boulets pour tirer sur les patriotes. Il est sans doute renvoyé aux Antilles pour y opérer la Contre-Révolution. Si nous n'en faisons pas justice nous-mêmes, il restera impuni comme les autres .... etc » (1).

Le 26 novembre 1791, une réunion de la société dite des Amis de la Constitution, fut tenue dans la salle de spectacle, à Brest. On y concerta la réception que la ville allait faire au commandant du Duguay-Trouin, dont la venue était annoncée pour le lendemain. « Les résolutions qui y ont été prises n'annonçaient que trop l'orage qui menaçait M. de la Taille. Il était du devoir des officiers municipaux de s'informer du moment de l'arrivée du commandant qu'on savait être très prochain, et de pourvoir à sa sécurité ». Il n'en a été rien fait et « c'est un très grand hasard qu'ils aient pu intervenir à temps pour empêcher le massacre de

M. de la Jaille ». Ce dernier, descendu à Brest, le 27 à

midi, s'était rendu d'abord chez M. de Marigny, préfet maritime ; puis, rentré à l'hôtel, s'était mis à table. Il était encore sur l'impression de sa visite au chef qui le présentait comme « un brave militaire, un bon officier et un homme d'esprit » (2), lorsque cinq ou six individus demandèrent à

nier. Le Prédoux, Tanguy, Thomas, J.-G. Grivard, L. Derrien, Marec, secrétaire.

(1) Mercure de France, nov.-déc. 1791, B. N., imp. L/2 C, 39.

(2) Arch. nat., Dépt du Finistère, F/7, 3676. Lettre de M. de Marigny, commandant la marine à Brest, au ministre, à Paris.


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le voir. Introduits aussitôt, l'un d'eux lui déclare (1) que « la basse classe » ne veut pas qu'il prenne son commandement. Après quelques pourparlers, la foule augmentant, une vingtaine de personnes entrèrent et affirmèrent « au nom d'un grand nombre de citoyens que sa présence à Brest exciterait des troubles et qu'il fallait qu'il en sortit, car on ne souffrirait pas qu'il prit le commandement d'un vaisseau ». La Jaille

répond qu'il va sortir dès qu'il aura dîné. Quelques

minutes après, une députation plus nombreuse encore vient le sommer de partir sur le champ et de se joindre à une escorte prête à le conduire à la porte de la ville. Il se résigne à ce qu'on exige de lui et le voilà en marche jusqu'à la porte de la ville qui donne vers Landerneau. Mais rendu là, l'escorte l'abandonne et « à peine est-il dehors qu'il est assailli avec la plus grande violence par une foule de gens du peuple » ; des huées, des menaces, des cris épouvantables se font entendre ; les bras se lèvent, on le pousse, on veut le frapper. Un sellier, nommé Plessis, prend le côté de l'officier royal, lui offrant son appui et sa protection ; deux ou trois autres assistants se joignent à lui, éloignent de leur mieux les furieux qui cherchent à lancer de mauvais coups. On marche, on regagne avec force difficultés le relai de poste où le commandant espère reprendre les chevaux qui l'ont amené. Les chevaux sont là ; mais il n'est pas plutôt en selle qu'on le fait descendre ; après l'avoir expulsé, on ne veut plus le laisser partir ; on le ramène vers la ville et c'est alors que le calvaire commence.

Cependant quelques honnêtes gens s'indignent, ils entourent l'officier et s'efforcent de l'aider « de corps et d'âme ». Le soutien moral est efficace dans ces circonstances, MM. Prigent, marchand de vin, Philibert

(1) Un huissier du tribunal du district a, d'après l'information faite par le procureur général syndic du département, dû renoncer à le poursuivre pour éviter de nouvelles fureurs populaires.


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Sicard, Talpin, employés dans la marine, et surtout M. Trouille, que le lendemain la Jaille remercia avec chaleur « d'avoir puissamment contribué à lui sauver la vie », l'ont ramené jusqu'à l'intérieur de la ville, au milieu des plus grands dangers, comme l'a raconté M. de la Jaille. — « On m'arrache des bras de mes défenseurs, on me porte sur le bord du grand chemin. Un traître qui faisait semblant d'implorer la pitié pour moi, me presse ses mains sur les yeux, tandis que d'autres, ployant mon corps, font des efforts pour me faire baisser la tête, afin de présenter mon cou sous le tranchant d'un couteau. Le coup mal porté tombe à faux sur le collet du gros habit, un second coup

coupe mon vêtement et m'entame l'épaule droite enfin

un mouvement de fureur s'empare de moi, j'écarte la foule devant et derrière, je lève la tête, j'y reçois deux nouveaux coups, j'en pare un troisième de la main gauche, mon bras

droit garantit ma tête d'un autre côté il n'en résulte

que de la douleur et point de sang » (1). Il faut citer le

récit dramatique de Mallet du Pan.

— « M. de la Jaille est sur le port de Brest, entouré d'une populace affamée de son sang. On le presse, on l'étouffe ; cent mains effrénées se disputent le bonheur de l'égorger, de le déchirer. Un dragon passe. On se jette sur lui pour s'emparer de son sabre. L'honnête, le bon, le loyal dragon défend son arme qu'un meurtre est prêt à souiller, mais la force la lui ravit. Un misérable, le sabre à la main, se prépare à frapper l'intrépide officier. L'arme tourne et coupe deux doigts à l'assassin. Il jette un cri de douleur et se perd dans la foule. La rage augmente, la soif du sang s'irrite. On aperçoit un chaircuitier. Sa profession promet un bourreau. Des clameurs impérieuses lui demandent la tête de la Jaille. Il accepte le crime, écarte la multitude en faisant étinceler

(1) Papiers de famille, relation de l'affaire par Mr de la Jaille à Brest par lui-même.


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l'arme terrible, saisit la victime d'une main, se renverse pour ramener le fer sur elle, et tout à coup d'une voix étonnante : — « Vous êtes des scélérats ! le premier de vous qui approche, je lui plonge le sabre dans la poitrine. S'il y a quelque honnête homme ici, qu'il se joigne à moi pour sauver ce courageux officier ! » Le silence et la consternation succèdent aux fureurs. Le sublime libérateur de M. de la Jaille l'enlève au milieu des fauves intimidés et le conduit au château sous une escorte imposante (1). Ce tableau forcé en couleur doit être ramené à la teinte grise. Lauverjat, charcutier à Brest, ancien grenadier, sortait de la ville, avec sa femme, pour.une promenade. Il voit l'attroupement,

l'attroupement, mêle et s'indigne d'un spectacle répugnant. C'est un colosse ; sa force et sa haute stature sont au service d'une âme généreuse. Il se jette dans cette foule, bouscule les plus entêtés et arrache M. de la Jaille aux mains des assassins. Les rapports officiels parlent d'un « chaircuitier

qui l'a couvert de son corps » et de « citoyens généreux » tels que M. Trouille, commandant de la garde nationale, Jean Plessis, Prigent, marchand de vin, Sicard, canonnier matelot et Tulpin, commis aux hôpitaux de la marine qui joignirent leurs efforts pour défendre M. de la Jaille « prêt à succomber sous les coups d'une multitude qui demande vengeance des cruautés dont on croit qu'il s'est rendu coupable dans les colonies » et, au milieu des plus grands dangers, parviennent à le ramener au corps de garde de la porte de Landerneau « où le sieur Lauverjeat le porte entre ses bras, tandis que l'officier de la garde nationale commandant ce poste résiste, avec toute sa troupe, au peuple qui menace de le forcer à lui livrer la victime » (2).

(1) Mercure de France, par Mallet du Pan, nov.-déc. 1790, B. N., imp. L 2 C, 39.

(2) Claude-Marie Lauvergeat « qui a vu plusieurs fois sa vie dans le plus grand danger » fut récompensé par une souscription des officiers de la marine, qui produisit plus de cent louis d'or, affirme


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« Tout ce que l'amour propre, clans un homme sans reproche peut éprouver de plus révoltant, les injures, les menaces, les calomnies les plus atroces, et pour toute consolation, l'air consterné de quelques gens qui paraissent affligés de mon sort, mais qui n'osaient me reconnaître, un seul ayant avoué avoir navigué sous moi et se permettant de déclarer que j'étais un brave homme, menacé à son tour

quoiqu'il affirmait dire la vérité » Voilà l'agonie morale

qu'à peine arraché aux griffes du tigre, dut subir clans ce poste (1), pendant quatre heures, l'officier de la marine royale, attendant qu'on vint le délivrer.

Cependant, la municipalité était avertie. Nous avons le rapport sur l'intervention nonchalente et tardive qu'elle apporta au tumulte. Il était quatre heures et demie, quand un planton de la garde nationale s'est présenté à la maison commune pour annoncer aux officiers municipaux, qu'un attroupement considérable faisait violence à « un particulier sur les glacis », que le poste avait recueilli « pour le soustraire à la fureur populaire ». Le bureau-sortit « au nombre de quatre revêtus de leurs écharpes » ; il s'adjoignit le substitut du procureur de la Commune, et bien lentement, il se rendit au lieu de l'émeute. Il entra clans le poste vers

Mallet du Pan. La Restauration lui offrit un sabre d'honneur. Sous la Terreur il avait dû se cacher étant considéré comme un « aristocrate ». Un petit-fits de Lauvergeat, M. Sabot, s'étant trouvé sous les ordres du marquis de la Jaille, colonel de cavalerie en Afrique vers 1860, vit sa promotion au grade d'officier très soutenue et rapidement obtenue par l'intermédiaire d'un chef heureux de payer la dette contractée par son aïeul. Parmi les sauveurs de M. de la Jaille à Brest, « Tulpin (HenriFrançois) a été atteint et blessé au genou et à la jambe d'un coup de sabre dirigé sur la tête de M. Trouille (Jean-Nicolas) à l'instant où il tenait M. de la Jaille dans ses bras, et le nommé Picard (MathurinPhilibert) a reçu un coup de sabre sur la main ». Des médailles d'or leur furent offertes au nom du roi. Ils les refusèrent alléguant que tous les honnêtes gens avaient comme eux « pris part à la libération de M. de la Jaille ».

(1) Commandé par Claude Biozon, comité du bagne, lieutenant des canonniers de la garde nationale.


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six heures, y trouva « effectivement un particulier revêtu d'une redingote grise, lequel dit se nommer M. Lajaille, capitaine de vaisseau, etc ». Ces officiers ont ordonné au peuple de se retirer. Cris, refus de circuler, menaces et augmentation de tumulte. Il faut se rendre à la maison commune, prendre une délibération, faire battre la générale et réquisitionner toutes les troupes de la garnison ». « Les ténèbres de la nuit rendant aussi incertain que dangereux l'emploi de la loi martiale, on s'est borné à publier à son de caisse l'ordre de se retirer sur le champ, afin que les troupes puissent exécuter ce qui serait prescrit pour le rétablissement de la tranquillité publique ». Mais le peuple ne sait plus obéir ; l'attroupement « s'est reformé avec autant de force ».

« Les corps administratif et municipal ont balancé sur le parti qu'il leur restait à prendre ; il a été proposé de faire sortir le sieur Lajaille de la ville, sous l'escorte des dragons et des gardes nationaux avec charge de le conduire dans le lieu qu'il indiquerait ; mais sur ce qu'il a été observé et reconnu que les avenues des glacis étaient remplies de monde et d'un peuple immense, qu'ainsi ce moyen exposerait cet officier aux plus grands dangers, que d'ailleurs sa présence au corps de garde irritait de plus en plus les esprits, et que l'obscurité de la nuit ne. permettait plus d'espérer que sa translation à son domicile put s'effectuer sans crainte pour ses jours ; après en avoir conféré avec M. Labourdonnais, maréchal de camp et autres chefs militaires, il a été unanimement résolu de transférer le sieur Lajaille au château de Brest, sous l'escorte des troupes réunies » (1).

Le transfert du prisonnier à la forteresse ne se fît pas sans difficultés : les huées, la bousculade recommencèrent. M. de la Jaille, les vêtements déchirés et nu tête, dut être

(1) Arch. nat., Dépt du Finistère, F/7, 3676-1.

25


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placé entre plusieurs rangs de soldats. On lui donna un chapeau. Il passa cinq jours dans une chambre sans lit, sur un tas de paille, avec une fenêtre sans carreaux et un mauvais poële donnant plus de fumée que de chaleur, malgré « l'injonction expresse faite au concierge d'avoir pour lui tous les égards dus à sa position ». Sa principale préoccupation était de démontrer aux Brestois son innocence. Voici une lettre que, du cachot de Brest, il adressait, le 29 novembre 1791, à un de ses familiers, à l'assemblée législative :

« Mon cher Monsieur Belin, mon bon ami, je n'ai ni le temps ni la force de vous faire la longue et pénible narration de l'effroyable aventure qui m'est arrivé ici. Il a pensé m'en coûter bien cher pour mon empressement à remplir mes devoirs. Il est un service très essentiel que j'attends de votre amitié pour moi : l'on dit ici et l'on croit assez généralement qu'il existe une dénonciation contre moi au comité de la marine de la nouvelle législature. Je vous prie de voir M. le président de ce comité et de le supplier de vous dire ce qu'est cette dénonciation que je n'imagine pas ; et si, comme je le pense, il n'en existe pas, obtenez qu'il vous donne un certificat qui exprime qu'il n'y a pas eu dénonciation contre moi à ce comité ; cela m'aidera à confondre mes ennemis ». Les démarches de M. Belin au profit de « cet officier malheureux que j'aime et que je respecte », affirmait-il, obtinrent des autorités compétentes l'attestation « qu'il n'existait point de dénonciation contre M. de la Jaille », envoyée aussitôt à Brest, avec l'empressement que l'intéressé « attendait de ses soins et de la plus simple justice » (1).

D'un autre côté, le ministre de la Justice enjoignait au Directoire du département de prendre les mesures nécessaires « pour que M. de la Jaille puisse jouir incessamment de la liberté et de la sûreté qui lui sont garantis par la loi ».

(1) Arch. nat., Personnel de la Marine, C/7,161. Dossier La Jaille.


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Il fut relaxé le 2 décembre, au matin, se flattant d'avoir « éclairé l'opinion publique et détruit ou affaibli les préventions existant sur son compte » (1).

M. Taine, qui n'a vu ces événements que de très haut, a fait valoir que la victime de l'effervescence populaire à Brest, était moins « un aristocrate hautain qu'un: homme sensible à la façon des héros de Florian et de Berquin ». Nous avons dit que la Jaille, esprit ouvert et coeur vibrant, s'était laissé impressionner par les idées libérales, les illusions venues d'Amérique. Les lettres qu'il adressa, du Roual (2), le jour même de sa libération, à tous ceux qui méritaient sa reconnaissance ne sont pas de nature à nous démentir.

1° Lettre au Directoire du District, 2 décembre 1791.

« Messieurs. Vous m'avez fait éprouver les effets de votre activité bienfaisante, j'ai reçu le prix de vos soins et, comme Français, comme individu confondu dans la masse de vos administrés, comme homme sensible enfin, j'ai le droit de vous porter l'hommage de ma vive reconnaissance et j'use de ce droit avec empressement.

« Heureux dans mon infortune, puisque je serai désormais exempt de faire connaître ceux qui se sont permis contre moi d'aussi étranges infractions à toutes les lois divines et humaines ! Qu'ils soient sans peur ceux-là, les larmes de la vertu ont étouffé dans mon coeur jusqu'à

l'étincelle de la vengeance. J'ai tout oublié (voilà

qui est plus qu'humain, mais chrétien).

« Mais ce que je n'oublierai jamais, Messieurs, c'est l'en(1)

l'en(1) nat., Dép. du Finistère, F/7, 3676-1.

(2) Château du canton de Lannilis, arrt de Brest. Cette propriété venait de Mme de Bordenave, bisaïeule d'André de la Jaille ; Charlotte Gobert, sa petite fille, sous la tutelle de son grand'oncle Jean de la laille, le possédait en 1739, elle le laissa par testament à son cousin André.


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gagement que je contracte ici par votre organe avec mes concitoyens, de répondre à toutes les inculpations dont il daignent me donner connaissance.

« Je n'ai pas à me reprocher une tiédeur condamnable et je ne me suis jamais assoupi clans la confiance de l'estime publique que je méritais et que je mériterai toujours.

« J'ai fait sans succès toutes les démarches que je croyais capables de me procurer les dénonciations mensongères des ennemis de ma tranquilité. Ils m'ont entraîné, les cruels, sur le bord de la tombe, mais des Dieux tutélaires, mais les gardiens des lois m'ont élevé au-dessus du malheur, et j'existe encore pour sentir avec toute l'énergie de mes facultés les sentiments que vous m'inspirez et que je vous ai exprimés.

« Daignez, Messieurs, recevoir avec bonté ce sincère aveu, et permettez-moi d'y joindre le profond respect avec lequel j'ai l'honneur d'être, Messieurs, votre très humble et très obéissant serviteur.

A. DE LA JAILLE ».

2° Lettre au président de la société des Amis de la Constitution (1), 2 décembre 1791.

« Monsieur le Président,

« Je suis libre, et, si des raisons particulières ne m'eussent fait impérieusement la loi, j'aurais volé dans le sein de la société que vous présidez ; j'y aurai porté le tribut de sensibilité et de reconnaissance que je dois à mes concitoyens, pour le consolant intérêt qu'ils ont daigné prendre à mon malheur.

(1) Le marquis de la Jaille était membre de cette société clans laquelle s'agitait des opinions contraires, les unes saines, progressistes et humaines, les autres révolutionnaires et jacobines fomentées par les loges maçonniques ; celles-ci triomphèrent et occasionnèrent des sanglants désordres.


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« Souffrez, Monsieur le Président, que je vous prie d'être près d'eux l'interprète de tous les sentiments dont mon coeur est si vivement pénétré. Puissent-ils les accueillir avec quelque bonté !

« Je dois, Monsieur le Président, redresser ici quelques erreurs qui pourraient prolonger les doutes sur ma conduite.

« Je n'ai pas cherché à cacher mon départ pour Rennes, où je ne trouvais plus M. Courtois père, ci-devant avocat, chargé pour moi et pour un mineur, mon cousin, d'une affaire importante. Je comptais m'arrêter avec mon fils dans les environs chez quelqu'un que je croyais à Saint-Brieuc. Le certificat de la municipalité du lieu que j'habite, le relevé du registre des messageries de Rennes, où j'ai pris la diligence pour Paris, enfin une attestation de l'hôtel de la Marine, V rue Guinon, où j'ai logé durant le court séjour que j'y ai fait, toutes ces pièces dûment légalisées prouveront que. je ne suis sorti de la capitale que pour reprendre la route de Brest (ils étaient, lui et son fils, accusés d'émigration).

« A l'égard de l'armement pour Saint-Domingue, tout le inonde sait qu'il a été déterminé d'après les demandes instantes du gouvernement de cette colonie, de l'assemblée coloniale séante au Cap français, et sur les adresses au roi de plusieurs villes de commerce, notamment de celles du Hâvre et de Nantes.

« Quant au commandement qui m'avait été confié, je ne le devais, Monsieur le Président, qu'aux sollicitations de MM. les Américains réunis à Paris, auxquels s'étaient joints les six commissaires de l'assemblée de Saint-Domingue récemment débarqués à Saint-Malo ; ils attesteront tous que je n'ai cédé qu'après de longs débals, et qu'en considération des affreux désastres qu'ils éprouvent, et à la, réparation desquels ils me faisaient l'honneur de croire que je pouvais contribuer, malgré que je me fusse efforcé de leur en prouver l'impossibilité.


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« J'espère, Monsieur le Président, que la société des Amis de la constitution ne dédaigneront pas de faire usage des moyens que je prend la liberté de lui indiquer, pour se convaincre et pour convaincre tous mes concitoyens de la droiture de mes intentions ; on me verra toujours employer des armes aussi sûres pour repousser la calomnie, et je vous prie d'assurer la société que je suis et que je serai imperturbablement disposé à répandre le plus grand jour sur les doutes qu'on pourrait lui susciter à mon égard quand elle daignera me les faire connaître.

