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Titre : Mémoires de la Société centrale d'agriculture, sciences et arts du département du Nord

Auteur : Société nationale d'agriculture, sciences et arts (Douai, Nord). Auteur du texte

Éditeur : [s.n.] (Douai)

Date d'édition : 1878

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32813252r

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb32813252r/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

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Description : 1878

Description : 1878 (SER2,T15)-1880.

Description : Collection numérique : Fonds régional : Nord-Pas-de-Calais

Description : Appartient à l’ensemble documentaire : BUVauban

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k5531402j

Source : Université Catholique de Lille - Bibliothèque, 2008-211207

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 18/01/2011

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MÉMOIRES

DE LA

SOCIÉTÉ D'AGRICULTURE

DE

SCIENCES & D'ARTS

SÉANT A DOUAI CENTRALE DU DÉPARTEMENT DU NORD.

Deuxième Série.

TOME XV. - 1878-1880.

DOUAI L. CRÉPIN, IMPRIMEUR DE LA SOCIÉTÉ

23, RUE DE LA MADELEINE; 23



MÉMOIRES

DE LA

SOCIÉTÉ D'AGRICULTURE

DE SCIENCES & D'ARTS

SÉANT A DOUAI Centrale du département du Nord.


Article 25 du Règlement intérieur de la Société.

Toute publication de la Société porte cette mention.

« La Société déclare qu'elle laisse à chaque auteur la responsabilité de ses doctrines et de ses assertions.


MÉMOIRES

DE LA

SOCIÉTÉ D'AGRICULTURE

DE

SCIENCES & D'ARTS

SÉANT A DOUAI CENTRALE DU DEPARTEMENT DU NORD.

Deuxième Série.

TOME XV. - 1878-1880.

DOUAI L. CRÉPIN, IMPRIMEUR DE LA SOCIÉTÉ

23, RUE DE LA MADELEINE, 23



DE M. LE CONSEILLER. LEROY, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL SUR LES

TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ

En 1879 et en 1880 (1).

MESSIEURS,

Obéissant à une ancienne et utile tradition, je viens vous présenter un rapport sommaire sur les travaux de notre société pendant les deux années de 1879 et 1880.

Mais avant de vous parler du présent, permettez-moi de vous entretenir quelques instants du passé. Le tableau du passé, l'expérience qu'on y puisé, peuvent souvent éclairer la marche dans le présent, et offrir des enseignements précieux pour l'avenir.

Notre Société, Messieurs, ne date pas d'hier. C'est à la fin du siècle dernier, en 1799, au sortir des tourmentes politiques, que plusieurs personnes, réunies dans l'emplacement d'un ancien monastère, constituèrent, sous les auspices de l'Administration, une Société d'agriculture à

(1) Lu dans la séance générale du 25 mars 1881.

MEMOIRES. - 2e SÉRIE, T. XV. 1.


Douai. L'année suivante vit éclore une autre association sous le titre de « Société libre des amateurs des sciences et des arts. " En 1805 les deux Compagnies fusionnèrent et constituèrent ainsi « la Société d'agriculture, sciences et arts du département du Nord. »

Plus tard, et par arrêté du 1er octobre 1819, le préfet du Nord, « en considération,— ce sont les termes de l'arrêté, » — des services rendus depuis longtemps à l'agriculture » par la Société établie à Douai » lui décerna le titre de » Société du chef-lieu du département. » C'est à la suite dé cet acte administratif que la Compagnie prit le nom de « Société centrale. »

J'extrais ces détails de l'un des discours du vénéré président Tailliar.

Je serai bref sur cette première période de l'existence de notre Compagnie. Elle ne restait pas inactive; l'arrêté dont je viens de vous parler le prouve surabondamment. Mais ses publications étaient rares ; elles se bornaient généralement aux comptes rendus des séances publiques, tenues par la Société Une nouvelle ère s'ouvrit avec la réorganisation de l'année 1823. Cette date commence ce que je serais tenté d'appeler l'âge d'or de notre Société. A sa tête on voit constamment un homme aussi éminent qu'instruit, le docteur Taranget dont la renommée fut si légitime et si étendue. A côté de ce nom, presque illustre dans nos annales, apparaissent successivement ceux de MM. Preux père, Quenson, Plazanet, Minart, Duplessis, Maugin père, Tailliar, Foucques, Cahier,— je ne veux parler ici que de ceux qui ne sont plus ! — vaillante et studieuse pléïade, qui donna un vrai lustre à vos travaux.


Le temps y aidait d'ailleurs : vous savez quel était alors l'essor dès esprits, comment le mouvement littéraire marchait de concert avec le mouvement scientifique. La poésie s'enorgueillissait des Victor Hugo , des Lamartine, des Casimir Delavigne, sans parler de la;prose poétique de Chateaubriant. L'histoire, la critique historique prenaient une allure nouvelle avec Augustin Thierry, Guizot, Thiers et tant d'autres. Les sciences faisaient en avant des pas immenses, avec des maîtres tels que Ampère, Biot, Dumas, Arago. Rarement, chez nous, le monde savant et littéraire avait montré plus d'ardeur pour le progrès intellectuel dans toutes les voies ouvertes à l'esprit humain. Je ne me dissimule pas que cette ardeur avait parfois ses exagérations et ses côtés originaux ; qui ne se souvient de la fameuse lutte des classiques et des romantiques ? Mais au moins on ne se traînait pas exclusivement sur les intérêts positifs et matériels ; on pensait, on étudiait, on se passionnait, on croyait à l'idéal ; on était loin des tendances froides et négatives qui dessèchent les âmes et les resserrent dans l'égoïsme.

Secondée par cette atmosphère extérieure, notre compagnie ne négligeait rien pour s'associer à cet heureux mouvement.

A côté des belles-lettres, l'agriculture, les moyens de la développer, l'introduction dans la pratique des procédés nouveaux que l'expérience avait consacrés, l'organisation des concours agricoles, la distribution des encouragements et des récompenses, tenaient une large part dans ses travaux et ses préoccupations.

Les sciences historiques et archéologiques étaient dignement représentées par MM. Tailliar et Brassart père, les


sciences physiques, médicales et industrielles par MM. Maugin père et Blavier ; la botanique par l'abbé Bourlet ; la littérature par MM. Bruneau, Derbigny et bien d'autres encore.

