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Titre : Mémoires de la Société historique, littéraire et scientifique du Cher

Auteur : Société historique, littéraire, artistique et scientifique du département du Cher. Auteur du texte

Éditeur : J. David (Bourges)

Éditeur : Just-Bernard (Paris)

Éditeur : Dumoulin ()

Date d'édition : 1908

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328133672

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb328133672/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Langue : Français

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Description : 1908

Description : 1908 (SER4,VOL22).

Description : Collection numérique : Fonds régional : Centre-Val de Loire

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k55446864

Source : Bibliothèque nationale de France, département Collections numérisées, 2009-902

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 19/01/2011

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MÉMOIRES

DE LA

SOCIÉTÉ HISTORIQUE

LITTÉRAIRE ET SCIENTIFIQUE DU CHER

(1908)


La Société laisse à chacun de ses Membres la responsabilité des Travaux publiés avec signature.


MÉMOIRES

DE LA

SOCIÉTÉ HISTORIQUE

LITTÉRAIRE ET SCIENTIFIQUE

DU CHER

( 1908 )

4E SERIE— 22E VOLUME

BOURGES

RENAUD, LIBRAIRE

PARIS EMILE LECHEVALIER, LIBRAIRE, 10, RUE DE SAVOIE



LISTE GÉNÉRALE DES MEMBRES

DE LA

SOCIÉTÉ HISTORIQUE, LITTÉRAIRE ET SCIENTIFIQUE

DU CHER

AU 30 Juin 1908

Présidents d'honneur

MM. le PRÉFET DU CHER (#). le MAIRE DE BOURGES.

Anciens Présidents :

M. le PRÉFET DU CHER (pour l'ancienne Commission

historique). De 1866 à 1868 : M. Hippolyte BOYER (pour la nouvelle

Société historique). De 1868 à 1875 : M. Jean-Félix LOURIOU. De 1876 à 1895 : M. Hippolyte BOYER. 1896-1897 : M. Lucien JENY. 1898-1899 : M. Antoine LE GRAND. 1900-1901 : M. Lucien JENY. 1902-1904 : M. Théodore LARCHEVÈQUE. 1905 : M. Antoine LE GRAND.


VI LISTE GÉNÉRALE

Bureau de la Société :

MM. LARCHEVÊQUE, avocat à la Cour d'appel, Président.

MATER (Q A.), Président de la Commission du Musée, Vice-Président.

A. LEPRINCE (Cj! A.), docteur en médecine, VicePrésident.

DUMONTEIL, avocat à la Cour d'appel, Secrétaire général.

WARION, chirurgien-dentiste, Secrétaire-Adjoint.

DEVAUT, propriétaire, Secrétaire-Adjoint.

MORNET (Albert), banquier, Trésorier.

Comité de publication :

MM. TURPIN (O A., j§), chef de division honoraire de la

Préfecture du Cher. Dr SÉGUIN (#), médecin-major au 37e régiment

d'artillerie. GANDILHON (Q A.), archiviste du département du

Cher.

Membre honoraire :

M. DE LAUGARDIÈRE (Charles), ancien conseiller à la Cour d'appel de Bourges, correspondant du Ministère de l'Instruction publique, aucien Président de la Société des Antiquaires du Centre, Bourges.


DES MEMBRES DE LA SOCIÉTÉ VII

Membres titulaires :

Date d'admission

MM. THOMAS, ancien avoué, rue de la Cage-Verte, 12, —

à Bourges. 6 mars 1868.

MORNET (Albert), banquier, rue des Arènes, 38,

à Bourges. 4 déc. 1868.

MATER (Daniel) (Il A.), avocat, Président de la Commission du Musée , rue Gambon, 14, à Bourges. 1871.

GOSSET, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour

de cassation, quai d'Orsay, 11, à Paris. 1879.

MORNET (Marcel) (Q I.), pharmacien, rue Moyenne,

9, à Bourges. 4 mars 1881.

GAUCHERY, ingénieur-architecte, à Vierzon. 13 avril 1883.

LELIÈVRE, notaire, rue des Arènes, 36, à Bourges. 3 juillet 1885.

TURPIN (# I., |s)> chef de division honoraire de la

Préfecture du Cher, rue de Dun, 71, à Bourges. 11 déc. 1885.

LEPRINCE (Maurice) (#, <0» I.), docteur en médecine, rue Singer, 24, à Passy-Paris. 11 juin 1886.

SOUCHON (<yt A.), architecte, rue de la Bienfaisance, 7, à Bourges. 17 juin 1887.

NARCY (Q A.), professeur d'École normale en

retraite, rue du Donjon, 4, à Cosne (Nièvre). 13 avril 1888.

BEAUBOIS (4|* A., i|(), agent voyer cantonal, à Mehunsur-Yèvre.

Mehunsur-Yèvre. mai 1890.

TAUSSERAT, propriétaire, au château de Chevilly,

par Méreau (Cher). 1er mai 1891.

LARCHEVÊQUE (Th.), docteur en droit, avocat près

la Cour d'appel, rue Pavée, 2, à Bourges. 14 oct. 1892.

LOUIS (Achille), avocat, route de Bourges, 3 bis, à

Vierzon. 14 oct. 1892.


VIII LISTE GENERALE

MM. DUBOIS (Pierre) DE LA SABLONIÈRE, avocat, membre

Date d'admission

du Conseil Général du Cher, rue des Arènes, 61, —

à Bourges. 3 fév. 1893.

HERVET (|J> A.), banquier, place de la Préfecture, 1,

à Bourges. 3 fév. 1893.

TÉMOIN (#, U> A.), docteur en médecine, chirurgien en chef de l'Hôlel-Dieu, place des Quatre-Piliers, 6, à Bourges. 3 fév. 1893.

DE VOGÜÉ (Mis) (C. #), membre de l'Académie française, château du Pezeau, par Boulleret (Cher). 7 mai 1894,

HEMERY DE LAZENAY, au château de Lazenay-surArnon,

Lazenay-surArnon, Lury (Cher). 28 janv. 1895.

DE TOULGOET-TRÉANNA (Cte) (if<), propriétaire, au

château de Rozay, par Thénioux (Cher). 28 janv. 1895.

TABOUET (E.), propriétaire, à Saint-Désiré (Allier). 10 juin 1895.

CHAZEREAU, inspecteur principal des Chemins de

fer économiques, rue Liltré, 49, à Bourges. 28 oct. 1895.

FRANÇOIS, ingénieur, directeur de l'Usine à gaz, rue

de Marmagne, 43, à Bourges. 16 janv. 1896.

SIRE (M. H.) (Mme), imprimeur-éditeur, rue des

Armuriers, 6bis, à Bourges. 16 janv. 1896.

GOFFART (ÎHP, §■), propriétaire, à Vierzon. 23 avril 1896.

TOURNOIS (CI I.), professeur au Lycée, rue PorteJaune, 1, à Bourges. 23 juillet 1896.

SAUVAGET (Ê.| A.), agent voyer cantonal à Vierzon. 20 janv. 1898.

Prince Auguste D'ARENBERG, membre de l'Institut, ancien député du Cher, rue de la Villel'Evêque, 20, à Paris. 17 mars 1898.

DUVERGIER DE HAURANNE (#), au château d'Herry

(Cher). 17 mars 1898.

PICOT (Georges) (#), secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences morales et politiques, rue Pigalle, 54, à Paris. 17 mars 1898.


DES MEMBRES DE LA SOCIETE IX

MM. DUPUIS (O. &), président honoraire de la Chambre _

de Commerce, place George-Sand, 5, à Bourges. 17 nov. 1898. GOLM (Maison Asher et Cie), unter den Linden, 13,

à Berlin (Prusse). 15 déc. 1898.

DUMONTEIL (Alexis), avocat près la Cour d'appel,

rue Littré, 32, à Bourges. 23 fév. 1899.

MAUPAS (Mis DE), au château de Maupas, par les

Aix-d'Angillon (Cher). 23 fév. 1899.

CASANOVA (Eugénie) (Mme), au château de Montifaut,

Montifaut, Bourges. 29 juin 1899.

DEVAUT (ancien), propriétaire, avenue de la Gare,

53, à Bourges. 29 juin 1899.

MARANSANGE (DE), membre du Conseil Général du

Cher, au Châtelet (Cher). 23 nov. 1899.

MORNET (Daniel), professeur de première-lettres

au lycée de Toulouse. 14 juin 1900.

LEPRINCE (Albert) (t$ A.), docteur en médecine,

boulevard Gambetta, 21, à Bourges. 14 fév. 1901.

SÉGUIN (#), médecin-major de 1re classe au 37e rég.

d'Artillerie, avenue Lamartine, 6, à Bourges. 14 fév. 1901. MORNET (Marcel), docteur en droit, avocat près la

Cour d'appel, rue des Arènes, 38, à Bourges. 23 mai 1901. DESBOIS(Pierre), notaire, rue Coursarlon, à Bourges. 19 déc. 1901. BEAUVOIS (Q A.), docteur en médecine oculiste,

avenue de l'Opéra, 15, à Paris. 12 juin 1902.

PAILLAT, notaire, place Jacques-Coeur, 5, à Bourges. 15 janv. 1903. BREU (Abel), avocat près la Cour d'appel, rue

d'Auron, 45, à Bourges. 12 fév. 1903.

CHAPELARD (René), avocat près la Cour d'appel, rue

de l'Equerre, 4, à Bourges. 12 fév. 1903.

WARION, chirurgien-dentiste, avenue de la Gare, 7,

à Bourges. 12 fév. 1903.

JOUENNE (Paul), architecte, rue de Rivoli, 13,

à Paris. 29 oct. 1903.


X LISTE GENERALE

MM. GANDILHON (0 A.), paléographe, archiviste du déDate d'admission parlement du Cher, place du Château, 1, à —

Bourges. 9 juin 1904.

BAILLY (Paul) (ϧ), ancien agent voyer inspecteur,

rue Emile-Deschamps, 14, à Bourges. 20 juillet 1905.

HENRY (Charles), adjoint au maire de Bourges,

pharmacien, rue de Dun, 1, à Bourges. 20 juillet 1905.

MAYNIAL (Edouard), professeur agrégé au lycée de

Bourges. 23 nov. 1905.

BOURDIN (0 A.), conducteur principal des Ponts

et Chaussées, rue de Dun, 81, à Bourges. 13 juin iyo7.

RAGOT, secrétaire de mairie, à Vierzon-Bourgneuf. 21 nov. 1907.

COLLIGNON, officier d'administration de 1re classe du Service de santé en retraite, place des Marronniers, 6, à Bourges. 18 juin 1908.

Membres associés :

MM. LABUSSIÈRE (Guillaume), instituteur à Saint-Eloide-Gy

Saint-Eloide-Gy 15 janv. 1892.

BOULÉ, juge de paix en retraite, à Lignières (Cher). 6 mai 1892.

EVÊQUE (Ê,| A.), professeur au Collège de Châtellerault

Châtellerault 1er juillet 1892.

GODON, instituteur à Lazenay, près Bourges. 1er juiilet 1892.

MARTIN (René), avoué au Blanc (Indre). 1er juillet 1892.

BUCHET (Samuel), préparateur à la Faculté des

Sciences, boulevard Raspail, 238, à Paris. 14 oct. 1892.

DION (François-Eugène) (|> I.), directeur d'école à

Aubigny-sur-Nère. 4 déc. 1893.

PELLE, instituteur à Vasselay (Cher). 16 juillet 1894.

LAMBERT, instituteur à Raymond (Cher). 12 nov. 1894.


DES MEMBRES DE LA SOCIETE XI

Date d'admission

MM. MOREUX (Abbé), professeur, Observatoire de -

Bourges. 5 mars 1896.

LORAIN (Abbé), curé-archiprêtre de Saint-AmandMont-Rond

Saint-AmandMont-Rond 23 avril 1896.

BOREL, régisseur au château de Turly, commune

de Saint-Michel-de-Volangis (Cher). 23 juillet 1896.

DAULNY (Abbé), aumônier des soeurs de MarieImmaculée, rue de Dun, 29, à Bourges. 23 juillet 1896. AVIGNON, professeur d'agriculture à Montluçon

(Allier). 9 mars 1899.

BOIN (Abbé), curé de Plaimpied (Cher). 29 juin 1899.

HERVELON (Louis) (<Q A.), instituteur à Saint-Jeanvrin

Saint-Jeanvrin 10 mai 1900.

GAUTHIER (Patient-Alexandre) ($$), instituteur à

Ivoy-le-Pré. 8 nov. 1900.

VILAIRE (Abbé), professeur, rue Madame, 60, à

Paris. 17 avril 1902.

BAILLY (Henri), instituteur à Annoix (Cher). 18 déc. 1902.

MORTIER (Raoul), professeur d'histoire à l'Ecole

nationale professionnelle de Vierzon. 15 déc. 1904,

LELIÈVRE (Abbé), curé à Chalivoy-Milon (Cher). 14 juin 1906. SUPPLISSON, ingénieur civil, rue Boursault, 23, à

Paris. 26 oct. 1906.

Bosc (Abbé), curé-doyen de Jars (Cher). 24 janv. 1907.

BOUGRAT, instituteur-adjoint à Bourges. 24 janv. 1907.

CAZAL (U.), professeur à l'Ecole professionnelle

d'Aire-sur-Adour (Landes). 9 avril 1908.


XII LISTE GENERALE

Membres correspondants dans le département du Cher :

MM. COUGNY (Gaston) (0 A.), Directeur de l'Ecole des

Arts appliqués à l'Industrie, à Bourges. GARBAN (Maurice), licencié ès-lettres et en droit, à

Saint-Amand-Montrond. GUILLARD, architecte, à Sancerre. LENORMANT nu COUDRAY, ancien notaire, rue Coursarlon,

Coursarlon, à Bourges. MAYET, instituteur retraité, à Savigny-en-Septaine. RATIER (Emilie) (Mlle), impasse Saint-Louis, 4, à

Bourges.

Membres correspondants hors du département du Cher :

MM. BERTRAND, conservateur du Musée départemental de l'Allier, 10, cours de Bercy, à Moulins.

BOYER (Henri) (|| I.), rédacteur au Ministère de l'Instruction publique et des Beaux-Arts, 19, rue Clapeyron, à Paris.

DUCHAUSSOY (Q I.). professeur de sciences physiques et naturelles au Lycée d'Amiens.

GAUTHIER (Gaston), instituteur, 2, rue Gambetta, Nevers.

HÉRAULT (H.), inspecteur principal des Chemins de fer Paris-Lyon-Méditerranée en retraite, à Oran.


DES MEMBRES DE LA SOCIETE XIII

MM. HUBERT (iy. A.), archiviste départemental à Châteauroux.

Châteauroux. (Abbé V.) («$ A.), curé de Brion (Indre). JALOUSTRE (Elie), percepteur en retraite, ClermontFerrand.

ClermontFerrand. (Q I.), conseiller à la Cour d'appel d'Orléans. MEUNIER, avocat, rue du Rempart, à Nevers. PÉRATHON (Cyprien), ancien président de la

Chambre des Arts et Manufactures, à Aubusson. PÉROT (Francis) (||> A.), 44, rue du Jeu-de-Paume,

à Moulins (Allier). POËTE, bibliothécaire à la bibliothèque historique

de la ville de Paris. RICHARD-DESAIX (Ulrich), aux Minimes, à Issoudun

Issoudun VERMEIL, docteur-médecin, rue Jouffroy, 84, à

Paris.



LISTE

DES

Sociétés savantes et des Établissements scientifiques

AVEC LESQUELS

la Société historique du Cher est en relations d'échange de publications.

Paris. Bulletin archéologique du Comité

des travaux historiques et scientifiques.

Répertoire de bibliographie scientifique du Ministère de l'Instruction publique. (Enseignement supérieur, 5e bureau.)

Archives nationales.

Université.

Société des Antiquaires de France.

Musée Guimet, 30, avenue du Trocadéro, Paris.

Polybiblion, revue bibliographique, 5, rue Saint-Simon. Allier. Société scientifique du Bourbonnais

et du Centre de la France, à Moulins.

Société d'Emulation du Bourbonnais, à Moulins.


XVI LISTE DES SOCIETES SAVANTES

Aube. Société académique d'agriculture,

des sciences, arts et belles-lettres de l'Aube, à Troyes.

Aveyron. Société des lettres, sciences et arts

de l'Aveyron, à Rodez.

Bouch.-du-Rhône. Revue horticole et botanique des Bouches-du-Rhône, Marseille.

Charente-Infre. Société des archives historiques de la Saintonge et de l'Aunis, à Saintes.

Cher. Archives départementales.

Bibliothèque municipale de Bourges. Bibliothèque du Lycée de Bourges. Société des Antiquaires du Centre,

à Bourges. Société photographique du Centre, à

Bourges.

Côle-d'Or. Académie des sciences, arts et belleslettres de Dijon.

Creuse. Société des sciences naturelles et

archéologiques de la Creuse, à Guéret.

Eure-et-Loir. Société archéologique d'Eure-et-Loir, à Chartres.

Garonne (Haute-) Société archéologique de Toulouse.

Indre. Revue du Berry et du Centre, à

Châteauroux.

Loir-et-Cher. Société des sciences et lettres de Loir-et-Cher, à Blois.

Loire (Haute-). Société agricole et scientifique de la Haute-Loire, au Puy.

Loire-Inférieure. Société académique de Nantes.


LISTE DES SOCIETES SAVANTES XVII

Loiret. Société archéologique de l'Orléanais,

à Orléans. Manche. Société nationale des sciences naturelles

naturelles mathématiques de Cherbourg. Marne (Haute-). Société historique et archéologique de Langres. Nièvre. Société nivernaise, à Nevers.

Pyrénées (Basses-). Société des sciences, lettres et arts

de Pau. Pyrénées-Orientles. Société agricole, scientifique et littéraire des Pyrénées-Orientales, à Perpignan. Saône-et-Loire. Société archéologique de Chalonsur-Saône. Société éduenne, à Autun. Seine-et-Oise. Commission des antiquités et des arts du département de Seine-etOise, à Versailles. Seine-Inférieure. Commission des antiquités de la

Seine-Inférieure, à Rouen. Sèvres (Deux-). Société botanique, Niort.

Somme. Société des Antiquaires de Picardie,

à Amiens. Var. Académie du Var, à Toulon.

Vienne. Société des Antiquaires de l'Ouest,

à Poitiers. Yonne. Société des sciences historiques et

naturelles de l'Yonne, à Auxerre. Société archéologique de Sens. Algérie. Société archéologique de Constantine.

Constantine. Société d'histoire naturelle de Colmar.

Colmar.


XVIII LISTE DES SOCIÉTÉS SAVANTES

États-Unis Smithsonian institution, à Wad'Amérique. shington.

American philosophical Society, à Philadelphie.

Missouri Botanical Garden, à SaintLouis.


MONOGRAPHIE

de

CHALIVOY-MILON

CHAPITRE PRÉLIMINAIRE

Etat de Chalivoy-Milon au commencement du XXe siècle.

Quand on va de Dun-sur-Auron à Sancoins par la route de Malçay, on rencontre vers le 11e kilomètre le croisement presque à angle droit de cette route avec celle qui va de Blet à Thaumiers. C'est là que s'élève le bourg de Chalivoy-Milon, chef-lieu de la paroisse actuelle composée des deux anciennes paroisses et des deux communes actuelles de Chalivoy-Milon et Chaumont. Chacune de ces deux communes a son administration à part, ses écoles et ses traditions, et appartient à un canton différent.

La commune de Chalivoy compte aujourd'hui 920 habitants répartis d'une façon normale entre le bourg,


2 MONOGRAPHIE

plusieurs villages (1), des fermes (2) et des maisons éparses (3).

Les communes limitrophes sont : au Nord, Lantan et Blet; à l'Est, Blet; au Sud, Chaumont, Bannegon et Thaumiers, et à l'Ouest, Thaumiers, Cogny et Bussy.

Chalivoy est la commune la plus élevée du canton : elle occupe le point culminant d'un plateau qui va s'inclinant jusqu'à Saint-Denis-de-Palin, la commune la plus basse. L'altitude est de 220 mètres au pied du portail de l'église, et de 247 sur le sommet du Boudet, à l'entrée de l'allée d'Yssertieux. Ce plateau jadis boisé est encore en majeure partie couvert de haies : il appartient en grande partie à cette portion du Berry qu'on désigne sous le nom de " Forêt » (4).

Le sol de Chalivoy est un terrain bathonien et oxfordien inférieur ou callovien, du sous-groupe des argiles

(1) Les villages les plus considérables sont : le Boudet, qui s'étend sur le communal du même nom depuis la route de Vailly jusqu'à la commune de Cogny, le Bois-Bodin, le Bois de la Brosse, sur la route de Bannegon, la Font-Rouge, la Prolle, sur la route de Thaumiers, les Grouguenins et les Crées, sur la route de Dun-le-Roy, le Bois-du-Lac, le village de la route de Blet, les Charmes, sur le chemin de la Feuille, la Petite-Feuille, la Grande-Feuille dont la plus grande partie appartient à la commune de Blet, les Charbonnières et les ChaumesBlanches.

(2) Les fermes sont : Villers avec son accense, Acon avec sa garderie, appelée la Métairie, auprès de laquelle fut autrefois un moulin à eau, Maison-Rouge avec son accense, les Plissons, le Buriau récemment détaché de la terre des Plissons, les Oudets aujourd'hui vendus au détail, le domaine de la Dame à Yssertieux, les Chevrais et la Prolle.

(3) Les habitations éparses sont : le château d'Yssertieux avec ses dépendances, la Croix-de-Mission, sur la route de Blet, les Grandes-Feuilles, sur la même route, la Maison-Noire, une maison au village des Boues (ou Bouts, ou encore Boucs), village de Blet, le chêne du Pilouri, le petit chalet d'Yssertieux, l'accense des Oudets, la Tuilerie d'Yssertieux, une maison, aux Saupins, village de Thaumiers, le Grand-Rouesse et la Croix-Barbe. Beaucoup de maisons rattachées aux susdits groupements portent des noms particuliers, d'ordinaire ceux des champs sur lesquels elles se trouvent construites.

(4) Voir Histoire du Berry, par RAYNAL ; Notions préliminaires, p. XIV.


DE CHALIVOY-MILON 6

à chailles, au N. et au S. du bourg. A l'O., au N. et à l'E. se rencontre le terrain oolithique dans sa variété de marnes à gryphées virgules (1) : ce sont les « Crées (ou Crés) », terres fortes, sol meuble, essentiellement perméable, composé de calcaires et de galets, sans autre couche sous-jacente que des bancs de calcaire, et, çà et là, coupé de vallons. Le reste du pays est formé de terres « boulaises (ou bouloises) », de « varennes » brûlantes où domine l'élément argileux à chailles ou cailloux avec sables siliceux. Le territoire de Chalivoy est donc divisé en deux moitiés à peu près égales mais d'aspect très dissemblable ; cette différence toutefois n'est qu'à la surface et il est facile de retrouver partout le calcaire sous une couche plus ou moins épaisse de terre argileuse.

La région argilo-calcaire est plus propice aux froments et aux prairies artificielles : elle fournit en outre, poulies constructions, des moellons et des pierres de taille de bonne qualité. Les carrières à moellons sont nombreuses : les unes en pleine exploitation, les autres aujourd'hui abandonnées. Pour la pierre de taille, la meilleure carrière est celle qui se voit à gauche de la route de Chalivoy à Blet. Il y avait encore, il y a quelques années, sur notre territoire, plusieurs fours-à-chaux aujourd'hui détruits.

L'autre région contient des cailloux, très renommés pour le pavage des routes. Sur Chalivoy et sur Cogny, dans les argiles de l'oolithe moyenne, jadis couvertes de bois, on trouve abondamment de ces silex ou chailles brunes ou rougeâtres sous une épaisseur de terre arable de 0m 30 à 0m 60, par bancs de trois à cinq pieds de pro(1)

pro(1) Précis de géologie appliqué au département du Cher, par l'abbé P. HORTU, p. 59.


4 MONOGRAPHIE

fondeur. L'extraction presque journalière qui s'en poursuit, depuis des siècles peut-être, ne semble pas les avoir épuisées. Pourtant, dans la partie supérieure de la commune ces bancs ne sont plus réguliers ni continus. — Cette région convient mieux au seigle. Elle formait jadis, du moins dans sa partie non boisée, une brande plus couverte que l'autre d'une végétation arborescente.

Au point de vue hydrographique, Chalivoy n'est pas dépourvu des moyens d'irrigation qui assurent la fertilité d'un pays, bien que ce ne soient que des ruisseaux. Alimentés par des sources nombreuses, ils ne tarissent jamais (1). Jadis Chalivoy possédait plusieurs étangs, il n'en a plus aujourd'hui que deux (2).

(1) Citons : le Boron, Bouron ou Bouzon qui prend sa source dans les prés des Oudets, passe à Yssertieux, et, peu après, traversant la route de Bannegon, entre dans la commune de Thaumiers, auprès de la petite métairie de M. Jacquin, pour se jeter dans l'Auron en aval de Thaumiers ; le ruisseau des Rauches qui prend sa source dans l'étang desséché du même nom et va se jeter dans le Fontbon ; le Fontbon qui, sortant de l'étang desséché de Genouillat (commune de Lantan), sépare la commune de Chalivoy de celles de Lantan et de Bussy et va se jeter dans l'Auron en amont de Dun ; la Cloye (Cloacum) qui prend sa source au Boudet, traverse le bourg de Chalivoy en se grossissant de toutes les sources qui y abondent (elle formait jadis le bief du moulin du Prieuré), arrose la Prée-aux-Moines, le pré Bordat (elle alimentait autrefois l'étang des Grenouilles et celui de la Cloye) et se jette dans le ruisseau des Rauches ; et le Mazière qui prend sa source dans le Goure (Gouffre) ou cros de la Mazière, descend vers la maison du garde d'Acon et se jette dans le Fontbon,

(2) Il y en avait trois à Yssertieux, un au Prieuré, un à Acon, au-dessous de la maison actuelle du garde, dit l'Etang-Neuf et servant de bief au moulin qui était là ; un autre à Acon dans le « champ de l'Etang », un a Fontbon sur la route et à la limite de la commune de Lantan, un dans les champs de Maison-Rouge, dit les Grenouilles, un dans les prés d'Acon, dit « l'étang de la Cloye », et un autre auprès, dit l'étang des Plantons, un à Maison-Rouge, dit l'étang de la Chaudière, et sans doute d'autres ailleurs, notamment à Villers.

Les deux qui restent sont : l'étang dit d'Issertieux, qui s'appelait autrefois l'étang de « Salonne », et l'étang de la « Jarre-Pineau », dit l'étang de « Maison-Rouge », dans les prés du domaine de ce nom.


DE CHALIVOY-MILON 5

La production de céréales : blé, seigle, orge et avoine, est moyenne, ainsi que celle des légumes. Les arbres fruitiers, pommiers, poiriers, pruniers, cerisiers, y réussissent convenablement et alimentent pour une part le marché de Dun. Le châtaignier y est presque inconnu, tandis que le noyer s'y plaît beaucoup. Pauvre en prairies naturelles, ce pays se rachète par ses fourrages artificiels.

Nous n'avons aucune industrie. Le seul commerce spécial à cette commune est celui des cailloux dont, chaque année, 1,500 à 2,000 mètres vont entretenir les routes depuis Sancergues jusqu'à Culan. C'est la grande ressource. Les ouvriers, lorsqu'ils manquent d'autre ouvrage, trouvent à gagner là des journées moyennes de 2 fr. 50 à 3 francs. Et pourtant beaucoup ne s'en contentent pas : ils préfèrent aller dans les bois de l'Etat, à Compiègne, où, s'ils gagnent de plus gros salaires, ils compromettent souvent leur santé, voire même leur vie, et toujours y apprennent des meneurs de Paris qui les viennent endoctriner des idées d'impiété et de socialisme. Du reste, on émigre très facilement de ce pays vers la ville, surtout depuis un certain nombre d'années.

Il est juste de mentionner aussi parmi les ressources de Chalivoy les enfants que l'Assistance publique met en pension, dans les familles : il y en a actuellement une centaine.

Malgré la pauvreté évidente de la région, malgré la grande propriété qui englobe la partie la plus considérable de la commune, presque toutes les petites gens ont leur chez soi et quelques boisselées de terre. On y peut vivre en cultivant son petit enclos et en travaillant à la journée dans les grandes fermes ou domaines. Ceux-là seuls connaissent la gêne qui ont des revers de


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fortune ou manquent de principes d'économie et de prévoyance.

Chalivoy a son assemblée le dimanche qui suit le 15 août, la fête de Saint Roch, second patron de la paroisse et protecteur des petits enfants, tombant le 16. Cette assembtée dure deux jours. Il y a aussi une foire assez insignifiante, le 3e lundi de février. Chaque jeudi, sur la place de l'Eglise, se tient un petit marché très peu alimenté.

Situé à mi-côte, le bourg de Chalivoy se compose d'environ 60 foyers disposés plus ou moins irrégulièrement le long de la route de Dun-sur-Auron à Sancoins qui est la grande rue, sur la route de Thaumiers à Blet et une rue traversière, appelée rue « Martial », peut-être en souvenir de M. Martial Gerbe qui fut curé de la paroisse vers 1640, enfin autour de la Chaume plantée d'arbres sur laquelle ont été construites la mairie et les écoles.

Ce bourg n'attirerait guère l'attention sans sa vieille et belle église du XIe siècle que nous décrirons en détail.— Sur le flanc gauche de ce monument se voient encore les restes du prieuré de ce lieu, vieille maison du XVe siècle qui sert d'école libre pour les filles. C'est un des rares vestiges de l'architecture et de la sculpture de cette époque ; les habitants n'appréciant nullement ces restes d'un autre âge et les remplaçant volontiers par le style moderne (1).

Derrière l'école des garçons se dresse une croix assez

(1) Dans l'enclos de cet ancien couvent se trouve un vieux puits fort curieux, dont la margelle ronde est posée sur un soubassement carré, et, en face de la grande porte de l'église, un montant de pierre avec le gond sur lequel tournait la porte cochère du prieuré. En dehors de là on trouve quelques vieilles ouvertures du même temps reléguées au fond des cours et affectées à des bâtiments de service.


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curieuse, mais grossièrement réparée dans le courant du siècle dernier, et actuellement en fort mauvais état. Le' dé, la seule des pièces primitives qui soit conservée, est du XVe siècle et de style assez ouvragé. C'est une croix d'ancien cimetière, comme semblent le prouver les débris de trois cercueils en bois d'orme renfermant des ossements, découverts en 1891 par les ouvriers qui creusaient pour les fondations du mur de clôture de la nouvelle école (1).

A l'entrée et à droite de la route de Bannegon se tient le lavoir public couvert. Il est établi sur une source qui de là s'écoule dans un grand abreuvoir et forme ensuite un ruisseau qui serpente à travers les jardins et s'élargit dans l'enclos de la cure où il forme un petit canal, et au delà un autre petit abreuvoir, sur la route de Thaumiers. En face du lavoir, et de l'autre côté de la route de Bannegon, s'étend la Chaume en partie occupée aujourd'hui par la mairie, les écoles publiques de garçons et de filles.

Six routes aboutissent au bourg de Chalivoy-Milon et rendent les communications vicinales très faciles; ce sont celles de Dun-sur-Auron, de Blet, de ChaumontGivardon-Sancoins, de Bannegon, de Thaumiers et du village de Vailly. Il y a en outre la rue Pierreuse, chemin qui conduit au village des Charmes et rejoint la route de Blet, à la grande croix de mission. Les chemins ou rues sont fort anciens : ils existaient, pour la plupart, longtemps avant le XVIe siècle. Ils sont généralement en

(1) Est-ce à dire que le cimetière de Chalivoy occupait cet emplacement? Pour nous, l'ancien cimetière flanquait l'église à droite et on y accédait par une porte ouvragée qui sert encore aujourd'hui de petite porte d'entrée de l'église. C'est seulement en 1843 que le cimetière a été transporté à cinq cents mètres du bourg, sur la route de Thaumiers ; son ancien emplacement, ombragé de magnifiques tilleuls, est actuellement la place du marché. Il est cependant question quelque part d'un cimetière interdit au XVIIIe siècle, et ce pourrait être celui-là.


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bon état. Ceux que les routes ont remplacés au xixe siècle, sont faciles à retrouver, même dans les champs où la culture n'est pas encore arrivée à les faire disparaître entièrement.

Le long de ces routes et de ces chemins, nous comptons sept croix : la croix plantée sur la route de Blet à la fin d'une mission prêchée en 1868 par deux franciscains du Gardiennat de Bourges; la croix d'Issertieux, qui se dresse sur la route de Bannegon, à l'entrée de l'allée qui mène au château, d'où l'on découvre, dans un horizon immense, la cathédrale de Bourges ; celle des Saupins, sur la même route, au point d'intersection des. trois communes de Chalivoy-Milon, Bannegon et Thaumiers, à l'entrée du chemin qui mène des Saupins aux Mauguins (1) ; la croix Barbe, sur la route de Thaumiers ; la croix du Four-à-Chaux, sur le chemin qui sépare les deux communes de Chalivoy-Milon et de Cogny ; la croix des Grouguenins, à l'angle formé par la route de Dun et le chemin de la Prée-aux-Moines; la croix des Plissons, au croisement du chemin du bourg à la ferme des Plissons avec celui qui relie la route de Blet à la roule de Dun, de la grande croix de mission à celle dite « de Maison-Rouge » ou « de la Dame », qui se trouve sur la route de Dun, au bas de la grande plaine des Crés, au coin du champ dit « de la Mort-à-l'Ane ». Il y en avait d'autres jadis, dont les emplacements sont encore désignés ; par exemple, au village des Charmes, la Croix-auMort, et, au Boudet, celle dont le fût gisait, il n'y a que quelques années, sur une petite pelouse, à l'angle des routes de Chaumont et de Vailly.

Dans la campagne, il y a quelques monuments à signa(1)

signa(1) croix bénite, vers 1890, par M. Constant Dousserin, qui mourut curé de Bannegon après un ministère de 42 ans, remplaçait une croix qui existait au XVIe siècle et s'appelait la « Croix Gadaut ».


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1er. Le principal est le château d'Issertieux auquel nous consacrerons un chapitre. Puis, c'est la maison seigneuriale d'Acon qui remonte à 1757. — Il existe aussi un vieux puits dans le pré de Villers, en face du domaine, à gauche de la route de Dun-sur-Auron. — Dans le pré qui s'étend à droite de la route avant d'arriver à la ferme, on a jadis trouvé beaucoup de débris de l'ancienne maison qu'y possédaient les religieuses de Charenton et des quantités de grains de chapelets. Sans doute les bonnes soeurs faisaient confectionner des chapelets dans cette maison. On découvrit également naguère dans le champ du Corbier et dans le champ des Châtelets (les gens disent maintenant Chantelets), les fondations d'un château gallo-romain et d'une ferme.

— Dans les prés, au-dessous du château d'Issertieux, on aperçoit les restes (« les murgets », comme disent les gens) du moulin des Ecorcherats ou Ecoucherats. — Dans les prés du goure (gouffre) de la Mazière, sur l'ancien chemin de Chalivoy à Acon, on a trouvé des restes, d'un château, disent les uns, mais plus probablement d'une maison, d'un domaine ou d'un village. — Et çà et là les ruines de plusieurs maisons, telles que la Loge, à la Désertine, qui sont mentionnées dans les actes du XVIe siècle. Bien d'autres maisons ont existé dans la paroisse qui ont disparu depuis, par exemple dans le champ de Jean Boulet, à droite de la route de Blet, en face du champ de la Vigne (ancienne vigne de la cure de Chalivoy), entouré de vielles murailles de pierres sèches.

— Enfin, non loin du Frouet (1), dans la direction du Nord, on trouve des ruines de l'ancien château-fort du Frouet et d'autres maisons de ce village. Dans un pot de

(1) Le Frouet est de la commune de Cogny et de la paroisse de Thaumiers, mais depuis un temps immémorial ce village est surtout en relations avec Chalivoy, dont il est beaucoup plus près.


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terre découvert en cet endroit, étaient conservées des poires sèches (1).

Chalivoy-Milon dépend, au civil et au religieux, du canton de Dun-sur-Auron, arrondissement et archiprêtré de Saint-Amand-Mont-Rond (Cher), au diocèse de Bourges. — Depuis juin 1906, Chalivoy a son bureau de poste et depuis avril 1907, son téléphone.

(1 ) Quand on va de Chalivoy à Chaumont on trouve, presque en face du château d'Yssertieux, au-dessus du pont du Bouron, à gauche de la route, dans un recoin de communal, un vieux chêne qui mesure sept mètres de tour et à l'intérieur duquel, car il est creux, peuvent tenir debout trois ou quatre personnes. Malheureusement il se meurt. Un autre chêne moins gros et moins vieux, mais beaucoup plus touffu, existe à un carrefour qui se trouve sur l'ancien chemin de Chaumont à Blet. On l'appelle chêne du « pilouri » (les gens disent pirlouri). C'était là sans doute, sur le grand chemin qui séparait les justices de Chaumont, Yssertieux, Chalivoy et Blet, qu'on exposait au pilori les coupables, selon l'usage alors en vigueur. Il est bon de signaler aussi : entre Maison-Rouge et le chemin des Plissons, un champ dit « le Désermi ou Désarmi », nom qui rappelle sans doute quelque guerre, bataille ou désarmement ; un champ dit « le champ de la Bataille », du côté de la Croix-Bodin (commune de Bannegon), ainsi appelé probablement en souvenir de quelque combat ; enfin, dans la propriété dite « terre d'Acon » et sur le bord de la commune de Blet, le champ dit « de l'Hermitage », probablement aussi en mémoire de quelque ermite retiré là.


CHAPITRE PREMIER

Depuis l'origine de Chalivoy jusqu'à la fin du XIe siècle.

Dans les temps antiques, notre région était couverte de bois touffus et peu élevés, de broussailles et de marécages.

C'est au milieu de ces forêts, dans le marécage formé par les eaux découlant des collines qui l'entourent en fer à cheval au nord, à l'est et au sud, que fut bâti, à une époque inconnue, notre chef-lieu nommé d'abord en latin Cqnivas, Callivetum, Callivium, Callivoium, puis en français Challivoy, Challevoy, Chaillivoy, Chaillevoy, Challivoi, Chalivoi, Chalivoy. Ce mot peut venir du celtique Chail : forêt, ou plus probablement du latin Calculus : caillou. Vers le XIIIe siècle, on y ajouta celui de Milon, en souvenir d'une famille noble qui résida longtemps dans notre paroisse et s'y distingua sans doute par quelques signalés bienfaits. La partie sud de la paroisse s'appela, dès lors et jusqu'à la Révolution, Chalivoy-les-Mèles.

Quelques-uns de nos hameaux : Yssertieux, Acon et peut-être Vailly, semblent bien d'origine celtique ; quelques autres ont des noms tirés du latin ; la plupart des autres ne remontent pas au-delà du moyen-âge.

A part cela, ce que nous connaissons de plus ancien dans la commune a été découvert successivement, de 1850 à 1890, par le fermier du domaine des Oudets,


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M. Desdions-Mauguin, dans les champs dits les « Catelets » ou « Châtelets ». Là existait une « motte » ou « turlet », où l'on fit des fouilles qui mirent à découvert un souterrain dont l'entrée était fermée par une grande pierre plate, des débris de mosaïque, des médaillons, un petit plat d'argent et des pierres, disent les témoins oculaires que nous avons interrogés, « brillantes comme des étoiles ». Le tout paraît bien d'origine gallo-romaine.

Cela s'explique. Située entre la grande voie romaine de Bourges à Lyon par Blet, Sancoins et Decize et la voie moyenne tendant également de Bourges à Lyon par Dun, Malçay, Malentrois, le Pont-de-Chargy et Moulins, non loin de Tinconlium (Sancoins), où César avait cantonné la XIIe légion (Raynal : Hist. du Berry, t. I, p. 66), c'est-à-dire dans une région fortement romanisée, comme en témoignent les nombreuses découvertes faites à Dun, à Blet, à Thaumeracum (Thaumiers), au Château-Colonna, à la villa des Sales, au Pondy et au Pont-deChargy (1), ainsi que des tombeaux (peut-être plus anciens) entre les Saupins et le ruisseau du Bouron, cette station militaire fortifiée (castellum) dut être occupée par un détachement chargé de surveiller le pays encore mal soumis et d'assurer la circulation sur les deux routes voisines. Peut-être le castellum dont l'emplacement se voit encore dans le bois d'Acon, dans une situation analogue, eut-il la même origine et la même destination.

Il semblerait ainsi que notre pays eût dû jouer un rôle important, aux premiers siècles de notre ère. En réalité, qu'en a-t-il été? Aucun document ne reste pour nous l'attester.

(I) V. BIROT DE KERSERS : Statistique monumentale du département du Cher : canton de, Dun-le-Roi et canton de Charenkm, et Paul MOREAU : Histoire et monuments de Bun-le-Roy.


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Bien plus tard s'éleva, au chef-lieu, un prieuré de Bénédictins qui fut l'origine de la paroisse. Il fut sans doute une des premières fondations de l'abbaye de Saint-Sulpice-de-Bourges, à une époque imprécise, dans le VIIe siècle, ou dans le commencement du VIIIe. M. de Kersers (1) parlant de ce prieuré à propos d'un acte de 819, dira de cette fondation : « L'établissement religieux est certes très antérieur à cette date. »

Nous venons d'écrire 819. C'est la date de la première charte se rapportant à Chalivoy, dont nous ayons quelques débris. C'est la pétition d'un certain Goricbod au nom de son fils Wuibode, adressée à l'abbé de SaintSulpice de Bourges, afin que, selon une décision déjà prise par celui-ci, leur fût remis à titre précaire l'usufruit du manse (2) que l'abbaye possédait à Chalivoy, dans la vicairie (3) de Charenton, dans le « pagus » de Bourges (c'est-à-dire dans la province, le comté ou le pays de Bourges (4). Les demandeurs s'engagent à payer chaque année aux Religieux trois sols. Ils supplient qu'ainsi cette concession leur demeure solide et inviolable, comme si les clauses en avaient été renouvelées tous les cinq ans. La pièce est signée par le prévôt Vigobert et datée du mois de janvier de la 5e année de l'empereur Louis sérénissime Auguste. (Archiv. du Cher, fonds de Saint-Sulpice : Cart. A., f° 35.)

(1) KERSERS : toc. cit.

(2) Le « manse » était ce que nous appelons aujourd'hui un domaine, où, selon Taine, les serfs vivaient à peu près comme les métayers actuels.

(3) La « vicairie » était la première subdivision du pagus ou comté et se subdivisait elle-même en « centaines ». Elle était administrée par un délégué du vicomte ayant le titre de vicaire (plus tard vicomte). (RAYNAL : Hist. du Berry, Introduc.,

p. XLV.)

(4) Le « pagus biturigus » représente, sous les deux premières dynasties, le pays, province ou comté de Bourges. (Ibid., p. XL, note 2.) C'était un « pagus major » ou grand pays.


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Notons ici que Chalivoy n'était alors qu'un simple bénéfice, c'est-à-dire une terre concédée en récompense de hauts faits d'armes ou de services rendus dont on accordait l'usufruit à titre précaire, révocable à merci ou tout au plus viager. Mais déjà les bénéficiers tentaient de devenir propriétaires du fonds et d'en assurer l'héritage à leurs enfants. Aussi voyons-nous Goricbod intéresser Wuibode, son fils, dans l'obtention du bénéfice de Chalivoy. Plus tard, Charles le Chauve sera forcé d'accorder l'hérédité des fonctions et des charges, et partant les bénéfices se changeront en alleu (allod, al ) tout, lod : bien : termes germaniques)— ou biens possédés en propriété et transmissibles par voie d'héritage.

En 880, sous le pontificat de l'archevêque de Bourges, Frotaire, un échange passé entre l'abbé de Saint-Sulpice et les Milon nous montre que ce changement s'est opéré à Chalivoy.

La deuxième année du règne de Carloman, au mois de décembre, un nommé Milon, sa femme Gerrade, et leur fils, donnent à l'abbé Addolen, pour son monastère de Saint-Sulpice, toutes leurs possessions de Faucillières (1), et d'autres parcelles de terre situées à Chalivoy. Ils reçoivent en échange des terres appartenant à Saint-Sulpice et situées dans le lieu qui s'appelle aujourd'hui Yssertieux (2). Et cela à titre perpétuel et absolu, sous les garanties d'usage à cette époque (3).

Cet acte, que nous ne publions pas, puisqu'on le trouve dans Raynal (4), nous donne des indications très pré(1)

pré(1) à 9 kil. de Dun-sur-Auron et à 0 de Chalivoy-Milon, est situé dans la commune de Lantan.

(2) Exartilis, à 2 kil. du bourg de Chalivoy-Milon, sur le Boron.

(3) Une amende d'une livre d'or et les peines infligées par les « Bons Hommes » ou juges de la Cour du Comte.

(4) Histoire du Berry, tome I, pièces justificatives (IV), p. 408.


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cises sur la situation des lieux que nous décrivons. Ils sont tous dans le comté de Bourges et dans la vicairie de Bourbon, mais ils n'appartiennent pas à la même centaine (1). Tandis que Faucillières relève de la centaine de Dun, Chalivoy et Yssertieux se rattachent à La Vèvre (2).

Il nous apprend que l'église paroissiale dédiée à Saint Silvain possédait des terres, une mense déjà distincte de la mense prieuriale.

Nous y voyons également que les terres d'Yssertieux voisinaient avec celles que possédaient dans cette région Notre-Dame de Limoges (3) et Notre-Dame de Sales.

L'acte porte la signature de plusieurs personnages servant de témoins soit à la famille Milon, soit à l'abbé de Saint-Sulpice.

Cependant les alleus vont devenir plus rares. La règle posée par Charles le Chauve (4), que chaque homme libre eût à se choisir un vassal (5) devait de plus en plus recevoir son application. Les terres encore libres se

(1) La centaine qui, primitivement, se composait de cent feux était une division de la vicairie administrée par un centenier ou centurion. C'est l'origine du canton.

(2) La Vèvre est située dans la commune de Bussy.

(3) Probablement « S. M. de Arenis » mentionnée dans les chroniques de Saint-Martial de Limoges (publiées d'après les manuscrits originaux pour la Société de l'histoire de Fiance, par DUPLÈS-AGIER, p. 95).

On lit aussi dans les archives paroissiales de Sainte-Marie de Limoges, car il existe encore une église de ce nom : cette église n'était pas située où s'élève actuellement l'église paroissiale de « Sainte-Marie », mais de l'autre côté de la Vienne, vers le chemin de Babylone. C'était une église fort ancienne dédiée, d'aucuns disent par Saint Martial lui-même, à N.-D. des Agonisants, à l'endroit où plus tard fut bâtie en l'honneur de Sainte Félicité une église maintenant démolie. (Notes du chanoine Dumilieu, curé de Sainte-Marie.)

(4) Cité par GUÉRARD, Pol. d'Irminon, t. 1er, 2e partie, p. 470, note 6.

(5) « Vassal » : gwas ou was : serviteur, mot celtique.


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transformèrent alors en fiefs (1) dont l'appellation variera selon la nature des redevances et dont les propriétaires étaient comme de véritables souverains dans leurs domaines. Or, cette transformation s'opéra au profit, tantôt de l'un des seigneurs laïcs, comme à Yssertieux et à Acon, tantôt d'un seigneur ecclésiastique ou religieux, comme à Villers (2) et à Chalivoy.

Les terres de Chalivoy étaient comme enserrées nous l'avons vu, dans des biens d'église. C'étaient les possessions de Notre-Dame de Limoges, de Notre-Dame de Sales, de l'abbaye de Saint-Sulpice. Cette dernière finit par l'emporter sur tous les autres et, par son vieux prieuré, obtint la puissance seigneuriale sur le chef-lieu et la partie principale de la paroisse.

Mais cela ne se fit pas tout seul. Il lui fallut lutter durement et subir parfois de terribles humiliations. Si son histoire, au Xe siècle, nous est restée obscure, nous savons du moins que les seigneurs laïcs, à la fois croyants jusqu'à la superstition et de moeurs encore à demi-barbares, ne la soutenaient pas toujours. Au contraire, profitant des désordres qui surgirent sous le règne des' derniers Carolingiens et à l'avénement des premiers Capétiens, ils attaquèrent souvent les églises et les dépouillèrent des redevances accordées par les fidèles, des cens, dîmes et droits de toute sorte, même de ce revenu qui tient spécialement au ministère du prêtre, comme les offrandes à l'église, le casuel des sépultures, baptêmes, relevailles, mariages, visites des malades, confessions, veillées auprès des morts. Tout cela formait pour certains laïcs le fief le plus étrange

(1) « Fief » : signifie primitivement bien, avoir, et sous la féodalité indiquait un domaine noble, relevant du seigneur d'un autre domaine, concédé sous condition de fui et hommage et assujetti à certains services et à certaines redevances.

(2) Villers devint fief des Religieuses de Charenton.


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qu'on puisse imaginer. On l'appelait le « fief presbytéral » (1). L'église de Chalivoy subit comme les autres cet abus de la force mise au service de la cupidité. Un acte de restitution va nous l'apprendre.

Le XIe siècle venait de se lever. Il devait être l'époque de la Providence sur son Eglise dévalisée. Grâce à l'énergie des évêques et des conciles, les usurpateurs durent se dessaisir des biens qu'ils détenaient injustement. C'est ainsi que nous voyons Robert de La Porte restituer à l'église de Bannegon la terre du « Pont de Chargy » avec ses prés, son droit de censive et ses « gallis » (2), auxquels il ajoute trois quartiers de vigne et un serf. C'est ainsi spécialement qu'intervient en faveur de notre église de Chalivoy une restitution faite en 1032.

L'abbé de Saint-Sulpice, Vivien, connaissant le zèle de l'archevêque de Bourges, Aymon, pour délivrer son église de l'oppression dans laquelle la tenaient de nombreux usurpateurs, lui dénonce en pleurant la triste situation faite à l'église paroissiale Saint-Silvain, de Chalivoy, « par un pillard du nom de Raymond, fils du clerc Itier. Aussi, en très bon père, l'archevêque frappa d'excommunication ce Raymond qui, après en avoir souffert très longtemps », se décida à faire cesser ce douloureux état. En présence des personnages les plus illustres du diocèse et de la vicomte de Bourges, il reconnut son usurpation et s'engagea à restitution et à dédommagement. Il demande seulement qu'on lui laisse la moitié de la censive du village de Chalivoy et de la dîme, sur lesquelles il s'engage à fournir chaque année

(1) RAYNAL : Hist. du Berry, t. 1er, liv. 3e, chap. I, p. 360-361.

(2) Mol dont il ne nous a pas été possible de préciser le sens. Serait-ce le mot gallinis dont l'abréviation aurait été omise ? Les gélines pouvaient en effet figurer dans les actes avec le droit de censive.

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aux moines de Saint-Sulpice (1) le droit de gîte en deux endroits différents. Il va plus loin et promet de donner comme moine au prieuré de Chalivoy son fils, s'il en a un, et avec lui la moitié du bénéfice sacerdotal avec quatre arpents d'alleu de terre arable, soit au village de Chalivoy, soit au village de Faucillières (2). Si ce fils meurt avant l'accomplissement de la clause et qu'il en ait un second, il lui succédera dans cette obligation, et ainsi de suite jusqu'au dernier. Après quoi, l'église devait recouvrer tous ses biens sans contestation (3).

Grâce à ces restitutions le prieuré et la paroisse de Chalivoy deviennent de plus en plus prospères. Une

(1) A ceux qui se montreraient surpris qu'un laïc eût osé s'emparer des bénéfices prcsbytéraux et sacerdotaux, nous ferons remarquer que le père de Raymond, étant clerc, avait pu recevoir canoniquement, en récompense de quelque service, celte moitié des revenus de notre église. Le tort du fils fut d'en vouloir conserver sans droit la jouissance. Celui-ci, d'ailleurs, tout en offrant une compensation, gardait le fonds jusqu'à nouvel ordre.

(2) Il est fort à croire que cet usurpateur était de la famille des Milon dont les propriétés étaient, en effet, à Chalivoy et à Faucillières.

(3) Nous croyons devoir publier avec quelques corrections cet acte donné déjà par BURIOT DE KERSERS, Statistique monumentale du département du Cher, tome IV, p. 147 :

Anno incarnationis dominice MXXX , regni autem Henrici, regis Francorum

Francorum cum jam Aimo Biturice sedis archiepiscopus pre [es] set, jum secundo

anno episcopatus sui, cum Dei ecclesiam, illis in partibus multis invasoribus oppressam relevaret, sancti Sulpicii monasterium graviter circuventum vastatoribus condoleret, Vivianus, tune temporis abbas ipsius monasterii, multimodas oppressiones huic domino dilecto archiepiscopo deplorando intimavit, inter quas sancti Silvani ecclesiam que est in vicaria Borbonensi, villa vero Calliveti, suo vero monasterio antiquissime pertinentem, a quodam vastatore Ragimundo nomine, filio Iterii clerici, tunc temporis abstractam, intimare curavit. Ipse vero ut pater piissimus excommunicationis jaculo confodit. Quo diutissime attritus ad hunc nodum conventionis volons nolensque est adductus que hoc modo habetur : Presentibus dominis videlicet Aimone archiepiscopo, Goffrido bituricensi vicecomite, Odoni dunensi, Hunbaldo vicario, Mainerio milite, ego Ragimunnus sancto Sulpicio et Viviano abbati fratribusque ibidem Deo militantibus, dono VI libras denariorum

* Aimon occupa le siège archiépiscopal en 1031.


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église nouvelle se bâtit dont nous admirons encore la richesse d'architecture avec un choeur assez vaste pour recevoir de nombreuses stalles : ce qui suppose que le prieuré était pourvu d'un certain nombre de religieux.

C'est aussi à cette époque que fut construite la vieille forteresse d'Yssertieux que les touristes viennent visiter en grand nombre.

ad praesens, et duos receptus omni anno pro medietate eccmesoe Callivelensis et pro beneficio sacerdotali quod huc usque post mortem patris injuste tenui, tali tenore ut, si mortuus fucro sine mulieris herede, totum sine calumpnia meorum ad ipsum locum revertatur ; sin autem de muliere filium habuero, ipsum monachum reddam in eodem loco, et cum eo dimidium sacerdotale beneficium cum quatuor aripennis alodi de terra arabili vel in villa Calliveti vel in villa Falcillaria ; et si ille filius mortuus fuerit antequam de eo hoc liceat fieri, simili modo succedat alter si habuero. Et hoc fiat usque dum unus ibi remaneat. Me autem mortuo, hoc totum ad ipsum locum absque calumpnia parentele meae quiptum reveniat. Hujus autem conventionis dono obsides Odonem danensem, Beraldum de Porta, Rodulfum de Ticoniis et duos suos fratres Ragimannum et Arnulfum.

Hanc vero cartulam asstantibus dominis coram roborandam prebui quam idem episcopus his verbis muniit : Quicumque hujus cartule calompniator surrexerit, perpetuo anathemate privatus ecclesia, Dathan et Abiron junctus, torqueatur poena perpetua. Amen.

* Aimonis archiepiscopi. S. Aimardi clerici.

S. Eurardi clerici. S. Ranierii. S. Gauslini. S. Iterii S. Danihelis. S. Adalgerii.

* Gauzfredi vicecomitis. S. Odoni.

S. Hunbaldi.

S. Ervici.

(Arch. du Cher. F. de Saint-Sulpice. Liasse 1re de Chalivoy.)

* Le nom de l'archevêque, comme celui du vicomte, est précédé du monogramme grec du Christ.



CHAPITRE II (1) L'église de Chalivoy-Milon

Les moines Bénédictins de Saint-Sulpice de Bourges avaient certainement bâti à Chalivoy une église ou au moins une chapelle conventuelle servant d'église paroissiale longtemps avant que fût édifiée l'église actuelle. Ce temple primitif était, comme nous l'avons vu, dédié à Saint Sylvain et possédait une mense en biens fonds dont nous venons d'apprendre par l'acte de 1032 la spoliation et la restitution. Partagea-t-il le sort de l'église première de Bannegon, détruite par les Anglais sous le règne de Philippe 1er ? Nous ne saurions le dire. Nous ne saurions même affirmer qu'il occupât l'emplacement de notre église actuelle, car l'existence sur la chaume, jusqu'au XVe siècle, d'un cimetière auquel nous avons déjà fait allusion (V. p. 6), nous fait concevoir des doutes à ce sujet. Ce n'était pas l'usage, dans les paroisses rurales surtout, d'avoir un cimetière isolé de toute église ou chapelle.

Quoi qu'il en soit, l'église actuelle, la plus belle des environs, date, comme la plupart des églises rurales de la région, du XIe siècle, époque de magnifique floraison d'églises romanes en notre pays. Sa construction coïncida peut-être avec la susdite restitution. Mais

(1) Pour ce chapitre on peut consulter B. DE KERSERS, ouvrage cité t. IV, canton de Dun-le-Roi, p. 66 à 77, et les planches II, III, IV et XIX de ce canton.


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nous n'insinuons pas qu'elle en dépendît.—Elle fut édifiée des deniers d'un Milon que d'aucuns nous disent avoir été prieur du lieu: ce qui expliquerait pourquoi depuis lors Chalivoy augmenta son vocable du nom de ce bienfaiteur, ou bien avec les restitutions faites alors par Raymond (V. chap. 1er). Sans doute, le prieuré, poulie sanctuaire et le choeur, et les fidèles, pour la nef, selon l'usage, ajoutèrent leur quote-part. Aussi, comme partout, tandis que la nef n'était qu'une espèce de hall ou abri, le sanctuaire et le choeur étaient soigneusement ornés, grâce à la richesse des moines. Les de la Porte qui vinrent plus tard habiter Yssertieux contribueront aux restaurations et embellissements de l'édifice ; car, au XVIIIe siècle, le curé Rousseau les qualifiera de «fondateurs en partie» de Chalivoy-Milon ; à moins que, selon la théorie que vers la fin du XVIIIe siècle invoqua Mme de Bonneval, ce titre ne leur fût dû comme inhérent à la terre d'Yssertieux et reçu avec elle de la famille Milon, anciennement propriétaire de cette terre.

Elle semble avoir eu le même architecte et avoir été construite à peu près sur le même plan que celles de Blet, Charly, Thaumiers et Bessais. Seulement les proportions en sont plus grandes (1) et le style plus riche.

Malgré la grossièreté de l'exécution, les ornements sont moins frustes que dans la plupart de nos églises de campagne. On y sent l'homme d'une certaine halileté qui tâtonne encore et s'essaye à mieux.

Placée, selon l'usage invariable de cette époque, au

(1) Le monument a 35 m. de long. Il se divise en trois parties : une nef de 20 m. de long sur 10 m. de large ; le choeur et l'abside mesurent chacun 7 m. sur 8*. La nef a 10 m. de haut, à la corniche ; les pignons 19, sauf celui du choeur qui est moins élevé ; le sanctuaire est moins élevé encore. Le chocher a 100 pieds. Les matériaux ont été empruntés à Dun ou à Charly.

* Ces mesures comprennent l'épaisseur des murs.


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milieu du cimetière dont on ne conserva plus tard qu'une partie indispensable, cette église était orientée. Le choeur est fortement incliné du côté de l'évangile.

Cette église fut, comme l'ancienne, dédiée à Saint Sylvain et peut-être en même temps à Notre-Dame. En 1126 nous la trouvons sous ce double patronage. Toutefois, remarque de Kersers, Saint Sylvain pouvait être le patron de l'église paroissiale et Notre-Dame de la chapelle du prieuré, comme cela est marqué dans le procès-verbal de consécration de 1544 (1). Ce n'est qu'en 1715 que Saint Eloi apparaît avec le titre de patron, qu'il garde encore aujourd'hui, bien qu'il figure, ainsi que Saint Roch, dans les peintures de la nef que de Kersers fait dater du XIIIe ou du XIVe siècle, et parmi les Saints auxquels furent dédiés les autels consacrés en 1544. Saint Eloi est patron principal et Saint Roch patron secondaire, ou, selon certains, le premier est celui de la paroisse, le second celui du lieu. Du culte de Saint Sylvain, il ne reste aucune trace.

La physionomie première de l'édifice a été modifiée à plusieurs reprises par des réparations dont les principales ont eu lieu au XIIIe siècle, pour la construction du clocher, vers le milieu du XVIe siècle, puis en 1470, 1816 et 1885. Les autels primitifs ont disparu depuis longtemps. Il est cependant assez facile de reconstituer l'oeuvre sur le plan original.

Extérieurement, l'abside portée sur un stylobate ou socle, est partagée en trois zones horizontales et divisée en cinq travées verticales par des colonnes plaquées sur des dosserets allant du pied jusqu'au faîte. Ces colonnes

(1) Cette consécration du 20 août 1544, rendue nécessaire par des réparations considérables, n'était pas la première : l'église avait reçu ce caractère dès son achèvement.


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ont une base carrée et un dé de même forme surmonté d'une cymaise diversement ornée. Trois de ces colonnes ont disparu sous d'énormes piliers qui paraissent être de la même époque que le gros pilastre qui se trouve au N. en face du clocher ; plusieurs de ces piliers ont été refaits en partie à différentes époques. La seule qui reste présente, au-dessus du dé, un cavet traversé verticalement par des espèces de rubans. Au-dessus court un boudin. Le fût est rond. Les deux chanfreins du dosseret, aigus dans le bas, s'arrondissent en colonnettes qui accompagnent la grosse colonne dans sa partie supérieure. Les chapiteaux étaient diversement ornés ; celui de la colonne primitive porte deux sortes de loutres ou de sirènes qui dévorent un feuillage. (On retrouve, avec quelques modifications, ces animaux plusieurs fois dans l'intérieur du monument.) Les autres sont décorés de feuillage, et c'est la seule ornementation, quand ils en ont une, de tous nos chapiteaux extérieurs ; il y en a cependant un qui possède un lion ailé.

La zone inférieure est occupée par une arcature aveugle portée sur des colonnes à cymaise dont les fûts et les chapiteaux sont diversement ornés. Un des tympans est revêtu d'imbrications grossièrement sculptées et plusieurs fûts sont coupés d'anneaux variés. Les cintres sont encadrés d'un larmier : l'un d'eux est décoré de cubes disposés sur deux rangs et en damier. Audessus s'ouvrent trois fenêtres encadrées d'un boudin : celle du milieu est, de plus, abritée d'un larmier. Enfin, dans la zone horizontale supérieure règne une arcature de moindres dimensions que celle du bas et de style beaucoup plus grossier, qui pourrait être le fruit d'une maladroite réparation.

La corniche est formée d'arquettes évasées portées sur des corbeaux très variés et représentant des figures ou


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des objets allégoriques où entrent, comme partout, les sept péchés capitaux.

Comme dans les églises de cette époque, à cause de leur destination monacale, le choeur est long. Lès pans en sont, à l'extérieur, richement décorés et divisés en deux travées par un contrefort peu saillant. Un autre contrefort semblable appuyait jadis les coins du choeur ; un autre encore flanquait la saillie que fait le choeur sur le sanctuaire. — Ces travées sont elles-mêmes partagées horizontalement en trois zones. La travée orientale possède, dans sa zone inférieure, deux arcades à chanfrein, semblables à celle que nous avons signalée au haut de l'abside. L'autre travée, du côté sud, ne possède pas d'arcade dans cette zone ; du côté nord elle en a deux semblables à leurs voisines. Au-dessus, court un bandeau à grains d'orge et chanfrein chargé de billettes, comme à l'intérieur du monument. Chaque travée, dans sa zone médiane, est percée d'une fenêtre encadrée d'une retraite et dont le cintre extérieur, à très fins claveaux, repose sur des colonnettes. Les chapiteaux sont à feuilles plates et variées ; les bases à fins boudins et cavets alternés. La zone supérieure possède aussi une arcature aveugle sur colonnettes, mais à claveaux très inégaux. La corniche ressemble à celle de l'abside : quelques-uns des corbeaux qui la portent sont chargés d'entrelacs en hélice. Il en est un qui montre deux personnages embrassés ; un autre, un personnage nu et vu de dos. Quelques arquettes ont, dans une restauration, fait place à des bandes chanfreinées avec retombées à angle droit sur les corbeaux.

Au-dessus de l'abside et du choeur, la couverture en tuiles au lieu de porter directement sur les murs, comme cela a lieu pour la nef, est soutenue à cinquante centimètres environ des murs par des pièces de bois partant


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de la sablière et aboutissant au bas des chevrons. C'est un moyen d'aérer les voûtes qui contribue à la beauté du coup d'oeil.

Avant le clocher actuel, il y en avait sans doute un construit en simple charpente au-dessus de la nef. Celui que nous possédons a été surajouté à l'édifice, comme il est facile de s'en convaincre par le raccord et le style du cintre qui, à l'intérieur de la nef, le soutient. A l'extérieur, on peut aussi constater que le mur de la nef dévie de la ligne droite depuis le premier contrefort et que ce contrefort lui-même a été placé de biais, ce qui semble bien indiquer une reprise de ce mur par le pied avec un écarlement voulu pour faire place à la tour du clocher. La sablière n'y est pas continuée.

Cette tour carrée, de quatre mètres de côté et d'environ cent pieds de haut, parait bien être du XIIIe siècle. Elle est placée après le choeur, sur le côté sud de la nef. Le clocher est porté, à hauteur des murs de la nef et du choeur, par un pilier assez étroit composé de ces deux murs prolongés parallèlement et réunis, à l'est, par un petit entre-deux, et à l'ouest, par un énorme pilier qui s'avance, vers le milieu de l'église, de plus d'un mètre. En outre, extérieurement, le pied de la tour est, dans les deux tiers de sa largeur, renflé d'environ un demi-mètre par un contrefort plat. Tout cet ensemble bizarre, d'un coup d'oeil peu gracieux, ne s'explique guère que par la nécessité de ménager de l'espace pour les bâtiments du prieuré qui devaient alors jouter l'église, ou pour la circulation des religieux. Tout cela encadre un escalier de pierre en colimaçon dont le sommet a été démoli exprès, probablement en 1841, pour donner chemin à une cloche.

Au moment de la Révolution, il y avait dans ce clocher trois cloches qui toutes ont disparu. Les deux qu'il


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possède aujourd'hui sont, la plus petite, l'ancienne cloche, restée à Chaumont après la tourmente révolutionnaire, l'autre, une cloche neuve, achetée en 1841. Le beffroi et l'échelle qui traverse le tambour du clocher avaient survécu aux tristes événements.

Au niveau des corniches du choeur et de la nef, par conséquent à des hauteurs inégales, le pilier plat qui, à l'extérieur, soutient la tour est accosté de gros encorbellements qui complètent et soutiennent les deux angles du clocher. Au-dessus de ces encorbellements règne un premier étage sans aucun ornement. Puis, après un bandeau carré, de petites dimensions et dépourvu d'ornements, vient un autre étage en grand appareil, percé, sur chaque face, de petites fenêtres de plein cintre à colonnettes, géminées, à tympan plein sans trèfle, sous de grandes arcades aussi de plein cintre et retombant sur d'autres colonnes du style de celles du choeur. Le tailloir de ces colonnes se continue en bandeau chanfreiné qui court tout autour du monument, séparant cet étage en deux zones horizontales.. Vient ensuite une corniche formée d'un autre bandeau carré et de petites dimensions, soutenu, sur chaque face, par cinq figurines formant corbelets.

Le toit est en maçonnerie formée de moëllons plats et irréguliers et couvert de crépi. (1) C'est une pyramide quadrangulaire accostée, de chaque côté, de petits pignons aux frontons aigus percés de petites baies géminées et, au sommet, d'un trèfle. Le meneau qui divise ces lucarnes est rond dans le style primitif et prismatique là où il a été mal réparé et où aussi on a changé son plein cintre pour un arceau ogival. Contrairement à ce qu'affirme B. de Kersers, nous croyons

(1) Et non en dalles, comme l'a écrit Frémont dans Le Département du Cher.


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ces fenêtres aussi anciennes que le clocher luimême : elles entraient très régulièrement dans le style d'alors. — Décapitée de sa croix et de son extrémité, en janvier 1798. par ordre du gouvernement révolutionnaire, la flèche fut, en 1816, coiffée d'une pointe en pierres blanches bridées de liens en fer et surmontée d'une croix également en fer et sans autre ornement qu'un coq.

La nef n'a pas de corniche ; le toit s'appuie sur de simples sablières. Chaque pan de mur était percé très haut de trois petites fenêtres romanes sans ornement qui laissaient à l'intérieur une pénombre mystérieuse très favorable au recueillement. Quatre contreforts carrés et peu saillants flanquent chacun des pans. Du coté sud, au haut du mur, se voient encore deux corbeaux, sans doute destinés jadis à soutenir la faîtière d'un appentis dont la toiture devait nécessairement aveugler les fenêtres de ce côté, et, au-dessous du niveau des anciennes fenêtres, deux autres corbeaux à crochets, apparemment destinés à recevoir l'extrémité d'une voûte ou d'un plafond, sinon la faîtière même de l'appentis. Cet appentis, d'après B. de Kersers, n'aurait été qu'une lice ou abri comme il s'en trouve encore à Brinon, à Sainte-Montaine, à Coust, à Ids-Saint-Roch, et comme nous en avons constaté des vestiges en maints endroits du Berry. Placé ici, du côté du couvent, cet abri ne pouvait être que le cloître des religieux, ou, mieux encore, leur chapelle privée à la fois attenante à l'église et complètement séparée d'elle, comme était celle de Puy-Ferrand au Châtelet-en-Berry. Dans cet oratoire prieurial, remplaçant la crypte pour les offices non paroissiaux, surtout ceux de nuit, il y avait un sanctuaire et un autel comme il est spécifié dans le procès-verbal de consécration de 1544. Plus tard, quand les moines eurent disparu et que le


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prieuré ne fut plus qu'une ferme, ce bas-côté fut supprimé. Une porte fut même ouverte au milieu du pan pour la commodité des gens ; mais elle a été rebouchée en 1885, lors de la construction de la voûte. Par contre, on rouvrit alors, juste en face, la porte du nord depuis longtemps condamnée. La dernière partie de l'ancien cimetière, dans lequel elle donnait accès, étant devenue la place du marché, il était naturel qu'on utilisât cette ouverture. C'est une porte romane, basse, lourde, mais jadis très richement décorée. Elle se composait d'un très beau cintre retombant sur deux colonnes à corniche du même style que celles dont nous avons déjà parlé. Le tympan est orné d'un cadre formé d'une guirlande et d'un objet circulaire soutenu par deux anges et figurant vraisemblablement une hostie dans laquelle se voit debout l'agneau pascal portant une croix. Cette porte est surmontée d'un larmier à chanfrein. On aperçoit aussi sur l'enduit du mur les traces d'un petit auvent comme on en établit très communément dans la suite au-dessus des portes d'églises. Malheureusement, cette physionomie primitive a été altérée par des réparations assez récentes et très grossièrement exécutées.

La porte principale, percée au milieu du pignon, sans être monumentale,avait une certaine beauté; mais elle a été aussi défigurée. Elle est surmontée d'une arcature retombant sur des colonnettes portant corniches, et d'un larmier à chanfrein qui se continue en bandeau chanfreiné jusqu'aux deux contreforts qui soutiennent les extrémités du pignon. Plus haut s'ouvre une fenêtre, plus grande que celles des côtés de la nef, également romane, surmontée elle-même d'un larmier chanfreiné et bien décoré. Enfin, au-dessus, court, à la hauteur des corniches des longs pans, un bandeau également à


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chanfrein et très décoré. Ce bandeau est soutenu, comme la corniche du clocher, par. des figurines, au nombre de dix-sept, servant de corbelets : presque toutes, malheureusement, ont été remplacées par de simples pierres taillées.

Au XVIIe siècle, ce monument occupait encore le milieu du cimetière. C'est peut-être ce qui explique les avaries dont notre église eut à souffrir. Faute d'entretien, le pied des murs du sanctuaire et du choeur étant pourris, il y eut un écartement dû à la poussée des voûtes en maçonnerie qui dominent ces parties. Les voûtes elles-mêmes commençaient à se lézarder. On y remédia en flanquant le choeur et l'abside de piliers et de contreforts, spécialement le gros, qui fut construit vers 1740, en face du clocher et relié avec lui par une barre de fer. Mais cela ne contribua pas à embellir l'édifice.

A une époque antérieure à 1732, mais postérieure au XIIe siècle, peut-être lorsque les religieux cédèrent la paroisse à un curé séculier, on construisit, au N. du sanctuaire, une sacristie en basse-goutte dont on voit encore les. fondations. Pour cela on ouvrit une porte dans l'arcade aveugle la plus proche du choeur, et audessus on perça une fenêtre ogivale qui, bien que bouchée maintenant, s'aperçoit encore. Cette sacristie, qui n'avait pas d'autre moyen d'éclairage, si ce n'est plus tard un trou qu'on avait percé dans le mur extérieur, ainsi que le constatait le procès-verbal de visite pastorale de Mgr de la Rochefoucault du 30 may 1732, était fort étroite (1). En 1848, elle fut remplacée par celle qui existe encore à l'opposé. Celle-ci a l'avantage d'être plus

(1) Elle ne mesurait que 2m 10 de profondeur sur 3 de largeur, avec des murs de 0m 50 d'épaisseur.


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vaste (1) et mieux éclairée; en outre elle a une porte de sortie sur le dehors. Mais elle ne contribue pas plus que la précédente à l'embellissement de l'église. Les religieux qui abritaient chez eux les ornements et les vases sacrés ne prévoyaient pas la construction d'une sacristie. Du côté de l'épître, sous la dernière arcade aveugle du choeur, se voit encore la trace d'une petite porte romane qui faisait communiquer le choeur de l'église avec le prieuré, et servait aux religieux qui ne devaient pas circuler dans la nef.

A l'intérieur, les beautés primitives de cette église nous paraissent plus remarquables et les dégâts plus regrettables.

D'abord, voici la nef. Elle était primitivement fort élevée. Son sol ainsi que celui des deux autres parties était d'un demi-mètre plus bas qu'il n'est maintenant (2). Comme dans toutes les églises de cette époque, on y descendait par deux ou trois marches, afin, disent les auteurs mystiques, de figurer le tombeau de Notre-Seigneur qui repose réellement dans les temples catholiques, comme dans son sépulcre, avec des apparences de mort. Mais n'oublions pas que nos aïeux, avec leur sens utilitaire, savaient se procurer ainsi de la fraîcheur en été et de la chaleur en hiver quoique avec beaucoup d'humidité.

La voûte était en berceau, et, comme dans les églises peu riches, en bardeaux. Elle touchait la couverture et

(1) Cet appentis, qui va du pilier du choeur au premier des piliers du sanctuaire, mesure environ 5m de côté avec des murs de 0m 50 en surplus. On y descend de l'église par un escalier de 3 marches et on y accède de la rue par deux marches. Le mur du Sud est percé d'une petite fenêtre.

(2) C'est au XIXe siècle, probablement vers 1816, que fut fait cet exhaussement.


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laissait voir les tirants et les poinçons qui séparent les trois fermes, toutes pièces de bois peu façonnées.

Le long des côtés de cette nef régnaient des bancs de pierre : les murs, ainsi que ceux du choeur et du sanctuaire, étaient peints dans toute leur étendue. Du temps que M. l'abbé Clostre était curé de Chalivoy (1861-75), M. l'abbé Lenoir, alors curé de Charly, fut chargé, diton, par la Préfecture du Cher de tenter dans notre église une restauration semblable à celle qu'il venait d'exécuter avec tant de succès dans la sienne. Il mit à jour une grande partie des vieilles fresques qu'on avait recouvertes d'un plâtras jaunâtre, après les avoir piquées au marteau, sous l'administration de M. le curé Poulhalon (1845-51). Si l'oeuvre n'a pas été conduite à bonne fin, c'est que le maire de Chalivoy (1) aurait subordonné son autorisation à l'accepation par l'auteur de tous les frais d'entreprise.

Ces peintures exécutées à l'ocre rouge et jaune, au bleu et au noir sur un mortier non séché, se sont incrustées dans les enduits et devaient durer autant qu'eux. Celles qui avaient été tracées sur la pierre se sont moins bien conservées. C'était ce que, dans le langage artistique, on appelle « peintures primitives », c'est-à-dire des ébauches telles qu'on en trace quand on commence un tableau. Pas plus que dans la sculpture du même âge les proportions anatomiques n'étaient gardées, mais cela suffisait pour réaliser l'enseignement par l'image si usité à cette époque, et auquel on revient de nos jours.

B. de Kersers affirme que ces peintures sont d'époques bien différentes. Jugeons-en :

Dans la nef, du côté de l'évangile, on reconnaissait encore, il y a vingt ans, un Saint Eloi ferrant un cheval ;

(1) M. Pierre Meillant.


