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Titre : Revue d'histoire littéraire de la France

Auteur : Société d'histoire littéraire de la France. Auteur du texte

Éditeur : Armand Colin (Paris)

Éditeur : PUFPUF (Paris)

Éditeur : Classiques GarnierClassiques Garnier (Paris)

Date d'édition : 1965-10-01

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb343491539

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb343491539/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

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Description : 01 octobre 1965

Description : 1965/10/01 (A65,N4)-1965/12/31.

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k55677985

Source : Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, 8-Z-13998

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 01/12/2010

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J. A. G. TANS Un thème-clef racinien : la rencontre nocturne.

FR. DELOFFRE Guilleragues épistolier : une lettre inédite à Mme de La Sablière.

R. OSMONT «Un événement aussi triste qu'imprévu...».

J. VARLOOT « Jacques le Fataliste » et la

« Correspondance littéraire ».

M. FARGEAUD Balzac et « les Messieurs du Muséum ».

J. POMMIER Balzac 1965. Le « Prométhée » d'André Maurois.

8 * OTES ET DOCUMENTS, COMPTES RENDUS, NOUVELLES, BIBLIOGRAPHIE


Revue d'Histoire littéraire de la France

Publiée par la Société d'Histoire littéraire de la France

avec le concours du Centre National de la Recherche Scientifique

et de la Direction Générale des Arts et des Lettres

COMITÉ DE DIRECTION

Jean POMMIER Pierre-Georges CASTEX René POMEAU Claude PICHOIS SECRÉTAIRE DE RÉDACTION : Claude Duchet

sommaire

ARTICLES

J. A. G. TANS : Un thème-clef racinien : la rencontre nocturne 577

Fr. DELOFFRE : Guilleragues épistolitr : une lettre inédite à Mme de La Sablière . . 590

R. OSMONT : « Un événement aussi triste qu'imprévu.. » 614

J. VARLOOT : « Jacques le Fataliste » et la " Correspondance littéraire » 629

M. FARGEAUD : Balzac et « les Messieurs du Muséum » 637

J. POMMIER : Balzac 1935. Le « Prométhée » d'André Maurois 657

NOTES ET DOCUMENTS

J. HENNEQUIN : Corneille en province ; un document inédit sur des représentations

d'« Andromède » au XVIIe siècle 683

M. PARTURIER : Sainte-Beuve et Rémusat 689

C. CHADWICK : La correspondance de Rimbaud 693

COMPTES RENDUS

J. JACQUOT : Les Tragédies de Sénèque et le théâtre de la Renaissance (J. MOREL), 695. — B. C. BOWEN : Les Caractéristiques essentielles de la farce française et leur survivance dans les années 1550-1620 (R. GARAPON), 696. — DESCARTES : OEuvres philosophiques, t. I, éd. F. ALQUIÉ (J. PIGNET), 697. — M. MERSENNE : Correspondance, t. VII (R. LEBÈGUE), 698. — R. PICARD : La Poésie française de 1640 à 1680 (J.-P. CHAUVEAU), 700. — FR. GALLOUEDEC-GENUYS : Le Prince selon Fénelon (J.-L. GORÉ), 701. — Présence de J.-J. ROUSSEAU. Entretiens de Genève, 1962 (J.-L. LECERCLE), 704. — DIDEROT : Satires, Le Neveu de Rameau ou Satire 2de, accompagné de la Satire première, éd. R. DESNÉ (M. LAUNAY), 706. — J. DESCHAMPS : Amitiés stendhaliennes en Belgique (H.-FR. IMBERT), 708. — FR. LAMBERT : Le Manuscrit du « Roi s'amuse » (R. JOURNET), 709. — CH. DÉDÉYAN : Victor Hugo et l'Allemagne (A. MONCHOUX), 709. — HUGO : Les Contemplations, éd. J. SEEBACHER (P. ALBOUY), 711. — P. MOREAU : La Critique selon Sainte-Beuve (R. FAYOLLE), 713. — S. JEUNE : De F. T. Graindorge à A. D. Barnabooth. Les Types américains dans le roman et le théâtre français (P. MOREAU), 715. — P.-O. WALZER : Essai sur Stéphane Mallarmé (LL. J. AUSTIN), 718. — REVUE DES LETTRES MODERNES : Guillaume Apollinaire 1963 (J. BELLEMIN-NOËL), 720. — L. CELLIER : Le Grand Meaulnes ou l'initiation manquée (M. LAUNAY), 721. — FR. PRUNER : La Symphonie pastorale de Gide (CH. GUYOT), 722. — A. ESPIAU DE LA MAËSTRE : Bernanos und die menschliche Freiheit (S. STORELV), 723. — REVUE DES LETTRES MODERNES : Camus devant la critique de langue allemande (M.-CL. ROFARS), 724. — CH. MAURON : Psychocritique du genre comique (M. AUTRAND), 725.

CORRESPONDANCE, 730

NOUVELLES, 732

TABLE DES MATIÈRES, 734

BIBLIOGRAPHIE par René RANCOEUR. 737.


OCTOBRE-DÉCEMBRE 1965

65e ANNÉE - N° 4

REVUE D'HISTOIRE

LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

UN THÈME-CLEF RACINIEN : la rencontre nocturne

La pathétique évocation de la destruction de Troie, dans Andromaque (III, 8), est sans doute un des passages les plus connus des tragédies de Racine. Cet effet universel et durable est dû pour une large part à l'usage particulièrement heureux que le poète y a fait de la rhétorique dramatique. Sur qui de nous le Songe, songe, Céphise, à cette nuit cruelle, qui domine ce spectacle de feu, de sang et de mort, n'a-t-il pas produit une impression inoubliable ? Si d'autres spectacles nocturnes dans l'oeuvre de Racine ne se sont pas imprimés avec la même force dans notre mémoire, c'est qu'il leur manque le secours d'un vers aussi heureusement frappé. Ils n'en sont pourtant pas moins importants. Dans Britannicus, Néron peint à Narcisse l'arrivée nocturne, dans son palais, de Junie, entourée des soldats qui l'ont enlevée, sur son ordre : Cette nuit je l'ai vu arriver en ces lieux (II, 2). Dans Bérénice, la reine décrit à sa confidente l'apothéose du père de Titus, Vespasien, qui vient de mourir et que le peuple romain a placé entre les dieux : De cette nuit, Phénice, as-tu vu la splendeur? (I, 5). Et dans la pièce qui porte son nom, Athalie raconte le songe inquiétant qui l'a remplie de pressentiments affreux et qui l'a conduite dans le temple : C'était pendant l'horreur d'une profonde nuit (II, 5).

Ce n'est pas la fréquence seule de ces spectacles nocturnes qui est frappante. Il est encore remarquable qu'ils s'insèrent tous dans l'action au moment même où celle-ci va être déclenchée ou va se précipiter vers son dénouement, et que cette insertion se fait dans chaque cas selon la même disposition qui en souligne l'importance. C'est chaque fois sous la forme d'un thème d'abord brièvement annoncé, et un peu plus tard pleinement orchestré. Dans les premiers actes d'Andromaque les protagonistes cherchent les moyens les plus efficaces pour faire pencher de leur côté la balance du

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sort, laquelle se trouve dans un équilibre très instable. La rencontre des deux rivales rompt cet équilibre. Andromaque est renvoyée par Hermione à Pyrrhus, qui place sa captive définitivement devant le dilemme tragique de l'épouser ou de perdre son fils. A ce moment de tension extrême elle rappelle prudemment à Pyrrhus le sort de sa ville et de tous les siens (v. 927-931). Lorsque, quelques instants plus tard, elle est seule avec sa confidente, elle revoit, et fait revoir à Céphise, le saccage de la ville de Troie. Dans le premier acte de Britannicus, Agrippine nous fait part de sa crainte de perdre son pouvoir sur son fils et sur l'Etat. En enlevant Junie, l'empereur a eu le premier geste de révolte contre sa mère : geste que Britannicus commente en faisant ressortir l'opposition fondamentale entre les « mille affreux soldats » et les « timides esprits » de la victime (v. 291-294). A l'entrée; en scène de Néron lui-même, au début du deuxième acte, nous le voyons revivre cet événement nocturne. Dans Bérénice, Antiochus. trompé par une erreur d'optique, chasse de l'âme de la reine l'ombre d'un doute sur la constance de Titus, qui, depuis la mort de son père, « muet, chargé de soins et les larmes aux yeux », a paru la négliger. Elle introduit alors le thème de l'apothéose nocturne, dans lequel elle reconquiert sa certitude intérieure :

Vous fûtes spectateur de cette nuit dernière,

Lorsque, pour seconder ses soins religieux,

Le sénat a placé son père entre les dieux, (v. 164-166)

Et quand, à la fin de l'acte, la confidente, Phénice, essaie de réveiller le doute en elle, elle se replonge dans sa vision, et le thème s'épanouit en sa pleine orchestration.

Dans Athalie la technique est autre. Le thème est exprimé dans le songe et dans les choeurs. Bien que, pour le contenu moral et psychologique, la scène où il figure ait une affinité étroite avec celles que nous venons d'indiquer, il s'y rattache à des traditions dramatiques essentiellement différentes. C'est pourquoi nous laisserons de côté cette scène, nous bornant à étudier les trois autres textes, et plus particulièrement celui de Bérénice qui paraît le plus significatif.

Dans les trois scènes l'expression « cette nuit » revient, introduisant un spectacle de flambeaux, de bûchers, et de gens armés, autant d'éléments qui sont dépeints avec une profusion de termes concrets, visuels et auditifs, vraiment exceptionnelle dans la poésie racinienne, et qui visent à créer une atmosphère de « huis clos », de fatalité inexorable. Mais le dessin qui se détache en filigrane est entièrement différent d'un cas à l'autre.

Dans Andromaque la nuit est associée à des images d'incendie et de carnage, à des cris de joie féroce ou de douleur aiguë, accompagnés de râles. C'est une « nuit cruelle, qui fut pour tout un


UN THÈME-CLEF RACINIEN 579

peuple une nuit éternelle ». Ce qui prédomine, c'est la cruauté bestiale qui pour tous les Troyens a mis fin à toute vie. Or, dans l'oeuvre de Racine, les notions de vie, de vivre, impliquent très souvent celle de bonheur individuel, d'intimité entre amants, avec tout ce que ce bonheur entraîne de ravissement, mais aussi et surtout de trouble, d'égarement, de transport, d'agitation. Elles s'opposent nettement à celle de régner, à laquelle sont associées les idées de repos, de clarté, de raison, d'ordre 1. Opposition sensible déjà dans La Thébaïde. Mais elle ne peut pas s'y développer, puisque, au fond, les personnages, dévorés du désir de régner, ne se soucient pas de vivre. L'exhortation que Jocaste adresse à un de ses fils de ne cesser « de régner ni de vivre » (v. 720), ne résonne point en l'âme de celui-ci. Comme son frère, il méprise la vie. Aussi leurs plaintes restent-elles rhétoriques et froides, et leur mort ne nous touche-t-elle guère. Seule Antigone tient à la vie, parce qu'elle aime. Mais elle n'a aucune aspiration au trône. Ainsi l'opposition entre « vivre » et « régner » ne cause chez aucun personnage un déchirement intérieur. Elle n'existe que dans les rapports de l'un à l'autre. Lorsque le désastre fatal s'est abattu sur la famille d'Antigone, celle-ci constate plaintivement : « Je veux pleurer, Créon, et vous voulez régner » (v. 1404).

Ce n'est qu'à partir d'Andromaque que l'opposition de « vivre » et de « régner » produit des effets vraiment tragiques. Désormais tous les personnages raciniens seront déchirés par deux désirs irréconciliables. Ce dilemme, ils peuvent l'éviter en s'aveuglant ; ils peuvent aussi l'affronter douloureusement, en une lucidité croissante. Parmi ceux qui ont l'illusion de pouvoir unir ces deux modes d'existence, la sensuelle Roxane est la plus aveuglée : « Pour la dernière fois, veux-tu vivre et régner ? » (v. 1541), finit-elle par lancer, d'un ton irrité, à Bajazet. Question catégorique et menaçante, qui entraîne la perte de tous ceux qui l'entourent, puisque personne ne peut vraiment entrer dans cette illusion. Tout à l'opposé de Roxane se trouve, dans le théâtre de Racine, Titus. Dans son beau monologue, au quatrième acte de Bérénice, celui-ci se reproche ses hésitations devant les séductions de l'amour (« Ah, lâche ! fais l'amour, et renonce à l'empire », v. 1024), et, faisant appel à la notion trinitaire de gloire-raison-devoir (v. 1051/52), il prononce le mot sublime, qui implique condamnation et délivrance à la fois : « ...il ne s'agit plus de vivre, il faut régner » (v. 1102).

La vie, ainsi conçue, n'est plus possible pour Andromaque, entrée dans la nuit éternelle avec Hector, avec son père, avec tous

1. Cf. Th. Spoerri, s Trieb und Geist bei Racine. Ein Beitrag zum Verständnis der klassischen Form », dans Archiv fur das Studiuvi der neueren Sprachen, 88e année (1933), p. 60-90.


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les Troyens. Les images étonnamment audacieuses qui figurent dans le passage où le thème de la nuit de Troie s'annonce, prennent, dans ce contexte, tout leur sens. Dans une apostrophe adressée à Hector Andromaque demande pardon à son mari d'avoir pu croire que Pyrrhus se montrerait magnanime, et elle ajoute :

Ah ! s'il l'était assez pour nous laisser du moins Au tombeau qu'à ta cendre ont élevé mes soins, Et que, finissant là sa haine et nos misères, Il ne séparât point des dépouilles si chères.

Dans la deuxième partie de la peinture de la ruine de Troie, nous assistons à la scène attendrissante des derniers adieux d'Hector à sa femme, sa « chère épouse ». Ce qui nous frappe surtout ici, c'est qu'Astyanax est « l'image d'Hector », le « gage de sa flamme », le « gage de [sa] foi », celui à qui elle doit montrer à quel point elle aimait Hector. Astyanax ne vit pas pour lui-même ; nouvelle incarnation d'Hector, il est, comme celui-ci, l'espoir de la famille royale dont il est sorti :

Et je puis voir répandre un sang si précieux Et je laisse avec lui périr tous ses aïeux.

Si, pour les Troyens, la vie est éteinte, il leur reste, en Astyanax, une possibilité de régner. Le dilemme devant lequel Pyrrhus a cru pouvoir placer Andromaque, et qui l'a remplie quelque temps d'hésitations, d'amertume et de douleur, va se résoudre. Elle n'aura pas à choisir entre son mari et son fils, qui ne font qu'un. Tout ce qu'elle aura à faire, c'est de réaliser la possibilité de régner pour Hector-Astyanax. Cette solution ne lui ouvrira pas la voie de la vie que lui propose Pyrrhus, puisque sans mourir elle est déjà morte pour lui 1 ; elle ne lui ouvrira que la voie de la mort physique qui réunira pour toujours des « dépouilles séparées » 2.

Ce qui lui reste à vivre pour l'accomplissement de sa mission, est rempli de la haine qu'elle nourrit à l'égard de Pyrrhus. Et voici la troisième dominante de ce spectacle nocturne. L'opposition,

1. Je signale ici le parallèle avec la relation Néron - Junic. Cf. Britannicus, v. 1722.

2. Racine développe ainsi, en les iondant en une synthèse, deux idées empruntées, l'une à Euripide, l'autre à Sénèque. Chez le premier Andromaque dit à Ménélas qui l'a condamnée à mort : « Quant à moi, le trépas ne m'est pas aussi dur que l'a voulu ton arrêt. Ma ruine date du jour où succombèrent la malheureuse ville lies Phrygiens, et l'époux glorieux dont la lance fit si souvent de toi... un lâche matelot». (Audromaque, v. 433 sqq., dans Euripide, texte éd. et trad. par Louis Méridier, t. II, Paris. Les Belles Lettres, 1927, p. 129-130). Chez Sénèque, dans le monologue où Andromaque se lamente sur le dilemme trafique devant lequel on l'a placée, elle dit : « Décide lequel tu veux arracher au supplice. Ingrate, tu hésites — alors que ton Hector est là! Non, tu te trompes: il est des deux côtés, ton Hector». (Les Troyennes, v. 657 sqq., dans Tragédies, texte éd. et trad. par Léon Herrmann, t. I, Paris, Les Belles Lettres, 1924, p. 84).


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peinte en des couleurs très vives, entre les victimes désarmées et les vainqueurs cruels sert à justifier la haine d'Andromaque pour Pyrrhus. Cette haine, qui, dans la perspective de la vie que ce dernier a en vue, est criminelle, elle en prend toute la responsabilité :

Roi barbare, faut-il que mon crime l'entraîne Si je te hais, est-il coupable de ma haine ?

Cette attitude coupe tous les liens possibles entre eux, et rend inaccessible à Pyrrhus le monde de la fidélité d'Andromaque, fidélité conjugale à son mari, fidélité religieuse à son peuple.

Au sortir de sa lutte intérieure, elle va consulter Hector sur son tombeau. Les paroles par lesquelles elle annonce cette décision, font écho à celles qu'elle avait prononcées au moment de la menace définitive de Pyrrhus de faire périr son fils : « Allons rejoindre mon époux » (v. 924). Elle est entraînée vers Hector d'un mouvement irrésistible, suite logique de leur union « dans la nuit éternelle ». Et elle va maintenant à son mari, toute hantée par l'image de son père, qui est mort « ensanglantant l'autel qu'il tenait embrassé » (v. 996). Aucun doute n'est plus possible. Tout le destin de Pyrrhus est inclus dans ce geste d'Andromaque.

Dans Britannicus la nuit est associée à des impressions angoissantes d'ombres, de flambeaux, de cris et de silence (v. 392), à des images de puissance farouche et de regards voluptueux d'une part, d'innocence opprimée et affligée d'autre part. Ce sont précisément ces éléments qui créent l'atmosphère caractéristique de toute la pièce, et qui introduisent la tension tragique presque insupportable dans la fameuse scène où Néron, à l'ombre et dans le silence, épie une deuxième fois Junie, cette fois au su de celle-ci, lors de son entretien forcé avec Britannicus. Les vers d'avertissement que Junie adresse, dans cette scène, à Britannicus :

Vous êtes en des lieux tout pleins de sa puissance,

Ces murs même, Seigneur, peuvent avoir des yeux

Et jamais l'empereur n'est absent de ces lieux (v. 712-714)

résonnent comme un écho menaçant des premières paroles dont Néron se sert quand il peint le spectacle nocturne :

Excité d'un désir curieux Cette nuit je l'ai vue arriver en ces lieux.

Ce monde d'espionnage, d'abus de puissance, et de sensualité, n'avait aucune prise sur Junie, qui le traversait sans en être touchée, sous la sauvegarde de sa pureté. C'est précisément cette pureté qui excitait l'amour de l'empereur. Dans une brillante exé-


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gèse du théâtre de Racine un critique récent a fait ressortir comment certains protagonistes y cherchent à posséder, par l'amour, ce qui leur fait essentiellement défaut : Pyrrhus, la constance ; Néron, la pureté. Possession qui s'avère impossible 1. Cette impossibilité est exprimée ici dans de très beaux vers, prenant une valeur de symbole :

... ravi d'une si belle vue, J'ai voulu lui parler, et ma voix s'est perdue ; Immobile, saisi d'un long étonnement, Je l'ai laissé passer dans son appartement. J'ai passé dans le mien.

L'empereur tout-puissant est frappé d'une impuissance consciemment subie devant la frêle Junie. Un abîme infranchissable les sépare, symbolisé par l'entrée de chacun dans son propre appartement, dans son propre monde. Aucun dialogue n'est possible entre eux.

Rejeté sur lui-même, et dans la solitude qui lui pèse tant, Néron donne libre cours à ses désirs impurs. Ne pouvant satisfaire à ses aspirations de pureté, il se rabat sur ses rêves malsains. Par l'amour aussi, sa passion la plus perverse va naître :

De son image enfin j'ai voulu me distraire. Trop présente à mes yeux, je croyais lui parler : J'aimais jusqu'à ses pleurs que je faisais couler.

Ce n'est que dans son monde à lui qu'il peut lever le verdict de mutisme dont il était frappé. Et dans une formule succincte et crispée il nous révèle comment son langage amoureux fonctionne alors à rebours : c'est ce langage qui éveille le sadisme du monstre que Néron va devenir. Le trop tard des derniers vers de cette scène nocturne :

Quelquefois, mais trop tard, je lui demandais grâce : J'employais les soupirs, et même la menace

a une résonance maléfique, d'un tragique sinistre.

Dans Bérénice « cette nuit » est associée à une profusion d'images de splendeur, de fête, de joie jubilante : des fleurs, des flambeaux, des sacrifices de louanges, des aigles, des faisceaux, des rois, de la pourpre, de l'or.

C'est Bérénice elle-même qui peint le tableau de cette solennité politico-religieuse en l'honneur de l'empereur défunt, Vespasien :

Acte 1, sc. 5

vers 297 Le temps n'est plus, Phénice, où je pouvais trembler.

Titus m'aime, il peut tout, il n'a plus qu'à parler. Il verra le sénat m'apporter ses hommages,

1. Ct. l.D. Hubert, Essai d'exégese racinienne. Les secrets ténumis, Paris, Nizet, 1956.


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300 Et le peuple, de fleurs couronner ses images.

De cette nuit, Phénice, as-tu vu la splendeur ?

Tes yeux ne sont-ils pas tout pleins de sa grandeur ?

Ces flambeaux, ce bûcher, cette nuit enflammée,

Ces aigles, ces faisceaux, ce peuple, cette armée, 305 Cette foule de rois, ces consuls, ce sénat,

Qui tous, de mon amant empruntaient leur éclat ;

Cette pourpre, cet or, que rehaussait sa gloire,

Et ces lauriers encor témoins de sa victoire ;

Tous ces yeux qu'on voyait venir de toutes parts 310 Confondre sur lui seul leurs avides regards ;

Ce port majestueux, cette douce présence...

Ciel 1 avec quel respect et quelle complaisance

Tous les coeurs en secret l'assuraient de leur foi !

Parle : peut-on le voir sans penser comme moi 315 Qu'en quelque obscurité que le sort l'eût fait naître,

Le monde, en le voyant, eût reconnu son maître ?

Mais, Phénice, où m'emporte un souvenir charmant ? Cependant Rome entière, en ce même moment,

Fait des voeux pour Titus, et par des sacrifices 320 De son règne naissant célèbre les prémices.

Que tardons-nous ? Allons, pour son empire heureux,

Au ciel, qui le protège, offrir aussi nos voeux.

Il ne peut échapper à personne qu'à travers les yeux amoureux de Bérénice nous plaçons au centre de l'événement, non pas Vespasien, mais Titus. C'est lui qui donne de l'éclat à tous les participants de l'apothéose, à tous les attributs de la fête. Sans les « lauriers de sa victoire », sans « sa gloire », personne ni rien n'aurait été digne de figurer dans la cérémonie 1. Une variante dans les vers d'introduction est très significative sous ce rapport. Au lieu de :

Il verra le sénat m'apporter ses hommages Et le peuple de fleurs couronner ses images,

le texte de 1671 portait :

Tu verras le sénat m'apporter ses hommages Et le peuple de fleurs couronner nos images.

Ce geste de respect des sénateurs n'a de valeur que sous les yeux de Titus, puisque c'est son regard qui le leur inspire. Ce n'est pas un acte que le peuple romain peut objectivement accomplir et que n'importe quel spectateur peut considérer, c'est un acte qui n'existe et qui n'a de valeur qu'en fonction du regard de Titus. Le remplacement de nos images par ses images est plus important encore. Comme tout le peuple romain, Bérénice elle-même n'existe à Rome que par rapport à Titus. Une image d'elle, dans cette cé1.

cé1. Fannotation de Raymond Picard à l'édition des OEuvres complètes de Racine, t I, Paris, N.R.F., 1950 (« Bibl. de la Pléiade »), p. 1 109, 1 110.


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rémonie, aurait été de trop, puisque ce ne serait, pour ainsi dire, qu'une image-reflet de la seule image réelle, celle de Titus.

La Ville de Rome, après s'être manifestée dans un geste de respect inspiré par l'empereur, après avoir emprunté toute sa pompe et toute sa gloire à lui seul, nous révèle aussi sa force contraignante, par le regard de domination jeté jalousement sur lui :

Tous ces yeux qu'on voyait venir de toutes parts Confondre sur lui seul leurs avides regards.

Regard omniprésent et avide. Ces deux épithètes traduisent tout ce qu'il y a d'envoûtant et de paralysant dans ces yeux qui l'épient. C'est une force fatale que nous avons pu observer sous sa forme la plus terrible dans Britannicus 1, mais qui dicte aussi pour une large part la conduite des personnages de Bérénice.

Une autre force fatale provient de Rome, mais d'une Rome intériorisée. Dès les premiers vers de la pièce, la Ville y joue un rôle, comme espace pompeux et angoissant pour Antiochus, comme menace de solitude pour Titus, menace qui équivaut à celle du désert de l'Orient pour Bérénice (v. 1-4; cf. 234, 337, 390). Rome est aussi une puissance mondiale, distributrice de royaumes (v. 120-122, 169 sqq.). Dans le spectacle nocturne, on la voit confrontée pour la première fois avec la reine de Palestine. Ce qu'il y a de tragique en cette occurrence, c'est que l'amour de Bérénice donne tout l'éclat à cette puissance politique qui la contraint précisément sur le plan de l'amour, et dont elle sera la victime. Au deuxième acte déjà, elles s'affrontent, dans l'esprit de Titus, en tant que rivales. L'empereur participe à ce qu'un critique a appelé le narcissisme des héros raciniens pour qui un regard de femme est un miroir reflétant l'idéal auquel il veut ressembler 2. Au moment d'accéder à l'héroïsme et à la gloire ce sont les yeux de Bérénice qu'il a consultés pour savoir la conduite qu'il devait tenir, heureux quand il pouvait paraître devant « ses yeux satisfaits » (v. 509517). Maintenant ce sont ceux de Rome qu'il scrute. Anxieusement il demande à son confident ce qu'elle pense de lui, ce qu'elle attend de lui (v. 355 sqq.). La réponse est nette : elle ne veut pas de la reine étrangère :

Rome, par une loi qui ne se peut changer, N'admet avec son sang aucun sang étranger.

Suit alors rénumération des césars qui n'ont pas osé enfreindre cette loi : Jules, Antoine, et même Caligula et Néron, ces monstres

1. Cf. aussi Jules Rrody, « Les yeux de César. The language of vision in Britannicus 9, dans Studics in seventeenth-century French literature presented to Morris Bishop, éd. by Jean-Jacques Demorest, Ithaca, New York, Comell Univ. Press, 1962, p. 185 sqq.

2. J.-D. Hubert, op. cit. Sur ce plan, on peut mesurer la distance qui sépare Polynice et Etéocle des vrais héros raciniens. En s'exlamant « Quoi ! ma grandeur serait l'ouvrage d'une femme! (v. 1123), le premier se montre essentiellement différent de Titus.


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qui foulaient aux pieds toutes les autres lois romaines. Ce qui est remarquable dans cette réponse, c'est que Rome y prend une nouvelle dimension : elle n'est plus seulement espace menaçant et regard contraignant, elle se fait aussi histoire, en devenant toute une lignée de césars opposée à celle des reines de Palestine, qui ne sont dignes, tout au plus, que d'entrer dans le lit des esclaves romains. Comme une amante hautaine, cette Rome se jette aux genoux de Titus pour l'implorer de ne pas la déshonorer par un choix indigne d'elle et de lui (v. 416-417). Ainsi, toute la gloire que Bérénice a fait donner à Rome par Titus, va retomber sur elle-même. Tout ce que sa rivale veut lui concéder, est une partie de cette puissance militaire et politique que son amour a contribué à agrandir, pourvu qu'elle étouffe cet amour. De là le cri du coeur étonamment sincère qu'elle adresse à Titus :

Depuis quand croyez-vous que ma grandeur me touche ? Un soupir, un regard, un mot de votre bouche, Voilà l'ambition d'un coeur comme le mien : Voyez-moi plus souvent et ne me donnez rien. (v. 575-579)

Bérénice veut vivre, et ose espérer parce qu'elle compte sur la gloire que sera pour Titus sa fidélité dans l'amour : « Il ne me quitte point, il y va de sa gloire » (v. 908). Mais son amant est hanté par une autre gloire, celle de porter fidèlement le fardeau de l'univers que la Ville a placé sur ses épaules. Au quatrième acte, Antiochus et Paulin se font les défenseurs respectifs de ces deux formes de gloire. L'identification de l'honneur de l'Etat avec sa propre gloire personnelle est l'étape décisive dans l'intériorisation de Rome . Nous apprenons qu'au fond la Ville n'a pas encore expressément formulé ses souhaits et ses verdicts (v. 1000), et même que Titus dédaigne ce qu'il appelle l'opinion d'« une foule insensée »(v. 1319). Lui-même incarne désormais le sens farouche de la grandeur et de la pureté romaine. Rome n'a plus à exercer sa fonction d'espace angoissant et coercitif. Titus, qui s'est identifié entièrement avec sa gloire, renonce, par son propre mouvement, à la vie. Avec une logique cruelle il supplie Bérénice de se joindre à lui encore une fois, de continuer et de confirmer l'oeuvre qu'elle a commencée en lui, dans un geste qui la tuera elle-même. Désormais pour eux, « il ne s'agit plus de vivre, il faut régner » (v. 1102). Ce qui constitue le supplice de Bérénice, c'est qu'elle n'arrive pas à comprendre que son amant lui-même incarne la gloire romaine, et qu'elle continue à le prier pathétiquement de penser à ses propres droits en même temps qu'à ceux de Rome. Elle est convaincue qu'il n'aura qu'à parler pour mettre la Ville à la raison. Contre cette illusion il ne se servira plus que d'un seul argument : celui de la lignée des césars, ses ancêtres, qu'il voudra suivre jusque dans le suicide, dont plusieurs lui ont donné l'exemple généreux.


586 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

Bérénice cède à cette même illusion dans les vers où elle peint le spectacle nocturne. Après l'évocation de son amant comme le héros majestueux sur qui tous les regards sont braqués, quelques points de suspension introduisent un nouveau développement dans ce passage poétique. Ils soulignent que Bérénice quitte entièrement la réalité qu'elle voit, et qu'elle s'abandonne à ses rêveries, aux images qu'elle fait surgir de son for intérieur, (v. 312-316). Pas pour longtemps. Elle s'en rend compte bientôt et s'en excuse : « Mais, Phénice, où m'emporte un souvenir charmant ? ». Malgré sa brièveté ce passage est doublement important. Il nous dévoile un penchant du caractère de Bérénice, qui se laisse entraîner par ses pensées et ses images loin de la réalité concrète. C'est dans la région irréelle de ses rêveries précisément que Titus et les Romains sont des êtres nettement distingués, mais se joignant dans une entente parfaite créée par le respect que Titus impose aux Romains et par l'amour qui en naît : « Tous les coeurs en secret l'assuraient de leur foi ! »

Ce penchant sera fatal à Bérénice, puisqu'il lui fera interposer une image factice entre la réalité et elle, obstacle infranchissable entre cette réalité et elle-même. Ainsi ses dialogues avec les autres tournent court et prennent plutôt le caractère de monologues, où le langage fonctionne à rebours. Au lieu de sortir de leurs situations par leurs paroles, les personnages s'y enfoncent toujours davantage. Leurs discours, au lieu d'être une action exercée sur les autres, les rejettent sur eux-mêmes et les contraignent à un masochisme cruel 1. Cette impossibilité de communication s'exprime aussi, symboliquement, dans les vers qui nous occupent. Dans toutes les scènes nocturnes le protagoniste s'adresse à un confident ou une confidente, à qui il livre ce qu'il y a de plus intime en lui, et avec qui le dialogue s'établit donc le plus facilement. Et, en effet, dans Andromaque et dans Britannicus le récit poétique devient dialogue aux moments décisifs. Il n'en est rien dans Bérénice. L'ordre de parler qu'elle lance à Phénice dans les vers où elle va jusqu'aux derniers confins de son imagination, (v. 314-316) fait l'effet d'un ordre irrité, comme si instinctivement elle sentait comment le contact avec l'autre, avec les autres, lui échappe, et comment elle s'enfonce irrémédiablement dans le vide qu'elle crée autour d'elle-même. Que cet ordre n'ait aucun résultat, qu'il ne provoque aucune réaction de la part de Phénice, voilà peut-être un des détails les plus significatifs de cette vision. Loin de n'être qu'une tournure oratoire, loin d'être une simple mise à profit de la faculté de présence et d'absence à la fois qu'offrent les rôles des confidents 2, il montre à quel point,

1. Cf. K. Vossler, Jean Racine, Bühl - Baden. Roland Verlag, 1948, p. 123 et suiv. ; l'introduction de Raymond Picard à Bérénice, dans l'éd. citée ci-dessus, p. 458.

2. Cf. Jacques Schérer, La Dramaturgie classique en France, Paris, Nizet, 1959 p. 245 et suiv.


UN THÈME-CLEF RACINIEN 587

chez Racine, ces possibilités d'expression dramaturgiques prennent un sens beaucoup plus riche en servant de moule naturel à ses tendances les plus profondes.

La dernière partie de la scène qui nous occupe offre encore une variante intéressante. Après avoir constaté qu'au moment où elle parle, Rome entière célèbre par des sacrifices les débuts du règne de Titus, Bérénice termine par les paroles :

Que tardons-nous ? Allons, pour son empire heureux, Au ciel qui le protège offrir aussi nos voeux.

Dans les premières éditions elle s'exprimait autrement :

Je prétends quelque part à des souhaits si doux.

Phénice, allons nous joindre aux voeux qu'on fait pour nous 1.

Cette leçon plus ancienne était équivoque : elle signifiait que Bérénice allait joindre ses voeux à ceux des autres, mais tout aussi bien que la reine réclamait des dieux sa part de la bénédiction que tout le peuple implorait par ses prières. La nouvelle leçon a été nécessitée par le changement de nos images en ses images (v. 300) dont nous avons déjà parlé, et s'explique par les mêmes raisons.

Il y a lieu d'approfondir davantage l'analyse de ces variantes. Le geste d'hommage envers Bérénice que fait le sénat romain, se double d'un geste de culte religieux de tout le peuple envers Titus. L'association très étroite de cette adoration de Titus à la cérémonie de la divinisation de Vespasien défunt, en détermine le véritable sens. Elle arrache l'objet du culte à la vie parmi les humains pour le placer sur l'Olympe, parmi les dieux. L'empereur reste empereur, mais il ne sera plus homme, il sera dieu. Il perdra, ici-bas, sa personnalité dans les statues, dans les images fixées qui le représentent, images qui ne contiennent que sa grandeur impériale, qui sont dénuées de vie, qui constituent la négation de tout désir personnel. L'élimination de Bérénice de cet acte d'adoration était bien dans l'ordre logique des choses. La signification la plus profonde de ce geste apparaît dans le texte définitif de la fin de la tirade. On y trouve l'opposition entre Rome et la reine. Rome ne fait des voeux que pour Titus, pour l'empereur en Titus : « de son règne naissant», «pour son empire heureux». La condamnation totale de Bérénice, qui est incluse en ces termes, Paulin nous la révélera lorsque, parlant de ces mêmes sacrifices, il dira à Titus qu'ils sont la suite de la nouvelle de sa rupture avec la reine :

Rome, qui gémissait, triomphe avec raison ; Tous les temples ouverts fument en votre nom ;

1. Cf. l'éd. citée, t. I, p. 1 110. Le remplacement, dans le vers 320, du verbe de " consacrer " par celui de « célébrer » me semble dicté par l'exigence de fluidité des vers raciniens.


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Et le peuple, élevant vos vertus jusqu'aux nues,

Va partout de lauriers couronner vos statues, (v. 1221-1224)

Ce qu'il y a de tragique, c'est que Bérénice, conduite par le mirage créé par son amour, va se joindre à ces prières qui tendent à détruire cet amour. Mais par là ces vers prennent une autre ambiguïté, et renferment encore en germe la réconciliation du dénouement, où elle formera un voeu pour le règne de Titus, en sacrifiant son amour : « Adieu, seigneur. Régnez ; je ne vous verrai plus » (v. 1494).

Dans une étude sur le rôle du regard chez Racine, M. Starobinski cite la lettre écrite par Racine à l'abbé Le Vasseur, le 26 décembre 1661, lors donc de son séjour à Uzès 1. Il y décrit un feu d'artifice auquel il a assisté, mais dont il a été détourné par d'autres spectacles : « Il y avait tout autour de moi, dit-il, des visages qu'on voyait à la lueur des fusées, et dont vous auriez eu autant de peine à vous défendre, que j'en avais ». M. Starobinski donne sur ce passage le commentaire suivant : « Des visages qui apparaissent dans la nuit, à la lumière des flammes : il semble que ce soit là un thème favori de la rêverie racinienne. La lettre d'Uzès décrit ce qui restera pour Racine une situation-archétype : le premier regard sur un être dont l'image s'éclaire sur un fond nocturne » 2. C'est sur ce thème, en effet, que se greffent les oppositions fondamentales qui caractérisent toutes les pièces de Racine : l'opposition entre le jour et la nuit, qui apparaît dans son oeuvre dès les premiers vers de La Thébaïde 3 et qui, dans Phèdre, crée cette brillante et terrifiante poésie mythologique qui nous montre Phèdre fuyant « ce sacré soleil » dont elle est descendue et voulant se cacher dans « la nuit infernale » où son père « tient l'urne fatale » (v. 1269 sqq.) ; l'opposition entre le trouble obscur séduisant tous les personnages et leur désir profond de voir clair en euxmêmes, d'où la constatation désespérée qu'ils se cherchent et ne se trouvent plus ; l'opposition entre l'effort de se maîtriser, de régner, et le désir de se laisser aller complaisamment aux délices de leur amour, de vivre.

Mais l'analyse des trois spectacles nocturnes, d'Andromaque, de Britannicus, et de Bérénice, fait ressortir, en outre, l'étonnante force créatrice de la poésie dans les tragédies de Racine. Ils renferment tous les trois une synthèse initiale des données dramatiques de chaque pièce, et de leur évolution. Comme en un éclair, les protagonistes y saisissent toutes les forces essentielles, toutes les constantes de leur destin, et les expriment intuitivemnt, sans que cette

1. L'éd. citée, t. II, Paris, 1960, p. 407 sqq.

2. Jean Starobinski, « Racine et la poétique du regard », dans La Nouvelle N.R.F., 5e année, n° 56 (août 1957), p. 253.

3. « O toi, Soleil, ô toi, qui rends le jour au monde

Que ne l'as-tu laissé dans une nuit profonde ! » (v. 23, 24).


UN THÈME-CLEF RACINIEN 589

connaissance monte pour autant au niveau de leur conscience 1. Ces visions, qui constituent autant de sommets lyriques de l'oeuvre racinienne, et qui se situent chaque fois au seuil de l'action dramatique, prouvent à quel point, chez lui, jaillissent des régions obscures de la poésie elle-même toutes les forces et toutes les impulsions qui créent les tensions fatales dans ses pièces, et qui rendent leur plein effet dans leur interaction avec les formes dramaturgique contraignantes et vivifiantes. Elles sont noyau poétique en même temps que thème-clef.

J. A. G. TANS.

1. Cf. Francis Fergusson, The Idea of a theater. The art of draina in changing perspective, Garden City, N.Y., Doubleday, 1954, qui dégage les conséquences de cette connaissance intuitive des héros de Racine pour la dramaturgie de celui-ci.


GUILLERAGUES EPISTOLIER ; UNE LETTRE INÉDITE A MADAME DE LA SABLIÈRE

L'histoire littéraire n'est pas le domaine du raisonnement mathématique : un problème d'attribution, notamment, ne peut être résolu avec la rigueur d'un problème de géométrie. Mais ceci ne signifie pas que toutes les thèses sont également soutenables. C'est ce qu'oublient ceux qui refusent leur adhésion aux démonstrations les plus solides, pour ajouter foi aux hypothèses hasardées qui flattent leur imagination. Tout bon esprit ayant l'expérience de ces matières conviendra qu'une certitude est acquise en pratique lorsque certaines conditions sont remplies : existence de documents contemporains non suspects établissant l'attribution proposée ; confirmation de cette attribution par des critères internes objectivement déterminés ; absence de tout signe divergent dans les deux domaines de la critique externe et interne précédemment définis. On observe en effet que toute attribution répondant à ces exigences se renforce dans la suite des temps par une fouie d'indices ou de découvertes de détail, auxquels on finit même par ne plus prêter attention, tandis que toute hypothèse faintaisiste est plus ou moins vite supplantée par une autre hypothèse non moins fantaisiste, à moins qu'elle ne s'écroule d'elle-même dès qu'elle est formulée avec assez de précision pour qu'il soit possible de la vérifier.

Ces observations s'appliquent bien entendu au cas des Lettres Portugaises, mais avec une particularité notable. Sur le fait même que Guilleragues ait matériellement écrit les cinq lettres qui composent l'ouvrage, aucun doute n'est plus possible. Les éditions étrangères le nomment dès 1669, et leur source est probablement le libraire Barbin. Surtout, le privilège découvert par le regretté F. C. Green le désigne : or, contrairement à ce que soutenait encore récemment un critique brésilien, la mention d'un nom d'auteur dans le texte d'un privilège, loin d'être une simple formalité administrative, est une exception digne d'attention (on ne la trouve que de loin en loin), qui constate explicitement ce que nous appellerions la «propriété littéraire» de l'ouvrage présenté; peutêtre même une étude plus poussée établirait-elle un rapport entre


GUILLERAGUES A MME DE LA SABLIERE 591

la condition sociale ou littéraire des auteurs et la mention plus ou moins fréquente de leur nom dans les privilèges. Quoi qu'il en soit, on peut encore remarquer que toutes les autres thèses, par exemple celle qui attribue la « traduction » des Lettres à Subligny, sont tardives et dénuées de tout fondement. Reste un seul problème, mais d'importance. Il s'agit de savoir, non pas si Guilleragues s'est inspiré ou non d'une authentique anecdote portugaise — ceci est une simple question de source comme il s'en pose à propos de toute oeuvre littéraire —, mais bien si le génie qui s'exprime dans les Lettres Portugaises est celui de Guilleragues, ou de quelque autre personne. Ici, les critères « externes » peuvent sans doute être encore de quelque utilité. Il est très significatif qu'un homme aussi bien informé que Donneau de Visé de tous les dessous de la littérature du temps écrive 1, l'année même de la publication des Lettres Portugaises, que Guilleragues « fait très bien les vers, aussi bien que les lettres amoureuses » : ceci montre en effet que, pour donner une idée de l'oeuvre en vers de Guilleragues, encore peu connue 2, il se sert d'un repère valable au moins pour les initiés, son aptitude à écrire des « lettres amoureuses ». Tout le monde conviendra pourtant que, sur une telle matière, la critique interne doit avoir aussi son mot à dire.

Aussi l'avions-nous largement utilisée lorsque la découverte des Valentins nous en donna l'occasion. Ce recueil d'épigrammes et de madrigaux présentait en effet avec les Lettres Portugaises des similitudes notables : la forme épistolaire ; des thèmes moraux très voisins ; la même insistance sur le motif de la femme abandonnée par l'officier qui la quitte sous prétexte de rejoindre son régiment ; un fonds commun de culture classique — soigneusement masqué, mais toujours présent dans les Lettres Portugaises — ; enfin, des ressemblances d'expression d'autant plus notables que l'un des ouvrages était en vers et l'autre en prose 3. Sur un point important, néanmoins, notre démonstration restait incomplète. Sans doute, l'allègre impertinence des lettres de jeunesse à Madame de Sablé 4 et à Candale, contrastant avec les solides qualités de goût, d'intelligence et de dignité de la lettre à Racine, faisait soupçonner l'aisance souveraine de Guilleragues dans le genre épistolaire. Mais,

1. Dans l'Amour échappé, dont l'attribution était contestée, mais qu'une mention du registre des privilèges nous permet d'attribuer définitivement à Donneau de Visé.

2. L'achevé d'imprimer des Lettres Portugaises est du 4 janvier 1669, et celui des Valentins du 20 août de la même année. Quant à l'Amour échappé, un privilège lui fut accordé le 15 mai 1669, mais ce privilège ne fut présenté en vue de l'inscription sur le registre que le 7 novembre 1669.

3. On trouvera les rapprochements signalés ci-dessus dans notre édition des Lettres Portugaises, notamment p. 77-78 et 102 ; 4-10, 109, 112, 149, 176-179 ; 76 et 77.

4. Quoique publiée seulement avec les Valentins, dont le privilège est de 1668, la lettre à Mme de Sablé que nous avons reproduite (pages 146-147) nous paraît remonter à une époque plus ancienne, comme la lettre à Bourdelot (ibid., pages 149-151) qui, ainsi que M. Pintard l'a établi, a été écrite en juillet 1654.


592 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

sans qu'on eût d'ailleurs lieu de s'en étonner, car c'est le sujet qui commande la manière, on ne trouvait pas, dans tout le reste de son oeuvre connue, la sensibilité passionnée, le jaillissement brûlant qui caractérise si remarquablement les Lettres Portugaises.

Cette lacune est aujourd'hui en passe d'être comblée. M. René Pintard, dont les érudits ne devraient jamais, suivant un mot de Guilleragues à propos de La Rochefoucauld, prononcer le nom qu'en lui donnant des louanges singulières et senties, vient d'avoir l'extrême obligeance de nous signaler, parmi les Nouvelles Acquisitions du Département des Manuscrits de la Bibliothèque Nationale 1, une lettre de Guilleragues à Madame de la Sablière. Sans doute l'ambassadeur de Louis XIV à Constantinople ne s'y avouet-il pas l'auteur des Lettres Portugaises : seuls des naïfs auraient pu attendre qu'il le fît ; encore se déclare-t-il capable d'être auteur presque au même titre que La Fontaine. Mais il fait mieux. Ce fameux ouvrage dont il ne parle pas, il démontre qu'il était l'homme qui devait l'écrire.

Nous essaierons de le faire sentir après avoir présenté le texte même de cette lettre. Mais il faut d'abord régler la question de son authenticité et celle de sa date. La première ne fait aucun doute. Quoique nous n'ayons affaire qu'à une copie, certainement faite en France, et non signée, l'orthographe respecte en effet les particularités connues de la graphie de Guilleragues, notamment l'e dit « svarabhaktique » des futurs et des conditionnels (renderai, metterois, etc.) 2. En outre, le contenu comme le style de la lettre ne peuvent appartenir qu'à ce personnage. Reste la date, qui pose un petit problème.

Pour l'année, la difficulté est vite réglée. Celle qui est portée sur la lettre, 1684, est certainement fausse : elle a d'ailleurs été barrée. C'est évidemment en 1680 que la lettre a été écrite. Reste à déterminer si le mois de mai, porté sur la lettre, est exact. Guilleragues annonce dans sa lettre qu'il a appris la mort de La Rochefoucauld, et déjà envoyé ses condoléances à ses fils. Or, celle-ci eut lieu le 17 mars 1680 et fut annoncée dans la Gazette du 23 mars. Le délai est court jusqu'au 14 mai. Chose plus grave, Guilleragues parle de l'approbation que le roi a donnée à son attitude. La correspondance diplomatique conservée aux archives des Affaires Etrangères permet d'établir que les lettres contenant cette approbation sont celles du 10 mars et du 22 mars 1680, qui furent reçues à Constantinople le 25 mai. Faut-il admettre que Guilleragues

1. Cote 24250, folios 17-33. Le recueil porte le titre: Documents divers réunis par Iules Desnoyers (1646-1793). En tête de la lettre, de la main du copiste : Lettre de M. d,' Guilleragues, ambassadeur de France à Constantinople à Mme de la Sablière.

2 Sur l'usage de Guilleragues concernant ce point d'orthographe et sans doute de prononciation, voyez notre édition des Lettres Portugaises, page 129.


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a, par inadvertance, daté du 14 mai une lettre écrite le 14 juin ? On pencherait à le croire, si, à côté du terminus a quo dont nous avons fait état, nous ne disposions pas aussi d'un terminus ante quem. Des Rochers, Madame de Sévigné écrit en effet à Madame de Grignan le mercredi 21 août 1680 .

Je vous remercie de la lettre de Guilleragues ; je trouve qu'elle n'est point bonne pour le public ; il y faut un commentaire, il faut la garder pour soi et pour ses amis. Il y avait un mois que la princesse de Tarente l'avait ; elle n'y entendait rien. Je le trouve bien humble, pour un Gascon, d'avouer l'oubli de tous ses amis. Il avoue qu'il n'est point vindicatif ; cela m'a paru naturel et plaisant, aussi bien que son avarice, qui lui fait comprendre la bassette de La Fare : tout cela est bon pour soi. Je vous embrasse, etc. 1

Si, comme il y a toute apparence, Madame de Sévigné fait bien allusion à notre lettre, celle-ci, communiquée à la princesse de Tarente « un mois » auparavant, doit être parvenue à Madame de la Sablière au plus tard dans la seconde quinzaine de juillet. La « voie de Venise » qu'utilise Guilleragues, par terre et à pied, exige, selon son propre témoignage, soixante-trois ou soixante-quatre jours à la belle saison 2. Cela suppose que la lettre partit de Constantinople entre le 15 et le 30 mai environ, mais difficilement aussi tard que le 14 juin. Nous en inférons que la date du 14 mai est probablement exacte. Dès le début du mois, Guilleragues avait dû recevoir par un courrier favorisé 3 les nouvelles de France portant sur les événements antérieurs à la publication de la Gazette du 23 mars, et envoyer par la « barque », c'est-à-dire par voie de mer et par retour du courrier, ses condoléances à la famille de La Rochefoucauld. Quant aux félicitations royales, si ce sont bien celles qui parvinrent le 25 mai, on peut supposer que Guilleragues, après avoir commencé sa lettre le 14 mai, la reprit plus tard, avant le départ du courrier de Venise 4. Nous nous en tiendrons donc à la date portée sur la lettre.

1. Edit. Gérard Gailly, t. II, p. 825-826. Noter que cette lettre fut publiée pour la première fois par Capmas, et ne figure donc pas dans l'édition des Grands Ecrivains.

2. Et jusqu'à trois mois en hiver. On notera que, dans la Gazette, les nouvelles de Constantinople arrivent, soit par le canal de Venise, soit sans indication de relais. Dans ce dernier cas, le délai semble plus court. Voyez la note suivante.

3. En temps normal, et toujours suivant les indications de la correspondance diplomatique, le trajet de Marseille à Constantinople par la « barque » prend vingt-six jours, auxquels il faut ajouter quatorze jours de Paris à Marseille, et une attente variable dans cette dernière ville. Comme le départ de la barque est annoncé un mois à l'avance, l'attente à Marseille peut être réduite à très peu de chose. En outre, le trajet par mer peut être plus rapide. Guilleragues signale qu'il en a vu de quinze jours. A titre d'exemple, la Gazette du 27 avril 1680, donne des nouvelles datées du 5 mars de Constantinople, et ce délai de cinquante-trois jours environ se retrouve en plusieurs autres occasions. De Venise à Paris, le courrier met environ vingt-deux jours. Les nouvelles de Constantinople venant par Venise ne sont ordinairement pas datées.

4. Dernière difficulté. Dans sa lettre Mme de la Sablière apprend à Guilleragues, la grossesse de la duchesse de Foix. Or, le malheureux succès de cette grossesse n'a été annoncé par le Mercure qu'en février 1681. Le rédacteur semble n'en avoir été informé, ou n'en avoir informé ses lecteurs, qu'avec un certain retard.

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Sa lecture ne pose guère de problème. Nous avons dû suppléer la ponctuation, qui manque presque totalement, quoique Guilleragues lui-même ponctue correctement. Nous avons aussi modernisé l'orthographe, qui ne présente aucune particularité notable, en dehors des quelques points que nous signalerons. Quant au commentaire réclamé par Madame de Sévigné, nous l'avons voulu simplement explicatif en réservant pour la suite l'examen des points qui intéressent la question des Lettres Portugaises.

Au palais de France à Péra l Le 14 de mai 2 [1680]

Je suis bien surpris, madame, de l'honneur que vous préparez à mes lettres. Quae excidunt esse non insulsa sufficit 3, vous ne deviez pas les rendre publiques, et divulguer les négligences que la confiance et l'amitié permettent 4 ; me voilà devenu auteur contre mon intention. Ce n'est pas que je ne pusse l'être à peu près comme celui qui compose sans cesse des vers à votre louange 5, et puisque vous faites passer jusque dans la patrie d'Homère ses ouvrages 6, je dois être médiocrement flatté d'apprendre que par vos soins mes lettres sont lues aux Feuillants et aux Incurables 7. Ce n'est pas la qualité de grand-mère qui rend ces vers ridicules : Vénus n'était-elle pas grandmère ?

Je connais bien, madame, que vous voulez que je vous écrive ce que je vous ai dit sur ce sujet. Je vous assure donc que, si corpore quaestum fecisses s,

1. Après ces mots, une autre main a ajouté faubourg de Constantinople. Sur le site et la disposition du palais de France, résidence des ambassadeurs français depuis le XVIe siècle, voyez notre édition des Lettres Portugaises, p. LXXVII, sq., ainsi que les planches.

2. Après ces mots, la date 1684 a été ajoutée, puis barrée. On a dit que la lettre était de 1630. Voyez plus haut.

3. « Il suffit que ce qui m'échappe ne soit pas dépourvu de sel ». II ne s'agit apparemment pas d'une citation exacte, quoique l'on trouve chez Cicéron des formules assez comparables (par exemple dans les Lettres Familières, 24, ad finem, d'après le dictionnaire de Forcellini).

4. Nous n'avons pu établir qu'aucune lettre de Guilleragues à Mme de la Sablière ait été publiée antérieurement à celle-ci. Par rendre publiques, Guilleragues entendrait-il des lectures ou des copies privées ? Mais plus loin, il parle du Mercure. Voyez P. XVIII.

5. La Fontaine, évidemment. Guilleragues pense certainement au Discours à Mme de la Sablière, « Iris, je vous louerais, il n'est que trop aisé... », qui parut pour la première fois en 1679. Mais les mots sans cesse incluent d'autres pièces. Dans une lettre mêlée de vers et de prose à M. de Bonrepaus, La Fontaine évoquera plus tard le temps où « Iris » goûtait encore « une louange délicate D, alors qu'elle ne traite plus désormais cet art que de « bagatelle n : a L'éloge et les vers sont pour elle, ajoute-il, ce que maints sermons sont pour moi n. (Lettres du 31 août 1687, éd. des Grands Ecrivains, t. IX, p. 381).

6. Sans doute un exemplaire du tome IV de l'édition des Fables choisies mises en vers (1679), dont l'achevé d'imprimer est du 15 juin, et que Mme de Sévigné conseillait à Bussy de se procurer dans une lettre du 20 juillet 1679. Guilleragues avait quitté Paris le 19 juillet de la même année, et ses préparatifs avaient dû l'absorber entièrement.

7, On date ordinairement l'installation de Mme de Sablé auprès des Incurables du milieu de 1680. Il faut avancer quelque peu cette date : la lettre de Mme de la Sablière annonçant la nouvelle ne peut avoir été postérieure au mois de mars ou d'avril.

8. Ici encore, il ne semble pas s'agir d'une citation exacte, mais l'expression corpore quaestum facere, faire métier de son corps, est bien connue. On la trouve avec quelques variantes chez Plaute, Tite-Live ou Tacite. Sur la culture classique de Guilleragues et sur sa bibliothèque d'auteurs anciens dans le texte original, voyez notre édition des Lettres Portugaises, p. XXXII-XXXIV (Vie de Guilleragues) et 3-11 (Analyse d'un chef-d'oeuvre).


GUILLERAGUES A MME DE LA SABLIERE 595

vous auriez pu et vous pourriez encore faire rebâtir les murailles de Paris, comme Phryné celles de Thèbes 1 ; jamais de semblables discours n'ont offensé les dames les plus sévères. A dire la vérité, si vous vouliez enfermer aussi tous les faubourgs, la dépense serait un peu excessive.

Je suis en disposition de vous ouvrir mon coeur et de vous avouer ingénument un secret important, que je vous ai caché soigneusement, et que je n'ose encore vous déclarer sans une préparation convenable. Vous saurez donc, madame, que les barques qui partent de Constantinople sont prises quelquefois ; je sens vivement ces malheurs comme bon ambassadeur qui ne peut apprendre sans douleur les pertes des marchands 2, et j'ai en mon particulier un grand déplaisir de voir tomber les lettres que j'ai écrites entre les mains des corsaires 3 amis de M. de Nantouillet, qui n'a jamais donné à son laquais aucun exemple de désespoir 4. Je puis ne m'exposer plus à de semblables accidents, mais le remède est si violent que je n'ai osé m'en servir jusques à présent. Cette discrétion vous fera connaître que je ne suis pas devenu tout à fait indigne des louanges dont vous avez bien voulu m'honorer sur un peu de savoir-vivre et même de politesse, si j'ose le dire après vous, madame, qui pouvez tout autoriser. Il n'y a, je vous l'avoue, rien de plus assuré que la voie de Venise : on ne perd jamais aucune lettre 5 ; elles sont toujours fidèlement, et trop fidèlement rendues, car le port est fort cher. Je sais bien que les lettres sont des entretiens nécessaires ou agréables des amis absents ; je ne puis douter que vous n'ayez la bonté de célébrer la réception des miennes : mais ai-je dû m'exposer avec une confiance étourdie à ralentir votre vivacité par la réflexion douloureuse d'une dépense inopinée, et mu discrétion n'est-elle pas louable, puisque, pressé de l'envie de vous écrire affligé de voir perdre mes lettres, cependant je n'ai pas voulu, dans ces extrémités, renverser l'ordre économique de votre famille réglée, ni devenir la cause que votre servante Madeleine employât une somme inconnue en vos comptes ? Aurais-je si tôt oublié que les articles qui composent votre livre de raison, que j'ai vu cent fois sur votre table indignement placé avec Horace 6, n'étaient que des sols et des deniers, toujours utilement employés en

1. On sait que la célèbre courtisane Phryné passait pour avoir offert de rebâtir à ses frais la ville de Thèbes, à condition qu'une inscription rappelât que la ville, détruite par Alexandre, avait été reconstruite par une courtisane. Contrairement à ce qui a parfois été dit, d'après un témoignage malveillant de la grande Mademoiselle, Mme de la Sablière semble avoir été fort jolie. C'est ce qui ressort autant de témoignages contemporains, reproduits par Menjot d'Elbène, Mme de la Sablière, Paris, Pion, 1923, p. 66 et 67, que de son portrait, en tête du même ouvrage.

2. Sur le rôle particulier de l'ambassadeur à Constantinople comme protecteur du commerce français dans le Levant, voyez notre édition des Lettres Portugaises, notamment p. 160, 161 et 167.

3. Après ce mot, quelques lettres ont été barrées dans la copie de la lettre. On lit peut-être passes, et ou posées, et. Il semble que le copiste n'ait pas compris la phrase, et ses hésitations l'obscurcissent encore pour nous.

4. Nous ne pouvons éclaircir l'allusion. François Duprat, chevalier de Nantouillet, capitaine de cavalerie au régiment de la reine, premier maître d'hôtel de Philippe de France, duc d'Orléans, est bien connu comme ami de Racine et de Guilleragues. Il avait épousé Anne-Marie Colbert, fille de Colbert du Terron, intendant de la marine, envoyé au Portugal avant d'Ablancourt, pendant la guerre d'indépendance de ce pays.

5. Sur la voie de terre et la voie de mer entre Constantinople et Paris, voyez plus haut, page 593, notes 1 et 2.

6. Guilleragues, qui est prodigue, et qui, selon un mot de Saint-Simon avait « tout fricassé », relève la « sagesse » de Mme de la Sablière, qui frappait aussi La Fontaine :

« Si j'étais sage, Iris (mais c'est un privilège Que la nature accorde a bien peu d'entre nous) Si j'étais un esprit aussi réglé que vous, Je suivrais vos leçons, etc. » (édit. cit., t. IX, p. 184).


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raves, en oeufs, en lait et en charbonnées 1 ? ai-je dû croire que M. Galichet 2 ne combattrait pas vaillamment à votre porte pour soutenir contre un distributeur de la poste le refus ordonné d'un paquet de quarante sols de port, s'exposant à quelque blessure qui pourrait enfin, suivant sa chimère et la vôtre, le rendre digne d'une place aux Invalides ? Ce n'est pas sans dessein, madame, que je vous ai suppplié de m'apprendre si vous étiez devenu riche par l'accommodement de vos affaires avec vos enfants 3 ; mais vous ne m'avez pas éclairci, et rien n'a dû effacer ma première idée de votre décente et philosophique pauvreté. Car enfin vous êtes engagée depuis peu au paiement d'un louage assez humble ; les nouvelles qu'on m'a écrites de Paris ne font aucune mention de l'accroissement de votre équipage. M. de la Fontaine, descendu d'un grenier, tombe dans un entresol 4, où il a sans doute soutenu un froid cruel l'hiver passé, n'ayant pas vraisemblablement pris la liberté d'allumer un cotret en son particulier dans la nouvelle maison, comme il ne vous avait pas proposé par discrétion de faire accommoder dans l'ancienne un vieux châssis dénué de tout papier qui donnait un passage très libre au vent et à la neige. Je ne puis m'empêcher de vous dire à ce propos que l'hospitalité est pratiquée chez vous, madame, comme dans un couvent laineux de caloyers 5 que Saint-Paul, suivant la tradition, fit bâtir près d'Angora en Galatie. Ils sont obligés de loger et de nourrir tous les passants, de quelque qualité et de quelque religion qu'ils puissent être ; ces bons et charitables moines présentent aux voyageurs fatigués et mourants de faim un peu du lait, un peu d'eau, et un ancien cloitre ruiné de tous côtés pour y passer la nuit : ils tiennent à la vérité table ouverte, mais il n'y a pas un lieu dans tout le vaste couvent qui soit destiné à la cuisine. Revenons à M. de la Fontaine. Il liasse sa vie avix Feuillants 6, aux Incurables, tout environné de religieux, de dévotions, de solitaires ; il n'entrera pas dans de grands détails ni dans des pratiques sur tout cela :

1. Ici figuraient les mots mais plus rarement, qui ont été biffés. Ils figuraient sans cloute dans la lettre originale, et ont pu être supprimés, soit par Guilleragues, soit pa: Mme de la Sablière : la plaisanterie était un peu forte. — Au sens propre, le mot charbonnéc désigne une partie de l'aloyau ; mais Guilleragues l'emploie au sens général de morceau à griller. Voyez plus loin.

2. Ce nom du portier de Mme de la Sablière n'est pas mentionné dans l'ouvrage de Menjot d'Elbène (Paris, 1923) qui lui est consacré.

3. Le mari de Mino de la Sablière était mort le 3 mai 1679. Dès le 27 avril 1679, elle avait lait déposer une protestation contre une renonciation laite à une partie de sa dot (33.333 livres) en faveur de ses enfants, dont son mari était le tuteur. Mais elle annula ces protestations le 22 octobre 1679, et le 23 ses entants lui payèrent 8 000 livres pour son préciput et 4 000 pour son deuil. Les divers revenus dont elle jouissait alors (notamment îles rentes pavées par ses enfants en échange de sommes abandonnées par elle) se montaient apparemment à quelque quatre mille livres., ce qui n'est pas considérable.

4. Le « grenier » se trouvait dans la maison habitée par Maie de la Sablière, rue Neuve des Petits-Champs, Va entresol » rue Saint-Ilonoré, dans une maison voisine de celle de Mme de la Sablière.

5. Les caloyers sont proprement des moines grecs de la règle de Saint-Basile, qui, d'après Furetière, desservent la plupart des couvents d'Orient, notamment celui du mont Athos. Le saint Paul dont il s'agit ici est saint Paul l'anachorète, que l'on considère comme le fondateur de la vie monastique en Orient. Noter que Guilleragues avait dans ses instructions de favoriser le commerce du poil de chèvre dont la région d'Angora fournissait la plus grande partie pour la fabrication du tissu qu'où appelait camelot.

6. Un acte de 1681 précise que Mme de la Sablière demeure " rue Saint-Honoré, près le couvent des Feuillants, paroisse Saint-Roch ». Menjot d'Elbène a pu établir que sa maison se trouvait " sur le portail des Feuillants » (p. 147) et donne une illustration d'époque où elle figure.


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Lambere tactuque innoxia molli(s) comas et circum tempera pasci. 1 Il vous suit partout : je ne veux offenser personne, mais c'est à lui seul que convient la devise du tournesol, usque sequar. N'allez pas vous imaginer que je pense que vous soyez vers votre déclin 2 ; et quand même je le penserais, il ne faudrait pas, s'il vous plaît, en être offensée : je vois de ma chambre des couchers de soleil admirables 3. Vous faites bien d'aimer toujours M. de la Fontaine et M. Bernier ; ils sont faciles, naturels, jamais importuns ; leurs singularités plaisent ; on peut abuser d'eux et de leur mérite ; ils ne sont point scandalisés du mal, ni du bien qu'ils ne veulent point faire 4. M. de la Fontaine ne quittera jamais un entresol pour habiter un palais, mais M. Bernier devrait 5 bien me venir voir si je passe ici quelques années, ce qui n'est pas assuré 6. Mille lieues ne sont rien à un grand voyageur. Je le recevrais avec toute la joie et tout le plaisir dont je puis être capable en ce pays ; je trouverais le moyen, non plus de l'enrichir, mais de lui procurer quelque utilité modique : cependant il ne dépenserait rien, et son revenu étant accumulé par la cessation des profusions journalières qu'il fait chez son hôte grimpant il deviendrait riche contre sa propre intention. Je: n'ai pas été plus étonné que ces deux philosophes du choix que vous avez fait des Incurables pour votre maison de plaisance 7 : tout est à peu près de même, et il n'y a que les usages, les regards et les dispositions diverses qui établissent les grandes différences.

Je sais depuis longtemps que mon maître s a eu toute sa vie une intention formelle de se perpétuer. I! n'a pas cherché comme Longin ou M. Despréaux le sublime. Dans la Genèse, crescite et multiplicamini sont les paroles dont il a paru le plus touché, en cas qu'il l'ait lue, ce qui ne demeure pas sans controverse. Enfin il a réussi ; j'en suis très satisfait, et peu surpris, ayant toujours espéré que sa longue persévérance serait couronnée ; mais est-il possible que mon maître, qu'un grand nom, que l'estime et que l'amitié publique n'ont pu enorgueillir, soit devenu superbe, comme vous me l'écrivez,

1. Guilleragues cite de mémoire le passage suivant de l'Enéide, livre II, vers 682684) :

Ecce? levis summo de vertice visus luli Fundere lumen apex tactuque innoxia molles Lambere flamma comas et circum tempora pasci. On ne peut scander régulièrement son « extrait ».

2. Née en 1640, mariée à quatorze ans, Mme de la Sablière avait quarante ans. Guilleragues, pour sa part, en avait cinquante-deux.

3. Située donc à l'Ouest, la ce chambre » de Guilleragues donnait donc sur la Corne d'Or. Voyez notre édition des Lettres Portugaises, p. LXVIII et pl. vi.

