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Titre : Mémoires de la Commission historique du Cher

Auteur : Société historique, littéraire, artistique et scientifique du département du Cher. Auteur du texte

Éditeur : Vermeil (Bourges)

Éditeur : Just-Bernard (Paris)

Éditeur : Dumoulin ()

Éditeur : V. Didron ()

Date d'édition : 1860

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb344220235

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb344220235/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Langue : Français

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Description : 1860

Description : 1860 (VOL1,PART2).

Description : Collection numérique : Fonds régional : Centre-Val de Loire

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k5568071d

Source : Bibliothèque nationale de France, département Collections numérisées, 2009-846

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 19/01/2011

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MÉMOIRES

DE LA

COMMISSION HISTORIQUE

DU CHER.


BOURGES, IMP. ET LITH. DE Ve. JOLLET-SOUCHOIS.


MÉMOIRES

DE LA

COMMISSION HISTORIQUE

DU CHER.

PREMIER VOLUME.— DEUXIÈME PARTIE.

BOURGES, VE RMEIL , LIB. JUST-BERNARD, LIB.

PARIS,

DUMOULIN,

Quai des Augustins, 13

V°r DIDRON, Rue St-Dominique-St-Germain, 23.

1860.



TABLE GÉNÉRALE

DES MATIÈRES ET DES PLANCHES

DE LA 2e PARTIE DU 1er VOLUME.

Page. Liste générale des membres de la Commission

Liste des Sociétés savantes avec lesquelles elle est en relation.

Généalogies du Berry, par M. le Vte. F. de Maussabré 1

Observations historiques sur la ville de Sancerre, par M. Chavaudret 49

Un ménage littéraire en Berry, par M. H. Boyer 97

Planches I, II et III.

Les Confesseurs de la foi dans le diocèse de Bourges, par M. l'abbé Caillaud. 475

Anciennes ordonnances de police de Bourges , par M. H. Boyer 213

Le trésor de la Sainte-Chapelle de Bourges ( 2e partie ) , par M. Hiver

de Beauvoir

Planche IV.



ERRATA.

Des circonstances particulières n'ayant pas permis que plus d'une page de ce volume reçût, lors de sa composition, toutes les corrections nécessaires, il s'est glissé dans le texte un certain nombre de fautes, qui ont motivé cet errata malheureusement plus long qu'il ne serait à désirer. L'inconvénient qui en résulte, et que la Commission a été la première à apprécier vivement, sera au moins une garantie du soin apporté à l'impression des volumes subséquents.

Page 9, ligne 17, « près Linières, » lisez : « près Bomiers. »

— 11, ligne 29. « ès-paroisse, » — « ès-paroisses. »

— 12, ligne 1, « Elbe, » — « Ebbe. »

— 12, ligne 17, « Trésor général, » — « Trésor généalogique. »

— 16, ligne 23, « abandonne, » — « abandonna. »

— 44, ligne 13, « Ambroise, » — Amboise. »

— 45, ligne 9, « légué, » — « léguée. »

— 46, ligne 29, « Jeen, » — « Jean. »

— 47, ligne 7, « le P. Anselme, » supprimez ce paragraphe.

— 51, ligne 14, « Ce qu'on a répété après lui, » ajoutez, en note :

« (3) Voir notamment M. Pierquin de Gembloux, Guide de l'antiquaire et du voyageur dans Bourges et le département du Cher, p. 489 et suiv. »

— 53, (note), « L'histoire... attestent, » — «atteste.»

— 54, ligne 23 (note), « Concucarlo, » — « Concurcarlo. »

— 54, ligne 41, « ci-dessus » — « ci-contre p. 55. »

— 54, ligne 42, « Morin » — « Monin. » « Victor Duray » — « Victor

Duruy. »

— 56, ligne 19, « La nôtre » — » Le nôtre. »

— 56, ligne 38 (note), « Philippe, Monin, Duruy,» — « V.Philippe,

Monin, Duruy. »


Page 57, ligne 43, « D'après tout ce qu'il a été trouvé, » — « D'après tout ce qui a été trouvé. »

— 58, ligne 28, « les confirmer, » — « la confirmer. »

— 60, ligne 40, « Charmes, » — « Charnes. »

— 63, ligne 26, « XIII kil. » — « XIII kal. »

— 65, ligne 17, « qu'il appelle, » — « qui appelle. »

— 65, ligne 40, « Barlaeum, » — « Barlocum. »

— 66, ligne 1re, « Monasterallum, » — « Monasterellum. »

— 68, ligne 21, « à la foi, » — « à la fois. »

— 75, ligne 35 (note), « Careribus » — « Carceribus. »

— 75, ligne 39, « Celebrunt » — « Celebrem. »

— 77, ligne 26, « Romaine, » — « Romane. »

— 88, ligne 8 et page 91, ligne 34, — « 200 » et non « 500. »

— 89, ligne 5, « fratum » — « fratrum. »

— 90, (notes), « Orson » — « Oison. »

— 92, (notes), « ad vallem. Joannis de Charnes, » supprimez le point.

après vallem.

— 94, ligne 12, « La fondation de Saint-Satur, » — « La fondation de

l'abbaye de Saint-Satur. »

— 99, ligne 2, « jusqu'à présent cachée » lisez: « jusqu'à présent presque

presque »

— 406, ligne 8, « sous le nom de » — » sous ses prénoms. »

— 409, note 3, ajoutez : « et pl. III, nos 1 et 2. »

— 409, note 4, « Marie de La Font » — « Marie de La Tour. » — 443, ligne 20, « vers 4530 » — « en 4532. »

— 424, ligne 39, « fut en relation » — « Thiboust fut en relation. »

— 428, note 4, «appartenances et dépendances » — « appartenans et... »

— 429, ligne 38, « Puchra Venus » — » Pulchra Venus. »

— 430, note 2, ajoutez : « V. pl. III, nos 1 et 2. »

— 446, ligne 44, « Ce l'un d'eux » — « C'est l'un d'eux. »

— 158, note 1re, « la pureté, la chasteté » — « la pureté ou chasteté. » « la

candabilité » — » la Laudabilité. »

— 468, notes, « Dimosoph. » — « Dimnosoph. »

— 470, lignes 3, 8, 44 et 43, « Roussard » — « Ronssard. »


LISTE GÉNÉRALE

DES MEMBRES DE LA COMMISSION HISTORIQUE DU CHER.

1. — Bureau.

MM. le PRÉFET DU CHER , Président.

CAILLAUD ( l'abbé ) , Vice-Président. BOYER, Secrétaire-Archiviste. ROMAGNÉSI , Trésorier.

2. — Comité de rédaction.

MM. CAILLAUD ( l'abbé ). HIVER DE BEAUVOIR, FOURNIER.

3. — Membres honoraires.

MM. BASTARD-D'ESTANG ( Cte. Auguste DE ) , à Paris.

BEAUFORT ( DE ) , Docteur-Médecin à Saint-Benoît-du-Sault (Indre).

BERNARD DE MONTBRISON ( Auguste ), à Paris.

BERRY, Conseiller à la Cour impériale de Bourges.

BOUCHER DE PERTHES, Président de la Société d'émulation d'Abbeville.

CAUMONT (DE') , correspondant de l'Institut, à Caen.

CHENEVIÈRES ( Philippe DE ) , Inspecteur des Musées, à Paris.

CHERGÉ ( Charles DÉ ) , ancien Président de la Société des antiquaires de l'Ouest.

CLÉMENT ( Pierre ), attaché au Ministère des finances, à Paris.

COCHET ( l'abbé ) , Inspecteur des Monuments historiques de la SeineInférieure, à Dieppe.


II

MM. CROSNIER ( l'abbé ), Vicaire-Général de l'évêché de Nevers, Président de la Société archéologique de la Nièvre.

DIDRON aîné, Rédacteur des Annales archéologiques, à Paris.

DUBROC DE SEGANGES , Conseiller de Préfecture, à Nevers.

GIRARDOT ( le baron DE ) , Secrétaire-Général à la Préfecture de la LoireInférieure.

JAUBERT (le comte), ancien Ministre des travaux publics, à Paris.

LAISNEL DE LA SALLE , propriétaire à Cosnay ( Indre ).

LEMAIGRE, ancien Archiviste de l'Indre à Châteauroux.

MAUSSABRÉ ( Vte. Ferdinand DE ) , à Buzançais (Indre).

MEUNIER, Sous-Préfet, à Avallon (Yonne).

PÉRÉMÉ (Armand), Avocat, attaché au Ministère du commerce, à Paris.

OUDOT, Maire de Varzy.

RAYNAL ( Louis ) , Avocat-Général à la Cour de cassation, à Paris.

RIBAULT DE LAUGARDIÈRE , Substitut du Procureur impérial, à Clamecy ( Nièvre ).

SOULTRAIT ( le Cte. Georges DE ) , propriétaire à Toury ( Nièvre ).

TREMBLAIS ( DE LA ), ancien Sous-Préfet, à Paris.

VILLEGILLE (DE LA) , Secrétaire du Comité impérial des travaux historiques et des Sociétés savantes, à Paris.

VOISIN ( l'abbé ) , Curé à Douadic ( Indre ).

4. — Membres titulaires.

MM. BARBERAUD père, Archiviste honoraire du Cher. BARBERAUD fils, Archiviste titulaire.

BLANCHET ( l'abbé ), Aumônier du Sacré-Coeur, à Bourges. BOURDALOUE. Adjoint à la Mairie de Bourges. BOYER , Bibliothécaire-Adjoint de la ville. BUHOT DE KERSERS , Avocat. BUSSIÈRES , Architecte.

CAILLAUD , Vicaire-Général de l'Archevêché de Bourges. CHARMEIL, Bibliothécaire de la ville. COUGNY, Conservateur adjoint du Musée. DUMOUTET, Statuaire. FOURNIER , Avocat.

HIVER DE BEAUVOIR , Conseiller à la Cour impériale de Bourges. JUILLIEN , Architecte. MERCIER.

PIGELET, Imprimeur. RATIER , Professeur au Lycée. REY fils, Architecte. ROGER , Architecte. ROMAGNÉSI.


III

5. — Membres correspondants par canton.

Les Aix MM. CHARBONNIER , Curé de Sainte-Solange.

Baugy MAHAULT , Curé.

Graçay SILLY , Notaire.

Lury. CHENU DE THUÉ , Juge-de-Paix.

St-Martin-d'Auxigny. DE BUSSEROLLES, Curé de Dun-le-Roi.

Vierzon MUTRÉCY-MARÉCHAL , Ingén. des ponts et chaussées.

Châteauneuf

GOUAULT, Curé.

MASSÉ , propriétaire à Farges-Allichamps.

Dun-le-Roi

La Guerche

MOREAU , Secrétaire de la Mairie. DUROIZEL.

LENORMAND DU COUDRAY, Notaire à Nérondes. ROUBÉ , Juge-de-Paix à La Guerche.

Lignières. ... DUBOUCHAT ( l'abbé ) , Directeur de Chezal-Benoît.

Nérondes LENOIR , Curé à Charly.

Saint-Amand

MALLAT.

MALLET, Agent-Voyer.

Argent LISSOT , Curé.

Aubigny CHAZEREAU , Pharmacien.

La Chap.-d'Angillon. PORCHERON, Notaire à Yvoi-le-Pré.

Léré RENAUD , Curé.

Sancerre

GUILLARD , Architecte.

DE GUINAUMONT, propriétaire à Sens-Beaujeu.

LAGARDE , Curé de Sens-Beaujeu.

Sancergues CHAVAUDRET père, propriétaire à Sancerre.

Saulzais-le-Potier. ... MARCHE, Architecte à Saint-Amand.

6. — Membres correspondants étrangers.

MM. BERTRAND, Employé au Chemin de fer de Lyon, à Moulins (Allier). BUFFET, Avoué à Châteauroux ( Indre ). DAMOURETTE (abbé), à Châteauroux (Indre).

GRILLON DES CHAPELLES, Membre du Conseil général de l'Indre, à Châteauroux. PIFFAULT , Conservateur du Musée de Varzy. RIGNAULT, Architecte à Varzy. VEILLAT ( Just ), à Châteauroux ( Indre ).


IV

LISTE DES SOCIÉTÉS SAVANTES

AVEC LESQUELLES LA COMMISSION HISTORIQUE DU CHER EST EN RELATION

Le Comité des travaux historiques et des Sociétés savantes près le Ministère de l'instruction publique.

La Société des antiquaires de France ( Paris ).

La Société des antiquaires de Normandie , à Caen.

La Société des antiquaires de l'ouest ( Poitiers ).

La Société académique de Laon ( Aisne ).

La Société archéologique de l'Orléanais, à Orléans.

La Société archéologique de Touraine, à Tours.

La Société nivernaise, à Nevers.

La Société des sciences de l'Yonne, à Auxerre.

La Société du Berry ( ancienne Société archéologique de l'Indre ) , à Paris.

La Société d'émulation d'Abbeville (Somme).

La Société éduenne, à Autun ( Saône-et-Loire ).

La Société archéologique de Sens ( Yonne ).

La Société historique et archéologique du Limousin, à Limoges.

La Société historique et littéraire du bas Limousin, à Tulle.

La Société des sciences naturelles et historiques de la Creuse, à Guéret.

La Société archéologique d'Eure-et-Loire , à Chartres.

La Société d'émulation de Montbéliard ( Doubs ).

La Commission archéologique de Maine-et-Loire , à Angers.


HISTOIRE GÉNÉALOGIQUE

DE

QUELQUES FAMILLES DU BERRY,

Par M. le Vicomte Fd DE MAUSSABRÉ,

MEMBRE HONORAIRE.



MAISON DE BOMIERS.(*)

L'ancienne châtellenie, depuis baronnie de Bomiers (1), située entre Châteauroux, Issoudun et La Châtre, a été le berceau d'une noble et puissante famille à laquelle elle a communiqué son nom. Ce nom est orthographié indistinctement dans les chartes : Bomes, Bomez, Bosmez, Bomied,

(*) Depuis longtemps M. le vicomte F. de Maussabré élabore une oeuvre de longues et patientes investigations, qui aura pour but de compléter les travaux antérieurs des historiens du Berry. Cette oeuvre, d'une immense étendue, car elle n'embrassera pas moins de dix volumes in-8°, est le nobiliaire de la province, l'histoire généalogique de toutes les grandes maisons qui l'ont illustrée. Quelques fragments en ont été publiés déjà par la Société du Berry, dans son Bulletin, et ils ont suffi pour faire apprécier le haut intérêt qui s'attachait à ces recherches. M. de Maussabré a bien voulu communiquer à la Commission historique du Cher deux notices généalogiques empruntées à sou recueil inédit. Ces notices, qui intéressent spécialement le département où la Commission concentre ses études, concernent la famille des Bomiers et celle des Charost. Heureuse de celle communication , dont elle remercie leur auteur, la Commission s'empresse, en leur donnant la publicité de ses mémoires, de les porter à la connaissance de ses lecteurs. (Note de la Commission.)

(1) Jacques de la Trémouille, frère puîné de Louis II, est qualifié baron de Bomiers en 1511. Depuis celle époque, Bomiers-le-Châtel a toujours reçu le titre de baronnie.


- 4 —

Bomers, etc.; en latin : de Bometo, de Bomecio, de Bomeciis, etc. La forme Bomiers est plus récente et n'a prévalu que depuis environ quatre siècles.

Le château de Bomiers n'était pas, comme tant d'autres, un peu ambitieusement décorés de ce titre, un simple manoir seigneurial, mis à l'abri d'un coup de main. C'était une véritable place forte, — qualifiée telle, du reste, dans les anciens actes, — et dont les épaisses murailles, flanquées de tours, protégées par de larges et profonds fossés, eussent tenu en échec de nombreux bataillons. Le temps et le vandalisme exercent à l'envi sur elles leur action destructive, mais toutes mutilées qu'elles sont aujourd'hui, tout découronné qu'est leur faîte, ces robustes constructions, des plus remarquables, assurément, que l'art militaire féodal ait élevées sur notre sol, nous surprennent encore par leurs proportions grandioses. L'empreinte d'une énergique et puissante individualité s'y révèle d'une manière saisissante, et le respect se mêle à l'étonnement qu'inspirent ces nobles débris, quand on se rappelle qu'ils virent naître et grandir, il y a quatre siècles, celui que l'histoire proclama le premier capitaine du monde, l'ornement de la monarchie française (1), et qui dut à l'enthousiasme de ses contemporains le glorieux surnom de chevalier sans reproche.

Ce fut en effet dans ces lieux, résidence habituelle de sa famille, que s'écoula la jeunesse de Louis II, sire de la Trémouille, vicomte de Thouars, prince de Talmond, général des armées françaises en Italie. Il ne s'en éloigna que pour se rendre' à la cour de Louis XI, à l'âge de quatorze ans, et il y revint fréquemment dans le cours de sa longue carrière. Ce fut également au château de Bomiers que naquit, de son mariage avec Gabrielle de Bourbon-Montpensier, sa première femme, Charles de la Trémouille, leur fils unique.

Bien avant cette époque, les châtelains de Bomiers avaient rang parmi les principaux seigneurs de la province. Quand l'archevêque de Bourges faisait son entrée solennelle dans sa ville métropolitaine, porté par huit barons du Berry, c'était le seigneur de Bomiers qui remplaçait, en cas d'absence, celui de Fontenay.

Bomiers relevait originairement d'Issoudun, ainsi qu'il se voit par le partage que fit le roi Philippe-Auguste, au mois de mai 1217, des hommages de cette dernière ville, et qui attribua à ce prince ceux des seigneurs de Chârost, de Linières et de Bomiers, l'hommage de Vierzon demeurant à Etienne de St-Palais et à Hélie de Gulant, par moitié. Depuis, à la suite d'événements encore ignorés, le château et place de Bomiers et ses dépendances relevèrent directement de l'abbaye de Saint(1) V. Paul Jove et Guichardin.


- 5 -

Sulpice de Bourges, de même que St-Jean-des-Chaumes, moitié de la dîme de Meusnet, les bois, forêts, etc.

Bomiers-l'Église, Planches, Ambrault, le Breuil, Boisramier, Lienay, Pellegrue, Jarrie et Cyvrainès, constituèrent une seigneurie distincte de celle de Bomiers-le-Châtel, et qui releva du seigneur de Châteauroux, lequel, à son tour, en faisait hommage aux religieux de St-Sulpice, ainsi que de Vouillon, Sacierges, Neuvi-Pailloux, Neuvi-Saint-Sépulcre et GuisDessous,

Il est fait mention du chapelain de Bomiers-les-Églises dès l'an 1272. (Arch. de l'Indre, Fonds de la Prée, liasse 7).

Le prieuré de Bomiers-l'Église était membre de l'abbaye de Déols. Ses religieux avaient droit au lit de toutes personnes nobles qui décédaient à Bomiers.

Des lettres royaux de Charles VIII, du mois de novembre 1484, autorisèrent la création de quatre foires par an et d'un marché, le mercredi de chaque semaine, à Bomiers.

Un couvent de Bons-Hommes ou Minimes y fut également fondé, en 1509, par Jacques de la Trémouille, frère de Louis II. ( Voy. Gén. de la Trémouille ).

NOMS. ISOLÉS.

PIERRE DE BOMEZ fut témoin d'une donation faite à l'abbaye de ChezalBenoît par Raoul, prince de Déols, en 1102. (Gén. de la m. Le Borgne ).

Le même Pierre de Bomez (de Bomeciis) remit aux religieuses d'Orsan tous les droits et coutumes de sa terre, en présence de Raoul, prince de Déols et de Châteauroux, de Geoffroy, seigneur d'Issoudun, de Jean, seigneur de Linières, d'Hélie, seigneur d'Uriel, et d'Humbaud, seigneur dé Sainte-Sévère, l'an 1113. (La Thaumass. Hist. du Berry, p. 792 ; — Arch. du Cher, Fonds d'Orsan).

Nous retrouvons Pierre de Bomiés avec Etienne de Graçay, Pierre de Linières et autres chevaliers, parmi les témoins de la charte par laquelle Raoul, seigneur d'Issoudun, de Mareuil et de Châteauneuf-suf-Cher, permit à l'abbé de Notre-Dame d'Issoudun et à ses religieux de transférer leur monastère du château d'Issoudun au lieu appelé Circiacus, l'an 1134. (La Thaum., p. 368).

Henri, archevêque de Bourges, notifia, par lettres sans date (de 1184 à 1199 ), qu'Eude de Bomiez et Hermengarde, sa femme, avaient ratifié


— 6 —

l'aumône faite aux religieux de la Prée par Aumut, fille de Roger du Solier, de tout ce qu'elle possédait au bois de Luc ( paroisse de St-Ambroise-surArnon ), et de tout ce que lesdits religieux avaient acquis autour de ce bois ; le tout mouvant de son fief. ( Arch. de l'Indre, Fonds de la Prée, liasse 3 ).

ETUDE DE BOMIED fut témoin d'une charte de Robert de Bomied, sénéchal d'Issoudun pour le roi, en 1203. (Arch. de l'Indre, Fonds de Barzelle, liasse 10). Il est nommé de Bomes, et qualifié chevalier, dans celle par laquelle il permit aux religieux de la Prée d'envoyer paître leurs troupeaux sur toute sa terre, l'an 1215 (Dom Estiennot, Antiq. bénédict. du Berry), et ratifia, en 1218, par-devant Jobert, archiprêtre d'Issoudun, l'aumône que Roger du Châtelet ( de Castellulo ), chevalier, avait faite au même couvent de partie du bois appelé Lescueron, mouvant du fief dudit Eude, qui est nommé dans ladite charte de Bometo, et qualifié encore miles, c'est-à-dire chevalier. (Fonds de la Prée, liasse 10).

GUILLAUME DE BOMEZ fut un des témoins du jugement rendu à Rouen, à la mi-carême de l'année 1213, et par lequel Guillaume Paynel obtint la saisine de la terre qui avait appartenu au seigneur Raoul Tesson. (Du Chesne, Recueil des Hist. de Normandie, p. 1064 ).

Roger du Chastellet, damoiseau, vendit, en janvier 1238, aux religieux de la Prée, pour 22 livres tournois, diverses redevances et possessions en la terre de Orcanâ et en celle de St-Martin de Morlac, entre autres des terres se partageant avec celles de RAOUL DE BOMEZ, chevalier. ( Fonds de la Prée, liasse 18).

Le même RAOUL DE BOMEZ , chevalier, vendit aux mêmes religieux, moyennant 25 livres tournois, l'usage quotidien d'une charretée de bois à trois chevaux dans la partie de bois appelée Leraieron, et l'usage dans celle qui avait appartenu à son frère Literic, clerc. Après la mort de ce dernier, Denise, sa femme, prétendant, à raison de son douaire, et selon la coutume des nobles, y avoir moitié, Raoul lui donna en échange, et au même titre de douaire, la moitié de tout le droit qu'il avait au bois de la Royse, par charte scellée du sceau de Josbert, archiprêtre d'Issoudun, au mois d'avril 1238. (Fonds de la Prée, liasse 10).

ODARD DE BOMES, damoiseau, avait autrefois saisi toutes les terres que l'abbé et les religieux de la Prée avaient eu, à titre d'échange, de Guillaume du Magnay (de Magnayo), damoiseau, et d'Agnès, sa femme, situées entre le ruisseau de la Praëlle et la rivière d'Arnon, en la paroisse de Sègry, par le motif qu'elles dépendaient de son fief. Il leur en fit la restitution, et se désista de tout le droit de fief que son père et lui pouvaient y avoir, moyennant quoi les religieux lui payèrent 8 livres tournois. Ces faits


sont rappelés dans des lettres de l'official de Bourges, du mois de janvier 1259. (Fonds de la Prée, liasse 6).

Il peut avoir été le même qu'un ODONET DE BOMEZ, damoiseau, qui, par son testament dont il fit exécuteurs Pierre Bouchenoire et Etienne de Morlac, chevaliers, légua à l'abbaye de la Prée deux setiers de blé de rente pour son anniversaire, plus 50 sous tournois, pour ses funérailles, et la pitance des religieux, le jour où elles auraient lieu. (Vidimus de 1299, Fonds de La Prée, liasse 18.)

ISABELLE DE BOMIERS , femme ou fiancée de Robert de Signy, fut enlevée par Philippe de Chauvigny, seigneur de Villedieu, qui la renferma dans son château. Pierre Bouchenoire, chevalier, oncle d'Isabelle qu'il avait en garde, porta plainte au Parlement. Le ravisseur fut mis en prison, condamné en 1287 à une amende considérable envers le roi et Bouchenoire, et sa maison de Villedieu rasée jusqu'aux fondements. (Rég. Olim du Parlem., publ. par le Cte Beugnot, I, 502.)

Jeanne de Malgivray (Maugivray), damoiselle, et JEAN DE BOMIERS (de Bormeriis), son fils, vendirent, en 4402, à Perrin de Boisé, seigneur dudit lieu, paroisse de Velles, un serf du village d'Aubers, paroisse d'Arthon, et un autre de celui de Villeneuve, paroisse de Jeu. (Tit. de la m. de Boisé).

FILIATION SUIVIE.

I. ROBERT DE BOMEZ fit une donation à l'abbaye de Chezal-Benoît, par lettres de l'an 1184, souscrites par Guillaume, abbé de la Prée. (Gallia Christiana). Il nous semble avoir été le même que :

Robert, seigneur de Bomez, lequel, désirant pourvoir au salut de son âme et de celles de ses parents, abandonna aux religieux de la Prée tous ses droits de fief sur le ténement qu'ils avaient acquis de Guillaume Chalape, moyennant un cens annuel de six setiers de blé sur la métairie de La Gravette (paroisse de Montier-Chaume). Il leur délaissa, en outre, tout ce qu'il possédait au territoire de Cersei (aujourd'hui Sarray, paroisse de Neuvi-Pailloux), par charte de l'année 1204, en présence d'Yves de Beauvoir (sur Arnon), de Pierre de la Chaussée, de Pierre d'Artenay, de Hugues du Terrail et autres. (Arch. de l'Indre, Fonds de la Prée, liasse 36).

Robert de Bomied est qualifié sénéchal d'Issoudun pour le roi de France, dans des lettres de l'an 1203, constatant la vente faite à Aimeric, abbé, et aux religieux de Barzelle, par une dame nommé Mathilde, veuve de Barthélémy Gaubert, de dix arpents de pré sous le chezal de Glaise, moyennant 36 livres, monnaie de Gien, lesdites lettres passées en présence


d'Humbaud Giroire, frère de Mathilde, d'Amenon du Terrail, de Girard de Varennes, d'Eude de Bomied et de plusieurs autres. (Arch. de l'Indre, Fonds de Barzelle, liasse 40).

Par d'autres lettres données à Tours, l'an 4205, nous voyons le roi Philippe-Auguste donner à Robert de Bomez et à son hoir, à perpétuité, à foi et hommage lige, 450 livres tournois à prendre chaque année sur les foires qui se tenaient à Saumur, au mois de mai, à la charge par eux de rendre au roi les services auxquels les hommes liges étaient assujettis à l'égard de leurs seigneurs. (Bibl. imp., Cartul. de Phil. Aug., MS. coté

9852 2; p. 87).

Enfin Guillaume de Chauvigny, seigneur de Châteauroux et d'Issoudun, prêtant foi et hommage lige au même prince, en 1208 , s'engageait à consentir, dans le cas où il se départirait de ses devoirs de fidèle sujet envers lui, à ce que ce souverain mît en sa main tous les fiefs qu'Hervé de Vierzon, Renaud de Montfaucon, Renaud (Robert) de Bomez, et le seigneur de Chârost tenaient dudit de Chauvigny et de Mahaud, dame d'Issoudun, sa femme, et à ce que ces fiefs demeurassent au roi à perpétuité. (La Thaumass., Histoire de Berry, p. 547).

Au mois de septembre 4209, Robert de Bomiers (de Bomecio, de Bomeciis) étant en la ville de Loudun, se rendit pleige, jusqu'à concurrence de cent marcs d'argent, de la fidélité de Gaudin de Romefort envers le même prince. Il fut aussi caution de celle d'Henri de Seuly, et assigna toute sa terre en garantie de celle d'Hélie Coraut. (Cartul. de Phil. Aug., Ibid., p. 408, 445).

Nous voyons encore, au mois de mars 1211 , le même Robert, sire de Bomiers, garantir avec Renaud, sire de Montfaucon, et Hervé, sire de Vierzon, la fidélité de Guillaume de Chauvigny, seigneur de Châteauroux, envers Philippe-Auguste. (M. Delisle, Catalogue des actes de PhilippeAuguste).

On sait que ce prince, à l'époque de ses démêlés avec les Anglais, cherchait à s'assurer de la fidélité des principaux seigneurs du Berry, théâtre dé la guerre, et qu'il exigeait des pleiges ou cautions de ceux dont les dispositions lui paraissaient douteuses.

On a un sceau de Robert de Bomiers de l'année 1212. Il représente un émanché en fasce de trois pointes, un chef chargé de trois faucons, et trois autres faucons posés en pointe. Légende : + Sigillum Roberti de Bonnez (Bomiez). (M. de Wailly, Paléographie).

Nous croyons que Robert, seigneur de Bomiers, avait épousé Puella, soeur de Barthélémy Payen ou Péan, chevalier, seigneur de Grillemont , de la Chapelle-Blanche et de la Bruère, en Touraine, et qu'il en eut un fils:


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II. ROBERT, IIe du nom , seigneur de Bomiers (Bomez), fut présent, au mois d'août 1213, à la donation que Barthélémy Payen, son oncle, avant de partir pour Jérusalem, fit à Eude Clément, doyen de Saint-Martin-deTours, de la mairie de Ligueil. Puella, soeur de Barthélémy et, vraisemblablement, mère de Robert, consentit à cette donation. (Rec. des MS. de dom Housseau, t. VI, n° 2308).

Robert de Bomes est nommé, immédiatement après Barthélémy Payen, parmi les châtelains et chevaliers bannerets qui florissaient en 4244. (Cartul. de Phil.-Aug., coté 172).

La même année, nous voyons le seigneur de Bomiés convoqué avec l'archevêque de Bourges, le comte de Sancerre, les barons de Châteauroux et de Montfaucon, les seigneurs de Vierzon, de Saint-Aignan, d'Issoudun. de Linières, de Graçay, de Meun, de Culant, d'Argenton , de ChâteauMeillant, de Buzançais et autres, pour se rendre en Flandre avec le ban et arrière-ban de la province de Berry. (La Thaumass., Hist., p. 342).

Robert épousa, vers cette époque, Sybille de Montfaucon, dame de Condé (1), près Linières, fille de Renaud II, seigneur de Montfaucon, et de Mathilde ou Mahaud, dame de Charenton. Elle était soeur de Renaud III, seigneur de Montfaucon, dont nous verrons Robert III de Bomiers se qualifier neveu et héritier, en 4253.

Robert de Bomez ratifia, en 1220, la donation que Raoul, seigneur d'Issoudun et de Châteauneuf, avait faite aux religieux de la Prée de tout ce qu'il possédait à Boisfermier (Invent. des Tit. de la Prée, liasse 12), et notifia, par lettres datées du mois de novembre suivant, et scellées de son propre sceau, que Raenbo, son écuyer (2), avait abandonné aux mêmes religieux tout le droit qu'il avait audit Boisfarnier (Nemus Farnerium), paroisse de Saint-Baudel, et l'avait prié de garantir à ces derniers l'effet de celte donation. (Tit. de La Prée, vidimus de 1266, liasse 25).

Il est nommé parmi les parents et amis des héritiers de Culant qui approuvèrent, en 1221, l'échange fait entre le roi Philippe-Auguste et Raoul de Culant, leur tuteur, de leurs droits sur la châtellenie d'Issoudun contre le tiers de Châteauneuf-sur-Cher et de Mareuil-sur-Arnon, et mille livres Parisis. (Trésor de dom Villevieille).

Etant à Paris au mois de mai 1222, il garantit l'exécution de la promesse que Geoffroy de Palluau, seigneur de Montrésor, tuteur des enfants de Guy Sennebaud, avait faite au roi, en cette qualité, de lui livrer la forteresse du Bouchet-en-Brenne. (Catal. des actes de Phil.-Aug.).

(1) La châtellenie de Condé relevait d'Issoudun.

(2) On lit dans la charte : Stabulionem meum. Il était probablement chargé de la surveillance des écuries.


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Enfin Robert de Bornes et Sybille de Condé, sa femme, firent don, en 1232, à l'abbaye de la Prée, de trois arpents de vignes, près du Tronchet et d'Issoudun. (Dom Estiennot, Antiq. Bénédict. du Berry).

Cette Sybille, dame de Condé, qualifiée veuve de messire ( domini ) Robert, seigneur de Bomiers, et mère d'autre Robert, aussi seigneur dudit lieu, légua par son testament dix sous aux religieuses de Glatigny. (Dom Estiennot).

Nous savons encore que Sybille, dame de Condé, mère de noble homme le seigneur Robert de Bomez, chevalier, donna à l'abbaye de Fontmorigny pour son anniversaire et celui de sa mère, non nommée, un setier de froment de rente, mesure de Montfaucon, assigné sur sa terre, ce qui fut reconnu par les abbés d'Issoudun et de la Prée, et l'archiprêtre d'Issoudun, ses exécuteurs testamentaires, par acte du mois de mars 1247. (Cartul. de Fontmorigny).

Du mariage de Robert, IIe du nom, chevalier, seigneur de Bomiers, et de Sybille de Montfaucon, dame de Condé, sont issus, entr'autres enfants : 1. Robert, dont l'article suit ;

2. Autre fils , décédé en 1270 , ainsi qu'il résulte d'une charte de Robert III, son neveu, mentionnée plus loin;

3. Mathilde , dame de Banegon, de Poligny et de Château-sur-Allier, qui, par son testament daté du vendredi avant la Saint-Barnabe 1248, et scellé du sceau de l'abbé de la Prée et de celui de noble homme le seigneur de Borniez, élut sépulture en l'abbaye de la Prée, à laquelle elle légua, pour son anniversaire, six livres de rente, assignées sur sa dîme de Bretagne et de Cicognoles, et, en cas d'insuffisance, sur ses prés de l'Indre, appelés les prés de Borniez, situés au-dessous du Château-Raoul. Elle légua aussi à l'église de Borniez cinq sous tournois de rente pour son anniversaire; à celle de Sainte-Marie de la Champenoise , une mine de froment de rente ; à celle de Ramond quatre sous tournois ; à celle de Poligny cinq sous tournois ; à celle de Chamun trois sous tournois, le tout de rente pour son anniversaire ; à la fabrique de SaintEtienne de Bourges cent sous parisis ; pour subsides à la TerreSainte cinquante livres tournois ; aux frères mineurs de Bourges cent sous tournois ; aux religieuses de Sainte-Hippolyte de Bourges cinquante sous tournois ; aux frères prêcheurs, quarante sous tournois ; aux religieuses d'Orsan vingt sous tournois ; à sa nièce Philippe , religieuse à Orsan, cinquante sous tournois pendant sa vie, dont douze sous reviendraient après sa mort à l'église d'Orsan, pour l'anniversaire de la testatrice; à sa fille Pétronille, dix livres de rente pendant sa vie, si elle se faisait religieuse, dont vingt sous


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seulement reviendraient à l'abbaye après sa mort, et le surplus aux héritiers de la testatrice, qui fit encore d'autres legs à l'abbaye de Charenton, aux chapelles paroissiales de l'archiprêtré d'Issoudun, de Bourbon, de Charenton, et pour charités à faire à La Prée, à Borniez, à Pouligny, vingt livres. Elle ordonna que, pour l'accomplissement de ses volontés, ses exécuteurs testamentaires perçussent pendant deux ans les revenus de toute sa terre et de tout ce qu'elle avait acquis avec son mari pendant la durée de leur mariage. Enfin elle nomma ses exécuteurs l'abbé de La Prée, le gardien des frères mineurs de Bourges, le doyen de Meun, et son cher neveu le noble homme et seigneur de Bomez, chevalier, suppliant son mari d'apposer son sceau audit testament, et d'y donner son assentiment. ( Tit. de La Prée , liasse 29.)

Cette Mathilde paraît avoir été femme de Guillaume de La Porte, seigneur de Banegon, Raimond, etc. ( Voy. La Porte.) III. ROBERT DE BOMIERS, IIIe du nom, chevalier , seigneur de Bomiers, de Condé, puis de Montfaucon après la mort sans postérité de Renaud III, seigneur de Montfaucon, son oncle, ratifia, par acte du vendredi, jour de la Saint-Martin-d'Été 1248, la donation faite, en mars 4247, par sa mère, à l'abbaye de Fontmorigny , et en fit l'assignation sur la maréchaussée de toute la terre qui lui appartenait en la châtellenie de Montfaucon, et que possédait de son vivant ladite Sybille. (Cartul. de Fontmorigny.)

Il est mentionné dans l'acte de partage du pays de Combrailles, entre le seigneur de Bourbon et le comte d'Auvergne, en 4249, par lequel l'hommage du seigneur Robert de Bomiers fut attribué au dernier, d'où il résulte que ledit Robert avait des possessions dans cette contrée. (Baluze, hist. de la maison d'Auvergne, pp. 107, 108).

Une autre charte de l'an 1252 nous apprend que Robert de Bomez possédait aussi des dîmes ès-paroisse de St-Aoustrille de Cloys et de NeuviPailloux, en fief des abbé et religieux de Ste-Marie d'Issoudun. (Arch. de l'Indre, tit. de l'abbaye d'Issoudun, liasse 4) .■

Il épousa en premières noces (ainsi qu'il résulte d'une charte de l'année 1264, par laquelle Robert IV, son fils, se qualifie petit-fils de Valencia, dame de Mirebeau, et d'une autre charte de l'année 4260, par laquelle le même est dit neveu et héritier de Thibaud de Blazon, seigneur de Blazon et de Mirebeau), une soeur dudit Thibaud, fille d'autre Thibaud de Blazon, chevalier, seigneur de Blazon, de Mirebeau et de Chemelliers, etc., en Anjou et en Poitou, sénéchal de cette dernière province, et de dame Valencia. C'est ce Thibaud de Blazon, chef d'une des plus puissantes maisons de l'Anjou, qui s'est rendu si fameux par ses poésies. (Voy. Blazon). Robert de Bomiers contracta un second mariage, vers 1250, avec Agnès


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de Déols, fille aînée d'Elbe de Déols, seigneur de Château-Meîllant, Boussac, la Roche-Guillebaud, Préveranges, Bellefaye et Uriel. Elle avait pour soeurs : Mahaud de Déols, femme de Robin de Bomiers, fils de Robert ; Isabelle, femme de Hugue, vicomte de Brosse, et Marguerite, femme de Roger de Brosse, seigneur de Sainte-Sévère. ( LaThaum., Hist., pp. 649, 677).

Il est qualifié chevalier, seigneur d'Uriel (de Uriaco), dans un acte passé en son château de Bomez, le samedi après la Saint-Jacques et la SaintPhilippe , l'an 4252, par lequel, du consentement de sa femme Agnès, de Mahaud, soeur de celle-ci, et de Robert, son fils, il permit au prieur de la Chapelle-Aude d'établir un marché audit lieu tous les jeudis. Cet acte est scellé de son sceau représentant un émanché en chef de trois pièces, chaque pointe chargée d'une merlette, et trois autres merlettes au bas de

l'écu 2 et 4. Légende : S. Roberti domini Au contre-sceau :

un écartelé (1) avec cette légende : S. Roberti dñi de Bomez. ( M. Raynal, Hist. du Berry, t. II, planche 3, d'après les arch. de l'Empire.— Arch. de l'abbaye de St-Denis, prieuré de la Chapelle-Aude, Trésor général de dom Villev.).

En 1253 , Robert de Bomiés fut convoqué avec le comte de Sancerre. Henry de Seuly, Renaud (Renoul), seigneur de Culant, le seigneur de Graçay, Guillaume de Linières, Renaud de l'Isle et autres, pour se rendre à Issoudun avec le ban et arrière-ban de la province de Berry. (La Thaum., Hist., p. 314).

Robert, qualifié seigneur de Bomiers (de Bomeriis) et de Montfaucon, fit son testament, revêtu de son scel, à Bomers, le premier samedi après l'Octave de la Purification de la Sainte-Vierge, au mois de février 1253. Il légua à l'abbaye de Déols, pour son anniversaire, vingt sous tournois de rente ; à l'église de Chezal-Benoît dix sous tournois ; aux nones de Buxières vingt sous tournois ; à celles d'Orsan dix sous tournois ; à celles de Beauvoir vingt sous tournois, à l'église de Bomers six sous tournois; à celle de Ambrois (Ambraux) trois sous tournois ; à celle de Planches trois sous tournois ; à celle de Saint-Jean-des-Chaumes six sous ; à celle de Condé trois sous ; le tout de rente, à percevoir par les chapelains desdites églises, à l'exclusion des prieurs, et à la charge de célébrer dans chaque lieu son anniversaire. Il légua à toutes les abbayes de l'ordre de Citeaux qui étaient en Berry, à l'exception de celles de la Prée et de Fontmorigny, vingt sous ; à l'église de Saint-Etienne de Bourges, pour un service le jour de sa mort, quarante sous ; aux pauvres de la Maison-Dieu de Bourges quarante sous tournois ; aux frères prêcheurs de Bourges cent sous ; autant aux frères

(1) Probablement les armes de Charenton.


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mineurs de Bourges; à ceux d'Issoudun quarante sous ; à ceux de Châteauroux quarante sous ; aux églises de Glatigny, de Jarzay et de Longefond , vingt sous chacune ; à l'abbaye de Charenton quarante sous ; au prieuré de la Ferté-Morailh, cent sous ; à l'abbaye de Saint-Hyppolite de Bourges vingt sous; à l'abbaye de Saint-Laurent de Bourges vingt sous tournois ; à la Maison-Dieu d'Issoudun vingt sous ; à l'abbaye de SaintSulpice cent sous; à celle de Varennes cent sous ; à celle de Sordun (sic) vingt sous ; à celle de Saint-Satur vingt sous ; au couvent de Saint-Ambroise de Bourges vingt sous ; à l'abbaye de Saint-Gildas de Châteauroux vingt sous ; aux abbayes de Pleinpied et de Puy-Ferrand vingt sous chacune ; à celles de Masçay et de Vierzon vingt sous chacune ; à celles de Saint-Eusice de Celles et de la Vernuce vingt sous chacune ; à celles de Miebehec (Méobec), de Miseray, de Font-Gombaud et de Saint-Genoulph, vingt sous chacune; à celle de Lieu-Dieu vingt sous. — Il fit plusieurs dons à ses serviteurs, et légua encore à Guillaume de Charnay, vingt livres tournois ; à Raoul Mathan, pareille somme ; à Philippe Torchebuof ( Torcheboeuf ), cent sous ; à Pierre Bochenoire, à Pierre Trossebois, à Pierre Lo Groin (Le Groing), à Robert d'Aubigny, tous chevaliers, vingt livres chacun; aux héritiers de Raimond de Morlac, chevalier, vingt livres ; à Bertrand de Breçoles dix livres, etc.

Pour marier de pauvres filles quarante livres, et pareille somme pour le soulagement des pauvres.

A Robin, son fils, il légua son anneau avec saphir, et deux autres avec diamants.

Il reconnut devoir à l'abbaye de Font-Morigny trente marcs d'argent, pour la vaisselle de son oncle, le seigneur Renaud, en son vivant seigneur de Montfaucon. Il voulut aussi que cent cinquante livres de rente qu'il avait à Saumur, sur les foires de Saint-Laurent, et tout le blé de dîme de la châtellenie de Mirebrel (Mirebeau), restassent entre les mains de ses exécuteurs testamentaires, jusqu'à ce que le legs de son père eût été acquitté en entier.

Après avoir assigné au paiement de ces legs les revenus de tous ses biens, à l'exception de la dot de sa femme, Agnès, il confia l'exécution de son testament à l'official de Bourges, à l'abbé de la Prée, au prieur des frères prêcheurs de Bourges, au seigneur Humbert de Prahelles (de Pratellis) (1), chevalier, et, principalement', à son cher cousin, le

(1) Humbert de Prahelles ou de Praëlles (en latin: de Pratellis, de Praellis ), appartenait à une ancienne maison de chevalerie qui tirait son nom d'une seigneurie considérable, —aujourd'hui Presles, — située en la paroisse de Mers, près Saint-Chartier, à quatre lieues de Bomiers, et nous est connue depuis le XIe siècle.


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seigneur Eude de Seuly, chevalier, (petit-fils de Gilon, sire de Seuly, et de Luce de Charenton; — fils d'Eude de Seuly et d'Aënor de Montfaucon). (Tit. de la Prée, n° 29 ).

Robert de Bomiers mourut peu après. L'année suivante (1254), frère Guy, abbé de la Prée, le prieur des frères prêcheurs de Bourges et Eude de Seuly, seigneur de Beaujeu et de Sancergues, ses exécuteurs testamentaires , conformément à ses intentions et du consentement de son fils, Robert, déchargèrent la métairie d'Undrée, appartenante à l'abbaye de Chalivoy, d'un droit que les habitants de Montfaucon y avaient établi par violence, et qui consistait à y prendre, chaque année, un mouton, le jour de la Pentecôte. (La Thaum., Coutumes locales, p. 74 6; —Hist. de Berry, p. 799).

Il résulte encore d'un acte d'échange passé, en avril 1255, entre Girard de Primelles, chevalier, et Alix, sa femme, d'une part, et les religieux de la Prée, de l'autre, par lequel ledit Girard abandonna à ceux-ci les terres appelées aux Charvis, paroisse de Segry, se partageant avec Guillaume du Magnay (de Magnayo), et reçut d'eux d'autres terres situées à Taçay, qui avaient appartenu jadis à Geoffroy de Munet, damoiseau, et se partageaient avec Humbaud Rabier, chevalier, ledit Girard de Primelles, et la dame de Chârost (de Karrophio), mère du seigneur actuel de Chârost, que ces dernières terres avaient été données à titre d'aumône au couvent de la Prée par feu Robert de Bomez, chevalier. (Tit. de la Prée, n° 45).

Robert III, seigneur de Bomiers et de Montfaucon, eut de N. de Blazon, sa première femme :

Humbert pouvait avoir épousé une fille de Robert II de Bomiers et de Sybille de Montfaucon, du chef de laquelle il aurait recueilli une partie du patrimoine de la maison de Montfaucon, concurremment avec Robert III de Bomiers. Nous le voyons, en effet, comme seigneur du château de Saint-Amand, confirmer, en 1266, les franchises accordées aux habitants de la ville de Saint-Amand par Ebbes de Charenton, son fondateur, et par Renaud de Montfaucon , successeur de ce dernier. Il n'existait plus en 1274, époque où Lucque de Praëlles, dame de Montierporret, sa fille, et Elie de Naillac, seigneur de Châteaubrun, époux de celle-ci, assignèrent sur la dîme de Montierporret et les biens que possédait Humbert dans la paroisse de Saint-Aubin, près Bomiers, la rente de 10 livres que ce dernier avait léguée par testament aux religieux de la Prée, pour l'érection d'une vicairie dans leur église.

Quant au château de Saint-Amand, il appartenait, en 1292, à Renoul, seigneur de Culant, probablement du chef de sa mère, nommée Sibille.

Une branche de la famille de Praëlles possédait la seigneurie d'Ardentes.

Lucque de Praëlles, la dernière du nom que nous connaissions, était dame de Belarbre eu partie, du Breuil-Poiroux, de la Brosse et de Faverdines , près SaintAmand ; elle épousa , vers 1370 , Jean Le Groing , seigneur de la Motte-au-Groing, près Boussac. (Voy. Praëlles).


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1. Robert qui continue la postérité ;

2. Marguerite, qui était veuve de Jean des Barres, chevalier, en 1266.

(Rec. des MS. de Du Chesne, t. 420, p. 337 verso. —Ibid. t. 76, p. 277 ). Elle est, dans ce dernier passage, confondue avec deux autres Marguerite de Bomiers, ses nièce et petitè-nièce. D'Agnès de Déols naquit :

3. Guyotte de Bomiers, qui était mineure lorsque Robin de Bomiers, son frère, Mahaud de Déols, femme de ce dernier, Hugues et Roger de Brosse et leurs femmes firent, en 4256, un partage provisionnel dont l'effet définitif fut subordonné à la ratification de Guyotte, lors de sa majorité. Les parties ayant procédé plus tard à un nouveau partage, nous en induisons qu'il fut provoqué par celle-ci. Elle mourut vraisemblablement sans postérité, puisque Marguerite de Bomiers, sa nièce, se trouvait, à quelque temps de là, en possession des terres de Châteaumeillant, de Bellefaye et de Préveranges, qui constituaient la moitié de l'hérédité d'Eude de Déols, dévolue à Agnès et à Mahaud, ses filles. (La Thaum., Hist., p. 649).

IV. ROBERT DE BOMIERS, IVe du nom, chevalier, seigneur de Bomiers, de Condé, de Montfaucon, de Châteaumeillant et de Préveranges, en Berry; de Bellefaye, en Marche ; de Mirebeau, en Poitou ; de Blazon, de Chemeliers et du Port-en-Vallée, vicomte de Sorges, en Anjou, fut, du vivant de son père et pendant sa jeunesse, connu sous le nom de Robin, diminutif de celui de Robert. Son père lui légua par son testament, ainsi que nous l'avons vu, plusieurs joyaux précieux.

Il contracta mariage, vers l'année 4250, avec Mahaud de Déols, soeur d'Agnès de Déols, sa belle-mère, et ratifia avec elle, l'an 1252, la concession de foires faites par Robert de Bomiers, son père, en qualité de seigneur d'Uriel, au prieur de la Chapelle-Aude.

Au mois d'avril 1256, sa femme, sa soeur Guyotte et lui, firent un partage provisionnel par-devant le bailly de Berry avec Hugues et Roger de Brosse, leurs beaux-frères, par lequel les terres et seigneuries de Châteaumeillant, de la Roche-Guillebaud, de Préveranges et de Bellefaye échurent à ces derniers, et celles de Boussac, d'Uriel et de Verneoys à Robert, à sa femme et à sa soeur, mais comme ce partage contenait une clause qui permettait à Guyotte de Bomiers, devenue majeure, de l'approuver ou d'en demander un nouveau, ce dernier cas se réalisa, et les terres de Châteaumeillant, de la Roche, de Préveranges et de Bellefaye devinrent la propriété de la maison de Bomiers, les autres ayant été définitivement attribuées aux seigneurs de Brosse. (Voy. La Thaum., Hist., pp. 649, 677).

ROBIN, qualifié seigneur de Bomez et de Montfaucon, damoiseau, ratifia, au mois de mai 4256, la vente faite par Humbaud d'Arthenay, chevalier


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Isabelle, sa femme, et Pierre Bochenoire, chevalier, son beau-frère, de 30 setiers de blé de rente, en la paroisse de St-Ambroix-sur-Arnon, aux religieux de la Prée. ( Arch. de l'Indre, tit. de La Prée.)

Il prend les mêmes qualifications dans un acte du mois de novembre 1257, par lequel, agissant au nom desdits religieux, il assigne à Guillaume du Magnay, damoiseau, et à Agnès, sa femme, pour une valeur de 30 sous tournois de rente, divers prés situés à Coy, auprès de l'église. (Tit. de la Prée, n° 15 ).

On a un sceau équestre de Robert de Bomiers, en 1260. Le bouclier est écartelé, de même que le caparaçon du cheval, mais l'écu du contresceau est émanché de trois pièces, mouvantes du chef, chaque pointe chargée d'un faucon, et trois autres faucons, posés 2 et 1 sont au bas de l'écu. Légende :... Roberti de Bomez, militis, dñi Montisfalcon. (M. de Wailly, Paléographie).

Robert de Bomiers permit, en 1262, aux religieux de Chalivoy de construire un étang à Pontrenaud, entre leurs métairies de Pocy et de Fontjuste, et un moulin dans sa terre. (La Thaum., Hist., p. 799).

Nous apprenons, par un mémoire de la Chambre des Comptes de Paris, qu'après la mort de Thibaud de Blazon, seigneur de Blazon, Mirebeau, Chemeliers et du Port-en-Vallée, un différend s'éleva entre Charles, fils du roi de France, comte d'Anjou, de Provence, de Forcalquîer et marquis de Provence, d'une part, et Robert de Bomiers, qualifié chevalier, vicomte de Sorges, de l'autre, le premier prétendant que les susdites terres lui étaient dévolues par la mort de Thibaud, à l'exclusion de Robert, son neveu. Une transaction eut lieu, par laquelle le comte abandonno à ce dernier, l'an 1260, lesdites seigneuries de Mirebeau, de Blazon, de Chemelières et du Port-en-Vallée, et reçut de lui, en échange, les 150 livres de rente sur la Prévôté et les foires de Saumur, qui avaient été données à son aïeul par le roi Philippe-Auguste, et, en outre, la vicomté d'Angers, autrement la vicomté de Sorges, l'hommage libre de Mirebeau étant réservé au comte. (Invent. du Trésor des Chartes du roi, Anjou, n° 29; — Trésor généal. de Dom Villevieille ; — Ménage, Hist. de Sablé, p. 369;

— Boulainvilliers, État de la France; — Rec. de Dom Housseau, MS., t. XIV ).

On a de Robert de Bosmez, chevalier, seigneur de Mirebeau et de Blazon, des lettres datées du mois de décembre 1262, par lesquelles il notifie qu'Arbert de Marçay, chevalier, a donné en franche aumône à l'église de St-Hilaire, toute la dîme du village de Poy, dans la paroisse de Guhon, laqueile était de sa mouvance, ainsi qu'il résultait de la donation faite par ledit de Marçay, le 1er février précédent. (Tit. du chap. de Saint-Hilaire;

— Rec. des MS. de dom Fonteneau, t. II, pp. 329, 343 ).


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Les registres du Parlement de Paris, connus sous le nom d'Olim, contiennent aussi, à la date de cette même année 1262, un arrêt dont voici le sujet : un homme de corps (un serf) du chapitre de Bourges, se levant et se couchant dans la terre et justice du seigneur Robert de Bosmez, avait dérobé une jument qu'il alla vendre à Bourges. Celui à qui elle appartenait suivit le voleur, en obtint l'aveu de son larcin, et le fit conduire en la prison du roi, où il mourut. Le bailli prétendait que la justice sur cet homme devait appartenir au roi, par ce motif qu'il avait été pris dans la ville même, au moment du délit. De son côté, le chapitre la revendiquait, en vertu d'une charte du roi Louis, qui accordait aux chanoines la justice de leurs hommes Vérification faite des dires du chapitre, le Parlement décida la question en sa faveur. (Rég. Olim, pub. par le comte Beugnot, t. 1er, n°550).

Robert de Bomiers est qualifié chevalier, seigneur de Mirebeau, de Blazon et de Montfaucon, dans une charte de l'année 1264, par laquelle il ratifia un don fait par Valence de Mirebeau, dame de Fontaines, son aïeule, à Jean Raoul, valet, (Rec. des MS. de Du Chesne, t. 52, p. 24 ), et confirma également, au mois de décembre 1266, la vente d'un héritage près de la Jonchère, que les religieux des Chastelliers avaient acquis dans la paroisse de Cherves (en Mirebalais), de Pierre de Fragnaio, chevalier, et d'Alix, sa femme. (Tit. de l'abbaye des Chastelliers, en Poitou, MS. de dom Fonteneau, t. V, p. 183).

Robert de Bomez, chevalier, seigneur de Montfaucon, était tenu d'assigner aux religieux de la Prée 25 setiers de blé de rente et 40 sous, pour aumônes à eux faites par son aïeul, son aïeule et son père. Il leur devait, en outre, une somme d'argent qu'ils lui avaient prêtée longtemps auparavant, et 40 muids (5,760 boisseaux) de blé, pour arrérages non payés. Les religieux lui réclamèrent l'assignation desdites rentes, destinées aux anniversaires de ses aïeul, aïeule, père et oncle, plus une rente de 50 sous, à distribuer aux pauvres, devant la porte de la Prée. Robert leur abandonna, en échange, toutes ses terres de Villaines, en la paroisse de Condé, et leur permit, en outre, d'acquérir et de posséder librement dans tous ses fiefs, à l'exception de la châtellenie de Bomiers, jusqu'à 10 livres tournois de rente, par charte du mois de mai 1270. (Tit. de l'abb. de la Prée).

Robert n'existait plus en 1270. Il s'était remarié avec Yolande de Mello, ainsi qu'il appert d'une transaction datée du samedi après la Toussaint 1272, par laquelle ladite Yolande de Merlo, dame, de Bomiers, veuve de Robert, seigneur dudit lieu, tant en son nom qu'au nom de ses enfants, convint avec le curé de Bomiers et l'abbé de Déols que les dîmes de la paroisse de Bomiers seraient partagées entre eux par tiers. (Invent. des tit. du duché de Châteauroux, t. IV, p. 497).

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On a encore d'Yolande, qualifiée dame de Mirebeau et de Blazon, des lettres testimoniales de l'an 4278, au sujet de l'acquisition faite par un chanoine de St-Hilaire de Poitiers de quelques dîmes et rentes appartenantes à Hugues Juze de la Chaise. (Tit. du chap. de St-Hilaire; Rec. de dom Fonteneau, t. II, p. 434 ).

Robert de Bomiers eut de Mathilde ou Mahaud de Déols, sa première femme :

1. Marguerite, dame de Châteaumeillant, de Préveranges et de Bellefaye, dont l'article est mentionné ci-après ;

Il est incertain auquel de ses deux lits doit être attribué : 2. Thibaud, seigneur de Bomiers, de Montfaucon, de Blazon et de Mirebeau, qui continue la postérité ;

Quant aux enfants dont Yolande de Mello avait la garde, en 1272, leur destinée nous est inconnue.

MARGUERITE DE BOMIERS, fille, non de Thibaud, sire de Bomiers, ainsi que l'avance la Thaumassière (Hist., p. 458), mais bien de Robert, sire de Bomiers, de Montfaucon, de Mirebeau et de Blazon, et, par conséquent, soeur dudit Thibaud ( du Chesne, Hist. de la maison de Dreux, pp. 135 et 136), dut avoir pour mère Mahaud de Déols, dame de Châteaumeillant, La Roche-Guillebaud, Préveranges et Bellefaye, 1re femme de Robert de Bomiers, alors nommé Robin, puisqu'elle lui succéda dans toutes ses possessions, à l'exception, toutefois, de la seigneurie de La Roche-Guillebaud qui sortit, on ne sait comment, de sa maison. (Voy. La Roche-Guillebaud).

En effet, Marguerite de Bomiers est qualifiée, et il résulte d'un grand nombre de documents qu'elle était dame de Châteaumeillant, de Préveranges et de Bellefaye, terres situées en Berry et en Marche. Du Chesne ajoute à ces qualifications celle de dame du Broc, en Auvergne (Hist. de Dreux, pp. 106, 423); Baluze se contente de lui donner celles de dame de Châteauvillain et du Broc. (Hist. de la maison d'Auvergne, p. 167). La première est évidemment erronée, et n'est dûe qu'à la reproduction inexacte du nom de Châteaumeillant; quant à la seconde, nous avons acquis la conviction, et les détails qui vont suivre en indiqueront le fondement, qu'elle n'est dûe qu'à une confusion établie entre les qualifications propres à Marguerite de Bomiers, et celles de Dauphine, dame du Broc, sa belle-fille, à moins qu'on ne suppose, ce qui est rigoureusement possible, un partage de ladite terre du Broc, dont partie aurait appartenu à Marguerite de Bomiers, et partie à sa belle fille. Ainsi se concilierait le respect dû aux témoignages de deux historiens illustres, avec la foi que d'authentiques documents nous imposent.


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Marguerite de Bomiers épousa en premières noces, vers l'an 1270, ainsi qu'il résulte des synchronismes, Louis de Beaujeu, seigneur de Montferrand en Auvergne, troisième fils de Guichard de Beaujeu, seigneur de Montpensier (frère d'Humbert de Beaujeu, connétable de France), et de Catherine de Clermont, dite Dauphine, dame de Montferrand et d'Hermenc. Louis de Beaujeu avait pour frères : Humbert de Beaujeu, seigneur de Montpensier, connétable de France, qui, de son mariage avec Isabeau de Mello, n'eût qu'une fille, Jeanne de Beaujeu, première femme, en 1293, de Jean II, comte de Dreux, morte en 4308, — et Guillaume de Beaujeu, grand-maître de l'Ordre des Templiers. (Baluze, Hist. d'Auvergne, p. 167; —Du Chesne, Hist. des rois et ducs de Bourgogne, p. 457, et Hist. de Dreux, p. 423 ; — Moréri, gén. de Beaujeu).

Louis de Beaujeu, seigneur de Montferrand, accompagna St-Louis en Afrique, et mourut le 26 septembre 4280, laissant, de son mariage avec Marguerite de Bomiers, plusieurs enfants mentionnés plus loin. Il fut inhumé dans l'église de Notre-Dame du bourg de Déols. (Chabrol, Coutumes d'Auvergne ; — Gén. de Beaujeu ; — Hist. des rois et ducs de Bourg., p. 457).

Marguerite se remaria en 1282 avec Henry, IIIe du nom , sire de Seuly, seigneur de La Chapelle et des Aix-dam-Gilon, d'Orval, de Montrond, etc., bouteiller de France, duquel elle demeura veuve trois ans après, ledit Henry étant mort en Aragon, d'où son corps fut apporté à Bourges par l'archevêque Simon de Beaulieu, le mercredi après la fête de Sainte-Luce, et inhumé en l'église des Cordeliers. Son coeur fut porté, le jeudi suivant, dans l'abbaye de Loroy, au tombeau de ses ancêtres. ( La Thaum., Hist., p. 458 ).

Nous voyons, en 1283, Marguerite, dame de Soilly et de Châteaumeillant, et Henri, sire de Soilly, son mari, accorder aux religieux de l'abbaye des Pierres la libre jouissance de tout ce qu'ils avaient acquis et pourraient acquérir dans leurs terres et châtellenies de Châteaumeillant, Préveranges et Cedialles (Sidiailles). (MS. de Gaignières, tit. des Pierres).

Après la mort de son second mari,, Marguerite de Bomiers accepta la garde de leurs enfants. Elle acquit, en 4290, de Hue de Merlay (Mello), chevalier, 19 livres de rente qu'il avait à prendre sur la ville de Châteaumeillant, (MS. de Du Chesne, t. 76, p. 269); obtint, au nom des enfants de son second. lit, souffrance contre le comte de Sancerre, par arrêt de l'an 4292, (La Thaum., Hist., p. 458), et céda, la même année, au roi Philippe-le-Bel, tout le droit qu'elle pouvait avoir sur la ville et la châtellenie de Montferrand, à raison


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de son douaire, comme veuve de Louis de Beaujeu, moyennant 500 livres de rente, sa vie durant. (Invent. du trésor des chartes du roi).

Elle consentit, en 4294 , à ce que les religieux des Pierres jouissent paisiblement d'une maison qu'elle avait à Châteaumeillant et de toutes ses dépendances (Rec. de Gaignières, tit. des Pierres) ; s'accorda, en 1299, avec les mêmes religieux, relativement à certains serfs qu'ils possédaient dans sa terre, (La Thaum., Cout. locales, p. 186), et fit avec Louis de Beaujeu, chevalier, sire du Broc, son fils aîné, un échange de sa terre de Châteaumeillant contre 500 livres de rente, qui lui furent abandonnées par ce dernier. (Rec. des MS. de Du Chesne, t. 76, p. 270).

Enfin, elle se qualifie Marguerite de Bomez, noble dame de Seuilly et de Châteaumeillant, dans un acte d'échange avec les religieux des Pierres, l'an 1304, ( Tit. des Pierres, Ibid. ), et acquiert, en 1316, le péage et botage de Châteaumeillant de Renaud Guenaud, chevalier, seigneur d'Hérigny. (MS. de Du Chesne, t. 76, p. 269).

La mort de ses petits-fils la fit vraisemblablement rentrer dans la nue-propriété de cette seigneurie, dont elle avait dû se réserver l'usufruit , car nous voyons que, faute d'avoir acquitté les dettes dont elle était tenue, comme gardienne des enfants de son second lit, et afin de demeurer quitte envers Henri, sire de Seuly, bouteiller de France, son fils, de la somme de 20,000 livres (4), elle lui transporta, en 1320, la terre et châtellenie de Châteaumeillant, sous la seule réserve de l'usufruit. (Du Chesne, t. 76, p. 269; -— La Thaum., Hist., p. 458).

Marguerite de Bomiers mourut en 1323. ( La Thaum., Du Chesne, Ibid.). On connaît une pièce de monnaie frappée à son nom, avec cette légende : Margarita, domina Castri Meilhan.

Elle eut de son 1er lit : A. Louis de Beaujeu, IIe du nom, seigneur de Montferrarnd, époux

de Dauphine, dame du Broc, de Chambon et de Planzat, fille de

Pierre, seigneur du Broc et de Planzat, qui l'institua son héritière,

en 1273, et de marquise, aliàs Marguerite de Vichy. (Chabrol,

Coutumes d'Auvergne, t. IV, p.p. 294, 308, 362). Baluze (Hist. de la maison d'Auvergne, p. 33) est d'accord avec

Chabrol quant à l'extraction de Dauphine, dame du Broc, si ce

n'est qu'il nomme la mère de celle-ci : Marquise, dame de Busset,

fille de Chatard, vicomte deThiern, et de Brunissende de Comborn. Audigier, en son histoire manuscrite d'Auvergne (t. IV, p. 226),

la nomme Dauphine de Bonnes, dame du Broc, fille de Pierre de

(1) Aliàs 10,000 livres. (Rec. des MS. de Gaignières, vol. 780).


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Bonnes, seigneur du Broc, et de marquise, dame de Busset, fille de Chatard, vicomte de Thiern, et de Brunissende de Comborn.

Ce nom de Bonnes mérite de fixer notre attention , car il n'est, selon toute apparence, qu'une corruption de celui de Bornes. Ou Audigier, et c'est l'opinion la plus vraisemblable, aura attribué à la bru le nom de famille de sa belle-mère, ou bien Pierre, seigneur du Broc et de Planzat, époux, suivant les uns, de marquise de Vichy, et, suivant les autres, de marquise de Thiern, dame de Busset, appartenait à la maison de Bomiers, ce que l'on peut admettre, si l'on se rappelle que Robert de Bomiers, IIIe du nom, était possessionné en Combrailles, en 4249, et, surtout, en se reportant à la qualification de dame du Broc, donnée, ainsi que nous l'avons vu, par deux savants généalogistes, à Marguerite de Bomiers, dame de Châteaumeillant, mère de Louis II de Beaujeu. Ce dernier aurait donc épousé sa cousine, en s'alliant à Dauphine de Bomez, dame du Broc.

Quoiqu'il en soit de ces présomptions, qui appellent de nouvelles recherches, Louis de Beaujeu vendit Montferrand à Philippe-le-Bel en 4292. (Chabrol, Ibid., p. 362).

Dauphine, dame du Broc, demeurée veuve de Louis de Beaujeu, IIe du nom, se remaria, en 1304, avec Briand, seigneur de la Roche, en Auvergne, dont elle eut plusieurs enfants, mentionnés dans notre notice' sur la maison de la Roche-Briand. Ceux qu'elle eut de son premier lit furent:

A. Louis de Beaujeu, IIIe du nom; seigneur du Broc, qui assista avec son frère Humbert, en 1342, à la prise d'habit de Dauphine et Guillemette de la Roche, leurs soeurs utérines, reçues novices en l'abbaye de Blesle, en Auvergne. (Baluze, Ibid., p. 33; — Audigier, Ibid, t. IV, p. 226).

Il mourut peu après, laissant pour héritier :

B. Humbert de Beaujeu, seigneur du Broc après son frère, décédé également sans postérité, en 1344. (MS. de Du Chesne, t. 76, p. 270).

B. Blanche de Beaujeu, qui épousa, en 1290, Philippe de Chauvigny , seigneur de Levroux, de Villedieu et de Saint-Chartier, nommé à tort Guy, par Baluze (Hist. d'Auv., p. 287), et par Du Chesne, (Hist. des rois et ducs de Bourg., p. 457). Philippe de Chauvigny se qualifiait aussi seigneur d'Artonne et de Pérignac, en Auvergne, sans doute du chef de sa femme. (Audigier, Hist. d'Auv., t. IV, p. 63). Celle-ci, par la mort sans postérité de Louis et Humbert de Beaujeu, ses neveux, se prétendit seule héritière de Louis


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de Beaujeu, IIe du nom, son frère, et, parconséquent, héritière pour moitié de Marguerite de Bomiers, dame de Châteaumeillant, leur mère. Elle transigea à ce sujet, en 1314, du vivant de celle-ci, avec Henry, sire de Seuly, son frère utérin, auquel on convint que la terre de Châteaumeillant serait attribuée, celles de Bellefaye et de Préveranges formant le lot de Blanche de Beaujeu. (Rec. des MS. de Du Chesne, t. 76, p. 270).

Du mariage de Blanche de Beaujeu avec Philippe de Chauvigny naquirent plusieurs enfants, mentionnés en la généalogie de Chauvigny, et dont toutes les possessions, y compris la châtellenie de Préveranges, furent recueillies par la maison Le Bouteiller de Senlis. ( Voy. Le Bouteiller ).

C. Marguerite de Beaujeu, mariée en 4290 à Ebles, ou Hélie, vicomte de Ventadour, dont elle eut : (Du Chesne, Rois et ducs de Bourg., p. 457; — Courcelles, Gén. de Ventadour).

Noble et puissant homme Ebles, vicomte de Ventadour, chevalier, qui céda, en 4325, à Henry, sire de Seuly, et à ses hoirs, tout le droit qu'il pouvait avoir au château et en la châtellenie de Châteaumeillant, comme héritier de sa mère, alors décédée, fille et héritière de Marguerite de Bomez, dame de Châteaumeillant. (MS. de Du Chesne, t. 76, p. 270; — MS de Gaignières, t.780).

D. Marie de Beaujeu, religieuse en l'abbaye de Longchamps, près Saint-Cloud. ( Du Chesne, R. et d. de Bourg., p. 457 ).

Du second mariage de Marguerite de Bomiers avec Henry, sire de Seuly, sont issus :

E. Henry, sire de Seuly, de La Chapelle et des Aix-dam-Gilon, d'Orval, de Montrond, d'Epineuil, etc., seigneur de Châteaumeillant, du chef de sa mère, et bouteiller de France, marié à Jeanne de Vendosme, fille de Jean, comte de Vendosme, dont il eut une nombreuse et illustre postérité. ( Voy. Seuly )..

F. Perrenelle de Seuly, mariée, 4° au mois de février 1296, avec Geoffroy de Lusignan, vicomte de Châtellerault ; 2° en janvier 1308, avec Jean de Dreux, comte de Dreux et de Braine, grand chambrier de France, veuf de Jeanne de Beaujeu. (Du Chesne, Hist. de la m. de Dreux, p. 106 ).

V. THIBAUD DE BOMIERS, chevalier, sire de Bomiers, de Condé, de Montfaucon, de Mirebeau, de Blazon, de Chemelliers ou Chemillé, de Villebeon et de Tournenfuye, fut surnommé le Grand. (Ménage, Hist. de Sablé, pp. 210 et 254 ;— Du Chesne, Hist. de Dreux, p. 135).

Par acte daté du mercredi des Cendres 1288, ledit Thibaud, qualifié seigneur de Bomiers, donna à Jean d'Acre, surnommé Gonnechat, écuyer,


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seigneur de Brechemoret, en la paroisse de Pruniers, deux muids (288 boisseaux) de blé de rente sur les dîmes et ferrages de Brechemoret, un setier (12 boisseaux) de blé sur les dîmes de Bomiers et droit d'usage dans cette dernière seigneurie. (Invent. des titres du duché de Châteauroux t. IV, p. 12).

Il a le titre de chevalier dans l'acte par lequel Renoul IV, seigneur de Culant et de Châteauneuf, son cousin ( petit fils de Renoul II, seigneur de Culant et de Marguerite de Mirebeau) (1), lui assigna 900 livres sur les revenus de Châteauneuf-sur-Cher, le samedi ayant la décollation de SaintJean-Baptiste, 4290. (La Thaum., Hist. de Berry, p. 706).

Par un autre acte daté du mercredi des Cendres 4292, Thibaud de Bomës, seigneur dudit lieu, fit don à Pierre Bouchenoire, dit Ambrault, et à ses frères, appelés les valets d'Ambrault (2), d'un muid de seigle de rente, à la mesure de Bomiers, sur les dîmes du Village d'Ambrault, et, en outre, de l'usage dans les bois et forêts de Bomiers, du droit de chasse et autres. (Invent, des tit. du duché de Chàteauroux, t. III, p. 460). Nous voyons Thibaud de Bomez, chevalier, sire de Montfaucon, se reconnaître homme lige de monseigneur le comte de Nevers pour la châtellenie de Montfaucon, qu'il tenait de lui. (Bibl. imp., Invent, des tit. de la maison de Nevers, MS).

C'est probablement à notre Thibaud qu'il est fait allusion dans un dénombrement fourni, le 22 janvier 1304, par Guy de Chauvigny, seigneur de Chàteauroux, aux abbé et religieux de St-Sulpice de Bourges, pour raison des seigneuries de Vouillon, Neuvy-Saint-Sépulchre, Cluis-Dessous, Sacierges, Pruniers, et de ce que le sire de Bomiers tenait de lui, à savoir Planches, Ambrault, Le Breuil, Boisramier, etc. (Invent. des tit. du duché de Châteauroux, t. III, p. 388).

En 1302, le seigneur de Bomiers fut avec le bailli de Berry, le comte de Sancerre, le seigneur, de Châteauroux et autres, du nombre de ceux auxquels le roi Philippe-le-Bel écrivit après la bataille de Courtray, pour réclamer leur secours. (Ordonnance des rois de la 5e race, t. 1er, p. 347).

(1) Il était, en outre, fils de Renoul III et de Sybille, dont la maison est encore inconnue, mais qui devait tenir de près à celles de Montfaucon, de Bomiers et de Praëlles. Nous inclinons à penser que ce fut du chef de sa mère que Renoul IV devint seigneur du château de Saint-Amand, après Humbert de Praëlles. (Voyez plus haut une note à ce sujet).

(2) On donnait le nom de Valets aux jeunes gentilshommes. Celle qualification était alors honorifique, et les cartes à jouer témoignent qu'il en était encore ainsi à la fin du XIVe siècle.


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Thibaud de Bomiers avait contracté alliance avec Marguerite de Villebeon, dite la Chambellanne, de l'ancienne maison de Nemours et de Villebeon, dont les seigneurs possédèrent si longtemps la dignité de Chambellan de France, que le surnom de Chambellan en demeura à leur postérité, de même que celui de Bouteiller à la maison de Senlis. Marguerite de Villebeon était dame de Villebeon et de Tournenfuye, et fille de Gautier le Chambellan, IVe du nom, seigneur desdites terres, et d'Aliénor de Melun. ( Du Chesne, Hist. de Dreux, pp. 435 et 436, et Rec. de ses MS., t. 420, p. 337, verso; —La Thaum., Hist. du Berry, p. 666; — Moréri, Dict. hist., généal. du Bec-Crespin).

Une erreur commise par Du Chesne dans son histoire de la maison de Chastillon, rectifiée par lui, ainsi que nous venons de le voir, dans son histoire de Dreux et dans le passage cité de ses manuscrits, reproduite, néanmoins, par La Roque, Le Carpentier, et, implicitement, par Moréri, attribue pour première femme à Thibaud de Bomiers, Marguerite, dame de Blazon et de Mirebeau, dont il aurait eu une fille unique, Marguerite de Bomiers, mentionnée ci-après. (Du Chesne, Hist. de la m. de Chastillon, p. 468; —La Roque, Hist. de la m. d'Harcourt, t. 1er, p. 427; — Le Carpentier, Nob. du Cambrésis, Verbo : Beaumez).

Il se serait remarié avec Marguerite de Villebeon , dont il aurait eu Mahaud de Bomiers, sa seconde fille, mentionnée après sa soeur. (Moréri, Gén. du Bec-Crespin).

Les nombreux documents insérés dans cette généalogie font suffisamment justice de cette assertion. Ce fut l'aïeule, et non la première femme de Thibaud de Bomiers, qui appartenait à la maison de Blazon et de Mirebeau, seigneuries que Thibaud posséda à la suite de son père, qui, lui-même, les avait recueillies par succession de Thibaud de Blazon, son oncle. Un acte dans lequel Marguerite de Villebeon, femme de Thibaud de Bomiers, aura été désignée sous la seule dénomination de Marguerite, dame de Blazon et de Mirebeau, de même qu'Yolande de Mello, belle-mère de Thibaud, se qualifiait simplement : Yolande, dame de Mirebeau et de Blazon (4 ), et l'attribution de ces deux seigneuries à Marguerite de Bomiers, fille aînée de Thibaud, auront été le fondement de cette erreur.

Une autre, moins accréditée, puisqu'elle n'est émise que par un seul historien, dont, à la vérité, le témoignage est reproduit en partie par le P. Anselme, attribue pour femme à Thibaud de Bomiers Marguerite de Comminge, veuve de Jean de Boullé, seigneur de Milly, en Gâtinais, dont il aurait eu Marguerite de Bomiers. (Ménage, Hist. de Sable, p. 240, 251).

(1) Voir ci-dessus, degré IV, un acte de 1278.


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Si l'auteur cité se contentait de faire épouser à Thibaud Marguerite de Comminges, on pourrait accepter son assertion, et considérer cette Marguerite comme ayant été la première femme dudit Thibaud, mais la qualification de veuve de Jean de Boullé, seigneur de Milly, en Gâtinais, vient détruire toute illusion à ce sujet. En effet, la seigneurie de Milly était alors possédée par la maison de Bouville, et non de Boullé, puis, ainsi que nous le verrons bientôt, la veuve de Jean de Bouville, seigneur de Milly, se nommait, non point Marguerite de Comminges, mais bien Marguerite de Bomiers. Elle était fille, et non femme de Thibaud de Bomiers, qui fut beau-père de Jean de Bouville, et qui n'épousa point la veuve de ce dernier, sa propre fille. On pourrait supposer, à la vérité, l'existence d'un autre Jean de Bouville, seigneur de Milly, différent du personnage de même nom qui épousa la fille de Thibaud, mais la généalogie de la maison de Bouville ne nous en offre pas d'autres qu'un Jean, seigneur de Bouville, bisaïeul du gendre de Thibaud, ce qui exclut la possibilité d'une alliance entre ce dernier et la veuve dudit Jean Ier. D'ailleurs, ce Jean de Bouville. n'était point seigneur de Milly, cette terre n'ayant été acquise que par son petit-fils, Hugue II de Bouville, père de Jean II. (Voy. Généal. de Milly et de Bouville).

On peut, par ce qui précède', se faire une idée des difficultés qui surgissent lorsque, en l'absence de documents authentiques et originaux, on n'a, pour étayer une généalogie, que des assertions contradictoires, et dont on ne parvient pas toujours à dissiper l'obscurité à l'aide du seul flambeau de la critique. On a peine à comprendre comment des historiens sérieux et, d'ailleurs, recommandables, dont le travail est basé sur la connaissance des monuments contemporains, source si précieuse de la vérité historique, émettent parfois sur un même point tant de témoignages divers et, trop souvent, inconciliables.

Thibaud de Bomiers eut de Marguerite de Villebeon, sa femme, trois filles :

4. Marguerite, dont l'article suit ;

2. Mathilde ou Mahaud, mentionnée après sa soeur ;

3. Alix, dont la destinée est inconnue. (Rec. des MS. de Duchesne, t. 420, p. 337, verso).

VI. MARGUERITE DE BOMIERS, dame de Bomiers, Mirebeau, Blazon et Chemillé, selon Ménage; — dame de Bomiers, Mirebeau, Blazon et Tournenfuye (terre de la maison de Villebeon), selon Du Chesne, en son Histoire de Dreux, posséda aussi Condé et Villebeon, ainsi que nous le verrons plus loin, et Montfaucon en partie. (La Thaum., p. 732). Le père Anselme la dit fille de Thibaud, surnommé le Grand, et de Marguerite de Cominges.

Elle épousa, par contrat passé le dimanche avant la St-Martin d'hiver,

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l'an 1293, Jean de Bouville, IIe du nom, chevalier, seigneur de Milly, de Balleu, chambellan du roi Philippe-le-Bel, fils de Hugues II, seigneur de Bouville, Farcheville, Milly, Boisses, La Chapelle-la-Reine et Balleu, chambellan du même prince, qui mourut aux pieds de son maître à la bataille de Mons-en-Puelle, contre les Flamands, l'an 1304, et de Marie de Chambly. Jean de Bouville étant décédé en 1308, Marguerite de Bomiers, sa veuve, contracta une seconde alliance avec Jean de Roucy, Ve du nom, comte de Roucy, puis de Braine, par la cession que lui fit de ce dernier comté Robert V, comte de Dreux, son cousin, au mois de décembre 4323. Il était fils de Jean IV, comte de Roucy, et de Jeanne de Dreux, princesse du sang, comtesse de Braine et de Roucy, dame de Puisaye, seconde fille de Robert IV, comte de Dreux, de Braine et du Perche, et de Béatrix de Montfort. (Du Chesne, Hist. de Dreux, p. 99, et Hist. de Chastillon, p. 468; —Ménage, Hist. de Sablé, pp. 240, 254, 321 ; —Le Carpentier, Nob. du Cambrésis).

Jean, comte de Roucy, fit hommage de Bomiers à l'abbé de St-Sulpice de Bourges, en 1344 (Catherinot, Annales Thémistiques de Berry; pp. 2 et 3 ) ; vendit à Renaud de Lor, chevalier, et à Agnès de Resson, sa femme, certaines terres, avec promesse de la ratification de Marguerite de Bornez, sa femme, l'an 1349 (Rec. des MS. de Gaignières, vol. 780) ; se qualifiait seigneur de Mirebeau, en 4323 (Gén. de Blazon), et renouvela l'hommage de Bomiers en 4335. (Catherinot, ibid. ),

Du mariage de Marguerite de Bomiers avec Jean de Bouville, naquirent :

4. Blanche de Bouville, qui, après 3e second mariage de sa mère, fut mise avec sa soeur sous la tutelle de Jean, seigneur de Linières (fils de Guillaume et de Jeanne de Villebeon ), et de Pierre de Chambly, dit Grismouton, chevalier. (Hist de Chastillon, p. 468). Elle épousa, au mois de mai 1320, par contrat passé à Forest-lez-Milly, en Gastinais, en présence du roi, de Jean, comte de Roucy, et d'Amaury de Graon, oncle et curateur dû futur, Olivier, sire de Clisson, dont elle eut Jean de Clisson, seigneur de Milly, décédé sans postérité. Olivier de Clisson se remaria, en 4328, avec Jeanne de Belleville, qui le rendit père de :

Olivier, sire de Clisson, connétable de France. (Duchesne, Hist. de de la m. de Chasteigner, p. 32. — Moréri, Gén. de Clisson). 2. Jeanne de Bouville, dame de Milly et de Concressault, épousa Waleran de Meullant, chevalier, baron de Neubourg et de la Queue, avec lequel elle vivait en 4329 , et dont elle eut : A. Pierre de Meullant, sire de Milly ; B. Guillaume, sire de Milly, marié à Isabelle de Trie, fille de


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Mathieu de Trie, seigneur de Fontenay et de Plainville. Il n'existait plus en 4343, et sa veuve était remariée avec Jean de Hangest;

C. Isabelle, dame de Milly et de Concressault, mariée 4° à Guillaume Painel, fils d'Olivier Painel, baron de Moyon. Il vendit la châtellenie de Concressault au roi, au mois de décembre 4351, (Inventaire du trésor des chartes du roi ). 2° à Guillaume de Montenay, seigneur de Garencières ; 3° à Henry, seigneur de Thieuville. De son second mariage est issu :

Guillaume de Montenay, chevalier, marié à Jeanne de Ferrières, dont :

Jean de Montenay, chevalier, seigneur de Montenay, Garencières, Milly en Gastinais, qui épousa, en 4439, Antoinette d'Argentan, fille de Guillaume, et de Jeanne de Naillac, dame d'Onzain, en Blaizois. (Du Chesne, Hist de Chastillon, pp. 466, 468; — La Roque, Hist d'Harcourt, t. 4er, p. 427). Du second mariage de Marguerite de Bomiers avec Jean, comte de Roucy, sont nés :

3. Robert, comte de Roucy, souverain maître et réformateur des eaux et forêts de France, en 1362, marié à Marie d'Enghien, dont ;

Isabeau, comtesse de Roucy, qui épousa Louis de Namur, seigneur de Petinghen, le 47 mars 4364.

4. Simon de Roucy, comte de Braine, qui eut de Marie de Chastillon, dame de Pontarsy :

A. Hugues, comte de Roucy et de Braine ;

B. Jean, évêque et duc de Laon, pair de France ;

C. Simon, seigneur de Pontarsy ;

D. Marguerite de Roucy, femme de Gaucher, seigneur de Nanteuil, puis de Robert de Coucy, seigneur de Pinon.

5. Hugues de Roucy, seigneur de Pierrepont, marié avec Marie de Clacy, vidamesse de Laonnais, dont il n'eut pas d'enfant! Il fit, avec Robert et Simon, ses frères, en 4356, un partage dans lequel Marguerite de Bomez, leur mère, est nommée. (Rec. des MS. de Gaignières, vol. 780).

6. Béatrix, qui épousa Louis II, comte de Sancerre, seigneur de Charenton et de Meillant, fils de Jean II, comte de Sancerre, seigneur de Charenton et de Meillant, et de Joye de Beaumës, de la maison de Bapaulme, en Picardie (Du Chesne, Hist. de Dreux, p. 99 ; — La Thaum., p. 427). Elle lui apporta les terres de Bomiers, de Condé, de Montfaucon, de Mirebeau et de Villebeon. (LaThaum., pp. 429 et suiv., et p. 732; — Rec. des MS. de dom Fonteneau, t. II, p. 683).


Louis de Sancerre fut tué à la bataille de Crécy, en 4346, laissant de son mariage, entr'autres enfants :

A. Jean, comte de Sancerre, qui continua la postérité;

B. Louis III de Sancerre, seigneur de Charenton, de Bomiers, de Condé, de Montfaucon et de Villebeon, maréchal, puis connétable de France, et l'un des guerriers les plus célèbres de son temps. Il fournit, le 4er mai 4394, à Guy de Chauvigny, seigneur de Châteauroux, aveu et dénombrement pour raison des villes de Planches, Ambrault, le Breuil, Boisramier, Lienay, Pellegrue, Bommiers-l'Eglise, Jarrie, Cyvraines, avec justice haute, moyenne et basse. (Invent. des Tit. du duché de Châteauroux, III, 384 et V, 405). Il renouvela cet aveu, le 8 août 4396. (Ibid.).

Le connétable de Sancerre ne fut pas marié et par son testament, daté du 4 février 4402 (v. st.), laissa à Guichard Dauphin, IIe du nom, son neveu, les châtellenies de Bomës et de Condé, et la baronnie, chastel et châtellenie de Luzy. (Baluze, Hist. de la m. d'Auvergne, pp. 238 et 239 ; — La Thaum., Hist., pp. 429, 430).

C. Isabeau de Sancerre, mariée : 1° à Pierre de Graçay, seigneur de l'Isle et de La Ferté-Nabert, fils de Pierre III, baron de Graçay, et de Marguerite de Saint-Palais ; 2° à Guichard Dauphin, 1er du nom, seigneur de Jaligny, de La Ferté-Chauderon, etc., conseiller et chambellan du roi, et grand-maître des arbalétriers de France. Elle fut mère de :

Guichard Dauphin, IIe du nom, seigneur de Jaligny et de La Ferté-Chauderon, grand-maître de France, gouverneur du Dauphine de Viennois, marié avec Eléonore de Culant, fille d'Eudes, baron de Culant, et petite-fille de Jean, baron de Culant, et de Jeanne de Bouville. Son oncle lui donna par testament, ainsi que nous l'avons vu, les châtellenies de Bomiers et de Condé.

Comme seigneur de Bomiers, Guichard Dauphin reçut le dénombrement de Jean Gonichat pour le fief de Brechemoret, paroisse de Pruniers, tenu en plein fief de la seigneurie de Bomiers, le dimanche après la Saint-Pierre et la Saint-Paul 4403. (Invent. des Tit. du duché de Châteauroux, IV, p. 8). Au mois de décembre 1407, il fournit lui-même à Guy de Chauvigny, seigneur de Châteauroux, le dénombrement des villes de Planches, Ambrault, Bomiersl'Église, etc., (ibid, III, 384); fit don, la même année, par acte entre vifs passé en son château de Bomiers, de la maison forte et ville de Dorne, en Nivernais, à son frère naturel, Claudin de Jaligny, (Baluze, Hist. de la m. d'Auvergne, p. 238 et 239), et se qualifie seigneur de Jaligny, de Bomés et de Culant, dans une pro-


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curation qu'il donna, tant pour lui que pour noble dame madame OEnor, dame de Culant, sa femme, le 44 août 4409. (Rec. des MS. de Du Chesne. t. IV, p. 474). Il fut tué à Azincourt, en 4445, sans laisser de postérité. Les terres de Bomiers et de Condé passèrent à Jeanne, comtesse de Boulogne et d'Auvergne, mariée, en 4446, à Georges, seigneur de la Trémouille. (Voy. Généal. de la Trémouille). 7. Jeanne de Roucy, dame de Blazon et de Chemelliers, en Anjou, épousa, par contrat du 26 janvier 4344, Charles, seigneur de Montmorency, maréchal de France, veuf de Marguerite de Beaujeu. Elle mourut le 10 janvier 4364, et fut enterrée dans l'abbaye du Val. Son mari contracta une troisième alliance avec Perrenelle de Villiers, dont enfants. Ceux qu'il eut de Jeanne de Roucy furent :

A. Jean de Montmorency, mort jeune ;

B. Marguerite, mariée, en 4354, à Robert, seigneur d'Estouteville ;

C. Jeanne, qui épousa, par contrat du jour de Saint-Michel 4358, Guy de Laval, dit Brumor, seigneur de Challouyau, et eut en dot les terres de Blazon et de Chemillé. Elle mourut sans postérité, en 1365 ou 4366. Son mari ne décéda qu'en 4383. Il avait contracté une seconde alliance avec Tiphaine de Husson, dame de Ducé, dont il eut :

A. Guy de Laval, seigneur de Blazon et de Raiz, marié à Marie de Craon, dont :

Gilles de Laval, dit de Raiz, seigneur de Raiz, Blazon, Ingrande, Chantocé, maréchal de France, brûlé à Nantes en 1440, laissant de Catherine de Thouars :

Marie de Laval, dame de Raiz, femme : 4° de Prégent de Coëtivy, seigneur de Taillebourg, amiral de France ; 2° d'André de Laval, seigneur de Lohéac, aussi amiral de France,

B. René de Laval, dit de Raiz, seigneur de la Suze, eut d'Anne de Champagne :

Jeanne de Raiz, mariée, en 4456, avec François de Chauvigny, baron de Châteauroux, vicomte de Brosse. VI. MAHAUD DE BOMIERS, seconde fille de Thibaud, sire de Bomiers, et de Marguerite de Villebeon, fut dame de Bomiers et de Montfaucon en partie, et transigea, en 4340, avec l'abbé de St-Sulpice de Bourges, au sujet du premier de ces fiefs. (Catherinot, Annales thémistiques de Berry, p. 2). Elle épousa Guillaume Crespin, seigneur d'Estrepagny et de Warangebec, connétable héréditaire de Normandie, lequel, au nom de sa femme, eut un grand procès avec le comte de Roucy, son beau-frère, et fit hommage de Bomiers à l'abbé de St-Sulpice, en 4343 et 4348. (Catherinot, ibid.). Il était mort en 4330, époque où sa veuve obtint son douaire sur ses terres


— 30 - de Normandie. ( Du Chesne, Hist. de Dreux, pp. 435 et 436 ; — du Bouchet, Hist. de Courtenay, p. 24 3 ; — La Roque, Hist. d'Harcourt, I, p. 140 ; — Moréri, Gén. du Bec-Crespin ).

