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Titre : Revue d'histoire littéraire de la France

Auteur : Société d'histoire littéraire de la France. Auteur du texte

Éditeur : Armand Colin (Paris)

Éditeur : PUFPUF (Paris)

Éditeur : Classiques GarnierClassiques Garnier (Paris)

Date d'édition : 1970-05-01

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb343491539

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb343491539/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

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Description : 01 mai 1970

Description : 1970/05/01 (A70,N3)-1970/06/30.

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k55670587

Source : Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, 8-Z-13998

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 01/12/2010

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REVUE

Y. GIRAUD Classiques et Burlesques.

M. GILOT Quelques traits du visage de Marivaux.

L. LE GUILLOU La genèse du journal « L'Avenir ».

S. FRAISSE Péguy et la Sorbonne.

K. R. DUTTON Poésie et mystique dans l'oeuvre d'Henri Bremond.

A. J. ARNOLD La querelle de la poésie pure.

NOTES ET DOCUMENTS, COMPTES RENDUS,

CORRESPONDANCE, INFORMATION,

BIBLIOGRAPHIE.

Mai-Juin 1970 70° Année — N° 3


Revue d'Histoire littéraire de la France

Publiée par la Société d'Histoire littéraire de la France avec le concours du Centre National de la Recherche Scientifique et de la Direction des Arts et des Lettres

COMITE DE DIRECTION

Raymond LEBÈGUE Pierre-Georges CASTEX René POMEAU Claude PICHOIS

SECRETAIRES DE RÉDACTION :

Roland Virolle, Sylvain Menant, Christiane Mervaud

sommaire

ARTICLES

Y. GIRAUD : Classiques et Burlesques 70 076 J.I.... . .385

M. GILOT : Quelques traits du visage de Marivaux . .70.....0.76 82.. 391

L. LE GUILLOU : La genèse du journal " L'Avenir , d'après quelques lettres inédites

de Lamennais . 70. .0786 400

S. FRÀISSE : Péguy et la Sorbonne .... 70. .0.786. 416

K. R. DUTTON : Poésie et mystique dans l'oeuvre d'Henri Bremond 70. 0.7685 435

A. J. ARNOLD : La querelle de la poésie pure : une mise au point 7 0.07686 445

NOTES ET DOCUMENTS 70 .07687

A. NIDERST : « Traits notes et remarques » de Cideville (suite) 455

G. TURBET-DELOF : « La Provençale " est-elle de Regnard ? 471

F. LETESSIER : Chateaubriand et Horace Vernet (suite) . 476

K. GORE : Les deux projets de mariage de Renan 478

F. MÉRÉ : A propos d'une fausse attribution à Tristan Corbière 482

G. ZAYED : Sept lettres médites de Mallarmé à propos du monument de

Verlaine . 485

J.-M. PAISSE : Un cas de mémoire involontaire dans « La Double Maîtresse »

d'Henn de Régnier 493

COMPTES RENDUS

H. DE CRENNE : Les Angois ouloureuses qui procèdent d'amour (lre partie),

éd. J. VERCRUYSSE (Y. GIRAUD), 51 - JODELLE : OEuvres complètes, éd. E. BALMAS

(Y. GIRAUD), 501. — Mélanges d'r NO littéraire (XIe- XVIIe siècles) offerts à R. LEBÈGUE (J.-P. CHAUVEAU), 504. — MALI — : OE" "-'-- -ibériques, éd. R. FROMILHAGUE et R LEBÈGUE (J. PINEAUX), 509. — A «L^^hffilX^rï^fc^ . le la langue de Jean Chapelain (B. BRAY), 510. — J. CRUICKST 'W^^X^^^^^^Ê \ ° and its Background, t. II (I. MOREL), 512. — J. MIN -U-|^j^^^^^g|J^Pyil^ffiih. sicisme aux lumières (A. ZATLOUKAL), 513. — Studie '" ^'^^^T^^^^^^jj|^£k't'^ -i Shakespeare), éd. TH. BESTERMAN (G. MAILHOS), ' ___Ji^^^^^^^^^^Êj^^Ê^/fk ce and related documents, éd. TH. BESTERMAN (G. . ;,*„ J-^M^^^m^^^^^' saubriand 1768-1968) (R. JOUANNY), 516. •— M. D^t ^'''"W^'^^^^^^^^Ê^S: ^ -z les écrivains français du XIXe siècle (P. BARBÉRIS).» .J". ' ^k-É^^S^^^^^^^^" le et le code civil dans «La Comédie humaine » de B.A ^'^.A'^^Ê^^%^^^ -^ANT : Victor Hugo : a select and critical bibliography [—-.'—^^"^l^jrfjS^^T*" - : Victor Hugo et Julie Chenay (P. GEORGEL), 520. — R. C. ' «i'^~ "' "*' 'J¥W>« que du voyage , R. JEAN : Nerval par lui-même; G. POULL - ,/'Ù^yf-Vf'if''. ' ogie romantique, K. SCHARER :

Thématique de Nerval (J. bi_ vv?%ï##*k$lpT " A. STIERLE : Dunkelheit und Form in Nervals « Chimères » (A. DUBK.J» "^"Él'^^^ • ALLAS : Nerval : a critical bibliography (W. T. BANDY), 528. — A. MERCIE W^F^ sources ésotériques et occultes de la poésie

Lire la suite du sommaire en page 3 de couverture.


MAI-JUIN 1970 70e ANNÉE - N° 3

REVUE MAI-JUIN 1970

70e ANNÉE - N° 3

D'HlSTOIRE

LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

CLASSIQUES ET BURLESQUES

I La Fontaine et Dassoucy

Imagine-t-on La Fontaine indifférent à un événement littéraire ou artistique, ignorant une mode contemporaine ? Si grand amateur de nouveauté, si curieux et si friand des voluptés de la découverte, comment ne se serait-il pas intéressé au burlesque ? Avant de demander à tout venant : « Avez-vous lu Baruch ? », La Fontaine a fort bien pu dire : « Connaissez-vous Dassoucy ? ».

C'est entre 1643 et 1665 au moins que le burlesque triomphe, partageant avec le romanesque la faveur d'un public qui se passionne « avec fureur » pour les aventures sentimentales de la Cassandre, de l'Artamène, du Don Sanche ou du Timocrate, et qui rit aux éclats des irrévérences narquoises du Typhon ou de l'Ovide en belle humeur. Or pendant cette vingtaine d'années, précisément, La Fontaine « fait ses classes » poétiques, tirant profit des influences les plus diverses ; et son tempérament le portant autant vers le burlesque que vers le romanesque, il semble que nous puissions retrouver en plus d'un endroit de son oeuvre un écho de cet engouement, même s'il n'a été que passager.

Le premier nom qui vient à l'esprit est celui de Scarron. Depuis 1655 au moins, Fouquet le pensionne, et il serait bien étonnant que l'on n'eût jamais parlé du burlesque à Vaux. Cette comédie en cinq actes, Ragotin ou le roman comique (1684), ne prouve-t-elle pas à l'évidence une filiation ? Mais l'on sait maintenant que La Fontaine n'y a eu aucune part, et qu'il vaut mieux pour sa gloire laisser à Champmeslé la paternité de ces comédies poussives, lourdes

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et traînantes. Quant aux traits burlesques que l'on a relevés dans les Contes et dans les Fables, ils sont trop peu individualisés pour que l'on puisse y voir l'influence de Scarron.

Tournons-nous donc plutôt du côté de Dassoucy, dont la tournure d'esprit et le style nous paraissent d'ailleurs plus nettement, plus typiquement burlesques. La Fontaine, qui s'est intéressé à maintes reprises aux Métamorphoses, a lu Le Jugement de Pâris, l'Ovide en belle humeur et Les Amours d'Apollon et de Daphné, ouvrages publiés par Dassoucy entre 1648 et 1650 ; plus tard, il lira Les Rimes redoublées de 16711. Divers indices nous permettent de le penser avec la plus grande vraisemblance.

Au début de sa carrière, La Fontaine paraît moins libre dans ses emprunts : qu'il traduise ou qu'il adapte, il n'est point encore parvenu à cette souveraine aisance dans l'imitation, à cette originalité profonde du renouvellement qui le caractérisent. Ainsi, dans Le Songe de Vaux, il reprend à son compte un jeu de mots que Dassoucy avait placé dans son Jugement de Pâris :

[...] petit marteau Qui servoit à la fiere beste A luy donner martel en teste 2

et qui vient orner Les Amours de Mars et de Vénus :

Son marteau luy tombe des mains. Il a martel en teste [...] 3.

Le procédé est d'ailleurs typiquement burlesque, et ces « images prises littéralement » 4 se retrouvent en abondance chez Dassoucy. S'agit-il dans ce cas précis d'une simple rencontre ? Nous n'avons pu relever d'autres emprunts possibles dans Le Songe de Vaux, et nous ne tirerons donc pas argument de cette répétition.

L'étude de la langue et du style burlesques de La Fontaine dans ses Fables et surtout dans ses Contes, esquissée ça et là non sans mérites 5, demanderait à être entreprise d'une façon systématique. On y relèverait sans doute un assez grand nombre de coïncidences, dans les termes 6 et dans les tournures 7, dont nous nous bornons à

1. Notons que Chapelle a pu jouer un rôle d'intermédiaire entre les deux poètes, ayant été lié successivement avec Dassoucy (de 1645 à 1654 environ), puis avec La Fontaine

2. Chant II, v 36-38. Paris, T. Qurnet, 1648, p. 20.

3. V 54-55. Dans Le Songe de Vaux, éd Titcomb, Genève, Droz, 1967, p 229

4. Voir F. Bar, Le Genre burlesque en France au XVII° siècle Etude de Style, Paris, D'Artrey, 1960, p. 344 sq.

5. Notamment par F Bar, op cit, p 401 sq, et par P. Moreau, Thèmes et variations dans le premier recueil des Fables, Paris, CDU, 1964, p 80 sq.

6. Ainsi les mots pitaud (Contes, éd Couton, Paris, Garnier, 1961, p. 161, 162, 337, 338), blondin (ibid, p 162), fressure (ibid., p 319), anguillade (ibid., p. 318). hoqueton (Fables, UT, 3) qui appartiennent tous au vocabulaire burlesque de Dassoucy (Amours d'Apollon, v. 15, 32, 376 , Ovide en belle humeur, p 91, 96), aussi bien que toute une série de mot, " bas » que les Contes ne craindront point de reprendre.

7. Expressions relevant de la galanterie vulgaire . « bien de couchette » (Contes, p. 310) , « la petite oie » (ibid, p. 86 , Jugement de Pâris, v. 268 , mais déjà chez


CLASSIQUES ET BURLESQUES 387

signaler une faible partie. Parmi les procédés, deux au moins dont La Fontaine, dans ses Fables, a fait un fréquent usage après Voiture, Scarron ou Dassoucy, l'archaïsme et l'anachronisme, ont été plusieurs fois signalés.

Mais nous pensons plutôt que l'influence de Dassoucy a pu s'exercer sur deux autres plans, l'un ressortissant à la thématique et l'autre à la technique de la versification. Tout d'abord, le poète burlesque a traité, en 1650 probablement, l'histoire des Amours d'Apollon et de Daphné dans une « comédie en musique » dont la formule est très originale dans le domaine du spectacle musical 1. N'y a-t-il qu'un hasard dans le fait que La Fontaine, en 1674, s'est arrêté au même argument pour le livret d'opéra qu'il destinait à Lully ? Certes, on remarque ailleurs divers emprunts aux Métamorphoses, qui le séduisaient par plus d'un aspect. D'un autre côté, Lully ou Niert ont fort bien pu lui signaler que le livret du premier opéra italien, dont le retentissement avait été grand, était aussi une Dafne, oeuvre du poète florentin Ottavio Rinuccini 2. Mais rien ne peut nous interdire de penser que l'exemple de Dassoucy a pu déterminer le choix du thème, d'autant que la brève comédie en musique de 1650 n'a sans doute jamais été représentée, préservant ainsi la nouveauté de l'argument. Toutefois, nous ne saurions prétendre qu'il soit passé quelque chose de l'une dans l'autre. Ici, une intrigue développée à grands traits (cinq cents vers à peine !), avec une verve burlesque assez drue et parfois très crue, tout en laissant apparaître l'expression d'un sentiment violent, ardent, puis d'une mélancolie tendre et résignée ; dans le livret d'opéra, une pièce à grand spectacle, d'une extrême diversité et à l'intrigue assez lâche, où flotte une grâce langoureuse que nous dirions d'un Quinault, si cette douce — et molle — volupté n'était parfois aussi l'apanage de La Fontaine. Disons encore que, des deux traitements, celui de Dassoucy n'est peut-être pas le moins bon.

En ce qui concerne l'art de la versification, ce que La Fontaine a sans doute remarqué chez son prédécesseur est l'utilisation fort habile du vers libre. Après Voiture 3 et Scarron 4, qui se sont occaRabelais,

occaRabelais, Livre, IX) , de l'équivoque scabreuse . « chanter sa gamme » (Contes p. 23, 377, Scarron, Typhon, II, v. 18), « perdre ses gants » (Contes, p. 125), « lever sa collerette » (ibid, p. 169) ou du parler familier . « de bon poil » (ibid., p. 114), « quel taon vous point ? » (ibid., p. 95).

1. Nous avons publié ce texte dans la collection des Textes littéraires français, Genève, Droz, 1969.

2 Voir Y. Giraud, La Fable de Daphné, Genève, Droz, 1968, p. 406 sq

3. Voiture se sert du vers libre, dans ses stances principalement, en ne jouant que sur deux mèties, rarement trois. Mais il a déjà d'étonnantes audaces ainsi la Chanson L'Amour sous la loy présente la succession de mètres suivante 5 + 11 + 6 + 6 + 5 + 11.

4. Scarron a écrit quelques pièces où apparaissent les mètres impairs, du vers de 3 au vers de 11 ou 13 syllabes.


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sionnellement essayés à la variété métrique, Dassoucy est le premier virtuose de cette technique dont le fabuliste sera le maître incontesté. Le poète burlesque montre, dans ses Amours d'Apollon et de Daphné, une grande subtilité dans le maniement de ces rythmes : du trisyllabe à l'alexandrin, presque tous les mètres s'y rencontrent, parfois en des combinaisons curieuses ou audacieuses 1. Dans sa Daphné, La Fontaine usera aussi avec une extrême liberté de ces vers mêlés qui font l'un des plus grands charmes de ses chefs-d'oeuvre : on y relèvera même l'hendécasyllabe « inventé » par Voiture 2.

A côté de cette diversité métrique, dont l'un des éléments les plus notables est, chez Dassoucy comme chez La Fontaine, l'utilisation consciente des ressources du vers bref, il faut encore mentionner un procédé fréquent dans les Contes et dans les Fables, qui pourrait lui aussi provenir de Dassoucy. Celui-ci s'est d'ailleurs fait gloire de son invention, ayant érigé en système ce qui n'était qu'accidentel : de là le titre d'un de ses recueils, Les Rimes redoublées 3. Ce volume date de 1671, mais dès 1650, dans sa comédie musicale, Dassoucy tire des effets savoureux, cocasses ou plaisants de ces répétitions de rimes ; il n'en sera pas toujours de même, malheureusement, dans ses poésies de circonstance, où il s'essouffle à se tenir, non pas « sur un pied » comme l'affirme un peu légèrement V. Fournel 4, mais sur deux rimes pendant plusieurs dizaines de vers. Nos traités de versification appellent rime redoublée l'apparition excédentaire d'une terminaison déjà entendue deux fois : c'est sous cette forme que La Fontaine en usera très fréquemment. Dassoucy, pour sa part, désigne de ce nom la construction de tout un poème sur deux rimes, constamment répétées, mais sans succession fixe. Notons au passage que le médiocre Chapelle s'était attribué dans les salons tout le mérite de cette innovation, et Voltaire a justement rectifié cette fausse prétention : « il n'est pas vrai, écrit-il, qu'il fut le premier qui se servit des rimes redoublées : Dassoucy s'en servait avant lui, et même avec quelque succès » 5. En effet, deux tirades de la comédie de 1650 sont tout à fait remarquables : la scène burlesque de l'acte I où s'affrontent Apollon et l'Amour (30 vers en rimes redoublées), et le monologue du satyre (acte m, sc. 3, 56 vers).

Deux passages des Contes, écrits en rimes redoublées, témoignent d'une verve qui s'apparente à la prolixité joyeuse de Dassoucy ; dans Nicaise, ce n'est qu'un bref fragment de cinq vers, mais fort plaisant 6 ; ce sera tout le conte Janot et Catin, dont chaque strophe

1. Ainsi acte II, sc. 6, chanson .3 + 4 + 7 + 3 + 4 + 7.

2. Daphné, acte I, sc. 2, Méroé.

3. Paris, Claude Nego, 1671.

4. La Littérature indépendante et les écrivains oubliés, Paris, Didier, 1862, p 455

5. Le Siècle de Louis XIV, Catalogue. II est vrai que Voltaire ajoute « On trouve beaucoup de rimes redoublées dans Voiture », alors que l'on ne saurait y découvrir que quelques maigres exemples de redoublements « normaux », ne portant que sur une rime.

6. Contes, op. cit., p. 205.


CLASSIQUES ET BURLESQUES 389

est écrite suivant ce procédé 1. Ailleurs, deux pièces encore des Poésies diverses trahissent une parenté formelle plus nette : l'Epître à M. Galien 2 comprend vingt-neuf vers monorimes en octosyllabes, et le Virelai sur les Hollandais 3 cent vingt-huit heptasyllabes en rimes redoublées dont l'appartenance au genre burlesque est indiscutable. Et c'est précisément à propos de cette pièce que l'on ne peut manquer d'évoquer Dassoucy.

Si notre moisson se réduit finalement à une glane, c'est sans doute que La Fontaine était trop original pour emprunter directement : il faudrait ici rappeler sa théorie de l' « imitation » pour pouvoir constater que sur ce point il reste fidèle à lui-même. Puisque le burlesque est essentiellement, on l'a remarqué, affaire de mots, de style, et non de sujets, rien d'étonnant à ce que nous ne puissions relever que quelques rencontres stylistiques : La Fontaine n'est pas un banal plagiaire. En revanche, les traces d'influence indirecte que nous avons relevées semblent prouver que le « Papillon du Parnasse » avait lu l' « Empereur du Burlesque » et qu'il en avait parfois imité le ton ou l'allure.

II

La Bruyère et Scarron

Le portrait satirique de Carro Carri, ce charlatan qui se donne pour infaillible guérisseur, est sans doute le caractère le plus célèbre du chapitre De quelques usages, où il apparaît pour la première fois dans la huitième édition de l'ouvrage. Dès 1696 ou 1697, les clefs livrent le nom de l'original : il s'agirait du médecin empirique florentin Caretti (ou Caretto), qui « séjourna à la cour de Louis XIV avec honneur et profit, avant de retourner à Florence » 4. Nous n'avons aucune raison de refuser cette identification; toutefois, il nous paraît possible de remonter plus haut pour trouver une autre origine de ce type. En effet, la mode des guérisseurs aux « noms en O et en I, noms vénérables qui en imposent aux malades et aux maladies » est bien plus ancienne : c'est ce que nous permet de constater une phrase du Roman comique, dont La Bruyère pourrait bien s'être souvenu.

Dans la seconde partie de l'ouvrage 5, Ragotin, sur les conseils de

1. Ibid., p. 319.

2. Date de composition inconnue. Dans les OEuvres diverses, Paris, Didot, 1729, t. I, p. 101.

3. Paris, Cramoisy, 1672. F. Bar, op. cit., p. 416, a déjà signalé le caractère burlesque de ce virelai.

4. Les Caractères, éd. R. Garapon, Paris, Garnier, 1962, p. 224, note 2. Voir aussi p 486. Autres allusions à ce personnage (Caretti toujours, selon les Clefs) : VIII, 16 et XII, 21.

5. Chap. XVIII, Ed. Magne, Paris, Garnier, s.d., p. 271.


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La Rancune, s'est rendu auprès d'un guérisseur, que quelques mots suffisent à peindre : le personnage s'appelle

l'opérateur Ferdinando Ferdinandi, Normand, se disant Vénitien (comme je vous ay déjà dit) , medecin spaginque de profession et, pour dire franchement ce qu'il etoit, grand chailatan et encore plus grand fourbe.

Ainsi, de vendeur de mithridate qu'il était, cet avisé normand s'est hissé non seulement au rang de médecin « libre », mais de plus aux dignités nobiliaires : le mari, « ou soy-disant tel », d'Inezilla a été présenté au lecteur comme « gentilhomme vénitien, natif de Caen en Normandie » x.

L'original de cet opérateur est-il Pierre Methereau, comme le voudrait H. Chardon 2 ? E. Magne, dans son édition du Roman comique 3, souligne toute la fragilité de l'argumentation. Mais ici seul nous importe le fait qu'en 1657 il était astucieux et avantageux pour un guérisseur de se faire passer pour italien.

De la comparaison des deux portraits, il ressort à l'évidence que Scarron, qui ne donne d'ailleurs au personnage qu'une importance tout à fait secondaire et épisodique, dit tout crûment ce qu'il pense de Ferdinandi, en dénonçant son ignorance et son avidité. Pour La Bruyère, fidèle à sa technique de suggestion indirecte et procédant par touches juxtaposées, s'il ne laisse planer aucun doute sur la valeur réelle de la « médecine pratique » exercée par Carro Carri, il tiendra son lecteur en haleine jusqu'au mot de la fin, qui donne au portrait son extension et sa portée véritables : comme Fagon, il entend condamner, et de manière définitive, les escrocs de cette espèce.

Il nous semble donc probable qu'en ce cas une contamination a pu s'opérer entre le nom de fantaisie imaginé par Scarron — et sans doute inspiré par quelque patronyme du temps — et la personnalité réelle du médecin Caretti, pour imposer à l'esprit de La Bruyère le nom et le type de Carro Carri. On a parfois souligné une certaine parenté entre les mésaventures de Ragotin et les distractions de Ménalque 4 : ce rapprochement supplémentaire montrera peut-être qu'en plus d'un endroit le moraliste a retrouvé le burlesque.

YVES GURAUD.

1. Première partie, chap XIX Ibid, p 122-123.

2. Scarron inconnu et les types des personnages du « Roman comique », Paris, Champion, 1904, t H, p 240.

3. Op cit, p 427-428, note 74

4 R Garapon, éd. cit, p. 300, note 2 et p. 402, note 3.


QUELQUES TRAITS DU VISAGE DE MARIVAUX

Un nom ; une légende ; une oeuvre immense, encore incomplètement défrichée : voilà ce que représente pour nous Marivaux. Un homme ? On hésite à l'affirmer. Le grand public auquel, plusieurs fois par an, les magazines féminins et les revues radiophoniques fournissent un récit de sa vie plus ou moins délicatement romancé, ne se doute certainement pas que le plus joué de nos « auteurs de télévision » est encore pour nous un inconnu... S'ils nous permettaient de mieux connaître son visage, les moindres détails pourraient sans doute avoir leur prix : souhaitons que cette conviction puisse servir à justifier l'existence de la présente note. Il ne s'agit que d'attribuer à l'écrivain un texte assez curieux et de tirer quelques indications nouvelles d'un document découvert, voici plus de trente ans, et brillamment commenté par Mme M.-J. Durry 1 : l'inventaire de ses biens 2. Le texte, le voici : Compliment fait à Mlle de Richelieu par les dames religieuses de l'abbaye du Trésor, dont elle avait été quelques mois absente.

Lorsque nous avons quitté le monde il n'y a en a pas une de nous qui n'ait cru s'être sauvée de toutes les agitations, de tous les attachements, de toutes les inquiétudes qu'on y contracte, de toutes les sortes d'intérêts qui viennent y surprendre : la paix de l'âme, disions-nous, est la récompense de celles qui habitent notre sainte retraite ; nous n'y appartenons plus qu'à nos tranquilles et religieux exercices, tout le reste est étranger pour nous. Cependant nous nous trompions, Mademoiselle ; vous nous avez appris qu'il n'y a point d'asile contre la nécessité de s'attacher à vous quand on a le bonheur de vous connaître, point d'asile contre raffliction de ne vous plus voir quand on vous a vue ; point d'abri contre la douce impression que laissent les qualités de votre belle âme, les grâces de votre esprit et le charme de votre caractère. Enfin, Mademoiselle, vous nous avez appris qu'il fallait encore être plus chrétienne pour souffrir d'être privée de vous, qu'il n'est besoin de l'être pour oublier toute la terre : il est vrai qu'en nous affligeant de votre absence, notre

I. « Quelques Nouveautés sur Marivaux », dans A propos de Marivaux, p. 79-81, 83, 90-94.

2. Archives Nationales, Musée de l'Histoire de France, AE II * 1.847 (Minutrer Central, XCVII, 394 ; inventaire du 14 février 1763, contrôlé au Châtelet le même jour).


392 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

excuse auprès de Dieu était de regretter ce qu'il a fait de plus aimable et de plus digne d'être aimé, et ce qu'en toutes façons on peut appeler son plus bel ouvrage ; et sans doute que nos pleurs ne l'ont point offensé, puisqu'il vous rend à nos voeux. Sans doute il nous pardonnera l'excès de la joie où nous sommes, comme il nous a pardonné l'excès de la douleur où votre départ nous avait plongées, et que justifiait aussi la tristesse de notre chère et respectable abbesse, dont la satisfaction redouble encore la nôtre 1.

Ce « compliment » parut dans le Mercure de décembre 1754, tome II, page 37. Seul quelque parent d'une des religieuses du Trésor a pu demander au rédacteur du journal de le publier : or dans le même numéro, deux pages plus bas 2, figure L'Éducation d'un Prince, de Marivaux, père de Colombe, « religieuse de choeur » au Trésor... Ce texte qui, à la première lecture, ne manquera pas aujourd'hui de surprendre, et peut-être de choquer, doit-on penser que l'écrivain s'est contenté de le faire insérer dans le Mercure ? Il semble bien en fait qu'il l'ait, sinon conçu, du moins écrit lui-même, car pour le lui attribuer nous pouvons nous fonder sur une série d'indices très différents :

1° — Des traits de style : utilisation frappante du verbe « surprendre » ; emploi imagé de diverses expressions (« s'être sauvée de » 3 ; « contracter des inquiétudes » 4) qui, en 1754, pouvait être encore considéré comme l'expression d'une tendance « néologique » ; antéposition de l'adjectif épithète (« nos tranquilles et religieux exercices » 5) ; recours à un tour littéraire (« il vous rend à nos voeux »).

2° — Une certaine forme de sensibilité qui s'exprime à travers des tours et des images rappelant parfois d'assez près des passages écrits par Marivaux (« La paix de l'âme, disions-nous [...] »6 ; « point d'asile contre l'affliction de ne vous plus voir quand on

1. La ponctuation n'a pas été changée, l'orthographe a été modernisée, mais ces rectifications, très légères, ne concernent que quelques mots . crû, attachemens, ame, connoître, asyle, vûe, grace, caractere, abscence, appeller, plongés, chere.

2. Les deux textes ne sont séparés que par un madrigal.

3. Dictionnaire de l'Académie, édition de 1740 : « SAUVER avec le pronom personnel signifie s'échapper. Il signifie quelquefois aller dans un lieu pour y chercher un asile. «Il se sauva dans les pays étrangers, dans une église, chez un tel ambassadeur " ».

4. Dictionnaire cite . « CONTRACTER . faire une convention avec quelqu'un. Se dit aussi des maladies qui se gagnent par une espèce de contagion [.. ]. Il se dit pareillement des habitudes qui s'acquièrent par des actions réitérées. " Contracter de bonnes, de mauvaises habitudes » . Il se dit des liaisons qui se forment entre deux personnes par une continuelle fréquentation " Contracter amitié, familiarité avec quelqu'un " ».

5. Dictionnaire cité : « EXERCICES. Se dit des diverses choses que les jeunes gens apprennent dans les académies [.. 3 On appelle exercices spirituels certaines pratiques de dévotion qui se font ordinairement dans les communautés où l'on se met en retraite. "Faire les exercices spirituels, les exercices de dix jours" ». L'auteur de ce compliment joue légèiement sur les mots . on aurait plutôt attendu « tranquilles exercices spirituels » ou « tranquilles et religieuses occupations ».

6. On trouve notamment un tour comparable dans la cinquième feuille du Cabinet du Philosophe (Journaux et OEuvres diverses, éd. Garnier, p. 376) . « Qu'on nous cite un seul article [...], ajouteront les femmes [...] ».


LE VISAGE DE MARIVAUX 393

vous a vue », « point d'abri contre la douce impression que laissent les qualités de votre belle âme ») 1.

3° — Une utilisation particulièrement caractéristique du rythme ternaire (employé si souvent, et avec tant d'originalité, par l'écrivain, surtout quand il prête la parole à des femmes 2, et dans la dernière phrase une certaine façon de manier musicalement la proposition relative 3.

4° — La composition de ce petit morceau. Quatre idées y sont successivement mises en valeur : nous nous sommes crues sauvées du monde en entrant au couvent ; c'était une erreur, puisque nous sommes si sensibles à votre charme : sentiment profane ; nous méritons pourtant d'être excusées, puisque cette affection, vous la méritez : Dieu ne peut donc que nous pardonner l'excès de notre joie; ne nous a-t-il pas pardonné l'excessive douleur que nous avait causé votre éloignement, douleur avivée par votre propre tristesse? On notera un curieux parallélisme entre la progression de ce passage et celle du Compliment au Garde des Sceaux 4, prononcé par Marivaux le 8 janvier 1751 : ayant à s'acquitter de tâches comparables, quoique très différentes, les auteurs de ces deux textes construisent leur discours sur des raisonnements du même type.

5° — Le fait que nous n'avons pas affaire ici tout bonnement à un pieux madrigal, comme on serait tenté d'abord de le croire, mais à une oeuvre de pensée. C'est toute une interprétation de la psychologie des religieuses du Trésor qui s'exprime dans ce passage, mais sans doute aussi une certaine conception du christianisme : une sorte d'humanisme dévôt, fort éloigné évidemment du point de vue janséniste qui était celui des anciens maîtres de Marivaux, un demi-siècle plus tôt, au collège de Riom.

Si l'on admet que ce texte est bien de Marivaux, on y trouvera divers intérêts. Document littéraire, il pourra être comparé et opposé aux compliments académiques de l'écrivain et permettra d'étudier à la fois le fonctionnement de son esprit et la diversité de sa manière (divers sentiments simples et forts se trouvent ici noués en gerbe

1. Voyez à ce propos la Lettre sur lu paresse (Journaux, éd. citée, p. 443-444) et surtout La Vie de Marianne, éd. F. Deloffre, cinquième partie, p. 235 ; sixième partie, p. 296 (portrait de l'abbesse), 300 (« enfin vous seriez ici en toute sûreté », « Quel plus grand avantage d'ailleurs peut-on tirer de sa beauté que de la consacrer à Dieu ? »), 314, à propos de Fleury (« Cette âme y faisait rejaillir la douceur de ses moeurs ; elle peignait l'aimable et consolante image de ce qu'elle était, elle l'embellissait de toutes les grâces de son caractère, et ces grâces-là n'ont point d'âge ») ; huitième partie, p. 423 et 425 , neuvième partie, p. 454, 455 (« On aime alors cette religieuse autrement qu'on n'aimerait une amie du monde, c'est une espèce de passion que l'attachement innocent qu'on prend pour elle », « [...] cet air de paix qui semble répandu dans nos maisons, et qui les fait imaginer comme un asile doux et tranquille »), 456, 458 ; dans la dixième partie, p. 509 (« avec la belle âme que je vous connais E...3 ») etc.

2. Voyez Marivaux et le marivaudage de M. F. Deloffre, p. 469.

3. Voir la fin de la dix-neuvième feuille du Spectateur français (Journaux, éd. citée, p. 224) et surtout la dernière phrase du Compliment au Garde des Sceaux.

4. Journaux, p. 496-497.


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serrée, composant un petit poème spécifiquement féminin). Document humain, il apporte enfin un peu de lumière sur les rapports qu'a dû entretenir Marivaux avec sa fille religieuse. Mais on pourra lui attribuer surtout une portée en quelque sorte philosophique : on le confrontera avec divers passages de La Vie de Marianne 1 et l'on s'apercevra sans doute qu'il n'est pas en contradiction avec la critique des couvents qui s'en dégage. Bien que l'on ait insisté à juste titre sur l'importance et l'intérêt de cette critique 2, il ne nous semble nullement que Marivaux ait été un penseur anti-chrétien.

Pour pénétrer dans son intimité, des lignes notariées ne sauraient nous servir de « Sésame, ouvre-toi » : l'examen de l'inventaire de ses biens ne nous permettra sans doute pas d'entrer beaucoup plus avant dans la connaissance de l'homme qu'il a été, mais au moins de modifier quelque peu l'image qu'on se fait de lui trop souvent. Une faible somme en argent liquide, des papiers, des objets, l'esprit d'une demeure...

Pour une époque où, par leurs actes, les notaires participaient aux moindres circonstances de la vie des nobles, des bourgeois et bien souvent même des paysans, les papiers que Marivaux a gardés jusqu'à sa mort peuvent sembler fort peu nombreux 3 : remarquons cependant qu'ils étaient classés avec le plus grand soin. En voici donc la liste, dans l'ordre où ils se sont présentés à l'investigation de Me Bioche :

1° — deux actes d'état-civil : « l'expédition et parchemin » du contrat de mariage de l'écrivain, un « extrait baptistaire » délivré par le curé de Saint-Gervais à une date très tardive, le 18 juin 1756 (à quelles fins ?) ;

2° — trois pièces concernant de modiques constitutions de rente faites à sa fille Colombe et remontant à la période 1725-1731 4 (elles attestent, si besoin était, que Marivaux ne s'est pas désintéressé de son sort matériel) ;

3° — divers documents qui nous renseignent sur ses propres ressources (une rente viagère de 2 000 livres, « donation » de Nicolas

1. Par exemple les pages déjà citées, particulièrement les pages 455 et suivantes

2. En renvoyant expressément aux « romans de Marivaux » Hegel écrivait, vers 1796, dans La Positivité de la religion chrétienne « Rien n'a causé plus de dommage à l'ascétisme monacal et à la casuistique que l'accroissement de la culture du sens moral parmi les hommes et que l'amélioration de la connaissance de la nature de l'âme humaine » M Jacques d'Hondt cite et critique ce pa sage dans un intéressant article d'Europe (n° 451-452 , novembre-décembre 1966 , p. 323-338)

3 Leur énumération ne remplit guère plus de deux pages de l'inventaire (p 15-17, numérotees 12-14).

4. Voir à ce propos l'ouvrage cité de Mme M -J Durry, p 56 (constitution de rente faite à Colombe par son grand-oncle, Biaise Martin) et 58 (« constitution par demoiselle Elisabeth Martin [ ] à demoiselle Colombe Bollogne de Marivaux de 50 livres de rente perpétuelle au principal rachetable de 1 000 livres » ). On remarquera que Me Bioche, en marge de l'inventaire, a noté que le « bail » de la seconde de ces rentes a commencé seulement « le 1er octobre 1750 »


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Lasnier de la Valette, du 11 février 17471 ; deux autres, de 800 et 200 livres, constituées par 1 écrivain lui-même le 15 octobre 17572 et le 4 janvier 1758 ; à quoi s'ajoutaient « un intérêt que le dit Sieur de Marivaux avait dans les fermes de Lorraine » et, aux dires de Mlle de Saint-Jean, sa logeuse, « une pension de 800 livres » qui lui était faite « sur la cassette du roi ») ;

4° — diverses décharges (parmi lesquelles dix pièces », « quittances de remboursement et d'arrérages », qui semblent indiquer qu'il a versé assez régulièrement « à Jean Michaut, bourgeois de Paris »3 la rente de 1250 livres qu'il lui avait constituée « en deux parties » avec Helvétius ; « une liasse de quatorze pièces [...], quittances de capitation, dont la dernière est pour l'année 1762 ») ;

5° — un état des meubles que Marivaux possédait le 5 février 1758 (c'est-à-dire un jour où, gravement malade, il se trouvait certainement alité 3, circonstance qui peut aujourd'hui sembler passablement choquante et jeter un doute sur la délicatesse de Mlle de Saint-Jean).

Chez Mlle de Saint-Jean l'appartement de Marivaux comportait trois pièces et un grenier. Ne parlons de celui-ci que pour mémoire. Là se trouvaient reléguées les épaves d'un passé lointain, ces pauvres

1. Nicolas Lasnier de la Valette n'avait pas encore vingt-huit ans quand il fit cette importante donation à Marivaux. Le registre des baptêmes, mariages et sépultures de la paroisse de la Trinité de Laval pour les années 1718-1719 indique en effet que H le treizième jour d'avril mil sept cent dix neuf a été baptisé [...] Nicollas Pierre Joseph né de ce jour issu du mariage de Nicollas Pierre Lasnier Sr. de Lavalette .négotians et de dame Margueritte Le Bieton son épouse légitime». Nicolas Lasnier, le père, était mort en 1734 , il subsiste dans les minutes de Me Jacques Lemoyne, conservées par les soms du service d'Archives de la Mayenne, l'inventaire de ses biens (1er décembre 1734), l'acte de partage en six lots de ceux-ci (21 mars 1735) et l'acte d'attribution du fief de la Valette à son fils (28 juillet 1735). Le donateur de Marivaux, receveur général des tabacs à Brive, avait hérité d'une importante fortune , il semble avoii mené joyeuse vie, au moins jusqu'à son mariage qui ne survint qu'en 1766 (à quarante-six ans il épousait une jeune fille de dix-huit ans, Nicole Ernault des Brulys) , il correspondait avec Turgot au temps où celui-ci était intendant du Limousin, et fut très hé avec plusieurs familles nobles de cette province, notamment avec les du Saillant, liés eux-mêmes avec les Mirabeau. Volé par des subordonnés, il dut verser le plus clair de sa fortune pour rembourser le montant de ces vols , le reste de ses biens fut absorbé par les actions en justice qu'il avait engagées pour laver son honneur, et il mourut pauvre, en 1783. Ses descendants, M. Henri du Verdier et M Jean Lasnier de la Valette, qui ont eu l'obligeance de nous communiquer une grande partie de ces renseignements, ne possèdent malheureusement pas le moindre billet qui lui aurait été adressé par Marivaux

2. Voir l'ouvrage cité par Mme M.-J. Durry, p. 84-86. On remarquera qu'entre 1753 et 1758 Marivaux avait gagné assez d'argent pour rembourser 20 000 livres à Mlle de Saint-Jean et se constituer 1 000 livres de rente, sur un capital de 10 000 livres : ces 30 000 livres doivent provenir essentiellement du fruit de la vente du privilège de ses oeuvres au libraire Duchesne, comme l'a signalé M. F. Deloffre dans la seconde édition de Marivaux et le marivaudage (p. 565). Cette vente dut se faire au cours de l'automne 1757 (Crébillon fils donna son approbation pour les OEuvres de Théâtre et pour les OEuvres diverses le ler novembre 1757 et Duchesne acquit le privilège nécessaire à l'impression le 30 novembre) Quand on connaît les usages des libraiies de l'époque, la « générosité » de Nicolas-Bonaventure Duchesne étonne tout autant que celle de Nicolas Lasnier de la Valette

3. Marivaux, qui a participé aux séances de l'Académie française avec une ponctualité remarquable, avait dû cesseï de s'y rendre après le 14 janvier et il n'y réapparut que le 2 mars (Marivaux et le mauvaudage, p. 572). Le 20 janvier il avait rédigé son testament.


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biens dont on s'est à peu près détaché : inutilités, meubles devenus encombrants, souvenirs à demi oubliés, objets désaffectés : « Une grande armoire ancienne de bois de noyer », « six pièces de vieille tapisserie de verdure ancienne », « deux chaises de bois verni », « un fauteuil avec ses petits coussins d'indienne, à fond vert » 1, une bassinoire de cuivre, avec son martinet... Dans la grande armoire se pressaient certainement beaucoup de ces vêtements qui représentaient une part si importante de sa maigre fortune 2 : or et argent, blanc, gris, gris blanc, café et noir, rouge, vert, diaprés, chinés, mordorés... Avec bonheur Mme Durry en a fait ruisseler l'harmonieux chatoiement 3. Car il semble bien que l'écrivain ait gardé tous les vêtements de sa vie parisienne, depuis le « vieux manchon de martre », nouveauté de 1726, la « vieille veste de drap écarlate », le vieil habit de drap noir qu'il avait dû porter au temps de son mariage, et peut-être plus tôt encore : cinquante ans de mode masculine !

Imaginons plutôt les aspects successifs que pouvait offrir son appartement aux regards de ses hôtes. Comme il se doit, nous y pénétrerons par « l'antichambre » 4, équivalent modeste de ces pièces de cérémonie qui, chez les grands de ce monde, seigneurs ou financiers, semblaient indispensables au déploiement de leur importance. Elle pouvait effectivement servir de salle d'attente pour des visiteurs occasionnels, tel cet « honnête indigent » dont Lesbros nous conte l'aventure et que Marivaux, tout « occupé à la composition d'une comédie » « pria » distraitement « qu'il le remît à un jour qu'il lui indiqua » 5. On ne s'étonnera pas d'y trouver un mobilier, une décoration strictement fonctionnels. « Six chaises d'antichambre », un peu fatiguées, « couvertes de tapisserie à l'aiguille ancienne » ; dans un coin sans doute, le lit de sangle de Léger, valet de l'écrivain ; aux murs, « deux grands tableaux peints sur toile », dans « leurs bordures dorées anciennes » : Loth et sa fille ; une noce de village ; trois autres tableaux, moins monumentaux, mais peut-être plus significatifs, dont, hélas, nous ne savons presque rien : deux représentaient, nous dit Me Bioche, des « portraits inconnus », le troisième le Grand Dauphin.

Puis « la chambre » 6, tapissée de brocatelle à fond blanc et fleurs rouges, qui pouvait apparaître comme la pièce unique de l'appartement : « chambre » à tout faire, salle à manger, salon, salle de

1. ïnventane cité, p. 8, numérotée 5.

2. Inventaire cité, p. 10, numérotée 7. Dans l'inventaire en question ces « habits, linges et hardes » ont été estimés 678 livres, alors que le prix retiré de la vente des biens de Marivaux, y compris celui de la vaisselle d'argent (266 livres) et les « deniers comptants » fut au total de trois mille cinq cent une livres, buit sols, six deniers (Mme M.-J. Durry, ouvrage cité, p 89).

3. Ouvrage cité, p. 91-93.

4. Inventaire cité, p. 8, numérotée 5.

5. Lesbros de la Versane, Eloge historique de M. de Marivaux (Paris, veuve Pierres, 1769), p. 23-25. Il semblerait à lire ce passage que le héros de l'aventure ait été Lesbros lui-même.

6. Inventaire cité, p. 6-8, numérotées 3-5.


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séjour et « cabinet » d'écrivain. Un grand lit à baldaquin, meublé de damas vert ; « une table à manger de bois de sapin », « pour quatre ou six personnes » 1, mais qui devait bien rarement servir à accueillir des hôtes (aucune chaise ne se trouvait à demeure dans la pièce) ; deux « tables à écrire de bois noirci, à pieds de biche », une « autre petite table »... Influencé sans doute par le froid qui sévissait dehors, le notaire a commencé son inventaire en notant les objets qui entouraient la cheminée, centre de rayonnement de cette pièce : la grille, le soufflet, la mouchette d'acier, les deux flambeaux et le bougeoir de cuivre argenté, l'écritoire et son plateau de bois ; une « commode de bois de violette » ; enfin des sièges propices aux propos de coin du feu, dans des réunions en petit comité : trois fauteuils « de bois de noyer » ; un confessionnal « de pareil bois », « couvert de tapisserie à l'aiguille » ; un « petit canapé en ottomane », le seul meuble de quelque valeur dont Marivaux ne se soit pas dessaisi lorsque, dix ans plus tôt, il dut vendre son mobilier à Mlle de SaintJean : souvenir, peut-être, de Colombe, sa femme 2.

La décoration de cette chambre était sobre et parfaitement équilibrée ; mis à part « un tableau dessus de porte de papier collé [...] : un pot de fleurs dans son filet de bois doré », on pouvait y voir trois portraits de Marivaux et trois « estampes sous verre blanc » : l'une représentait Le Parnasse français et deux autres, plus petites, « dans leurs cadres dorés » : la reine et le cardinal Fleury. Décor austère, fort peu insolite, sans autre originalité précisément que son caractère typique, et bien fait pour inspirer quelque gravure : « La Chambre d'un Académicien », « La Retraite de l'Écrivain », « Le Cabinet du Philosophe »... Expression saisissante de la fidélité de Marivaux à des espoirs anciens, de son attachement à la première période du règne « personnel » de Louis XV, période de sa propre vie (1726-1743) qui demeurait certainement pour lui sa grande époque 3, à une orientation politique (Fleury et la reine, et, dans l'antichambre, le grand Dauphin) indissociable à ses yeux d'un idéal, d'une conception morale de la vie de l'État 4; contestation chimé1.

chimé1. des meubles du 7 juillet 1753, cité par Mme M.-J. Durry, p. 85.

2. On peut penser avec quelque vraisemblance que ce « petit canapé en ottomane de bois de noyer », « couvert de tapisserie à l'aiguille » n'a pas été acquis par Marivaux après 1753, mais s'agit-il du « sopha couvert d'étoffe ancienne » qui lui avait été apporté en dot par Colombe Bollogne ? On ne saurait l'affirmer avec certitude.

3. Fleury succéda au duc de Bourbon comme premier ministre, en fait, sinon en titre (car le roi avait « jugé nécessaire de supprimer et d'éteindre » ces « fonctions » ) , en 1726 à la fin du printemps. Louis XV avait épousé Marie Leczinska le 4 septembre 1725. De son côté, c'est sans doute entre 1724 et 1727 seulement que Marivaux se décida, après quinze ans d'hésitations, à entrer vraiment dans la carrière littérane (voir « Marivaux à la croisée des chemins », article à paraître dans Studi Francesi). L'écrivain fut reçu à l'Académie Française le 4 février 1743, quelques j'ours après la mort de Fleury. C'est en 1738, à vingt-huit ans, que Louis XV s'était écarté définitivement de la reine.

4. Voir La Vie de Marianne, sixième partie (approbation du 27 octobre 1736), éd. Deloffre, p. 314-316 et le Discours de réception à l'Académie, dans les Journaux, éd. citée, p. 449-452.


Henri BREMOND

de l'Académie française

HISTOIRE LITTERAIRE

DU

SENTIMENT RELIGIEUX

EN FRANCE DEPUIS LA FIN DES GUERRES DE RELIGION

La première édition de cette oeuvre en onze tomes avait paru chez Bloud et Gay de 1916 à 1933. La Librairie Armand Colin a procédé à la réédition complète de l'ouvrage, avec une préface de René TAVENEAUX, professeur à la Faculté des Lettres de Nancy.

Tome I — L'humanisme dévot, 592 pages, 6 hors-texte.

Tome II — L'invasion mystique, 624 pages, 6 hois-texte.

Tome III — La conquête mystique, l'École française : Vol. 1 : Pierre de Bérulle, 256 pages ;

Vol. 2 : Charles de Coudren, L'École hançaise et les dévotions catholic ues. 325 pages.

Tome IV — La conquête mystique, L'École de Port-Royal, 616 pages, 6 hors-texte.

Tome V — La conquête mystique, L'École du Père Lallemant, 416 pages, 1 hors-texte.

Tome VI — La conquête mystique, Marie de l'Incarnation, Turba Magna, 544 pages, 7 hors-texte.

Tome VII — La métaphysique des saints, Les maîtres des maîtres, Développements et propagande, 422 pages, 6 hors-texte.

Tome VIII — La métaphysique des saints, La grande synthèse, L'angoisse de Bourdaloue et la genèse de l'ascétisme, 442 pages, 6 hors-texte. '

Tome IX — La vie chrétienne sous l'ancien régime, 395 pages, 6 hors-texte.

Tome X — La prière et les prières de l'ancien régime, 355 pages, 3 hors-texte.

Tome XI — Le procès des mystiques, 438 pages, 2 hors-texte.

Chaque volume, relié plein balacron rouge antique, avec fers or et signet, 16x25 cm 45,40 F

armand colin


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rique du roi d'après Fleury, d'après Marie Leczinska... Cet écrivain qu'on s'est bien souvent représenté comme un amateur, ou comme le plus léger des « beaux esprits », tenait aussi à affirmer sa position sociale, à afficher sa vocation et même, peut-on dire, sa profession ; il lui répugnait moins qu'on n'aurait cru de placer son activité sous le patronage de nos classiques et cette activité, la table à écrire, l'écritoire, présents jusqu'au dernier jour, pouvaient en attester dans la période même où il s'était résigné à ne plus rien donner au « public ».

Marivaux offrait ainsi à ses visiteurs une certaine image à demi officielle de lui-même et de sa vie ; il leur présentait un personnage, d'autant plus « singulier » en 1760 ou en 1763 qu'il apparaissait comme merveilleusement uni. Spectacle modeste, qui peut nous rappeler les curieuses formules de présentation de son Cabinet du Philosophe : « Vous ne voyez pas [...] l'homme comme il est [...]. En voici un [...]. Il s'est façonné à l'école des hommes, et n'a rien pris des leçons de l'amour-propre [...]. Tâchez de vous en faire un spectacle qui n'est pas commun » 1. Lequel de ces visiteurs est jamais allé au-delà ? L'appartement de Marivaux comportait pourtant une troisième et dernière pièce qui, pour tout autre que lui, aurait bien risqué de paraître comme un simple débarras, ce « petit cabinet à côté de la fenêtre » 2, où se trouvaient accumulés de très modestes biens », dont la valeur totale, selon Me Bioche, n'excédait guère cinquante livres. « Un trumeau de cheminée » 3, « une vieille chaise de commodité avec son seau de fayance », « une table de nuit, à pieds de biche, de bois de noyer », « une petite malle de cuir, sans garniture », « un écran de bois », « un étui à couteaux », « dans lequel se sont trouvés six couteaux »... Hétéroclite Inventaire, poème triste :

Un tiroir dépareillé

Une pelote de ficelles deux épingles de sûreté un monsieur âgé

[...] une fourmi

deux pierres à briquet 4...

C'était là précisément le réduit familier de l'écrivain : son bureau, sa bibliothèque, son cabinet de toilette et peut-être son oratoire, son musée intime : nous pouvons nous en persuader en continuant à énumérer les meubles et les objets de cette petite pièce. « Un secrétaire de bois de palissandre », où il serrait ses papiers ; « cinq petites tablettes à livres de bois de noyer, dont une avec deux petits

1. Journaux, p. 335-336

2. Inventaire cité, p. 9, numérotée 6.

3. Vestige d'une période de plus grande splendeur a Dans quelques années d'ici je vous mettrai en état de vous retirer dans une chambre avec une commode, un trumeau, une servante [. ] », dit la Du Buisson à Juliette au début des Infortunes de la vertu.

4. Jacques Prévert, Paroles, N.R F., 1949, p. 202-203


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guichets » (juste de quoi ranger la plupart des 136 volumes, livres et brochures de théâtre, qu'il possédait encore) ; « un petit miroir de toilette de quinze pouces de glace de haut sur douze ; au-dessus un tableau'représentant la Madeleine, peint sur toile, dans sa bordure de bois doré ; [...] un petit Christ en cire sur sa croix de bois doré » ; enfin toute une profusion de portraits et d'images : « six tableauxestampes sous verre, représentant sujets de marine », « un autre tableau plus grand, aussi sous verre blanc », « tableau représentant une Vierge en cristal », « deux petits tableaux peints sur toile, l'un représentant une dame, et l'autre, inconnu, dans leurs bordures de bois doré » ; « et dix-huit petits tableaux sous verre blanc représentant différents portraits dans leurs bordures de bois noirci »... Rassemblement de tous les « inconnus » de la vie de Marivaux, visages de parents, d'amis, visages proches et visages lointains, le Christ, la Vierge, Marie-Madeleine « au-dessus » de son « petit miroir ».

Il est frappant de constater que dans cette progression du grand vers le petit, de l'extérieur vers le plus intime, la disposition voulue par l'écrivain dans son étroite demeure mimait tout naturellement celle des appartements à la mode du siècle où, des salles abandonnées au « public » 1, les initiés pouvaient, par étapes réglées, accéder jusqu'au « saint des saints », boudoir ou cabinet particulier 2. II serait indiscret et naïf de vouloir s'immiscer dans le cabinet particulier de Marivaux : nous resterons donc sur le seuil de cette pièce toute sienne, ce « petit cabinet à côté de la fenêtre » où il ne passait peut-être chaque jour que quelques minutes, des minutes où il vivait, enfin. Trois mots imprévus auraient pu nous servir pour esquisser son portrait moral : ordre, habitudes, fidélité; mots bien insuffisants sans doute pour évoquer sa façon à lui d'être un homme d'ordre, de se livrer à des habitudes, de pratiquer la fidélité, mots dérisoires quand on songe qu'il a tenu justement, jusque dans l'emploi de son logis et de son temps, à préserver ses secrets. Le minutieux inventaire de Me Bioche nous permet pourtant de considérer comme une pirouette malicieuse cette phrase de Proust : « Une époque a des traits particuliers et généraux plus forts qu'une nationalité, de sorte que dans un dictionnaire illustré où l'on donne jusqu'au portrait authentique de Minerve, Leibniz avec sa perruque et sa fraise diffère peu de Marivaux ou de Samuel Bernard » 3.

MICHEL GTLOT.

1. « SALLE : giande chambre ornée où l'on reçoit les visites ou ceux qui viennent parler d'affaires » (Dictionnaire portatif de Wailly).

2. « CABINET , petit lieu qui est auprès de quelque appartement, et où l'on se retire pour converser » (Dictionnaire portatif cité). Dans le Chemin de la Fortune à une dame qui s'écriait . « Eh vous déviiez être dans l'antichambre de la Fortune », l'effronté la Verdure repiquait . « Cela est vrai, dans son cabinet peut-être » (Journaux, p. 359).

3. Le Côté de Guermantes, dans A la Recherche du Temps perdu, Bibhothèque de la Pléiade, t. II, p. 366-367.


LA GENÈSE DU JOURNAL « L'AVENIR »

D'APRÈS QUELQUES LETTRES INÉDITES

DE LAMENNAIS

Les spécialistes des questions mennaisiennes savent depuis longtemps que le journal L'Avenir, qui contribua largement à la diffusion des idées de Lamennais et hâta aussi certainement sa condamnation à Rome, n'est pas une création de Féli. Bonnetty, dans un article de mars 1879 des Annales de philosophie chrétienne, dont le titre même Le vrai, le beau et le bien de M. Cousin mis à l'index et établissement dune Église chrétienne sans le Christ ne laisse planer aucun doute sur les « sympathies » de leur auteur, l'avait déjà signalé. M. Weiss, en juillet 1937, devant l'Association franc-comtoise des sociétés savantes, en produisant le prospectus annonçant le journal, papier écrit et raturé de la main de Gerbet, le futur évêque de Perpignan, l'avait prouvé et André Trannoy, dans sa thèse de doctorat 1, en 1942, avait utilisé quelques-uns des documents inédits que M. Weiss avait mis à sa disposition avant de les mettre à la mienne. Qu'il me soit permis d'exprimer ici à M. Weiss ma profonde reconnaissance car il aura rendu possible la confrontation de ces pièces avec d'autres que je possède déjà pour une édition de la Correspondance générale de Lamennais que je prépare depuis une dizaine d'années 2 et ainsi sera quelque peu éclairci un des points obscurs de la biographie mennaisienne.

Il est certain que Lamennais n'avait pas attendu les journées de juillet 1830, l'abdication de Charles X, le 2 août, la déclaration de la vacance du trône par la Chambre des Députés le 7 et la proclamation, le 9 août, de Louis-Philippe, duc d'Orléans, comme roi

1. André Trannoy, Le Romantisme politique de Montalembert avant 1843, Bloud et Gay, 1942, p 133 sq.

2. Cette édition se fait avec l'aide des héritiers des exécuteurs testamentaires de Lamennais, Barbet, Forgues, Blaize et si environ 600 lettres inédites ont été à ce jour retrouvées, beaucoup d'autres existent encore, j'en ai la certitude, dans de nombreuses archives particulières. Je fais donc appel à toutes les personnes qui accepteraient de m'aider et les en remercie d'avance. Adresser toute correspondance à la Faculté des Lettres de Brest


LA GENÈSE DU JOURNAL « L'AVENIR » 401

des Français, pour se préoccuper de la création d'un éventuel moyen d'action politique. Il semble d'ailleurs que, depuis plusieurs mois au moins, il ait songé à la possibilité d'un parti catholique social, ancêtre de ce qu'on appellera plus tard démocratie chrétienne. Une lettre interminable — c'est sa propre expression — de Charles de Coux qui en est au début de ses relations avec le Maître 1 prouve que l'idée a déjà fait son chemin en avril 1830. Charles de Coux qui ne parle pas, au début de sa lettre du moins, en son nom propre mais en celui d'un certain Monsieur de Rainneville ou de Bainneville — on ne sait trop, car son écriture n'est pas toujours facile — pense que

le temps est venu où les catholiques français doivent se constituer en parti politique afin de reconquérir de haute lutte par des voies légales l'entier, le véritable, le complet affranchissement de l'Église de France [...] il faut qu'ils séparent leur cause de celle de la Royauté, qu'ils laissent la monarchie se débattre à sa guise avec ses ennemis, mais quant à eux, si vivre est un devoir, leur devoir est de s'organiser dans chaque arrondissement électoral en sociétés d'émancipation religieuse, d'offrir leurs suffrages presque sans distinction de couleur aux candidats qui s'engageront d'avance à voter pour elles ; de harceler sans relâche le pouvoir législatif de leurs pétitions et malheureusement encore, dans les conjonctures actuelles, leur devoir est de se séparer ostensiblement du clergé afin de ne pas être entravés par ses chefs. Qu'ils remplissent franchement ce devoir dans toutes ses parties et bientôt ils auront des députés à eux, ils seront régulièrement organisés en parti et quand on pense que quarante misérables disposent depuis deux ans de la majorité on devine sans peine l'effet que produirait, les résultats qu'obtiendrait un petit nombre de députés catholiques [...]

...Connaissons nos droits et sans rester en deça, sans aller au-delà, sachons les faire valoir.

Or notre conscience n'est vraiment libre qu'autant que la loi ne commande rien de ce quelle défend, ne défend rien de ce qu'elle commande.

La religion nous fait responsables de l'Education donnée à nos enfants ; donc notre conscience n'est point libre si nous ne jouissons pas exclusivement du ' droit de choisir leurs maîtres.

La religion veut encore que nous rendions à Dieu ce qui lui appartient et elle réserve à ses ministres la prérogative de régler nos rapports avec le Créateur, donc notre conscience n'est point libre s'ils sont ou peuvent être en quoi que ce soit, et de quelque manière que ce soit, gênés ou entravés dans l'exercice de cette prérogative.

Ainsi, quant à nous catholiques, la liberté de conscience implique nécessairement l'abolition du monopole universitaiie et l'indépendance légale et absolue de l'Église.

Comme sous un Césai absolu, notre devoir serait d'opposer à ses empiètements sur le domaine de la religion une résistance passive, de même sous un César représentatif, notre devoir est de leur opposer une résistance active 2.

1. Von- dans Goyau, Le Portefeuille de Lamennais, Paris, 1930, la lettre du 20 février 1830 de Charles de Coux à Lamennais. Je pense (possédant moi-même une vingtaine de lettres médites de lui à Lamennais que j'espère publier bientôt) pouvoir dater le début des relations de Charles de Coux avec Féli de la fin de l'année 1829. Combien serait souhaitable, comme le remarquait M. Duroselle, une vie du grand économiste, précurseur du catholicisme social Cf. Duroselle, Les Débuts du catholicisme social, Paris, P.U.F., 1951, p. 40.

2. Lettre inédite de Charles de Coux à Lamennais, 6 avril 1830.

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Nous ne possédons malheureusement pas la réponse de Lamennais à cette missive, mais nous pouvons presque la deviner par la nouvelle lettre que de Coux lui adresse le 30 mai 1830 :

[...] En apprenant que vous étiez depuis longtemps préoccupé d'un projet semblable à celui dont j'ai eu l'honneur de vous entretenir, j'ai éprouvé une satisfaction qui n'a pas été toute de vanité. Si j'ai su deviner votre pensée, beaucoup d'autres en auront sans doute fait autant et sa manifestation causera, j'aime maintenant à m'en flatter, plus de plaisir que de surprise à la plupart des vrais Catholiques. Mais le moment actuel est-il celui qu'il faut choisir pour arborer le seul étendard avec lequel nous puissions raisonnablement espérer de vaincre ? Cette question qui n'en était pas une avant la nouvelle désorganisation du ministère me semble aujourd'hui d'une difficile solution et j'attends pour me décider que vous ayez parlé...

C'est à vous, monsieur, qu'il appartient de dissiper nos doutes. La Providence vous a imposé ce devoir en vous plaçant à notre tête et je la remercie des lumières qu'elle vous a prodiguées parce que ces lumières sont notre propriété aussi bien que la vôtre [...]

L'affaiblissement de la puissance ecclésiastique est le plus grand de nos malheurs, la cause la plus féconde de nos désordres comme l'indice le plus certain de leur gravité et le monde ne sera sauvé que lorsque le clergé aura repris la place qui lui appartient. Puisse-t-il bientôt se réveiller de sa longue léthargie et secouer un joug qui nous accable en lui, par lui et avec lui, Quand le prêtre est esclave, le laïque perd sa liberté et pour lui aucune compensation n'est possible. Les princes de l'Église et les chefs de toute secte religieuse ou philosophique peuvent être dédommagés en argent ou en honneurs des violences qui leur sont faites, mais qui consolera le simple fidèle, le simple disciple, de sa foi faussée, de ses doctrines défigurées au gré du pouvoir ? que m'importent à moi Catholique les pierreries qui brillent sur la mitre de mon évêque, le luxe de sa table ou de ses écuries ? Ce qu'il me faut est qu'il soit fort de la force inhérente à son caractère, qu'il puisse librement recevoir et librement me transmettre les instructions de l'Évêque Universel, son indépendance est mon bien, le plus précieux de mes biens et s'il consent à en trafiquer, mon intéiêt, mon devoit, mon droit est de le contraindre à la reprendre... 1

Le même jour de ce mois de mai 1830, Lamennais révélait on ne peut plus clairement à son ami, le baron de Vitrolles — au grand scandale, d'ailleurs, de ce dernier — son idée d'un « parti catholique », unissant l'obéissance et la liberté,

un parti où viendra se rendre, dans un temps donné, tout ce qu'il y a d'honnête, de noble et de généreux et qui sera véritablement le parti social, incompatible dans son essence avec tout désoidre, avec toute tyrannie soit monarchique soit populaire, [parti qui demandera] la liberté religieuse complète, ce qui comporte l'affranchissement de l'Église , la liberté d'éducation sans laquelle il n'existe point de liberté religieuse [...] dans l'ordre inférieur tout ce qui devra garantir la sûreté des peisonnages et des propriétés, c'est-à-dire toutes les libertés civiles et administratives, qui ont elles-mêmes pour garantie les libertés politiques ou coopération, sous un mode quelconque, à la loi 2.

Beaucoup plus réaliste qu'on ne l'a dit parfois, Lamennais estime que pour se former et se soutenir, ce parti aura besoin de moyens

1. ld., 30 mai 1830

2. Lamennais à Vitrolles, 30 mai 1830. Correspondance publiée par Forgues, Pans, 1886, p. 203.


LA GENÈSE DU JOURNAL « L'AVENIR » 403

de défense et « regarde comme souverainement nécessaire le droit de publicité et le droit d'association dans certaines limites légales qui ne les rendent pas illusoires ». Ce droit de publicité, autrement dit la liberté de la presse, nous amène directement à la création du journal L'Avenir.

Certains historiens ont assuré, sur la foi de Forgues 1, qui possédait peut-être des pièces que nous n'avons pas encore, que l'idée du journal reviendrait à Harel du Tancrel, personnage dont nous ne savons pas grand-chose sinon qu'il fut nommé rédacteur en chef de L'Avenir et qu'au moins en octobre 1830, Lamennais le considérait comme « un homme distingué sous tous les rapports » 2, ce qui, à vrai dire, ne signifie pas grand chose. Aucun document ne confirme la thèse de Forgues et nous allons voir, en revanche, quelle part capitale Gerbet prit dans la création du journal, tellement essentielle même que L'Avenir est appelé par Salinis, dans une lettre inédite du 26 août 1830 à Waille, « le journal de l'abbé Gerbet » 3.

Le climat politique qui entoure la création de L'Avenir est connu. Par contre, sur les réactions antimennaisiennes dans les diocèses de France, et particulièrement de Bretagne, sur l'audience de plus en plus grande que connaissent à l'étranger, en Allemagne en particulier, les idées du Maître, la lettre tragi-comique du frère Paul à Lamennais, celle du chevalier de Moy à Gerbet apportent des éléments nouveaux.

— Lettre du frère Paul à Lamennais.

Monsieur l'Abbé

Mgr de St Brïeux 4 se rendit au séminaire le 19 de ce mois, où la fête de St Vincent les rassemblait tous pour souper ; là, éclata sa colère épiscopale : après avoir, dit-il, plusieurs fois défendu sous peine de péché les libelles nommées [sic] le Mémorial catholique et la Revue 5 (tout ceci en présence de tous les ordinands et des philosophes) que malgré ses instructions, il ne savait que trop que beaucoup donnaient encore dans de vieilles idées de soumissions ultramontaines qui faisaient la honte de notre siècle de lumières et de liberté. Tout cela vient des maîtres, ajouta-t-il, mais j'y mettrai bon ordre en peu de temps... Ce jour là même, accablé de la raison de la Revue, il prit pour lui répondre l'argument gallican, la destitution, et Mr Ropert et Mi Bigrel professeur de théologie reçurent leur congé : les deux professeurs, l'un de physique et l'autre d'écriture sainte, Mr Gaultier professeur de philosophie (ce n'est pas

1. Forgues, Correspondance — OEuvres posthumes de Lamennais, Paris, 1863, I, p. 92.

2. Lamennais à Coriolis, 8 octobre 1830, Correspondance, II, p 175.

3. Dans la lettre du 20 août 1830 que nous publions ci-après, Gerbet lui-même confirme sa « qualité de fondateur a de L'Avenir.

4. Mgr. de St. Brieuc ou de St. Brieux, comme on écrivait alors, était Mgr. Mathias Le Groing de la Romagère, ancien vicaire général de Châlons, Bourges et Clermont et qui, nommé à St. Brieuc en 1817, dut, en raison des difficultés pendantes entre Rome et le gouvernement français, attendre ses bulles deux ans. Il ne prit donc possession de son siège qu'en 1819.

5. Le Mémorial catholique, dont le premier numéro parut en 1824 avec une lettre de Lamennais au Rédacteur du 31 décembre 1823, fut animé essentiellement par Gerbet, . Salmis et Lamennais. Il s'imprimait chez M. La Chevardière qui avait pour prote Pierre Leroux. Quant à la Revue, il s'agit de la Revue catholique qui parut à partir de février 1830 sous la même direction que le Mémorial.


404 REVUE D'HISTOIRE LrTTÉRATRE DE LA FRANCE

celui d'ici) se sont avoués coupables du même crime d'attachement à Rome et ont donné d'eux-mêmes leur démission, vrais prêtres qui immolent les honneurs aux pieds de leur conscience. Mr Josselin n'était pas au séminaire quand éclatèrent ces foudres vraiment episcopales, mais on croit qu'il va faire comme les autres. On sait assez qu'il met Pierre au dessus de Mathias. Tous les ordinands, tous consternés devant Mgr, ils ont crié — « Vive Mr Ropert vive Mr Bigrel et les autres professeurs ». Personne n'a crié vive Mr le Treust 1 ni même vive Mgr le Groing. On écoutait avec pitié ses anathèmes et on riait toute [sic] à la fois, en voyant derrière lui le pauvre petit Ropert qui donnait à grands flots les absolutions du crime de catholicisme. Tous les ordinands voulaient aller en masse se confesser à Mgr. Mais on les en empêcha ; ils sont tous ultiamontins [sic] ; un seul restait encore qui ne le fut pas, mais ce coup de théâtre a déterminé sa conversion. Quand il a vu à nu les raisons des gallicans, il a bien pensé que ce n'était point la vérité, car la vérité n'est point furieuse. Au reste il faut bien pardonner au gallicanisme ; ses convulsions sont démoniacques [sic] pendant qu'on est à l'exorciser. On m'a dit que Mr Dubriel était mieux. Ne comptez point sur vos palets. Votre bien dévoué et fidelle [sic] enfant.

F. Paul 2 A Monsieur

Mr l'ab. F dela mennais A la chenaie 3.

— Lettre du chevalier de Moÿ à Gerbet.

Munic le 28 Juillet 1830 J'ai à répondre, Monsieur et très cher ami, à vos bonnes lettres du 16 juin et 20 juillet qui m'ont fait le plus sensible plaisir. Ce que vous me mandez du succès de votre oeuvre m'enchante et si je n'étais marié et père de famille, je serais le premier à me joindre à vous et à me mettre sous votre direction. Le vif désir que j'ai de vous envoyer bientôt quelques sujets capables de ce pars ci, rencontre malheureusement une foule d'obstacles. Le plus grand malheur surtout c'est que la pluspart [sic] des bénéfices se trouvent entre les mains du gouvernement qui est soupçonneux à l'excès, et que nos évêques n'ont aucune énergre pour maintenir ou faire valoir leurs dioits et leur mdépendance , de sorte que les jeunes gens qui uont se réunu à vous risqueront leur avenir tout entier, car ils ne manqueront pas de se compromettre vis à vis du gouvernement et les évêques ne feront rien pour eux 4. Toutefois je ne désespère pas, sentant bien combien, par ces raisons là-mêmes, la chose est essentielle, je ferai tous mes efforts pour déterminer deux ou trois de mes auditeurs, dont je connais les talents et les dispositions, à courrir [sic] la chance. Une grande difficulté que j'ai avec ceux-ci, c'est qu'épris de leurs études allemandes, ils craignent d'en interrompre le cours, ne pouvant se persuader qu'ils pourront se dédommager en France. Et cependant ce qui nous est nécessaire ici au temps où nous sommes, ce qui fait le prêtre, l'ouvrier laborieux dans la vigne du seigneur, ils ne l'apprendront pas en Allemagne, ni par l'exemple ni par la doctume [...]

1. Le mot est pratiquement illisible De toute manière, nous ne voyons pas de qui il peut s'agir

2. Le Frère Paul, Supérieur de l'école des Fières de Dman, était un ami de la premiere heure de Feh

3. Lettre médite.

4. Sur le climat en Allemagne à cette époque voir Goyau L'Allemagne religieuse : le protstantisme, Paris, 1901. Le catholicisme (20), Paris, 1905-1910 Gerbet avait demandé au chevalier de Moy de lui recruter quelques jeunes allemands pour l'équipe de Malestroit.


LA GENÈSE DU JOURNAL « L'AVENIR » 405

Après avoir annoncé l'arrivée à Paris, venant de Munich, de l'abbé Martin de Noirlieu 1, mis en garde Waille 2 contre un certain M. Opperman, demandé à Gerbet son livre sur « les Controverses » 3, le chevalier de Moÿ continue. :

Il faut savoir d'ailleurs que le danger le plus pressant qui nous menace, c'est une espèce de boudhisme chrétien, panthéisme d'autant plus dangereux qu'il abuse plus adroitement des idées chrétiennes et s'appuie d'une érudition profonde jointe à une dialectique astucieuse. C'est le mouvement, parti de l'école de Hegel à Berlin et le mérite que la commentation [sic] de Gunther revendique à Descartes, c'est d'avoir établi, une fois poui toutes, la distinction entre la vie de l'esprit créé et celle de l'esprit incréé, de sorte qu'il devient impossible d'orénavant [sic] de les confondre pour quiconque a saisi le principe de la philosophie. Quant à mon man[us]crit sur le mariage j'espère bien qu'il se retrouvera. Du reste la troisième partie contient des détails qui ne laisseront pas d'intéresser les lecteurs du Mémorial et qu'il est essentiel de faire connaître afin de dévoiler ces gouvernements qui se disent éclairés et affectent de se placer, comme celui de la Prusse par ex[emple] à la tête de la civilisation. Les trois leçons de Gories, contenant son introduction à l'histoire univei selle dont je vous ai parlé précédemment, viennent enfin de panaitre [sic]. Je donnerais l'impossible pour que vous puissiez jouir des beautés incomparables de l'original, mais je crains que ce ne soit un allemand trop difficile ; je vais donc m'occupper [sic] incessamment à le traduire, Dieu veule [sic] que je îéussisse à l'arranger de telle sorte que cela puisse être goûté par des Fiançais. J'ai fait écrire à Dresde par un biave libraire de ma connaissance pour vous faire venir les livres que vous m'indiquez dans votre lettre du 16 juin. J'ai commandé aussi la grammaire sanscrite de Bopp et les racines sanscrites de Rosen 4. Bopp publie un dictionnaire sanscrite [sic] mais il n'en a parru [sic] encore qu'une livraison, contenant les voyelles et, si je ne me trompe, les consonnes du premier ordre. C'est le seul en Allemagne. Je vous enverrai probablement tous ces livres là en même temps.