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l'inscription « S. Eligius » comporte l'E lunaire et les caractères du XIIIe siècle. — A droite, on voyait S. Robert, S. Philippe, Ste Barbe avec sa tour, S. Roch, un chien derrière lui et regardant un moulin à vent. Ici les noms étaient écrits en minuscules gothiques et dataient au plus tôt du XVIe siècle (de Kersers). Auprès du Saint que nous venons de nommer, se voyait de face un guerrier à cheval. — La partie haute la plus rapprochée du choeur était occupée par une immense sphère ou mappemonde de six mètres de diamètre où l'on distinguait quatre grands fleuves, vraisemblablement ceux qui entrent dans la description du paradis terrestre. Au sommet, le Créateur ; au-dessous, des animaux divers et des peuples fabuleux costumés à l'antique; puis un « sciopode » tenant en l'air un large pied qui lui sert de parasol, des hommes sans tête, etc... Les légendes EUPHRATES, BABYLONIA, OCEANUS, AEGYPTIACUS, sont en majuscules romaines, comme les noms des Saints placés dans les embrasures des fenêtres du choeur. « Malgré l'épigraphie, dit B. de Kersers, qui d'ailleurs a pu être renouvelée, il semble difficile de faire descendre ces grossières images plus bas que le XVe siècle. »

Le coup d'oeil du vaisseau a été désagréablement coupé par l'énorme pilastre qui soutient le clocher. Ce pilier reçoit vers le haut un arc en tiers-point qui vient s'y noyer sans aucun ornement d'architecture qu'un embryon de corniche formée d'un simple cavet. Cet arc, destiné à soutenir la tour, et se rattachant au XIIIe siècle par sa construction, retombe d'autre part sur un corbelet formé d'une suite de cavets dans lesquels est assis un personnage du peuple pieds nus et nu tête avec la blouse retenue à la taille par un ceinturon. Les deux mains appuyées sur les genoux, il semble supporter la bâtisse sur son dos, comme pour indiquer que le clo3

clo3


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cher fut édifié aux frais du peuple de la paroisse. Ce personnage repose lui-même sur un tailloir soutenu par trois têtes séparées par deux corolles d'inégales grandeurs et provenant de tiges enguirlandant les deux flancs du corbelet. Cela n'indiquait-il pas une famille seigneuriale de la paroisse et bienfaitrice de l'église, voire même coopératrice dans la dépense de ce clocher? On remarque aussi dans la nef deux crédences, en forme d'excavation, desservant les deux autels qui s'y dressent. L'une est de plein-cintre, l'autre en tiers-point, mais doivent remonter également au XVe siècle, malgré ces différences.

Ces autels en bois n'ont rien de bien remarquable. Celui de la Sainte-Vierge, adossé au pilier du clocher, n'a aucun cachet artistique. L'autre, adossé au mur du choeur, jadis dédié à Saint Roch et depuis quelques années à Sainte Solange, est composé de débris de l'ancien rétable du grand autel. Il est assez curieux avec ses statuettes en bois assez finement sculptées. Deux autres statues en bois d'anges à banderole provenant de ce rétable, ont été reléguées sur des socles à mi-hauteur des piliers en bois qui soutiennent la tribune.

Ce qui mérite d'attirer l'attention, c'est le grand crucifix en bois, presque grandeur naturelle, appendu au mur du Sud en face de la chaire. Jadis il était placé audessus du cintre de l'entrée du choeur, comme c'était l'usage dans les églises romanes. Nous ne saurions lui assigner une origine précise.

Comme l'indique une plaque commémorative encastrée dans le gros pilier du clocher (1), en 1885, tandis

(1) Celte plaque en pierre porte gravée l'inscription suivante : « Le nom des bienfaiteurs de cette église est ici et au livre de la vie. + Décembre MDCCCLXXXV.» Elle est placée à hauteur d'homme.


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que finissaient de disparaître les belles fresques de la nef sous un enduit de plâtre et de mortier imitant des assises de pierres, une voûte en briques et en plâtre, retombant sur six colonnettes à socle carré, à fût à moitié noyé dans le mur et à chapiteau orné simplement de feuillages, était construite au-dessous des tirants. Les anciennes fenêtres étaient bouchées, et cinq autres plus grandes, deux au Sud et trois au Nord, étaient ouvertes exactement au-dessous d'elles. La nef est plus propre et moins froide, mais elle a perdu son aspect grandiose d'autrefois (1).

Le choeur était jadis séparé de la nef, comme on peut le constater par les trous de scellement qui apparaissent encore sur ses deux premières colonnes, par une grille haute de deux à trois mètres. Un peu moins large que la nef, il était relativement très long, comme dans toutes les églises de cette époque, afin de loger les moines auxquels il était réservé. Quatre piliers plats ou dosserets accostés d'autant de grosses colonnes soutiennent deux doubles arceaux plats en anse de panier qui terminent, aux deux extrémités, sa voûte en forme de berceau. Les quatre fenêtres qui l'éclairent sont romanes et sans ornement architectural à l'intérieur, elles sont plus grandes et placées plus bas que les anciennes fenêtres de la nef.

Les longs pans sont ornés, à la hauteur du dossier des anciennes stalles, d'une plinthe à chanfrein supérieur. A la retombée de la voûte court un encorbellement

(1) Cette construction fut payée avec les ressources amassées par M. l'abbé Guinon, ancien curé de la paroisse (1875-77) par des quêtes faites dans tous les coins de la France, au moyen d'une confrérie de N.-D. du Sacré-Coeur érigée dans notre église et affiliée à l'archiconfrérie de N.-D. du Sacré-Coeur d'Issoudun. Elle eut lieu sous la direction de M. l'abbé Goiffon, son successeur (1877-1885) et fut l'oeuvre d'un entrepreneur berrichon, M. Guérin-Hervier, d'Aubigny-sur-Nère.


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avec rangée inférieure de billettes. Les colonnes dont le fût est sans ornement et le socle enfoui sous le pavage actuel se terminent par des chapiteaux fort curieux. Du côté de l'évangile, le chapiteau le plus proche du sanctuaire porte entrelacés deux animaux à tête de léopard et à queue de serpent; l'autre est revêtu, à ses angles, de deux têtes humaines. Celle qui regarde le choeur a la bouche libre ; celle qui est tournée du côté de la nef porte un bâillon. Serait-ce pour indiquer que, dans le choeur, on ouvre la bouche pour louer Dieu et instruire le peuple qui, lui, doit garder le silence à l'église? On se demanderait alors pourquoi les deux mêmes figures sont placées en sens contraire dans l'église de Thaumiers.— Sur le devant, est reproduite une scène de vendanges : deux hommes portent sur l'épaule un bâton où sont suspendues d'énormes grappes rappelant les raisins cueillis par les explorateurs de la Terre promise. — Sur la face du côté du choeur, un homme semble fouler un pressoir ; sur la face opposée, se voit un loup qui ravit un agneau. — Du côté de l'épître, le chapiteau le plus proche du sanctuaire représente un linceul dont les coins sont relevés et tenus par des dragons qui émergent de l'intérieur, figurant peut-être la vision du centurion Corneille. L'autre chapiteau porte une tête d'homme dévorée par deux bêtes dont les queues sont elles-mêmes avalées par une autre bête. Ces trois derniers chapiteaux portent, à leur partie inférieure, des feuillages qui, sur le dernier, sont retenus par une corde faisant le tour.

La voûte du choeur est construite en maçonnerie d'au moins un demi-mètre d'épaisseur. Les peintures du choeur, généralement mieux conservées que celles du sanctuaire, sont de différentes époques. Celles de la voûte, qui paraissent être de la même date que celles


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du sanctuaire, représentent un carré bordé de guirlandes et divisé en quatre par deux banderoles qui se coupent en croix. Ces banderoles sont très belles et de dessin très fin. Celle qui retombe est accostée d'une double rangée de bustes d'évêques. Au milieu, brille un disque avec agneau crucigère et encadrement d'un bandeau plissé et de filets rouges et jaunes à perles blanches. Chaque quart de l'aire est divisé horizontalement en deux. Les quatre compartiments supérieurs sont peuplés des douze apôtres placés sous des arcades soutenues par des colonnettes semblables à celles de l'église et tenant en main des phylactères avec inscriptions en caractères romains du XVe siècle. On y relève encore quelques fragments de mots (1). Les vides sont garnis de trente-deux médaillons contenant des bustes de saints, de vierges et de martyrs portant des palmes. Tous sont vêtus de tuniques à bandes perlées. Les quatre compartiments de retombée représentent : la résurrection de Lazare et l'entrée triomphale de Jésus à Jérusalem, du côté de l'évangile, et, du côté de l'épître, Jésus chassant les vendeurs du temple, et, selon B. de Kersers, la décollation de Saint Jean-Baptiste. Les couleurs sont le rouge, le jaune et le gris clair. Cette partie peut remonter aux XIe et XIIe siècles.

Les peintures des longs pans sont des scènes de chevalerie. Peut-être représentent-elles les croisades, à en juger par un personnage qui semble monté sur un animal et parlant à un évêque, puis par un évêque assis et bénissant des chevaliers qui s'éloignent ; enfin par un combat de chevaliers : le tout formant un premier étage à trois compartiments sur le côté gauche. M. de

(1) JS - DIXIT — DNEDM - EGO — IEL — DIXIT — SCI - EU - A PO -PO - DNE.


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Kersers a cru y voir, au contraire : la fuite en Egypte, l'ordre de massacrer les Saints-Innocents, et le massacre lui-même. Il n'affirme pas et met un point d'interrogation ; pourtant, à l'époque où il les étudiait, ces peintures étaient moins effacées. Dans le fond apparaît une ville. Les guerriers qui sont nombreux sont vêtus de cottes de mailles s'arrêtant aux genoux et portent le casque à visière baissée. — Du côté de l'épître, les sujets sont plus confus. M. de Kersers insinue que ce sont peutêtre les Rois-Mages. On peut y voir, comme de l'autre côté, des scènes du Moyen-Age : les cottes de mailles revêtent là encore de nombreux guerriers. « Les peintures des parois latérales, dit B. de Kersers, nous semblent, par la composition plus accentuée et moins hiératique, par l'achèvement, le dessin plus naturel, la coloration plus variée des personnages, être du xme siècle. Le vêtement des chevaliers convient à cette époque. » — Ces peintures furent, à une date que nous ignorons, couvertes d'un bariolage rouge, figurant des assises de pierre, première destruction que complétera le curé Poulhalon.

Dans les embrasures des fenêtres sont peints des saints au-dessus de la tête desquels sont gravés leurs noms. Ce sont : à droite, S. URSINUS, S. AUSTREGESILUS, S. PALLADIUS, S. SENESINUS; à gauche, S. SIXTUS, S. URBANUS, S. LAURENTIUS, S. VINCENTIUS. Et B. de Kersers fait remarquer que ces noms paraissent se rapporter aux patrons des autels consacrés en 1544.

Le sanctuaire, encore moins élevé que le choeur, est voûté en quart de sphère et dans les mêmes conditions que lui. On y remarque cinq arcades dont les deux premières sont aveugles, moins larges que les autres et de cintre surhaussé, tandis que les trois médianes sont de cintre surbaissé avec retraite abritant les trois fenêtres.


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Ces arcades sont portées par des colonnes dont les bases reposent sur un stylobate intérieur, à 1m 60 au-dessus du sol, et dont le fût, comme celui de toutes les autres colonnettes, est monolithe. Parmi celles-ci, les deux premières seulement sont lisses, les autres sont cannelées ou torses, à boudins ou à rubans roulés en tire-bouchon, même à deux boudins gemmés en losange et à un ruban roulé en tire-bouchon, le tout entremêlé. Les colonnes de la retraite des fenêtres sont lisses. Les chapiteaux des grosses colonnes sont folliolés, excepté les deux du milieu qui forment des linceuls avec dragons. Le tout est d'une richesse extrême d'architecture. Les piédestaux sont tous formés d'une base et de boudins entremêlés de cavets. L'un d'eux est surmonté de feuilles plates et dressées du pied du fût. Parmi ceux des colonnes de retraites, l'un porte des dents de scie et un autre de larges feuillages appliqués. Les cintres sont à claveaux de petit appareil et ont l'arête ornée d'un tore. De plus ils sont entourés de cordons chanfreinés en dessous en coquille et se reliant ensemble. Les baies aveugles en sont elles-mêmes surmontées. L'arcade du milieu porte sur chacun de ses claveaux une palmette relevée. Les chapiteaux qui couronnent les colonnettes servant d'encadrement aux fenêtres sont variés : ceux de droite sont folliolés, ceux du milieu et ceux de gauche portent : celui-ci un personnage nu et agenouillé, celui-là un oiseau, cet autre un lion ailé à la langue tirée et faite de deux pointes aiguës, ce dernier une tête de boeuf dans les mêmes conditions. Ce sont apparemment les représentations symboliques des quatre évangélistes. Un cordon chanfreiné sert de corniche à la naissance de la voûte.

La travée droite du sanctuaire est décorée à sa partie basse, de chaque côté, de deux baies aveugles avec ar-


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cades reposant sur des colonnettes sans autre piédestal qu'un double tore et posées sur le seuil à un demi-mètre de l'ancien sol. Les fûts complètement détachés du mur sont ici lisses, là coupés d'anneaux variés. Un des chapiteaux porte des dragons, les autres sont folliolés. Le tympan est traversé, à la hauteur des corniches, d'un linteau inférieurement chanfreiné.

Les peintures du sanctuaire ont été bien plus dégradées que celles du choeur Dans les embrasures des fenêtres on aperçoit aussi des personnages en pied, mais en place des noms on distingue au-dessus de leurs têtes des ailes d'anges. Dans les baies aveugles, les tympans sont décorés chacun d'un astre rouge à point central jaune et à rayons jaunes et bleus terminés par des boules rouges.

La voûte est encore recouverte d'un gros ciel bleu foncé avec nuages noirs et étoiles, les unes de cuivre, les autres de peinture jaune. On y voit même une comète. Au milieu est fixée une colombe en cuivre. Le tout est du XIXe siècle.

Les peintures des murs sont divisées en deux étages ou zônes, comme dans le choeur. Elles sont très difficiles à déchiffrer. B. de Kersers a cependant cru y distinguer un baiser de Judas.

L'autel en pierre avec bas-relief représentant la Cène, est d'un roman cadrant mal avec celui de l'église. Il sort des ateliers de M. Grasset, de Bourges, et fut érigé le 1er juin 1881, comme le porte une inscription gravée derrière le tabernacle.

Nous n'avons aucun vitrail de valeur, aucune statue artistique, rien dans le mobilier de l'église qui mérite de fixer l'attention Mais, comme nous venons de le constater dans les moindres détails, les pierres elles-mêmes


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nous parlent et nous rendent chère cette église bâtie par ceux qui furent nos pères dans la foi et qu'aidèrent de leur rude travail et de leurs modestes deniers les braves paysans qui nous ont transmis avec la vie un sérieux bagage de saines et fortes traditions.



CHAPITRE III

La famille de la Porte.

§ 1er. — ORIGINE ET ANCIENNETÉ.

« Tout indique et rend même certain que cette famille est d'origine italienne. Salerne fut son berceau. Des notes d'auteurs français et italiens, le nom de de Porta conservé en France par les premiers de cette famille qui s'y établirent et conservé également dans la devise des armoiries, les relations maintenues jusqu'à la fin du dernier siècle entre MM. de la Porte et les de Porta de Salerne, ne laissent aucun doute à cet égard. L'on savait au dernier siècle qu'une ancienne abbaye (celle de SaintBenoît, au Xe siècle), fondée par eux (à leur sortie de Salerne) à Salerne même, avait toujours eu pour chef un de leurs descendants. La maison de la Porte a la prétention de sortir des princes de petit Etat qui, euxmêmes, descendent des rois Lombards. Cette prétention est fondée sur des traditions de famille et sur les passages de divers auteurs italiens, entre autres « De rebus Salernitanis ab Antonio Mazella, in-4°, Neapoli, 1682, p. 20. »

» La maison de la Porte explique ainsi sa sortie de Salerne. Les rois de Germanie s'étant emparés, dans le Xe siècle, de l'empire d'Italie sur la postérité de Charlemagne, la face de ce pays fut changée, et c'est alors qu'eut lieu le passage en France de celui qu'elle regarde


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comme son auteur. Son nom était de Porta. Une vieille chronique écrite en l'an mil et conservée jusqu'en 1791 dans les archives de l'ancien chapitre de Saint-Oustrillé du Château de Bourges, faisait déjà mention d'un de la Porte en ces termes : « De Porta miles ex antiquissimo génère natus. — De Porta, homme de guerre, issu d'une très ancienne famille. » Ce fait, attesté par un membre de ce chapitre qui vit encore, prouverait qu'à leur arrivée en France, MM. de la Porte se seraient établis dans cette province ou le Bourbonnais et que leur origine y était dès lors bien connue. Dom Pressieux, bénédictin à Bourges, savant en matière d'antiquité, indique dans une note le commencement du xie siècle comme celui des preuves que cette famille peut fournir (1). Un titre authentique cité expressément par La Thaumassière, reconnu depuis par MM. Clérembault et Baujon, ne laisse aucun doute à cet égard. A l'appui vient encore le passage suivant, en latin, d'un partage fait, en 1291, entre Perrin et Etienne de la Porte, lequel, en même temps, a rapport à l'antique possession d'Yssertieux : « Quidquid habent patris sui et nobiles de Porta consueverunt habere. » Les nobles descendants des de la Porte ont toujours conservé l'héritage d'illustration que leur a laissé le premier chef de la maison. Dans un manuscrit tiré du cabinet de M. de Clairembault, généalo(1)

généalo(1) de ces lignes écrivait en 1700 : « .l'ai conféré avec les gens les plus connaisseurs dans ce genre de littérature sur lequel vous me faites des questions. Tous, avec les auteurs de la plus saine critique, conviennent qu'il n'y a point de maison noble en Europe qui puisse prouver au-delà du dixiesme siescle, de toutes les maisons raignan'.os dans cette partie du monde, la seule maison de France prouve desmonslrativcment sa filiation noble jusqu'au dixiesme siescle. Les autres maisons ne prouvent que du honziesme. Faites attention au mot prouver parce que tout ce qui est au-dessus n'est que par conjecture. La maison de la Porte par preuves remonte à la fin du dixiesme, etc. » (Archives d'Yssertieux. »


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giste des ordres du Roi, il est dit : « La maison de la Porte, connue en Berry depuis l'an 1000, est une de celles que leur ancienneté place dans le premier ordre de la noblesse. Une grandeur toujours plus sensible à proportion qu'elle se rapproche de son origine, une piété constante envers les monastères, une possession immémoriale des principales terres de la province dont quelquesunes lui appartiennent encore aujourd'hui, des alliances contractées avec les plus illustres maisons du Royaume, une tradition de concert avec une foule de titres authentiques, tels sont les caractères qui la distinguent de toutes celles qui portent le même nom, etc.... Quoique revêtue de tous ces avantages, cette maison a peu paru à la cour de nos rois. Ces seigneurs, contents de figurer avec distinction dans leurs armées, se retiraient dans leur province où l'affection de leurs vassaux et l'estime de la noblesse semblaient les dédommager de la perte des charges de la cour. — M. René François de la Cour, généalogiste de la maison d'Orléans, s'exprime dans des termes équivalents sur la maison de la Porte (1). »

Il y a eu en France sept grandes familles de la Porte : les de la Porte d'Eydoche, en Dauphiné, — les de la Porte de Vezins, en Anjou et Poitou, — les de la Porte de Lusignac, en Périgord, — les de la Porte de Chavagneux, en Beaujolais, — les de la Porte des Vaux, en Limousin, — les de la Porte de la Meilleraye, en Poitou, — et les de la Porte d'Yssertieux, en Bourbonnais. Or, de toutes ces familles, il ne restait plus en 1882 que celles de Lusignac et des Vaux.

(1) Manuscrit ayant pour titre : Notice sur la famille de Laporte-Yssertieux, écrite par M. le marquis Charles de Laporte-Yssertieux, dernier du nom, de 1000 à 1852. Nous devons à cette occasion exprimer ici à M. le lieutenant-colonel comte de Cotolendy, propriétaire du château d'Yssertieux, notre vive et respectueuse gratitude pour l'exquise bienveillance avec laquelle il a mis à notre disposition les riches et curieuses archives que lui ont léguées ses ancêtres.


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Leur communauté d'origine ne peut faire aucun doute après la longue citation que nous venons de faire, citation confirmée par un autre historien des familles de la Porte (1). En dépit de la diversité des armoiries, elles descendent bien toutes de ce tronc unique que nous avons vu s'implanter en terre française vers l'an mil. A sa sortie d'Italie, la famille de Porta s'arrêta d'abord dans les environs de Lyon, où elle donna naissance aux branches d'Eydoche et de Chavagneux, puis se ramifia jusque dans l'ouest, où nous retrouvons les rejetons de Vezins, de Lusignac, des Vaux, de la Meilleraye. C'est très probablement un membre de cette dernière famille qui alla se fixer dans l'Orléanais et devint l'auteur de notre branche de Bannegon, plus tard d'Yssertieux.

§ 2. — ARMOIRIES.

« La famille de la Porte d'Yssertieux, — de Briou ou Riants — et de Pierry, a pour armes : d'or à la bande d'azur ; l'écu timbré soit d'un casque de chevalier, orné de lambrequins aux couleurs des armoiries, soit d'une couronne de comte ou de marquis, est tenu par deux sauvages de carnation, armés de massues, avec la devise : Gardiatores de Porta (2). La substitution de GuyFrançois de la Porte au dernier marquis de Riants, en 1745, a permis à sa branche d'écarteler ses armes aux 2 et 3 : d'azur semé de trèfles d'or, à deux bars adossés

(1) Histoire généalogique des familles nobles du nom de la Porte, par Armand DE LA PORTE, médecin militaire.

(2) « Les armes, dit Charles de Laporte, ouvrage cité, sont et ont toujours été d'or à la bande d'azur surmonté d'un vol banneret.... et cette devise : Gardiatores de Porta, parce que, dit une note, ils étaient avoués de quelques grandes abbayes, c'est-à-dire protecteurs et défenseurs. »


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de même, qui est Riants, et deux licornes pour supports. La branche de Pierry a remplacé les tenants par des lions et ajouté au timbre, en revenant aux armes primitives, un casque avec une tête de cheval pour cimier (1). »

Les armes des de la Porte se voyaient dans les châteaux de Bannegon, d'Yssertieux, de Blet, de Champeroux, de la Forest-Thaumiers, de Pierry, du Briou et de plusieurs autres qu'avait bâtis cette famille, ainsi que dans l'église de Chaumont fondée par elle et servant de lieu ordinaire de sépulture aux branches de Bannegon et d'Yssertieux, et jusque dans la cathédrale de Nevers.

§ 3. — GÉNÉALOGIE.

Il est difficile d'établir très exactement la filiation des premiers de la Porte, aux xe, xie, xne et xme siècles. On l'a reconstituée le mieux possible à l'aide des chartriers, cartulaires, titres, histoires manuscrites des châteaux et fiefs qu'ils ont possédés, des abbayes dont ils ont été fondateurs ou bienfaiteurs, du cabinet des archivistes du roi, Clérembault et Baujon, de la « Gallia christiana », des comptes des trésoriers des guerres et états militaires où ils apparaissent en grand nombre, et des différentes histoires du Berry, du Bourbonnais et du Nivernais. De 950 à 1235, il peut y avoir des lacunes ; dans la suite, il n'y a plus de doute.

(1) Armand DE LA PORTE, ouvrage < i!é.


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i° Branches de Bannegon et d'Yssertieux,

n'en formant qu'une jusqu'en 1235 et deux jusqu'en 1350, époque où celle de Bannegon disparaît.

950. AURAIN ou HAVRIN, seigneur de La Ferté-Aurain (Orléanais), marié à Adèle de Belesme.

990. BERAUD OU BRUN, marié à Alix de Belesme, dont

il eut Hervé et Beraud. (Epoque confuse.) 1000. EUDES I qui, dès 988, avec son fils Berard ou Beraud, et Archambault II, prince de Bourbon, confirmait la donation du fief presbytéral de Bannegon faite par sa mère et Croisus de Poligny à l'église de Saint-Ursin de Bourges, est regardé comme le fondateur de la famille de la Porte en Berry. C'est le plus ancien des de la Porte qui aient possédé à la fois Bannegon et Yssertieux. C'est probablement lui qui fit construire le « vieux château ». Il était marié à Alix de Belesme, des comtes du Perche et plus tard d'Alençon.

1030. HERVÉ, son frère ou son cousin, entra dans la cléricature, fut doyen de Saint-Vérant et archidiacre de Sainte-Croix d'Orléans. Il fonda le prieuré de la Ferté-Aurain et le donna à son oncle Albert de Belesme, abbé de Saint-Mesmin de Micy. Ce fut sans doute lui qui bâtit, à l'extrémité de la cour d'Yssertieux, la grosse tour dite « de l'archidiacre ».

1050. BERAUD, que nous avons vu servir de caution pour la restitution faite par Raymond à l'église de Chalivoy (1032). Il avait épousé Agnès de Concressault.

1064. SADON, marié à Alix de Sully, signe avec ses fils Eudes et Evrard l'acte de la reddition de l'église


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de La Chapelle-d'Angillon faite à l'abbaye de Saint-Sulpice par Humbault de Sully et Gillon, son frère. Il est encore question de lui en 1086.

1075 EUDES II, marié à Béatrix de Bourbon (?), consent avec ses enfants, Beraud et Bernard, à la donation faite au chapitre de Saint-Ursin de Bourges de l'église de Bannegon par le seigneur Ségault.

1088. ALBERT assiste à une donation faite à l'abbaye de Vierzon.

1118. EUDES III ou ODON (1), marié à Marguerite de Graçay, remet entre les mains de Foulques, abbé de Saint-Sulpice, en présence de ses frères, le don fait par Matthieu de Parigny des droits d'entrée et de sortie de la porte Neuve de Bourges et de la porte Gordaine, ainsi que d'une vigne attribuée au prieuré de Chalivoy. Il y a encore près du bourg et joutant la route de Blet le « champ de la vigne ».

1126. AYMERY souscrit avec plusieurs seigneurs du Berry une donation faite au prieuré de Saint-Denis.

1131. RENAUD.

1153. EUDES et GIMON.

1162. MAUGUIN, frère d'Odon.

1174. ODON ou EUDES IV, marié à Alix de Sancerre, dont il eut Pierre, Etienne et une fille, Julienne de Fontenay. Au moment de partir pour la croisade, il donne à l'abbé de Saint-Satur la dîme de Sainte-Gemme. Après lui, les branches de Bannegon et d'Yssertieux sont séparées.

(1) Eudes et Odon sont le même nom ; on en a même fait Odonnet, petit Odon, d'où Oudet, forme qui s'est conservée dans le nom du domaine des Oudets, comme le nom de Mauguin de la Porte dans celui de domaine et de terres des Mauguins. Ces deux domaines restèrent propriétés de la famille jusqu'en 1900.

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Branche de Bannegon.

1225. PIERRE Ier épouse Agnès des Barres.

1230. HUMBAULT Ier, marié à Isabelle de Charenton dont il eut Guillaume et Huguenin.

1235. HUGUET ou HUGUENIN, seigneur de Marmagne par son mariage avec Elisabeth, dame de ce lieu (1218). Nous le rencontrerons en 1259.

1256. GUILLAUME Ier, qui eut pour fils Humbault.

1278. HUMBAULT II, qui eut pour fils Guillaume II, Geoffroy, Raoul et une fille Béatrix.

1291. GUILLAUME II.

1310. JEAN ou JEANNIN, dit le Bordon, mourut en 1311, ne laissant que deux filles dont l'une, Marie, en se mariant avec Guillaume des Barres, transporta dans cette famille la terre de Bannegon qu'elle avait héritée de son père et de Henri de la Porte ; l'autre, Marguerite, épousa Hugues de Charlus de Châteaumorand et hérita de Poligny qui devint plus tard le chef-lieu du duché de Lévy (Lurcy), ainsi que de la terre de Raymond. Son tombeau se remarquait au milieu du choeur de l'église de Chaumont jusqu'à la Révolution.

Branche d'Yssertieux.

1225. ETIENNE, premier seigneur et baron d'Yssertieux, marié à Julienne, en eut deux fils, Hervelin et Hugues. Il consentit, de concert avec ses enfants, plusieurs aumônes et transactions aux abbayes de Fontmorigny (1207), de Saint-Laurent, de Lauroy, et, au prieuré de Charly, des droits et cens ayant autrefois appartenu à Renaud de la Porte, et approuva les dons faits par ses prédécesseurs. Enfin, il vendit à Gilbert Millon ou Mellon, d'où Mcillant, la dîme de Chalivoy qui dépendait de la seigneurie d'Yssertieux. II vivait encore en 1257.

1230. HUGUES eut pour enfants Hugues.Eudes et Humbault.

1260. HUMBAULT paraît avoir épousé, avant 1231, une femme du nom de Marguerite et contracté un second mariage avec Jeanne de Faye, vers 1256. C'est à cette occasion que Hébert de Faye racheta, en 1257, la dîme de Chalivoy, vendue par Etienne de la Porte, et l'ajouta à la dot de sa fille. Humbault était encore vivant en 1269. Il laissa deux fils, Jean et Simon. Ce der-


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Nota. — Cet Henri de la Porte, à qui,en 1213,Perelle de Presque rend foi et hommage comme seigneur de Bannegon, était frère ou cousin d'Eudes IV, à moins qu'il ne fût lui-même fils d'Aimery et père d'Eudes IV. Souvent, plusieurs frères ou cousins se qualifiaient seigneurs d'une même terre jusqu'à partage ou accord définitif.

nier embrassa l'état ecclé- siastique et devint prieur de Chaumont. Il vivait encore en 1337.

1285 (1). JEAN Ier ou JEANNIN reçoit, en 1259, de Huguenin de la Porte, dit le Pelord ou Pelourd, seigneur de Boismervier (Charly), et de Jean de la Porte-des-Rauches, seigneur de la Forest, tout ce qu'ils possèdent. Puis, à son tour, en 1282, faute d'avoir des enfants, il fait un testament en faveur de son frère qu'il établit son exécuteur testamentaire. Il était propriétaire d'Yssertieux, Masan, Fosseleau, les Bourdelins et les dîmes d'Ourouer (d'après un document de 1291, Arch. d'Yssertieux). Selon ses dernières volontés, il fut inhumé dans l'église de Chaumont.

1290. HERVELIN, son oncle, ayant hérité de la partie de ses biens dans laquelle se trouvait la terre d'Yssertieux, lui succéda comme seigneur de ce lieu. Il était marié à Annordre de Seully, de la famille des seigneurs de Sully-sur-Loire. Il en eut plusieurs enfants, entre autres :

(1) Jusqu'ici les notes marginales correspondaient à quelque détail de la vie des de la Porte dont les archives nous ont conservé le souvenir ; désormais, elles seront celles de la mort des personnages dont elles précéderont le nom.


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1336. PERRIN, damoiseau, contemporain de Guillaume II, seigneur de Bannegon. Il fit en 1291, avec son cousin germain Etienne, fils d'Etienne et petitfils d'Humbault, un nouveau partage de la succession de Jean Ier, leur oncle. Il augmenta considérablement sa fortune. Il fit une première acquisition en 1294. En 1307, un de ses beauxfrères lui fit cadeau de sa portion de biens. En 1313, il devint seigneur de Lurcy, dans la châtellenie d'Ainay-le-Château, moyennant 10 livres de rente à un autre beau-frère. Il avait épousé, en 1289, Isabelle Segaut de Teneuille, riche héritière, dont il eut deux fils, Jean IV et Perrin le Jeune. Il les envoya étudier à Blois.

1374. JEAN II, épousa en 1326 Simone d'Agland (ou d'Aglane), dont il eut un fils unique, Jean III. Son frère Perrin se maria en 1344 avec Marguerite de Venero (ou de Venire) qui lui apporta en dot l'hôtel et manoir de Boisberruyer. De ce mariage naquirent Jean IV et Philippe. Ce dernier s'alliera à la famille de Jean Troussebois, seigneur d'Allarde, et partagera avec son frère, le 1.3 juillet 1369, les châteaux de Pierry et de Boisberruyer. Jean II et Perrin son frère vécurent ensemble à Yssertieux, rivalisant de zèle pour arrondir l'héritage que leur avait légué leur père. C'est ainsi qu'ils reconquirent par des transactions avec leur oncle Simon, prieur de Chaumont, la jouissance de l'étang et du pré de Salonne et du moulin à eau des Ecorcherats qui avait été abandonné lors de la construction du prieuré de Chaumont. Ils réunirent aussi à Yssertieux les bois Gaillats. Mais en 1348, la communauté prit fin et Perrin alla


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habiter le château que lui laissait Isabelle de Pierry, sa tante. — C'est sous Jean II qu'eut lieu le sac d'Yssertieux (1369).

1388. JEAN III fut, dès 1375, contraint de rendre «foy et hommage » à Jean de Châteaumorand pour tout ce qu'il possédait à Raymond dont Châteaumorand était seigneur. Quant à Yssertieux même et à tout ce que la maison avait en Bourbonnais, la foy et l'hommage n'étaient dus qu'aux ducs de Bourbon et, après eux, directement au roi. En 1379, conjointement avec son cousin Jean de Pierry, il donne procuration spéciale et générale pour l'administration des biens des deux propriétés à vingt-trois personnes expressément nommées. Puis, en 1386, les deux cousins font entre eux des échanges considérables. —Jean III avait épousé, croit-on, Marguerite de Neuvy. Se voyant sans enfants, « il fit un testament par lequel il donnait à Denis de Beaumont, son cousin, le châtel et manoir d'Yssertieux, avec toutes ses dépendances, pour en jouir sa vie durant. Jean, seigneur de Pierry, instruit des dispositions de son proche parent, dont il était l'héritier, se présente aussitôt et passe avec Denis une transaction par laquelle il rentre surle-champ en possession d'Yssertieux, moyennant une pension viagère (1) ». Yssertieux était resté vingt-quatre heures en dehors de la jouissance de la famille de la Porte.

1420. JEAN IV, écuyer, fils de Perrin le jeune, seigneur de Pierry, succéda à son cousin. Marié à Isabelle Gaspiat, il en eut un fils, Jean, qui fut

(1) Ch. DE LA PORTE. Notice, etc.


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marié à Jeanne de Molins dont il eut trois enfants, parmi lesquels Pierre, seigneur de Pesselières. En 1407, il y eut entre Jean IV et son fils un accord par lequel ce dernier se désistait ainsi que sa femme du droit de communauté et même de douaire qu'ils avaient par leur contrat de mariage. On croit qu'ils se retirèrent à Malentrois dont Isabelle était déjà dame avant de se marier. — Jean IV épousa en secondes noces Marguerite de Fontenay-Pougues dont il eut de nombreux enfants, entre autres : quatre filles qui furent bien mariées, un fils nommé Pierre qui se fit religieux à La Charité-sur-Loire, et Odart qui lui succéda. — Jean IV dut s'occuper sans cesse de réorganiser sa propriété dérangée par les tracasseries que nous savons. En 1404, des commissaires avaient été nommés pour vider les affaires pendantes entre Châteaumorand et lui; néanmoins, elles ne se terminèrent que sous son fils. En 1403, il avait dû donner à messire Aubert, seigneur de Saint-Quintin et comte de Blet, un dénombrement des terres d'Yssertieux et de Pierry. En 1406, le roi lui donna des lettres pour le servir en qualité d'écuyer d'écurie, et en 1411 il lui accorda de nouvelles lettres de sauvegarde. 1446. ODART ou OUDARD, sans doute par corruption Edouard, en italien Odoardo, écuyer, avait embrassé de bonne heure la carrière militaire. Il épousa, en 1420, Marguerite de Mauvoisin à laquelle ses deux frères, Pierre et Philippe, firent une dot. Il eut deux fils : Jean V, et Philippe qui se maria avec damoiselle N. Maréchal et dont la trace est perdue. En qualité de tuteur de ses


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neveux orphelins que son père lui avait confiés, et aussi pour sa soeur Catherine, il rendait, le 9 juillet 1417, hommage au duc de Bourbonnais et faisait, en 1421, au. seigneur de Blet, le dénombrement de la terre d'Yssertieux et de sa forteresse. En 1424, il recevait des lettres royaux le nommant panetier du roi, en considération des services rendus dans la guerre contre les Anglais. Il fut en effet très mêlé aux épreuves du « roi de Bourges » et l'un des compagnons de gloire de Jeanne d'Arc. Mais tout cela ne l'enrichissait pas. Aussi, en 1432, vendait-il son manoir de Pierry et ses appartenances, pour deux cents livres d'or, à Jean de Baugis (ou Bougie); et, trois ans plus tard, étant prisonnier à La Charité-sur-Loire, il était obligé d'emprunter pour sa rançon cent écus d'or de 64 au marc. Déjà, l'année précédente, il avait fait, pour le mariage de son fils Jean V avec Jeanne Guitois, fille de Jean Guitois d'Arquin, baron de Poisse et d'Adèle de Chavagnac, des dépenses considérables auxquelles vinrent s'ajouter celles qu'il fit pour obtenir du roi, à l'occasion de ce mariage, la capitainerie de Lespau et la châtellenie de Combrailles, et l'achat en 1435 de la terre et seigneurie du Frouet d'Allerdre de concert avec Jean Guitois pour les jeunes époux. Enfin en 1436 il lui fallut beaucoup d'argent pour réparer le portail et la forteresse d'Yssertieux dévastés par les Châteaumorand, sans compter que le duc de Bourbon, prétendant qu'il avait construit à neuf, exigeait une démolition et n'en démordit que contre vingt réaux d'or dont il donna quittance.


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1485. JEAN V, son fils, écuyer, seigneur d'Yssertieux, s'était déjà rendu célèbre du vivant de son père et avait été, en 1441, nommé chevalier du Camail ou du Porc-épic, ordre établi par Louis de France, duc d'Orléans, second fils de Charles V, en reconnaissance de la naissance et du baptême de son fils aîné Charles (1). Ce ne fut que grâce à des arrangements de famille que Jean V put être seigneur d'Yssertieux, puisque ses cousins Pierre et Philippon, représentants du droit d'aînesse, vivaient. Du reste, il ne s'occupa guère de l'administration de ses biens; il en laissa tous les soins à sa mère qui vécut fort âgée. Ses emplois à la cour l'absorbèrent, mais aussi furent très utiles à ses fils, surtout à Pierre, son successeur. Nommé en 1444 panetier du duc d'Orléans, il est, le 19 février 1456, investi par Jean de Bourbon, comte de Clermont et de Forêts, des charges de capitaine et châtelain des biens et place de Bussy et Saultrenon-enForêts. Il obtint, quelques années après, une nouvelle sauvegarde pour lui et sa famille, puis une pension de quarante livres dont avait déjà joui son père. En 1470, il est fait écuyer du roi. Il servait dans les Compagnies d'ordonnance, aux guerres de Picardie, lorsqu'il fit son testament à Beauvais, en 1474. En 1459, il avait fait retrait d'une rente de cinq écus d'or que son

(1) Les chevaliers de cet ordre étaient au nombre de 25 seulement et avaient dû faire la preuve de quatre quartiers de noblesse. Louis leur avait donné comme emblème un porc-épic d'or, pour montrer à Jean de Bourgogne, son ennemi, qu'il ne manquait ni d'armes ni de courage. La devise était : « Cominùs et eminùs » De près comme de loin). Un anneau d'or garni d'un camaïeu leur avait valu le nom de « chevaliers du camail ». Cet ordre fut aboli sous Louis XII.


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père avait constituée à Jean de Baugis pour le prêt de la somme nécessaire à sa rançon. — Armand de la Porte (Hist. généalogique, etc., p. 214) dit que « depuis 1457 une permission du légat du Pape l'autorisait à se confesser et à entendre la messe dans sa maison ». Ce fut là sans doute l'origine de la chapelle d'Yssertieux. — Il eut pour enfants Pierre, Marguerite qui paraît avoir épousé Philippe de la Marche avant 1467, et Charles qui portait depuis 1477 le titre de licencié-ès-loix et devint, avant 1482, conseiller et maître des requêtes du roi (1). 1502. PIERRE, son fils, écuyer, seigneur d'Yssertieux, fut le plus illustre des de la Porte-Yssertieux. En 1462, il avait épousé Madeleine de la Condamine, fille de Jean de la Condamine, écuyer, seigneur du Bouchât. Il fut maître d'hôtel ordinaire des rois Louis XI, Charles VIII et Louis XII. Avant la mort de son père, il eut avec son frère quelques démêlés d'intérêts (1484) qui se terminèrent par une heureuse transaction. C'est aux deux frères que l'on doit le plus ancien des terriers d'Yssertieux qui existent encore aux archives de ce château. — Avec l'autorisation de Charles VIII, Pierre s'attacha à François, dernier duc de Bretagne, qui l'envoya en ambassade à Naples et en Sicile, et en récompense lui donna, en 1486, la terre de Neaufle, dans le comté de Montfort-Lamaury : donation qui fut, deux ans après, confirmée par le roi. Charles VIII prit plusieurs fois sous sa sauvegarde Pierre ainsi que sa famille et la combla de grâces toute

(1) Les alliances de ce dernier sont inconnues : la branche qu'il fonda s'est fondue dans une de celles de la maison de Béthune.


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sa vie. Il lui donna la succession de Jean de Culan comme écuyer, le nomma capitaine gouverneur de Cussy en Nivernais, lui confia le gouvernement de l'Isle de Bretagne. Pierre eut cependant l'ennui, dans un voyage à Nantes, de se voir arrêter avec toute sa suite par le gouverneur de Saumur auquel il dut payer une rançon de quatre cents écus d'or. Malgré le peu de temps dont il disposait pour s'occuper de ses biens, il trouva moyen d'enrichir, avec l'autorisation du roi, son vieux manoir d'Yssertieux de quelques nouvelles fortifications. Les soucis du temporel ne l'absorbaient pas tout entier, comme le prouve certaine supplique adressée par lui en 1484 au pape Innocent VIII, en vue d'obtenir de nombreuses faveurs spirituelles pour lui et pour les membres de sa famille (1).

(1) Cette supplique, écrite sur beau parchemin richement enguirlandé, existe encore aux archives d'Yssertieux. Elle porte un autographe du Pape. Voici cette pièce :

« Beatissime Pater,

» Ut animarum saluti devotorum oratorum vestrorum nobilium Petri della Porta, Bituricensis diocesis, et Magdalene della Condamina, ac Philippae de Cheryi, et Joannis de Murat ejus filii, nec non Johannis de Murat, domini temporalis de Ponsi, et Joannae de Charenton ejus uxoris, ac Radulphi Dumas, ordinis Sancti Benedicti, Parisiensis dioecesis, et Agnetis Sateriora, et Joannis Segault ejus filii et Petri de Quedillac, ac Caroli de Gourray, Briocensis diocesis salubrius consulant, supplicant Sanctitatem Vestram iidem oratores Quatenus ut confessor idoneus saecularis aut cujusvis ordinis regularis presbyter quem quilibet eorum dux erit eligendum ipsos et eorum quemlibet ab omnibus et singulis excommunicationis, suspensionis et interdicti aliisque ecclesiasticis sententiis, censuris et poenis a jure aut ab homine, quavis occasione, vel causa generaliter vel specialiter latis et promulgatis ; necnon perjuriorum et homicidii voluntarii vel mentalis, adulterii, incestûs, fornicationis, sacrilegii reatibus ac votorum quorumcumque et mandatorum Ecclesiae transgressionibus, manuum violentarum in personas ecclesiasticas injectionibus, simoniae labe, irregularitatis nota, jejuniorum et pceitentiarum tibi injectarum in toto aut in parte omissionibus, omnibusque aliis eorum peccatis, delictis, criminibus et excessibus quibuscumque et quantumcumque


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Il eut pour enfants : Simon ; Pierre, qui devint évêque de Rieux ; Gilbert, écuyer, seigneur d'Augy et du Briou, qui épousa, en 1524, Gilberte de Franchières; Joseph, qui passa, en 1511, un accord avec ses frères au sujet de la succession paternelle ; Jeanne, fille d'honneur de la reine Anne, mariée à Antoine de la RocheChaudry ; Gabriel, qui, en 1523, obtint du pape Clément VII confirmation de la grâce à lui octroyée par Léon X, mais dont les lettres n'avaient pu être confectionnées avant la mort

enormibus de quibus corde contriti et ore confessi fuerint, etiamsi talia forent propter quae Sedes Apostolica foret merito consulenda, semel in vita et in articulo mortis : de aliis vero dicta; Sedi non reservatis casibus totiens quotiens opus fuerit absolvere et pro commissis penitentiam salutarem injungere : vota vero per cos aut eorum aliquem forsan emissa et jejunia ab Ecclesia Dei proecepta in alia pietatis opera commutare, Compostellano, Ultramarino, liminum apostolorum de Urbe et religionis votis duntaxat exceptis, juramenta quaecumque relaxare, nec non semel in vita et in mortis articulo plenariam omnium peccatorum suorum a culpa et paena remissionem impendere possit ; et insuper ut liceat eorum cuilibet habere altare portalile et cum debitis honore et reverentia super eo et ante dïem et in locis ecclesiastico interdicto suppositis, dummodo ipsi interdicto causam non dederint, quotiens et aut ipsorum cuilibet placuerit, per proprium vel alium sacerdotem in eorum et cujuslibet ipsorum familiae proesentia missas et alia divina officia celebrari facere ; ac et a quocumque sacerdote idoneo seculari aut regulari, quando eis ant eorum cuilibet expediens videbitur, Eucharistiam sive Corpus dominicum et in festo Resurrectionis dominicae suscipere, ac illam et illud eidem sacerdoti cuilibet ipsorum cujusvis licentia super hoc minime requisita, seu requisita et non obtenta, libere et licite valeant, ac quotiens eos aut eorum aliquem ex hac vita migrare contigerit et dicto interdicto durante, eorum corpora ecclesiastica gaudeant sepultura, licentiam et facultatem et ut transumpto hujus supplicationis plena fides adhibeatur concedere et indulgere dignemvni de gratia speciali, constitutionibus et ordinationibus apostolicis caeterisque in contrarium facientibus son obstantibus eum clausis opportunis. »

Le Pape a écrit de sa main : « Fiat ut petitur. I. (Innocentius). » Et de reservatis semel in vita et in mortis articulo. Et de non reservatis casibus totiens quotiens opus fuerit. Et de commutatione votorum, exceptis quatuor, et relaxatione juramenlorum. Et de plenaria remissione a culpa et a poena semel in vita et in articulo mortis. Et de altari portatili et missa celebrata ante diem et tempore et locis interdictis ut supra.


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de ce pape (1) et devint protonotaire apostolique ; enfin Marie, mariée à N. Chatard de Colonges. — Après la mort de son mari, Magdeleine de la Condamine obtint du roi des lettres pour se faire payer de 1.280 liv. 10 sols qui restaient d'une somme de douze cents écus d'or dus par le duc de Bretagne à feu Pierre de la Porte, pour les chevaux que celui-ci avait fournis, et pour être maintenue dans la jouissance de la seigneurie de Neaufle que le duc avait

Et ut possint suscipere Eucharistiam et in festo Resurrectionis, ut supra. Et ut non obstante hujusmodi interdicto corpora eorum ecclesiasticae tradantur

[sepulturae.

Et ut transumptis hujusmodi supplicationis plena fides adhibeatur ab omnibus. Et ut presentis supplicationis sola signature sufficiat absque litterarum apostolicarum

[expeditione. »

Le Pape a encore écrit lui-même : « Fiat. I. (Innocentius). » (Archives du château d'Yssertieux.)

La date de 1484 assignée à ce document nous paraît exacte parce qu'elle correspond à l'époque où Pierre de la Porte fut seigneur d'Yssertieux, à celle de son mariage avec Madeleine de la Condamine, contracté en 1462, à celle du pontificat d'Innocent VIII commencé le 29 août 1484. Le seul point discutable est que les deux enfants mentionnés dans cet acte ne le sont pas dans la descendance du suppliant : il peut se faire que Philippe de Chergi et Jean de Murat désignés comme ses fils ne soient que ses neveux ou lui aient été apportés de précédentes unions de Madeleine de la Condamine.

On sait que les suppliques arrivant à la Daterie romaine étaient transcrites sur des registres, et l'original renvoyé à son auteur avec la réponse du Pape généralement brève, comme ici : Fiat ut petitur. I.

Du reste, la teneur de la supplique était résumée à la fin en quelques lignes qui seules probablement étaient lues au destinataire qui y apposait confirmation de sa réponse et l'initiale de son nom : Fiat. I.

(1) Il s'agissait « de recevoir et posséder une commande avant l'âge de 24 ans requis par le Concile de Latran pour posséder des bénéfices, de céder, laisser remplacer deux bénéfices à charge d'âmes et incompatibles ensemble, séculiers ou un régulier avec ou sans charge d'âmes, des bénéfices même séculiers n'importe lesquels, d'y faire les fruits siens, pourvu qu'il ne s'agisse pas de prieuré conventuel ou d'office claustral ». La lettre de Léon X répondant à la supplique dudit Gabriel de la Porte est datée du IIIe jour des nones de juillet de l'an IXe de son pontificat.


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accordée audit Pierre pour le récompenser de ses services (1). 1540. SIMON, son fils, écuyer, seigneur d'Yssertieux, Lugny, Chaffault et Lussault, épousa, le 28 août 1519, Charlotte de Néry, fille de François, maître d'hôtel du comte de Nevers, et de Jeanne de la Vergne. En 1540, il rendit — comme cela se faisait à chaque changement de propriétaire — au seigneur de Blet dénombrement des terres et seigneurie d'Yssertieux. Du reste, des accords d'intérêts avec l'abbé de Plaimpied, de qui dépendait le prieuré de Blet, et le prieur de Chau(1)

Chau(1) la lettre de Magdeleine de la Condamine à la reine :

« A la Royne » Supplie très humblement damoiselle Magdeleine veufve de feu Pierre de la Porte en son vivant escuier descuyeric de feu François duc de Bretagne et puis du feu roy Charles derrenier trespassé lesquels Dieu absoille auquel estat et office il a servy jusques a son trespas et du vivant dudit feu duc pour les bons grands et agreables services que luy avoit faitz par long temps ledit deffunct escuyer descuyerie et esperoit fit pour aucunement le remunerer et recompenser des le troysme jour de juin mil CCCC quatre vingt et cinq luy avoit baillé donné ceddé quitté et transporté le revenu de la terre et seigneurie de Neaufle en la conté de Montfort et aussi la capitainerie dudit lieu pour en joyr par luy et ses hoirs pourveu que ledit duc pouroit rachapter les choses ainsi par luy données en payant audit escuyer ou aux siens la somme de deux mil livres tournois sans sur ce deduire ne descompter le revenu sinon après le trespas dudit escuyer et depuis dès le 27me jour d'octobre mil CCCC quatre-vingt et six ledit feu duc eut de reschef fait lesdits don et octroy audit escuyer et aux siens et a ce moyen eust joy paisiblement jusques au trespas dudit feu duc après le trespas duquel ledit feu roi Charles que Dieu absoille ayant considération dudit don et octroy bailla et octroya audit escuyer ses lettres patentes dès le neufyesme jour de decembre mil CCCC quatre vingt et huit adressant a maistres Simon du puy et Martin de bellefayc ses conseillers et maistres des requestes lesquels presents et appelez les advocats et procureurs dudit sieur donnèrent et baillèrent audit escuyer main levée de lempeschement qui luy avoit esté fait et donné en ladite terre et seigneurie de Neaufle après le trespas dudit feu duc au moyen de laquelle main levée il a semblablement joy paisiblement dudit don et octroy et encore depuis et dabondant ledit sieur par ses autres lettres patentes datées du XXVIIe jour davril mil CCCC quatre vingt et douze eust dereschef pour les bons grans et agreables services que


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mont, le susdit dénombrement dont un exemplaire est conservé aux archives d'Yssertieux, et le renouvellement du terrier : voilà tout ce que l'on sait sur lui. Ajoutons qu'il était maître d'hôtel ordinaire et écuyer d'écurie de François Ier. Mais nous n'oserions affirmer qu'il est ce capitaine de la Porte qui, en 1509, à la bataille d'Agnadel, servait sous les ordres de Bayard et fut fait prisonnier à Trévi. sur l'Adda. — Il fut père d'Amador Ier ; de Jean, qui devint chevalier de Malte et commandeur de Bellecombe, au grand prieuré d'Auvergne (1) ; de FrançoisJoseph, qui devint chef dans le parti des Réformés; de Christophe, de Jacquette, de deux autres filles religieuses, et de Jeanne, mariée à N. de Chaud, seigneur de Rivière. 1583. AMADOR ou AMADOUR Ier, écuyer, sire d'Yssertieux

luy faisoit un chacun jour ledit escuyer audit estat et office descuyer descuyeric et son maistre dostel ordinaire confirme loue ratifie et approuve ledit don et octroy a esté confirmé par messires des comptes à paris et en ensuivant ce a ledit deffunct escuyer joy de ladite terre revenu et seigneurie de Neaufle jusques puis nagueres quil est allé de vie a trespas délaissé ladite damoiselle sa veufve chargée de quatre filz et deux filles Aussi estoit deu audit deffunct escuyer la somme de douze cens quatre vingtz sept livres dix solz tournois restant de la somme de douze cens escuz dor enquoy luy estoit tenu ledit duc pour certain nombre de chevaulx de luy prins et achaptez ainsi que des choses dessusdites ladite damoiselle fera deuement apparoir par quoy vous supplie et requiert ladite damoiselle veufve dudit difunct escuyer qui est chargée de six petitz enffans comme dit est quil vous plaise de votre benigne grace la faire joir et estre paisiblement et comme faisoit ledit deffunct son mary de ladite terre revenu et seigneurie de Neaufles jusques ad ce quon luy ait payé ladite somme de deux mil livres tournois et selon les conditions apposées esdites lettres de don et octroy et aussi la faire paier entièrement et satisfaire de ladite somme de douze cens quatre vingtz livres dix solz restant de ladite somme de douze cens escuz dor Et en ce faisant ferez laquict et conscience dudit deffunct duc Et cause de faire vivre et entretenir ladite veufve et ses enffans Iesquelz a touz jours sont et seront [tenus] prier Dieu pour vous votre prospérité et santé. » (1) Archives d'Yssertieux.


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et du Chaffaud, gentilhomme de la chambre du duc d'Alençon en 1576, « en récompense, disent les Lettres, des bons services qu'il a rendus au fait des guerres » ; épousa, le 4 juillet 1551, Anne de Chenu de Charentonnay, fille de Pierre, écuyer, seigneur de Sochot, et de Anne de Veraire. — Il ne put entrer en possession de sa terre d'Yssertieux qu'en 1557, lorsque sa mère lui eut abandonné les jouissances considérables qu'elle y avait. Il s'engagea par contrat à donner annuellement vingt écus à son frère Jean, tant qu'il resterait à Malte, et deux mille écus une fois payés à ses autres frères (1). — Il était un fidèle serviteur de François II, qui l'honora d'une lettre touchante (2). Il mourut à Paris et fut inhumé dans la chapelle de Saint-Pierre, à Saint-Germain-des-Prés. Ses enfants furent : François, qui lui succéda ; Pierre, seigneur en partie d'Yssertieux et seigneur de Poulaines, marié à Madeleine Courant de Chevry, dont une fille entra, en 1622, dans la maison de PlessisSavonnière (3) ; Marie, qui épousa Marc de

(1) Cependant François ne paraît pas avoir renoncé à sa part d'Yssertieulx : la tradition rapporte qu'il habitait une partie séparée du château et vivait en fort mauvaise intelligence avec son aîné.

(2) Voici cette lettre :

« Monsieur d'Issertieulx, aiant sceu l'affection que vous me portez et spécialement au bien, repos et tranquilité de ce royaume, j'ay bien voulu vous faire la présente, sachant le moyen que vous avez de mectre ensemble beaucoup de vos amys, pour vous prier ne differer quelque chose que vous entendiez à me venir trouver et voir. Sy serez aussi bien veu et receu que le scauriez désirer. Sur ce je prie Dieu, monsieur d'issertieulx, vous avoir en sa garde. Escript au camp de Chastillon-sur-Indre, le XXIXe jour d'octobre 1560. Vostre bon amy, FRANÇOIS. »

(3) C'est de ce Pierre que parle M. l'abbé Duroisel dans sa notice : Deux seigneurs berruyers à la Conciergerie, que nous citerons au chapitre d'Acon.


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Troussebois, écuyer ; une autre fille, qui se maria au sieur de Saint-Martin.

Nous devons une mention spéciale à AmédéeFrançois, frère cadet d'Amador, qui joua un rôle si considérable. Devenu, comme il est dit plus haut, chef des huguenots, il leur livra, en 1560, la ville de La Charité dont il était gouverneur. Il y fut assiégé et, les habitants le forçant à capituler, pris par le seigneur de Castres, grand prieur d'Auvergne, et le sieur de Lafayette qui lui enlevèrent ses armes, ses chevaux, et faillirent le mettre à mort. Ayant, quelque temps après, sollicité du roi une faveur, il reçut une verte semonce de Marguerite, soeur du roi, qui lui disait combien celui-ci, irrité de sa conduite, était peu disposé à lui accorder des gracieusetés. Il paraît pourtant avoir obtenu bientôt son pardon, car, en 1570, Charles IX lui écrivait une lettre signée de sa main, dans laquelle il lui en indique les conditions (1).

(1) La voici avec celle qui l'annonçait et l'accompagnait :

« Monsieur d'Isartiaux, vous sçavez la promesse que vous avez cy devant faicte à mon frere, le duc d'Anjou et de Bourbonnois, mon lieutenant-général, de ne plus reprendre les armes et vous retirer en vostre maison pour y vivre et vous contenir doucement soulz le benefice de mes edicts et ordonnances; toutteffois, ainsi que je suis adverty, vous avez faict tout le contraire, chose que je ne puis trouver que estrange, et, a ceste cause, je vous prye mescrire et faire savoir à la verité ce qui en est, pour selon ce que j'en apprendray, y pourvoir ainsi que la raison le me permettra. Et cependant affin de m'asseurer de vostre maison, j'ay ordonné au sieur de Montare y faire mettre garnison, laquelle vous recevrez sans en ce faire aucun reffus ni difficulté, priant Dieu vous avoir en sa sainte et digne garde. Escript a Angiers, le Xe jour de mars 1570.

CHARLES. »

« Le sieur de Montare est extremmen malade et il pourroit daigner a vous pourvoir la garnison il en a donné la charge au sieur de Beau Regard son gendre a qui vous devez obeir comme aussi au sieur de Montare. »


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La tradition, dit A. de la Porte (Hist. généal.), veut que François de la Porte soit allé mourir en Angleterre. Mais Charles de la Porte affirme qu'il revint mourir dans son pays : ce qui nous paraît plus probable.

Le 13 avril 1584, François dé Bonneval, seigneur de Chastain, épousait Marguerite de la Porte. Déjà, en 1446, Philibert de la Porte avait épousé Annette Maréchal. Ainsi s'établit la paLettre

paLettre Henry, frère du roi au même.

« Monsieur d'Issartieux, vous verrez ce que le roi monseigneur et frere vous

escript presentement sur l'advertissement qu'il a eu ; que au contraire de ce que

vous maviez promis vous avez reprins les arnies contre son auctorité, Dont quant

a moi je ne puis trop mestonner, attendu votredite promesse parquoy vous

regarderez d'obéir et satisfaire a ce que sa majesté vous escript et mande par sa

lettre sur laquelle me remettant pour ne vous faire ceste cy plus longue. Je prie a

Dieu vous avoir en sa sainte et digne garde. Escrit a Angiers le XXVe jour de

mars 1570.

HENRY. »

La susdite promesse était vraisemblablement la réponse à la défense suivante :

« Deffence du port d'armes par le roy Henry aux relligionnaires.

Est mandé par nosdicies lettres du cinquiesme ou sixiesme jour de ce mois proceddant néantmoings contre eulx selon et ainsi qu'il est porté par nosdicts edicts et déclaration Et toutteffois s'il y a quelques ungs dentre eulx qui sans fiction si veulle revenir a notredicte religion catholicque appostolycque et romaine vous les advertirez que nous leurs pardonnerons voullontiers ladicte prinse et port d'armes et leur en ferons expedier nosdictes lettres patentes partieullieres nous en requerans mais cy pour eviter que nous ne soyons trompez d'eulx nous voulions qu'ils demeurent sans armes et chevaulx dont ils se puissent servir à la guerre jusques a ce que par nous aultrement en soict ordonné Et oultre voulions aussy qu'ils baillent sanction et asscurance de catholicques assavoir les gentilshommes de gentilshommes et les ad ce d'autres quallités de personnes tous resseans domiciliez et suffisans qui repondront pour eulx qu'ils n'adgiront et ne feront directement ou indirectement aucune chose pour l'assistance desdicts de la nouvelle opinion au préjudice de notredict service Vous chargeant tres expressement nous advertir incontinent de la reception de la presente et semblement du debvoir que ferez dedict ce que dessus plus sogneusement que ne faictes des despesches que vous envoyons ordinairement Car depuis que les avez receues


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rente avec les propriétaires de la Forêt-Thaumiers. 1588. FRANÇOIS, seigneur d'Yssertieux et du Briou (1), fut placé jeune comme gentilhomme auprès du roi de Navarre, dont il suivit constamment la fortune. C'est à lui très probablement que le souverain écrivait : « Laporte, vends tes bois et envoies m'en l'argent. » Il fut maintenu dans sa noblesse par jugement du 28 septembre 1584, et obtint des lettres patentes de gentilhomme de la chambre du roi le 19 septembre 1585. Par une transaction avec le seigneur de Blet, M. de SaintQuintin, son fief fut déchargé de l'hommage rendu jusque-là à sa seigneurie, pour relever directement de la couronne. Il renouvela le terrier d'Yssertieux, dans lequel est mentionnée pour la première fois l'existence d'une famille noble à la Feuille, paroisse de Chalivoy-Milon. Pierre de Guyon, écuyer, sieur d'Aumont, reconnaît des redevances au seigneur d'Yssertieux pour des terres qu'il possède dans l'étendue de sa seigneurie (2). — Du mariage qu'il avait contracté avec sa cousine au 4e degré Louise, fille de Guichard de la Porte, seigneur du Briou, et de Louise de la Couldre, François eut deux enfants qui furent mis, le 2 mars 1588, sous la tutelle de messire de la Salle, écuyer, et, en

vous ne nous y faictcs communement nulle response Et pour ce vous adresserez pour ce faict vosdictes lettres audict gouverneur et notre lieutenant general de la province ou est assise votredicte juridiction sans y faire faucte Car tel est notre plaisir Donné a Paris ce huistième jour de novembre mil cinq cent quatre vingt et cinq Ainsi signé henry et plus bas bruslart. » (Archiv. d'Yssertieux.) Nota. — Cette pièce n'est, on le voit, qu'une copie de la lettre du roi.

(1) Proche de La Charité.

(2) Nous consacrerons un chapitre à cette famille.


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1602, sous celle de leur oncle Pierre : Amador II et Jacquette, qui épousa N. de Colombières. — François était mort à la guerre en 1588.

1632. AMADOR II, écuyer, seigneur d'Yssertieux, le Briou, Bréviandes, Montifaut, Vezins, la Forêt-Grailly, gentilhomme ordinaire de la chambre du roi, épousa en 1616 Françoise de Culan, [fille de François, seigneur de Culan et de la ForêtGrailly, et de Charlotte de Grailly. Mais il ne put entrer en jouissance que d'une partie des biens que lui apportait sa femme. L'autre, qui était très considérable, lui fut contestée et occasionna un procès qui ne fut gagné que 150 ans après, en 1743, par ses arrière-petits-enfants. Le domaine de la Forêt-Grailly fut vendu, en 1621, à Mgr Henri de Bourbon, prince de Condé. — Par testament concerté avec sa femme, il laissa : à son fils aîné François, enseigne dans le régiment de Gimel et mort très jeune au service du roi, la terre d'Yssertieux avec la part achetée de son oncle Pierre ; à son deuxième fils Jean, la terre du Briou et la Rivière ; à Philippe, qui mourut officier au régiment de la Meilleraye, neuf mille livres ; et à sa fille Renée, huit mille livres. La mort inopinée de François modifia ces dispositions.

1663. JEAN VI, chevalier (qualifié dans un acte de baron), seigneur d'Yssertieux, le Briou, Bréviandes et Jarnau, écuyer de la petite écurie du roi Louis XIII, passa sa jeunesse au service et reçut, le 5 août 1644, un congé de Gaston d'Orléans, pour circuler librement avec ses valets, armes, chevaux et bagages, à la suite du siège de Gravelines. En 1647, il se maria à Françoise


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de Longueville, fille de Philippe, chevalier, seigneur de Domercy (ou Domecy) et d'Islan, gouverneur de Montauban, et de Madeleine de Fitzjam. Il eut de ce mariage Jean-François, qui forma la branche du Briou qui devint celle de Rians, et un autre enfant (sans doute Madeleine, citée plus bas). Il se remaria, le 21 mars 1654, avec Elisabeth de Faverolles, fille de Joseph, chevalier, seigneur de Bléré, et de dame Claude de Rigné, dont il eut cinq enfants : Madeleine, mariée à François de Faverolles, en 1666, et grand'mère de Françoise de Faverolles (citée plus loin) ; Barthélemy-Joseph, qui lui succéda ; Marthe; Catherine, qui se fit religieuse; Pierre et François. Lors de ce second mariage, il était occupé à la construction du « château neuf» d'Yssertieux. L'incendie ayant consumé la grosse « tour de l'archidiacre », il fit bâtir en style de l'époque une maison rejoignant les deux tourelles placées aux angles de la cour. L'ouvrage fut achevé en 1656. Il ne lui avait coûté que 2.400 livres, dit Charles de la Porte, grâce aux facilités qu'on avait alors et à la grande économie qu il avait su mettre en tout. — Il mourut à l'âge de 38 ans, le 10 février 1663. 1730. BARTHÉLÉMY-JOSEPH, chevalier, qualifié dans quelques actes baron d'Yssertieux, naquit le 12 juin 1655. Il avait débuté dans la marine, lorsque sa mère, profitant habilement des mécontentements de Jean VI contre Jean-François, obtint l'abandon par celui-ci de son droit d'aînesse sur la terre d'Yssertieux. Donc, après avoir servi pendant dix ans comme enseigne dans la marine, Barthélemy ne s'occupa plus que de ses


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affaires. Il fut maintenu dans sa noblesse, en 1669, par Tubeuf, et en 1716, avec ses cousins, par sentence du marquis de Martangis, intendant de Berry. En mai 1691, en sa qualité de commissaire de la noblesse du Bourbonnais, il reçut l'ordre de se rendre à Saumur, — ce qui n'eut pas lieu, — puis à Moulins. Le 21 novembre 1698, il épousait Marguerite de Tripière, fille de René, seigneur de Pierry (gentilhomme d'origine irlandaise ou écossaise), et de Suzanne de Neyret. Il en eut six enfants : Joseph-René, qui lui succéda ; Henri-Jean, auteur de la branche de Pierry ; Louis, né le 3 janvier 1709, volontaire au régiment de Crespy en 1743, capitaine d'une compagnie d'invalidés en 1768, mort en 1780 sans postérité ; Charles, seigneur de Marcillon, qui servit dans les carabiniers ; il épousa N. Guillot de Maupertuis et fut, par ses deux filles, grand-père des de Lamerville de la Périsse et de Savigny, et des Viot; Suzanne-Elisabeth, qui épousa François-Antoine Le Bourgoin, écuyer ; Madeleine, qui fut Madame de Caugy. — Après avoir partagé ses biens entre ses enfants, s'en réservant la jouissance pour le reste de ses jours, Barthélemy-Joseph mourut en 1730 selon Charles de la Porte, en 1733 d'après Armand de la Porte. 1799. JOSEPH-RENÉ, chevalier, qualifié baron dans quelques actes, ailleurs marquis, seigneur en partie de Chalivoy-Milon et de Chaumont, fut baptisé le 30 août 1699. Le 4 mars 1719, nous le voyons rendre au roi, par devant le lieutenant-général de Bourbonnais, aveu de son fief, terre et justice d'Yssertieux. Une sentence de 1722 l'auto-


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lise à renoncer à la succession |de son aïeule, Elisabeth de Faverolles. Il termine en 1743 le fameux procès d'Amador II. Marié depuis le 12 mars 1737 à sa cousine Marie-Madeleine-Étiennette-Françoise de Faverolles, il autorise sa femme, le 15 septembre 1743, à transiger avec Pélagie d'Albert de} Luynes, à propos d'une créance de 28.000 livres provenant de la succession de dame Françoise de Culan. Il était, lors de son mariage, commissaire de la noblesse du Berry. Il eut sept enfants : Joseph-Antoine-Clair, qui lui succéda ; Henri-Charles, né le 3 février 1740, qui, dans l'attaque d'un convoi par les Anglais sur la côte d'Afrique, prit la place de son capitaine tué par les agresseurs et sauva le convoi : il y gagna le' grade de capitaine de vaisseau et la croix de Saint-Louis ; il représenta la noblesse de Provence aux Etats-Généraux de 1789 et mourut en Toscane, où il avait émigré ; Gilbert, dit le chevalier de la Porte, né Le 23 février 1741, qui devint officier au régiment de France, fut blessé dans l'affaire de l'Arrache, au Maroc, et mourut à Bourges ; Suzanne, née le 14 décembre 1744, qui fit ses preuves de noblesse en 1767, émigra à Vienne (Autriche), où elle mourut en 1815. 1821. JOSEPH-ANTOINE-CLAIR, marquis d'Yssertieux, né le 27 juin 1738 et baptisé le surlendemain dans la chapelle d'Yssertieux, était page du duc d'Orléans en 1758, lorsqu'après cinq ou six campagnes de la guerre de Sept Ans, il obtint une compagnie dans le régiment d'Orléans. Devenu en 1778 chevalier de Saint-Louis, il quitta le service. Il avait épousé, le 25 septembre 1765, à


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La Charité-sur-Loire, Catherine-Étiennette Léveillé de Fournay, qui lui donna trois fils : Louis-Joseph-Charles, qui lui succéda; RenéJoseph, né à La Charité le 18 juin 1770; entra en 1778 aux pages de Marie-Antoinette et servait dans le régiment de Royal-Cavalerie, quand éclata la Révolution. IL s'exila et prit du service dans les troupes de Condé. De retour, il épousa, le 26 janvier 1802, Clotilde de Tuilier, devint chevalier de Saint-Louis et mourut en 1842, maire de La Charité. Le troisième, Albert, était mort à la mamelle.

Pendant la Révolution, le seigneur d'Yssertieux eut beaucoup à souffrir. On lui reprocha l'émigration de ses fils, une partie de ses biens fut confisquée et le reste mis sous séquestre. Emprisonné à Bourges avec sa femme pendant 18 à 20 mois, il recouvra la liberté et ne put conserver la vie avec une partie de ses biens que grâce au dévouement de deux serviteurs d'origine lorraine, François Vilaire et Reine Julien, qui ne les abandonnèrent jamais et s'exposèrent même à la mort pour les sauver.

Joseph-Antoine avait vendu, avant la Révolution, sa terre de la Pointe, près de La Charité. Il débarrassa les abords d'Yssertieux des broussailles qui servaient de retraite aux vipères, ouvrit des chemins, dessécha les mares et le grand étang Farnèze, qui s'était envasé, pour en faire une prairie, agrandit et embellit la propriété. Après la mort de sa femme, en mai 1802, il abandonna tous ses biens à ses enfants et mourut en 1821, plus qu'octogénaire. 1851. CHARLES-LOUIS-JOSEPH, qualifié comte et marquis


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d'Yssertieux, né comme ses frères à La Charitésur-Loire, le 3 novembre 1768, fut reçu en 1783 page de la petite écurie du roi Louis XVI. Il en sortit en 1787 avec une épée d'honneur que lui transmit le duc de Coigny et prit du service dans le régiment de «Dragons-mestre-de-camp ». Il se réfugia en 1791 sous la bannière du prince de Condé. Après dix ans d'exil, il épousa, le 9 novembre 1801, Angélique-Henriette Saucières de Tenance et s'occupa, avec son frère, de rassembler les débris de leur fortune. D'ailleurs, René lui revendit sa part de ce qu'ils avaient ainsi racheté en commun. — Sous la Restauration, Charles devint capitaine de cavalerie et fut créé chevalier de Saint-Louis. Plus tard, il quitta le service pour l'emploi de secrétaire général de la Préfecture du Cher. Pendant son séjour à Bourges, le roi d'Espagne Charles V le créa grand-croix de l'ordre de Charles III. — Devenu veuf le 11 juin 1843, le marquis de la Porte mourut lui-même le 3 août 1851. Avec lui s'éteignait la descendance mâle de la vieille et illustre maison de la Porte-Yssertieux.

Il avait eu, en effet, l'amère douleur de voir mourir sans postérité, en août 1848, son unique fils Marie-Joseph-Amador, né le 6 juin 1804. Sorti de Saint-Cyr, comme officier au 1er chasseurs, en 1824, celui-ci démissionna en 1830 et épousa, le 9 février 1831, Louise Panon des Bassyns de Montbrun. Il avait reçu de son père la propriété d'Yssertieux. Par testament, il créait à Chalivoy, dans les bâtiments de l'ancien prieuré, une maison de deux religieuses de la Charité de Bourges pour le soin des pauvres


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et des malades : ce fut dans la pratique l'école des filles.

Charles laissait en outre deux filles : Marguerite-Joséphine-Albertine, qui lui succéda, et Henriette-Louise-Simonne-Augusta, mariée le 13 mai 1839 à un gentilhomme polonais émigré, Godefroy-Stephan Paszkiévicz, dont elle eut un fils. Les époux Paszkiévicz avaient reçu, dans leur part d'héritage, le domaine des Oudets et une locature au bourg de Chalivoy, ainsi que la portion du grand bois d'Yssertieux qui s'étend à gauche de la route de Chalivoy à Chaumont, et le bois Marceau.

Albertine épousa, le 14 novembre 1826, JeanFrançois-Antoine de Cotolendy de Beauregard, dont le père, Philippe, d'origine normande, habitait à Bourges l'immeuble qui devint plus tard la maison-mère des Religieuses de MarieImmaculée, place du Château. Antoine de Cotolendy était alors capitaine d'infanterie et chevalier de la Légion d'honneur. Il eut un fils, M. Marie-Louis-Henri de Cotolendy de Beauregard, officier supérieur d'infanterie, et une fille, Alix-Charlotte-Philippine, mariée au général Marie-Edouard d'Ornant, d'une famille noble d'Alençon.

M. Henri de Cotolendy, propriétaire d'Yssertieux, se maria à Marie Vildey de Croze, dont il eut trois enfants : Marguerite, qui mourut peu de temps après son mariage avec M. Rapin ; René, qui mourut accidentellement au régiment ; et Alix, épouse de M. le général marquis de la Geneste. — Prisonnier en Allemagne après les tristes événements de 1870, M. de Cotolendy


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n'eut pas la consolation de fermer les yeux à son épouse. De retour en France, il se remaria à Mlle Aurélie Cristiani de Ravaran, d'origine italienne, dont il eut quatre enfants : Albert ; Jeanne, qui, mariée à Jacques Martin de Fourchambault le 17 juillet 1900, devint veuve l'année suivante, à Madagascar, où elle mourut ellemême le 21 janvier 1902, laissant pour héritier d'une belle fortune terrienne dans la grande île, un enfant de quelques mois ; Emilie, épouse de M. Félix Marchand, ingénieur ; et un dernier fils, Charles.

2° Branche de Pierry,

fondée au milieu du XVIIIe siècle par Henry, fils de Barthélemy-Joseph, seigneur d'Yssertieux.

1776. HENRI-JEAN, né le 27 décembre 1701, fut baptisé dans l'église de Chalivoy-Milon, par le curé Gaucher. Son parrain fut Henri Veivat, seigneur du Chezeau, et sa marraine Jeanne de la Porte. Il reçut en partage la terre de Pierry, paroisse de Charly. Il épousa, vers 1740, Marguerite de Pouthe de la Roche-Aymon, qui lui apporta le château d'Orgnat, dans la Marche, où il fixa sa résidence et dont il prit le nom, après la vente de Pierry, en 1765. Cette vente faite à Pierre Chenu fut passée au château d'Yssertieux. Henri eut aussi sa part dans la liquidation du procès de Françoise de Culan. Il mourut en 1766. Il avait eu trois enfants : Amable-Jean-Henii, né en 1742, sous-lieutenant aux dragons de Belzunce et mort des suites d'un duel, à l'âge de 24 ans, pendant qu'il était détaché à l'école d'équi-


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tation de Cambray; Marie-Marguerite, née en 1743 au château de Pierry, chanoinesse de Metz; et

1820. GASPARD-AMABLE, chevalier, né en 1751 à Pierry, qui hérita de toute la fortune paternelle. Son nom figure parmi les gentilshommes du Bourbonnais qui prirent part aux États provinciaux de 1789. Il était de taille élevée et surtout d'une bonté remarquable. Ses biens lui furent en majeure partie volés pendant la Révolution, mais sa personne et sa famille furent toujours respectées ; il est vrai que l'influence de son cousin de Lamerville lui fut aussi fort utile. Il avait épousé, en 1776, Françoise de Barthou, qui lui apporta en dot les terre et château de la MotheMazurier, près de Gannat, où il mourut en 1820, âgé de 68 ans. Il laissa quatre filles : Victoire, morte à Felletin ; Mélanie, morte à Gannat ; Cécile, morte religieuse à Saint-Domingue ; Henriette, mariée à M. Terrel, employé des finances; et un fils.

1865. FRANÇOIS-AMABLE-AMADOR, chevalier, né à la Mothe-Mazurier, en 1789. Engagé dans les grenadiers de la Garde impériale, en 1803, il était officier à 16 ans. Devenu, en 1814, garde du corps de Louis XVIII, il épousa à Riom Pauline Pages. Atteint de cécité, il dut se retirer encore jeune à la Mothe-Mazurier. Se sentant délaissé, cruellement affecté par la perte d'un fils et d'une fille et par des revers de fortune, il vendit sa propriété et s'expatria en Algérie, en 1844, emmenant avec lui deux enfants qu'il avait élevés en souvenir des siens. Malgré ses infirmités, il fut l'un des plus courageux pionniers qui dé-


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frichèrent le Tell et assurèrent la prospérité de notre colonie. Il mourut le 13 janvier 1865.