4. Ponctuation de l'original qui, pour une fois, porte une virgule après du mal. Les portraits moraux de La Fontaine sont bien connus. Pour Bernier, voyez le livre de M. René Pintard, Le Libertinage êrudit, p. 384-386, ainsi que l'article de Léon Petit, " Madame de la Sablière et François Bernier », dans le Mercure de France, 1950, p. 670-683, qui l'appelait un " joli philosophe », ajoutait que « sa figure, sa taille, sa manière, sa conversation » l'avaient rendu digne de cette épithète.

5. Suivant une habitude constante de Guilleragues, ce mot est écrit deveroit. De même plus loin devienderoit, plus haut cotteret, etc. " L'hôte grimpant » est-il La Fontaine ? Nous ne pouvons l'affirmer.

6. Il était question que Louis XIV rappelât son ambassadeur si on lui refusait le "ofa». En fait, Guilleragues mourut à Constantinople d'une attaque d'apoplexie, juste après avoir obtenu cet honneur, le 5 mars 1685.

7. On sait que Mme de la Sablière garda pendant plusieurs années sa maison de la rue Neuve des Petits-Champs, où elle retournait de temps en temps. Celle de la rue Saint-Honoré était proche des Incurables, où elle finit par se retirer.

8. Henri-François de Grailly dit le duc de Foix (voyez plus loin).


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d'un événement assez trivial partout, et particulièrement dans la ville de Paris ? Ce successeur redonnera un duc de Foix à la cour 1, aux honnêtes gens, à l'armée 2, aux bonnes compagnies, après avoir donné 3 durant ses premières années un marquis de Beaufremont à d'autres lieux moins honorables à la vérité, mais presque aussi fréquentés par ce jeune seigneur : ainsi personne ne perdra 4 rien. Il faut avouer 5 que, si monsieur le duc veut traiter son fils avec une austérité sévère et paternelle, il se commettra à des réponses peu respectueuses, et nonobstant sa sagesse présente 6, lorsqu'il fera des réprimandes 7 ; qu'aura-t-il 8 à répliquer si son héritier, suivant ses mauvais exemples, lui reproche l'histoire de mademoiselle de Boishardi 9, les déguisements de Monplaisir 10, l'inutilité des vaines réprimandes de madame la comtesse de Fleix 11, les châtiments sans fruit de mademoiselle de Vieuxpont 12, son désir public d'avoir des enfants sans être marié, ses amours éperdues pour des dames qui n'étaient ingrates que pour lui, le repas qu'il fit chez Dupont le propre jour qu'il prit pour la première fois sa place de pair au Parlement 13, sa manière d'y opiner en fa1.

fa1. duc de Foix était a fort peu de la cour », selon Saint-Simon.

2. Il « servit avec réputation, mais pas longtemps », dit Saint-Simon. En fait, seulement dans une campagne, celle qui vit le siège de Tournai, où il se distingua (voir la Gazette de France « extraordinaire » du 29 juin 1667).

3. La construction de la phrase n'est pas régulière. Il n'est plus ici question du « successeur », mais du duc de Foix lui-même, au temps où, du vivant de son frère aîné Jean-Baptiste Gaston de Foix, c'est-à-dire avant 1666, il n'était connu que sous le titre de marquis de Beaufremont, du nom d'une terre sise en Bourgogne.

4. Ecrit perdera. Cf. plus haut.

5. Le manuscrit porte il faut avoir, qui ne donne pas de sens. On pourrait songer à suppléer le mot peur (la faute s'expliquerait par un « saut du même au même » sur la finale en r), mais le mode attendu ensuite serait le subjonctif. Or, on a l'indicatif (commettra). Notre correction est donc préférable.

6. En 1671, Mme de Sévigné disait : « Ce petit duc de Foix ne vaut pas un coup de poing ». (Lettre du 18 mai 1671, éd. Gérard-Gailly, I, 296). Mais le portrait qu'en fait Saint-Simon, qui le connut plus tard, est moins défavorable : « C'était un homme extrêmement du monde, doux, modeste, aimable au dernier point, de bonne compagnie, fort paresseux, et, sans être débauché, joueur ni chasseur, n'aimant que le plaisir, considéré et cherché de tout le monde. On disait de lui et de sa femme qu'ils n'avaient jamais eu que dix-huit ans ».

7. Le manuscrit porte un point-virgule, que nous avons dû respecter, quoique une virgule fût sans doute préférable.

8. Ecrit qu'aura-il.

9. Nous ne pouvons éclaircir cette allusion.

10. Autre allusion obscure. On peut seulement faire observer qu'un Guillaume Saulnier, marquis de Montplaisir avait servi depuis 1661 dans le régiment de Foix, plus tard de Roquelaure. « Fort galant homme » et « ami particulier » des Roquelaure, on le trouve lié plus tard avec le duc et la duchesse de Foix. Voyez les Mémoires de SaintSimon, éd. Boislisle, t. XVI, p. 107.

11. Marie-Claire de Beaufremont, comtesse de Fleix, veuve de Gaston de Foix (mort le 13 août 1646), était la mère du duc de Foix dont il est ici question. Comme sa mère, la marquise de Sennecey, elle semble avoir été une femme de sens et d'autorité. Elle mourut à 62 ans, le 29 juillet 1680. Voyez le Mercure d'août 1680, p. 116121, ainsi que la correspondance de Mme de Sévigné.

12. La famille des Vieuxpont était alliée à celle des Grailly — tel est le nom patronymique de la maison de Foix à cette époque. Des Vieuxpont signent dans un acte concernant la famille de Grailly en 1647, et dans son testament (1714), le duc de Foix lègue sa terre et marquisat de Sennecey, en Bourgogne, au marquis de Vieuxpont.

13. Son frère aine, Jean-Baptiste-Gaston de Foix, duc de Randan , étant mort le 12 décembre 1666 Henri-François fut reçu à sa place au Parlement le 25 février 1665 : « Le 25, le duc de Foix fut reçu au Parlement et prit séance en la Grande Chambre, avec les cérémonies accoutumées : étant accompagné du prince de Condé, du duc d'Enghïen et de quantité d'autres seigneurs ». (Gazette de France, Paris, le 27 février 1666), Nous avons retrouvé le procès-verbal de la séance du Conseil secret (Archives Nationales, X 1A 8394, folios 78 et 79) qui rapporte la réception, mais il n'y est pas


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veur de son ami au grand mépris de la justice, l'état où il était lorsqu'une tranche de saucisson illuminée d'une chandelle lui parut le lever du soleil, ses fréquentes rechutes qui suivaient toujours immédiatement les bonnes résolutions qu'il avait prises dans ses maladies 1, et mille autres événements que le respect dû à des familles illustres m'oblige de taire, mais que la renommée n'a que trop divulgués, et qui doivent empêcher monsieur le duc de dire à monsieur son fils :

Disce, puer, virtutem ex me 2

Je vois tomber sans regret l'espérance de ma pension mille fois promise et du paiement légitime de quelques sommes que j'ai eu l'avantage de prêter à mon maître au refus de messieurs les intendants et de messieurs les trésoriers de sa maison lorsqu'on représentait les tragédies admirables de M. Racine moyennant ces petits secours que je lui fournissais sans attirer sur moi la jalousie ou l'envie d'aucun de ses autres domestiques. Il plaçait adroitement sur le théâtre une chaise de paille d'où il pouvait respectueusement adorer quelque dame peu accoutumée aux attitudes respectueuses, et qui ne voulait rien comprendre, ni aux remords terribles de Phèdre, ni à l'amour conjugal d'Andromaque, ni à l'obéissance dévouée d'Iphigénie, ni à la fidélité trahie de Monime, ni aux fausses délicatesses d'Atalide ; monsieur le duc cependant ne manquait pas de se croire mille fois plus malheureux qu'Oreste et de se comparer dans le fond de son coeur à tous les amants tragiques et fameux par les cruautés de leurs princesses 3. Si nous n'avons qu'une fille 4, me voilà tombé dans le même inconvénient que la prétendue grand-mère du pape

question d'une autre affaire qui aurait donné au duc l'occasion d'à opiner en faveur de son ami au grand mépris de la justice ». E doit donc s'agir d'une affaire ayant été débattue en une autre circonstance, sur laquelle il est très difficile de faire la lumière, tant parce qu'on en ignore la date que parce que le registre ne donne pas le détail des opinions formulées.

1. Parmi ces maladies, il faut très probablement compter la petite vérole dont le duc de Foix faillit mourir en décembre 1670 : « M. de Foix est quelquefois a l'extrémité, quelquefois mieux, écrit Mme de Sévigné dans une lettre du 10 décembre 1670 ; je ne répondrai point cette année de ceux qui ont la petit vérole ». (Ed. Gérard-Gailly, t. I, p. 180-181).

2. La citation vient du livre XII de l'Enéide, où Enée dit à Ascagne avant le combat contre les Rutules :

Disce puer virtutem ex me verumque laborem, Fortunam ex aliis (vers 435-436).

3. On ignore tout, jusqu'ici, de représentations privées de pièces de Racine chez le duc de Foix. Il n'est pas non plus aisé d'en fixer la date. L'allusion que l'on vient de voir à Phèdre ne signifie pas, évidemment, qu'elles soient postérieures à 1679. On notera seulement que, lorsque le prince de Monaco donne à Monsieur une fête qui comporte la représentation d'Iphigénie et de l'Ecole des femmes (18 mai 1679, voyez le Mercure de mai 1679, pages 200 et 201), le duc de Foix figure parmi les invités avec Humières, Soyecourt, Tilladet, d'Aumont, de Villeroy, d'Armagnac et d'autres seigneurs.

4. Il n'y eut, hélas ! ni fille ni garçon. On lit en effet, dans le Mercure de février 1681, p. 131 : Q La grossesse de Madame la duchesse de Foix avait causé grande joie. Monsieur le duc de Foix son mari, qui souhaitait fort un fils, la ressentait vivement. Cependant, s'étant blessée en tombant dans une chaise à porteurs, elle est accouchée d'un enfant mort. Ce malheur les afflige d'autant plus, que c'est le seul qu'ils ont eu depuis dix ans qu'ils sont mariés ».


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promis par frère Luce 1, et une partie de ce long discours sera aussi inutile que les béguins 2.

M. Hessein s'est marié dans l'île ; sa femme est bien faite, vertueuse, de bonne famille ; j'en suis très aise. Je vois clairement qu'on peut se pourvoir de tout en l'île 3, comme à la friperie, où l'on trouve aussi des habits neufs. Monsieur votre frère est agréable, il est réglé ; madame votre belle-soeur aimera sa personne, elle s'accoutumera patiemment à ses vérités amères, et à ses propositions àprement soutenues, quoique insoutenables 1 ; elle aura connu trois jours après ses noces, et peut-être dès la première visite, qu'il faut lui céder dans les disputes, ou mourir pulmonique. La vérité est aimable, rien au monde n'est beau que la vérité, mais quelle vérité qui n'est pas évangélique doit être soutenue au prix d'une fluxion volontaire sur la poitrine ? On lui cédera donc tout dans sa maison, on ne contestera rien, mais cette complaisance aveugle, à laquelle il est peu accoutumé, le mettra au désespoir. Je voudrais bien qu'il ne fût pas brouillé avec M. de Puymorin 5 qui est sans doute un ami très fidèle, très passionné, très utile et très agréable. Il faut demeurer d'accord, madame, que les amitiés longuement éprouvées sont des choses essentielles dans la vie ; on est obligé, ce semble, à des apologies lorsqu'on se quitte ; les discours sur sa propre défense trouvent d'ordinaire moins de loi que les fautes qu'ils peuvent rarement justifier ; si on ne se disculpe pas, le public, avide de spectacles et de jugements, se trouve méprisé, et croit le plus modeste coupable comme celui qui se plaint et qui se déchaîne ; enfin, quelque parti qu'on prenne, on est toujours embarrassé et

1. Allusion à un conte de La Fontaine, L'Ermite. Frère Luce, par des voix qu'il produit la nuit, fait croire à une jeune fille et à sa mère que la première doit offrir sa compagnie au dévot frère Luce, pour qu'un pape naisse de leur union. Après quelque temps d'un agréable commerce, la jeune fille se trouve enceinte, et frère Luce la renvoie avec toutes sortes de bénédictions ;

La signora, de retour chez sa mère, S'entretenait jour et nuit du saint père, Préparaît tout, lui faisait des béguins ; Au demeurant, prenait tous les matins Le couple d'oeufs, attendait en liesse Ce qui viendrait d'une telle grossesse. Mais ce qui vint détruisit les châteaux, Fit avorter les mitres, les chapeaux, Et les grandeurs de toute la famille :

La signora mit au monde une fille, (édit. des Grands Ecrivains, t. IV, p. 481-482 ; noter que le couple d'oeufs est un spécifique pour avoir un garçon).

2. L'allusion aux beguim n'est pas nouvelle. Régnier cite, dans l'édition de La Fontaine, deux passages de Mme de Sévigné, le premier dans une lettre du 19 novembre 1670, à propos de la naissance de sa petite fille, que l'on a d'abord crue être un garçon (« Nous en sommes un peu honteuse, quand nous songeons que tout l'été nous avons fait des béguins au saint-père, et qu'après de si belles espérances La signora m t au monde une fille n), puis, dans une autre lettre, du 22 novembre 1671, à propos de la naissance d'un fils de Mme de Louvigny.

3. L'ile Saint-Louis. Ce texte permet de dater plus exactement le mariage de Pierre Hessein avec Madeleine Lair, que Menjot d'Elbène place « avant 1683 ». C'est sans doute à l'occasion de ce mariage que Hessein quitta pour un moment la maison de sa soeur, Mme de la Sablière, pour aller demeurer rue Sainte-Anne, où on le trouve installé le 21 janvier 1681. Il était en tout cas de retour me Neuve des Petits-Champs dès le 16 novembre 1684 (op. cit., p. 108 et 107).

4. Ce trait est le plus caractéristique du personnage. boileau et Racine le mentionne constamment (cf. Menjot d'Elbène p. 98 et suiv.), notamment une fois à propos de Guilleragues voycz notre éd. des Lettres Portugaises, p. LXYIII, note 2).

5. Les relations de Guilleragues avec Puymorin étaient connues. Voyez la lettre de Guilleragues à Racine, dans notre éd. des Lettres Portugaises, p. 178.


GUILLERAGUES A MME DE LA SABLIERE 601

sévèrement condamné 1. Les grands changements obligent quelquefois les hommes ou les femmes à se croire insensées 2, ou à croire qu'ils l'ont été 3 : qui peut savoir si la folie est présente ou passée ? Je trouve qu'il est fâcheux d'être obligé, ou à se mépriser soi-même, ou à se haïr 4. Ce que je viens de vous dire est peut-être trop creusé, je sens 5 quelque obscurité, mais je vous écris ce qui me vient dans la tête en ce moment : quel moyen d'examiner une lettre comme un ouvrage, et de mettre en usage tous les préceptes d'Horace et de Quintilien ? 6 Je ne saurais vous écrire sans vous parler de M. de Barillon 7, qui cependant ne m'a pas écrit un seul mot depuis que je suis à Constantinople, quoique je lui aie adressé des lettres par plusieurs voies. Je ne suis point vindicatif, et je ne laisse pas de l'aimer et de l'estimer avec des sentiments très particuliers qui ne finiront point ; gardez-vous bien de penser qu'il soit un casuiste relâché sur les grands changements 8. Vous ne sauriez voir assez souvent Mme de Coulanges ; je vous assure que vous trouverez des ressources d'esprit, de goût et d'amitié qui ne sont pas communes ; je cultive aisément les sentiments d'estime, de tendresse et de reconnaissance que je lui dois. Ce que vous m'avez mandé des indispositions de monsieur l'abbé de Marsillac m'afflige sérieusement ; il ne devrait pas souffrir, il n'a jamais fait souffrir personne ; je me souviens avec plaisir de la justice, de la noblesse et de la bonté de son coeur et de son esprit 9. Je ne sais si monsieur son frère 1° et lui ont reçu les lettres que j'eus l'honneur de leur écrire lorsque j'appris la nouvelle douloureuse de la mort de feu monsieur le duc de la Rochefoucauld II, qu'il ne faudrait jamais nommer sans lui donner mille louanges singulières et senties.

Je vous supplie, madame, d'empêcher que mes amis ne m'oublient absolument. Je vous propose une occupation bien vive et bien difficile à une philosophe solitaire qui ne sort guère apparemment que pour changer de retraite, Parlez-leur quelquefois de moi, et soutenez les restes de leur amitié, qui me sera toujours chère. L'oubli me paraît une mort. Je n'ai jamais servi mes amis ; j'en ai reçu mille paisirs ; je les conjure de s'en souvenir : ils ont tous fait des choses pour moi qui paraissaient plus difficiles. Je voudrais les revoir, si

1. Ce problème de l'amitié rompue et de l'intérêt qu'y prend le public sera repris par La Bruyère (« De la Société et de la Conversation », 5° éd., n° 39).

2. Sic. L'adjectif est accordé avec le nom le plus rapproché.

3. C'est l'alternative qui se présente à Marianne dans les Lettres Portugaises. Far exemple, à la formule insensée que je suis de la première lettre (p. 42) s'oppose je vous ai aimée comme une insensée de la dernière (page 66), et l'on trouverait plusieurs variations sur ce thème fondamental.

4 Cette fois encore, on pourrait appliquer ce passage aux Lettres Portugaises.

5. Sans doute Guilleragues avait-il écrit n j'y sens », ou peut-être « ji sens ».

6. On a ici une réponse à ceux qui prétendent que Guilleragues, s'il était le véritable auteur des Lettres Portugaises, n'aurait pu s'empêcher d'en a ordonner les contradictions », d'y établir un ordre rigoureux.

7. Guilleragues qui rencontrait Barillon au moins dans le salon des Richelieu, avait emmené avec lui à Constantinople un neveu de ce personnage. Mme de Caylus fait des deux hommes des « adorateurs de Mine de Maintenon » (voyez notre éd. des Lettres Portugaises, p. LIX).

S. C'est-à-dire: « qu'il soit capable de changer». On se demande si Guilleragues ne songe pas déjà aux « grands changements » que Mme de la Sablière essuyait de la part de La Fare. Voyez pourtant plus loin.

9. Les rapports de Guilleragues et de l'abbé ne sont pas connus. Henri-Achille, dit l'abbé de Marsillac, né en 1642, mourut le 19 mai 1698.

10. François (VII) de la Rochefoucauld, prince de Marsillac, grand veneur de France, né en 1634, mort le 12 janvier 1714. Guilleragues, qui était de son âge, le fréquentait familièrement , voyez notre édition des Lettres Portugaises, p. Lvirr, LIX, note 2, LXI et LXVI, note 1.

11. Survenue le 17 mars 1680, annoncée dans la Gazette de France du 23 mars 1680.


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Dieu le voulait. Je ne saurais jamais croire qu'il y ait de la simplicité dans une excessive reconnaissance.

Je vous entretiendrai peu sur mes occupations et sur la vie que je mène, de crainte de tomber dans une mélancolie de laquelle le plaisir de vous parler, ce me semble, me retire, reddarque tenebris 1.

II laut pourtant vous dire que mon devoir m'occupe, et qu'aucun homme de méchante compagnie employé en aucun endroit ne peut être plus appliqué, je ne saurais croire qu'un peu de goût pour les belles choses et beaucoup pour l'amitié puissent rendre un homme absolument incapable de toutes sortes d'affaires sérieuses, surtout dans un lieu où l'on ne peut trouver aucune sorte de distraction excusable, ignoscenda quidera 2. Les affaires sont ici plus difficiles et moins importantes qu'ailleurs ; c'est un grand malheur pour un pauvre ambassadeur bien zélé pour le service de son maître, bien convaincu de sa grandeur, pénétré de ses bontés, mais très médiocrement habile. La maison où je loge est commode et agréable 3 ; je ne sais si je vous l'ai mandé. Le bois est cher comme à Paris, le vin du pays est détestable, le gibier sans goût, les charbonnées sont à bon marché. On ne peut traiter avec un Turc sans lui faire quelque présent, et il résulte de tout ce détail dont je vous rends compte que les bouchers ne sont pas si avides à Constantinople que les gens élevés à quelque dignité.

Passons à des choses plus importantes. Le roi a eu la bonté de me témoigner que Sa Majesté n'était pas absolument mal satisfaite de ma conduite ; j'ai été transporté de le lire moi-même 4. M. de Seignelay me fait connaître essentiellement qu'il est sensible à l'amitié sincère et respectueuse que j'ai toujours eue pour lui. Ceux qui m'aiment lui ont de grandes obligationss ; sa famille me traite comme si je la sollicitais tous les jours sans l'importuner. Mlle de Lestrange a la bonté de m'écrire souvent des nouvelles et d'exciter mes amis de la cour à nommer mon nom s'ils en trouvent l'occasion 6 ; elle se souvient bien de moi mille fois plus que je ne mérite. La famille de monsieur le duc de Noailles est occupé de tous mes intérêts d'une manière exemplaire qui me confond et qui me rend leur amitié bien estimable 7. Mme

1. Citation d'un passage du sixième livre de l'qEnéïde. Après un entretien avec Déïphobe, Enée est averti par la Sybille d'avoir à poursuivre sa route, et Déïphobe, s'arrachant à lui, dit à la Sybille :

(...) Ne saevi, magna sacerdos ;

Discedam, explebo numerum reddarque tenebris. (vers 544-545). C'est-à-dire : « Ne te fâche pas, puissante prêtresse, je m'en irai, je rendrai complet le nombre (des ombres), et je serai rendu aux ténèbres ».

2. Cette nouvelle citation est extraite, cette fois, du quatrième livre des Géorgiques

Cum subita incautum dementia cepit amantem,

Ignoscenda quidem, scirent si ignoscere Mânes, (vers 488-489).

3. Sur le palais de France, voyez notre édition des Lettres Portugaises, passage cité plus haut (p. 594).

4. Comme on l'a dit (p. 592), les approbations données par le roi à l'attitude de Guilleragues se trouvent surtout dans les lettres du 10 mars et du 22 mars, arrivées à Constantinople le 25 mai 1680.

5. Sur les relations de Seignelay avec Guilleragues, qui furent très étroites, voyez notre édition des Lettres Portugaises (nombreuses références à l'index).

6. Mlle de Lestrange, de son vrai nom Henriette Bibiane de Senneterre, est parfois nommée dans les lettres de Mme de Sévigné entre 1676 et 1688. Mais elle semble avoir été surtout liée avec Mme de Coulanges, qui, à sa mort (décembre 1694), dit qu'elle était " son amie depuis vingt-cinq ans » (Lettres de M™ de Coulanges, édit. cit., p. 39).

7. Anne, duc de Noailles, étant mort le 15 février 1678 c'est son fils, Anne-Jules, qui prit ce titre, et c'est lui dont parle Guilleragues. Né en 1650, il eut en 1680 le commandement de la maison du roi en Flandre. On ignorait jusqu'ici les liens existant eutre Guilleragues et lui.


GUILLERAGUES A MME DE LA SABLIERE 603

de Thiange me donne souvent de nouveaux sujets d'une reconnaissance très sensible et très respectueuse 1. Mme de Maintenon 2 et Mme de Richelieu 3 m'ont écrit. Je reçoit des lettres admirables de Mme de Coulanges 4. Madame la maréchale de Schomberg a témoigné depuis peu une grande vivacité dans une affaire qui me regardait 5. Mme de Villars me donna, à Madrid 6, des marques de la continuation de l'honneur de son ancienne bonté pour moi. Mme de Saint-Géran se souvient de moi comme si elle me voyait tous les soirs chez elle 7. M. de Bonrepaus 8 que vous voyez, que vous estimez sans doute, et qui me parle de vous dans ses lettres, M. de Puymorin, que vous ne voyez plus 1, quoiqu'il soit bon à voir 9. M. de Lagny, que vous devriez connaître 10, me rendent mille et mille services que je n'oublierai jamais. Je vois souvent un jésuite ami du père Bouhours 11, qui s'appelle le père Besnier 12 ; il m'aime beaucoup ; c'est toujours la première qualité à votre égard ; il a beaucoup de diversité dans l'esprit, et une grande étendue de connaissances. M. de Dangeau paraît pour moi dans toutes les occasions un ami fidèle et infati1.

infati1. connaissait depuis plusieurs années cette protectrice de Racine, Boileau et La Fontaine. Voyez notre édition des Lettres Portugaises.

2. Sur les relations de Mme de Maintenon avec Guilleragues, outre l'ouvrage cité dans la note précédente, voyez l'édition de ses lettres publiée par Marcel Langlois (Paris, 1935, t. II), que me signale Georges Couton.

3. Sur les relations de Guilleragues avec les Richelieu, voyez notre éd. des Lettres Portugaises, p. LIX et LX, à compléter par ce passage.

4. Elles ne figurent pas, hélas ! dans l'édition des Lettres de Madame de Coulanges publiée en 1825.

5. Nous ne pouvons préciser ce qu'était cette affaire.

6. Elle y avait suivi son mari, nommé ambassadeur, et était arrivée à Madrid en octobre 1679. De Madrid, elle n'écrivit, en France, qu'à Mme de Coulanges, et Mme de Sévigné, dans une lettre du 8 novembre 1679, annonce qu'elle a fait des compliments à toutes nous autres vieilles amies, Mme de Schomberg, Mme de Lestrange, Mme de La Fayette n. Ses lettres à Mme de Coulanges, ou du moins celles qui ont été conservées, ont été imprimées en 1823 (Paris, Chaumerot Jeune, libraire).

7. Françoise de Warignies, née en 1655, amie de Mme de Sévigné et de Mme de Maintenon, dont Saint-Simon disait : « Sa femme (de Saint-Géran), charmante d'esprit et de corps, l'avait été pour d'autres que pour lui ; leur union avait été fort médiocre. M. de Seignelay, entre autres, l'avait fort aimée. Elle avait toujours été recherchée de qui l'était le plus à la cour, et dame du palais de la reine ; recherchée elle-même dans tout ce qu'elle avait, et mangeait avec un goût exquis, et la délicatesse et la propreté la plus poussée. Elle était fille du frère cadet de M. de Blainville [...]. Sa viduité ne l'affligea pas. Elle ne sortait point de la cour et n'avait point d'autre demeure. C'était en tout une femme d'excellente compagnie et extrêmement aimable, et qui fourmillait d'amis et d'amies » (éd. Boislisle, t. III, p. 69-70, à propos de la mort de Saint-Géran, en 1696).

8. François d'Usson, marquis de Bonrepaus, commissaire général de la marine en 1676, mort en 1719. Son neveu, le marquis de Bonnac, plus tard ambassadeur à Constantinople, qui avait eu par lui des informations « d'original », selon ses propres termes, dit que Guilleragues formait avec lui et Seignelay une « société très étroite P (éd. cit. des Lettres Portugaises, p. 236-243).

9. Dans la lettre à Racine du 9 juin 1684, Guilleragues commente en ces termes la mort de Puymorin : « J'ai appris avec un sensible déplaisir la mort de M. de Puymorin. Je l'ai tendrement regretté ; je remercie Dieu de tout mon coeur de lui avoir faù l'importante grâce de songer à son salut avant sa mort » (éd. cit., p. 178).

10. Lagny était le fondé de pouvoir de Guilleragues en France. Il touchait ses appointements venant de la cour et était chargé de travailler à désintéresser ses créanciers. C'était aussi un ami de Mme de Maintenon (voyez ses Lettres, éd. Marcel Langlois, t. II, p. 176).

11. Ecrit Bours, conformément à la prononciation.

12. Sur le père Besnier, qui faisait partie du conseil de Guilleragues, voyez notre édition, p. LXXVII et note 2, ainsi que l'ouvrage de Mohammed Abd el Halim, Antoine Galland, sa vie et son oeuvre, Paris, Nizet, 1964, notamment p. 67, note 11. Bouhours parle du père Besnier dans ses Pensées ingénieuses des anciens et des modernes.


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gable 1. Je vous fatiguerais si j'étendais ce discours eu émnnération, qui a, je le connais le premier, un air de litanie par le récit de tous les témoignages d'amitié que je reçois de tous mes amis et de toutes mes amies. Je pense à être un peu homme de bien ; j'ai le temps de faire des réflexions sérieusement utiles ; je lis des choses admirables ; je suis assuré île ne rien faire d'indigne de la nation 2 ; j'ai rendu des services à la religion avec quelque succès ; les marchands me croient un grand personnage ; les ambassadeurs ont de rudes tentations de croire que le roi a envoyé ici la fleur du royaume de France. Constantin même 3 n'avait pas de si grandes consolations à Constantinople ; peut-être aussi n'en avait-il pas tant de besoin.

Adieu, madame ; voici une lettre bien longue ; il me semble que j'ai tout traité ; n'en craignez plus de semblables ; il me semble aussi que j'y ai inséré un préservatif qui empêchera qu'elle ne soit publique 4 : je ne puis craindre que vous vouliez que tout le monde lise dans le Mercure galant l'endroit peu héroïque où je fais mention de votre parcimonie. Adieu, madame, il est temps de finir, il faut vous laisser :

Ecce iterum condit natantia lumina somnus, Invalidasque manus tendais, heu ! non tuus, ambas 5.

Ce dernier vers est assez passionné, comme vous voyez ; il est bien meilleur dans Virgile, où l'on ne peut rien changer sans tout gâter. Je relus ces jours passés pour centième (sic) fois le quatrième des Géorgiques ;je n'ai jamais trouvé la fable d'Orphée et d'Eurydice si belle ; relisez-la pour l'amour de moi. Je me souviens que messieurs Racine et Despréaux voulaient donner ce sujet pour un opéra 6. Tout ce (lui est dans les Satires et dans les Epitres de M. Despréaux n'est pas si satirique, ce me semble, que la seule pensée de charger Vigarani 7 de représenter Protée presque en même moment comme une flamme et comme une tigresse :

Fiet enim sus horridus, atraque tigris, Squamosusque draco et fulva cervice leaena,

1. Les relations de Guilleragues et de Dangeau étaient connues par une mention du Journal de Dangeau rapportant la mort du « pauvre Guilleragues » à Constantinople ; voyez notre édition des Lettres Portugaises, p. 249-250.

2. La nation de France est l'ensemble des ressortissants et protégés français dans l'Empire Ottoman ; la religion, l'ensemble des confessions chrétiennes.

3. Constantin le Grand, qui transporta le siège de son empire à Byzance, dont il fit Constantinople.

4. Elle ne le lut pas en effet. On a déjà vu ce qu'en pensait Mme de Sévigné. Ajoutons que nous n'en avons trouvé aucun extrait dans le Mercure galant.

5. Guilleragues utilise librement, tout en respectant le mètre dactylique, le passage suiviuit du quatrième livre des Géorgiques (vers 495-498) :

En iterum crudelia rétro

Fata rocant, conditquc natantia lumina somnus ;

Utmquc cale : feror ingenti circumdata nocte,

Incalidasque tibi tendons, heu ! non tua, pulmas. Selon Ribbek, la phrase reste inachevée : la voix et la personne d'Eurydice s'évanouissent dans les ténèbres.

6. Ce passage apporte une confirmation et des précisions à un témoignage de Lagrange-Chancel, rapporté et discuté par M. Jacques Vanuxem dans les Actes du premier congrès international racinien (Uzès, 1962, page 35), sous le titre « Les Projets de Racine». Selon Lagrange-Chaneel, en 1671, le roi, désirant utiliser un très beau décor représentant les enfers qui était conservé dans des garde-meubles, invita Racine, Quinault, Molière et Corneille a présenter des projets de pièces à machines qui auraient permis cette utilisation. Racine aurait proposé le sujet d'Orphée, Quinault celui de l'Enlèvement de Proserpine, qu'il devait traiter plus tard, Molière et Corneille celui de Psyché, qui fut préféré.

7. Le laineux décorateur et metteur en scène de l'Opéra.


GUILLEBAGUES A MME DE LA SABLIERE 605

Aut acrem flamma sonitum dabit atque it vinclis Excidet aut in aquas I tenues dilapsus abibit 2.

Je crois que Molière a pris de cet endroit le sujet du Médecin par force :

Nam sine vi non ulla dabit praecepta, neque illum Orando flectes vim duram 3.

Il pourrait bien aussi s'être servi d'une petite histoire semblable qui est dans le Voyage d'Oléarius en Perse et en Moscovie 4.

Monsieur le duc de Caderousse 5, qui prétendait avec raison que je faisais souvent des digressions et des parenthèses, serait bien confirmé dans son opinion s'il voyait jamais cette lettre.

Trouvez bon, s'il vous plaît, madame, que j'assure monsieur le duc de Lesdiguières de mes respects 6. Ce que j'écris des faits et gestes de mon maître peut sans doute passer pour un compliment Je vous supplie d'en faire beaucoup de ma part à M. de La Fare un jour qu'il n'aura pas perdu son argent 7, et à M. de Briole 8 qui estimera peut-être qu'un ambassadeur

1. Le copiste n'a pu déchiffrer ces trois mots.

2. Virgile, Géorgiques, livre IV, vers 407-410.

3. Virgile, ibid., vers 398-400. On ponctue ordinairement de nos jours :

Nam sine vi non ulla dabit praecepta, neque illum Orando flectes : vim duram et vincula capto Tende.

4. Dans les Voyages faits en Moscovie, Tartarie et Perse, par le sieur Adam Olearius (traduits de l'allemand par A. de Wicquefort, 1re édition, Paris, Clouzier, 1656), on lit l'« aventure plaisante » que voici, qui est contée aux voyageurs par Martin Baar, pasteur de Nerva, et qui serait arrivée à Moscou au temps du grand-duc Boris Gudenou. Le grand-duc, malade de la goutte, offrait de grandes récompenses à qui le soulagerait de son mal. La femme d'un boyard, outrée des mauvais traitements de son mari, va déclarer qu'il possède un remède souverain contre la goutte, mais qu'il a « si peu d'affection » pour Sa Majesté, qu'il ne veut pas le communiquer. On le fait venir, il allègue des excuses, et on le fait fouetter jusqu'au sang. Une seconde fois, on le fait venir et fouetter, et le Grand-Duc le menace de la mort. Il dit alors qu'il connaît un remède, mais qu'il n'en est pas assez sûr pour s'en être servi plus tôt. Il demande et obtient quinze jours de délai, fait venir des herbes d'une contrée voisine, et à tout hasard en prépare un bain qu'il fait prendre au Grand-Duc. Pour quelque raison que ce soit, le Grand-Duc est soulagé, et cela le confirme dans l'idée que les premiers refus du boyard ne venaient que de malice. Il le fait fouetter encore une fois, plus cruellement que les premières, puis le libère en lui accordant la récompense de quatre cents écus et de dix-huit paysans, non sans lui faire « défenses expresses de se ressentir contre sa femme ». Depuis ce temps, ils vivent ensemble " de grande amitié ». (éd. M. C. Le Cène, Amsterdam, 1727, t. I, p. 206-207.)

5. Sur les relations avec Guilleragues de ce personnage, prétendant malheureux à la main de Mme de Sévigné, voyez notre édition des Lettres Portugaises, p. LVIII, LIX et LXVI.

6. François de Créqui, duc de Lesdiguières, neveu du cardinal de Retz, maréchal de France en 1668. On ne savait rien de ses rapports avec Guilleragues.

7. Guilleragues ignore que Mme de la Sablière a rompu avec La Fare. La rupture est annoncée par une lettre de Mme de Sévigné du 8 novembre 1679. La passion de La Fare pour le jeu, et spécialement la bassette, est bien connue. Dans la même lettre, Mme de Sévigné ajoute : « Mme de Coulanges maintient que La Fare n'a jamais été amoureux : c'était tout simplement de la paresse, de la paresse, de la paresse ; et la bassette a fait voir qu'il ne cherchait chez Madame de la Sablière que la bonne compagnie ». Dans une autre lettre, du 14 juillet 1680, elle écrit encore : « Vous me demandez ce qui a fait cette solution de continuité entre La Fare et Mme de la Sablière : c'est la bassette ; l'eussiez-vous cru ? c'est sous ce nom que l'infidélité s'est déclarée ; c'est pour cette prostituée de bassette qu'il a quitté cette religieuse admiration ». C'est par l'abandon de La Fare qu'elle explique la retraite partielle de Mme de la Sablière aux Incurables.

8. Le comte de Briole (anssi appelé de Briolle ou de Briord) est connu comme un ami de Mme de Sévigné. Voyez l'édition de ses oeuvres.


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devrait dispenser plus de politique dans ses lettres. Mais assurez-le, s'il vous plaît, que nous savons plus d'un style, que nous mettons dans les occurences un chiffre aussi impénétrable que le sont peut-être quelquefois ses raisonnements même, et que nous lisons les traités, Machiavel même, les dépêches du cardinal d'Ossat et plusieurs autres. Si par hasard vous voyez M. d'Adhémar 1, je vous prie de lui dire que lorsque j'ai lu dans la Gazette qu'il était à la cour de monseigneur le dauphin, j'ai aussitôt justement pensé aux décadences des empires, et qu'en son particulier il m'a paru comme Hannibal chez le roi de Bithynie 2, ou, pour mieux comparer, comme un homme descendu des Paléologues qui loge dans une méchante maison près de chez moi, que je ne puis jamais faire couvrir ni asseoir, qu'enfin je fis ces jours passés dîner chez moi à ma table avec toutes les peines du monde. Il est vrai que son respect fut fort famélique, et qu'il dévora une heure de suite sans dire un mot.

Je ne voudrais pas que monsieur l'abbé de Montmoreau 3 crût que je l'aie oublié. Si j'avais toujours une balance à la main, je pourrais bien ne me souvenir que de peu de gens, mais mon souvenir ni mon oubli ne peuvent être une récompense ni une punition ; j'écris naturellement, et je puis bien aimer en Turquie ceux qui se soucient peu de moi à Paris. Il faut remplir ce petit reste de tant 4 de papier et ne nous séparer pas sans dire un mot de l'opéra. On m'écrit que M. Lulli en fait tous les ans d'admirables. Vous êtes bien heureuse de les entendre. Bonsoir, madame. Vous recevrez cette lettre par la voie de Venise, si on veut la recevoir à votre porte. En cas que le port soit payé sans murmure, je vous aurai une sensible obligation, je vous conjure d'être bien persuadée que je serai toute ma vie avec beaucoup de respect votre très humble et très obéissant serviteur.

Peut-être vous ai-je déjà mandé quelque chose que je vous écris une seconde fois. Cela se peut, car vraisemblablement je ne garde pas des copies de mes lettres. J'ai de grands maux de rate et souvent des battements de coeur. Je ne mange pas à la table d'un ambassadeur la moitié de ce que je mangerais à la vôtre : nitimur in vetitum5. Cela est vrai en presque tout, faites-y réflexion. Ma lettre est trop longue, mal écrite ; j'ai trop parlé de moi : faute

1. Ecrit daday meir. Il s'agit de Joseph Adhémar de Grignan, frère du gendre de Mme de Sévigné, qui prit le nom de chevalier de Grignan après la mort de Charles Philippe de Grignan (1672). Il fut nommé menin du dauphin en février 1680, ainsi que l'annonce la Gazette du 24 février 1680. Son frère Louis-Joseph avait été nommé peu auparavant évêque d'Evreux, à la charge de payer à l'évêque démissionnaire une pension de cinq ou six mille francs, dont trois mille, après sa mort, devaient revenir au chevalier de Grignan. En outre, la charge de gentilhomme du dauphin procurait une pension de deux mille écus.

2. Guilleragues fait-il allusion à la médiocre réputation du dauphin ? On comprend en tout cas qu'Adhémar, ancien guerrier, comme Hannibal, va se trouver, comme celuici, servir un prince qui passe pour l'être fort peu.

3. A la différence de tous ceux dont il est question dans la lettre, ce personnage n'est guère connu. Nous avons seulement retrouvé dans le Mercure deux articles le concernant. L'un, de mai 1682 (p. 338), annonçant que l'abbaye de Monlieu, vacante par la mort de l'évêque de Clermont, vient de lui être donnée, ajoute : " c'est un homme de qualité, de beaucoup d'esprit et de bon sens, qui, par une alliance avec la maison de Rochechouard, en a pris les armes ». L'autre, de septembre 1682 (vol. I, p. 24-25), fait part de sa mort, et mentionne qu'il n'a joui de l'abbaye en question que " trois ou quatre mois «. Le nom est écrit par Guilleragues Mommoreau.

4. Ecrit tems.

5. Citation d'Ovide : « Nitimur in vetitum semper, cupimusque negata » (Am., 3, 4, 17).


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très ordinaire à tous les gascons et inséparable de l'humanité ; tout le monde veut faire son histoire 1.

* * *

Il n'est pas de notre propos de relever, encore moins de commenter tout ce qui, dans cette lettre où se manifeste un tel sens des hommes et des oeuvres, peut enrichir l'histoire littéraire. Nous laissons ce soin aux spécialistes de chaque écrivain concerné. Ainsi que nous l'avons annoncé, nous ne prendrons ici en considération que ce qui intéresse le problème des Lettres Portugaises et la personnalité de leur auteur.

Une première remarque concerne l'étendue et la nature des relations de Guilleragues. Ses rapports avec le duc de Foix, qui n'étaient pas connus jusqu'ici, sont certainement très importants. Dans l'état actuel de nos connaissances, on ne peut malheureusement faire que des hypothèses. Il est probable, par exemple, que les liens unissant Henri de Foix à Bordeaux, — il est premier conseiller né et premier bourgeois de cette ville, et y a des intérêts, comme le prouve un procès qu'il y soutient en 1671 —, expliquent ses liaisons avec Guilleragues. On peut supposer que, lorsque Conti mourut le 21 février 1666, Guilleragues, se trouvant hors d'emploi, s'attacha au duc de Foix, qui, de son côté, venait de succéder à son frère dans sa dignité de duc et pair le 27 du même mois. Cela éclairerait la situation de Guilleragues entre les années 1665 ou 1666, où il vend sa charge de premier président de la cour des aides de Bordeaux, et novembre 1669, où il devient secrétaire de la chambre et du cabinet 2. L'hypothèse est d'une simplicité séduisante : il faut donc s'en méfier. On observera, du reste, que les relations entre Guilleragues et le duc de Foix se poursuivaient dans le salon de Madame de la Sablière, rue Neuve des Petits-Champs, où celle-ci était installée en juillet 1669 et où elle demeura jusqu'en 1680. Ne serait-ce donc pas lorsqu'il se démit de sa charge de secrétaire du cabinet (fin 1675) que Guilleragues se mit au service du duc de Foix ? Ou encore, puisqu'il semble avoir connu le duc dès la jeunesse de celui-ci, et en tout cas avant le mariage par lequel il se rangea en 1674, lui serait-il resté attaché même après être devenu secrétaire du roi, auprès duquel il ne servait que par quartier ? Seule, la découverte d'un document, malheureusement assez improbable, permettrait de résoudre le problème.

1. Ce paragraphe, dans l'original, a probablement été écrit en post-scriptum, après la signature, et sans doute perpendiculairement, dans la marge, comme Guilleragues le fait souvent.

2. C'est donc chez le duc de Foix qu'auraient été composées les Lettres Portugaises. puisqu'elles furent écrites au printemps ou à l'été de 1668.


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Parmi les autres relations de Guilleragues, en dehors de celles qui étaient déjà connues, Racine, Boileau, Bonrepaus, La Rochefoucauld, Marsillac, Caderousse, Seignelay, Barillon, Lagny et plusieurs autres, les plus intéressantes sont celles qu'il entretient avec des femmes dont l'esprit et parfois la beauté furent célèbres. Ce ne sont, certes, ni Madame de Sévigné, ni Madame de La Fayette, avec lesquelles le ton de taquinerie tendre cher à Guilleragues n'aurait sans doute pas été de mise. Mais ce sont des femmes du même ordre spirituel et moral, et faisant partie du même cercle. Outre Madame de Maintenon, que l'on savait avoir été une amie dévouée de Guilleragues, on remarque Madame de Schomberg, dont Barthélémy a publié une lettre à Madame de Sablé au sujet des Maximes de La Rochefoucauld 1, Madame de Villars, excellente épistolière encore, qui, de Madrid, adressait à Madame de Coulanges des lettres charmantes, Madame de Coulanges elle-même et son amie Mademoiselle de Lestrange. A côté de ces femmes qui avaient dépassé la cinquantaine, deux sont encore dans l'éclat de leur beauté, Madame de Saint-Géran, chez qui Guilleragues va « tous les soirs », et, bien entendu, Madame de la Sablière. Celle-ci a fait l'objet d'une sérieuse étude de Menjot d'Elbène 2, qui rapporte les jugements de Pierre Bayle et de Charles Perrault sur elle. Le premier, par exemple, à propos de l'Eloge de Madame de la Sablière de La Fontaine (1685), écrivait que « c'était un endroit où il ne fallait pas broncher » ; car, ajoutait-il, « comme c'est une dame qui connaît le fin des choses et qui est connue partout pour un esprit extraordinaire, il fallait ou se surpasser en la louange ou s'exposer au blâme de toute le monde. Ses lumières ne s'arrêtent pas à ce qu'on nomme le bel-esprit, elles vont jusques à la belle philosophie » 3. Un article du Mercure Galant, qui a échappé à Menjot d'Elbène, conserve le souvenir des réunions chez Madame de la Sablière, un jour où, peut-être, Guilleragues y assistait :

A propos d'ouvrages d'esprit, je me trouvais dernièrement chez une dame qui en juge admirablement bien, aussi voit-elle ce qu'il y a de plus beaux esprits en France. Elle entend les langues, fait des vers qu'il serait difficile de mieux tourner ; et la plupart de nos illustres de l'Académie Française ne dédaignent pas de la consulter sur leurs ouvrages avant que de les donner au public 4.

Suit le récit de la conversation, qui donne une idée des sujets

1. E. de Barthélémy, Les Amies de la marquise de Sablé, Paris, 1865, p. 274-276.

2. Madame de la Sablière, ses pensées chrétiennes et ses lettres à l'abbé de Rancé. Paris. Plon, 1923. A compléter par Léon Petit, « Madame de la Sablière et François Bernier », article paru dans le Mercure de France, 1950, 1er avril, p. 670-683.

3. Nouvelles de la République des Lettres, sept. 1685, p. 1008, dans Menjot, p. 74.

4. Juin 1677, p. 81. L'article se poursuit jusqu'à la p. 91.


GUILLERAGUES A MME DE LA SABLIÈRE 609

débattus chez Madame de la Sablière ; on y parle notamment des traités du chevalier de Méré 1 et de L'Héroïne mousquetaire, de Préchac. L'un des assistants observe que l'histoire de Christine, qui tue son frère en croyant tirer sur un sanglier, n'est que la fable de Procris et de Céphale : ce genre de remarque est dans la manière de l'homme capable de déceler la source d'une situation comique de Molière dans le quatrième livre des Géorgiques. Enfin, on lit et on commente une lettre de Hollande, comme sans doute seront lues, deux ans plus tard, les lettres de Guilleragues.

Pour compléter l'image de ce cercle, nous citerons encore une chanson que, lors d'un souper, Chaulieu y improvisa, à l'imitation d'Horace, en l'honneur du duc de Foix. C'est, pour le moment, le seul document qui atteste la présence de ce personnage chez Madame de la Sablière, où il fréquentait sans doute en voisin 2. La mention d'une « maîtresse » fait penser que le duc n'était pas marié. Une lettre de Madame de Sévigné, du 3 février 1672, fait d'ailleurs allusion à une de ses liaisons 3. C'est peut-être de cette époque que date donc la pièce que voici :

Couplets de chanson faits à un souper chez Mme de la Sablière

Le beau duc de Foix nous réveille : Chantons Vénus et Cupidon ; Chantons l'Iris et la bouteille Du disciple d'Anacréon.

Vénus l'accompagne sans cesse, Les grâces, les ris et les jeux. Qu'il est doux d'être la maîtresse De ce jeune voluptueux !

Verse du vin, verse des roses, Ne songeons qu'à nous réjouir, Et laissons là le soin des choses Que nous cache un long avenir 4.

Madame de Sévigné suggère que La Fare fréquentait la rue des Petits-Champs moins par amour pour Madame de la Sablière que

1. Le chevalier de Méré et Guilleragues se connaissaient personnellement. Voyez deux propos de Méré sur Guilleragues dans notre éd. des Lettres Portugaises, p. LXI, note 3, et LXIX, note 4.

2. L'hôtel de Foix était situé, en 1666, rue Neuve Saint-Honoré, paroisse Saint-Roch. Plus tard, on trouve le duc installé rue Sainte-Anne, même paroisse. La rue Neuve des Petits-Champs (paroisse Saint-Eustache) était toute proche. Mme de La Sablière, qui l'habitait depuis 1689, s'installa en 1680 dans la rue Neuve Saint-Honoré elle-même.

3. Avec Mme de Montsoreau. La « partie carrée " se faisait chez Mlle de Fiennes, en compagnie du marquis d'Effiat.

4. OEuvres de Chaulieu, d'après les manuscrits de l'auteur, à La Haye, Gosse, 1777, tome I, p. 134.

REVUE D'HIST. LITTÉR. DE LA FRANCE (65e Ann.). LXV. 39


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par goût pour la bonne compagnie qu'elle recevait. Poètes galants, philosophes sans pédanterie, voyageurs et gens du monde composaient autour d'elle une société d'élite qui prélude incontestablement aux salons du siècle suivant : il est significatif que Madame de Lambert, qui en avait fait partie, ait présidé au premier d'entre eux. Dans ce milieu adonné aux plaisirs et aux lettres, Guilleragues est attiré par son goût pour ses amis autant que par celui qu'il a « pour les belles choses ».

Lui-même, du reste, rapproche ces deux goûts, et il est vrai que l'un est chez lui aussi exquis que l'autre. Qu'il juge les tragédies de Racine, l'esprit de La Rochefoucauld ou les lettres de Madame de Coulanges, on admire toujours chez lui cette « extrême justesse » qui faisait de lui, suivant Antoine Galland, traducteur des Mille et une Nuits, « le génie le plus capable de goûter et de faire estimer les belles choses » 1. Une manifestation particulière de ce goût comble spécialement le critique qui cherche à reconnaître ici l'auteur des Lettres Portugaises. Nous avions signalé le rôle déterminant des sources antiques dans la genèse de cet ouvrage 2, sans pouvoir, en dehors de lui, fonder notre impression sur la culture classique de Guilleragues autrement que par des indices externes 3 et quelques très rares citations. La lettre à Madame de la Sablière l'établit définitivement et précise l'idée qu'on peut s'en faire. Ainsi, à l'époque des Lettres Portugaises, l'influence d'Ovide était prédominante 4, celle de Virgile secondaire 5. En 1680, les proportions

1. Epitre dédicatoire des Mille et une Nuits, dans notre édition des Lettres Portugaises, page 257.

2. Quoique l'édition des Lettres Portugaises parue aux éditions Garnier soit entièrement notre oeuvre commune, je voudrais rendre un hommage particulier au travail accompli par Jacques Rougeot pour établir les sources antiques de Guilleragues. A part une indication de M. Antoine Adam, qui signalait l'influence d'Ovide sur La Fontaine et Racine précisément au moment de la composition des Lettres Portugaises, cet aspect du problème n'avait guère été même aperçu.

3. Ses études au collège de Navarre, le plus réputé pour les humanités, le catalogue de sa bibliothèque de famille, les témoignages contemporains de Bussy, Pinchesne, Donneau de Visé, etc.

4. Pour compléter les indications fournies dans notre édition, on rapprochera du fameux « vous ne trouverez jamais tant d'amour » de la première Lettre Portugaise ce vers que Didon adresse à Enée dans les Héroïdes : Unde tibi quae sic amet uxor erit (VII, 1, 26). En outre, une note obligeamment communiquée par M. Pierre Josserand nous permet d'attribuer à Ovide la citation Pro Troja stabat Apollo, que nous n'avions pu identifier (p. 149) : elle vient des Tristes, I, 2, 5.

5. Il faut encore ici ajouter un rapprochement à ceux que nous avions proposés : celui du passage « j'ai bien du dépit contre moi-même quand je fais réflexion sur tout ce que je vous ai sacrifié : j'ai perdu ma réputation, je me suis exposée à la fureur de mes parents » avec les vers suivants (320 et suiv.) du quatrième livre de l'Enéide :

Te propter Lybicae gentes Nomadumque tyranni Odere, infensi Tyrii, te propter eumdem Exstinctus pudor et qua sola sidera adibam, Fama prior.


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sont inversées. Le premier n'est plus représenté que par une citation passée en proverbe 1, tandis que Guilleragues a sans cesse recours à des souvenirs de Virgile pour donner à sa pensée une forme plus frappante. C'est ainsi que les mots d'Enée à Ascagne au XIIe livre de l'Enéïde, disce, puer, virtutem ex me, fournissent la clausule, et peut-être même toute la raison d'être, à un étonnant développement burlesque qui semble pasticher le style des Lettres Portugaises. Deux autres citations traduisent d'une façon poétique un aspect plus essentiel de sa sensibilité.

Le besoin de communication avec ses semblables paraît avoir été ressenti par Guilleragues comme une sorte d'obsession. Le courage physique dont fit preuve cet épicurien alors qu'il se trouvait détenu à Constantinople dans un sérail hostile, où il pouvait redouter la mort ou du moins la prison, a certainement pour origine son dévouement à la personne de son souverain 2. En revanche, il attend aussi tout de ses amis et de ses amies : « il faut avouer que les amitiés longuement éprouvées sont une chose essentielle dans la vie ». Pour cet être étonnamment sociable, l'absence est l'épreuve suprême, ou plutôt il en est une pire, l'oubli : « l'oubli me paraît une mort ». Formule saisissante que devront désormais méditer ceux qui dénient toute sensibilité à l'auteur des Valentins. Pour lutter contre l'absence et l'oubli, la lettre est pour Guilleragues, comme pour Madame de Sévigné, le seul salut : « je sais bien que les lettres sont des entretiens nécessaires ou agréables des amis absents ». Il les demande avec « emportement » 3, il en « célèbre » la réception 4. Mais il éprouve à en écrire une satisfaction plus vitale encore. Lorsque Marianne écrit à son amant : « il me semble que je vous parle quand je vous écris, et que vous m'êtes un peu plus présent » 5, il est certain qu'elle traduit fidèlement la pensée de l'auteur lui-même. La preuve en est qu'ils ressentent l'un et l'autre la même impression poignante lorsqu'il leur faut cesser d'écrire. Marianne, à son habitude, exprime ce sentiment par une pointe amère, dans cette quatrième lettre qu'elle ne peut se résoudre à interrompre, malgré l'officier qui la presse : « j'ai plus de peine à finir ma lettre que vous n'en avez eu à me quit1.

quit1. in vetitum, à la fin de la lettre.

2. Voyez le récit de l'affaire dans le Mercure galant, septembre 1682, t. I, p. 170-212, et spécialement p. 174-175 : Guilleragues dit à l'effendi que les Français « étaient tellement charmés de la grandeur, de la bonté et des autres admirables qualités de leur empereur, qu'ils se feraient un plaisir d'exposer pour lui leurs libertés et leurs vies ». Dans une lettre à Louis XIV, Guilleragues exprime le sentiment qu'il éprouve à l'égard de son souverain par le mot de domination.

3. Lettre à Mme de Sablé, éd. citée des Lettres Portugaises, p. 147.

4. « Je ne puis douter que vous n'ayez la bonté de célébrer la réception des miennes » (ci-dessus, p. 595).

5. Ed. cit., p. 58, quatrième lettre.


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ter, peut-être, pour toujours » 1. Dans la lettre à Madame de la Sablière, deux très belles images tirées de Virgile assimilent la coupure du cordon ombilical que constitue le fait d'écrire la lettre à une retombée dans les ténèbres infernales. La première est empruntée au livre VII de l'Enéide, lorsque Déiphobe, pressé par la Sybille, s'arrache à son entretien avec Enée pour être rendu aux ténèbres (reddarque tenebris), la seconde vient du livre IV des Géorgiques, que Guilleragues prie Madame de la Sablière de relire « pour l'amour de lui » ; elle ajoute à l'image des ténèbres, rappelée ici par le mot lumina, qui n'est pas sans faire penser aux Lettres Portugaises 2, celle d'un engourdissement mortel :

Ecee iterum condit natantia lumina somnus Invalidasque manus tendens, heu ! non tuus, ambas.

Cette fonction vitale de la lettre rend compte de sa forme. Quoique les Lettres Portugaises soient réellement une oeuvre d'art, elles sont une oeuvre d'art qui imite la réalité, et c'est pourquoi les formules valables pour une lettre privée leur sont applicables. Elles comportent des répétitions, des digressions, des contradictions : pourquoi respecteraient-elles « les préceptes d'Horace et de Quintilien » ? On en a toujours admiré la spontanéité, le jaillissement : dans la lettre à Madame de la Sablière, dont le caractère improvisé ne peut être constesté, on perçoit en plusieurs passages comme un écho amplifié des Lettres Portugaises 3.

Ainsi, la lettre que l'on vient de lire ne prendra pas seulement place clans l'histoire littéraire par les informations qu'elle fournit sur un milieu particulièrement important. Elle ouvre une perspective imprévue sur la façon dont furent sans doute créées les Lettres Portugaises. Il est vrai qu'elle ne nous renseigne pas sur l'anec1.

l'anec1. p. 8. C'est pourquoi, tandis que Guilleragues veut écrire pour couvrir jusqu'au moindre " reste de tant de papier », Marianne s'indigne que dans les lettres de son amant, « la moitié du papier » ne soit pas remplie (p. 55).

2. « Hélas, les niions (mes yeux) sont privés de la seule lumière qui les animait (...> depuis que j'ai appris que vous étiez résolu à im éloignement qui m'est si insupportable, qu'il me fera mourir en peu de temps. » (éd. cit., p. 39).

3. Voyez notamment le passage des p. 11-12: " qu'aura-t-il à répliquer si son héritier, etc. », et comparez cette phrase à celle-ci : " votre éloignement, quelques mouvements de dévotion, la crainte de ruiner entièrement le reste de ma santé par tant de veilles et tant d'inquiétudes, le peu d'apparence de votre retour, la froideur de votre passion et de vos derniers adieux, votre départ, fondé sur d'assez méchants prétextes, et mille autres raisons, qui ne sont que trop bonnes, et que trop inutiles, semblaient me promettre un secours assez assuré, s'il me devenait nécessaire » (p. 47). Leo Spitzer avait remarqué ce passage où « une liste de facteurs si disparates sont pourtant ramenés à un seul effet » (Romanische Forschungen, 1954, vol. 65, p. 125) : c'est exactement ce qui se passe ici. Bien entendu, " l'humour génial » de l'auteur des Lettres Portugaises (le mot est encore de Leo Spitzer) se retrouve tout au long de la lettre à Mme de la Sablière, et spécialement dans le passage auquel nous venons de nous référer. Nous réservons à un article spécial l'étude des caractères propres au style de Guilleragues, sur la base d'une analyse de ses rythmes favoris et d'un dépouillement exhaustif de sou vocabulaire.


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dote qui a pu mettre en branle l'imagination de Guilleragues : encore un détail peut-il faire penser que ce point de départ a pu être beaucoup plus abstrait qu'on ne l'imaginerait 1. Elle ne contredit en rien les observations que Leo Spitzer ou nous-mêmes avions été amenés à faire sur le caractère à la fois musical et logique de leur composition : « un grand thème arioso pour violon (la passion), les fioritures délicatement variées de l'orchestration »2 correspondant aux « différentes crises » de cette passion. Mais elle suggère que leur allure de libre improvisation tient essentiellement à la manière même dont Guilleragues pratique le genre épistolaire. Il y a autre chose. Spitzer encore s'était demandé quelle était la raison d'être de ce chef-d'oeuvre, et l'avait trouvée dans une intention artistique, qui ne pouvait émaner « que d'un cerveau individuel conscient ». On aperçoit peut-être mieux maintenant le lien entre ce chef-d'oeuvre et l'esprit qui l'a composé. « Tout le monde veut faire son histoire » : cette formule pose tout le problème des rapports entre un homme et son oeuvre. L'utiliser pour justifier telle interprétation anecdotique des Lettres Portugaises serait futile. Ce qui est vrai, c'est que chaque oeuvre soutient avec son créateur des rapports infiniment complexes et toujours différents. Ici, « l'histoire » est peut-être la plainte d'un coeur pour qui l'absence est le plus grand des maux, l'oubli « une mort », et qui ne connaît pas d'autre talisman contre ces noirs ennemis que la lettre, substitut pathétique de la parole vivante.

FRÉDÉRIC DELOFFRE.

1. Voyez le passage où Guilleragues propose comme source au Médecin malgré lui une brève citation de Virgile.

2. Romanische Forschungen, 1954, vol. 65, p. 108.


UN ÉVÉNEMENT AUSSI TRISTE QU'IMPRÉVU.

Dans les Rêveries du Promeneur solitaire, Rousseau annonce, en ces termes, l'ère de son renoncement :

Il n'y a pas deux mois encore qu'un plein calme est rétabli dans mon coeur. Depuis longtemps je ne craignois plus rien, mais j'espérois encore, [...]. Un evenement aussi triste qu'imprévu vient enfin d'effacer de mon coeur ce foible rayon d'espérance et m'a fait voir ma destinée fixée à jamais sans retour ici bas. 1.

Est-il encore permis d'avancer une hypothèse ? Les recherches de Jean Fabre et celles que j'ai entreprises sous sa direction nous conduisent l'un et l'autre à penser que l'événement mentionné dans la première Promenade pourrait être la mort du Prince de Conti, survenue le 2 Août 17762.

On se rappelle l'hypothèse de Mme H. de Saussure qui suppose Rousseau bouleversé par sa rupture avec Madame de Créqui 3. Pour Jean Massin, ce sont les menées des Oratoriens qui figureraient « l'événement » 4. On se rappelle aussi que John Spink, Jean Guéhenno, Marcel Françon et Henri Roddier considèrent que l'expression « événement imprévu » se réfère au récit de la deuxième Promenade et désigne l'accident dont Rousseau est victime le 24 octobre 1776 3. Robert Ricatte et Marcel Raymond ont montré toutes les objections que soulèvent ces hypothèses, en particulier du point de vue de la chronologie 6. Ils s'accordent pour penser qu'un fait, sans importance peut-être, a pris la valeur d'un signe. Certes,

1. Première Promenade, dans OEuvres, « Bibl. de la Pléiade», t. I, p. 997.

2. Dans une conférence donnée en 1961 à la Société J.-T. Rousseau à Genève, Jean Fabre a déjà soutenu cette hypothèse en montrant qu'une sorte d'allégeance a lié Rousseau à Conti, jusqu'en 1770.

3. H. de Saussure, « Madame de Créqui et J.-J. Rousseau », Revue d'Histoire littéraire de la France, juillet-septembre 1952.

4. Rousseau, Ecrits autobiographiques, éd. J. Massin, Club français du Livre, 1955.

5. Les Rêveries du Promeneur solitaire, éd. John Spink, Didier, 1948, p. XVI. — Jean Guéhenno, Jean-Jacques, Gallimard, 1952, p. 321 — Marcel Françon, « Les Rêveries de Rousseau », Modern Philology, août 1953, p. 61. — Les Rêveries, éd. Henri Roddier, Garnier, 1960, p. XLIII.

6. Robert Ricatte, Réflexions sur les Rêveries, José Corti, 1960, ch. I et p. 60. — Marcel Raymond. Introduction aux Rêveries, OEuvres, « Bibl. de la Pléiade, t. I, p. LXXXIII.


« UN ÉVÉNEMENT AUSSI TRISTE QU'IMPRÉVU... » 615

il faut retenir l'idée d'une révélation intérieure, mais Rousseau aurait-il employé le mot « événement » pour désigner un fait sans notoriété 1 ? Ce mot est, en revanche, le plus naturel, s'il s'agit de la mort de Conti. Le Prince revient à la Cour en 1775 2, prend part aux travaux du Parlement jusqu'au mois de mars 17763. Rousseau a fort bien pu ignorer la maladie qui interrompt alors son activité. Le Prince meurt, cinq mois plus tard, à l'âge de 59 ans 4. Pour l'auteur de la première Promenade, cette mort est bien « un événement aussi triste qu'imprévu ».

Cette hypothèse sur la mort de Conti apporte de la clarté dans la chronologie, en situant au début du mois d'août 1776 le jalon qui précède les Rêveries. Selon Rousseau lui-même, un délai proche de « deux mois » s'écoule entre ce jalon et la première Rêverie ; celle-ci prend donc naissance dans les derniers jours de septembre. Or, nous savons, par la deuxième Rêverie, que l'accident du 24 octobre survint « dans les promenades qui suivirent le projet d'écrire la suite des Confessions » 5, ce qui revient à dire : quelques semaines après la mise en forme de ce projet dans la première Rêverie 6. Ainsi les indications fournies par les textes sont convergentes, et c'est, semble-t-il, dans les premiers jours d'octobre 1776 que Rousseau achève la première Promenade.

Mais pourquoi la disparition de Conti signifie-t-elle pour Rousseau la perte de tout espoir ? L'explication tient peut-être dans ce jugement du Président Hénault sur Conti :

Nous l'avons vu dans les assemblées du Parlement, être l'oracle des opinions. S'est-il agi de rédiger les avis, prendre la plume et, au milieu de cent cinquante personnes, aussi recueilli que dans son cabinet, nous lire des résumés qui ont été adoptés unanimement ; aussi est-il la passion du Parlement ... 7

1. Rousseau, semble-t-il, n'a jamais appelé " événement » l'illumination de Vincennes, ni la sombre découverte du 9 novembre 1768, ni la démarche à l'autel de Notre-Dame.

2. Voir G. Capon et R. Yves du Plessis Vie privée du Prince de Conti, Louis-François de Bourbon (1717-1776), Paris, 1907. Tant que Louis XV vécut, Conti ne demanda jamais à reparaître à la Cour, mais, si l'on en croit J.-N. Moreau, conseiller du comte de Provence, dès le 15 novembre 1774, Louis XVI accueille le Prince à Versailles, où il est « extrêmement fêté » (J.-N. Moreau. Mes souvenirs. Paris, Plon, 1901, t. II, p. 110).

8. Mme du Deffand écrit à Walpole, le 25 février 1776 : " M. le Prince de Conti ne manque aucune séance au Parlement et il se porte beaucoup mieux ; cette occupation lui était nécessaire » (Correspondance complète de la Marquise du Deffand, éditée par Lescure, Paris, 1865, t. II, p. 526).

4. Rachaumont annonce cette mort le 6 août (Mémoires secrets pour servir à l'histoire de la République des Lettres en France depuis MDCCLXII jusqu'à nos jours, t. IX, Londres, 1784, p. 181). Il souligne son courage : « Quoique sûr de ne pouvoir guérir de la maladie qui le consommoit, il n'a point perdu sa gaieté et sa présence d'esprit». Le 10 août, Rachaumont précise que le Prince a refusé les secours de l'Eglise.

5. Deuxième Promenade, « Bibl. de la Pléiade ", t. I, p. 1 003.

6. Les premiers mots de la deuxième Promenade la relient étroitement à la première selon une succession normale, qui ne comporte pas de longs délais : « Ayant donc formé le projet de décrire... »

7. Charles-Jean-François Hénault. Mémoires, Paris, 1911, p. 269.


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A partir du lit de justice du 26 juin 1770 jusqu'à la révocation en masse des parlementaires, le 18 janvier 1771, on vit le prince de Conti se rendre solidaire des magistrats contre le Roi et contre Maupeou. Lorsque, sous Louis XVI, le Parlement fut réintégré, grand fut son respect pour ce défenseur de ses droits : s'il existait au monde un homme capable d'obtenir des parlementaires une révision du jugement porté contre Rousseau en 1762, cet homme était Conti.