Agréez l'assurance de mon vif et sincère attachement 5.

E. de Moy 6.

Les premières traces, dans la correspondance, d'un échange de vues sur ce qui va être L'Avenir sont du 10 août 1830 :

J'attends impatiemment, mon cher ami, [écrit Lamennais à Gerbet] quelques détails sur les choses dont vous [vous] occupez. Il ne faudrait pas que le Mémorial tardât de paraître. Plus que jamais il est nécessaire de prêcher

1 L'abbé Martin de Noirlieu était l'ancien aumônier de l'Ecole Polytechnique. Jusqu'à la fin de sa vie, il restera un ami dévoué de Lamennais ; voir Louis Le Guillou, L'Évolution de la pensée religieuse de Lamennais, A. Colin, 1966.

2. Après avoir été directeur du Mémorial catholique, Waille fut le rédacteur adjoint de L'Avenir.

3. Il s'agit probablement de l'ouvrage de Gerbet, Coup d'oeil sur la contioverse chrétienne depuis les premieis siècles jusqu'à nos lours, qui paraîtra en 1831.

4. Ces ouvrages étaient réclamés à Gerbet par Lamennais pour les spécialistes de Malestroit, Boré en particulier.

5 Lettre inédite.

6. Le chevalier de Moy n'était pas un inconnu pour Lamennais puisque le 9 novembre il lui écrivait pour le remercier de l'intérêt qu'il témoignait à son entreprise et acceptait sa collaboration éventuelle à L'Avenir. Cf. lettre du 9 novembre de Lamennais au Chevalier de Moy — Revue des Autographes, déc. 1894. Sur le personnage, voir St. Losch . Dollinger und Frankieich, Munchen, 1955.


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la liberté et de la faire comprendre aux catholiques. Ce ne sera pas une chose nouvelle dans le Mémorial ; il n'aura besoin de changer ni de principes, ni de langage. Je pense que vous aurez revu M. de Coux 1.

Trois jours, et surtout six jours plus tard, les choses se précisent sensiblement. Lamennais a reçu de Gerbet deux lettres, l'une du 9, l'autre du 12 août « relatives », lui dit son correspondant, « au projet d'établir un journal; la dernière vous donne à cet égard des détails. Le prospectus dont je vous parlais est terminé et ne sera tiré comme je vous le disais qu'à un petit nombre d'exemplaires 2 [...] On m'a dit hier que plusieurs jésuites étaient partis pour Rome où ils vont porter leurs idées absurdes et présenter la révolution et ses causes sous un jour qui ne pourra manquer d'égarer les esprits. Une lettre écrite pour prévenir contre leurs fausses idées serait bien utile [...] » 3. Voici les réponses du Maître, la plupart de ces lettres étant inédites :

Lamennais à Gerbet le 13 Août [1830]

[cachet postal]

Je reçois, mon cher ami, votre lettre du 9. Quant au projet d'un nouveau journal je l'approuve extrêmement. Ne pourrait-on pas y associer M. de C[oux]. Tous les catholiques doivent ne rien négliger pour le soutenir. Les évêques ont deux choses à faire, et il faudrait trouver quelque moyen de le leur insinuer car le temps presse ;

1° se mettre immédiatement en relation avec Rome, pour avoir une règle uniforme de conduite, et prévenir par ce moyen les dissentimens qui produiraient, non sans beaucoup de danger, une espèce d'anarchie dans le clergé.

2° mais je crains bien qu'ils compiennent pas ceci, déclarer unanimement

1. Lettre inédite de Lamennais à Gerbet, 10 août 1830.

2. De ce prospectus qui rappelle la distinction des deux ordres, ordre de foi, ordre de conception, exposée dans le Sommaire d'un système des connaissances humaines de 1829, nous donnons simplement un échantillon .

« ... Il y a, en toutes choses, deux éléments divers dont l'harmonie constitue l'ordre complet

Par rapport à l'esprit humain en général, la foi et la science,

Dans la société, le principe d'obéissance et celui de liberté,

Dans l'organisation administrative de chaque peuple, ainsi que dans les grandes confédérations d'État, les avantages depuis longtemps opposés, de la centralisation et de la diffusion ,

En économie politique, les intérêts de l'Agriculture, qui contient le principe de conservation, et les intéiêts de l'Industrie, qui est le principe de perfectionnement et de progrès ,

Dans les sciences, la partie positive ou des faits, base des théories, et la partie théorique qui doit se développer, mais sans être confondue avec la première, laquelle est essentiellement indépendante des systèmes qui ne peuvent avoir d'autre objet que de l'expliquer ,

Dans la littérature, le principe d'unité, que les classiques prétendent défendre, et le principe de variété auquel les romantiques s'attachent particulièrement, division qui s'applique à tous les beaux-arts .

Dans les arts industriels, la coordination et la division des travaux,

En considérant attentivement l'état actuel de la société et de l'esprit humain, on reconnaît que tous les désordres proviennent radicalement de ce que les diverses opinions, les partis divers rejettent un de ces éléments, en altèrent la notion, ou détruisent leurs rapports naturels. Notre but sera de les concilier, soit dans l'ordre d'application, soit, lorsqu'il y aura lieu, dans l'ordre théorique [ .]. »

3. Lettre médite de Gerbet à Lamennais, 16 août 1830.


LA GENÈSE DU JOURNAL « L'AVENIR » 407

qu'étant et se croyant, en vertu des lois mêmes, dégagés de tous les biens qui les unissent à l'État, ils renoncent au budget, s'en rapportant à la piété des fidèles pour pourvoir aux dépenses du culte ; et qu'en conséquence aussi ils ne reconnaissent plus à la puissance civile le droit d'intervenir dans les nominations des évêques ni des curés, dans l'éducation cléricale, dans l'administration spirituelle, ni en un mot dans rien de ce qui touche la religion, demeurant d'ailleurs soumis, comme tous les autres français, ni plus ni moins, aux lois civiles du pays. Voyez s'il y a moyen, par une voie ou par une autre de leur faire comprendre cela, et de les amener à l'exécution.

Adressez-moi désormais vos lettres comme à l'ordinaire, et simplement à Vinan.

Ne précipitez point votre retour ; restez aussi longtemps que vous jugerez votre séjour utile. D'ailleurs Mr Dubois 1, de qui j'ai reçu une lettre datée de Chambery, où il a dû attendre ma réponse, ne tardera pas beaucoup à arriver à Paris et il serait à désirer que vous puissiez l'accompagner en Bretagne. Il n'est pas nécessaire d'envoyer ma lettre à La C[ordaire]. Elle est parfaitement inutile aujourd'hui. Avez-vous vu Daubrée 2 ? Il ne doit compter en aucune manière sur des moyens d'existence à R[ome]. Gaudin a dû se trouver à Paris lors de la bagarre. Il n'a point écrit. Si vous pensez nous donner de ses nouvelles, cela nous fera plaisir. Je vous embrasse tendrement.

Je n'ai plus entendu parler des livres allemands venus de Munich.

A Monsieur

Monsieur Ph. Gerbet, au bureau du Mémorial, rue des beaux arts n° 5 Paris 3.

Lamennais à Gerbet le 16 Août [1830]

[cachet]

Je reçois, mon cher ami, votre lettre du 12. J'ai hésité pendant quelques heures sur le parti que je prendrais. Enfin je me décide à rester ici encore quelque temps. Je ne vois pas comment je pourrais quitter et d'ailleurs si ma présence devenait à quelques égards indispensable, vous me le diriez, et je partirais sur le champ. Je vous ai mandé que l'évêque de New York était à Chambery, et qu'il n'attendait pour se rendre en Bretagne, qu'une réponse qu'il doit maintenant avoir reçue.

Vous savez déjà que j'entre tout à fait dans le projet d'un nouveau journal ? Je goûte aussi l'idée d'y joindre le Mémorial. D'ici à quelque temps les esprits seront bien froids sur toute autre pression que celles du jour. Je crois donc comme vous que ce sont celles-ci qu'il faut maintenant traiter et traiter sans retard. Or c'est ce qu'il n'est guère possible de faire convenablement et à propos que dans un journal quotidien. Ayez seulement soin de bien régler les intérêts du Mémorial.

Il est, ce me semble aussi aisé qu'important d'établir qu'aujourd'hui en France toutes les questions politiques sont hors du droit, de quelque manière qu'on les conçoive. Ceux qui veulent apprécier ce qui se fait sur la souveraineté du peuple, soutiendront-ils que 200 hommes, sans titre ni mandat, sont le peuple français ? Il est impossible d'imaginer une absurdité égale. Il n'y

1. M. Dubois ou plutôt Mgr Dubois, évêque de New York, était en voyage en France, Il s'efforçait de recruter des prêtres volontaires pour les U.S.A. C'est avec lui que Lacordaire aurait dû s'embarquer...

2. L'abbé Daubrée, le frère de l'éditeur célèbre, était à Rome. Le 6 août, dans une lettre inédite à Gerbet, Lamennais déclarait déjà « Il voudrait trouver des moyens d'existence. Or, c'est peut-être le lieu du monde où des ressources de ce genre se trouvent le plus difficilement. Il n'y doit compter en aucune façon. Le mieux pour lui serait, ce me semble, d'essayer d'obtenir son excorporation ».

3. Lettre inédite.


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a donc que la force. Tous ceux qui ont des intérêts communs à défendie doivent donc réunir leurs forces, tout en se soumettant à une force plus grande, pour faire respecter leurs droits, c'est à dire leurs libertés Hors de là, tout est folie, sottise et déception. En tous temps, en tous lieux, on a reconnu l'empire de la force, lorsqu'on n'était pas en état de lui résister , et si cette force protège vos libertés, vos dioits, non seulement vous pouvez vous y soumettre, mais le devoir imposé à tous de se conserver, vous oblige à la soutenir comme unique moyen d'ordre, ou à concourir, autant que vous le pouvez, au maintien de cet ordre. Il serait extrêmement à désirer que le clergé eût une décision de R[ome] qui prévînt les dissidences sur le serment de fidélité qu'on voudra peut-être exiger de lui. En attendant il est très clair que cette exigence, si elle a lieu, serait un acte de tyrannie, puisque le prêtre n'a aucun caractère civil, n'est point fonctionnaire de l'État et que dès lors on ne peut, sans porter atteinte aux droits les plus sacrés, lui imposer aucune obligation qui ne soit commune à tous les Français sans distinction. Les plus grands embarras, tant que le jacobinisme sera contenu, viendront des hens qui attachent encore le clergé à l'état. On doit souhaiter et demander une émancipation complette [sic] ; plus d'intervention civile dans la nomination des évêques et des curés, dans l'éducation ecclésiastique, en un mot, dans rien de ce qui intéresse directement la religion. L'Église ne payera jamais trop cher ces libertés indispensables à la conservation de la foi. En politique il est évident que, sous une forme ou sous une autre, la république seule est aujourd'hui possible. Le nom n'y fait rien. On doit donc pencher pour tout ce qui tend à l'établir avec le moins de secousses possibles, et pour tout ce qui est conforme à son esprit, afin de ne pas provoquer inutilement des luttes terribles et des passions violentes. Surtout qu'on oublie les Bombons, leurs plus chauds amis n'ont rien à faire de mieux que de les abandonner à la Providence.

Il ne faudra présenter aux abonnés du Mémor[ial] sa fusion avec le j[ourn]al nouveau que comme une suspension momentanée. Mon avis est qu'il faut commencer dès qu'on aura un nombre suffisant d'actionnaires.

A Monsieur

Monsieur Ph. Gerbet, au bureau du Mémorial, rue des beaux arts, n° 5

Paris 1.

Lamennais à Gerbet le 18 Août 1830

J'ai reçu, mon cher ami, vos deux lettres du 13 et du 16, qui se trouvent déjà en grande partie répondues. Je vous ar mandé ce qui m'empêchait de me rendre à Paris, où je voudrais être pour beaucoup de choses. Pressez le plus que vous pourrez l'établissement du j[ourn]al. Il n'est pas nécessaire d'attendre mon avis sur le prospectus. C'est beaucoup que de gagner un jour. Peut-être que M M. de N... consentiraient à se rendre actionnaires, s'il était besoin. J'espère que l'on trouvera des abonnés dans ce pays-ci. J'avais déjà répondu à M. Milles, quand votre dernière lettre m'est parvenue, c.a.d. il y a deux heuies. Voilà celle que vous désirez pour R[ome]. Ce que je crains c'est qu'elle soit ariêtée à Milan par la police autrichienne. L'abbé Kam[ienski] 2 m'a écrit de Dresde. Il n'attendait que ma réponse pour continuer son voyage, ainsi nous le reverrions bientôt. Mon fière doit être ici dans quelques jours ; il tachera de s'y trouver avec l'év[êque] de New York. Si La C[ordaire] 3 n'est pas à Paris, quand il y arrivera, vous pounez difficilement ne pas l'accom1.

l'accom1. lettre a déjà été publiée par Trannoy, op. cit., p. 509-510.

2. L'abbé Kamrenski, polonais d'origine, comme l'indique son nom, faisait partie de l'équipe de Malestroit

3. Lacordaire écrivait le 19 août à Gerbet « parlez-moi de notre père, de ce qu'on pense à la Chenaie [...] » (lettre médite).


LA GENÈSE DU JOURNAL « LAVENIR » 409

pagner ; mais que cela ne vous inquiete pas. J'irai, s'il le faut, vous remplacer et ainsi l'absence ne sera pas longue. Nous avons tous un grand désir de vous embrasser.

Tout à vous de coeur. Marion l vous fait mille amitiés.

A Monsieur

Monsieur Ph. Gerbet, au bureau du Mémorial, rue des beaux arts n° 5 Paris 2.

Gerbet à Lamennais Paris 20 Août 1830

J'ai reçu vos deux dernières lettres ; s'il me paraissait que votre présence devient nécessaire, j'aurai soin de vous l'écrire, comme vous me le recommandez. Vous avez dû recevoir le piospectus qui produit généralement un bon effet. Le Globe 3 d'aujouid'hui en parle ; il nous reconnaît notre séparation d'avec le parti royaliste, reconnaissance d'autant plus importante que l'article incroyable de Laurentie dans la Quotidienne pouvait nous faire beaucoup de tort, si l'on s'était imaginé que ses idées effroyables fussent les nôtres.

Le notaire s'occupe de trouver des actionnaires mais il n'a pu commencer qu'après la publication du prospectus qui vient de paraître. J'ai déjà parlé à quelques personnes qui prendront des actions. Je désirerais que vous m'envoyassiez une lettre pour M. Louis Blaize à ce sujet. M. Ange Blaize 4 ne pourrait-il pas prendre une action ? Chaque action est de 3 000f. On pouria si cela est nécessaire, faire des coupons. On a divisé les actions sur le pied de trois mille au lieu de mille, parce que beaucoup [de] personnes disposées à prendre une action l'accepteront sur cette base et ne donneraient au contraire que mille francs, si les actions étaient de mille fr. Nous faisons une distinction entre les fondateurs et les simples rédacteurs. Comme fondateurs, nous avons droit à des actions ; on prend des renseignements sur ce qui est établi pour les autres journaux, tels que le Globe et le National, pour partir de là à l'effet de régler cela. Il est convenu entre nous qu'un certain nombre d'actions vous appartiendra sans qu'il y ait lieu à débourser. M. De Coux, Harel, Waille, Gouraud et moi aurons aussi des actions. J'attendais votre avis relativement au Mémorial. On le réunira ; sa valeur se représente dans l'intérêt que j'aurai au journal, outre ma qualité de fondateur. Mon frère sera placé dans l'administration.

Maintenant il est d'une extrême importance que le 1er N° contienne un article de vous. Cela fixera de suite l'attention publique et décidera promptement de la fortune du journal. Vous ne sauriez croire à quel point votre voix fera effet : jamais, à aucune époque, il n'en aura produit un semblable.

M. Decoux et Harel sont excellents. Veuillez me dire quelque chose pour eux dans votre 1re lettie... Ils vous présentent leurs respects et vous sont tout dévoués — avant toutes ces affaires M. Harel se proposait d'aller vous voir à la Chênaie. J'oubliais de vous dire que dans l'acte relatif à la création du journal, il sera formellement stipulé qu'il est placé sous votre direction. Mille choses autour de vous à nos bons amis. Tout à vous mille fois.

G. Mon frère et Waille vous présentent leurs respects. Je vais parler à Waille des livies de Munich. M. Mille m'a prié de régler sa pension — celle du séminaire est de 600 f — je lui aï donné cette base.

1. Sur Marion, le voisin de Lamennais à La Chênaie, voir Confidences de La Mennais, lettres médites, 1821-1848, par Du Bois de La Villerabel, Nantes, 1886.

2. Lettre inédite.

3. Sur Le Globe, La Quotidienne et, en général, la presse de cette époque, voir Derré, Lamennais, ses amis et le mouvement des idées à l'époque romantique, Paris, 1962.'

4. Ange Blaize, qu'il ne faut pas confondre avec son fils, Ange également, futur préfet de Rennes, était le beau-frère de Lamennais et Louis Blaize, le père de son beau-frère.


410 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

(Nous parlons affaires, mais n'oubliez pas de me parler de votre santé, de

celle de M. Jean. La mienne est bonne.)

Monsieur

Monsieur Félix de la Mennais à la chênaie par Dinan Côtes du Nord 1.

Lamennais à Gerbet le 25 Août 1830

Voilà, mon cher ami, les lettres que vous me demandez pour Louis Blaize et M[adam]e Champy 2. Il faudra que vous écriviez à cette dernière qui est, avec toute sa famille, à la campagne. Vous trouverez zèle de ce côté. Je crois que M. de Coriolis (rue de la Planche, n° 11) 3 pourrait se rendre actionnaire , mais vous connaissez les difficultés de caractère. Denys Benoit aiderait peut-être aussi. Vous n'avez besoin de lettres ni pour l'un ni pour l'autre, si vous jugez à propos de leur parler. Je suis fort content du Prospectus. Envoyez m'en un certain nombie, et faites-en adresser à Melle Le Loutre et à mon beau frère. Il faut se hâter le plus possible. L'article que vous me demandez est embarrassant, à cause de l'impossibilité de faire bien entendie ce qu'on pense en si peu d'espace. Néanmoins je vais m'en occuper, parce qu'il faut passer sur les inconvénients dans des circonstances si graves. Dites, je vous prie, à M. de Coux et à M. Harel combien je leur suis uni de coeur. Je voudrais bien qu'il me fût possible d'être en ce moment près d'eux et de vous. J'espère que l'année ne se passera pas sans que nous nous voyons. Si La C[ordaire] est de retour à temps, il pourrait accompagner l'év[êque] de New York. Dans le cas contraire, et supposé que votre présence continuât d'être nécessaire à Paris, vous lui indiquerez sa route par Dol, après lui avoir donné les instructions et recommandations utiles. J'attends mon fière mardi prochain ; puis il ira en Basse Bretagne, d'où il reviendra ici vers la mi-septembre.

Marion, que j'ai vu avant hier, m'a chargé expressément de le rappeler à votre souvenir, ainsi que tous nos autres amis.

Jamais la Quotidienne ne fut si absurde. Elle ferait beaucoup de mal, si elle parlait seule. Le Correspondant bat la campagne, et se perd dans des rêves incohérents. Il veut de tout et ne veut de lien : c'est du d'Eckstein 4 tout pur. Que l'Avenir paraisse donc promptement — Le présent en a grand besoin.

Où est maintenant l'abbé de Salinis ? Lui et l'abbé de Scorbiac ne pourraientils pas piendre au moins une action ?

Ce que vous avez fait avec M. Milles est bien fait.

Amitiés au Dr Allin, Waille, M. votre fière, etc. Que devient Mah[ony] 5 ? Je vous embrasse tendrement 6.

Lamennais à Gerbet le 26 Août

Voilà, mon chei ami, un article tel quel 7. Sous tous les rapports il importe

beaucoup que le journal ne tarde pas à paraître. On l'attend, on le désire, il

1. Lettre partiellement inédite.

2. Madame de Champy-Boiserand était la cousine de Lamennais Nous possédons la coirespondance inédite de Lamennais et de M. Champy.

3. Sur Conohs, voir Latreille . Un Témoin de la Restauration et de la Monarchie de Juillet. Le marquis de Coriolis, Pans, 1912.

4. Cela rappelle la boutade de Feh sur le « baron sanscrit » : « il avait les clefs de tout, mais n'ouvrait rien ». Voir Nicolas Burtin, Un Semeur d'idées au temps de la Restauration, le baron d'Eckstein, Paris, 1931

5. O'Mahony après avoir collaboré au Mémorial catholique devait, de sa Revue L'Invariable, éditée à Fribourg, en Suisse, lancer des attaques retentissantes contre Lamennais.

6. Lettre inédite.

7. C'est l'article celèbre, « Après trente ans de convulsions, de guerres civiles, [ .] » qui ouvrira L'Avenir du 16 octobre 1830.


LA GENÈSE DU JOURNAL « L'AVENIR » 411

est nécessaire pour soutenir et diriger l'opinion catholique. La Quotidienne et les autres journaux ne peuvent que l'égarer. Hâtez-vous donc. Les abonnés viendiont en grand nombre, si on ne perd pas de temps. Il serait bon de voir V[ict]or Hugo 1 ; je pense assez qu'il consentirait à devenir actîonnaire et rédacteur. Vous pouvez le lui proposer de ma part. Je ne verrais pas non plus d'inconvénient à écrire à La Martine, quoique sa position soit différente. Il suffit pour commencer d'avoir assez de fonds pour couvrir les premiers frais. Si, comme je l'espère, les abonnés viennent, il sera avantageux d'avoir des actions de reste entre les mains. Je pense que Gibon pourra donner des articles philosophiques et littéraires. Deniel aussi travaillera de coeur. Enfin, je le répète, commencez, commencez dès qu'il sera possible. Je vous embrasse tendrement. Ci-joint une lettre pour M. de Noailles qui m'écrit sans me donner son adresse. Accusez moi la réception de ce paquet 2.

Lamennais à Gerbet le 30 Août 1830

Il est extrêmement à désirer, mon cher, que l'Avenir devienne le présent. On sera lu et beaucoup lu, si on commence tout de suite, et en vérité jamais les esprits n'eurent plus besoin d'être dirigés. On ne se fait pas d'idée du désordre dans lequel ils tombent. Hâtez-vous donc, il est grand temps. La Revue n'ayant point paru le 15, j'espère que vous êtes en mesure de publier Y Avenir prochainement. Le curé de St Pierre me charge de l'y abonner pour tiois mois. Son adresse est à M. Noël, curé de St Pierre de Plesguen par Dinan, Côtes-du-nord. Il vous prie de lui envoyer son ciboire. Envoyez-moi aussi votre premier ouvrage (2 exemplaires), il nous manque et nous en avons besom. N'oubliez pas non plus les autres commissions. Avez-vous vu M. Combalot 3 ?

Eugène 4 est à Angers. On s'y nourrit de je ne sais combien de prophéties odieuses et extravagantes, les mêmes que celles dont on nous parlait l'an dernier. C'est un étrange spectacle que la folie et l'idiotisme qui s'est implanté dans certaines têtes...

Demandez, je vous prie à B..., s'il ne pourrait pas me rembourser tout ou partie de ce qu'il me doit. Je compte sur sa bonne volonté.

D'après ce que m'a écrit Desgarets, M. Dubois devrait être à Paris. Je regrette qu'il n'y trouve pas La C[ordaire]. Dans tous les cas il vaut mieux le laisser voyager seul, que de quitter avant que vos affaires soient terminées. J'attends mon frère demain. Tout à vous et de tout mon coeur.

A Monsieur

Monsieur Ph. Gerbet, au bureau du Mémorial, rue des beaux arts n° 5 •— Paris 5.

Lamennais à Gerbet le 2 7bre (1830)

Je reviens encore à la charge, mon cher ami, sur la pressante nécessité que l'Avenir paraisse sans aucun retard. Partout on l'attend avec une impatience extrême, et, encore une fois, qu'on ne s'inquiète pas de compléter le nombre des actionnaires ; le journal prenant comme je crois qu'il prendra, les actions restantes seront au contraire un bénéfice. Mon frère, qui est ici depuis deux jours, pense là-dessus comme moi, et il a été à même d'observer le besoin qu'ont les esprits de recevoir une direction.

1. Cf. la lettre de Victor Hugo à Lamennais du 7 sept. 1830. Goyau, Portefeuille, op. cit., p. 95.

2. Lettre inédite.

3. Sur Combalot, missionnaire de grand renom, qui gravita longtemps dans l'orbite mennaisienne, voir Ricard, L'Abbé Combalot, Paris, 1891.

4. Eugène Bore, qui devint — tardivement d'ailleurs — prêtre et supérieur des Lazaristes, resta toute sa vie un disciple aimé et aimant de Lamennais.

5. Lettre médite.


412 REVUE DHISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

Je vous ai prié d'abonner le curé de St Pierre pour 3 mois. Il désire qu'on lui envoie son journal avec le mien, c.a.d. sous la même bande et sans adresse particulièie 1. Prenez aussi un abonnement de 6 mois pour M. de la Bellière, à Pleudihen, par Dinan, Côtes du Nord. Il est important qu'on veille avec soin sur les envois, afin qu'il n'y ait point de retard ni d'inexactitude. Le d[erm]er N[umer]o de la Revue produira un bon effet et amènera des abonnés , mais, pour la centième fois, qu'on se presse. Tout s'embiouille rapidement. Le soulèvement de la Belgique peut faire craindre une intervention, et qui peut prévoir quelles en seraient les suites.

Tout en soutenant avec une grande fermeté et une franchise entière les doctrines de liberté religieuse et politique, on devra prendre garde de se laisser aller à une certaine rudesse d'expression, qui pourrait au commencement choquer beaucoup d'espnts. Je réglette de n'être pas à Pans pour coopérer plus activement à la rédaction, mais cela m'est impossible en ce moment. Je ferai ici ce que je pourrai. Ce sera peu de choses , car, à cette distance, presque tout ce qu'on peut dire vient trop tard.

Je vous prie de faire faire, avant votre départ, un inventaire exact de notre petit mobilier.

Mon fière vous dit mille choses tendres. j'ai écut à Daubrée qu'il pouvait venir. Il pourra m'apporter les commissions dont vous avez la note, ainsi que le ciboire du curé de St Pierre. Vous me direz ce qu'il vous doit pour cela. Tout à vous de coeur.

Mr de Porter pourrait être utile ; il serait bon de le voir, afin qu'il aidât à unir les esprits dans la cause commune. Recommandez Belin Mandar 2 au nouveau journal. J'ai eu à son égard de vives inquiétudes ; elles sont, grâce à Dieu, dissipées pour le moment. Je le crois fort honnête homme. Il faut tâcher de lui être utile et de le soutenir dans la crise commerciale.

Je suis très fâché qu'on ait inséré dans la Revue le morceau de M. de Pradt.

N'oubliez pas M. Amblard.

Lacordaire à Gerbet Lyon, 2 Septembre 1830

Votre lettre, cher ami, me trouve encore ici par hasard. Je savais l'arrivée en France de l'évêque américain , il était à Lyon, le 24 ou 25. Vous devez l'avoir vu : écrivez-moi aussitôt ce billet reçu et je partirai sur le champ, s'il le faut. Mon adresse : Bussièi es-les-Belmont, par le Fay Billot, Hte Marne. J'y serai demain soir , c'est ma dernière visite. Il m'eut été agréable d'y passer quelques semarnes avec ma mère et ma famille ; mais je partirai tout de suite, si vous le jugez convenable ; répondez-moi, courrier pour courrier.

Trois jeunes gens ici ont le dessein d'aller en Amérique : l'un Silvestre Foisset, supérieur du petit séminaire ; l'autre Mr Renaud, professeur au grand séminaire ; l'évêque de Dijon m'a parlé de celui-ci et de sa vocation ; le troisième, Mr Tisseiand, dont j'ignoie le grade ecclésiastique. Ces deux derniers y songeaient avant mon arrivée. C'est de l'espérance pour l'avenir.

Le nouveau journal aura des obstacles dans le clergé et les âmes pieuses ; ils ont tous peur de la liberté comme du diable. Cependant il aura des appuis. A Beaune d'où je viens, vous aurez, je crois, des abonnés. Mr l'abbé Foisset m'a dit qu'il prendrait un abonnement pour son petit sémmaire. Je ferai de mon mieux.

Mes respects et mes amitiés à la Chenaie, principalement à l'abbé Morel 3, après Mr Feli. Avez-vous des nouvelles de Kamienski ? Que vous aura dit

1. Plus, je pense, pour éviter des frais d'expédition que pour dissimuler ses sympathies.

2. Un des éditeurs de Lamennais

3. L'abbé Morel, ancien condisciple de Lacordaire à Saint Sulpice, avait sollicité Lacordaire pour devenir grand vicaire de Mgr. Dubois, évêque de New York.


LA GENÈSE DU JOURNAL « L'AVENTR » 413

New York [sic] 1 ? Une lettre un peu détaillée me ferait plaisir. Adieu ; je suis gros et gras et toujours vous aimant.

H. Lacordaire Monsieur

Monsieur Ph Gerbet Au bureau du Mémorial, rue des beaux arts n° 5 — Paris 2.

Th. Foisset à Gerbet Beaune, 4 Septembre 1830

A quand l' Avenu, mon cher ami ? J'en suis pour ma part dans l'attente la plus vive et je vous en eusse écrit sur l'heure à mon retour de Bresse, n'eut été l'arrivée de Lacordaire qui m'a appris des choses admirables sur la Chenaie et ses dépendances.

Ce voyage en Bresse avait retardé pour moi le plaisir de lire votre prospectus La question y est posée avec une netteté rare et tous les développements sont éclatants d'évidence et d'à propos. La citation empruntée à Mr de Porter est infiniment remarquable. Comptez-moi donc dès à présent parmi les abonnés de votre journal. Mais n'oubliez pas que l'idée mère de l'entreprise n'est pas mûre encore parmi les catholiques français. L'absolutisme et l'abandon au bras séculier ont dans le gros du clergé et des fidèles les plus profondes racines. Cette illusion déplorable a été nourrie, caressée avec tant de complaisance depuis seize ans. Le coup de tonnerre qui vient de la frapper n'a dessillé les yeux de personne : il y a eu trahison ou bien Mr de Polignac s'y est mal pris, voilà tout.

Vous ne vous ferez lue de ces honnêtes gens qu'en leur jettant [sic] à la tête un nom propre mais un nom puissant, le seul nom que les évènements n'ont point usé, un nom qui écarte toute idée de mezzi termini et de concession pusillanime, le nom de Mr de La Mennais. Il faut que l'on sache bien que l' Avenir est son journal, qu'il signe ses articles et que les premiers numéros montrent ou rappellent ce qu'est dans la polémique du jour le poids d'une éloquence comme la sienne.

Encore une fois, vous n'ébranlerez la masse des catholiques qu'à cette condition. J'ai fait lue votre prospectus à des magistrats, à des séminaristes, à des prêtres. Ce libéralisme religieux comme ils disent leur paraît une étrangeté, presque une contradiction dans les termes. Plus les lecteurs étaient jeunes, plus ils étaient près de comprendre. Mais les autres ont une triple écaille sur les yeux.

Voyez maintenant si vous voulez faire droit à une requête. Elle est toute dans l'intérêt de l' Avenu. Le style du prospectus est simple et franc, voilà ce que j'aime. Je vous avais écrit le 27 juillet pour vous remercier des Considérations sur le dogme générateui de la piété 3, et je vous soumettais des critiques d'ami sur la diction qui ne m'a pas toujours paru exempte de recherche. Je ne sais si ma lettre, tombée à Paris, au milieu des troubles et sous le couvert du grand aumônier (car vous m'aviez laissé ignorer votre adresse personnelle) je ne sais, dis-je, si ma lettre vous sera parvenue. Le temps me manque pour la recommencer. Mais je vous aime assez pour vous reprocher dés phrases comme celle-ci : « Chaque espèce d'êttes intelligents, étant renfermée dans une sphère particulière d'existence, le surnaturel, rélativement à chacune d'elles, n'est que la propection de quelques lois d'un monde supérieur dans les mondes placés audessous. Tout ce qui sort des combinaisons du monde actuel est le moyen par lequel celui-ci s'engtène dans les rouages de l'ordre futur ». Ces métamorphoses empruntées tout à tour aux mathématiques et à la mécanique, cette technologie,

I. New York, comme on dit Cambrai pour désigner Fénelon. 2 Lettre inédite.

3. Les Considérations sur le dogme générateur de la prété, de Gerbet, parurent en 1829.


414 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

cette accumulation de mots abstraits laissent une impression désagréable. Vous avez voulu écrire à la fois pour le philosophe et le fidèle ; mais je crains que vous ne soyez resté tout à la fois trop rationnel pour celui-ci, trop mystique pour celui-là. Il y a dans cette conception même je ne sais quoi d'hermaphrodite, passez-moi le terme, qui a nui à votre beau et neuf travail. Je suis sévère à ce sujet parce que vous n'avez pas été vous dans plusieurs pages de votre livre qui manquent d'unité et de fondu, comme disent les gens de métier. Après tout, je n'ai trouvé à reprendre que dans le style : je ne dis pas que le style, parce qu'il y a dans les considérations un très grand nombre de pages aussi bien écrites que fortement pensées. J'aurais voulu plus d'âme et d'entraînement dans quelques-unes.

Adieu, mon cher ami. Je serais heureux de savoir si cette lettre vous aura trouvé à Paris. Deux lignes de vous suffiraient pour cela. Ma dépêche du 27 juillet vous apprenait où j'en suis avec l'école de M. De Lamennais.

Th. F.[oisset] 1

De tout cela, que conclure ? eh bien, que s'il apparaît clairement que Lamennais n'a pas eu personnellement l'idée de L'Avenir, la création de ce journal était du moins une conséquence logique de cette idée de parti politique catholique et social dont Féli rêvait depuis au moins le début de l'année 1830. Une fois cependant l'affaire de L'Avenir engagée, avec son impatience habituelle, Lamennais n'a de cesse que d'en presser la réalisation car « c'est beaucoup que de gagner un jour ». Autre point certain : contrairement à ce qu'ont affirmé quelques critiques, Lamennais ne s'est pas « précipité » à Paris dès qu'il a appris la création de L'Avenir. Au contraire, il indique à Gerbet, le 2 septembre, l'impossibilité où il se trouve de « se rendre en ce moment dans la capitale ».

Enfin, il est intéressant de constater que Lamennais, beaucoup plus qu'on ne l'a cru, que je le pensais moi-même il y a quelques années, connaît bien ses « péchés mignons » : dès le 2 septembre, il conseille à Gerbet de « prendre garde de se laisser aller à une certaine rudesse d'expression qui pourrait au commencement choquer beaucoup d'esprits ». Lui, dont les phrases déchirent parfois comme le harpon marin, il est très conscient de ses faiblesses, en garde contre ce qu'on va appeler bientôt les outrances de L'Avenir. Voilà un Lamennais inconnu, ou plutôt méconnu, parce qu'on a trop mis l'accent sur l'idéalisme du polémiste, incapable de mesurer les réalités de ce monde. Et pourtant c'est Lamennais qui, le 11 novembre 1830, analyse avec lucidité à Gerbet le danger que présente, pour L'Avenir, la présence à sa tête de Harel du Tancrel, le rédacteur en chef et de Waille, le rédacteur gérant : « Les deux hommes sur qui tout roule », écrit-il, « et qui sont l'un et l'autre fort endettés n'ont eu en vue dès l'origine ou au moins ont eu principalement en vue une spéculation personnelle. Il paraît que vous n'aviez pas de renseignements sur eux » 2. Pourquoi faut-il que

1. Lettre inédite.

2 Lamennais à Gerbet — 11 nov. 1830, Annales de Philosophie chrétienne, 1879, p. 176.


LA GENÈSE DU JOURNAL « L AVENIR » 415

souvent les idées les plus généreuses aboutissent à l'inverse du but visé ? Elle est splendide l'épigraphe « Dieu et la liberté ». Mais elle reprend mot pour mot, on le sait, la devise que Voltaire proposait, peu de jours avant sa mort, au fils de Franklin et cela, les adversaires romains de Lamennais, qui connaissaient « leurs classiques », ne l'oublieront pas lorsque sera examiné le dossier de la condamnation de Féli 1.

Rien de plus légitime non plus que d'essayer de grouper, dans l'équipe de rédaction de L'Avenir, les hommes « les plus capables d'unir les esprits dans la cause commune ». Mais la présence de Louis de Potter, réclamée par Lamennais le 2 septembre, s'imposait-elle vraiment? Car, comme je l'ai montré tout récemment 2, Louis de Potter est considéré à Rome, depuis sa Vie de Scipion Ricci, comme un « suppôt de Satan » et en 1833 encore, le curé de Genève, M. Vuarin, le compagnon de voyage de Lamennais à Rome en 1824, considère de son devoir de mettre Féli en garde contre une telle fréquentation 3. Sans doute Louis de Potter est-il un honnête homme, loyal, désintéressé : il a cependant, il faut le reconnaître, un passé politique et littéraire que les censeurs romains considèrent pudiquement comme « chargé » et l'Acte d'Union, appel dans L'Avenir du 15 novembre 1831 à une vaste fédération des catholiques libéraux de France, de Belgique, d'Irlande, de Pologne et d'Allemagne et qui est, on le sait, l'oeuvre du Belge, sera une des raisons qui reviendra le plus souvent dans l'énoncé des motifs de la condamnation de Lamennais par les théologiens romains. Pauvre Lamennais qui, sans s'en douter, vient de mettre le doigt dans un engrenage qui, logiquement, fatalement, va bientôt le mettre au ban des catholiques de son temps ! Car la prise de conscience de l'actualité quotidienne,, qui est le fait du journaliste, va prouver à Lamennais l'urgence des réformes à proposer; elle va aussi lui permettre de percer l'hypocrisie des puissants de ce monde, laïcs ou clercs qui laissent de sang-froid « assassiner », en 1830-1831, la catholique Pologne 4. Elle va faire de lui un prophète, un second Savonarole, fulminant, lui tout seul, pauvre et usé de fatigue, calomnié par tous, contre les grands, rois, riches, membres de la hiérarchie, qui souvent oublient dans le coeur le message du Christ.

Louis LE GUTLLOU.

1. Retardé par la traduction de nombreuses pièces italiennes, nous publierons bientôt tout le dossier de cette condamnation.

2. Louis de Potter et Lamennais, Lettres inédites, Revue de Littérature comparée (avril-juin 1968).

3. Voir la lettre inédite du 19 novembre 1833 de Vuarin à Lamennais que nous avons publiée dans notrs ouvrage, L'Évolution de la pensée léhgieuse de Lamennais, p. 425-428.

4. Voir L. Le Guillou, Les Discussions critiques, journal de la crise mennaisienne, ch. n, A. Colin, 1967.


PÉGUY ET LA SORBONNE

L'acrimonie de Péguy contre la Sorbonne est bien connue. Elle a culminé dans les années 1911-1913, au moment où le grand polémiste percevait ses adversaires et les institutions de la République radicale dans une lumière d'apocalypse. Il vaut la peine de remonter en arrière et de se mettre en quête des sources de ses antipathies, des motifs de ses condamnations, peut-être aussi des contradictions que l'évolution de son credo politique et religieux a nécessairement entraînées.

Les attaques les plus violentes de Péguy, celles qui ont fixé pour la postérité le dernier état de ses sentiments à l'égard de la Sorbonne, sont contenues dans L'Argent, oeuvre de combat, mais aussi de mémoire, où l'homme de quarante ans embrasse d'une vue rétrospective les maîtres de sa jeunesse. Il y rend un hommage pénétré de tendresse aux instituteurs de l'École Normale annexe qui ont formé ses premières années, aux professeurs du Lycée d'Orléans, à ceux de Lakanal, de Louis-le-Grand et de l'École Normale Supérieure. En revanche, avec une rigueur manichéenne, il exclut les maîtres de Sorbonne de ce banc d'honneur où il a placé Théodore Naudy, Georges Edet, Louis Bompard, Joseph Bédier. A ceux-ci la « grande piété descendante de tuteur et de père », la « longue et patiente et douce fidélité paternelle, un des tout à fait plus beaux sentiments de l'homme qu'il y ait dans le monde » 1. Aux professeurs de Sorbonne, l'aigreur, la jalousie, la méchanceté :

Il fallut que j'en vinsse à la Sorbonne pour connaître, pour découvrir, avec une stupeur d'ingénu de théâtre, ce que c'est qu'un maître qui en veut à ses élèves, qui sèche d'envie et de jalousie, et du besoin d'une domination tyrannique ; précisément parce qu'il est leur maître et qu'ils sont ses élèves , il fallut que j'en vinsse en Sorbonne pour savoir ce que c'est qu'un vieillard aigri (la plus laide chose qu'il y ait au monde), un maître maigre et aigre et mal1

mal1 (XIV 6, 16 février 1913), m OEuvies en prose II, Bibhotbèque de la Pléiade, p 1077. C'est dans cette collection (t I 1969, t II 1957) que je citerai les oeuvres principales de Péguy. Les Colliers de la Quinzaine seront indiqués par un chiffre romam (numéro de la série), suivi d'un chiffre arabe (numéro du cahier dans la série).


PÉGUY ET LA SORBONNE 417

heureux, un visage flétri, fané, non pas seulement ridé ; des yeux fuyants ; une bouche mauvaise ; des lèvres de distributeurs automatiques ; et ces malheureux qui en veulent à leurs élèves de tout, d'être jeunes, d'être nouveaux, d'être frais, d'être candides, d'être débutants, de ne pas être plies comme eux ; et surtout du plus grand crime : précisément d'être leurs élèves. Cet affreux sentiment de vieille femme 1.

Le portrait est féroce. Péguy avait la dent très dure. Si ce morceau était isolé, il faudrait y voir le mouvement d'humeur d'un homme passionné, mis hors de lui par le climat politique des années d'avant-guerre. Mais l'auteur est revenu assez souvent à la charge contre la Sorbonne et contre les chefs du « Parti intellectuel » dans l'Université française pour que nous nous interrogions sur l'énigme que pose ce portrait dont le modèle n'est pas nommé. Le modèle ou les modèles ? Car insensiblement Péguy, dans cet implacable réquisitoire, est passé du singulier « un vieillard aigri », au pluriel « ces malheureux ». Essayons d'abord de les identifier. Quand, derrière l'emportement du verbe, nous aurons tiré de l'ombre la réalité vécue, nous y verrons plus clair dans les bonnes et les mauvaises raisons de Péguy.

I. L' « entrée » de Péguy en Sorbonne

Et, d'abord, quand Péguy est-il venu à la Sorbonne ? La réponse n'est pas simple. La date de son entrée « en Sorbonne » ne peut être fixée comme l'ont été ses premiers contacts avec l'école primaire et le lycée. Dans Pierre, commencement d'une vie bourgeoise, il a raconté sa première rentrée en octobre 18792 et le choc affectif qu'il reçut quand il pénétra dans les sévères bâtiments de l'École Normale d'Orléans, un coup au coeur qui lui donna envie de pleurer, non de chagrin, mais de surprise, d'admiration, d'enchantement 3. Dans L'Argent il a évoqué sa seconde rentrée, en avril 1885, au lycée d'Orléans dans la sixième de M. Guerrier, et le jardin de roses que lui ouvrirent les premières déclinaisons latines 4. Mais il n'y eut pas de troisième rentrée. Il est impossible de fixer chronologiquement le jour, ou même le mois, où Péguy « vint » en Sorbonne. Rappelons en effet les étapes de sa vie d'étudiant :

1891-1892 : Péguy, interne au lycée Lakanal, suit les cours de Rhétorique supérieure (appelée encore « Rhétorique vétérans »).

1892-1893 : Il fait son service militaire à Orléans.

1. Ibid., p. 1077.

2. La date de 1880 a été définitivement écartée par Auguste Martin dans les Feuillets de l'Amitié Charles Péguy (que je désignerai simplement par F.) n° 117.

3. L. p. 1232. Cette autobiographie, que le narrateur date de 1893, a été sans doute écrite en 1899. Restée longtemps inédite, elle a été publiée pour la première fois par Marcel Péguy en 1931.

4. II, p. 1076.

REVUE D'HIST. LITTER DE LA FRANCE (70e Ann.). LXX. 27


418 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

1893-1894 : Élève à Louis-le-Grand en Rhétorique supérieure, il est interne à Sainte-Barbe, où il reçoit un enseignement supplémentaire.

Reçu à l'École Normale Supérieure au mois d'août, il passe sa licence ès-lettres en octobre 18941.

Durant ces trois années, il n'a évidemment pas suivi de cours en Sorbonne. Les classes de Rhétorique supérieure étaient le prolongement de l'enseignement secondaire. Elles n'en préparaient pas moins fort efficacement aux épreuves de la licence ès-lettres, qui, quelle que soit la spécialité choisie, exigeait de solides connaissances en grec, en latin, en français 2. Péguy passa donc sa licence (mention philosophie) sur l'acquis de la « câgne », comme tant d'autres étudiants l'ont fait après lui.

Les contacts avec la Sorbonne furent-ils plus nombreux pendant les années qui suivirent ? Reprenons la chronologie :

1894-1895 : première année d'École Normale.

1895-1896 : Péguy demande un congé qu'il passe à Orléans et qu'il consacre à la rédaction de sa Jeanne d'Arc.

1896-1897 : deuxième année d'École Normale.

1897-1898 : Péguy, marié le 20 octobre 1897, donne sa démission de l'École Normale et reçoit une bourse d'agrégation en Sorbonne.

Les élèves de la rue d'Ulm n'avaient nul besoin de suivre des cours à la Faculté des Lettres. Leurs propres maîtres de conférence, hautement qualifiés, leur dispensaient sur place une culture générale nourrie de toutes les disciplines littéraires. Sans doute étaient-ils autorisés à bénéficier aussi des cours en Sorbonne — on les conduisait même en rangs — lorsqu'ils préparaient la licence et l'agrégation. Péguy usa-t-il de cette faculté ? Il est vraisemblable que, licencié dès son entrée à l'École, il ne fut pas tenté par un surcroît d'exercices scolaires. Le diplôme d'études supérieures n'était pas obligatoire pour l'agrégation. En seconde année on préparait un court mémoire, nommé définitif, destiné à un professeur de l'École 3. Péguy soumit le sien à Gustave Lanson en mars 1897. Pendant ces trois années, ses contacts avec la Sorbonne ne purent être qu'épisodiques et marginaux.

Peut-on parler d'entrée à la Sorbonne en novembre 1897 ? Théoriquement oui. N'oublions pas cependant qu'il fréquenta la rue d'Ulm comme auditeur libre, ayant obtenu l'autorisation de suivre le cours de George Lyon. Cette faveur lui permet d'écouter Bergson, nommé

1. C'est par erreur que Marcel Péguy indique que son père fut reçu licencié en juillet 1894 (I, p. xx). Il passa l'examen à la session d'automne, comme en fait foi le diplôme conservé au Centre Charles Péguy d'Oiléans.

2. Après 1880 la licence ès-lettres comporte, dans toutes les disciplines, deux épreuves écrites . composition française et composition latine, et trois épreuves orales, exphcations grecque, latine et française Les spécialistes de philosophie passaient en plus deux épreuves écrites, histoire philosophique et philosophie, auxquelles s'ajoutait une épreuve orale.

3. Voir La Thèse, Gallimard, 1955, p 21-39.


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maître de conférences à l'École Normale le 24 février 18981. Deux ans plus tard, alors que la mémoire des faits n'a pu s'émousser, Péguy se voit encore élève de l'École pendant cette amiée 18971898. « Nous assistions alors — pourquoi nous en taire — aux cours de l'École Normale [...] Nous assistions aux conférences, écoutant ce qui nous plaisait, entendant ce qui nous convenait. Nous avions lu les deux livres de M. Bergson. Heureux qu'il eût enfin été nommé maître de conférences à l'École » 2. Péguy n'a donc pas coupé le lien qui le relie à la maison mère. Pour l'agrégation, il doit cependant fréquenter aussi la maison de la rue des Écoles. Pendant l'hiver 1897-1898, les professeurs chargés d'y enseigner la philosophie sont les suivants : Paul Janet, alors en fin de carrière ; Emile Boutroux, qui professe une doctrine idéaliste et spiritualiste ; Victor Brochard, estimé pour sa parfaite connaissance du grec ; Alfred Espinas, Gabriel Séailles et Ferdinand Buisson 3, ces deux derniers ardents dreyfusistes et fondateurs de la Ligue des droits de l'homme.

Quel profit Péguy tira-t-il de leur enseignement ? Il faudrait d'abord être assuré de son assiduité. L'année scolaire 1897-1898 fut occupée par son mariage (octobre), l'impression de la Jeanne d'Arc (décembre), la rédaction et l'impression de Marcel, premier dialogue de la cité harmonieuse (avril-juin), la fondation de la librairie Georges Bellais (mai). Ajoutons enfin, last but not least, l'agitation dreyfusiste, portée à son comble après le « J'accuse » de Zola (13 janvier 1898). Quoi d'étonnant à ce que cette année se soit terminée par un échec à l'agrégation ? On peut présumer que, la préparation en ayant été délibérément sacrifiée, le jeune socialiste avait peu fréquenté la Faculté. Il ne se représentera d'ailleurs pas au concours, happé par la vocation politique et l'engagement dans le journalisme.

II. «Notre vieille mère l'Université » 4

Toutefois on se tromperait lourdement si l'on croyait que Péguy, passé en météore à la Sorbonne, s'est, une fois rendu à la vie active,

1. Sur l'enseignement de Bergson à l'École Normale, des erreurs de date se sont perpétuées, dues sans doute à l'imprécision même des allusions de Péguy. André Henry, dans son Bergson, maître de Péguy (Elzevir, 1948), situe beaucoup trop tôt l'arrivée de Bergson à l'EN.S. Rose-Marie Mossé-Bastide a rétabli l'exacte chronologie des postes successifs occupés par Bergson (Bergson éducateur, P.U.F, 1955). Celui-ci enseigna à l'École de février 1898 à 1900

Bien que, selon ses biogiaphes, il ait pensé deux fois à la Sorbonne, en 1894 et en 1898, Bergson ne fit jamais acte de candidatuie Le compte rendu des élections qui figure dans les Actes de la Faculté des Letties, ne mentionne pas son nom en 1894. En novembre 1898, Boutroux et Brochard expument seulement le regret qu'il ne se soit pas porté officiellement candidat à la succession de Paul Janet. S'il y eut de sa part hésitation et crainte d'un échec, Péguy ne semble pas l'avoir su.

2. Réponse biève à Jauiès (4 juillet 1900), I, p. 274.

3. La plupart des renseignements donnés ci-dessus, comme d'autres utilisés infra, sont dus à l'obligeance de M. Bourjac, secrétaire général de la Faculté des Lettres, qui a mis à ma disposition les Actes de la Faculté, ce dont je le remercie vivement,

4. Un Poète l'a dit, Gallimard, 1953, p. 200.


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définitivement coupé de l'enseignement supérieur. Au contraire, il se sent profondément impliqué dans tout ce qui la touche. Il a échoué à l'agrégation, soit, mais il ne s'est jamais plaint ni des condition du concours, ni des examinateurs qui l'avaient refusé 1. L'amertume du candidat malheureux ne s'est jamais retournée contre le système universitaire. Une fois, en 1908, il a décoché quelques épigrammes à un concours qui, assis « entre deux selles » 2, recrute pour l'enseignement secondaire et prépare à l'enseignement supérieur. Mais il ne faut pas s'y laisser prendre : « De l'agrégation, messieurs, je ne parlerai pas [...] Elle m'a fait trop de bien pour en dire du mal. Peut-être serions-nous suspects de partialité ou de ressentiment » 3. Face aux historiens qui opposent les mérites de la thèse aux élégances formelles de la leçon d'agrégation, Péguy soutient cette dernière : « Je défendrai cette agrégation tant décriée » 4. La belle leçon d'oral demeure pour lui le chef-d'oeuvre d'une institution universitaire dont il n'imagine pas qu'on puisse ébranler les assises.

Attaché à la hiérarchie des grades et des concours de l'Université, Péguy l'est également, au moins jusqu'en 1902, aux professeurs qui enseignent en Sorbonne. S'il a peu fréquenté les amphithéâtres, il connaît d'expérience ou de réputation ceux qui occupent les chaires de l'enseignement supérieur parisien. A la fin du XIXe siècle, le cloisonnement entre l'École Normale et la Sorbonne n'est pas rigide. La première est souvent l'antichambre de la seconde (ou du Collège de France). Parfois les mêmes hommes enseignent à la fois dans l'une et l'autre. C'est le cas de Ferdinand Brunot. Andler prend pied rue de la Sorbonne en 1897. Lanson y est nommé maître de conférences en 1900. Après la réforme de l'École Normale, en 1904, l'émigration sera générale. D'ailleurs, où qu'ils exercent leur fonction d'enseignant, ces maîtres ont les mêmes titres. Ils constituent un corps d'élite sur lequel sont fixés les yeux des jeunes étudiants parisiens. À fortiori, quand la bataille dreyfusiste les oblige à se découvrir. Formés par une tradition libérale, plusieurs d'entre eux se prononcent sans équivoque pour la révision. Entre 1898 et 1900, Péguy soutient résolument tous ceux dont la liberté de parole est menacée par les bandes antisémitiques. Il a raconté lui-même comment il dirigeait, avec une « vitesse de mobilisation [...] portée à un point de précision inouï » 5, ses commandos de défense républi1.

républi1. 1898, étaient examinateurs à l'agrégation de philosophie Janet, Lachelier, Darlu, Hamelin et Hennequm

2. La Thèse, p. 20. Quoi qu'en dise la page 4 de couverture de cette édition, la rédaction de cette « thèse » date de l'hiver 1908-1909 (cf. II, p 13)

3. Ibid, p. 20.

4. Ibid, p 23.

5. L'Argent Suite, II, p. 1171. Notons qu'il y a contradiction entre la date à laquelle Péguy fait remonter ces batailles, 1897, et celles que retient Jules Isaac, 1898 et 1899, confirmées par une lettre d'Emile Boivin (Expériences de ma vie, p. 144-145) Il est


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caine du 45 de la rue d'Ulm aux points chauds de la Sorbonne, c'est-à-dire, aux cours des historiens Aulard et Seignobos, de l'éducateur Ferdinand Buisson. Ce fut sa période héroïque, et le terrain en était précisément la Sorbonne.

A cette époque, sous l'influence d'Andler et de Lucien Herr, Péguy considère comme ses adversaires les professeurs catholiques ou réputés tels. Il le regrettera avec une pointe d'humour quelques années plus tard. « Un des hommes qui nous épouvantaient le plus, comme ennemi, était le bien innocent M. Boutroux. Il était pour nous le Conservateur » 1. De cette méfiance à l'égard de tout ce qui touchait à l'Église, un article de décembre 1898 nous apporte un témoignage direct. Sous le nom de Jacques Laubier, Péguy répond à un journaliste radical, Victor Augagneur, futur maire de Lyon, qui s'est plaint que l'Université fût imprégnée de cléricalisme par OUéLaprune et Brunetière. Ces derniers n'étaient professeurs qu'à la rue d'Ulm. Mais Péguy élargit le débat. Il commence par rassurer son correspondant sur la liberté de pensée des Normaliens. « M. Ollé-Laprune n'a eu aucune influence. M. Brunetière, depuis qu'il est « évêque du dehors », ne peut plus mettre les pieds à l'École Normale » 2. Après s'en être félicité, il fait confiance aux républicains selon son coeur, résolument laïques, opposés à la loi Falloux, qui animent l'enseignement supérieur. Et il ajoute cette phrase, précieuse à retenir pour qui la mettrait en parallèle avec les blasphèmes et les caricatures de L'Argent : « Dans cette perversion générale nous avons reconnu que la vieille Université fidèle au meilleur de son passé, prête au meilleur de son avenir, est demeurée, sans être parfaite à beaucoup près, la meilleure maîtresse de vérité » 3.

Rien d'étonnant à ce qu'une fois libéré de la tutelle universitaire, ce pôle de la pensée libre continue à aimanter son activité d'éditeur et de journaliste. En mai 1898 il s'installe dans la librairie Georges Bellais, 17, rue Cujas ; en novembre 1900, au 16 rue de la Sorbonne (siège de l'École des Hautes Études sociales, aujourd'hui de l'Institut de grec) ; enfin, en octobre 1901, au 8 de la même rue, en face de la porte du rectorat. Il n'a qu'à traverser la chaussée pour monter dans sa « vieille bibliothèque » où son ami Edmond-Maurice Lévy lui fournit livres et références. De son poste avancé, il surveille les nominations, a ses candidats aux élections universitaires (ainsi il soutient Payot contre Durkheim) 4. Enfin et surtout il soupèse les opinions politiques et philosophiques des maîtres de l'Université. La Sorbonne barre son horizon. Comme beaucoup d'universitaires,

vraisemblable que les escarmouches furent postérieures au « J'accuse » de Zola et que le point de départ des expéditions fut le plus souvent, comme l'affirme Isaac, la librairie Georges Bellais.

1. Un Poète l'a dit, Gallimard, 1953, p. 222.

2. « Défaites en échelons », La Revue blanche, 1er déc. 1898 (in F. 127, p. 12).

3. Ibid., p. 12. C'est nous qui soulignons.

4. Lettres et entretiens, a Cahiers de la Quinzaine », l'Artisan du livre, 1927, p. 64


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il vit dans un milieu clos, et les querelles d'école lui paraissent des montagnes. En 1913 encore, il fera dire à Clio : « La Sorbonne est mon réduit » 1.

Sur les méthodes et la finalité de l'enseignement supérieur, son opinion reste favorable jusqu'en 1901. Avant la lettre, il définit très exactement la fonction de ce que nous appelons aujourd'hui la recherche scientifique. Embrassant d'un seul regard les trois grands laboratoires de l'enseignement supérieur, la Sorbonne, le Collège de France et l'École pratique des Hautes Études, il leur assigne pour mission de s'adresser non plus à des élèves, mais à des adultes : « L'enseignement supérieur ne reçoit aucun commandement, il se commande lui-même ; ou plutôt il n'est commandé que par le réel dont il cherche la connaissance vraie ; il ne tend qu'à la recherche de la vérité dans la philosophie et dans les sciences ; à la limite et rigoureusement, il n'a pas à se préoccuper des élèves. Il ne tend qu'à faire avancer la connaissance que l'humanité peut avoir du réel proposé à son enquête » 2. Pour exemple de cet enseignement hautement spécialisé, tout entier tendu vers l'avancement de la science, Péguy cite le cours du géographe Vidal de la Blache. Une autre allusion, pour être anonyme, n'en est pas moins transparente : le professeur appliqué à « interpréter, le plus exactement que l'on pourra, la philosophie d'Épicure » 3 est certainement le philosophe Victor Brochard.

En 1901 Péguy croit donc que l'Université libérale remplit sa mission. Son opinion va se modifier peu à peu jusqu'à aboutir à un complet renversement.

III. Le temps des ruptures

De 1900 à 1905 Péguy s'arrache difficilement à son passé de socialiste militant. Cette période est assez enchevêtrée. Plusieurs facteurs ont précipité son évolution.

La séparation d'avec Lucien Herr en décembre 1899 est un premier jalon. En même temps qu'il rompait avec lui, Péguy s'éloignait du cercle qui gravitait autour du bibliothécaire de l'École Normale, son ancien professeur Andler, ses condisciples Mario Roques et François Simiand.

En 1904 la rupture avec Jaurès aggrave la cassure entre Péguy et les universitaires socialistes. Depuis deux ans déjà, la politique menée par le ministère Combes contre les Congrégations, la com1

com1 de l'histoire et de l'âme parenne, II, p 197

2. Vraiment vrai (III, 2, 17 octobre 1901), p. 399 Les premières pages de ce cahier comprennent les jugements les plus lucides que Péguy ait portés sur l'enseignement supérieur, notamment sur le bachotage exigé par les concours parmi lesquels il place l'agrégation.

3 Ibid, p. 399.


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plaisance des jauressistes envers l'anticléricalisme avaient irrité son sens de la justice et aiguisé son goût de la liberté. Peu à peu se produit en lui un renversement de valeurs, dont le personnel de l'enseignement supérieur subit le contre-coup.

A ces querelles politiques se joignent des différends idéologiques. En 1902, Durkheim entre à la Sorbonne pour suppléer Ferdinand Buisson 1. Son arrivée à Paris assure le triomphe d'une science nouvelle, la sociologie, dont Péguy estime la place exorbitante. Dans son sillage il voit grandir François Simiand, animateur de L'Année Sociologique, et Marcel Mauss, son contemporain contre lequel il nourrit une antipathie dont on démêle mal les raisons 2. En 1905 il accuse Mauss de faire régner en philosophie la terreur mathématique, d'annuler la qualité — que défend heureusement Bergson — au profit de la quantité 3. La présence de Mauss à l'École des Hautes Études lui fait prendre en grippe cette institution à laquelle il n'épargnera désormais pas ses railleries, non plus qu'à l'histoire des religions que les disciples de Durkheim dépouillent du sens du sacré.

Le ministère Combes enfin porte la responsabilité de la réforme de l'enseignement secondaire élaborée par Georges Leygues. En 1902 le grec cesse d'être obligatoire ; la section moderne, jusque-là sacrifiée, reçoit même honneur et mêmes droits que les sections classiques. A ces modifications doivent bientôt s'adapter les épreuves du concours de l'École Normale. D'où la réforme de 1904 préparée par Lavisse. A partir de 1905, on peut être normalien scientifique sans avoir fait de latin, et normalien littéraire sans grec. Enfin en 1907 la réforme de la licence ès-lettres parachève le système. Les épreuves communes à toutes les licences sont supprimées et chacun peut se spécialiser dès son entrée en Faculté. Le discours latin disparaît de la Sorbonne comme de la rue d'Ulm.

A cette révolution des études, qui mettait fin à un régime presque centenaire, Péguy ne réagit pas immédiatement. Il laisse passer le bouleversement de l'enseignement secondaire. Peut-être son socialisme d'antan lui souffle-t-il que la promotion des modernes est aussi une promotion du peuple. Fait plus surprenant encore : en 1904 il publie dans les Cahiers deux articles d'un professeur lyonnais, Alexis Bertrand, qui vont beaucoup plus avant que la réforme de

1. Buisson est élu député en 1902. Sa chaire, « Sciences de l'Education », sera définitivement attribuée à Durkheim en 1906.

2. Mauss, né en 1872, est l'aîné de Péguy d'un an. En 1903, il a déjà publié ses principaux ouvrages de philosophie religieuse. En 1910 Péguy qui l'appelle Boîte-à-fiches trace de lui un portrait très dur (Voir Victor-Marie Comte Hugo, p. 667). A cette malédiction des sociologues, seul échappa Lévy-Bruhl (nommé à la Sorbonne en 1899). Mais il avait pour lui d'avoir été un maître bienveillant de Péguy à Louis-le-Grand et surtout, comme lui-même le reconnaissait malicieusement, d'être « un abonné », titre d'estime incontestable aux yeux du gérant des Cahiers. Voir E. Gilson, Le Philosophe et la théologie, 1960, p. 35

3 L'Esprit de système, p. 62-63. Cet essai, écrit sans doute en 1905 et resté inédit, a été publié en 1953 (Gallimard).


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Leygues. Bertrand propose de fonder l'enseignement secondaire sur des humanités scientifiques, débarrassées du grec et du latin et couronnées par une année de sociologie. Chemin faisant, il ne ménage pas ses sarcasmes aux études classiques, « anachronisme effronté », « ridicule quiproquo de civilisation » 1. Péguy préface le Cahier, dont il parle en termes élogieux, en profite pour faire l'oraison funèbre de son ancien maître Georges Edet, et ne dit mot du plan d'études.

Ses yeux ne semblent s'être ouverts qu'avec la réforme de l'École Normale. Et son indignation éclate à propos d'une conséquence imprévue de cette réforme : l'éviction de Brunetière. Les emplois permanents de maîtres de conférences à l'École Normale ayant été supprimés, les titulaires en furent reclassés à la Sorbonne. Brunetière fut oublié. On ne lui pardonnait pas d'avoir proclamé la banqueroute de la science et rallié le clan des conservateurs. Restait le Collège de France : à Brunetière fut préféré Abel Lefranc, dont l'anticléricalisme répondait mieux au goût du jour. Péguy en fut profondément choqué. Il n'aimait pas la critique de Brunetière, héritière de celle de Taine. Mais il était sensible par-dessus tout à l'injustice et à l'intolérance 2.

Tempérament couveur, il est l'homme des maturations lentes et des longues rancunes. Il lui aura fallu trois années du ministère Combes et la refonte de l'École Normale pour qu'enfin il découvre et qu'il crie publiquement que la réforme de 1902 est mauvaise, pis que mauvaise, criminelle. Sa protestation éclate dans les Suppliants parallèles, en décembre 1905, et d'entrée de jeu, les retranchements imposés à l'enseignement du grec prennent des proportions apocalyptiques : « Ce que n'avaient pu obtenir les persécutions d'aucuns barbares chrétiens, ni les émeutes sourdement concertées et sournoisement grossières et meurtrières des sales moines grossiers de la Thébaïde, ce que n'avait pas obtenu le temps même, infatigable démolisseur, le passager triomphe de quelques démagogies politiciennes est en train de l'effectuer sous nos yeux » 3. Malandrins,

1. VI, 2, p. 94. Le Cahier s'intitule L'Egalité devant l'instruction et comprend deux articles « La gratuité dans l'enseignement secondaire » , « L'enseignement intégral et les humanités scientifiques ». La seconde partie reproduit la contribution de Bertrand à la grande enquête parlementaire ordonnée par Ribot en 1899 pour éclairer les réformateurs Que Péguy ait exhumé cette réponse vieille de cinq ans est surprenant Plus surprenante encore sa préface intitulée « Pour la rentrée » où l'éloge d'Edet (son professeur à Lakanal et à Sainte-Barbe, chargé au surplus d'une conféience de thème latin à la Sorbonne) se tourne en réquisitoire contre la pédagogie, la sociologie, le scientisme et la méthode historique. L'ensemble du Cahier témoigne de façon exemplaire des contradictions où se meut alors la pensée de Péguy

2. Péguy a raconté deux fois l'injure faite à Brunetière. Une première fois en 1906 dans un essai intitulé précisément Brunetière, resté inédit de son vivant, recueilli dans L'Esprit de système en 1953 Il y fait l'éloge de l'homme mais critique sévèrement son oeuvre littéraire. Il y revient en 1913 dans L'Argent Suite, pour accabler Lavisse et Lanson (II, p. 1123 sq).

3. I, p. 932-933. Cf. Par ce demi-clair matin, Gallimard, 1952, p. 37, et I, p. 1155.


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chacals, détrousseurs de cadavres, telles sont les injures dont sont accablés les « maniaques modernistes et scientistes généralement radicaux, quelques-uns socialistes professionnels »x qui ont osé toucher à la culture gréco-latine. Péguy cependant ne nomme personne. A qui pense-t-il ? Au recteur Louis Liard, au doyen Alfred Croiset, qu'il estime, et qui ont trempé dans le « crime » ? Certainement pas. A Lavisse et à Lanson, qui depuis des années militaient en faveur d'une réforme profonde de l'Université 2 (mais qui n'étaient ni radicaux, ni socialistes) ? Oui, très probablement. Mais en 1905 Péguy ne prononce pas leur nom. Sa passion n'exclut pas la prudence. Il préfère dénoncer une conjuration anonyme et tortueuse plutôt que de se faire des ennemis dans un milieu dont il s'exagère le pouvoir.

Cette attitude ambiguë à l'égard de l'Université caractérise les années 1905-1909. Péguy a déclaré la guerre au « monde moderne » en 1904 dans le Zangwill. Soulignant le rôle joué par Taine et Renan dans la mentalité des nouvelles générations, il les accuse d'avoir ruiné les fondements de toute culture en sacrifiant l'art à la science historique. Maîtres morts depuis plus de dix ans et d'ailleurs étrangers à la Sorbonne, ils pouvaient facilement être mis en cause. Mais leurs héritiers occupent des chaires dans l'Université, se frayent un chemin vers le pouvoir politique. Leurs armes sont l'histoire et la sociologie. Un mythe prend forme en 1906 dans l'esprit de Péguy, celui du « Parti intellectuel », puissance redoutable, qu'il va rendre peu à peu responsable de tous les maux dont souffre la France, et dont il va se faire à lui-même un véritable épouvantail. Les Situations des années 1906-1907 montrent la naissance et les progrès de ce mythe. En octobre 1907, la colère de Péguy gronde contre les jeunes camarades, qui, pour accéder aux chaires de l'enseignement supérieur, ont sacrifié aux nouvelles idoles. Avec une feinte candeur, il tremble pour l'honnêteté républicaine de Lanson et d'Andler, assiégés par les convoitises d'ambitieux aux dents longues. Mais comment ne pas sourire de la naïveté — cette fois réelle — avec laquelle il analyse le mécanisme de la gloire et de la puissance temporelles : « Des hommes qui reçoivent ou ne reçoivent pas, en France, des candidats, nés Français, aux baccalauréats, aux licences, aux agrégations, à l'École Normale, aux bourses, même de voyage, des hommes qui ont reçu licence de faire des docteurs et des norma1.

norma1. p. 934.

2. Dès 1895, Georges Perrot regrette que Lavisse poursuive le discours et le vers latin d'une véritable « haine » (Le Centenaire de l'École Normale, Discours introductif, Hachette, 1895, p. XXXIV). En 1901, Lavisse tient à la Sorbonne une conférence sur a L'Éducation nouvelle », reproduite dans la Revue de Paris et dans la Revue internationale de l'enseignement. La même année, Lanson phône les humanités modernes, c'està-dire scientifiques (Rev. int. de l'ens. 15 j'uin 1901). Sans être socialiste il tient une rubrique dans les premiers numéros de L'Humanité.


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liens exerceront toujours en France une puissance illimitée » 1. En criant haro sur le Parti intellectuel, Péguy ignore les dominations économiques et financières. Se laissant enfermer dans le cercle étroit des relations et des hiérarchies universitaires, il n'échappe pas à l'obsession de la Sorbonne.

Cependant, hors les noms d'Andler et de Lanson, cités d'ailleurs avec un apparent respect, Péguy se garde des attaques personnelles. Il observe même, entre 1908 et 1910, une sorte de trêve. C'est qu'il nourrit des espoirs universitaires. Dans Les Suppliants parallèles, il annonce qu'il prépare depuis plusieurs années une thèse De la situation faite à l'histoire et à la sociologie dans les temps modernes 2. Un an plus tard il en publie la substance dans sa première Situation qui porte exactement ce titre. En juin 1909, il annonce que ses deux thèses pour le doctorat ès-lettres sont en voie d'achèvement 3. Le manuscrit de la principale a été publié en 1955 sous le titre La Thèse. En fait il était intitulé : De la situation faite à l'histoire dans la philosophie générale du monde moderne 4. On imagine mal que cette étrange rédaction, aux lignes inégalement coupées — disposition qui sera celle des Mystères, mais que ne justifie pas ici le mouvement lyrique — et dont le propos était de détruire les méthodes régnant à la Sorbonne, ait pu être destinée à une soutenance de thèse. Quoi qu'il en soit, si Péguy eut l'ingénuité de croire au succès d'une telle entreprise, il garda la tête assez froide pour laisser dormir dans ses tiroirs les phrases cinglantes qu'il avait mûries dans le secret contre les universitaires en vue 5.

A peine ses sujets de thèse déposés en Sorbonne (16 juin), Péguy renonce — sous quelle influence, on ne sait — à en poursuivre la rédaction. Dès juillet 1909, il commence Clio. En septembre, il rédige le premier de ses Mystères. Ses projets littéraires se bousculent. Il abandonne toute ambition universitaire. Du même coup, il reprend sa liberté d'expression contre la Sorbonne. Mais cette fois sa polémique va être plus dure et plus précise parce qu'elle reçoit des encouragements de l'extérieur.

1 De la situation faite au parti intellectuel dans le monde moderne devant les accidents de la gloire temporelle (6 octobre 1907), I, p. 1121 Cf. Un Poète l'a dit, p. 200.