5° Branche du Briou. La Porte de Rians.

1715. JEAN-FRANÇOIS, fils aîné de Jean VI (voir plus haut), naquit le 16 août 1649 et reçut de son père le Briou, près Sancergues. Il fut maintenu dans sa noblesse, à Moulins, par sentence du commissaire Tubeuf, le 22 janvier 1669; servit en 1674 au ban de Berry, dans l'escadron de Pierre de Bar. En 1675, il termina, par un abandon complet de ses droits sur Yssertieux, son procès avec sa marâtre Elisabeth de Faverolles. Le 19 juin 1682, il épousa Charlotte Cottignon. Il était, le 30 décembre 1695, gendarme de la garde de Louis XIV, compagnie de Soubise. Il mourut le 29 mai 1715, à l'âge de 69 ans, laissant trois enfants : Guy-François, qui lui succéda ; Pierre, né le 1er juillet 1695; et Catherine, qui fut mariée à Edme-Alexandre de Charry.

1731. GUY-FRANÇOIS Ier, chevalier, seigneur du Briou, naquit le 1er février 1690. Il fut maintenu dans sa noblesse, en 1716, par M. Foullé de Martangis, intendant de Bourges, sur titres remontant à l'an 1482. Le 4 mars 1719, il épousait Léonarde de Guillon, qu'il perdit après quelques mois de mariage. Il mourut lui-même le 13 janvier 1731, laissant pour lui succéder l'enfant qui avait coûté la vie à sa mère.

1795. GUY-FRANÇOIS II, comte du Briou, marquis de Rians, baron de Villeray, était né à La Charitésur-Loire. Il était guidon des chevau-légers de Bretagne, lorsqu'il rencontra le marquis Denis


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de Rians, chevalier, baron de Villeray, ancien capitaine des gendarmes du Berry et brigadier du roi. Ils étaient un peu parents par les femmes. Le vieux général fait en sa faveur un testament que Guy-François porte aussitôt à Mademoiselle de Rians. Celle-ci, non seulement approuve les volontés de son père, mais donne au jeune officier sa propre fortune. La seule condition était de joindre leur nom au sien et d'écarteler son blason de leurs armes. Devenu riche et capitaine au régiment de la RocheAymon, Guy-François épousa, le 24 février 1746, Henriette-Bibiane Colbert de Croisy, qui lui apportait encore une fortune considérable. Peu après, il fut promu mestre de camp de cavalerie. Pendant la Terreur, il fit émigrer ses fils, mais resta lui-même en France. Il décéda le 6 septembre 1795. Ses enfants étaient : GuyFrançois-Henri, qui lui succéda ; AugustinFrançois-Charles, né le 5 février 1860; lieutenant-colonel du régiment de dragons, mestre de camp et chevalier de Saint-Louis, il se distingua à l'armée de Condé, rentra en France avec les Bourbons et mourut à Paris en 1830, laissant une fille; Antoinette-Françoise-Bibiane, mariée à J.-B.-Charles de la Croix-Chevrière ; Adelaïde-Françoise-Charlotte, qui épousa Amédée-Grégoire de Nozières de Saint-Sauveur; et Adrienne-Félicité, épouse d'Alexandre Bon de Jupille. 1835. GUY-FRANÇOIS-HENRI, marquis de Rians et Sablé, né le 27 mai 1749, fut admis aux honneurs de la Cour en 1789 ; émigré comme son frère, il servit lui aussi dans l'armée de Condé et fut créé che-


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valier de Saint-Louis à la rentrée des Bourbons. Il avait épousé, le 1er juin 1778, Catherine-Françoise Beauvarlet de Bomicourt ; il mourut sans enfants, en 1835. Sa fortune fut partagée entre sa nièce, Madame de Rougé, ses soeurs et M. Amador de la Porte-Yssertieux, qui eut pour sa part plus d'un million.

§ 4. — IMPORTANCE ET MÉRITES.

En l'an 1200, la famille de la Porte comptait quatre branches principales : a) celle de Bannegon, qui devait s'éteindre en 1350, mais dont sont issues toutes les branches qui, en Berry, en Bourbonnais, en Nivernais et en bien d'autres pays, s'appelèrent de la Porte; — b) celle d'Yssertieux, la plus ancienne après celle de Bannegon ; — c) celle de Pesselières, ou du Sancerrois, qui passa en Artois vers 1440 ; — d) enfin celle du surnom des Rauches (terre située dans la paroisse de SaintBouize), qui possédait la Forêt-Thaumiers et qui s'éteignit en 1525. De cette dernière s'était même détaché un autre rameau, dit de Champeroux (ou Champroux), dont le château-fort, actuellement tout à fait disparu, s'élevait à mi-chemin du bourg de Thaumiers à la Forêt-Thaumiers. D'Yssertieux et de Champroux essaimèrent les maisons de Rians ou du Briou et de Gannat ou de Chenerailles. Ces quatre branches étaient dès lors très riches et avaient tous les droits dont la noblesse pouvait être dotée. Le 26 juin 1762, quelqu'un écrivait à Françoise de Faverolles, femme de Joseph-René de la Porte : « Il faut garder le titre où vous aviez le droit de battre monnaie », et l'intitulé d'un autre titre de 1288 : « Echange entre Bernard de la Porte et Etienne, comte de Sancerre,


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pour le droit que ledit Bernard avait sur la monnaie de Sancerre, lorsqu'il en faisait. »

Les de la Porte d'Yssertieux et des Rauches furent fondateurs, les premiers, du prieuré de Chaumont et de l'église d'Ourouer, les autres, du prieuré de Fontguesdon (ou Fontgadon, paroisse de Thaumiers). De plus, les abbayes de Saint-Sulpice et de Saint-Laurent de Bourges, de Fontmorigny (Nérondes), de Saint-Satur, de SaintMesmin, de La Charité-sur-Loire, etc. ; et les chapitres de Saint-Ursin, de Saint-Oustrillet de Bourges, etc., les avaient comme bienfaiteurs.

Sans parler de bien d'autres mérites qui les ont distingués, ils ont eu celui de servir toujours la France, sinon avec les hauts grades et l'éclat de certains autres gentilshommes, du moins avec la bravoure et la fidélité qu'aucun autre ne surpassa. Clérembault affirme que, de toutes les branches, ils parurent en grand nombre dans les armées, sous le duc de Berry, les maréchaux de Sancerre, de Boussicaut, le comte de Dammartin, etc.

Aussi n'est-il pas étonnant que cette famille ait allié son nom aux plus grands noms de France, les de Bellune, les d'Alençon, les de Sully, les de Béthune, les de Rochechouart, les de la Châtre, les de la Condamine, les de Charenton, les de Fontenay, les de Beaumont, les de Mortemart, les de Sancerre, les de Chauvigny, les le Groin, les de Longueville, les de Colbert, les de Bonneval, etc.

§ 5. — PROPRIÉTÉS.

De plus, la fortune des de la Porte était considérable. La maison d'Yssertieux, à elle seule, possédait : 1° Yssertieux, — 2° Bannegon et le Pont-de-Chargy, — 3° la Forêt-Thaumiers, Cogny et leurs dépendances, — 4° Bois-


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mervier (paroisse de Charly), Moulin-Porcher et Pierry (id.), — 5° les Brosses, Saint-Cyr, Villeneuve et Mazan (paroisse de Blet) (1), — 6 les Bourdelins, Fosseleau, Vauville, Vilers (paroisses d'Ourouer et de Cornusse), — 7° le Préau (paroisse de Chassy), — 8° la terre de Dois (paroisse de Garigny) et Précy, — 9° la terre et paroisse de Lugny, près Billeron (Lugny-Champagne), — 10° le fief de la Mothe et le village de Poligny, près Billeron, — 11° le Briou et ses dépendances et les Deux-Lions avec leurs dépendances : Vergnon, le Pavillon, Saint-Martindes-Champs, — 12° une partie de Charentonnay et ce qui est au-delà de la rivière « la Vauvise », dans le même canton, — 13° Raymond avec ses dépendances,— 14° Charenton et toutes ses dépendances, — 15° Meillant et toutes ses dépendances, — 16° le fief des Aveniers (paroisse de Sagonne), — 17° le château de la Mothe (paroisse de Neuilly), Laumoy et les Hérault (id.), et peutêtre même Liénesse (paroisse de Givardon)] sur la chapelle duquel se voient les armes des de la Porte, — 18° Meausse et ses dépendances : terre du Veuillin et fiefs des Ruaux et Tremigny, — 19° Saincaise, — 20° Coust-sous-Magny (à trois lieues de Nevers), — 21° Bresiol, près de Meausse, — 22° Pouzy (à trois lieues de Nevers), — 23° Desmouts (Bear-sur-Loire, à quatre lieues de Nevers), — 24° De Meur (à quatre lieues de Nevers), — 25° Crésancy (à trois lieues de Nevers), — 26° Chévenon (à deux lieues de Nevers), — 27° Bethure (près Marsy, à deux lieues de Nevers), — 28° Boisvert (paroisse de Magny, à deux lieues de Nevers), — 29° Chantenay, Mars et Mussy (près de Saint-Pierre-leMoutiers), — 30° La Ferté-Chaudron et ses dépendances :

(I) Lussault n'est pas dans les notes d'Elisabeth de Faverolles ; c'est sans doute un oubli, puisque Simon de la Porte avait été seigneur de ce lieu, à moins qu'il ait eu sur cette terre des droits seigneuriaux sans en être le propriétaire.


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les terres de Chantenay, de Toury, de Précy, de Livry, de Chambon et d'Osy-le-Vif, le tout relevant de SaintPierre. (Toutes les terres sises en Nivernais relèvent de la Chambre des comtes de Nevers), — 31° Poulaines (qui relève de Graçay), — 32° Saint-Georges (paroisse de Saint-Martin, à trois lieues de Bourges), — 33° la terre de Praux ou Préaux avec toutes ses dépendances (canton de Sancerre), — 34° les Aizons, — 35° Anières, — 36° Boisgibault ou Vaugibault, — 37° Groise, — 38° Attily et toutes ses dépendances, — 39° Marigny, — 40° les Brosses et les dépendances, — 41° Lircy ou Tiercy, — 42° Jalogne, — 43° Pesselières, — 44° Veaugues, le Porteau, — 45° Surette, — 46° Luçay, — 47° le Verteil, — 48° Lumnat, — 49° Vert, — 50° Pougues, — 51° SaintAubain, — 52° Barbate, — 53° Lisle, — 54° Fussy, — 55° Vallières ou Valet (tout cela doit être dans le Sancerrois) (1).

Nota. — L'hôtel de la Porte, situé à Bourges, rue de la Monnaie, actuellement la Mairie, n'appartenait à la famille de la Porte que depuis peu, par l'acquisition qu'en avait faite le comte Amador III. Lorsque celui-ci mourut en 1848, ce fut son père, Charles, qui en hérita, et à la mort de ce dernier, en 1852, l'hôtel se trouva dans la part d'héritage de Mme Paszkiéwicz qui le céda, quelque temps après, à la ville de Bourges.

(1) Archives d'Ysserlieulx. Extrait des notes d'Elisabeth de Faverolles.



CHAPITRE IV

La terre et les châteaux d'Yssertieux.

Dans la vallée où coule le Bouron et qu'encaissent les collines du Boudet et des Champs-Marceau est située la terre d'Yssertieux. D'abord marécages au milieu des bois, elle s'est, dès avant le IXe siècle, transformée, sous l'action des religieux de Chalivoy-Milon, en un manse fertile avec ses bâtiments d'habitation et d'exploitation agricole.

En 880, nous l'avons vu, ce manse appartenait encore au prieuré de Chalivoy sous le nom de « Exartilis ». C'est donc par erreur que B. de Kersers prétend que ce nom ne se rencontre pas avant le XIIIe siècle. Quant à sa signification elle nous échappe si elle ne désigne pas une terre sillonnée d'eau ou terre cultivée, par rapport au Boudet et aux Deserts qui étaient alors en bois ou en friches.

Entré dans les possessions des Milon par l'acte d'échange cité plus haut, Yssertieux leur resta jusqu'au commencement du XIe siècle, époque où Eudes Ier de la Porte, le plus ancien membre de cette famille qui ail possédé à la fois Bannegon et Yssertieux, en fit l'acquisition.

C'est bien aussi l'époque à laquelle il faut faire remonter la construction du « vieux château », quoi


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qu'en dise B. de Kersers (1). Ce château était considéré comme une des quatre merveilles du Bourbonnais. Il était en effet situé à la fois dans le bailliage de Dunle Roy et dans la province du Bourbonnais, tout près du chemin qui séparait cette province d'avec le Berry (2). C'était une maison forte bâtie au milieu d'un marais dit « l'étang neuf » dont il reste deux parties : l'abreuvoir et la pièce d'eau située à l'ouest du château neuf. Celte forteresse formait un quadrilatère de près de 40 mètres de côté défendu par un large et profond fossé dont la partie est existe encore. De ce côté se trouvait l'entrée principale et le pont-levis ; de ce côté aussi le donjon avec ses murs épais d'un mètre et demi au pied et de 0m60 au sommet, son toit en pyramide quadrangulaire, plate et tronquée, et ses deux lanternons. Le donjon se prolongeait en logements moins larges et moins élevés (du moins celui du sud) jusqu'aux extrémités de la façade qui étaient flanquées de deux tours chacune. A l'extrémité nord-est existait jadis une troisième tour dite du « beffroi ». Ces tours étaient réunies par des courtines à deux autres tours bâties aux angles nord-ouest et sud-ouest de la cour qui s'étend derrière le vieux manoir. Ces dernières qui, aujourd'hui encore, flanquent le château neuf étaient elles-mêmes jointes par d'autres courtines à une grosse

(1) D'après cet auteur, ouvrage déjà cité, ce castel serait du xve siècle et aurait été construit par Pierre de la Porte. Or, au XIVe siècle, lorsque les de Châteaumorand le saccagèrent, il était déjà fort ancien, ainsi qu'il fut expliqué par Odart de la Porte au duc de Bourbon en 1436.

(2) Ce chemin, dont on aperçoit encore le tracé en descendant à droite de la route de Bannegon, dans les endroits où cette roule ne l'occupe pas, puis dans le champ des Gaillats, passait au-dessus du domaine de la Dame et au sud du château d'Yssertieux, de là descendait du coté du moulin des Écorcherats dont on voit encore les substructions dans le pré « du moulin », et, longeant sur le Boudet un peu au-dessus du bourg de Chalivoy, se dirigeait sur Blet par le village de Vailly.


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tour carrée dite « de l'archidiacre » qui occupait l'emplacement du château neuf. Le tout était couvert de tuiles et en bardeau, avec simples sablières.

Le monument est, on le voit, assez exigu; de plus, il est d'habitation peu commode. Aussi, surtout quand on sait que parfois il abrita deux ménages pourvus de nombreux enfants, ne peut-on s'empêcher d'admirer l'austérité de ses puissants chevaliers. En outre des caves et des combles il comporte deux étages. Les fenêtres sont toutes rectangulaires) mais très variées de grandeur, de forme et de position. Il y en a de si étroites qu'elles n'ont que quatre petits carreaux. Aujourd'hui, sur la cour surtout, il y a tout un mélange des XIe et xve siècles. Celles qui donnent sur l'intérieur sont généralement plus étroites que celles qui, ont vue sur la cour. Les meurtrières, très nombreuses également, diffèrent beaucoup de forme. Il y a en de rondes, géminées dans de grandes embrasures carrées et à cintre surbaissé, pratiquées presque au ras du sol dans les tours, de purement rectangulaires, de rectangulaires avec élargissements en fond à la base de deux formes.

Le portail, qui a subi dans son entrée un changement peu artistiqne, conserve encore la rainure où glissait sa herse. Il est voûté en maçonnerie et en berceau et terminé par deux arceaux en appareil moyen. A gauche, sous ce portail, on remarque deux niches hautes d'environ deux mètres et à ceintre surbaissé en maçonnerie. On retrouve le même modèle dans différentes autres portes et niches de moindres dimensions qui existent dans les sous-sols.

A droite du portail s'ouvre une petite porté : elle donne accès à un étroit passage qui communique à la fois avec le portail, les sous-sols et un escalier de pierre, étroit lui aussi, qui monte droit à l'intérieur le long


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du mur de la cour au premier étage. Près de cette porte, une petite fenêtre protégée par des barreaux disposés en grillage et terminés par des pointes recourbées vers le mur.

Les appartements sont desservis par deux escaliers de pierre en spirale construits aux extrémités du monument. Du deuxième étage un escalier de pierre descend aussi du milieu et à l'intérieur le long du mur de la cour vers l'escalier sud. Dans le donjon les salles occupent tout l'espace, une à chaque étage. Mais de chaque côté les chambres sont longées par un très étroit couloir ou chemin de ronde du côté du mur extérieur et communiquent toutes entre elles. Ce couloir est voûté en berceau à une hauteur de 2m20. On remarque dans les embrasures des fenêtres des sièges en pierre. Les passages des escaliers aux couloirs ont à peine 0m50 de large et 1m80 de haut. Les tours qui ne sont pas occupées par les escaliers forment de grandes chambres. Le tout est carrelé.

On ne remarque aucun ornement d'architecture, si ce n'est quelques encadrements de fenêtres chanfreinées, et deux ou trois fenêtres, en particulier celles de la chapelle, ornées dans le goût du xve siècle. Nous en pouvons dire autant des machicoulis ajoutés à cette époque. A signaler aussi deux petites cheminées à manteau avec pieds droits décorés de cavets d'un aspect fort sévère.

Tout auprès du château s'était formé un village qui ne disparut qu'au commencement du XIXe siècle.

En 1257, la dîme de Chalivoy dépendait encore de la seigneurie d'Yssertieux, mais une pièce conservée dans les archives d'Yssertieux nous apprend qu'elle fut alors vendue à Gilbert Milon.

Chose curieuse, la vente de la même terre et de son droit de dîme à la même époque est enregistrée sous


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des noms différents pour le vendeur comme pour l'acheteur, dans un autre acte. Ici, c'est Etienne de Meillant, chevalier, qui vend à Herbert de Foceys, également chevalier, la rente annuelle qu'il recevait en blé, froment, orge et avoine, « sur la dixme annuelle de Chalivoit sur la partie d'Etienne de la Porte, chevalier (1) ». Là, le nom de Humbault, le vendeur, semble appliqué au chevalier de la Porte, et le prénom du premier acheteur confondu avec celui du second, Etienne avec Herbert, qui est même devenu Gilbert. Mais cela n'attaque point le fond du sujet, la vente est bien la même des deux parts.

Sous Jean II de la Porte, le vieux manoir fut mis à une rude épreuve à la suite d'une dispute de famille. Marguerite de la Porte, deuxième fille de Jean ou Jeannin dit le Bordon, de la branche de Bannegon, avait épousé Hugues de Charlus Châteaumorand et avait hérité de Poligny, qui devint plus tard chef-lieu du duché de Lévi (Lurcy) et de la terre de Raymond. D'où les Châteaumorand prétendaient que les de la Porte-Yssertieux étaient redevables à la branche de Bannegon de certains retours faisant partie de la dot de Marguerite. Or, la justice s'était prononcée contre leurs revendications. De plus, la donation de la terre et du manoir de Pierry à Perrin de la Porte leur fournissait l'occasion de basse jalousie. Sachant Jean II désormais seul à Yssertieux, ils résolurent de l'en expulser. Regnaud, Guichard et Jean de Châteaumorand arrivèrent donc avec leurs hommes et

(1) « Ces objets avaient été achetés par ledit Etienne de Meillant à Humbault de la Porte, damoiseau, en faveur du mariage avec Jeanne, fille dudit chevalier, acheteur, femme dudit Humbault de la Porte, et l'a revêtu desdites choses en présence de l'official du Palais de Bourges, du consentement de Acelme sa femme de qui elles venaient, et en donnant à ladite Acelme et à ses héritiers en compensation par héritage perpétuel trois muids de seigle à percevoir annuellement sur la paroisse de Mers, entre la litarde et l'orme de Mers, lesquels dixmes il avait de son père René de Meillant. » (Archives d'Yssertieux.)


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investirent le château. Ils « disoient tout hautement et fièrement que s'ils le trouvoient, ils le bouteroient dehors et le commosseroient. » Le château fut impitoyablement mis à sac. Jean dut s'enfuir et porter plainte au roi qui lui donna des lettres de sauvegarde et ordonna à son bailly de Saint-Pierre-le-Moutier de « rechercher, poursuivre diligemment et secrètement tous ceux [qu'ils trouveraient] coupables, soupsonnés et renommés, [et de les punir] si et par telle manière que ce soit exemples à tous autres ». Il leur fit connaître qu'il prenait le complaignant « sous sa sauve et spéciale garde » et ordonna de faire « si diligence et tellement que iceluy n'ait cause d'en retourner plainte ». Justice fut faite et fut « signifié auxdits sieurs chevaliers, que si après la signification à eux faite ils récidivent à inquiéter ledit écuyer dans sa personne, ses biens et sa famille, ils se verroient condamnés à une amande de cinq cents marcs d'argent ». Ceci se passa en 1369.

L'histoire se ressent un peu des bouleversements de celle époque, et dans un acte daté de 1371 il est question d'un André de la Porte, seigneur d'Yssertieux, damoiseau non mentionné dans la généalogie et qui rend foi et hommage au lieu et place de ses frères absents au seigneur de la Forest-Thaumiers, pour leurs serfs du Frouez (1).

(1) « Le dimanche après la fête de St Luc évangéliste 1371. — A tous ceux qui ces présentes lettres verront Pierre de Crat chevalier conseilleur mgr le duc chancelier de Bourboun salut en nos seigneurs. Sachant tous que en la présence de Joseph Glolet clerc juré de ladite chancellie, notaire, établi en personne André de la Porte seigneur d'Issartcox, damoiseau, pour lesd. Joseph et Gimonet de la Porte ses frères pour les queux absenz ledit André, a volet soy tenir en fié et homage de noble homme Jehan des Rauches, écuyer, sgr de la Fourest, en la paroisse de Taumet, savoir tous leurs homes et famés tailhables et exploitables à voulonté qu'ils ont au village du Frays, item la justice dudit village, item tous les prés, terres, vignes, cens qu'ils ont audit village, item sa rente de soixante sols sur l'estant de rougepain, et vallent toutes les susdites choses dix livres de rente


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Cependant les dommages causés au château des de la Porte appelaient des réparations considérables. Elles furent faites en 1424, sous Odart, qui modifia sa maison dans le style de l'époque. Alors durent être pratiquées les meurtrières diverses qu'on y remarque : archères et canonières variées ; alors aussi furent construits les mâchicoulis soutenus par des encorbellements à trois ressauts dont les vides sont décorés de petites arquettes aveugles trilobées, insérées elles-mêmes dans des cadres carrés.

Dans l'une des tours sud-est se trouve la chapelle. Elle est du XVIe siècle et fut bâtie par Jean V qui avait obtenu du légat du pape la permission « de se confesser et entendre la messe dans sa maison (1)». Elle est petite et presque carrée, mesurant quatorze pieds de long sur douze de large et treize en hauteur sous la clef de voûte. L'autel est encastré dans une niche à cintre surbaissé. Une autre niche du même genre, pratiquée dans le mur latéral du côté de l'évangile, reçoit le châtelain. Au milieu de cette niche, vers le haut, s'ouvre l'unique petite fenêtre carrée qui éclaire la chapelle. Extérieurement, cette fenêtre a ses pieds droits ornés de cavets et son linteau décoré d'une rangée de corolles. Le vitrail qui la garnit est ancien, mais sans valeur artistique. Les pans de la pièce sont encadrés d'arceaux formerets gothiques qui, réunis avec les arceaux des voûtes, descendent dans

po plus ou po moins. » (Archives du Citer, fonds Hallot, communiqué par M. Tausserat.)

Le mol Isarteox se trouvait déjà dans un écrit de 1354.

(1) Armand de la Porte, ouvrage cité. — Charles de la Porte, ouvrage cité, dit pourtant : « La fondation de la chapelle peut raisonnablement se reporter au milieu du XIIIe siècle, mais on peut penser que l'intérieur a subi depuis quelques changements, soit dans l'emplacement de l'autel, soit dans la décoration. » Toutefois, rien n'autorise cette supposition, ni le style de la voûte, ni l'emplacement de l'autel, qui est à la fois oriente et dans le meilleur lieu pour être éclairé.


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les angles jusqu'à des socles peu élevés. Ces arceaux sont canelés et prismatiques, comme tous ceux de celte époque, et sont accompagnés de tiercerons et de liernes : ce qui indique bien la seconde moitié du xve siècle. Toutes les clefs de voûtes portent les armes des de la Porte : Parti : au 1 d'or à la bande d'azur ; au 2 de gueules au lion d'or. Il est probable qu'elles ne sont que peintes et remontent à l'époque où Charles de la Porte fit restaurer cette chapelle devenue depuis la Révolution un garde-meuble. On remarque aussi une crédence en forme de niche avec avancement soutenu par un cul-delampe assez semblable aux portes de l'ancienne église des Carmes, à Bourges, ou de l'église du Noyer (Cher). Enfin au fond de la chapelle est appendu un tableau ancien représentant la chasse de Saint-Hubert. Avant la Révolution, les murs portaient des fresques représentant toutes les alliances de la famille de la Porte. Les jacobins de Dun-le-Roy couvrirent ces peintures d'un lait de chaux. Aujourd'hui toute la chapelle est peinte d'une couleur gris-pâle d'un bon effet. Restaurée par Charles de la Porte, cette chapelle fut de nouveau bénite le 8 août 1832 par Mgr de Villèle, archevêque de Bourges, comme l'atteste une plaque de marbre placée au-dessus de la porte de la petite sacristie (1).

Ainsi en 1535, Yssertieux se composait « d'un chatel, tours et forteresse, assise et placé au lieu d'Yssertieux

(1) « Hoc sacellum, religione ac pietate avorum suorum antiquitus erectum,

restauravit et nobilis I : S. Carolus de Porta, unà cum egregià conjuge suâ Hca

Angca Saucière de Tenance : atque D.D. Guill. Alb. de Villèle, patriarcha, archiepiscopus

archiepiscopus dignitate simul virtutibus inclytus, benignè de novo ipso

sacravit, die VIII augti, anno R. S. M. D. CCC. XXXII.

Script. II. Cornus, censbit. "

Et dans l'autel qui est on bois de chène sculpté, sous la pierre sacrée, se trouve

un parchemin sur lequel on lit : « Cette pierre a été consacrée et donnée à la

chapelle d'Yssertieux par Mgr Guillme Aubin de Villèle, lorsqu'il vint la bénir de

nouveau, le huit aoust mil huit cent trente deux. »


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ou Yssertioulx, en la paroisse de Chalivoy-Milon, ensemble le pont-levis et fossés tout alentour dudit chatel et forteresse, et basse cour devant le chatel, avec toute la circuité et tenement ensemble, joute d'une part le chemin tendant de la vieille chaussée dudit Yssertioulx au chemin qui va à l'étang de Salonne appartenant auxdits seigneurs d'Yssertieulx à prendre ledit chemin jusqu'à une croix qui est; jouxte le chemin qui vient de Chaumont et tire au molin d'Ecorcherat appartenant auxdits seigneurs d'autre part, et comme ainsi toute la circuité dudit châtel, forteresse et fossés se comporté d'autre » (1). Quant à la terre d'Yssertieux, nous la trouvons exposée et délimitée dans la « déclaration faite par Simon de la Porte, maistre d'hostel ordinaire du Roy et écuier dudit messire Roy François premier, par devant nous les notaires Royaux de la Prévoté de Sancoins Jean Blondeau et Benoist, etc..., le 28 mai 1535, de biens, justices, seigneurie, taille, bordelage et dépendances de sa terre et seigneurie les habitants présentz et assignez pour voir et affirmer lesdictes déclarations (suivent les noms et en plus) tous les habitants de la terre et seigneurie d'Yssertieux, etc... » (2).

(1) Archives d'Yssertieux. On y lit aussi cette autre limitation qui complète la précédente : « Un château, tours et forteresse, et le moulin d'Ecorcherat limite de sa terre d'Yssertieux ; depuis le chemin qui vient de Chaumont à Chalivoit, et dudit chemin tire la rue du bois du breuil qui est à Mrs de S. Sulpice jusqu'au bois dieu et dudit bois dieu le long du chemin qui despart le bois dieu du plex maubois et dudit chemin tendans le long de la levée qui despart le bois dieu et la terre dudit Issertieux jusqu'au bois de la brosse apt à Mrs de S. Sulpice, et du bois de la brosse s'en va au chemin du guet ou de piarre. »

(2) « 1° le chatelet d'Yssertieux et héritage attenant et... s'ensuit le terrage,

ses limites et confins, ainsi que de la terre et seigneurie

En outre ledit seigneur nous a dit et remontré que laditte terre et seigneurie d'Yssertieux s'étend et comporte par beaux, confins et limites, sans qu'aucun seigneur n'ait droit dans laditte terre seigneurie et confins de possession, terrage etc;.... que l'étendue et limites de sa ditte terre et seigneur[ie] commence à


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Vers le milieu du XVIIe siècle, la tour de l'archidiacre fut détruite par un incendie. En 1654, Jean VI de la Porte la remplaça par une habitation joignant les deux tourelles des angles de la cour et construite dans le goût du temps. Elle se composait de sous-sols et d'un étage auquel on accédait de la cour intérieure par un beau perron.

En 1760, la justice de Chalivoy-Milon fut l'objet d'un échange entre les Religieux de St-Sulpice-lès-Bourges et

prendre depuis le chemin du pont du gué, aultrement le pont de pierre, lequel chemin fait la séparation de la terre et seigneurie d'Yssertieux et la terre de Thaumier, et tire au village de Luisant, le long dudit chemin et village de Luisant en tirant à une croix appellée la croix Gadaut, au carfour de devant le chesal Bernard Saupin étant audit vilage, laquelle croix fait la séparation des limites et seigneuries d'Yssertieux, Bannegon et Thaumier, et dos paroisses de Chalivoy, Bannegon et Thaumier, et de ladite croix à main senestre tirant le long du chemin tendant des ouches et vignes aux Gorgeon, tout le long du chemin tendant au vilage des Mauguin, et du village des Mauguins tout le long du chemin jusqu'aux ravannes du cro-rouge, et va tout le long dudit chemin en descendant jusqu'à la planche aux truies ou aultrement appelle la fond et crol au sanglier, et de laditte fond et crot au sanglier le long du grand pré appartenant à Jean et Etienne Sac, le long du chemin qui fait la séparation des justices de Bannegon et terre d'Yssertieux tirant au carfour d'en-dessus du pré chardon, qui départ lesdittes justice de Bannegon et seigneurie d'Yssertieux. Et dudit carfour du pré chardon tout le long du chemin qui va des Mauguins a l'église de Chaumont jusqu'au carfour Piat, et dudit carfour retournant par devant le chezal Jean Roussat jusqu'au carfour du chemin qui va du chatel d'Yssertieux à l'église de Chaumont, et dudit carfour tirant à la font au bruns qui fait séparation de la terre d'Yssertieux et justice de Chaument le long d'un plaissis, le long dudit plaissis par le millieu et traver le long d'une thuile qui est au pré de Jean Gautier près le pré Thureau, entre ledit pré qui est jusqu'au-dessous du chemin tendant de l'église de Chaumont à la Motte Sarazin, à l'endroit de la maison Jean Gautier à trois ou quatre toises près, où il y a une borne dedans laditte rue près d'un poirier, et de laditte borne le long d'un plaissis, qui est entre la terre Jean Gautier, tenue dudit sieur d'Yssertieux, et la terre Louis Berthaut, appelle champ Bullet, tend du prieuré de Chaumont jusqu'au bout dudit plaissis, entrant sur la rue tendant de Chaumont à Chalivoit, et de laditte rue au long de la terre appellée la Magné, et le bois Marceau qui est de présent à Noël Petitjean et ses consorts, jusqu'à la planche aux noix, et de laditte planche passant par la corne du pré Gilbert Bordat et tirant jusqu'à une borne qui est au pied d'un merisier étant au pré venant de là au carré du champ


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René-Joseph de la Porte contre le domaine du Boudet que celui-ci possédait depuis une dizaine d'années. L'acte fut passé devant le notaire royal résidant à Bannegon. Le procureur de l'abbaye royale de St-Sulpice, dom Pierre Besse, venu pour traiter au nom du couvent tout entier avait reçu l'hospitalité à Yssertieux. L'acte capitulaire du 17 août 1759 avait dû être confirmé par

de la Coette le long du plaissis dudit champ et dudit pré et champ Bordat, jusqu'à la rue où il y a une borne ancienne qui fait la séparation des justices de Chaumont et de Blet, et de la terre et seigneurie d'Yssertieux, tendant de la croix au tillier au poirier du mignard le long de laditte rue, jusqu'audit poirier, et dudit poirier à la fond du mignard étant près dudit poirier le long de la chaume jusqu'à la fontaine du pré de la fond appartenant au prieur de Chaumont, et tirant au long du plaissis des rouesses Baladons jusqu'au bas des petites vèves qui sont à Benoit Berthaud, traversant le long du plaissis qui est entre les prés des egoullier appartenant à Gilbert Berthaud en retournant le long du plaissis à main droite, et la terre et bois Gilbert Berthaud appelle lépart, tirant le long des héritages des part et égoullier, jusqu'au crot chenu et dudit crot chenu tout le long du chemin tendant du chezal odot venant jusqu'au carfour du chemin qui va à Vailly, et dudit carfour traversant le long du plaissis qui est entre la terre Noël Godin, Gilbert Berthaud et prieur de Chaumont tenant du prieur do Chaumont, et les bords de la meterer (?) dudit champ appelle chaumes tout le long dudit plaissis jusqu'au bois du Breuil, appartenant à l'abbé de St Sulpice-lès-Bourges à cause du prieuré de Chalivoit-Milon, jusqu'à une borne qui est au pied d'un gros chaisne, au-dessus du chemin tendant du chatel d'Yssertieux au vilage de Lusseau au Tremblay, et de laditte borne tirant au-dessus et contre les vignes dudit grand bois et des chaumes blanches jusqu'au grand chemin tendant de Chaumont à Chalivoit, et de

là retournant le long dudit grand chemin jusqu'à une borne qui est en avant

de la... dedans ledit grand chemin dedans ledit Chalivoit le long du faussé jusqu'à laditte borne trauvers au travers dudit bois le long du chemin vieux jusqu'à une autre borne qui est à 12 ou 13 toises plus basse que la précédente borne, et de laditte [borne] tirant au travers dudit bois, le long de trois autres bornes tirant contre bas au travers dudit bois, vers le chesal Pierre Lafont, jusqu'à une borne qui est auprès d'un chaisne qui sépare le bois dudit abbé de St Sulpice et seigneur d'Yssertieux et le bois dieu, et de laditte borne tout le long de la levée qui est entre ledit bois dudit seigneur d'Yssertieux et le bois dieu, jusqu'au bois de la brosse aussi appartenant audit abbé, et tirant tout le long des héritages de Pierre Hapin le long dudit bois et lesdits héritages de Rapin tenus dudit seigneur jusqu'audit pont du gué, etc »


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lettres-patentes du Roi en janvier 1760(1). Nous trouvons dans ces conventions conclues à Yssertieux le 10 novembre suivant, en même temps que l'énumération complète des parties dont se composent les biens échangés, un exposé très net des droits cédés ou retenus. Ces

(1) « C'est à sçavoir que mesdits srs Abbé et religieux de ladite abbaye de St Sulpice ont cédé et délaissent par ces présentes à titre d'échange audit seigr marquis de la Porte cy présent et acceptant pour lui et les siens et de lui ayant cause leur haute, moyenne et basse justice dudit Chalivoy Milon, ainsi qu'elle s'étend et comporte avec les seuls droits qui en sont inséparables comme de chasser, droit d'instituer les officiers et de faire exercer ladite justice el autres que ledit seigr marquis de la Porte a dit bien sçavoir et connaître sans que le présent abandon puisse nuire ny préjudicier aux autres droits utiles de cens et rentes, dimes, terrages, propriété de domaines, bâtiments, bois, et tous autres héritages et tous autres droits utiles appartenant de droit ou d'usage à ladite abbaye, même au patronage et à la présentation de la cure dudit Chalivoy Milon ; tous lesquels droits lesdits vénérables abbé et religieux se sont expressément réservés. Néanmoins quoyque la prison soit bâtie dans la basse-cour du domaine desdits vénérables, ledit seigr marquis aura la liberté d'y faire mettre et garder les criminels ou malfaiteurs qu'il sera en droit de faire appréhender au corps à raison et en vertu de ladite justice présentement cédée, et ce seulement jusqu'à ce qu'il en ait fait bâtir une dans telle place à luy appartenant qu'il luy plaira, ce qu'il sera tenu et s'oblige de faire dans douze ans à compter de ce jour; et si lesdits vénérables permettaient qu'il se servit plus longtems de leurdite prison, ledit seigr marquis de la Porte n'en jouira que précairement, seulement tant qu'il plaira auxdits abbé et religieux de le souffrir et permettre, sans que pour quelque laps de tems que ce soit il puisse luy ny les siens ou ayant cause acquérir aucun droit de propriété sur ladite prison ny qu'il puisse obliger lesdits religieux de luy fournir ny geolier, ny prison, ny place pour en construire ; et cependant tout le tems que lesdits vénérables permettront qu'il se serve de la prison, ledit seigr marquis de la Porte sera obligé de l'entretenir de toutes réparations et de la laisser en bon état et d'en faire l'abandon à la première réquisition qui luy en sera faite par lesdits vénérables ; sera encore obligé ledit seigr de la Porte et les siens et de luy ayant cause de tenir ladite justice en fief relevant desdits srs abbé et religieux et de leur en faire foy et hommage et de leur en fournir l'aveu et dénombrement et payer les droits et rachapts toutesfois et quantes il y échéra suivant la coutume de Berry, et en contre-échange ledit seigr marquis de la Porte-Yssertieux a délaissé et délaisse par ces présentes auxdits vénérables abbé et religieux cyprésents et acceptant, ledit dom Besse pour eux, les héritages qui suivent : 1° une rouesse, une ferre et un pré, le tout en un tenant, dans lequel il y a des bâtiments presque en ruines contenant quatre-vingt boisselées ou environ, mesure de Dun-


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droits sont nombreux, variés, quelques-uns même très importants, par exemple, les droits de haute et moyenne justice, de présentation à la cure de Chalivoy : le respect en est sérieusement garanti de part et d'autre. A l'appui de l'acte il y a eu transcription d'un extrait de la procuration donnée à Dom Besse, par l'Abbé de St-Sulpice,

le-Roy, ainsi que tous les autres articles suivants et tous situés en la paroisse de Chalivoy Milon, joute du levant la commune du Boudet, du midi le chemin tendant de Bannegon à Chalivoy, du couchant la chaume de Chalivoy, et du septentrion les héritages des Compaings ; — 2° une terre appelée le champ Jacques contenant vingt boisselées ou environ qui joute du levant le champ de la croix appartenant aux Deguions, du midi une terre dépendante du domaine des Plissons appartenant à M. Baraton de Dame, du couchant au petit chemin tendant de la maison rouge à Chalivoy, et du septentrion ledit chemin de Bannegon à Chalivoy ; — 3° une autre pièce de terre appellée le champ de la grange dans lequel il y a encore quelques restes de murs d'une grange, contenant vingt-quatre boisselées ou environs qui joute do levant et septentrion la commune du Boudet, du midi les aisances des bâtiments cy-dessus du premier article ; — 4° un patureau appelle le chailloux contenant quarante boissellées ou environ qui joute du levant le pré du nommé Gerbe Lainé, du midi le champ Cardinal appartenant à ladite abbaye de St Sulpice, du couchant le pré de la cure et Touche Blondeau appartenant auxdits Deguions et du septentrion le paturail des Mesures dépendant du domaine des Plissons, et le champ-Dieu dépendant de la Feuille appartenant au mineur Roussat ; — 5° une petite pièce de terre située aux Crées contenant deux boissellées ou environ qui joule du levant la terre des nommés Lamy et Bardins, du midi le pré des moines appartenant à ladite abbaye, du couchant [le pré] du nommé Laradou, et du septentrion une terre de la métairie d'Acon appartenant à M. Terrasse à cause de sa seigrie d'Acon ; — 6° une autre pièce de terre située aussi aux Crées contenant quatre boissellées ou environ qui joute du levant la terre du nommé Crétin, du midi la rue tendant de Chalivoy au pré des Moines, du couchant la terre de la métairie d'Acon et celle du nommé Chansel a cause de Françoise Cadot sa femme, et du septentrion celle de Jean Butos aux droils des Cadots ; — 7° une autre pièce de terre située audit lieu des Crées contenant deux boissellées ou environ qui joute du levant et du midi les terres dudit seigr d'Acon, du couchant une terre dudit Crétin, et du septentrion une rouesse dudit seigr d'Acon ; — 8° une autre pièce de terre située dans les champs de Chalivoy contenant six boisselées ou environ qui joute du couchant et du levant les terres dudit domaine des Pellissons, du midi la rouesse des trois faviers que délient à présent Germain Teneau, et du septentrion une terre de la seigie de Blet ; — 9° une pièce de terre appellée le champ des Trembles contenant quatre-vingt-quatorze perches près de la croix aux morts,

* Bannegon est indubitablement une faute de transcription : il faut lire Maison-Rouge.


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Dom Léger le Faivre, et tout le monastère réuni en chapitre. Enfin un long nota énumère avec détails « les objets dont Monsieur le marquis de la Porte veut bien se donner la peine de faire la vente », et à propos de la valeur desquels il y a contestation entre les parties contractantes. L'écart est assez considérable, les religieux estiment leurs biens 1200 livres ; ils consentiraient toutefois à les céder pour 1000 livres, mais on n'en offre que 600 (1).

Quelques années plus tard, c'est la Révolution. La persécution contre le clergé et la noblesse sévit avec rage. Lois, décrets, arrêtés, mesures arbitraires, brutalités, se succèdent avec une rapidité vertigineuse. Les demeures sont fouillées, les biens mis sous séquestre ou même confisqués, les personnes molestées, arrêtées et incarcérées.

M. Clair de la Porte, malgré la bonne volonté qu'il avait mise à renoncer, comme il le dit lui-même dans

joutant du levant une terre de la cure, du midi une rouesse des héritiers Roussat, du couchant une rouesse des Rotillons et du septentrion le chemin de Dun-le-Roy à la Feuille ; — 10° une rouesse appellée la Charbonnière contenant deux arpens ou environ qui joute du levant le bois des Moines appartenant à ladite abbaye, du midi les terres appellées le Broué de ladite abbaye et par une petite pointe celle des Deguions, du couchant la rouesse du nommé Gerbe l'aîné, et du septentrion la rouesse du nommé Guérin, le chemin d'Yssertieux à Vailly entre deux ; — 11° une petite rouesse en pointe contenant quatre boissellées ou environ qui joule du levant et du septentrion ledit bois des Moines appartenant etc., du midi le chemin tendant de Chalivoy à Chaumont, et du couchant la commune du Boudet. Desquels héritages présentement cédés, leur fond et tresfond, lesdits vénérables jouiront, etc.. etc.. déclarant lesdites parties que les objets qui font la matière du présent échange sont de la valeur de huit cents livres. Car ainsi promettant etc.. etc.. en présence de Claude Rousseau prêtre curé de la paroisse de Chalivoy Milon et de Louis Martial Barault clerc minoré demeurant en ladite paroisse. »

(1) Ces biens consistent en une rouesse appelée le bois Guichard, contenant 5 à 6 arpents, située paroisse de Chalivoy-Milon, joutant au levant les chétives rouesses du domaine de la Feuille et des nommés Guérin et Favier, du midi la rue tendant du bois des Moines à la chaume des Gros, du septentrion les terres du


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une réclamation contre les impôts excessifs dont il est accablé, à ses privilèges pécuniaires de noblesse et à en voter l'abolition, ne fut pas plus épargné que les autres. II est harcelé à la fois par le conseil du Département du Cher (1) et par celui de la paroisse de Chalivoy-Milon (2).

domaine des Pellissons, de la Feuille et des Faviers, à la charge de deux sols tournois qu'on dit être dûs à la seigie de Blet, et même de plus grands droits s'il s'en trouve de légitimement dus ; — 2° un petit pré et une rouesse y attenant, niais séparée par une bouchure sèche ; l'ensemble, appelé la Font-Tremble, à présent le pré de Vailly, joule du levant la rue de Vailly à Chaumont, du midi par un bout une rouesse de Louis Dutet au lieu des Reaux, et une terre du nommé Charton « à cause de la Queneau, sa femme », du couchant et du septentrion les héritages dudit Dutet ; — 3° un autre pré, situé au même lieu, joutant du levant le pré dudit Dutet, du midi et du couchant le pré du domaine de la Feuille appartenant aux Roussat, du septentrion les terres des Charton et Guillonnet, à cause des Queneau leurs femmes, les deux prés et rouessès situés en la paroisse de Blet et contenant en tout deux arpents et demi ou environ pouvant fournir deux à trois milliers de foin, à la charge de deux deniers et une mesure de froment qu'on dit être dûs à la seigrie de Blet, et même de plus grands, etc.. ; — 4° une pièce de terre située aux champs de Chalivoy et dite le petit champ Louis (?), contenant cinq boisselées ou environ et joutant du levant la terre du Bureau (aujourd'hui le Buriau) de la seigrie de Blet, du midi et couchant la terre du domaine des Plissons et du sieur Cretin, du septentrion le chemin d'Yssertieux à la chaume des Cros, et à Charly à la charge des devoirs seigneuriaux qui se trouvent légitimement dûs à la seigrie de Blet. (Archiv. d'Yssertieux.)

Le domaine a pour fermier, à celte époque, un nommé Joly dans la tête duquel fermentent peut-être quelques idées révolutionnaires. Il est en guerre et en procès avec son propriétaire, en particulier pour un fossé que celui-ci a fait creuser non loin du domaine. Joly prétend que ce fossé est un danger pour ses bestiaux et que M. de la Porte n'avait pas le droit de creuser sans sa permission. Mais cela tient peut-être seulement au caractère difficile de Joly, qui soutient dans le même temps un procès contre Gorjon pour des intérêts situés au Frouet.

(1) Le 17 octobre 1792 on publie à Bourges la déclaration du Corps Législatif : La patrie en danger. Ce sont partout des bruits absurdes qui causent de naturelles alarmes. Sur une rumeur sans consistance, le conseil du Département prescrit aux maires de Dun et de Sancoins d'envoyer, le 24 octobre, chacun un détachement de 25 gardes nationaux à Blet et de là à Yssertieux dont le propriétaire, le marquis de La Porte a un fils émigré, afin de dissiper de soi-disants attroupements de factieux. On fouille partout le château et les bois sans rien découvrir. (MOREAU, Hist. de Dun-le-Roy.)

(2) « Aujourd'hui 24 juillet 1792, nous maire et officiers municipaux de la paroisse de Chalivoy-Milon, nous sommes transportés au château disertieux, daprès


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M. de la Porte dut payer une forte amende pour l'émigration de ses deux fils. La moitié de ses biens fut confisquée et le reste mis sous séquestre (1).

Le château lui-même fut visé par le décret du 13 pluviôse qui vouait les vieilles forteresses à la destruction. Le district de Sancoins avait à sa tète un directoire impitoyable qui exigeait impérieusement la démolition immél'arèté

immél'arèté directoire et conseille du distric de Sancoins à nous communiqué ce jourd'hui par le sr Doulcet commandant la garde nationalle du détachement de Sancoins. Etant arrivé audit château aurions dit à Mr de la Porte qu'il était regardé comme suspecté de rassemblement chez lui de personnes et clarines, et que nous le prions de nous introduire dans sondit château assisté de Mrs Doulcet et Tissier commandants des détachements. Après la plus scrupuleuse visilte, toujours assistant laditte garde nous avons rien trouvé de suspect nie personnes nie armes, seulement avons trouvé les armes a nous déclaré par Mondit sr de la Porte le ving-deux de ce présent moy savoir 1° dun fusil à deux coup, 2° deux fusil simple, 3° deux pistolait simple ; — 4° un sabre, un couteau de chasse et un épé, et pour toute munition une livres de poudre et deux livres de plont, tous s'étant passé dans l'ordre de par et d'autres à l'exception du domestique de laditte maison, que suivant ce qu'a dit M. Mercier, sergent du détachement de Don-le-Roy, petit-fils, et Sarot, tambour dudit détachement etc... avoir été insulté par ledit domestique, ce qui a été fait, si cela est, à notre insçul quoique les accompaignant n'en avons rien entendu, daprès plusieurs observations à nous faites sur la prétendue injure, aurions prié celui qui fesait fonction de procureur de la commune, de prier ceux qui se prétendais apostrophé de pardonner un moment de vivacité, que ce ne pourait être que le troubre ou était ce domestique qui eut put l'occasionner à manquer. Daprès délibération par nous faite que nous mettions ledit domestique sous la sauvegarde de la loy, et a la charge du commandant de Sancoins, étant prest a monter a chevalle quelqun de la garde a représenté qu'il était intitule demmener ce domestique, que la manière honneste dont s'était comporté son maitre, et le domestique lésant excuse a laditte garde sil leur avoit manqué ce qu'il ne croyoit pas, tous d'une voix unanime ont dit que le domestique soit lâché, le commandant a dit pour sen assurer que tous leve leur chapeaux, ce qu'ils ont tous faits. Délibéré a Chalivoy les jour et an que de lautre par a signé Goutasson fesant pour le procureur de la commune. Délivré la présente pour copie à Monsieur de la Porte le vingt-cinq dudit moy par moi segretaire greffier de laditte municipalité de Chalivoy-Millon. PERREAU, Sre greffier. (Archiv. d'Yssertieux.)

(1) Voici l'arrêté du séquestre : « L'an premier de la République française, le 21 décembre après midy en vertu de l'art. 24 de la loi du 8 avril 1792 et a la requete du citoyen commissaire administrateur du droit denrégistrement demeu-


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diate des châteaux-forts, tours, murs crénelés, pontlevis, etc. Le nom de château lui-même devait disparaître. On déléguait un ingénieur dont les procès-verbaux indiquaient ce qui devait être démoli et ce qui pourrait être conservé (1).

Heureusement, la municipalité de Chalivoy ne trouva pas le travail si pressant que l'avait écrit l'ingénieur. Seule une tour située à gauche du portail fut démolie.

A l'automne de l'an II, M. de la Porte fut incarcéré, en vertu de l'arrêté du directoire du Département du Cher daté du 20 mars 1793. Sa femme, selon les dispositions de l'art. 8 dudit arrêté, se constitua prisonnière avec lui. Ils furent conduits à la prison Sainte-Claire, à Bourges, où ils eurent beaucoup à souffrir pendant les dix-huit à vingt mois qu'ils y restèrent. Ils osèrent s'en plaindre et adressèrent une réclamation à l'administration municirant

municirant Paris rue St Avois paroisse St Roch pour signifié ledit arreté au citoyen Joseph-Antoine-Claire de la Porte Yssertieux je me suis exprès transporté et parlant à Pierre Pontet son domestique que ses fils sont émigrés et qu'en conséquence ses droits ou hoirs sont séquestrés et mis sous la main de la nation conformément à la loi du 8 avril dernier, et afin que ledit citoyen la Porte n'en ignore je lui ay en son domicile parlant comme dit est délivré la présente coppie dont acte. DUVERNE. » (Archiv. d'Yssertieux.)

(1) « L'ingénieur soussigné qui vient de visiter les chateaux-forts du district de Sancoins pour l'exécution de la loi du 13 pluviôse dernier, les parties qu'il convient d'en abattre est d'avis de ce que fait savoir : CHÂTEAU D'YSSERTIEUX

Le donjon d'entrée flanqué de deux tourelles a machicolis et meurtrières endessous, les trois grosses tours qui deffendent cette tour, et qui sont ouvertes de canardières, devant être rasées, les entrées et les fossés comblés. Les murs d'enceinte dans la cour qui sont épais et les deux tours qui flanquent les bâtiments du côté du jardin doivent aussi être démolis ainsi que le colombier. Le surplus des bâtiments ne peut nuir en aucune manière à la tranquillité publique. Le seul moyen de faire ce travail pressant est de mettre en réquisition tous les habitans de la commune de Chalivoy-Milon, pour y venir travailler chacun leur tour et quarante par jour, etc..

Signé DEFFOUGÈRES ingénieur. Pour copie et certifié conforme,

(Archives d'Yssertieux.) Signé COTTÉ secrétaire. »


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pale, laquelle renvoya sa lettre au pétitionnaire pour se pourvoir au district. Mais nous ignorons la suite qui fut donnée à cette plainte dûment certifiée par le concierge de la maison des ci-devant Ursulines (1).

Cependant, le temps des réparations allait bientôt commencer pour le malheureux propriétaire d'Yssertieux. Ce fut d'abord la main-levée provisoire sur ses biens, sous le cautionnement de la citoyenne Billy veuve le Roy (2).

(1) « Aux citoyens maire et officiers municipaux de la commune de Bourges. — Citoyens : Joseph-Antoine-Claire Laporte-Yssertieux et Catherine-Etiennette Léveillé son épouse, vous exposent qu'ils n'ont plus ni vin, ni bois, ni chandelles, ils vous prient, citoyens, d'ordonner qu'ils leur soient délivré, le plus promptement possible, ces objets de première nécessité et dont ils ont un besoin très urgent vu leur position actuelle et surtout leur état habituel et malheureux d'infirmités bien connues et bien constatées.

A Bourges, ce quartidi vendémiaire l'an IIIe de la République française une et

indivisible LAPORTE-YSSERTIEUX,

LÉVEILLE-LAPORTE. »

Cet écrit était, comme nous l'avons dit, accompagné du suivant :

« Comme concierges de la maison do détention des cidevant ursulines de

Bourges, je, soussigné certifie que les citoyen et citoyene Joseph, Antoine, Claire

Laporte-Yssertieux âgé de 55 ans et Catrinne Etiennet Leveillée âgée de 44 ans

sons épouses sont entrés en détention par ordre du comité de surveillance de

Bourges le premier brumaire l'an deuxième de la République, dans ladite maison

des cidevant ursulines je leur délivre le présen certifica pour leur servire entant

que besoin sera. A Bourges 10 brumaire lens troisième de la république française

une et indivisible.

CABARET LAPORTE-YSSERTIEUX

concierge LÉVEILLE-LAPORTE.

Vu par nous soussignés membres du conseil de la commune de Bourges le 17

brumaire, l'an 3e de la république française une et indivisible. Signé : DOAZEAU

BIENVENUAT, maire, CORBINON, DUMONTET, BELLANGER. »

(Archives d'Yssertieux.)

(2) " Aujourd'hui 15 prairial an IIIe de la République une et indivisible est comparu le citoyen la Porte-Yssertieux et son épouse lesquels ont dit qu'en conformité de l'arrêté du représentant du peuple Laurenceot, en date du 12 prairial dernier, qui leur accorde main levée provisoire du séquestre mis sur leurs biens, et en conséquence l'arrêté de ce jour portant que pour obtenir celte main levée


DE CHALIVOY-MILON 101

M. de la Porte profita de cette main-levée pour passer avec son serviteur François Vilaire, le 12 floréal an IV, un bail des biens qui lui restaient, afin de les conserver.

Le 5 frimaire an V, il est lui-même rendu à la liberté ainsi que Mme de la Porte, par un arrêté du comité de sûreté générale et de surveillance de la Convention nationale (1).

ils seraient tenus de fournir préalablement bonne et suffisante caution du maubilier compris en leur inventaire; qu'en conséquence ils prennent pour leur caution la citoyenne Billy veuve le Roy ayant des propriétés dans l'étendue du département du Cher, demeurant à Bourges, et après avoir exibé le susdit arrêté du susdit représentant, le procureur sindic entendu, nous administrateurs susdits avouons et consentons, le directeur de la régie nationale accepte la susdite caution qui a consenti le susdit cautionnement, et ont signé avec nous et le directeur ledit jour et an que dessus, ainsi signé, BILLY veuve ROY, REMOND, LAPORTE-YSSERTIEUX, DUMONTIER, TROTIER et COTTEREAUX, pour expédition, Ph. RAPIN, DEVAUX, sec. Pour copie conforme, RAPIN, DEVAUX. » (Archiv. d'Yssertieux.)

— « Séance du 18 prairial 3e année de la Rép. fr. une et indiv. — Le Directoire en semblée au lieu ordinaire de ses séances avec l'agent national et le secrétaire,

Vu la pétition de Joseph Antoine Claire Laporte Issertieux et Catherine Leveillé son épouse tendante à obtenir l'exécution de l'arrêté du représentant du peuple Laurenceot du 12 de ce mois qui leur accorde provisoirement main levée du séquestre apposé sur leurs biens et revenus par l'émigration de leurs enfants,

Vu pareillement ledit arrêté du Représentant du peuple portant art. 1er que le séquestre mis sur les biens des pétitionnaires est provisoirement levé et converty en simple opposition jusqu'à l'entière exécution de la loy du 9 floréal dernier, ensemble le cautionnement fourny par les pétitionnaires au distric de Bourges le quinze de ce mois,

Le procureur sindic entendu, le Directoire arrête que le séquestre mis sur les biens de la Porte-Yssertieux et son épouse dans l'arrondissement de ce districe est lové provisoirement et les renvoit dans la jouissance de leurs propriétés sauf l'exécution de la loy dudit jour!) floréal dernier. REGNAULT. » (Arch. d'Yssertieux.)

(1) « Vu les motifs d'arrestation et la justification du citoyen Laporte-Yssertieux, détenu ainsi que sa femme, dans la maison d'arrêt de Bourges, le comité arrête que ledit Laporte-Yssertieux et sa femme seront mis sur le champ en liberté et scélés levés partout où ils auraient été apposés.

Les Représentants du peuple membre du comité de sûreté générale. Ainsi signé : BENTABOLLE, LE VASSEUR DE LA MEURTHE, CLAUSEL, REUBEL, MAULLE, LE SAGE, SENAULT. Pour copie conforme, BOURUT. » (Archiv. d'Yssertieux.)


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Mais dès l'année 1799, en raison des brigandages commis dans l'Ouest et le Midi de la France, les républicains font de nouveau peser sur les ci-devant nobles, à cause de leur peu d'empressement à s'enrôler volontairement pour la défense des personnes et des biens, le soupçon d'encourager ce mouvement désordonné. «Donc les délégués, les agents municipaux de Chalivoy, des gardes nationaux servant de recors, vont fouiller de nouveau Yssertieux, de la cave au grenier. A Lantan, à Bussy, à Osmery on en fait autant. Le seul résultat, selon toute apparence, fut la satisfaction d'avoir de nouveau vexé les nobles (1) ».

Un autre document, daté du 15 thermidor an X de la République, nous dit quel revenu M. de la Porte tirait de ses biens affermés à F. Vilaire, et comment celui-ci les administrait au péril de sa sécurité personnelle. Le pauvre fermier n'en peut mais pour payer les contributions et les réparations, surtout dans les mauvaises années (2), et il réclame une décharge.

(1) Cf. MOREAU, Hist. de Dun-le-Roy.

(2) « Le 15 thermidor, an X de la République, François Villers fermier de la terre d'Yssertieux, du domaine des Oudais et de la petite locature des Mauguins, le tout commune de Chalivoy-Milon, avait demandé cessation des poursuites dirigées contre lui pour le paiement du revenu de sa ferme, 3512 frs 60 centimes, parce qu'il a perdu une partie de ses blés et de ses bestiaux, à cause des dégradations des domaines qui ont occasionné la pourriture de ses recoltes, et à cause d'autres événements imprévus qui l'empêchent de payer. Il dit qu'il avait un bail de M. de la Porte du 12 floréal an IV. Il ajoute qu'il a acquitté les contributions et demande qu'on lui en tiennent compte. — Il avait reçu une contrainte du 18 prairial an X notifiée par Duverne, huissier, le 1er thermidor. Il doit déjà la ferme échue le 6 messidor dernier : 820 frs. (Cette somme même, affirme-t-il, excède les vrais produits de ce qu'il a affermé pour la part qui revient à la République. Aussi demande-t-il, en outre, une diminution sur les Oudais et les Mauguins ) Il n'est que le salarié de M. de la Porte qui lui a passé ce bail pour sauvegarder ses intérêts contre la République, à qui est dû la part qui lui revient sur

Ceci modifie un peu notre géographie actuelle, les Mauguins n'appartenant plus à Chalivoy. mais à Bannegon.


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Le préfet consulté dans cette affaire répondit que « tout cela faisant partie du bail qui intéresse de la Porte ne peut être réglé que contradictoirement avec de la Porte, pour cela seront nommés des experts par la régie, par Villers et par de la Porte, qu'on ventillera le prix du 12 floréal an IV et on donnera le devis des réparations. »

Enfin, lorsque la tourmente révolutionnaire fut complètement passée, M. de la Porte s'occupa de réorganiser son habitation. Il fit combler la moitié des fossés désormais inutiles et remplacer le pont-levis par un pont de pierre sans cachet artistique. Le reste se voit encore et garde même un peu d'eau derrière le vieux château. Son fils racheta ce qui avait été démembré de la propriété et fit faire l'allée et la route qui relient le château au bourg de Chalivoy. Jusque-là il n'y avait qu'un chemin étroit et très mauvais qui gagnait le Boudet directement à travers ce que l'on appelle « les grands jardins ». La sortie principale du château était sur le chemin de Chaumont à travers le pré où l'on voyait, aboutissant au chemin des Oudets, une allée de beaux arbres que Mme de Cotolendy mère a fait abattre, mais que M. le

les biens d'Yssertieux ventillée à 820 frs par an, le pétitionnaire ne présente aucune responsabilité. Ce serait donc compromettre les intérêts de la République que de lui accorder, d'autant plus que de la Porte (le citoyen Laporte) ne fait pas les réparations (cependant j'ai vu les devis et les mémoires de Sylvain Sabarly, maçon de Bannegon, Blaise Lamétairie, couvreur, id., Jean Croustond, charpentier à Sagonne, 12 nivôse an VII, certifiées les signatures par l'agent de la commune de Chalivoy, Terrasse des Billons, le 29 ventôse an VII, certifiée la signature Terrasse par l'administration municipale de Dun-sur-Auron le 29 ventôse an VII, signé Picart, Guyot, Jubin), ne fait pas faire aux Oudais [les réparations] à lui imposées par procès-verbal du sous-préfet du 3e arrondissem. du Cher, comme le prouve la sommation à lui faite par Durand, colon des Oudais, le 7 thermidor an X ; on donne à Villers 8 jours pour trouver une caution sinon les poursuites continuent. Oblige Laporte a fait les réparations dont il sest fait adjudicataire le 19 ventôse dernier sous peine de toutes les pertes, dépens, dommages et intérêts. Villers demande une indemnité pour le défaut de réparations et que ces répandions soient faites sur ce qu'il doit. »


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comte Henri, son fils, a fait remplacer il y a quelques années.

M. de la Porte entreprit de restaurer le château de Jean VI, mais il en modifia si complètement l'aspect; que ce château ressemble à une construction moderne. Un étage et des mansardes y furent ajoutés. Les fenêtres des tours qui l'accostent ont été agrandies. Les courtines qui bordaient la cour intérieure furent remplacées par deux galeries d'inégale largeur, qui peuvent être commodes, mais sont d'un assez vilain coup d'oeil. Le perron qui se trouvait du côté de cette cour a été remplacé par un balcon sous lequel s'ouvre une porte donnant accès dans les sous-sols. Pour parvenir à l'étage, un autre escalier fut construit à l'ouest du château. Enfin, le jardin potager fut transporté de l'endroit que l'on appelle encore « les grands jardins » vers le sud au-delà de la basse-cour, à droite du chemin qui va au domaine de la Dame.

Aujourd'hui, Yssertieux a presque entièrement perdu son aspect féodal des temps anciens ; mais il conserve encore un grand air qui en fait une des plus séduisantes retraites aristocratiques de la contrée.


CHAPITRE V XIIe, XIIIe et XIVe Siècles.

Après les désordres des grands et la misère du peuple, après les pillages et les dévastations dont églises et couvents avaient eu à souffrir, l'heure de la Providence avait sonné. A force d'anathèmes, les évêques du XIe siècle faisaient rendre gorge aux spoliateurs, du moins en principe : car, en pratique, l'exécution des promesses n'était point toujours prompte et entière.

En voici une preuve. Dès 1032, Raymond s'était engagé à restituer les biens qu'il avait usurpés sur l'Eglise de Chalivoy. Or, après un siècle (1126), un de ses descendants exécute enfin cet engagement ou au moins en complète l'exécution.

Il s'agit d'un autre Raimond, écuyer de Chalivoy qui, d'accord avec Laure sa femme, leurs fils Hugues et Raimond et leurs filles Eldelende et Améline, reconnaît les droits de Notre-Dame, de S. Silvain martyr et de S. Sulpice, et, sur le conseil des Bons-Hommes, abandonne pour le salut de son âme et de celles de ses parents, à l'abbé de Saint-Sulpice, Foulques, et à ses successeurs à perpétuité, la moitié de la dîme de Chalivoy que sa famille a longtemps retenue injustement. En retour, Foulques donne cent sols audit Raimond, cinq sols à sa femme et une tunique à chacun de leurs enfants (1).

(I). Arch. du Cher, fonds de Saint-Sulpice, liasse 2 c. de Chalivoy. — Pièce publiée par M. de Kersers.


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On remarquera, d'après cette charte, que la dîme de l'église paroissiale de Chalivoy et celle du prieuré étaient, alors et dès longtemps, distinctes comme possession, mais encore indivises dans leur perception.

Désormais pendant de longues années, rien, en dehors des événements généraux, ne viendra troubler la vie paisible de nos bons moines. Les paroissiens de Chalivoy vivront tranquilles sous l'autorité seigneuriale des châtelains d'Yssertieux, de la famille des Raymond ou des religieux du prieuré (1). Le peu que nous avons recueilli de l'histoire locale, durant celle période, se rapporte presque uniquement à l'administration et à l'accroissement des biens et droits du couvent.

Déjà vers 1109, Eudes III de la Porte avait donné dans la paroisse de Chalivoy une vigne, située près de celle de Robert Météraire, à Saint-Sulpice et aux moines de ce lieu en exécution de la volonté de Mathieu de Parigny dont il a été question plus haut.

En 1179, par une charte scellée du sceau d'Ebhes VI (Ebo) de Charenton, ce seigneur reconnaît n'avoir dans le bourg ou terroir de Saint-Sulpice de Chalivoy aucun des droits de coutume ou de justice qu'il avait jusque-là prétendu posséder, et, s'il en avait, il les abandonne aux Religieux. Ceux-ci accordent en reconnaissance la moitié de leurs bois et pacages dans leurs bois de Neuilly (2).

(1) Des siècles durant, les serfs, puis les paysans cultiveront les terres labourables, mais peu productives, et jouiront des vastes communes (communaux) laissées à leur disposition. La légion de Dun-le-Roi et notamment Chalivoy possédaient beaucoup de ces communes où les familles les plus pauvres pouvaient entretenir des porcs et même une vache. On leur permettait aussi d'y bâtir une chaumière pour la construction de laquelle la communauté (commune) fournissait du bois. De plus, le bois des forêts communales était partagé entre les habitants de la paroisse. Le poisson des rivières et des étangs communaux était également à la disposition des paroissiens et même des étrangers, pourvu que ceux-ci le consommassent sur le territoire de la paroisse.

(2) Arch. du Cher, fonds de Saint-Sulpice.


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En effet, dit La Thaumassière, les justices de l'Aleu d'Acon, de l'Aleu de Bouzon, de la Vincuil, de ChaillivoyMillon, de Chaumont ressortaient de la prévôté et puis du bailliage de Dun et par là du roi qui possédait ladite prévôté.

Deux autres chartes, sous le « scel roïal », de l'année suivante (1180) confirmèrent la précédente. La première est datée de la dernière année du règne de Louis VIII ; la seconde, de la première année du règne de Philippe II.

Vers 1184 ou 1185, notre région fut dévastée par ces hordes de malfaiteurs que l'on nommait Cottereaux, Routiers ou Malandrins. Il est probable que Chalivoy, son prieuré et son église eurent à en souffrir. Ce fut peutêtre eux qui détruisirent notre clocher primitif. Du reste, les Pacificateurs ou Capuchonnés qui s'étaient volontairement enrôlés pour les combattre devinrent bientôt désagréables et furent exterminés à leur tour.

Une charte de 1186 (1), scellée du sceau de Henry de Sulli, archevêque de Bourges, nous apprend que Obt Debarra (de Bar) donne à l'église de Saint-Sulpice 20 sols de cens accordables pour le salut de son âme et de ses parents à prendre annuellement sur la terre de Sanceaux (paroisse de Cornusse), desquels 20 sols par lui acquis de la dite église il rendait annuellement 2 sols de cens à icelle église.

Par une autre charte également sous le scel de l'archevêque Henry de Sulli, en date de 1194, nous savons que Arnault de Dun, écuyer, reconnaît que le prieuré de Chalivoy a droit de prendre une minée (demi-seplier) comble de froment (mesure de Blet) que le dit Arnault avait aumônée à perpétuité à la dite église de Chalivoy sur la terre de Sanceaux que Robert de Fontaine de Marcelle tenait en servitude (2).

(1) Arch. du Cher, fonds de Saint-Sulpice. liasse 1re c. de Chalivoy.

(2) Arch. du Cher, id.


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Les XIIIe et XIVe siècles ne nous offrent rien de plus intéressant que le précédent. Quelques actes d'administration des biens du prieuré de Chalivoy et des droits des seigneurs d'Yssertieux : voilà tout ce que nous possédons sur cette époque.

C'est d'abord, en 1207, une charte de rente aumônée à l'abbaye de Fontmorigny (commune de Nérondes) par Etienne de la Porte, seigneur et baron d'Yssertieux, qui a droit de dîme sur Chalivoy ou Challevoy, comme porte un titre de 1220 (1).

M. de Kersers (2) signale, en effet, sous la date de 1220, une pièce où est mentionnée une voie royale de Blet au Pont d'y. Elle reliait ainsi les deux anciennes voies romaines de Bourges à Sancoins et de Bourges à Moulins et passait nécessairement par Chalivoy.

Cette charte (3) qui est du mois de février porte que fut vendu sous le scel de l'officialité de Bourges par Archambault de Extreche, écuyer, du consentement de sa femme, Alix, et de son fils, Arnault, aux Religieux de Saint-Sulpice, moyennant la somme de soixante-six livres tournois de Gien, tout ce qui lui appartenait dans la paroisse de Chalivoy (4).

(1) Arch. d'Yssertieux.

(2) Hist. et statistiq. monum. du départ, du Cher, canton de Dun-le-roy.

(3) Arch. d'Yssertieux, 2e liasse, 12e c.

(4) Arch. du Cher, fonds de Saint-Sulpice, prieuré de Chalivoy-Milon, 2e liasse, cotte 12, lat. parchem. — « Universis praesentes inspecturis magister G. curiae bituricensis officialis, salulem in Domino. Noveritis quod Archembaud de Extreche, miles, in nostra praesentia constitutus, et Alix uxore sua et Arnulpho filio suo concedentibus, vendidit in perpetuum et concessit Abbati et conventui Sancti Sulpicii bituricensis sexagenta sex libros Giemenses quicumque (sic) habebat in parrochia de Challevoi in via regali quae ducit ut dicitur de Bleto ad Pondiz versus Challevoi, scilicet : domum quamdam, homines, vineas, terras et census, quae omnia erant de feodo Sancti Sulpicii prout recognovit coram nobis, fide data, promittentes quod contra venditionem islam non venirent. Immo idem miles omnes res supradictas adversus omnes gentes super omnes res suas dictis Abbati


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En juin 1226, Jean et Guillaume Quocerts, frères, consentent, sous le scel de l'officialité de Bourges, une reconnaissance au profit des Religieux de Saint-Sulpice, a cause de leur prieuré de Chalivoy, de 22 sols de cens que iceux Religieux ont droit de prendre chaque année sur Sanceaux (paroisse de Cornusse) à chacun dimanche d'après l'Annonciation de la Vierge, soit en terres, prés, chezaux et autres choses que lesdits frères reconnaissent tenir dudit Saint-Sulpice à Sanceaux (1).

En janvier 1231, toujours sous le scel de l'officialité de Bourges, vente fut faite par Humbault de Turre à Martin, prieur de Chalivoy, au profit de sondit prieuré, moyennant 34 livres tournois, d'un arpent de vigne et cens, tout ce qu'il pouvait avoir dans lesdites vignes sises à Chalivoy, proche les vignes de l'Abbé de SaintSulpice, au terroir de Chezelles (2), et seize deniers de cens dont douze sur la Broce (Brocia) d'Anselme, deux sur un demi-arpent de vigne à Thibault, marchand, sis à Vailly (Valiayem) et les deux autres sur la terre de Thibault, couvreur, sis au Puid (3).

Une autre vente sous le même scel est faite, en juillet 1234, par Jean Millenuant de la Chaussée à Guillaume Berulli, prieur de Chalivoy, pour trente sols tournois, de tout ce qui pouvait lui appartenir dans la terre de la Proie, dans la terre du Lac et dans la terre située audessous de la combe Grucellards (*).

En août 1236 (est consentie sous le même scel une)

et conventui in perpetuum garentiet et defendet. Et per dictas et missiones legitimas si quas propter hoc sustinerent eisdem in integrum restaurarent. Dixerunt et per fidem datam quod in rebus praedictis nichil erat osdii sive dotis. Actum anno Domini M° CC° Vicesimo, mense februario. »

(1) Arch. d'Yssertieux, 5e liasse, 3e c. latin.

(2) Nom disparu.

(3) Arch. d'Yssertieux, 6° liasse, 1re c. latin. — Le Puid, nom disparu. (*) Voir aux pièces justificatives, à la fin du volume, I.


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transaction entre Imbert et Guillaume Mathans, frères, damoiseaux, d'une part, et Guillerin, prieur de Chalivoy, d'autre part, sur ce. que lesdits Malhans demandaient audit prieur deux deniers tournois de cens qu'ils disaient avoir droit de prendre sur « le pré des Agolez », ledit prieur disant au contraire. Enfin lesdites parties convinrent « sçavoir que lesdits frères ont quitté ledit prieur et l'église de Saint-Sulpice desdits deux deniers de cens et de tout le droit qu'ils pouvaient y avoir; moyennant quoi pour le bien de la paix ledit prieur a donné auxdits frères huit sols tournois » (1).

Faisons ici en passant une remarque. D'après certains calculs astronomiques, c'est vers 1250 qu'il a fait le plus chaud dans notre région cl que les vignes y furent le plus répandues (2).

Nous avons déjà signalé le rachat, fait en 1257, de la dîme de Chalivoy par Hébert de la Faye pour l'ajouter à la dot de sa fille mariée à Humhault de la Porte. Voici le résumé de l'acte de ce rachat qui fut passé à Bourges. En juin 1257, Etienne de Meillant (ou Moillant, alias Milon), chevalier, a vendu à Herbert de la Faye (de « Foeys » ou de « Foceys »), chevalier, et à ses héritiers pour la somme de quarante-huit livres tournois payée comptant (entre autres choses) « deux septiers de bled, par tiers, froment, orge et avoine, à la mesure de Blet, que le même (Meillant) avait, comme il disait, sur la dîme de bled de Chalivoy et sur les prés d'Etienne de la Porte. De la Faye donna aussi trois muids de blé (seigle) à prendre sur la paroisse de Mers et venant également de René de Moillant, père du vendeur actuel. « Lesdiles choses, est-il déclaré dans l'acte, venaient du chef d'Acelme (Alcelmae), femme dudit Etienne, vendeur ",

(1) Arch. d'Yssertieux, 1e cotte,

(2) Arch. d'Yssertieux.


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à laquelle celui-ci avait donné en échange trois muids de seigle dans la paroisse de Mers, entre la Litarde et l'Orme, qu'il avait eu de René Meillant, son père (1).

Nous voici, après une grande lacune, en 1290. Il s'agit de l'acquisition d'un pré par Pierre de la Porte, damoiseau. Il est dit dans ce parchemin que le lundi après la fête de St-Michel, fut passé pardevant Jean Asinar, notaire à Blet, un acte par lequel Jean Berain de Champs-Noyers (Joannes Berain de Champ-Noyo), de la paroisse de Chalivoy-Milon, et Odonet, son frère, ont vendu et cédé à Perrin de la Porte, damoiseau, et à ses héritiers pour la somme de dix-sept livres tournois un quartier de pré situé dans la prée de Lesiache (2), joutant le pré dudit d'un côté, d'un autre le pré de Martin Texcois et d'un troisième le pré du chapelain de Chalivoy, et se partageant à la fourche et au râteau avec les enfants de défunt Bernard Bourret (3).

L'année suivante (1291), le vendredi après la St-Michel, un partage est effectué entre Etienne de la Porte, damoiseau, et son cousin-germain, Perrin de la Porte, aussi damoiseau, sous le scel de Pelerin Brion, garde du scel royal dans le ressort de Dun-le-Roy, et pardevant Messire Jean Brun, chanoine de Dun-le-Roy. Dans la part de Perrin sont énumérées, entre autres choses, toute la terre d'Yssertieux culte et inculte avec ses dépendances, soit : prés, vignes, maisons, chezaux, coutumes, redevances, hommes, tailles, corvées, droits de corvée, cens, censives, redevances de cens, rentes, revenus, suppléments, venditions, deniers de rente (denarii redituales), bois vifs et morts et les autres quelles qu'elles soient dans la paroisse de Chalivoy-Milon (4).

(1) Arch. d'Yssertieux.

(2) Nom disparu.

(3) Arch. d'Yssertieux. (4) Arch. d'Yssertieux.