A la fin du tome Xlll de la 1re série de nos Mémoires, se trouve placée une table méthodique des matières dressée

par M. le président Cahier, et s'étendant jusqu'à l'année 1850. Elle comprent 1,308 articles; il suffit d'y jeter un coup d'oeil pour se rendre compte de la variété et de la multiplicité des travaux de nos devanciers.

De cette année 1850, date, avec la 2e série de nos Mémoires, la période moderne de notre Société. Elle a encore compté de beaux jours. Pour ne parler ici que de l'oeuvre de ceux que nous avons perdus, je vous rappellerai en un mot les études archéologiques et historiques de M. Aug. Preux, les recherches artistiques de MM. Asselin et Cahier, les brillantes analyses de M. Montée, l'érudition, les patientes investigations de M. Minart qui fut longtemps comme le vétéran le plus assidu de toutes vos réunions.

Mais je dois me hâter de clore cet aperçu rétrospectif, pour me livrer à l'examen rapide de vos travaux pendant les deux dernières années. Nous sommes-nous toujours montrés les dignes émules de nos devanciers ? Il vous appartiendra, Messieurs, de faire vous-mêmes la réponse. Notre Société compte dans ses cadres un certain nombre de membres honoraires, les uns de droit, les autres élus.

Mais elle ne peut espérer, vous le comprenez facilement, un concours actif de la plupart d'entre eux, des premiers surtout. La nature de leurs occupations les tient généralement éloignés de nos études, et ne leur permet pas souvent de venir seconder personnellement nos efforts. Qu'il en était autrement du collègue que vos suffrages


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ont récemment appelé à l'honorariat, de notre dernier président, M. Hardoüin ! Chacun de nous se rappelle, avec l'urbanité de ses relations, le vif intérêt dont il était animé pour tout ce qui concernait notre Compagnie, la collaboration zélée et active qu'il apportait suit à nos séances générales, soit aux séances plus restreintes de vos commissions. Qu'il nous soit permis de consigner ici l'expression de notre reconnaissance, et de lui dire à quel point nos regrets l'ont accompagné, lorsque les nécessités de la retraite l'ont éloigné de notre résidence.

Si je ne craignais de blesser ici sa modestie, j'adresserais la même expression de gratitude à M. le recteur honoraire Fleury. Pour lui, heureusement, nous l'avons conservé parmi nous, et nous ne salarions trop nous applaudir de son concours dévoué et assidu, comme de son entière courtoisie. Non content d'assister à presque toutes vos séances, et de présider régulièrement celles de votre commission des sciences morales et historiques, M. Fleury nous a communiqué plus d'une fois le fruit de ses méditations et de sa haute expérience. Il m'en coûte de ne pouvoir rappeler ici que d'un mot l'autorité et l'élévation d'esprit avec lesquelles il nous a entretenus des conditions actuelles de la momie, et des tendances qui se manifestalent dans les rapports de l'individu avec l'Etat. Frappés de la force des considérations pratiques qui signalaient plusieurs lacunes dans l'enseignement secondaire, vous avez décidé qu'une copie du travail de M. Fleury serait transmise a M. le ministre de l'instruction publique. Des préoccupations d'une autre nature pour cet enseignement, si important dans la vie intellectuelle de notre pays, ont dicté à notre vice-président de graves observations auxquelles vous avez voulu donner place dans vos Mémoires.


La question pénitentiaire, dont l'importance a été signalée de longue date, et malheureusement sans résultats bien appréciables jusqu'à ce jour, a rencontré un champion aussi éclairé que convaincu dans M. Quinion-Hubert. Analysant un travail de MM. Desportes et Lefébure sur le congrès international tenu à Stockholm en 1879, il vous a fait connaître que, dans l'opinion du congrès, le régime cellulaire, avec ses tempéraments indispensables, était le seul remède à l'effrayante promiscuité des prisons, comme à l'accroissement alarmant des récidives. Que si l'on objecte l'étendue des dépenses nécessaires, M. Quinion répond par ce mot toujours vrai : « Rien n'est plus cher que le crime. » En effet, sans parler des dangers que le crime fait courir à la société, comme la population des prisons tend constamment à augmenter, on voit aussi augmenter la dépense de l'entretien des détenus ; en outre il faut ajouter aux locaux devenus insuffisants; Espérons donc que la voix des réformistes sera de plus en plus écoutée, et que l'application pratique de la loi votée en 1875 se généralisera plus rapidement que par le passé.

S'inspirant peut-être du vieil adage : « Omne tulit punctum, qui miscuit utile dulci, » M. Quinion a eu l'heureuse pensée de vous donner plus tard un élégant travail sur les jeux floraux de Toulouse, cette antique et toujours jeune création de l'aimable princesse Isaure.

La littérature a toujours été en honneur parmi nous, et comment en serait-il autrement dans une société douaisienne ? Aussi avez-vous écouté avec un vif intérêt les instructives et judicieuses études que M. Bréan a consacrées à: deux auteurs classiques Salluste et Martial. Séparant avec impartialité l'homme de l'écrivain, — ce que, souvent, on ne fait pas assez, surtout pour les jeunes intelligences des


écoles, — s'il a montré la puissance de l'historien et du poëte, il n'a pas jeté un voile sur leurs défaillances. N'estOn pas fondé a dire que pour bien comprendre et juger un livre, il faut aussi connaître celui qui l'a écrit ?

Il y a assez longtemps que le culte des vers n'a plus rencontré d'adeptes dans notre compagnie ; notre époque très positive n'est guère faite pour entraîner vers le Parnasse. Au moins M. Vitrant s'est-il chargé de vous montrer : les rapports intimes qui existent entre la poésie considérée dans sa plus haute acception, et les beaux-arts. Une imposante toile de M. Court, le martyre de Sainte-Agnès, lui a inspiré d'éloquentes pages, où il a fait revivre quelques instants devant vous la Rome antique avec ses monuments, son Forum, son Capitole, ses splendeurs et ses misères. Il a ainsi évoqué les grandes ombres du passé, sous le poids des émotions que lui suggérait l'examen d'une oeuvre magistrale.