« Je vous prie, Monsieur le Président, de présenter l'hommage de mon bien profond respect à la société que vous présidez, et d'agréer celui avec lequel j'ai l'honneur d'être,

« Monsieur le Président, « Votre très humble et très obéissant serviteur.

A. DE LA JAILLE » (1).

Le corps législatif avait été mis au courant, le 5 décembre des événements survenus à Brest. Le 7, à l'Assemblée législative, Bertrand de Molleville avait pris la défense de l'officier, attaqué par les Jacobins : — « Tous les témoignages les plus dignes de foi, proclamait l'orateur, se réunissent en faveur des talents et du patriotisme éclairé de M. de la Jaille ; enfermé dans un cachot, il a demandé tout d'abord à être jugé. L'assemblée n'a pas donné suite aux dénonciations portées contre lui...» Il concluait à un vote portant autorisation de poursuivre judiciairement les fauteurs du désordre. Le ministre de la marine, M. de Thévenard, avait saisi son collègue de la Justice, M. Cayer de Gerville, le priant de transmettre aux tribunaux brestois « le mécontentement du roi » et de prescrire une instruc(1)

instruc(1) nat, Dépt du Finistère, F/7, 3676.


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tion.. De plus, il écrivait à M. de la Jaille, au château du Roual, le 10 décembre :

« Je vous envoie un exemplaire du discours que j'ai prononcé à l'assemblée relativement à ce qui est arrivé. Je me propose de n'en pas rester là, et de parler bien plus fortement encore dans peu de temps. Je ne saurais trop vous dire combien le roi a été vivement affecté de votre position ; vous ne doutez assurément pas de la part que j'y ai prise ».

Mais la faiblesse du pouvoir central ne pouvait prévaloir contre l'agitation des clubs. L'instruction de l'affaire trouva, dans les milieux avancés, « une opposition forte et décidée ». Deux députés de Brest, Cavellier et Malassis, disaient crûment : « Quant à l'événement du sieur Lajaille, malgré que nous prenions intérêt à lui, l'insigne aristocrate ne l'a que trop mérité... » (1). Dès lors la cause était entendue, l'affaire classée, et Bertrand de Molleville, publiant, en avril 1792, le compte-rendu de son administration pouvait dire :

« J'ai vainement invoqué la vengeance des lois contre les assassins de M. de la Jaille. Tout le monde connaît, à Brest, tout le monde nomme les auteurs de cet attentat commis en plein jour, et dont des milliers de témoins pourraient déposer. La procédure a été commencée et décrétée, mais l'exécution des décrets reste suspendue, plus puissants que la loi, les. motionnaires protecteurs de ces vils assassins effrayent ou paralysent ses ministres » (2).

Devant un tel déni de justice, le marquis de la Jaille trouva au dessous de la compensation qu'il avait droit d'attendre, la nomination qu'on fit de lui, comme membre d'une commission des Comptes au ministère de la marine. Il écrivit au ministre :

« L'événement dont j'ai pensé être la victime, est une

(1) Les origines de la France contemporaine, t. V, p. 154.

(2) Mercure Français, avril 1792. Bibl. nat. imprimés L/2 C, 40, p. 109.


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preuve qu'on tenterait en vain, dans les circonstances présentes, de servir utilement sa patrie et son roy, il m'impose l'obligation d'attendre que le retour de l'ordre et de l'obéissance aux lois me permettent de faire à l'une et à l'autre le sacrifice de ma vie » (1). Celte amphibologie cachait un projet alors mûri et arrêté. Malgré l'approbation donnée par les princes à l'expédition de Saint-Domingue, le marquis de la Jaille restait en suspicion auprès de ses congénères de Coblentz et d'Enghien. Quand ceux-ci apprirent l'aventure de Brest, « quelques individus s'écrièrent que c'était le châtiment mérité par une excessive ambition ». Quelques officiers généraux demeurés les amis de la Jaille, entr'autres le comte d'Hector, lui firent savoir que « le meilleur moyen d'apaiser l'envie et d'étouffer les clameurs » était de rejoindre le corps de la marine royale au delà de la frontière. « Je cédai aux conseils de l'amitié et j'étais déjà annoncé à Enghien quand l'ordre du 6 mars pour l'inspection des comptes dans les ports, me parvint. Je connaissais trop bien l'esprit du corps pour ne pas prévoir les suites de mon manque de parole, et je me vis ainsi forcé de désobéir au roi pour obéir au corps de la marine. Je ne gagnai rien par ma condescendance condamnable et que je me suis toujours reprochée..... que de faire taire mes détracteurs » (2). Il sortit de Paris le 8 mars 1792. Il était à Tournay le 11. Il se réunit au corps de la marine à Enghien et retrouva, au camp de Malmédy, le comte d'Hector, qui lui confia le commandement de l'artillerie des corps.

En 1793, la Marine ayant été licenciée, le marquis de la Jaille passa en Angleterre, entra comme capitaine de vaisseau au service du roi Georges et partit pour l'expédition

(1) Arch. nat., personnel de la Marine C/7, 161. Dossier la Taille.

(2) Arch. nat., personnel de la marine C/7, 161 ; lettre de M. de la Jaille au comte d'Avaray le 20 août 1814.


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du duc d'Yorck à Saint-Domingue. L'échec éprouvé par cette expédition devant Dunkerque fit abandonner le projet ; la Jaille fut licencié avec six mois de solde. En 1794, le comte de Moira, commandant treize mille hommes de débarquement pour aller au secours des Vendéens, le prit à bord « pour surveiller la navigation de la flotte le long des côtes de France, depuis Guernesey où était son quartier général ». Au départ, cette flotte étant dispersée par une tempête fut contrainte de chercher un refuge dans un port de la côte d'Angleterre.

C'est alors que le marquis, ayant obtenu de Moira un congé limité, se rendit en Suisse pour y recueillir sa femme et ses deux enfants réfugiés en Bourgogne sous un nom d'emprunt « le sien étant rigoureusement proscrit » ; il les ramena en Angleterre où M. le comte d'Hector ayant obtenu de S. M. B. l'autorisation de former un régiment sous le nom de Marine royale, l'avait nommé capitaine aide-major, à huit guinées de solde par mois. Cette somme étant insuffisante à l'entretien d'une famille, et aucun fonds ne venant de France, où les biens de l'émigré avaient été. mis sous séquestre et furent bientôt vendus, la Jaille, du conseil même de M. d'Hector, accepta une compagnie dans, les Hulans britanniques à vingt-deux guinées par mois, faisant fonction de major (1).

Au moment de la formation de l'armée destinée à l'expédition de Quiberon (1795) le marquis de la Jaille fut un des quarante gentilshommes qui s'offrirent à s'enrôler comme volontaires. Comme tel il gagna Southampton, mais à la veille du départ de la flotte, le commodore sir John Barlatt Waren dépêcha un canot et un officier pour l'inviter à. passer avec ses effets sur sa frégate ; cette disposition était convenue avec le ministre ; il le pria de lui donner des avis sur la navigation, le long des côtes de France, quand il

(1) Arch. nat., départ, de la Marine C/7, 161. Dossier la Jaille.


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croirait devoir les demander. C'est sur celte frégate « La Pomone », que le marquis de la Jaille vit, pour la première fois, M. le comte de Puisaye, général en chef de l'expédition, qui le prit aussitôt pour son premier aide-de-camp.

Puisaye a donné, dans ses Mémoires quelques renseignements sur le rôle joué par M. de la Jaille dans cette tentative de restauration monarchique, dont les résultats furent négatifs. La Jaille était chargé de la correspondance du général avec M. Windham, ministre de la guerre du roi Georges ; cette correspondance se trouve en entier au British muséum. Il ne tarda pas à prendre une part active aux opérations et à courir les dangers habituels à s'a carrière. Le 7 juillet, il concourut, avec Puisaye et son état-major, à l'attaque du camp des républicains ; son cheval fut blessé de plusieurs coups de feu ; clans cette journée, ses camarades et lui « se sont distingués par leur valeur », a déclaré leur chef. L'affaire du 16 fut plus importante, dans ses développements et dans ses conséquences. A la pointe du jour, les avant-postes ennemis avaient été emportés et les royalistes étaient parvenus au pied des hauteurs de SainteBarbe, garnies d'une forte artillerie. Le régiment de la marine, arrêté devant l'obstacle, fut bientôt décimé par la mitraille ; les principaux officiers atteints étaient le duc de Lévis, le baron de Gras, le marquis de la Jaille. Celui-ci, par un sentiment d'humanité qui lui fut habituel « était descendu de cheval pour retirer du champ de bataille un soldat dont un boulet venait d'emporter la cuisse. Il portait cet homme entre ses bras, lorsqu'un second boulet qui arracha la redingote de la Jaille, emporta l'autre cuisse de ce malheureux ». Lorsqu'à la suite de cet échec, l'armée dut s'enfermer dans là presqu'île, le premier aide-de-camp du général accompagnait celui-ci dans toutes ses tournées d'inspection ; il rédigeait ses ordres de service, ses rapports, toutes les communications du général. La veille de cette matinée fatale pendant laquelle le fort de Penthièvre fut


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enlevé par les républicains, la Jaille soupait avec les seize officiers dont M. de Sombreuil, chez le général en chef. On se retira fort tard. Au milieu de la nuit, M. de la Jaille fut réveillé par la mousqueterie. Il descendit, trouva Puisaye sur pied, et reçut de ce dernier l'ordre de faire battre le rappel dans les quartiers. Peu après, on entendit un coup de canon. La Jaille déclara en avoir entendu deux, signal convenu en cas d'alarme. Puisaye, la Jaille et Balleroy, montent à cheval et courent vers le fort ; un hussard de Waren les arrête et leur apprend que le fort vient d'être pris. Puisaye s'écrie qu'il faut le reprendre et donne l'ordre au marquis de la Jaille de faire marcher Sombreuil et son régiment.

Nous n'avons pas à retracer ici les détails de cette journée, qui sont d'ailleurs confus. Nous constatons seulement, que dans leur mouvement de retraite, MM. de Puisaye et de la Jaille rencontrent Sombreuil au village de Kernaveste, en avant de Saint-Julien, c'est-à-dire à une demi lieue de Port Haliguen, point d'embarquement.

Ils y décident de faire un appel à la flotte Anglaise pour opérer le rembarquement des troupes que protégera une résistance désespérée. La Jaille reçoit la mission de porter cet avis au commodore Waren. Une heure plus tard, la Jaille était encore sur la jetée de Port Haliguen faisant de vains signaux à un bateau qui voulait bien le conduire à l'escadre. Puisaye l'y trouva ; au nom du général on obtint l'approche de deux chaloupes ; le général embarque dans l'une, l'aide de camp dans l'autre. Les ennemis de Puisaye et de son entourage s'en sont pris à l'aide de camp la Jaille, au sujet de ses prétendues lenteurs à exécuter des ordres dont on espérait le salut de l'armée. Puisaye, dans ses mémoires (1), fait le plus grand éloge du dévoûment du mar(1)

mar(1) du comte Joseph de Puisaye, Lieutenant-général, publiés à Londres en 1808, t. VI passim.


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quis de la Jaille, et ne néglige pas de justifier son subordonné, en confirmant les termes du rapport de celui-ci à M. Windham, déclarant que la conduite de son aide de camp n'avait besoin d'aucune justification. Celui-ci monté dans le second bateau « s'était arrêté un moment pour y recevoir trois femmes et un enfant, qui lui apprirent que

tout fuyait devant les républicains ». Ce second bateau

mieux gréé et plus rapide, aborda la Pomone avant M. de Puisaye. Le commodore retint, d'ailleurs à son bord, tous les officiers qui s'y présentèrent, n'en laissant aucun retourner à terre

M. de la Jaille resta à l'ile de Houat (1) jusqu'au 8 septembre 1795, avec le comte de Puisaye, qui entra seul en Bretagne. Il regagna l'Angleterre, sur la flotte, chargé de rapporter à Monsieur et au gouvernement anglais, les détails de la malheureuse expédition qui venait de s'achever (2).

Quelques semaines après, il se trouvait au chevet de M. d'Hervilly mourant des blessures reçues devant SainteBarbe ; il recueillait de celui-ci, des déclarations destinées à compléter son rapport.

En 1796, les royalistes ayant repris les armes, la Jaille fit plusieurs voyages sur le continent, avec mission secrète pour MM. de Puisaye, de Botherel et de la Tuilerie, qui les commandaient. Il leur amena 130 émigrés, en mars, sous la protection des voiles anglaises et rejoignit, non sans difficultés, le corps d'opération entre Châteauneuf et SaintMalo. Le 19 avril, une chaude rencontre avec les républicains eut lieu à Saint-Hilaire des Landes. Puisaye commandait 1800 chouans ; la Jaille était, rentré dans son étatmajor , Botherel à cheval avec plusieurs émigrés de marque

(1) Une des îles fermant la baie de Quiberon.

(2) Un rapport du marquis de la Jaille existe au British Museum à Londres.


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et Boisguy avec un peloton de cavaliers conduits par le chevalier de Saint-Gilles, dessinèrent une attaque très vive devant laquelle les républicains plièrent (1).

De Châtillon (2), aux sources de la Vilaine, le 28 avril 1796, le marquis de la Jaille écrivait à Madame la Comtesse de la Jaille, sa bru, résidant à Londres, 57, East Street Manchester Square, la lettre suivante :

« J'espère, ma chère Yeyette (3), qu'à l'heure qu'il est, je suis tout à fait grand'père (4). Ce que je voudrais savoir et ne peux deviner, c'est si tu me fais un garçon ou une fille. J'ai grand désir que tu éclaircisses ce mystère. Ecrismoi donc dès que tu en trouveras l'occasion. Fais au gros cher père toutes mes amitiés. Je lui désire toutes sortes de bonheur ; ce voeu est bien sincèrement dans mon coeur, et pour que rien n'y mette obstacle, il faudrait qu'à vingt ans il ne se crût pas avoir l'expérience de quarante.

« Fais aussi mes compliments à Charles (5). Je te sais gré, ma chère enfant, de tes efforts pour le guérir des pré-, jugés qu'on lui a fait concevoir contre ton mari (6). Il est essentiel pour votre bonheur à tous de les faire disparaître ; malheureusement je ne vois que toi qui.s'y emploie avec franchise. Ce mal peut augmenter, mais il sera difficile do l'atténuer. Au reste, ton. mari a fait jusqu'ici ce qu'il a pu et dû faire. Il n'aura rien à se reprochersi le mal empire.

« Si tu vois Chapdelaine, dis-lui que son frère se porte bien et se bat à merveille. Il est ici très honorablement employé et il commande parfaitement la compagnie de

(1) Histoire de la guerre de Vendée et des Chouans, par Alphonse Beauchamp. Paris 1807, t. III, p. 370 à 396.

(2) Châtillon en Vendelais sur un étang à trois lieues N. N.-O. de Vitré, Ille-et-Vilaine.

(3) Madeleine-Louise de Grandval.

(4) Charles-André de la Jaille est né â Londres le 16 mars 1796.

(5) Charles de Grandval frère de Madame de la Jaille.

(6) François de la Jaille marié à Londres le 21 février 1785.


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gentilshommes qu'on lui a confiée. Embrasse pour moi la tante de Villiers, Virginie et les pensionnaires, mais surtout embrasse bien fort ton mari. Je n'écris pas aujourd'hui à ce denier, ce sera pour la prochaine occasion. Si tu vois quelquefois de Curt, je te prie de me rappeler à son souvenir.

« Adieu, ma chère fille, je ne peux te dire quand je te reverrai, mais je puis t'assurer que ce sera toujours avec le plus grand plaisir. Reçois en attendant, les plus tendres baisers de ton père et ami.

« J'engage François et toi à faire honnêtetés à M. de la Garde, qui te remettra ma lettre. »

Entre Avranches et Rennes, la chouannerie continuait avec une grande activité. Le 5 mai, un combat engagé dans la forêt de Fougères, fut un succès nouveau pour les royalistes (1). Au lendemain de cette affaire, une lettre écrite en plein camp était adressée à madame la marquise de la Jaille par son mari.

« Le chevalier de la Garde qui te remettra cette lettre, ma chère et bonne femme, te parlera des particularités de notre position, dont je n'ai pas le temps de te donner les détails. Il te dira que deux assassins envoyés par les généraux Hoche et Traveau, pour tuer Puisaye, Boisguy et compagnie, ont été fusillés. Nous nous attendons qu'on nous en enverra d'autres. Dieu veuille qu'ils aient le même sort !

« Nous nous battîmes hier avec avantage et pas de perte de notre côté. Nous nous battons aujourd'hui, mais les forces s'accumulent contre nous. Si l'Empereur se bat, ce que nous ignorons, et si Paris tient sa fermentation, nous tirerons parti de ces circonstances. La Garde te parlera du Morbihan en mangeant ta soupe. Il te dira que je lui parle souvent de toi et de mes enfants. Je vous embrasse tous de

(1) Histoire de la guerre de Vendée, par Beauchamp.


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toute mon âme, tout en courant... Adieu, ma bonne vieille, tu sais que je n'aime rien au monde autant que toi » (1).

Mais la rencontre annoncée fut un désastre pour les royalistes : « Beaucoup de chouans y perdirent la vie ». Boisguy désarçonné, ne dut son salut qu'à un aide-de-camp qui se fit tuer pour le sauver. Puisaye et quelques officiers résistèrent encore « mais sourdement ». Botherel, envoyé dans le Morbihan, s'échappa difficilement des mains de Hoche. Dans un rapport adressé au roi Louis XVIII, sur ses services, la Jaille dira : « Je passai et repassai plusieurs fois de France en Angleterre, jusqu'à ce qu'écrasés par le nombre, il nous fallut faire une trêve. M. de Puisaye me ramena en Angleterre avec le comte de Botherel et le chevalier de la Tuilerie. Ce général me dépêcha, conjointement avec ces deux messieurs vers le roi, alors à Blanckenburg, en Saxe, pour prendre les ordres de Sa Majesté. Le roi, touché du sacrifice inutile d'un grand nombre de ses fidèles sujets, dans une lutte si inégale, ordonna de cacher les armes et de ne les reprendre que sur de nouveaux ordres. » Louis XVIII avait accueilli ces messieurs, avec bienveillance, écouté la lecture de tous leurs documents, et distribué, au dire de Puisaye, ses félicitations.

Mais dans une partie de l'entourage des princes, Puisaye et la Jaille étaient attaqués, (c'est une vilaine page de l'histoire de l'émigration, que celle où l'on constate les manifestations de la jalousie et de la médisance, au milieu d'une société que des malheurs communs et terribles eussent dû unir de raison et de sympathie).

« Après la malheureuse affaire de Quiberon, a écrit la Jaille vingt ans plus tard, un conciliabule de six ou sept jeunes officiers, dont deux majors de vaisseau étaient les plus anciens — aucun capitaine n'ayant voulu y paraître —

(1) Correspondance secrète des Chefs Vendéens, publiée l'an VII de la République, à Paris, chez Buisson.


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m'accusèrent d'avoir été la cause de la perte que nous y éprouvâmes d'un grand nombre de nos propres camarades, me jugèrent, sans m'appeler, sans m'entendre, et décrétèrent que le corps de la marine ferait scission avec moi.

Cette sentence si injuste, si terrible ! ne me fut jamais

notifiée, mais elle fit le tour du monde ; je la trouvai aux Antilles, elle fut envoyée à l'Isle-de-France, peut-être au Japon..... qui sait jusqu'où les ailes de l'envie peuvent porter ses fureurs sans s'arrêter !