Mahaud de Bomez, qualifiée dame d'Estrepagny et de Montfaucon, promit de faire la foi et hommage de cette dernière terre au comte de Nevers, toutes fois qu'elle en serait par lui requise, l'an 4328. (Bibl. imp., Invent. des titres de la maison de Nevers, MS. ; — La Thaum., p. 732 ).

Nous voyons aussi Pierre, abbé de St-Sulpice, traduire Mathilde, dame de Bomiers, devant la Cour de son monastère, pour qu'elle eût à se justifier de plusieurs crimes, l'an 1330. ( Gallia christ., t. II, col. 429 ).

Elle fut mère de : 4. Jeanne Crespin qui épousa, en 4334, Jean de Melun, IIe du nom,

vicomte de Melun, comte de Tancarville, seigneur de Montreuil-Bellay

et de Warangebec, chambellan et connétable héréditaire de Normandie,

et grand chambellan de France, son cousin au IVe degré. Elle décéda le

14 janvier 1374, ayant eu, entr'autres enfants :

A. Jean III, vicomte de Melun, comte de Tancarville, chambellan de France, mort sans postérité d'Ide de Marigny, en 4385.

B. Guillaume de Melun, vicomte de Melun, comte de Tancarville, seigneur de Montreuil-Bellay et de Warangebec, premier chambellan du roi, connétable et chambellan héréditaire de Normandie. Il est qualifié chevalier, seigneur de Bomiers, dans un acte daté du jeudi, fête de Saint-Luc, 1375, par lequel il fit don à Jean Gonnechat, damoiseau, seigneur de Brechemoret, d'un muid de blé de rente, moitié froment et moitié seigle, à prendre sur les dîmes et terrages de Brechemoret. (Invent. des tit. du duché de Châteauroux, IV, p. 42).

Il eut de son mariage avec Jeanne de Parthenay :

Marguerite, vicomtesse de Melun, comtesse de Tancarville, dame

de Warangebec, mariée en 1417 avec Jacques d'Harcourt, seigneur

de Montgommery. (Moréri, Gén. de Melun).

2. Marie Crespin, femme de Jean de Châlon, seigneur de Botavant,

(Hist. de Courtenay, de Dreux, d'Harcourt, loc. cit.), comte d'Auxerre

et de Tonnerre, grand bouteiller de France. (Gén. du Bec-Crespin).

Leur fille :

Marguerite de Châlon, dame de Bomiers, fournit à Guy de Chauvigny, seigneur de Châteauroux, le mardi après la fête de Notre-Dame de mi-août 1374, le dénombrement des villes de Planches, Ambrault, Le Breuil, Cyvraines, Bomiers-l'Église, etc., lesquels biens se partageaient avec messire Guillaume de Melun. (Invent. du duché de Châteauroux, III, 384).


- 31 ¬ ll nous a été impossible, jusqu'ici, de découvrir à quel titre Jeanne de Vendosme, fille de Bouchard VI, comte de Vendosme, et de Marie de Roye, se qualifiait dame de Bomiers ( Bosmes et Bomes ). Elle épousa, en 1302, Guillaume III de Chauvigny, baron de Châteauroux, veuf de Jeanne de Chastillon de St-Paul, et mourut en 4347, ayant eu de ce mariage plusieurs enfants, morts sans postérité, à l'exception de Marie de Chauvigny, femme de Guy de Seuly, seigneur de Beaujeu. (La Roque, Hist. de la maison d'Harcourt, t. IV, p. 1184 ; — La Thaum., Hist. de Berry, pp. 480, 520, 524 ).

Peut-être Jeanne de Vendosme était-elle veuve elle-même, en premières noces, d'un fils de Thibaud de Bomiers, et jouissait-elle de cette seigneurie à titre de douaire.

Nous devons mentionner également un compte des revenus de la seigneurie de Bomiers, rendu, en 4446, à Guy de Chauvigny, seigneur de Châteauroux et dudit Bomiers. (Invent, des titres du duché de Châteauroux, t. III, p. 394).

Guichard Dauphin, IIe du nom, seigneur de Jaligny, de Bomiers, etc., grand maître de France, venait de perdre la vie à la bataille d'Azincourt, en 4445. Peut-être sa succession, demeurée quelque temps vacante, donnat-elle lieu de la part de Guy de Chauvigny, seigneur de Châteauroux, à quelques prétentions sur les terres situées dans la mouvance de ce seigneur. Toujours est-il que la possession de ce dernier, quelle qu'en ait été la cause, ne fut pas de longue durée. Jeanne, comtesse de Boulogne et d'Auvergne, mariée en 4416 à Georges de Trémouille, était dame de Bomiers, et sa succession fut recueillie par Marie de Boulogne, sa cousine, qualifiée en conséquence dame de Bomiers, dès 1423. Le petit-fils de celle-ci, Bertrand II de la Tour, comte de Boulogne et d'Auvergne, lors de son mariage avec Louise de la Trémouille en 1444, fit avec Georges de la Trémouille, son beau-père, certaines conventions par lesquelles ce dernier demeura seigneur de Bomiers et autres terres, en échange de sa renonciation à l'usufruit du comté d'Auvergne que lui avait laissé Jeanne de Boulogne, sa première femme. C'est donc à tort que l'on a prétendu qu'il possédait Bomiers du chef de Marie de Sully, sa mère.

Cette terre est restée dans la maison de la Trémouille jusqu'en 1586, époque du mariage de Charlotte-Catherine de la Trémouille, comtesse de Taillebourg, baronne de Craon, de Bomiers, etc., avec Henri de Bourbon, prince de Condé. (Voyez, pour plus amples détails, ma Généalogie de la Trémouille).


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BEAUMEZ.

La terre de Beaumez (de bello manso), située à deux lieues de Bapaume et à quatre de Cambray, a donné naissance à une ancienne famille qu'il ne faut pas confondre avec celle de Bomez, en Berry. Elle se prétendait issue des anciens comtes de Ponthieu, et ses auteurs étaient châtelains de Bapaume aux XIIe et XIIIe siècles. Elle posséda aussi, de temps immémorial et pendant plusieurs siècles, la maréchaussée de Cambray, et contracta des alliances avec les maisons de Picquiny, de Ligne, de Coucy, de Bailleul, de Cany, de Lorraine, de Sancerre, de Mauvoisin-Rosny, etc.

Baudouin de Beaumez, maréchal de Cambrésis, vivait en 4040, sous l'évêque Girard.

Hellin de Beaumez mourut en Terre-Sainte.

Robert de Beaumez, seigneur de Boubers, fut père de : 1. Marguerite, dame de Boubers, qui épousa Hugues de Lorraine, fils

de Thibaud, duc de Lorraine, et n'en eut pas d'enfants.

2. Joye de Beaumez épousa Jean, comte de Sancerre, à Cambray, et lui apporta 1,000 livres de rente en dot.

3. Agnès de Beaumez, abbesse de Prémy, à Cambray. Cette famille portait : de gueules à la croix engrêlée d'or.

Il existait encore trois terres du nom de Beaumez, l'une en Picardie, les deux autres en Artois. (Voy. Le Carpentier, Nob. du Cambrésis ; — trésor de dom Villevieille; — La Thaumassière, Hist., p. 427; — Lainé, nob. d'Artois.


MAISON DE CHAROST.

La ville de Charôt, appelée autrefois Charroz, Charost et même Charroux (4), en latin : Carophium, Karophium, Karofium, etc., située sur la rivière d'Arnon, entre Bourges et Issoudun, et à deux lieues seulement de cette dernière ville, était une ancienne châtellenie en possession de tous les droits attachés à cet ordre de seigneuries, tels que ceux de haute, moyenne et basse justice, de scel à contrats, de tabellionnage, de bourgeoisie, de guet, de garde, de fours et moulins banaux, de maîtrise des eaux et forêts, etc. Sa mouvance féodale s'étendait sur les fiefs de Font-Moreau et de Milandres-sur-Arnon, depuis réunis au fief dominant; du Carroy du Gué, de la Berge, de Dames-Saintes, de la Roche, de Crosses, de Clois, de Bois-l'Abbé, partie de Breuil-Amenon (Castelnau), de Moulin-Neuf, de Galifard, de Bourré, partie de Plotard, l'aumônerie de Brives, etc.

La ville était entourée de murailles avec deux portes, l'une dans la direction de Bourges, l'autre dans celle d'Issoudun.

Le château était ceint également de hautes murailles et de profonds

(1) Le nom de Charroux était usité au XVIe siècle. Voir une requête adressée au roi par les catholiques d'Issoudun, en 1568, et la généalogie de la maison de Chabot.

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fossés, avec tours distantes de cent pas les unes des autres. La plus élevée, dont on remarque encore les restes imposants, était autrefois fortifiée et revêtue de bastions ruinés pendant les guerres de la Ligue, au rapport de La Thaumassière.

Charôt fut pris par Philippe-Auguste, en 1187 ; reçut garnison, ainsi que plusieurs des principales places du pays, par ordre du roi Louis XI, lors de la guerre, dite du bien public, en 1465 ; fut pris d'assaut et pillé par les troupes de M. de la Chastre, gouverneur pour la Ligue, en Berry, au commencement d'octobre 4589; repris par Antoine de la Grange, seigneur d'Arquian, Charles de la Grange, seigneur de Vèvre, son frère, et MM. de Vatan et de Coulanges, le 15 décembre 4594.

Le seigneur de Charôt était vassal de celui d'Issoudun. Devenu possesseur d'une partie de cette dernière ville, le roi Philippe-Auguste en partagea les hommages avec Hélie, seigneur de Culant, et Etienne, seigneur de Saint-Palais , héritiers de Mahaud, dame d'Issoudun. Il leur délaissa l'hommage de Vierzon, et retint ceux de Linières, de Charôt et de Bomiers, par charte datée du mois de mai 1217.

La châtellenie de Charôt, qualifiée baronnie en 1642 et 1616 , avait le titre de comté lorsqu'elle fut, au mois de mars 1672, érigée en duchépairie , avec union des seigneuries de Milandres, Font-Moreau, grand et petit Boisboisseau, des Peluis et Sublains, sous le nom de Béthune-Charost, en faveur de Louis de Béthune, comte de Charost, chevalier des Ordres du roi. Les lettres ne furent vérifiées au Parlement que le 11 août 4690.

Suivant l'usage, les premiers seigneurs de Charôt prirent le nom de leur domaine. Nous allons donner la filiation, bien incomplète, encore, de celte antique et noble race, et mentionner d'abord, par ordre chronologique, tous ceux de ses membres que nous n'avons pu y rattacher d'une manière précise.

Les sceaux de la maison de Charost représentent un echiqueté, dont les émaux sont inconnus.

INDIVIDUS ISOLÉS.

ROGER DE CHAROST fut témoin avec Gautier, seigneur de Charost, des priviléges accordés par Raoul, seigneur d'Issoudun , à l'abbaye de NotreDame de cette ville, en 4434. (Arch. de l'Indre, Tit. de l'abb. de la Prée, liasse 7).

JEAN DE CHAROST fut présent avec Guillaume, archidiacre de Châteauroux, lorsque Jean-le-Noir (niger) et son fils, Etienne, reconnurent en présence


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d'Henri, archevêque de Bourges, qu'Asceline, leur épouse et mère, avait donné aux religieux de la Prée tout ce qu'ils possédaient au bois de Luc, l'an 1190 (Tit., de la Prée, copie, liasse 3).

Ebroin de Charost, chevalier, figure parmi les témoins d'une donation faite à la même abbaye par Barthélemy Gaubert (seigneur de Lazenay), en 1181, (Tit. de la Prée, cop., liasse 36), et peut avoir été le même qu'un Ebroin, qualifié cousin (cognatus) de Gautier, seigneur de Charost, et qui fut témoin de l'affranchissement accordé par ce dernier aux habitants de cette ville, l'an 1194. (Voy. ci-dessous). — Nous voyons encore Ebroin de Charost abandonner, en 1196, aux religieux de la Prée tout son droit sur le bois de Luz, joutant celui qu'ils avaient acheté d'Hervé, chevalier de Buzançais, (Tit. de la Prée, liasse 24 , vidimus de 4433).

Ebroin de Charost fut, avec Roger de Charost, l'un des garants de la fidélité de Geoffroy d'Urec (d'Uriel), chevalier, envers le roi Philippe-Auguste, jusqu'à concurrence de cent livres chacun, monnaie de Gien. ( Cartul. de Phil.-Aug., 472, p. 442, 2e partie). Il fut également témoin avec le même Roger, dont le nom précède encore le sien, Robert de Bomiers, Guillaume Plotart, Pierre d'Artenay et Raoul Corau, tous chevaliers, des engagements contractés par Etienne de St-Palais, Eudes Trossebois et Guillaume de Linières, jusqu'à concurrence de cinquante livres chacun, comme pleiges et cautions des héritiers de Culant envers le même prince, l'an 4224. ( Cartul. de Phil.-Aug., coté 8408, 2. 2. B, p. 23).

Ebroin de Carrofio tenait en fief des seigneurs d'Issoudun tout ce qu'il possédait à Issoudun et à Mareuil, à savoir la moitié des hommes aubains, à deux deniers de service à la vie et à la mort, et tout ce qu'il avait à Condé, à St-Léger, à Enorre, etc. Il était aussi vassal d'Haimon, seigneur de Charost. (Ibid., p. 65).

ROGER DE CHAROST, chevalier, mentionné ci-dessus avec Ebroin, était, de même que ce dernier, vassal d'Haimon, seigneur de Charost. Il tenait aussi en fief du seigneur d'Issoudun, Availles et tout ce qu'il possédait audit lieu, de même qu'à Change, à Anore, en la terre de Mareuil, à Villefaium, à Jamvarermes, à Paudi, à Lespinere, etc. Il avait lui-même pour vassaux, au fief d'Issoudun, plusieurs chevaliers : Emenon du Terrail, Hugues li Borgnes, Geoffroy Strabon, tous hommes liges, et Jean de St-Hilaire, Foulques Tabuo (Tabou), Turpin, chevalier; et Pierre d'Artenay. (Cartul. de Phil.-Aug., ibid.).

Roger de Charôt (de Karophio) transigea, au mois de juin 1225, avec le curé de Saint-Aoustrille, auquel il abandonna un chezal et un pré, en échange des novales de tous les champs situés dans cette paroisse. (Arch. de l'Indre, Tit. de la Prée, n° 36).

Le mêmfe, qualifié chevalier, fit don à Etienne Auger, clerc, en récom-


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pense de ses services, de trois arpents de vignes sises à Vaubaisen, par charte du mois de mars 1229, dont fut témoin maître Jean, archiprêtre d'Issoudun. (Arch. de l'Indre, Tit. de l'abbaye de Barzelle, n° 40).

TURPIN DE CHAROST, contemporain des précédents, tenait en fief d'Ameil de Charenton, et en arrière-fief du château d'Issoudun, les prés de Ruisul, le péage des gardes, et tout ce qu'il possédait à Chezal-Benoît (vers 1220). (Cartul. de Phil.-Aug., MS., coté 8408).

M. Rougier de Charroz, seigneur de Breuille, possédait, de même que Gautier, seigneur de Charroz, des fiefs mouvants de Dun-le-Roi, en 4332. (Voyez ci-dessous l'article de Gauthier VI).

Noble homme JEHAN DE CHARROZ, clerc, demeurant à Issoudun, est nommé parmi les vassaux de la châtellenie de Charroz, en 4380. (Arch. du Cher, État des fiefs du Berry ).

FILIATION SUIVIE.

I. AIMON DE CHAROST (de Carofio), 1er du nom, fut présent à la fondation de l'abbaye de Chezal-Benoît, en 1093. (Généal. imp. de la maison de La Châtre, in-4°;—La Thaum., Hist. du Berry, p. 728). Il est nommé dans une charte d'Audebert de Montmorillon, archevêque de Bourges, pour le chapitre de Saint-Aoustrille de Graçay, de l'an 4094, (La Thaum., ibid.) et figure le premier (4) avec Séguin de Linières, Etienne le Noir, Eudes, son frère. (2), Hugue Mauvoisin, Arnoul Ebroin, Raimond de Morlac et Robert de Loseto, parmi les souscripteurs d'une autre charte par laquelle Geoffroy, seigneur d'Issoudun, confirma en 4099, aux moines de Chezal-Saint-Pierre (depuis Chezal-Benoît) (3), la donation que Constant Foulchard avait faite à ceux-ci, du consentement de sa femme et de son fils, de sa personne et

(1) Le nom d'Aimon de Charost (S. Aimonis de Carofio) a été omis, par erreur, dans une reproduction imprimée de cette charte.

(2) Etienne et Eudes Le Noir, gentilshommes de la contrée, étaient seigneurs directs et fonciers de Chezal-Benoît, alors appelé Chezal-Malan (Casale-Malanum). Il existait en ce lieu , suivant dom Estiennot, auteur d'une histoire manuscrite de l'abbaye, les ruines d'un ancien château : in quo quidem nonnulla veteris castri rudera supererant.

(3) Le nom de Chezal-Benoît apparaît, pour la première fois, dans une charte, non datée, d'Emenon, prieur dudit lieu, qui fait suite à la précédente dans le Cartulaire. Au XIIe siècle, on voit les dénominations de : ecclesia Sancti Petri de Casali, ecclesia

de Casali, Casale-Benedictum employées indifféremment pour designer le nouveau monastère.


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de ses biens. (Fragments du Cartulaire de Chezal-Benoît, MS. du XIIe siècle, Bibl. imp.).

Le même Aimon , qualifié seigneur de Charost (Carrofii dominus), fut encore présent avec Arnoul Ebroin et autres seigneurs, à un accord entre les mêmes religieux et Etienne, fils d'Etienne Bastard, relatif à un droit de passage sur une terre et un jardin situés à Issoudun, par charte non datée, mais postérieure à la précédente ( Cartul. de Chezal-Benoît, ibid.).

Il contribua par ses libéralités, avec les seigneurs d'Issoudun, de Mareuil, de Linières, de Châteauneuf et autres, à la construction de l'église et des cloîtres de Chezal-Benoît ( La Thaum., ibid., p. 804 ), et ce fut à leur prière et à celle de Léger, archevêque de Bourges, que le prieur et les chanoines de St-Cir d'Issoudun consentirent à accorder au nouveau monastère, sous certaines conditions, tous droits paroissiaux, en l'an 1104. (Dom Estiennot, Antiquités Bénédictines du Berry, MS. de la Bibl. imp.).

Aimon de Chârost vivait encore en 4406, et avait pour fils :

II. AIMON, IIe du nom, seigneur de Chârost, nommé dans une charte sans date d'Alard Guillebaud, seigneur de La Roche-Guillebaud, de Châteaumeillant et de St-Chartier, pour le prieuré d'Orsan. (La Thaum., Hist., p. 728). Il fut témoin en 1106 avec son père Aimon, Seguin de Châteauneuf, Hernulphe, fils d'Ebroin, et autres personnages qualifiés illustres (illustres viri), des donations faites par Geoffroy, seigneur d'Issoudun, aux religieux de Sainte-Marie ou de Notre-Dame, établis dans l'enceinte de son château. (Archives de l'Indre, fonds de l'Abbaye de la Prée, n° 7). Il fut encore présent, en 4408, avec Léodegaire ou Léger, archevêque de Bourges, Gérard, évêque d'Angoulême, Galon, évêque de Léon, Raoul, seigneur de Déols, et Geoffroy, seigneur d'Issoudun, quand Raoul de Vatan restitua au chapitre de Bourges les péages, rentes et autres coutumes qu'il levait injustement dans la terre de Vouet, dépendante de l'église de Bourges. (Waroquier, Tableau généal. de la nob., t. IV; — La Thaum., Hist. du Berry, p. 304 ).

Il vivait encore en 1125, et est qualifié strenuissimus et nobilissimus dans une charte du prieuré de la Chapelle-Aude, sous le pontificat de Vulgrin, archevêque de Bourges (de 1120 à 1136). On lui connaît deux fils :

1. Gautier, qui continua la postérité*; 2. Guillebaud de Charost.

III. GAUTIER, Ier du nom, seigneur de Charost, souscrivit avec son frère une charte d'Alard ou Adelard Guillebaud, qui semble avoir été leur proche parent, pour le prieuré d'Orsan, en 4444. (La Thaum., Hist., p. 729). Il figure avec Roger de Charost parmi les témoins des priviléges accordés à l'abbaye de Notre-Dame-d'Issoudun, par Raoul, seigneur de cette ville,


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lors de son départ pour Jérusalem, en 4434 (Tit. de l'abbaye de la Prée, n° 7), et est qualifié seigneur de Charost, dans une charte de l'an 4438, dont il fut encore témoin, et par laquelle l'abbé d'Issoudun fit bail à Viventius Isembard, sa vie durant, du fief de Concizain. ( Archives de l'Indre, Tit. de l'abbaye d'Issoudun, liasse 2e). Gauthier de Charost paraît avoir été père de :

4. Aimon, IIIe du nom, seigneur de Charost, dénommé comme témoin avec Pierre de La Chastre , archevêque de Bourges, Guillaume, comte de Nevers, Raoul, seigneur d'Issoudun et autres seigneurs, dans une charte par laquelle Etienne, comte de Sancerre, confirma les donations faites par ses prédécesseurs à l'abbaye de Saint-Satur, l'an 1152. Il vivait encore en 4493, suivant une autre charte de l'abbaye de la Prée, et mourut sans postérité. La Thaumassière fait d'Aimon de Charost deux personnages différents, dont le premier aurait été oncle du second. (Hist. du Berry, pp. 418 et 729).

2. Gautier de Charost, IIe du nom, qui fut témoin avec Roger de Charost de la ratification par Eudes, seigneur d'Issoudun, d'un accord entre les religieux de Notre-Dame-dIssoudun et Guillaume de Chastillon, en 1164. (Arch. de l'Indre, Tit. de l'abb. d'Issoudun, liasse 4).

Ledit Gautier, seigneur de Charost (dominus Karrofii), sans doute par le décès d'Aimon, son frère aîné, affranchit, en 4494, du consentement de sa femme' Isabeau, et en présence d'Ebroin, son cousin, d'Emenon, sénéchal (4), de Turpin, fils de ce dernier, de Guillaume Plotart (2), de Geoffroy Alart et de Girons Babous, son château de Charost et tous ceux qui y résidaient, leur octroyant les mêmes priviléges qu'Eudes, seigneur d'Issoudun, avant son départ pour Jérusalem, avait concédés aux bourgeois du château d'Issoudun. Il s'engagea à faire ratifier cette concession par son fils Simon, aussitôt que celui-ci en serait requis par les bourgeois de Chârost. (Recueil des MS. de Du Chesne, t. 78, p. 374, Bibl. imp.; — La Thaum., Cout, loc, p. 75).

Gautier de Charost avait épousé, suivant la chronique d'Alberic, la quatrième fille de Pierre de France, fils du roi Louis-le-Gros et d'Elisabeth, dame de Courtenay. Nous avons vu qu'elle se nommait Isabelle ou Isabeau, et qu'ils avaient, en 1194, un fils :

Simon, qui fut seigneur de Charost, selon La Thaumassière, et mourut sans postérité; 3. Roger, dont l'article suit :

(4-2) Le fief de Breuil-Emenon ou Amenon , depuis nommé Castelnau , et celui de Plotart, relevaient de Charost.


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IV. ROGER DE CHAROST, Ier du nom (4), fut témoin, en 4458, d'une charte d'Eudes, seigneur d'Issoudun, en faveur des religieux de NotreDame de cette ville, et avec Gautier de Charost, son frère présumé, dont le nom précède le sien, d'une autre charte par laquelle le même seigneur ratifia, en 1164, un accord entre ces religieux et Guillaume de Chastillon au sujet des moulins d'Arteri. (Arch. de l'Indre, Tit. de l'abb. d'Issoud., n°4).

Sa femme, Aiglantine, lui ayant survécu, contracta une seconde alliance avec Adam Chevreau, que nous croyons avoir appartenu à l'ancienne maison des seigneurs de Fontenay (2), et légua à l'abbaye de Fontmorigny quatre sextiers d'avoine de rente sur la terre de Jussy. ( La Thaum., Hist., ■ p. 729). Elle avait eu de son mariage avec Roger de Charost :

V. ROGER, IIe du nom, seigneur de Charost, qui eut procès avec les religieux de Fontmorigny à cause des dons qui leur avaient été faits par Aiglantine, sa mère, et qu'il refusait de payer sous prétexte que celle-ci ne les avait faits que pour être inhumée dans leur église, près de son mari, ce à quoi ils n'avaient pas satisfait, ainsi qu'il résulte d'une sentence de l'an 4209, par laquelle il est qualifié seigneur de Charost. (Catherinot, Annales ecclésiast. de Berry). Il s'accorda, depuis, avec ces religieux, en 4244 , et ratifia le legs dont ils avaient été l'objet. (La Thaum., Hist., p. 729).

Il doit avoir été le même qu'un seigneur de Charost (dominus Charrociaci — dominus de Charrocio ) qui figure avec les seigneurs d'Issoudun, de Bomiers, de Linières, de Graçay, de Mehun et autres, ses voisins, parmi les chevaliers bannerets et les seigneurs châtelains qui florissaient sous le règne de ce prince, en 4244. (Cartul. de Philippe-Auguste, MS. de la Bibl. Imp., coté 472 ; — La Roque, Traité du Ban et Arrière-Ban).

Roger de Charost est rappelé, comme défunt, dans un acte de vente daté du mois de mars 4237, par lequel Guillaume de Pelvezin, chevalier, du consentement de sa femme, Marguerite, vendit aux religieux de la Prée, moyennant 45 livres tournois, tous ses prés situés sur l'Arnon, entre Charost et le moulin de Croces, et leur fit, en outre, donation de

(1) Ce Roger de Charost forme le VIIe degré de la généalogie que La Thaumassière nous a laissée de la maison de Charost, et qui a son point de départ à Aimon Ier, vivant en 1093. Or, il est absolument impossible que six générations se soient succédé dans un espace de temps aussi court. Celle seule considération suffirait donc à justifier la suppression que nous avons faite des degrés V, VI et VII, établis par cet historien, et qui, selon nous, s'appliquent évidemment aux trois fils de Gautier Ier.

(2) Les seigueurs de Fontenay avaient leur sépulture dans l'église de Fontmorigny. Plusieurs d'entr'eux ont reçu, au XIIe siècle, le surnom de Chevreau (caprellus).


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six sextiers de blé de rente, sur le Moulin-Neuf, paroisse de Dames-Saintes, et de vingt sous, aussi de rente, sur des prés situés au-dessous de DamesSaintes, et qui.avaient appartenu audit feu Roger de Charost. (Arch. de l'Indre, Tit. de la Prée, n° 6).

Roger de Charost peut avoir été père de : 1. Aimon, qui suit;

2. Marguerite, femme de Guillaume de Pelvezin (Pellevoisin), chevalier, en 1237.

VI. AIMON, IVe du nom, seigneur de Charost, du consentement de sa femme, nommée Luce, accorda aux religieux de Loroy le droit de pacage pour tous les bestiaux qu'ils auraient en leur métairie de Poncey, l'an 1224 (La Thaum., p. 729); en 4244, selon Catherinot. (Annales ecclésiast. du Berry).

L'abbaye de Loroy, située au voisinage de la ville de. La Chapelle-DamGilon, reconnaissait pour ses principaux bienfaiteurs les sires de Seuly, possesseurs de cette ville. Ils avaient leur sépulture dans son église. On peut donc présumer que Luce, femme d'Aimon de Charost, appartenait à cette illustre; maison, et qu'elle était fille de Gilon, sire de Seuly, de La Chapelle et des, Aix, et de Luce de Charenton.

Quoiqu'il en soit, Aimon est encore qualifié seigneur, de Charost (Karrofii), dans des lettres-patentes données à Saint-Germain-en-Laye, l'an 1221, et par lesquelles il se constitua pleige et caution pour cent livres avec Archambaud , seigneur de Bourbon, Henri, seigneur de Seuly, Guillaume de Linières, Etienne de St-Palais et autres seigneurs du pays, de la restitution de mille livres parisis que le roi Philippe-Auguste avait donnés, avec le tiers de Châteauneuf-sur-Cher et de Mareuil-sur-Arnon, aux héritiers de Culant, en échange de leurs droits sur la châtellenie d'Issoudun, dans le cas où lesdits héritiers refuseraient de ratifier cette cession lorsqu'ils seraient parvenus en âge de majorité. (Trésor gènéal. de D. Villevieille, MS.)

Aimon approuva, au mois de mai 1222, l'engagement fait par Guillaume Girard de la dîme de St-Florent au chapitre de Montermoyen. (La Thaum.).

Nous apprenons, par le recueil des actes de Philippe-Auguste, que le seigneur Haimon de Charost (de Karrofio), tenait en fief de ce prince le château et la châtellenie de Charost, la suite de ses hommes par toute la terre du roi, jusqu'à la Loire, et les hommages de Robinde Bomiers, de Regnaud, sénéchal d'Autri, d'Ebroin de Charost, de Roger de Charost, d'Herbert Bruant, de Guillaume Plotart, d'Hervé d'Artenay, de Regnaud, sénéchal de Charost, d'Emon, sénéchal de Charost, de Turpin, chevalier, de Pierre Broce, de Pierre Corau, de Boamund du Pont, de Guillaume Girard, de Jobert de Fraiselines, d'Herbert Turmel, de Raimond de Morlac, d'Humbert de Roortello, d'Emeri Cicogneau, de Geoffroi de Pogis,


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de Raoul Corau, de l'hoir de Geoffroy Pons, et de Pierre Bochenoire. Tous ces vassaux, aussi bien qu'Aimon, prétendaient avoir droit de suite sur leurs hommes dans toute l'étendue de la terre du seigneur d'Issoudun. En outre, Aimon tenait en fief du roi, de la partie du seigneur Renoul de Châteauneuf, Garriolam, et en fief du seigneur d'Issoudun, Sivray et Coudroie. (Cartul. de Phil.-Auguste, MS. 8408, p. 65). Il fut père de : Gautier, dont l'article suit.

VII. Noble homme GAUTIER, seigneur de Charost, IIIe du nom, qui se désista, en 4239, d'une demande qu'il avait formée contre les religieux de la Prée. (Arch. de l'Indre, tit. de la Prée, n° 6).

Nous voyons encore le noble homme Gautier de Charost, chevalier, seigneur de Charost, donner, en 1242, aux mêmes religieux de la Prée , tous les fruits et revenus qu'ils avaient perçus jusque-là sur la dîme de vin et blé de Charost, et abandonner toutes les prétentions qu'il pouvait élever contre eux à ce sujet. (Tit. de la Prée, n° 6). Il eut pour enfants : 4. Gautier, dont l'article suit ; 2. Marguerite, vivante en 1266.

VIII. GAUTIER, IVe du nom, chevalier, seigneur de Charost (de Karrofio), transigea en 1266 avec sa soeur Marguerite, qui prétendait avoir sa portion dans tous les biens de leur père et mère, ainsi que dans les acquêts de leur communauté. Il lui délaissa la maison de Cigneio, avec ses dépendances, et, de proche en proche, la valeur du quart de toute la terre et de l'hérédité paternelles et des acquêts que ledit Gautier possédait, non compris la forteresse du château de Chârost, ses fossés, tous ses fiefs, quelle que fût leur situation, sa maison située à Bourges, et la dot de leur mère. (Rég. Olim. du Parlement, publiés par le comte Beugnot, t. Ier, p. 647).

Noble homme Gautier, seigneur de Charost, chevalier, ayant manqué, pendant plusieurs années, à payer aux religieux d'Issoudun une rente de deux muids (288 boisseaux) de blé et de cinq muids de vin, à la mesure de Charost, sur les dîmes de Cochet, paroisse de Plon, que Gautier, seigneur de Charost, damoiseau (4), dont il était fils et héritier, avait donnée auxdits religieux, s'engagea à leur payer dorénavant cette redevance, par acte daté du jeudi avant la Toussaint,, 1272. ( Arch. de l'Indre, Tit. de la Prée, n°7).

Gautier donna aussi en 4274, à l'abbaye de Loroy, le droit d'usage qu'il

(1) La qualification de damoiseau (domicellus) servait à désigner les jeunes gentilshommes. La donation faite par Gautier III aux religieux d'Issoudun est donc antérieure à l'an 1242, époque où nous avons vu qu'il prenait le titre de chevalier.

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avait en certaines prairies sut la rivière d'Arnon. ( La Thaum., p. 729 ), et fut présent, la même année, avec Guillaume, seigneur de Linières, à un compromis que la dame de Janvarennes, veuve de Geoffroy de Beauvillier, chevalier, passa avec Humbaud d'Arthenay, aussi chevalier, au sujet de certains hommes serfs que ce dernier avait achetés de Guillaume Bigonneaux, chanoine d'Issoudun. (Généal. de Beauvillier). Il fut père de :

1. Gautier, qui continua la postérité ;

2. Autres fils, dont les noms sont inconnus, et qui vivaient en 1282. XI. GAUTIER, Ve du nom, seigneur de Charost, n'était encore que damoiseau lorsqu'il ratifia, comme seigneur féodal, l'échange fait entre les religieux d'Issoudun et Philippe Tabou, damoiseau, de certains terrages et dîmes en la paroisse de Sainte-Thorette, contre d'autres revenus légués auxdits religieux par feu Gautier, seigneur de Charost, l'an 1277. (Arch. de l'Indre, Tit. de l'abbaye d'Issoudun, liasse n° 3).

Par un autre acte daté de jeudi après la quinzaine de la Purification, l'an 1282, scellé de son sceau (disparu), ledit Gautier, seigneur de Charost, notifia qu'il s'était désisté, tant en son nom qu'au nom de ses frères, en faveur des religieux de la Prée, de toutes les demandes et actions qu'ils étaient en droit d'intenter contre ceux-ci ; tant du chef de feu de bonne mémoire Gautier, seigneur de Charost, leur père, que du leur. (Tit. de l'abbaye de la Prée, n° 6 ).

Suivant dom Estiennot qui fait mention de cette transaction dans ses Annales Bénédictines, le sceau de Gautier, seigneur de Charost, représentait un echiqueté.

Ce dernier transigea avec le chapitre de Bourges l'an 1284. (La Thaum., p. 729), et est qualifié noble homme Gautier, seigneur de Charost, chevalier, dans un accord entre lui et les religieux d'Issoudun au sujet de terres contiguës qu'ils possédaient à Concisein, et daté du mardi avant la St-Michel 4285. (Tit. de l'abbaye d'Issoudun, n°2).

Enfin, nous voyons les arrières-fiefs tenus par messire Gautier de Charost de Mme Jeanne, comtesse de Bar, compris dans la procuration qu'elle donna, en 1296, pour rendre l'aveu qu'elle devait au comte de Nevers. (Cartul. du Nivernais). Nous croyons qu'il fut père de : (1).

X. GAUTIER , VIe du nom , seigneur de Charost, qui se qualifiait encore damoiseau, lorsqu'il partagea avec Jacques de Montfleury, moine de l'abbaye de la Prée, et procureur des autres religieux, les enfants de défunte

(1) La Thaumassière confond en un seul et même personnage Gautier III, Gautier IV et Gautier V.


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Eramburge, dite la Dadone, femme serve, commune entre ledit Gautier et les religieux, par acte du dimanche avant la Nativité de Saint-Jean-Baptiste 1306. (Tit. de la Prée, n° 6).

Il se qualifiait, en 1318, noble homme monseigneur Gauthier, sire de Charost, en Berry. ( Généal. imp. de la maison de Menou, in-4°, p. 47), et obtenait, le 28 mars 1320, contre les habitants de Charost, un arrêt touchant plusieurs droits seigneuriaux. ( Catherinot, Annales thémistiques de Berry, p. 2).

On trouve encore Gautier, seigneur de Charost, dénommé dans un grand rouleau de parchemin intitulé : « Transcription de l'échange fait entre le roi Philippe, d'une part, et Henry, seigneur de Seuly, bouteiller de France, de l'autre, en octobre 4332, des seigneuries de Chastel-Regnard et Dun-leRoi, » comme possédant un arrière-fief desdites seigneuries, ainsi que nobles hommes le comte de Roucy, seigneur de Courcantant, M. Rougier de Charroz, seigneur de Breuille, M. Jean de la Chaussée, seigneur de Maubranches, tous feaux, lesquels ont témoigné tenir en fief, savoir : le seigneur de Roucy, le château de Courcantant, valant 250 livres tournois, et le seigneur de Charroz, le chastel de Charroz, estimé 800 livres de rente. (Waroquier, Tabl. généal., t. IV).

Gautier, seigneur de Charost, s'était plaint à l'abbé de Sainte-Marie d'Issoudun que cinq vicairies perpétuelles, fondées par ses prédécesseurs tant au prieuré que dans les églises de Charost (1), et à la collation dudit abbé, n'étaient point régulièrement desservies, et que ceux qui en étaient pourvus, au lieu de s'astreindre à la résidence, ainsi qu'ils y étaient obligés, s'absentaient continuellement, à la grande souffrance du culte divin et, par conséquent, au mépris des intentions des fondateurs. Il obtint que ces vicairies seraient, dorénavant, desservies à l'exclusion des personnes séculières, par des moines de l'abbaye d'Issoudun, qui résideraient à Charost, et seraient révocables à volonté, et en échange des prestations qu'il fournissait chaque année auxdits vicaires, il abandonna à l'abbaye des dîmes, terres, prés, vignes et bois, pour leur en tenir lieu. En outre, il exempta les religieux, leurs hommes et leurs serviteurs, de sa juridiction, excepté dans les cas d'homicide, de vol et de rapt, pour lesquels ils ne pourraient être cités que par-devant son bailli, à son assise. Il leur permit aussi de prendre, chaque année, dans ses bois, six grosses bêtes sauvages, et s'interdit le droit de faire ériger des fourches et une potence, et de faire faire aucune exécution sur le territoire des religieux, par lettres datées de Mazières

(1) Il y avait autrefois à Charost deux églises : l'une proche le château, a été ruinée pendant les guerres de religion ; l'autre, paroissiale, existe encore, et est remarquable par l'élévation de ses murs sans piliers.


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(métairie appartenante à ceux-ci), le dimanche après la Nativité de SaintJean-Baptiste, l'an 4333. ( Tit. de la Prée, n° 7).

Gautier, seigneur de Charost, avait épousé Marguerite de Chauvigny, qui était sa veuve en 1343. Elle était fille non point, comme le dit La Thaumassière, de Raoul de Chauvigny, seigneur de Souastre ou Souaire (Hist. de Berry, pp. 582 et 729), mais bien de Philippe de Chauvigny, seigneur de Levroux, St-Chartier, etc., et de Blanche de Beaujeu (mariés en 4290), fille de Louis de Beaujeu, seigneur de Montferrand, et de Marguerite de Bomez (Bomiers). Marguerite de Chauvigny n'existait plus en 4348. ( Rec. des MS. de Du Chesne, t. 120 p. 287 ; — Gén. de Chauvigny ).

De ce mariage sont issus, suivant La Thaumassière : 4. Pierre, dont l'article suit ;

2. Jeanne, épouse d'Anseau d'Ambroise, chevalier du roi;

3. Robert, que nous mentionnerons après la postérité de Pierre ;

4. Jean. Peut-être ce dernier est-il le même qu'un Jean, dit Grison de Charost, damoiseau, qui vendit, en 1349, aux religieux d'Issoudun, un arpent de pré sur l'Arnon, moyennant 14 livres tournois, et l'obligation de célébrer annuellement une messe du Saint-Esprit durant la vie du vendeur, et une messe des morts, après son décès, au jour de son anniversaire. (Arch. de l'Indre, Tit. de l'abb. d'Issoudun, n°47 ) ;

5. Aymes de Charost qui plaidait au Parlement avec ses frères et soeur, l'an 4343. (La Thaum., ibid.). Il semble avoir été le même qu'un Aimon de Charost, écuyer, qui fit don, en 1347, à Jean de Chauvigny, seigneur de Levroux, son oncle, « de tout le droit et action qui lui compétait en toute la terre d'Auvergne, de Montpensier et d'Aigueperse, du chef de feue dame Blanche de Beaujeu, dame de Levroux. (Recueil des MS. de Du Chesne, ibid. ).

Aymes ou Aimon de Charost dût mourir sans postérité. Nous croyons, contrairement à l'assertion de La Thaumassière, que lui seul, entre les enfants de Gautier VI, avait pour mère Marguerite de Chauvigny, et que les quatre autres étaient issus d'une première femme, restée inconnue. En effet, ce furent ceux de Blanche de Chauvigny, soeur puînée de Marguerite, et femme de Guy le Bouteiller, seigneur d'Ermenonville, qui recueillirent seuls, l'opulente succession d'André de Chauvigny, leur cousin-germain, seigneur de Levroux, St-Chartier, Villedieu, et de nombre d'autres terres, décédé en 1362, sans postérité. Ne devonsnous pas en conclure que celle de Marguerite de Chauvigny était alors éteinte, et que les membres de la maison de Charost, encore existants, lui étaient étrangers ?

XI. PIERRE, seigneur de Charost, aumôna aux Augustins de Bourges, selon La Thaumassière, huit sextiers de blé sur les dîmes de Ste-Thorette,


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à la charge de quelques services, et pourrait avoir été le même qu'un Pierre, seigneur de Charroux (nom que recevait encore fréquemment, aux XIVe et XVe siècles, la terre de Charost), lequel épousa, vers 4320 ou 4330, Jeanne de Fontenay, dame d'Humbligny, fille de Pierre, baron de Fontenay, bailli de Touraine, et de Jeanne de Meaulse, sa première femme. (La Thaum., p. 744). Pierre de Charost aurait eu pour fils, suivant le même historien :

XII. GAUTIER, VIIe du nom, seigneur de Charost, qui amortit la rente légué par son père aux Augustins de Bourges, l'an 1363 (La Thaumas., p. 730 ), date erronée, car nous voyons :

XIII. ROBERT DE CHAROST, seigneur dudit lieu, fils de feu Gautier, seigneur de Charost, sous la tutelle de noble homme, Pierre de Charost, lequel, au nom de son pupille, s'accorda avec les religieux d'Issoudun et les frères mendiants de l'ordre de St-Augustin, à Bourges, le mardi après la St-Hilaire 1353, au sujet d'une donation de six sextiers de froment, sur la dîme de Sainte-Thorette, que ledit Gautier de Charost avait légués à ces derniers pour son anniversaire. (Arch. de l'Indre, Tit. de l'abb. d'Issoudun, n° 3 ).

Nous croyons que Robert, seigneur de Charost, mourut jeune et sans alliance et qu'il ne pût avoir pour fille, ainsi que le prétend La Thaumassière, Isabelle de Charost, que nous verrons mariée avec Eudes de Culant dès l'an 1369.

XI. ROBERT DE CHAROST (fils puîné de Gautier, VIe du nom), et sept écuyers de sa compagnie, venus de Charros à Thun, servaient en l'ost de Bovines, en 1340. (Bibl. imp., MS. Etat des maisons des rois et reines deFrance).

Nous voyons encore Robert de Charros, écuyer, donner quittance à Jehan Chauvel, trésorier des guerres, de 67 livres 10 sous tournois, sur ses gages et ceux des gendarmes de sa compagnie, servant aux présentes guerres, à Paris, le 47 août 4355, sous son sceau représentant un echiqueté. (MS. de Gaignières, t. 784, p. 244 ).

Ce fut, vraisemblablement, ce Robert de Charost qui fut père de :

XII. ISABELLE DE CHAROST, dame de Charost, pour moitié, sans doute par succession de Robert, seigneur dudit lieu, son neveu breton. Elle était mariée, en 4369, avec Eudes, seigneur de Culant et de Châteauneuf-surCher, qui rendit aveu, au due de Berry, en 4380, pour le château de FontMoreau avec sa justice, mouvant du château d'Issoudun, et pour moitié de la terre de Charroz, partante par indivis avec le seigneur dudit lieu.

( Arch. du Cher, Etat des fiefs de Berry, 1380 ). Eudes de Culant, veuf de dame Isabelle de Charost, et tuteur de Gilbert


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de Culant, damoiseau, leur fils unique, s'accorda, par acte daté du lundi après la St-Martin d'été, 43.., avec les religieux de Sainte-Marie d'Issoudun, au sujet de certaines garanties que ceux-ci avaient reçues jadis des seigneurs de Charost, dont ladite Isabelle, tant par le moyen de son père que de ses devanciers était héritière pour moitié, garantie relative à une redevance d'un muid de blé, mesure de Charost, qui était dûe aux frères de l'Orme-Thiaud (4) sur la dîme de Changy. (Arch. de l'Indre, abb. d'Issoudun, liasse n° 4 ).

Gilbert de Culant, fils unique d'Isabelle de Charost, mourut jeune, peu après l'année 4384, mais l'ancienne et noble maison de Charost ne prit point fin en sa personne, ainsi que l'avance La Thaumassière, car nous voyons, à cette époque,

JEANNE DE CHAROST en possession de l'autre moitié de la seigneurie de Charost. Elle était probablement fille de Jean, fils puîné lui-même, de Gautier VI, et avait pu succéder, concurremment avec Isabelle de Charost, sa cousine germaine présumée, à Robert, dernier du nom, leur neveu breton. Toujours est-il qu'elle était mariée, en 1366, avec Regnaud de Graçay, seigneur de Graçay, Savigny, l'Isle et la Ferté-Nabert, et qu'ils vivaient en 1372. (Trésor généal. de dom Villév. MS.)

Elle contracta une seconde alliance avec noble homme messire Jean de Vendosme, chevalier, qualifié seigneur de Charroz à cause de dame Jeanne de Charroz, sa femme , dans un dénombrement qu'il fournit, en 4380, au duc de Berry, pour son chastel et chastellenie de Charroz, avec justice haute, moyenne et basse, et dont étaient vassaux : Gauchier de Passac, les hoirs de feu Henri Sathenat de Mehun ; Jehan Chevrier, clerc, demeurant à Issoudun; noble homme Jehan de Charroz, clerc, demeurant à Issoudun; Jehanne de Clamecy. veuve d'André du Monstier; Pierre de Ceris; Jacques Trousseau. (Arch. du Cher, Etat des fiefs du Berry, 1380 ).

Jeen de Vendosme est qualifié après sa mort, par Marie de Vendosme, sa fille : chevalier, seigneur de Villefranque en Albigeois , et de Charros en Berry.

Peut-être sa femme est-elle la même qu'une Jeanne de Charost, femme de Jean de Menou, seigneur de, Menou et de Montgobert, alors veuf de Perroiche de La Ferté. Elle fournit un dénombrement à la baronie de Châteauneuf en Thimerais pour les fiefs de Ferrières et de Menou, le 10 juillet 4398. (Tit. de la m. de Menou).

Du mariage de Jeanne de Charost, dame dudit lieu, avec Jean de Vendosme, chevalier, seigneur de Villefranque, son second mari, sont issus : 1. Pierre de Vendosme, qualifié noble homme, écuyer, seigneur de

(1) Vulgo : Lormeteau, commanderie de l'ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem.


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Charost, lequel, étant en foi et hommage de ladite terre, transigea avec les religieux de N.-D. d'Issoudun, au sujet de la redevance d'un muid de blé, mesure d'Issoudun, qui leur était dû sur Charost, et que ledit écuyer leur reconnut par acte du 24 juillet 4404. (Tit. de l'abb. de la Prée, n° 7). II avait été assigné à la requête desdits religieux, dès l'an 4402 (ibid.), et se qualifiait chevalier, seigneur de Charost, en 4406.

Le père Anselme le qualifie seigneur de Segré, et le fait, à tort, fils de Pierre de Vendosme, seigneur de Segré et de Nesle, et de Jeanne de Cheze. (Gr.-offic. de la couronne, t. IV, p. 30).

2. Marie de Vendosme qui épousa, vers 4400, Jean Brachet, chevalier, seigneur de Pérusse, de Montaigu et de Salagnac, en Marche, d'une ancienne, famille originaire de cette province (1). Elle est qualifiée dame de Charros dans un acte du 6 mai 1432, par lequel elle abandonne au prieur de Dames-Saintes une place qui avait été le sujet d'un débat entre ce dernier et feu Jehan de Vendosme, chevalier, seigneur de Villefranque, et madame Jehanne de Charros, ses père et mère, lesquels soutenaient que ladite place, située en la ville de Charros, faisait partie des dépendances du chastel. (Arch. de l'Indre, Tit. du prieuré de DamesSaintes, liasse 2; — Tit. de l'abb. de la Vernusse, liasse 2).

Du mariage de Marie de Vendosme avec Jean Brachet est issue une très nombreuse postérité.

On trouvera la suite des seigneurs de Charost dans les généalogies des maisons de Brachet, de Rochechouard, de Chabot et de Béthune.

(1) Cette famille est étrangère à celle du même nom, originaire de Blois, et répandue en Orléanais.



OBSERVATIONS HISTORIQUES

SUR

LA VILLE DE SANCERRE

PAR M. CHAVAUDRET,

MEMBRE CORRESPONDANT.



Dans un travail qu'a récemment publié la Société du Berry, et parmi d'autres assertions plus ou moins hasardées, et qui pourront trouver ailleurs leur examen et leur réfutation, M. Gemahling, s'appuyant de l'autorité de, La Thaumassière et de M. Raynal, a contesté à la ville de Sancerre l'antiquité de son origine. Il s'exprime en ces termes :

« Le Château-Gordon était un camp retranché, établi par les Romains, sur la Loire, non loin de la montagne où fut bâti Sancerre dans les siècles qui suivirent (1). »

Or voici ce que dit M. Raynal à ce sujet :

« Ainsi des villes nouvelles, Châteauroux, Saint-Amand, Sancerre, se forment autour de simples manoirs féodaux (2). »

Ces assertions m'ont engagé à vérifier en outre le sentiment de La Thaumassière sur la fondation de Sancerre, et ce qu'il a écrit à ce sujet ne m'a pas paru moins sujet à critique que ce qu'on a répété après lui. Ce sont ces différentes opinions que j'entreprends de réfuter.

J'ai tenu particulièrement à approfondir la question de savoir si Sancerre fut une colonie de Saxons ; si son vrai nom, comme l'affirme La Thaumas(1)

Thaumas(1) archéologique relative au Château-Gordon, près Sancerre, et à la place Gordaine de Bourges, dans le Compte-rendu des travaux de la SOCIÉTÉ DU BERRY, 1856-57, p. 246 et suiv.

(2) Histoire du Berry., tome 1er, p. 103.


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sière, était Vicus Saxiacus, et s'il est constant que celui de Sacrum Coesaris a été inventé par le poète Philippe Le Breton. Je crois avoir élucidé, sinon résolu ces trois questions, qui m'ont entraîné naturellement à en toucher d'autres sur lesquelles on est loin d'être d'accord.

Pour revenir après tant d'autres sur l'origine de Sancerre, il faut, pensera-t-on, que je sois mieux renseigné que nos devanciers , que j'apporte quelques indices qui. leur aient échappé. A la vérité, ce que j'offre en ce sens est peu de chose, et en partie hypothétique ; mais les hypothèses que j'émets acquièrent un certain degré d'autorité par la découverte d'une bourgade gallo-romaine à Saint-Satur et des fragments de même origine à Sancerre, que je vais décrire. Si ces ruines eussent été connues lorsque La Thaumassière et M. Raynal écrivaient, j'ai la confiance qu'ils auraient modifié leur opinion sur l'existence moderne de Sancerre.

A défaut de monuments écrits et de traditions respectables, je ne me suis pas laissé entraîner par des suppositions chimériques, pente sur laquelle glisse avec tant de satisfaction, et sans s'en apercevoir, l'auteur qui parle de son pays. Je suis resté dans les présomptions que peut autoriser le plus directement une critique approfondie et impartiale des documents malheureusement peu nombreux que j'avais à ma disposition.

CHAPITRE PREMIER.

Nous examinerons d'abord l'opinion des auteurs sur l'origine de Sancerre, puis la question de savoir si Sancerre est une colonie de Saxons ? Enfin ce que rapporte la tradition sur la fondation de cette ville.

§ Ier. — OPINION DES AUTEURS SUR L'ORIGINE DE SANCERRE.

Tous les auteurs qui ont écrit sur Sancerre reconnaissent que la tradition attribue à; Jules-César la fondation de cette ville, mais ils rejettent cette tradition, comme n'étant appuyée sur aucune preuve. Jean de Léry, dans son Journal du siége de Sancerre, suppose qu'elle a été bâtie pendant la guerre des Bourguignons, mais il ne dit pas sur quoi il base son sentiment. L'abbé Poupard (page 6, édition de 1838 ) assure que l'opinion de Jean de Léry n'est pas éloignée de la vérité, toutefois, il cherche plusieurs suppositions pour s'expliquer le Sacrum Coesaris. « Cependant, dit-il


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(page 40), les noms de Porte César, de Sacrum Coesaris, qui se lisent dans les Chartes du XIe siècle, m'ont toujours frappé et je ne vois personne qui en ait cherché l'origine. » M. Malfuson n'ose pas se prononcer sur ce point. M. Raynal se contente de citer ironiquement la tradition du XIIe siècle, sans l'adopter ni la repousser (t. 1er, p. 547). Quant à La Thaumassière, il prétend que Sancerre doit son existence aux Saxons, et cette croyance a été presque généralement admise, excepté par M. Raynal qui suppose qu'on n'y croit plus. Cette opinion si laconiquement exprimée nous paraît insuffisante pour réfuter l'opinion d'un écrivain aussi considérable que La Thaumassière. M. Raynal a fait aussi une histoire du Berry qui a du mérite; c'est de l'or travaillé avec talent, mais la mine et le lingot sont dans La Thaumassière.

Nous n'avons rien à répliquer à Jean de Léry et à l'abbé Poupard, puisqu'ils n'émettent qu'une supposition, qu'ils n'ont pas même motivée, mais nous croyons utile d'examiner sérieusement, et d'approfondir une bonne fois si réellement Sancerre doit son origine à une colonie de Saxons.

Il résulte des recherches et du travail auxquels nous nous sommes livré, que nous pouvons répondre hardiment : Non, il n'y eut point de Saxons colonisés en Aquitaine, ni même en France, la raison et les lois de la guerre s'y opposaient, et l'histoire l'affirme positivement.

En premier lieu, Charlemagne était trop grand politique trop bon administrateur, pour commettre l'imprudence de placer au coeur de ses états des colonies d'hommes à demi sauvages, qu'il avait toujours vaincus et châtiés depuis trente-trois ans, sans avoir pu les soumettre ; des hommes qui étaient encore aigris par leur transportation dans un pays étranger, inconnu et hostile. Les mettre par masses, c'était entretenir parmi eux l'esprit d'indépendance et de révolte, c'était s'exposer de leur part à des soulèvements perpétuels, à voir la tranquillité de certaines provinces perpétuellement compromise, ou bien, il aurait fallu garnisonner chaque colonie.

D'autre part, sous Charlemagne, les lois, usages et coutumes des Romains, en ce qui concerne la guerre, existaient encore dans toute leur force. On ne faisait pas de prisonniers, comme nous l'entendons aujourd'hui, les hommes pris à la guerre étaient réduits en servitude (4), et ça été le droit

(1) Vercingetorix, afin de prouver la nécessité de brûler les villes pour se défendre contre César, leur dit : Haec si gravia, aut acerba videantur, multò illa graviùs existimare debere, liberos, conjuges in servitutem abstrahi, ipsos interfeci ; quoe sit necesse accidere victis. ( Com. de César, I. VII, c. 14), L'histoire de tous les siècles et de tous les peuples attestent ce fait. César fit vendre un million de prisonniers, sans compter les femmes et les enfants. Plutarque dit la même chose, ainsi qu'Appien et.d'autres auteurs de l'antiquité, Pline, Paterculus, etc.


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public de tous les peuples de l'antiquité et du moyen-âge, droit qui existait encore sous les derniers Valois. Seulement, vers la fin, les nobles et les gentilshommes étaient mis à rançon et pouvaient ainsi se racheter ; s'ils étaient pauvres, ils restaient en prison toute leur vie, à moins que leurs vainqueurs, ennuyés de les nourrir, ne se décidassent à s'en débarrasser d'une autre' façon.

Les Saxons vaincus tant de fois, et enfin transportés hors de leur pays, ne durent pas être traités comme des hommes libres, ce qui aurait eu lieu cependant, si l'on en eût formé des colonies.

Ils furent soumis au servage, comme tous les peuples pris à la guerre et dispersés en France. Or, ce qu'on appelait alors la France, était borné au sud et à l'ouest par la Loire. Elle comprenait la Germanie, la Hollande, la Belgique, l'Helvétie, etc., etc. Au-delà de la Loire était l'Aquitaine sur la rive gauche du fleuve. L'Aquitaine, dont a toujours dépendu le Berry, fut constamment un état distinct, avant, pendant et après le règne de Charlemagne (1). Nous disons : pendant son règne , car ce prince la donna à son fils Louis à titre de royaume (2).

(1) En 1102, la vicomte de Bourges n'était pas encore considérée comme faisant partie de la France. On va en France quand on passe la Loire. On appelle Français dans une charte de Philippe Ier, de l'an 1102, les chevaliers qui accompagnaient le roi à Bourges par opposition aux chevaliers du Berry. Cette charte se termine ainsi: ..... Interfuit, Teduinus abbas sancti Sulpitii. Hugo archidiaconus. Sarlo Felix. Sulpitius de Concucarlo. Stephanus Crassacurtis. Odo dapifer. Ebdo. Robertus Galcherius. Interfuere, de palatio nostro, Françigenoe Groslaus Carnotensis, etc.— (Labbe, t. 1, p. 199. —Raynal, t. 1, p. 4 et 5).

Les nobles du Berry Aquitain vinrent prier Louis-le-Gros, en 1108, de les délivrer de Humbaud, seigneur de Sainte-Sévère, qui désolait toute la contrée par ses brigandages et ses pillages. Le roi marcha contre lui avec une troupe d'élite. Comme il approchait de Sainte-Sévère, Humbaud vint à sa rencontre avec un grand nombre de gens armés : il avait eu soin de défendre par de fortes barrières et des pieux un gué que les Français devaient nécessairement traverser, etc., etc. ... Rivumque quemdam repagulis et palis proeponens (nulla enim alia succedebat via) exercitui Francorum resistit.—(Mabillon, Ann. Bened. v, 528.—-Raynal, t. 2, p. 5 et 6).

Dans une charte de 1241, donnée à l'occasion de Menelou-Salon, Louis VII prend le titre de rex Francorum et dux Aquitanorum. — (Cartul. de Saint-Sulpice, n° 49).

En 1412, le duc de Bourgogne assiégeant Bourges, fut obligé de changer son camp pour l'établir dans un territoire mieux approvisionné. « Ce fut une grande joie dans » la ville : on crut que les Bourguignons retournaient en France, c'est-à-dire audelà de la Loire. — ( Raynal, t. 2, p. 476 ).

(2) Voir Eginhard. — Histoire de Charlemagne, par Roy. — Les diverses histoires du moyen-âge, principalement celles citées ci-dessus, — Les atlas à l'appui : Lesage, Morin, Bineteau, et surtout Victor Duray, Carte de la France carlovingienne, etc.


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Demandons maintenant à l'histoire la preuve de ce que nous venons d'avancer au sujet de la dispersion des Saxons.

« Il est peu probable, dit M. Raynal, que Charlemagne ait choisi l'Aqui» taine, à peiné soumise , pour y placer des ennemis, même vaincus, et » d'ailleurs la plupart des chroniqueurs disent que Charlemagne dispersa » les Saxons en France (in Franciam), or à cette époque le Berry ne fai» sait pas partie du pays appelé Francia (4). — Les Saxons, devenus chré» tiens, se révoltèrent de nouveau contre Charlemagne qui, après en avoir » fait massacrer 4,500, pour servir d'exemple, fut obligé de les disperser » et d'en faire passer en France environ 40,000 avec leurs familles (2).— » Il força un tiers de la population de la Saxe, en état de porter les armes, » de quitter la Saxe, il la transplanta et la dispersa dans différentes con» trées de ses vastes Etats (3).— Charlemagne ne parvint à dompter le » peuple féroce des Saxons qu'après 33 ans de guerre et en en transportant » dans les Flandres et d'autres contrées plusieurs milliers de familles (4). » La diète de Salz, tenue en 803, avait reçu les derniers serments des » Saxons et ordonné la dispersion de 10,000 familles (5). — Charlemagne, » suivant l'exemple des plus habiles conquérants de l'antiquité, transporta » en Belgique et en Helvétie 10,000 guerriers de la Saxe, établit en Gaule » quelques chefs de la nation vaincue (6). »

Enfin Eginhard et La Thaumassière lui-même, disent positivement que les Saxons furent dispersés en France et en Allemagne (7).

On peut dire que tous les historiens sont unanimes pour se servir du terme dispersés, et quelques-uns nous indiquent positivement les provinces qui reçurent les transportés ; et, à part les considérations générales que nous avons exposées ci-dessus, relativement au danger qu'il y aurait eu de laisser les Saxons par masses, nous dirons que le mot dispersé repousse toute idée d'agglomération et partant de colonisation.

Ces 40,000 familles augmentèrent les serfs du prince et des grands feudataires de l'empire. On n'exempta de cette dure condition qu'un très petit nombre de chefs qui s'étaient soumis, avaient prêté serment et consenti à recevoir le baptême, mais l'empereur leur imposa les règlements les plus impitoyables ; la peine de mort contre eux est prodiguée dans les capitulaires. Lorsque le coupable était noble et riche, il pouvait se racheter en

(1) Raynal, Histoire du Berry.

(2) Abbé Gautier, Leçons chronologiques d'histoire.

(3) Roy, Histoire de Charlemagne.

(4) Lefranc, Histoire du Moyen-Age.

(5) Des Michels, Histoire du Moyen-Age.

(6) Cayx, Histoire du Moyen-Age.

(7) La Th., Histoire de Berry, chap. VI.


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payant une forte amende ; s'il était noble et pauvre, il devenait serf de l'église (4).

Ainsi donc pour nous résumer nous dirons :

Il est certain que les Saxons furent dispersés, donc ils ne furent pas colonisés.

Il est également certain qu'ils furent disséminés dans les Flandres et l'Helvétie, à l'exception de quelques chefs établis en Gaule, et qu'il n'y en eut jamais en Aquitaine. Donc Sancerre ne peut être une colonie de Saxons.

§ II. — TRADITION SUR LA FONDATION DE SANCERRE.

Si nous laissons de côté les documents écrits pour écouter la tradition, voici' ce que nous y recueillerons :

César, après la prise de Nevers, suivant le cours de la Loire, vint bâtir une ville sur une montagne pour y déposer ses dieux ; et les Romaïns appelèrent la nouvelle ville Sacrum Coesaris (2).

Nous n'avons aucun monument matériel ou écrit de l'antiquité qui vienne appuyer cette tradition, elle n'a pour elle que de se perdre dans la nuit du passé, et de nous avoir été transmise, constante, invariable, par les temps qui ont précédé la nôtre. Si elle a été constatée par écrit, ce ne fut que dans le cours du XIIe siècle, par un chroniqueur étranger à Sancerre, et qui n'avait aucun intérêt à la recueillir (3). D'ailleurs, l'époque où cette tradition a été écrite n'a rien qui puisse surprendre, car il ne faut pas perdre de vue que c'est dans les Xe, XIe et XIIe siècles qu'on a consigné par écrit une multitude de faits transmis par la tradition surtout dans notre Berry. Un grand nombre de légendes de saints, qui ont vécu en Gaule dans les premiers siècles de l'église, ne datent évidemment, par l'écriture et le style, que de cette époque.

Depuis la découverte d'une bourgade gallo-romaine à Saint-Satur, notre tradition a acquis un grand degré de vraisemblance, nous dirons même

(1) Capitulaires de Charlemagne : Capitulatio de partibus Saxonioe.

(2) Nivernensi urbe captâ, Coesar, secus ripas Ligeris equitans, in quodam monte, oppidum firmavit, ibique simulacra omnium idolorum suorum, quae secum gerebat, posuit, quod oppidum Romani Sacrum Caesaris vocaverunt. — Lib. de Cast. Amb. spicil. Édition 1723, III, 266. —V. Valois , Not. Gall. V°, Sacrum Coesaris. Nous rappelons ici que oppidum dans César ne signifie pas toujours ville habitée ; c'est souvent une enceinte fortifiée, un lieu de refuge en temps de guerre.

(3) La plupart des géographes, anciens et nouveaux, font figurer Sancerre sur les cartes de l'antique Gaule.—Philippe, Monin-Duruy. C'est déjà de leur part, une conviction morale, mais nous ne voulons en tirer aucune conséquence.


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d'autorité ; soit que César ait commencé la fondation d'une ville, soit qu'il n'ait relevé qu'une ville détruite.

Dans tous les cas, il est impossible d'admettre, que les Romains aient séjourné trois siècles et demi à Saint-Satur (ce que prouvent les sept à huit mille médailles qu'on y a trouvées en 1856). Sans avoir occupé la montagne de Sancerre, qui dominait tous leurs établissements, et sans qu'il s'y soit formé une population à la suite d'un camp permanent (Castra stativa) qui a dû y être placé, pour retenir le pays dans l'obéissance, commander le cours du fleuve, et veiller sur l'une des principales routes conduisant à Bourges (4). Aussi frappé de la même idée, Maltebrun n'a-t-il pu s'empêcher d'écrire : « Sancerre, grâce à sa position naturellement » fortifiée, dût être de bonne heure habitée. »

D'après tout ce qu'il a été trouvé dans les ruines de Saint-Satur, il est évident que la ville ou bourgade qui existait en ce lieu était exclusivement gallo-romaine. Il n'a rien été trouvé de contraire à cette opinion. On peut examiner les substructions nombreuses qui sont restées au jour jusqu'à ce moment, on se convaincra qu'elles sont exclusivement en maçonnerie romaine. Elle n'a pu, en conséquence, se former qu'après la conquête, se développer et subsister que sous la protection d'une force militaire permanente ; or, la raison veut que stratégiquement cette force ait été placée sur la montagne, d'ailleurs, on sait que tous les camps romains étaient assis sur des lieux élevés, surtout les camps permanents.

Celui de Sancerre pouvait correspondre, par des signaux de feu, pendant la nuit, avec le camp d'Humbligny, et ce dernier avec Bourges, dont aujourd'hui encore la cathédrale s'aperçoit de la route départementale N° 2, au-dessus de la montagne d'Epignol, près le moulin à vent d'Humbligny. Au moyen de ces camps César maintenait les vaincus, assurait ses communications avec la Loire, avec la grande voie placée sur la rive droite de ce fleuve, enfin, avec les Boïens et les Eduens, ses alliés, qui devaient lui fournir des vivres. La forte position de Sancerre était si importante pour les belligérants que M. Raynal est forcé de reconnaître qu'elle a dû

(1) (Copioe) cum ad flumen Ligeris vernissent, quod Bituriges ab OEduis dividit. (Com. liv. VII, chap. V.)(Coesar) ab oppido Bibracte proficiscitur ad Legionem XIII quam non longè à finibus OEduorum, collocaverat in finibus Biturigum , eique adjungit Legionem XI quae proxima fuerat. (Com. liv. VIII, chap. II).

A portée de ces grandes lignes de communication se trouvaient sur quelques points des camps fortifiés par de larges fossés et des retranchements en terre. Quelques-uns étaient des stations permanentes, castra stativa, qui ont pu donner naissance à des villes et à des bourgades. (Raynal, t. Ier, p. 101).

Pour ce qui est des routes , voir sur la carte du pays des Bituriges la voie conduisant d'Avaricum à la Loire.


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être occupée soit par les Normands dans leurs pillages périodiques, soit par les Bourguignons dans leurs guerres en Aquitaine , soit par la population du pays pour se défendre. Or, si les peuples, qui ne faisaient que passer, jugeaient la possession de celte montagne nécessaire au succès de leurs opérations et à leur sûreté, on doit croire que ce poste ne fut pas négligé par César, et, après lui, par les Romains, qui voulaient établir une domination permanente (4).

Ainsi, nous pensons (et cela est dans la nature des choses), que le camp et l'oppidum de César ont précédé l'établissement de Saint-Satur, qui ne paraît devoir réellement son existence qu'à l'occupation de la montagne et au reste de la population aisée et artistique d'Avaricum, qui vient s'y réfugier après la ruine de cette ville, et qui y transporta la fabrication des monnaies et des poteries (2).

Nous ferons encore remarquer qu'il y a une corrélation évidente entre le Sacrum Coesaris et la voie ou chaussée construite par César, voie qui existe encore, et reliait Sancerre à Bourges. Cette voie a bravé dix-neuf siècles d'insouciance administrative et de convoitise de la part des riverains, et nous devons à M. Meunier, préfet, d'en avoir assuré la conservation et la restauration, en la classant au nombre des chemins d'intérêt commun. Si vous niez le Sacrum Coesaris, niez aussi la voie de César, car alors elle n'a pas de raison d'être. Si vous dites que cette voie n'a été faite que pour communiquer avec la ville ou bourgade romaine de Saint-Satur, vous retombez implicitement dans la nécessité d'avoir une garnison permanente sur la montagne. La tradition écrite ne précise pas la montagne sur laquelle César fonda une ville, mais la tradition orale constante l'a toujours placée à Sancerre, et aucune autre localité n'a jamais élevé de prétentions à cet égard, les établissements de Saint-Satur corroborent cette croyance, et la voie ou chaussée Césarienne vient les confirmer.

Toutefois, je ne me dissimule pas qu'une objection spécieuse peut être tirée contre cette opinion de l'absence de monuments matériels à Sancerre, pour ce qui regarde l'époque gauloise proprement dite : malheureusement cette absence est incontestable ; mais si Sancerre n'a aucun monument qui atteste son existence avant César, elle en possède cependant assez pour établir qu'elle existait sous la domination romaine. Nous ne répéterons pas les considérations tirées du voisinage du fleuve sur lequel il devait y avoir un pont (3) ; sur la nécessité de commander la route conduisant à Bourges, afin de couvrir cette ville de ce côté ; sur la population et les établissements d'une

(1). Raynal, t. Ier, p. 347.

(2) Avaricum fut enfin prise et ruinée par les Romains, la plupart des Bituriges quittèrent le pays, qui était dévasté, et allèrent s'établir ailleurs. (Malte Brun.)

(3) En construisant le pont suspendu de St-Thibault, en 1832, on trouva dans le


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haute importance qui existaient à Saint-Satur (4 ), qu'il fallait surveiller et défendre, choses qui nécessitaient absolument l'occupation de la montagne. Nous ferons seulement remarquer que la ville de Sancerre a été plusieurs fois brûlée et ruinée de fond en comble avant le siége de 1573 (2) ; que les monuments antiques, qui pouvaient s'y trouver, ont subi la destruction commune ; que cette destruction a dû être d'autant plus complète qu'ils étaient en pierre, matière fort rare autrefois dans la ville, de nos jours encore très chère et recherchée vivement par le peuple (3). Les tours et murailles de Sancerre n'ont été renversées qu'en 1573, cependant vous ne trouveriez pas aujourd'hui la trace même des matériaux de ces formidables remparts, tandis que le quartier détruit par le canon n'est pas encore rebâti.

On voit, à Sancerre, de vastes locaux servant aujourd'hui de caves, dont les voûtes à plein ceintre peuvent.accuser une origine romaine; nous citerons particulièrement celle qui se trouve sous la maison que nous occupons. C'est une grande pièce ayant environ dix mètres de longueur, huit de large, et près de cinq sous clef. Il n'y existe ni croisées, ni soupiraux ; on ne pouvait y pénétrer que par une petite porte, existant dans un des angles, et, pour arriver à cette ouverture, il faut traverser deux autres salles. A une époque relativement récente, on a ouvert une porte sur une cour et construit un escalier, mais l'on s'aperçoit tout de suite que c'est un hors-d'oeuvre. En 1853, le propriétaire ayant eu besoin de faire creuser dans la pièce, ou cave, touchant immédiatement celle que nous venons de décrire (aujourd'hui en contre-bas comme elle), on trouva, à trois mètres environ sous le sol, une espèce de puits, bâti en pierres sèches, ayant 60 centimètres de

lit de la Loire, les fondements en brique d'une pile de pont, et il y en a d'autres certainement; on ne les a pas trouvées , parce que le nouveau pont n'est pas tout à fait dans l'axe de l'ancien. L'Allier avait des ponts sous les Gaulois, comme le rapporte César, la Loire devait en avoir aussi. — Sex legiones ipse (Coesar) in Arvernos ad oppidum Gergoviam secundùm flumen Elaver duxit, quâ re cognitâ, Vercingetorix, omnibus interruptis ejus fluminis pontibus, ab altera Elaveris parte iter facere capit. (Com. liv. VII, chap. XXXIV).

(1) Il y avait certainement, à Saint-Satur, des établissements monétaires et céramiques considérables, si l'on en juge par les quantités immenses de médailles (or, argent et bronze), les amas de briques brûlées et les fragments de poteries, qui ont été découverts. Ces établissements n'ont dû, sans doute, leur naissance qu'à la ruine d'Avaricum.

(2) Sancerre était autrefois beaucoup plus grand ; un quartier entier a disparu à l'est, il n'en reste plus que le pignon de l'église paroissiale, et quelques tombeaux dans l'ancien cimetière annexé à cette église.

(3) Il n'existe pas de pierre dure autour de Sancerre, on est obligé d'aller la prendre au loin , généralement celle qu'on emploie est tirée du Nivernais.


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diamètre, du fond duquel on rapporta quelques morceaux de braise et une tuile romaine à rebord (4). Peut-être aurait-on trouvé d'autres objets intéressants, en poursuivant les recherches ; mais on craignit de voir écrouler les parois, de compromettre la vie des ouvriers ainsi que la solidité du long pan de la maison sous lequel il aurait fallu pousser les travaux.

Quoi qu'il en soit, cette tuile est un témoin irrécusable du séjour des Romains à Sancerre, mais il n'est pas le seul. A deux kilomètres de Sancerre, au nord, au-dessus de la colline appelée la Cresle, où se bifurque le chemin de Sancerre, se dirigeant de là vers Sury-en-Vaux et SainteGemme, près du bois de Charmes, est un pré dit l'Echy, appartenant au même M. Cassier, adjoint, dans lequel on trouve des substructions et des tuiles romaines. Quoi d'étonnant ! les environs de la ville devaient être cultivés, des fermes et des habitations y étaient donc nécessaires. En 1820, M. Bertrand, qui fut juge de paix de Sancerre, il y a quelques années, ramassa, dans le parc du château, un de ces couteaux eh silex et triangulaires, qui étaient employés dans les sacrifices, mais , n'y attachant aucune importance, il ne pût me dire ce qu'il était devenu lorsque je lui en parlai.

Les puits très anciens ont une haute importance en archéologie ; il y en avait à Sancerre ayant des galeries au bas : j'en connais encore un de cette espèce, j'ignore s'il en reste d'autres. C'est ici le cas de rappeler que c'est dans un puits de Sancerre que fut trouvé, avec quelques autres, ce magnifique vase noir, qui est au musée de Bourges, et qui remonte, par sa forme et son travail, au moins à l'époque de la domination romaine dans les Gaules, s'il ne date pas de plus haut. Ces vases sortaient sans doute des poteries de Licnus, que nous supposons avoir existé à Saint-Satur (2).

C'est encore à Sancerre que fut recueilli ce fameux moule de monnaie, déposé au Musée, et qui est bien antérieur à la conquête romaine (3).

Il n'y a que fort peu d'années qu'on se livre à l'étude sérieuse de l'histoire et de l'archéologie, encore les amateurs sont-ils bien rares ; aussi,

(1) Ceci peut être attesté par beaucoup de personnes honorables , telles que MM. Bordier, juge au tribunal de Sancerre; Dumaige, médecin , Dissandes, receveur de l'enregistrement, Cassier, adjoint au Maire, et chez lequel les fouilles étaient pratiquées; par les sieurs Philippe et Coqueval, qui faisaient les fouilles; par tous les membres de ma famille, et beaucoup d'autres personnes et fonctionnaires , et enfin par moi-même.

(2) Nous possédons un fragment de vase en terre rouge, ramassé dans les ruines Romaines de Saint-Satur, sur lequel se lit cette inscription : OF LICNI OU LIGNI. (officina Licni) fabrique de Licnum si c'est un nom de lieu, de Licnus si c'est un nom d'homme.

(3) L'auteur du mémoire veut parler ici de cette moitié de moule en grès, dont M. Pierquin de Gembloux a donné le dessin dans son traité de numismatique berruyère, pl, 2. (Note de la Commission).


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dans les campagnes et les petites villes, les objets antiques ne sont prisés qu'à raison de leur valeur intrinsèque. S'ils sont en métal, on les vend pour être fondus, ils sont détruits ; s'ils sont en pierre, on les fait entrer dans la construction d'un mur (4). C'est ainsi que Sancerre, qui, de temps immémorial, n'a été habité presque exclusivement que par des vignerons, a, sans doute, vu disparaître tous les objets qui pouvaient attester son antique origine.

Qu'il nous soit encore permis de faire observer que tous les motifs de surveillance et de sûreté qui devaient faire occuper la montagne de Sancerre par les Romains, existaient également pour les Gaulois ; qu'il n'est donc pas invraisemblable qu'un détachement de soldats de ce peuple et quelque population y existassent lorsque César vint dans les Gaules. Assurément, si l'OEdiculum découvert à Sancerre et décrit par M. Pierquin de Gembloux (2) est réellement un oediculum, il doit être reporté aux siècles qui ont précédé l'ère chrétienne, et l'opinion que nous avançons comme une probabilité devient une certitude.

Mais, dit-on, César ne parle pas de Sancerre dans ses commentaires, donc cette ville n'existait pas alors.

Depuis César Sancerre s'est appelé Sacrum Coesaris, il est vrai, mais nous ignorons quel était son nom lorsqu'on lui a imposé celui du conquérant. César ne nomme pas toutes les villes de la Gaule, et parmi celles qu'il cite combien sont aujourd'hui inconnues ; or, qui osera même soutenir que le nom porté par Sancerre, avant la conquête, ne se trouve pas dans les Commentaires ? D'ailleurs, Vercingetorix ne fit-il par brûler, pour la défense commune, plus de vingt villes des Bituriges dont les noms ne sont pas parvenus jusqu'à nous ? Sancerre pouvait-être l'une d'elles, et devait l'être nécessairement si elle existait alors, pour empêcher l'ennemi de s'y cantonner, de s'y fortifier, d'en faire l'une des bases de ses opérations contre les Bituriges (3). César trouva sur cette montagne une ville

(1) En 1856, on abaissa le sol de la place Saint-Père , à Sancerre, et l'on trouva engagée, dans l'encoignure de la maison Sifflet, la moitié d'un chapiteau de colonne. On peut encore citer comme fait historique analogue celui-ci : le 5 mai 1563, les statues de l'église St-Romble, hors la ville, et qui était la paroisse, avaient été abattues ; les protestants, pour réparer une brèche au rempart, prirent les pierres de certaines tombes, et même celle qui couvrait le tombeau de St-Romble, sur laquelle on lisait: Hic jacet Dominus Romulus. (Raynal, t. IV, p. 71).

(2) Itinéraire du Voyageur dans Bourges et le département du Cher.

(3) Propterea, oppida incindi opportere quoe non munitione et loci naturâ ab omni sint periculo tuta, neu suis sint ad detrectandam militiam receptacula, neu Romanis proposita ad copiam commeatûs proedamque tollendam. (Coesar. Com. liv. VII, chap. XIV). Uno die ampliùs XX urbes Biturigum incinduntur ; hoc idem fit in reliquis civitatibus. (Id. chap. XV).


détruite, il la releva, y établit ses Dieux, fit construire la voie ou chaussée conduisant à Bourges, et ses troupes appelèrent la nouvelle ville Sacrum Coesaris, ainsi que le rapporte la tradition. Voilà ce qu'il est permis de présumer en restant dans les limites d'une sage réserve.

Ainsi donc, nous dirons que, sans craindre de commettre une erreur, on peut tenir pour certain que Sancerre existait sous la domination Romaine et peut-être avant.

CHAPITRE DEUXIÈME.

Pour être plus clair, nous diviserons ce chapitre en quatre paragraphes. Dans le premier nous examinerons ce qu'il faut penser des différents noms de Sancerre, qui se trouvent dans les vieux titres et auteurs. Dans le second, nous nous demanderons si cette ville s'appela réellement vicus Saxiacus. Dans le troisième, quels sont les noms vrais de Sancerre; et dans le dernier nous poserons la question de savoir si c'est le poète Philippe Le Breton qui a inventé le nom de Sacrum Caesaris ?

§ Ier. — DIFFÉRENTS NOMS DE SANCERRE.

Le nom de Sancerre se trouve écrit d'une manière différente, pour ainsi dire, dans chaque titre ou écrit qui n'émane pas directement de ses seigneurs; aussi les écrivains qui se sont spécialement occupés de cette ville ne manquent pas de les citer tous scrupuleusement comme lui étant propres. Nous croyons inutile de les consigner ici par les motifs suivants : Toutes ces variantes ne font pas plusieurs noms, c'est un nom plus ou moins estropié par des étrangers et des tiers qui n'en connaissaient pas l'orthographe (1). Il est donc absurde d'attribuer à la ville des noms qui ne sont que le sien défiguré.

(1) Depuis César, que de variantes a éprouvées le nom de Bourges ! Qu'on nous permette d'en exposer ici la liste : Avarich ; Avaricum ; Biturigoe , au IVe siècle ; Biturigum, Bituriga civitas, Ve siècle ; Bituricae, Biturigae, Biturix , VIe siècle ; Bituris, du VIe au XIe siècle ; Bitorica civitas; Betorica; Beturigas; Beturegas; Beturgas; Betoregas ; Beoregas ; Boorges ; Bohorges ; Borges ; Bouourges ; Bourges enfin. — (Raynal, t. 1 et 2, p. 585). —Voir aussi les Coutumes locales de La Thaumassière, et surtout l'excellent Précis d'histoire de la ville de Bourges, par M. de Laugardière, qui se trouve inséré dans l'Almanach du département du Cher, pour 1858, imprimé par Pigelet.


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Nous concevons qu'on puisse être indécis, et. se résigner à citer toutes les variantes, quand il n'y a pas moyen d'obtenir, la véritable orthographe d'un nom propre, mais nous n'en sommes pas réduits là pour Sancerre, ses comtes l'ont écrit dans leurs nombreux actes, et c'est à ces pièces qu'il faut recourir pour avoir le nom exact de cette ville ; car qui connaît mieux son nom et l'orthographe de ce nom que celui qui le porte.

Nous établirons ci-après, dans le troisième paragraphe, quel est le véritable nom de la ville et celui du comté.

§ II. — SANCERRE S'EST-IL JAMAIS APPELÉ VICUS SAXIACUS?

Jamais ce nom n'appartînt à Sancerre. C'est le nom primitif de La Chapelle-d'Angillon que La Thaumassière a voulu imposer à notre ville. Nous rapporterons les preuves écrites que nous fournit La Thaumassière lui-même, pour ne rien laisser à désirer sur ce point, puis nous l'attaquerons personnellement par une discussion approfondie des termes de la légende de St-Jacques ermite, sur laquelle il appuie tout l'échafaudage de son opinion.

L'ermite St-Jacques, qui vivait en 864, se retira, dit la légende, en un lieu appelé Saxiacus, appartenant à Robert, seigneur de ce vicus Saxiacus. Les uns expliquent que le vicus Saxiacus est La Chapelle-d'Angillon, et ils en apportent, selon nous, des preuves irréfragables. Les autres, en tête desquels sont La Thaumassière et son amî Chollet, veulent que le vicus Saxiacus soit la ville et tout le territoire du comté de Sancerre. Voici les preuves qu'invoquent les premiers :

On lit dans le Martyrologe de St-Laurent de Bourges publié par le père Labbe (1) :

« XIII. Kil. décemb. Bituricenci territorio, loco saxiaco, sancti Jacobi » confessoris ; — VIII Id. mart. Apud Saxiacum, exceptio reliquiarum » sanctorum Cantii, Cantiani et Cantianilloe fratrum martyrum. — Quinto » non. martii Xasiaco monasterio dedicatio oratorii. »

On trouve aussi dans la Chronique des Archevêques de Bourges publiée par le père Labbe (2) :

« Apud Saxiacum vicum qui nunc dicitur Capella Gilonis, sanctus » Jacobus confessor. »

Dans une Charte de l'abbaye de Saint-Sulpice de Bourges, de l'an 1129, on lit :

« Vicus Monachorum Capella, et l'on y, a ajouté par explication : La Cha» pelle-d'Angillon. »

(1) Nova bibliotheca, t. 2, p. 697. ■

(2) Chap. 47 de sancto Radulph.


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Enfin un ancien poète, qui a traduit la Vie de saint Jacques en vers français, s'exprime ainsi :

Toujours allait les lieux saints visiter, Et tant marcha, qu'enfin, vint arriver Au lieu pour lors étant Sasseau nommé, Lequel était au noble et renommé Prince Robert, très vaillant personnage, Issus jadis du royal parentage, etc... .

Sasseau était jadis, mais on appelle

Ce petit lieu maintenant La Chapelle, Bien arrosé de Sauldre la rivière, etc.

Continuons à citer :

« Tous les auteurs qui ont parlé de saint Jacques l'ermite, l'appellent » constamment eremita Saxiacus, eremita de Saxiaco, du nom du lieu où » il s'était retiré, vicus Saxiacus. Par locus ou vicus Saxiacus, il est » constant que tous ces auteurs n'entendent désigner que Sasseau, qui est » La Chapelle-d'Angillon (1).

» Le saint se construisit une cellule près de la rivière de la Sauldre, du

» consentement du comte Robert, seigneur du pays On l'enterra

» dans la chapelle de son ermitage, où il se forma depuis un monastère » dédié à Saint-Martin. Ce lieu s'appelle aujourd'hui La Chapelle-d'An» gillon (2).

» On montrait, à une lieue de Bourges, du côté de Vierzon, dans une » église aussi dédiée à saint Jacques, une cellule obscure, où, d'après la » tradition, le saint s'était retiré avant qu'il allât se fixer à Saxiacum (3).

» Alia ecclesia sancti Jacobi unâ leucâ ab urbe Virzionem versus, in » quâ visitur, latibulam instar celloe sub obscuroe, ubi sanctus Jacobus, » antequam Saxiacum se reciperet, delituisse creditur (4).

» Le comte Robert et sa femme lui envoyaient à manger tous les jours ; » mais il distribuait aux pauvres la plus grande partie de ce qu'il rece» vait (5). »

Ces citations suffisent pour convaincre toute personne de bonne foi que c'est bien à La Chapelle-d'Angillon que s'applique le vicus Saxiacus.

Nous pourrions nous borner à ce qui précède, mais nous avons à coeur de ne rien laisser subsister de l'erreur où La Thaumassière est tombé en

(1) V. Poupard, Hist. de Sancerre.

(2) Mabillon et Godescard, Vies des SS.

(3) Raynal, Hist. du Berry. (4) Annal, bened. XI, 624.

(5) Godescard, Vies des SS. — Acta Storum ord. S. Bened. 4, part. 2, p. 144. — Bulteau, Hist. de S. Benoît, liv. V, chap. VIII. — Baillet, etc.


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lui opposant jusqu'au bout la vie de saint Jacques, sur laquelle il se fonde et qu'il n'a pas comprise, puisque toute son argumentation ne repose que sur une fausse interprétation de la légende.

Voici l'argumentation de La Thaumassière :

« Vicus vient de vicanis et habitoribus, et ne peut convenir à un désert » où saint Jacques se retira, mais bien plutôt à Sancerre qui, à plus juste » titre, pouvait être appelé vicus Saxiacus au même sens que Grégoire de » Tours appelle la seigneurie Déoloise, l'une des plus considérables du » Berry, vicus Dolensis et Riom vicus Rocomagensis. »

Les citations que nous avons précédemment faites du Martyrologe de Saint-Laurent de Bourges, surtout celle tuée de la Chronique des Archevêques, ne laissent pas que de l'embarrasser, et il croit y répondre en faisant remarquer que la légende n'appelle pas La Chapelle-d'Angillon Vicus Saxiacus, mais seulement Locus Saxiacus, c'est-à-dire d'un lieu dépendant du Vicus Saxiacus, Sancerre.

» Rien, ajoute-t-il, ne peut prévaloir contre le témoignage ancien de l'au» teur de la Vie de saint Jacques, qu'il appelle Saxiacus vicus (en quel » endroit?) tout le territoire du prince Robert; et ce n'est pas une chose » particulière à la vide de la chapelle d'avoir pris le nom général du » pays dans lequel l'ermitage et la chapelle étaient construits, car cela est » commun à plusieurs autres lieux. Saint Leuffroy ayant bâti un ermitage » dans le comté de Madrie, in pago Madriaco, il fut appelé dans les com» mencements monasterium Madriacense, et ensuite Madriacum. »

L'historien du Berry cite d'autres exemples semblables, et conclut que Saint-Jacques a été appelé de Saxiaco du nom général du pays où il s'était retiré, que ce pays était toutes les dépendances de la seigneurie de Sancerre, et que Vicus Saxiacus n'était pas un nom particulier à La Chapelle-d'Angillon.

A cela nous répondons :

4° Ces exemples peuvent être vrais, mais ne sont pas applicables à La Chapelle et à Sancerre, le texte dé la légende s'y oppose ;

2° Des principes ci-dessus il suivrait que chaque portion de terre enclavée dans le territoire de Vicus Saxiacus aurait pu être appelé Locus Saxiacus, sans addition. Ainsi, Barlieu, Savigny et beaucoup d'autres paroisses dépendantes de la terre de Sancerre, pouvaient se nommer chacune Locus Saxiacus, parce qu'elles auraient fait partie d'un fief dont le chef-lieu se serait appelé Vicus Saxiacus. Ce nom était propre à La Chapelle-d'Angillon, comme ceux de Barlieu, de Savigny, de Ménétréol, etc., étaient spéciaux à ces localités. Sans doute, Robert était seigneur du Vicus Saxiacus (La Chapelle-d'Angillon), mais comme il l'était de Barloeum, de

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Saviniacum, de Monasterallum, sans pour cela que le reste de la terre pût être raisonnablement appelé du nom d'aucune de ces communes.