112 MONOGRAPHIE

Tels sont les rares souvenirs que nous ayons recueillis sur l'histoire de Chalivoy, pendant le XIIIe siècle. A cette époque, on n'écrivait guère que ce qui était nécessaire, surtout dans les couvents où les religieux étaient bien plus occupés à prier et à travailler de leurs mains qu'à se préparer une place dans l'histoire. N'oublions pas non plus combien de documents ont péri dans les désastres et les dévastations dont furent victimes les monastères et les églises dans la suite des siècles. D'ailleurs, tout se traitait au nom de l'Abbaye et c'est à l'Abbaye qu'on gardait les archives. Dans les prieurés, les religieux passaient leur temps à prier, travailler et distribuer les secours de la Religion à la paroisse dont le couvent avait la charge.

En 1303, Nicolas, abbé de Saint-Sulpice, fait à Odonet Bardin, de Vailly, un arrentement de 3 arpents de terre, sis au terroir de la Feuille et bordant les chemins de Chalivoy à Blet et de Chalivoy à la Feuille, moyennant 4 deniers parisis de cens (1).

Le mercredi avant la Saint-Thomas, apôtre, de l'an 1307, Pierre, chapelain de Challivoy, sert de notaire pour une donation que Huguelin, fils de Guillaume Segault de Teneuille, fait de tous ses biens à Prime de la Porte (2).

En 1311, il est question de l'étang (stannum) d'Acon dans le fonds du chapitre du Château-lès Bourges (3).

Une transaction est passée, en 1315, en présence de noble et sage homme Mgr Jean de Chevenon et de Mgr Jean des Rauches, chevalier, entre Guillaume de Crésancy ou

(1) Arch. d'Yssert. — Passé chez Joannes de Gantale (?), garde du scel royal in territorio de Dun-le-Roy.

(2) Id. latin parchemin sans sceau. — Les Segault étaient très importants à Bannegon. Une prairie y a gardé leur nom.

(3) Arch. du Cher : — Dict. de M. Boyer.


DE CHALIVOY-MILON 113

Boisdidier et Agnès Analois, sa femme, d'une part, et d'autre part, Perrin de Chenevoisin, damoiseau, sur les terrages du Luisant (aujourd'hui les Saupins) (1).

Cette même année, Louis X le Hutin, pour se procurer de l'argent, vendit aux serfs leur liberté, proclamant que « tout homme par droit de nature doit être franc ». Beaucoup se trouvant plus heureux et plus protégés par le servage ne voulurent point profiter de cette concession. Le servage, en effet, n'était pas, habituellement du moins, si dur que le représentent certains ignorants. Il ne différait pas énormément dans la pratique du métayage. Le sort des serfs, lorsqu'ils appartenaient au clergé ou aux religieux, était encore relativement meilleur que celui des serfs soumis aux seigneurs laïcs. C'est ainsi que nous voyons, en 1386, que Messire Jean Aput, abbé de Saint-Sulpice, en consentant au mariage de Etienne Jovenin, serf des religieux de Challivoy-Milon, avec Marguerite de Lisle, de la paroisse de Bigolain, leur donne à perpétuité comme cadeau de noces « pour qu'ils puissent mieux demourer et vivre en ladite condition de servage, une maison, à Chaillivoy-Milon, appelée la maison de la Fontaine, avec l'olche et verger appartenant à icelle maison, plus l'olche appelée l'olche Mole joignant ladite maison, un quartier de vigne au terroir du Champ de la Porte appelée la vigne Bodin près du chemin de Chaillivoy à Chaumont, moyennant qu'ils paieront les cens, coustumes et reddevances anciennes ». Il est dit, de plus, au même acte qu'ils « veulent, lesdits époux à venir et chacun d'eux et leurs héritiers et enfants à nestre avecques leurs dis biens et de leurs dis biens estre et demourer d'ici en avant en la condicion

(1) Arch. d'Yssert.

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114 MONOGRAPHIE

dessus dit aux lois et coustumes des autres homes et femes serfs dudit lieu de Chaillivoy-Milon » (1).

Cependant par la force des choses le servage vint à disparaître tout à fait. Il n'y eut plus que des vilains (habitants des villages). Alors commencèrent à s'organiser les communautés (communitates) ou communes, formées des habitants d'un même lieu qui, jusque-là, avaient été les « hommes » ou « personniers » du seigneur (2). Pour le règlement des affaires publiques: communales et paroissiales, tous les paysans étaient consultés dans des assemblées tenues à la porte de l'église, quelquefois dans l'église même, à l'issue de la messe paroissiale. Nous en verrons, plus tard, un exemple à Chalivoy même. Ces communautés nommaient leurs agents municipaux, l'autorité royale se réservant la nomination des officiers judiciaires. Elles étaient indépendantes de la justice seigneuriale et protégées contre la noblesse par le roi et le clergé.

En 1317, Pierrot Choies, de Issarteaux, vend à Hugues Texier, de Chalivoy, pour 19 sols tournois un quartier de pré dans la prairie des Couddes, dans la paroisse de Chalivoy, sans charges pour l'acheteur (3).

« La justice, en 1330, la justice et l'hôtel (château) de Chalivoy, en 1332, 1380, 1430, nous dit B. de Kersers, appartiennent à Saint-Sulpice, devenu seigneur du lieu, sans doute depuis la disparition des Milon.

Après Pâques de 1330, est passé un compromis entre Messire Gilles de Sully, seigneur de Beau jeu et de Blet, et les Religieux de Saint-Sulpice au sujet d'un brandon

(1) Arch. du Cher. — Parchemin en français de 1386. — Lettre de servitude munie de son sceau. — dépendant l'exemplaire que nous résumons semble bien une traduction (de l'original) faite au XVIIe ou mieux au XVIIIe siècle.

(2) Dès avant le moyen-àge, les serfs avaient commencé à se réunir sous un maître pour mieux gérer et défendre leurs propres intérêts.

(3) Arch. d'Yssert.


DE CHALIVOY-MILON 115

que ledit seigneur de Blet avait fait apposer au Boisdé ou Bosdé en signe de juridiction contestée par les Religieux. Guillaume Gaudin pour le seigneur de Blet et frère Guillaume de la Croix, prieur de l'abbaye de SaintSulpice, pour les Religieux, sont nommés arbitres. Leur sentence doit valoir jusqu'à la Saint-Jean-Baptiste, puis est prorogée jusqu'à la Toussaint (1).

Egalement en 1330, nous trouvons qu'Acon (Ascon) est une seigneurie avec justice.

L'année suivante, la veille du dimanche « Judica me », André Marin, autrefois appelé Droymis, vend à Jean de la Porte, pour 45 sols tournois un pré sis dans la Prée des Coedres près du pré de Jean Prévôt (Johannis Prepositi) (2).

En 1332, M. de Châteaumeillant lègue aux chanoines de Dun-le-Roy certains héritages dans la prairie d'Ascon, « hommerie » relevant de Jean de la Porte, seigneur de Poligny (3).

La même année Jean Valigny se reconnaît homme taillable et exploitable de la justice des Religieux de Saint-Sulpice comme les autres hommes serfs de la ville de Challivoy (*).

Nous trouvons, 1334, Elisabeth des Mesles de Meillant, Vve de Jean de la Porte. N'est-ce pas là l'origine du surnom de « Mesles » ajouté au nom de Chalivoy pour désigner une ancienne collecte de la paroisse de ChalivoyMilon et de la châtellenie d'Ainay-le-Château, parfois qualifiée à tort de paroisse (4)? Nous l'avons déjà dit, elle comprenait la partie de la paroisse de Chalivoy-Milon

(1) Arch. d'Yssert.

(2) Arch. d'Yssert. — Latin parchem. avec sceau, passé à Bourges par Bartholomier Radulphe. prêtre, notaire.

(3) ld., Id.

(*) Voir aux pièces justificatives, à la fin du volume, II. (4) Nicolay. — Bourbonnais.


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qui avoisinait Yssertieux. Cette collecte était de la généralité de Bourges, de la subdélégation de Sancoins, de l'élection de Saint-Amand et centre d'une justice qui allait en appel au bailliage de Dun-le-Roy. Elle resta distincte de celle de Chalivoy-Milon jusqu'à la Révolution. Elle lui fut enfin réunie pour former avec elle la municipalité de Chalivoy-Milon, dans le district de Sancoins. Quant à cette Elisabeth, était-elle de la famille des Milon, Melon, Mesles, Meillant? Cela expliquerait bien des choses. Ou bien descendait-elle de la famille de Meillant, près Saint-Amand?

Jean de la Porte achète, le lundi après la St-Georges 1335, de Jeanne Pennetier, femme de Jean de Vemore pour 40 sols tournois (somme représentant la dot de Simone, femme dudit Jean de la Porte) la moitié d'un pré joutant le chemin aux Roys (1).

En 1337, le lundi après le dimanche « Reminiscere », Simon de la Porte, prieur de Chaumont, échange avec Jean et Perrin de la Porte, entre autres choses, le moulin des Ecorcherats ou Escoucherats avec ses dépendances et une pièce de terre située derrière ledit moulin, plus l'étang d'Yssertieux ou de Salonne et les droits et action réelle et personnelle, possession et propriétés des Religieux de Chaumont depuis le Clodis Durand (Clodici Durandi), Gret jusqu'à tout Regnaut, plus 5 septiers de seigle, 2 septiers de froment, 2 septiers d'avoine et neuf boisseaux d'orge (mesure de Blet), contre, entre autres choses, tout le droit d'action et propriété que lesdits frères de la Porte avaient sur une pièce de pré située à à la fontaine des Gailhas (2) qui se partage à la fourche

(1) Avril. d'Yssert. — Latin parchem. sans sceau, passé à Bourges par Guillaume Godin, notaire.

(2) Village actuellement disparu qui était situé vers la jonction de l'ancien chemin d'Yssertieux à Chaumont à l'endroit qui porte encore le même nom dû à la famille qui l'avait bâti.


DE CHALIVOY-MILON 117

et au râteau avec les Religieux de Chaumont. Toutes ces choses étaient situées sur la paroisse de Chalivoy (1).

En 1338, Louis Ier dit le Long, duc de Bourbon, obtint de Philippe de Valois que « tout ce de la terre, domaine et subjection de nostre cousin (dit le roi), soyt en fiez et arrières-fiez, pour moïen, qui ressortissent en tout la baillie de Bourges en ressort roïal, quelque part que ilz soyent et quelque part qu'ilz ayent autreffois ressorty d'ancienneté par ordonnances ou par privilège, soyt à Dun, soit à Cenquoins ou à St-Pierre-le-Moustier ou ailleurs, ressortyront dores en avant et perpétuellement en nostre ville et chastel de Dun-le-Roy sans jamais estre réunis, remuez ou renvoyés ailleurs pour cause de ressort ». Evidemment cela regardait Chaumont, Chalivoy et Yssertieux. Mais 60 ans plus tard, nonobstant le mot « perpétuellement », c'était déjà changé par « la duchié de Bourbonnois » elle-même (2).

Le lundi après la fête de St-Jean-Porte-Latine, 1340, Etienne Morelle échange à Jean de la Porte le droit qu'il avait acquis de Jean Crusin pour aller de la Traversenne (3) vers le bois des Brosses, au Bois-Dieu et à la maison Melat, contre un pré appelé la Noue de Jean Morelle, près du pré Manin, plus une terre touchant l'étang de Saulon (4).

Durand Gret dont nous avons déjà écrit le nom, Guillaume son fils, Etienne Mervier, Jean Giraud et plusieurs autres se plaignant que Jean de La Porte eût renfermé dans son étang une fontaine où ils avaient leurs usages, par une transaction, passée en 1346, le

(1) Arch. d'Yssert. — Passé par Regnaud Rolandi Regnaudus Rolandi, notaire.

(2) Arch. d'Yssert.

(3) Nom disparu.

(4) Art. d'Yssert. — Lat. parchem. sans sceau, passé à Bourges par Guillaume Godin.


118 MONOGRAPHIE

seigneur d'Yssertieux leur donne pour cette fontaine un chemin de quatre pas de largeur venant de la maison Guillaume Gret à travers son pré près de l'étang. Il leur abandonne, en outre, toutes les prétentions qu'il avait sur la chaulure et terre près du pré du prieur de Chaumont, se réservant seulement l'espace que l'étang envelopperait en long et en large. Enfin, il leur accorde la « paisson » pour leurs animaux à la queue de l'étang (1).

La même année (1346), le vendredi après Pâques, le même Jean de La Porte échange avec Durand Gret un pré situé dans la prée Grazeau (2), et un autre pré dans la prée des Coudres (2), une terre sise à Bognereaul (2), près du chemin de Bannegon à Blet et du pré de Guillaume Chaffaut, une terre à la Place aux Araux(2) (ou Haraulx, village ou terre, dans la terre d'Yssertieux), près des Bruyères (2) de Durand Gret, le terrage sur une boisselée de terre sise au Bognereaul près de la terre des hoirs Proti, un autre pré près le pré de Lergodeau (2), un quart de pré joutant le pré du chapelain de Chalivoy-Milon et le pré au rapt, un pré situé dans le terroir Doupréer et une terre au terroir de Chaumet à charge des cens accoutumés (3).

L'année suivante, le dimanche après la Fête-Dieu, Jean de La Porte échange à Jean Perrin Gailhat une pièce de terre sise près la fontaine des Gailhat et le chemin de Bannegon à Blet et une autre pièce de terre desquelles il se réserve le terrage, contre une pièce de terre et pré dans le terroir d'Yssertieux et une pièce de pré dans l'étang du même nom à la charge de cens.

(1) Arch. d'Yssert., lat. pareil sans sceau, passé à Bourges par Barthélemy Gerhoet, prêtre, notaire.

(2) Noms disparus.

(3) Arch. d'Yssert., lat. parchem. sans sceau, passé à Bourges par Berthaumier Garbouet. prêtre, notaire royal.


DE CHALIVOY-MILON 119

En 1348, « la peste noir » qui en certains lieux enleva plus de la moitié des habitants sévit ici, comme dans le reste de la France.

En 1349, Jean de La Porte achète de Mathieu, fils de feu Pierre Petit, d'Yssertieux, pour 30 sols une terre sise pour ses deux tiers dans le territoire de Primiguier(l) (ou Premiguier) et joutant le pré du chapelain de Chalivoy (2). — Notons en passant que cette mention d'un chapelain indique qu'il y avait encore à cette époque des religieux au prieuré.

Robert de Knolles, capitaine anglais et routier intrépide, en 1350, ravage nos campagnes, s'empare de Dun où il reste plusieurs années, détient et domine Blet, Vereaux, etc. Comment Chalivoy-Milon, si proche, n'aurait-il pas eu à souffrir de ses dévastations ?

En 1356, le prince de Galles, parti de Bordeaux pour se rendre en Normandie, traverse, avec 800 hommes, le duché de Bourbon et ravage les bords du Cher et de l'Auron, saccageant tout, défonçant les tonneaux et laissant couler le vin, brûlant les blés et le reste (3).

On a écrit qu'au XIVe siècle, la France était plus peuplée qu'aujourd'hui. La chose ne paraît pas impossible à en juger par Chalivoy. Sans compter les villages et les maisons éparses disparues depuis lors, nous constatons que, vers 1358, Yssertieux, les Mauguins et les Chevrais (on disait alors : Chevres ou Chevriers) étaient de véritables villages (4).

(1) « Primiguier », n'est-ce pas le même nom que « Primicier ». Le nom de ce terroir a disparu.

(2) Arch. d'Yssert , lat. parchem. sans sceau, passé à Bourges par Barthelemy Garboet, notaire.

(3) Froissait.

(4) Aujourd'hui, à Yssertieux, il n'y a que le château, ses dépendances, le Petit Yssertieux et sa locature; quant aux Mauguins et aux Chevrais, ce ne sont que de Simples domaines.


120 MONOGRAPHIE

Egalement en 1358, sous Jean II, dit le Bon, roi de France, le peuple est devenu si malheureux qu'il se révolte contre la noblesse. C'est ce qu'on a appelé la Jacquerie. Elle éclata, le 31 mai, jour de la Fête-Dieu. Elle s'exerça jusque dans notre paroisse. La noblesse, en effet, n'avait pas encore entièrement abandonné ses habitudes de brigandage, témoin Ebbes VI de Charenton, Guillaume de La Porte de Bannegon, Giac, etc., qui savaient allier la cruauté, la rapine et autres vices et méfaits avec la piété, l'aumône aux églises et autres pratiques religieuses.

Il s'agissait aussi, à celle époque, de se garantir par tous les moyens contre les Anglais et les Routiers. « D'après La Thaumassière (Hist. du Berry, l. V, chap. XXX), les rois Charles V et Charles VI auraient donné pouvoir aux habitants (de Dun-le-Roy) de contraindre ceux des localités situées dans un rayon de trois lieues à venir travailler aux fossés, murailles, tours, poteaux, fortifications et augmentation de leur ville. Il est certain que le roi Jean avait, le premier, ordonné des taxes à cet effet, et que le duc Jean régla les conditions de celte importante entreprise. » (Moreau : Hist. du canton de Dun-le-Roi, t. I, p. 179-180). Par des lettres expédiées, sous scel secret, du bois de Vincennes, le 1er novembre 1371, le roi donnait aux habitants de Dun-le-Roy pour quatre ans « le droict de lever tous aides et subsides nécessaires sur tous les gens des environs ». Mais ces ordonnances royales furent largement interprétées. Nous verrons le prieur de Chaumont s'insurger contre elles (1).

Jean de La Porte, seigneur d'Yssertieux, obtient, en 1373, contre Philippon Robin, demeurant à la Feuille,

(1) Moreau, Hist. du canton de Dun-le-Roy, t. I, id.


DE CHALIVOY-MILON 121

une sentence pour la nouvelle reconnaissance et paiement d'une rente de cinq sols sur ledit Robin que la Dame de Blet avait donnée en échange audit Jean de La Porte (1).

Nous trouvons, la même année, une quittance générale délivrée par Simonet de La Porte à Jean de La Porte, son cousin germain, tant à cause des biens contenus dans l'inventaire de l'héritage de feu André de La Porte, frère dudit Simonet, qu'à cause de l'argent reçu par le même Jean de La Porte, à raison de la vente de l'étang de Salonne (aujourd'hui étang d'Yssertieux) faite par Simonet lui-même et « généralement de tout, depuis le temps passé jusqu'à présent (2). »

1380. Jean de La Porte, damoiseau, donne à Etienne Moillant une oulche, sise au village d'Yssertieux, pour six sols de rente annuelle et deux gelines de bordelage(3).

Un autre acte de bordelage, passé en 1382, par lequel Jean de La Porte, damoiseau, seigneur d'Yssertieux, donne à Etienne Billezeret, de Chalivoy-Milon, moyennant 12 deniers de rente et une geline de bordelage, une vigne joutant le chemin de Carbereau (4) et la vigne du curé dudit lieu, nous apprend ainsi qu'il y avait déjà à cette époque un curé à Chalivoy (5).

Nous avons rapporté plus haut (page 113) les fiançailles de Etienne Jovenin et de Marguerite de Lisle célébrées en 1386.

(1) Arch. d'Yssert., franc., parchem. sentence donnée à Blet et signée Etienne de Succès.

(2) Arch. d'Yssert., lat. parch. sans sceau passé à Bourges par Jean Gloler, le jeudi après Pâques.

(3) Arch. d'Yssert. lat. parch. sans sceau, passé à Bourges par Pierre Baratier, prêtre, notaire.

(A) Nom disparu.

(5) Arch. d'Yssert., lat. parch. sans sceau, passé à Bourges par le même.


322 MONOGRAPHIE

En 1392, Jean de La Porte donne, à titre d'accense perpétuelle et de bordelage, à Pierre Béatrix, pour 15 sols, deux boisseaux d'avoine (mesure de Blet) et trois poules de bordelage tous les ans à la fête de saint Jean l'Evangéliste, un chezal situé en bordelage d'Yssertieux aux Mauguins (alors les Mauguins faisaient partie de Chalivoy), une terre près la chaussée de l'étang de Salonne, un Clodis situé entre les Globis (1) et Yssertieux, les choses que Pierre Béatrix avait coutume de tenir dudit damoiseau, la cloutre Guidon (1) le long du chemin de l'Orme Chevillon (1) à Blet et une terre entre les Globis et Yssertieux (2).

Le même Jean de La Porte, le dimanche après la Saint-Martin d'été, accense à titre de bordelage sous l'annuelle pension de 2 sols tournois à Jean Chemin, l'aîné, fils de feu Durand Chemin et à Jeanne, sa femme, un muide et une oulche sis dans le chezal Auboyeux (3) le long du chemin des Mauguins à Chalivoy, une pièce de terre, un pré situé au même chezal, une autre oulche et la moitié de ce dont avait joui Durand Chemin (4).

Sous la signature de Etienne de Succès, notaire, à Sancoins, 1394, Jean Fulquet, laboureur à la Feuille, confesse devoir et tenir de noble homme Jean de La Porte 18 sols tournois à cause d'un « tenement » en bordelage dudit damoiseau (5).

Enfin, en 1399, est conclu entre Jean de La Porte, seigneur d'Yssertieux, et Guillaume de Rocres, parois(1)

parois(1) disparus.

(2) Arch. d'Yssert., lat. parch. avec sceau, passé par Thommas Debourde, notaire de Bourbonnais.

(3) Nom disparu.

(4) Arch. d'Yssert., lat. parch., avec sceau, signé Thomas Debourde, notaire du Bourbonnais.

(5) Arch. d'Yssert., lat. parch. sans sceau.


DE CHALIVOY-MILON 123

sien de Chalivoy, un accord par lequel ledit Guillaume cède audit seigneur un pré situé au Gué de Bouron qu'il avait acquis de Perrin Gaspias, seigneur de Malentrois, pour la somme de 17 livres que le seigneur d'Yssertieux devra lui rembourser. En attendant ce remboursement, de Rocres continuera de jouir gratuitement dudit pré (1).

Abbés C. LELIÈVRE et F. VILAIRE.

(La suite au prochain volume.)

(1) Arch. d'Yssert., parch. avec sceau, passé par Gon. notaire en Bourbonnais.



Sur la présence de ROSA GLAUCA

EN BERRY

Par la beauté et la variété de ses fleurs, le genre Rosa a, de tout temps, sollicité l'attention des botanistes. Déséglise et Ripart, entre autres, ont étudié avec passion les roses de notre région et « leurs recherches ont acquis au Cher une véritable célébrité » (Crépin). L'une des plus importantes de leurs découvertes a certainement été la constatation de Rosa stephanocarpa à Terrieux, entre Savigny-en-Septaine et Avord. Les botanistes contemporains, ne considérant plus cette plante comme une espèce distincte, la rattachent, à titre de variété, au Rosa glauca Vill, mais celte modification de nomenclature ne diminue en rien l'intérêt qui ressort de sa présence dans le Cher; car, jusqu'à cette année, elle n'avait jamais été constatée ailleurs qu'à Terrieux. Y a-t-elle été rencontrée depuis Déséglise et Ripart? C'est peu probable. A. Le Grand ne la cite pas dans la première édition de la Flore du Berry, et s'il en fait mention dans la seconde édition, c'est seulement sous cette courte indication : « Rosa glauca Vill, juin, RR. Coteau calcaire à Terrieux, près Savigny-en-Septaine (Ripart et Déséglise) ».

Il est donc certain que A. Le Grand ne l'a jamais récoltée, car les noms des inventeurs seraient suivis du


126 SUR LA PRÉSENCE

signe de certitude ! J'ignore s'il l'a cherchée et je pense qu'elle ne figure pas dans son herbier. Bien peu de botanistes la connaissent et la possèdent dans leurs collections. M. Félix, de Vierzon, qui fut notre confrère à la Société historique, m'ayant demandé de la lui récolter pour la distribuer dans les exsiccata de la Société d'échanges qu'il dirige avec tant de compétence et d'autorité, j'ai exploré la station de Terrieux le 10 juin, par une belle journée ensoleillée. Les églantiers pullulent dans les haies, peuplent les clairières de la garenne peu étendue qui couvre une partie du coteau, mais partout je n'avais affaire qu'au Rosa canina sous diverses variétés, avec çà et là quelques pieds de Rosa micrantha et rubiginosa. Pas trace de R. glauca. Toutes mes recherches furent infructueuses. L'arbrisseau, d'une taille peu élevée, m'a-t-il échappé? Sommeille-t-il sous les taillis pour reparaître, comme tant de ses congénères, aussitôt que la cognée du bûcheron lui aura rendu l'air et la lumière ? A-t-il été détruit dans un défrichement? Autant de questions auxquelles je ne peux donner de réponse. Désappointé de mon insuccès, je dus abandonner la place, n'emportant que Rosa Deseglisei et une variété de Rosa rubiginosa remarquable par son armature extraordinairement abondante.

Six semaines plus tard, je ne pensais plus à la rose de Terrieux, lorsque, herborisant le 24 juillet à la limite des territoires de Bengy-sur-Craon et d'Avord, à 150 mètres environ à l'ouest de la route de Baugy à Raymond, sur le talus nord de la ligne de chemin de fer, j'aperçus un rosier au feuillage glauque, dont les sépales redressés couronnaient nettement les fruits globuleux ; l'arbrisseau était de petite taille, les pédicelles des fruits entièrement cachés par les bractées très dilatées. Il n'y avait pas à en douter ; j'avais devant les yeux le


DE ROSA GLAUCA EN BERRY 127

R. glauca var. stephanocarpa, tel que ses inventeurs l'ont décrit.

Pour plus de certitude, j'en adressai un rameau à M. Gentil, du Mans, bien connu pour ses publications rhodologiques, et cet éminent auteur a confirmé ma détermination. Le Rosa glauca var. stephanocarpa est donc à maintenir dans la Flore du Cher dont il demeure l'une des spécialités. Il sera toujours facile à distinguer du Rosa canina L. par la persistance des sépales sur le tube calicinal, la glaucescence du feuillage, la teinte habituellement foncée de la corolle, les pédicelles peu développés et les styles laineux. Le type qui ne se rencontre que dans les régions montagneuses habite les Pyrénées, les Alpes, le Jura, les Vosges. M. Crépin a donc bien raison de dire (page 103 de la Flore du Berry, éd. II) que la présence en plaine de celte rose de montagne est un cas fort rare. Ce doit être pour les amateurs du Cher un encouragement de la rechercher avec soin.

Raymond, le 12 février 1907.

LAMBERT.



NOTES

SUR LES

NASTURTIUM ET RORIPA HYBRIDES

Récoltés dans le Cher

Les Nasturtium et les Roripa affectionnent les endroits humides, les bords vaseux des cours d'eau. L'un, le Nasturtium officinale, bien connu sous le nom de cresson de fontaine, fournit à nos ménagères une salade tonique et dépurative très estimée. On le reconnaît facilement à ses feuilles divisées en segments orbiculaires et à ses fleurs blanches ; les autres espèces sont toutes à fleurs jaunes.

On rencontre dans notre région les six espèces suivantes analysées à la page 25 (2e édit.) de l'excellente Flore du Berry :

Nasturtium officinale R. Br.

Nasturtium sylvestre R. Br.

Nasturtium stenocarpum Godr.

Nasturtium amphibium R. Br. = Roripa amphibia Bess.

Nasturtium palustre DC. = Roripa palustris Bess.

Nasturtium pyrenaicum R. Br. = Roripa pyrenaicum Spach.

La seconde de ces espèces est la plus rare ; son aire de dispersion est fort restreinte et, par suite, c'est l'une

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130 NOTES

des plus intéressantes du Berry. Rencontrée à Bourges sur les bords de l'Yèvre par Tourangin, constatée par Déséglise à Mehun, elle est particulièrement abondante à Vierzon (d'où elle a été publiée dans les exsiccata de la Société cénomane par notre distingué confrère M. Félix). Elle se retrouve ensuite plus en aval, aux bords du Cher, à Mennetou (Loir-et-Cher). En dehors de notre région, elle n'existe que dans les Bouches-duRhône et dans l'Hérault, à une seule station dans chacun de ces deux départements. C'est donc une plante fort localisée et qui, semble-t-il, n'est commune qu'à Vierzon.

Le Roripa pyrenaica, beaucoup plus répandu que le précédent, doit être recherché uniquement dans les lieux sablonneux.

Les trois autres espèces sont, au contraire, fort communes, particulièrement aux bords des cours d'eau importants. Ayant habité pendant 4 ans à proximité de la vallée du Cher, j'ai eu l'occasion de les étudier d'une façon très suivie et de recueillir plusieurs de leurs hybrides. Les constatations que j'ai faites m'ont paru assez importantes pour que je croie utile d'en faire part aux membres de la Société historique. J'avais d'ailleurs été encouragé dans cette étude par mon regretté Maître, feu A. Le Grand, à qui je communiquais régulièrement toutes mes découvertes et qui m'écrivait, le 9 janvier 1904 : « J'ai conservé vos deux Roripa hybrides pour les » étudier. Recueillez donc en nombre ces plantes inté» ressantes quand elles vous tombent sous la main et » recherchez-les avec soin. » Et le 18 juin suivant : « Bonne chance pour les Nasturtium. Réservez m'en. »

Au commencement de l'année suivante, je lui annonçais l'envoi d'un paquet de mes trouvailles. Voici la réponse qu'il m'adressait le 21 janvier : « Mon cher Mon-


SUR LES NASTURTIUM ET RORIPA HYBRIDES 131

» sieur et ami, votre lettre du 9 courant m'a fort inté» ressé. Je verrai avec plaisir vos hybrides. Vous pourrez » m'en laisser quelques doubles »

Le 25 février, je frappais à la porte de cette maison accueillante de la rue Emile-Zola, si bien connue des botanistes berrichons et où j'avais déjà passé de si bons moments en de charmantes causeries dont la botanique faisait tous les frais. Je me promettais d'examiner et d'étudier, dans le riche herbier que le Maître du logis ouvrait si obligeamment à tout ami des plantes, des spécimens authentiques de crucifères rares et critiques. Une déception m'attendait. A. Le Grand, dont la santé était depuis longtemps chancelante, se trouvait cloué au lit par une rechute et ne pouvait me recevoir.

Une lettre me parvenait le 27 février : « J'ai bien re» gretté de ne pouvoir vous recevoir jeudi. Je n'ai pas » pu, à mon grand regret, présider la Société historique. » J'aurais voulu vous offrir les deux curieux Equisetum » que je vous ai promis et qui sont tout prêts, et en » outre examiner avec vous vos curieux Nasturtium et » Roripa et vous demander quelques-uns que vous avez » en double. A bientôt, je l'espère ; je suis sorti, pour la » première fois cette semaine, hier seulement. »

Hélas ! ce devait être sa dernière lettre ; 15 jours après il disparaissait, « emportant les regrets, respecté et honoré comme un citoyen bienfaisant » (1).

Les observations que le Maître eût pu faire, par comparaison avec les parts contenues dans son herbier, étant perdues pour nous, je m'adressai à un éminent botaniste, M. Camus, pharmacien à Paris, auteur d'ouvrages justement réputés (2).

(1) A. FLAHAULT. Notice nécrologique de A. Le Grand, in Bulletin Société botaniq. de France.

(2) M. Camus, membre à la Société botanique de France de la Commission de détermination des plantes critiques, auteur de : Monographie des orchidés de


132 NOTES

Avec une rare obligeance, M. Camus a bien voulu revoir et vérifier les nombreuses parts de Nasturtium et Roripa. Il y a constaté sept hybrides différents. Avant de les décrire, je crois bon de rappeler les principaux caractères des espèces génératrices (1) :

Nasturtium silvestre R. Brown. (Sisymbrium silvestre L.)

Tige de 24 décim. flexueuse, anguleuse, diffuse ou décombante. Feuilles pinnatipartites ou pinnatiséquées à segments linéaires ou lancéolés, dentés ou entiers. Fleurs d'un jaune vif, en grappe fournie, à la fin allongée et plus lâche. Sépales jaunâtres, plus courts que les pétales. Siliques linéaires, étroites, arquées étalées ou ascendantes, égalant la longueur du pédoncule ou la dépassant un peu. Graines brunes, arrondies. Vivace. Juinseptembre.

Roripa palustris Besser. (Nasturtium palustre DC).

Plante bisannuelle. Tige de 1-4 décim. glabre, sillonnée, dressée. Feuilles molles, sinuées-dentées ou pinnatipartites. Fleurs petites. Sépales égalant les pétales. Silicules étalées, de moyenne grandeur (6-8 millim. de long), elliptiques-oblongues, un peu arquées, égalant le pédicelle ; style presque nul. Graines d'un jaune-rougeâtre, luisant. Juin-septembre.

Roripa amphibia Besser. (Nasturtium amphibium R. Brown).

Tige de 4-9 décim. dressée ou couchée, souvent radicante à la base, peu rameuse. Feuilles ordinairement

France, Monographie des saules de France et Classification des saules d'Europe, ce dernier ouvrage récemment couronné par l'Institut. (1) D'après Rouy et FOUCAUD, Flore de France, 1 et 11.


SUR LES NASTURTIUM ET RORIPA HYBRIDES 133

auriculées embrassantes, ovales ou oblongues-lancéolées, entières dentées ou pinnatifides ; les inférieures quelquefois pinnatifides ou pinnatipartites incisées. Fleurs assez grandes, d'un jaune vif, en grappes fournies, à la fin allongées. Sépales jaunes, plus courts que les pétales. Silicules petites, ovales, atténuées aux deux extrémités, 3-4 fois plus courtes que le pédicelle et 2-3 fois seulement plus longues que le style. Graines brunes, anguleuses. Vivace. Juin-septembre.

Il existe une variété intéressante du R. amphibia, bien plus rare que le type. Les silicules subglobuleuses, petites, égalent le style et sont 5-6 fois plus courtes que les pédicelles. C'est le R. amphibia b rotundisiliqua G. et G. que Rouy et Foucaud ont décrit sous le nom de R. Gmelini. Je l'ai récolté à Herry, au bord de la Loire.

HYBRIDES

Les hybrides provenant du croisement des espèces décrites ci-dessus ont, comme leurs parents, des feuilles extrêmement variables ; tantôt entières, tantôt plus ou moins profondément divisées. Ces organes ne fournissent, par suite, aucun caractère utile pour la détermination. Il en est de même des fleurs, car les rapports de longueur entre les pétales et les sépales sont trop peu tranchés pour avoir une influence bien marquée chez leurs produits adultérins. Restent les fruits qui permettent de diviser les hybrides en deux séries parallèles. S'ils affectent la forme d'une silique, c'est-à-dire sont beaucoup plus longs que larges, la plante a le port d'un Nasturtium. La seconde série a, comme les Roripa, les fruits courts : ce sont des silicules souvent presque globuleuses.


134 NOTES

1re SÉRIE. — Hybrides à siliques.

x Nasturtium Gerardi Foucaud et Rony. Fl. Fr., I, p. 206. N. supersilvestri-palustre Fouc. et Rony. N. anceps. Bot. Gall. plur. non DC.

Siliques linéaires ancipitées, un peu plus courtes que le pédoncule. Dans mes échantillons, les siliques ont 7-8 millim. de long et le pédoncule 11-12. L'un a les pétales presque doubles des sépales.

Habitat : Bords du Cher entre Crésançay et Venesmes, près du domaine des Saules ; bords du Triant à SaintSymphorien.

x N. Mairei Rouy et Fouc. loc. cit. N. silvestri-palustre, id.

« Tige robuste d'environ 6 décim. ; feuilles oblongues assez fortement et régulièrement incisées (les inférieures?) ; siliques linéaires de 4-5 millim. de longueur, et même un peu plus, sur 1 ou plutôt 1 1/2 millim. de largeur, de moitié ou presque de moitié moins longue que le pédicelle, celui-ci très fortement incurvé par en bas. Belle hybride semblant différer bien peu de la description de la Flore de France. Port du N. stenocarpum Godron.

» Habitat : Bords du Cher près Crésançay (Lambert !) (1). »

x N. brachystylum Wallroot.

N. palustri-silvestre Rouy et Fouc. loc. cit.

Plante robuste. Feuilles presque entières. Siliques largement linéaires de 6-8 millim. de long sur 2 millim.

(1) Je reproduis celle description d'après A. Le Crand à qui j'avais communiqué la plante. Elle est extraite d'un carnet de notes rédigées en vue de la publication d'un second supplément à la Flore du Berry.


SUR LES NASTURTIUM ET RORIPA HYBRIDES 135

de large, portées sur des pédoncules de 12-16 millim. de long. Styles très variables, courts ou allongés. Habitat : Même localité que le précédent.

x N. anceps DC.

N. Silvestri-amphibium Rouy et Fouc. loc. cit.

Feuilles souvent divisées. Plante habituellement grêle. Siliques élargies, de 4-5 millim. de long sur 2 millim. de large. Pédoncules au moins doubles du fruit.

Habitat : Mêmes lieux que les précédents, mais beaucoup plus fréquent.

IIe SÉRIE. — Hybrides à silicules.

X Roripa terrestris Celakowski. Rouy et Fouc,

Fl. Fr., II, p. 196.

R. amphibio silvestris NeiLr. = Nasturtium terrestre Boreau.

Plante robuste, dressée, à feuilles lyrées-pinnatifides. Pétales dépassant le calice. Silicules elliptiques environ 2 fois plus longues que le style et 3 fois plus courtes que le pédicelle. — Dans mes échantillons, le pédicelle a 9-10 millim., la silicule 3 millim. et le style presque 2 millim.

Habitat : Même lieu, bords du Cher, près des Saules.

x R. barbaraeoides Borbas.

R. amphibio-silvestris Rouy et Fouc. loc. cit.

Port du précédent. Silicules ovales 3-4 fois plus courtes que le pédicelle et 2 fois plus longues que le style. — Dans l'une de mes parts, la tige est abondamment poilue et les feuilles nettement auriculées.

Habitat : Bords du Cher à Aigues-Mortes, commune de Venesmes.


136 NOTES SUR LES NASTURTIUM ET RORIPA HYBRIDES

x R. subglobosa Borbas.

R. Super amphibio-silvestris Rouy et Fouc. loc. cit.

Silicules globuleuses petites, 2 1/2 millim. de long, à peine plus longues que le style. Port du Roripa Gmelini Rouy et Fouc.

Habitat : Même localité que le précédent.

Au point de vue de la fréquence, les hybrides à port de Roripa sont les plus rares.

Le R. terrestre n'est signalé que dans la Seine et le Cher (Déséglise l'avait récolté à Saint-Amand).

Pour le R. barbaraeoides, je ne connais pas d'autres localités françaises que celle que j'indique, Venesmes à Aigues-Mortes.

Quant au R. subglobosa, il est signalé uniquement à Angers.

J'ai rencontré aussi à Saint-Symphorien, aux bords du ruisseau le Triant, un autre hybride que M. Camus a appelé Nasturtium salebrosum Hy. et dont les silicules sont presque toutes avortées. Celles qui sont développées sont courtes, obovales, les pédicelles ont 10-12 millim. de long. L'un des parents est certainement le R. amphibia ; pour déterminer l'autre, des études ultérieures sont nécessaires.

Puisse cette courte note, qui n'est qu'un bien humble hommage à la mémoire de mon Maître vénéré, encourager mes confrères berrichons à rechercher avec soin, selon ses propres paroles, et à recueillir ces plantes intéressantes.

Raymond, le 21 mars 1907.

LAMBERT.


LE MUSÉE DE BOURGES

HOTES, DOCUMENTS ET SOUVENIRS

SUR SA FONDATION ET SON HISTOIRE

DEUXIEME PARTIE Le Musée établissement municipal

(1864-1881)

L'année 1864 avait apporté une amélioration notable à la situation du Musée : il était désormais définitivement constitué et la question de propriété qui le concernait se trouvait également réglée. L'ère des difficultés était cependant loin d'être close, car il restait, pour ne parler que des points les plus importants, à le pourvoir d'une organisation simple et pratique, et à l'installer convenablement, conditions indispensables pour assurer son fonctionnement normal et lui permettre de se développer. Un quart de siècle allait être nécessaire pour la solution de ces divers problèmes, tant il est vrai que dans notre pays, tout ce qui touche au passé ou à l'art, laisse indifférent la majorité du public et trop souvent aussi, il faut le dire, les administrations qui ont la charge de s'en occuper.

A une époque où la diffusion de l'instruction à tous les degrés et sous toutes les formes est si fort en faveur, on oublie trop que les musées ne sont pas uniquement

10


138 LE MUSÉE

créés pour le régal de quelques curieux, mais qu'ils constituent le complément nécessaire de l'école pour l'aider à former le goût de la jeunesse, en lui fournissant cet élément d'enseignement si précieux que l'on appelle les leçons de choses.

Une nouvelle période de l'existence du Musée va donc commencer, époque toute de tâtonnements, d'essais, d'organisation, d'études pour l'installation, qui se prolongera jusque vers 1881 et formera la seconde partie du présent ouvrage.

Cette période se divisera elle-même en trois phases successives : de 1864 à 1867, le Musée restera sans organisation ; de 1867 à 1878, une nouvelle administration sera constituée, qui, se mettant résolument à l'oeuvre, s'efforcera de remplir sa mission, chapitre qu'à raison de son étendue nous diviserons en deux parties, séparées par la guerre allemande, avant 1870 et après 1870 ; enfin, de 1878 à 1881, l'administration du Musée, de nouveau désorganisée par la démission du président de la Commission, se trouvera sans direction, ne fonctionnant pour ainsi dire plus, et cependant c'est à ce moment que se produira inopinément un événement capital pour son existence, l'acquisition de l'hôtel de l'ancien jurisconsulte Cujas pour l'y installer.


DE BOURGES 139

1864 à 1867

M. Charmeil, conservateur, seul administrateur du Musée. — Un arrêté préfectoral du 21 janvier 1864, ayant remis à la Ville de Bourges l'administration du Musée, on pouvait croire que le soin de sa réorganisation, dont la nécessité et l'urgence avaient été si souvent proclamées serait l'objet de ses préoccupations immédiates : il n'en fut rien et pendant trois années aucune réglementation ne vint assurer son fonctionnement et en déterminer les conditions. M. Charmeil, qui restait seul de l'ancienne administration, avec le titre de conservateur, dans lequel il avait été confirmé par arrété préfectoral du 16 février 1864, fut obligé d'en assumer la charge et d'en porter tout le poids.

Organisation financière. — Il faut dire qu'une légère indemnité en rémunération de ses longs services, entièrement gratuits jusque-là, fut enfin accordée au conservateur : il lui était attribué un traitement de 600 francs, chiffre qui peut paraître bien minime après trente années d'exercice des fonctions de conservateur adjoint, puis de conservateur titulaire sans la moindre rétribution.

Au point de vue financier, la situation du Musée s'était aussi quelque peu modifiée. Le Département, fidèle à l'engagement qu'il avait pris, continuait à manifester en sa faveur le généreux intérêt qu'il lui avait témoigné depuis sa création, et le crédit de 1.750 francs


140 LE MUSÉE

inscrit dans les budgets départementaux, y sera maintenu sans modification jusqu'au moment où les collections seront installées à l'Hôtel Cujas.

La part contributive de la Ville, même en tenant compte de la subvention du Département, s'était ellemême trouvée augmentée par le fait de la création ou de l'accroissement de certaines dépenses, telles que le vote d'un traitement pour le conservateur, l'élévation au chiffre de 2.400 francs, à partir du 15 décembre 1864(1), du montant du loyer précédemment fixé à 2.000 francs ; enfin, l'adoption d'un crédit nouveau de 500 francs poulies frais de transport et de placement des collections. Voici du reste le texte même de l'article 93 des dépenses du budget primitif de la Ville de Bourges concernant le Musée pour l'exercice 1865(2) :

« Traitement du conservateur 600 »

» Salaire du concierge 300 »

» Loyer du local 2.400 »

» Frais de transport et de placement 300 »

3.600 »

En résumé, et déduction faite des 1.750 francs du Conseil Général, la dépense annuelle de la Ville pour le Musée devenu municipal, s'élevait à 2.050 francs, au lieu de 1.250 francs inscrits aux budgets antérieurs pour le même établissement, alors qu'il était départemental.

La Ville eut en outre à solder un certain passif pour le Musée, montant, rien que pour ce qui était dû aux héritiers de M. Mater, à la somme de 5.972 fr. 25 (3), se composant :

(1) Proces-verbaux des délibérations du Conseil municipal de Bourges, registre XXV, n° 240 (2) Ibid... . XXVI. n° 76. (3) Ibid...., XXV, n° 244 (3 décembre 1864).


DE BOURGES 141

1° De la valeur intrinsèque des médailles d'or ou d'argent faisant partie du médaillier donné par M. Mater (1), 2.177 fr. 15;

2° D'avances diverses faites au Musée par M. Mater, de 1841 à 1856, montant à 1.199 fr. 50;

3° De ses dépenses pour former la collection de portraits ou Biographie iconographique (2), s'élevant, suivant mémoire détaillé, à la somme de 2.595 fr. 20.

Projet d'installation du Musée à l'Hôtel Cujas.

— En même temps qu'étaient payées, comme on vient de le voir, les dettes de rétablissement artistique, dont la Ville était reconnue seule propriétaire et qu'elle le dotait des ressources strictement indispensables à son fonctionnement, l'éternelle question de l'installation du Musée était reprise à nouveau, mais celte fois, sur l'initiative d'une Société savante du temps, la Commission historique du Cher, devenue depuis la Société historique, qui eut le mérite de préparer la solution qui est intervenue dans la suite.

La Commission historique, préoccupée des conditions défectueuses dans lesquelles se trouvaient le Musée et la Bibliothèque de la Ville, chargea une sous-commission d'examiner si l'Hôtel Cujas pourrait les recevoir l'un et l'autre. M. Hiver de Beauvoir, président de chambre à la Cour d'appel de Bourges, qui a marqué son rapide passage dans notre province par de nombreux et précieux travaux sur son archéologie et son histoire (3),

(1) V. 1re partie du présent ouvrage, 220, 240-242 (Mém. Soc. historique.... du Cher, année 11)05).

(2) V. Ibid., 247.

(3) Note bibliographique sur l'oeuvre berruyère de M. Hiver de Beauvoir : Description, d'après la teneur des Charles, du trésor donné par Jean, duc de

Berry, à la Sainte-Chapelle de Bourges, avec une introduction, des notes et deux notices. (Comm. hist. du Cher, mémoires, T. I, 1re partie, 1857 ; 2e partie,


142 LE MUSÉE

présenta sur cette question un intéressant rapport, bien oublié de nos jours, qui méritait cependant un meilleur sort, à cause de la compétence incontestable de celui qui l'écrivait, et du soin avec lequel le problème de l'installation du Musée et la solution à lui donner étaient étudiés sous tous les aspects. On trouve d'ailleurs dans ce document des constatations matérielles sur l'état des choses en 1864-1865, qui sont d'autant plus précieuses que les lieux se sont profondément modifiés depuis (1).

M. Hiver concluait à la possibilité de loger ensemble à Cujas le Musée et la Bibliothèque, ce qui avait l'avantage de donner satisfaction à des besoins également urgents et d'une manière très économique, mais il n'arrivait à ce résultat, qu'en se trouvant en désaccord avec l'un des principaux collaborateurs dont il avait réclamé le concours pour l'étude de cette question.

M. Charmeil, c'est de lui qu'il s'agit, avait comme conservateur du Musée et de la Bibliothèque une com1860)

com1860) Sur le tombeau de Jean, duc de Berry, conservé à Bourges. (Annuaire de l'Institut des provinces, des Sociétés savantes et des Congrès scientifiques, XIe vol. de la collection, seconde série, I, 1859.) — La librairie du duc Jean de Berry au château de Mehun-sur-Yèvre, publiée en entier pour la première fois d'après les inventaires et avec des notes. Paris, Aubry, 1860. — Notice sur les pierres sépulcrales du cimetière (les Capucins de Bourges, (Mém. Comin. hist. du Cher, II, 1861.) — Papiers de Pot de Rhodes (1529-1648), avec une introduction et des notes. (Ibid., Il, 1861-1S6Î.) — Recherches sur les monnaies et sur la valeur de l'argent en France jusqu'à François 1er. Paris, Aubry, 1804. — Les hommes d'État du Berry, depuis le duc Jean jusqu'à Henri IV : Guillaume de Boisratier, archevêque de Bourges (Mém. antiq. du Centre, I, 1867) ; Martin Congé de Charpeigne, évêque de Chartres et de Clermont, chancelier de France (Ibid., Il, 1868). - L'église de l'Oratoire de Bourges. (Ibid., I, 1867.) — Le bas-relief de la chambre du Trésor de l'Hôtel Jacques-Coeur à Bourges. (Ibid., Il, 1818, et mém. lus à la Sorbonne, 1867.) — L'enseignement d'Alciat et de Duaren à Bourges (mém. lu à la Sorbonne, 1808). — Journal de Jehan Glaumeau, Bourges, 1541-1562, avec une introduction et des notes. Bourges, Just-Bernard, 1868.

(1) Journal du Cher des 12 et 14 janvier 1865 et Courrier de Bourges du 18 janvier. V. Pièces annexes, n° I.


DE BOURGES 143

pétence indéniable, on pourrait dire supérieure à toutes les autres par la connaissance approfondie qu'il avait des collections qui lui étaient confiées ; or, il contestait énergiquement les appréciations du rapport. Dans une lettre, que l'on trouve dans le Journal du Cher du 19 janvier 1865 (1), il démontrait que M. Hiver s'était gravement mépris dans le calcul des surfaces dont la Bibliothèque avait besoin, que de plus il n'avait réservé aux deux collections qu'il s'agissait de loger côte à côte, aucun espace pour leur permettre de se développer parallèlement dans l'avenir. Il ne croyait pas d'ailleurs à cette extension qui lui paraissait improbable, et on sait que le Musée, comme la Bibliothèque, se sont depuis notablement accrus. On peut, à cet égard, comme argument, citer un fait caractéristique : le Musée installé à Cujas en 1891 se trouvait, à l'origine, au large dans ce local et moins de dix-sept années après, c'est-à-dire aujourd'hui, il y étouffe littéralement, grâce à l'encombrement des collections. Que serait-ce si la Bibliothèque occupait avec lui une partie de l'Hôtel?

Quoi qu'il en soit, le rapport du président Hiver de Beauvoir et la lettre de M. Charmeil constituent des documents et une controverse intéressants qu'il était utile de reproduire en entier. Les conclusions du rapport, tendant à l'affectation de l'Hôtel Cujas au Musée et à la Bibliothèque, furent adoptées par la Commission historique et transmises au Préfet, sous forme de voeu. Ce magistrat les renvoya au Maire de Bourges, avec avis favorable (2).

La réalisation de ce nouveau projet impliquait la cession de l'Hôtel Cujas par le Département à la Ville :

(1) V. Pièces annexes, n° II.

(2) Procès-verbaux.. ., XXV, n° 209, séance du 11 février 1815.


144 LE MUSÉE

le Conseil municipal, saisi de la question, se déclara, par délibération du 11 février 1865, partisan en principe du projet (1), sans mettre d'ailleurs beaucoup d'empressement à profiter des bonnes dispositions du Conseil Général. Ce n'est, en effet, qu'une année après, le 10 mars 1866 seulement, que le Conseil municipal nomma une Commission pour entrer en négociations avec le Département (2), mais cette fois une prompte solution intervint, il est vrai qu'elle était négative, car on décida le maintien du statu quo, solution toujours facile à adopter. En effet, le Département demandait 75,000 francs de l'Hôtel Cujas, et, dès le 22 avril 1866, le Conseil municipal, conformément au rapport de sa Commission, repoussait ce chiffre en se retranchant derrière l'insuffisance de ses ressources (3).

Préservation des débris gallo-romains abandonnés dans le Jardin de l'Archevêché. —

A la même époque, l'état d'abandon dans lequel on laissait dans le Jardin de l'Archevêché, gisant sur le sol, en plein air, exposés aux intempéries des saisons et aux insultes des hommes, les précieux fragments des monuments d'Avaricum, découverts lors de la démolition d'une partie de l'enceinte romaine, préoccupait vivement les personnes respectueuses des choses du passé. La Commission historique du Cher, sur la motion de M. Bourdaloue, avait demandé la création d'un Musée lapidaire dans le Château-d'Eau, alors en construction, sans que l'on ait paru prêter à cette démarche la moindre attention (juillet 1864) (4).

(I) Procès-verbaux... XXV, n° 201, séance du 11 février 1805.

(2) Ibid..., XXVI, n° 125.

(3) Ibid..., n° 144.

(1) Journal du Cher du 30 juillet 1804.


DE BOURGES 145

En 1866, la Société historique, qui remplaçait l'ancienne Commission, offrit à la Ville de contribuer pour moitié à l'établissement d'un hangar dont la dépense était évaluée à 800 francs. L'affaire fut renvoyée pour étude à l'architecte de la Ville et l'on n'en entendit plus parler (1).

La Commission du Musée s'occupa également de cette question dans la séance du 13 août 1869(2), mais il était réservé à une autre Société nouvellement fondée, la Société des Antiquaires du Centre, de réaliser enfin l'oeuvre de préservation dont on ne s'explique pas le retard et les lenteurs, étant donné surtout qu'il ne s'agissait pour la Ville que d'une dépense presque insignifiante à l'origine, lors des premiers pourparlers, et nulle en dernier lieu.

La Société des Antiquaires, sur le rapport de M. Henri Fournier, alors conseiller municipal, fut enfin autorisée, le 20 février 1869, à établir à ses frais, dans le Jardin de l'Archevêché, un hangar en fer pour abriter les pierres gallo-romaines échappées à la destruction après cinq années d'abandon, autorisation donnée sous la condition expresse que la Ville conserverait la propriété de ces pierres et pourrait les retirer quand bon lui semblerait (3). Il y avait là une réserve importante, dont il était bon de consigner ici les ternies, dans l'intérêt du Musée municipal.

Dons. — Malgré l'état d'incertitude dans lequel le Musée se trouvait toujours, les collections continuèrent à s'augmenter, mais la marche de ces nouveaux progrès devient difficile à suivre. On ne continua pas, en effet, à tenir régulièrement, comme cela se faisait auparavant,

(1) Procès-verbaux...., XXVI, n° 146, 28 avril 1866.

(2) Registre Com. du Musée, 114.

(3) Procès-verbaux...., XXV, nos 133, 151, 163 et 253.


146 LE MUSÉE

les deux registres d'entrée, dont il a été parlé dans la première partie de ce travail (1), on se borna à communiquer de temps à autre aux journaux paraissant à Bourges la liste des objets nouvellement donnés ou acquis, listes éparses aujourd'hui dans les diverses feuilles locales, où elles sont peu aisées à retrouver. Cette sorte de publicité, qui présente de sérieux avantages pour intéresser les détenteurs d'objets curieux au développement des collections, flatter l'amour-propre des donateurs et déterminer d'autres libéralités, ne peut suppléer à l'inventaire journalier d'une collection qui reste absolument indispensable. Il y a donc eu là une lacune fâcheuse, contraire au règlement de 1834, qu'il était juste de faire connaître, d'autant plus que dans la suite, ce mode de publicité, si insuffisant déjà en luimême, va disparaître aussi.

Pendant le cours des années 1864, 1865 et 1866, voici, avec le nom des donateurs, la liste des objets les plus importants qui furent donnés au Musée :

Baudoin (Madame Agathe) : Portrait de la donatrice et celui d'Emile Deschamps, médaillons en plâtre de Louis Ysabeau.

Boichard père : le Retour de la vigne, peinture à l'huile. (Cat. imprimé de 1869, n° 148.)

Boucher de Perthes : objets préhistoriques en pierre, os et céramique découverts près d'Abbeville (2).

Bourdaloue-Martin, ingénieur et adjoint au Maire de Bourges (3) : un onyx gravé représentant l'amour, et

(1) P. 237.

(2) Journal du Cher des 12 et 31 octobre 1865, 10 mai, 6 septembre et 22 août 1800. — Courrier de Bourges des il août, 29 octobre 1805, 10 mai, 4 septembre et 10 octobre 1800.

(3) H. BOYER : Le Musée de Bourges. — M. Boucher de Perthes et l'antiquité de la race humaine. (Journal du Cher des 12 janvier, 2, 7, 28 février et 2 avril 1807.)


DE BOURGES 147

divers autres objets antiques trouvés dans les fouilles de l'Abattoir et du Château-d'Eeau, des antiquités égyptiennes découvertes dans les travaux du Canal de Suez, un paysage du peintre berruyer Eugène Desjobert.

Boyer (Hippolyte), qui fut successivement bibliothécaire adjoint de la ville de Bourges, archiviste-adjoint du déparlement du Cher, bibliothécaire titulaire et enfin archiviste titulaire : divers objets gallo-romains en fer et en bronze, un carnet de bal en nacre du XVIIIe siècle, plusieurs cachets en cuivre des loges francmaçonniques de Bourges.

Casanova : Pie IX, la Catholicité et l'Evangile, statuettes en biscuit.

Charmeil, conservateur du Musée : Poignard en bronze trouvé près de Vasselay ; sceau royal d'Issoudun en cuivre.

Desjobert, pharmacien à Châteauneuf - sur - Cher : Vitrail aux armes de Jacques Coeur, provenant d'une maison de Châteauneuf qui appartenait au célèbre Argentier de Charles VII. (Cat. imp., n° 356.)

État (L') : le Retour des champs, tableau par Appian (Ibid., n°170);

Combat d'avant-garde dans le Dahra, peinture par Rigo (Ibid., n° 163) ;

Anne de Boleyn devant ses juges, tableau par Léon Goupil (Ibid., n° 176) ;

Joseph expliquant les songes, tableau par Leyendecker.

Guénivet, maire de Vierzon : Grand mortier de cuisine à quatre faces tournant sur pivot, provenant de l'ancien château de Vierzon.

Jollet : Contrat sur parchemin long de 1 mètre 60, passé en 1498 devant le prévôt de Bourges.

Leclère, conservateur des minutes du Nivellement gé-


148 LE MUSÉE

néral : le Ravissement de Saint-Etienne, ébauche en cire de Gois.

Lemoine, cafetier à Bourges : Médaille du maire de Bourges, Soumard de Crosses, 1773, argent.

Loiseau, concierge de la mairie : Pancarte de civisme en usage en 1793.

Mairie de Bourges : Portrait du général Petit par Boichard (Cat. imp., n° 279), deux Drapeaux de 1848, l'un des pompiers, l'autre des réfugiés polonais, magnifique Cartel en bois doré, de l'époque Louis XIV, provenant de l'ancien Hôtel de l'Intendance, Médaille de Germain Lelarge, maire de Bourges en 1686, bronze.

Mater (Alphonse), conseiller à la Cour d'appel : Portrait en pied et en costume de premier président de C. Denis Mater, peint par Guignet.

Merceret : 2 Assiettes patriotiques en faïence de Nevers.

Merle (Robert), artiste peintre, avait légué au Musée tous ses tableaux, dessins, gravures et moulages, parmi lesquels on doit noter une bonne copie réduite des Enfants d'Edouard, d'Eugène Delacroix (1).

Moreau (Louis), de Sancergues : la Présentation au Temple, remarquable composition de Jean Reslout, provenant de l'ancienne abbaye de Fontmorigny (Cat. imp., n° 75).

Roger, de l'Ile-d'Or : Bâton de la Confrérie de SaintPierre et de Saint-Paul, bois doré.

Saunier, ancien coiffeur à Bourges, fixé à Santa-Fé de Bogota : une collection d'objets exotiques, provenant de la Nouvelle-Grenade, se composant de minéraux, fruits, végétaux, insectes, coquillages, peaux de serpent et d'oiseaux, enfin de monnaies du pays en argent natif, etc.

(1) Ce legs, fait par testament du 12 mars 1860, fut accepté par délibération du Conseil municipal du 30 novembre 1800. (Proces-verbaux...., XXVI, n° 213.)


DE BOURGES 149

Thouvenel, de Saint-Florent : une importante collection d'oiseaux de France, un Herbier.

Tourangîn (Gustave) : une figurine en bronze de Mercure.

Acquisitions. — Parmi les acquisitions faites par le Musée pendant la même période, on peut signaler : Antiquités : une hache en bronze et un poignard de même métal trouvés à Mehun-sur-Yèvre, — une paire de landiers du XVe siècle. — Tableaux : l'Amour caressant Vénus, belle peinture sur bois de l'école du Primatice, provenant du château de Castelnau (Cat., n° 6), une tête de Vierge, de l'école du Guide (Ibid., n° 59), le portrait de Mlle de Charolais, dame de Montrond, en costume de récollette (Ibid., n° 39), — deux dessins originaux de Berlier, — un ancien paravent chinois de l'époque de Louis XIV, — une assiette en faïence italienne décorée d'olives en relief, une daubière en terre de La Borne signée Talbot, — divers objets de la loge franc-maçonnique de Bourges, consistant en son oriflamme, ses papiers, des dessins la concernant, les colliers de ses dignitaires avec leurs insignes, etc.


150 LE MUSÉE

§ II

1867 à 1870.

Arrêtés du 5 janvier 1867. — Le 5 janvier 1867 M. Planchat, alors maire de Bourges, prit deux arrêtés pour constituer l'administration du Musée : l'un déterminait les conditions de son fonctionnement, l'autre établissait une Commission chargée de son administration. Depuis trente-neuf années que ces arrêtés sont en vigueur sans avoir subi aucune modification, le Musée a progressé d'une façon constante, à peine entravé par quelques difficultés momentanées, de telle sorte que l'on peut dire que l'organisation qui lui fut donnée à cette époque était heureusement adaptée à ses besoins.

Cette appréciation, basée sur l'expérience, ne saurait être infirmée par la nécessité de certaines modifications de détail dont la nécessité paraît être aujourd'hui démontrée. Voici le texte des arrêtés du 15 janvier 1867 qui ont été la charte constitutionnelle du Musée :

Nous, Maire de la Ville de Bourges, Officier de la Légion d'honneur,

« Considérant que le Musée, fondé en 1834 par les » soins de feu M. le Premier Président Mater, s'est, » depuis lors, successivement enrichi grâce à son dé» vouement et à son zèle persévérant et éclairé, ainsi » que par les libéralités spontanées d'un grand nombre » de personnes notables de ce pays ;


DE BOURGES 151

» Qu'il importe aujourd'hui que le Musée se trouve « placé sous la gestion directe et exclusive de l'admi» nistration municipale, de prendre les mesures néces» saires pour faciliter de plus en plus le développement » de cet établissement scientifique, pour en accroître » ou compléter les collections, assurer leur classement » méthodique et veiller à leur conservation ;

» ARRÊTONS :

» ARTICLE PREMIER. — Le Musée de Bourges est placé, » comme tous les autres établissements municipaux, » sous l'administration directe du Maire.

» ARTICLE 2. — Il est pourvu aux dépenses du Musée » au moyen des crédits alloués chaque année au budget » par le Conseil municipal.

» Les subventions accordées par l'Etat ou le Départe» ment, les dons ou legs en argent duement acceptés " seront versés dans la Caisse municipale.

» ARTICLE 3. — Les objets d'art ou autres légués au » Musée et acceptés par le Maire à ce autorisé, ceux con» cédés par l'Etat ou donnés par des particuliers, enfin » ceux acquis sur les fonds du budget sont déposés » entre les mains du Conservateur.

» ARTICLE 4. — Il est institué près le Musée une Com» mission consultative et de surveillance.

» Cette Commission est composée d'un Président et » de quinze membres titulaires. Il peut y être adjoint » des membres correspondants non résidant à Bourges.

» ARTICLE 5. — Le Président et les membres de la » Commission sont nommés par le Maire.

» La Commission désigne à la majorité son Secrétaire.

» ARTICLE 6. — La Commission donne son avis sur » les acquisitions et échanges d'objets d'art ou autres » projetés par l'Administration municipale, et, elle lui


152 LE MUSÉE

» fait, au besoin, des propositions dans le même but ; » elle provoque par chacun de ses membres, les dons et » libéralités en faveur du Musée ; elle veille à l'inscrip» lion sur l'inventaire des objets concédés, donnés ou » acquis ; elle concourt, avec le Conservateur, au classe» ment méthodique des diverses collections et à la con» fection du catalogue ; enfin elle propose au Maire » toutes les améliorations qu'elle croit utile dans l'in» térêt du Musée ou du public.

» Pour faciliter son travail, la Commission se subdi» vise en sections, correspondant chacune aux diverses » collections artistiques ou scientifiques existant dans » le Musée.

» Cette subdivision aura lieu dans la première réunion " de la Commission.

» ARTICLE 7. — Le Président correspond seul avec le » Maire.

» ARTICLE 8. — La Commission se réunit, en séance » ordinaire, sur la convocation du Président, quatre fois » par an, dans la première dizaine des mois de février, » mai, août et novembre.

» Elle peut se réunir extraordinairement quand besoin » est.

» Les réunions auront lieu à l'Hôtel de Ville.

» ARTICLE 9. — Un Conservateur, rétribué par la Ville, » est attaché au Musée et placé sous l'autorité directe » du Maire.

» Le Conservateur assiste aux réunions de la Com» mission avec voix consultative.

» ARTICLE 10. — Le Conservateur a la garde et la con» servation des objets existant dans le Musée et il en est » responsable.

» Il est chargé de la confection du catalogue, du ran» gement et du classement des objets. Il doit s'aider,


DE BOURGES 153

" dans ce travail, des avis de la Commission, au con» cours effectif de laquelle il doit aussi recourir.

» Il tient un registre d'entrée ou inventaire, par ordre de date, de tous les objets déposés au Musée.

» Tous les trois mois, s'il y a lieu, un extrait de ce » registre, contenant la désignation sommaire des objets » et leur origine, est publié par ses soins dans les jour» naux de la localité.

» Tous les ans, un récolement des objets inscrits sur » l'inventaire est fait par le Conservateur, assisté de deux » membres de la Commission par elle à ce désignés.

» Il est dressé procès-verbal de cette opération, lequel » est transmis au Maire par le Président de la Commis» sion qui y joint, s'il y a lieu, ses observations.

» ARTICLE 11. — Le concierge et les gardiens du » Musée sont nommés par le Maire, sur l'avis du Con» servateur et de la Commission.

» Ces agents sont placés sous la direction immédiate » du Conservateur.

» Ils peuvent être révoqués sur sa demande ou celle » de la Commission.

» ARTICLE 12. — Un règlement de service intérieur, » tant au point de vue de la conservation et de la sûreté » des collections du Musée, qu'au point de vue du pu» blic ou des artistes admis à les visiter, sera préparé " par les soins de la Commission du Musée et soumis à « notre approbation » (1).

Le même jour paraissait l'arrêté de nomination des membres de la Commission.

« Sont nommés Président et membres de la Commis» sion consultative et de surveillance instituée par l'ar" ticle 4 de notre arrêté, savoir :

(1) Reg. Com. Musée, 51-53.

11


154 LE MUSÉE

Président : » M. Alphonse MATER, conseiller à la Cour Impériale.

Membres titulaires : » MM. DE BENGY-PUYVALLÉE (Charles), propriétaire. BERRY, conseiller honoraire à la Cour lmpériale. BORGET, artiste peintre.

BOURDALOUE, ingénieur civil, adjoint au Maire. BOYER (Hippolyte), archiviste-adjoint. BUSSIÈRE, architecte. DUMOUTET (Jules), sculpteur. FOURNIER (Henri), avocat. DE LAPPARENT, chef de bataillon du Génie. LOURIOU, avocat. MÉLOIZES (Albert DES), avocat. RAPIN (Edmond), juge suppléant au Tribunal

de première instance, adjoint au Maire. RHODIER, greffier du Tribunal civil. ROMAGNESI, ancien professeur. TARLIER, architecte.

Membre correspondant : » M. COUGNY, professeur de dessin à Paris » (1).

M. Dumoutet n'ayant pas accepté, fut remplacé le 28 janvier suivant par M. Alphonse BUHOT DE KERSERS (2).

Telle fut, à l'origine, la composition de la Commission du Musée que les changements de résidence, les démissions et surtout la mort, devaient rapidement modifier : on trouvera aux Pièces annexes la liste complète des membres qui en firent partie (3). Aujourd'hui, elle est entièrement renouvelée, sauf une exception, elle n'a

(1) reg. Com. Musée, 51. (2) Ibid., 49. (3) N° 111.


DE BOURGES 155

plus qu'un seul membre de la première heure, le Marquis Albert des Méloizes, cher à tous ses collègues, non pas seulement à cause du titre peu enviable de doyen qui lui appartient, mais aussi en raison de la sympathie générale que lui attirent l'aménité de son commerce et l'autorité incontestée dont il jouit comme artiste et comme savant.

Installation de la Commission, sa division en 3 sections. — Le 27 janvier 1867, la Commission fut installée par le vénérable M. Planchat en personne, qui lui souhaita la bien-venue, en remerciant chacun de ses membres d'avoir bien voulu répondre à son appel (1).

Le 4 février elle commença ses travaux. Son premier soin fut de compléter son bureau en nommant un secrétaire : M. Hippolyte Boyer, que ses habitudes laborieuses, ses qualités comme archéologue et comme érudit, désignaient au choix de ses collègues, fut chargé de remplir ces délicates fonctions.

Conformément au paragraphe 3 de l'article 5, la Commission se partagea en trois sections portant les titres de Section des Arts (Peinture, Sculpture, Gravure, Architecture, Dessins divers), — Section des Sciences (Botanique, Minéralogie, Zoologie, Mécanique), — Section d'Histoire et d'Archéologie (Histoire, Médailles, Antiquités, Objets divers), et composées chacune de 5 membres recrutés d'après leurs aptitudes particulières.

A la Section des Arts appartenaient MM. de Bengy, Borget, Bussière, Romagnesi et Tarlier ; à la Section des Sciences, MM. Bourdaloue, de Lapparent, Louriou, des Méloizes et Rhodier; enfin à la Section d'Histoire et d'Ar(1)

d'Ar(1) Com. Musée, 49.


156 LE MUSÉE

chéologie, MM. Berry, Boyer, Buhot de Kersers, Fournier et Rapin (1).

La composition des Sections, dont chacune devait nommer son rapporteur et choisir ses heures de travail, se modifia peu à peu, par suite des changements que la Commission elle-même eut à subir, sans d'ailleurs qu'il paraisse utile d'en suivre le détail (2).

Le système des Sections se partageant le travail qu'exigeait le Musée, ne donna pas à Bourges les résultats heureux qu'on était en droit d'en espérer. Le manque d'assiduité des membres qui constituaient chacune d'elles en est la cause principale, ce qui fit qu'au bout de peu de temps les Sections cessèrent de se réunir.

Règlement intérieur. — La Commission s'occupa ensuite de l'élaboration d'un règlement de service intérieur dont elle chargea une Sous-commission, composée de MM. Berry, de Lapparent et des Méloizes, auxquels le Conservateur fut adjoint. Sur le rapport de M. Berry, la Commission, dans sa séance du 22 février 1868 (3), adopta un projet de règlement qui, approuvé par le maire, devint le règlement intérieur du Musée (4).

Malgré les dispositions que l'on lâchait de prendre pour assurer le bon fonctionnement de cet établissement, il était souvent difficile de maintenir le bon accord entre ses différents organes, d'obtenir de tous l'assiduité indispensable ou l'obéissance aux arrêté et règle(1)

règle(1) Com. Musée, 58.

(2) A la mort de M. de Bengy, M. de Méloizes, qui appartenait à la section des sciences, passa à la section des arts et eut lui-même pour successeur M. Peneau dans la section des sciences. (Ibid., 87.)

(3) Ibid., 00 et s.

(4) Ibid., 70. — Le règlement intérieur est reproduit aux Pièces annexes, n° IV.


DE BOURGES 157

ment qui fixaient les obligations et les devoirs de chacun. Un conflit assez vif s'éleva au cours des années 1867, 1868 et 1869, entre le concierge du Musée et le conservateur sous les ordres directs duquel il était placé. Le concierge refusait de se conformer aux instructions que lui donnait M. Charmeil et était arrivé à se mettre en véritable rébellion contre son autorité. Pour mettre fin à cette situation et délimiter rigoureusement les droits et les obligations des parties en désaccord, la Commission réglementa de la façon la plus précise les fonctions du concierge par des dispositions qui devinrent l'arrêté du 5 mai 1868 (1), mais le conflit ne cessa véritablement que par la mort du concierge qui survint en 1869.

Question de la sortie des oeuvres d'art. — La

nécessité de défendre les intérêts bien compris du Musée mit parfois la Commission en conflit avec M. Planchat lui-même, qu'elle entourait cependant de tous ses respects, mais que sa bonté entraînait parfois à accorder des faveurs dangereuses pour le bien des collections.

Depuis un certain temps, on avait pris l'habitude de laisser sortir du Musée certains objets, surtout des tableaux, dont le prêt était demandé pour pouvoir les étudier ou les copier. Sans doute, la sortie de ces objets n'était autorisée qu'à bon escient, mais leur absence avait l'inconvénient de créer des vides dans les salles, d'exposer les objets eux-mêmes à des accidents, enfin de leur faire courir des dangers qui n'existaient pas au Musée.

Ce premier abus en avait bientôt entraîné d'autres : l'emprunteur régulièrement autorisé passait de son propre chef à d'autres personnes les objets qui lui avaient été confiés en propre, et cela à l'insu de l'admi(1)

l'admi(1) Com. Musée, 95.


158 LE MUSÉE

nistration du Musée, qui ne savait même plus où se trouvaient les objets prêtés.

Il arriva même, la Commission l'a toujours ignoré, que l'on confiait aux acteurs (le Musée était alors installé en face du Théâtre) les armes dont ces derniers avaient besoin pour jouer certains de leurs rôles. Pour beaucoup de personnes, le Musée n'était qu'un magasin de modèles ou d'accessoires, qui devaient être à la disposition du public; aussi a-t-on été très surpris quand celui qui écrit ces lignes refusa un jour de donner momentanément pour une cavalcade costumée, les casques et les cuirasses qu'on lui demandait.

Pour mettre lin à ces fâcheuses pratiques, la Commission, lorsqu'elle élabora l'article 5 du Règlement intérieur, y avait introduit la défense absolue de laisser sortir aucun objet des collections, sans l'autorisation spéciale du maire (1), exception qui était de droit, puisque ce dernier avait conservé l'administration directe du Musée, mais dont la Commission espérait bien qu'il n'userait pas sans prendre son avis de Commission consultative et de surveillance.

Le 10 mars 1867, la Commission fut appelée à exprimer son sentiment sur la demande du prêt d'un tableau : elle déclara qu'elle était formellement opposée à la sortie d'aucune oeuvre d'art, interdiction qui imposait d'ailleurs l'obligation d'établir au Musée même une salle de travail pour les amateurs (2).

Le 19 novembre suivant, elle était saisie d'une autre demande semblable à laquelle elle répondit par un nouveau refus, avec les mêmes conclusions pour l'ouverture d'une salle pour les travailleurs (3).

(1) Reg. Com. Musée, 65.

(2) Ibid., 61).

(3) Ibid., 76.


DE BOURGES 159

M. Planchat parut d'abord disposé à se ranger à l'avis de la Commission (1), mais la première demande dont on vient de parler ayant été renouvelée à la fin de l'année 1868, le maire fit connaître qu'il entendait à l'avenir et d'une façon absolue rester seul juge de la décision à prendre (2), les abus seuls étant à craindre. La Commission crut de son devoir, dans la séance du 11 décembre de la même année, de déclarer qu'elle maintenait son avis antérieur sur la nécessité d'interdire complètement la sortie des oeuvres d'art du Musée (3).

M. Planchat passa outre et autorisa le prêt du tableau qui lui était demandé, ce qui provoqua la démission d'un membre de la Commission, M. Rorget, qui, comme artiste, connaissait trop bien les inconvénients de semblables pratiques. On eut beaucoup de peine à le faire revenir sur sa détermination ; il avait eu d'ailleurs l'entière approbation de ses collègues, qui prirent à ce sujet une délibération proclamant qu'il avait obéi à un sentiment juste en appréciant la situation du Musée et de la Commission, surtout au point de vue de la dignité (4).

Il semble d'ailleurs que cet incident ait produit un heureux résultat et que la fermeté de l'attitude de la Commission ait fait juger au maire qu'il était préférable de ne pas recommencer à provoquer un nouveau conflit, car en fait, à partir de ce jour, l'article 5 du Règlement intérieur reçut la stricte application qu'exigeait l'intérêt bien compris du Musée.

Projet d'installation du Musée dans l'ancienne église des Carmes. — La Commission qui s'occupait

(1) Reg. Com. Musée, 79.

(2) Ibid., 101.

(3) Ibid.

(4) Ibid., 107.


160 LE MUSÉE

avec tant de zèle de toutes les questions qui pouvaient assurer le bon fonctionnement du Musée, ne pouvait négliger la plus urgente et la plus importante de toutes, celle de son installation définitive. Cet intéressant sujet fut traité dans les séances des 9 août et 19 novembre 1867, 14 février et 1er mars 1868 et 13 août 1869 (1), mais il régna tant d'indécision dans les discussions et même les décisions de la Commission, que le vote qui finit par triompher n'avait pas l'autorité nécessaire pour peser suffisamment sur l'autorité municipale.

La Commission fil appel aux lumières des architectes qu'elle comptait dans son sein : M. Bussière, architecte du département, voulut bien lui prêter son concours. Il proposa de placer le Musée dans l'ancienne église des Carmes, dont il évaluait les réparations et les travaux d'installation à la somme de 50.000 francs ; le voisinage de la caserne, qui était alors située à côté, offrait toutes les facilités désirables pour effectuer les agrandissements qui deviendraient nécessaires. Aussi la Commission ayant adopté, dans sa séance du 19 novembre, le principe de l'installation du Musée dans l'église des Carmes, chargea son Président de faire auprès du maire les démarches indispensables pour obtenir l'approbation de cette décision et en préparer l'exécution, en poursuivant auprès de l'administration militaire la restitution de cet ancien édifice religieux occupé par l'artillerie.