« Quelqu'absurde que fut cette calomnie, aussi insultante pour le corps de la marine que pour le valeureux et respectable comte de Solange qui le commandait, parce qu'elle est fondée sur la supposition d'un mouvement rétrograde en face de l'ennemi, je me vis forcé d'y répondre et d'en prévenir les funestes effets par le mémoire que je fis mettre sous les yeux du roi (parle comte d'Avaray). Cette démarche, fut connue ; on me le reprocha, on intrigua même auprès de Monsieur pour tromper la religion de ce bon prince, ainsi que M. de Courié m'a donné à entendre dans sa correspondance. Le Roy daigna prononcer la sentence en ma faveur en m'honorant du brevet de maréchal de camp, assimilé au grade de chef d'escadre ou de contre-amiral, qui étouffa le dernier cri » (1).

Révenu à Lohdres, son régiment réformé, la Jaille réduit à la demi-solde et privé des ressources nécessaires à sa famille, demanda un congé pour aller à Saint-Domingue où, des grands biens qu'il avait possédés dans l'île, « il lui restait une petite cafeyère dans le quartier de Jérémie occupé par les Anglais ». Le congé fut accordé par le roi, à la demande de Monsieur, « sous l'obligation de retourner en Europe au premier ordre ». Au moment du départ, M. le comte d'Artois lui remit son brevet de maréchal de camp, daté du 15 juillet 1797, « avec recommandation de tenir

(1) Arch. nat.. personnel de la mariné C/7, 161. Dossier La Jaille.


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secrète cette preuve de la bienveillance royale » en raison de ce que la promotion dont il faisait partie ne devait paraître que plus tard.

Embarqué en avril 1798, le marquis arriva à Saint-Domingue pour constater que les Anglais évacuaient la colonie et que, par conséquent, « le dernier débris de toutes ses propriétés » lui échappait. Il était amiral ; il se fit accepter comme pilote sur une petite goëlette espagnole. Il en fut bientôt capitaine ; mais, dans une tempête éprouvée à hauteur de Carthagène des Indes (1), un des bordages de fond ayant largué, le bâtiment se remplit d'eau et coula en dix minutes. Heureusement, son fils, qui naviguait de conserve sur un bâtiment semblable, put recueillir le capitaine et l'équipage sauvés « par un miracle de la divine Providence ». De retour à la Jamaïque, son point de départ, il monta une autre goëlette, avec laquelle, pendant trois ans, il fit du cabotage et réalisa une fortune qu'il perdit aussitôt. Dès lors, retiré à Puerto-Principe, dans l'île de Cuba, il lutta par le travail contre les rigueurs de la destinée. Là encore, il « perdit les fruits de ses labeurs et de ses économies ». A l'établissement anglais de Balize, M. de la Jaille crut trouver plus de sécurité. Sa connaissance des langues lui permit de se faire interprète de français, d'espagnol et d'anglais, position honorable et suffisamment lucrative. Il ouvrit même une boutique d'épiceries pour augmenter ses moyens d'existence et les ressources qu'il fournissait à ses enfants. Enfin il put acquérir une petite concession à Truxillo, en Honduras, et se livrer à l'exploitation du café, de la canne à sucre et du rhum, avec une trentaine de nègres qui lui causèrent plus de difficultés que les équipages d'une flotte de vingt vaisseaux.

A tant d'efforts, rendus peu fructueux par la difficulté

(1) Carthagène des Indes. Colombie, Côte occidentale sur la mer des Antilles.

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des transactions et la mauvaise foi des contractants, les chagrins ajoutaient leur amertume. Le 12 juin 1801, M. de la Jaille perdit son fils aîné à bord d'un navire espagnol ; le 28 mai 1802, sa femme mourait à Londres ; la même année à Paris, mourait sa fille Laurence, mariée au comte de Gaillon, et dont, en 1803, le pauvre père demandait encore avec insistance des nouvelles. Sa belle-fille, veuve, chargée de deux enfants, était rentrée en France ; elle vivait étroitement de ce qu'elle recevait de lui et de ce que lui fournissait son frère. A la date du 24 juillet 1803, M. de la Jaille adressait, de la Havane, à sa belle-fille une des lettres que M. de Cornillon s'était chargé de remettre.

« Depuis les nouvelles de très ancienne date que j'ai reçues de toi, disait-il, il ne m'en est venue aucune, ni de France, ni d'Angleterre. J'ignore comment vous existez et ce que devient mon pauvre Félix (1) que le sort, qui m'abandonne, semble livrer aussi à la charité publique. Dieu m'a donné un grand courage ; j'ai supporté avec résignation tous mes malheurs, mais je ne supporte pas de même l'idée des infortunes de mes malheureux enfants. Le ciel veut cependant que j'en soie l'inutile témoin, et ma vie fatiguante se prolonge au delà du terme que j'ai si souvent invoqué la Providence de lui assigner ! » (2).

Quelle tristesse, quelle résignation chez un homme à qui l'avenir le plus brillant semblait assuré par la naissance et par les services qu'il n'avait cessé de rendre autour de lui !

Les réponses de la bru démontraient autant d'affection et pas moins de souffrance. En avril 1807, Madame de la Jaille informait le proscrit, avec tous les ménagements que suggère la tendresse de la mort de son second fils

(1) Félix de la Jaille fils cadet du marquis.

(2) Correspondance du marquis de la Jaille aux Antilles ; papiers de famille.


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« le pauvre, petit Félix » parti pour Surinam (1), dans le corps de M. de Charmilly et tué, peu de temps après son arrivée en Guyane, dans une rencontre avec les indigènes, à Demerary. « Ah ! mon bon papa, disait-elle, que mon coeur est affligé d'empoisonner encore votre existence, et que ne suis-je auprès de vous pour essuyer vos larmes, vous prier de vous ménager et de vous conserver pour vos petits enfants ».

Une tradition de famille rapporte, qu'à l'époque où l'Empereur Napoléon commença la grande guerre au cours de laquelle l'Angleterre lui jeta toute l'Europe du Nord sur les bras (1805), des ouvertures auraient été faites auprès du marquis de la Jaille, pour qu'il acceptât le commandement d'une escadre dans la marine impériale, mais que le fidèle royaliste aurait rejeté des offres aussi honorables qu'avantageuses. La Jaille résigné à l'exil, passa dix ans clans sa propriété de Punta de Guemara, à quatre lieues de Truxillo, au fond du golfe d'Honduras, menant la vie d'un planteur, cultivant la canne, le café, exploitant le bois d'acajou et de marquetterie. Il voyageait dans les Antilles et jusque sur le continent américain pour le placement de ses produits : le Guatemala, la Jamaïque, la Floride, la Havane le virent débarquer à diverses reprises.

Il avait eu l'occasion de s'associer un certain don Juan d'Allais « qui passait pour son neveu », et dont les colons faisaient grand éloge. C'était « le plus excellent jeune homme de la terre, l'ami intime de M. de la Jaille et celui de toutes les personnes qui le connaissent et apprécient ses qualités » (2). La propriété de Truxillo avait été payée à l'aide d'un emprunt ; la mise en valeur du sol, le matériel nécessaire à l'exploitation, l'entretien des ouvriers, occasionnèrent d'autres frais que la première récolte avait à

(1) Surinam ou Paramaribo, port de la Guyane hollandaise.

(2) Correspondance, papiers de famille.


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peine suffi à couvrir. Les bénéfices réalisés ensuite avaient été absorbés par l'amortissement, puis par l'extinction d'anciennes dettes personnelles et d'une partie de celles que la marquise de la Jaille avait laissées à Londres. Le marquis ne subsistait alors « que des produits de son industrie ». Le concours d'Allaïs lui était indispensable. — « Le courage et l'intelligence de cet excellent associé, disait-il de cette sorte d'ange gardien, font l'espoir et la consolation de ma vieillesse. Si Dieu me l'ôtait, je périrais, je crois, de misère. » La situation était parfois si pénible, que le pauvre colon se refusait à en donner les détails, préférant bien, dans sa connaissance du coeur humain, la cacher à ses semblables dont il n'obtiendrait « qu'un intérêt simulé ». A certaine proposition de faire radier son nom de la liste des émigrés et de lui faciliter le retour au pays natal, il répondait, malgré son désir de revoir les siens, qu'il terminerait en exil une vie trop longue, ne pouvant revoir sa patrie qu'après avoir satisfait aux engagements contractés envers leurs créanciers.

Cependant d'affreux désordres résultant de l'insurrection des hommes de couleur. « conduits par des prêtres et des moines créoles » contre le gouvernement espagnol, créèrent tant de difficultés dans les Antilles que la Jaille s'attendait, d'un jour à l'autre à « faire la culbute ». Les petits enfants et leur mère insistaient de plus en plus pour le décider à quitter l'Amérique, l'engageant à se rendre à la Guadeloupe où ils espéraient le rejoindre, leur aïeul maternel ayant alors des propriétés importantes dans cette île française. — « Cette invitation est bien chère à mon coeur, écrivait le bon papa, en avril 1813, et j'y trouverais la consolation inestimable de mourir entouré de mes enfants ; mais dans la circonstance, le tour est un peu long, puisque je serais obligé de passer en Angleterre pour y prendre passage à destination de la Guadeloupe (conséquence du blocus continental?). Il y a tout à parier, si je prenais ce parti, que


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Neptune aurait ma dépouille. Je n'ai plus que quelques jours à passer dans ce monde, où j'ai déjà fait un trop long voyage. Je n'ambitionne rien et ne cherche qu'un dernier asile où, sans être à charge à personne, je puisse mourir en paix. Le dernier jour de ma vie sera beau pour moi, car j'ai vécu en homme de bien.... ! » (1).

Cet asile, M. de la Jaille « vieux, fatigué et ne pouvant supporter plus longtemps les avanies et les injustices des autorités espagnoles, l'all a chercher, en 1813, dans l'établissement anglais d'Honduras-baie « sous des lois douces et un gouvernement équitable, en paix avec le monde et tranquille avec lui-même ». Il fut accueilli avec beaucoup d'égards par le colonel Smyth, gouverneur de la colonie. Il croyait pouvoir finir là ses jours, quand la nouvelle de la restauration des Bourbons lui rappela qu' « ayant eu l'honneur de servir dans la marine royale pendant cinquante ans » son devoir était de reprendre sa place et son grade sous la monarchie légitime. Se décidant à un prompt retour en France, il s'enquit auprès d'un ami, le comte de Coatquelven, en résidence à la Jamaïque, des moyens de mettre ce projet à exécution. Il en recevait de Kingston, à la date du 16 septembre 1814, des encouragements et d'utiles indications. Puisqu'il était resté assez valide et assez courageux pour ne pas craindre les épreuves de la traversée, il n'avait qu'à partir.

Ses lettres avaient été remises à M. d'Avaray. Il souhaitait que la réponse à une demande d'emploi fut favorable, en raison de « la manière honorable et distinguée » avec la-, quelle le marquis avait « servi le roi et le pays. » L'ami prévoyant accompagnait sa lettre d'un envoi agréable, comprenant des lunettes « dont on a toujours besoin à soixante-dix ans » une montre et du tabac. Il annonçait

(1) Correspondance, papiers de famille.


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l'envoi prochain d'une lettre de change sur son banquier à Londres.

De son côté, la comtesse de la Jaille faisait toutes les démarches pour entrer en communication avec son beaupère. Elle ne savait pas s'il était mort ou vivant. Elle ignorait jusqu'à son dernier gîte. Aussi cherchait-elle des relations aux Antilles pour en obtenir quelques nouvelles. Un commerçant, arrivant de la Guadeloupe indiquait alors, à l'île de Cuba, le marquis Duquesne, MM. d'Etchégogen, don Juan d'Allaïs ; à la Jamaïque, M. Border ; à la Havane, don Fernando et don Simon de Diégo, comme amis du marquis de la Jaille les plus aptes à fournir des renseignements (1).

Un passeport délivré par le major Georges Arthur permit à M. de la Jaille de s'embarquer sur l'Etoile en partance pour l'Angleterre. A la suite d'une traversée longue et fatiguante, une tempête aux approches de la Manche rejeta le navire vers les côtes d'Irlande. La Jaille débarqua au petit port de Corve, près Cork (2), au printemps de 1815. Ses forces épuisées, son grand âge, peut-être l'émotion d'un retour si longtemps différé ne permirent point à l'émigré de revoir ses enfants, sa terre natale. Il tomba gravement malade à l'auberge : un médecin du pays, un prêtre catholique l'assistèrent. M. Simley, témoin de ses derniers moments, reçut en dépôt son argent, ses effets, mais aucun papier ni testament ; ce juge enregistra le décès. Les effets du défunt, contenus en deux malles, furent adressés à lord Bathurst, ministre de la guerre et des colonies, à Londres, ainsi qu'une bourse de 25 livres sterling, une croix de SaintLouis et une bague ; les frais funéraires, de médecin et d'auberge avaient été soldés. Ces dernières et si intéres(1

intéres(1 Papiers de famille.

(2) Chef de Comté en Irlande et port sur la Côte occidentale sud du canal de Saint-Georges, Grande-Bretagne.


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santes reliques furent longtemps réclamées par la famille ; enfin, grâce à l'insistance de l'ambassadeur français, la Tour-Maubourg, et aux démarches réitérées du conseiller d'Etat de Guilhermy, elles furent restituées à Madame de la Jaille en 1819, par l'attaché d'ambassade, chevalier de Mac-Manon, qui fit un voyage à Corve « pour les affaires de feu M. le marquis de la Jaille, par ordre de son Excellence l'ambassadeur de France à Londres » et reçut trois livres et quelques schilings pour ses frais (1).

Enfants d'André-Charles de la Jaille et de Marie-Vincente de Kervasdoué : 1° François-Charles, qui suit; — 2° Laurence, née au Roual et baptisée à Lesneven (2), le 17 novembre 1775, unie en 1795, au comte de Gaillon, dont elle n'eût pas d'enfants ; objet particulier de la tendresse de son père, qui en demandait constamment des nouvelles, elle fut « par les qualités éminentes » dont elle était douée, la consolation et le soutien de sa belle-soeur pendant les temps d'épreuve ; rentrée auprès d'elle, à Paris, en 1802, elle y mourut la même année ; — 3° Félix, né au Roual le 16 février 1777, émigré en 1793, fut élevé dans une école militaire anglaise, au sortir de laquelle il demanda à entrer dans le régiment de cavalerie des nobles français commandé, à la solde anglaise, par le comte de Charmilly. Il y fut admis comme lieutenant, position distinguée dont il témoignait sa joie. Envoyé, avec son corps, sur la côte de l'Amérique du Sud, où l'Angleterre achevait par les armes l'établissement dé Surinam, il ne donna de son voyage aucune nouvelle. Sur les instances de Madame de la Jaille et la recommandation de quelques amis, M. de Charmilly informa la famille que le jeune officier avait été tué, peu de temps après son arrivée aux Indes Occidentales dans une rencontre avec les Indigènes. Ainsi Félix de la Jaille était

(1) Papiers de famille.

(2) Lesneven, chef-lieu de cant., arrond. de Brest.


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venu chercher la mort, à 25 ans, dans le voisinage de la contrée où végétait son père ignorant et anxieux du sort de son enfant !

IV. — FRANÇOIS-CHARLES de la Jaille, appelé le comte de la Jaille, né au château du Roual, le' 9 septembre 1774, prit, à l'âge de neuf ans, la détermination d'entrer dans la marine royale. Ses études furent dirigées sur ce point, et à douze.ans « sachant ce qui est nécessaire pour se présenter à l'examen » il fut admis, le 6 octobre 1787, au collège de Vannes « au compte du roi ». Il en sortit cinquante jours après « ayant été fait élève de la marine de la troisième classe » et il rejoignit à Brest « La Bayonnaise », vaisseauécole que commandait son père. La Révolution brisa sa carrière. Émigré en 1793, il épousa à Londres, le 11 février 1795, Madeleine-Louise de Grandval, fille mineure de JeanJacques Beauquet de Grandval, capitaine au régiment de la Guadeloupe, dit le baron de Grandval (1), et de la baronne, Nicole, née le Cointre de Berville, habitant ordinairement File de la Guadeloupe, paroisse Saint-Jean-Baptiste, quartier de la Baie-Mahaut, où cette famille possédait de grands biens. Le mariage fut célébré en présence du marquis et de la marquise de la Jaille, de mademoiselle Laurence de la Jaille âgée de dix-neuf ans, du comte Charles d'Hector, lieutenant-général des. armées navales, ami de la famille de Pierre-François Venault, comte de Charmilly, colonel de cavalerie, député des Colons de Saint-Dominique, de Françoise Bruny, comtesse de Villiers, de Jean-Charles de Grandval, frère de l'épouse et de Louis de Curt, tous deux délégués, des Iles-sous-le-Vent, enfin désir Georges Woodfard-Thélusson

Le comte de la Jaille accompagna son père dans l'expédition de Quiberon, en juin 1795 ; puis il prit part à la descente

(1) De Grandval, de gueule au chevron d'or accompagné de cinq losanges d'argent deux et trois.


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du comte d'Artois sur l'ile d'Yeu, à l'automne suivant. Du même débarquement se trouvait être le chevalier de la Jaille, dernier de la branche de Molante, un cousin au quatrième degré du marquis, qui se jeta résolument au devant de Charette, fit, avec ce général, la dernière campagne de la Vendée expirante, et fut tué sous ses yeux, à Froidefont, en février 1796.

Rentré à Londres, François de la Jaille y menait, cette vie de famille sur laquelle une lettre de son père, en mai 1796, et citée plus haut, ouvre un aperçu. Il était un peu l'enfant gâté de la famille. Pauvre jeune homme, comme on avait raison de le chérir, ce devait être pour si peu de temps !

Le comte et la comtesse de la Jaille firent avec le marquis, leur père, le voyage de Saint-Domingue, en 1798. Après la perte complète de leur position dans cette île, ils se retirèrent à la Jamaïque dans l'espoir d'y trouver un établissement. François n'ayant trouvé d'emploi que comme subrécargue à bord d'une goélette espagnole, la N.-D. des SeptDouleurs, renvoya sa femme en Europe.

La comtesse de la Jaille reprit son logement, à Londres, 57 East Street, Manchester Square. Elle monta un atelier

de dentelles qui eut un certain succès...... d'estime, car

les principales ouvrières étaient la vicomtesse de Polignac, Mesdames de Maillé ... et autres. Il fallait se créer des ressources et ce moyen en produisit quelque temps. Madame de la Jaille recevait la correspondance la plus affectueuse de son mari, dont une lettre datée du 15 avril 1799 a été conservée comme un précieux document de famille.

François raconte, les péripéties d'une courte campagne, au cours de laquelle il espérait gagner quelqu'argent pour secourir les siens, car affirmait-jl, « tout le monde fait fortune dans ces sortes de voyage ». Il en recueillit pour tout bien la joie de sauver son père qui naviguait avec lui


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sur.un autre bateau appelé le Dauphin. Ils avaient mis à la voile le 15 décembre 1798 et faisaient route sur Rio de la Nacha ; le vent se leva le 17, et jusqu'au 23 souffla de brise à tempête. Les voiles avaient été emportées, les manoeuvres principales étaient rompues. Le 23, à une heure, le Dauphin, qui marchait en avant, fit des signaux de détresse. François hâta sa marche en installant de son mieux une voile que le vent déchirait et qu'il remplaçait aussi promptement que le permettait l'état de la mer. Les lames balayaient constamment le pont ; il faillit être enlevé par l'une d'elles et n'échappa qu'en s'accrochant par une jambe à un sabord hors duquel la plus grande partie de son corps avait passé. Lorsqu'il parvint à rejoindre le Dauphin, ce bateau coulait. Du haut des bastingages éventrés le pauvre père craignant d'entraîner son fils dans le remou, faisait des mains signe de s'écarter. Mais comment se résigner à voir périr son père sans tenter jusqu'au dernier moment de le sauver ! François y était déterminé ; il ordonna de mettre le canot à la mer. Un vieux matelot s'approchant de François de la Jaille, lui dit en face : « Capitaine, si vous avez dans l'âme, ce qui paraît sur votre visage, personne ne périra ! ». En effet, le sauvetage fut opéré avec tant de sang-froid de la part du commandant et tant d'obéissance de la part de l'équipage, que tout fut amené à bord, même jusqu'au chien du Dauphin. Le transbordement n'était pas plutôt terminé, que le Dauphin « mit tout à coup le nez dans l'eau et disparut dans un rien de temps » (1). Il fallut des lors renoncer à l'expédition dont on espérait quelque profit, et remonter.vers la Jamaïque, où l'on mouilla dans le port de Kingston, le 3 janvier 1799.