Enfin, tous les abbés et ermites qui se trouvaient dans la même seigneurie, surtout ceux de la ville, pouvaient donc être appelés de Saxiaco? ce qui est ridicule. — Nous pourrions faire valoir que Vicus n'indique pas toujours un lieu habité, qu'il a souvent été employé, dans le moyen-âge, pour signifier un canton, un territoire, une contrée même dépourvue d'habitants, comme dans la légende de Saint-Laurian, où il est dit qu'une voix du ciel lui ordonna de se retirer dans une vaste solitude auprès de Vatan, in territorio Biturico vicum vastoe solitudinos (1). — Mais nous aimons mieux aborder la difficulté de front et accorder que Vicus, dans le sens propre, indique un lieu habité, et c'est absolument ainsi qu'il faut l'entendre pour La Chapelle-d'Angillon. Lorsque saint Jacques arriva au Locus ou Vicus'Saxiacus, il n'y avait pas alors d'habitants, mais ce n'était pas un désert, un lieu sauvage, une population y avait existé, puisque la légende dit positivement que le saint bâtit sa cellule « au milieu de ruines et de murailles provenant des habitations des hommes. » Or, c'est ce village ou cette bourgade qui s'appelait Vicus Saxiacus, avant sa destruction, et dont le nom fut conservé dans le pays encore qu'il ne présentât plus que des ruines. Cette explication ressort tout naturellement des termes de la légende, comme nous allons le démontrer, et nous sommes surpris qu'on ne l'ait pas encore fait valoir.

Voici un extrait de la vie de saint Jacques, tiré de Mabillon :

« In ripâ minoris Saleroe, locus situs erat, indicia ostendens olim

» illic fuisse habitationem hominum propter ruinas murorum hunc

» locum, cui Saxiacus nomen fuisse, duodecim milliaribus à Biturica

» civitate elegit in habitalionem Robertus Saxiaci vici et cir»

cir» regionis dominus, vir potens et nobilis, etc

» Ideo princeps cum uxore intendebat sanctum eremitam quotidianis

» curare alimentis quoe per discophorum servum mittebantur... (2). »

D'où il suit qu'au bord de la petite Sauldre était un emplacement couvert de bâtiments en ruine indiquant qu'il y avait eu là jadis une population. Ces ruines éloignées de douze milles de la ville de Bourges, étaient autrefois un bourg appelé Saxiacus, et c'est là que le saint établit sa demeure. Nous ne traduisons pas mot à mot, mais nous donnons au texte latin le seul sens qu'il comporte en fait et grammaticalement. Aussi ne pouvons-nous comprendre comment La Thaumassière a pu appliquer à

(1) Oportet te in territorio Biturico vicum vastoe solitudinis, martyrio tuo

destinatum adire, qui prisco vocabulo Vastinus nuncupatur ( N. B. II, 403 ).

(2) S. I. Elog., Hist. N. B. 2, page 393. — Acta ord. S. Bened., sec. 4, p. 2 à 151.


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Sancerre une description aussi claire et aussi précise, et dire (p. 410) qu'elle ne convenait aucunement au désert couvert de bois, où s'arrêta saint Jacques, mais à Sancerre, qui était une ville habitée.

Sa persistance dans cette opinion, qu'il reproduit partout où l'occasion s'en présente (4), excite notre étonnement le plus profond, car les termes de la légende et leur construction simple, naturelle, ne permettent pas de lui donner deux sens. La description des lieux s'enchaîne logiquement : il y avait là des ruines d'édifices qui indiquaient que ce lieu avait été habité, et ce lieu ( quand il existait ) se nommait vicus Saxiacus, ( cui Saxiacus nomen fuisse). Tous les verbes sont au passé, parce qu'ils s'appliquent à une chose qui n'est plus. Comment dire de Sancerre qui existait alors, que son nom avait été (fuisse) ? Est-ce que le prénom démonstratif hunc (locum) n'indique pas, ne montre pas, pour ainsi dire, du doigt, l'emplacement qui est sous les yeux ? Est-ce que ce cui (Saxiacus vicus nomen fuisse) ne se rapporte pas invinciblement à hunc locum, au lieu où gisaient les ruines ? Il est vraiment impossible de prendre un auteur plus à contre-sens que ne l'a fait La Thaumassière dans cette circonstance, et c'est à bon droit qu'on est surpris d'une pareille erreur, de la part d'un auteur aussi recommandable. Triste effet des opinions préconçues. Mais poursuivons l'examen de la légende :

« Ce lieu (vicus Saxiacus) et le territoire d'alentour (circumjacentis)

» appartenait au seigneur Robert Robert et Agane, sa femme, visitaient

» souvent' le saint ermite, et lui envoyaient chaque jour des mets que le » saint faisait distribuer aux pauvres (suivant Godescard), après en avoir » pris ce qui lui était nécessaire. »

Le mot circumjacentis, dans son sens véritable, veut dire environnant, il indique un territoire restreint, autour de Vicus Saxiacus, et non d'une étendue de huit lieues comme celle qui se trouve entre Sancerre et La Chapelle. Voudrait-on dire, par hasard, que le territoire de La Chapelle était circonvoisin de Sancerre? Il dépendait bien de la seigneurie mais n'était pas limitrophe de celui de la ville ; ils étaient séparés par d'autres seigneu(1)

seigneu(1) essaie de le prouver longuement au liv. 6, chap. 10, intitulé : Fondation de la ville de Sancerre et des différents noms qu'on lui donne. Puis il dit ailleurs, (chap. 44, Baronnie de La Chapelle-d'Angillon). L'ermite saint Jacques obtint du magnifique Robert, seigneur Saxiaci vici (que j'interprète Sancerre) et des lieux circonvoisins, de bâtir un ermitage..... Plus loin (même chap., p. 447.), on l'appelle La Chapelle-d'Angillon, mais cela n'empêche pas qu'on l'appelle encore quelquefois du nom général du pays où elle est bâtie qui est Saxiacus vicus. — Au liv. VI, ch. V, p. 403, en parlant du moine de Fleury, qui avait appelé Sancerre Castrum Gordonicum, il dit : Je ferai voir que c'est là le nom de Saint-Satur, et point celui de Sancerre, dont le véritable nom est vicus Saxiacus.


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ries et d'autres propriétés : Beaujeu, Breviande, La Chapelotte, Le Pré, Loroy, etc., etc. Si Vicus Saxiacus s'appliquait à Sancerre, quelle nécessité y avait-il de citer le territoire circonvoisin de cette ville, à propos de la permission donnée à saint Jacques de s'établir à La Chapelle ? Il était au contraire naturel que l'auteur indiquât à qui appartenaient l'emplacement et la localité où le saint venait se fixer, et c'est ce qu'il a fait.

En supposant que Sancerre eut appartenu à ce Robert du chef de sa femme (1), pourquoi y aurait-il habité? Y avait-il seulement, à cette époque, un logis pour le recevoir ? Cela est douteux; car le château, dont nous voyons encore les ruines, ne date évidemment que du Xe ou XIe siècle, c'est-à-dire de la prise de possession des princes de Champagne ou à peu près.

Quelle qu'ait été son origine (2), Robert était un fort grand seigneur qui devait avoir de son chef des fiefs et des terres considérables, si l'on en juge par les biens qu'il a légués à ses enfants (3). Descendant des comtes de Bourges, il possédait très certainement des châteaux dans le voisinage de cette ville et de La Chapelle-d'Angillon (4), et c'est ainsi qu'on peut expliquer renvoi quotidien de vivres à l'ermite saint Jacques. Sans ce voisinage, il eut fallu l'emploi continuel de plusieurs discophores, car, à cette époque, un long jour suffisait à peine pour aller de Sancerre à La Chapelle. Si l'on fût parti de Sancerre, il est probable qu'on eut envoyé à la foi des vivres pour plus d'un jour et non quotidiennement.

Il faut bien aussi que. le lieu appelé Vicus Saxiacus, Sasseau, ne fût pas un désert, comme se plaît à le répéter La Thaumassière ; il devait y avoir à proximité une population, pour que le saint pût donner « chaque jour une partie de ses vivres. »

Nous ne pousserons pas cette digression plus loin : Il nous suffit d'avoir démontré combien La Thaumassière a erré au sujet de Vicus Saxiacus, et

(1) « Agane, fille de Wifred, avait épousé un Franc d'une noble origine, également » fixé dans le Berry, sur les bords de la Sauldre, Robert, dont la soeur, femme de » Pépin 1er, roi d'Aquitaine , était mère du jeune roi Pépin II. » — Raynal, t. 1er, p. 224.

(2)Sainte-Marthe, Dubouchet, d'Espernon, Ménage et autres, nient positivement qu'il fût du sang royal, ils pensent que c'était un de ces hardis aventuriers qui vinrent en France avec les Normands.

(3) Son fils, Robert II, dit le Fort, était duc et marquis de France, comte d'Anjou, d'Orléans, de Blois, d'Auxerre et de Nevers. Du reste, cette filiation, au témoignage de M. Raynal, est contestée et très contestable; cependant La Thaumassière la donne comme certaine.

(4) Peut-être le château de Loroy (commune de Méry-ès-Bois), qui remonte à la plus haute antiquité.


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nous avons la confiance d'y être parvenu par le seul fait d'avoir restitué à la légende de saint Jacques son sens unique et véritable.

Pour résumer cet article, nous dirons qu'il résulte invinciblement des explications que nous venons de donner que le nom de Vicus Saxiacus appartient réellement et exclusivement aux ruines qui existaient sur les rives de la petite Sauldre, à La Chapelle-d'Angillon ; que ce nom n'est applicable ni directement ni indirectement à la ville de Sancerre, parce que le texte du passage où il se trouve dans la Vie de saint Jacques s'y oppose d'une manière absolue ; que c'est, en conséquence, sans aucune raison que La Thaumassière et presque tous les auteurs qui ont écrit après lui et sous son inspiration en ont fait un des noms de cette ville.

Au surplus, nous remarquerons que La Thaumassière écrit toujours Saxiacus, et non Saciacus; il met un x où l'auteur de la Vie de saint Jacques met un c. M. Raynal, qui a copié le livre original de la vie du saint, met un c, et écrit partout Saciacus, ce qui fait mieux comprendre comment de Saciacus ou Saciacum on a fait Sasseau. Est-ce avec intention que La Thaumassière a fait ce changement? espérait-il faciliter ainsi l'adoption de son sentiment à l'égard de l'origine de Sancerre par une colonie de Saxons? Nous avouons qu'il y a réussi en grande partie, car la plupart de ceux qui ont écrit sur cette ville, entraînés par l'autorité de cet auteur, ont admis de confiance, sans examen, et soutenu son opinion. Toutefois, M. Malfuson, dans son Histoire de Sancerre, se demande timidement si l'on ne pourrait pas expliquer le Vicus Saxiacus par les rochers dont la montagne est couverte, ce qui prouve qu'il acceptait le Vicus Saxiacus pour le nom de la ville, mais Saxiacus ne signifie pas plus Saxon que rocher; pour Saxon il faudrait Saxonicus, et pour rocher ou pierre il faudrait Saxosus.

Au reste le mot Saciacus, comme celui de Sancerre, est écrit différemment dans plusieurs titres, et La Thaumassière aura choisi celui qui était le plus usité, ou qu'il aura préféré.

§ III. — VRAIS, NOMS DE SANCERRE.

Le nom de la châtellenie de Sancerre est Sancerum, et il est invariablement écrit de cette sorte dans toutes les chartes émanant directement de ses comtes ; celui de la ville est Sacrum Coesaris ; toutefois, cette dernière a souvent été confondue avec son territoire Sancerum, et, à partir du XVe siècle, a été définitivement appelée Sancerre. C'est l'analogue de ce qui, à une autre époque, se passa à Bourges, qui changea son nom primitif d'Avaricum contre celui du pays dont elle était la ville capitale. On trouvera dans le paragraphe suivant des extraits de chartes qui justifient la distinction que nous venons d'établir, particulièrement les chartes de 4490, 4249 et surtout celle de 4244.


— 70 — § IV. — EST-CE PHILIPPE-LE BRETON QUI A INVENTÉ LE NOM DE

SACRUM CAESARIS ?

Les comtes de Champagne, auxquels appartenait la seigneurie de Sancerre , prenaient le titre de Dominus Sanceri et plus communément dè Sancero (Seigneur du Sancerrois).

Etienne fut le premier qui prit la qualité de comte lorsque le Sancerrois lui échut en partage après la mort de Thibault-le-Grand, son père ; toutefois, il faut remarquer, qu'il se contenta, dans les commencements, du titre de Dominus Sanceri ou de Sancero, qu'avaient porté ses pères, soit qu'il ne crut pas devoir innover, soit que sa jeunesse l'en empêchât (4). Ce ne fut que plus tard qu'il prit le titre de Comes Sacri Coesaris, et qu'ayant fait battre monnaie, il y mit l'effigie de cet empereur; il suivit l'usage du temps où il vivait, et l'exemple de ses frères, qui se firent appeler comte de Troyes, comte de Blois, du nom de leur ville chef-lieu.

Le mot Sacrum Coesaris a-t-il été inventé sous Etienne, 1er comte de Sancerre, par Philippe-le-Breton, poète et historien de Philippe-Auguste, comme le prétend La Thaumassière? « Ce nom plut aux comtes, dit-il, qui dès-lors s'en servirent dans leur monnaie, pour faire croire que César était le fondateur de leur ville. Guillaume-le-Breton, parlant du premier comte, l'appelle : Stephanus Comes Sacri Coesaris castri (2).

C'est une flatterie du poète, dit La Thaumassière, que les comtes adoptèrent avec empressement, dit Raynal (3). Il nous semble que c'est prêter à Etienne une pensée qu'il ne pouvait avoir, car il était d'assez bonne maison pour être au-dessus d'une vanité aussi mesquine. Etienne était l'un des plus grands seigneurs du Berry, où il n'avait de pairs que les comtes de Bourges et les princes de Déols (4). Il était fils de Thibault-leGrand, comte palatin de Champagne, de Brie, de Chartres, de Blois, de Sancerre et de Mahault de Corinthie. Il était frère : 1° des comtes de Champagne et de Blois, mariés aux filles de Louis VII, roi de France, et d'Eléonore de Guyenne, reine d'Angleterre; 2° de Guillaume, cardinal, aussi illustre par sa naissance que par son mérite et la grandeur de ses actions ; ce dernier fut tuteur du roi Philippe-Auguste, et co-régent de France

(1) Voir les chartes citées à la page suivante.

(2) On connaît les vers de Philippe-le-Breton, ils sont rapportés dans toutes les histoires de Sancerre et dans celle de La Thaumassière. On les retrouvera ci-après parmi les citations auxquelles nous renvoyons.

(3) La Thaumassière, ch. VI. — Raynal, t. 1er, p. 347.

(4) Ibid.


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pendant la croisade de ce prince; 3° d'Alix, reine de France; 4° de la duchesse de Bourgogne. Il était oncle de Philippe-Auguste et d'Agnès, qui alla s'asseoir sur le trône de Constantinople. Entouré de tant de puissances, d'éclat et d'illustrations, Etienne n'avait pas besoin de se grandir. Le titre de Sacrum Coesaris ne pouvait rien ajouter au lustre qu'il tenait de sa famille.

Ses successeurs ont pris le même titre. L'illustre cardinal de Champagne le prit aussi pendant qu'il fut tuteur de son neveu, Guillaume, fils de Etienne Ier. Il fit même battre monnaie à son nom, comme l'aurait pu faire le mineur, parce qu'alors les tuteurs étaient réputés seigneurs et usaient de tous les droits de leurs pupilles, tant que durait la tutelle (1). Sa monnaie portait d'un côté ses noms et qualités et les attributs de ses dignités ecclésiastiques ; d'autre part, une croix avec ces mots : Sacrum Coesaris (2).

Si le Sacrum Coesaris n'eut pas été réellement le nom de Sancerre , s'il n'eut dû son existence qu'à la basse flatterie d'un poète et à la vanité d'Etienne, il serait tombé à la mort de ce comte ; ses successeurs, et surtout son frère, le cardinal, eussent dédaigné de le prendre. Mais il n'en a pas été ainsi. Ce n'est que dans le XVe siècle, que les comtes de Sancerre paraissent avoir abandonné le titre de Comes Sacri Coesaris ; nom de la ville chef-lieu, pour prendre celui du comté, Sancerre. Ceci est prouvé par un grand nombre de Chartres, desquelles nous extrayons les passages qui se rapportent à la question qui nous occupe (3).

4452. —Charte par laquelle Stephanus, comitis Theobaldi junior filius, post decessum patris mei Domini Sanceri, adhuc sine uxore et liberis concedo ecclesiae Sancti Satyri..... confirme les coutumes et droits de l'abbaye de Saint-Satur.

Thibaud-le-Grand était mort le 10 janvier 1152 (Chron. d'Anjou) , de sorte que cette charte fut accordée immédiatement après l'arrivée d'Etienne à Sancerre. Il était alors fort jeune (4) et ne connaissait aucunement le fief qui lui était advenu de la succession paternelle, aussi n'y prend-il aucun titre. Toutefois le sceau qui y est joint porte autour Sigillum Stephani de Sancero.

Cette charte établit la délimitation entre le territoire de l'Abbaye et celui de Sancerre.

(1) La Thaumassière, Nouvelles Coutumes du Berry. Le même, Hist. de Berry. chap. VI.

(2) Duchesne et Ducange.

(3) On trouvera toutes ces chartes dans les Anciennes et nouvelles coutumes du Berry de la Thaumassière, pages 141, 415, 416, 419, 421, 423, 703, 704, 712, 728. Quand nous avons puisé ailleurs, nous en avons indiqué la source.

(4) Il était né en 1132. (Raynal, t.II, p. 59).


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1160. — Par cette charte, le même comte Stephanus Theobaudi Palatini Comitis filius junior, dominus de Sancero, seigneur du Sancerrois, confirme la charte ci-dessus et la fait approuver par Henri, comte de Champagne, son frère aîné et son seigneur féodal.

Il est certain par ces deux chartes qu'Etienne Ier n'avait pas encore pris alors le titre de Comes Sacri Coesaris, il ne se qualifie, comme ses aïeux, que de Dominus de Sancero ; bien plus, dans la charte de 1160, Sancerre est appelé Sancerum, comme dans celle de 1152.

Volo et promitto batalias omnes, quas grammatici duella vocant, de Burgo Sancti Satyri et de omnibus locis totius terrae Sancti Satyri, de quibus adduci ad Sancerum, et praeposito meo reddi solebant, ut apud Sancerum fierint....... Mercatum de Sancero usque ad viam quae suprà

crucem de Sancero Servientibus vero meis contradicentibus et dicentibus

totam banleugam pertinere ad dominum de Sancero usque ad domos Burgi Sancti Satyri ( Bornage, charte de 1152).

On pourrait conclure de ces deux chartes que c'est postérieurement à l'année 1160 que Sancerre reçut le nom de Sacrum Caesaris. On se tromperait, cependant, comme nous le prouverons plus tard.

Etienne n'était pas arrivé que les religieux de Saint-Satur lui demandaient non seulement la confirmation des priviléges et immunités qu'ils avaient obtenus de ses pères, mais qu'ils lui arrachaient de nouvelles concessions que, plus âgé, il leur eut probablement refusées. Dans ce bornage de 1152 ils profitèrent de sa jeunesse pour agrandir le territoire de l'abbaye, moyennant des services religieux auxquels ils s'engagèrent bien volontiers. Il renonça à pousser la banlieue de la ville jusqu'au bourg de Saint-Satur ; il céda même le village de Fontenay à la possession duquel les religieux tenaient beaucoup, moins, sans doute, pour les terres que cette cession apportait à l'abbaye que pour l'augmentation de la population, chose fort importante pour les intérêts du monastère qui exigeait de ses hommes cinq jours de travail par semaine.

1178. — Charte par laquelle Stephanus Sacri Caesaris Dominus fait remise aux chanoines de St-Etienne-de-Bourges de plusieurs coutumes et droits que les comtes de Sancerre levaient dans les paroisses de Baulieu et de Santranges appartenant au chapitre.

Dans le corps de l'acte on lit : Si quis accusatum quod accepit monetam quam Dominus Sacri Caesaris in terrà accepi noluerit, etc

Sacrum Caesaris est répété plusieurs fois pour indiquer Sancerre.

Cette pièce se termine ainsi : Actum in camerâ meà, coram me, trans pontem Ligeris, propè Monastellum, etc.

La plupart des auteurs décident sans hésiter, que Camerâ indique le château des Eaux-belles (ou Aubels d'après Cassini et de vieux titres) dont les ruines sont près de Ménétréol en Sancerre. C'est une erreur qui sera démontrée dans une dissertation spéciale.

Cette charte est scellée d'un sceau qui marque que le comte ne l'avait pas encore changé. Il porte écrit à l'entour : Sigillum Stephani de Sancero.


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4490. —Charte par laquelle Stephanus Sacro-Caesariensis Comes, concède les coutumes de Lorris aux habitants de Barlieu. Il y est dit :

Quandò homines de Barloco ibunt Sacro-Caesaris cum mercaturâ suâ..... Si ducit sal vel vinum suum Sacro-Caesaris etc.

4499. — Charte par laquelle Willelmus (fils du précédent), Sacri-Caesaris Dominus, concède certains priviléges aux habitants de l'Etang de Lorris.

4209. — Willelmus Sacro-Caesariensis abolit certaines mauvaises coutumes en faveur des abbé et religieux de Saint-Satur et de leurs hommes. Cette charte se termine ainsi : Actum publicè apud Sacrum-Caesaris adstantibus, etc., et est scellée d'un sceau aux armes de Champagne, armes qu'ont toujours prisés les comtes de Sancerre issus de Thibault-le-Grand.

4210. — Willelmus Sacro-Caesariensis et sa femme assignent au chapelain du château de Sancerre 64 boisseaux de froment. Dans ce titre, Sancerre est appelé : Sacrum-Caesaris. (Cartul. de Saint-Satur, La Thaum. et Poupard).

4240. — Charte par laquelle Stephanus Sacri-Caesaris, Castellionis Dominus, confirme aux habitants de Saint-Brisson les coutumes de Lorris.

Comes Stephanus pater noster, etc.

Cet Etienne était fils d'Etienne Ier, comte de Sancerre ; voilà pourquoi il s'intitule : Etienne Sacri-Caesaris ; il était frère puîné du Guillaume ci-dessus ; il avait reçu pour son droit de frérage les fiefs de Châtillon-sur-Loire, de SaintBrisson, etc. Voici des extraits de cette charte : .. Praedicti burgenses debent duos solidos Sacri Coesaris monetae.....

Ad vinum nostrum adducendum à Castellione vel a Castro Caesare.... ...

A la fin : Ego supra dictus Stephanus Sacro Caesaris , Castellionis Dominus, etc.

On voit que cet Etienne, quoique ne possédant pas Sancerre, prend néanmoins le titre ou nom de son père, ou mieux, de sa maison.

Deux siècles plus tard tous les enfants du seigneur de Sancerre prendront le nom de la seigneurie, et se feront appeler de Sancero. Cela peut tenir aux changements d'usages, à la modification du langage, peut-être même à l'orgueil des grands seigneurs qui se distinguèrent ainsi de la foule des nobles dont les titres ne reposaient que sur une bourgade, un hameau, souvent même sur une chaumière en ruine.

4249. — Charte par laquelle Ludovicus Comes Sacri-Caesaris permet à ses hommes de s'allier avec ceux de Saint-Satur.

Le mot homines de Sancero est employé partout dans cet acte, et cela devait être,, car il s'agit de l'autorisation donnée par le seigneur, non pas seulement aux habitants de la ville Sacrum Caesaris, mais de toute la seigneurie de Sancero, du Sancerrois, de contracter mariage avec les hommes de toutes les

dépendances de l'abbaye Homines ecclesiae Sti Satyri et omnibus

locis totius terrae Sti Satyri

Autour du sceau est écrit: Sigillum comitis Sacri-Caesaris.

4244. — Charte par laquelle Ludovicus ( le même que le précédent et le

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1er du nom), Comes Sacri-Caesaris, confirme aux habitants de Ménétréol la concession des coutumes de Lorris faite par son père et son aïeul ; Quondam comites Sacri Caesaris

Quandò homines de Monasterello ibunt ad Sacrum Caesaris cum

mercaturâ suâ

Le mot Sacrum Caesaris est répété plusieurs fois dans cette charte pour désigner la ville proprement dite.

4267. — Sentence arbitrale et transaction en forme de partage, entre Jean Ier, comte de Sancerre. et son frère Robert.

Jean avait refusé à son frère son droit de frérage dans la succession paternelle, mais les arbitres décident que Joannes de Sancero doit donner à son frère puîné Robertus de Sancero la part fixée par les règlements.

Dans celte pièce, les deux frères reçoivent des arbitres le nom du comté, et non celui de la ville, mais en conservant toujours le titre de Comes Sacri Caesaris.

Constante matrimonio inter nobilem virum Ludovicum comitem

Sacri Caesaris, defunctum, patrem eorum fratrum, et Isabellam dominam Meduanae defunctam

4327. — Charte par laquelle Ludovicus ( 2e du nom ), Comes de Sancero, confirme aux habitants de la seigneurie de Sancerre les coutumes de Lorris que ses pères leur ont concédées.

Atavus meus comes Stephanus, et Abavus meus comes Guillelmus,

et proavus meus comes Ludovicus, et Avus meus comes Joannes, et pater

meus comes Joannes, Sacri Caesaris, statuerunt dùm viverent Qùod

castellum meum de Sancero (chatellenie) intra muros et extra

Quicumque in terrâ meâ, de quâ agitur, domum habuerit

On lit dans cette charte bien des fois Sancerum (le Sancerrois), parce qu'elle concerne tous les habitants de la terre sans distinction de ceux de la ville d'avec ceux de tout le territoire, voilà pourquoi il prend dans le préambule le titre de Comes de Sancero, comte du Sancerrois. Cependant dans l'acte il use de sa qualité de Comes Sacri Caesaris.

Item confiteor ego Ludovicus Comes Sacri Caesaris, nihil posse aliud exigere à praedictis et il y qualifie ses aïeux de Comites Sacri Caesaris.

Voilà comme s'exprime le moine de Saint-Denis au sujet du connétable Louis de Sancerre, mort le 6 février 4403.

Militiae Gallicae splendor inextinguibilis probitatis , Ludovicus SacriCoesaris.' (Relig. de St-Denys, III, 64).

Ainsi, dans le XVe siècle, on se servait encore officiellement du mot Sacrum Caesaris (1).

Désolé de mourir sans laisser d'héritier de son nom', il exigea de Guichard, Dauphin, fils de sa soeur, la promesse d'écarteler les armes de Champagne avec les siennes...

Cùm filium non haberet, domino Guiscardo Dalphino Alverniae,

suo ex sorore nepoti, cum suis deinceps statuit exharanda : cui etiam relin-


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quit Domini Sacri-Caesaris uberiorem portionem perpetuo jure hereditario possidendam. (Relig. de St-Denys, III, p. 66).

Dans une charte du commencement du XIIe siècle, contenant les coutumes de la ville de Bourges, on lit :

Hoec sunt consuetudines quas debent habere rex et Sanctus Sulpitius quas

auferunt homines Bituricenses de Hugone, de foris Sacro-Caesare

et Stephano Pinel habuerunt lampredas etc. (Cart. A de St-Sulpice,

f°. 61. Raynal, t. II, p. 525).

4200. — Charte ou lettre de Philippe-Auguste, au sujet d'une vente faite au chapitre de Bourges, par Geoffroy de Briare (Brioria), de plusieurs droits à Beaulieu et à Santranges.

Philippus , etc., Noveritis quod hoec sunt res quas Gaufridus miles de Brioriâ coram nobis vendidit et quittavit decano et capitulo Bitur. pro damnis et injuriis eis illatis et pro septingentis libris forcium Sacri-Ces. ( Grand Cartulaire de St-Etienne, vol. 1er, f°. 243).

Au mois d'avril 4465, Etienne Ier, comte de Sancerre, ayant voulu pénétrer dans le Nivernais , fut attaqué par le comte Guillaume (de Nevers), auprès de la Marche, et complètement battu.

M. CLXV. XV Kal. Maii, Willelmus comes Nivernensis Stephanum Castri Sacri-Caesaris, infrà Marchiam in bello devicit, et de suis multos occidit, etc.

4457. — M. CLVII. Castrum Caesaris diruptum est à consule Nivernensis Non. Maii, etc. ( Chr. Antissiod. Labbe N. B. I, 296, 403. — Lebeuf , Hist. d'Auxerre, t. 2. p. 85. — Raynal, t. 2, p. 62).

4246. — Guillaume, fils d'Etienne Ier, comte de Sancerre, partant pour la croisade, avec Pierre de Courtenay, son beau-frère, élu Empereur de Constantinople, confia à Robert de Courtenay, son autre beau-frère, la garde du château de Sancerre et la tutelle de Louis, son fils mineur. Robert prêta, en 4247, serment entre les mains de la comtesse de Champagne.

Ego eidem Comitissae manu propriâ super Sanctos juravi quod de

Sacro Caesaris quandiù tenebo, etc. ( La Thaum., Notes sur les ass. de

Jérus., p. 251 ).

Mort dudit Gillaume en Orient.

Paulò post servientibus paululùm segregatis, imperator et milites universi, legatus, Archiepiscopus Salonensis, Willelmus, Comes Sacri-Caesaris, et alii

nobiles per diversa loca careribus recludentur ( Rob. Altissiod. Chr. —

Ser. Fr. XIII. 285).

Praecipuèque Comes Stephanus qui maenia Sacri Caesaris et ditis pro magnâ parte tenebat

Praedia Bituricae , celebrunt parientia Bacchum

Indicit bellum Dominoque suoque nepoti.

(Will. Brit. Philipp. Scr. F. XVII, 428).

(1) Voir les chartes de Philippe-Auguste de l'an 1200, et celle de St-Louis de 1233.


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Etienne est tué à St-Jean-d'Acre avec son frère Thibaud, comte de Blois. Illustris Stephani contristant funera Sacrum Caesaris..... (Ibid. 466).

Et Sacro Coesaris ortum,

Et cognomen habens Stephanus.... (Ibid. 250). Cet Etienne est le 2e fils du comte de Sancerre, Etienne Ier. Il avait eu en partage Chatillon-sur-Loire, St-Brisson, etc. (Voir la charte de 4240).

Saint-Louis vint à l'abbaye de St-Satur au mois de mars 4233 , et il y confirma, par une charte, les priviléges des habitants de Bourges. Cet acte se termine ainsi :

Actum apud S. Satyrum juxtà Sacrum Caesaris. anno dominicoe incarnationis M° CC° XXXIII. mense martio. [La Thaum., Cout. loc., et Raynal, t. II, p. 224, note).

En 4308, il y eut un grand' duel dans le Nivernais, entre Erard de St-Vrain et Oudart de Montagu, Bourguignon. Ils se rendirent au lieu indiqué chacun avec grand nombre de ses partisans. Parmi ceux d'Erard était Jean II, comte de Sancerre. Oudart fut vaincu. Beraud de Mercoeur qui tenait son parti refusa de se rendre à Dreux de Mello qui l'avait fait prisonnier. Il remit ses armes au comte de Sancerre.

Videlicet ex parte dicti Erardi, Comite Sacri Caesaris, etc., etc.

...... Cessit autem Erardo insignis victoria : et de parte Oudardi dictus

Beraudus de Marcolio cum quibusdam aliis captus quare se reddidit

Comiti Sacri-Caesaris (Guill. de Nangis, Cout. Scr. FXX, 598, —Lebeuf,

Raynal, t. II, p. 270, etc., etc.).

D'après les chartes que nous venons de citer, et qui émanent des comtes de Sancerre, il demeure bien constant que ces seigneurs ont pris le titre de Cornes Sacri Coesaris pendant les XIIe, XIIIe et XIVe siècles, c'est-à-dire dès l'instant que le Sancerrois a cessé de faire partie du comté de Champagne, et a eu ses seigneurs particuliers.

Les monuments écrits nous manquent complètement pour préciser l'époque où Sancerre a reçu le nom de Sacrum Coesaris. Toutefois, nous avons avancé qu'il portait ce nom avant Etienne Ier et le poète Philippe-leBreton, et nous allons en administrer les preuves.

Une bulle d'Innocent II, de l'an 4443, pour l'abbaye de Saint-Satur, appelle Thibault-le-Grand , alors seigneur de Sancerre, Comes Sacro Coesariensis (1).— Une autre bulle d'Adrien IV, dé l'an 1154, nomme la ville de Sancerre Castro Sacro Coesaris (2). — Bulle d'Alexandre III, du mois de juin 1164, dans laquelle la ville de Sancerre est appelée Castro Coesaris

(1) Cartul. de l'abbaye de Saint-Satur. — Hist. du Berry, de La Thaumassière, liv. VI, chap. X, page 403.

(2) Citée in extenso, dans l'Hist. manuscrite de l'abbaye de Saint-Satur.


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Sacro (1). — Bulle de Luce III, de l'an 1184, où Sancerre est désignée par ces mots : Sacro Coesaris (2).

En 4443, Etienne, premier comte de Sancerre, n'avait qu'environ onze ans (3), et ce ne fut que neuf ans après lors de la mort de son père, en 4452, qu'il prit possession de son fief.

Quant à Guillaume et à son frère Philippe-le-Breton, ils naquirent, suivant le Dictionnaire biographique de Feller, vers l'an 1170, c'est-à-dire vingt-sept ans après la bulle d'Innocent II. Ni le comte Etienne, ni le poète Philippe-le-Breton, pas plus que son frère Guillaume, n'ont donc inventé pour Sancerre, le nom de Sacrum Coesaris.

Le style et les usages de l'Eglise Romaine ne sont pas immuables, il est vrai ; cependant, on voudra bien nous accorder qu'elle ne les change pas au gré des passions humaines, encore moins pour servir la vanité d'un individu. Or, si, avant comme après le comte Etienne, les papes ont, dans leurs bulles, qui sont des actes solennels, appelé Sancerre Sacrum Coesaris, il faut en conclure que c'est le nom antique et officiel de cette ville.

En somme, il s'agit d'un nom propre devenu commun par l'usage, comme le prouvent les chartes, les bulles et les actes royaux et autres que nous avons rapportés, et attestant l'origine première.

Qu'on nous permette d'essayer ici une supposition à l'intention de ceux que nos précédentes explications n'auraient pas satisfaits. Sans contredire entièrement ce que' nous avons avancé jusqu'ici, nous allons émettre une timide opinion sur les modifications qu'a dû subir le nom de Sacrum Coesaris.

Si l'on veut tenir compte des révolutions, des dominations étrangères, du passage de la langue latine à la langue romaine , de celle-ci à la française , de l'ignorance existante au moyen-âge, des écritures plus ou moins lisibles, et des transformations de leurs caractères ; surtout de l'habitude généralement adoptée, avant l'invention de l'imprimerie, d'écrire une foule de mots par abréviation, comme on peut s'en convaincre par les vieux missels et livres d'église manuscrits, on avouera que le Sacrum Coesaris a pu devenir Sancerum, de même que chez les Turcs, Constantinopolis est devenu Stamboul.

(1) Hist. manuscrite de l'abbaye de Saint-Satur.

(2) Donnée à l'occasion du prieuré de Saint-Martin de Sancerre, rapportée par La Thaumassière et Poupard. — Le Pouillé de Saint-Satur l'appelle le prieuré de Sancerre, et dans ses coutumes (de l'abbaye) il est nommé prioratus de Sancto ou Sacro Coesare. Il est parlé de ce monastère dans une bulle du pape Luce III, où il est appelé ecclesia Sancti Martini de Sacro Coesare.—La Thaumassière et Poupard. Archives de Saint-Satur, pages 79, 93, 101.

(3) Il était né en 1132, comme nous l'avons déjà fait observer.


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Dans les titres du moyen-âge, dans les actes officiels, on voit le latin horriblement mutilé : des c pour des t ou des s; des e pour des oe, etc.; des lettres même supprimées ; des syllabes entières sous-entendues. Cependant la langue était encore, comparativement, assez correcte dans les hautes régions du pouvoir, mais dans les provinces, dans les petites localités, chez les tabellions de village, dans la majeure partie des communautés religieuses, ce n'était plus la langue latine ni la langue française, c'était un latin de fantaisie, plus ou moins défiguré, suivant le plus ou moins d'ignorance du rédacteur. Un barbarisme, tel gros qu'il fût, recevait un accueil d'autant plus assuré qu'il se rapprochait davantage de l'idiome local.

Vous trouverez même dans les manuscrits des noms propres exprimés par abréviation, surtout lorsqu'ils sont usuels et répétés. Le mot Sacrum Coesaris est écrit abréviativement, ainsi que celui de Bourges, dans une charte de l'an 1200 (1), et il est probable qu'il se trouve ainsi dans beaucoup d'autres pièces. Sac-ces, Sac-cer, dont on aura fini par faire un seul mot Sacer, puis Saxere, Sancer; et le moyen-âge, suivant son habitude de latiniser les noms devenus français ( sans rechercher leur véritable nom latin), a fait de Sacer ou Sancer, Sancerum. Car c'est du IXe au XIIe siècle que la plupart des noms de lieu du Sancerrois ont reçu la terminaison obligée de um, encore que quelques-uns eussent conservé presque leur pure orthographe latine; de Subligny (sub lignis), sous les bois; de Assigny, sur les bois; de Savigny, etc., etc., on a fait Subliniacum, Assignacum, Sefiniacum ou Savigniacum, etc., etc. Les adjectifs même étaient transformés en substantifs, Saciacus, Saciacum ; Madriacense, Madriacum, etc. Il est à remarquer que dans les langues du midi de l'Europe, où le latin s'est moins modifié, sanctus, saint, se dit san, abréviation ou dérivation de sanctus, santus, sacer.

Tout le comté prit, suivant l'usage d'alors, le nom du chef-lieu, Sancerum, Sancere. Ainsi de Nevers, Nivernais; de Bourbon, Bourbonnais; d'Orléans, Orléanais ; de Poitiers, Poitou ; du Mans, Maine ; etc. Ceci est un fait constant, et c'est sur cet usage que s'appuie La Thaumassière pour essayer de prouver que La Chapelle-d'Angillon s'appelait Locus Saxiacus, parce que Sancerre, son chef-lieu, se serait nommé vicus Saxiacus, il cite

plusieurs exemples pour justifier son sentiment.

(1) Voir l'extrait de celle charte dans les citations qui précèdent. — Si l'on se permettait ces abréviations dans les chartes royales, il est à croire qu'on ne s'en faisait pas faute dans les actes moins importants et dans ceux des particuliers' notamment. Nous en trouverions, sans nul doute, bien des exemples, même avec de variantes, dans les anciennes pièces où est cité le Sacrum Coesaris, si nous étions en position de pouvoir les compulser.


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Voilà comment on pourrait supposer que Sancerre et tout le Sancerrois ont été appelés Sancerum, après la corruption du nom primitif de la ville.

A son avénement au comté de Sancerre, Etienne prit, comme ses frères, nous l'avons déjà fait observer, le titre ou nom de sa ville capitale : il lui fallut alors rétablir ce nom dans sa pureté primitive, et il put y parvenir en le retrouvant dans les vieux titres de son fief et dans les bulles des souverains pontifes, lesquelles n'avaient pas subi les vicissitudes de la langue parlée dans chaque localité.

Sacrum Coesaris nous semble donc être le nom primitif de Sancerre, tronqué dans la suite et défiguré par les abréviations, les modifications de langage. Etienne a pu, alors, en rétablir l'emploi usuel dans ses actes, et le prendre pour titre, tout en conservant le nom de Sancerum au reste de la seigneurie.

D. Martin (et c'est un dernier argument que nous voulons exposer ici), pense que la ville indiquée sous le nom de Sacer par l'anonyme de Ravenne, au VIIIe siècle, est la même que Sancerre; M. Raynal dit que c'est une erreur, attendu que l'anonyme place Sacer dans la Spano-Guasconia (Aquitaine espagnole ou voisine de l'Espagne).

Nous ne nous dissimulons point la force de l'objection et l'impossibilité d'y répondre autrement qu'en supposant une erreur chez le vieux géographe. — A la rigueur, cela peut se comprendre sans beaucoup de peine. — L'anonyme de Ravenne, qui n'habitait pas la Gaule, a bien pu faire une confusion : placer dans le Midi une ville du Centre ou du Nord. Il n'écrivait pas de visu, mais d'après le Goth Athanarid, qui a pu lui transmettre l'erreur. D'ailleurs cette prétendue ville de Sacer, qui aurait été placée dans le midi de l'Aquitaine, est toujours restée inconnue. Toutefois, nous pensons que pour se prononcer d'après l'anonyme en faveur de Sancerre, D. Martin a dû avoir de bonnes raisons, et qu'il y aurait peut-être à examiner la chose à nouveau avant de l'accuser d'erreur.


APPENDICE.

Depuis que ce qui précède a été écrit, la Bibliothèque de l'Ecole des Charles a publié (n° de juillet-août 1858) une dissertation de M. Eugène de Certain, où les origines de Sancerre sont incidemment examinées et résolues dans un sens opposé à celui que nous avons nous-même adopté.

L'opinion bien nettement tranchée de M. de Certain à ce sujet est contraire aux opinions reçues dans le pays et aux monuments encore existants. Ne le fût-elle pas, c'était encore, semble-t-il pour nous, un devoir de l'examiner et de la réfuter, s'il y avait lieu.

C'est ce que nous allons essayer de faire, en nous réduisant le plus possible à la production de nos preuves, car l'auteur du travail en question ne semble vouloir admettre ni la tradition, ni la notoriété publique, pas même « l'accord unanime » des historiens du Berry.

Il nous fait connaître qu'en préparant, pour la Société de l'histoire de France, une édition des Miracles de St-Benoît, il a rencontré plusieurs fois la mention d'une ville appelée : Gorthonis ou Gordonis castrum, par les moines de Saint-Benoît, — et, qu'en relisant avec attention les descriptions données par ces chroniqueurs, il acquit la conviction que cette ville n'était autre que Sancerre. Quant à Saint-Satur, son opinion arrêtée est qu'il doit être le Sacrum Coesaris connu dans le moyen-âge.

Après diverses considérations générales mutiles à rapporter, il dit (p. 534) : « Je suis le premier à reconnaître, je le répète, que les deux localités dont


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» je viens de parler, St-Satur et St-Thibault, ont été, à l'époque Gallo» Romaine, le siége d'établissements plus ou moins importants. Ce que » je nie, c'est que ni l'un ni l'autre s'appelât, à cette époque, Gordonis » Castrum. Ce que j'affirme , et suis en mesure de prouver, c'est qu'au » moyen-âge c'était Sancerre que l'on désignait par ce nom. »

Contrairement au sentiment de M. de Certain, prouvons d'abord que le nom de Sacrum Coesaris appartient exclusivement à Sancerre, et qu'il n'a jamais servi à désigner Saint-Satur.

Affirmer qu'on est en mesure de prouver que Sancerre s'appelait, au moyen-âge, Castrum Gorthonis, c'est nier que son nom fût Sacrum Coesaris. Comme nous avons traité spécialement cette question dans nos observations sur Sancerre, nous ne nous répéterons pas ici, nous y renverrons pour les autorités qui y sont citées. Quant à l'attribution à Saint-Satur du nom de Sacrum Coesaris, c'est une pure hypothèse étayée sur des conjectures toutes en opposition formelle avec les monuments historiques.

Nous affirmons, preuves en main, que Sancerre n'a jamais eu, au moyen-âge, d'autre nom que celui de Sacrum Coesaris. Aux pièces que nous avons produites, nous ajouterons le commencement des bulles de 4454 et 4464 que nous avons omis, et que nous allons rétablir, vu leur importance dans la question qui nous occupe.

Bulle d'Adrien IV, de l'an 4454, contenant le détail des biens, droits, priviléges, etc. de l'abbaye de Saint-Satur : « Adrianus episcopus, servus » servorum Dei, dilectis Radulpho abbati ecclesioe Sancti Satyri quoe » juxtà Sacrum Caesaris sita est ejusque fratribus, etc. »

Bulle d'Alexandre III (1164), donnée dans le même but que la précédente : « Alexander episcopus, etc., dilectis Joanni abbati ecclesioe Sancti » Satyri quoe juxtà Sacrum Caesaris sita est, etc. »

Dans le corps de ces deux actes, Sancerre est toujours appelé Sacrum Coesaris et Saint-Satur Sanctus Satyrus. Témoin ces passages : « In quibus » hoec propriis duximus exprimenda vocabulis in Castro Caesaris Sacro ; » ecclesiam videlicet Sti Petri, ecclesiam Sti Iterii, etc., etc., et omnia » quoe in ipso castro possidetis. »

« Insuper etiam Burgum ipsum in quo eadem ecclesia Sti Satyri sita » est (1).»

D'après ces bulles et les autres pièces citées dans nos observations, il

(1) Veut-on une autre preuve, ouvrons la Gallia Christiana (II, 1720), nous lisons : « Sanctus Satyrus ordinis Sancti Augustini in archipresbyteratu SACRI CAESARIS,

» non longe a flumine Ligeris fundatur à Mathildâ loci dominâ..... etc. » On voit par là, que Sancerre, même au XVIIIe siècle, était encore nommé en latin :

Sacrum Coesaris.

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est évident qu'au XIIe siècle Sancerre était désigné dans le langage officiel par Sacrum Coesaris.

Voyons donc les preuves dont excipe M. Eugène de Certain à l'appui de son opinion. Cette discussion fera connaître si Saint-Satur est le Castrum Gorthonis des chroniques de Fleury, difficulté que nous voulons voir résolue. Mais avant tout nous rappellerons, pour n'avoir pas à le répéter ici, qu'il est faux, comme l'avance La Thaumassière, répété par l'honorable écrivain de la Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, que Philippe-le-Breton ait inventé le nom de Sacrum Coesaris, sous Philippe-Auguste. Nous avons prouvé que cette dénomination leur était antérieure, puisqu'elle paraît dans une bulle de 1143, 27 ans avant la naissance du poète et 40 ans avant celle du prince.

Nous commencerons par la légende de saint Romble ( Romulus ), parce que c'est le plus ancien monument ( 463 ) qui mentionne le Castrum Gorthonis ; il est vrai que M. de Certain déclare y ajouter peu de foi. Pour notre compte, nous la considérons comme méritant confiance, pour ce qui concerne l'existence du saint, son séjour à Subligny, et l'épisode du Patrice Egidius, que n'a pas craint d'admettre le savant Bouquet. Cette légende, en nous arrivant à travers les siècles par la tradition orale, a pu s'enrichir de quelques détails, mais les faits essentiels ne sauraient être contestés; c'est ainsi qu'en ont jugé les bénédictins et les autres savants critiques des deux derniers siècles, de même que les ecclésiastiques qui ont présidé à la confection du bréviaire de Bourges de 4734. Or, tant qu'on n'élèvera que des doutes contre elle, nous la tiendrons pour bien et dûment authentique.

Voici ce que rapporte la vie de ce saint :

« Le comte Egidius, après sa victoire sur les Visigoths, vint occuper le » Château-Gordon et en abandonna le pillage à ses troupes, sans même en » excepter les autels, etc. (4). »

La légende n'indique pas, il est vrai, où était situé ce Castrum Gordonis, mais la tradition et l'histoire nous apprennent que c'était à Saint-Satur. La suite de cette discussion éclaircira ce fait.

D'ailleurs nous tenons à constater ici que le texte de cette légende exclut toute idée de forteresse à Château-Gordon, elle témoigne, même implicitement , mais clairement, du contraire, sans quoi il faudrait supposer que les habitants et l'église étaient dans le château, ce qu'on ne peut raisonnablement admettre. Le Castrum Gordonis n'était donc qu'une population agglomérée, un village qui portait ce nom, et nous en ferons connaître

(1) Cùm OEgidius cornes post Visigothos proelio superatos, Castrum Gordonis occupatum ab exercitu vastari permitteret, nudatis etiam attaribus, Romulus victorem adit, etc. — ( Bréviaire de Bourges de 1731 ) — (5 novembre ).


— 83le motif dans un autre mémoire en traitant de l'origine de la population du bourg de Saint-Satur.

Egidius put ainsi occuper, sans coup férir, cette bourgade qui était ouverte de tous côtés. Quant au château, ou forteresse, qui existait au Château-Gordon ( Saint-Satur ), il est bien postérieur au Ve siècle. Il fut élevé auprès du bourg ou village (Castrum Gorthonis), et naturellement il en prit le nom ; mais il est extraordinaire que toutes les fois qu'on rencontre dans les auteurs cette appellation ou ses dérivés, elle ne soit toujours applicable qu'au bourg (Castrum Gorthonis), à la population (Gordonicenses (1), Gorgonici (2), ou à la châtellenie prise en bloc, mais jamais au manoir en particulier (3).

Pour l'intelligence de la discussion qui va suivre, nous allons donner la description fidèle des localités.

La montagne de Sancerre n'est pas isolée au milieu d'une plaine, comme le croit l'auteur de la notice à laquelle nous répondons. Elle fait partie d'une chaîne qui parcourt l'arrondissement à peu près du sud au nord. Elle est en ligne avec les montagnes voisines, mais elle en est séparée par deux gorges profondes, au sud et au nord, qui vont toujours en s'évasant jusqu'au sommet; la première peut à peine livrer, par le bas, passage à

(1) Chronique de Benoît Fleury.

(2) Prose de saint Romble.

(3) L'habitude d'attribuer aux Romains les monuments dont l'origine est inconnue, puis l'exagération, ont fait du château seigneurial de Saint-Satur, une forteresse, et une forteresse romaine presque formidable. Rien n'est moins exact. C'était un carré long allant de l'est à l'ouest, sans fossé ni autre défense que l'épaisseur de ses murailles. Sa sûreté était d'ailleurs gravement compromise par la colline qui continuait à monter derrière lui, et qui le dominait tout entier. La Thaumassière, Raynal, l'historien de l'abbaye de Saint-Satur, la tradition et la notoriété locale le placent, avec raison, dans le bourg actuel de Saint-Satur. M. Meunier, ancien préfet, dans une notice publiée en 1856, le met dans les ruines romaines, découvertes à La Folie, près de Saint-Thibault. M. Gemhaling, dans les comptes-rendus des travaux de la Société du Berry, en 1856-57 et 1857-58, le voit sur l'emplacement même qu'occupe aujourd'hui le village de Saint-Thibault. Cette indication est une erreur involontaire, nous pensons que l'auteur a voulu désigner aussi le lieu où gisent les ruines gallo-romaines ; mais cette opinion n'est pas soutenable, elle ne repose absolument sur rien. On a vu des murs énormes et l'on en conclut qu'ils avaient appartenu à la forteresse de ChâteauGordon. Nous rappelant cet axiome de philosophie : la relation des sens est trompeuse, nous avons mesuré ces substructions : les plus épaisses ont 1m, les autres 0,60e seulement. De bonne foi, sont-ce là des fondations de forteresse ? Les murs chez les Romains devaient être très forts pour supporter leurs toits aigus écrasés sous des tuiles pesant de 2 à 4 kilogr. Il existe encore à Sancerre de vieilles maisons qui ont des murs de un mètre par le même motif. Le Château-Gordon ne pouvait servir ni à défendre le passage du fleuve, ni à protéger les établissements romains, il en était beaucoup trop


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une voiture, l'autre a 20 à 25 mètres de large. La montagne est d'ailleurs fortement attachée au groupe, au sud-ouest. La ville se trouve assise audessus.

Saint-Satur n'est pas non plus en plaine ; il est situé dans un bassin formé à l'est, par la Loire, à l'ouest, par la chaîne, de montagnes dont nous venons de parler, au nord, par une colline, aussi élevée que Sancerre, et qui prend naissance à l'est, auprès de la rive du fleuve, et se prolonge, vers l'ouest, jusqu'à la montagne où est situé Sancerre. Les deux points extrêmes de la commune de Saint-Satur sont, d'un côté la Loire, à SaintThibault, de l'autre Sancerre. Le bourg est au milieu, bâti un peu au-dessus du pied de la colline, à dix mètres environ au-dessus du niveau des eaux du fleuve ; il forme un carré long, se présentant en amphithéâtre, de sorte qu'il y a aujourd'hui des maisons dont le pied touche le toit de celles qui leur sont inférieures.

Nous aurions bien voulu transcrire les passages du livre des Miracles de saint Benoît, rapportés par M. de Certain, ils auraient jeté du jour sur les faits et donné plus d'intérêt à notre réplique, mais forcés d'abréger le plus possible, nous ne citerons que les parties sur lesquelles roulera le débat, en renvoyant à consulter ceux qui en auraient le désir au n° en question de la Bibliothèque de l'Ecole des Chartes.

C'est d'abord Pépin-le-Bref qui, se rendant à Bourges en 767, vint passer la Loire au Château-Gordon, que M. de Certain prend pour Sancerre. (1).

« Saint-Thibault, dit-il, n'est qu'un village situé sur la Loire, et au pied » de la montagne de Sancerre, dont il peut être considéré comme le » port (2). »

D'après une semblable description on pourrait croire, en effet, que Pépin

éloigné. Il ressort évidemment de sa situation qu'il n'a été construit que pour assujettir la population dé Castrum Gortonis, et la maintenir en servitude. Il est de fait que les habitants étaient serfs sous leurs premiers seigneurs, et qu'ils le sont réstés sous leurs nouveaux maîtres, les religieux. Enfin, nous avons vu démolir, en 1818, quelques parcelles de cet antique édifice, et nous pouvons affirmer que la maçonnerie était en tout pareille à celle du château de Sancerre, et. entièrement différente des substructions mises au jour à Saint-Thibault.

Sur son emplacement existe aujourd'hui le pressoir de l'ancien monastère. On distingue encore à l'angle sud-ouest l'épaisseur des murs de ce château, qu'on ne peut évidemment faire remonter au-delà du régime féodal.

(1) Anno sequenti (767) Pippinus, commoto omni exercitu Francorum, per pagum Tricassinum, indè ad urbem Antissiodorensem veniens , ad Castrum quod vocatur Gordinis cum regina sua Bertranade jam fiducialiter Ligere transacto , ad Betoricas accessit, palatium sibi oedificare jubet.— (D. Bouquet, t. V, p. 7; 4e continuateur de Fredegaire).

(2) Loc. cit., p. 531.


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vint débarquer au pied de la montagne ; dans cette hypothèse, Sancerre se trouvait être naturellement le Castrum Gorthonis indiqué par l'historien pour le lieu du passage, puisqu'il eut été celui du débarquement.

Mais il n'en est pas ainsi. Saint-Thibault n'est pas au pied de la montagne de Sancerre et ne lui appartient pas; il y a entre ce port et la ville tout le territoire de St-Satur, un intervalle de plus de deux mille mètres, à vol d'oiseau ; or, dans cet intervalle se trouve le bourg de Saint-Satur rapproché de la Loire.

Au temps de Pépin, la rive droite du fleuve était un désert. St-Thibault n'existait pas encore sur la rive gauche (4) , de sorte que le premier village qui s'offrit au roi, après qu'il eut pris terre, fut nécessairement St-Satur. Si cela est vrai, et c'est incontestable, l'historien a dû et voulu le désigner pour le point où la Loire fut traversée. — Saint-Satur se trouvera ainsi être le Castrum Gordonis, nommé par le chroniqueur de D. Bouquet.

Nous ne nous arrêterons pas à l'anecdote de ce jeune homme qui mit le feu à des granges remplies de blé que possédaient, à Châtillon, les moines de Saint-Benoît-sur-Loire, attendu qu'elle n'est produite que pour citer le Château-Gordon, et sans qu'on tire aucune conséquence. Elle n'est là que pour faire nombre. Toutefois elle recevra une solution.

Mais il est un autre passage qui mérite d'attirer plus sérieusement notre attention.

Gimon, seigneur du Château-Gordon, avait une fille unique, qu'il laissa bientôt orpheline. Elle fut mariée à Robert, l'un des cinq fils de Landry, comte de Nevers. Comme les conjoints n'étaient encore que de petits enfants (Admodum parvuli erant) Landry vint s'établir au Château-Gordon sous prétexte de veiller à leurs intérêts. Ce fut donc en qualité de père et d'administrateur qu'il disposa des hommes de guerre de cette seigneurie, et les joignit aux siens dans son expédition contre Gilon, seigneur de Sully.

Remarquons bien que c'était le Château-Gordon qu'il occupait, et nous démontrerons plus loin que le Château-Gordon n'était pas Sancerre. André de Fleury est très clair et très précis à cet égard.

Quelques soldats de Saint-Satur ayant commis des déprédations sur les

(1) Le village de Saint-Thibault ne doit son origine qu'à une chapelle que firent construire en cet endroit les princes de Champagne, seigneurs de Sancerre, en l'honneur d'un saint de leur famille , mort en 1066. Ils la donnèrent avec les bâtiments qui en dépendaient, aux religieux de Saint-Satur, et elle figure parmi leurs

biens dans les bulles de 1154 et 1164 (Ex altera vero, Capella Sti Theobaudi

cum oedificiis ibidem constitutis ) En 1578, au moment où Jean de Léry écrivait

sa relation du siége de Sancerre, Saint-Thibault était encore peu de chose. « Il y a, » dit-il (sur la Loire), un port appelé Saiunt-Thibaut, où il y a dix à douze maisons. » — ( Hist. mémorable, etc., ch. 1er. )


terres de Saint-Benoît ( a quibusdam militum castri quod Sancti Saturi dicitur, etc. ), Gilon de Sully vint au secours du monastère et se prépara à punir les coupables. Ceux de Saint-Satur l'ayant appris songèrent à se défendre. Ils réunirent des troupes, et, sous la conduite de Landry, comte de Nevers, marchèrent à la rencontre de l'ennemi. (Quo Gordonicenses comperto, Landrico duce, Nivernensium Comité, undecumque contractis armis, in hostes properant).

En lisant ces textes, sans prévention, on ne peut s'empêcher de reconnaître la corrélation qui existe entre les soldats de Saint-Satur et leurs concitoyens Gordonicenses. Pourquoi Gilon s'en serait-il pris aux habitants de Sancerre des injures faites par ceux de Saint-Satur? Pourquoi ceux de Sancerre se seraient-ils cru obligés de prendre les armes pour ceux de SaintSatur ? Croit-on qu'ils eussent choisi pour chef le comte de Nevers ? N'eussent-ils pas d'abord recouru à leur seigneur naturel, le comte de Champagne, bien plus en état de les protéger que Landry dont les troupes, en définitive, furent presque entièrement détruites par Gilon ?

Au reste ce comte ne disposait que des forces et des ressources d'une seigneurie appartenant à ses enfants, et dont il croyait pouvoir user, vu l'extrême jeunesse des ayants-droit.

M. de Certain est obligé de supposer que Gimon, père de Mathilde, aurait momentanément possédé Sancerre (le prétendu Castrum Gorthonis), et, ce qui serait bien plus fort, en aurait pris le nom et l'aurait signé dans des actes publics. Une pareille hypothèse est une énormité qui se réfuterait d'elle-même si elle n'était pas formellement démentie par les historiens du Berry, et plus spécialement encore par les historiens de la Champagne et de ses comtes.

Eudes ou Odon le Champenois possédait les comtés de Blois, de Chartres, de Tours, de Meaux et celui de Beauvais qu'il échangea à son frère Roger contre celui de Sancerre (4).

Or, peut-on raisonnablement supposer que Eudes, comparé par un ancien auteur (2) à Caton, ait pu consentir à donner son comté de Beauvais, dont il jouissait pleinement et sans conteste, pour prendre celui de Sancerre dont il n'aurait été que le maître nominal (3) !

Il faut oublier les moeurs de l'époque, l'esprit peu endurant, hautain,

(1) Sigeb. in anno. 1015, 1024.

(2) Auth. de castro ambas., c. 2.

(3) C'est à tort que l'auteur de la notice le désigne comme le premier qui prit le titre de comte de Sancerre ; ce fut son arrière petit-fils, Etienne Ier (1152), en faveur duquel la terre de Sancerre fut détachée du comté de Champagne.


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batailleur des grands vassaux de la couronne pour supposer que les puissants comtes de Champagne, ayant la force de se faire justice euxmêmes, eussent supporté tranquillement l'usurpation non seulement de leur titre de seigneurs de Sancerre, mais celle de la ville elle-même ; le cheflieu et la clé de leurs immenses domaines en Berry, une forteresse alors inexpugnable, qui dominait sur toute la contrée, les rendaient maîtres d'une partie du cours de la Loire, comme ils l'étaient déjà d'une partie du cours du Cher ; ville enfin où ils entretenaient de nombreux officiers de toute nature et une garnison (1).

Et tout cela se serait opéré par Gimon de Castro Gordonico, châtellenie enclavée dans les vastes possessions du fief de Sancerre , et qui n'était au milieu d'elles qu'un point imperceptible. Notons qu'elle n'aurait pas su échapper à la rapacité de ses puissants voisins, si ses maîtres, qui étaient les chevaliers ou vassaux de l'église Saint-Etienne de Bourges, n'eussent pas été protégés par l'archevêque et le chapitre de cette cathédrale.

Nous ne craignons pas de dire que l'occupation et la jouissance paisible de Sancerre par Gimon est la chose la plus invraisemblabie du monde.

Allons plus loin. Après le long récit des infortunes de Mathilde, le chroniqueur dit qu'elle fonda , à grands frais, et dota richement un monastère non loin du château Gordon.

Ipsa autem, sacro velamine suscepto, atque in honore, Sanctorum martyrum Satiri, Saturnini, Perpetuoe et Felicitatis sociorumque eorum, haud longe a castro praetaxato , monasterio magnis sumptibus constructo, propriisque juris possessionibus ampliato seu aggregato, clero sub normali natura vivere parato, se sanctoe religionis perpetuali addixit proposito (2).

Sur ce texte, l'honorable auteur de la notice fait remarquer : « Que » quand André de Fleury parle du château Gordon, il est impossible d'ad» mettre qu'il veuille désigner une autre ville que Sancerre. » Et il ajoute : « En effet, il dit premièrement que Mathilde construisit l'abbaye de » Saint-Satur, non à Gordon même, mais non loin de cette ville, haud » longe a castro proetaxato, et nous savons qu'effectivement Saint-Satur » n'est éloigné de Sancerre que d'une demi-lieue. »

Il a échappé à M. de Certain que cette longue narration commence précisément par le nom de Saint-Satur (a quibusdam militum castri quod Sancti Saturi dicitur.) Et que les habitants y sont appelés Gordonicenses, leur ancien nom, probablement à défaut de ne pouvoir latiniser celui de

(1) Les bourgeois étaient chargés de la garde de la ville, mais il y avait dans le château des hommes d'armes et un commandant ou gouverneur.

(2) Chronique de l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire , livre des miracles de St-Benoît, cité par M. de Certain.


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Saint-Satur. Nous avons avancé, et nous continuons à penser, qu'il y a corrélation nécessaire entre Castri quod Sancti Saturi dicitur, et le mot Gordonicenses qui vient peu après. Quant à cette phrase : haud longe a castro proetaxato, elle s'explique tout simplement quand on connaît les lieux.

Le monastère que fit bâtir Mathilde n'était pas « dans lé bourg de Saint-Satur » (Castrum Gorthonis), mais placé isolément, beaucoup plus haut sur la colline. On peut encore en voir les ruines à 500 mètres au moins de la portion primitive du bourg de Saint-Satur (1).

La narration d'André de Fleury est parfaitement exacte et claire pour nous qui connaissons les lieux contentieux, si nous avions aujourd'hui à rapporter les mêmes événements concernant Saint-Satur, nous ne le ferions ni autrement ni en d'autres termes.

A un autre endroit de son travail, l'auteur que nous combattons ici cite en entier le long récit du miracle opéré au Castrum Gorthonis par les reliques de saint Benoît, lors d'une peste qui désola, au XIIe siècle, les populations riveraines de la Loire, et il en conclut, comme toujours, que Sancerre est le château Gordon. Il y a là, comme dans les autres passages déjà rapportés, erreur manifeste. Nous avons là conviction, et nous sommes en mesure de le prouver, que, malgré l'assertion de La Thaumassière, le miracle a été fait à Saint-Satur.

M. Raynal, dans son Histoire du Berry, le place aussi à Saint-Satur, et cela devait être, car la relation contient des détails qui ne conviennent qu'à cette commune ; et qui ne peuvent pas laisser le plus léger doute à cet égard.

Après avoir dit que tous lès habitants, jeunes, vieux, valides, infirmes, etc. se précipitèrent au-devant des reliques, l'historien ajoute : « Les chanoines » de Saint-Satur, vêtus de soutanes blanches et portant, par dessus, des » chappes de soie, viennent aussi à leur rencontre, précédés des croix, des » cierges, dès encensoirs, etc.

( Paucis diebus revolutis, eadem pestifera lues invasit incolas castri

(1) Les bâtiments de l'abbaye, détruits en 1420 par les Anglais, ont été remplacés, en 1726 , par d'autres touchant le bourg , et qui existent encore tous , seulement ils ont été appropriés à des habitations laïques. Pendant un intervalle de 120 ans , les religieux, qui n'étaient d'ailleurs qu'au nombre de six, furent logés dans des appentis élevés le long du mur de l'ancienne église qui avait été ruinée elle-même avec le monastère. Une route ayant été ouverte tout auprès, ils se trouvèrent ainsi pendant longtemps sur la voie publique. Avant la construction de ces appentis, ils avaient demeuré tantôt dans leur maison de St-Père , à Sancerre , tantôt à leur refuge de Belleville, près Léré. (D. Desmaisons, Hist. manuscrite de l'abbaye de St-Satur).


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quod Gordonicum vocatur, in pago Biturico situm ). Alors les

habitants de Saint-Satur envoyèrent des députés au monastère de Fleury , pour solliciter le transport des reliques de Saint-Benoît au milieu d'eux , afin d'en chasser la contagion. Cette demande fut accordée. « Assumpto » igitur quidam religiosorum fratum celeberrimo martyre cum sacra» tissimis patris Benedicti pignoribus, honesto comitum tam clericorum » quàm laicorum vallati agmine, ut tantum decebat martyrem, ad desti» natum locum perveniunt. Comperto Gordonicenses ad quos tendebant » eorum adventu, obviam ruant omnis sexus omnis que oetas ; senes jam, » decrepiti, incurva baculo substentes membra, pueruli etiam quos modo » oetas ad frequentationem habiles reddiderat, quibus poterant verbis, » ad accelerandum sibi opitulari rogabant...... Occurrunt etiam cum

» maxirno tripudio sancti Satyri canonici, albis induti vestibus (1), » superamicti holosericis cappis, crucibus, cereis, thuribulisque thymia» mate vaporantibus proemissis. Deducitur beatissimus martyr hoec » populi frequentia usque ad castri Superiora, quod situm est, ut reco» lunt qui viderunt, in praerupti collis eminentia. Expositis ergo in pla»

pla» ejusdem oppidi cupis, defertur vinum (caeterum idem

» castrum prae caeteris vino abundat »

Les lignes que j'ai soulignées, dit M. de Certain, contiennent en quelques mots la description de Château-Gordon. Est-il possible de ne pas reconnaître Sancerre dans cette ville située sur une montagne escarpée et produisant du vin en abondance ?

Ceci est fort clair pour nous « les chanoines de Saint-Satur vont aussi au devant des reliques. » Cette phrase nous semble décisive et tranche la question de savoir si les reliques allaient à Sancerre ou à Saint-Satur. Si elles étaient conduites à Sancerre , cette ville devenait Castrum Gordonis dans la pensée de l'écrivain ; dans le cas contraire, Castrum Gordonis était Saint-Satur. La difficulté est donc de donner à la légende son véritable sens quant à la question du lieu.

D'abord, un mot sur le passage suivant par lequel le religieux de Fleury commence le récit du miracle : « Cujus in vicinio oppidi (Sti Satyri ) » quoedam res habentur patris Benedicti cum ecclesia dicata in honore » Christi confessoris Martini sita in cacumine anté lati. Castri. »

« Notre père Benoît a quelques possessions dans la ville qui est voisine

(1) Le costume des religieux de Saint-Satur était soutane blanche, ceinture noire, des bas noirs, un chapeau et un rabat à la mode des séculiers. Après la réforme opérée, en 1715, l'habit fut soutane noire, rochet par-dessus, bonnet carré en été et camail en hiver. (Hist, manuscrite de l'abbaye de Saint-Satur, déjà citée).

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» de Saint-Satur ; c'est une église dédiée à Saint-Martin et située sur le » point le plus élevé. »

L'indication est exacte. Le prieuré de Saint-Martin, dont il reste encore quelques ruines dans le cimetière de Sancerre, était bâti sur le sommet de la montagne, et c'était le premier bâtiment (antè) qu'on apercevait de Saint-Satur.

M. de Certain s'empare de ce passage comme étant décisif en faveur de son opinion. Si l'écrivain eut considéré Sancerre comme le château Gordon, il n'aurait pas dit, en racontant un miracle opéré à Sancerre, la ville voisine ; il eut écrit in eodem loco. Pourquoi donc ce détour par Saint-Satur? C'est que le narrateur, témoin occulaire de tout ce qu'il raconte, se reporte en esprit dans cette commune au moment de la rédaction de sa chronique, parce que le miracle s'est réellement accompli à Saint-Satur. Il dit que Sancerre est voisin de Saint-Satur ; que les Bénédictins y possèdent une église dédiée à Saint-Martin. Tout cela est parfaitement exact, mais nous ne voyons pas en quoi ce passage peut servir à prouver que Sancerre était le château Gordon ; il nous appartiendrait, au contraire, à juste titre, si nous en avions besoin; car la bulle de Luce III, rapportée dans nos Observations précédentes , tranche nettement la difficulté en disant que le prieuré de Saint-Martin est dans Sancerre : prioratus de Sacro Coesare.

Arrivons maintenant au miracle et surtout aux détails.

La relation en est très pittoresque et excite vivement l'intérêt. L'auteur décrit minutieusement cette foule de peuple qui s'empresse au-devant des reliques ; il ne nous fait grâce de rien , pas même des bâtons sur lesquels s'appuient les vieillards, de la fumée qui s'échappe des encensoirs, de la couleur blanche des soutanes des chanoines et des petits enfants qui, marchant à peine, prient qu'on les aide à avancer. Comprend-on alors que cet écrivain qui recueille de pareils détails' passe sous silence les herses, les ponts-levis de Sancerre (1), sa forteresse, ses fortifications, ses hommes d'armes, et tout ce qu'il a dû remarquer dans la ville ? Nous voyons bien tout ce que le chroniqueur veut nous montrer, même les choses les plus minimes et les plus indifférentes ; mais où sont donc les officiers du comte, car le comte avait à Sancerre de nombreux.officiers et une justice? Nous

(1) Vers 1846, la mairie fit baisser le chemin qui descend de la porte Orson à Ménétréol. On y retrouva, eu parfaite conservation , le fossé sur lequel s'abaissait le pont-levis ; il était revêtu de solides pierres de taille. L'un des montants de cette porte subsiste encore en partie, et l'on y distingue la feuillure dans laquelle s'emboitait le pont quand il était levé.


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cherchons en vain, dans le cortége, le clergé de Sancerre ; il n'y est pas. Dans un siècle si profondément religieux, alors que régnait la vénération la plus vive pour les reliques de saints ; dans une circonstance toute d'humanité puisqu'il s'agissait de délivrer la population de l'épidémie horrible et désastreuse qui la décimait, tout le clergé de Sancerre aurait-il fait défaut à la fois ? Quoi ! il aurait manqué, d'une manière aussi publique, aussi éclatante, à ses devoirs et à sa foi, aux plus vulgaires convenances! Cette supposition n'est guère admissible, il faut en convenir. Et cependant l'absence du clergé de Sancerre, en cette circonstance, est un fait indubitable, et l'historien est trop prolixe pour qu'on puisse attribuer son silence à une omission. Il faut en chercher la cause ailleurs.

La cause? C'est que les reliques étaient conduites à Saint-Satur et non à Sancerre. La présence des seuls chanoines de Saint-Satur le prouve du reste.

Oui ces reliques étaient pour Saint-Satur, elles s'y sont arrêtées, et y ont séjourné plusieurs jours à la demande des habitants. Voilà pourquoi le clergé de Sancerre et nul des officiers du comte ne paraissent à la cérémonie. Cette conclusion découle naturellement des faits, et pour être logique, il faut, selon nous, reconnaître que le miracle s'est accompli à Saint-Satur.

Cette conséquence étant accordée d'une part, et le chroniqueur, d'autre part, plaçant le prodige au Castrum Gorthonis, il s'ensuit nécessairement que Saint-Satur et le château Gordon sont une même chose. Et, du même coup, cette explication réfute aussi La Thaumassière qui a placé à Sancerre le miracle dont il s'agit.

Nous avons insisté d'une manière aussi pressante sur ce fait parce qu'il est présenté, dans le Journal de l'école des Chartes, comme la pierre angulaire du système que nous combattons.

« La description des lieux, dit M. de Certain, convient de tous points à Sancerre et nullement à Saint-Satur. » C'est une erreur complète, la description convient parfaitement à Saint-Satur. Nous avons dit que le bourg était sur le penchant de la colline, vers le bas ; que l'abbaye se trouvait, environ, à 500 mètres au-dessus. Entre les deux, étaient le château Gordon, demeure seigneuriale, et l'église. Au-devant de ces deux édifices régnait une grande plate-forme qui dominait entièrement toutes les maisons des habitants. C'est sur cette place (in planitie) (1), qu'eut lieu la

(1) Cette place , qui existe encore , s'appelle toujours Place du Moutier, elle est maintenant bordée de maisons qui empêcheraient de voir d'en bas ( l'antique portion de Saint-Satur) ce qui s'y passerait aujourd'hui.


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cérémonie vineuse rapportée par le moine Tortaire. Quant aux vignes, nous voyons, par les bulles de 4454 et 4464, que nous avons citées dans nos Observations sur Sancerre, que Saint-Satur était, à cette époque, un vignoble important (1).

Nous allons donner quelques extraits de l'histoire manuscrite de l'abbaye de Saint-Satur, que nous avons eu déjà plusieurs fois l'occasion de mentionner.

« Je commence mon histoire, dit l'auteur, par la description et I'expo» sition de sa situation, et de ses édifices tant anciens que modernes et » des masures existantes. Cette abbaye est située dans un des plus beaux » et des plus agréables cantons du Berry, au bas de la montagne de » Sancerre, dans un gros bourg qui fut autrefois entouré de murs (2) et » qui portait le nom de ville, sur le penchant d'une colline fort spacieuse » qui produit d'excellents vins et très renommés. Du côté du midi se voit, » en face, l'ancien château Gourdon dans toute son étendue, dont les murs » ruinés ont encore plus de vingt pieds d'élévation (3).

» Du côté du septentrion était l'enclos des religieux allant jusqu'au

» bois ( au sommet de la colline ) La plupart des édifices ci-dessus,

» comme le château Gourdon...... ont l'aspect (la vue) de la Loire.

» Du côté de l'occident était la cour du château Gourdon dans laquelle » étaient les celliers, cuves, pressoirs, etc.

» M. François de Rochechouart, nommé abbé de Saint-Satur, en 1657 » voulut se procurer à Saint-Satur un logis abbatial, il projeta de

(1) Il est question dans ces deux bulles des limites du territoire de l'abbaye. Nous n'en prendrons que les passages dans lesquels figurent ses vignes. « Sursum tendens

per VINEAS (au sud) paululum supra crucem usque ad fontanellas progreditur

via candida usque ad vallem. Joannis de Charnes , et exinde dirigitur inter duo nemora, et per proclive , de vineis (à l'est) usque in Ligerim descendit. » (V. le Cartulaire de Saint-Satur aux archives de la Préfecture du Cher).

(2) « La ville de Saint-Satur est assise au-dessous de la ville de Sancerre, etc. » Elle a été nouvellement (1566) fermée de murailles et de quelques petites tours et

» fossés Elle est de façon presque carrée étant toutefois plus longue que large.

» (Chaumeau , Hist. de Berry , p. 250). Il y a en ce lieu une fort belle et antique » abbaye, grande et spacieuse , bien close et renfermée de murailles fort haultes et » espesses avec tours et portaux, d'ouvrage moderne qui est fondée de Saint-Satur... » L'abbé est seigneur temporel de ladite ville. (Ibid. ). A un trait d'arc ( de Saint» Thibault) tirant à la ville (de Sancerre) est un beau grand bourg fermé de murailles, » appelé Saint-Satur, du nom de l'abbaye assez ancienne qui y est. (Hist. du siége » de Sancerre, par Jean Léry (1578). »

(3) Hist manuscrite de l'abbaye de Saint-Satur, faite, en 1752, par dom Desmaisons, religieux de ce monastère, chap. Ier.


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» rétablir le château Gourdon qui avait été incendié dès le temps des » Anglais avec toute l'abbaye. Cette entreprise lui parut d'une trop grande » dépense, il crut qu'il lui en coûterait beaucoup moins d'acheter un » logement tout construit, ce qu'il fit (1). »

On voit, d'après ces extraits, que ce que l'on appelait Château Gordon, dans le moyen-âge, était situé dans le bourg actuel de Saint-Satur. Tous les dictionnaires géographiques un peu étendus, soit anciens, soit modernes, indiquent Saint-Satur comme l'ancien Castrum Gorthonis ou Gordonis. Nous pourrions en citer beaucoup, mais comme, en définitive , toutes ces citations seraient plutôt des renseignements que des preuves, nous nous bornerons à deux.

« Saint-Satur doit son nom à la célèbre abbaye qui y fut fondée par » saint Romble, au lieu dit Gardonicum, etc., dit Malte-Brun. V° Saint» Satur.

» Saint-Satur, Fanum Sancti Satyri, bourg dans le Berry. ...., situé » au pied de la ville de Sancerre, près la Loire. Ce bourg se nommait » autrefois Gordéne ou Gordon qu'il a changé contre celui de l'abbaye qui

» y fut fondée Il en dépend deux villages : Fontenay d'un côté,

» Saint-Thibault de l'autre côté, sur la Loire, où il y a un port..... La

» plupart du terrain est en vignes de bon rapport autant estimé que

» le vin de Bourgogne (2).

» Saint-Satur, Sancti Satyri abbatia, abbaye d'hommes de l'ordre de

» Saint-Augustin, située en Berry, dans le bourg de Saint-Satur Cette

» abbaye fut d'abord fondée par saint Romble, à Subligny, à deux lieues » de Sancerre, vers l'an 469. Elle fut depuis transférée, vers l'an 647, au » château Gordéne ou Gordon, qui a pris le nom de Saint-Satur, parce » que l'on y avait aussi transféré le corps de ce saint par les soins de » Mathilde ou Mahault, dame de Gordéne. Depuis, les biens de cette » abbaye ayant été dissipés, une seconde Mathilde, fille de Gimon, sei» gneur du même château de Gordéne, la répara en 1034. Elle fut brûlée » par les Anglais , etc. (3). »

Il y avait donc, on le voit, un château Gordon à Saint-Satur, mais il est nécessaire d'ajouter ici un léger éclaircissement pour expliquer tous les actes qui en font mention.

Nous avons dit qu'il fallait distinguer le Castrum Gorthonis, ville ou village, du Castrum Gorthonis, demeure seigneuriale. Le premier changea

(1) Ibid., chap. XIX.

(2) Dictionnaire universel de la France ancienne, et moderne, 1726, t. 3.

(3) Ibid. Ibid.


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de nom à la fin du VIIIce siècle et prit celui de Saint-Satur en l'honneur des reliques de ce saint martyr, qui lui furent apportées d'Afrique. Le second (le manoir), conserva le sien, et ses seigneurs continuèrent à en prendre le titre jusqu'à la donation de Mathilde, en 4034, pour la fondation de l'abbaye de Saint-Satur. Cependant les deux noms furent employés indifféremment (1 ) et souvent ensemble, comme on a dû le remarquer dans la relation de la guerre entre Gilon de Sully et Landry de Nevers. Les étrangers surtout prenaient l'un ou l'autre. Ce ne fut que dans le XIIe siècle que le nom de Saint-Satur fut presque généralement adopté.

Il nous reste à examiner la dernière objection de M. de Certain, et nous terminons. Cette objection est tirée de l'absence du nom de Castrum Gorthonis, dans la charte de fondation de Saint-Satur de 1034.

Dans cette charte ne figure, en effet, que le nom de Saint-Satur ; mais, comme on l'a vu par les extraits de l'Histoire manuscrite de l'abbaye, c'était bien la seigneurie de Château-Gordon que donnait Mathilde : cependant nous prenons acte de ce que l'abbaye a été fondée à Saint-Satur ; fait, au reste, qui n'est contesté par personne, mais qui constitue là moitié de notre preuve finale.

L'église de l'abbaye fut longtemps à bâtir, puisque la dédicace ne s'en fit qu'en 1104. Ce fut l'archevêque de Bourges qui procéda à cette cérémonie en présence d'une foule de grands seigneurs, entre autres de la princesse Adèle ou Adelaïs, fille de Guillaume-le-Conquérant, comtesse de Champagne et de Sancerre, qui profita de cette occasion pour confirmer aux religieux les droits, priviléges, etc., dont ils jouissaient et leur faire restituer ceux qui avaient été usurpés. Cette dédicace fut constatée par un procès-verbal ou charte, dans lequel est seulement mentionné le ChâteauGordon. « In dedicatione igitur proefatoe ecclesioe anno M° c° IV. .... a

Leodegario Archiep celebrata; consuetudinem pacis Castri Gordonici

quoe tamen antiquitus ejusdem fuerat ecclesioe (2).

La charte de 1034 place l'abbaye à Saint-Satur, celle de 1104 déclare que l'église de l'abbaye était au Château-Gordon; or, on nous accordera bien que l'église de l'abbaye fut élevée là où se trouvait l'abbaye ellemême, car nous ne pensons pas qu'on veuille la placer à Sancerre le prétendu Castrum Gorthonis. Donc Saint-Satur et Château-Gordon sont un seul et même lieu. Ces deux chartes s'expliquent et se complètent l'une par l'autre ; elles forment ensemble une preuve claire, précise, entière, péremptoire. Cette preuve maintient Saint-Satur dans la possession de son

(1) On peut en voir la preuve dans la charte de 1034 et dans celle de 1104.

(2) Cartul. de Saint-Satur, f° 698.


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nom antique de Castrum Gordonis ou Gorthonis; elle rend désormais impossible, du moins à nos yeux, toute controverse sérieuse à cet égard. Enfin, elle force de rapporter à Saint-Satur ( quand il n'y a pas méprise évidente ), tous les passages où se trouve cité le Castrum Gorthonis dans les chroniques de Saint-Benoît et ailleurs.

Quant à Sancerre il conservera son nom de Sacrum Coesaris par respect pour les bulles des souverains pontifes, et la multitude de chartes et d'autres actes qui le lui ont donné.



UN

MÉNAGE LITTÉRAIRE EN BERRY

AU XVIe SIÈCLE. (JACQUES THIBOUST & JEANNE DE LA FONT).

PAR M. BOYER,

MEMBRE TITULAIRE.

43.



Ce sont, a vrai dire, deux illustrations de clocher ces deux personnages dont nous marions ici les noms comme rappelant le type d'une union digne d'étude. Je ne sais même s'il n'y à pas, eh quelque sorte, abus de mots à se servir de ce terme d'illustrations, qui implique une certaine réputation traditionnelle, pour désigner l'un d'eux resté jusqu'à ce jour à peu près inconnu. Jeanne de La Font en effet n'a guère encore été mentionnée par personne, au moins sous son véritable nom, comme une femme dont le Berry pût s'honorer, et à cet égard nous avons la prétention de réhabiliter une de nos gloires, qui, pour n'être pas des plus brillantes , n'a cependant pas mérité le déni de justice dont le temps s'est rendu coupable envers elle, ni l'effacement profond dans lequel l'ont plongée les circonstances qui l'ont jusqu'à présent cachée à toutes les investigations. Quant à Thiboust, il est un peu moins ignoré parmi nous. On trouve sur son compte une notice assez bien faite dans un recueil de biographies berruyères entrepris au siècle dernier par Jacques Robinet Desgrangiers, avocat du roi au baillage et présidial de Bourges et échevin de cette ville en 1787. Ce recueil, qui est resté manuscrit, est, pour ainsi dire inconnu, et j'en dois la communication à notre compatriote M. B. Zévort. Thiboust possède encore son article dans la Biographie berruyère de


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M. Chevalier, de St-Amand (1). Antérieurement, et sans que sa renommée ait de beaucoup dépassé les bornes de la localité, il avait été parlé de lui quelquefois comme d'un poète amateur en ces jours de réveil qu'on appela la Renaissance ; et surtout comme d'un protecteur des gens de lettres, qui jouait en petit sur une scène plus restreinte ce rôle de Mécène qu'affectèrent souvent les puissants portés par un goût inné pour les choses de l'esprit à cultiver la société des gens de lettres. C'est principalement à ce titre qu'il a encore mérité de figurer dans la galerie de portraits littéraires que Colletet a laissée sous le nom de Histoire des poètes françois (2).

Si nous nous attachons d'abord pour apprécier notre homme à la notice de ce dernier, c'est en raison de la rareté des documents qui nous restent sur celui qui en fait l'objet, et sur lequel jusqu'à présent aucun autre travail suivi n'a pu être consulté que les deux biographies de Colletet et de M. Chevalier, celle, bien supérieure, de Robinet Desgrangiers, devant être considérée comme totalement inédite.

Mais c'est surtout parce que les Histoires de Colletet jouissent d'une notoriété que ne justifie pas toujours leur importance. Pour ce qui regarde Thiboust notamment, il n'est pas possible d'entreprendre de retracer la vie d'un homme, quelqu'il soit, avec aussi peu d'éléments que ceux que Colletet avait à sa disposition. Aussi ce qu'on y apprend sur Thiboust se réduit à la plus simple expression possible. Nous y trouvons pourtant à glaner deux ou trois détails.

Jacques Thiboust naquit à Bourges, d'honorable homme Thomas Thiboust , bourgeois de cette ville, comme s'expriment plusieurs contrats passés au nom de son fils.

Une note manuscrite de la main de Jacques lui-même permet de rapporter la date de cette naissance à l'année 1492. Il existe en effet aux archives départementales du Cher (fonds de l'archevêché L. 19 bis) un registre dit le Registre noir, écriten entier de sa main et contenant des pièces dé toute nature sur les affaires qui pouvaient l'intéresser (3) ; or au f° 67 de ce manuscrit on lit la note suivante :

(1) V. cette notice dans le numéro des Annonces berruyères du 2 juillet 1836. (2). Biblioth. du Louvre. mss. F —. t. VI.

(3) Voici le titre de ce livre dans son intégrité et tel que l'auteur a cru devoir le formuler : « Troisiesme registre noir contenant les contracts d'acquisitions, quittances, recongnoissances, accords, et attires traictez, négoces et appoinctemens faiz par le seigneur de Quantilly, Me Jacques Thiboust, notaire et secrétaire du Roy, aussi secrétaire et valet de chambre ordinaire de Mme la duchesse d'Allençon et de Berry; Esleu pour led. faict (des aides et tailles) oudit pays et eslection de Berry, avecques les personnes et pour les causes qui s'ensuivent. - Thiboust. (1525-1531.) »


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« ESTAS JABI THIBOUST FIGURATA ANNO DNI 1516 JABI THIBOUST BITTURICEN CUI DUODECADE BINA C'EST POUR MECTRE ET ESCRIPRE AU BAS DE MA POURTRAICTURE FAICTE APRÈS LE VIF PAR Me JANET CLOET PAINTRE ET VALET DE CHAMBRE ORDINAIRE DU ROY EN L'AN MIL Ve. ET SEIZE.

THIBOUST.— » (1).

Agé de vingt-quatre ans, comme semble le dire cette inscription, il serait donc né en l'an 1492. Je ne sais sur quoi s'appuie la biographie de Robinet pour reporter cette date à l'année 1488.

Son père, qui avait nom Thomas (2), comme nous l'avons vu, et se disait seigneur d'Ervaux, près de Nemours, et de Villemanoche, près de Sens, avait épousé une Jeanne de Rusticat, qui, morte le 8 août 1522, était fille de Guillot de Rusticat, seigneur de Chavannes en Bourbonnais, et lequel mourut le 6 mai 1474. Elle avait pour mère Denise Dumoulin, qui, décédée le 4 novembre 1494, fut elle-même fille de Berthommier où Barthelemy Dumoulin, sr. des Trois-Brioux, lequel était mort le 20 avril 1472. C'est de Catherinot que nous tenons ces détails : il les a consignés à la p. 22 de son Tombeau généalogique.

Les Rusticat, desquels Thiboust descendait par sa mère, étaient, je le suppose, une famille originaire du midi de la France, c'est du moins ce que porte à croire la forme toute romane de leur nom. Catherinot, chez lequel on trouve tant de renseignements de cette nature, classe ce nom parmi ceux des prudhommes qui administrèrent la ville de Bourges durant la période qui va à peu près, de 1443 à 1460 ; années où, par suite des

(1) Si l'on pouvait espérer retrouver le portrait dont il est ici question on acquerrait une des oeuvres les plus curieuses de la peinture du XVIe siècle, car on n'en connaît pas du peintre en question qui remontent à cette date. Grâce aux recherches

de M. de Laborde et à la publicité qu'il leur a donnée dans son livre de la Renaissance des arts à la cour de France, on connaît aujourd'hui trois générations de Clouet. Le premier, Jean Clouet, dont, la vie se serait écoulée à Bruxelles entre les

années 1420-1490, eut pour fils un autre Jean Clouet, dit Janet, qui est le nôtre. On le suppose né vers 1485 et mort en 1545, mais on n'a pas trouvé de traces de lui avant 1523 où il apparaît déjà comme peintre et valet de chambre du roi. La note de Thiboust témoigne qu'il était déjà depuis longtemps à la cour lorsqu'il fit son

portrait en 1516.

(2) Mort le 12 avril 1497 après Pâques.


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lacunes de nos archives municipales, les administrateurs de notre ville sont restés inconnus (4 ). Les Rusticat appartenaient sans nul doute à cette classe d'opulents négociants qui jouaient à Bourges le rôle que tenaient les marchands italiens dans les républiques de la péninsule, et lui constituaient, comme à elle, une nouvelle noblesse, qu'on a appelée la noblesse de cloche, et qu'on pourrait tout aussi bien nommer la noblesse de l'aune (2). Leur famille dut s'éteindre à défaut de mâles vers l'époque dont nous nous occupons, car on ne trouve plus alors de ce nom que des ecclésiastiques ou des femmes alliées à des maisons commerçantes du pays.

Ce que je viens de dire des Rusticat peut s'appliquer également aux Du Molin ou Dumoulin leurs alliés. Ce nom est commun, et tous ceux qui l'ont porté en France sont sans doute loin d'appartenir à la même famille. Quelques indices me portent à penser que les nôtres peuvent être venus de la Brie comme les Thiboust, s'installer en Berry. Ce serait une branche de cette famille qui, établie à Paris, aurait produit le jurisconsulte Charles Dumoulin, contemporain de Jacques Thiboust. Peut-être y faudrait-il également rattacher l'helléniste Antoine Dumoulin de Mâcon, qui fut valet de chambre de Marguerite de Navarre, et auquel Marot a dédié des poésies. Marchands aussi dans l'origine, selon toute,probabilité, comme la plupart des personnages dont nous aurons à parler ici, les Dumoulin de Berry, après avoir été anoblis par l'échevinage, auront quitté le négoce pour les charges et les offices. L'un d'eux, au moment où nous en sommes, était notaire à Bourges, et ce fut lui qui, comme nous le verrons, dressa le contrat de mariage de Thiboust; un autre devint son gendre (3).

Il résulte de la nature même des alliances des ascendants paternels de Jacques qu'ils ont dû être attirés dans le Berry par le commerce. D'où

(1) Cath. les fastes consulaires de Bourges, p. 4.

(2) Leurs armes étaient chargées de deux perroquets. Cet emblème, si l'on en croit certains écrivains, fait quelquefois allusion à des voyages d'outre-mer ; d'où je présume que le Rusticat qui l'adopta aurait bien pu être un des facteurs de JacquesCoeur, et en cette qualité avoir parcouru l'Orient sur les galères de son patron.