Certes, rien ne permet de dire que Rousseau ait envisagé lucidement cette possibilité. Au contraire, dans le troisième Dialogue, il affirme qu'il a « cessé de désirer » « l'explication juridique et décisive qu'il n'a pu jamais obtenir » 1 ; d'autre part, dans une note de l'Histoire du Precedent Ecrit, rédigée en 1776, il juge que la situation politique sous Louis XVI est plus défavorable pour lui qu'elle ne l'était sous Louis XV 2 ; il semble donc que le retour du Parlement ait plutôt suscité ses craintes 3. Mais au-delà des affirmations de la volonté et de la raison, il y a les hésitations, les espérances secrètes. Dans les étapes de son renoncement, Rousseau n'en finit jamais avec son désir de lutter ; il a beau écrire dans le troisième Dialogue qu'il cesse de désirer une « explication juridique », il ne peut s'empêcher, quelques mois plus tard, au printemps de 1776, d'aller remettre aux passants ce « billet circulaire » dans lequel il réclame précisément pour lui-même le respect des droits de l'accusé 4. Au-delà de la condamnation générale et secrète qui pèse sur lui, comment ne songerait-il pas à cette condamnation officielle portée contre lui, en 1762, par le Parlement de Paris ? Rousseau est trop soucieux de la légalité pour oublier jamais cette condamnation. Dès lors, espérant peut-être que le Parlement, mûri par l'expérience du malheur, changerait d'attitude à son égard, il a pu être tenté d'alerter la conscience de quelques parlementaires en réveillant la protection active de Conti. S'il a conçu l'idée, qu'après coup il juge « folle », de faire parvenir son manuscrit au Roi en le portant à l'autel de Notre-Dame 5, il a pu aussi bien espérer qu'il attirerait sur lui l'attention du Prince.

On ne peut pas dire qu'il ait eu l'intention claire de toucher Conti ; les démarches des six premiers mois de 1776 ne constituent pas des actes ayant un but précis ; elles sont plutôt les derniers

1. Troisième Dialogue, OEuvres, « Bibl. de la Pléiade », t. I, p. 949.

2. Histoire du Precedent Ecrit, « Bibl. de la Pléiade », t. I, p. 981.

3. A vrai dire, Rousseau ne dit rien du Parlement, ni dans cette note, ni dans celle plus précise qu'il ajoute au troisième Dialogue et dans laquelle il désigne les partis que ses ennemis gouvernent : la Cour manoeuvrée par Choiseul, et les Philosophes (OEuvres, op. cit., t. I, p. 965). Mais le Parlement joue un rôle trop important pour qu'on puisse imaginer que sa réintégration n'entre pas en ligne de compte dans le jugement que Rousseau porte sur la situation politique.

4. " Qu'on m'apprenne enfin quels sont mes crimes, et comment et par qui j'ai été jugé ». (OEuvres, op. cit., t. I, p. 990).

5. Histoire du Precedent Ecrit, OEuvres, op. cit., t. I, p. 981.


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gestes d'un homme qui aspire sourdement au repos et qui va se prouver à lui-même qu'il n'y a plus rien à faire. Mais pour soutenir ces démarches, il faut quelque illusion secrète, quelque espoir qu'on ose à peine s'avouer à soi-même. L'idée d'une action possible de Conti a fort bien pu nourrir dans l'âme de Rousseau cet « espoir de bonheur temporel qui meurt si difficilement dans le coeur de l'homme » 1. Peu avant la mort du Prince, Rousseau, dans Histoire du Precedent Ecrit, fait le bilan des échecs de ses tentatives ; son âme s'ouvre au renoncement total ; l'espérance vacille ; elle n'est plus qu'un « foible rayon », selon l'expression de la première Promenade ; la mort de Conti « l'efface », car elle est pour Rousseau le signe qui fixe son destin terrestre.

Toute la fin du troisième Dialogue (et surtout la note sur la situation politique rédigée plus tard, peut-être en juillet 1776, à l'époque même de Histoire du Precedent Ecrit2), toutes les démarches des six premiers mois de 1776 font reposer l'espoir sur le réveil d'une conscience individuelle, supposant à l'inertie des partis et des groupes sociaux. Conti disparu, Rousseau sait qu'il n'y a plus rien à espérer du Parlement. On comprend maintenant pourquoi l'idée de la permanence de la haine dans les corps sociaux tient une place si importante dans la première Promenade : l'espérance qui vient de s'éteindre laisse le champ libre à cette idée.

Une objection se présente. Rousseau, en 1776, pouvait-il garder un espoir dans le Prince de Conti alors qu'il lui avait retiré sa confiance ?

Rappelons d'abord les textes qui marquent la fin de cette confiance. Avant son retour à Paris, Rousseau se plaisait encore à évoquer, au livre X des Confessions, les « bontés » du Prince. Relisant son texte après 1770, il ajoute la note suivante :

Remarquez la perseverance de cette aveugle et stupide confiance au milieu de tous les traitemens qui devoient le plus m'en desabuser. Elle n'a cessé que depuis mon retour à Paris en 1770 3.

Depuis longtemps Rousseau avait conçu une grande méfiance à l'égard de l'amie de Conti, la comtesse de Bouffiers 4 ; mais, de retour à Paris, il semble étendre cette méfiance au Prince lui-même ; dès le 16 juillet 1770, on sait déjà, à Paris, qu'il ne veut voir

1. Confessions, livre V, OEuvres, op. cit., t. I, p. 213.

2. Cf. OEuvres, op. cit., t. I, p. 965.

3. Confessions, livre X, OEuvres, op. cit., t. I, p. 542.

4. Voir notamment la lettre à Saint-Germain du 26 février 1770 (Correspondance générale, t. XIX, p. 238) et le passage raturé du préambule de la 2e partie des Confessions, qui accuse Mme de Bouffiers et Mme de Verdelin (OEuvres, op. cit., t. I, p. 273). A quel moment Rousseau a-t-il jugé que son préambule ne devait pas comporter de telles accusations ? Peut-être au moment de la lecture des Confessions.


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personne de l'entourage de celles que Mme du Deffand nomme « les idoles », c'est à dire la marquise et la comtesse de Bouffiers :

Il ne vient point voir les Idoles, ni leurs amis, ni leurs courtisans 1.

On peut supposer que le prince de Ligne monte jusqu'au logis de Rousseau non seulement pour satisfaire sa curiosité, mais aussi pour renseigner Conti, avec qui il est très lié.

A la fin de 1770, évoquant son séjour à Trye, Rousseau ne croit plus à la sincérité des bontés dont le Prince « paroissoit » l'accabler ; il est même envahi par un doute plus grave :

Il n'y avoit pas là de quoi me tranquilliser ; encore moins clans les traitemens dont, à l'insu de M. le Prince de Conti (du moins je le croyais ainsi) l'on m'accabloit au château de Trye 2.

Dans une note du premier Dialogue, écrite aux environs de 1772, il est en proie au même doute et semble considérer que l'empressement avec lequel il fut reçu à Trye fut une hypocrisie 3. Dans une autre note du même Dialogue, il juge « moqueuses et derisoires » les attentions que le Prince lui avait prodiguées au Temple, en 1765 4.

Pour quelle raison Rousseau a-t-il pris ses distances à l'égard de son protecteur ? Une explication nous est offerte dans ces lignes, qu'il écrit à M. de Saint-Germain, quatre mois avant son retour à Paris :

Enfin l'on m'a lié moi-même par des engagemens dont j'ai cru vainement acheter mon repos et qui n'ont servi qu'à me livrer pieds et poings liés au sort qu'on vouloit me faire 5.

Conti rappelait sans cesse à Rousseau ces engagements :

Tous ceux dont j'ai besoin pour votre service exigent toujours le nom de Renou et excluent constamment tout séjour dans le ressort de Paris 6.

En juillet 1769, à l'entrevue de Pougues, Rousseau a dû informer le Prince qu'il demandait à être délié de l'un au moins de ses engagements. Le 2 septembre 1769, ce dernier écrit à Rousseau pour lui dire avec force qu'il a tort de suivre ses « idées » :

1. Lettre à Walpole du 15 juillet 1770 (Correspondance de Madame du Deffand, éd. Leseure, t. II, p. 79).

2. Correspondance générale, t. XX, p. 16 (copie autographe d'une lettre datée 23 novembre 1770).

3. Premier Dialogue, OEuvres, op. cit., t. I, p. 711.

4. Premier Dialogue, ibid., p. 716.

5. Correspondance générale, t. XIX, p. 235...

6. Correspondance générale, t. XVIII, p. 91. Cette lettre datée par erreur 3 février [1768] par l'éditeur de la Correspondance est en réalité du 3 février 1769, comme l'a montré H. de Saussure (Rousseau et les manuscrits des Confessions, Paris, 1958, p. 206).


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elles vous rendront et mon amitié et la bonne volonté de mes amis inutiles et nous mettront tous hors de portée de vous répondre de rien en aucun sens, soit du côté de la cour, soit du côté du parlement. Au reste, d'après ce que vous m'avez dit j'ai assuré que vous continueriez à vous appeler Renou. Je pleure, m'afflige et vous embrasse 1.

Avant d'arriver à Paris, dans les derniers jours de juin 1770, tout porte à croire que Rousseau a consenti à de nouveaux engagements. La Correspondance littéraire de Grimm y fait allusion :

On n'aurait jamais obtenu la permission de reparaître ici pour l'Arménien, mais on a déterminé M. le Procureur-général à laisser Jean Jacques en habit français à Paris. La seule condition que ce magistrat ait exigée, c'est de ne plus écrire, ou du moins de ne rien faire imprimer 2.

Choiseul, semble-t-il, demanda un engagement similaire 3. Nous ne savons rien du rôle joué par Conti dans cette recherche de garanties pour la sécurité de Rousseau ; cependant il est permis de constater que de tels engagements répondaient au souci constamment manifesté par le Prince d'obtenir des sûretés « du côté de la cour » et « du côté du parlement ». Le danger qui venait de ce dernier côté, Conti le connaissait parfaitement. Dès 1767 il avait prévenu son protégé que « le premier procureur du roi au Parlement de Paris » pouvait le dénoncer et obtenir son arrestation 4. En venant à Paris en 1770, Rousseau prenait de nouveaux risques. Bachaumont écrit dans ses Mémoires secrets :

La publicité que s'est donnée l'auteur d'Emile est d'autant plus extraordinaire qu'il est toujours dans les liens d'un décret de prise de corps à l'occasion de ce livre et que, dans le cas même où il auroit parole de M. le Procureur-général de n'être pas inquiété, comme on l'assure, il ne faut qu'un membre de la compagnie de mauvaise humeur pour le dénoncer au parlement ... 5.

1. Correspondance générale, t. XIX, p. 149.

2. Correspondance littéraire, philosophique et critique de Grimm et Diderot, t. VII, p. 26, Paris, Furne, 1829, (15 juillet 1770).

3. La collection Girardin à Chablis conserve la copie d'une lettre de Choiseul, datée de Chanteloup, 5 février 1772 : « Je ne me rappelle pas d'avoir exigé et obtenu de M. Rousseau la parole qu'il ne feroit paroître aucun de ses ouvrages sans mon consentement ; sans doute je n'ai pu demander cette parole à M. Rousseau que comme ministre d'état [...] je lui rends bien positivement la parole qu'il peut m'avoir donnée dans le temps que je croyois utile pour lui-même de la lui demander » (cf. mon introduction aux Dialogues, OEuvres, op. cit., t. I, p. XLVII). Cette lettre de Choiseul répond certainement à une demande de Rousseau. Qui servit d'intermédiaire ? On peut penser à Malesherbes ; en effet, Rousseau reprit avec lui ses relations amicales dès son retour à Paris (cf. P. Grosclaude, Rousseau et Malesherbes, Paris, Fischbacher, 1960 ; voir le document cité p. 96).

4. Cf. la lettre de juin 1767. Correspondance générale, t. XVII, p. 76.

5. Bachaumont. Mémoires secrets pour servir à l'histoire de la république des lettres en France depuis 1762 jusqu'à nos jours, t. V, Londres, 1784, p. 134, à la date du 1er juillet 1770.


620 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

Certains prélats, certains parlementaires restaient hostiles à Rousseau. Le Prince de Ligne l'atteste :

Dans la société intime de M. le Prince de Conti dont j'étais, avec l'archevêque de Toulouse, le président d'Aligre et autres prélats et parlementaires, j'appris que ces deux classes de gens corrompus voulaient inquiéter l'homme qui l'était le moins 1.

Ainsi on comprend parfaitement les conseils de prudence de Conti. Et l'on comprend aussi pourquoi Rousseau, oubliant contraintes et prudences, et sortant de la solitude, en vient à concevoir des soupçons à l'égard de son protecteur, à mesure qu'il retrouve la société et reprend confiance en son destin. Les deux mois qu'il passe à Lyon au printemps de 1770, sont pour lui, grâce à la famille Boy de la Tour, grâce au succès de Pygmalion, des mois heureux 2. Quel réconfort de réapprendre les joies de l'amitié, de la société et même de la popularité dans une ville qui se trouve pourtant dans le ressort du Parlement de Paris ! Arrivé enfin à Paris, Rousseau éprouve pendant quelques semaines la tentation d'une vie mondaine : il reprend d'anciennes liaisons, il en forme de nouvelles. Jean Fabre a montré l'importance du rôle joué par Rulhière à ce moment de la vie de Rousseau : Rulhière, « écrivain politique » attaché au Ministère des Affaires étrangères, est un agent de Choiseul, « tout particulièrement chargé de contrebattre dans la république des lettres la campagne menée par Voltaire et Grimm contre la politique ministérielle, en paticulier à propos des affaires de Pologne ». C'est lui qui, vraisemblablement, met le philosophe de Genève en relation avec l'émissaire des Confédérés, le comte Wielhorski ; c'est lui qui conduit Rousseau « dans un monde où l'on ne considère pas le ministre en place comme une ennemi, bien au contraire » 3. Rousseau a donc lieu d'être rassuré sur les intentions de Choiseul.

D'autres amitiés ont pu faire oublier à Rousseau les dangers par lesquels la prudence de Conti, pendant trois ans, avait effarouché son imagination. Peut-être, par exemple, faut-il prêter quelque attention à cette Mme Pasquier qui excita si fort, un jour, la jalousie de Mme de la Tour de Franqueville 4. Les Mémoires de son fils, le

1. Prince de Ligne. Mémoires et mélanges historiques et littéraires, Paris, A. Dupont, 1827, t. II, p. 152 (« Mes deux conversations avec J.-J. Rousseau »).

2. Cf. P. Grosclaude, « J.-J. Rousseau à Lyon », Annales de l'Université de Lyon, série Lettres, fascicule 43, 1933, p. 104.

3. Jean Fabre, Introduction aux Considérations sur le gouvernement de Pologne, OEuvres, op. cit., t. III, p. CCXXIII.

4. « J'apprends que vous avez trouvé bon que Mme Pasquier allât trois fois chez vous pour le même morceau de musique ; que vous lui avez paru fâché de terminer un objet qui servoit de prétexte à ses visites ; que vous lui avez marqué des regrets sur l'absence qu'elle va faire; qu'enfin vous l'avez engagée à vous voir à son retour ». (Lettre du 7 avril 1772, Correspondance générale, t. XX, p. 131).


« UN ÉVÉNEMENT AUSSI TRISTE QU'IMPRÉVU... » 621

chancelier Pasquier, attestent l'intérêt que Rousseau lui portai. Or le grand-père du chancelier Pasquier était un parlementaire influent : il avait été rapporteur dans l'affaire de M. de Lally. Il était en 1770 conseiller de la Grand-Chambre 2. D'Alembert constate avec amertume que Rousseau a des « partisans zélés ». Le 4 août 1770 il écrit à Voltaire :

Ne trouvez-vous pas bien étonnant que depuis un mois il aille tête levée dans Paris avec un décret de prise de corps ? Cela n'est peut-être jamais arrivé qu'à lui, et cela seul prouve à quel point il est protégé 3.

Rousseau se laisse reprendre par la société ; Bachaumont reconnaît qu'il est « beaucoup plus liant qu'il n'était » 4. Lorsqu'il vivait dans l'angoisse, à Trye, son sort dépendait du seul prince de Conti. Venu à Paris avec l'idée d'affronter les dangers que comporte sa situation, il accepte avec plaisir les liaisons nouvelles et les manifestations de bienveillance qui, peu à peu, dissipent l'image de ce danger. Pourquoi irait-il au Temple recevoir les directives du Prince ?

Pourtant la soi-disant princesse de Montcairzain, se déclarant fille naturelle de Conti 5, prétend dans ses Mémoires que Rousseau fut son précepteur :

Il s'attacha particulièrement dans les premières années de ma vie à me créer un tempérament robuste 6.

Ces mémoires, à la chronologie très incertaine, affirment que Rousseau se réfugia au Temple en 1762, et ne le quitta que pour aller à Trye ; ils laissent entendre que Rousseau était à Paris au moment du mariage du Dauphin le 16 mai 1770. De telles erreurs

1. « J'ai su depuis que ma mère n'avait pu résister au désir très naturel de voir d'un peu près ce Jean-Jacques si célèbre et si extraordinaire. Elle s'était servie pour arriver jusqu'à lui du prétexte généralement usité, celui de lui porter de la musique à copier. Ma mère était spirituelle et l'attrait de la conversation fut assez vif pour que le prétendu philosophe témoignât le désir de la revoir. L'exil du Parlement qui survint en 1771 mit fin à ces relations » (Mémoires du chancelier Pasquier publiés par M. le duc d'AudiffretPasquier, Paris, Plon, 1894, t. I, p. 2).

2. Cf. Bibl. Nat. ms. français 22 100, p. 395, compte rendu de la séance du Parlement du 3 septembre 1770. Pasquier ne figure pas parmi les onze juges qui condamnèrent l'Emile le 9 juin 1762. (Cf. Lanson, « Quelques documents inédits », Annales J.-J. Rousseau, t. I, Genève, 1905, p. 96).

3. Voltaire, Correspondance, éd. Besterman, t. 76, p. 82.

4. Bachaumont. Mémoires secrets... (op. cit.), t. V, Londres, 1784, à la date du 1er juillet 1770.

5. Née en 1762, elle raconte qu'elle fut, en 1773, exilée par un ordre mystérieux, loin de Paris, au moment même où elle espérait être légitimée. Son destin intéressa la Cour lorsqu'elle revint à Paris en 1788, puis la Révolution la traita avec la bienveillance qu'elle réservait aux bâtards des Princes (Cf. G. Lenôtre. Paris révolutionnaire. Vieilles maisons. Vieux papiers. Quatrième série, Paris, Perrin, 1949, p. 113-137). Son histoire fut assez connue pour inspirer peut-être un drame de Goethe : Die natürliche Tochter.

6. Mémoires historiques de Stéphane-Louise de Bourbon Conti, écrits par elle-même, Paris, An VI, p. 19


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sont pardonnables à une mémorialiste qui évoque les souvenirs de sa première jeunesse 1, mais on peut difficilement accorder confiance à un auteur qui avait tant d'intérêt à se servir du prestige de Rousseau et qui, le plus souvent, ne nous offre que des images conventionnelles comme celle de l'auteur d'Emile dirigeant des jeux enfantins 2 ; on peut également penser que certaines scènes décrites dans ces Mémoires ont été transposées des Confessions ou des Rêveries 3. Renonçons donc, avec quelque regret, à l'image attendrissante d'un Conti « aussi attentif aux leçons que donnait son ami qu'il l'eut été à une séance du parlement » 4. Rien ne prouve que Rousseau, à son retour à Paris, ait jamais porté ses pas vers la demeure de Conti. S'il l'avait fait, pourquoi le prince de Ligne, qui fréquentait le Temple, aurait-il recouru à un stratagème pour se présenter rue Plâtrière 5 ?

Ainsi l'objection reste entière : Comment Rousseau, détaché de Conti à partir de 1770, a-t-il pu voir dans la mort du Prince, six ans plus tard, l'événement qui lui ôte tout espoir terrestre ?

D'abord il n'y eut pas de rupture notoire entre Rousseau et son protecteur. Si cette rupture s'était produite, les Mémoires de la princesse de Montcairzain qui prolongent, au-delà de 1770, l'amitié entre les deux hommes, n'auraient pas offert la moindre crédibilité. Certaines questions posées par Bernardin de Saint-Pierre à Rousseau excluent également l'idée d'une rupture 6,

D'autre part Rousseau n'a jamais formulé d'accusation précise contre Conti, seulement des doutes. La note du premier Dialogue sur la ruine du château de Trye 7, une fois délivrée des liens logiques qui la rattachent au texte, prend une signification secrète ; elle atteste le refus de Rousseau d'admettre que le Prince ait pu rendre « inhabitable » son château pour lui marquer son mépris. Il est un sentiment qui demeure toujours vivace en Rousseau, même au coeur de ses soupçons, c'est l'admiration. Dans les malheurs du Parlement, Conti a montré le courage qui sied à un ancien chef d'armée ; Rousseau, dans le secret de son coeur, continue à l'admirer ; il ne peut supporter l'idée de son mépris.

1. Le détail des erreurs de chronologie est relevé dans l'étude de E. Foster, Le dernier séjour de J.-J. Rousseau à Paris, Smith College, Janvier-Avril 1921, Paris, Champion, p. 89.

2. Mémoires historiques..., op. cit., p. 25.

3. « Un jour que j'avois joué plus que de coutume avec lui, je m'avisai de lui demander : M. Jean-Jacques avez-vous des enfants ? Cette question le surprit, il me regarda d'un air étonné, je vis ses yeux se remplir de larmes et il se leva pour nous les dérober. Mon institutrice me regarda d'un oeil sévère ; j'ignorais comment j'avois pu l'affliger ». (Mémoires historiques..., op. cit., p. 34).

4. Mémoires historiques..., op. cit., p. 22.

5. Prince de Ligne. Mémoires, op. cit., t. II, p. 148.

6. Voir, a la dernière page de cet article, la citation de Bernardin de Saint-Pierre.

7. Premier Dialogue, OEuvres, op. cit., t. I, p. 711.


« UN ÉVÉNEMENT AUSSI TRISTE QU'lMPREVU... » 623

Enfin le temps change les perspectives. Rousseau se détache de Conti au moment où il croit retrouver un accord avec la société parisienne ; mais, bientôt, l'illusion de cet accord cesse, et, avec elle, s'éteignent les nouvelles amitiés, celles de Dusaulx, de Mme de Genlis, de Rulhière. La grande déception de la lecture des Confessions renvoie Rousseau à la solitude. Dérouté sans doute par le rappel à l'ordre que Sartine lui adresse en mai 1771 (à un moment où il n'a plus à craindre ni le Parlement, ni Choiseul), Rousseau se sent seul devant un ennemi désormais insaisissable 1. Le besoin d'un protecteur renaît en lui, et lui inspire la lettre qu'il adresse précisément à M. de Sartine, le 15 janvier 1772 2.

Réalisant, dans les Dialogues, de 1772 à 1776, le procès imaginaire qui le réhabilite, il a recours, dans cette oeuvre, au regard d'un observateur lucide dont il fait le juge de sa vie. Le temps, qui calme les vieilles souffrances, et l'absence, qui rapproche les coeurs, ont pu restituer à Conti ce visage de protecteur et de juge qui fut longtemps le sien aux yeux de Rousseau.

Ces quelques remarques sur la vraisemblance d'une évolution psychologique ont à peine la valeur d'une hypothèse. Fort heureusement Rousseau nous offre lui-même l'épilogue de ses relations avec Conti. En effet, avant de copier dans l'un de ses registres les lettres du Prince, il écrivit de sa main ces lignes, que je crois inédites :

Je transcris ces lettres sans ordre et comme elles me tombent sous la main. Ce Prince date quelquefois du jour de la semaine, mais jamais de celui du mois ni de l'année, et l'oubli total de ces tems malheureux ne m'a pas permis de suppleer ces dates, comme j'ai fait à beaucoup d'autres lettres de ce recueil.

et il écrivit encore, après la copie de la treizième lettre :

Il n'est peut-être pas mutile de remarquer que ces lettres et d'autres qui ont disparu du recueil sans que je sache comment sont toutes en entier de la main de ce même Prince qui ne peut toucher une plume et à qui l'on a tant de peine à arracher une simple signature au besoin. Parmi ces lettres éclipsées il y en avoit même une signée François de Bourbon en toutes lettres, et cachetée de ses armes dans laquelle il employoit et toute la vehemence de son esprit et tout l'ascendant qu'il avoit sur moi pour me détourner d'une démarche que je ne me consolerai jamais de n'avoir pas faite.

[en note] on trouvera ci après d'autres lettres de la même main que jai retrouvées depuis la transcription de celles-ci 3.

1. C'est Mme d'Epinay qui demanda à Sartine d'intervenir : " Je pense qu'il faut que vous parliez à lui-même avec assez de bonté pour qu'il ne puisse s'en plaindre, mais avec assez de fermeté cependant pour qu'il n'y retourne pas ». (Lettre transcrite par P. Manuel dans son livre : La Police de Paris dévoilée, Paris, An II, p. 97.)

2. " Je vous avoue, Monsieur, que l'avantage de vivre sous les yeux d'un magistrat intègre et vigilant auquel on n'en impose pas aisément est un des motifs qui m'ont arraché des campagnes... ». (Correspondance générale, t. XX, p. 124.)

3. Bibliothèque de Neuchâtel, ms. n° 7886 répertorié par Th. Dufour, Recherches bibliographiques, t. II, p. 201. Mais Th. Dufour n'a pas prêté attention à ces lignes écrites par Rousseau aux pages 213 et 216 du manuscrit. Ce manuscrit est un registre conte-


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Effectivement on trouve, à la suite, dans le registre, la copie autographe du Mémoire de février 1777, puis de nouveau les lettres de Conti 1. Il semble que Rousseau ait commencé à copier ces dernières lettres après février 1777, et qu'il ait transcrit les treize premières quelques mois plut tôt, en tout cas avant la mort de Conti, puisqu'il parle de lui au présent. Cette présomption de date est confirmée par le texte lui-même. En parlant de « l'oubli total de ces teins malheureux », Rousseau révèle qu'il considère le séjour à Trye (de juin 1767 à juin 1768) comme un passé déjà lointain. Le ton, d'autre part, est apaisé ; c'est pourquoi il est invraisemblable que ces lignes aient été écrites en 1770 ou 1771, lorsque Rousseau éprouvait à l'égard du Prince une amère déception. Il ne semble pas non plus qu'elles puissent être datées de l'époque du premier Dialogue (1772), en raison des notes méfiantes que contient ce Dialogue. Il reste la possibilité des années 1773-1775 et des six premiers mois de 1776.

Peut-on tirer une précision supplémentaire de l'examen des manuscrits du premier Dialogue ? Les deux notes de ce Dialogue qui marquent de la défiance à l'égard de Conti, à propos des séjours au Temple et à Trye, ont leur place prévue dans le manuscrit le plus ancien, celui de Londres, donné à Boothby le 4 avril 1776 2. Pourquoi la note sur le château de Trye disparaît-elle du manuscrit suivant, celui de Paris, pour retouver sa place dans le dernier, celui de Genève, que Rousseau recopia vraisemblablement à partir de juillet 1776 3 ? Pourquoi la note sur le Temple devient-elle une addition dans ces deux manuscrits, comme si Rousseau avait un instant hésité à la conserver ? Faut-il penser que dans l'année 1776 une espérance a été suivie d'une déception 4 ? A vouloir être trop précis on rejoindrait vite le roman. La réalité se dérobe ; elle est probablement plus simple. C'est du manuscrit de Paris, semble-t-il, que Rousseau proposa la lecture à ceux de sa connaissance qu'il jugea « les moins injustes » 5. Les suppressions qu'il comporte s'exnant

s'exnant lettres anciennes (allant du 2 mars 1758 au 5 novembre 1760), Cependant, Rousseau s'en est servi pour transcrire des lettres importantes, plus récentes, lettres de Conti, da comte de Tonnerre et fragment d'une lettre à M.L.D.M. du 23 novembre 1770. Dans ce dernier fragment, évoquant ce jour de novembre 1768 où il découvrit une lacune dans le recueil de ses lettres, il précise que cette lacune se trouve dans le « premier volume » du recueil et il ajoute en note : « c'en est ici le second », note omise par Th. Dufour dans la Correspondance générale, t. XX, p. 19).

1. Le début de la quatorzième lettre est écrit par Rousseau, mais la fin est d'une autre écriture, ainsi que la copie des quatre dernières lettres ; il y a en tout 18 lettres, sur lesquelles Th. Dufour a collationné une partie des textes qu'il a imprimés dans les tomes 18 et 19 de la Correspondance générale.

2. Premier Dialogue, OEuvres, op. cit., t. I, p. 711 et 716.

3. Cf. Introduction aux Dialogues, ibid., p. XLIX.

4. Faut-il voir la même alternance d'espoir et de déception dans le fait que la note de regret pour le règne de Louis XV ne figure pas dans le brouillon de Histoire du Précedent Ecrit (Bibliothèque de Neuchâtel, ms. 7883), puis trouve sa place normalement dans les manuscrits de Paris et de Genève ?

5. Histoire du Precedent Ecrit, OEuvres, op. cit., t. I, p. 987.


« UN ÉVÉNEMENT AUSSI TRISTE QU'IMPRÉVU... » 625

pliquent par le souci de ménager le public 1. Quant au maintien dans le manuscrit de Genève des notes qui expriment un doute sur l'attitude de Conti, il n'y a pas lieu de le considérer comme la conséquence d'une nouvelle déception. En fait, Rousseau ne cache jamais les phases de ses débats intérieurs ; il a appris dans les Confessions à respecter la « succession d'affections et d'idées » qui constituent son devenir 2 et il reste fidèle à sa méthode. Il ne supprime pas une pensée qui a cessé d'être la sienne, il la date. C'est ainsi qu'il procède dans les notes ajoutées aux Confessions après 1770 ; c'est ainsi que les notes du premier Dialogue où il parle de Conti se trouvent datées par le contexte même, qui fait mention de l'année 17723. Les manuscrits des Dialogues, recopiés dans les premiers mois de 1776, ne peuvent donc pas nous renseigner utilement. Pour tenter de préciser la date des lignes écrites par Rousseau au moment où il transcrivit les lettres de Conti, seules les hypothèses psychologiques restent possibles.

L'interprétation de ces lignes est difficile ; la « remarque » faite par Rousseau ne vient-elle pas de sa méfiance systématique à l'égard de tous ceux qui ont essayé avec trop d'insistance de diriger sa conduite ? Le grief est peut-être suggéré, mais il est comme usé et l'on sent que Rousseau a pardonné. Par la grâce des lettres qu'il relit, il recrée vivante l'image de Conti ; il oublie ses doutes, il sent renaître en lui les « élans de reconnaissance et d'attendrissement » 4 qu'il éprouvait autrefois pour son protecteur. Même on devine quelque orgueil devant tant de princière sollicitude 5.

Peut-être enfin Rousseau prend-il conscience que le vrai débat n'est pas entre lui et le Prince, mais en lui-même. Quelle est, en effet, cette « démarche » dont il fut détourné par Conti ? Il nous l'explique lui-même dans la Note mémorative sur la maladie et la mort de M. Deschamps. Le 8 avril 1768, au lendemain de la mort de Deschamps, concierge au château de Trye, Rousseau envoie un fermier auprès du Prince pour lui annoncer, par lettre, son intention d'accomplir cette démarche :

La lettre dont je le chargeai pour S.A.S. contenoit une déclaration que je voulois aller purger mon décret à Paris, une prière de m'y faire conduire dès le lendemain, très sûr que si je me mettois en devoir d'y aller de moimême, les gens à qui j'avois à faire ne manqueraient pas de m'accuser de

1. Cf. Commentaire des Dialogues, ibid., t. I, p. 1 748, note 1 de la p. 976 et variante de la p. 1 657.

2. Confessions, livre IV, ibid., t. I, p. 174. Au livre VII des Confessions, Rousseau écrit : « C'est l'histoire de mon âme que j'ai promise » (ibid., p. 278).

3. Premier Dialogue, ibid., t. I, p. 691.

4. Lettre du 7 novembre 1767. Correspondance générale, t. XVIII, p. 373.

5. Ce sentiment d'orgueil est exprimé dans la lettre à Moultou du 5 novembre 1768 : « Jamais Prince n'en a tant fait pour aucun particulier qu'il en a daigné faire pour moi ". Correspondance générale, t. XVIII, p. 370.

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vouloir m'évader, et enfin une résolution de ma part si je n'avois nulles nouvelles le samedi, de me consigner le Dimanche dans la prison de Trye pour y rester jusqu'à ce qu'il plut à S.A.S. de me faire conduire à mes juges 1.

La réponse du Prince, signée L.F. de Bourbon, ne se fit pas attendre ; c'est le billet, daté « ce vendredi 8 avril à six heures après midy », qui commence par ces mots :

Je reçois Monsieur Votre lettre ; je vous demande, par amitié et par reconnaissance de la mienne, d'attendre ma venue sans rien dire ni faire 2.

Rousseau n'a pas dû se laisser persuader facilement. Une semaine plus tard, en effet, Conti demande des explications sur une lettre qu'il vient de recevoir :

Au reste je ne sais ce que veut dire cette phrase : « Jugez si je m'abstiendrai d'aller à Paris... »

Même demande, plus inquiète, à propos d'une autre lettre :

Mais je vous en prie, par le retour du fermier de Trye tranquillisez moi sur cette phrase de Votre lettre « que vous voulez vous livrer sans mystère à la discrétion des hommes ». Si cette funeste pensée que vous m'avez sacrifiée l'emportoit, vous m'affligeriez et me commettriez cruellement 3.

et encore :

Ne songez point au sacrifice de votre liberté quand il n'est pas nécessaire <'t surtout bannissez le retour déraisonnable de l'idée d'affronter les lois et de vous livrer à la severité que leur donneroient les hommes 4.

Par les lettres de Conti nous devinons l'obsession de Rousseau, sa volonté de lutte 5.

Pourtant, au printemps de 1768, c'est la prudence du Prince qui l'emporte. Deux ans plus tard, Rousseau prend sa revanche. A M. de Saint-Germain qui lui prêche aussi la prudence, il écrit :

Tout ce que vous m'avez dit pour me détourner de ma réclusion, quoique plein de sens, de vérité, d'éloquence, n'a fait qu'enflammer mon courage [...]. J'envie la gloire des martyrs.

Toutefois il n'agit pas au hasard et, nous l'avons vu, s'il revient à Paris en 1770, c'est probablement après avoir pris des engagements et obtenu des sûretés. Il est prêt à affronter la justice, mais

1. Note mémorative sur la maladie et la mort de M. Deschamps, OEuvres, op. cit., t. I, p. 1 182.

2. Correspondance générale, t. XVIII, p. 196.

3. Correspondance générale, t. XVIII, p. 202.

4. Correspondance générale, t. XVIII, p. 220.

5. Mme de Saussure a déjà signalé cette " idée fixe » de Rousseau, en ce mois de mai 1768. Cf. « Une légende pernicieuse : la fuite de Trye », Annales J.-J. Rousseau, t XXXII, p. 131.


« UN ÉVÉNEMENT AUSSI TRISTE QU'IMPRÉVU... » 627

il évite de provoquer ses juges 1. En 1771, après la mise en garde de Sartine, il cesse la lecture des Confessions.

L'une des raisons d'être des Dialogues, qu'il commence en 1772, c'est de lui permettre de vivre idéalement ce procès auquel il n'a pas cessé de songer. L'oeuvre à écrire dispense de l'action immédiate. La lassitude vient ; l'heure du courage serait-elle passée ? En terminant le troisième Dialogue, en 1775, Rousseau affirme qu'il a « cessé de désirer » « l'explication juridique et décisive qu'il n'a pu jamais obtenir » 2. La cessation de désir ne supprime pas le regret ; elle le justifie même par le sentiment qu'il est trop tard ; et puisque Rousseau, en recopiant les lettres de Conti, exprime le regret de n'avoir pas affronté la justice, et de n'être pas allé, en 1768, jusqu'au bout de ses résolutions, on peut penser que ce sentiment s'accorde assez bien avec l'état d'esprit du troisième Dialogue.

Mais, malgré ses protestations 3, Rousseau n'a jamais dû renier complètement sa vieille résolution. Un détail du deuxième Dialogue atteste qu'il voulait achever son oeuvre et la faire connaître en 17764. Effectivement en février 1776, ayant achevé sa tâche et découvrant que l'heure d'agir est venue, il tente de porter son manuscrit à l'autel de Notre-Dame. Cette démarche complexe, dirigée vers Dieu et l'avenir plutôt que vers les hommes et l'action immédiate, une espérance vague la soutient ; c'est le pari de bonne foi d'un homme sourdement travaillé par le désir de cesser la lutte, mais qui attend encore, laissant aux autres et à la Providence le soin de réaliser les possibles. Cependant, malgré de nouvelles démarches, rien n'arrive qui puisse changer le destin. Lorsque Rousseau découvre qu'il est délivré de « l'inquiétude de l'espérance », en juillet 1776, la possibilité d'une action de Conti en sa faveur auprès du Parlement doit déjà lui apparaître comme un mirage 5. Et toutefois rien n'est encore absolument joué, puisqu'il reste libre, après tout, de reprendre ses vieilles résolutions et d'affronter les lois : alors Conti, malgré sa désapprobation, le protégerait et le mirage redeviendrait réalité...

Conti meurt le 2 août. Rousseau mesure ce qu'il vient de perdre et voit la vérité : il a trop attendu, la vie quotidienne a endormi son désir de lutte, il s'est laissé surprendre par l'événement « imprévu ». Le cours des choses est désormais irréversible. Il ne peut

1. Rousseau affirma, devant le prince de Ligne, qu'il voulait " attendre dans Paris tous les décrets de prise de corps dont le clergé et le parlement le menaçaient ». (Prince de Ligne, Mémoires, op. cit., t. II, p. 153.)

2. Troisième Dialogue, OEuvres, op. cit., t. I, p. 949.

3. Dans la préface des Dialogues qui fut terminée, comme le troisième Dialogue, à la fin de 1775, Rousseau écrit qu'il n'a plus « l'espoir ni presque le désir » d'obtenir justice. Cette recherche de la nuance dans l'expression atteste la complexité du sentiment. (Ibid., t. I, p. 661.)

4. Ibid., p. 1 685, note 2 pour la p. 831.

p. Histoire du Precedent Ecrit, ibid., p. 986.


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plus se leurrer, à la pensée des possibles, ni traîner un lambeau d'espérance ; le débat en lui est terminé : privé de l'appui d'un grand Prince, à qui la mort redonne tout le prestige du protecteur, il sait qu'il n'ira jamais provoquer ses juges terrestres ; du côté des hommes la partie est jouée. Alors se prouvant à lui-même qu'il n'a plus rien à tenter et s'abandonnant au Protecteur céleste, il exprime, hors de toute ambiguïté, au coeur de la première Rêverie, le mouvement profond qui, depuis longtemps déjà, entraînait son âme vers le renoncement : « Tout est fini pour moi sur la terre... » Un jour, après la mort du Prince, Bernardin de Saint-Pierre interrogea Rousseau :

« Mais, repris-je, le prince de Conty qui vous aimoit tant auroit du vous laisser une pension par son testament » — « J'ai prié Dieu de n'avoir jamais à me réjouir de la mort de personne ». — " Pardonnez si j'ai tort : pourquoi ne vous a-t-il pas fait du bien pendant sa vie ?» — « C'étoit un prince qui promettoit toujours et ne tenoit jamais. Il s'étoit engoué de moi. Il m'a causé de violents chagrins. Si jamais je me suis repenti de quelque démarche, c'est de celles que j'ai faittes auprès des grands » 1.

Il serait vain de vouloir tirer une conclusion précise de ces lignes, trop peu explicites ; elles confirment, néanmoins, sur un point, nos hypothèses : un espoir secret de Rousseau reposait dans la personne de Conti. Malgré une déception amère, cet espoir a pu se prolonger, jusqu'à la mort du Prince.

ROBERT OSMONT.

1. Bernardin de Saint-Pierre, La Vie et les ouvrages de J.-J. Rousseau, éd. critique par M. Souriau, Société des Textes français modernes, Paris, 1907, p. 62.


"JACQUES LE FATALISTE" ET LA " CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE "

Depuis que M. Paul Vernière, dans une magistrale synthèse 1, a ici même apporté bien des lumières sur l'activité créatrice de Diderot dans la genèse de Jacques le Fataliste, les spécialistes n'ont guère, du moins publiquement, fait avancer l'étude de cette question 2. Notre intention n'est pas de la traiter à fond, mais de mettre au jour quelques données qui nous paraissent la rendre plus claire.

Rappelons au lecteur qu'on connaît à ce jour, en plus des éditions Buisson de 1796, Naigeon de 1797, un manuscrit du fonds Vandeul (N. a. fr. 13.738), un autre conservé à Leningrad, et qu'on savait d'autre part, sans grande précision, que Jacques a paru dans la Correspondance littéraire de Grimm et Meister.

M. Vernière a conclu son excellent examen des données réelles que l'on retrouve dans Jacques le Fataliste par des conjectures qui semblaient il y a cinq ans les plus vraisemblables et que nous résumerons ainsi 3 : trois étapes de l'oeuvre, l'une représentée par un texte lu à Meister père en septembre 1771, et que nous ignorons, la seconde représentée par le manuscrit Vandeul, la troisième concrétisée à la fois par le manuscrit de Léningrad et par la Correspondance littéraire. En ce qui concerne le manuscrit Vandeul, M. Vernière suivait la seconde des deux hypothèses émises par M. H. Dieckmann dans son Inventaire de 1951 (p. 36-37). En ce qui concerne le manuscrit de Léningrad, il se fondait à juste titre sur le fait qu'ici « Diderot ajoute six épisodes absents du manuscrit Vandeul : une page sur le thème de l'inutile prudence, l'histoire de M. Le Pelletier d'Orléans, la fable de la gaine et du coutelet, l'estampe du carrosse cassé, l'histoire impudique de Suzon, l'éloge de l'obscénité ». Et il ajoutait : « Ces interpolations existent dans le texte classique édité par Ruisson, en 1796, et issu de la « Correspondance littéraire », il faut donc admettre une troisième version et d'ultimes retouches, antérieures à 1787, à date des premières livraisons du journal de Grimm et Meister » 4.

1. R.H.L.F., avril-juin 1959, p. 153-167 : «Diderot et l'invention littéraire à propos de Jacques le fataliste ».

2. R. T. Arndt, dans Diderot Studies III (p. 17-26), a surtout étudié « The Vandeul manuscrit copy of Jacques le Fataliste ».

3. Op. cit., p. 165-6.

4. Op. cit., p. 166.


630 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

Rien n'est venu démentir, au contraire, la filiation à la Correspondance littéraire 1 de l'édition Buisson, dont M. P. Vernière n'avait pu étudier les variantes 2. Mais c'est sur un renseignement faux qu'il datait de 1787 les livraisons de la revue (au risque de laisser croire à des remaniements postérieurs à la mort de Diderot, et en oubliant que Schiller connaissait dès 1785 l'épisode de Mme de la Pommeraye).

Ce n'est pas, en effet, en 1787, mais de novembre 1778 à juin 1780, que Jacques le fataliste parut dans la Correspondance littéraire, comme un feuilleton presque régulier 3.

Ce texte était-il complet ? C'est ce que croit « apparemment » M. R.T. Arndt 4, mais alors on verrait mal pourquoi l'édition Buisson comporterait elle aussi ces interpolations qui dans le manuscrit de Leningrad, certainement établi dans les dernières années de la vie de Diderot 5, sont sur feuilles volantes.

La solution est simple pour qui a en mains un exemplaire de la Correspondance littéraire. Dès juillet 1780, livraison qui suivit la fin du « feuilleton », la revue publiait des Additions faites à « Jacques le fataliste » depuis la copie que nous avons eu l'honneur de vous envoyer 6. En voici le relevé, par référence à l'édition Assézat-Tourneux, tome VI :

1. P. 20-21, de Mon capitaine croyait [...] à [...] Quel diable d'homme!

2. P. 60-62, de JACQUES. — Si l'on ne dit presque rien dans ce monde [...]

à [...] Parle donc.

3. P. 118-119, de Si Jacques n'eût dit à son maître [...] à [...] Ta fable n'est

pas trop morale, mais elle est gaie. 4 P. 193-194, de Jacques en déshabillant son maître [...] à [...] JACQUES. —

Il est vrai La première addition porte sur la prudence, « supposition » sur les effets et causes, et sur la difficulté d'interpréter les circonstances faute d'expérience. La seconde concerne les actions mal jugées, et à ce propos narre l'histoire de M. Le Pelletier quêtant pour les pauvres à Orléans. La troisième consiste dans la fable des « écraignes de mon village », la Gaine et le Coutelet. La quatrième traite

1. M. J. de Booy a eu l'amabilité de me communiquer en manuscrit une étude qui montre de façon définitive que Buisson se s'est pas servi du manuscrit du prince Henri de Prusse.

2. Op. cit., p. 166, n. 3.

3. Le feuilleton manque en décembre 1778, août et septembre 1779, janvier et mai 1780. Manuscrits de Gotha: 1138 m f°s 223-226, 263-269, 286-289, 308-315, 330-338, 352-358, 375-383, 395-404, 457-465, 483-490- 503-510 ; 1138 n f°s 21-28, 44-51, 74-77, 102-105. Il existe en outre à Gotha (Landesbibliothek) plusieurs belles copies continues de Jacques, faites apparemment sur la Correspondance littéraire.

4. Op. cit., p. 18. V.E. Bowen, dans sa dissertation Contributions from Diderot and Grimm in the Stockholm manuscript of the « Correspondance littéraire » (Illinois, 1956), n'avait pu utiliser que les années 1760-1774 de la copie de Stockholm.

5. Cf. H. Dieckmann, " Observations sur les manuscrits de Diderot conservés en Russie » in Diderot Studios IV, p. 58 et note 3.

6. Manuscrit de Gotha 1138 n, f°s 128-130.


« JACQUES LE FATALISTE » 631

des tableaux, et particulièrement de la voiture renversée éjectant un moine et des filles.

On a reconnu là les quatre premières interpolations du manuscrit de Leningrad. Mais non les deux dernières, intitulées par M. Vernière l'histoire impudique de Suzon, et l'éloge de l'obscénité. Cette absence suffirait à nous interdire de tirer la conclusion hâtive que le manuscrit de Leningrad serait antérieur à juillet 1780 ; mais nous allons voir que le manuscrit Vandeul est lui aussi postérieur.

Le caractère initial du texte de la Correspondance littéraire de 1778-1780 est en effet confirmé définitivement par la lecture de la livraison d'avril 1786. Nous avons eu l'agréable surprise d'y lire des Lacunes de Jacques le fataliste 1.

En voici le relevé 2, toujours par référence à Assézat-Tourneux :

1. P. 40-41, de Allons, commère, dit-il à l'hôtesse qui était debout [...] à

[...] blessure à découvert. (C'est-à-dire, dans la scène du chirurgien, les détails de la remise en place de la jambe.)

2. P. 43-45, de Telle fut à la lettre la conversation du chirurgien [...] à [...]

C'est bien mon projet. (Remarques de l'auteur sur l'invention et le génie, et à ce propos anecdote du poète de Pondichéry.)

3. P. 49, de Un autre que moi, lecteur [...] à [...] ces fourches étaient vacantes.

vacantes. de l'auteur sur les fourches patibulaires.)

4. P. 66, de Vous voyez, Lecteur, combien je suis obligeant [...] à [...]

de son cheval, continua son récit. (Remarque de l'auteur sur sa faculté d'interrompre la narration.)

5. P. 80-110, de LE MAITRE. Je ne saurais te le dissimuler [...] à [...]

Voyez sur le coin de la cheminée). (Suite des amours de Jacques ; scène avec le chirurgien ; le don à la pauvresse ; histoire de Gousse ; première scène avec l'hôtesse ; suite de l'histoire de Gousse et du pâtissier ; deuxième scène avec l'hôtesse, le compère ; le bourru bienfaisant ; la chienne Nicole ; amorce de l'histoire du marquis des Arcis.)

6. P. 111 : (Madame? — Qu'est-ce? La clef du coffre à l'avoine. —

Voyez au clou, et si elle n'y est pas, voyez au coffre.)

7. P. 112 : (Madame? — Qu'est-ce? — C'est le courrier. — Mettez-le

à la chambre verte, et servez-le à l'ordinaire.)

8. P. 112, de (Madamee? — Qu'est-ce? [...] à [...] les autres chambres.)

9. P. 113 de (Madame? — Qu'est-ce? [...] à [...] pièces de vin).

10. P. 113 de (Madame? — J'y vais [...] à [...] les faire cesser).

11. P. 114, de (Madame? Madame? [...] à [...] et reprenant son récit).

12. P. 115, de (Ma femme? — Qu'est-ce? [...] à [...] avec une bête de mari).

13. P. 116, de (Ma femme? — Qu'est-ce ? [...] à [...] reste, je l'ai).

14. P. 117, de JACQUES — Il est vrai [...] à [...] LE MAITRE. Et moi aussi.

15. P. 124, après [la physionomie ouverte, vive et gaie] une poitrine à s'y

rouler pendant deux jours [les bras un peu forts] 3.

1. Manuscrit de Gotha 1138, f°s 109-149.

2. En attendant une nouvelle édition, intégrale et critique, de la Correspondance littéraire.

3. Cette addition et la suivante ne sont pas dans le texte d'A.T.


632 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

16. P. 154, après [MME DE LA POMMERAYE. D'accord, mais] si le mien était

infidèle [je serais peut-être] un peu [bizarre].

17. P. 164, de Et tout en balbutiant, Jacques [...] à [...] du verre à la

bouche.

18. P. 166, de JACQUES. — M'y voilà [...] à [...] Jacques continua : (Jacques

boit du vin dans sa tisane ; sur le médecin Tissot).

19. P. 197-226, de LE MAITRE. — J'entends [...] à [...] jusqu'à ce que

Jacques guérisse et reprenne l'histoire de ses amours. (Perte du pucelage de Jacques, Bigre, dame Suzanne, dame Marguerite, le vicaire dupé ; réflexions sur l'obscénité ; Rabelais, l'Engastrimute, Bacbuc).

20. P. 238-239, de JACQUES. — Vous êtes bien heureux [...] à [...] laissons

parler son maître. (Fin de la conversation sur la tisane ; remarques de l'auteur sur les possibilités de la fiction).

L'importance de ce relevé n'échappera à personne. Nous tenons, semble-t-il, sous la forme de ces « lacunes » un état du texte postérieur au moins à juillet 1780 (et une étape de la genèse de Jacques). Cet état est-il postérieur à celui qu'offre le manuscrit Vandeul ? Une rapide consultation prouve le contraire. Des 20 additions publiées en 1786, seule la seizième est absente de cette copie. Le manuscrit Vandeul ne peut donc être pris comme offrant la « deuxième étape » distinguée par M. P. Vernière.

Comme, d'autre part, si la seizième addition figure dans le manuscrit de Léningrad, c'est qu'elle y a été ajoutée de la main de Diderot lui-même 1, on est fondé à penser que les deux manuscrits ont été établis, directement ou indirectement, à partir d'un même modèle, postérieur à juin 17802, et offrant dix-neuf des vingt additions publiées en 1786 (c'est-à-dire après l'expédition des copies destinées à Catherine II, qui se fit dans l'été 1785). L'éditeur de la Correspondance littéraire connaissait non seulement ce modèle, mais avait vu la correction ajoutée in extremis par Diderot. Au contraire, le copiste de Vandeul ne l'avait sans doute pas vue, et d'ailleurs il appert qu'il a opéré une trentaine de modifications 3, coupures ou corrections de détail, pour des raisons de pudibonderie, et nous pensons avec M. R.T. Arndt que le manuscrit de Vandeul est le dernier de tous, et probablement postérieur à la mort de Diderot 4

Reste que les quatre épisodes publiés en juillet 1780 ne figuraient pas dans le modèle des deux copies Léningrad et Vandeul. Diderot les avait-il écartés de sa version nouvelle et pourtant si enrichie ? S'était-il contenté, en reprenant la version de 1778-1880, d'y ajouter en marge et sur feuilles ses additions ? Dans ce cas, les quatre de 1780, qui devaient en faire partie, ont pu être omises, et rajoutées

1. Cf. P. Vernière, op. cit., p. 166, n. 5.

2. R.T. Arndt est arrivé à la même conclusion que nous (op. cit., p. 23).

3. Ibid., p. 23, note et p. 122, pour la liste des passages supprimés.

4. Op. cit.. p. 24. D'après l'exemple des copies Vandeul du Rêve de d'Alembcrt (cf. notre étude dans les Cahiers de l'Association internationale des études françaises, 1961, p. 356-71), nous conjecturerions volontiers qu'il y a eu une copie intermédiaire.


« JACQUES LE FATALISTE » 633

seulement au dernier moment, sur feuilles volantes, pour Catherine II. De toute façon, leur caractère de « hors-texte » les prédisposait à être exclues à nouveau, ou omises sans difficulté apparente.

Ce qui est plus étonnant, c'est que les deux épisodes supplémentaires dont nous avons parlé, l'histoire impudique de Suzon, et l'éloge de l'obscénité, qui sont dans le texte continu de 1786, aient pu être aussi omis ou écartés, non seulement du manuscrit Vandeul, à cause de leur indécence, mais même du manuscrit de Leningrad, et ajoutés eux aussi sur feuilles volantes à la copie envoyée à Saint-Pétersbourg. Dans l'état actuel des recherches, il faut encore, pour ces deux épisodes, adopter le principe de M. Vernière 1 : ne pas distinguer les épisodes absents des épisodes exclus ; sans conjecturer cependant qu'ils n'étaient pas composés à la date d'établissement des copies, puisque c'est faux pour les quatre autres épisodes rajoutés.

Ce que nous avons dit, enfin, de la seizième « lacune », publiée en 1786, ne s'applique pas au paragraphe de conclusion de Jacques, qui a été, dans la copie de Leningrad, écrit de la main de Diderot 2. M. R. T. Arndt l'a trouvé dans le manuscrit Vandeul 3, mais dans un état visiblement inférieur et antérieur, qui paraît être celui du modèle des deux manuscrits. Diderot a sans doute voulu, tout en le remaniant, apporter comme sa signature à la belle copie qu'il destinait à sa bienfaitrice.

Il faudrait une confrontation détaillée des manuscrits et des éditions pour pousser plus loin l'étude de la filiation des textes. C'est le travail du futur auteur d'une édition critique, non le nôtre ; mais ce qui précède suffit, semble-t-il, à éclairer les lignes générales de la genèse de Jacques, à condition d'admettre avec nous que les lacunes de 1786 sont bien des additions 4.

Il semble qu'il faille distinguer au moins trois étapes. La première est celle du conte lu à Meister père en septembre 1771 5 : le terme employé (bien qu'au XVIIIe siècle il ne soit pas très différent d'em1.

d'em1. cit., p. 166, n. 2.

2. Ibid., p. 166, n. 5.

3. Op. cit., p. 23.

4. A qui serait tenté d'y voir des coupures dues à l'éditeur de la Correspondance littéraire, la réponse est facile : il est impensable que Meister ait osé corriger le texte du grand auteur de la maison, il est contradictoire qu'il ait écourté l'oeuvre en juin 1780 et publié en juillet des additions, d'autant qu'il allait consacrer sa revue sans discontinuer au Voyage de Hollande et à la Religieuse. Cependant, le terme de lacune est employé par Diderot lui-même (A.T., p. 226) pour désigner tout le récit des amours de Jacques (c'est-à-dire la lacune n° 19) fictivement perdu d'un manuscrit, mais existant dans un autre, que détiennent les « descendants de Jacques ou de son maître ". Il n'est donc pas exclu que cette « lacune » soit une omission provisoire, mais due à l'auteur. Aurait-il alors, par malice, amputé Jacques du sujet annoncé à la première page et toujours retardé ? Tout est possible de la part d'un Diderot. Mais la « genèse » deviendrait alors l'histoire des versions successives d'un texte d'emblée presque complet, et l'omission demanderait tout autant à être expliquée que l'addition.

5. M. Vernière a eu le mérite de retrouver cette indication (op. cit., p. 53, note 5).


634 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

ploi du mot roman) et la durée de la lecture (deux heures) font croire, après un essai sommaire, que le texte ne devait pas alors avoir beaucoup plus de 125 pages de l'édition Assézat-Tourneux.

La seconde étape est fournie par le texte de 1778-80 publié dans la Correspondance littéraire. Soustraction faite des additions futures aux 287 pages d'A.T., elle est la plus considérable, et apporte environ 90 pages de plus. On peut rêver qu'il y eut ici deux étapes, l'une vers 1773-74 1, l'autre entre l'époque bénie de la Hollande et 1778.

La troisième étape sûre, et la seconde qui soit concrétisée, est postérieure à 1780, sans doute antérieure à 1782 2. Elle fut cependant complétée par la révision occasionnée par l'établissement de la copie pour Catherine II.

Cette répartition correspond-elle à la date réelle, originaire, des faits et anecdotes accumulés dans Jacques ? Non. Hormis l'assurance que nous avons que certains faits postérieurs à 1771 ne peuvent s'être trouvés dans la première étape du texte, il est impossible de s'appuyer sur la distinction de deux « gerbes d'anecdotes », pour échelonner les étapes du texte. M. Vernière, qui l'avait bien vu 3 fut cependant, dans sa conclusion, tenté par le démon de la conjecture. Sans doute le premier texte devait-il déjà comporter le thème des amours de Jacques, mais ne doit-on pas prendre comme une leçon de prudence le fait que toute l'histoire des premières amours du héros n'apparaît qu'après 1780 ? Diderot n'avait pas d'abord songé à reprendre dans Jacques le tableau du carrosse renversé, déjà deux fois peint 4, ni l'histoire du chien du meunier, deux fois racontée 5. Une formule telle que « Rien ne peuple comme les gueux », que Grimm avait dû noter de la bouche de Diderot en 17666, ne resurgira sous la plume de son auteur que vingt ans après. Il est donc nécessaire d'avoir sans cesse à la pensée que c'est un vieillard qui, en remuant ses souvenirs, et surtout en relisant ses papiers 7, sans doute pour les classer ou même les éditer, a songé à insérer des faits et anecdotes de dates très diverses dans un ouvrage qui déjà se situait hors du temps.

Il n'est pas, à ce sujet, d'exemple plus curieux que l'anecdote du Poète de Pondichéry. M. Vernière a remonté très habilement à sa source, qui est de 1763 8, sous la plume de Grimm. Mais pourquoi dater de 1773 environ la reprise de l'anecdote pour Jacques 9 ?

1. Cf. Vernière op. cit., p. 166 en haut.

2. Après cette date, Diderot ne semble plus avoir eu la faculté de créer.

3. Op. cit., p. 157 et passim.

4. P. Vernière, op. cit., p. 159.

5. Ibid., p. 159-160.

6. Ibid., p. 158.

7. P. Vernière, op. cit., p. 159.

8. Ibid., p. 158.

9. Ibid., p. 165.


« JACQUES LE FATALISTE » 635

On ne l'y retrouve que dans les « lacunes » de 1786 (n° 2). Il est vrai qu'elle avait reçu une première rédaction avant 1780, car elle est publiée en juillet 1780 dans la Correspondance littéraire, en même temps que les quatre Additions. Mais séparément 1 ! elle est encore indépendante du roman. Dans la fureur de création personnelle qui anime Diderot de plus en plus depuis 1769, les pages s'accumulent sans que souvent soit aperçue immédiatement leur exacte destination. Le Poète de Pondichéry reste d'abord en l'air, avant d'être intégré définitivement à Jacques. Les quatre Additions doivent l'être, mais seront peut-être écartées un moment, puis rattrapées inextremis. Deux passages encore seront peut-être exclus des copies avant d'être repris avec les précédents.

Faut-il condamner cette composition comme lâche et rapsodique 2 ? A coup sûr, en digne descendant de Montaigne, Diderot a volontiers l'invention digressive ; sa création fait parfois songer à une cristallisation en étoile, à une végétation qui pousse plus ou moins tel rameau, selon que l'air et la lumière peuvent le nourrir. Mais on songerait aussi bien à ces châteaux en apparence bien classiques, dont les annexes, les ailes rajoutées, les orangeries, loin de donner l'impression de désordre, se révèlent, à l'examen, adaptées rationnellement aux besoins et au terrain...

Plutôt que de juger l'ensemble, on se contentera ici de revoir et de classer sommairement les modifications qui nous sont révélées.

On rangera dans un premier groupe les deux grandes additions d'environ trente pages chacune (1786 n° 5 et n° 19), bien intégrées à l'économie générale, et dont la structure interne mérite une étude particulière 3.

Si l'on voulait à tout prix ouvrir une rubrique de passages qui soient proprement des hors-textes, on ne trouverait dans les additions que deux qui pourraient répondre à cette définition (1780 n° 3 et n° 4). Encore faut-il remarquer avec M. Laufer que la fable de la Gaine et du Coutelet modifie par des causes physiques l'inconstance du coeur humain 4.

Un troisième groupe réunira les marginalia à la Montaigne : réflexions du philosophe (1780 n° 1) parfois illustrées d'une anecdote (1780 n° 2), ou remarques de l'auteur sur son art (1786 n°s 3 et 4, n° 20).

Il faut cependant y regarder de près pour juger du caractère exact des marginalia et digressions apparentes. Une réflexion phi1.

phi1. de Gotha 1138 n, f°s 123-4.

2. R. Laufer a prouvé le contraire dans sa très belle étude sur « la structure et la signification de Jacques le Fataliste » (Revue des Sciences humaines, oct.-déc. 1963, p. 517-535).

3. On peut remarquer qu'elles ont équilibré les trois parties distinguées par R. Laufer (op. cit., p. 525).

4. Op. cit., p. 528.


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losophique comme l'addition n° 1 de juillet 1780, sur la prudence, complète sans rompre le fil les remarques qui précèdent. L'histoire de M. Le Pelletier (1780 n° 2) ne se contente pas d'illustrer la remarque sur les quiproquos élargis aux paradoxes, elle pose le thème de la bienfaisance. Quant aux remarques de l'auteur sur l'affabulation possible de son oeuvre (1786 n°s 3, 4, 20), elles ne font que renforcer une méthode de composition dont on connaît les raisons.

Un dernier groupe d'additions est constitué par des compléments narratifs ou descriptifs qui enrichissent le texte sans discontinuité réelle : il en est ainsi de la scène du chirurgien (1786 n° 1), et de toutes les interruptions que subit l'hôtesse (1786 n°s 6 à 14), qui la situent dans sa profession, et ne font que généraliser à un passage un des procédés utilisés par Diderot pour éviter que l'histoire de M""' de la Pommeraye n'apparaisse réellement comme un horsd'oeuvre. Quant aux deux additions mineures (1786 n° 16 et n° 17), elles visent toutes deux à améliorer le sens ou la continuité du texte. M. Laufer 1 a bien vu la signification de l'ivresse de Jacques, puis de son recours à la tisane, dont d'autres additions enfin (1786 n° 18 et début du n° 20) établissent l'enchaînement.

Ainsi constate-t-on une fois de plus chez Diderot le caractère conscient de la création, une création qui se poursuit, et qui poursuit sa reconstruction de la vie. Dira-t-on que Diderot en rajoute pour faire plus vrai, pour atteindre l'illusion ? Qui soutiendra qu'il n'y parvient pas ?

Il ne nous appartenait pas de pousser plus loin l'étude des variantes de Jacques le fataliste. C'est la tâche du futur éditeur. Il nous suffit d'avoir montré que les données fournies par la Correspondance littéraire, tout en rectifiant l'idée qu'on se faisait de la filiation des textes, confirment surtout ce que les spécialistes et les bons juges ont déjà dit de la composition de cette épopée familière et sublime, truculente et pathétique. Plutôt qu'un romancier 2, Diderot nous semble encore un conteur (c'est le mot du père Meister) d'une vieille lignée, narrant un multiple proverbe. Dans le manuscrit Vandeul, on a souligné la formule : Jacques mène son maître 3. Sans doute n'est-ce pas la clé de tout l'ouvrage (peut-être de sa première partie), mais Jacques vient d'émettre ce voeu : « Que le reste de notre vie soit employé à faire un proverbe ». Tel fut, semble-t-il, le souhait de Diderot en sa vieillesse de créateur et de penseur.

JEAN VARLOOT.

1. Op. cit., p. 533.

2. On sait que Diderot récuse le mot de roman pour son oeuvre (A.T., p. 239).

3. A.T., p. 176, 1. 2.


BALZAC ET "LES MESSIEURS DU MUSÉUM"

Dans l'univers mystérieux des influences et des ressemblances dont le jeu se reflète, subtil et mouvant, au miroir de l'oeuvre balzacienne, le nom de Geoffroy Saint-Hilaire offre une rassurante, une lumineuse certitude. Balzac l'a dit et tout le prouve ; il fut l'ami de ce « Prométhée des Sciences naturelles », ainsi qu'il appela un jour l'illustre naturaliste. Il manifesta son enthousiasme pour ses théories scientifiques dans une page célèbre de l'Avant-Propos et lui dédia, en 1843, Le Père Goriot, « comme un témoignage d'admiration de ses travaux et de son génie ». Ainsi l'auteur de La Comédie humaine avoua-t-il son sentiment, se faisant en outre « gloire d'avoir appliqué à l'étude des espèces sociales le principe d'unité de composition formulé par Geoffroy Saint-Hilaire à propos des espèces animales » 1.

De cette « application », il ne sera pas question ici. D'éminents balzaciens ont montré la transposition des idées de Geoffroy SaintHilaire que présente La Comédie humaine et la question des problèmes de classification et de l'unité de composition, chez Geoffroy Saint-Hilaire et Balzac, a été traitée, dans son ensemble, par M. S. de Sacy, au cours d'une série d'articles fort pertinents 2. A la fin de l'un d'eux 3, M. de Sacy se demandait si Balzac « a trouvé dans les vues de Geoffroy Saint-Hilaire la justification d'un mode d'expression qui s'imposait déjà à lui » ou si c'est « le mouvement scientifique contemporain » qui lui a ouvert les yeux. A cette passionnante question, on ne saurait répondre sans connaître la date à laquelle Balzac se lia d'amitié avec le grand Geoffroy SaintHilaire et pénétra vraiment ses idées. Tel sera le but essentiel de cette étude.

Une tradition tenace, née d'un article de Mme d'Also intitulé « Balzac, Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire » 4, veut que, dès le

1. P.-G. Castex, in Le Père Goriot, Garnier, 1960, page 3.

2. Voir le Mercure de France, juin-juillet 1948 : « Balzac, Geoffroy Saint-Hilaire et l'unité de composition », et novembre-décembre 1950 : « Balzac et Geoffroy Saint-Hilaire : Problèmes de classification. »

3. Juillet 1948.

4. Article publié le 15 octobre 1934, dans la Revue d'Histoire de la Philosophie et d'Histoire générale de la Civilisation. A Madame d'Also revient le mérite d'avoir, la première, essayé de faire le point sur cette épineuse question.