Notre cité possédait dans les salons de M. Eug. Locoge, une collection artistique, dont il ne reste plus guère aujourd'hui que le souvenir ; mais ce souvenir demeurera consigné dans vos annales grâce à la plume élégante, au pinceau exquis de M, Albert Dutilleul. Vous serez heureux d'y retrouver cette analyse brillante où la sûreté et la finesse des appréciations le disputent à la noblesse et à la pureté du style.

Ce sont aussi des études de beaux-arts qui vous ont plus d'une fois captivés, Messieurs, à l'audition des piquantes et chaleureuses descriptions de l'un de nos collègues correspondants M. A. Digard. Qui ne se rappelle ses charmantes communications sur l'une de nos gloires locales Jean de Bologne? Cette fois, M. Digard, dont l'entrée dans cette enceinte est toujours accueillie avec un sympathique


empressement, a quitté la région sereine de l'art, pour descendre sur un terrain plus utilitaire. Il vous a rendu compte, avec son entrain habituel, d'un voyage instructif, d'abord dans les provinces que la guerre nous a ravies, puis dans l'Allemagne centrale. Avec son expérience à la fois de touriste et d'observateur attentif, il nous a recommandé de ne pas étudier l'Allemagne dans des productions légères qui n'en donnent souvent que la caricature, et il nous a invités à encourager chez nous et autour de nous les études géographiques ; il faut arriver à faire mentir cette définition caustique de Goethe : « Le Français est un homme aimable qui ne sait pas la géographie. »

Le développement de ces études est singulièrement facilité de nos jours par la facilité et la rapidité des voyages. Les voies ferrées ont opéré une véritable révolution dans les moyens de communication. Aujourd'hui elles franchissent des montagnes, non pas seulement en les perçant, mais en osant aussi escalader leurs cols gigantesques. Avant le tunnel du Mont-Cenis, un chemin de fer, installé pour quelques années seulement, suivait audacieusement les rampes et les lacets de la grande route sur les deux versants des Alpes. Maintenant, on s'élève en wagon du lac de Lucerne au sommet du Righi. Vous avez écouté avec un intérêt soutenu les détails que vous a donnés M. Maillard sur plusieurs de ces voies exceptionnelles qui épouvantent l'imagination. Notre collègue dont les études économiques sont toujours si goûtées, nous a fait encore d'autres communications dont le meilleur éloge est dans le désir que nous partageons tous de les voir se renouveler le plus souvent possible.

Dans un pays qui doit une grande partie de sa prospérité à ses nombreux charbonnages, tout ce qui concerne l'in-


dustrie minière a naturellement le privilége d'éveiller l'attention générale. Aussi, avez-vous, Messsieurs, été heureux d'enrichir vos Mémoires en y insérant le savant rapport de M. Farez sur' le remarquable ouvrage que M. Vuillemin, membre résidant, a consacré au tableau historique et descriptif des mines d'Aniche. Nous attendons de l'obligeance de M. Farez une analyse semblable du nouveau livre que M. Vuillemin, poursuivant son oeuvre, a publié sur les houillères du Pas-de-Calais, et dont il a bien voulu adresser un exemplaire à notre Société.

Nous devons encore à M. Farez, un travail sur les écoles professionnelles, qui sera inséré dans vos Mémoires, et dont je me bornerai ici à signaler l'importance pratique.

Votre commission des sciences exactes et naturelles s'est fréquemment applaudie des savantes communications qu'elle recevait de MM. Frey, Watelle, Offret. Ce dernier a eu la bonne pensée de faire hommage à la Société de son travail sur la densité de l'oxigène liquéfié.

Une notice botanique de MM. G. Maugin et Gosselin sur une plante du genre Cardamine sera insérée dans nos annales.

Enfin un autre membre de la commission, M. A. Dupont père, a droit à nos remercimenls empressés pour le don qu'il a bien voulu nous faire des magnifiques publications de la société de l'industrie minérale.

Notre compagnie, Messieurs, serait oublieuse de ses origines, de son titre et de ses traditions, si les intérêts agricoles ne tenaient une large place dans ses préoccupations, surtout à une époque où la propriété rurale et la culture dans nos contrées du Nord subissent une crise dont on ne saurait encore prévoir la fin.

Avec l'autorité que lui assurent ses connaissances spécia-


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les et son expérience, M. Waternau a appelé vôtre attention sur cette, situation douloureuse. L'agriculture a besoin d'être encouragée et protégée. Il faut que dans nos chambres consultatives, dans nos assemblées délibérantes, elle trouve des représentants et des défenseurs ; il faut que toutes les questions qui concernent les engrais, le bétail, la durée des baux, les impôts, les traités de commerce, soient plus communément étudiées et vulgarisées. Examinant ensuite, dans un travail approfondi, le rôle que jouent les voies navigables dans le Nord et le Pas-de-Calais, lés sacrifices considérables quelles riverains ont à subir par suite de la submersion fréquente et prolongée: de leurs champs, M. Waternau a exposé les efforts entrepris pour soulager ces souffrances, pour obtenir de l'administration que les intérêts, de la batellerie soient conciliés d'une manière moins dommageable avec ceux de nos campagnes. Il a fait appela l'aide et au concours de la Société, et cet appel n'est pas resté sans écho. Puissent ses voeux comme les nôtres, recevoir une légitimé satisfaction !

J'ai commencé, Messieurs, cet examen rétrospectif de nos travaux par un hommage rendu à deux de nos membres honoraires ; il m'est agréable, en terminant, d'offrir un hommage non moins mérité à un autre de nos collègues honoraires, M. Vasse, dont la science pratique et la collaboration éclairée n'ont jamais fait défaut à notre section agricole. Le bulletin doit à sa plume toujours fine et humoristique les charmantes descriptions des concours à Arleux en 1879, à Lallaing, en 1880, et comme contraste à ces fêtes de nos campagnes, le tableau demandé par l'autorité administrative, des ravagés apportés dans les vergers, à la plupart des espèces de nos arbres fruitiers, par le terrible hiver de 1879-80.