Tout paraissait donc définitivement arrêté de la part de la Commission, quand à la séance suivante, le 14 février 1868, lorsque le Président eut rendu compte de l'entrevue, peu décisive d'ailleurs, qu'il avait eue avec le maire, la discussion reprit inopinément et vint remettre en question le choix qui avait été fait. On mit en

(1) Reg. Com. Musée, 73, 70, 79, 81, 83 et 115.


DE BOURGES 161

doute la possibilité d'obtenir un bon résultat de la transformation en Musée de cette ancienne église, que l'on jugeait moins bien disposée pour une semblable destination, que ne l'était, par exemple, l'Hôtel Lallemant. En faveur de ce dernier édifice se révélèrent tout à coup de fervents partisans, parmi lesquels se trouvaient MM. Rapin, Louriou, Boyer et Berry. Le vote antérieur en faveur des Carmes fut cependant confirmé une seconde fois, le 1er mars suivant, mais on comprend qu'un choix si hésitant et si discuté n'avait pas l'autorité qu'il fallait pour s'imposer à la municipalité, alors surtout qu'un des membres de la Commission, M. l'adjoint Rapin, était justement un des avocats les plus convaincus de la solution contraire. D'ailleurs, la continuation de l'occupation militaire de l'église des Carmes, qui se prolongea encore pendant de longues années, ne permit pas d'envisager sérieusement la possibilité d'examiner la question d'une utilisation nouvelle de cet édifice.

Catalogue du Musée : la Peinture.— MM. Charmeil et Antoine Cougny, ce dernier ancien conservateuradjoint du Musée, auquel il était resté attaché comme membre correspondant de la Commission, s'occupaient depuis quelque temps de la confection du catalogue. La première partie de ce travail, concernant la Peinture, se trouvant terminée au commencement de l'année 1869, fut soumise par la Commission à sa section des beauxarts, qui lui donna son entière approbation (1). La Commission émit en outre le voeu que ce catalogue fût imprimé, ce qui fut exécuté (2).

Cet ouvrage se divisait en trois parties : Peinture. — Miniatures, Gouaches, Aquarelles, Dessins, Pastels

(1) Reg. Com. Musée, 107 et 112.

(2) Catalogue du Musée de Bourges. — Peinture. — Imprimerie et lithographie de A. Jollet. 1869, in-12 de 55 p. Il fut tiré à 1.000 exemplaires.


162 LE MUSÉE

et Vitraux et comprenait 392 articles. C'est un travail sérieux, fait avec un véritable sens artistique, une science indiscutable de la peinture et de son histoire, qu'aidait une connaissance précieuse, dans la circonstance, du passé du Berry et de la provenance d'un grand nombre de ces objets d'art. Si on relève certaines erreurs d'attribution, il ne faut pas oublier qu'il s'agit souvent d'ouvrages non signés et de jugements que n'appuyait encore aucune appréciation antérieure. Tel qu'il est, ce premier essai de catalogue sera d'une grande utilité pour ceux qui voudront un jour reprendre ce travail délicat, qui sera sans doute remis bien des fois sur le métier avant d'être définitif.

Dans l'intention de MM. Charmeil et Cougny, le catalogue des collections devait être continué immédiatement. Dans la séance du 13 août 1869(1), diverses explications furent échangées sur la marche à suivre, sur la série par laquelle on continuerait et la classification des objets à décrire. On décida que l'on s'occuperait d'abord de l'ameublement, section dans laquelle entreraient " les meubles et les tapisseries, les émaux, faïences et » verreries. Les objets d'horlogerie, les armes et bijoux, » les pièces de serrurerie et ferronnerie ; enfin dans une » section supplémentaire se placeront les objets divers » qu'il sera impossible de ranger parmi les autres...(2)»

Malheureusement, la continuation du catalogue resta à l'état de projet, et la Peinture est la seule partie des collections dont la description ait été faite. On doit regretter que M. Charmeil, si expert en matière d'art et de curiosité, et si au courant des choses du Musée, n'ait pas pu donner une suite au travail qu'il avait si bien

(1) Reg. Com. Musée, 114 et 115.

(2) Ibid., 115.


DE BOURGES 163

commencé : les malheureux événements de 1870-1871 arrêtèrent l'entreprise. C'était d'ailleurs au Conservateur, fonctionnaire rétribué, qu'incombait, aux termes de l'article 10 de l'arrêté constitutif du Musée, la confection du catalogue.

Réclamations du comte Jaubert. — Le comte, la comtesse Jaubert, et même Mlle Jaubert, avaient dès le début participé à la fondation du Musée par divers dons, notamment par celui d'un important herbier (1) ; comme ministre, M. Jaubert avait pu rendre de précieux services à la création poursuivie par son collègue de la députation du Cher. A la fin de l'année 1868, le comte Jaubert, de passage à Bourges, visita le Musée et fut fâcheusement impressionné par son installation si défectueuse, par l'apparence de désordre des différentes collections et surtout par le mauvais état de certaines d'entre elles, parmi lesquelles se trouvait justement son herbier.

Sous l'empire du premier mouvement, il adressa à un journal local, le Courrier de Bourges (2), un véritable réquisitoire qui se terminait en termes comminatoires : « Une question de droit s'est posée, disait-il, celle de » savoir jusqu'à quel point les directeurs seraient fon» dés à détenir dans l'état actuel de cet établissement » les objets qui le composent. Apparemment, les dona» teurs ont eu en vue autre chose qu'une sorte de ma» gasin de bric-à-brac, qu'on me passe l'expression ; » du jour où il serait démontré que le Musée est cons» titué de telle sorte qu'il est devenu absolument impro» pre à sa destination et qu'on a renoncé à l'améliorer,

(1) Première partie du présent ouvrage, 242.

(2) Numéro de novembre 1808.


104 LE MUSÉE

» l'intention originaire serait méconnue et chacun sem» blerait autorisé à reprendre ce qu'il a donné. »

Entendre qualifier notre pauvre Musée de « magasin de bric-à-brac » était pénible pour ceux qui travaillaient depuis si longtemps à sa formation, et cependant, pour qui a connu l'ancienne installation de ses collections en face du Théâtre, il est impossible de contester que celleci tenait plutôt de la boutique d'un marchand de vieilleries que d'un Musée public. D'un autre côté, la conclusion à laquelle aboutissait le comte Jaubert, le retrait des objets donnés et la dispersion des collections qui en était la conséquence, se comprenait parfaitement, et puisque la ville de Bourges ne se décidait pas à faire le nécessaire pour constituer un Musée digne de ce nom, il fallait avoir le courage de le dire et de mettre fin à une tentative dont la réalisation était poursuivie depuis trop longtemps dans des conditions invraisemblables.

Il est inutile d'ajouter que l'installation défectueuse du Musée n'était nullement imputable aux administrateurs de cet établissement, dont on a vu les réclamations incessantes et les démarches continuelles pour obtenir l'amélioration de cette situation. Il en est de même du désordre des collections dont se plaignait le comte Jaubert : elles étaient rangées comme elles l'étaient déjà du temps de M. Mater, c'est-à-dire aussi bien que le permettait un local très exigu et mal approprié à une semblable destination; il n'y avait d'autre changement que celui qu'avait imposé la nécessité de serrer des objets déjà trop nombreux, pour faire place aux nouveaux dons et aux nouvelles acquisitions, augmentations incessantes qui faisaient croire à un désordre récent dans ce qui n'était qu'un encombrement chaque jour grandissant : ici encore aucune faute n'était donc imputable aux administrateurs du Musée.


DE BOURGES 165

Un point sur lequel M. Jaubert avait plus facilement raison, c'est quand il signalait le mauvais état d'entretien des collections d'histoire naturelle, telles que les herbiers, notamment celui qu'il avait donné, et aussi de la collection d'oiseaux de M. Thouvenel et des insectes de M. Mater. Des collections de ce genre exigent les soins continuels de spécialistes, de nombreuses dépenses d'entretien ou de remplacement, et, par suite, ne pouvaient être traitées comme il leur conviendrait dans un établissement ne possédant ni local convenable, ni budget sérieux.

Un unique Conservateur, dont la compétence artistique était incontestable, mais qui était absolument étranger aux connaissances scientifiques variées qui lui eussent été nécessaires, était incapable d'assumer seul une charge comme celle qui lui était imposée par la réunion sous son administration de collections aussi nombreuses que disparates.

M. Jaubert avait bien compris la difficulté du rôle qui était imposé au Conservateur, car dans son article il préconisait une réforme qui eût sans doute remédié à bien des vices de l'organisation du Musée, vices qui existent encore de nos jours et dont récemment encore on faisait ressortir les inconvénients : c'était de séparer en deux les collections du Musée et de constituer un Musée d'histoire naturelle et de sciences et un Musée d'antiquités et d'art, ayant chacun une administratiou distincte, spécialisée et de compétence convenable. Voici ce qu'il disait sur cette question restée toute d'actualité :

» Qu'y aurait-il donc à faire? Evidemment, la pre» mière mesure à prendre serait de trier tous les objets » en deux grandes sections, l'une de l'histoire naturelle, » l'autre des antiquités et de l'art, et d'aviser pour l'une » d'elles à l'appropriation d'un nouveau local, en dehors


166 LE MUSÉE

» du bâtiment actuel dont la Ville est locataire, celui-ci » simple d'apparence, et suffisamment vaste, au moins » présentement, pour l'arrangement de nos richesses en » histoire naturelle, y resterait exclusivement affecté, » en se réservant d'annexer plus tard, au même titre de » location, la maison attenante qui appartient au même » propriétaire.

» Il faudrait loger ailleurs les antiquités et les objets » d'art. Serait-il donc si difficile de trouver à Bourges » un édifice assorti à une pareille destination par le » caractère même de son architecture et par les souve» nirs qui s'y rattachent? La maison de Cujas, aujour" d'hui livrée, par une bizarre inconséquence, au service, » très respectable d'ailleurs, de la gendarmerie qui ne » réclamait qu'une caserne, ne semble-t-elle pas désignée » tout naturellement pour l'usage que nous indiquons? » Un autre bijou d'architecture, la maison des Alle»

Alle» rue des Vieilles-Prisons , répondrait aussi

» et parfaitement à la nouvelle destination Enfin,

» l'ancienne église des Carmes, encore une propriété de » la Ville, et qu'elle n'a fait que prêter au Ministre de la » Guerre, en attendant l'achèvement des constructions » de l'artillerie, peut devenir disponible d'un instant à » l'autre.

» De telles transformations, j'en conviens, ne sont pas » en elles-mêmes d'une exécution très facile. On sait » aussi qu'à Bourges les affaires se traitent d'ordinaire » avec une grande circonspection. Certes, on est loin " d'y être indifférent aux projets d'utilité publique, mais » il faut beaucoup de temps pour qu'une idée, dont nul » ne conteste d'ailleurs l'opportunité, passe de la théorie » à la pratique, témoin la translation définitive de la » Mairie elle-même, objet de tant de discussions, et qui » est encore a l'étude, celle de la Bibliothèque. On s'excuse


DE BOURGES 167

» sur l'exiguïté des fonds disponibles, en face des autres » engagements que la Ville et le Département ont déjà » contractés, pour concourir avec l'Etat à la création des » grands Etablissements militaires, comme si nos res» sources financières ne s'étaient pas accrues en propor» tion même de nos sacrifices. »

M. Jaubert avait sagement apprécié la situation, et c'est dans la spécialisation aussi complète que possible des Musées que réside leurs chances de prospérité. Imposer à un artiste ou à un archéologue la mission de conserver des collections d'histoire naturelle, c'est lui mettre un boulet au pied en l'obligeant à s'occuper de questions qui lui sont étrangères et c'est en même temps exposer ces collections à souffrir ainsi des fautes d'une administration involontairement désastreuse.

M. Charmeil voulut répondre aux critiques de M. Jaubert et adressa au Journal du Cher une lettre à cet effet (1). Sur la plupart des points ses observations étaient décisives. Il montrait d'ailleurs que le véritable coupable était l'insuffisance de l'installation, ce qui revenait à dire que la responsabilité en remontait aux administrations publiques qui laissaient d'intéressantes collections dans un pareil état d'abandon.

Legs et dons en faveur du Musée. — Pendant cette période de son existence, le Musée reçut des dons et des legs aussi importants par le nombre que par la valeur des oeuvres d'art.

Legs du docteur Péraudin. — M. Péraudin, qui était originaire de Bourges, vécut à Paris, où il exerça la médecine, et se livra à son goût pour les arts. Il mourut

(1) N° du 28 novembre 1868.


168 LE MUSÉE

le 5 novembre 1865 (1), en léguant à sa ville natale ses collections, qui se composaient de 33 tableaux, 2 dessins, 7 gravures, 3 morceaux de sculpture et 6 ouvrages ou livres divers. Le Conseil municipal accepta ce legs avec empressement : on trouve dans le procès-verbal de la séance du 23 décembre 1866 l'expression de sa reconnaissance consignée pour rendre hommage à la mémoire

du donateur, qui, malgré sa résidence éloignée, n'a jamais oublié sa ville natale (2).

Nous reproduisons dans son entier la liste des objets légués par le docteur Péraudin, à cause de l'importance exceptionnelle de cette libéralité :

TABLEAUX: 1. Jean Brueghel de Velours (attribué à) : Le Christ

au Tombeau. 2 Casanova : Paysage historique.

3. Coutan, élève de Gros : Philémon et Baucis. — Thémistocle

Thémistocle l'hospitalité au roi Admète.

4. Coypel (d'après) : Jésus tenté par le démon.

5. Davidz de Heem : Fruits et nature morte.

6. Drolling fils : Abraham et Agar.

7. Ecole italienne : Tête de Vierge.

8. Aug. Enfantin : Vue du port de Velletri.

9. Golvin : Entrée de ville.

10. Granet : Intérieur.

11. Greuze (attribué à) : Tête de jeune fille. — Tête de

Jeune homme.

12. Lépicié (attribué à) : Tête de vieille femme.

13. Jean Miel (attribué à) : Les Buveurs.

(1) Il aurait pu être question de ce legs pendant la période précédente, puisque le décès du docteur Péraudin s'était produit à cette époque, mais nous avons préféré attendre le moment où le Musée entra en possession du don fait en sa laveur.

(2) Procès-verbaux...., XXVI, n° 228.


DE BOURGES 169

14. Muzianus (attribué à) : Saint Jérôme.

15. Roger : 2 Figures d'italiennes.

16. Rubens (école de) : Les Sens.

17. Thomas : Les Trois Parques. — Effet de neige. —

Figure académique. — Saint-Louis recevant la couronne d'épines.

18. Paul Véronèse : Jésus devant Pilate, copie d'une

esquisse.

19. W. 1594. — Une Visite.

10. Le Temps et l'Etude, plafond.

21. Crucifiement de Jésus, sur cuivre.

22. Repos de la Sainte-Famille, sur cuivre.

23. La délivrance de Saint Pierre, sur cuivre.

24. Deux Paysages italiens.

25. Sainte-Famille, sur bois.

26. Vue d'un Marché de. campagne.

27. Tête de vieillard.

DESSINS :

1. L'Assomption, par Vouet.

2. La Naissance de Chloé, par Coutan.

GRAVURES :

1. Le Bannissement de Saint Paul, par Laugier.

2. La Vierge, Sainte Anne et l'Enfant Jésus.

3. Le Zéphyr, d'après Prudhon.

4. Vénus accroupie, par Laugier.

5. Pygmalion, d'après Girodet.

6. Léonidas, d'après David. — Les Thermopyles, par

Laugier.

7. Portrait de Léon X.

SCULPTURE :

1. Buste de petit enfant, marbre signé Monot.

2. Asclépiade, buste en bronze.

3 Napoléon Ier, buste en biscuit.

12


170 LE MUSÉE

LIVRES :

1. L'Iconographie Grecque et Romaine, par Visconli.

2. Daphnis et Chloé, de Paul-Louis Courier.

3. Une Année à Rome, par Thomas.

4. Le Traité de la Sagesse, par Charron, 1662.

5. Les Figures de la Bible.

6. L'Histoire de la Médecine, par Leclerc, 1727, etc.

Il convenait de faire connaître intégralement au public la bonne fortune qui advenait au Musée, en le mettant à même de juger du mérite de certaines des oeuvres comprises dans le legs : c'est ce que fit, de la façon la plus juste et avec un grand sentiment artistique, M. Cougny, dans un article paru le 19 septembre suivant dans le Journal du Cher.

Il y avait incontestablement des ouvrages assez ordinaires parmi ceux que laissait M. Péraudin, mais plusieurs autres, tels que ceux de Casanova et de Coypel, l'esquisse de Drolling fils, les Buveurs attribués à Jean Miel, le Crucifiement portant le n° 21 de la liste qui précède, les Fruits et nature morte attribués à Van Huysum mais qu'il estimait plutôt de Davidz de Heem, enfin les deux Têtes de Greuze ou de son école, et surtout la charmante vieille Femme que l'on croit être de Lépicié, étaient des oeuvres qui eussent été accueillies partout avec une légitime satisfaction.

Legs de M. P.-A. Bourdaloue. — Une autre libéralité testamentaire allait encore enrichir le Musée pendant la même période. Dans la première partie de cette élude consacrée à l'histoire de la fondation de cet établissement artistique, il a été question de M. BourdaloueMartin, ingénieur, auteur du nivellement du Canal de Suez, puis adjoint au Maire de Bourges, qui souvent fit don d'objets d'archéologie ou de curiosité, découverts


DE BOURGES 171

par lui au cours des travaux qu'il faisait exécuter (1).

Ce bienfaiteur du Musée, qui était membre de la Commission administrative, mourut le 21 juin 1868, laissant dans son testament une preuve nouvelle de l'intérêt qu'il lui portait : « Je lègue .. . à la Ville de Bourges pour » son Musée tous les tableaux, livres et objets d'art que » deux délégués du Maire choisiront dans ma mai» son .... » (2).

Une partie des objets laissés par M. Bourdaloue, comme les monnaies gauloises ou romaines, les vases et les fragments antiques, les plans des substructions gallo-romaines du Palais de Jean de Berry, furent remis de suite au Conservateur, ainsi que ses nombreuses décorations (3), mais le surplus n'entra dans les collections qu'après la mort de Mme Bourdaloue, au mois de mars 1889.

Cette partie du legs se composait de tableaux, les uns sans aucun caractère artistique, représentant des travaux qu'exécutait M. Bourdaloue ou des évènements de sa vie, tels que la vue de la Lévade, près la GrandeCombe (Gard), les plans et élévation des automoteurs et bis-automoteurs de Champ-Clausen, une vue de l'Isthme de Suez aux environs du lac Timsah, une vue de Schoubra (Egypte), enfin une vue de Messine; mais d'autres constituaient de véritables oeuvres d'art, peints par Boucoiran, élève de Sigalon, comme le portrait de M. Bourdaloue, et trois Nymphes avec la chèvre Amalthée, enfin deux portraits au pastel de Sigaud de Lafond et de sa femme (4).

(1) P., 228.

(2) Procès-verbaux...., XXVII, n° 93.

(3) Reg. Corn. Musée, 112, séance du 13 mai 1869.

(4) Inv. B, nos 230-241.


172 LE MUSÉE

Legs de M. Charles Mater. — M. Charles Mater, architecte à Paris, neveu du fondateur du Musée, s'était vivement intéressé à la création artistique, dont son oncle poursuivait la réalisation ; il en avait suivi les progrès et se réservait d'y contribuer à son heure : dans ses dispositions testamentaires, il lui légua deux toiles importantes qu'il possédait.

L'une était une peinture allégorique, intitulée l'Architecture, due au pinceau de François Boucher le jeune, fils du célèbre peintre de Louis XV, artiste d'un véritable talent, dont la légitime notoriété fut éclipsée par la réputation de son père. L'autre, représentant une Réunion d'artistes du temps de Louis XIII, était l'oeuvre de Camille Roqueplan, peintre distingué qui vivait dans la première moitié du XIXe siècle. La veuve du légataire avait le droit de conserver ces tableaux sa vie durant, mais elle les remit de suite au Musée, ne voulant pas retarder l'exécution des dernières volontés de son mari (1).

Envois de l'État. — En 1868, le Musée reçut de l'État deux ouvrages intéressants, le Mariage in extremis, composition dramatique de Firmin Girard, fort goûtée du public (2), et le Semeur d'Ivraie, statue de bronze d'une belle allure de Jean Valette, artiste berruyer, que la fortune ne récompensa pas comme le méritait son talent distingué (3).

Dons particuliers. — MM. Bazille (A.), fabricant de porcelaine à Vierzon, donna un beau vase en porcelaine rouge avec garniture de bronze, pièce d'un beau style qui fait honneur à l'industrie vierzonnaise et valut au

(1) Journal du Cher du 2 avril 1868.

(2) Ibid., 15 août 1808 l3) Ibid., 10 fevrier 1809.


DE BOURGES 173

donateur une récompense à l'Exposition universelle de 1867 (1).

Boyer (H.) : un arrosoir en terre cuite, signé et daté de 1777 (2).

Caumont (de) : une amphore exhumée à Prunelles (3).

Compoint : une hache en bronze trouvée à Vouzeron (4) :

Gibault : un mortier en pierre (5).

Lhomme (Docteur) : Jeune fille jouant au cerceau, peinture de Bouchard père (6).

Société historique du Cher : une collection de costumes du Berry, dessins aquarelles de MM. Guiton et Bourgeois, qui a figuré à l'Exposition universelle de 1867, et « Naître esclave », buste en terre cuite de Carpeaux(7).

Tribunal de Commerce de Bourges : deux grandes tapisseries d'Aubusson et un tapis en drap orné d'écussons brodés, provenant de l'ancienne salle du Tribunal consulaire de Bourges, pour lequel ils avaient été spécialement fabriqués (8).

Acquisitions. — L'administration du Musée fit l'acquisition de deux objets antiques en bronze, une tête de boeuf et une lampe (9), d'une cuillère ancienne en argent (10), d'une arme garnie de plusieurs dards (11),

(1) Journal du Cher du 10 février 1869. (2) Ibid., 21 août 1869.

(3) Ibid.

(4) Ibid.

(5) Ibid., 21 juin 1870.

(6) Ibid.

(7) Ibid.

(8) Ibid., 15 août 1868.

(9) Ibid., 21 août 1869. (10) Ibid., 16 février 1809.

(11) Ibid., 22 août 1807.


174 LE MUSÉE

d'une daubière signée en terre de La Borne (1), de deux dessins originaux de Berlier représentant des sujets tirés de l'histoire ancienne (2), enfin d'un beau portrait en pied de Napoléon Ier de grandeur naturelle et en costume d'apparat, dont la tête et les mains sont attribuées à Girodet (3).

Propositions d'échange. — L'administration du Petit Séminaire de Bourges offrit au Musée de lui céder des médailles, des livres et des Coquillages en échange des doubles que pouvait renfermer sa collection ornithologique.

La Commission se livra à une discussion approfondie sur la question de savoir si elle avait le droit de céder des objets qui lui avaient été donnés, et si ce ne serait pas aller contre la volonté certaine de M. Thouvenel le donateur, et elle décida de n'entrer dans cette voie qu'avec la plus grande circonspection.

La Section d'histoire naturelle fut chargée de rechercher quels étaient les doubles de la collection des oiseaux dont on pourrait disposer et les lacunes à combler dans les séries conchyologiques du Musée. Une autre Commission, composée de six membres (4), reçut la mission d'examiner les objets que le Séminaire proposait. Ce luxe de Commissions montrait de la part des administrateurs du Musée, un grand désir d'aboutir, malgré cela on n'arriva à aucun résultat : peut-être les objets du Séminaire étaient-ils sans valeur suffisante.

Mme de Sainte-Marie, chanoinesse de Saint-Augustin, supérieure des Visitandines de Moulins, demanda la

(1) Journal du Cher du 16 février 1809.

(2) Ibid., 22 août 1867.

(3) Ibid., 15 août 1868.

(4) MM. Berry, Boyer, Louriou, des Méloizes, Peneau et Romagnesi.


DE BOURGES 175

cession d'un portrait du bienheureux Pierre Fourier de Mataincourt (1), fondateur de l'ordre des Visitandines, que possédait le Musée, contre la copie d'une Descente de croix, d'Alonzo Cono. La Commission refusa, parce que ce portrait provenait d'un couvent de Saint-Amand, d'où il était sorti à la Révolution et avait ainsi une origine locale (2).

Échange d'un tableau de M. Waschmutt. —

Le Musée, par erreur, paraît-il, avait reçu de l'État un tableau important représentant un Episode de l'histoire municipale de Mulhouse, peint par Waschmutt, artiste mulhousien et directeur de l'Ecole de dessin de Versailles, dont l'oeuvre avait été promise à sa ville natale. A Mulhouse on éprouvait le désir tout naturel de posséder une toile, dont l'envoi dans cette ville avait été annoncé et pour laquelle elle était doublement précieuse à cause du sujet et à cause l'auteur. Le Comité de direction de l'Ecole industrielle de Mulhouse demanda donc au Maire de Bourges de lui céder cette peinture en échange d'un tableau d'égale valeur.

Une Sous-commission (3) fixa à 5,000 francs la valeur du tableau que désirait la ville de Mulhouse. Le Musée de Bourges obtint en échange une composition du même artiste intitulée un Épisode de la guerre de Crimée, que MM. Charmeil et Cougny estimèrent supérieur, au point de vue de l'art, à l'épisode mulhousien ; sans contredire cette appréciation, dont nous acceptons le bien fondé, il sera permis de dire que la composition dramatique du nouveau tableau du Musée, exprimée

(1) Reg. Corn. Musée, 87-89.

(2) Ibid., 104 et 105.

(3) Elle était composée de MM. de Bengy, Borget et Romagnesi.


176 LE MUSÉE

dans une tonalité appropriée à la tristesse du sujet (1), ne saurait faire oublier la scène animée et vivante, représentée dans une gamme éclatante, qui était celle de la peinture que le Musée céda. D'ailleurs, en donnant un avis favorable à l'échange qui lui était demandé, la Commission ne dissimulait pas ses regrets de perdre une toile remarquable que le Musée possédait depuis longtemps, sentiments auxquels le Conseil municipal s'associa complètement (2). Les négociations durèrent d'ailleurs fort longtemps : commencées au mois de mai 1867, elles ne se terminèrent qu'à la veille de la guerre, qui allait faire sortir du territoire français la toile cédée à la ville de Mulhouse.

(1) Procès-verbaux...., XXV, n° 117 : « La composition de la toile offerte est lionne, qu'elle est consciencieusement peinte et d'une facture supérieure à celle de l'épisode de l'histoire de Mulhouse. »

(2) Ibid., ibid. - Reg. Com. Musée, 70-72, 98-99 et 115.


DE BOURGES 177

§ III

1870-1881.

Pendant toute la durée de la guerre avec l'Allemagne, l'existence du Musée fut entièrement paralysée et du 8 avril 1870 jusqu'au 10 mai 1871, c'est-à-dire pendant plus d'une année, la Commission ne se réunit pas, et encore la séance du 10 mai, dont il vient d'être question, ne fut à proprement parler qu'une séance de forme, à l'ordre du jour de laquelle rien n'était porté.

La nouvelle période qui s'ouvrait ne paraissait pas favorable aux choses de l'art, la France cruellement meurtrie avait avant tout à panser ses blessures, et cependant jamais à Bourges le problème de l'installation du Musée, ne fut étudié avec plus d'ardeur et de persévérance.

Projet d'installation du Musée proposé par M. Devoucoux. — Le 5 novembre 1871, M. Devoucoux, alors Maire de Bourges, se rendit à la séance que tenait la Commission et lui communiqua ses vues sur l'installation du Musée et de la Bibliothèque, que l'on ne séparait guère à cette époque dans les projets que l'on dressait, bien que jusque-là ils eussent toujours constitué des établissements distincts.

Il rappela les études antérieures dont l'église des Carmes, qui avait ses préférences, avaient été l'objet et


178 LE MUSEE

il demanda qu'elles fussent reprises, en réservant dans l'édifice une place pour loger les pompes à incendie. Il comptait mettre fin à l'occupation de la Guerre et évaluait à 50,000 francs le montant des travaux d'appropriation qu'il y aurait à faire. Pour se procurer les ressources qu'exigeaient ces travaux, il faisait entrer en ligne de compte une somme de 15,000 francs qu'il espérait obtenir de l'Etat pour l'occupation prolongée des Carmes par l'Administration militaire, 15,000 francs comme indemnité de la perte du local que la Bibliothèque de la Ville occupait à l'Archevêché avant l'incendie de 1871, enfin le surplus, s'élevant à 20,000 francs, devait être produit par une loterie.

Sur la demande de M. Devoucoux, une Sous-commission, composée de MM. de Lapparent, Bussières, Romagnesi et Charmeil, fut chargée d'étudier le plan de l'installation projetée et d'en dresser un devis sommaire (1).

Le 28 novembre suivant, M. de Lapparent donna lecture du rapport de la Sous-commission, à l'appui duquel il produisait un plan et un devis estimatif dressés par M. Bussières assisté de M. Pascault, son gendre. Dans le projet, le rez-de-chaussée de l'édifice était réservé à la Bibliothèque, les étages supérieurs au Musée et le chevet au dépôt des pompes de la Ville. Le total du devis s'élevait à 70,000 francs, qui, sur la demande du Maire, furent réduits à 60,000 francs, grâce à certaines économies et à la substitution du bois au fer pour la charpente.

Dans la discussion qui suivit, on vit se produire incidemment la proposition d'installer dans l'Hôtel Aubertôt le Musée et la Bibliothèque, où cette dernière se trouve maintenant, proposition qui fut rejetée à cause de l'impossibilité manifeste de loger dans cet hôtel les deux

(1) Reg. Com. Musée, 124 et s.


DE BOURGES 179

collections réunies. Le projet présenté fut enfin adopté et renvoyé à l'examen du Conseil municipal (1).

Le 10 mai 1872, M. Boyer, qui aux fonctions de conseiller municipal joignait celles de bibliothécaire-adjoint et de secrétaire de la Commission du Musée, fit, à l'assemblée communale, le rapport sur la demande de la Commission du Musée. Après avoir exposé les données du projet d'installation qu'avaient étudié MM. Bussières et Pascault, il faisait connaître les critiques que M. Bourbon, architecte de la Ville, adressait au travail de ses confrères, critiques portant sur l'éclairage, l'aération et les facilités d'accès. Il y avait d'ailleurs deux objections péremptoires : l'occupation toujours existante de l'église par l'Administration de la Guerre, occupation dont rien n'indiquait la fin, et l'urgence de la solution, qui, pour la Bibliothèque, s'imposait plus encore que pour le Musée, puisqu'elle avait perdu, par l'incendie de l'Archevêché, les salles où elle était installée, situation qui ne lui permettait pas d'attendre l'éventualité douteuse et lointaine de la restitution de l'église des Carmes.

S appuyant sur ces diverses considérations, le rapport proposait de placer immédiatement la Bibliothèque à l'Hôtel Aubertot et pour le Musée de décider en principe son transfert à l'Hôtel Lallemand, mais comme il fallait préalablement acquérir des immeubles voisins, construire une galerie de tableaux, faire de nombreuses dépenses d'appropriation, l'exécution de cette installation serait remise à une époque ultérieure et indéterminée.

Les conclusions du rapport furent adoptées intégralement (2) : c'était pour le Musée le maintien de la situation déplorable dans laquelle il se trouvait ! Il gagnait

(1) Reg. Corn. Musée, 127 et s.

(2) Procès-verbaux...., XXVIII, n° 343.


180 LE MUSÉE

cependant quelque chose à la solution qui venait d'intervenir, c'est de n'avoir plus son sort lié à celui de la Bibliothèque et d'avoir par conséquent plus de facilités, le cas échéant, pour obtenir pour lui seul l'installation qui lui était nécessaire.

Le résultat de cette nouvelle tentative était bien fait pour décourager complètement la Commission du Musée : sur l'initiative de la municipalité, elle avait fait étudier une fois de plus un projet d'installation dans l'église des Carmes, et ce projet, la même municipalité le faisait échouer, en proposant ensuite une autre solution, qui laissait le Musée en dehors. C'était véritablement traiter avec trop de sans-gêne une Commission d'hommes notables de la ville, à laquelle on imposait des éludes sérieuses sur des questions difficiles d'installation, que l'on se chargeait ensuite de rendre inutiles.

Démolition de l'église des Carmes. — L'ancienne église du couvent des Carmes, avec son pignon en façade, orné d'un gracieux portique, la belle fenêtre ogivale du choeur, les dix-huit fenêtres qui l'éclairaient et l'élégante décoration intérieure de plusieurs de ses chapelles, n'était pas sans mérite au point de vue architectural (1); les vastes dimensions de son vaisseau, qui mesurait 55 mètres de longueur, 11 mètres 60 de largeur sur 11 de hauteur, la rendait susceptible de rendre bien des services. On se rappelle que l'on projeta à diverses reprises d'y réunir le Musée, la Bibliothèque et un magasin municipal ; à un autre moment on voulut y loger la Mairie; on y célébra des fêtes, des cérémonies, les foires du Palais s'y tinrent longtemps, enfin, en 1848, un club politique y eut ses réunions.

(1) BUHOT DE KERSERS : Histoire et statistique monumentale du Cher. II. 238 et s.


DE BOURGES 181

De précieux souvenirs historiques s'attachaient à cet édifice, leur caractère essentiellement municipal aurait dû lui servir de sauvegarde auprès de l'Administration de la cité qui était appelée à décider de son sort. C'était là en effet que se célébraient toutes les cérémonies de la Communauté des habitants de la ville sous l'ancien régime et que s'assemblèrent en 1789 les élus des Trois Ordres pour rédiger leurs cahiers et nommer leurs députés aux Etats-Généraux.

A tous ces points de vue la conservation de l'église des Carmes s'imposait donc dans l'intérêt public et il semblait que pendant longtemps telle avait été l'intention constante et nettement indiquée des municipalités qui s'étaient succédées ainsi que le désir des habitants. On n'a pas oublié qu'en 1847 (1) la Ville dépensa une somme considérable pour réparer les Carmes, ce qui impliquait la volonté d'assurer sa préservation, et qu'en différentes circonstances relatées ici même, on regretta beaucoup que l'occupation du Ministère de la Guerre empêchât de l'utiliser et de lui donner une affectation définitive. Et cependant, sans que l'on puisse deviner la cause de cette évolution de l'opinion, on va voir qu'au moment où cet édifice sera enfin rendu à la Ville, une partie importante de cette même opinion, et la mieux placée pour l'emporter, en proposera la démolition immédiate.

C'est le 1er janvier 1876 que devait cesser l'occupation de l'armée et dès le mois d'octobre précédent, la municipalité demandait au Conseil municipal de faire connaître ses intentions sur ce qu'il conviendrait de faire de l'église des Carmes (Séance du 16 octobre 1875) (2). Le moment était donc venu de donner satisfaction aux besoins du

(1) Journal du Cher du 23 novembre 1847. (2) Procès-verbaux...., XXX, n° 170.


182 LE MUSÉE

Musée qui restait seul à pourvoir, et de solutionner une question depuis longtemps pendante.

Le 12 février 1876 la Commission du Conseil municipal fit connaître, par l'organe de M. Bonnault de Villemenard (1), son rapporteur, le résultat de ses recherches. Du Musée et de ses besoins, pas un mot, une seule proposition ferme, la démolition de l'église des Carmes pour élargir la place qui est par devant. On n'est pas fixé sur ce que l'on fera du reste de l'emplacement, peut-être un marché public, peut-être des emplacements à vendre pour construire (2), mais il faut commencer par jeter bas le vénérable édifice.

Le 15 juillet suivant l'église des Carmes est condamnée, sa démolition est votée, il est décidé qu'on l'effectuera dans le plus bref délai possible et que l'on mettra en adjudication les matériaux à en provenir (3).

Le Conseil municipal, comme on le voit, voulait une destruction immédiate, mais la résistance inattendue qu'il rencontra dans une partie de la population retarda pendant près de deux années l'exécution de cet arrêt : pour une fois le mouton berrichon s'était révolté.

L'enquête de commodo et incommodo à laquelle il fut procédé à la fin du mois d'octobre 1876, témoigne de la vivacité de l'intérêt que la population prit à cette affaire : 113 personnes se présentèrent devant le Commissaire enquêteur, dont 40 exprimèrent un avis favorable aux projets de la municipalité et 73 se déclarèrent partisans de la conservation des Carmes (4).

(1) M. de Bonnault de Villemenard, ainsi que plusieurs autres membres de la municipalité ou du Conseil municipal, faisaient partie de la Commission du Musée.

(2) Procès-verbaux XXX, n° 222.

(3) Ibid., n° 336.

(4) Journal du Cher des 2, 4 et 24 novembre 1876.


DE BOURGES 183

Les Sociétés savantes de la ville s'associèrent activement à cette campagne d'opposition : comme il était naturel, c'est à la Commission du Musée que revint l'initiative de ce mouvement et le 30 octobre elle délibéra une protestation fortement motivée (1) qui fut transmise au Maire et communiquée à la presse (2). Vint ensuite une protestation du Comité diocésain (3). Les Sociétés savantes de la ville pensant que réunies elles auraient plus de force, se syndiquèrent et rédigèrent un factum intitulé : Pétition adressée à MM. les Membres du Conseil municipal pour l'installation du Musée dans l'ancienne église des Carmes, portant les signatures de MM. des Méloizes, président du Syndicat, de Laugardière et Buhot de Kersers pour la Société des Antiquaires du Centre ; Boyer, Charmeil et Barberaud (ce dernier secrétaire du Syndicat) pour la Société historique du Cher; l'abbé Augonnet, Rifle et Dumoutet pour le Comité diocésain. Cette protestation, d'abord publiée dans les journaux, puis tirée en brochure avec plan à l'appui (4) et répandue dans le public (5), eut le succès qu'elle méritait, car elle traitait la question soumise au tribunal de l'opinion publique de la façon la plus lumineuse. Une pétition dans le même sens et émanant des habitants du quartier des Carmes fut, en outre, adressée au Conseil le 26 mars 1877 (6).

En plus de ces manifestations collectives, il se produisit sous forme d'articles de journaux ou de lettres

(1) Reg. Com. Musée, 102 et s.

(2) Journal du Cher des 2 et 4 novembre 1876.

(3) Ibid. du 7 novembre.

(4) Ibid. des 25 janvier, 6 février et 10 mars 1877.

(5) Bourges, A. Jollet, 9 mars 1877, in-8 de 14 p.

(6) Procès-verbaux...., XXXI, n° 150, séance du 21 avril 1877.


184 LE MUSÉE

particulières insérées dans la presse locale, une série d'appels à l'opinion publique en faveur de l'édifice menacé pour le sauver, s'il était possible. On peut citer une lettre signée A.WALKER, parue dans le Journal du Cher du 19 octobre, une note historique sur l'Eglise des Carmes dans le numéro du 26, enfin un article qui traitait de la conservation de ce monument et de son appropriation pour y placer le Musée, qui se trouve dans le même journal, n° du 16 novembre, sous la signature de RAPHAEL MONTÉS, anagramme sous lequel on découvrira facilement le nom de M. Alph. Mater, président de la Commission du Musée (1).

Le 30 novembre suivant une étude très complète de la question parut en brochure, résumant avec force toutes les raisons qui militaient en faveur de la conservation de l'église des Carmes et de son affectation en Musée.

Cet écrit, dont l'auteur était M. Charles Barberaud, archiviste du Cher, avait pour titre : Protestation contre la démolition de l'église des Carmes, observations soumises au Conseil municipal avec plan (2).

L'opposition qui se manifestait avec tant d'ardeur, eut au moins pour effet de retarder la destruction projetée : une lettre du Ministre des Beaux-Arts du 9 avril 1877 prescrivit, en effet, au Préfet du Cher de refuser d'autoriser les travaux de démolition, jusqu'à ce que la Commission des Beaux-Arts eût statué sur la valeur artistique de l'ancienne église. Le Conseil municipal d'ailleurs restait insensible à tous ces efforts, et le 15 mai suivant, il y répondait en volant le maintien de sa délibération antérieure qui ordonnait la démolition

(1) Sous le mémo pseudonyme fut publié en juin 1802, chez Just-Bernard, libraire à Bourges, un recueil de poésies sous ce titre : Simples échos, traduits en vers, in-12 de 206 pages.

(2) Bourges, C. Patureau, 30 novembre 1870, in-8 de 14 pages.


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des Carmes, en protestant contre l'intervention ministérielle dans une question qu'il estimait purement municipale (1).

On avait eu un moment d'espoir en apprenant l'arrêt que la lettre du Ministre avait imposé au projet de destruction immédiate, mais cet espoir fut de courte durée, et bientôt on eut la conviction que tout était perdu, quand on vit, à la suite d'élections nouvelles (2), M. Eugène Brisson remplacer M. Rapin comme Maire de Bourges (3). Les sentiments personnels du nouveau magistrat, en ce qui touchait cette question particulière, étaient connus, il avait manifesté, dans toutes les circonstances qui s'étaient présentées, son désir de voir disparaître les Carmes, et ce que l'on savait de la ténacité de son caractère autoritaire faisait prévoir qu'il s'efforcerait de précipiter l'exécution de la condamnation prononcée à diverses reprises par le Conseil. D'un autre côté, on pouvait croire que le Gouvernement de l'époque ne persisterait pas dans sa résistance vis-à-vis d'un Maire qui, à ce moment, était pour lui personna grata.

L'église des Carmes tomba donc sous la pioche des démolisseurs à la fin de l'été de l'année 1878. On eut l'excellente pensée de réserver tous les fragments architecturaux et sculptés de l'église, et leur nombre était si grand, qu'au jardin de l'Archevêché, où ils furent déposés provisoirement sur le sol, ils couvraient tout l'espace compris entre la grande allée et le mur de la Direction du Génie et de la Manutention militaire, ce qui indique, qu'il soit permis de le dire, l'importance de

(1) Procès-verbaux...., XXXI, n° 173.

(2) Elections du 6 janvier 1878 pour le renouvellement des conseils municipaux.

(3) Décret du 23 janvier 1878.

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186 LE MUSÉE

la décoration artistique dans ce monument, pour lequel les édiles du temps professaient un si grand dédain.

Le dépôt, à titre provisoire, de ces fragments sur la terre, exposés à toutes les intempéries, devait, comme autrefois pour les débris de l'enceinte gallo-romaine, se prolonger pendant plusieurs années. Ce n'est que postérieurement à la nomination de M. Daniel Mater en qualité de Président de la Commission, c'est-à-dire après le mois d'avril 1881, que l'on commença à se préoccuper des dangers que leur faisait courir une pareille situation. Un agent de la Mairie vint un jour demander au nouveau Président, s'il voulait bien recevoir dans le Musée les pierres de l'église des Carmes, démarche qui surprit vivement celui qui en était l'objet et qui paraîtra incroyable à toute personne qui a connu le local où les collections étaient entassées avant leur transfert à l'Hôtel Cujas et l'encombrement qui y régnait.

On se décida alors à déposer ces fragments dans de vieilles casernes inoccupées qui existaient sur l'ancien champ de foire, au bas de Séraucourt. C'eût été le salut, si la fatalité, qui s'était acharnée après l'église des Carmes, n'avait pas continué à en poursuivre les débris. En effet, quelques années après, on mit en adjudication, pour les démolir, les casernes où se trouvaient les fragments des Carmes, sans avoir la précaution de réserver ces derniers, de telle sorte que l'acquéreur put en disposer comme des autres matériaux de construction provenant des bâtiments détruits. De l'église des Carmes, il ne reste plus aujourd'hui que les pinacles et les niches qui accompagnaient la porte monumentale d'entrée : ils ont été placés dans la cour du fond de l'Hôtel Cujas, où ils rappellent un édifice qui a disparu sans nécessité, victime d'une rage de vandalisme trop fréquente de nos jours.


DE BOURGES 187

La destruction dont on vient de lire le récit décida M. Mater à se démettre de ses fonctions de Président de la Commission du Musée. Il s'était habitué à considérer l'église des Carmes comme le futur asile des collections réunies par son père, et les fréquentes études que la Commission avait été appelée à faire, sur l'invitation même de la municipalité, l'avait confirmé dans cette conviction. Le sans-façon avec lequel une semblable tradition et une espérance en quelque sorte autorisée avaient été méconnues, était bien fait pour blesser le fils du fondateur du Musée et le décourager d'une façon définitive. M. Alphonse Mater adressa donc à M. Brisson sa démission de membre et de Président de la Commission, estimant que mieux valait se retirer que d'accepter plus longtemps un semblable traitement.

La disparition de l'église des Carmes n'apportait naturellement aucune solution à la question, depuis si longtemps pendante, de l'installation du Musée, et les administrateurs de la ville, si mal disposés qu'ils fussent à cet égard, étaient toujours forcés de s'en occuper.

MM. Rouzé et Chédin, conseillers municipaux, proposèrent d'élever pour le Musée, derrière la Banque de France, sur des terrains appartenant alors à la Ville, une construction neuve qui devait être entourée d'un square.

Cette proposition avait contre elle l'élévation du chiffre de la dépense qu'elle nécessitait et la situation peu centrale de l'emplacement : elle fut donc repoussée (1).

M. Brisson s'arrêta bientôt à un autre projet qui faisait entrer le Musée dans une combinaison avec diverses créations d'ordre artistique qu'il se proposait d'entreprendre. Il s'agissait de faire construire un édifice qui

(1) Procès-verbaux...., XXXI, n° 86, séance du 12 mai 1877.


188 LE MUSÉE

renfermerait à la fois une Ecole des Beaux-Arts appliqués à l'industrie et un Musée. Il résolut de soumettre cette nouvelle conception à la Commission du Musée et il la réunit sous sa présidence personnelle le 11 février 1878. L'ordre du jour de la séance portait : 1° Étude de la construction d'un Musée et choix de son emplacement; 2° Création d'une École des Beaux-Arts appliqués à l'Industrie devant réunir les écoles municipales de dessin déjà existantes ; 3° Création d'un cours de dessin et peinture sur porcelaine.

Dans la discussion qui s'engagea, deux membres se firent les avocats d'installations différentes, M. Daniel Mater à l'Hôtel Cujas, M. Buhot de Kersers à l'Hôtel Lallemant, en faisant remarquer que, grâce aux constructions anciennes déjà existantes, celles qu'il faudrait ajouter seraient moins considérables; enfin, M. Boyer proposa de revenir à l'emplacement de l'ancienne église des Carmes.

La Sous-commission nommée pour étudier les diverses questions qui étaient posées (1) présenta son rapport dans la séance du 4 mars suivant. Elle estimait que les divers édifices dont il avait été question étaient tous inutilisables, qu'il fallait recourir à une construction neuve établie sur l'emplacement de l'ancienne Église des Carmes, dont la dépense pourrait atteindre 120.000 francs et dont le projet devrait être mis au concours.

Les conclusions du rapport de la Sous-commission furent adoptées dans leur entier, d'abord par la Commission du Musée (2), puis par les Commissions municipales des bâtiments et de la voirie (3). On les trouve

(1) Elle était composée de MM. Bussières, Charmeil, de Lapparent, des Méloizes et Tarlier, ce dernier fit le rapport. (2) Reg. Com. Musée, 174 et s. (3) Ibid., 177.


DE BOURGES 189

relatées dans l'Exposé du nouveau programme de travaux que M. Brisson fit à cette époque aux Commissions compétentes du Conseil municipal.

« Vous êtes appelés également, disait-il, à examiner » le projet de création d'une École des Beaux-Arts ap» pliqués à l'Industrie. Je rattache à cette question la » construction du Musée. Quelque précieuses que » soient nos collections artistiques, elles ne motiveraient » pas actuellement, à elles seules, la dépense considé» rable et tout à fait somptuaire qu'entraînerait la cons» truction d'un monument pour les recevoir.

» Dans tous les cas, elles exigent peu d'espace, puis" que, d'après le rapport d'un membre de la Commis» sion du Musée, 425 mètres suffiraient pour les instal» ler convenablement.

» Je dépose sur votre bureau le programme du con» cours rédigé par les soins de M. l'Architecte, pour la » construction de cette École des Beaux-Arts qui serait » établie sur l'emplacement de l'Église des Carmes, sui» vant le voeu émis par la Commission du Musée (1). »

Il est inutile d'examiner si les surfaces indiquées comme nécessaires pour l'installation du Musée étaient suffisantes, si l'établissement de salles d'étude et de travail pour des jeunes gens, dans les pièces mêmes où étaient exposées des collections d'art et de curiosité, était chose pratique et prudente, puisqu'il semble que l'on ait fini par oublier dans la suite, lors de l'exécution des travaux, qu'il eût jamais été question du Musée.

On sait d'ailleurs que le lourd et disgracieux édifice qui porte le nom d'École des Beaux-Arts a si mal satis(1)

satis(1) de Bourges. — Travaux d'utilité publique. — Rapport ru Conseil mu nicipal. - Bourges, Imp. Commerciale, 1878, p. 9 et 10.


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fait aux conditions qu'il devait remplir, qu'il s'est révélé insuffisant pour loger tous les services scolaires qu'il devait recevoir et que, dès le début, il a fallu construire plusieurs annexes. Comment, dans cette situation, trouver en outre la place nécessaire pour installer les nombreuses collections du Musée, leur assurer non seulement des surfaces murales, mais aussi les placer, sans qu'il y ait confusion et gêne, entre les objets d'art ou de curiosité et les modèles ou les moulages destinés aux élèves?

C'est véritablement à se demander s'il y avait quelque chose de sérieux dans ce projet de Musée-Ecole des Beaux-Arts et si la réunion des deux établissements, dans le projet primitif, n'était pas destinée à assurer avant tout le vote de l'affaire, avec l'arrière-pensée de se borner ensuite à construire l'École des Beaux-Arts à laquelle on tenait principalement.

Acquisition de l'Hôtel Cujas pour y établir le Musée. — Pendant que s'élaboraient les projets de grands travaux qui allaient modifier si profondément la physionomie de Bourges et dont on vient de rappeler ce qui peut se rattacher à l'histoire du Musée, une longue négociation se poursuivait entre le Département et la Ville pour la cession à celte dernière de l'Hôtel Cujas, d'abord par un échange, puis par une vente, négociation qui à plusieurs reprises parut rompue, mais qui devait enfin trancher, en principe tout au moins, la question de l'installation définitive du Musée. On pourrait même se demander si les décisions de la municipalité, qui tenaient si peu compte des demandes de la Commission, ne s'expliqueraient pas par l'existence de cette négociation qui se poursuivait à côté.

Une proposition de M. Louis Aubineau, avocat distin-


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gué et conseiller municipal, semble avoir été le point de départ de la nouvelle tentative destinée cette fois à une solution favorable. L'Assemblée communale, comme on peut s'en souvenir, avait été invitée par la municipalité à rechercher la destination qui pourrait être donnée à l'église des Carmes : M. Aubineau, intervenant à ce moment, demanda que l'on poursuivît l'échange de l'église et de la caserne des Carmes contre l'Hôtel Cujas; la gendarmerie, alors placée à Cujas, aurait été transférée aux Carmes et l'Hôtel Cujas, devenu disponible, aurait pu recevoir le Musée (1).

Celte proposition ayant été votée par le Conseil municipal et favorablement accueillie par l'Administration départementale, M. Albert Pascault, architecte du département, fut chargé par le Préfet de procéder à l'évaluation des immeubles à échanger, et M. Bourbon, architecte de la Ville, reçut semblable mission pour l'autre partie (2).

M. Pascault évalua à 85.000 francs la valeur de Cujas et à 80.000 francs celle des Carmes, ce qui aurait fait une soulte de 5.000 francs en faveur du Département. M. Bourbon, de son côté, estima les Carmes à 110.000 fr. et Cujas à 60.000, ce qui aurait fait un retour de 50.000 fr. en faveur de la Ville. Le Conseil municipal résolut d'accepter les chiffres de son mandataire, malgré les observations de plusieurs conseillers municipaux, qui exprimèrent l'avis que cette question de soulte rendrait l'échange impossible (3).

En effet, le Conseil Général déclara se refuser à payer

(1) Procès-verbaux...., XXX, p. 170.

(2) Ibid., ibid., n° 222, séance du 12 février 1876.

(3) Ibid., n° 365, séance du 5 août 1870.


192 LE MUSÉE

aucune soulte (Délibération du 9 septembre 1876) (1). En vain le Conseil municipal consentit-il à réduire à 30.0000 francs la soulte demandée (Délibération du 24 mars 1877) (2), l'Assemblée départementale persista dans son refus (Délibération du 11 avril 1877) (3).

Il devenait évident que l'on n'aboutirait à aucun résultat tant que l'on persisterait à vouloir traiter par voie d'échange, d'autant plus que la prochaine démolition de l'ancienne église des Carmes allait modifier notablement les bases des estimations faites, et peut-être mettre à la charge de la Ville une soulte qu'elle ne consentirait pas davantage à supporter : il fallait donc recourir à un autre mode d'accord, à une vente, par exemple, ou renoncer à l'espoir de s'entendre.

Autorisé enfin par délibération du Conseil municipal du 20 juillet 1878 à reprendre, sur les bases nouvelles d'une vente, les pourparlers avec le Préfet, le Maire se mit rapidement d'accord avec ce dernier : le prix de cession fut fixé à 80.000 francs, moyennant lequel le Département consentit à céder à la Ville l'Hôtel Cujas, à la condition expresse, acceptée sans difficulté, que le Musée y serait installé.

M. le Marquis de Vogué présenta, le 24 août 1878, le rapport sur cette affaire au Conseil Général, et jamais question intéressant les Beaux-Arts ne trouva un interprète plus digne de la faire triompher.

« Votre deuxième Commission, dit-il, a été saisie » d'une proposition émanant du Conseil municipal de » la Ville de Bourges et tendant à l'acquisition par la » Ville, au prix de 80.000 francs, de l'immeuble affecté

(1) Procès-verbaux...., XXX, n° 1.

(2) Ibid., n° 154.

(3) Ibid., n° 173.


DE BOURGES 193

» à la gendarmerie et connu sous le nom d'Hôtel Cujas. » Je n'ai pas à faire ici l'histoire des négociations » tour à tour reprises et abandonnées, dont l'aliénation » de ce monument a été l'objet. Depuis fort longtemps » les esprits qui ont le culte des souvenirs historiques " et le goût dés oeuvres d'art, faisaient des voeux pour » que l'Hôtel Cujas, soustrait à son affectation actuelle, » fût rendu à son propriétaire naturel, la Ville de Bourges, » et affecté à sa destination normale, le Musée. Tous les » efforts tentés dans ce but n'avaient pû aboutir. Je ne » saurais vous en raconter toutes les péripéties

» La question se présente aujourd'hui sous une » nouvelle forme. La Ville de Bourges offre purement et » simplement de se rendre acquéreur de l'Hôtel Cujas » moyennant un prix ferme de 80.000 francs ; elle fait » observer que le moment d'une décision définitive est » arrivé : obligée de pourvoir au logement de ses » collections, la Ville doit s'assurer la possession d'un » local convenable ; l'Hôtel Cujas est celui qu'elle préfère " à tous les points de vue : si elle ne peut l'acquérir, elle » devra chercher une autre combinaison, soit qu'elle » revienne au projet d'installer le Musée dans la caserne » des Carmes, soit qu'elle approprie ou bâtisse un autre » local; le système auquel elle s'arrêtera, sous l'empire » de circonstances supérieures, sera définitif et tout » espoir de consacrer l'Hôtel Cujas au Musée devra » être abandonné.

» Elle recommande sa proposition à votre plus » sérieuse attention.

« Votre deuxième Commission, Messieurs, ne pouvait » qu'accueillir favorablement ces ouvertures, elle était » certaine de répondre aux sentiments du Conseil tout » entier en recherchant les moyens de réaliser un voeu


194 LE MUSÉE

» qui lui est cher, en s'efforçant de hâter le jour où » l'antique demeure du célèbre légiste qui a illustré » notre ville, rendue à une destination digne de son » passé, remise en valeur par une restauration in» telligente et discrète, offrirait à l'étude des artistes, » à côté des collections qu'elle abriterait, ses charmantes » sculptures et ses ingénieuses dispositions archi» tecturales » (1)

Le Conseil Général ne pouvait refuser d'accueillir favorablement une plaidoirie aussi pressante et il approuva le projet de cession qui lui était soumis : c'était d'ailleurs rester fidèle à la promesse qu'il avait faite au Musée en 1864, de lui continuer la sympathie et le bienveillant appui qu'il lui accordait depuis l'époque de sa fondation.

L'acte de vente fut passé le 29 mars 1879, avec entrée en jouissance fixée au 24 juin 1882 seulement, pour donner le temps au Département de faire construire une gendarmerie nouvelle. Le Musée semblait donc en droit de compter enfin sur une installation prochaine et incomparable, légitime compensation des incertitudes et des retards sans fin qu'il avait dû subir ; mais il n'en était rien, et l'ère des difficultés était loin d'être close pour lui. Ce n'est qu'en 1891 qu'il lui sera donné de pouvoir prendre possession de l'Hôtel Cujas, qui, pendant ce temps, laissé sans toiture, exposé durant plusieurs années à toutes les causes de destruction, grâce au conflit qui s'éleva entre la Ville et les Monuments historiques, avait failli périr. Plus tard, l'affectation à l'usage du Musée, condition essentielle de la vente consentie par le Département, n'empêcha pas l'un des Maires qui succédèrent à M. Brisson, de vouloir substituer une destina(1)

destina(1) Conseil général, séance du 24 août 1878.


DE BOURGES 195

tion nouvelle à celle qui était imposée par le contrat. Cette prétention remit un instant en question les droits du Musée et provoquèrent dans le sein du Conseil municipal un vif débat qui se termina par l'exécution complète des stipulations de l'acte d'acquisition.

Démission de M. Boyer, son remplacement comme secrétaire par M. Mornet. — Deux changements importants dans le personnel du Musée se produisirent pendant la période que nous étudions. M. Boyer, qui remplissait, à la satisfaction de tous, les ingrates fonctions de secrétaire de la Commission depuis la constitution de celle-ci, donna, par lettre du 2 mars 1874, sa démission de membre de la Commission et par suite celle de secrétaire. M. Albert Mornet fut appelé à le remplacer au double titre de membre titulaire de la Commission et de secrétaire (1).

Démission de M. Alphonse Mater, président de la Commission ; cette dernière cesse de se réunir. — On a déjà vu que M. Mater avait au commencement de l'année 1878, donné sa démission de Président. On ne le remplaça pas de suite et les réunions de la Commission eurent lieu sur la convocation et sous la présidence directe du Maire. Ainsi furent tenues les séances des 11 février, 4 mars et 3 juillet 1878 pour étudier le projet de construction d'un Musée-Ecole des Beaux-Arts sur l'emplacement de l'église des Carmes. Mais après la dernière réunion, dont il vient d'être parlé, la Commission ne fut plus convoquée pendant près de trois années. On comprend quel pouvait être le fonctionnement d'une administration dans de semblables conditions et les progrès qu'elle pouvait imprimer à l'oeuvre confiée à ses soins.

(1) Reg. Com. Musée, séance du 10 février 1875, p. 170.


196 LE MUSÉE

Une conséquence plus grave encore de la désorganisation de la Commission et de l'impossibilité où elle se trouvait de continuer à se réunir, c'est l'abandon dans lequel se trouvait le patrimoine du Musée, livré sans défense à des entreprises que rien ne pouvait arrêter. On le vit bien à la fin de l'année 1879, où 49 volumes d'ouvrages (1) en général rares et précieux, parmi lesquels étaient 10 volumes de manuscrits, furent transférés à la Bibliothèque, sans que la Commission ait été consultée et mise ainsi à même de justifier son titre.

On objectera que la place des livres est plutôt dans une Bibliothèque que dans un Musée, cela peut être vrai, mais on doit remarquer que ces livres avaient été donnés au Musée et non à la Bibliothèque qui, cependant, existait déjà aussi bien que le Musée; il y avait donc là, quant au choix de l'établissement, une option, une destination intentionnelle qui devaient être respectées, une volonté formelle qu'il était interdit de modifier, sans l'assentiment du donateur ou de ses héritiers.

On peut ajouter qu'un certain nombre de ces ouvrages étaient au moins aussi bien à leur place dans les vitrines d'un Musée que sur les rayons d'une Bibliothèque. Il en était ainsi du Sacramentaire de l'abbaye de Pise, des Heures de Bourges et principalement des bymbola heroïca dédiés à l'Archevêque de Bourges, Michel Phelippeaux de la Vrillière, où se retrouvaient des spécimens d'un art délicat qui est représenté dans presque toutes les collections de curiosités. Un autre livre d'un haut intérêt historique, surtout à Bourges, était la thèse soutenue dans cette ville même par Louis de Bourbon, duc d'Enghien, qui depuis fut le Grand Condé, car elle rappelait que la jeunesse et l'éducation du vainqueur de Rocroy

(1) V. la liste de ces ouvrages aux Pièces annexes, n° V.


DE BOURGES 197

s'étaient écoulées dans la capitale du Berry. Le public aurait pu voir ainsi ces ouvrages aujourd'hui complètement cachés à sa vue sur les rayons de la Bibliothèque.

Nomination de M. Daniel Mater à la présidence de la Commission. — Le moment approchait où l'Hôtel Cujas allait être remis à la Ville et où il faudrait s'occuper des questions multiples et variées que l'installation du Musée était de nature à soulever. Le concours d'une Commission composée d'hommes compétents et dévoués pouvait être alors d'une grande utilité et par suite la réorganisation de celle du Musée et la nomination d'un Président était une mesure qu'il était impossible de retarder davantage.

La Commission renfermait d'ailleurs plusieurs membres, MM. Boyer, Buhot de Kersers, de Laugardière et des Méloizes, que leur notoriété archéologique ou artistique désignait tout naturellement pour la présidence, et on pouvait hésiter entre ces différentes personnes également dignes d'un pareil honneur ; mais ce fut sur un membre plus jeune, et à ce moment entièrement dépourvu de titres, que se porta le choix de M. Brisson.

M. Daniel Mater, entré dans la Commission en 1872, avait sans doute montré son zèle en s'occupant de suite de l'inventaire et du classement des collections numismatiques, mais le travail auquel il s'était livré dans la circonstance n'était pas suffisant pour justifier son élévation à la tête d'une Compagnie qui comptait des savants et des artistes si distingués. Le véritable titre du nouveau Président, tout le monde et lui-même l'avaient bien compris, c'était d'être le petit-fils du fondateur du Musée et le fils du précédent Président, ce qui faisait espérer que le dévouement et le zèle déployés pour doter la Ville de Bourges de collections dignes de son passé


198 LE MUSÉE

se retrouveraient une troisième fois, par une sorte d'héritage, chez un membre de la même famille. M. Eugène Brisson, dans une lettre qu'il écrivait le 14 avril 1881 à M. Daniel Mater, pour lui notifier son arrêté du même jour l'élevant aux fonctions de Président, lui rappelait l'intérêt qu'il avait toujours porté à ce Musée auquel le rattachaient « les traditions de famille les plus respectables » (1).

Le nouveau Président fut installé le 7 mai 1881. Dans la même séance, il fut donné lecture d'un arrêté, portant également la date 14 avril, qui nommait Président honoraire M. Alphonse Mater, dont la démission a été racontée en son temps (2).

Proposition d'échange avec le Lycée des doubles de la collection conchyologique. — Le

Lycée de Bourges avait reçu de M. Rouxel, l'un de ses professeurs, une collection de coquillages, qui renfermait un certain nombre de doubles dont l'échange pouvait permettre d'augmenter sans frais les séries existantes. M. le Proviseur demanda si le Musée consentirait à échanger ses doubles contre ceux du Lycée.

La Commission était disposée à accepter cette proposition, mais il fallait préalablement procéder à l'inventaire des séries conchyologiques du Musée, pour savoir quels étaient les doubles dont on pouvait disposer, ce qui était l'affaire de la Section des sciences (3). On se souvient de ce qui a déjà été dit de l'impossibilité où l'on s'était trouvé dans une autre circonstance d'obtenir un résultat utile du travail des Sections, il en fut de même cette fois encore : on n'arriva pas à faire

(1) Mes archives personnelles.

(2) Reg. Com. Musée, 178, séance du 7 mai 1881.

(3) Ibid., 130, séance du 0 février 1872.


DE BOURGES 199

l'inventaire nécessaire et l'échange proposé ne put avoir lieu (1).

Demande de création d'une place de conservateur-adjoint des collections scientifiques. — M.

Beaudoin, ancien capitaine d'infanterie de marine, s'était obligeamment employé à remettre en bon état quelquesunes des collections d'histoire naturelle du Musée, dont le comte Jaubert avait signalé la fâcheuse situation. Il se crut autorisé par les services rendus à cette occasion à demander la création en sa faveur d'un poste de Conservateur-adjoint appointé, avec la promesse d'être nommé Conservateur, quand cette place se trouverait vacante. Il s'engageait à donner aux collections tous les soins dont elles avaient besoin, et à les compléter avec ses collections personnelles.

Cette demande répondait à un véritable besoin et elle aurait dû être appuyée par la Commission, dont le rôle se bornait d'ailleurs à émettre un avis, sauf à l'administration municipale à prendre telle décision qui lui conviendrait. Au lieu de cela, la Commission combattit, comme inutile, la proposition de M. Beaudoin et lui offrit, à titre de compensation, une place de membre de la Commission quand une vacance se produirait, compensation que l'on peut qualifier d'ironique pour une personne qui recherchait visiblement une place rétribuée.

Dans la discussion qui eut lieu à ce sujet, dans le sein de la Commission, on entendit les mêmes dénégations non conformes à la vérité, on l'a déjà fait remarquer, qui s'étaient produites lors des plaintes du comte Jaubert sur le mauvais état de son herbier et de la collec(I)

collec(I) Com. Musée, 133, séance du 18 juin 1872.


200 LE MUSÉE

tion ornithologique de M. Thouvenel. On affirmait que ces collections étaient en assez bon état, que leurs détériorations peu importantes provenaient d'un défaut de préparation remontant à l'origine, qu'enfin, la possession de collections d'histoire naturelle, leur entretien, le renouvellement des articles détériorés, étaient incompatibles avec les faibles ressources d'un Musée de province. Sans s'arrêter davantage à ces affirmations contradictoires, il est hors de doute que l'on aurait dû saisir avec empressement l'occasion qui se présentait de confier aux soins d'un spécialiste les collections scientifiques qui en avaient un si grand besoin, l'événement ne l'a que trop démontré (1).

Inventaire général des richesses d'art de la France. — Invités avec tous les Musées et les collections publiques de la France, à participer à l'inventaire général des richesses d'art de notre pays, les administrateurs du Musée de Bourges s'empressèrent de répondre à cet appel, en faisant connaître ses principales richesses (2).

A cette occasion, il fut de nouveau question du Catalogue du Musée qui s'était borné à la description de la peinture. On fut unanime à reconnaître combien avait été fâcheux un arrêt si prématuré et combien les collections seraient mieux appréciées, si les visiteurs trouvaient sur chaque objet les indications essentielles les concernant. Dans le feu de la discussion on prit de courageuses résolutions, malheureusement aussitôt oubliées (3).

Seules les collections numismatiques furent classées

(1) Reg. Coin. Musée, 137, séance du 11 janvier 1873.

(2) Ibid., 149, séance du 17 novembre 1874.

(3) Ibid.


DE BOURGES 201

et leur inventaire descriptif commencé par M. Daniel Mater, comme il a déjà été dit (1).

Fouilles faites sur l'emplacement de la Fonderie de Canons et de l'Arsenal. — La Commission s'efforçait de faire entrer au Musée les objets qui lui étaient naturellement destinés et dont beaucoup s'égarèrent en route. C'est ainsi qu'en 1870 M. Dumoutet aurait fait, avec des subsides fournis par la Mairie, des fouilles sur l'emplacement actuellement occupé par la Fonderie, fouilles qui auraient amené des découvertes archéologiques intéressantes. Plus tard, d'autres objets antiques auraient été trouvés à l'Arsenal. La Commission insista, sans résultat d'ailleurs, pour que des démarches fussent faites pour retrouver les objets découverts et les faire déposer au Musée (Séance du 17 novembre 1874) (2).

Concession du droit exclusif de faire des photographies des objets du Musée. — Ce droit, demandé par MM. Poupat et Pellotier, alors photographes à Bourges, fut concédé au premier. Entre autres conditions, le bénéficiaire de la concession devait remettre à la Commission 25 exemplaires de toutes les photographies faites (3).

On offrit à tous les membres de la Commission une collection complète des diverses photographies, jetons de présence d'une nature particulière, et assurément bien mérités par ceux qui les recevaient.

Une collection fut déposée à la Bibliothèque municipale, une autre aux archives du Département et le reste fut conservé pour être offert aux visiteurs de marque du Musée (4).

(1) Reg. Corn. Musée, 149, même séance.

(2) Ibid.

(3) Ibid., 153 et 160, séances des 20 mars 1875 et 19 juillet 1876.

(4) Ibid., 176, séance du 4 mars 1878.

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202 LE MUSÉE

Participation du Musée aux Expositions universelles de 1867 et 1878. — Le Musée de Bourges a figuré comme exposant aux diverses Expositions qui se sont tenues à Paris en 1867, 1878, 1889 et 1900. Nous ferons connaître ici sa participation aux deux premières.

En 1867, M. de Nieuwerkerke, président de la Commission de l'Histoire du travail à l'Exposition, demanda l'envoi des statuettes des pleurants du tombeau de Jean de Berry et de tels autres objets que l'on croirait devoir lui proposer.

Dans la discussion qui suivit cette communication, M. Edmond Rapin fit observer que la demande dont la Commission était saisie, était une de celles que l'on ne pouvait refuser à cause de la haute autorité de celui qui la formulait et que, par suite, il était préférable de donner son consentement de bonne grâce.

Une Sous-commission fut alors nommée pour choisir les objets qui pourraient être proposés en outre de ceux désignés (1) et on décida d'offrir l'horloge gothique de Nançay, le vase italien trouvé dans les fossés du château de Mehun et les émaux représentant les douze Césars (2).

La contribution du Musée à l'Exposition de 1878 se composa encore de l'envoi des pleurants du tombeau de Jean de Berry, auxquels il faut ajouter un tableau d'Eugène Thirion intitulé : Saint Paul premier ermite et Saint Antoine. Ce dernier ouvrage, qui fut attribué au Musée en 1877, resta longtemps absent de Bourges, et figura à l'Exposition de Vienne puis à celle de Paris en 1878.

Envois de l'Etat. — Jamais les envois de l'Etat ne furent plus importants, grâce d'abord à l'influence dé(1) Reg. Corn. Musée, 60, séance du 25 février 1807. (2) Ibid., 68, séance du 10 mars 1867.


DE BOURGES 203

vouée des députés du Cher, principalement de M. Henri Fournier, ancien membre de la Commission, qui s'intéressait toujours aux progrès des collections en digne petit-fils par alliance du fondateur du Musée. A partir de 1878, M. Eugène Brisson, lorsqu'il fut devenu Maire de Bourges, s'employa avec son ardeur habituelle pour augmenter nos richesses en mettant en jeu les relations qu'il possédait à Paris. Voici la liste de ces envois.

1871. — Buisson : Après la pluie (Vendômois). Patrois : La bonne aventure, jeunes filles russes.

1872. — L'Etat répartit entre les Musées de province un certain nombre d'oeuvres d'art qui étaient déposées dans les réserves du Louvre. Pour sa part, le Musée de Bourges reçut les 11 peintures suivantes :

Le Guide (d'après) : La Folie et la Raison.

Schalcken : Cérès avec un flambeau.

Bon Boulongne : Les Titans foudroyés.

Champmartin : Jésus et les Enfants.

Michel Rigo : L'ange El Mahadi.

Surée : Cornélie, mère des Gracques.

Terburg : Portrait d'homme.

Largilière (attribué à) : Portrait d'homme.

Hubert Robert : Ruines du Temple d'Antonin.

Ecole d'Italie (XIVe s.) : La Vierge entre quatre saints.

Callet : Vénus blessée par Diomède.

1873. — Mgr Latour d'Auvergne-Lauraguais, Archevêque de Bourges, fit attribuer au Musée un beau fusain de Boichard fils, représentant la Mise au Tombeau. Les souvenirs artistiques, qui avaient donné à Boichard le père une sorte de droit de cité à Bourges, rendaient cette acquisition intéressante.

1874. — Guenest : Mazeppa.


204 LE MUSÉE

Palrois : Jacques-Coeur (1).

Moulages en plâtre d'après l'antique (2).

1876. — Le Musée reçut les oeuvres suivantes, provenant encore des réserves du Louvre :

Fra Angelico (Ecole de) : Mort d'un religieux. Guerchin (Ecole du) : Une Sibylle.

1877. — Thirion (Eugène) : Saint Paul premier ermite et Saint Antoine.

1878. — Lehoux : Martyre de Saint Etienne.

1879. — Jacquot : L'Odalisque, statue en marbre.

1880. — Mouillion : Pommiers en mai, Bretagne. Daux : Femme jouant avec des colombes, peinture un

peu nue d'abord placée à la Mairie dans la salle des mariages, où sa présence souleva des critiques assez vives.

Le 25 juin 1874, un certain nombre de produits artistiques de la Manufacture nationale de Sèvres furent attribués au Musée :

Un grand vase à fond bleu marbré, pied en bronze doré ;

Deux vases décorés d'amours voltigeant, garniture en bronze doré ;

Un vase décoré de fleurs en relief, avec garniture en bronze doré ;

Un vase décoré d'attributs champêtres, garniture semblable ;

Coupe ajourée ;

Vase à fond bleu, sujet : le repos de Vénus ;

(1) Reg. Com. Musée, 144 et 145. La Commission avait prié le Maire de faire des démarches à Paris pour obtenir ce tableau. (Séances des 8 novembre 1873 et 23 janvier 1874.)

(2) Journal du Cher du 30 janvier 1877.


DE BOURGES 205

Vase à fond vert à anses à enroulements serpentins décorés de têtes de chimères ;

Vase à fond gris violacé, décoré de fleurs blanches.

En 1879, à l'occasion du Concours régional qui se tenait à Bourges, on organisa, sur la promenade de Séraucourt, une exposition artistique, industrielle et rétrospective.

L'Etat acheta, parmi les oeuvres exposées, trois tableaux qui furent déposés au Musée :

Mohler : Un chien griffon (1).

Bourgeois (Narcisse) : Une fin d'Été (2), et un Intérieur de cour (3).

Dons de la Ville. — En 1871, lors de la plantation nouvelle de la promenade Séraucourt, dévastée par le temps et le campement des troupes pendant la guerre, un concours fut ouvert pour l'exécution de ce travail et des médailles furent décernées aux lauréats. La Ville déposa au Musée 4 exemplaires des diverses médailles frappées pour la circonstance (4).

Dépôt au Musée du trésor numismatique de Méreau-Massay. — En 1873, dans les fouilles exécutées pour la construction d'un pont sur la rivière de l'Arnon, au passage d'un chemin vicinal allant de Méreau à Massay, on découvrit un trésor considérable de monnaies des XIe et XIIe siècles, dont M. Prévost, agent voyer départemental, parvint à sauver la plus grande partie.

L'étude de ce dépôt fut confiée à une Commission pré(1)

pré(1) de la section des Beaux-Arts et Arts appliqués à l'Industrie, n° 1.

(2) Ibid., n°s110 et

(3) Ibid.

(4) Reg. Com. Musée, 132, séance du 6 février 1872.


206 LE MUSÉE

sidée par M.Vallois, Secrétaire général de la Préfecture, et composée de six membres (1) nommés par arrêté préfectoral du 12 novembre 1873.

Le résultat de l'examen auquel procéda cette Commission fut consigné dans un rapport rédigé par M. Buhot de Kersers. Il fut constaté que la partie du trésor de Méreau, recueillie par l'administration vicinale, atteignait le chiffre de 3,780 monnaies, deniers et oboles, dont 61 royales, 3,702 seigneuriales et 17 étrangères. Le plus grand nombre était de fabrication berruyère : les ateliers royaux ou féodaux de la province étaient représentés par 3,114 pièces, et beaucoup constituaient auparavant des raretés numismatiques. On comprend donc l'intérêt qu'il y avait à conserver dans le pays un trésor monétaire, dont la découverte constituait pour la numismatique locale un événement important.

Le rapport de M. Buhot de Kersers demandait la remise, au Musée de Bourges, de la trouvaille de Méreau, comme étant le meilleur moyen d'assurer sa conservation (2) : le Conseil Général se rangeant à cet avis, ordonna le dépôt demandé, à la condition toutefois que l'exposition en serait faite sous une étiquette spéciale. (Séance du 22 avril 1874.)

Par une mesure, dont on ne saurait trop applaudir la sagesse et la largeur de vue, le Conseil Général décida, en outre, que l'administration du Musée pourrait faire des échanges avec les doubles les plus nombreux et par

(1) MM. Berry, conseiller à la Cour d'appel, Buhot de Kersers, secrétaire de la Société des Antiquaires du Centre, Louis Jacquemot, Charles de Laugardière, substitut du procureur général, qui faisaient également partie do la Société des Antiquaires du Centre, Louriou, président, et D. Mater, membre de la Société historique.

(2) Archives du Musée et 5e Bulletin numismatique de M. B. de Kersers (Mém Antiq. Centre, V, p. 320 et s.).