Une seconde campagne devait être tentée. La triste destinée de celui qui l'avait conçue en empêcha la réalisation. Atteint de la fièvre jaune à bord du bateau qu'il conduisait

(1) Papiers de famille.


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appelé le N.-D. des Sept-Douleurs, François de la Jaille mourut en mer, le 12 janvier 1801, en vue de la côte de Rio-Tinto. Il était parti de la Trinidad le 7, pour Truxillo de Honduras, où le navire arriva le 15. Sa mort fut constatée par ce don Juan d'Allais, son ami, qui était à bord, et qui depuis.se montra si dévoué à son père. Un certificat du décès fut délivré le 6 avril 1803 par don Juan Ortiz de Letona, ministre de la colonie.

La comtesse de la Jaille était, nous l'avons dit, « rentrée à Paris avec ses enfants et sa belle-soeur en 1802. Quelques lettres échangées avec son beau-père et les rares réponses de celui-ci ouvrent un jour pénible sur l'existence de ces victimes des passions politiques du temps. Elles peuvent se résumer par ce cri jeté sans fausse honte par le marquis autrefois riche de biens et d'honneurs, maintenant réduit à rien: « Je suis très pauvre! » et de l'autre, par les doux gémissements de celle qui souffrait avec résignation et cherchait à la consoler.

Madame de la Jaille résidait à Paris, rue Duphot, n° 12. Elle vivait du travail de ses doigts agiles et du peu que, de la Guadeloupe, lui envoyait son frère « de qui elle avait toujours à se louer ». La guerre coupait court à toute entreprise et rendait les envois de fonds ou de denrées si intermittents, que l'on se plaignait, à la fois, de manquer « de sucre et d'argent ». Les efforts tentés pour l'amélioration d'une situation « très gênée » restaient sans résultat : il fallait « attendre des jours meilleurs ». L'excellente mère poursuivait l'éducation de ses enfants. Ceux-ci l'absorbaient et la retenaient à Paris. Son fils dénotait une intelligence faisant espérer qu'il « serait digne de son grand'père ». La fille « douce et bonne », était « la petite compagne chérie de sa mère », elle rappelait beaucoup l'excellente et regrettée Laurence, sa tante, dont « elle avait plus d'une qualité ».


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Madame de la Jaille citait, dans sa correspondance les noms d'amis, de parents qui disparaissaient autour d'elle... « Notre si bon oncle de Villiers d'Uzy,... notre ami M. de Botherel,... Frivole... M. de Belmont tué à la tête de son régiment ». Elle voyait quelquefois Mademoiselle de la Jaille, une cousine de la branche poitevine, portant à la famille beaucoup d'intérêt, probablement la soeur d'Antoine de la Jaille de Molante qui vécut à Jersey jusqu'à la Restauration. Cette cousine avait été assez heureuse pour sauver des titres à.elle confiés par « la bonne maman », sans doute la dernière dame de Thou, morte en 1759; ces titres seraient peut-être, ajoutait-elle, « de quelqu'utilité aux enfants ».

Au fond du triste exil où il végétait, le grand'père orientait son âme vers ses petits enfants, qu'il avait vus naître et dont la croissance s'accomplissait loin de lui. Il les suivait en imagination. Il leur envoyait ses « plus tendres caresses ». Il n'avait plus l'espoir de « les serrer sur son coeur ». Il voulait seulement qu'on leur parlât de lui et que ses infortunes leur apprissent le courage qu'un homme de leur race doit opposer aux adversités de l'existence, non moins que la résignation due aux volontés de Dieu : « Les vérités de notre sainte et consolante religion, écrivait-il, m'aident seules à supporter les rigueurs d'un sort affreux ».

Madame de la Jaille, veuve depuis 1801, réclamait en 1809, devant le tribunal de Brest, la propriété d'une rente foncière de 96 francs, achetée par son beau-père et que le séquestre avait négligée. Le débiteur de cette rente refusait de l'acquitter sous prétexte qu'elle était d'origine féodale. L'avocat plaidant pour la demanderesse disait aux juges : « Les chicanes sont ici d'autant plus odieuses que les malheurs de la famille de la Jaille sont de notoriété publique ; que personne n'ignore que le sieur de la Jaille, aïeul, fut injurié, maltraité dans sa ville natale, remplissant une


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mission de son souverain, qu'il a perdu une fortune brillante, et que ses petits-enfants n'ont conservé de ses biens que deux champs affermés vingt-quatre francs et la rente de quatre-vingt-seize livres qu'on réclame ; que leur mère a perdu toutes ses propriétés à Saint-Domingue, et que le défenseur peut d'autant moins révoquer en doute la légitimité de la rente en question, que son père l'avait acquise par un contrat notarié du 28 février 1774, contenant une clause de réméré à laquelle il n'a plus droit parce qu'elle lui fut remboursée ensuite. »

Du comte et de la comtesse de la Jaille, morte en 1866, étaient nés : 1° Charles-André, qui suit ; 2° Charlotte, mariée en 1825, avec Joseph de Kerguiziau, vicomte de Kervasdoué.

V. — CHARLES-ANDRÉ, marquis de la Jaille, né à Londres le 16 mars 1796, eut pour parrain son oncle maternel, muni d'une procuration délivrée par son aïeul, occupé alors dans la chouannerie bretonne. Au départ, quinze jours juste avant la naissance de l'enfant, « André-Charles, marquis de la Jaille » — telle sa signature — avait donné à Charles de Grandval, frère de sa bru, pouvoir de le représenter au baptême de son petit-fils et « nommer pour lui en son nom l'enfant de madame la comtesse de la Jaille, sa belle-fille ». Cet enfant fut élevé dans les tristesses de la séparation et dans les privations de l'exil ; il puisa dans l'épreuve les principes d'une vie pleine de dignité ; il dut aussi à l'esprit et au courage de sa mère, au dévouement et à l'affection de sa tante Laurence, le développement de ses meilleures qualités naturelles. Il avait onze ans, en 1807, lorsque sa mère le décrivait à son « bon papa » comme étant « plus fort que grand pour son âge ». La physionomie était « intéressante » et « sans être joli », il s'annonçait « beaucoup mieux que mal ». Quant au. moral, au caractère, à l'intelligence, on en faisait éloge ; l'enfant donnait des espérances. Son éducation soignée autant qu'il fut possible, coûta beaucoup de sacrifices à la mère.


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La Restauration prit l'adolescent à l'âge où l'on sortait des Pages. Elle lui donna, comme gage de sa fidélité au roi, la décoration de la Fleur de Lys, le 14 août 1814. Il fut nommé garde du corps, dans la compagnie Wagram, avec grade de lieutenant de cavalerie dont le brevet, daté de Paris, le 1er septembre 1814, signé du roi Louis XVIII et du duc de Feltre, confère au bénéficiaire le titre de comte de la Jaille. Aux Cents jours, la maison du roi licenciée, notre lieutenant fut renvoyé de Béthune, 26 mars 1815, « à Paris dans ses foyers ». Après le retour des Bourbons « Monsieur de la Jaille, garde du corps du roi » était nommé lieutenant au 24e régiment de chasseurs des Vosges, en garnison à Dôle. Notre gentilhomme, arrivé en décembre 1815 sur cette frontière glacée, où, prétendait-il, il n'y avait à voir « que des' chevaux », demanda à se rapprocher de Paris. Il obtint de s'y rendre en congé de semestre « emmenant son cheval avec lui » (1). C'est dans cet équipage qu'il rentra dans la capitale, le 22 septembre 1820, après diverses garnisons, muni d'un congé d'un an, avec permission de se rendre à la Guadeloupe, où l'appelaient des intérêts de famille. Charles de la Jaille comptait alors 24 ans.

Muni d'une feuille de route signée du comte de Palliot, il quitta Paris le 2 novembre, à destination de Nantes, où la dite feuille fut visée, le 30, par le commandant de place d'Espivent de Perran. Il embarqua le 1er décembre sur l' « Amélie », capitaine Foucher, et prit terre à la Guadeloupe le 20 janvier 1821. De la Basse-Terre, le 7 août suivant, Charles de la Jaille « se trouvant au milieu de sa famille (maternelle) en vertu d'un congé ministériel » adressait au général comte de Lardenois, gouverneur de l'île, une demande d'autorisation pour contracter mariage avec « une demoiselle réunissant sous tous les rapports de la naissance et de la fortune, les conditions prescrites par les ordon(1)

ordon(1) de famille.


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nances ». Il obtint, dès le surlendemain une réponse favorable, et s'unit, le 23 octobre 1821, à Caroline-Françoise du Bois d'Estrelan (1), âgée de dix-neuf ans, fille de FrançoisSigismond du Bois, comte d'Estrelan, chevalier de SaintLouis, colonel d'infanterie, inspecteur général des milices de la colonie. Le marquis de la Jaille — il portait ce titre régulièrement depuis la mort de son grand-père, 1815 — avait obtenu sur demande, en février 1822, sa mise en non activité sans traitement ; mais son beau-père lui facilita l'entrée dans la milice de la Guadeloupe, où faisant fonction de capitaine adjoint à l'Inspection générale auprès du chef de la division N.-O. de la colonie, il reçut, le 7 juillet 1825, une commission de major du quartier de la Baie-Mahaut, en remplacement de M. de Bragelongne, délivrée à la BasseTerre, par l'amiral Jacob.

Après un séjour de quinze années dans sa terre dénommée Habitation la Jaille (Baie-Mahaut), M. de la Jaille rentra en France en 1835 et s'établit à Nantes. Il y fut élu capitaine de la Garde nationale, le 5 juillet 1849. Il y éleva avec autant de soin que de dévouement les douze enfants que sa femme lui avait donnés. Il mourut dans cette ville, le 4 février 1882, entouré de la considération générale, après avoir rempli honorablement une longue carrière, que son aïeul eut appelée celle « d'un homme de bien ».

Les fils du marquis de la Jaille et de la marquise, née d'Estrelan, sont par ordre de naissance":

VI. — FRANÇOIS-CHARLES-LOUIS, comte, puis en 1882, à la mort de son père, marquis de la Jaille, né à la BaieMahault (Guadeloupe), le 19 octobre 1822, était destiné aux pages de Charles X ; la révolution de juillet l'obligea à chercher un autre moyen d'entrer dans l'armée ; il fut

(1) Du Bois d'Estrelan, d'argent à l'arbre de sinople sur une terrasse de même, un sanglier de sable brochant sur le fût de l'arbre.


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admis à l'école de Saint-Cyr le 24 avril 1841, et en sortit le ler avril 1843. Nommé tout d'abord sous-lieutenant au 46° de ligne, il permuta avec ce grade au 5e hussards le 25 avril de la même année et suivit les cours de l'école de cavalerie de Saumur du 1er avril 1843 au 1er janvier 1845.

Parti pour l'Algérie le 1er mars 1846 il y fit trois expéditions consécutives ; la première, en 1846, à la tête de quarante spahis, contre les Kabyles, aux environs de Sétif ; la seconde, comme officier d'ordonnance du général Bedeau, dans la Grande Kabylie, expédition décidée par le maréchal Bugeaud ; la troisième, dans les environs de Constantine auprès du commandant Desvaux.

Rentré en France en 1848, il fut nommé capitaine en 1850, puis détaché en 1854 comme officier d'ordonnance du général d'Allonville, commandant une brigade de cavalerie du corps expéditionnaire en Crimée ; il prit part à toute la Campagne qui précéda la prise de Sébastopol. A la bataille de Balaklava, sur l'ordre de son général, il chargeait avec un escadron et demi de chasseurs d'Afrique sur les batteries russes qui foudroyaient l'armée anglaise ; envoyé ensuite pour rallier les troupes trop engagées et particulièrement les débris de la charge des brillants escadrons anglais de Lord Cardigan, il essuya, en exécutant ces ordres, le feu de deux bataillons d'infanterie ennemie. A peine revenu près de son chef, il fut expédié avec un nouvel escadron pour déloger ces deux bataillons, opération qui fut, comme les précédentes, couronnée de succès. Sa conduite en cette journée fut si remarquée que, le soir même, le capitaine Thornton apportait au général d'Allonville la croix de la Légion d'honneur, décernée au capitaine de la Jaille par le général Canrobert, commandant en chef.

Il prit part aux batailles de l'Aima, Inkermann, Traktir, à plusieurs combats de cavalerie dans la plaine d'Eupa-


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toria, où, notamment à Kanghill, il porta des ordres au général Valzin-Esthérazy au plus fort de la mêlée et chargea contre la cavalerie russe avec le 6° dragons afin de pouvoir rendre à son général un compte exact de l'opération.

En 1856, après cinq propositions pour faits de guerre, la Jaille passa chef d'escadrons sur la demande du général Pélissier ; il servit d'abord au 3° chasseurs d'Afrique puis au 7e dragons.

Nommé le 14 août 1860 lieutenant-colonel au 3e chasseurs d'Afrique, il prit le commandement de la cavalerie des colonnes qui opérèrent successivement dans le sud de la province de Constantine pendant l'hiver de 1861-1862. En 1862 il fut envoyé en mission en Suède pour suivre les manoeuvres de l'armée suédoise et instruire un régiment de cavalerie sur l'école de tirailleurs. Il reçut à plusieurs reprises les compliments du roi Charles XV de Suède qui lni donna son propre sabre et le créa commandeur de Saint-Olaf de Norwège et chevalier de l'Epée de Suède.

Rentré au corps à la fin de l'année il opéra successivement en 1863 et 1864 avec les colonnes qui firent campagne dans la province de Constantine. En septembre 1864, la Jaille se trouva à la tête de la cavalerie de la colonne du Hodna ayant pour chef le colonel de Lacroix de Vaubois (1). La Jaille est cité dans un rapport du colonel de Lacroix pour l'énergie et la présence d'esprit dont il a fait preuve au combat de Teniet El Rihh, livré le 30 septembre par la colonne expéditionnaire (2). A la suite de cette affaire il fut proposé pour le grade de colonel par le commandant de l'expédition.

Promu colonel du 1er hussards, en garnison à Mostaganem, le 26 décembre 1864, il forma en 1865 un groupe

(1) Comte Albert de Mun. N° du 7 septembre 1907 de la Résistance, journal publié à Morlaix.

(2) Etats de service.

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de cavalerie composé de trois escadrons de hussards, deux de chasseurs d'Afrique et un de spahis, pour suivre la colonne du général de Lacretelle contre les Hamians ; cette cavalerie enleva 20.000 moutons à l'Oued-Hamen. Dans un raid de 110 kilomètres sur la frontière marocaine, elle fit un butin considérable en bétail, dispersa les Hamians réunis et regagna Mostaganem pour y passer l'hiver ; mais, au 1er décembre elle dut reprendre la campagne contre les Ouled Sidi Cheikh, dispersa en trois semaines treize tribus et prit trente mille moutons, chameaux et boeufs. Le colonel remercia les troupes pour l'entrain et l'endurance qu'elles avaient montrés (1) ; il reçut la rosette de la Légion d'honneur à Mostaganem, le 12 mars 1866.

Après un séjour de cinq mois en France, avec son régiment en garnison à Auch, en 1867, le colonel de la Jaille retourna à Oran pour prendre le commandement du 2e chasseurs d'Afrique, qui avait pris une part active à la répression du mouvement Sud-Oranais. C'est alors que le général Deligny lui confia dix escadrons pour opérer contre le Schérif. Cette opération menée rapidement, en 1868, a laissé moins de souvenirs que la suivante.

Au début de 1870, le régiment commandé par le colonel de la Jaille était appelé à faire partie d'une expédition que le général de Wimpffen allait conduire au Maroc. A la tête d'une colonne de 800 zouaves, 800 tirailleurs, 6 escadrons de cavalerie, une section d'artillerie et un goum de mille cavaliers, la Jaille se jette sur le Chott-Tigri ; il campe le 18 mars au milieu d'une tourmente de neige, sans pouvoir allumer de feu, l'ennemi étant dans le voisinage. Le lendemain, dans la plaine de Tamlett, il rencontra les douars des Sidi-Cheik-ben-Zaïb, du Zana-Guaraba, des Ouled-Faris, des Beni-Guib, troupes nombreuses mais indécises qui

(1) Historique du 1er hussards par le comte Ogier d'Ivry ; ministère de la guerre, section administrative.


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envoient au colonel un marabout avec une mission de conciliation, puis reçoivent les parlementaires « à coups de fusil tirés par les propres fils du vieux fanatique ». Il faut faire parler la poudre. Les Goums sont lachés dans la plaine ; les tirailleurs font un feu nourri ; une demi-heure n'est pas écoulée que cinquante arabes sont à terre, leur camp est enlevé, soixante-dix chevaux sellés portant encore les armes de leurs cavaliers tombent aux mains de la colonne. Le fils de ben Zaïeb-Muley-Fera est transporté au camp français mortellement blessé. Les vainqueurs se retirent, avec leur butin, dans le Qeniett-Delfa pour gagner Aïn ben Khelit et y prendre quelque repos. Mais le général en chef appelle immédiatement la Jaille, pour participer à une action décisive. Le colonel part dans la direction du Tigri, engage un vif combat qui s'achève par la prise d'AïnChaïr ; puis, le 26 avril, la colonne se retire sur Aïn ben Rhelit, d'où les escadrons regagnent Tlemcen ; ils y arrivèrent le 11 mai à 2 heures du soir. Cette campagne, où des talents de commandement l'avaient signalé, valut à M. de la Jaille les félicitations du général de Wimpffen, et le grade de général de brigade, reçu le 2 juin 1870.

C'est sous la double étoile qu'il débarqua à Marseille, le 19 juillet 1870, et fit la campagne de France, dans la division du Barail. La 2° brigade des chasseurs d'Afrique dont la Jaille prit le commandement, joua un rôle important, sous Metz, dans les journées d'août. Tandis qu'à Conflans la lre brigade (général Marguerite), avait été appelée à servir d'escorte à l'empereur, la 2° brigade (général de la Jaille) était revenue sur ses pas au bruit du canon, et s'était portée à l'extrême-droite de l'armée française. Dans la bataille qui suivit, rapporte le capitaine Raymond, le 2e chasseurs « par plusieurs charges victorieuses sur le plateau de la Grange, rendit un grand service à l'armée française, en arrêtant le mouvement tournant des Allemands, et en maintenant libre la route d'Etain ».


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Les souvenirs du général de la Jaille, qui a personnellement dirigé les charges, sont plus détaillés et plus précis. A Gravelotte, le 16 août, vers midi, il reçut du général de Ladmirault (1), l'ordre de charger sur une batterie ennemie placée à la droite de son corps d'armée, auquel elle faisait éprouver des pertes sérieuses, enleva le 2e chasseurs, traversa le champ de bataille, et sur le plateau d'Yron conquis et balayé, fit enclouer les six pièces prussiennes réduites au silence. Il a Conté lui-même, que se rappelant les charges ordonnées jadis par le général d'Allonville, à Balaklava, il avait suivi la même tactique et avait su limiter ses pertes en faisant passer la zone dangereuse à ses escadrons dans l'intervalle de deux décharges consécutives de la batterie.