638 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

printemps 1830, date de la célèbre dispute qui opposa Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire, le romancier ait subi l'influence de cette querelle et pris parti pour Geoffroy Saint-Hilaire. Les éloges prodigués à Cuvier dans La Peau de Chagrin n'auraient été que « légèrement motivés » et le fameux débat aurait fait reconnaître à Balzac « dans la doctrine du novateur le paradis de son imagination avide de transformations ». Seule la « prudence » l'aurait empêché d'affirmer hautement sa préférence avant 1837.

Telle était encore, en 1963, malgré les réticences de M. S. de Sacy et les importantes objections formulées par M. Jean Pommier 1, l'opinion de M. Théophile Cahn, qui écrit dans le chapitre de son Geoffroy Saint-Hilaire consacré aux relations de l'auteur de La Comédie Humaine avec l'illustre naturaliste : « Il est probable que ce soit la discussion académique qui ait révélé à Balzac la similitude de son effort et de celui de Geoffroy Saint-Hilaire » 2.

Aussi, depuis trente ans, a-t-on tendance, dès qu'il s'agit du Muséum ou même simplement de questions scientifiques dans la vie ou l'oeuvre de Balzac, après 1830, et, plus encore, 1832, à faire intervenir le nom de Geoffroy Saint-Hilaire.

Ainsi fit G. Jean-Aubry, lorsqu'il publia en 1935, à la Revue de Paris, dans une intéressante étude intitulée « Balzac à Genève », la première lettre qu'écrivit le romancier au botaniste Pyrame de Candolle, en décembre 1833 ; dès les premiers jours de son séjour à Genève, en effet, Balzac s'adressait à lui en ces termes respectueux et flatteurs :

Pré Lévêque près Genève, mercredi 26 décembre 1833 M. de Balzac a l'honneur de présenter à M. de Candolle les hommages que lui doit tout homme qui a lu quelques feuillets d'hist(oire) nat(urelle), et le prie d'agréer l'expression de ses sentiments les plus distingués. Il le prie d'avoir la complaisance de dire à quelle heure il peut le trouver, pour ne point trop le déranger, et lui remettre une lettre dont il est porteur d'un des MM. du Muséum de Paris 3.

L'auteur de l'article éclaira la sybilline formule de Balzac, « un des MM. du Muséum », de cette note : « Sans doute une recommandation de Geoffroy Saint-Hilaire ». Après lui, on le répéta, et ainsi s'accrédita l'hypothèse que le grand Geoffroy Saint-Hilaire avait, en 1833, donné à son ami Balzac une lettre pour Pyrame de Candolle.

« Sans doute »..., avait dit M. G. Jean-Aubry. Et pourtant, comment expliquer que, ni dans les articles, ni dans les romans, ni dans les lettres de Balzac, ne se laisse deviner alors cette présence

1. " Notes balzaciennes " IV et V, in Revue des Sciences humaines, avril-septembre 1931.

2. Théophile Cahn : La vie et l'oeuvre d'Etienne Geoffroy Saint-Hilaire, Paris, Presses Universitaires, 1962, p. 245.

3. La Revue de Paris,, 1er avril 1935, et Correspondance Pierrot, t. II, p. 434.


BALZAC ET « LES MESSIEURS DU MUSEUM » 639

de Geoffroy Saint-Hilaire dans la vie du romancier ? Pourquoi aussi les plus beaux éloges décernés à Cuvier par Balzac sont-ils postérieurs au printemps 1830 ? La fameuse querelle eut-elle bien l'influence immédiate qu'on a voulu lui donner ? Véritablement, un doute demeurait, et l'identité du correspondant de Pyrame de Candolle paraissait fort peu sûre.

C'est ainsi que nous décidâmes, pour essayer de préciser un peu la date de la rencontre de Balzac avec Geoffroy Saint-Hilaire et ses idées, de suivre, sous le regard de l'oeuvre et de la correspondance, Balzac et « les Messieurs du Muséum » .

Le nom de Cuvier apparaît, sous la plume de Balzac, bien avant 1830. Le jeune Honoré a-t-il écouté le cours sur les fossiles que le célèbre naturaliste professait en 1819 ? Fut-il parfois invité dans le salon de Cuvier ? Laure Surville a raconté que son frère avait suivi des cours au Muséum, et l'une des lettres que celui-ci écrivit en 1819 contient une mystérieuse allusion à « la demoiselle du Jardin du Roi » 1, qui est peut-être la charmane belle-fille de Cuvier, Sophie Duvaucel. Rien n'est sûr, sinon les lectures dont parle Balzac dans La Peau de chagrin, mais il paraît probable que Balzac, comme Bianchon, au temps du Père Goriot, et comme Louis Lambert, suivit le cours de Cuvier. C'est dans le Code des gens honnêtes qu'est cité pour la première fois « M. Cuvier ». Puis, dans La Caricature du 11 novembre 1830, on voit les « mangeurs d'opium » découvrir une de leurs joies paradisiaques, avec « les anaplothérions regrettés et retrouvés çà et là par M. Cuvier». Toutefois, c'est dans le Traité de la vie élégante, publié dans La Mode au même moment, que Balzac explicite pour la première fois son admiration :

Quand M. Cuvier aperçoit l'os frontal, maxillaire ou crural de quelque bête, n'en induit-il pas toute une créature, fut-elle antédiluvienne et n'en reconstruit-il pas aussitôt un individu classé, soit parmi les sauriens ou les marsupiaux, soit parmi les carnivores ou les herbivores ?... Jamais cet homme ne s'est trompé : son génie lui révélé les lois unitaires de la vie animale.

L'importance de cette déclaration enthousiaste ne saurait échapper. M. Jean Pommier a souligné, à juste titre, l'influence exercée par Cuvier sur le romancier, qui a emprunté au grand savant son « procédé résurrectionniste », et il a insisté sur le fait que son génie unitaire « trouvait déjà de vastes satisfactions dans l'oeuvre de Cuvier » 2. Balzac avait-il véritablement bien écouté, bien lu, bien compris l'illustre naturaliste ? Sans doute pas. Avant tout, il contemplait en Cuvier l'image du génie qu'il pressentait en lui-même :

1. Correspondance Pierrot, T. I, p. 51.

2. Ces réflexions se trouvent dans le remarquable article cité plus haut, auquel cette étude doit beaucoup.


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telle est la raison profonde de son enthousiasme pour celui qu'il appelle un « enchanteur ». « Tout portrait ressemble plus au peintre qu'au modèle », disait Oscar Wilde dans Le Portrait de Dorian Gray. Voilà pourquoi, sous la plume de Balzac, Cuvier apparaît comme un observateur et un voyant.

Car tel est, en somme, le double aspect du génie du naturaliste, maintes fois célébré par Balzac, notamment dans la fameuse page de La Peau de chagrin, véritable hymne à Cuvier, écrit en 1831, et dont la sincérité ne saurait être mise en doute :

Vous êtes-vous jamais lancé dans l'immensité de l'espace, en lisant les oeuvres géologiques de M. Cuvier ? Avez-vous jamais ainsi plané sur l'abîme sans bornes du passé, comme soutenu par la main d'un enchanteur ?...

M. Cuvier n'est-il pas le plus grand poète de notre siècle ?... notre immortel naturaliste a reconstruit des mondes avec des os blanchis, a rebâti comme Cadmus des cités avec les dents, a repeuplé mille forêts de tous les mystères de la zoologie avec quelques fragments de houille, a retrouvé des populations de géants dans le pied d'un mamouth... Il est poète avec des chiffres, sublime en posant un zéro près d'un sept. Il réveille le néant sans prononcer des paroles généralement magiques. Il fouille une parcelle de gypse, y aperçoit une empreinte et vous crie :

— Voyez !... Alors il déroule des mondes, animalise les marbres, vivifie la mort et fait arriver ce genre humain, si bruyamment insolent, après d'innombrables dynasties de créatures gigantesques, après des races de poissons ou de mollusques 1...

Il ne s'agit pas là d'une flambée d'enthousiasme, brève et unique. La pensée de Balzac n'a pas changé deux ans plus tard, dans la Théorie de la démarche, où l'auteur déclare 2 :

L'observateur est incontestablement homme de génie au premier chef. Toutes les inventions humaines procèdent d'une observation analytique dans laquelle l'esprit procède avec une incroyable rapidité d'aperçus.

D'ailleurs, le nom de Cuvier apparaît, quelques lignes plus loin, lorsque Balzac illustre son propos par des exemples : « Gall, Lavater, Mesmer, Cuvier... sont tous des observateurs ».

Hé oui ! Cuvier, toujours Cuvier ! En marge des grandes oeuvres, au cours de ces années 1831-1834, son nom revient sans cesse, que ce soit dans La Comédie du Diable, Le Dôme des Invalides, la Lettre à Charles Nodier ou même la Lettre aux écrivains français, de décembre 1834. Dès qu'il s'agit de définir l'homme de génie, dès qu'il veut en citer un, Balzac pense à Cuvier. Louis Lambert ? Il avait un « génie égal à celui des Pascal, des Newton, des Cuvier, des Laplace » 3, et d'un fait, une promenade à Rochambeau, « sut... déduire tout un système en s'emparant, comme Cuvier dans un

1. La Peau de chagrin, édition Conard, T. XXVII, p. 24-25.

2. OEuvres diverses, éd. Conard, T. XXXIX, p. 625.

3. I.e nom de Cuvier ne figure, à cette place, que dans le manuscrit. Voir Louis Lambert, éd. Marcel Bouteron et Jean Pommier, p. 105.


BALZAC ET « LES MESSIEURS DU MUSÉUM » 641

autre ordre de choses, d'un fragment de vie pour reconstruire toute une création » 1. Balzac lui-même ? Un génie comme Cuvier, un observateur et un voyant qui, contemplant le parloir de la maison Claës, reconstituera la vie des générations qui, depuis deux cents ans, s'y étaient succédées.

Ah ! comme on comprend qu'il ait traité Cuvier d'enchanteur... Mais Geoffroy Saint-Hilaire ? Dans un article satirique de La Silhouette, le 20 mai 1830, Balzac avait, à propos d'un « rat bicéphale », évoqué son nom. Il n'était pas besoin de connaître beaucoup cet éminent savant pour faire cette allusion, la seule qui apparaisse alors sous la plume de Balzac 2. Mais la dispute de 1830 ? Oui, c'est vrai, Balzac a fait écho à cette fameuse querelle dès 1830, et ce qu'il en dit vaut même la peine d'être cité ! Dans « La reconnaissance du gamin », article de La Caricature, Balzac écrit, le 11 novembre 1830 :

[Il] me toisa comme M. Cuvier doit mesurer M. Geoffroy Saint-Hilaire quand celui-ci l'attaque inconsidérément à l'Institut 3.

« Inconsidérément »... Etait-ce là prendre parti pour Geoffroy Saint-Hilaire ?

Certes, il serait absurde de prétendre que Balzac ignorait tout des idées de Geoffroy Saint-Hilaire. Il avait lu sans doute quelques ouvrages du savant et aussi des articles de journaux relatifs à ses théories 4. Mais nous pensons qu'il n'en avait pas encore senti toute l'importance. Sa pensée n'était pas encore prête à rencontrer celle du grand naturaliste et ce n'est pas un hasard si le nom ou les idées de Geoffroy Saint-Hilaire ne se rencontrent pas dans les écrits balzaciens avant la fin de 1834 : pas plus dans La Recherche de l'Absolu, dont les premières pages sont encore nettement inspirées de Cuvier, que dans la première partie de Séraphita, ne se laisse deviner le moindre lien entre le Professeur du Muséum et le romancier. Certes, on sent que le rêve unitaire se fait plus exigeant, mais il faut attendre la deuxième partie de Séraphita, celle qui parut, inédite dans le Livre mystique, en décembre 1835, pour voir Balzac se faire l'écho des théories de Geoffroy Saint-Hilaire.

Séraphita parle de l'unité du monde avec une conviction enthousiaste et, bientôt, un étrange personnage des Martyrs Ignorés, Grod1.

Grod1. Lambert, éd. Conard, T. XXXI, p. 85.

2. On en relève trois autres, aussi insignifiantes, en 1831, dans des articles de La Caricature, mais, d'après les travaux de M. Bruce Tolley, il semble bien que ces articles ne soient pas de Balzac.

3. M. Jean Pommier avait noté cette phrase dans l'article déjà cité et fait remarquer que Balzac, au moment de la querelle, se trouvait à la Grenadière avec Madame de Berny.

4. Peut-être ne faut-il pas exagérer l'influence de Meyranx que Geoffroy Saint-Hilaire semble n'avoir connu qu'au moment du Mémoire sur les céphalopodes, qui émut la fameuse querelle.

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ninsky, « très en guerre avec l'Institut », va proclamer la supériorité de Geoffroy Saint-Hilaire sur Cuvier. En 1838, dans Illusions Perdues, Balzac va évoquer enfin nettement « la célèbre dispute entre Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire, grande question qui devait partager le monde scientifique entre ces deux génies égaux, quelques mois avant la mort de celui qui tenait pour une science étroite et analyste contre le panthéisme qui vit encore et que l'Allemagne révère » 1.

Remarquons que Balzac proclame les deux génies égaux, comme il le fera encore dans l'Avant-Propos, donnant seulement raison à Geoffroy Saint-Hilaire, comme il dit, « sur ce point de la haute science ». C'était bien sous le regard de l'histoire qu'il contemplait la querelle « sans colère et sans passion », à la manière de ce Tacite qu'il admirait depuis sa jeunesse !

La véritable position de Balzac vis-à-vis des deux naturalistes n'a pas été déterminée, en fait, par rapport à cette querelle, à laquelle on a fait trop de place. Après M. S. de Sacy, M. Jean Pommier, M. Pierre Laubriet, nous le pensons, et deux phrases de Balzac situent exactement ce point de vue : en 1838, énumérant à Mme Hanska les gloires du dix-neuvième siècle, il s'écrie : «...Et Cuvier, cara ! et Dupuytren, cara ! et Geoffroy Saint-Hilaire, cara ! et Massena, carina ! et Rossini, carissima ! » 2. Et dans Modeste Mignon, il écrira : « Linné est un inventeur, Geoffroy Saint-Hilaire et Cuvier sont des inventeurs » 3.

Que va-t-on parler de rivalité ? Sur le plan des théories, bien sûr, ce jour où le romancier sentit l'inéluctable besoin d'« arriver à la synthèse par l'analyse », comme il dit dans la préface d'Une Fille d'Eve, les classifications de Cuvier ne lui suffirent plus et il lui fallut l'unité de composition de Geoffroy Saint-Hilaire. Mais, par delà les systèmes, il y avait deux génies qu'il n'était pas question de mesurer ou de comparer : avec l'un comme avec l'autre, profondes étaient les « affinités électives » de Balzac 4.

Assurément, l'auteur de la Comédie Humaine devait, lui aussi, « classer », et il rendit spontanément hommage à Geoffroy SaintHilaire dont la classification était soeur de la sienne. Mais il avait, lui, dans son architecture, une perspective qui était celle de l'éternité, et tandis qu'il classait, il sentait l'étroitesse des systèmes humains. Voilà pourquoi il n'est pas tellement étonnant qu'il lui ait pris fantaisie, parfois, de contempler, comme il aimait faire dans l'histoire ou la vie quotidienne, l'envers du génie des deux natu1.

natu1. Conard, T. XII, p. 77.

2. Lettres à l'Etrangère, T. I, p. 503.

3. Ed. Conard, T. II, p. 231.

4. Quoique le nombre ne fasse rien à l'affaire, il n'est pas sans intérêt de noter que Balzac a cité cinq fois Geoffroy Saint-Hilaire, et vingt-cinq fois Cuvier, tout au long de son oeuvre.


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ralistes, c'est-à-dire leurs petitesses, leurs manies. Enfermés dans leurs idées, raidis dans leurs principes maniaques, il leur arrivait d'être ridicules et même agaçants. Comment la verve satirique de Balzac ne se serait-elle pas plue à ces boutades ? Elles n'ajoutent rien à sa gloire, mais comme elles lui ressemblent ces caricatures du Guide-Ane ou d'Entre Savants où s'agitent ces caricatures de Cuvier, déguisé en baron Total ou Sinard, et de Geoffroy SaintHilaire, devenu Saint-Vandrille ou Marmus de Saint-Leu !

Il ne faut pas plus en exagérer l'importance que nier l'existence de cette veine drolatique de Balzac, parfaitement capable de cohabiter avec le jugement, l'enthousiasme et même l'enchantement : l'homme est complexe, le génie n'est-il pas multiple ?

Ainsi, ces fantaisies n'empêchent pas l'écrivain de louer ensuite le plus gravement du monde, dans Ursule Mirouet, « l'immense progrès que font en ce moment les sciences naturelles sous la pensée d'unité due au grand Geoffroy Saint-Hilaire », et dans Un début dans la vie, les « recherches savantes » de Cuvier, ou dans Le Cousin Pons, ses « facultés déductives » et son « génie ». Ah ! qu'il avait donc de charme l'enchanteur des vertes années ! En 1844, ultime année des vastes rêves, des conceptions d'ensemble, Balzac juge Geoffroy Saint-Hilaire « un géant tardif qui n'a pas su écrire » 1, et le chant du cygne de son ambition reprend le refrain Cuvier ; « Quatre hommes auront eu une vie immense : Napoléon, Cuvier, O'Connel et je veux être le quatrième » 2...

L'heure éblouissante de Geoffroy Saint-Hilaire était passée, mais la minute où les atomes de Balzac et ceux du naturaliste s'accrochèrent comptait pour l'éternité. Cette minute, quelle fut-elle ? La première trace de cette rencontre se situe, dans l'oeuvre, en 1835. Il faut maintenant interroger la biographie.

L'étude de la correspondance permet-elle de « situer » dans la vie du romancier sa première entrevue avec le naturaliste ? Si l'on considère les premières lettres connues qu'échangèrent Balzac et les deux Geoffroy Saint-Hilaire, Etienne le père et Isidore le fils, on constate tout d'abord qu'elles datent de 1835. Il est, certes, aisé d'objecter que d'autres, écrites antérieurement, peuvent ne pas nous être parvenues. Mais le ton et l'allure de cette prose ne constituent-ils pas une preuve décisive de ce que nous avons avancé, à savoir qu'en juin 1835, il y avait fort peu de temps, quelques mois au plus, que Balzac avait rencontré pour la première fois Etienne et Isidore Geoffroy Saint-Hilaire ? Qu'on en juge plutôt :

Le 25 juin 1835, Isidore écrit à Balzac cette lettre, la première, à notre connaissance, de leur correspondance :

1. Lettres à l'Etrangère, T. II, p. 416.

2. Ibid., p. 301.


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Monsieur,

Il est difficile de lire un de vos ouvrages sans éprouver le désir de lire tous les autres : mais après la lecture de Louis Lambert, ce n'est pas un désir, c'est, au moins pour qui a suivi de loin votre héros dans ses prodigieux Voyages dans les champs de l'intelligence, un véritable besoin de trouver quelque part sa suite et le développement d'idées dont on ne pourrait manquer d'être vivement frappé alors même qu'on les isolerait de l'admirable cadre où vous les avez placées. Quelle création que celle de ce Lambert, à quatorze ans égal en savoir et en génie à nos plus grands hommes, et plus tard progressant encore jusqu'à un terme vraiment surhumain ?

Soyez assez bon je vous prie pour m'apprendre si vous avez enfin publié cette Séraphita qui, si je vous ai bien compris, formera le pendant de Louis Lambert, et donnera la suite de vos idées ou du moins ce que vous croyez devoir en confier dès à présent au public. S'il en est ainsi, elle ne peut manquer de produire aussi sur moi une bien vive impression, et de me faire goûter un de ces rares moments de plaisir intellectuel où l'on oublie tout, si ce n'est d'admirer.

Pardonnez-vous je vous prie, de venir ainsi vous demander quelques-uns de vos précieux moments, et agréez l'expression de ma plus haute considération et de mon entier dévouement.

Is. Geoffroy S. Hilaire fils

Membre de l'Académie des Sciences.

Rue de Seine S. Victor n° 35.

le n'ai point oublié la permission que vous m'avez donnée d'aller vous interrompre quelquefois au milieu de vos travaux : mais je connais trop bien le prix du temps, et de vos moments surtout, pour user de cette permission. Autrement, et si je n'étais aussi moi-même, retenu par des occupations très nombreuses, j'eusse été vous faire ma question de vive voix 1.

Ainsi, Isidore Geoffroy Saint-Hilaire venait seulement de découvrir Louis Lambert 2 ! Il paraît fort peu au courant de la production balzacienne, et, avec toute l'ardeur du néophyte, s'inquiète de cette Séraphita, dont il ne sait que ce que Balzac lui en a dit, de toute évidence au cours de la conversation qui lui a donné l'envie de lire Louis Lambert. La phrase respectueuse du naturaliste sur les idées de Balzac ou du moins ce qu'il « croit devoir en confier au public » pour l'instant, laisse entrevoir la fascination que le romancier, une fois de plus, avait exercée sur son interlocuteur, le tenant sous le charme de son fameux regard pailleté d'or et de sa magnétique parole.

Si la « découverte » d'Isidore Geoffroy Saint-Hilaire paraît toute neuve, la réponse que Balzac adressa au savant, quelques jours plus tard, confirme encore le caractère récent des relations et apporte même quelques précisions sur les circonstances de la première rencontre. Après avoir annoncé la publication de Séraphita pour les environs du 20 juillet et promis d'envoyer, lorsqu'il paraîtrait. Le Livre mystique aux deux savants, il poursuit en ces termes :

1. Correspondance Pierrot, T. 2, p. 691-692.

2. Dans l'édition in-12, publiée au début de 1833.


BALZAC ET « LES MESSIEURS DU MUSÉUM » 645

Si je n'accepte pas vos éloges qu'il faut réserver pour ceux qui savent la science de manière à en reculer les conquêtes hardies que je ne sais rien que par vous autres, j'accepte les offres que vous me faites et qui me flattent extrêmement. Dites à M. votre père que si je ne lui ai pas répondu c'est que je suis parti fort instantanément pour Vienne et l'Allemagne où je suis allé voir des sites et reconnaître des positions qu'il était urgent que je connusse, et la rapidité du voyage m'a donné les airs d'une impolitesse qui est inexcusable quand on a reçu l'accueil cordial et qu'on a éprouvé la bienveillance de M. votre père 1.

Quand on lit cette lettre, que Balzac termine en assurant Isidore que le revoir sera un de ses premiers délassements, peut-on douter encore de la nouveauté de leur amitié ? Le mot « accueil » prouve, en outre, que c'est Balzac qui est allé voir le grand Geoffroy SaintHilaire, qu'il est né de cette visite un enchantement réciproque, et que les deux Geoffroy Saint-Hilaire sont, pendant l'été 1835, en train de découvrir l'oeuvre d'un homme de génie qu'ils venaient de voir pour la première fois, Balzac.

De quelles offres s'agit-il ? En l'absence d'une certitude absolue, on peut au moins risquer une hypothèse : en 1835, l'illustre naturaliste songeait à vulgariser son oeuvre et cherchait un écrivain en vogue. Nous savons qu'il pensa à George Sand et lui adressa, en juin, un de ses ouvrages, les Principes de philosophie zoologique. Dans son article, « George Sand au Jardin du Roi », qui parut en 1955 dans Le Progrès Médical, M. P. Lemay a retracé tous les épisodes de cette piquante aventure qui dura jusqu'en 1839 et se termina par une brouille totale entre Geoffroy Saint-Hilaire et la romancière. Comme le savant avait hésité avant de fixer son choix, on peut se demander, du fait de la proximité des dates, s'il ne pensa pas un instant à Balzac et ne lui écrivit pas à ce sujet. Mais celui-ci s'apprêtait à partir pour Vienne et ses préoccupations n'étaient point d'ordre scientifique ! Il ne répondit donc pas à Geoffroy Saint-Hilaire et, dès lors, celui-ci harcela George Sand.

Quoi qu'il en soit, un éblouissement mutuel avait résulté de la première rencontre. On a beaucoup parlé de l'influence de Geoffroy Saint-Hilaire sur l'auteur de La Comédie Humaine, mais a-t-on suffisamment souligné le caractère réciproque de cette influence ? Lorsque, vers le 1er décembre 1835, Balzac envoya son Livre Mystique, « collectivement », comme il dit, aux deux naturalistes, il reçut trois lettres enthousiastes : le grand Geoffroy Saint-Hilaire, en effet, lui en écrivit deux, l'une dès la réception de l'oeuvre et l'autre après sa lecture. C'est cette dernière qui offre, évidemment, le plus d'intérêt : outre les compliments hyperboliques qu'il décerne à l'auteur, Etienne Geoffroy Saint-Hilaire fait ces confidences importantes :

1. Correspondance Pierrot, T. 2, p. 692-693.


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Un instant j'ai été lier de moi en retrouvant dans Le Livre Mystique plusieurs de mes conceptions, pareilles seulement comme idées de premier âge, mais là formulées avec une clarté séraphitale.

Elles étaient contenues obscurément dans mon manuscrit, Notions etc., et je m'étais complu dans la pensée d'exprimer cette composition sous la forme du Livre Mystique et d'y emprunter cette épigraphe : (La Science est une et vous l'avez partagée. Sér. 257) : j'eusse là donné un volume d'une consistance égale : et dans ce volume se fût trouvé la quintessence de mes idées. J'ai tenu un moment ce parti-pris, parce que je regrettais qu'une idée de Moi, clef des moyens d'exécution du mouvement de l'univers, contenant si je ne me trompe les éléments du monde spirituel et à part ceux du monde matériel, que cette vue complétive de votre philosophie, ne s'en trouva pas rapprochée.

Mais il y aurait eu trop d'imprudence à moi de placer mes pensées abrup tes près des vôtres [...] d'ange. J'ai même pris mon parti d'aller ensevelir mon manuscrit dans les cartons de l'Académie des Sciences. C'est ce que j'ai lait hier sur l'inspiration prise de la lecture de votre chef-d'oeuvre 1.

Etienne Geoffroy Saint-Hilaire disait vrai et dans les Archives de l'Académie des Sciences figure la date exacte du dépôt, le 7 décembre 1835. La crise d'humilité du grand naturaliste dura trois ans, au bout desquels il fit exhumer son manuscrit, et publia ses Notions synthétiques, historiques et physiologiques de philosophie naturelle avec les deux épigraphes :

« La Science est une »... (Livre mystique I, 263)

« La Science est une et vous l'avez partagée ». (Ibid., II, 257).

Au cours de l'ouvrage, se trouvait révélée l'origine de ces épigraphes, empruntées « à l'un des plus grands écrivains du siècle », à M. de Balzac, ce « philosophe » qui a « récemment publié » Le Livre mystique.

« Récemment » ? Il faut avouer que le savant ne voyait guère passer le temps ! Son éblouissement devant les idées de Balzac restait toujours jeune, de même que le romancier gardait l'empreinte profonde des conversations importantes qu'il avait eues avec le naturaliste, tandis que s'espaçaient les rapports entre les deux hommes.

Une curieuse lettre écrite par Geoffroy Saint-Hilaire à Balzac, le 25 juillet 1839, donne en effet une idée de leurs relations à cette date : le savant appelle bien le romancier « mon respectable et brillant ami », mais s'excuse de ne pas l'avoir reconnu lorsque Balzac l'a rencontré sur le boulevard de Gand. Heureusement Balzac s'est nommé... et alors, ils ont « échangé des gracieusetés » 2.

Cette bizarre entrevue n'eut point de lendemain et lorsque l'auteur de La Comédie Humaine eût lié pour l'éternité le nom de Geoffroy Saint-Hilaire à son oeuvre dans une page célèbre de son

1. Correspondance Pierrot, T. 2, p. 778-774.

2. Ibid., T. III, p. 662-663.


BALZAC ET « LES MESSIEURS DU MUSEUM » 647

Avant-Propos, il dut écrire à Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, au Muséum, pour lui demander l'adresse de son père, afin de réaliser l'intention qu'il avait, sans doute, de lui envoyer un exemplaire de La Comédie Humaine 1.

En somme, brève mais éblouissante, telle apparaît à travers la correspondance, l'amitié de Balzac et d'Etienne Geoffroy SaintHilaire. A l'aube de 1835, la rencontre des deux hommes fut l'étincelle qui embrasa un prodigieux feu d'artifice dont les dernières lueurs, dix ans plus tard, s'éteignaient doucement.

Si la correspondance et l'oeuvre s'accordent pour prouver que le romancier se lia avec les Geoffroy Saint-Hilaire dans les premiers mois de 1835, qui donc était le « Monsieur du Muséum » dont Balzac apportait une lettre au botaniste genevois Pyrame de Candolle, en décembre 1833 ? L'expression du romancier, « un des MM. du Muséum », nous avait toujours paru étrange pour désigner une célébrité européenne telle qu'Etienne Geoffroy SaintHilaire ! Ne cachait-elle pas un homme infiniment plus modeste ?

Parmi les correspondants connus de Balzac, aucun, à la date voulue, ne présentait la moindre attache avec le Muséum. Il fallait donc s'intéresser à ceux dont l'identification offrait encore un certain mystère. En cherchant dans les lettres écrites par Balzac, nous trouvâmes celle-ci, non datée, adressée à « Monsieur Lemercier, à la Bibliothèque » :

Mon cher Monsieur Lemercier, votre affaire a été admirablement faite auprès de M. Chapelain — il faudrait que je vous visse pour savoir si vous laisserez en cas de démission et de nomination le traitement à M. D. pend(ant) sa vie. On reverra M. Chapelain lundi, mais il vaudrait mieux lui écrire ce fait avant qu'il en parle.

Mille complimens de Bc

M. Chapelain parle de cette chose comme d'une chose faite 2.

Qui était ce Monsieur Lemercier, dont Balzac semblait servir les intérêts avec tant de zèle ? De quelle Bibliothèque s'agissait-il et à quelle date se situait cette ténébreuse affaire ? Toutes ces questions auraient pu garder longtemps leur mystère, sans un de ces hasards... « comme il ne s'en rencontre que dans la vie », se plaisait à dire Balzac. Ce hasard-là fit bien les choses : dans un carton d'autographes dédaignés, dus à la plume d'auteurs que « le soleil des morts » 3 n'éclairait point de ses feux, gisaient trois lettres de Joseph Deleuze, dont les ouvrages relatifs au magnétisme

1. Ce renseignement nous a été aimablement communiqué par M. Roger Pierrot.

2. Copie Lov. A. 286, fol. 117.

3. « La gloire est le soleil des morts ". (La Recherche de l'Absolu, éd. Conard, T. XXVIII, p. 231.)


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animal connurent une grande célébrité, dans la première moitié du dix-neuvième siècle. Balzac a cité Deleuze dans Ursule Mirouet et, par sympathie balzacienne, nous acquîmes ces lettres qui, toutes trois, étaient datées de l'été 1830. Or, à qui étaient-elles adressées ?

A Monsieur

Monsieur Lemercier

à la Bibliothèque du jardin du Roi

au Jardin du Roi

à Paris.

Ainsi, c'est de la Bibliothèque du Muséum qu'il s'agissait et un nouveau « Monsieur du Muséum » surgissait dans la vie de Balzac.

Une des lettres de Deleuze nous éclaire sur les fonctions de cet énigmatique Lemercier, que Balzac s'efforçait d'obliger :

St-Dizier (Haute-Marne) 28 août 1830 Monsieur,

Je suis arrivé avant hier, en assez bonne santé, mais tellement fatigué que j'ai été obligé de rester dans mon lit fort tard le lendemain et que je n'ai pu profiter du courrier pour vous donner de mes nouvelles comme vous aviez eu l'obligeance de me le demander. Je me trouve bien mieux aujourd'hui, et même déjà fort reposé : j'ai commencé à faire quelques petites promenades dans notre beau jardin, et je suis persuadé que je me trouverai très bien du bon air qu'on respire ici, et que ma santé se rétablira autant que cela est possible à mon âge.

Je pense souvent, Monsieur, à tous les soins que vous vous donnez pour notre bibliothèque, et je ne doute pas que quoique je ne puisse vous aider, elle gagnera beaucoup à ce que vous ayez bien voulu me suppléer. Je vous prie de m'écrire, d'abord pour me donner de vos nouvelles et de celles de votre famille, ensuite pour m'infonner du résultat de vos travaux. Vous m'apprendrez sans doute que vous avez encore augmenté la collection de nos brochures, et bientôt vous les aurez mises en ordre : vous avez une activité et un esprit d'ordre qui conviennent parfaitement à la tâche que vous (vous) êtes imposé : je crains seulement que vous ne vous fatiguiez, et surtout que vous ne fassiez souvent le sacrifice d'un temps que vous pourriez employer pour vous d'une manière plus utile. Je vous serai obliger de donner de mes nouvelles aux personnes du jardin prenant intérêt à moi, et principalement à MM. Desfontaines, Jussieu et Royer.

Je suis ici dans une société très aimable, unie par les liens du sang et de la plus tendre amitié. La campagne est superbe, l'air est excellent : et je crois que j'ai fait très sagement de venir passer un mois dans cet azyle (sic). On y est fort tranquille. Cependant il règne un mauvais esprit dans le peuple des bateliers ou gens du port qui est sur la Manche se sont attroupés pour crier à bas les nobles, à bas les prêtres et l'autorité a eu bien de la peine à empêcher le désordre. Je crois cependant que cela n'aura aucune suite fâcheuse ; marquez-moi s'il n'y a rien de nouveau au Jardin. Mme Halotel et ma nièce qui ont bien remarqué que vous aviez eu l'attention de venir me voir au moment de mon départ m'a (sic) recommandé de vous faire ses complimens.

Recevez l'assurance du sincère attachement avec lequel j'ai l'honneur d'être Monsieur

Votre très humble serviteur Deleuze.


BALZAC ET « LES MESSIEURS DU MUSÉUM » 649

Il devenait dès lors facile, en prenant pour fil d'Ariane l'histoire de la Bibliothèque du Muséum, de délabyrinther l'affaire et de dater la lettre de Balzac. « M. D. » désigne évidemment M. Deleuze, qui fut effectivement bibliothécaire du Muséum de 1828 à 1834 1, mais songea plus d'une fois à démissionner au cours de ces six années, en raison de son grand âge et de sa mauvaise santé. Détail amusant, en mars 1830, Stendhal projeta de lui succéder et en parla à Sophie Duvaucel, à laquelle il écrivait plaisamment :

Il me semble d'après ce que vous avez eu la bonté de m'écrire, que M. D(eleuze) n'est pas précisément un ennuyeux. Je me sens disposé à croire au magnétisme. Le comte Corner, mon ami intime, qui à trente ans avait dissipé trois millions, et qui, s'il eût menti, n'eût menti que pour des histoires de femme, a cru lire à travers un mur.

Ne sera-ce pas bien débuter avec M. D(eleuze) ? Mais irai-je le voir ? Sous quel prétexte ? Quelque âgé que soit un successeur, la vue en est toujours amère...

Pourquoi ne le dirai-je pas ? Je vous assure sans flatterie que j'ai pensé plusieurs fois depuis samedi que je serais heureux d'habiter dans le voisinage de l'ours Martin. Quand je serai vieux, je ferai amitié avec ce grave personnage et, si je ne lui ressemble pas trop, je paraîtrai tous les soirs dans votre salon, escorté des images de tous mes ennemis 2.

Fut-ce la faute de Stendhal ou celle de Deleuze si l'Ours Martin n'eut pas cette aimable compagnie ? Deleuze, en tout cas, revigoré par l'air de la Haute-Marne, quelques mois plus tard, ne songeait plus à partir, comme en témoigne sa lettre à Lemercier, écrite de Saint-Dizier le 28 août. Dans une note sur la Bibliothèque du Muséum, qu'il rédigea de sa main, Lemercier a exposé les circonstances de son entrée à la Bibliothèque :

M. Deleuze succéda en 1828 à M. Toscan ; mais son âge avancé ne lui permettant pas de faire tout ce que lui inspirait son intérêt pour le dépôt confié à ses soins, M. Cuvier, alors directeur du Muséum, lui proposa l'année suivante de charger M. Lemercier, docteur en médecine, de réunir beaucoup de documents épars pour leur assigner le même ordre qu'il venait de suivre dans la classification de plusieurs parties spéciales de sa propre bibliothèque. M. Lemercier s'acquitta de cette opération de manière à lui mériter la confiance de l'administration qui l'admit à seconder M. Deleuze dans ses fonctions journalières, et un traitement fixe lui fut, dès ce moment, alloué sur le budget du Jardin des Plantes 3.

N'était-il pas naturel, dans ces conditions, de voir Lemercier solliciter la succession de Deleuze ? Il y songea en effet, comme l'atteste la lettre de Balzac, mais Deleuze posait ses conditions, nous

1. Joseph-Philippe-François Deleuze, né à Sisteron en 1753, avait commencé par embrasser la carrière des armes. Puis il entra au Muséum comme aide-naturaliste en 1795. Il avait publié entre autres ouvrages, une Histoire critique du magnétisme animal, qui connut un grand succès, et devint bibliothécaire du Muséum. Il mourut le 29 octobre 1835.

2. Lettre citée par Jean Théodoridès dans son article « Les relations de Stendhal et de Cuvier ", où se trouve relaté cet épisode peu connu de la vie de Stendhal. (La Biologie médicale, numéro hors série, mars 1961, p. XLII.)

3. Archives Nationales F17. 21244.


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l'avons vu, et voulait bien céder son titre mais non son traitement. Qu'en advint-il ? Les procès-verbaux des séances tenues par les professeurs du Muséum nous l'apprennent 1. Le 25 mars 1834, l'Assemblée, « considérant l'âge avancé de M. Deleuze qui entraîne de graves inconvénients dans le service de la Bibliothèque et s'appuyant de la demande qui a été faite par la famille de M. Deleuze et plusieurs Membres de l'Assemblée », décerna à M. Deleuze le titre de « bibliothécaire honoraire » et imposa à son successeur une retenue annuelle de 2 400 francs sur les 3 500 qui devaient lui revenir ; cette somme devait être versée à M. Deleuze tant qu'il vivrait. Deux candidats se présentaient : Jules Desnoyers et MilneEdwards. L'élection eut lieu le 1er avril, et Jules Desnoyers, à la majorité des suffrages, fut nommé bibliothécaire, tandis que Lemercier, comme le précise le procès-verbal, restait employé temporairement sous les ordres du nouveau bibliothécaire aux travaux de classement et au catalogue.

Ainsi, en mars 1834, Lemercier n'était plus candidat à la succession de Deleuze. La lettre de Balzac se trouvait donc antérieure à cette date et l'on peut penser que Lemercier, qui était pauvre, n'avait pu souscrire aux exigences de Deleuze que Balzac lui faisait connaître, les tenant lui-même du docteur Chapelain.

Que venait faire Chapelain, médecin-magnétiseur favori de Balzac, dans cette affaire ? Ce curieux personnage se trouvait être le disciple favori et le confident du vieux Deleuze. En 1839, le docteur G. P. Billot fit paraître ses « Recherches psychologiques sur la cause des phénomènes extraordinaires observés chez les modernes voyants improprement dits somnambules magnétiques ou Correspondance sur le magnétisme vital entre un solitaire et M. Deleuze, bibliothécaire du Muséum de Paris ». Dans cet ouvrage, dédié à la mémoire de Deleuze, l'auteur publiait les lettres qu'il échangea avec le célèbre théoricien du magnétisme, au cours des années 1829-1833. Le nom de Chapelain revient sans cesse et Deleuze le présente comme « l'homme qui a le plus étudié le magnétisme et qui le pratique avec le plus de succès et d'après les meilleurs principes ». Malheureusement, le docteur Billot croyait à l'action des anges, dans le somnambulisme, ainsi qu'aux communications avec les esprits et il voulait convaincre son correspondant et, par son intermédiaire, le docteur Chapelain. Le bon Deleuze, que le magnétisme avait ramené au christianisme, comme son maître et ami Puységur, voulait bien y croire aussi mais il ne voulait pas chagriner son ami Chapelain. Aussi répondait-il prudemment : « [Chapelain] est un homme de premier mérite mais ses opinions religieuses relativement à l'action des esprits sont trop opposées aux vôtres pour qu'il entre dans une discussion là-dessus ».

1. Archives Nationales, AJ15. 547. Procès-verbaux 1834, 1er semestre.


BALZAC ET « LES MESSIEURS DU MUSÉUM » 651

On voit la place que tenait le magnétiseur de Balzac dans la vie de Deleuze. Il allait le voir presque tous les jours et le vieillard lui légua, lorsqu'il mourut en 1835, à l'âge de 82 ans, le cachet surmonté d'un cercle en or que lui avait donné jadis M. de Puységur, cachet sur lequel était gravée la formule de Virgile, si souvent citée par Balzac — sous sa forme latine — : « la pensée meut la matière » 1.

Si l'amitié de Chapelain et de Deleuze, si leurs interprétations du somnambulisme présentent un intérêt puissant pour les lecteurs de Balzac, elles ne servirent en rien le malheureux Lemercier, malgré Balzac ! L'intervention de ce dernier ayant nécessairement eu lieu avant le mois de mars 1834 et le séjour à Genève s'étant prolongé jusqu'au milieu de février, décembre 1833 apparaît donc comme la date la plus probable de la lettre de Balzac à Lemercier.

Ce lien avec le Muséum, juste avant le départ pour Genève, nous fit rêver. Celui que Balzac appelait « Un des Messieurs du Muséum » n'était-il pas l'obscur Lemercier ?

Il ne restait plus qu'à écrire au descendant de l'illustre botaniste genevois pour lui demander, d'abord, s'il possédait, dans ses précieuses archives familiales, une lettre de Geoffroy Saint-Hilaire parlant de Balzac, en décembre 1833, ou, dans le cas contraire, une lettre d'un certain Lemercier... M. Roger de Candolle, en qui revit l'obligeance célèbre de son aïeul, nous répondit aussitôt négativement pour Geoffroy Saint-Hilaire et joignit à sa réponse la photocopie de la lettre dans laquelle Lemercier, le 18 décembre 1833, annonçait à Pyrame de Candolle la visite de son ami, M. de Balzac...

Avec l'aimable autorisation de M. de Candolle, nous reproduisons ici cette longue lettre qui nous montre l'activité de Lemercier au Muséum, son caractère et ses liens avec Balzac :

Monsieur,

En vous priant d'accepter avec faveur les excuses bien sincères que j'éprouve le besoin de vous adresser pour le retard que j'ai mis à vous écrire, croyez qu'il n'a pas dépendu de moi de vous les faire plutôt (sic), voulant en même temps vous donner la longue note de renseignements que vous me demandâtes aux vacances dernières et celle des lacunes qui existent dans nos collections que nous recevons aujourd'hui même de la Bibliothèque Cuvier. Depuis votre départ, j'ai été sans cesse occupé des préparatifs pour recevoir et disposer cette riche acquisition. La surveillance des travaux, le moindre arrangement du local m'a été confié et j'ai dû remplir le plus exactement possible les vues et la confiance de l'administration 2. Mais ces préparatifs n'étaient que le prélude à une bien plus grande affaire : depuis une semaine nous

1. Archives Nationales. Minutier des Notaires. Etude LVII, liasse 745, 4 novembre 1835, dépôt du testament de J.-Ph. F. Deleuze.

2. Le 18 mars 1834, l'Assemblée témoigna sa satisfaction à Lemercier en décidant qu'une somme de 300 francs lui serait donnée à titre d'indemnité. (Archives Nationales, AJ15. 647.)


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employons 6 heures par jour à recevoir officiellement les volumes, et c'est ensuite de cette séance que je viens faire disposer dans le local affecté, chacune des parties qu'on m'a délivrées. Cette opération nous tiendra encore au moins le reste de la semaine et j'ai plus d'un motif pour désirer la terminer le plutôt possible.

Cette contention absolue à un travail aussi long m'a donc empêché de terminer les indications que vous m'avez demandées du Journal de Physique (je veux parler de tout ce qui y concerne la Botanique) mais, croyez bien que je tiendrai parole quoique chargé non seulement de ma bibliothèque et en, core de la table générale et méthodique des 10 Premières années des Annales des Sc(iences) naturelles. La volonté que j'ai de remplir envers vous ma promesse, et les droits que vous avez à l'exécution de cette idée, vous est (sic) un sûr garant de mon exactitude.

J'ai bien partagé, Monsieur, les pénibles impressions qui ont du vous affecter à la mort de notre bon et respectable professeur, M. Desfontaines 1. Personne ne lui rendait un culte plus saint et plus fervent que vous ; aussi ne trouvera-t-il nulle part un biographe qui, en signalant les services qu'il a rendus à la Science, lui payera mieux le tribut mérité de respect et d'affection véritablement sentie qu'il inspire. Vous avez sans doute reçu déjà l(a) notice funèbre que M. Adrien de Jussieu 2 a prononcée sur la tombe de son second père ; et vous l'aurez goûtée comme nous ; quoiqu'il en soit, nous attendons de vous son Eloge complet et les botanistes de tous les pays vous en sauront gré et de plus vous en commettent l'obligation.

Monsieur, je viens vous prier d'excuser mon retard à remplir envers vous un engagement contracté depuis presque une demi-année ; je vous ai entretenu de mes travaux particuliers et de vos chagrins, permettez-moi maintenant de réclamer de votre cordialité si affectueuse la permission de vous adresser de temps en temps la note de certains ouvrages qu'il nous est important de nous procurer tant pour combler certaines lacunes que pour remplir quelque place encore vacante dans nos rayons.

Je me suis procuré depuis votre voyage à Paris, la série totale des 80 volumes que forme la partie scientifique de la Bibliothèque britannique et maintenant nous éprouvons l'envie et le besoin d'y joindre la Bibliothèque universelle. Mais nous désirerions profiter également d'une occasion favorable et ne pas l'acquérir au prix commercial. Ne vous serait-(il) pas possible, Monsieur, de prier quelqu'un de prendre à Genève ce renseignement et lorsque vous auriez une réponse de me la transmettre tôt ou tard? Vous sentez que nous ne pouvons ici vous assigner de délai. Confiant dans votre obligeance si connue pour ceux qui s'occupent de science (nous ne voulons également que la partie des Sc(iences) et arts et d'agriculture de la Bibliothèque) Universelle) je vous ai, Monsieur, demandé l'indication du volume qui contient votre rapport sur les plantes rares fleuries à Genève. Vous avez eu la bonté de me répondre dans le temps par l'entremise de M. Desfontaines ; mais celte lettre s'étant trouvée égarée chez lui, je n'ai pu combler la lacune de mon Bulletin Bibliographique. Ce rapport existe je crois dans le volume des Mém(oires) de la Soc(iété) de Genève, il n'est parvenu ni à M. Cuvier ni à l'Institut.

Voici au reste la note exacte des parties que nous désirons compléter et pour laquelle je réclame de nouveau votre bienveillante intervention. Vol. 3 — 1ère partie, 236 p. = 1825

1. Professeur de botanique au Muséum, M. Desfontaines (1750-1833) fut un des fondateurs de l'enseignement de la physiologie végétale.

2. Fils du célèbre botaniste Antoine-Laurent de Jussieu, Adrien de Jussieu était luimême professeur de botanique rurale au Jardin des Plantes.


BALZAC ET « LES MESSIEURS DU MUSEUM » 653

— 2 (part(ie), 260 p. = 1826 avec table du volume nous l'avons ainsi que le 1er et le 2 Vol. 4 — 1ère partie 1828 manque

2e id p. 121 = 208

3 id

quelle a ete l'époque de leur publication ?

4 id et table manque

5 — 1832. Nous le possédons également.

Pardon Monsieur de tout cet embarras ; mais j'ai tant confiance en vos bons offices toutes les fois qu'il s'agit d'être utile et d'obliger, que je ne crains pas de mettre votre complaisance à une nouvelle épreuve. J'ai enfin une dernière prière à vous adresser, c'est d'agréer de la bouche même d'un de mes amis qui veut bien se charger de ma lettre l'expression sincère de ma gratitude. M. de Balzac n'a pas besoin d'une recommandation écrite auprès de vous, son nom et ses ouvrages l'ont fait connaître à Genève comme à Paris, à Londres comme à Naples ; et j'aurais mauvaise grâce à ajouter rien ici pour lui faire obtenir un accueil favorable dans le séjour qu'il compte faire sur les bords du lac. J'ignore combien de temps il y passera, mais si à son retour vos nombreuses occupations vous permettaient de lui donner un petit mot de réponse à mon griffonnage, je m'estimerais trop heureux, et cette faveur ne pourrait qu'ajouter encore aux sentiments d'estime et de haute considération avec lesquels j'ai l'honneur d'être,

Monsieur, votre bien dévoué et obéissant serviteur.

Lemercier d(octeur) en (médecine)

au Muséum le 18 déc(embre) 1833.

Mon respectable patron M. Deleuze me charge d'être auprès de vous son interprète en le rappelant à votre souvenir. — Nous le voyons décliner chaque jour et la mort de son vieux ami n'a pas peu contribué à l'affecter puissamment.

[4e plat :

Monsieur Monsieur de Candolle

Professeur et Directeur du Jardin Botanique à Genève

Qui était donc ce Lemercier, ami de Balzac et, semble-t-il, modèle de dévouement et de zèle ? « Soyons sûrs », a dit M. Bernard Guyon à propos de Balzac, « que, comme d'Arthez, il avait pour amis de « savants naturalistes », de « jeunes médecins » 1.

Précisément, tout comme Meyranx, devenu dans La Comédie Humaine Meyraux, l'ami de Louis Lambert, Jean-Casimir Lemercier était un médecin-naturaliste. Né à Craon en 1795, il avait commencé ses études médicales à l'hôpital d'Angers, sous les auspices de son grand-père, chirurgien estimé auquel il voulait ressembler. Il vint les poursuivre à Paris, où la protection de son oncle Volney, l'auteur des Ruines, l'introduisit chez des médecins célèbres, dont il devint le disciple et l'ami : Breschet, Béclard et surtout Broussais, auquel il dédia la thèse sur le cancer, qu'il soutint le 23 juin 1819, comme un «faible hommage de sa reconnaissance ». Le jeune docteur repartit alors vers sa Mayenne natale et, tout en attendant

1. B. Guyon, La Pensée politique et sociale de Balzac, Paris, A. Colin, 1947, p. 40.


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les clients qui ne se décidaient pas à affluer, il rêvait à l'étude des sciences comparées pour laquelle il s'était senti une vocation, aux cours de Cuvier, et autres professeurs du Muséum, qu'il avait suivis tout en préparant ses examens de médecine. Il se décida finalement à revenir dans la capitale, comme l'y engagaient Béclard et Broussais, et, tout en exerçant sa profession avec conscience, se soucia surtout de poursuivre les travaux bibliographiques qui l'attiraient. En 1827, il alla trouver Cuvier pour lui exposer ses vues et, de ce jour, devint son protégé. Nous avons vu que l'illustre naturaliste lui ouvrit sa bibliothèque personnelle, le présenta à ses collègues et le fit entrer à la Bibliothèque du Muséum.

Quand rencontra-t-il Balzac ? Au cours de Cuvier ? Dans les galeries du Muséum, ou dans une quelconque pension Vauquer ? Il est difficile de le préciser. On ne sait pas davantage quand le romancier connut le docteur Ménière, Angevin lui aussi, qui fut son ami vers 1830 et l'un des modèles de Bianchon. Nous avons, en tout cas, la preuve que Balzac fréquenta Lemercier alors qu'il était à la Bibliothèque du Muséum et que celui-ci le gratifiait, en 1833, du titre d'ami.

Quel genre d'homme était donc ce personnage modeste et laborieux ? Il poursuivit, toute sa vie, son travail de bénédictin, dut à la protection de Michelet d'être enfin nommé sous-bibliothécaire du Muséum, le 28 septembre 1848, juste récompense de vingt années d'un labeur acharné qui ne lui avait jamais valu le moindre titre officiel. Il mourut le 21 septembre 1868, laissant pour toute fortune à sa veuve un « Catalogue bibliographique contenant plusieurs centaines de milliers de cartes ou fiches classées... et comprenant des renseignements qui intéressent toutes les branches de l'histoire naturelle » 1. Cet être effacé qui s'était voué à la pauvreté et à l'obscurité, par amour pour la science, reçut alors de beaux hommages : « Homme de savoir et de conscience, qui avait vécu comme un sage sans courber le dos ni tendre la main », lit-on, par exemple, dans le jounal La Constitution (d'Auxerre) 2.

A travers les lettres des amis qui s'employèrent à faire obtenir une pension à sa veuve, on découvre un homme qui n'entendait rien à la politique mondaine, mais ne manquait ni de coeur ni de finesse, et qui, voyant parfois des savants piller ses idées, se contentait de rire en évoquant « le geai paré des plumes du paon ». Au total, « un fort brave homme, quelque peu bourru et légèrement entaché de républicanisme » 3.

Tel fut... « un des Messieurs du Muséum ». Lié avec tous les grands naturalistes de son temps, le protégé de Cuvier eut aussi

1. Archives Nationales, F17. 21144.

2. Article du 13 octobre 1868.

3. Archives Nationales, F17. 21144.


BALZAC ET « LES MESSIEURS DU MUSEUM » 655

des rapports particulièrement cordiaux avec Blainville, Pyrame de Candolle et Geoffroy Saint-Hilaire. Si Balzac tenta un jour de l'obliger, avec beaucoup d'empressement, semble-t-il, on connaît le service que Lemercier lui rendit en l'introduisant chez M. de Candolle, et on en ignore sans doute d'autres, plus importants encore.

Le romancier ne fit-il pas appel parfois au savoir de Lemercier pour écrire certaines scènes de La Peau de chagrin ou certaines pages de Louis Lambert ? N'emprunta-t-il pas, grâce à lui, quelques ouvrages à la Bibliothèque du Muséum, entre autres plusieurs volumes du Dictionnaire d'Histoire naturelle ?

En somme, diverses conclusions s'imposent :

Il nous paraît prouvé que Balzac n'était pas encore lié avec Etienne Geoffroy Saint-Hilaire en 1833-1834. En fait, tout concorde, l'oeuvre, la correspondance et la biographie, pour situer l'éblouissante rencontre au début de l'année 1835, au moment où Balzac achève Le Père Goriot qu'il dédiera plus tard au grand savant. Il resterait à identifier l'intéressant intermédiaire qui introduisit le romancier auprès des Geoffroy Saint-Hilaire : la Duchesse d'Abrantès, vieille amie du naturaliste, François Arago, quelque autre membre de l'Académie des Sciences,... ou Jean-Casimir Lemercier ? Ce qu'on peut dire, c'est que Balzac souhaita, à cette date, faire la connaissance de celui dont il pressentait qu'il allait lui donner « une confirmation naturaliste de sa vision générale du monde » 1.

Les études de chimie et d'alchimie qu'avait occasionnées La Recherche de l'Absolu, les lectures mystiques qui, de Louis Lambert à Séraphita, avaient fouetté l'inspiration de l'écrivain, avaient imposé cette vision, à laquelle aspirait un vieux rêve unitaire. Désormais le besoin de synthèse submergeait, impérieux, toutes les joies de l'analyse. Balzac était « prêt » pour Geoffroy Saint-Hilaire et l'enchantement devait être réciproque, car l'harmonie se faisait sur tous les plans, scientifique, métaphysique, et mystique.

Mais avant, il y avait eu Lemercier, le collaborateur et l'ami de Cuvier. On ne sait s'il conduisit Balzac dans le célèbre salon, mais il contribua assurément à rendre profonde l'influence de Cuvier sur le romancier. Cette amitié, qui familiarisa aussi le romancier avec les traités de magnétisme de Joseph Deleuze, subsista-t-elle longtemps après 1834 ? Il ne le semble pas mais Lemercier avait alors joué son rôle, un rôle dont l'importance n'était pas négligeable dans la vie de Balzac. En outre, qui sait si du côté de la rue des Quatre-Vents, où se réunissaient les Membres du Cénacle, l'auteur de La Comédie Humaine n'aperçut pas la silhouette discrète de Lemercier, qui, comme Michel Chrestien, par exemple, « faisait

1. B. Guyon, op. cit., p. 762.


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des tables des matières pour de grands ouvrages, des prospectus pour les libraires » 1 ?

Ainsi, au Jardin du Roi, Balzac connut trois Messieurs : Cuvier, Geoffroy Saint-Hilaire, et un certain Lemercier !

Telles furent les surprises d'une méditation sur Balzac et « les Messieurs du Muséum ».

MADELEINE FARGEAUD.

1. Illusions perdues, éd. Conard, T. XII, p. 78.


BALZAC 1965 Le Prométhée d'André Maurois 1

« La grande floraison de l'érudition balzacienne » qui s'est produite, selon André Maurois, depuis quinze ans 2, l'a incité à « tenter de faire le point » (p. 1). Depuis le temps où Alain jeta son élève « tête la première dans la CH. », A.M. n'en est « plus sorti » (p. 2). Comment y serait-il « rentré » pour une reprise de contact avec les textes ? Il s'y réfère couramment, mais c'est principalement la Correspondance de B. et la littérature sur B. qui ont servi, et cela se conçoit, au biographe. Même méthode surtout indirecte pour les autres écrivains et penseurs dont il a eu à s'occuper.

Il n'a pas été sans pâtir de ces derniers travaux sur B., certains inédits qu'il avait en portefeuille ayant été publiés en dehors de lui. Il n'a pu surveiller toutes ces « fuites » : il cite d'après le manuscrit de la Collection Lovenjoul (479) un portrait de Liszt par Mme Hanska déjà paru par les soins de M. A. Lorant dans L'Année balzacienne de 1962 (pp. 21,23,24). (Et voir déjà le gros ouvrage de Sophie de Korwin-Piotrowska3). De même, et c'est plus grave (102), pour le Traité de la prière mis au jour par l'abbé Ph. Bertault 4.

La Bibliographie offre quelques lacunes. Mais on perd le goût de ces sortes de remontrances, quand on pense à tout ce qui s'est écrit sur B., et quand l'ouvrage qu'on a sous les yeux s'appuie sur une documentation aussi sérieuse. On y remarque particulièrement certains apports, comme ceux qui ont trait à Mme Marbouty. Et l'on admire qu'un talent supérieur ait pris peine ou plaisir à rassembler 1, ordonner, animer tant de matériaux de bonne

1. Je tiens à remercier ici M. Roger Pierrot, avec qui j'ai « parlé » certaines parties de cet article, et dont le vaste et sûr savoir a laissé peu de mes questions sans réponse.

2. Après, dit-il, les Vies par André Billy (1944, 2 vol.) et Stefan Zweig (trad., 1950). Cette activité consolait Marcel Bouteron, dans les derniers temps, de n'avoir pas vu créer à la Sorbonne ou au Collège de France cette « Chaire Honoré de Balzac » qu'il avait appelée de ses voeux.

3. Balzac et le monde slave, H. Champion, 1933, pp. 313 et suiv. — Voir aussi Th. Marix, Franz Liszt et Honoré de Balzac, Paris, 1934.

4. La lettre de Buloz citée p. 308 figure dans la thèse de M. Regard sur Gustave Planche (1956, p. 174). Etc.

5. A.M. dédie son ouvrage à sa femme, qu'il remercie dans sa Note liminaire. — Mme de Lamartine avait préparé les Extraits pour l'Histoire des Girondins.

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qualité. Il s'inspire tour à tour d'une notice et d'une préface, d'une anecdote et d'une analyse, etc. dont il dépend plus ou moins 1. Et si nombreuses et diverses que soient ces voix, il réussit, dans l'ensemble, à demeurer le maître du choeur.

B. et les siens s'y font souvent entendre. De ces citations et des autres (et des faits et des considérations), plusieurs sont si connus qu'en les voyant venir de loin, on a envie de changer de trottoir. L'auteur aurait pourtant eu tort de les mettre de côté. Et il nous dédommage par bien d'autres textes qui ne courent point les rues, et par le bonheur de ses commentaires. Ainsi pour cette lettre de la p. 72 où l'on « entrevoit » en effet « le romancier essayant ses ailes ». Parfois l'on est tenté de comprendre autrement. P. 125, je me suis laissé dire que la maîtresse à laquelle le père de B. se dit « accoutumé » (f° 35 et non 34) n'est pas une villageoise, mais l'allégorie de la santé... (Ainsi « le Séquestré de Lesdiguières » (46) s'était enflammé pour une « jolie femme », « Mlle la Gloire » 2.) Que penser aussi de ces mots de Laurence, à qui l'on vient de reconnaître « esprit » et « jugement », sur « ce monsieur Nacquart », ses « grands airs », ses « grandes prétentions » et son « petit talent» (72) ? On aimerait ne pas attendre si longtemps que soit rétablie notre confiance en l' « admirable » médecin de la famille (511). (Mais si Laurence avait vu assez juste ?) 3.

« Savoir citer, c'est créer », disait l'auteur de Port-Royal. Mais A.M. crée aussi par lui-même, et tout concourt à l'agrément, à la vivacité de son récit. Une invention verbale plus libre que jamais 4. Des images heureuses : « Il tapissait l'avenir de chefsd'oeuvre », « il déplie les âmes des femmes sans les froisser » etc. J'ai surtout goûté la phrase, que l'on voit si bien sortir de la citation précédente, sur le Priape du jardin (210 ; encore que l'idée ne soit pas très juste, des rapports, d'étroits rapports reliant — on s'en aperçoit de plus en plus 5 — les Contes drolatiques au reste de l'oeuvre). Et cette fin de chapitre sur la peau de chagrin, devenue aussi petite « qu'une feuille de pervenche rose » (588 ; cf. 569) ! J'ai entendu naguère A.M., dans un discours académique, évoquer d'une voix douce, aux modulations pénétrantes, les obsèques de J. Cocteau à Milly-la-Forêt : morceau d'une exquisité si peu fu1.

fu1. A.M. oublie les guillemets. Telle notation de la p. 586 se trouvait chez A. Billy. La phrase sur le Christ de Girardon etc. (602) vient tout droit de l'Album Balzac. Mais qui jetterait la première pierre au coupable ?

2. Corresp., éd. R. Pierrot, t. I, p. 60-61.

3. P. 41, on serait volontiers plus sceptique encore qu'A.M. sur un témoignage de Laure : les « fugitifs succès féminins " du tout jeune Balzac ne sont-ils pas démentis par des textes que l'on peut lire pp. 54, 74, 80, 153 ?

4. Emploierai-je désormais, à l'instar d'A.M. (303, 396, 538), naguère à propos d'un fait que quinze ou vingt ans (grande mortalis...) séparent du présent ? Je ne sais pas...

5. Voir tout récemment l'article de Roland Chollet (L'Année balzacienne, 1965, pp. 93 et suiv.).


LE « BALZAC » D'ANDRÉ MAUROIS 659

nèbre, où la pensée de la mort n'est plus qu'une aile invisible qui soulève toute chose, l'empêchant, selon le voeu du poète, de peser ou de poser... Pour les obsèques de B. (598-599), que n'a-t-il suppléé par l'imagination à l'absence, au lieu de laisser parler, fort bien du reste, Victor Hugo presque seul ?

Quel spirituel portrait aussi du roi du « pays des mirages » (472), B. l'illusionniste, avec ses hypothèques sur les brouillards de la Seine ou de la lune et ses traites sur la Banque des Chimères ! Adopter en apparence l'optique d'un tel calculateur aboutit à des effets irrésistibles. Verve, humour... « Si, stratégiquement, B. était richissime, tactiquement il ne pouvait faire son échéance de fin de mois » (311). La merveille est que ce narrateur si détaché réussit à nous affecter quasi-physiquement par l'écroulement des murs des Jardies, la marée montante des dettes, la baisse verticale des actions du Nord...

« B. moraliste », lisons-nous p. 447, « sème négligemment son texte d'aphorismes dignes de La Rochefoucauld ou de Chamfort ». En maints endroits l'auteur de cette Vie prend, lui aussi, un peu de recul pour juger, généraliser. En fait de sentiments : « Quand on aime tout, c'est que l'on aime ». « La mélancolie est une forme active de la coquetterie ». « Un homme très jeune croit presque toujours aux lettres d'amour qu'il écrit ». Dans l'ordre intellectuel : « Les génies, étant de même signe, ne s'attirent pas ». Plusieurs traits viennent à A. M. d'un milieu qu'il connaît bien : « L'homme de lettres est un oiseau facile à prendre pour une oiseleuse expérimentée. » « Les amis d'un écrivain lui recommandent toujours de ne voir personne — sauf eux » etc. Sans doute l'arc de l'esprit est plus ou moins tendu, la flèche va plus ou moins loin. Mais le Français aime ce genre d'observations, trop courtes pour ralentir le récit.

Celui-ci va d'un cours assez rapide, sauf dans ces deux chapitres sur la Comédie humaine où il s'étale et stagne un peu. Cette exposition d'idées pourrait s'étoffer de maintes indications que l'on rencontre en d'autres parties du livre. Et l'on a hâte de rentrer dans le courant.

Qui ne se rappelle ce passage des Fiancés où Manzoni compare le romancier au berger qui doit ramener à l'étable tout son troupeau ? Cela ne va pas sans peine, il y a toujours une brebis à la traîne. Ce genre de difficultés, A.M. le retrouve dans la Biographie de B., où les oeuvres sont aussi, sont plus embarrassantes que les personnages. D'où ces transitions et « retours en arrière » qu'on s'amuse à relever : « Il est intéressant de savoir que » (329) ; « on se souvient », « nous avons dit », « il faut revenir avec plus de détails sur » (532). Au total on ne pouvait mieux s'en tirer.

Ce que l'on reprocherait plutôt à A.M., c'est de trop compter


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sur l'activité d'esprit du lecteur. Les rênes flottent, on saurait gré au conducteur de les rassembler parfois d'une main plus ferme. Il laisse l'image se faire en nous à l'aide des traits qu'il nous fournit ici et là. Que ne compose-t-il plus souvent un portrait achevé ? (Dans l'ordre plastique, l'iconographie l'intéresse, mais modérément.)

In fine, alors qu'il semble avoir congédié ses acteurs, A. M., à l'exemple d'A. Billy, ajoute un Epilogue, qui serait à compléter. Où est morte Madame Mère ? Aux Andelys. « L'aigle des aigles » lui-même, ce « gredin » de Montzaigle (beau-frère de B.) est perdu de vue, malgré les renseignemnts qu'apportent sur lui le Journal de Sophie Surville, publié par M. Lorant, et la monographie de M. Havard de la Montagne 1.

Faut-il le dire ? Je me serais passé de certaines épigraphes. On se croirait revenu au temps du romantisme, tant le biographe paraît s'être piqué de ne laisser ni une Partie, ni un chapitre, dépourvus de cet ornement. Sauf une douzaine 2, elles sont de B. ; plusieurs excellentes, d'autres moins topiques. Voici la première, de B. : « Entre Faust et Prométhée, j'aime mieux Prométhée. » Ceci louche au titre du livre sur quoi je dirai mon sentiment 3.