DE BOURGES 207

ce moyen accroître les collections numismatiques dont elle avait la garde. M. Daniel Mater, quand il fut devenu Président de la Commission, mit à profit cette faculté libéralement accordée. Il se fit spécialement autoriser par le Conseil municipal (1) à entrer dans la voie des échanges, et parvint ainsi à augmenter notablement le médailler du Musée, en s'attachant presqu'exclusivement à acquérir des monuments métalliques d'intérêt local.

Dons particuliers. — M. Dumoutet fit don au Musée d'un portrait de jeune Berrichonne, buste en terre cuite, d'une facture gracieuse.

Après la mort de cet artiste, survenue à Paris, le 24 octobre 1880, ses enfants remirent au Musée un projet de statue en plâtre représentant Jacques Coeur, qu'il avait étudié pour être élevé sur une des places de sa ville natale.

Champgrand (Abbé) : Portrait de Philibert Charpignon, prieur des Frères prêcheurs de Bourges.

Martin : Modèle en plâtre de la fontaine Bourdaloue.

Société chorale de Bourges (2) : Sa bannière.

Valette : La Gauloise du monument funéraire de Juranville, reproduction en plâtre, grandeur naturelle.

Acquisitions. — La Ville fit diverses acquisitions pour le Musée, parmi lesquelles nous citerons : un très beau portrait du mathématicien Callet, l'auteur des logarithmes, peint par son frère Callet ; — la mort de Lucrèce, esquisse de David; — une cotte de maille du XIVe s. (3); — l'enseigne de la rue des Trois-Pommes (4) ; — des fers de relieur en cuivre aux armes du cardinal Dupont (5) ;

(1) Séance du 7 avril 1883.

(2) Dissoute en 1877.

(3) Reg. Corn. Musée, 133, séance du 18 juin 1872. (Prix 200 fr.)

(4) Ibid., 147, séance du 23 janvier 1874.

(5) Ibid., 154, séance du 20 mars 1875.


208 LE MUSÉE

— une Assomption, bas-relief en albâtre du XVIe siècle ;

— une tête d'ange et un fragment de sculpture en marbre blanc provenant de la Sainte-Chapelle ; — 103 portraits de personnages des XVIIIe et XIXe siècles pour faire suite à la collection iconographique de M. Mater ;

— une cuvette de bidet en vieux Nevers ; — un clairin du xve siècle.

Enfin, sur l'avis de la Commission du Musée (1), le Conseil municipal fit l'acquisition, moyennant la somme de 800 francs (2), de deux intéressants spécimens de l'industrie céramique de Vierzon : un guéridon en porcelaine, véritable chef-d'oeuvre d'habileté technique, et une fontaine en biscuit décorée d'animaux et de feuillages aquatiques, pièces faites pour l'Exposition universelle de 1867. En achetant à M. Bazile ces deux objets, la Ville s'acquittait d'une véritable dette envers un compatriote qui, antérieurement, avait lait don au Musée, alors que la fortune lui souriait davantage, d'un beau vase qui avait figuré à la même Exposition.

Le Musée possède donc aujourd'hui trois belles pièces, d'un grand intérêt à des titres divers, qui donnent une idée avantageuse d'une fabrique vierzonnaise aujourd'hui disparue depuis 40 années.

(1) Reg. Corn. Musée, 117 et 155, séances des 23 janvier 1874 et 7 mai 1876.

(2) Procès-verbaux...., XXIX, n° 260, séance du 17 janvier 1871, et XXX, n° 85, séance du 5 juin 1875.


DE BOURGES 209

Ici s'arrêtera l'Histoire de la fondation du Musée de. Bourges, que nous avons entrepris d'écrire. Nous l'avons conduite jusqu'à l'époque décisive où le problème si souvent agité de son installation s'est enfin trouvé résolu, tout au moins en principe, par l'acquisition de l'Hôtel Cujas et où l'administration du Musée reconstituée, et on pourrait dire rajeunie, fut mise en situation de pourvoir aux questions si complexes et si variées qu'allait soulever le transfert des collections dans un nouveau local.

La restauration de l'Hôtel Cujas, son appropriation à la destination qu'il allait recevoir et qui lui convenait si bien, puis le lamentable conflit qui s'éleva entre le service des Monuments historiques et l'Administration municipale de la Ville de Bourges, l'essort si grand que les collections prirent dès qu'elles furent placées dans le cadre charmant qui allait les mettre en valeur, ne serait pas moins intéressant à raconter que ce qui s'est passé dans la période antérieure, mais des raisons personnelles de convenance, faciles à comprendre, nous interdisent de parler des faits qui suivirent et qui d'ailleurs sont encore bien récents.

Il était déjà fort difficile et bien délicat d'avoir à raconter l'oeuvre de son aïeul et de son père, mais que serait-ce, si le récit entrepris avait été poursuivi jusqu'à l'époque où celui qui écrit ces lignes étant devenu à son tour Président de la Commission, aurait à raconter des faits et des événements auxquels il a pris une part personnelle importante : la notice historique de la fondation du Musée tournerait alors aux mémoires particuliers et constituerait à beaucoup d'égards une sorte d'autobiographie, dont rien ne démontre l'intérêt et dont celui qui en serait l'objet n'éprouve nullement le besoin.



PIEGES ANNEXES DE LA DEUXIÈME PARTIE

I

L'Hôtel Cujas. — Musée et Bibliothèque.

« Quant à l'étude sur l'Hôtel Cujas, la Commission historique se rappelle ce que M. le Préfet a bien voulu dire à la dernière séance : son intention si bienveillante pour la Ville de Bourges, et témoignant d'un intérêt sérieux et pour les arts, et pour la conservation de ces inimitables monuments qui sont pour les villes ce que les ancêtres sont pour les familles (1), était depuis longtemps de proposer au Conseil Général de céder l'Hôtel Cujas à la Ville, aux conditions les plus favorables, à l'effet d'y installer sa Bibliothèque et son Musée ou l'une ou l'autre de ces collections ; et c'était pour préparer les voies à ce projet, en rédiger le programme, et permettre dès lors à la Commission historique un voeu motivé et de nature à faire autorité quant à sa réalisation, que l'étude de l'édifice avait été demandée.

(1) La conservation de l'Hôtel Cujas comme monument historique préoccupe depuis longtemps les Préfets du Cher ; on lit dans le rapport fait par le Préfet au Conseil Général en 1856 : « L'année dernière, vous avez rejeté le projet de

reconstruction de l'ancien Hôtel Cujas Je n'ai pas cru devoir vous proposer

d'effectuer cette restauration l'année prochaine ; il m'eût répugné d'ailleurs de vous présenter un projet dont la réalisation aurait pour conséquence de faire perdre à un monument historique son cachet, son style et les souvenirs que mon administration s'attachera, au contraire, à faire revivre et honorer. » [Note du rapport.].


212 LE MUSÉE

« Le rapporteur ne pouvait y procéder seul ; il a réclamé le concours de plusieurs des membres de la Commission: M. Rapin, adjoint; M. Bussière, architecte du Département et de la Ville; M. Charmeil, bibliothécaire de la Ville et Conservateur de son Musée, et M. Boyer, bibliothécaire adjoint ; et c'est de concert avec eux que ce rapport est présenté.

« Pour bien juger l'Hôtel Cujas, il faut se défendre du dégoût qu'inspire à première vue son état actuel ; il faut dégager, par la pensée, l'intérieur de l'édifice des cloisons qui défigurent ses salles, qui font que ce n'est qu'avec de la patience et du temps qu'on arrivera à s'y reconnaître et à démêler la distribution primitive.

« Description de l'intérieur de l'Hôtel. — Suivant la distribution primitive, le rez-de-chaussée comprend deux grandes salles ayant conservé leurs plafonds en bois à caissons, et la première, sa belle cheminée, toutes deux parfaitement éclairées sur la cour d'entrée et la seconde cour mesurant 126m42 superficiels; à la suite de la seconde pièce se trouvent en outre trois pièces, l'une en retour sur la seconde cour, les deux autres donnant sur la cour dite du Manège ; ces trois pièces mesurant ensemble 60 mètres (1) ; ce rez-de-chaussée, dont la hauteur sous plafond est de 4m 20, avait une double entrée, celle principale au pied du grand escalier et une autre sous la galerie en retour formant l'aile gauche de l'Hôtel.

« Le premier étage est desservi non seulement par le grand escalier-vis d'une proportion inusitée et beaucoup plus belle que celle de Jacques-Coeur, mais encore par

(1) Toutes les mesures données dans ce rapport ont été relevées d'après les cotes des deux feuilles de dessin remises par M. Bussière et qui y demeureront annexées.


DE BOURGES 213

deux autres vis en pierre, construites, l'une à l'extrémité de l'aile gauche à la suite de la galerie couverte, et la seconde, au bout du bâtiment en retour donnant sur la seconde cour.

« On mentionne de suite que l'aile droite de l'Hôtel ne pourrait être utilisée que pour le logement du bibliothécaire et du concierge, car on ne peut arriver au pavillon Renaissance donnant sur la rue des Arènes, pavillon construit après coup, que par ce qui était affecté aux communs dans la distribution primitive, cuisine, chambres de domestiques, pièces toutes très basses et d'un niveau différent, cette aile ayant été coupée en trois étages.

« Au premier, qui a 4 mètres de hauteur sous solives, se trouvent deux salles qui seront également fort belles, lorsque leurs plafonds à solives et à moulures, supportées par des poutres élégamment évidées, en pointe, comme celles de Meillant, construction contemporaine, auront été dégagées du plâtre qui les couvre ; à la suite on rencontre deux pièces et deux grands cabinets desservis par les petits escaliers.

« Le grenier au-dessus du corps de logis principal est également desservi par le grand escalier et par celui de l'aile gauche, sa belle charpente à chevron portant ferme, permet d'y établir deux travées de galerie de 5 mètres de hauteur éclairées sur la cour d'honneur par de magnifiques lucarnes et qui pourraient l'être supplémentairement du côté opposé par des jours pris dans le toit.

« Enfin, au fond de la seconde cour, se trouve un dernier bâtiment dont le premier donnerait une salle de 44 mètres superficiels, et le beau grenier, une galerie de 5 mètres de hauteur, 6 mètres de largeur et 16 mètres de longueur. Ce bâtiment est desservi par la vis de la


214 LE MUSÉE

seconde cour, laquelle le met d'ailleurs en communication avec le corps principal de l'Hôtel.

« Ceci est ce qui comporte ce que nous appellerons l'ancien Cujas; après une étude attentive on estime et on va démontrer que la Bibliothèque de la Ville et son Musée, eu égard à leur importance actuelle, y trouveraient facilement place.

« Musée. — Le Musée, dans son local actuel, occupe sept salles mesurant 234m 86 superficiels.

« Sept pièces mesurant ensemble 326m42, soit 92 mètres de plus, lui seraient affectées également dans l'ancien Cujas, savoir : les cinq pièces du rez-de-chaussée, la salle de 44 mètres du bâtiment du fond et la galerie à établir dans le grenier au-dessus.

« Les deux belles salles nos 1 et 2 et celle en retour n° 3 recevraient le Musée Moyen-Age et Renaissance, sculptures fines, meubles, armes, faïences, émaux et portraits de cette époque; cette collection est la plus importante, celle qui fait l'honneur du Musée ; en l'y distribuant avec goût, elle s'harmoniserait merveilleusement avec ces belles salles appartenant à la même époque et au même style, et on n'hésite pas à dire que, comme aspect d'ensemble, l'Hôtel Cluny n'aurait rien de mieux.

« La pièce n° 4 formerait le salon Louis XV et des chinoiseries ; enfin celle n° 5, quoique petite, serait suffisante pour recevoir ce que le Musée possède en antiquités égyptiennes, étrusques, grecques, romaines et gallo-romaines.

« Les morceaux de sculpture ancienne, figures, stèles, décoreraient la galerie ouverte de l'aile gauche, une autre existant en prolongement dans la cour d'entrée et, en outre, le grand escalier qui serait remarquable,


DE BOURGES 215

si cette décoration donnait du mouvement à ses baies et à ses parois trop nues.

« Enfin, quant aux médailles, estampes et livres à

figures et au meuble destiné par M. Bourdaloue à

recevoir la minute du nivellement du Cher, ils seraient

réintégrés à la Bibliothèque à laquelle ils appartiennent.

(Courrier de Bourges du 18 janvier 1865.)

« Bibliothèque. — La Bibliothèque occuperait les pièces du premier et deux travées de galerie dans le grand grenier au-dessus. « Les pièces du premier présentent en pourtours utilisables en rayons 367 mètres carrés.

« Les deux travées du comble

donneraient 240 id.

607 id.

« Les rayons occupés par les

livres dans la Bibliothèque

actuelle ne développent que 500 id.

Différence 107 id.

« Soit un emplacement supérieur d'un quart à remplacement actuel, indépendamment des pièces accessoires dont on ne parle pas et qui pourraient recevoir beaucoup de livres.

« La distribution des lieux semblait d'ailleurs faite exprès pour la commodité du service ; si l'entrée d'honneur de la Bibliothèque à ses deux étages devait être par le grand escalier, les lecteurs y accéderaient habituellement par l'escalier de l'aile gauche, au haut duquel ils trouveraient la salle de lecture chaude et très claire ; à la suite il y avait une petite pièce qui serait le cabinet du bibliothécaire, et à côté l'entrée des grandes salles du premier, au fond desquelles était encore un autre cabinet pour les manuscrits. Enfin le


216 LE MUSÉE

même escalier de l'aile gauche mettait en communication directe la salle de lecture avec la galerie des combles.

« Musée lapidaire. — Il faut qu'on en dise un mot. Est-ce que si le projet caressé par le généreux anonyme dont M. Bourdaloue est l'organe, de placer ce Musée au Château d'Eau, ne recevait pas finalement son exécution, est-ce que, dans ce cas, on ne lui trouverait point place dans les dépendances de Cujas ? Pour cela il suffirait, indépendamment des galeries ouvertes dont on a parlé, et d'autres locaux dont on ne parle pas, d'élever de légers hangars autour de la cour dite du Manège ; et si l'on convertissait celle-ci en square, en la prolongeant jusqu'à la rue des Arènes au moyen de la démolition des deux maisons annexes, n'obtiendrait-on pas encore, sans grands frais, quelque chose dans le style harmonieux du jardin qui entoure l'Hôtel Cluny ? Et qui sait si alors le généreux anonyme ne reporterait pas sa libéralité sur un projet qui aurait le résultat de concentrer toutes les richesses artistiques de la Ville dans un hôtel artistique.

« Dépenses d'appropriation et d'ornementation. — A cet égard il faut également se défier de l'impression que donne l'aspect actuel des bâtiments.

« Et il y a lieu de distinguer entre la grosse oeuvre et l'ornementation.

« La grosse oeuvre, qui doit être menée et parachevée en même temps dans l'ensemble du vieux Cujas, consiste dans l'enlèvement des cloisons et plafonds, dans la plâtrerie, dans le remplacement des trois poutres du premier qui sont cassées, dans des planches à établir partout ou presque partout, sauf dans la galerie du fond et enfin dans la restauration des fenêtres.


DE BOURGES 217

« Quant à l'ornementation, l'économie s'allie parfaitement avec le goût.

« Des peintures à la colle, parce qu'elles sont plus harmonieuses, point de vernis, des teintes bien éteintes et combinées en vue du jour et des objets à faire valoir; les plafonds à caissons des deux salles de cérémonie, azur et bois, ou grenat et bois ; au premier, le plafond à solives apparentes, azur et bois parce qu'il serait dispendieux de refaire les arabesques.

« Enfin, quant aux rayons de la Bibliothèque, peu de choses à prendre dans l'ancienne, où beaucoup de livres magnifiques sont entassés sur des ais à peine rabotés; ces rayons il les faut, ou très simples en bois blanc peint, ou en très belles boiseries de chêne ciré ; prendre le premier parti.

« D'ailleurs l'installation des collections, et dès lors l'ornementation des salles, peuvent être espacées en plusieurs années.

" D'abord l'appropriation des salles du Musée et son installation pour échapper au plus vite au loyer de 2.400 francs qui grève la Ville, somme d'ailleurs qui ne sera pas beaucoup inférieure à l'intérêt du prix, probablement assigné à Cujas, de sorte qu'étant exonérée de cette charge, la Ville n'aurait guère à payer, en intérêts, beaucoup plus que ce qu'elle payait de loyer.

« Et ensuite, et à l'heure qu'on voudra, l'ornementation des salles de la Bibliothèque et son report de l'Archevêché à Cujas.

« Développement des collections. — C'est une éventualité trop certaine pour qu'elle ne soit pas prévue.

a Quant à la Bibliothèque, avec un local un quart plus grand que celui actuel, et diverses pièces accessoires, elle est logée pour un long temps.

« Mais on ne peut dissimuler que la galerie dont on

14


218 LE MUSÉE DE BOURGES

peut disposer pour les tableaux ne soit un peu exiguë dans ses proportions et qu'il ne faille voir là qu'une installation pour quelques années.

« A cet égard, qu'on jette les yeux sur le plan des annexes de Cujas; ne pourra-t-on pas y bâtir tant qu'on voudra ; n'y trouve-ton pas tout marqué l'emplacement d'une galerie en façade sur la place déjà appelée Place Cujas, galerie construite en cédant à cette place le terrain nécessaire pour la régulariser autant que possible, et surtout pour faire disparaître l'angle disgracieux que présentent à leur rencontre les rues des Arènes et Saint-Médard.

« Et quant à la galerie que nous appellerons provisoire, elle serait alors affectée à l'histoire naturelle où à la Bibliothèque, selon le développement qu'auraient pris ces collections.

" En résumé, donc possibilité, non seulement dans le présent, mais pour un long avenir, au moyen de quelques constructions que d'ailleurs les besoins de l'édifice réclament, de réunir toutes les richesses artistiques de la Ville dans l'Hôtel Cujas et ses annexes, et merveilleuse convenance à l'adoption de ce plan, dont les intentions libérales de M. le Préfet rendraient la réalisation relativement économique. »

(Journal du Cher des 12 et 14 janvier 1865 et Courrier de Bourges du 16 janvier.)


II

L'Hôtel Cujas. — Musée de Bourges.

A Monsieur le Directeur du Journal du Cher.

« MONSIEUR LE DIRECTEUR,

« Vous avez reproduit dans vos nos du 12 et du 14 janvier un rapport étudié de M. le Président Hiver sur l'affectation de l'Hôtel Cujas à l'emplacement de la Bibliothèque publique et du Musée de Bourges.

« Ce qui donne à ce projet un vif intérêt, c'est la double perspective d'y trouver à la fois l'utilisation d'un monument précieux à tous égards, et la possibilité d'y placer des collections jusqu'à ce jour mal abritées.

« Il y a un point cependant sur lequel il importe qu'on soit bien renseigné, c'est en ce qui concerne l'opinion que les Conservateurs des collections pour lesquelles on propose le nouvel emménagement, conçoivent de la proposition. Or, il est impossible de dissimuler que celte opinion est formellement contraire à celle que développe le rapport en question, au moins quant à la réunion des deux collections sous le même toit.

« Ce qui est incontestable, c'est que le Musée ne peut rester plus longtemps où il est, il y a urgence pour qu'il trouve ailleurs un abri plus convenable et plus sûr. L'Hôtel Cujas s'offre, on ne peut plus à propos, pour le recevoir. Dans les conditions où l'affaire semble pouvoir


220 LE MUSÉE

se négocier, le transport du Musée dans le local qu'on lui destine n'imposerait pour ainsi dire à la Ville aucun nouveau sacrifice, puisqu'il n'y aurait à compter qu'avec les nécessités de l'appropriation, qui paraissent devoir être fort modérées, et qui le seront d'autant plus qu'on multipliera moins les services dans l'Hôtel.

« Les conditions défavorables où se trouve actuellement notre Musée ne pèsent pas d'un poids égal sur la Bibliothèque. Les trois défauts que présente rétablissement de cette dernière dans le Palais de l'Archevêché, sont sa position excentrique, l'humidité et surtout l'insuffisance du local. Assurément la Bibliothèque ne peut rester où elle est, car, indépendamment des autres motifs, on en est arrivé à ne savoir où placer les livres, si rares soient-ils, dont elle s'enrichit de temps à autre ; et l'on n'a pas besoin d'ajouter que, pour cette collection aussi bien que pour l'autre, il y a un obstacle radical et déplorable à tout accroissement.

« Toutefois, on le comprend, le service d'une Bibliothèque ne ressemble en rien à celui d'un Musée. Dans l'un, le public doit tout voir à l'aise et sans intermédiaire; dans l'autre, il ne communique avec les collections que par le Conservateur, d'où suit que, tant que le Musée n'est pas installé convenablement, il est plus nominal que réel. Qu'est-ce donc quand on réfléchit que, faute d'espace, le nôtre se voit privé du bénéfice de collections tout entières (tableaux, moulages, statues, etc.), (lui viendraient certainement l'enrichir, sans qu'il en coûtât rien à personne, pourvu seulement qu'on les pût placer?

« Tout se réunit donc pour faire ressortir la nécessité d'un déplacement aussi prompt que possible du Musée, tandis que, à certains égards, la Bibliothèque peut du moins attendre un certain temps encore.


DE BOURGES 221

« Les circonstances favorables offrent l'Hôtel Cujas pour recevoir les collections du Musée, et cela dans les conditions les plus pratiques; qu'on l'y transporte et qu'on l'y transporte dès qu'on pourra, mais qu'on n'y transporte que lui.

« Nous n'examinons pas ici si, suivant l'avis de plusieurs personnes, il n'y a dans l'Hôtel Cujas, tel qu'il est, que trop justement la place nécessaire au Musée seul ; ce que nous voulons constater et ce qu'il nous importe de démontrer, c'est qu'il n'y a pas assez de place pour le Musée et la Bibliothèque ensemble et que celte dernière y serait aussi peu convenablement placée que possible, si elle devait s'y resserrer pour faire place au locataire qu'on veut lui donner.

« Deux services sont toujours mal à l'aise dans le même local : qu'est-ce donc quand il y a enchevêtrement, comme dans le projet en question, qui propose de placer les livres, moitié au premier étage et moitié dans les autres collections du Musée? Il est douteux que l'usage d'une Bibliothèque ainsi établie fût commode et au public et au Conservateur.

« Il y a plus : l'espace que l'on y accorde aux livres et qui ne l'est peut-être qu'au détriment du reste, se trouve tout-à-fait insuffisant pour le but qu'on se propose. Ici, les calculs auxquels l'honorable rapporteur s'est livré l'ont complétement induit en erreur. Il pense pouvoir affecter à la collection qu'il appelle en cet endroit un développement en parois de 600 mètres carrés, en chiffres ronds. (Nous laissons de côté les annexes qui seront nécessaires pour le service de l'établissement, mais qui ne pourront recevoir de livres.) En face de ce chiffre, M. Hiver pose celui que présente le développement des rayons de la Bibliothèque actuelle et qu'il évalue à 500 mètres carrés, soit un bénéfice de 100 mètres au


222 LE MUSÉE

moins dans le nouvel édifice, ce qu'il considère comme devant suffire à tous les besoins de l'avenir.

« Telle n'est pas notre opinion, fondée sur ce que, d'une part, ces besoins peuvent être plus grands que M. le Rapporteur l'a pensé, et, d'autre part, sur ce que son calcul est incomplet. En effet, dans l'évaluation en mètres carrés qu'il a faite de l'ancienne Bibliothèque, il n'a pas tenu compte de ce fait, que les rayons régnant du haut en bas dans des pièces de plus de 4 mètres de hauteur et sans galeries de pourtour, il fallait dédoubler la totalité de cette hauteur et doubler par conséquent l'étendue du nouvel emplacement. Ce ne serait donc plus 600 mètres, mais 1,200 mètres carrés qu'il faudrait, pour que les calculs de M. le Rapporteur soient exacts. Ce n'est pas tout; vu l'entassement si préjudiciable de nos livres, et la nécessité où l'on s'est trouvé quelquefois de les doubler sur les rayons, mesure qui contribue à rendre le service difficile, il y aura peut-être lieu de demander un supplément de 200 mètres, soit 1,400 mètres carrés.

« Ajoutons enfin qu'il n'a pas été tenu compte des développements que nos collections peuvent éprouver. Il résulte du fait même de la composition de ce dépôt, que des spécialités tout entières, et des plus importantes, y sont très pauvrement représentées. La littérature et la science modernes sont dans ce cas. Est-il donc si téméraire d'admettre que, poussée par le désir de mettre sa Bibliothèque à la hauteur des besoins de l'époque, et rencontrant quelque occasion bonne à saisir, la Ville un jour ne puisse faire l'acquisition en bloc d'une collection de plusieurs milliers de volumes? Dans cette éventualité très réalisable, où trouvera-t-on à placer les nouvelles acquisitions? Ira-t-on demander au Musée un peu de place, quand il se plaindra peut-être de son


DE BOURGES 223

côté qu'on lui prend celle qui lui était nécessaire pour se développer ? Aura-t-on recours à de nouvelles constructions ? Il faudrait alors en arrêter le devis à l'avance pour savoir à quoi l'on s'engagerait et prévenir des manoeuvres coûteuses et des déplacements préjudiciables.

« Ce serait donc une économie, d'autant plus fausse que la nécessité ne le commanderait pas absolument, que celle qui réunirait même provisoirement les deux collections, laissant à l'avenir la charge de les installer définitivement. Bourges n'est pas, Dieu merci, dans la condition des villes qui, faute d'édifices à approprier, ont toujours à compter, quand il s'agit d'une nouvelle installation, avec les dépenses excessives d'une construction à neuf. Chez elle, les monuments abondent, monuments d'élite, chefs-d'oeuvre d'art mal utilisés et qui ne demandent qu'à l'être mieux. L'occasion s'offre aujourd'hui de sauver l'Hôtel Cujas en sauvant notre riche Musée : qu'on ne la laisse pas échapper, quand la retrouverait-on? Qu'on y installe le Musée, c'est un besoin pressant auquel il faut pourvoir avant tout autre, exclusivement à tout autre, parce qu'on peut le faire à peu de frais aujourd'hui et qu'il ne peut y avoir que des inconvénients à prolonger davantage l'état actuel des choses.

« Le Musée installé, on songera alors à la Bibliothèque, ce qui ne sera pas non plus bien dispendieux, pour peu que l'on sache s'y prendre. Il y a encore en ville des édifices comme l'Hôtel Lallemant, l'église des Carmes, etc., qui tout naturellement se présentent pour une destination de cette nature : le jour où on le voudra, on y trouvera de quoi placer à l'aise et Bibliothèque et Musée lapidaire.

« Mais avant tout il faut, croyons-nous, asseoir le pré-


224 LE MUSÉE DE BOURGES

sent sans léguer d'embarras à l'avenir. Assigner à chaque jour son oeuvre et l'accomplir, c'est le dernier mot de la sagesse pratique ; l'oeuvre du jour nous semble être l'affectation de l'Hôlel Cujas au Musée.

« Le Conservateur de la Bibliothèque et du Musée, » CHARMEIL. »


III

Commission consultative et de surveillance du Musée.

LISTE DES MEMBRES TITULAIRES

PRÉSIDENTS :

Mater (Alphonse), conseiller à la Cour d'appel, démissionnaire le 1er février 1877, nommé Président honoraire le 14 avril 1881, f 1er janvier 1897.

Mater (Daniel), avocat, membre de la Commission du Musée, nommé Président le 14 avril 1881.

MEMBRES DE LA COMMISSION :

A. — Bengy-Puyvallée (Charles de), propriétaire, f le

17 septembre 1867. Peneau (Eugène), pharmacien, nommé le 14 décembre 1867.

B. — Berry, conseiller honoraire à la Cour d'appel de

Bourges, démissionnaire le 19 juin 1872, f le 30 mars 1876. Laugardière (Vicomte Charles Ribaud de), substitut du Procureur Général près la Cour d'appel de Bourges, nommé le 10 janvier 1873.

C. — Borget (Auguste), artiste peintre, -]- le 29 octobre 1877.

Ratier (Victor), ancien professeur et bibliothécaire


226 LE MUSÉE

de la Ville, nommé le 6 février 1878, -|- le 6 août 1898.

Lelong (Abbé), vicaire général de l'Archevêque de Bourges, nommé le 3 novembre 1898, démissionnaire le 25 mars 1908.

Jossant (Henri), statuaire, professeur à l'École des Arts appliqués à l'industrie de Bourges, nommé le 31 mars 1908.

D. — Bourdaloue (Paul-Adrien), ingénieur civil, adjoint

au Maire de Bourges, f le 23 juin 1868.

Bonnault de Villemenard (Antoine de), adjoint au Maire de Bourges, nommé le 4 novembre 1868, démissionnaire le 3 juin 1887, j le 18 avril 1889.

Le Grand (Antoine), agent voyer en chef du département du Cher, nommé le 14 janvier 1889, f le 13 mars 1905.

Cougny (Gaston), directeur de l'Ecole des Arts appliqués à l'industrie de Bourges, nommé le 22 mars 1905.

E. — Boyer (Hippolyte), archiviste-adjoint des Archives

du Cher, démissionnaire le 2 mars 1874. Mornet (Albert), banquier, nommé le 9 février 1875.

F. — Bussière (Emile), architecte départemental, -j- le

20 décembre 1902. Pascault (Albert), architecte du département du Cher, nommé le 25 mai 1904.

G. — Dumoutet (Jules), statuaire, non acceptant.

Buhot de Kersers (Alphonse), nommé le 28 janvier 1867, -j- le 11 décembre 1897.

Ponroy (Henri), membre correspondant de la Commission, nommé membre titulaire le 1er janvier 1898. H. — Fournier (Henri), avocat, démissionnaire le 4 novembre 1871.


DE BOURGES 227

Mater (Daniel), avocat, nommé le 21 février 1872, Président le 14 avril 1881.

Labrosse (Armand), greffier du Tribunal de Commerce, nommé le 15 avril 1881. I. — Lapparent (de), chef de bataillon du Génie, f le 23 juin 1881.

Lecat (Ludovic-Joseph), professeur de physique au Lycée, nommé le 20 juillet 1881, démissionnaire pour cause de départ en 1881.

Pêtre (Charles), statuaire, directeur de l'École Nationale des Arts appliqués à l'industrie de Bourges, nommé le 30 mars 1882 et démissionnaire en raison de sa nomination comme Conservateur du Musée le 5 août 1883.

Deballe (Alfred), professeur de dessin au Lycée, nommé le 17 janvier 1885, f le 8 avril 1903.

Salle de Chou (Baron François), artiste peintre, membre correspondant de la Commission, nommé le 25 mai 1904. J. — Louriou (Jean-Félix-Auguste), avocat, parti de Bourges vers 1876, f le 10 janvier 1879.

Leclerc (Ernest), architecte, nommé le 8 août 1878, f le 27 février 1900.

Magdelaine (Francis), avocat, nommé le 2 mars 1900, démissionnaire pour cause de départ le 24mars 1904 et nommé membre correspondant.

Gauchery (Paul), architecte à Vierzon, membre correspondant de la Commission, nommé le 25 mai 1904. K. — Méloizes (Marquis Albert des), avocat, président de

la Société des Antiquaires du Centre. L. — Rapin (Edmond), juge suppléant au Tribunal civil, adjoint au Maire de Bourges, démissionnaire le 6 mai 1881.


228 LE MUSÉE

Benet (L.), conservateur des Hypothèques, nommé le 17 janvier 1885, démissionnaire pour cause de départ le 27 avril 1889.

Artigaud (Alexis), syndic de faillite, nommé le 21 mai 1889, f le 2 juin 1899.

Grossouvre (Albert Durand de), ingénieur en chef des Mines, nommé le 12 juin 1899. M. — Rhodier (Paul), greffier du Tribunal civil, j- le 24 avril 1894.

Roger (Octave), ancien magistrat, membre correspondant de la Commission, nommé le 5 mai 1894. N. — Romagnesi (Pierre-Narcisse), ancien professeur de dessin à l'École Navale, f le 20 janvier 1882.

Vallois (Georges), ancien secrétaire général de la Préfecture du Cher, nommé le 30 mars 1882, non acceptant.

Boyer (Hippolyte), ancien membre de la Commission, nommé le 6 février 1878 (1), -j- le 26 mars 1897.

Goy (Pierre de), membre correspondant de la Commission, nommé le 1er janvier 1898. O. — Tarlier (Emile), architecte des édifices diocésains, t le 2 mars 1902.

Tarlier (Henri), architecte des édifices diocésains, nommé le 1er janvier 1878.

LISTE DES MEMBRES CORRESPONDANTS

Cougny (Antoine), ancien Conservateur-adjoint du Musée, inspecteur principal de l'Enseignement

(1) M. Boyer, dans l'arrêté, est indiqué comme nommé en remplacement de M. Mater (Alphonse), ce qui était une erreur, puisque celui-ci, en sa qualité de Président, ne comptait pas parmi les 15 membres de la Commission. C'est pour régulariser la situation qu'il prit postérieurement la place de M. Romagnesi.


DE BOURGES 229

du dessin dans les Écoles de la Ville de Paris, f le 9 juin 1896.

Bourdinat, entrepreneur de travaux publics et conseiller municipal à Nouméa (NouvelleCalédonie), nommé le 15 décembre 1883.

Benet, conservateur des Hypothèques à Lyon, nommé le 21 mai 1889.

Bengy de Puyvallée (Pierre de), artiste peintre à Paris, nommé le 22 juin 1892, f le 8 août 1900.

Ganchery (Paul), architecte à Vierzon, nommé le 22 juin 1892, devenu membre titulaire le 25 mai 1904.

Guère (Comte Raymond de la), propriétaire à Sainte-Montaine, nommé le 22 juin 1892, f le

21 mars 1897.

Guillot, agent voyer à Lignières, nommé le 22 juin

1892. Goy (Pierre de), propriétaire à Osmery, nommé le

22 juin 1892, devenu membre titulaire le 1er janjanvier 1898.

Ponroy (Henri), maire de Cerbois, nommé le 22 juin 1892, devenu membre titulaire le 1er janvier 1898.

Roger (Octave), propriétaire à Brinay, nommé le 22 juin 1892, devenu membre titulaire le 5 mai 1894.

Salle de Chou (François), artiste peintre à Paris, nommé le 22 juin 1892, devenu membre titulaire le 25 mai 1904.

Bengy de Puyvallée (Georges de), artiste peintre à Paris, nommé le 19 novembre 1893.

Auclair, conducteur des Ponts et Chaussées en retraite à Saint-Amand-Montrond, nommé le 20 juin 1894.


230 LE MUSÉE DE BOURGES

Chénon (Emile), professeur à la Faculté de droit de Paris, nommé le 17 octobre 1896.

Brateau (Jules), ciseleur-sculpteur, nommé le 21 juillet 1897.

Mallard (Gustave), avocat à Saint-Amand, nommé le 23 avril 1900.

Magdelaine (Francis), ancien membre titulaire, nommé membre correspondant le 25 mai 1904.

Saint-Venant (Julien Barré de), inspecteur des Eaux et Forêts à Nevers, nommé le 4 juin 1904.

Breuil (Abbé), professeur à l'Université de Fribourg, nommé le 15 décembre 1904.

Robert (Emile), ferronnier d'art à Paris, nommé le 27 décembre 1905.

Planchon (Mathieu), horloger-constructeur à Paris, nommé le 2 mai 1907.

Thabaud des Houlières (François), inspecteur départemental de la Société française d'Archéologie, nommé le 11 février 1908.

Thomas-Soyer (Mme Mathilde), statuaire à SainteClaire, par Isdes (Loiret), nommée le 31 mars 1908.

Massé (Joseph), artiste peintre à Lyon, nommé le 31 mars 1908.

Penat (Lucien), graveur à Paris, nommé le 31 mars 1908.


IV Règlement intérieur du Musée.

ARTICLE 1er. — Le Musée municipal de Bourges sera ouvert au public le dimanche de chaque semaine, de midi à quatre heures du soir, sous la surveillance des gardiens de l'Etablissement, sauf à M. le Maire d'en autoriser la publicité pendant plusieurs jours de suite et dans des circonstances données.

ARTICLE 2. — Les jours où il serait possible que l'affluence du public rendit insuffisante la surveillance ordinaire, des mesures de police intérieure seront prises pour augmenter cette surveillance, faciliter la circulation et éviter tout encombrement.

Il pourra, suivant le besoin, être ouvert une porte de sortie spéciale.

ARTICLE 3. — Tous les autres jours de la semaine, le Musée sera accessible aux visiteurs particuliers et de passage, de 10 heures du matin à quatre heures du soir. Les gardiens de l'Etablissement se mettront à leur disposition, et nul ne pourra s'introduire dans le Musée sans être accompagné par eux.

ARTICLE 4. — Les artistes et amateurs pourront, en s'entendant à cet effet avec M. le Conservateur du Musée, venir, de 10 heures du matin à 4 heures du soir, travailler tous les jours qui ne sont pas spécialement affectés au public, excepté le lundi.

ARTICLE 5. — Aucun objet faisant partie du Musée ne


232 LE MUSÉE DE BOURGES

pourra, sous aucun prétexte, sortir de l'établissement sans une autorisation spéciale de M. le Maire.

ARTICLE 6. — Les visiteurs ne pourront en déplacer aucun et les artistes ou amateurs devront copier sur place les tableaux, dessins et autres objets dont ils auront à s'occuper; ceux qui seront désireux de visiter, en détail, les collections, devront s'entendre à cet effet avec M. le Conservateur, pour la facilité du travail.

ARTICLE 7. — Par mesure d'ordre, les cannes, ombrelles et parapluies seront déposés par les visiteurs à la porte d'entrée.

ARTICLE 8. — Le présent Règlement ne sera exécutoire qu'après l'approbation de M. le Maire.

(Registre des délibérations de la Commission du Musée, 65.)


V

Liste des ouvrages enlevés du Musée et transportés à la Bibliothèque, suivant récépissé signé Boyer et daté du 9 décembre 1879.

MANUSCRITS :

Consolation de Boece.

Sacramentaire de l'Abbaye de Pise.

Heures de Bourges.

OEuvres de droit de M. Dumont, 4 volumes.

Cours de droit latin, 2 volumes.

Symbola héroïca, recueil d'emblèmes figurés.

IMPRIMÉS :

SCHENCZER : Herbarium diluviarum.

MARTIAL : Epigrammata, avec traduction envers français

de René Catherinot. Histoire abrégée des Pays-Bas. RADERUS : Bavaria Sancta. OEuvres de Pic de la Mirandole. Edits et Ordonnances de Rebuffe. URSINO : Familise Romanoe. Philosophia Ludovici Borbonii. Life of Jesus-Christ. Oratio dominica CL linguis versa. Notitia dignitatum. NECKER : Compte rendu.

15


234 LE MUSÉE DE BOURGES

DESCARTES : Principia Philosophiae. Sacres de Louis XVI et Napoléon, 2 volumes. LAVALLÉE : Histoire de Fiance. BOSCOVICH : Voyage dans l'Etat de l'Eglise. NADAUD DE BUFFON : Irrigations en Italie, t. I, avec atlas. GIRAULT DE SAINT-FARGEAU : Dictionnaire géographique. CHALLAMEL : Les Français sous la Révolution. MULLIÉ : Les Fastes de la France. Le Bon jardinier, 1829. STAHL : Traité des sels. Culture des Fleurs.

HERMANT : Histoire des Ordres militaires. PLATINE : L'Honnête volupté. Coutume de Bourges. Coutume de Bourges, 1579.

S. DUFOUR : Commentaire de la Coutume de Berry. GORREE : Formulae remediorum. LEMAITRE : Mémoires sur Vierzon. KUNTZLI : Etat de la Médecine. Vie d'Oberlin.

Mme BAUDOUIN : Referies sur les bords du Cher. Ibid. La Conversation française.

(Archives du Musée.)


TABLE

Volumes Pages

Ire PARTIE : Le Musée établissement départemental (1834-1864) XX 189

I Le Muséum de Bourges (1791-1802) » 191

II Création du Musée en 1834 » 204

§ 1. — Le Musée de 1834 à 1862. — Administration de

M. Mater. — Formation des collections » 217

§ 2. — Ressources financières du Musée. — Questions

relatives à son installation » 266

§ 8. — Situation juridique du Musée. — A qui appartient-il ? » 284

III

Réorganisation de l'administration du Musée : il est appelé MUSÉE MATER et cesse d'être départemental » 293

Pièce annexe de la 1re Partie.

Inventaire des tableaux et gravures ou cadres et autres effets d'art ou sciences déposés au district de Bourges. » 316

IIe PARTIE : Le Musée établissement municipal (1864-1881) XXII 137

§ 1. — 1864 à 1867 » 139

M. Charmeil, Conservateur, administre seul le Musée. » 139

Organisation financière » 139

Projet d'installation du Musée à l'Hôtel Cujas » 141

Préservation des débris gallo-romains du Jardin de

l'Archevêché » 144

Dons » 145

Acquisitions » 149


236

LE MUSEE

Volumes Pages

§ 2. — 1867 à 1870 XXII 150

Arrêtés du 5 janvier 1867 » 150

Installation de la Commission, sa division en

3 sections » 155

Règlement intérieur » 156

Question de la sortie des oeuvres d'art » 157

Projet d'installation du Musée dans l'ancienne

église des Carmes " 159

Catalogue de la peinture » 161

Réclamations du comte Jaubert » 163

Legs et dons en faveur du Musée » 167

1° Legs du Dr Péraudin » 167

2° Legs de M. Bourdaloue » 170

3° Legs de M. Charles Mater » 172

4° Envois de l'Etat » 172

5° Dons particuliers » 172

Acquisitions » 173

Propositions d'échange » 174

Echange de tableaux de M. Waschmutt » 175

§ 3. — 1870-1881 » 177

Projet d'installation du Musée proposé par M. Devoucoux

Devoucoux 177

Démolition de l'église des Carmes » 180

Acquisition de l'Hôtel Cujas pour y établir le Musée. » 190 Démission de M. Boyer, Secrétaire de la Commission ; son remplacement par M. Mornet » 195

Démission de M. Alphonse Mater, Président de la

Commission ; cette dernière cesse de se réunir .. » 195 Nomination de M. Daniel Mater, Président de la

Commission » 197

Proposition d'échange avec le Lycée des doubles de

la collection conchyologique » 198

Demande de création d'une place de Conservateuradjoint des collections scientifiques » 199

Inventaire général des richesses d'art de la France. » 200 Fouilles faites sur l'emplacement de la Fonderie de

canons et de l'Arsenal » 201

Concession du droit exclusif de faire des photographies des objets du Musée » 201

Participation du Musée aux Expositions universelles de 1867 et de 1878 » 202

Envois de l'État » 202


DE BOURGES

237

Volumes Pages

Dons de la Ville XXII 205

Dépôt au Musée du trésor numismatique de Méreau. » 205

Dons particuliers » 207

Acquisitions » 207

Pièces annexes de la 2e Partie.

I. — L'Hôtel Cujas Musée et Bibliothèque, par le président Hiver » 210

II. — L'Hôtel Cujas Musée de Bourges, lettre de M.

Charmeil » 218

III. — Commission consultative et de surveillance du

Musée de Bourges. — Liste des membres titulaires » 224

Liste des membres correspondants » 227

IV. — Règlement intérieur du Musée » 230

V. — Liste des ouvrages enlevés au Musée et transportés à la Bibliothèque en 1879 » 232





U. CAZAL ET MORTIER (G. ET R.)

Études sur le Moyen-Age

LE MAL DES ARDENTS

AVANT-PROPOS

Si le Moyen-Age n'est pas « une zone de ténèbres séparant le grand jour du monde Gréco-Romain du grand jour de la Renaissance », si les dix siècles qui constituent le Moyen-Age n'ont pas été, selon l'expression vulgaire, une nuit de mille ans, il n'en est pas moins vrai que cette époque nous est très imparfaitement connue.

Faute de cette connaissance, bien des historiens ont été portés à croire la société du Moyen-Age tout entière, grossière, barbare, ignare, inintelligente, malpropre, dupe de prêtres astucieux et de ses propres préjugés. De là cette innombrable quantité de sombres légendes qui, pour les hommes des siècles antérieurs, et pour un grand nombre de ceux du nôtre, constituent tout ce qu'ils savent du Moyen-Age.

Mais, parmi ce fatras d'événements, parmi ces fables souvent ineptes qui n'ont pu prendre naissance que dans le cerveau de quelques dénigreurs systématiques,

16


240 LE MAL DES ARDENTS

dorment certains problèmes inétudiés, lesquels eurent cependant leur époque de plus ou moins triste célébrité.

Il en est un qui n'est point connu, dont aucuns de nos historiens ne nous parlent alors qu'ils semblent se complaire à nous narrer l'infâme droit du seigneur, les bains de sang chaud et autres absurdités (1). C'est d'une maladie qu'il s'agit, une maladie terrible qui, durant toute cette époque troublée du Moyen-Age, apporta la terreur parmi les populations, et qui se nomme le Mal des Ardents. Comme jadis la peste d'Athènes, ce mal fit des milliers de victimes, mais tandis que l'une fut violente et courte, circonscrite dans une ville, l'autre fut à la fois violente et longue, comptant de multiples apparitions et enserrant dans ses doigts de fer des provinces entières (2).

Décrire ce mal, en indiquer la nature, les ravages et les diverses influences, en un mot en faire l'historique, tel est l'objet du présent travail.

(1) Opinion de M. U. Cazal.

(2) Sur la peste, les descriptions ne manquent pas — indépendamment d'ouvrages techniques — pour fertiliser cette matière. La description de la peste d'Athènes, par exemple, est un des morceaux les plus admirables du célèbre historien grec Thucydide. Le poète latin Lucrèce a traduit en grande partie cette description ; l'abbé Barthélemy, au XVIIIe siècle, se l'est appropriée dans son Voyage d'Anacharsis. La peste de Florence de Sismondi, imitée elle-même de Boccace. Enfin, le romancier Manzoni a pris la peste de Milan pour sujet de plusieurs des chapitres les plus émouvants de ses Fiancés.


CHAPITRE PREMIER Des différents noms du mal.

Ce qui tout d'abord frappe l'esprit en lisant les vieilles chroniques, c'est le grand nombre de noms donnés à ce « Mal des Ardents ». Ces noms divers, selon les provinces et quelquefois dans une même province, sembleraient faire croire à des maladies différentes si une critique sérieuse ne nous prouvait que, somme toute, ils n'en désignent qu'une seule. Et d'ailleurs la chose n'a rien d'étonnant en elle-même ; à cette époque que le progrès n'avait pas encore dotée de communications faciles et rapides, il devait fatalement se produire ce fait qu'une maladie apparue simultanément dans plusieurs provinces ou à des points éloignés d'une même province, portât des noms différents. Ces noms, il est vrai, auront tous une même orgine : « le feu », et le qualificatif seul diffèrera.

Qu'on appelle ce mal « feu sacré » (1), « feu divin » (2), « feu d'enfer » (3), « feu invisible » (4), « feu morbide » (5),

(1) « Ignis sacer ». — Chroniques Bollandistes : Acta Sanctorum. — FERNEL : Universa Medicina.

(2) « Divinus ignis ». — Chronique d'Anselme de Gembloux, Recueil des Historiens des Gaules et de la France ; Vita B. Israélis apud Labbe (Biblio. nova).

(3) « Ignis infernalis ». — Bollandistes : Acta Sanctorum, t. II. Ex. Petro canonico sancti Auberti.

(4) « Invisibilis ignis ». — Ex Chronico Saxonico.

(5) « Morbidus ignis ». — Bollandistes : Acta Sanctorum.


242 LE MAL DES ARDENTS

« feu persique » (1), « plaie du feu » (2), « peste du feu » (2), « ardeur mortifère (3), chaleur ou inflammation » (4), le principe du mal est toujours le même. Il s'agit dans tous les cas d'un feu qui consume et qui ronge. Et si parfois quelques noms, tels que « peste sous-cutanée » (5), « mal des tumeurs ou des ampoules » (6), « maladie déale » (7), " erysipsolus » (7), erysipèle » (8), sont employés, ce n'est guère qu'avec les noms qui précèdent. Exception doit cependant être faite pour le « lues inguinaria » (9) ou « maladie de l'aine », qui nous semble ne devoir pas être confondu avec ces différents feux.

Si quelques doutes subsistaient dans l'esprit au sujet de la possibilité d'assimilation de ces différents feux, il suffirait de consulter quelques chroniques : Frodoard, Raoul Glaber, Adémar de Chabannes, Sigebert de Gembloux, Hugues Farcit et beaucoup d'autres, ne diffèrent pas dans leurs descriptions, soit qu'il s'agisse du « feu sacré», du « feu invisible», du «feu d'enfer», soit qu'il s'agisse de la « plaie ou peste du feu », de « l' ardeur mortifère », de la « peste sous-cutanée ». Ils s'accordent tous à dire que c'était un feu invisible et

(1) « Ignis persicus ». — Miracles de sainte Dympne.

(2) « Plaga ignis... pestilentia ignis... pestis ignea ». — Chroniques d'Adémar de Chabannes, de Lobien...

(3) « Mortifex ardor ». — Chronique de Raoul Glaber.

(4) « Arsura ». — Annales de Flandre : Jacobus Majorus.

(5) « Lues subcutanei ignis ». — Ex Chronico Gaufredi Vosiensis.

(6) En patois Limousin : « Lou mau de las bouyolas ». — BESLY : Histoire des Comtes du Poitou...

(7) « Autrefois le peuple fut fort travaillé d'une maladie dite de feu divin, que Paracelse et Corlieu appellent maladie déale et Galien et Fernel erysipsolus ». — Robert, D. FONTENEAU (Bibl. de Poitiers).

(8) « Erysipulas ». — FERNEL : Universa Medicina.

(9) « Lues inguinaria ». — MEZERAY : Histoire de France : Chroniques de Tours, de Saint-Denis.


LE MAL DES ARDENTS 243

secret qui rongeait les membres jusqu'à ce qu'ils fussent détachés du corps. De plus, dans un même passage d'une chronique ou dans un même article rapporté dans les Bollandistes ou dans Migne, on trouve jusqu'à trois ou quatre noms différents donnés à ce mal. Ainsi dans un article sur les miracles de sainte Dympne (1) intitulé : Sanatur ignis sacer, l'auteur emploie ces différentes appellations : feu sacré, feu qui porte la peste, feu d'enfer. Il ajoute plus loin : « Habet enim ille apud archiatros » plura nomina : dicitur quippe ignis sacer, ignis per» sicus et ignis infernalis». On lit de même dans les miracles de sainte Geneviève (2) : « In memoriam miraculi » ardentium », et plus loin : « Coepit morbus ignens con» sumere, quem Physici sacrum ignem appellant ». Dans la vie de saint Antoine (3) il est dit: « Statimque subse» cutus est pestilens ille morbus qui ignis sacer vocatur, » quam tum arsuram appellabant quidem. It anno 1089 » saevit vehementer in Flandria « sacer ignis » quam » igniariam vacabant pestem », et dans le même article : « Inciderunt haec circa ea tempora, quibus, ut Sigebertus » et Vincentius historici supra memorant referunt, dira » lues igneique morbi, seu sacri ignis persecutio in » Occiduis ». Nous trouvons encore dans la même vie de saint Antoine : « Exclamant ad ardorem ignis hujus » infernalis tentatus. Colonise etiam quadam morbido » Antonii igne infecti homines », et dans l'éloge historique de saint Sylvain (4) on y parle du feu morbide, et

(1) Miracula S. Dympnae, Virg. Mart. — Boll. : Acta Sanctorum. — Cet article est tiré de Hugues Farsit. — Voir l'Appendice d'Anselme de Gembloux à la Chronique de Sigebert de Gembloux, note I. Recueil des Histoires des Gaules.

(2) Boll. : Acta Sanctorum.

(3) Ibid. Les Bollandistes n'écrivent pas toujours en un lutin très correct. (4) LABBE (Bibl. nova): Elogium historicum sancti Silvani.


244 LE MAL DES ARDENTS

dans le Cartulaire de Levroux de l'infirmité de saint Sylvain.

Il est d'ailleurs facile de se rendre compte, par l'étude des différents textes, que tous ces noms se ramènent à deux : Mal des Ardents ou feu sacré. Les autres arrivent par incidence comme pour éviter de trop fréquentes répétitions. Tels noms par exemple : feu persique, feu morbide, ardeur mortifère, feu sous-cutané se trouvent à peine. Il n'est guère question de feu persique que dans les miracles de sainte Dympne et dans un article intitulé précisément : Sanatur ignis sacer, de feu morbide que dans l'éloge historique de saint Sylvain, d'ardente mortifère que dans Raoul Gabier, etc. Les appellations de « feu sacré » et de « Mal des Ardents », au contraire, sont employées dans presque toutes les chroniques où il est question du feu. Partout où la maladie a sévi, elle a été dénommée ainsi.

Quant aux appellations telles que : « feu de saint Sylvain », « feu de saint Antoine », « feu de saint Benoit », « feu de saint Martial », elles sont dues à la réputation des saints de ce nom que les malades du feu sacré imploraient pour leur guérison. Il ne faut donc pas voir en elles des maladies séparées. Le feu de saint Sylvain, par exemple, porte le nom de feu morbide (1) dans Labbe et nous savons par ce qui précède qu'il ne faut établir aucune différence entre le « feu morbide », le « feu sacré », le « feu d'enfer », etc. De même le feu de saint Antoine est indifféremment appelé « feu sacré », « feu d'enfer », « feu morbide », «peste du feu » ou « feu de

(1) LABBE (Bibl. nova) : Elogium historicum sancti Silvani.


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saint Antoine » (1). Il en résulterait donc que tous ces feux n'ont été qu'une seule et même maladie : le Mal des Ardents.

(1) Bollandistes : Miracula sancti Antonii. — « Il reste à observer que les religieux de Saint-Antoine ne formèrent d'abord qu'une communauté séculière d'hospitaliers dévoués au service des pauvres atteints de la maladie qu'on nommait feu d'enfer ou de Saint-Antoine. » FELIBIEN et LOBINEAU : Histoire de Paris. — Tiré de la charte du roi Charles V par le Petit Saint-Antoine.



CHAPITRE II Description du mal.

Il serait difficile de donner une description rigoureusement exacte du mal. Les médecins du Moyen-Age, comme Galien et Fernel, lui consacrent à peine quelques mots ; biographes et chroniqueurs, au contraire, exagèrent peut-être au gré de leur imagination. Entraînés par un besoin impérieux de grandir les choses, ils nous décrivent parfois des symptômes qui n'ont, à coup sûr, existé que dans leur cerveau halluciné. De là ces descriptions monstrueuses d'une maladie déjà bien terrible par elle-même.

De l'avis de tous cependant, c'était un feu intérieur (1), ou une fièvre ardente. L'idiome vulgaire qui lui faisait donner en latin le nom de feu (ignis, ardor) n'est point changé ; le peuple de nos campagnes appelle encore un feu, la plupart des indispositions qui ont pour symptômes dominants la fièvre ou une vive inflammation.

Cette maladie s'attaquait surtout aux membres de ses victimes (2). Sous l'action d'un feu intérieur et invisible la peau se couvrait de tumeurs et de pustules (3). Partant de la profondeur des tissus celles-ci dilataient

(1) Chroniques de Raoul Glaber, de Maleu, chanoine de Saint-Junien...

(2) Chronicon Frodoardi. — Boll. : Acta Sanctorum.

(3) FERNEL : Universa Medicina.


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la peau en la soulevant et la rendaient livide (1), cependant que les membres demeuraient froids ou, au contraire, devenaient de plus en plus brûlants. La chair était consumée tout en se séparant des os (2). « Des membres » entiers devenus noirs comme des charbons tombaient » en putréfaction et se détachaient du corps », les muscles se contractaient, les tendons se tordaient, causant des douleurs épouvantables aux pauvres malades (3).

Parfois on coupait avec un instrument tranchant les os autour desquels le feu avait rongé les chairs; parfois ces os étaient tellement endommagés qu'ils tombaient d'eux-mêmes (4). Si par hasard on versait de l'eau sur la plaie, soit pour la nettoyer, soit pour essayer de calmer ce feu dévorant, la douleur augmentait encore. L'ardeur de ce feu était d'ailleurs telle, que cette eau était presque instantanément vaporisée en émettant une odeur infecte qui corrompait l'air (5). C'était, nous dit

(1) Ex Chronico Alberici Trium Fontium monachi.

(2) Boll. : Miracula sanctae Dympnae. Ex Petro Canoniro sancti Auberti « furent punis et affligés d'une étrange maladie procédante comme d'un feu ardent » qui brulloit la partie du corps atteinte de ce mal». — GAZET : Driefve histoire de la sacrée manne et de la sainte chandelle.

(3) Boll. : Miracula sancti Antonii : « Aut miserabiliter moriuntur, aut manibus et pedibus putrefactis truncati miserabiliori vitae reservunter : multi vero

nervorum contractione distorti tormentatur subito est in ingredimem et

timorem versus »

Anecdotes historiques, légendes et apologues, tirés du Recueil inédit d'Etienne de Bourbon, dominicain du XIIIe siècle, publiés par la Société d'Histoire de France, par Lecoy de la Marche. Paris, 1877, p. 366.

(4) « plurimorum ossa ferro recidebanturacuto, quorum carnes exederat

ignis : quorumdam vero in tantum acriter demolita erant, ut dissoluta ipsa sua sponte caderent... » Ex Scriptone miraculorum sancti Maximini, cap. 19. Item apud Mabillonium, ibid., p. 611.

(5) « Et si propter refrigerium in loco doloris liquor aquae poneretur,

inagis ac magis dolor augebatur et fumus fetidus emittebatur qui aerem corrumpebat. » Miracula sancti Martialis. Boll. : Acta Sanctorum, t. 11 (Gand, p. 471) : « Nulla aquae vel humoris alterius frigiditate refrigerari valebant... » Chronique de Malcu.


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Gasset, « une infecte et intolérable puanteur (1) ». L'odeur de ces chairs putrides qui se détachaient de ces membres que dévorait progressivement le feu, était en effet insupportable (2). Chaque minute apportait avec elle un accroissement de souffrances et un redoublement dans l'intensité du feu. Les malheureux emplissaient l'air de leurs plaintes et de leurs gémissements, appelant la mort à grands cris (3). Quelquefois elle venait promptement les délivrer de leurs souffrances. Le moine Glaber rapporte que plusieurs malades furent enlevés dans l'espace d'une nuit (4) ; mais le plus souvent la mort se faisait attendre ; il fallait que « le feu » lent et pestilentiel arrivât jusqu'aux organes indispen» sables à la vie (5) ». Ce qu'il y avait de surprenant, c'est que ce feu agissait sans chaleur, et qu'il pénétrait d'un froid glacial ceux qui en étaient atteints, au point que rien ne pouvait les réchauffer. Et ce qui était encore plus étonnant, c'est qu'à ce froid mortel succédait une si grande chaleur dans les mêmes parties que les malades y éprouvaient en outre tous les accidents du cancer si ces accidents n'étaient pas prévenus par des remèdes (G) ».

(1) Guillaume GAZET : Histoire de la Sainte-Chapelle, p. 44.

(2) « Verum etiam ex putrae carnis foetore res intoleranda... » Miracula sancti Genulfi, t. VII, p. 513.

(3) BALUZE : Histoire de Tulle : Sermo primus Ademari.

(4) Glabri Rodulphi historiarum liber.

(5) Boll. : Acta Sanctorum (Miracula sanctae Dympnae).— Ex Petro Canonico sancti Auberti.

(6) .... Et quod valde mirum at, ignis hic sine calore validus ad consumendum, tanto frigore velut glaciali perfundit miserabilis, ut nullis remediis possint calefieri. Nam quod non minus mirum est, ex quo divina gratia restinatus fuit, fugato mortali frigore, tantus calor in eisdem partibus aegros pervadit ut morbus caneri eidem calori persaepe se sciet, nisi medicamentis accuratur.... Ex Anselme Gemblacensis abbatis Chronico seu Appendice ad Sigebertum. Recueil des histo-


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De plus, cette maladie s'attaquait à tous, sans distinction d'âge ni de sexe (1). Les hommes et les femmes, les enfants et les vieillards, les riches et les pauvres pouvaient également être malades ; les uns avaient les doigts attaqués, les autres les bras, d'autres les pieds (2). Tel les lèvres rongées, montrait son visage en un rictus abominable, tel antre voyait son nez peu à peu consumé par le feu impitoyable (3); de ceux-ci les parties génitales (4) étaient atteintes, de ceux-là les entrailles. Selon le mot de la chronique, « c'était déjà l'enfer dès cette vie » (5). Et « les médecins s'efforcent de guérir telle maladie, ils » y emploient leur esprit et sciences. Ils font des expé» riences. Mais tout cela n'y peut rien ; car c'était le » doigt de Dieu, contre lequel il n'y a conseil, science » ou entreprise qui puisse rien » (6).

riens des Gaules, t. XIII, p. 269. — Hugonis Farsili Libellus seu, t. XIV, p. 234. — Ex Chronico Alberici Trium Fontium Monachi. R. des hist. des Gaules, t. XIII, p 697.

Le docteur Bacquias attribue à tort ce passage à Hugues Fleury. — Il est dû à Hugues Farsit, chanoine régulier de l'abbaye de Soissons, qui a composé un Libellas de miraculis B. M. Virginae in urbe Suessionense, dont il fut le témoin en 1128. Cet opuscule se trouve dans Migne, t. CLXXIX, colonne 1778.

(1) .... « Ignis cremabat homines et mulieres, pueros et virgines atque senes... » Miracula sancti Martialis. Boll., t. II (janvier), p. 471. " Videretur perentere plaga ista diversae aetates et sexus homines. » Miracula sandi Antonii. Boll., t. II (janvier), p. 53. « Non parcebat divina ultio aetati... » Miracula sancti Martialis. Boll., t. Il (janvier), p. 471.

(2) Miracula sancti Martialis. Ex Ms Tornacensi.

(3) LECOY DE LA MARCHE : Anecdotes historiques, légendes et apologues.

(4) Ex libro miraculis sanctorum Savigniacensium.

(5) GRANET : Histoire de Bellac. Ducourtieux, Limoges, 1895.

(6) Discours de l'histoire du miracle des Ardents guéris de Dieu, par les prières et mérites de sainte Geneviève de Paris, du temps du règne de Louys le Magnanime, fils de Philippe, roy de France, par M. René-Benoist Angevin, docteur régent en la Faculté de théologie de Paris. Paris, in-8°, 1568.


CHAPITRE III Nature du mal.

Les descriptions du mal que nous ont laissées les chroniqueurs, ne sont pas suffisamment précises pour qu'elles aient permis aux autorités médicales de se prononcer d'une façon définitive et unique sur la nature du mal. Aussi plusieurs opinions ont-elles été émises.

Pour quelques-uns (1) le mal n'est qu'une gangrène causée par le régime alimentaire, lequel aurait admis dans de fortes proportions du pain de seigle détérioré par une espèce de champignon (2) au point de devenir un redoutable poison; ce phénomène se produit parfois sur une grande échelle, dans les années pluvieuses. Il est vraisemblable qu'à cette époque de bouleversements continuels et de grande ignorance agricole, trop peu d'attention était accordée au choix des blés destinés à la nourriture ; plus d'une fois aussi la pénurie obligeait les

(1) Guy de Chaulieu, Ambroise Paré, Fabrice de Hilden, Doconoclus et Tulpins ont détaillé les symptômes du Mal des Ardents, mais ne se sont pas expliqués sur les causes qu'ils ignoraient. Le premier qui ait pensé à donner comme origine du Mal des Ardents l'usage des céréales altérées est Thuillier, médecin du duc de Sully au XVIIe siècle. (L'Investigateur, journal de l'Institut historique, article de Victor Martin de Moussy.)

Voir PRILLIEUX : Maladies des plantes agricoles et des arbres fruitiers et forestiers causées par des parasites végétaux. — GAROLA : Les Céréales. — Gustave HEUZÉ : Les Plantes alimentaires ; etc., etc.

(2) Claviceps purpurea.


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populations à se nourrir de blés ergotés; la maladie des ardents ou ergotisme pour quelques auteurs en aurait été la conséquence.

Le docteur Grisolle (1) écrit que le grand nombre de populations qui de tout temps ont fait du seigle leur principale nourriture, la fréquence de l'ergot dans cette céréale, doivent porter à penser que l'ergotisme a régné de temps immémorial. On a prétendu en trouver quelques faibles traces dans Ovide, dans les Commentaires de César et dans les oeuvres de Galien ; mais les passages de ces auteurs sont très obscurs et nous en laissons l'interprétation à de plus érudits. Beaucoup rapportent à l'ergotisme une ou plusieurs des maladies qui ont régné épidémiquement dans le Moyen-Age, surtout du Xe au XIVe siècle, et qui sont connues sous le nom de « feu sacré », de « Mal des Ardents », de « feu Saint-Antoine », affections que Tessier, de Jussieu, Paulet et Saillant considèrent pourtant comme distinctes, car ils rapportent le Mal des Ardents à une sorte de peste avec; bubons, charbons et péléchies, tandis que le feu Saint-Antoine ne serait autre que l'ergotisme gangréneux. L'action nuisible ou même délétère de l'ergot est d'autant plus dangereuse que ses proportions sont plus fortes. Vétillard, un médecin du Mans, dans un mémoire publié par les soins de la Société royale d'Agriculture de cette ville en 1770, nous fait un triste tableau de la vie des paysans de l'arrondissement de la Flèche consommant des blés ergotés à la fin du siècle dernier. « L'ergot, dit-il, a fait » périr dans la Sologne sept à huit mille personnes » dans un petit espace de temps », et il cite en particulier un exemple observé dans le Maine pour nous montrer quelles sont les suites épouvantables de la consom(1)

consom(1) : Traité de pathologie interne.


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mation de l'ergot : « Un pauvre homme de Noyen voyant » un fermier cribler son seigle lui demanda la permis» sion d'enlever le rebut pour faire du pain ; le fermier » lui représenta que ce pain pourrait lui être préjudi» ciable; mais le besoin l'emportant sur la crainte, le » pauvre homme fit moudre ces criblures composées » d'ergot pour la grande partie et il forma du pain de » cette farine; dans l'espace d'un mois cet infortuné, sa » femme et deux de ses enfants périrent misérablement; » un troisième, qui était à la mamelle et qui avait mangé » de la bouillie de celte farine, échappa à la mort. Il existe » encore, ajoute Vétillard, mais quelle triste existence, » sourd, muet et privé de ses deux jambes. » Les mêmes accidents se manifestent chez les animaux. Comme chez l'homme il se produit des gangrènes, mais plus rapidement et avec des circonstances plus extraordinaires. Chez les poules, par exemple, les phalanges des doigts tombent successivement, le bec même se détache ; chez les porcs les ongles se séparent et l'animal dépérit. Prillieux nous raconte qu'un cochon ayant été nourri de ce seigle ergoté a péri au bout de deux mois après avoir perdu les quatre jambes et les deux oreilles. Deux canards nourris de seigle ergoté ont également péri après avoir perdu l'usage de leurs jambes. Il est incontestable que ces accidents ressemblent singulièrement à ceux observés dans les différents feux en ce qui concerne la gangrène des extrémités, mais il y a, en plus, dans le Mal des Ardents que les ulcérations peuvent se produire sur n'importe quelle partie du corps. Les lèvres, le nez, les joues, les seins, les parties génitales sont indifféremment atteints. Il semblerait d'ailleurs, d'après ces différents exemples, que la gangrène causée par l'ergotisme n'est pas foudroyante au point d'enlever une personne dans l'espace d'une nuit, comme le rapporte la chro-


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nique. Et le docteur Paul Fabre (1) ne croit pas à l'ergotisme gangreneux épidémique comme représentant le Mal des Ardents. On lui semble avoir attribué trop souvent à l'ergot et à l'ergotisme, bien des méfaits dont la misère, la famine, les mauvaises conditions hygiéniques sont probablement la cause plus directe (2).

Cette même thèse de Tessier, Jussieu, Paulet et Saillant a été soutenue par le docteur Eugène Bacquias dans un article intitulé « Recherches historique et nosolique sur les maladies désignées sous le nom de feu sacré, feu Saint-Antoine, Mal des Ardents » (3). Le docteur Bacquias différencie le « Mal des Ardents » et le « feu SaintAntoine ». Selon lui on a confondu sous les noms de « feu Saint-Antoine », de « feu sacré », de « Mal des Ardents » deux maladies très différentes par leurs symptômes, par leur marche et par leur gravité; ces maladies reconnaissent l'une et l'autre des causes physiques évidentes. Le « feu Saint-Antoine », c'est la gangrène sèche, l'ergotisme gangreneux, maladie qui a pour cause prépondérante la misère, une alimentation insuffisante et pour cause occasionnelle la présence de l'ergot du seigle dans le pain; c'est, dans le plus grand nombre de cas, une maladie chronique entraînant plus souvent la perle d'un membre atteint que la mort du malade. Le Mal des Ardents, c'est la peste noire, caractérisée par des bubons aux aines, aux aisselles, par des charbons, par

(1) Le docteur Paul Fabre, de Commentry, membre correspondant de l'Académie de Médecine, président de la Société des Médecins de l'Allier, fondateur du journal Le Centre médical, a bien voulu s'intéresser à notre travail et nous donner son opinion autorisée.

(2) Le professeur Fuchs, de Berlin, conclut à l'identité de l'ergotisme gangreneux et du Mal des Ardents. (L'Investigateur, février 1847.)

(3) Mémoires de la Société Académique d'agriculture, des sciences, arts et helles-lettres du département de l'Aube, t. XXVIII de la collection.


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une fièvre très violente, le coma ou le délire et par une mortalité effrayante. Le « feu sacré » ou « feu SaintAntoine » ne sont, au contraire, qu'une seule et même maladie qui se distingue du « Mal des Ardents » en ce qu'elle a le plus souvent une marche lente. Les malades pouvaient, en effet, être transportés en Dauphiné (1) des extrémités de la France et même des pays étrangers. Enfin, prétend le docteur Bacquias, aucune chronique ne mentionne à propos de ce mal une mortalité bien considérable et le nombre de malades réunis n'a jamais dépassé 600, ceux-ci, d'ailleurs, pris toujours parmi les misérables. La mortalité causée par le Mal des Ardents ou la peste noire s'est élevée, au contraire, à la moitié, aux 2/3 et même aux 6/7 des habitants. Ainsi, en 1348, Avignon compte 60,000 victimes; en 1607, Milan en perd 160,000 et Vienne 94,236 en onze mois.

Mais les raisons imaginées par le docteur Bacquias ne paraissent pas toutes justes : quelques-unes tout au moins vont à rencontre de la vérité historique. S'il est vrai que bien souvent la marche de la maladie était lente, il n'en est pas moins vrai que quelquefois elle était véritablement foudroyante. Et Raoul Glaber va même jusqu'à écrire qu' « une seule nuit » (2) pouvait suffire à venir à bout du malheureux contaminé de ce feu sacré que le docteur Bacquias ne veut pas confondre avec le Mal des Ardents.

Quant à la mortalité, il suffit de jeter un simple coup d'oeil sur les différentes chroniques pour se rendre compte qu'elle fut vraiment considérable. Ainsi, en 1235, le seul cimetière de Saint-Gérald, à Limoges, recevait,

(1) A Vienne, où était l'abbaye qui gardait les reliques de saint Antoine.

(2) Chronique de R. Glaber.

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chaque jour, trente, quarante et même cent morts (1). Pendant l'épidémie de 994, il y eut plus de quarante mille morts en Aquitaine (2). A Limoges, nous dit le moine Adémar, « sept mille malades hommes et » femmes reçurent la guérison le même jour et à la » même heure de la nuit » (3). Tenant compte de l'exagération des moines chroniqueurs, il reste encore un chiffre bien supérieur à celui donné par le docteur Bacquias.

Si on ajoute à cela que ce mal s'attaquait indifféremment aux riches et aux pauvres (4), contrairement à ce qu'il prétend, il nous sera bien permis d'affirmer que les raisons sur lesquelles il s'appuie pour différencier le « feu sacré » ou « feu Saint-Antoine » du Mal des Ardents ne sont pas, somme toute, bien solides. Il parait même certain que, s'appuyant en cela sur Mezeray, il a confondu le Mal des Ardents avec le « lues inguinaria» ou « maladie de l'aine » qui ravagea la France surtout dans le cours du VIe siècle, mais qui n'a, à en juger par ses symptômes, aucun rapport avec le Mal des Ardents (5).

Le docteur Viaud Grand-Marais, dans une communication récente à la Société académique de Nantes (6), a, lui aussi, avancé que le «Mal des Ardents » ou « feu de Saint-Antoine » était une sorte de peste, mais il n'a

(1) Chronicon Girardi de Fracheto. — Majus Chronicon Lemovicenso a Petro Coral.

(2) LABBE : Bibl. nova.

(3) BALUZE. : Historia Tutelensis. (4) Majus Chronicon Lemovicense.

(5) Mezeray prétend dans son Histoire de France que le Mal des Ardents était appelé autrefois « lues inguinaria ». — De la description de ce « lues inguinaria " laissée par Grégoire de Tours, les Chroniques de Saint-Denis et quelques autres, il résulte que cette maladie présentait tous les caractères de la peste. Elle prenait dans laine, produisait des bubons, des charbons, des péléchies, et était souvent accompagnée de lièvre aiguë, rappelant ainsi la peste d'Athènes 410 ans avant J.-C.

(6) Revue du Bas-Poitou, 1905.


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pas différencié le « feu Saint-Antoine » du « Mal des Ardents » (1).

Pour d'autres, comme Fernel, le «feu sacré» n'est autre chose que l'érysipèle ulcéreux dont il distingue deux sortes, l'une qui attaque la peau seulement sans pénétrer profondément dans les chairs et qui ne provoque qu'une croûte ; l'autre qui pénètre plus avant dans les chairs. La peau se couvre alors de pustules qui, en crevant, laissent échapper une humeur purulente (2).

Littré, dans sa traduction de Pline (3), rend, lui aussi, «l'ignis sacer» par le mot érysipèle. Il est possible que Pline ait groupé sous un même nom plusieurs affections dissemblables, et ces mots «ignis sacer » désigneraient, d'après la description qu'il en donne, plutôt des éruptions herpétiques, herpès fébrile, herpès Zoster ou Zona, fièvre herpétique. Mais bien que, dans certaines formes, les symptômes d'herpès présentent beaucoup de ressemblances avec ceux décrits plus haut, il semble, par le seul fait du caractère éminemment épidémique et contagieux du Mal des Ardents, et aussi par sa gravité, que toute assimilation entre ces deux affections soit impossible.

Virgile applique les mots «ignis sacer» à l'épizootie qu'il a décrite dans les Géorgiques (4). L'assimilation est possible, et certaines chroniques, celle de Lobien par exemple, nous parlent du fléau comme s'attaquant indifféremment aux hommes et aux troupeaux. Cette

(1) Le docteur Viaud Grand-Marais, professeur honoraire à l'Ecole de Médecine de Nantes, a publié son étude sous le titre de : Les Maisons Rouges. Un opuscule de 16 piges, chez Biroche et Pantois, Nantes, 1906.

(2) FERNEL : Universa Medicina.

(3) Collection des auteurs latins de Nisard.

(4) Nec longo deinde moranti

Tempore, contractos artus sacer ignis odebat.

(Géorgiques, liv. 3.)


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épizootie, Bouisson l'a rattachée au charbon, et il se pourrait fort bien que le Mal des Ardents n'ait été qu'une maladie charbonneuse.

Il se pourrait aussi que par ce même nom de « Mal des Ardents» on ait désigné des maladies différentes qui, apparaissant à des dates plus ou moins éloignées, ne laissaient dans l'esprit des populations que le souvenir de l'effroi et de la mortalité qu'elles avaient causés. Telle la grippe dont les épidémies, à des intervalles plus ou moins éloignés, ont paru souvent être la manifestation d'une maladie nouvelle. D'où une multitude d'appellations suivant les époques.

Peut-être encore le Mal des Ardents a-t-il représenté une de ces maladies éteintes dont nous parle Anglada dans son livre sur les vicissitudes séculaires de la pathologie et sur les maladies éteintes? De ces diverses opinions, celle du Mal des Ardents représentant une sorte de peste paraît cependant la plus probable. Mieux que la gangrène des extrémités mieux que l'ergotisme, l'érysipèle ou l'épizootie, elle semble se rapporter à la description. Et dans une notice consacrée par un médecin belge à WanlierVan de Perre, lequel a écrit en flamand un traité de la peste, il est fait mention des sensations de froid à la surface du corps (1).

(1) Le traité de la peste de Wantier Van de Perre, dédié aux magistrats de la ville d'Anvers, comprend 21 chapitres. Cornélius Broeck en a fait une traduction résumée dont voici un extrait : « Cette maladie est caractérisée par une forte lièvre, un abattement extrême, la langue sèche, la bouche puante, un mal de tête violent, du délire et, dans quelques cas, une somnolence profonde. Pendant que l'extérieur du corps est froid, l'intérieur est brûlant, la fièvre intense, la soif inextinguible. » Galerie médicale Anversoise. Anvers, 1860, p. 27.

Cornélius Broeck, d'Anvers, a été aux prises avec le fléau pendant près de 40 années et a pu, par suite, l'étudier de très près : Pestboeck, ofle remedien teghen de pestilentiale cortse. 1633, in-8°, 112 pages.


CHAPITRE IV De la première apparition du mal en France.