Cette action brillante dont le succès a été attribué à tort au chef de la division, doit être restituée à qui de droit ; la carrière du général du Barail ne manque pas d'autres pages glorieuses à plus d'un titre. Celui-ci, d'ailleurs, a noté dans ses mémoires la charge exécutée par ses ordres, et non par lui-même, sur la ferme de la Grizière, pour protéger le mouvement de Ladmirault et sur Mars-la-Tour : « Mes chasseurs d'Afrique (2) s'élancent au galop, sautent' le ravin, la route, chargeant en fourrageurs sur les canons ennemis qui ont à peine le temps de tirer, sabrant les artilleurs, éteignant la batterie dont il ne fut plus question, se trouvent en face de la cavalerie allemande dont les flanqueurs s'ébranlent pour venir à eux. Ils conversent à droite au galop, se massent à l'angle du bois et de la roule, et contiennent leurs adversaires à coups de carabines. C'était le moment où le reste de la cavalerie aurait dû arriver à la rescousse... ». Deux jours après, le soir de la journée de Saint-Privat, du Barail réussit à sauver la brigade de Bru(1)

Bru(1) ordre fut apporté par le capitaine de la Tour du Pin au général du Barail qui en confia l'exécution au général de la Jaille.

(2) Mémoires du général du Barail.


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chard trop engagée avec son autre brigade, celle du général de la Jaille. « Les chasseurs d'Afrique, dit-il, se déployèrent en tirailleurs, ripostèrent de leur mieux aux salves de l'infanterie allemande qui avançait sur eux, et se retirèrent avec calme ne laissant derrière eux aucun fantassin ». La brigade de la Jaille arriva au milieu de la nuit au ban Saint-Martin, et la brigade de Bruchard y parvint le lendemain à l'aube.

Prisonnier en Allemagne après la capitulation de Metz, le général de la Jaille ne rentra à Versailles qu'en avril 1871 au moment de la campagne contre la Commune. Il prit alors le commandement des 7° et 11° chasseurs à cheval formant la2° brigade de la 3e division, corps du Barail. Cette brigade fit partie par la suite du 5e corps d'armée à Rocquencourt. Créé commandeur de la Légion d'honneur par brevet en date du 24 juin, il siégea au comité chargé de la réorganisation de la cavalerie.

En octobre 1873, il fut chargé de la création de la 10e brigade de cavalerie (10e corps d'armée), et resta à Versailles et à Saint-Germain-en-Laye jusqu'en 1877, époque à laquelle il amena sa brigade en garnison à Dinan.

•Atteint en 1884 par la limite d'âge, il passa au cadre de réserve après 14 ans de grade de général de brigade, 45 ans de service, 27 campagnes et 5 citations à l'ordre, décoré de plusieurs ordres étrangers. Il n'avait pas un jour d'arrêt, pas une heure d'hôpital, et n'avait cessé d'être en service actif; il avait conquis pour faits de guerre les grades de chef d'escadron, de colonel et de général de brigade, ainsi que les croix de chevalier, officier et commandeur.

Ses opinions personnelles bien connues, l'éloignement dans lequel il se tint du pouvoir et son refus de faire les démarches qui lui furent conseillées l'empêchèrent, « véritable déni de justice » (1), d'avoir la troisième étoile pourtant si méritée.

(l) Lettre du général du Barail, aux mains du marquis de la Jaille.


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Il fut conseiller général du canton de Callac (Côtes-duNord) pendant 17 ans. Il mourut à son château de Traonfeunteuniou le 22 mars 1889.

Marié le 25 janvier 1858 avec Emilie Tixier Damas de Saint-Prix (1), il eut sept enfants dont trois sont morts en bas âge :

1° François, né à Morlaix le 7 janvier 1859, et mort le 8 avril de la même année.

2° Emery, comte, puis marquis de la Jaille à la mort de son père en 1889, né à Morlaix le 19 janvier 1864, et marié à Paris le 2 juillet 1896 à sa cousine germaine, Louise de la Jaille, fille d'Eugène de la Jaille dont il a :

a. François, né à Paris (xvie arrt), le 31 juillet 1902.

b. Marie-Laure, née à Paris (VIIIe arrt), le 29 septembre 1897.

3° Jean, ancien officier de cavalerie, né à Morlaix le 8 juin 1866.

4° Yvon, né à Oran (Algérie) le 8 janvier 1869, puis mort et enterré à Guayaquil (Equateur) le 12 juillet 1906.

5° Emilie, née à Morlaix le 18 mai 1860.

6° Marie, née à Constantine en 1861, et morte en cette ville le 4 novembre de la même année.

7° Laure, soeur jumelle d'Yvon, née à Oran le 8 janvier 1869 et morte en sette ville le 25 février 1869.

Charles-André, comte de la Jaille, second fils dumarquis de la Jaille et de Caroline d'Estrelan, né à la Baie-Mahaut (Guadeloupe) le 15 avril 1824, entra à l'école, polytechnique en 1843, en sortit sous-lieutenant d'artillerie en 1845, passa lieutenant en 1847, capitaine en octobre 1852. Il était à Toulouse au moment de la guerre de Crimée ; il partit comme officier d'ordonnance du généra] de Lourmel.

Le jour de la bataille d'Inkermann, le général fut mor(1)

mor(1) Damas de Saint-Prix, originaire d'Autun : d'azur à la fasce ondée d'argent.


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tellement blessé en repoussant une sortie des russes destinée à faire diversion à celle d'Inkermann. Il tomba dans les bras du capitaine de la Jaille. Celui-ci ramena le corps en France et l'accompagna jusqu'à Pontivy (Morbihan) où il fut inhumé. Appelé aux Tuileries par l'empereur avide de renseignements et de détails sur la mort du général et sur le siège de Sébastopol, il reçut de lui la croix de la Légion d'honneur et sa nomination dans l'artillerie de la Garde qui lui permit de retourner immédiatement en Crimée avec le chef d'escadron de Laumière, commandant deux batteries de la Garde en partance. Il resta adjoint à cet officier supérieur qui fut chargé de commander l'attaque d'artillerie devant Malakoff. Le 27 juillet 1855 un obus éclata à ses pieds, le couvrant de terre et de cailloux et lui fracturant la mâchoire. La Campagne était finie pour lui.

On cite de lui plusieurs traits de courage accomplis pendant le siège : « Dans la nuit du 3 au 4 novembre, des officiers dont le capitaine de la Jaille plus tard président du comité d'artillerie, se glissèrent à plat ventre clans le silence le plus absolu et dans l'obscurité, hors des tranchées. Ils atteignirent le fossé, y descendirent et examinèrent les fortifications en les tâtonnant avec les mains tant l'obscurité était épaisse : ils revinrent toujours en rampant rendre compte, sans avoir été aperçus. L'assaut était possible, les fossés peu profonds et les pentes des talus peu escarpées » (1).

La distinction des services de Charles de la Jaille non moins que les agréments de son esprit et que sa situation dans l'artillerie de la Garde impériale lui donnaient accès aux Tuileries ; il y fut remarqué et, à toute occasion bien reçu. Pendant la guerre d'Italie, la Jaille se signala à diverses reprises : Le 4 juin 1859 à Magenta, « le capitaine

(l) Le maréchal Canrobert. Souvenir d'un siècle, par Germain Bapst ; tome second. Napoléon III ; sa Cour: la guerre de Crimée. Chap. X, p. 331.


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de la Jaille dispose ses pièces à droite et à gauche du pont de Buffalora, raconte un historien de son armé, et démonte la batterie autrichienne qui lui est opposée, ouvrant le passage à l'infanterie qui peut ainsi s'emparer du pont et franchir Noviglio Grande ». Un mouvement de retour ramène l'ennemi sur la rivière. De notre côté, un régiment d'infanterie bat en retraite, entraînant les deux compagnies de soutien qui protégeaient la batterie. La Jaille reste seul sur le terrain avec ses artilleurs aux pièces, tire à mitraille, arrête l'ennemi ; mais bientôt débordé par un régiment de chasseurs tyroliens qui l'enveloppe, il se voit enlever deux pièces après une résistance héroïque. Il s'écarte, puis profitant d'un moment de repos de l'ennemi, il se met à la tête des servants à cheval, fonce sur les chasseurs avec un extraordinaire à-propos et parvient à reprendre et à ramener un de ses canons.

A Solférino « l'emplacement qu'il sait choisir pour établir sa batterie détermine l'enlèvement du Mont des Cyprès par la division de la Garde » (1). L'empereur ayant admiré l'exécution de sa manoeuvre, en adressa verbalement ses félicitations au capitaine et le nomma officier de la Légion d'honneur.

Promu chef d'escadron, le 1er août 1860, Charles de la Jaille fit la campagne du Mexique comme chef d'étatmajor du général de Laumière qui, ainsi que de Lourmel à Sébastopol, mourut sous ses yeux au siège de Puebla. Cité pour sa belle conduite au combat de San-Lorenzo, comme il l'avait été à Solférino, la Jaille fut promu lieutenant-colonel le 13 août 1863. Dans ce nouveau grade, il se fit particulièrement remarquer par l'habileté tactique avec laquelle il disposa son artillerie au siège d'Oajaca qui ouvrit ses portes le 9 février 1865. Il obtint les galons de colonel après son retour en France le 6 juin 1867. C'est avec ce

(1) La Nouvelle Revue; t. LXXVIII, 1re livraison, p. 180.


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grade que Charles de la Jaille fit la guerre de 1870, en qualité de commandant de l'artillerie du troisième corps et prit part à tous les combats livrés sous la citadelle de Metz. Après la capitulation du 27 octobre, il fut interné à Bonn. Promu général de brigade le 24 juin 1871, après la campagne de Paris, il reçut les trois étoiles de divisionnaire, le 15 mars 1877, et cinq ans après, ayant 41 ans de service, 11 campagnes, 1 blessure et trois citations à l'ordre de l'armée il fut nommé grand officier de la Légion d'honneur.

La Guadeloupe, son pays natal, nomma M. le comte de la Jaille sénateur, en 1876. Il siégea à droite « par tradition de famille ». Mais la finesse de son esprit, sa haute intelligence, ses connaissances techniques, son entrain personnel et ses anciennes relations d'école lui valurent des sympathies dans les sphères gouvernementales qui se targuaient alors de « travailler à améliorer les institutions du pays ». C'est ce qui explique que malgré son siège à la Droite du Sénat il fut appelé en 1882 aux hautes fonctions de président du Comité de l'artillerie.

En 1884 il renonça au Sénat et ne se présenta pas au renouvellement pour s'adonner exclusivement à son arme qui fut toujours l'objet de ses prédilections. Elevé à la dignité de grand'croix de la Légion d'honneur en 1887, il fut admis en 1889 dans la 2° section de l'Etat-major général et pourvu du commandement d'une armée de Réserve.

Il mourut à Paris le 5 août 1892. Il était célibataire.

Charles-Edouard, vicomte, puis comte de la Jaille, troisième fils du marquis Charles et de Caroline d'Estrelan, né à Nantes le 7 janvier 1836, s'est destiné à la marine, où il est parvenu, comme l'avaient fait ses frères dans l'armée de terre, au plus haut grade. Entré à l'Ecole navale en 1852, il en sortit en avril 1854 au moment de la guerre francorusse. Après la campagne de la Baltique qu'il fit sur le vaisseau le Breslau et où il prit part à l'attaque de Bomarsünd, il passa, en Crimée sur le Wagram et fut détaché


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aux Compagnies de débarquement mises à terre à Kinburn. S'y étant distingué, il fut promu aspirant de première classe au choix, et placé dans la petite escadrille de canots armés en guerre pour la surveillance d'avant-garde, dans la baie de Sébastopol, où il se signala par des entreprises hardies, ayant pour but de brûler un vaisseau de l'ennemi près de la côte occupée par l'armée russe. Il remplit une mission plus pacifique, lorsque faisant l'office de parlementaire entre les deux armées, il eut entre autres missions celle d'annoncer aux Russes la naissance du Prince Impérial en les avertissant (c'était pendant l'armistice) que « les batteries françaises allaient faire des salves dont l'armée russe n'avait pas à prendre alarme ». Il lui fut répondu que ce seraient « les premiers coups de canon qui feraient plaisir à tous ». Appelé par la suite à faire partie de l'Etat-major du vice-amiral Tréhouart, Edouard de la Jaille rentra en France sur la Bretagne. En 1858 il partit pour la Chine sur la frégate l'Audacieuse qui portait l'ambassade du baron Gros, il se distingua à l'assaut de Canton et aux différents combats autour de cette ville. Il reçut en récompense la croix de la Légion d'honneur. Il avait été antérieurement promu enseigne de vaisseau.

Embarqué sur le Magenta comme lieutenant de vaisseau en 1863 il passa la même année sur le Louis XIV, vaisseauécole de canonnage et fit en 1865 et 1866 la campagne de l'Océan Indien sur la Junon, comme chef d'Etat-major de la division navale ; pendant l'année 1867 il fut officier d'ordonnance de l'amiral Rigault de Genouilly, ministre de la Marine. Cette position fit remarquer les capacités diplomatiques qui perçaient sous la nature pénétrante du jeune officier ; elles furent dès lors utilisées dans des missions importantes en Chine et au Japon, où, commandant le Scorpion en 1869-1870, il eut l'occasion de rendre de sérieux services aux établissements chrétiens fondés dans ces pays. Il traita même à la grande satisfaction de notre ministre à


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Pékin, le comte de Rochechouart, des affaires litigieuses avec le vice-roi Li-Hung-Tchang ; le résultat lui valut les félicitations du gouvernement et l'inscription au tableau d'avancement.

L'empire venait de s'écrouler, et Metz venait de capituler quand Edouard de la Jaille arrivant de l'Extrême-Orient, demanda à faire partie des' bataillons de marins destinés à l'armée de la Loire. Il fit toute la campagne du 21e corps et reçut sur le terrain et devant les troupes, les félicitations du général Jaurès, pour sa « vigueur dans les divers combats livrés autour du Mans ». Cette nouvelle preuve de valeur personnelle lui valut le grade de capitaine de frégate, sur les instances du général en chef. Dans ce grade après deux ans de service près du contre-amiral de Challié, et un an comme aide de camp de l'amiral de Montaignac, ministre de la marine, il commanda le croiseur Hamelinf dans la division de l'Atlantique-Sud ; appelé à surveiller le blocus anglais sur les côtes du Dahomey, il sauvegarda « par sa fermeté et son tact » les intérêts et la vie de nos nationaux menacés. Il apprit à son retour à Brest, en juillet 1878, sa nomination de capitaine de vaisseau, prit successivement le commandement de La Flore, 1879-81, du cuirassé Amiral-Duperré, 1882-83, puis devint membre adjoint du conseil d'amirauté, 1884.

Promu contre-amiral en 1885, à l'âge de 49 ans, le vicomte de la Jaille remplit les fonctions de chef d'Etatmajor général auprès du ministre de la marine, amiral Galiber, fut membre du conseil des travaux, et commanda en chef de 1888 à 1890, la division navale de l'Indo-Chine jointe à celle de l'Extrême-Orient.

Vice-amiral en janvier 1891, la Jaille siégea au Comité des Inspecteurs généraux, jusqu'à ce qu'il fût envoyé à Brest, comme préfet maritime, en janvier 1892. En octobre 1893, il reçut le commandement de l'escadre de la Méditerranée qu'il exerça pendant deux ans. De 1897 à


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1900 il remplit les fonctions de préfet maritime commandant en chef du 5° arrondissement maritime, à Toulon, et termina sa carrière dans les fonctions de président du Comité des Inspecteurs généraux, le 7 janvier 1901, après 48 ans de service dont 30 à la mer : grand-officier de la Légion d'honneur en 1894, grand'croix en 1900, décoré de plusieurs ordres étrangers, Tunisie, Russie, Espagne... etc.

A la mort du baron de Lareinty, sénateur de la LoireInférieure, survenue en mars 1901, l'amiral comte de la Jaille fut sollicité par ses compatriotes et par ses amis d'accepter le siège devenu vacant au Sénat. Il fut élu en juin, sans concurrent par 753 suffrages. Il siège comme son prédécesseur à la droite où sa compétence en matière navale le met à même de continuer à rendre des services au pays. C'est ainsi qu'en avril 1907 il a été désigné pour faire partie de la commission chargée d'enquêter sur les causes de la terrible explosion du cuirassé l'Iéna dans le port de Toulon.

Edouard de la Jaille a épousé, le 2 mai 1874, Jacquemine de la Tour du Pin-Chambly de la Charce (1), dont il a quatre filles: 1° Marguerite-Marie, née le 10 mars 1875, mariée avec Jules Bonnin de la Bonninière (2), comte de Beaumont ; 2° Henriette, née le 1er août 1876, qui a épousé Louis du Pré de Saint-Maur (3), alors lieutenant-colonel de cavalerie ;

(1) La Tour du Pin, originaire du Dauphiné : Ecartelé : aux 1 et 4 d'azur à la tour d'argent maçonnée de sable avec machicoulis, ouverte en porte et de 2 fenêtres, crénelée de trois pièces, au chef cousu de gueules chargé de 3 casques d'or ouverts. Aux 2 et 3 d'or, au dauphin vif d'azur, crête, barbé, oreille et peautré de gueules ; sur le tout: de gueules à la tour d'argent maçonnée de sable avec machicoulis, ouverte en porte et de deux fenêtres, crénelée de trois pièces senestrée d'un avant mur du même.

L'écu sommé de la couronne ducale.

(2) Bonnin de la Bonninière, originaire d'Anjou : d'argent à la fleur de lys de gueules.

(3) Pré de Saint-Maur (du), originaire de l'Ile de France : parti au 1er d'azur à la bande d'or chargée de trois cosses de pois de sinople, qui


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3° Délie, née le 13 juin 1879, mariée à Henri, comte Boscals de Reals (1), lieutenant de cavalerie ; 4° Gabrielle, née le 15 juin 1880, mariée à André de la Gorce (2).

Eugène-Louis, baron, puis vicomte de la Jaille, quatrième fils du marquis Charles, et de Caroline d'Estrelan, né à Nantes le 10 août 1840, servit aux zouaves pontificaux, comme engagé volontaire en 1861-62, fit le siège de Paris, 1870-71, comme lieutenant de la Garde Nationale de la Seine, et fut nommé capitaine au 17e régiment de marche de ladite Garde, le 17 novembre 1870. Cité à l'ordre du jour dans l'Officiel du 31 janvier 1871 « pour sa bravoure devant l'ennemi », il reçut en outre une mention honorable du ministre de la guerre, le 26 juillet 1872 « pour sa belle conduite pendant la campagne de Paris». Il s'était particulièrement distingué à l'attaque du mur du parc de Buzenval, où, sur l'ordre du général. Carré de Bellemare, il pénétra l'un des premiers, à la tête de sa compagnie, par une brèche hardiment pratiquée sous les feux convergents de l'ennemi. Par brevet daté du 3 décembre 1875, M. de la Jaille fut nommé capitaine au 17e régiment d'infanterie territoriale. Il était titulaire d'une médaille de bronze que lui envoya S. S. Léon XIII, en récompense de son dévouement au Saint-Siège. Mort à Paris le 27 novembre 1897, directeur de la Compagnie d'Assurances le « Soleil-Vie ».

De son mariage, célébré le 11 février 1873, avec JulieFélicie Caussade petite-fille du marquis de Vernou-Bonneuil, Eugène de la Jaille a laissé : 1° Louis-André-Charles,

sont celles des du Pré de Cossigny, et au 2e d'argent à la fasce de sinople accompagnée de trois trèfles de même.

(1) Boscals de Réals, originaire du Languedoc : d'azur au chêne arraché d'argent, accosté de deux croissants d'or et surmonté d'une fleur de lys de même.

(2) La Gorce, originaire du Vivarais : parti au 1er d'azur au lion d'argent accompagné d'un croissant de même en chef ; au 2 reparti : A à la demi-aigle à deux têtes en chef mouvante de la partition dextre et à la demi-croix paltée de même en pointe, B bandé d'or et d'azur en huit pièces.


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vicomte de la Jaille, né le 15 mars 1874, marié le 5 novembre 1896 avec Marie Crémière, sa cousine du côté maternel, dont il a : a) Anne-Louise-Odette, née le 1er janvier 1898 ; b) Armand-Louis-Robert, né le 16 juin 1900 ; c) Jeanne-Marie-Simone, née le 1er juin 1902;—2° RenéCharles, baron de la Jaille, né à Fontainebleau le 14 septembre 1884, marié le 5 novembre 1906 avec Elisabeth Simmonds ; dont Anne. — 3° Guy-Dieudonné-Gontran, baron de la Jaille (jumeau), né à Fontainebleau le 14 septembre 1884 ; 4° Marie-Caroline-Félicité-Louise, née à Paris le 17 octobre 1875, mariée le 2 juillet 1896, avec Emery, marquis de la Jaille, son cousin germain; 5° Marie-Pauline-Louise-Félicie-Yvonne, née à Nointel (Oise) le 10 octobre 1878.