(3) La maison des Dumoulin de la Brie, dont les alliances étaient illustres, en avait contracté entre autres avec les Seuly de Romefort ; mais elle avait des armes différentes de celles des Dumoulin de Berry. M. Ferdinand de Maussabré, que j'ai consulté à ce sujet, pense qu'il n'y avait entre eux de commun que le nom. Nous allons voir plus loin des branches différentes de la maison Thiboust, arborant des armes également diverses. Celles des Dumoulin de Berry figurent quelquefois dans le blason de Thiboust. Elles sont « d'azur à l'anille de moulin d'argent en abîme, cantonné de quatre croisettes pleines et alisées de même ; » ou bien « d'argent à l'anille de moulin de sable.» L'anille est un X de fer destiné à affermir les meules. Dans le symbolisme héraldique c'est un emblème de haute justice.


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venaient-ils? Nous avons vu que le père de Jacques Thiboust était de Brie, Catherinot peut en cette occasion nous fournir encore quelques lumières. A la page 24 de son Tombeau généalogique, en nous renseignant sur ces ascendants dudit Thiboust, il nous fait connaître qu'ils étaient alliés aux de Villemer, famille noble de Nemours. Il nomme « Jeanne de Villemer mariée à Thomas Thiboust (premier du nom), vers 4450, fille d'Adam de Villemer, d'Ervaux, Barville et de La Genevroye, descendue de Jean de Villemer son quadrisayeul, baillif et gouverneur de Nemoux ou Nemours, sous Charles VI. »

Le souvenir dé ces Villemer est aujourd'hui totalement effacé dans le pays où ils faisaient si bonne figure, il y a trois siècles ; et il serait impossible de retrouver leur véritable nom, celui sous lequel nous les désignons ayant été emprunté par eux à un fief situé à 40 kilom. de Nemours et où se trouve encore un village nommé Villemer. Mais, à considérer les dates dans ce que nous venons de rapporter d'après Catherinot, ce Thomas Thiboust, marié à Jeanne de Villemer, dut être père de l'autre Thomas marié à Jeanne de Rusticat, et père lui-même de Jacques. Les détails qui précèdent établissent surabondamment que c'est dans le Gâtinais ou la Brie qu'il faut chercher la première demeure des Thiboust auxquels le nôtre appartient.

Le nom de Thiboust d'ailleurs a été porté par d'autres familles plus connues que celles de Bourges, et installées de longue date à Paris. Catherinot constate les liens qui unissaient encore Jacques Thiboust avec Louis Thiboust, seigneur de Bréau, de Forest, etc. et conseiller au parlement de Paris, qui épousa en premières noces Perrette Foubert, fille Jean Foubert, seigneur de la Béraulderie, et de Michelle de Rusticat, dont il eut Thomas Thiboust, seigneur du Bréau, aussi conseiller au même parlement, et en secondes noces Jeanne Aubelin, fille de Guillaume Aubelin, seigneur de La Bruyère, mort en 1543, et de Françoise Brachet, morte en 4570 et belle-soeur du professeur Hotoman. Ce Louis descendait de Nicolas Thiboust, seigneur de Bréau et d'autres terres en Brie et près de Melun, qui vivait en 4450 (4).

Par cette dernière parenté les Thiboust de Berry se rattachent à la famille des parlementaires du même nom qui à fourni à notre grand corps judiciaire deux présidents à mortier et plusieurs conseillers. Cette dernière famille n'était évidemment qu'une branche détachée de l'arbre généalogique des Thiboust du Gâtinais ou de la Brie, et transplantée de bonne heure à Paris où de hautes fonctions non interrompues la fixèrent.—Du reste cette séparation des deux branches date de loin, car on remonte jusqu'à

(1) Tombeau généal. p. 8 et 24.


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Jean Thiboust de Paris, mort en 1348, et leurs armes diffèrent totalement de celles des Thiboust restés dans la province (1). Il semble pourtant que les relations ne se soient jamais interrompues, ce que l'on comprend quand on se rappelle la vivacité de l'ancien esprit de famille aujourd'hui si effacé.

Ces relations nous prouvent aussi que de cette commune origine participaient également d'autres Thiboust de Paris, restés célèbres, mais dans un genre différent. Le Registre noir; à la date de 1525, nous montre Jacques en rapport avec un Nicolas Thiboust, bourgeois et marchand de Paris, établi devant la porte du Palais « à l'enseigne de l'arbre de Jessé. » Il le traite de cousin. Le nom, la demeure, l'enseigne, tout tend à faire croire que ce Nicolas exerçait la profession de libraire et qu'il est l'auteur de la dynastie des libraires-imprimeurs qui sous le nom de Thiboust figure avantageusement dans lès annales de la typographie parisienne (2).

En somme, on comprend que ces dernières parentés ont pu de bonne heure suffisamment motiver l'entraînement de Jacques Thiboust vers la capitale, et lui permettre de se mettre bien en cour. En 4546, n'ayant encore que vingt-quatre ans, nous l'y voyons installé et déjà pourvu probablement d'une charge qui lui donne occasion d'employer le pinceau du peintre de la cour Clouet dit Janet. Déjà sans doute il avait titre de notaire et secrétaire du roi, et de valet de chambre et secrétaire de Marguerite de Valois, soeur de François Ier, et ce fut, selon toute apparence, cette dernière, devenue l'année suivante (1517) duchesse de Berry, qui ramena son secrétaire à son lieu de naissance qu'il ne devait plus désormais quitter.

Le souvenir de cette duchesse du Berry, qui deviendra un jour reine de Navarre, et donnera à là France Jeanne d'Albret et Henri IV, c'est-à-dire l'une des plus vaillantes femmes et l'un des plus illustres rois que notre patrie ait produits, ce souvenir est un de ceux dont notre province aime à s'honorer. Femme remarquable autant parle coeur que par l'esprit, elle prit à tâche de lui faire tout le bien qu'elle put. Toutes les branches dé l'administration attirèrent sa sollicitude. Industrie, commerce, justice, instruction publique, elle y encouragea tout par d'utiles réformes, protégeant notre draperie et la navigation de nos rivières, établissant la juridiction des. Grands jours , appelant à l'Université de Bourges des professeurs

(1) V. Éloges des premiers présidents du Parlement de Paris, par Lhermite Souliers et Blanchard, p. 87 et 129.

(2) V. au f° 64 dudit registre le transport d'une créance fait par. Jacques audit Nicolas de Paris. Du reste, je ne sache pas que ce dernier ait jamais été signalé par personne. Le plus ancien de ces Thiboust qu'on trouve mentionné est Guillaume , graveur et fondeur en caractères , et qui fut imprimeur de l'Université en 1554. Ce Guillaume serait donc fils de Nicolas.


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qui en fissent la réputation. Et, quant au mouvement littéraire qu'elle détermina à celte époque , il mérite d'être signalé. Arrière petite-fille de Valentine de Milan, elle rappelait son illustre et malheureuse aïeule par la délicatesse et la culture de son intelligence. C'est d'elle en partie que date la renaissance pour le Berry, renaissance qui devait être poursuivie après sa mort par une autre Marguerite, sa nièce, aussi charmante, aussi intelligente qu'elle, aussi bienfaisante pour ses administrés.

Cette renaissance des provinces centrales, qui se trouve être en grande partie l'oeuvre de deux femmes, n'a guère été étudiée. On l'a considérée sur quelques points les plus importants, mais ce travail de rénovation', qui s'est fait alors sentir partout, a passé, à peu près inaperçu pour les points secondaires dans le rayonnement de la capitale. On aurait tort de croire cependant qu'il y fût alors tout concentré. Plus même la province avait à faire pour se mettre au niveau du mouvement de l'époque, plus ses efforts ont été remarquables , plus ils sont dignes d'être considérés. Mainte ville, aujourd'hui obscure, eut alors un éclat passager dont il faut garder mémoire. Mainte réputation dont le pays s'honore en est sortie sous cette influence, qui, en s'étendant, réveillait dans les esprits endormis des étincelles que la centralisation moderne étouffe et comprime (4). Le Berry, pris dans sa généralité, avait un double centre, Bourges et Issoudun, rivaux d'importance inégale, mais rivaux d'industrie, de commerce, et qui le devinrent alors dans la culture de l'esprit. Une même émulation semble les animer. Si Bourges avait pour lui ses écoles , son grand et nombreux personnel clérical, administratif et judiciaire, la capitale du bas-Berry dans des proportions réduites tâchait de l'imiter. Il semble d'ailleurs qu'il y ait eu dans cette partie, de la province, plus méridionale et plus accidentée que la nôtre, quelque chose de plus vif, de plus ardent, de plus animé, comme il semble aussi que les traits des physionomies locales y rappellent en quelque point l'organisme plus chaud du midi (2). Quant à Bourges, il était loin d'offrir alors le triste et morne séjour que nous connaissons. Durant

(1) Il est bien entendu que je parle ici du mouvement littéraire et philosophique , car quant au mouvement industriel et artistique , il était très important et a plutôt tendu depuis lors à baisser qu'à s'accroître. Je montrerai même plus loin que le sens littéraire était loin de faire défaut à nos pères avant la renaissance; en ce sens celle-ci donna peut-être une nouvelle direction plutôt qu'elle ne fut un réveil. Mais c'est dans le domaine de l'idée pure , dans l'étude du droit et des questions sociales que fut la véritable nouveauté.

(2) Je renvoie pour ce sujet à M. Pérémé, auteur d'une excellente notice sur Issoudun. Je n'ai pas à refaire ici son travail, entreprise qui, en la supposant d'ailleurs, justifiée par la nécessité, serait plus que téméraire de ma part. Ce qui est bien fait une fois doit rester tel.

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les trois quarts de ce siècle, il s'offre comme le centre d'un commerce actif, héritage de celui de Jacques-Coeur, et que les guerres de religion n'avaient pas encore détruit. Depuis Alciat son école de droit tenait le premier rang parmi les plus célèbres, et des professeurs d'élite y attiraient de nombreux auditeurs. Notre ville était le rendez-vous de tout esprit jeune et actif. Les célébrités constatées ou en voie de le devenir y accouraient de toute l'Europe. Vers 4530 Rabelais s'y arrêtait en se rendant à Montpellier (1). Everard, plus connu sous le nom de Jean Second, y murmurait dès 4552 ses premiers Baisers, tout en prenant le bonnet de docteur. Noël Dufail venait y goûter à la vie d'étudiant, et en emportait dans sa Bretagne de joyeux souvenirs dont ses écrits ont gardé la trace (2). Scévole de Sainte-Marthe y assistait à des scènes de la vie privée où son imagination frappée à long intervalle devait puiser des épisodes poétiques qui rappellent ceux du Décaméron (3). Et quelle liste ne dresserionsnous pas si nous entreprenions d'inscrire ici tous les noms célèbres que, de 1555 à 1590, la science et la réputation de Cujas amenèrent au pied de sa.chaire? Ce sont les deux frères Pierre et François Pithou, les deux Loisel, le père et le fils, le président Jeannin, le cardinal d'Ossat, le fameux théologien François Dujon, le poète Passerat, le professeur Jean de La Coste, l'helléniste Frédéric Morel, le polygraphe Merula, Claude Expilly, et tant d'autres d'une célébrité plus restreinte ou dont les noms sont restés inconnus (4).

C'est à l'aurore de ce mouvement de la renaissance que nous trouvons Jacques Thiboust installé à Bourges dans la situation d'un homme dont une belle position près de la cour, un emploi financier fort convenable, des relations étendues, un goût prononcé pour les lettres, et par-dessus tout une belle fortune devait faire un personnage d'une certaine importance. Colletet, pour faire apprécier ce point qu'il envisage de même, s'exprime ainsi : « Il exerça une charge d'élu qui en ce temps-là n'étoit pas comme aujourd'hui des moins lucratives, ni des moins considérables des offices de

(1) Cf. la notice sur Rabelais mise par M. Rathery en tête de son édition du Pantagruel, p. XXIV. Le biographe n'y dit rien précisément du séjour de Rabelais dans nos murs, mais , le fait de ce séjour étant constant, l'examen des dates ne permet guère de le placer à un autre moment de sa vie.

(2) V. les Contes d'Eutrapel, édition de Guichard, p. 57 et 249.

(3) Nous renvoyons au passage de son poème du Palingène commençant par ces

vers :

Certes il me souvient lorsque sur mes vingt ans,

Je passois en Berry les jours de mon printemps......

(4) Berriat Saint-Prix, Hist. de Cujas à la suite de l'Histoire du droit romain, 1821, p. 560 et suivantes.


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finance. Il fut encore notaire et secrétaire du Roi en une saison où il n'y en avoit pas un si grand nombre. »

Celte charge de secrétaire et notaire du roi devait avoir une importance différente suivant que celui qui en était revêtu suivait la cour ou habitait la province. Dans ce dernier cas elle était en partie honorifique. Pour ceux résidant près du grand chancelier, dont ils étaient comme les greffiers, leur emploi consistait à faire les expéditions de la chancellerie; c'est-à-dire à rédiger et expédier les édits, ordonnances, chartes royales, sentences et arrêts du conseil et des cours souveraines. Ces officiers furent désignés primitivement sous le nom de clercs et notaires du roi. L'habitude étant venue d'en choisir un certain nombre pour recevoir les commandements du souverain et rester près de sa personne, ceux-ci s'appelèrent clercs du secret, puis secrétaires, et enfin secrétaires des commandements et secrétaires d'état, ce qui les distingua du reste des secrétaires de la couronne auxquels fut affecté le nom spécial de secrétaires et notaires du roi. Le nombre de ces derniers varia souvent. Le roi Jean le fixa à cinquanteneuf, nombre qui doubla sous Louis XI. Henri II l'augmenta de quatre vingts ; Henri III de cinquante-quatre. Enfin il arriva à être de trois cent quarante. Alors que Thiboust était secrétaire il n'y en avait encore que cent vingt, en y comprenant le grand chancelier, qui était le chef du corps (1). Colletet pouvait donc dire que le nombre n'en était pas si grand alors que de son temps où il avait triplé et où la considération pour les secrétaires du roi avait baissé en proportion.

En cette qualité Thiboust faisait partie de la maison du roi, lorsque celui-ci, selon toute apparence, le céda à sa soeur, qui le choisit pour son secrétaire et valet de chambre ordinaire. Je croirais volontiers que cet événement fut contemporain de la donation par François Ier à Marguerite du duché de Berry ( 1517 ). Il est probable qu'elle chercha à cette époque à s'entourer de Berrichons. Une fois attaché à la maison de la Duchesse, Thiboust, si déjà il n'était entré en relation avec eux, dut y connaître les hommes de lettres qui lui formaient une cour poétiquement adulatrice, et entre autres Marot, l'amoureux serviteur de cette adorable maîtresse, et qui était de deux ou trois ans plus jeune que Thiboust.

Ce qui est certain c'est que Colletet signale entre eux des rapports dans le paragraphe qui termine sa notice, en s'en rapportant au témoignage du poète Habert. « Clément Marot, dit-il, le prince des poètes de son temps, lui a pareillement donné de grands éloges au rapport du même Habert, dans une de ses épîtres qu'il lui adresse : Au même Thiboust de Quantilly :

(1) Cf. Fauvelet du Toc. Hist. des Secrétaires d'Estat.— De Ferrière, Introduction à la pratique, v° SECRÉTAIRE DU ROI. — Guyot. Répertoire de jurisprudence. Ibid.


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Tu es celuy dont le chef des poetes, Marot, passant le vol des alouettes, A mis le nom en tel desguisement Qu'à ta nature il touche vivement, etc. »,

J'avoue toutefois avoir en vain parcouru les oeuvres de Marot sans y rien rencontrer qui parût se rapporter à Thiboust même avec le « desguisement » que signale Habert. J'aurai d'ailleurs occasion de revenir sur ce fait. Mais ce n'est pas un motif de mettre en doute les relations qui ont pu s'établir entre ces deux hommes, d'un mérite sans doute bien inégal, mais que pouvait rapprocher un goût commun pour les vers. Probablement, lorsque Thiboust entra au service de la Duchesse, il cultivait déjà les muses, et rien ne défend de croire que la princesse se l'est attaché à la recommandation de Mârot, lui-même et sur le vu de quelques-unes de ses poésies. Marguerite de Navarre ne séjourna guère jamais dans son duché de Berry. Thiboust, qui l'y avait probablement accompagnée quand elle en prit possession, y acquit alors cette charge d'élu qui le retint définitivement dans son pays natal.

Tout le monde connaît ce qu'étaient les élus. Officiers chargés de l'assiette et de la répartition des aidés et taille ainsi que de la garde des deniers destinés à la solde des troupes, ils étaient jugés du degré inférieur, et connaissaient des contestations civiles et même' des actions criminelles qui pouvaient résulter de cette perception (1). Quatre conseillers dans chaque élection, à l'époque ou vécut Thiboust, composaient le tribunal avec le président, son lieutenant et l'avocat du roi (2). Thiboust était un des quatre de l'élection de Bourges. L'office présentant d'assez grands avantages pécuniaires, il n'y a pas lieu à s'étonner de le voir riche (3). C'était là du reste le côté positif de l'affaire : quant à ce qui regarde les dignités il trouvait satisfaction dans

(1) A la suite de tournées, ou, comme on disait, de chevauchées d'inspection, qu'ils faisaient chacun dans leur département, et sur le rapport annuel dés collecteurs, les élus répartissaient de concert la taille dont le chiffre avait été fixé en bloc pour toute la province par le conseil du roi : et leurs rôles de répartition adressés aux trésoriers généraux des finances, et approuvés par eux, devenaient les rôles définitifs de perception.

(2) Plus tard il y en eut six.

(3) Deux quittances des honoraires perçus par Thiboust pour ses fonctions d'élu ont été par lui transcrites à la page 96 du Registre noir. L'une est relative à ce qu'il touchait comme répartiteur dé l'impôt des tailles. Elle va du 4 novembre 1523, date de son entrée en fonctions, au 7 mai 1527. L'autre qui comprend les années 1525-26 et 27, est afférente à la partie des aides. Par le premier de ces deux titres on voit que le traitement de l'élu était annuellement de 80 livres et de 100 livres par la seconde : soit en tout 180 livres de traitement par année.


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sa qualité de secrétaire du roi, dont le plus beau privilége était de conférer au titulaire le droit de noblesse, et par là même, de mettre celui qui en était revêtu sur le meilleur pied dans le pays. Aussi voit-on toujours Thiboust traité de monseigneur (4 ).

Noble par sa charge, si même il ne l'était avant, Thiboust avait son blason que nous allons décrire. Ses armes, au dire de La Thaumassière (2), étaient d'argent à la face de sable, chargé de trois glands attachés à leurs coupettes et branchettes d'or, accompagné de trois feuilles de chêne de sinople, deux en chef, une en pointe. Par suite de ses alliances ou de celles de ses antécédents, Jacques avait écartelé ses armes de celles des Dumoulin, des Rusticat et des Villemer. Alors il portait écartelé au 4 et 4 de Thiboust, ci-dessus décrit, au 3e d'argent à une anille de moulin de sable, qui était Dumoulin, au 4e d'or à deux perroquets adossés de sinople, membres et becqués de gueules, qui était de Rusticat, et sur le tout d'azur à une étoile-comète d'or, qui était de Villemer. « Mais, ajoute La Thaumassière, quelquefois il porte écartelé de Villemer et de Rusticat, sur le tout de Thiboust (3). »

Jusqu'à son établissement dans la province Thiboust ne paraît pas avoir songé au mariage (4). Les distractions du monde dans lequel il vivait l'en empêchaient sans doute. Une fois retiré à Bourges ses idées changèrent à cet égard, il songea à se marier, et, jeune encore, comme il était, il ne lui fut pas difficile de trouver ce qu'il désirait. D'ailleurs bien posé, pourvu d'un écusson et d'une fortune solide, il réunissait tout ce qui peut procurer un bon parti. A cet égard, il fut, si l'on ajoute foi aux témoignages contemporains, partagé aussi bien qu'il pouvait le prétendre. S'il faut en croire Robinet des Grangiers, la duchesse de Berri l'eût bien servi dans son ma(1)

ma(1) fut Charles VIII qui par lettres de février 1484 déclara ses secrétaires nobles. Toutefois, pour qu'il fût anobli par sa charge, lui et sa postérité, il fallait que le secrétaire du roi en mourût revêtu eu qu'il ne s'en démît qu'après un exercice de vingt années. Il avait rang de chevalier et était considéré comme ayant quatre quartiers de noblesse. A ce litre il avait droit de franc-fief et nouveaux acquets, c'est-àdire pouvait acquérir des biens nobles sans payer les droits auxquels les roturiers étaient assujettis en pareil cas, c'était là du reste un privilége que possédaient les habitants de Bourges, par concession formelle que leur en fit Charles VII en 1437.

(2) Hist., p. 738.

(3) V. à la pl. 2 les armes figurées sur son Dè libris.

(4) On verra plus loin qu'il y aurait peut-être quelque motif d'admettre que dès cette époque il aurait épousé une Marie de La Font, sur le compte de laquelle nous n'avons d'ailleurs aucun renseignement qu'une allégation qui peut être le résultat d'une erreur. Aussi n'avons-nous pas trouvé ce mariage suffisamment justifié pour qu'il nous fût permis d'en parler autrement que comme d'une chose qui a seulement pu avoir lieu.


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riage. Cette princesse, dit-il, « la plus, savante de son temps, l'appela à son service, et le fit son premier valet de chambre ; dans cette position il eut toute sa confiance, et elle lui procura l'épouse la plus digne et la plus méritante. » Je ne sais ce qu'il faut croire de cette intervention matrimoniale de; la duchesse Marguerite en faveur de son valet de chambre ordinaire » quoi qu'il en soit, ce que nous savons de plus certain sur ce point, c'est Catherinot qui nous rapprendra, ou qui nous mettra sur la voie d'en savoir davantage. Il nous raconte que Jacques avait épousé antè aras, le 16 janvier 1520, vieux style (1521 ), Jeanne de La Font, fille unique de Jean de La Font, sr. de Vesnez sous Lugny, et de Françoise Godard. Le contrat de mariage avait été passé le 22 novembre précédent par Me Dumoulin, notaire royal à Bourges (1). Du reste, Catherinot, non plus que La Thaumassière, en, dehors du titre que nous venons de rapporter, n'indiquent rien sur la position de ce La Font. Cependant le dernier nous apprend qu'il avait des armes qu'il décrit ainsi : d'azur au chevron d'or, accompagné de deux étoiles de six pointes, au chef d'or chargé d'un lion léopard de sable. (2). Ceci paraît indiquer que La Font a rempli des fonctions de prudhomme ou d'échevin dans une de ces années où la composition du corps de ville est restée inconnue. Il mourut, ajoute Catherinot, le 5 juillet 1505, et fut enterré dans l'église Saint-Médard (3). Ainsi, il représentait à l'hôtel-deville le quartier Saint-Sulpice. La recherche de la main de sa fille par Thi(1)

Thi(1) généal., p. 21. — Le Lugny, près duquel était situé le domaine du beau-père de Thiboust, est Lugny-Bonrbonnais, dans la vallée de l'Yévrette, à huit lieues de Bourges. J'avais supposé que la province du Bourbonnais pourrait bien avoir été l'origiue des La Font. J'interrogeai à ce sujet M. Chazeau, archiviste de Moulins, qui voulut bien me donner les renseignements suivants : « Je n'ai trouvé qu'un seul individu portant ce nom de La Fond ou La Font antérieurement au XVIe siècle. C'est Pierre de La Fond, non noble, de la paroisse de Thiel, qui fit en 1444 aveu au duc de Bourbon pour la baillie de Logeret, qu'il tenait en fief roturier dans les paroisses de Thiel et Chapeaux, Châtellenies de Moulins, Bessay et Pougny, aujourd'hui arrondissement de Moulins, canton de Chevagnes et Neuilly-le-Réal. » Je ne doute pas que nous ne soyons ici sur la trace de la famille de de La Font de Bourges, dont au surplus le nom est un de ceux qui ont toujours été assez communs ; et je me demande si ce n'est pas de la même souche qu'est sortie une autre famille de de La Fond, que m'a signalée M. de Maussabré comme possédant en Berry La Beuvrière, Saint-Georges, Lazenay, Dion, Paudy, La Ferté-Gilbert, etc. Elle remontait à Etienne de La Fond, procureur à Rouen, et père d'autre Etienne, auditeur des comptes à Rouen, intendant des meubles de la couronne, mort en 1611. Un de ses descendants, seigneur des terres nommées plus haut, était vers la fin du même siècle intendant de la Franche-Comté. Leurs armes sont différentes de celles des La Font de Bourges.

(2) Hist., p. 738.

(3) Tombeau généal., p. 22.


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boust indique assez qu'il devait être en bonne situation de fortune. Enfin une pièce jusqu'à présent inédite vient achever de nous renseigner sur la situation de Jean de La Font. C'est la copie de son contrat de mariage dressé le 2 mai 1502 par-devant Me Jean Poitevin, notaire à Bourges (4). Il y est dit que le futur époux de Françoise Godard, dont le père Pierre Godard était un marchand de Bourges, exerçait lui-même marchandise en cette ville. Il n'est pas fait mention expresse du genre de commerce qu'il professait, ni de sa demeure ; mais on y voit que ledit Godard demeurait rue de Mont-Chevry, aujourd'hui Saint-Sulpice, derrière l'hôtel de Cuchermois, cet hôtel si beau, qu'au dire de Catherinot on nommait alors le petit Louvre, et dont il ne reste plus aujourd'hui une seule pierre (2), tandis qu'on sait que Jean de La Font logeait près de là sur la paroisse SaintMédard. D'autre part les témoins au contrat sont, l'un un drapier, l'autre un presseur de draps ; d'où l'on peut conclure que le beau-père comme le gendre étaient drapiers et qu'ils logeaient dans le voisinage l'un de l'autre, au quartier de la draperie. C'était celui qui comprenait le marché de la Croix-de-Pierre, la place des Auvents, les rues Saint-Ambroix, Saint-Sulpice, et en général tout ce qui avoisinait les foulonneries et teintureries de l'Yévrette. Il ne faut pas oublier qu'à l'époque où nous sommes le corps de la draperie tenait le haut bout dans notre pays. Il avait pour lui la richesse, et les dignités bourgeoises lui étaient dévolues. La famille à laquelle Jean de La Font venait de s'allier a fourni à notre ville plus d'un échevin. Un frère de sa femme, François Godard, seigneur de la Grêlerie, fut maire de Bourges en 1557-58 (3). Ces Godard paraissent reconnaître pour auteur un clerc d'office ou secrétaire du duc Jean de ce nom qui

(1) Cette grosse d'un contrat, dont l'original est certainement perdu aujourd'hui, fut faite ainsi que l'indique une note ajoutée à cette pièce, pour servir aux soeurs de de La Font après sa mort. Elle se trouve à la bibliothèque impériale (cabinet des titres), parmi la collection de pièces généalogiques rassemblées au XVIIe siècle par le chevalier Gougnon, et qui devinrent propriété du gouvernement par suite de l'acquisition qu'en fit en 1765 aux héritiers dudit chevalier, l'intendant de Berry, M. Dupré de Saint-Maur. On peut lire l'histoire de cette transaction, avec l'énumération des titres que contient cette collection dans l'Annuaire Vermeil, année 1844, 3e partie, p. 97 à 103.

(2) La maison Godard pourrait bien être ce joli spécimen d'architecture en bois de la renaissance qu'on nomme aujourd'hui la maison de la Reine-Blanche. Cependant, je dois dire qu'un écusson récemment découvert sur la cheminée d'une de ses chambres offre des armes qui ne sont pas celles des Godard.

(3) Chenu, dans sa liste des maires et échevins de Bourges, donne expressément la qualité de marchand à ce François Godard ; en quoi il n'a pas été imité par Catherinot ni La Thaumassière, qui avaient leurs raisons pour user de discrétion à cet endroit.


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aurait commencé la maison. Lors de son mariage Jean de La Font n'était pas encore possesseur de la terre de Lugny, car il est dit dans son contrat que ses biens sont meubles « ou à bien peu près, » comme il convient chez un négociant : et faculté lui est accordée de convertir lesdits biens meubles en héritages jusqu'à concurrence de 6,000 livres tournois. Lorsque à peu de. distance de cette époque il fit l'acquisition du domaine de Vesnez, ce ne fut guère probablement que dans l'intention d'avoir un fief dont il pût accoler le nom à son nom patronymique, et non pour faire un placement de fonds avantageux, le revenu net de cette propriété étant à peine de trente livres par an, ainsi que je l'apprends, d'une liève du duché de Berry, conservée aux archives du Cher, dans le fonds du Bureau des finances (c. 419), et où se lit cet article: « Jehan de La Font, bourgeois et marchant demourant à Bourges, tient en fief du conte de Sancerre et en arrière-fief du Roy sa mestairie de Vesnez assiz en la paroisse de Lugny, qui consiste en maison, grange, bergerie, oulches, vergiers, prés, boys, buissons, garennes, pasturaulx, landes, gasts, usaiges. » Il y a apparence que la plus grande part de sa fortune vint.du côté de sa femme. Cette union du reste fut de courte durée; Jean n'avait encore eu qu'une fille, alors à peine âgée de deux ans, lorsqu'il mourut le 2 juillet 1505 et fut enterré dans l'église Saint-Médard, sa paroisse (4).

Après sa mort, sa veuve, Françoise Godard, épousa en secondes noces Etienne Jaupitre, autre marchand drapier établi sur la paroisse de SaintPierre-le-Marché qui fut échevin en 1519-20. C'est ce double mariage qui a trompé Catherinot et l'a porté dans l'opuscule déjà cité à faire deux personnes de cette Françoise (2).

(1) Il paraît qu'on lisait autrefois dans l'église Saint-Médard l'épitaphe suivante qui décorait son tombeau de famille : « Cy gît JEHAN DE LA FONT, en son vivant bourgeois de Bourges, qui trespassa le 2 juillet 1505, et MARIE DE LA FONT, sa soeur, qui trespassa le..... JEANNE DE LA FONT, fille dudit deffunt, vivante femme de Me JACQUES THIBOUST, escuyer sr. de Quantilly, notaire et secrétaire du Roy, de la couronne et maison de France, et esleu en Berry, trespassa audit Quantilly le 29me jour d'aoust l'an 1532, et est inhumée en l'église dudit Quantilly. — Priez Dieu pour leurs âmes. Un De profundis. — Requiescant in pace.»

Marie de La Font, soeur de Jean, dont il est ici question, mariée à un certain Simon Bigonneau , en eut un fils nommé François, qui fut notaire de l'official de Bourges. C'est tout ce que j'en sais et tout ce qu'il importe d'en savoir.

(2) Cet Etienne Jaupitre demeurait rue des Auvents, dans une maison joûtant les places du Poids-le-Roi, autrement les places de La Berthomière, et vis-à-vis l'hôtel Cuchermois. Il se trouva, par son union, beau-père de Thiboust, avec lequel il paraît avoir vécu en parfaite concorde. On lit, au f° 75 (verso ) du Registre noir, la. transcription d'un contrat dont le titre est ainsi formulé: « Copie de la recongnoissance que demandent ceulx d'Orléans leur être faicte par mon père, Sr Etienne


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La jeune fille que venait d'épouser Thiboust en 1521 réunissait à tous les agréments du corps toutes les grâces de l'esprit. Aussi, en racontant qu'une dizaine d'années plus tard elle mourut, laissant son mari inconsolable de sa perte , celui de qui nous tenons ces détails a-t-il pu dire sans exagération : « Le décès de cette Jeanne de La Font fut déploré en prose et en vers, en grec, en latin et en françois, et entr'autres par le fameux poète de son siècle, Jean Second, natif de La Haye en Hollande (1 ). »

Celte dernière indication m'avait mis sur la voie d'une découverte que j'ai été heureux de voir confirmée plus tard par le témoignage de Robinet des Grangiers, lequel paraît avoir été bien renseigné dans le peu qu'il dit de nos deux époux. Comment, nous disions-nous, se fait-il qu'une femme qui a été chantée par tous les poètes de son entourage comme une merveille nous soit à peine aujourd'hui connue de nom? Sans doute ceux qui se s'ont efforcés à déplorer sa mort dans toutes les langues étaient des poètes de la localité, et il n'y a pas lieu de s'étonner que la plupart de ces poésies funéraires soient perdues, n'ayant jamais été imprimées selon toute apparence. Mais parmi ceux qui les composèrent Catherinot en cite un dont la célébrité a valu à ses oeuvres d'assez nombreuses réimpressions. Nous voulons parler de Jean Everard, dit Jean Second, le voluptueux auteur des Baisers, qui étudiait, comme on sait, à Bourges vers 1530. La sienne au moins doit se lire encore. En feuilletant ses oeuvres nous avons en effet retrouvé l'épitaphe par lui adressée à cette femme charmante qu'il avait pu connaître, et qui paraît avoir fait sur lui une assez vive impression. Cette pièce n'est pas tellement longue que nous ne puissions mettre ici en regard le texte original et la traduction.

Johannae Fontanae Epitaphium.

Hospes, Johannae hoc Fontanae habet ossa sepulchrum ,

Hanc Venus et Juno fient simul et Charites. Matronale decus Juno, Venus aurea formam,,

Illius extînctam fient Charites charitem. Nobilitatem et opes ab origine duxit avita,

Virtutem variam mens generosa dedit.

Jaupitre et moy pour la rente de lad. vigne. Signé : Thiboust. » Et à la p. 126, dans un acte de donation en faveur du même Thiboust par le même Jaupitre, du 2 octobre 1527, se rencontre cette phrase: « Pour l'amour & dillection qu'il ( Jaupitre ) a

et se dit avoir de noble homme Me Jacques Thiboust et dame Jehanne de

Lafont sa femme, fille de feue dame Francoyse Godard, jadis femme dud. Jaupitre. » Ces derniers mots font voir qu'à l'époque de son mariage la femme dé Thiboust était orpheline. (1) Catherinot, Tombeau gènéal., p. 21 & 22.

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Splendida dè puro gestabat nomina fonte,

Qui puto Paegaseo dè pede fudit aquam. Pectora crystallo pellucidiora gerebat :

Noverat et quicquid Franca poësis habet. Docta melos digitis, liquido seu fundere cantu ,

Quale canit dulci gulture serus olos. Non ignara jocos, et non ignara choreas,

Docta loqui blandum , sed mage docta fidem : Moribus his visa est dignissima conjuge , cujus

Saepè tulit facilem regia charta manum (1). Nupta cui primo viridantis flore sub aevi,

Enixa est socii pignora quinque tori. Cum quo communi partita est omnia fato ,

Forsitan et cuperet nunc quoque flere simul, Mitiùs ut ferret divisos ille dolores,

Inconsolandos qui modò dal genitus. At vos, mortales, quorum non laeserat ullum.

Ferte rosas illi quae rosa nuper eral.

« Cette pièce est la onzième des poésies funéraires de l'auteur. La part faite d'un peu de préciosité et de mauvais goût particulier à cette époque, il faut avouer qu'on ne rencontre pas tous les jours des épitaphes d'un style aussi; pur, ni d'un sentiment aussi gracieux. Le trait final surtout est charmant. En voici l'interprétation sous toutes réserves :

« Etranger, c'est ici le tombeau où repose, Jeanne de La Font. Venus, Junon et les Grâces la pleurent de concert. Junon pleure son exquise distinction, Vénus sa beauté, les Grâces sa grâce évanouie. Elle fut noble et riche de naissance et son coeur généreux réunit toutes les vertus. Elle tirait son nom illustre de la fontaine qui jaillit en eau limpide sous le pied de Pégase. Son âme était plus pure que le cristal. Tous les. trésors de la poésie française lui furent connus. Elle savait faire résonner sous ses doigts l'instrument mélodieux ; et charmait par la suavité de sa voix: ainsi chante d'un gosier harmonieux le cygne à ses derniers instants. Elle n'ignorait ni les jeux ni la danse. Elle savait charmer par ses discours, elle savait encore mieux garder sa foi. Par ses moeurs elle fut digne de son époux dont la plume habile écrivit fréquemment les chartes royales (1). Mariée à lui dans la fleur de sa jeunesse, elle lui renouvela cinq fois le gage de son amour conjugal. Elle partagea constamment sa fortune; et peut-être eût-elle désiré mêler aujourd'hui ses pleurs aux siens, afin qu'ainsi partagée son inconsolable douleur lui fût moins rude. O vous, mortels, qu'elle n'offensa jamais, donnez des roses à celles qui fut elle-même une rose!»

(1) Allusion à ses fonctions de secrétaire du roi.


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Remarquons , avant toute chose, la traduction latine en FONTANAE du nom de De La Font, suivant l'absurde habitude du temps, qui rend parfois l'erreur inévitable lorsqu'on traduit ensuite ces noms en français sans les connaître. D'habiles gens y ont été souvent trompés, et nous en trouvons ici un exemple des plus remarquables. En effet Jeanne de La Font n'a pas été aussi inconnue dans l'histoire littéraire de notre pays qu'on pourrait le croire, seulement jusqu'ici elle n'a pas porté chez ceux qui les premiers ont parlé d'elle son véritable nom. Ouvrons la Bibliothèque françoise de Lacroix du Maine au mot Jeanne de LA FONTAINE; nous y lirons :

« JEANNE DE LA FONTAINE, native du pays de Berry, Dame très illustre et fort recommandée (pour son savoir) de plusieurs hommes doctes. Elle à écrit en vers françois l'histoire des faits de Thésée, et autres poésies non imprimées. Jean Second, poète très excellent, natif de Hage (1) en Flandres, appelé en latin Johannes Secundus Hagiensis, fait très honorable mention d'elle en ses élégies latines imprimées avec ses Baisers, l'an 1560, ou environ. »

Là se borne l'article consacré par le vieux bibliographe à une femme dont la modestie paraît avoir égalé le mérite. Or Jeanne de La Font ou de La Fontaine c'est tout un. Ce qu'il y a d'évident, à voir l'erreur dans laquelle tombe Lacroix du Maine au sujet de ce nom, c'est qu'il ne l'a appris que par les poésies latines de Jean Second, et qu'il n'a rien connu de plus sur le compte de celle qui le porta, ne s'étant guère sans doute inquiété d'en savoir davantage. Une telle indifférence sur le compte des gens dont ils parlent n'a rien qui doive surprendre chez les écrivains de cette époque. Mais ce qu'il y a de plus remarquable, c'est de voir le savant La Monnoye dans son commentaire sur là Bibliothèque de Lacroix autoriser cette erreur en la reproduisant. .

« C'est quelque chose d'assez singulier, dit-il, qu'au commencement du seizième siècle il se soit trouvé deux Dames, savoir Anne de Graville (2) à Paris et Jeanne de La Fontaine à Bourges, qui instruites toutes deux à la poésie, aient en même temps, quoiqu'à l'insçu et éloignées l'une de l'autre, (qu'en savait-il ?) mis en vers françois la Théseïde de Bocace (3). » Il semblerait, au premier abord et sur une affirmation aussi précise, que' le docte commentateur a vu le poème de Jeanne de La Font, comme il

(1) La Haye, en latin Haga comitis.

(2) Anne, fille de Jacques de Graville, amiral de France, et femme de Pierre de Balzac d'Entragues. Son poème, resté manuscrit, comme celui de Jeanne de La Font avait été composé à la demande de la veine Claude, femme de François Ier.

(3) Biblioth. franc, de Lacroix du Maine et de Duverdier de Vauprivas, édition de Rigoley de Juvigny, t. Ier, p. 608.


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déclare avoir pris connaissance de celui de la dame de Graville, mais il paraît bien quelques lignes plus bas que, lui aussi, s'est procuré ses renseignements sur notre compatriote dans les oeuvres latines de Jean Second. À la rigueur il est excusable, car de son temps il ne devait plus être facile de se renseigner sur son compte (1). Au surplus voici comment il nous livre lui-même le secret de sa fausse science en voulant compléter son auteur :

« Il paroit que c'est Jeanne de La Fontaine que Jean Second a désignée dans la quinzième élégie de son troisième livre, dont voici le titre : In historiam dè rebus à Theseo gestis, duorumque rivalium certamine, gallicis numeris ab illustri quâdam matronâ suavissimè conscriptam. On voit qu'il y désigne clairement Jeanne de La Fontaine sans la nommer. Il la nomme en deux autres élégies de son livre Funerum, l'une desquelles commence ainsi :

Hospes, Johannoe hoc Fontanoe habet ossa Sepulchrum, où entre autres vers celui-ci mérite d'être remarqué : Noverat et quicquid franca poësis habet. » Cette élégie n'est, comme on le voit, que l'épitaphe ci-dessus rapportée. Quant aux deux autres pièces de Jean Second que désigne ici La Monnoye, nous aurons occasion de les mentionner plus tard.

Enfin la sagacité du biographe des Annonces berruyères a été également mise en défaut par l'indication erronée de Lacroix. Dans l'article qu'il a cru devoir y consacrer à Jeanne de La Fontaine, M. Chevalier n'a guère fait que paraphraser La Monnoye (2).

Ce qui me surprend le plus en, celte circonstance c'est que Catherinot, fureteur acharné, et La Thaumassière, travailleur sérieux et érudit, qui tous deux ont mentionné l'épouse de Jacques Thiboust, et qui connaissaient certainement bien leur Lacroix du Maine et leur Jean Second, ne se sont pas aperçus de l'erreur ou du moins ne l'ont pas relevée.

Quoiqu'il en soit, tout concourt à la démontrer : la forme latine du nom, qu'on peut traduire à volonté des deux façons, l'époque à laquelle vécut cette «matrone » ainsi que la désigne Jean Second, ses relations à Bourges avec ce dernier, qui, dit La Monnoye, fit son épitaphe, qui, dit Catherinot, pleura sa mort en vers ; en voilà bien assez pour mettre le fait hors de doute, quand bien même on n'aurait pas la garantie de son biographe Robinet sur ce point. Ainsi à vingt-huit ans, Thiboust épousait une jeune fille, qui, à la beauté et à la fortune, unissait non seulement l'esprit naturel mais encore les

(1) Bernard de La Monnoye, né à Dijon en 1641, mourut à Paris en 1727. (2) V. Annonces berruyères, n° du 14 février 1839.


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avantages de l'éducation la plus soignée qu'une femme pût recevoir à cette époque; celle-là même que ses contemporains ont signalé comme une muse et ses amis pleurée comme une Grâce. C'est donc sous ce double aspect qu'il faut pour être juste chercher à apprécier cette femme distinguée. Malheureusement, dans l'un comme dans l'autre sens, nous ne pouvons plus en juger que par ouï dire, car le temps, qui nous a ravi cette « rose du Berry, » pour nous servir de l'expression du poète , a fait disparaître aussi ses oeuvres.

Comme femme nous aimons à croire qu'elle réunit toutes les qualités que lui prête son poétique admirateur, et que l'épitaphe qu'il lui consacra ne ment pas en nous la représentant comme une dame accomplie de tous points. Elle était belle, s'il faut l'en croire, de toutes les beautés , car elle avait la distinction et la grâce jointe à la régularité des traits. Je soupçonne, faut-il le dire ? notre enthousiaste et inflammable Hollandais d'avoir éprouvé la fascination de deux beaux yeux. Mais, il y a tout lieu de croire, qu'il ne dépassa jamais avec elle les bornes de cette galanterie discrète, qui de bonne heure a fait une des principales distinctions et l'un des plus grands attraits de la société française. Aussi je m'inquiète plus du mérite de Jeanne de La Font comme femme d'esprit et femme aimable que comme jolie femme. Tout du moins cela la complète et finit de la faire aimer, si, comme il me semble, elle est restée simple et sans pédanterie malgré ses talents variés. Elle cultivait avec succès, nous dit-on, les arts, la danse, la musique vocale et instrumentale, faisait des vers et séduisait par une conversation entraînante, l'éloquence de son sexe.

On aime à se représenter cette gracieuse et spirituelle personne s'entourant d'un cercle d'hommes choisis parmi ceux que la province lui offrait et que les relations de son mari lui amenaient, les charmant par les délices d'une conversation délicate et sérieuse à la fois, et faisant des repas auxquels elle les conviait des banquets de la science et de la poésie. Quel plus grand charme que celui d'une société où la femme trône de par son esprit et sa beauté ? et Jacques Thiboust devait être homme d'assez de savoir vivre pour s'effacer en ces occasions derrière Jeanne de La Font.

Ce qui a fait la grande réputation des salons des XVIIe et XVIIIe siècles c'est qu'ils ont été présidés par des femmes charmantes et instruites à la fois. C'est elles qui ont puissamment aidé à faire notre nation ce qu'elle est en répandant partout son esprit et ses doctrines. Au commencement du XVIe siècle on était trop près du moyen-âge, les moeurs avaient encore trop de rudesse pour que la femme ait pu jouer le rôle que nous indiquons. Son Influence s'y borna la plupart du temps à une galanterie qui n'était pas toujours assez délicate. La douce physionomie de Marguerite de Navarre, avec son entourage de poètes amoureux, brille alors, mais plutôt


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à titre d'exception; et au moins comme la manifestation d'une tendance en sens contraire, tendance qui ne devait aboutir que plus tard. Il est bien certain en effet qu'à partir de ce moment l'élément féminin tend à prendre une part directrice dans les relations sociales : malheureusement ce siècle n'a pas pu voir se réaliser entièrement ces essais de formation d'une société complètement polie. Le rapprochement qui tendait à s'opérer alors entre les esprits délicats des deux sexes dans un but de jouissances intellectuelles qui tranchassent sur la grossièreté du temps, ce rapprochement fut brusquement interrompu par les désordres des guerres civiles. Pour que puissent se former ces réunions dans lesquelles s'élaborent les éléments à la fois d'une société empreinte d'urbanité et d'une littérature nouvelle, il faut avant tout la sécurité de là paix à l'intérieur. Au cri des luttes et des batailles intestines l'âme s'effarouche , l'esprit se referme, une sorte de férocité native, reste de sauvagerie qui semble toujours tapi dans quelque coin du coeur humain, se réveille et se met à hurler. Que deviennent alors les chants et les conversations ? Les muses n'ont plus qu'à replier leurs ailes, les hommes qu'à s'isoler les uns des autres. Ce n'est donc que dans les moments où la France a été paisible, entre les guerres d'Italie et celles de religion, qu'il y eût une de ces heures de répit, durant laquelle le XVIe siècle put essayer ce que devait accomplir le suivant par la formation du cénacle de l'hôtel Rambouillet. Ce moment s'exprime d'un mot quand on nomme la femme qui semble à cette époque résumer toute la poésie féminine de notre nation, et qui désigne le mouvement artistique et littéraire des esprits sur certains points du pays, je veux parler de Louise Labé, la belle cordière de Lyon. Disons toutefois que, si ce nom est encore: aujourd'hui presque le seul populaire de ceux qu'ont portés les femmes poètes d'alors, cela tient d'abord à cette méthode inhérente à l'esprit humain qui tend toujours à synthétiser un ensemble; de faits dans un nom de choix, et puis à ce que la plupart des contemporaines; de Louise Labé, et c'est le cas de Jeanne de La Font, par une modestie, apanage de leur sexe, ont refusé less honneurs de l'impression. Il suffit de feuilleter les Bibliothèques de Lacroix du Maine et de Duverdier pour s'émerveiller de la grande quantité de noms féminins qu'elles contiennent. De ces muses, il est vrai, nous ne connaissons la plupart du temps que les noms, mais la notoriété de leur bel esprit constatée par ces deux contemporains sert à prouver quelle fut la vivacité d'impulsion de cette époque vers le culte des choses intellectelles. Il est certain qu'il y eut alors peu de villes un peu importantes qui n'eût sa muse. Autour de Louise Labé à Lyon se groupaient Clémence de Bourges , les deux soeurs de Sève, cette Jeanne Gaillarde ou Gaillard avec laquelle Marot fut en correspondance poétique, et dont il nous a conservé un rondeau d'un tour heureux. En Bourgogne c'est Anne Bégat, fille du


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jurisconsulte de ce nom, et dont Tabourot dans ses Bigarrures nous fait connaître un sonnet. A Paris c'est Anne de Graville, et tant d'autres dont il serait fastidieux d'étaler ici les noms. La muse de Bourges fut Jeanne de La Font. Elle a cet avantage qu'elle a précédé de vingt ou trente ans la plupart de celles que nous venons de citer. La belle cordière venait seulement au monde quand Jeanne jouait déjà à Bourges, dans des proportions peut être un peu restreintes, le rôle que Louise devait jouer plus tard à Lyon.

On a quelquefois insisté sur le caractère semi-italien de cette dernière ville au siècle dont nous parlons; on n'a jamais dit, que je sache, que ce caractère Bourges l'avait partagé avec elle, seulement elle ne le garda pas aussi longtemps. Le rapprochement que je fais d'ailleurs ici de ces deux villes n'a rien de factice ; les monuments les plus anciens de notre province tendent à démontrer que, depuis le commencement de notre ère jusqu'aux derniers siècles, les relations les plus intimes, relations.politiques et commerciales, n'ont cessé d'exister entre Bourges et Lyon. Je ne crois pas non plus exagérer en ajoutant qu'au temps de François 1er, par sa situation et ses rapports commerciaux et intellectuels, Bourges fut. après Lyon la ville qui refléta le plus la physionomie de ces petites républiques de la péninsule italique, doctes, lettrées, artistes et commerçantes tout ensemble. A ce moment seul on y a pu dans notre passé constater la présence d'une femme poète, l'existence d'une sorte de cercle littéraire.

Par tout ce que je viens de dire je tends à faire comprendre quel pouvait être chez nous le rôle de Jeanne de La Font en tant que femme de lettres. Quelle fut durant sa courte existence son influence sur la poésie locale ? Je ne saurais le dire à distance, mais cette influence a dû être réelle. J'ai peine à croire qu'elle ne fut pas pour quelque chose dans la direction que prit la muse de Jean Second. Il dut être un des commensaux habituels de sa maison, il l'avait vu mourir et il paraît en avoir emporté dans les brumes de son pays natal un souvenir attendri (1). Il ne fut pas seul à éprouver pour cette autre Corinne ce sentiment d'admiration, les témoignages de regrets poétiques si nombreux à sa mort en font foi ; et, s'il faut les prendre comme l'expression de la vérité, elle pouvait lutter avec les poètes de son temps. Mais, moins heureux que ceux qui vécurent près d'elle, nous

(1) Cette distinction est d'autant plus flatteuse pour notre Jeanne qu'elle tranche davantage sur l'espèce de réprobation générale dans laquelle maître Jean Second semblé un beau jour avoir compris tout le beau sexe berrichon. Quelle raison eut-il, ce fils de la Hollande, pour déclarer ainsi la guerre aux filles du Berry? Nous ne savons; mais le fait de son hostilité contre elles est constant, il a pris soin de le perpétuer lui-même par une épigramme brutale qu'un mouvement de colère ne jus-


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ne pouvons pas nous prononcer en connaissance de cause sur le mérite de ses' oeuvres. Rien ne nous en reste; que le titre d'un des poèmes qu'elle composa. C'est encore Jean Second qui, comme on a pu le voir, nous a conservé ce titre, répété par La Monnoye qui nous apprend que c'était une imitation de la Théseïde de Bocace. C'est aussi le titre de l'élégie que le poète latin a consacré au souvenir de celle qu'il avait connue et appréciée (1). Et, s'il n'y avait pas un privilége d'exagération pour les chanteurs de louanges, ce serait à se désespérer à jamais de la perte de ce chefd'oeuvre, quand on voit les. éloges qu'il lui prodigue.

Écoutons-le plutôt : « Sappho fut autrefois la seule qui osa toucher à la lyre sacrée. La première elle mérita une gloire dont l'homme s'enorgueillit., et put prendre place entre les Muses là où coule l'onde pégaséenne. Et cependant elle n'a chanté que de légères amours, oeuvre délicate proportionnée à la faiblesse de la femme. Mais celle qui est née dans des siècles plus nouveaux, noble parmi les héroïnes de France, chante à la fois Cypris et le dieu de la guerre. Oh ! que la France te lise ! elle verra dans ton oeuvre ce que fut la puissance: latine, et sous quelles ruines dorment les splendeurs de la Grèce; elle apprendra où les traits du Dieu aîlé précipitent les misérables mortels, les vicissitudes de la Fortune et l'inévitable Destin. Elle saura comment un coup rapide trancha les jours du jeûne vainqueur qui, nouvellement uni à celle qu'il aimait, descendit aux sombres bords avant de l'avoir possédée, et dut céder ses droits à son ami vaincu contre lequel il avait tiré son glaive altéré de sang. -— O toi, qui as su chanter tout cela si délicieusement dans la langue de ta patrie, que les bouches savantes redisent éternelletifie

éternelletifie et que le bon goût autant que les convenances eussent dû faire repousser de ses oeuvres. Le caractère de celle pièce ne nous permet pas de la reproduire ici in extenso; nous nous contenterons d'en donner les premiers vers :

In puellas bituricenses.

Hei mihi! formosas isto qui quaerit in orbe,

Crescentem segetem quaerit in Oceano. Fortè duae vel tres magnâ visuntur in urbe,

Nobile deformeis quas decus esse velet. His adjunge decem, quas non coutemnere possis, Caetera monstrorum nomine turba venit........ .

Boileau, qui n'aimait pas les femmes , dans la triste satire qu'il a péniblement édifiée contre elles a emprunté un trait de cette épigramme. L'imitation vaut le modèle. Malherbe fut mieux inspiré lorsque dans son ode sur la mort de la fille de Duperrier il paraît s'être souvenu de la fin de l'épitàphe de Jeanne de La Font.

(1) Cette élégie est la 15e du 3e livre des élégies de Jean Second.


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ment tes vers : et, puisque la tombe t'enserre avant l'âge, et qu'il n'a pas été donné aux lauriers de ton front d'orner une chevelure moins jeune, qu'au moins l'arbre de Phébus croisse sur ton tombeau, et que Philomèle, cachée dans son feuillage, en exhalant sa longue plainte sur la mort dItys, mêle aux regrets de son cher défunt le regret de ta mort ! »

Pour faire comprendre la partie de cette élégie relative au poëme de Jeanne de La Font, il convient de faire connaître en quelques mots le sujet de l'original italien dont le français n'est que l'imitation. La Théseïde de Bocace est un poëme en douze chants, relatant les exploits de Thésée ; ce fut le premier dans lequel ait été employé l'octave, qui devint depuis la forme ordinaire des poëmes italiens, espagnols et portugais. L'épisode emprunté à ce poëme par le poète berrichon trouva, comme les autres compositions du poète florentin de nombreux imitateurs, au premier rang desquels il faut citer l'anglais Chaucer qui l'a inséré dans ses Contes de Cantorbéry, où il tient la place principale (1). De bonne heure une vieille traduction en parut en prose française: et ce fut sur celle-ci que Jeanne de La Font et Anne de Graville prirent l'une et l'autre le motif de leur composition. Ce récit, où la tradition grecque se trouve mêlée d'une manière bizarre aux inventions du moyen-âge, commence au moment où Thésée, duc d'Athènes, en revenant de la guerre contre les Amazones, s'empare de la ville de Thèbes. Parmi les prisonniers qu'il y fait et qu'il emmène en Attique figurent deux jeunes princes, cousins-germains et descendants de Cadmus. Ils s'appellent Arcite et Palamon. Ils deviennent tous deux amoureux d'Emilie, belle-soeur du vainqueur. Arcite, préféré par celle qu'il aime, est par un caprice de Thésée mis seul en liberté avec l'injonction de s'éloigner d'Athènes pour n'y pas revenir. Ramené par sa passion il y rentre bientôt sous un déguisement, et obtient de servir comme page dans la maison de sa bien-aimée. Cependant Palamon, qui est parvenu à s'échapper, rencontre son cousin dans le palais d'Emilie où l'attire son amour. Un duel s'en suit entre les deux rivaux. Il est interrompu par l'arrivée de Thésée, qui, apprenant l'amour des deux combattants pour sa belle-soeur, déclare qu'elle appartiendra à celui qui vaincra l'autre dans un tournoi dont il ordonne les préparatifs. Arcite triomphe de son adversaire, mais au même instant son cheval s'étant cabré le renverse et tombe sur lui de tout son poids. On emporte le vainqueur mourant hors de l'arène. L'amour d'Emilie se révèle en cette circonstance, et Thésée touché de sa douleur, l'unit à son amant avant qu'il rende le dernier soupir. Après avoir laissé

(1) Cf. le Geofrey Chaucer de M. H. Gaumont, où ce conte se trouve traduit en entier. Une note du traducteur reproduit sur Jeanne de Lafontaine l'erreur des bibliographes.

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écouler un temps, convenable pour calmer la douleur de l'ami et de l'amante, tous deux inconsolables de celui qu'ils ont perdu, il les sollicite de s'unir au nom même de sa mémoire ; et l'histoire finit comme un vaudeville par le mariage d'Emilie et de Palamon.

On sait que les voeux du poète élégiaque sur le sort des oeuvres de Jeanne n'ont pas été exaucés, et qu'elles ne nous sont pas parvenues. Thiboust fut-il jaloux de celle qu'il pleurait au point de vouloir garder pour lui tout ce qui venait d'elle ? A-t-il pensé que sa renommée de prude femme n'avait rien à gagner à la publicité, ou fut-il seulement trop négligent de sa gloire pour essayer de la perpétuer? Dans un cas comme dans l'autre il a eu tort à nos yeux.

En somme ce fut une bien délicate et bien modeste gloire que celle dont put s'honorer notre Jeanne, gloire qui ne dépassa pas de beaucoup le cercle de l'intimité. Faut-il s'en plaindre et s'en étonner ? Peut-être non, car il semble que ce genre de réputation soit, celui qui convienne, le mieux à la douce et tendre nature de la femme. Lors même que leur renommée s'étend, c'est encore, sauf de rares exceptions, avec une sorte de pudeur qui s'écarte autant que possible de la-mêlée du moment. On peut appliquer à l'épouse de Thiboust ce que Sainte-Beuve, dit avec grâce de quelques femmes de lettres de nos jours : « Elles ont senti, elles ont chanté, elles ont fleuri à. leur jour; on ne les-trouve que dans leur sentier et sur leur tige. ». Mais aumpins, pour suivre la Comparaison de l'ingénieux critique, celles-là on les trouve et nos neveux les retrouveront aussi et pourront comme nous apprécier les parfums de ces riches et suaves floraisons poétiques. Mais avec Jeanne, nous n'avons, pas cette ressource : la tige sur laquelle a fleuri la muse berrichonne a été arrachée, et de la fleur dispersée aux vents, pas un pétale ne nous est arrivé, même, pâle et fané. Tout ce qu'il est permis de supposer sur son talent, c'est que, née au moment où l'influence italienne devenait prépondérante, familiarisée sans doute avec la langue du beau pays « où résonne le si » et dont la connaissance entrait alors dans la belle éducation, elle en apu marier la grâce et la morbidesse à la naïveté gauloise.

Jeanne mourut au bout de onze ans de mariage et à la suite d'une courte maladie au mois d'août 1532 (1). Elle fut ensevelie dans l'église de Quantilly, où son mari lui fit élever une tombe qu'il vint partager plus tard avec elle. Mariée en 1521, alors qu'elle avait à peu près dix-neuf ans, Jeanne à

(1) Catherinot, dans son Tombeau généal., p. 22, porte cette date au 29. La Thaumassière, en transcrivant son épitaphe, dit le 4. L'épitaphe de l'église SaintMédard, citée plus haut, prouve qu'ici c'est Catherinot qui a raison. Une fois n'est pas coutume.


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sa mort atteignait la trentaine, c'est-à-dire la seconde jeunesse de la femme.

Celui qui, après avoir chanté son talent poétique, lui avait consacré l'épitaphe dont nous avons donné plus haut la traduction, Jean Second fit entendre sur cette mort un chant funèbre, dernière expression des sentiments qu'elle lui inspira. C'est celui qu'on trouve sous le n° 10 parmi ses Funera, où il précède son épitaphe avec le titre suivant :

IN OBITUM JOANNE FONTANAE BITURICENSIS, MATRONAE CLARISSIMAE NAENIA.

C'est la morte qui est censée parler, et voici en quels termes elle s'exprime :

« Vous, que nourrit une terre bienfaisante, et parmi lesquels naguère encore je comptais, lisez ceci que, muettes cendres, nous vous faisons dire par une bouche étrangère, et apprenez à mourir une fois suivant la loi de ce monde. Beauté, fortune, jeunesse, ne vous fiez à rien. J'avais tout cela pour triompher, et j'ai succombé. Que par vos soins des cires pesantes entourent la longueur du temple ; que vous sacrifiiez de nombreuses victimes, que vous fassiez brûler' fréquemment l'encens sur les autels ; que les Dieux vous aient pourvus de mille talents ; qu'ils vous aient doués d'une éloquence capable de fléchir Pluton lui-même; n'espérez pas tromper pourtant les déesses filandières. Si tout cela pouvait adoucir les soeurs impitoyables, je presserais encore la terre qui me presse aujourd'hui. Je ne verrais pas inscrit sur un marbre glacé un simple nom si peu digne de mon ancienne renommée, ce nom qui ne se prononce plus qu'accompagné des larmes et des gémissements d'un époux privé d'une épouse bien-aimée; ce nom dans lequel il puisait jadis son bonheur et sa joie, car il était pour lui plus doux que le miel de l'Hybla. Hélas ! je le vois gémir d'une plainte sans fin, se déchirant la poitrine à deux mains, les cheveux épars, vêtu d'habits de deuil et moyé dans des larmes intarrissables. O cher époux, l'arrêt des Dieux s'est accompli : il n'y a pour tout qu'un chemin qui mène au trépas. Avant toi la mort m'a ravie ; c'est la grâce que j'ai souvent implorée des Dieux. Tu pleures ma perte : réjouis-toi plutôt de voir que mes douleurs sont finies. Ma mort a été prompte : j'ai moins souffert. Je n'ai pas vu la gueule irritée du chien à triple tête ; l'Hydre n'a pas épouvanté mon regard. Ce n'est pas ici l'enceinte environnée d'une triple muraille que le rouge Phlégéton entoure de son onde embrasée. Rocs, roues, écueils, ondes qui fuient, vautours, notre séjour n'a rien de pareil. Un doux repos l'habite, et la Paix, la tête ceinte du feuillage de Pallas. D'ici nous regardons en dédain les frivoles soucis des hommes et leurs fausses joies mêlées


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de tant de maux. Ici je pourrais rire des vanités de mon tombeau, s'il n'était pas un monument de votre piété. Tu ne veux pas que nous pourrissions dans une urne obscure, et tu fais graver ta douleur sur un brillant sépulcre. Ces soins, qui attestent une flamme si constante, répandront mon nom dans les siècles futurs. Que les Dieux t'accordent en retour une longue vie exempte de soucis et de craintes ! que ta mort ne redouble pas le deuil de nos jeunes enfants dont toute la charge retombe aujourd'hui sur leur père ! mais, quand viendra le jour fatal qui te délivrera aussi des liens de la chair, viens joyeux parcourir avec moi les champs de l'EIysée-où les eaux pures sont ombragées de lauriers. »

Si Jacques Thiboust fut le mari d'une muse, situation que tout le monde n'envie pas, et qu'il ne paraît pas avoir eu lieu de regretter, il atténua ce que ce poétique péché pouvait avoir de regrettable chez elle aux yeux de certaines gens en le partageant autant qu'il put. Qui sait même si ce ne fut pas lui qui communiqua la contagion du vers à sa compagne. Nous ne dirons pourtant pas qu'il fut poète véritablement, car il faut, autant que possible, conserver aux mots leur juste valeur. Mais il rima jusqu'à ses derniers jours ; et, au contraire de ce qui advint pour les oeuvres de Jeanne, plusieurs des pièces qu'il mit au jour nous ont été conservées, soit par la voie de l'impression, soit en manuscrit.

Il est à peine nécessaire de dire qu'aucun recueil n'a jamais été fait des oeuvres de Thiboust. Vers ou prose, ce qu'on en conserve se trouve éparpillé en différents endroits, tantôt dans des recueils étrangers, tantôt dans des collections inédites. Les vers, pour le dire en passant, sont en général fort médiocres, et l'on comprend qu'ils n'eussent pas suffi à faire la fortune de leur auteur. Mais il est à noter que ceux qui ont parlé de lui l'ont signalé moins comme un lettré distingué que comme un protecteur: des lettres, un Mécène.. L'article biographique de Colletet roule entièrement sur cette idée. Catherinot ne le désigne que comme « grand antiquaire de Berry en son siècle, » terme un peu vague, qui implique un connaisseur, un érudit, un curieux de raretés littéraires ou autres plutôt qu'un poète.

Ce goût pour la poésie et pour ceux qui l'exerçaient, il l'avait pris au contact de la Cour où à partir de Louis XII il fut en vogue ; et dans son rôle de protecteur des gens de lettres on peut trouver un rapport qu'il eut, à un degré bien secondaire il est vrai, avec sa royale maîtresse la Marguerite des marguerites, comme l'appelaient les chanteurs de louanges qu'elle protégeait. Comme lui elle s'est moins éternisée par la valeur de ses écrits que par la reconnaissance de son poétique entourage.

Mécène donc, puisque Mécène il y a, fut en relation avec des hommes dont le mérite, supérieur au sien, a conservé le nom et les oeuvres. Au premier rang il faut nommer Clément Marot et Charles Fontaine, puis


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Nicolas Bourbon, l'ancien, celui-là même qui fit l'éducation de Jeanne d'Albret; Jean Second, autre poète latin; enfin François Habert d'Issoudun. Puis venait une autre catégorie de lettrés, espèces d'amateurs de lettres plutôt que des littérateurs proprement dit, des réthoriqueurs, comme les nomme Habert dans un passage, et que les circonstances ou un moindre talent ont fait tomber depuis dans l'oubli. Tels furent l'Auvergnat Milon et l'Angevin Jean Salomon, dont nous aurons occasion de reparler. Quelquesuns de ces personnages étaient peut-être connus de lui durant son séjour à Paris, et, une fois fixé à Bourges, il n'eut plus avec eux que des rapports lointains. On voit cependant que ses efforts ont toujours tendu à attirer chez lui les gens en réputation dans le commerce desquels il pouvait satisfaire à l'aise ses goûts dominants. Autour de lui-même il a certainement trouvé à réunir les éléments d'un petit cénacle d'esprits cultivés qui lui rappelaient ses poètes absents, et en qui il a dû entretenir l'amour et le culte des choses de l'esprit.

Cette constitution d'une sorte de cercle littéraire autour du foyer de Thiboust est-elle une simple hypothèse de notre imagination ? Je ne le pense pas. En s'entourant ainsi d'hommes lettrés il ne fit que concilier ses propres goûts avec l'esprit du temps. D'après le courant des idées de l'époque ce fut un fait qui se répéta partout où l'occasion se présenta favorable. Les cénacles littéraires devenaient à la mode. La pléiade de Ronsard et l'essai d'académie formé par Henri III, d'après l'inspiration de Baïf, sont des manifestations mieux organisées du même esprit.

C'est une chose curieuse à observer que ce consentement de la plupart des villes françaises à entrer avec le siècle dans le mouvement littéraire et artistique en se faisant des centres de ce mouvement. Il y a là imitation évidente des moeurs italiennes venant se substituer à notre vieille rudesse. On y saisit sur le fait la Renaissance dans son oeuvre de formation. Dans toute cité un peu importante se forme une société d'érudits et de beaux diseurs, un cénacle, une pléiade, pour nous servir du mot qui eut cours. Ce travail dans le Berry nous en avons touché quelques mots déjà, mais il faut bien faire sentir comment ce rapprochement des plus beaux esprits du lieu a dû hâter la maturation de ce mouvement. Jusqu'alors Bourges s'est à peu près contenté de vivre de commerce et d'industrie sans prendre une grande part au travail de l'esprit. Du moins rien n'a survécu qui nous autorise à penser que jusqu'à la fin du XVe siècle les lettres y aient été l'objet d'un culte spécial. Nous touchons au moment où la prospérité matérielle de notre pays va s'arrêter, et où une autre voie va s'ouvrir pour un temps à l'activité berruyère. L'université de Bourges se fonde en 1466 pour aider à ce mouvement, mais pendant près d'un demi siècle encore elle va dormir. Cependant la population s'est enrichie. Or le résultat et la


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fin de la fortune, c'est moins peut-être la jouissance du bien-être matériel qu'elle procure que la plus grande facilité qu'on y trouve à étendre la culture et les plaisirs de l'intelligence. En s'enrichissant le pays s'est poli. Avec la délicatesse des moeurs les besoins de l'esprit se sont accrus, les relations habituelles se sont empreintes d'un vernis de belles manières , en même temps qu'elles ont tendance à substituer aux préoccupations toutes matérielles d'autres qui soient plus raffinées et plus élevées. C'est parmi les hauts représentants de notre commerce que cette tendance se manifeste d'abord. Les Cucharmois, les Alabat sont des littérateurs. Sous l'inspiration du premier un essai de rapprochement et de contact s'organise déjà, mais encore empreint des formes du moyen-âge. Je veux faire allusion ici à cette singulière confrérie des chevaliers de Notre-Dame de la TableRonde, toute composée de marchands qui jouent aux grands seigneurs (1). Par le fait c'est une aberration, mais elle révèle cependant une tendance à des moeurs nouvelles dont les instigateurs se trompent seulement dans le choix de leur manifestation. Viennent les. gens de Cour, comme Thiboust, parmi ces marchands qui cherchent à voir plus loin que l'horizon du comptoir, un parfum de bel esprit passera là-dessus et modifiera cette société. Thiboust attire à lui tout ce qui est sympathique à cette manière d'être et de faire. Autour de lui se groupent les poètes et les savants de la localité; on y rime, on y discute sur la grammaire, l'histoire, etc.

Il dut y avoir, j'imagine, au commencement pour ces réunions un grand attrait dans la présence de Jeanne de La Font que son esprit et sa grâce rendaient digne de présider ce cénacle.

Il aurait manqué quelque chose à Thiboust s'il n'eût pas eu pour recevoir les hôtes qu'il attirait chez lui un séjour digne de l'amphitryon. Et puis, de même qu'on disait jadis : pas de seigneur sans titre ; de même aurait-on pu dire pas de seigneur sans manoir. Thiboust chercha dans le pays à acquérir un fief dont le nom augmentât son nom patronymique, et qui fût un lieu de rendez-vous propre aux délassements qu'il affectionnait. A cet effet, il acheta la terre de Quantilly, située près du village de Saint-Martind'Auxigny, et à environ quatre lieues de Bourges.

Cette terre de Quantilly était un démembrement de la seigneurie de Menetou-Salon. Elle en fut séparée au commencement du XIIIe siècle en faveur des puînés de cette maison, qui joignirent le surnom de Quantilly à leur propre nom. Robinet de Quantilly, n'ayant pas d'enfants, la donna à Raoul de Bonnay vers la fin du XIVe siècle. Des Bonnay elle passa dans la famille Coeur par l'acquisition qu'en fit le célèbre argentier de Charles VII.

(1) Cf. l'opuscule intitulé : Chevaliers de l'ordre de N.-D. de la Table-Ronde de Bourges, par J.-P. Chevalier de Saint-Amand, 1837, in-8°.


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Geoffroy Coeur la posséda ensuite, et ce fut lui qui sans doute la céda aux Roger de Bourges. Jean Roger le jeune étant mort laissant deux filles mineures, et une basse fille, Jeanne de Morogues, femme d'Amignon , avocat à Issoudun, la propriété fut vendue, et acquise par Thiboust au prix de 5,820 fr., par acte passé pardevant Mes Jean Ragueau et André Gassot, notaires à Bourges, le 21 avril 1524 (1).

Située en pays de bois et de vignobles et sur un sol propice aux arbres fruitiers, la propriété que Thiboust venait d'acquérir pouvait être des plus agréables, mais il y manquait le point principal, je veux dire un manoir en rapport avec l'importance du maître, et qui pût remplir l'usage qu'il lui destinait. La maison seigneuriale qui n'était peut-être qu'une médiocre bâtisse, en supposant qu'il y en eût une , ce qui est douteux, dut déplaire au nouvel acquéreur, qui songea à édifier un château dans le goût du jour (2). En même temps il l'entoura d'un parc qui devait prêter à cette demeure le charme du mystère et l'ombre de sa verdure, et de vergers, qui à l'agrément joignissent l'utilité. On lit dans le terrier de Quantilly, déposé aux archives du Cher, des notes de la main de Thiboust lui-même sur les plantations dont nous venons de parler. Elles témoignent de leur importance et du soin qu'il y apporta (3). Quant au château, le goût du constructeur était garant de ce qu'il devait faire en cette occasion. Aujourd'hui, qu'après avoir passé entre les mains des archevêques de Bourges,

(1) La Thaumassière, Hist., p. 737-38.— Barral, Notice manusc. sur les châteaux du département du Cher. — Registre noir de Thiboust. — Outre Quantilly, il possédait encore les terres du Chouday et du Puy de Moulon.

(2) Robinet Desgrangiers dit en propres termes qu'il le rebâtit ; et j'ajouterai à ce sujet qu'un archéologue de mes amis a cru retrouver dans quelques parties de ce qui reste, la trace d'une construction antérieure au XVIe siècle.

(3) Voici les titres seulement de ces mémoriaux qui donneront une idée des embellissements faits par Thiboust :

« 1° Plant de la chesnaye du chastel de Quantilly ;

» 2° C'est l'ordre du plant de la vigne dud. chastel de Quantilly, plantée ès-années mil cinq cent vingt et cinq et vingt-six eu suyvant, contenant tant en vigne plantée comme en allées ung arpent et demy ou environ; partie lad. vigne, en quatre quartiers ;

» Na Les arbres des allées de lad. vigne sont tous pommiers de court-pendu, gros cuau, de Pallnau et autres bons fruicts de pommes, et les poiriers sont de ChampVérignat, Beurré, Sarteau, Ougnonnet, Rosat et autres fruicts de poires fort excellents ;

» 3° C'est l'ordre des arbres achaptez à Tours en décembre mil cinq cens vingt et sept, plantez en l'ung des bas quartiers du grant jardin de Quantilly, appelé le quartier de Touraine, qui est à main sénestre comme l'on va du chastel à l'église dud. lieu; l'en tour et ceincture duquel quartier sont tous poiriers de Bon-Chrétien, Champ-Vérignat et autres bonnes poires. »


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qui lui firent subir de grandes modifications, il a eu encore à souffrir des négligences et des outrages des révolutions, sa ruine n'a que peu gardé de sa physionomie primitive. On peut cependant le reconstruire par la pensée en s'aidant de ce qui reste, et en y joignant les quelques renseignements que nous allons ajouter (1).

Dans un procès-verbal de réparations à faire aux immeubles dépendants de l'archevêché, auquel Quantilly était alors réuni, en 1647, on lit les passages suivants (2) :

« La maison dud. Quantilly est composée de deux bastimens , de trois tours et d'un pavillon au-dessus de l'entrée, et d'un autre petit bastiment où est la chapelle. Led. chasteau est entouré de fossés lesquels sont demy comblez et remplis d'arbres, buissons et terres. Il y a apparence qu'il y a très longtemps qu'ils sont en cet estat.

» .. Dans la cour du logis, et audevant dud. corps de logis où est

la chappelle et la cuisine il y a une terrasse et un escalier par lequel on monte et passe sur lad. terrasse pour aller au grand bastiment et chappelle, laquelle terrasse est eslevée à cinq pieds de hauteur de- rez-de-chaussée de la cour et est pavée par le dessus de grandes pierres de taille , et y a un balustre le long de lad. terrasse et escalier, du costé de la cour qui est de hauteur de deux pieds huit pouces.

» Et audessus de lad. terrasse audevant de lad. chappelle est un petit pavillon qui couvre le vestibule et entrée de lad. chappelle qui est couvert d'ardoise, dans lequel y a un petit clocheton où il y a la cloche de la chappelle. »

Cette description laisse à désirer et l'état actuel de l'ancien château ne permet qu'assez incomplètement d'en combler les lacunes et les obscurités. Vendue comme propriété nationale en 1791, la demeure de Thiboust fut en partie démolie. Les trois tours désignées plus haut restèrent presque seules avec le colombier qui les avoisinait pour conserver le tracé des bâtiments formant carré, et aux quatre angles duquel s'élèvent chacune de ces tours (3).

(1) V. la pl. n° 1.

(2) Archives départementales du Cher, fonds de l'Archev. L. 68.

(3) La terre de Quantilly, appartenants et dépendances, qui était encore propriété des archevêques de Bourges à la révolution, fut vendue, comme bien national, le 14 juin 1791, pour la somme de 24,000 fr. aux citoyens Gabard et Rabillon des Marquions. Ce dernier , ancien fermier du domaine, garda le château. On voit par le procès-verbal d'estimation, dressé le 4 mai qui précéda la vente , qu'il comprenait quatre corps de bâtiments flanqués de tourelles et entourant la cour. Ce sont ces bâtiments que l'acquéreur fit abattre en parties en s'attachant surtout à faire disparaître la façade et la porte d'entrée, où le caractère féodal se retrouvait plus empreint que dans le reste des constructions.


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Une façade sans caractère, donnant sur ce qui fut les jardins, forme en dedans l'un des côtés d'une cour de ferme. On croit cette construction postérieure à l'époque qui vit édifier les tourelles. Elle serait due sans doute aux archevêques, et paraît occuper l'emplacement de l'ancienne terrasse dont la hauteur primitive est peut être indiquée par un cordon de pierre qui règne encore de ce côté dans la longueur de la muraille. Les bâtiments qui composent les deux autres ailes sont modernes et servent à l'exploitation du domaine. La place de l'ancien pignon est restée vide, et c'est par là qu'on entre dans la cour. Le côté qui lui fait face au fond a conservé ses fossés qui sont tels aujourd'hui que le procès-verbal de l'archevêché nous les montre en 1647. Il est certain toutefois qu'ils étaient jadis remplis d'eau par les sources venant des hauteurs contre lesquelles le château s'appuie par derrière et que couronne la garenne encore existante; on a retrouvé les conduits de plomb qui y amenaient ces eaux, dont s'alimentent aujourd'hui les bassins du jardin anglais que le propriétaire actuel a fait dessiner autour du nouveau château de Quantilly. En adossant sa maison contre l'élévation de terrain qui la garantit au nord, et en tournant la façade au midi, vers le bourg de Quantilly, en face duquel il tenait sans doute à se placer, Thiboust n'a pas su profiter de la belle vue qui embrasse quand on est sur la hauteur un horizon très vaste et s'étend jusqu'à Bourges. Cette considération, jointe à l'état de dégradation où il trouva l'ancien château, a engagé le dernier propriétaire, M. Batailler, à choisir la hauteur voisine, au point d'où l'oeil peut parcourir à l'aise le paysage, pour, y élever la délicieuse habitation qu'il a fait construire récemment.

Le manoir de Thiboust, une fois édifié, fut ouvert à tous ceux qui partageaient les goûts du maître ; et, comme c'était des langues dorées, ils payaient leur écot en compliments pour lui et en éloges de sa demeure. On chanta le château de Thiboust comme on chantait sa femme.

Nicolas de Bourbon, y ayant été accueilli ainsi qu'on accueillait les gens de son espèce, composa sur le séjour où il venait de passer d'agréables journées les vers suivants que La Thaurmassière rapporte (p. 737) :

Quid Lingonensis nates oriundus ab oris

Goc viso fertur sir cecinisse loco : Dos juga Parnassi, fontesque Geliconis et antra

Cedite, nàm nobis sat fuit usquè dratum. Gic Musoe, hic Charites jurant s? velle morari,

Jurat item pulchro cuni grege nuchra Denus.

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Par quoque cum Nymphis et pulcher Apollo napoeis Deceruunt loctos hic agitare chosos. felix viv nimiùm cujus solertia talem

Ganc potuit Divis cedificare domum !

Ce qui peut s'interpréter à peu près ainsi :

Le poète Bourbon, que Langres à vu naitre. (1), Chanta, dit-on, ainsi, quand il eut vu ces lieux : Assez longtemps enfin ton nom fut glorieux, O Parnasse, ta gloire ici va disparaître. Les Muses désormais y fixent leur séjour, Et les Grâces aussi : Vénus y tient sa cour. Pan, le bel Apollon, les Nymphes bocagères

Y vont menant le choeur de leurs danses légères. Trop heureux le mortel dont l'art industrieux

Construisit de la sorte un palais pour les Dieux !

Cela ne brillé pas d'une grande poésie, mais un compliment a toujours bonne grâce à se montrer et manqué rarement d'être bien accueilli, surtout s'il est en vers. Thiboust fut si content de celui-ci qu'il le fit graver sur une belle pierre qu'on enchâssa au pignon du château. Pierre et pignon ont aujourd'hui disparu (2).

La Thaumassière en contant ce fait, ajouté : « Ce poète se serait encore efforcé s'il eût vu cette maison en l'état qu'elle est à présent, par les soins de messire Anne de Levy de Ventadour, archevêque, quia fait réparer l'ancien château, et fait faire presque à neuf un corps de logis qui regarde sur les vergers et sur les jardins nouvellement plantés en ce lieu, qui le rendent des plus agréables de la province. »

L'époque où Bourbon vit Quantilly doit remonter aux années qui suivirent d'assez près son acquisition, car ses vers témoignent que Jeanne de La Font vivait encore. C'est évidemment pour elle que Vénus et les Grâces y apparaissent. Un autre poète, mais un poète français celui-là, et de plus berri(1)

berri(1) ne naquit pas à Langres même, mais à Vandeuvres, près Bar-Sur-Aube, dans le diocèse de Liangres.

(2) Il n'y a, m'assnre-t-on, qu'une vingtaine d'années que cette pierre, qui s'était conservée jusque-là dans un coin de la cour, s'est perdue, rongée par la gelée et les pluies. M. Batailler a sauvé de l'ancienne décoration extérieure de l'édifice deux armoiries sculptées qu'il a fait encastrer dans des constructions récentes.


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chon, François Habert d'Issoudun, y vint à diverses reprises sur l'invitation de Thiboust. A cette époque le seigneur de Quantilly se faisait vieux, il était veuf et à la tête d'une famille dont son hôte a fait mention en ses vers. Habert avait peut-être des motifs de reconnaissance tout particuliers envers lui. Ce poète agréable et facile était, avons-nous dit, un enfant d'Issoudun (1). Resté orphelin avec des dettes et l'amour des muses quand il étudiait encore, il goûta de bonne heure le pain de la misère; et connut l'angoisse des mauvais jours. Bien des fois, avant de devenir poète de cour, il avait dû recourir à la commisération rechignée des protecteurs. Enfin les jours difficiles cessèrent, et il obtint la faveur de François Ier. Si Thiboust eût encore habité Paris, on pourrait bien croire qu'il aurait été son intermédiaire en ces circonstances. Mais Habert n'était pas né probablement à l'époque où son noble ami vint résider à Bourges (2), et leurs relations ne paraissent dater que du temps même où Habert commença à se faire connaître grâce à sa nouvelle situation. La première indication que nous en avons remonte à l'année 1549. L'abbé Goujet, au tome 5e de sa Bibliothèque française, raconte comment la chose se passa. Habert, chargé par Henri II de traduire en vers les métamorphoses d'Ovide, reçut un jour l'invitation de venir passer les beaux jours à Quantilly. C'était un délassement à ses travaux, il accepta et interrompit sa traduction (3). Mais durant le temps qu'il passa chez Thiboust, celui-ci lui suggéra l'idée de traduire les satires d'Horace et pour faire sa cour à son hôte il entreprit ce travail concurremment avec l'autre. « Habert, dit Goujet, commença par les satyres du poète latin dans un séjour qu'il fit chez le sieur de Quantilly; et, lorsqu'il fut revenu à Paris, il acheva le premier livre, le fit imprimer et le dédia à son bienfaiteur, dont il voulait, dit-il, faire passer le nom à la postérité. Celui-ci fut sensible à cette marque d'estime, et faisant lui-même un effort poétique, il en remercia l'auteur par un quatrain, où rendant à Habert loüanges pour louanges, il dit au lecteur :

Voy ces sermons, et note bien la grâce Qu'en traduisant a heu le traducteur. Car il a fait ressusciter Horace, Pour en françois faire parler l'autheur.

(1) En 1525 Thiboust était grenetier du grenier à sel d'Issoudun. C'est un titre de plus à ajouter à ceux qu'il se plaît à énumérer à la suite de son nom. C'est sans doute à cette occasion qu'il dut de connaître l'avocat Amignon, duquel il acheta Quantilly, et sans doute aussi la famille Habert, ce qui amena sa liaison avec François.

(2) Il naquit vers 1520, suivant l'opinion la plus accréditée. D'autres repoussent cette date jusqu'à 1508.

(3) Cette traduction ne parut complète que dix ans plus tard. Une 2e édition en fut faite en 1574.


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Le premier livre des satyres, continue le biographe, parut en 1549 et fut réimprimé deux ans après le seconds C'étoit en 1551. Je ne sais si Jacques Thiboust étoit mort, ou si Habert dégagé de sa parole, crût devoir chercher un nouveau Mécène. Il dédia ces deux livres à Jean de Bretagne, duc d'Estampes, comte de Penthièvre, gouverneur et lieutenant-général pour le roi en Bretagne. »

La dernière supposition de l'abbé Goujet, est la seule vraie. Mais il convient de compléter au point de vue de notre sujet ce qu'il dit de la première édition de l'Horace d'Habert. Ce livre parut in-8° sous le titre suivant : Le premier liure des sermons du sententieux poëte Horace, traduict de latin en rime françoyse, par Françoys Habert de Berry. Au verso du titre on lit le quatrain de Thiboust. Au recto de la page 3 commence une épitre de l'auteur au même que nous allons transcrire.

« A MONSIEUR JACQUES THIBOUST,

Escuyer, notaire de Quantilly, notaire et secrétaire du Roy et son Esleu en Berry, Françoys Habert donne salut.

Si les soubhaicts avoient lieu et puissance, (Très cher seigneur, tu aurois congnoissance Que ie ne veulx mettre en ingrat oubli

Ton bon esprit, de vertus ennobli :

Car tu aurois un soubhaict, que ieunesse Diminuast les ans de la vieillesse, Ou que vieillesse, où fort eneor es lu, De deux cents ans n'abaissast ta vertu, A telle fin que Berry, ta naissance, De ton esprit eust longue iouyssance. Mais puisqu'en rien ces soubhaicts n'ont vigueur, Pour empescher de la mort la rigueur, Je te supply, honnorable personne, Te contenter de la volunté bonne, Qui rien ne quiert fors que le Créateur, De ta santé soit le conseruateur. Car c'est luy seul qui ordonne et compasse, Noz derniers iours, sans qu'on les oultrepasse, Et (qui est plus) sans ses désirs et veux Ne peult tomber un poil de noz cheveux. Or congnoissant que ce recteur céleste De l'obéir iour en iour m'admoneste, Pour ne nourrir ingratitude en moy, Ces iours passez i'ay esté en esmoy De rédiger d'une meilleure grâce Qu'en ta maison, les satyres d'Horace,


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Rememorant que ie t'auois promis

Que soubz ton nom au vent il seroit mys,

Non seulement pour ta mémoire espandre,

Et après mort immortelle la rendre,

Mais pour l'espoir, qu'à la postérité

En sortira fruict et utilité,

Pour ce que c'est l'autheur facétieux,

Grave-poysant, et fort sententieux,

Bien-méritant louanges héroïques

Parmy le rang des autheurs satyriques.

Donc me voyant à Paris de loysir.

Pour mettre fin au tien et mien désir

J'ai acbeué d'un esprit à déliure

De ces sermons traduictz le premier liure,

L'édifiant de vers polis et meurs,

A celle fin que les bons imprimeurs

Par cy après le mettent en lumière,

A qui mieulx mieulx, par façon coustumière.

Si te supply prendre le tout en gré

Par ton Habert qui à plus bault degré

Tendre ne veult, fors auoir temps propice

Pour t'obéir et te faire seruice. »

Les Sermons sont suivis d'un choix d'épigrammes dont la seconde est également adressée à Thiboust. C'est un envoi de l'ouvrage.

« A monseigneur de Quantilly (1),

Très cher seigneur ie vous envoie Horace,

Limé, poli, et en lumière mys

Par l'imprimeur, qui d'une bonne grace

(1) Il est probable qu'au fur et à mesure qu'Habert traduisait les satires d'Horace il les faisait parvenir à Thiboust. On lit l'épigramme suivante parmi celles qui sont à la suite du Temple de Chasteté, autre recueil du même auteur.

« A M. de Quantilly auquel il envoya un sermon traduict d'Horace pour son estraine (1549),

Très cher seigneur ce premier iour de l'an Que requiers tu de moy pour ton estraiue? Tu ne veulx pas la duché de Milan, Ne les trésors de Florence mondaine. En ce perdroit l'un et l'autre sa peine, Moy de promettre, et toy de requérir. Puis ton esprit que vertu fait florir De ton servant grand thrésor ne demande, Que pourroys tu de moy donc acquérir? C'est ce sermon que ie te recommande. »


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L'a disposé, et n'y a rien omis.

Or ensuyuant ce que i'auoys promis,

A Quantilly iray faire demeure ;

Mais i'ay grand peur que si là ie demeure

Deux ou troys iours, veu le grand passe-temps ,

De n'en sortir jusqu'à ce que ie meure,

Ou pour le moins y estre bien long-temps.».

Il parait que, dans cette première visite à Thiboust, Habert était resté à Bourges et n'avait pas vu Quantilly. Peut-être là saison où il vint n'était-elle pas propice. En quittant son hôte il crut devoir lui adresser ce poétique adieu :

« A M. Jacques Thiboust, escuier, etc.,

le congnoys bien qu'au partir de ce lieu Il me convient escrire cet adieu En te donnant louange sans me faindre, Par un désir que Mort ne peut estaindre, Car quand la Mort viendra son bras estendre Pour ruiner ce corps fragile et tendre, De mon escript tu auras les ouvrages Pour de ton los porter bons tesmoiguages. Doncques adieu le rameau florissant De Quantilly, adieu la fleur yssant D'un lieu divin qui ne peult sur terre estre, Passant en tout le Paradis terrestre. Adieu royal secretaire et scavant Qui malgré Mort mettra son bruit avant Dans les escripts et au profond des coeurs De maint poete et grands rhétoriqueurs. Adieu celuy dont le chef des poetes,

Marot passant le vol des alouetes,

A mys le nom en tel desguisement,

Qu'à ta nature il toucha vifvement,

Adieu culteur et pere des letrez,

Bien peu de gents sont pareilz rencontrez,

Car Charité est presque toute estaincte.

Si elle vit elle est fardée et faincte.

Adieu celuy qui tiltre indigne n'as

D'estre nommé le second Mecenas;

Que plust à Dieu que sa haulte largesse

Renouvellast tes ans d'une ieunesse,

Mais sans cela, i'espère que tes ans

Vingt ans trois foys seront de mal exempts. »


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De si chauds accents de reconnaissance et la glorification de la « charité » de Thiboust à cet endroit prouvent l'étendue et la nature des obligations qu'Habert lui devait. Evidemment il avait été plus qu'un convive chez lui, et en véritable Mécène le protecteur avait ouvert sa bourse au poète embarrassé.