2. I, p. 935.

3. II, p. 13.

4. C'est exactement sous ce titre que le sujet a été déposé à la Sorbonne le 16 juin 1909 Le directeur choisi était Gabriel Séailles

5. Entre 1905 et 1909, les inédits s'attaquent aux professeurs suivants . Gustave Larroumet (Par ce demi-clair matin, p 175 sq ) , Augustin Gazier, « sinistre petit vieillard » (ibid., p. 181) , Louis Havet (ibid, p 171) , Durkheim et Mauss (L'Esprit de système, p. 63 sq ) , Abel Lefranc (ibid , p 197) , Félix Le Dantec, grand homme dans le génie du « bafouillage » (ibid, p 315) , Lavisse, « gros seigneur » de la Sorbonne (Un Poète l'a dit, p. 111) , Charles Andler. ce dernier avec un leste de respect (ibid, p 220 sq ) C'est dans les inédits aussi que l'on découvre des pages très dures contre Romain Rolland (L'Esprit de système, p 133-136) et d'une violence inoure contre Marc Sangnier (Un Poète l'a dit, p 205 sq.). On comprend que Péguy art hésité à les livrer à la publication En revanche, La Thèse, et pour cause, ne contient pas d'attaques personnelles.


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IV. Les grands pamphlets

En 1910 et 1911, les coups pleuvent sur la Sorbonne. Depuis dix ans L'Action française ne la ménageait guère. Mais ce sont les efforts conjugués de Péguy et d'Henri Massis qui en 1910 portent l'accusation devant l'opinion publique. Le 10 juillet, on peut lire dans Notre Jeunesse : « On trouverait difficilement cinquante maîtres de l'enseignement supérieur, et même trente, et même quinze qui se proposent autre chose [...] que d'ossifier, que de momifier la réalité, les réalités qui leur sont imprudemment confiées, que d'ensevelir sous le tombeau des fiches la matière de leur enseignement » 1. Du 23 juillet au 31 décembre, L'Opinion poursuit une enquête sur « L'esprit de la nouvelle Sorbonne ». L'auteur qui signe Agathon, pseudonyme d'Henri Massis et d'Alfred de Tarde, s'inspire visiblement des attaques éparses dans l'oeuvre de Péguy. Comme ce dernier, il dénonce les réformes universitaires, l'abus de la philologie, l'étude exhaustive des sources, la réduction du littéraire au scientifique, l'inflation de l'histoire, enfin l'influence germanique. Mais de plus il donne des noms, signale des articles de Lanson sur les nouvelles méthodes de l'explication française, s'en prend à l'lntroduction des études historiques de Langlois et Seignobos, dénonce les menées de Lavisse et de Ferdinand Brunot contre le grec et le latin. Ce faisant, il fournit à son tour des armes à l'auteur de Victor-Marie Comte Hugo qui, en octobre 1910, accuse la Sorbonne d'être « une maîtresse d'inculture [...], d'erreur et de barbarie » 2, d'avoir anéanti le trésor de la culture classique « pour la satisfaction du délire, de la démence, de la brutalité de quelques despotes » 3. L'attaque reste anonyme, mais le ton monte. Inconscient du péril, Péguy envoie cette charge furieuse à Lavisse lui-même, assortie d'une dédicace très respectueuse 4.

Contre Agathon, les réactions du milieu universitaire furent vives. Lanson prit le parti de la Sorbonne avec éclat aux côtés de Lavisse, d'Alfred Croiset, d'Aulard, de Seignobos. La droite se regroupa en juin 1911 sous la bannière d'une « Ligue de la culture française » à laquelle se rallièrent Péguy et Massis autour de Jean Richepin. Le Comité des forges leur apporta son soutien. A gauche, Ferdinand Brunot créa la « Ligue des amis du français et de la culture mo1.

mo1. Jeunesse, II, p. 529.

2. II, p. 807.

3. Ibid., p. 811. Les pages 806-813 sont à lire, si l'on veut se faire une idée de la frénésie de Péguy à l'égard de la Sorbonne.

4. Voir F. 130, p. 25. Lavisse envoya une carte de remerciement le 16 décembre 1910 (Centre Charles Péguy).


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deme ». Cette nouvelle querelle des anciens et des modernes, aux motivations plus politiques que culturelles, alla jusqu'au Sénat qui décerna un satisfecit à la réforme de 19021.

Lavisse prit sur Péguy une revanche d'une autre sorte. Le 7 juin 1911, l'auteur du Mystère de la Charité s'étant porté candidat au Grand Prix de littérature, l'illustre académicien use de son influence pour que ce prix ne soit pas décerné, ajoutant ce propos aussitôt rapporté à l'intéressé par Barrés : « Péguy ? pétrole et eau bénite, c'est très bien porté » 2. Quoique bénéficiaire du prix Estrade-Delcros, compensation non négligeable, Péguy est ulcéré jusqu'au tréfonds de son être. Le hasard fait qu'en l'espace d'un mois deux autres affronts l'atteignent au visage : un article perfide de François Le Grix dans la Revue hebdomadaire du 17 juin, une note très sévère d'un certain Pons Daumelas dans la Revue critique des livres nouveaux du 15 juillet 1911. Désormais les ponts sont coupés. Confondant tous ses griefs, cédant à la hantise de la persécution, Péguy cloue au pilori ceux qu'il tient pour ses ennemis jurés, il crie les noms qu'il brûlait de livrer depuis tant d'années. D'où trois pamphlets, les plus violents qu'il ait publiés : Un nouveau théologien. Monsieur Laudet (1911), L'Argent et L'Argent Suite (1913). Parmi d'autres, de grands universitaires en sont les victimes : Lavisse, Lanson, Langlois. De ces trois procès ouverts par Péguy devant l'histoire, quelles sont les données ?

Par sa Petite Histoire de France, Lavisse avait développé chez des générations d'écoliers l'amour de la France et le regret des provinces perdues. Péguy en convenait volontiers quand lui-même se croyait pacifiste et internationaliste 3. A Lavisse il reprochait alors son goût de la conciliation et une humeur trop accueillante à l'égard de l'armée et de l'Églisei. Ses opinions se renversèrent en 1904. La réforme de l'École Normale, le départ du directeur Georges Perrot et son remplacement par le chef de file des modernistes, prirent une signification symbolique. Professeur à la Sorbonne, directeur de l'École Normale, de la Revue de Paris, académicien influent, puissant dans les coulisses de la République radicale, Lavisse apparut comme l'âme du « Parti intellectuel ». Mesurant son pouvoir, Péguy

1. Agathon a publié l'enquête de 1910 dans L'Esprit de la nouvelle Sorbonne, Mercure de France, 1911. En documents annexes, il cite deux lettres de Lavisse (21 et 24 août 1910, Journal des Débats), un article de Lanson dans la Revue bleue du 24 décembre 1910, le discours de Croiset à la séance d'ouverture de l'Université (pubhé dans la Revue internationale de l'enseignement le 15 novembre 1910). Vingt ans plus tard. Massis racontera l'histoire de la « Ligue » de Richepin (Évocations, Pion, 1931, ch. vm).

2. Lettres et entretiens, 1927, p. 70. Le mot, qui fit le tour de Paris, a été rapporté sous diverses formes (Cf. D. Halévy, Péguy, 1941, p. 256, R. Rolland, Péguy, 1945, L p. 349 , B. Guyon, Péguy, 1960, p 181).

3. Réponse brève à Jaurès, I, p. 277 (4 juillet 1900).

4. « Le ravage et la réparation », La Revue blanche, 15 novembre 1899 (in Notes politiques et sociales, p. 84-90). Péguy tourne en ridicule un article de Lavisse . e La réconciliation nationale » publié dans la Revue de Pans.


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le ménagea longtemps. En 1911, après l'affaire du Grand Prix, rien ne le retient plus :

le n'endurerai pas qu'un Lavisse, tout gonflé de rentes et de pensions et de traitements et d'Honneurs, (au pluriel, au pluriel), tout entripaillé de prébendes pour avoir semé autour de lui les désastres dans la République et dans l'Université, je n'endurerai pas qu'un Lavisse, quand même il serait de vingt Académies, vienne impunément faire des facéties et des grossièretés, fussent-elles normaliennes, sur la carrière de peines et de soucis, de travail et de détresse de toutes sortes que nous fournissons depuis vingt ans [...] Que ce gras fossoyeur porte sa main papale sur quelque cadavre moins récalcitrant. Qu'il continue seulement d'enterrer l'École Normale 1.

En 1913, l'accusation se fait plus grave. On vient de fêter le cinquantenaire de l'entrée de Lavisse à l'École Normale. Cette cérémonie met Péguy hors de lui. Hanté au surplus par la guerre qui vient, il n'hésite pas à ranger l'historien de la grandeur française dans le camp des antimiHtaristes. Sans aucune preuve, sinon cette allégation hasardeuse : Lavisse, directeur de « la Nouvelle École Normale », laisse les mains libres à Lucien Herr qui, lui, est antimilitariste et entretient, rue d'Ulm, « un foyer du parti allemand » 2. Il y a plus. Une pétition avait circulé parmi les universitaires contre la loi de trois ans. Lavisse avait refusé d'y souscrire. Il avait même, dans une interview donnée au Temps, dissuadé ses collègues de la signer. Péguy le sait, mais peu importe. Selon lui Lavisse n'est que duplicité. « De la fourberie de M. Lavisse », tel est le thème principal de L'Argent Suite. Fourbe, parce qu'il a partie liée avec Herr, qui est aux ordres de Jaurès. Donc Lavisse aussi est aux ordres de Jaurès. Et s'il n'a pas signé la pétition, il en est « l'endosseur », « l'auteur au deuxième degré », le « responsable devant le public » 3. On ne peut mieux dénaturer la vérité.

Il n'appartient pas à notre propos de nous prononcer sur le caractère de Lavisse. Un fait cependant est certain : aucune des injures de Péguy, « renégat », « bourreau », « fossoyeur » de l'Université et de la nation françaises, « vendu » au parti allemand, n'est étayé par l'ombre d'une vraisemblance. Si Lavisse ne lui avait pas refusé le Grand Prix, il ne l'aurait pas fait comparaître au tribunal de la patrie en danger. Quand les événements tragiques de 1914 eurent fondu les amertumes et les rancoeurs dans un grand élan de réconciliation nationale, Lavisse n'en voulut pas à l'enfant terrible de l'École Normale, tombé l'un des premiers. A la fin de 1914, l'Association des anciens élèves ne pouvant attribuer un secours à la veuve de Péguy, démissionnaire de l'Amicale depuis 1904, les

1. Un nouveau théologien, M. Laudet, II, p. 933-934. La dernière métaphore perd de sa virulence, si l'on sait qu'en 1904 les Normaliens montèrent une cérémonie canularesque sur l'enterrement de l'École Normale.

2. L'Argent Suite, H, p. 1152. Cf. p. 1145-1153.

3. Ibid., p. 1161. Cf. p. 1209-1217.


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trois permanents de l'École, Lavisse, Paul Dupuy, Lucien Herr, se cotisèrent, malgré l'opposition du secrétaire, pour inscrire Péguy comme souscripteur perpétuel, ce qui permit l'octroi du secours 1.

Lanson n'avait part à aucun des honneurs dont était entouré Lavisse. Par quoi fut-il désigné à la vindicte de l'auteur de L'Argent ? Suffisait-il d'un dissentiment idéologique sur la nature de l'explication française pour que Péguy lui reprochât son aigreur, sa « méchanceté professorale » 2 ? Il faut remonter jusqu'en 1897 pour retrouver — peut-être — l'origine de cette animosité. Péguy avait remis à Lanson un « définitif » sur Alfred de Vigny. Il y maltraitait fort l'auteur des Destinées. Lanson lui rendit la pareille. Devant toute la classe, d'un ton calme et uniforme, il aligna les critiques acérées et pénétrantes. Hubert Bourgin a raconté la scène quarante ans plus tard : Péguy « écoutait les dents serrées, et une rougeur cramoisie envahissait sa face osseuse et son grand front » 3. La blessure fut-elle profonde ? Il n'a jamais reparlé de cet incident. Lanson avait été son professeur, il comptait sur son appui. En 1911 seulement, sa rancune éclate brusquement à propos d'un de ses anciens condisciples, Gustave Rudler, qui s'est poussé dans le sillage de Lanson et se voit chargé d'un cours sur Victor Hugo à l'École Normale 4. Cette promotion fait déborder une amertume longtemps contenue. Désormais son ancien maître n'est plus que « M. Lanson tel qu'on le loue » 5. En 1913 de nouvelles flatteries du même Rudler réveillent sa veine polémique. Avec un brillant humour, il retrace les « longues et ponctuelles et sérieuses leçons » sur Yhistoire du théâtre français qu'il entendit jadis à l'École. « Qui n'a pas connu la douceur de M. Lanson ignore ce que c'est que du vinaigre sucré ; et du fiel en confiture. J'ai encore dans l'oreille la douceur avec laquelle M. Lanson commença de parler de Corneille ; essaya de parler de Corneille » 6. La leçon sur Corneille s'achève sur la déroute de Lanson terrassé par le vieux Normand. La page est un chef-d'oeuvre de satire et l'une des meilleures caricatures qu'on ait jamais faites des abus de l'histoire littéraire. Elle serait réjouissante si Péguy s'était contenté de décrier le professeur sans toucher à l'homme. Mais elle est encadrée par deux attaques cruelles, l'une sur la dernière classe de Lanson au lycée : « Il avait cette tare qui est pour moi inexpiable [...] : il n'aimait pas ses élèves. Il était déjà

1. L'histoire est racontée par Paul Dupuy dans le Bulletin de la Société des Amis de l'Ecole Noimale Supéneuie de décembre 1932 (in Paul Dupuy, Biodard et Taupin, 1959).

2. L'Argent Suite, H, p 1138 Cf Dialogue de l'histoire et de l'âme parenne : « Comme un vulgaire Lanson, on en devenait aigre » (II, p 301).

3. De Jaurès à Léon Blum L'École Normale et la politique, Fayard, 1938, p 257.

4. Laudet, n, p. 938.

5. Ce sera l'un des sous-titres de L'Argent Suite. Autre sous-titre « Vies parallèles de M. Lanson et de M. Andler ».

6 L'Argent Suite, II, p. 1122


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cet ambitieux aigre, inquiet, doucereux » * ; la seconde sur la « turpitude » et la « vilenie » 2 de l'homme qui, en 1904, a renié Brunetière. Péguy, on le voit, n'a pas la mémoire courte. Lanson sera plus oublieux quand il saluera chez son ancien élève « les dons les plus rares de l'écrivain et du poète » et « la bonté foncière [d'un] tempérament tourmenté » 3.

La troisième victime de Péguy a été immortalisée par ce soustitre de L'Argent, parodie d'une comédie de Tristan Bernard, Langlois tel qu'on le parle. Péguy ne l'a découvert pour ennemi qu'en 1913. Depuis deux ans il cherchait l'identité de ce Pons Daumelas qui l'avait éreinté dans la Revue critique des livres nouveaux, n'ayant pu jusque-là se mettre sous la dent que Rudler, le directeur de la revue. Et tout à coup il le tient : Daumelas, c'est Charles-Victor Langlois, l'auteur, avec Seignobos, de cette Introduction aux études historiques, dont Massis, et lui-même dans Clio II, avaient dénoncé l'obsession méthodologique, au surplus thuriféraire de Lavisse, pour qui, en 1913, il avait organisé la cérémonie du cinquantenaire. Que de griefs pour échauffer la bile d'un auteur malchanceux ! D'autant plus que Langlois, couvert par son pseudonyme, ne l'a pas épargné : tempérament geignard, roublard, demi-culture, esprit primaire, pur bafouillage, puérilités bonnes pour les psychiatres, telles sont les gentillesses dont il écorche l'auteur des OEuvres choisies qu'un rien suffit à blesser 4. Aussi quelle revanche ! Depuis des années Péguy répète que les historiens n'atteignent jamais la réalité du passé. Une fois Langlois livré à sa verve furieuse, il exulte : comment un historien formé aux méthodes scientifiques peut-il parler de lui, Péguy, sans avoir épuisé la documentation et la littérature qui concernent l'écrivain Péguy ? Il renvoie rudement le critique amateur à ses travaux d'archiviste. Élevant le débat, il renvoie aussi le positiviste aux réalités spirituelles et mystiques. Un élève de Langlois, E.-Ch. Babut (encore un ancien condisciple de l'École Normale) vient de passer au crible de la méthode historique la légende de saint Martin. Voilà bien la bassesse propre au monde moderne, s'écrie Péguy. Langlois et Babut, par leur révision systématique des procès d'héroïsme et de sainteté, travaillent toujours dans le même sens : contre la grandeur, le prix, la valeur, contre le sacré. « Ce qu'ils veulent, c'est que nous perdions toujours » 5.

Plusieurs faits frappent en conclusion :

1. Ibid., p. 1119.

2. Ibid, p. 1123. R est également reproché à Lanson de pondre « des crottes de bique » dans le feuilleton littéraire du Matin (p. 1130). Gageons que cette rubrique n'avait fait aucune place aux oeuvres de Péguy.

3. Histoire de la littérature française, Hachette, 1938, p. 1140-1141.

4. L'article de Langlois est reproduit intégralement dans L'Argent (II, p. 1088-1090).

5. Ibid., p. 1140.


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Le vieillard aigri que rencontra Péguy quand il « vint en Sorbonne » n'a pas existé. Lavisse (soixante et onze ans en 1913) ne fut pas son professeur, et Lanson « aigre et doucereux » n'avait en 1897 que quarante ans. Langlois (trente-cinq ans en 1898) vivait à l'écart des Cahiers et de leur directeur 1. Le portrait du maître de Sorbonne tracé dans L'Argent résulte d'une contamination des époques, des âges et des caractères. Il n'a pas de valeur historique.

Les rancunes personnelles ont joué un grand rôle dans les jugements de Péguy. Une petite phrase de Lavisse le bouleverse pour des années. De Seignobos et de Langlois, tous deux co-auteurs ,de YIntroduction aux études historiques, le premier, dreyfusiste notoire, n'est que sermonné 2. Le second est accusé de pécher contre l'humanité parce qu'il n'a pas trouvé les OEuvres choisies à son goût. De Lanson et de Brunot, tous deux défenseurs de la culture française, le premier est harcelé de traits mordants, tandis que le second n'est qu'égratigné. La rancoeur de Péguy — l'oublié, le délaissé, ou qui se croit tel — est d'autre part accrue par la présence d'anciens camarades auprès des maîtres de l'heure : un Simiand et un Mauss autour de Durkheim, un Rudler auprès de Lanson, un Babut dans la suite de Langlois.

Enfin l'appellation de « Parti intellectuel » est à bien des égards discutable. Sans doute l'avant-guerre est-elle le règne de la République radicale. On compte des pacifistes et des anticléricaux parmi les universitaires. Mais pas Lavisse qui se réconciliera bientôt avec l'Église. Pas Lanson, dont le patriotisme vigilant est connu de tous. En regroupant en un même front Lavisse et Herr, les socialistes pacifistes et les universitaires libéraux, Péguy pratique ce que l'on appelle l'amalgame, si fréquent dans les périodes de péril national, l'amalgame des hommes d'humeur et de griefs qui recomposent l'histoire à leur propre usage. Que l'on compare d'ailleurs son témoignage aux souvenirs de ses contemporains, choisis parmi les moins indulgents à l'égard des opinions de gauche. Pour Louis Bertrand, Lucien Herr est un modèle de bonté et de désintéressement qui a laissé dans sa mémoire une image ineffaçable 3. Hubert Bourgin, si sévère pour tous les universitaires de l'avant-guerre, admire en Lanson la chaleur de l'intelligence et la fermeté du caractère 4. Etienne Gilson, passé du petit séminaire à la Sorbonne en 1904, se sent aussi à l'aise dans l'une que dans l'autre : loin de croire que l'Université est l'ennemie de l'Église, il accuse les partis d'avoir inventé « ces pseudo-rivalités » 5. Notons enfin qu'en 1910 Boutroux

1. Jules Isaac estimait la personne de Langlois glaciale. Mais il défendait sa méthode (Expénences de ma vie, p 259 sq.)

2. L'Argent Suite, H, p 1172-1175.

3. Hippolyte porte-couronnes, Fayard, 1932, p. 217.

4. Op. cit., p. 44-47.

5. Frédéric Lefèvre, Une heure avec... 3e série, Gallimard, 1925. Trente-cinq ans plus tard, Gilson s'inscrit encore en faux contre les a surprenantes » allégations de Péguy (Le Philosophe et la théologie, Fayard, 1960, p. 28 sq.)


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et Brunschvicg occupent les chaires de philosophie à la Faculté des Lettres. Et c'est l'année que choisit Péguy pour dénoncer une Sorbonne tombée dans « la scholastique du matérialisme » 1. Vingt ans plus tard, Paul Nizan verra dans les mêmes hommes « les chiens de garde » de la bourgeoisie bien-pensante 2. Chacun regarde la réalité avec des lunettes diversement colorées.

Qu'il soit donc bien entendu que Péguy est partial, injuste, voire vindicatif. A son actif cependant il faut relever cette force d'intuition qui, dans les questions de personne, lui faisait percevoir la divergence des choix essentiels. Maritain disait de lui : « Il voyait toujours une idée dans un homme » 3. Passons pour Lavisse de qui personne n'attendait des clartés métaphysiques, Péguy tout le premier 4. Mais, dans les méthodes de Lanson, de Langlois, il a discerné, quitte à en forcer les traits, un système de pensée qu'il refusait de toutes ses forces : en littérature, la méthode qui consiste à réduire le jaillissement du génie au documentaire, à l'historique, en un mot au banal ; en histoire, et cela bien avant qu'il eût reconnu en Langlois un ennemi personnel, le goût du détail, la documentation poursuivie jusqu'à l'épuisement de la réalité, recherche toujours insatisfaite et qui, à la limite, paralyse le chercheur. Dans les deux cas, il a revendiqué le droit d'atteindre par une saisie directe la beauté et le passé, endettés par le travail du critique historien, ou de l'historien critique. Sa caricature a été sans nuances, mais toute caricature est un miroir grossissant.

Sa « contestation » plonge ses racines plus loin encore, dans le besoin, lié à l'enfance, d'une consécration de l'oeuvre sortie de ses mains. Il s'était fait de l'Université une idée « religieuse » au sens large du mot. Or la Sorbonne ne répondait pas à l'exigence du sacré qui l'habitait. Non seulement les méthodes positives éliminaient les valeurs spirituelles, doucement et sûrement, des critères du jugement littéraire. Mais, en dépit de ses agressions verbales, il avait un sens profond du respect. Sentiment à double face : en échange de la révérence qu'il offrait à l'Université, il attendait de sa part un acte de reconnaissance. Il a parlé en termes fervents des beaux noms de disciple et de maître. De l'un à l'autre, il concevait une Maison qui s'apparentait à la piété, un double mouvement descendant et ascendant de bienveillance et de gratitude 5. Mais tandis que les enseignements primaire et secondaire — embellis par la mémoire d'un homme de quarante ans — lui avaient rendu en estime et affection son travail consciencieux de chaque jour, les

1. Victor-Marie, Comte Hugo, H, p. 807.

2. Les Chiens de garde, Rieder, 1932.

3. Phrase rapportée par Emmanuel Moumer (F. n° 84).

4. Un Poète l'a dit, p. 109 : « Le simple rapprochement de ces deux mots, la métaphysique de M. Lavisse [...] apporte inévitablement le rire ».

5. L'Argent, II, p. 1077.

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grands universitaires dont il espérait, une fois adulte, l'attention et l'encouragement, rompaient le pacte tacite. Ils lui manquaient. La copie du directeur des Cahiers de la Quinzaine était refusée, pis que cela, persiflée. Écolier « vieilli » x comme il s'appelle parfois avec humour, il s'est senti rejeté hors du monde rassurant, «nid rectangulaire » et doux 2, où il avait reçu la promesse qu'un bon travailleur est toujours récompensé. Face à la Sorbonne, Péguy a donc été à la fois un écolier déçu et un fidèle excommunié. Il en a voulu aux nouveaux maîtres de ne pas ressusciter le paradis des valeurs enfantines dont il ressentait une nostalgie mêlée de frustration. Sa désillusion n'a cependant pas détruit le lien de chair qui l'attachait à la « vieille mère ». La Boutique et la Sorbonne restaient dans sa vie indissolublement liées. Sur le chemin de Chartres, il les a associées comme les deux faces de son destin quotidien :

Nous avons pour trois jours quitté notre boutique [...] Et la maigre Sorbonne et ses pauvres petits 3.

SIMONE FRAISSE.

1. Les Suppliants parallèles, I, p. 887.

2. L'Argent, H, p. 1046.

3. Présentation de la Beauce à Notie-Dame de Chartres, strophe 23.


POÉSIE ET MYSTIQUE DANS L'OEUVRE D'HENRI BREMOND

Que sait-on aujourd'hui de l'abbé Bremond ? Il est, bien sûr, d'un grand intérêt pour les historiens de l'Église, car il a joué un rôle de grande portée lors de la crise moderniste ; on peut encore remarquer que l'étude de cet aspect de son oeuvre, de son influence et de ses amitiés ne cesse de se développer de nos jours 1. Mais en est-il de même de Bremond homme de lettres ? Ceux qui enseignent la littérature française ont eu probablement l'occasion un jour, en préparant un cours sur Pascal ou sur Fénelon, de consulter cette immense Histoire littéraire du sentiment religieux en France qui fut l'oeuvre maîtresse de Bremond, l'oeuvre de sa vie. Deux ouvrages récents de M. Clément Moisan, destinés à faire sortir Bremond de son « purgatoire littéraire », ont d'ailleurs révélé un fin critique psychologique et un théoricien de la poésie pure plus subtil qu'on ne l'avait cru 2. Mais si l'on accorde à Bremond une importance littéraire quelconque, n'est-ce pas somme toute une importance plutôt historique que littéraire au sens propre ? Le débat sur la poésie pure a connu, à un moment donné, une certaine notoriété, et l'on en prend note ; mais tout cela ne nous semble-t-il pas, aujourd'hui, tant soit peu périmé ?

Il est vrai, et nous voulons bien l'admettre, que l'importance « littéraire » de Bremond vient surtout du rôle qu'il a joué dans la querelle dite de la poésie pure. En tant que membre de l'Académie, il avait osé parler, devant cet auditoire assez « réactionnaire » que

1. Voir Henry Hogarth, Henri Bremond, the hfe and -work of a devout humanist, Londres, S P.C.K., 1950 ; Alastarr Guinan, Portrait of a Devout Humanist : M. l'abbé Henri Bremond, Harvard Theological Review, t. XLVII, n° 1, janvier 1954 ; R. Marié. Au coeur de la crise moderniste, Paris, Aubier, 1960 ; André Blanchet, Histoire d'une mise à l'Index, Aubier, 1967 ; Jean Dagens et Maurice Nédoncelle, Entretiens sur Henri Bremond, Mouton, 1967. Voir aussi Loisy, George Tyrell et Henri Bremond, Pans, Emile Nourry, 1936.

2. Clément Moisan, Les Débuts de critique littéraire d'Henri Bremond, Paris, Archives des Lettres modernes, n° 82, 1967; Henri Bremond et la poésie pure, Paris, Minard, 1967.


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fut la génération d'académiciens de 1925, de la différence essentielle qu'il y avait entre Poésie et Raison. C'est ainsi qu'il avait pu assurer à son ami Valéry un siège sous la Coupole — geste qui devait inspirer à Cocteau ce mot délicieux : « L'abbé Bremond, c'est le curé d'Art ! » 1.

S'il y a, aujourd'hui encore, des historiens et des théoriciens de la littérature pour accuser Bremond de lèse-Intelligence 2, il reste que la plupart des critiques sérieux (Thibaudet a été l'un des premiers) 3 lui donnent la place qui lui revient à côté des autres partisans de « Belphégor » dans cette lutte qui a fini par reléguer la coalition Minerve-Maurras-Souday au rang des contre-courants. Car, tout compte fait, ce sont les apôtres de l' « intuition » et non pas ceux de la « froide » Raison qui ont vu juste puisque, dans l'entre-deux-guerres, ils ont applaudi à la naissance de ces mêmes oeuvres poétiques qui figurent aujourd'hui parmi les plus belles que l'on connaisse.

Mais ce n'est pas là le reproche le plus sérieux que formulent aujourd'hui les critiques de Bremond. Passe encore pour son intuitionnisme ; ce qu'ils ne lui pardonnent pas, c'est son mysticisme 4. Pour eux, La Poésie pure n'est insupportable que par endroits — on pense notamment aux dernières paroles de son discours à l'Académie, où Bremond avait déclaré que les arts aspirent à rejoindre la prière — mais vouloir consacrer tout un livre à la tentative d'assimiler Prière et Poésie, voilà qui sent la mystification, sinon le cléricalisme littéraire !

Nous voudrions essayer dans cet article, pour faire pendant à ces dernières critiques, de revenir aux écrits de Bremond, afin de remonter à la source même du problème, en recherchant la signification et les limites du rapprochement qu'il établit entre l'inspiration poétique et l'inspiration mystique. Nous dégagerons mieux ainsi l'importance littéraire qu'une critique moins superficielle pourrait lui accorder à l'avenir.

Force nous est d'admettre que, sur cette question, il a généralement été mal compris par ses lecteurs. Malgré son affirmation qu' « un abîme de différences » sépare l'activité des mystiques de celle des poètes 5, plusieurs (disons même la majorité) de ses interprètes ont

1. Voir Maurice Martin du Gard, Les Mémorables (1924-1930), 2e volume, Paris, Flammarion, 1960, p. 184.

2 Citons, par exemple, M. Francis Scarfe : « As for the term pur, Valéry was usmg it in a chemical sensé, and not as a mystic notion as the Abbé Bremond thought . The idea of « pure poetry » does not imply the abandonment of reason » (The Art of Paul Valéry, Londres, Hernemann, 1954, p 63-64) Cf. Henri Bonnet, Roman et Poésie : essai sur l'esthétique des genres, Paris, Nizet, 1951, p 155

3 Voir A. Thibaudet, « Poésie », dans, N.R.F., 1er janvier 1926, p. 111. Cf. Thibaudet, « Henri Bremond », dans N.R F, octobre 1933, p 566

4. Voir, par exemple, Geoffrey Biereton, An Intioduction to the Fiencli Poets, Londres, Methuen, 1960, p 68 Cf Michel Carrouges, La Mystique du surhomme, Pans Gallimard, 1948, p. 395

5. Prière et Poésie, Paris, Grasset, 1926, p. 87.


H. BREMOND : POESIE ET MYSTIQUE 437

cru qu'il avait identifié les deux activités. Citons, par exemple, René Lalou, selon qui « Bremond, jouant en moraliste sur le terme de « poésie pure », s'efforçait subtilement de l'identifier avec l'oraison mystique » 1. Maurice Martin du Gard, quoiqu'il ait bien compris, de façon générale, la doctrine poétique de Bremond, ne laisse pas d'en donner une fausse interprétation lorsqu'il écrit que celui-ci tentait «d'identifier [...] l'expérience mystique et l'expérience poétique » 2. Pour montrer comment Bremond, au contraire, rapproche poésie et mystique sans les identifier, il n'est pas inutile de revenir à quelques définitions.

D'abord, il nous faut bien reconnaître que Bremond n'a pas toujours distingué aussi soigneusement qu'on l'eût souhaité entre les différents sens qu'il donnait au terme mystique. Dans le premier volume de l'Histoire littéraire, nous pouvons discerner un premier sens. Pour les humanistes de la Renaissance, dit Bremond, « la " science nouvelle " est sainte et dans son objet et dans ses méthodes. A qui ne l'aborde pas d'un coeur et d'un esprit mystiques, elle refuse ses plus beaux secrets » 3. Le terme de « mystique » est donc employé ici pour désigner un plan qui dépasse le niveau de la raison raisonnante. « Nous entendons ici par mysticisme » (le mot ici est capital) « cette disposition naturelle qui porte certaines âmes à saisir directement, amoureusement, par une sorte d'étreinte soudaine, le spirituel caché sous les apparences sensibles » 4. C'est ainsi qu'il peut dire des humanistes que « leur métaphysique est d'ordre mystique, et donne aux idées pures la solidité et la chaleur de la vie » 5. Les mots « d'ordre mystique » sont significatifs : ils nous suggèrent que Bremond pense à un « ordre du coeur » différent de F « ordre de l'esprit », et à l'intérieur duquel se situeraient, avec les expériences mystiques comprises stricto sensu, d'autres expériences « mystiques » dont la sphère resterait toute naturelle. Selon cette première acception du mot, il n'y aurait « personne à qui toute espèce d'expérience mystique soit absolument impossible » 6. Mais il précise plus tard que cette attitude humaniste où (comme l'avait dit le P. de Grandmaison) « l'effort pour comprendre se desserre », où « l'âme se complaît simplement dans le beau qu'on devine » 7, se distingue de la mystique au sens plus étroit et plus correct qu'il donne ailleurs à ce terme. Au sujet de ces expériences qui dépassent

1. R. Lalou, Les Etapes de la poésie française, Paris, P.U.F. (collection n Que sais-je ? »), 1947, p. 116. Cf. Albert Autin, qui parle de la « prétention de Bremond d'identifier poésie et prière » (Henri Bremond, Paris, Lethielleux, 1946, p. 75).

2. M. Martin du Gard, Henri Bremond, Paris, Kra, 1927, p. 183.

3. Histoire littéraire du sentiment religieux, Paris, Bloud et Gay, t. I, 1916, p. 517.

4. Loc. cit.

5. Ibid., p. 520.

6. Ibid., p. 519.

7. R. P. Léonce de Grandmaison, « La Religion personnelle. —■ IV. L'Élan mystique » dans Les Etudes, t. 135, 5 mai 1913, p. 314. Cité par Bremond, Histoire littéraire, t. I, p. 518.


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l'activité de la simple raison, le P. de Grandmaison avait écrit : « Tels sont les états naturels, profanes, où l'on peut déchiffrer les grandes lignes, reconnaître l'image et déjà l'ébauche des états mystiques » 1. Bremond, qui cite cette phrase deux fois dans un passage de son Histoire littéraire, la complète la première fois en y ajoutant les mots : « proprement dits », et la précise davantage la deuxième fois par l'addition de : « au sens pur et céleste de ce dernier mot » 2. Ce qui est pour Grandmaison la mystique tout court est pour Bremond la mystique « proprement dite » par opposition à une mystique au sens large. Le double emploi du terme « mystique » expliquerait donc la confusion créée dans l'esprit de certains lecteurs ; mais une lecture attentive des écrits de Bremond nous montre qu'il distingue de façon générale entre les « états mystiques profanes » et les « états mystiques proprement dits ».

L'usage que fait Bremond du mot « prière » est aussi à l'origine d'une autre confusion. Ici encore, nous devons admettre que le malentendu est, en partie, sinon entièrement, de la faute de Bremond lui-même : l'affirmation que « tous les arts aspirent à rejoindre la prière » et le titre Prière et Poésie pourraient nous faire croire qu'il parle de l'oraison qui consiste en la répétition de paroles adressées à Dieu ou aux saints. Ainsi H.-W. Garrod écrit-il :

O rny love's like a red, red rose

That's newly sprung in June :

O my love's like the mélodie

That's sweetly played in tune ! Is that like prayer ? or is there any sense in saying that it is ? Is it more plausible to call it prayer than to call it music ? To which side run all the analogies ? 3

La même difficulté a frappé Maurice Martin du Gard, qui demande : « Prière est-ce bien le mot qu'il faut lire ? Ne vaudrait-il pas mieux trouver à sa place : état d'oraison ou état mystique ? M. Bremond semble être ici le prisonnier du dernier mot de son mémoire à l'Académie, plus familier, c'est évident, moins inquiétant sans doute, plus commode enfin » 4. Bien entendu, Bremond distingue entre l'action volontaire de la prière « ordinaire » qui peut n'occuper que nos

1. Loc. cit.

2. Ibid, p 519, p. 521 Cette citation se retrouve également, suivie des mots « proment dits », dans Bremond, Pour le romantisme, Paris, Bloud et Gay, 1923, p 207, et dans Prière et Poésie, p. 93

3. Cela ressemble-t-il à la prière ? Affirmer que oui, cela a-t-il un sens ? Est-il plus logique d'appeler cela « prière » que de l'appeler « musique » ? De quel côté tendent toutes les analogies ? (H -W. Garrod, The Profession of Poetry, Oxford, Clarendon Press, 1929, p. 39). Cf. Fiançois Porche . « [.. ] Il n'est pas de « prière » plus « pnère » que le Pater, et [ . ], si l'on admet la conclusion de l'abbé Bremond, il n'est donc pas de prière dans laquelle il soit possible de trouver une plus grande somme de « poésie » au sens tianscendantal du mot. » (Paul Valéiy et la poésie pure, Pans, Marcelle Lesage, 1926, p. 12-13).

4. M. Martin du Gard, Henri Bremond, p. 210.


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facultés de surface, et l'expérience mystique à laquelle la prière peut amener (et qui devrait, en effet, être l'aboutissement de toute prière). Mais l'expérience mystique est par là même une sorte d'oraison supérieure, à laquelle nous ne pouvons certainement pas refuser le nom de « prière ». Bremond illustre ici ses réflexions par cette affirmation du P. Poulain, qui disait que la vraie différence entre les états mystiques et les recueillements de l'oraison ordinaire est que, dans l'état mystique, « Dieu ne se contente plus de nous aider à PENSER à lui, et à nous SOUVENIR de sa présence », mais qu'il nous donne de cette présence « une connaissance expérimentale » 1. Une lecture tant soit peu attentive des écrits de Bremond nous permet donc de dissiper la confusion que produit un emploi de termes plutôt vagues.

Nous sommes maintenant en mesure de considérer les rapports que découvre Bremond entre la poésie et la mystique. Pourquoi, au fond, rapprocher ces deux activités ? C'est que, pour Bremond, le même « mécanisme psychologique » est mis en branle dans l'expérience du poète et dans celle du mystique. Il n'est évidemment pas question d'identification : au contraire, c'est précisément parce que l'une de ces activités dépasse l'autre en richesse qu'il est instructif de les rapprocher. II s'agit donc pour Bremond de demander à ces témoignages introspectifs que sont les écrits des mystiques, quelques lueurs sur le mécanisme de l'inspiration. Car ce mécanisme, les mystiques l'ont décrit avec une pénétration et un détail que nous ne retrouvons pas chez les poètes. Bremond résume dans le passage suivant la signification de sa comparaison entre les deux activités :

[...] D'une part l'expérience poétique et l'expérienee mystique appartiennent par leur mécanisme psychologique au même ordre de connaissance — une connaissance réelle, non immédiatement conceptuelle, unitive [...] — et, [...] d'autre part, l'expérience mystique est le plus haut degré, le suprême développement ici-bas de toute connaissance réelle : la plus parfaite de ces connaissances, non seulement, ce qui va de soi, par le caractère surnatuiel que tous les croyants doivent lui reconnaître, et qui assure sa transcendance, mais encore parce que seule elle met en mouvement tout le mécanisme psychologique, tous les ressorts de la connaissance réelle 2.

La supériorité de l'expérience mystique par rapport à l'expérience poétique est donc assurée en raison de deux facteurs : celui du plan où elle s'opère, qui est le plan surnaturel, et celui de sa méthode d'opération, qui est l'emploi de tous les éléments de la « connaissance réelle », terme emprunté au vocabulaire de ces intuition1.

intuition1. P. Poulain, Les Grâces d'oraison, Paris, Beauchesne, 11e édition, 1931, p 70. Voir Bremond, Prière et Poésie, p. 143.

2. Prière et Poésie, p. 207-208. La « psychologie » de Bremond est évidemment un peu élémentaire, étant fondée sur l'introspection traditionnelle, elle n'a pratiquement nen à voir avec la science empirique qu'on appelle proprement psychologie.


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nistes (Newman, Blondel, Laberthonnière) qui furent les maîtres philosophiques de Bremond 1.

La connaissance poétique est donc conçue comme une perception directe et immédiate qui dépasse le stade des idées, des images, des sentiments : elle « atteint des réalités, unit le poète à des réalités. Non pas directement à la réalité souveraine, Dieu lui-même — cela c'est le privilège exclusif de la connaissance mystique — mais à tout le réel créé et sous le réel créé, indirectement à Dieu lui-même » 2. A l'intérieur de l'ordre des « connaissances réelles », il y aurait donc une hiérarchie ; ces connaissances prennent des formes diverses selon que la saisie du réel est plus ou moins vive :

Au plus sublime degré, les états proprement mystiques , puis les hauts états poétiques ; puis les états poétiques inférieurs, entendant par là les expériences, soit des mille et mille poètes qui n'arrivent pas à s'exprimer, soit des mille et mille lecteurs qui ne se bornent pas à « comprendre » les poètes ; enfin les connaissances réelles qui sont à la portée de tout le monde, où la saisie du îéel est si molle, si évanescente que rien ne trahit le passage du courant 3.

Dans cette hiérarchie, pourtant, il y a une coupure nette entre le premier élément et les autres. La connaissance réelle tend par sa nature à nous mettre sur le chemin de la connaissance mystique, mais elle ne rejoint pas celle-ci. Bremond aurait sans doute évité bon nombre de malentendus chez ses lecteurs en insistant un peu plus longuement sur ce fait important, pour montrer qu'on peut bien l'admettre tout en restant persuadé que « les arts aspirent à rejoindre la prière ». En effet, il renvoie au bas de la page son explication de ce paradoxe. Il cite quelques paroles de Dom C. Aubourg : « La poésie n'est pas la prière ; la poésie n'aboutit pas de sa nature à la piété » 4, et les commente ainsi :

C'est tellement évident que je n'imaginai même pas qu'on pût me soupçonner de le mettre en doute. De sa nature, c'est-à-dire aussi longtemps qu'elle reste poésie, elle ne saurait aboutir à la prière. M'appropriant, en la corrigeant, une phrase fameuse de Pater [que les arts tendent à rejoindre la musique], j'ai dit simplement que la poésie tend de sa nature à rejoindre, non pas la musique, mais la prière. Puisque son essence est de tendre à rejoindre la prière, il va de soi, en bonne métaphysique, que la poésie, dès qu'elle deviendrait prière, ne serait plus poésie. « Tendre à rejoindre la prière », qu'est-ce à dire ? Eh ! tout simplement que, dans l'expérience poétique, se trouve mis en mouvement le même mécanisme psychologique que celui dont la grâce se sert pour nous élever à la prière 5.

Si la poésie tend vers la prière sans jamais la rejoindre, c'est non seulement, comme nous venons de le voir, parce que toute prière

1. Voir M. Martin du Gard, Henri Bremond, Pans, Kia, 1927, A. Austin, Henri Bremond, p. 24-25.

2. Prière et Poésie, p. 148.

3. Ibid, p. 167-168.

4. Dom G. Aubourg, « Le Mystère de saint Benoît », dans La Vie spintuelle, t. XIV, septembre 1926, p. 556, note.

5. Prière et Poésie, p. 89, note.


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véritable est un don surnaturel, mais aussi à cause des différentes façons chez le poète et chez le mystique de déclencher le mécanisme psychologique qui leur est commun. Le poète est pressé de s'exprimer : en tant que poète, selon Bremond, il ne peut pas ne pas parler ; mais la hâte même qu'il a d'exploiter son expérience et de nous la transmettre fait que sa possession du réel est plus superficielle que celle du mystique ; « moins solide, ajoute Bremond, moins unifiante » 1. Le besoin de trouver des expressions qui puissent communiquer à l'extérieur son inspiration empêche le poète d'étreindre pleinement le réel, l'empêche de s'en approprier autre chose que la surface.

II s'ensuit que plus on est poète, moins on est (en même temps) mystique ; car plus un poète s'efforce d'atteindre l'union mystique, moins il peut se concentrer sur l'expression de son état. La conséquence de cette notion nous semble importante : « Voudrais-je donc insinuer, demande Bremond dans Racine et Valéry, que toute poésie est essentiellement profane et qu'un poème, plus il tend à se confondre avec la prière, moins il a de chance d'être poétique ; ou, inversement, qu'un poème plus il est poétique, moins il est religieux? Oui, c'est bien avec cette conclusion [...] que je tente de m'apprivoiser moi-même » 2. Il y a donc certaines oppositions entre le poète et le mystique, et qui ne sont pas moins importantes que les ressemblances. Le mystique, se repliant vers le centre de l'âme, reconnaît que cette expérience doit aboutir à l'union avec Dieu ; le poète, appelé à une expérience du même genre, doit tourner le dos à cette union : il ne se replie vers la zone de l'inspiration que pour s'en éloigner presque aussitôt, « ramené vers la zone des notions et des mots par le besoin qu'il a de se communiquer à autrui » 3. C'est en cette distinction, dit Bremond, que réside la différence essentielle entre le poète et le mystique : « Dieu étant la réalité des réalités, ils s'unissent à Dieu l'un et l'autre, mais ce Dieu ainsi possédé, YAnimus du poète ne le nomme pas, l'Animus du mystique le nomme » 4. En ce qui concerne les différentes méthodes d'opération du moi profond dans les deux activités qui nous occupent, la barrière est donc infranchissable entre poésie et mystique ; elle l'est aussi quand on pense à la transcendance absolue de l'une de ces activités par rapport à l'autre. « L'expérience poétique est bien

1. Ibid., p. 210.

2. Racine et Valéry : notes sur l'initiation poétique, Paris, Grasset, 1930, p. 219.

3. Ibid., p. 224.

4. Prière et Poésie p. 216. Bremond voit dans la parabole claudélienne d'Animus et à'Anima n la description la plus lumineuse que l'on ait encore donnée de l'activité poétique » (Prière et Poésie, p. 113). La philosophie de Bremond se reconnaît facilement dans l'image claudélienne : Animus, le mari, qui fait vivre le ménage et qui parle on ne peut mieux., Anima, la femme, qui se tait dès que son mari la regarde (ainsi que l'âme au regard de l'esprit), mais qui, elle, sait chanter, « une étrange et merveilleuse chanson » que lui inspire son amant divin (voir Prière et Poésie, p. 113).


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une ébauche de l'expérience mystique, mais une ébauche qui, en l'appelant d'un côté, repousse de l'autre le pinceau qui l'achèverait » 1. Point n'est besoin de faire remarquer ici que l'idée de Bremond qu'il n'y a dans l'expérience poétique « rien de proprement religieux » 2 ne nous défend pas de parler de sa croyance à l'inspiration poétique comme expérience authentiquement spirituelle. Il existe manifestement une différence entre une action qui, tout en étant de nature spirituelle, s'exerce sur le plan naturel, et un acte religieux proprement dit, acte moral et digne de mérite. C'est dans le moi profond que nous devons rechercher la clé de tout ce problème ; car ce moi profond est la faculté commune à l'une et à l'autre de ces activités : celle qui s'exerce sous le signe de la nature, et celle qui demande l'attouchement de la grâce. Ce n'est qu'à la lumière d'une distinction entre spiritualité naturelle et spiritualité surnaturelle 3 que nous pouvons réconcilier les mots « rien de proprement religieux » avec l'affirmation de Bremond que « la connaissance poétique [...] unit le poète [...] indirectement à Dieu lui-même ». Union indirecte et, pour autant qu'elle reste indirecte, union sans mérite, sans vertu morale ; empruntons enfin, pour la caractériser en quelques mots, une formule chère au philosophe Maurice Blondel : desiderium naturale et inefficax 4.

Cette notion d'activité spirituelle mais non pas religieuse, qui unit le poète indirectement à Dieu, dans un contact « profane » et incapable d'effectuer son salut, nous aide-t-elle vraiment à comprendre le mystère poétique ? S'il ne s'agissait que d'une comparaison entre la poésie et la mystique, avec un actif et un passif qui s'annuleraient, on serait peut-être amené à se demander si cette comparaison enchevêtrée valait la peine d'être exposée : seule, une identification des deux phénomènes nous aurait permis d'éclairer cet antique mystère qu'est 1' « acte des Muses ». L'explication par analogie fournie par Bremond peut bien avoir une certaine originalité, mais si elle aide à éclairer un mystère, n'est-ce pas au prix d'une quantité de distinguos subtils et de réserves tatillonnes ? Tomberonsnous d'accord avec A. Cherel pour parler des « chicanes [...] de Bremond sur la poésie pure » 5, ou avec René Groos pour qui la doctrine de Bremond est celle « d'un critique d'idées subtil mais spécieux » 6 ?

1. Prière et Poésie, p 217.

2. Ibid, p 219.

3. C'est à Jacques Mantain que nous empruntons le terme de spiritualité naturelle (voir Quatre essais sur l'esprit dans sa condition charnelle, Pans, Alsatia, 1956, p. 140).

4. Voir, par exemple, Blondel, Le Problème de la philosophie catholique, Pans, ,Bloud et Gay, 1932, p 173

5. Albert Cherel, La Prose poétique française, Paris, L'Artisan du Livre, 1940, Introduction, p. 11

6. René Groos, dans R Groos et G. Truc, Les Lettres (collection et Tableau du XXe siècle (1900-1933) », n° IV), Paris, Denoel et Steele, 1934, p. 121.


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Nous ne nions pas tout ce qu'il y a de suranné dans l'appareil « psychologique » de Bremond : « zones de l'âme », « moi profond », « étreinte du réel », etc., tout cela nous paraît aujourd'hui un peu démodé. Il nous semble néanmoins que la philosophie poétique de Bremond, comprise dans son contexte propre, a représenté une tentative honnête et intéressante pour en venir aux prises avec les problèmes littéraires de son époque.

Rappelons ce qui avait préparé les querelles sur la poésie qui ont passionné les esprits au cours des années vingt : les romantiques allemands et les précurseurs du symbolisme français avaient suffisamment démontré quelles tendances pouvaient naître de la prise de conscience de la poésie en tant que poésie. Plusieurs courants assez différents en sont issus, mais qui ont eu un point commun : tous ont cherché dans l'art un moyen de salut indépendant de tout autre. Songeons à ce courant qui, à partir de Nerval, et jusque dans l'oeuvre de Proust, cherche le salut par l'art et par la mémoire ; à celui qui vient, lui aussi, de Nerval, et qui, passant par Rimbaud et Lautréamont, se prolonge jusqu'au surréalisme, courant qui poursuit dans le « dérèglement » ou dans l'automatisme psychique la clé des mystères suprasensibles ; à celui enfin qui s'incarne dans certains écrits d'Oscar Wilde ou d'André Gide, ne permettant à l'art que de poursuivre une délectation de l'âme, « luxe, calme et volupté », et défendant à l'artiste d'envisager les conséquences de ce qu'il écrit. Par tous ces chemins, l'art et la poésie en viennent à se séparer du reste de la vie humaine, à constituer un monde à part, un monde capable de se suffire 1.

Voilà quels étaient, en 1925, les problèmes qu'envisageait tout critique qui cherchait à définir le statut ontologique de la poésie. Bremond a voulu adopter ici une position modérée, en reconnaissant à la poésie une certaine éminence spirituelle tout en voulant la subordonner à la spiritualité proprement dite. La poésie, d'après lui, ne tire pas sa fin d'elle-même mais de la place qu'elle occupe dans l'esprit de l'homme, et des, relations qu elle entretient avec le tout de la personne humaine.

Il serait faux de prétendre que l'humanisme de Bremond s'harmonise facilement avec la notion que la spiritualité surnaturelle est d'essence supérieure à la spiritualité naturelle. Il s'ensuit que Bremond doit s'engager dans une tentative pour rechercher un équilibre entre les deux attitudes. D'une part, si la poésie ne tend pas vers le spirituel, il lui manque un élément essentiel; d'autre part,

1. Voir Albert Béguin, L'Ame romantique et le rêve, Paris, Corti, 1956, p. 360 ; Jean-Pierre Richard, Poésie et Profondeur, Paris, éd du Seuil, 1955, p 76. Cf. L. PierreQuint, Marcel Proust, éd. nouvelle 1929, p. 352-353 ; Andié Breton, Du surréalisme en ses sources vives, dans « Manifestes du surréalisme », Paris, Gallimard, 1963, p. 187188 , Gide, Feuillets, dans Journal 1889-1939, Paris, N.R.F., 1939, p. 664. Voir la discussion que Jacques Maritain consacre à cette conception dans Art et Scolastique, Paris, Librairie de l'Art catholique, 4e éd. 1947, p. 128-138.


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si elle croit constituer elle-même la pleine réalisation du spirituel, elle pèche par orgueil. Il en résulte que la poésie se trouve toujours en état de tension entre le matériel pur et le spirituel pur : n'est-ce pas cette tension qui caractérise les plus grandes oeuvres ?

Nous espérons avoir montré que Bremond n'est pas simplement le critique « mysticisant » ou « catholicisant » qu'on a parfois cru voir en lui. D'après lui, « l'activité poétique est une ébauche naturelle et profane de l'activité mystique : profane et naturelle, certes, [...] mais qui plus est, ébauche confuse, maladroite, pleine de trous et de blancs », au point qu'enfin les poètes, « plus ils réaliseront l'idée du poète en soi, plus ils s'éloigneront de l'idée du mystique en soi » l. C'est encore une fois une question de direction : la connaissance mystique tend vers l'union, la connaissance poétique vers l'expression ; tentative vaine que d'y rechercher une connaissance pour la connaissance. Le péché d'angélisme qu'un Jacques Maritain allait reprocher aux surréalistes 2 vient justement du fait que celui qui veut faire l'ange doit se passer de la chair — ce qui, en matière d'art, est un péché contre nature.

Les rapports indissolubles qui existent pour Bremond entre spiritualité naturelle et spiritualité surnaturelle, le fait que pour lui celle-ci transcende celle-là, la nécessité pour l'écrivain de rester artiste et de ne pas chercher, dans son expérience, une connaissance spéculative — tout cela vise à préserver la littérature de l'orgueil spirituel, menace qui pesait sur elle à l'époque où ont eu lieu ces débats. En niant la possibilité d'un « salut par l'art », en mettant en garde la littérature contre la déification du moi poétique, Bremond ne lui défendait certes pas de partir à la recherche de la grâce, mais il lui rappelait que ce n'est qu'en restant humble qu'elle la trouverait.

KENNETH R. DUTTON.

1. Puère et Poésie, p. 208-209.

2. J. Maritain, Frontières de la Poésie, Paris, Rouart, 1935 p. 32


LA QUERELLE DE LA POÉSIE PURE : UNE MISE AU POINT

La querelle de la poésie pure est en passe de devenir un chapitre de l'histoire littéraire tout comme la querelle des Anciens et des Modernes ou la querelle des Bouffons. Il serait sans doute naïf de croire qu'on puisse la régler définitivement, mais on doit au moins tâcher d'en éclairer certains aspects. Dans sa préface aux actes du Colloque Bremond d'Aix, M. Bernard Guyon ne nous a-t-il pas invité à entreprendre cette tâche ? « Enfin, — écrit M. Guyon — qui ne voudrait reprendre le procès amorcé par G. Mounin [dans sa communication au colloque, reproduite en partie ci-dessous] et reconstituer l'atmosphère littéraire du Paris de 1920, au temps où éclata la querelle de la Poésie pure [...]?» 1. Le présent article veut démontrer qu'en 1924-1925 la querelle était, quant à sa signification esthétique, un étrange anachronisme.

Un détail important qu'on n'a pas assez fait ressortir, malgré l'immense bibliographie déjà consacrée à la question 2, c'est que l'expression « poésie pure » était déjà en usage depuis longtemps au moment où Valéry et, après lui, l'abbé Bremond, l'ont rendue

1. Henri Bremond, 1967, p. 9.

2 Voir Henry W. Decker, Pure Poetry, 1925-1930 : Theory and Debate in France, Berkeley and Los Angeles, University of California Press, Publications in Modem Philology, vol. 64, 1962, 131 p. (Decker compte 187 contributions à la querelle, presque toutes publiées avant 1930, plus 76 contributions étrangères et rétrospectives. Nous-même, au cours de recherches portant sur Valéry et ses critiques de langue française, nous avons trouvé 134 articles ou ouvrages qui traitent du rôle de Valéry dans cette querelle avant la fin de 1927. Un assez grand nombre de ceux-ci ne furent pas recueillis par Decker.

Sur l'importance de la notion de poésie pure pour Valéry, voir l'important article de Soeur Saint-Edouard, « La Poésie pure : I -— La Doctrine de Paul Valéry », La Revue de l'Université Laval, Québec, XIX, n° 6 (février 01965), p. 495-511. Cet article néglige à dessein la querelle pour considérer la poésie pure dans un contexte valéryen. C'est aussi le premier article qui, à notre connaissance, tient compte des notes sur la poésie pure dans les Cahiers de Valéry. Voir aussi, de Clément Moisan, Henri Bremond et la poésie pure, Mrnard, Bibliothèque des Lettres Modernes, 1967, ouvrage qui veut situer la querelle de la poésie pure dans l'ensemble de l'oeuvre de Bremond. Bien que cette tentative soit louable, elle nsque, en regardant la querelle d'une perspective bremondienne, de méconnaître sa signification plus large M. Moisan néglige complètement, par exemple, les recherches très considéiables de J. Royère sur la poésie pure. R semble pourtant devoir beaucoup à l'ouvrage de Decker, qui jusqu'à ce jour reste généralement inconnu en France Voir, infra, p. 536, le compte rendu par K. Dutton de cet ouvrage de M. Moisan.


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célèbre. En fait les divers emplois de l'expression sont tellement nombreux avant 1920 que nous ne tenterons pas un recensement complet. Même si un tel recensement était possible, il ne prouverait que l'infinie diversité des sens accordés à l'expression « poésie pure ». Bornons-nous à étudier l'évolution de la notion de « poésie pure » chez un esthéticien contemporain de Valéry et de l'abbé Bremond : Jean Royère. Une simple énumération de quelques autres emplois de « poésie pure » suffira à démontrer combien cette expression était vivante avant le début de la querelle proprement dite.

Dans le premier compte rendu consacré à La Jeune Parque, Jean Royère donne cette définition toute mallarméenne de la poésie pure :

Toutefois cette poésie [ La Jeune Parque], archétype ou, mieux, participation de poésie pure, est au propre, l'art du langage, poésie dont les idées sont des expressions 1.

Si Royère semble ici reconnaître une identité de vues entre Valéry et lui-même au sujet de la poésie pure, il corrige rapidement cette impression quelques mois seulement après la publication de 1' « Avantpropos » de Valéry à la Connaissance de la déesse de Lucien Fabre.

Car contrairement à ce qu'affirme M. Paul Valéry, dans la préface d'un livre récent, la poésie pure n'est pas un idéal abstrait et je n'y vois pas davantage une région irrespirable que l'on ne peut que traverser. Elle est la transcription, l'expression, des sentiments fondamentaux, l'art de l'âme et de la vie 2.

Désormais Royère ne cessera d'opposer sa notion de poésie pure à celle de Valéry et, après le 24 octobre 1925, à celle de Bremond. Dans un passage du Musicisme (1929) Royère s'adresse directement à l'abbé Bremond pour reprocher à celui-ci de lui avoir volé l'idée de poésie pure.

L'idée de poésie pure ■— le saviez-vous ? — m'est venue il y a exactement vingt-sept ans, en janvier 1902, et c'est cette Idée platonicienne qui m'a inspiré mes Eurythmies [1904]. Si j'ai, postérieuremenf [dans l'article de 1920 cité ci-dessus], étendu jusqu'à Edgar Poe la courbe de la poésie pure, c'est qu'un poète créateur se cherche toujours des devanciers illustres. Mais, s'il est certain que Baudelaire et Mallarmé peuvent être dits poètes de poésie pure, il est non moins certain qu'ils l'ont été sans le savoir 3.

Jean Royère, comme beaucoup d'autres qui ont pris part à la querelle, avait le don de se contredire. Il avait écrit quatre ans plus tôt, à la veille du discours de l'abbé Bremond :

Telle est l'entité de poésie pure, selon moi la grande découverte mallarméenne, car par cette découverte il a fondé l'esthétique 4.

1. Jean Royère, « Poésie », Les Solstices, 1re année, n° 1 (1er juin 1917), p 14-16.

2. Jean Royère, « [Réponse à l'enquête sur] L'Influence réciproque de la littérature française et des littératures étrangères », L'Europe nouvelle, 3e année, n° 44 (28 novembre 1920), p 1760

3. Jean Royère, Le Musicisme, Pans, Messein, 1929, p. 180

4. Jean Royère, Clartés sur la poésie, Paris, Messein, 1925, p. 137.


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Quelques mois avant la publication des Clartés sur la poésie de Royère, les courriéristes de L'Intransigeant avaient, à l'instigation de Marcel Sauvage, publié quatre découvertes successives du « premier emploi » de l'expression « poésie pure ». Dans le numéro du 2 novembre 1924 on pouvait lire :

Dans une interview de M. Paul Valéry par Frédéric Lefèvre, le poète dit : « J'ai eu le malheur d'écrire [...] les mots de poésiet pure qui ont fait une sorte de fortunes. Mais le 23 octobre 1909, c'est-à-dire 11 ans auparavant, M. Robert de Souza a prononcé au Salon d'Automne une conférence qui tournait précisément autour de ces deux mots poésie pure 1.

Trois jours plus tard, les Treize déclaraient que « cette poésie pure [...] était propre au symbolisme et à l'entourage de Mallarmé». Le surlendemain, les mêmes courriéristes firent part de ce renseignement supplémentaire :

M. Tancrède de Visan nous fait- remarquer qu'il a, lui aussi, employé ce terme à plusieurs reprises, notamment dans son Essai sur le symbolisme, avant 1904 2.

Le 8 novembre, les Treize terminaient cette enquête en apparence spontanée en déclarant que J.-M. de Heredia s'était servi de l'expression « poésie pure » dans sa préface aux Trophées en 1893. En effet, on Ht à la première page de l'épître dédicatoire à Leconte de Lisle ces phrases :

Un à un, vous les avez vus naître, ces poèmes. Ils sont comme des chaînons qui nous rattachent au temps déjà lointain où vous enseigniez aux jeunes poètes, avec les règles et les subtils secrets de notre art, l'amour de la poésie pure et du pur langage français.

Faut-il rappeler que cette enquête eut lieu près d'un an avant le discours de l'abbé Bremond ?

Les historiens de la querelle datent le début des hostilités du

24 octobre 1925, jour où Henri Bremond, délégué de l'Académie française, lut son discours sur « La Poésie pure » à la séance publique des cinq Académies. Le jour même, Le Temps (numéro daté du

25 octobre) publiait le texte intégral du discours de Bremond. Dans le numéro du lendemain, Paul Souday (dont l'animosité envers l'abbé Bremond datait de loin) cite Valéry lui-même pour mieux mettre Bremond dans son tort :

J'aime ces amants de la poésie qui vénèrent trop lucidement la déesse pour lui dédier la mollesse de leur pensée et le relâchement de leur raison 3.

1. Les Treize, « Les Lettres — le hasard des lectures », L'Intransigeant, 45e année, n° 16.160 (dimanche 2 novembre 1924), p. 2. (Marcel Sauvage rappela cette suite d'articles dans Poésie du temps, 1926).

2. Les Treize, et Les Lettres, L'Intransigeant, 45e année, n° 16.165 (vendredi 7 novembre 1924), p. 2. L'Essai sur le symbolisme de Tancrède de Visan parut en 1904 chez Jouve, publié en introduction à ses Paysages introspectifs. M. Moisan, dans l'ouvrage cité ci-dessus, trouve l'expression « poésie pure » chez Hugo, Baudelaire, Sainte-Beuve, Mallarmé, Bourget, Barrés et Paul Fort, mais semble ignorer les découvertes de L'Intransigeant.

3. On trouvera cette citation dans Paul Valéry, « Avant-propos à la connaissance de la deesse », OEuvres, Bibliothèque de la Pléiade, t. I, 1957, p. 1277.


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Souday avait visé juste. Dès le 31 octobre, piqué au vif, Bremond répond au « Martyr de la Poésie-Raison » dans le premier des douze « Éclaircissements » qu'il fera paraître dans Les Nouvelles littéraires. Le spirituel abbé avait décidé d'attaquer l'ennemi à son point faible — l'orgueil professionnel.

La critique littéraire n'est pas son rayon. Nous sommes tous d'accord làdessus. Quant à Valéry, nous le sommerons, le couteau à la main, la prochaine fois, de choisir entre Edgar Poe et Souday.

C'était la guerre. Pour le moment, Souday se contenta d'échanger insulte contre insulte :

M. Bremond nous fait penser aux fétichistes nègres ou aux derviches tourneurs. (Le Temps du 2 novembre).

On voit que la querelle avait commencé d'une manière particulièrement acrimonieuse entre deux adversaires que les observateurs ne manquèrent pas de considérer comme chefs de parti. L'abbé Bremond a pu rallier les partisans de la mystique, de l'inspiration, et du néo-romantisme. Paul Souday a rassemblé autour de lui les rationalistes héritiers de Voltaire, les anti-bergsoniens, et les partisans de l'homo faber.

A peine dix jours après la publication du discours de l'abbé Bremond, la querelle avait été tournée en ridicule. Henri de Naussane a pu écrire le 3 novembre dans Comoedia :

M. Paul Valéry, bon gré mal gré, s'est trouvé mêlé à la bataille et bien surpris de cette aventure, car il est de moeurs bénignes. Il a été atteint par ricochet, comme ces témoins malchanceux, dans un duel au pistolet où les tireurs s'épargnent et massacrent ce qui les environne. [...] M. Paul Souday [...] a étourdi M. Henri Bremond d'un Paul Valéry qu'il lui a « asséné » en pleine figure. C'est du moins lui qui le dit.

Le deuxième « Éclaircissement » de Bremond, le 7 novembre, ne mentionna Valéry qu'une fois. Le surlendemain, Souday croyait pouvoir déclarer sa victoire sur Bremond. Dans son « Éclaircissement » du 14 novembre, Bremond indique que c'était en effet F « Avant-propos » de Valéry à Connaissance de la déesse qui lui avait suggéré le sujet de son discours. Notons que cet article parut six jours seulement avant les élections à l'Académie française où Valéry était candidat aux deux fauteuils d'Anatole France et du comte d'Haussonville. Dans ce même numéro, Les Nouvelles littéraires réimprimèrent le texte du discours de Bremond.

Voilà tout ce que le grand public pouvait apprendre de cette querelle en novembre 1925 : outre l'aspect burlesque du combat Bremond-Souday, surtout une querelle de haute esthétique dont les termes étaient sans doute mal définis, mais sûrement susceptibles de l'être. Tout le monde semblait croire que l'un ou l'autre des deux


LA QUERELLE DE LA POÉSIE PURE 449

adversaires principaux représentait la position de Valéry, mais l'opinion balançait entre les deux selon les préjugés des critiques. Surtout personne ne douta de la bonne foi d'un académicien exjésuite.

Bremond avait donné l'impression dans son discours que lui et Valéry étaient d'accord sur la question. Or, il n'en était rien. Bremond avait sciemment trompé ses auditeurs le 24 octobre, et cela dans un but très précis : assurer l'élection de Valéry à l'Académie. Si, dès la fin de 1926, Bremond tenait à s'éloigner de la notion valéryenne de poésie pure dans son « Avant-propos » à La Poésie pure publiée chez Grasset en même temps que Prière et poésie, il n'avoua pourtant jamais publiquement la ruse qui avait déclenché la querelle. Robert de Souza, qui avait préparé La Poésie pure à partir des « Éclaircissements » de Bremond, y ajouta un « Débat sur la poésie » qui parut d'abord dans le Mercure de France de février 1926. Il déclarait :

Grand admirateur littéraire de M. Paul Valéry, pour détourner de la marche au fauteuil l'obstacle que son candidat rencontrait dans le reproche d'obscurité qui lui était fait généralement, il tint à rattacher toute sa défense du lyrisme à l'auteur même de Charmes 1.

Malheureusement, ce n'était là qu'une vérité partielle car Bremond n'était point un « admirateur littéraire de Valéry ». Trois ans après la mort de Bremond, R. de Souza publia deux lettres précieuses que l'abbé académicien lui avait adressées en 1925. Dans la première, écrite la veille même de l'élection de Valéry, Bremond avait expliqué pourquoi il n'avait pu, ni le 24 octobre ni dans ses « Éclaircissements », exprimer de réserves à l'égard de Valéry :

A cause de cette élection prochaine — et à laquelle je tiendrais beaucoup pour bien des raisons, je suis obligé de doser et surtout de pâlir mes réserves 2.

Dans la seconde, écrite vers Noël, à un moment où sa ruse avait pleinement réussi — Valéry ayant été élu au fauteuil d'Anatole France — Bremond a laissé tomber le masque, d'une manière qui nous paraît aujourd'hui assez cynique :

Valéry n'est venu là [dans son discours] que comme prétexte. Je voulais son succès qu'il fallait préparer. [...] En fait, toutes mes petites idées se sont formées en dehors de son influence — et de celle de Mallarmé, Baudelaire, etc.^ etc. — Ce m'est venu, tout bonnement en piochant les faits mystiques. Ma formation littéraire — poétique — tout à fait superficielle, est surtout archaïque. C'est scandaleux, mais je suis surtout sensible à la poésie latine — Lucrèce,

1. Robert de Souza, « Un débat sur la poésie », Mercure de France, CLXXXV (1er février 1926), p. 594-622. Article repris, après addition d'une critique acerbe de la poésie de Valéry, dans La Poésie pure de l'abbé Bremond qui parut chez Grasset exactement un an après son célèbre discours (l'achevé d'imprimer est du 24 octobre 1926).

2. Robert de Souza, « Henri Bremond et la poésie. La Poésie pure. — La Genèse d'un livre. Lettres et souvenirs », La Grande Revue, CL (1936), p. 90. On trouvera les passages essentiels des deux lettres de Bremond dans l'ouvrage de Decker.

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Catulle, Virgile — et anglaise : Shakespeare, Keats, Wordsworth. — Beaucoup lu aussi les esthéticiens (amateurs) anglais : le vieux Keble, Mat. Arnold, Bradley, Middleton Murry, — Poe, bien entendu. — Je n'ai lu plus de 200 vers de Valéry, et je ne le relis pas » 1.

Il est vrai que la position de l'abbé Bremond sur la poésie pure a beaucoup souffert du fait qu'il n'a jamais osé désavouer les prétendus liens entre son idée et celle de Valéry. Même à l'époque certains critiques l'ont vu, tel René Gillouin, qui écrivait dans La Semaine littéraire de Genève, du 9 janvier 1926, que seule « l'incroyable misère de la capacité logique chez nos contemporains » pouvait expliquer la futilité de la querelle. Gillouin était d'avis que les articles de Bremond dans Les Nouvelles littéraires étaient en fait des « Obscurcissements ». Trois mois plus tard Léon PierreQuint, dans la Revue de France, parlait d'une « querelle de mots, comme si souvent mal définis » 2.

II semble aujourd'hui que Bremond n'ait rien apporté à l'esthétique de la poésie moderne, en fin de compte, que son identification — fort discutable — de la poésie avec la prière. Qui plus est, cette notion n'est qu'à peine esquissée dans La Poésie pure. C'était aussi la conclusion du professeur Georges Mounin dans sa communication au Colloque Bremond de mars 1966 3 :

Le plus grave ici, c'est que rien ne fasse entrevoir chez Bremond un goût original ou profond pour la poésie : jamais un poète, un poème, un fragment qui soit sa découverte, le fruit de sa lecture personnelle (et là aussi, la différence est sensible avec Valéry, Claudel, ou Charles Du Bos). Est-ce insister trop lourdement sur un manque que les limites et le parti-pris journalistiques expliquent assez ? Je pense que non car, loisque Bremond fait état de son goût spontané, il est aussi décourageant, même pour l'époque 4.

Qui sont les poètes que cite Bremond ? Ce sont Georges Duhamel, Boileau, Raymond Christoflour, Fagus, Tellier et Corneille, dont il trouve un vers « beau d'une beauté prosaïque ».

La seule fois où, à propos de Valéry, il entre dans les détails de son sentiment, c'est pour faire cette confidence plus que troublante : « Dans le premier poème que j'aie lu de Valéry — pur hasard et ignorant tout de lui jusqu'à son nom — il y a des vers qui me rendent malade : Patience, patience, Patience dans l'azur... C'est presque aussi douloureux — non, pourtant ! — que l'horrible chose par où débute L'Ait poétique de Boileau » (p. 85). (Sans doute est-ce la triple diérèse qui le rend malade, bien que la Bérécynthienne de six pieds, dans le

1. Art. cit.

2. Léon Pierre-Qumt, « Lectures », Revue de France, VI, n° 2 (1er avril 1926), p. 543

3. Les citations dans le texte de M Mounin renvoient à La Poésie pure de l'abbé Bremond

4. Georges Mounin, « Une Relecture de La Poésie pure », Henri Bremond, 1967. p 148 On comparera utilement à ce jugement du professeur Mounin — que nous partageons — l'ouvrage de Decker, qui trouve beaucoup d'originalité aux théories de Bremond.