Henri-Charles, baron, puis vicomte de la Jaille, cinquième fils de Charles, marquis de la Jaille, et de Caroline d'Estrelan, né à Nantes le 10 août 1840 (jumeau du précédent), servit dans la cavalerie, d'abord au 3° chasseurs d'Afrique ; c'est là qu'il fut nommé sous-lieutenant après plusieurs expéditions ; il resta neuf ans dans la province de Constantine, puis servit comme lieutenant au 5° et au 8e hussards en France, où le général de division du Preuil, d'intrépidité légendaire dans la cavalerie, le choisit comme officier d'ordonnance, à Lyon.

Il fut fait prisonnier de guerre à Sedan, et passa sa captivité à Bonn et à Ramesdorf, sur le Rhin. Il fut plus tard nommé capitaine au 12e dragons, régiment qu'il ne quitta que sur les instances de sa femme malade. Il était chevalier de la Légion d'honneur et devint, dans sa retraite, président du Conseil d'arrondissement à Château-Gontier, sa résidence. Il avait épousé en premières noces, à Troyes, Marie Regnault d'Ancelet, nièce du général du Preuil ; en second lieu, Caroline de Beaufoy (1), veuve du vicomte de

(1) Beaufoy ou Beaufou, originaire d'Irlande : d'or au hêtre de sinople.


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Montozon, avec laquelle il habite sa propriété de Rallay, aux environs de Château-Gontier. De sa première femme il a eu : 1° Pauline, née le 29 septembre 1880, mariée avec Robert Rouxelin de Formigny de la Londe (de Caen) ; — 2° Germaine, née le 12 septembre 1881, mariée avec Charles, comte d'Aviau de Ternay (de Nantes).

René de la Jaille, sixième fils de Charles, marquis de la Jaille, et de Caroline d'Estrelan, vit le jour à Nantes le 6 octobre 1844. Il entra à l'école navale en 1860. Sa carrière a débuté par une longue campagne en Chine et au Japon, après laquelle il est allé en Islande. Au retour, il fut promu lieutenant de vaisseau au choix. Dans ce grade, il fit une campagne en Grèce comme second à bord du Limier, puis embarqua, second sur le croiseur Lhermitte appelé à faire partie de la division navale de l'Océan Pacifique. Ce bâtiment se perdit sur les récifs des îles Wallis. L'équipage fut sauvé ; et pendant un mois, le lieutenant de la Jaille, secondé par les meilleurs marins du bord, fit des efforts surhumains pour arracher à la mer le matériel du navire que les eaux envahissaient chaque jour davantage. Plusieurs fois durant ce sauvetage pénible et de peu de résultat, il dut séjourner des heures dans l'eau jusqu'à la ceinture. Ce fut dans ces circonstances qu'il contracta les germes de la maladie qui devait le conduire au tombeau, après une lutte énergique contre le mal dont il était atteint. A son retour en France, il fut récompensé par la croix de la Légion d'honneur. Il se livra dès lors à l'étude spéciale des torpilles et de l'électricité, et fut appelé à servir, en qualité d'officier torpilleur, sur la frégate l'Armorique, dans la division volante d'instruction. A la fin de cet embarquement il fut inscrit sur le tableau d'avancement, mais la mal qui commençait à le terrasser l'obligea à demeurer en station au port de Cherbourg. Il était à la veille d'acquérir le grade de capitaine de frégate, quand une aggravation subite de son état le contraignit à prendre


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un congé de santé. Il mourut à Nantes, dans sa famille, le 27 avril 1884.

Six filles étaient issues de l'union de Charles de la Jaille avec Caroline d'Estrelan :

l° Laure, née en septembre 1827, religieuse des dames de la Retraite. Elle mourut à Angers le 3 février 1891.

2° Louise, née en février 1829, mariée avec Félix de la Rochemacé (1), mourut le 21 juin 1886 ; dont : à) Maurice ; b) Caroline.

3°Pauline, née le25 octobre 1831,épousa 1° Louis, marquis de Monti (2) ; 2° Zénob, vicomte de Bagneux (3), morte le 9 novembre 1903.

4° Caroline, née le 24 décembre 1833, fut unie à Gustave, comte Walsh de Serrant (4), morte le 21 juillet 1905 ; dont : Henri.

5° Marie, née le 26 mai 1837, épouse d'Edmond de Fabry (5) ; dont : a) Joseph ; b) Georges ; c) Anne-Marie.

6° Délie, née le 26 juin 1838, religieuse de la Visitation à Nantes, puis fondatrice du monastère de la Visitation à Roubaix, dont elle est supérieure.

(1) La Rochemacé, originaire de. Bretagne : de gueules à trois rencontres de cerf d'or ; au chef cousu d'azur chargé d'une croix engrêlée d'argent, timbré d'une couronne de marquis.

(2) Monti, originaire d'Italie : d'azur à la bande d'or, accompagnée de deux montagnes de six coupeaux du même.

(3) Frotier de Bagneux, originaire dû Poitou : d'argent au pal de gueules, accosté de dix losanges du même, cinq à dextre, cinq à seneslre posés 2, 2,1.

(4) Walsh de Serrant, originaire d'Irlande : d'argent au chevron de gueules, accompagné de 3 fers de lance de sable placés deux en chef, un en pointe.

(5) Fabry, originaire de Provence : d'or, au lion de sable, armé et lampassé de gueules, avec fasce d'azur chargée de 3 coeurs d'argent.


RÉPERTOIRE

BRANCHE AINÉE

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4 Yvon, fils puiné d'Yves de Bellême, premier comte 1000 d'Alençon, est le fondateur de la forteresse de la Jaille sur

la Mayenne, et l'auteur des maisons de Châteaugontier et de la Jaille, celle-ci puînée est tenue à parage de la première.

5 Renaud I, fils d'Yvon, prend possession de Châteaugon- 1007 tier, de Segré et de Châteaurenaut, sous l'inféodation des comtes d'Anjou.

8 Alard I lui succède à Châteaugontier. 1061

9 Renaud II d'abord à Segré, vient à Châteaugontier comme 1066 tuteur de sa nièce. Il périt dans une émeute à Angers.

11 Renaud III d'abord à Segré, épouse sa cousine Bour- 1085 gogne de Châteaugontier et reçoit l'inféodation de ce domaine. Il suit à la première croisade Robert le Bourgui- 1097 gnon, sire de Sablé, son aïeul.

15 Alard II, seigneur de Châteaugontier et ses fils. Renault IV. 1101

19 Alard III. 1152

20 Renaud V succède à Alard III. Il se croise. Ses trois 1162 femme dont une seule est connue.

21 Renaud VI, seigneur de Châteaugontier, sa piété. 1180

22 Renaud VII et Alard IV gouvernent successivement la 1200 seigneurie. Alard chevalier, banneret de Philippe-Auguste. 1214 Son fils unique Jamet hérite des grands biens des comtes 1226 d'Alençon et du Perche, épouse Avoise de Montmorency

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dont il a trois enfants : Renaud, mort jeune ; sa soeur Emma devient dame de Châteaugontier. 1263

27 Yvon II, seigneur de la Jaille, dans l'entourage de Foul- 1030 ques Nerra, comte d'Anjou. Ses fils, dont l'aîné Yvon III 1052 lui succède. Rôle important à la cour du comte Geoffroy Martel. Béliarde de la Jaille, abbesse du Ronceray ; Yvon 1086 et Geoffroy son frère à Segré ; Yvon et Guy son frère à la 1097 première croisade; ils assistent à la prise de Jérusalem. 1099

32 Geoffroy, frère d'Yvon de la Jaille est seigneur de Segré, 1086 à la suite de Renaud de Châteaugontier.

34 Son fils Yvon IV lui succède à Segré et devient seigneur 1101

de la Jaille après son oncle Yvon III. Très grand seigneur à la cour d'Anjou sous le Réchin ; bienfaiteur insigne du Ronceray et fondateur de l'abbaye de Nyoiseau, l'abbesse 1120 Tiburge du Ronceray est sa tante.

40 Les fils d'Yvon IV forment diverses branches ; l'aîné

Geoffroy II, seigneur de la Jaille, qui continue la branche 1143 aînée, et Guichart auteur de la branche loudunoise. Geoffroy II se retira dans le prieuré des Alleuds, laissant ses seigneuries à ses fils, dont Yvon V, croisé en 1146 détient 1146 la Jaille, Foulques possède Segré, Aimery à Montreuilsur-Maine ; Pierre, son épée qu'il consacre au royaume de Jérusalem. 1150

43 Maladie et mort édifiante d'Aimery de la Jaille. Ses dis- 1152 positions dernières seront l'occasion de troubles de famille.

47 Foulques de la Jaille ; ses deux femmes ; il perd Segré. 1163 Dons à Adelaïde de la Jaille sa tante, à l'occasion de sa nomination d'abbesse de Nyoiseau. Il prend la croix pour 1180 aller au secours du royaume de Jérusalem.

51 La charte d'Alain de Vitré : Foulques de la Jaille, cheva- 1184 lier de l'ordre du Temple ; Pierre de la Jaille, chevalier du comte de Tripoli. Siège de Karrac, bataille de Tibériade. Yvon de Saint-Vincent étant mort avant son père, Geoffroy


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Téhel second fils de' Foulques de la Jaille lui succède. Gouverneur ou seigneur des Moustiers, vassal des Châteaubriant et mari d'une femme de la maison de Craon. Ses injustices envers l'abbaye de la Roë et ses réparations. Sa présence à la Rivière avec les Châteaubriant. Il est seigneur de Saint-Michel du chef de sa mère Agnès, fille de Geslin 1190 de Saint-Michel. Il laisse 4 fils.

55 Yvon VI succède à son père Geoffroy III à la Jaille ; 1191 c'est un des plus grands personnages de la race, conseiller intime de la duchesse de Bretagne et membre du conseil de tutelle du jeune Artus. Il disparaît à l'époque de la mort 1202 de ce prince.

Pierre, dit des Moustiers, second fils de Geoffroy III réside en Craonnais où il moleste les religieux de la Roë ; récépiscence ; ses fils, Yvon des Moustiers, futur seigneur de la Jaille, Geslin, seigneur de Saint-Michel-du-Bois et fondateur de la branche de ce nom.

Geoffroy Tehel, troisième fils de Geoffroy III va en Terre Sainte combattre les infidèles avec Foulques, son aïeul, et Pierre son grand oncle ; il y périt avec eux.

59 Yvon VII, dit des Moustiers, a recueilli la succession de 1202 son oncle Yvon VI, mort sans héritiers directs. C'est le Yvon de la Jaille de la croisade de 1202 ; il ne va pas à la conquête de Constantinople, mais en Syrie. Echec de cette croisade. Retour du sire de la Jaille qui se signale par sa 1220 générosité envers la maison religieuse du Craonnais. Sa 1245 succession en est embarrassée.

63 Foulques de la Jaille, fils aîné d'Yvon VII n'a pas possédé 1210 la seigneurie de la Jaille-Yvon, mais il a fondé le domaine de la Jaille en Noellet, sur des parcelles de l'important domaine de Saint-Michel-du-Bois. Il y est vassal de Guillaume de Thouars, sire de Candé et du Lion d'Angers, qu'il sert avec distinction.


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66 Nicolas de la Jaille, succède à Foulques, son frère, dans 1233 les mêmes conditions féodales. Le sire de Candé le gratifie

de ses dons. Geoffroy et Philippe sont d'autres frères de Foulques, c'est-à-dire des fils d'Yvon 'VII, entrevus clans leur jeunesse et disparus sans hoirs.

67 Yvon VIII, fils unique de Nicolas, a continué la postérité 1244 et réuni sous sa main les biens d'aînesse de la maison, la Jaille-Yvon et la Jaille en Noellet. Son rôle auprès du sire

de Châteaubriant qu'il accompagne à la croisade de SaintLouis en Egypte, dont il partage la captivité, les souffrances, et qui lui donne en retour sa fille Marguerite ou Marquise de 1252 Châteaubriant, en mariage ; intrigues et difficultés qui entourent cette négociation.

71 Yvon IX, fils unique du précédent, possède la Jaille-Yvon, 1275 la Jaille en Noellet, Saint-Mars-la-Jaille, et le Pordic en Bretagne. Les la Jaille se présentent en Bretagne comme

les héritiers d'une branche cadette de la maison ducale.

72 Yvon X ne fait que passer. Son frère Briant plus connu, 1299 comme seigneur de Saint-Michel-du-Bois qu'il tient de sa mère, le passe à ses neveux. C'est une erreur de dire que

la châtellenie de la Jaille-Yvon n'appartenait plus aux aînés de cette famille, dès la fin du XIIIe siècle. Elle était simplement grevée d'obligations hypothécaires dont les titulaires négociaient leurs titres.

74 Yvon XI, l'aîné des fils d'Yvon X, orphelin dès le bas 1300 âge, élevé par une femme, sa mère, fut un chevalier de renom, un homme d'ordre et de devoir. Il rétablit la position de fortune de sa maison, s'allia à la puissante race des Rochefort-Donges, fit la guerre contre les Anglais au profit 1317 de la couronne de France et au profit de la maison de Blois. Il fut tué au combat de la Roche-Derrien. Ses enfants 1349 versèrent leur sang aux guerres du duché de Bretagne.

77 Yvon XII, l'aîné de ses fils, banneret en Anjou et en Bre- 1324 tagne, chevalier de grande réputation et très grand sei-


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gneur, maître à quatorze ans de quatre châtellenies, prit part à presque toutes les campagnes de la guerre de Poitou 1350 et de Guyenne. Il échappa aux plus funestes rencontres. Après le traité de Brétigny il reconstruisit somptueusement le château de la Jaille en Noellet et de Saint-Mars; il habita ce dernier. La Jaille-Yvon n'était qu'une ruine de la première période féodale. Arai dévoué et commensal de Charles de Blois il suivit ce prince dans toutes les phases d'une destinée malheureuse et déposa à l'enquête de cano- 1371 irisation. Marié en Poitou clans une maison alliée aux vicomtes de Limoges et à ceux de Thouars. Ses fils servirent noblement comme leur père ; l'un d'eux périt en combattant.

80 Yvon XIII, l'aîné des fils d'Yvon de la Jaille XII» du nom, 1364 fait ses premières armes à Auray, sert, comme lieutenant de la compagnie à bannière du sire de la Hunodaye sous Duguesclin prend part aux victoires de Pontvallain, Bres- 1373 suire, Chizay, fit avec le duc d'Anjou la brillante campagne de Gascogne et accompagna ce prince clans sa rentrée triomphale à Angers. Mort dans la force de l'âge, laissant 1390 d'une bretonne d'excellente origine, de jeunes enfants qui moururent en bas âge et une fille qui recueillit tout l'héritage de la maison.

86 Marguerite de la Jaille, dame de quatre châtellenies, était mineure quand cet héritage lui advint. Son oncle Jean prit la gestion de ces biens importants et occupa principalement Saint-Mars-la-Jaille, que son père Yvon XII lui avait donné en usufruit. Après la mort de Jean, Marguerite mariée à son. cousin germain Hardouin de la Porte, sire de Vezins, a pris en mains la gestion de sa fortune. Sa résidence est Saint-Mars-la-Jaille où elle s'est mariée. Elle laissa tous 1400 les biens cle sa famille à son fils Jean de la Porte, qui en avait la possession au temps de son décès.


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Faits de guerre de Jean de la Jaille, sire de Saint-Mars, 1395 et position de ce grand seigneur de la cour du duc de Bretagne, 1429

88 Liquidation des biens de la maison de la Jaille. La JailleYvon acquis par René de la Chapelle-Rainsouin ; la Jailleen-Noellet vendu aux sieurs d'Avoines qui en prennent le nom, Saint-Mars-la-Jaille et le Pordic ou Le Porc. Résumé d'une généalogie des sieurs. d'Avoines qui ne sont pas parents des la Jaille.

BRANCHE DE SAINT-MICHEL

Saint-Michel-du-Bois, sur la frontière de Bretagne et d'Anjou, est une grande seigneurie d'une considérable étendue superficielle, mais en pays sauvage, délaissé, couvert de bois et d'étangs, résidence de prédilection pour des féodaux, grands coureurs de bois, pêcheurs, chasseurs, nourris abondamment des premiers produits du sol. Le château est une forteresse de premier ordre, quoiqu'en pays plat, elle contient un village presqu'entier et une église, tours, hautes murailles, logis et tourelles pour le maître ; les Anglais s'y installèrent au XVe siècle pour vivre grassement de rançons et de pillages. 92 Geslin de Saint-Michel en est le possesseur au commencement du XIIe siècle ; c'est un ami des la Jaille ; sa fille Agnès a été selon toute apparence, la première femme de Foulques de la Jaille, seigneur de Segré ; leur fils puîné Geoffroy Téhel a possédé Saint-Michel-du-Bois, après elle ; il y est devenu le vassal des Châteaubriant par Pouancé, dont il relève, ce qui explique qu'il a été préposé par Guillaume de la Guerche, cadet de cette maison, à la garde du château de Moutiers dépendant de son domaine. Après Geoffroy Téhel, Saint-Michel-du-Bois tombe ès-mains de Geslin de la Jaille, son petit-fils, nommé pour un legs, dans 1190


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le testament de Maurice de Craon partant pour la Terre Sainte avec le roi Richard d'Angleterre. Geslin est un des bienfaiteurs du prieuré de la Primaudière fondé par les 1208 Châteaubriant dans la forêt de Juigné, à courte distance au nord de Saint-Michel.

94 Alain de Saint-Michel, fils aîné de Geslin, fait la guerre 1212 contre les Anglais sous Guillaume de Thouars, seigneur de Candé, de qui relève la terre de Saint-Michel pour sa partie sud, les bois de Chanveaux.

Raoul de la Jaille lui succède ; il est son frère puîné ; 1226 après lui Saint-Michel se retrouve entre les mains de Guillaume de la Mothe de Juigné, vraisemblablement gendre 1248 de Raoul I. Mais Saint-Michel, le Pin et tous les biens de Raoul de la Jaille font retour aux aînés de la maison, par le mariage de Marthe de la Mothe avec Yvon IX, sire de la Jaille-Yvon.

97 Briand I, fils puîné de Marthe et d'Yvon, est seigneur de 1300 Saint-Michel-du-Bois, comme héritier, selon la coutume féodale, des biens maternaux versés dans la maison. Il les laissa à ses neveux Briand II et Raoul II successivement 1333 seigneurs de Saint-Michel, le Pin, etc..

99 Briand III en jouit après Raoul II, son père, et les passe 1350 à son frère puîné Hector I. Briand de la Jaille a servi dans le ban, c'est-à-dire dans la noblesse sédentaire, à l'époque où les Anglo-Navarrais ont fait invasion en Anjou ; ce qui veut dire qu'il a armé Saint-Michel et mis la forteresse en défense.

99 Hector I est un type encore nouveau dans l'ordre chevaleresque ; il a habité la Guerche, ce qui explique la situation voisine de sa terre de la Rouaudière, ayant châteaufort relevant de Pouancé ; mais il s'est tout spécialement occupé de l'industrie des tanneries à laquelle il a affecté ses moulins. Il y a fait grande fortune, mais il a donné flanc à la médisance qui le qualifie de marchand : c'est


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un tanneur guerchois pour ceux qui cherchèrent à nier son origine noble ; ils n'y réussirent pas.