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Ce serait une ingratitude de ma part de quitter notre section agricole sans adresser à son dévoué président, M. Bernard, de Roost-Warendin, les remerciements qui lui sont dus à tant de titres. Non content d'assister avec une assiduité exemplaire aux réunions mensuelles, il ne néglige rien pour faire comprendre à nos associés combien leur concours à ces réunions peut être fructueux pour les intérêts généraux de l'Agriculture. C'est en formant un faisceau de toutes les bonnes volontés, c'est en ne faisant qu'une seule voix de toutes les doléances individuelles, qu'on peut espérer obtenir enfin, sous la forme de dégrèvements d'impôts ou sous toute autre forme, les secours législatifs dont la culture a besoin.

Avant de m'arrêter, Messieurs, une touchante et légitime tradition m'invite à vous rappeler ceux de nos collègues que nous avons perdus. Durant ce cycle de deux années, la faux de la mort a fait des vides cruels dans nos rangs ; plus d'une fois, elle a choisi ses victimes parmi ceux auxquels leur âge, leur énergie semblaient assurer encore un long avenir, et nous promettre pour longtemps aussi la continuation d'une confraternité dont nous sentions tout le charme. Si M. Minart a succombé à la loi inexorable de l'âge et de la vieillesse, les noms de MM. Auguste Preux, Jollivet-Castelot, Erancoville, ont pris une place funèbre et prématurée dans le nécrologe dé notre Société. Les pages émues que les regrets de leurs collègues ont consacrées à leur mémoire, conserveront pieusement dans nos annales leur sympathique souvenir.


EAPPORT

SUR.

L'OUVRAGE DE M. VUILLEMIN

LES

MINES DE HOUILLE

D'ANICHE,

Par M. FAREZ, ingénieur civil,

Membre résidant.

MESSIEURS,

En faisant hommage â notre société de son ouvrage sur les mines de houille d'Aniche, notre honorable collègue, monsieur Vuillemin, exprima le désir qu'il vous en fût fait un compte rendu.

Votre commission des sciences exactes et naturelles, ne tenant aucun compte de mon incompétence en là matière, me chargea de cette mission.

Je viens la remplir, non-seulement pour condescendre au désir; de notre laborieux et sympathique collègue, mais aussi parce que nous ne pouvons nous désintéresser d'une création, qui sous nos yeux a pris une part si large au développement du bien-être des populations..

Le travail dont il s'agit est d'ailleurs de nature à rensei-


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gner et à guider sur bien des points tous ceux qui sont attachés ou intéressés à un titre quelconque à l'industrie houillère. Je m'estimerai heureux, si le résumé que je vais avoir l'honneur de vous soumettre, décidé quelques-uns d'entre vous à lire cet ouvrage dans son texte même.

Monsieur Vuillemin réunit à un haut degré, aux qualités de l'ingénieur, celles de l'administrateur sagace et clairvoyant. Il a eu le rare bonheur d'arriver à l'heure précise où, après de longs tâtonneiments et une marche peu fructueuse, quoique empreinte d'un caractère de ténacité remarquable, l'exploitation à laquelle il s'attachait, répondant à des besoins chaque jour plus impérieux, prenait enfin son essor. Il a été le pilote qui, d'une main sage, a su tracer à l'entreprise les voies qui devaient la mener avec sûreté à cette situation prospère où nous la voyons aujourd'hui.

C'est sur les indications de monsieur Vuillemin, comme nous allons le voir, que la compagnie d'Aniche, qui n'avait que des houilles sèches, est venue s'établir aux portes de Douai, y découvrir et y exploiter ce faisceau de houilles grasses, qui a puissamment contribué à sa prospérité, en même temps qu'il apportait autour de nous la vie et la richesse.

Ce n'est donc pas seulement un livre intéressant que celui de monsieur Vuillemin, c'est l'histoire d'une oeuvre de haute utilité, et l'on ne peut couronner plus dignement une belle carrière, attachée à une industrie d'intérêt général, qu'en venant, comme l'a fait notre collègue, divulguer, avec cette autorité que donne une longue expérience, la route qui a été suivie, les écueils que l'on a évités, et toutes ces phases d'une allure accidentée que des hommes résolus ont su faire aboutir au succès.


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. C'est simplement, modestement, d'une façon concise et claire, laissant parler les faits, que l'auteur développe son oeuvre; je vais tâcher de l'y suivre dans ses lignes les plus saillantes et, à votre plus-grand bénéfice, je lui laisserai souventla parole.

Monsieur Vuillemin a voulu donner un exemple des progrès réalisés, dans les houillères du nord de la France pendant un siècle.

Son ouvrage est divisé en deux parties. La première est consacrée à l'exposé historique des actes de la direction générale de la Société, depuis son origine jusqu'à ce jour; c'est l'histoire compète des travaux et des résultats qu'ils, ont fournis.

Dans la seconde partie, M. Vuillemin décrit les gîsements, les procédés d'exploitation, salaires des ouvriers et éléments des prix de revient à diverses époques, les institutions créés par la Cie. Des cartes et plans sont joints au texte.

C'est naturellement la première partie que je résumerai d'abord; la seconde fera l'objet d'un rapport verbal que je présenterai ultérieurement à votre commission des sciences exactes et naturelles,

L'association qui est devenue la Cie des mines d'Aniche, fut fondée en 1773. C'est M. le marquis de Trainel, lieutenant général des armées du roi, propriétaire du château de Villers-au-Tertre, qui, encouragé par les succès de la Cie d'Anzin, sollicita et obtint la permission d'exploiter les mines découvertes et à découvrir dans ses terres de Villersau-Tertre, Bugnicourt, Monchecourt et Fressain, chatellenie de Bouchain. Le mot découvertes était de trop, le fer de la sonde n'avait pas encore atteint le Tourtia.

Il est dignerde remarque, Messieurs, que les statuts rédigés à cette époque et qui ont été conservés intégrale-


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ment, forment aujourd'hui encore la charte de la Cie. Ce fait mérite que nous en relevions les dispositions.essentielles.

On a pris, comme l'on faisait à cette époque, pour type de la répartition des intérêts, les divisions et sous-divisions de l'unité monétaire.

Le fonds social fut divisé en 25 sous,subdivisés, en 1780, chacun en 12 deniers. La Compagnie adopta la division du denier en douzièmes en 1851.

La gestion de la société est confiée à 8 directeurs, non compris le marquis de Trainel ; les délibérations pour les choses les plus importantes devront être prises et signées par lui et les huit directeurs.

