LES DÉBUTS PARISIENS DE M. BARRES 199
pour lui ce qu'elle avait fait pour Bourget, pour Loti ? D'autant qu'il bénéficiait des « plus flatteuses » et des « plus instantes » recommandations de Leconte de Lisle 1. Malheureusement, aussi bien chez Yung, à la Revue Bleue, que chez Madame Adam, à La Nouvelle Revue, ce fut un « four », comme l'annonce piteusement Barrés à Sorg en juin 1884. « Blackboulé de partout » 2. « Les Héroïsmes superflus » avaient été repoussés. La ressource de La Jeune France étant précaire, il ne restait alors qu'à monter une revue par ses propres moyens, et ce furent Les Taches d'encre. « Acte de toupet » 3, mais qui devait permettre, sinon de gagner de l'argent — au contraire, en dépit de quelques prévisions optimistes — du moins de se mieux faire connaître et de s'exprimer. L'an 1885 allait d'ailleurs ouvrir à Barrès de nouvelles revues, souvent fraîches écloses : La Minerve, La Revue Indépendante, La Vie Moderne, La Revue Contemporaine, La Revue Illustrée, La Suisse Romande, sans parler de Amsterdammer Weekblad et de Nieuwe Gids. Miroitaient aussi des espoirs, parfois déçus : celui d'une Revue de Paris, celui d'articles dans Le Temps, une chronique des livres dans Les Lettres et les Arts illustrés. Fin 1885, Barrès commence à être fort demandé, son nom se répand, la gageure du succès est en partie remplie. Reste le livre : il n'avait pu, comme il l'escomptait, faire, à partir de tirés à part des Taches d'encre, son recueil de nouvelles : Le Départ pour la Vie, et son recueil d'essais : Le Nihilisme contemporain. Il fallut attendre la fin de l'année 1887 pour que fût sous presse Sous l'OEil des Barbares. Du moins s'étaitil assuré d'importantes relations, et il pouvait déjà figurer au nombre des écrivains d'avenir...
Ces démarches en quelque sorte externes se doublaient cependant d'une évolution interne. Les débuts littéraires de Barrès, ce n'est pas simplement l'effort permanent pour percer dans le journalisme, c'est aussi la progressive conquête de son originalité. Les Taches d'encre aidaient à discerner cette évolution, mais notre propos se borne ici à dégager quelques remarques inspirées par l'examen de manuscrits qu'a bien voulu nous communiquer M. Philippe Barrés. Ces manuscrits fort raturés, souvent peu lisibles, maintes fois partiels, sont assez confus, et beaucoup ne sont point datés. A considérer cependant l'écriture, le format du papier généralement utilisé (34x22) et le classement qu'en avait fait Barrès, ils paraissent relever de cette période 1883-1885. Ils ne sauraient, assurément, rendre compte de toute l'activité de Barrès dans ces années fiévreuses, on n'y retrouve pas certains textes qui firent l'objet de publications dans les journaux, les revues et Les Taches
1. lbid., p. 203.
2. lbid., p. 202.
3. lbid., p. 212.