La première apparition du Mal des Ardents en France est très difficile à préciser, une foule de maladies ayant ravagé les Gaules durant le Moyen-Age et toutes nous étant présentées par les chroniqueurs sous un ensemble de traits plus ou moins communs au Mal des Ardents. Selon le Dictionnaire des Sciences (1), le grand Larousse et l'Encyclopédie (2), la relation la plus ancienne de ce mal serait celle de Frodoard relative à l'épidémie de Paris et de son territoire dans le cours de l'année 945 (3). Il est vraiment étonnant qu'aucun de ces ouvrages n'ait mentionné d'épidémie précédente, car il suffit de consulter les Vies des Saints pour s'assurer que la maladie avait fait de terribles ravages bien avant 945. Dans les miracles de saint Martial racontés par un Frère de l'Ordre de Saint-Antoine, on trouve en effet un article intitulé « In » remedium ignis sacri », dans lequel il est dit qu'un feu intérieur brûlait les membres des hommes, des femmes et des enfants. Cela se passait, selon la chronique, en 835. De plus, le chanoine Maleu rapporte dans sa chronique, avec la foi naïve des chrétiens du MoyenAge, que « le démon ayant parcouru tout le Poitou sous

(1) Privat-Deschanel et Ad. Focillon.

(2) Article du docteur Thomas.

(3) Voir le mot : Ardents dans la Grande Encyclopédie.


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» la forme d'un serpent ailé, une peste terrible s'en suivit. » C'était un feu intérieur qui consumait les corps des » hommes et des femmes de la ville et du diocèse de » Poitiers. Bien ne pouvait éteindre ni refroidir ce feu, » pas même l'eau. Aussi l'ardeur en était-elle si grande » qu'on ne tardait pas à en mourir »(1). Celte épidémie rapportée de Saint-Junien, semble avoir sévi vers le VIe siècle (2).

Quoique les dénominations de « feu sacré, « feu d'enfer», « feu morbide », ne soient jamais employées ni dans la chronique de Maleu, ni dans les Bollandistes, la description de ce mal nous permet cependant de réunir de nombreux points de ressemblance entre lui et les différents feux. Dans les deux cas il s'agit d'un feu intérieur et invisible qui consume les membres ou le corps des personnes qui en sont atteintes, et dans les deux cas aussi l'ardeur de ce feu est telle que l'eau versée sur les parties malades ne peut ni les refroidir, ni calmer la douleur : la seule différence entre cette peste du VIe siècle et le Mal des Ardents paraît donc résider dans l'emploi des termes. Dans la chronique de Maleu ce sont les mots « homines igniebanlur » qui sont employés dans Adémar et Frodoard les mots « pestilentia ignis ou plaga ignis ». Il semble donc vraisemblable que cette maladie n'a pas été autre que le feu sacré qui a sévi plus tard avec tant de fureur.

D'aucuns veulent assimiler au Mal des Ardents la maladie de l'aine (lues inguinaria), qui ravagea la Fiance

(1) Chronicon Comodoliacense a Stephano Maleu.

Il est dit en note qu'aucune des maladies (lues inguinaria) rapportées par Grégoire de Tours, Frédégaire et les autres écrivains de cette époque ne ressemble à celle-là.

(2) Saint Junien vivait en effet à. « Comodoliacum » au VIe siècle et c'est durant sa vie que survint cette terrible peste.


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surtout durant le VIe siècle. Mezeray écrit dans son histoire que nos roys de France avaient la propriété de ■guérir des escrouelles et du Mal des Ardents qu'ils appelaient alors « lues inguinaria». Et cependant la description des symptômes de cette maladie ne permet pas de l'assimiler aux différents feux. On lit dans les chroniques de Saint-Denis à propos de l'année 599 « qu'en ce tens » corut pestileuse en la cité de Marseille et autres citez » de la Province (Provence), car une glande naissoit » ès gorges aux gens soudainement aussi grans comme » une petite nois dont ils mouraient » (1). Le moine Aimon dit à peu près dans le même sens que des petites glandes sous forme de noix naissaient dans l'aine ou dans les autres parties délicates de l'homme et que la mortalité était très grande (2). Grégoire de Tours écrit de son côté, vers la même époque, que cette maladie était telle que l'homme saisi d'une fièvre violente se voyait bientôt rempli de boursoufflures et de petites pustules. Ces boursoufflures étaient blanches et dures sans la moindre mollesse mais très douloureuses. Lorsqu'elles étaient mûres, elles se mettaient à couler en craquant et alors les vêtements se colant au corps, les douleurs devenaient intolérables. La médecine, dit-il, ne fournit rien contre ce mal (3).

Aucun symptôme dans ces diverses descriptions ne nous rappelle le Mal des Ardents qui est caractérisé par un feu intérieur brûlant le corps ou les membres auxquels il est attaché. Et il est fort possible, si non probable, que Mezeray n'a pas décrit autre chose que la maladie de l'aine en donnant la description du Mal des Ardents.

(1) Chroniques de Saint-Denis.

(2) Aimoni Monachi Floriacensis : De Gestis Francorum.

(3) De miraculis sancti Martini. — Ex L. Gregorii Turonensis.


262 LE MAL DES ARDENTS

Les bubons aux aines et aux aisselles dans le mal qui nous occupe ne sont, en effet, mentionnés que par lui.

Cette maladie qu'on appelait « lues inguinaria », parce qu'elle naissait dans l'aine ou l'aisselle (1), était connue aussi sous les noms de «lues glandularia», «grandinis, « glandis», sans doute parce que les bubons ressemblaient à des glands, des grêlons ou des glandes (2). On doit remarquer qu'il est surtout fait mention de cette maladie pendant le VIe siècle. Après cette époque, il faut arriver jusqu'aux débuts du XIIe siècle pour trouver dans les écrits du moine Adalgésins le récit d'une épidémie qui sévissait à Châlons-sur-Marne (3). Mais il suffit de lire deux chapitres de son livre pour se rendre compte que le moine Adalgésins ne confond pas le feu sacré et la maladie de l'aine ; il parle, en effet, de saint Théodoric guérissant l'ignis sacer et de saint Théodoric guérissant le lues inguinaria. La seule chose comparable dans les deux maladies, c'est la grande mortalité puisque, selon les chroniques de Saint-Denis, les gens « moroient (4) » par grans monciaus (5).

Ainsi, fixer la première apparition du mal en France est un problème difficile à résoudre, auquel on ne pourrait répondre d'une façon certaine que si on était

(1) S. Gregorii Turonensis : Historia Francorum.

(2) Fredegarii scholastici chronicum.

(3) De miraculis sancti Theodorici abbatis. — Ex Adalgisi Monachi sancti Theodorici prope Remos libro

(4) Chroniques de Saint-Denis.

(5) Les apparitions de ce mal en France (lues inguinaria) durant le VIe siècle furent très nombreuses. En 516, le fléau ravagea Reims et les environs. Saint Remi fut invoqué. La même année, cette maladie dévasta diverses régions et, en particulier, la province d'Ailes, mais grâce à saint Gal, le fléau n'arriva pas jusqu'à Clermont-Ferrand. En 581, il envahit la Touraine; on eut recours à saint Martin. L'année suivante, le mal sévissait à Narbonne, puis à Nantes, où l'évêque Félix succombait. En 588, Marseille eut à souffrir cruellement du fléau ; remon-


LE MAL DES ARDENTS 263

d'accord sur la nature elle-même de la maladie. Il nous semble suffisamment établi cependant que la date de 945, donnée comme celle de la première apparition, n'est pas la vraie, puisque des épidémies de « feu sacré » nous sont rapportées pour l'année 835 et peut-être même pour le milieu du VIe siècle. Dans ce dernier cas, l'apparition du fléau en France aurait eu lieu 400 ans plus tôt qu'on ne l'a cru jusqu'ici.

tant la vallée du Rhône, le mal était presque parvenu à Lyon. En 590, Viviers et Avignon en voient une nouvelle apparition. Puis, l'année suivante, Marseille et toute la Provence sont de nouveau attaqués, ainsi que 8 ans plus tard, en 599. Enfin, en 1111 Châlons-sur-Marne et les environs voyaient réapparaître la maladie.

La peste de 1348 et 1349, rapportée par Boccace dans son Décameron, Félibien et Lobineau dans leur Histoire de Paris, semble être elle aussi le « lues inguinaria ». « Le mal, disent-ils, commençait par une tumeur sous les aisselles ou dans l'aine et emportoit tous ceux qui en estoient attaquez en 2 ou 3 jours. »

(Vie de saint Gal, Histoire des Francs de Grégoire de Tours, Chroniques de Saint-Denis, de Fredegaire, Livre du moine Adalgesins )



CHAPITRE V Le mal dans le Centre de la France.

(POITOU, LIMOUSIN, MARCHE, BERRY ET ENVIRONS)

Une des régions les plus éprouvées par l'horrible mal fut bien le Centre de la France dans ses quatre provinces du Poitou, du Limousin, de la Marche et du Berry. C'est là, si l'on peut s'exprimer ainsi, que fut le berceau de la maladie, et c'est là aussi, à Limoges, que, de tous les points de l'Aquitaine, affluèrent une multitude d'évêques et de prêtres venant unir leurs efforts et leurs prières pour lutter victorieusement contre le feu dévastateur (1). Cinq épidémies terribles apportant, surtout dans le Limousin et le Poitou, la mort et la désolation, enlevant des milliers de personnes et rappelant par leur soudaineté la peste d'Athènes, se succédèrent à intervalles plus ou moins rapprochés dans cette région. La première en date fut celle du VIe siècle, que rapportent le chanoine Maleu dans sa chronique de Saint-Junien et le biographe de saint Junien.

« A cette époque (2), disent-ils, une contagion funeste, provoquée par le vol fétide du démon sous la forme d'un serpent ailé, faisait d'affreux carnages dans le Poitou (3).

» Le peuple affolé leva les mains au ciel en conjurant

(1) VIe siècle, 835, 994, 1094, 1234 et 1235.

(2) Milieu du VIe siècle.

(3) Chronique de Maleu. Voir précédemment, page 19.


2G6 LE MAL DES ARDENTS

le Seigneur d'éloigner ce fléau terrible et comme la réputation de saint Junien s'était répandue dans cette contrée voisine, une foule de malades vinrent le trouver dans sa cellule bâtie près de la ville de Comodoliacum, aujourd'hui Saint-Junien (1).

» Pâles et suppliants, ils demandèrent au saint ermite d'obtenir la guérison de leurs maux. L'homme de Dieu leur répondit humblement qu'il était indigne d'obtenir du Seigneur une faveur si éclatante; mais la foule des malades élevant la voix avec plus de force, le conjurait, au nom du ciel, de soulager leurs douleurs, de leur donner de l'eau bénite par le Seigneur. A quoi saint Junien répondait qu'il n'avait que l'eau de la Vienne qui coulait tout près. Enfin, ému par le spectacle de la maladie, il eut pitié de cette foule, il leur dit d'aller passer la nuit dans les villages voisins pour y prendre un peu de repos et de revenir le trouver le lendemain, dès que le jour commencerait à paraître. Pour lui, il passa la nuit dans la prière afin d'obtenir du Père des miséricordes la guérison de ce peuple affligé. Le lendemain, aux premiers rayons du jour, il vit avec étonnement, près de sa cellule, jaillir du rocher une source d'eau vive. A ce spectacle inaccoutumé, il comprit que le Seigneur avait exaucé sa prière. Sur la demande des pauvres malades, il bénit cette eau miraculeuse et tous ceux qui en burent furent guéris. Puis ils emplirent des vases de cette eau sanctifiée par la prière de saint Junien et les emportèrent dans leurs pays. Ils en firent boire aux autres malades en la mêlant avec de l'eau commune et guérirent ainsi tous ceux que la contagion avait atteints (2) ».

(1) Vita sancti Juniani Monachi et Confessoris. — Ex Ms Codice Cluniacensi.

(2) Chronique de Maleu.


LE MAL DES ARDENTS 267

Telle est, racontée par les chroniqueurs du MoyenAge, l'histoire de cette peste du VIe siècle et la guérison des Poitevins. Si quelques anecdotes merveilleuses viennent s'y joindre, flattant les esprits avides de surnaturel, le fonds n'en résiste pas moins à toute critique. La tradition de ce miracle ne s'est d'ailleurs pas perdue. Et aux jours de fêtes solennelles, et surtout à l'époque des Ostensions, on voit le peuple des contrées voisines revenir puiser avec foi à cette source, « dont nos péchés, dit encore la chronique, ont fait cesser la vertu » (1).

Entre cette première apparition de la maladie et l'épidémie de 835 s'écoule un espace de près de 300 ans. Pour cette dernière comme pour celle du VIe siècle, les relations font défaut ; la seule que nous ayons trouvée est celle contenue dans les miracles de saint Martial, rapportés par le frère Joseph de Saint-Antoine dans les Bollandistes (2). Cette deuxième épidémie ne fut pas particulière au Poitou et au Limousin ; elle sévit aussi dans toutes les parties de l'Aquitaine et de la Gaule (3), mais moins intensivement, puisque le souvenir n'en a été gardé dans aucune autre chronique. Ses ravages s'exercèrent sans doute surtout dans le Limousin; ce fut, en effet, le patron de l'Aquitaine, saint Martial de Limoges, qui fut particulièrement invoqué par les malades.

Le carmélite Joseph nous rapporte qu'en l'an 835 (4),

(1) Chronique de Maleu.

(2) Miracula sancti Martialis. Bolland.: Ad. Sanct., t. VII (juin), p. 513.

(3) « Nam per omnes partes Aquitaniae et Galliarum ignis cremabat homines

homines mulieres.... ». Ibid.

(4) « Hoc est miraculum, notatum in chronico pro anno 835.... ». Ibid.

(en note).


268 LE MAL DES ARDENTS

« l'amour de Dieu diminuant et l'injustice des hommes » prenant des proportions démesurées, la colère de Dieu » contre son peuple fut terrible » (1). Toutes les parties de l'Aquitaine et de la Gaule se virent envahies par le « feu sacré ». C'était une maladie terrible qui n'épargnait personne. Hommes, femmes, enfants, vierges et vieillards voyaient leurs membres dévorés peu à peu par le mal. Et si pour apaiser la douleur on versait de l'eau sur les parties malades, cette eau était à l'instant vaporisée en émettant une odeur fétide, cependant que la douleur augmentait toujours. Comme le fléau sévissait particulièrement dans les provinces de l'Aquitaine, les différents prélats de la région s'assemblèrent pour décider de quelle façon on pouvait arrêter le fléau. De l'avis unanime, il fut convenu qu'on devait recourir au bienheureux Martial, patron de l'Aquitaine. On exhumerait son corps pour que sous son patronage toute douleur pût être chassée. Aussitôt donc, les évêques s'assemblent à Limoges et, des parties les plus éloignées du territoire, arrivent des malades en foule venant chercher la guérison auprès du saint dont la renommée est parvenue jusqu'à eux. Suppliants, ils sont là près du tombeau de l'apôtre, attendant pleins de foi le moment qui leur apportera la guérison. Et soudain la terre tremble, l'air est rempli d'une odeur suave, c'est le corps du saint apôtre qu'on vient d'élever du tombeau. Alors se produisit cette chose étonnante, que tous ceux groupés au(1)

au(1) Quodam tempore, invalescente iniquitate, et refrigescente cantate,

ira Dei peccatis exigentibus coepit in populum desaevire. Nam per omnes partes Aquitaniae et Galliarum, ignis cremabat hommes et virgines atque senes. Non parcebat divina ultio aetati : nam in hoc adurebantur digiti, in atio manus, in alio brachia, in alio cetera partes corporis ignis incendio cremabantur. Et si propter refrigerium in loco doloris liquor aquae poneretur, inagis ac magis dolor augebatur et fumus fetidus emittehatur qui serein corrumpebat. » Ibid.


LE MAL DES ARDENTS 269

tour du corps du bienheureux furent guéris. Mais la foule était tellement immense que l'église ne pouvait contenir tous les malades, et au dehors les cris, les supplications, les prières persistaient toujours. Ceux qui n'avaient pu approcher le corps du bienheureux le demandaient à grands cris, ne doutant pas de leur guérison s'ils avaient le bonheur de l'apercevoir et de l'approcher. On le porte donc hors de l'église, de façon à ce que ceux qui n'avaient pu entrer fussent guéris, et de là sur une petite colline voisine qui, depuis ce moment, porte le nom de Montjoie. Tous les malades présents furent guéris. Ce fut alors une explosion de joie universelle. Par des cris, des prières, des actions de grâce, tous glorifient le nom de l'apôtre qui peut rendre la santé aux malades. Enfin, les évêques et le peuple retournent dans leur pays, prêchant partout la puissance merveilleuse de l'apôtre. »

Ce fut là la première translation de saint Martial (1). La deuxième devait avoir lieu pendant l'épidémie de 994 (2). Cette dernière présentait absolument les mêmes caractères que celle de 835 : feu intérieur qui brûlait les membres et les arrachait du tronc (3), putréfaction des

(1) « .... atque haec videtur a Cordesio appellari prima translatio.... ». Boll. : Act. Sanct., t. VII (juin), p. 513 (en note).

(2) La date de 994 paraît, en effet, la plus probable, bien qu'un article des Bollandistes : « Analecta de S. Martiale Ep. » porte 986. Cet article est la reproduction de la chronique d'Adémar de Chabannes qui, elle, rapporte l'épidémie à l'année 994. Raoul Glaber, D. Fonteneau, Baluze et divers autres sont d'ailleurs d'accord sur la date de 994.

(3) « Ignis scilicet occultus, qui quodcumque membrorum arripuisset,

exurendo truncabat a corpore.... ». Glabri Rodulphi historiarum liber. Recueil des Hist. des Gaules, t. X, p. 20. — Nous ne devons accepter qu'avec soin les différents faits que rapporte H. Glaber dans ses chroniques. Il se perd souvent dans des descriptions de visions, d'apparitions, de prodiges fabuleux et autres fri-


270 LE MAL DES ARDENTS

corps (1), violence telle qu'une nuit pouvait suffire à causer la mort (2). Dans l'espace de quelque temps, dit Adémar, plus de quarante mille personnes furent enlevées par le fléau (3). Les médecins étant impuissants à calmer l'ardeur de la maladie, les pestiférés tournaient leurs regards éplorés vers le Seigneur. Des régions les plus éloignées, les malades se rendaient en foule au Dorat ou à Limoges où ils suppliaient saint Pierre, saint Israël et saint Martial de les rendre à la santé. « Et eut l'église du Dorat un grand cours, aug» mentation et accroissement par la sapience et la sain» teté de saint Israël divulguée ; plusieurs accouraient » à luy, aucuns desquels, fortifiés par leurs propres » prières, aultres par l'intercession de ce saint person» nage, s'en retournaient sains et sauves en leur propre » maison ; ce que voyant, ce saint personnage et homme » de Dieu voulut se cacher, mais une cité sur la mon» tagne ne peut se cacher, ni la lumière sur le chande» lier (4). » Saint Israël, qui était alors chanoine, saisit

volités. Il confond les dates, place le Vésuve en Afrique, prend l'océan Atlantique pour la mer Méditerranée, etc.

(Voir Recueil des H. des G., t. X, p. 20). Cependant, dans le mal qui nous occupe, ses affirmations peuvent être controlées dans Adémar, Vie de saint Israël, et autres.

(1) « et factor intolerabilis qui de incendio corporum extralabat. » Premier

sermon d'Adémar. — BALUZE : Hist. Tulel., appendice, p. 385.

(2) « plurosque in spacio unius noctis hujus ignis consumpsit exustio. »

— Raoul GLABER : Recueil des H. des G., t. X, p. 20.

(3) « ... et mortui sunt plus quadraginta milita hominum ab eadem pestilentia... » Ademari Commemoratio Abbatuae Lemor. latine. Migne, t. CXLI Anabita de S. Martiale Epis. Boll., t. VII (juin), p. 517.

(4) « ... Igitur bac de causa ex longinquis regionibus innumera turba ardentium ad Scotoriensem ecclesiam confluxerat. S. Petri, auxilium petens .. Divulgata circumquaque sancti Israelis sapientia et sanctilate, multi veniebant ad eum... » Vita B. Israelis apud Labbe (Bibl. Nova), t. II, p. 507. « ... idcoque ad beatum


LE MAL DES ARDENTS 271

cette occasion pour exercer son zèle, accueillit charitablement les malades qui lui demandaient ses soins et ses prières. Il leur donnait la nourriture, le logement, les vêtements, mais sans que personne le sût, « de peur que la faveur du monde ne lui ostât la gloire du ciel ». Il était vraiment devenu le médecin du Mal des Ardents et, selon la chronique, beaucoup de malades qui étaient venus intercéder auprès de saint Pierre, prince des apôtres, par l'organe du chanoine Israël, s'en retournèrent guéris de toute infirmité (1).

Les villes du Dorat et des environs n'étaient pas les seules atteintes par la maladie : au Nord, Déols, Levroux et le Berry ; au Sud, Limoges et tout le Limousin furent aussi cruellement éprouvés. A Limoges, la foule des Ardents était innombrable. Les églises, les rues et les environs de la ville regorgeaient de malades (2). De tous les points du Limousin, les pestiférés étaient venus demander aide et assistance au bienheureux Martial, car ils se souvenaient qu'on ne l'avait point imploré en vain lors de l'épidémie de 835. Les évêques de l'Aquitaine, de leur côté, s'assemblèrent à Limoges (3), afin

Martialum suae salutis medicamentum omnis confugiebat populus... » BALUZE : Hist. Tulel., Append , p. 385.

Robert. D. Fonteneau, t. XXX, p. 913. — Traduction de la vie d'Israël apud Labbe, t. II, p. 507.

Abbé ROUGERIE : Vie de saint Jean (détails sur saint Israël du diocèse de Limoges).

(1) « ... nec frustra, sanabat revera multos, ibidem Dominus suffragrantibus almi Petri precibus ad honorem et augmentum Doratensis ecclesiae. Divulgua circumquaque sancti Israelis sapientia et sanctitate multi veniebant ad eum quorum alii numine suarum prium fulciebantur, alii vero intercessione ejus sanitate sibi restituta incolumes revertebantur ad propria. » Vita B. Israelis apud Labbe (Bibl. Nova), t. II, p. 567.

(2) BALUZE : Hist. Tutel. (Sermo secundus Ademari). (8) Boll : Analecta de S. Martiale.

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272 LE MAL DES ARDENTS

d'implorer la miséricorde de Dieu par l'intervention de saint Martial.

Voici, racontée par le moine Adémar, vivant à cette époque, l'histoire de l'épidémie : Arrivé l'un des premiers, l'archevêque de Bordeaux, Gombaud, se prosterna devant le glorieux sépulcre et, ému par les gémissements de douleur des Ardents, par l'odeur insupportable qui se dégageait des corps malades, il fondit en larmes et s'écria dans une prière, à la fois touchante et impérative : « O pasteur de l'Aquitaine, vous qui l'avez " éclairée des lumières de la foi, levez-vous pour secourir » votre peuple ! Ne permettez pas que ces tortures infer» nales règnent auprès de votre corps sacré! O Martial, » miroir des vertus, ô prince des pontifes, où est donc » ce que nous lisons de vous, que vous avez été le » disciple de celui qui guérissait toute langueur et toute » infirmité? O gloire des évêques, honneur des églises, » où est donc ce que nous lisons de vous que vous avez » été dans la Cène le ministre du Sauveur quand il » lavait les pieds à ses disciples ?

» Certainement, la tradition de nos pères nous a » transmis que vous aviez reçu le don des grâces avec les » autres apôtres. Ne croyons-nous pas que notre ville » épiscopale, la cité de Bordeaux, a été par vous acquise » à Jésus-Christ et qu'une femme que vous aviez baptisée » imposant votre bâton pastoral sur le prince de la cité, » l'a guéri d'une horrible maladie. Montrez-vous le » disciple de celui qui est la source de miséricorde ! Oui, » j'en prends à témoins tous ceux qui m'écoulent, si » avant que je m'éloigne de cette ville, vous n'éteignez » pas cette flamme dévorante dans le coeur de ceux qui » sont ici ; si je ne vous vois pas guérir cette multitude, » je ne croirai plus rien des choses admirables qu'on » dit de vous ! Jamais plus je ne reviendrai dans cette


LE MAL DES ARDENTS 273

» cité pour implorer votre patronage ! C'est en vain » qu'on me dira que vous avez été le disciple du » Seigneur ! C'est en vain qu'on me dira que vous avez » été envoyé comme apôtre aux nations de l'Occident ! » C'est en vain qu'on me dira que vous avez baptisé le » peuple de Bordeaux dont je suis l'évêque, je ne le » croirai plus, si je n'obtiens pas la faveur que j'implore » pour le salut de cette multitude affligée. Et votre bâton » pastoral, que l'on conservait jusqu'à présent dans ma » ville épiscopale comme un précieux trésor, cette » relique sera vile à mes yeux si vous ne réjouissez pas » mon coeur par la guérison de tous ces pauvres » malades. » Cette prière prononcée, l'archevêque se retira et les cris des malades continuèrent à monter, terribles et douloureux, vers le ciel. Mais voici que soudain, au milieu de la nuit, un signe apparut au-dessus de la basilique de Saint-Pierre dans laquelle se trouvait le tombeau du bienheureux Martial. La foule innombrable, couchée au dehors en plein air, vit une lumière brillante descendre du ciel sur le sépulcre de l'apôtre : et cette lumière, aussi vive que celle du soleil, éclaira toute la ville pendant près d'une heure. Alors une chose merveilleuse se produisit : tous les malades qui se trouvaient dans la ville ou aux abords furent guéris, les plaintes et les cris cessèrent comme par enchantement et le repos et le silence se firent partout. Plus de sept mille malades, hommes et femmes, recouvrèrent la santé cette même nuit et s'en retournèrent en proclamant la gloire de Dieu.

A l'heure précise où avait lieu cette merveilleuse guérison, l'archevêque de Bordeaux, plongé dans un profond sommeil, eut une vision. Près de lui se tenait un homme vêtu d'une tunique brillante qui lui présentait un vase plein d'eau en lui disant : « Martial, disciple de Notre


274 LE MAL DES ARDENTS

» Seigneur Jésus-Christ, arrose de cette eau le peuple » consumé par le feu et il sera guéri. » Tiré de son sommeil, l'archevêque fut lui-même émerveillé d'une telle vision et comme le plus profond silence régnait au dehors, il comprit que la rosée de la miséricorde divine était tombée goutte à goutte sur le peuple ; le matin d'ailleurs ne devait pas tarder à le prouver. A partir de ce moment, le fléau cessa peu à peu dans toute l'Aquitaine (1).

Mais les prélats de l'Aquitaine, les archevêques de Bordeaux et de Bourges, les évêques de Poitiers, de Saintes et d'Angoulème, ceux de Périgueux et de Clermont, ainsi que le Primat de Limoges assemblés, avaient décidé la translation des reliques de saint Martial (2). Le 12 novembre 994 on procéda donc à la levée du corps du bienheureux apôtre. Et au moment où l'on parvint aux restes du Saint, la foule des Ardents, toujours nombreuse parce que continuellement renforcée par de nouveaux venus, sentirent un refroidissement envahir leurs membres rongés par le feu. La putréfaction des parties malades était encore telle que les personnes guéries avaient peine à supporter les odeurs qui s'en dégageaient. Enfin le corps de l'apôtre enfermé dans une châsse en or est porté, au milieu du chant des psaumes, dans la basilique du Sauveur, dite basilique royale. A cet instant, une multitude d'Ardents fut guérie; et tous se réjouissaient et criaient : « Béni soit le nom de notre sauveur » Jésus-Christ qui, par le bienheureux Martial, a été » propice à son peuple ». Puis, tandis qu'on ouvrait la châsse qui contenait les reliques du Saint, une odeur suave qui fit oublier aux assistants la puanteur horrible

(1) BALUZE : Hist. Tulel. (Sermo primus Ademari).

(2) Ibidem (Sermo primus).


LE MAL DES ARDENTS 275

des corps malades se dégagea des restes de l'apôtre. De même, au moment où les prêtres transféraient les saints membres du sépulcre dans un vase d'or, il y eut subitement un tremblement de terre si violent que l'immense église et tous ceux qui s'y trouvaient semblaient secoués. La basilique ne s'écroula pas cependant, mais une telle frayeur gagna le peuple que personne ne pensait pouvoir échapper à la mort. Alors, comme la nuit approchait, dans une procession solennelle faite en grande pompe, mais où les chants de l'église se mêlaient aux gémissements des pestiférés, les évêques portèrent, au milieu d'une affluence de plus de douze mille personnes, les reliques sacrées sur un coteau voisin de la ville (1). Elles restèrent quelques jours sur cette colline appelée Montjoie depuis l'épidémie de 835, puis, avant la dissolution du synode, furent rapportées dans leur sépulcre. A cette même place où avaient reposé les reliques du bienheureux apôtre une église fut bâtie et consacrée sous le vocable de Saint-Martial pour perpétuer le souvenir de cette translation. Et la fête que l'on célèbre dans le diocèse de Limoges, sous le titre de Saint-Martial des Ardents, a été instituée aussi pour perpétuer ce même souvenir.

Il est certain que cette épidémie dut impressionner terriblement les hommes de l'époque et la frayeur qu'ils éprouvèrent se reflète dans le récit du moine Adémar, écrit quelques années plus tard.

Abstraction faite des anecdotes merveilleuses, peutêtre vécues sous forme d'hallucinations par des cerveaux malades de peur, et embellies par l'orateur afin de frapper davantage ses fidèles, il reste encore un tableau saisissant de l'épidémie. Les biographes de saint Israël,

(1) Sermo secundus Ademari.


276 LE MAL DES ARDENTS

saint Martial et les chroniqueurs ou historiens tels que Glaber, Baluze, dom Fonteneau, Bonaventure, nous la montrent tous d'ailleurs sous le même aspect; et l'institution de cette fête de Saint-Martial des Ardents à Limoges, est une autre preuve indéniable du caractère terrible que dut avoir la maladie.

Dans le Berry, le mal sévissait avec la même fureur que dans le Limousin, et à l'abbaye d'Estrées (1) saint Genou voyait son église entourée de malheureux couchés sur la terre, poussant jour et nuit des cris de douleur et invoquant la clémence divine (2). A l'horreur qu'inspiraient ces cris de détresse, se joignaient l'aspect plus horrible encore des corps mutilés dont les membres tombaient en pourriture et l'odeur insupportable que répandait cette putréfaction. Plusieurs, selon le biographe de saint Genou, périrent entièrement consumés; plusieurs aussi furent rafraîchis et guéris par l'eau lustrale qui venait toucher leur corps, comme urne rosée de la miséricorde divine, duc au mérite de saint Genou.

A Levroux, le mal sévissait avec beaucoup de fureur, et durant le onzième siècle, saint Silvain, le patron de l'église de Levroux, fut en si grande renommée pour sa guérison que dans la contrée voisine ce mal prit le nom de feu ou mal de Saint-Sylvain (3). En 1072, Raoul V de Déols, troisième successeur d'Eudes l'Ancien, déclara que tous ceux qui, dévorés par le feu de Saint-Sylvain,

(1) RAYNAL : Histoire du Berry.

(2) Miracula S. Genulfi Episcopi, Auctore Benedictino Anonyme. — Ex Bibliotheca Floriac. Joan. Boscii.

(3) LABBE (Bibl. Nova). Elogium historicum sancti Silvani. — Cartulaire de Levroux.


LE MAL DES ARDENTS 277

viendraient, dans l'espoir de recouvrer la santé, s'agenouiller sous le portique de l'église et implorer les suffrages des bienheureux confesseurs Sylvain et Sylvestre ou des saints patrons, seraient à l'avenir, ainsi que leurs héritiers, les hommes des chanoines ; et il réunit à l'avance les droits et les coutumes qu'il avait sur eux pendant leur vie et après leur mort (1). Ce fut là pour le chapitre un revenu important et qu'on ne songeait pas à lui contester puisqu'en 1263 la femme d'André du Breuil vint spontanément prêter serment que désormais elle ne se mêlerait plus de guérir aucun malade atteint du mal de Saint-Sylvain, au préjudice du chapitre. Cependant elle pourrait, une fois, donner ses conseils quand le Seigneur l'appellerait pour lui et les siens.

Mais le chapitre devait lui aussi abuser des droits que lui avait accordés Baoul de Déols, car il attira sous le porche de Saint-Sylvain des malades qui ne l'étaient pas et se les adjugea comme serfs au détriment du Seigneur. Ces abus devinrent bientôt si manifestes que le Seigneur de Déols, par un nouvel acte de Donation, reconnut et confirma les droits que ses prédécesseurs avaient donnés aux chanoines, mais à la condition que tous les membres du chapitre et le prieur de Saint Sylvain jureront à leur entrée en charge de ne recevoir sous le porche que les individus qu'ils croiront, en conscience, atteints du mal (2).

Si cependant il devenait certain que parmi les serfs du Seigneur admis sous le portique, quelques-uns n'étaient pas atteints du mal et que l'Eglise a fait erreur en les recevant, ceux-ci feraient retour au domaine dudit Seigneur.

(1) Cartulaire de Levroux.

(2) Voir note page précédente.


278 LE MAL DES ARDENTS

L'année 1094 eut, elle aussi, à lutter contre le Mal des Ardents ; après avoir exercé ses ravages en 1085, 1088, 1089, 1090, dans la Touraine, la Flandre, le Soissonnais et différentes parties du pays, le terrible feu attaqua les peuples de l'Aquitaine (1). Les scènes qui s'étaient produites lors des épidémies de 835 et de 994 se renouvelèrent encore. De tous les points de la contrée les malades accoururent en foule à Limoges et saint Martial, imploré dans les épidémies précédentes, eut encore son église et son tombeau assiégés par les pestiférés. Chaque ville, chaque paroisse demanda « ayde et secours » à son saint patron (2).

Puis ce furent les translations solennelles des reliques des saints du Limousin vers le tombeau de saint Martial. Des multitudes d'hommes de tout rang accompagnaient ces saintes dépouilles et tout ce flot vivant venait se réunir près du tombeau de l'apôtre de l'Aquitaine. Après bien des ravages, le fléau s'éteignit enfin et la veille des kalendes de janvier (31 décembre 1095) « le Seigneur » Pape (Urbain II) de ses propres mains lava avec de » l'eau bénite l'autel du Saint-Sauveur, l'oignit du saint » chrême, y plaça les reliques des saints et aussitôt » après chanta la messe sur ce même autel en présence » d'une foule innombrable de peuple et il ordonna qu'on » célébrât à perpétuité ce jour solennel de la dédicace » de l'église de Saint-Martial (3) ».

Pour longtemps le Poitou, la Marche et le Limousin se virent délivrés du fléau qui les avaient particulièrement éprouvés.

Du Centre, la maladie avait gagné le Nord et le Nord(1)

Nord(1) de Geofroy de Vigeois.

(2) Analecta de S. Martiale, Episc. Boll.

(3) Bibliothèque Nationale, manuscrit 3784, f° 132.


LE MAL DES ARDENTS 279

Est de la France et ce furent la Lorraine, la Flandre et surtout le Soissonnais qui en souffrirent durant tout le XIIe siècle.

Mais en 1234 le Centre vit une nouvelle épidémie. Elle dura deux ans, avec des moments de recrudescence et d'accalmie, et dans l'espace de ces deux ans, un nombre incalculable de personnes trouvèrent la mort. Pour comble de malheurs, la famine vint se joindre à l'épidémie ; dans l'Aquitaine et surtout dans le Poitou elle fut terrible. Les hommes erraient farouches en troupeaux noirs dans la campagne, ramassant jalousement l'herbe des champs dont ils étaient réduits à faire leur nourriture. Le pain était quelque chose que le riche seul pouvait se payer : dans le Poitou le setier de blé valait cinquante sols. De ce manque de nourriture résulta sans doute une grande faiblesse corporelle qui ne pouvait que favoriser les conditions éminemment épidémiques du mal. Aussi les deux fléaux réunis conduisirent-ils au tombeau des milliers de victimes. « J'ai vu, dit Girard de Frachet, » ensevelir en un seul jour plus de cent pauvres dans le » cimetière de Saint-Gérald de Limoges et très fréquem» ment trente et cinquante (1) ».

En 1235 le setier de blé était finalement arrivé à valoir cent sols, et la mortalité causée par la famine et le « feu » était tellement forte que dans le diocèse de Limoges et les villes environnantes on avait grand peine à trouver des porteurs pour les défunts. « J'ai entendu dire, rap» porte un des auteurs de la Grande Chronique de Li» moges, que parfois le curé ou le sacristain étaient » obligés de les porter eux-mêmes. Chaque jour il se » faisait trente, quarante et même cent enterrements, les

(1) Chronicon Girardi de Fracheto. — Majus Chronicon Lemovicense a Petro Coral. — Especulo historiali Vicentii Bellovacensis.


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» églises regorgeaient de malades ; Saint-Maxence de » Poitiers, Saint-Gérald et Saint-Martial de Limoges ne » pouvaient contenir la foule des suppliants, car les » malades cherchaient auprès de Dieu la guérison qu'ils » ne pouvaient trouver auprès des hommes. Ce qui » donne bien une idée de la mortalité terrible pendant » celle période, c'est que dans l'abbaye de Saint-Martial » moururent, celte seule année, depuis la fête de l'As» cension jusqu'à la fêle de Saint-Michel — c'est-à-dire » dans l'espace de quatre mois — vingt-deux moines, » sans compter ceux qui moururent de mort natu» relie (1) ».

Depuis lors bien des épidémies se sont succédé dans le Centre de la France, et souvent encore on a cru voir en elles un nouveau fléau des Ardents, tellement le triste souvenir laissé par cette maladie était grand.

Ainsi, en 1635, les villes de Bellac, du Dorat et quelques paroisses du Poitou, avoisinant celles du Limousin, furent ravagées par une fièvre maligne, nommée fièvre pourpre (2). Guy Feydeau, secrétaire de Monseigneur le duc d'Orléans, alors consul, nous rapporte que pour éviter la contagion de la maladie qu'on croyait être un nouveau fléau des Ardents (3), on fil fermer avec des barres de fer la maison où celte épidémie s'était déclarée avec tant d'intensité.

(1) Chronicon Girardi de Frachelon. — Supplément à la Grande Chronique de Limoges.

(2) Livre de Raison du consul Feydeau. — Papiers de Mme de Puybaudet, à

Bellac.

(3) Cette note est écrite au milieu du cahier sur une feuille volante. Hist. de Bellac, GRANET, déjà cité.


CHAPITRE VI

Des différentes apparitions du mal en France.

Notre but n'étant pas de faire une étude générale du mal en France, nous nous bornerons à en exposer brièvement les différentes épidémies tout en indiquant, dans la limite du possible, les pays ravagés, les saints invoqués et la mortalité. Nous ne considérerons pas aussi les dates que nous citerons comme dates uniques mais seulement comme dates principales. Elles marquent comme le maximum d'intensité qu'a atteint le mal pendant certaines périodes de l'histoire. Mais il est probable que le fléau des Ardents, engendré peut-être par une alimentation défectueuse, persista plus ou moins à l'état endémique durant tout le Moyen-Age. Un groupement de dates jetterait sur celte question d'intéressantes lumières (1). Mais les chroniqueurs n'ont pas jugé bon de mentionner les cas moins graves ou plus isolés de ce mal étrange.

C'est vers le milieu du VIe siècle que nous voyons, pour la première fois, le Mal des Ardents en France. Apparu sur les côtes de Provence, importé peut-être comme plus tard certaines épidémies de la peste noire, il se propageait rapidement jusque dans le Poitou où il fit en peu de temps une foule de victimes.

(1) Un groupement montrerait en effet que le fléau a sévi presque sans interruption du milieu du XIe siècle (1039) au milieu du XIIe (1151).


282 LE MAL DES ARDENTS

Du VIe siècle au IXe siècle il n'en était plus question, mais en 835 il faisait une nouvelle et meurtrière apparition en Gaule, s'attaquant particulièrement aux populations de l'Aquitaine.

Cent ans plus tard, en 943-945, 944 selon d'autres (1), Paris et les villes environnantes virent nombre de leurs habitants saisis par ce même mal. Le feu, écrit Frodoard, gagnait leurs membres qui étaient consumés peu à peu jusqu'à ce que la mort vînt mettre fin à leurs supplices (2). Le peuple effrayé se précipitait dans les églises, implorant Dieu et les Saints, car les médecins étaient impuissants à guérir les malades et ce feu cruel, qui fut surnommé le « Mal des Ardents », « s'attachant » aux humains par contagion, les consumait par des » douleurs insupportables (3) ».

» Quelques-uns de ceux qui furent atteints du mal » trouvèrent leur guérison auprès des reliques des saints » qu'ils visitèrent en diverses églises. On remarque sur» tout que la plupart de ceux qui purent venir à Notre» Dame y furent guéris et que le comte de Paris, Hugues » le Grand, donna en cette occasion une insigne preuve » de sa charité en nourrissant à ses dépens une infinité » de pauvres malades qui vinrent réclamer l'assistance » de la Vierge (4). »

En 994, le Centre de la France fut effroyablement ravagé par ce même mal. Comme on ne trouvait pas de remèdes capables de lutter contre la violence de la maladie, on avait recours aux saints et à la prière. Saint Martial, saint Israël, saint Martin de Tours, Odolric de

(1) MEZERAY : Hist. de France.

(2) Chronicon Frodvardi.

(3) MEZERAY : Hist. de France.

(1) FELIBIEN et LOBINEAU : Hist. de Paris.


LE MAL DES ARDENTS 283

Bayeux et le vénérable frère Maiol recevaient à tout instant les supplications brûlantes de ces malheureux.

A partir de 1039, date d'une nouvelle épidémie augmentée de disette, et pendant plus d'un siècle, il ne s'écoulera jamais de longues périodes sans que le mal ne sévisse. Les dates se suivent, pressées, rarement avec intervales de plus de dix ans, et on se demande si vraiment cette maladie ne fut pas endémique, inhérente au Moyen-Age.

Paris la connut en 1041(1); la Neustrie en 1042. A Verdun, un prêtre du nom de Richard était invoqué par les malades et son monastère était constamment rempli par la foule des Ardents. Comme jadis le chanoine Israël, il les recueillait avec la plus grande humanité et, nous dit le chroniqueur Hugues, « il les rendait lui» même à la santé en leur faisant boire du vin dans » lequel on avait lavé des reliques des saints et versé de la » poussière arrachée à la pierre du sépulcre du Seigneur. » Le nombre des malades était tel, ajoute-t-il, qu'un » vase à boire était nuit et jour à la disposition des » malades, afin que leur breuvage du salut ne leur man» quât point, même s'ils arrivaient à une heure qui ne » fût pas propice (2) ».

Verdun devait être encore cruellement éprouvé en 1045 (3). Selon le chroniqueur Hugues, la violence du mal était telle que la ville était devenue presque un désert : et « les habitants, d'un commun accord, décidèrent » de recourir au bienheureux Vito dont les mérites, » disaient-ils, devaient lutter victorieusement contre le » mal ».

(1) FELIBIEN et LOBINEAU : Hist de Paris.

(2) Chronicon Virdunense Hugonis Ab. Flaviniaci.

(3) Ibid.


284 LE MAL DES ARDENTS

En 1085 (1), la partie occidentale de la Lorraine fut attaquée (2). Puis en 1088 commença cette épidémie qui devait si cruellement sévir, durant les années de 1089, 1090, 1092, 1094 et 1095, dans la Lorraine, la Flandre, l'Orléanais, le Limousin et le Poitou (3).

Vers le milieu du mois d'août de l'année 1089 (4), rapporte le biographe de saint Maximin, les peuples de l'Orléanais eurent à lutter contre ce « feu » que « l'art » humain était impuissant à éteindre. Il n'épargnait » personne et les enfants en particulier furent terrible» ment éprouvés ». Aux malades qui avaient certaines parties du corps atteintes on coupait les os autour desquels le feu avait consumé la chair, mais quelquefois les os étaient tellement endommagés qu'ils tombaient d'eux-mêmes. Pour calmer l'ardeur de ce feu dévorant, les malades eurent recours à la pieuse intercession de saint Maximin. Celle année de 1089, la Flandre fut, elle aussi, ravagée.

Partout c'étaient des malades « désespérés, grinçant des » dents de douleur et à demi-morts (5) ». En 1092 (6), à Tournai, l'évêque Babondon organisa une supplication religieuse, le jour de l'exaltation de la Sainte-Croix, afin d'apaiser la colère de Dieu ; car, dit Mayer, c'est incroyable le nombre d'hommes qui mouraient. «Jamais,

(1) Chronicon Turonensis.

(2) Cette épidémie est rapportée pour l'année 1089 dans la Chronique de Sigebert de Gembloux.

(3) Chroniques de Sigebert de Gembloux, de saint Jacob, de Geoffroy de Vigeois...

(1) Miracula sancti Maximini Miciacensis apud Mabillonium.

(5) Ex Adalgisi Monachi prope Remos libro.

(6) Ces différentes épidémies de 1088, 1089, 1002 sont rapportées dans le livre 3 de Jacob Mayer : Annales de Flandre. Celle de 1002 est aussi rapportée par l'abbé Urspergensis et Buzelinus : Annales Gallo-Flandriae.


LE MAL DES ARDENTS 285

» rapporte aussi Louis Torfs, on ne vit en Flandre tant » de manchots, de mutilés et d'estropiés (1) » que durant ces diverses épidémies (2).

Comme dans toutes les autres provinces, les malades eurent recours à une multitude de saints. La Bienheureuse Vierge Marie, saint Martin, saint Piaton, saint Rictrude, furent également implorés. Mais le mal ne sévissait pas seulement dans la Flandre ; les provinces de l'Ouest elles aussi en souffraient et c'est à celte époque que commença à grandir le culte de saint Antoine (3). Les hommes voulant chercher un secours dans la religion s'adressèrent au saint dont les mérites étaient connus de tout le monde. La basilique de La Mothe, près de Vienne, où reposaient ses précieuses reliques fut envahie par une foule immense de suppliants venant de tous les points de la Gaule (4). C'est dans cette même abbaye de La Mothe qu' « on conservait en 1089 des » tronçons de membres pendus aux fenêtres ; et l'on dit » qu'un homme continua à y vivre après avoir perdu les » bras et les cuisses détachés aux articulations (5) ». Ce lieu de La Mothe devint tellement connu par suite de la renommée du saint que le peuple commença d'abandonner peu à peu son nom (6) pour celui de saint Antoine. Et quelque temps après, en 1095, Guarin, son père et

(1) Fastes et calamités publiques survenues spécialement dans les PaysBas et particulièrement en Belgique, depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours, par Louis Torfs, membre et correspondant de diverses Sociétés historiques et littéraires.

(2) Selon l'abbé Urspergensis, cette maladie était la même que celle qui sévissait parmi les troupeaux et que les bergers appelaient pusula.

(3) BUZELINUS : Annales Gallo-Flandriae.

(4) Bollandistes : Miracula sancti Antonii ex diversis scriptoribus.

(5) BÉRARD et DENONVILLIERS : Compendium de chirurgie pratique.

(6) Ce lieu s'appelait alors La Mothe Saint-Didier.


286 LE MAL DES ARDENTS

Gaston du Dauphiné (1), guéris, dit-on, avec le secours du saint, fondèrent un couvent en ce même endroit qu'on n'appelait plus que Bauvy Saint-Antoine. De là l'ordre des Antonins (2). La réputation de saint Antoine était universelle et les Bollandistes nous rapportent une foule de miracles opérés par son intercession dans la Belgique et l'Allemagne ; aussi ne s'étonne-t-onpas qu'on ait donné le nom de « feu saint Antoine » au Mal des Ardents (3).

En 1094 et 1095, c'est l'Aquitaine et en particulier le Limousin qui sont ravagés (4); en 1105, Arras et ses environs.

Gazet nous rapporte tout au long celte dernière épidémie (5) :

« Au temps de Lambert, évêque d'Arras, dit-il, envi" ron l'an 1105, le peuple estant fort desbordé et aban" donné à tous vices et péchez, la saison devint intem» pérée et l'air si infect et corrompu que les habitants » d'Arras cl du pays circonvoisin furent punis et affligés " d'une estrange maladie, procédente comme d'un feu » aident qui brullait la partie du corps atteinte de ce » mal. Les médecins ne pouvant aucunement remédier » en mourayent, aucuns avayent recours à Dieu et aux » saints ; et se trouvèrent en grand nombre devant le » portail de l'église de Notre-Dame en Cité, et à l'entour » d'icelle, s'escriant, se lamentant, requeyrant ayde et

(1) Du BROU DE SEGANGES : Les Saints Protecteurs, patrons des corporations, invoqués dans les maladies.

(2) Voir note 2, p. 245.

(3) Dans le Missel des Anciens on dit à collecte : « O Dieu qui accordez par les mérites du Bienheureux Antoine d'éteindre le feu morbide. »

(4) Ex Chronico Gaufredi Vosiensis. — Chronographie de Sigebert de Gembloux.

(5) Tiré d'une charte de l'évêque Alvire citée dans le Cartulaire de Notre-Dame des Ardents par Louis Cavrois.


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» secours (1). » Et voici que « dans la nuit du 23 mai, la » Sainte Vierge apparut à deux ménétriers fort célèbres » nommés Itier et Norman. Marie leur enjoignit de se » lever, d'aller à Arras et de prévenir l'évêque qu'il eût » à veiller, la nuit du samedi suivant, dans sa cathé» drale, parce que au chant du coq, une femme vêtue » comme elle l'était descendrait de la voûte tenant à la » main un cierge de cire blanche. Elle les avertit qu'elle » ferait tomber quelques gouttes de cette cire dans l'eau » destinée aux malades et que ceux qui en boiraient » avec un vif sentiment de foi seraient aussitôt guéris. » Mais Norman avait tué le frère d'Hier et en consé» quence les deux rivaux se haïssaient d'une haine mor» telle. Ils hésitèrent donc à se mettre en chemin. Mais la » nuit suivante la Sainte Vierge leur apparut de nouveau, » les sommant avec menace d'obéir à ses ordres (2). » Les deux ménétriers se rendent donc auprès de l'évêque, Lambert de Guines, qui d'abord refuse de les croire, mais voyant les deux ennemis tomber dans les bras l'un de l'autre et se réconcilier devant lui, il espère en la miséricorde de Dieu. Avec les deux ménétriers il se rend dans la cathédrale la nuit du samedi et, au chant du coq, la Sainte Vierge apparut et apporta le célèbre cierge qui devait être exposé si longtemps à la vénération des fidèles. « Et après que quelques vaisseaux furent

(1) Briefve histoire de la sacrée manne et de la sainte chandelle miraculeusement données de Dieu et religieusement conservées en la ville et cité d'Arras, avec les Miracles des Ardents, tant de la dite ville que de Paris et Tournay, et la vie de saint Waast, evesque et patron d'Arras. Le tout recueilly de plusieurs bons autheurs, chartes et trésors de diverses églises par M. Guillaume GAZET. — Arras, in-8°, 1599.

(2) La Sainte Chandelle, par M. Charles DE LINAS. — Annales archéologiques de Didron. — D'après Gazet et le P. Fatou — FERRY DE LOCRES : Histoire de la Sainte Chandelle. — Chronicum Belgicum A. Rayssius : Hierogazophylacium Belgicum.

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» remplis d'eau, l'évêque formant le signe de croix avec » la chandelle, fait dégoutter quelque peu de cire dans » cette eau ; et peu après il déclara aux malades la vertu » d'icelle et les exhorta d'en boire en grande révérence, » et avec ferme confiance en Dieu ; puis leur en donnèrent » à boire, et en lavèrent leurs charbons et ulcères ; et ils » en sentirent soudainement grande allegeance de leur » mal, tant par dedans aux parties nobles qui se gas» toient par une si ardente inflammation, que au dehors » de leurs membres qui estoient à demy pourris. Ils » estoient lors environ cent cinquante malades et furent » tous guéris, hormy un pauvre mal avisé, lequel mépri» sant un pareil remède osa témérérement asboucher » qu'il aimerait mieux du vin et aultres semblables pro» pos par dédain et contennement, de façon qu'il advint » n'embraser de ce feu sacré que tost après il en mourut » comme à demy forcené. »

A partir de ce moment, les guérisons se multipliant dans Arras, les malades des environs affluèrent dans celte ville et la sainte chandelle, confiée à la garde des deux jongleurs, vit se former autour d'elle le noyau d'une confrérie où entrèrent les plus éminents personnages du pays. Des cardinaux, des évêques, des rois de France et d'Angleterre, des comtes d'Artois, des ducs de Bourgogne, les abbés et religieux de Saint-Waast en firent plus lard partie. La confrérie possédait ses cérémonies particulières qui durèrent jusqu'en 1770. Elle eut bientôt sa chapelle spéciale et en 1214 (de Locres dit en 1215), une élégante pyramide s'éleva sur la place du Petit Marché, aujourd'hui place de l'Hôtel de Ville (1).

(1) Il existe à la Bibliothèque communale de Lille un manuscrit portant le n° 075 et concernant la Chapelle des Ardents qui a existé jusqu'au XVIIe siècle sur la grande place de Lille. Le manuscrit raconte la première apparition de la Vierge à deux joueurs d'instruments, l'institution de la Confrérie des Ardans


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Les statuts primitifs de cette confrérie sont fort intéressants à connaître, nous en citerons un extrait qui montre quelle en était la destination première. « (C) este carité » tient ou de Deu et de me dame sainte Marie. Et savés » per coi elle fut estorée : por les ardents qui ardoient » del feu d'infer. Ele ne fut ni establie por l'échérie ne » por folie. Ainsi fit Dex tels miracles qu'ele fut estorée » ardoient VII, XX et IIII aidant en la cité d'Arras. Et » puisque en la carité est entré li confrère, jà puis ne il » ne ses enfès qu'il ait, n'ardera del feu d'infer, nene » moirra de mort subite, s'il foi et créance il a (1). »

La réputation de la sainte chandelle s'est transmise jusqu'à nos jours et avant la suppression des processions un pèlerinage célèbre attirait pendant 9 jours des foules nombreuses du département du Pas-de-Calais et des départements voisins, le Nord et la Somme.

A peine calmée dans le Nord, la maladie reprenait en 1109 (2) dans l'Orléanais, le pays Chartrain et le territoire de Beauvais(3) même où cependant, écrit le moine Albéric, elle sévissait très rarement à cause du bienheureux Gérémar. A l'horreur du mal vint se joindre l'horreur de la famine, car l'abondance des pluies (4), étouffa les fruits

(1) Bibliothèque Nationale, manuscrit 8541.

(2)... An 1109... in Gallia, maxime in Aurelianensi et Carnotensi provincia, clades ignifera multos invasit, dubilitavit et quosdam occidit. Ex Orderici Vitalis monachi Ulicencis historiae Ecclesiasticae libre XI. — Recueil des Histoires des Gaules, T. XII, p. 708.

(3) « Territoria tamen Belvacensi rarissime solet accidere plaga ignis, quod, » beato Geremaro speciali dono a Deo datum afferunt. » Chronique d'Alheric, moine des Trois-Fontaines. — Recueil des Histoires des Gaules, T. XIII, p. 090.

MCIX. Hac anno sacro igne multi accendentur... » Chronagraphia de Sigebert de Gembloux. — Recueil des Hisroires des Gaules, T. XIII, p. 204.

(4) « Nimietas pluvarium fructus terras suffocavit et vindemia pene tota » deperiit. Deficientibus itaque Cerere et Baecho, valida farnes terrigenas passim » maceravit in mundo. » Ex Orderici Vitalis monachi libro. — Recueil des Histoires des Gaules, T. XIII, p. 708.


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de la terre et les vendanges périrent presque complètement.

Quelques années s'écoulent sans qu'il en soit encore question, mais en 1128 (1), elle réapparaissait en France, éprouvant particulièrement le Soissonnais et le pays Chartrain.

A Chartres, la mortalité fut terrible. Saint Etienne rapporte que la Bienheureuse Mère de Dieu apparut plusieurs fois dans son église et guérit tous ceux qu'elle toucha de ses vêtements sacrés (2). A Soissons, les malades se rassemblèrent dans l'église de la Bienheureuse Vierge Marie, Mère de Dieu, et là, pendant quelques jours, implorèrent la miséricorde de Dieu et le secours de la Vierge. De telle sorte, dit le chroniqueur Robert, qu'au bout du quinzième jour, cent trois malades avaient recouvré la santé (3).

Celte épidémie se poursuivit encore en 1129 dans les mêmes provinces (4), gagnant en outre Paris, le Cambrésis, l'Artois cl maintes autres régions (5). « Les » jeunes, les vieux, les vierges les plus tendres voyaient » leurs pieds, leurs mains, leurs seins et même leurs joues » rongés par l'horrible feu (6). » Partout on se précipitait dans les églises, cherchant auprès des saints et sur(1)

sur(1) Anno MCXXVIII indivisibilis ignis plurinos depastusus at in regno » Francorum... » Ex chronico Turonensis. — Recueil des Histoires des Gaules, T. Xll, p 470.

« Anno MCXXVIII invisibilis ignis plurimos depastusus in regno Francorum » cui morbo misericorditer meritum B. Dei Genitricis Mariae obviavit proecipuae » in urbe Suessionis. » Ex Chroniquo Sancti Petri Senonensis, p. 283.

(2) Chronicon sancti Stephani Cadomensis.

(3) Ex Roberti appendice ad Sigebertum.

(4) Epistolae Ivonis Carnotensis Episcopi.

(5) Chronicon Anselmi Gemblacensis.

(6) Ibid.


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tout de la Vierge Marie le remède qu'on ne trouvait pas auprès des hommes (1). Félibien nous raconte l'épidémie de Paris. « En 1129, Paris, comme tout le reste de la » France, fut affligé de la maladie qu'on nommait des » Ardents. Ce mal, quoique déjà connu par la mortalité » qu'il avait causée dans les années 945 et 1041, était » devenu d'autant plus terrible qu'il paraissoit sans » remède. La masse du sang toute corrompue par une » chaleur interne qui dévoroit les corps entiers, pous» sait au dehors des tumeurs qui dégénéraient en » ulcères incurables et faisoient périr des milliers » d'hommes ». Les malades sont donc apportés dans l'église de Notre-Dame, « lesquels ont tellement rempli » l'église qu'une bien petite voye à grand peine suffi» sante et nécessaire au peuple (2) reste encore. Puis » Etienne, évêque de Paris, voyant que tout l'art des mé» decins était épuisé, jugea qu'il fallait avoir recours à » d'autres remèdes plus efficaces. Il ordonna des prières » publiques précédées de jeûnes pour apaiser la colère » de Dieu. Comme la maladie continuait, il crut devoir » demander l'assistance de sainte Geneviève par une » procession solennelle à son église où il alla accom» pagné de son clergé et suivi de tout le peuple. On leva » la châsse de la Sainte et elle fut apportée à Notre» Dame. L'évêque devant le miracle avait fait nombrer » toutes les malades. » En foule ils s'empressèrent de la toucher et l'on assure qu'au même moment tous furent guéris, à l'exception de trois, dont l'incrédulité ne servit qu'à rehausser encore la gloire de sainte Geneviève. « Donc tel miracle (1130) estant convenu, l'evesque et le

(1) Ex Anonymi Blandiniensis appendicula ad Sigebertum. — Ex Chronico Lobiensi.

(2) Discours du Miracle des Ardents, par Benoist ANGEVIN.


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» clergé s'efforcèrent, selon la coutume éclésiastique, » amplifier les louanges de la Vierge, mais ils ont été » empêchés par la clameur du peuple et estonnément » du miracle, car ils ne pouvaient parler si hault comme » estoient les voix des tourbés ». Depuis ce jour (1130) la maladie contagieuse cessa non-seulement à Paris, mais encore par tout le royaume. Le pape Innocent II qui vint en France l'année suivante pour éviter la persécution de l'anti-pape Pierre de Léon ou Anaclet, ayant été informé du fait et de toutes ces circonstances, en consacra la mémoire par un feste qui se fait tous les ans à Paris le 26 novembre en actions de grâces, sous le nom de Miracle des Ardents. L'on bâtit ensuite proche de Notre-Dame une église du titre de Sainte-Geneviève la Petite ou des Ardents, en mémoire de cet événement merveilleux. Elle fut d'abord donnée aux chanoines de Sainte-Geneviève qui la cédèrent depuis à l'esvèque en 1202, et c'est aujourd'hui l'une des paroisses de la cité (1).

Trois ans après, en 1133, la maladie eut un moment de recrudescence et comme à chaque nouvelle apparition les hommes cherchaient secours auprès du Seigneur. Gautier, moine de Cluny (2), nous rapporte un curieux miracle qui eut lieu dans l'église de la Vierge Marie, sise à Dormientum. Dans cette église se trouvait une image de la Vierge d'une beauté au-dessus de tout ce que l'on peut imaginer, et de toutes les provinces on

(1) Il est fait mémoire de ce miracle dans le Bréviaire de Paris, le 20 novembre.

Sainte Geneviève est aussi invoquée pour une foule d'autres maladies. Le Bréviaire de la Bibliothèque de Lyon 1597 contient une oraison contre les lièvres chaudes et contagieuses où le nom de sainte Geneviève est invoqué. Le calendrier de Saragosse, en 1870, mentionne sainte Geneviève avocat contre la lèpre.

(2) De Miraculis B. Virginis Mariae (auctore Gauterio Monacho Cluniacensi). — Ex duobus codicibus mss.


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venait pour la voir et la vénérer. Il arriva donc que la femme d'un paysan appartenant à cette église, femme qui jouissait d'assez d'honneur parmi les siens, eut le visage attaqué d'une façon horrible par le mal. Conduite devant l'image de la Vierge par ses fils et ses parents, elle se prosterne, gémissante et inondée de larmes; elle supplie la mère de miséricorde d'avoir pitié de son malheur. D'autres femmes joignent leurs prières aux siennes et supplient la Reine des Vierges de prendre sa servante en pitié et elles passent la nuit à chanter des psaumes, à réciter des prières et à pleurer pour gagner la miséricorde de Dieu. Mais leurs prières et celles de la malade ne servent en rien. La malheureuse femme reste cependant et espère encore en la mère de miséricorde. Hélas ! son mal augmente toujours et occupe maintenant tout le visage ; une odeur fétide qui remplit l'église s'en dégage. Accablé d'ennui et de fatigue son mari est reparti et ses fils et ses filles sont épuisés par les veilles, la mauvaise odeur et les prières. Elle, laissant voir une figure horrible, presque désespérée après une attente de 13 jours, reste prosternée devant l'image de la Vierge et mouillée de larmes s'adresse à elle en ces termes : « O maîtresse, dit-elle, vous que j'avais cru la mère de » miséricorde et la source de la bonté, vous que j'avais » cru le refuge des malheureux, seriez-vous insensible » à mon égard? je vois que c'est en vain que j'espère en » votre pitié. Vous avez rendu à la santé tous les étran» gers malades qui sont venus ici de tous les points du » pays pour vous implorer; et moi, moi qui suis votre » propre servante, vous me dédaignez, vous ne me faites » pas même la faveur d'un conseil. Je sortirai donc de » votre église, je ne gênerai plus les autres de l'odeur » qui se dégage de mes plaies, je ne les effraierai plus » par ma laideur sans exemple. » Sur ces mots la malade


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sort de l'église. Elle marche doucement au milieu des soupirs et des pleurs de tous ceux qui l'entourent et quitte la ville au milieu de toute une foule pour qui elle est un objet de terreur, car elle n'est plus l'image d'un être humain mais d'un monstre informe. Le nez, la lèvre inférieure lui manquaient et les pommettes réunies par la violence de la maladie n'en formaient plus qu'une seule. Enfin, harassée de fatigue, la malheureuse femme parvient à la maison d'un certain paysan et lui demande l'hospitalité. Emu de pitié, celui-ci prépare un lit de paille dans la partie la plus retirée de sa maison et y fait coucher la malade. Puis il l'engage à prendre un peu de nourriture, mais elle refuse. La nuit étant complètement venue, la pauvre femme épuisée s'endort profondément et durant son sommeil elle voit la Bienheureuse Marie Mère de Dieu debout près d'elle au milieu d'une auréole de lumière, la menaçant et la blâmant d'avoir quitté l'église ; mais elle, s'étant jetée à ses genoux, implorait sa miséricorde. Alors la Bienheureuse Marie la relève elle-même et lui ordonne de se tenir devant elle. Puis d'une main caressante elle touche son visage; aussitôt toute douleur disparaît et la malheureuse retrouve sa santé première de telle sorte qu'il ne subsistait ni cicatrice ni signe de quelconque blessure. Enfin, après avoir béni la femme, la vision glorieuse disparut; revenue à elle-même, l'infortunée, incertaine de sa guérison, rappelle la vision à sa mémoire, elle touche son visage et le retrouve tel qu'il était avant la maladie ; il ne restait plus aucune trace du mal.

Pendant l'épidémie de 1141, c'est encore la Bienheureuse Vierge Marie que l'on implore (1). En 1151 (2), le

(1) Ex Anonymi Blandiniensis appendicula ad Sigebertum.

(2) Ex Roberti abbatis de Monte appendice ad Sigebertum.


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feu et une famine terrible au delà de toutes celles connues causent à nouveau une nouvelle mortalité, surtout parmi les pauvres, ce qui tendrait à prouver que ce mal était bien dû, tout au moins en partie, soit à la mauvaise alimentation, soit au manque total d'hygiène.

De longtemps il n'est plus question du mal ; mais, en 1234 et 1235, la France fut véritablement terrorisée par le fléau. Dans le Poitou et le Limousin les morts se succédaient sans interruption et les cimetières de Poitiers recevaient chaque jour trente, quarante et même cent cadavres. Enfin, pour l'année 1374, le dictionnaire de Trévoux nous rapporte une maladie épidémique qui « fut nommée le Mal des Ardents ».

A partir de cette époque, il n'est plus fait mention du Mal des Ardents dans aucune chronique. Ce feu, qui pendant une durée de 800 ans avait porté la terreur parmi les diverses populations de la France, semble avoir disparu de la surface du globe, vaincu sans nul doute par l'amélioration des conditions hygiéniques et de la nourriture ainsi que par le progrès des cultures des céréales.



CHAPITRE VII

Frayeurs populaires provoquées par les différentes apparitions du mal. — Rôle social de la maladie.

Si nous considérons avec soin chacune des chroniques nous rapportant les diverses épidémies, nous trouverons en elle deux points communs : l'intervention divine dans l'apparition et la guérison du mal, la fable. C'est en effet le propre de tout peuple encore enfant de voir dans chaque évènement le doigt de la Providence. Nos pères du Moyen-Age ne faisaient point exception à cette règle. Pour eux il n'y avait point de cause en dehors des causes divines. Telle maladie expliquée aujourd'hui par le manque d'hygiène, l'abus d'aliments mauvais, telle guerre malheureuse, étaient aussitôt considérés alors comme une punition infligée par Dieu à son peuple. Il n'en fut pas autrement pour ce Mal des Ardents qui sema la terreur parmi ces âmes avides de surnaturel. Félibien rapporte qu' « un auteur qui écri» voit au commencement du règne de Henri III nous » représente cette affreuse maladie comme un fruit des » dérèglements honteux qui furent cause que Dieu, pour » châtier les coupables, espandit son ire sur eux, les affli» geant d'une ardeur extravagante et feu nuisible (qu'on » appelle feu sacré) qui leur rongeait misérablement les » membres avec lesquels ils avoient failli et lesquels ils » avoient employez au service du diable ». Ce que nous lisons dans l'histoire de Paris, nous le trouvons à peu


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près dans toutes les chroniques; elles considérent cette maladie comme une vengeance de Dieu. Sans doute on ne doit pas oublier que la plupart des chroniques du Moyen-Age sont écrites par des moines qui, plus que tout autre personne, voient le doigt de Dieu en toutes choses. Mais il ne faut pas oublier non plus que les moines étaient bien le miroir fidèle des esprits, esprits essentiellement religieux, moins curieux d'explications naturelles et scientifiques que d'interventions surnaturelles. Ces chroniques nous rapportent nombre de fables qui prirent certainement naissance dans l'esprit des populations à la suite des frayeurs graves provoquées par les différentes apparitions du mal : telle l'histoire de ce serpent ailé qui parcourut tout le Poitou. Il n'est pas d'ailleurs sans intérêt, pour notre récit, d'en citer quelques-unes.

Mezeray écrit au sujet de l'épidémie de 944, s'appuyant en cela sur la chronique, que « en ce temps-là affligé de » tant de malheurs et menacé de beaucoup d'autres » parurent en l'air des boules de feu ardentes, qui » venant comme des bombes à fondre sur les maisons, » les réduisaient toutes en cendre : les démons furent » veus à Montmartre en forme d'hommes à cheval » abattre un bastiment bien cimenté en moins de rien». On lit de même dans la chronique d'Angers qu'en l'année 945, le quatrième jour des Ides de Mai, la foudre tomba, sans qu'il fil le moindre vent et sans qu'on entendît le tonnerre, dans presque toutes les villes du royaume où se trouvaient des églises. Elle frappait indifféremment les hommes et les troupeaux. En certains endroits aussi les démons apparurent, la nuit, sous la forme de loups bêlant comme des chèvres (1).

(1) Chronica Andegavensia apud Labbe.


LE MAL DES ARDENTS 299

En l'année 1088, le troisième jour des Kalendes de septembre, on vit voler dans les airs un dragon de feu vomissant des flammes de sa bouche. Aussitôt suivit cette terrible maladie pestilentielle (1).

Plus tard, « environ l'an 1105, au temps de Lambert, » évêque d'Arras, le peuple estant fort débordé et aban» donné à tous les vices et péchez, la saison devint » intempérée et l'air si infect et corrompu que les habi» tants d'Arras et du pays circonvoisin furent punis et » affligés d'une estrange maladie procédante comme » d'un feu ardent (2) ». Cette maladie, selon la chronique de Verdun, aurait été infligée par Dieu à son peuple, comme punition, parce qu'il se trouvait des hommes qui violaient la trève de Dieu (3). Si on ajoute à cela que ces mêmes années d'épidémie il y eut, soit des éclipses de soleil ou de lune, soit des tremblements de terre (4), soit enfin l'apparition de comètes (5), comme en 1085 et 1096, on comprendra facilement la frayeur de ces populations qui voyaient le surnaturel en tout et partout.

Il semble d'ailleurs que tout ait conspiré pour augmenter les craintes et confirmer cette idée de vengeance divine. En 1042, par exemple, une famine, provoquée par le manque de blé et de froment, vint tourmenter différentes régions de la France déjà éprouvées cette même année par la terrible maladie (6). En 1085, la trop grande abondance de pluies étouffa les produits de la terre, la stérilité du sol fut épouvantable, les vendanges

(1) Boll. : Miracula sancti Antonii. — Ex diversis scriptoribus.

(2) Guillaume GAZET : Briefve histoire de la sacrée manne.

(3) Chronicon Virdunense Hugonis Ab. Flaviniaci.

(4) Chronicon Turonensis.

(5) Ex Chronico Saxonico. (6) Chronicon Virdunense.


300 LE MAL DES ARDENTS

périrent presque totalement et une violente famine s'en suivit (1). Au moment de la seconde translation de saint Martial à Limoges, il y eut un tremblement de terre qui effraya si fort le peuple que personne ne croyait échapper à la mort (2).

Ces frayeurs, cette crainte de Dieu, celle peur de la vengeance divine provoquèrent, à chaque nouvelle apparition du mal, de vigoureuses poussées vers la religion. Le peuple, déjà si profondément et si naïvement croyant, tremblant sous le regard courroucé du Seigneur, se précipitait en niasses dans les églises. On ne croyait pas en la puissance des médecins, mais en celle de Dieu seulement qui avait donné le mal. De là ces translations de reliques, de là ces prières ardentes qui montaient suppliantes, et même menaçantes (3), vers le Seigneur; de là des fondations d'églises, de monastères, d'hôpitaux (4) et peut-être même un peu de cette fougue apportée aux premières croisades. Pendant l'épidémie de 835, par exemple, tous les évêques de l'Aquitaine s'assemblèrent à Limoges. Le corps de saint Martial, patron de la Gaule, fut sorti de son sépulcre et apporté sur une colline voisine que depuis lors on appela Montjoie (5). Pendant

(1) Chronicon Turonensis.

(2) BALUZE : Histoire de Tulle, appendice.

(3) Voir le discours prononcé par l'archevêque de Bordeaux sur le tombeau de saint Martial à l'occasion de l'épidémie de 994.

(4) VIAUD GRAND-MARAIS : Les Maisons-Rouges " Ty-Ru ».

(5) Cette colline devrait ainsi son nom de Montjoie à la première translation de saint Martial en 835 et non à la seconde connue le veut le P. Bonaventure. — D'autre part, l'origine de ce nom serait bien Mont de la Joie, Mont Jauvy (Mons gaudii) à cause de la joie immense que causa dans toute l'Aquitaine la cessation du fléau, et non Mont Jovis (Mont de Jupiter) à cause d'un prétendu temple païen.

Voir l'abbé ABBELLOT : Récits sur l'histoire du Limousin, saint Martial et le Christianisme. — L'abbé Arbellot paraît ne pas avoir connu cette épidémie de 835.


LE MAL DES ARDENTS 301

l'épidémie de 994, nouvelle assemblée des évêques à Limoges. La deuxième translation des reliques de saint Martial sur la colline qui domine la ville se fit au milieu d'une foule immense. Et là fut aussitôt bâtie une église qu'on consacra au nom de Saint-Martial.

Ainsi les esprits, jeunes encore et ouverts à toutes les fables grotesques que l'imagination pouvait dicter pour objectiver leurs croyances, furent en butte à des frayeurs terribles. Ces frayeurs étaient en somme parfaitement explicables par les ravages de l'affreuse maladie. Cette phrase du moine Albéric peut nous donner une idée du caractère redoutable de ce mal : Trois plaies, dit-il, sont inhérentes à trois nations, la famine des Anglais, le feu des Gaulois et la lèpre des Normands (1).

Outre ces fondations d'églises, de monastères, d'hôpitaux (2), provoquées par les différentes apparitions du mal, d'autres influences, qui modifièrent en quelque sorte la société du Moyen-Age, se firent sentir. Jusquelà, moines, seigneurs et roturiers vivaient chacun leur vie ; le seigneur bataillant au dehors, regardant de très haut le pauvre forçat de la glèbe qu'il considérait un peu comme sa bête de somme, le moine mystique attaché à ses études et à ses prières, le paysan à son pauvre champ. Ces vies si différentes s'écoulaient parallèlement, sans que l'une empiétât en rien sur l'autre. Il fallait, pour rompre cette monotonie, pour égaliser un peu ces vies si diverses par leur être et par leur but, qu'il survînt quelque chose de profond, prenant racine dans le

(1) « ... Très plagae, tribus regionibus appropriari soient, Anglorum fames, Gallorum ignis, Normanorum lepra... » Chronicon Alberici Triura Fontium Monachi. — Recueil des histoires des Gaules, t. XIII, p. 690.

(2) Voir note page 271.


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domaine de la divinité et de la religion. A cette égalisation, à cette fraternité des classes, le mal et les frayeurs qui s'en suivirent contribuèrent pour une grande part. Le malheur fait oublier les haines de caste et la souffrance suscite la pitié de ceux qui ont méprisé. On vit ces nobles seigneurs qui jadis ne s'adressaient aux malheureux serfs que le mépris aux lèvres et la férule en mains, prendre des attitudes suppliantes, se mêler à ces foules hurlantes de malades et les aider parfois de leur fortune. Tel ce Raoul de Déols qui, dans un élan de belle générosité, abandonne aux chanoines de Saint-Sylvain tous les droits qu'il possède sur les malades qui viennent implorer le secours du bienheureux Sylvain (l). Ainsi, de l'épée, les sujets passent à la crosse et pour eux ce passage est un changement de situation sociale, une transformation dans leur vie et dans leurs moeurs. Ce changement est si réel que ce même Raoul de Déols et ses successeurs furent obligés de prendre des mesures sévères contre des malades qui ne l'étaient pas et qui venaient sous le porche de Saint-Sylvain dans le seul but de passer sous la dépendance des chanoines.

Les hommes vivant dans une crainte commune, devenaient un peu plus frères chaque jour. Et à ce sentiment d'égalité dans le malheur, nous devons ces admirables dévouements que nous rapporte la chronique. Combien, cependant, durent s'exercer dans l'ombre, modestes fleurs cachées dont le parfum n'est pas arrivé jusqu'à nous ! Combien durent faire comme cet Israël, chanoine du Dorat, qui prenait les malades sous sa protection, les logeait, les nourrissait, lavant les plaies lui-même, les soignant et diminuant d'autant cette mortalité immense. Et des miracles avaient lieu, miracles de constance, de

(1) Voir note page 277.


LE MAL DES ARDENTS 303

propreté et de bons soins. Ne méritent-ils pas d'être nommés ces nombreux évêques de Poitiers, d'Angoulême, de Saintes, de Périgueux, de Clermont qui, à l'annonce de l'épidémie de 994 (1 ), accoururent spontanément devant le tombeau de saint Martial à Limoges, les archevêques de Bordeaux et de Bourges en tête, et là, de concert avec le primat du Limousin, voulurent opposer une barrière au mal par leurs prières. Ce même archevêque de Bordeaux devait entraîner en un immense élan de foi toute cette multitude souffrante réunie auprès des restes de l'apôtre et prononcer ce discours admirable dans lequel il impose la guérison.

Ainsi il devenait tout puissant ce clergé; toute sa grandeur, toute son autorité s'augmentaient de celle des seigneurs. Prêtres, ils étaient les guérisseurs spirituels auxquels même les grands devaient recourir, et cela non seulement pour eux mais pour leurs sujets s'ils ne voulaient pas les perdre tous.

Plus profonde encore dut être celte révolution.