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vers de Joachim, ne l'ait pas gêné). Chose paradoxale, les rares fois que Bremond cite un fragment de plus d'un vers, c'est pour son contenu rationnel, par exemple le quatrain de Nerval (p. 19), parce qu'il est à peine moins obscur que la philosophie de Hegel ; ou encore, quinze vers de Tagore (p. 128-129), qui tournent tout entiers de façon didactique sur la place du sens dans la poésie. Sur son plaisir à lire les poèmes, on peut penser que Bremond nous laisse sur notre faim [...] 1.

Il faudrait citer en entier cette « Relecture de La Poésie pure » du professeur Mounin, mais les deux passages ci-dessus, avec les lettres de Bremond à R. de Souza, démontrent assez la vraie nature de la querelle pour Bremond. La lecture du 24 octobre 1925 était une astucieuse tactique d'élection académique. Même dans la mesure où, dans ses « Éclaircissements », Bremond s'est désolidarisé de Valéry, il n'a jamais considéré la poésie en soi ni pour elle-même. Comme le dit si bien M. Mounin :

On voyait bien déjà [dans La Poésie pure] que devant le mystère poétique, Bremond n'est pas libre, parce qu'il est pressé, parce qu'il a une solution toute faite, et d'avance : que la poésie, c'est la prière 2.

Si la querelle provoquée par le discours de l'abbé Bremond fut dès le début, et en partie par la faute consciente de celui-ci, un véritable dialogue de sourds, peut-on au moins expliquer pourquoi l'expression « poésie pure » était si courante avant la querelle ? On se souvient que Valéry, dans ce même « Avant-propos » de 1920, avait écrit : y

Ce qui fut baptisé : le Symbolisme, se résume très simplement dans l'intention commune à plusieurs familles de poètes (d'ailleurs ennemies entre elles) de « reprendre à la Musique leur bien » 3,

Nous n'avons pas à discuter ici du bien-fondé de cette définition, il suffît de constater l'assimilation de la poésie à la musique. Notons ensuite que Jean Royère, quand il estimait que l'abbé Bremond lui avait volé le terme « poésie pure », baptisa son esthétique le musicisme. Malgré l'abîme qui sépare l'esthétique de Valéry de celle de Royère, l'accord se fait sur le désir de rapprocher la poésie de la musique. Cet accord est loin d'être l'effet du hasard. Il résulte de l'aspiration de toute une génération d'artistes (poètes, peintres, romanciers même) à réaliser une fusion des arts. D'où la notion de pureté telle que la comprenait Jean Royère.

Un autre écrivain de cette génération, Camille Mauclair, apporte un témoignage précieux à notre explication dans une contribution à la querelle de la poésie pure. « L'Idolâtrie de " l'état pur " dans l'art moderne » parut dans La Revue de France du 1er mars 1926. Mauclair s'y montrait singulièrement incapable de distinguer entre

1. Mounin, p. 148-149.

2. Mounin, p. 151.

3. Valéry . OEuvres, Bibliothèque de la Pléiade, I, p. 1272.


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la position de Bremond et celle de Valéry parce qu'il voulait les considérer toutes deux sous le signe de « la musique elle-même, que la poésie moderne ne cesse de côtoyer » 1. Son erreur fut, en partie, de ne pas reconnaître que les préoccupations mystiques de l'abbé Bremond n'avaient rien à voir, en fin de compte, avec la poésie moderne. Maurice Brillant a vu que Mauclair, comme Valéry dans 1' « Avant-propos » de 1920, restait fidèle à un idéal symboliste. Dans un article du Correspondant du 25 mars 1926, il critique Mauclair et se proclame en faveur d'un

renoncement à la « fusion », qui est en vérité « confusion », des arts, chimère d'une autre génération et d'une autre école [...].

Plus près de nous, deux critiques estimables ont interprété la querelle en voulant à tout prix, semble-t-il, la rattacher aux mouvements qui, au cours des années 20, étaient en train de révolutionner tous les arts. Le professeur Michel Décaudin, dans un article de 1966, écrivait :

Il est permis de s'étonner que la pensée de Bremond ait dérouté ou rebuté ses contemporains.

Ou encore :

Quelles qu'aient été les résistances à une telle conception [la poésie pure selon Bremond], il semble qu'elle devait être assez familière aux esprits de 1925 pour ne pas susciter tant de réactions 2.

Dans sa thèse sur Bremond, M. Clément Moisan développe considérablement l'idée de Bremond contemporain du Gide des Faux-Monnayeurs 3, de Stravinski, de Picasso, de Dali, voire d'André Breton et des surréalistes. M. Décaudin préfère les noms de Kandinski, Kupka, Picabia, Delaunay.

1. P. 52.

2. Michel Décaudin, « Etudes sur la poésie contemporame . III — Autour de Valéry et de la poésie pure », L'Information littéraire, 18° année, n° 5 (novembre-décembre 1966), p. 202

3. Si, dans Les Faux-Monnayeurs, que M. Moisan date de 1922, Edmond fait la critique du wagnérisme — qui paraissait le nec plus ultra de la fusion des arts en 1890 — ce n'est pas que Gide croyait avoir fait un « roman pur ». L'identification naïve Gide-Edouard refuse cette distance ironique que Gide, dans le Journal des FauxMonnayeurs, tient à établir vis-à-vis de son personnage. Michel Rarmond l'a fort bien vu dans « L'Idéal et la chimère du roman pur », Le Roman depuis la révolution, A Colin, Coll. « U », 1967, p. 304-305. M. Moisan n'avait qu'à se reporter au Journal des Faux-Monnayeurs pour éviter un contresens qui fausse son argument. A la fin d'un développement sur la possibilité d'un « roman pur », Gide suggère que le roman d'où seraient exclus « tous les éléments qui n'appartiennent pas spécifiquement au roman » est finalement irréalisable « Je crois qu'il faut mettre tout cela dans la bouche d'Edouard — ce qui me permettrait d'ajouter que je ne lui accorde pas tous ces points, si judicieuses que soient ses remarques , mais que je doute pour ma part qu'il se puisse imaginer plus pur roman que, par exemple, La Double Méprise de Mérimée. Mais, pour exciter Edouard à produire ce pur roman qu'il rêvait, la conviction qu'on n'en avait point produit encore de semblable, lui était nécessaire Au surplus, ce pur roman, il ne parviendra jamais à l'écrire » (p. 65).


LA QUERELLE DE LA POESIE PURE 453

Tout de suite après une citation du premier Manifeste du Surréalisme, M. Moisan écrit :

Valéry et Bremond entrent eux aussi dans ce courant nouveau de pensée et de réflexion. Certes Valéry n'entendait pas la pureté de la poésie comme le résultat d'une aussi grande liberté laissée à l'artiste [comme chez Breton, par exemple], mais plutôt comme un travail conscient et rigoureux du poète sur le langage 1.

Si Valéry semble rétrograde par rapport à Breton, Bremond, lui, est tout à fait un esprit de 1925 selon M. Moisan. Dans un passage de Prière et poésie qui, d'ailleurs, n'a rien à voir avec cette liberté de l'esprit que proclamait Breton, M. Moisan veut voir une attitude révolutionnaire. Il s'agit d'une discussion du point de vue de Valéry selon lequel les dieux parfois donnent au poète un vers :

Le premier vers ne nous tombe pas de la lune. Les dieux ne nous donnent ni le second ni le premier. Il faudrait pour cela qu'ils fissent des vers, et ils n'en font pas, pas plus qu'ils ne font de syllogismes ; pas plus que les anges ne jouent du piano. Ils nous donnent beaucoup mieux : ce je ne sais quoi qui transfigure en poète un pauvre homme pétri de prose, qui l'élève à l'état de grâce poétique, et qui, ainsi métamorphosé, l'incite à fabriquer, marte sua, le premier et le second vers. L'inspiration ne ressemble pas à la dictée d'un maître d'école ; elle n'est pas la transmission d'idées, de sentiments, d'images, de rimes 2.

Et M. Moisan de conclure :

C'est par là que Bremond appartient à son époque et qu'il entre dans le sillage des esprits les plus audacieux de ce temps. Sa théorie est la recherche en poésie d'une pureté métaphysique 3.

Mais Bremond n'appartient pas à son temps si par là nous voulons dire les années 20. Ses réflexions sur la poésie n'appartiennent guère à la poésie française, si nous en croyons cette lettre capitale à R. de Souza écrite vers Noël 1925. Aussi loin de la poésie valéryenne que fût Breton en 1925, il était aux antipodes de la position mystique de Bremond 4. Ailleurs, dans son étude sur Bremond (p. 11-12), M. Moisan ne nous démontre-t-il pas que Prière et poésie résulte des longues recherches qui ont précédé la publication de L'Histoire littéraire du sentiment religieux en France... ? Dans son désir de prouver l'originalité des idées de Bremond sur la poésie, et de faire valoir son auteur, M. Moisan « rajeunit » considérablement l'abbé Bremond et il donne une curieuse image du surréalisme.

1. Op. cit., p. 181.

2. Prière et poésie, p. 89.

3. Moisan, op. cit., p. 181.

4. Nous sommes obligé, sur ce dernier point, de signaler que M. Mounin n'est pas de notre avis, lui qui écrit de Bremond qu' « il était à deux pas d'André Breton, [mais que] ni l'un ni l'autre ne s'en est aperçu » (p. 152).


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Somme toute, la querelle de la poésie pure avait éclaté sur l'horizon littéraire avec un retard de trente ans. Si, à la suite de ces prolégomènes, on voulait analyser les divers sens que l'expression « poésie pure » a revêtus, il faudrait commencer par une considération approfondie de l'idéal symboliste de la fusion des arts.

A. JAMES ARNOLD.


NOTES ET DOCUMENTS

« TRAITS, NOTES ET REMARQUES » DE CIDEVILLE : Documents sur Fontenelle, Voltaire, Rousseau, etc.

Dans le Recueil d'anecdotes de la main de Mr de Cideville 1, on trouve de précieux renseignements sur la littérature des xvrf et xvrii 6 siècles : historiettes inconnues, vers inédits, jugements et réflexions. Nous avons déjà publié tout ce qui, dans ce manuscrit, se rapporte au règne de Louis XIV 2 ; nous voulons aujourd'hui en extraire les morceaux relatifs à l'époque de Louis XV.

Nous avons scrupuleusement respecté l'orthographe et la ponctuation de ces textes, que nous avons groupés selon les auteurs envisagés, en indiquant simplement la référence exacte et la date de chacun de ces fragments.

Fontenelle 3

[p. 4, 1743] :

Vers de Mr de Fontenelle.

Quand vous ries que vous vous faites

deux aimables fossetes

d'un et d'autre costé !

j'y voudrois mettre

en grosses Lettres

cy gît ma Liberté.

[p. 19, 1745] :

De Mr de Fontenelle.

Il faut à la Marquise d'O 4 quelque jeune Pastor fido qui sache à peine son credo qui fasse avec elle dodo et la baise in omni modo.

[p. 63, 1747] :

De Mr de Fontenelle.

On ne sait comment ny par ou Au supresme bonheur icy bas on arrive ;

1. Ms. Rouen, O. 40.

2. R.H.LF, septembre-octobre 1969

3. Tous les vers de Fontenelle que nous citons sont inédits.

4. La famille d'O est une illustre famille normande. Mais il est difficile d'identifier la destrnatrice de ces vers . sans doute la dernière ou l'avant dernière marquise d'O, car cette lignée s'éteignit au milieu du XVIIIe siècle.


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cette maxime est décisive, L'heureux est jeune, riche, et fou.

[p. 112, 1747] :

Vers de Mr de fontenelle sur cette manière de Parler Tuer le Temps. Le Temps parle. Quand pour se divertir sans cesse ils s'entretùent ces messieurs les humains, ils disent qu'ils me tuent ; moy, je ne fais semblant de lien, Mais, ma foy, je m'en vange bien.

Autres vers de mr de fontenelle.

fable La mouche. Dans un chemin poudreux un char alloit le trot ; une Mouche s'y vint asseoir sur son derrière,

et se regorgeant, dit ce mot,

o que j'eleve de poussière ! 1

Vers attribués à mr de fontenelle ou à mr ferrand 2

Iris ne m'aimera jamais : Sur tout ce que je dis, sur tout ce que je fais elle me loue elle me flate, C'est la le payement d'une Ingrate.

[p. 126, 1747] :

de mr de fontenelle a made Dubocage 3.

Tu crois voir une Grâce icy ; elle l'est bien, mais Muse aussi.

[p. 127, 1747] :

Autres de mr de fontenelle a Mde Dubocage.

L'Amour ayant choisi le plus parfait burin,

dont il eut jamais fait usage, a sur mon tendre coeur gravé la double image

de Mademoiselle Monin 4

et de madame Dubocage.

[p. 135, 1748] :

Vers de mr de fontenelle à Mr le Duc d'Orléans 5 régent auquel il avoit conseillé la lecture de Rabelais.

Louanges sont certain petit tran tran que sait par coeur le peuple courtisan ; jusques au ciel le langage se guindé ; Vous ne l'aimés, c'est tant pis pour Satan. A peine encor dans vostre vingtième an, vous fistes lage aux plaines de Nerwinde 6, Vous egaliés un héros de Roman,

1. Cette fable fut évidemment composée à partir de celle de La Fontaine : Fontenelle préférait la brièveté de ce quatrain à la longue narration du poète.

2. Antoine Ferrand (1678-1719), auteur de poésies légères. C'est sa femme qui se fit connaître en composant l'Histoire des amours de Cléante et de Bélise.

3. Marie-Anne Le Page, dame du Boccage (1710-1802) fut l'amie de Voltaire et de Fontenelle , elle écrivit mamts poèmes et une tragédie Les Amazones.

4. Nous n'avons pu identifier cette personne.

5. On sait l'amitié qui unit Fontenelle au Régent Celui-ci logea même le philosophe au Palais-Royal à partir de 1711.

6. Nerwinden.


NOTES ET DOCUMENTS 457

Perceforêt, et l'amant de Clorinde, mesme ce Grec qui conquit jusqu'à l'Inde, la Renommée en fit un grand cancan, Moy pas un mot, ce n'étoit lors mon plan ; Mais aujourd'hui, monté de plus d'un cran, je veux porter en Langage du Pinde Vostre giand nom par dela l'Océan Car vous aimés Panurge et frère Jean

[p. 138, 1748] :

Vers de Mr de fontenelle Sur cet Anglois qui se tua et laissa écrit qu'il etoit las de s'habiller et de se deshabiller.

Las d'ôter chaque soir mes bas Et le matin de les reprendre, j'ay cru que je ne devois pas tarder plus longtemps à me pendre.

[p. 152, 1748] :

Vers de mr de fontenelle.

On dit que l'Esthomac, s'il avoit un langage Crieroit coin coin coin en termes exprés : je sais qu'en pareil cas un second personnage

crieroit de mesme, a très peu près

Sur ce ton monosillabique

un tiers employeroit bien sa voix a nous représenter ses besoins, ou ses droits.

Quel vacarme ! quelle musique

pour qui les entendroit tous trois.

[p. 175, 1749] :

De mr de Fontenelle.

Mettons de l'ordre a nos idées : Babet s'amuse d'un Barbet, vous vous amusés de Babet ; les proportions sont gardées.

Epigramme de mr de fontenelle.

Un vieux Docteur, auprès de sa voisine en grand Secret luy conte ses raisons, d'un bruit qui court luy fait voir l'Origine, et la guérit des Etemels Tisons ; Bien que jeunette elle entend la doctrine ; mais le profit des Leçons qu'elle prend n'est point helas ! pour le porteur d'Hermine ; eh pour qui donc ? pour un jeune ignorant.

[p. 176-177, 1749] : Proverbes de Mr de fontenelle dans le goust des proverbes grecs et arabes.

Proverbe grec.

Ne fabas quaere — ne cherchés point les fèves. C'est a dire n'aspirés point aux honneurs, on sait que les sufrages pour les Places, se donnoient avec des fèves.

Proverbe arabe.

Quand les cinq fenestres de la Maison sont fermées, on en voit plus clair dans la Maison, on devine bien que cela veut dire — l'ame apperçoit mieux quand les cinq Sens sont tranquilles.


458 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

Proverbes de Mr de Fontenelle dans ce goust d'emblesmes.

Si vous aimés la Lune, ne souhaités pas qu'elle soit dans son plein — c'est a dire Si vous aimés les honneurs, ne souhaités pas de les voir complets — ils ne pourront plus aller qu'en diminuant, et vous dechoirés.

Autre.

A la Cour soyés plus tost batelier que cocher, c'est a dire — Vous avancerés plus suiement vers vostre but le dos tourné, que quand vous y marcherès de front. Vous tromperés mieux vos concurrens.

Autre.

Ne faites point une Perruque de vos cheveux c'est a dire ayés plus de Natuiel que d'art.

Autre.

Ne faites point vostre oeil de vostre Oreille — c'est a dire fiès vous plus a ce que vous voyés qu'a ce que vous entendes.

[p. 184, 1749] :

Espèce de Problème de Mr de Fontenelle.

Quel a été l'homme, sans éducation, capable de sacrifier son propre interest, sans qu'il fut question de rien faire contre l'Equité, de soufrir mesme une perte et de faire de si belles choses sans espoir d'aucune recompense, et avec la certitude qu'une si belle action ne peut estre connue.

C'est le mendiant a qui Moliere, croyant donner un Sol, donna un Louis : ce pauvre le luy raporta, en luy disant qu'il ne croioit pas que ce fut son intention :

Molière, en regardant ses haillons, s'écria, ou la vertu vat'elle se nicher ?

[p. 199, 1751] : Vers de Mr de Fontenelle a Mde de 1.

Grâce a vostre grande bonté j'ay pris ce matin du bon Thé ; je l'ay pris a vostre santé, dont il me souvient bien sans thé : par le ton ou je suis monté vous voyés l'effet de mon Thé

[p. 206, 1752] :

Vers de mr de fontenelle a Mde d'Etiol. 2 lorsqu'elle devint maitresse du Roy, mais qu'il ne luy a pas donnés.

Vous d'un Roy bien aimé la Beauté bien aimée, remplisses dignement vostre charmant Employ ! que de nos coeurs par vous l'ardeur soit exprimée,

figurés vous que vous estes nommée pour luy représenter tous ceux dont il est Roy.

[p. 207, 1752] :

Idée de Mr de fontenelle sur la vérité qu'on dit au fonds d'un puits.

La Vérité etoit Belle, mais elle aimoit un peu le Vin. In vino veritas — un jour qu'elle avoit bien bu pour en rendre mieux les oracles — quelques gens qu'elle n'avoit pas bien traités — car toutes vérités ne sont pas bonnes à dire, la trouvant endormie la saisirent et la jetterent dans un Puids, ou elle est encore.

1. En blanc sur le manuscrit.

2. Mme d'Étioles, plus tard marquise de Pompadour.


NOTES ET DOCUMENTS 459

[p. 230, 1754] :

Vers de Mr de fontenelle pour Mlle Bolau 1.

Qu'Iris a rassemblé de Beautés et de grâces! Qui reunit jamais tant de presens des Dieux? Venus, si tu la surpasses, Descen du ciel, pour convaincre nos yeux. Du mesme.

Dans tout le premier acte La Princesse est intacte : on l'entame au second ; au troisième elle pond 2.

idée de Mr de fontenelle.

Qu'est celuy qui veut marcher, qui croit marcher, et ne marche point ? c'est celuy qui resve. Qui est ce qui ne veut point marcher, qui ne croit point marcher, et qui marche, c'est quelques fois le somnambule.

[p. 257, 1758] :

De Mr de fontenelle sur l'academie françoise.

Quand nous sommes quarante on se moque de nous : sommes nous trente neuf, on est a nos genoux.

La Motte

[p. 52-53, 1746] :

Mr de La Motte n'a point eu, ce me semble, a beaucoup près la réputation qui luy etoit diie, pendant son vivant ny mesme après sa mort ; il y a aparence, que le parti qu'il avoit pris pour les Modernes contre les anciens luy avoit osté pendant sa vie beaucoup de grands sufrages qui eussent entraîné les autres, et après sa mort, on ne luy a point pardonné d'avoir soutenu qu'on pouvoit faire de la Poésie en prose, on en a examiné avec plus d'indisposition ses vers et on a cru par quelques uns qu'il avoit interest d'avancer cette proposition ; mais cependant le vray est qu'il y a eu peu de gens dans nostre nation qui ayent eu plus d'esprit, qu'il a écrit au mieux en prose, que ses tragédies sont pleines d'interest et de la conoissance du Théâtre, que ses opéras sont très bien faits et qu'il n'y a gueres de plus belles odes que les Siennes 3.

Jean-Baptiste Rousseau

[p. 189, 1750] :

Rousseau a son dernier voyage a Paris dit a l'abé d'Olivet qu'il n'avoit fait que 30 épigrammes 4 : il se souvenoit cependant de plus d'en avoir perdu une dont voicy la pensée — un mari au retour du Bal et encore tout masqué rendit à sa femme le devoir conjugal et ensuite se démasqua ■— Ah ! dit'elle je ne me serois jamais douté que ce fut vous — en voila un vers :

La regale au retour d'un trait d'Epithalame 5.

1. Nous ne sommes pas parvenu à identifier cette personne.

2. Il est impossible de savoir à quelle pièce Fontenelle fait ici allusion.

3. Ce jugement ne saurait nous surprendre : Cideville épouse les sentiments de son maître Fontenelle.

4. J.-R. Rousseau s'est en effet défendu d'avoir composé tous les couplets qui lui furent attribués et il ne cessa de protester de son innocence, lorsqu'il eut été banni pour quelques satires trop audacieuses.

5. Ce vers ne se retrouve pas dans les éditions d'OEuvres de J.-B. Rousseau -— ni aucune pièce qui corresponde aux renseignements fournis par Cideville.


460 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

[p. 264, 1759] :

Inscription du grand Rousseau pour le portrait de Mr de Catinat peint avec tous les attributs du Mal de france.

Quanto pretiosor intus. Il refusa le cordon Bleu.

Montesquieu

[p. 184, 1750] :

On a dit du Livre de l'Esprit des Lois du Président de Montesquieu — l'un que c'était de l'Esprit sur les loix — l'autre que l'autheur etoit Arlequin Grotius 1.

[p. 279, 1764] :

Mr de Montesquieu disoit que les chapitres de l'Esprit des lois n'etoient que l'intitulé et la Table des matières du livre qu'il avoit entrepris.

Saint-Aulaire

[p. 228, 1754] :

On disoit que Sceaux étaient les Galères de l'Esprit 2 tant M. la Duch. du Maine tourmentait ceux qui l'entouroient, a leur faire faire des vers pour elle.

Mr de Saint Aulaire qui en etoit un des forçats fit ces 4 vers en revenant a Paris a un Mardi de Mds de Lambert.

Que je suis las d'Esprit ! il me met en courroux,

il me renverse la cervelle, Lambert je viens chercher un azile ches vous

Entre la Motte et fontenelle.

Mr de Saint Aulaire parloit peu : il ne commença a faire des Vers qu'a 50 ans.

P. Hardouin [p. 113, 1747] :

Aplication de deux vers de Virgile a l'ouvrage extravagant du P. hardouin jésuite 3, qui avoit prétendu que les ouvrages de Virgile, d'horace &c n'etoient point de ces grands Génies,'ny du temps d'Auguste, mais avoient été composés depuis par les Moines du 7 ou 8e siècle, dans le temps ou a peine savoit on lire.

Ces vers de Virgile Enéide Liv. 4 devraient servir de frontispice aux oeuvres du P. hardouin.

Somnia sedem

vana tenere ferunt, foliisque sub omnibus haerent.

Desfontaines 5

[p. 8-9, 1744] :

Mr l'abé Desf... après avoir été obligé de cesser ses feuilles hebdomadaires, qui avoient pour titie, Observations sur les Ecrits modernes , Les vient de

1 Le premier de ces deux jugements est assez célèbre, et communément attribué à Mme du Deffand , le second semble inédit.

2. Cette formule est illustre, la suite de l'anecdote nous semble inédite.

3. R s'agit de la Chronologie expliquée par les médailles que le P. Hardouin donna en 1693

4. Note du ms : a chercher. En fait, Liber VI, vers 283-284. Cideville a fait une erreur sur le premier vers quam sedem Somnia vulgo.

5. Célèbre journaliste et pamphlétaire, ennemi de Fontenelle et de Voltaire.


NOTES ET DOCUMENTS 461

faire reparoitre sous le nom de jugemens sur quelques ouvrages nouveaux et ces feuilles paroissent imprimées a Avignon ce qui a donné lieu a cette Epigramme en mars 1744.

Décoré d'un titre nouveau, me voila revenu sur l'eau malgré l'ennui et la Cabale je me sauve en terre papale, pour moy, comme pour d'Assoucy il ne fait pas trop bon icy.

Il a la hardiesse de dire dans une de ces feuilles intitulée jugement sur &c après avoir dit qu'il n'a pas encore eu le temps de rendre compte de tels et tels Livres ; ils sont sur ma table In expectatione judicii. Qui est l'homme en Etat de s'exprimer ainsy ?

[p. 43, 1745] :

Epitaphe du Président des Rieux 1 et de l'abé Des fontaines.

Desfontaines et Rieux ont fini leurs destins : ries autheurs, pleures Putains.

Roy

[p. 3, 1743] :

Vers de mr Roy Sur l'oraison funèbre du Cardinal de Fleury par le père de Neuville.

Que cet éloge est neuf, Sublime, Pathétique, mon esprit est content, mon coeur est soulagé, o mon cher Cardinal, te voila bien vangé du verbiage académique.

[p. 23, 1745] :

Le Poëte Roy fut chevalier de l'ordre de St Michel 2 pour avoir fait le ballet des Elemens. Il est fou du Cordon de cet ordre et croit que c'est la plus belle chose du monde. Le bruit courut ce mois de Mars qu'on avoit acordé le mesme honneur a Capron dentiste de la Cour. Le Poëte Roy etoit furieux & un homme qui se trouva auprès de luy a la Comédie affecta de tenir un Mouchoir sur sa joüe et de faire des Plaintes &c. Enfin le Poete Roy luy demande ce qu'il a &c ah morbleu, dit-il, c'est un de vos confrères, qui vient de m'arracher la Machoire.

Mme de Tencin

[p. 279, 1764] :

Boullinbroke et Tencin.

Boullinbroke vint en france vers 1712 sans qu'on scut trop pourquoy. Il y fut fort a la mode, Mde Tencin et Mde de Villete se le disputèrent ; Mde de Tencin emporta le prix de l'impudence, elle le fit coucher chès elle ; on luy avoit dit de la part du Ministère, qu'il y avoit 4 cent mille francs a gagner si elle pouvoit scavoir le sujet de son voyage ; elle le scut la nuit mesme. La Tencin reçut le lendemain l'argent promis et dit le secret. Milord indigné reprit Villete, l'Epousa et fut perdu en Angleterre 3.

1. Président au Parlement de Paris, célèbre par ses multiples aventures galantes.

2. C'est en 1725 que fut créé le ballet des Éléments qui dut à Roy cette promotion.

3. Mme de Villette était une parente de Mme de Mamtenon. Sur les rapports de Bollingbrolce et de Mme de Tencin, voir le récit beaucoup plus allusif que donne P.-M. Masson dans Mme de Tencin, Paris, 1909, p. 19 sq. C'est à l'avènement de Georges Ier que Bolingbroke fut exilé.


462 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

Mde Tencin.

La mesme Tencin avoit emprunté 3 cent mille livres de la fresnaye jouaillier, pour avancer son frere et l'avoit ruiné , ce la frenaye qu'elle traitait fort mal, parcequ'il n'avoit plus d'argent venoit tous les jours chès elle et y mangeoit le plus souvent ; un jour entr'autres, il ne voulut point dinei et Entra dans le Cabinet de la de Tencin, il écrivit toute son avanture, la veille il avoit déposé pareil billet chez un Notaire. Il se cassa la teste d'un coup de Pistolet pendant le diné. A ce coup la Tenon Paslit, fontenelle qui etoit a ce dîné, le remarqua, et luy dit que c'était apparament sur des moineaux qu'on avoit tiré — quel embaras quand on trouva la frenaye mort — on obtient du Curé qu'on l'entenast — le commissaire le fit exhumer, et dressa procès verbal et par faveur, elle fut mise a la bastille 1.

Boindin 2

[p. 201, 1752] :

Sur Borndm mort a la fin de l'année 1751.

Boindin, mourant tranquilement etoit a sa dernière angoisse, quand le curé de la paroisse veut luy parler du Sacrement. Helas, mon dieu, je suis Déiste, luy dit Boindin, mesme profés : ah, je vous croiois janseniste, dit le curé : mourès en paix.

Margon

[p. 4, 1743] :

Notes que je tiens de Mr de Maison sur L'abé Margon.

L'abé Margon 3 gentilhomme de Besiers fut satirique dès sa jeunesse ; il se moquoit de sa mère qui au lieu de da nobis hodie, dans le pater noster disoit bisodié et il luy faisoit croire que bisodié etoit le nom d'une sainte. Le père Pelocei jésuite fut frapé de l'enjouement satirique de Margon et voulut l'employer contre les Ennemis de la Société : il le recommanda aux jesuites de Paris. Margon se brouilla avec eux et écrivit contre la Société des Lettres vives et plaisantes et très connues — depuis impliqué dans une affaire de Mr Leblanc ministre de la guerre, il fut relégué aux isles d'yeres, ou il est dévot &c.

C'est un genie vif et extreme.

Voltaire

[p. 2-3, 1743] :

Sur Voltaire et la Chaussée autheurs dramatiques.

Avès vous vu sur l'helicon

l'une et l'autre Thalie, l'une est Chaussée, et l'autre non

mais c'est la plus jolie, l'une a le rire de Venus

1. La Fresnais était banquier et non joaillier, d'après Mathieu Marais (P -M Masson, op. cit., p 52) On trouve dans cet ouvrage un récit légèrement différent du suicide de La Fresnais . Mme de Tencin, souffrante, aurait été alitée , Fontenelle n'aurait pas été chez elle à ce moment

2. Nicolas Boindin, célèbre pour son irréligion, était le disciple et l'admirateur de Bayle et de Fontenelle

3. L'abbé de Margon fit en effet des satires confie les jansénistes, puis contre les jésuites, et fut relégué en 1743 aux îles de Lerrns , il termina sa vie chez les bernardins.


NOTES ET DOCUMENTS 463

L'autre est froide et pincée ; Salut à la belle aux pieds nus Nargue de la Chaussée 1.

[p. 25, 1745] :

Vers de mr de Voltaire a Mde Du Pré de St Maur 2 en luy envoyant son portrait.

Le Voila ce Mortel, de qui mille Envieux avec tant d'injustice ont opprimé la Vie ; aujourd'huy qu'il attire un regard de vos yeux il merite a la fin les fureurs de l'Envie.

[p. 35, may 1745] :

Vers de Mi de Voltaire a Mde d'Etiol en luy envoyant son Poème sur la bataille de fontenoy.

Quand César ce prince charmant et dont Rome etoit idolastre gagnoit quelque combat brillant on en faisoit son compliment a la divine Cleopatre 3.

[p. 68, 1747] :

Le Roy de Prusse entretient depuis long-temps un commerce de Lettres avec Mr de Voltaire — cette première Vivacité avoit été un peu ralentie. Mr de Voltaire ecrivoit moins, et le Roy de Prusse fit écrire a Mr Thiriot 4 son agent Littéraire a Paris par son Secrétaire comme en son nom (et sans son ordre. Ce Secrétaire demandoit à Thiriot de luy a luy ce que pensoit Mr de Voltaire du Roy. Thiriot montia cette Lettre à Mr de Voltaire, qui luy permit de repondre ce qu'il vouloit. Thiriot qui sentait a merveilles que cette Lettre etoit écrite par ordre du Roy luy manda que Mr de Voltaire etoit pénétré d'admiration pour le Roy qu'il reconnoissoit en luy un héros qui avoit gagné 4 ou 5 batailles, et l'homme du monde qui savoit le plus et qui ecrivoit le mieux une Lettre, mais que c'était domage qu'un homme si grand et si rare ternit tant de belles qualités par une Lésine de cent mille Escus par ans. Le Roy a certainement lu cette Lettre et ne s'en est pas corrigé. A l'abry de beaucoup de Louanges Thiriot avoit trouvé l'ocasion de se vanger de ce qu'il payoit si mal sa pension 5.

[p. 81, 1747] :

De Mr de V. a la fin de 1744.

Notre Monarque après sa maladie,

etoit à Mets afligé d'Insomnie ;

pour le guérir chacun faisoit effort,

Roy le Poète a Paris versifie,

La pièce airive, on la lit, le Roy dort 6.

1. Cette pièce se retrouve dans les OEuvres complettes d'Alexis Piron, éd. par M. Rigolet de Juvigny (Paris, 1776, in-12), t. VIII, p. 380 — mais sans aucune référence à Voltaire.

2. L'épouse de Dupré de Saint-Maur, le traducteur de Milton, l'ami de Montesquieu et de Voltaire.

3. Pièce inédite.

4. Lire évidemment Thiériot

5. Sur les difficultés de Thiériot à être payé par Frédéric II, voir Desnoireterres, Voltaire... Paris, Didier, 1871, t. III, p. 394 sq. Mais nous ne voyons pas à quelle date la correspondance du roi et de Voltaire s'est « ralentie ».

6. Cette épigramme se retrouve dans les OEuvres complètes, éditions Garnier, 1877, t. X, p 529 . elle y est intitulée La Muse de Saint-Michel et comporte les variantes suivantes . vers 2 « attaqué » au lieu d' « afligé » , vers 3 « Ah que de gens l'auraient guéri d'abord, a ; vers 4 : « Le poète Roy de Paris » ; vers 6 (ajouté) « De Saint-Michel la muse soit bénie ». Nous avons vu que Roy avait le cordon de Saint-Michel.


464 REVUE D'HISTOIRE LITTERAIRE DE LA FRANCE

[p. 155, août 1748] :

Vers contre la Tragédie de Semiramis de Mr de Voltaire.

Malgré les clameurs du Parterre et la protection de quatre cents amis

j'ay vu tomber Semiramis : Le Tombeau de Ninus fut celuy de Voltaire 1.

[p. 180, 1749] :

La Henriade.

Dans le temps de la Régence, Mr de Voltaire fut mis a la Bastille et y resta un an ; il y fit une grande partie de la Henriade ; mais comme il n'avoit ny papier ny plume, 1 l'écrivit, dans les interlignes d'un petit livre qu'on luy avoit laissé, et il se servit d'un crayon. Il fut mis dans cette prison comme complice de la conspiration dont on accusoit Mde la Duchesse du Maine — et on le trouva si innocent qu'en luy rendant la liberté on luy donna mille ecus — après estre sorti Mr de Voltaire lut ce qu'il avoit fait de la Henriade a plusieurs de ses amis et à Mr le Président Henaut. Ils lui firent des critiques qui luy déplurent, et de depit il jetta le livre ou étaient ses vers au feu ; le Pdt courut après et en retirant le livre brusla sa manchette 2.

[p. 185, 1750] :

Mr de Voltaire disoit qu'il seroit très fasché si on disoit qu'il a de l'Esprit. Il est vray qu'il ne le cherche jamais — et c'est le moyen d'avoir toujours celuy qu'il faut ; aussi est'il toujours vray dans ses pensées et dans ses images.

Il m'a conté qu'étant dans un caffé à Londres, ou il corrigeoit des feuilles d'epieuve de sa Henriade il fut acosté par un nommé Chacour qui estait boursier des arméniens au collège des jésuites dans le temps que nous y étions Mr de Voltaire et moy. Ce Chacour luy fit remarquer que son Poëme commençoit par une Epigramme :

je chante... et ce Roy généreux

qui força les françois à devenir heureux.

C'est sur cette critique que Mr de Voltaire a corrigé ce commencement 3.

[p. 187, 1750] :

Vers du Roy de Prusse dans une Lettre a Mr de Voltaire.

Vous voila donc déjà crédule en faveur de nos Médecins qui pour bien dorer la Pilule n'en sont pas moins des assassins ; il ne reste qu'un pas a faire, et je vois mon dévot Voltaire naziller chés les Capucins 4.

[p. 191, 1750] :

La Tiagedie de Zulime de Mr de Voltaire a été imaginée sur l'Enlèvement de Mlle le Brun par M... et sur l'inflexibilité du père de Mlle le Brun 5.

Dès le mois de juin Mr de Voltaire a fait faire un Théâtre chès luy ou 2 Troupes représentaient ; La grande composée de Mde Denis et de Mde de

1. Cette epigramme nous semble inédite.

2. Cette histoire est assez célèbre , mais Cideville est le seul — à notre connaissance — à affirmer que l'arrestation de Voltaire ait été en rapport avec la conspiration de Cellamare.

3. On sait en effet que Voltaire fit cette correction, mais on croyait qu'elle lui avait été inspirée par le Smyrniote Dadiky, OEuvres complètes, op. cit, t. VIII, p. 43. note 1.

4. Nous n'avons pas retrouvé ces vers dans la Conespondance de Voltaire.

5. Cette source de Zulime n'est indiquée ni par Beuchot, ni par Desnoiresterres.


NOTES ET DOCUMENTS 465

Fontame ses nièces de Mr de Tibouille excellent acteur &c. On y a joué Zulime Tragédie Entièrement refaite, Mahomet ler et Enfin Rome Sauvée Tragédie toute neuve d'une grande beauté. Mr de Voltaire y a joüé luy mesme et admirablement le Rosle de Ciceron, je le luy ay vu faire une seconde fois a Sceaux par complaisance pour Mde la Duchesse du Maine. L'autre Troupe de ce petit Théâtre etoit composée de bourgeois artisans — mais un Sr le Quien 1 ciseleur orfèvre agé de 20 ans m'a Etonné dans le Rosle de Mahomet.

[p. 193, 1750] :

Mr de Voltaire fut a Compiégne sur la fin de juin 1750 pour prendie congé du Roy avant que d'aller a Berlin ; Le peu d'acueil qu'il en reçut, joint aux tracasseries continuelles qu'on luy faisoit a Paris, et le peu d'aplaudissement qu'on avoit donné a ses deux dernières Tragédies de Semiramis et d'Oreste, quoyque très belles, sont la cause du parti violent qu'il a pris de se fixer auprès du Roy de Prusse 2.

[p. 193-194, 1750] :

Le Roy de Prusse reçut Mr de Voltaire a Berlin plus comme son ami que comme son Roy, les Lettres que Mr de Voltaire écrivit de ce pays la étaient pleines de son extrême satisfaction, il ne parloit plus que des fastes et de la magnificence de son nouveau niaitre. Quelqu'un le dit au Mal de Richelieu qui dit, c'est un verre d'eau de vie qu'on vient de donner a un homme déjà yvre.

[p. 200, 1751] :

En lisant le Monde comme il va et Zadig petits Romans de Mr de Voltaire on s'aperçoit bien qu'il a lu les fables de Pilpai, autheur indien.

Il ya des choses bien pensées et bien dites sur l'amitié dans ces fables 3e chapitre.

[p. 224-225, 1753] :

La Diatribe du Docteur Alcalda, médecin du Pape est une brochure attribuée à Mr de Voltaire, ou il critique les ouvrages de Mr de Maupertuis président de l'Académie de Berlin, et les rend ridicules. Cet Ecrit a été occasionné par un Demeslé de Mr de Maupertuis avec un Mr Koenig qui avoit accusé Maupertuis d'avoir emprunté de Leibnitz une idée de Géométrie qu'il donnoit pour une de ses découvertes.

C'était dans une Lettre de Leibnitz non imprimée et retrouvée après sa mort que Koenig soutenoit que cette idée algébrique avoit été prise ; Maupertuis nîoit l'existence de cette Lettre de Leibnitz : Koenig citait pour son garant un Mr3 exécuté il y avoit 3 ou 4 ans en Suisse comme complice d'une conspiration qui avoit soulevé les cantons suisses.

Le Roy de Prusse en défense du pdt de son Académie avoit fait rendre un decret par l'académie de Berlin, qui donnoit gain de cause a Maupertuis : c'est dans ces circonstances que mr de Voltaire, fatigué depuis trois ans par les mauvais tours et les tracasseries de Maupertuis, fit paroistre cette Pasquinade d'Akakia : Le Roy de Prusse irrité contre Voltaire et le soupçonnant d'avoir fait imprimer cette critique a Berlin a fait ou a ete très soupçonné d'avoir fait une défense aussi maltournée que forte pour Maupertuis, sous le nom de Lettre d'un Académicien de Berlin a un Académicien de Paris ou il tonne contre Voltaire : on a dit mesme qu'il l'avoit condamné en vingt mille livres d'amende et qu'il l'avoit banni de sa présence et mis aux arrests de son apartement.

Dans la gazette d'Amsterdam du 2 janvier 1753 il est dit que le Libelle Infâme Intitulé Diatrybe contre Mr de Maupertuis avoit été bruslé a Berlin le 26-Xbre-1752 par la main du Bourreau.

1. Le Eain.

2. Cf. Desnoiresterres, op. cit., TU, p. 427 : c'est le 28 j'uin que Voltaire quitta Compiégne.

3. En blanc sur le manuscrit.

REVUE D'HIST. LITTER. DE LA FRANCE (70e Ann.). LXX. 30


466 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

Mr de Voltaiie ne l'a pu pardonner au Roy de Prusse et est resté a Berlin sans luy fane sa cour, sous le prétexte de sa mauvaise santé ; le Roy qui l'armoit luy ecrivoit souvent quoy que dans le mesme palais : il a renvoyé a Voltaire le cordon et la clef d'or, marques de l'ordre de chambelan dont le Roy l'avoit décoré et que Voltaire luy avoit fait reporté, enfin après bien des négociations et des Lettres, Voltaire a enfin obtenu de partir pour les Eaux de Plombiere vers la fin de mars, il arriva a Leipsick le 27 mars, dit la gazette d'Utrech.

Delà il fut a francfort ou Mde Denis sa mece étant arrivée le 9 juin 1753 trouva son oncle avec les mains et les jambes enflées et de plus prisonnier dans son auberge a la poursuite du Résident du Roy de prusse a francfort : voila le Billet que ce Résident laissa a mr de Voltaire.

Sitost que le Balot que vous dites d'estre a Hambourg ou Leipsick sera revenu, ou est l'OEuvre des Poésies du Roy mon maitre, et l'OEuvre des Poésies rendu a moy vous pourrés partir ou bon vous semblera ce 1er juin 1753, freydag.

Mi de Voltaire prétend que c'est ce mesme livre dont Sa majesté luy avoit fait présent a son départ, qu'elle luy redemanda si durement et comme s'il l'avoit volé.

Mde Denis fait mander a Mde de fontaine sa soeur que quoy que leur Oncle a l'arrivée de ses balots ait rendu a fieidag et ce livre et toutes les lettres du Roy de Prusse, on le tient toujours aux arrests dans son auberge a francfort et que de plus la Régence a donné 2 gardes a elle Mde Denis. Le Prétexte de cette violence est que le Roy de Prusse redemande a Mr de Voltaire une Espèce de contrat ou Ecrit par lequel il luy donnoit la clef de chambellan et une pension dont une partie seroit réversible a Mde Denis après la mort de son oncle ; mr de Voltaire, ny Mde Denis n'ayant point ce billet ont passé devant notaire un acte parlequel ils ont renoncé a cette Donation : il l'a envoyé au Roy de Prusse avec la Lettre la plus touchante, elle a été publique : le Roy malgré cette renontiation si positive persistait vers la fin de juin a vouloir l'original de cet Ecrit avant que Voltaire et sa nièce eussent la liberté.

Enfin Mr de Voltaire a obtenu de partir et est venu a Strasbourg, voyès les Lettres 1.

[p. 228, 1754] :

Epitaphe de Mr de la Motte par Mr de Voltaire.

Il n'a point connu l'harmonie, Il eut trop d'ait et de Raison : l'Esprit luy tient lieu de Génie : auquel rang le placera t'on ? 2

[p. 232, 1754] :

Mr de Voltaire dans une Lettre a un de ses amis... dites à vos Théologiens de Paris qu'ils ne comprendront ny n'expliqueront jamais plus comment ils forment une pensée que comment ils font un Enfant.

De Mr de Voltaire.

Stuart, chassé par les Anglois, Dit son Rosaire en Italie : Stanislas ex Roy Polonais fume la pipe en Austrasie. L'Empereur, aux frais des François, Vit a l'auberge en Franconie ; Peuples célébrés a jamais cette comique Epiphanie 3.

1. On connaît dans les grandes lignes cette histoire, Desnoiresterres, op. cit, t TV, p. 314 sq. ; le récit de Cideville n'apporte pas d'éléments neufs, mais nous montre comment les contemporains apprécièrent les événements.

2. Pièce inédite.

3. Cette poésie se retrouve dans les OEuvres complètes, op. cit, t. X, p. 525, elle y est intitulée L'Epiphanie de 1741. Variantes . v. 5 « Chéri des François » ; v. 7-8 :

« La belle reine des Hongrois Se rit de cette épiphanie »


NOTES ET DOCUMENTS 467

[p. 254, 1757] :

De 4 couplets faits sur l'air précèdent du Port Mahon contre le Roy de Prusse voila le seul passable.

Il ne fait plus de vers,

N'écrit que de travers

Depuis que le Voltaire n'est plus n'est plus son guide ordinaire,

et sa Science guerrière

en perdant Schever 1, n'est plus rien n'est plus n'est plus rien.

[p. 257, 1758] :

Mr de Voltaire demandoit dans une Lettre a mr Thiriot au sujet de ces petits Corneilles parens très éloignés qui attaquent le testament de mr de fontenelle 2. Quels sont donc ces Parens de Pertharite qui le disputent a ceux de Cinna.

[p. 262, 1759] : Epithalame de Mr de Voltaire en un vers.

C'est le plaisir d'un seul et le désir de tous 3.

Du mesme.

Mde de Bentinck 4 ecrivoit a mr de Voltaire qu'elle etoit dans la mesme ville ou l'empereur Marc Aurele avoit fait de beaux ouvrages sur le gouvernement et que si elle avoit l'Esprit de Marc Aurele ou de Mr de Voltaire, elle ecriroit de belles et bonnes choses a la Reine d'hongrie. Mr de Voltaire luy repondit.

Marc Aurele autrefois des Princes le modele, Sur le devoir des Rois ecrivoit dans ces lieux :

et Thérèse met sous vos yeux

tout ce qu ecrivoit Marc Aurele 5.

[p. 264, 1759] :

Candide.

Vers Pasques parut une Espèce de Roman philosophique fort plaisant sur le Tout est bien et Tout n'est pas Bien ; il est de Mr de Voltaire, car de qui pourroit il estre ?

Sur ce Roman.

Candide est un petit Vaurien, Qui n'a ny pudeur ny cervelle ; a son air on le Connoit bien frère cadet de la pucelle ; Leur vieux Papa, pour rajeunir, donneroit une grosse somme ; Sa jeunesse va revenir : Il fait des oeuvres de jeune homme ; Tout n'est pas bien : Lises l'Ecrit ! la Preuve en est a chaque Page ; vous verres mesme en cet ouvrage, Que tout est mal, comme il le dit 6.

1. Pièce inédite. Schever est en fait Schewerin, le grand général prussien, tué en 1757, au siège de Prague.

2. On sait en effet que les cousins de Fontenelle attaquèrent son testament.

3. Vers inédit.

4. On connaît la comtesse de Bentinck, l'amie et la correspondante de Voltaire.

5. Pièce médite.

6. Pièce inédite.


468 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

[p. 266, 1759] :

Garouli 1 Poète gascon qui n'a écrit qu'en Patois. Il a fait une Henriade. Il vivoit sous Louis 13.

[p. 272, 1760] :

Mr de Voltaire avoit fait, je ne me souviens plus de l'a-propos, ces vers contre eux 2.

Au livre du Destin, chapitre des grands Roys on lit en lettres d'or ces paroles Ecrites, deux beautés sauveront l'empire des François et le délivreront de deux races maudites :

Agnès Sorel a chassé les Anglois

et Pompadour chassera les jésuites 3,

[p. 280, 1765] :

Mr de Voltaire avoit donné depuis 3 mois le Rosle de Palmire de Mahomet a une jeune belle pour avoir le temps de l'aprendre et de l'y exercer, enfin excédé de son jeu faux et a contre sens il luy dit :

figurés vous bien Mlle que Mahomet est un scélérat, qu'il a fait assassiner Zopire par Seide son fils, qu'il fait empoisonner Seide, qu'il veut deshonorer Palmyre, et coucher avec vous ; après tout cela, si vous y trouvés un certain plaisir, vous estes bien la maîtresse et vous joiies a merveilles , mais si vous voies qu'il faut le détester, joués donc ainsi ■— et il voulut luy montrer — mais inutilement.

Piron

[p. 131, 1747] :

Epigramme de Pirron Le bon mot de Duclos.

Dans les foyers le prosateur Duclos

en vi ay Pigmée, attaquoit en champ clos

l'art de Virgile, envoyait Phébus paître ;

advint pourtant qu'on luy lut certains Vers,

ou des Anglois célébrant les revers

le beau Bernis use tout son Salpêtre ;

Sur quoy mon Sot, extasié d'abord,

comme qui voit la gloire du Tabor,

Va, s'ecriant, Mon dieu la belle chose :

ma foy ses vers ont le feu de la Prose 4.

[p. 151, 1748] :

On disoit a Pirron qu'un Tel dont il ne faisoit pas grand cas se mouroit chès un mareschal ; ouy, dit il, je savois qu'il logeoit chés son cordonnier.

[p. 210, 1753] :

Robbé 5 avoit recité à Pirron son Poëme sur la vérole : cela me paroit bien peint et bien exprimé luy dit Pirron ; on voit que vous estes plein de vostre sujet.

1. Ce personnage nous semble absolument inconnu, mais, comme le propose M R. Lebègue, il faut certainement lire Qoudouli, ce poète (1580-1649) composa en effet des Stansos sur Hemi IV.

2. Les jésuites.

3. Pièce inédite.

4. Pièce inédite.

5 Robbé (1712-1792) se fit remarquer dès sa jeunesse par ses talents satiriques. On l'appela « le chantre du mal immonde ».


NOTES ET DOCUMENTS 469

[p. 211, 1753] :

Trait plaisant.

Piiron, par une belle nuit d'Eté passoit sur le Pont neuf avec un Nigaud de la Province, et après s'être plaint de l'excessive chaleur, il défit son habit et se mit a le porter sur son épaule : un instant après il redouble ses plaintes, dit que cet habit l'Ecrase, et qu'il n'en peut plus ; enfin tant se plaignit que son compagnon enfin s'offre a le soulager de ce fardeau, et c'était aquoy Pnron vouloit l'amener, il luy mit donc cet habit sur le Corps, en le remerciant du bon office qu'il luy rendoit, mais aussitost le traitre s'enfuit, en criant au voleur : le guet vient trouve Pirron en chemise qui se plaint qu'on luy a dérobé son habit, le guet saisit le prétendu Voleur, et les mené tous deux chés le Commissaire ou Pirron après avoir bien fait verbaliser, et joui de toute la peur de son camarade finit l'aventure en se nommant et en se faisant reconduire par le guet luy et son camarade.

[p. 251, 1757] :

Vers de Piron Sur la comédie de Diderot intitule Le fils Naturel.

Le grand Dorval, tout bouffi d'Egoisme d'abord s'est peint, et bientost fut jugé ; en nous prouvant sur un ton d'Aphorisme, que qui le lit doit en estre afligé. j'en suis d'acord : Trêve de sillogisme ! car que me fait a moy son Stoïcisme, et cet autel, par luy mesme exigé a sa vertu ? de ce Charlatanisme depuis longtemps je suis trop excédé : l'Esprit de Secte et de Prosélitisme, dont chaque instant il semble possédé, mesle au Patois de son froid Pedantisme de l'Esprit fort le jargon d'Athéisme ; on croiroit voir, a son triste maintien un Capucin, qui presche le Déisme ; j'aime encor mieux lire mon Catéchisme que m'ennuyer a n'estre pas chrétien ; ami Dorval le plus sot fanatisme c'est la fureur d'estre martir de Rienl.

[p. 264, 1759] :

Sur Mr Gresset qui a fait une rebactation authentique et imprimée de ses ouvrages de Théâtre.

Epigramme de Piron.

Gresset pleure sur ses ouvrages en pénitent des plus touchés : aprenés a devenir sages petits Ecrivains débauchés ! Pour nous, qu'il a si bien preschés, demandons que dans l'autre Vie Dieu veuille oublier ses péchés, comme en ce monde on les oublie 2.

[p. 271, 1760] :

Epigiamme de Piron sur Mr l'abé le Blanc 3 qui vouloit estre de l'académie françoise.

j'ay du Pain, je suis honneste homme, je fis jadis Abensaid,

1. Pièce inédite. Le Fils naturel fut créé en 1757.

2. Pièce inédite. C'est en effet en 1759 que Gresset fit ses adieux au théâtre et u se convertit ».

3. Jean-Bernard Le Blanc, littérateur et historien français.


470 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

qu'a Venise aussi bien qu'a Rome

je vis mettre a costé du Cid.

Tu fis Roi le Berger David,

grand Dieu fais moy l'un des quarante,

confrère de mr le franc.

Ma vanité sera contente...

Ainsi soit'il mr le Blanc 1.

Jean-Jacques Rousseau

[p. 228, 1754] :

...par Marmontel.

au Genevois on repondra, le public par de vains murmures les Polissons par des injures, et Rameau par un opéra 2.

[p. 229, 1754] :

Une femme disoit de j-jq. Rousseau de Genève que c'était un homme plein d'humeur, qui s'etoit purgé, et avoit jette son pot de chambre sur les Passans 3.

Marmontel

[p. 275, 1762] :

Sur la mort de l'abé de la coste 4 aux galères par Marmontel contre freron.

Lacoste est mort : il vaque dans Toulon par cette perte un Employ d'importance : le bénéfice exige residance, et tout Paris y nomme jean freron.

contre freron du mesme.

pour un vil interest De Truche s'est pendu, pour un plus vil encor le plat freron écrit, au gibet, a la Roue, on a lieu de l'attendre : le moins capable meurt, et le plus coquin vit.

contre le mesme du mesme.

Souris de trop bon goust, Souris trop téméraire un trebuehet enfin de toy me fait raison, tu m'as mangé, méchante, un tome de Voltaire, et je revois encor les oeuvres de freron 5.

D'Alembert

[p. 212, 1753] :

Vers de Mde de Beouille 6 pour le portrait de Mr Dallembert.

Il change a son grès de visage il paroit tour a tour Dangeville, Poisson Poëte, historien, géomètre, bouffon,

Il contrefait mesme le sage.

1. Cette pièce a été publiée dans toutes les éditions complètes des OEuvres de Piron, mais avec seulement les initiales à'Abensaid, de « Le Franc » et de « Le Blanc ». La tragédie d'Abensaid, empereur des Mongols fut créée en 1736

2. Pièce inédite.

3. Il est difficile de déterminer si cette plaisanterie fut inspirée par la « querelle des Bouffons » ou par les Discours de Rousseau.

4. L'abbé E -Jean La Coste, moine défroqué, condamné aux galères pour escroquerie. Ce quatrain se retrouve dans les OEuvres de Voltaire, t. XLI, p. 310 •— mais sans nom d'auteur.

5. Ces deux pièces de Marmontel sont inédites.

6. Nous nous avouons incapable — si toutefois nous avons bien lu le manuscrit — d'identifier cette personne.


NOTES ET DOCUMENTS 471

Ces petits vers de valeur inégale, ces historiettes, ces ana peuvent décevoir le lecteur. Mais il nous semble qu'on y trouve un reflet assez fidèle de la vie littéraire du temps. La physionomie de Fontenelle, celle de Voltaire se précisent encore. Ces petites touches complètent leur portrait. Et il n'est jamais indifférent de savoir comment un témoin aussi curieux et aussi éclairé que Cideville a pu comprendre et ressentir les illustres événements qu'il relate.

ALAIN NEDERST.

«LA PROVENÇALE» EST-ELLE DE REGNARD ?

La bibliographie de La Provençale a quelque chose d'exagéré 1. Aussi hésiterions-nous à grever d'un nouveau commentaire une oeuvre si mince, si nous n'avions le sentiment que la critique et l'histoire littéraires aimeront être averties de l'abus de confiance qui, croyonsnous, fut commis en 1731, au tome II des OEuvres de Regnard (mort dès 1709, rappelons-le), par la Veuve Pierre Ribou. Une oeuvre « posthume », La Provençale ? Apocryphe, plutôt !

En soi, cette « historiette », pour parler comme l'éditeur dans son Avertissement, ne poserait aucun problème. On y reconnaît sans peine, relevés d'une ou deux scènes de harem assez corsées (deminudités, gazes noires, « tapis de Turquie »), les principaux thèmes — très affadis — d'une tradition italo-espagnole déjà ancienne : retrouvailles de deux amants en captivité, esclave aimé de sa patronne (ici, multipliée par quatre), évasion (ici, elle échoue), Turc « parfait honnête homme » — ici, il y en a deux 2. Il serait même aisé de prouver que La Provençale n'est qu'un centon de lieux communs grossièrement raccordés à la biographie de Regnard par quelques allusions à ses voyages en Italie, Pologne et Laponie. Soit, par exemple, la flèche utilisée aux pages 54 et 58 pour envoyer à la captive une lettre et du fil : on la retrouve — dans un décor turc — chez Mme d'Aulnoy 3. Soit encore la situation scabreuse où est mis le héros à la page 71 (Achmet Thalem survenant au moment où sa femme Immona va faire succomber la vertu de Zelmis, celui-ci, précipitamment roulé dans un matelas, assiste en tiers invisible à des ébats conjugaux improvisés) : elle figurait dans L'Amoureux

1. La Relation de l'esclavage des sieurs de Fercourt et de Regnard, par Fercourt, a été éditée par Dupont-White (1847), Caieu (1868-1869), Targe (1905), Misermont (1917 et 1935). On en trouvera les références exactes dans la thèse d'Alexandre Calame, Regnard. Sa vie et son oeuvre, « Publications de la Faculté des Lettres d'Alger », XXXVII, P.U.F., 1960. Aux travaux d'Ed. Foumier (1875), R. Gautheron (1909), L. Brédif (1910) et Ed. Pilon (1920) sur La Provençale, cités par A. Calame, ajouter ceux de Frédéric Deloffie (Une préciosité nouvelle : Marivaux et le marivaudage, p. 73) et André Vovard (Les Turqueries dans la littérature française, p. 164). Vovard étudie les hypothèses de P. Toldo (K.HLF., 1906, p. 337) et de M. Bardon (Don Quichotte en France, 1931) sur les sources espagnoles possibles du roman de Regnard ■— ou du pseudo-Regnard (cf. A. Calame, op. cit., p. 117).

2. Ces thèmes sont inventoriés dans notre thèse en voie d'achèvement, L'Afrique barbaresque dans la littérature française aux XVIe et XVIIe siècles.

3. Histoire de Jean de Bourbon, Paris Cl. Barbin, 1692, début du tome premier.


472

REVUE D'HISTOIRE LITTERAIRE DE LA FRANCE

Africain 1. Voici deux plagiats presque textuels. L'un met à contribution la Gazette de France du 13 octobre 1682, p. 667 :

Gazette

« Alger est bâtie sur la pente d'une montagne, en sorte que de la mer on découvre toutes les maisons, qui sont couvertes en terrasses et blanchies, ce qui rend la vue fort agréable 2.

La Provençale, p. 38

« Alger est situé sur le penchant d'une colline que la mer mouille de ses flots du côté nord. Les maisons, bâties en amphithéâtre et terminées en terrasses forment une vue très agréable à ceux qui y abordent par mer. »

L'autre est un démarcage de L'Heureux Esclave de Sébastien Bremond, s.l., 1677 et Cologne, 1692 (j'ai consulté Paris, P. Witte, 1708, p. 48) :

Bremond

[C'est le pacha de Tunis qui paile.] « Les mêmes scrupules que vos dames se font pour favoriser un amant, on les a ici de les faire languir et le titre de cruelle et d'insensible y est aussi odieux parmi nous que celui de galante. La loi de Nature est la première que nous suivons préférablement à celle de Mahomet. »

Regnard (?), p. 65

« On ne sait ce que c'est que d'y mourir [chez les Turcs] des cruautés d'une belle, et les dames ont le même scrupule en ce pays-là de faire languir un amant, que quelques-unes ont en celui-ci de le favoriser. Elles font toutes les avances : la loi de la nature est la première, qu'elles suivent préférablement à celle de Mahomet [...] »

Maints détails, enfin, prouveraient que l'auteur n'a jamais mis les pieds en Barbarie. N'en retenons qu'un. A la page 43, Elvire se rend au bain par la « porte de la Casserie ». Ou bien cela n'a aucun sens, ou bien il faut raisonner comme suit : 1° Casserie (on trouve aussi cacherie, Mercure galant, juillet 1684, p. 233) est la forme francisée (par le biais du franco) de kissaria, bâtiment en forme de cloître, fondouk. Mais il n'existe à Alger aucune porte de ce nom. On y trouve, par contre, une porte de la Pêcherie — une des cinq portes d'Alger, avec Bab el-Oued, Bab Azoun, la porte Neuve et la porte de l'Ile (dite aussi : de la Guerre Sainte). 2° Restituons Pêcherie : il faudrait supposer que l'héroïne, au heu de se rendre au hammam, va prendre un bain de mer, ce qui est impensable, et d'ailleurs incompatible avec le contexte. Ce ne se sont pas là bourdes de copiste ou de typographe, mais d'auteur — d'un auteur qui, n'ayant jamais vu Alger, écrit sur documents. Bref, une oeuvre médiocre et qu'un clinquant de concetti sur les chaînes, les fers et l'esclavage de l'amour ne sauvent pas de la platitude, comme l'a bien vu Alexandre Calame 3, malgré le sentiment qu'éprouve parfois le lecteur — mais si fugitif, si évanescent — que l'auteur se souvient

1. Cologne, 1671. J'ai consulté Amsterdam, H. et Th. Boom, 1676, p. 90

2. Je pourrais citer dix autres textes très approchants. Voici le plus rare, tiré du Tableau de l'Afrique de Chaulmer, Paris, L. Chamhoudry, 1654, p 84 . « L'abord de cette ville présente vers la marine une forme d'amphithéâtre, étant bâtie sur la pente d'une colline qui la fait voir toute entière à découvert. Les couvertures des maisons sont faites en terrasses, d'où l'on peut prendre le diveitissement et la commodité de promener ses yeux sur la vaste étendue de la Méditerranée. »

3. Regnard..., op. cit., p. 119.


NOTES ET DOCUMENTS 473

vraiment, comme dans une vie antérieure, d'avoir aimé en captivité, d'avoir été rendu heureux par cet amour et d'en avoir, tout le premier, ressenti quelque étonnement : là serait peut-être le vrai sujet, s'il existe.

Mais c'est là, aussi, que tout se complique. La malchance des historiens de la littérature, et la chance des critiques amateurs, a voulu que La Provençale parût s'inspirer d'une captivité réelle, quoique très brève, vécue « en Alger » par Jean-François Regnard d'octobre 1678 à mai 1679. Une lettre du père lazariste Jean Le Vacher, alors consul de France à Alger, en atteste indubitablement l'historicité 1. Bien plus : nous possédons, pour nos péchés, un récit de cette captivité par celui qui fut le fidèle compagnon de Regnard, en Laponie comme en Afrique : Pierre de Fercourt, dont la Relation a été imprimée cinq ou six fois en moins d'un siècle 2. Il en résulte un casse-tête un peu semblable à la comparaison de l'Itinéraire de Paris à Jérusalem avec le journal du valet de chambre de Chateaubriand. Alexandre Calame s'est efforcé, non sans mérite, de faire le départ entre l'authentique et l'imaginaire : d'où les deux chapitres de sa thèse consacrés au roman de Regnard — ou du pseudoRegnard 3.

Mais est-il bien sûr, par exemple, que La Provençale ait été écrite en 1683 ? Voici les arguments d'Alexandre Calame (p. 50) : 1° quand le narrateur parle du « démêlé que nous avons depuis peu avec ces pirates », il doit s'agir de la crise franco-algérienne de 1682-1683 ; 2° le consul qui tire Zelmis de sa prison est probablement le P. Le Vacher, lequel a été supplicié le 29 juillet 1683. La composition de La Provençale serait donc, mais d'assez peu, antérieure à cette date. Fort bien. Mais rien ne dit que le consul de France du roman soit ce père Jean Le Vacher : A. Calame le reconnaît lui-même en note. D'autre part, le Baba Hassan de La Provençale pourrait ne pas être le dey assassiné en juillet 1683, mais un homonyme qui fut déposé en juillet 17004. Denis Dusault, s'il n'était pas alors consul de France à Alger (titre que lui donne La Provençale) était mieux que cela : gouverneur du Bastion 5. Quant au « démêlé », il pourrait s'agir d'un grave incident diplomatique causé par l'évasion d'une vingtaine de Français esclaves à Alger, le 18 juillet 1699 6 : un démêlé n'est pas une guerre. Bref, il est difficile de se défendre de l'impression que La Provençale a été écrite en 1700 ou en 1701.

Autre question : quand Fercourt écrivit-il sa Relation? Deux textes, cités par A. Calame, d'après Targe, nous assurent que ce fut en 1733 — deux ans, donc, après la publication du roman. Fercourt était pour lors octogénaire. Qui nous garantit la véracité de souvenirs

1. A. Calame, op. cit., p. 22 et 29.

2. Voir note 1, p. 471.

3. « La Captivité en Alger » et « La Provençale ". Voir note 1, p. 471.

4. Voir E. Plantet, Correspondance des deys d'Alger avec la cour de France, t. II, p. 4.

5. Concession commerciale avec magasins fortifiés dont une compagnie française jouissait depuis 1628, un peu à l'ouest de la frontière algéro-tunisienne. En dépendirent les comptoirs voisins de Bône, de La Calle, de Collo et du cap Rose.

6. E. Plantet, op. cit., t. I, p. 559.


474 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

si lointains, rédigés La Provençale sous les yeux, dans un souci de rectification, voire d'éreintage ? Ce procédé, objectera-t-on, n'est pas d'un ami. Mais qui nous certifie, après tout, que La Provençale soit de Regnard, du moins dans l'état où elle fut produite, et que, par conséquent, en s'en prenant à elle (car c'est bien ce qu'il fit), Fercourt eût le sentiment de s'attaquer à son vieux compagnon ? Écoutons-le : « Tous nos voyages ont été imprimés sous le nom de M. Regnard, mais mal, sur des fragments qu'on a trouvés après sa mort ; il y a tant de choses qui ont été omises et d'autres si mal placées [...] » 1. Pourquoi le manuscrit de La Provençale n'aurait-il pas souffert pareilles entorses — ou pires ? Niant que Regnard ait jamais exercé à Alger le métier de « faiseur de ragoût », et qu'il ait jamais eu maille à partir avec la police algérienne pour avoir été surpris en flagrant délit avec une mahométane, Fercourt priait le père Nicéron de traiter par le mépris des « mémoires » si peu « sérieux » 1. Or, le flagrant délit, s'il se trouve en effet dans La Provençale, venait tout droit sinon du Gil Blas de Lesage 2, du moins d'un patrimoine thématique commun à celui-ci et à Regnard — si Regnard il y a 3. Quant à « la légende d'un Regnard utilisant sa science culinaire pour se faire bien venir de son maître », on la chercherait en vain dans le « petit roman », mais elle était connue, dès 1727, de Titon du Tillet 4. C'est donc qu'il existait plusieurs versions romancées de la captivité de Jean-François Regnard.

Ainsi s'expliquerait •— le plus simplement du monde — que l'auteur du Légataire universel n'ait pas publié La Provençale de son vivant : il ne l'avait pas même écrite. Elle aura été composée, remaniée, arrangée par d'obscurs plumitifs qui n'auront trouvé que des avantages à la déposer parmi les oeuvres complètes d'un auteur célèbre, dont la vraie captivité en Barbarie pouvait conférer à La Provençale un peu du piquant dont elle manquait. Ce procédé n'était pas rare. Des Nouvelles africaines ont été attribuées à Mco de Villedieu par un éditeur sans scrupule 5 ; et, quoi qu'en pense Alexandre Calame, à la suite, peut-être, de Roland Lebel 6, L'Heureux

1. A. Calame, op. cit., Appendice B.

2. Première édition 1715. Cf. la scène où Don Raphaël est surpris par le pacha Soliman dans les bras de la « sultane " (p 228).

3. En principe, le chrétien mis dans le cas de Don Raphaël (voir note précédente) était passible du supphce du feu et pouvait s'y soustraire en se faisant musulman (État des Royaumes de Barbarie, Rouen, G Behourt, 1703, p. 86). Cette situation ne pouvait que plaire aux auteurs de romans licencieux voir L'Heureux Esclave, op. cit, p. 14. Elle fut mise sur le marché littéraire par la xxe relation « particulière " de la Relation de la captivité et liberté de sieur Emmanuel d'Aranda, Bruxelles, 1656 (cinq autres éditions, dont deux à Pans, jusqu'à 1671).

4. Description du Parnasse français, p. 302, citée par A. Calame, op. cit., p. 26.

5. La première édition (1673) est devenue introuvable. Un exemplaire, décrit au n° 4864 du Supplément de la Bibliography of Algeria de L Playfair, appartenait, vers la fin du siècle dernier, au collectionneur algérois Haym Boukris. Ces Nouvelles (pluriel abusif, car il n'y en a qu'une) se retrouvent à partir de 1702 au t. VI des OEuvres de Mme de Villedieu — la Veuve Claude Barbin l'ayant, pour ainsi dire, captée . tout comme la Veuve Pierre Ribou en usera, dix-neuf ans plus tard, avec La Provençale.

6. Les Voyageurs français du Maroc. Larose, 1936, chap. iii. Servi par sa profonde ignorance de l'histoire littéraire en général et de la Relation de Fercourt en particulier, R Lebel a correctement jugé que La Provençale, d'un bout à l'autre, sonne complètement « faux » (p. 73).


NOTES ET DOCUMENTS 475

Esclave de La Martinière était, lui aussi, une mosaïque de faux souvenirs de captivité \ Fercourt n'aurait-il pas, sans exclure des souvenirs personnels, fabriqué sa propre Relation de bric et de broc — et d'abord de lambeaux de La Provençale? On croit prouver la valeur biographique du roman par le fait que deux personnages féminins, Immona et Fathma, sont attestés, sous le même nom, dans la Relation. Mais si Fercourt s'était contenté de les prendre chez « Regnard » ? Pierre Martino, en 1921, signalait déjà ce cercle vicieux 2.

Au bout du compte, il semble que la France, une fois l'Algérie conquise, ait ressenti obscurément le besoin de forger des lettres de noblesse à sa littérature coloniale. On redécouvrit La Provençale. On consacra la supercherie d'un libraire. Va pour Regnard. Il faisait assez bien l'affaire. Pouvait-on se montrer trop difficile ? Un livre — d'époque, s'il vous plaît — se fabrique moins facilement qu'une légende 3.

Admettons cependant que La Provençale soit de Regnard : il aurait donc résolu de façon singulièrement maladroite — c'est-à-dire en parlant d'Alger comme s'il n'y avait jamais vécu — le problème qui se posait à tout ancien captif capable et désireux de raconter sa vie en Barbarie. Dire les choses tout simplement, comme elles s'étaient passées ? Impossible, certes. Non seulement par l'incapacité logique où est tout narrateur de restituer intégralement le réel. Une déformation supplémentaire, toute passionnelle, intervenait ici.

1. La Martinière n'est -pas un pseudonyme : c'est le nom d'un personnage fictif. Cet Heureux Esclave (à ne pas confondre avec celui de Bremond cité supra, p. 472), a été la victime des bibliographes qui, de Lenglet-Dufresnoy à Cioranescu, en passant par A. Barbier, Ch. Tailliart, R.C. Williams et D.F. Dallas, ont accumulé sur lui les bourdes les plus cocasses, faute de ravoir tenu entre les mains. « La cane ty far gaziva, ty tener fantasia, a fè de Dio my congar bueno per ti », criait Ali Bitchnin aux oreilles d'un esclave récalcitrant dans la Relation xxxviii d'E. d'Aranda (op. cit., à la note 3, p. 474). " Canè ti far gaziva ty tener fantasia à fe de Dio my congar buono per ti », vociféraient les gardes-chiourme de Tétouan dans le livre du pseudo-La Martinière, lequel donnait de ce monument de langue franque exactement la même traduction que d'Aranda (« Voire, chien, vous faites l'entendu, vous avez des fantaisies, par la foi de Dieu, j'e vous accommoderai bien » : La Martinière se contentait de supprimer Voire et bien). Or, Alexandre Calame (op. cit., p. 28) a cru retrouver chez La Martinière, justement, cette phrase de " franco » figurant dans la Relation de Fercourt : " No piliar fantasia. Dios grande. Mondo cousi, cousi. Dios fera il tuo camino, si venira Ventura, ira a casa tua. » Mais La Martinière avait écrit, p. 134 : " No pilla fantasia Dios grando si venira ventura ira acasa toua. » (Il traduisait : « Ne vous affligez pas, Dieu est grand, il viendra une autre aventure qui vous fera retrouver votre maison. ») La phrase de Fercourt vient donc du père Dan, où le pseudo-La Martinière, de son côté, l'avait maladroitement recopiée : « No pillar fantasia, Dios grande, mundo cosi, cosi, si venira ventura, ira à casa tua » (Histoire de Barbarie, 1637, 2e éd., p. 389).