Ce n'est pas la seule fois d'ailleurs que ce dernier signale formellement l'espèce de reconnaissance qu'il doit à son Mécène ; il ne perd guère l'occasion de la témoigner. Nous en citerons volontiers comme exemple cet autre passage d'une épitre qu'il écrivait d'Issoudun à son ami le poète Nicole Le Jouvre, postérieurement sans doute à cette époque, quoiqu'il y mentionne sa traduction des Métamorphoses d'Ovide comme touchant à sa fin :

« Si le supply voir ma prose et ma lettre

Ou i'ay voulu le reste escrire et mettre

Donnant par toy un très humble salut

A Quantilly, qui pour moy tant valut

A qui de bref sera sur toute chose

Faict ung présent de ma Métamorphose.»

Quand l'imprimeur au vent la produira. »

Cette épitre a été imprimée à la suite du Temple de Chasteté.

Ainsi le financier-poète berrichon travaillait à acquérir des droits au titre de Mécène qui devait par la suite s'attacher à sa réputation. Le fait, que nous venons de citer et que la reconnaissance de l'obligé a conservé se répéta sans doute plus d'une fois pour d'autres qui n'en ont rien dit. La tradition toutefois nous a conservé encore le souvenir d'un autre bienfait du même genre où nous retrouvons Thiboust tendant la main aux entreprises de l'esprit. Ce fut lui qui fit les frais de publication de la carte du Berry que le prêtre Jean Jolivet, géographe de François Ier, comme il s'intitulait, publia en six planches, l'an 1545, et dont la gravure dût être coûteuse (1). Cela au surplus ne veut pas dire que ce bienfaiteur des lettres et des sciences dans sa province fut pour cela moins avide d'argent que tous les hommes de son temps, seulement il avait de plus que la plupart d'entre eux l'art de savoir le dépenser dignement et d'en faire un noble usage, ce que nous prisons plus, pour notre part, que son blason , tout écartelé qu'il fût.

Mais revenons à Quantilly. L'épitre d'Habert que nous venons de citer fait partie d'une série dé pièces de vers imprimées à la suite du Temple de Chasteté et dont la plus grande part sont adressées à Thiboust ou à des

(1) V. Catherinot, Annales typogr., p. 4, et le vray Avarie, p. 7.


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personnes de sa famille (1). Elles y paraissent rangées par ordre de date, et celle-ci est la première qui s'adresse au seigneur de Quantilly, d'où j'induis une ce fut celle qu'il lui envoya en quittant Bourges, avant d'avoir été visiter le château de son hôte. Bien qu'il y parle en effet de Quantilly, il est certain qu'il ne l'avait pas vu encore, mais il avait promis de revenir y faire quelque séjour, et, comme il tardait à exécuter cette promesse, qu'il n'avait faite sans doute que par concession et pour flatter le caprice du châtelain, Thiboust la lui rappela à diverses fois, et comme cela était de bon goût de poète à poète, il le faisait en vers, sollicitant ainsi les réponses rimées de son correspondant, qui s'excusait de son mieux de se faire tirer autant l'oreille pour venir. Un compatriote d'Habert, M. Pérémé, a comparé élégamment cet appel réitéré d'un poète à un autre poète aux regrets d'Horace sur l'éloignement de son cher Virgile. La comparaison est gracieuse, mais s'il y a quelque analogie dans la situation quelle distance entre les talents ! (2) Donc ce sont les épitres résultant de cet échange d'invitations et de réponses qu'on trouve à la suite de celle que nous venons de citer.

Et d'abord, pour faire sa cour au maître; Habert avait jugé à propos de faire de confiance l'éloge de Quantilly par ce quatrain :

(1) Voici le titre plus au long de ce recueil : Le Temple de Chasteté avec plusieurs épigrammes tant de l'invention de l'autheur que de la traduction de Martial, etc. par François Habert d'Yssouldun en Berry.— Paris, 1549, in-8°. — C'est parmi lesdites épigrammes que se trouve la série de pièces dont nous parlons. Nous n'avons pas hésité à les transcrire, d'abord en raison de l'intérêt direct dont elles sont pour notre sujet, et puis pour la rareté du livre d'où elles sont tirées ; les oeuvres d'Habert étant aujourd'hui difficiles à rencontrer, même dans les grandes bibliothèques publiques. Qu'il nous soit donc permis de témoigner ici toute la reconnaissance que nous éprouvons pour le gracieux procédé de M. de La Villegille , qui, sur une simple demande de renseignements de notre part, a bien voulu dépouiller à notre intention quelques-unes des oeuvres du poète Issoldunois ; ce qui nous permet aujourd'hui d'offrir ces échantillons de la musé du poète Berrichon.

Après la table des matières qui se trouve imprimée au verso du titre du Temple de Chasteté, on lit le huitain suivant de Thiboust, qui recommande le livre :

« Sage lecteur, qui lis vers et epistres,

Rondeaux, dixains des poètes nouveaulx,

Voy le dedans plutost que ces grands tiltres

Qui ne font pas les ouvrages plus beaulx : Maints en y a qui ne sont que gros veaulx, Où enlisant les liltres lu t'abuses : Mais cestuy-cy enfle ses chalumeaulx Près d'Hélicon, eau vifve des neuf muses. »

(2) Pérémé , Recherches hist. et archéol. sur la ville d'Issoudun, p. 339.


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« Si Priapus qui des iardins fut Dieu, De Quantilly eust contemplé la place, Il eust donné plus d'honneur à ce lieu Qu'à Pomona de beaulté et. de grace. »

Ce à quoi le seigneur de Quantilly répondit avec autant de raison au moins que de poésie par cet autre quatrain :

« D'une chose encores non veue L'on ne peult parler hardiment, Pour ce qu'a toy est incongnue Pour en asseoir sur iugement. »

Habert reprend la plume et dès lors la correspondance continue et ne va plus s'interrompre de sitôt.

« L'autheur audict Quantilly,

Sur Quantilly ie n'ay getté mes yeulx Pour le louer, ce que tu dis estrange, Mais ceulx qui ont veu ce lieu gracieux M'ont incité de luy donner louenge. Et si un iour expres mon oeil se range A contempler ce lieu si bien pourveu, l'auray alors la mémoire d'un ange Pour racompter ce que l'oeil aura veu. »

« Ledict Quantilly à l'autheur,

Quand promets tu qu'en ceste maisonnette Tu me viendras à Quantilly revoir ? Une fontaine y verras pure et nette, Et un iardin d'arbres plaisants à voir. Si plus y quiers lu pourrois decevoir, Alors sera la demande entendue, Tout pourras bien à l'oeil apparcevoir, Car petit lieu n'a pas grand estendue. »

« L'autheur audict Quantilly,

Quand Boreas vent plein d'austérité Par Eolus tiendra prison obscure, Quand Zephirus au gracieux esté Alainera doulcement la verdure, Ce sera lors, Monseigneur, ie vous iure, Qu'il sera bon de prendre esbatement A Quantilly, car lorsque le verd dure L'esprit en a plus de contentement. »

48.


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« Ledict Quantilly à l'autheur,

C'est un refus, ou ton coeur à failly D'ainsi vouloir le verd printemps attendre Pour visiter le lieu de Quantilly Ou l'on t'asseure en deux heures te rendre. La tu pourras des neuf Muses apprendre A t'esiouir en dure adversité, Semblablement plusieurs choses comprendre Dont lu auras ioye et félicité. »

« L'autheur audict Quantilly,

Graces te rend de ton offre humblement Me desyrant dedans Quantilly estre; Le temps permet d'y prendre esbatement, Le lieu aussi dont tant on prise l'estre, Mais si c'estoit un Paradis terrestre Mal de cousiez qui me cause douleur Me garderoit de rire et congnoistre Le passe temps de ce lieu de valeur.»

Le mal de côté était la dernière excuse qu'en désespoir de cause et en face de l'obstination du vieillard Habert mettait encore en avant pour gagner du temps. Mais il fallait se rendre et il partit. Ce second voyage à Bourges doit être de l'année 1550.

Habert a pris soin d'en signaler lui-même les-détails dans une autre épître à Thiboust. C'est celle qu'on lit en tête du Discours du voyage de Venise à Constantinople, par Jacques, Gassot, petit-neveu dudit Thiboust.

Jacques Gassot, sr: du Beffends, est, il faut l'avouer, plus connu dans' notre pays que son oncle ; cela tient d'une part, à ce qu'il y a rempli des charges municipales, et aussi à ce que son nom s'est perpétué jusqu'à nos jours dans ses héritiers. Il descendait d'une soeur de Thiboust à laquelle Catherinot donne le prénom de Céleste ; La Thaumassière, d'accord avec les titres de la famille, l'appelle Nicole (1). Elle a pu porteries deux noms. Elle fut mariée à Aignan Rousseau, marchand établi à la porte Gordaine, qui fut contre-garde de la monnaie de Bourges et échevin en 1490-91. Elle eut de ce mariage entre autres Pierre Rousseau, qui s'éleva sous la tutelle de Jacques Thiboust, et une fille, Jeanne, qui épousa, en 521 (1520 v. st.), André Gassot, sr de Deffends, notaire à Bourges, lequel devint plus tard secrétaire du roi, sans doute par l'intermédiaire de son oncle, et donna

(l) Catherinot. Tombeau gènèal., p. 24. La Thaumassière. Généalogie des Gassot, à la p. 1066 de son Hist. de Berry.


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le jour à Jacques dont il est ici question. Nous ne referons pas ici la biographie de ce dernier, on peut la lire au tome XIX de la Nouvelle biographie générale, publiée par M. Firmin Didot; nous en rapporterons seulement le fait principal qui nous intéresse ici, celui de son voyage en Orient. Envoyé par Henri II avec une mission politique secrète auprès du sultan Suléiman, il le suivit avec l'ambassade française dans l'expédition que ce prince tenta en 1548 contre le schah de Perse. La relation de ce voyage avait été adressée par lui à Thiboust qui la publia en 1550 à l'instigation de Habert sous le titre que nous avons rapporté plus haut.. Une deuxième édition avec le même titre en parut en 1606. Enfin en 1674, Jean Toubeau, imprimeur de Bourges, en donnait une troisième de format in-8°, comme les deux autres, et qu'il ornait du titre suivant : « Lettre escritte d'Alep en Surie par Jacques Gassot, sr. de Deffens, à Jacques Thiboust, sr. de Quantilly, contenant son voyage de Venise à C. P. de là à Tauris en Perse, et son retour aud. Alep. En tête de cette relation figure l'épitre d'Habert à Thiboust que nous avons signalée en dernier lieu, et que nous allons transcrire en partie.

« A Monsieur Maistre J. Thiboust, etc.

Au départir de Bourges ( Monseigneur ) Pris le chemin, dont tu fus l'enseigneur. Je feis séiour six heures seulement A Quantilly, en tel contentement, Que ma pensée un seul iour de ma vie De joye et d'heur ne fut onc tant ravie. A l'arriver i 'apperceu que les gents A mon recueil ne furent négligents : Car tout soudain resiouys de ma veüe Feirent que bien la table fut pourveûe, Ce qui pourtant ne me plaisoit le mieux, Car ie ne fus oncques fort curieux De grands banquets, dont l'excessive cure Aux bons esprits ignorance procure. Bien est-il vray que le vin de ce creu Eust donné vie à tout homme recreu, Car sans mentir il est plein de délices : Et m'est advis que ie ne sors des lices De vérité, si le vin qu'as léans J'ay préféré à celluy d'Orléans (1).

(1) Aujourd'hui ce n'est plus dans les vins de l'Orléanais qu'on choisit des termes de comparaison. C'est qu'avec les siècles les goûts changent. Les vins comme le reste subissent l'empire de la mode. On s'étonne maintenant que les contemporains de


Doncques tes gents aises de ma venue

Un peu avant la nuict intervenüe

De les iardins me feirent l'ouverture,

Passants tous ceux d'ancienne escripture :

Mesmes le lieu que les filles d'Atlas, Par un Dragon, qui oncques n'en fut las,

Faisoient garder ; et n'a mon oeil failly

De préférer ce lieu de Quantilly

Aux beaux iardins que Pomone la vierge Sceut cultiver, ausquels seule concierge

Elle habitoit, rendant les Dieux confus,

En leur faisant de son amour refus.

Possible n'est que les fructiers ie nombre De Quantilly, et que i'arreste un nombre

Des arbrisseaux, tant de ceux qui ont fruict, Que ceux sur qui le rossignol faict bruit,

Qui chesnes sont en grande compagnie,

Qui feront honte à ceux de Caonie,

Lorsque tes hoirs en semence naïve,

Croistront, ainsi que les rameaux d'olive, etc. »

On voit quelle place cette terre de Quantilly avait pris dans la vie de Jacques Thiboust : ce n'était pas seulement son orgueil de châtelain qui s'y trouvait intéressé ; c'était aussi son amour de propriétaire, de vigneron, de planteur. Aussi comme le flagorneur Habert a soin de flatter tout cela. D'ailleurs resté veuf après quelques années de mariage et sans enfants mâles, c'avait été pour lui un objet de consolation. Il semble qu'en créant ses jardins, il se soit rappelé ceux de son cher Horace. C'était aussi à ses yeux quelque chose comme les jardins d'Académus auxquels la science et la poésie aimaient à rendre visite. Quand ses occupations le laissaient libre il les y attirait. Lors même qu'il devait s'absenter, les amis étaient toujours sûrs d'y être accueillis avec cet empressement que rencontra Habert, qui paraît y être venu un jour où le maître n'avait pu l'accompagner, appelé

Saint-Louis aient fort goûté les produits des vignes de Surènes. Il n'y a pas lieu d'être aussi surpris en voyant ceux de l'Orléanais jouir jusqu'au XVIIe siècle d'une faveur qui les faisait préférer aux plus renommés. Cela tenait, suivant Legrand d'Aussy, surtout à la fabrication qui était très perfectionnée dans cette contrée comparativement aux autres. Dire que les vins de Quantilly valaient mieux que ceux d'Orléans, c'était le plus grand éloge qu'on en pût faire. Ces clos ont gardé chez nous leur réputation. Du reste., on a vu avec quel soin Thiboust avait fait planter ses vignes, et il est probable que par son éloge pompeux Habert savait flatter en lui un faible de propriétaire.


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peut-être qu'il était au dehors par ses tournées d'élu. De ce séjour, où il aimait à se recueillir, sortirent sans doute aussi la plupart des vers qu'il a produits.

C'est ici le lieu de parler de ce qui nous reste de lui en dehors des vers adressés à Habert et conservés par ce dernier, pour nous autoriser à traiter Thiboust non seulement en ami des lettres mais en littérateur. Ramassons ça et là les éléments épars de cette oeuvre modeste, et, pour commencer, par ce que tout le monde connaît, par ce qui a été imprimé, nous allons parler de la Monstre du mystère de Simon Gréban.

En 1536, Bourges fut le théâtre d'une grande solennité à la fois artistique et religieuse. C'était au moment où le calvinisme, né précisément dans notre ville, y faisait des progrès rapides et qui alarmaient étrangement les fidèles. On songea à contrebalancer l'effet de ses prédications par la mise en scène d'un de ces spectacles propres aux populations catholiques et où la pompe surtout frappe les imaginations. On savait le peuple plus sensible à ce qui éblouit l'oeil qu'à ce qui s'adresse purement à l'esprit, et c'était pour lui avant tout que cette représentation était faite. Les principaux meneurs de l'affaire furent une douzaine de bourgeois de Bourges, la plupart marchands et membres d'une confrérie où. l'idée avait probablement pris naissance. Ils se chargèrent de l'organisation et de la dépense. L'oeuvre qu'ils choisirent pour être interprétée à cette occasion fut le Mystère des actes des apôtres par le moine Simon Gréban (1). C'était une de ces grandes machines dont rien dans notre théâtre moderne ne peut donner l'idée. Il ne fallait pas moins de quarante jours pour la représenter complètement. Le nombre des personnages et le luxe qu'on y déployait étaient en rapport avec la longueur de la représentation. Pour suffire à ce déploiement de richesses on dut mettre à contribution non seulement la garde-robe et la boutique des organisateurs, mais encore sans doute les trésors accumulés dans les églises pour lesquels la fête se faisait. La foule fut admise à jouir de la vue de ces magnificences dans un défilé ou « monstre » de tout le personnel et des machines qui devaient figurer dans le mystère. Ce long cortége, qui ne contenait pas moins de 500 personnes, partit de l'abbaye de Saint-Sulpice, située dans un des faubourgs de la ville, et dans laquelle les acteurs étaient allés se préparer, puis se rendit processionnellement à travers les rues jusqu'à la fosse des Arènes où le théâtre avait été élevé. Ce spectacle dut produire sur les populations une espèce d'éblouissement. Il est certain que le retentissement de cette solennité resta longtemps dans les imaginations; et, tandis que, pour en éterniser la mémoire, le drapier Alabat, qui fut l'un des organisateurs; faisait

(1) Chaumeau. Hist. VI, 7. — Raynal. Hist. VIII, 3.


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imprimer le drame (1), Thiboust, encore émerveillé de la magnificence des décors, et qu'on croit avoir lui-même participé à cette représentation, écrivait une relation du défilé dont nous venons de parler.

Peut-être pourrait-on lui attribuer aussi la confection d'un petit livret qui se conserve encore à la bibliothèque publique dé Bourges (département des mss.) et qui contient tous les détails de la mise en scène du mystère. Pour appuyer cette prétention, je m'autoriserais au besoin des paroles de M. Raynal, qui semble avoir eu une pensée analogue, lorsqu'il dit en le mentionnant : « Ce n'est qu'un memento de semainier dressé par un des entrepreneurs, afin d'indiquer tout ce qui était nécessaire pour l'exécution matérielle du mystère. » Ce memento est un petit in-12 en parchemin, relié à l'antique et contenant 51 feuillets non foliotés. Au commencement on lit en cursive du XVIe siècle : « C'est la table et sommaire de la représentation de la Passation (sic) faicte à la fosse des Areines par les bourgeois de Bourges en l'an 153 (6). » Cette écriture hâtée n'est pas de la main du scribe auquel on doit le livret lui-même et dont l'écriture soignée, et qui décèle des habitudes de calligraphie, conviendrait plutôt à notre secrétaire du roi. L'auteur de ce titre l'avait fait précéder de son nom aujourd'hui illisible par suite d'un grattage. Les derniers feuillets ont été arrachés, ce qui rend incomplète cette partie du manuscrit concernant le mystère de Saint-Denys qu'on ajoutait souvent comme 10e livre aux neuf composant l'oeuvre de Gréban. L'ordre des matières y est le suivant : 1° la liste des personnages figurant dans les deux mystères avec le dénombrement de tout le personnel, qui monte à 494 personnes; 2° « l'extraict des feintes » ou, comme nous dirions, le détail des décors.

Ce curieux petit volume passa des mains de ses premiers possesseurs dans la bibliothèque de l'archevêché, d'où il est arrivé à celle qui le détient maintenant. Thiboust a pu en faire don à Jacques Leroy, qui prit possession du siége archiépiscopal de Bourges en succédant au cardinal de Tournon l'année qui suivit celle de la représentation du mystère et le garda jusqu'en 1572. Nous verrons un autre exemple de cet usage de ces manuscrits fait par le secrétaire de Marguerite de Navarre quand ils pouvaient intéresser le donataire.

Ce memento, catalogue ou table', comme on voudra l'appeler, a été imprimé in-4° en 1854 par les soins de M. de Girardot, qui l'avait étudié lorsqu'il s'occupa de la confection du catalogue des manuscrits de notre bibliothèque, et par ceux de M. Didron aîné, qui accompagna cette impres(1)

impres(1) ce que nous en avons dit dans notre Hist. des imprimeurs et libraires de Bourges, p. 51 et suiv.


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sion de notes fort intéressantes (1). Une préface de l'éditeur a été mise en tête dans laquelle il rappelle la description de la « monstre » faite par Thiboust.

Mais si la paternité du memento peut être mise en doute, il n'ent est pas de même de l'autre opuscule qui lui appartient bien évidemment. Nous en avons Catherinot pour garant quand il imprime dans ses Annales typographiques de Bourges :

« 1535. — L'ordre de la représentation des Actes des Apostres à Bourges, c'est une relation faite par Jacques Thiboust, sieur de Quantilly, secrétaire du Roy. »

Observons que Catherinot ne cite pas ici exactement le titre qui est: « l'ordre de la triomphante et magnifique monstre du mystère des saints Actes des Apostres faite à Bourges le dimanche dernier jour d'avril 1536. » De plus, suivant une habitude trop fréquente chez lui, il a trouvé moyen en deux ou trois lignes de commettre deux erreurs. La première consiste à avoir écrit 1535 au lieu de 1536, date de la représentation du mystère; la seconde à avoir donné comme imprimée cette relation qui est certainement demeurée manuscrite jusqu'à nos jours. C'est même à ce défaut d'impression qu'elle a dû d'être restée à peu près inconnue durant trois siècles. Catherinot aura confondu le mystère lui-même avec « la monstre » de Thiboust, bien qu'il ait consigné l'autre un peu plus bas à sa date d'impression (1537).

Trois cents ans, jour pour jour, après la solennelle représentation de. ce mystère et le récit de la « monstre, » une main soigneuse de rendre public ce monument de l'art dans notre passé, mettait enfin cette dernière au jour. La relation de Thiboust parut en 1838 in-8° à Bourges, grâce à l'initiative de M. Labouvrie, ancien notaire de cette ville, qui la fit imprimer chez Manceron, en complétant le volume de notes et d'extraits de toutes sortes qu'il avait recueillis sur l'histoire de la province. L'intérêt qu'offrait cette publication, quant à la reproduction du manuscrit de Thiboust, n'est pas douteux, et nous n'avons pas besoin d'y insister. Il est à regretter que le choix peu judicieux des fragments qui composent le reste du livre, et le peu de méthode avec laquelle ils y sont classés, annulent complètement la valeur que pourrait avoir cette partie de l'ouvrage. Il restera cependant parmi les recueils à consulter, principalement pour les excellentes lithographies dont l'a décoré le crayon de M. Hazé, et pour la relation qui lui sert d'introduction et de passeport. Cette relation contient

(1) Mystère des actes des apôtres représenté à Bourges en avril 1556, et publié d'après le msc. original, par le bon A. de Girardot. Paris, Vor Didron. 1854, in-4° de cinq feuilles.


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115 pages pleines d'impression in-8°, en y comprenant 13 pages d'une préface dont l'éditeur l'a fait précéder: (1).

La préface dont nous venons de parler nous apprend que l'éditeur s'est servi pour son impression d'une copie autrefois prise par lui sur une autre copié manuscrite d'une écriture cursive et moderne, et qui se trouvait alors à la suite de l'exemplaire existant à la bibliothèque publique de Bourges du mystère de Gréban, édition de 1537. Et il ajoute : « J'ai appris que la copie qui était jointe au mystère des frères Gréban était adhirée. » Depuis lors cet opuscule a été réintégré dans l'ouvrage où Labouvrie l'a connu. C'est un in-folio en belle bâtarde de la fin du XVIIe siècle, contenant 41 pages. Là signature d'Etienne Gougnon, portée au frontispice du volume auquel on l'avait jointe, et quelques notes marginales de l'écriture bien connue du chevalier Gougnon, son descendant (2), indiquent que cet exemplaire du mystère fut la propriété de cette famille des Gougnon. Un autre de ces propriétaires, F. de Margat, dont les armes sont collées sur la garde, paraît l'avoir acquis ensuite. Est-ce l'un des susnommés qui a fait exécuter cette copie sur l'original resté sans doute dans la famille de Thiboust, et qui l'a fait ensuite relier avec le drame aux dépens de la couverture primitive, dont l'un des plats a été perdu par ce fait ? C'est probable, et je penché pour le chevalier Gougnon, grand annotateur d'historiens locaux, et qui, si j'en crois certaines indications, aurait pu mériter de Catherinot, auquel il a ressemblé pour certains points, le titre d'antiquaire aussi bien que Jacques Thiboust.

(1) Elle s'ouvre par ce dizain, nouvel échantillon du savoir-faire poétique de Thiboust, et dont nous rétablissons l'orthographe originale. « Né pensez-pas, Amyables lecteurs, Que de la Monstre icy apres déduycte Soit une fable ou que les Directeurs

Ayent voulu que vérité escripte. Il est certain qu'elle a esté réduycte De poinct en poinct selon la veue d'oeil, Et vouldroys bien que selon le myen veuil Dieu tout puissant la veoir vous eust permys ;

Lors vous diriez : l'aucteur de ce recueil A plus laissé que d'avantaige mys. » (2) Etienne Gougnon fut échevin en 1619, et son fils Jacques Gougnon, ordinairement nommé le chevalier, titre dont aimait à s'affubler sa vanité risible, était avocat du roi au présidial. On peut consulter sur ce dernier, avec la lettre généalogique que lui adresse Catherinot et qu'il a mise en tête de sa Dissertation que le Parquet de Bourges est du corps de l'Université , la notice de M. Chevalier sur l'Ordre de N. D. de la Table ronde de Bourges, ainsi qu'une courte notice à son nom contenue au XXIe vol. de la Biographie Didot.


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Enfin ladite copie aurait passé par la suite entre les mains de l'abbé de Cicé, grand vicaire du cardinal de La Rochefoucauld, archevêque de Bourges , et qui en était détenteur en 1754. Par lui elle a pu arriver à la bibliothèque de l'archevêché et de là à celle où elle est maintenant. J'apprends ce dernier fait du bibliophile Jacob (M. Paul Lacroix) qui l'a consigné au tome 1er de la Bibliothèque Soleinne (p. 101). Ce bibliographe commet d'ailleurs en cet endroit une double faute, d'une part en attribuant à Guillaume Alabat la paternité de la Relation qui revient de droit à Thiboust, de l'autre, en avouant qu'il n'en connaît pas d'impression. M. Brunet, mieux renseigné, signale celle de Labouvrie, à la page 488 du tome III de son Manuel (édition de 1 847). Seulement le nom de Thiboust y est écrit Tibaust, et celui de Mr Labouvrie n'y est pas prononcé. Pour en revenir à la copie que possédait M. de Soleinne, je pense qu'elle est la même que celle jadis acquise par le duc de Lavallière, et dont mention est faite au tome III, p. 422 du catalogue de ce dernier. Cet exemplaire y est désigné comme un manuscrit in-folio du XVIIIe siècle contenant 23 feuillets ; ce qui prouve que les copies s'en étaient multipliées. Guillaume Debure, le rédacteur du catalogue Lavallière, croit devoir taxer d'exagération la magnificence de cette description, sous le prétexte qu'il eut fallu plusieurs millions pour y subvenir. Il ne s'était pas rendu compte de la manière, dont ces sortes de choses s'organisaient dans les circonstances surtout où la représentation de Bourges eût lieu.

Dans le chapitre de son Histoire de Berry relatif à la seigneurie de Quantilly et de ses seigneurs, La Thaumassière, parle des mémoires du sieur Thiboust. S'il fallait prendre ce mot dans le sens où on l'entend d'ordinaire, on pourrait croire qu'il aurait laissé soit un simple journal de sa vie, soit de vrais mémoires historiques sur les événements de son temps. Mais en y réfléchissant bien il nous semble que l'historien n'a voulu désigner par là que les collections de titres privés que Thiboust aimait à collationner et à copier de sa main ; vrais mémoriaux, qui sont en effet de nature à nous fournir de précieux renseignements sur ce qui le concerne personnellement ou sur ce qui a pu intéresser sa curiosité. La Relation de la monstre rentre un peu dans cet ordre de recherches ; mais, outre ce manuscrit, il nous reste encore de lui trois specimens de ce genre de recueils spéciaux qu'il affectionnait, et dans lesquels, au milieu d'actes pour la plupart authentiques, son caprice trouvait moyen de glisser les choses les plus étrangères au reste. Deux de ces recueils sont déposés aux archives départementales du Cher, le troisième à la bibliothèque de Bourges (1).

(1) Je mentionnerai encore ici pour mémoire quelques registres de fois et hommages du duché de Berry dressés sous la direction de Thiboust, qui se trouvent aux

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Le premier est le. Registre noir dont nous nous sommes servi déjà plus d'une fois pour rétablir des points de la biographie de Thiboust que nous ne trouvions pas ailleurs. Nous n'avons pas fini de mettre ce précieux volume à contribution. Ce registre, dont nous avons reproduit le titre en commençant, et qui tire son nom de la couleur de sa reliure, était le troisième d'une collection dont il est aujourd'hui le seul survivant. Demeuré probablement dans le château de Quantilly avec le reste du mobilier quand •les archevêques de Bourges en devinrent propriétaires, ils durent l'y retrouver et sans doute l'y laisser, jusqu'au jour où l'un d'eux,le transporta au château de Saint-Palais, autre propriété archiépiscopale, dont le dernier possesseur le légua à ses héritiers. Ce l'un d'eux qui, à une époque assez récente, en a fait don aux archives.! Ce volume petit in-folio à reliure antique, très endommagée a été classé, en raison de sa. provenance dans le fonds de l'archevêché, (L. 19). Il s'y trouve auprès du Terrier de Quantilly qui forme le 2e numéro de ce recueil dont nous parlons ici. L'un et l'autre, avons-nous dit, se composent presque entièrement d'actes notulaires transcrits de la main du seigneur de Quantilly. Mais ces actes y sont entremêlés de pièces historiques: et littéraires, qui sont tout étonnés de se trouver là, et qui pour nous en constituent souvent la partie la plus intéressante. Ainsi dans le Registre noir on lit : 1 ° Le dénombrement des seigneuries relevant de la grosse tour d'Issoudun et des offices du ressort dudit Issoudun ; 2° Les priviléges et usages de la forêt de HauteBrune; 3° L'ordre royal de 1525 sur la gendarmerie ; ■ 4° Les titres de fondation de la vicairie de Sainte-Catherine dans l'église Saint-Bonnet de Bourges par la famille Foucher ; 5° Les coutumes locales de Bourges, telles que La Thaumassière les a reproduites (p. 331-334), mais avec un chapitre inédit qu'on ne trouve pas dans ce dernier, etc. Le terrier de Quantilly contient les priviléges de Saint-Palais, ceux de la Forêt, la coutume de Quantilly, etc. Puis dans l'un et dans l'autre on lit les choses les plus étranges en vers comme en prose; il y a même des recettes d'onguent pour la brûlure de la mère de Thiboust. Le terrier est dans ce genre celui des deux volumes qui offre peut-être le plus d'intérêt.

archives départementales du Cher et contiennent quelques, pièces de sa main. L'un d'eux notamment ; celui de 1541, nous le montre, au mois de septembre de ladite année, adjoint à titre de notaire et de secrétaire du roi aux deux autres commissaires nommés par là duchesse de Berry pour rédiger les déclarations des vassaux de l'apanage. Comme tous les autres de même nature , ce registre est classé dans le fonds du bureau des finances. A part quelques pièces particulières de la main de Thiboust, on n'y voit guère de lui que la signature qu'il a apposée au bas de chaque déclaration dont le registre renferme lés copies.


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Il semble au premier abord qu'un recueil de cette nature ne prête guère à des intercalations poétiques. Avec tout autre qu'avec Thiboust il en eût été ainsi: mais pour lui tout livre était prétexte à vers, et même à image. Pour bien faire comprendre ce qui en est quant au terrier en question, il faut que nous entrions à son sujet dans des détails assez précis. Entre le titre de ce terrier, orné des armes imprimées du maître et d'un dè libris également imprimé et encadré, et qu'on retrouve également sur le Registre noir, entre ce titre, disons-nous, et les pièces qui constituent en réalité le terrier, se trouve ou devrait se trouver d'abord), car il a été transposé au troisième feuillet), le vrai titre avec les armes de Thiboust peintes et enluminées. En haut du recto de la première feuille une miniature représente l'image de Saint-Yves, patron des hommes de loi, en bonnet de juge et robe rouge, tenant des pièces de procédure et un sac à procès. Une note marginale de Thiboust nous apprend que cette curieuse miniature est la copie d'un tableau que Jean Salat, lieutenant-général du bailli de Berry, avait fait mettre au-dessus de la porte d'entrée de l'auditoire du palais royal de Bourges. Au-dessous un habile calligraphe a écrit en belle minuscule gothique le passage suivant :

« In controversiis causarum corporales inimicitie orientur, fit amissio expensarum. Labor animi exercetur. Corpus quotidiè fatigatur. Multa et inhonesta crimina indè consequuntur. Bona et utilia opera postponuntur. Et qui soepe credunt obtinere frequentes succumbunt ; et si obtinent computatis laboribus et expensis nichil acquirunt. Hec Sanctus Yvo. »

Au verso Thiboust a interprété comme suit le dicton de Saint-Yves :

" EPIGBAMME contenant la traduction françoise du dict de Sainct-Yves, escript de l'autre part. ■ ■

De Procès vient Haine et Inimitié Procès consume infinie Richesse L'Esprit en est travaillé sans Pitié Et le Corps laz de piétonner sans cesse Tant de Malheurs s'en ensuyvent après ce Tout autre Affaire utile on en délaisse. Encores pis tel Homme souvent croit Gaingner qui perd avecques tout son Droit. Ou sy le Gaing luy advient comme il pense, ■ Aucun Proffit en tout son Gaing ne, voit

Avoir compté la Paine et la Despense. »


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Il se trouve que le feuillet suivant contrairement aux autres est imprimé sur le recto seulement. C'est jusqu'ici la seule de ses oeuvres qu'à notre connaissance Thiboust ait soumise à l'impression, mais ce n'est pas le seul exemplaire qui en existe, nous en retrouverons un second plus loin.

Au haut de la page on voit une vignette, encadrée, représentant le Sauveur sur l'arbre de la croix, au pied de laquelle sont figurées les saintes femmes, saint Siméon et quelques-uns des bourreaux. Dans l'éther. planent quatre chérubins. Au bas de la page les armes de Thiboust, telles que nous les avons signalées au titre, mais ici imprimées, à l'aide d'un bois dont il se servait pour en décorer tous les livres de sa bibliothèque (1). L'écusson y est surmonté de sa devise : LEX ET REGIO (2) ; et au-dessous on lit son nom anagrammatisé : Qvi voyt s'esbat. Entre ces deux bois une paraphrase en forme de ballade. Sur ces mots : Caro. Mundus. Demonia.

Vers 1505 ou 1506 les Enfants sans souci avaient représenté une moralité au spectacle de laquelle Thiboust, alors sans doute résidant à Paris, avait pu assister. Nous en empruntons le titre à l'Histoire du théâtre françois des frères Parfait, qui en donne l'analyse (t. IIIe, p. 106 et sq.). « Moralité nouvelle de Mundus, Caro, Demonia, en laquelle verrez les durs assautz et tentations qu'ilz font au chevalier chrestien, et comme par conseil de son bon esprit, avec la grâce de Dieu les vaincra, et à la fin aura le Royaume de Paradis. Il est à cinq personnages; c'est assavoir : le che(1)

che(1) retrouve ces armes imprimées non seulement sur les premiers feuillets du Registre noir et d'un 3e recueil dont nous parlerons plus bas, mais encore au verso du litre d'un livre provenant de la bibliothèque de Thiboust et qui fait aujourd'hui partie de celle de M. Hiver de Beauvoir. Ce dernier livre est un exemplaire de la traduction des histoires de Josephe, par Guillaume Michel de Châtillon-sur-Indre. (Paris. Le Bret. 1539, in-4°). A la dernière page on lit : « C'est à moy, Thiboust. » Les armes en question y figurent « estampées » au verso du titre, à l'aide même du bois qu'il employait évidemment à signer ainsi tous les titres de sa librairie. (V. un fac-simile de ce bois, pl. 2, f. 1).

(2) Je n'ai pas eu occasion de voir ailleurs la devise de Thiboust, mais Catherinot la mentionne dans une de ces bizarres digressions dont il est si prodigue. C'est à la p. 32 de son Prest gratuit, il dit parmi d'autres exemples, en parlant de la nature du revenu des terres : « On peut encore rapporter au même sujet cette devise de nôtre Thiboust de Berry, secrétaire du Roy, et trisayeul du célèbre père de Champ, jésuite de Bourges : N0//.0; x«i %upu.. Car c'était autant Numus et Fundus que Lex et Regio.» Il paraîtrait d'après cela que la forme latine de celte devise, telle que nous la voyons accompagnant ses armés, n'est que la traduction de sa devise première qui était en grec. On reconnaît bien dans ce seul fait l'homme qui a vu renaître à la cour de François 1er le culte de la langue d'Homère.


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valier Chrestien, la Chair, l'Esprit, le Monde et le Diable. » Cet argument indique suffisamment le sujet du poème. C'est le récit de la lutte de l'âme chrétienne soutenue par son bon ange contre les attaqués des trois tentateurs. Tiraillée en tous sens, elle parvient enfin avec son aide à triompher de leurs obsessions et à gagner son salut. M.. Brunet place entre 1530 et 1536 l'impression du seul exemplaire original qu'on connaisse de cette moralité (1). Qu'il l'ait connu plus tôt ou seulement à ce moment, Thiboust en prit sujet de composer la paraphrase suivante.

« Oraison à Nostre Seigneur, estant en l'arbre de la Croix, sur ces motz : CARO. MUNDUS. DEMONIA.

VIELLHESSE m'a de ses Coleurs paré,

Qui me semond penser à mon Affaire. Et que si i'ay mon Chemin esgaré

Pour à Plaisir et Volupté complaire, Au droit Sentier ie me vueille retraire,

Pour paruenir au Tribunal insigne, Du Souverain juge qui examine ■ ■

Nos Cueurs, et scait tous noz Dictz et noz Faictz. Aller m'y fault, pauvre Pécheur indigne,

Pour obtenir Pardon de mes meffaictz.

De Vanitez, ie me suis emparé,

Pour tropt vouloir au Monde satisfaire. Contre la Chair ne me suis remparé,

Mais laissé vaincre, asservir et attraire. Puis ce Maling, et dampnable adversaire,

Qui ne quiert fors nous plonger en sa Myne, De près nous suit si par Grâce divine,

Hors de ses Mains, vray DIEV ne me deffaictz. Autre ie n'ay propice Medicine,

Pour obtenir Pardon de mes meffaictz.

le voy ce Bois, de la Croix réparé,

De ton sainct Corps, aux Pécheurs salutaire Le faulx Serpent, nous auoit séparé,

De DIEV ton père, et toy tant débonnaire, Tu tes faict riens pour nostre Paix parfaire,

Et souffert Mort, qui la Mort extermine.

(1) Manuel du libraire. V° MORALITÉ. Il a été fait deux réimpressions modernes de cette pièce; l'une en 1827, chez F. Didot, par Durand de Lançon ; l'autre en 1838, chez Crapelet, par Silvestre; l'une in-8°, l'autre in-4°, et toutes les deux en caractères gothiques.


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0 grande Amour, o Grâce par trop digne, 0 Charite excédant tous Biensfaictz,

Mon Corps, mon Cueur deuotement s'encline, Pour obtenir Pardon de mes meffaictz.

RÉPARATEUR, de l'humaine Ruyne, Qui sur Péché, et sur la Mort domine, ■ ■

Et as pour nous porté si pesant Faix,

Ta Croix i'adore, où ie voy le vray Signe, Pour obtenir Pardon de mes meffaictz. »

L'impression de cette ballade est due sans doute, à Jean Garnier qui s'établit à Bourges en 1530. Les vers y sont disposés comme des distiques latins, chaque distique étant séparé par un point et chaque hémistiche par une virgule. L'orthographe appartient à une école dont Thiboust était comme le centre.

Ce feuillet, qui a été mal relié, devrait, faire face à un autre dont il est séparé par le titre historié que nous avons ci-dessus mentionné. Cette autre page offre en petite minuscule gothique le commencement de l'évangile selon saint Jean, surmonté d'une grande miniature qui représente Jésus en croix. Cette composition, qui est fort bien traitée, et qui évidemment a donné lieu à l'image imprimée qui précède, doit être, si j'en crois une indication de la table, la reproduction d'un vitrail du château de Quantilly. (1). Alors elle serait, selon toute apparence, de la main du peintre verrier Guillaume Augier, qui fit pour Thiboust un vitrail représentant la Passion, et destiné à l'église de Quantilly, ainsi que me l'apprend une quittance du Registre noir.

Le troisième recueil qui nous reste à mentionner offre une importance historique et littéraire plus grande que les deux précédents. Contrairement à ceux-ci il n'est pas totalement inconnu, nous avons nous-même aidé à le signaler dans dès conditions que nous allons,indiquer.

Ce manuscrit, qui a fait partie des archives communales de Bourges jusqu'en 1855, où il a passé a la bibliothèque de la ville, est un in-f° carré en parchemin, comprenant 50 feuillets paginés, plus trois feuillets

(1) On lit à cette table pour le feuillet LXXIX, l'indication suivante: « La vie et passion rire Seigneur ainsi qu'elle est en la victre de la chappelle du chastel de Quantilly. » Le feuillet en question manque à son rang, ainsi que le précédent, qui contient, d'après la même table : « Rondeaulx delà croix et passion me Seigneur. » Mais ces désignations , sans doute peu exactes, me semblent se rapporter aux scènes figurées sur les feuillets que nous décrivons, et qui, non paginés , ont dû être transposés, comme je l'ai dit, par le relieur.


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d'introduction sans numéros. Ces pages, rapprochées les unes des autres par la fantaisie du copiste, trouvent leur unité dans leur destination, car elles s'adressent spécialement aux directeurs du collége de Bourges, et s'occupent de matières d'enseignement et d'institutions scolaires.

M. Raynal est, à notre connaissance, de ceux qui, avant nous, ont étudié ce recueil, le seul qui en ait tiré profit. Il le signale indirectement parmi es autres manuscrits de l'auteur à la p. 315 du 3e vol. de son Histoire. (Notes). Il a constaté lui-même l'usage qu'il en avait fait en inscrivant au recto resté en blanc du premier feuillet de l'introduction le nom de Thiboust et le titre des principales matières qu'il renferme.

Ce n'est qu'au verso du même feuillet que l'oeuvre de transcription commence, par ce que nous avons appelé l'introduction et qui se compose de deux morceaux, l'un en vers, l'autre en prose. Elle sert à expliquer le don que l'auteur du manuscrit en fit au collège Sainte-Marie de Bourges. Ce don est motivé par la composition même du recueil.

Vers le commencement du XVIe siècle la décadence dans notre pays des anciennes écoles ou collèges attachés aux cloîtres et aux églises, tels que les colléges de Saint-Étienne, de Saint-Ursin, de Saint-Michel, de La Fourchaut, etc., avait inspiré à un chanoine de la cathédrale, nommé François Rogier, l'idée de relever l'instruction en fondant à Bourges un collége nouveau; mais ses moyens ne répondirent pas à sa généreuse entreprise, et, sur ces entrefaites, Jeanne de Valois, répudiée par Louis XII, étant venue résider dans la capitale du Berry que son royal époux lui avait concédé comme apanage, la bonne Duchesse, comme l'appellent les Berrichons, se fit la protectrice du nouvel établissement : et dans son adoration pour la Vierge, consolatrice de ses douleurs, elle le mit sous l'invocation de sa céleste patrone, en l'appelant le collége Sainte-Marie. D'après le règlement qu'elle lui donna, les principaux durent en être des prêtres, ce qui fut observé jusqu'au jour où la Révolution détruisit cette institution, et malgré les changements qui en firent passer successivement la direction dans les mains d'ordres divers. A l'époque où vivait Thiboust, le principal et le proviseur étaient deux docteurs ès-arts, MesThougnon et Lamoureux. Des goûts communs d'érudition et l'amour des lettres en même temps que le voisinage de domicile (1) et la piété l'avaient mis en relation avec eux. — Il leur donne le titre d'amis dans ses lettres ; — et, sur ses vieux jours, faisant la revue de ses papiers pour se mettre en règle peut-être avec les choses de ce monde avant de le quitter, il mit à part le manus(1)

manus(1) comme nous aurons occasion de le voir plus loin, logeait dans la rue Saint-Maurice, aujourd'hui rue de Paradis, en face le collége.


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crit en question, et le leur adressa comme les intéressant plus que tous autres (1).

La pièce en vers qui ouvre le volume se compose de trois strophes ou huitains, que l'auteur nomme épigrammes, et qui forment une sorte d'envoi.

« A MM. les Principal et Proviseur du colleige Saincte Marie, IAQUES THIBOUST, salut.

ÉPIGRAMME TROIS.

Des Biens que fit Jane anciennement, Nostre Duchesse, et Princesse très bonne A sa Cité, voicy le Monument. Perpétuel (Amys), que ie vous donne. Digne Trésor de roialle Personne,

Comme elle estoit, et de tres sainct Renom. Le Ciel luy donne immortelle Coronne, EL entre nous est immortel son Nom.

Voz Enfants donc qu'elle a voulu loger Chantent les Biens de si haulte Princesse Et l'Entreprise au bon François Rogier Qui nous causa si heureuse Richesse. Puis moy ioieux qu'en louable Sagesse Le Principal Toignon et Lamoureux Conduisent bien la reiglée Ieunesse En qui noz fils verront un siècle heureux.

Ces Tiltres beaux de vos Fondations l'ay en long temps extrait de ma Farrage (2). Pour mémorer les sainctes Actions Des Fondateurs, et garder l'Héritage. El pour donner à tous Hommes courage Ou de le croistre, ou de le préserver. Cil qui ne peut au bien faire avantage Fait, prou s'il tasche au moins le conserver.

— QUI VOIT S'ESBAT. — (3)

(1) Voici un autre fait du même genre que je saisis l'occasion de mentionner ici : La bibliothèque publique de Bourges possède un exemplaire du poëme de Barth. Aneau, intitulé : Jurisprudentia, à primo et divino sui ortu ad nobilem Biturigum academiam deducta. Lugduni, 1554 , in-4°. Cet exemplaire porte sur sa couverture l'indication qu'il provient d'un don fait en 1555 par J. Thiboust de Quantilly à Jean de Baugy, qui était, si je ne me trompe, chanoine de la sainte Chapelle de Bourges.

(2) Farrago : Mélange. Macédoine. Collection ou compilation.

(3) Anagramme de: JACQUES THIBOUST.


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Au recto du feuillet suivant, faisant face à ces vers , Thiboust a inscrit la lettre d'envoi dans la forme suivante :

« A Messieurs Mes Anthoine THOUGNON et Charles AMOUREUX Docteurs régens

ès Ars libéraulx, Principal et Proviseur du Colleige Sainte-Marie etc.

Jacques Thiboust,

Messieurs, revoïant ces iours passez (par manière de passe-Temps) ma farrage et librairie, i'ay trouvé entre autres choses la première Institucion de vostre Colleige , fondacions et dotations d'icelluy, et la Coppie du Testament de feu Madame Jebanne de France, nostre bonne Duchesse, Epitaphes, Elégies latins et Traductions françoises d'iceulx, que i'ay autres foys prins Plaisir d'y reddiger par escript et collacions moy mesmes aux Originaulx, pour y avoir quelque iour Recours pour ceulx qui en auroient affaire, comme ont bien eu Mesdames les Mère Ancelle et Relligieuses de la Nunciade de Bourges que i'en ay secourues, et sachant bien que vous en avez quelques vieilz Tiltres et Enseignemens, Et non en tel ordre que ie les ay faicts et dressez en ce présent Caïer pour perpetuelle Souvenance, Memoire et Amytié que ie vous doiz et porteray toute ma vye. Lequel Caïer ie vous présente et donne d'aussi bon cueur, Messieurs, que ie me recommende humblement à voz bonnes prières et sainctes Oroisons. Suppliant a Dieu, Messieurs, vous maintenir en bonne Santé tant et si longuement qu'il vous donne la Grâce de continuer de bien en myeulx au bon Régime, Gouvernement et Entretenement de vostred. Colleige. A l'Honneur de Dieu, Conservation de sa Saincte Foy catholique et Relligion chrestienne. - A Bourges en vostre maison et prézence. Juin. 1555.

Vostre bon Voizin ancien et humble serviteur

THIBOUST. »

Le feuillet suivant, le premier de ceux qui sont paginés , est un double exemplaire de la ballade imprimée que nous avons reproduite en décrivant le Terrier de Quantilly. Cette poésie, on a pu le voir, est le chant de la vieillesse, alors que l'homme qui pressent sa fin, et désenchanté des vanités passées, fait un retour sur lui-même; alors que, voyant le vide successivement produit autour de lui par tout ce qu'il a perdu, femme, enfants, amis, il lève les yeux vers le consolateur suprême pour puiser dans l'image de son supplice le courage de la mort et l'espérance de l'autre vie. A cet égard, elle figure bien dans le dernier recueil, qui est un adieu de Thiboust à l'amitié.

Cependant nous avons un correctif à faire ici sur ce désenchantement des vanités mondaines dont son cantique semble être l'expression. Il y a bien quelque chose qui les rappelle dans ce blason mis par l'auteur au bas de son oeuvre. A la. rigueur on pourrait n'y voir qu'une sorte de signature ; mais tournons le feuillet, la vanité reparaît dans le soin qu'on a pris de

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commenter en vers ce môme blason. Voici ce que Thiboust lui-même écrit sur cette page blanche :

« EPIGRAMME alludant aux Armoyries et Devise de Me. Jacques Thiboust, Escuier, Seigneur de Quantilly, Notaire et Secrétaire du Roy et Esleu en Berry, et des lectres de son nom et surnom tournées (1).

Qui (studieux ) voit les Loix dans maint Livre , Voit la Nature et les Astres des Cieux : Celluy qui peut toutes Régions suyvre Voit, oultre Mer, les Papegais ioyeux. Celluy qui a pour emploïer ses yeux A tout cela du Glan pour ceste Vie Voit, ô Thiboust, et la Terre et les Cieux , A autre Esbat ne portant point d'Envie.

Qui voit s'esbat. — LAQUES THIBOUST. »

Ces vers non seulement sont détestables , ils sont absurdes. Sont-ils de Thiboust ? je ne le crois pas, attendu qu'ils lui sont adressés ou paraissent l'être. Le seigneur de Quantilly a eu autour de lui des poètes d'ordre inférieur bien capables de commettre un pareil forfait littéraire. Nous en fournirons la preuve tout à l'heure. Faut-il le dire? si nous n'avions craint de faire une injure gratuite à l'un des plus gentils poètes de ce temps, nous les aurions peut-être attribués à Marot. Qu'on se rappelle les quatre vers d'Habert dans lesquels il dit à Thiboust :

Tu es Celuy dont le chef des poètes, Marot, passant le vol des alouetes, À mis le nom en tel desguisement Qu'à ta nature il louche vivement.

Cela veut-il dire que Marot en se jouant a créé l'anagramme : qui voit s'esbat, anagramme en rapport avec le caractère enjoué et avenant de Thiboust ? c'est une idée qui me paraît très acceplable (2). On pourrait

(1) Si son autre titre de secrétaire et valet de chambre de Marguerite de Navarre ne figure pas ici, c'est qu'à cette époque cette princesse n'existait plus, étant morte en 1549.

(2) Au XVIe siècle l'anagramme a fait fureur. C'est la même vogue que celle qui plus lard accueillit l'énigme, la charade et le calembourg. Tout le monde alors s'en mêlait, surtout les savants et les plus sérieux. Notre Cujas s'en est servi comme d'une arme, les autres en faisaient un sujet de délassement. Les biographes de Marguerite de Navarre assurent que la soeur de François 1er avait fait l'anagramme des noms de tous les gens de sa maison. A leur tour et à son imitation ceux-ci devaient entre eux s'amuser à ce jeu. On peut donc sans crainte attribuer, sinon à Marguerite elle-même, au moins à son poète favori, Marot, l'anagramme du nom de Thiboust.


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prétendre aussi que Habert a voulu désigner par là Marot comme l'auteur de l'Epigramme précédemment citée où le nom de Thiboust « est mis en desguisement. » Mais nous repoussons cette idée, la confection du huitain en question convenant beaucoup mieux à un gâcheur littéraire comme l'auvergnat Milon ou l'angevin Salomon, qui eh ont adressé à notre homme d'autres qui n'étaient pas moins détestables.

Il est d'ailleurs peu utile, pensons-nous, d'insister sur l'explication de ce rébus en vers qui s'interprète de lui-même quand on a les armes de Thiboust sous les yeux. Loix et Régions s'appliquent à sa devise, Gland aux armes de Thiboust, Papegais ou perroquets à celles des Rusticat, Etoiles à celles des Villemer, qui composaient les divers quartiers de son écu.

Au deuxième cahier commence une série de pièces relatives à la duchesse Jeanne. C'est d'abord son épitaphe en vers (f° XI), oeuvre de Thiboust, et qui rappelle par la facture la pieuse ballade citée plus haut.

« EPITAPHE de feue bonne loable et recommendable memoire Madame Iehanne de France fille du Roy Lois XIme de ce nom LVme Roy de France et de Charlotte de Savoie Royne de France et seur du Roy Charles VIIIme de ce nom quant elle vivoit Duchesse de Berry. —

PASTORE, hélas ! que feront voz Brebis

Que lamenter, dessoubz ces Arbres vis Noirs et obscurs de la Fortune amere

Pouures Moutons, Rechangez voz habitz. Hanter fault Dueil, et fuyr bonne chere.

Et prier Dieu, pour nostre bonne et chere Pastorelle, qui luy doint ses delictz.

Malheureux est, qui encores s'ingere Mascher le mol, et chascun le digere.

S'estoit le festz de la grand Fleur de liz.

O estes Vous, Fleur de dévotion

O estes Vous, bonne Operation O estes Vous les Biens non escondictz (cachés)

O estes Vous, Pacification O estes Vous sans Vindication (rancune)

O estes Vous Bonne en faictz et en dictz O estes Vous vraie Dilection

O estes Vous avecq' les Benedictz (bienheureux) O estes Vous le croy en Paradis

Iesus Vous prent Vaisseau d'Eslection.

Hé pouures Seurs de ceste Relligion

Des Biens avez perdu grand Legion le diz mondains augmentant le Convent

Elle y auoit sa grand Devotion


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Qu'Elle mesme en print Profexion

Pour avecq' Vous auoir tousiours convent (compagnie) Et outre plus Vous la voïez souvent

Aller venir et soubz Pluye et soubz Vent Qui Vous estoit grand Consolation.

Consolez Vous en Dieu doresennauant, C'est vostre Chep (1), c'est vostre Poursuyuant

Et Marie vostre Prelation. (Choix).

Garde n'auez, mais que chascune observe

Son bon Vouloir de tomber en main serfve Mais suyvez la, car Elle est vostre Exemple

Er pensez-Vous qu'Elle ne Vous conserve ? Prions Jesus, que de Mal Vous préserve

Car Marie est Dame de vostre Temple (2) le croi que oï, car quand bien le contemple

Son bon Vouloir, si devot et si ample. Mérité a en seruant qu'on la serue.

Si le fectes ne dictes qu'elle n'emple (emplit) Tout vostre Cueur de Vertu par Exemple

Mais qui Bien quiert il fault qui le desserue. »

Brisée dans sa plus chère affection, dans ses sentiments d'épouse et de chrétienne par l'abandon d'un époux qu'elle aimait tendrement, Jeanne chercha des consolations dans sa vive piété. Elle se voua dans son veuvage anticipé à l'adoration de la Vierge, mère de Dieu, dont le culte fut toujours la religion des coeurs souffrants. Cette adoration de Marie était d'ailleurs pour elle une tradition de famille (3). Mais ce culte mystique, pur et doucement exalté ne rappelait en rien chez elle la dévotion grossière et cafarde de son père. Vivement frappée par le mystère de l'Annonciation la duchesse de Berry résolut de fonder en son honneur un ordre nouveau, et le monastère de l'Annonciade fut établi pour abriter « la Religion des dix vertus ou des dix bons plaisirs de Marie, » comme cette pauvre femme l'appela. Elle ne fit pourtant pas profession, ainsi que le dit Thiboust, mais vécut protectrice de sa nouvelle fondation, et veillant dé près au troupeau de saintes filles qu'elle y avait rassemblé.

Au reste, ce ne fut pas durant de longues années. La consécration du

(1) Chef, maître, de caput. Ce mot est encore employé en Berry dans un sens particulier. (V. le Glossaire du centre de la France, par M. le comte Jaubert. Troisième édition).

(2) L'église de l'Annunciade ou de l'Annonciation était sous le vocable de Marie, patrone de l'ordre fondé par la duchesse Jeanne,

(3) V. Raynal, t. IIIe, p. 219.


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couvent avait eu lieu le 21 novembre 1504, et le 10 janvier suivant, minée par les douleurs et les austérités d'une vie ascétique, la fondatrice rendait le dernier soupir.

C'est donc, semble-t-il, à cette époque, un demi siècle avant sa transcription que la complainte de Thiboust aurait été écrite par lui. Mais alors il n'était pas à Bourges et ne pensait peut-être pas devoir y revenir. On peut croire toutefois que, pour en être absent, il ne perdait pas son pays de vue, et qu'un événement aussi important que celui du séjour et de la mort à Bourges de la duchesse Jeanne a pu le frapper assez vivement pour qu'il ait essayé de la chanter. Autrement celte pièce pourrait dater des premières années où lui-même revint à Bourges, c'est-à-dire à peu près de 1520. Ce qui est certain c'est qu'elle est du commencement du siècle. Lourde, obscure et embarrassée, c'est une poésie qui rappelle plus le moyen-âge qu'elle ne sent la renaissance. Elle est du temps où n'avait pas non plus encore prévalu la règle de l'enchevêtrement alternatif et régulier des rimes masculines et féminines dont elle révèle l'ignorance. A l'exemple de Marot, Thiboust s'en sera corrigé plus tard.

En lui attribuant celte pièce, nous nous sommes fondé d'une part sur la place qu'elle occupe dans son recueil, de l'autre sur ce qu'elle est anonyme, le transcripteur ne paraissant guère avoir admis dans ses collections des vers autres que les siens au moins sans en signaler la provenance. Seronsnous aussi autorisé à lui faire honneur des vers latins qui suivent, et auxquels s'applique en réalité le tite d'Epitaphe dont il a fait précéder ces deux morceaux ? cela est plus incertain. Mais" dans le doute, nous allons les rapporter avec la traduction en vers français qu'il en fit faire par son hôte et ami Jean Milon. Dans cette traduction le croisement des rimes n'est pas mieux respecté que dans la pièce précédente.

« Illustrissime Johanne de Francia filie et soror (i) Regum Francorum Epitaphium seu commemoratio.

Vilia, mens vilis., regalia regia tractat

Si nescis animos edicta facta probant

Cristipare quod cernis opus quum suspicis eumdem

Mirandum. Circumque quoque claustra vides Hec posuit clausitque pie generosa lohanna

Regis progenies Regis et illa soror Virtutes denas Christi inclita phana parentis, Virtutes totidem compositricis habent Prudentissima, Dicitur hec Prudens parla sibi sede superna Purissima Dieitur infami tota que Pura lue

Humilima Fastibus teriectis pater hic, et Humilima Sancte


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Pauperrima Paupertatis et est, maximus Architipus Patientissima Fortis in adversis Paciens durissima fortis Dolorosissima Passio qua gladii sana Doloris adest

Laudatissima Laudibus omnigenis tamen Memoranda per euum Piissima Est Pia pro populo Duxque patrona suo

Obedientissima Construxit parens supplex sacra templa Tonantis Verissima Vera parens vera relligionis erat (1 )

Hoc merito Romana decus bis sanctio firmat Hoc et Alexander Jullius bocque beant

Bitturia auspiciis valeas bis grata parentis Hac duce semper erit gloria parta tibi (2), »

Traduction françoise de l'Epitaphe précédent faicte par Iehan Milon d'Arlenc en Auuergne à la requeste de Me Iaques Thiboust escuyer, etc.

Vil Vilité roïal Roïauté traicte

L'Euure est tesmoing de l'Emprise secrette. L'Effect chrestien, et Lieu que tu contemples Est admirable aux Cloistres et aux Temples Qu'as mys et cloz pour le dévot Usage.

Iehanne roïal de Rois fille et seur saige. La saincte et digne eut de dix Seurs Vertuz.

Par Jésus Crist ses Espritz revestuz. Douce elle fut, mesmes de Geniture. Trèsprudente et très pure La hault Prudente et d'Iniquité pure Très humble. Se monstrant cy d'Humilité abiecte.

Très pouure. Et favorable à Pouureté subiecte.

Très douloureuse. Qui ses Douleurs et sa Fortune adverse Très paciente. Patiemment gectoit à la renuerse.

Très loable. De tous Honneurs à iamais mémorable.

Très bonne. Duchesse bonne à iamais favorable.

(1) Ces qualités que le poète donne comme propres à Jeanne sont les dix vertus qu'elle imposait pour règle et modèle à ses religieuses. Elle les désignait elle-même sous les noms suivants : la prudence, la pureté, la chasteté, l'humilité, la vérité, la candabilité, l'obéissance, la pauvreté, la patience, la pitié et le glaive de douleur ou la Lauce de compassion , c'est-à-dire l'affliction. Au-dessus dé la porte d'entrée de l'église de l'Annonciade on lit encore les initiales de ces vertus ainsi disposées :

P. P. H.V.

L. O. P. P.

P. L.

(2) Ce passage est relatif à la confirmation de l'ordre de l'Annonciade par les papes Alexandre VI et Jules II, et non, comme on pourrait le croire , à la canonisation de la Sainte, canonisation qui fut le fait du peuple et non de l'Eglise.


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Très obéissante. Aïant construit ce Temple Obéissante

Très vraïe. Au Dieu vivant de Vérité parente,

Qu'a confirmé le sainct Honneur Romain

Pappe Alexandre et Jull' de main à main. Va Bourges Va plain d'Honneur et Largesse Qui t'est acquis par si haulte Duchesse.

Nous nous contenterons maintenant de mentionner rapidement et de façon sommaire le reste du contenu de notre manuscrit. C'est d'abord le testament de la Duchesse Jeanne, puis les pièces relatives à une constitution de rente faite par Anne de Beaujeu, sa soeur et héritière, et la confirmation de ladite rente par Charles de Bourbon, fils de cette dernière , et par François 1er. Puis encore deux lettres en faveur du collége de SainteMarie, dont une de Thiboust lui-même (1). Enfin les statuts en latin de fondation du collége de Navarre à Paris, avec la bulle papale qui confirme cette fondation. Cette dernière copie fut prise , comme le titre l'indique, au mois de mai 1542, sur les registres de la chambre des comptes à Paris, et en vue de rendre service aux administrateurs du collége de Bourges, avec lesquels il était déjà en bon termes.

Terminons cet examen du manuscrit en appelant l'attention sur la

(1) Nous copions ici celle lettre, pour compléter nos citations de tout ce qui nous reste de celui dont nous essayons de reconstruire l'oeuvre ; et parce qu'elle est d'un intérêt local assez saisissant :

« Autre coppie de lectres escriptes par Me Jacques Thiboust, seigneur de Quantilly, à monseigneur de Chesnaye et d'Angé, Chevalier Trésorier de France et Général de ses finances estably en la généralité de Languedoil. — Bourges. —

Monseigneur, pour ne vous ennuyer de longue lectre et vous faire narré de l'affaire des Principal et pouures Escoliers, Régens et aultres du college Saincte Marie à Bourges , ie vous envoye une coppie de la lectre que rescrit Monsieur de Sacy à Monsieur de La Chapelle Bourdin, son beau-filz , pour faire la porsuite de l'expédition d'une déclaration qui leur fait besoing en un procès qu'ils ont pendant par deuant Monsieur le Conservateur des privilleges royaulx de ceste Université de Bourges, à rencontre de la vefve et héritiers d'un nommé Jehan Du Bois, iadis l'un des boursiers dud. college, qui sollicitant le mandement de Madame de Bourbon, luy fit requeste que durant le temps de son estude en droict ciuil qu'il luy pleust permettre qu'il demeurast en une chambre basse d'une petite maison qu'elle auoit acquise pour eslargir led. college fort estroit au regard de la grande quantité d'escolliers qui y affluent, et n'y a en tout ledict college que quatre chambres, ce que les dicts Principal et Escolliers lui accordèrent voluntiers pour l'honneur et révérence de ladicte dame quant au bas de lad. petite maison. Et depuis ledict Du Bois après avoir este licen (cié) s'en alla à Paris solliciter. Cependant baille le bas de ladicte maison à louage et emporte l'adcense de ladicte maison qui estoit de vingt liures


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portion, qui pour n'en être pas la plus considérable, se recommande par un intérêt spécial. Il y a deux ans, nous adressions au Comité de la langue, de l'histoire et des arts de la France la copie d'un petit traité grammatical ayant pour titre : Briefve doctrine pour deuement escripre selon la propriété du langaige francoys, par Jean Salomon, angevin. Ce Salomon nous était entièrement inconnu. Il nous avait paru, sans que nous osions l'assurer toutefois, que son traité avait été jadis imprimé, et que, quant à sa composition, elle devait remonter à peu près à l'époque où Palsgrave publiait sa grammaire, c'est-à-dire à la première moitié du xvie siècle, époque où les travaux de ce genre, qui commençaient à se répandre, étaient pourtant loin d'être aussi multipliés qu'ils le devinrent bientôt. C'était en partie pour éclairer ces doutes, et établir, s'il était possible, le degré de notoriété dont jouissait l'auteur, que cette communication avait été faite. Ce traité était la portion du manuscrit de Thiboust comprise entre les folios XXVII et XXXII. — Notre communication donna lieu à un rapport de M. Francis Wey qui a été inséré à la page 437 du bulletin du Comité (t. III). Dans ce travail l'ingénieux et savant auteur des Révolutions du langage en France, s'aidant de quelques renseignements qu'il puisait dans notre copie, établit les points suivants : La Briefve doctrine reçut deux fois les honneurs de l'impression en l'année 1533, car la bibliothèque impériale possède ces deux éditions, qui indiquent par le rapprochement de leur date qu'une certaine faveur avait dû accueillir ce livret à son apparition. Il se rattache en ce sens aux traités d'orthographe assez nombreux appartenant au XVIe siècle, et qui pour la plupart ne nous sont pas parvenus. Augmentourn.

Augmentourn. an, et soubz ombre de la tollerance du bas de lad. maison qui faict le coing de la rue de Mirebeau et toute l'aisance dud. college assez serré pour le grand nombre d'escolliers qui y affluent la s'est voulu approprier sienne, s'est marié assez richement sur ces entrefaictes, et sa veufue en son lieu maintenant poursuit ceste malheureuse entreprise soubz le nom d'un fermier de lad. maison qui leur demande le louage du hault de lad. maison que led. Principal et pouures Escolliers ont tousiours retenu à eux.

Monseigneur, ie vous supplie que voyant led. Sr. de La Chappelle Bourdin l'en vouloir prier. Ce porteur Saultereau que bien vous congnoissez vous monstrera tous les establissemens dud. college s'il vous plaist de les voir, ( ) que ie treuve fort

onereuses car led. Principal qui doit estre prestre doit dire ou faire dire chascun our une messe basse à laquelle assistent tous les iours les pouures Escolliers, et autres pensionnaires que l'on veult bien conditionner à servir à Dieu qui se dit en l'église Nostre Dame du Comte, autrement surnommée de La Contau, prochaine dud. college.

Oultre dient toutes les heures du iour, sont habillez , nourriz et entrenuz dix pouures Escolliers, et chascun iour dient le salut de Nostre Dame à haulte voix avec les oraisons acoustumées déclairées par le testament de feue madame Jehanne de France duchesse de Berry. le vous laisse à estimer cela. »


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tée des 2/3 sur celle qui l'avait précédée, la 2e édition est moins complète que la copie de Thiboust, laquelle s'est accrue de quelques alinéas, qui paraissent appartenir non à Salomon, mais à ce Milon d'Auvergne, auquel nous avons déjà vu Thiboust confier le soin d'une traduction en vers de l'épitaphe latine de Jeanne de Valois (1). La principale originalité de l'oeuvre de Salomon c'est d'avoir un des premiers , sinon même le premier, établi l'usage de l'apostrophe, de la cédille et de l'accent aigu. Notre ami, M. Auguste Bernard, auquel nous devons une belle étude biographique sur Tory, de Bourges, ayant pris connaissance du rapport de M. Francis Wey, revendiqua pour notre vieux compatriote le mérite de la découverte (2). Les motifs sur lesquels il appuie son opinion sont spécieux, et en matière si délicate il ne nous appartient de nous prononcer ni pour ni contre. Il nous semble, comme à M. Bernard , que Salomon a fort bien pu être en relation avec Tory, et lui emprunter des premiers sa découverte qu'ils mirent en pratique presque concurremment, l'un dans la 1re édition de son Champ-Fleury, qui est à peu près de 1530, l'autre dans la 2e édition de sa Briefve doctrine, qui parut trois ans plus tard.

Il nous est venu au sujet de ces deux éditions du petit traité de Salomon, exécutées si rapidement l'une après l'autre, une idée que MM. Wey et Bernard n'ont pas émise : c'est qu'elles peuvent fort bien ne pas émaner du même libraire, mais provenir l'une de Paris, l'autre de la province. Dans les deux éditions, ainsi que dans celle de Lyon, l'oeuvre de Salomon accompagne un traité mystique de Marguerite de Navarre : « Le miroir de l'âme pécheresse. » Ce qui indique qu'il a été mis au jour par un des familiers de la reine, lequel était en même temps ami de Salomon. Ces deux qualités se rencontrent chez Thiboust. Or, en 1533 il y avait juste trois ans que le premier imprimeur de Bourges venait de s'y installer. Jean Garnier, c'était son nom, devait chercher à s'employer, et Thiboust, amateur de tout ce qui se rattachait à l'art des lettres, devait essayer d'encourager notre imprimerie naissante. Aussi je croirais volontiers que ce fut lui qui donna à Garnier celte plaquette à imprimer comme à titre d'essai, et d'après le manuscrit que Salomon pouvait lui avoir communiqué. J'ai des raisons, comme on le verra plus bas, pour n'être pas de l'avis de M. Wey,

(1) M. Wey a oublié de signaler une 3me édition imprimée à Lyon par Leprince en 1538, dans les mêmes conditions que les précédentes. Elle est mentionnée dans le Manuel de Brunet. (Vis. MARGUERITE et EPISTRE). Cette édition contient peut-être les additions qui sont dans notre manuscrit.

(2) V. dans le Journal de l'instruction publique (juillet 1856), l'art, intit. : « Du premier emploi par l'imprimerie et dans la langue française de l'apostrophe, de l'accent et de la cédille. »

21.


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qui suppose qu'entre ces deux éditions Jean Salomon pourrait bien être mort. C'est ce qui résulterait, selon lui, de ce qu'en tête de la réimpression on lit les mots :.« Ex manuscriptis authoris. » Mais, dans ce cas là même, il avait eu le temps auparavant d'augmenter son fascicule de près des deux tiers : et Thiboust lui-même, probablement encore cette fois, s'empressa de faire réimprimer l'oeuvre plus complète de son ami, mais alors en s'adressant au libraire parisien Antoine Augereau. Postérieurement enfin Milon crut devoir compléter la doctrine de Salomon, et Thiboust transcrivit précieusement cette addition.

L'étude à laquelle cette partie du manuscrit de Thiboust a donné lieu de la part de MM. Wey et Bernard a eu pour résultat de fixer quelques données sur un personnage on ne peut plus inconnu, en révélant de Jean Salomon, non seulement sa vraie personnalité et son lieu d'origine, mais encore son vrai nom. On ne le connaissait en effet jusque-là que sous le pseudonyme, ou plutôt le surnom de Florimond, ou de son anagramme Montflory, dont il avait signé deux pièces de vers qui accompagnent son Traité de la Briefve doctrine, dans les impressions que nous venons de mentionner.

Dans notre manuscrit ce traité est précédé de deux dédicaces en vers à Thiboust, l'une du continuateur Milon, l'autre de Salomon lui-même. « L'un et l'autre étaient méchants poètes, » dit M. Wey. Cette opinion est trop conforme à la nôtre pour que nous y veuillions contredire. Mais nous trouvons le spirituel rapporteur un peu sévère d'expression quand il ajoute que la dédicace de Milon est « d'un style affreux. » Que pourrait-il donc dire de celle de Salomon ? Au surplus voici les deux morceaux : on peut comparer.

« A Monseigneur Monsieur de Quantilly maistre Jacques Thiboust escuyer notaire secrétaire du Roy et son Esleu en Berry Iehan Milon son serviteur très humble, salut.

SONNET.

Long Temps il y a que ce petit Sommaire

Ton Serviteur Salomon commença,

Et doctement au parfaict l'advança

Pour les Accentz de françoise Grammaire. Ne reste plus (Thiboust) que la parfaire

De l'orthographe, et des poinctz qu'il laissa

Que le Temps a monstre depuis en ça

Combien cela est encor'necessaire. l'acheueray si tu as Connoissance

Que tel Sçauoir repose en ma Puissance, Ainsi du Tout seras louable Autheur.


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Le Fondateur est tout en ton seruice, Et cil qui veult parfaire l'Edifice Est (s'il te plaist) aussi ton Seruiteur. — Seiour, vn iour. — (1 ). »

Il y a, on peut le dire sans que ce soit un grand compliment à faire à l'auteur, plus d'un sonnet du XVIe siècle qui ne vaut pas celui-là ; et Thiboust était loin de posséder, quand il versifiait, la même facilité d'allure. Autre chose est de la traduction de l'épitaphe par le même, on peut la proclamer exécrable. C'est un peu l'épithète que mérite l'autre poésie de Jean Salomon qui suit celle que nous venons de transcrire.

« A Me Jaques Thiboust escuyer seigneur de Quantilly notaire et secrétaire du Roy de la Couronne et Maison de France et Esleu en Berry Iehan Salomon Angevin le sien très humble et obéissant serviteur, salut.

ÉPIGRAMME.

Pour ce Monsr, que des la vostre enfance, Auez aymé, autant qu'enfant de France, L'art d'escripture, et toutes bonnes lectres De grec, latin, françois, proses et metres, Extraict ay faict, de reigles et figures Qui moult seruent, à l'art des Escriptures.

D'apostrophe est, synatephes, syncopes, Collisions, cadences, Apocopes, De caracthères et séparations, De Synereses, maintes diuisions, De masculins, enclitiques vocables, De féminins, majuscules notables, Dont rédigé, ay cy ung petit liure, Qu'entre voz mains, Ie présente et delliure. Lequel pourrez veoir, à vostre loisir En m'excusant, si c'est vostre plaisir.

Ce qui nous frappe dans le sonnet de Milon, c'est l'expression dont il se sert pour indiquer les rapports existant entre Thiboust et Salomon. « Il est en ton service, » dit-il. en parlant de celui-ci à celui-là, ce qui à notre avis, en le signalant comme encore vivant à cette époque, veut dire plus que : « il est ton très humble serviteur, » à prendre le mot dans l'acception que lui donnent nos correspondances journalières. Ce dernier sens ne peut guère se retrouver que dans les vers où il s'offre lui-même comme serviteur

(1) Séjour un jour, sans doute la devise de Milon, signe une demi douzaine de détestables strophes à la louange de Chaumeau et qu'on lit en tête de son Histoire de Berry. Elles seraient donc du même auteur.


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de Thiboust, en jouant pour ainsi dire sur les mots.. Salomon aurait donc fait partie de la maison du sr de Quantilly ? A quel titre ? Est-ce comme instituteur? Mais celui-ci n'avait que des filles; à la rigueur, cela ne constitue pas une impossibilité. A considérer de près, d'ailleurs, le ton des deux dédicaces, on trouve qu'il s'en faut qu'il soit le même. Il y a dans celle de Salomon beaucoup plus de déférence que dans l'autre. Il a soin de donner du monseigneur à son protecteur, et s'abstient de le tutoyer, suivant la licence qu'autorise parfois le vers, et que Milon se permet. Enfin ce retour sur les goûts de l'enfance de Thiboust pourrait faire supposer qu'il l'aurait connu de longue date; ce qui nous porterait presque à voir en lui un vieux précepteur parlant à son élève, lequel par reconnaissance de ses bons services d'autrefois lui avait peut-être ouvert sa maison pour, qu'il y terminât sa carrière (1 ). Quant à Jean Milon, ce fut, nous le savons, un Auvergnat transplanté à Bourges, où de tout temps le pays Arverne s'est fait représenter par quelques-uns de ses enfants. La famille Milon se rencontre établie en cette ville au XVIIe siècle dans les emplois de finance (2). Il est probable qu'une fonction analogue était remplie par l'ami de Thiboust, et que ce fut un des motifs qui les mit en relation. D'élu, comme l'était l'un , à trésorier général des finances , comme l'autre pouvait l'être, il n'y avait alors que l'épaisseur du doigt. Je ne dois pas négliger de dire cependant que les rôles des tailles pour l'année 1556 portent un « Jehan Millou, escripvain, » comme demeurant rue Mirebeau. Cet écrivain, c'est-à-dire, je présume, scribe public et non maître d'écriture, serait-il notre homme?

(1) Parmi les noms des intimes de la maison Thiboust, il en est un qu'il faut au moins nommer ici ; c'est celui de Maurice Hullin, receveur des domaines, je suppose, d'après le titre qu'Habert lui donne, et qui faisait partie du cénaclé dont nous avons parlé. Voici la pièce qui nous le fait connaître, et qui a été imprimée à la suite du Temple de Chasteté :

« A Maurice Hullin. Puisque tu as ce bonheur rencontré D'avoir trouvé pour ton seigneur et maistre Ce Quantilly de vertu pénétré, Je n'ay vouloir en oubly de te mettre.

Puis ton esprit me faict bien, recongnoistre

Que le seigneur est heureux du servant,

Or i'ay désir d'aller doreseuavant

A Quantilly, prendre résiouyssance,

Si le supply, receveur bien scavant,

Me recevoir par ceste congnoissance. »

HABERT. (2) V. dans La Thaumassière (p. 59 et 60), la liste des trésoriers généraux de France en la province de Languedouy, établis à Bourges.


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Peut-être bien encore ; un calligraphe était naturellement appelé à fréquenter la maison de Thiboust.

A ce que nous venons d'énumérer se borne l'oeuvre de ce dernier, ou du moins ce qu'il nous est permis d'en connaître, car il est bien probable que la plus forte partie s'en est perdue. C'est là presque toujours le sort de ces productions d'amateurs, qui, conservées soigneusement en portefeuille du vivant de l'auteur, passent après sa mort dans les mains d'insoucieux héritiers dont la moindre préoccupation est de les conserver.

Considéré comme littérateur, Thiboust appartient plutôt au XVe siècle qu'au XVIe. Contemporain et ami de ces gentils esprit, arot et arguerite de avarre, qui en toute liberté et facilité s'occupent des nouveautés, et se font suspecter d'hérésie, on ne voit rien en lui qui participe de pareilles tendances. Son attachement exclusif pour le culte orthodoxe se manifeste en toutes circonstances. Il prend part en ce sens à la grande démonstration du mystère de 1536. Son premier soin après l'acquisition de Quantilly est d'en faire réparer et embellir l'église et de se manifester hautement comme le bienfaiteur de cette même église (1 ). Il en fait autant pour le couvent des Carmes, situé dans son voisinage à Bourges (2). Intimement lié avec des poètes de la génération qui arrive, comme Habert, de cette école de payens sous les formes extérieures du catholicisme, il ne leur a pas pris leur manière, étant venu trop tôt sans doute pour chanter comme eux la volupté et la poésie des sens. Son expression même est vieille et sa forme aussi. En somme c'est un homme à la suite; mais son amour de l'art le sauve.

Thiboust décéda, dit Catherinot, le 7 octobre ou le 7 décembre 1555, peu de temps après avoir fait don au collége de son manuscrit. Il avait été bien inspiré en pressentant sa fin prochaine. Son âge d'ailleurs ne lui permettait guère de s'illusionner à cet égard. Né en 1492, il était alors dans sa soixante-troisième année (3). Il fut enterré dans l'église de Quantilly, sous le tombeau qu'il avait fait élever à sa femme. La Thaumassière nous a conservé leur épitaphe :

(1) La première pièce du Registre noir est intitulée : « Pardons et indulgences impétrez par le seigneur de Quantilly des Révérendissimes cardinaux de Bourbon et de Lorraine, le sixiesme jour de juillet mil cinq cent vingt-cinq, par tous les bienffaicteurs en l'église parrochiale dud. lieu de Quantilly. »

(2) On lit dans le catalogue des archives Joursanvault Paris, Techener, (1838). Sous le n° 2775. « Titre concernant une donation faite à l'église Notre-Dame du Mont-Carmel de Bourges, par Jacques Thiboust et sa femme Jeanne de La Font. — 1500-1532. »

(3) La biographie Robinet, qui le fait naître en 1488, le dit à sa mort âgé de 67 ans. Ne serait-ce pas en se basant sur ce dernier chiffre inexact que le biographe aurait été amené à fixer une fausse date pour l'époque de sa naissance ? Ajoutons qu'il précise comme date certaine de sa mort le 7 octobre,


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« Cy gisent nobles personnes M. JACQUES THIBOUST, notaire et secrétaire ordinaire du Roy et de la Reine, de la Maison de France, secrétaire de la Reine de Navarre, Duchesse d'Alençon et de Berry, éleu. ordinaire en l'élection et duché de Berry, et dame JEANNE DE LA FORT, son épouse, qui décéda le 4 août 1532 (1). »

Des cinq enfants que cette dernière lui avait donné, ainsi que nous l'apprend son épitaphe latine par Jean Second, trois seuls survécurent, et ce furent trois filles : Jacqueline, Jeanne et Marie. Habert qui les avait vues à Bourges les mentionne dans la fin de l'épître dont nous n'avons rapporté que le commencement (2).

Lorsque tes hoirs en semence naïfve Croistront, ainsi que les rameaux d'olive. Ce que desia tes trois Nymphes de pris, ( Qui ont le sens meur, sage et bien apris ) Peuvent monstrer, dont Iaqueline l'une, Passant en tout la blancheur de la lune, De son Guichard plus beau qu'il en peut estre, A fait en toy ton enfance renaistre. Les austres deux de naïfve doulceur, Jeanne et Marie, ainsi comme leur soeur, Te produiront plusieurs enfans et filles, Pour démonstrer qu'elles ne sont stériles, Et pour donner plaisir à tes vieux ans, De tout chagrin et de tristesse exempts, Et bien souvent qu'à Quantilly seras, Près des trois seurs tu te reposeras : Dont la première à la voix argentine Résonnera plus doux qu'une buccine, Pour te donner plaisir et passe-temps.....

(1) On comprend qu'il serait parfaitement inutile de rechercher aujourd'hui dans l'église de Quantilly, la sépulture de Thiboust. Une rage de destruction singulière paraît s'être acharnée spécialement sur ce point. La révolution qui abattit la moitié de l'église, commença par maltraiter très fort la partie qui nous intéresse. Quelques débris avaient cependant échappé au vandalisme moderne : entre autres un des écussons en terre cuite et colorié aux armes des seigneurs et qui décoraient leur tombe. Cet écusson est aujourd'hui entre les mains de M. Bataille et porte le blason de Thiboust, formé seulement par l'écartelement des armes de Rusticat et de Villemer. Malheureusement pour ce qui pouvait encore rester du passé on a entrepris dans ces dernières années une restauration où tout a fini de disparaître. Il parait que dans les affouillements nécessités par les nouveaux travaux, on a remué l'ancienne sépulture, où se sont retrouvés quelques ossements et une tête entière ; celle peut-être de la belle Jeanne. (2) V. Epître à Thiboust, en tête du Voyage de Gassot.


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Jacqueline Thiboust, qui, à s'en rapporter à ces derniers vers, eut hérité du talent musical de sa mère, naquit vers 1524 (1). Elle épousa le 5 décembre 1545, Pierre Sardé, sr de Rozay, de Rousson et des Portaux, d'abord avocat au grand conseil, puis substitut du procureur général et enfin conseiller dudit Conseil. Thiboust lui résigna sa charge de secrétaire du roi moyennant une somme de 4,000 fr. Le privilége autorisait le cessionnaire à jouir des droits attachés à la charge, même après la cession quand elle avait lieu en faveur d'un fils ou d'un gendre (2). Pierre Sardé eut de sa femme, qui lui survécut, plusieurs enfants, dont l'aîné fut Guichard Sardé, qui paraît être mort jeune (3). Ce fut ce dernier que Habert vit à Bourges, chez son grand'père, et qu'il rappelle dans les vers transcrits plus haut.

Ledit Habert, qui joua à peu près avec Mesdemoiselles Thiboust le rôle que Jean Second avait tenu à l'égard de leur mère, paraît avoir entretenu avec Jacqueline une correspondance poétique. Il nous reste deux épîtres qu'il lui adressa, et qu'on lit, avec le reste, à la suite du Temple de Chasteté.

« A Mademoyselle de Rozay fille de M. de Quantilly,

Le souvenir des grâces et biens faicts Que le seigneur de Quantilly m'a faicts, Me faict avoir ô noble Damoyselle En ton endroict d'humilité le zele Veu que tu es sa fille bien aymée Dans le cerveau de qui est imprimée Celle vertu qui faict l'esprit florir. le dy vertu non subiecte a mourir.

(1) On trouve à la page 131 du Registre noir copie d'une quittance de Louis de Lhome, Foulon à Bourges, et Gabrielle, sa femme, d'un reliquat d'une somme à eux payée le 8 août 1526, pour frais de nourrice de Jacqueline, fille de Thiboust.

(2) Guyot. Répertoire, loc. cit.

(3) V. Généalogie de Sardé dans La Thaumassière, p. 1118-19. Guichard dut avoir pour parrain, j'imagine, Guichard de Thou, de l'Orléanais, commissaire des guerres à Bourges, allié de Thiboust par sa femme Jacqueline du Molin et son voisin, car il occupait un des deux hôtels contigus à l'hôtel Jacques-Coeur. Son nom se trouve dans le supplément ajouté par Milon à la Briefve doctrine, au paragraphe où il cite comme exemples des noms de parents et de familiers de Thiboust. — Quant à son père, Pierre Sardé, il paraît être mort vers 1553, ainsi qu'on peut l'induire des termes d'une transaction intervenue le 2 novembre 1566, entre la ville et Mlle de Rouzay, veuve et agissant au nom de ses enfants mineurs. Cette pièce se trouve dans le registre des délibérations de l'hôtel-de-ville pour 1581-85, p. 136. Il y a à noter que Jacqueline Thiboust y est dénommée Catherine, d'après un des autres prénoms qu'elle joignait sans doute au premier.


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Doriques recoy ceste humilité grande D'un qui sera tousiours à la commande Ne plus ne moins qu'au seigneur pere tien Qui de la letre est le vif entretien, Monstrant à tous que la sage Minerve Avec les siens partage lui réserve. Quant est de toy sans avoir veu encor Ta face belle et aussi blonde qu'or Si scay ie bien que ta grand'excellence N'a mérité qu'on la mette en silence, Et de cela suis assez adverti Par le scavoir que Dieu l'a départi, Comme ayant veu souvent ton escripture Au pere tien transmise par grand'cure. Et entendu par maint homme scavant Combien ton nom se mettoit en avant. Donc Damoyselle illustre de Rozay, Si en mes vers quelque pure roze ay Elle sera cueillie sans demeure A celle fin que ton nom poinct ne meure En mes escriptz exposés en lumière, Et toutesfoys la louange premiere T'en sera deue, et me sera soulas De te nommer la faconde Pallas Qui faict florir n'a Athênes plus fort Que toy le lieu de Rozay noble et fort. Si finira ceste letre présente Que d'Yssouldun ie t'envoys et présente, Priant celuy qui seul a tout pouvoir, Tousiours soulas au cueur te faire avoir. »

L'autre épître est une étrenne qu'il lui envoya peut être en même temps que celle qu'il adressa à son père :

« A Elle encores,

Ce jour de l'an Damoyselle bien née Par ton Habert tu seras estrainée, Non des carquans forgez par Vulcanus Pour honnorer son espouse Venus, Encores moins de la vigne dorée De Daire (1) Roy de louange honnorée,

(1) Darius,fils d'Hystaspe. Pour cette fameuse vigne d'or qui abritait le trône des rois Perses cf. Hérodote, Polymnie, 27. Pline l'ancien, Hist. nat., XXXIII, 47. Athénée, Dimosoph. XII, 3.


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Mais mon escript estraine le sera Qui désormais ta beaulté poulsera Jusqu'au plus hault des supernelles nues Affin que soient tes graces bien congneues Aux successeurs, et que postérité Sache l'honneur que tu as mérité. Et ce pendant, le gouverneur céleste Vueille garder ton corps de tout moleste. Que ta lignée heureuse tant te face Que dans cent ans soit aupres de ta face. Et que tousiours en ioye et en santé De tout tourment ton corps soit exempté. Puis quand viendra le iour de ton trespas L'esprit aspire a ce divin repas

Qui est promis a toute ame fidele Qui croit que Dieu est la vie éternelle. »

Les deux soeurs de dame Jacqueline, comme nous, allons le voir, demeuraient paroisse du Fourchaud, l'une dans la maison paternelle, l'autre non loin de là. J'ignore en quelle rue se voyait l'hôtel de mademoiselle du Rozay, seulement je trouve dans le registre des délibérations de l'Hôtel-deVille de 1581-1585 que le logis devait être un des plus beaux. Lorsque, au mois de juillet 1585, M. de La Châtre vint prendre possession de la grosse tour, dont il avait été nommé capitaine en remplacement de M. de Tournon, il logea chez cette dame, que la ville avait prié de vouloir bien l'héberger, pour éviter aux dépenses que lui occasionnerait l'ameublement du logis du roi. Elle fut dédommagée par une remise de la taxe à laquelle les habitants avaient été imposés lors de la peste qui venait de désoler la ville. Je suis encore autorisé à penser que ce logis devait être dans le voisinage de l'hôtel Jacques-Coeur, parce qu'un registre des tailles pour l'année 1 552, et un rôle des aumônes pour l'année 1562, tous deux tirés des mêmes archives, donnent, l'un M. de Rozay, l'autre Mlle du Rouzay (sic) comme demeurant sur la paroisse Saint-Oustrillet (1).

(1) Voici la teneur du premier de ces deux articles : « Monsieur de Rozay nichil parce qu'il ne tient aucun feu ne lieu en ceste ville. » Il habitait sans doute d'habitude sa terre de Rozay, près Vierzon, et ce n'est qu'après sa mort que sa veuve sera revenue occuper son hôtel en ville. Ce dernier événement se rapporte, suivant toute apparence, à l'année 1563, car nous venons de voir qu'elle vivait encore en 1562, et dans un acte d'échange de rentes passé par ladite Jacqueline Thiboust avec le chapitre de Saint-Pierre-le-Puellier, à la date du 15 novembre 1563, elle est désignée veuve de Pierre Sardé. (V. aux archives départementales, Fonds de Saint-Pierre-lePuellier. XIII. 17 ).

22


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Jeanne, la seconde des trois soeurs, eut deux maris. Je lis dans le catalogue des archives Joursanvault, sous le n° 2, 775 , la mention suivante : « Contrat de mariage de Pierre Roussard et de Jeanne Thiboust. » La date de cette pièce est comprise entre les années 1500 et 1532. Cette note est pour moi le sujet d'un grand embarras. En effet je trouve d'autre part que par acte du 18 juin 1526 translaté au Registre noir (f° 240), Jacques Thiboust se fait, lui quatrième, caution d'une somme de dix mille livres pour Pierre Roussard, seigneur du Chaillou et de l'Homois, maître de la monnaie de Bourges, et commis de Réné Thizard, trésorier des guerres dans la même ville ; c'était cette dernière charge, qu'ilvenait évidemment d'acheter, qui obligeait Roussard à fournir la caution pour laquelle Thiboust intervient ici à titre de beau-père. Ce qui prouvé qu'il avait déjà cette qualité c'est que dans la lettre de contre-caution faite par ledit Roussard au profit de Thiboust, et qui se trouve inscrite à la suite de l'acte que je, signale, Jeanne Thiboust est dite femme du premier (1). Maintenant il faut bien reconnaître qu'en raison de. la date sous laquelle l'acte fut passé (1526), il y a là une contradiction qui voudrait être, éclaircie , ce que je me reconnais dans l'impuissance de faire. Comment en effet une fille de Jeanne de La Font, laquelle se maria en 1521, aurait-elle pu être elle-même mariée en 1526. Si donc il s'agit ici réellement d'une fille de Thiboust et non d'une soeur peut-être, elle serait d'un premier lit. Je n'ai trouvé nulle part, il est vrai, l'indication précise de ce premier mariage ; mais au besoin cela viendrait justifier un passage de La Thaumassière déjà signalé, relatif à Marie de Latour, qui autrement devrait être mis sur le compte d'nne erreur typographique, comme je vais avoir l'occasion de l'exposer plus bas à propos de Marie Thibouts.