Modeler des êtres, les animer du feu céleste, B. eut ce pouvoir, mais il n'a pas été le seul : lui-même, dans la Cousine Bette 4, il ne nomme pas moins de sept Prométhées, une Pléiade : Milton, Virgile, Dante, Shakespeare, le Tasse, Homère et Molière. Que B. ait possédé ce don éminemment, d'accord 5. Mais est-ce le créateur seulement que l'on montre dans cette Vie de Balzac ? Il s'en faut de beaucoup. Et comment l'homme est-il traité fort souvent? Avec une indulgence attendrie ou doucement moqueuse : parle-ton ainsi d'un Titan ? 6

Prométhée n'est pas le seul puni qu'évoque A.M., en veine d'allusions mythologiques. Au chapitre XXIV, dans un titre camusien apparaît Sisyphe. Au ch. XXXI, Tantale, mais l'objet de sa convoitise n'était-il pas plus proche que ce n'est le cas pour B. ? Le dernier chapitre, si émouvant, fait penser à la réflexion de Baudelaire sur la fin d'Hoffmann, qui mourut en atteignant à la prospérité 7 ; mais l'on aurait à dire et sur son titre et sur sa phrase finale.

1. L'Année Balzacienne, 1964, pp. 83 et suiv.; et ibid., pp. 39 et suiv.

2. Empruntée à Vauvenargues, Delacroix, Hugo, Flaubert, Alain, Proust, Thibaudet, Fr. Mauriac, G. Picon, R. Barthes.

3. Se rappeler que Shelley, dont A.M. a publié une Vie en 1923, avait écrit un Prométhée délivré.

4. Ed. de la Pléiade, t. VI, p. 321.

5. Quant au Révolté, si l'on ne voit guère B. dans ce rôle, on y voit encore moins Virgile. Preuve que B., bien qu'il parle du commun «péché» de ces écrivains, ne sentait pas très vivement cet aspect du personnage de Prométhée. Rappelons au moins le mot de V. Hugo, qui va si bien à B. : « Prométhée [...] de lui vient la race des lutteurs » (William Shakespeare, 5e éd., 1869, p. 190).

6. Voir aussi infra p. 664-665.

7. Ch. Baudelaire, Critique littéraire et musicale, éd. Cl. Pichois, Bibliothèque de Cluny, p. 56.


LE « BALZAC » D'ANDRE MAUROIS 661

A.M. a divisé la vie de B. en quatre Parties : « la montée » (jusqu'en 1829) ; « la gloire » (jusqu'en 1836) ; « la Comédie humaine » (jusqu'en 1842) ; « le chant du Cygne ». Ce titre-ci désigne également un chapitre, le XXXVIe, qui traite du diptyque des Parents Pauvres. Convient-il aussi bien à une Partie ? On peut en douter. B. n'appartient pas à la lignée des Virgile, des Fénelon, des Lamartine. La locution ainsi mise en vedette n'est pas si fruste que toute idée de l'oiseau soit effacée et qu'on n'imagine encore faiblement cette blancheur, ce long col, cette vénusté, qui ne sont pas précisément les attributs d'un taureau (même si le maître des dieux a pris l'une et l'autre forme pour ses desseins amoureux). La troisième Partie s'intitule aussi comme un chapitre et même comme deux (les XXIXe et XXXe), sans qu'on en voie bien les raisons. Sans doute cette période est-elle intensément productive. Mais l'édifice de la CH. enjambe ces limites. Son ciment même, le retour des personnages, a commencé d'être employé auparavant.

Le titre de la seconde Partie nous plaît moins encore. Qu'est-ce que cette vie de grand homme, où « la gloire » brille entre la trentième et la trente-septième année ? cette échelle où « les premiers regards de la gloire » s'aperçoivent au dernier degré de « la montée », mais où le premier degré de « la gloire » nous confronte aux « années d'apprentissage » ? En fait, Mme Carraud n'accorde à son ami, en mai 1832, que la « célébrité ». B. lui-même, peu après, attend encore de l'avenir cette gloire dont, dit-il, « je commence à ne plus trop désespérer ». (La citation de Fontaney p. 211 n'est pas tout à fait exacte.) A.M. lui-même fait la distinction (192) : « Sa soif de gloire avait été telle qu'il buvait à longs traits le succès. » Etait-il donc si difficile d'appeler cette seconde Partie sinon « Le succès », du moins « La célébrité » ? On n'aurait rien eu à redire, et l'on n'aurait pas contredit de grands témoins. Ainsi V. Hugo : le père de la Comédie humaine est entré « le même jour dans la gloire et dans le tombeau » (599) ; ainsi Barbey d'Aurevilly : « mort comme Moïse », il vit « sans y entrer le Canaan [...] de la gloire » 1.

Dès le temps de B., la réputation dépendait en grande partie de la publicité. L'auteur de la Peau de Chagrin se fait fort en 1831 d'obtenir de bons articles dans dix périodiques (183). A la fin de 1834, il partage avec Paul de Kock « l'honneur de voir son nom en lettres de quatre pouces de haut sur les vitres de tous les cabinets de lecture de Paris, de la banlieue et de la province » (275). Mais peu après le vent tourne. Quel symbole que ce nom de la rue des Batailles ! Les luttes de Molière, Les ennemis de Racine, ces titres pourraient être facilement transposés. Habitué, quant

1. Cité par Pierre Descaves, Les Cent-Jours de M. de Balzac, Calmann-Lévy, 1950, p. 206.


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à lui, à un autre traitement, A.M. s'étonne et souffre du comportement de la presse à l'égard de Prométhée. Il l'explique sans insister assez, semble-t-il, sur le plus important. B. eut à souffrir, à partir du procès du Lys, d'une haine fort dangereuse : le vindicatif Buloz, puissant dans la Presse et au Théâtre, le poursuivit vivant et mort. Plus on approfondira l'histoire de B., et plus on rencontrera de fils que tenait cette main savoyarde 1.

Quand il s'agit d'écrire une Vie comme celle-ci, on dispose des témoignages directs de B., de sa famille, de ses contemporains ; et aussi de traits biographiques qui s'offrent dans l'oeuvre. Les uns et les autres sont d'un emploi délicat, même ceux de la première sorte : il arrive à B. dans ses lettres etc. de se traiter comme un modèle de roman, de déformer sa propre réalité. Quant aux emprunts à la fiction, la vie du personnage n'est pas sans contaminer quelquefois celle du romancier. Ainsi à propos de la pauvreté d'Honoré dans sa mansarde : A.M. l'assimile, semble-t-il, à celle du héros de La Peau, qui vivait avec douze sous par jour (46). Que si B. recevait (45) quinze cents francs par an, nous voilà loin de compte : un quart de siècle plus tard, c'est la somme que Renan recevra de sa soeur pour un an d'études libres à Paris 2. Sur ce point, le jeune B. ressemblait moins à son Raphaël, que le jeune Hugo à son Marius.

Et puis, ces expériences prélevées dans l'oeuvre, à quel moment de la vie les situer ? Quand Honoré défia-t-il Paris du haut du Père-Lachaise ? 1819 ? (pp. 49, 122, 268) ; ou « vers 1822 » ? (p. 587). En 1819, aurait-il su déjà circonscrire entre « la place Vendôme et le dôme des Invalides » les quartiers à attaquer ? 3 Suffitil au voyageur de passer « quelques heures » à Besançon « le 24 septembre 1833 », pour deviner cette « ville secrète » où il placera quelque neuf ans après l'intrigue d'Albert Savants ? La notice de M. Bardèche s'inscrit en faux contre ce « miracle » (468) 4.

On a mauvaise grâce à discuter ainsi sur des points minimes un livre qui se prêterait si bien à ce qu'on a appelé « la critique des beautés ». L'essentiel, c'est que la grande figure de B. n'ait pas été trahie. Des admirateurs de cette Biographie se demandent pourtant si l'auteur n'a pas un peu retouché son héros d'après lui1.

lui1. dans L'Année balzacienne 1965, p. 161, une très plausible conjecture de René Guise sur le lancement de Léon Gozlan en 1836.

2. Voir OEuvres complètes de Ernest Renan, t. IX, éd. H. Psichari, Calmann-Lévy, p. 780 (lettre du 12 septembre 1845). Dans les Souvenirs d'Enfance et de Jeunesse, R. parle de douze cents francs seulement (Ibid., t. II, p. 882).

3. La date de la scène dans le Père Goriot doit cependant faire réfléchir.

4. Oc. C, Club de l'Honnête Homme, t. II, p. 174-176 ; et aussi Corresp., éd. R. Pierrot, t. II, p. 213.


LE « BALZAC » D'ANDRÉ MAUROIS 663

même. Mais si l'allure et le ton du récit voilent certains traits, ils ne les suppriment pas. B. est là épars, mais tout entier, ou peu s'en faut.

J'en dirais autant des membres de la « céleste famille » 1 où les rapports d'âge (cas plus fréquent autrefois qu'aujourd'hui) étaient bouleversés. Famille originale pour ne pas dire plus : le père, avec son dada de longévité, vampire des arbres dont il boit la sève ; la mère magnétisant sa fille, le fils consultant le sorcier Balthazar (un autre que Claës), etc. Famille qui avait « de l'encre dans le sang » (579). Famille enfin qui eut sa grandeur 2 et sa décadence, sans que le biographe s'appesantisse sur les causes et les responsabilités. Il mentionne les gaillardises de l'octogénaire, qui aurait engrossé une villageoise à Villeparisis ; l'on craignait un chantage (125-126). Que l'on veuille bien se rappeler le drame qui fit monter sur l'échafaud, dans le Tarn, le plus jeune frère de Bernard-François. Le chantage de Suzanne (du Val-Noble) auprès de Du Bousquier, dans La Vieille Fille, se dénoue, lui, à l'amiable.

Toute cette « histoire d'une famille » est attachante. On partage le plaisir de « naturaliste » qu'éprouve A.M. à y observer, à certains intervalles, un retour de situation : soit que Mme Balzac, à l'époque de Vautrin, répète ce qu'elle sentait et disait en 1820, soit que sa fille, puis ses petites-filles reproduisent le comportement de la génération précédente (396,580).

Le père avait cinquante-trois ans, et la mère vingt et un, quand Honoré vint au monde (pour Baudelaire, ces chiffres sont de soixante-deux et de vingt-huit). Quelles furent son enfance, son adolescence ? Nous ne les voyons pas tout à fait avec les yeux d'A.M. Ne pas trop les modeler sur celles de Félix du Lys ne suffit pas. Il faut aussi compter, semble-t-il, avec un mythe personnel de B., une image noircie que les circonstances et on ne sait quel instinct de fabulation l'ont amené à former pour son usage et celui d'autrui. On voudrait pouvoir oublier ces paroles, dans une lettre à l'Etrangère (476), du 17 octobre 1842 : « ... ma mère. C'est à la fois un monstre et une monstruosité ! [...] Nous l'avons crue folle ; [mais le Dr Nacquart nous a dit : ] elle n'est pas folle, elle est méchante ! » Et ceci que je tire du vol. Lov. A 356, p. 47, note manuscrite d'A. Fessart : « Elle était pour lui mauvaise comme une gale, cette expression est de lui. » J'ai besoin, je l'avoue, de

1. L'expression revient chez A.M. une quinzaine de fois.

2. A propos des grands-parents Sallambier, A.M. écrit : « Le Marais faisait route vers l'Institut " (10). Eh ! il fournissait l'Institut. Il résulte d'un chapitre de Jacques ROUCHÉ, Documents sur l'habit vert, que lorsqu'un arrêté consulaire (1801) eut fixé le costume des Membres de l'Institut, l'un des marchands auxquels on s'adressa était un citoyen Sallambier (ou Sallembier) (Voir Institut de France, Académie des Beaux-Arts, Bulletin n° 1, janv.-juin 1925, p. 133-134). Ce commerçant n'est-il pas Marie-ClaudeAntoine Sallambier, oncle maternel d'Honoré (Voir A. Billy, Vie de Balzac, I, 18) ? Mais B. candidat à l'Académie française ne fit pas valoir ce titre.


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changer d'air au plus vite, de rouvrir la Correspondance de 1832 ; excès pour excès, je préfère celui-ci : « Je suis tombé dans l'attendrissement le plus profond en lisant la lettre que tu m'écris, et, après une heure pendant laquelle je t'ai adorée, etc. » 1

N'est-il pas clair que cet impulsif imaginatif va aux extrêmes, selon les vicissitudes de tout commerce prolongé ? Il lui arrive de se radoucir dans une même lettre. A.M. ne cite p. 577 que les duretés 2, mais comment le fils termine-t-il la semonce ? Sur ces mots : « ... je t'embrasse cordialement, la paix bien faite » 3. Laure Sallambier a eu ses défauts, ses travers, ses torts, mais qui nierait son dévouement envers ce fils à qui elle a fait tant de sacrifices ? On n'est pas obligé de la croire sur parole, je reproduirai pourtant cette phrase d'une lettre à Honoré de juillet 1849 : « Toi qui sais si bien faire parler les femmes, fais-toi mère et que ton coeur déborde, et tu n'exagéreras pas mes sentimens. » Et cet autre, du mois de novembre suivant : « ... ce que je souffre par mes inquiétudes [...]. Quand donc le mal de mère me quittera-t-il ? » 1 Certes, l'on ne manquerait pas d'éléments si l'on voulait composer une « Apologie pour Mme Laure ».

A.M. est pris entre un sentiment de justice pour la mère (202 etc.) et son faible pour le fils. Il se représente un B. de huit ans, « mélancolique et silencieux », et gardant de la vie en famille « une pénible défiance de chien battu » (19-20). Vraiment ! Si sa mère ne l'a pas « étouffé de caresses » (577), c'est aussi peut-être que l'éducation des enfants était alors plus rude : que l'on songe à l'austérité d'un Règlement comme celui du Collège de Vendôme. Dès le milieu du siècle dernier, le fait est à noter, les choses avaient commencé de changer : « dans beaucoup de familles », écrit Laure Surville, on met eu scène les enfants, on leur fait jouer un rôle important. Il n'en était pas ainsi aux alentours de 1800 : « on les laissait enfants et on les formait avant tout au respect et à l'obéissance » 5. — Quant à la souffrance particulière qu'aurait causée à Honoré l'amour excessif de sa mère pour le benjamin, croirons-nous qu'il ait « su » dès quatorze ans le secret de cette préférence (108, 31)?

A.M. choisit volontiers un signe ou un objet dont la mention, intentionnellement répétée, impose une présence : ainsi du lorgnon de Tchékhov, dans une Conférence que j'ai entendue. Ici, B. lui a offert, dans cette lettre du 22 mars 1849, un détail dont il s'est saisi : une allusion aux « regards irrités et fixes avec lesquels

1. Corresp.. éd. R. Pierrot, t. II, p. 65.

2. Voir déjà G. Picon, Balzac par lui-même, aux éditions du Seuil, 1956, p. 31.

3. Lettres à sa famille (1809-1850), éd. par W.S. Hastings, Albin Michel, p. 340. (Il est vrai que B. a besoin de sa mère pour ses affaires de Paris.)

4. Ibid., p. 420, p. 470 (nul doute que B. n'ait, malgré l'accent émouvant, remarqué le calembour).

5. Laure Surville, Balzac. Sa vie et ses oeuvres, etc., 1858, p. 4.


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[Mme B. mère terrifiait ses] enfants quand ils avaient quinze ans » (577). Michelet n'a pas été plus impressionné par une reine : « Marie-Antoinette séduirait fort, n'était le bleu trop bleu de l'oeil, le regard fixe à faire baisser les yeux [...] La fée [...] nuit trop à la mère » 1. Il faut voir comment A.M. conduit ces deux séries : les yeux noirs, étoilés du fils, et l'oeil glaçant et « bleu foncé » de la mère (16, 84). Celui-ci est évoqué encore quelques lignes avant la fin, et peu s'en faut que le livre ne se termine là-dessus, comme certains films par un visage en gros plan, qui tient le public rivé à des yeux fixes... Seulement, ces yeux si durs de Mme de B., ils ont dû pourtant s'attendrir, le jour par exemple où elle reçut cette lettre de son aîné (1er septembre 1832) : « Adieu, ma mère chérie [...], je te serre dans mes bras et te baise sur tes chers yeux » 2.

En somme, et quoi qu'il en ait dit plus tard, les jeunes années d'Honoré ne paraissent pas avoir été si malheureuses. Parler d'une adolescence choyée, gâtée, serait excessif, moins pourtant qu'on pourrait le croire. A.M. montre B. arrivant rue Cassini « le coeur brisé » (128) et à Fougères le « coeur meurtri » (136). Plus loin encore, il le représente (inexactement, selon nous) comme un « pauvre enfant meurtri, candide, qui a besoin d'une protection maternelle » (206, 282). Ne demande-t-il pas qu'on vienne le prendre à Angoulême pour le mener à la Poudrerie ? « aussi embarrassé [...] que pour se rendre en Chine » ! Ce qui ne l'empêche pas de s'aventurer tout seul jusqu'à Aix... Non, si réelle que soit la dualité de B. (117, 150, 282, 329, 422), on ne voit pas comment mettre dans le même « sac de peau » le « pauvre enfant » et l'aspirant-dandy qui conduit comme un fou son cabriolet de luxe (ainsi ferait-il aujourd'hui d'une automobile).

C'est en un autre sens, selon nous, que B. est resté enfant. Une vérité qu'A.M. a développée avec bonheur, c'est que chez B. « la frontière entre l'imagination et la vie n'a jamais été clairement tracée » (285). « Si nous rêvions toutes les nuits la même chose », a écrit Pascal, « elle nous affecterait autant que les objets que nous voyons tous les jours. » Le rêve éveillé du romancier se poursuivait d'une nuit à l'autre : deux mondes également réels, ou également fictifs. Dans ces conditions, que l'imaginaire se soit épanché dans la vie n'a rien que de naturel. Seulement, jusqu'à quel point B. croyait-il lui-même à ce qu'il racontait à Gozlan ou à Gautier (qui en ont peut-être rajouté), à George Sand, à tant d'autres ? « Il est tout à fait fou », écrivait en septembre 1840 la mère de Maurice Dupin. « Il a découvert la rose bleue pour laquelle les sociétés d'horticulture de Londres et de Belgique ont promis cinq cent

1. Cité dans notre Michelet interprète de la figure humaine, p. 25.

2. Corresp., t. II, p. 106. C'était une manière de faire et de dire « tribale ", selon l'adjectif d'A.M. — Laure, qui n'en est pas à un faux près, arrondit ainsi la phrase : " ces chers yeux qui veillent pour moi. » (Op. cit., p. 123).


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mille francs de récompense 1 ». Pensait-il vraiment que tel vase en sa possession dans son « cabinet d'aisance » de la rue Fortunée, avait appartenu à la Pompadour 2 ? N'était-ce pas, comme disent les philosophes, l' « activité de jeu » d'un Gaudissart et d'un enfant ? « Ce gros enfant bouffi de génie et de vanité », écrivait de B. Baudelaire (452), et B. de lui-même : « ma crédulité d'enfant » (329). L'enfant croit-il aux fables qu'on lui dit ou qu'il se dit ? Oui et non. La crédulité, un acquiescement qui ne s'examine pas a plus de charme pour lui que n'en aurait la défiance. Rien ne ressemble plus aux projets illusoires du jeune âge que cette expédition à SaintDomingue où B. voulait entraîner Gautier et Sandeau (376).

Le voyage en Sardaigne fut accompli, mais dans quelle disposition d'esprit ? De Marseille, B. écrit : « C'est toujours au moment où l'on touche au dénouement qu'on commence à ne plus croire » (Ibid.) S'arrêtera-t-il ? Non (et Baudelaire, pour le nommer encore, apercevrait ici l'intervention du diable), il ira de l'avant, pour voir malgré tout, par un goût pervers du risque, en affrontant l'idée de la perte à réparer. Sa vie, dit fort bien A.M., « n'est-elle pas un roman ? Il la corrigera sur épreuves » (347). Et puis, s'il ne trouve pas de l'or au bout de l'aventure, peut-être fournira-t-elle un sujet d'ouvrage qui vaudra de l'or.

— Nonobstant tous ses échecs, nous déclare-t-on, B. voyait juste, il était même « l'Infaillible » (sic, 521) dans la conception ; seulement, il ne savait exécuter ; les entreprises dont il avait eu l'idée ont prospéré, mais en d'autres mains. Que ce soit vrai pour certaines, je l'accorde ; mais j'ai peur qu'en cette matière comme pour les ex-voto, on n'oublie les noyés. En tout cas, dans l'exécution même, on peut être grand écrivain et s'y montrer moins inhabile. Laissons de côté les Cicérons ; il est des formes d'action plus modestes que la grande politique, et où Hugo conduisit — pour emprunter une image à A.M. — un peu mieux sa «barque» que Lamartine ou Balzac.

Le surprenant, dans le cas de ce dernier, c'est que ses déboires, que dis-je, ses désastres ne l'aient pas privé de tout concours. Pour lui, les bourses se déliaient, certaines plusieurs fois, les moins fortunés « se saignaient ». La fascination de B., ce n'était pas un vain mot (son biographe lui-même l'a subie). On ne résistait pas aux boniments de ce Gaudissart III appuyés de son regard hitlérien. Il est vrai qu'il suffit de promesses démesurées, fût-ce en prospectus, pour récolter des souscriptions de dupes. Surville luimême, le beau-frère, a connu de tels succès.

Ce genre d'imaginatif qui éblouit les autres est facilement ébloui lui-même. On sait combien la noblesse, sous tout régime, sous

1. Cité par R. Pierrot, « Sur les relations de George Sand et de Balzac », dans Revue des sciences humaines, octobre-décembre 1959, p. 445.

2. Voir A. Billy, op. cit., t. II, p. 319.


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tout climat, en a imposé à B. ; depuis qu'il béait, jeune homme, devant les calèches armoriées et l'habit bleu des pairs, jusqu'à la conquête de la comtesse étrangère, de laquelle il fut si glorieux de pouvoir dire enfin : « ma femme ». Le de usurpé ne lave pas les vilains, surtout lorsqu'ils ont des revers de fortune. On devine dans la famille et chez les amis le sentiment que la réussite d'Honoré ici-bas, c'était le mariage avec cette grande dame, châtelaine en Russie, belle et riche : un conte de fées. Que dis-je ? Il n'est que de l'entendre lui-même : « Si je ne suis pas grand par la Comédie humaine, je le serai par cette réussite, si elle vient » 1.

A notre surprise, A.M. ne veut pas que B. ait évolué vers le légitimisme pour des raisons mondaines (166, 432). Je ne sais si, en écrivant la brochure sur le Droit d'aînesse, il s'est convaincu luimême (104) (pourquoi pas ? n'était-il pas l'aîné de ses frère et soeurs ?2 ) ; mais il s'est fait, c'est certain, une doctrine (le royalisme s'est prêté de tout temps aux systèmes) sur la valeur de laquelle l'Autriche et la Russie ont pu le rassurer. Car pour la France, du moins au lendemain de 1830... Le pouvoir fort, était-ce celui dont les trois journées avaient eu raison ? B. se savait du « parti vaincu » (228), et s'il ne croyait pas plus à ses chances que le vieux Chateaubriand, il avait, lui, trente-trois ans : son fourvoiement était plus grave.

Il ne semble donc pas indiqué de prendre le contre-pied de l'opinion courante. Aussi bien A.M. l'admet-il quand il cite, plus loin, cette assertion de M. Regard : La politique, chez B. « est d'essence sentimentale » (555). Son choix répondait à des exigences vitales. Il faut relire ce passage de la Peau qu'A.M. cite p. 152 (et même une deuxième fois p. 182, ce qui n'était pas nécessaire) : cet hymne à « l'amour dans la soie » va de pair avec l'épigraphe de la page 245 : « La vanité, sans laquelle l'amour est très faible... » La société légitimiste, pour B., c'était sa jeunesse, maintenant libérée, par l'exil de la branche aînée, des réactions bourgeoises contre le régime du trône et de l'autel. Fait typique : B. ne faisait cas, dit Mme Carraud, que des éloges d'une seule classe (214) : comme ces écrivains d'aujourd'hui qui se soucient peu (j'en connais) d'être loués ailleurs que dans un certain hebdomadaire. Ecoutez B. à Vienne, conversant avec la princesse de Metternich : il se déclare « royaliste enragé » 3... J'ai vraiment peine à croire que sa politique ait eu ses racines les plus solides dans ses « réflexions sur le com1.

com1. à sa famille, p. 355 (22 mars 1849). C'est nous qui soulignons.

2. « Je suis ton glorieux fils aîné » (1849, ibid., p. 339).

3. Corresp., t. III, p. 678 n. 2. — En relisant l'autre jour Sur Catherine de Médicis, j'ai rencontré ce passage : Catherine " lui tendit sa main, si célèbre par sa beauté, mais en la dégantant, ce qui pouvait passer pour une marque de faveur ; aussi Christophe devint-il tout à fait royaliste en baisant cette adorable main » (Edition du Centenaire, Calmann-Lévy, p. 243).


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portement humain... » (180). Non, ce sang si rouge appétait violemment le sang bleu. Que faire à cela ?

Si B. n'eut pas sa marquise, pourtant les succès féminins ne lui manquèrent point. « Les belles dames », nous dit-on, « écoutaient fascinées » (165). A la page 484, ses « récits merveilleux » lui méritent le nom d' « Enchanteur », mais il me semble que la place est prise. Voici Mme de B. « l'ange blanc » (222), très positive cependant : n'endoctrine-t-elle pas son amant de vingt-trois ans sur « l'argent [qui] est tout » (78) ? Voici la plébéienne Zulma Carraud, une amie qui aimait H. d'amour (208, 224). A.M. trouve « étrange » qu'elle; ait donné à son second fils le nom de Yorick ; mais on avait dans la famille le goût des prénoms rarissimes. Si celui-ci fut choisi, est-ce « par amour de Sterne, donc de B. » (272) ?

Quant à Mme Hanska — cette fois le château n'était pas en Espagne —-, nul n'ignore les tribulations par lesquelles B. est passé avant d'obtenir sa main. A.M. s'est attaché à en suivre les répercussions sur le travail du romancier. L'espoir jouait le rôle du café, qui n'agissait plus ; les mauvaises nouvelles entraînaient une prostration qui surprend chez ce héros de l'énergie 1, chez cet inépuisable créateur. B. lui-même se pose des questions (à propos d'Honorine) : « La sobriété du style est inquiétante... peut-être est-ce pauvre » (473) ; peut-être cela traduit-il la diminution de cet afflux d'idées qui donnait au roman balzacien son épaisseur. A.M. admet, mais le plus tard possible, le déclin du « sur-romancier » (418). Bette et Pons, dont les sujets plaisaient à l'auteur (518), sont en effet de grandes oeuvres ; mais reflètent-elles seulement « le pessimisme du désenchanté » (541) ? Elles sont taillées dans cette étoffe noire qu'était devenue, sourdement, la vie organique de l'écrivain. Dès 1842 B. est inquiet de l'état de son coeur. Il a des hébétudes — comme à Vendôme. Le biographe, Nacquart optimiste, dit à son malade : Vous avez « tort de craindre » (472). Mais le malade hoche la tête.

Ah ! ces huit dernières années, comment les comprendre ? Est-ce bien la tyrannie d'un sentiment qui en donne la clef ? Supposons que M. Hanski ne soit pas mort : B. romancier en aurait-il mieux continué sur sa lancée ? Ce n'est pas certain. L'amour « strangulatoire », oui, mais chez un cardiaque en proie à des « strangulations » (582) moins métaphoriques. L'obsession de l'Etrangère fut la forme sous laquelle s'est manifesté l'affaiblissement du génie créateur 2; il aurait pu se manifester sous une autre. B. n'a pas été vaincu par son Démon de Midi : il s'est livré. Il n'est plus gardé, captif volontaire, par ses personnages. Ce célibataire a trouvé une

1. Une idée très intéressante, à la p. 609. Cette énergie qui anime la C. H., c'est celle qui s'était accumulée sous la Révolution et l'Empire, et que les régimes d'après 1815 refoulèrent. En somme, deux Confessions de l'Enfant du siècle : celle de Musset et celle de Balzac, l'élégiaque et l'héroïque.

2. Non que j'oublie certaines prouesses, comme celle que rappelle René Guise, (L'Année balzacienne 1964, p. 331).


LE « BALZAC » D'ANDRÉ MAUROIS 669

famille toute faite, où il est mari et beau-père avant la lettre du contrat. Enfin il se détend. Prométhée n'est plus qu'un homme heureux qui traverse l'Europe avec les autres Saltimbanques1 : le père de la C. H. a vécu alors son roman comique. En attendant que la Révolution de 1848 et le marasme consécutif des affaires littéraires et théâtrales lui fournissent, pour les autres et pour lui-même, de quoi justifier cette sorte de démission. L'heure est venue de l'hégire en Ukraine, et de cette existence si douce, malgré les souffrances, dont il dira, en employant un substantif lourd de sens sous sa plume : « Jamais je n'ai été dans ma sphère comme là ». Symbolisme du vêtement : une robe de chambre asiatique, en termolama, avait « destitué les robes blanches des Chartreux » 2.

Année climatérique, cette année 1842, et pour B. par la nouvelle du décès de M. Hanski, et pour la Monarchie de Juillet par la disparition du duc d'Orléans. Chez B., « l'imaginaire pâlit » (541). Il est las de vivre par procuration, il s'aime mieux que ses créatures, il veut avoir son « rêve réel » (530), les choses mêmes, et non plus seulement leurs images. Il écrit cette CorrespondanceJournal, son roman à lui 3 ; il fignole pour sa propre jouissance le décor du bonheur. Sa Comédie n'a-t-elle pas été à son heure un « nouveau roman » ? les objets y tiennent tant de place ! Certains ont une valeur de fétiches, comme pour Flaubert, cet autre puissant imaginatif. Mais cette miniature, cette bague, ce paysage que le locataire de la rue Basse a sous les yeux, n'ont-ils rien de funeste ? En aidant la « voyance » qui supprime l'espace selon les idées de Morillon et de Lambert, ces signes ne font qu'aviver le Désir... Et puis, ce parfum qui rend fou ! Odoratus impedit cogitationem, disait Saint Bernard. Qu'est-il devenu, l'auteur du Traité de la Volonté ? Il n'a plus de persévérance qu'au service d'une « idée fixe », qui n'est pas d'achever la construction de son oeuvre.

« Et le riche métal de [cette] volonté

[Fut] tout vaporisé par ce savant chimiste » (Satan).

Nulle épigraphe ne conviendrait mieux à cette histoire que ces deux vers de la pièce liminaire des Fleurs du Mal.

Celle qui se faisait ainsi l'agent du Malin offrait un mélange assez baudelairien de mysticisme et, à plus forte dose, de sensualité. Pourquoi Eveline a-t-elle finalement dit oui ? Aurait-elle épousé un B. fringant et fêté ? Sans doute, pour l'enlever aux rivales. Mais dans l'état où était son vieil amant, si elle se décida, ce fut par amour, par admiration, par charité (584). Le savait-elle condamné ? Oui, selon André Bellessort, aux yeux de qui la pitié suffit à tout ex1.

ex1. Mme Hanska, sa fille Anna et son gendre s'étaient affublés de surnoms tirés de la parade des Saltimbanques.

2. Lettres à sa famille, p. 477 et p. 445.

3. Il n'en note pas moins, dans une de ces lettres : " Je n'écris tant, que parce que je ne fais rien ".


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pliquer 1. — Je voudrais m'arrêter un instant sur ce sujet toujours débattu et qu'il est possible, je crois, de cerner d'un peu plus près.

A condition, si l'on recourt aux Lettres à sa famille, de bien se rendre compte que ni B., à Wierzchownia, ni sa mère, à Paris, ne doivent être crus sur parole. Deux citations éclaireront l'état d'esprit du premier : «Tâche [...] de déraciner en [un familier] l'idée absurde qu'on lui a fourrée en tête sur les prétendus millions dans lesquels je nage. » Et : « On ne fait que trop de contes sur ma maison, et cela me fait le plus grand tort vis-à-vis de mes créanciers » : vis-à-vis du petit père Dablin lui-même, qui s'offusque maintenant de la richesse de son débiteur, et plus encore de ces objets d'art de la maison Fortunée, dont il craint que sa propre collection ne soit éclipsée 2 : jalousie de « petit-bourgeois », comme nous dirions. — De son côté, Mme B. mère est chapitrée pour ce qu'elle doit écrire et ne pas écrire ; elle s'efforce d'entrer dans le jeu de son fils, et elle reçoit, selon le succès, de bons ou de mauvais points. (La maladie et les inquiétudes d'Honoré ne le portent pas toujours à l'indulgence.)

Il faudrait aussi, pour éclairer la question, remonter jusqu'à l'année 1846 : « fiançailles » 3 ; mariage d'Anna et de Georges ; acquisition de la maison. Je parlais tout à l'heure d' « objet », et c'est bien un objet en effet qui dirige à distance ces destinées. Un objet, et ce nom de « Fortunée » : quelle fascination, pour deux femmes surtout, la mère et la fille, qui se prenaient si facilement aux noms ! Quelques défauts qu'eût le local, il était un aimant : artifice très balzacien, et qui réussit.

Dans le dernier et long séjour en Ukraine, quel rôle l'amour physique pouvait-il jouer encore ? Les étouffements rappellent à l'ordre un malade à qui les médecins de Paris interdiront « les mouvements un peu énergiques et tout ce qui peut produire quelque émotion 4 ». Dès février 1849, Honoré avait écrit à sa soeur : « Hélas ! [...] mes deux dents de devant, d'en bas sont perdues [...] C'est un grand chagrin, car je n'ai encore pas ce que tu as : mari et enfants [...] l'âge augmente, les agréments diminuent. » Après tout, la veuve ne pouvait-elle se remarier avec un homme plus jeune et plus séduisant, et riche 5 ? Sachons-lui gré de sa fidélité. A.M. a publié (583) des lignes significatives sur le spectacle que donnait à la mère et à la fille, sans que leur « adorable bonté » s'en rebutât, B. couvert de sueur, crachant comme on vomit quand on a le mal de mer. Mais c'est à Kiew surtout, le mois suivant, qu'il reçut une grande preuve d'affection : pendant une vingtaine

1. Cité par Pierre Descaves dans Les Cent-Jours, etc., p. 226.

2. Lettres à sa famille, pp. 323, 330, 476-477.

3. Ibid., p. 523.

4. Les Cahiers balzaciens publiés par Marcel Bouteron, 8, p. 52.

5. Lire avec attention dans les Lettres à sa famille, celle du 22 mars 1842 à Laure (p. 348).


LE « BALZAC » D'ANDRÉ MAUROIS 671

de jours, Eveline le garda « héroïquement » en chambre parmi les mondanités de la saison dite des Contrats. Quoi qu'il eût souffert alors, B. bénissait ce « voyage de Kiew » qui lui avait révélé tant d'attachement. Cette « belle âme » est plus touchée, écrit-il, de « ces quatre ou cinq maladies successives [...] que l'affection me fait prendre en riant » 1 qu'elle n'est effrayée des 100 000 frcs de dettes, « et je crois que tout ira bien » (28 février 1850).

Il était sûr des sentiments des Mniszech, qui ne pouvaient exercer à cet égard qu'une influence très heureuse. Anna l'a écrit plus d'une fois, elle considérait B. comme un père bien avant la cérémonie du 14 mars 1850 ; et Anna était chérie d'une mère qu'elle idolâtrait. Cette famille qui avait adopté l'ancien écrivain était tendrement unie : « nous vivons comme si nous n'avions qu'un coeur pour quatre » 2.

Comment donc Mme Hanska aurait-elle refusé à cet ami si éprouvé la compensation suprême ? Sous quelle forme envisageaitelle l'avenir ? Ce que nous lisons d'elle ne découvre assurément pas le fond du fond. (Aussi bien, qui dans de telles conjonctures n'a ses heures d'inquiétude et ses heures d'espoir ?) Dès juin 1848, si le Dr Knothé père entreprend la guérison du malade, le Dr Knothé fils le regarde, lui, « comme fini » : c'est B. lui-même qui l'écrit à sa soeur, en ajoutant que ce jeune médecin est « imbu de nos idées françaises » sur « la morbidité incurable des maladies de coeur » 3. Mais soit que B. vécût ou qu'Eveline devînt veuve, la vie parisienne, sous les auspices de ce nom célèbre, n'était pas sans attraits. On sait quelle éventualité se réalisa, sans surprendre beaucoup, n'est-ce pas ? celle qui écrivait, le 7 juin 1850, de la rue Fortunée, que son « espérance » était de « vieillir doucement entre » sa fille et son gendre 4 : du mari — qu'elle soignait avec exactitude — il n'était point question. Eveline avait alors cinquante ans.

Elle avait fait de gros sacrifices d'argent pour la maison Fortunée 5. Le capital immobilisé (par une opération combien regrettable, maintenant que l'argent devenu rare était d'un si bon rapport) devait au moins procurer une jouissance : « Il y a trois ans », écrit B. d'Ukraine en novembre 1849, « que j'arrange un nid qui a coûté une fortune (hélas !), et il y manque les oiseaux » 6. Il fallait bien qu'ils y vinssent un jour. Quel que fût le mari, le mariage en lui-même offrait de grands avantages. Que l'on se représente le climat si dur de W., les effroyables routes, une cuisine

1. On attribuait en grande partie ce déplorable état de santé aux difficultés de l'aclimatement (Ibid., pp. 324, 508-509).

2. Ibid., p. 409.

3. Ibid., pp. 407 et 474.

4. Lettre publiée par M. Bouteron dans La véritable image de Mme Hanska, Editions Lapina, VIII, p. 48.

5. Voir par exemple Lettres à sa famille, pp. 341 et 451.

6. Correspondance avec Zulma Carraud, éd. par Marcel Bouteron, Gallimard, 1951, p. 270.


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dont la comtesse Anna se plaignait âprement, l'absence de théâtre, etc. Dans ce milieu la santé de Mme Hanska paraissait en voie de péricliter : rhumatismes, enflure des extrémités. Elle plongeait bien ses pieds dans les entrailles palpitantes d'un cochon de lait, mais B. n'avait pas de peine à lui faire entendre que le « meilleur traitement serait un autre climat, beaucoup d'exercice et les eaux de Bade tous les ans. » Or, faites donc de l'exercice en Ukraine, « pendant six mois de l'année » ! Impossible. Et quant aux cures thermales, dont l'aristocratie internationale avait une grande habitude, combien elles seraient plus faciles à une Parisienne ! (B. et sa femme, en se rapprochant de la France, se proposaient d'aller « prendre les eaux des Pyrénées » 1.)

Les sujets du tsar ne pouvaient sortir de Russie sans un passeport dont la délivrance était une grâce et demandait des délais plus ou moins longs. Les intéressés s'y prenaient à l'avance ; c'était, d'un château à l'autre, une émulation, à qui l'obtiendrait le plus vite ; on l'attendait avec impatience. La lettre à Z. Carraud 2 contient une allusion à « ceux et celles qui dans l'opulence rêvent la liberté ». Ah ! cette rue Fortunée, cette maison « doublement chère », « avec quelle ardeur », écrivait B. à Laure, ne désirait-on pas « atteindre à un résultat qui nous [y] ramènerait » !

Devenue l'épouse d'un étranger. Eveline quitta son pays sans difficulté : Balzac n'avait eu qu'à l'inscrire sur son passeport 3. De Paris, le 7 juin, elle mande à sa fille : « Jamais ma santé n'a été meilleure. Les bains d'air de France me suffisent ». Et après la mort de B., ses promenades à pied sont mentionnées dans ses lettres de façon significative 4. Est-il besoin de dire qu'elle ne retourna jamais à W. ?

Tout compte fait, il aurait fallu à Mme Hanska une solution de rechange bien engageante pour qu'elle ne devînt pas Mme de Balzac en épousant Paris.

Sur la vraie nature de cette femme, on sait comme les balzaciens sont partagés : chacun interroge l'énigmatique figure, chacun dit avec le poète : « Eva, qui donc es-tu ? » C'était, croyons-nous, une Polonaise impulsive et fort changeante, avec des sincérités successives, que dis-je ? simultanées ; à la fois secrète et facile aux épanchements. Les termes exagérés lui coûtaient peu. Elle mentait sinon (?) par fausseté délibérée, en tout cas par intérêt, par habitude, par convention, par instinct de jouer des rôles (celui d'infirmière par exemple, de « soeur grise » devant la famille et surtout devant le Dr Nacquart), quitte à ne pas se soutenir en

1. Lettres à sa famille, pp. 473, 523, 534.

2. Correspondance etc. p. 271.

3. Lettres à sa famille, pp. 478, 520.

4. Marcel Bouteron. La véritable image etc., pp. 50, 58, 61.


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l'absence de témoins, et à se lasser si le « provisoire », comme elle disait 1, se prolongeait et s'aggravait. On devine, s'il en est ainsi, combien les textes sont délicats à analyser. Cependant les apologistes ne les respectent pas toujours. Ainsi p. 593, A.M., comme Marcel Bouteron, coupe la citation après « héroïque ». La suite n'est pourtant pas moins importante : « elle se plaint de la tête des jambes c'est la fatigue 2 mon frère dit qu'elle dort très bien il paraît désirer quelqu'un pour le soigner » : c'est-à-dire que B. était mal veillé et mal soigné. Je suis plein d'indulgence pour Eveline, à condition qu'on ne s'apitoie pas outre mesure sur la pauvre femme épuisée, « anéantie par trois mois de veilles » (595) etc. etc. On raconte que B. moribond aurait invoqué le secours de Bianchon ; il aurait pu en s'alitant appeler Pauline, elle n'aurait pas délaissé son chevet, elle, non pas même après la gangrène 3.

Un document publié par M. Lorant rapporte un entretien de Mme de B. avec son mari, où elle badine sur ce qu'elle avait cristallisé autour du nom et de la personne d'H. Murger (vingt-huit ans). Le même éditeur fait allusion à quelques lignes du vicomte de Lovenjoul 4, que je citerai in extenso : « M. Duhamel fils m'a raconté que Balzac, à sa mort, était complètement brouillé avec sa femme, par suite de circonstances difficiles à préciser, mais ayant trait à ses rapports avec les domestiques mâles de la maison. [Comme en Ukraine ? 5] Mme Zulma Carraud m'avait dit la même chose ; mais elle ignorait les causes de la discorde » 6. L'auteur d'Un roman d'amour 7 semble faire état d'autres renseignements encore quant il écrit, lui si circonspect : « S'il faut en croire divers témoins et amis tout à fait dignes de foi, [B.] ne trouva pas, dans le dénouement de son long roman, tout le bonheur espéré. »

« Duhamel fils » est Laurent, le fils de la plus jeune nièce de B., Valentine. M" Carraud était demeurée en très bons termes avec les Surville. Dans son livre sur son frère, Laure ne dit pas un mot du mariage ni de l'épouse ; et elle termine en insinuant que B. a connu non le bonheur espéré, mais des « afflictions suprêmes » 8. — Cependant la mort d'Honoré n'avait point interrompu les

1. Lire dans Prométhée la phrase citée page 589 et qui, aux yeux d'A.M. lui-même, témoigne d'« un curieux détachement ».

2. Ces trois derniers mots omis par M.A. Lorant, dans L'Année balzacienne, 1961, p. 86.

3. Cf. Mme Bovary, Conard, p. 249 : « Ah ! n'importe, vieux farceur, tu ne sens pas bon. La gangrène, en effet, montait de plus en plus. »

4. L'Année balz., 1961, p. 90 et n. 1.

5. Non que je veuille voir en Eveline Hanska une autre Catherine II. Mais ses soupçons à l'endroit de la fidélité de B. ont si bien fait qu'on ne s'est guère interrogé sur la sienne. Croirons-nous cependant qu'elle ait mené dans son pays une vie irréprochable après la mort de son premier mari, et même avant ?...

6. Lov. A 386 bis, f° 93 r. et v.

7. Calmann-Lévy, 1896, p. 106. Les mots en italique sont soulignés par nous.

8. Laure Surville, op. cit., p. 209. Même texte dans la préoriginale de la Revue de Paris (1er juin 1856), tome XXXII, p. 50.

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bons rapports de sa famille avec sa riche veuve, — au contraire. Sans doute l'intérêt parlait-il plus haut chez les Surville que leur conscience : la raison a des raisons que le coeur ne connaît pas. Si dans la suite ils témoignent à Eve de B. tant d'hostilité, est-ce parce qu'ils estimèrent avoir à s'en plaindre et que leur ressentiment, couvert jusque-là, put paraître à nu ? Dans ce cas leur témoignage resterait valable : on a quelque peine, malgré tout, à leur imputer l'invention d'une telle calomnie.

Au point où nous en sommes, comment ne rien dire du récit qu'O. Mirbeau prête à J. Gigoux ? A l'idée que Mme Hanska aurait pu s'abandonner, avec cet homme, « aux délices de la petite mort tandis que Balzac tout à côté se débattait au délire de la grande » 1, A.M. manifeste une violente indignation. Des épithètes qui sont peu dans sa manière, « odieux », « abominable » défendent l'honneur féminin (qui n'est pas en cause !) Quant aux arguments qu'il fait valoir dans ce court Appendice (611), mieux vaut ne pas trop s'appuyer sur eux : à l'usage ils pourraient bien céder... La note manuscrite de Lovenjoul contient aussi cette précision : « Le pavillon de Mme Gudin [où habitait Gigoux] était voisin de la maison de Balzac ; Gigoux et Mme de Balzac se voyaient de leurs fenêtres. » Que Gigoux (quarante-quatre ans), peintre connu des Polonais de Paris, homme à bonnes fortunes, ait été l'amant d'Eveline dans les derniers temps de la vie de B. ; qu'une femme de son tempérament, abstinente depuis des mois ; qu'une grande dame, indulgente à ses caprices ; qu'une Slave enfin se soit accordé cette compensation ; que dans cette longue tension, devant la décomposition inexorable de celui qu'elle avait aimé, dans cette atmosphère de catastrophe, dans l'attente de l'inévitable et de tous les ennuis qui devaient s'ensuivre 2, les nerfs aient cédé, on a beau dire, je n'en serais point surpris. « C'est si bon », disait la veuve de Wenceslas Hanski après son remariage, « d'être [...] aimée, protégée », même par un grand malade (586). Ce besoin de protection a dû grandir à mesure que le drame approchait de son dénouement. Elle avait hâte que ce « provisoire » sinistre prît fin. Et quand elle ne retrouva qu'un cadavre, elle versa des larmes abondantes et sincères.

Tout se tiendrait assez bien dans cette supposition. Mais le vraisemblable n'est point toujours vrai. Et nous avons de fortes raisons de croire qu'il ne l'est pas ici 3. Nous soupçonnons même, dans

1. ETIEMBLE. Hygiène des Lettres, I, Gallimard, 1952, p. 23. Cette nuit-là, quand Gigoux quitta la maison, il aurait en passant devant la chambre mortuaire, songé « a aller chercher sa boite de couleurs pour faire une rapide esquisse " de B. Mais il y renonça ! (Apud P. DESCAVES, op. cit., p. 154).

2. " Ce qui la préoccupait le plus », racontait Gigoux, « c'était tout ce qu'elle aurait à faire après la mort » (apud P. DESCAVES, ibid., p. 148). Voilà qui sent l'authentique. Mais Eve a pu laisser voir ce souci ailleurs que dans l'alcôve...

3. Nous les ferons valoir dans L'Année balzacienne de 1966.


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certains des témoignages recueillis par Lovenjoul, une confusion des temps qui pourrait leur enlever toute valeur quant au sujet qui nous occupe.

Ce qu'il y a de sûr, en tout cas, c'est qu'à la mort de B. « la douleur d'Eveline fut sincère, vive et brève » (603) : cette petite phrase d'A.M. dit tout. Cependant un rôle s'offrait à elle, celui de la veuve inconsolable. Elle dut le jouer supérieurement en mainte rencontre, par sa contenance et ses propos : comédienne ou, si vous voulez, romancière elle aussi. Le 6 novembre, au Dr Nacquart elle écrit : « Se survivre à soi-même, [...] n'être plus qu'un corps sans âme, qu'une machine détraquée [...], voilà qui est épouvantable [...] Vous ne savez pas combien il faut de courage pour vivre quand la vie n'est plus que souffrances, quand le coeur n'est qu'une plaie vive et saignante, et que le présent ne se révèle que par la douleur et qu'il n'y a plus d'avenir. » Le présent semble un peu moins douloureux dix-sept jours après (à sa fille, 23 novembre) : « Jamais [ma santé] n'a été dans un plus florissant état, mais il ne faut pas dire cela. Dis toujours que je suis malade » 1. (Et c'est Marcel Bouteron qui a publié ces textes !) Cette conscience-phare tourne encore, et c'est, peu de temps après, la supplique au comte Orloff, qui vise à sauver W. de la confiscation : « Moi qui ai tellement hâte de le rejoindre... » (« le » : B.) « ...expression d'un coeur désespéré et d'une vie mortellement atteinte. Quand cette lettre vous parviendra, je serai sans doute dans un monde meilleur que celui-ci » 2. Elle sera, ou peu s'en faut, dans les bras de Champfleury (trente ans), à qui elle mande le 13 mai 1851, moins de neuf mois après le décès de son mari : « ... je vais tous les soirs à des cafés chantants où je m'amuse ! ... Non, j'ai ri avant-hier comme jamais de ma vie. Oh ! qu'on est heureux de ne connaître personne, d'avoir son indépendance [...] et d'être à Paris » 3. Finies les contraintes ! Les commodités de l'incognito débrident la veuve joyeuse. C'est Eve — une des Eves — au naturel 4.

De ce comportement on ne saurait dire, comme on l'a dit de B. lui-même : « Parlons-en un peu, cela fait du bien. » Mais au fait, cette phrase de Nerval — A.M. n'a pas manqué de la mettre en épigraphe de La Montée — qu'en doit-on penser ? Qu'il y ait quelque chose de tonique, d'exaltant même, dans cet exemple de travail et de volonté, dans cette vie si longtemps héroïque, dans ce

1. La véritable image, etc., pp. 31-32 et 71. C'est nous qui soulignons.

2. Cité par A. BILLY, op. cit., t. II, p. 321.

3. Cité par A.M., p. 604 ; L'année Balz., 1961, p. 91-92.

4. On sait que Mme de B. entretint jusqu'à sa mort avec le peintre Jean Gigoux une liaison quasi conjugale. Elle avait plusieurs raisons pour « conserver le nom de Balzac » ; mais, a-t-on dit, « si M. Gigoux se fût appelé M. le duc de Montmorency, je suppose qu'il en aurait été tout autrement. » — La première lettre que je connaisse de Gigoux à la veuve est du 2 décembre 1851.


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manuel des ambitieux, on en conviendra sans peine. Les théories sur la société passent aussi pour saines. Ceci reconnu, que de réserves à faire, même si l'on s'en tient, ou presque, à des traits indiqués dans l'ouvrage d'A.M. !

« Nature généreuse et tendre », nous dit-on (454). Eh ! d'où vient tant de dureté à l'égard de sa mère (quelles paroles « odieuses », à mon tour d'employer ce mot !) ; dans cette approbation, même datée de 1848, du carcere duro et de la Sibérie (559-560) ; dans ce badinage sur le supplice du « petit cochon » (585) : le Sultan Mourad, de la Légende des Siècles, fut plus pitoyable à son pourceau.

On ne fera pas grief à ce célibataire de ses adultères et de son concubinage avec sa gouvernante (Quelles étaient, hélas ! les habitudes, si cruellement sanctionnées, de Stendhal !) Mais que dire de l'argent obtenu des femmes, lesquelles n'ont pas toujours exigé un gage comme, en 1846, la comtesse Sarah, « la vieille Anglaise » (I. à Mme Hanska, 506) ? « Sur la probité » même, A.M. admet chez B. « des vues particulières » (468). Si, par impossible, le créateur de Gobseck avait pratiqué le prêt, il eût été l'un des grands usuriers de Paris. Imputation gratuite, dira-t-on. Peut-être ; n'empêche que, la moindre occasion s'offrant, fût-ce sur des billets de théâtre, B. « spécule effrontément » (465). Sa vente fictive des Jardies « fut une très mauvaise affaire pour les créanciers » (414). Vous voyez bien que cette fois il sut agir, ou laisser agir : un Nucingen au petit pied.

Significatif est souvent le caractère de l'ouvrage qui, le premier, met en vedette un écrivain. Tout le monde ne peut pas commencer par Les Méditations. B. a été lancé par la Physiologie du Mariage, et voici ce qu'on lit dans une lettre de G. Sand du 7 mars 1831 : « B. est au pinacle pour avoir peint l'amour d'un soldat pour une tigresse et celui d'un artiste pour un castratro 1. » La curiosité du pervers et de l'anormal a été l'une des inspirations secondaires de la CH. 2 où M. L. Fr. Hoffmann est en train de scruter cette veine. La pensée chez l'auteur de Misères et Splendeurs etc. n'est pas exempte de la « corruption » que Sainte-Beuve signalait dans le style.

Je m'excuse de ces quelques remarques. Sans calculer comme l'a fait B. le nombre de ses personnages moraux et des autres, je sens ce qu'elles ont de tendancieux : elles visent seulement à appeler la réflexion sur le contenu d'une phrase que l'on répète de confiance. Mais c'est un triste rôle que de traduire à la barre Prométhée. Je m'arrête.

1. Corresp. générale de George Sand, éd. Georges Lubin, Garnier, 1965, t. I, p. 825.

2. Voir chez A.M. 281, 284, 345, 359, 436, etc.


LE « BALZAC » D'ANDRÉ MAUROIS 677

Comment la biographie d'un tel écrivain ne déboucherait-elle pas à tout instant sur l'oeuvre ? Une bonne partie du livre d'A.M. est consacrée à des analyses d'ouvrages. Parfois quelques mots suffisent à porter dans l'esprit l'image la plus juste (pour La Dernière Revue) : « Un coup de projecteur, étincelant, éclaire le monde impérial » (161). D'autres indications satisfont moins : Ferragus n'est pas seulement l'un des Treize, mais le père de sa chère Clémence, un premier crayon de Goriot. Les Treize eux-mêmes, consentirons-nous à y voir « des redresseurs de torts errant dans les rues nocturnes de Paris » (230) ? Ronquerolles, Montriveau, vous reconnaissez-vous en ces chevaliers de la nuit ? La Maison Claës périt-elle, au bout du compte (262) ? n'observe-t-on pas dans La Recherche, comme dans César Birotteau 1, une remontée finale qui répond à un trait du caractère de l'auteur ? Il n'est pas exact non plus que Mme d'Espard réussisse à faire interdire son mari (454). Pourquoi ai-je été si chagrin d'un simple lapsus ? A propos d'un passage d'Illusions perdues, A.M. écrit (493) : « romantique, la rêverie de Vautrin, lorsqu'il passa devant la maison où vécut Rubempré ». Non ! « où vécut Rastignac ». Ah ! comme c'est là un coup de gong aux résonances autrement profondes !

Quant aux travaux sur la genèse des romans, A.M. en a tiré un bon parti, encore que l'approche de Séraphita soit indécise (290, faut-il dire « à remanier » ou « à compléter » ?). L'allégorie de L'Eglise a été accrochée à la légende de J.C en Flandre seulement en 1845 (187). La dédicace de Gaudissart et celle d'Eugénie Grandet ne datent pas non plus de l'époque indiquée (240-241 ; elles sont respectivement de 1843 et de 1839). La Torpille n'a pas été « esquissée », n'a pas été « rédigée pour sa première moitié » à Milan (378) : le voyageur semble l'y avoir seulement conçue, l'écriture date des Jardies.

A travers ces états successifs, depuis la « cellule initiale » (266, 337), on suit le devenir de l'oeuvre. « Vingt fois sur le métier... » B. applique le précepte, mais à l'imprimé. « Il avait pris l'habitude de considérer tout brouillon comme un canevas ; il brodait sur épreuves » (296). On relève aussi, dans la Correspondance de B., une métaphore d'architecte qui donne à penser : « il faut se hâter de poser tout, avant de gratter les chapiteaux » (258). Et pour emprunter à A.M. une troisième image, B. laissait « mijoter » longtemps ses ouvrages sur de « lents fourneaux » (473).

Il en avait plusieurs en train à la fois (345, 473). Or, autour de chacun il y a une sorte de halo, d'aura, comment dire ? qui englobe les voisins ; on l'a remarqué depuis longtemps, et un rédacteur de L'Année balzacienne vient encore de le souligner avec force, suggérant même de faire porter les études de genèse « non sur une

1. Voir René GUISE, L'Année Balz., 1965, p. 164 n. 1.


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OEuvre, mais sur un ensemble d'oeuvres, voire sur une période de la création » 1. C'est ce que nous avons appelé ailleurs 2 la critique « par zones » : elle n'est pas pour demain.

A.M. a donné une idée très vive de ces compositions simultanées. « Le peintre court d'un chevalet à l'autre » (391), « il court de chantier en chantier » ; et le critique ajoute : « Sans doute est-ce mieux ainsi » (452 ; cf. 357) — C'est voir les choses en beau, et B. luimême, malgré ce qu'il en a dit parfois, n'était pas tellement assuré que cettre pression du contingent aboutît au nécessaire. L'écrivain qui, en juin 1816, déclare l'intention de « superposer les manuscrits à l'étendue de la dette» (512) est le même à qui Mme Carraud écrivait en janvier 1837 : « Quand donc [...] vous verrai-je travailler pour travailler ? 3 »

Telles furent les conditions de la création balzacienne, dont A.M. étudie les modes en romancier : bon nombre de ses réflexions sont d'un homme de l'art qui ne se met point en avant comme tel. Les mises en garde de Proust et d'une certaine critique l'ont incité à prendre quelques précautions verbales : « Il serait impossible d'expliquer l'oeuvre par la vie » (p. 1) ; « il est dangereux de chercher les sources d'une oeuvre » (206). Ce tribut payé, il parle de l' « incessante osmose » par laquelle « les actes, les pensées, les rencontres » de l'homme nourrissent l'écrivain (p. 2) ; « l'expérience vécue exsude, à l'insu d'un auteur, de tout ce qu'il écrit » (299). En cette matière, A.M. a toujours été orthodoxe.

De B. observateur, il admire l'oeil et la mémoire. Il fait bonne part aussi, et à juste titre, aux sources orales. B. écoutait, questionnait (37, 65, 78, 151, 258, 337) etc. Quant à l'imagination, si dans la conduite de la vie elle risque d'être une maîtresse d'erreur et de fausseté, elle est, en art, cette « reine des facultés » que Baudelaire va célébrer dans son Salon de 1859. Chez B., quel a été son rôle ? Deviner l'âme d'après l'aspect physique, les propos tenus, « épouser la vie » des passants (49) ; représenter les directions possibles de la vie de l'auteur (269) ; mettre en pièces le donné pour l'assembler de manière neuve (444). Le procédé de transposition géographique (voir notamment l'édition d'Eugénie Grandet par P.G. Castex) n'apparaît pas assez dans cette analyse.

Au fond, le point important est celui du traitement des modèles. « La littérature se sert du procédé qu'emploie la peinture » etc. : ce passage de B. (389) est classique. Et c'est pourquoi « Rastignac n'est pas Thiers » (449), ni Nathan Gozlan 4. « Un personnage de

1. Ibid., p. 174.

2. Voir Annuaire du Collège de France, 1963, p. 138.

3. Correspondance avec Zulma Carraud, p. 233.

4. Voir Pierre CITRON, L'Année balz., 1965, p. 206.


LE « BALZAC » D'ANDRE MAUROIS 679

roman n'est jamais, si le romancier sait son métier, le portrait d'un modèle unique » (242).

C'est vrai ; n'empêche que le progrès des recherches biographiques remet bien des choses en question. D'une part, on découvre un nombre grandissant de modèles 1, notamment dans la famille du romancier (ce qui rapproche B. d'Alphonse Daudet). D'autre part, on s'aperçoit que tel modèle a fourni, non pas un élément, mais deux, mais plusieurs : la personne se rapproche du personnage, et pour passer de l'une à l'autre le romancier a eu moins à combiner ; la formule serait celle de la transposition simple. Si simple parfois que la copie du réel se décèle par un défaut d'adaptation à la fable : le fait n'a pas été plongé dans le milieu de la fiction pour y prendre, comme le bâton dans l'eau, une certaine courbure.

En somme, la vie a fourni « à l'écrivain des personnages dont l'existence, telle quelle, ou avec des retouches à peine perceptibles, peut entrer tout droit dans un roman » (449). Les rapprochements établis par Mme A.M. Meininger entre Cordelia de Castellane 2 et Diane de Monfrigneuse ont surpris A.M. : « Miraculeuse rencontre », s'écrie-t-il, « bonheur rarissime » ! Il est vrai que la correspondance y atteint un degré rare. Mais les exemples se multiplient, tendant tous au même résultat : accroître le rôle de l'observation, parfois même assez peu active, de l'information. Que deviendra celui de l'imagination ? Se réduira-t-il comme la peau de chagrin ? Le génie intuitif de Facino Cane n'aura-t-il plus à deviner, puisqu'il saura ? Si rien de semblable n'est à craindre, des révisions périodiques s'imposeront néanmoins pour mesurer la part qui revient à chaque faculté dans la composition de l'oeuvre.

A propos d'un modèle, A.M. touche à une idée qui va plus loin. Comme B. est loin d'en terminer toujours avec un sujet en une fois ; comme Béatrix attend cinq ans (393 ; ou trois ans, 445 ?) son dénouement, que devient la personne ? Elle vieillit dans sa chair, comme le personnage dans l'esprit de l'auteur qui s'en détourne. Mais les personnages aussi sont soumis à la loi de toute vie. Il en est qui disparaissent parfois bien jeunes. Sans doute y a-t-il de la poésie à regarder le soleil couchant sur des tombes (558). Mais il faut aussi se tourner vers l'orient, d'où montent les générations nouvelles. De Marsay est né avant 1800, La Palférine après 1810... On vient de distinguer dans l'oeuvre de Marcel Proust quatre générations : des grands-parents, autour de 1820 ; des parents,

1. Et l'on peut ajouter : de noms réels.

2. L'amie de Chateaubriand. Quelle destinée! Aimée par l'Enchanteur (le vrai!), peinte par Prométhée ! — A propos d'autres modèles féminins de B., A. M. écrit p. 207 : « Et qui se souviendrait encore d'elles, après tant d'années, si Balzac... " La suite pourrait se lire chez Hérédia : « n'eût tressé pour [leurs] fronts », etc... Mais pardon ! Si d'Abrantès, Berny, Hautefeuille revivent grâce à Claire de Bauséant, c'est parce que des érudits les ont reconnues dans ce personnage. Plus l'ingrat romancier combinait, et moins ses modèles avaient des chances de sortir de l'ombre.


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autour de 1850 ; du narrateur, autour de 1880 ; des petits enfants, nés entre 1900 et 19101. Une recherche analogue — déjà bien amorcée par la Chronologie de la Comédie humaine du Dr F. Lotte — ne pourrait-elle être tentée avec l'oeuvre de B. ?

Dans ses remarques sur la technique balzacienne, A.M. rajeunit à l'occasion le vocabulaire 2. S'il laisse de côté un procédé aussi courant que l'énigme à résoudre, il reconnaît, et on lui en sait gré, que « l'art souffre parfois des servitudes du feuilleton » (391) ; il répond brillamment à certaines objections contre le « retour des personnages » (271). Mais il en est d'autres, plus malaisées à réfuter : les inconvénients de divers genres signalés par le Dr F. Lotte 3 ne sont guère contestables.

Ici encore B. a joué la difficulté. C'est en cours de production qu'il a eu son « idée géniale » ; il a dû l'appliquer dans les rééditions en congédiant la partie de son personnel à laquelle il tenait le moins 4. Ainsi les remplaçants ont assumé les actes et paroles des remplacés. Mais ceux-ci avaient-ils été taillés a priori sur le même patron que ceux-là ? N'en résulte-t-il rien de fâcheux pour la consistance des caractères ? D'autre part, un romancier peut ramener ses personnages en les faisant régulièrement vieillir d'une oeuvre à l'autre ; B., lui, ne s'interdit pas les retours en arrière et de présenter la queue avant la tête de ces existences tronçonnées. Que ces « suites rétrospectives » offrent le genre d'avantage qu'indique M. Anthony R. Pugh 3, peut-être ; mais il faut tout voir.

Et puis, la façon dont chaque oeuvre grandit, dont son corps s'accroît d'une édition à l'autre, va-t-elle aussi sans inconvénients ? « Un roman passe par une série de genèses, où se disperse non seulement l'unité de la phrase, mais [celle] de l'oeuvre. C'est sans doute cette mauvaise méthode qui donne souvent au style ce je ne sais quoi de diffus, de bousculé et de brouillon... » Qui parle ainsi de B. ? Le jeune Baudelaire, en 1846 6.

De telles observations (sans oublier celles qu'on a faites sur l'asservissement de l'inspiration aux exigences commerciales) mèneraient à une conclusion qu'on n'ose ni adopter, ni écarter. G. Sand a écrit : « B. ne dépensait que de la folie en paroles... Il [...] gardait sa sagesse profonde pour son oeuvre » 7. Parfois l'on pous1.

pous1. HACHEZ, « Fiches biographiques des personnages de Proust. Pièces justificatives d'une chronologie » dans Bulletin de la Société des Amis de Marcel Proust, 1965, n° 15, p. 289-303.

2. Voir ce qu'il dit de la « sous-conversation " chez Claude Mauriac et Nathalie Sarraute (448). P. 506-507 un « cas de sous-correspondance. »

3. L'Année balzacienne. 1961, pp. 227 et suiv.

4. Dans le Fume corrigé, les remplacés ont été très souvent des personnages réels (V. Hugo, etc).

5. Dans son article Personnages reparaissants avant « Le Père Goriot » (dans L'Année balz., 1964, p. 227).

6. Voir OEuvres complètes de Baudelaire., Le Club du meilleur livre, 1955, p. 192.

7. Dans Hist. de ma vie. Cité par R. PIERROT, dans Sur les relations, etc., loc. cit.


LE « BALZAC » D'ANDRÉ MAUROIS 681

serait l'audace jusqu'à écorner ce jugement, jusqu'à rétablir l'unité de cette nature, fût-ce en décelant, dans l'oeuvre même, quelques signes de ce qu'on voit à plein dans la vie. Mais qu'importent quelques malfaçons, si l'artisan nous a mis dans un état à ne pas les voir ? Comment reprocher à B. des gageures qu'il a gagnées ?

Seulement, le temps fut mesuré au démiurge, qui savait sa création incomplète. Le « grand historien » que Baudelaire, dès 1846, saluait en B., n'a pas « connu tout entière » la société qu'il voulait représenter : « peu ou point d'ouvriers » dans son oeuvre (42). Rue Lesdiguières, il s'était intéressé aux habitants du faubourg voisin, comme V. Hugo, Place Royale, aux Misérables qu'il rencontrait. Mais ensuite... B. a-t-il « [connu] tous les quartiers de Paris » (429) ou seulement « une moitié de la scène » (442) ? Les travaux de Louis Chevalier, les études de miss Stevenson, de Patrice Boussel, de G.B. Raser, permettraient une réponse. De même une lecture plus étendue des romans de l'époque, fussent-ils du second ou du troisième ordre, ferait apparaître mainte lacune dans le tableau de la Restauration (429). Rien dans la CH. ne m'a montré le pouvoir exorbitant du clergé, comme la visite de l'Archevêque au château de Mortemont dans un roman de débutants, le Rose et Blanche d'Aurore Dudevant et Jules Sandeau 1. — D'ailleurs, le « recul historique » n'est pas toujours sans danger. Ecrire sous la Monarchie de Juillet des romans dont l'action se passe sous la Restauration, est-ce possible sans que jamais les couleurs du présent ne teignent le tableau du passé ? La « voyance » elle-même n'est pas à l'épreuve de cet insidieux facteur d'adultération.