2. Revue africaine, t. LXII, p. 195. Autre aspect du cercle : dans La Provençale, Zelmis est capturé par un rais nommé Mustapha. Dans la Relation, Regnard et Fercourt le sont par le fameux Mezomorto : ce corsaire, dont la célébrité internationale date de 1670 (Gazette de France, p. 191), profita du bombardement d'Alger par Duquesne, en 1683, pour évincer Baba Hassan. Si La Provençale était de Regnard et que la Relation de Fercourt fût véridique, on comprendrait mal que l'obscur Mustapha ait été substitué à un personnage historique qui aurait fait belle figure à côté de Baba Hassan et dont Lesage, pour sa part, n'a pas balancé de se servir au chapitre xiii du Diable boiteux (1707). Mais d'où tirer la certitude que Fercourt, sur ce point encore, dit la vérité — qu'il n'a pas, par exemple, pillé Lesage ?

3. Pensons à celle de Porcon de La Barbinais, « le Régulus malouin ».


476 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRATRE DE LA FRANCE

Plût au ciel qu'elle fût dans les hommes, cette passion ! Elle était, pour ainsi dire, dans les choses. La Barbarie était un sujet brûlant. Dès qu'on cessait de la vitupérer, on était soupçonné de complaisance pour le Diable, avec le Diable ; en sorte qu'à moins de se lancer dans le romanesque (encore était-ce bien souvent un alibi insuffisant, ou faux) on ne pouvait en parler, en mal ou en bien, que sur le pied de la polémique. Parmi nos récits d'esclavage, s'en trouve-t-il un seul qui donne une certaine impression de sérénité ? Un seul, en effet, celui du sieur de Rocqueville : esclave à Alger en 1674, ce gentilhomme pauvre eut la chance rare, tout lettré qu'il fût, ou si peu qu'il le fût, d'être un peu simple d'esprit 1. Tous les autres sont pour ou contre — étant plus ou moins pour, répétons-le, quiconque n'est pas tout à fait contre : et de sentir bien vite le fagot. Telle était la difficulté propre à toute relation de captivité. Or, sur les douze auteurs de récits d'esclavage imprimés au xviie siècle 2, trois ont su l'esquiver, cette difficulté, par l'invention d'une forme littéraire à laquelle il n'a manqué que de faire école pour mériter le nom de genre : le récit biographique à « histoires » complémentaires. J'étudierai ailleurs ces trois oeuvres d'un grand intérêt 3. Le « petit roman » de La Provençale n'est évidemment pas du nombre. La réputation de Regnard ne souffrirait guère qu'on lui en déniât, désormais, la paternité 4.

GUY TURBET-DELOF.

CHATEAUBRIAND ET HORACE VERNET (suite)

Qu'il me soit permis d'apporter ici un document complémentaire sur les rapports de Chateaubriand avec le peintre Horace Vernet dont j'ai parlé dans une précédente livraison de la Revue d'Histoire littéraire (novembre-décembre 1968, p. 1032-1037). Je rappelais alors les rencontres londoniennes de l'artiste libéral et du représentant de Louis XVIII auprès de S.M. Britannique, puis je montrais comment, en 1828-1829, dans la Ville Éternelle, l'ambassadeur à la Cour Pontificale et le directeur de l'Académie de France avaient resserré les liens qui semblaient les avoir unis jusque là d'une manière assez lâche.

Aussi bien, lors de la rapide visite à la Bibliothèque municipale de Nantes m'ayant permis de connaître les deux lettres inédites grâce auxquelles je pus mettre en lumière l'apparente familiarité des deux hommes et de leurs épouses, un billet ne m'avait pas été

1. Relation des moeurs et du gouvernement d'Alger, Paris, O de Varennes, 1675.

2. Trois pour le Maroc, cinq pour Alger, trois pour Tunis, un pour Tripoli.

3. Voir note 2, p. 471. Il s'agit de la Relation d'E. d'Aranda citée à la note 3, p. 474, de celle de Germain Mouette, Pans, J. Cochart, 1683 et de l'Esclave religieux, Pans, D. Hortemels, 1690.

4. L'une des Nouvelles africaines d'Eustache Le Noble (Amsterdam, P. de Coup, 1710), intitulée La Femme esclave et volontaire, a une intrigue très semblable à celle de La Provençale. Or, sa source n'est pas livresque, mais orale, à en croire, p. 227, la reconnaissance de dette exprimée par l'auteur envers " les poètes provençaux dont [il a] su les principales particularités de ces aventures » (l'héroïne est originaire d'Antibes). Regnard ou le pseudo-Regnard serait-il redevables à quelque félibrige ?


NOTES ET DOCUMENTS 477

communiqué, qui précise pourtant encore mieux les caractères de leurs relations. En voici le texte 1 :

Paris, ce 17 oct. 1823.

J'ai parlé, Monsieur, au ministre de l'Intérieur pour la gravure. Il m'a paru fort bien disposé et il m'a dit qu'il devait vous voir. Je vais aller passer quelques jours à la campagne ; après quoi j'espère que vous tiendrez vos deux promesses, que vous me ferez l'honneur de dîner chez moi et de consacrer quelques heures de votre beau talent à mon portrait.

Vous connaissez, Monsieur, mon admiration et mon dévouement.

Chateaubriand.

Ces quelques lignes imposent certaines remarques :

1° Au moment même où il appartenait à l'équipe gouvernementale, Chateaubriand gardait assez d'indépendance personnelle pour continuer, comme à Londres, de fréquenter et de recevoir à sa table, au ministère, le peintre qui n'était pas officiellement persona grata, en raison notamment de ses oeuvres d'inspiration souvent napoléonienne.

2° Je ne sais à quelle gravure de Vernet l'écrivain fait allusion ; sans doute s'agit-il de quelque commande éventuelle de l'État. On voit ainsi qu'Horace, malgré ses opinions, ne dédaignait pas, à l'occasion, de travailler pour un régime qu'il n'appréciait guère, et que Chateaubriand n'hésitait pas, en faveur d'un ami, à jouer les solliciteurs, ce qu'il n'aurait certainement point fait pour lui-même, surtout quand le sollicité était M. de Corbière, son collègue et intime ennemi, pour qui il n'éprouvait aucune sympathie, ainsi qu'en témoignent maints passages des Mémoires dOutre-Tombe !

3° On n'entend pas sans surprise Chateaubriand parler d'aller passer quelques jours à la campagne à un moment où les affaires et, singulièrement, la liquidation de sa guerre d'Espagne devaient l'accaparer tout entier. En fait, ses lettres publiées, datées de la seconde quinzaine d'octobre 1823, ont toutes été écrites à Paris. Cependant, il en était alors au plus fort de sa passion pour Cordélia de Castellane et rêvait sérieusement d'aller la rejoindre dans quelque accueillante retraite ; après avoir manqué avec elle un rendez-vous à Fontainebleau au début d'octobre, il prendrait quatre jours de congé au commencement de novembre pour la retrouver en Normandie 2 : mais, cette escapade d'amoureux pouvant sans doute se produire à n'importe quel moment, le correspondant de Vernet ne voulait ni ne pouvait absolument pas fixer une date précise pour l'invitation à dîner qu'il faisait à son hôte...

4° Au faîte de la gloire politique, Chateaubriand songeait à se faire peindre par H. Vernet. Il ne semble pas que ce projet ait été réalisé. J'avais cru un moment que ce portrait pouvait être celui

1. Bibliothèque municipale de Nantes, Fonds Labouchère, 662/3 : autographe signé, ayant figuré, sous le n° 145 du catalogue, à l'Exposition Chateaubriand organisée en 1968 au chef-lieu de la Loire-Atlantique à l'occasion du bicentenaire de la naissance de René. — Je remercie Mlle L. Courville et M. J.-Y. de Sallier-Dupin qui m'ont obligeamment adressé la photocopie de la lettre publiée dans la présente note.

2. Cf. Lettres à Madame Récamier, édit. Levaillant-Beau de Loménie, Flammarion, p. 154-156 et 169.


478 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

présenté, anonyme, par le Dr Le Savoureux à la séance du 29 avril 1956 de la Société Chateaubriand 1 : le grand homme y apparaît en costume d'apparat avec ses décorations, dont la Toison d'Or, « vers sa soixantième année » ; mais une réplique (ou l'originale ?) de ce tableau à grande allure a figuré à l'Exposition du Bicentenaire organisée en 1969 à la Nationale 2, signé P.-L. de Laval et daté de 1828... Il existe toutefois un crayon délicat de Vernet 3 : le modèle peut avoir eu l'âge du ministre en 1823 et il n'est pas invraisemblable d'y voir une esquisse destinée à une oeuvre qui ne fut pas conduite à son terme et à laquelle faisait allusion le billet qu'on vient de lire.

FERNAND LETESSIER.

LES DEUX PROJETS DE MARIAGE DE RENAN

On sait que Renan fut heureux en ménage ; on sait aussi le problème majeur que constituèrent au seuil de ce mariage les rapports entre Renan et sa soeur 4. Mme Psichari, en 1937, avait déjà révélé une autre difficulté concernant Cornélie elle-même 5, difficulté qui surgit en août 1856 alors que Cornélie se trouvait en Allemagne. Sur huit lettres de Renan qui se rapportent à ce voyage, trois sont des lettres d'amour : on peut d'ailleurs supposer qu'elles sont les premières qu'il ait jamais écrites 6. Il y parle naturellement du bonheur que lui procure l'amour de Cornélie. Grâce à elle, il se rend compte que le désespoir de ne point trouver une femme qui le comprenne et qui sache percer « ce nuage d'abstraction » où il vit n'a plus de raison d'être : « Vous avez réalisé ce miracle, et c'est là le plus beau prix de ma vie ; car nous sommes ainsi faits que l'admiration de l'élite du genre humain ne vaut pas pour nous l'amour élevé d'une femme » 7.

Le 9 août, tout est donc sans ombre dans la vie de Renan. Trois jours plus tard viennent les nuages et les doutes. Il apprend par Daremberg, « homme fort commère » 8, que Cornélie avait failli épouser quelqu'un d'autre peu de temps avant de se fiancer avec lui. Il affirme que le fait n'a pas d'importance en soi, d'autant plus que lui-même avait rompu un « projet d'union de convenances extérieures » avant de connaître les Scheffer. Ce qui le touche, par

1. Bulletin, 1957, p. 56.

2. Catalogue, n° 416 et frontispice.

3. H. Le Savoureux, Chateaubriand, Rieder, « Maîtres de Littérature », 1930, planche xxxiv

4. Voir « Ma soeur Henriette ". OEuvres complètes, t. IX, p. 464.

5. H. Psichari, Renan d'après lui-même. Paris, 1937, p. 39-49. Mme Psichari est, à notre connaissance, la seule à s'être reportée aux documents concernant cette affaire Les autres biographes semblent avoir suivi son récit

6. " Ma chère Cornélie (permettez-moi de vous appeler dès à présent de ce nom) » : cette entrée en matière donne à croire, en tout cas, que Renan n'a jamais encore écrit à Cornélie , et rien n'indique que sa vie jusqu'à cette date ait été meublée d'autres amours , exception faite, évidemment, de Beatrix, de Cécile, des vaporeuses images entrevues dans la cathédrale de Tréguier . (Lettre du 5 août 1856 OEuvres complètes, t IX, p 1370 )

7. Lettre du 9 août 1856 Ibid, p. 1375.

8. Lettre de Ary Scheffer du 19 août 1856 Ibid., p. 1385-1386 C'est en compagnie de Daremberg que Renan avait fait son voyage en Italie en 1849-1850.


NOTES ET DOCUMENTS 479

contre, c'est l'état d'esprit dans lequel Cornélie se serait fiancée avec lui : il est troublé — et on le comprend sans difficulté — par l'idée que, comme le voudraient faire croire les bruits qu'il entend, Cornélie se soit fiancée avec lui par dépit 1. Sur ce point, il demande des explications à Ary Scheffer, en tant que « chef de la famille ». La réponse d'Ary Scheffer arrive le 18, en même temps que des lettres de Mme Marjolin (sa fille) et de Cornélie. Ces lettres font un « bien extrême » à Renan, mais ne réussissent pas à le rassurer complètement. Il avait cru trouver en Cornélie quelqu'un d'assez extraordinaire pour pouvoir déroger à ses objections contre le mariage : le rare mérite et l'affection 2 de Cornélie semblaient faire d'elle « une femme particulièrement distinguée et supérieure à ce qu'il y a généralement dans les personnes de son sexe de superficiel et de frivole ». Malgré cela, il n'arrive pas à comprendre comment elle a pu accepter de l'épouser si peu de temps après la rupture d'un autre projet de mariage : « il y a huit mois, elle agréait une autre personne dont le mérite peut être fort distingué, mais enfin qui ne sortait pas, je crois, de la foule ordinaire des maris. Oui, je le crois fermement, elle a de l'affection pour moi, mais est-ce cette affection spécialement distinguée dont j'ai besoin et dont je me crois digne ? » 3. Il avoue conserver quelques susceptibilités, qu'il met au compte de sa « délicatesse raffinée », et incite Cornélie à revenir le plus tôt possible : « il faut que nous nous entendions, que nous nous disions tout sans réticence, qu'il ne reste pas une ombre sur notre ciel. Il est impossible que nous acceptions l'un de l'autre un serment irrévocable avec une arrière-pensée » 4.

Les explications ont heu au retour de Cornélie, et les doutes de Renan s'évanouissent : « il ne reste absolument rien qui soit de nature à troubler nos sentiments réciproques et à nous laisser la moindre arrière-pensée » 5. Le bien-fondé de cette nouvelle confiance est confirmé par la suite. Le mariage a lieu le 11 septembre de la même année, et rien ne donne à croire que Renan ait regretté cet engagement ; son affection est d'ailleurs manifeste dans les lettres qu il a l'occasion d'adresser à Cornélie lors de ses différents voyages.

Reste la question du premier projet de mariage dont Renan parle dans ses lettres. Comment se fait-il que, malgré ses objections très réelles (sa carrière, ses rapports avec Henriette) mentionnées par lui dans sa lettre du 18 août, il ait pu se trouver mêlé à « un projet d'union de convenances extérieures », conçu pour lui « par des amis officieux et qui n'arriva jamais à être autre chose qu'un projet » ? La Correspondance nous renseigne au moins sur l'identité de la jeune

1. Voir sa lettre à Ary Scheffer du 12 août 1856. Ibid., p. 1376-1377.

2. Affection qui, d'après Renan, résulte de ce qu'il y a en lui " de particulier et d'individuel. »

3. On ne sait pas l'identité du premier fiancé de Cornélie ; ses lettres à Gobineau, si elles contribuent à éclairer « la figure assez secrète de Cornélie Renan », ne nous donnent pas de précisions à ce sujet (Roger Beziau, Les Lettres de Cornélie Renan à Gobineau. Paris, Minard, 1967, p. 4-5).

4. Lettre à Cornélie Scheffer, août 1856. Ibid., p. 1386-1387.

5. Lettre à sa mère du 26 août (déjà citée).


480 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

fille. Il s'agit de Laure, fille d'Eugène Burnouf 1. A en croire une lettre de Renan à Mme Burnouf, datée du 14 janvier 1854, c'est Emile Egger qui a joué dans l'affaire le rôle d'intermédiaire, et même d'intermédiaire trop zélé, si l'on en juge par le fait que la lettre de Renan constitue en quelque sorte une mise au point 2. Il craint que l'empressement mis par Egger à plaider sa cause n'ait donné l'impression qu'il sollicitait d'ores et déjà la main de Laure 3. Mais il n'en est pas encore là ; si le voeu le plus cher de Renan pouvait être de la demander en mariage, la démarche d'Egger, dans son esprit, « n'était encore que l'expression d'un espoir timide et une permission demandée pour des relations plus suivies. » Pour le moment, il voudrait que Laure puisse bien faire sa connaissance, et qu'elle ne le juge pas trop vite : « Je serais désolé qu'elle crût que la pensée vulgaire d'un mariage, sans souci de la sympathie réciproque, a pu un moment entrer dans mon âme. Ce que je veux, c'est lui plaire. Pour cela, j'attendrai, j'attendrai autant qu'elle voudra. » Le désir de ne pas trop pousser les choses vient de ce que Renan ne se fait pas d'illusions sur son pouvoir de séduction ; d'autres sans doute sont à première vue plus brillants que lui, et seule une jeune fille comme Laure, qui ne partage pas la vanité et la frivolité de la plupart des Françaises, peut savoir le comprendre « sous cette écorce un peu dure à pénétrer. » Encore faudrait-il qu'elle y mît le temps nécessaire.

Parvenu à ce point, on se rend compte que Renan emploie à peu près les mêmes termes pour parler de Laure Burnouf que ceux qui viendront sous sa plume deux ans et demi plus tard à propos de Cornélie Scheffer : toutes deux sont différentes des autres femmes ; la première, comme nous venons de le voir, n'étant point « vaine et frivole », la seconde échappant à ce que les personnes de son sexe peuvent avoir de « superficiel et de frivole. » Si Laure semble capable de venir à bout de l' « écorce un peu dure à pénétrer », Cornélie réussit à percer le « nuage d'abstraction » où il vit. Il n'y a peut-être rien de très étonnant à ce que Renan s'exprime d'une façon analogue à deux ans et demi de distance : cela pourrait être seulement la preuve que ses opinions sur les femmes et le mariage n'avaient pas changé entre temps.

Mais que penser du fait que Renan écrit la même phrase mot pour mot dans la lettre de mise au point à Mme Burnouf le 14

1. Mme H. Psichari, Renan d'après lui-même, op. cit., p. 29-31, ne donne pas le nom de la jeune fille en question Elle cite, par contre (p 30), une lettre de Renan qui n'a pas été publiée dans la Correspondance parce qu'il n'est pas sûr qu'elle ait été envoyée.

2. OEuvres complètes, t. X, p. 150 n existe une seconde lettre où Renan parle à Mme Burnouf de sa situation pécuniaire et professionnelle. (Lettre du 14 février 1854. Ibid, p. 156-157 )

3. Il est curieux de constater qu'une vingtaine d'années plus tard (en 1878 lors de l'élection sénatoriale dans les Boaches-du-Rhône) Renan aura affaire à un autre intermédiaire trop zélé, dont les activités appelleront des mises au point de sa part. L'intermédiaire s'appellera Rebité et il est très probable que Renan avait fait sa connaissance vers 1860 grâce à Egger Celui-ci aura donc été, a deux moments de la vie de Renan, à l'origine d'un projet avorté Voir notre « Renan et la politique », R H L.F, janvier-mars 1960, p. 55-59. Von aussi la lettre de Renan à sa femme du 20 octobre 1860. OEuvres complètes, t. IX, p. 1405.


NOTES ET DOCUMENTS

481

janvier 1854 et dans une lettre d'amour à Cornélie le 5 août 1856 ? Dans les deux cas, il se décrit ainsi : « Timide dans l'expression de mes sentiments, précisément parce que ces sentiments sont sincères ; mettant une sorte de pudeur à me dévoiler moi-même, à moins d'une longue intimité, j'ai toujours 1 éprouvé que mon premier abord laisse une impression d'embarras et de froideur. » Dans les deux cas, cette phrase est suivie d'un passage sur les qualités des jeunes filles en question, qualités qui comprennent chez toutes deux le «tact» et la « finesse d'esprit ». Une partie de la peine ressentie par Renan en apprenant que Cornélie avait failli épouser quelqu'un d'autre venait de la peur qu'il y eût « entre les deux projets d'union un lien dont Mlle Cornélie elle-même n'eût pas une entière conscience » 2. On se demande dans ces conditions comment Renan justifierait l'action de rechercher, pour écrire à Cornélie, le brouillon de la lettre au sujet de Laure Burnouf 3. Faut-il croire que Cornélie n'était pas, après tout, « quelque chose de tout à fait à part » pour Renan, comme il l'a affirmé 4, et que, par conséquent, il pouvait lui adresser des phrases de seconde main ? Faut-il conclure à un manque total de spontanéité, causé peut-être par cette timidité et cet embarras dont il parle lui-même ?

Une telle hypothèse ne nous paraît pas impossible, même si elle nous oblige à remettre en question la « délicatesse raffinée » à laquelle Renan prétend, et qui sera toujours, à ses propres yeux, une de ses qualités principales 5. Quoi qu'il en soit, il est clair que nous nous trouvons devant un cas de déformation professionnelle tellement marquée qu'elle empêche Renan de s'interdire dans ses affaires du coeur ce qu'il se permettait à la même époque dans ses ouvrages savants. En effet, il reprenait assez souvent de vieux écrits pour en insérer des passages plus ou moins importants dans des ouvrages ultérieurs : c'est le cas, notamment, pour l'Avenir de la science. Déjà en 1859, E. Scherer critique chez Renan l'habitude d'employer deux fois le même passage 6. Renan regrette les doubles emplois signalés par Scherer, et les explique ainsi : « Quand je composai mon Histoire des langues sémitiques, je croyais que ce livre n'aurait qu'une centaine de lecteurs spéciaux ; je ne fis donc aucun scrupule d'en détacher des développements que je présentai sous une forme plus dégagée au public, soit dans L'Origine du langage, soit dans quelques-unes des Études d'histoire religieuse. Puis,

1. " Souvent » dans la lettre à Cornélie. Le changement de ce seul mot indiquerait-il que Renan a plus de confiance en lui en 1856 qu'en 1854 ?

2. Lettre à Ary Scheffer du 18 août 1856.

3. Le texte de cette lettre publié dans la Correspondance est en effet une " minute conservée » de la collection Scheffer-Renan.

4. Lettre à Cornélie du mois d'août 1856.

5. Voir, par exemple, tout le passage où le Renan de 1882 parle des quatre vertus — « le désintéressement ou la pauvreté, la modestie, la politesse et la règle des moeurs » — qui lui seraient restées de ses années à Saint-Sulpice. (" Premiers pas hors de SaintSulpice », in Souvenirs d'enfance et de jeunesse. OEuvres complètes, t. II, p. 894-904.) La modestie ? Le Renan lancé dans une " carrière exceptionnelle " et digne d'une " affection spécialement distinguée » n'est peut-être pas le type de l'homme modeste.

6. Voir la lettre de Renan à Seheier du 7 novembre 1859. OEuvres complètes, t. X, p. 255-256.

REVUE D'HIST. LITTÉR. DE LA FRANCE (70e Ann.). LXX. 31


482 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

le public s'est montré plus indulgent que je ne pensais pour l'Histoire des langues sémitiques et a placé tous ces écrits à peu près sur le même plan. [...] J'ai renoncé désormais à cette distinction d'écrits spéciaux et d'écrits plus particulièrement destinés au public. » Peut-on nier que ce passage eût exigé très peu de remaniement de la part de Renan pour pouvoir s'appliquer à sa vie sentimentale ?

KEITH GORE.

A PROPOS D'UNE FAUSSE ATTRIBUTION A TRISTAN CORBIÈRE :

Tristan Corbière, Marie Dumas et Arsène Houssaye

Un article publié dans le journal Arts du 7-13 octobre 1964 1 par M. Henri Thomas : « Tristan Corbière incognito », attribue à Corbière trois sonnets qui figurent dans L'Illustration du samedi 6 mars 1869 2 sous les titres suivants : I — Les Loups, les Dominos, les Masques, ii — Jeu de Domino, iii — Carnaval de Venise. Ces trois sonnets sont cités dans une chronique du marquis de Montferrat : Les fêtes de l'hiver, « Les mardis d'Arsène Houssaye » :

A la première fête, [écrit-il], avant que Mlle Marie Sasse ne commençât ses grands airs, Mme Marie Dumas a dit ces trois sonnets qui sont comme le commencement poétique de ces belles mascarades.

Marie Dumas, née en 1831, était la fille d'Alexandre Dumas et de Belle Krelsamer ; mariée à Pierre Olinde Petel en 1856, elle se sépara de son mari en 1864, et alla vivre avec son père 3. Les biographes du poète des Amours Jaunes et du père des Trois Mousquetaires signalent qu'en 1869 Alexandre Dumas passa l'été à Roscoff et y fit la connaissance de Corbière 4.

Or il y a dans Les Amours Jaunes une seule dédicace, celle de Rapsodie du Sourd [sic] à une mystérieuse Mme D*** ; ce fait, et certaine parenté de facture entre les poèmes de Corbière et les sonnets de L'Illustration ont amené M. Henri Thomas à conclure que Corbière est l'auteur de ces derniers, et du même coup à reconnaître dans Mme D*** Marie Dumas.

J'étais loin de penser à Tristan Corbière en feuilletant cette Illustration de l'hiver 1869. Après avoir lu II y a des pièges à loups, rythmes et images des Amours Jaunes me revenaient en mémoire, et après les trois sonnets, je ne doutais plus d'avoir affaire à lui — [...]

Les biographes de Corbière ne nous apprennent rien de précis sur les années 1868-1869. En décembre 1869, il entreprend un voyage en Italie, ce qui suppose au moins un passage à Paris. On peut admettre qu'il se soit trouvé à Paris en mars de cette même année. [...]

1. Arts, n° 975, p. 7.

2. P. 154-155.

8. Voir André Maurois : Les Trois Dumas, Hachette, 1966, p. 104-286. 4. André Maurois, op. cit., p. 864. R. Martineau : Promenades biographiques, Librairie de France, 1920, p. 45.


NOTES ET DOCUMENTS

483

Qu'il ait été parmi les invités d'A. Houssaye, ce n'est pas impossible : son père Edouard Corbière, l'auteur du Négriei était un romancier en vue, assurément connu d'Arsène Houssaye. Mais quoi qu'il en soit voici, je crois, ce qui autorise objectivement à attribuer ces trois sonnets à Tristan Corbière.

On remarquera que la personne qui les a récités chez A. Houssaye s'appelait Mme Marie Dumas. Or Les Amours Jaunes contiennent un poème dédicacé et un seul. C'est Rapsodie du Sourd [...] Il est dédié à Mme D*** [...] Tout me porte à penser que Mme D*** est Marie Dumas [...]

Mais cette argumentation est bien fragile et l'attribution trop hâtive : on trouve en effet dans Les Cent et Un Sonnets d'Arsène Houssaye, recueil édité en 1875 1 deux poèmes, Bal Masqué et Carnaval de Venise, dont l'étroite parenté avec Les Loups, les Dominos, les Masques, et Carnaval de Venise de L'Illustration, ne laisse aucun doute quant à l'identité de leur auteur :

L'ILLUSTRATION Les Loups, les Dominos, les Masques

I

Il y a des pièges à loups

Sonnet. C'est un Sonnet — Fontange

et La Vallière

Du haut de leurs portraits montrent

des yeux jaloux...

Je vous tends les deux mains, je frappe

les trois coups

Beaux dominos jaseurs ouvrez votre

volière.

Pèlerins de Watteau, masques de

Largillière,

Descendez tous du cadre et causez

avec nous.

Les plus sages, ce sont sans doute

les plus fous !

Sévigné, prends ta plume, ô belle

épistolière !

Les affileurs de mots sont à mon

rendez-vous.

Ma belle dame, ici la langue est

cavalière, Ne soyez pas bégueule. Avez-vous lu

Molière ?

Buveurs d'illusions, écoutez les

glous-glous ; Chercheuses d'inconnu, faites tous

vos frous-frous... Mais n'allez pas tomber dans les

pièges à loups !

LES CENT ET UN SONNETS Lxviii Bal Masqué

Masques et Loups, salut ! Fontange

et La Vallière

Se poignardent déjà par leurs regards

jaloux,

Je vous tends les deux mains, je frappe

les trois coups,

Beaux dominos jaseurs, ouvrez votre

volière.

Pèlerins de Watteau, beautés de

Largillière,

Vous avez de l'esprit pour causer avec nous ;

Les plus sages toujours ce seront les plus fous :

Sévigné, prends ta plume, ô belle épistolière !

Les affileurs de mots sont à mon

rendez-vous.

Ma belle dame, ici la langue est

cavalière, Ne soyez pas bégueule et saluez

Molière.

Chercheuses d'inconnu, craignez les casse-cous.

Buveurs d'illusions, écoutez les

frous-frous

Au risque de tomber dans les pièges

à loups.

1. A. Houssaye, Les Cent et Un Sonnets, Paris, 1875, E. Dantu éditeur (Librairie à Estampes, 182, Boulevard Haussmann). Les pages ne sont pas chiffrées. Les poèmes portent un numéro en chiffres romains.


484

REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

iii Carnaval de Venise

Qu'est-ce donc que la vie ! Un bal

masqué, Madame,

Solus pauper nudus, l'homme est venu

tout nu. Il ne s'est habillé que comme un

parvenu,

Non pas pour sa pudeur, mais pour

masquer son âme.

Que ne masque-t-on pas ? péché

trotte-menu,

Ou bien péché mortel gros comme

Notre-Dame ?

La lumière t'effraie, et tu caches, ô

femme, Ta robe de Nessus sous ton air ingénu.

La parole, autre loup qui masque la

pensée ! Et la diplomatie, en sa langue glacée ! Jusqu'à la vérité qui se cache dans

l'eau !

Rien n'est vrai. Cachons donc nos

passions fantasques.

Que la feuille de vigne absorbe le

tableau...

Mais le mot de la fin ?... Nous sommes

tous des masques.

LXII Carnaval de Venise — 1

Qu'est-ce donc que la vie ! Un bal

masqué, Madame.

Solus Pauper Nudus, l'homme est venu

tout nu, Il ne s'est habillé que comme un

parvenu,

Non pas pour sa pudeur, mais pour

masquer son âme.

Que ne masque-t-on pas ? péché

trotte-menu,

Ou bien péché mortel plus doux qu'il

n'est infâme ?

La lumière t'effraie et tu caches, ô

femme, Ta lobe de Nessus sous ton air ingénu.

La parole, autre loup qui masque la

pensée, Et la diplomatie en sa langue glacée, Jusqu'à la vérité qui se cache dans

l'eau,

Rien n'est vrai. Cachons donc nos

passions fantasques,

Que la feuille de vigne absorbe le

tableau... Mais le mot de la fin ? — Nous sommes tous des masques.

Si Jeu de Domino n'a pas de répondant dans Les Cent et Un Sonnets, il n'y a aucune raison pour qu'il n'appartienne pas aussi à Arsène Houssaye, père anonyme des sonnets de L'Illustration parce qu'il veut être hôte discret :

Jeu de Domino

Domino ! domino — Plaisir de rarescence

Dans le jeu de l'esprit — domino blanc — ou noir.

Qui donc retournera le double-six ce soir ?

Et ce fier double-blanc, symbole d'innocence ?

Domino ! l'imprévu dans son effervescence !

On m'ouit sans m'entendre, on m'aime sans me voir.

Je suis tout à la fois alouette et miroir...

L'homme n'est pas parfait ! je suis sa quintessence.

De la côte d'Adam a jailli ma naissance ; Mais femme par le ciel, Eve par le péché, J'ai tout mis dans mon coeur et mon coeur est caché.

Soyez discrets : je suis Pénélope — ou Psyché... Ne levez pas ma barbe où le diable est niché : Du côté de ma barbe est la toute-puissance.

Bien qu'il ne soit pas impossible que la Mme D*** de Rapsodie du Sourd soit Marie Dumas, les trois sonnets de L'Illustration n'autorisent pas, objectivement, cette identification et le problème reste donc entier.

FRANÇOISE MÉRÉ.


NOTES ET DOCUMENTS 485

SEPT LETTRES INÉDITES DE MALLARMÉ A PROPOS DU MONUMENT DE VERLAINE

Dans le beau livre, si bien documenté et truffé d'inédits, que le regretté Henri Mondor a consacré en 1939 1 à l'amitié sans défaillance de Verlaine et de Mallarmé 2, figurent six lettres que celui-ci avait adressées à Frédéric-Auguste Cazals en 1896-1897, au lendemain de la mort de Pauvre Lélian, et que Cazals lui-même a communiquées à Mondor. Elles ont toutes trait — sauf une — au projet d'érection du monument de Verlaine au jardin du Luxembourg.

Dans le « Dossier Cazals » du département des manuscrits de la Bibliothèque nationale — où nous avons puisé il y a quinze ans les lettres de Verlaine à son fidèle iconographe 3 — se trouvent six autres lettres et une circulaire inédites (sub : N.A.F. 13152, n° 231244), également relatives au même projet, que Cazals — pour quelle raison? — n'a pas communiquées à Mondor. Nous les présentons ci-après — avec une septième lettre médite à Robert de Montesquiou (sub : 15261, n° 61) —, à l'intention des éditeurs de la Correspondance complète de Mallarmé 4, en les accompagnant d'un commentaire qui permettra de souligner une fois de plus l'attitude si dévouée de Mallarmé et de Cazals envers la personne, puis la mémoire, de leur ami — Mallarmé ne devait lui survivre que deux ans —, et de préciser chemin faisant les relations de Cazals avec le maître du Symbolisme.

Cazals a probablement fait la connaissance de Mallarmé peu de temps après avoir connu Verlaine, en le rencontrant chez son ami impotent, soit à la cour Saint-François, soit à l'hôpital Tenon, au cours d'une visite au poète malade. Mais aucune indication ne nous permet de préciser cette date.

Plus tard, Cazals connaîtra le « salon » de la rue de Rome. Il ne sera pas, certes, un des familiers des « Mardis » et n'a dû s'y rendre qu'une ou deux fois, mais son nom figure sur la liste interminable des habitués. Il y a sans doute accompagné Verlaine que sa jambe percluse obligeait parfois à faire appel à l'aide d'un bras ami où s'appuyer.

Dans les années suivantes, il aura en tout cas l'occasion de le voir dans les cafés et les réunions officielles qui s'y déroulaient à certaines occasions et où le jeune peintre, portraitiste officiel de Verlaine — et sa « dernière passion humaine » 5 — était présent

1. Henri Mondor, L'Amitié de Verlaine et Mallarmé, Paris, Gallimard, 1939, 274 p2.

p2. y eut bien, en octobre 1887, un petit mouvement d'impatience jalouse de la part de Verlaine contre Mallarmé, mais ce fut sans lendemain. (Voir les deux lettres de Verlaine à Charles Morice du 21 et du 28 octobre 1887 et les notes y relatives dans : Paul Verlaine. Lettres inédites à Charles Morice, publiées et annotées par Georges Zayed, Genève-Paris, Droz-Minard, 1964, p. 107-115 ; 2e éd., Paris, Nizet, 1969).

8. Lettres inédites de Verlaine à Cazals, Genève, Droz, 1957.

4. Deux tomes ont paru chez Gallimard en 1959 et 1965 ; le troisième, présenté par M. Lloyd James Austin, a paru en novembre 1969.

5. Le mot est de Verlaine dans sa lettre à Cazals du 12 janvier 1889 (Lettres inédites de Verlaine à Cazals, p. 111).


486 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

aux côtés de Pauvre Lélian. Il en fut de même aux « Mercredis » de la rue Royer-Collard où Mallarmé a fait quelques apparitions et où Cazals était pratiquement chez lui. C'est le peintre lui-même qui nous le dit dans l'ouvrage qu'il a consacré, avec Gustave Le Rouge, au poète de Parallèlement : « Verlaine et Mallarmé ne cessèrent jamais de se voir, et cela assez fréquemment. Nous nous rappelons, notamment, les entrevues qui eurent lieu au Café Vachette, chez l'éditeur Vanier et à l'hôpital Broussais » 1.

Le 5 novembre 1890, au cours de la brouille de plusieurs mois qui survint entre Cazals et Verlaine 2, ce dernier écrivit à Mallarmé pour le prier de se laisser portraiturer par le jeune dessinateur :

Un petit service... à un tiers

Bien que brouillé avec Cazals, comme il m'a ces temps derniers rendu indirectement un service et que je tiens à n'être en reste sous ce rapport avec personne, je viens vous rappeler que vous aviez promis un portrait à la Plume et que ce portrait devait être fait par Cazals pour qui ce serait un grand honneur dont en somme son talent n'est pas trop indigne, n'est-ce pas ?

Vous lui écrirez un mot, l'invitant à vous dire quand il pourrait se mettre à votre disposition. Son adresse était, mais avec l'indication, en cas de départ faire suivre, est :

M. Frédéric Cazals, 12, rue Sauval, Paris.

Et n'est-ce pas là un bon rendu pour un prêté.

Pas un mot de moi à Cazals je vous prie... 3

Cazals a-t-il fait ce portrait? Nous ne le pensons pas, et ceci pour deux raisons : il ne figure pas dans La Plume et n'a jamais été signalé ; d'autre part, la lettre de Mallarmé à Cazals, si elle avait été écrite, aurait été soigneusement conservée par celui-ci comme tous les autres documents et aurait figuré dans ses dossiers.

Ce n'est qu'en 1893 que Cazals a portraituré Mallarmé pour les banquets de La Plume et a fait de lui plus d'un dessin ; nous en connaissons au moins trois : un profil à l'encre qui figure en hors texte entre les pages 168-169 de l'ouvrage de Cazals et Le Rouge ; un « Mallarmé » prononçant un toast (le fameux Salut qui ouvre ses Poésies complètes), le 15 février 1893, au VIIe Banquet de La Plume qu'il a présidé 4 ; et la fameuse caricature illustrant l'invitation au VIIIe banquet de La Plume où le faune-Mallarmé en veston de frac présente sa flûte de Pan au satyre-Verlaine juché en buste sur une stèle 5.

Sans doute, pour ces dessins, Cazals a-t-il eu l'occasion de s'entretenir avec Mallarmé, mais jusqu'à la mort de Verlaine il n'y eut entre eux ni relations personnelles, ni relations épistolaires. Ce n'est qu'au printemps 1896 que le peintre sera amené à voir plus fréquemment Mallarmé et à avoir avec lui un contact moins officiel.

1. Cazals et Le Rouge : Les Derniers Jours de Paul Veilame, Pans, Mercure de France, 1923, p. 166 en note.

2. Voir sur ce point le chapitre iv de notre Introduction aux Letties inédites de Verlaine à Cazals, et particulièrement les pages 59-60.

3. Cité par Mondor : op. cit., p. 162. Voir aussi Lettres médites à Cazals, p. 60.

4. Le voir dans : H. Mondor : Mallarmé, Documents iconogiaphiques, Vesenaz-Genève, Pierre Cailler éditeur, 1947, planche lxvii.

5. Ibid., pl. Lxviii.


NOTES ET DOCUMENTS 487

En effet, dès le mois de mai 1896, le jeune homme organisait un Comité d'Action chargé de l'inauguration d'un monument à la gloire de Verlaine au jardin du Luxembourg, monument auquel travaillait Rodo de Niederhausern depuis quelque temps déjà (il ne sera inauguré qu'en... 1911) 1. Le peintre suggéra que la présidence en fût confiée à Mallarmé. Lui-même assumerait le rôle de secrétaire. Mallarmé accepta non sans quelque hésitation, les rôles actifs de premier plan répugnant à ce rêveur. Il le dit doucement, de son refuge de Valvins, à Henri de Régnier, le 22 mai :

Oui, de tout ce que vous êtes, j'en suis, mais... Président ! il en faut donc un. Veuillez dire à M. Niederhausern que je ne lui avais pas écrit, ce printemps, à propos du buste, parce que sa lettre, envoyée de Genève, ne portait pas l'adresse ; et que je souhaite voir l'oeuvre en belle place... 2

Cependant la première réunion du Comité eut heu le 17 juin au 17 de la rue Guénégaud sous sa présidence, et la vice-présidence d'Auguste Rodin. Les membres étaient Lepelletier, Rodenbach, Mendès, Barrés, Ponchon, Montesquiou, Delahaye, Vallette, Deschamps et Natanson. Cazals faisait office de secrétaire et F. Clerget de trésorier. Chose curieuse : Henri de Régnier n'en fait pas partie !

Tout de suite après sa fondation, le Comité d'Action se soucia de se doubler d'un Comité de Patronage qui, par ses relations et ses... donations, pouvait seul aider activement à la réalisation de l'entreprise compliquée du monument. Le 25 juin, Mallarmé envoyait une circulaire à quelques personnalités littéraires et artistiques pour solliciter l'appui de leur nom 3 ; le lendemain, il en offrait la présidence, par une lettre personnelle 4, à François Coppée. Celui-ci, dont la longue amitié avec Verlaine n'avait jamais été troublée depuis leur jeunesse et leur collaboration au Hanneton, accepta tout de suite.

En tant que secrétaire, Cazals fit preuve d'une louable activité. Mallarmé était mis, au fur et à mesure, au courant des démarches entreprises par son « secrétaire ». En été, étant parti pour Valvins comme d'habitude, il lui envoie la lettre suivante, écrite le 13 juillet mais expédiée une semaine après :

Valvins, 13 Juillet [1896] 5 Mon cher Cazals,

Merci de me tenir parfaitement au courant : dans une autre enveloppe que ceci, vous reviennent les coupures de l' Argus. J'avais deux ou trois notes de mon côté : on n'a pas oublié Dierx, n'est-ce pas ? dans le Comité de Patronage, ni Huysmans, ni Richepin... Me voici dans l'attente, toujours, d'une acceptation par les Rothschild et empêché d'écrire la demande officielle. La personne intermédiaire ne m'a point encore donné avis.

1. Verlaine avait consacré un sonnet de Dédicaces à un des bustes qui ont servi de maquette au monument : Sur un buste de moi, poui mon ami Niederhausern. (Voir pour le commentaire : Lettres inédites à Cazals, p. 117).

2. Mondor, op. cit., p. 257.

3. Voir la circulaire dans : Mondor, op. cit., p. 257.

4. Ibid., p. 258.

5. Un feuillet, petit format, recto et verso écrits, plus un second feuillet pour le postscriptum, recto écrit. Petite enveloppe ; suscription : « Monsieur Cazals, Secrétaire du Monument à Paul Verlaine, 11 rue d'Ulm " ; cachet postal : " Avon, Seine et Marne; 20 juillet 96-4° " ; timbre de 15 centimes. Au crayon rouge, à droite, peut-être de la main de Cazals : " 96 ".


488 REVUE D HISTOIRE LITTÉRATRE DE LA FRANCE

Quant à Londres, j'ai prié Arthur Symonds qu'il se mît à la tête de la souscription, dans la revue The Savoy ; ainsi qu'en communication, du reste, avec vous. Ci-joint quelques timbres à moi envoyés par un inconnu l.

J'attends, pour faire partir ce mot, que vous m'informiez de la démarche, aujourd'hui, au sénat 7.

On est bien sensible, ici, à vos très bons souhaits : il y a, peut-être, un peu de mieux, dans la santé de ma femme.

Veuillez dire fort à M. de Niederhausen [sic] mon admiration pour sa statue l'Amertume, dont je reçois la photographie, avec celle du buste : quelle érection solitaire et magnifique d'une douleur.

Votre main

S. M.

Dans la même enveloppe il ajoutait une semaine plus tard, car la lettre ne partit que le 20 :

Valvins, Dimanche.

Au bas de ce papier, envoyé par qui ? je l'ignore — j'ajoute, mon cher Cazals.

— que je ne reçois pas vite de réponse officieuse des Rothchild, la tierce personne, par qui un mien ami les voulait faire pressentir, étant, paraît-il, pour l'instant, malade. Trouvez donc quelqu'un, en parlant de côté et d'autre, puis vous m'enverrez un brouillon de la partie exacte de la lettre, au juste ce qu'il faut demander. Mais ne rien tenter autrement, on m'affirme que cela s'arrêterait aux mains d'un employé.

— ne pas oublier, on peut dire de ma part, Champsaur, qui fit faire l'édition Charpentier, parmi ceux du Comité du Patronage.

— j'ai écrit au Chap Book, la Revue, littérairement avancée, de Chicago, pour qu'elle recueillît les souscriptions d'Amérique.

— Ci-joint, enfin, le projet de la lettre de souscription dont vous m'adresseriez épreuves ; est-ce cela ? 3

Merci de tous vos détails, d'un grand intérêt.

La main. Stéphane Mallarmé.

Reçu un mot de Muhlfeld et de Lecomte (Georges) qui acceptent leur place au Comité.

Envoyez-moi quelques cartes du Comité, avec le dessin du buste, pour en faire usage, au besoin.

En même temps qu'un sous-comité anglais, un sous-comité belge fut organisé et Cazals est même délégué, fin février 1897, pour prendre contact avec ses membres.

Certes la publication intempestive par Vanier, au printemps 1896, du recueil posthume de Verlaine, Invectives, où le poète ne ménageait pas ses attaques, ironiques ou acerbes, contre certains de ses contemporains, n'était pas pour faciliter les efforts du Comité. Fouquier en particulier, qui n'avait jamais compris le mouvement symboliste et l'avait souvent attaqué dans des articles malveillants, dirigea la réaction. Verlaine avait été plus d'une fois l'objet de ses hargneuses critiques : le 24 mai 1891, dans un article paru dans Le Figaro, puis le 26 juillet 1893, lorsqu'il avait songé à se présenter à l'Académie. Cette fois, piqué au vif par le poème des Invectives intitulé Arcades Ambo, il consacra à son auteur une violente diatribe

1. Au bas du verso de la lettre suivante, on lit en effet, dans le sens de la largeur " Pour la souscription Verlaine, 6 timbres à 0.15, 1 à 0.10 ».

2. Four l'acquisition du terrain au Jardin du Luxembourg.

3. Voir cette lettre dans : Mondor, op. cit., p. 258.


NOTES ET DOCUMENTS 489

dans Le Figaro du 12 août 1896 sous le titre de Une Statue pour M. Verlaine, où il s'en prend à la fois « à l'avidité boutiquière d'un bibliopole inconscient » (Vanier), à la gloire « d'un assez bon poète de troisième plan » et au projet même du monument : « On choisit cette heure pour demander que le buste devienne statue, que la glorification, de provinciale, se fasse nationale, et que l'immortalité du Luxembourg soit assurée à qui l'oubli eût été un bienfait » 1. Lepelletier répondit vivement à Fouquier dans L'Écho de Paris du 19 août pour défendre la mémoire de son ami. Mallarmé se contenta de rédiger une circulaire pour les membres du Comité de Patronage, qu'il envoya à Cazals pour l'impression : M... 2

Au moment où s'ouvre, dans la Presse et parmi les Admirateurs de Paul Verlaine, la souscription pour le monument à élever dans Paris, à [en l'honneur de : biffé] ce grand poète, le Comité, qui connaît [en surcharge à connut] votre ferveur envers [en surcharge à : pour] toute noble entreprise, a pensé que s'impose à lui [le devoir : biffé] de la solliciter. Ses membres ne doutent pas qu'il ne vous plaise d'accorder une marque suprême de sympathie à l'illustre et touchante Mémoire.

Messieurs Stéphane Mallarmé, Président, et Auguste Rodin, Vice-Président, ont l'honneur de vous présenter, au nom du Comité, le secrétaire Monsieur F.-A. Cazals, qui se tiendra à votre disposition le jour où vous leur [en surcharge à : lui] ferez la faveur de le recevoir.

Ce texte était accompagné du mot suivant envoyé dans la même enveloppe :

Paris, Mercredi [4 décembre 1896]

Voilà, mon cher Cazals. J'aurais voulu porter votre vignette à Tailhade luimême, les journaux disent qu'il a quitté la Charité et j'ignore son adresse. Donnez-lui fort la main pour moi. Quand vous en serez à faire imprimer les quelques mots ci-joints, choisissez, je vous prie, une italique d'elzévirs, pas trop fine et faites-la interligner quelque peu. Je vous demande de m'envoyer les épreuves, que je ne garderai qu'une après-midi.

Votre main

Stéphane Mallarmé.

Mallarmé ne semble pas s'être inquiété outre mesure des attaques malveillantes des victimes d'Invectives. A Cazals qui s'en désolait il répondait le 6 septembre avec sa sérénité coutumière : « J'ai assisté, de mon coin, à toute la tourmente, et remercié Lepelletier : où en est-ce et croyez-vous qu'il y ait quelque chose de compromis ? M. Zilcken me fait savoir qu'un sous-comité pourrait se former en Hollande, avec quelque chance : je l'y encourage et le mets en rapport avec vous. Le Chap Book, par les soins de M. Harrison Rhodes, recueille à Chicago les souscriptions pour l'Amérique ; vous l'ai-je dit ? » Dans la même lettre il lui fait part de sa « répugnance » à prononcer une conférence à Paris en faveur du monument et des

1. Sur toute cette histoire, voir : Mondor, op. cti., p. 259-260, et aussi Lettres inédites à Cazals, p. 185, n. 25 et p. 275, n. 3 et 4.

2. Un feuillet, format moyen, recto écrit ; la lettre qui suit est formée d'une carte rectangulaire verdâtre, 9 X 12 cm. environ, recto et verso écrits. Enveloppe de mêmes dimensions ; suscription : te Monsieur F. A. Cazals, 11 rue d'Ulm, Paris ». Cachet postal : « Paris-54, rue des Batignolles, 4 Dec. 96-3 ». Timbre de 15 centimes.


490 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

plaintes de Tailhade « qui regrette son absence du comité ». « Ajoutons-le à la plume, comme nous faisons pour l'Ermitage ; tant que de nouvelles cartes ne seront pas faites » 1.

Au milieu de toute cette activité, Cazals avait eu l'idée, vers la mi-août, d'offrir à Mallarmé une épreuve du masque mortuaire de Verlaine, mais celui-ci déclina l'offre, préférant ne pas imposer à sa femme malade et à sa fille la vue d'une tête de mort, et à luimême une image trop douloureuse et marquée par le sceau redoutable de l'au-delà. « Je vis, tant, avec le souvenir de Verlaine vivant et les admirables portraits de lui faits par vous, Cazals, que je préfère ces reliques de l'amitié et de l'art où la mort ne mit pas d'empreinte... » 2.

Le Comité ne se réunit la seconde fois que le 14 décembre, c'est-à-dire dix jours après la lettre citée plus haut et la circulaire qui l'accompagnait et dont on voit tout de suite l'opportunité : faire coïncider les souscriptions avec le premier anniversaire de la mort de Verlaine. En effet, dans la réunion, le Comité décida de faire dire une messe anniversaire et d'ouvrir une souscription publique pour le monument. C'est l'abbé Mugnier qui célébra la messe — sans doute d'après la suggestion de son ami Huysmans — à SainteClotilde, où plus de cinq cents personnes assistèrent à l'office. A la sortie, Mallarmé chuchota ce mot charmant — mais qui surprend dans sa bouche — à l'oreille de l'Abbé Mugnier, qui le rapporta lui-même à Henri Mondor : « Et moi, je suis l'enfant de choeur de Verlaine ». Après la cérémonie une couronne fut déposée sur la tombe du poète aux Batignolles et des discours furent prononcés 3.

Le nombre des personnes présentes à l'office montre bien que la gloire de Verlaine allait grandissant et que le succès du monument était assuré. En Belgique, le Comité organisait une fête au bénéfice de ce monument dans la salle même où le poète avait fait jadis une conférence et c'est Cazals qui fut délégué à cette occasion. Son voyage à Bruxelles avait été précédé par les vives recommandations adressées par le Président du Comité à Verhaeren, et qui par leur ton affectueux prouvent que le peintre avait su mériter la cordiale amitié de Mallarmé, — comme autrefois la tendresse de Verlaine : « ...Je profite du voyage de Cazals à Bruxelles, pour vous faire tenir ce mot plus particulièrement. Accueillez Cazals et je ne dis pas aimez-le, cela se fera tout de suite. Si jamais, ou bientôt, Verlaine sort, en marbre, d'un massif, ce sera du fait de Cazals, son dévouement délicieux, affectueux est pratique. Je pense que vous l'aiderez en Belgique, de votre forte influence et je le lui dis. Mettez vos projets, quant au Monument, en commun comme vous et moi agirions ensemble... » 4

Dès le retour de Cazals à Paris, le Comité se réunit de nouveau le 29 mars pour étudier les résultats obtenus et prendre, selon le

1. Publié par Mondor, op. cit., p. 261-262.

2. Ibid., p. 256.

3. Voir le discours de Mallarmé, sous le titre : Anniversaire. Discours au bout de l'an de Verlaine, dans Mallarmé. OEuvres Complètes, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, Gallimard, édition de 1945, p. 865.

4. Mondor, op. cit., p. 266.


NOTES ET DOCUMENTS 491

mot de Mallarmé, « une détermination importante ». Pour la circonstance, celui-ci écrivit spécialement à Robert de Montesquiou pour le prier d'être présent. (Il s'était sans doute absenté lors de la réunion précédente) :

Paris, Lundi [22 mars 1897] 1

Mon cher Ami,

J'use des droits que me confère la présidence au Comité Verlaine pour vous prier, autrement que par circulaire, dans cette poignée de mains, d'assister, 17 rue Guénégaud, vous n'y trouverez que des amis, à la réunion du Comité qui se tiendra Lundi prochain, 29, à cinq heures. Il y sera pris une déterminaiton importante où, de l'avis commun, votre conseil doit nous être précieux.

Au revoir, je ne vous ai pas remercié d'un mot charmant cet hiver ; j'ai cru vous rencontrer plusieurs fois et le faire de vive voix, mieux.

Anciennement et à jamais.

S. M.

Pendant que le Comité s'efforçait, à Paris, d'organiser ses moyens d'action et de mobiliser le plus de sympathies autour du projet, en Hollande, le peintre Zilken publiait, avec l'approbation de Mallarmé, les lettres de Verlaine à lui adressées relatives au séjour que le poète avait fait dans ce pays 2. Partout on redoublait d'efforts pour l'érection de ce monument et pour la collecte des fonds nécessaires. Les cotisations affluaient, et les donations. Le baron Alphonse de Rothschild, dont Mallarmé parlait dans ses premières lettres, a fini par envoyer, en juillet 1897, la somme de deux cents francs. Mallarmé espérait sans doute davantage : « Quant aux deux cents francs du baron Alphonse de Rothschild, c'est bien, ils font nombre avec le reste » 3. Ainsi l'affaire du monument semblait si bien en train que Mallarmé ne jugeait pas utile de convoquer le Comité. Celui-ci cependant, sur l'instance de Cazals, se réunit de nouveau le 31 mai 1897, avant la dispersion des membres pendant l'été. Mallarmé était à la campagne. Il assista néanmoins à la réunion, étant de passage à Paris pour deux jours, comme il ressort de ses lettres à Cazals, datées de mai et envoyées de Valvins, publiées par Henri Mondor 4.

Le Comité s'est-il réuni de nouveau en hiver, ou s'est-il reposé sur Cazals pour tout ce qui avait trait au monument ? Nous l'ignorons. Toujours est-il que Cazals s'acquittait de son pieux devoir avec dévotion et habileté — d'après les directives de Mallarmé qu'il continuait à voir en particulier. C'est ainsi qu'en février 1898, au sujet d'une apologie dont nous ignorons le motif, le Maître de la rue de Rome l'invite à venir le voir chez lui :

1. Grande carte de visite, 9 X 12 cm. environ, recto et verso écrits ; au milieu, en imprimé : STEPHANE MALLARME ; en bas, à gauche : " Le Mardi, de 4 à 7 » ; à droite : « 89, Rue de Rome ». L'enveloppe manque.

2. Paul Verlaine, Correspondance et documents inédits lelatifs à son livre " Quinze jours en Hollande ", La Haye-Paris, février 1897. Voir la lettre de Mallarmé à Zilken publiée dans le même ouvrage et dans Mondor, ibid., p. 267.

3. Lettre du 13 juillet 1897, ibid., p. 272. 4. Ibid., p. 270-271.


492 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

Paris, Mercredi [2 février 1898] 1 Cher Ami,

Merci pour l'intention affectueuse de votre apologie, j'avais bien conclu à une erreur : mais venez donc, un de ces Mardis, que nous voyions ensemble où tout en est.

La main très fort. Stéphane Mallarmé.

Deux mois après, à la veille de quitter Paris pour Valvins, il lui expédie ce petit mot, écrit sur une carte de visite, pour le voir une dernière fois avant les vacances :

Paris, 11 Avril [1898] 2 Mon cher Ami,

Je pars vers la verdure à venir, parce que fatigué ; demain est mon dernier Mardi. Si vous pouviez passer, un instant, par ici, nous causerions, avant séparation, du sujet qui nous intéresse l'un et l'autre.

La main de votre S. M.

Cazals ne vint probablement pas. Et Mallarmé lui envoie le lendemain une lettre qu'il avait rédigée sans doute l'avant-veille, en même temps que la carte précédente, mais qu'il garda deux jours jusqu'après « le dernier Mardi », qui tombait le 13 avril, dans l'espoir de lui parler de vive voix. Celui-ci n'étant pas venu, il la lui envoie :

Paris, Lundi [11 avril 1898] 3

M. de Croisset demeure 98 rue de Miromesnil.

Mon cher Secrétaire,

Monsieur Francis de Croisset qui fera le Mercredi 20 une conférence sur l'oeuvre de Mendès dans la salle des Fêtes du Journal 4, avec attractions et concours d'acteurs, ainsi que vous le savez peut-être, se propose d'en abandonner le profit en faveur du Monument Verlaine. Je l'avise, en conséquence, de vous faire parvenir une vingtaine de cartes, portant le prix cinq francs et la mention pour le Monument que vous mettriez sous enveloppes du Comité, officiellement, en y joignant, au besoin, la carte collective (jaune, avec le buste) et addresseriez [sic] à vingt souscripteurs importants, ceux près de qui, cependant, vous jugeriez, avec votre vue nette de la situation, que cette démarche ne nuirait pas à une, suprême et finale, plus importante, qu'il y aura lieu ultérieurement de tenter.

Votre main, Cazals.

Stéphane Mallarmé.

1. Carte rectangulaire, 9 X 12 cm. environ, de couleur verdâtre, recto écrit. Enveloppe, même format, même couleur ; suscription . " Monsieur F. A. Cazals, 11 rue d'Ulm, Paris ». Cachet postal : " Paris-18, R. d'Amsterdam, 4 Fév. 98-6e ». Timbre de 15 centimes

2. Carte de visite, verso écrit ; au milieu, en imprimé . STEPHANE MALLARME ; en bas, à gauche . « Le Mardi, de 4 à 7 » ; à droite : « 89, Rue de Rome ». Petite enveloppe , suscriptîon : " Monsieur A. F. Cazals, 11 rue d'Ulm, Paris » ; en haut à gauche, le mot : " Pressé ». Cachet postal « Paris-Départ, 12 Avril 98-1e ». Timbre de 15 centimes.

8. Carte rectangulaire, 9 X 12 cm. environ, de couleur verdâtre, recto et verso écrits,

les deux dernières lignes et la signature écrites dans la marge de gauche du verso.

Enveloppe de mêmes dimensions ; suscriptîon . " Monsieur F. A. Cazals, 11 rue d'Ulm,

Paris ». Cachet postal : et Paris-54, R. des Batignolles, 14 Avril 98-10e ». Timbre de 15 centimes.

4. La conférence a été faite en effet à la date indiquée et Le Journal en a donné un compte rendu sommaire le lendemain.


NOTES ET DOCUMENTS 493

Mallarmé n'aura pas le temps de « tenter » la « suprême démarche », et ne verra pas l'aboutissement de ses efforts. Cette année-là, il se sentait plus fatigué que d'habitude et l'appel à la retraite, à Valvins, se fit plus pressant. A Cazals, jeune et ardent, qui le harcelait sans doute un peu, il laissait désormais le soin d'achever l'oeuvre commencée. Un mois après son départ pour la campagne, où la mort allait le surprendre le 8 septembre, Geneviève Mallarmé envoyait au peintre ce mot écrit sur une des cartes rectangulaires de son père :

Paris, 89 rue de Rome 1 9 Mai 1898. Cher Monsieur Cazals,

Ci [sic] vingt francs de Monsieur Reynaud, sculpteur, que mon père voulut vous remettre avant son départ pour la souscription Verlaine : aucune occasion ne se présentant à quoi les joindre, je vous les adresse avec tous nos compliments.

Geneviève Mallarmé.

Cazals ne devait plus revoir Mallarmé. Mais l'affaire du monument était entre de bonnes mains. Certes il faudra attendre treize ans avant que l'inauguration ait heu, mais le principal était fait, et du vivant même de Mallarmé. Hommage posthume d'un poète à un autre poète, et qui justifie pleinement le mot de Verlaine à Vanier à propos de Huysmans — mais qu'il aurait pu tout aussi bien dire de Mallarmé : « Il y a plus, un milliard de fois plus de confraternité à attendre d'un de ses pairs que du meilleur des journalos » 2.

GEORGES ZAYED.

UN CAS DE MÉMOIRE INVOLONTAIRE DANS " LA DOUBLE MAÎTRESSE " D'HENRI DE RÉGNIER

Nos lecteurs savent ce que signifie pour Marcel Proust l'épisode célèbre de la petite madeleine dans sa Recherche du temps perdu, un exemple de ce que l'on a coutume de nommer (sans doute d'une manière quelque peu ambiguë 3) la mémoire involontaire.

Nous voudrions, en ces brèves pages, analyser un autre exemple de mémoire involontaire, que nous propose un contemporain de Marcel Proust, Henri de Régnier, dans son roman, quelque peu passé de mode à l'heure actuelle, La Double Maîtresse.

1. Recto et verso de la carte écrits. Suscription de l'enveloppe : « Monsieur F.A. Cazals, 11 rue d'Ulm. E. V. ". Cachet postal : " Paris-84, Boulevard de Clichy, 9 Mai 98-3e ».

2. Correspondance de Verlaine, Paris, Messein, t. ii, p. 148.

3. La distinction traditionnelle entre mémoire volontaire et mémoire involontaire, pour réelle qu'elle soit, s'exprime à nos yeux d'une manière quelque peu inadéquate : nous entendons par mémoire involontaire les souvenirs que nous revivons tout à coup sans l'avoir voulu d'une manière consciente et intentionnelle ; il n'en reste pas moins que de tels souvenirs n'auraient pu rejaillir soudain avec autant d'acuité si notre inconscient ne l'avait pas voulu au plus intime de nous-mêmes 4 dès lors, les phénomènes de mémoire involontaire naissent en nous sous l'effet de pulsions dont nous n'avons assurément point une conscience claire mais qui nous appartiennent en propre de telle sorte qu'elles correspondent à nos désirs les plus profonds et les plus intangibles. En conséquence de quoi, cette mémoire dite involontaire ne l'est pas dans la mesure où elle répond à une pulsion de notre volonté, inconsciente mais sans doute d'autant plus incoercible.


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Cet exemple nous paraît significatif dans la mesure où l'oeuvre en question a été publiée en 1900, à une époque légèrement antérieure à l'élaboration du chef-d'oeuvre de Marcel Proust.

Un semblable exemple nous semble d'autant plus digne d'attention qu'il constitue, à nos yeux, le ressort fondamental de La Double Maîtresse, ainsi que nous espérons le montrer 1.

La Double Maîtresse nous raconte la vie sentimentale d'un noble campagnard, au xviiie siècle. Nicolas de Galandot naquit d'un père bonasse et d'une mère rigide. Celle-ci prit aussitôt sur son fils un ascendant qu'il ne songea point à discuter car, à quatorze ans, « il lui fallait peu de choses pour s'occuper et peu d'espace pour vivre. Le petit nombre d'objets qu'il avait vus ne lui avait donné qu'un petit nombre d'idées. Une seule le dominait, celle de plaire en tout à sa mère. Son respect pour elle, plus que filial, était sans mesure... C'est en son unique et sévère compagnie qu'il grandit, occupé à ce qui se faisait entre ces quatre murs et sans relations avec le dehors dont presque vraiment rien ne parvenait jusqu'à lui » 2. De toute évidence, il s'agissait d'un jeune homme dont l'éducation stricte sous la férule d'une mère rigoureuse avait étouffé à la racine les quelques rares velléités d'indépendance d'un caractère dépourvu, en naissant, de la moindre énergie. C'est pourquoi « poli et doux, il [Nicolas] demeurait borné à la pratique d'une existence sans imprévu et sans désirs. Il lui suffisait de très peu » 3. Il était, en un mot, un « grand benêt qui avait employé hier plus de trois heures avec un contentement visible à produire des ronds et des ricochets dans un bassin en y lançant des pierres et des cailloux plats » 4.

Sur les instances du précepteur de Nicolas, Madame de Galandot consentit, après de longues hésitations, à recueillir pendant la belle saison sa nièce Julie, une enfant d'une huitaine d'années. La fillette turbulente et primesautière, « eut quelque peine à se mettre au pas où entendait la réduire sa tante... Devant cette forte contrainte, l'enfant plia, par insouciance un peu, beaucoup par mollesse et aussi par cette facilité aux circonstances, particulière aux êtres jeunes » 5. Cependant, une amitié profonde, encore que peu perceptible, unit bientôt Nicolas à sa jeune cousine.

Les années passèrent. Lors d'un nouveau séjour de Julie chez Madame de Galandot, « Nicolas ne reconnaissait pas sa cousine dans

1. En ce domaine, Henri de Régnier ne fut point le seul précuiseur de Marcel Proust. Nous nous permettons, sur ce sujet, de renvoyer nos lecteurs à l'article de J. Monge, " Un précurseur de Proust : Fromentin et la mémoire affective », H.H.L.F., 1961, p. 564 et suiv. Proust lui-même s'est ici reconnu des prédécesseurs : Chateaubriand, Nerval, Baudelaire. Ajoutons qu'en ce qui concerne un semblable phénomène de réminiscence, Nerval et Baudelaire nous paraissent appartenir à un courant dont l'origine se situe dans la Grèce ancienne : nous nous permettons de renvoyer nos lecteurs à notre étude " Le phénomène de réminiscence dans les Dialogues de Platon », Les Études Classiques, xxxiii, n° 3, juillet 1965, p. 225-252 ; n° 4, octobre 1965, p. 377-400, qui traite de ce sujet.

2. La Double Maîtresse, Mercure de France, Paris, 1966, p. 50-51.

3. P. 51-52.

4. P. 57.

5. P. 82-83.


NOTES ET DOCUMENTS 495

cette belle personne toute rieuse, hardie et familière qui se tenait devant lui avec son teint frais, sa bouche charnue, son corsage entrouvert sur la naissance d'une gorge attrayante » 1. Très contrariée d'un séjour qui s'annonçait fort ennuyeux, Julie se prit à penser soudain « qu'après tout son cousin Nicolas n'était pas déjà si mal tourné [il n'était] au demeurant point laid du tout » 2. Elle résolut donc d'en faire la conquête. Cependant, Nicolas, très embarrassé, tardait à comprendre les coquetteries de sa cousine. « Ce fut donc elle qui brusqua les choses » 3. Elle l'entraîna à reprendre leurs jeux d'enfants auxquels désormais elle apportait « toutes les ressources de la plus dangereuse coquetterie sous les apparences de la plus franche naïveté » 4. Nicolas, grand dadais, n'y voyait point malice et, au terme de longues courses à travers le parc, « la recevait [dans ses bras]. Elle y tombait toute chaude, essoufflée et haletante ; ses petits seins palpitaient sous son corsage à fleurettes » 5. Le jeune seigneur de Galandot, quoique secrètement ému (d'une émotion qu'il ne comprenait d'ailleurs point), demeurait toutefois apparemment insensible à la coquetterie de plus en plus provocante de sa jolie cousine. Devant l'inutilité de ses premières avances, celle-ci se montra toujours plus audacieuse. « Elle agit [désormais] avec une impudeur tranquille et souriante » 6. Nicolas, de plus en plus troublé (d'un trouble délicieux...), demeurait cependant inerte au profond dépit de sa cousine dont « la hardiesse augmentait de jour en jour [jusqu'] aux dernières limites de l'audace » 7. C'est ainsi qu'un jour, ayant cueilli des grappes de raisin, Julie pénétra dans la bibliothèque du château, en compagnie de Nicolas ; comme il faisait une chaleur exceptionnelle, la jeune rouée s'étendit sur une table de mosaïque dont la froideur lui parut délicieuse ; toutefois, pour mieux se rafraîchir, elle dégrafa son corsage et se retrouva le

cou et la gorge nus, ses petits seins fermes, blancs et frais, à l'air. Elle se tourna sur le dos, prit une des grappes et commença, un à un, à en manger les grains... Elle tenait le raisin haut devant elle, chaque mouvement de son bias levé et ramené à sa bouche laissait voir l'ombre blonde de son aisselle... Un dernier grain restait; elle le prit entre les doigts et, avec un rire hardi, le lança à Nicolas qu'il atteignit au visage 8.

Cette fois, son cousin sortit de sa réserve : il entreprit de la conquérir jusqu'au moment où « elle ne sentit plus rien et regarda. Dans le cadre de la porte grande ouverte, Mme de Galandot se tenait debout. Elle semblait d'une taille inusitée [...] Julie [...] entendait Nicolas claquer des dents » 9.

Nous nous sommes étendus sur cette scène car elle constitue en quelque sorte la clef du roman, elle nous présente l'épisode qui

1. P. 123.

2. P. 124.

3. P. 125.

4. P. 126.

5. P. 127.

6. P. 129.

7. P. 134.

S. P. 138-139. 9. P. 139.


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influencera d'une manière essentielle le déroulement de la vie sentimentale de M. de Galandot, épisode qui rejaillira soudain à la conscience de ce gentilhomme et qui constituera ainsi la source de ce qu'on appelle plus ou moins adéquatement « un phénomène de mémoire involontaire », phénomène qui se produira, comme nous le verrons bientôt, en deux phases successives et complémentaires.

Julie chassée de l'existence du jeune Nicolas, celui-ci vécut d'affreuses semaines. M de Galandot lui fit sentir Mme toute la rancune de son grief... [Elle] ne cessait de [lui] reprocher ce qu'elle appelait sa faute, de lui en ressasser l'ignominie et la bassesse. Le pauvre garçon y prit le sentiment d'être un grand pécheur et vécut dans l'accablement de son opprobre. Par un raffinement extraordinaire de casuistique, elle lui interdit de s'en confesser, prétextant que le pardon pourrait lui en prétexter l'oubli et qu'il n'en trouverait la véritable pénitence que dans le suspens continuel où elle le tenait au-dessus de l'enfer » 1.

A quelque temps de là, Mme de Galandot mourut. Son fils vécut seul, entouré de ses vieux domestiques qui, l'un après l'autre, trépassèrent. Le jeune Nicolas, doté d'une solide fortune, résolut d'abandonner son château. Les années passant, il finit par habiter Rome où il vécut très solitaire et complètement oisif.

Or, un jour, alors qu'il se promenait à l'ombre d'une venelle romaine,

un léger bruit lui fit lever les yeux. Une terrasse bordait la rue à cet endroit par un balustre à colonnettes au-dessus duquel des plants de vigne formaient berceau et laissaient retomber leurs pampres où se mêlaient quelques grappes de raisins. Il y avait sur la rampe une femme couchée. Elle était étendue de toute sa longueur sur la pierre tiède et semblait dormir, tournée un peu sur le côté. On voyait sa chevelure tordue sur sa nuque grasse, son dos souple, la saillie de ses reins... Elle se leva lentement, s'étira et s'assit le dos tourné à la rue... Ce fut à ce moment sans doute qu'elle remarqua l'immobile présence de M. de Galandot. Elle se tourna à demi, puis, sans prendre garde à lui davantage, elle cueillit une grappe de raisin qui pendait à la treille à sa portée. Les pampres remuèrent. Elle mangeait grain par grain lentement, voluptueusement, en tenant la lourde grappe gonflée à hauteur de ses yeux tantôt vite, tantôt s'arrêtant pour la faire tourner entre ses doigts. M. de Galandot, d'en bas, suivait ses gestes avec anxiété. A chacun des grains juteux et ambrés qu'elle mettait dans sa bouche, il éprouvait dans la sienne une fraîcheur délicieuse ; il lui semblait savourer il ne savait quoi de secret et de mystérieux ; il se sentait agité d'une émotion ardente et langoureuse...