En cas de mort, d'éloignement ou de renonciation de l'un des directeurs, il est remplacé à la pluralité des voix des directeurs restants.

Le droit de retrait est réservée à la Compagnie.

Chaque associé ne peut quitter la Compagnie qu'en perdant les fonds versés par lui et en payant sa cote-part des dettes qui pourront exister au moment de son abandon.

Lorsqu'en 1780 les titres seront délivrés, ils porteront la mention spéciale de la soumission, par l'actionnaire, à la clause de ne pouvoir vendre ou aliéner sans l'agrément de la Compagnie, laquelle sera libre de retraire, enfin celle de donner hypothèque ou caution, pour la sûreté des emprunts faits ou à faire.

Les premiers travaux consistant en un puits et des sondages, à l'angle du bois de Fressain, ne sont conduits qu'à une faible profondeur et paraissent ne pas avoir donné de résultats.

C'est de cette époque que date l'octroi de la première concession.


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Elle est limitée par les rivières de la Sensée et de la Scarpe, bornée à l'est par la chaussée de Marchiennes et celle de Bouchain, à l'ouest par la Sensée et le canal qui conduit à Douai.

On ouvre une fosse à Monchecourt, dont les travaux aboutiront à des schistes verdâtres et qui sera abandonnée en 1777.

M. de Gheugnies , l'un des fondateurs, prend personnellement l'initiative d'un rachat par les mines d'Anzin ; mal accueilli et désapprouvé par les autres directeurs, il dut vendre ses parts d'intérêt.

Ici se place une étude qui aura une influence immédiate sur les opérations de la Compagnie.

M. Vuillemin nous dit que, lorsqu'il s'était agi des premiers travaux et dès la première séance du conseil des directeurs, on trouve cette singulière délibération :

« On demande si on fera opérer différents tourneurs » de baguettes en les plaçant sur la veine qu'on croit exister » à l'angle du bois de Fressain, et leur faisant suivre les » traces de ladite veine jusqu'aux environs de Valenciennes » et au delà, pour savoir où ladite veine y tombera, et si on » fera commencer la même opération à la veine au plus » au nord d'Anzin, pour la suivre, jusqu'à la chaussée de » Cambrai à Douai. » Résolu de faire faire ces opérations, »

Mais bientôt, au contraire, en vue de l'ouverture d'une nouvelle fosse, et pour en choisir convenablement l'emplacement, on fait faire «par le sieur Laurent une carte des veines des fosses à charbon du Hainaut autrichien et français, et notamment des exploitation d'Anzin et de leur direction depuis Charleroy jusqu'à Monchecourt, moyennant 48 écus qu'il avait demandés pour cette opération. »


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Les résultats donnent raison à ce mode d'études sur celui dés. baguettes tournantes. Deux fosses sont établies à 30 toisés l'une de l'autre et à 300 toises d'Auberchicourt; ce sont celles qui ont porté depuis les noms de Ste-Catherine et St-Mathias.

Le 16 septembre 1778, on y découvrit enfin le charbon.

Pendant cette période de cinq années, on avait ouvert cinq fosses, dont trois infructueuses; les dépenses effectuées montaient à 232,000 livres, fournies par onze mises de 1,000 livrés au sol; il n'avait pas encore été fait-d'emprunt.

M. le marquis de Trainel est chargé de demander,comme cela a été fait pour les mines d'Anzin, une prolongation d'octroi et solliciter des lettres patentes pour pouvoir lever à frais, des gens de main-morte, les sommes nécessaires à mettre les ouvrages dans leur perfection jusqu'à concurrence de 500,000 livres.

Le denier valait alors 8 à 10,000 livres, soit environ cinq fois le capital versé.

La Compagnie. d'Aniche sollicita une augmentation du périmètre de sa concession dans l'Artois, dont les Etats avaient institué une prime de 200,000 livres en faveur de la société qui « y.ouvrirait une mine de charbon et la mettrait en dedans de 5 ans en pleine exploitation ».

Deux sondages, l'un à Noyelles-sous-Bellonne, l'autre à Vitry ne donnèrent pas de résultats, mais l'extension de concession fut néanmoins accordée.

Jusqu'en 1780 la compagnie d'Aniche n'avait employé, pour les creusements et passages de niveaux, que des machines dites à carré, actionnées par des chevaux ; dès cette époque elle établit une machine à feu Newcomen sur la fosse Saint Laurent.

MÉMOIRES.— 2e SÉRIE, T. XV. 2


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En 1781, les travaux ne justifiant pas les espérances, il fut décidé que deux administrateurs se rendraient; à Charleroy et s'adresseraient à M. Drion, qui, à la suite de cette démarche, vint avec l'un de ses chefs ouvriers visiter les travaux. Trois experts sont aussi nommés et, à la suite de cette inspection,des mesures radicales sont prises qui assurent une meilleure marche.

On est en 1783, on a emprunté la presque totalité des 500,000 livres autorisées, et les mises de fonds atteignent le chiffre de 1 million.

Eh 1784 la compagnie d'Aniche, ayant appris qu'Anzin venait d'obtenir une prorogation de son privilège pendant 30 ans, sollicita et obtint la même faveur,

M. Vuillemin a rélevé dans les archives de là compagnie un plan très bien exécuté, daté et signé du sieur Milliot, arpenteur juré ; ce plan, reproduit à échelle moitié dans l'ouvragé de M. Vuillemin, est d'une clarté remarquable pour l'époque ; il donne les indications, les plus complètes, jusqu'au 20 mai 1785, sur les travaux des quatre fosses d'Aniche et sur les découvertes des veines qui y ont été

faites.

L'une des fosses ouvertes, la fosse Sainte Thérèse, était alors dans de mauvaises conditions d'exploitation ; son cuvelage, dans le plus fâcheux état, exigeait un,travail incessant de la machine à feu de la fosse Saint-Laurent. On décida l'abandon de ces deux fosses ; les eaux les envahirent.

On négligea de faire en temps un serrement dans la galerie qui mettait les eaux en communication avec les deux fosses productives ; tous les travaux lurent inondés. Ce désastre anéantit tout d'un coup les résultats obtenus par


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treize années d'un travail opiniâtre et des" dépenses considérables.