Que le biographe ne se soit pas appesanti sur ces questions, qu'il ait laissé son arrière-plan un peu mince et un peu flou, on le comprend. Peut-être cependant pouvait-il marquer plus d'attention au milieu et au moment, à l'histoire du dernier siècle. — Histoire littéraire. Ces débuts de G. Sand, par exemple, ne seraientils pas à rapprocher de ceux de B. ? Elle aussi, elle écrit en collaboration, et elle traite cette « littérature alimentaire » de « cochonnerie ». Plus tard, elle aussi entend que son « message » philosophique la distingue des simples conteurs. Les rapports de B. avec les romanciers naturalistes sont expédiés trop vite (609), ainsi qu'avec les romantiques, ces « [modeleurs] de gargouilles » (444). — Histoire politique : est-il vrai que Juillet 1830 ait porté au « pouvoir » Villemain et Cousin (170), et qu'il y ait eu alors un ministère Thiers-Mignet (172) ? — Histoire de l'enseignement : ni Cousin ni Guizot n'ont professé au Collège de France (38). — Histoire des idées : en ce même endroit l'éclectisme est défini d'une manière bien approximative ; ailleurs (38, 66,102) l'« athéisme » de B. et de son père n'est qu'un mot. Et quant à l'influence des

1. Voir ce roman « par J. Sand », Paris, 1831, t. II, ch. IV.


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maîtres de l'histoire naturelle, il ne suffit pas d'insérer quatre mots en faveur de Cuvier dans un développement orienté tout autrement (38) pour tracer la courbe de l'opinion de B. Dès 1951, nous avons essayé de montrer, textes à l'appui, que B. a commencé par admirer Cuvier, et qu'il ne s'est rapproché que vers 1834-35 de cet E. Geoffroy Saint-Hilaire dont l'influence a, semble-t-il, été assez fortement antidatée par A.M. (99,303)1.

Le dirai-je enfin ? On concevrait qu'à l'époque où nous sommes le genre de la Biographie eût évolué quelque peu, ne serait-ce que pour faire une part (oh ! petite) à de nouvelles préoccupations, psychanalytiques, caractérologiques, sociologiques, etc. (Je ne parle pas du marxisme, qui troublerait plutôt la vue en grossissant outre mesure l'importance de certains facteurs, et qui donne à la plupart de ses adeptes un ton si péremptoire à l'égard des infirmes qui sont hors de l'Eglise.) Mais de quoi rêvé-je ici ? A quoi bon ces voeux qui ne pouvaient se réaliser qu'au prix de sacrifices auxquels l'auteur se serait refusé, et avec raison ? Prenons ce livre pour ce qu'il est, excellemment : une Chronique des Balzac, où le grand homme garde si bien ses dimensions. Abstenons-nous d'y regretter l'absence de ce qui n'entrait pas dans une formule consacrée par d'éclatants succès. Comme l'a écrit P.H. Simon, ces Biographies ont « fondé une culture ». D'avoir appris d'A.M. lui-même sa décision de n'en plus écrire, c'est là le vrai regret 2.

JEAN POMMIER.

1. Voir là-dessus RHLF, juillet-septembre 1950, p. 332, et Revue des Sciences humaines, avril-septembre 1951, p. 166-173, avec les références aux considérations de M. S. de Sacy. Et dans les OEuvres diverses, éd. M. Bouteron (L. Conard, t. III), une allusion p. 450 au « Prométhée des sciences naturelles ». — Cf., sur cette importante question, l'article précédent de Mlle M. Fargeaud (N.d.l.R.).

2. Voici, pour finir, un tas de broutilles. Peu de fautes d'impression (une douzaine) ; je signale seulement, le sens y étant intéressé : « pour la prospérité » (52) lire sans doute postérité ; 207, « cartel », ou cartable ? Dans les citations, lire 95 « une conduite » (et non ma) ; 210 « son livre » (et non mon) ; 599 « l'intime » (et non l'ultime). — Un assez grand nombre de répétitions, tant dans les notes que dans le texte et les citations (ainsi sur le « galérien », 198, 205 ; sur le « joueur », 263, 272, 309, etc.) Ailleurs on ne sait si le prénom est Amand (73) ou Armand (74), ni quelle date est la bonne, 79 n° 1 ou 89 n.l : l'Index départage. — Excellent Index (ou l'on n'a que faire toutefois des dates de naissance et de mort d'écrivains comme Racine ou Hugo). Seulement, il n'est pas celui « des noms cités » : on n'y trouve, sauf erreur, que les noms des personnes réelles (avec des lacunes, ainsi Mme d'Hautefeuille, voir 87, 206, etc.) On renonce — il le faut bien ! — aux noms de personnes et de lieux (l'hôtel Danieli n'est pas une dénomination moderne (351), voir les lettres de G. Sand) ; mais les titres d'ouvrages, au moins de ceux de B., manquent beaucoup au lecteur. — A.M. mentionne plusieurs foi, dans son livre (230, 246, 250) Ne touchez pas à la hache : le à est de trop. En revanche, un de manque p. 284 au titre du livre de Mme de Girardin La canne de M. Balzac : ses mânes souffriraient, rendons-lui sa particule...


NOTES ET DOCUMENTS

CORNEILLE EN PROVINCE

Un document inédit sur des représentations

d' " ANDROMÈDE " XVIIe siècle

La DESCRIPTION des superbes Machines, et des magnifiques changemens de Theatre 1 de l'ANDROMEDE representée au petit Bourbon qu'on pourra lire ci-dessous, est un petit livret imprimé de quatre feuillets in-quarto, qu'on a rogné pour le brocher dans un recueil de pièces diverses, littéraires, politiques ou religieuses du xvn 6 siècle, ayant appartenu au collège des Jésuites de Metz 2. Ces 174 vers en octosyllabes contiennent six descriptions, dont l'une concerne le prologue de la pièce, et les autres les cinq « changements » correspondant aux cinq actes. Ils peuvent nous renseigner utilement sur le retentissement d'Andromède en province où la mode des pièces à machines s'était répandue, et sur un moyen de publicité assez curieux.

Le prospectus ne porte ni lieu ni date de publication. Comme il est placé dans le recueil à la suite de Programmes de pièces de collèges, qui furent toutes jouées dans le nord-est et l'est de la France, on peut supposer que la troupe qui jouait Andromède s'est produite dans cette région. « Vous le verrez dans votre Ville » : cette expression du dernier sixain est assez vague pour que le prospectus ait pu être utilisé dans plusieurs villes différentes. Le seul renseignement que nous puissions tirer du texte, est le nom de l'« ingénieur » De Lisle. S'agit-il de François Barbier dit de Lisle qui fit partie de la troupe de la Dauphine ? Nous croirions plus volontiers qu'il s'agit, en dépit de l'orthographe, de Jean Pillay, dit de Lille qui fit partie de la troupe de La Couture 3, passa à celle de La Cour 4 à la fin du mois de mars 1651, et qui

1. Il faut comprendre ce mot dans le sens qu'il avait encore au XVIIe siècle : c'est " la partie élevée du théâtre sur laquelle les acteurs représentent la pièce, la scène. » (cf. Hatzfeld et Darmesteter, Dictionnaire général de la langue française.)

2. Bibliothèque municipale de Metz, N. 907, pièce 16.

3. Georges Pinel, dit La Couture, " maître d'écriture du jeune Poquelin... est entraîné par son élève dans la troupe de l'Illustre Théâtre. » Il fit ensuite partie de diverses troupes et fut lui-même chef de troupe, cf. G. Mongrédien, Dictionnaire biographique des comédiens français du XVIIe siècle, p. 95-96.

4. François de La Cour fut lui aussi comédien et chef de troupe en province, cf. G. Mongrédien, op. cit., p. 95.


684 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

d'acteur se fit décorateur et « machiniste », fonctions qu'on le voit remplir à Gand en 1663 1.

Andromède avait été jouée en janvier 1650 sur le théâtre du Petit-Bourbon. Corneille, avait dès le 12 octobre 1649 obtenu un privilège pour le libretto intitulé Le Dessein d'Andromède. Ce libretto devait permettre aux spectateurs des loges les plus éloignées de mieux suivre le spectacle en ayant sous les yeux le déroulement de l'action et les paroles « qu'il est impossible d'entendre, dit Corneille, quand plusieurs voix ensemble les prononcent » 2. La première édition connue du texte intégral devait être publiée à Rouen en 16513. L'auteur de la musique était d'Assoucy. Le « machiniste » Torelli avait adapté pour Andromède les machines de l'opéra d'Orphée que Mazarin avait fait jouer à grands frais en 1647. La décoration et les machines de Torelli, considéré comme le véritable auteur de la pièce 4, nous sont connues d'abord par les planches de Chauveau 5, ensuite par la Description de la décoration qui figure en tête du prologue et de chaque acte dans la 1re édition ; enfin par l'Extraordinaire de la Gazette de Renaudot 6.

Dans les premières strophes consacrées à chaque « changement », l'auteur de notre prospectus met essentiellement l'accent sur la décoration et sur les machines. Il suit alors d'assez près la Description de la décoration pour la description du décor, et la Gazette pour la description des machines et des vols. Cependant ni tous les mouvements (par exemple celui des portes d'argent au 5e « changement ») ni tous les vols (par exemple celui de Mercure à l'acte V, scène 7) ne sont indiqués. La description de notre auteur est donc moins complète que les descriptions de la pièce jouée à Paris. Etant donné sa volonté évidente de ne rien omettre, il faut en conclure que la troupe à laquelle il était attaché ne disposait pas de moyens aussi importants que ceux de la scène parisienne.

En dépit du titre « Description... » l'auteur ne se borne pas à décrire la décoration et les machines. S'il consacre à ces deux agréments essentiels les trois premiers sixains du « Prologue » et de chaque « Changement », dans le quatrième il évoque la musique

1. Cf. G. Mongrédien, op. cit. p. 118 et 201. F. Faber dans son Histoire du théâtre français en Belgique, t. IV,p. 233-234, reproduit l'acte d'association passé devant notaire à Gand le 9 février 1663 « sçavoir le dict Rochefort pour jouer les Roys, les annons et les affiches, le Sieur de Lavoy pour les seconde rolle et les comicques, le Sieur de Surlis pour le premier rolle, le Sieur de Lille pour la décoration du théâtre et les machines ». Or nous savons d'autre part, qu'Andromède fut jouée à Bruxelles le 19 février 1661, sur le théâtre d'opéra que l'Archiduc Léopold avait fait construire en 1653 (cf. F. Faber, op. cit.. t. IV, p. 56). Le « peuple » était admis à ces représentations.

Est-il légitime de supposer pour autant, que De Lille fut le décorateur de l'Andromède de Bruxelles en 1661 et que la pièce jouée à Gand en 1663 était bien Andromède ? Rien ne permet de l'affirmer ; mais iî est curieux de constater que Denys Lavoy, cosignataire avec De Lille de l'acte d'association dont nous reproduisons un fragment ci-dessus, jouait en 1662 à Bruxelles où une Descente d'Orphée aux enfers avait succédé à Andromède (cf. F. Faber. op. cit., t. IV, p. 57 et 230).

2. Corneille, OEuvres complètes, éd. Marty-Lavaux, t. V, p. 251.

3. Ibid.. p. 257.

4. Ibid., p. 253.

5. Cf. Deierkhauf-Holsboer, L'Histoire de la Mise en scène dans le théâtre français à Paris de 1600 à 1673. Quatre des cinq planches de la Bibliothèque de l'Arsenal y sont reproduites en annexe.

6. Cet Extraordinaire forme le n° 27 de l'année 1650, p. 245-260. Il est intitulé : L'Andromède, représentée par la Troupe Royale au Petit Bourbon, avec l'explication de ses Machines cf. Corneille, édit. citée, t. V. p. 279. Le succès de la pièce fut durable puisqu'il y eut une nouvelle série de représentations données par la troupe du Marais en 1655, avec une décoration et une machinerie nouvelles dues à Denis Buffequin.


NOTES ET DOCUMENTS 685

ou ce que nous appellerions aujourd'hui le bruitage. Il le fait de manières variées (Prol. « Astre chantant. » — 1. « airs mélodieux. »

— 2. « tonnerre ». — 3. « Concert agréable ». — 4. « Luth et voix »). Notre auteur indique donc la plupart des éléments de la pièce.

Il en est un pourtant qu'il omet : c'est le livret de Corneille. Aussi serait-il difficile de se faire une idée de l'action d'Andromède par la seule lecture de ces vers. Cette omission volontaire montre une fois encore le peu d'importance qu'on attachait au livret dans ce genre de pièces.

Plaisir des yeux, plaisir des oreilles : dans le dernier sixain de chaque « Changement » on engage le spectateur à aller lui aussi admirer un spectacle si beau.

Le procédé publicitaire consiste donc en une description apparemment objective du spectacle par l'« orateur » de la troupe 1 chargé de la réclame et de la captatio benevolentiae. Son enthousiasme se veut communicatif. (« Je ne me sens plus moi-même »

— « Vos yeux le verront » — « Vous verrez ») Comment ne pas répondre à cette invitation, quand « les esprits les plus jolis..., le Roy lui-même » y ont pris un grand plaisir ? Les hyperboles (" On se sent l'âme évanouie ». — « A jamais vous les aimerez ») n'ont d'égale que la naïveté du boniment (cf. Pr. « Que nous avons fait voir exprès, pour extasier tout le monde ») et le vers-cheville qui clôt l'ensemble (Vous verrez un effet / Des surprises du sieur DE LISLE / Que personne que luy n'a faict ») fait songer à la chanson populaire du « Bon fromage » « qui vient du pays de celui qui l'a fait ». Cet usage incessant de l'hyperbole et la forme octosyllabique de ces vers de mirliton sont du reste dans la tradition des gazettes en vers de l'époque, celles de Loret ou de ses continuateurs.

Nous aurions aimé préciser dans quelles villes de province et à quelles dates exactes la troupe à laquelle De Lille était attaché, a représenté Andromède. Ce que nous savons de notre « machiniste » ne permet aucune certitude. En tout cas la publicité naïve et pourtant adroite de ce petit livret, montre bien que le goût de la « surprise » et des spectacles à machines s'était répandu en province, et que les spectateurs du nord ou de l'est aimaient comme les Parisiens se laisser surprendre « l'âme, les esprits et les coeurs 2 ».

JACQUES HENNEQUIN.

»

1. L'auteur dit en effet dans la strophe 2 du Prologue :

Dans le fond de cette Forés

Que nous avons fait faire exprés... Dans le Quatrième Changement : " Nostre Junon », c'est-à-dire notre camarade qui joue le rôle de lunon ; enfin le Cinquième Changement : « Nostre ingenieur ». C'est bien le porte-parole de la troupe qui parle.

2. C'est l'expression qu'emploie notre auteur (4e Changement, strophe 4.)


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LA DESCRIPTION

des superbes Machines, & des magnifiques

changemens de Theatre de l'ANDROMEDE,

représentée au petit Bourbon.

THEATRE DV PROLOGVE

Ce que l'on voit premièrement C'est vn Theatre fort charment Dont l'aspect est tout de verdure, Là se montre vn char lumineux Où le flambeau de la nature Se fait voir tout majestueux.

Dans le fond de cette Forés Que nous avons fait faire exprés Pour extasier tout le monde, Vous verrés vn lointain de Mer Dedans vne grotte profonde, Belle jusques à vous charmer.

Sus vn rocher l'on aperçoit Ce que l'oeil à peine conçoit L'aimable Muse MELPOMENE Que par un nv élant [sic] sans pareil Vole sans effort et sans peine Dans la Machine du Soleil.

Là ce bel Astre offre des voeux Avecque des tons amoureux Chantant loüange au Roy mon maistre Et si tost qu'il aura chanté Vos yeux le verront disparoistre Avec grande rapidité.

PREMIER CHANGEMENT

Le premier de nos changemens Est de superbes batimens D'vne si belle Architecture Qu'en voyant ce chef-d'oeuure tel Vous avoüerez que la peinture A surpassé le naturel.

Vn artifice merueilleux Fait encor paroistre à vos yeux Vne grande place publique Où l'on aperçoit vn Palais Fait d'vn ordre si magnifique Qu'on voudroit le voir à jamais.

En cet endroit l'on voit VENVS Plus éclatante que PHEBVS Dedans vne Etoille admirable, Cette Deesse annonce à tous Que pour l'ANDROMEDE adorable Les Dieux ont fait choix d'vn Epoux.

A ces mots si doux et charmans Chacun pour leur remercimens Luy font quantité de caresses, Et par des airs melodieux Qui tesmoignent leurs alegresses La conduisent dedans les Cieux.


NOTES ET DOCUMENTS 687

Que les esprits les plus polis Les plus parfaits, les plus jolis Acourent à cette merueille, Ils seront contraints comme moy De la nommer la sans-pareille Puis qu'elle a sceu charmer le Roy.

SECOND CHANGEMENT

Le second ce sont des jardins Tous de Mirthes et de jasmains Dont les longueurs sont excessiues, Où des Orangers beaux et grands Font ensemble trois perspectiues Et trois berceaux tous differands.

Ces Orangers dilicieux [sic] Sont dans des vases precieux Où sont tout autant de Statues Qui par mille et mille caneaux Font aller jusques dans les nuës Des fontaines et des jets d'eaux.

Tous ces vases sont pleins de fleurs De tant de sortes de couleurs, Que la veuë en est éblouie, C'est vn si parfait ornement Qu'on se sent l'ame éuanoüie Lors qu'on y pense seulement.

Dans cette Decoration Capable d'admiration L'on voit venir de grands nuages, Où le tonnerre et les esclairs, Et cent autre sortes d'orages Estonnent par leurs bruits diuers.

Icy l'on voit le Roy des vens Avec ses orageux suivans De qui la tempeste procede Ce Roy leur commandant d'aller Prendre cette belle ANDORMEDE [sic] Ils l'emportent entre eux dans l'air.

TROISIESME CHANGEMENT

Le troisiéme c'est une Mer Qu'on ne sçauroit trop estimer Tant elle est bien representée, Là dedans des Rochers affreux Et dans cette Mer agitée L'on voit vn Dragon furieux.

Les vents redescendent en bas, Auec ANDROMEDE en leurs bras, Aux pieds de ces Roches bossues Et puis l'abandonnant au sort Tous deux s'en retournent aux nuës Cependant qu'elle attend la mort.

Sur le point de finir ses iours, L'on voit descendre à son secours L'illustre et le braue PERSEE


688 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

Qui par ses efforts genereux Déliure ANDROMEDE opressée De cet animal dangereux.

Enfin ce fils de Iupiter Que personne ne peut dompter Dompte cette beste effroyable. Puis s'en retournant glorieux L'on fait un concert agreable Pour vanter ce victorieux.

Ce n'est pas tout, en cet endroit L'on voit NEPTVNE qui paroist Sortant de ses grottes humides, Auec sa Conque et ses Chenaux Pour secourir les Nereïdes, Et les consoler dans leurs maux.

QUATRIESME CHANGEMENT

Ce quatriesme est sans égal Puis que c'est vn Palais Royal Tout de colomne differantes Oû dessus chaque pied d'estail 1 Sont des figures rauisantes Dont on admire le trauail.

Sur ce mesme, vn moment apres, Quatre rangs de fort beaux Cyprés Forment ensemble trois allées, Qui par trois portiques font voir Plus de beautés entre-meslées Que l'oeil n'en peut aperceuoir.

Incontinent on voit voler Vn char de triomphe dans l'air Où nostre IVNON se promene, Là par le souffle des zephirs Cette orgueilleuse souueraine Reçoit mille amoureux plaisirs.

Cette Deesse s'en allant Dans son superbe char volant, Les Luths, les voix se font en tendre Dont les accords et les douceurs Viennent en mesme temps surprendre L'ame, les esprits, et les coeurs.

Quand je pense à tant de beautez Mes esprits sont tous enchantez, Non, je ne me sens pas moy-mesme Et croy que quand vous le verrez Comme moy d'vne amour extreme A jamais vous les aimerez.

CINQVIESME CHANGEMENT

Le dernier doit estre adoré A cause qu'on le voit paré De tous les Dieux et Deesses, C'est dans ce Palais enchanté

1. Ce mot emprunté de l'italien : « piédistallo, piedestallo « proprement " pied d'étal », est souvent écrit « piédestail » aux XVIe et XVIIe siècles par substitution du suffixe ail au suffixe al ; cf. Hatzfeld et Darmesteter, op. cit., t. I, p. 45, § 62, I°.


NOTES ET DOCUMENTS 689

Que les pompes et les richesses Se font paroistre en quantité.

Ouy, car c'est vn Palais fort grand, Mais de l'autre tout differand En ce qu'on y voit vn grand dome, De plus vn Temple spacieux, Si beau, qu'il fait que l'on le nomme L'aimable demeure des Dieux.

Enfin par trois portes d'argent Nostre ingenieur diligent Montre encore vne galerie Ornée aueque de l'azur, Toute belle et toute enrichie D'or le plus brillant et plus pur.

Tous ces miracles rauissans Charment ensemble tous les sens De leurs perfections diuines, Parce que l'on voit tous les Dieux Descendre dedans trois Machines Et remonter dedans les Cieux.

Celuy qui les fera joüer Ne se sçauroit assez louer, Vous le scaurez dans vostre Ville, Puis que vous verrez vn effet Des surprises du Sieur DE LISLE Que personne que luy n'a faict.

SAINTE-BEUVE ET RÉMUSAT

Le nom de Charles de Rémusat apparaît dès 1829 dans la Correspondance générale de Sainte-Beuve qui l'avait connu au journal Le Globe ; mais la première lettre de Sainte-Beuve à Rémusat, dans la correspondance publiée par Jean Bonnerot, ne date que du 7 septembre 1847 (t. VII, p. 121).

Il existe cependant, de 1840 à 1847, sept lettres retrouvées trop tardivement pour figurer dans les six volumes déjà publiés.

En mars 1840, vers le 11, Louis Boulanger, de longue date ami de Sainte-Beuve et de Victor-Hugo, écrivait au ministre de l'Intérieur :

[11] mars 1840 Monsieur le Ministre,

Ayant appris par la voie des journaux que des travaux de peinture devaient être exécutés par vos ordres dans les nouveaux bâtiments de la Chambre des Pairs, je prends la liberté de solliciter votre bienveillance pour être compris au nombre des artistes que vous aurez choisis. Mon nom ne vous est peut-être pas inconnu, Monsieur le Ministre ; depuis longtems je travaille et mes efforts ont quelquefois été récompensés par l'approbation publique ; j'ose vous assurer ici que je les redoublerai pour me rendre digne de votre confiance et justifier votre choix.

Daignez, Monsieur le Ministre, agréer l'expression de mon profond respect.

Louis BOULANGER 16 rue de l'Ouest 1 1. Archives Nationales, F21. 585.

REVUE D'HIST. LITTÉR. DE LA FRANCE (65e Ann.). LXV. 44


690 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

Le ministre de l'Intérieur était alors, depuis le 1er mars, Charles de Rémusat et Sainte-Beuve lui écrivit aussitôt :

Ce 21 mars [1840] Monsieur le Ministre,

Permettez-moi de prier Monsieur de Rémusat de vous recommander une demande qu'a depuis quelques jours adressée, au Ministère de l'Intérieur, un de mes bons anciens et bons amis (celui-même qui fait un très joli portrait de Madame de Contades 1). Il désirerait bien obtenir l'avantage de quelque commande dans les travaux de peinture qui paraissent devoir être entrepris à la Chambre des Pairs. M. Boulanger est un véritable artiste, très laborieux, tout dévoué à ce qu'il croit le mieux dans l'art : en fait de grande toile il a déjà fait un Cortège des Etats généraux allant à la messe du Saint-Esprit, qui est à Versailles. Il a lait un très beau Triomphe de Pétrarque qui est chez M. de Custine. Il a bien 34 ans aujourd'hui, dans la maturité du talent et il ne lui a manqué jusqu'ici pour être apprécié à toute sa valeur que plus d'espace mieux éclairé.

Voilà ce que j'aurais du, mercredi dernier, aller prier Monsieur de Rémusat de vouloir bien dire au ministre. Et je les prie aussi de recevoir l'expression de mes sentimens aussi dévoués que respectueux.

Ste BEUVE

Louis Boulanger, né le 11 mars 1806, venait d'avoir trente-quatre ans. Il avait déjà donné la Procession des Etats généraux qui figure aujourd'hui au musée de Versailles, et il avait exposé au salon en mars 1836, le Triomphe de Pétrarque qu'Astolphe de Custine lui avait commandé pour décorer sa salle à manger 2.

L'intervention de Sainte-Beuve ne fut probablement pas inutile et, le 7 septembre 1840, un arrêté chargeait Louis Boulanger « d'exécuter moyenant la somme de 22 000 francs les peintures du salon de réunion situé à l'une des extrémités de la bibliothèque du palais de la Chambre des Pairs ». Ces peintures comprenant un plafond, huit tympans et quatre portraits furent achevés en 1843 ; et le 20 avril Louis Boulanger touchait le solde des 22 000 francs qui lui étaient dus 3.

La même année, le 4 octobre 1840, Sainte-Beuve recommandait encore le peintre d'histoire, Hilaire Belloc, directeur de l'Ecole royale gratuite de dessin, de mathématiques et de sculpture d'ornement, en faveur des arts mécaniques. La femme do celui-ci, née Louise Swanton, écrivait ; elle avait notamment traduit les Mémoires de lord Byron sur lesquels Mérimée avait publié deux articles dans Le National des 7 mars et 3 juin 1830. De son côté Sainte-Beuve avait rendu compte, dans Le Globe du 15 juin 1826, du livre de Mme Belloc, Bonaparte et les Grecs.

Paris, 4 Sbre 1840

Mon cher Monsieur de Rémusat,

C'est encore une sollicitation que je vous adresse. Il s'agit de M. Belloc : vous savez aussi bien que moi ses vrais titres qui sont surtout ceux de Madame Belloc. Mais ce que vous ne savez peut-être pas, c'est la situation

1. Sans doute Sophie de Castellane, qui deviendra Mme de Beaulaincourt.

2. Voir Marquis de Luppé, Astolphe de Custine, Monaco, Editions du Rocher, [1957]. — Aristide Marie. Le peintre poête Louis Boulanger, Paris, H. Floury, 1925.

3. Archives Nationales, F21. 585.


NOTES ET DOCUMENTS 691

intérieure très gênée, très pénible, qui m'est attestée de deux côtés par des amis particuliers d'eux et de moi. Les appointemens de sa place ne suffisent pas aux charges de sa famille ; la plume de Mad. Belloc souffre de l'état de la librairie et ne produit plus rien au ménage. Si à défaut d'un grand travail, on pouvait lui confier quelque portrait en pied, ou mieux encore quelque tableau de sainteté pour une église, il s'estimerait très heureux.

Pardonnez moi au milieu de vos grandes affaires d'insister pour cette petite ; mais votre bonté sait ce qu'il y a de sûr dans un service positif et bien placé.

je vous dirai de moi que je suis installé à ma bibliothèque et que je me trouve déjà fait à mes fonctions comme si c'était depuis longtemps.

Croyez-moi votre bien respectueux, reconnaissant et dévoué

Ste BEUVE

Le 8 août 1840, Sainte-Beuve avait été nommé conservateur de la Bibliothèque Mazarine. Le 10 août, il remercie Thiers de cette nomination à laquelle d'ailleurs Charles de Rémusat n'avait pas été étranger (Corr. gén., t. III, p. 335). Celui-ci devait quitter le ministère de l'Intérieur, le 29 octobre de la même année. Tombé du pouvoir avec Thiers, son influence sur l'ancien président du conseil, auquel il devait rester fidèle, était évidemment certaine. Aussi Sainte-Beuve lui écrira-t-il, en mars 1842 :

Ce vendredi soir Mon cher Monsieur de Rémusat,

Je me décide à me mettre sur les rangs pour l'Académie, et me voilà ambitieux et solliciteur. Je sais M. Thiers très bienveillant pour moi, mais il le sera avec plus de précision encore, si vous êtes assez bon pour lui dire un mot en ma faveur. Je joindrais cela à toutes mes obligations envers vous.

Recevez, je vous en prie, l'expression de mes respects dévoués et aussi Madame de Rémusat.

Ste BEUVE

Pour l'appui de Charles de Rémusat fût tout à fait sérieux, Sainte-Beuve lui proposa de faire un article sur sa mère, Mme de Rémusat, de qui l'on venait de rééditer l'Essai sur l'éducation des femmes, en mars 1842 1.

Ce 8 avril [1872]

Mon cher Monsieur de Rémusat,

Voulez-vous que j'aille dimanche matin causer une demi-heure avec vous vers onze heures par exemple ? Si vous le pouvez, ne me répondez pas, le silence voudra dire oui. Je voudrais aborder le plus tôt possible cet agréable sujet que me promet le nom de Madame de Rémusat. Mille respectueuses amitiés

S'" BEUVE J'offre mes hommages à Madame de Rémusat. Monsieur

Monsieur de Rémusat 42 rue d'Anjou St Honoré Paris

L'article qui paraîtra, le 15 juin 1842, dans la Revue des Deux Mondes, était terminé quand Sainte-Beuve écrit :

1. Cf. Jean Bonnerot. Bibliographie de l'oeuvre de Sainte-Beuve, Paris L., Giraud-Badin, 1937, t. I, n° 207, p. 443-447.


692 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

Ce lundi [6 juin 1842]

Je finis après bien des retards l'article qui nous intéresse. Je voudrais bien vous le lire, et à vous seul, afin que la pudeur filiale ne vous interdise aucune des observations que vous pouvez faire. Je serai libre demain mardi à partir de quatre heures ; si vous avez une heure libre, voudrez-vous bien me l'indiquer par un petit mot à la poste ; soit à 4 heures même, soit à 5, soit dans la soirée. Ou bien le lendemain, mais, à cause de l'impression, je me hâte.

Mille respectueuses amitiés

Ste BEUVE J'offre mes humbles hommages à Madame de Rémusat.

Le 9 juin 1842, Sainte-Beuve corrigeait sans doute les épreuves de son article sur « Mme de Rémusat " et il écrivait :

Ce 9 [juin 1842]

Voici les précieux cahiers et manuscrits. Je remets le petit roman Charles et Claire 1 à Mad d'Arbouville par les mains de qui je l'ai obtenu. Mad[am]e de Barante l'a redemandé. C'est à vous cher Monsieur, d'en débattre maintenant la possession.

J'ai encore une petite vérification à vous demander : dans le morceau cité de Chateaubriand, je m'aperçois que votre copie renferme une inexactitude ; c'est dans les dernières lignes : « l'amour après l'avoir tracé sur son livre l'effaça bientôt en riant ; l'amitié seule me promit de le conserver dans son livre. » Il y a probablement autre chose que le premier livre, — soit tablettes, soit cire 2. Veuillez me redire le mot, je vous en prie.

Mille et mille respectueuses amitiés et mes plus humbles hommages à Madame de Rémusat, s'il vous plaît.

Ste BEUVE

Enfin lorsque parut en mai 1845, l'Abeilard de Charles de Rémusat, Sainte-Beuve, qui venait de recevoir le premier volume, promettait de le lire lorsqu'il aurait terminé son second article sur Fauriel 3.

Ce 18 mai [1845]

Je suis bien reconnaissant de ce que vous m'envoyez et de ce que vous me dites. Je vais lire, aussitôt délivré de mon second article, cette belle vie d'Abeilard et plus du restant que vous ne croyez. Ne pensez pas toujours m'échapper par une moitié ; vous ferez bien un jour quelque publication qui tombera tout entière sous ma prise, et ce jour-là je serai bien charmé, non pas de juger, cela ne me va pas, mais de pourtraire. ce qui me plaît avec de certains vis-à-vis.

J'ai été assez souffrant et très reclus cet hiver ; c'est ma seule excuse auprès de Madame de Rémusat. J'aurai l'honneur pourtant de profiter d'un des soirs où elle est chez elle.

Et vous, cher Monsieur, ne viendrez-vous pas un peu plus souvent à l'Institut, entendez bien dans quel sens ; tout le monde dit que vous n'y venez qu'à moitié ; il faudra bien vous décider à y venir deux fois pour une.

Mille et mille respectueuses amitiés.

S"' BEUVE

1. Il s'agit d'un roman de Madame de Rémusat, qui date de 1811, Charles et Claire, ou la Flûte. Ce roman, écrit Sainte-Beuve, " repose sur une donnée singulière et grâcieuse. Dans une certaine ville d'Allemagne, deux émigrés français. un jeune homme et une jeune fille, voisins l'un de l'autre, s'aiment sans s'être jamais vus. " (Suit l'analyse de ce roman).

2. Il fallait en effet lire : « L'Amour, après l'avoir tracé sur ses tablettes, l'effaça bientôt en riant. » Sur l'incident auquel donna lieu la publication de ce passage de Chateaubriand, voir Jean Bonnerot. Bibliographie de l'oeuvre de Sainte-Beuve, t. I, p. 446.

3. Dans la Revue des deux Monde du Ier juin 1845 La première partie de cet article avait paru le 15 mai.


NOTES ET DOCUMENTS 693

Rémusat qui était membre de l'Académie des Sciences morales, depuis 1842, fut élu membre de l'Académie française, le 8 janvier 1846. Sainte-Beuve lui consacra un article dans la Revue des Deux Mondes, le 1er octobre 1847, à propos de ses deux volumes, Passé et présent, mélanges.

Sept autres lettres de Sainte-Beuve qui complètent le dossier Rémusat ont été publiées dans la Correspondance générale par Jean Bonnerot, de qui la disparition regrettable a momentanément interrompu le cours de l'édition ; on nous assure que son achèvement est certain.

MAURICE PARTURIER.

LA CORRESPONDANCE DE RIMBAUD

Pour la correspondance de Rimbaud l'édition des OEuvres complètes du poète, établie par Rolland de Renéville et Jules Mouquet, fait autorité. Dans les lettres de 1888 et de 1889 cependant, lorsque Rimbaud passait les dernières années de sa vie à Harar en Abyssinie, il y a quelques erreurs qui, à notre connaissance, sont passées jusqu'ici inaperçues.

La lettre à Alfred Bardey du 3 mai 1888, telle qu'elle est présentée à la page 486 de l'édition de 1963 des OEuvres complètes ne peut pas être tout entière de Rimbaud, car Bardey se trouvait à Aden à ce moment-là et il est donc impossible que Rimbaud lui ait écrit, au début du deuxième paragraphe : « Hier soir est arrivé à Aden la nouvelle que Berberah venait de brûler entièrement ». Cette phrase doit au contraire être de Bardey lui-même, ainsi que les détails, donnés dans le reste du paragraphe et dans les deux paragraphes suivants, sur l'incendie à Berberah et sur la construction fragile des maisons de cette ville de la côte africaine en face d'Aden. Le paragraphe final doit être de Bardey également car il dit que « M. Robecci, ingénieur italien, va partir pour son premier voyage à Harar » et, comme le début de la lettre nous l'apprend, c'était justement à Harar que Rimbaud venait d'arriver. On ne peut donc pas éviter d'en conclure que seul le premier paragraphe de cette lettre est de Rimbaud et que tout le reste appartient à la communication adressée par Bardey à la Société de Géographie à Paris, au cours de laquelle la lettre de Rimbaud à son ancien employeur est citée. L'erreur d'ailleurs provient justement de ce fait qu'il s'agit d'une lettre citée au cours d'une autre lettre, sans que la fin de la citation soit nettement indiquée. Voici le début du texte tel qu'il est imprimé à la page 375 du compte rendu de la séance du 15 juin 1888 de la Société de Géographie :

— D'Aden, 4 juin, M. Bardey écrit :

« Je reçois de Harar, en date du 3 mai, une lettre de A. Rimbeaud qui me dit : " Je viens d'arriver au Harar. Les pluies sont extraordinairement fortes, cette année, et j'ai fait mon voyage par une succession de cyclones, mais les pluies


694 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

des pays bas vont cesser dans deux mois. — Le Dedjash Makuanin rentre d'une expédition chez les Cuerris où il a peu brillé et peu gagné. Et il est fort en colère.

" Hier soir est arrivée à Aden la nouvelle que Berberah venait de brûler entièrement ...

Le tiret après les mots « dans deux mois » pourrait indiquer la fin de la citation de la lettre de Rimbaud, si ce n'était que le ton des lignes suivantes paraît un peu trop léger pour une communication à une société savante et que, le Dedjash Makuanin étant le gouverneur de Harar, cette nouvelle semblerait venir de Rimbaud. Mais lorsque celui-ci fait allusion ailleurs dans sa correspondance à ce chef abyssinien il écrit toujours « le dedjatch Makonnen ». S'agit-il donc d'un renseignement de son correspondant rapporté indirectement par Bardey plutôt que d'une citation directe de Rimbaud ? Quoi qu'il en soit, on ne saurait douter que la lettre de celui-ci se termine ou bien juste avant, ou bien juste après cette remarque qui, fait curieux, manque dans les éditions de 1951 et de 1963 des OEuvres complètes, bien qu'elle soit présente dans l'édition de 1951 où les paragraphes superflus n'ont pas été ajoutés et où la lettre de Rimbaud, dont la communication de Bardey constitue l'unique source, est donc citée à peu près correctement.

Une deuxième erreur se rencontre à la page 496 de l'édition la plus récente des OEuvres complètes où la date du 3 février 1889, attribuée à une lettre d'Ilg à Rimbaud, ne peut pas être correcte, car jusqu'au 5 février celui-là logeait chez celui-ci, comme on l'apprend deux pages plus loin dans une lettre de Rimbaud à Borelli du 25 février. En effet la lettre l'Ilg, qui se trouve à la Bibliothèque Jacques Doucet, date de trois mois plus tard, c'est-à-dire du 3 mai 1889.

Signalons enfin une erreur non pas de date cette fois mais de lieu, à la page 503 des OEuvres complètes où une lettre de Savouré à Rimbaud du 16 juin 1889 est censée être adressée du port de Djibouti, et pourtant dans la lettre suivante, datée aussi du 16 juin 1889, mais adressée d'Ankober, au beau milieu des montagnes d'Abyssinie, Ilg écrit à Rimbaud que : « Savouré est décidé de partir à la côte ». Celui-ci ne pouvait manifestement pas être à Ankober et, le même jour, écrire à Rimbaud de Djibouti et en effet sa lettre, également dans la Bibliothèque Jacques Doucet, est adressée, comme celle d'Ilg, d'Ankober.

Ce ne sont là que trois erreurs particulièrement frappantes ; les fautes mineures sont malheureusement si nombreuses que toute la correspondance des aimées 1888 à 1891 entre Savouré, Ilg et Rimbaud est à reprendre en se reportant non plus au Rimbaud en Abyssinie de Mlle Starkie, comme les éditeurs des OEuvres complètes se sont trop souvent contentés de le faire, mais aux originaux de ces lettres que l'on peut consulter soit à la Bibliothèque Jacques Doucet, soit au Musée de Charleville.

C. CHADWICK


COMPTES RENDUS

Les Tragédies de Sénèque et le théâtre de la Renaissance, études réunies et présentées par JEAN JACQUOT. Préface de RAYMOND LEBÈGUE. Paris, C.N.R.S., 1964. Un vol. de XII-320 p. in-8°.

Les études rassemblées dans ce volume ont été présentées par leurs auteurs au cours d'une rencontre organisée à Royaumont en mai 1962 par le Groupe de Recherches sur le Théâtre animé par Jean Jacquot. Encadrées par une préface de Raymond Lebègue et un essai de synthèse de Jean Jacquot, ces communications explorent une vaste période, qui commence à l'aube de la Renaissance italienne et se termine vers le milieu du XVIIe siècle. Elles intéressent tour à tour l'Italie, l'Espagne, la France, l'Angleterre, les Pays-Bas et l'Allemagne.

On savait l'importance du rôle de Sénèque dans la naissance et les premiers développements de la tragédie et des doctrines du tragique à travers toute l'Europe renaissante. On le déplorait parfois, Sénèque apparaissant aux yeux des modernes comme un rhéteur bavard et ampoulé plutôt que comme un homme de théâtre. Pierre Grimal rappelle heureusement ce qu'est la tragédie sénéquienne : cheminement d'une catastrophe « rendue fatale par un passé contre lequel on ne peut rien », et poème moins destiné à présenter un héros en action qu'à révéler un personnage à lui-même. Jean Jacquot voit dans le théâtre de Sénèque un effort d'intériorisation qui correspond au passage de la tragédie antique à la tragédie moderne, et s'accorde avec la plupart des auteurs de communications en constatant que les hommes du XVIe et du XVIIe siècles n'ont pas seulement demandé au poète-philosophe des modèles de style ou des thèmes de pensée, mais aussi un certain art de faire parler et agir des personnages.

Sénèque ne s'est imposé à la Renaissance que parce qu'elle s'est pour ainsi dire retrouvée en lui, au moins à partir du moment où l'optimisme des premières décennies de l'antiquité redécouverte a cédé la place au douloureux affrontement de l'ordre médiéval et de la « science » des Anciens, contemporain d'une période de crise économique, politique et religieuse. La tension et la violence colorée du style, le goût de l'horreur matérielle et morale, l'hésitation de l'homme entre la révolte, la dédaigneuse soumission au destin et son glorieux dépassement, tout cela appartient à une Renaissance en crise avant d'être inspiré par Sénèque, et paraît fréquemment prolonger la veine du MoyenAge déclinant plutôt qu'inaugurer une manière nouvelle de voir le monde et de le décrire. C'est dès le XIVe siècle que se forme en Italie le « chapitre d'histoire littéraire concernant les tragédies de Sénèque » (Manlio Pastore-Stocchi) tandis que le " prétendu sénéquisme espagnol » résulte pour l'essentiel, à la fin du XVIe siècle, d'un état général « traumatique » (Herbert E. Isar), qu'en Angleterre l'influence des drames sénéquiens se distingue mal des traditions médiévales, des idées répandues à l'époque des Tudors ou de la veine des interludes moraux (Paul Bacquet et Werner Habicht), et qu'en Allemagne même les thèmes proposés par le Latin sont présents déjà dans un certain théâtre populaire (Joël Lefebvre).


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Cependant Sénèque a été lu et médité par les théoriciens de la tragédie (M. Pastore, Lucia Dondoni, André Stegmann, M. Dreano, etc.) ; il a surtout été traduit, imité, adapté inlassablement par les poètes : si le théâtre espagnol « d'horreur et de démesure » n'a guère eu besoin de lui pour trouver sa voie (Jean-Louis Flecniakoska, Raymond Mac Curdy), un Giraldi a su le suivre de près sans demeurer son esclave (L. Dondoni), les élisabethains l'on traduit, adapté et assimilé (Geoffrey Bullough), son oeuvre, connue directement ou indirectement, a fortement influencé celles d'un Hooft, d'un Van Nieuweland ou d'un Vondel en Hollande (E. Rombauts, W.A.P. Smit), d'un Opitz, d'un Gryphius et d'un Lohenstein en Allemagne (Henri Plard, J. Lefebvre) tandis qu'elle présidait, en France, au développement de la tragédie renaissante avec Garnier, à la naissance de la tragédie classique avec Corneille, celui de Médée, et avec Rotrou, celui de l'Hercule mourant, avant de fournir à Racine lui-même (et pas seulement dans La Thébaïde) des caractères, des attitudes et des motifs stylistiques (R. Lebègue, J. Morel, A. Stegmann, John Lapp). Mais, selon l'heureuse formule de J. Jacquot, l'histoire de Sénèque « est celle d'une assimilation et d'un dépassement ». Ses thèmes se sont christianisés chez un Garnier comme chez un Rotrou, chez le Hollandais del Rio comme chez l'Allemand Gryphius. Les motifs et la manière de ses drames ont été fréquemment détournés de leur signification originale par la recherche de la « suspension » et de la fin heureuse chez un Italien comme Giraldi, par l'influence de la pastorale et de la tragi-comédie chez un Français comme Rotrou, et chez les Anglais comme chez les Allemands par la survivance de traditions musicales (F. W. Sternfeld) ou par la pression des formes populaires du théâtre. Sénèque point de convergence et signe de contradiction : la complexité de son influence et les réserves qui lui ont été opposées ici et là offrent aux historiens de demain un vaste champ de recherche. L'état présent ici dressé est autant celui des lacunes de nos connaissances que celui des conquêtes déjà réalisées.

JACQUES MOREL.

BARBARA C. BOWEN, Les Caractéristiques essentielles de la Farce Française et leur survivance dans les années 1550-1620. Urbana University of Illinois Press, 1964. Un vol. in-8° de X-220 p. (Illinois Studios in Language and Literature, 53).

Voici quelques années, M. Raymond Lebègue appelait de ses voeux une histoire de la farce française du Moyen Age 1. La thèse de Miss Barbara C. Bowen, sans prétendre être cette histoire, n'en pose pas moins d'utiles jalons ; c'est une réflexion attentive sur les éléments constitutifs de notre farce médiévale et leur permanence partielle dans le théâtre français entre 1550 et 1620.

Dans une première partie, Miss Bowen se préoccupe de définir la farce. C'est, dit-elle en substance, un genre autonome, qui a son esthétique propre et qui nous propose une vision nettement définie du monde et de l'homme, « Les auteurs comiques des XVe et XVIIe siècles mettent en scène des gens comme eux, mais qui parlent et agissent de façon plus schématique, plus stylisée (...) « Acceptation » est le mot-clé de cette perspective sur la vie (...) Réduire la vie à ses aspects les plus simples, et en rire, voilà le vrai moyen de la supporter » (pp. 16-17). Après avoir insisté sur la loi du balancement ou de l'antithèse qui régit la « structure poétique » de la farce, Miss B. établit une classification provisoire (et discutable) des farces en : 1° simples parades ; 2° débats ; 3° pièces construites de façon véritablement dramatique. Puis elle passe en revue les éléments constitutifs des farces : les thèmes (la sottise, la

1. » Pour une histoire de la farce », Revue d'Histoire du Théâtre, 1950.


COMPTES RENDUS 697

ruse et la friponnerie, le ménage et ses soucis, la satire des différents états), les jeux de scène (comique de gestes et comique de mots), les types (maris, femmes, parents, domestiques, amoureux, enfants, voisins et commères ; gens de métier, religieux, juges et médecins, marchands), enfin la composition et le style. On note dans ce chapitre des remarques intéressantes sur les lieux de la farce (pp. 60-62) ou sur la formule qui termine d'habitude la pièce (pp. 62 sqq.) ; mais on regrette que certains aspects des farces soient insuffisamment mis en lumière : par exemple, le comique de situation, le rythme de l'action dramatique et les principaux schémas auxquels elle obéit. Pour conclure son analyse, Miss B. pose la question du réalisme des farces, et suggère qu'elles sont " en vérité moins réalistes qu'artistiques, et que leurs auteurs savaient puiser dans la réalité pour créer une oeuvre poétique » (p. 84) : on aimerait des précisions.

La seconde partie de l'ouvrage est consacrée à la survivance de la farce entre 1550 et 1620, et contient de nombreuses indications fort intéressantes sur ce qu'on peut trouver de typiquement farcesque dans les comédies de la Pléiade, les traductions de comédies latines et italiennes, la comédie régulière d'inspiration italienne, la comédie irrégulière, la tragi-comédie et la pastorale de cette période de transition, enfin les parades de l'Hôtel de Bourgogne et de Tabarin. Malgré certains points contestables — par exemple, Le Brave de Baïf a-t-il exercé une grande influence au XVIe siècle et au-delà (p. 112) ? et ne faudrait-il pas rattacher Bruscambille à la tradition de la sottie plus qu'à celle de la farce (pp. 175-176) ? — cette enquête est très sérieuse, méthodique, nuancée dans ses résultats. Mais la conclusion générale à laquelle arrive Miss B. ne laisse pas d'être assez déconcertante : « Comment se hasarder à supposer un renouveau de farce, d'après quelques exemples isolés et tout à fait différents de la production « régulière » de l'époque ? » (p. 193). Il faudrait s'entendre : il n'y a certes pas un renouvellement de l'inspiration et des procédés de la farce au début du XVIIe siècle ; mais il semble bien qu'on ait le droit de déceler un retour en faveur ou un succès toujours vif de la farce entre 1590 et 1620. Il y a un esprit de la farce française, au sens où M. Gustave Attinger parlait naguère de l'esprit de la commedia dell' arte 1, et cet esprit demeure bien vivant dans nos salles de théâtre d'alors, malgré tous les ostracismes humanistes ; vers 1620 comme avant 1550, on continue de faire rire le public en lui offrant le spectacle d'une humanité plus grimaçante, plus malicieuse et plus bête que nature.

Ces quelques réserves faites, on n'en est que plus à l'aise pour signaler l'ouvrage de Miss B. à l'attention de tous ceux qui s'intéressent à notre farce médiévale et à son influence : ils y trouveront maintes analyses suggestives, et ils sauront gré à l'auteur d'avoir exploré un canton encore mal connu de notre ancienne littérature dramatique.

ROBERT GARAPON.

DESCARTES, OEuvres philosophiques, tome I (1618-1637), édition de F. ALQUIÉ. Paris, Classiques Garnier, 1963. Un vol. in-12° de 829 p.

Ce livre est le premier tome d'une édition qui en comprendra trois, et qui porte sur les oeuvres métaphysiques et scientifiques (à l'exclusion des oeuvres mathématiques) de Descartes. Les 829 pages de ce volume et les principes suivis pour leur publication permettent d'affirmer qu'elle sera la plus précise et la plus complète des éditions maniables de Descartes (l'édition d'Adam et Tannery, dont la mise à jour et réédition viennent de commencer, comportera 24 volumes).

Pour la première fois, une édition de Descartes présente les textes en ordre

1. G. Attinger, L'Esprit de la commedia dell' arte dans le théâtre français, 1950.


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strictement chronologique ; les lettres sont intercalées entre les traités. La variété ainsi offerte donne l'image plus fidèle d'une vie. On sait que M. Alquié estime qu'il y a un devenir essentiel à la pensée de Descartes. Il faut reconnaître avec lui que, dans une édition de textes dont les dates posent peu de problèmes, l'ordre chronologique « le plus objectif est le moins contestable » : il permet de considérer l'esprit de Descartes » dans le mouvement de sa découverte », et nous met en tout cas dans les meilleures conditions pour juger de l'évolution de sa pensée.

L'adoption de l'ordre chronologique a permis à M. Alquié de faire précéder chaque texte ou groupe de textes d'une courte introduction qui l'éclairé dans ses rapports avec la vie du philosophe. On trouve, dans ces pages en italiques, les éléments d'une biographie, l'histoire des oeuvres, et aussi les résumés indispensables des lettres auxquelles Descartes répond et des textes non publiés.

La base de l'établissement du texte est l'édition d'Adam et Tannery. avec les corrections et additions nécessitées par les travaux ultérieurs ; les plus importantes demeurent celles de l'introuvable édition Roth qui avait, en 1926, apporté des retouches sensibles à l'image que Clerselier avait voulu laisser de Descartes. Le texte est entièrement en français. M. Alquié a traduit notamment les premiers écrits de Descartes, que les éditions courantes laissaient ignorer. Dans les lettres à Beeckman de 1619, l'amitié se mêle aux problèmes de mathématiques et de physique (comme dans les lettres à Elisabeth, elle se mêlera plus tard aux questions de morale). Dans les Préambules, les Observations et les Olympiques, se révèle un Descartes féru d'enthousiasme, de poésie et de symboles sensibles, un Descartes pas encore cartésien. La nouvelle traduction des Règles pour la direction de l'esprit, due à M. Jacques Brunschwig, tient compte du fait que Descartes pensait en latin. Souple et précise, elle met en lumière des nuances inédites, par exemple concernant le rôle de l'imagination en mathématiques.

Dans ce tome I, tous les textes relatifs à la méthode et à la métaphysique écrits jusqu'en 1637 sont publiés. Descartes physicien et biologiste (Traité de l'Homme) y tient une place importante. Toutefois, plusieurs textes de physique ne sont reproduits qu'incomplètement (Le Monde, la Dioptrique, les Météores). Le jeune Descartes qui s'exprime dans ce volume offre un visage un peu renouvelé, en accord avec le beau portrait de la couverture.

Dans ce volume, agréablement présente et illustré, de riches notes explicatives précisent les significations et allusions, suggèrent des rapprochements, situent les interprétations et renvoient à une abondante bibliographie. L'indication marginale des pages correspondantes d'Adam et Tannery achève de faire de cette édition, qui est un instrument d'information excellent pour tout lecteur de Descartes, un instrument de travail pour les philosophes.

Signalons enfin aux érudits et aux bibliophiles que l'introduction reproduit l'histoire de la publication de l'oeuvre de Descartes et de ses diverses éditions.

JEANNINE PIGNET.

MARIN MERSENNE, Correspondance, t. VII (janvier-juillet 1638). Paris, Centre National de Recherche Scientifique, 1962. Un vol. in-4° de XI-476 p. — T. VIII (août 1638 - décembre 1639). Ibid., 1963. XI-787 p. Ill.1.

La plupart des collaborateurs de cette gigantesque entreprise seront morts avant qu'elle ne s'achève : Mme Paul Tannery, le P. Lenoble, le savant hollandais Cornélis de Waard, qui y travaillait depuis plus de quarante ans et

1. Pour les tomes précédents, cf. R.H.L.F., XLII, 449; XLIV, 554; LVIII, 536; LXI, 457 ; LXII, 417.


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qui s'est éteint en 1963. M. Bernard Rochot, qui a étroitement collaboré aux quatre derniers volumes, est chargé de la conduire à bonne fin. Souhaitons que la cadence de publication, qui s'était accélérée à partir de 1958, nous mène dans peu d'années à la mort du Minime (1648).

Je ne reviendrai pas sur les qualités exemplaires de cette édition, qui touche à tant de sciences. Je me demande seulement si, aux excellentes tables qui terminent chaque volume, on ne pourrait pas ajouter un index alphabétique des matières ; ainsi, le lecteur retrouverait rapidement les pages concernant l'aimant, l'algèbre, la cycloïde, le levier, les lunettes, la matière subtile, la pompe, le socinianisme etc.. Et les lexicologues aimeraient trouver un index des mots rares (menuetés par ex.).

Un bon nombre de lettres son inédites.

Dans ces tomes nous voyons Mersenne assumer entre les savants de divers pays le rôle d'intermédiaire qu'avait exercé, jusqu'à sa mort (1637), Nicolas de Peiresc. Il signale au Néerlandais Rivet les livres savants publiés à Paris ; de Leyde, les Elzévir le renseignent sur leurs publications ; Rivet fait de même pour les livres néerlandais et allemands, Mersenne voudrait faire traduire en français les ouvrages religieux de l'Anglais Edouard Brerewood. Il distribue à ses amis français des exemplaires de sa traduction du De veritate de Herbert de Cherbury, et il compte en remettre à des cardinaux de Rome. Il met en rapports deux musicologues : le Néerlandais Ban et l'Italien J. B. Doni.

Mersenne blâme certains savants de tenir secrètes leurs recherches ; il est partisan des « conférences » (VIII, 639), et s'y emploie. Il envoie à l'Anglais Pell un problème sur la roulette ; si Pell n'en trouve pas la solution, il la lui fournira. De même Fermat discute un problème d'algèbre (VIII, 321).

La théologie, l'apologétique, les controverses religieuses font la matière des lettres échangées avec Rivet. Tous deux combattent les Sociniens. Mersenne signale à Rivet les thèses du P. Sirmond et de Launoy qui distinguent de S. Denis apôtre des Gaules S. Denys l'Aréopagite et il l'informe de l'arrestation d'un « des plus savants hommes de France » : Saint-Cyran. Il fait cette concession : « pour Calvin il y a mille choses qu'on luy impose qui peuvent estre tolerées bono sensu ». A propos de l'Instruction chrétienne de Rivet contre le théâtre, Mersenne lui raconte une savoureuse anecdote, que je n'ai vue nulle part ailleurs, sur Valleran-le-Conte citant les Pères pour démontrer l'utilité du théâtre (VIII, 675). Il exhorte Grotius à développer son De veritate religionis christianae (VIII, 480 et 483). Descartes se défend de fréquenter les prêches des Calvinistes (VIII, 608). Notons aussi le récit d'une discussion entre le protestant Casaubon et le cardinal de La Rochefoucauld (VIII, 718).

Sur la musique, on consultera surtout la correspondance avec Doni et avec Ban. Doni conteste le principe des vers français mesurés (VIII, 14) ; il taxe d'ignorance Frescobaldi, et loue les mélodies de Monteverdi.

Nous n'insisterons pas sur les problèmes d'algèbre, de géométrie, de physique, etc.. qui sont débattus clans ces lettres. Mais on apprendra avec intérêt que, dans cette correspondance, le nom du jeune fils d'Etienne Pascal apparut pour la première fois à la fin de 1639, à propos de son travail sur les coniques.

Ce qui tient la plus grande place, ce sont les polémiques dirigées contre Descartes par Roberval, Fermat, Beaugrand, etc.. Cette édition fournit les pièces de la querelle ; car Mersenne reçoit les répliques et les réfutations des uns et des autres. Quelquefois il hésite à transmettre à l'un la riposte qu'il a reçue de l'autre (VII, 21). Le ton est vif, et l'adjectif absurde revient sous la plume de Roberval et sous celle de Descartes. Le Ier mars 1638, celui-ci rabroue vertement le P. Mersenne, qui a trouvé dans son livre des affirmations fausses (VII, 81). Il va jusqu'à lui écrire : « J'admire (= je suis


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stupéfait de) vostre crédulité de vous estre laissé abuser par ses amis ( = ceux de Fermat) ». Une volée de bois vert ! Et il recommence le 9 lévrier 1639 (VIII, 296). Il ne cache pas son dédain pour Roberval, Fermat, Petit, Campanella, Rivet. Il suppose que les fabricants de lunettes de Naples ont eu vent de ses découvertes (VIII, 289).

Il est susceptible, irritable ; mais il observe certaines règles de prudence ou de modération. Le 27 juillet 1638, il demande à Mersenne, pour le cas où celui-ci publierait sa lettre du 29 juin, de remplacer les mots impudence, effronterie, ignorance, impertinent, ridicule qu'il accolait au nom de Beaugrand ; qu'on laisse seulement : ce livre mesprisable ! De cette copieuse lettre du 27 juillet, la première feuille peut être montrée aux savants ; mais la suite est pour Mersenne seul 1 : là, Pierre Petit, qui critique sa preuve de l'existence de Dieu, est qualifié de petit chien qui aboie 2 contre Descartes, et celui-ci affirme que, dans un pays d'Inquisition, il aurait sujet de craindre le feu . Il ne veut pas que sa critique des Discorsi de Galilée soit montrée par Mersenne à d'autres (VIII, 103).

Une autre querelle, encore plus injurieuse, est évoquée par Mersenne : celle que l'irascible Saumaise soutint avec le P. Denis Petau. « Je voudrois, écrit plaisamment le Minime, que quelqu'un eust fait un dictionnaire de ces injures » (VIII, 600).

C'est toute une époque de l'histoire des sciences qui revit dans ces lettres rassemblées de partout 3.

RAYMOND LEBÈGUE.

RAYMOND, PICARD, La Poésie française de 1640 à 1680. Poésie religieuse, Epopée, Lyrisme officiel. Paris, Société d'Edition et d'Enseignement Supérieur, 1964. Un vol. in-16 de 277 p.

L'utilité du livre de M. Picard sautera vite aux yeux de tous ceux qui déplorent l'extrême rareté, non seulement en librairie, mais même dans les grandes bibliothèques, de beaucoup de textes poétiques du XVIIe siècle : voici maintenant, à portée de la main, un choix de textes rares, dont certains, comme les fragments d'épopées, complètement négligés par les éditeurs et par les auteurs d'anthologies jusqu'à ce jour. Le lecteur appréciera aussi l'effort de probité et d'objectivité qui a conduit M. Picard à s'interdire de faire écran entre le lecteur et les textes par un choix guidé par des préférences personnelles ou des catégories préfabriquées. M. Picard n'a voulu ni prouver quelque chose, ni faire dire à des extraits adroitement choisis ce que les auteurs n'ont jamais voulu dire : « Les poèmes cités, écrit-il, ne sont présentés ni comme des préfigurations ni comme des survivances : ils sont donnés pour ce qu'ils sont ». Faire une coupe dans la poésie « sérieuse » d'une époque donnée, avec ses ambitions, ses réussites, ses échecs, tel semble avoir été le dessein essentiel de M. Picard. Avant de juger, il faut avoir les pièces du procès en main : de ce point de vue, le livre nous sera précieux.

Encore fallait-il faire un choix dans une matière immense. M. Picard a choisi la période qui s'étend de 1640 à 1680. à l'intérieur de laquelle il a retenu exclusivement la poésie religieuse, l'épopée et le lyrisme officiel. Et puis il a fallu encore détacher certains noms, certaines oeuvres, et laisser les autres dans l'ombre. C'est l'écueil de toute anthologie de ne pouvoir satisfaire tout le monde, son auteur le premier. On peut regretter que la date intiale de 1040 laisse derrière elle une part non négligeable et brillante de la production ly1.

ly1. ausi la lettre du 9 février 1639 (VIII, 297).

2. Autre injure pittoresque : « ce faiseur d'escrevisses » (VIII, 499).

3. Au tome VIII, p. 240, mettre sur = imputer, reprocher. A la p. 263, pottronneric

pottronneric - paresse.


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rique du siècle, non seulement amoureuse (ce qui sortait du cadre choisi par M. Picard), mais même religieuse ou héroïque ; il est peut-être dommage que le talent multiforme d'un Saint-Amant n'apparaisse qu'à travers les alexandrins plus ou moins bien inspirés du Moyse Sauvé. On peut regretter aussi, du reste, que le lyrisme amoureux ait été exclu, de même qu'une certaine poésie d'inspiration mythologique et pastorale, où brillent, même après 1640, un Tristan, un Sarasin, un La Fontaine : mais ne valait-il pas mieux attirer l'attention sur une poésie encore bien moins connue, et qui recèle pourtant, surtout la poésie religieuse, de très grandes beautés ? On pourrait enfin discuter le choix même des auteurs : pourquoi Godeau, et pas Patrix ? Arnauld d'Andilly, et pas le Père Le Moyne ?

Mais il fallait bien se limiter, d'autant plus que M. Picard a eu l'heureuse idée de préférer à un échantillonnage de textes multiples la reproduction de textes intégraux ou, en tout cas, de larges extraits. Sans parler de l'épopée, le lyrisme religieux au XVIIe siècle, qui relève souvent soit de la paraphrase, soit de l'exercice spirituel, se déploie volontiers en vastes ensembles strophiques.

On saura gré encore à M. Picard d'avoir réservé une section de son anthologie à des textes théoriques, préfaces pour la plupart ; on y voit apparaître la conception très pédagogique que l'on se faisait, en général, de la poésie religieuse. On y voit aussi s'affirmer les hautes et folles ambitions de ceux qui rêvèrent, autour de 1650, de donner à la France la grande épopée nationale qu'elle attendait depuis l'échec de la Franciade. S'il n'est pas question d'ouvrir le procès en réhabilitation de la Pucelle ou d'Alaric, du moins sera-t-il enfin possible de confronter à loisir déclarations d'intentions et réalisations ; et peut-être découvrira-t-on, ici ou là, dans Alaric ou le Moyse Sauvé, quelque chose de cet éclat et de cette grandeur que leurs auteurs prétendaient, un peu naïvement, ravir au Tasse et à Virgile.

JEAN-PIERRE CHAUVEAU.

FRANÇOIS GALLOUEDEC-GENUYS, Le Prince selon Fénelon. Préface de MARCEL PRELOT. Paris, C.U.F., Bibliothèque de la Science Politique, 1963. Un vol. in-8° de 308 p.

L'ouvrage que Mme Gallouedec-Genuys a consacré sous un titre restrictif aux idées politiques de Fénelon constitue, sans doute, l'étude la plus approfondie qui ait été écrite jusqu'à présent en la matière. Les historiens des idées politiques négligent généralement d'accorder à l'archevêque de Cambrai la place qui lui revient (cf. J.J. Chevallier, Les Grandes OEuvres politiques de Machiavel à nos jours, Paris, Colin, 1948 ; F. Ponteil, La Pensée politique depuis Montesquieu, Paris, Sirey, 1960 ; J. Touchard, Histoire des idées politiques, Paris, C.U.F., 1959). Les spécialistes de Fénelon eux-mêmes, lorsqu'ils proposent une interprétation de la politique du Télémaque, la rattachent de préférence à une analyse de sa pensée philosophique et religieuse. A l'opposé, Mme Gallouedec-Genuys « expose en forme de système » (p. 288) la pensée politique de Fénelon.

A qui n'est pas « politologue » de métier, son étude apparaîtra d'une extrême virtuosité. Encore faut-il admettre qu'il soit légitime d'extraire ainsi de l'oeuvre fénelonienne une politique rigoureusement cohérente ; or, si l'auteur des Maximes des Saints demeure toujours un « spirituel », il ne s'ensuit nullement que ses opinions aient ignoré toute évolution, toute contradiction — ceci surtout lorsqu'il en vint à s'attacher à l'image même de l'impermanence, l'organisation temporelle des hommes. Abusée, croyons-nous, par le mirage de « l'esprit classique », Mme Gallouedec-Genuys a tenté de ressusciter telle « une grande architecture harmonieuse, logique et équilibrée », la " politologie »


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fénelonienne, se proposant de « rétablir ainsi, sous une forme totalement logique, une pensée quelque peu émiettée dans la réalité de ses expressions ».

C'était méconnaître une personnalité dont les contemporains célébrèrent moins « l'esprit systématique » (p. 288) que la souplesse despotique et l'intelligence mouvante.

Surtout, cette volonté de synthèse néglige les exigences de la chronologie. Sans même parler de la juxtaposition (p. 266) de l'Essai Philosophique sur le Gouvernement Civil et du Télémaque, celle, fréquente, du Mémoire sur la Souveraineté de Cambrai, des Dialogues des Morts, du Télémaque et des Tables de Chaulnes, nous semble impliquer un dessin préétabli. Peut-être parce qu'elle reprenait elle-même le point de vue synthétique de Ramsay, Mme Gallouedec-Genuys a tendance à accorder trop de crédit à l'Essai Philosophique où l'on n'a jamais bien pu démêler ce qui était à inscrire au crédit de Fénelon et ce qui revenait en propre à l'Ecossais. Certains de ces rapprochements sont toutefois, à l'occasion, riches de suggestions nouvelles — ainsi, dans le chapitre sur l'Organisation Internationale les extraits du Télémaque et de l'Examen des droits de Philippe V à la couronne d'Espagne.

Par mille touches semblables, Mme Gallouedec-Genuys a échappé à une trop froide schématisation. Elle peint en définitive moins un système qu'un être mythique, « le Prince », cher aux voeux de Fénelon, et peu nous importe en définitive sa parfaite authenticité historique puisqu'il est le rêve toujours repris et caressé de ce que serait dans l'avenir « l'héritier présomptif puis nécessaire de la couronne ». et le regret de ce que le destin lui interdit de devenir. « Le Prince est ». « le Prince Gouverne », « le Prince demeure ». tels sont les trois points de vue auxquels l'auteur se place successivement.