1. P. 144. Henri de Régnier explique d'une manière toute freudienne mais avant la lettre, dirons-nous, l'attitude extraordinairement rigoriste de Mme de Galandot au sujet de la sexualité. Dans sa jeunesse, son père, M. de Mausseuil, ce ne se retenait guère pour gourmander devant ses filles leur ivrogne de frère et le réprimander de ses débauches. Il le faisait avec la bassesse de propos la plus crue, sans s'inquiéter des oreilles qui l'écoutaient. Mme de Galandot avait trop entendu dans sa jeunesse ces ignobles querelles domestiques où l'on appelait tout plus que par son nom. Son frère l'avait à son tour, et pour son compte, poursuivie de toutes les ordures Le misérable, qui ne respectait rien, ne la respectait pas davantage et la harcelait de ses discours et de ses desseins criminels. Que de fois elle avait dû se boucher les oreilles et repousser des mains brutales et avinées. Irrité de son refus et de son mépris, le cynique drôle prenait plaisir à étaler sous les yeux de sa soeur, sinon en fait, du moins en paroles, l'ignominie de ses goûts. » (op. cit., p. 140-141). D'une manière adroite mais dépourvue d'équivoque, Henri de Régnier indique la source de la rigueur morbide de Mme de Galandot vis-à-vis de la sexualité : une tentative incestueuse de son frère à son égard.


NOTES ET DOCUMENTS 497

Nicolas regardait. Sa main tremblait sur la pomme de sa canne. Une sueur froide lui coulait du visage. Il sentait revenir du fond de sa vie un trouble subtil et connu qui l'envahissait peu à peu. Cette jeune femme qui, les bras levés, la poitrine nue, mangeait un raisin, lui apparaissait comme debout au fond de son passé. Une heure lointaine et oubliée renaissait dans la minute présente... Ses lèvres balbutiaient un nom qu'il n'avait pas redit depuis de longues années : « Julie, Julie... » 1.

L'on voudra bien nous excuser de cette longue citation. Elle nous a paru indispensable dans la mesure où chaque phrase qui la constitue exprime une étape complémentaire de la précédente, introductrice de la suivante, une étape indispensable dans l'évolution lente et progressive du phénomène de ce qu'il est convenu d'appeler la mémoire involontaire.

Tout comme chez Proust, une situation extérieure identique — au moins dans ses grandes lignes — à une autre du passé constitue le point de départ du phénomène en question : ici, il s'agit d'une femme, voluptueusement étendue sur la pierre d'une balustrade, une jeune femme à moitié dévêtue occupée à manger du raisin, grain par grain. Cette scène est analogue — sinon identique — à une autre que nous connaissons déjà : une jeune fille, allongée langoureusement sur la pierre d'une table en mosaïque, déguste elle aussi du raisin, la poitrine nue.

Tout comme le héros de Marcel Proust, M. de Galandot n'établit point sur le champ un rapport volontaire entre les deux scènes ; un trouble le saisit d'abord dont il ne comprend pas l'origine ; un sentiment confus où se mêlent l'angoisse et le plaisir, l'envahit peu à peu. C'est alors qu'il ressent le phénomène de mémoire involontaire proprement dit : quelques minutes de son passé ressuscitent littéralement en son coeur et, pourrions-nous dire, sous ses yeux : Henri de Régnier le précise sans équivoque lorsqu'il écrit, souvenonsnous en : « Cette jeune femme qui, les bras levés, la poitrine nue, mangeait un raisin, lui apparaissait comme debout au fond de son passé. Une heure lointaine et oubliée renaissait dans la minute même. » Présent et passé s'aholissent en quelque sorte : les deux scènes n'en font plus qu'une ou, plus exactement, la première ressuscite et annihile pour ainsi dire la seconde qui ne joue plus dès lors que le rôle de catalyseur ; il n'y a donc aucune trace d'un phénomène de mémoire traditionnel, un phénomène qui se définit justement par la conscience aiguisée d'un passé vis-à-vis d'un présent, un présent bien réel que ne peut abolir la mémoire du passé.

M. de Galandot, profondément troublé par la résurrection d'une scène qui l'avait jadis au plus intime de lui-même indélébilement impressionné, n'eut de cesse d'entrer en relations avec celle qui avait réincarné, à son insu mais si profondément, la capiteuse et sensuelle Julie.

Olympia, une courtisane romaine, eut vite fait de transformer M. de Galandot en amoureux transi, incapable de résister aux caprices d'une femme rouée, une femme qui l'avait aussitôt jugé : elle se

1. P. 273-274.

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hâta de croquer à belles dents la fortune de M. de Galandot en compagnie de son amant de coeur, en traitant de haut le pauvre Nicolas, plus nigaud que jamais.

Les jours passant, un second phénomène de mémoire involontaire se produit lorsque M. de Galandot, ayant surpris la courtisane voluptueusement allongée, toute nue sur sa couche, allait se permettre l'une ou l'autre privauté :

Tout à coup, il trébucha et tomba à demi sur les draps. La canne, l'écrin 1, et le chapeau roulèrent à terre. Soudain, JM. de Galandot se releva. Il était à genoux sur le Ht, les bras tendus dans une attitude d'épouvante, les yeux fixés sur la porte qui s'ouvrait lentement, comme pour laisser entrer quelqu'un. Nicolas regardait cette porte entrebâillée comme si elle allait donner passage à quelque fantôme familier venu vers lui du fond de son passé, du bout de sa jeunesse, avec des traits connus, une démarche ressouvenue 2, puis il battit l'air, balbutia quelques mots inintelligibles et dégringola sur le pavage, tandis que le battant poussé d'un nouvel effort laissa voir la petite chienne Nina qui mêla son jappement au bruit de la chute de M. de Galandot... 3.

Ce nouveau phénomène de ce qu'il est convenu .d'appeler mémoire involontaire n'est pas identique au premier ; il se rapporte au contraire à la fin de la scène initiale, où l'on voyait tout à coup surgir M" de Galandot, à l'instant même où le jeune Nicolas se préparait à succomber au charme capiteux de sa jolie cousine. La porte s'ouvrait, souvenons-nous en, sur la haute silhouette maternelle, tout comme elle s'entrebâille, ici, à l'heure même où, derechef, Nicolas succombe à la beauté de sa nouvelle Julie.

Beaucoup plus que dans le premier cas de réminiscence involontaire, la scène initiale ressuscite dans toute son intensité et annihile en quelque sorte ce qui lui a permis de renaître. M. de Galandot se croit revenu au temps de sa jeunesse, il pense être dans la bibliothèque du château de Pont-aux-Belles en train de lutiner sa cousine sous l'oeil implacable de sa mère soudainement apparue au seuil de la pièce. C'est pourquoi une terreur panique le saisit tout à coup, source d'une apoplexie qui l'abat sans connaissance sur le parquet.

Le phénomène de mémoire involontaire est à ce point caractérisé, la résurrection de la scène initiale se révèle si absolue qu'il en découle, ainsi que nous venons de le voir, un accident sérieux qui ne manquera pas d'entraîner plus tard la mort de M. de Galandot, mort survenue à l'occasion d'un troisième phénomène de réminiscence involontaire, analogue sinon identique au second comme nous le montrerons bientôt 4.

1. L'écrin d'un collier offert par M. de Galandot.

2. C'est nous qui soulignons.

3. P. 304-305.

4. Soulignons, une fois de plus, les résonances freudiennes (ante litteram, pourrions-nous dire) d'une semblable scène. Si M. de Galandot est à ce point bouleversé d'une analogie de situation — l'entrebâillement d'une porte •— c'est parce qu'il fut, au plus intime de lui-même, profondément traumatisé par la rigueur excessive de sa mère, une rigueur plus absolue encore quant à la sexualité. A vrai dire, M. de Galandot est demeuré psychologiquement un petit garçon en ce domaine comme d'ailleurs en bien d'autres. Cette immaturité l'entraînera dans la mort.


NOTES ET DOCUMENTS 499

La courtisane romaine, devant la décrépitude toujours plus accentuée de M. de Galandot, décide de se faire reconnaître par celui-ci comme légataire universel de toute la fortune du vieux gentilhomme français. Auparavant, toutefois, elle se contente de lui extorquer la somme nécessaire à l'achat d'une splendide maison. Pour ce faire, elle présente au malade un engagement à signer; comme M. de Galandot semble pris d'hésitation, la courtisane qui a obscurément deviné l'influence profonde de la scène où le vieil homme l'a découverte pour la première fois, lui déclare, cyniquement tentatrice :

J'irai chercher des raisins ; nous les mangerons ensemble comme le jour où tu m'as vue sur la terrasse. Veux-tu ? Je me coucherai sur ton lit près de toi. Je tiendrai la grappe haute. Je la ferai tourner et je te mettrai moi-même les grains dans la bouche... 1.

Cette évocation — qui n'a rien, précisons-le, d'un phénomène de réminiscence involontaire — convainc M. de Galandot : il saisit la plume offerte et commence à tracer la première lettre de son nom. C'est alors que

tout à coup, il poussa un cri muet qui s'arrêta dans sa gorge. Ses yeux se dilatèrent de terreur ; Olympia tourna la tête et, en même temps que la porte s'ouvrait d'une poussée invisible, elle sentît peser dans sa main la main de M. de Galandot, la plume brisée grinça aux doigts crispés 2.

Ce troisième et dernier phénomène de réminiscence involontaire, phénomène identique au second déjà étudié, venait de provoquer la mort du pauvre Nicolas.

Nous ne nous attarderons point sur ce dernier acte de mémoire dite involontaire. Qu'il nous soit permis toutefois d'en souligner l'importance puisqu'il entraîne la mort de celui qui l'éprouve. Une conséquence aussi tragique constitue une preuve de la puissance du souvenir traumatisant : c'est l'être profond de M. de Galandot qui se trouve atteint d'une telle manière qu'il en perd la vie.

Il nous reste à tirer les conclusions de cette brève étude.

La Double Maîtresse, un roman aussi négligé des lecteurs d'aujourd'hui que des historiens de la littérature française, nous apparaît comme le précurseur, en un domaine assurément fort limité bien qu'essentiel, d'une oeuvre certes beaucoup plus importante, A la Recherche du temps perdu, de Marcel Proust. Ce roman, d'intérêt secondaire, paru à la naissance du xxe siècle, quelques années avant les premiers volumes de la fresque proustienne, nous semble digne d'être sauvé de l'oubli dans la mesure même où il relate, avant Proust, le premier phénomène littéraire de ce qu'il est convenu d'appeler la mémoire involontaire.

JEAN-MARIE PAISSE.

1. P. 364.

2. P. 365.


COMPTES RENDUS

HÉLISENNE DE CRENNE, Les Angoisses douloureuses qui procèdent d'amours (Première partie). Présentation par Jérôme VERCRUYSSE. Paris, Minard, Bibliothèque introuvable, 4, 1968. Un vol. 12 x 18 de 160 p.

On ne lisait guère Hélisenne, faute d'éditions modernes : en voici, coup sur coup, deux qui ont paru à quelques mois d'intervalle 1. Faut-il se féliciter de cet intérêt soudain porté au premier roman d'analyse français, ou au contraire déplorer un manque de coordination dans les efforts des chercheurs ? Quoi qu'il en soit, ces deux volumes se signalent par des mérites divers et se partageront le public des seiziémistes, assez peu favorisé par les éditeurs au cours de ces derniers mois.

L'édition procurée par M. Vercruysse comporte une bonne notice, qui rapporte les éléments biographiques connus, l'histoire de l'oeuvre et sa place dans le mouvement des idées vers le milieu du xvie siècle. L'auteur souligne fort justement l'absence d'écho du livre dans le milieu littéraire, et son succès relatif auprès du public ; il rappelle également que Les Angoisses constituent un document de premier ordre dans la Querelle des Amies ; enfin il note la part d'héritage, très importante, qui provient de Boccace et de Caviceo 2. Nous relèverons encore la remarque suivante (p. 16-17) : et Aucun élément sérieux ne permet d'accréditer la thèse du roman auto-biographique, et nous préférons voir dans Les Angoisses une oeuvre exclusivement littéraire ». Opinion discutable 3, et d'ailleurs, s'il s'agit d'un "journal», même arrangé, nous avons affaire à un texte de première importance, tandis que, si Les Angoisses sont une oeuvre de fiction, nous jugerons ce « roman » bien lourd, traînant et banal, d'une honnête médiocrité.

M. Vercruysse a choisi de reproduire le texte de l'édition de 1560, remaniée par Cl. Colet 4 ; voulant rendre le roman accessible sans trop de difficulté au lecteur moderne, il a légèrement modernisé l'orthographe, l'accentuation et la ponctuation 5. Dans l'ensemble, son texte est sûr, malgré quelques inatten1.

inatten1. qui est une édition critique, est due à Paule Demats, Paris, Les Belles Lettres, 1968, un vol. 15,5 X 24 de 157 p. (Annales Littéraires de l'Université de Nantes, II).

2. Mlle Demats a relevé, dans un Appendice, " Les emprunts textuels d'Hélisenne ", qui occupent vingt pages de son édition

3. Mlle Demats interpréterait volontiers le livre comme une autobiographie : elle n'hésite pas à appeler Hélisenne une « romancière du moi " (p. x).

4. Travail de retouche d'ailleurs peu significatif. L'édition Demats donne le texte de l'originale et l'ensemble des variantes, y compris les corrections de Colet.

5. Non sans quelques incohérences. Ainsi p. 84 " prononçait " voisine avec " venoit » , p. 105 " rétribué » précède de peu « premié " ; la ponctuation est hésitante p. 64, I. 3 ; p. 105, 1. 22 ; p. 154, 1. 24, voire franchement mauvaise, ainsi p. 34.


COMPTES RENDUS 501

rions 1. Un petit nombre de notes viennent éclairer les allusions bibliques ou mythologiques 2 ; les éditions de l'oeuvre sont rapidement passées en revue, et l'on trouvera en note, p. 7, une bibliographie sommaire 3.

Seule la première partie du roman est ici rééditée : le reste est d'un moindre intérêt et surtout d'une écriture parfois franchement illisible. Pour curieux qu'il soit, le style hérissé de prétention et de pédantisme de Marguerite de Briet est la partie la plus faible, même dans les premiers chapitres, d'un ouvrage pourtant attachant. Car la « confession avant la faute » (R. Morçay) de cette amoureuse humiliée et plaintive mérite de nous retenir : cette attention au moi, cette complaisance qui n'est pas excuse, mais mauvaise conscience, ce regard tout entier tourné vers l'intérieur rendent un son trop isolé en 1538 pour que nous n'y prêtions l'oreille.

YVES GIRAUD.

ETIENNE JODELLE, OEuvres complètes. Édition établie, annotée et présentée par ENEA BALMAS. Paris, Gallimard, 1965 et 1968. Tome I, un vol. 14 x 22,5 de 543 p. Tome II, un vol. 14 x 22,5 de 502 p.

Cent ans après la très estimable édition de Charles Marty-Laveaux, M. Balmas, qui est sans conteste le meilleur spécialiste actuel de Jodelle, a rassemblé en deux gros volumes tout ce qui nous est parvenu de l'oeuvre difficile d'un écrivain malchanceux. Cette entreprise de longue patience et d'attentive passion suscite d'abord le respect, d'autant que le savant éditeur a fait suivre les textes d'un commentaire critique très précieux, après avoir cherché un classement « logique et historique » susceptible de favoriser la compréhension d'ensemble.

Le mauvais sort s'est acharné sur Jodelle tout au long de sa vie : M. Balmas le rappelle dans son introduction, résumant et complétant les données de l'important ouvrage biographique qu'il publia en 1962, ainsi que dans une abondante chronologie. Certes, l'on aimerait discuter sur plus d'un point : ainsi « baroque et baroquisme chez Jodelle » (p. 17 et passim), « prodigieuse faculté d'invention verbale » (p. 17), « peintre et musicien » (premier rebras de couverture), etc. Nous dirons seulement que M. Balmas s'abandonne parfois à un préjugé trop favorable à son « Poète » (auquel il accorde généreusement cette majuscule), ou prête trop de crédit aux éloges, probablement un peu _ outrés, de La Mothe. Il n'en reste pas moins que cinquante pages suffiront au lecteur pour se trouver au coeur du " mystère Jodelle », avec les ombres de l'existence, les revirements du caractère, les contradictions de l'oeuvre 4, le

1. Diverses coquilles à relever : p. 56 L'ayme (J'ayme) , p. 58 dont joue (dont on joue) ; p. 61 pour ça (pour ce) ; p. 70 quelque reponce (quelle reponce) ; p. 72 flambe (flamme) ; p. 78 mains (mais) ; p. 94 Le vous veux (Je vous veux) ; p. 101 en me donner (donnant) ; p. 106 menbres (membres) ; p. 114 emflambement (enflambement) ; p. 115 junvenceaux (jouvenceaux), que nulle vivante (que de nulle vivante), meilliflues (melliflues), méroire (mémoire), de ses familières (familiers) ; p. 149 steliferes (stellifères) ; p. 159 à ceste occasion (a esté occasion), que je me suis (que me suis), ne sont pas moins (ne sont moins) ; p. 160 espargne illarité (espargnée hilarité).

2. M. Vercruysse voit dans le nom du château où Hélisenne est enfermée par son mari, Cabasus, " peut-être un emprunt à une ville de Cappadoce » (p. 150, n. 36), alors que Mlle Demats remarquait avec justesse que " Cabasus et Crennes ne font qu'un » (p. xi) : en effet Hélisenne a sans doute commis ici un mauvais jeu de mots : Cabasus = Crâne = Crenne.

3. Un détail qui montrera l'un des écueîls de toute bibliographie : M. Vercruysse donne pour référence d'un article de Louis Loviot (qu'il appelle H. Loviot) : Revue des Livres anciens, 1916, t. II, p. 137-143 ; pour le même article, Mlle Demats renvoie à l'année 1917, p. 137-145, et Cioranescu au t. ii 1914, p. 137-145. Il faut lire : 1916, t. ii, fasc. 2, p. 137-145.

4. Signalons la plus voyante. Dans le prologue de l'Eugène, Jodelle refuse, selon la jolie formule de M. Balmas, " la littérature de mandarins pour une littérature de


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désaccord entre une personnalité géniale mais tourmentée et une production trop inégale.

Sur l'oeuvre aussi, la Fortune a exercé ses caprices : pièces liminaires éparses dans les volumes les plus divers, poésies retombées dans l'anonymat des recueils manuscrits, un maigre volume aux allures de plaidoyer — le Recueil des Inscriptions de 1558 —, une publication posthume, bien intentionnée certes, mais si discutable. Et surtout, que de pages perdues 1 « Nous espérons faire mettre en lumiere encore quatre ou cinq aussi gros volumes que cestuy-cy », disait La Mothe : il exagère, très vraisemblablement, et M. Balmas revient avec un peu trop d'insistance sur le « grand naufrage qui a presque entièrement englouti l'oeuvre de Jodelle » ; du moins est-il certain que nous ne connaissons qu'en partie cette oeuvre. Aussi serons-nous un peu surpris par l'adjectif « complètes » du titre, d'autant que tout espoir n'est pas perdu de retrouver plus d'un texte.

Le classement proposé par M. Balmas diffère totalement de l'ordre choisi par La Mothe et repris par Marty-Laveaux, qui était occasionnel et analogique : M. Balmas préfère regrouper les pièces par grands thèmes d'inspiration et, à l'intérieur de chaque groupe, suivant une chronologie aussi précise que possible. De plus, et nous ne pourrons que l'en féliciter, il n'a pas voulu séparer pièces latines et françaises, prose et vers. Un tel classement est toujours délicat et comporte presque nécessairement une part d'arbitraire : pourquoi, par exemple, ne pas placer le Recueil des Inscriptions dans la section " Le Poète à la Cour», ou Contre la Rière-Vénus à la suite des Contr'Amours ? D'autre part, une lecture attentive des textes permet à M. Balmas de reconstituer certaines « suites » inspirées par les événements historiques, ou de dater plus exactement des pièces jusqu'ici noyées dans le " fourre-tout » de La Mothe. Cet ordre nouveau favorise indiscutablement la lecture et devrait servir d'exemple pour d'autres éditions de poètes de la Renaissance.

En éditant Jodelle pour la première fois sous cette forme, M. Balmas a voulu proposer aux seiziémistes un instrument de travail (I, p. 29). Mais il est regrettable que manquent à ces volumes une numérotation des vers, un glossaire, une bibliographie, une table des premiers vers, absences qui rendront moins commode leur maniement. De plus — est-ce encore la mauvaise étoile de Jodelle ? —, le texte lui-même recèle quelques imperfections. M. Balmas a voulu respecter les graphies des originaux, en les normalisant à l'occasion, et se contenter de quelques retouches pour la ponctuation : nous dirons qu'il est difficile de se fonder sur son texte quant à ces deux aspects typographiques 1. Enfin, et ce sera notre principal reproche, le texte est trop souvent déformé par de mauvaises lectures, ou d'étonnantes coquilles 2 : dans son ensemble, et

promotion culturelle " (ii, p. 435), mais l'éditeur considère, sans doute avec raison, toute une partie de l'oeuvre comme difficile, hermétique presque, et le poète comme un aristocrate dédaigneux du vulgaire (I, p. 18).

1. Quelques exemples : t. I, p. 92 ce pourrais-je, bien me sauver » ; p. 93 " homme bien né » ; p. 112, fin de la 2e strophe, une virgule alors qu'il faudrait un point ; même remarque p. 147, fin de la 1re strophe. Enfin, on verra le sonnet de la p. 412, qui ne comporte pas un signe de ponctuation, en dehors des points de fin de strophe.

2. Nous avons relevé les principales erreurs typographiques du tome II dans notre compte rendu pour la Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance. La table d'errata de ce tome II est notoirement incomplète. Parmi les coquilles, les plus fréquentes proviennent de confusions entre s et f, i et j, u et v : t. I, p. 69 affleure, pour asseure ; p. 172 à foy, pour à soy ; p. 233 s'effore, pour s'essore ; p. 350, fur, pour sur ; p. 363, forfaire, pour forsaire ; p. 380, fortissable, pour sortissable ; p. 94, iours pour jours (et autres fautes du même type), p. 268, creuans, pour crevons ; p. 315, leure, pour lèvre; p. 349, maurûres, pour navrûres ; p. 414, prévue, pour preuve ; p. 511, poures, pour povres. On trouve encore des contractions que le typo n'a pas comprises (du danger de remettre des photocopies à l'éditeur !) : p. 172, incostance, pour inconstance ; p. 219, ces chies, pour


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malgré d'autres faiblesses, le texte de Marty-Laveaux était plus sûr, et l'on ne peut que déplorer de telles fautes matérielles.

Lisant ces oeuvres, on a souvent l'impression que Jodelle est un auteur de " morceaux à choisir », chez lequel les réussites voisinent avec les plus insignes platitudes. Les jugements de M. Balmas, défendant la longue rhapsodie, monotone et terne, de La Chasse ou affirmant la supériorité de Jodelle sur Du Bellay (I, p. 504), semblent empreints de quelque partialité. On verra aussi que la versification jodellienne se signale par son originalité : faut-il dire hardiesse ou maladresse ? il y a sans doute des deux, tant sa rythmique est variée, disloquant et l'alexandrin et le décasyllabe de façon parfois difficilement supportable ; mais il est juste de lui accorder aussi d'étonnantes scansions, souvent du plus bel effet 1.

Nous avons déjà signalé l'intérêt des annotations de M. Balmas 2 : revenons pour terminer sur un problème particulier, les rapports de Jodelle avec la musique et les musiciens de son temps. Jodelle était-il bon musicien lui-même ? pas plus que pour Marot, nous ne pouvons en décider, et La Mothe, ici encore, est un témoin bien discutable. De même, nous n'avons aucune trace de rapports entre le poète et les compositeurs contemporains, à l'exception des compliments, intéressés, à Roland de Lassus 3, qui n'y répondit jamais. Notons

ces chiens ; p. 355, costance, pour constance ; p. 372, incostante, pour inconstante ; p. 377, mostre, pour monstre. Puis vient la longue série des inadvertances graphiques : p. 70, latinitez, pour latinisez ; p. 71, plusieurs escrit, pour escrits ; p. 73, pourrouyent, pour pourroyent ; p. 74, ils sont esté, pour ils ont ; p. 93, comblent, pour combien ; p. 95, à esté, où este celuy ; p. 99, pares, pour peres ; p. 104, quel l'Amour ; p. 106, moeu, pour noeu ; p. 107, enviterions, pour éviterions, main, pour maint ; p. 108, des soymesme, pour de — ; p. 129, Cest, pour Ceste ; p. 137, martyriser, pour martyrer, vr.ayment, pour vrayement ; p. 141, joui cela, pour tout cela ; p. 161, se pourchasse, pour le — ; p. 164, sous nom Roy, pour sous mon Roy ; p. 170, puvoir, pour pouvoir, quelque aime, pour ame, parès, pour après ; p. 175, cente, pour cent ; p. 227, pour ten vol, pour tel ; p. 246, foison d'or, pour toison d'or ; p. 289, fation, pour faction, Maistre, pour Maistres ; p. 303, dehuement, pour deuement ; p. 307, impiétié ; p. 325, plessure ; p. 335, Blandire, pour Blandir ; p. 342, don, pour dont ; p. 345, tou, pour tout ; p. 347, trionfans, pour triomphans ; p. 352, Ta face, pour Te face ; p. 359, que déplaisir te semble, pour qui déplaisir te semble ; p. 374, soi, pour soit ; p. 376, vert pour sert ; Et l'audace mes feux, pour Et d'audace ; costume, pour coustume ; p. 384, et raritez, pour en ranritez ; p. 387, prouvienent, pour proviennent ; p. 395, tous nos esprit ; p. 410, le veue, pour la veue; p. 411, oragueuse; p. 425, Myrrthe, pour Myrrhe; p. 427, ont retient, pour on — ; p. 430, Qui ne rendit, pour Qu'il — ; p. 469, cet petit labeur, pour ce —. Enfin des bourdons ou des parasites viennent fausser plus d'un vers : p. 71, nuisit à la Poésie (nuisit plus à la Poésie) ; p. 170, D'un travail, d'une mérite un tourment (D'un travail, un travail, d'un mérite, un tourment) ; p. 180, il ne se sert (il ne sert) ; p. 402, j'ayme et je n'ayme (j'ayme et ne n'ayme pas) ; p. 406, Je suis enflammé d'une ardeur immortelle (Je suis tout enflammé...) ; p. 408, Rien ne plaist (Rien ne me plaist), Pour loyer de si rare constance (Pour le loyer...).

1. Avouons rester sur notre faim pour ce qui est de la versification : les commentaires, qui portent principalement sur les sonnets amoureux, se bornent à relever la nature des mètres, la qualité et la disposition des rimes (appelée par erreur " schéma rythmique »).

2. Encore quelques remarques de détail : t. I, p. 471, la mort de la reine Éléonore est faussement indiquée en 1538 ; p. 515, note de la p. 345, référence inexacte à l'édition Marty-Laveaux (M.L., ii, 42 au lieu de 43) ; p. 519, le terme de " bouts-rimés » ne peut s'appliquer à la pièce en question ; t. ii, p. 380, Claude Colet est dit originaire de Rumilly ; il faut lire : Romilly, en Champagne.

3. Le Mellange de R. de Lassus (Paris, Le Roy-Ballard, 1570) existe en plusieurs exemplaires et est bien complet de ses cinq livrets, contrairement à ce qu'affirme M. Balmas p. 457 : voir F. Lesure et G. Thibaut, Bibliographie des éditions d'A. Le Roy et R. Ballard, Paris, S.F.M., 1955, p. 139 sq. Les deux pièces de Jodelle que M. Balmas donne comme inédites ont été publiées par Sandberger (voir ibid., p. 140). Enfin il faut lire p. 457 Barenreiter et non Barenreiter, et p. 467 Anthologie de la chanson parisienne, Monaco, Oiseau-Lyre, au lieu de Dictionnaire [...], Monaco, Dyer.


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qu'il y a une parenté indiscutable entre leurs deux tempéraments, et que le poète aurait pu trouver en Lassus un compositeur parfaitement accordé avec sa propre sensibilité. Dans l'Êpithalame de Madame Marguerite (I, p. 170 sq.), Jodelle mentionne encore quatre musiciens : Guillaume (Costeley ? ou Morlaye ?), Jean Dugué, Charles (?) et Mithou (Thomas Champion), qu'il estime hautement ; et, un peu plus loin, trois interprètes, Albert, Francisque et Lambert, qu'il est difficile d'identifier. Aucune poésie de Jodelle n'a été mise en musique de son vivant, et il est quelque peu excessif de parler de « gloire musicale » (p. 458) à propos des cinq pièces utilisées par le très obscur Daniel Drouin et de la poésie mesurée traitée par E.. Du Caurroy et Cl. Le Jeune. Nous n'avons pas relevé d'autres mises en musique de textes dus à Jodelle. Ici encore, le poète se situe donc en marge. Il est certain cependant qu'il s'intéressait vivement aux problèmes musicaux, et nous pensons que le choix de mètres brefs et d'une disposition strophique pour les choeurs de ses tragédies correspond au souhait de voir ces choeurs chantés et non déclamés. Il n'est pas impossible que Jodelle ait écrit certains de ses poèmes en vue de leur adaptation musicale, mais sans doute n'a-t-il jamais dépassé le stade des velléités.

Nous regretterons pour terminer que la besogne du recenseur le conduise à mettre l'accent sur les points faibles d'un tel ouvrage : mais à chaque page le lecteur pourra mesurer l'étendue et la solidité de la science de M. Balmas, et il nous a paru superflu de paraphraser son commentaire pour en montrer la qualité et le sérieux.

La réhabilitation de Jodelle paraît en bonne voie : il est donc vivement souhaitable qu'une réédition prochaine permette d'éliminer les fautes de détail qu'en lecteur trop vétilleux nous avons relevées. Il demeure que le monument dressé par M. Balmas à la gloire de Jodelle est maintenant quasi achevé et qu'il constitue un ensemble irremplaçable.

YVES GIRAUD.

Mélanges d'histoire littéraire (XVIe-XVIIe siècles), offerts à RAYMOND LEBÈGUE par ses collègues, ses élèves et ses amis. Paris, Éditions Nizet, 1969. Un vol. 16 x 25 de 398 p.

Si la formule désormais éprouvée des Mélanges doit témoigner du rayonnement exercé par le dédicataire, le présent volume que les amis, les collègues et les élèves du professeur Raymond Lebègue viennent de composer en son honneur justifie pleinement cette intention. La Bibliographie de l'oeuvre critique de Raymond Lebègue qui ferme, fort opportunément, le présent volume témoigne justement, par son étendue, sa richesse et sa diversité, de l'apport considérable qui a été le sien au cours du dernier demi-siècle ; il resterait à souhaiter que de tels Mélanges puissent être suivis d'un volume qui regrouperait un certain nombre d'études de Raymond Lebègue lui-même, tant il est vrai que bon nombre des travaux signalés par cette Bibliographie se recommandent aussi bien par leurs qualités irremplaçables que par la difficulté qu'on éprouve quelquefois aujourd'hui à les trouver. Ainsi s'affirmerait encore davantage la présence parmi nous d'un maître vénéré, d'un historien exemplaire de la littérature.

Quoi qu'il en soit, le présent volume offre une riche moisson d'études d'histoire littéraire, où, comme on pouvait s'y attendre, le xvie et le xviie siècles se taillent la part du lion. Une part qui pourra paraître excessive à ceux qui se souviennent avec quel bonheur Raymond Lebègue s'est intéressé aussi au xixe siècle, non seulement à Chateaubriand, qu'il n'a guère cessé d'interroger tout au long de sa carrière, mais encore à Lamennais, à Renan, ces autres Bretons, et aussi à Stendhal, Balzac, Musset, Vigny, Eugénie de Guérin, Verlaine, et avec quelle autorité il sut plaider, à une époque pas si lointaine, en faveur de l'introduction de la littérature contemporaine dans les programmes


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universitaires. Mais, pour aujourd'hui, le xixe et le xxe siècles ne sont présents que par quatre articles sur trente-six, et par référence à la littérature classique. Yves Le Hir nous montre, à propos de L'épisode de Velléda dans les Martyrs, un Chateaubriand qui a travaillé, non seulement avec ses souvenirs de Racine, ce qui ne nous surprend pas, mais, ce à quoi l'on pensait moins, avec L'Astrée, avec les druides d'Honoré d'Urfé. René Fromilhague (Paul Valéry, émule de Malherbe : la richesse des rimes) souligne, à propos d'un point essentiel de la doctrine de Malherbe, les affinités classiques de Valéry, au demeurant plus virtuose, mais moins pointilleux que le poète normand. Jacques Chailley (Une première version du Daphnis et Chloé de Maurice Ravel) intéressera d'abord le musicologue, mais aussi tous ceux qui reconnaîtront avec lui en Ravel un classique par son goût du travail bien fait et des effets rigoureusement calculés, et un humaniste par son souci de se référer au roman de Longus dans la traduction d'Amyot. Quant à l'étude de Guy Demerson (Trois poètes français traducteurs d'une idylle de Moschos : Batf, Chéniet, Leconte de Lisle), elle offre par sa science, par l'attention scrupuleuse portée aux textes, par la finesse et la sûreté des intuitions, un modèle de réflexion sur les vertus vivifiantes de l'imitation. Un petit chef-d'oeuvre de l'alexandrinisme comme l'idylle de Moschos (longtemps attribuée à Théocrite) sur l'enlèvement d'Europe a pu, dans des contextes fort différents, ébranler l'imagination de Baïf, de Chénier et de Leconte de .Lisle, et les aider à traduire, autant qu'une création originale, leurs ambitions et leurs hantises propres.

Yves Le Hir présente son étude sur Chateaubriand comme un hommage non seulement à la te personne », mais aux « principes de critique » de Raymond Lebègue. A vrai dire, cet hommage est partout, et donne au volume son unité, sa valeur de témoignage. Non seulement les auteurs d'articles se réfèrent souvent à Raymond Lebègue, à tel ou tel de ses travaux, dont ils offrent, en quelque sorte, le prolongement, non seulement ils travaillent volontiers dans des domaines où il s'est particulièrement illustré, ou sur des auteurs auxquels il a consacré beaucoup de ses veilles, par exemple Marguerite de Navarre (ne se déclarait-il pas un jour et amoureux posthume de la reine de Navarre » ?), ou Ronsard (c'est toujours lui qui veille à la réédition de son oeuvre selon les éditions princeps, à la suite de Paul Laumonier), ou le théâtre qu'il a inlassablement exploré, ou ce domaine baroque qu'il a tant contribué à défricher ; mais ils se reconnaissent tous, explicitement ou non, tributaires de sa méthode, faite de rigueur dans l'établissement des textes ou le rassemblement des documents, et d'une grande prudence, nullement exclusive des intuitions neuves, dans l'interprétation des résultats.

Ainsi plusieurs études se présentent d'abord comme modestes apports de documents nouveaux dont la connaissance doit permettre aux futurs exégètes et critiques de s'avancer sur un terrain plus solide. Verdun-L. Saulnier, par exemple, dans une étude fort crudité faite à partir de textes originaux (Le faux dénouement de la querelle opposant Marot à Sagon), conteste certaines affirmations et propose, à titre d'hypothèses, des interprétations nouvelles. Enea Balmas a retrouvé dans le Minutier central des Archives nationales le Testament inédit d'Antoine Héroët, poète dont la vie était jusqu'à présent fort mal connue. Georges Mongrédien, avec la sûreté de biographe qu'on lui connaît, fait le point des connaissances actuelles sur Vauquelin de La Fresnaye (Quelques documents nouveaux sur Vauquelin de La Fresnaye), Cecilia Rizza (Les « Notes » de J.-J. Bouchard sur la vie de Peiiesc), non seulement légitime le crédit que l'on peut faire au Monumentum Romanum élevé par Bouchard en l'honneur de son ami Peiresc en 1638, mais utilise des Notes manuscrites pour combler des lacunes dans la correspondance, si essentielle pour l'histoire des idées au xviie siècle, de l'érudit aixois. René Pintard (Maucroix à Rome : heurs et malheurs d'un diplomate apprenti) nous invite à rêver sur les rapports féconds que l'ami de La Fontaine, au-delà des avanies que lui valut une


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mission diplomatique pour laquelle il n'était guère fait, entretint à Rome avec les écrivains et les artistes, notamment Nicolas Poussin. Josèphe Jacquiot (Philippe Quinault membre de la Petite Académie) nous permet de suivre Quinault dans certaines de ses activités, bien mal connues, de poète courtisan, apportant un document de plus sur le dessein, propre à beaucoup d'écrivains et d'artistes de la fin du xviie siècle, d'exalter Louis XIV et la monarchie française. Car l'histoire littéraire ne peut être seulement une succession de monographies consacrées aux grandes oeuvres ; celles-ci ne peuvent être comprises que par rapport à tout un contexte politique, social, idéologique. C'est ce que nous rappelle, avec autant d'érudition que de claire élégance, Roger Zuber dans son essai de " géographie littéraire » (Metz et la Champagne, ou les frontières littéraires de la France pendant la jeunesse de Balzac) consacré à Metz, poste avancé de la culture française aux frontières germaniques, refuge apprécié des humanistes protestants de Champagne, qui eut l'honneur, non seulement d'abriter Coeffeteau, puis Bossuet, mais de jouer un rôle non négligeable dans la formation de Balzac, qui y séjourna en 1618-1619.

Au reste, on n'aura jamais fini d'explorer le domaine des influences, des contacts, des symbioses, inséparable de l'histoire culturelle de l'Occident, particulièrement en ces siècles classiques où le nationalisme moderne n'était pas encore né. Dans cette perspective, Hélène Nais (Le thème pétrarquiste du Soleil dans la traduction de Vasquin Philieul), en nous parlant du premier traducteur français de Pétrarque, apporte des vues intéressantes sur le milieu italianisant et pétrarquisant dans lequel a mûri le génie des poètes de la Pléiade. Tandis que M. Brahmer (" Ronsardum vidi [...] ») rappelle l'impression profonde que le grand poète humaniste polonais Kochanowski retira de sa rencontre avec Ronsard, Halina Lewicka (Deux intermèdes scolaires polonais du XVIe siècle) nous aide, à propos de deux courtes farces polonaises exploitant le personnage du rustre frais émoulu des écoles — dont le dernier et brillant avatar en France sera Thomas Diafoirus —, à dessiner quelques traits de la communauté culturelle de la France et de la Pologne au xvie siècle. De son côté, Alexandre Eckhardt (Un faux « Malade Imaginaire »), analysant l'édition du Malade Imaginaire parue, vraisemblablement en Allemagne, en 1674, soit huit ans avant la première édition française, y voit une transposition faite par un admirateur allemand de Molière, — dont il note des jeux de scène et des mimiques du plus haut intérêt sur le plan documentaire —, et, de ce fait, quelque peu altérée par le tempérament allemand. Quant à Robert Garapon (Une source espagnole de « Polyeucte »), il propose de voir une source directe de l'épisode romanesque de Pauline et de Sévère dans El Pintor de su deshonra de Calderon ; pure hypothèse, cependant, en raison des controverses qui persistent sur la date de publication de la pièce espagnole, mais dont la vérification prouverait l'importance et la continuité de l'inspiration espagnole chez Corneille. Mais les influences ne s'exercent pas seulement de pays à pays, elles transcendent également les oppositions idéologiques et religieuses : des recueils de vers d'inspiration protestante et militante de la fin du xvie siècle accusent une influence directe de poètes catholiques comme Du Bellay, Ronsard, Belleau, Jodelle et surtout Desportes (J. Pineaux, L'influence de Desportes sur la poésie religieuse protestante au XVIe siècle : notes complémentaires).

Très proches des précédentes, par leur esprit et leurs méthodes, sont les études consacrées à des mises au point, tant il est vrai qu'en histoire littéraire rien n'est jamais définitivement acquis, et que parfois les intuitions les plus brillantes et les plus ingénieuses, aussi fécondes qu'elles aient pu être, doivent être corrigées, nuancées ou complétées. C'est bien ainsi, nous semble-t-il, qu'il faut interpréter par exemple l'étude de Jean Pommier : Autour de l'« Alexandre » de Racine ; l'illustre professeur, selon une habitude qui lui est chère, nous livre toute une série de fiches, quelquefois de ton assez polémique, à propos de l'Alexandre, nous laissant le soin d'en tirer une synthèse qui apporte


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quelques éléments nouveaux d'appréciation sur la genèse de l'oeuvre (rapports d'inspiration entre Racine et le peintre Le Brun, allusions politiques) et l'éclat qui marqua les premières représentations de la pièce, c'est-à-dire la rupture de Racine avec Molière et sa troupe. Et, puisque nous en sommes au temps de Molière, et aux intrigues de Cour, nous mentionnerons ici d'abord l'étude de Jacques Truchet (A propos de l' "Amphitryon » de Molière : Alcmène et La Vallière) qui remet en cause, à propos de l'Amphitryon, l'idée souvent énoncée d'une allusion aux amours de Louis XIV et de Mme de Montespan, et suggère, non sans apporter un faisceau convaincant d'arguments, fondés tant sur la chronologie que sur une lecture attentive du texte de Molière, éclairé par ce que l'on peut savoir des rapports de Molière avec le roi et son entourage, que la belle et douce Alcmène n'est pas sans rassembler à La Vallière. Toujours à propos de Molière, Raymond Picard (« Tartuffe », « production impie » ?), attentif à préciser dans quel contexte social, religieux et idéologique le chef-d'oeuvre de Molière a vu le jour et déchaîné les polémiques que l'on sait, renvoie dos à dos ceux qui, depuis 1664, continuent à voir dans la pièce une machine antireligieuse, et ceux qui veulent à tout prix que Molière ait été l'objet d'un odieux procès d'intention : en fait, quelles qu'aient été les intentions de Molière, Tartuffe ne pouvait pas ne pas apparaître en son temps comme une attaque dirigée contre la spiritualité et la morale chrétiennes ; et l'appui apporté par le roi et la cour à Molière ne fait que souligner le fossé qui se creusait entre les tenants sincères de l'orthodoxie et les partisans d'une adaptation de plus en plus souple de la religion au monde.

Le même souci d'objectivité nuancée, la même méfiance à l'égard de l'esprit de système se remarquent dans l'étude de Jean Frappier (Sur Lucien Febvre et son interprétation psychologique du XVIe siècle) qui, à propos de la nouvelle xxv de l'Heptaméron, remet en cause non pas tant l'interprétation générale que proposait Lucien Febvre de la mentalité des hommes du xvie siècle que son application systématique à des textes dont le contenu éternellement humain autorise une exégèse plus nuancée et plus souple. De son côté, Roger Trinquet (La Lettre sur la mort de La Boétie, ou Lancelot de Carle inspirateur de Montaigne) revient sur l'opinion d'Henri Busson selon laquelle la fameuse lettre de Montaigne, par son caractère très « écrit », très " littéraire », aurait été écrite longtemps après la mort de l'ami ; un rapprochement très convaincant opéré avec la lettre écrite, quelques mois avant la mort de La Boétie, par son propre beau-frère, Lancelot de Carie, au moment de la mort de François de Lorraine, permet en effet d'établir que Montaigne a travaillé aussitôt après l'événement, mais fortement influencé par un texte tout récent. Et c'est encore un souci de précision qui amène Orner Jodogne (La farce et les plus anciennes farces françaises) à ne situer la naissance de la farce (le mot signifie, selon l'étymologie, intermède) que vers la fin du xive siècle, avec la iVie de monseigneur saint Fiacre, intermède bouffon inséré dans un mystère, même si l'esprit de la farce, au sens moderne du mot, est déjà présent plus tôt au Moyen Age dans des oeuvres dramatiques.

S'il est vrai que l'histoire littéraire n'a pas fini de nous être précieuse pour nous permettre de saisir les oeuvres du passé dans leur contexte, il est non moins vrai qu'elle se justifie surtout comme préalable à ce dialogue profond avec l'oeuvre qu'est l'entreprise critique. Or le présent volume nous apporte aussi une belle gerbe d'études proprement critiques. Rien d'étonnant qu'à la suite de Raymond Lebègue les auteurs interrogent qui Marguerite de Navarre, qui Ronsard, qui Corneille, Racine ou Mme de La Fayette, ou encore des oeuvres et des auteurs qui relèvent, de près ou de loin, du baroque. Pierre Jourda (La première nouvelle de l'« Heptaméron ») plaide avec chaleur en faveur de la véracité des récits de la reine, tandis que K. Kasprzyk (L'amour dans l'« Heptaméron ». De l'idéal à la réalité) montre à quel point Marguerite s'est engagée dans son oeuvre qui, sous ses facettes multiples, illustre toujours


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le même débat inquiet entre l'idéalisme platonisant et une réalité décourageante et cruelle. Pierre Moreau (Ronsard et la danse des astres) s'arrête un instant sur les Hymnes ronsardiens où il décèle un alliage rare entre la précision des données scientifiques et la puissance de l'imagination poétique. Pour Isidore Silver (The Qualities and Conditions of the true Poet according to Ronsard), le sentiment très fort qu'avait Ronsard de sa royauté poétique et la confiance qu'il mettait dans le jugement de la postérité reposaient sur l'extrême exigence qu'il apportait dans l'exercice quotidien de son métier.

Robert Aulotte (La « Lucelle » de Louis Le Jars) nous fait entrer dans la période baroque. De " baroque — si l'on veut — ou prébaroque », selon lui, pourrait être qualifiée cette tragi-comédie, où se mêlent plaisamment les genres et les tons. Si les Aventures du Baron de Foeneste (Jacques Bailbé, Quelques aspects du burlesque dans les « Aventures du Baron de Foeneste » d'Agrippa d'Aubigné) marquent une étape importante dans la vogue grandissante du burlesque, elles relèvent aussi du baroque avec cette dialectique de l'être et du paraître qui en fait l'ossature. Mais s'il est vrai que les baroques se complaisent volontiers, comme le héros de d'Aubigné, dans les jeux de l'apparence et dans un univers d'illusion, Jean Marmier n'a peut-être pas tort (Les « Provinciales », oeuvre antibaroque) de voir en Pascal le porte-parole éloquent et génial de toute une part de l'opinion française résistant à des modes d'expression et de pensée venus pour une bonne part d'au-delà des frontières, et condamnant, à travers la moi aie relâchée des Jésuites, un aspect majeur de la civilisation baroque. Cette civilisation baroque, nous la retrouvons avec Georges de Scudéry (Richard Sayce, L'architecture dans l' « Alaric » de Scudéry), qui, s'il n'est pas un grand poète, apporte, dans quelques descriptions d'architectures de son Alaric, un témoignage intéressant tant sur les rapports qu'entretenaient alors la poésie et les arts plastiques que sur la luxuriance d'une imagination portée vers les effets spectaculaires, la surcharge et la magnificence dans l'énorme. Avec Théophile de Viau, nous découvrons, certes, un poète d'une autre envergure : la belle étude de Jacques Morel (La structure poétique de " La Maison de Silvie » de Théophile de Viau) nous invite à lire de près le testament poétique de Théophile pour y découvrir, non pas l'aimable désordre que l'on attribue le plus souvent au poète de La Solitude, mais un ordre profond qui, s'il n'a rien à voir avec l'ordre logique, mathématique du poème malherbien, relèverait plutôt de l'art du symphoniste capable de combiner des éléments très diveis, à première vue disparates, en une harmonieuse et vivante synthèse.

Avec R. C. Knight (« Horace », première tragédie classique) recommence l'éternelle et inépuisable interrogation des chefs-d'oeuvre incontestés ; la tragédie d'Horace, en même temps qu'elle intègre le meilleur de l'apport de la tragicomédie, rassemble tous les thèmes du théâtre cornélien ultérieur, avec un équilibre superbement maintenu entre l'esthétique et le moral dont Corneille semble avoir quelque peu perdu le secret par la suite, du moins après Polyeucte. L'exemple cornélien domine vraiment la scène française au xviie siècle, et c'est un Racine ayant fortement médité la leçon de son aîné que Georges Couton nous présente en l'auteur de Britannicus (« Britannicus », tragédie des cabales). Au-delà du sujet pathétique de la mort de Britannicus, et du sujet psychologique de la naissance du monstre en Néron, Britannicus est une tragédie politique, pendant de l'Othon de Corneille représenté quatre ans plus tôt, où des cabales se font et se défont devant nous sous l'impulsion de personnages dévorés par la « libido dominandi ». C'est aussi un peu par rapport à Corneille, et plus exactement à la notion cornélienne de la « gloire », que Jacques Scherer (Les Personnages de « Bérénice ») étudie Bérénice, non pas fade élégie où tout est joué d'avance, comme on l'a dit quelquefois, mais tragédie fortement nouée où s'affrontent trois protagonistes d'égale étoffe, réduits finalement à se soumettre à une « gloire » qui n'est plus l'exigence inté-


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rieure qu'elle était encore pour les héros cornéliens, mais une loi extérieure et implacable qui voue les héros raciniens à l'anéantissement. L'ère de Racine, c'est l'ère des découvertes amères et des paris perdus. C'est encore la leçon que dégage, au terme d'une analyse rigoureuse de la démarche de La Princesse de Clèves, Paulette Leblanc (Le Bonheur conjugal d'après « La Princesse de Clèves ») : si Mme de Clèves refuse d'épouser Nemours alors que plus rien ne s'y oppose, c'est qu'elle a désormais une conscience claire d'avoir perdu le pari qu'elle avait cru raisonnable de formuler en s'engageant dans la vie : le pari selon lequel il était possible de concilier l'institution sociale du mariage et l'exigence de bonheur personnel. Ainsi le xviie siècle, au moins dans ses oeuvres les plus hautes, s'achève dans la prise de conscience renouvelée d'un tragique essentiel, inhérent à la condition humaine, qu'il ne faudra pas trop de l'optimisme du siècle des Lumières pour — provisoirement, et imparfaitement — conjurer.

JEAN-PIERRE CHAUVEAU.

MALHERBE, OEuvres poétiques. Texte établi et présenté par RENÉ FROMILHAGUE et RAYMOND LEBÈGUE. T. I : Les Textes. T. II : Notices et notes. Apparat critique. Paris, Les Belles Lettres, collection « Les textes français », 1968. Deux vol. 20 x 13 de 281 et 264 p.

Les avantures du monde

Vont d'un ordre mutuel,

Comme on void au bord de l'onde

Un reflus perpétuel...

Et rien, afin que tout dure,

Ne dure éternellement.

A ces vers de Malherbe, du poète qui avait condamné à l'oubli ceux de ses contemporains qui ne s'étaient pas soumis à ses lois, la destinée posthume du poète normand oppose un curieux démenti. Jamais, malgré l'attention que l'on porte aujourd'hui à ceux qu'il méprisait, les études malherbiennes n'ont été aussi fécondes.

Faut-il rappeler aux membres de la Société d'Histoire littéraire de la France que leur président, M. Raymond Lebègue, consacra ici même son premier article à Malherbe auquel, malgré ses autres travaux, il ne cessa de s'intéresser ? Après la thèse de M. Fromilhague sur la vie et l'oeuvre poétique de Malherbe, on attendait de ces deux éminents spécialistes une édition des textes qui bénéficiât des progrès que, depuis l'édition Lavaud, eux-mêmes et d'autres érudits avaient fait accomplir aux études malherbiennes. Voilà qui est fait.

L'économie de cette édition est nouvelle. Le tome I contient les vers de Malherbe, 152 numéros répartis entre pièces publiées du vivant de Malherbe, pièces posthumes de l'édition de 1630, pièces posthumes publiées après 1630, traduction de vers latins cités par Sénèque, poésies attribuées à Malherbe, poésies libres ; le tout précédé d'une introduction, d'une bibliographie des oeuvres poétiques de Malherbe et d'une chronologie de ces 152 pièces. Le tome Il contient les notices et notes, l'apparat critique, un tableau des formes strophiques employées par Malherbe, enfin la table de concordance de la présente édition avec celles de Martinon-Allem et de Lavaud. On voit l'intérêt et l'originalité de la redistribution des poésies à laquelle ont procédé les éditeurs : séparer nettement les pièces reconnues par Malherbe de celles qu'il avait rejetées ou qu'il dédaignait ; ne pas imposer à l'amateur (par les variantes de bas de page) les hésitations du poète, mais ne lui proposer que de l'achevé. Au lecteur soucieux de participer à la gestation du vers malherbien, la table des matières du tome II renvoie, sur deux colonnes et en une seule ligne pour chaque pièce, aux notices et notes et à l'apparat critique.

« L'établissement des notices, écrivent les éditeurs, est le fruit de longues recherches ». Il ne saurait être question de relever ici tout ce qu'elles apportent


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de neuf et de précis. Soulignons seulement l'utilisation remarquable qui est faite des techniques poétiques de Malherbe pour élucider certains points de chronologie ou de composition. Si, par exemple, Malherbe laissa inachevée une de ses plus longues odes, une des plus belles aussi (I, p. 210, « Pour la Reine mere du Roy pendant sa Regence »), c'est que, dans cette ode commencée en 1614, huit strophes seulement sur vingt-deux suivent la règle édictée par Maynard et Malherbe entre 1615 et 1620 d'un arrêt au septième vers du dizain. Presque toute la pièce était donc à refaire et le poète a reculé devant l'entreprise.

Dans les notes enfin, qui montrent tout ce que Malherbe doit à la poésie de la Renaissance, les éditeurs ont eu l'heureuse idée de reproduire les commentaires d'André Chénier.

J. PINEAUX.

ALFRED C. HUNTER, Lexique de la langue de Jean Chapelain. Genève, Librairie Droz, « Publications romanes et françaises » XCV, 1967. Un vol. 17 x 25 de 159 pages.

Réparti dans des registres fort divers, le vocabulaire de Chapelain surprend par sa richesse : il est réaliste dans la traduction du roman picaresque de Mateo Aleman, abstraitement scientifique dans les textes où s'édifient les théories littéraiies classiques, libre et de type oral dans l'immense correspondance, d'une noblesse recherchée dans l'ambitieuse Pucelle. Les éditeurs qui, depuis un siècle environ, ont publié certaines des parties restées manuscrites de cette oeuvre, ont pris pour la plupart conscience de l'intérêt, et aussi de la difficulté, que présente ce lexique exceptionnellement vaste : aussi ont-ils tenté, fût-ce modestement, de préparer la voie à une étude approfondie.

Il faut dire dès l'abord que le travail de M. Hunter ne se distingue guère, sinon par son ampleur substantiellement accrue et un soin plus attentif, des listes qu'avant lui avaient établies Ph. Tamizey de Larroque (1883) et l'abbé A. Fabre (1889). Je veux dire que la sélection et l'élucidation des vocables ne sont pas conduites conformément aux règles que s'est fixées la lexicologie moderne, mais plutôt selon une méthode empirique héritée de ces estimables érudits : l'arbitraire n'y est pas évité.

La liste des oeuvres sur lesquelles porte l'enquête est à elle seule révélatrice. On peut considérer trois groupes. Le premier est formé par l'éd. Tamizey de Larroque de la correspondance, augmentée des lettres à Huet publiées par L.-G. Pélissier. Le second correspond à la collection qu'a si commodément rassemblée M. Hunter lui-même en 1936 sous le titre d'Opuscules critiques de J. Chapelain 1. Le troisième est constitué par les compléments naturels de cette collection : texte du Gueux (mais le dépouillement de la seconde partie est resté incomplet), texte de La Pucelle (là encore, dépouillement incomplet de la seconde partie, livres XIII-XXIV), Discours contre l'Amour, Réponse du Sieur de la Montagne (dépouillement incomplet), accompagnée des Remarques de Conrart. L'Introduction de M. Hunter me fournit d'ailleurs cette liste que de façon confuse ; elle indique inexactement les textes qui apparaissent dans les Opuscules critiques ; enfin elle laisse entendre, sans fournir les précisions nécessaires, que certaines oeuvres ont été étudiées sur les manuscrits de la Bibliothèque nationale, certaines autres sur des impressions modernes parfois peu scrupuleuses 2. Si l'absence des odes, des sonnets, de la poésie officielle

1. Paris, Droz, S.T.F.M., 1936. Mais pourquoi M. Hunter indique-t-il pour cet ouvrage, à la fin de son Introduction, la date de 1935 ? L'achevé d'imprimer est du 5 janvier 1937.

2. P. 19, dons la note bibliographique recensant celles de ces impressions modernes qui Ont été consultées (mais non systématiquement dépouillées, puisque l'auteur, quand cela lui a été possible, a préféré se reporter -aux manuscrits), on s'étonne de ne pas voir signaler l'éd. Herluison de la seconde partie de La Pucelle (Orléans, 1882). Fournirait-elle pour les vers un texte aussi peu sûr que pour la Tréface (voir A.C. Hunter, Opuscules critiques, p. 283) ? Dans cette même note bibliographique, au lieu d'Octave Feillet, lire Alphonse.


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et mondaine de Chapelain peut être admise sans grande difficulté, en revanche on déplorera que M. Hunter n'ait pu consulter le manuscrit Sainte-Beuve de la correspondance, car les lettres sélectionnées par Tamizey ne contiennent bien évidemment qu'une partie du vocabulaire qu'utilisa l'épistolier. Or sans aucun doute c'est dans ce domaine épistolaire que l'oeuvre de Chapelain offre le plus d'intérêt du point de vue lexicologique : il est même légitime d'estimer que si Littré avait pu se faire prêter par Sainte-Beuve le fameux manuscrit, pour en incorporer la substance à son Dictionnaire, celui-ci eût cité bien moins souvent Mme de Sévigné, Scarron, Retz ou Molière comme les meilleurs représentants du style familier classique, et eût révélé la hardiesse du vieux Chapelain. Dans le même sens, il est regrettable que M. Hunter n'ait pas pris connaissance des suppléments à la correspondance publiés par M. Petre Ciureanu en 1961 1 et en 1964 2. Ainsi l'enquête est restée incomplète sur plusieurs points, et n'est pas rigoureusement à jour.

Le relevé lui-même est sujet à d'assez sérieuses réserves. On peut en principe accepter que le critère de sélection ait été fourni par le petit Larousse : il aurait fallu toutefois mentionner la date ou l'édition. Malgré les explications fournies, le choix des termes reste parfois peu clair. Les problèmes posés par l'orthographe sont traités trop rapidement : M. Hunter suit évidemment pour la correspondance l'orthographe de l'éd. Tamizey, tout en et soupçonn[ant] que la comparaison avec le manuscrit révélerait un grand nombre de différences dues aux habitudes des protes » 3 ; dès lors, pourquoi consacrer un article au verbe ajouter, sans autre objet que de constater que Chapelain (ou plutôt, selon M. Hunter, les protes de l'Imprimerie nationale travaillant à l'éd. Tamizey) a écrit adjouster alors que Littré, Huguet et Vaugelas ne relèvent pas cette forme orthographique au xvii 5 siècle ? De même nuntiature pour nonciature, convent pour couvent, corival pour corrival paraissent inutiles. Ailleurs, pourquoi M. Hunter fait-il figurer apocryphe, alors que l'éd. Tamizey, qu'il cite, orthographie apocryfe? Ces exemples témoignent d'une doctrine apparemment fluctuante.

Passons au chapitre des significations. Quelques-unes de celles que propose M. Hunter surprennent, sans qu'on voie la raison pour laquelle un sens plus habituel n'est pas retenu. Je ne suis pas sûr que le verbe opiniastrer, gouvernant une proposition subordonnée, soit simplement l'équivalent d'opiner et signifie « avancer comme son opinion », " Panégyriste » est un faible équivalent de paranymphe, qui comporte une nuance supplémentaire de patronage officiel. Traduire cabinet par « vie retirée, vie privée, ou peut-être études » est par trop imprécis. Les emplois ironiques sont rarement signalés. Qu'un poulet soit un " billet, pas nécessairement galant », c'est évident lorsqu'il s'agit d'une lettre de Godeau à Chapelain, cela ne signifie pas que la nuance habituelle puisse être entièrement négligée. Il y a des erreurs plus graves. Ainsi à propos du mot corps, dont M. Hunter ignore le sens que lui avaient donné les habitués de l'hôtel de Rambouillet. Il y a enfin, en trop grand nombre, des points fort délicats sur lesquels le lexicographe se contente d'hypothèses hasardeuses, parfois léguées par Tamizey ou Fabre, plus souvent déduites avec quelque hâte d'un contexte pourtant peu déterminant. Les interprétations proposées par exemple pour adroitine, ajustement, amanotter, constitution, courtoisie, particulière, plume (« au poil et à la plume »), sénat sont insuffisantes ou manquent

1. Studi Francesi, V, 2, mai-août 1961, p. 260-274.

2. Lettere inedite a corrispondenti italiani, Gênes, Di Stefano, 1964, 341 pages. — Ma publication des Lettres inédites à Nicolas Heinsius (1649-1658), La Haye, M. Nijhoff, 1966, 467 pages, ne pouvait, de par sa date, être utilisée pai M. Hunter. Elle contient un sommaire index lexicologique.

3. Ce soupçon n'est pas justifié. L'orthographe de Tamizey est remarquablement conforme à celle du manuscrit. Seules ont été modernisées l'accentuation, la ponctuation et la disposition du texte (introduction d'alinéas).


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de vraisemblance. Les prudents points d'interrogation distribués par M. Hunter montrent qu'il reste fort à faire.

On peut se demander si dans certains cas des réponses plus précises à ces énigmes n'auraient pas pu être trouvées. Mais Littré et Huguet, auxquels M. Hunter a pratiquement limité ses investigations en leur joignant en cas de besoin Godefroy et Vaugelas, n'y sauraient évidemment suffire. Il aurait fallu en effet recourir conjointement au manuscrit, pour procéder aux vérifications nécessaires et corriger les bévues du valet-secrétaire de Chapelain 1, et aux dictionnaires de la langue du xviie siècle, pour y contrôler des emplois qui ne sont peut-être pas aussi exceptionnels qu'on le croirait. C'est seulement quand ce travail sera accompli qu'il sera légitime de formuler une appréciation raisonnée et systématique à l'égard du lexique de Chapelain, appréciation qui à son tour devra compter dans un bilan, encore à dresser, de la langue française classique. Certes, le livre de M. Hunter constitue dans cette perspective une pierre d'attente : mais c'est plutôt par les problèmes qu'il découvre que par ceux qu'il résout. Je dois signaler encore que ce Lexique ne fournit pas la référence exacte des passages cités (seuls sont indiqués les titres, et, pour la correspondance, l'année), ce qui ne permet pas au lecteur obstiné de retrouver tel passage obscur pour en tenter à son tour l'élucidation.

Ainsi l'instrument de travail que nous a procuré M. Hunter, quelque intérêt qu'il présente notamment en rendant commodément accessibles les listes de Tamizey et de Fabre, et en entamant, au-delà de la correspondance, le dépouillement de l'oeuvre complète, ne saurait ni par la méthode mise en oeuvre ni par les résultats atteints tenir heu du répertoire définitif attendu : il est vrai que pour celui-ci, seule sans doute une équipe de chercheurs pourrait s'attaquer sans crainte aux multiples difficultés de son exécution.

BERNARD BRAY.

JOHN CRUICKSHANK et autres, French Literature and its Background, 2 - The Seventeenth Century. Oxford University Press, 1969. Un vol. in-16 de 234 p.

Voici un excellent petit livre, dont les étudiants d'Oxford et d'ailleurs tireront grand profit. Il procède d'un choix entre les écrivains du siècle et entre les grands problèmes posés par la société, la religion, la pensée philosophique, l'art et des genres littéraires tels que maximes et portraits d'une part, roman de l'autre, conçus dans leur évolution. Cinq auteurs ont été retenus, présentés dans l'ordre chronologique de leur apparition : Corneille, Pascal, Molière, La Fontaine et Racine. On admirera la vigueur et l'aisance des chapitres consacrés à Corneille et à Racine, dus à la plume d'un excellent spécialiste, Peter France. En revanche, B. L. Nicholas nous semble accentuer un peu le " tragique » moliéresque ; il voit à tort du vitriol dans les vers du Misanthrope « Je voudrais qu'aucun ne vous trouvât aimable [...] », quand il ne s'agit là que d'un topos de la galanterie romanesque ; il voit en Tartuffe un vrai chrétien, ce qui ne peut se soutenir sans forcer les textes. Tout le reste nous a paru excellent, qu'il s'agisse des études de P. France et M. Mac Gowan sur l'art et sur La Fontaine, de J.W. Scott sur le roman, et de H. Kearney et J. Cruickshank sur la pensée du siècle. Chaque étude est suivie d'excellentes notes bio-bibliographiques. Une chronologie fournie et un index détaillé faciliteront encore la lecture de ce bel ouvrage. Deux vétilles pour terminer : il ne faut pas écrire « P. Dainville », mais le P. François de Dainville (p. 49). On parle de l'édition des Caractères par Robert Garapon comme si elle était en préparation, alors

1. Comment peut-on insérer, même avec réticence, l'absurde antharticube dans un lexique sérieux ? M. Hunter ne propose que timidement de lire authenticité, qui pourtant ne fait aucun doute : point n'est besoin d'espérer « une meilleure explication ».


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qu'elle a vu le jour en 1962. Cela n'ôte pas à ce travail collectif ses brillantes et solides qualités. Il associe le scrupule historique et la force de la pensée, sans que celle-ci quitte jamais son objet au nom de considérations théoriques. Tout cela respire la sérénité et la loyauté. Que tous les auteurs en soient remerciés.

JACQUES MOREL.

JAROSLAV MINAR, Le Roman français du classicisme aux lumières.

Prague, Academia, 1968. Un vol. 17,5 x 25 de 95 p.

Cette étude traite du procès et de la réhabilitation du genre romanesque entre les années vingt du xviie siècle et les années cinquante du xviiie, c'està-dire depuis les premières manifestations du classicisme jusqu'à l'avènement de nouvelles valeurs esthétiques. La justification du roman était une tâche méritoire : l'invraisemblance thématique et psychologique suscitait de vives critiques de la part des esthéticiens, tandis que l'observation du principe de la vraisemblance provoquait une sévère réaction chez les moralistes représentés à la fois par les jésuites et par les jansénistes. Dilemme d'ailleurs souligné par l'excellente étude de G. May à laquelle se réfère le travail de J. Minar. On suit avec intérêt les tendances du roman du xviiie siècle qui visent à présenter la réalité dans sa multiplicité et qui s'efforcent de traduire « la prose de la vie » : prétention inadmissible au temps de la suprématie des normes classiques, mais saluée plus tard par Hegel qui y verra le trait essentiel du genre épique " bourgeois ». Il s'ensuit naturellement que ces tendances exigeaient aussi de nouveaux procédés littéraires, une technique narrative différente de celle qu'utilisa me de la Fayette dont le roman répondait à la fois à des critères éthiques et esthétiques. Intéressantes sont aussi les parties où l'auteur démontre comment Lesage, Marivaux, Prévost expriment, dans leur stylisation spécifique, leur rapport individuel avec la réalité (par exemple, la base de la psychologie de Marivaux devient le « sentiment » contenant, selon l'auteur de Marianne, les facultés intuitives, qui diffèrent essentiellement du rationalisme de la psychologie cartésienne). Malgré les innovations nombreuses, la création de ces trois auteurs est encore assez chargée de moralisme et de plusieurs conventions thématiques d'affabulation. Ce n'est que Diderot qui, s'appuyant sur son rationalisme empirique, refusera les principes du dogmatisme classique.

L'auteur fait état d'un grand nombre d'avant-propos, de commentaires, d'articles et de réflexions sur le roman depuis J. Peletier du Mans jusqu'à Diderot. Pourtant il ne s'agit pas d'un inventaire de recettes littéraires, mais plutôt d'un vrai dialogue pour et contre le roman, dialogue rendu possible par l'analyse et la confrontation de textes permettant à l'auteur de démontrer l'évolution du genre romanesque dans sa complexité. Quant au réalisme, M. Minâr ne l'évalue pas d'après un modèle absolu, pas plus qu'il ne le considère comme une catégorie fixée une fois pour toutes ; il le conçoit au contraire d'une manière dynamique comme un certain rapport à la réalité objective. Dans ce contexte, l'idée du progrès du roman consistant dans l'accroissement continu des divers plans du réalisme nous paraît discutable. Cette conception tend à diminuer l'élément poétique et à identifier le romanesque au vrai.

On peut regretter que l'auteur ne s'occupe que superficiellement de la technique du roman : celle-ci pourrait étayer ses conclusions et l'empêcherait de déclarer, par exemple, que Les Lettres persanes n'ont pas de technique véritable. De même, l'analyse de la fonction du détail chez Diderot prouverait, mieux que les écrits théoriques, que l'illusion de la réalité dans le roman ne consiste pas dans la vraisemblance de l'affabulation, mais dans la vérité objective du détail, ce qui suppose aussi l'attachement à l'individuel. On sait

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d'ailleurs quel rôle important joue le « petit fait vrai » de Stendhal à RobbeGrillet.

A part ces quelques réserves, l'ouvrage de J. Minâr constitue une contribution sérieuse à la connaissance de la formation du genre romanesque à l'époque considérée.

ANTONIN ZATLOUKAL.

Voltaire on Shakespeare, edited by THÉODORE BESTERMAN, Studies on Voltaire and the eighteenth century, vol. LIV. Genève, Institut et Musée Voltaire, 1967. Un vol. in-8° de 232 p.

M. Besterman publie tous les textes consacrés par Voltaire à Shakespeare, en empruntant également à la correspondance certaines pages importantes, qui révèlent les raisons d'un comportement. Dans l'introduction, il retrace l'évolution de Voltaire, depuis la première rencontre avec le théâtre shakespearien en Angleterre jusqu'à la Lettre à l'Académie de 1776. Toute sa vie, Voltaire a été obsédé par Shakespeare, tour à tour, sinon en même temps, attiré et rebuté. L'intérêt de la présentation de M. Besterman réside principalement dans la façon dont il s'attache, avec finesse et chaleur, à comprendre l'attitude de Voltaire. En évoquant, d'abord, son éducation littéraire : l'admiration aveugle pour Racine implique certains choix esthétiques et explique la défiance à l'égard d'un génie « à l'état brut ». Au sujet de Hamlet, dont Voltaire a traduit quelques passages, M. Besterman esquisse une comparaison entre Racine et Shakespeare, qui permet de saisir la nature des problèmes causés par la création dramatique chez Voltaire. Il rappelle également que l'opinion nuancée de celui-ci sur Shakespeare était partagée par des contemporains anglais comme Lord Bolingbroke ou Pope. On a voulu expliquer la sévérité de Voltaire par la connaissance médiocre qu'il aurait eue de la langue anglaise. M. Besterman n'a pas de difficulté à prouver le contraire, en se fondant sur le témoignage des amis ou des visiteurs britanniques de Voltaire et l'analyse rapide des traductions que celui-ci a pu faire. En effet, Voltaire est le premier traducteur véritable de Shakespeare en France : la traduction partielle de Jules César date de 1764, soit douze ans avant la publication des premiers tomes du Shakespeare traduit de l'anglais, de Letourneur 1. Le parallèle qu'il établit entre La Mort de César et Jules César permet à M. Besterman d'étudier les caractéristiques de Voltaire et le rôle de libérateur qu'il a joué, malgré les apparences, dans l'histoire du théâtre français. Cette liberté pourrait bien provenir, comme le laisse entendre M. Besterman, de Shakespeare.

Sur cette « rencontre entre deux forces de la nature », qu'il évoque dans sa préface, M. Besterman a su dire l'essentiel. Il est certain que Voltaire a hésité, au départ, entre deux jugements : d'une part, une sorte de relativisme, qui commande de comprendre les oeuvres étrangères, malgré leur caractère déconcertant, et de l'autre, une admiration pour un génie abrupt et envoûtant. On sait que le premier fut révoqué, par la suite, au nom d'un universalisme du goût policé, mais le second a persisté : " Il y a une chose plus extraordinaire que tout ce qu'on vient de lire, c'est que Shakespeare est un génie » (Questions sur l'Encyclopédie, art. Art dramatique). C'est le mérite de M. Besterman d'avoir mis en lumière cette attirance, souvent masquée et rarement avouée.

GEORGES MAILHOS.

1. Sur les traductions de Voltaire et le parallèle entre La Mort de César et Jules César, on consultera avec profit l'édition de La Mort de César procurée par M. André-M. Rousseau (Paris, S.E.D.E.S., 1964). M. Besterman ne la cite pas, car l'introduction â Voltaire on Shakespeare regroupe des conférences qui ont été faites également en 1964.


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VOLTAIRE, Correspondence and related documents, définitive édition by THEODORE BESTERMAN. Genève-Toronto and Buffalo, Institut et Musée Voltaire-University of Toronto Press, 1968-1969. Tome I : déc. 1704déc. 1729, un vol. in-8° de xxxvii-464 p. Tome II : janv. 1730-avril 1734, un vol. in-8° de 499 p. Tome III : mai 1734-juin 1736, un vol. in-8° de 508 p.