Ce qui est bien certain en tout cas c'est que Jeanne, fille de Thiboust, épousa, en deuxièmes noces , si elle était veuve déjà de Roussard , un Du Moulin, qui devait être son parent. Le catalogue des archives Joursanvault, sous le n°2, 777, et dans l'époque comprise entre 1550 et 1570, note

(1) Cette charge de maître de la monnaie de Bourges qu'avait Pierre Ronsard semble avoir été un apanage de sa famille , car dès le XIVe siècle un de ses ayeux Jean Ronsard nous est indiqué avec ce titre et comme fondant une chapelle dans l'église de Saint-Pierre-le-Marché, sa paroisse, et celle de la communauté des drapiers ; q'où l'on peut induire qu'il exerçait le métier. La fonction de maître de la monnaie se donnait d'ailleurs d'habitude à un marchand. Disons en passant qu'une fille de ce Jean Ronsard, Jeanne, veuve en premières noces de Jean Cotereau, épousa en deuxièmes noces Lambert Leodepart, prévost de Bourges et beau-père de Jacques-Coeur, avec lequel les Ronsard se trouvaient ainsi être alliés. (V. Cath. Tombeau génèal., p. 36.)


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une « donation de Jean du Moulin à Jeanne Thiboust, sa femme. » Habert de son côté vient apporter son témoignage en faveur de cette alliance.

En 1556 parut de notre poète un recueil intitulé : « Harangue de la Déesse Astrée sur la réception de M. Jean Mosnier au degré de lieutenant

civil... Ensemble les épigrammes addressez par l'autheur à plusieurs

nobles et vertueux personnages, portant faveur et dilection aux lettres. » Paris, Guill. Thibout et Est. Denise, libr. in-8°. - On y lit la pièce suivante :

« A Msr le Contrerolleur JEAN DU MOLIN , de Bourges,

Jaques Thiboust de Quantilli Seigneur Le Mécénas des Muses vénérable

Maugré la Mort en éternel honeur Laisse de soy la mémoire durable. Il vous a ioinct par lien honorable Du chaste Hymen, à l'une de ses filles Qui de sçavoir et maintien amiable Est mise au rang des neuf Muses gentilles. Ce Mécénas de vertu et sçavoir Vit, bien que soit son corps en pourriture., Car sa vertu fin ne peut recevoir, Vertu n'est pas subiecte a sepulture. De vous aussi ioinct à sa géniture Aux successeurs tel sera le renom Par les vertus, où prenez nourriture, Que Mort ne peut effacer vostre nom. »

Il est fort difficile de préciser ce que pouvait être ce Dumoulin avec son titre assez vague de contrôleur. Est-ce le contrôleur du grenier à sel, ou le contrôleur des aides et tailles qu'Habert a voulu désigner? C'est ce qu'on ne peut deviner au juste. Je ne connais de Jean Dumoulin vers ce temps que celui que Catherinot indique à la p. 35 de son Inscriptio fori bituricensis comme commissaire de la navigation de l'Auron en 4553, et un autre qui fut avocat au présidial, et qui est cité comme tel à la p. 31 du même opuscule. Ces deux ne font peut-être qu'un ; mais il n'est pas dit que, malgré la ressemblance des noms, ce fut celui là qu'épousa Jeanne. Au reste le plus grand embarras pour ce qui concerne ce Dumoulin n'est pas dans sa profession, mais dans son identité même. C'est en quelque sorte la répétition de ce que nous avons vu plus haut au sujet de sa femme. Dans les deux documents que nous venons de citer il porte le prénom de Jean ; d'autres preuves également dignes de foi le nomment Henri. Des titres du couvent des Carmes de Bourges me montrent un gendre de Thiboust du nom de Henri Dumoulin, auquel son beau-père passa sa charge


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d'élu en Berry, et qui occupa après lui sa maison devant le collége (1). Sans doute Jean et Henri sont les deux prénoms d'un même personnage qu'on désignait indifféremment de l'une et de l'autre manière ; et l'on peut supposer que cet Henri Dumoulin fut le père d'autre Henri mentionné par La Thaumassière (p. 213) comme conseiller au présidial et échevin en 1595 et dont les armes étaient celles qui figurent dans le blason de Thiboust. Quant à celui dont nous le supposons issu, il devait être quelque peu cousin de sa femme du fait de Denise Dumoulin, mère de Thiboust.

Le mari de Jeanne mourut probablement en 1567, car dans un rôle des tailles de la ville de Bourges pour 1568 on lit que dans la rue de Paradis demeurait « Damoiselle Jehanne Thiboust vefve de feu Me Jehan Dumoulin, » lequel apparaît encore sous son nom dans les rôles précédents. Dans un autre rôle de 1590 elle est désignée sous les noms de « Damoiselle Jeanne Thiboust, dame de Boisvert. »

Enfin la généalogie des Bigot dans La Thaumassière (p. 1032), nous apprend que Marie Thiboust (2) épousa en premières noces François Pajonnet, contrôleur du domaine, et en secondes noces Etienne Bigot, sr des Fontaines, secrétaire du roi et échevin de Bourges en 1559. Ce dernier, cousin-germain par alliance de Jacques Gassot, neveu de Thiboust, fut encore le beau-père de sa fille, son fils, Etienne Bigot, IIe du nom, ayant épousé Marie Gassot. De cette autre alliance sortit Marie Bigot, qui épousa Paul Àgard, sr de Champ et père du jésuite de ce nom. Cet Etienne jeune eut pour soeur Marie Bigot, qui épousa Pierre Bengy, receveur des aides et tailles en Berry, échevin en 1601-1602, et frère du professeur de droit, Antoine, auteur de la branchedes de Puy-Vallée.

Sur un rôle d'impositions des années 1567 et 1568, Marie Thiboust est dénommée comme veuve de feu Me Etienne Bigot et comme logeant dans

(1) Arch. déples du Cher, fonds des Carmes , H. 9. — Transaction du 19 juin 1558 entre led. Dumoulin et les Carmes au sujet de la jouissance de deux écuries qui joutaient sa maison; ces deux, écuries furent plus tard remplacées, j'imagine, par la maison qu'occupa de nos jours la librairie Vermeil.— Pour la résignation par Thiboust de sa charge à ce gendre, voir aux mêmes archives (fonds du bureau des finances), le registre de vérification, attaches et autres expéditions de la Glé de Languedoil à Bourges. (1551-54.) f° 37.

(2) Ce doit être par erreur, comme je l'ai dit, que La Thaumassière signale à celle occasion Marie Thiboust comme fille de Marie de La Tour. Nous n'avons vu nulle part que Thiboust se soit remarié, et Catherinot désigne nettement Marie comme fille de Jeanne de La Font. L'erreur peut s'expliquer pour le nom de famille par une faute de typographie : Lalour ayant été lu pour La Font. Quant au prénom de Marie, donné à la mère ainsi qu'à la fille, il a pu être porté par les deux, et s'allier chez la première à celui de Jeanne, par lequel on la désignait plus habituellement.


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la rue, « tendant du coing de Frétisson aux Jacobins, » ce qui répond, si je ne me trompe, à la rue de la Monnaie actuelle.

Ce fut par Marie Thiboust que la seigneurie de Quantilly entra dans la maison Bigot : et ce fut son fils, Jean-Jacques Bigot, secrétaire du roi, qui par contrat du 28 avril 1618, échangea cette propriété avec l'archevêque André Frémiot contre sa portion de la terre de Chabris.

Vanité des choses humaines ! ce château, amours de son maître, sortit de sa famille dès la troisième génération; la famille elle-même était tombée en quenouille, en sorte que le nom ne put se transmettre. Et, comme si une sorte de fatalité s'était attachée à ce nom, il disparut avec l'épitaphe qui le signalait encore à l'attention des rares curieux que le hasard pouvait amener dans l'église de Quantilly. Il a fallu pour qu'il ne pérît pas tout à fait quelques lignes charitables de La Thaumassière et de Catherinot, et quelques vers louangeurs du poète Habert. Le livre, pour la durée, prévaut sur la pierre et le marbre.

En somme, à considérer les titres littéraires de Thiboust et de sa femme, tels que nous venons de les exposer, on trouvera peut-être que nous avons un peu trop appuyé sur des figures qui ne méritaient pas une étude aussi longue. Mais notre excuse est dans les circonstances du temps même où vécurent Jacques et Jeanne. Où en était la littérature en France à cette époque ? Quand mourut Thiboust, la Pléiade naissait, et l'on commençait d'imprimer à Lyon les poésies de Louise Labé. Ce fut alors que s'éteignait l'école poétique de la fin du XVe siècle que nos deux personnages ont vécu, faisant de Bourges à ce moment, ce qu'il n'est jamais plus redevenu, un centre littéraire et de bel esprit. Il faut bien l'avouer, ce n'est pas par les qualités de l'imagination que nous brillons, nous autres gens du Berry. On comprendra que la muse des sciences vive parmi nous, celle du chant beaucoup moins. Si la poésie, tuée en France par les platitudes du réalisme, qui tend à s'y implanter, y devait disparaître, nos départements du Centre sont de ceux où l'on s'apercevrait le moins de ce phénomène. La floraison qu'ils ont produite en ce genre y a été assez clairsemée, et d'un médiocre parfum (1 ). Au fait que comptons-nous avant Thiboust? Rien dont la mémoire se soit transmise. De son temps, Habert voit le jour dans le Bas-Berry; un

(1) En toutes choses il est des exceptions dont il faut savoir tenir compte, et ceci, d'ailleurs, n'est qu'un point de vue d'ensemble qui ne s'arrête pas aux détails. Au surplus, j'ajouterai, pour bien expliquer ma pensée, que je fais ici abstraction de l'époque actuelle, où le sentiment poétique s'est au contraire réveillé sur certains points de notre province avec un éclat incontestable, et qui ne laisse rien à envier aux autres. Mon attention se porte ici principalement sur tout ce qui a précédé le XIXe siècle.


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peu plus tard à Bourges; c'est Motin, une des victimes des injustices de Boileau. De ces deux poètes, de cour, le premier fut d'une médiocrité incontestable, et qui n'eut d'égale que sa trop grande fécondité. Quant à l'autre, s'il, n'a pas mérité l'arrêt plus que sévère qu'a rendu contre lui le législateur du Parnasse, il ne constitue pas cependant une personnalité poétique assez tranchée pour infirmer l'accusation de prosaïsme qui pèse sur le passé de notre pays.

Cette disette de poètes en Berry sera donc notre excuse. C'est elle qui nous a engagé a réunir sur le ménage littéraire des Thiboust tous les documents encore existants que nous avons pu retrouver. Peut-être nous sommes-nous exagéré l'intérêt de cette étude. Elle en avait beaucoup pour nous, elle peut n'en avoir que fort peu pour ceux qui la liront. Nous ne pouvons croire cependant que le silence sur ce point ne fût pas regrettable, et qn'il n'y eût pas convenance à le rompre en éveillant des souvenirs qui dormaient depuis plus de deux siècles. Sans doute le sujet eut gagné à être traité, par une autre plume ; mais c'est en pareil cas surtout que l'intention doit être comptée pour quelque chose, si même elle ne tient lieu du tout.


NOTICES

SUR

QUELQUES CONFESSEURS

DE LA FOI

DANS LE DIOCÈSE DE BOORGES

PENDANT LA RÉVOLUTION DE 1793,

PAR M. L'ABBÉ CAILLAUD,

MEMBRE TITULAIRE.



M. BAYÂRD (*)

CURÉ DE PÉRASSAY (INDRE)

M. Bayard était l'un des prêtres les plus distingués du diocèse. Il avait beaucoup d'esprit naturel et une instruction solide et très variée. Sa con(*)

con(*) y a un an l'honorable vice-président de la Commission historique du Cher publiait sous le titre : Martyrs du diocèse de Bourges, pendant la Révolution de 1795, un livre plein d'intérêt, où il entreprenait de raconter sous quelles souffrances et par quelle agonie succombèrent les membres de notre clergé, qui, dans ces jours d'angoisse que tous connaissent, crurent devoir faire à leurs principes le sacrifice de leur vie, et payèrent de leur sang leur attachement à leur foi et leurs convictions. Il se proposait de compléter plus tard ce martyrologe par le récit de la persécution qu'éprouvèrent à la même époque les simples confesseurs de la foi, ceux dont le dévoûment pour la cause sainte n'alla pas jusqu'à la mort. Une série de notices contenant les traits édifiants de leur vie doit paraître, qui se divisera naturellement en quatre parties distinctes, suivant un même nombre de catégories dans lesquelles se partagent ceux qui en font le sujet. Ce sont : les émigrés, les déportés, les incarcérés, lés cachés. C'est à celte deuxième partie de son oeuvre, à laquelle M. l'abbé Caillaud travaille à donner la même exactitude et le même intérêt de renseignements qu'à celle déjà parue, qu'appartiennent les deux notices qu'il a bien voulu autoriser la Commission historique à publier dans ses mémoires. L'une concerne M. Bayard, curé de Pérassay, l'autre M. Jolivet, curé de Saint-Doulchard, archiprêtre de Bourges. Ces pages détachées de notre histoire contemporaine sont de nature à appeler vivement l'attention sur des faits d'autant moins connus qu'ils sont plus rapprochés de nous. (Note de la Commission).

23.


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versation était agréable et attachante. Il avait surtout le talent de bien narrer, et les histoires les plus simples avaient dans sa bouche un charme inexprimable. Ordinairement les jeunes gens s'ennuient avec les vieillards , ils trouvent que leur conversation est fastidieuse, qu'ils répètent sans cesse les mêmes histoires avec des incidents et des longueurs interminables; telle n'était pas la conversation de M. Bayard, J'étais bien jeune encore lorsque j'eus l'honneur, de le connaître à son arrivée à La Châtre, et cependant je l'entendais discourir des heures entières sans jamais m'ennuyer. Il prêchait avec beaucoup de dignité : sa voix était pleine, claire et sonore. Je n'ai entendu de lui que des prônes, mais ils étaient parfaits pour le fonds et pour la forme, pleins de solidité, de clarté et de précision. Son style était correct, élégant, facile, spirituel. Je ne connais de lui que deux petits ouvrages qui sont restés manuscrits : une Histoire de la Révolution, qui contient des réflexions très sages, des aperçus très justes, et qui, avec quelques légères corrections, mériterait d'être imprimé, et la Relation de son Voyage, lorsqu'il fut forcé d'obéir au décret de déportation. Nous citerons de nombreux fragments de ce dernier ouvrage qui donneront un échantillon de sa manière d'écrire et de son talent. Il excellait surtout dans le genre épistolaire où il pouvait donner carrière à son esprit facile et enjoué. Un de ses amis, l'abbé Paris, ancien chanoine de Châtillon et vicaire de Notre-Dame de Bourges, lui écrivait un jour qu'un ecclésiastique de sa connaissance venait d'obtenir un personnat. M. Bayard, alors curé de Saulzais-le-Potier, lui répondit très spirituellement : « J'ai été heureux d'apprendre qu'un personnat avait été accordé à notre excellent ami M. N..., j'aurais été encore plus heureux d'apprendre qu'il avait été accordé au curé de Saulzais, mais quand il pleut des faveurs à Bourges je suis toujours sous le parapluie. » C'était une plaisanterie de sa part, car l'autorité qui connaissait son mérité lui avait offert plusieurs postes distingués, il les avait constamment refusés et ce ne fut que sur les pressantes sollicitations du docteur Decerfz, son neveu, qu'il se décida à accepter, à l'âge dé 64 ans, la cure de la Châtre, où résidait une grande partie de sa famille. M. Bayard était d'une taille moyenne, il avait de l'embonpoint, mais sans obésité. Son oeil était vif et spirituel, ses cheveux d'une blancheur éclatante et sa figure patriarcale. Sa foi était vive, sa régularité exemplaire, son attachement aux principes invariables, il en donna des preuves, à l'époque de la révolution. Il ne prêta aucun des serments qu'on exigea des prêtres, et fut l'un des premiers à quitter sa cure. Sa vertu n'avait rien d'austère : il avait beaucoup d'usage du monde, une politesse exquise, presque habituellement le sourire sur les lèvres. Par l'aménité de son caractère, par la prudence et la sagesse de son administration, par sa vertu douce et aimable, il faisait aimer la religion.


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Né à Culan, le 6 juin 1755, d'une famille honorable, M. Bayard (Joseph) fut élevé par son oncle, curé de la Motte-Feuilly (Indre), et après avoir fait de brillantes études au grand séminaire de Bourges, il fut ordonné prêtre aux Quatre-temps de Noël, 4779. Il exerça d'abord les fonctions de vicaire à Villefranche, qui fait aujourd'hui partie du diocèse de Moulins, et, au bout de quelques années, il passa au vicariat du Châtelet. En \ 787, il fut nommé curé de La Motte-Feuilly en place de M. Bayard, son oncle, qui l'avait élevé, et en 1789 il fut appelé à la cure de Pérassay, où il se trouvait lorsqu'on exigea des prêtres fonctionnaires le serment de la constitution civile du clergé. Voici comment il parle de cette constitution dans sa petite histoire de la révolution : « Par cette prétendue constitution, toutes les règles de la discipline ancienne et moderne, tous les canons en vigueur pour le gouvernement des églises sont abolis : une forme nouvelle d'élection inusitée et scandaleuse est introduite, cinquante-trois évêchés sont supprimés; plusieurs sont érigés sans aucun concours de la puissance spirituelle : les évêques établis par Jésus-Christ pour gouverner son église, sont entièrement dépendants d'un conseil de prêtres sans lequel ils ne peuvent rien décider, et le presbytérianisme est établi sur les ruines de l'épiscopat (p. 66). » On conçoit qu'un prêtre qui appréciait ainsi la constitution civile ne dut pas hésiter à refuser le serment de maintenir de tout son pouvoir cette constitution. Il le refusa en effet sans balancer, et quitta sa paroisse l'un des premiers. Les registres ne portent sa signature que jusqu'au 20 avril 1791. Il se retira au Châtelet où il avait exercé les fonctions de vicaire et où il avait des parents et des amis, et y resta jusqu'au mois de septembre 1792, époque à laquelle il fut forcé d'émigrer. Il y habitait avec M. Pallienne, curé de Saint-Pierre-les-Bois, une maison située sur la place du Marché, à l'angle de deux petites rues qui conduisent à Saint-Martial. La veille de leur départ ils confessèrent plusieurs personnes, et la nuit suivante ils leur donnèrent la sainte communion dans la chapelle de Sainte-Marthe qui était située à 500 mètres au nord de la ville. L'une de ces personnes qui vit encore raconte qu'ils leur défendirent d'assister aux offices des intrus. M. Bayard avait entrepris d'écrire l'histoire de son émigration, et nous regrettons qu'il ne l'ait pas terminée, car elle est pleine d'intérêt et parfaitement écrite. Elle est intitulée : « Relation du voyage que j'ai été forcé de faire pour obéir au décret de déportation contre lés ecclésiastiques non assermentés rendue par l'assemblée soi-disant nationale législative le 26 août 1 792. » Nous allons transcrire ce qui nous a paru le plus intéressant dans cette relation, en supprimant tout ce qui regarde la description des contrées qu'il a parcourues et des monuments qu'il a visités.

« Le décret du 26 août 1792 porte que tous les prêtres fonctionnaires publics, non assermentés, seront tenus de sortir de leur département sous


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huitaine, et du royaume sous quinzaine, à compter .du jour de sa publication, sous peine d'être transportés à la Guyane, frnçaise, excepté les sexagénaires et les infirmes qui seront tenus de se rendre aux chefs-lieux de département, pour y être enfermés dans une maison commune, sous la surveillance immédiate de la municipalité du lieu, si mieux n'aiment sortir du royaume. Quant aux ecclésiastiques non fonctionnaires publics, ils seront également exportés ou incarcérés, si leur exportation ou incarcération est demandée par six citoyens domiciliés dans le département de leur résidence. Ce décret, ou plutôt cet acte atroce du plus brutal despotisme dont l'histoire fasse mention, fut promptement envoyé dans tous les départements et publié dans toutes les municipalités. La plupart des sexagénaires et des infirmes ne voulurent pas profiter de là faculté que leur accordait le décret, ils aimèrent mieux s'exposer aux périls de l'exil et d'un long voyage que de rester en France sous le poignard des assassins. Le massacre de plus de 200 ecclésiastiques, parmi lesquels étaient trois évêques, exécuté de la manière la plus atroce aux Carmes de la rue de Vaugirard, le 2 septembre, faisait craindre un pareil sort à ceux des provinces et les décida à partir. J'ai vu des hommes faibles et valétudinaires, des vieillards de 70 et même 80 ans gravir à pied les montagnes glacées de la Savoie, et traverser toute la Suisse, sans se plaindre, et avec cette gaîté franche et tranquille que la religion seule peut inspirer et soutenir. D'après les relevés qui en ont été faits, il sortit de France à cette époque 60,000 prêtres dont plus de moitié étaient curés ou vicaires:

« Ce décret fut publié au Châtelet, hep de ma résidence depuis mon expulsion de ma cure, le 9 septembre 1792. Je me présentai le 10 avec M. Palienne, curé de Saint-Pierre-les-Boi, devant la municipalité. Nous déclarâmes que notre intention était de nous conformer au décret et de sortir du royaume. On nous donna acte de notre déclaration et un passeport qui fixait la route que nous devions tenir. Ces précautions prises, nous crûmes que nous pouvions, passer deux ou trois jours auprès de nos parents. Il n'en fut pas ainsi. Le lendemain à trois heures de l'après-midi, on vint nous avertir que si nous ne partions pas dans la soirée, nous aurions la visite de la garde nationale. Comme ces sortes de visites étaient sujettes à beaucoup d'inconvénients, nous nous décidâmes à partir le soir même. À cinq heures nous étions à cheval, nous allâmes coucher à la Motte, paroisse de Saint-Christophe, chez M. Yel, procureur au parlement de Paris, dont l'honnêteté et les témoignages sincères et multipliés d'intérêt et de bienveillance nous dédommagèrent pleinement des gracieusetés patriotiques des bons citoyens du Châtelet. Nous en partîmes le lendemain après dîner, nous passâmes le Cher à Massigny. Une erreur de route nous ayant mis à la nuit, nous fûmes obligés, de chercher gîte dans le bourg de


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Maillet, chez de bons paysans qui nous accueillirent avec une franchise et une bonté qui nous étonnèrent d'autant plus que depuis longtemps l'esprit révolutionnaire en avait rendu les exemples bien rares. De là nous passâmes à Villefranche, puis à Neuilly. On nous avait beaucoup prévenu contre l'esprit exalté des habitants de ce lieu. Nous le traversâmes rapidement pendant une petite pluie sans que personne se mit en peine de savoir qui nous étions et où nous allions.

» Nous arrivâmes vers la nuit à Dompierre où nous couchâmes. Nous fîmes un très méchant souper en compagnie de deux individus dont l'un était un moine de Sept-Fonds défroqué, l'autre un tailleur de pierres, tous deux patriotes ardents. Pendant ce misérable repas, nous fûmes assommés des propos les plus plats et les plus grossiers contre les aristocrates et les prêtres déportés. Leur intention n'était pas. assurément de les diriger contre nous : notre déguisement ne leur permettait pas de soupçonner que nous fussions des prêtres. Pour compléter la scène, nous eûmes le plaisir de coucher dans le même appartement avec ces deux honnêtes citoyens.

» Le lendemain 15, nous parûmes sur l'horizon avant le soleil. Nous passâmes près de Sept-Fonds que nous laissâmes à notre gauche. Puis, après avoir traversé la Loire à Digoin, nous arrivâmes à la vue de Paray vers trois heures de l'après-midi. Quelques coups de canon que nous entendîmes nous firent croire qu'il s'y passait quelque chose d'extraordinaire. Bientôt nous aperçûmes sortir de la ville une troupe nombreuse d'hommes armés, revêtus du brillant uniforme aux trois couleurs, partie à cheval, partie à pied. Une multitude d'hommes, de femmes, d'enfants, les précédait et les suivait. L'air retentissait de leurs cris et de leurs chants : le refrain atroce et chéri, ça ira, dilatait surtout les gosiers. Comme nos principes n'étaient pas tout-à-fait en harmonie avec ceux de tous ces braves gens-là, et que notre position actuelle ne nous permettait guère, en les joignant, de mêler nos voix à leurs patriotiques vociférations, nous crûmes qu'il serait prudent d'éviter leur rencontre. Un chemin qui s'offrait à notre gauche, semblait devoir nous conduire, sans passer dans la ville, à la grande route de Charolles que nous apercevions sur les hauteurs. Nous prîmes bien vite ce chemin. Il remplit le premier objet, de nos désirs, celui de nous faire éviter la rencontre de la bruyante cohorte, qui, comme nous apprîmes plus tard, faisait la conduite d'un digne citoyen de cette ville qui partait pour la convention nationale, dont il avait eu l'honneur d'être nommé membre par les suffrages des niveleurs jacobins de son département.

» Nous n'eûmes pas le même succès pour éviter la ville : il fallut y passer. Nous y abordâmes par un long faubourg que nous trouvâmes désert à cause du grand nombre de personnes qui étaient allées faire la conduite à


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M. le député. Puis nous entrâmes dans une rue vaste et dont les maisons nous parurent généralement assez belles : mais nous n'eûmes pas le temps de faire de longues observations. Un rustre, vêtu de toile, armé d'un vieux fusil que surmontait une baïonnette rouillée, prend mon cheval à la bride, et me demande si j'ai un passeport. Je lui réponds affirmativement, et je lui présente mes papiers. Il me dit qu'il ne sait pas lire, qu'il faut aller au corps de garde qui était à l'autre extrémité de la ville. Comme nous n'avions pas envie de nous donner en spectacle, quoique bien déguisés et munis de passeports où nous n'étions pas désignés comme prêtres, je lui dis que je ne voulais pas fatiguer mon cheval à aller et à venir sur le pavé, que s'il voulait que nos passeports fussent examinés, il n'avait qu'à faire venir quelqu'un pour les lire. Cependant un bourgeois paraît dans la rue, il l'appelle. Le bourgeois approche avec beaucoup d'honnêteté, nous le saluons de même. Je lui présente mon passeport , mais a peine a-t-il jeté les yeux et lu le nom de Bayard, qu'il s'écrie : « Àh! M. Bayard ! le pourvoyeur de l'armée ! oh ! laissez passer, laissez passer. » J'avais grande envie de rire de la méprise de ce brave! homme, mais je m'en gardai bien, et profitant de son erreur, je lui dis avec vivacité : « Hé, oui, oui, monsieur,

monsieur, suis Bayard, puis montrant mon confrère, et Monsieur est un de mes associés : il est étonnant qu'on retardé ainsi des voyageurs qui n'ont pas de temps a perdre. » Il nous souhaita très civilement le bonsoir que nous lui rendîmes de même. Cependant notre sentinelle à baïonnette rouillée, croyant avoir dérangé de leur route des personnages fort intéressants pour l'État, nous faisait de grandes excuses. Je grondai un peu mon ignorant, et nous sortîmes bien vite de la ville de peur que quelque nouvelle rencontre

rencontre nous exposât à jouer un rôle moins avantageux. Ce ne fut qu'à quelque distancé que nous pûmes donner un libre essor à notre hilarité et rire tout à notre aise de la méprise du bon bourgeois.

» Notre intention n'était pas de nous arrêter à Charolles où nous arrivâmes vers les sept heures du soir, mais à peine avions-nous fait cent pas dans une rue fort étroite que j'aperçus une guérite, un corps de garde, trois pièces de canon braquées devant la porte, et une multitude d'hommes en uniforme tricolore; nous n'aimions pas les discussions avec ces sortes de gens. En face du corps de garde se trouvait une belle auberge dont le portail était ouvert. J'y entre avec un air de connaissance, j'appelle d'un ton ferme et assuré le domestique qui prend nos chevaux et nous nous déterminons à coucher là, pour éviter les questions de la troupe aux trois couleurs, et la revue peut-être trop curieuse qu'elle aurait pu faire de nos passeports. Nous partîmes le lendemain, 17, de très bonne heure et nous

passâmes près de la sentinelle qui nous indiqua le chemin. !

» Arrivés à Mauzille , nous apprîmes qu'il y avait eu la veille à Mâcon


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une insurrection affreuse qui durait encore, que plusieurs prêtres avaient été arrêtés et seraient probablement massacrés. Quelques personnes qui en arrivaient nous certifièrent le fait et un ecclésiastique, dans le même cas que nous , revenant sur ses pas, ne nous laissa plus à cet égard aucun doute. En même temps nous fûmes instruits que la garde nationale de Cluny faisait des excursions dans les environs pour donner la chasse aux aristocrates. Nous étions fortement attaqués de cette maladie. Quoiqu'elle ne se connût pas à la mine, notre position dans un lieu isolé pouvait paraître suspecte. Nous nous décidâmes à partir et à prendre pour éviter Mâcon une route détournée à travers les montagnes que nous apercevions au midi. Un incident fâcheux vint encore accroître notre embarras. Mon cheval se trouva tellement blessé qu'il était hors d'état de faire une demilieue. Comment s'en procurer un autre dans une campagne. On m'indiqua un particulier. qui pourrait bien, me dit-on, échanger son cheval pour le mien. On le fit venir. Cet honnête homme, qui n'eut pas de peine à voir que j'étais embarrassé, m'estima prodigieusement son cheval et déprécia le mien avec tout l'art d'un maquignon ; il me demanda loyalement de retour à peu près la valeur des deux bêtes. Il fallait bien subir la loi. Je lui comptai deux cent cinq francs qui firent une terrible brèche à mes modiques finances. Je me hissai sur son cheval, et nous prîmes sans délai la route de Beaujeu.

» Pendant cinq heures nous ne cessâmes de grimper des vallons au haut des montagnes, et de descendre de leurs cîmes dans la profondeur des vallées par des chemins si scabreux qu'à peine étions nous un quart-d'heure sans mettre pied à terre. Nous traversâmes presque constamment des lieux solitaires. Le peu de personnes que nous rencontrâmes nous parurent d'une bonhomie et d'une simplicité touchantes. Les bergères à qui nous demandions le chemin osaient à peine répondre à nos questions. Il semblait qu'au milieu de ces montagnes on n'avait pas même l'idée de l'affreuse révolution qui déchirait la France.

» Nous arrivâmes à Beaujeu le mardi 18 septembre vers trois heures de l'après-midi ; environ une heure après notre arrivée, j'aperçus beaucoup de monde dans la rue, je sortis devant l'auberge pour savoir la cause de ce rassemblement. Je vis venir sur la route, par laquelle nous étions arrivés, un détachement de la garde nationale du lieu, armé comme pour une expédition. Je demandai à un homme décemment mis, qui m'avait d'abord accosté, quel était le motif de la marche guerrière de ces Messieurs qui étaient précédés de deux officiers municipaux décorés de la redoutable, écharpe aux couleurs de la révolte. Il me dit qu'ils venaient de faire une visite chez les gens suspectés d'aristocratie dans le voisinage ; que cette visite avait pour but de leur enlever leurs armes dont ils pourraient faire


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un mauvais usage contre la nation ; mais que ce voyage avait été infructueux, parce que le Maire, mauvais citoyen, avait d'avance fait avertir les personnes suspectes.

»Je blâmai l'incivisme de ce Maire aristocrate, ennemi de cette belle constitution qui nous faisait jouir de cette précieuse liberté dont je ressentais les effets d'une si étrange manière. Mon homme prit la chose au sérieux et parût enchanté de ma réponse. Il me demanda des nouvelles de la guerre : je battis le duc de Brunswick et le roi de Prusse, je mis en fuite Clairfait, Beaulieu et tous les Autrichiens. Jubilation, applaudissement à chaque phrase de la part de mon bénévole auditeur. Il me demanda ce que je pensais du roi auquel on pariait alors de faire le procès et de l'assemblée actuelle : la question était plus délicate. Je lui répondis que j'etais d'avis que le roi fut banni du royaume, s'il était coupable. Quant à l'assemblée, je tombai dessus à bras raccourci : je lui dis que je craignais beaucoup que la plupart de ses membres, qui faisaient parade de patriotisme, ne fussent des traîtres à la patrie, comme beaucoup l'avaient été même dans le côté gauche de la constituante, ces citoyens-là nous parlent sans cesse de liberté, lui dis-je, ils nous font de beaux discours et ils finiraient par renverser la constitution, établir un despotisme pire que l'ancien et doubler le poids de nos chaînes si l'on n'y prenait garde. Mais nous pouvons être tranquilles, ajoutai-je, les jacobins sont là et on ne leur en revendra pas. A cet éloge des jacobins, je vis le visage de mon homme s'épanouir, et l'enthousiasme briller dans ses yeux ; il ajouta mille éloges au mien et finit par me dire qu'ils avaient dans leur ville un club bien composé, qu'il avait l'honneur d'en être membre, et que, si je voulais assister le soir même à la séance, il se ferait un plaisir de m'y présenter. Je lui répondis que j'avais un grand désir de m'éclairer des lumières des patriotes de Beaujeu, mais qu'étant très fatigué, j'attendais avec impatience, mon souper, après lequel j'irais bien vite prendre du repos. Je lui parlai alors du vin du pays, je le questionnai sur les qualités , selon les différentes récoltes ou l'exposition des clos, sur les prix courants. Il me répondit très pertinemment, et m'invita à aller en goûter chez lui. Je lui fis de grands remerciements, je lui souhaitai très civilement le bonsoir et il s'en alla persuadé que j'étais un jacobin et un marchand de vin de mon métier. Pour moi, je rentrai à l'auberge riant de tout mon coeur de ma rencontre et surtout du personnage que je venais de jouer. J'en fis part à mon compagnon de voyage qui s'était bien gardé de paraître dehors quand il avait entendu parler de la garde nationale : car l'aspect d'un uniforme aux trois couleurs l'effrayait au moins autant qu'une fièvre quarte en automne. Il se prit à rire de mon aventure d'aussi bon coeur que moi, c'étaient quelques éclairs de joie au milieu de nos peines et de nos préoccupations incessantes.


» Le lendemain nous nous rendîmes au bourg de Crèche. Nous avions une lettre pour un honnête homme de ce pays qui devait nous donner des indices sur la route que nous avions à tenir. Notre premier soin en arrivant fut de nous présenter chez M. Cortambert. On nous dit qu'il était absent et qu'il ne reviendrait que le lendemain. Il arriva en effet le lendemain à dix heures. Il nous fit très bon accueil, nous offrit de la manière la plus honnête son dîner que nous acceptâmes. Il nous assura que, depuis' la veille, Mâcon était tranquille, que nous pouvions y passer sans courir le moindre danger, que c'était même la route la plus sûre. Dans l'après-midi, nous quittâmes nos hôtes qui étaient de bonnes gens, éloignés des opinions extravagantes du jour, et qui, du moment qu'ils avaient su que nous avions quelque chose à communiquer à M. de Cortambert, nous avaient traité avec beaucoup d'égards.

» En arrivant à Mâcon, j'engageai mon compagnon de voyage qui redoutait fort les volontaires, dont on nous avait dit que la ville était pleine, à payer de sa personne et à prendre un ton et un maintien plus assuré. Bientôt un groupe nombreux de gens, avec ou sans uniforme, nous annonça un corps-de-garde. J'y dirigeai tout droit mes pas, et je demandai l'officier du poste. Il vint aussitôt, prit nos passeports et nous les rapporta un instant après, en nous priant de n'être pas scandalisés qu'il y eût effacé le mot roi. Non, non, citoyen, lui dis-je d'un ton d'assurance, la nation y reste, c'est assez. Quelques-uns de ces Alexandres déguenillés qui étaient-là, n'attendant plus que des culottes et des pourpoints pour voler au combat, crièrent bravo. Nous saluâmes à droite et à gauche. Je demandai à un de ces messieurs de la nation, à la toilette du quel on n'avait pas encore pourvu, en l'appelant camarade, la route de Bourg, il me l'indiqua, et nous nous hâtâmes de sortir de la ville.

» Une pluie battante nous força le lendemain de nous arrêter à Pontd'Ain. Cette pluie fut pour nous un contre-temps et la cause d'un furieux dérangement dans nos finances. On nous dit que nous ne pourrions pas passer nos chevaux à la frontière, que les braves et loyaux patriotes se les adjugeraient sans bourse délier. Cette raison, la pluie qui continuait avec violence, le peu de temps qui nous restait pour sortir du royaume dans la quinzaine qui expirait le lendemain, nous déterminèrent à laisser là nos chevaux et à prendre la poste pour faire les 13 à 14 lieues que nous avions encore à franchir pour arriver à la frontière. Le maître de poste que nous avions chargé de vendre nos chevaux se les adjugea à si bas prix, que cette perte fit dans nos finances une différence de 300 fr., somme avec laquelle j'aurais vécu dix mois en pays étranger. Notre conducteur que nous avions grassement rétribué nous conduisit grand train en dépit du mauvais temps, car la pluie tombait avec tant de violence que tous les chemins étaient cou24

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verts par des ruisseaux débordés et par les petits torrents qui se précipitaient avec fracas du haut des montagnes du Bugey. Nous nous trouvâmes bientôt à un gros bourg nommé Cerdon. Nous n'étions pas encore sortis de notre voiture qu'un rustre de la plus épaisse tournure, chargé d'un méchant fusil surmonté d'une longue baïonnette, nous demanda nos passeports du ton le plus insolent et le plus impératif. Je lui demandai où était son officier. Il me répondit qu'il était chez lui. Allez le quérir, lui dis-je, et lorsqu'il sera au corps-de-garde, nous irons lui montrer nos passeports. Nous entrâmes chez le maître de poste en riant, mais fort inquiets au fond. Nous n'étions plus qu'à dix lieues de la frontière, nos passeports laïques ne pouvaient plus nous servir, il fallait exhiber ceux qui constataient notre état, et cela ne nous paraissait pas sûr dans un lieu dont on nous avait dit que les habitants s'étaient signalés par leur exaltation, et où nous n'avions vu que des figures sinistres. Une demi-heure après notre arrivée, on vint nous avertir que les chevaux étaient préparés : il n'y avait plus à reculer. Nous dirigeâmes nos pas vers le corps-de-garde. Le maussade individu qui, en arrivant, nous avait demandé nos papiers, marcha devant nous et dit en entrant : il faut fouiller partout. Ce propos que j'entendis, me fit trembler. Cependant, sans montrer la moindre inquiétude, je demandai l'officier. C'était un jeune homme d'environ 20 ans, revêtu d'une veste de ratine blanche, et qui avait l'air d'un artisan. Il lut seul nos passeports, sans les communiquer à une vingtaine de va-nu-pieds qui l'environnaient. Il nous les remit sur-le-champ, en nous disant qu'ils étaient en règle, et que nous pouvions continuer notre roule. Nous remerciâmes cet honnête jeune homme et nous montâmes dans notre voilure qui était à la porte, au milieu d'un groupe de citoyens qui, selon toute apparence, n'auraient pas été fâchés qu'on nous eût examinés de plus près.

» En entrant dans Saint-Martin, nous vîmes deux arbres surmontés du bonnet de la liberté. Ces brillants signaux n'étaient pas pour nous de bon augure ; néanmoins nous fûmes plus heureux que nous l'espérions. Le maître de poste nous accueillit avec beaucoup d'honnêteté. Nous le priâmes de nous indiquer le corps-de-garde pour faire viser nos passeports. Il nous répondit qu'il était l'officier commandant du jour et qu'il nous dispensait du visa. Je n'oublierai jamais les témoignages d'estime et d'intérêt que nous donna son aimable et vertueuse épouse. Pendant l'espace d'une heure que nous restâmes chez elle, nous vîmes plusieurs fois couler ses larmes, lorsqu'elle parlait des dangers auxquels nous allions être exposés: elle admirait notre courage ; elle nous dit qu'elle ne cesserait d'offrir au ciel des voeux pour nous, et nous pria de lui écrire aussitôt que nous serions sortis du royaume, et de l'instruire de notre sort. En un mot, toutes les preuves d'intérêt dont est capable un coeur sensible et vertueux nous furent données par


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Mme Tournery, c'est le nom de cette bonne et respectable dame. Elle voulut nous accompagner jusqu'au lieu où nous montâmes en voiture. Nous lui fîmes mille remercîments de ses bontés, et nous la quittâmes les yeux baignés de larmes, pleins d'estime, de respect et de reconnaissance, pour cette bonne et vertueuse dame dont les sentiments et les actions faisaient un si étonnant contraste avec ceux dont nous étions, depuis si longtemps, les témoins et les victimes.

» Nous traversâmes sans inconvénient Nantua, petite ville grande comme La Châtre, et nous arrivâmes à Châtillon-de-Michaille. Nous n'étions plus qu'à une demi-lieue de la frontière, notre intention était de sortir de France le soir même. Mais le maître de poste nous dit que si nous nous présentions pendant le jour au corps-de-garde qui était sur la place, nous courions risqué d'être insultés par une troupe d'oisifs qui y promenaient habituellement leur inutilité, et qu'en partant le lendemain avant jour, nous éviterions cet inconvénient. Nous suivîmes le conseil de ce brave homme ; nous évitâmes en effet la canaille de la localité, mais nous ne pûmes pas éviter celle du corps-de-garde. Comme la poste ne pouvait plus aller dans le pays où nous entrions, nous eûmes soin de nous procurer un guide et un cheval pour porter nos effets, et le lendemain nous étions sur pied longtemps avant le jour. Il fallut entrer au corps-degarde pour faire apposer le dernier visa à nos passeports. Nous y trouvâmes une douzaine de volontaires du Puy-de-Dôme qui était tout ce qu'il y avait au monde de plus grossier, de plus brutal et de plus féroce ; l'officier était digne d'eux. Les propos les plus orduriers, les injures les plus atroces, les menaces les plus furieuses furent vomis contre nous. Un scélérat , sous poil roux foncé, porteur d'une figure patibulaire , se distingua entre les autres. Il fit tout simplement la motion de nous couper la tête, disant que c'était le seul moyen d'en finir avec les gens de notre espèce, et, ce qui est à peine croyable, c'est que la motion fut mise aux voix, discutée, mais heureusement non décrétée. L'indigne officier, témoin de cette scène dégoûtante, loin de leur imposer silence, semblait prendre un cruel plaisir a nous tenir sur les charbons ardents par sa lenteur à viser nos passeports. Il nous les remit enfin, et nous pûmes sortir au milieu des buées et des imprécations de cette horde de cannibales.

Nous fûmes bientôt à Bellegarde où l'honnêteté des préposés de la douane nous dédommagea de la brutalité des brigands du Puy-de-Dôme. Un bel homme d'environ quarante ans nous fit un excellent accueil, plaignit notre sort, fit visiter nos effets pour la forme et eut l'obligeance de nous faire conduire par un de ses employés jusqu'au pont sur lequel on passe le Rhône. Je regrette de ne pas savoir le nom de cet excellent homme. L'employé à qui la garde du pont était confiée


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fut aussi honnête que les autres, il nous serra la main avec sensibilité en nous quittant.

» Notre joie fut grande lorsque nous nous vîmes en Savoie et enfin à l'abri de la fureur des brigands et des assassins. Notre première pensée fut d'en remercier le ciel, ce que nous fîmes avec une vive reconnaissance. Ce devoir accompli mon premier soin fut d'arracher de mon chapeau la cocarde tricolore. Je la déchirai et la foulai aux pieds pour effacer autant qu'il m'était possible jusqu'au moindre vestige de ce signe honteux de la révolte. Puis nous continuâmes gaîment notre route. Notre joie ne fut pas de longue durée. En entrant dans un gros bourg nommé Frangy, nous vîmes des cocardes aux trois couleurs, mais notre étonnement augmenta en apercevant sur la place une multitude de personnes qui s'agitaient beaucoup et parmi lesquelles nous remarquions plusieurs ecclésiastiques. Je m'approchai et je demandai la cause de tout ce mouvement. On s'étonna de ma demande. Vous savez bien, me dit-on, que les brigands français sont entrés à Chambéry. Je l'ignore complètement, répondis-je, je suis sorti de France ce matin. Hé bien, faites comme nous, ajouta-t-on, fuyez bien vite, si vous ne voulez tomber entre leurs mains, ils infestent tout le pays. Notre consternation fut grande, nous vîmes chacun se hâter de prendre la route de Genève, les uns sur des voitures, le plus grand nombre à pied : il fallut bien faire comme les autres et s'exécuter. Un voiturier se chargea généreusement de nos deux petits porte-manteaux, moyennant un écu et nous dit que nous pourrions de temps en temps, lorsque le chemin serait beau, monter sur sa voiture qui était chargée de malles. Nous prîmes les devants à pied, sous une pluie glaciale. La route était montueuse, bientôt mon compagnon de voyage ne pouvant plus marcher, nous fûmes forcés de nous mettre à l'abri sous des arbres et d'attendre la voiture. Mon confrère y monta, et moi, couvert de mon manteau, je continuai la route à pied. Nous arrivâmes à St-Julien à 9 heures, du soir : nous n'y trouvâmes pour notre souper que du mouton froid. Nous, demandâmes des lits, il n'y en avait pas. Pour nous délasser, il fallut passer la. nuit sur des chaises. Mon compagnon, exténué de fatigue, y ronfla, et moi je n'y fermai pas l'oeil. Nous en partîmes à 3 heures du matin, le 24 septembre, accompagnés d'un homme qui portait nos effets, et nous arrivâmes à Carrouge un peu avant le jour. Nous allions y entrer, lorsqu'un homme qui en sortait, nous aborda d'un air effrayé en nous disant ; Retournez, Messieurs, vous ne passerez pas, ils sont là. Je lui demandai si c'était des Français dont il parlait. Oui, me répondit-il, ils sont là. Nous crûmes qu'il était prudent de reculer. Notre homme s'offrit à nous conduire à Genève par un chemin de traverse qu'il connaissait : nous acceptâmes ses offres, en le payant bien entendu, et nous le suivîmes à travers des terres labourées et des prés cou-


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verts d'eau, et nous arrivâmes dans la matinée à un faubourg de Genève, et nous prîmes gîte à l'hôtel de l'Arc.

» Notre premier soin fut de nous informer si nous pourrions trouver une barque pour traverser le lac et passer en Suisse. On nous dit que nous trouverions bien des barques, mais qu'aucun batelier ne voudrait se charger de nous conduire, parce que les patriotes français, cantonnés dans le pays de Gex, parcouraient le lac avec des barques armées, arrêtaient et pillaient les passagers. Cette nouvelle nous mit dans le plus grand embarras. On ne pouvait pas entrer à Genève, des ordres précis du gouvernement le défendaient, parce que le grand conseil devant s'assembler ces jours-là, on' ne souffrait aucun étranger dans la ville, nous ne pouvions' pas nous embarquer, et cependant nous étions tellement excédés de fatigue qu'il nous était impossible de faire une lieue de plus. Nous nous déterminâmes à acheter des chevaux : nous nous présentâmes à la porte de la ville. Un bourgeois s'approcha de nous et nous répéta qu'il était impossible d'entrer, mais touché du triste état où il nous voyait il nous introduisit dans le bureau près la porte, nous témoigna avec une sensibilité touchante tout l'intérêt qu'il prenait à notre sort et nous combla d'honnêtetés. .Cet homme respectable s'appelle M. Roque. Il se chargea de nous procurer, des chevaux : il alla chercher un marchand avec lequel il nous fit conclure, moyennant quatorze louis (336 fr.), pour deux chevaux sellés et bridés. Ce galant homme nous fit mille offres honnêtes, prit notre adresse et nous donna la sienne, et dans la suite il nous rendit quelques services pendant que nous étions à Fribourg. Après lui avoir témoigné notre reconnaissance nous prîmes congé de lui et de quelques autres bourgeois qui nous avaient donné comme lui' des marques d'intérêt et d'humanité, bien contents de notre acquisition quoiqu'elle fit une terrible brèche à nos finances. Nous montâmes à cheval vers une heure de l'âprès-midi ; nous traversâmes de nouveau, en cotoyant le lac, le territoire de la République, et nous arrivâmes à Colognes. Nous rencontrâmes à une lieue de là M. Maubert, curé de Villequiers, diocèse de Bourges, qui était de notre connaissance. Il était à cheval comme nous. Nous formâmes société et depuis ce jour nous avons toujours voyagé et vécu ensemble. La route était couverte d'ecclésiastiques français : les uns étaient sur des charrettes, quelques autres à cheval, mais le plus grand nombre était à pied, portant sur le dos ce qu'ils avaient pu sauver de leurs effets, A Thonon, nous vîmes des cocardes tricolores et quelques polissons crièrent sur notre passage : à l'aristocrate ! Peu de jours après, les habitants de Thonon violaient leur devoir de fidélité envers le duc de Savoie, leur légitime souverain, et appelaient les patriotes français dans leurs murs. Après avoir cotoyé longtemps le lac que nous laissions à gauche, et des côtes couvertes de châtaigniers étonnamment chargés


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de fruits qui se trouvaient à droite, nous arrivâmes le 24 septembre, vers six heures du soir, à Evian.

» Nous étions à Lausanne le 26. Notre intention était d'y séjourner quelque temps pour nous refaire des fatigues d'une longue route, mais le gouverneur ne nous accorda que deux jours. Deux raisons forcèrent le gouvernement à cette rigueur apparente : le passage des troupes que la République de Berne envoyait à Genève et dans le pays de Vaud pour faire face aux brigands français, et l'affluence prodigieuse d'émigrés ou de déportés qui arrivaient à chaque instant dans cette ville. Tout était plein dans les auberges et dans plusieurs maisons bourgeoises. Beaucoup furent obligés de coucher dans des greniers à foin, quelques-uns plus mal encore. Un vicaire général du Puy-en-Velai et plusieurs autres ecclésiastiques passèrent la nuit du 26 au 27 septembre sur du foin dans l'écurie de l'auberge où nous étions logés. En deux jours il passa dans cette ville plus de douze cents prêtres français. C'était un spectacle digne d'admiration et de pitié de Voir des hommes accoutumés à une vie tranquille et sédentaire, dont un grand nombre étaient âgés, faibles ou infirmes, faire à pied une longue et pénible route, portant sur leur dos leurs effets, sans murmurer et sans se plaindre; le calme, la fermeté, la gaîté même qu'on remarquait sur leurs visages, annonçaient leur innocence, et ne pouvaient être inspirés que par la religion.

» A Fribourg, où nous arrivâmes le 29 septembre, à quatre heures du soir, tout était plein dans les deux premiers hôtels où nous nous présentâmes. Dans le troisième il y avait place pour nos chevaux à l'écurie, mais point de lits. Sur nos instances, le maître de l'hôtel nous dit qu'il ne lui restait que deux lits de domestiques qu'il n'oserait offrir à des honnêtes gens. Nous demandâmes à les voir. Il nous conduisit dans une espèce de galetas qui servait de décharge : nous y vîmes deux grabats avec des rideaux de toile peinte d'une insigne malpropreté. Tout cela ne nous épouvanta pas, de misérables exilés n'y regardent pas de si près. En rentrant dans notre galetas après le souper, nous nous aperçûmes que les ordres de notre hôte, qui avait promis d'y faire établir la propreté, n'avaient pas été exécutés. Les draps étaient d'une malpropreté dégoûtante, en sorte que pour éviter les inconvénients qui en pouvaient résulter, nous couchâmes comme l'épée d'Alexandre, dans le fourreau. Au bout de quelques jours, nous trouvâmes un logement plus commode et notre intention était de nous fixer dans cette ville, mais un décret du sénat força tous les étrangers arrivés à Fribourg après le 20 septembre à quitter la ville dans un délai fixé. Il n'y eut d'exception que pour les infirmes et les sexagénaires. Nous quittâmes cette ville avec regret le 21 octobre. Nous avions eu l'honneur de nous présenter deux fois chez l'évêque de Fribourg, Mgr D. Emma-


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nuel de Lenzburg, qui nous reçut avec une honnêteté et une bonté touchante. C'est un prélat qui joint à de grands talents une simplicité vraiment évangélique. Il n'y a pas d'homme d'un accès plus facile. L'accueil qu'il fit à tous les prêtres déportés a gravé dans le coeur de tousla vénération la plus profonde pour ce respectable prélat, digne des plus beaux siècles de l'église.

» Nous passâmes à Berne, patrie de Haller : puis à Margethal où nous fîmes, pour 36 sous, un dîner des plus confortables, ce qui nous donna occasion de remarquer que dans les campagnes on vivait infiniment à meilleur marché que dans les villes. Après avoir traversé plusieurs autres localités nous arrivâmes à Lenzburg sous une pluie torrentielle qui avait traversé nos manteaux et qui nous avait mouillés jusqu'à la peau. Une voiture que nous avions rencontrée en route était arrivée un instant avant nous et les deux personnes qu'elle renfermait avaient occupé la seule chambre à feu qu'il y eut dans l'auberge. Dans les autres appartements il n'y avait, selon l'usage de la Suisse, que des poëles. Ces deux messieurs nous offrirent de partager leur feu ; nous acceptâmes leur offre avec reconnaissance. Ils nous proposèrent ensuite de dîner ensemble. Nous acceptâmes volontiers, en leur faisant observer que nous vivions très économiquement. Ils nous dirent qu'ils étaient déportés comme nous, et qu'ils avaient les mêmes motifs d'économie. M. Maubert, curé de Villequiers, fut chargé de commander un modeste dîner. Le peu de connaissance qu'il avait de la valeur des monnaies du pays, lui fit faire une erreur dont nos estomacs furent victimes. Au heu d'un dîner modeste, nous eûmes un dîner mesquin, du vin détestable et pour tout dessert un morceau de fromage de gruyère exposé depuis longtemps à l'action de l'air. L'un des deux étrangers qui était à côté de moi ne mangea presque rien, et nous laissa aisément apercevoir qu'il était accoutumé à un meilleur ordinaire. La conversation remplaça la bonne chère. Elle roula sur les affaires de France, sur les malheurs des prêtres déportés, sur le nouveau serment d'égalité et de liberté qu'on exigeait alors des ecclésiastiques non fonctionnaires publics qui n'avaient pas été assujettis au premier serment. Sur toutes ces questions nous fûmes quelquefois d'avis différents. Celui de nos deux convives qui avait le moins fait honneur au dîner, et qui parla presque toujours, nous exposa son opinion sur les affaires qui agitaient actuellement la France avec beaucoup de politesse, de douceur et un ton de dignité qui nous fit soupçonner que c'était un homme marquant. Nous ne pensions pas cependant qu'il fût ce que nous découvrîmes trois jours plus tard. Gomme ces messieurs étaient en voiture ils partirent sans se soucier du mauvais temps. Pour nous qui n'avions pour nous mettre à couvert que nos manteaux transpercés le matin, nous fûmes obligés d'attendre. Avant


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notre départ, nous allâmes payer notre magnifique repas. Le prix qu'on nous demanda nous fit voir qu'on n'avait pas pu nous faire faire grande chère, puisque la dépense de chacun de nous fut fixée à quinze sols.

» Nous arrivâmes à Bade le 24 octobre vers six heures du soir, nous entendîmes la messe le lendemain dans l'église principale qui est un ancien et bel édifice, et nous nous dirigeâmes vers Zurich où nous arrivâmes à onze heures. Zurich fut la première ville de la Suisse qui se sépara de la communion de l'église catholique romaine à la persuasion de Zuingle qui jeta le trouble dans ce pays et périt lui-même l'épée à la main à la bataille de Cappel. C'est ainsi qu'ont agi les factieux et les prétendus réformateurs de tous les siècles, ils parlent de paix et de charité et leur main agite les brandons de la discorde. C'est ainsi que depuis quatre ans des factieux impies, sous le prétexte de réformer les abus de l'église et du gouvernement, ont renversé en France le trône et l'autel; en prêchant la liberté et la philanthropie, ils ont égorgé des millions de victimes, chassé du royaume 60,000 prêtres, dont tout le crime était d'avoir une conscience, des principes de religion et d'honneur. C'est ainsi qu'ils ont fait tomber sous la hache des bourreaux la tête du plus juste et du meilleur des rois, couvert de ruines et de sang leur patrie, et fait du plus beau des empires une terre de dévastation et d'horreur en y allumant la guerre civile. Aussi les malheurs qui accablent cette terre infortunée sont visiblement marqués au coin de la colère de Dieu. En sortant de la patrie de Gesner, on nous dit qu'il fallait payer pour la route. Ce nouveau genre de péage nous parut plus extraordinaire que celui qu'on exigeait pour les ponts, mais comme nous n'avions pas l'intention de réformer les usages de la Suisse, nous comptâmes treize sols et demi à M. le receveur, et nous prîmes la route de Basserslorf, où nous arrivâmes le 25 au soir. C'est le premier endroit où nous avons couché dans des draps garnis de dentelle, espèce de luxe que nous avons trouvé partout dans la suite.

» Nous arrivâmes à Constance le 26 octobre 1 792, à sept heures du soir. Chassés de France et de Savoie, éconduits de la Suisse, nous trouvâmes enfin dans cette ville hospitalière un asile de paix et de sûreté. Dès le lendemain nous étions chez le commandant de la ville pour lui exhiber nos passeports et lui demander la permission de résider à Constance. Il nous accueillit avec bonté et nous accorda notre demande avec tous les témoignages de bienveillance et d'intérêt dont peut être susceptible une âme généreuse envers les infortunés. Comme nous étions dans son antichambre, il y arriva un évêque français que nous reconnûmes aussitôt pour l'un des convives avec qui nous avions dîné trois jours auparavant, à Lenzburg. Nous nous empressâmes d'aller lui offrir nos hommages : malgré tout le respect que nous devions à son rang, nous ne pûmes nous empêcher de


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sourire en l'abordant, au souvenir du succulent repas que nous lui avions fait faire. Il eut la bonté d'en rire comme nous, et nous reçut avec tous les témoignages possibles de bienveillance. Nous lui demandâmes la permission de lui faire visite, il nous en pria, et nous eûmes l'honneur de le voir assez fréquemment pendant notre séjour à Constance. C'était Monseigneur de Balord, évêque de Nîmes.

» Nous trouvâmes une pension moyennant la somme de 33 fr. par mois, le chauffage, l'éclairage et le vin restant à notre charge. Notre logement consistait en deux petites chambres dans lesquelles il n'y avait que deux lits. II fallait que deux de nous couchassent ensemble. Ce plaisir échut à M. Pallienne et à moi. La table était assez copieusement servie, mais c'était de la cuisine allemande faite avec une insigne malpropreté. Nous avions pour convives notre hôte, sa femme, sa fille et sa belle-mère dont les manières de faire nous causaient une extrême répugnance. Chacun d'eux se servait de la cuillère avec laquelle il avait mangé la soupe pour prendre du premier plat qui l'accommodait ; ils s'essuyaient les lèvres avec la nappe, et à la fin du repas c'était encore avec la nappe que chacun rendait à sa cuillère et à sa fourchette leur propreté première. Au bout d'un mois nous trouvâmes une pension un peu plus commode. Nous avions encore, il est vrai, de fort mauvais lits, de méchants sommiers, remplis de feuilles d'arbres sèches dont la plupart étaient encore adhérentes à leurs branches. Nous nous y trouvions fort mal d'abord, mais avec le temps qui accoutume à tout, nous en vînmes à y dormir aussi bien que sur des lits de duvet. Nos hôtes étaient de fort bonnes gens ; nous étions aussi bien qu'il est possible d'être, loin de sa patrie, de ses parents et de ses amis. L'esprit public de Constance était excellent : les habitants sont bons, humains et généreux. Nous avons été comblés par eux de témoignages d'intérêt, d'estime, de vénération môme.

» Les bonnes dispositions des habitants de Constance nous auraient presque fait oublier nos malheurs, si chaque courrier ne nous eût apporté des nouvelles qui les aggravaient. Au commencement de janvier nous apprîmes qu'on allait faire le procès à l'infortuné Louis XVI. Chacun semblait avoir oublié ses propres malheurs, pour ne s'occuper que du vertueux monarque. Nous sûmes bientôt que, malgré les preuves évidentes de son innocence, malgré les larmes du sensible Malesberbes, malgré la sublimé éloquence du généreux et fidèle Desèze, le plus débonnaire et le plus vertueux des rois avait été jugé et condamné à mort, comme un tyran. Cette triste nouvelle répandit la consternation dans tous les coeurs. Elle fut plus grande encore lorsque courrier suivant nous apprit que la tête du meilleur des fois était tombée sous le fer des bourreaux, au milieu de la capitale, sous les yeux d'un peuple immense. Au récit qui se fit devant le bureau de

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la poste, où l'on s'était porté en foule, de la mort héroïque de l'auguste et digne fils de saint Louis ; à la lecture des circonstances qui accompagnèrent, cette mort dans laquelle Louis XVI conserva la douce sérénité de l'innocence, le calme touchant de la vertu, l'héroïsme sublime de la religion, les larmes coulèrent de tous les yeux. Il semblait que chacun eut perdu un père. Les Allemands eux-mêmes mêlèrent leurs larmes à celles des Français. On se retira les yeux baissés comme si on eût été coupable de cet horrible attentat. Quelques jours après, on célébra un service solennel pour le vertueux monarque, et tous les Français résidant à Constance y assistèrent dans une attitude qui témoignait de leur profonde douleur.

» Pendant mon séjour à Constance, je visitai la salle où se tint le célèbre concile qui y fut assemblé en 1414, et qui condamna Jean Huss et Jérôme de Prague, son disciple. Je ne manquai pas de m'asseoir dans les deux fauteuils qui servirent au pape Jean XIII, tant qu'il présida le concile, et à l'empereur Sigismond. Cette salle n'a rien de remarquable que sa grandeur : elle a soixante pas de long sur trente de large. Dans le courant de l'été, je voulus aussi satisfaire ma curiosité dans un autre genre. Depuis longtemps, j'avais envie de voir la fameuse cataracte du Rhin qui n'est qu'à onze lieues de Constance en descendant ce fleuve. J'en fis la partie avec quelques-uns de mes amis, et nous partîmes à pied, dans les premiers jours d'août. Nous allâmes à travers un pays délicieux coucher à Feldbach, abbaye de Bernardines, où nous fûmes parfaitement bien accueillis par un religieux, directeur de la maison, et par madame l'abbesse. On nous servit à souper au parloir. La respectable abbesse, qui n'entendait pas le français, ne pouvant nous témoigner par les paroles la part qu'elle prenait aux malheurs du clergé de France, nous fit connaître les sentiments de son coeur d'une manière bien plus touchante encore, par les larmes que nous vîmes plusieurs fois s'échapper de ses yeux. Après le souper, elle resta un quart d'heure avec nous. Nous lui témoignâmes notre reconnaissance par l'organe du père directeur qui entendait un peu le français et parfaitement bien le latin, et elle se retira. Nous liâmes conversation avec le directeur, homme aimable, plein de talents et de connaissances. Le lendemain, nous prîmes congé de notre aimable religieux dès le matin, et nous arrivâmes à sept heures du soir à Schaffousse où nous couchâmes. »

Ici se termine la relation du voyage de M. Bayard, soit qu'il n'ait pas écrit le reste, soit que les derniers cahiers de son manuscrit se soient perdus, ce qui est vivement regrettable, comme on en peut juger par les fragments si pleins d'intérêt que nous venons de transcrire, M. Bayard passa encore quelque temps à Constance en la compagnie de MM. Pallienne, Maubert, Pericaud, vicaire de Vicq-Exemplet, et du cardinal de La Luzerne. Ils


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vivaient du travail de leurs mains. M. Bayard brodait, M. Pericaud faisait des boutons, le cardinal de La Luzerne composait ses ouvrages.

Cependant, M. Bayard, impatient de revoir sa patrie et sa famille, rentra en France au commencement de 1795. Mais la persécution ayant recommencé au mois de septembre, il fut obligé de se cacher et resta environ deux mois au Châtelet chez ses parents qui habitaient une maison située près du presbytère et qui avait une issue par derrière du côté de la chapelle Saint-Marthe. Un jour une dame vint frapper à la porte ; M. Bayard croyant que c'était sa soeur alla ouvrir et se trouva en présence d'une dame peu bienveillante pour les prêtres : elle ne manqua pas de dire à son frère qui était un terroriste qu'elle avait vu M. Bayard. Celui-ci fut dénoncé au maire, M. Beguin, qui était un excellent homme. Le Maire promit de faire visiter la maison, mais il fit prévenir M. Bayard qui eut le temps de s'évader.

Il se rendit à Hérisson chez l'un de ses neveux où il resta un mois. Dénoncé une seconde fois il partit pour Cérilly où demeurait un autre de ses neveux; mais on le vit arriver et il n'y put rester qu'un quart d'heure, et il se dirigea vers Couleuvre. A peine était-il parti que la gendarmerie et tous les émissaires du comité révolutionnaire se rendirent chez son neveu qui leur dit que son oncle avait pris la route de Bourbon. Dès qu'ils se furent retirés, son neveu monta à cheval pour le rejoindre à Couleuvre, et y descendit chez une personne de sa connaissance. Heureusement que M. Bayard ne s'y était pas arrêté, car une heure après les terroristes de Cérilly y arrivèrent et ramenèrent son neveu à Cérilly.

Il se décida alors à se rendre à Paris chez M. Bayard, son frère, qui y exerçait la médecine, et qui était chargé des prisons. Là il se procura une carte de sûreté sous le nom de Perassay et y vécut fort tranquille, il fit plusieurs éducations particulières chez des personnes très riches. Vers la fin de la révolution, il vint à Saulzais, chez M. de La Roche, où il resta quelque temps. Le 12 décembre 1802, il fut nommé curé de Saulzais, et y resta 17 ans. Ce ne fut qu'en 1 819 que, cédant aux vives instances du docteur Decerfz, son neveu, il accepta la cure de La Châtre, où il fit aimer la religion, et où il mourut le 6 juin 1825, emportant l'estime et les regrets de tous les gens de bien.


M. JOLIVET,

CURÉ DE SAINT-DOULCHARD ET ARCHIPRÊTRE DE BOURGES.

Dans la petite paroisse de Prunelles, au village du Grand-Malleray, se trouvait, au milieu du XVIIIe siècle, une famille de riches cultivateurs qui avait conservé les moeurs patriarcales , c'était la famille Jolivet. De temps immémorial, tous les membres de cette honorable famille habitaient sous le même toît. En 1822, il y avait encore sept mariages qui vivaient en commun et dans la plus parfaite intelligence. Le chef de la famille était respecté et vénéré : il commandait, et dès qu'il avait parlé, ses ordres étaient ponctuellement exécutés. Attachés au sol qui les avait vus naître, ces bons cultivateurs se trouvaient heureux dans leur modeste condition, et ne songeaient point à en sortir. Ils possédaient une propriété dont la valeur dépasserait aujourd'hui le chiffre de trois cent mille francs : ils la cultivaient de leurs propres mains, et jouissaient de cette honnête aisance qui est la condition indispensable du bonheur ; car je ne voudrais pas dire d'une manière absolue avec le prince des poètes latins : trop heureux les habitants des campagnes, s'ils connaissaient leur bonheur : O fortunatos nimium, sua si bona nôrint, agricolas. (Virg. gé. 2). Je ne les trouverais pas heureux, s'ils étaient dans un état voisin de la misère. Pour être heureux, il faut, comme l'a dit un autre poète latin, un heureuse médiocrité aurea mediocritas. (Hor. ép. 2). Il faut qu'on soit dans un état intermédiaire entre la pauvreté, et la richesse, selon la parole du sage, qui demandait à Dieu de ne lui donner ni la mendicité ni les richesses : Mendicitatem et


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divitias ne dederis mihi. ( Prov. 30, 8 ). Telle était la famille dont nous parlons. Elle cultivait elle-même l'héritage de ses pères : les jeunes gens conduisaient la charrue ; les jeunes filles gardaient les troupeaux. Dans la saison des grands travaux, tout le monde mettait la main à l'oeuvre ; mais ce temps passé, les membres de cette estimable famille n'étaient pas attachés à la glèbe comme des mercenaires; ils se donnaient des loisirs, se permettaient des délassements honnêtes, et spécialement celui de la chasse : éloignés du tumulte et de la corruption des villes, ils avaient conservé cette pureté de moeurs, cette simplicité, cette loyauté, cette franchise, cette droiture qui sont si rares de nos jours ; ils faisaient l'aumône à tous les pauvres qui se présentaient à leur porte, leur donnaient au besoin l'hospitalité, obligeaient tous ceux qui réclamaient leur service ; aussi dans tous les environs ils étaient connus, estimés et aimés de tout le monde.

Ce fut au sein de cette honorable famille que naquit, le 21 mars 1754, M. Jolivet (Philippe), dont nous allons esquisser la notice. Ce fût là qu'il passa les premières années de sa vie, et qu'il suça avec le lait ces premières leçons de vertu qui laissent des traces si profondes dans l'âme neuve et impressionnable de l'enfant. La famille Jolivet avait, depuis longtemps, donné des prêtres à l'église, et deux de ses membres étaient encore à cette époque dans le saint ministère : M. Antoine Jolivet, curé de SaintValentin, né en 1724 et mort en 1790; et M. Philippe Jolivet, curé de Saint-Bonnet, qui fut confesseur de la foi, et dont nous nous proposons d'écrire la notice. Ce fut le curé de Saint-Valentin, oncle du jeune Philippe, homme un peu excentrique, mais fort instruit, qui se chargea de son éducation, et qui l'initia à l'étude des langues. Le jeune disciple avait de l'intelligence et l'amour de l'étude, en sorte que, malgré l'irrégularité des leçons qu'il recevait, il fit des progrès si rapides qu'à l'âge de 14 ans il se trouva en état de se présenter au petit séminaire et de suivre les cours de philosophie. Après une année de logique et une année de physique, il passa en théologie, et malgré son jeune âge, il y obtint des succès si marqués qu'à l'âge de 18 ans il fut nommé répétiteur de théologie, et pendant cinq ans il remplit cette charge avec distinction. Les études sérieuses qu'il fut obligé de faire pour se tenir à la hauteur de sa mission lui firent naître l'idée de prendre des grades. Il se présenta devant la Faculté, soutint une thèse brillante sur les sacrements en général, et fut reçu bachelier en théologie. Il avait préparé sa thèse de licence, mais je ne sais quelle circonstance l'empêcha de se présenter. Ordonné prêtre à Pâques 1778 , il fut nommé vicaire de Vierzon le 20 août de cette même année, et il y exerça pendant, quatre ans les fonctions du saint ministère.

Pour inspirer aux jeunes ecclésiastiques l'amour des fortes études et les exciter à prendre leurs grades , la pragmatique sanction tenue à Bourges


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en 1438, dans la grande salle du palais du duc Jean, avait établi que les deux tiers des bénéfices seraient laissés à la libre collation de l'ordinaire et que l'autre tiers serait accordé aux gradués. Ce sage règlement souffrait dans l'application de grandes difficultés. Pour couper court à ces inconvénients , le concordat de Léon X et de François Ier régla l'exercice de ce privilége. Il détermina que quatre mois seraient affectés aux gradués : janvier, avril, juillet et octobre, et que dans ces quatre mois deux seraient spécialement, affectés aux gradués nommés. Car on distinguait alors deux espèces de gradués, les gradués simples qui n'avaient d'autre titre que leurs grades, et les gradués nommés qui outre leurs grades avaient la recommandation spéciale d'une université. Pour jouir du privilége que lui accordait le concordat, le gradué jetait ses grades sur un bénéfice, et devait, avant la vacance, envoyer à l'ordinaire ses diplômes, et faire dresser acte de cette insinuation par un notaire apostolique (de Bengy, tract. de Benef. n. 93. Durand de Maillane, art. gradués). Si le titulaire venait à mourir dans les huit mois réservés à l'évêque, c'était le patron qui présentait et l'évêque qui nommait. S'il mourait dans les deux mois affectés aux gradués nommés, janvier et juillet, le patron perdait son droit de présentation, le gradué nommé avait un droit rigoureux sur le bénéfice, l'évêque était obligé de le nommer, en sorte qu'on appelait ces deux mois, mois de rigueur. Si le titulaire venait à mourir dans les deux autres mois affectés aux gradués, avril et octobre, le patron était libre de présenter un gradué simple ou un gradué nommé, on appelait ces deux mois, mois de faveur. Usant de son privilége, M. l'abbé Jolivet, avait jeté ses grades sur un canonicat de la cathédrale, dont le titulaire était à peine âgé de 50 ans. Malgré son âge peu avancé il mourut au commencement de 1782, dans un mois de rigueur. M. le curé de Saint-Bonnet s'empressa de donner avis à son neveu de la vacance dû canonicat sur lequel il avait jeté ses grades. Le jeune vicaire de Vierzon se rendit à Bourges et alla trouver Mgr Phelypeaux pour réclamer ce bénéfice, mais Sa Grandeur en avait déjà disposé en faveur de M. Dupin de la Maison Rouge qui était parent de l'honorable famille de Bonnault, et qui avait aussi jeté ses grades sur ce canonicat. Le jeune bachelier dans son entrevue avec Mgr l'archevêque lui expliqua que M. Dupin de la Maison Rouge ayant accepté un canonicat de Saint-Ursin en vertu de ses grades , et ce canonicat valant plus de 400 fr. de rente, il y avait réplétion, selon le langage du droit canonique, qu'il était suffisamment pourvu aux termes de la pragmatique sanction § quoad si quis, et aux termes du concordat §quoad volumus, et que lui seul avait droit au bénéfice. Mgr Phelypeaux prenant la question sous un autre point de vue, lui dit qu'à son âge il ne voulait pas être chanoine. M. Jolivet répondit qu'en effet il préférait un ministère actif, mais qu'une chance heureuse


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l'ayant favorisé, en lui faisant recueillir le fruit des pénibles travaux qu'il s'était imposés pour obtenir ses grades, il désirerait que Sa Grandeur lui accordât une position équivalente. Mgr ne crut pas devoir faire droit à sa demande. Le jeune abbé ayant porté cette réponse à son oncle, le vénérable curé de Saint-Bonnet vint à son tour trouver Mgr l'Archevêque et insista vivement sur les droits de son neveu : il lui fut impossible d'obtenir pour lui une position équivalente au canonicat. Voyant que toutes ses instances étaient inutiles, M. le curé de Saint-Bonnet déclara à Sa Grandeur que tout en conservant pour elle le plus profond respect, il se trouverait dans la pénible nécessité de conseiller à son neveu de revendiquer ses droits et de porter l'affaire devant le Parlement. Le jeune vicaire cédant aux conseils de son oncle s'y détermina à regret. L'affaire fut donc portée devant le Parlement, et M. le vicaire de Vierzon se rendit à Paris le 1er octobre 1782 pour suivre son affaire et plaider lui-même sa cause'. Il y resta plus de six mois pendant lesquels il exerça les fonctions de vicaire à Saint-Nicolas-desChamps. Bien qu'il eut emporté de Bourges des lettres testimoniales conçues dans les termes les plus favorables, M. le curé de Saint-Nicolas qui était un homme instruit, ne voulut l'admettre à exercer le saint ministère sous sa direction qu'après lui avoir fait subir un examen. M. l'abbé Jolivet alla le trouver à sa maison de campagne, et il racontait souvent que cet examen qu'il passa devant le savant curé était le plus sérieux qu'il eût passé de sa vie. L'examinateur fut satisfait de l'examiné, l'accueillit avec bonté et lui témoigna pendant tout son séjour à Paris la plus grande bienveillance. M. l'abbé Jolivet plaida lui-même sa cause devant le Parlement, fit valoir que le canonicat qu'il revendiquait était la juste rémunération du travail qu'il s'était imposé pour obtenir ses grades, que son concurrent était suffisamment pourvu, et il gagna son procès. A cette époque les communications entre Bourges et Paris étaient encore très difficiles, il n'y avait pas d'autre service organisé que celui du véhicule qu'on appelait le carrosse de voiture, et le trajet ne se faisait qu'en sept jours. Impatient de se rendre au sein de sa famille, l'abbé Jolivet crut qu'il gagnerait du temps en achetant un cheval, mais il fut indignement trompé par un maquignon qui lui vendit un cheval, avec lequel il eut grande peine à arriver chez ses parents. Après avoir passé quelques jours au sein de sa famille, M. Jolivet vint dé nouveau trouver Mgr l'Archevêque qui l'accueillit avec beaucoup de bienveillance et qui lui répéta ce qu'il lui avait dit l'année précédente : « Mais à votre âge vous ne voulez pas être chanoine ? » L'abbé Jolivet avait un droit incontestable au canonicat : s'il y eût mis de la raideur, s'il eut exigé qu'on le mît en possession de sa prébende, Mgr Phelypeaux aurait été obligé de déposséder M. Dupin de la Maison Rouge, et c'eût été très désobligeant pour Sa Grandeur: M. l'abbé Jolivet comprit parfaitement


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l'embarras dans lequel Mgr l'Archevêque allait se trouver, et sans se prévaloir de sa position qui était bien meilleure que l'année précédente, il répondit, comme la première fois, avec une simplicité et une déférence qui l'honorent, qu'il renoncerait volontiers à son canonicat, si Sa Grandeur voulait bien lui offrir dans lé ministère actif une position équivalente. Mgr lui proposa la cure de Saint-Doulchard dont le titulaire, M. Buchet, âgé et infirme, désirait se retirer du ministère mais à condition que son successeur lui ferait une pension de 2,000 fr. sur les revenus de la cure qui étaient alors de 6,000 fr. L'abbé Jolivet accepta cette proposition. Le curé de Saint-Doulchard était archiprêtre de Bourges. « La cure de Saint» Doulchard qui s'appelait autrefois Victoria ou Ampeliacum, dit Catherinot, » est annexée à l'archiprêtré de Bourges. » (Sanctuaire du Berry, p. 15). Au synode l'archiprêtré de Bourges avait une place distinguée, il siégeait immédiatement après les vicaires généraux, les abbés et les archidiacres. « L'évêque, est-il dit dans l'ancien rituel de Bourges, se met sur le trône » qui lui est préparé, ayant à ses côtés les grands vicaires, les abbés, les » archidiacres et l'archiprêtré de Bourges, » (2e partie p. 120). Mgr l'Archevêque négocia avec M. Buchet l'affaire de sa démission et le 23 avril 1783, M. Jolivet fut envoyé en possession de la cure de Saint-Doulchard où il ne vint fixer sa résidence que le 1er janvier 1784. Ainsi fut terminée, à sa grande satisfaction, comme il le disait lui-même, une des affaires les plus pénibles et les plus désagréables de sa vie.

Lorsque M. l'archiprêtre de Bourges fut fixé dans sa petite paroisse de Saint-Doulchard, il y trouva peu d'aliments à son zèle. Comme il était actif et studieux, il employait ses loisirs à composer des sermons et venait souvent prêcher à Bourges où il était avantageusement connu. Il y prêcha le panégyrique de sainte Solange, en 1783, peu de temps après sa nomination à la cure de Saint-Doulchard. Plus tard il vint y prêcher les panégyriques de sainte Ursule et de sainte Angèle, sans doute chez les dames Ursulines où ces deux saintes sont en honneur. En 1786, il prêcha le panégyrique dé. saint Augustin dans cette célèbre chaire qui subsiste encore dans la rue des Augustins et où Calvin prêcha pour la première fois sa funeste doctrine. Nous avons sous les yeux ces quatre sermons qui sont très remarquables pour le fonds et pour la forme. Voici un fragment de son panégyrique de saint Augustin, qui donnera une idée du talent du savant archiprêtre :

« Oserai-je dans ce jour destiné à célébrer les vertus de ce saint docteur, retracer les vices qui déshonorèrent sa jeunesse. Mais du haut du ciel Augustin lui-même désavouerait les louanges que je lui donne, si craignant de flétrir sa gloire, j'ensevelissais dans un timide silence les dons du Seigneur. Je ne jetterai donc point un voile flatteur sur des égarements qui


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n'ont servi qu'à donner un nouvel éclat à sa sainteté. Né avec un coeur sensible, Augustin aima le plaisir : il ne trouvait de goût qu'à la lecture de ces livres frivoles et pernicieux qui versent dans le coeur le poison des passions les plus coupables. Il ne se plaisait qu'au théâtre, il aimait à s'attendrir au récit d'une aventure fabuleuse et des larmes feintes faisaient couler de ses yeux des larmes véritables... Il sentait un feu séditieux s'allumer dans son coeur, et pour que sa raison ne lui fit pas entendre une voix importune, il courait avec une nouvelle fureur se repaître des spectacles, des lectures qui l'avaient allumé, il volait au-devant du trait qui allait le percer ; il devenait enfin ce qu'il avait voulu être, l'esclave d'un amour insensé... l'amour de la gloire se joignait à l'amour des plaisirs... le nombre de ses erreurs répondit au nombre de ses vices.

» Le laisserez-vous encore longtemps, Seigneur, courir dans les voies de la perdition ? Une mère en pleurs vous demande le salut de son fils, serezvous insensible aux larmes de Monique? L'homme n'est-il pas entre vos mains comme l'argile sous la main du potier? Faites partir, Seigneur, un de ces traits brûlants qui pénètrent jusqu'au fond du coeur... Ciel ! mes voeux sont exaucés. La grâce touche ce coeur rebelle. Augustin vient à Milan, il brûle d'envie d'entendre saint Ambroise, il se mêle à la foule de ses auditeurs. La lumière brille à ses yeux, mais la volonté résiste encore. Une voix du ciel se fait entendre : « Prends et lis, » lui dit-elle. Il ouvre les Epîtres de saint Paul, il y trouve sa condamnation, il est changé... Anges du ciel réjouissez-vous ! Tendre Monique essuyez vos larmes. Ambroise, soleil radieux qui touchez à votre couchant, disparaissez, un nouvel astre se lève et éclairera le monde chrétien. »

On voit par ce fragment que le curé de Saint-Doulchard était tout à la fois un excellent logicien, un homme d'imagination et un parfait orateur.

Tout en se livrant à la prédication de sa paroisse et dans la ville de Bourges, M. le curé de Saint-Doulchard s'occupait en même temps de l'éducation de l'un de ses neveux, et il le faisait travailler avec un petit ramoneur qui lui avait paru intelligent, et qu'il avait recueilli chez lui. Lorsque la révolution éclata, M. Jolivet refusa le serment de la constitution civile du clergé et resta néanmoins à Saint-Doulchard où il ne lui avait pas été donné de successeur. Il ne prêta ni le serment civique, ni le troisième serment, qu'on appelait le serment d'égalité et de liberté, prescrit par le décret du 14 août 1792. A cette époque, il fut dénoncé au comité révolutionnaire de Bourges, et il eut à peine le temps de se dérober à ses poursuites pour se réfugier au sein de sa famille. Et quel fut son dénonciateur ? Ce fut, comme il n'arrive que trop souvent, un homme qu'il avait comblé de ses bienfaits, ce même ramoneur qu'il avait arraché à la misère, recueilli chez lui, et qui, après avoir reçu quelque instruction de son bienfaiteur.

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s'était établi dans le bourg. Le nom de cet infâme délateur, dont la famille existe encore dans le pays, nous est parfaitement connu, mais nous le tairons, car il ne mérite que d'être enseveli dans le plus profond oubli comme sa noire ingratitude. Ce fut le 17 août 1792, que M. le curé de SaintDoulchard quitta sa paroisse.

En arrivant au Grand-Malleray, il y trouva son oncle, M. le curé de Saint-Bonnet, et M. Goumet, curé de Saint-Caprais, qui étaient venus y chercher un asile. Ils restèrent tous les trois, pendant l'espace de trois ans, cachés, dans, le dessus d'un toit à porcs, où ils respiraient constamment l'odeur infecte qu'exhalent ces animaux immondes, et où la chaleur les suffoquait pendant l'été, et le froid les glaçait pendant l'hiver. Quelle dure captivité! que d'ennuis à dévorer! Dans ce triste réduit, M. Goumet, homme d'une grande vertu, mais d'une grande simplicité, employait son temps à dévider du fil ; M. l'archiprêtre de Bourges étudiait la théologie, le droit, la médecine, lisait en un mot tous les livres qui lui tombaient sous la main. En quittant Saint-Doulchard, il avait apporté une vaste malle pleine de livres. Ne sachant où la cacher, il avait imaginé de l'ensevelir dans le gros tas de fumier qui se trouvait au milieu de la cour. Lorsqu'il fit retirer cette malle, quelques mois après, les livres étaient tout pourris, tout perdus. Ce fut une grande perte pour lui dans la Circonstance. Le peu de livres qu'il avait pu conserver, il les lisait très péniblement, car l'obscure retraite qu'ils habitaient n'était éclairée que par une petite fenêtre de dix centimètres de largeur sur trente de hauteur. Un jour que l'un des captifs s'était approché de la petite ouverture pour respirer un peu, un des enfants de la maison qui vit encore aujourd'hui, et qui n'était pas dans le secret, à cause de son jeune âge, l'aperçut, et ne sachant qui c'était, il prit des pierres et se mit à les lancer vers la fenêtre, en sorte que pendant tout le temps que dura l'émission de ces projectiles, les pauvres captifs, pour les éviter, furent obligés de se serrer dans les recoins de leur étroite prison. Lorsque la mère du curé de Saint-Doulchard préparait leur repas, les enfants qui n'étaient pas initiés au secret, lui demandaient pour qui elle préparait ces mets. C'est pour ton grand-père, leur répondait-elle, et en effet, elle lui en donnait les prémices, puis un instant après, sous prétexte d'aller donner à manger à ses volailles, elle portait le reste aux pauvres captifs. Ce n'étaient pas seulement les enfants qui n'étaient pas dans la confidence, chose extraordinaire, le père du curé de Saint-Doulchard lui-même ignorait que son fils était caché chez lui. C'était un si brave homme, un homme si droit, si franc, d'une conscience si timorée que s'il avait été dans la confidence, lorsque les démocrates seraient venus pour l'arrêter, et lui auraient demandé si son fils était chez lui, il aurait répondu qu'il y était. Quelquefois ce brave homme demandait, comme les enfants, pour qui on préparait tel ou tel


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mets, et on lui faisait la même réponse qu'aux enfants. Et tandis que le père de notre généreux confesseur ignorait sa présence, les ouvriers qui travaillaient dans la maison, spécialement les nommés Baboin et Penaud dont les familles existent encore, étaient dans le secret et ne l'ont jamais trahi. Aussi la famille Jolivet leur en a toujours témoigné sa reconnaissance; on les regardait comme de la famille, on les invitait à toutes les fêtes, le jour de l'an, pour les tondailles, pour les noces, et on conserve toujours de l'estime pour leurs descendants;

Outre les souffrances corporelles, les pauvres captifs enduraient de grandes souffrances morales. M. Jolivet répétait souvent depuis, que ce qui le tourmentait le plus, ce n'était pas la crainte continuelle d'être arrêté ni les dangers personnels qu'il courait, son sacrifice était fait, mais, c'étaient les périls auxquels il exposait sa famille, la déportation, la confiscation de tous ses biens, la mort même, à une certaine époque. En pensant à tous ces malheurs qui pouvaient en un instant fondre sur sa famille, son âme en était navrée de douleur; aussi, disait-il souvent qu'il avait été plus malheureux que ceux qui avaient émigré, et que s'il avait pu prévoir ce qui était arrivé, il n'aurait pas hésité à prendre le chemin de l'exil.

Ce fut dans cette triste retraite que M. l'archiprêtre de Bourges apprit que M. l'abbé Bouchard, curé d'Augy-sur-Aubois , avait prêté serment. M. l'abbé Bouchard, né à Ménétréol-sous-Sancerre, avait été professeur de philosophie à l'université, il s'était fait recevoir docteur en théologie, et de l'aveu de tous ses contemporains, c'était le sujet le plus distingué du diocèse. Intelligence subtile et pénétrante, jugement droit et sûr, élocution facile, aptitude pour la discussion et pour la chaire, il réunissait toutes les qualités qui constituent l'homme supérieur. En 1791 M. Bouchard refusa le serment de la constitution civile et resta encore quelque temps à Augy. Il y fut arrêté en 1792 au moment où il célébrait les saints mystères, conduit à Sancoins et de là à Sainte-Claire. Mais bientôt pour obtenir sa liberté il prêta tous les serments qu'on exigeait alors. M. Jolivet racontait souvent que quand il avait appris que M. Bouchard avait prêté serment, sa foi en avait été ébranlée. Mais bientôt il fit cette réflexion : on vit de règles et non d'exemples , et il reprit aussitôt sa courageuse fermeté. Du reste, lorsque la paix fut rendue à l'église, M. Bouchard reconnut ses torts, mena une vie très austère pendant de longues années et mourut dans de grands sentiments de pénitence.

Après avoir passé toute la journée dans l'étroit réduit où ils étaient obligés de rester pour ainsi dire immobiles, les pauvres captifs éprouvaient le besoin de sortir quelquefois pendant la nuit pour prendre l'air et faire un peu d'exercice. Un jour que M. l'archiprête de Bourges était sorti et se dirigeait vers la forêt par le chemin de Saint-Ambroix , il fut accosté par


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un individu qui avait une cognée à la main. C'était un homme des environs, qui avait été élevé par sa famille, mais qui s'était jeté dans le parti révolutionnaire. La conversation s'engagea sur les événements du temps. Cet homme se mit à déblatérer contre les nobles et contre les prêtres, puis il ajouta : « On dit que ce Coquin de Jolivet est là au Grand-Malleray, si je l'avais trouvé je lui fendrais la tête avec ma cognée. » Ce compliment n'était pas fait pour amuser beaucoup M. l'archiprêtre, il détourna adroitement la conversation et demanda à son interlocuteur de quel côté il se dirigeait, puis à la première bifurcation de route, il quitta ce compagnon de voyage dont la société et la conversation lui étaient médiocrement agréables.