Le découragement des propriétaires est à son comble, il se traduit par des reproches très vifs contre la direction.

La démission des huit directeurs en est la conséquence, on l'accepte ; ceux qui les remplacent décident l'ouverture de deux nouvelles fosses, à l'angle du chemin d'Aniche à Auberchicourt ; ce sont les fosses Saint-Vaast et SainteBarbe.

Après diverses vicissitudes, la fosse Sainte-Barbe commence à donner quelques résultats, mais la situation est loin d'être prospère, le denier est tombé à 333 livres. Il arrive même qu'un sociétaire fait l'abandon d'un denier, et demi, moyennant décharge de la garantie dès dettes.

Un grave accident survient à la machine à feu ; rupture du maître cheviron, un arrêt de trois mois en est la conséquence. On emprunte de nouveau 100,000 livrés, là fosse Sainte-Hyacinthe est ouverte.

En juin 1793, grève des ouvriers, dont les salaires sont portés, de 26 sols 3 deniers, à 3 livres, augmentation proportionnelle du prix du charbon. Le menu se vend six francs la manne de 125 kilos.

C'est à cette époque que survient le décès du marquis de Trainel.

Le marquis de Trainel, qui avait assisté régulièrement aux assemblées administratives, cesse d'y paraître, à partir du 1er juillet 1793, et son décès est annoncé à l'une des suivantes.

Il laissait l'entreprise qu'il avait fondée dans la plus triste situation. Vingt années s'étaient écoulées depuis la constitution de la société. On n'avait qu'une fosse en exploi-


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tation, et près de deux millions avaient été dépensés, sans que les sociétaires eussent l'espoir de rentrer dans leurs avances.

Il est peu probable que le marquis de Trainel ait pressenti, en mourant, l'état de prospérité qu'atteindraient un jour, éloigné il est vrai, après quatre-vingts ans, les mines crées sous ses auspices et dont il s'était beaucoup occupé.

Des mains étrangères devaient, recueillir le fruit de sa création. Son fils et unique héritier, le général d'Harville, mourut en 1815, sans laisser de postérité, et après avoir aliéné les intérêts dans la compagnie qu'il tenait de son père.

Dès le mois de septembre 1790, le caissier et divers sociétaires émigrent.

En s'expatriant, M. Dehaut, l'un des directeurs, restait débiteur envers la Compagnie de 23,000 livres qui n'ont jamais été payées. Ses biens furent confisqués, mais l'Etat abandonna à la Compagnie les douze deniers dont il était propriétaire.

Le 3 février 1795, a lieu une assemblée générale pour savoir si les associés consentiront à se charger pour leur compte de la masse de l'actif et du passif de la. société et d'entretenir en activité l'établissement, conformément à l'article 4 du décret de la Convention nationale du 17 frimaire de l'année précédente.

Cette proposition fut acceptée et un arrêté d'août 1795 autorise le district de Douai à donner à la Cie d'Aniche acte de cession et abandon de toutes les propriétés dudit établissement, à charge par elle d'en acquitter la totalité des dettes et de l'entretenir en activité.

Je vous signale ces détails, Messieurs, parce qu'ils seront plus tard la source de revendications, de procès que la


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compagnie d'Aniche aura à soutenir et qui se poursuivront jusqu'en 1861, époque à laquelle le tribunal de Douai condamnera la compagnie à rendre aux héritiers du baron de Nédonchel le: compte des dividendes revenant à leurs actions, avec intérêts tels que de droit.

Cette sentence inattendue, dé la plus grande gravité pour la compagnie, ouvrait la porte à une foule de revendications, c'était la ruine peut-être.

La compagnie en appela et présenta dans un mémoire l'exposé détaillé dés faits et circonstances qui avaient amené les sociétaires restés en France à accepter à titre onéreux la cession par la République des parts d'intérêts confisqués sur leurs associés émigrés.

Elle établit d'autre part que l'on avait dans les enquêtes confondu un Baron avec un: Marquis, un de Nédonchel non émigré avec un de Nédonchel émigré.

La cour d'appel, par un arrêt du 1ermars 1862, reconnut le bien fondé des motifs; invoqués par la Compagnie d'Aniche, cassa le jugement du 30 août 1861 et déclara les héritiers de Nédonchel non recevables et mal fondés, dans leurs demandes ; les condamna aux dépens des deux instances.

Vous n'apprendrez pas sans intérêt, Messieurs, que ce fut notre honorable collègue M. Alfred Dupont père, qui en cette occasion plaida la cause de la Compagnie d'Aniche et la fit triompher.

La loi du 28 juillet 1791 ayant prescrit la réduction à six lieues carrées des concessions dont l'étendue dépassait cette limite, le périmètre de la concession d'Aniche fut arrêté dans ses lignes actuelles.

En 1803, on applique pour la première fois une machine


à vapeur à l'extraction, on l'établit sur la fosse Saint-Hyacinthe.

Je ne veux pas négliger de: vous signaler un projet de modification: du; contrat de société qui est proposé dans l'assemblée générale de 1802 ; il vise surtout la responsabilité de chacun des associés et les hypothèques prises sur les biens dès intéressés par les créanciers de la Compagnie. Vous avez; remarqué, Messieurs, cette clause statutaire, sur laquelle j'ai appelé votre attention ; elle est assurément périlleuse pour les contractants, mais c'est sans nul doute à elle que la Compagnie d'Aniche dut de ne pas sombrer dans les temps difficiles ; aussi plusieurs intéressés s'opposèrent-ils à sa radiation et à ce qu'il fût porté dans ce sens la moindre atteinte au contrat social. Le projet de modificationsi fut ajourné, puis définitivement rejeté dans rassemblée générale suivante.

Ce ne sera que neuf ans après , que l'on sortira enfin de cette situation, pénible pour les sociétaires, de la garantie individuelle des dettes de la Société. Elle prendra fin par délibération d'une assemblée générale du 17 juin 1811.

La nouvelle loi sur les mines du 10 avril 1810 portait : Les mines sont immeuble, sont aussi immeubles, les bâtiments, puits, machines et autres travaux établis à demeure, conformément à l'article 524 du Code Napoléon, sont aussi immeubles par destination, les chevaux, agrès, outils et ustensiles servant à l'exploitation.