101 Briand IV,fils d'Hector, sera un des plus grands sei- 1385 gneurs de la cour de Charles VI ; il a commencé par faire la guerre, servant avec son frère Raoul dans l'armée de Flandres sous Jean du Hallay ; puis un très beau mariage le rapproche des hommes au pouvoir ; il est chambellan du comte d'Armagnac et fait la guerre pour le parti d'Orléans. La forteresse de Saint-Michel-du-Bois ayant été endommagée par les ennemis de la France, Briand en relève les tours et les murailles sur un nouveau plan, puis il met au pas le prieur de la Primaudière qui foulait imperturbable- 1403 ment sa seigneurie. Leur accord réduit à juste valeur les droits de chacun. Briand IV et ses deux fils aînés périssent à la bataille d'Azincourt. 1414

105 Guillaume, le troisième, succède; il est tué à Verneuil. 1422 Hector II, le quatrième, recueille toute la succession de son père, de ses frères et de son oncle ; de même il recueillera les meubles et l'argent monnayé d'un autre oncle, le frère de sa mère, d'où grand procès et plaidoiries extrêmement curieuses par les faits qu'elles révèlent. Hector a laissé prendre Saint-Michel aux Anglais, mais il a com- 1421 battu courageusement à Baugé et conduit trois cents lances à la défense d'Orléans ; c'est un compagnon de Jeanne 1429 d'Arc ; il a reçu du roi récompense pour la part qu'il a prise à la campagne du sacre et aux suivantes ; il a été gouverneur de places en frontière. Son union avec l'héritière de 1433 la maison d'Orange l'a fait seigneur de Durtal et de Mathefelon, grande situation difficile à tenir. Ses démêlés avec les gens de guerre. Il reste et meurt à Saint-Michel, en- 1452 touré de sa chère femme et de ses bâtards.

116 Nombreux enfants légitimes. L'aîné François est encore 1456 mineur. Son rôle effacé, ses procès, ses préoccupations d'affaires. Il est pensionné du roi. Ses deux femmes. Ses


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frères sont ecclésiastiques. Saint-Michel, luxueusement 1488 restauré et agrandi par Hector de la Jaille, a singulièrement souffert pendant les guerres de Bretagne. Les troupes françaises l'ont en partie abattu afin que les gens du duc ne puissent s'y retrancher. Durtal reste l'habitation des sires de la Jaille. François II y réside avec sa femme, fille 1489 du fameux Jean Bourrée qui lui a apporté beaucoup d'argent mais ne lui a point donné d'enfants. 121 Marguerite de la Jaille, soeur de François, restera donc héritière de la grande fortune de la maison de Saint-Michel qu'elle laissera à son fils le maréchal de Vieilleville, res- 1531 taurateur du château de Saint-Michel, dont il fit sa résidence préférée, où il maria sa fille et unique héritière avec M. le marquis d'Epinay. 1549

Relation curieuse de ce mariage dans les mémoires du maréchal par le sieur Carloix son secrétaire.

BRANCHE LOUDUNOISE

125 La maison de la Jaille connue au nord de la Touraine au XIIe siècle, en Loudunois au XIIIe, au sud de la Touraine au XVe, n'est pas étrangère à la maison de la Jaille d'Anjou-Bretagne. Elle en est une branche cadette, c'est un fait certain, authentiquement prouvé. L'ignorance des documents probants est la seule excuse de ceux qui ont soutenu l'opinion contraire qui reste absolument controuvée.

127 La branche loudunoise et tourangelle de la maison de la Jaille est issue d'Yvon IV au commencement du XIIe siècle, par Guichart de la Jaille son fils puiné, énoncé oncle paternel d'Aimery de la Jaille et de Segré, l'aîné des enfants d'Yvon.

Aimery avait laissé en mourant aux religieuses de Mon- 1151 treuil, les biens qu'il avait promis à ses cousins, les enfants de Guichart et de Laure, ceux-ci firent un procès aux


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religieux ; les pièces de ce procès sont convaincantes et démontrent l'étroite parenté des deux branches. Laure, dame de Chahaignes, près Château-du-Loir, a laissé la seigneurie dont elle était héritière à ses fils Mathieu et Guichart issus de son union avec Guichart de la Jaille, fils puîné d'Yvon IV. Mathieu I de la Jaille construisit à Chahaignes, un château-fort dont les ruines existent encore et qui prit son nom. Son frère Guichart et lui, installèrent les bénédictins dans leur paroisse ; ils élevèrent de vives contestations au sujet du don de leur cousin Aimery de la 1167 Jaille, à Montreuil. Henri, comte d'Anjou, roi d'Angleterre, dut intervenir. 134 Mathieu II renouvela la même querelle avec plus de 1180violence, il reprit et garda longtemps Montreuil, il finit 1212 par le restituer en vertu d'un accord accepté par ses fils Aimery et Guillaume.

Mathieu II de la Jaille, sire de Chahaignes, de Montreuil et de Gizeux est un grand personnage qui passe de la cour de Richard à celle de Philippe-Auguste. Prévôt de Loches, 1192 il tient tête aux évêques, moleste les couvents, puis en devient le protecteur et l'ami ; il est marié deux fois.

A cette époque les sires de la Jaille sont les fidèles compagnons d'armes du- célèbre Guillaume des Roches, grand Sénéchal des provinces de l'Ouest, auquel on a voulu les allier par une fausse interprétation de noms similaires. Ils le suivent dans toutes ses campagnes au profit de la couronne de France et sont nommés. bannerets par Philippe Auguste.

Courte notice historique sur la vie et les campagnes du grand sénéchal. 138 Aimery de la Jaille devient seigneur de Beuxe et des Roches 1213 en Loudunois, et Guillaume son frère, seigneur d'Outillé au Maine, par leurs mariages; les enfants du premier se partagent son héritage, les uns restent à Château-du-Loir, 1232


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les autres s'installent à Loudun, ceux-ci continuent la postérité directe par les Aimery et les Tristan, dont le rôle 1217aux armées de nos rois, dans les débuts de la guerre de 1329 Cent-Ans révèle la haute situation comme chevaliers bannerets, et prépare la carrière d'un des plus remarquables guerriers du XIVe siècle, Jean de la Jaille, gouverneur de Loudun, dont la vie presqu'exclusivement militaire, a pu être décrite dans ses curieux détails. 168 Jean, à 16 ans, commande une petite unité tactique 1344 aux frontières des Flandres. Il fait bientôt partie de la compagnie d'élite du maréchal de Clermont. Prisonnier 1356 à Poitiers, il paie rançon et entre au service du duc d'Anjou, frère de Charles V, qui lui donne la garde de Lou- 1360 dun. Jean refuse de remettre son commandement au comte de Tancarville, par une interprétation hardie de la parole donnée. Le roi l'approuve et l'en félicite. Tel qu'un loup défend son hallier, la Jaille ne permet pas à une troupe Anglaise de mettre les pieds dans son gouvernement. Sans 1371 cesse il lutte et sans répit, il chasse tout ennemi de son territoire. Le Loudunois lui doit de n'avoir point subi l'occupation, le pillage, la ruine. Il bat le diable. Il renverse, dans la douve du château de Chinon devant le duc d'Anjou, et son entourage, un Anglais insolent « dont il a du meilleur ». Sa campagne en Poitou et en Guyenne, en Normandie, en Bretagne, puis en Flandres à nouveau sous 1383 Charles VI. Il suit ce prince comme maître d'hôtel du roi ; mais affaibli, ruiné, il vend ses principales terres et se voit encore poursuivi par des créanciers impitoyables. Le roi 1404 vient à son secours. Jean meurt à 80 ans. Deux fois marié. Ses enfants poursuivent une carrière militaire non moins illustre, l'ainé avec le duc d'Anjou en Italie, le puîné avec le maréchal Boucicaut jusqu'au fond de l'Asie-Mineure. Importance de cette famille par suite de ses alliances et de


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la faveur que lui accorde la maison royale d'Anjou. Tristan de la Jailie, gouverneur d'Angers, conseiller et chambellan de la reine de Sicile, ambassadeur auprès du roi d'Angleterre, grand Sénéchal de Provence, gouverneur de Reggio.

194 Bertrand de la Jaille, gouverneur de Beaufort, puis de 1425 Loudun, absorbé dans les intérêts d'un héritage princier, fait la guerre sous Charles VII. Son rôle auprès de la Pu- 1429 celle d'Orléans et du comte de Richemont ; il meurt à la Roche-Talbot, qui lui vient de sa mère. 1459

200 Grande situation des quatre fils de Bertrand qui se succèdent les uns aux autres : Pierre, écuyer de Richemont, grand chambellan du roi de Sicile, grand sénéchal de Provence, conseiller et chambellan du duc de Bretagne, pensionné de Louis XI ; sa femme à la Roche-Talbot ; Hardouin de la Jaille, chevalier du Croissant, grand chambellan du duc de Lorraine, accompagne ce prince en Aragon et en ramène la dépouille mortelle ; Bertrand de la Jaille l'un des cent gentilshommes de la maison du roi Louis XI. Conseiller et chambellan du roi Charles VIII, reçoit ce prince à la Roche-Talbot et meurt au retour de la campagne 1496 d'Italie. Nombreux enfants de son union avec la fille d'un des plus grands seigneurs de la Touraine : elle apparentera ses descendants avec le cardinal de Richelieu.

208 René I de la Jaille, et René II son fils, complètent cette branche de la famille qui n'a pas une moins belle page que son aînée dans les annales de notre histoire. Le premier s'efface devant la célébrité du second. René II de la Jaille de la Roche-Talbot a d'abord commandé en second la compagnie d'ordonnances du maréchal de Montejean, aux 1535 guerres contre Charles-Quint; puis colonel d'une bande de 1544 mille fantassins, il est monté au grade de Général en chef des milices nobles de l'arrière ban de France. Prisonnier 1553 des Espagnols en Picardie, puis racheté au prix de ses 1555 meilleures terres, il est mort ne laissant qu'une fille de la


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propre soeur du fameux Montgommery Court aperçu de 1557 la parenté du siré de la Jaille.

214 A la même branche, dite Loudunoise, appartient le rameau du Vivier formé par Jean de la Jaille, fils de Tristan III et d'Eléonore de Maillé, et petit-fils du fameux Jean, 1410 dompteur du démon. Son mariage l'installe près de Laval, mais la succession maternelle lui laisse des biens au sud de Saumur et par suite d'arrangement de famille, il détient une autre seigneurie dont il prend le titre, près de Durtal au nord de l'Anjou : c'est le Vivier. Un curieux procès lui 1414 restitue une partie des biens de son beau-frère. Il a pris 1429 part à la délivrance d'Orléans. Son fils aîné Guy s'allie 1443 dans la branche de Saint-Michel des la Jaille, vit vieux, meurt sans enfants. L'autre fils de Jean II s'appelle Aimery. Ses démêlés avec la maison de Mâcon ; il laisse un fils appelé Jean, dont l'existence et les services ont eu plus de notoriété.

220 Jean III de la Jaille, page du roi René, puis écuyer de la 1459 reine Jeanne, devient le ministre de sa maison. Ses séjours en Provence et les fonctions qu'il remplit. Procès, puis 1492 accord avec l'aîné des la Jaille de Saint-Michel. Il épouse aussi une la Jaille de la branche de Saint-Michel. Nombreux enfants. François, l'aîné, ne laisse pas de postérité ; 1540 le second, Hardouin, engendre un autre François qui meurt sans enfants ; le troisième, Honorat, est père de René de 1551 la Jaille qui vend tous ses biens et disparaît dans la tourmente religieuse du XVIe siècle. Les enfants sont Hugue- 1524 nots et ne recueillent rien de la succession paternelle.

233 Ce qu'on doit penser d'une série de générations portant le nom de la Jaille et appartenant à la religion protestante, dont les membres cherchent à se rattacher par la tradition à l'arbre généalogique de la famille. Absence complète de documents probants.

235 Une autre branche s'écarte de la tige des sires de la 1509


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Roche-Talbot sous le nom du Châtelet. Elle procède de Bertrand II de la Jaille, seigneur de la Roche-Talbot, et de Catherine le Roy de Chavigny, par Madelon leur troisième fils. Celui-ci fait la guerre en Italie, sous Louis XII, et 1512 reçoit le collier de Saint-Michel. Son mariage, ses enfants. Sa fille Renée semble avoir été une favorite du roi François Ier. Grande fortune territoriale de cette branche. Claude 1522 de la Jaille barbote un peu dans ce bel héritage. Il prend part aux guerres religieuses dans le parti catholique. Sa longévité, sa tutelle des enfants de sa première femme ; partage entre ceux-ci. L'ainé, Pierre, est un dissipateur. 1593 Madelon Il n'a pas d'enfants. Ambroise est un lettré , un ami de Cujas. Ses enfants fixent leur résidence dans le haut Maine ; ils sont vassaux de Sainte-Suzanne. Gabriel et son fils Pierre II résident au Châtelet. Extinction.

BRANCHE DITE DE MARCILLY

253 Pierre de la Jaille, rejeton tardif de Jean II, seigneur de 1375 Beuxe en Loudunois et d'Yseult de Sainte-Maure, sa seconde femme, fonde par suite d'un riche mariage, une nouvelle famille installée sur les rives de la Vienne, dans le vasselage de cette somptueuse maison de Sainte-Maure dont 1412 était sa mère. Origine de sa fortune. Le château de la Mothe-Yvon et le fief de Marcilly. Ici quatre fils, toute leur vie gens de guerre. L'aîné chevalier de la compagnie de Bueil ; le second réside à Loches et environs ; le troisième fonde un rameau dont les membres sont très attachés à la maison de la Rochefoucauld.

260 Charles de la Jaille à Draché et à la Tour Saint-Gelin. 1424 Pierre de la Jaille reçoit les faveurs du roi Louis onzième. Il 1454 se marie deux fois. Sa fille aînée Catherine absorbe au profit de ses enfants la plupart des biens de la maison. Simon 1508 de la Jaille, Gilles de la Jaille vivent pauvrement à la Tour 1511


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Saint-Gelin (voisinage de Richelieu). Coup d'oeil sur la situation de cette famille en Touraine au XVIe siècle. Simon de la Jaille sert comme officier dans l'arrière ban ; ses vio- 1542 lences à Poitiers à l'encontre d'un commissaire de guerre qui le fait arrêter et poursuivre ; sa détention à Paris puis 1549 à Angers. Sa mise en liberté suivie de son assassinat à la 1555 Tour Saint-Gelin, à l'instigation du dit commissaire. Procès criminel et sanction.

284 Aymar de la Jaille, sénéchal de Nouâtre, relève l'église 1478 de Marcilly : enfeu, armoiries. Charles son fils tué à Pavie, fondation d'une chapelle en son souvenir, dans le château 1526 de la Roche-Ramé.

288 La postérité continuée par René de la Jaille, second 1473 fils de Pierre et de Jeanne du Raillay, d'abord clerc investi de bénéfices ecclésiastiques, puis marié et seigneur de 1495 Marcilly. Démêlés avec sa soeur. Catherine. Guillaume, son fils, les continue, en tire quelques avantages, achète des fiefs. René, fils de Guillaume, reprend situation en Tou- 1515 raine, par la succession de sa cousine, Françoise, dame de la Roche-Ramé, morte sans hoirs. Il n'a que des filles. 1560

294 François, son frère, continue la famille, dont les géné- 1688 rations végètent sur des biens insuffisants. Vie de province, obscurité, décadence. Les alliances continuent à être excellentes, et les relations les meilleures avec tout ce qu'il y a de mieux dans la contrée.

300 Mathurin de la Jaille, troisième fils de Françoise, se 1580 transporte, par son mariage, sur la frontière de la Touraine et du Berry, dans la paroisse d'Yseures, et devient possesseur de cette antique seigneurie de Thou, douée d'une résidence agréable, que ses descendants habiteront ou posséderont jusqu'à la veille de la Révolution. Descrip- 1616 tion de Thou ; historique. René fils de Mathurin, s'en assure la totalité en remboursant les droits de sa soeur uté- 1622 rine. Son union. Sa mort au temps des guerres contre les


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Protestants du midi. Sa veuve, remariée, réside au château de Verneuil, près Richelieu, avec ses enfants ; partage de ses biens.

309 Jacques de la Jaille, fils aîné de René, est gouverneur du 1623 château de Nouâtre pour la maison de Rohan-Montbason, position très coûteuse qui l'entraîne à de fortes dépenses ; il emprunte ; il liquide ; pourtant il recueille la part de succession paternelle et maternelle de son frère Moïse mort au service. Grand seigneur et grand dissipateur, se marie trois fois et meurt insolvable-. 1675

313 Edmond de la Jaille, fils et successeur du précédent, se 1683 voit obligé de régler une succession très embarrassée. Thou est saisi ; il le rachète avec les fonds provenant de la dot de sa femme, subrogée à ses droits. Edmond est le fermier 1687 de Thou, pour sa femme séparée de biens et pour ses enfants. Vie obscure, dans un pays pauvre, longue existence 1712 monotone, attristée par des infirmités ; onze enfants ; les aînés disparaissent avant leur père ; un gendre avance les fonds nécessaires à la communauté et prend habitude de se considérer comme le maître au logis.

319 Antoine de la Jaille, frère puîné d'Edmond, a fondé le 1666 rameau de Molante, dans une résidehce qui lui vient de sa mère ; il est paroissien de Saint-Pierre-de-Maillé, vassal d'Angles et voisin du château de Thou, domicile de son frère aîné. Cette branche multiplie tant à Molante qu'à La Rochelle où elle possède un hôtel et où ses membres vont résider par intervalle ; elle pousse des rejetons jusqu'à la Cour, où l'on trouve un garde du corps, des élèves de SaintCyr, et croit-on, un aumônier des Invalides, sortis de ses rangs.

321 Antoine II a vendu Marcilly. Jacques, son fils, résidant à 1687 La Rochelle est poursuivi pour faire « le prédicant ». Deux 1746 fois marié il laisse neuf enfants, dont l'aîné, Antoine, meurt 1766 au service, dépouillé des biens de son héritage, Molante


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ayant été vendu au profit des créanciers de son père. Louis, frère puîné d'Antoine, est vraisemblablement « le chevalier de la Jaille » qui périt à Froidefont sous les yeux de Charette, dans les dernières convulsions de la guerre de 1796 Vendée.

328 Un autre Antoine de la Jaille, fils d'Etienne, sieur de Lussay, et cousin germain du précédent, s'est rendu illustre dans l'artillerie, par le rôle que les événements de la fin du XVIIIe siècle lui firent jouer dans la vie de Napoléon 1790 Bonaparte. Ses états de service, son arrivée à Ajaccio, sa résistance à l'émeute ; rapport de Napoléon sur son compte; la Jaille du côté de la discipline et du devoir ; Bonaparte 1791 (qui le croirait) défenseur de l'anarchie et de la révolte, Taine, Arthur Chuquet et Marcaggi (1).

331 Cette branche de Molante, extrêmement prolifique, a 1668 produit encore le rameau des seigneurs de l'Ile et de Vaux, petits fiefs dépendant de Molante même. Jacques de la Jaille, frère d'Edmond et d'Antoine en est l'auteur. Plus ils sont pauvres, plus ils ont d'enfants. Celui-ci en a dix de sa première femme, qui meurt à la peine, et deux de la se- 1681 conde ; il a trente-neuf ans quand à Angles, le jour même de l'arrivée des Dragons, envoyés pour soumettre les protestants de la contrée, s'étant permis peut-être une protestation un peu vive à la barbe de ces garni saires, il est mis à mort par deux d'entre eux. De ses nombreux enfants un 1685 seul fait race, Silvain, père de Jean, page du duc d'Orléans, 1734 mort célibataire et de Marie-Julie, vicomtesse de Sabran. 1735

336 Petit rameau de Douce : deux générations. 1646-1769

(1) Marcaggi, auteur de la Genèse de Napoléon Ier, cite Antoine de la Jaille, prisonnier de l'émeute comme ayant été délivré à la demande de Madame Laetitia Bonaparte, mère de Napoléon.