Les dimanches M. l'archiprêtre disait la messe de grand matin sur une arche où il plaçait une pierre sacrée. Il avait une petite coupe consacrée qu'il adaptait sur le pied d'un chandelier et qu'il pouvait facilement cacher et emporter avec lui. M. Bonnault de Villemenard de Sancé et M. Bonnaultd'Houet y venaient souvent entendre la messe longtemps avant le jour. Ce même individu, dont nous parlions tout à l'heure, s'en aperçut et alla dénoncer M. Jolivet, Peu de jours après, quatorze gendarmes commandés par le brigadier Servantier, frère du curé insermenté de Sens-Beaujeu, arrivèrent au Grand-Malleray. Sa famille le crut perdu. M. l'archiprêtre les vit arriver et en les examinant par la petite fenêtre de son triste réduit, il crut reconnaître parmi eux un jeune homme auquel il avait fait faire la première communion à Vierzon lorsqu'il y était vicaire. Pendant qu'on mettait les chevaux des gendarmes à l'écurie, et que l'on préparait des rafraîchissements, un dés parents du pauvre captif vint le trouver dans le toît à porcs où il était ce jour là avec M. le curé de Saint-Caprais, pour se concerter avec eux sur les moyens d'échapper à ce danger. « Si je ne me trompe, dit M. l'archiprêtre, je connais le plus jeune de ces gendarmes. C'est un excellent jeune homme à qui j'ai fait faire la première communion et qui peut nous rendre service ; faites en sorte de le prendre à part, de lui demander d'où il est, comment il s'appelle, et si c'est lui, trouvez quelque moyen de l'amener ici. » Il ne s'était pas trompé. On questionna le jeune gendarme et on acquit la certitude que c'était bien celui que M. Jolivet avait connu à Vierzon. On l'amena sous je ne sais quel prétexte dans le toît à porcs. Une trappe s'ouvrit, on descendit l'échelle dont on se servait pour porter les repas des pauvres captifs, le jeune militaire y monta et là il se passa une scène des plus attendrissantes. Le jeune militaire reconnut le prêtre qui l'avait instruit et qui avait été plein de bonté pour lui, il l'embrassa avec effusion et se mit à fondre en larmes. « O mon Dieu, s'écria-t-il, c'est donc vous que je venais arrêter et qu'on m'avait peint comme un homme si dangereux, ne craignez rien, ajouta-t-il, je vous sau-


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verai, dût-il m'en coûter la vie, » En effet, après le déjeûner, les gendarmes commencèrent leurs perquisitions ; le jeune gendarme se chargea d'explorer la partie du bâtiment où se trouvaient nos deux confesseurs, il fit de grandes démonstrations de fureur, enfonçant son sabre nu dans les meules de paille et de foin, mais on ne trouva rien. Honneur à cet excellent jeune homme auquel M. Jolivet a toute sa vie témoigné une vive reconnaissance, et dont la famille regrette de ne pas se rappeler le nom pour le consigner avec éloge dans cette notice.

Peu de temps après, le même individu ayant signalé une seconde fois sa présence aux administrateurs du département, une troupe de démocrates furieux, de sans-culottes, de délégués de la société populaire et du comité de salut public, vinrent au nombre de quarante pour l'arrêter. Un voisin qui était tout dévoué à la famille, les ayant aperçus, vint en toute hâeé avertir la famille. « Si votre parent est ici, leur dit-il, il est perdu : voici une troupe de quarante personnes qui viennent à coup sûr pour l'arrêter : ils arrivent, dans un quart-d'heure ils seront ici. » Il n'y avait pas un instant à perdre; on court bien vite en donner avis au pauvre captif qui ce jour-là était seul. « Il n'y a qu'un parti à prendre, dit-il, donnez-moi bien vite des vêtements déchirés et une besace sale avec quelques petits morceaux de pain dedans, je vais essayer de me faire passer pour un pauvre. » En un instant le déguisement fut opéré. M. Jolivet portait habituellement une longue barbe et des habits de paysan : il passe bien vite par dessus ces vêtements une blouse de toile blanche, comme les gens de la campagne en portaient alors, il prend de gros sabots, un chapeau tout usé, sa besace et un gros bâton sur lequel il s'appuyait en boitant et en trébuchant et il quitte la maison. En homme d'intelligence et de résolution, au lieu de chercher à s'esquiver par le chemin opposé à celui par lequel arrivaient tumultueusement ceux qui venaient pour l'arrêter, il se dirige de leur côté, à l'exemple de saint Athanase qui, poursuivi sur le Nil par les satellites de Julien l'apostat, fit diriger sa barque en sens inverse et alla passer près de ceux qui le cherchaient. Arrivé au milieu des délégués de la Société populaire, M. Jolivet tire son chapeau, il le leur tend d'une main tremblante et contrefait si bien l'homme qui a une affection nerveuse, qu'ils le prirent tous pour un mendiant et déposèrent dans son chapeau un franc trente ou trente-cinq centimes. Il fallait qu'il sût bien jouer son rôle, car il n'était pas encore âgé de quarante ans. Dès qu'il se fut dérobé à leurs regards, il se mit à hâter le pas et se rendit au plus vite dans la forêt. Quelques instants après qu'il eut passé au milieu de cette troupe bruyante et furibonde, l'un de ceux qui en faisaient partie prédit à ses compagnons qu'ils ne trouveraient pas celui qu'ils venaient chercher, ajoutant que c'était lui qu'ils venaient de rencontrer. Heureusement la Providence permit que cette pen-


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sée ne lui vint qu'après le passage de M. Jolivet. Toutes les recherches qu'ils firent au Grand-Malleray furent inutiles : convaincus qu'il ne tarderait pas à revenir, ils y passèrent la nuit et presque toute la journée du lendemain, et pendant tout ce temps il fallut leur donner tout à discrétion : ils burent un tonneau de vin, dépeuplèrent toute la basse-cour, consommèrent les provisions de tout genre de cette honnête famille : encore n'osait-on pas se plaindre, bien heureux d'en être quitte à si bon marché. Enfin de guerre lasse ils se décidèrent à partir le lendemain soir. Le beaufrère de M. l'abbé Jolivet courut bien vîte l'avertir que l'orage était passé et qu'il pouvait rentrer à la maison. Pour l'avertir on allait déposer une pierre au pied d'un arbre qui se trouvait au bord de la forêt. Plusieurs fois pendant la journée le pauvre fugitif était venu passer près de cet arbre et n'y trouvant pas la pierre convenue, il retournait bien vite au milieu des bois. Enfin le second jour, à la nuit tombante, il trouva la pierre au pied de l'arbre et se rendit à la maison exténué de fatigue, car il n'avait eu pour vivre pendant deux jours et une nuit que les deux petits morceaux de pain qu'il avait emportés dans sa besace, et comme il ne pensait pas que les délégués de la Société populaire dussent rester si longtemps chez ses parents, il avait mangé les deux petits morceaux de pain dès le premier jour, en sorte qu'il éprouva les horreurs d'une faim dévorante toute la nuit pendant laquelle il ne prit aucun sommeil, et le second jour tout entier. Il racontait souvent qu'il avait cruellement souffert de la faim, mais que ce n'était rien en comparaison de ce qu'il avait souffert de la soif. Vers le milieu du second jour, après avoir épuisé inutilement tous les moyens d'apaiser cette soif brûlante, n'y pouvant plus tenir, il était sur le point de sortir du bois malgré le péril auquel il s'exposait, pour aller boire au Cher ou à l'Arnon qui sont l'un et l'autre fort éloignés de la forêt, lorsqu'il se rappela tout à coup que dans un bas fonds situé à plusieurs kilomètres du lieu où il se trouvait, il y avait toujours de la fraîcheur. Il s'y rendit sur-le-champ, et eut le bonheur d'y trouver un peu d'eau au fond d'un pas de boeuf. Au comble de la joie, il se préparait à boire de cette eau stagnante et à moitié corrompue, lorsque tout à coup il aperçoit au fond de cette eau deux énormes Crapauds. Son premier mouvement fut un mouvement de. répulsion, il recula d'horreur, mais le besoin fait passer par-dessus bien des répugnances, il alla couper deux branches aux arbres voisins, enleva les deux crapauds, puisa, avec l'un des gros sabots qu'il avait pris pour se déguiser, cette eau trouble et fangeuse, et la but jusqu'à la dernière goutte. Que de sacrifices ! que de souffrances ! il en coûte pour rester fidèle à son devoir. Les perquisitions devenant trop fréquentes au Grand-Malleray, M. l'archiprêtre résolut de quitter la maison paternelle. Il écrivit à deux vieilles demoiselles de Vierzon, Mlles Larrivé, bonnes et excellentes filles qu'il


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avait connues pendant son séjour dans cette ville et leur demanda l'hospitalité. Elles y consentirent bien volontiers malgré tous les dangers auxquels elles s'exposaient et il fut convenu qu'à tel jour donné, elles viendraient au-devant de lui vers minuit, à l'entrée du bois d'Yèvre, c'est-àdire à peu près à l'endroit où se trouve aujourd'hui la bifurcation des chemins de fer de Bourges et de Châteauroux. Au jour convenu, M. l'archiprêtre partit du Grand-Malleray à la chute du jour et se dirigea sur Vierzon, mais c'était en hiver, la terre était couverte de neige et de verglas; on marchait très péniblement, en sorte qu'au lieu d'arriver, comme il l'espérait, au milieu de la nuit, il ne se trouva au lieu indiqué qu'après l'aurore. Ces saintes filles s'y étaient rendues vers minuit et malgré la rigueur de la saison, elles y avaient passé le reste de la nuit dans la plus cruelle anxiété. Lorsque M. l'archiprêtre arriva, elles lui firent observer qu'il était un peu tard, que. plusieurs boutiques étaient ouvertes, qu'on le verrait entrer chez.elles et que, comme il avait exercé le saint ministère à Vierzon, quelqu'un pourrait le reconnaître. II trouva ces observations justes, et se résigna à attendre jusqu'au soir. Il passa toute la journée dans le petit bois d'Yèvre sans rien prendre, si ce n'est une goutte d'eau-de-vie qu'il avait apportée dans un petit flacon de cristal. Comme le froid était assez intense et l'atmosphère humide, pour se réchauffer il fut obligé de marcher constamment du matin au soir, craignant à chaque instant que quelqu'un le voyant rôder toute la journée dans ce bois ne soupçonnât qui il était et ne le fit arrêter. M. Jolivet a souvent dit que c'était l'un des jours où il avait le plus souffert. Enfin la nuit arriva, les deux bonnes demoiselles vinrent de nouveau au-devant de lui. Il était transi de froid, mourant de faim et exténué de fatigue, ayant marché la nuit et le jour tout entier avec de gros sabots sans prendre aucune nourriture : l'une de ces demoiselles lui prêta sa capote qu'il jeta sur. ses épaules et il se bâta de se rendre chez, elles. On le vit entrer, et quelques heures après une de leurs voisines vint les avertir que tout le monde dans la ville disait qu'elles avaient un prêtre chez elles, qu'on l'avait vu couvert d'une capote, en sorte que le pauvre fugitif, qui avait à peine soupe et qui se préparait à prendre un repos, dont il avait si grand besoin, fut obligé de partir et d'aller chercher un gîte chez une autre personne de sa connaissance, Mme Penigault. Au bout de quelques jours, il se rendit au château de Houet, paroisse de Lapan, chez M. de Bonnault, qui lui donnait une courageuse hospitalité malgré le danger qu'il y avait alors à cacher un prêtre. II se trouvait heureux au sein de cette! excellente famille, qui lui prodiguait toute espèce de soins, et où il avait la consolation de pouvoir tous les jours célébrer les saints mystères dans la chapelle du château.

Ce fut sans doute pendant cette absence prolongée que les gendarmes


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vinrent mettre les scellés chez ses parents. Le brigadier était un M. Auclerc, excellent homme qui laissa à ces braves gens le temps d'enlever tous les papiers compromettants. Les membres de la famille Jolivet lui furent extrêmement reconnaissants de cet acte de bienveillance et comme ils étaient tous excellents chasseurs, ils organisèrent peu de temps après une partie de chasse et tuèrent un chevreuil dont ils lui firent présent.

La mort de Robespierre étant arrivée sur ces entrefaites (26 juillet 1794), un frère de la doctrine chrétienne avec lequel M. Jolivet se trouvait depuis longtemps en connaissance intime et qui faisait souvent le voyage du GrandMalleray pour le tenir au courant des nouvelles du jour, le frère Lucain, s'empressa de venir lui faire part de cet événement et des espérances que tous les gens de bien en concevaient. M. Jolivet et sa famille ont toujours conservé au frère Lucain une vive reconnaissance des services qu'il leur avait rendus : après la révolution, lorsque M. Jolivet était curé de Vierzon, le bon frère allait souvent lui rendre visite et il était toujours, accueilli comme un sincère ami. A la mort de Robespierre, la persécution se ralentit et M. l'archiprêtre put rentrer au sein de sa famille. Ce fut à cette époque qu'il fut choisi par la commune de Mareuil pour ministre du culte catholique. Il obtint secrètement des pouvoirs de M. l'abbé Gassot, vicaire général, qui n'avait pas émigré et qui était constamment resté caché à Bourges où il rendit d'immenses services. Mais la persécution recommença le 3 brumaire an IV (25 octobre 1795) et le département du Cher rendit un arrêté le 7 brumaire (29 octobre 1795) qui enjoignait aux districts de faire conduire à Sainte-Claire les prêtres qui d'après les lois de 1792 et de 1793 étaient sujets à la déportation et à la réclusion. M. Jolivet était atteint par la loi du 3 brumaire et par l'arrêté du département. Il écrivit le 3 novembre au président du. conseil du département une lettre

conçue en ces termes :

« Mareuil, 12 brumaire, 4e an républicain.

» CITOYEN PRÉSIDENT, » Je viens à l'instant d'entendre lire un arrêté du département, en date » du 7 courant, par lequel il est enjoint aux districts, de faire conduire à » Sainte-Claire, les prêtres qui d'après les lois de 1792 et de 1793, étaient » sujets à la déportation ou à là réclusion. Il parait par cet arrêté que la » loi du 3 brumaire ( 25 octobre 1795 ) n'atteint que les prêtres qui n'ont » point fait le serment de liberté et d'égalité. Je n'ai point fait ce serment, » et j'ai ignoré jusqu'au moment où je me cachai pour me soustraire à la » déportation que j'avais encourue par le refus du 1er serment de 1790 , » la loi qui prescrivait ce serment de liberté et d'égalité. Cette loi ne fut » ni publiée, ni enregistrée, ni même reçue dans la commune de Primelles, » lieu de mon domicile d'alors. Est-il juste, citoyen, que je sois puni


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» maintenant pour n'avoir point satisfait aux dispositions d'une loi que je » ne connaissais point et qui n'a été ni publiée ni enregistrée. Je vous » proteste que je n'ai connu cette loi que par le témoignage de l'infortuné » prêtre Goumet, qui fuyant comme moi la persécution vint me trouver » dans le triste réduit où nous avons passé trois ans, et où j'étais dans » l'impossibilité morale de faire ce serment, me trouvant hors la loi. Je » vous prie, citoyen, de me dire si je suis dans le cas de l'art. 2me de » l'arrêté ci-dessus. Si cette loi du 3 brumaire me regarde, je me rendrai » aussitôt après votre réponse à la maison Sainte-Claire. J'ai fait la sou» mission aux lois de la république, et rien dans ma conduite ni dans mes. » discours n'est opposé à ma profession de foi politique. Si vous pouviez » en douter, je vous produirais le témoignage de toute la commune de » Mareuil qui m'avait choisi pour ministre du culte. Je vous demande » instamment une réponse sur la question que je vous propose.

» Je joins ici un certificat de la municipalité de Primelles d'où il résulte » que la loi qui prescrivait le serment d'égalité et de liberté n'est point » parvenue dans cette commune qui était mon domicile.

» Salut et fraternité.

» JOLIVET,

» Ministre du culte catholique de la commune de Mareuil. »

On voit par cette lettre dont le ton est grave et sérieux que M. Jolivet ne craint pas de dire qu'il a refusé le premier serment, qu'il s'excuse de n'avoir pas prêté le serment d'égalité et de liberté, sans dire néanmoins qu'il est disposé à le prêter. Sa lettre est très mesurée, tous les termes paraissent en avoir été pesés de manière à ne pas froisser les idées des administrateurs du département et à ne s'engager cependant à' rien de contraire à ses convictions religieuses ni politiques. Les administrateurs du département répondirent verbalement au porteur de la lettre « que M. Jolivet devait se rendre à Sainte-Claire. » Il ne crut pas devoir déférer à Cette réponse verbale et dut se cacher comme par le passé au Grand-Malleray et dans les environs!

Le 15 prairial, an IV de la république (3 juin 1796), la municipalité de Chârost écrivait aux administrateurs du département : « Citoyens, en » exécution de la lettre que vous nous avez écrite, en date du 17 floréal » dernier (6 mai 1796), qui nous enjoint de vous faire passer les noms et » prénoms de deux prêtres qui étaient ci-devant curés des communes de » Primelles et de Mareuil, ainsi que leurs signalements, vous les trou» verez ci-joints :

» Philippe Jolivet, ci-devant curé de Mareuil, natif de Malleray, com» mune de Primelles, âgé de 40 ans (il en avait 42), taille de cinq pieds

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» cinq pouces, cheveux et sourcils châtains, yeux bleus, nez long et aquilin, » front découvert, visage maigre marqué de petite vérole..

» Jean-Baptiste Déséglise, ci-devant curé de Primelles, etc.

» Nous y joignons aussi les noms de ceux de Chârost et de Poisieux, « Louis Olivier curé de Chârost, et Claude Mallard, Curé de Poisieux, pour » ne s'être pas conformés à l'art. 17 de la loi du 7 vendémiaire dernier » (29 septembre 1795). »

On répondit à la municipalité de Chârost qu'il fallait envoyer ces signalements à la gendarmerie. M. Jolivet ne fut pas arrêté immédiatement, car M. le curé de Mareuil, son neveu, a trouvé tout récemment dans son bréviaire une petite image sur laquelle étaient écrits ces mots : « J'ai été » conduit en prison à Bourges le 17 novembre 1797 et j'en suis sorti le » 30 décembre 1797. »

Il fut arrêté au Grand-Malleray par le brigadier Servantier. Pendant les quarante-deux jours de sa captivité, il n'avait pour se coucher que de la paille broyée où il voyait pulluler la vermine. Une personne de sa connaissance lui ayant procuré un plumeau pour le débarrasser de ces insectes dont il était couvert et qui le dévoraient, il lui en fut extrêmement reconnaissant ; il passait la plus grande partie de la journée à leur faire la guerre. Enfin il eut le bonheur d'obtenir sa liberté le 30 décembre 1797 et il retourna à Mareuil.

Pendant la troisième période de la persécution, il fut encore obligé de se cacher : ce fut à cette époque qu'il passa cinq jours à Dampierre chez dom Le Maine, ancien religieux de Chezal-Benoist, qui l'accueillit avec beaucoup de bonté.

A la réorganisation du culte, M. Jolivet qui était avantageusement connu de l'autorité, fut nommé curé de Vierzon, le 12 décembre 1802 et fut mis en possession de cette cure par M. Girolet, curé de Méry. Par son zèle, par la gravité de son caractère, par ses bons exemples, il répara le mal qu'avait fait dans la paroisse la défection de son prédécesseur, qui avait prêté tous les serments exigés des prêtres pendant la révolution de 1793. Vers la fin de sa vie, ce malheureux prêtre qui s'était retiré dans le diocèse de Limoges, dont il était originaire, reconnut ses erreurs et revint à de meilleurs sentiments. M. Jolivet l'ayant appris, l'annonça publiquement en chaire pour réparer le scandale qu'il avait causé. Notre courageux confesseur de la foi exerça le saint Ministère à Vierzon jusqu'en 1818 où ses infirmités l'obligèrent à donner sa démission. Ces infirmités consistaient en un tremblement nerveux et un cancer au nez dont il avait, dit-on, été atteint pour s'être imposé la privation du tabac. En quittant Vierzon, il se retira à Mareuil dans une maison de famille, située près du presbytère, et aujourd'hui convertie en maison d'école. Ce fut là qu'il mourut le 3 avril 1824.


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M. l'archiprêtre de Bourges était un homme d'un caractère sérieux, ferme et austère. C'était un travailleur infatigable. Il se levait de grand matin, et longtemps il desservit seul la paroisse de Vierzon, qui comptait alors 8 à 9,000 âmes; chaque dimanche il prêchait habituellement deux fois et faisait en outre le catéchisme après vêpres. Nous avons sous les yeux plusieurs canevas de ses instructions : ils sont bien divisés et écrits d'une main ferme et sûre, sans aucune correction, sans aucune rature. II notait au bas de la page le jour où il les avait prêchés. Les sujets en sont parfaitement choisis, c'est la médisance, le vol, les soins que les maîtres doivent prendre du salut de leurs serviteurs. Ces canevas indiquent qu'il s'occupait activement de son ministère, et qu'il était d'une scrupuleuse exactitude à en remplir les devoirs.



ORDONNANCES DE POLICE

DE

LA VILLE DE BOURGES DE 1502, INÉDITES,

PUBLIEES

Avec les notes de M. BOYER,

MEMBRE TITULAIRE.



En 1854, M. Geffroy, professeur à la Faculté des lettres de Bordeaux, reçut de M. le ministre de l'instruction publique une mission à l'effet de rechercher dans les archives et bibliothèques de Suède et de Norwège les manuscrits et documents relatifs à l'histoire et à la littérature de France. Le rapport qu'il adressa à M. le ministre sur les résultats de cette exploration a été publié presque entièrement au tome IV des Archives des missions scientifiques et littéraires, année 1856.

Dans la description que M. Geffroy y donne des MSS. d'origine française qui se trouvent aujourd'hui à la bibliothèque royale de Stockolm, on lit cette indication : ( p. 282 )

« 19°. — Les anciennes coustumes de Lourrys. - Coustumes de Meungsur-Eure. — Ordonnances faictes sur le faict de la polisse de la ville de Bourges, etc., manuscrit in-folio, probablement du commencement du XVe siècle ; contient en outre plusieurs édits et ordonnances de nos rois. »

Cette mention, qui signalait un livre d'origine évidemment berrichonne et intéressant à un haut degré notre histoire locale, frappa un des membres de la Commission historique du Cher. Si l'indication était exacte, les ordonnances que le manuscrit contenait, remontant au XVe siècle, auraient précédé sans doute, ou tout au moins suivi de près, le grand incendie de 1487, qui dévora, comme on sait, les archives municipales de Bourges. L'occasion s'offrait donc de compléter une lacune dans les annales du gouvernement intérieur de notre cité.


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La Commission reçut connaissance de ce fait, et, appréciant toute l'importance de ce document, émit le voeu qu'on réclamât auprès de M. le ministre communication du manuscrit lui-même, ou, si l'on ne pouvait obtenir l'original, copie des pièces qu'il contenait.

En conséquence, M. le Préfet du Cher, président né de la Société, fut prié de vouloir bien se faire auprès de Son Excellence, l'interprète du désir exprimé par la Commission, et grâce à son obligeante intervention, le gouvernement français ayant obtenu de la Suède la communication du manuscrit en question, il fut adressé à la Commission qui put prendre communication de son contenu.

Disons, avant tout, que la date attribuée au manuscrit dans le rapport sus-indiqué est inexacte, et que la transcription des pièces qu'il renferme ne remonte pas plus haut que le milieu du XVIe siècle (de 1530 à 1540 probablement). Une erreur typographique a sans doute, dans le travail de M. Geffroy, dénaturé le chiffre primitif. Mais, même avec cette correction, le livre est encore précieux pour nous, car nous verrons que la partie des documents qui nous y intéresse particulièrement était encore inédite, la date d'émission des actes qui les composent précédant d'assez loin l'époque à laquelle ils ont été transcrits.

Mais d'abord il faudrait peut-être rechercher comment ce manuscrit a pu quitter notre vieille province pour se réfugier dans les Etats Scandinaves. Y a-t-il été porté par quelques-uns de nos émigrés protestants de 1685, que les royaumes du nord accueillirent avec tant de bienveillance ? J'aimerais mieux croire qu'il fit partie de l'héritage de la reine Christine dont les richesses en ce genre sont bien connues. Sa superbe collection de livres, recrutée à grand frais dans toute l'Europe, se composait en grande partie d'imprimés et de manuscrits français qu'elle avait fait acheter en France, à différentes reprises. Des bibliothèques entières s'étaient ainsi trouvées transportées de Paris à Stockolm, entre autres la bibliothèque Pétau (1) et une partie de celle de Mazarin, vendue en 1651 par les ordres du Parlement, après son expulsion. Il est vrai que postérieurement elle restitua au car(1)

car(1) Pétau, célèbre antiquaire, conseiller au Parlement de Paris et auquel on doit des dissertations latines sur la numismatique, la chronologie et l'histoire. Sa bibliothèque fut une des plus remarquables en France à la fin du XVIe siècle, et il est constant qu'elle possédait des manuscrits provenant de Bourges et intéressant nos antiquités. On cite parmi ceux-ci le livre de vélin où étaient peintes les armoiries des chevaliers de Notre-Dame de la Table-Ronde de Bourges, ainsi que nous le voyons par la notice que M. Chevalier de Saint-Amand a consacrée à celte singulière institution. Qu'est devenu ce manuscrit ? A-t-il fait le voyage de Suède avec celui que M. Geffroy nous a fait retrouver, et pouvons-nous espérer d'avoir à son sujet le même bonheur de rencontre ?


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dinal la majeure partie des manuscrits provenant de cette dernière acquisition, et que, lorsqu'elle vint résider sur le continent après son abdication, elle emporta avec elle la presque totalité de ses trésors d'art et de bibliographie, qui, par suite de son dernier séjour à Rome, allèrent enrichir la collection du Vatican. Il est probable cependant qu'elle laissa plus d'un volume derrière elle, et que les manuscrits français, assez nombreux, qui se retrouvent dans la bibliothèque actuelle de Stockolm, proviennent en grande partie de cette source.

Quant à reconnaître dans quelle bibliothèque de France le nôtre pouvait se trouver lorsqu'elle en fit l'acquisition, c'est ce que rien ne peut nous permettre de faire sûrement aujourd'hui. Vient-il de Pétau, de Mazarin, du maître des requêtes Gaumin, dont Christine acheta aussi les livres, ou bien sort-il de la bibliothèque de Gérard Vossius, dont le fils, Isaac, devenu bibliothécaire de cette reine, lui fit la cession (1 ) ? Le dut-elle à Naudé ou à Saumaise, qui furent également ses bibliothécaires, c'est ce qu'on ne saurait dire. Aucun de ces noms ne s'y retrouvent inscrits, comme cela eut dû avoir lieu suivant l'usage habituel des possesseurs de livres de cette époque, si la couverture primitive, et sans doute en parchemin, portait quelque indice en ce genre, il a disparu, une reliure nouvelle ayant été substituée à l'ancienne. Nous trouvons seulement dans le corps de l'ouvrage, à deux reprises, une signature qui nous a paru être celle du copiste, car cette signature est de la môme époque que le corps de l'écriture des pièces parmi lesquelles elle se rencontre. C'est celle de Jehan Bindé, avocat, qui se trouve aux f°s 65 et 66. Ce Jean Bindé fut échevin de Bourges en 1530 et 1531, c'està-dire peu d'années avant qu'il ne transcrivit notre manuscrit. Les armes qu'il prit par suite de cette entrée en charge étaient d'azur à une fasce à devise d'argent, accompagnée de trois besans d'or en chef et d'un taureau passant de même en pointe (2). Je pense que c'est le môme que des litres de 1528 désignent comme conseiller du roi et lieutenant du bailli de Berry au siége de Vierzon. Il paraîtrait de plus qu'il aurait professé le droit en notre université; j'ai trouvé dans les archives communales deux certificats signés par quatorze étudiants de la faculté de droit sous les dates du 4 mars et 4 décembre 1511, attestant que durant ladite année ils ont suivi les lectures publiques, tant de droit civil que de décret (droit canonique), faites aux grandes écoles « par honorables hommes et saiges Mes Jacques Mareschal

(1) Ce fut Isaac Vossius qui lui fit ses acquisitions de livres en France. Le rapport de M. Geffroy contient d'excellentes indications sur la formation de la bibliothèque de Stockolm et en particulier sur celle de la reine Christine qui y tient une grande place.

(2) La Thaumassière , Hist. p. 179. — Chaumeau, p. 206. — Chaudière. Privil2e part, p. 25.

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et Jehan Bindé, licenciez en loix. » Je crois devoir faire remarquer à cette occasion que ces titres ne sont pas une garantie de grande science. A l'époque dont il s'agit, notre université fondée depuis un quart de siècle seulement, végétait encore, et rien ne faisait pressentir l'éclat que devait acquérir sa faculté de droit une vingtaine d'années plus tard à partir du moment où Alciat vint y occuper sa chaire. Les professeurs en étaient d'une honnête médiocrité. Comme Jean Bindé n'a laissé aucune autre trace de son existence qui soit à notre connaissance, nous nous dispenserons d'insister davantage sur son compte.

Une ordonnance royale de 1531, dont nous reparlerons et qui occupe la fin du volume, montre qu'il ne doit pas être d'une date plus récente. Bindé l'aura transcrite à cet endroit l'année même où il sortit de l'échevinat et au moment sans doute de sa promulgation. L'écriture de cette pièce est plus négligée que celle des autres, mais nous ne croyons pas que cela indique une main différente. Seulement le reste était probablement écrit déjà à la date de 1531 ; mais tout tend à prouver, l'écriture comme le reste, que les autres pièces n'ont pas été écrites avant 1530.

Cela dit, passons à l'examen du manuscrit et de ce qu'il contient :

C'est un volume petit in-f° comprenant 74 feuillets, dont 58 seulement foliotés à diverses époques, — Les matières le composant et dont on a vu la désignation dans l'article du rapport de M. Geffroy que nous avons cité, sont rangées ainsi qu'il suit :

1° La coutume de Lorrys, f°s 1 à 32;

2° La coutume de Mehun, f°s 32 à 45 ;

3° Dénombrement des baillages et sénéchaussées royales et archevêchés de France, f° 45 à 47;

4° Ordonnances de police de la ville de Bourges, de l'année 1502, fos 48 à 54;

5° Lettres par lesquelles le Roy Françoys premier de ce nom a réuny toutes les aliénations du domaine faictes tant par luy que ses prédécesseurs Roy s de France, f°s 54 à 58.

En 1531, puisque c'est à cette date qu'il faut au plus tard rapporter la confection de ce livre, il n'existait aucune impression des coutumes qu'il nous conserve. La coutume de Lorrys, dont on imprima des commentaires dans la dernière moitié de ce siècle et au commencement du suivant (ceux notamment de Charles Dumoulin et d'Antoine Lhoste), était la coutume réformée à Orléans en 1530 (1). L'ancienne coutume, ainsi que celle de

(1) On lit dans notre manuscrit, en tête de la coutume de Lorrys et en guise d'avertissement, les lignes suivantes : « Na. Que plusieurs pays, baronnies et chastellies (sic), estans en Berry, comme Sancerre, Montfaulcon, La Chapelle, sont régis par les


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Mehun-sur-Yèvre, qui n'avait pas encore reçu non plus les honneurs de l'impression, ne se trouvaient donc qu'en manuscrit dans le cabinet de ceux qui se livraient à l'étude de l'histoire et des lois, et il fallait recourir à leur obligeance pour en avoir communication. La Thaumassière, qui a souvent collationné plusieurs textes, cite d'ordinaire les manuscrits auxquels il s'est reporté en nommant les personnes auxquelles il en devait la communication. Jamais il ne cite celui de Bindé, preuve que ce manuscrit n'était plus à Bourges en 1679, époque de l'impression des Coutumes locales (1).

Le manuscrit qui a servi à l'historien du Berry pour faire imprimer son édition de la vieille coutume de Lorrys lui avait été communiqué, à ce qu'il nous apprend, par son ami Barré, qui le tenait de Cholet, avocat au parlement (2). En confrontant le texte de La Thaumassière avec le manuscrit de. Stockolm on s'aperçoit que celui-ci est plus ancien et que l'autre a été en quelques endroits rafraîchi par des retouches de style plus moderne.

En outre, le premier est bien plus complet que le second, outre qu'il contient un grand nombre d'articles qui ne se trouvent pas dans l'autre, il renferme le préambule et les lettres de rédaction de Charles VIII. La copie de Me Bindé prouve d'ailleurs peu en faveur de sa science ou de son soin, car elle fourmille de fautes, soit que ces fautes lui soient dues, soit qu'elles se rencontrassent déjà dans les copies antérieures dont il a pu se servir pour confectionner la sienne. La version de Stockolm n'offre donc que cet intérêt de curiosité que présente un manuscrit par son ancienneté, mais elle ne semble d'aucune utilité à être consultée, puisque celle de La Thaumassière la contient corrigée des erreurs qui la défigurent et augmentée des * lacunes qui s'y trouvent.

anciennes coustumes de Lourrys, et la refformation nouvelle qui a esté faicte à Orléans en l'an mil cinq cent et neuf ne se extend et n'a lieu que au dedans des fins et limites du bailliage et duché d'Orléans : — et a esté jugé par arrest de la court de parlement en l'an mil cinq cent XXX pour les sieurs de Charentoyne (Charentonay), près Sancergue, selon la coustume ancienne dud. Lorrys, qui faict bien à noter. » (V. pour cette étendue du ressort de l'ancienne coutume, La Thaumassière, Cout, loc, p. 675 et suiv. et Raynal, t. 1er, p. LXVII).

(1) A cette époque, Christine de Suède vivait à Rome, où elle mourut dix ans plus lard. Son abdication est de 1654; il y aurait donc eu longtemps déjà que le volume avait quitté la province.

(2) Voici, sur ce Barré et sur ce Cholet ce qu'on lit dans l'avertissement de l'Histoire de Berry du même : « M. Barré, conseiller au présidial de Bourges et M. Cholet, receveur des consignations, m'ont communiqué les mémoires de M. Cholet, homme fort savant dans les antiquités de notre province. » M. Chevalier, de SaintAmand, a consacré dans sa biographie berruyère un article à l'avocat Jacques Cholet dont il est ici question (V. Annonces berruyères, 1838, n° 6).


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Pour ce qui est de la coutume de Mehun du même manuscrit, c'est une copie inférieure également à celle donnée par La Thaumassière. Mais, comme cette coutume, d'un ressort très restreint, n'a pas reçu la publicité de celle de Lorrys, et qu'il n'en existait assurément pas autant d'exemplaires en manuscrit avant l'impression de nos coutumes locales, on peut mieux retrouver l'origine de la copie qui s'en est conservée dans le manuscrit de Stockolm.

La Thaumassière dit à la fin de la sienne (1 ) qu'il a usé de l'exemplaire de Guillaume de Boisrouvray, avocat à Bourges, et il ajoute qu'il en existait de son temps un autre exemplaire entre les mains de Jean Decrosses,

prévôt de Mehun, « auquel, dit-il, le proesme est tel qu'il en suit » Et

ce proesme, c'est-à-dire l'introduction et l'épilogue, est celui de notre manuscrit. Cette différence entre les deux versions de la même coutume se trouve expliquée par une note du même commentateur qui nous apprend que nous avons là la première rédaction de cette coutume. Si donc ce n'est pas l'exemplaire de Decrosses lui-même qui existe à Stockolm, ce qu'on ne pourrait affirmer, c'est au moins une des rares copies qui en ont été prises.

Ces coutumes ayant été publiées et en meilleur état que ne nous les offre ce manuscrit, nous n'y insisterons pas davantage ; l'intérêt pour nous n'est pas là, il est dans les ordonnances de police de Bourges de 1502.

La date à laquelle elles furent rendues constitue leur principal mérite. Je n'en connais pas qui remontent à cette époque dans nos archives municipales. Il s'en faut que les registres des délibérations de nos anciennes assemblées nous renseignent sur les premières années de ce siècle (2), et quant aux copies d'ordonnances séparées existant dans les cartons, elles ne partent guère que de la moitié du XVIe siècle. Sans doute les matières qui ont donné lieu aux ordonnances en question en ont provoqué postérieurement d'autres de môme nature, et qui sont, pour ainsi dire, l'amplification des premières; mais, par cela même, il n'est pas sans intérêt de retrouver, ne fut-ce que de vingt ans en avant, des titres de notre législation municipale qui permettent d'établir les comparaisons de ce qu'elle fut alors, avec ce qu'elle devint plus tard, et de découvrir les additions et modifications que

(1) Cout. loc, p. 389.

(2) Ces registres ont malheureusement été l'objet d'un pillage qui ne s'explique guère plus qu'il ne se justifie. De ce qui précède 1572 , à part un fragment comprenant 1511-1512, et si horriblement mutilé par la dent des rats qu'il est presque impossible d'y rien lire, il ne nous reste qu'un mince cahier de notes qui va de 1554 à 1562, et qui, tout précieux qu'il soit en l'absence des procès-verbaux eux-mêmes, n'offre souvent que des renseignements trop incomplets.


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des soins plus scrupuleux apportaient avec le temps aux mesures de sûreté et. de précaution que renferment ces titres.

Tels sont les motifs qui nous portent à publier aujourd'hui ces ordonnances de 1502. Les notes dont nous les avons accompagnées, lorsqu'il y avait lieu, ont pour but de constater, soit les circonstances au milieu desquelles elles ont paru, soit les modifications que les arrêtés postérieurs de notre mairie ont pu faire subir successivement à leur forme primitive.

Un mot d'abord sur la forme dans laquelle elles ont été rendues. Aux termes de nos plus anciennes coutumes le corps de la ville était investi de tout droit de gouvernement sur la cité : la police dans tous ses détails relevait uniquement de lui. Ses membres avaient même en certains cas le droit d'appeler à eux les causes civiles et mêmes criminelles de la bourgeoisie, droit qui alla s'affaiblissant de plus en plus, en sorte que le maire demeura principalement juge de police. Lorsqu'en 1471 Louis XI mit la prévôté en charge (1), il empiéta sur ce droit de juridiction policière de nos maires ; et ce fut plus tard le sujet de fréquents conflits entre le juge royal et les juges bourgeois. Mais, pour être partagée sur ce point, l'autorité de la magistrature municipale n'en persista pas moins, et par ses lettres-patentes en date de 1491, Charles VIII la reconnut et la détermina nettement. On y lit que le maire et les échevins « auront par prévention aucthorité, puissance, jurisdiction et contrainte en lad. ville et faux-bourgs touchant le fait, estat et police de lad. ville. C'est assavoir touchant les réparations des ponts, portes et chaussées, curement et nettoyement de lad. ville, sur la forme des édifices qui se feront de nouvel en lad. ville par surprinse des rues publiques, faire contraindre à faire puits, citernes, amas et provision d'eaües, et autre choses pour obvier aux inconvéniens de feu, ou autres inconvéniens qui pourront survenir en lad. ville, sur les fautes et abuz des mesures et moultures des meusniers, sur le faict du poix de pain des boulengers ; et sur les chairs et poissons des bouchers et poissonniers, regratiers et revendeurs de vivres, et sur toutes choses concernant victuailles en lad. ville ; sur le bois, charbon, fagots, tumbereaux, tuille, sable, chau, latte, carreau, et sur toutes autres matières concernant le faict de la réédification de lad. ville et police d'icelle. Et aussi de contraindre à faire guet, porte, eschauguette, arrière-guets tous ceux qui de droit et ancienne usance y seront tenuz, toutes fois et quantes que par le Roy nostre souverain seigneur ou ses officiers leur sera ordonné (2). »

De cette double fonction judiciaire et administrative de la mairie résultaient deux sortes d'assemblées à l'Hôtel-de-Ville : celles de juridiction et

(1) Cout. loc, p. 335. Notes.

(2) Chenu, Priviléges, p. 123-4.


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celles d'administration. Les premières, où le corps de ville, constitué en tribunal, appréciait les délits qui tombaient sous sa compétence, avaient lieu deux fois par semaine, ainsi que les assemblées ordinaires du conseil qui se tenaient le lundi et le jeudi, et où les magistrats municipaux décidaient des affaires de la cité en se faisant assister de 32 conseillers, le conseil municipal d'alors, qu'on convoquait spécialement à cet effet (I). Le maire en était, comme aujourd'hui, le président-né; mais, dans le cas où les circonstances devenaient importantes, comme, lorsque par exemple l'ordre politique était troublé, lorsqu'il s'agissait de voter des emprunts, etc., il y avait convocation extraordinaire des conseillers auxquels on adjoignait les notables et les principaux corps de la ville. En ces occurrences le clergé y avait même ses représentants, rappelant ainsi les premiers temps de l'église où l'évêque étant le protecteur de la cité, les clercs prenaient une part importante aux délibérations de la curie. Cependant, il fallait pour cela des circonstances spéciales, soit qu'on eût recours au trésor de l'église, comme aux temps de pestes, de famines et autres calamités, soit que la religion menacée fit se resserrer contre le danger commun tous les ordres de la société, comme aux temps des guerres religieuses. A part cela les assemblées extraordinaires ne se composaient guère que de laïques, qui étaient le bailli ou son lieutenant général, investis d'ailleurs du droit de présider en tout temps les assemblées de la ville (2), la noblesse, les corps judiciaires, le corps de ville tout entier, les conseillers municipaux , les chefs des communautés de métiers et autres notables extraordinairement appelés. Alors la présidence était dévolue au bailli, ou à son défaut, à son lieutenant (3).

La promulgation d'un ensemble de nouvelles ordonnances de police rentrait dans la catégorie des causes motivant à l'Hôtel-de-Ville la présence des hautes magistratures, ce qui nous indique le préambule des nôtres.

Maintenant, qui avait motivé les ordonnances elles-mêmes? C'est assurément ce qu'il est le plus difficile de dire. Les renseignements qu'on a sur

(1) Les réunions du conseil de ville n'ont pas toujours eu lieu aux mêmes époques. Âuxvie siècle et au XVIIIe on les voit se réunir les mercredis et samedis ; au commencement du XVIIIe, les lundis et jeudis. Enfin , plus tard , les assemblées ne tinrent plus qu'une fois par semaine : le vendredi d'abord, puis le samedi. Les heures mêmes de convocation changèrent. Elles étaient à huit heures du matin aux XVIe et XVIIe siècles ; au XVIIIe, les réunions n'eurent plus lieu qu'à 2 heures de l'après-midi.

(2) Aux termes de l'ordonnance de Crémieu, les baillis ou leurs lieutenants présidaient de droit les assemblées de police des villes ayant bailliage et présidial, ainsi que celles d'élection des corps ville. Enfin c'est devant eux que devaient se rendre les comptes annuels du receveur des deniers communs et des octrois.

(3) La Thaumassière, Hist. II, 10-11. — Raynal, VII, 4.


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cette année 1502 restent muets à cet égard, à part quelques faits de nulle importance, Bourges paraît avoir joui durant ce temps d'un calme profond. Les événements de la guerre d'Italie, qui sont pour nous les plus saillants de cette époque, ne devaient avoir qu'un retentissement modéré dans un pays aussi central que le Berry, qu'ils ne touchaient à pareille distance que d'une façon tout à fait générale. Au plus devaient-ils motiver de temps à autre par notre ville le passage des négociateurs et des courriers se rendant à la cour de France ou en revenant. Mais ces événements n'ont rien à voir avec notre affaire.

Un fait qui toucha de plus près nos compatriotes fut le séjour de la duchesse Jeanne dans nos murs où elle venait ensevelir son triste veuvage. Elle jetait alors les fondations de l'Annonciade, et sa présence amena peutêtre un surcroît d'activité dans les mesures de réglementation générale. Pour ce qui est des prescriptions de salubrité, on les comprend mieux : Bourges, comme nous le dirons, venait d'être visité par la peste.

Ces ordonnances sont loin, d'ailleurs, de représenter la totalité de celles qui réglaient la police de cette époque. Ainsi on est étonné de n'y pas retrouver celles qui embrassaient les dispositions à prendre pour prévenir les incendies. Depuis le sinistre de 1487, la ville vivait dans une telle appréhension de feu qu'elle ne cessait d'apporter la plus grande surveillance aux risques qui pouvaient motiver ses ravages. C'est de cette époque que date assurément certaine ordonnance qui ne nous est pas parvenue et qui défendait de couvrir dorénavant les maisons en aissis ou bardeaux. J'en dois la connaissance aux comptes du receveur de la ville pour cette même année 1502, où je trouve la mairie en procès avec un propriétaire de la rue de Bréviande, qui avait couvert de la sorte sa maison voisine des Soeurs de Sainte-Claire. « Dont led. Malgon fut par mesd. sieurs les Maire Eschevins ou leurs successeurs condampné en l'amende, telle que de raison, et led. essil declaré estre brûlé en ensuivant les ordonnances de lad.; ville sur ce faictes. » Et nous pouvons affirmer que par la suite ces dites ordonnances ne furent pas mieux exécutées, nous ne nous souvenons pourtant pas de les avoir vu renouvelées.

Donc, à défaut d'autres, contentons-nous de celles qui nous parviennent aujourd'hui et donnons-leur la publicité à laquelle elles ont droit.


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Ordonnances faictes sur le faict de la pollisse de la ville

de Bourges.

S'ENSUYVENT les ordonnances faictes par nous, Jehan Sallat (1), licencié en loix, Conseiller du Roy nre Sire, lieuttgénéral de noble homme messire Gilbert Bertrand chevalier, seigneur du Liz Saint-George, Bienmagrée et du Chastellier, conseillier, chambellant ordinaire du Roy nre Sire, Bailly de Berry (2), par la délibération dez Lieutenant à la conservatoire royalle, Prévost, Âdvocat et Procureur du Roy (5), Mayre et Eschevins, Àdvocats et Procureurs en l'audictoire (4), Bourgeoys , manants et habitans de la ville de Bourges, assemblés sur ce en grand nombre pour le bien de la pollisse et chose publicque touchant les poincts et articles qui s'ensuyvent.

(1) « Jean Salat, sieur de Nuysement et Vizy, a été lieutenant-général depuis 1490 jusqu'en 1506. Il a été depuis maître des requêtes et président au Parlement de Tholose, et Maire de Bourges, ezannées 1491, 1493,1496-97, 1504, 1511 et 12. » (La Thaumassière, Hist. 1. 42.)

(2) Gilbert Bertrand fut bailli de Berry, de 1498 à 1505. (id. I. 41). Bienmagrée parait être ici la même chose que Piedmagrée, localité du Bas-Berry.

(3) Ces officiers furent en 1502 Jean Fradel, sieur de Loye, lieutenant particulier-, Guillaume Chambellan, prévôt ; Pierre Dubreuil, avocat du roi; Bernardin Bochetel, procureur du roi. (id. I, 45-49).

(4) Le corps de ville en 1502 se composait des membres suivants : Gilles Pain, maire ; Bernardin Bochetel, Philippe de Sauzay. Hemery Gentils et Etienne de Cambray, échevins ; Jacques de Treignac, Jean Gaudon et Pierre de Blois, avocat, procureur et greffier de la mairie. Claude Pichonnet était alors receveur des deniers communs.


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I. DES BOULANGIERS.

ET PREMIÈREMENT, pour ce que les boulangiers et panetiers de ladicte ville de Bourges et faulxbourgs par cydavant se sont doluz et plainctz qu'ils ne pouvoyent ne scavoyent et ne pourroient ne scauroient faire la miche et pain blanc et bys du pois que ( voulaient ) lesdicts Mayre et Eschevins ausquels appartient de toute anciennetté bailler led. poix, qui estoit de dix huict onces pour ledict pain blanc qui estoit de deux deniers tournoys et du bis à l'équipollant quant le fromant ne valloit et ne vault pour moyen pris du marché et poyrier d'icelle ville que la somme de deux sois six deniers tourn. tant à cause de ce que quant l'ordonnance dud. poix selon ledict pris fust faicte , n'y avoit si grand cherté tant de boys que de louage de maisons, serviteurs, et aultres choses nécessaires à boulangerie qu'il y a de présent en ladicte ville, au moyen de quoy iceulx boulangiers ne pouvoient bonnement servir de,leur mestier ladicte ville en chose publicque et avoient requis par plusieurs foys que essaye fust faict en ceste matière affin que le poix dud. pain blanc et bis selon le pris que vauldroit ledict blé audict marché et poyrier fust ordonné en manière que doresnavant n'y eust ne sortist desbat question ny difficulté à la cause dessus dicte ou que led. poix leur fust diminué et mys à seize ou dix-sept onces pour lad. miche et pain blanc et pour le bis à l'équipollant. Et aussi lesd. procureurs et aultres nous eussent remonstré que lesdicts boulangiers, panetiers et pasticiers commectoient plusieurs faultes et abuz en la vente des farines et qu'ils vendoient la pincte plus qu'ils ne debvoient en regard au pris de lad. miche, tellement que le boisseau de blé qui ne leur coustoit que deux sols six deniers tourn. ou troys sols t. le vendent en faryne huict ou neuf sols t. et avec ce bien sou29.

sou29.


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vant ne cuysoient point de pain, qui estoient choses grandement dommageables à la chose publique. AVONS ordonné et ordonnons que doresnavant lesd. boulangiers et panetiers de ladicte ville et faulxbourgs d'icelle feront miche et pain blanc de deux deniers tourn. de poix tresbuschant de dix sept onces et le pain bis au fur et à l'équipollant de bon blé bien cuyt bien pannetté sans aulcune diminution dud. poix quant led. blé vauldra audict poyrier et marché pour moyen pris deux sols six deniers tourn. pour le boisseau sur peyne de admende pour la première foys et pour la seconde d'estre pugnys corporellement (1).

(1) Les réclamations de la boulangerie auxquelles on satisfait dans cet article dataient de quelques années déjà, car nous voyons par le compte du receveur de la ville pour 1500-1501 la mairie faire payer à l'échevin Jacques Ârroussard la somme de 75s. 4d. tournois, « pour le rembourser de semblable somme qu'il a baillée comptant pour savoir comment on se gouvernoit à Lyon, Millan et ailleurs touchant le poix du pain , parce que les boulengiers de ceste dicte ville vouloient gormander mesdicts srs les Maire et Eschevins d'icelle touchant le poix du pain. » Du reste on ne s'était pas trop pressé à leur accorder satisfaction.

Celle ordonnance nous renseigne d'ailleurs sur les différentes sortes de pain alors en usage à Bourges; elles étaient au nombre de trois : miche, pain blanc, pain bis. Ces trois sortes de pain paraissent dater de loin avec des noms qui varient suivant les siècles. Ce n'est pas qu'on n'en rencontre parfois un plus grand nombre de variétés. Une taxe du pain dans notre ville, dont je ne puis préciser la date, parce que cette date n'est pas indiquée au registre des statuts de nos métiers, dans lequel je trouve le titre, mais qu'à sa forme je juge devoir être au moins de la fin du XIVe siècle, nomme la miche de chapitre (*) la demimiche , le pain vasselleur et le gros pain comme fabriqués à Bourges à cette époque. Dans le même temps on avait à Paris, le pain de Chailly, le pain faitis,

(* ) « Ce qu'on appelle pain de chapitre, dit Savary , dans son Dictionnaire (V° PAIN) , est comme le pain mollet du pain chaland, » Ce nom lui vient de ce que primitivement c'était la qualité du pain distribué chaque jour aux chanoines. ( Cf. Ducange, v° Panis canonicus.) C'est dans le même sens qu'on a dit plus tard le

pain de Carmelines ou Carmelites. Les boulangeries des monastères et des communautés ecclésiastiques étaient de longue date en mesure de fournir les plus beaux échantillons de pâtisserie. Quant au pain chaland c'était un pain très blanc fait de pâte broyée. Rien n'a pu me renseigner sur la signification de pain vasselleur.


— 227 — Item que lesdicts boulangiers, pannetiers et pasticiers qui

le pain de Brode, et le pain de pot, qui paraissent revenir au même. Deux siècles plus tard ces quatre variétés se représentent sous les noms de miche, pain jaunet, pain mollet et pain bis (*). Mais il faut dire qu'en général on ne reconnaissait guère que. trois espèces de pain, le reste tombant dans le domaine de la fantaisie qui n'avait accès que chez les riches et nobles faisant fabriquer chez eux. Encore ne faudrait-il pas parler des, années de disette où la fabrication de tout pain de luxe était prohibée, comme nous en pourrions citer des preuves pour 1571 où l'on interdit la miche, pour 1573. où c'est le tour du pain jaunet, pour 1623 qui voit défendre le pain mollet et le pain de Carmelines. Le poids, du pain ne fut fixé à Paris pour ja première fois que par une ordonnance de 1372, au moins n'en entend-on pas parler auparavant, bien que ce poids servit à en déterminer le prix. Mais ce prix , il faut le dire, se fixa longtemps arbitrairement, et ce n'est que sous Charles VII qu'on songea à l'établir sur la mercuriale des grains en le renouvelant à peu près hebdomadairement. On voit par. l'ordonnance de 1502 qu'on avait pris pour base de la taxe le prix du boisseau, c'est-à-dire du huitième de setier de froment à Bourges (**) , à raison de 2s. 6d. tournois, auquel taux les 18 onces de pain blanc devaient se vendre 2 den. tourn. en établissant que ce prix monterait ou descendrait proportionnellement aux modifications que pourrait éprouver celui du blé.

Cette taxe est celle qu'on retrouve établie dans les anciennes coutumes de Bourges citées par La Thaumassière à la p. 312 de ses Coutumes locales, où il dit: « Il esl assavoir que se le boisseaul de froment vault six blancs (2s. 6d.) que la miche de deux deniers doibt peser dix huict onces cuicte. » Ce qui indique que ce tarif devait être vieux, d'autant qu'il se trouve qu'il est exactement le même que celui de Paris au XIVe siècle (***).

Mais il arriva alors en France un de ces phénomènes économiques qui se reproduisent à longs intervalles, surtout dans les moments qui suivent les jours d'agitation, c'est que, sous l'influence de conditions de vie meilleures que celles du passé et d'une plus grande activité sociale qui marque la fin du XVe et

A considérer le rang qu'il tient c'était un pain de 3e qualité, et vasselleur indique évidemment son infériorité, (V. dans Ducange vassellor.)

Le pain de Chailly était un pain blanc de 18 onces. Le pain faitis on de tourte paraît revenir à peu près au pain de brodé, et l'on sait que celui-ci était un pain demi-blanc fait de froment et de seigle. (Cf. Ducange. Vis. Broda et Panis tornatus.)

(*) Rabelais, au 1. IV de son Pantagruel, qui parut de 1548 à 1552, donne à ces quatre sortes de pain le nom de pain blanc, pain mollet, pain choine (de chanoine ?) et pain bourgeois. (V. Pantagr. IV. 59.)

(**) Le setier de Paris était de dix-huit boisseaux, un tiers de plus que celui de Bourges.

( *** ) V. Depping. Notes au Livre des métiers d'Etienne Boileau. p. 459.


— 228 — vendront farynes les vendront au pris et à l'équipollent dud. pain blanc sur peine d'admende.

l'éclosion du XVIe siècle, toutes les denrées haussèrent de prix, et la valeur des espèces métalliques lendit par suite à s'abaisser. Bois, loyers , domestiques , tout, comme disaient nos boulangers, était de plus grande cherté qu'autrefois. On comprit enfin qu'ils ne se plaignaient pas à tort, et on fit droit à leur demande en leur accordant de diminuer le pain d'une once , sans en modifier le prix de vente. Le nouveau tarif porta donc que le blé étant évalué au prix de 2s. 6d. le boisseau, le pain blanc devant peser 17 onces ou un peu plus d'une livre, se vendrait 2d. t. Pour faire comprendre la valeur de cette taxe comparativement à ce qui a pu suivre ou précéder, je vais mettre en regard ce qu'il m'a été possible de connaître des taxes fixées à Bourges à diverses époques.

La première est celle dont j'ai parlé en commençant, et que je crois pouvoir arrêter à la fin du XIVe siècle. Elle établit le prix du boisseau de froment de 9s. à 11s. t. prix énorme comparativement à celui de 1502 (*) et qui signale à lui seul la différence des temps. A ce prix là miche est établie à 2d. t. et le gros pain « de seigle, de marsesche, de moudure » depuis 2d. jusqu'à 10s. t. « pour ce que certain pois n'y puet estre mis, car l'un est meilleur blé que l'autre et plus blanc, et se paneste mieux. »

Les autres taxes que je mettrai en regard de celle de 1502 lui sont toutes postérieures. Ce sont les suivantes :

NATURE DU PAIN POIDS. PRIX. NATURE DU GRAIN. MESURE. PRIX.

Taxe de 1561 ou 1586.

Miche

» 1. 9 onces. 3 d. t.

fleur de froment, boisseau. 6 s. 6d. t.

1 1. 2 onc. 6 d.

Pain jaunet. ....

1 1. 7o. 5 gros 6d. t. .

froment moyen. id. 6s. »

2 1. 15° . 2 gr. 15d.

Pain bis

1 1. 10 onces. 6d. t.

3 1.4 onces. 12d. blé mestou (méteil). id. 5s. 6d.

6 1. 8 onces. 2 s. »

Taxe de 1597,

Miche ou pain blanc

6 onces. 2 d. t.

fleur de froment. id. 5s. 12 °. 4 d.

Pain jaunet. . . . .

8 onces, 2 d. t. froment moyen. id. 5 et 6s.

Pain bis ou de gruau

12 onces. 2 d. maille.

blé mestou. id. 5 s.

(*) Ce prix du blé est celui établi également

également l'ancienne coutume dont nous

avons déjà parlé, elle parle même de la

possibilité de le voir arriver jusqu'à 20 fr.

en même temps que le prix de la miche

n'y est que d'un denier. (V. Cout. loc.,

p. 287.)


— 229 — Item que tous lesdicts boulangiers et panpetiers cuyront

Taxe de 1630.

Miche. . ... ....... 6 onces. » 10d. t. froment 1er qualité, id. 52 s.

Pain jaunet 8 onces. » 11d. maille, froment moyen, id. 27 s,

Pain bis 6 1. 8s. 8d. blé méteil. id. 22 s.

Taxe de 1717.

Miche 6 onces. » 4 d. t. fleur de froment.

Double miche 12 onces. » 8d. id.

Petit pain mollet. . . 12 onces. » 8d. id.

12s. p. 287.)

Pain jaunet. ..... 4 1. 2 s. 10d. froment moyen. 12 s. »

Pain bis blanc. . . . 6 l. 3 s.» méteil. 9 s. »

Taxe de 1739.

Miche 6 onces. » 15 d.

Pain mollet 12 onces. » 30d.

froment lite. 46 s.

Pain jaunet la livre. 2 s. 9d.

Pain bis blanc. id. 2 s. 3d.

froment moyen. 42 s.

méteil lite. 38 s.

méteil moyen. 37 s.

Quant à ce qui est du bon poids de la marchandise, on comprend que du moment où l'on prit la peine de fixer ce poids il dut toujours être une des préoccupations de l'administration. Je ne connais, parmi les ordonnances de notre mairie, que celle du 7 mai 1597, qui prescrive à nos boulangers d'avoir dans leur boulangerie une paire de balances et un poids de marc complet pour qu'on y pût peser à volonté. Mais sans nul doute ce n'était là qu'un renouvellement de prescriptions plus anciennes. En tout cas la pénalité pour faux poids en 1502 est aggravée comparativement à ce qu'elle fut d'abord. Il suffit pour s'en convaincre de mettre en présence la fin de notre article avec celui-ci de la vieille coutume de Bourges : « Item, quant lesdicts boulengiers sont trouvez en faulte, et ils ne font pas pain de poids, pour la première fois ils doivent cinq sols d'amende et le pain donné ; et pour, la seconde fois ils doivent amende prévoslelle ( prëvôtale ) ; et pour la tierce ils doivent amende aussi et estre bannis ung certain temps de leur mestier et à chascune fois le pain donné, etc. (*) «

Il n'est pas question là comme en 1502 de punition corporelle qui ne s'introduisit que plus tard. Des pièces judiciaires du XVIIe siècle nous montrent les boulangers prévaricateurs attachés au carcan à l'un des piliers du puits des Carmes. Et puis que l'on vienne dire encore que le progrès du temps adoucit toujours les moeurs !

Au surplus , il est à remarquer que dans notre ordonnance on ne parle pas encore de la marque du pain qui ne paraît s'être introduite que plus lard et dans le courant du siècle.

Cout. loc., p. 287.


— 250 —

myche et pain blanc et bis chascun jour en manière qu'il n'y en aye faulte en ladicte ville sur peine de admende corporelle (1) et ne achapteront audict poyrier et marché aulcun blé jusques à l'heure de unze heures sonnées sur peine d'admendë arbitraire pour la première foys et pour la seconde d'estre pugnis corporellement (2).

(1) La prescription qu'on rencontre ici fut depuis souvent renouvelée. L'ordonnance du 7 mai 1597, dont il a été question déjà, dit bien : « Leur enjoignant aussy sur Iesd. peines de tenir leurs boutiques bien et deuement garnies desd. trois tailles de pain, blanc , jaulnet et bis , et en faire bien et deuement cuire, préparer et paneter de la blancheur et paste qu'ils doibvent estre, et le tout tenir prest pour estre exposé en vente dès les quatre à cinq heures du matin; et en estre garniz en tout temps jusques à huict heures du soir, de sorte que le publicq n'en souffre aulcunement. » En remontant à 1573, année de disette, nous trouverions encore à la date du 13 août une sentence de la prévôté qui condamne une partie des boulangers de la ville à des amendes pour avoir contrevenu aux ordonnances de la mairie qui leur enjoint de faire pain de toute taille et poids pour en entretenir garnis leurs étaux et boutiques. Il est vrai qu'au mois de novembre suivant, la disette augmentant, les trois tailles sont réduites à deux, celles du pain jaunet et du pain bis. Enfin en deçà comme au-delà des deux époques que nous venons de signaler nous trouverions encore dans nos archives municipales des traces d'ordonnances confirmatives de celle de 1502. Cette loi sur l'approvisionnement des établissements consacrés au débit du pain s'explique assez d'elle-même pour qu'il soit inutile d'y insister davantage.

(2) C'était là un autre genre de précaution contre les coalitions possibles de la boulangerie tendant à faire hausser le prix du blé sur le marché et qui s'est maintenue jusqu'à nous. Celte mesure paraît remonter au roi Jean , qui, si l'on en croit Sauval dans son chapitre de la police ancienne des halles, défendit par ordonnance de 1350 de délier les sacs au grain dans la halle au blé qu'entre tierce et midi sur peine de confiscation. Mais de plus, à cette époque, il fallait que le boulanger achetât au marché même, au poirier, comme on disait; défense lui était faite d'acheter hors de ville, au moins aux portes et dans les rues (*).

Nous voyons ici que l'entrée du marché était livrée à la boulangerie à onze

( * ) Depuis 1443 ils pouvaient acheter « en villes et lieux forains blez et farines eu payant le priz du commun cours. » (V. le priv. accordé par Charles VII en décembre 1443 aux tallemelliers de

Bourges.— Tom. 3e des Ord. des rois de France, p. 393-94.) — Une ordonnance municipale du 2 septembre 1623 porte à deux lieues la distance autour de la ville où ils pouvaient acheter du blé.


— 251 —

II. TOUCHANT LES BOUCHIERS.

Item et pour obvier aux inconvéniens qui par cydavant sont survenuz et pourroient enquores ensuyvre au temps advenir à cause de Ce que les bouchiers vendans chairs (1) en ladicte ville et faulxbourgs rotisseurs et aultres gens vendant chairs en leurs maisons et rôtisseries (le font) sans estre visitées, dont y en a plusieurs marchandises infectes et non vendables. ORDONNONS que lesdicts bouchiers vendans chairs d'icelle ville tueront lesd. chairs aux lieux acoustumez et les vendront es boucheries et lieux publicques et non en leurs maisons (2) et ne tiendront rotisseries en leurs d.

heures. Celte heure a varié ainsi que la pénalité en cas de contravention. Aux premières années du XVIe siècle l'heure était à peu près la même que sous le roi Jean ; mais postérieurement je rencontre dans les registres de juridiction de la ville une sentence du 5 octobre 1620 confirmative de l'interdiction faite aux pâtissiers d'acheter du blé au poirier avant une heure ; et je pense que la mesure atteignait également les boulangers. L'ordonnance du 2 septembre 1623 repoussa encore plus loin l'heure de l'entrée, on y lit : « Comme aussy deffendons à tous boullangers d'entrer aux marchez où se vendent les grains sinon après une heure sonnée depuis Pasques jusques à la St. Michel, et depuis la St. Michel jusqu'à Pasques à douze heures , à peine de confiscation desdicts grains et de vingt livres parisis d'amende pour chacune contravention. »

(1) On distinguait les bouchers en bouchers non vendant chairs et bouchers vendant chairs. D'après la constitution de notre boucherie, qui ressemblait en cela à celle de Paris, ce commerce était la propriété d'un certain nombre de marchands qui en détenaient les 40 étaux répartis dans. les diverses boucheries de la ville. Ces premiers bouchers s'étant enrichis, et ayant dédaigné par suite de poursuivre la partie, en arrivèrent à louer leurs étaux et leur privilége de vente à des bouchers nouveaux qui furent dès lors les bouchers vendant chairs tandis que les autres n'avaient plus de boucliers que le titre. Je renvoie pour plus amples détails sur celte matière à mon travail sur la Boucherie et la poissonnerie de Bourges.

(2) Les lieux accoutumez à voir tuer les chairs , comme dit l'ordonnance, ne devaient pas , je le présume du moins , être ailleurs que dans les maisons desdits bouchers : du moins je ne me rappelle aucun document qui ail pu jusqu'ici


maisons ny ailleurs pour vendre leurs dictes chairs et ne exposeront en vente icelles chairs sinon qu'elles soient préallablement visitées en la manière acoustumée sur peyne d'admende arbitraire (1) et fourniront icelles boucheries de chairs en manière qu'il n'y en aye faulte en lad. ville sans en

m'indiquer l'existence de tueries ou d'abattoirs en dehors de la ville. C'est ce que confirmerait au besoin un article des règlements de salubrité fréquemment renouvelé dans ce siècle et dans les suivants et qui défend aux bouchers de jeter dans le ruisseau des rues le sang de leurs victimes. L'interdiction ne s'expliquerait plus du moment qu'on aurait tué au dehors. — Mais, si les bouchers tuaient chez eux, ils ne pouvaient vendre qu'au dehors. Ecoulons l'art. 9 du règlement du 24 mars 1595 sur ce commerce : « Leur sont semblablement faictes inhibitions et deffenses de vendre aulcunes chairs en leurs maisons ou ailleurs que aux estaulx et bouthicques ouvertes, et en aultre lieu sinon que ès boucheryes publicques , lieux destinez pour ce faire. » Ces boucheries publiques , que j'appellerai boucheries communales , résultat du démembrement de l'ancienne grande boucherie royale, étaient au nombre de trois, la grande, celle de la place Gordaine, et les deux petites, celles de la porte neuve et de la porte Ornoise (rues Porte-Neuve et du Tambourin d'argent). Mais outre celles-là, il en existait quatre autres sur lesquelles la ville n'avait d'autre droit que celui de police générale, c'était ce que j'appellerais les boucheries cléricales, elles appartenaient à l'église Saint-Ursin , au chapitre de Saint-Etienne, et aux abbayes de Saint Sulpice el de Saint-Ambroix.

(1) A qui appartenait la visite des boucheries? Ce fut un éternel sujet de conflit entre la ville et la communauté des bouchers. Ceux-ci d'une part, représentant l'ancienne boucherie du roi, ne voulaient connaître que des officiers royaux ; la mairie, d'autre part , investie formellement par les lettres de Charles VIII de 1491 du droit de visite « sur les chairs et poissons » y tenait et y tenait fort. De là des querelles de maire à prévôt, dont je ne dirai rien : de là aussi la question de savoir qui nommerait le visiteur, on voit la prétention des bouchers à cet égard, renouvelée et consacrée en dernière analyse par les statuts qu'ils se donnèrent en 1777, lorsque les communautés d'arts et métiers, un instant abolies par Turgot, se reconstituèrent après sa chute. Ces nouveaux statuts, qui ne font d'ailleurs, disent-ils, que reproduire les anciens , ont un article qui s'exprime ainsi : « Les sindics et adjoints de la communauté seront tenus de visiter les boucheries pour savoir si les viandes sont de bonne qualité et si les étaux sont suffisamment garnis pour le service du public. » Au surplus, pour ce qui est de l'origine de celte visite, je ne puis répéter que ce que j'en ail dit ailleurs : (Boucherie et poissonnerie de Bourges, p. 12. ) » Suivant les titres fournis par maîtres bouchers à la ville , dans une requête qu'ils présentèrent en 1620, la qualité de visiteur des boucheries aurait été créée en 1445 , au


— 255 —

tuer par eulx certain nombre par chascun jour sur peine d'estre pugnys corporellement (1).

Item que lesdicts rotisseurs en ladicte ville ne faulxbourgs ne vendront aulcunes chairs rotyes sinon qu'ils les ayent achaptées ès boucheries ou que lesd. chairs ayent esté visitées sur peyne de admende pour la première foys et pour la seconde d'estre pugnys corporellement (2).

mois d'août. Charles VII l'aurait accordée alors au sieur Pezenave. Le visiteur en rétribution de ses fonctions n'avait droit, pour lui et son greffier, qu'à dix deniers parisis dans la visite qu'il faisait la veille de Pâques par chaque maître boucher ou marchand de viande et poisson. La justice du maître visiteur s'exerçait à la boucherie de la place Gordaine sur le banc appelé le banc du jugement, au réquisitoire du procureur de la communauté des maîtres bouchers. L'amende, en cas de condamnation , était taxée par le bailli ou son lieutenant. En celle qualité , le maître visiteur des chairs et poisson, ainsi qu'on l'appelait, recevait ses lettres de provision du roi par le bailli entre les mains duquel il prêtait serment. » Le maire, fort de son droit de visite, voulut accaparer cette nomination ; cette prétention se manifesta dès 1520, que la ville prétendit remplacer le visiteur royal par un de sa façon ; opposition de la part des bouchers. La ville en s'adressant au roi obtint seulement qu'après chaque visite le visiteur adresserait ses rapports au maire et aux échevins, qui jugeraient des contraventions et prononceraient la. condamnation. Cent ans plus tard de nouvelles tentatives de sa part dans le môme sens furent rejetées par le Parlement (arrêt du 14 décembre 1623), qui confirma les bouchers dans la nomination du visiteur, à la condition de faire rapport de cette nomination au prévôt. Un siècle plus lard encore le lieutenant général de police remplaça en celle qualité le prévôt. Cependant, dans l'intervalle, en 1654, la ville paraît s'être emparée de la nomination du visiteur « en confiant à un marchand de la ville, du nom de Germain, le soin d'aller trois fois par semaine aux boucheries de la ville et des faubourgs, au marché au poisson dès son ouverture et chez les boulangers, voir si les règlements y étaient observés. »

(1) Prescription analogue à celle qui obligeait les boulangers à garnir constamment leurs étaux, et qui s'explique par les mêmes besoins.

(2) En général la boucherie se montra toujours fort jalouse de son droit de tuer. C'est ainsi que les vieux statuts de la boucherie d'Evreux , qui se lisent au tom. 13 (p. 83) des Ordonn. des rois de France, n'autorisent les pâtissiers et cuisiniers à tuer que des cochons de lait, attendu, disent-ils, quant aux autres bêtes, « qu'ils ne sont pas cognoissans de. maladies qui sont ès bêles. » — Les art. 1er et 10 du règlement de notre boucherie de 1575, qui ne sont qu'un développement de l'ordonnance de 1502, s'expriment ainsi :

« Premièrement nous avons fait et faisons inhibitions et deffenses à touttes

30


— 254 — Item et affin que lesd. bouchiers ne vendent lesd. chairs en destail à pris excessif, avons ordonné et ordonnons que le maistre juré visiteur desd. boucheries avec le clerc de lad. ville seront tenuz chascun sabmedy rapporter à nous ou au prévost de Bourges le pris que auront esté vendues lesd. chairs audict marché de Bourges et visiteront lesd. bouchiers chascun jour si besoingt est pour veoir si en icelles boucheries y a assez (de) chairs pour lad. ville et chose publicque et de ce faire leur rapport au juge sur la peine dessus dicte (1).

III. DES ESTELLONS ET MESURES.

Item et par ce que par cy davant les estellons (étalons) des poix et mesures ont esté et sont ès maisons des privées et particulières personnes, avons ordonné et ordonnons que lesd. estellons de tous poix et mesures seront mys et establiz en l'hostel de ladicte ville affin que l'en y aye recours quant

personnes de tuer, vendre ny exposer en ventes aulcunes chairs de boeuf, mouton, porceau et veau, sinon aux maîtres bouchiers de ceste ville de Bourges qui ont banc et place es boucheryes de ceste dicte ville. »

X° « Faisans aussy inhibitions et deffenses à tous hosteliers, quabareliers, charcutiers, revendeurs de tuer aulcunes desdictes chairs en leurs maisons pour vendre ou donner à leurs hostes ; ainsi leur enjoignons expressément acheter les dictes chairs esdictes boucheryes publicques, le tout sur peine desdictes confiscations desdictes chairs et d'amende arbitraire. "

(1) C'était aussi dans une forme analogue que s'établissait la taxe de la boulangerie. Le cours du blé à chaque marché était porté au Prévôt qui établissait la mercuriale d'après le rapport qui lui était fait et la communiquait à la mairie où l'on en faisait la base de la taxe du pain. — Quant au clerc de ville., ou, comme on disait encore, au clerc des oeuvres de la ville, dont il est question au même article, ce n'était autre que le concierge de l'hôtel de ville , chargé de cumuler avec ses fonctions ordinaires celles d'inspecteur des travaux publics, à la charge de la commune, surtout pour ce qui concernait l'entretien du pavage des rues et des chaussées de la banlieue. Ce ne fut que bien tard qu'on songea à préposer à ces fonctions un architecte, homme spécial.


— 255 —

il en sera desbat et question ; et lesd. Maire et Eschevins les feront faire et asseoir et mettre en l'hostel de lad. ville en lyeu propre et convenable (1).

IV. DES HOSTELLIERS.

Item que les hostelliers et aultres logeans aulcunes personnes à cheval ne feront que quattre picquotins au boisseau

(1) On s'explique difficilement comment les étalons des poids et mesures ne se trouvaient pas à l'hôtel de ville, là où était leur véritable place. L'usage général le voulait, et cela de très-loin. Sous le règne de Saint-Louis nous voyons le bureau de l'ajusteur de Paris installé au Parloir aux bourgeois (*). Tout donne à croire qu'il en avait été de même à Bourges, mais sans doute des circonstances particulières avaient déplacé ces matrices des poids et mesures que notre ordonnance rappelle à leur véritable lieu de dépôt. Quant à ces maisons " privées et particulières » où elles étaient auparavant, ce ne pouvait être le bureau des marchands de la ville, le corps des marchands de Bourges n'existant pas encore. Ces mots me paraissent désigner plutôt le domicile des vérificateurs ou ajusteurs jurés qui n'auraient eu alors que postérieurement leur bureau à l'hôtel de ville. L'incendie de 1487 avait dû jeter beaucoup de trouble dans les différents services , et quinze ans plus tard on pouvait s'en ressentir encore. C'est à notre avis la seule manière d'expliquer les singularités de cet article.

J'emprunte à un recueil manuscrit d'ordonnances de police des archives de la ville de Bourges et datant du siècle suivant, ainsi qu'aux registres de la prévôté, l'état de ces étalons, tel qu'il existait alors. Voici d'abord pour les mesures :

« Inventaires des étalons propres aux adjustages.

» Aujourdhuy samedy quatriesme octobre mil six cens soixante et quatre en l'hostel et maison communes de la ville de Bourges pardevant nous Maire et Eschevins d'icelle est comparu Antoine Bigot maistre menuizier en cette ville et cy devant adjusteur des boisseaux, pintes et aulnes , lequel suivant et conformément à nostre ordce du dernier jour a rapporté les estallons propres ausd. adjustages el autres dont il estoit chargé, des quels la déclaration en suit :

( * ) V. le Livre des métiers d'Etienne Boileau, p. 22.


— 256 — d'avoyne, lesquels picquottins ils seront tenuz faire adjouxter

» Premier, un boisseau, un demy boisseau, un quart, un demy quart et un seizain. Le tout de bois garni de bandes d'airain. » Plus deux estallons de fer propres à estallonner les aunes. » Plus deux estallons de fer de longueur d'une toise chascun, propres à mesurer le plancher, cercles et autres choses semblables.

» Plus un estallon de cuivre propre à mesurer les pintes au vin.

» Plus un autre estallon de cuivre propre à mesurer les chopines au vin.

« Plus quatre estallons aussi de cuivre servans à mesurer les pintes, chopines, demies chopines, et petites mesures d'huille et vinaigre.

» Plus deux fers propres à marquer à chaud les boisseaux, demis boisseaux, et autres mesures semblables ; l'un où il y a un mouton et l'autre une fleur de lys.

« Plus un autre fer propre à marquer les pintes et chopines où il y a un mouton.

» Plus huit estallons de bois propres à mesurer l'aissil, briques, carreau, tuiles, tombereaux et autres choses.

» Tous lesquels susdits estallons ont esté présentement mis ès mains de Jean Rossignol, adjusteur l'année présente des susdites choses dont il demeurera chargé et ledit Bigot deschargé.

» Fait les jour et an que dessus.

» Ainsy signé ; Labbe, maire, Chamillard, Catherinot, eschevins. »

« Âujourdhuy huit octobre 1664 en l'hôtel et maison commune de la ville de Bourges par devant nous, Maire et Eschevins d'icelle est comparu Baltazard Penet cy devant adjuteur des poids , balances et crochets de celte ville , lequel suivant notre ordce du dernier jour a rapporté un poids de marc pesant trente deux marcs dans une chetive boiste de cuir sans couvercle , et une grande paire de balances d'airain appartenante à la ville dont il étoit chargé, lesquels poids de marc et paire de balances ont été présentement mis ès mains de Pierre Foucault adjuteur l'année présente desd. poids , balances et crochets , qui eu demeurera chargé. — Ainsy signé, etc. »

Les registres judiciaires sont plus explicites au sujet des poids.

Le 24 juillet 1664 l'ajusteur juré de la ville soumettait à la vérification du prévôt les nouveaux étalons des poids et mesures destinés à remplacer les anciens. J'en emprunte le dénombrement au procès-verbal qui en fut dressé et qui se trouve dans les registres de la prévôté de cette année :

« Un poids de huict livres en boueste d'airin ou potin pesant seize marcs poids de marc ; un autre poids aussy en boueste d'airin ou potin pesant quatre livres, vallant huict marcs poids de ceste ville, qui est à la diminution du poids de marc cy dessus d'une once sur chascune livre et de demy once sur chascun marc ; deux poids à crochet, l'un pesant quarante cinq et cinquante livres au plus fort, et la moictié au foible , et l'autre pesant vingt et vingt quatre, livres au plus fort, et à la diminution de la moitié au foible d'iceluy crochet ; plus


— 257 — par l'adjouxteur juré et marqueur sur peyne de l'admende

une paire de grandes ballanses , ayant les bassins d'airin à fleau d'acier, et lesquelles peuvent peser jusques à vingt marcs, et aussy une petite paire de ballanses à peser deux marcs; plus deux mesures, l'une de la painte et l'autre de la chopine à mesurer vin , et quatre autres mesures pour mesurer huille , lect, poids, febves, vinaigre et autres choses semblables, aux augmentations portées par les anciens filtres , previlleges et estallons, (plus) une aulne de fer conforme aux anciennes et accoustumées de tout temps. »

(Archives du Cher, 1er registre extraordre du greffe de la prévôté pour 1654.)

Malgré l'ordonnance de 4502 on en était donc revenu , comme on le voit par la pièce précitée, à déposer les étalons chez les vérificateurs mêmes. Celle instabilité dans les mesures administratives n'a rien qui doive nous surprendre; elle n'est pas essentiellement propre à ces siècles déjà loin de nous. Pourtant il se pourrait aussi que les étalons existassent en double , et qu'il y en eût un dépôt aux archives de la ville en même temps que chez les vérificateurs. Ce dernier dépôt nous le trouvons mentionné en 1696.

Ce qu'il faudrait pouvoir déterminer ici, et ce que je regrette de ne pouvoir faire toujours exactement, c'est la valeur des poids et des mesures en usage à Bourges en 1502, et leur rapport avec ceux de Paris. L'incroyable diversité de ces rapports, qui changeaient de ville à ville, rend un tableau de cette nature très difficile à établir, surtout pour l'époque qui nous occupe, où les tentatives pour les simplifier et les ramener à l'unité n'avaient encore jamais eu aucun résultat. Voici en somme tout ce qu'il m'a été possible de connaître sur ce point :

POIDS. — La livre de Bourges était de 14 onces. Des essais furent faits, mais sans réussite pour la ramener au poids de marc , en 1565 et 4578. Il fallut toute l'énergie de Colbert, qui à cet égard avait repris la pensée de Louis XI, pour motiver une ordonnance que rendit, le 13 janvier 1673, l'intendant Tubeuf, et d'après laquelle elle fut enfin divisée en 16 onces, ce qui constituait la division du poids du marc.

MESURES DE LONGUEUR. — L'aune de Bourges ne m'est pas exactement connue dans ses différentes fractions. J'apprends seulement par Savary que celle de Saint-Genou en Berry était de 3 pieds , 7 pouces, 16 lignes , c'est-à-dire huit lignes de plus que celle de Paris, ce qui me donne lieu de croire que la nôtre n'en devait guère différer non plus. La même année 1673 vit également ramener l'aune à celle de Paris. — « Nous usons en ce pays, dit la vieille coutume de Bourges (*) , de deux toises, dont l'une est toise de charpentier, et icelle a cinq pieds et demy ; el l'autre est toise de masson, et icelle a six pieds pour faire la toise quarrée. » C'était la même que celle de Paris.

MESURES DE CAPACITÉ. — Ducange (V° Modius), donne l'ancienne mesure de

(*) Cout. loc., p. 278.


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arbitraire pour la première foys et pour la seconde d'estre pugnys corporellement (1).

Paris au commencement du XVe siècle, en prévenant qu'elle est la même pour Bourges. En voici le tableau :

— Mesure de blé. — Boisseau = 1/2 de quarte = 1/6 de mine = 77 de septier = 77; de muid. Quarte ou minot = 3 boisseaux = 1/2 mine = 1/4 de septier = 1/48 de muid. Mine = 6 boisseaux = 2 quartes = 1/2 septier = 1/24 de muid. Septier = 12 boisseaux = 2 mines = 4 quartes = 1/2 muid. Muid = 12 septiers = 24 mines = 48 quartes = 144 boisseaux.

— Mesure d'avoine. —

La mesure d'avoine se divisait d'une façon bien plus irrégulière.

Le muid y était également de 12 septiers, mais le septier comptait 20 boisseaux au lieu de 12 et pourtant deux mines seulement.

La mine était encore de deux quartes , mais la quarte comprenait cinq boisseaux.

La liève des droits du domaine en Berry pour l'année 1543 nous indique , comme il suit, les modifications qu'avait subies à Bourges celle dernière mesure :

« Et est assavoir que à la mesure de Bourges ou ( au ) septier d'avoyne a treize boisseaulx, en la mine a six boisseaulx et demy, et font les deux mynes ung septier. Ou (au) septier a quatre quartes. En la quarte a troys boisseaulx et ung quart, et au muy a douze septiers. » (Àrch. dép. — Fonds du Bau des finances.)

Quant aux divisions du boisseau au temps de nos ordonnances voici quelles elles étaient. Divisé en demi-boisseau, quart et demi-quart de boisseau, il devait avoir 13 pouces de large au fond , et 5 pouces 3 lignes de hauteur ; ses divisions se proportionnaient à l'avenant. En 1572, il fut ramené au boisseau de Paris, c'est-à-dire à 8 pouces de haut sur dix environ de diamètre.

La pinte était, je suppose, la même qu'à Paris. Les grandes mesures de capacité pour liquides étaient : le tonneau qui contenait quatre muids, ce qu'en d'autres pays on nommait la queue, le muid de 16 setiers, le setier de 8 pintes : soit 512 pintes au tonneau. Plus lard les ordonnances remplacèrent le tonneau par le poinçon de 290 pintes.

(1) Le boisseau d'avoine se mesurait double du boisseau ordinaire. Quatre picotins au boisseau représentent donc un demi-boisseau par picotin. Le même probablement que Coquillard appelait de son temps : « le picotin à grant mesure.» Aujourd'hui on entend par picotin une mesure de deux litres. — La pénalité portée dans cet article contre ceux qui manquent de faire ajuster leurs mesures prouve, si on la compare à celles que nous connaissons d'autre part, combien cette pénalité a peu changé. La charte des priviléges accordée en 1173 aux


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V. DE CEULX QUI ADMENENT LE BOYS ET FAGOTS.

Item que nulz amenans vendre boys et fagots en ladicte ville ne fardent de billots leurs charrettées et boys et n'y en mettent aulcuns sinon qu'ils soient audessus et au faiz desd. charrettées de boys en manière que on les puisse veoir. Aussi ne vendent iceulx fagots synon qu'ils soient bons et loyaulx et aussi gros audessoubs de lad. charretée comme audessus, sur la peyne dessus dicte (1).

VI. TOUCHANT LES BOYTEAULX DE PAILLE ET DE FOING.

Item que les boyteaulx de pailhe seront de grosseur d'ung lyen de gerbe et les boyteaulx de foingt qui se vendront par ladicte ville de grosseur d'ung lyen de deux pieds et demy et de longueur de troys pieds, sur peyne d'admende arbitrayre.

habitants de Bourges par Louis VII, portait: « Celui qui sera convaincu d'avoir fausse mine sera condamne à 7s. et 6 d. d'amende et sera la mine rompue (*).» Et nous voyons par les Coutumes locales (p. 33940) que toute mesure marquée sans être ajustée donnait lieu à une amende de 60 sols parisis et si elle était fausse 5 sols seulement et on la brisait.

(1) Ces mesures de sauvegarde pour la loyauté de la marchandise étaient trop dans l'esprit de l'ancienne police pour être tombées en désuétude dans les années qui suivirent. Cependant les ordonnances de l'hôtel de ville, postérieures à celle-ci, et qui concernent, le même objet portent plus spécialement sur un autre point, celui de l'interdiction de la vente des bûches et bourrées amenées du dehors par les charretiers dans les faubourgs de la ville. Et pour cela, il leur est interdit de mettre sur leurs charrettes aucunes bûches, fagots ou bourrées « qui ne soient liés et renfermés dans des liûres qui renferment le corps de la charrette. »

(*) Chenu, Antiquités, p. 3 et 6.


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VIL DES BELLISTRES.

Item ordonnons que tous bellistres, maraulx sains , valides et puissans de besongner vuyderont de la ville de Bourges sur peyne d'estre entravez et acoublés deux à deux pour besongner aux euvres publicques du Roy et de Madame et de ladicte ville et d'estre pugnis aultrement selon l'exigence des cas (1).

(1) On voit que les lois contre la mendicité et le vagabondage, et même les ateliers de charité, ne datent pas d'aujourd'hui, et que, si ces institutions ont revêtu de nos jours un caractère de perfectionnement et de stabilité qui n'étaient pas dans les habitudes des temps passés, encore faut-il remonter jusqu'à ces temps pour en retrouver l'origine. Il est difficile de dire de quelle époque date au juste la première législation relative à ces genres de délits. La misère, qui fut le lot constant du moyen-âge, n'a guère dû. laisser chômer la France de pauvres et de bandits, et les moyens de compression à leur égard doivent être aussi vieux que sa civilisation. Déjà les capitulaires de Charlemagne (I. 118) cherchent à réprimer le vagabondage et à mettre l'entretien des pauvres à la charge des villes. Une ordonnance de Philippe de Valois, en 1346, distingue les mendiants valides des infirmes, et impose aux premiers l'obligation du travail. La grande ordonnance de 1413 voulait qu'on les fît labourer. Le vagabondage et ses conséquences préoccupèrent également Charles VII, Charles VIII et Louis XII. Les plus vieux monuments de celte législation sont empreints de ce caractère de barbarie qui signale les antiques pénalités. Le fouet et la mutilation, au besoin la mort, et surtout le bannissement, y sont d'un emploi habituel. Pourtant ce ne fut, à vrai dire, qu'au XVIe siècle que l'idée de substituer le travail à l'oisiveté nuisible du vagabond se manifesta d'une manière sérieuse dans la législation, et nous en trouvons ici un exemple à citer. À partir de ce moment, les ordonnances analogues à celle de 1502 se répètent toujours de plus en plus fréquentes. Chaque fois que la disette ou la contagion venaient à sévir , — et ce n'était malheureusement pas chose rare, — l'autorité municipale expulsait les mendiants étrangers avec menaces de punitions terribles s'ils rentraient ; mais le renouvellement incessant de ces mesures prouve leur inefficacité. Quant aux mendiants indigènes, dont il ne semble pas qu'on ait fait d'abord aucune différence, on comprit plus lard quelle inhumanité il y avait à les jeter sans ressources à la charge des campagnes sur lesquelles en somme ils retombaient, chaque ville se renvoyant


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VIII. DES VACCABONS.

Item que tous vaccabons oysifs et non ayans adveu de quelque estat et condiction qu'ils soyent qu'ils vuydent ladicte ville dedans troys jours et que doresnavant ne s'en rende ny treuve aulcun pour y résider plus de troys jours sur peyne d'estre menez en prison et d'estre pugnis selon l'exigence des cas.

IX. DE NE GETTER DES IMMONDICES.

Item que nul de quelque estat ou condiction qu'il soit ne gette ou fasse getter de sa maison ès rues publicques aulcunes

les siens à tour de rôle ; en sorte que, si l'on n'installait pas d'ateliers de charité, on régularisait l'aumône qui leur était spécialement affectée , en la mettant à la charge des curés de paroisses. La fondation de l'hôpital général, en 1661, donna lieu à la suppression de toute distribution d'aumônes qu'on affecta dès lors à l'entretien de cet établissement. Et ce fut un sujet de tentative pour l'extinction de la mendicité. Mais nous savons comment on y réussit. — Si l'économie politique n'a pas encore trouvé la loi en vertu de laquelle la société pourra se laver de cette lèpre du paupérisme qui la dévore, combien moins pouvait-elle encore, il y a deux siècles, remédier sérieusement à des maux dont ceux d'aujourd'hui sont loin d'approcher.

Nous ferons observer ici la distinction qui s'établit dans ce paragraphe et le suivant entre les marauds et bélitres, gens de sac et de corde, ce que nous nommerions aujourd'hui des repris de justice, et les vagabonds-proprement dits, qui ne sont que des mendiants. Au fond, les uns ne sont sans doute que les autres arrivés à tout leur développement ; mais, de même qu'il y a distinction de pénalité à l'égard de chacun d'eux, de même il y a des uns aux autres un degré qu'il faut savoir observer. Les uns sont des coupables, les autres peut-être seulement des malheureux.

31.


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ordures, immondices, brineaulx ou infections sur peine de prison et de l'admende (1).

X. FUMYERS.

Item que toutes manières de gens ne tiennent fumyers , nectoyeures de maisons, pailles ne fyans ès rues pavées plus de troys jours et qu'ils ayent à les faire vuyder et oster dedans ledict temps sur la peyne dessus d.

XL D'ALLER DE NUYT SANS CLARTÉ.

Item que nul de quelque estat ou condiction qu'il soit ne voyse (n'aille) doresnavant par la ville sans clarté despuis huict heures après mydy sonnées et qu'il ne porte baston ne armeures sur peyne d'estre pris et mis en prison par le maistre du guect et de l'admender arbitrairement, et que l'en obéisse aud. maistre du guect de nuyct en faisant et excersant ledict guect sur la peyne dessus dicte (2).

(1) Ce paragraphe et le suivant, relatifs à la salubrité de la ville, trouveront leur explication lorsque nous parlerons de la dernière de ces ordonnances. (Voir à la fin.)

(2) On lit dans la vieille coutume de Bourges : « Item, que tout homme qui est trouvé de nuyt par la ville à port d'armes, après quevre feu sonné , est amendable, et le harnoiz confisqué, s'il n'y a clarté avec luy, car la clarté le sauve (*). » Ici la clarté même ne le sauve pas. Il faut avouer que, si celte mesure bien observée était de nature à prévenir les rixes et l'effusion du sang, elle était aussi très favorable aux « bélîtres, » qui n'avaient sans doute garde de s'y conformer et trouvaient toute facilité d'opérer dans le désarmement des passants. En descendant à des temps encore plus voisins des nôtres, nous verrions ces prescriptions loin de s'adoucir, revêtir plus de sévérité. Qu'il nous

(*) Cout. loc., p. 339.