Comme le marque nettement Mme Gallouedec-Genuys « la politique est » aux yeux de Fénelon « obéissance à la loi naturelle et universelle, à la loi de Dieu », « oeuvre d'un Prince chrétien à la recherche de son salut » (p. 13). La raison d'être du Prince, c'est sa « nécessité » : « l'homme naît sociable » (Essai Philosophique, OEuvres complètes, t. VII, p. 107), mais depuis le péché d'Adam la loi divine s'est obscurcie et seul un Prince pourra éviter l'anarchie. Nulla potestas nisi a Deo : la Divinité est la véritable source de la souveraineté. Quant à la transmission du pouvoir, si Fénelon assigne un rôle certain au mérite personnel, il estime que le droit héréditaire présente l'avantage de supprimer brigues et convoitises. Contre ce Prince toute révolte est inutile, dangereuse, vaine — lors même qu'elle est humainement compréhensible. Plutôt que les haïr « il faut plaindre les rois et les excuser ... n'étant qu'hommes, c'est-à-dire faibles et imparfaits, d'avoir à gouverner celte multitude innombrable d'hommes corrompus et trompeurs » (Télémaque, Liv. X). Mme Gallouedec-Genuys oppose très justement à cette doctrine le « libéralisme » d'un Locke pour qui « tout le pouvoir de gouvernement civil ... se borne aux choses do ce monde, et n'a rien à voir avec le monde à venir (Lettres sur la Tolérance citées par Mme Gallouedec-Genuys, p. 35 ». Le Prince fénelonien par ses défaillances mêmes suppose l'omniprésence divine.

Pourtant, sur le point capital de l'indépendance du Prince à l'égard de l'Eglise, Fénelon sera très impératif (cf. p. 34 et suiv.). Interprète fidèle de saint Augustin il sépare les deux puissances, et à l'aube du XVIIIe, siècle, donne de l'Eglise une image « modérée, apaisante et conciliatrice (p. 24) », ce qui n'exclut pas une collaboration avec l'ordre temporel, collaboration sans grandes difficultés dans un contexte historique où le Prince n'aurait d'autre but que le salut de tous et le sien propre.

Sur le gouvernement du Prince, l'ouvrage de Mme Gallouedec-Genuys (IIe partie, p. 22-185) apporte des précisions multiples. Malgré sa haine du despotisme, Fénelon souhaitait qu'il fût absolu, « c'est-à-dire ni arbitraire, ni partagé, ni limité (p. 78) ». Aucune confusion n'est possible entre pouvoir ab-


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solu et pouvoir arbitaire 1 : Fénelon ne fait pas grief à Louis XIV de son « absolutisme » mais de sa manière d'en user. Quant au système d'une monarchie modérée par l'aristocratie, souvent prôné par Fénelon et abusivement rapproché du gouvernement par des conseils selon Saint-Simon ou de la Polysynodie de l'Abbé de Saint-Pierre, il maintient entière la souveraineté du Prince.

Au demeurant, contrairement à nombre de ses contemporains, Fénelon ne confondait nullement régime politique et monarchie puisqu'il reprend la question classique débattue depuis Hérodote et discutée par Jean Bodin des formes éventuelles des régimes politiques : son option monarchique n'était pas d'un naïf et la Lettre à Louis XIV contient à l'adresse du roi la plus cinglante des critiques : « Vous avez cru gouverner » (cité p. 123). Ministres, Conseils, Etats Généraux doivent seulement aider le monarque. Sur un autre point, la réforme de l'administration régionale, Mme Gallouedec-Genuys décèle nettement aussi (p. 137) l'insatisfaction fénelonienne.

Non que l'archevêque de Cambrai ait jamais cru au paradis de la Bétique ! Tout le Manuel de Piété est là pour enseigner que « la paix d'ici-bas est dans l'acceptation des choses contraires et non pas dans l'exemption de les souffrir » (p. 182). Mais plus qu'une transformation des institutions, la régénération personnelle du Prince peut, dans les limites de la fragilité humaine, rendre les peuples heureux par la vertu de l'exemple. Ceci sans illusion puisque Télémaque devra « compter sur l'ingratitude des hommes et ne laisser pas de leur faire du bien ». Salente tiendra compte de la médiocrité humaine et des données de fait qui en découlent immédiatement : l'inexistence naturelle d'une égalité parfaite entre les hommes et l'impossibilité de l'établir dans une société civile.

Mme Gallouedec-Genuys se trouve ainsi amenée dans une troisième partie (p. 185 à 283) à analyser le partage des biens, le partage des terres, le partage du monde enfin entre des peuples divers. Fénelon « se fait l'écho d'une scission entre le peuple de France et son roi (p. 210), Louis XIV ayant développé sa puissance aux dépens de l'ordre social qui précisément la fondait » ; il doit recréer « la vrai forme du royaume » et se rappeler qu'il n'est roi « que pour être l'homme des peuples » (Principes d'un sage gouvernement, cit. p. 212). Quant à la propriété, elle est un droit civil accessible à toute famille et susceptible, parce qu'essentiellement agricole, de satisfaire les besoins élémentaires du plus grand nombre — alors que le souverain régnant pour sa seule gloire achève « de faire mourir de faim une populace à demi-morte ». (Lettre au Duc de Chenere du 4 août 1710.) Ainsi le bonheur sera assuré — autant qu'il est possible en ce monde — à condition que la paix soit maintenue entre les divers états.

L'ouvrage de Mme Gallouedec-Genuys s'achève sur l'exposé des mesures préconisées par Fénelon pour assurer « une espèce d'égalité et d'équilibre » entre les nations. Favorable au libre-échange, il savait qu'une rénovation préalable des économies internes s'imposait (p. 261). Surtout, il croit à la vertu d'une " assemblée générale » des Princes (Télémaque, X) à laquelle il appartiendrait de résoudre les conflits. Par ce moyen, des Princes chrétiens, absolus et soumis à la loi, feraient régner la Paix.

Ainsi que le rappelle avec force Mme Gallouedec-Genuys ce Prince de Fénelon, qu'invoquèrent les Philosophes, n'a rien d'un libéral au sens individualiste du XIXe siècle : il exploite en fait avec Bossuet un fonds commun d'idées qui sont celles de la tradition catholique telle qu'elle est reçue en leur temps,

1. « Par le pouvoir absolu, je n'entends autre chose qu'une puissance qui juge en dernier ressort », Essai Philosophique, cit. p. 78. « Souvenez-vous, disait Mentor, que les pays où la domination du souverain est la plus absolue, sont ceux où les souverains sont moins puissants » (Télémaque, X).


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quitte à diverger dans le détail sur l'application des principes. Regrettons, toutefois, que tels aspects particulièrement dramatiques de la pensée politique de Fénelon s'estompent dans cette synthèse un peu édulcorée : ainsi les rigueurs cruelles et désespérées de la Lettre à Louis XIV.

Le lecteur non spécialiste regrette surtout que l'Archevêque de Cambrai ne soit pas inscrit plus précisément dans la lignée des pédagogues politiques inaugurée par Aristote, précepteur d'Alexandre et illustrée parmi d'autres par saint Thomas écrivant pour Lusignan, roi de Chypre, le De Regimine Principum, ou par Machiavel, secrétaire des Médicis, rédigeant son Prince en songeant au défunt César Borgia.

La très belle Préface de M. Marcel Prelot comble cette lacune sans nous satisfaire pleinement. Nous ne croyons pas, en effet, qu'on puisse faire de l'auteur de Télémaque le maître d'une « politologie baroque » (p. XVIII), quand bien même son idéal correspondrait à l'ordre « à la fois monarchique, aristocratique, religieux et terrien » définit par M. Tapié (Baroque et Classicisme, p. 328) comme l'envers politique du décor baroque. Dans le cas de Fénelon de semblables rapprochements risquent d'égarer, car « la poésie d'Amphitrite » ne doit point dissimuler l'austérité très platonicienne d'une intelligence qui avait peu d'affinités réelles avec ces triomphes borrominesques qui sont un peu les triomphes de la vie. Le Prince de Fénelon ne pouvait que mourir.

JEANNE-LYDIE GORÉ.

Présence de Jean-Jacques Rousseau. Entretiens de Genève, 1962.

Paris, Armand Colin, 1963. Un vol. in-8° de 457 p.

Ce volume forme le tome XXXV des Annales de la Société Jean-Jacques Rousseau. Il est consacré pour les deux tiers aux entretiens organisés à Genève les 16 et 17 Juillet 1962 par la Société. Les rousseauistes genevois qui recevaient se sont effacés pour laisser parler les étrangers, huit Français, deux Anglais, un Allemand, un Italien, un Polonais. Au total sont réunies treize conférences, qui, avec les discussions qui les ont suivies, forment une contribution précieuse à l'étude de l'art et de la pensée de Rousseau.

Les travaux embrassent les principaux aspects de l'oeuvre. D'abord les oeuvres mineures. M. Arnaldo Pizzorusso étudie « La Comédie de Narcisse ». Cette comédie, dont l'échec n'est pas prouvé, malgré ce qu'en a dit JeanJacques, a une grande importance autobiographique. Dans un cadre conventionnel, Rousseau a developpé un thème qui lui est essentiel. Narcisse est un peu Jean-Jacques lui-même. Lui aussi se plaît à vivre en contemplant une certaine image de soi qu'il retouche constamment. Narcisse, dont Mr Pizzorusso révèle les richesses par de fines analyses prouve que le narcissisme de Jeanques n'est pas un phénomène propre à son âge mûr, mais une constante de sa vie.

Trois communications intéressent La Nouvelle Héloïse. M. Mauzi s'est attaché au problème de la conversion de Julie. Son analyse du rôle de la vertu dans le comportement de Julie paraît aussi juste que fine. Mais n'est-il pas osé d'écrire : « cette idée profondément rousseauiste de l'identité de la nature et de la grâce... » (p. 32) ? La formule a été critiquée. M. Bernard Guyon, avec « La mémoire et l'oubli dans La Nouvelle Héloïse », enrichit la fameuse thèse de Gilson sur la méthode de Wolmar. Le grand thème du livre est que l'homme trouve dans le temps son pire ennemi. Le vrai conflit est ici entre l'aspiration humaine à la durée et le changement inéluctable. Les amants continuent à s'aimer parce qu'ils se souviennent. Mais la vie est l'ennemi de la mémoire. C'est pourquoi Wolmar agit sagement, en dépit des apparences, en les remettant en présence. Avec Julie, il échoue, car elle est un être exceptionnel en qui l'amour triomphe de l'érosion du temps. Mais avec Saint-Preux il réussit. En parlant de " Jean-Jacques et la Jalousie », M. Osmont n'étudie


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pas seulement La Nouvelle Héloïse, mais éclaire surtout cet ouvrage. Pour lui, la jalousie n'est pas un sentiment inconnu de Jean-Jacques, mais elle est étrangère à ses besoins imaginatifs. Il est avide d'harmonie et de transparence. Son besoin d'aimer transcende le besoin de la possession. Cette constante de sa sensibilité ressort de toute son oeuvre.

Emile a été également l'objet de trois communications. M. Spink fait remonter « Les premières expériences pédagogiques de Rousseau » plus tôt qu'on ne l'admettait jusqu'ici. L'épisode de l'enfant mutin viendrait de souvenirs de Chambéry datés de 1735. M. Spink considère le Projet pour l'éducation de M. de Sainte-Marie, comparé aux ouvrages pédagogiques du temps, comme une oeuvre moderniste et hardie. On trouvera aussi dans son article des considérations pénétrantes sur les liens entre la pensée politique de Rousseau et sa pédagogie. La monarchie française n'est pas une patrie : aussi toute éducation publique est-elle impossible. M. Spink en déduit que Emile se situe dans le pays de Vaud, politiquement neutre. Thèse qui appelera sans doute la discussion, car enfin telle anecdote se situe dans la forêt de Montmorency. M. Burgelin s'est demandé pourquoi dans « L'Education de Sophie », l'éducateur d'Emile s'est montré si conservateur. C'est que Rousseau a accepté la tradition littéraire, selon laquelle la passion amoureuse est incompatible avec le mariage. Sophie est élevée pour le mariage ; elle subit l'éducation de son temps. Education qui aboutit à un échec : voir « Les solitaires ».

La « Profession de Foi » a été étudiée par M. Gouhier : « Ce que le Vicaire doit à Descartes ». C'est une étude d'une rigueur lumineuse. M. Gouhier conclut à des concordances, mais non à une influence de Descartes. Le doute du vicaire n'est pas le doute méthodique. Dans sa lutte contre le matérialisme biologique de son temps, Rousseau part des mêmes conceptions mécanistes que Descartes, mais il découvre, contrairement à celui-ci, un ordre divin dans le mécanisme cosmique.

Egalement trois études sur la pensée politique. M. Jean Fabre dans une étude très dense sur « Réalité et utopie clans la pensée politique de Rousseau » demande qu'on n'emploie qu'avec prudence le terme d'utopie concernant Rousseau. Il plaide vigoureusement contre Vaughan pour l'unité de cette pensée et pour son réalisme. Jean-Jacques a été très tôt bien informé des réalités politiques génevoises. Par contre, M. Derathé, dans « La religion civile selon Rousseau », s'est livré à une critique sévère du célèbre chapitre. Pour lui Rousseau a été tenté par les religions nationales du paganisme, mais il n'a pas osé aller jusqu'au bout et juxtapose dans « La religion civile » des dogmes spiritualistes chrétiens et des dogmes antiques strictement civils. Communication qui a soulevé des discussions passionnées. M. Baczko a abordé un vaste et beau sujet : « Rousseau et l'aliénation sociale ». Etude riche et nuancée qui devait dans ce cadre se limiter à une description phénoménologique du sentiment de l'aliénation à travers l'oeuvre de Jean-Jacques.

Les grandes oeuvres autobiographiques n'ont pas été attaquées directement. Mais M. Ricatte a tenté « Un nouvel examen des cartes à jouer ». Il a examiné minutieusement tous les indices matériels qui pouvaient permettre de les dater. Très honnêtement, il aboutit à la conclusion que ces indices sont discordants. Cependant, il s'est livré à une étude stylistique très fine de ces pensées éparses, et croit pouvoir définir un style de la pensée discontinue, différente de la pensée continue qui s'exprime dans les Dialogues et les Rêveries. M. Leigh a livré quelques secrets de la grande édition de la Correspondance qu'il doit faire paraître dans les publications de l'Institut Voltaire. Après bien d'autres, il a critiqué sévèrement l'édition actuelle. Il a montré les difficultés qu'il devait résoudre, certaines lettres de Jean-Jacques, ce Flaubert de son siècle, présentant jusqu'à cinq états successifs. Son édition, qui comptera environ six mille lettres, assorties d'une riche annotation en français (quatre ou cinq rubriques) sera une mine de documents nouveaux pour l'étude

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de l'homme et de l'écrivain. On trouvera dans l'article un avant-goût des questions sur lesquelles M. Leigh compte jeter un éclairage nouveau.

L'influence de Rousseau a fait l'objet d'une seule étude : " Rousseau et Holderlin » par M. Kurt Wais. Elle fait regretter l'absence d'un travail plus vaste sur Rousseau en Allemagne.

Ces journées de Genève ont donc été une réussite. Toutes les communications ont été substantielles. La plupart apportent des éléments et des points de vue nouveaux dont les futurs chercheurs auront à tenir compte. Comme les autres volumes de la collection, celui-ci comporte une bibliographie qui, cette fois, s'étend sur 86 pages, indice évident de l'importance grandissante de Jean-Jacques dans la pensée contemporaine. On trouvera un complément à la bibliographie critique (les années 1959. 1960, et 1961, et un tableau méthodique des oeuvres de Rousseau publiées dans le monde, de 1959 à 1962. Travail inestimable, qui comporte inévitablement des omissions, sans qu'on puisse en déceler aucune vraiment importante.

J. L. LECERCLE.

DIDEROT, Satires, Le Neveu de Rameau ou Satire 2de, accompagné de la Satire première. Introduction et notes par ROLAND DESNÉ, présentation d'ALEXANDRE CHEM. Paris, Club des amis du Livre progressiste, 1963. Un vol. 16 X 19,5 de LXXVII-186 p.

Si les lois du genre le permettaient, nous aimerions, pour rendre compte de la belle édition du Neveu que M. Desné nous offre, composer le « dialogue de Roland le Matérialiste et de son maître Jean Fabre ». Cette édition est en effet dédiée au maître par « son élève » (p. II) qui, dans sa conclusion, reconnaît de nouveau sa dette à l'égard de l'édition Fabre du Neveu de Rameau : " Nous l'avons utilisée largement tout en nous écartant parfois de certaines interprétations qu'elle propose » (p. LXXVII). Le dialogue de M. Fabre et de M. Desné est discret, mais profond : il pose la question des méthodes de l'histoire et de la critique littéraires, et, plus fondamentalement, il met en présence deux style de vie et deux conceptions de la littérature et de l'existence.

Avant de voir ce qui fait converger ou diverger ces deux lectures du Neveu, soulignons tout ce que l'édition de M. Desné apporte à l'exégèse de l'oeuvre. Quelques marginalia de Diderot, dont une au moins était inédite (p. XXIX ; voir aussi la page XXVIII. qui ne donne malheureusement pas de référence), l'utilisation des copies du Fonds Vandeul (p. XXXV), de multiples rapprochements très suggestifs avec d'autres oeuvres de Diderot, éclairent le texte du Neveu. M. Desné tire aussi parti de découvertes de détail faites depuis 1950 par d'autres chercheurs (p. XIII : découverte, par Yves Benot, de la charge d'" inspecteur et contrôleur de jurés maîtres à danser » exercée par le Neveu ; p. XXV : étude de Jacques Proust sur l'échec du Père de famille en février 1761 ; p. LXXIII : étude de M. Dieckmann sur les mots de caractère et de profession ; p. LXX : découverte par M. Dieckmann de la lettre d'Hemsterhuis, à propos de la pantomime). De nombreuses illustrations du XVIIIe, siècle enrichissent réellement le commentaire ou servent de contre-point au texte : il faut féliciter leur présentateur, Alexandre Chem, pour la sûreté de son goût et de son érudition iconographique. Enfin la publication de la Satire première, en appendice à la célèbre Satire, seconde, est une heureuse initiative, d'autant que les notes de M. Desné constituent un progrès considérable par rapport à celles de l'édition Billy de la Satire première.

Nous pourrions, en faisant s'entrechoquer certaines formules, suggérer qu'il y a une opposition totale entre les lectures du Neveu faites par M. Fabre et par M. Desné. Nous aurions tort. Il n'y a souvent, entre les deux interprétations, que des différences d'accent : M. Fabre mettait l'accent sur « l'origi-


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nalité » du Neveu, « original au sens plein du mot... individu réfractaire à tout classement » (éd. Fabre, p. XLIV), tandis que M. Desné insiste sur son caractère représentatif du milieu de la bohême littéraire et parasite : « Je n'estime pas ces originaux là, dit-il en introduisant le Neveu. Le mot est au pluriel. Et c'est cette pluralité qui fait de Rameau un personnage représentatif » (éd. Desné, p. XIV). En fait, après avoir souligné l'originalité du Neveu. M. Fabre le situait dans « une lignée illustre de mauvais garçons, de parasites et de truands » (éd. Fabre, p. LIV) et parmi les « espèces » de l'époque : « loin d'être un isolé, Rameau, tel que l'a peint Diderot, semble alors porté par une innombrable troupe, et sa voix, renforcée par un concert de voix toutes semblables, résonne comme l'écho le plus véridique de son temps » (éd. Fabre, p. LIX) ; inversement, M. Desné ne nie pas le « rapport complexe — et contradictoire — entre LUI et MOI au cours de leur entretien » (éd. Desné, p. XLIXLII) et la « tentation » (éd. Desné, p. XLIX-L) que le style de vie du Neveu, représente pour le Philosophe.

Cependant, la différence des points de vue des deux commentateurs, malgré les nuances qu'ils savent apporter à leurs conclusions, semble finalement irréductible : « dans l'intention première de l'oeuvre ... il est impossible de découvrir autre chose qu'un mobile gratuit : le plaisir de l'écrire, sous la poussée directe de la vie » (éd. Fabre, p. XLIII-XLIV ; voir aussi, sur « l'idée artistique » de l'oeuvre, p. XXXV et XLI ; sur « l'impossibilité de l'embrigader au profit d'une thèse ou d'un système », voir p. LXXXVI-LXXXVII) ; pour M. Desné, le Neveu est essentiellement et d'abord la satire du « vicieux Rameau » et « d'un milieu, le clan antiphilosophique » (éd. Desné, p. XXXI). Sans doute M. Fabre ne niait-il pas que l'oeuvre littéraire puisse « satisfaire à toutes ces exigences : philosophiques, satiriques, didactiques, divertissantes — et le Neveu de Rameau en est, à lui seul, une admirable preuve » (éd. Fabre, p. XLI), mais il insistait sur la prééminence de « l'idée artistique » : « une oeuvre littéraire, digne de ce nom, ne saurait avoir d'autre fin que son idée artistique » (ibid.) ; pour confimer « cette loi essentielle à toute création littéraire valable ». il citait et approuvait Baudelaire : « La Poésie ... n'a pas d'autre but qu'elle-même ; elle ne peut pas en avoir d'autre, et aucun poème ne sera ... si véritablement digne du nom de poème, que celui qui aura été écrit uniquement pour le plaisir d'écrire un poème » (éd. Fabre, p. XLIII).

C'est sur ce point précis que le dialogue risque de devenir un dialogue de sourds : nous pensons avec M. Fabre que la véritable philosophie se moque de la philosophie l'éd. Fabre, p. XLIV), mais nous pensons aussi, avec M. Desné, que la vraie littérature se moque de la littérature. Et justement parce que nous pensons, comme M. Desné, qu'il y a dans le Neveu « un antagonisme fondamental ». « la contradiction entre la négation de la philosophie et l'affirmation de la philosophie » (éd. Desné, p. XIX, XLVII et LI) et qu'à la fin de « l'entretien » c'est « l'optimisme lucide » du philosophe qui l'emporte, précisément à cause de cela nous estimons insuffisant le commentaire de M. Desné : la thèse de M. Desné aurait gagné à être étayée non seulement pas les développements attendus de ce que M. Fabre appelait « la critique dite marxiste » ou « certaine critique (éd. Fabre, p. LXXXI-LXXXII et LXXXVI), mais aussi par l'étude approfondie de » l'idée artistique de l'oeuvre » 1. Nous montrerons ailleurs 2 que

1. La fin de l'étude de M. Desné traite de » l'art de Diderot », mais seulement dans une perspective « réaliste », pour montrer que « le dialogue épouse le mouvement de la vie » (éd. Desné, p. LXV-LXXIIIJ.

2. Centre National de Télé-Enseignement, « Direction de travail sur le Neveu de Rameau et Jacques le Fatalisle », polycopiée, octobre 1964 ; extrait publié dans La Pensée, décembre 1961, p. 85-92. Les hypothèses formulées dans cet article ont été soumises à une vérification critique dans un séminaire de littérature de l'Ecole Normale Supérieure animé par Mme Duchet et par l'auteur de ces lignes : les résultats en seront publiés chez Nizet sons le titre : Entretiens sur le " Neveu de Rameau ».


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l'analyse de la forme de cette oeuvre (qu'il s'agisse des passages « narrés », des répliques, des mots et du « ramage » des personnages, ou de la courbe de l'entretien et des pantomimes, des « chaînons imperceptibles qui ont attiré tant d'idées disparates») suggère, sur le contenu et le sens de la Satire seconde. des hypothèses qui seront peut-être vérifiées par l'examen attentil et exhaustif des « pensées », des « catins », des « sujets de conversation », et par la confrontation systématique du Neveu et des antres oeuvres de Diderot écrites entre 1761 et 1779.

MICHEL LAUNAY.

JULES DESCHAMPS, Amitiés stendhaliennes en Belgique.. Bruxelles, La' Renaissance du Livre, 1963. Un vol. 13x20 de 131 p. et 8 pl.

Le petit livre de M. Jules Deschamps ne prétend nullement, sur un thème reconnu limité, renouveler nos connaissances stendhaliennes. Du moins a-t-il le mérite de faire le point sur la question.

Une première partie précise la place de la Belgique dans l'oeuvre de Stendhal. Le laineux «Ne gagnerions-nous pas à être Belges?» de 1818 (p. 16; suffirait à montrer l'intérêt de Stendhal pour ce pays. Quelques jalons plus significatifs encore : l'éloge, dans les Mémoires d'un Touriste, du comte de Meeus, les fréquentes allusions aux imprimeurs belges, maîtres en contrefaçons (Stendhal lisait le Commentaire sur l'Esprit des lois dans l'édition clandestine de Liège), l'exploitation stendhalienne des publications belges, entre autres le Tableau de Rome en 1814, de Guinan-Laoureins. Un problème à ce sujet : Stendhal savait-il que Guinan-Laoureins était le pseudonyme de ce chevalier Reinhold qui le recevait en son salon de Florence (p. 28) ? Le pays, Stendhal ne le connut, en dépit d'une allusion à Namur du 28 septembre 1811. qu'à l'occasion de son voyage dans le Nord en juillet 1838. Il est vraisemblable qu'il ne passa pas par Waterloo, mais nous nous y arrêterons avecplaisir, en compagnie de M. Deschamps pour rêver, après M. Pellegrini, sur Aniken et l'imaginaire Zonders. La renommée de Stendhal en Belgique est attestée par Jules van Pract, collaborateur du Mathieu Laensberg. par le musicographe Fétis. dont M. Deschamps cite un curieux témoignage sur le Stendhal de 1830 p. 46). et. chez les modernes, par les ouvrages de Gustave Charlier et de Pierre Maes, sans compter tel critique moderne comme M. Robert van Nuffel.

Dans les autres parties de l'ouvrage sont étudiés les principaux amis belges de Stendhal : le colonel de hussards Gérard de Collaert évoqué dans la lettre du 9 novembre 1812 à Mme Micoud d'Umons (une grenobloise, femme du préfet de Liège, compagnon de Stendhal en Russie, le mystérieux Smidt en qui Henri Martineau et François Michel ont reconnu le baron Schmidt (p. 78. Alexandre Micheroux, amis de la Pasta, les amis brugeois rencontrés à Paris dans le salon Edwards, Van Pract. déjà cité, le journaliste Charles Imbert, surtout Louis de Potter, à qui. avec raison. M. Deschamps consacre un chapitre particulier. Terminons en mentionnant, parmi les dernières manifestations du souvenir stendhalien en Belgique, la nièce de Marianne Pierson-Piérard. La Frangimani.

Huit illustrations — parmi lesquelles, la page de titre de la contrefaçon belge de la Chartreuse. — enrichissent ce petit ouvrage élégant et précis qui complète le Stendhal et ses amis belges de Gustave Charlier. Il ne nous reste qu'à souhaiter que quelques chercheurs stendhaliens, essaient de faire le point sur les " amitiés » qu'en d'autres pays a laissées ou suscitées, notre touriste passionné'.

HENRI-FRANCOIS IMBERT.


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FRANÇOISE LAMBERT, Le Manuscrit du « Roi s'amuse » (B.N., n.a.f. 13370). Annales littéraires de l'Université de Besançon, vol. 63. Paris, Les Belles Lettres, 1964. Un vol. in-8° de 128 p.

Après avoir décrit avec une grande précision le contenu et l'aspect matériel du volume constitué à la B.N. par les éditeurs de l'Imprimerie Nationale, Françoise Lambert présente un apparat critique complet de la préface, du drame et du plaidoyer par rapport à l'édition originale. Comme elle donne à la fin la liste des différences qui existent entre cette édition et celle de l'Imprimerie Nationale, elle nous fournit donc l'édition critique de cette pièce et de ses annexes. S'attaquant au « Reliquat » rassemblé par les éditeurs de I.N., elle a judicieusement séparé les notes préparatoires et ébauches (dont elle a grossi le nombre en fouillant dans d'autres recueils) et les fragments sans rapport véritable avec la pièce. Cette très jeune érudite se révèle excellemment pour une exploration attentive et perspicace des manuscrits.

Dans un important chapitre, Françoise Lambert étudie ensuite les origines de la pièce, ou du moins ce que nous pouvons en savoir. Un court projet de comédie, placé par elle avec certitude en mai 1830, est fort loin du drame. A cette époque, Victor Hugo a lu Les Deux Fous, roman historique de P.-L. Jacob : l'auteur montre avec finesse ce qu'il a pu y trouver et comment il l'a transposé ; il y a pris beaucoup de choses, mais pas le sujet de la pièce : " la paternité sanctifiant la difformité physique ». De quelles profondeurs a-t-il émergé ? Les lamentations presque insoutenables de Triboulet sur le corps de Blanche ont déjà le ton de certains poèmes de Pauca meae.

Des pages très denses nous apportent enfin les enseignements qu'on peut tirer de l'étude du manuscrit. De la comparaison des variantes, Françoise Lambert dégage une méthode de développement et de correction qui fait déjà beaucoup songer aux oeuvres de l'exil. Il serait intéressant de remonter plus haut encore pour voir si l'on peut faire les mêmes constatations. L'auteur a raison, contre l'édition I.N., de ne pas voir dans la modification apportée à I, 3 un changement d'orientation de la pièce. Etant donné l'imbrication des graphies semblables, elle semble avoir été faite presque immédiatement.

Ce remarquable début nous permet d'espérer que Françoise Lambert étendra bientôt ses ambitions à des entreprises plus vastes. Des faces entières du massif hugolien attendent encore l'escalade.

R. JOURNET.

CHARLES DÉDÉYAN, Victor Hugo et l'Allemagne. Paris. Minard, 1964. Un vol. in-8° de 256 p.

Ce 1er volume, première partie d'un cours portant sur V. Hugo et l'Allemagne, présente la formation et les premières oeuvres du poète, jusqu'en 1830. Il s'agit de ce que Hugo doit à l'Allemagne et de ce qu'il en dit, des influences reçues, des jugements et images proposés.

L'ordre est chronologique. Après l'enfance et les tout premiers essais viennent les vues du jeune critique dans le Conservateur Littéraire. On suit un premier effet des suggestions germaniques dans Bug-Jargal et Htm d'Islande, puis la transmission, à travers Ch. Nodier, de nouvelles incitations. Les emprunts se déploient dans les Odes et Ballades, en même temps que Hugo émet sur l'Allemagne des notations assez clairsemées, puis dans les drames, de Cromwell à Hernani, qui exploitent avec une habile émulation des apports de Goethe et surtout de Schiller.

Une servante rhénane, habile à conter la Tour des Rats et d'autres légendes,


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a pu marquer en profondeur l'imagination toute réceptive et vibrante de l'entant. Les romans d'Auguste Lafontaine, que ci tout le monde lisait au moins une lois avec plaisir ». lui ont montré certains aspects des moeurs et de la sentimentalité allemandes. On peut être sûr, bien qu'on manque d'attestations précises, que le message de madame de Staël, qui a marqué tout le siècle, n'a pu être ignoré de l'adolescent, ni rester sans effet. Hugo a lu les Chefs-d'oeuvre des Théâtres étrangers et les autres grandes traductions (Barante, Stapfer des dramaturges, ainsi que les relations pittoresques de la terre et des légendes rhénanes (Schreiber). Il reste pourtant à-demi classique, à l'époque du Conservateur Littéraire, dans ses commentaires des Marie Stuart do Lebrun et de Schiller. Nodier achève sa conversion ; il lui apporte du wertherisme (s'il en est besoin, puis passe au pittoresque fantastique et aux domaines du rêve.

En liaison avec les orientations ainsi admises, Hugo présente de nombreux emprunts. Bug Jargal offre du wertherisme, du satirisme. Han d'Islande a du fantastique, tel personnage rappelle Faust, tel autre Marguerite, on y trouve des réminiscences de Schiller, voire de Lessing cl de Kotzebue. Les Odes et Ballades manifestent une émulation avec Bürger sur les thèmes de Lenore, du Féroce Chasseur, et une exploitation de traditions populaires du Rhin. Dans les drames, mémo Marion Delorme, au sujet français, reprend des détails schilleriens ; à plus forte raison Amy Robsart qui rencontre en quelques points le sujet de Marie Stuart : Cromwell rappelle Fiesque et Don Carlos ; dans Hernani surtout, la donnée se prête à l'exploitation de presque toutes les pièces de Schiller : brigands, conjuration, lutte pour la liberté, etc. Hugo reprend ainsi des thèmes, des situations, des passages. Le tout, habilement refondu. Et Hugo « divise pour régner » en dispersant ses emprunts.

En lace de cette abondance, les « images » de l'Allemagne sont rares et pauvres. L'Allemagne du passé apparaît un peu (plus ou moins authentique) dans Cromwell et surtout dans Hernani. Celle du présent reste méconnue, ou inconnue. Quelques railleries du « jeune jacobite » sur Frédéric II, sur Luther, sur Kant. des invectives contre l'Autriche, une « image du bon Allemand » dans Han d'Islande.

Ce roman porte à élargir ou à déborder le sujet, en mêlant, sous le vocable de germanique, le scandinave à l'allemand. Certes il y a des parentés, mais on n'est plus vraiment en Allemagne, ce qui sans doute importait peu à V. Hugo. C'est du moins l'occasion ici d'utiles indications sur l'Edda, et sur le rôle initiateur de Mallet. Le présent ouvrage apporte encore beaucoup de renseignements sur des points annexes (carrière de Nodier, définition de la ballade, et des analyses (de l'Allemagne de Mme de Staël, de quelques pièces de Kotzebue), qui éclaireront utilement le lecteur.

Une discussion pourrait s'établir sur la relation entre emprunt et influence. Hugo rivalisant avec Bürger marque un ébranlement reçu, une certaine adhésion. Mais ses emprunts à Schiller par exemple sont-ils aussi probants? Il se peut que Hugo tire profit de sujets intéressants, de situations toutes dessinées, qu'il ait souvenance de textes : est-ce à dire qu'il épouse les conceptions dramatiques, les vues psychologiques ou morales de son modèle? C'est en tout cas ce qu'il n'a pas dit et même la Préface de Cromwell nous renseigne peu sur ce point ; on ignore s'il a reçu ce choc, cette « commotion » dont parle Baudelaire à propos d'E. Poe. De plus l'influence des Allemands se dilue dans l'influence plus générale de tout le mouvement romantique avec ses impulsions convergentes. M. Dédéyan cite justement une appréciation de Goethe (p. 190-1 qui d'une part pense que la littérature allemande a influé sur le talent de V. Hugo, mais en même temps le compare à Manzoni et le situe dans la filiation de Chateaubriand.

La participation de V. Hugo jeune à un intérêt pour l'Allemagne reste limitée. Sur le pays et le peuple, il n'a que des notions très banales. Littéraire-


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ment, l'Allemagne n'a qu'un rôle partiel et dilué dans la formation de son esprit ; il reste qu'il a fait de nombreux emprunts, d'inégale signification. Ainsi l'enquête la plus fouillée, méthodique et nuancée, ne mène qu'à un résultat assez mince. Même un tel bilan a son intérêt. Il représente bien une fréquente attitude française. Et comme beaucoup d'écrivains du premier rang, Hugo, en matière d'Allemagne, reste à la surface. Son heure germanisante n'a pas encore sonné. Elle viendra, heureusement. Et c'est ce que montrera la suite de cet ouvrage.

ANDRÉ MONCHOUX.

VICTOR HUGO, Les Contemplations. Texte établi et présenté par JACQUES SEEBACHER. Paris, Armand Colin, « Bibliothèque de Cluny », 1964. Deux vol. in-12 de 260 et 356 p.

On regrette que M. Seebacher ait reproduit le texte de l'édition ne varietur de 1882, moins autorisé que celui de l'édition originale. Mais on approuve le parti adopté pour les Notes 1, qui devaient être succinctes : pour les variantes et les éclaircissements apportés par l'érudition et l'histoire littéraire, M. Seebacher s'en est tenu au minimum indispensable ; ne pouvant rivaliser avec les éditions données par J. Vianey, puis par R. Journet et G. Robert, il a préféré compléter leur riche et savante annotation par des remarques toutes personnelles, toujours suggestives, souvent à discuter 2, sur les structures, les mouvements et les thèmes, sur l'imagination métaphysique de Hugo. Ainsi, les Notes précisent, çà et là, l'Introduction, à laquelle j'ai hâte d'en venir.

Ces quarante pages initiales sont d'un élan magnifique. Jacques Seebacher a l'attaque brusque, impétueuse ; il enlève les positions plus qu'il n'assure ses conquêtes. Il songe peu à se parer à droite ni à gauche ; et s'il s'égarait, ce serait par un excès de générosité, ce qui est, dans notre discipline, une manière de se tromper en ayant raison, plus au fond.

Seebacher, donc, d'emblée vise au coeur, comme Hugo, dès sa première préface, celle des Odes de 1822, visait au coeur même de la poésie, définie " tout ce qu'il y a d'intime dans tout ». M. Seebacher explique cette formule à la lumière d'un platonisme dont Victor Cousin a été le héraut, faisant regretter l'absence d'études approfondies sur l'éclectisme et son " rôle capital dans l'évolution du XIXe siècle », comme M. P. Moreau l'écrivait, en 1932, attirant dès lors l'attention sur la lacune que nous déplorons aujourd'hui 3. Dans cette brève Introduction, M. Seebacher ne pouvait suivre ou retrouver les itinéraires et filières des idées et des doctrines. Puis — et c'est son droit — il préfère se placer sur le plan de l'histoire idéale (je ne dis pas — soyons platoniciens ! — irréelle), où Montaigne, Pascal et Rousseau introduisent à un Hugo, à qui Platon, voire Thucydide, auront préparé les voies. Mais, puisqu'il allègue Cousin, humble chaînon prochain de la chaîne prestigieuse, il nous permettra bien une remarque d'historien. Le professeur subversif de 1818 a-t-il exercé quelque influence sur le jeune Jacobite ? Nous n'en savons rien, et il aurait mieux valu citer, aux sources de cet idéalisme poétique, Mme de Staël, plus sûrement connue de Hugo. M. Seebacher voit, dans Cousin, l'apôtre de « l'enthousiasme » et de « la théorie platonicienne de l'inspiration ». Mais

1. En dépit d'une ou deux erreurs de fait, la Chronologie qui termine ces volumes mérite aussi tous les éloges pour son intelligente et très éclairante présentation.

2. Par exemple, le rapprochement fait, à la page 302 du tome II, entre « l'évanouissement des cieux », au dernier vers des Mages, et le ciel, « évanouissement d'astres », dans la Préface philosophique, est trompeur : il ne peut s'agir de la même chose.

3. P. Moreau, Le Romantisme, de Gigord, p. 151.


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Mme de Staël concluait De l'Allemagne par trois chapitres exaltés sur l'enthousiasme, qui « signifie Dieu en nous » 1.

Germaine de Staël ou Victor Cousin, il n'importe guère. Ce qui intéresse M. Seebacher, c'est ce « centre » de la poétique hugolienne, la quête de l'intime, et l'on nous suggère un Hugo à la recherche inquiète de sa vérité essentielle. Celle-ci ne lui sera révélée que, par Léopoldine morte. Autour de Léopoldine, Les Contemplations organisent l'espace intérieur où le moi se déploie selon des lois qui valent pour l'univers, horizontalité qui mue en verticalité, gravitation et circularité qui régissent également les âmes et les globes-. Le moi et l'univers se rencontrent et s'accordent dans cette poésie métaphysique où la « naturalisation » de l'homme s'accomplit par l'humanisation de l'espace. Seebacher étudie les moyens poétiques de ce salut de l'homme et du monde, en donnant, à juste titre, une importance très grande au thème du regard, à ses rapports avec l'espace, en montrant comment l'espace devient le lieu substantiel de l'unité de l'être, où l'étoile voit, où l'oeil est vu, où l'étoile et le regard rayonnent également en tous sens. Un autre moyen de

1. M. Seebacher, citant les Lettres à la Fiancée du 13 3 novembre 1821 et du 1 janvier 1822, y voit se préciser "l'identification platonicienne » de la poésie et de la vertu. Mais Hugo terminait ainsi son article Du Génie, paru dans Le Conservateur littéraire de janvier 1820 (éd. Marsan, t. II, p. 167-170; repris dans Littérature et philosophie mêlées, éd. I.N., p. 79-81) : Et nous voici ... arrivés ... à cette vérité ravissante devant laquelle toute la philosophie antique et le grand Platon lui-même avaient reculé : que le Génie, c'est la Vertu. » Sans doute Seebacher a-t-il de Platon une connaissance plus exacte que celle qu'en avait Victor-Marie. Celui-ci, je le crains, était plus familier avec Locke et Condillac, et cet article Du Génie ne le fait point apparaître tel que le montre Seebacher, révolté « contre le professeur, contre l'héritage du XVIIIe siècle ". En janvier 1820, il écrit ces lignes que Mangras, son professeur condillacien, aurait bien reconnues : «... qu'est-ce que nos idées ? Des sensations, et des sensations comparées. » Cousin, Kant et Platon sont encore loin. Et la page suivante nous apporte cette phrase : « Qu'est-ce qu'exister, dit Locke. C'est sentir. » Du sensualisme hérité de Mangras et du XVIIIe siècle , Hugo tire cette conséquence que, la vertu étant ce qui est le plus capable d'exciter, chez l'homme, des sentiments vifs et passionnés, elle sera la source principale de la poésie. Voilà les déclarations à Adèle expliquées sans Platon, mais peut-être avec Mme de Staël : dans le Discours préliminaire du livre De la littérature, le chapitre De l'importance de la Littérature dans ses rapports avec la Vertu, est assez parent de l'article Du Génie, avec des formules comme celle-ci «Etudier l'art d'émouvoir les hommes, c'est approfondir les secrets de la vertu... » (éd. Paul Van Tieghem, Droz, et Minard. 1959, t. I, p. 21).

2. « Le salut est un retournement du péché. La forme essentielle de cette idéologie est la gravitation, servitude terrestre et ordre des cieux », écrit Seebacher. Ces lignes réclament au moins quelques éclaircissements ou distinctions. Même si, à la fin du compte, les deux ordre, doivent coïncider, il faudrait, d'abord, distinguer les motifs de mouvement propres à l'imagination hugolienne et les mouvements qui régissent l'univers. Dans la première des deux phrases que nous venons de citer, on ne peut parler de " circularité » que par métaphore : toute fin est un commencement, tout s'enchaîne et recommence. Dans la seconde, au contraire, la gravitation et le mouvement circulaire des globes — des planètes porteuses d'âmes enchaînées par la pesanteur — ne sont plus des façons de parler, ou des formes de l'imagination, mais des données de la science, En outre, le renversement du péché en salut, de la souffrance du misérable en triomphe rédempteur, la mue de la mort en naissance, n'appellent point, pour moi, l'image du cercle, mais celle de la montée, de l'essor, du nadir au zénith. Or, si la gravitation est bien, chez Hugo, « servitude terrestre », elle n'est pas l' " ordre des cieux » : elle régit les seuls univers du châtiment, où la faute-pesanteur a créé les " globes ", les planètes-prisons ; mais il est d'autres cieux qui ne sont qu'espace lumineux et infini, pure attraction divine (voir le Livre sur la forme sphérique, que projetait Hugo et que j'ai résumé aux pages 396-397 de La Création mythologique...) Personnellement, j'attacherais plus d'importance à la spirale, dont parle aussi Seebacher : la spirale qui monte ou creuse en s'élargissant, me semble le motif primordial de l'imagination du mouvement, chez Hugo.


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reconquête de l'unité essentielle, ce sera la construction du recueil, qui figure

— livre abolissant le hasard — cet espace même où tout se correspond, se récupère et se dilate sans se perdre.

Car le moi est imperdable, et Seebacher a raison de centrer son étude des Contemplations sur ce problème du moi, de ses rapports avec lui-même, à travers la mort, avec l'univers, et ce moi de l'univers, qui est Dieu — Dieu à qui, peut-être, cette Introduction ne fait pas sa place exacte. Dans ce mythe du moi, perdu et retrouvé, l'« insensé qui crois que je ne suis pas toi » appelle le « Je est un autre », que Hugo, je crois, a vécu aussi à sa façon, comme il apparaîtrait, à mon sens, dans la pièce terminale, A celle qui est restée en France, le poème à cet autre soi-même, séparé par la mort et l'exil : là, Hugo proteste avec insistance que ce n'est pas lui qui a fait son livre et que toute la nature aurait droit sur ce livre, si, d'abord, il n'appartenait à la tombe qui retient le moi séparé du poète ; mais, rendu à Léopoldine et lu par la morte, le livre devient « fantôme » et s'évanouit dans l'espace étoilé : dialectique du moi, de l'autre (l'autre soi-même) et de l'univers, le moteur de cette dialectique étant la mort. Mais quoi ! je me contraignais à une critique vétilleuse et je me surprends brodant, avec plaisir, sur le canevas fourni par Seebacher, m'exerçant à sa méthode.

Cette méthode, à la séduction de laquelle il est difficile de se refuser, consiste à prendre au sérieux le poète tout entier, jusque dans ses rimes. Les images se font alors idées, les doctrines apparaissent comme des thèmes et des mouvements poétiques, tandis que chaque rythme fait écho à une métaphysique. Que, parfois, dans cette Introduction, l'auteur lui-même glisse, passe ou saute d'une notion à une autre, d'un élan plus poétique que critique, il se peut. Sa vérité est moins dans tel ou tel détail du portrait de Hugo qui nous est ainsi fourni, que dans l'ampleur et la vie du mythe de Hugo qui s'érige dans les dernières pages, cependant que son exactitude réside dans l'analyse profonde des structures. De cette étude si intelligente et si neuve, j'admire et

— hugolien ! — je prédis la fécondité. Elle nous révèle un Hugo totalement cohérent et dégage l'ambition spécifique de ce chef-d'oeuvre singulier que sont Les Contemplations, chasse spirituelle menée jusqu'au bout, Saison en enfer conduite par un Orphée démesuré jusqu'à la promesse du paradis 1.

PIERRE ALBOUY.

PIERRE MOREAU, La Critique selon Sainte-Beuve. S.E.D.E.S., Paris, 1964. Un vol. in-16 de 157 p.

Avec ce petit livre, M. Pierre Moreau nous donne une excellente présentation de l'ensemble de l'oeuvre critique de Sainte-Beuve. Dans l'introduction, il insiste avec raison sur l'actualité du drame idéologique du XIXe siècle où « le sens aigu des individualités » se heurte au « besoin d'unité et de continuité ». La critique beuvienne s'efforça de préserver un juste équilibre entre ces deux tentations ; aujourd'hui encore ces contradictions n'ont pas été surmontées et la critique se débat entre « l'histoire littéraire, l'esthétique littéraire et la métacritique ». Depuis un siècle, le nom de Sainte-Beuve n'a pas cessé d'être invoqué dans toutes ces discussions. M. Moreau esquisse une histoire

1. De trop nombreuses coquilles défigurent le texte. Dans l'espoir que l'éditeur publiera l'erratum, bornons-nous ici à signaler les plus graves : tome I, p. 172, v. 92 : Et Christ et non Et le Christ ; p. 243, n. 1 de la p. 3 : mortelle et non nouvelle ; tome II. p. 154, v. 209 : Noire et non Notre ; p. 160, v. 373 : fosses et non fausses ; p. 244, v. 13 : j'ai sa et non et j'ai su ; p. 245, v. 19 : vu fuir les ailes et non vu les ailes ; p. 260, v. 376 : nous et non vous ; ibid., v. 383 : jonc et non roc ; p. 298, n. de la p. 136, 3e ligne : Amos, III et non Amos, II ; p. 347, 46 1. : Blanc antiesclavagiste et non Noir ; ibid., à « juillet 1861 », Hollande et non Allemagne.


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de ce « mythe Sainte-Beuve » en montrant, à l'aide de citations de Flaubert. Lanson, Thibaudet, Proust. Barrés, Valéry, (on pourrait ajouter Gourmont, Benda, Suarès, Lalou, Paulhan, Manuel de Diéguez...) comment Sainte-Beuve est pris à partie tantôt par les tenants d'une critique scientifique pour la rigueur insuffisante de ses analyses, tantôt par les partisans d'une critique purement esthétique pour le trop grand intérêt qu'il appelle aux études biographiques. Il existe donc un cas Sainte-Beuve. M. Moreau se propose d'essayer de le résoudre.

Il examine successivement la part des circonstances : l'état de la critique au moment où Sainte-Beuve devient critique, et les développements du genre ; les étapes de la vie du critique marquées par les deux exils de Lausanne et de Liège — les composantes de son oeuvre critique : l'héritage du XVIIIe siècle, le fonds humaniste, les survivances romantiques — la part du tempérament : velléités religieuses, sensibilité extrême, modération du goût — et conclut en définissant sommairement les résultantes : l'esprit critique et l'expression critique.

On regrettera que. dans les limites de ce qui n'était qu'un cours annuel de licence', M. Moreau n'ait pas pu donner plus d'ampleur à ses conclusions et que la synthèse finale ne réponde pas tout à fait à la rigueur d'une analyse magistralement conduite. La première partie contient un excellent résumé de la carrière de Sainte-Beuve, du « matou » Sainte-Beuve, qui, dès ses vers latins de 1821, faisait l'éloge du prudent chat de bibliothèque. Des citations de la correspondance, judicieusement commentées, marquent, dans chaque étape, le lien unissant la vie et l'oeuvre. C'est à peine si l'on pourrait çà et là contester l'interprétation de tel ou tel épisode : ainsi, en 1848, Sainte-Beuve n'a pas attendu d'être accusé dans la fameuse affaire des cent francs pour déplorer la Révolution comme un abaissement de la civilisation. La lecture du Cahier brun est instructive sur ce point et les lettres publiées montrent aussi que Sainte-Beuve souhaitait quitter Paris dès le mois de mars.

Dans la deuxième partie l'accent est mis sur la solide culture humaniste du critique et sur l'importance de son expérience de poète romantique. Peutêtre la part de « l'héritage' du XVIIIe siècle » a-t-elle été un peu sacrifié. La déclaration toujours citée de Sainte-Beuve reconnaissant au Sénat en 1867 ce qu'il doit à sa formation médicale mériterait d'être prise au sérieux. Il est important de souligner qu'elle n'est pas un simple effet de l'évolution libérale tardive; du sénateur prenant ses distances envers le pouvoir impérial. La curiosité « physiologique » et la volonté de diagnostiquer différentes formes d'esprits sont deux constantes de la critique beuvienne.

Le lecteur retiendra de belles formules de la troisième partie sur la mysticité de Sainte-Beuve, forme de son dilettantisme, sur les tourments secrets de ce; « célibataire à la recherche de la vertu », de ce « libertin en quête de pureté », sur son goût modéré de « défenseur attitré des minores contre la dictature des génies ». Il appréciera la netteté de la conclusion où M. Moreau rend justice à Sainte; Beuve investigateur scrupuleux du vrai et maître d'un art critique plus difficile que l'art créateur.

Il n'est pas possible d'embrasser en cent-vingt pages la totalité d'une oeuvre critique aussi considérable. Un choix s'impose. Fidèle aux méthodes de Sainte-Beuve lui-même, M. Moreau attache beaucoup d'importance aux commencements : il traduit et commente les vers latins du lauréat de rhétorique Sainte-Beuve. Osera-t-on déplorer que la place faite à de telles analyses ait rendu nécessaires certains sacrifices : un article important comme celui de juillet 1862 (Chateaubriand, jugé par un ami intime) où le critique tente enfin un exposé de sa méthode est à peine évoqué. N'est-il pas au moins aussi intéressant que les articles sur Werther et sur William Cowper abondamment utilisés ?


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La typographie de l'ouvrage est élégante. Raison de plus pour regretter qu'elle ne soit pas parfaite. Remarquons enfin eiue certaines citations sont curieusement inexactes et certaines références fâcheusement incomplètes 1. Ce sont là des vétilles, mais Sainte-Beuve lui-même ne se disait-il pas prêt à tout pour une « minutie » ?

ROGER FAYOLLE.

SIMON JEUNE, De F.T. Graindorge à A.D. Barnabooth. Les Types américains dans le roman et le théâtre français (1861-1917). Paris. Didier, 1963. Un vol. in-8° de 522 p. ,

M. Simon Jeune rattache expressément son effort à cette lignée d'études de mirages ou de mythes, de leitmotive d'opinions et de remous internationaux qui eloivent beaucoup aux recherches de MM. André Monchoux, Marins-François Guyard, Claude Digeon, au Mirage allemand de Jean-Marie Carré, à l'ouvrage de M. Pierre Reboul sur le mythe anglais dans la France de la Restauration, à M. Cyrille Arnavon, aux recherches de M. René Rémond sur les Etats-Unis et l'opinion française de 1815 à 1852.

Il a choisi d'autres dates de départ et d'arrivée, et il les justifie de façon plausible : cette histoire de générations et ele relations s'ouvre au lendemain de la guerre de sécession et au temps de Taine, pour aboutir à celui où l'intervention américaine crée un nouveau système de rapports et oblige à une connaissance authentique. Et ainsi un demi-siècle de curiosités sincères et d'insincérités sonores nous aura conduits de Frédéric Thomas Grindorge à Barnabooth. Beaucoup de clichés, de conventions ; les noms mêmes des auteurs que l'on est obligé de considérer attristent l'imagination : il faut consacrer des pages à Albert Delpit et à Georges Ohnet. Les titres d'ouvrages laissent rêveur : M. Simon Jeune a dû lire un roman qui s'appelle les Fiançailles d'Yvonne, un autre que Willy a publié, et peut-être écrit : Suzette veut me lâcher. A ces moments-là l'érudit enquêteur ne taille pas dans le brocart. Fatalement, cette histoire intellectuelle et sociale comporte des points morts, des oeuvres mineures et minimes. M. Simon Jeune; s'est attaché à tout savoir et à tout dire, mais il faut convenir que, dans les moments où il lui était impossible d'être sérieux, il s'est résigné à être amusant. Condamné plus d'une fois à raconter des livres crue nous n'aurions aucune envie de lire, il parvient à donner l'impression qu'ils sont lisibles.

Ajoutons encore ceci : les limites dans lesquelles l'enferme son titre sont des limites de prudence et il a eu le bon esprit de ne pas s'y tenir. Avec le roman et le théâtre, il n'aurait guère agité devant nos yeux que des marionnettes, et il a senti que nous notes intéresserions plutôt à des rapports politiques et sociaux, à des pénétrations philosophiques et religieuses. S'il n'a pas osé se placer au centre d'un grand sujet, qui n'est pas dans les types mais dans la vie, il a pris soin d'évorjuer les alentours qui élargissent ses perspectives. De là cette impression d'époque fiévreuse où des voyageurs vont faire, en pays neuf, des enquêtes et leurs remontes d'idées ; où les historiens commencent à écrire l'histoire d'une civilisation naissante ; où l'esprit fin-de-siècle stibit le choc du pragmastisme ; où les néo-chrétiens sevnt tentés par une ouverture

1. La citation de l'article sur Hugo (p. 35) est faite de l'amalgame de deux passages distincts — celle eles Pensées d'Août trahit le caractère de Fépître en mettant K je l'avoue * pour '< ,ie t'avoue » — un membre ele phrase a disparu de la citation de la réponse a Taxile Delorel, p. 87 — le nom de Ryron après cedui de Chateaubriand dans la première citation ele la p. 89 — ... Des rélérences comme celle de la note 128 : Portraits contemporains, p. 216, ne comportent aucune inelication du tome ; d'autres sont inexactes, comme celle de la note 124 où il faut lire Premiers Lundis tome I et non pas Causeries du lundi, tome I.


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oecuménique, celle du Congrès des religions de Chicago (p. 219). De là aussi cette frénésie tapageuse à la Sarah Bernhardt (p. 379.) aussi bien qu'à la Théodore Roosevelt et à la Barnum ; toute une agitation pittoresque à l'arrière-plan ; la révélation d'un mode de vie, le prestige de personnalités qui ont une légende et qui entrent dans les romans sous des pseudonymes transparents, comme des héros d'épopée consacrés. Ils s'appellent Rockefeller, Carnégie et quand on rencontre chez un romancier, célèbre ou inconnu, un affairiste de haut vol qui s'appelle Rockfeller ou Barnégie ou Carnobie (pp. 381, 391), on sait de qui il s'agit. A la faveur de cette intervention de la vie, l'enquête que voici ne donne pas l'impression funèbre d'une immense nécropole de livres.

Autre difficulté ; il n'y a pas correspondance absolue d'époques, du théâtre au roman. Leurs évolutions ne sont parallèles qu'avec un certain décalage qui provoque quelque distorsion. Il arrive qu'à dix ou quinze ans près l'un répète l'autre ; et c'est, en particulier, le cas des nombreuses comédies tirées de romans. L'auteur est venu à bout de cette gêne. Il a combiné un plan qui est très strictement chronologique tout en permettant le groupement cohérent des idées. Il en a disposé les chapitres de façon à situer en pleine lumière les figures significatives ou les personnalités majeures : dans la première partie (1801-1835), Laboulaye, Taine et Assolant; dans la deuxième (1835-1885). Jules Verne; dans la troisième (1885-1900). Paul Bourget. Edouard Rod, Thérèse Bentzon ; dans la quatrième (1900-1917), Eugène Melchior de Vogüé, Paul Adam, et, pour couronner le tout, Valéry-Larbaud.

A travers ce cheminement, où subsistent quelques flottements et des dangers de redites (car le sujet, pour une grande part, est statique, chaque époque vit sur les idées reçues des époques précédentes, les types ne se renouvellent que lentement), une information riche et curieuse donne vie aux souvenirs, témoignages, enquêtes, aux périodiques, aux journaux illustrés et même aux journaux amusants. Les recherches de M. Simon Jeune ont eu la bonne fortune de rencontrer l'accueil de familles d'écrivains, qui lui ont ouvert leurs archives. Il leur a dû un appendice intéressant qui nous fait connaître des textes inédits de Bourget (pour Cosmopolis), de Vogüé (pour le Maître de la mer), de Paul Adam (pour le Trust), et une lettre d'André Chevrillon à Vogüé. Il a tiré parti du journal inédit de ce dernier (pp. 371, 373) : il a eu accès aux archives de Paul Adam conservées à Arras (pp. 382, 175), sur lesquelles. il est vrai nous souhaiterions être informés de façon plus explicite et plus descriptive . Dans l'ensemble, une probe exigence de précision, un effort pour atteindre, en chaque cas, aux dates les plus sûres. Et aussi cette ample documentation étrangère qu'exigeait un tel sujet ; tout en laissant au centre de chaque chapitre les oeuvres françaises, il importait de confronter la réalité authentique et l'image souvent partiale, parfois caricaturale, qu'en ont présentée nos écrivains.

A la vérité, ce livre se contente plus d'une fois d'exposer l'opinion répandue par les oeuvres d'imagination, quitte à ironiser à leur sujet, sans faire mesurer l'exagération et, le cas échéant, le dénigrement. Sur certains points encore l'on pourra souhaiter quelques additions. C'est ainsi que manque à cette galerie le Juif américain qui apparaît dans les Cahiers de la Quinzaine avec Israël Zangwil qu'André Spire fait connaitre. De même l'amérindien, l'homme des sangs mêlés, Louis Laine dans l'Echange de Claudel1. En revanche l'auteur a saisi de façon pénétrante d'autres traits d'époque : par exemple le contre-coup de la guerre de 1870 et l'obsession germanophobe sur la pointure de l'américain allemand2 . Il présente nombre de faits curieux et de détails peu connus : la source du nom de Graindorge, venu d'un roman d'Assolant

1 . Voir, dans La Table Ronde de mars 1964, Marguerite Bucher, « L'Arrière-plan aménindien de l'Echange ».

2. Ici, cette thèse rejoint celle de Claude Digeon.


COMPTES RENDUS /le

(p. 66) ; l'influence d'Assolant sur Taine (p. 70-71) ; une inspiration de Sterne dans le titre de Vie et opinions de Frédéric-Thomas Graindorge (p. 66) ; ce qui peut se refléter de la physionnomie de Benvenuto Cellini chez les Américains de Taine (p. 71) ; la source possible du titre Le Maître de la mer (p. 374) ; la conversion de Jules Verne au marxisme par les soins de la critique soviétique (p. 154), etc.

Ce ne sont là, d'ailleurs, que vues de détail ; et l'on saura plus de gré à Simon Jeune d'avoir examiné certaines oeuvres (non pas toutes, Dieu merci !) comme des oeuvres, et non pas comme de simples signes d'états d'esprit, ou comme des pièces de vitrine dans un cabinet de collectionneur. Quand elles lui en paraissent dignes il en recherche la genèse, les variantes : celles du Maître de la mer, du Trust (p. 375). Il a voulu retrouver les clefs des personnages de Vogüé et s'est aperçu qu'elles n'étaient pas simples. Au-delà des livres, il a entrepris de pénétrer les personnalités 1.

Il a un vif esprit critique, met à nu les contradictions opposées par les faits aux idées. Tout le premier il discerne ce que son sujet risque de comporter d'artificiel 2. Surtout, il n'épargne pas cette foule presque indistincte de peintures d'Américains : ici, " les types sont sommaires» (p. 86) ; ailleurs, la silhouette de l'Américain est conventionnelle (p. 363) ; « il est admis qu'un Américain est etc. » (p. 365). La caractérologie et l'ethnographie de Jules Verne sont rudimentaires et simplistes (p. 160). Chez le seul Paul Adam ce schématisme s'atténue et reprend quelque vie grâce à quelque complication (p. 381).

Au fond n'allons-nous pas vers l'optique du cinéma, vers la psychologie du film ? En lisant ces pages, on voit défiler nombre de courts et de longs métrages, et non pas seulement de westerns : réminiscences d'autant plus significatives qu'elles ne s'expliquent nullement par une influence que ces romans d'il y a soixante ou quatre-vingts ans auraient exercées sur des « cinéastres » qui les ignoraient, n'en doutons pas : voici par avance le Salaire de la peur (p. 89), la Ruée vers l'or (p. 384) ; avec l'Allemand espion clans la guerre de sécession (p. 88, note 12), ne sommes-nous pas près de Je suis un espion nazi ? Et, un peu partout, d'Halleluiah ? Des thèmes qui, depuis, sont devenus des lieux communs de la presse se trouvent là en formation ; par exemple' : nous allons vers le temps des robots (Villiers de l'Isle Adam l'annonce dans l'Eve future) ; le wisky apparaît (p. 388), et l'on sait s'il s'en consommera dans le roman à la mode de 1960 ; voici la préfiguration de Babbitt (p. 363) ; l'idée de la puissance de l'homme qui commence à s'effrayer de tout ce que la technique est en train de mettre à sa portée (p. 379, dans le Trust). En parcourant ces livres démodés, l'on croirait ouvrir un journal de la semaine dernière.

Plus profondément, de curieux et vifs éclairs déchirent de temps en temps un fond de grisaille' : quelles intuitions, par exemple que celle-ci, chez Vogué (p. 369) : que les déserts africains recèlent des ressources d'exploitation qui exciteront les ambitions rivales du Français et de l'Américain ; que Cuba est l'un des pivots de la politique et de l'économie américaines (p. 377, chez Paul Adam) ; que l'Américain garde un souvenir tenace des mauvais procédés en matière financière (p. 474) 3.

Il y a aussi, dans ces très vieux livres, des pressentiments d'une actualité

1. Sans les évoquer toujours, il est vrai, de façon assez complète à notre gré : nous attendons peut-être davantage sur Théodore Roosevelt, sur Paul Adam, et sur ce que l'occultisme de celui-ci, que, d'ailleurs, Simon Jeune n'ignore pas (p. 382, 385, 387), a imprimé de marques originales à son américanisme.

2. P. 156, note 16, il se demande si certaines données sont spécifiquement américaines ou relèvent d'une définition générale des Anglo-saxons.

3. Cette notation de Paul Adam fait pressentir une crise franco-américaine, celle du désaveu des dettes, dans laquelle Edouard Herriot et Paul Claudel devaient intervenir pour mettre les Français en garde contre une erreur psychologique et dont on trouv e les échos dans le quatrième des Cahiers Paul Claudel.


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si brillante que l'on ose à peine les évoquer. Par exemple le thème suivant : en face de l'Europe continentale existe-t-il une solidarité anglo-américaine à laquelle; l'Europe continentale devrait opposer sa propre solidarité ? Ainsi s'interroge Paul Adam, prédisant la ruine d'une Europe qui ne s'unirait pas devant l'expansion américaine (p. 378) ; ainsi, l'enquêteur Paul de Rousiers (p. 215), estimant que la civilisation américaine est spécifiquement anglo-saxonne-, et dédaigne de s'assimiler tout autre peuple que les anglo-saxons : sorte de mystique de race que l'on constate chez un journaliste qui a inspiré Vogué, et chez Céeil Rhodes (p. 373). Mais l'idée vient de l'Anglais plutôt que de l'Américain qui ne paraît guère se soucier de cette solidarité : tel est du moins l'avis d'André Chevrillon : « Les psychologies des deux peuples deviennent trop différentes. L'Américain est trop convaincu de sa supériorité » (p. 472) ; à ses yeux, les Etats-Unis sont le' creuset des races, comme aux yeux d'Israël Zangwil dans le Creuset.

Mais entre tous les problèmes qui reviennent de la première page; à la dernière, celui qui garde toute' son acuité est la coupure persistante entre le Nord et le Sud. Obsession que l'on trouve', en des sens contraires, de La Case de l'oncle Tom à Autant en emporte le vent. C'est vers le Sud que penchaient nos romanciers. d'Albert Delpit (pp. 86-87) à Paul Adam (p. 384). Les uns pour d'évidentes raisons historiques, et par affinité avec la région la plus anciennement française des Etats-Unis ; les autres pour des raisons racistes qui s'accordent au caractère nietzschéen, ou gobinien, de leur tempérament.

A l'actualité inévitable, obsédante, l'auteur de ce livre a pensé, sans aucun doute, mais son goût l'a détourné d'en parler. Ce don, le goût, s'allie à ses qualités de justesse, de précision, et aussi de verve, d'ironie. Voici un historien des lettres dans leurs rapports avec la vie sociale, qui possède le sentiment des distances et des hiérarchies. Il se garde de parler de Paul Bourget comme d'Albert Delpit, de Paul Adam comme de Georges Ohnet, de Vogüé comme de Willy. Regrettons qu'il ait eu de si rares occasions de rencontrer des Paul Boeirget, des Paul Adam et des Vogüé, de plus rares encore de mettre en scène des Villiers de l'Isle Adam. des Paul Claudel et des Valery-Larbaud.

PIERRE MOREAU.

PIERRE-OLIVIER WALZER, Essai sur Stéphane Mallarmé. Paris, Pierre Seghers, 1963. Portraits, facsimilés. («Poètes d'aujourd'hui», 94). Un vol. in-8° de 256 p.

