LE REVE
lit de mort de sa mère, celle-ci la déshérita et la maudit, si bien que l'enfant, né le même soir, mourut. El, depuis, au cimetière, dans son cercueil, l'entêtée bourgeoise ne pardonnait toujours pas, car le ménage, n'avait plus eu d'enfant, malgré son ardent désir. Après vingt-quatre années, ils pleuraient encore celui qu'ils avaient perdu, ils désespéraient maintenant de jamais fléchir la morte.
Troublée de leurs regards, la petite s'était renfoncée derrière le pilier de sainte Agnès. Elle s'inquiétait aussi du réveil de la rue : les boutiques s'ouvraient, du monde commençait à sortir. Celle rue des Orfèvres, dont le bout vient buter contre la façade latérale de l'église, serait une vraie impasse, bouchée du côté de l'abside par la maison des Hubert, si la rue Soleil, un étroit couloir, ne la dégageait de l'autre côté, en filant le long.du collatéral, jusqu'à la grande façade, place du Cloître; et il passa deux dévotes, qui eurent un coup d'oeil étonné sur cette petite mendiante, qu'elles ne connaissaient pas, à Beaumont. La tombée lente et obstinée de la neige continuait, le froid semblait augmenter avec le jour blafard, on n'entendait qu'un lointain bruit de voix, dans la sourde épaisseur du grand linceul blanc qui couvrait la ville.
Mais, sauvage, honteuse de son abandon comme d'une faute, l'enfant se recula encore, lorsque, tout d'un coup, elle reconnut devant elle Huberline, qui, n'ayant pas de bonne, était sortie chercher son pain. — Petite, que fais-tu là? qui es-tu?
Et elle ne répondit point, elle se cachait le visage. Cependant elle ne sentait plus ses membres, son être s'évanouissait, comme si son coeur, devenu de glace, se fût arrêté. Quand la bonne dame eut tourné le dos, avec un geste de pitié discrète, elle s'affaissa sur les genoux, à bout de forces, glissa ainsi qu'une chiffe dans la neige, dont les flocons, silencieusement, l'ensevelirent. Et la