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XII. DE NE PORTER BASTONS.

Item que nulz de quelque estat et condiction qu'ils soient ne porte lesdicts basions soyent espées, javellynes, bracquemars, dagues ou aultres bastons invasibles et aussi armeures par lad. ville de jour, sinon que ce soyent sergens et officiers du Roy et de Madame ou ministres de justice ou pellerins et gens passans ou gens de guerre et chefs d'hostels (1).

suffise de citer une ordonnance de la mairie du 3 août 1681 qui défend la circulation de la ville la nuit passé dix heures du soir, de Pâques à la SaintMichel, et le reste du temps passé neuf heures, et cela malgré les patrouilles qu'on devait y faire. Il est vrai qu'à cette époque on avait l'habitude de rosser le guet : c'était une des distractions de ce temps-là. Au reste, dès l'année 1619, on avait avancé de 8 heures à fi heures l'heure de la retraite et par conséquent le port du luminaire.

Le maître du guet, dont il est ici question, remplissait des fonctions qui se rapprochaient beaucoup de celles du chevalier du guet de Paris. Il avait sous son commandement 12 hommes , à l'aide desquels il était chargé de veiller à la police nocturne. On voit qu'il jouissait en outre d'une juridiction propre. Cet office fut surprime dans le courant du siècle , et ce ne fut qu'au commencement du suivant (1620), qu'on nomma un chevalier du guet à l'instar de Paris. Le sieur Etienne Houët, dont il est question comme titulaire de la maîtrise du guet, en 1502, ainsi que nous le verrons à la fin de ces ordonnances, est sans doute le même qui donna son. nom au pressoir situé près de Bourges et dont le nom est resté à cette localité sous la forme corrompue de Pressavoy (pressoir Houët). Elu ëchevin en 1500, 1501, 1508, 1509 et maire en 1516 et 1517, il mourut en 1518. On trouve une courte notice sur lui dans les Chevaliers de la table ronde de Bourges, de M. Chevalier, p. 12. Il fut un de ceux qui firent partie de cette confrérie. Ses armes sont dans Chaumeau, p. 196.

(1) Le port d'armes fut à l'origine un privilége de la noblesse comme celui de chasse. Mais la force des choses et le continuel besoin de se défendre fit que d'abord la bourgeoisie usa de ce droit qui plus lard fut partagé, au moins en fait, par toutes les classes de la nation. L'armement des milices bourgeoises fut un premier motif d'extension de cette faculté, mais le XVIe siècle vit à cet égard un débordement sans exemple. Tout le monde prit l'épée, jusqu'aux laquais, jusqu'aux portefaix. C'était le résultat des troubles incessamment provoqués par les discussions qui s'élevaient à chaque instant entre les catho-


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XIII. DE NE TENIR SERVITEURS.

Item que chascun des maistres des mestiers de ceste dicte ville quels qu'ils soient ne tiennent en leurs maisons gens incongneuz ne serviteurs synon qu'ils en respondent pour en rendre compte s'ils font aulcun mal et sur peyne de l'admende.

XIV. DES MEUSNIERS.

Item que tous les meusniers de la ville et septaine de Bourges doresnavant rendent pour le boisseau de blé raiz

liques et les hérétiques. Nous n'en sommes pas encore là à l'époque qui nous occupe, et déjà nous voyons le port de l'épée interdit de jour par les rues de la ville, si ce n'est aux privilégiés. Une vingtaine d'années plus tard une ordonnance analogue venait en renouveler les prescriptions : « Inhibitions et deffences seront faictes, y est-il dit, à toutes gens de ne porter espées et bastons et autres armures parmy ceste dicte ville ; sonner tabourins de souysses et trompectes et eux faire amas et assemblée de gens, soict en confrayrie ou autre cas de jour ou de nuict, et ce sur peine de tenir prison et d'estre pugnis selon l'ordonnance de justice. Et est semblablement notiffié aux hostelliers de ladicte ville ad ce qu'ils ayent à en advertir leurs hostes logeans en leurs maisons et hostelleries ; et que chascun desdicts Eschevins en droict lui pourra osier ausdicts porteurs d'épées ou autres bastons nuisibles, et iceulx sur le champ faire constituer prisonniers pour estre procédé contre eux ainsy qu'il appartiendra par raison (*). » Si notre Université avait jeté dès lors l'éclat dont elle a joui plus tard on pourrait croire ces prohibitions faites surtout en vue de l'École. Il est certain que la présence à Bourges de cette turbulente jeunesse; animée par des rivalités de passions et de nationalités, venait ajouter à tous les éléments de désordre alors si communs un ferment nouveau. Aussi les pré(*)

pré(*) du 9 mai 1524, dans le registre des assemblées de l'hôtel de ville 1523-25.


— 245 —

ung boisseau comblé de faryne sur peyne de l'admende arbitraire pour la première foys et pour la seconde foys d'estre pugnys corporellement (1).

Leues et publiées en jugement aux assises tenues à Bourges par nous lieutenant général dessusd. ès présences desdicts prévost, avocat et procureur du Roy et de Madame, advocats, procureurs et practiciens et aultres habitans de ladicte ville et avons ordonné icelles estre enrégistrées et mises tant aux papiers et registre du greffe que en ung tableau : Et aussi les aultres ordonnances aultreffoys par nous faictes sur le faict de lad. polisse, et toutes icelles ordonnances estre publiées de rechiefs à son de trompe par les quattre carrefours et aultres lieux acoustumés à faire cryées de ladicte

cautions ne cessent-elles de se multiplier contre l'indiscipline des écoliers , et parmi celle-ci figure au premier rang le désarmement. On le voit pratiqué à leur domicile (1575). Lorsqu'en 1679, Colbert renouvela le règlement de l'école de droit, il alla jusqu'à refuser les grades à ceux qui désobéissaient à ces ordonnances. Au milieu du siècle dernier, le lieutenant général les obligeait, en pareil cas, à une quatrième année supplémentaire de cours. Rien n'y faisait. Mais en 1502 les prescriptions de notre paragraphe s'adressaient plus spécialement aux habitants des rues de Miracles, assez nombreuses alors dans la ville, et qui moins que tous autres devaient être autorisés à s'armer. A cet égard , il devient un complément du paragraphe VII qui précède.

(1) Cet article fixe la quantité de farine que doit rendre la mouture, mais ne parle pas du prix qui revient au meunier. Ce prix n'était pourtant pas.plus arbitraire que tout autre matière de commerce ou de fabrique, et ce qui le prouve c'est qu'il ne se modifiait qu'en vertu d'une autorisation spéciale de la mairie. Ainsi, en 1559, il y eut à l'hôtel de ville assemblée des meuniers et des principaux boulangers pour en fixer un nouveau , qui fut sans doute une augmentation de l'ancien , car ni l'un ni l'autre ne me sont pas connus. Ce prix, la plupart du temps se payait par un prélèvement en nature, ordinairement d'un dixième , que faisait le meunier. Mais il est à croire qu'en dehors de cette légitime rétribution, celui-ci eut souvent la tentation d'augmenter son bénéfice au détriment de la clientelle, car on retrouve plusieurs fois la prescription de l'ordonnance de 1502 dans des règlements postérieurs, et notamment à l'art. 18 d'une grande ordonnance de police rendue par la mairie , le 20 juillet 1538.


— 246 — ville (1), ce que a esté faict en nostre présence acompaigné des dessus dicts prévost advocat et procureur et de Estienne Houet, maistre du guect, de ladicte ville, le dixiesme jour de novembre mil cinq cens et deux.

Signé : GRANGIER.

À la suite des ordonnances qui précèdent, et au f° 53 du manuscrit, on lit une ordonnance transcrite séparément, bien qu'en même temps que les autres. Elle a pour Lut de spécifier les précautions à prendre par la ville en cas de peste. La place qu'occupe ici ce règlement prouve qu'il date de plus loin que le reste, et qu'il fut seulement réappliqué alors dans sa forme primitive. Les circonstances seules ont pu déterminer le copiste à le joindre aux autres ordonnances.

Nous savons en effet par nos historiens que durant les années 1499 et

(1) Il y avait par la ville quatre endroits où se faisaient les criées publiques : c'était à la place Gordaine, au marché de la Croix-de-Pierre, au carrefour de la porte Auronoise, et devant les grandes écoles. Sur chacun de ces quatre emplacements se dressait une pierre à crie, construction de forme cubique avec emmarchement, et sur laquelle se plaçait le préconiseur ou crieur-juré pour faire ses annonces. Aucune des pierres ici désignées n'existe actuellement. Celle qui a été replacée il y a quelques années à la place Gordaine, après en avoir été d'abord arrachée, et qui a occupé la Commission historique (*) , malgré son apparence grossière, qui semble lui assigner une origine reculée , ne doit pas, si j'en crois certains documents, remonter plus haut que le dernier siècle.

J'ai quelque lieu, en effet, de croire qu'elle ne date guère que de l'année qui vit la dernière reconstruction de la boucherie et la formation de la place Gordaine, qui jusqu'alors avait été plutôt une rue, c'est-à-dire de 1741, ou à peu près. Malheureusement le défaut de mémoire ne m'a pas permis de retrouver la source où j'ai puisé autrefois ce renseignement ; et je le regrette d'autant plus que ce monument, qui n'est pas sans quelque valeur historique relative, a donné lieu aux plus incroyables aberrations d'idées chez certaines gens que l'esprit de système portait à affecter les attributions les moins fondées à tout ce dont ils ne connaissaient pas l'origine. C'est le motif qui seul me porte à insister sur un point en partie étranger au sujet qui m'occupe ici.

(*) Cf. Bulletin statistique et monumental, p. 82 et suivantes.


— 247 —

1500 Bourges fut ravagé par une contagion qui régnait déjà en France depuis quelques années (1). Toutefois le fléau prolongea encore ses ravages dans les années qui suivirent. Le compte du receveur de la ville pour l'année 1501-02 nous montre la peste au couvent des Cordeliers dans le mois d'octobre 1501, et encore en divers autres endroits de la ville, et notamment près du lieu où la mairie tenait ses séances, ainsi qu'il résulte de l'article suivant dudit compte : « A Grégoire de Brussigaut vingt sols tourn. pour sept grans planchiers , chacun de neuf piez , deux membreures, et pour certaine quantité de grans doux d'un denier tourn. la pièce qu'il a mis et emploiez à boucher et cloure une ruecte estant entre la maison Courtoys (2) et la boucherye de la Porte-Neufve, pour garder d'aller et venir en ladicte ruecte, pour évicter le danger de peste qui est survenu en l'ostel de maistre Loys l'organiste estant en ladicte rue. » Aussi voit-on en ces années la plus grande activité apportée au nettoyage des rues et au curage de l'Yévrette. C'était, on le comprend, une des principales précautions à prendre en pareil cas : mais ce n'était là qu'un détail de l'ensemble des mesures que nécessitait un fléau dont les apparitions se répétaient malheureusement avec trop de fréquence. Après l'incendie la peste était le mal dont notre ville a eu le plus à souffrir. Sans sortir du siècle qui vit promulguer nos ordonnances, on pourrait citer les maladies contagieuses de 4500, de 1510, de 1550, de 1564 et de 1581 ; c'est-à-dire, qu'en moyenne, une période de vingt ans ne se passait guère sans une

(1) Raynal, VIII, 1.

(2) Probablement celle de Regnault Courtois, sergent de l'hôtel de ville à cette époque. M. Chevalier, de Saint-Amand, qui a eu connaissance de cet article, le cite dans son Odographie de Bourges, en nous apprenant d'après le vieux catalogue manuscrit de nos rues, que la voie sur laquelle débouchait la ruelle en question à l'est, et qui longeait le jardin des P. jésuites , en joignant les rues de Paradis et de Mirebeau, s'est nommée rue Courtoise, du nom même de ce Courtois ici mentionné, et vulgairement rue Basse. Ceci demande à être en partie rectifié. La rue s'appelait non seulement rue Courtois, mais encore rue Sainte-Marie, du voisinage du collége de ce nom, et d'après l'habitude qui régnait de désigner un même passage sous différents noms, tant que l'édilité n'eut pas pris soin de déterminer le vrai par une inscription murale. En outre, on la trouve appelée tantôt rue Haute tantôt rue Basse, ce qui indique qu'elle était à son milieu divisée par un palier, comme l'est actuellement la rue Casse-Cou (ancienne rue des Tricornes) , que les jésuites firent percer vers 1560, lorsqu'ils s'emparèrent de ladite rue Courtois qui les joûtait pour la joindre à leur enclos — C'est sur la rue Basse que s'ouvrait la ruelle en question , qui contenait, outre la maison de Louis l'organiste, le tripot de Belebat, lequel appartint dans le courant du siècle à Guill. Alabat, non pas l'éditeur du mystère des Actes des Apôtres des frères Greban, comme dit M. Chevalier, mais son fils. Catherinot en fait foi dans son Escu d'alliance, p. 2. La ruelle en question devait avoir sa sortie dans l'impasse actuelle du Chat où se trouvait la boucherie de la Porte-Neuve.


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apparition du sinistre visiteur. Cela s'explique par le défaut d'hygiène publique et privée, et entre autres choses , par l'entassement des immondices dans les rues, dont quelques-unes, comme la rue de la Fange, n'étaient que des cloaques.

Au commencement du XVIe siècle certaines notions élémentaires de salubrité d'où peut dépendre la santé publique étaient à peine soupçonnées. Lorsque la peste éclatait, on ne faisait pas encore entrer parmi les mesures de précaution l'éloignement des pestiférés morts de l'habitation des vivants, et l'infection séjournait à poste fixe sous quelques pouces de terre au seuil des maisons où elle étendait graduellement son influence. Ce ne fut qu'en 1520 que la construction d'un sanitat, ou hospice des pestiférés, fit reléguer hors des murs les malades de contagion, et donna lieu de leur attribuer un cimetière particulier dans le voisinage.

Notre ordonnance est un tableau de ce qui se faisait alors pour parer aux atteintes de la maladie. Plus tard, ces précautions se compliquèrent et s'étendirent de tout ce que l'expérience du passé et les perfectionnements de l'art purent conseiller. Aux prescriptions que nous trouvons ici vinrent se joindre les suivantes : on éloignait toutes bêtes dont les émanations étaient censées nuisibles, et notamment les porcs , qui avaient alors habituellement droit de circulation par les rues ; on interdisait la vente des primeurs ; on faisait curer les puits, débarrasser l'Yévrette de tout ce qui pouvait gêner son cours ; non seulement nettoyer, mais arroser fréquemment les rues, si c'était l'été. On y allumait des feux de plantes odoriférantes, etc. On établissait une quarantaine pour toute personne ou toute chose soupçonnée de venir de lieu suspect. Pour plus de garantie, on créait sous le nom de Prévôt de santé un officier de police spécial, qui avait pour mission de s'enquérir des malades nouvellement atteints, et, le fait constaté, de les transporter au Sanitat; sinon de cadenasser les issues de la maison d'où personne dès lors ne pouvait sortir et où l'on introduisait les vivres du dehors par les fenêtres. En cas de mort les survivants de ladite maison étaient expulsés de la ville, les hardes du défunt brûlées, et sa porte marquée d'une croix blanche en signe que le deuil avait passé par là et qu'il y avait danger à y rentrer. Mais il faut bien comprendre que cet ensemble de mesures ne vint pas tout d'un coup, mais successivement. La création du Prévôt de santé fut le dernier perfectionnement apporté à cette législation dans le XVIe siècle.

Pour mieux faire saisir d'un coup d'oeil l'étendue que prirent ces prescriptions avec le temps, il nous suffira de mettre en regard de l'ordonnance de 1502 celle de 1581 rendue en cas pareil. Ce qu'on fit dans la suite, aux retours du fléau, n'y apporta guère de changement. J'extrais ce document du registre des délibérations de l'hôtel de ville qui va de 1580 à 1584.


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ORDONNANCES ET ADVIS DES MEDECINS

SUR LE FAICT DE LA POLICE EN

TEMPS DE PESTE (1).

Premièrement que l'on face nectoyer les rues.

Item que toutes eaues corrumpues comme lavaiges de harans, moullues (morues) et autre poysson de mer soyent portées geter en la rivière et qu'elles ne soyent point getées en la rue ny en maisons.

Item que on mette ordre sur les corregeulx (corroyeurs) et

(18) Ordonnance pour éviter à l'inconvénient de peste.

De par le Roy et monseigneur Duc de Berry,

Et de l'ordonnance des Maire et Eschevins de la ville de Bourges.

Comme depuis plusieurs jours en ça il nous a esté donné avertissement des maladies de pesté et autres contagions qui sont en plusieurs villes du Royaume, lesquelles augmentent chaque jour, et pour éviter au mal et inconvénients d'icelles maladies qui peuvent advenir en cette ville de Bourges, à la ruine, perte et confusion de tout le peuple , nous avons très expressément enjoinct et commandé, enjoignons et commandons à tous bourgeois, manans et habitans de ceste ville et faubourgs de Bourges de se conformer aux prescriptions qui suivent, c'est assavoir :

1° De tenir les rues nettes chacun à l'endroit de sa maison , jardins ou autres héritaiges, et faire emmener les boues, gravées (gravois), terres et autres immondices hors lad. ville en lieu non préjudiciable au public dans 24 heures ; et de faire nectoyer lesd. rues et oster lesd. immondices par chacun jour, sur peine à ceux audevant des maisons desquels il sera trouvé aucuns immondices de payer chacun soixante sols tourn. d'amende ; et néànt moings les sergens feront oster lesd. immondices aux despens des détenteurs desd. maisons et héritaiges par voicturiers et chartiers, auxquels est taxé quatre sols tourn. pour chacune tombellerée.

2° Item, est inhibé et deffendu à toute personne de nourrir aucuns pourceaux en cested. ville de Bourges, ni d'en laisser aller par les rues, sous peine d'amende arbitraire et de confiscation desd. porcs qui y seront trouvez, lesquels à l'instant seront aumosnez aux pauvres de l'Hostel-Dieu, ou aux couvents des Cordeliers, Jacobins, Augustins , Carmes. — Et aussy est deffendu de nourrir aucun conil (lapin), pigeons, ny oisons, cannes et poules, dîndes sur les peines 32


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que ceulx qui demourent ès grands rues comme en la rue de la Fange et aultres lieux et semblablement des parcheminiers.

susdictes. Et dès à présent est permis aux sergens et dixainiers de la ville de rompre les clapiers et les pots et paniers des colombiers.

3° Et d'autant qu'il y a plusieurs petites maisons en ceste ville où il n'y a aucuns privés ny retraicts , chose qui est très nécessaire, afin que le commun peuple n'aye occasion de faire ordures par les rues, est enjoinct aux propriétaires desd. maisons qu'ils ayent à y faire faire des privés et retraicts, pour l'aisance de leurs locataires dedans ung mois prochain sur peine d'un écu d'amende.

4° Et, pour ce que entre autres immondices qui sont ordinairement par les rues il y a des bouchiers qui y jectent le sang de leurs beufs, moutons et autres bestes qu'ils tuent, ce qui engendre une grande puantise et putréfaction d'air, il est inhibé et deffendu ausd. bouchiers et autres de jecter aucun sang ny aucuns immondices ès rues publicqucs et sur les remparts, ny aucuns endroicts de lad. ville; ains jecteront le sang et vuidanges de ventre desd. bestes hors lad. ville si loin qu'il n'en puisse advenir aucune puantise en icelle.

5° Et suivant les ordonnances cy devant faictes, il est inhibé et deffendu à tous revendeurs et revenderesses de poisson de mer et sallé de ne vendre ni débiter icelluy poisson de mer que ès lieux sur ce ordonnez, assavoir : ès lieux de la porte Gordaine , porte Neufve, porte Ornoise et plessis de St-Drsin , sur peine contre chacun des deffaillans et contrevenans de trois escus ung tiers d'amende et de confiscation de la marchandise qui se trouvera estre exposée en vente ailleurs que aux lieux dessus dicts.

6° Item, est enjoinct et commandé à toutes personnes de faire curer les puits qu'ils ont en leurs maisons particulières , et d'aider à contribuer à faire curer et nectoyer les puits publics dont ils s'aydent et prennent commodité : et de tenir audevant de leurs maisons une queue (tonneau), tine (baquet) ou une casse (chaudière) pleine d'eau qu'ils jecteront par la rue chacun jour sur le pavé, pour nectoyer audevant de leurs maisons.

7° Aussy est deffendu à toutes personnes de jecter aucuns immondices en la rivière d'Aurette , ni en la fosse des Arènes. Et afin que les eaux se puissent mieux écouler en lad. rivière d'Aurelle , il est enjoinct et commandé à tous ceulx qui ont des ponts, chevalets et autres choses dans lad. rivière empeschant le cours d'icelle, qu'ils aient à les oster dedans 24 heures ; autrement ils seront ostés à leurs despens.

8° Et pour éviter aux maladies qui proviennent ordinairement de manger des fruicts crus, est aussy inhibé et deffendu de vendre aucuns concombres, melons ou autres fruicts, sur peine de l'amende et confiscation desd. fruicts.

9° S'il advient qu'il tombe quelque malade de peste, l'en le fera enfermer chez luy, en sorte qu'il n'en puisse sortir ny aucuns de sa maison, ains l'en


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Item que l'on tienne la bocherie necte et les maisons desd. bochiers pareillement.

uy fera administrer vivres par une corbeille ou panier audedans de lad. maison ; ou bien il sortira incontinent de lad. ville selon la commodité qu'il aura de se faire panser aux champs , et emportera avec luy toutes ses bardes ou bien les fera brusler, et ne reviendra des champs de trois mois après qu'il sera guéri ; sinon sera mené en la maison des pestes avec toutes ses hardes.

10° Cependant les médecins et apothicaires se mectront en peine de faire quelque confection médicale pour en aider et servir aux pauvres malades et préserver les autres avec la grâce de Dieu et au mieux qu'il leur sera possible.

11° Item, sera proposé ung maistre barbier-chirurgien d'icelle ville à aller ès maisons visitter les malades et atteincts de contagion pour les panser et en donner advis aux Maire et Eschevins qui adviseront ce qu'il conviendra faire ; et avons commis et commectons à cet emploi le sr. Jehan Baudon , me. barbier chirurgien en ceste ville et duquel nous avons receu le serment en nos mains.

12° Cependant on prendra garde qu'il n'entre en la ville aucunes gens venant, de lieux pestiférés : et pour ce faire sera installé le guect aux portes de ville, par six pour chacune d'icelles, et lesquels personnages n'en départiront depuis les six heures du matin que se fera l'ouverture des portes, jusques à six heures du soir qu'elles se fermeront, sur peine de dix sols tourn. d'amende pour chacune fois qu'ils y contreviendront.

43° On ne laissera entrer aucuns charroys et marchandises venans de lieux dangereux pour séjourner en ceste ville, et encores moins y estre déballées. — Aussy l'on n'y laissera entrer aucun meuble par charroy ou autrement, si l'on n'est bien asseuré que ce soit de lieu seur et sans peste.

14° Au semblable on prendra garde aux pauvres et vagabonds venans du dehors à ce qu'ils ne lacent que passerait travers de lad. ville sans y séjourner, et sera faict recherches pour punir les contrevenans à ceste ordonnance.

15° Aux vagabonds et mandians estrangers de séjour en ceste ville il est enjoinct de sortir et vuider la ville dans 24 heures sur peine du fouet. Et lesd. 24 heures passées les sergens de lad. ville et dixainiers les constitueront prisonniers pour estre contre eulx proceddé ainsy que de raison.

16° Chacun Eschevin en son quartier ira une foiz le jour aux portes accompagné de son sergent pourveoir si les gardes desd. portes y font résidence, pour en commectre ung autre au lieu de celluy qui aura deffailly aux despens dud. deffaillant.

Faict en la maison et chambre commune de la ville de Bourges, par nous Maire et Eschevins d'icelle le vingt septième jour de juillet mil huit cent quatre-vingts.

(Na. Cette ordonnance fut complétée par plusieurs autres , et notamment par celle du 30 du même mois qui prescrivit les gardes à placer aux portes de ville. Il nous suffira de reproduire la première pour servir de point de comparaison avec celle de 1502).


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Item que il seroyt de grand besoing et nécessité que ceux qui sont pestes et qui meurent de peste feussent mys en terre hors la ville, sans les apporter enterre en la ville, car il y a grand dangier, et que lesd. mors pestes soyent enterrez bien parfont (profondément) en terre.

Item que l'on deffende les assemblées comme sermons, nopces, marchiés publicqs et foires de lad. ville.

Item de faire des portes (gardes aux portes de ville) et garder d'antrer gens que l'on ne saiche dont ils viennent.

Item de chasser gens qui peuvent bien gaingner leurs vyes, comme bélistres, maraulx et marauldes et leurs semblables.

Si de ce petit recueil des lois municipales d'il y a trois siècles, et bien qu'il soit très incomplet, on voulait tirer quelque instruction, en comparant ce qui existait alors avec ce qui est aujourd'hui, on verrait qu'un progrès incontestable a été fait sur bien des points.

Les paragraphes qui y concernent les industries alimentaires, bien qu'un grand nombre des dispositions qu'ils renferment aient été conservées de nos jours, témoignent, par la minutie de leurs prescriptions, des tracasseries que l'intervention d'une police trop méticuleuse occasionnait aux gens de commerce. Il en résultait trop souvent dommage aussi bien pour le consommateur qu'on voulait protéger que pour le marchand contre lequel on cherchait à le garantir.

En revanche, on se prend à regretter parfois en face de cette vieille législation , quelques-unes des garanties obtenues , même aux dépens d'un peu de liberté. Les prescriptions par exemple pour ce qui regarde la loyauté dans la vente de certaines denrées, comme bois de chauffage, fourrages, etc. ne pourraient-elles pas sans inconvénient être renouvelées? En fait, la tromperie sur la chose vendue est un vol, et le vol, sous quelque forme qu'il se déduise, mérite toujours répression.

Nous n'avons pas à répéter les observations que nous avons consignées plus haut en notes au sujet des règlements pour le vagabondage et la salubrité publique. Il y faut voir d'ailleurs des essais, des tentatives toujours inefficaces. La fange et la mendicité ont encombré les siècles passés. Les moeurs les protégeaient si le législateur les repoussait.


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Il y a donc eu depuis lors amélioration constante dans la vie publique comme dans la vie intime de nos sociétés ; et ce qui servirait encore à le prouver, c'est l'adoucissement toujours plus grand des pénalités. L'amende, le plus souvent arbitraire, est la punition d'un premier délit ; la récidive amène toujours la punition corporelle ; et cette punition corporelle, ce n'était pas seulement l'emprisonnement comme aujourd'hui, mais aussi le fouet, le carcan, la marque, etc.

En somme, on peut dire à ce sujet, que, si nos pères firent beaucoup pour la civilisation, nous devons nous estimer heureux d'être venus après eux pour profiter des bienfaits de cette civilisation, en trouvant la voie déblayée sous nos pas de tous les obstacles que nos prédécesseurs ont eu à écarter au prix de grandes souffrances et de nombreuses privations.

Nous constations dans les pages qui précèdent combien les ravages du feu ont été préjudiciables à nos archives; il semble que, à l'occasion de ce travail même, les circonstances aient, par une étrange ironie du sort, voulu confirmer ce que nous disions en reproduisant à près de trois cents ans d'intervalle le sinistre qui consuma en 1487 les archives communales de Bourges, et, en y faisant disparaître le manuscrit auquel avaient été empruntées les ordonnances de 1502. Ce manuscrit, en effet, faisait partie des monuments si intéressants pour l'histoire de notre province, et qui ont péri dans l'incendie des archives départementales du Cher à la date du 19 avril 1859. Sorti de Bourges à une époque éloignée sans doute, pour figurer plus ou moins longtemps dans une des bibliothèques publiques du nord de l'Europe, il ne sera revenu un instant à son lieu d'origine que pour y finir inopinément de la fin qui attend la plupart des oeuvres humaines. Félicitons-nous dans ce malheur d'avoir pu arriver à temps pour conserver, de ce volume aujourd'hui disparu, la seule portion qu'on en eût pu vraiment regretter; et constatons que, si la perte sans compensation de ce manuscrit est de nature à inspirer quelques regrets à la collection à laquelle on l'avait emprunté, ces regrets doivent diminuer singulièrement en face du peu de valeur réelle dont il était pour tout autre pays que le Berry. H. B.



DESCRIPTION

DU

TRÉSOR DE LA SAINTE-CHAPELLE

DE BOURGES, PAR M. HIVER DE BEAUVOIR,

MEMBRE TITULAIRE.

SECONDE PARTIE.



Pour les publications littéraires, il y a une première condition à rechercher, l'opportunité ; or, celle du trésor de la Sainte-Chapelle de Bourges est venue à son heure, puisqu'aujourd'hui on s'occupe beaucoup de ces choses, puisqu'elle aura précédé la publication avec commentaire et gravures des 3,670 articles des inventaires de Charles V, que M. Léon de Laborde prépare pour la Collection des documents inédits relatifs à l'histoire de France. Elle pourra être utile à son savant éditeur, et à côté même de ce grand ouvrage elle conservera de l'intérêt, en faisant voir d'une manière toute spéciale, ce que, quant aux choses saintes et aux ornements du culte, étaient l'art et le luxe à la fin du quatorzième siècle et au commencement du quinzième.

Nous ne sommes point de ceux qui veulent faire descendre l'histoire dans la minutie des détails et des anecdotes ; mais nous ne voyons pas non plus grand enseignement dans ces récits refaits, après tant d'autres, des faits et gestes des Princes et de leurs guerres, dans cette sorte de badigeon dont on couvre nos vieilles histoires en y ajoutant quelques phrases Voltairiennes ou libérales. Pour planer au-dessus des siècles, il faut joindre le coup d'oeil de l'aigle à la connaissance et à la méditation profonde des faits, cela est donné au génie; qu'on sache donc quelque gré aux modestes érudits qui tentent d'élucider avec méthode et critique une partie quelconque de notre passé.

C'est le but que nous nous étions proposé dans la première partie de ce

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travail ; mais comme nous l'avions prévu, fait en province il devait être incomplet. Nous avions bien pu remettre de l'ordre dans les papiers de la Sainte-Chapelle, puiser largement dans cette mine dont MM. Raynal et de Charlot avaient signalé l'existence, utiliser le curieux compte des dépenses des minérailles du duc Jean rendu aux exécuteurs testamentaires par Jean le Bourne, contrôleur de la maison de ce prince (1).

Mais Jean le Bourne avait reçu la mission plus étendue de liquider sa succession obérée. Par suite, l'énorme mobilier inventorié après la mort du duc lui avait été remis; et plus tard il justifiait de l'emploi qu'il en avait fait, dans un compte détaillé, actuellement parmi les manuscrits de la Bibliothèque Sainte-Geneviève, et connu sous le titre d'Inventaire du duc Jean, parce que la description et la prisée de chaque objet y sont littéralement reproduites d'après les inventaires faits à Bourges, Mehun-sur-Yèvre et Paris.

Depuis, nous avons pu compulser ce gros volume, et à notre grande surprise, nous avons constaté qu'après avoir donné à la Sainte-Chapelle de Bourges, tout ce que nous avons décrit de reliquaires, vases sacrés et pièces d'argenterie d'église, ce prince en possédait encore lors de sa mort une quantité considérable et des plus riches; et que c'était pour ne pas toucher à ce trésor particulier, plutôt que pressé par les nécessités de la guerre, qu'en 1412 il avait puisé largement dans celui de la Sainte-Chapelle, que cependant il avait juré de respecter, en parole de fils de Roi.

Evidemment, la description de ces joyaux d'église formait le complément nécessaire, indispensable, de la description de ceux donnés par le due aux chanoines de Bourges; puis le compte de Jean le Bourne donnait la prisée et souvent le poids des pièces, ce qui permettait d'apprécier d'une manière moins hypothétique leur valeur ; ce qui fournissait quelque donnée sur l'estime qu'on faisait à cette époque, soit des pierreries , soit du travail d'art.

Nous donnons donc ci-après, en y joignant de courtes notes, la notice des joyaux trouvés après la mort du duc, à la grosse tour de Bourges, au nombre de 36 articles prisés 6118 livres 10 sols, et à Paris, au nombre de 58 articles prisés 38,869 livres 5 sols.

Je recours au texte du manuscrit de sainte Geneviève, texte tronqué par le Laboureur (2), copié ensuite par M. Barrois (3), nous a, d'ailleurs,

(1) Ce compte est l'une des pièces perdues dans l'incendie des Archives du Cher ; mais il nous semble que M. le baron de Girardot en a pris une copie.

(2) Histoire de Charles VI, par un auteur contemporain (le moine de Saint-Denis), traduite par le Laboureur, Paris, 1663, 2 tomes in-f°, dans l'introduction.

(3) Bibliothèque protypographique ou librairie des fils du roi Jean... Paris, 1830, in-4°.


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fourni des additions tellement importantes pour la librairie du duc Jean, que nous prenons le parti de refondre entièrement ce travail et d'en faire l'Objet d'un petit volume soigné, qui paraîtra sous le titre de Librairie deJean, duc de Berry, au château de Mehun-sur-Yèvre.

Ici nous nous bornons, sous le titre de corrections et d'additions, à compléter d'après le bienveillant article de M. Léopold Delisle , membre de l'Institut (1), l'histoire des manuscrits donnés à la Sainte-Chapelle de Bourges, et à rectifier nos fautes et nos erreurs en mettant à contribution les consciencieuses recherches cachées modestement par M. Léon de La borde, dans le volume intitulé : Notice des émaux, bijoux et objets divers... du Musée du Louvre... 2e partie, documents et glossaire, Paris, 1853, in-8° (2).

JOYAUX D'ÉGLISE INVENTORIÉS APRÈS LE DÉCÈS DE JEHAN, DUC DE BERRY.

1° Joyaux trouvés à la Grosse Tour de Bourges.

1° Une petite croix d'or d'ancienne façon, nommée la Croix au Serpent, ouvrée à jour, en laquelle a pardevant un crucefix, et par derrière un ymage de Notre-Dame, qui a les mains jointes, étant sur un croissant, le tout de haulte taille ; et au-dessus du crucefix ou hault de la croix a un saphir et trois balais et dix perles à jour ; et en chacun bout du bras qui va au travers de ladite croix a un balay à jour et trois perles ; et au bout d'en bas d'icelle croix a un long clou de fer, où il y a dessus une perle.

Et siet ladite croix sur un pié d'or esmaillié d'une roche où il a pardessus un lezart d'or de haulte taille, et à l'entour du pié a escript : Michi absit gloriari nisi in cruce domini Nostri Jesus Xristi, et siet sur quatre lézarts. d'or . .. 1,300 livres.

2° Une croix d'or garnie de XXV balais et de XXIIII grosses perles à jour; laquelle monseigneur acheta de Michault de Laillier, bourgeois et chan(1)

chan(1) de l'école des Chartes, 5e série, t. 2.

(2) Les documents, c'est l'inventaire infiniment curieux des joyaux de Louis, duc d'Anjou, roi de Naples et de Sicile, l'un des frères du duc Jean.

Le glossaire, c'est un glossaire des arts au moyen-âge laissant, dans cette spécialité, bien loin Ducange, et où l'explication de chaque mot a pour preuves les textes nombreux dans lesquels l'auteur, par une lecture immense, l'a rencontré.


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geur de Paris, le XXIIe jour d'aoust l'an mil CCCC et quatre, pour le prix et somme de deux mille deux cents livres ; dedans laquelle a une croix à double croisée qui est du fust de la vraie croix que messire Jehan de Chasteau-Morant (1) donna à monseigneur au mois de juing l'an dessus dit mil CCCC et quatre.

Item, un pié d'argent doré sur quoy siet ladite croix.

Prisés ensemble 2,200 livres.

3° Une petite croix d'or garnie de quatre camahieux ; aux quatre bous un camahieu au milieu de cinq saphirs et une perle, pendant à une petite chayennette d'or ; et derrière a un lieu pour mettre une croix ; laquelle croix, ainsi garnie, madame la duchesse donna à monseigneur à estraines le premier jour de janvier l'an mil CCCC et huit 140 livres.

4° Un tableau de bois où il a une pitié d'une part et de l'autre un ymage de Notre - Dame tenant son enfant ; et sont faits de noir et de blanc (2) 50 sols.

5° Un reliquaire d'or en manière d'une tour dedans laquelle a une petite ymage de Notre-Dame d'or garnie à l'entour de petites perles ; et y fault le fertelet 11 livres.

6° Un petit tableau d'argent doré à pignon où il a pardedans un crucifiement et un sépulcre, par dehors une annunciacion d'esmail. 20 sols.

1° Un petit reliquaire de cristal garny d'or sans pierrerie, lequel est d'un ymage d'or de Notre-Dame qui a été dépécée 24 livres.

8° Un autre reliquaire de cristal garny d'or sans pierrerie, qui était d'un ymage de saint Pierre. 30 livres.

9° Deux tableaux de bois où est l'ymage de la Véronique. 35 sols.

10° Un petit joyau d'or, ouquel a un Dieu yssant du sepulcre, fermant à deux petits huisselets esmaillés par dehors à deux ymages de saint Pierre et saint Paul ; et derrière une annunciacion ; et entour cinq grosses perles et neuf petites. Pesant tout avecques le las qui y pend 1 marc XV estellins 16 livres.

11° Un autre tableau de bois d'ancienne façon, garni les bous d'argent sur l'un des costés ; et l'ymage qui est oudit tableau est fait de poins de marque tenus 4 livres.

12° Un autre tableau de bois, où il a un ymage fait de marqueteure, et entour garni d'argent à euvre de damas 60 sols.

(1) Déjà cité comme ayant donné des reliques au duc, 1re partie, p. 38 et 56.

(2) C'est une peinture sur bois en camahieu. M. L. de Laborde, glossaire, V° tableau, a donné une liste des tableaux peints possédés par le duc de Berry ; cette description en contient dix rangés parmi les joyaux , N°s 4, 13, 23, 56, 58, 59, 70, 72, 73, 74 Ce dernier avait été acheté par le duc, d'un clerc de la chapelle, 20 escus d'or ; les experts l'estimaient 10 sols.


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13° Un tableau de bois, où il a quatre demis ymages de peinture, c'est à savoir : une pitié de Notre Seigneur ; un ymage de Notre-Dame et deux ymages de saint Pierre et saint Paul 13 livres 10 sols;

4° Deux petits tableaux d'yvoire, en deux pièces (1 ), où il a deux ymages esmaillées ; l'une de sainte Anne, l'autre de sainte Katherine, garnies d'or entour. 24 livres.

15° Un tableau d'or de haulte taille, où il a en un des costés saint Jehan Baptiste tenant un Agnus Dei, garni entour de sept perles moyennes, où il a escript : Ecce Agnus Dei, qui contient la moitié du rond ; en l'autre, en a autant escript en grec. Et derrière la teste dudit saint Jehan, a escript : Penitentiam agite, et audessoubs dudit Agnus Dei en a autant escript de lettres grecques ; et audessus de la teste a une pièce de pierre où il a escript pardevant : Parissis, et derrière en a autant escript en grec ; garnie entour ladite pierre de six petits balaisseaux et huit perles moyennes ; et ledit tableau est garni entour de dix balais, six saphirs et. seize assez grosses perles, et de l'autre costé dudit tableau est sainte Eugène et son miracle tout de haulte taille, où il a trois noms escripts, c'est à savoir : sur la teste du prevost Phillippus ; sur la teste de sainte Eugène Eugenia, et sur la teste de Notre-Dame, sur qui descendit le feu, Melentia; et est ouvré à l'entour de serpens volans; et pend à un las de soye garni de deux boutons de perles. Lequel tableau, Monseigneur acheta en sa ville de Bourges, ou mois de novembre l'an mil CCCC et deux, de Anthoine Manchen, marchand de Florence, demourant à Paris, la somme de deux mille livres 1,200 livres.

16° Un petit tableau d'ivoire fermant à couplés (2), où il a en l'un des costés un ymage de Notre-Dame tenant son enfant et les trois roys de Coulongne, et de l'autre costé un crucefix, Notre-Dame , saint Jehan et autres ymages, le tout de haulte taille, lesquels Monseigneur acheta à Paris comptant de sa main au mois de décembre l'an mil CCCC et six. 40 sols.

17° Un petit tableau quarré d'argent blanc, d'ancienne façon, fermant à deux huisses d'argent doré, où il a une annunciacion d'enleveure en manière de haulte taille, dedans lequel tableau sont les reliques qui s'ensuivent escriptes en grec : c'est à savoir de saint Blaise, de saint Cesar et Daxmien, de saint Panthaléon, de saint Jehan bouche d'or, de saint Barthelemy appottre, et saint Xristoffe et saint Boniface, de saint Agnan et de saint Cire, de saint Ciril, sainte Jurite, sainte Salomé, de saint Heremitte. Cyprian, de saint Cirisse, saint Chodie, et saint Alexandre, du lait de la

(1) Ce sont de ces tableaux fermant l'un sur l'autre, que les amateurs appellent aujourd'huy des diptyques, V. cy-après n°s 16, 61, 64 et 65.

(2) Couplés ou couplets charnières.


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Vierge Marie, et du buisson où Moïse vit le feu, et de la pierre du sépulcre Notre Seigneur; et pend ledit tableau à une petite chayne d'argent

blanc. 10 livres.

18° Un reliquaire d'or, auquel a un crucefix sur un cassidoine fermant à deux petits guichés, garnis de petis rubis d'Alexandrie (1), d'esmeraudes et de petites perles, lequel Mons. l'archevêque d'Aux (2), donna à Monseigneur aux estraines, l'an mil CCCC et un 60 livres.

19° Un reliquaire d'or rond, garni et semé de petites estoilles d'or ; et ou milieu a une pitié de Notre Seigneur et un angele qui la soutient, esmaillés de blanc ; et autour dudit reliquaire a seize perles et quatre angels esmaillés de blanc, et derrière a une Véronique de painture, et dessus un bouton d'or et un petit las de soye pour le pendre ; lequel reliquaire, fut donné à Monseigneur par le duc de Bourbonnois , comte de Clermont (3), à estraines, le premier jour de janvier l'an mil CCCC et deux. 24 livres.

20° Un petit tableau d'or quarré, en deux pièces, où il a pardedans deux ymages fais de camaiheu, et pardehors d'un des costés a un crucefix, et de l'autre Notre-Dame tenant son enfant ; garni de menue pierrerie de petite valeur; lequel Janne de Ginault, marchant de Jennes, donna à estrenes à Monseigneur, le premier jour de janvier l'an mil CCCC et sept 80 livres.

21 ° Un petit tableau d'or longuet, sur façon de fons de cuve, de la grandeur du fons de la main environ, ouquel a un petit ymage de NotreDame qui a le visage et mains de camahieux, le corps jusqu'à la ceinture d'un saphir, tenant son enfant aussi fait de camahieux; et est ledit tableau garni de trois balais, trois saphirs et six perles et pend à un crochet; lequel ainsi fait garni comme dit est monseigneur le comte d'Armagnac ( 4 ) donna à Monseigneur aux estraines l'an mil CCCC et neuf 70 livres.

22° Un autre tableau d'or quarré en façon d'un quarteau, où il a un ymage de Notre-Dame tenant son enfant, et un demy ymage fait pour Monseigneur, tout d'esmail, garni de quatre balais et quatre perles, et six

(1) 1re partie, p. 42, à la note, nous avons dit, d'après le dictionnaire de Trevoux, que des agates d'Alexandre étaient des agates gravées à l'effigie de ce roi ; puis, nous demandions ce que c'était qu'un rubis d'Alexandre. Cette leçon et le glossaire de M. de Laborde nous apprend que des agates et des rubis d'Alexandre ou Alexandrie étaient des pierres venant de cette ville où se faisait alors tout le commerce de l'Orient.

(2) Jean, bâtard d'Armagnac, archevêque d'Auch.

(3) Jean de Bourbon, gendre du duc Jean.

(4) Bernard VII, comte d'Armagnac, gendre du duc Jean.


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boutons en manière de flottes de soye ; lequel tableau monseigneur d'Alençon (-1) donna à mondit seigneur aux dites estraines l'an mil CCCC et neuf 90 livres.

23° Un grand tableau de bois tout neuf, de la longueur d'un aultier ou environ, bien ouvré de menus ouvrages de painture de la vie et passion Notre Seigneur et de plusieurs saints et saintes, et sont en six pièces fermant à couplés d'argent doré; lesquelles furent de feu messire Jehan de Montaigu, et les donna sa femme à mon dit seigneur aux dites estraines, l'an mil CCCC et neuf (2) 148 livres 45 sols.

24° Un très-petit ymage d'or de Notre-Dame, non pesé 45 sols.

25° Un autre plus petit en un tabernacle, non pesé 35 sols.

26° Un ymage de bois de Notre-Dame couronnée d'une couronne où il a deux balaisseaux, deux saphirs et quatre perles; et tient son fils entre ses bras; séant sur un entablement d'argent doré esmaillé entour de plusieurs ymages et deux escussons des armes de feu sire de la Rivierre (3). 30 livres.

27° Un petit ymage d'or de Notre-Dame, esmaillé de blanc, tenant son enfant à demy nu, et en sa main un balay longuet, couronnée d'une couronne garnie de trois balaisseaux et menues perles; et siet sur un pié d'argent doré poinçonné, auquel a par devant un lieu pour mettre reliques et deux angels aux costés esmaillés de bleu ; lequel ymage l'évesque de Lymoges (4) donna à estraines à Monseigneur le premier jour de janvier l'an mil CCCC cinq 420 livres.

28° Un porte-paix d'or ou il a un cristal rond; au milieu et dessoubz une trinité, et autour sont les quatre évangélistes esmailliés, garnis de pierreries, c'est à savoir de quatre balais, huit saphirs, douze trochés de perles (où en chascun troché a trois perles, qui font XXXVI perles), pesant un marc cinq onces dix-sept esterlins maille 225 livres

29° Un petit porte-paix d'or auquel a un ymage de saint Anthoine en manière de haulte taille, et en sa poitrine a une fleur de lis de balay, lequel porte-paix le roi de Navarre (5) donna à Monseigneur au mois de décembre l'an mil CCCC et cinq 70 livres.

30° Un porte-paix d'or où il a un angel tenant un crucefix couvert pardessus d'un cristal et garni entour de sept ballaisseaux et seize perles ; lequel monseigneur le comte d'Alencon donna à estraines à Monseigneur le premier jour de janvier l'an mil CCCC et sept 80 livres.

(1) Jean, duc d'Alencon, tué à Azincourt.

(2) Jean, de Montaigu avait été décapité le 17 octobre précédent. Voir 1re part, p. 110.

(3) Bureau de la Rivière, ministre favori de Charles V.

(4) Hugues de Maignac.

(5) Charles III, roi de Navarre.


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31° Un benoistier de Cassidoine à deux ances de mesmes, et dessus a une ance d'argent doré de deux serpents entortillés l'un dans l'autre 16 livres.

32° Un aultier portatif de jaspre garni d'argent esmaillé à l'entour de la vie Notre-Seigneur et Notre-Dame; et siet sur quatre petits leonceaux, pesant avec ledit jaspre dix-huit marcs 70 livres.

33° Un autre petit aultier portatif de pierre de marbre assis sur un bois, entour garni d'argent doré, où il a un pièces de néelleure. 6 livres.

34° Une pierre de marbre pour faire un aultier portatif non garnie 60 sols.

34° bis Une pierre de jaspre vermeil pour un aultier portatif, non garnie. 6 livres.

35° Un calice où Notre-Seigneur bust à la cenne, garny d'or, escript à l'entour de lettres noires, pesant un marc quatorze esterlins... 34 livres.

Total de la prisée des joyaux d'église trouvés à la grosse tour de Bourges 6,118 livres 1 0 sols.

2° Joyaux d'églises trouvés à Paris.

36° Une petite croix d'or en laquelle a une croix du fust de la vraie croix; couverte d'une croix de cristal ou milieu de laquelle a un gros balay en façon de targe, qui est de la pierrerie d'un fermail d'or en façon de couronne, et en chascun des un bous de ladite croix a une grant esmeraude dont les trois sont quarrées et l'autre est en façon d'une lozange ; et siet ladite croix sur un pié d'argent doré; prisée par Albert du Molin et Julien Simon, et l'ont poisée : et l'or d'icelle poise avec le cristal et pierrerie 4 marcs 15 esterlins; et le pié qui est d'argent doré poise 4 marcs 7 onces 15 esterlins, et prisée tout ensemble douze cents escus d'or valant 4,300 livres.

37° Un tableau de bois d'ancienne façon où il a un ymage de NotreDame et autour un Dieu et plusieurs ymages d'apostre d'argent doré; et par derrière sont hachiés les armes de mondit seigneur, pesant tout ensemble avec une couronne à brodeure 7 marcs 2 onces 1 0 esterlins. 45 livres.

38° Un tableau de broderie fait à pignon de la main de Jaquemin Bonnebroque ; en l'un a un Dieu le père lequel est en un tableau garni d'argent et de petite menue pierrerie; et en l'autre est l'ymage NotreDame, prisé avec une petite Véronique de brodeure qui est au-dessus ledit tableau 46 livres 5 sols.

39° Une croix d'or garnie de quatre balais quarrés à jour et quatre


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esmeraudes et douze perles grosses à jour; a un pié d'argent, et poise l'or' et pierrerie - marc 4 onces 44 esterlins et le pié d'argent 2 marcs

7 onces 42 esterlins 4,300 livres.

40° Une autre croix d'or garnie de quatre gros balais et cinq moyens tout à jour, et un saphir ou milieu à jour, duquel est entaillé Dieu le père, et autour plusieurs reliques, séant en un pié d'or; pesant ensemble

4 marcs 2 onces 7 esterlins 4,400 livres.

41° Un petit reliquaire d'or ou il a une pierre appelée paviot (4), verte et contre le jour vermeille, en laquelle a pardevant un ymage de femme et

derrière une croix; et en tout pesant once et demi 56 livres 5 sols.

42° Un autre petit reliquaire d'or auquel a un petit ymage de NotreDame de Cassidoine tenant son enfant et en sa main un bien petit ruby ; et pend ledit reliquaire à une petite chayenne; lequel Jehan Hannon donna

à Monseigneur. 40 livres.

43° Un petit tabernacle d'or où il a un ymage de Notre-Dame dont le ventre est de nacre de perle, ceint d'une ceinture, tenant en sa main un livre, et un autre ymage de sainte Elisabeth qui embrasse ledit ymage de Notre-Dame; garni entour de six balais, six perles et un dyamant; fermant à deux petits huisselés de cristal, et est ledit tabernacle pardessus de maçonnerie, garny de deux camahieux, quatre saphirs, quatre balaisseaux et XXIII perles, séant sur un tabernacle d'or garny de cinq balaisseaux, cinq saphirs et XXXIIII perles, lequel tabernacle madame la Duchesse donna à Monseigneur aux estraines en janvier MCCCCXIIII. 337 livres 4 0 sols. 44° Un tabernacle d'or, appelle le joyau du Mont de Calvaire à six pilliers d'or qui soutiennent une voulte ; auquel tabernacle a deux ymages l'un d'un duc et l'autre d'une duchesse, avecques une petite croix d'or qui sert audit tabernacle en laquelle a du fust de la vraie croix, et est garnie la Croix dudit tabernacle de plusieurs perles, c'est-à-dire de 66 perles de 3 à 4 caras la pièce par advis, et de six grosses perles pesant de 9 à 4 0 caras la pièce ou environ; et en ladite croix a du milieu un ruby grosset, sur le rond quatre dyamants dont les deux sont un peu plus gros que les autres, quatre saphirs à huit costes sur les nu bous de ladite croix et treize grosses perles pesant de 9 à 42 caras par advis; et au bas de ladite croix a un escuçon des armes de mondit seigneur ; et pendent audit tabernacle à costé desdites croix deux petites fioles de cristal en l'une desquelles a du sang de Notre-Seigneur et en l'autre du lait de NotreDame, prins, en la Sainte-Chapelle du palais de Paris; lesquelles dites deux fioles sont dans deux autres plus grans fioles garnis de petis balais et de huit perles; et sur chascune fiole a une couronne d'or; et poise ledit

(1) Pierre de l'espèce des opales.


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tabernacle avec ladite croix tout ensemble sans lesdites fioles, douze marcs

cinq onces et demi, cinq mille escus valant 5635 livres.

45° Un porte-paix d'ivoire carré dedans laquelle a un crucefiement, Notre-Dame, saint Jehan et plusieurs autres ymages entour, lequel portepaix maistre Pierre de Givés (4 ) donna à Monseigneur aux estraines

CCCC et treize 30 livres.

46° Un autre porte-paix d'or, de demy pié hault, de plaine paulme de large, en laquelle a pardedans une Véronique esmailliée de blanc, entour plusieurs angels esmailliés de plusieurs couleurs, garni entour de III balais, un saphirs et seize perles, ouvré entour à ouvrage de Venise où il a de petis saphirs et grains d'esmeraudes; et au-dessoubz a escript : pax vobis, lequel monseigneur l'archevesque de Bourges (2) et monseigneur l'évesque de Clermont (3) ont donné à Monseigneur aux estraines l'an CCCC et

quinze 300 livres.

47° Une petite croix d'or pour pendre à une patenostre, au milieu de laquelle a un camahieu taillé en façon d'un ymage de sainte Katherine, et au-dessus a un dyamant en manière d'une fleur et aux autres trois bous trois perles; et est ouvrée par derrière à la façon de l'ouvrage de Venise; laquelle croix madame de Bourbon (4) donna à mondit seigneur aux

estraines l'an CCCC et treize 437 livres 40 sols.

48° Une autre petite croix d'or pour pendre à unes patenostres, ou milieu de laquelle a un camahieu taillé en la manière d'une teste de femme, et aux IIII bous de ladite croix a IIII escuçons de dyamants ; laquelle croix le sire d'Alègre (5) donna à Monseigneur aux estraines l'an

CCCCXIII 80 livres.

49° Unes patenostres faites de must enfilées en las fait de fil d'or et de soye bleue, garnies de III boutons de perles ; lesquelles la royne de Chippre

donna à Monseigneur aux estraines l'an CCCC et quinze 30 livres.

50° Un grant tableau d'or en façon d'un livre, ouquel est l'annunciacion, l'apparition, la nativité et la passion Notre-Seigneur, fait de haulte taille, garni de 22 balais, 86 perles; et dessus a cinq gros boulions d'or, et poise l'or et pierrerie 39 marcs, trois mille escus valant. 3,375 livres.. 54° Une grant croix, nommé la croix aux cristaulx, garnie de sept gros balais cabochons, et de onze gros saphirs, et de trente-six grosses perles de plusieurs sortes; et dedans ladite croix a une grant croix du fust de la vraie croix couvert de cristaulx de toutes pars ; séant sur un pié

(1) L'un des secrétaires du duc Jean.

(2) Guillaume Boisratier.

(3) Henri de la Tour.

(4) Marie de Berry, mariée en troisièmes noces à Jean, duc de Bourbon.

(5) Morinot de Tourzel, sire d'Alègre, conseiller du duc.


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d'argent doré; prisée ensemble ainsi garnie comme dit est 8,000 livres, vendue dix mille francs 4 0,000 livres.

52° Une petite croix d'argent doré où il a un crucefix, et est garnie de fausse pierrerie 40 sols.

53° Une croix de pierre serpentine non garnie 5 sols.

54° Une grant branche de corail vermeil sur laquelle a un crucefix d'argent doré, Notre-Dame et saint-Jehan aux costés; et y a plusieurs angels tenant bannières aux armes de Monseigneur; séant sur un pié d'argent doré où il a deux escuçons aux armes de Rodes, et deux autres aux armes du grand maistre de Rodes (4) qui donna cette croix ainsi faite et garnie comme dit est à Monseigneur le XXIIe jour de janvier l'an mil CCCC et neuf... 32 livres.

55° Un petit tableau d'argent doré, garni l'un des costés de voirre bleu où il a pardessoubz un crucefiement d'argent, saint Jehan Baptiste et saint Jehan l'Évangéliste, et de l'autre costé de voirre vermeil où il a dessoubz un ymage de Notre-Dame, sainte Katherine et la Magdelaine, poisant avec le voirre 4 marc 2 onces 7 livres.

56° Deux autres tableaux garnis d'argent, en l'un desquels a un crucefiement, et en l'autre un ymage de Notre-Dame tenant son enfant en son giron; èsquels a plusieurs demy ymages d'apostres de painture et de pierrerie de petite valeur, pesant tout ensemble 2 marcs 7 onces 2 esterlins 4 6 livres.

57° Un grant tableau de bois où il a ou milieu un ymage de NotreDame de pourcelaine (2) et plusieurs autres ymages de pourcelaine entour de la vie Notre-Seigneur et de Notre-Dame, garni d'un des costés à l'entour d'argent doré à l'euvre de Damas 4 6 livres.

58° Un autre tableau de bois de painture où il a un ymage de NotreDame tenant son enfant, en l'autre main un livre ; et devant ledit ymage à l'un des costés est le roi Jehan et monseigneur de Berry, et de l'autre costé un évesque tenant sa crosse et un livre devant... 44 livres 5 sols.

59° Un tableau de bois à pignons, en sept pièces fais de painture, de la vie de monseigneur saint Laurens ; et ou tableau du milieu a un crucefiement, Notre-Dame et saint Jehan aux costés 56 livres.

60° Un autre tableau rond en deux pièces en l'un desquels a un ymage

(1) Philibert de Naillac, surnommé le preux chevalier.

(2) Pourcelaine (1er part. p. 44 à la note), nous avait semblé vouloir, dire émail ; M. de La Borde, dans son glossaire, se livre à une longue dissertation et cite un grand nombre de textes pour établir qu'aux XIVe et XVe siècles on désignait ainsi la nacre de perle, cependant n° 43, nous avons une Notre-Dame dont le ventre est de nacre de perle.


de Notre-Dame alaitant son enfant et deux angels aux deux costés; et en l'autre saint Jehan l'évangéliste escripvant en un roulleau : in principio etc., et une aigle devant lui qui lui tient son escriptoire 45 sols.

64° Un autre tableau d'ivoire rond en deux pièces, garni d'argent à l'environ, et dedans l'un, est la pitié Notre-Seigneur, et deux angels l'un tenant la croix et l'autre la lance ; et en l'autre pièce est Notre-Dame en pleurs et saint Jehan et sainte Katherine aux deux costés 8 livres.

62° Un petit tableau d'ivoire garni d'argent, et dedans un P et un N entaillés où il a ymages 4 0 sols.

63° Un tableau d'argent doré ployant, où il a dedans un tabernacle de maçonnerie ouquel un ymage de Notre-Dame eslevé tenant son enfant et séant en une chayre d'ivoire, accompaingnée de plusieurs angels, et est couronnée d'une couronne d'argent doré et en la poitrine une estoile ; et sont lesdis tableaux garnis d'ymages d'ivoire eslevés 70 livres.

64° Trois tableux d'ivoire, chascun en deux pièces, de la vie NotreDame et passion de Notre-Seigneur qui furent de monseigneur d'Estampes (4 ) 4 8 livres.

65° Un tableau d'ivoire en deux pièces où il a plusieurs ymages de haulte taille très-délicement ouvrées, de plusieurs histoires, garni d'argent esmaillé aux armes de Monseigneur 460 livres.

66° Un autre tableau d'ivoire plus petit où il a plusieurs ymages élevées de la passion Notre-Seigneur, et en plusieurs lieux sont les armes de monseigneur d'Estampes, pendant à une chayenne d'or 20 livres.

67° Un autre tableau quarré de pourtraicture où Notre-Seigneur est en la croix, et les deux larrons avec lui en l'un des costés, et en l'autre un crucefiement 40 sols.

68° Un autre grant tableau où est la passion Notre-Seigneur, fait de poins de marqueteure, et entour de l'un des costés garny d'argent blanc 20 livres.

69° Trois tableaux de bois où il a ymages de marqueterie de bien ancienne façon 4 0 livres.

70° Un autre tableau de painture en deux pièces, où il a plusieurs petis ymages de painture, et en chaccun plusieurs ymages de poins de marqueterie, et armoyé sur les bors de plusieurs armes 8 livres.

71° Une pierre estrange de couleur tannée, issue d'un petit tableau d'or quarré de la grandeur du fons de la main, en laquelle a un ymage de Notre-Dame tenant son enfant, une sepulture et plusieurs autres ymages, et est escript par derrière de lettres grecques 20 sols.

72° Un petit tableau de bois bien ancien, garny par devant d'argent

(1) Louis d'Evreux, comte d'Étampes.


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doré et ouvrage de Venise, ouquel a un ymage de Notre-Dame tenant son enfant et un ymage de femme à genoulx, tout fait de painture ancienne ; et a ledit ymage de Notre-Dame en sa poitrine un petit fermaillet d'or en façon d'une estoille garny d'un petit ruby ou milieu et de douze perles entour 27 livres.

73° Un tableau de bois, en quatre pièces atachées et acouplés où est l'annunciacion, la nativité et passion Notre-Seigneur, et l'assomption Notre-Dame, tout de painture 36 livres.

74° Un tableau de bois quarré où il a ou milieu un ymage de NotreDame tenant son enfant que deux angels couronnent; et à l'un des costés a un ymage de saint Jehan Baptiste, et l'autre un ymage de saint Jehan l'évangéliste, et tout au-dessus un ymage de Dieu le père couronné de plusieurs petis angels, tout fait de painture d'or sur un champ de rouge cler; et sont lesdis ymages tous couvers d'une grant pièce de voirre plate, et les bors dudit tableau sont garnis d'or bruni, lequel ainsi fait et garni comme dit est monseigneur acheta de Jehan Maronne son clerc de chapelle ou mois de décembre mil CCCC et neuf le prix et somme de vingt escus d'or comptant 4 0 sols.

75° Un autre grant tableau d'une pierre à toucher or, fait d'un costé et d'autre d'ymages d'or de plusieurs touches, et garny par les bors de bois ; lequel tableau monseigneur de Saint-Pol (4) donna à mondit seigneur aux dites estraines mil CCCC et neuf. 32 livres.

76° Un autre ancien tableau à pignon, fait de painture de la passion Notre-Seigneur en quatre pièces fermant à couplés, et y a plusieurs fioles de cuivre doré; lesquels tableaux la reyne de Chippre donna à mondit seigneur aux dites estraines l'an mil CCCC et neuf. ..... 40 livres.

77° Un ymage d'ambre de Notre-Dame tenant son enfant par la main, laquelle a sur la teste une couronne d'argent doré, et siet sur une chapelle qui porte sur quatre piliers, pesant tout ensemble 4 marc 4 5 onces 5 esterlings. . 400 sols.

78° Un ymage d'ambre de Notre-Dame, le visage et la main d'ambre blanc, une petite couronne d'or sur la teste, tenant son enfant d'ambre blanc. 60 sols.

79° Un petit chief d'un évesque dont la teste est d'un camahieu, la mitre et sa poitrine sont d'argent doré, garnie ladite mitre de menue pierrerie et esmaulx de petite valeur; et en ladite poitrine a un lieu pour mettre reliques; et à l'entour du col a escript: Gloriosus deus in sanctis suis, lequel chief l'abbé de Saint-Guillaume (2) donna à estraines à monseigneur le premier jour de l'an MCCCC et trois. . . 8 livres.

(1) Waleran de Luxembourg, comte de Saint-Paul.

(2) Reginald, abbé de Saint-Guillaume-du-Désert, diocèse de Lodèves.


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80° Un corporal d'ivoire, le couvercle de la passion à ymages de taille ; et est ledit corporal fait à l'entour de plusieurs ymages de ladite passion 8 livres.

84 ° Deux burettes de deux noix d'Inde garnies d'argent doré à un long col sans ances; lesquelles messire de Chasteaumorant apporta de Constantinople et les donna à mondit seigneur ou mois de septembre mil CCCC et deux 8 livres.

82° Un benoistier de cristal à deux ances non garni 6 livres.

83° Un benoistier de cristal, garni d'argent doré à une ance d'argent doré pendant à une chayenne d'argent blanc, où il a au bout un annel d'argent doré, pesant 2 marcs 5 onces 4 0 esterlins 8 livres.

84° Un autre benoistier de cristal, où il a deux serpens volans qui font l'ance d'argent doré, non pesé 4 2 livres.

85° Un aultier portatif de pierre de marbre, garni dessoubs de cuivre doré, et sont les bors d'argent doré et d'esmaulx, pesant avec ladite pierre 8 marcs 2 onces 4 5 esterlins 60 sols.

86° Une croix de jaspre garnie d'or en laquelle a en l'un des costés un crucefix d'or, et aux IIII bous IIII esmaulx d'or où sont les un évangélistes esmaillés aux armes d'Estampes, et de l'autre costé a un ymage de NotreDame tenant son enfant, et aux IIII bous un esmaulx aux armes de feu mondit seigneur; et siet ladite croix sur un pié de jaspre fait à pans garni d'or auquel sont entaillés les armes de mondit seigneur, et pardessus un entablement d'argent fait à piliers, entour duquel a plusieurs esmaulx enlosangiés aux dites armes, prisé ladite croix par Albert de Molin et Julien Simon marchans et bourgeois de Paris, expers et connaissais à ce, lesquels ont poisé ladite croix, et poise neuf marcs et demi, et a été prisé 4 00 livres.

87° Un ymage d'or de saint Michiel qui tient un serpent soubs lui, séant sur un petit entablement et une terrasse d'or esmaillé de vert; et en sa targe a un grand saphir, quatre balais et huit perles; et en la croix qu'il tient en sa main a un dyamant pointu, un perles de compte et un autres bien petites; et en son chapel un ruby, et au bout de son épée a une perle; et entour l'entablement a dix balaisseaux, dix saphirs et 78 perles de comptes; et par dessus ladite terrasse a petis arbrisseaux sans pierrerie ; pesant tout ensemble cinq marcs cinq onces, prisé 700 livres.

88° Un petit reliquaire d'or pour porter au col, auquel a en l'un des costés une croix que monseigneur fist faire d'un balay qui poise 38 caras et demi qu'il acheta de Baude de Guy, et de l'autre costé dudit reliquaire a une croix de dyamant que monseigneur acheta de Michiel de Paxi le 4 0e jour de novembre mil CCCC et quatre, pour le pris et somme de 675 livres; dedans lequel reliquaire a plusieurs reliques, prisé.. . 400 livres.


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89° Un autre petit reliquaire d'or pour porter au col, garny d'un saphir taillé d'un demy ymage de Dieu, et entour a six rubis qui sont d'une ceinture et six grosses perles qui sont d'un fermail d'or en façon de couronne, prisé 787 livres 4 0 sols.

90° Un grant ymage d'or de Notre-Seigneur, pesant vingt-quatre marcs douze esterlins, garny en la poitrine d'un fermail d'or en la façon d'un lis garny d'un gros saphir cabochon que donna le feu vidante de Laonnois (4), trois balais, six grosses perles ; et ledit ymage garny d'un diadème garni de quatre balais, quatre saphirs et dix-huit perles; et tient ledit ymage en sa main une petite croix d'or garnie de quarante-quatre rubis et de vingtquatre dyamants pointus ; laquelle pierrerie, sans lesdits gros saphirs et croix aux rubis et diamants, est de la plus grosse pierrerie d'un grand tabernacle d'or que monseigneur a recouvré de Bureau de Dampmartin, et est prisée toute la pierrerie dudit ymage, deux mille quatre cents livres ; item, est prisé l'or dudit ymage quinze cent quatre-vingt-dix livres ; et le pié d'argent où siet ledit ymage est prisé cent cinquante livres, et par ainsi monte tout ledit ymage 4,440 livres.

94° Un autre grant ymage d'or de Notre-Dame tenant son enfant, garny ledit ymage en la poitrine d'un gros balay, et tient ledit ymage un reliquaire garny de vingt-quatre petites perles et cinq grosses perles, un gros saphir, six rubis, six dyamants, et de six pièces de cristal, auquel reliquaire souloit avoir une des dents d'enfance Notre-Dame; et sur la teste dudit ymage a une couronne d'or garnie de dix balais, six saphirs, quarante-neuf perles ; et le dyadème dudit ymage garny de trois saphirs, quatre balais et dix-huit perles; et le dyadème de l'enfant garny de quatre balais et douze perles ; laquelle pierrerie, sous ledit gros balay et reliquaire, est dudit grand joyau cy-dessus déclaré ; et poise ledit ymage ainsi garny vingt-quatre marcs deux onces dix-sept esterlins ; ledit ymage garny comme dessus sans ledit reliquaire vault et est prisé compris le pié qui est d'argent . . 4,704 livres.

Et ledit reliquaire garny comme dessus est prisé 300 livres.

92° Un petit joyau d'or ou milieu duquel a une grant pierre de camahieu ouvrée et entaillée de l'un des costés de quatre ymages élevés, c'est à savoir l'un de Notre-Seigneur, l'autre de saint Jehan-Baptiste, l'autre de saint Pierre et l'autre de saint Andry, avec un Agnus Dei et un arbre auquel se appuie ledit ymage de saint Jehan, et entour a quatre balais cabochons, dix grosses perles, une grant esmeraude quarrée; et de l'autre costé est ledit camahieu tout plain et poli reluisant en manière de miroer, pesant deux marcs six onces cinq esterlins. Item, un pié d'argent doré

(1) Jean de Montaigu,


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servant audit joyau ; et souloit servir à la petite croix aux esmeraudes, prisé 2,000 livres.

93° Un petit tableau d'or où il a un ymage de saint Louis, roy de France, fait d'esmaulx de pelite (4), garny de pierres, c'est à savoir de onze balais, trois saphirs, trente-deux perles, et au-dessus une teste de camahieu ; lequel tableau ainsi fait et garny commme dit est, l'amiral (2) donna à monseigneur ou mois d'avril MCCCCVIII, prisé ainsi qu'il est 4,000 livres.

Total de la prisée des joyaux d'église trouvés à Paris . 38,869 livres 5 sols.

Prisée de ceux déposés à la grosse tour de Bourges 6,44 8 livres 4 0 sols.

TOTAL 44,987 livres 4 5 sols.

Sans revenir sur les calculs faits dans la première partie de ce travail pour convertir les valeurs de ce temps en valeurs actuelles (V. 1re part. p. 49 et 52), nous rappellerons que, l'argent étant alors au plus à 7 livres 4 0 sols le marc, cette somme de 44,987 livres 4 5 sols représentait aujourd'hui intrinsèquement 344,944 francs 50 centimes; mais que, la puissance de l'argent étant en 4400 quatre fois plus grande, il fallait encore multiplier cette dernière somme par 4, soit 4,259,658, si l'on voulait arriver à celle qui équivaudrait aujourd'hui aux 44,987 livres 45 sols des inventaires de 4 44 6.

Nous ferons d'ailleurs remarquer que ces joyaux ont été estimés trèsbas, en se préoccupant presqu'exclusivement de la valeur intrinsèque ; et pour ceux qui seraient curieux de rechercher pour quelle somme les pierreries entraient dans l'estimation des grandes pièces de cette description, nous leur rappellerons que Jean le Bourne (V. 4re part. p. 49 à la note) avait vendu à Arnoul Belin une partie de l'argenterie et des bijoux du duc à raison de 62 livres 4 4 sols 4 deniers le marc d'or et de 7 livres 2 sols 6 deniers le marc d'argent.

(1) 1re part. p. 25, ne sachant quelle signification attribuer à ce mot vainement cherché dans Ducange, j'avais hasardé l'opinion qu'émail de pelite était peut-être pour émail de Montpellier, ville où il s'en fabriquait. Le sens de ce terme a également préoccupé M. L. de La Borde, mais ayant lu ailleurs esmail de plique, de plite ou d'oplite, il a été conduit à reconnaître que c'étaient des émaux d'applique, exécutés sur plaques de petites dimensions, et montés de manière à pouvoir être appliqués sur des pièces d'orfèvrerie ou même sur des vêtements. (Glossaire, V° esmail de plique.)

(2) Jacques de Châtillon, seigneur de Dampierre, tué à Azincourt.


CORRECTIONS ET ADDITIONS.

4 ° Charles d'Anjou au lieu de Louis d'Anjou. Nous ne savons par quelle préoccupation nous avons (4re part. p. 5 et 6 à la note) désigné, sous le nom de Charles au lieu de Louis, le frère de Jean duc de Berry qui fut duc d'Anjou.

2° Notes de la première partie. Nous avons déjà rectifié les erreurs par nous faites sur le sens des mots pelite, rubis d'Alexandre et pourcelaine, nous ajoutons que la pippe d'un livre (p. 96) n'est point le bouton où s'accroche le fermoir, mais la tige de métal ou la pierre auquel s'attachent les sinets ou signaux. Nous convenons aussi avec humilité que (p. 67 et 68) nous avions pris les oiselés de Chippre pour une espèce d'oiseaux, tandis que c'étaient des boules parfumées faites en forme d'oiseaux.

3° Chef de saint Jacques donné à Notre-Dame de Paris (p. 39). C'était le chef de saint Philippe et non de saint Jacques, que le duc Jean avait donné à cette église en 4506; cette relique y était encore en 4792; mais la châsse primitive et les anges d'argent qui lui servaient de support avaient été fondus par ordre de Charles IX; seulement le collier d'or émaillé, enrichi de grosses perles et de pierres précieuses qui était sur le ; buste, et auquel pendait un grand saphir d'Orient estimé 45,000 livres, provenait certainement de l'ancienne châsse.

Le duc Jean avait en outre donné à Notre-Dame, en 4 406, une grande croix d'or travaillée en filigrane, enrichie de pierreries, et en 4 44 3, un grand

35


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reliquaire d'or appelé le tableau de saint Sébastien pesant 87 marcs 4 onces d'or (4) et enrichi de plusieurs rubis, saphirs, émeraudes et perles fines (2).

4° Camées envoyés à la Convention (p. 65). Nous nous sommes assuré qu'aucun des neuf camées adressés à la Convention par le Comité révolutionnaire de Bourges, n'existait au Cabinet des Antiques de la Bibliothèque impériale ; ils sont donc irrévocablement perdus.

Mais nous avons retrouvé au Musée du Cher le vase en jaspe sanguin à côtes (de 30 centimètres de diamètre), dans lequel reposait le chef de saint Jean-Baptiste. (N° 2 de la description des Reliquaires et Joyaux, p. 14). Oublié à la mairie de Bourges lors de l'envoi à Paris des dyptiques et autres objets d'art, il avait été déposé au Musée lors de sa création.

5° Destruction des Vestements el Aornements donnés par le duc Jean à la Sainte-Chapelle (p. 72). Nous l'avons attribuée au Comité révolutionnaire, c'était une erreur, ces objets curieux avaient été vendus par le chapitre de Saint-Etienne.

Il en était à peine en possession qu'il exposait au roi « que les fonds qui » leur avaient été destinés pour la décoration du choeur de leur église étant » épuisés.... ils trouveraient quelque ressource pour la porter à sa perfec» tion, s'ils pouvaient disposer de quelques anciens ornements et effets qui » n'étaient plus à leur usage, que Sa Majesté leur avait accordés avec les » autres biens de la Sainte-Chapelle.... que ces ornements étaient pour la » plupart des parements et retables d'autel qui ne pouvaient leur être » d'aucun usage, attendu qu'ils avaient fait faire un autel de marbre qui » n'était plus susceptible de pareils ornements ; qu'il s'y trouvait aussi » une certaine quantité de semences de perles dont une partie formait la » broderie d'une chasuble antique que l'on conservait sans pouvoir en » faire usage, et le reste était parsemé sur divers ornements ; que, s'il » leur était permis de vendre ces effets que le non usage et le temps » achèveraient de perdre, ils en emploieraient le produit aux dépenses » qu'ils ont encore à faire pour achever la décoration du choeur et du » sanctuaire de leur église ; qu'ils désiraient encore qu'il leur fut permis » de faire mettre dans une forme plus nouvelle les anciennes chasubles et » chappes qui leur étaient venues de la Sainte-Chapelle, et même de les » faire vendre pour en acheter de neuves et d'une forme plus conforme à » leurs autres ornements. »

Et le 4 0 octobre 4757 un arrêt du conseil accordait cette double permission au chapitre de la cathédrale de Bourges (3).

(1) Représentant aujourd'hui 40,950 fr.

(2) Description de l'église de Paris, Paris, Gueffier, 1772, in-12.

(3) Archives du Cher, fond de Saint-Etienne, affaires diverses, liasse 32, n° 11.


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6° Livres donnés à la Sainte-Chapelle (p. 95 et suiv.). Nous avons dit que depuis 4405 nous n'avions trouvé aucune mention de ces livres; nous nous étonnions surtout du silence à cet égard du minutieux procès-verbal de remise au chapitre de Saint-Etienne du trésor et de tout le mobilier de la Sainte-Chapelle, dressé à la date du 4 8 août 4 757.

Les recherches de M. Léopold Delisle (4) nous ayant mis sur la voie, nous avons constaté que, le 30 juin 4 752, les chanoines de la SainteChapelle avaient, par acte capitulaire, autorisé M. Berthier leur confrère à remettre entre les mains de M. Bignon, bibliothécaire du roi, alors à Bourges, dix-sept volumes manuscrits tirés de leur bibliothèque « pour » être transférés dans la Bibliothèque du Roi, et être offerts à Sa Majesté » au nom du chapitre, lesquels volumes étaient ceux qui suivaient :

4 ° Un vol. in-f°, contenant le Psaultier ou Heures du duc Jean ;

2° Un vol. in-f°, contenant un commentaire sur les Psaumes ;

3° Un vol. in-f°, contenant un pontifical et un missel ;

4° Deux vol. in-f°, qui sont deux anciens missels;

5° Un vol. in-f°, contenant les XXII livres de la Cité de Dieu de saint Augustin, traduite par Raoul de Presle ;

6° Un vol. in-4°, contenant l'Histoire de Paul Orose;

7° Un vol. in-4°, contenant les oeuvres de Valère Maxime ;

8° Deux vol. in-4°, contenant deux exemplaires de la Consolation philosophique de Boece avec des commentaires ;

9° Un vol. in-f°, contenant un traité de commodis ruralibus avec des traités de médecine ;

10° Un vol. in-f°, contenant le glossaire de Papias;

44° Quatre vol. in-f°, contenant les oeuvres de Pierre Bercheur;

42° Un vol. in-4°, contenant les 49 livres de proprietatibus rerum par Barthélémy, anglais.

Ce sont ces manuscrits que l'abbé Bignon envoya de Bourges à la bibliothèque du roi, le 8 août 4 752, avec la liste publiée par M. Léopold Delisle, liste coïncidant, avec les indications de l'acte capitulaire, mais contenant en plus deux vol. de de Lyra que le zélé bibliothécaire avait obtenus en outre du chapitre; car on verra plus loin qu'ils provenaient de sa vieille librairie.

Deux pièces, également publiées par M. Léopold Delisle, étaient jointes à cette liste.

La première est le catalogue primitif de la librairie de la Sainte-Chapelle, celui dressé au vu des lettres patentes d'avril 4 405, qui en réaliserait la donation. Aucun des seize ouvrages décrits dans les actes notariés, mais

(1) Bibliothèque de l'école des Chartes, 5e série, t. II.


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omis dans ces lettres (4) ne s'y rencontre; ainsi se trouve confirmée notre assertion que la Sainte-Chapelle ne fut jamais mise en possession de ces volumes.

Ce catalogue contient d'ailleurs en moins que les lettres patentes les n°s 44, 45 et 48 de notre description, mais on y trouve en plus :

« 4° Un épistolier à l'usage de Paris, richement historié au commencement, de saint Pierre, de saint Paul, de saint Jean, de saint Jacques, à deux fermoirs d'argent doré, émaillés aux armes du duc Jean.

« 2° La mappemonde de toute la Terre-Sainte, peinte sur toile en un grand tableau de bois, cadeau d'étrennes de Guillaume Boisratier.

« 3° Un lectionnaire écrit de lettre de forme, auquel sont les leçons qui se disent tout au long de l'année, tant du tems que des fêtes de saints; et est couvert de viel cuir rouge, et par-dessus une chemise de drap de soie doublée de satin bleu ; à deux fermoirs d'argent sur l'un desquels est l'image de Notre-Dame, et sur l'autre une image de saint Jean-Baptiste, émaillés, assis sur tissus de soie bleue. »

Evidemment ce lectionnaire n'était pas celui en quatre grands volumes possédé par la bibliothèque de Bourges (1re part. p. 4 05).

Enfin ce catalogue contient quelques indications qui n'étaient pas dans les lettres patentes : on y voyait que l'Avicene et le Gallien, n°s 38 et 42 de notre description, avaient été donnés au duc à estraines par Simon Aligret son physicien, le 1er janvier 4 404, et que les épitres de saint Paul glosées n° 44, écrites par Flamel, et aujourd'hui à la bibliothèque de Bourges, étaient également un cadeau de l'archidiacre de Paris, Pierre Trousseau.

Et en résumé, il prouvait ce que nous avions dit, que la librairie fondée en 4 405 à la Sainte-Chapelle par le duc Jean comprenait trente-deux articles, dont quinze de liturgie, et dix-sept d'ouvrages divers.

La seconde pièce donnée in extenso par M. Léopold Delisle est le Catalogus librorum repertorum in bibliothecâ sacroe capelloe palatii bituricensis, anno 4 552, die 4 7 mensis novembris , pièce probablement copiée dans ce livre en cuir noir malheureusement perdu qui contenait les divers inventaires du trésor de la Sainte-Chapelle faits en 4 553 et 4 554 (1re part. p. 89).

Ce document indique de la façon la plus sommaire une centaine de volumes, sans expliquer s'ils sont manuscrits ou imprimés. Les livres usuels de choeur n'y sont pas compris ; et voici les désignations paraissant se rapporter à dix-huit des ouvrages donnés par le duc en 4 405.

Biblia glossata decem tomos habens, n° 4 2 ;

Concordantia Biblioe, n° 4 8 ;

(1) C'est par erreur que, 1re part. p. 94 et 98, on a imprimé que ces ouvrages étaient au nombre de quinze; seize sont énumérés p.. 98 à la note.


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Quatuor evangelia manuscripta, n° 48 ;

Liber pontificalis, n° 8 ;

Commentum magistri Nicolai Traveth super quinque libros Boetii de Consolations, n° 39 ;

Commentarii in Pauli Epistolas, n° 44 ;

Psalterium Davidis, n° 7 ;

Psalterii glossati tomi quinque, n°s 25 et 26 (deux vol. seulement);

Josephi de Antiquitatibus, volumina duo, n° 43 ;

Liber Alohati (Aviceni) de Medicina, n° 38 ;

Opera Galleni, n° 42 ;

Liber Sententtarum, n°37;

De Proprietatibus rerum, n° 47;

De Fide et Legibus, n° 23 ;

Augustinus de Civitate dei in gallicum sermonem traductus, n° 32;

Catholicum duos tomos habens, n° 27 ;

Dictionnarium tres tomos habens, n° 3 3.

Il en résulte que, sur les dix-sept ouvrages divers donnés par le Duc à la Sainte-Chapelle en 4405, quinze y étaient encore conservés un siècle et demi après (4 ) ■

De plus, on retrouvait dans ce document, sous les désignations ci-après, quelques-uns des manuscrits offerts au roi en 4 752, lesquels probablement avaient aussi été donnés par le prince, et provenaient de l'acquisition par lui faite de Baude de Guy après la rédaction du premier catalogue de 4 405.

Orosius, n° 9 de la liste d'envoi, suppl. lat. 29.

Valerius Maximus, n° 4 6 de la liste d'envoi, suppl. lat. 4 5.

Nicolai de Lyra super utroque testamento tomi très, n°s 3 et 4 de la liste, suppl. lat. 4, (deux volumes seulement).

Chirurgia Albi Casinii (sic) et quoedam recepta in gallico ad conficienda onguenta, peut-être le n° 7 de la liste, suppl. lat., 24, en tête duquel se trouvait, dans le principe, un traité de chirurgie.

Commentarium Petri Berchorii, volumina duo, n° 43 de la liste, suppl. lat, 40.

Boetius de mutabile et instabilitate fortunée, n° 49 de la liste, suppl. lat., 49 (2).

Suivant M. Léopold Delisle, qui a voulu épuiser les recherches, ces sept volumes ont été reconnus par lui dans le supplément latin de la Bibliothèque impériale sous les nos que nous venons d'indiquer.

(1) Les deux ouvrages manquants sont la Bible n° 40 et la carte de la Terre-Sainte.

(2) C'eût été un travail considérable et sans grand intérêt de reproduire, en l'élucidant, le surplus de ce catalogue de 1552.


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Le Boece contenait la Consolation de la philosophie, avec le commentaire de Nicolas Traveth.

Le Commentarium Petri Berchorii ( Pierre Berchoire ou le Bercheur) était le Reductorium Morale de cet auteur, dont le volume envoyé contenait les dix premiers livres.

Enfin le manuscrit porté sous le n° 7 de la liste des chanoines contenait : 4 ° Petri de Crescentiis liber ruralium commodorum; 2° un petit traité sur les abeilles; 3° Tractatus de plantationibus arborum; 4° Tractatus commodo (sic) preparanda et condienda omnia cibaria; 5° Liber de coquinâ ubi diversitates ciborum docentur; 6° Traité sur l'art de prolonger la jeunesse ; 7° Regimen sanitatis ad Arnaudo de Villa-Nova; 8° Liber de ferculis et condimentis translatus in Veneciis a magistro Jambolino cremonensi ex arabico in latinum ex libro Gege filii Algozaelis intitulatus de cibis et medicinis simplicibus et compositis.

Le livre de Pierre de Crescens a été fréquemment imprimé en latin ou en français à la fin du quinzième siècle; mais nous croyons que le Grand d'Aussy n'a point connu ces autres traités d'économie domestique et de cuisine. En les comparant au Viandier Taillevent et à notre première Maison rustique, on ajouterait probablement d'intéressants chapitres aux recherches de cet auteur. Ce manuscrit était d'ailleurs le seul sur lequel se trouvât la mention autographe à laquelle se plaisait ce prince : Ce livre est au duc de Berry : JEHAN.

Il avait été beaucoup plus facile à M. Léopold Delisle de retrouver ceux des volumes envoyés par les chanoines, qui, donnés par le duc en 4405, étaient signalés par nos minutieuses descriptions.

N° 7 de notre Desc, un très ancien psaultier long... sur les fueilletz paint des armes de France et de Boulongne.

N° 1er de la liste d'envoi, suppl. latin, 333, vol. in-f° très-allongé sur la tranche duquel on aperçoit encore les armes de France et d'Auvergne (4), contenant le Psautier latin avec la version anglo-saxonne en regard, le Symbole de saint Athanase, et des Litanies publiées par M. Léopold Delisle, dans lesquelles les saints anglais dominent.

« N° 32, un livre appelé le premier livre de Aureliè Augustin, de la Cité de Dieu. »

N° 2 de la liste d'envoi, suppl. français, 23.

Traduction de la Cité de Dieu par Raoul de Presles.

Ces deux manuscrits portent la mention autographe : Ce livre est au duc de Berry : JEHAN.

(1) D'or au gonfanon de gueule frangé de sinople. Les comtés de Boulogne et d'Auvergne étaient alors dans lés mêmes mains.


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« N° 8, un très-bel pontifical... historié en plusieurs lieux. »

N° 5 de la liste d'envoi, suppl. lat., 6.

Vol. in-f° de .486 feuillets, dont plusieurs ornés de peintures ont été coupés, mais dans lequel il reste encore plus de quarante petites miniatures d'une exécution remarquable.

M. Léopold Delisle a judicieusement reconnu que l'Ordenance à énoindre et couronner le Roy, commençant f° 58, n'était autre chose que la description du sacre de Charles V; et les passages par lui cités (4) constatent que ce pontifical est l'oeuvre d'Etienne Loipeau, successivement trésorier de Saint-Hilaire de Poitiers (2) et évêque de Luçon, par la protection du duc Jean. Les armes de ce prince sont peintes sur le premier feuillet, et nous avons vu par les actes de donation qu'il lui avait été donné par Guillaume Boisratier, qui sans doute avait fait faire exprès cette copie magnifiquement historiée.

» N° 45, un autre Messel... et y a un escuçon de nos armes. »

N° 6 de la liste d'envoi, suppl. lat., 7.

Missel aux armes du duc de Berry, dont la dernière ligne porte, comme l'indique la description, vos benedicetur.

« N° 44, un grand Messel noté. »

N° 9 de la liste d'envoi, suppl. lat., 583.

Missel noté commençant et finissant comme le porte la description..:

« N° 33, un Dictionnaire en trois grans volumes.... lesquels ledit pu évesque de Poitiers a donné audit mons. le duc,

Nos 4 0, 44 et 42 de la liste d'envoi, suppl. lat., 9.

Manuscrit ayant en plusieurs endroits les armes (de sable fretté d'or) d'Itier de Martreuil, chancelier du duc et évêque de Poitiers, de 4387 à 4405. Il renferme le Repertorium Morale de Pierre Berchoir ou le Bercheur, livre fréquemment imprimé à la fin du quinzième siècle.

« N° 26, un autre psaultier glosé en la fin duquel sont escripts les provinces estans sous la puissance de Rome. »

N° 44 de la liste, suppl. lat., 28.

Psautier glosé avec une liste des évêchés de la chrétienté à la suite.

Ce manuscrit est plutôt celui décrit dans les lettres-patentes que le n° 54 de la bibliothèque de Bourges.

« N° 39, un livre compilé de maistre Nicolas Travelz... sur les cinq livres de Boece de Consolation. »

(1) F° 269, v°, 289, v°, 414, v°, et 474.

(2) D'après ce passage, c'était le même Etienne Loipeau, et non Ascelin Royne , comme nous l'avions pensé, qui avait donné au duc les deux livres notés de l'office du grand Charlemagne, n° 8 des livres de la Sainte-Chapelle,


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N° 45 de la liste, suppl. lat., 4 8.

Manuscrit contenant les cinq livres de la Consolation de la Philosophie, de Boece, avec le commentaire de Nicolas Traveth, et portant cette mention : Ce livre est au duc de Berry : JEHAN.

« N° 4 7, un grant livre en latin (en deux volumes) appelé de Proprietatibus rerum.

C'est bien le Barthelmy l'Anglais, n° 20 de la liste des chanoines ; mais M. Léopold Delisle n'a pas retrouvé ces volumes à la Bibliothèque impériale.

Enfin l'envoi des chanoines comprenait, sous le n° 8, un Dictionnaire de Papias (suppl. lat., 22) que rien ne constatait provenir du duc Jean.

Ainsi, à l'aide de l'intéressante publication de M. Léopold Delisle, nous avons pu suivre jusqu'à ce jour les livres donnés par ce prince à la SainteChapelle de Bourges, et ajouter des renseignements utiles aux notions que nous avions sur ces manuscrits.

Et, en résumé, des livres de cette église par nous décrits d'après les donations, les n°* 3, 25, 27, 44, 42 et 55 sont à la bibliothèque de Bourges, et ceux n°s 7, 8, 26, 32, 33, 39, 44 et 45 sont à la Bibliothèque impériale.

Celle-ci paraît, en outre, avoir recueilli, dans le don fait au roi en 4 752, six volumes donnés par le duc de Berry à la Sainte-Chapelle depuis 4405, de même que le grand Légendaire possédé par la bibliothèque de Bourges est également un don fait par ce prince à cette église postérieurement à cette date.




PL. 2e

De libris et signature de Jacques Thiboust