Trois ans après la publication du dernier tome de la Voltaires Correspondence, Théodore Besterman présente aujourd'hui une nouvelle édition qui prend place dans la monumentale collection des OEuvres complètes en cours de publication. Cette édition est « définitive », car, selon M. Besterman, on ne doit pas s'attendre à découvrir désormais beaucoup d'inédits. En revanche, depuis 1953, date à laquelle M. Besterman a commencé à publier l'édition précédente, un grand nombre de manuscrits ont été mis au jour, les uns totalement inédits, les autres permettant de rectifier le texte de lettres publiées jusqu'à présent d'après des copies ou des éditions antérieures. La bibliothèque Pierpont Morgan a fourni des lettres adressées à Mme Denis, celles de Caen et de Lille, des parties intéressantes de la correspondance avec la duchesse de Saxe-Gotha, Mlle Quinault, le P. d'Olivet. Des investigations patientes ont permis de trouver des lettres à Mme du Deffand, Mme de Choiseul, Damilaville, le marquis d'Argenson, Schouvalov, Helvétius. En ce qui concerne la correspondance avec d'Argental, M. Besterman a pu enfin obtenir les microfilms des manuscrits conservés à Leningrad, au fonds Vorontsov, qui avaient déjà été utilisés par Lyublinsky dans ses Textes nouveaux de la correspondance de Voltaire (1956). Toutes ces découvertes ont entraîné des retouches et des regroupements si innombrables que la publication d'un supplément s'avérait insuffisante. C'est donc une édition entièrement refondue que publie aujourd'hui M. Besterman. La conséquence la plus importante pour tous ceux qui auront à l'utiliser dans leurs travaux est le changement de numérotation des lettres, rendu inévitable par le nombre des transformations. Le sigle habituel, Best., qui précédait le numéro des lettres a été remplacé par Best. D (D pour définitif).

Pour les trois tomes qui nous intéressent ici, les additions et les rectifications ne renouvellent évidemment pas, notre connaissance de Voltaire, mais elles apportent, sur des détails, un éclairage nouveau. Au nombre des inédits de Voltaire, on peut retenir Best. D 169 (à Mme de Bernières), Best. D 431 (à Hérault, sur ses démêlés avec l'éditeur Jore), Best. D 499 (au duc de Richmond), Best. D 761 (au cardinal Fleury, à propos des Lettres philosophiques). Parmi les lettres adressées à Voltaire, figurent quelques lettres de Formont et de Cideville. En Best. D 551, celui-ci conseille à son ami la souplesse à l'égard du pouvoir et des usages : « Je voudrais bien inspirer la coquetterie de vouloir plaire [...] Il faut plus encourager le gouvernement que le piquer ». La correspondance entre, Cideville et Formont est d'ailleurs largement utilisée dans la nouvelle édition. Formont n'est pas toujours tendre à l'égard de Voltaire. Ainsi, en Best. D 682, ce jugement sur l'écrivain : " Il fait encore le plan d'une nouvelle tragédie, et de plus il songe toujours à son Histoire de Louis XIV. Voilà bien de la besogne en même temps pour être bien faite » ; et, sur l'homme, cette appréciation qui laisse deviner l'avenir : « Je ne serai jamais étonné qu'un pensionnaire de Voltaire se brouille avec lui ». Best. D 878, de Jean-Baptiste Rousseau, et Best. D 884, extrait des Lettres du commissaire Dubuisson, permettent de préciser l'allusion de Best. D 875 au Portrait de M. de Voltaire, qui, en Best. 850, était assez vague.

Les modifications portant sur les lettres déjà connues sont importantes. L'identification des destinataires est plus sûre : ainsi, la destinataire de Best. D 779 (Best. 757) qui était, dans l'édition précédente, Mme de Champbonin, devient plus vraisemblablement Mme de La Neuville, ce qui entraîne le même changement en Best. D 838 (Best. 812). Best. D 423 (Best. 410) est adressé


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au P. Tournemine, et non plus au P. d'Olivet. Des dates sont rectifiées : Best. D 430 (Best. 421), placé auparavant en octobre 1731, est daté maintenant du milieu de septembre, à partir de renseignements puisés dans le dossier Cideville-Formont, à la bibliothèque municipale de Caen. Une lecture plus attentive de Best. D 900 (Best. 813) permet de déplacer cette lettre de janvier en août 1735, comme le suggérait ici même M. Pomeau 1. Best. D 84 (Best. 38), adressé à Génonville, est replacé en juillet 1719, ainsi que Best. D 83 (Best. 32), par référence à Best. D 86. La place laissée libre par Best. 933 est remplie, en Best. D 960, par Best. 929. Enfin, pour des lettres déjà publiées, la découverte ou la consultation de manuscrits permet de restaurer le texte. C'est le cas d'une série de lettres au P. d'Olivet, à Mlle Quinault et à Thiriot. Les rectifications les plus notables concernent la correspondance avec d'Argental, d'après les manuscrits de Léningrad. Ainsi, Best. 799, daté du 4 janvier 1735, était recopié sur l'édition Kehl. Or, cette lettre était un mélange de deux lettres différentes qui se retrouvent à présent en Best. D 979 et Best. D 993. Best. D 1022 remplace Best. 986 qui était tronqué dans Kehl.

L'appareil critique et le commentaire sont également corrigés ou augmentés en de multiples endroits. Il s'agit souvent de retouches de détail, mais elles sont faites avec une minutie que reconnaîtront bien ceux qui ont à travailler sur cette correspondance. De nouveaux documents, classés dans les appendices, fournissent des renseignements intéressants : ainsi, le testament du père de Voltaire et l'inventaire de ses biens (Best. App. D 11), ou, sur le séjour de Voltaire à Caen en 1713, des notes de Charles de Quens : « Parlait bien en conversation, mais parlait seul [...] Le P. Couvrigny, jésuite, voyait aussi Voltaire, et était enchanté de son génie » (Best. App. D 1).

Il paraît inutile de revenir sur les mérites de l'entreprise de M. Besterman. L'analyse rapide de ces trois nouveaux tomes de la correspondance de Voltaire ne peut que mettre à nouveau en lumière les qualités d'une édition fondamentale à tous égards.

GEORGES MAILHOS.

François-René de Chateaubriand 1768-1968, Nea Hestia, n° 995, Noël 1968. Un vol. 25 x 18 de 312 p.

Le deuxième centenaire de Chateaubriand a été célébré à Athènes par la publication d'un numéro spécial de la revue Nea Hestia, placé sous le patronage des services culturels des deux pays ; pour la première fois dans l'histoire de la revue, des études en français voisinent avec des études en grec ; nombre de ces dernières s'adressent au grand public et n'ont d'autre but que de faire connaître la vie et l'oeuvre de Chateaubriand ; plusieurs contributions méritent néanmoins de retenir l'attention des spécialistes. Le philhellénisme de Chateaubriand constitue un premier centre d'intérêt autour duquel on aurait pu regrouper les aiticles de C. Tsatsos (« La lutte de Chateaubriand pour la Grèce »), A. Catakouzinos (" Réflexions d'un psychiatre sur le philhellénisme de Chateaubriand »), E. G. Protopsaltis ([" Le Philhellénisme français et Chateaubriand»]) et la riche étude de C. Dimaras ([« Chateaubriand en Grèce »]) : l'auteur ne se contente pas de faire l'histoire de l'oeuvre de Chateaubriand en Grèce, de la première traduction d'Atala (1806) à celle de l'Itinéraire (1860) : il peut ainsi préciser la réalité de son influence. « A propos de la Note sur la Grèce (1825) », nous-même avons examiné l'argumentation de l'homme politique et l'accueil de la Note. L'abondante iconographie est presque entièrement consacrée à la Grèce que vit et que défendit Chateaubriand. D'autres articles ont pour objet d'étudier la place de l'écrivain dans son

1. Compte rendu de la Voltaire's Correspondence, t. IV-X, R.H.L.F., avril-juin 1956, p. 264.


COMPTES RENDUS 517

temps et dans le nôtre : P. Moreau s'interroge sur la renommée de Chateaubriand dans le monde aux alentours de 1840 (" Chateaubriand au midi de sa gloire ») ; H. Lemaitre étudie sa philosophie de l'histoire et cette « unité indéfinissables qui lui permet de saisir d'un seul regard, dans les Mémoires, la totalité de l'univers (« Chateaubriand ou la fascination d'un monde en perspective ») ; R. Bismut rend sensible le charme qu'exerça l'empereur sur l'écrivain et rattache ses sentiments complexes aux « opinions politiques » de Chateaubriand (« Chateaubriand et l'empereur »), alors que G. Pratsikas se contente de faire le récit de leurs relations ([« Chateaubriand et Napoléon »]) ; T. K. Papatsonis ([" Lumières de la tombe »]) compare les situations respectives de Chateaubriand et de Proust, tandis que G. P. Katsimatis tente de préciser ses idées politiques ([« Chateaubriand, citoyen du nouveau monde libre »]). Nous n'aurons garde d'oublier, parmi les vingt-six articles rassemblés dans Nea Hestia, celui que G. de La Tour du Pin consacre à son ancêtre « René de Chateaubriand », père de l'écrivain ; le seigneur de Combourg y apparaît sous un nouveau visage. Il est regrettable que cette estimable contribution aux études chateaubriandistes soit presque sûrement condamnée à être ignorée, en raison de l'obstacle de la langue et de la faible diffusion des périodiques grecs.

ROBERT JOUANNY.

MAURICE DESCOTES, La Légende de Napoléon et les écrivains français du XIXe siècle. Minard, 1967. Un vol. 13,5 x 21,5 de 277 p. — L'Obsession de Napoléon dans le « Cromwell » de Victor Hugo,

Archives des Lettres Modernes, 1967 (5) (IV) n° 78.

Le premier de ces deux ouvrages est un recensement solide et consciencieux des témoignages, jugements et affleurements divers qui se manifestent à propos de Napoléon dans les oeuvres des grands écrivains romantiques : qu'ils soient contre (Stael et Constant, Chateaubriand, Lamartine et Vigny), ou qu'ils soient pour (Stendhal, Hugo, Balzac). La première partie, intitulée Néron-Attila-Tamerlan-Gengis Khan correspond à l'anti-mythe, à ses arrièreplans, aux modes les plus relevés de son expression. La seconde, intitulée Le Géant, correspond au mythe proprement dit ; mais le mythe est repéré uniquement chez les grands créateurs, non dans l'immense littérature et infralittérature, souvent anonyme, qui, spontanée ou manipulée, mystifiante ou mystifiée, a, en tout état de cause, exprimé un besoin profond d'unité, de participation et d'efficacité que décevait profondément la « France nouvelle » des libéraux. M. Descotes, qui tient compte des efforts les plus récents — et notamment de ceux d'Henri Guillemin — met à la disposition du lecteur un utile instrument de travail et une mise au point souvent excellente (par exemple, sur les rapports de Chateaubriand avec Napoléon). L'ouvrage est solidement informé, les références abondantes, la bibliographie riche et précise ; de plus, la progression dans le temps est habilement ménagée et commentée : ainsi, Mme de Staël n'a pas connu la réaction des années 1820-1827 ; son antinapoléonisme n'a donc pu se corriger de cet appel au héros qui, à partir de la seconde moitié de la Restauration, va conduire non pas tant à une révision du procès au plan des faits qu'à un réel remodelage mythique et critique du personnage historique de Napoléon. On ne saurait trop apprécier la pertinence d'un tel vade mecum des études littéraires napoléoniennes. Un regret, toutefois, doit être formulé : c'est que ce travail n'aille pas plus loin que l'information et n'aborde pas les problèmes de structure et de signification du mythe. Chez les grands écrivains, l'image de Napoléon n'est pas liée qu'à des rencontres, à des relations bonnes ou mauvaises, à des lectures ; elle est liée aussi à une alchimie profonde ; elle résulte d'une dialectique moi-monde, qui seule peut rendre compte de la présence et de l'authenticité de l'image ; il n'est pas d'étude sérieuse et complète du mythe sans un recours constant à la


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sociologie et à la psychanalyse, à la psychanalyse et à la sociologie. Dans la mentalité collective, le mythe est construction critique, refuge ou instrument, mirage ou arme ; au plan du moi, il accélère des cristallisations. Il y a là tout un double au-delà de l'enquête littéraire traditionnelle. Il est important, comme M. Descotes, de nous conduire jusqu'au point où tout devient complexe et passionnant ; mais il n'est d'enquête sérieuse qui ne doive conduire à une problématique moins « claire », moins linéaire, pour tout dire moins sommaire, que celle du simple relevé.

La brochure consacrée à Cromwell s'attache à repérer dans cette oeuvre damnée les échos en provenance du héros Napoléon ou de la problématique napoléonienne. Le thème de l'usurpateur républicain devenu despote et chef d'une grande aristocratie, le thème du tyran instrument de la providence, le thème de l'" heureux soldat », sont bien évidemment ambivalents. La leçon est claire : Hugo n'a cristallisé sur Cromwell — malgré Bossuet — qu'au travers de Napoléon. On trouvera peut-être que les nombreux rapprochements suggérés, pour pertinents qu'ils soient, ne densifient pas pour autant l'analyse. Comme dans le Napoléon, on en reste un peu aux rapports de texte à texte, de texte à réminiscences ou impressions : on n'entre guère dans les coulisses de l'élaboration d'un mythe. La génétique non structurelle montre bien ici ses limites. Est-ce à dire que tout soit dit, ou même simplement indiqué ? Même au plan de la banale et extérieure genèse " historique », il reste à dire. Par exemple, on pourrait remarquer que la tragédie de Cromwell, composée par le jeune Honoré Balzac en 1819, si elle n'est pas, elle non plus, un simple essai dans le genre reconstitutif ou imitatif, si elle est truffée d'allusions aux couplets ultra-libéraux et contre la révolution-révolution, ne doit rien encore à l'image de l'Empereur : en 1819, il n'y a pas encore cristallisation sur ce point. Il est vraisemblable que c'est à partir de 1821 (mort de Napoléon) que se produit une forte réactivation de l'image impériale, dont porte la marque, en 1822, le roman du même Honoré Balzac, Le Centenaire. Le Cromwell de Hugo, en 1827, témoigne donc, à propos d'un sujet reçu, de la pénétration du thème napoléonien : le sujet passe au mythe 1.

PIERRE BARBÉRIS.

MARIE-HENRIETTE FAILLIE, La Femme et le Code civil dans La Comédie humaine d'Honoré de Balzac. Paris, Didier, « Essais et Critiques » 6, 1968. Un vol. 13,5 x 21,5 de 223 p.

M.-H. Faillie a choisi un sujet d'étude important sur lequel elle apporte une documentation abondante. Son livre décrit la situation juridique faite par le Code civil à la jeune fille dépendant encore de sa famille (1re partie) et surtout à la femme dans le mariage (2e et 3e parties). Cette situation est précaire : la femme mariée n'a pas plus de droits qu'une mineure. Mlle Faillie examine ensuite les comportements des héroïnes de La Comédie humaine vis-à-vis des lois qui les tiennent en tutelle. Qu'elles demeurent fidèles aux " devoirs » que leur crée le Code, ou qu'elles entrent en révolte, elles ne tiennent jamais compte, ou peu s'en faut, du droit ni de la loi : " elles semblent penser qu'elles sortiraient de leur rôle en se réclamant des articles du Code » (p. 189). Les plus " vertueuses » (2e partie) lui substituent volontiers — ô paradoxe ! — un " contrat opposé à celui des lois » (p. 104 sq. par lequel elles s'arrogent dans le ménage une autorité que la loi attribue au seul mari ; quant aux friponnes (3e partie), elles éludent les impératifs du Code par mainte « combinaison qui surprendrait les voleurs » (p. 154) et leur garantit, avec une semi-liberté, une impunité apparente. Point curieux encore : les maris ne se réclament pas plus que leurs épouses du Code : leur situation

1. Sur Cromwell on lira les pages capitales de Claude Duchet au tome III des OEuvres complètes publiées par « Le Club français du Livre ».


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juridique est peut-être moins forte qu'il n'y paraît (p. 148 sq.) et ils préfèrent généralement (égoïsme ? complaisance ?) user des « hasards » du Code plutôt que de ses rigueurs (p. 150-158).

Dans le cadre de ces lignes générales, on peut trouver dans le livre de Mlle Faillie, clairement exploité, un « fichier » sur les problèmes juridiques concernant la condition féminine. Je ne citerai que quelques cas intéressants : l'autorité paternelle (p. 74 sq. : E. Grandet ; 68-72 sq. : les enfants Claës ; 80 sq. : A. Guillaume) ; la dot (réactions divergentes des nobles : p. 48-54 et des bourgeois : p. 54-59) ; l'autonomie financière refusée à l'épouse (p. 150158) ; la séparation (p. 158-162).

Voilà bien des situations romanesques dont M.-H. Faillie fait apparaître le support juridique. En nous tenant à ce point de vue qui est celui de la création romanesque, il nous semble que l'auteur aurait pu apporter des nuances à la deuxième partie de son ouvrage : les épouses qui, dans La Comédie humaine, ne commettent pas l'adultère sont groupées sous la dénomination de " femmes vertueuses» ou « femmes êtres de raison». Arrachée à son contexte, qui est une boutade, cette dénomination devient obscure ; et sous son ombre s'associent mal des personnages dont les motivations sont étrangères les unes aux autres : ainsi de Madame de Mortsauf et Renée de Lestorade (p. 100-106) ; Céleste Rabourdin et la petite Madame Camusot (p. 108-124).

Dans la conclusion de son étude, Mlle Faillie présente rapidement une remarque importante : certains aspects — trop réduits — du Code avaient, aux yeux de Balzac, le mérite de " réconcilier » la loi sociale et la loi naturelle (p. 195). C'est tout ensemble poser le problème des sources de la réflexion de Balzac sur le droit et indiquer qu'elle a aussi une portée philosophique. Balzac, on le sait au moins par les premières lignes de la Physiologie du Mariage de 1829, s'est reporté non seulement au Code mais aux procès-verbaux des séances du Conseil d'État qui préparèrent sa rédaction. Autant qu'au contenu de la loi, il s'est intéressé à son « esprit ». Sa méditation, à travers les " cas » juridiques posés par La Comédie humaine, est en grande partie réflexion sur le décalage entre loi civile et loi naturelle. La constatation de ce hiatus explique peut-être que le Code n'apparaisse à aucun partenaire, féminin ou masculin, des romans balzaciens comme suffisant à régler des problèmes conjugaux ou familiaux qui, mettant en mouvement les passions, relèvent de la morale — c'est-à-dire de la loi naturelle. Par cette démarche, Balzac se rattache (comme Portalis par exemple, et à l'inverse de Bonaparte) à l'inspiration de Rousseau et rejoint quelquefois de Bonald.

ARLETTE MICHEL.

E.M. GRANT, Victor Hugo : A Select and critical Bibliography.

Chapel Hill, North. Carolina. (North Carolina Studies in Romance Languages and Literatures, 67), University of North Carolina Press, 1967. Un vol. in-8° de 94 p.

Le petit livre du professeur E. M. Grant vient à son heure et met un peu d'ordre dans une littérature critique qui, pour n'être pas encore aussi décourageante que celle qui est consacrée à Baudelaire ou à Stendhal n'en est pas moins en passe de devenir labyrinthique. Grâce à E. M. Grant, le point est fait jusqu'en 1965, et, pour certains cas, 1966, consciencieusement et intelligemment. Outre un bref avant-propos auquel il manque malheureusement le nom de René Rancoeur, le livre est divisé en treize sections :

I. « Bibliographies » : On notera l'absence de l'article de Jean Gaulmier, « Connaissance de Victor Hugo », in Bulletin de la Faculté des Lettres de Strasbourg, février 1965.

II. « Catalogues » : ajouter le catalogue de la Maison de Victor Hugo et celui de l'exposition consacrée aux Misérables.


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III. « Éditions ». On pourrait se passer, il me semble, du n° 13 (OEuvres complètes, A. Martel, 1941-1955), et noter que le n° 12 (édition ne varietur) doit être maniée avec précaution. Des réserves doivent également être exprimées sur le Théâtre complet de la « Bibliothèque de la Pléiade ». Et pourquoi ne pas inclure la Correspondance Hugo-Meurice (n° 120) dans cette section ? On aimerait également que l'auteur soulignât que l'édition Marsan du Conservateur littéraire (n° 21) est incomplète.

IV. « Anthologies ». Plutôt que celle de Le Coeur (n° 46) qui nous paraît fort contestable, celle de Léon-Paul Fargue, qui a tout de même fait date, serait la bienvenue.

V. " Biographie ». L'on s'étonne de voir traiter avec sérieux les ragots de Raymond Escholier dans son Un Amant de génie, Victor Hugo (n° 65), ou les inventions doucement délirantes de Guimbaud dans En cabriolet à l'Académie (n° 103).

Il n'y a pas grand chose à dire de la Section vi (" Critique générale ») qui va d'un article riche et solide de Pierre Albouy (n° 138) au chapitre involontairement comique de J.-P. Weber dans Genèse de l'oeuvre poétique, ni sur les sections vii (" La Carrière politique de Hugo et sa philosophie sociale ») et viii (" Langue, style, images, etc. »).

A la section ix (« Poésie »), il faudrait, je pense, ajouter le livre de Léon Cellier : L'Épopée romantique.

La section x est consacrée au roman, la section xi au théâtre, la section xii aux influences étrangères, la section xiii aux « Divers ». Il y a quelques additions de dernière minute et deux index (noms des critiques et auteurs cités).

Il serait vain de chicaner M. Grant sur ses choix, particulièrement dans les sections vi à xiii ; il s'agit, ne l'oublions pas, d'une anthologie bibliographique, naturellement colorée par la personnalité de l'auteur. Tel qu'il est, ce petit livre rendra des services. Les jugements de E. M. Grant sont sûrs, concis, et il en est peu sur lesquels un hugolien français pourrait faire des réserves. D'autre part — et c'est là que le livre de E. M. Grant me paraît tout à fait irremplaçable — nous trouvons au fil des pages un assez grand nombre d'articles, généralement publiés en Amérique. Attachons-nous toujours assez d'importance aux travaux de nos collègues d'outre Atlantique ? Cette bibliographie sans prétentions devrait contribuer à nous faire réfléchir sur notre tendance à l'impérialisme critique.

JEAN GAUDON.

JEAN-LUC MERCIÉ, Victor Hugo et Julie Chenay. Documents inédits. Paris, Lettres Modernes (Bibliothèque de littérature et d'histoire. 6), 1967, 335 p. et 10 pl. h.-t.

Consacrer 335 pages, d'une typographie serrée, à la mince personne de Julie Chenay, née Foucher, belle-soeur de Victor Hugo, était presque une gageure. M. Mercié, pourtant, s'en est acquitté, pour notre plaisir — et d'abord pour le sien. Si grand, même, est son attachement à son modèle qu'il laisse deviner, à la p. 289, son regret de ne pouvoir avancer beaucoup plus dans la biographie de la " vieille dame anonyme ». Que ne s'en est-il avisé plus tôt ! Mais, dit-il dans sa conclusion, il a " préféré la précision et ses longueurs aux résumés et aux paraphrases qui dénaturent les faits et les textes » (p. 294). Le scrupule est juste et l'entreprise vertueuse ; il n'en reste pas moins qu'une bonne centaine de pages auraient pu être économisées sans dommage pour la vérité. M. Mercié a trop souvent cédé à la tentation de révéler quelque « miette » inédite ou peu connue, de déborder sur des sujets voisins du sien. Le livre, joliment écrit, y perd beaucoup de son mouvement narratif.

Sous sa forme première (une thèse dirigée par M. Cellier), ce travail avait pour titre : Julie Chenay, belle-soeur de Victor Hugo. Le titre défintif est plus


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ambitieux, mais aussi plus exact. Plus justifié, aussi : la vie toute plate de J. Chenay n'a d'intérêt que dans la mesure où elle contribue à éclairer celle de son beau-frère. M. Mercié apporte ici, avec une précision et un soin admirables, quelques mises au point biographiques dont il prend soin de dresser lui-même, in finale, l'inventaire détaillé (p. 294). N'en boudons pas le caractère « mineur ». Il fallait un travail aussi minutieux et aussi perspicace pour nous faire pressentir, à travers quelques détails infimes, peut-être, mais significatifs, les rapports, chez V. Hugo, de l'expérience et de la création. Rapports contradictoires et complémentaires : tantôt la vie alimente directement l'oeuvre, assimilée dans sa profondeur ou butinée dans le détail des " choses vues » ou vécues (telle, ici, cette convaincante " source possible du Petit-Picpus » [I, V] venue enrichir un dossier qu'avaient nourri, déjà, MM. Le Breton, Huard et Pommier) ; tantôt, au contraire, la création s'abstrait de la vie, isole le poète dans son univers imaginaire, en fait un étranger parmi les siens. On regrette que M. Mercié, qui implicitement la démontre, n'ait pas caractérisé en quelques pages cette sorte de perpétuelle absence morale du V. Hugo de l'exil. Il aurait pu confronter les textes retrouvés de Julie et ceux de Mme V. Hugo, de ses fils, d'Adèle. On a été trop sévère pour eux tous : qu'avaient-ils donc, les frivoles, à fuir la compagnie de celui dont ils avaient l'honneur de partager l'existence ? Cest qu'auprès du grand homme reclus dans ses écritures, ils rêvaient, eux, d'espace, de mouvement, d'amours et d'amitié, de divertissements élevés ou médiocres : de vie. De là ces petits complots, ces lettres amères, ces " mots » sévères qui leur échappent et que Hugo recueille, ébahi, dans ses carnets ; et ces pauvres ruses pour fuir, rester en France, extirper quelque argent nécessaire à leur subsistance, ces colères des fils, cette grande révolte de la fille. Est-ce seulement futilité d'une part, de l'autre égoïsme? Ne méconnaissons pas la richesse de personnalités dont les unes sont simplement humaines et dont l'autre s'identifie à la plénitude d'un oeuvre.

On voit l'intérêt de telles études consacrées à l'entourage immédiat de V. Hugo, à ces « témoins de sa vie » qui, pour la plupart, restent mal connus et méconnus 1. En nous donnant l'exacte mesure de chacun d'eux, elles nous permettent, par contraste — ou plutôt, dirait un peintre, par « réserve » — de mieux deviner l'échelle de leur grand compagnon. Par elles, nous concevons moins mal le mouvement complexe qui anime et relie ces deux vies parallèles, l'oeuvre et la destinée.

A cet égard, peu s'en faut que le travail de M. Mercié ne soit exemplaire — et peut-être jusque dans ces longs cheminements dont le lecteur s'impatiente mais qui évoquent bien la lenteur du temps des horloges, celui de Julie, opposé à l'extraordinaire plénitude du " temps humain » dans lequel s'absorbe Hugo. Dans la mesure même où l'objet d'une telle recherche ressortissait au domaine de la critique génétique, il fallait mener l'enquête selon une impeccable méthode historique, fondée sur le rassemblement et la confrontation critique de tous les documents intéressant le sujet. M. Mercié comble ici nos espérances... ou presque. Ne se limitant point aux textes publiés, corrigeant

1. Sur Mme V.H. : La Vie d'une Femme, par G. Simon (Paris, 1914), ouvrage hâtif mais bourré de documents et toujours indispensable (à compléter notamment par : L. Séché, Lettres de Mme V.H. à sa soeur Julie, Annales Romantiques, 1912-1913 ; Suppl. litt. du Figaro, 3 août 1912 ; Revue de Paris, 1er oct. 1912 ; J. Pommier, V.H. raconté par un témoin de sa vie, Les Annales-Conferencia, mai 1963, p. 5-22 ; J.-L. Mercié, id., « OEuvres complètes de V.H. », éd. J. Massin, t. I, Paris, 1967. — Sur Léopoldine : P. Georgel, LH., une jeune fille lomantique, 2e éd., Paris, 1966; et l'Album de L.H., Rouen, 1966 (à paraître : Lettres et cahiers d'écolière de L.H., édition critique avec une étude reprenant et complétant la matière du premier ouvrage). Sur Charles, on espère que la thèse de M. B. Leuillot fera toute la lumière. Sur Victor H : F.-V. Guille, F.-V. H. et son oeuvre, Paris, 1951 (il y a encore beaucoup à dire sur V. H). Sur Adèle : Journal d'A.H., par F.-V. Guille (l'introduction, décevante, et le t. I, 1852, Paris, 1968 ; volumes suivants à paraître).


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à l'occasion des datations fautives, il a sondé les archives de la Maison de V. Hugo et dépouillé celles de la Légion d'Honneur, de M. Jean Hugo, de la famille Ancelet, qui descend de Paul Foucher, d'autres encore. Il a interrogé sans cesse les indispensables carnets manuscrits de la B.N. Ces glanes sont fort appréciables, mais d'autres choses, hélas, ont échappé à M. Mercié, qui eussent complété son information et soutenu l'intérêt de son livre : les archives Vacquerie, qui contiennent notamment les lettres de Léopoldine à sa tante (Musée V. Hugo de Villequier) ; l'album de photographies constitué par cette dernière (B.N., Est.) ; les inventaires dressés par elle, de la bibliothèque de Hauteville-House (Maison de V. Hugo) ; le Journal d'Adèle (id. et Pierpont Morgan Library)... Comment, consacrant tant de pages au graveur Paul Chenay, ignore-t-il (c'est du moins ce qu'on redoute à sa lecture) le Cabinet des Estampes et son Inventaire du Fonds français, par MM. Adhémar et Lethève ? (Bien des points obscurs demeurent, d'ailleurs, dans les chapitres décevants consacrés à Chenay). Il y a aussi des livres, des articles ignorés ou négligés, auxquels, parfois, on en a préféré d'autres moins importants 1. A commencer par cette piquante caricature, dans le Journal des Goncourt (12 avril 1894) : " Mme Chenay, la belle-soeur du grand Hugo, qui a une tête desséchée et comme rapetissée, ainsi que ces têtes d'Indiens momifiées et réduites aux deux tiers de leur grandeur... » (éd. Ricatte, t. XX, p. 38). Enfin, on constate avec stupeur qu'ayant étudié, le premier et avec tant de soin, la collection Ancelet, M. Mercié, qui a pu y considérer à loisir le portrait de Julie par Mme V. Hugo (Fourqueux, 1836), n'y a point reconnu la dame de ses pensées 2. Ce n'est pas une lacune ordinaire ; mais qui n'a eu de ces mésaventures 3 ?

Si M. Mercié n'a pas toujours été heureux dans sa recherche de documents, il les a, du moins, interprétés avec subtilité. Biographe précis, il sait, quand il le faut, interrompre l'enchaînement chronologique pour dresser un bilan, présenter une hypothèse, risquer un coup de sonde dans la vie intérieure de son modèle ou celle de V. Hugo. Et il le fait habilement, prudemment ; il est rare qu'il s'oublie à déformer ou à solliciter le sens d'un document. Rien, pourtant, dans les textes qu'il publie, ne révèle ces " coups fourrés » de la baronne Dannery qu'il « imagine » p. 34 (en revanche, la lettre reproduite p. 35 est fort affectueuse) ; ni que les maladies de Julie aient été feintes, comme il le laisse entendre p. 38 ; ni les " gaudrioles » qu'auraient " lâchées » Gautier et Châtillon pendant la Première Communion de Léopoldine (p. 162) ; ni qu'il y ait eu au parloir de Saint-Denis une surveillance draconienne (p. 50), puisque, nous apprend une lettre de Hugo, un monsieur de 44 ans pouvait y

1. Signalons notamment : P. Chenay, « Mon Beau-frère », Monde moderne, sept. 1902 ; « D'un Cahier sur V.H. », Revue blanche, 1er mars 1902 (qu'il fallait au moins confronter au texte du V.H. à Guernesey). — Des articles de la Chronique médicale, 1er août 1903 et 1er août 1904, sur le portrait de H. par Chenay. — L. Daudet, " Julie Chenay », Chantecler, 15 juin 1930. — CI. Pichois, a Deux Lettres médites de V H. » (l'une à P. Ch., 30 sept. 1862), L'Ecole, 21 mars 1953. — Sur H. dessinateur, la bibliographie de M. M. est squelettique ; la n. 54, p. 124, est sujette à une révision profonde ; n. 64, p. 164, M. M. emprunte sa documentation à l'étude de M. Clouard, sans la citer. Il est vrai que Clouard empruntait la sienne à Burty sans le citer davantage ! P. 135, une curieuse indication : « le livre que [Meurice] projetait sur Paris et que Burty devait illustrer ». A cette date, depuis longtemps, B. ne dessinait plus et c'était la direction artistique de Paris-Guide qui devait lui incomber.

2. Portrait identifié et étudié dans Léopoldine H. [...], 1966, p. 129-130, repr. pi. s. (Le § 2 doit être maintenant relu à la lumière du ch. II, ix: de M. M.). Voir dans Mercié, p. 14, n. 17 et p. 141, n. 8, les recherches de M. M. sur l'iconographie de Julie.

3. Et d'abord nous-même, qui, dans la bibliographie de notre Léop. H., ne citons pas le V.H. raconté [...], dont nous faisons pourtant usage !


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" baiser [les] belles mains » et y " embrasser [les] jolies joues » de deux pensionnaires (p. 46) ; ni surtout — et cette fois le persiflage de M. Mercié est pénible — que le chagrin de V. Hugo à la mort de sa femme ait pu être de la " littérature » (p. 227) 1. « Nous n'avons pas de documents précis [,..] mais il est permis d'insinuer [...] », lisons-nous p. 116. Quel aveu inquiétant 1

Si nous relevons, parmi d'autres, ces « insinuations » aventureuses ou ces jugements téméraires, c'est que M. Mercié se montre impitoyable envers ses propres devanciers, dénonçant, en particulier, avec une verve cruelle, la méthode de la précédente biographe de Julie, Mme Maurois. Pour se permettre de ces propos tranchants, il faut être soi-même irréprochable. De plus, outre de trop nombreuses fautes ou coquilles et quelques erreurs de langue qui déparent un texte élégant 2, la propension de M. Mercié à ces sortes de rêveries pourrait faire suspecter l'érudition pourtant solide de son livre. Qu'on s'en garde bien : c'est à son imagination qu'il doit le goût et les réussites de la recherche, la vie du récit, parfois sa profondeur. Ce peut être un vice redoutable, certes, pour un historien ; mais c'est d'abord, quand le talent s'y mêle, une vertu.

PIERRE GEORGEL.

Ross CHAMBERS, Gérard de Nerval et la poétique du voyage. Paris, José Corti, 1969. Un vol. 14 x 22,5 de 410 p.

RAYMOND JEAN, Nerval par lui-même. Paris, Le Seuil, collection « Ecrivains de toujours », 1964. Un vol. 12 x 18 de 190 p.

GEORGES POULET, Trois essais de mythologie romantique (Ie et 2e parties : « Sylvie ou la pensée de Nerval » - « Nerval, Gautier et la blonde aux yeux noirs»). Paris, José Corti, 1966. Un vol. 12 x 18,5 de 190 p.

KUET SCHARER, Thématique de Nerval, préface de GEOEGES POULET.

1. Sans discuter tout ce qui nous paraît contestable, signalons encore deux points : 1) La longue analyse des pratiques solitaires de V.H., p. 173-174 : nous ne sommes pas sûr que Spont. arrêté à temps soit incompatible avec rêve. Une pollution " spontanée », en " rêve », peut être " arrêtée à temps » par un brusque réveil, 2) Le personnage de Stapfer n'est-il pas flatté ? Voir la note de 1871 citée p. 233 n. 57 : " M. Paul Stapfer est venu [...] Quand je suis venu [le] rejoindre dans mon cabinet, je l'ai vu, à ma grande surprise, lisant les papiers qui étaient sur ma table [...] Je lui ai témoigné mon étonnement et mon mécontentement. » Indiscrétion de lettré ? Tel ne semble pas être l'avis de V.H. dans un texte de 1875 que M. M. ne rapproche point de sa note : " un professeur gravement doctrinaire s'introduit chez vous, vous le surprenez lisant vos papiers " (Actes et Paroles, ii, Ce que c'est que l'exil, iv).

2. Quelques noms estropiés : p. 43, Gimbaud pour Guimbaud, p. 69, Grangé pour Granger ; p. 319, Eschollier pour Escholier ; des tirets mal placés ou inutiles : p. 7, 140, 141, 320, Simone-André Maurois pour S. A.-M. ; p. 86, Victor-Hugo, comme l'avenue ; le nom de Lefèvre-Vacquerie n'apparaît qu'avec Pierre L.-V., ne pas l'employer avant (p. 258, 279, 286). Des erreurs de parenté : p. 121, beau-père pour beau-frère ; p. 293 : tante pour cousine ; p. 276, c'est Jacques de Lacretelle, non Pierre, qui est de l'Académie. Des erreurs de langue : p. 14, " V.H. est parti à Reims » et p. 57, Victor Foucher part " en Algérie » ; p. 192, n. 34, " on s'en rappelle » ; p. 285, " Mme Ch. n'a pas prise, seule, cette initiative », mais p. 221, « une gravure anglaise que lui a offert sa bellesoeur » ; p. 189, " si effacée qu'on n'en oubliait un peu sa présence » ; p. 188, " avoir assurer » ; p. 199, 1. 18, le tour ne permet pas le possessif mais le démonstratif ; des fautes d'orthographe : p. 12, « le général Hugo [...] s'est remariée » ; p. 13, " ces événements avait épuisé » ; p. 39, " ils nous apartient » ; p. 53, " des raisons qui l'avait conduit » ; p. 66 : " l'attachement [...], la correspondance [...], enfin cette sympathie [...] lui valait les réflexions... » ; p. 175, « je lui remettrait » ; p. 186, " Mme Ch. fut [...] son associé ». Citons encore, p. 206 : Mme H. âgée " d'une soixante d'années » ; et cette jolie coquille, p. 203 : " sa belle-coeur ». L'article d'H. Guillemin sur Marie H. a été repris dans Éclaircissements, Paris, 1961, p. 236-249 ; on ne dit pas « Maison Victor Hugo » mais « Maison de V.H. » (p. 258) ; comment la même lettre, p. 41, peut-elle être, dans le corps de la page, " encore inédite », et dans la note 16 déjà « publiée par nous » ?


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Paris, Minard, collection « Bibliothèque Nervalienne », 1968. Un vol. 14 x 19 de viii-286 p.

Outre la thèse de Jean Richer (1963) et une plaquette de Pierre Moreau consacrée à Sylvie et ses soeurs nervaliennes (1966), les années 60 ont vu paraître quelques ouvrages importants qui prolongent les recherches amorcées par Albert Béguin, Marie-Jeanne Durry et Jean-Pierre Richard, c'est-à-dire qui visent à une compréhension globale et profonde du phénomène nervalien.

Premier dans l'ordre chronologique, l'ouvrage de Raymond Jean s'inscrit dans le cadre d'une collection à laquelle on doit déjà quelques belles monographies. En à peine plus de cent pages, présenter l'essentiel d'une vie et d'une oeuvre est une sorte de gageure ; faut-il, six ans après sa publication, dire que ce volume-ci est une réussite ? Non content d'assurer une excellente initiation, il marque le moment où l'on passe en quelque sorte officiellement des recherches biographiques et des tentatives d'herméneutique à un regard sur les structures objectives de l'oeuvre nervalienne. R. Jean sait parler avec émotion du suicide de janvier 1855 (qui lui paraît peut-être un peu trop dû au désespoir devant une « réelle » misère matérielle), parcourir savamment le cycle des lectures de Gérard (lectures classiques aussi bien que " nocturnes »), inventorier les symboles qui jalonnent Aurélia et les Chimères, mais on lui est surtout reconnaissant d'avoir essayé ici, à propos de Sylvie, de dégager les " plans du récit » en montrant, avec l'aide de Proust, l'importance de la conscience du temps à tous les niveaux de l'écriture (voir en particulier les p. 59 à 81).

Cette lecture " proustienne » avait déjà guidé les recherches de Georges Poulet sur l'oeuvre de Nerval. Il repiend ici un article (« Sylvie ou la pensée de N. ") publié en 1938 dans Les Cahiers du Sud (n° 209), dont la richesse et la pénétration ne sont plus à dire ; il lui adjoint une étude entièrement nouvelle qui touche à l'essentiel, c'est-à-dire au mythe du « féminin céleste », intitulée « N., Gautier et la blonde aux yeux noirs ». G. Poulet suit pas à pas le développement d'une image fameuse, celle de la " bionda e grassotta », sur laquelle Gérard a greffé tant de choses et qu'il a pourchassée chez tant de femmes rencontrées ou inventées ; au départ, contrairement à ce qu'on imaginerait volontiers, il ne s'agit pas d'un " fantôme venu de sa jeunesse, mais tout simplement d'un type de beauté mis à la mode par les poètes romantiques » (p. 87), — voir Byron et Musset. Cette figure de la belle aux cheveux fauves et aux chairs généreuses, à la fois vénitienne et flamande, Nerval et Gautier ensemble l'ont cherchée, l'ont chantée, se sont exaltés à en lever. Mais ce thème commun a connu des évolutions différentes chez les deux amis : tandis que chez l'un « ce type tend à se scléroser, à perdre toute profondeur, à se ramener à ses pures apparences » sui un fond d'épicurisme, chez l'autre " il incline à prendre un ensemble de significations de plus en plus profondes et secrètes, à se charger d'un sens ésotérique " (p. 124). Pour Nerval, qui seul nous intéresse ici, c'est un épisode exemplaire dans la dialectique du rêve, du souvenir et de la réalité dont Poulet démontait admirablement le mécanisme au cours de l'essai précédent (voir en particulier p. 62-71) ; finalement, on observe que, de Jenny Colon à Aurélia, l'image éternelle parcourt un circuit fatal qui la conduit à la désagrégation. L'enquête est menée avec la sûreté et la finesse que l'on connaît à G. Poulet. Fidèle à sa méthode (ou à sa pensée) critique, celui-ci se demande dans l'Avant-propos « si, en littérature, tout ne se ramène pas à un choix qui, dès l'abord et pour toujours, lie l'esprit à un ensemble de figurations déterminées » ; pour rendre cette question tout à fait actuelle, ne suffit-il pas de substituer au terme de « figurations » celui de « configurations » ?

Dans sa préface au livre de Kurt Schärer, en tout cas, G. Poulet paraît avoir conscience de ce phénomène ; après avoir évoqué le nom de J.-P. Richard, il affirme : « Il n'y a pas de thème isolé dans le monde des poètes. Il y a une pluralité simultanée de thèmes en grappe ou en constellation D. C'est


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pourquoi il se dit reconnaissant à l'égard du critique dont il présente les travaux, d'avoir donné " non sans doute une étude thématique complète de son auteur [...], mais à tout le moins l'exposition systématique arrangée d'une bonne partie de ces thèmes : le déclin des forces cosmiques, la lutte entre les principes ennemis, le palimpseste de la mémoire, l'analogie des époques, la réitération de la minute éternelle, la permanence d'un culte syncrétique à travers les âges, telles sont, parmi bien d'autres, quelques-unes des constances thématiques avec lesquelles, dans la pensée de Nerval, tous les faits historiques ou géographiques appris ou perçus au hasard de ses lectures comme au cours de ses voyages, se voient identifiés ; et cela de telle façon que ces thèmes, désignant tous la même personnalité centrale, se trouvent associés, en raison de leur convergence, dans le même acte de thématisation » (p. vii).

L'effort pour faire percevoir la logique d'un itinéraire dans le monde nervalien, cet effort auquel Poulet semble particulièrement sensible, il faut en effet le mettre au crédit de l'étude de Kurt Schärer. La méthode et les grands axes ayant été fournis par la longue citation du paragraphe ci-dessus, il est inutile d'y revenir. On peut ajouter que l'auteur de cette Thématique de N. a eu le souci de se plier, avec souplesse, à la chronologie, et que le résultat est d'une rare cohérence : les divers motifs récurrents sont intégrés à une trajectoire (ce qui ne signifie pas une « histoire ") d'où leur enchaînement tire tout son sens. Si l'on veut considérer le revers de la médaille, on remarquera que d'une part, à force de reconstitutions et de synthèse, les oeuvres particulières perdent cette nécessité que leur confère leur achèvement : les textes sont comme émiettés, monnayés en citations, et le rapport du poète à son écriture n'est d'autre part indiqué que dans la mesure où il manifeste un état d'esprit, voire une thérapeutique, non sous l'angle de la production d'un objet d'art, — malgré une bonne étude (IIIe partie, chap. 5) sur les motivations qui conduisirent Nerval à parler du « livre infaisable ». Mais comment reprocher à K. Schärer d'avoir choisi une perspective ? Après tout, son livre se donne pour une « thématique » ; comme tel, il représente, avec toutes les garanties du sérieux, avec tous les protocoles du travail universitaire, une tentative résolûment moderne et somme toute remarquable.

Sans aller jusqu'à souligner le contraste qu'il forme avec les ouvrages précédents, on doit dire que le livre de Ross Chambers, quoique de loin le plus volumineux, n'apporte pas autant qu'on pouvait espérer de son titre ; le mot « poétique » est ici prétexte à toutes sortes d'excursions, dans la biographie plus que dans récriture, sous forme de promenades plus que d'explorations concertées. Dans le louable souci de ne pas quitter les textes, l'auteur nous donne à lire beaucoup d'extraits de l'oeuvre nervalienne, mais sans trop analyser. Voulant parcourir tout l'espace offert, il se perd dans un dédale de sentiers ombragés où nous suivons difficilement son cheminement. Enfin, trop souvent dupe de la stratégie du bon Gérard, il donne l'impression de ne pas déceler dans ce qui est écrit les trajets exemplaires, les procédés rhétoriques, bref le système d'une quête plus consciente et d'un art plus lucide qu'il ne paraît. Comme cette thèse d'université ne présente ni introduction ni conclusion, il n'est pas commode d'apercevoir ce que R. Chambers croit avoir établi ; en outre, la consultation du livre n'est pas facilitée par la table des matières qui, squelettique, mêle centres d'intérêt et titres d'oeuvres, pour n'avoir pas choisi entre une organisation thématique et une classification chronologique. Au point de départ, il s'agit de montrer que voyager, c'est en quelque sorte poursuivre une illusion perdue, « l'illusion d'un rêve continuel » (ce qui, paraît-il, va à l'encontre des analyses de J.-P. Richard dans sa Géographie magique de N.) ; or, affirme la dernière page, rêver est une manière de se suicider : on veut bien comprendre que Nerval voyage pour tuer le temps, mais rien n'exige, semble-t-il, qu'il écrive. Le principal mérite de cette étude réside dans certaines remarques de détail, dans des rapprochements ingénieux ; le critique connaît


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admirablement l'oeuvre du poète, et en cite d'ailleurs, au total et malgré les reprises, bon nombre de pages. La façon dont il utilise le vocabulaire de la critique thématique est généralement satisfaisante, les références aux catégories de l'imaginaire l'emportant nettement sur l'analyse du discours de l'inconscient. Mais, parce qu'il procure une fois sous forme de tableau « la structure d'Aurélia » (p. 363), on ne le tiendra pas à la légère pour un adepte des méthodes structuralistes d'avant-garde ; « structure » ne dit ici rien d'autre que " plan » (le résultat semble d'ailleurs décevant, sinon contestable). Le hasard seul a sans doute voulu que le livre de R. Chambers paraisse, à six mois près, en même temps que celui de K. Scharer : il faut avouer qu'il perd beaucoup à ce rapprochement, et que le fait d'être lu le second ne joue pas en sa faveur.

En somme, l'oeuvre de Nerval s'est avérée spécialement féconde lorsqu'elle était soumise à des lectures " thématiques ». La transparence de l'écriture décourage des études davantage axées sur l'analyse stylistique (l'on n'a guère relevé, jusqu'ici, que l'importance — certes fondamentale —, de la disjonction dans la syntaxe nervalienne) ; quant aux rapports du mythe et de l'onirisme dans le développement structural d'une poétique, il ne semble séduire ni les spécialistes de l'inconscient ni ceux du folklore : faut-il se résigner à dire que la mariée est trop belle ?

JEAN BELLEMIN-NOËL.

KAKLHEINZ STIERLE, Dunkelheit und form in Nervals « Chimères ».

Munich, Wilhelm Fink Verlag, 1967. Un vol. 23,5 x 16 de 123 p.

L'idée maîtresse de ce livre fort intéressant se trouve dans l'union des mots « forme » et « obscurité » de son titre. Pour M. Stierle toute tentative d'explication logique des Chimères est vouée à l'échec et celui qui désire les apprécier à leur vraie valeur doit chercher ailleurs. C'est justement dans la fusion de l'obscurité avec la forme que Nerval atteint sa véritable grandeur et devient en même temps un des initiateurs de la poésie moderne.

Le premier chapitre est un état présent des études nervaliennes dans lequel M. Stierle cherche à prouver que la plupart de ses devanciers ont fait fausse route. Ensuite il replace Nerval dans son cadre historique pour démontrer à quel point celui-ci a changé la poésie de sa propre époque et préparé le terrain pour celle qui devait suivre. K. Stierle voit en Gérard le premier poète romantique à s'émanciper d'une rhétorique traditionnelle qui exigeait une stricte adhérence aux mêmes formules qui gouvernent la prose. Le grand triomphe de Nerval, donc, était d'avoir mis la note lyrique là où ses contemporains restaient toujours sous l'emprise du ton épique malgré leur prétendue révolte contre l'influence classique.

Avant d'aborder les Chimères elles-mêmes, M. Stierle commence par une analyse du Christ aux Oliviers où il voit sourdre les premières traces d'une esthétique vraiment nervalienne. Du fait même que Nerval a choisi le sonnet, forme peu adaptée au développement épique, on voit que le poète cherche déjà la concentration lyrique dans un genre considéré par les autres romantiques comme limité à l'expression des inspirations mineures. Avec le Christ aux Oliviers, Nerval entrevoit les avantages d'une forme courte qui possèderait par sa densité même toutes les possibilités dramatiques des genres à la fois plus amples et plus prestigieux.

Gérard, il faut le dire, n'était pas le seul à trouver son inspiration dans le Songe de Jean-Paul Richter. Le thème d'un univers sans lieu a fait frissonner tous les poètes de l'époque, mais souvent avec une sensibilité exagérée. Reproche qui certes ne peut pas s'adresser au Mont des Oliviers de Vigny. Cependant, rien que la comparaison de ce poème au Christ aux Oliviers démontre la distance qui sépare Gérard de tous ses contemporains, surtout dans sa maîtrise du crescendo dramatique.


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M. Stierle voit surtout dans le cinquième sonnet l'emploi perfectionné de la parataxe au service d'une tension dramatique élevée à son plus haut point qui indique la route qui mène aux Chimères. Si l'on y trouve encore quelques lieux communs de la poésie romantique, surtout dans le désespoir du Christ, c'est que Nerval n'a pas encore su s'affranchir complètement des influences de sa jeunesse.

Il n'en est pas moins vrai que ces cinq sonnets sont une préparation pour l'assaut contre le dernier sommet qu'est le cycle des Chimères.

Vient ensuite une brève mais intéressante démonstration que la synesthésie et la métempsychose se trouvaient de bonne heure dans la poésie nervalienne, dès 1832 dans Fantaisie. Puisque nous ne possédons aucune preuve ni sur la date ni sur l'ordre de composition des six sonnets qui forment le cycle des Chimères, M. Stierle se permet de les traiter dans un ordre conçu par lui selon sa propre théorie. Il y voit une suppression graduelle de la logique (élément épique) et une tendance croissante vers l'emploi des images pour suggérer plutôt que de communiquer.

Suivant ce schéma, les deux premières Chimères à analyser sont Horus et Antéros. Selon M. Stierle, Horus est la première Chimère en date de composition et représente la première tentative de Nerval d'unir (par le syncrétisme) plusieurs mythes orientaux en un tout organique. S'il ne réussit pas c'est parce que les mythes restent séparés au heu de se fondre les uns dans les autres comme c'est le cas avec les derniers sonnets. Avec Antéros Nerval fait des progrès dans ce sens que ses images (surtout la dernière strophe) servent moins pour transmettre des idées que pour suggérer par leur force expressive " une profondeur vivante » et un Moi qui monte jusqu'aux hauteurs de l'extase.

Dans son dernier chapitre l'auteur discute les quatre sonnets qui restent, les poèmes de la " condition mythique », comme il les appelle. Une série d'échecs matériels et l'aggravation de sa maladie forçaient le poète de plus en plus dans un monde de l'irréel où le mythe régnait. La tension dans les quatre derniers sonnets est poussée au plus haut point par le ton narrateur et l'extrême rapidité de l'alternance entre les rêves éveillés, les rêves tout court et la réalité objective. En un mot, " l'épanchement du Songe dans la vie réelle. »

Delfica et Myrtho se groupent sous la catégorie des n poèmes de la région mythique » puisqu'il y a dans chacun un paysage qui joue un rôle important. M. Stierle voit dans ces poèmes la fin d'une lente évolution : l'affranchissement total de la " tradition classico-romantique ». Nerval réussit à employer l'obscurité comme principe de composition. Tout essai de communication logique disparaît et la beauté des poèmes se trouve précisément dans l'agencement des images et la multiplicité d'idées et de sensations qu'elles évoquent en nous.

Erythréa, qui ne fait pas partie des Chimères, est un sonnet de transition. En lui nous assistons à la disparition du paysage, ainsi préparant le chemin pour les deux derniers sonnets, ceux de « l'espace intérieur mythique. »

El Desdichado se compose d'un nombre infini d'allusions privées, littéraires et biographiques jointes dans une parfaite unité. Mais malgré la rapidité de leur alternance, toutes ces images sont unies par la mélancolie après la perte irrévocable de sa bien aimée. Poussé par le désespoir, le moi lyrique devient un absolu, franchissant toutes les barrières du temps et de l'espace. Comme le héros de la seconde partie de Faust, il accomplit des miracles. L'artiste rejette la chronologie épique, ayant recours à une " technique de mosaïque a qui serait impensable chez tout autre poète romantique.

Avec Artémis, comme dans le cas du sonnet précédent, il est inutile, selon M. Stierle, de chercher la signification des mots ou des phrases détachés, car dans ce poème l'unité entre l'émotion et la construction atteint son apogée. M. Stierle souligne que l'obscurité n'est jamais voulue, étant plutôt la conséquence d'un procédé déterminé par les exigences du langage poétique.


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Des changements rythmiques s'ajoutent à la puissance suggestive des répétitions pour créer un sens de mouvement fiévreux. L'auteur trouve ce sonnet le plus chimérique des Chimères et le plus révolutionnaire de tous les poèmes de Nerval puisqu'il anticipe très clairement la direction qui sera prise par la poésie moderne.

Dans l'ensemble, le lecteur trouvera dans ce mince volume une mine de suggestions nouvelles pour l'exploration de la création nervalienne. Parfois l'auteur semble subir lui-même la hantise des mots et il nous tend des phrases telles que " Der Synkretismus wird zum Syhkretismus des Synkretismus » (p. 66). Ce qu'il aurait bien pu nous épargner.

Après avoir lu les propos sur l'effort de Nerval de se libérer de l'influence " classico-romantique », on s'étonne de trébucher sur cette phrase à propos du Christ aux Oliviers : " Die Anzahl von funf Sonnetten und ihre Übereinstimmung mit den fünf Akten des klassischen Dramas ist wohl mehr als ein blosser Zufall » (p. 43). Si Nerval fuyait la rhétorique classique ce n'était sûrement pas en se remettant sous le joug d'Aristote et de Boileau qu'il aurait créé la poésie moderne ! K. Stierle exagère également en insistant trop sur l'intitulé de chercher la source et la signification des allusions dans les sonnets. Si de telles tentatives ne nous mènent pas à une compréhension complète des poèmes (personne ne le prétend d'ailleurs, pas même M. Richer), elles nous avancent beaucoup dans une appréciation solide.

Cela dit, les nervaliens sauront gré à M. Stierle de nous indiquer la ressemblance entre Myrtho et La Dryade de Vigny, entre Delfica et le Wiegenlied eines jammemden Herzens de Brentano et de suggérer que « trémière » dans Artémis est un jeu de mot qui unit " treizième » et « première ».

S'il est convenu que le mot de la fin ne sera jamais dit sur ces sonnets hermétiques, on reconnaîtra au moins que M. Stierle en a dit un qui mérite l'attention respectueuse des chercheurs et des curieux.

ALFRED DUBRUCK.

JAMES VILLAS, Gérard de Nerval, A Critical Bibliography, 1900 to 1967, with a préface by JEAN SENELIER. Columbia (Missouri), University of Missouri Press, 1968. University of Missouri Studies, Volume XLIX. Un vol. 15 x 23,5 de vi-118 p. et 3 pi. h.t.

Les nervaliens sont reconnaissants à M. Senelier pour son précieux Essai de Bibliographie (1959) et pour le supplément, publié presque en même temps que cet ouvrage de M. Villas auquel M. Senelier fournit une préface. Puisque la période traitée par M. Villas est identique à celle du complément de M. Senelier, on pourrait croire que les deux travaux font double emploi. Cela n'est pas tout à fait exact. Selon l'aveu de M. Senelier, il n'a eu « la possibilité matérielle et le temps de lire qu'une petite fraction des travaux consacrés » à Nerval 1. En revanche, M. Villas s'est borné à citer ceux qu'il avait pu consulter. Les commentaires de M. Villas sont en général judicieux. Il faut, cependant, faire de sérieuses objections à sa condamnation de l'édition critique des Chimères procurée par Jean Guillaume (n° 168), qu'il trouve « so poorly organized and so weighed down with superfluous documentation it is practically impossible to use ». Selon nous et sans doute selon d'autres nervaliens plus qualifiés, l'ouvrage du P. Guillaume est un modèle du genre, représentant une intégrité de méthode qui manque parfois dans les études nervaliennes.

Dans la première partie de ce volume, M. Villas donne un aperçu général des principales études sur Nerval à partir de 1900. On y remarque que l'apport

1. Malheureusement, M. Senelier ne semble pas avoir lu avec attention toutes les études qu'il avait la possibilité de consulter. Nous pouvons affirmer, par exemple, que l'article signalé sous le n° 2 089 n'a rien à faire avec Baudelaire.


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des deux dernières années est fort mince : neuf titres pour 1966 et un seul pour 1967. Peut-on conclure que la réputation de Nerval est en baisse ? Cela ferait de la peine à ceux qui, comme M. Villas, " are seriously interested in the advancement of Nerval's literary réputation». Cette citation représente assez bien le ton général de cette première partie, dont l'éloquence se trouve diminuée par la répétition textuelle de longs passages tirés de la seconde partie.

Dans un travail de cette envergure, les omissions sont inévitables et, parfois, imposées par sa nature sélective. On s'étonne, cependant, de ne trouver chez M. Villas (ni chez M. Senelier) aucune mention de l'article de Paul Perdrizet, " Baudelaire. Un Voyage à Cythère », publié dans cette même revue en 1925 (t. XXXII, p. 430-431), ni des notes sur le même sujet par Éd. Morin et L. Deffoux dans le Mercure de France de 1932 (t. CCXXXVII, p. 237 et t. CCXXXVIII, p. 509-510).

Malgré ces réserves, l'utilité de cette bibliographie est indéniable ; elle est le complément nécessaire de celle de M. Senelier, qui le dit dans sa préface. On regrette seulement qu'elle soit îédigée en anglais. Les nervaliens américains et anglais doivent connaître la langue de leur auteur, mais celle de M. Villas n'est pas nécessairement à la portée de tous ceux qui s'intéressent à Nerval en France et ailleurs.

W. T. BANDV.

ALAIN MERCIER, Les Sources ésotériques et occultes de la poésie symboliste (1870-1914). Paris, Nizet, 1969. Un vol. 14 x 19 de 286 p.

Posant en principe que le mouvement symboliste n'a pas l'importance ni l'ampleur du Romantisme, M. Alain Mercier se défend dès l'Avertissement d'avoir voulu donner l'équivalent du célèbre ouvrage d'Auguste Viatte sur Les Sources occultes du Romantisme (faut-il dire qu'on regrette ce manque d'ambition ?) ; en outre ce volume doit être complété par un second tome consacré au symbolisme hors de France, principalement en Angleterre, Allemagne et Russie. C'est assez indiquer les limites volontaires de l'enquête.

Limites au demeurant très larges, si l'on songe à la masse d'ouvrages qu'il fallait consulter : la bibliographie de ce livre constituera un guide commode pour qui veut s'informer dans ce domaine 1 et elle peut prendre le relais de celle de R. Knowles (à la fin de son V. E. Michelet, Vrin, 1954) qui était jusqu'à présent ce qu'on possédait de meilleur. Quant à la qualité de rinformation, si elle est généralement bonne, elle demeure assez imprécise ; mais on ne peut demander à un seul chercheur de se faire une documentation de première main où il faudrait une vaste équipe. Il en résulte que si les rapprochements sont établis, si certains noms sont mis en relations entre eux, la voie est seulement ouverte aux confrontations minutieuses, de texte à texte.

Au cours du chapitre que l'auteur consacre aux " Maîtres et [à] la Tradition », il s'en faut de beaucoup qu'il renouvelle nos connaissances ; du moins fait-il attentivement le bilan des différentes hypothèses concernant la culture ésotérique d'un Mallarmé (et surtout de ses amis, entre autres Cazalis) comme d'un Rimbaud ou d'un Lautréamont. Mais les autres chapitres parviennent à reconstituer les milieux sociaux où se rencontrent les férus d'occultisme, à en dessiner les réseaux, à en situer les intermédiaires, les personnalités marquantes. Ainsi voit-on se recréer de subtiles filières, d'Eliphas Lévi et Delaage à Papus et Saint-Yves d'Alveydres, de Catulle Mendès et Esquiros à Jean Lorrain et Péladan, de Lucas et Lacuria à Stanislas de Guaïta et Saint-Pol Roux, de Wronski et Allan Kardec à Charles de Sivry et Edouard Schuré... Ainsi lie1.

lie1. ajoutera cependant, pour tout ce qui touche à la Kabbale, le nom indispensable de Gershom Scholem (ouvrages publiés chez Payot) et pour L.C. de Saint-Martin le livre récent de Mme Seckrecka (Acta Univ. Wratislaviensis, 1968).

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t-on connaissance avec les « égéries », Judith Gautier et Nina de Villars, ou avec les " prophètes », Vintras, Madame Blavatsky, Hello... Sur chacun de ces personnages, on aurait aimé plus de détails biobibliographiques : mais l'ouvrage eût compté mille pages !

Dans l'ensemble, malgré une agréable clarté de rédaction, A. Mercier n'a pas totalement triomphé des difficultés que présentait l'organisation de son matériau (de fait, comment classer : par chapelles littéraires ? par courants ésotériques ? mais tout le monde est en rapport avec tout le monde, contemporains comme prédécesseurs : une telle jungle ne peut devenir d'un coup un jardin à la française !). Au moins faudrait-il, absolument, rajouter à l'ouvrage un Index des noms propres, afin que l'on puisse retrouver ici ou là telle figure d'occultiste, telle oeuvre du second rayon avec laquelle on envisage de faire un rapprochement.

Cela dit, ce livre a le mérite de faire le point, fût-ce approximativement, sur un des secteurs les plus déshérités de l'histoire littéraire des époques récentes. Il est souhaitable que cette oeuvre de pionnier fraye la voie à des recherches approfondies dont la nécessité est évidente et dont la possibilité est maintenant établie.

JEAN BELLEMIN-NOÈL.

ROBERT Y. NIESS, Zola, Cézanne, and Manet - A Study of « L'OEuvre ". Ann Arbor, The University of Michigan Press, 1968. Un vol. 15 x 23 de 300 p.

Le titre même du livre en indique la méthode : une fois encore ce sont les modèles possibles de Claude Lantier qui se trouvent au centre de l'étude, l'analyse thématique de L'OEuvre n'apparaissant que dans le dernier des onze chapitres.

Selon la tradition, M. Niess commence par rechercher les sources littéraires du roman, et il semble bien n'avoir laissé dans l'ombre aucun texte dont Zola, sciemment ou non, ait pu s'inspirer. Peut-être eût-il été plus éclairant de placer en tête de l'ouvrage la matière du chapitre ix, " Genèse et élaboration du roman » : les nombreuses allusions à l'Ébauche et à l'ensemble du Dossier auraient été plus compréhensibles ; mentionnons pour n'y pas revenir l'intérêt du neuvième chapitre pour l'étude du processus de la création chez Zola et notamment des états successifs du personnage de Christine.

M. Niess refuse de considérer L'OEuvre comme un roman à clefs (p. 61) mais n'en consacre pas moins le chap. ii à une tentative d'identification des personnages secondaires, le chapitre iii à Pierre Sandoz et les chap. iv à viii aux modèles éventuels de Claude Lantier : Cézanne, Manet, Zola lui-même, puis les autres artistes du temps. Comme tous les critiques antérieurs, M. Niess reste fasciné, malgré lui, par cette recherche et il n'évite pas l'éparpillement et les répétitions inhérents à une suite de portraits comparatifs. Mais il utilise de nombreux inédits et renouvelle souvent les interprétations traditionnelles : ainsi à propos de Sandoz, " caractérisé par une dévotion aveugle à ses amis » (p. 73) et qui ferait de L'OEuvre tout le contraire d'une trahison, le roman de la fidélité nostalgique ; de même pour Claude Lantier dont M. Niess montre bien tout ce qui aurait dû interdire de l'assimiler à Cézanne, la nature de ses ambitions, sa technique et l'évolution qui le conduit du réalisme le plus révolutionnaire au symbolisme (chap. iv et v). Lantier, n'est-ce pas plutôt Manet, sinon l'homme du moins son esthétique et son modernisme ? L'auteur avance des arguments solides mais les dernières pages du ch. vi sont moins convaincantes : il n'est pas sûr que Zola ait vu Manet et Lantier " descendre côte à côte la route de l'art » (p. 150) 1.

1. Le jugement sévère du Messager de l'Europe de 1879 conceme-t-il Monet, comme M. Niess l'écrivait dans son édition des Salons, ou bien Manet, comme il entreprend de le démontrer aujourd'hui ? La question reste obscure.


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M. Niess est inégalement prudent dans ses conjectures ; s'il rappelle que Lantier est avant tout un membre de la famille des Rougon-Macquart, un personnage littéraire (chap. viii, p. 191), on le suit malaisément dans le parallèle qu'il établit au chap. vu entre Zola et son héros : non que les analogies biographiques ou esthétiques ne méritent pas considération mais parce que l'hypothèse générale du chapitre qui place chez Zola comme chez Lantier l'origine du génie dans une inhibition sexuelle relève d'une psychanalyse quelque peu sommaire. Cette interprétation hasardeuse fausse également les perspectives du chap. x, puisque le critique en vient à regretter que Zola n'ait pas allégé son roman de tous ses développements sur l'art et le monde des arts pour traiter seulement du conflit entre l'art et la femme (p. 817) : Jules Lemaître, déjà, décelait dans L'OEuvre un sujet pour Paul Bourget ! Il faut peut-être beaucoup de subtilité pour voir en Lantier « un crypto-homosexuel » (p. 219), et à l'inverse une certaine naïveté érudite pour s'étonner de la transformation soudaine, à la fin du roman, du personnage de la pudique Christine (p. 222).

Abandonnant les méandres de la psychanalyse, les toutes dernières pages du livre (chap. xi) reviennent, trop brièvement mais judicieusement, sur les rapports entre Zola et l'impressionnisme, à propos desquels R. J. Niess rejoint les conclusions de P. Brady 1 : ce que condamne Zola, ce n'est pas l'impressionnisme, mais sa dégradation en « idéalisme », en « peinture d'âme » (p. 246). Mais on ne lui accordera pas sans discussion que " la voix du pessimisme a le dernier mot » (p. 249) : le " Allons travailler » de Sandoz n'est en effet guère moins énigmatique que la conclusion de Candide.

ANTOINETTE EHRARD.

URSULA BEICHEL, Alexandre Vinet. Seine Kritik der französischen Literatur des 19. Jahrhunderts. Münchener Romanistiche Arbeiten; Heft 38. Huber Verlag, München, 1969. Un vol. in-8° de 136 p.

Alexandre Vinet est l'un des plus remarquables représentants de la pensée en Suisse française au xixe siècle. Dans sa thèse monumentale sur La Suisse romande au cap du XXe siècle (Lausanne-Genève 1963), Alfred Berchtold a insisté sur son influence et sa valeur. Depuis Eugène Rambert et Philippe Bridel, Pierre Kohler avait montré la place qu'occupent, dans les écrits de Vinet, la critique et l'histoire littéraire. Sur les trente volumes des OEuvres d'Alexandre Vinet, achevées en 1964, dix concernent ces disciplines. Leur matière provient d'articles et surtout de cours à Bâle et Lausanne. Sainte-Beuve, Nisard, Brunetière, Victor Giraud se sont parfois inspirés des jugements de Vinet. Ernest Seillière a vu en lui un historien de la pensée française (1925). Depuis la thèse de Louis Molines (Paris 1890) nous avons eu les dissertations d'Edwin Borschberg (Zürich 1940), de François Jost, sur Vinet interprète de Pascal (Fribourg 1950), un diplôme de licence d'Henri Reymond sur Vinet et Voltaire (Lausanne 1963).

Sans apporter de documents nouveaux, la thèse d'Ursula Beichel, présentée à Münich, mais commencée en Suisse, et que le professeur Hans Rheinfelder publie dans sa collection savante, est une utile contribution à la connaissance de Vinet et de l'histoire du romantisme français. Une documentation sûre, objective, une analyse souvent subtile. Ursula Beichel tient compte des travaux parus, en particulier des notices de P. Sirven, mais elle élargit l'horizon, n'ignorant pas les études sur l'esthétique et la philosophie de W. Kayser, Th. Mann, R. Bayer, R. Guardini, K. Jaspers. Elle dégage avec piécision les éléments de la critique de Vinet : esthétique classique et parfois post-classique, goût

1. Cité dans la bibliographie pour plusieurs articles mais non, bien entendu, pour son livre : Patrick Brady, " L'OEuvre » de Emile Zola roman sur les arts, Librairie Droz, Genève, 1968, qui est exactement contemporain de celui-ci (Voir R.H.L.F., octobredécembre 1969).


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affiné, avec de curieuses indulgences, emprise du moralisme et du protestantisme du Réveil. Certaines assertions de Vinet peuvent aujourd'hui étonner, ainsi ses éloges de Soumet ou de Béranger, mais que d'arrêts profonds et justes aussi ! Ursula Beichel donne d'un sujet complexe, à propos d'une oeuvre diverse et d'inégale valeur, jamais dénuée d'intérêt, un aperçu nuancé, mesuré, souvent pénétrant.

HENRI PERROCHON.

C.-F. Ramuz, ses amis et son temps, V, 1911-1918. Présentation, choix et notes de GILBERT GUISAN. Lausanne-Paris, La Bibliothèque des Arts, 1969. Un vol. in-8° de 340 p.

Le cinquième tome de ce remarquable ouvrage, si richement et scrupuleusement commenté et annoté par M. Gilbert Guisan, directeur, à l'Université de Lausanne, du Centre de recherches sur les lettres romandes, est sorti de presse au printemps 1969. Il y a, dans ce volume, comme dans ceux qui l'ont précédé, une foule de documents — lettres inédites, fragments d'articles de journaux — dont on ne saurait trop dire l'intérêt et l'enrichissement qu'ils apportent à notre connaissance de Ramuz et des lettres suisses françaises il y a un demi-siècle. Ajoutons que ce tome comporte treize illustrations, en particulier la photographie de lettres adressées à Ramuz par Romain Rolland, Claudel, Jacques Rivière, Ansermet, Edmond Gilhard, d'autres encore.

Tous les textes se rapportent à une période particulièrement importante de la carrière de Ramuz. En 1911, l'écrivain est encore à Paris ; c'est l'année où paraît Aimé Pache, peintre vaudois, suivi, deux ans plus tard, par la Vie de Samuel Belet. Retour au pays natal en mai 1914. Les Cahiers vaudois, qui commencent à paraître, viennent de publier Raison d'être, que complèteront bientôt L'Exemple de Cézanne et l'Adieu à beaucoup de personnages. Ramuz s'avance au devant de tâches nouvelles. L'événement tragique de la guerre, puis, en 1917, le retentissement en lui de la Révolution russe — cette révolution qu'évoque Le grand Printemps — tout cela ébranle jusqu'aux assises les plus solides de sa pensée. Tout est remis en question. La guerre et la révolution révèlent à Ramuz la puissance des grands sentiments unanimes. Tout art réaliste est insuffisant. Seule la « vision » atteint à la réalité secrète. Le Ramuz visionnaire et unanimiste à la fois est né. De là procèdent les trois chefs-d'oeuvre que sont Le Règne de l'Esprit malin, La Guérison des maladies et Les Signes parmi nous

Les lettres reçues par l'écrivain, celles aussi qu'il écrit, font de ce volume un dossier d'une importance capitale pour qui veut connaître comment la Suisse française et Paris réagirent à la réputation grandissante de l'écrivain. Si, en général, les jugements des critiques romands se font plus approbatifs que dans les années précédentes, il est encore des journaux, des revues, qui demeurent réticents à l'endroit de Ramuz. On peut sourire aujourd'hui de certaines appréciations de la Gazette de Lausanne, du Journal de Genève ou de La Semaine littéraire. Quant à la France, on lira avec plaisir les jugements flatteurs et réellement amicaux portés par Claudel, Rivière ou Romain Rolland. Autre ensemble de textes d'intérêt majeur : tous ceux qui concernent la préparation et le lancement des Cahiers vaudois. Il y a là des documents qui seront du plus grand prix pour celui qui, un jour — nous l'espérons — entreprendra l'histoire de ces Cahiers, qui marquent une date essentielle dans l'évolution des lettres romandes.