L'assemblée délibéra qu'il serait fait un inventaire estimatif des mines, bâtiments, machines, puits, galeries et autres objets servant à l'exploitation, dont le montant servirait, avec les biens fonds appartenant à la Société, à fournir hypothèque aux crédirentiers de la Compagnie ; l'inventaire estimatif montait à 951,000 fr.


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A l'Assemblée générale du 20 juin 1805, il est annoncé que la position de l'entreprise autorise la distribution d'un dividende. Après 32 ans d'attente, les actionnaires recevaient enfin une bien faible rémunération: 1/2 p. 0/0 de l'argent qu'ils avaient engagé.

Un deuxième et un troisième dividende de 100 fr. par denier sont distribués en 1813 et 1814.

Au commencement de 1815 on ne peut suffire aux demandes de charbon, d'ailleurs l'exploitation de la fosse Sainte-Hyacinthe ne présente pas d'avantages, on décide le creusement d'une nouvelle fosse qui portera le nom de la Paix.

On rencontre des difficultés inattendues dans le creusement. Deux accidents consécutifs se produisent au cuvelage. Le dernier, en mars 1817, entraîne en 20 minutes l'inondation complète de la fosse. On l'abandonne pour en ouvrir une nouvelle sur un emplacement voisin : c'est la fosse l'Espérance.

Pour la première fois, on adopte ici la forme octogone qui offre économie de bois et résistance beaucoup plus grande que la forme rectangulaire.

Des négociations s'ouvrent de nouveau en vue d'une association avec Anzin, elles n'aboutissent pas.

Les dépenses des fosses la Paix et l'Espérance avaient absorbé et au-delà les bénéfices; les exploitations préparées s'épuisaient. En 1819 la situation était donc difficile et l'on s'explique le désir des sociétaires de sortir d'une affaire qu'on ne pouvait pas asseoir d'une manière stable.

En octobre de la même année, la situation s'était encore aggravée; il était dû plusieurs quinzaines aux ouvriers qui menaçaient de quitter l'entreprise, et les livranciers refu-


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saient même de fournir les objets indispensables; un nouvel emprunt fut autorisé.

L'anémie ou maladie des mineurs sévissait dans ces travaux mal assainis ; elle avait atteint un grand nombre d'ouvriers, elle laissa des traces dans quelques familles jusque dans les générations suivantes. ;

Cette maladie, ajoute M. Vuillemin, a entièrement disparu des mines du Nord, et la population des houillères y est, dit-il, plus forte et plus vigoureuse que celle des autres industries du pays.

La gravité de la situation devient telle que l'on se pose la question de savoir si l'on continuera l'entreprise. On cherche en 1822 à réaliser une combinaison dans laquelle Laffitte serait entré en apportant 400,000 fr.

Des propositions de location sont aussi débattues, mais aucun de ces projets ne se réalise.

On se décide à nommer un agent général, on fait la commande d'une machine à vapeur rotative et, à partir de 1822 jusqu'en 1826, l'extraction prend de l'importance; on la voit s'élever à 280,000 à 360,000 hectolitres.

On réalise dès lors des bénéfices assez importants. Ceux de 1825 et 1826 sont distribués en charbon.

Un ancien élève de l'école polytechnique, M. Henry, est appelé à la direction des travaux. On remplace, par des chemins de fer, les chemins de bois des voies souterraines. Une machine d'extraction du système de Wolf à deux cylindres est commandée.

La situation de la Compagnie reste néanmoins fort précaire ; lé 30 juin 1827, M. le marquis d'Aoust, l'un des directeurs, émet de nouveau le voeu de vendre rétablissement et de dissoudre la Société.

M. de Caze, receveur général du Pas-de-Calais, et


M. Garniër, ingénieur en chef des mines, font une offre d'achat moyennant 500,000 francs; cette proposition est repoussée. D'autres combinaisons ont le même sort.

La période de 1830 à 1840 est marquée par un nouveau projet de modification des statuts, qui, comme les précédents, reste sans effet.

Un scission se produit au sein de l'administration, qui pendant un certain temps se trouve réduite à deux membres. On révoque l'agent général, l'entreprise est pour ainsi dire abandonnée à elle-même. Pendant dix-huit mois les administrateurs ne se réunissent pas.

On en arrive là, Messieurs, après 64 années d'efforts constants et des dépenses considérables ; on a en un mot conservé les droits du concessionnaire, rien de plus. Et cela à côté de la Compagnie d'Anzin depuis longtemps prospère. On est dépassé par les mines de Douchy dont la concession ne date que de 1832. D'autres concessions sont accordées à des compagnies qui marcheront à pas de géant.

Nous imiterons ici la réserve de M. Vuillemin qui se dispense de toute comparaison, mais nous pouvons et nous devons dire, que c'est aux hommes nouveaux qui vont prendre en main les travaux de la Société, à leur énergique impulsion, que sera dû le succès, et non pas à un passé qui n'a légué que des charges.

Ce n'est que stimulée par les recherches que forment autour d'elle de nombreuses sociétés, que l'administration décide enfin le creusement de la fosse d'Aoust.

La plupart des actions passent en de nouvelles mains, les achats sont faits par deux groupes de capitalistes, l'un de Cambrai, l'autre de Valenciennes, qui se disputent la direction de l'entreprise.


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Les sociétaires de Valenciennes l'emportent et nomment des directeurs, pris parmi eux. Un procès s'engage et un jugement du tribunal de Douai, confirmé par un arrêt de la Cour royale, intervient et déclare que les directeurs sont sans droits à s'arroger ce titre, et que c'est à l'assemblée générale qu'il appartient de procéder à l'élection.

Le marquis d'Aoust resta seul directeur valablement élu, sept nouveaux directeurs furent nommés, parmi lesquels MM. de Chatenay et Lallier, encore actuellement en fonctions. On opéra le retrait des actions des Valenciennois.

En avril 1839, M, Schacher, agent-général, avait été remplacé par M. Lefrançois qui a occupé ce poste jusqu'à sa mort arrivée en 1855,

M. Lefrançois consacra, pendant seize ans et avec beau-, coup de succès, les soins les plus intelligents et les plus constants au développement des mines d'Aniche et contribua puissamment à relever cette entreprise du discrédit et de l'état.de torpeur dans lequel elle était tombée. ;

En 1840, M. Fournet, ingénieur à Rive-de-Gier, est nommé ingénieur directeur des travaux : c'est l'aurore de la phase prospère.