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BRANCHE BRETONNE

339 Jean de la Jaille, quatrième d'un nom prestigieux dans 1669 sa race, fils puîné d'Edmond, appelé M. de Verneuil, est destiné à la Marine, carrière des cadets de grande maison. Il se rend à Brest, où il obtient, à 18 ans, son premier 1687 grade. Il embarque sur l'Oiseau, se signale à l'attention de 1696 M. Duguay-Trouin qui le fait placer second sur le Jazon, qu'il commande en corsaire. Campagne du Jazon : Jean de 1704 la Jaille s'y distingue, obtient le commandement du Paon, sa propre prise. Campagne du Paon sur les côtes d'Es- 1706 pagne : prise importante, affaire de Cadix.

343 Duguay à Versailles, fait connaître au roi les mérites de 1707 M. de la Jaille et obtient pour lui le brevet de lieutenant de vaisseau. La Jaille commande la Gloire : prise importante dans l'Atlantique. Combat acharné dans la Manche et prise du Cumberland : relation de M. de la Jaille au ministère de la Marine.

343 Croisières de la Gloire au large de Vigo, puis au cap 1708 Lézard, combat, tempête ; surprise d'une force supérieure, lutte habile ; la Jaille se sacrifie au salut de son chef DuguayTrouin. Il est pris et retenu captif à Plymouth. 1709

346 Expédition du Brésil à laquelle la Jaille prend part 1711 comme commandant le Glorieux, matelot d'arrière du vaisseau-amiral. La rade de Rio forcée, la ville succombe ; rôle de Jean de la Jaille dans ce siège. Retour pénible, grosse mer ; Duguay croit la Jaille perdu et pleure son « bras droit », mais un voeu de l'équipage a sauvé le Glorieux, qui rentre au port avec le Lys. La paix donne à nos 1712 marins des loisirs. Jean de la Jaille se marie à Brest, se rend à Thou pour la mort de son père, règle la succession, indemnise son beau-frère de ses avances de fonds, ses soeurs de leurs légitimes, et reste unique propriétaire de


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Thou. Situation de cette terre au moment où Jean de la Jaille en prit possession.

351 Jean de la Jaille maintenu noble à la réformation en Tou- 1715 raine, chevalier de Saint-Louis, gouverneur de Landerneau,,possesseur par succession de son beau-père de terres aux environs de Brest, acquéreur lui-même de quelques 1720 fiefs... etc., est nommé capitaine de vaisseau, commande le Mercure, dans les Antilles, puis dans la Méditerranée, le Griffon, l'Astrée, le Mercure à nouveau ; campagne dans 1734 la Baltique. Major de la flotte à Brest. Ses enfants dont l'ainé est filleul de M. Duguay-Trouin.

356 Le second de ses fils lui succède. Il est seigneur de 1741 Thou. Sa carrière dans la Marine où il entre à 14 ans. Embarqué sur la Gloire, le Saint-Louis ; enseigne de vaisseau il commande en second un navire de la flotte de M. de Court ; bataille de Toulon. François de la Jaille est nommé chevalier de Saint-Louis à la suite de cette affaire ; il commande la Palme et se distingue dans une chasse donnée aux Anglais sur l'Atlantique ; il est nommé lieutenant de 1750 vaisseau et meurt prématurément. Il est dans un acte authentique appelé comte de là Jaille.

359 André de la Jaille un des officiers les plus distingués dans la marine royale, n'a point connu son père. Bientôt orphelin de sa mère, il est élevé par les soins de sa grand'mère, Madame de la Jaille de Thou, qui préside à son profit au partage de la succession de sa mère ; il en recueille des biens près Châteauneuf du Faou et une maison à Brest ; bientôt lui viendra la propriété du Roual, près Lannilis,

héritage de sa cousine germaine. Il possédera encore Thou, dont un certain Perrat des Roches deviendra propriétaire après lui.

360 Garde de la marine à 14 ans, André de la Jaille inaugure 1764 sa carrière par un service actif sur plusieurs navires, et se


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marie avec le grade d'enseigne de vaisseau. Séjour à Lo- 1773 rient, à l'Ile Bourbon. Maladie, retour à bord du SaintGermain. Guerre avec l'Angleterre. Bataille d'Ouessant ; le 1778 Zodiaque ; commandement de l'expédition, croisière aux Iles Sorlingues, combat, félicitations de l'amiral et du ministre. La Jaille reçoit le commandement du Chevreuil ; campagne dans les Antilles, proposition de M. de Guichen, retour en France avec des troupes rapatriées d'Amérique, combat à l'entrée de la Manche et prise du Chevreuil par 1780 les Anglais. Rapport de M. de la Jaille au ministre ; il est nommé chevalier de Saint-Louis ; félicitations de plusieurs et du comte de Custine, conséquences des relations avec le comte de Custine et de Vaudreuil. 367 André de la Jaille, lieutenant de vaisseau ; ses comman- 1781 déments, ses expéditions ; il fait deux stations en Espagne et deux en Amérique. A Saint-Domingue il recueille des biens de rapports en denrées coloniales provenant d'une de ses parentes. Campagne de la Pérouse dans la baie 1782 d'Hudson. La Jaille second commande l' Engageante et reçoit le commandement de la division pendant la descente du chef à terre. Périls de l'expédition, succès, état du navire au mouillage à Cadix, rapport de M. de la Jaille au ministre. Satisfaction du roi. La Jaille est appelé à la Cour ; 1784 il prépare avec le roi Louis XVI, le. ministre et les autorités compétentes, une expédition sur les côtes occidentales de l'Afrique ; ses plans sont approuvés ; instructions de la Cour remises au marquis de la Jaille ; son départ de Brest sur la Bayonnaise ; escale à Bordeaux où il prend le comte de Repentigny, gouverneur du Sénégal, pour le conduire à son poste. Résultat.de cette campagne qui a surtout pour but d'en préparer une plus importante pour l'année suivante. C'est à partir de cette époque qu'André de la Jaille porte le titre de « Marquis » inséré dans tous les actes officiels.


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370 Campagne de l'Emeraude avec la Blonde et la Levrette. 1784 Mission du marquis de la Jaille sur la côte de Sierra-Leone et celle de Guinée. Escale au Sénégal ; relations avec les 1785 Portugais ; tentative infructueuse auprès des Bissagots, portrait de ces sauvages qui n'ont de vêtements que leurs armes et se passent leurs chemises toujours neuves de génération en génération. Dangers courus, perte de plusieurs officiers ; établissement d'un poste français à Gambie ; résignation des Portugais ; traité avec le roi Panambouc ; origine, de l'influence française dans le Dahomey ; navigation pénible, maladies, disette et retour à Gorée pour le rétablissement de l'équipage.

373 Le marquis de la Jaille rentre à Brest, reçoit félicitations 1786 et gratifications du roi ; il est nommé capitaine de vaisseau, major de la troisième escadre à Brest, commandant du vaisseau-école des aspirants dans ce port. Manifestation de sentiments égalitaires ; l'égalité et la discipline, deux idées

qui ne s'épousent pas sous tous les régimes ; le futur ami de la Constitution perce sous l'aristocrate insigne, conséquence des principes venus comme la fortune d'Amérique.

374 La Jaille monte la Nymphe à destination des Antilles et 1789 des Iles-sous-le-Vent, puis l'Engageante armée pour SaintPierre-et-Miquelon ; il prend à bord le comte de Peynier, gouverneur de Saint-Domingue et le mène à sa destinalion ; instructions mystérieuses qui laissent deviner la situation inquiétante de cette colonie soulevée par les Anglais. Sitôt la Révolution ouverte la lutte est entamée; la Jaille protège Saint-Marc contre les insurgés, il croise sur

les côtes de l'île pour en défendre l'accès aux étrangers, mouille au cap Haïtien. 376 Affaire du Léopard. M. de la Jaille reste le plus ancien 1790 en grade après le départ du marquis de la Galissonnière ; préside le Conseil de guerre. Insinuations malsaines et ca-


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lomnies contre le chef libéral qui a dès le premier jour fait prendre la cocarde tricolore à son équipage. 377 Retour pénible, surprise de l'officier royal à l'aspect des 1791 Jacobins envahissant son navire et détournant ses matelots. Séjour à Paris, obscurité de l'avenir, difficultés du présent. L'émigration a commencé. Les officiers de la marine Royale se réunissent à Enghien et se comptent. Réprouvé qui ne s'y trouve. La Jaille obtient des Princes l'approbation pour une mission que le roi, à la demande des colons de Saint-Domingue, lui confie dans le but de pacifier l'île. Il se rend à Brest pour prendre le commandement d'une division de trois navires. Son arrivée dans ce port. Emeute, 1791 fureur de la population : on le conduit hors de la ville, on le ramène, on le frappe, on veut le tuer. Quelques citoyens compatissants le protègent ; la garde nationale et la troupe prennent les armes et conduisent la Jaille au château. Lettres de M. de la Jaille au président de la société des Amis de la Constitution dont il est membre, à ses sauveteurs, aux députés de l'Assemblée législative qui sont ses amis. Relations des journaux sur cette affaire, plaintes du ministre à l'Assemblée : Déni de justice. Dégoût profond de M. de la Jaille qui refuse une faible compensation offerte par le gouvernement et part pour l'émigration. Il commande 1792 l'artillerie du corps de la Marine, puis il passe en Angleterre, prend du service dans l'armée navale du roi Georges, 1793 suit le comte de Moira sur les côtes de France, monte à bord de la Pomone armée pour Quiberon, y rencontre le comte de Puisaye qui le nomme chef de son Etat-major, 1795 campagne et désastre de Quiberon ; reproches injustes adressés par les émigrés au marquis de la Jaille ; yoyage d'Angleterre en France, part prise à la chouannerie ; lettres 1796 écrites par M. de la Jaille sous le feu de l'ennemi. Succès et revers. Cessation des hostilités. La Jaille à Blankenburg ;


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politesse de Louis XVIII, froideur des émigrés ; compen- 1797 sation : le brevet de Maréchal de camp.

400 Départ du marquis pour Saint-Domingue ; sa ruine. Il 1798 s'engage sur un navire espagnol dont il devient capitaine. Cabotage. Fortune faite et perdue deux fois. Séjour clans les Antilles, Cuba, la Jamaïque, Honduras. Installation à Truxillo, exploitation ; les nègres indisciplinés ; dévouement d'un ami. Tristesse et découragement, résignation chrétienne ; correspondance du proscrit avec sa belle-fille ; il apprend la mort de sa femme et de ses enfants ; il se retire dans une colonie anglaise où il vit comme interprète de trois langues.

405 La Restauration; lettre de la Jaille au comte d'Avaray 1814 pour demander de reprendre du service ; lettre du comte de Coetquelven, de l'argent, des lunettes, une montre et du tabac. Départ pour l'Europe ; navigation fatigante, débarquement au sud de l'Irlande ; maladie et mort du marquis de la Jaille sur la terre étrangère. Il laisse pour tout héritage,sa croix de Saint-Louis et une bague que l'ambassadeur de France fit remettre à sa bru Mme de la Jaille.

407 Triste destinée et fin prématurée des enfants du marquis 1815 de la Jaille. A François, son fils aîné, mort en mer aux Antilles, après avoir sauvé son père du naufrage, succède Charles second marquis de la Jaille. Portrait que sa mère fait de lui dans son enfance ; tendresses et bons conseils de l'aïeul ; élevé dans le malheur il a été l'homme du devoir, l'objet de la vénération de ses concitoyens. Garde du corps, 1814 officier de cavalerie. Garnisons décevantes. Départ pour la Guadeloupe et mariage. Nomination de major dans la milice 1821 locale. Ruine des plus belles espérances et retour en France. Résidence à Nantes, où personne, dans la société, n'a oublié ce grand et noble vieillard qui a su élever sans fortune une nombreuse famille dont les membres sont parvenus aux plus hautes charges de l'Etat.


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On raconte cette anecdote : le second fils du marquis avait déjà obtenu les étoiles de brigadier, à la suite de la plus brillante carrière dans l'arme spéciale de l'artillerie, quand, en congé dans sa famille, fréquentant le cercle militaire on le supplia de s'attarder un soir un peu plus que d'habitude, pour assister à la fin d'une fête. Il s'y refusa. On insistait beaucoup entre amis. Il répondit : « Si je ne suis pas à la maison à dix heures juste, la porte me sera fermée, je serai obligé d'aller coucher à l'hôtel. Ce ne serait rien, si je ne craignais surtout de mécontenter mon père ! » C'est avec une telle discipline qu'on fait des hommes.

415 Courte notice biographique sur chacun des fils du marquis de la Jaille : l'aîné, François, page de Charles X, élève 1830 de Saint-Cyr, sert dans la cavalerie, fait ses premiers grades en Afrique sous le général Bedeau. Capitaine adjudantmajor et officier du général d'Allonville en Crimée : la double charge de Balaklava. Chef d'escadron au 7me dragons, 1856 lieutenant-colonel au 3me chasseurs d'Afrique. Mission en Suède ; compliments et gratifications du roi. Colonel au 1er hussards ; campagne dans l'Oranais et sur la frontière marocaine. Mostaganem. Séjour en France, retour en Algérie ; commandement du 2me chasseurs d'Afrique et part 1866 prise par le régiment à la colonne Wimpffen. Le marquis de la Jaille à la tête d'un détachement se jette sur le ChottTigri, rencontre les douars à Tamlett et les disperse, puis il s'empare d'Aïn-Chaïr et rentre à Tlemcen pour recevoir 1870 les félicitations de son général et le grade de général de brigade.

420 Campagne de France dans la division du Barail. Concentration sous Metz ; l'escorte impériale ; bataille de Gravelotte ; le général de la Jaille mène la charge du plateau d'Yron, éteint le feu de pièces prussiennes, et le surlendemain sauve la brigade de Bouchard à Saint-Privat. Capitu-


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lation de Metz. Captivité. Retour à Versailles. Second siège de Paris.

421 Commandement de la brigade de cavalerie à Dinan. Mise à la retraite après 45 ans de service. Le marquis de la Jaille conseiller général du canton de Callac (Côtes-du-Nord). Sa 1889 mort ; ses. enfants dont l'aîné est le marquis de la Jaille actuel marié à sa cousine germaine, dont un. fils destiné à continuer la postérité clans cette antique et illustre race.

422 Charles de la Jaille élève à l'Ecole polytechnique. Sous- 1843 lieutenant d'artillerie, lieutenant, capitaine, part en Crimée comme officier d'ordonnance du général de Lourmel tué au Bastion central, ramène le corps en France ; est décoré et retourne en Crimée, est blessé devant Malakoff.

423 Garde Impériale. Les Tuileries. Guerre d'Italie, Magenta et le passage de Noviglio-Grande, Solférino, prise du Mont des Cyprès.

424 Compliments personnels de Napoléon III. Chef d'esca- 1860 dron au Mexique et chef d'état-major du général de Laumière tué devant Puebla. Combat de San-Lorenzo ; bombardement et capitulation de d'Oajaca. 1867

425 Retour en France. Colonel. Campagne de France dans 1870 l'artillerie du 3e corps d'armée ; combat sous Metz. Capitulation et captivité. Second siège de Paris ; les deux étoiles,

les trois étoiles, le grand cordon de la Légion d'honneur. Faveur des spécialistes, ce sont eux qui tiennent le pouvoir. Le général de division de la Jaille président du comité de l'artillerie puis sénateur de la Guadeloupe siège à droite, meurt célibataire. 1891

425 Edouard de la Jaille se destine à la Marine. Ecole navale. 1852 Guerre de Russie, siège de Bomarsünd. En Crimée surveillance de la baie de Sébastopol entreprise contre les vaisseaux russes. Armistice et salve de canon pour la naissance du Prince Impérial. Aspirant de première classe dans l'état-mojor de l'amiral


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Tréhouart, retourne en France. Campagne de Chine, prise de Canton ; fait ensuite plusieurs campagnes comme enseigne dans l'Océan Indien. Officier d'ordonnance du ministre de la Marine ; missions diplomatiques en Chine et au Japon. Lieutenant de vaisseau ; expédition du Scorpion ; affaires délicates traitées avec Li-Hung-Chang. 427 Guerre franco-allemande ; campagne du 21me corps ; 1870 compliments du général Jaurès devant Le Mans. Capitaine de frégate, aide de camp de l'amiral de Montagnac, ministre de la Marine ; commandement sur les côtes du Dahomey. Capitaine de vaisseau, commande la Flore, l'AmiralDuperré, etc. Contre-amiral, chef d'état-major du ministre de la Marine, membre du conseil des travaux, chef de la division navale d'Indo-Chine. Vice-amiral et membre du comité des Inspecteurs généraux, préfet maritime à Brest, commandant de l'escadre de la Méditerranée, commandant en chef le 5e arrondissement maritime à Toulon, mis au cadre de réserve après 48 ans de service ; Grand croix de la Légion d'honneur, Sénateur de la Loire-Inférieure. Marié 1901 père de quatre filles.

429 Eugène de la Jaille, engagé volontaire aux zouaves ponti- 1861 ficaux, lieutenant de la Garde nationale de la Seine. Siège

de Paris. Affaire du parc de Buzenval : citation à l'ordre du jour. Capitaine de territoriale, titulaire d'une médaille de S. S. Léon XIII. Directeur de la Compagnie d'assurances 1897 le « Soleil-Vie ». Son mariage, ses enfants dont deux fils mariés, pères de famille.

430 Henri de la Jaille engagé volontaire du 3me chasseurs d'Afrique, sous-lieutenant et lieutenant de cavalerie, officier d'ordonnance du général du Preuil. Bataille de Sedan ; 1870 captivité. Capitaine de dragons et décoré ; conseiller d'arrondissement à Châteaugontier ; marié, père de deux filles.

431 René de la Jaille, marin. Campagne en Chine, au Japon, 1860 en Islande, en Grèce ; lieutenant de vaisseau, expédition


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Pages.

Années.

dans l'Océan Pacifique ; perte du croiseur l'Hermite aux îles Wallis. La Jaille cherche à sauver le matériel du navire, séjourne dans l'eau, contracte la maladie qui mettra trop tôt fin à ses jours. Officier torpilleur à bord de l'Armeriques ; station à Cherbourg. Son mal s'aggrave ; il meurt à Nantes 1884 432 Les six filles du marquis de la Jaille.

Paris, le 10 juillet 1907.

Mis DE BRISAY.



TABLE DES MATIÈRES

Pages.

I. Tige principale ; Les Yvons .... 1

II. Branche aînée : Châteaugontier .... 5

III. Branche puînée : La Jaille 27

IV. Branche de Saint-Michel 92

V. Branche loudunoise 125

VI. Rameau du Vivier 214

VIL Branche du Châtelet ...... 235

VIII. Rameau du Gênetay. . . . . . 251

IX. Branche tourangelle 253

X. Rameau de La Roche-Ramé 283

XI. Branche de Marcilly . . . . . . 288

XII. Branche de Marcilly-Thou . . . . 300

XIII. Branche de Marcilly-Molante .... 319

XIV. Rameau du Lussay . 327

XV. Rameau de l'Ile ....... 331

XVI. Rameau de Douce ....... 336

XVII. Branche bretonne 339

RÉPERTOIRE 433

PLANCHE ET GRAVURES

Sceau de Jean de la Jaille (1356). . . En frontispice. Sceau de Tristan de la Jaille (1380). . . Id.

Sceau de Tristan de la Jaille. (1392). . Id.


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APPENDICE TABLEAUX GÉNÉALOGIQUES

Tableau I. Maison de Châteaugontier.

Tableau II. Maison de la Jaille, branche aînée.

Tableau III. Branche de Saint-Michel.

Tableau IV. Branche loudunoise.

Tableau V. Branche du Châtelet et Rameau du Gênetay.

Tableau VI. Branche tourangelle.

Tableau VII. Parenté de Jean de la Jaille, au XIVe siècle.

Tableau VIII. Branche de Marcilly.

Tableau IX. Branche de Marcilly-Molante.

Tableau X. Branche bretonne.


MAMERS. — IMPRIMERIE FLEURY. — 1910.




MAMERS. — IMPRIMERIE FLEURY.