CHARLY GUYOT.

O. V. DE L.-MILOSZ, Soixante-quinze lettres inédites. Paris, André Silvaire, 1969. Un vol. 14 x 19 de 168 p.

Il s'agit de la correspondance échangée entre Milosz et le sculpteur Léon Vogt, qui fut un ami véritable dès 1905 et jusqu'à sa mort en 1924 ; après


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cette date, le poète resta en relations avec Madame Vogt, à qui l'on doit la possibilité de publier ces lettres et qui est la destinataire de la seconde moitié d'entre elles. Aux deux correspondants sont confiées bien des joies et bien des peines, ainsi que des informations sur la vie intime (L'Amoureuse initiation serait-elle partiellement autobiographique? Peut-on d'ores et déjà éclaircir le mystère de la " Symphonie de Septembre » ?). Milosz apparaît, comme à l'ordinaire, passionné et non dépourvu d'humour : tour à tour enjoué, cérémonieux, déprimé, sceptique, fidèle compagnon, très tôt convaincu de l'importance de sa mission prophétique... La présentation et les notes de l'éditeur André Silvaire donnent les éléments indispensables à la lecture de ces lettres dont il faut souligner la richesse.

JEAN BELLEMIN-NOËL.

HENRI GIORDAN, Romain Rolland et le mouvement florentin de « La Voce ». Correspondance et fragments du Journal. Cahiers Romain Rolland, n° 16. Paris, Albin Michel, 1966. Un vol. in-8° de 396 p.

Si la critique française s'est intéressée aux " Cahiers de la Quinzaine », dont l'équipe animée par Bernard Guyon vient d'entreprendre d'écrire l'histoire 1, elle a jusqu'à ce jour laissé dans l'ombre une entreprise italienne qui n'est pas sans affinités avec les intentions de la revue péguyste : nous voulons parler de " La Voce ». Henri Giordan, par l'intermédiaire d'un personnage médiateur, Romain Rolland, réussit à débrouiller pour nous les fils de rapports ténus qui lient la France et l'Italie pour arriver au coeur d'une problématique historique. Son livre joue sur deux registres : une longue introduction d'une centaine de pages qui précise l'évolution historique du dialogue interrompu entre R. Rolland et « La Voce », un choix de lettres souvent inédites et des fragments du journal de R. Rolland permettant d'entrer dans le vif des problèmes qui rapprochèrent puis éloignèrent l'écrivain et les animateurs de la revue florentine dont son fondateur, Giuseppe Prezzolini. Le lecteur diligent se laisse captiver par ce jeu de miroirs entre les lettres et le commentateur. Il en résulte un travail critique particulièrement attachant où la vérité traquée par l'auteur dans sa préface se dérobe et s'affirme à la fois dans la correspondance.

Quatre points retiennent l'auteur, quatre titres de chapitres épinglent ses recherches : Découverte de l'Italie, Des cultures fraternelles, " La vraie France », La crise nationaliste italienne. On assiste à la lente évolution de Romain Rolland, jeune pensionnaire de l'École française d'archéologie et d'histoire, qui s'installe à Rome en 1889. Les fulgurations romantiques dues à l'exaltation du paysage et à la mémoire humaniste qui s'accompagne d'une notable inculture (l'auteur ne connaît ni Verga, ni Caiducci, ni d'Armunzio; vont faire place peu à peu à une intelligence de l'Italie contemporaine, à une découverte de ses écrivains. Le vieil humanisme qui occultait la réalité bascule et l'Italie qui se fait, qui se cherche, apparaît au premier plan des préoccupations de Romain Rolland. La conjonction avec « La Voce » était dans l'ordre de cette évolution et Henri Giordan apporte toute une série de précisions minutieuses sur les rapports entre " La Voce » et Jean-Christophe connu par l'intermédiaire des « Cahiers de la Quinzaine ». Il souligne le but identique que s'étaient assigné les Italiens et les Français des deux revues : secouer l'apathie et la rhétorique par la conquête d'un style simple mais courageux qui substitue la pensée au bavardage et concourt à une véritable rénovation nationale ; il précise les antécédents du mouvement florentin en insistant sur l'importance de la revue de Papini et de Prezzolini, « Leonardo ». Il articule avec clarté les moments forts de la rencontre entre R. Rolland et « La Voce » (1908,

1. Voir l'article d'H. Giordan, « Contribution à l'histoire des Cahiers : les premières réactions italiennes », Péguy - Actes du Colloque international d'Orléans, 1964, Cahiers de l'Amitié Charles Péguy, Minard, 1966, p. 336-395.


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année de la fondation de la revue) et de leur éloignement. Il fournit des précisions puisées dans un matériel inédit qu'il consulta grâce aux archives des éditions Vallecchi et de la fille de Papini entre autres. Peut-être aurait-il pu (mais était-ce son propos ?) insister sur les ferments de dissolution qui minaient " La Voce » en dépit de la fougue juvénile de ses participants. La critique italienne est loin d'avoir trouvé un point d'accord à ce sujet. Il est sûr que des personnalités aussi différentes que Prezzolini, Papini, Soffici, Jahier, Salvemini, Amendola (assassiné par les fascistes) et Mussolini lui-même créaient des tensions internes que seule une exaltation superficielle réussissait à cacher. Les vicissitudes de la revue, soulignées par H. Giordan, ne laissent guère de doute à ce sujet et l'on peut se demander si, autour des années 1908-1910, les amis « vociani » de Romain Rolland, faute d'une idéologie précise, ne furent pas les grands prêtres d'une nouvelle utopie. Quoi qu'il en soit, l'importance de Jean-Christophe pour le groupe florentin (dont la représentation et l'audience dépassent de loin la seule Florence) est mise en lumière avec finesse et subtilité.

Bientôt, à la chaleur initiale, fera suite un certain refroidissement : Romain Rolland est déçu par la fréquentation personnelle de certains membres du groupe dont Papini ; puis, avec la guerre de Libye, s'accentue la fracture idéologique car une partie de la rédaction s'engouffre dans le nationalisme. Les futuristes de « La Voce » fondent " Lacerba » dont l'orientation de plus en plus politique débouchera sur une campagne en faveur de l'entrée en guerre de l'Italie, en opposition flagrante avec les vues pacifistes et l'action de Romain Rolland. Après la tourmente, l'auteur de Jean-Christophe oublie ses invectives contre certains de ses ex-amis : les " jeunes loups » redeviennent des « braves gens » mais le coeur n'y est plus. L'enquête s'achève à l'orée du fascisme ; elle mériterait d'être poursuivie : H. Giordan lance un jalon en publiant la lettre de Romain Rolland à Giorgio Amendola après l'assassinat de son père. Giovanni Amendola était pour lui ce qui restait de " La Voce » en laquelle il avait cru. Les autres membres du groupe avaient embrassé le fascisme (Papini, Soffici), d'autres l'absentéisme (Prezzolini). Très peu nombreux furent les opposants à l'ordre nouveau (Salvemini, Amendola).

Par la richesse de son matériel inédit, par la précision des notes érudites, par l'intelligence de son introduction (qu'on aurait aimée parfois plus caustique), par son importante bibliographie, le livre d'H. Giordan ouvre des perspectives nouvelles sur l'une des saisons les plus riches et les plus troublées des lettres franco-italiennes.

PHILIPPE RENARD.

PIERRE ABRAHAM, J.B. BARRÈRE, JANINE BUENZOD, ANDRÉ CHAVANNE, JEAN GUÉHENNO, MARC REINHARDT, SVEN STELLING-MICHAUD, Romain Rolland, suivi de la correspondance inédite de Romain Rolland avec Adolphe Ferrière et Heinz Hàberlin. Université Ouvrière et Faculté des Lettres de l'Université de Genève, Neuchâtel, Éditions de La Baconnière, Collection « Langages », 1969. Un vol. 14 x 21 de 221 p.

La première moitié de ce livre est constituée par les textes des conférences qui ont été données à l'occasion du centenaire de la naissance de Romain Rolland, au cours d'une séance solennelle à l'Université de Genève, puis dans le cadre d'un cycle organisé conjointement par la Faculté des Lettres de Genève et l'Université ouvrière. Ce cycle est consacré, dit l'avant-propos, " aux principaux aspects de la pensée et de l'action de Romain Rolland » (p. 8). Conformément à leur destination, ce sont des travaux de synthèse et de mise au net, qui, à des titres divers et quelquefois avec des vues originales, font le point de quelques grands thèmes essentiels : Romain Rolland l'Européen, l'humaniste, l'écrivain, le musicien. Il s'agit donc d'un très utile condensé de l'oeuvre et de la pensée de l'auteur.


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Etablie par J. Buenzod et Sven Stelling-Michaud, la deuxième partie est un ensemble de 42 lettres inédites, échangées entre Romain Rolland et deux personnalités suisses, de 1915 à 1944 (l'essentiel étant composé par des lettres de Romain Rolland) : Heinz Haberlin, conseiller fédéral, Président de la Confédération Suisse en 1926 et 1931, et Adolphe Ferrière, philosophe et pédagogue genevois. Cette correspondance montre Romain Rolland attaché à défendre les droits de sa conscience libre (voir à ce sujet la lettre du 24 mai 1931, p. 150). Elle éclaire son attitude vis-à-vis, d'une part, de la philosophie hindoue, d'autre part, du communisme et de l'Union Soviétique. Elle montre ce tournant si net des années 1931-1932 où, avec grande lucidité, Romain Rolland prend conscience que la pensée hindoue ne saurait être une panacée (lettre du 2 avril 1932, p. 200). En bref, ces lettres aident à mieux comprendre l'évolution d'un homme qu'il faut constamment voir dans son devenir.

Il s'agit donc d'un ensemble intéressant qu'on saura gré à la Faculté des Lettres et à l'Université Ouvrière de Genève d'avoir donné.

JEAN RELINGER.

DAVID L. SCHALK, Roger Martin du Gard (The novelist and history), Ithaca, New York, Cornell University Press, 1967. Un vol. 14 x 22 de 257 p.

D. L. Schalk admet qu'un roman peut apporter une connaissance valable d'une époque historique mais se demande aussitôt ce que signifie cette affirmation (p. 10) : comment caractériser précisément cette forme de connaissance de l'histoire ? comment le romancier peut-il, tout en évitant l'exposé didactique, rivaliser avec l'historien ? R. Martin du Gard y parvient parce qu'il est capable de faire passer sur le plan individuel des personnages les débats d'idées et les événements historiques (p. 12-13). De la qualité de cette " transposition » dépend la valeur du roman, du point de vue historique comme du point de vue artistique. Mais les rapports entre Histoire et Littérature apparaissent à un autre niveau : quand il écrit Les Thibault, R. Martin du Gard est en fait très sensible aux menaces de guerre, au point qu'il modifiera le plan de son roman, accordant à l'analyse des causes de la guerre de 1914 une importance considérable. Il sera même conduit à prendre souvent publiquement position dans les luttes politiques de son temps, malgré son désir profond de rester à l'écart.

Les questions ainsi posées sont fondamentales. Mais était-il possible d'y répondre en si peu de pages ? Certes l'étude est conduite de façon très attentive. D. L. Schalk, qui a lu de près les travaux consacrés à R. Martin du Gard, précise certains jugements, rectifie des erreurs de lecture (p. 148). Et il ne s'agit pas seulement de détails : le chapitre consacré à l'engagement personnel du romancier dans la vie politique (p. 176 à 213) aboutit à des conclusions nuancées qui corrigent les apprécations habituelles. On aurait cependant aimé que l'analyse de la " transposition » artistique, évoquée dans les premières pages, fût poussée plus loin. De ce point de vue, la remarquable thèse de J. Schlobach — que l'auteur connaît mais dont il ne se sert guère — pouvait apporter beaucoup. D. L. Schalk a réussi à présenter un panorama de l'oeuvre de R. Martin du Gard, de Jean Barois à Maumort, qui n'est pas sans mérites. Peut-être aurait-il gagné à limiter davantage son étude, ce qui lui aurait permis de donner aux questions qu'il se posait une réponse plus approfondie.

ANDRÉ DASPRE.


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CLÉMENT MOISAN, Henri Bremond et la poésie pure. Préface de Pierre MOREAU. Paris, Minard (Bibliothèque des Lettres modernes, N° 11), 1967. Un vol. 14 x 22 de xiii-245 p.

Il faut d'abord admettre que le livre de M. Moisan sur Henri Bremond et la poésie pure fera beaucoup pour retirer Bremond du « purgatoire littéraire » où l'a relégué la critique des trente dernières années. De là à le placer, comme le voudrait M. Moisan, « au tout premier rang des critiques littéraires des trente premières années du xxe siècle », c'est peut-être aller un peu trop loin, mais il fallait néanmoins rendre justice à cet écrivain mal compris et souvent bafoué. C'est le service que nous rend l'auteur de ce livre.

Deux études récentes, celle du P. Blanchet sur la fameuse Sainte Chantai (Histoire d'une mise à l'Index, Aubier, 1967) et celle de Jean Dagens et de Maurice Nédoncelle sur le Colloque de Cerisy (Entretiens sur Henri Bremond, Mouton, 1967), ont attiré à nouveau l'attention du grand public sur la pensée religieuse de Bremond, mais il restait encore à faire une exposition complète et systématique de sa doctrine poétique. L'étude d'Albert Autin (Henri Bremond, Lethielleux), qui date de 1946, n'avait ajouté que peu de chose à celle de Maurice Martin du Gard (De Sainte-Beuve à Fénelon : Henri Bremond, Kra, 1927), publiée du vivant de Bremond sans permettre au recul nécessaire du temps de faire son oeuvre. M. Moisan vient de répondre à notre attente.

Dans l'Histoire littéraire du sentiment religieux, Bremond avait assimilé la mystique à la poésie, sans que personne y trouve à redire. Or, devant les cinq Académies réunies, il a suivi le processus inverse, celui d'assimiler la poésie à la mystique — ce qui a divisé les cercles littéraires, scandalisant les rationalistes d'un côté et les hommes d'Eglise de l'autre. C'est le grand mérite de M. Moisan de s'être rendu compte que pour éclaircir le problème, il fallait commencer par analyser la conception bremondienne de la mystique, et passer ensuite à celle de la poésie. A plus forte raison fallait-il élucider le sens du mot « prière » chez Bremond ; ceux qui ont critiqué l'emploi de ce mot pour représenter l'expérience mystique trouveront dans le présent livre une analyse de la Philosophie de la prière de Bremond qui explique une fois pour toutes le sens très particulier que Bremond accordait à ce mot.

L'ordre des chapitres est excellent, puisque M. Moisan commence par Newman et Fénelon, pour passer ensuite à la poésie pure et au « je ne sais quoi » poétique. Si j'ai un reproche à lui faire, c'est de se limiter un peu trop à l'exposé des idées de Bremond, et même parfois à la paraphrase, alors qu'il aurait fallu analyser ou critiquer davantage. Lorsqu'il parle de Newman, par exemple, M. Moisan le voit un peu trop exclusivement à travers les yeux de Bremond, citant le Newman de ce dernier alors qu'il aurait fallu plutôt remonter aux sources. Il est intéressant à cet égard de voir que M. Moisan suit l'exemple de Bremond en attribuant au mot réaliser (« to realise ») un sens anglais qu'il ne possède pas (comprendre intuitivement, saisir la réalité d'une chose) : " to realise », c'est tout simplement se rendre compte.

Dans un livre sur Bremond qui prétend retracer les influences et les affinités, on aurait aimé voir l'auteur consacrer un peu plus à l'oeuvre de Maurice Blondel. M. Moisan admet, il est vrai, des analogies entre la philosophie de Blondel et celle de Bremond, mais ne fallait-il pas rappeler qu'elles remontent assez loin (au moins jusqu'à 1897) ? Bien que l'influence de Blondel sur Bremond soit fort inférieure à celle de Newman, Bremond lui-même a avoué que « la psychologie newmanienne de la foi est comme une introduction à la Philosophie de L'Action » (Newman, p. 326). La pensée de Blondel n'est pas seulement une analogie à citer à côté de la parabole claudélienne d'Animus et d'Anima : ce sont la métaphysique de Blondel et celle du P. Laberthonnière (dont le nom n'est pas cité par M. Moisan), jointes à l'influence de Newman, qui ont aidé le jeune Bremond à sortir de cet aristotélo-thomisme qui lui était


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si étranger. En revanche, il faut admettre que M. Moisan nous donne des pages excellentes sur l'influence de Barrès sur Bremond, et sur les affinités entre Bremond et des critiques anglais tels que J. Middleton Murry et A. C. Bradley.

Sans vouloir chercher chicane à M. Moisan, J'estime qu'il va un peu trop loin dans sa conclusion, en essayant d'établir des rapports entre Bremond d'un côté, Bachelard, la phénoménologie et l'existentialisme de l'autre. J'admets que les intentions de M. Moisan sont excellentes : faire sortir Bremond de son " purgatoire littéraire ». Mais est-ce bien là la meilleure façon de s'y prendre ? Lire Bremond, c'est se replonger dans les débats des années vingt, qui peuvent être pour certains du plus haut intérêt, mais qui ne sont pas toujours d'actualité aujourd'hui. Le véritable apport de Bremond, n'est-ce pas dans le cadre de son temps qu'il faut le chercher, plutôt que dans celui du nôtre? C'était un grand humaniste, qui a réussi à passionner les esprits et qui, dans une large mesure, se trouve avoir eu raison dans le débat de 1924-26.

Ceci dit, il reste que l'exposition faite par M. Moisan des idées de Bremond sur la poésie, et les efforts qu'il a entrepris pour le défendre contre les critiques mal fondées, feront beaucoup pour le réhabiliter. L'excellent chapitre sur la pureté de la poésie, qui replace le débat dans l'ensemble de l'histoire littéraire et où est évoquée l'atmosphère de l'entre-deux-guerres, ainsi que le chapitre sur la poésie pure où sont caractérisées les positions de Valéry et de Paul Souday, méritent l'attention de tous ceux qui s'intéressent à l'esthétique et à l'histoire littéraire du vingtième siècle.

KENNETH DUTTON.

Cent dix-neuf lettres d'Emile Guillaumin (1894-1951) (dont 73 inédites), éditées par ROGER MATHÉ. Paris, Klincksieck, Publications de la Faculté des Lettres de Paris-Nanterre, 1969. Un vol. 15 x 24 de 317 p.

M. Roger Mathé nous procure une excellente édition de cent dix-neuf lettres d'Emile Guillaumin. Au terme d'une patiente enquête, il nous restitue la biographie de tous les correspondants de l'écrivain-paysan et rétablit, autour d'une oeuvre classée comme ingénue, le milieu bâtard et curieux qui vit son éclosion. Comment peut-on fréquenter, en sabots, des personnalités parisiennes et rêver d'une carrière littéraire en restant paysan de son village ? Guillaumin se le demande, manant embarrassé lors même qu'il est devenu paysan parvenu. Peu à peu, sous nos yeux, l'écrivain consent à jouer le rôle de mentor, de sage ou de juge qu'on lui attribue quand il ne voulait être que le porte-parole d'une classe déshéritée. Pourtant le cas Guillaumin est à la fois moins étrange et plus révélateur qu'on ne pensait. La préface de M. Mathé met justement en scène les fils de la terre qui, d'une plume inexperte, tentèrent de dénoncer — et par là de conjurer — la malédiction de leur sort. La tâche de l'éditeur de cette correspondance était rendue ingrate par le choix à opérer dans la masse des lettres retrouvées. A juste titre M. Mathé a retenu essentiellement, pour les présenter dans l'ordre chronologique, les textes adressés aux amis et confrères et ceux qui " reflètent les activités littéraires, syndicales et les préoccupations, pourrait-on dire " sociologiques » du paysan Ygrandais » (p. 15). Cette anthologie est largement suffisante pour préciser et élargir l'image que nous conservions d'E. Guillaumin.

Au hasard d'une phrase nous découvrons par exemple le rôle joué par Les Annales dans l'éclosion d'une vocation littéraire (p. 36), l'importance insoupçonnée de la lecture de Bonnemère, historien du monde rural, mise en parallèle avec le témoignage des vieillards (p. 82), le désarroi causé par la publication des oeuvres de Ramuz ou le conseil d'un retour au genre des tableaux champêtres après le succès de Pesquidoux (p. 216). Surtout nous suivons le drame de conscience d'une homme confronté à la misère et à la guerre, dont le bon sens désenchanté tempère l'optimisme ardent du syndi-


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caliste. S'éclairent ainsi des prises de position politique que d'aucuns ont pu juger indécises ou déroutantes. Certes Guillaumin avait des amis à droite comme à gauche, mais son attitude demeure ferme et claire. Il suffit de le voir juger le groupe de Georges Valois ou la politique de Léon Blum pour discerner qu'il s'affirme idéaliste républicain, opposé au " réalisme » de l'Action Française et réaliste clairvoyant face aux projets du Front Populaire. On lira donc avec intérêt cette correspondance qui complète heureusement les travaux de M. Mathé. Peut-être trouvera-t-on superflu un commentaire stylistique de textes modernes, peut-être regrettera-t-on l'absence des réponses à ces lettres (le dialogue Larbaud-Guillaumin eût été de la plus piquante étrangeté). Ces réserves, fort minces, n'enlèvent rien au mérite d'une édition qui se justifiait dans le cadre de l'histoire littéraire contemporaine. Puisse-t-on, sans trop tarder, sur les traces de M. Mathé, publier les textes inédits d'un Pourrat et d'un Bachelin, autres témoins attendus des Lettres provinciales !

PAUL VERNOIS.

DENIS BOAK, André Malraux. Oxford, Clarendon Press, 1968. Un vol. 14,5 x 22,5 de xiv-268 p. et 1 photo h. t.

Il est bien tôt pour apprécier l'oeuvre et le personnage de M. André Malraux. M. Denis Boak, Senior Lecturer de littérature française moderne à l'Université de Hull, le fait remarquer lui-même. La justification de ce livre, pour un lecteur français en tous cas, ne se trouve ni dans la méthode employée, ni dans les conclusions auxquelles parvient M. Boak, mais, peut-être, dans l'attitude particulière de celui-ci à l'égard de l'écrivain qui l'intéressait.

La méthode, en effet, tout à fait traditionnelle, ignore franchement les voies nouvelles de la critique littéraire sans pour autant offrir les garanties de l'érudition. Chaque oeuvre est envisagée à son tour et à sa place chronologique, si bien que l'ouvrage se présente moins comme une étude d'ensemble que comme un chapelet de dissertations à l'ordre immuable : ainsi, pour les romans, se succèdent scolairement l'analyse des personnages, l'examen du style, puis un jugement de valeur où sont pesés défauts et qualités — par exemple M. Boak considère L'Espoir comme

a considérable achievement, ranking next to La Condition humaine as Malraux's best work (p. 136)

the novel remains — in my judgement — not only the finest roman engagé of the century, but indeed the only one which is fully satisfactory on both the emotional and intellectual planes (p. 134)

La « Conclusion » proprement dite est particulièrement révélatrice d'une conception fort contestable de la critique. Elle est formée pour la plus grande partie d'une suite de comparaisons ou de parallèles, nécessairement superficiels, entre M. Malraux d'une part et, d'autre part, Saint-Just, Stendhal, Dostoïevski, Barrés, T.E. Lawrence, Nietzsche, accompagné de plusieurs écrivains allemands, Saint-Exupéry, J.-P. Sartre et Camus... Le reste tente de caractériser l'auteur mais n'offre en fin de compte que l'étiquette bien peu satisfaisante de " poète romantique ».

La bibliographie, assez complète, est empruntée à M. J. Hoffmann 1, mais M. Boak ne l'a guère utilisée que pour le domaine anglo-saxon et, s'il cite fréquemment M. Frohock 2, il ne se réfère jamais, par exemple, aux articles publiés par M. L. Goldmann et son équipe — alors qu'il s'agit du travail le plus intéressant de ces dernières années, malgré les réserves qu'il suscite.

Toutefois, en dépit d'éléments si décevants qu'ils peuvent parfois irriter, ce livre est attrayant par son ingénue et sévère impartialité. Alors que tant

1. J. Hoffmann, L'Humanisme de Malraux, Paris, 1963 (cit. Bibliographie p. 254).

2. Voir le compte rendu de Style and Temper dans la R.H.L.F., mars-avril 1969, p. 342-343.


COMPTES RENDUS 539

d'ouvrages critiques, même (et surtout ?) relatifs à des contemporains, appartiennent à la catégorie de l'hagiographie, il est rafraîchissant de lire d'aussi franches appréciations. D'emblée, M. Boak nous prévient que le terme « critique » doit être pris dans son sens plein (p. viii), qu'il aime d'autant moins l'oeuvre de son auteur qu'il l'approfondît davantage (p. i) et que, " taken all in all, Malraux présents a compelling rather than an appealling personality » (p. 16-17). Au cours de ses analyses, il souligne joyeusement un goût excessif pour le « thriller » et le mélodrame " de magazines d'adolescents », de nombreuses faiblesses dans la construction des intrigues et surtout des personnages, enfin le caractère confus et verbeux d'une philosophie qui serait d'ailleurs plutôt une " Weltanschauung » teintée de nietzschéisme. Plus grave, il s'inquiète alors d'une éthique fondée sur une mythologie de la volonté et de l'héroïsme, et, lorsqu'il note au sujet de Garine que " in other circumstances he could just as easily have become a fascist » (p. 48), nul doute qu'il ne songe également à l'auteur des Conquérants.

Bref, ce n'est pas un livre indifférent.

MICHEL PICARD.

EUGÈNE VAN ITTERBEEK, Tekens van leven. Beschouwingen over het schrijverschap. Bruxelles-La Haye, Manteau, 1969. Un vol. 20 x 12,5 de 160 p.

Sous le titre de Signes de vie. Considérations sur l'acte d'écrire, l'auteur a réuni une dizaine d'essais. Dans la première partie il part d'un certain nombre de théories sur l'essence de la littérature et de la critique littéraire (Breton, Sartre, Leiris, Fouchet, Robbe-Grillet, Doubrovski, Barthes, etc.) pour aborder quelques questions de valeur centrale : la tension, dans l'oeuvre littéraire, entre langage et réalité de la vie quotidienne ; le K comment » de l'engagement littéraire ; la valeur de la critique en fonction de ces problèmes. Au fond, ce sont des confessions d'un homme de lettres qui sent le besoin de justifier sa rage de lire dans une société qui est prisonnière de la technologie et qui menace de reléguer le livre parmi les choses inutiles.

Nombre d'auteurs actuels prennent part eux-mêmes à la démythification de la littérature. La notion du poète divinement inspiré, à qui seul un langage plus élevé que la langue de tous les jours peut servir d'instrument artistique, semble souffrir d'une condamnation générale. A lire bien des oeuvres littéraires contemporaines, on a l'impression d'assister à une mise en question, sur un ton qui touche au cynisme macabre, des valeurs littéraires pures. L'engagement semble être irréfutablement admis. Mais quel engagement ? Celui de Sartre ou celui de Breton? Et quand un nouveau romancier comme Robbe-Grillet écrit " l'engagement, c'est pour l'écrivain la pleine conscience des problèmes actuels de son propre langage », n'est-il pas plus proche de l'engagement sur le seul plan du langage, de Breton, que de celui de Sartre qui invite l'auteur à se mêler à la vie sociale et politique au-delà de l'oeuvre littéraire ? Le romancier ou le poète crée un monde à base de mots, mais il doit le rapprocher des choses à tel point que la seule confrontation du monde fictif et du monde réel rend ce dernier problématique. Telle semble être une solution possible du problème harcelant de l'engagement.

La tâche du critique actuel semble devoir se définir en fonction de ces problèmes. Les considérations que le texte envisagé éveille en lui répondent en écho à l'auto-réflexion incluse en toute oeuvre d'art authentique et doivent activer le processus de « signification » de cette oeuvre. Ethique et esthétique sont inséparables dans le domaine de la littérature. Les études sur Julien Green, Malraux, Jean Cayrol, George Pérec et Le Clézio, rassemblées dans la deuxième partie de l'ouvrage, constituent un plaidoyer vivant et convaincant pour la validité d'une telle thèse Surtout les pages sur Le Clézio sont écrites avec tant de conviction intérieure qu'elles invitent le lecteur à reprendre en


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main ces romans fascinants. C'est là, ce me semble, une preuve éloquente de leur justesse, puisqu'un même appel se dégage de ces romans eux-mêmes, dont l'un se termine par une invitation directe au lecteur de continuer le jeu.

Pourtant, malgré les bonnes qualités de cet ouvrage, l'auteur nous laisse un peu sur notre faim. Plutôt que de réunir dans la première partie des essais sur d'autres critiques littéraires il aurait dû donner une justification d'ensemble de sa propre méthode. Ainsi il aurait pu éviter les répétitions et les digressions qui déparent son livre. Il aurait posé moins de questions, et ses réponses plus développées et plus étayées auraient pu prévenir une question fondamentale qui n'a cessé de s'imposer à moi tout au long de la lecture de l'ouvrage : les problèmes avec lesquels se débattent les écrivains de nos jours sont-ils essentiellement différents de ceux qui ont préoccupé les écrivains depuis toujours, ou est-ce que l'on reprend, malgré tout, les mêmes problèmes, mais plus consciemment et en des termes mieux adaptés aux exigences de sincérité totale et de dévoilement complet de notre époque ? La revendication de textes purement " documentaires » aboutit-elle vraiment à une démythification de la littérature, ou est-ce qu'elle nous réconcilie, sous une forme plus admissible que celle du vraisemblable ou celle du vrai historique, avec le mensonge éternel qui s'appelle " littérature » ?

J. TANS.

MIKHAÏL ARNAOUDOV, Licnosti i problemi v evropeiskata literatoura [Figures et problèmes de la littérature européenne]. Sofia, Éditions Naouka i izkoustvo [Science et art], 1968. Un vol. 59 x 84 de 378 p.

Ancien recteur de l'Université de Sofia, ancien titulaire de la chaire de littérature comparée, membre de l'Académie bulgare des Sciences, le Professeur Mikhäil Arnaoudov, pendant les quinze dernières années, a publié une dizaine d'ouvrages sur l'histoire littéraire et le folklore bulgares et comparés, dont celui que nous signalons aujourd'hui est un des plus récents.

Si nous retenons cet ouvrage de l'éminent comparatiste bulgare, recueil d'études et d'articles sur les littératures européennes, c'est qu'il comprend onze études et articles consacrés à la littérature française. Une brève préface de l'auteur tient à nous avertir que les textes ici réunis, esquisses biographiques et portraits psychologiques, ou études plus amplement développées, ne prétendent guère remplacer des exposés systématiques que le lecteur pourrait trouver ailleurs. Ces textes peuvent être lus — dit notre auteur — comme des causeries de critique littéraire librement choisies pour aiguillonner la soif et l'intérêt chez le lecteur qui voudrait communier dans l'oeuvre, la pensée et la vie des grands créateurs de la littérature universelle tels que Molière, Voltaire, Rousseau, Herder, Goethe, Balzac, Pouchkine...

Les trente pages consacrées à Molière, qui ouvrent le volume après un texte de caractère général sur la personnalité créatrice en littérature, introduisent le lecteur à la vie de l'écrivain, aux péripéties de son destin et à son oeuvre dramaturgique. L'auteur bulgare résume brièvement les comédies les plus importantes de Molière d'où il tire sa philosophie pratique et ses idées sur le genre comique.

Outre les articles sur Racine, Voltaire, Rousseau, on remarquera « Lamartine en Bulgarie », récit du séjour du poète au retour de son voyage en Orient, en 1832-1833. A Plovdiv, chef-lieu de la Bulgarie méridionale, qui est la première étape du voyage de Lamartine à travers la Bulgarie, le poète, fatigué du long itinéraire et des moyens de transport encore primitifs, prend un repos d'une semaine, installé dans une belle maison située sur une des cinq collines de la ville d'où se découvrait un joli panorama vers la chaîne des Rhodopes, berceau mythologique d'Orphée. Aujourd'hui, la maison qui fut habitée par le poète de Jocelyn porte une plaque commémorative avec cette inscription


COMPTES RENDUS 541

en langue française : « Dans cette maison le poète Lamartine a reçu l'hospitalité au cours de son voyage en Orient, Juillet 1833 ». Une des chambres de cette maison est convertie en petit musée.

Après des études consacrées à Vigny, Musset, George Sand, Balzac, SainteBeuve, illustrées parfois de citations dans le texte original (sans traduction en bulgare), Chateaubriand, George Sand, Hugo, Stendhal, Balzac, Flaubert, Zola sont l'objet de brèves et pénétrantes remarques dans l'étude intitulée « Le roman au xixe siècle » où l'auteur retrace son évolution en Occident et en Russie. Cette étude clôt la partie française de l'ouvrage.

NICOLAÏ DONTCHEV.

MARIA KOSKO, Le Fils assassiné (AT 939 A). Étude d'un thème légendaire. Préface de KURT RANKE. Helsinki, FF Communications N° 198, 1966. Un vol. in-8° de 364 p.

Les études de thèmes, telles qu'on les avait conçues depuis des générations, ont irrémédiablement perdu leur assise méthodique commune, depuis les recherches de M. J.-P. Weber : il ne s'agit plus de faire l'historique plus ou moins complet d'un thème, de rendre compte de ses métamorphoses et de sa fortune, mais de retrouver « la trace qu'un souvenir d'enfance a laissée dans la mémoire d'un écrivain » 1. Si aux États-Unis les études traditionnelles de thèmes commencent à jouir d'une grande faveur, en Allemagne, par contre, fief par excellence de la Stoffgeschichte, elles sont tombées en discrédit. Elisabeth Frenzel 2 a beau tenter de les repenser en termes nouveaux — le thème peut être constitué par trois strates de signification toujours plus vastes : la matière, le motif intégré à l'oeuvre d'art, le symbole —, aucune analyse concrète n'est venue confirmer ses vues jusqu'à l'heure actuelle. La confusion semble régner : entre les études de M. Trousson qui plaide pour une intégration de la thématologie à l'histoire des idées 3 et le dernier article de M. Rousset4, dans lequel il analyse l'épanouissement de la structure d'un thème précis au cours de l'histoire littéraire, il n'y a pas de commune mesure.

Le présent ouvrage, remarquable par la richesse de ses informations et la perspicacité des analyses, met en évidence le problème fondamental des études de thèmes. Livre fort attendu — l'auteur, Maria Kosko, en avait donné deux études préliminaires 5 — et finalement publié à titre posthume, grâce aux soins des éditeurs des Folklore Fellows Communications. En effet, Kosko ne présente pas seulement un recensement complet, ou peu s'en faut, des versions connues sur le thème du fils assassiné, les citant ou les résumant en français, mais encore une analyse à la fois génétique, structurale et historique du thème. Quoique l'auteur se défende expressément d'avoir des " prétentions scientifiques», elle adopte inconsciemment une position déterminée, à mi-chemin entre l'ethnologie et la littérature comparée.

Maria Kosko présente d'abord le thème, comme à vol d'oiseau, tel qu'il apparaît dans les versions connues ; puis en une étude magistrale, elle résume l'histoire des recherches, qui ressemblèrent souvent à une chasse au mystère, pour ensuite faire le point sur l'état présent des études sur le sujet. La

1. C'est la définition même du thème qu'offre M. Weber à la p. 9 de son ouvrage Domaines thématiques, Gallimard, 1953.

2. E. Frenzel, Stoff-, Motiv- und Symbolforschung, Stuttgart, 1966.

3. R. TROUSSON, Un Problème de littérature comparée, Les études de thèmes, Essai de méthodologie, Minard, 1965.

4. J. Rousset, « Don Juan et les métamorphoses d'une structure », La Nouvelle Revue Française, septembre 1967, p. 480-490.

5. M. Kosko, Le Thème de Mateo Falcone, Nizet, 1960 ; « L'auberge de Jérusalem à Dantzig ", Fabula, vol. 4, 1961, p. 81-98.


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deuxième et la troisième partie de l'ouvrage sont consacrées aux versions historiques, du xviie et du xviiie siècles, ainsi qu'aux traductions populaires de notre époque. Un chapitre spécial (la quatrième partie) réunit une quinzaine de récits ayant paru dans la presse quotidienne ou racontés dans des correspondances privées. M. Kosko consacre à un troisième groupe, les versions dramatiques, le chapitre le plus intéressant de son étude 1. On pourrait lui reprocher cette division en trois groupes, d'autant plus qu'elle n'est pas toujours rigoureusement suivie : sous les versions historiques et les traditions populaires se cachent maintes oeuvres littéraires, comme la ballade de Billie Potts, de R. Penn Warren, ou la nouvelle italienne de Vincenzo Rota, qui auraient mérité une analyse aussi poussée que celles dont sont l'objet les pièces de théâtre ; d'autre part des versions littéraires non dramatiques sont introduites subrepticement dans la revue des oeuvres dramatiques (p. 310, 313). La sixième et dernière partie renferme les conclusions de l'auteur, qui dresse en quelque sorte l'arbre généalogique du thème, faisant la statistique des similitudes et des divergences, mais qui se livre aussi à des considérations d'ordre géographique — l'étalement des diverses variantes —, esthétique — évolution de la structure interne en raison des changements dans la composition du thème —, ou même sémiologique, puisqu'elle résume, avec une grande largeur de vues, les diverses couches de signification que le thème peut assumer. Une bibliographie détaillée ajoute encore à la valeur de ce livre 2.

Le danger inhérent aux études de thème — l'ouvrage de M. Kosko représente un modèle du genre — est celui d'un faux déterminisme. C'est aller un peu vite en besogne que d'affirmer, sur la simple base des versions connues, que le thème a dû prendre à un moment donné telle ou telle forme. C'est nier la puissance créatrice des narrateurs ou dramaturges (comme le fait M. Kosko expressément à la p. 342). Mais on n'en saurait faire grief à l'auteur, puisque ni la critique ni les esthéticiens n'ont encore analysé les ressources et les contraintes d'un sujet donné. L'ouvrage de M. Kosko offrirait à une telle analyse une première base solide 3.

MIREILLE FRAUENRATH.

1. M. Kosko y développe l'intéressante idée qu'elle avait déjà mentionnée dans une note-réponse à un article de R. Virtanen, 3 Camus ; Le Malentendu and Some Analogues ", Comparative Literature, vol. X, 1958, p. 232 s., à savoir que le thème du fils assassiné repiésenterait pour les auteurs dramatiques un " faux bon sujet ».

2. Il est naturel qu'on y trouve quelques lacunes : l'important livre de E. Wismer, par exemple, sur Der Einfluss des deutschen Romantikers Zacharias Werner in Frankreich, thèse de l'Université de Neuchâtel, Affoltern, 1928, ou l'article de H. Moenkemeyer : " Motivierung in Zacharias Werners Drama "Der Vierundzwanzigste Februar" », Monatshefte, vol. 50, Madison, Wisc., 1958, p. 105-118, article que son auteur a développé plus tard sous le titre de " The Son's fatal Home-coming in Werner and Camus », Modern Language Quaterly, vol. 27, 1966, p. 51-67. D'autre part, nous avons découvert quatre versions que M. Kosko ne mentionne pas : Encore un crime (pièce anonyme, créée en 1797, et dont le texte est introuvable) , H. M. Milner, The Gambler's Fate or the Hut on the Red Mountain, une adaptation du mélodrame de Ducange, jouée la même année, soit en 1827 ; une nouvelle de Heimito von Doderer, Zwei Lugen oder eine antikische Tragodie auf dem Dorfe, datant de 1932 ; et une ballade d'August Betz . Die Eltern als Sohnesmorder.

3. Nous sommes en train de tenter une telle analyse.


CORRESPONDANCE

A la suite de l'article de M. Joseph Palermo paru dans notre fascicule n° 2 de 1969, nous avons reçu une lettre de M. Pierre Jourda qui nous prie d'insérer les remarques suivantes :

Monsieur J. Palermo a publié récemment dans la Revue d'Histoire littéraire de la France un article sur «L'historicité des devisants de l'Heptaméron ". Il m'y accorde des éloges — excessifs — dont je le remercie, et y soutient une thèse qui me paraît discutable. J'ajoute tout de suite que ne suis pas seul de cet avis.

M. Palermo admet " l'actualité [...] la vérité historique » du livre de Marguerite de Navarre. S'agissant des devisants, « ce petit cercle d'amis », il rejette les identifications qui, depuis Le Roux de Lincy et Montaiglon, sont généralement admises. Il n'admet pas la traduction proposée des noms des devisants, « anagrammes prétendues et d'ailleurs imparfaites », qui, dit-il, s'accordent mal avec la chronologie réelle et ne correspondent pas au véritable caractère historique des personnages supposés. Après quoi, il propose d'autres identifications.

Il semble oublier que le jeu des anagrammes a été courant au xvie siècle, la plus célèbre étant celle d'Alcofribas Nasier. Notre confrère R. Lebègue l'a montré dans une récente communication à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Ces anagrammes, dit M. Palermo, sont imparfaites. Peut-être. Il semble tout de même difficile de ne pas retrouver dans le nom d'Oisille, dans ses différentes orthographes, celui de Louise, ni dans le nom de Hircan, celui d'Hanric. Préjugé favorable. Sans doute ces anagrammes ne sont pas parfaites : Marguerite n'est qu'un écrivain amateur, et aussi use largement de la liberté du romancier. Et si Oisille dissimule le nom de Louise de Savoie, et Hanric celui d'Henri d'Albret, il y a là une forte présomption en faveur des identifications traditionnelles.

M. Palermo propose de voir derrière chacun des devisants d'autres personnages que ceux qui sont admis traditionnellement. Et donc, d'après lui, Oisille ne serait pas Louise de Savoie mais Marguerite elle-même. La raison ? Louise de Savoie n'était pas acquise, comme Oisille, aux idées nouvelles. Mais Oisille apparaît-elle comme une réformée ? J'en doute. C'est, sans plus, mais c'est déjà beaucoup, une bonne chrétienne qui lit l'Ecriture. Marguerite lui prête, peut-être, quelques-unes de ses idées. Faut-il s'en étonner ? Elle a vu, en 1547, sa mère telle qu'elle aurait souhaité la voir. Quant à dire qu'Oisille est Marguerite, on hésite. Oisille est veuve. Marguerite ne l'est pas. Le fait qu'elle ne s'entende pas avec son mari ne suffit pas pour la dire veuve. M. Palermo, pour renforcer son propos, cite la quatrième nouvelle qui met en scène la reine de Navarre même. Or la personne dont il s'agit dans cette nouvelle est deux fois veuve et n'a pas d'enfants. Marguerite transpose pour dérouter son


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lecteur : elle n'a été veuve qu'une fois ; elle a eu une fille. La reine romance, comme elle en a le droit.

Si Marguerite est Oisille, elle ne peut être, comme on l'admet, Parlamente. Qui donc se cache sous ce nom ? Il s'agit, dit le Prologue, d'une jeune mariée, fort intelligente et cultivée. Et M. Palermo écrit : c'est Catherine de Médicis, épouse de Henri II. Mais la Florentine avec ses gros yeux ronds et sa bouche épaisse était-elle si belle que le dit M. Palermo ? A-t-elle prêté l'oreille aux Evangéliques et protégé les Réformés ? M. Palermo affirme gratuitement l'intérêt porté par Catherine à la Réforme : que fait-il de la Saint-Barthélémy ? Catherine de Médicis a-t-elle résidé à Nérac ? Est-elle allée à Cauterets ? Il ne suffit pas de substituer un nom à un autre pour dire vrai.

D'autant que si Parlamente est bien Catherine de Médicis, Hircan, son mari, est nécessairement Henri H. On demeure surpris. Quel rapport entre le volage Hircan, léger et caustique, et Henri II, caractère froid et guindé, esprit sec et médiocre, caractère faible, dominé, presque écrasé par Diane de Poitiers, de vingt ans plus âgée que lui, et par Montmorency. On voit mal les ressemblances entre Hircan le Gascon et le roi de France. Ajoutons qu'en 1546-1547, alors que la reine de Navarre travaille encore à son livre, et qu'elle écrit le Prologue, le nouveau roi tient sa tante à distance et lui marque une froideur qui la navre. L'heure est passée de la faveur fraternelle, au temps de la trinité royale...

Nomerfide, poursuit M. Palermo, n'est autre que la princesse Marguerite de France, la future duchesse de Savoie. Mais Nomerfide est la femme de Saffredant, et Marguerite de France ne s'est mariée qu'en 1557. Pourquoi la reine de Navarre aurait-elle fait de la jeune princesse une femme mariée ? De plus Nomerfide est une jeune femme aimable, gaie, assez susceptible, prompte à la réplique et assez libre dans ses propos, alors que la sage Marguerite de France paraît avoir été une princesse plus savante que vivante.

Dernière identification : Simontault ne serait autre que le connétable de Montmorency. Mais le connétable, disgracié depuis 1540, ne rentre en faveur qu'en 1547. Il se trouvait alors au plus mal avec la reine de Navarre. Il paraît difficile de penser que la reine ait voulu donner une place de choix dans son livre à des personnages, — le roi, le connétable — qui la tenaient à distance et lui marquaient leur défaveur.

Et ne parlons pas du fait qu'il y aurait eu quelque indiscrétion à mettre en scène le roi et la reine et à souligner dans le personnage d'Hircan les incartades du roi. Incartades, du reste, inexistantes, Henri II, d'humeur plutôt sombre, ayant été, on le sait, parfaitement fidèle à Diane de Poitiers.

Ces « identifications révisées » ne me paraissent pas très sûres, et l'argumentation de M. Palermo ne m'a pas convaincu. Hypothèse pour hypothèse, je crois que celle de ces parfaits érudits que furent Le Roux de Lincy et A. de Montaiglon demeure probable et mérite, seule, d'être retenue .

Nous avons communiqué ces observations à M. Joseph Palermo qui nous a adressé la réponse suivante :

Je remercie vivement Monsieur Jourda de l'intérêt qu'il porte à mes propos sur l'historicité des devisants de l'Heptaméron. On comprend facilement, bien entendu, qu'il soit peu disposé à abandonner à la légère des identifications qui, comme je l'ai dit dans mon article, ont été voici déjà longtemps érigées en quelque sorte en dogme littéraire. Mais, comme je l'ai aussi fait remarquer, je ne suis pas seul à sombrer dans l'hérésie de voir dans le personnage d'Oisille, non Louise de Savoie, dont le caractère n'est nullement celui du personnage fictif, mais l'auteur même de l'Heptaméron. Génin, éditeur des Lettres de Marguerite, P. Lacroix (Panthéon littéraire, p. xxvii), et Mme M.-J. Darmesteter, auteur de La Reine de Navarre, Marguerite d'Angoulême, entre autres, auront à coup sûr à monter sur le bûcher à mes côtés.


CORRESPONDANCE 545

Je m'empresse aussi de rassurer M. Jourda : je n'ai pas du tout oublié l'importance du jeu des anagrammes au xvie siècle. Comment veut-on que je l'aie oublié, ce jeu, si j'en parle à plusieurs reprises dans mon article, si, en discutant le nom d'Hircan, j'admets volontiers " la possibilité d'un jeu de noms ", si je signale le jeu des syllabes dans les noms de Longarine et de Simontault ? Non, sûrement, je ne l'ai pas oublié. Mais même la popularité du jeu n'exige évidemment pas que les noms énigmatiques soient forcément anagrammatiques, et surtout pas quand l'anagramme est forcée, comme elle l'est certainement dans le cas d'Oisille. L'anagramme Alcofrybas Nasier, citée par M. Jourda, correspond parfaitement, lettre par lettre, au nom de Françoys Rabelais ; il me paraît singulièrement injuste de suggérer, comme paraît le faire M. Jourda, que Marguerite, n'étant qu'un " écrivain amateur », n'était pas capable d'en faire autant pour le nom de Louise. Si Marguerite n'a pas réussi une anagramme irréprochable du nom de Louise, ayant à sa disposition toute une série de variantes orthographiques possibles, il me semble plus raisonnable de croire qu'en l'occurrence elle n'a même pas joué au jeu de l'anagramme plutôt que de supposer qu'elle y a tout simplement mal joué. C'est, en tout cas, ce que, fort respecteux de la prouesse littéraire de Marguerite, je préfère croire.

Ce que j'ai essayé de montrer dans mon article, c'était tout simplement que, vu l'illusion d'historicité très soigneusement préparée qui caractérise le style de l'Heptaméron, la méthode des " ressemblances de caractères » élaborée par Mme Darmesteter est beaucoup plus susceptible de nous révéler l'identité des personnages historiques que celle des anagrammes douteuses. Les anagrammes sûres, comme celle d'Alcofrybas Nasier, sont évidemment hors de cause ; du reste, hélas, on n'en trouve pas dans l'Heptaméron ! Mais quand les anagrammes douteuses, comme celle d'Oisille, nous amènent à des contradictions historiques manifestes, telle la mise en scène, dans un cadre voulu historiquement vraisemblable, d'un personnage historique déjà mort depuis quinze ans, il me semble qu'il est sage de renoncer à l'anagramme contestable et de chercher ailleurs des critères plus solides. J'ai essayé de montrer dans mon article — et il me paraît inutile de répéter ici mon argumentation — que le caractère d'Oisille ressemble beaucoup plus à celui de Marguerite qu'à celui de Louise de Savoie. J'y ai fait remarquer — et ce n'était pas la raison, comme le veut M. Jourda, mais une raison, parmi d'autres — qu'Oisille prônait vivement la lecture de l'Écriture. M. Jourda ne voit dans ce fait qu'une " bonne chrétienne qui lit l'Écriture ». Faut-il trop insister sur le fait qu'avant la Réforme — et après la Contre-Réforme — vu l'attitude formelle de l'Église à cet égard, les bonnes chrétiennes, telles, par exemple, la mère de Villon ou Jeanne, la bonne Lorraine, ne lisaient pas les saintes Écritures, et surtout pas en langue vulgaire ? La lecture quotidienne de l'Écriture — et M. Jourda le sait aussi bien que moi — est précisément l'une de ces " idées nouvelles » auxquelles était acquise Marguerite, mais qui étaient encore étrangères aux moeurs religieuses de la bonne chrétienne catholique qu'était Louise de Savoie.

Pour ce qui est de Catherine de Médicis, je ne réponds pas de sa beauté. Si « ses gros yeux ronds et sa bouche épaisse » rebutent M. Jourda, je n'y peux évidemment rien. De gustibus et coloribus non disputandum est. Mais, ce qui est vraiment sérieux et déconcertant, c'est que M. Jourda m'accuse d'affirmer « gratuitement » un fait que n'importe qui pourrait sans la moindre difficulté vérifier dans n'importe quelle histoire de France. S'il m'avait fait l'honneur de contrôler la référence donnée en note (n° 4) à la page 199 de mon article, il se serait rendu compte du bien-fondé de mes assertions au sujet des rapports de Catherine avec les Réformés. J'ai déjà dit dans mon article ce que je fais de la Saint-Barthélémy ; je me permets donc de me demander ce que, pour sa part, M. Jourda fait de l'édit d'Amboise de la Saint-Joseph de 1563. Ainsi, n'était-ce pas notre Catherine qui, par l'édit de Saint-Germain, accordait la liberté de conscience aux calvinistes et le droit de prêcher en public hors villes ?

REVUE D'HIST. LITTÉR. DE LA FRANCE (70e Ann.). lxx. 35


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En fait d'affirmations gratuites, je me permets aussi de me demander pourquoi M. Jourda a tenu à surnommer Hircan «le Gascon ». Je ne me rappelle pas que Marguerite ait précisé le lieu d'origine de ce personnage dans son ouvrage. Il se peut bien, évidemment, que je me trompe, mais si elle l'avait fait, pourquoi Le Roux de Lincy, ce « parfait érudit » dont M. Jouida préfère l'hypothèse à la mienne, aurait-il vu caché dans le personnage d'Hircan, non Henri d'Albret, comme le veut M. Jourda, ni même Henri II, comme je l'ai suggéré, mais Charles d'Alençon, premier époux de Marguerite, qui sûrement n'a jamais passé pour gascon (cf. François, p. 447, note 12) ? Si j'interprète bien le texte de Marguerite (Prologue, p. 3), Hircan, comme Dagoucin et Saffredent, était l'un des trois gentilshommes français qui auraient survécu à une bagarre avec une bande de « bandoulliers ».

Je suis heureux aussi d'apprendre que les incartades du roi Henri II étaient inexistantes. Je ne savais pas, je l'avoue, que la « parfaite » fidélité à une maîtresse lave si efficacement l'infidélité à une épouse. Il y a là certainement un principe de moralité qui pourrait sans doute avoir à l'occasion une certaine utilité, mais, si je ne me trompe de nouveau, la « parfaite » fidélité de Henri II à sa maîtresse la plus célèbre était — admettons-le — tout au moins relative.

Mais l'essentiel du problème n'est pas dans les interprétations et préférences personnelles, pour lesquelles nous avons tous évidemment les mêmes droits et nos propres raisons. L'essentiel du problème est, à mon avis, la question de méthodologie. M. Jourda préfère, nous dit-il, sur l'autorité de ces « parfaits érudits que furent Le Roux de Lincy et A. de Montaiglon », la méthode des anagrammes, même, apparemment, si ces anagrammes sont imparfaites et donc discutables, et même si ces anagrammes mènent à des contresens manifestes. Moi, je préfère, je l'admets, faute d'anagrammes incontestablement valables, me fier pour l'identification des personnages au principe d'historicité préconisé par l'auteur dans le Prologue. Je ne crois pas, pour toutes les anagrammes estropiées du monde, que Marguerite de Navarre ait jamais pensé à fausser, dans cette ambiance de vraisemblance historique qu'elle a consciemment créée, la vie, la mort, le caractère, et les moeurs religieuses de sa mère, Louise de Savoie.

Nous considérons la discussion comme close. [N.D.L.R.].

A la suite de l'article de M. Jacques Scherer paru dans notre fascicule double n° 3-4 de 1969, M. John Cairncross nous a adressé les observations suivantes :

Dans ses Réflexions sur Armande Béjart, M. Scherer semble écarter ou méconnaître un certain nombre de faits que les récents moliéristes ont établis ou reconnus. Qu'il me soit permis de signaler ici quelques-uns des points litigieux.

Premier problème : l'identité d'Armande, et en particulier sa parenté avec Madeleine. M. Scherer est persuadé qu'Armande est la soeui de Madeleine ; il admet toutefois que « dès le xviiE siècle certaines personnes ont pu [...] dire que Madeleine était la mère d'Armande » (p. 394). Il faudrait dire en fait qu'à l'époque de Molière tout le monde était de cet avis, les ennemis aussi bien que les amis du dramaturge (Boileau et Grimarest) et jusqu'au greffier du procès qui lui fut intenté avant sa mort en 1673 1. Pour étayer l'opinion de M. Scherer, il n'y a que l'acte de mariage de Molière, avec lequel s'accordent naturellement les pièces officielles ultérieures.

1. Cf. Michaut, Les Débuts de Molière, p. 151, p. 3.


CORRESPONDANCE 547

Il y a plus. Les critiques reconnaissent en Armande la « petite non baptisée » de l'acte du 10 mars 1643. Or, de nouveaux documents ont récemment démontré que, comme le note M. Scherer, le père de Madeleine est mort en 1641. Il est donc impossible d'attribuer la maternité (au moins la maternité légitime) à la mère de Madeleine, et ce n'est qu'à la suite d'un fâcheux lapsus que M. Scherer (qui place la naissance d'Armande au début de 1641 au lieu de 1643) a pu soutenir l'opinion contraire. En outre, d'autres éléments, énumérés par M. Mongrédien, portent à croire que Madeleine est la mère d'Armande.

Le problème de la paternité est encore plus difficile. On doit toutefois remarquer que les contemporains n'ont cité que deux noms possibles : le comte de Modène et Molière lui-même. On ne voit pas pourquoi on devrait en envisager d'autres.

Pour Modène, nous savons que Madeleine a eu de lui un enfant en 1638, et Tallemant des Réaux (mal renseigné sur Molière, mais tout de même contemporain) fait état d'un mariage secret entre les deux amants. Grimarest, pour sa part, n'hésite pas à voir en Modène le père d'Armande. A l'appui de cette opinion, citons la tradition constante selon laquelle l'on fait appel au grandpère et à la grand'mère pour le baptême du deuxième enfant (le roi ayant accepté d'être parrain du premier). Or, les parrains du deuxième enfant de Molière étaient précisément Modène et Madeleine.

Si l'on objecte avec M. Scherer qu'à l'époque où Armande a été conçue, la compagne de Modène s'appelait Marie Courtin et non pas Madeleine Béjart, on peut répondre que, dans ce cas, M. Scherer, contrairement aux principe^ formulés dans son article, fait intervenir des « normes sociales acceptées » (p. 396). Le comte de Modène n'était pas homme à refuser de renouer des relations avec Madeleine tout en conservant sa maîtresse en titre. « Les scrupules moraux », comme le note avec raison M- Scherer, « n'ont pas pesé lourd » dans sa vie (ibid.).

Mais, il faut l'admettre, il n'y a pas moyen d'écarter a priori la paternité de Molière, et les ennemis de l'écrivain ont formulé l'accusation de façon assez ouverte. M. Scherer croit que la campagne a pris ses origines dans la fameuse requête de Montfleury au Roi. Nous n'en savons rien car, avec son insinuation « énorme », cette requête est contemporaine de l'accusation explicite lancée par Le Boulanger de Chalussay dans son Elomire Hypocondre qui remonte, j'ai essayé de le démontrer dans mon New Light on Molière (p. 55-74), à la fin de 1663. Il se peut tout aussi bien que Montfleury ait puisé son venin chez d'autres « anti-moliéristes acharnés ». Notons donc tout simplement que, tandis que Montfleury (s'adressant au roi) et la chanson atroce qui courait après la mort de Molière accusent l'écrivain d'avoir « épousé la fille et d'avoir autrefois couché avec la mère », Le Boulanger affirme que Molière s'est forgé une femme « avant le berceau » 1, qu'en 1675 Guichard déclare qu'Armande « est la fille de son mari, femme de son père » 2 et que La Fameuse Comédienne (vers 1688) écrit : tt II est difficile [...] de dire qui en était le père. On l'a cru fille de Molière, quoique depuis il en ait été le mari ; cependant on n'en sait pas bien la vérité » 3. Tout cela part évidemment de sources hostiles (mais bien renseignées), mais comme le remarque M. Mongrédien, ce « concert indique qu'ils traduisaient une rumeur communément admise » 4.

Même dans la Lettre sur la biographie de Molière de Grimarest (que l'on soupçonne d'être aussi l'auteur du commentaire), il est question de « fâcheuses préventions », et le biographe cherche à détruire « l'opinion eommune » (évidemment d'un mariage incestueux). Enfin, il faut remarquer le silence total sur ce chapitre des amis et de la troupe de Molière.

1. Mongrédien, La Vie privée de Molière, p. 86.

2. Ibid., p. 87.

3. Ibid., p. 87.

4. Ibid., p. 88.


548 REVUE D'HISTOIRE Ltteraire DE LA FRANCE

M. Scherer croit pouvoir laver l'écrivain de toute accusation d'inceste en affirmant : " Si l'on avait pu seulement soupçonner qu'il ait vraiment épousé sa fille, un scandale aurait nécessairement éclaté. Puisqu'il n'en est pas ainsi, il faut rejeter l'inceste au rang des inventions délirantes ». Cette mise au point est contestable à bien des égards. Soulignons d'abord la différence entre l'inceste et le fait d'avoir épousé la fille d'une ancienne maîtresse. L'inceste est impossible à démontrer matériellement, et par conséquent à refuser, Montfleury a dû s'en rendre compte et s'est contenté de la seconde accusation. Quant au scandale, il s'est bel et bien produit, et les témoignages contemporains cités plus haut l'attestent clairement. Si le roi a écarté la requête de Montfleury, et (en 1671) supprimé l'Elomire Hypocondre, cela démontre le crédit de l'écrivain plutôt que son innocence.

M. Scherer fait diverses conjectures sur la vie domestique de Molière. Il croit que l'éducation de la fille de l'écrivain « a pu consolider les liens du ménage » (p. 401), occupation un peu surprenante dans le cas d'un couple d'acteurs qui, comme le fait remarquer M. Scherer, « se sentent plus libres que des bourgeois normalement intégrés dans la société » (p. 396). En plus, il dégage des éléments d'équilibre dans l'activité théâtrale. Heureusement, il se hâte d'ajouter que des enfants, non plus que des liens professionnels, ne sauraient fonder nécessairement l'harmonie d'un foyer. En effet, l'on ne peut rien conclure quand à la stabilité du mariage (et à plus forte raison quant à l'entente sentimentale) en partant de la stabilité de la troupe.

M. Scherer observe d'autre part que le mariage « semble avoir été heureux jusqu'en 1666, puis à nouveau à partir de 1671 » (p. 401). S'il admet qu'un doute subsiste pour la période centrale, il ajoute que « les impressions qu'on peut avoir d'un éloignement entre les époux pendant ces années ne reposent finalement que sur des racontars » (ibid.). C'est là donner une interprétation très libérale du terme « racontars ». Citons plutôt la mise au point de M. Adam sur la question :

M. de Tralage écrit sur Armande : « La femme de Molière, entretenue à diverses reprises par des gens de qualité, et séparée de son mari ». Le comte de Limoges écrit à Bussy, le 2 mars 1673 . « Il est vrai que la perte de Molière est irréparable , je crois que personne n'en sera moins affligé que sa femme ».

Rien n'autorise à récuser ces témoignages. Il en est d'autres qui émanent d'ennemis déterminés d'Armande ; toutefois, ils prétendent tous non pas apporter des révélations mais constater une opinion générale, admise, indubitable. Guichard n'est certainement pas un témoin impartial, mais dans un factum, dans une pièce par conséquent qui sera discutée par la partie adverse, qu'il n'a donc aucun intérêt à affaiblir par des allégations contestables, il écrit . « Elle a toujours vécu dans un adultère public ». Il dit cela en 1675, à une date par conséquent où, s'il mentait, l'imposture éclaterait aux yeux de tous. Ajoutons que, dans le même factum, il attaque avec violence un certain nombre de personnages, et que pour eux tous l'histoire est obligée d'avouer qu'il n'a rien inventé. L'auteur de la Fameuse comédienne a commis sur la chronologie des erreurs certaines, mais sur le fond il n'avance rien que Tralage ne dise sous une forme plus brève, rien que la lettre du comte de Limoges ne fasse entendre [...]

Même si l'on se contente d'accuser Armande de coquetterie, cela suffit à expliquer les bruits qui coururent très vite sur le ménage et les plaisanteries grossières que se permirent les ennemis de l'écrivain dès 1663. Sa jalousie fut connue et exploitée par tous ses rivaux. Des bruits plus précis et plus graves coururent. On répéta que la jeune femme avait pour son mari une horreur physique, et Guichard ose écrire qu'Armande ne résista jamais « qu'à un seul homme, son mari » 1.

1. A. Adam : Histoire de la littérature française au xviie siècle, tome III p. 231232.


CORRESPONDANCE 549

A toutes ces affirmations, M. Scherer n'oppose qu'une affirmation gratuite, une hypothèse et une interprétation contestable des oeuvres de Molière. Il affirme qu'il « est rare et peu croyable qu'en onze ans de mariage un homme ne se détache pas d'une femme qui s'est détachée de lui » (p. 403). C'est là, remarquons-le, non pas une règle infaillible mais une tendance, et l'on serait bien imprudent de vouloir appliquer une vérité moyenne à un homme comme Molière.

L'hypothèse (d'ailleurs extrêmement vague), c'est que Molière ait imaginé « quelque chose (lui si inventif quand il s'agit de théâtre) pour sortir d'une situation si humiliante et si pénible» (ibid.). C'est fort possible, mais peut-on mettre l'activité littéraire sur le même plan que la vie des sentiments, qui se laissent beaucoup moins facilement manoeuvrer que des personnages littéraires ? L'on ne voit vraiment pas pourquoi il faudrait rejeter la version traditionnelle qui nous montre Molière disposé à se consoler avec la de Brie ou avec son travail, « en vrai philosophe », comme disait Grimarest.

Suivons enfin M. Scherer sur les sables mouvants de l'interprétation de la vie d'un auteur à la lumière de sa création. Les oeuvres de Molière, affirme-t-il démontrent « la folie, le ridicule et au total l'inefficacité d'un sentiment jaloux » (p. 402). Mais ni l'inefficacité ni le ridicule n'ont jamais empêché un jaloux de succomber à son travers. L'on était en droit de croire liquidé un point de vue hypercritique et systématiquement négateur dans les études moliéresques. Par exemple, la conclusion de Michaut sur la maternité de Madeleine :

Les actes officiels sont là. Tous les efforts qu'on a pu faire pour leur dénier leur valeur restent vains. Comme le dit excellemment Gaston Paris . " Cela n'a pas l'ombre de la vraisemblance et l'on ne peut voir dans cet acharnement à vouloir établir une hypothèse inutile et dénuée de fondement qu'un exemple de la force d'une opinion préconçue ».

Le malheur est que des documents trouvés quelques années plus tard ont infligé un démenti éclatant à ces affirmations « objectives » et de « bon sens ».

Pourquoi revenir à ces perspectives critiques, aujourd'hui discréditées à juste titre et qui n'apportent aucun élément nouveau à l'interprétation des oeuvres de Molière ?

Nous avons communiqué ces remarques à M. Scherer, qui nous a fait parvenir la réponse qui suit :

Je cherche en vain les « faits » que promet M. Cairncross dans la première phrase de son long commentaire. Tous les témoignages qu'il invoque ne me paraissent que des allégations reproduisant, dans un état d'esprit que je crois injustifié, d'autres allégations qui, pour remonter au xviie siècle, n'en sont et n'en demeurent pas moins sans preuves. Il a rappelé, mieux que moi, que des contemporains de Molière ont cru celui-ci incestueux ; il ne m'a pas convaincu qu'ils aient raison.

Un seul détail peut être considéré comme un « fait » et mériter discussion. C'est celui qui, au troisième paragraphe, porte sur la date de naissance d'Armande. M. Cairncross tient pour la date traditionnelle de 1643. Il m'accuse de rnêtre écarté de cette date (qui n'est attestée par aucun document) et de lui avoir substitué celle de 1641 à la suite de ce qu'il appelle un « fâcheux lapsus ». Il n'y a pas là le moindre lapsus, et M. Cairncross a mal lu le passage, pourtant clair, où je fonde cette date de 1641 sur le contrat de mariage disant qu Armande est âgée de vingt ans ou environ en janvier 1662. Cette si simple et si évidente constatation arithmétique n'a même pas le mérite d'être originale ; je l'ai tirée d'un ouvrage récent et qui fait autorité, les Cent ans de recherches sur Molière de Madeleine Jurgens et Elisabeth Maxfield-Miller 1.

1. Paris, 1963, p. 130.


550 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

Pour le reste, c'est-à-dire pour l'immense domaine où les « faits » nous manquent, chacun jugera de la vraisemblance des diverses réflexions. Je ne critiquerai pas les critiques de M. Cairncross parce qu'elles ne contiennent rien dont il soit possible de démontrer objectivement la fausseté ou la vérité. Je ne crois pas, ce faisant, que je donne de ce que signifie le mot « racontar » l'a interprétation très libérale » que me reproche M. Cairncross. Le Dictionnaire de Robert définit ainsi le terme racontar : « Nouvelle peu sérieuse, propos médisant ou sans fondement sur le compte de quelqu'un ». Et il renvoie, pour éclairer cette notion, aux mots bavardage, cancan, commérage, conte, médisance, ragot. Les nombreux textes que la contribution de M. Cairncross a le mérite de rassembler sont effectivement « sans fondement ». Je ne puis donc croire réel le « démenti éclatant » que M. Cairncross fonde sur de prétendus tt documents » dont je nie l'existence : je ne prends pas des racontars pour des documents.

Enfin, je reviendrais, toujours selon M. Cairncross, à des perspectives critiques qu'il trouve dépassées et qui expriment un point de vue tt négateur ». Si la perspective qui a ses faveurs et qui serait en vogue est celle d'un Molière romantique, je suis heureux de ne pas être à la mode. Ma démarche pour autant n'a rien de négateur : elle propose au contraire une reconstitution psychologique, que je crois vraisemblable et fondée sur les faits attestés, d'une situation controversée avec passion.

Après cet échange de vues, nous considérons la discussion comme close (N.D.L.R.).

INFORMATION

M. Lloyd James Austin, professeur à l'Université de Cambridge, prépare les derniers volumes de la Correspondance de Mallarmé (entreprise par le regretté Henri Mondor, d'abord avec M. Jean-Pierre Richard pour le t. I, ensuite, dès 1959, avec M. Austin qui, après la mort de M. Mondor en 1962, publia le t. II en 1965 et le t. III en 1969 — voir Les Éditions de Correspondance, p. 49-57). M. Austin serait très reconnaissant aux bibliothécaires, archivistes, collectionneurs, libraires spécialisés et savants de bien vouloir lui signaler les lettres autographes écrites par Mallarmé ou adressées à lui, ou de lui en communiquer des microfilms ou des photocopies. Adresse : 14 Park Terrace, Cambridge, CB1 1JH, Angleterre.


BIBLIOGRAPHIE

Dans ce numéro, tous les ouvrages et articles cités ont été publiés en 1969.

Les livres sont distingués des articles par un astérisque. Les numéros spéciaux comportant plus de six articles ne seront dépouillés que dans le volume annuel.

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Le Directeur de la publication : GUY DESGRANGES.

Imprimé en France pour la Librairie ARMAND COLIN en Mai 1970

par l'Imprimerie R. BELLANGER ET FILS à La Ferté-Bernard (Sarthe)

Dépôt légal effectué dans le 2° trim. 1970 — N° Impirmeur : 772 — N° Editeur : 5065



Société d'Histoire littéraire de la France

18, Rue de l'Abbé-de-l'Epée, Paris (5e)

Président d'honneur

Jean POMMIER, de l'Académie des Sciences morales et politiques, professeur honoraire à la Sorbonne et au Collège de France.

Membres d'honneur

Mmes J. de Pange, H. Psichari, M. Romain-Rolland, A. Rouart-Valéry, Th. Marix-Spire. MM. M. Bataillon, Th. Besterman, A. Billy, H. Dieckmann, M. C. Pellegrini.

Bureau

Président : Raymond LEBÈGUE, de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.

Vice-Présidents : Pierre JOSSERAND, conservateur en chef honoraire à la Bibliothèque nationale ; René PINTARD, professeur à la Sorbonne.

Secrétaire général : René POMEAU, professeur à la Sorbonne.

Secrétaire : Claude PICHOIS, professeur à l'Université de Bâle.

Secrétaire adjoint : Claude DUCHET.

Trésorier : Georges LUBIN.

Trésorier adjoint : Jean-Louis LECERCLE.

Secrétaire du Bureau : Madeleine FARGEAUD.

Conseil d'administration

MM. P. Abraham, A. Adam, G. Blin, P.-G. Castex, P. Clarac, J. Duron, Mme M.-J. Durry, MM. J. Fabre, B. Guyon, Ch. Guyot, J. Hytier, R. Jasinski, P. Jourda, F. Letessier, A. de Luppé, G. Mongrédien, P. Moreau, M. Paquot, M. Parturier, R. Pierrot, R. Rancoeur, V. L. Saulnier, P. Vernière, J. Vier.

Correspondants à l'étranger

Allemagne : MM. W. Krauss, H. Sckommodau, K. Wais. Belgique : MM. J. Hanse, R. Mortier, A. Vandegans. Brésil : M. G. Raeders. Bulgarie : M. N. Dontchev. Canada : MM. D. A. Griffiths, S. Losique, J. Ménard, J.-M. Paquette, J. S. Wood. Danemark : M. P. Nykrog. Espagne : M. A. Amoros, M. de Riquer. Etats-Unis : MM. J.-A. Bédé, L. G. Crocker, H. Peyre, I. Silver, E. D. Sullivan. Grande-Bretagne : MM. R. C. Knight, A. J. Steele. Hongrie : Mlle Nemeth. Irlande : M. E. J. Arnould. Israël : M. A. B. Duff. Italie : MM. E. Balmas, L. De Nardis, A. Pizzorusso. Japon : MM. T. Kobayashi, Y. Fukui. Pays-Bas : M. B. Bray. Pologne : Mlle Kasprzyk. Portugal : M. J. do Prado Coelho. Suède : M. G. von Proschwitz. Suisse : MM. G. Guisan, J. Rousset, P.-O. Walzer. Syrie : M. R. Tahhan. Tchécoslovaquie : MM. V. Brett, A. Zatloukal. Union Soviétique : MM. Reizov, G. Vipper.