Les lois, les moeurs, la vie matérielle, tout dut en souffrir. Il y eut sans nul doute comme un arrêt momentané, comme une suspension de vie. Telles provinces, le Limousin, le Poitou, La Marche, le Soissonnais, virent ce puissant organisme qu'est le travail arrêté. La frayeur était forte à ce point que les affaires étaient abandonnées, les hommes désertaient les champs, leurs ateliers pour ne penser qu'à leur vie spirituelle, pour implorer les reliques des Saints. On ne cultivait pas, on n'ensemençait pas, on ne récoltait pas. De là les terribles famines qui correspondirent avec ces années de peste et contribuèrent à augmenter davantage les frayeurs déjà provoquées ; de là peut-être ces fameuses terreurs de l'an mil.

(1) Voir épidémie de 994.

20



CHAPITRE VIII

Des différentes fondations et institutions dues à l'influence du mal

L'influence de ce mal sur les esprits fut certainement considérable. Après les diverses épidémies auxquelles vinrent s'ajouter en général la famine, l'apparition de comètes, des tremblements de terre, comme en 835, 994, 1109, 1151, 1234 et 1235, il y eut une poussée nouvelle vers la religion. La foi s'était réveillée en ces jours de malheur; valides et malades, tous accouraient devant les autels implorer la miséricorde de Dieu. Ce mouvement religieux, dû en grande partie à la frayeur des esprits, se traduisit bientôt par une ardeur nouvelle à bâtir des églises, des monastères, des chapelles. A Limoges, après la deuxième translation de saint Martial en 994, la foule reconnaissante avait bâti, à cette même place où avaient reposé les reliques du bienheureux apôtre, une église que l'on consacra sous le nom de Saint-Martial des Ardents. A Paris, après l'épidémie de 1129, une église fut bâtie proche Notre-Dame, sous le titre de Sainte-Geneviève la Petite ou des Ardents, et une fête fut instituée sous le nom de Miracle des Ardents. Cette fête devait avoir lieu à Paris, tous les ans, le 26 novembre A Lille, sur la grande place, une chapelle dite des Ardents a existé jusqu'au XVIIe siècle (1). A

(1) Témoignage de M. l'Archiviste départemental du Nord, confirmé par M. Desplanque, archiviste de la ville de Lille.


306 LE MAL DES ARDENTS

Arras, une chapelle, destinée à conserver la sainte chandelle, fut bâtie au XVIIIe siècle. Elle fut détruite en 1791. Il existe encore à Arras une confrérie (1) de Notre-Dame des Ardents fondée au XIIe siècle pour conserver « le » cierge miraculeux ayant la propriété de guérir du Mal » des Ardents ». A Senlis (2), en la Cathédrale NotreDame fut fondée une lampe pour éclairer les malades du « feu sacré » qui s'y traînaient de loin, même durant la nuit, pour y solliciter le remède surnaturel. Une fête commémorative y fut également établie en 1319 sous le titre de Notre-Dame des Miracles. A Vienne, en Dauphiné, l'église de Saint-Antoine de Viennois fut fondée en 1119 pour perpétuer le souvenir des miracles opérés, dit-on, par l'intercession du Saint. C'est près de Vienne aussi, à la Mothe Saint-Didier, que Guarin, son père et Gaston du Dauphiné fondèrent un couvent en 1095. De là l'ordre des Antonins. Ce ne furent d'abord que de simples laïques vivant sans faire des voeux et dévoués seulement au service des pauvres atteints du l'en SaintAntoine. Plus lard, en 1297, le Pape Boniface VIII (3), de simples hospitaliers la plupart laïques, les lit chanoines réguliers sous la règle de saint Augustin, et donna à leur première maison le titre d'abbaye dont le supérieur est abbé et général de tout l'ordre composé de 180 commanderies, en comptant celles de France. Charles V, dans la cinquième année de son règne, donna des lettres patentes pour l'établissement des religieux hospitaliers de l'ordre de Saint-Antoine de Paris. Aimar

(1) Témoignage de M. l'Archiviste départemental du Pas-de-Calais.

(2) Des documents sur les miracles accomplis à la cathédrale de N.-D. de Senlis, sur la fondation de la lampe et sur l'institution de la fête commémorative, sont contenus dans la collection Afforty conservée à la Bibliothèque municipale de Senlis.

(3) Charte du roi Charles V. — Pièces justificatives dans l'Histoire de Paris, de FELIBIEN et LOBINAU.


LE MAL DES ARDENTS 307

Fulcevelli, désigné pour gouverner la nouvelle maison, « amena avec lui de l'abbaye de Saint-Antoine en Vien» nois un nombre suffisant de religieux pour faire l'office » divin et exercer l'hospitalité envers les pauvres affligez " de la maladie qu'on nommait feu sacré ou de Saint» Antoine, conformément aux volontez du fondateur ».

C'est aussi pour combattre le mal qu'un grand nombre d'hôpitaux furent édifiés durant le Moyen-Age. Parmi eux plusieurs sont encore en service et restent comme un dernier témoignage de ces épidémies terribles. Dans la Loire-Inférieure, on trouve à Clisson, à Saint-Etienne de Corcoué, à la Benâte, à Touvois, à Bouin, à Passay, à Châteaubriand, à Nantes, à Escoublac et à Saint-Vincent des Landes, divers établissements sous l'invocation de saint Antoine, qui furent destinés au traitement du Mal des Ardents (1). C'est aussi dans l'Ouest, et en particulier dans la Loire-Inférieure, que se trouvent ces maisons rouges (ty-ru) qui ne furent sans doute pas autre chose que des hôpitaux destinés à l'isolement des malades atteints du « feu sacré » ou des autres maladies épidémiques. « Leur situation à l'écart des lieux habités » sur des routes d'un accès facile », le prouve suffisamment, dit le docteur Viaud Grand Marais. Ces maisons, ainsi appelées parce qu'elles « étaient peintes en rouge » avec des flammes sur les portes et les murs extérieurs, » enseigne parlante destinée à en éloigner les pas» sants (2) », se multiplièrent et fuient utilisées contre les diverses épidémies qui ravagèrent la France jusqu'au commencement du XVIIIe siècle.

C'est aussi de cette époque que datent une foule de

(1) L'Assistance publique dans la Loire-Inférieure avant 1789, un vol. in-8° Nantes, 1880, par M. Léon MAÎTRE, archiviste départemental.

(2) Salire Ménippée.


308 LE MAL DES ARDENTS

pèlerinages, les uns maintenant disparus, les autres plus ou moins fréquentés. A Entrefins, près Adriers (Vienne), par exemple, on fait encore des voyages pour le feu. Il existe des pèlerinages de Saint-Antoine (1) dans beaucoup de départements (2), dans le Cantal, le Doubs, le Gers, la Gironde, le Lot-et-Garonne, la Dordogne, l'Isère, l'Indre-et-Loire, la Seine-Inférieure, les AlpesMaritimes, les Bouches-du-Rhône. Dans le Limousin, les fontaines de Saint-Martin ont la réputation de guérir. On s'y rend surtout pour s'y laver les parties affligées d'érysipèle et en général de toute maladie inflammatoire (3). Personne, dans le Poitou ou dans le Limousin, n'ignore les ostensions de leurs Saints préférés, saint Martial, saint Israël, et, aux jours de fêtes solennelles, les gens vont encore avec foi puiser à la source miraculeuse de Saint-Junien. A Arras (4), jusqu'à la suppression des processions, un pèlerinage célèbre à la chapelle des Ardents attirait, durant 9 jours, des foules nombreuses du Pas-de-Calais et des départements voisins : le Nord et la Somme.

Cet aperçu, bref sans doute, aura peut-être suffi pour jeter quelque lumière nouvelle sur cette époque troublée et ténébreuse, ce grand « pan de nuit » qu'est le MoyenAge. Peut-être aura-t-il, dans un faible rayon, servi à corriger quelques idées souvent fausses en nous montrant ces hommes du temps médiéval, non pas incultes,

(1) On lit dans le Missel d'Amiens, 1529, à collecte : « O Dieu qui accordez par les mérites du Bienheureux Antoine d'éteindre le feu morbide. »

(2) L'abbé BLEAU : Les Pelerinages célèbres, Poitiers.

(3) BARNY : Histoire du Limousin.

(4) Témoignage fourni par l'Archiviste départemental du Pas-de-Calais.


LE MAL DES ARDENTS 309

égoïstes et sauvages, mais hommes de croyance profonde et naïve, capables parfois des plus glorieux dévouements. Peut-être aura-t-il suffi à démontrer aussi combien grave dut être ce « Mal des Ardents » et combien il dut semer la terreur parmi ces populations n'ayant pour tout remède que la prière. La science médicale était trop à ses débuts pour combattre efficacement une maladie aussi dangereuse et aussi étrange et les hommes en arrivaient naturellement à recourir à Dieu. Placées entre la mort certaine d'un côté et un espoir de guérison fondé sur une foi simple et profonde, les populations croyantes du Moyen-Age ne pouvaient que choisir ce dernier parti et même se livrer tout entières à cette espérance. Cela ne se passe d'ailleurs pas autrement à notre époque de scepticisme et on pourrait relever bien des points de ressemblance entre nos grands pèlerinages actuels et ceux du Moyen-Age : saint Martial, sainte Geneviève, saint Genou, ne furent pas plus invoqués dans leurs églises de Limoges, de Paris, de Vienne que ne l'est aujourd'hui la Vierge dans ses basiliques de Lourdes, Notre-Dame des Victoires et autres. La souffrance est un mobile assez puissant pour inspirer les mêmes sentiments aujourd'hui qu'au Moyen-Age, car la nature de l'homme ne change pas, si ses idées et ses moeurs se transforment. La peur de la mort, l'espoir de la guérison peuvent pousser à des actes que la raison réprouve parfois ou tout au moins n'approuve pas.



BIBLIOGRAPHIE

OUVRAGES CONSULTÉS

I. — Chroniques (1).

Adhemar de Chabannes. — Adalgésius. — Aimoin. — Albéric. — Anselme de Gembloux. — Coral (Pierre) (2).

— Farsit (Hugues) (3). — Ferry de Locres (4). — Frédégaire. — Flodoart. — Gautier. — Geoffroy de Vigeois. — Gérard de Frachet. — Glaber (Baoul). — Grégoire de Tours (5). — Hugues de Flavigny (6). — Maleu (7). — Orderic Vital (8). — Bobert de Torigny ou du Mont (9).

— Robert (10). — Saint-Jacob de Liège. — Saint-Etienne.

— Saint-Pierre de Sens. — Sigebert de Gembloux. —

(1) On trouve ces diverses chroniques dans les Bollandistes : Acta Sanctorum ; Analicta Bollandina ; MIGNE : Patrologie, Paris, 1844-1855, 221 vol. ; Recueil des historiens de France (Dom BOUQUET). Paris, 1737-1870, 23 v. in-f°; Dom MABILLON, etc.

Pour la bibliographie détaillée, on pourra consulter : POTTHAST : Bibliotheca historica medii aevi, 1895-96 ; U. CHEVALIER : Répertoire des sources historiques du Moyen-Age, Paris, 1877-88; 1894-95, etc.

(2) Grande Chronique de Limoges.

(3) Libellus de miraculis B. M. Virginis in urbe Suessionensi.

(4) Chronicon Belgicum.

(5) Histoire ecclésiastique des Francs (10 livres).

(6) Chronique de Verdun.

(7) Sa chronique a été publiée par l'abbé Arbellot. Limoges, 1847.

(8) Histoire ecclésiastique.

(9) Chronique universelle.

(10) Appendice ad Sigebertum.


312 LE MAL DES ARDENTS

Vincent de Beauvais (1). — Anonyme (2) ; Chronique de Saint-Denis ; Chronique Saxonne, etc.

II. — Vies des Saints.

Vies de Saint Antoine (3).

— Sainte Dympne : Ex Petro Canonico S. Auberti.

— Saint Genou : Auctore Benedictino anonymo. —

Ex Bibliotheca Floriac, Joan. Boscii.

— Sainte Geneviève (4): Ex veteribus manuscriptis. Saint Junien : Ex Ms Codice Cluniacensi.

— Saint Martial (5) : Ex Ms Tornacensi eruta a Fr.

Josepho, carmelita Discalccato. P. Labbe (6) : Nova Bibliotheca manuscriptorum. Paris, 1657, 2 vol. in-fol. Vies cl miracles de : La Bienheureuse Vierge Marie (Auctore Gauterio monachis Cluniacensi : Ex duobus codicibus Ms) ; Saint Israël ; Saint Martial ; Saint Sylvain. A. Lecoy de la Marche : Anecdotes historiques, légendes et apologues tirés du Recueil inédit d'Etienne de Bourbon, dominicain du XIIIe siècle, publiés par la Société d'histoire de France, par A. Lecoy de la Marche. Paris, 1877.

(1) Bibliotheca mundi, speculum majus ; speculum triplex.

(2) Appendice à la Chronique de Sigebert de Gembloux.

(3) Extraits de divers auteurs très morcelés.

(4) Manuscrits trouvés, dits le Bollandiste, dans l'église Saint-Martin d'Utrecht.

(5) Ces vies des Saints se trouvent dans le Recueil des Bollandistes et dans la Patrologie latine de MIGNE.

(6) Savant jésuite né à Bourges en 11107, mort à Paris en 1607.

On a de lui : Rerum aquitanicarum collectio nova manuscriptorum librorum. Paris, 1071, 18 vol. in-f° ; — Bibliotheca bibliothecarum. Paris, 1664, in-4°.


LE MAL DES ARDENTS 313

Miracles de la Bienheureuse Marie de Soissons. (Arch. dép. de l'Aisne.)

III. — Ouvrages historiques.

L'Abbé Arbellot (1) : Documents sur la ville de SaintJunien, 1848; Récits sur l'Histoire du Limousin ; Saint Martial et le Christianisme (2).

Docteur Bacquias : Recherches historiques et nosologiques sur les maladies désignées sous les noms de : feu sacré, feu Saint-Antoine, Mal des Ardents (3).

Benoist-Angevin (4) : Discours de l'histoire du Miracle des Ardents guéris de Dieu, par les prières et mérites de Sainte Geneviève à Paris, du temps du règne de Louys le Magnanime, fils de Philippe, Roy de France, par M. René Benoist-Angevin, docteur régent en la Faculté de théologie à Paris. A Paris, chez Thomas Belot, en la rue Saint-Jacques, 1568, in-8.

Baluze : Historiae Tutelensis. Paris, 1717, vol. in-4.

Besly (Jean) : Histoire des comtes de Poitou et des ducs de Guyenne, 1647, in-fol.

Charles de Linas (5) : La Sainte-Chandelle d'Arras.

Bonaventure de Saint-Amable (appelé d'ordinaire le P.

(1) A été pendant longtemps président de la Société archéologique du Limousin.

(2) Bulletins de la Société archéologique du Limousin.

(3) Mémoires de la Société académique d'agriculture, des sciences, arts et belles-lettres du département de l'Aube. Année 1864, t. XXVIII de la collection.

(4) Ce discours de Benoist, curé de Paris, n'est autre qu'un sermon prêché à ses paroissiens d'abord, puis édité dans un but apologétique, pour défendre contre les protestants le culte des Saints et de leurs reliques.

(5) Cette étude de Charles de Linas se trouve dans les Annales archéologiques de Didron (novembre-décembre 1850).


314 LE MAL DES ARDENTS

Bonaventure) : Histoire de Saint Martial, 3 vol. in-fol. Clermont, 1676.

Cavrois (Louis) : Cartulaire de Notre-Dame des Ardents à Arras. Arras, 1876.

Du Brou de Seganges : Les Saints protecteurs, patrons des corporations, invoqués dans les maladies. 2 vol. gd in-8. Paris, Bloud (1904).

Gazet (Guillaume) : Briefve histoire de la sacrée manne et de la saincte chandelle miraculeusement données de Dieu et religieusement conservées en la ville et cité d'Arras, avec les miracles des Ardents, tant de ladite ville que de Paris et Tournay ; et la vie de Saint Waast, evesque cl patron d'Arras. Le tout recueilly de plusieurs bons autheurs, chartes et trésors de diverses églises, par M. Guillaume Gazet.

Arras, imprimerie de la Rivière, 1599, in-8.

Grand (l'abbé) : Histoire de Bellac. Limoges, 1893.

D. Michel Félibien : Histoire de la ville de Paris (terminée par Lobineau, 1755, 5 vol. in-fol.).

Maître (Léon) (1) : L'Assistance publique dans la LoireInférieure avant 1789, 1 vol. in-8. Nantes, 1880.

Mezeray (François-Eudes de) : Histoire de France, 3 vol. in-fol., 1643-46.

Raynal : Histoire du Berry.

Rougerie (l'abbé) : Vie de Saint Jean (détails sur Saint Israël du diocèse de Limoges, 1861).

Pierre Robert (2) : Mémoires collectionnés par D. Fonteneau (87 vol.). Arch. de la Vienne.

Torfs (Louis) : Fastes des calamités publiques survenues spécialement dans les Pays-Bas et particulièrement en Belgique, depuis les temps les plus reculés jusqu'à

(1) Archiviste départemental (Loire-Inférieure).

(2) Lieutenant général de la Basse-Marche au XVIe s.


LE MAL DES ARDENTS 315

nos jours, par Louis Torfs, membre et correspondant

de diverses sociétés historiques et littéraires. In-8,

Tournai. Viaud Grand-Marais (Docteur) : Les Maisons rouges (1),

opuscule de 16 p., chez Biroché et Pantais. Nantes,

1906. Victor Martin de Moussy (2) : Recherches sur l'origine

de la maladie nommée feu des Ardents, au Moyen-Age,

et la comparaison avec les maladies analogues.

IV. — Ouvrages scientifiques

Bérard et Denouvilliers : Compendium de chirurgie pratique.

Bouisson (3) : La Médecine dans les poètes Latins. Paris, 1843.

Cornélius Broeck (4) : Traduction du traité de la peste de Wauthier van de Perre (Pestboeck, ofte remedien teghen de pestilentiale cortse..., 1633, in-8.

Fernel (Jean) : Universa Medicina. Paris, 1567, in-fol.

Garola : Les Céréales.

Grisolle (Docteur) : Traité de pathologie interne, 2 vol., chez Masson.

Heuzé (Gustave) : Les Plantes alimentaires.

Prillieux (Ed.) : Maladies des plantes agricoles et des

(1) En breton « Ty-Ru ».

(2) Cette élude se trouve dans l'Investigateur, journal de l'Institut historique, t. I, 2e série, 8e année, février 1841.

(3) Ex-doyen de la Faculté de Médecine de Montpellier.

(4) Médecin belge. Sa traduction résumée se trouve dans la Galerie médicale anversoise. Anvers, 1860.


316 LE MAL DES ARDENTS

arbres fruitiers et forestiers, causées par des parasites végétaux. Etc., etc.

V. — Documents divers.

Manuscrit n° 675. (Bibliothèque communale de Lille.) Cartulaire de Levroux (1). Charte de l'évêque Alvise (2). Charte du roy Louis V (3). Bréviaire de Paris.

Bréviaire de la bibliothèque de Lyon, 1597. Missel d'Amiens, 1529

Tomes XII, XVII, XXII, de la collection Afforty (4). Ivon (5) : Lettres. Etc., etc.

(1) Arrondissement de Châteauroux (Indre).

(2) Citée dans le Cartulaire de Notre-Dame des Ardents de Louis CAVROIS.

(3) Citées dans l'Histoire de la ville de Paris, de FELIBIEN et LOBINEAU. (1) Cette collection est conservée à la Bibliothèque municipale de Senlis. (5) Evêque de Chartres au Moyen-Age.


TABLE DES MATIÈRES

Pages

AVANT-PROPOS 239

CHAPITRE I. — Des différents noms du mal 241

CHAPITRE II. — Description du mal 247

CHAPITRE III. — Nature du mal 251

CHAPITRE IV. — De la première apparition du mal en France 259

CHAPITRE V. — Le mal dans le Centre de la France (Poitou, Limousin, Marche, Berry et environs) 265

CHAPITRE VI. — Des différentes apparitions du mal en France 281

CHAPITRE VII. — Frayeurs populaires provoquées par les différentes apparitions du mal. — Rôle social de la maladie 297

CHAPITRE VIII. — Des différentes fondations et institutions dues à l'influence du mal 305

BIBLIOGRAPHIE 311



LES ÉCHINIDES

DE

L'Argovien du Berry

Les couches argoviennes du département du Cher ont été étudiées par MM. Douvillé et Jourdy (Note sur la partie moyenne du Jurassique dans le Berry, in Bull. de la Soc. Géol. de France, 3e série, t. III, p. 93, 1875) et subdivisées par eux en calcaires à spongiaires, marnes à spongiaires et marnes à fossiles pyriteux, en allant de haut en bas En 1890, M. de Grossouvre (Compte rendu de l'excursion de la Soc. Géol. à Châteauneuf-sur-Cher, in Bull. de la Soc. Géol. de France, 3e série, t. XVI, p. 1108), en donna une nouvelle description et en étudia les Céphalopodes et les Brachiopodes. Puis il établit avec la dernière évidence que les calcaires à chailles de l'Indre ne sont qu'une modification latérale de l'Argovien à spongiaires.

Ce dernier forme une longue bande qui traverse tout le département de l'Est à l'Ouest, non sans disparaître par endroits. Disposés en arc de cercle très irrégulier au Nord de Nérondes, ces marnes et calcaires prennent la direction Sud-Ouest à partir de Saligny-le-Vif. On les

21


320 DE L'ARGOVIEN DU BERRY

rencontre à Bengy, Cornusse, Lugny, Saint-Marceau, Malçay, puis ils disparaissent et semblent portés plus au Sud où un lambeau se trouve autour de Givry. Ils pointent de nouveau à la surface du sol sur la rive gauche du Cher, à Venesmes, où ils gardent une direction EstOuest depuis cette localité jusquà Montlouis et Parassay. Recouverts encore une fois, il ne reparaissent au jour qu'à la limite des deux départements du Cher et de l'Indre avec le même faciès à spongiaires (marnières de Villemongin et de Sanguille, carrières d'Etrechet), où ils n'ont plus que trois à quatre mètres d'épaisseur.

Puis, un peu à l'Ouest de la vallée de l'Indre, ils subissent cette modification latérale si bien mise en lumière par M. de Grossouvre et que nous avons rappelée, pour ne reparaître avec leur facies propre que dans la vallée de la Creuse, au Nord et presque en bordure du fleuve, à l'Ouest de Ruffec (Indre).

Ces marnes et calcaires, qui atteignent dans le département du Cher une épaisseur totale de 20 à 30 mètres, sont envahis par d'innombrables spongiaires de toutes les formes (ce qui leur a valu leur nom de marnes à spongiaires), par des Ammonites, des Bélemnites, des Brachiopodes, des articles de Crinoïdes, etc. Cette faune, extrêmement riche, est de tous points analogue aux faunes des couches de même nature signalées depuis longtemps dans l'Est de la France, en Suisse et en Allemagne.

De la présence de cette faune spéciale, on peut conclure que les marnes à spongiaires se sont déposées dans des conditions de calme nécessaire pour le développement des grands spongiaires étalés et des innombrables Crinoïdes dont on rencontre les articles séparés. A côté d'eux et dans l'abri qu'ils y trouvaient, se développaient des Echinides gnathostomes, habitants des récifs, Cida-


LES ÉCHINIDES 321

ridés et Diadématidés qui forment à eux seuls les deux tiers et plus des Echinides argoviens du Berry.

La détermination des Cidaridés de l'Argovien est d'autant plus délicate que le plus souvent on ne rencontre que les tests sans les radioles ou les radioles sans les tests. D'ailleurs bien des auteurs, et non des moindres, ont confondu les tests eux-mêmes, par exemple Quenstedt (fig. 1 et 2 de la planche 62 de son atlas Die Echiniden). La même confusion existe pour les radioles. Les radioles attribués par Quenstedt au Cid. propinqua appartiennent probablement au Cid. elegans, et il en est de même de ceux qui ont été figurés par Cotteau, pl. 515 de la Paléontologie française. — D'autre part, d'après M. Lambert, le radiole véritable du Cid. propinqua serait celui que Cotteau a figuré pl. 188 de la Paléontologie française et Quenstedt n'aurait rien figuré de semblable (Communication de M. de Grossouvre).

S'il en est ainsi et si l'on admet ces déterminations comme exactes jusqu'à la preuve contraire, on peut affirmer que le Cid. propinqua n'existe pas dans l'Argovien du Berry, au moins jusqu'à présent, ni test, ni radioles. Seules en abondance, deux espèces de radioles s'y rencontrent, ce sont : Plegiocidaris coronata et Plegiocidaris elegans.

Plegiocidaris coronata (Schlotheim, sub Echinus, 1820).

Les radioles de cet Echinide sont pour la plupart mal conservés à cause de la fragilité de leur longue et mince collerette ; leur aspect si caractéristique ne permet pas de les confondre avec d'autres et ils sont analogues à ceux que l'on a trouvés dans d'autres endroits.

Dans les mêmes couches, on rencontre des tests assez nombreux de Cidaridés dont les plus gros peuvent être


322 DE L'ARGOVIEN DU BERRY

identifiés sans trop de peine avec le Cid. coronata tel qu'il a été circonscrit par Cotteau dans la Paléontologie française (Echinides réguliers du terrain Jurassique, t. X, pages 132 et suivantes). Les plus petits se rapprochent du Cidaris propinqua dont ils ont (caractères communs à presque tous les Cidaris jeunes) la faible zone miliaire, les tubercules relativement gros et saillants, les ambulacres garnis de deux rangées de granules. Mais Cotteau lui-même n'a-t-il pas signalé la difficulté de séparer du Cidaris propinqua les jeunes Cidaris florigemma, coronata, cervicalis, avant qu'ils n'aient revêtu la livrée de l'adulte ? Est-il déraisonnable d'attribuer les radioles les plus nombreux aux tests les plus fréquemment rencontrés dans les mêmes couches ? Les radioles et tests adultes appartiennent manifestement au Cidaris coronata. Nous hésitons d'autant moins à rattacher à cette espèce les tests de petite taille qu'il n'a pas été rencontré jusqu'à présent, au moins à notre connaissance, dans l'Argovien du Berry un seul radiole du Cidaris propinqua tel que l'ont figuré Cotteau (pl. 188 de la Pal. française — Echinides réguliers du terrain Jurassique) et de Loriol (pl. III, fig. 4-7 — Echinologie helvétique, Echinides jurassiques).

Localités : La Loge, Venesmes (où leur présence a été signalée par Cotteau à la suite des recherches de M. Péron).

Plegiocidaris elegans (Munster, sub Cidarites, 1826).

Si le test de cette espèce est assez rare dans l'Argovien du Berry, nous n'en avons rencontré que trois, par contre les radioles y sont assez communs. Nous n'hésitons pas à nous rallier à l'opinion de M. Lambert et à attribuer avec lui au Plegiocidaris elegans les


LES ECHINIDES 323

radioles figurés à la planche 515 de la Paléontologie française, rencontrés dans l'Argovien de Venesmes par M. Péron et rapportés probablement à tort au Cidaris propinqua. Il devrait sans doute en être de même de ceux qui ont été figurés par Quenstedt, pl. 62, fig. 20-24 (Die Echiniden) et attribués par lui au Cid. propinqua. Mais on arrivera peut-être à séparer les radioles du Cidaris elegans (Quenstedt) de ceux que nous attribuons avec M. Lambert au Cid. elegans (Munster), tel qu'il a été circonscrit par Cotteau. Cependant, certains de ces derniers, trouvés dans l'Argovien à scyphies du Berry, ont, eux aussi, une granulation plus grossière et rangée au sommet du radiole en une sorte de couronne plus ou moins distincte.

Les tests sont absolument semblables au Cid. elegans décrit par Cotteau (Pal. française — Echinides réguliers du terrain Jurassique, pag. 120 et suivantes). Ils ont la bande lisse du milieu des ambulacres entre les deux rangées de granules marginaux, les tubercules interambuIacraires espacés, entourés de granules scrobiculaires en bourrelet, la zone miliaire presque nue.

Nous avons décrit ailleurs (Feuille des jeunes naturalistes, n° du mois d'août 1903), l'apex d'un de ces Cidaris trouvé dans les marnières de Sanguille (Indre), apex semblable à celui du Cidaris coronata de l'Echinologie helvétique et identique à celui de Cidaris coronata figuré par Quensdedt. Malgré ces similitudes et bien que la disposition des plaques de l'apex soit différente de celle du Cidaris elegans figuré par Quenstedt (Die Ech., pl. 62, fig. 3 et 4), nous pensons que la détermination de notre Cidaris elegans ne saurait être douteuse.

Localités : Côte des Billons, près de Venesmes (Cher) ; Marnières de Sanguille (Indre).

Trois autres Cidaridés ne sont représentés jusqu'à pré-


324 DE L'ARGOVIEN DU BERRY

sent dans l'Argovien du Berry que par leurs radioles, nous ne les citons que pour mémoire, ce sont :

Plegiocidaris filograna (Agassiz, sub Cidarites, 1840).

Cette espèce, dont on ne connaît encore que les radioles, est assez commune à Venesmes, bien qu'on ne rencontre que des fragments incomplets. Ils sont reconnaissables à leur aspect claviforme, à leur granulation fine, disposés en séries nombreuses.

Localités : Côte des Billons, près de Venesmes.

Paracidaris Blumenbachi (Munster, sub Cidarites, 1826).

N'a été rencontré qu'à l'état de fragments de radioles reconnaissables à leur forme cylindrique, grêle, allongée, à leur tige couverte de granules épineux en séries droites, régulières, plus ou moins espacées. Collerette striée, anneau très saillant, facette articulaire fortement crénelée.

Localités : Côte des Billons (Cher); Marnières de Sanguille (Indre).

Paracidaris florigemma (Phillips, sub Cidarites, 1829).

Nous n'avons rencontré dans l'Argovien du Berry que de rares fragments de ses radioles bien reconnaissables à leurs granules, tous spiniformes quand ils sont bien conservés, reliés entre eux par un filet et disposés en séries longitudinales et régulières. Le sommet tronqué du radiole est garni de granules allongés et rayonnants en forme d'étoile. — Leurs granules plus gros et disposés en séries plus espacées permet de les différencier du Plegiocidaris filograna (Agassiz).

Localités : Côle des Billons, près de Venesmes (Cher); Marnières de Sanguille (Indre).


LES ECHINIDES 325

Rhabdocidaris caprimontana (Desor, 1861).

Sa présence a été signalée à la côte des Billons par la Paléontologie française (Ech. rég. t. Jurassique, pag. 813) à la suite des recherches de M. Péron.

Les radioles de cette espèce y sont en effet très abondants, mais le plus souvent en mauvais état, fragmentés et usés. On peut cependant dire que toutes les formes et toutes les variétés décrites par Cotteau (Pal. fr., page 284), y sont représentées, depuis la forme allongée et cylindrique jusqu'à la forme aplatie en rame avec tous les intermédiaires. Ce sont les mêmes granules épineux sur la tige, avec épines plus fortes à la base, formant quelquefois dents de scie sur les bords et toujours plus apparentes d'un côté. La collerette est brusquement étranglée, l'anneau très saillant est finement crénelé, la facette articulaire a de fortes crénelures.

Les mêmes couches nous ont fourni plusieurs plaques interambulacraires qu'on peut attribuer à cette espèce. Les tubercules sont fortement crénelés, à mamelon relativement petit, à scrobicules très larges, elliptiques, tangents entre eux et aux zones porifères. La zone miliaire est très large, couverte de granules très petits, épars, écartés, quelques-uns allongés transversalement.

Localités : Côte des Billons, près de Venesmes (Cher) ; Marnières de Villemongin (Indre).

Trochotiara priscum (Agassiz, sub Diadema 1840).

Cette espèce, dont la présence dans l'Argovien du Cher n'a pas encore été signalée, est représentée dans nos trouvailles par trois échantillons en assez bon état et présentant tous les caractères spécifiques qui lui ont été attribués : ambulacres homogènes formés de majeures à trois éléments, zones porifères unigéminées, tubercules principaux non contrastants dans les deux


326 DE L'ARGOVIEN DU BERRY

aires, tubercules secondaires très apparents dans les échantillons de grande taille, etc. Localité : Côte des Billons, près de Venesmes (Cher).

Diplopodia aequale (Agassiz, sub Diadema, 1840).

Cette espèce paraît répandue dans toute l'étendue de la bande argovienne du Berry, car nous l'avons rencontrée en plusieurs points éloignés. Nos échantillons possèdent bien tous les caractères de l'espèce : Pores légèrement bigéminés au sommet; tubercules secondaires assez développés mais peu nombreux et ne s'élevant pas très haut, etc.

Localités : Côte des Billons, près de Venesmes (Cher) ; Marnières de Sanguille (Indre).

Diplopodia Marioni (Cotteau), sub Pseudodiadema, 1882).

Cette espèce paraît rare dans l'Argovien du Berry, car nous n'en connaissons que deux exemplaires dont l'un appartient à M. de Grossouvre. Elle est bien reconnaissable à sa forme déprimée, ses pores bigéminés au sommet, son péristome large, ses tubercules secondaires n'existant que sur le côté externe des tubercules principaux et ne formant qu'une rangée très peu apparente.

Localité : Côte des Billons, près de Venesmes (Cher).

Aplodiadema Langi (Desor, sub Pseudodiadema, 1856).

Assez abondant dans l'Argovien du Cher où nous en avons recueilli un assez grand nombre en bon état. Tous les caractères génériques et spécifiques y sont aisément reconnaissables : péristome faiblement ourlé à entailles presque nulles, pores ouverts à la base d'en renflement transversal, et disposés par simples paires légèrement multipliées près du péristome, autres caractères des


LES ECHINIDES 327

Pseudodiadema. Sa forme est très déprimée, ses tubercules ambulacraires sont brusquement diminués au sommet et ses tubercules secondaires nuls. Localité : Côte des Billons (Cher).

Magnosia decorata (Agassiz, sub Eucosmus, in Agassiz et Desor, 1847).

Cette espèce est abondante dans l'Argovien du Cher où nous en avons recueilli un assez grand nombre d'exemplaires. Elle se reconnaît facilement à ses aires ambulacraires si étroites qu'il y a à peine la place nécessaire pour contenir les deux rangées de petits tubercules qui les garnissent. C'est ce caractère qui avait engagé Agassiz à en faire le type du genre Eucosmus qui n'a pas été admis.

Localité : Côte des Billons (Cher).

Collyrites capistrata (Goldfuss, sub Spatangus, 1826).

Assez abondant dans l'Argovien du Berry où il se rencontre avec tous les caractères spécifiques bien connus : Avant élargi et très légèrement échancré, arrière fortement acuminé, bords latéraux presque droits, aires ambulacraires postérieures très éloignées du périprocte supramarginal.

Localités : Côte des Billons (Cher) ; Marnières de Sanguille et d'Etrechet (Indre).

Collyrites bicordata (Leske, sub Spatangus, 1778).

Cette espèce est assez rare dans l'Argovien du Berry. Les échantillons qui y ont été recueillis ont bien tous les caractères décrits dans la Paléontologie française, terrain Jurassique, t. IX, pag. 91. Ils appartiennent surtout à la variété subcordiforme, à avant un peu échancré, arrière rétréci, face supérieure épaisse et renflée.


328 DE L'ARGOVIEN DU BERRY

Localités : Côte des Billons (Cher) ; Marnières de Sanguille et d'Etrechet (Indre).

Disaster granulosus (Goldfuss in Munster, sub Nucleolites, 1826).

Cette espèce est extrêmement rare dans l'Argovien du Cher, car nous n'avons recueilli qu'un seul exemplaire de petite taille. Bien qu'il soit en assez mauvais état, son attribution tant générique que spécifique ne laisse aucun doute.

Localité : Côte des Billons (Cher).

Holectypus depressus (Leske, sub Echinites, 1778).

Nous avons recueilli une demi-douzaine d'exemplaires de cette espèce à la Côte des Billons où elle ne semble pas très rare. Remarquable par sa grande extension verticale, l'Holectypus depressus se rencontre beaucoup plus rarement dans l'Oxfordien et surtout dans le Bauracien que dans les étages oolithiques sous-jacents. Ceux de Venesmes offrent tous les caractères de l'espèce : forme renflée, péristome grand n'échancrant pas le bord, granules de la face supérieure en séries linéaires, subonduleuses, horizontales, disposés dessous en demi-cercles rayonnants autour des plus gros tubercules et du côté des zones porifères.

Localité : Côte des Billons (Cher).

Arrivé à la lin de cette description, il nous reste à exposer brièvement les progrès qui ont été accomplis depuis trente ans dans la connaissance des Echinides argoviens du Berry. Nous nous bornerons à tracer le tableau des espèces décrites ou signalées par les différents auteurs qui les ont étudiées et à les comparer avec celles que nous avons rencontrées dans les mêmes couches.


LES ECHINIDES 329

En 1875, MM. Douvillé et Jourdy, dans le travail que nous avons cité plus haut, énuméraient quatre espèces d'Echinides, appartenant à deux genres différents :

Cidaris aspera (Agassiz) : radioles ;

Cidaris coronata (Goldfuss) : radioles ;

Cidaris propinqua (Goldfuss) : radioles, recueillis à Venesmes ;

Eucosmus decoratus (Agassiz) : test, trouvé à Dun-leRoi (Targon).

En 1885, Cotteau, dans la Paléontologie française, ne signale que quatre espèces appartenant à trois genres d'Echinides :

Cidaris coronata (Goldfuss) : radioles ;

Cidaris propinqua (Goldfuss) : radioles ;

Rhabdocidaris caprimontana (Desor) : radioles ;

Pseudodiadema oequale (Agassiz) : test, provenant de la côte des Billons où leur présence lui avait été signalée par M. Péron.

Dans l'Argovien du Berry nous avons rencontré jusqu'à présent (1908) quinze espèces d'Echinides répartis en dix genres différents :

Plegiocidaris coronata (Schlotheim sub Echinus) : test et radioles ;

— elegans (Munster sub Cidarites) : test et

radioles ;

— filograna (Agassiz sub Cidarites) ; radioles; Paracidaris Blumenbachi (Münster sub Cidarites) : radioles.

florigemma (Phillips sub Cidarites) : radioles ; Rhabdocidaris caprimontana (Desor) : fragments de test et

radioles ; Trochotiara priscum (Agassiz sub Diadema) : test ;


330 LES ECHINIDES DE L'ARGOVIEN DU BERRY

Diplopodia oequale (Agassiz sub Diadema) : test ;

— Marioni (Cotteau sub Pseudodiadema) : test ;

Aplodiadema Langi (Desor sub Pseudodiadema) : test; Magnosia decorata (Agassiz sub Eucosmus) : test ; Collyrites capistrata (Goldfuss sub Spatangus) : test ;

— bicordata (Leske sub Spatangus) : test. Disaster granulosus (Goldfuss sub Nucleolites) : test ; Holectypus depressus (Leske sub Echinites) : test.

Toutes ont été rencontrées à la côte des Billons, près de Venesmes, et surtout dans les marnes à spongiaires (couche I de MM. Douvillé et Jourdy).

Les Echinides sont beaucoup moins abondants dans les calcaires à spongiaires (couche H de MM. Douvillé et Jourdy), où nous n'avons rencontré que Plegiocidaris coronata (test et radioles), P. elegans (radioles), P. filograna (radioles), Paracidaris Blumenbachi (radioles), Trochotiara priscum (test).

Nous n'en avons pas trouvé dans les marnes à Ammonites pyriteuses (couches J et K de MM. Douvillé et Jourdy).

Les marnières de Villemongin nous ont fourni des radioles de Rhabdocidaris caprimontana.

Dans les carrières d'Etrechet, nous avons recueilli Collyrites capistrata et bicordata, et, dans les marnières de Sanguille, avec ces deux Collyrites, nous avons rencontré : Plegiocidaris elegans (test et radioles), Paracidaris Blumenbachi et florigemma (radioles), Diplopodia oequale (test).

Dr SÉGUIN.


LA VIE ET L'OEUVRE

DE

GUY DE MAUPASSANT

D'après le livre de M. E. MAYNIAL

« Nos oeuvres appartiennent au public, mais pas nos figures », écrivait Maupassant dans une de ses lettres. A plus forte raison, la vie de l'écrivain ne doit-elle être livrée aux curiosités indiscrètes du public que dans la mesure nécessaire pour comprendre et éclairer son oeuvre. Tel est le principe dont s'est inspiré M. E. Maynial dans l'ouvrage qu'il a fait paraître sur « La vie et l'oeuvre de Guy de Maupassant » (1), et dont il a bien voulu faire hommage à la Société Historique. M. Maynial a su raconter cette vie qui, plus que toute autre, prête à des révélations regrettables, qui permet trop facilement de satisfaire des curiosités malsaines, avec la même réserve et la même sincérité impartiale et complète dont Maupassant lui-même faisait preuve lorsqu'il décrivait la vie de son illustre maître Gustave Flaubert.

Avec M. Maynial, nous suivons pas à pas, captivés à la fois par l'intérêt du sujet et par la facilité, la précision, quelquefois la hauteur de son style, cette vie

(1) Société du Mercure de France, Paris, 1906.


332 LA VIE ET L'OEUVRE

depuis sa jeunesse, sa maturité exubérante et vigoureuse, puis lentement rongée par la souffrance, par la hantise de pensées morbides, jusqu'à l'obscurcissement final de cette intelligence qui produisit tant de chefsd'oeuvre.

Tout d'abord, les années d'enfance et de jeunesse : l'enfance tout entière passée sur le bord de la mer et en pleine campagne normande, près d'Etretat, sous l'unique direction de cette mère admirable que fut Laure Le Poitevin. Mme de Maupassant sut à la fois former l'intelligence de l'enfant et diriger l'éveil de son imagination, de sa faculté de voir, par une première éducation où Shakespeare trouvait place à côté de la grammaire et du latin et qui n'interdisait pas de fréquentes échappées à travers champs, ou sur des barques de pêcheurs.

Cette enfance devait laisser dans la pensée et dans l'oeuvre de Maupassant une empreinte ineffaçable. Combien de paysages normands encadreront plus tard des traits de moeurs normandes !

Puis c'est le séminaire d'Yvetot, d'où une protestation versifiée contre le cloître solitaire le fit renvoyer. Il entre alors au lycée de Rouen, où il continue plus que jamais ses essais poétiques.

La guerre de 1870 survint, qui laissa, elle aussi, des traces profondes dans son oeuvre, et Maupassant vint alors à Paris, où, comme rédacteur aux Ministères de la Marine puis de l'Instruction publique, il mena, de 1871 à 1880, un peu l'existence d'un bureaucrate malgré lui, et beaucoup celle d'un « gai compagnon, matois énergique et cordial qui adorait la campagne, les ripailles des villageois, le canotage et les farces ». — Entre temps, il apprenait son métier d'écrivain, " patiemment, courageusement », sous la surveillance d'un maître difficile et dont l'influence fut décisive : Flaubert.


DE GUY DE MAUPASSANT 333

C'est alors que commence la vie littéraire de Maupassant. — M. Maynial nous initie à cet historique des oeuvres avec l'érudition précise, minutieuse et complète que commandent les procédés actuels de la critique littéraire. Cet art, qu'illustrèrent les Sainte-Beuve et les Taine, tend à devenir de nos jours presque exclusivement une science — à la fois bibliographie et critique de textes. — Mais ajoutons que M. Maynial a su conserver à cette science trop souvent aride toute son ancienne élégance.

Chose curieuse : Maupassant, cet incomparable romancier, ce nouvelliste unique, commença par être poète. La première oeuvre parue en 1880 fut un volume intitulé : Des Vers, et c'est seulement vers la même époque qu'il fit ses débuts de prosateur avec la nouvelle Boule de Suif, débuts qui, du premier coup, lui apportèrent presque la gloire et décidèrent de sa vocation.

C'est alors l'OEuvre qui commence, et l'histoire de cette oeuvre est toute l'histoire de sa vie. Entre 1880 et 1890 Maupassant publia six romans, treize volumes de nouvelles, trois livres d'impressions de voyages et de nombreux articles de journaux. En 1885, il produisit cinq livres ! Citons — nous ne saurions mieux faire — ces quelques lignes de M. Maynial, qui caractérisent si justement cette période de la vie de Maupassant :

« Belle, laborieuse et régulière, son existence devient silencieuse, précisément à partir du jour où le succès de l'oeuvre attire sur l'homme la curiosité inévitable du public.

» Déjà célèbre, l'écrivain se renferme dans une solitude pleine de simplicité .. Quelques amitiés et quelques liaisons discrètes, de nombreux voyages auxquels l'entraînaient le souci de sa santé, l'amour de l'indépendance et le désir de renouveler son observation, mais surtout la préoccupation constante, impérieuse jusqu'à la hantise, de son oeuvre, tels sont les traits essentiels qu'on en peut retenir. »


334 LA VIE ET L'OEUVRE

Cette période de production intense, d'activité débordante, où se mêlent à la fois les plus nobles préoccupations littéraires, et le souci d'extraire de la vie tout ce qu'elle pouvait lui donner et tout ce que lui permettaient les gros profits pécuniaires qu'il tira de ses oeuvres, recèle cependant des symptômes morbides, des germes de décadence, que l'on peut découvrir jusque dans les débuts de sa vie.

C'est révolution de la maladie de Maupassant, évolution lente et tout d'abord imperceptible, puis angoissante, douloureuse, violente, au point d'aboutir à la tentative de suicide et à la folie, c'est cette évolution que M. Maynial a suivie dans le dernier chapitre de son livre. Il a su découvrir les premiers symptômes avec toute la finesse d'un psychologue avisé. — Il a su étudier le processus de la maladie en physiologue expérimenté. Enfin, et ce n'est pas son moindre mérite, il a su exposer, d'une façon complète et exacte, l'obscurcissement définitif de l'intelligence, la déchéance finale, avec une discrétion, une réserve dont les trop nombreux amateurs de scandales durent être fort désappointés, mais dont lui sont reconnaissants tous les amis de Maupassant.

Dès 1878, l'écrivain se préoccupait de sa santé, ainsi qu'en témoignent sa correspondance avec Flaubert et les sages conseils de ce dernier. — Il souffrait notamment de troubles visuels, qui ne tardèrent pas à s'aggraver des troubles nerveux dont ils étaient le premier symptôme. — Maupassant n'en continua pas moins à se livrer à des excès de toute nature, dont certains étaient plus pernicieux encore que son surmenage intellectuel. — Puis, fatal entraînement de ceux qui ont trop demandé aux sensations et auxquels leurs sens émoussés ne donnent plus ce qu'ils en attendent, Maupassant voulut ré-


DE GUY DE MAUPASSANT 335

veiller en lui, par des excitants artificiels, les jouissances qui s'épuisaient...

Il eut recours à l'éther, à la cocaïne, à la morphine, au haschisch, et Baudelaire n'a pas mieux décrit que lui les dangereuses ivresses, les entraînantes voluptés de ces poisons. — L'oeuvre de Maupassant se ressentait d'ailleurs de plus en plus du délabrement sans cesse grandissant de la santé de l'écrivain.

Musset s'est écrié jadis :

Nos déclamations sont comme des épées : Elles tracent dans l'air un cercle éblouissant, Mais il y pend toujours quelques gouttes de sang.

La prose de Maupassant est, elle aussi, faite de son sang et de ses nerfs, et nous n'aurions pas certaines pages de ses romans, certaines nouvelles tourmentées, angoissantes, presque folles, si l'écrivain ne les avait pas douloureusement vécues !

Il faut lire les belles pages que M. Maynial consacre à l'étude de ce reflet des souffrances de l'auteur sur son oeuvre, ces pages où l'on sent monter depuis l'exaltation de la solitude et l'angoisse de l'impénétrabilité des choses et des êtres dont parle Maupassant, « l'appel intime, profond et désolé, cette voix torturante, harcelante, inapaisable, inoubliable, féroce..., qui crie l'avortement de la vie, l'inutilité de l'effort, l'impuissance de l'esprit et la faiblesse de la chair, jusqu'aux plus intenses frissons d'une irrésistible épouvante, jusqu'à l'irrémédiable folie ».

M. Maynial cite à juste titre comme les symptômes les plus significatifs, dans l'oeuvre de Maupassant, des premières atteintes de sa folie, les trois nouvelles intitulées : Lui? — Le Horla — Qui sait ? — Si la nouvelle Qui sait ? est la dernière qu'il écrivit avant la crise finale, si elle relate un cas de folie caractérisé, à notre avis (qui

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336 LA VIE ET L'OEUVRE

diffère de celui de M. Maynial) la plus impressionnante est peut-être Le Horla, cet angoissant récit d'un être qui sent grandir en lui je ne sais quelle appréhension « d'un malheur qui vient ou de la mort qui approche, ce pressentiment qui est sans doute l'atteinte d'un mal encore inconnu germant dans le sang et dans la chair»; puis l'envahissement de l'intelligence, l'obscurcissement de la volonté se précisent : l'homme se sent la proie de quelque vampire invisible et toujours présent, que son angoisse appelle le Horla, fantôme qui suce son sang, se nourrit de sa vie, s'empare de son être tout entier dont il n'est plus lui-même que le spectateur esclave et terrifié jusqu'au jour où, pour échapper à l'obsession dévorante, ne pouvant tuer cet être indestructible, il va se tuer lui-même !

C'est ce que voulut faire Maupassant. «Je ne veux pas me survivre », déclarait-il vers la fin de l'année 1891. Le 1er janvier 1892, il essaya de s'ouvrir la gorge avec un coupe-papier en métal ; il ne réussit qu'à se blesser, et sa raison déjà chancelante s'effondra dans cette dernière crise. Alors commença dans la maison de santé du Dr Blanche une agonie de 18 mois : Maupassant ne reconnaissait presque plus personne, en proie au délire de la persécution et des grandeurs, en général restant assez calme. Il mourut le 6 juillet 1893.

Je veux citer en entier la dernière page du livre de M. Maynial, aussi élevée par le style que par la pensée.

« S'il est légitime, comme nous avons tenté de le faire, écrit M. Maynial, d'étudier la personne de Maupassant à travers son oeuvre et de ne rien dire de l'une que ce que l'autre révèle ou explique, c'est qu'il y a peu d'écrivains qui aient possédé à un si haut degré le respect et la passion de la parole écrite ; le livre n'est pas le caprice d'un amateur, l'accident d'une vie désoeuvrée ; il est la conscience même et la


DE GUY DE MAUPASSANT 337

chair vive de l'écrivain. La gloire et l'argent ont pu nous apparaître un instant, à travers quelques boutades de l'auteur, à travers ses premiers accès d'impatience nerveuse, comme la fin occasionnelle de son activité littéraire; mais ce n'est là qu'une illusion. Toutes ses déclarations sincères, toutes ses confidences protestent contre cette conception étroite de l'art. Sa vie entière appartient à l'oeuvre qu'il portait en lui, qui le maîtrisait et l'entraînait impérieusement, et dont la hantise perpétuelle, implacable, l'a épuisé prématurément. On peut dire sans exagération que son oeuvre même a déterminé sa vie, si rapide et si pleine, le livrant successivement à toutes les jouissances, à tous les instincts, à toutes les curiosités que son tempérament artistique réclamait. Aucune influence étrangère ne l'a déformée, aucun obstacle ne l'a jamais détournée de son cours régulier et limpide. Depuis le premier jour et depuis le premier livre jusqu'aux dernières heures et jusqu'aux dernières pages, il resta fidèle à ce principe que lui avait transmis son maître : « Tout sacrifier à l'art : la vie doit être considérée par l'artiste comme un moyen, rien de plus. (1)» Quand il sentit s'obscurcir en lui la vision claire et l'intelligence lucide, qnand il fut impuissant à résister au flot trop abondant des images et des visions incohérentes, il voulut mourir, libre encore et conscient, pour ne point donner à ceux qui l'avaient aimé ou qui l'avaient envié le spectacle honteux d'une déchéance. »

Nous ne saurions mieux terminer que par cette longue et trop courte citation l'analyse de ce livre qui est à la fois une oeuvre de critique littéraire et une oeuvre littéraire.

MARCEL MORNET.

(1) Correspondance de Flaubert, IV, p. 303.



DANIEL MORNET

LE SENTIMENT DE LA NATURE

EN FRANCE

De J.-J. Rousseau à Bernardin de Saint-Pierre

Thèse pour le Doctorat.

Paris, Hachette, 1907, in-8° de 572 p. (Prix : 7 fr. 50).

« Tout principe général de l'histoire n'a quelque chance de certitude que s'il résume un grand nombre de certitudes partielles. » Cette phrase, que nous empruntons à la conclusion du livre, exprime fort exactement la méthode rigoureuse et sévère qui a dirigé M. Daniel Mornet tout au long de la remarquable enquête qu'il vient de consacrer au Sentiment de la nature en France de J.-J. Rousseau à Bernardin de Saint-Pierre. Et nous nous rappelons fort à propos, au moment de rendre compte de cette étude, d'une déclaration de principe analogue que faisait récemment M. Mornet lui-même, en analysant un livre d'un autre historien de la littérature qui appartient à la même école que lui et se pique des mêmes rigueurs scientiques (1) : « L'histoire littéraire n'en est plus au point où était l'histoire de France il y a deux cents ans, lorsque seuls comptaient Louis XIV, Condé, Turenne, Louvois et Colbert. Les grands écri(1)

écri(1) d'histoire littéraire.


340 LE SENTIMENT DE LA NATURE

vains importent en définitive par ce qu'ils agissent sur ceux qui les lisent. Cette action, ce sont les témoins les plus obscurs qui en prouvent la profondeur. A cet égard, le Moniteur de Quimper vaut le Journal des Débats. »

Certes, le temps est passé où l'humeur inégale et arbitraire d'un critique prétendait asservir le goût aux caprices de sa sensibilité individuelle. L'histoire littéraire se construit aujourd'hui avec la même méthode impersonnelle que l'autre histoire. « Ce sont les faits qui louent...; » ce sont les faits aussi qui prouvent, et la manière de les raconter n'importe que par l'érudition, l'impartialité et la sûreté critique du narrateur. Quand il s'agit de juger la valeur d'un écrivain, la portée de son oeuvre, la direction ou l'importance d'un mouvement littéraire ou d'un courant d'opinion, nul témoignage ne doit être négligé; l'abondance et la précision des références sont des armes contre lesquelles ne peuvent prévaloir ni les généralisations hâtives et complaisantes, ni les impressions personnelles, impossibles à contrôler ou à justifier, ni l'autorité traditionnelle des pontifes.

Le sentiment de la nature dont M. Mornet a entrepris l'étude pendant une période limitée et décisive de son évolution, — la seconde moitié du XVIIIe siècle, — est un des aspects les plus curieux et les moins connus de notre histoire littéraire. Aujourd'hui on l'éprouve avec tant de simplicité et il s'exprime si couramment chez les moins expérimentés de nos romanciers ou de nos poètes, qu'on a peine à comprendre que tant de siècles aient pu vivre, goûter des émotions profondes ou délicates et rester pourtant insensibles au charme des forêts et des eaux vives, à la majesté sereine des montagnes, à la puissance tourmentée de la mer. Il faut bien que cela soit, puisque


EN FRANCE 341

les plus grands poêles de l'antiquité et des âges classiques n'ont jamais chanté, dans les plus beaux décors du monde, qu'eux-mêmes, leurs inquiétudes ou leurs espoirs, les réactions diverses de leur âme devant les grands problèmes de la morale ou les petits débats de la société, et puisque au XVIIe siècle, cent vingt ans environ avant la Nouvelle Héloïse, le poète Théophile de Viau, l'un de ceux qui passent aujourd'hui pour avoir aimé et compris la douceur de la solitude champêtre, et en qui le romantisme s'est découvert des ancêtres, sans doute pour faire la nique à Boileau qui ne pouvait les souffrir, ne trouve pas d'expressions plus lyriques, en présence d'une tempête bouleversant la Manche, que cette strophe navrante :

Nochers qui, par un long usage,

Voyez les vagues sans effroi,

Et qui connaissez mieux que moi

Leur bon et leur mauvais visage,

Dites-moi, ce ciel foudroyant,

Ce flot de tempête aboyant,

Les flancs de ces montagnes grosses

Sont-ils mortels à nos vaisseaux,

Et sans aplanir tant de bosses

Pourrai-je bien courir les eaux? (1).

Par quelle insensible transformation des moeurs et du goût littéraire peut-on passer de cette froide phraséologie aux somptueuses descriptions d'un Chateaubriand, d'un Hugo ou d'un Lamartine, c'est ce que M. Mornet nous montrera en faisant parallèlement l'analyse des faits et l'histoire des âmes pendant cinquante ans. Car on ne peut pas plus séparer l'histoire des moeurs de l'histoire littéraire, en étudiant cette curieuse évolution, qu'il ne les faudrait séparer quand il s'agit de la Renaissance,

(1) Théophile DE VIAU. — Sur une tempête qui s'éleva comme il était près de s'embarquer pour aller en Angleterre.


342 LE SENTIMENT DE LA NATURE

des précurseurs de la Révolution ou du romantisme. Confronter le sentiment individuel et l'expression littéraire, les éclairer ou au besoin les prouver l'un par l'autre, telle est l'une des moins contestables originalités de cette thèse et en même temps l'argument le plus décisif sur lequel se fondent les conclusions de l'auteur.

Pour conduire à bonne fin celte périlleuse enquête, M. Mornet n'a pas dépouillé moins de huit cent quatrevingt-sept documents, plusieurs inédits : manuscrits, journaux, mémoires, correspondances, oeuvres originales ou livres de seconde main. Je sais même, de source sûre, que la bibliographie indiquée à la fin de son étude ne représente qu'une partie de l'énorme dossier qu'il a dû lire ou consulter. Et je tiens à signaler ici, comme une innovation intéressante qui mérite d'être suivie, le procédé que l'auteur a adopté pour présenter sa documentation : l'index bibliographique est divisé en chapitres méthodiques ; à chaque document est attribué un numéro d'ordre ; dans le cours de l'ouvrage, les notes abondantes au lieu de charger le bas des pages de références longues et détaillées, renvoient simplement au numéro de la bibliographie, de telle sorte que ces notes ne contiennent le plus souvent que des chiffres. Ainsi le lecteur pressé, ou celui qui n'est soucieux que du plaisir de ht lecture, n'a pas l'esprit distrait par l'appareil compliqué des références, et le lecteur attentif, qui cherchera dans ce livre des indications ou des suggestions pour une élude nouvelle, trouvera aisément le document qui l'intéresse.

Nous ne pouvons entreprendre de résumer ici ni même d'analyser avec quelque précision celle thèse considérable : l'abondante documentation qui la caractérise, la


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multitude des faits particuliers sur lesquels se fonde l'argumentation de l'auteur échappent forcément à toute tentative d'examen sommaire. Mais précisément pour introduire plus de clarté dans ce vaste ensemble et permettre d'en saisir plus aisément les intentions, M. Mornet s'est assujetti à un plan très rigoureux et très souple en même temps dont l'exposé nous permettra de relever toutes les idées directrices et les conclusions fondamentales du livre.

L'ouvrage se divise en deux parties fort inégales d'importance : dans la première qu'il intitule les Faits, M. Mornet passe en revue tous les symptômes qui marquent à n'en pas douter, chez les Français du XVIIIe siècle, un retour à la nature, la connaissance et le goût des choses de la campagne. Ce sont d'abord les multiples villégiatures où nobles de Paris et de province, bourgeois ou gens de lettres, fuient le tumulte et les obligations de la vie urbaine, cherchent le calme et s'exercent à la rêverie. Dans toutes les régions de la France, ces maisons des champs sont nombreuses et les témoignages contemporains en attestent la vogue. Même à ceux qui n'y peuvent séjourner longuement, aux promeneurs d'un jour qui échappent pour quelques heures au morne ennui de la ville, la campagne s'offre et se révèle peu à peu. Avec plus de loisirs, d'initiative ou de ressources, des voyageurs découvrent de plus lointains horizons ; la montagne, longtemps méprisée, a de zélés partisans et la Suisse, après la Nouvelle Héloïse, devient une sorte de pèlerinage sentimental dont profitent indirectement la connaissance précise et l'amour sincère des beautés de la nature.

Mais ce ne sont là que des indices avant-coureurs d'un mouvement plus général et plus décisif. Après avoir sobrement analysé les faits, M. Mornet consacre la


344 LE SENTIMENT DE LA NATURE

seconde partie de son livre, la plus riche et la plus vivante, à l'étude des Ames : celles-ci sont l'expression de ceux-là ; villégiatures, promenades et voyages nous ont averti qu'une génération nouvelle est née, riche d'une sensibilité toute fraîche.

Certes, il ne faut pas demander tout de suite à ces néophytes de la nature une intelligence parfaite, sans arrière-pensée, sans préjugés tenaces, sans erreurs de goût, des plaisirs et des agréments qu'ils se sont avisés de découvrir à la campagne. La première forme que prend la passion nouvelle est celle d'une pastorale artificielle, très littéraire, un peu sentimentale, volontiers galante et trop souvent naive. C'est fort justement que M. Mornet a étudié à part ce premier état d'esprit sous le titre : l'Idylle champêtre ; elle s'installe, cette mondaine idylle, dans les ermitages et les laiteries édifiés en hâte dans les jardins trop peignés; l'agriculture et la botanique deviennent des occupations dignes d'un coeur sensible, d'un esprit cultivé et l'on peut s'y livrer sans déchoir; la littérature reflète fidèlement ces bergerades roucoulantes et ces églogues apprêtées ; mais trahit en même temps un sens précis et un certain amour de la vie agricole, sincère chez beaucoup. L'enthousiasme sans bornes qu'excitent les Idylles de Gessner, le succès d'un Berquin et d'un Léonard, la vogue que connut la pastorale théâtrale, dont le Devin du village est un des meilleurs spécimens, tous ces témoignages s'accordent pour prouver l'intérêt que porte le public du XVIIIe siècle en général aux expressions littéraires de la nature rustique.

Enfin, J.-J. Rousseau vint. Et avec lui un sentiment plus profond et plus sincère, fait d'émotion réelle et de rêve, va se substituer peu à peu aux fantaisies un peu fades de l'églogue. Rousseau aima vraiment la nature :


EN FRANCE 345

« Il y avait pour lui dans les choses non des formes agréables et indifférentes, mais une âme unie à la sienne pour solliciter et comprendre tout ce qui frémissait obscurément en lui. » (P 185.) A vrai dire, cette façon d'entendre et de goûter les beautés champêtres a encore quelque chose d'un peu trop philosophique pour être tout à fait naturelle. En somme, c'est l'écrivain lui-même qui se cherche et qui se retrouve sous le masque impassible des choses; cette émotion toute subjective, il l'a lui-même exprimée éloquemment dans un fragment de manuscrit inédit : « Forêt sans bois, marais sans eaux, genêts, roseaux, tristes bruyères, êtres insensibles et morts, ce charme n'est point en vous, il n'y saurait être, il est dans mon propre coeur qui veut tout rapporter à lui. » (P. 188.) Mais pourtant, par son amour réel de la solitude, par son goût tout nouveau pour le caractère sauvage et désolé de certains paysages, Rousseau apporte dans notre littérature une note originale et exerce sur ses contemporains une influence considérable que le retour aux champs et l'engouement pour l'idylle les préparaient à subir. La Nouvelle Héloïse qui peint, à travers les complications sentimentales de l'intrigue, tous les lieux chers à l'auteur, eut un succès retentissant : aujourd'hui les descriptions du roman nous semblent un peu factices, disposées comme autant de symboles des sentiments des personnages ; mais il y a pourtant un progrès réel dans ce que M. Mornet appelle ce « sentiment sentimental de la nature », que Rousseau mit à la mode et qu'exprimèrent autour de lui ou après lui des écrivains comme Diderot, Mercier et Saint-Lambert.

C'est dans les jardins de la fin du XVIIIe siècle que s'exprime le mieux la façon nouvelle dont on comprend et dont on aime la nature. La meilleure façon de la comprendre et de l'aimer n'est-elle pas encore de la respecter?


346 LE SENTIMENT DE LA NATURE

Perpétuellement contrariée ou violentée dans le jardin français à la manière de Le Nôtre, la nature reprend ses droits dans ce qu'on appelle d'abord le « jardin chinois », c'est-à-dire le jardin libre, et surtout dans le jardin anglais. Un pittoresque désordre, un fouillis d'arbres, des rochers et des tertres animés d'eaux vives, donnent au seuil des maisons l'illusion de la nature libre. Mais l'abus ne tarde pas à gâter les meilleures innovations : dans ces jardins philosophiques ou sentimentaux, où l'on se pique d'exprimer un état d'âme et même plusieurs, nous voyons bientôt se multiplier les temples gothiques, les grottes, les cabanes chinoises, les ruines, les obélisques, les cavernes, les tombeaux ou les bustes, à tel point que l'on croirait contempler avant la lettre l'inoubliable jardin où Bouvard et Pécuchet devaient un jour épuiser toutes les ressources de leur imagination en délire.

Heureusement une réaction se produisit contre cette caricature mesquine de la nature. En même temps ceux qui aiment vraiment les grands espaces et les beaux horizons n'hésitent plus à chercher loin de chez eux des émotions plus sincères et plus pures. La montagne prend, avant la mer, la place qui lui appartient, — la première, — dans l'amour de la nature : la Nouvelle Héloïse détermine vers la Suisse un exode de touristes et Rousseau se trouve fort inopinément avoir donné le signal des grandes ascensions. Mais ici encore le sentiment l'emporte en intensité et en franchise sur l'expression littéraire. En parcourant, à la suite de M. Mornet, les poètes et les prosateurs de la fin du XVIIIe siècle qui eurent tous les meilleures raisons de connaître, de comprendre et de décrire sincèrement la nature, on reste déconcerté par la gaucherie, la timidité et la pauvreté de leur talent descriptif. Le procédé règne en maître dans les Jardins de Delille comme dans les Saisons de Saint-


EN FRANCE 347

Lambert, comme dans les Mois de Roucher. Et pourtant ces titres ne sont-ils pas à eux seuls un symptôme irréfutable? La nature reste mensongère et froide quand on veut l'exprimer en vers : la rhétorique du temps, la tyrannie lointaine de l'âge classique embarrassent et arrêtent l'élan généreux des poètes. Avec Dorat, de Tréogate, Léonard et d'Arnaud, qui tous trahissent et confessent l'influence profonde de Rousseau, la prose est un peu plus heureuse : nous y retrouvons du moins ces « langueurs amoureuses, solitudes, rêveries, ces tragiques harmonies des choses et des âmes désespérées » qui, entre la Nouvelle Héloïse et Bernardin de Saint-Pierre, sont tout ce que l'on peut attendre du sentiment de la nature.

Nous arrivons ainsi à la partie capitale du sujet, la dernière division du livre, à laquelle M. Mornet a donné pour titre : La Nature pittoresque. Comment le sentiment du pittoresque s'est-il peu à peu imposé aux âmes, après l'amour de la campagne et du plein air, comment s'est-il exprimé dans la peinture, dans la poésie et dans la prose du temps ?

Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, les peintres sont d'excellents témoins de ce goût tout nouveau, encore timide, pour les beautés champêtres. Bien moins isolés qu'au siècle précédent, ils traduisent ou suivent assez communément, non les fantaisies de quelques amateurs, mais les préférences déclarées d'un public nombreux. De plus, l'art de peindre et l'art d'écrire se rejoignent et se confondent, par un détour que n'avait pas prévu l'âge classique. Or, avant même les jardins anglais, Boucher ou Watteau nous peignent de libres ombrages, des vallons incultes, des eaux vives, et Vernet des montagnes, des cascades et des marines, avant la connaissance parfaite de la Suisse et les chefs-d'oeuvre de Bernardin de Saint-Pierre. Leurs paysages, sans doute, subissent par-


348 LE SENTIMENT DE LA NATURE

fois un peu trop la fâcheuse influence de l'idylle ; mais ils se dégagent plus facilement que les écrivains des conventions et des règles traditionnelles.

Ces peintres achèvent l'éducation du public qui, dans les villégiatures ou dans les voyages, ne cherche plus seulement l'illusion d'une vie pastorale ou l'écho d'une émotion sentimentale, mais demande déjà à la nature ce qu'il est juste d'attendre d'elle, le charme des couleurs changeantes et des nuances indécises, l'harmonie ou l'imprévu des lignes pittoresques, tout ce qui est proprement « l'âme d'un paysage ».

Embarrassé dans les formes discrètes et les règles didactiques, l'art de peindre à l'esprit, — poésie ou prose descriptive, — ne réussit pas à contenter le goût sincère et délicat du public, que les peintres ont achevé d'éclairer. Le mot descriptif est inventé et la poésie descriptive devient un genre à part qui se suffit à lui-même : mais le mot et le genre restent impuissants à inspirer les poètes et à produire autre chose que des oeuvres médiocres. Les poèmes sur la nature, les saisons ou les jours sont plus abondants qu'intéressants : attendus avec impatience, lus avec fièvre, ils sont commentés ou critiqués avec une sévérité qui atteste la déception du public. La prose, malheureusement, subit la contagion de la poésie; encouragé par le succès du Télémaque et la vogue de Gessner, le poème en prose se constitue comme genre. Le chef-d'oeuvre de ce genre nouveau, l'Hymne au Soleil de l'abbé de Beyrac, nous fait sourire aujourd'hui par sa banalité grandiloquente. Rousseau lui-même, malgré son génie, ne trouve pour rendre les plus beaux paysages que des épithètes vagues et des images conventionnelles : ses meilleures descriptions, compromises par la préoccupation dominante du sentiment, de l'émotion ou du souvenir, souffraient d'une transposition maladroite des


EN FRANCE 349

détails précis et caractéristiques qui les rend indécises. Dorat et Léonard, avec de sérieuses qualités, sont aussi gâtés par le poème en prose; c'est dans Loaisel de Tréogate que M. Mornet relève avec raison les premières traces de franchise, ce sentiment simple et net de la nature toute nue qui fait prévoir le vrai créateur de la description pittoresque, Bernardin de Saint-Pierre.

Au terme de cette remarquable étude, dont notre analyse trop rapide et trop sèche ne peut donner qu'une idée insuffisante, M. Mornet se défend d'avoir voulu faire autre chose qu'une « narration historique ». La méthode rigoureuse, toute scientifique, qui a dirigé ses recherches ne lui permet de proposer au lecteur, après les faits et les témoignages, que de « prudentes conclusions » ; c'est avec raison que M. Mornet se défie de ces vastes synthèses et de ces constructions philosophiques qui ont été trop longtemps le triomphe des thèses de doctorat, et dont l'arbitraire n'a d'égale que la vanité. Mais il nous paraît cependant qu'il y a mieux que des faits dans ce livre, et que, grâce à l'exactitude et à l'étendue de l'enquête, quelques vérités nouvelles restent acquises à l'histoire littéraire.

La transformation même de la langue suit et constate l'évolution et le progrès des sentiments. M. Mornet a relevé à plusieurs reprises certains mots qui font leur apparition dans la langue française après 1750 et dont l'existence, qui répond à des besoins nouveaux, est un témoignage aussi décisif que les documents les plus rigoureux. Sur l'histoire des termes : agriculteur, descriptif, pittoresque et surtout romantique, on trouvera dans cette thèse de très curieuses observations ; et c'est


350 LE SENTIMENT DE LA NATURE

à juste titre que l'auteur constate : « Chacune des étapes du sentiment de la nature est marquée par l'acquisition d'un mot nouveau. »

Ce n'est donc pas seulement l'âme du public et celle des écrivains, mais c'est aussi la langue de la poésie et de la prose, malgré les timidités inévitables et les maladresses nécessaires, qui se trouve toute prête, à l'aube d'un nouveau siècle et à la veille du romantisme, poulie victorieux rajeunissement que l'on sait. Sans doute les statistiques d'épithètes auxquelles M. Mornet s'est courageusement condamné, les listes d'adjectifs et d'expressions qu'il relève chez Rousseau, Dorat ou Léonard, attestent encore un certain dénuement verbal même chez les mieux doués de nos écrivains. Sans doute, Rousseau lui-même, pour complaire à l'opinion du temps qui associe encore les élégances sociales et les rusticités champêtres, affadit un peu la nature qu'il a rêvée. Mais çà et là un élan sincère, une note juste, un tempérament puissant échappent à la convention et se libèrent des règles. On commence à comprendre que « décrire, ce n'est pas seulement avoir le sens des formes, des couleurs et des sonorités ; c'est encore choisir dans la masse confuse des feuillages, des verdures, des horizons, les lignes neuves, les détails vivants ». (P. 424) J.-J. Rousseau écrit : « Non-seulement je me rappelle les lieux, les personnes, mais tous les objets environnants, la température de l'air, son odeur, sa couleur, une certaine impression locale qui ne s'est fait sentir que là et dont le souvenir vif m'y transporte de nouveau. » Un écrivain qui exprime ainsi l'indicible poésie du souvenir est un maître dans l'art de la description et les romantiques, malgré toute leur phraséologie, ne diront rien de plus expressif. Les âmes sont préparées à sentir, avec Bernardin de SaintPierre, toute la beauté pittoresque du monde extérieur, à


EN FRANCE 351

comprendre l'harmonie des couleurs et des lignes, à vibrer d'émotions délicates et sincères.

Nous avons essayé de rendre par notre analyse les idées essentielles de cette étude et de montrer l'intérêt des conclusions auxquelles elle aboutit. Il est juste d'ajouter que, malgré la méthode rigoureuse qui domine la personnalité de l'auteur, le charme d'un style élégant et précis enlève toute sécheresse à ces pages d'excellente critique et que, sans être un spécialiste de la question, on y peut prendre le plus légitime plaisir.

EDOUARD MAYNIAL.

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CATALOGUE OU PRIX-COURANT

DES PUBLICATIONS

de la

Société Historique, Littéraire et Scientifique du Cher

De 1852 à 1908

Commission Historique du département du Cher

Année 1852, nos 1 et 2, fasc. de 57 pages prix. 1 fr.

— 1854, n° 3, fasc. de 25 pages (incomplet) » 50

— 1856, n° 4, fasc. de 30 pages avec gravures » 75

Mémoires de la Commission Historique du département

du Cher

1re série, années 1857 et 1860, 1er vol. en 2 fasc (épuisé) » »

— année 1861, fasc. de 64 pages avec gravures et planches 1 »

— — 1864, 1 fasc. de 285 pages, in-8° raisin 2 50

Mémoires de la Société Historique, Littéraire et Scientifique

du Cher

2e série, 1er vol., année 1868, xx-392 pages, in-8° carré 5 »

— 2e — — 1874, XVI-373 - - 5 »

— 3e — — 1876, XXVII-323- — 5 »

3e série, 1er — — 1878, 1 vol. in-8° colombier de 400 pages avec gravures (épuisé) 15 »

— 2e — — 1882, un vol. en 3 fasc. in-8° colombier, 400 pages 7 »

4e série, 1er — — 1884, in-8° raisin, XX-405 pages 6 »

— 2e - - 1886, — xx-387 — 5 »

— 3e - — 1887, - 346 - .... (édition épuisée) » »

— 4e — — 1888, - XXIII-335 — 6 »

— 5e — — 1889, - XXII-380 - (édition rare) 8 »

— 6e — — 1890, — XXIII-328— — 8 »


351 CATALOGUE OU PRIX-COURANT DES PUBLICATIONS

4° série, 7e vol., année 1891, in-8° raisin, XXIII-221 pages (épuisé) » »

— 8e — — 1892, — XXIII-235 — (édition rare) 8 »

— 9e — — 1893, — XVII-210 — (épuisé) » »

— 10e — — 1895, — XVII-335 — (édition rare) 8 »

— 11e — — 1896, - XVII-347 — 6 »

— 12e - — 1897, - XVI-233 - 6 »

— 13e — — 1898, — XVI-314 — 6 »

- 14e - — 1899, - XVI-286 - 6 »

— 15e — — 1910, - XXVIII-260 — 6 »

— 16e - — 1901, - XXVIII-251 — 6 »

- 17e - — 1902, - XXXIV-352 — 6 »

— 18e — - 1903, — XX-258 — 6 »

- 19e - - 1901, — XVIII-310 — 0 »

— 20e — — 1905, — XVIII-406 — 0 »

— 21e - - 1906-1907. - XVIII-328 — 6 »

— 22e — — 1908, — XVIII-358 — 6 »

Monuments Gallo-Romains de la ville de Bourges. Fragments d'architecture et de sculpture provenant des fondations de l'ancienne enceinte. — 12 planches lithographiées de 0m10 suc 0m54 prix. 6 fr.

Réduction de 50 % sur les prix indiqués ci-dessus, en faveur des Membres de la Société, pour les volumes antérieurs à 1900 jusqu'à concurrence du disponible.

N. B. — Les prix ne sont portés qu'à titre d'indication et ne comportent aucun engagement de la part de la Société.


TABLE DES MATIERES

PACES

Liste générale des Membres de la Société V

Liste des Sociétés correspondantes XV

Monographie de Chalivoy-Milon, par MM. C. LELIÈVRE

et F. VILAIRE 1

Sur la présence de Rosa glauca en Berry, par M. LAMBERT 125

Notes sur les Nasturtium et Roripa hybrides récoltés

dans le Cher, par M. LAMBERT 129

Le Musée de Bourges, notes, documents et souvenirs sur sa fondation et son histoire (2e partie), par M Daniel MATER 137

Le Mal des Ardents, étude sur le Moyen-Age, par

MM. U. CAZAL et MORTIER 239

Les Echinides de l'Argovien du Berry, par M. le

Dr SÉGUIN 319

La Vie et l'OEuvre de Guy de Maupassant, d'après le

livre de M. E. Maynial, par M. Marcel MORNET. 331

Le Sentiment de la Nature en France de J.-J. Rousseau à Bernardin de Saint-Pierre (thèse pour le doctorat par M. D. Mornet), par M. E. MAYNIAL ... 339

Catalogue ou Prix-Courant des publications de la Société Historique, Littéraire et Scientifique du Cher, de 1852 à 1908 353



12589 — BOURGES, IMPRIMERIE M. H. SIRE.