Mallarmé trouve tardivement sa place dans une collection où figurent déjà presque une centaine de poètes, dont certains plutôt secondaires. L'auteur d'un livre très connu sur La Poésie de Valéry s'attaque ici au maître de Valéry et du symbolisme' français. Il s'agit, non d'une anthologie précédée d'une introduction (formule normale' de cette collection), mais d'un essai sur la vie et l'oeuvre du poète. Certes, les éléments d'une anthologie se trouvent épars à travers le livre : sont cités intégralement dans le texte dix-sept poèmes (y compris les deux versions connues de la Prose pour des Esseintes), trois des premiers Poèmes en prose et deux des traductions des Poèmes d'Edgar Poe. On trouve en outre de larges fragments d'autres poèmes et de nombreux extraits des écrits en prose' et de la correspondance de Mallarmé. Une phrase intéressante est prélevée 1 d'une lettre inédite à Sacha Guitry (« Tout écrivain complet aboutit à un humoriste », p. 190), et une; importante lettre inédite de Mallarmé à Heredia (du 30 décembre 1865) est reproduite in extenso (p. 120-121) : il y est question de la Salomé du Titien, dont Heredia avait offert à Mallarmé une reproduction (elle figure parmi les seize excellentes illustrations). L'allure du livre est biographique, anecdotique parfois, et suit un fil chronologique. Sept chapitres : l'enfance du poète et ses Juvenilia ; le choix


COMPTES RENDUS 719

malencontreux du métier de professeur, les fiançailles, le mariage ; les poèmes en vers et en prose de la première manière ; les deux poèmes majeurs, Hérodiade et le Faune ; la crise? du " héros de l'absolu » et la conception du Grand OEuvre ; les activités du " littérateur pur et simple », après l'installation à Paris ; enfin la " symphonie typographique et stellaire » d'Un Coup de Dés.

Vulgariser Mallarmé est une entreprise téméraire : trop de problèmes se posent encore pour qu'il soit vraiment possible de le mettre à la portée detous. Aussi faut-il être indulgent envers ceux qui en assument les risques. Nous louerons d'abord M. Walzer de fournir beaucoup de renseignements précis et précieux. Nous ne le chicanerons pas sur le détail de ses exégèses, dont il dénonce d'ailleurs lui-même l'inévitable insuffisance (p. 193). Ce qu'on pourrait lui reprocher plutôt, c'est de commenter trop longuement la première poétique et les premiers poèmes, relativement accessibles, et trop sommairement la poétique et les poèmes de la maturité, beaucoup plus subtils et plus complexes ; de trop simplifier (en se contredisant quelque peu, d'ailleurs), le problème du Grand OEuvre, en affirmant que Mallarmé y a renoncé définitivement après Igitur, mais que le Coup de Dés en est un fragment, thèse combattue par le meilleur exégète de ce poème, M. Gardner Davies, que M. Walzer ne cite pas à ce propos, préférant les lumières fallacieuses de M. Claude Roulet ; de ne pas reconnaître toujours ses emprunts à ses prédécesseurs ; de céder trop souvent à la tentation de la vulgarité ; et enfin de faire certains jugements de valeur contestables, qu'il s'agisse de louanges ou de blâme'. C'est mal servir Mallarmé que de le louer de qualités qu'il n'avait pas, comme de bien savoir l'anglais (les Mots anglais n'ont guère de valeur philologique, quel qu'en soit l'intérêt par ailleurs ; la traduction des Poèmes de Poe ne mérite pas les éloges donnés, p. 206-207 : « un modèle de traduction poétique, le meilleur peutêtre qui soit en français »). En revanche, certaines réserves, plausibles ou non dans leur principe, deviennent inadmissibles à être exprimées par des termes comminatoires tels que « casse-tête absolu » (p. 189), " gâchis » (p. 208), " poème ingrat » (p. 219), « inutile rébus » (p. 227)). « du pire Mallarmé » (p. 233). Un tel vocabulaire, qui rappelle fâcheusement Bourde et le bas journalisme du temps de Mallarmé, témoigne de l'insuffisance du critique plutôt que de celle du poète. M. Walzer, qui voit dans La Dernière Mode « peut-être l'oeuvre la plus délicieuse de Mallarmé » (p. 185-186), a peu de goût pour la dernière manière du poète. Tout ce qu'il trouve à dire sur La Musique et les Lettres, c'est qu'" il n'est pas sûr que ses auditeurs anglais [y] aient compris grandchose » (p. 199-200). Seul le retient également le côté anecdotique de la conférence sur Villiers de l'Isle-Adam : l'accueil que lui réservèrent les Belges, qui " n'étaient d'ailleurs pas beaucoup plus ouverts à sa syntaxe » (ib.), et la lecture qu'en fit Mallarmé chez Berthe Morisot. Ces textes méritent pourtant un examen attentif : le premier contient l'énoncé capital de l'esthétique de Mallarmé ; le second, si émouvant dans son admiration affectueuse, et qui parcourt une gamme si vaste de tons, allant d'un enjouement délicat jusqu'à une sombre magnificence, est un des sommets de la prose française. II aurait été facile d'en dire quelque chose, en abrégeant ailleurs. Ces insuffisances e-t ces dénigrements ne peuvent que déparer un livre dont la tendance principale est pourtant favorable à Mallarmé, et même justement admirative, et qui, dans l'état actuel de nos connaissances, pourra servir d'utile initiation au plus difficile des poètes 1.

LLOYD JAMES AUSTTN.

1. Nous avons relevé ces quelques coquilles : p. 9 : abbatu [abattu] ; p. 25 : Adm [Adam] ; p. 57 : insérer un point après « pavane " ; p. 64 : supprimer « l'opposition entre » ; p. 71, 4° 1. du bas : lire « la célèbre Apparition " ; p. 93, 1. 5 : lire « elle n ; p. 119 : je me mettais [jetais] ; p. 122 : veille [veilles] ; p. 129 : y a-t-il une lacune avant le second alinéa, qui commence bien abruptement ? p. 138, 3e 1. du bas :


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Guillaume Apollinaire 1963, Revue, des Lettres Modernes, numéros 85-89, automne 1963. Paris, M. ]. Minard. Un vol. 19 x 10 de 200 p.

Saluons le progrès que cette livraison marque par rapport à la précédente 1 : non seulement le nombre des pages a presque doublé, mais la valeur et la variété des études ou documents se sont accrues d'une façon appréciable. Aussi bien était-ce le cinquantenaire d'Alcools.

Le pénétrant article de M. S.-I. Lockerbie par lequel s'ouvre; le recueil insiste sur les liens étroits qui existent entre " Alcools et le Symbenisme ». Une; analyse frappante de finesse sans être dépourvue d'une sorte d'évidence; constate « que la jeunesse d'Apollinaire avait été tellement marquée par ses lectures des poètes symbolistes que dès le début il était acquis à une conception de la poésie qui en faisait surtout une chasse spirituelle » ; cette analyse s'exerce sur les « longs poèmes » correspondant aux grandes étapes du recueil pour y souligner cette « quête du Graal » : on passe ainsi du Mal-Aimé au Brasier et aux Fiançailles (1907-08). puis au groupe des oeuvres importantes de 1912; à ce stade, considérant que « Zone. loin d'être un poème très différent du Voyageur, semble en être une version plus poussée et plus réussie » (p. 27). et que « Zone devient, ainsi éclairé... non pas une expérience' cubiste sans cohésion, mais le penelant moderniste' de La Chanson du Mal-Aimé « (p. 33). M. Lockerbie pose qu'il y a " plus de continuité avec le passé que de véritables changements » dans la poétique d'Alcools. Cela ne manque pas de pertinence : ce Merlin vagabond, ce Juif errant tantôt rieur, tantôt hallueiné qui chante l'interminable « ballade; » de l'homme sans attaches, nous l'acceptons sans réserve. Mais alors, au fond, ce; mot de Symbolisme, — étiquette parfois commode, certes ! — n'encombre-t-il pas cette; étude plus qu'il ne l'oriente ? Est-ce que, pour Apollinaire, réintroduire la tradition poétie|ue dans un art « moderniste », ce n'était pas tout simplement être fidèle à soi-même, laisser mûrir son génie ? Ce qu'on nous décrit ici, c'est la quintessence d'une poésie plus que la permance d'une doctrine .

Suivent (p. 40-61 et 62-75) deux enquêtes qui ramènent le poète au milieu de ses amis les peintres : Mme N. Blumenkranz-Onimus se penche sur les illustrations d'Alcools. depuis l'inégalable Marcoussis jusqu'au film de Laure Garein (Le Voyageur. 1949). et Mme M. Bonnet approfondit les relations de Picabia avec Apollinaire. en partant d'un rapprochement curieux entre Cortège et Jésus-Christ Rastaquonère.

A » La Tzigane " Mme M.-J. Duny consacre les pages magistrales que l'on

était en droit d'attendre. Après un rapide regard sur la fascination qu'éprouvait le poète en face des Bohémiens, elle interrogo ces trois petites strophes dans la rigueur de leur architecture et surtout le mystère de leur confidence; : un aveu doux-amer sur ses oaristys trop chastes avec Annie Playden... Interprétation à laquelle la sensibilité et le talent de l'exégète confèrent plus qu'une séduction : le parfum de la vérité.

« Sur quelques passages de La Chanson du Mal-Aimé ». M. M. Piron apporte d'intéressantes précisions de détail ; nous retiendrons surtout l'épée « gibeline » (p. 99). forgée en cet Etna des Cyclopes que; le Moyen-Age appelait Mont-Cibol. On s'étonnera en revanche de ne pas voir citer Rimbaud, ses noyés blêmes et sa blanche Ophélia à propos de la strophe-refrain « Voie; lactée. ô soeur lumineuse... ».

extrême [et l'âme] ; p. 156 : il manque une ligne après " se résume » ; une ligne; est répétée plus bas ; p. 170, 5( 1 1. du bas : possible [plausible] ; p. 174 : Alternance [Alternathe] ; p. 180, supprimer la virgule après " devoir » ; p. 191, 3e strophe de la Version plus ancienne : les siens [les tiens] ; p. 195 : la [le] découpage ; p. 204 : Beaudelaire [Baudelaire] ; p. 217 : resurgit [ressurgit] ; p. 223 : courageaux [courageux] ; p. 225 ■ pour « De maintes sirènes à l'envers » lire « De sirènes mainte à l'envers " ; p. 248 : séculaire [demi-séc ulaire].


COMPTES RENDUS 721

Pour finir, nous avons le plaisir d'apprendre qu'Apollinaire connaît en Yougoslavie une faveur extraordinaire, et ce depuis de nombreuses années (article de M. M. Pavlervic, p. 101-128) ; l'abondante documentation rassemblée dans le dernier tiers du volume prouve qu'il en va de même un peu partout actuellement.

JEAN BELLEMIX-NOËL.

LÉON CELLIER, Le Grand Meaulnes ou l'initiation manquée. Paris, Minard, Archives des Lettres modernes, n° 51, 1963 (5). Une brochure 13,5 x 18,5 de 46 p.

Il fait plaisir de voir avec quelle bonne humeur — et quelle précision — M. Cellier démystifie l'un des " épigones du romantisme », au nom même de son admiration pour la grandeur spirituelle du romantisme' : « Au lieu de penser que le roman intiatique se dégrade en roman romanesque parce qu'Alain Fournier n'a pas su éliminer les séquelles du romantisme, il faut dire qu'Alain Fournier n'a pas été capable d'écrire un roman initiatique, parce qu'il n'était pas un vrai romantique » (p. 42). A cette thèse, M. Cellier apporte (p. 39-40) l'appui de deux passages décisifs de la Correspondance. Nous ne sommes pas obligés, cependant, de souscrire totalement à la phrase, qui suit celle que nous venons de citer, et qui est l'envers positif du jugement de valeur porté par M. Cellier sur le Grand Meaulnes : « Pour écrire un roman initiatique, il faut être romantique, c'est-à-dire croire à la royauté de l'Imagination, croire à l'éminente dignité de l'Ame ». A moins d'ajouter, peut-être, qu'une des voies ouvertes vers le royaume de l'Imaginaire commence par un refus de parler de l'Ame, et que ce refus est l'une des formes du respect le- plus exigeant à l'égard de l'éminente dignité de l'homme ; de grands romantiques nous en ont aussi donné l'exemple, et le travail de sape des philosophes du siècle des Lumières a été l'une des conditions de la vigueur du souffle romantieiue 1.

Si cette analyse du Grand Meaulnes nous paraît une contribution précieuse à la recherche littéraire, bien que le moment de la recherche; objective et celui du jugement personnel y soient volontairement confondus, c'est précisément grâce à son caractère critique : quelle que soit notre tendresse ou notre « allergie » (p. 2) à l'égard du Grand Meaulnes, « il est évident que le héros s'égare, que le roman initiatique tourne court, que la quête dégénère en enquête. Littérairement parlant, au mystère l'auteur substitue le secret. L'écrivain inspiré n'est plus qu'un feuilletonniste ». On peut avoir de la tendresse pour certains feuilletons qu'on a lus lorsqu'on était enfant ; on n'en tiendra pas moins pour objectives les observations de M. Cellier sur la technique romanesque et sur le style d'Alain Fournier : " Le romancier en cachant jusqu'au dernier chapitre le secret de Meaulnes parvient moins à tenir le lecteur en haleine qu'à créer une atmosphère trouble » (p. 29). La " Remarque stylistique » qui clôt cette étude mériterait des développements plus étendus : au procédé que G. Durand appelle « oracles rétrospectifs », « l'analyse de l'expression permet d'en joindre trois autres particulièrement caractéristiques : 1) La répétition inlassable des adjectifs ee étrange » et « mystérieux » [...]. 2) L'emploi hyperbolique du superlatif [...]. 3) L'union des contraires, qui est, selon l'analyse désormais classique de R. Otto, un moyen précaire pour traduire l'ambiguïté du sacré » (p. 43-44).

Il serait très intéressant de faire l'analyse stylistique des Rêveries de Rousseau, et d'oeuvres postérieures, selon les mêmes critères, pour préciser ce- qui distingue les grandes oeuvres de letirs pâles reflets. La formule de R.

I. M. Cellier montre lui-même très sobrement par la « Remarque stylistique » qui sermine son étude, que l'abus des mots « étrange » et " mystérieux », dans le Grand Meaulnes, loin de mettre en valeur l'étrangeté de l'existence humaine, la déflore.

REVUE D'HIST. LITTÉR. DE LA FRANCE (65° Ann.). LXV. 46


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REVUE I) HISTOIRE LITTERAIRE DE LA FRANCE

Caillois que cite M. Cellier pour terminer, « le romanesque est la poésie du pauvre », pourrait, une fois dissoute la pacotille romanesque du Grand Meaulnes, s'interpréter dans un sens non ininique. Pour reprendre le malicieux commentaire que donne de cette formule M. Cellier, il est vrai que « celui qui aime la poésie ne peut pas aimer le Grand Meaulnes », et non moins vrai qu'on ne peut pas ne pas aimer les Rêveries, poésie d'un pauvre , et dont deux ingrédients, nommés dans la 5e Promenade, sont le « romantique » et le « romanesque ».

MICHEL LAUNAY.

FRANCIS PRUNER, La Symphonie pastorale de Gide. — De la tragédie vécue à la tragédie écrite. Paris. Minarel, Archives des Lettres modernes, n° 51, 1961. Une plaq. in-16 de 32 p.

Très attentive étude de genèse d'une oeuvre M, P. Lafille, déjà, l'avait esquissée, dans son André Gide romancier, en 1954. Mais il ne pouvait connaître, à cette date, certaines des révélations que nous a values, en 1956, le livre de M. Jean Schlumberger. Madeleine et André Gide. Elles permettent. avec les confidences ambiguës de Et nune manet in te, de préciser tout ce que le récit de La Symphonie pastorale aura dû à la tragédie; intime qui, en 1918, bouleversa l'existence de l'écrivain. Ne devait-il pas, en janvier 1919, avouer à Mme van Rysselberghe : « Le drame est toujours là certes. Mais enfin j'ai échappé à la folie et au suicide... »

Dans Si le grain ne meurt, en 1919. Gide prétend avoir raconté à Paul Laurens, dès 1893, « le sujet de ce qui devint plus tard La Symphonie pastorale ». Premier titre : L'Aveugle. Malgré les recherches de M. Jean Delay. nous ne savons pas comment, à l'origine, l'écrivain avait conçu ce récit ; mais il est certain que l'idée inspiratrice centrale et le titre même de l'oeuvre devaient procéder d'une méditation sur un verset du chap. 9 de l'Evangile selon saint Jean : « Si vous étiez aveugles, vous n'auriez pas de péché... » Qu'en outre certaines lectures — Ibsen, Bjoemson, Dickens — aient joué leur rôle dans l'éclosion du sujet. c'est possible . Mais je pense avec M. Primer qu'il ne convient pas de voir dans certains romans d'Edouard Rod une source du récit gidien.

De 1893 à 1910 il n'est plus question de L'Aveugle. Soudain, le 30 mai 1910, une note dans le Journal : « Je serai sans doute appelé à écrire une préface à mon Aveugle ». A lire cette phrase, on pourrait croire que le récit est déjà achevé. Il n'en est rien. Et cette « Préface » ne sera jamais écrite. Qu'aurait-elle contenu ? M. Primer l'expose très exactement. Pour répondre à un article d'E.. Moutfort, Gide aurait précisé sa position religieuse : « Si c'est être protestant que d'être chrétien sans être catholique, je suis protestant [...]. Mon christianisme ne relève que du Christ... » Cette position, elle est. dans La Symphonie pastorale. celle du pasteur, qui professe un pur évangélisme, en face de sa femme, puritaine calviniste, et de son fils Jacques, qui se convertit au catholicisme. Ainsi donc on peut admettre avec M. Primer que, « dans sa direction doctrinale, la trame du récit de L'Aveugle était ourdie; à l'avance ».

« Et pourtant: ». ajoute notre critique, « que de variations imprévues l'existence même d'André Gide, de 1910 à 1918. allait-elle le contraindre à broder sur ce canevas imaginaire ! » La rédaction de La Symphonie pastorale se situe, selon les indications du Journal, entre le milieu de février 1918 et, sans doute. la fin de la même année. L'oeuvre comporte , on le sait, deux parties, deux « cahiers ». M. Primer constate ; « Entre la rédaction de la première; partie et celle de la seconde se situe l'escapade [de Gide] en Angleterre avec M..., à laquelle il ne sut pas renoncer, bien que la veille de son départ Madeleine; lui eût dit [...] qu'elle savait avec qui il partait. Après l'achèvement


COMPTES RENDUS 723

du roman [ici, un point d'interrogation, car la date n'en saurait être précisée exactement] la crise conjugale nouée le 18 juin [départ pour l'Angleterre] s'achève en tragédie par la découverte, le 21 novembre, de la destruction par Mme Gide de toute la correspondance' que lui avait adressée André depuis son enfance ». Le retentissement de ces pénibles circonstances sur l'oeuvre, M. Primer l'étudié avec une remarquable subtilité. Il multiplie les références qui, toutes, incontestablement attestent une influence directe de l'expérience vécue sur le récit imaginé. Ainsi donc serait transposée en l'amour coupable du pasteur pour l'aveugle Gertrude la passion pédérastiepie qui, en 1918, bouleversa la vie conjugale de l'écrivain. Dans un Billet à Angèle, en 1921, Gide affirmait : ce On n'écrit pas les livres qu'on veut ». Telle que M. Primer nous l'expose, la genèse de La Symphonie pastorale atteste la vérité de cette constatation.

CH. GUYOT.

ANDRÉ ESPIAU DE LA MAËSTRE. Bernanos und die menschliche Freiheit,

Freiheit, Otto Müller Verlag, 1963. Un vol. in-8° de 212 p.

Voici une enquête sur la conception de la liberté humaine chez Bernanos. Elle ne vise pas à un examen systématique du problème de la liberté en général. En effet, M. Espiau de La Maëstre s'est borné à mettre en évidencel'originalité et l'actualité de la problématique bernanosienne de la liberté et sa frappante affinité avec la pensée existentialiste athée contemporaine. Ainsi les thèmes typiquement existentialistes de la gratuité, de l'angoisse et de l'engagement temporel se retrouvent-ils chez Bernanos sous les catégories de la volonté délibérée du mal pour le mal des " serviteurs de Satan », Mouchette, Cénabre, Ouine ; de l'angoisse — sanctifiée et sanctifiante — des petits « saints » bernanosiens ; de la liberté civile et de l'honneur chrétien. Ces thèmes M. Espiau de La Maëstre les étudie dans la propre ligne de; Bernanos, et il établit les différences fondamentales entre la pensée de Bernanos, fondée sur un ordre éthique absolu, et « l'absurde » chez Sartre et Camus.

M. Espiau de La Maëstre montre une connaissance sûre et étendue des structures de l'univers bernanosien : les lois existentielles et cosmiques qui le gouvernent, la finalité qui oriente les destinées par rapport à un au-delà transcendantal, l'échange mystique, la réversibilité qui les ramène toujours dans la cohérence cosmique, l'alternance de la nuit et du matin, de l'angoisse et dela paix, l'ambiguïté foncière de la liberté et les changements de niveaux par où la liberté humaine se transforme mystérieusement en la liberté dans le Christ (une distinction plus nette parfois de ces deux espèces de liberté n'aurait pas été tout à fait inutile à l'exposé, cf. par exemple p. 61).

En se bornant à l'essentiel, M. Espiau La Maëstre n'évite pas toujours une analyse un peu cursive (il le reconnaît bien) et il laisse de ce")té certains romans, tels Un Crime, Un Mauvais Rêve, Nouvelle Histoire de Mouchette, censés ne rien apporter de nouveau à l'enquête. De même, l'interprétation de Monsieur Ouine, ramassée en une synthèse dense et saisissante, ne rend pas pleinement justice à la complexité du livre (où la liberté se fraye des voies insolites).

L'enquête de M. Espiau de La Maëstre a le mérite de souligner l'unité indivisible de la liberté chez Bernanos. Partout la même mesure sert à l'homme, au chrétien, au citoyen, à l'écrivain engagé. Point de solution de continuité entre la vie et l'oeuvre de Bernanos. De cette unité se dégage une image de Bernanos des plus compréhensives, susceptible de faire voir la réelle grandeur de Bernanos.

SVEN STORELV.


724 REVUE D HISTOIRE LITTERAIRE DE LA FRANCE

Configuration critique d'Albert Camus : Camus devant la critique de langue allemande. Revue des lettres Modernes. n°s 90-93. 1963 (le Cri vol. in-8° de 207 p.

Le; volume allemand de la configuration critique consacré à Camus par la Revue des Lettres Modernes répond assez exactement au titre de cette collection : comme le soulignent l'éditeur français Michel J. Minard et l'éditeur invité Richard Thieberger, il s'agit moins d'apporter des points de vue nouveaux sur l'oeuvre que de; retracer les voies par lesquelles l'auteur a pénétré dans la conscience; germanique, et de révéler les raisons d'une audience qui, pour n'avoir commencé qu'en 1948 (date à laquelle parut la première traduction de Camus en Allemagne), n'en a pas moins permis à la seule maison Howohlt de vendre plus de 650 000 exemplaires de ses oeuvres en livres de poche ou en éditions originales, et aux éditeurs scolaires de diffuser les cinq volumes de morceaux choisis qui placent Camus en tête des auteurs français contemporains étudiés dans les lycées allemands.

Cette perspective initiale; explique qu'à l'inverse du numéro anglo-saxon 1 presque exclusivement orienté vers une étude exhaustive de L'Etranger, ce second numéro offre peu d'analystes techniques. Sur les dix articles présentés, et qui furent écrits entre 1948 et 1962, les six premiers proposent une étude de l'évolution intellectuelle: de Camus, et les trois suivants seulement ouvrent des horizons plus strictement littéraires, — disproportion que confirme la bibliographie terminale et qu'éclaire l'article final d'Alfons Rothmund, dont les statistiques, consacrées à la lecture, de Camus dans les lycées, rejoignent les chiffres d'édition donnés en introduction ; c'est dans La Peste que le public allemand, jeune et adulte, a remontré Camus, et c'est à partir de L'Homme Révolté que la critique allemande, dont le pionnier fut Otto Friedrich Bollnow, a proposé à l'Allemagne d'après la guerre un maître à penser plus proche du saint laïque que du héros absurde ou du juge-pénitent.

Ce parti pris ne va pas sans heurts : L'Etranger est souvent faussé (p. 28, 118, 133) ; Franz Rauhut tend à réduire le Mythe de Sisyphe à un péché de jeunesse (p. 25) et à ne: voir dans La Peste qu'un message; de tendresse (p. 32) ; et c'est la considération de ce message qui, tout en permettant au chrétien Fritz Paepcke d'entamer le dialogue avec Camus et au juriste Peter Schneider de définir, de Caligula à L'Etat de Siège, les balises d'une justice relative, conduit aussi le médecin Heinz Politzer à rejeter finalement Kafka pour suivre Camus (p. 174), alors que toute son étude, où l'on trouvera d'intéressantes confrontations entre les romans de Kafka et ceux de Camus, tend à opposer la complexité humaine du premier à la sécheresse allégorique, et creuse, du socemd (p. 167). A l'extrême opposé le journaliste Walter Heist, utilisant en 1962 le thème de la « source unique », prolonge jusqu'aux premières oeuvres cette inaptitude à saisir un moment historique que Sartre reprochait à l'auteur de L'Homme Révolté seulement, et dénonce l'ensemble de la pensée politique 1 de Camus au nom des tentations individualistes qu'il découvre dans L'Envers et l'Endroit et dans Noces — point de vue qu'une attention plus précise à la Chute 2 permettrait à coup sûr de nuancer, mais qui a le mérite de réagir inelirecti-ment contre toute image d'Epinal. Il fut d'ailleurs précédé sur ce' chemin sartrien par le théologien protestant Hendrik van Oyen qui dès 1953 propose des perspectives plus séduisantes pour les chrétiens que justes pour Camus lorsqu'il condamne dans L'Homme Révolté un idéalisme romantique auquel il oppose les voies historiepies que l'existentialisme peut apporter aux chrétiens eux-mêmes.

1. Revue des Lettres Modernes, n°s 64-66, automne 1961.

2. Cf. l'excellent article de R. Quilliot : « Un monde ambigu », Preuves, avril 1969, p. 28-38, et, sur le problème général de la culpabilité chez Camus, l'intéressante étude de Louis R. Rossi : « La Peste: de l'Absurde », R.L.M., n°s 61-66 (op. cit.), p. 151-176.


COMPTES RENDUS 725

Il n'est pas douteux qu'un traumatisme historique ait déterminé cette vision limitée qui reste moraliste jusque dans le refus : la hantise du nazisme, à laquelle s'ajoute parfois la crainte du communisme, affleure à chaque page. Mais en voyant dans La Peste la découverte des limites internes de l'existentialisme et dans L'Homme Révolté un " essai » pour le dépasser au même titre que le nihilisme, Otto Friedrich Bollnow, dans deux articles profonds et nuancés, donne la clé de cet appel à une transcendance nouvelle qui reste le ton dominant de la configuration. On retiendra, faisant suite à une analyse objective et précise des oeuvres, de pertinentes remarques sur l'ambiguïté de la révolte et sur les solutions de continuité qui jalonnent parfois le raisonnement philosophique de Camus. Et sans aller jusqu'à parier malgré tout sur le caractère concret de la te pensée approximative » qui reste le dernier mot de L'Homme Révolté, nous nous rallierons cependant à l'effort de Bollnow pour donner à cet ouvrage sa véritable portée historique.

La voie du comparatisme permettait à Bollnow d'intégrer des notions comme celles de " la pensée de midi » ou de " l'honnêteté ». C'est dans la même direction que le romancier Walter Jens, plus sensible au paysage qu'à la pensée explicite de Camus, salue dans son hellénisme le véritable visage de l'Europe. Et c'est par ce biais que le critique dramatique Siegfried Melchinger, dans un article riche, mais de structure déconcertante, oppose les théories de l'essayiste W. Benjamin sur le drame baroque allemand et sur Zacharias Werner à celles de Camus sur la tragédie, et esquisse, de Caligula aux Justes, le dessin d'une tentative de plus en plus classique pour retrouver à travers des données modernes la destinée de la tragédie antique ; notons au passage que la conférence prononcée à Athènes en 1955 1 permettrait de développer ces vues et révélerait, dans la conception que Camus s'y fait du tragique, une tension essentialiste particulièrement éclairante pour L'Homme Révolté et sa confrontation avec l'histoire.

Le volume s'achève sur ces perspectives comparatistes. Fin d'autant plus justifiée qu'à travers le débat moral au coeur de l'ouvrage, nous retrouvons les exigences et le malaise qui firent de Camus en France, quelques années auparavant, un auteur plus connu que compris de la majorité, et dont l'oeuvre, comme il l'a dit lui-même, restait à faire. Mais de l'actualité de sa recherche la Revue des Lettres Modernes nous donne ici un vivant écho. Signalons pour finir les excellentes traductions de Bernard Lortholary et Pierre Osmo, et la bonne qualité de l'impression et de la présentation 2.

MARIE-CLAIRE ROPARS.

CHARLES MAURON, Psychocritique du genre comique. Paris, Librairie José Corti, 1963. Un vol. in-8° de 188 p.

La psychocritique du genre comique se présente comme une application à un nouveau domaine, celui d'une genre littéraire, de la méthode critique très particulière, la psychocritique, dont M. Charles Mauron est l'innovateur et qu'il a exposée dans son ouvrage antérieur : Des métaphores obsédantes au mythe personnel. Il s'agit essentiellement en s'appuyant sur la psychanalyse, d'atteindre la personnalité inconsciente de l'auteur en tant que source de sa création littéraire. S'attachant jusqu'ici à des auteurs précis comme Racine ou Mallarmé, M. Mauron aboutissait pour chacun d'eux à ce qu'il appelle leur « mythe personnel » dont il étudiait l'évolution à travers leurs oeuvres. Mais cette fois, comme il le dit lui-même (p. 14-15), s'intéressant à

1. Cf. A. Camus : Théâtre, Récits, Nouvelles, « Bibl. de la Pléiade », 1962, p. 16991709.

2. Quelques coquilles seulement sont à relever : p. 120-121, il faut remplacer les références Cal. par Es. ; p. 173, 1. 14, lire « contrition » et non « contribution ».


726 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRAXCE

Molière, il s'est vite rendu compte que la psychocritique de; cet auteur n' était possible que par rapport à cette du genre comique tout entier. Le " mythe personnel » de Molière: ne pouvait être perçu, avec ses singularités et son évolution propre, que par référence à une mythologie du rire. Car il y a des types. des schémas traditionnels que l'on retrouve sans cesse: dans l' univers comique et dont l'imitation ou l'emprunt volontaire ne suffit pas à expliquer la pérennité : c'est dans la psychologie profonde qu'il faut en chercher les raisons. Il y a des « constances psychologiques » inconscientes derrière toutes les formes que revêt le rire au théâtre. Parmi les multiples théoriciens antérieurs du rire , c'est de Freud (Le mot d'esprit dans ses rapports avec l'inconscient. 1905) et d'Ernst Kris (Psychoanalytie explorations in art. Part III : The comic. Londres. 1953) que M. Mauron s'inspire le plus : pour lui le rire est un phénomène économique, c'est à dire d'économie ; un surplus d'énergie psychique, mobilisé à tout, se dissipe en triomphe dans « ce petit accès d'épilepsie » qu'est le rire . Il jaillit de la libération d'une crainte qui trouve son origine dans le 1 monde de l'inconscient. L'existence d'un fonds banal de types et de canevas comiques s'explique dès lors aisément : ce ne sont que les « renversements triomphaux de situations archétypiques angoissantes ». La comédie apparaît fondée dans l'inconscient sur une " fantaisie de triomphe ».

Pour illustrer ces considérations théoriques. M. Mauron prend d'abord comme exemple l'état du théâtre comique en France autour de 1050 et son renouvellement par l'Ecole des femmes. Il faut avouer ici que le vocabulaire et les classifications de Freud — qui conduisent à rejeter les comédies de satire sociale' dans la catégorie: du « simple comique » ne devant a peu près rien à l'inconscient, à situer au contraire la comédie d'intrigue et la farce du côté du « trait d'esprit », et à dire que la première s'apparente à « l'esprit inoffensif », comme la seconde; à « l'esprit tendancieux » — renouvellent fort peu notre; vision de ce: domaine littéraire dans la mesure où rien ne s'y trouve changé que les dénominations. De même pour ce qui est la nouveauté de l'Ecole des femmes, qui consiste dans une union étroite du comique de farce et du comique d'intrigue, M. Mauron met en lumière le fait mais sans l'expliquer. Molière, dit-il, lie « organiquement deux variétés d'esprit », les unit < il " un rigoureux contrepoint ». Bien distinguer ces deux variétés d'esprit n'est pas étudier le caractère organique et rigoureux de leur union.

Revenant à la théorie, M. Mauron expose alors son idée fondamentale qui est une élaboration nuancée de la thèse de Ludwig Zekels (Zur Psychologie der Komödie. Imago. 1920) : le conflit commun à la tragédie et à la comédie est l'oedipe. la lutte entre le père et le fils ; dans la tragédie, le fils est le coupable, dans la comédie , c'est le père. Mais ce qui constitue le travail proprement psychocritique est l'étude dans les textes de ces motivations profondes. Ainsi le blondin, le jeune premier représentent le fils, tandis que le barbon, le soldat, l'entremetteur. le juge sont à l'occasion autant d'incarnations de certains aspects du père. Le rôle éventuel d'un mauvais fils, la présence ou l'absence de la mère 1 compliquent ce schéma simple, comme le montre M. Mauron dans les trois exemples privilégiés qu'il étudie ensuite : la comédie ancienne, la comédie nouvelle, la comédie de Molière. Dans les trois cas, une grande attention est donnée à la réalité historique qui vient remplir et « moduler » les schémas généraux précédemment distingués. C'est ainsi, entre autres, que l'image du père est chez Aristophane plus politique que domestique-, que le triomphe sur le père dans Plaute devient souvent fantaisie de 1 cocuage chez Molière. Mais cette dernière partie est brève : 60 pages d'un ouvrage qui en a 140. Mauron se contente en effet de rapides examens limités à quelques grandes oeuvres, juste ce qu'il faut pour étayer son hypothèse de travail. Il laisse à d'autres le soin de la vérifier par des études exhaustives.

L'intérêt de ce travail est évident. Au-delà des considérations sur les recettes du rire, l'acuité de l'observation satirique ou les mécanismes du comique


COMPTES RENDUS 727

verbal, il restitue à l'art comique sa dimension profonde, lyrique et " cosmique » : il fait de lui une manifestation des tendances les plus intimes de l'être humain au même titre que la tragédie. Mais cette profondeur même ne va pas sans danger. Fantaisie de triomphe, renversement d'une angoisse, schéma oedipien plus ou moins camouflé, on peut bien admettre que la source du rire est là. On peut encore sans trop de difficulté les retrouver dans telle ou telle comédie mais on ne fait ainsi que vérifier une théorie psychanalytique, sans accroître la connaissance de l'oeuvre en question. Ce n'est pas l'origine identique et forcément banale du rire comique qui intéresse le critique littéraire, mais bien plutôt son élaboration chaque fois différente, ses variations, ses complications. Comme le reconnaît M. Mauron lui-même (p. 139) : " Ce sont les élaborations conscientes et particulières des grandes fantaisies comiques qui cheminent d'oeuvre en oeuvre : en revanche, les lieux communs sont étalés en nappes souterraines ». Il est un peu surprenant également que M. Mauron ait fait une étude psychocritique de Racine aboutissant au « mythe personnel » de cet auteur et qu'il ait dû renoncer à faire le même genre de travail sur Molière pour se lancer dans la psychocritique du genre comique. Le problème des personnages et des situations typiques se posait aussi dans la tragédie : pourquoi le « mythe personnel » de Racine pouvait-il être perçu sans référence à une mythologie de la terreur et de la pitié ? C'est peut-être que les fondements psychologiques de l'univers tragique sont familiers à tous, élans un vocabulaire ou dans un autre. M. Mauron a-t-il pensé que ceux de l'univers comique l'étaient moins ? Mais, ce faisant, en passant d'un auteur déterminé à un des modes de fonctionnement de l'esprit humain, il quitte le domaine de la critique littéraire pour celui de la psychologie générale. Si on rit du soldat fanfaron, c'est peut-être par une satisfaction profonde devant l'abaissement d'une image du père, mais l'intérêt littéraire est justement cette apparition en soldat et non en leno ou en juge. C'est l'élaboration consciente, le: contenu intellectuel et social, seul, dans l'infini de ses variétés, qui nous intéresse. Chercher les fantaisies de triomphe inconscientes, dans la mesure où on ne vise pas par là à atteindre le " mythe personnel » d'un auteur, revient à projeter vainement un schéma simple dans une réalité complexe dont la seule complexité fait l'intérêt.

Il reste que si contestable qu'en soit le mouvement général, l'ouvrage vaut par la richesse et la précision des références — ses indications bibliographiques constituent un outil de travail précieux. Il excite aussi l'esprit par des affirmations de détail souvent originales comme celles sur le rôle de l'absurde dans les grandes comédies de Molière (p. 28-29), les idées politiques d'Aristophane (p. 127-129), la signification du cocuage dans la comédie moderne(p. 135). Enfin et surtout, ce travail qui aurait pu être ambitieux est chez M. Mauron remarquablement modeste. S'il a écarté « sans en méconnaître l'importance, l'étude du milieu, la critique historique des sources et du texte, la technique dramatique, enfin la langue et le comique verbal, pour ne considérer que les fantaisies obsédantes » (p. 96), il ne cesse de parler du point de vue restreint qui est le sien et, tout en éclairant d'une vive lueur les profondeurs où le comique s'enracine en nous, il nous donne ainsi la meilleure leçon d'honnêteté.

MICHEL AUTRAND.


CORRESPONDANCE

A la suite de l'article de M. Jacques Monférier sur « Symbolisme et Anarchie » Revue d'Histoire 1 littéraire de la France, avril-juin 1965), nous avons reçu la lettre suivante de M. Adolphe Hodée :

« Rares sont. certainement, ceux de vos lecteurs qui savent que Théodore Bandai fut le pseudonyme de Charles Andler ; celui-ci devint un grand Universitaire d'une noble conscience.

Lié d'amitié à Bernarel Lazare 1, Charles Aneller fut, durant une période, amené à collaborer aux Entretiens politiques... tout comme Henri Bordeaux ! jamais il ne fit profession de foi anarchiste, pas plus que son ami Lucien Herr: Par horreur du guesdisme. il adhéra au parti socialiste possibiliste de l'ouvrier typographe Jean Alleanane.

Il ne fut pas davantage « stirnérien ». L'Unique fut révélé par Victor Basch. Andler se consacra surtout à Nietszehe.

Notre collaborateur voit l' anarchie des années 80-1900 comme un parti organisé, alors que, sur le plan populaire, n'existait qu'une poussière de clubs qui se censuraient âprement et qui, bien souvent, étaient animés par de troubles personnages. type Libertad.

Les littérateurs libertaires étaient divisés en chapelles, car il était impossible 1 de faire vivre ensemble Maurras et Gustave Kalm. Chaque chapelle avait sa revue ; certaines étaient de haute valeur intellectuelle. avec tendance à forcer les faits, à jouer la démagogie comme ce fut le cas de Remy de Gourmont avec le Joujou patriotisme et de Paul Adam avec son hommage: à Ravachol ; Laurent Tailhade fit de même l'apologie du « beau geste » après quoi il fit une cure de désintoxication au Gaulois. Henri de Régnier n'était guère plus nuancé. L'on dénonçait le crétinisme bourgeois, mais l'on se tenait loin du peuple, lequel (dixit Tailhade)

... fleure l'odeur des pieds, la caquesangue

En somme, la " REVOLUTION » se résumait, pour ces littérateurs. à donner un sens plus pur aux mots de la tribu

Je connus Andler à l'U.P. Mouffetard avec François Simiand, Mario Roques, Hubert Bourgin. Ce n'était pas une nature' faite pour les luttes du Forum — et cela il une le confirmait en 1932 dans une lettre affectueuse. Il fut toujours un « valétudinaire ».

Si l'on sait qu'il était Alsacien, profondément protestant de surcroît, et qu'en ces temps-là la polémique était fort agressive, l'on comprend qu'il eut des tendances de révolte ; mais, en définitive, ce ne fut qu'une manifestation de jeunesse, bien dans les traditions littéraires qui se consignent dans l'Histoire avec des « exercices » comme le couronnement du bouc de Jodelle, les activités libertines autour de Théophile, l'antimilitarisme de Gautier contraint de loger à « l'Hôtel des Haricots» et, j'ajouterai, le progressisme de certains clubs littéraires modernes. dont les éléments se retrouveront sans doute... à l'Académie dans un demi-siècle.

Pour se donner l'illusion d'avancer. le monde littéraire tourne en rond. C'est un signe de jeamesse !

Tout en m'excusant de vous adresser ces remarques, je vous prie d'agréer les salutations d'un survivant des " Temps d'anarchie » qui, avec le recul, elonnenf l'illusion d'un grand héroïsme , mais ne furent guère qu'un jeu parfaitement dans la tradition de l'esprit français. »

Nous avons communiqué la lettre de M. Hodée à M. Monférier, qui nous adresse la réponse suivante :


CORRESPONDANCE 729

" Nous remercions M. Hodée des précieux témoignages que nous apporte sa lettre. Qu'il nous soit toutefois permis de ne pas toujours entièrement partager son point de vue.

Il ne peut évidemment être question de faire de l'anarchie un « parti organisé » ; nous voyons seulement dans la rencontre des mêmes thèmes très généraux chez des personnalités aussi diverses que celles que nous avons citées, le signe d'une certaine unité de pensée. Mais il est bien certain qu'unité de pensée ne signifie pas nécessairement unité d'action. L'individualisme représente un terrain d'entente très large et la violence anarchiste n'en est qu'une des conséquences possibles. Aussi bien n'avons-nous jamais dit que Randal fût un anarchiste, mais nous avons simplement cité des articles où il assigne à l'individu " une place de choix ». Si nous voulions situer plus exactement sa pensée, il nous faudrait au moins citer le bref mais important article des Entretiens politiques et littéraires, publié dans le n° 33 (décembre 1892) sous le titre « Si Kropotkine voulait », dans lequel Randal fait dialoguer un ouvrier et une riche comédienne anarchiste qui le reçoit dans son salon ; selon l'auteur, l'anarchisme gratuit a quelque chose d'aristocratique qui en fait plus l'affaire des snobs ennuyés que des véritables malheureux. Au contraire, le socialisme, s'il ne refuse pas la destruction de la société bourgeoise, n'accepte pas de s'en tenir là. Il n'empêche que l'influence de Stirner amène Randal, en 1892, à refuser le libéralisme et l'humanitarisme au profit de l'égoïsme, seul susceptible de fonder une société juste. On peut lire des passages significatifs dans son article de septembre 1892 (n° 30 des Entretiens..., p. 117-128) : " Je fais seul la loi. Je n'ai qu'à m'absoudre pour être innocent [...] Que chacun fasse comme je viens de faire, et demain il n'y aura plus d'esclavage, parce que l'autorité sera morte. Il n'y aura plus que l'union libre des égoïstes et la floraison prodigieuse de la joie universelle. Il suffit d'avoir le courage de la Révolte. Car notez encore ceci : je ne prêche par la Révolution, mais la Révolte [...] Nous ne devenons pas dieux ; nous le sommes » (p. 125 et 127). L'influence de Stirner sur Randal se manifeste encore dans les étonnants passages traduits dans le n° 32, de novembre 1892, des Entretiens..., sous le titre « Apologie du mensonge ». C'est assez dire que L'Unique n'attendit pas Victor Basch et ses travaux, d'ailleurs remarquables, pour être ee révélé ». Stirner avait d'ailleurs également sa place dès 1869 dans la Philosophie de l'inconscient de Hartmann, et Nietzsche le tient en très haute estime.

Ainsi, la brillante carrière postérieure de Charles Andler ne doit-elle pas nous interdire la lecture des articles écrits par le futur grand maître des études germaniques lorsqu'il avait vingt-six ans.

Mais, si l'on ne doit pas confondre individualisme et anarchisme politique militant, on ne doit pas non plus confondre anarchisme et démagogie. On peut " dénoncer le erétinisme bourgeois » et mêler le mépris à la pitié dans les sentiments que l'on porte au peuple. Les invectives sont fréquentes contre les misérables que l'abrutissement rend incapable de se révolter, " Tu es amoureux de ta honte et de ta bassesse — s'écrie Paul Adam (Entretiens..., 1re année, n° 7, p. 220-221) — et tu tends aux talons et aux crachats ton visage ignoble ! » Et Louis Ménard, dans ses " Vers séditieux » (Revue Blanche, juin 1892), Saint-Pol-Roux dans et Le Fumier » (ibid., mai-juin 1894) reviennent sur le même thème. Ce qui pourrait apparaître comme une tendance aristocratique- vient en fait du désir de perfection qui anime ces réformateurs utopistes, les irritant contre la médiocrité et la veulerie, où qu'elles se trouvent.

Quant à réduire l'anarchisme à n'être qu'une crise de jeunesse, autant dire que la révolte n'a jamais d'autre sens que celui d'être un symptôme de l'adolescence. Sans pour autant y voir toujours un « grand héroïsme », on peut néanmoins la préférer à l'engourdissement des âges mûrs et aux satisfactions de la course aux honneurs. Les rêves anarchisants de 1890, au même titre que la poésie de Rimbaud ou les blasphèmes de Lautréamont, loin d'être " un jeu parfaitement dans la tradition de l'esprit français », ont la valeur universelle d'un témoignage et traduisent une générosité, un appétit d'absolu et de pureté qu'on est en droit de juger plus nobles que. la sérénité de consciences moins intransigeantes. »

Nous considérons la discussion comme close.


NOUVELLES DIVERSES

Société Chateaubriand. — La 84 séance de travail s'est tenue chev. Mme Jean Mignot, descendante du frère aîné du grand écrivain, sous la présidenci- ele M. Pierre Clarac, membre de l'Institut. De nombreux sociétaires venus de l'étranger assistaient à cette réunion au cours de laquelle d'importants inédits ont été communiqués, parmi lesquels : une lettre récemment découverte aux Etats-Unis et commentée par M. J.A. Bédé, de Columhia University, qui a soulevé une nouvelle fois le' débat relatif a Chateaubriand et à Washington ; trois lettres conservées dans des collections américaines, révélées par Mlle Bassan, de Peterborough, et dont l'une éclaire les relations politiques de Chateaubriand avec le: maréchal Victor due de Belhme ; plusieurs lettres et documents produits par M. Jean Ménard, de Montréal, témoignant du prestige; exercé par l'écrivain sur les Canadiens de son temps. Enfin, Mlle Lehtonen, (l'Helsinki, a subtilement tracé l'évolution du langage imagé de Chateaubriand, et la comtesse d'Andlau, descendante de Mme de Staël, a montré comment Chateaubriand fit transparaître, sous les traits du Dioclétien des Martyrs, l'effigie de Napoléon.

Deuxième Congrès international sur le Siècle des Lumières. —

A la fin du Premier Congrès international sur le Siècle des Lumières (Genève, 1963), une demande pressante a été formulée pour assurer le renouvellement de cette initiative. Grâce à une invitation de l'Université de St. Andrews (Ecosse), le comité se félicite de pouvoir annoncer ce deuxième congrès dont les manifestations se dérouleront du 22 au 31 août 1967.

M. Théodore Besterman, directeur de l'Institut Voltaire, Genève, et le comité d'accueil du congrès vous prient de vous adresser pour plus amples renseignements au Dr S.S.B. Taylor (Dept. of French, St. Salvator's Collège, The University, St. Andrews, Ecosse).

La Harpe. — M. Alexandre Jovicevich 80 Bennett Avenue, New York. N.Y. 10033), qui prépare une biographie de Jean-François de La Harpe, serait reconnaissant à tous ceux qui pourraient lui communiquer des renseignements sur ce personnage.

M. Jovicevich prie également tout collectionneur de lettres de La Harpe et de celles qui lui ont été adressées de bien vouloir ou les lui communiquer ou lui permettre d'en prendre copie. Toute aide lui sera précieuse, et il en aura un gré infini.


EDITIONS DU CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE

15, Quai Anatole-France, PARIS-7e C.C. P. PARIS 9061-11 Tél. : SOlférino 95-39

LES LANGUES DU MONDE

par un groupe de linguistes

sous la direction de A. MEILLET et M. COHEN

Reproduction photomécanique de l'édition de 1952 Ouvrage présenté en deux volumes in-8° raisin, relié toile, totalisant XLII + 1296 pages et 21 cartes sous pochette.

Les caractéristiques essentielles du livre sont les suivantes : " Les langues sont groupées par familles, autant qu'il est possible dans l'état actuel des recherches linguistiques... Tout ordre des chapitres qui n'est pas annoncé comme tenant compte des parentés n'a qu'une valeur géographique. La répartition d'ensemble a été faite en tenant compte surtout des contiguïtés, et aussi de certaines ressemblances de civilisations... L'ouvrage vise à être complet en ce qui concerne : rémunération des langues connues (vivantes et mortes)... la date du début et, s'il y a lieu, de la fin de leur histoire ; leur extension, avec, si possible, des données statistiques... Les bibliographies permettront de se reporter aux descriptions de langues ».

PRIX : 80 F. - Franco : 83,90 F.


TABLE DES MATIÈRES

CONTENUES DANS I.A SOIXANTE-CINQUIEME ANNÉE

DE LA REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

Articles

BANDY (W.T.) et PRECHOIS /Cl. Du nouveau sur la jeunesse de Baudelaire. Une lettre inédite à Banville 70

BELLEFROUD (J.-M.). Deux lettres inédites de Villiers de L'Isle-Adam à

Mallarmé et à Méry Laurent 215

BÉNCHOC (P. I. Sur les premières élégies de Lamartine 27

HERSANT (J.), Proust et Dada 260

GARASSES (E.), Les débuts parisiens de Maurice Barrés 193

CARAYOL (E.), Des Lettres persanes oubliées 15

CERMAKIAN (M.), Treize lettres inédites de Prosper Mérimée (1862-1870) 430

COTTIN (M.), Marie Mattei, inspiratrice; de Théophile Gautier 421

DAVANTURE (M.), Maurice Barrés et l'art du comédien 211

DELOFERE (Fr.). Guilleragues épistolier : une lettre inédite à Mme de La

Sablière 590

DUBU (J.), Valéry et Courbet 239

DIIOHET (Cl.) et LAUNAY (M.), George Sand et l'armée en 1848. Quatre

lettres inédites 78

FAECON-ER (Gr.), La genèse de Mardoche 47

FAHC:EAI;I> (M.), Balzac et « les Messieurs du Muséum « 637

GAEDE (Ed.), L'amitié de Valéry et de Gide; à travers les textes des Cahiers 244

HIPP. (M.-Th.), Le; Mythe de Tristan et Iseut et La Princesse de Clèves 398

JOSEPH (L.), Mallarmé et son amie anglaise 457

LAULAN (R.), Anatole France, Thaïs et la vie des stylites 220

MOLINIER (M.), Rousseau vu par Moutonnet-Clairfons 415

MONFÉRIER (J.), Symbolisme et anarchie 233 et 730

NYKROC (P.), Thélème, Panurge et la Dive Beuteille 385

OSMONT (R.), « Un événement aussi triste qu'imprévu... « 614

POMMIER (J.), Balzac 1965. Le Prométhée d'A. Maurois 657

TAXS (J. A. G.), Un thème-clef racinien : la rencontre nocturne 577

TEHNOIS (R.), Saint-Evremond et Spinoza 1

VARLOOT (J.), Jacques le Fataliste et la Correspondance littéraire 629

Notes et documents

BARBÉRIS (P.), Notes sur une' édition récente des Paysans 494

BASSAN (F.), Deux lettres inédites de Chateaubriand : du Ministère des

Afffaires étrangères à la publication de la Vie de Rancé 273

BOOK (CM.), Théophile Garrtier et l'Hôtel des Haricots 277

BUCK (S.), Deux notes sur L'Education sentimentale 287


TABLE DES MATIÈRES 733

CHADWICK (G), La correspondance de Rimbaud 693

DEHERGNE (J.), Une table des matières de L'Année littéraire de Fréron 269 DUCHET (Cl.), Un libraire libéral sous l'Empire et la Restauration :

du nouveau sur Royol 485

GUICHEMERRE (R.l. Une source peu connue de Molière : le théâtre de Le

Métel d'Ouville 92

HACKETT (C. A.), « Being Beauteous ». Rimbaud et Longlellow 109

HENNEQUIN (J.), Corneille en province ; un document inédit sur des représentations d'Andromède au XVIIe siècle 683

LETHÈVE (J.), Une nouvelle « source » du sonnet des « Voyelles » 108

PAPPAS (J. N.), D'Alembert et la querelle des Bouffons 479

PARTURIER (M.), Sainte-Beuve et Rémusat 689

TOBIN (R.W.), Un précurseur méconnu de Phèdre : Béral victorieux de

Borée 103

Comptes rendus

Actes du 1er Congrès international racinien (J. MOREL) 115

ALBOUY (P.), La création mythologique chez Victor Hugo (R. JOURNET) 521 ALLEN (Don C), The Legend of Noah. Renaissance rationalism in Art.

Science and Letters (S. FRAISSE) 113

ALLEXTUCH (H. R.), Madame de Sévigné : a Portrait in letters (M.-Fr.

GUVARD) 511

APOLLINAIRE 1963, Revue des Lettres Modernes (J. BELLEMIN-NOËL) 720

BALZAC, Une ténébreuse affaire, éd. S. Jean-Bérard (P. LAUBRIET) 329

BARDON (Fr.), Diane de Poitiers et le Mythe de Diane (R. KLEIN) 290

BARRES (M.). Colloque de la Faculté des Lettres de Nancy (E. CARASSUS) 335

BAUDOUIN (Ch.), Jean Racine, l'enfant du Désert (J. ROHOU) 300

BIRD (E. A.), L'univers poétique de Stéphane Mallarmé (C. CIIADWICK) . . 331

BLOCK (H.M.), Mallarmé and the Symbolist Drama (C. CIIADWICK) .... 332 BOWEN (B.C.), Les caractéristiques essentielles de la farce française et

leur survivance dans les années 1550-1620 (R. GARAPO.N) 696

BOWMAN (F.P.), Prosper Mérimée Heroism, Pessimism, and Irony (R.

BASCHET) 528

BROWN (F. S.), Religious and political Conservatism in the Essais of Montaigne (R. ANTONIOLI) 292

BRUNELLI (G. A.), Da Ronsard a Molière (J.-P. CHAUVEAU) 504

CAIRNCROSS (J.), Molière bourgeois et libertin (J.-C. TOURNAND) 298

CALAME (A.), Regnard, sa vie et son oeuvre (R. GARAPON) 117

CAMUS devant la critique de langue allemande. Revue des Lettres Modernes (M.-Cl. ROPARS) 724

CARMODY (Fr. J.), The Evolution of Apollinaire's Poetics (J. BELLEMIN-NOËL) 145

CELLIER (L.), Le Grand Meaulnes ou l'initiation manquée (M. LAUNAY) 721

COHEN (J. M.), The Baroque Lyric (R. ELLRODT) 294

COPEAU et le Vieux-Colombier. Exposition à la Bibliothèque de l'Arsenal (J. CHOUILLET) 538

COUHCELLE (P.), Les Confessions de saint Augustin dans la tradition

littéraire. Antécédents et postérité. (J. ORCIBAE) 347

COURTNEY (C. P.), Montesquieu and Burke (J. ERIIARD) 128

DÉDÉYAX (G), Victor Hugo et l'Allemagne (A. MONCHOUX) 709

DELASSAULT (G.), La pensée janséniste en dehors de Pascal (Ph. SELLIER) 115

DE NARDIS (L.), L'Ironia di Mallarmé (Ch. CHASSÉ) 138 et 351

DESCARTES, OEuvres philosophiques, éd. F. ALQUIÉ (J. PIGNET) 697

DESCHAMPS (J.), Amitiés stendhaliennes en Belgique (H.-Fr. IMBERT) . 708


734 REVUE D' HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

DIDEROT, Le; Neveu de Rameau ou Satire 2de accompagnée de la Satire

première, éd. R. DESNÉ (M. LAUNAY) 706

DIDEROT, OEuvres politiques, éd. P. VERNIERE (J. CHOULLET .) 318

DIDEROT, Contes, éd. H. DIECKMANN (J. PROUST: 317

DIDEROT (Commémoration de la naissance de). Revue des Sciences humaines ( J. CHOI.TLI.ET,) 308

DIDEROT (Exposition à la Bibliolhèque Nationale) (J. CIKHJILLET) .... 307

DIDEROT, Salons, t. III, éd. J. SEZNEC et J. ADHÉMAR (J. PROUST) .... 125

DOUBROVSKY (S.). Corneille et la dialectique du héros (J. TRUCHET) .... 506

DURON (J.), Langue française, langue humaine (J.-Cl. CHEVALIER) 290

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CHAUVEAU)

ESPIAU DE LA MAËSTRE (A.), Bernanos und die menschliche Freiheit (S.

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Etudes bernanosiennes (H. GJORDAN) 541

Exposition Alfred de Vigny à la Bibliothèque Nationale (F. GERMAIN) 328

FABRE (J.), Lumières et Romantisme (Ch. GUYOT) 129

FRAGNIÈRE (M.-A.), Bernanos fidèle à l'enfant fil. GIOUDAM 540

GAIXOUEDEC-GENUYS (Fr.), Le Prince selon Fénelon (J.-L. GORÉ.) 701

GERMAIN (Fr.), L'imagination d'Alfred de Vigny (M. MILNER) 131

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LA BOÉTIE, Discours de la Servitude volontaire, éd. M. RAT (M. LAUNAY) 113 LABOURE (A.), Trente-huit années près de Zola. La vie d'Alexandrine Zola

(H. MITTERAND) 536

LAMARTINE, OEuvres poétiques complètes, éd. M.-Fr. GUYARD (H. MOREAU) 327

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LAWLER, Lecture de Valéry : une étude de Charmes (Ll. J. AUSTIN) . . 341 MALLARMÉ. Ouverture ancienne d'Hérodiade. éd. N. DI GIROLAMO (Ll, J.

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MAURON (Ch.). Psychocritique du genre comique (M. AUTRAND) 725

MAY (G.), Le Dilemme du roman au XVIIe siècle (J. SCARD) 121


TABLE DES MATIERES 735

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GABAPON) 505

MÉRIMÉE, Correspondance générale, éd. M. Parturier (R. BASCHET) .... 525

MERSENNE (M.), Correspondance, t. VII (R. LEBÈCUE) 698

MICHELET, Introduction à l'Histoire universelle, éd. CH. MORAZÉ (Cl

DIGEON) 134

MOREAU (P.), La Critique selon Sainte-Beuve (R. FAYOLLE) 713

MOREAU (P.), Amours romantiques (R. MOLHO) 324

MUHRAY (S.M.), La Genèse de Dialogues des Carmélites (H. GIORDAN) 149

NELSON (R. J.), Corneille, his Heroes and their Worlds (G. GENETTE) . . 297 PADBERG (M.), Dos Romanwerk von G. Bernanos als Vision des Untergangs

(A. ESPIAU DE LA MAËSTRE) 539

PICARD (R.), La Poésie française de 1640 à 1680 (J.P. CHAUVEAU) .... 700 PICHOIS (Cl.), L'Image de Jean-Paul Richter dans les lettres françaises

(E. GAÈDE) 321

POMEAU (R.), Politique de Voltaire (M. LAUNAY) 123

POMMIER (J.), Le Cimetière marin de Paul Valéry (Ll. J. AUSTIN) 149

POULET (G.), L'espace proustien (A. FERRÉ) 147

PRUNER (Fr.), La Symphonie pastorale de Gide (Ch. GUYOT) 722

PSICHARI (H.), Anatomie d'un chef-d'oeuvre, Germinal (H. MITTERAND) 535

RACINE, Lettres d'Uzès, éd. du tricentenaire par J. DUBU (J. ROIIOU) .... 301 RACINE, voir Actes.

REICHENBERGER (K.), Die Schöpfungsivoche des Du Bartas (J. PINEAUX) . . 293 REIZOV (B.), L'Historiographie romantique française, 1815-1830 (P. HALBWACHS)

HALBWACHS)

ROBERTO (E.), L'Endormie de Paul Claudel ou la naissance du génie

(J.-N. SEGRESTAA) 337

ROBINSON (J.), L'analyse de l'Esprit dans les Cahiers de Valéry (J. BEELEMLN-NOËL)

BEELEMLN-NOËL) 48

RON.NET (G.), Pascal et l'homme moderne (Ph. SELLIER) 114

ROUSSEAU. Entretiens de Genève, 1962 (J.-L. LECEUCLE) 704

A. SAURO, Le Rhin de Victor Hugo. Romantisme et diplomatie (Cl. PICHOIS) 516

SÉGALEN (V.), Stèles, éd. H. BOUILLIER (M. DU CHEVRON) 146

SENANCOUH, Sur les générations actuelles. Absurdités humaines, éd. M.

RAYMOND (B. LE GALL) 320

SÉNELIER (J.), Gérard, de Nerval, recherches et découvertes (M. LAUNAY) 331

SÉNELIER (J.), Gérard de Nerval, essai de bibliographie (R. JEANC 531

SIMON (P.-IL), Le domaine héroïque des lettres françaises Xe-XIXe siècles

(J. ONTMUS) * 345

TAHHAN (R.), André Gide et l'Orient (Ch. GUYOT) 339

THELANDER (D. R.), Laclos and the epistolary Novel (P. HOFFMANN) . . 127 Tragédies (Les) de Sénèque et le théâtre de la Renaissance, éd. J. JACI^UOT

(J. MOREL) ' 695

Utopie et institutions au XVIIIe siècle. Textes recueillis par P. FRANCASTEL

FRANCASTEL PROUST) 119

VAJVDEGANS (A.), La jeunesse littéraire d'André Malraux. Essai sur l'inspiration farfelue (Cl. PICHOIS) 344

VERDIEH (A.), Les Amours italiennes de Lamartine. Grazieila et Lena

(M.-Fr. GUYARD) 326

VERNOIS (P.), Le Roman rustique de G. Sand à Ramuz (R. MATHÉ) .... 134 VERNOIS (P.), Le Style rustique dans les romans champêtres après G. Sand

(R. MATHÉ) . . .' 136

VIANU (E.), Moralistii francezi (M. LAUNAY) 349

VIGNY-, voir Exposition.

VOLTAIRE, La Philosophie de l'histoire (M. LAURENT-HUBERT) 512


736 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

VORJYTRIEDE (W.), Novalis und die französischen Symbolislen (R. KOPP

et Cl. PICHOIS) 333

VOSSLER (O.), Rousseaus Freiheitslehre (M. LAUNAY) 304

WALTZEK (P.-CO, Essai sur Stéphane Mallarmé (Ll. J. AUSTIN) 718

WESTEU RUSSEL (O.), Etude historique et critique des Burgraves de Victor

Hugo avec variantes et lettres inédites (J. SEEBACHER) 517

WILEEMS (Don W.), P. Claudel, rassembleur de la Terre, de Dieu (J.-N.

SEGRESTAA.) 339

YARROW (P.J.). Corneille ((C. GENETTE) 295

ZOLA (E.), Lettres de Paris (II. MITTERAND) 534

Correspondance 728

Procès-Verbal de l'Assemblée Générale et du Conseil d'Administration

de la Société d'Histoire littéraire de la France 152

Nouvelles diverses 159, 351, 543, 730

Bibliographie par RENÉ RANCIEUR 161. 353, 545, 737


BIBLIOGRAPHIE

Dans ce numéro, tous les ouvrages et articles cités ont été publiés en 1964.

Les livres sont distingués des articles par un astérisque. Les numéros spéciaux comportant plus de six articles ne seront dépouillés que dans le volume annuel.

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Le Directeur de la publication : GUY DESGRANGES.

imprimé en France pour la librairie ARMAND COLIN en octobre 1963 par l'Imp. R. BELLANGER ET FILS à La Ferté-Bernard (Sarthe) Dépôt légal effectué dans le 4e trimestre, 1965 — N° Editeur : 3393 — N° Imprimeur : 370.


Société d'Histoire littéraire de la France

18, Rue de l'Abbé-de-1'Epée, Paris (5e)

BUREAU

Président : Jean POMMIER, de l'Académie des Sciences morales et politiques, professeur honoraire à la Sorbonne et au Collège de France.

Vice-Présidents : Raymond LEBEGUE, de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, professeur à la Sorbonne ; Pierre JOSSERAND, conservateur en chef à la Bibliothèque nationale.

Secrétaire : René POMEAU, professeur à la Sorbonne.

Secrétaire adjoint : Claude PICHOIS, professeur à l'Université de Bâle.

Trésorier : Georges LUBIN.

Secrétaire du Bureau : Raphaël MOLHO.

CONSEIL D'ADMINISTRATION

MM. A. Adam. A. Billy. Ch. Bruneau. P.-G. Castex. P. Clarac, R. Dumesnil J. Duron. Mme M.-J. Durry, MM. J. Fabre, B. Guyon, Ch. Guyot, J. Hytier, R. Jasinski, P. Jourda, A. de Luppé, Ed. Maynial, G. Mongrédien, P. Moreau, M. Paquot, M. Parturier. R. Pierrot, R. Pintard, R. Rancoeur, J. Vier.

CORRESPONDANTS A L'ETRANGER

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Revue d'Histoire littéraire de la France

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ADMINISTRATION

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ABONNEMENT ANNUEL

1966 (4 numéros : France. 24 F Etranger, 28 F

Le numéro de l'année courante (et des années parues) : 6,50 F

Bibliographie de la Littérature française moderne 1963

par René RANCOEUR, A. Colin. 184 p.. 12 F


JACQUES VIER

HISTOIRE

DE LA

LITTÉRATURE

FRANÇAISE

XVIIIe siècle

T. I. L'Armature intellectuelle et mor

Voici le second volume de la nouvelle histoire de la littérature française entreprise par Jacques Vier, professeur à la Faculté des Lettres de Rennes et critique réputé. Le premier volume était consacré à la littérature des XVIe et XVIIe siècles. Le second volume, comprend deux tomes dans le premier tome l'auteur consacre une étude d'ensemble aux grands maîtres du choeur philosophique ; dans le second tome, qui paraîtra en 1966, il déroule la vaste fresque de l'évolution des genres.

De nombreuses recherches, de grandes thèses récentes ont modifié l'éclairage sous lequel nous considérons le XVIIIe siècle. Il était opportun qu'un livre de grande synthèse et de haute culture nous permette de faire le point par une étude d'ensemble, appuyée sur une bibliographie exacte et conduite dans un style étincelant.

Un volume, 14x22,5 cm, 352 pages, bibliographie, sous couverture illustrée deux couleurs 20,00 F

Du même auteur :

HISTOIRE DE LA LITTERATURE FRANÇAISE

XVIe-XVIIe siècles 22,00 F

LA COMTESSE D'AGOULT ET SON TEMPS

T. 1 1805-1839 15,00 F

T. Il 1839-1848 18,00 F

T. III 1848 ; 1852-1870 . . 23,00 F

T. IV 1852-1870 (suite) 23,00 F T. V 1852-1870 (fin) . . 20,00 F T. VI 1870-1876 22,00 F

LA COMTESSE D'AGOULT ET FRANÇOIS PONSARD

T. I 9,50 F

LIBRAIRIE ARMAND COLIN