La situation de la Société se présente avec un actif de 600,000 francs,

Sur l'initiative de M. Fournet, on abandonne l'exploitation onéreuse des vieilles fosses, et l'on établit une machine d'épuisement de Cornouailles sur la fosse Ste-Barbe. Les nouvelles fosses de la Renaissance et de St-Louis, sont créées sur ses plans et sous sa direction, et il applique dans leur exécution tous les nouveaux perfectionnements connus à cette époque.

Lafossede la Renaissance ouverte en 1839 fut mise en exploitation en 1840 Bientôt la confiance dans le succès


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est complète, le denier se côte 10,000 fr. Le compte des charbons dès 1841-42 est en bénéfice.

On décide l'ouverture d'une nouvelle fosse. Sur les 110 deniers retraits; on en réalise 70 pour une somme de 700,000 fr., qui rembourse la dette.

Au commencement de l'année 1845, M. Fournet est atteint d'une maladie grave, il succombe quelques mois après.

C'est alors que M. Vuillemin, sur la proposition de M. Blavier, ingénieur en chef de l'arrondissement minéralogique, fut appelé à remplacer M. Fournet comme ingénieur directeur des travaux.

Dix ans plus tard en 1855, à la mort de M. Lefrançois, les directeurs lui confient, sous le titre d'ingénieur-gérant, la conduite de toutes les affaires de la Société. Enfin en 1862 il est appelé à faire partie du Conseil d'administration.

Le bilan au 31 mars 1845, présentait un actif de 1,786,000 francs.

Un passif de 662,000 francs.

Il restait 40 deniers 25/90 retraits.

Cinq fosses étaient en activité.

L'année 1845 réalisa de nouveaux progrès ; l'extraction s'accrut, le prix de revient diminua et, quoique le prix de vente fut très bas, le bénéfice fut assez beau pour permettre la répartition en 1846 d'un dividende de 300 fr. par denier. L'année suivante il fut de 600 et il alla en augmentant successivement.

L'installation dès lors prend un caractère plus sérieux, oh organise des ateliers de réparation, des magasins, oh construit de nombreuses maisons d'Ouvriers; une maison de direction.


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En 1846 une grève se déclare à Anzin et à Douchy, elle n'atteint pas les mines d'Aniche, elle se termine au bout de 8 à 10 jours par une augmentation de salaire de 15 p. 0/0 qui porte de 2 fr. à 2 fr. 30 le prix de base de la journée des mineurs.

Un règlement est établi pour la caisse de secours.

L'extraction et la vente vont augmentant, le prix de revient est très réduit, mais par contre le prix de vente très bas à cause des frais de transport.

On attend avec impatience l'ouverture du chemin de fer du Nord et en 1847 on ouvre la fosse Fénélon, sur l'aval pendage des couches de la Renaissance et de Saint-Louis.

Les chevaux sont appliqués aux travaux souterrains.

On adopte, et c'en est la première application en France, le guidage avec longuerines en bois et l'élévation au jour dans des cages des petits chariots employés au transport.

Une nouvelle grève qui correspond à cet état de prospérité entraine une augmentation de salaire de 8, 7 p. 0/0. On crée une école, un asile, un orphelinat.

Dès 1847 la compagnie de l'Escarpelle avait découvert la houille, à l'ouest de la concession d'Aniche, elle rencontrait les houilles sèches.

Sur la proposition de M. Vuillemin, un sondage fait au sud des travaux de l'Escarpelle rencontra à 156 mètres les houilles grasses.

C'est en 1852 que l'on ouvrit la fosse Gayant, on y monta pour la première fois dans le Nord une machine d'extraction horizontale à deux cylindres de grand diamètre 0m 66 et de longue course 2m fournie par Pruvost, Coudroy et Cie, de Dorigniés. Aniche possède aujourd'hui dix machines de ce type.

On créa sur le carreau de cette fosse la fabrique d'agglo-


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mérés qui marche aujourd'hui peur le compté de MM. Dehaynin et Cie et produit annuellement 60,000 tonnes.

En 1854 un embranchement relié les fosses de la région d'Aniche à la gare de Somain.

On ouvre la fosse de l'Archevêque.

Sur l'initiative des mines d'Aniche, on augmente de 10 p. 0/0 les salaires dans les houillères du Nord.

La marche prospère est définitivement bien acquise.

On réalise diverses créations utiles, dont une succursale de la Caisse d'Épargne de Douai.

En 1855, il fut demandé à M. Vuillemin, alors ingénieur gérant, un rapport détaillé sur les moyens de développer l'exploitation, sans se préoccuper de là question des capitaux.

Ce rapport, dont M. Vuillemin donné une analyse, explique que la production annuelle de 2,300,000 hectolitres pourrait être portée à 5,600,000 hectolitres, avec une dépense de 2,800,000 francs.

Sur la proposition de M. Lallier, l'un des administrateurs, on commença la réalisation des ressources utiles à l'exécution des travaux projetés.

C'était un emprunt de forme particulière qui consistait dans la répartition d'obligations à terme en paiement de dividendes. On émit 1560 de ces obligations représentant un capital à rembourser de 1,700,000

M, Vuillemin montre le danger de ce genre d'opérations qui ouvre une porte trop large aux gros dividendes si faciles à distribuer en papier,

Dans ce cas particulier, les intérêts de la Cie d'Aniche n'en ont pas souffert, puisque la Cie put se libérer par anticipation et que l'exécution de ce projet a contribué


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pour une: large part affaire de cette mine une création importante et à en assurer l'avenir. En 1859 la fosse Notre-Dame entre en exploitation, on creuse Ste-Marie et l'on sonde à Dechy.

La vente de charbon, qui jusqu'alors se faisait à l'hectolitre, se fait au poids.

La Cie d'Aniche réalise un acte de bonne gestion, elle relie les verreries à ses embranchements, et cela à ses frais. Elle opère gratuitement les transports de ces établissements à la gare de Somain et vice versâ, tant en marchandises qu'en matières premières (charbons exceptés); leur demandant en compensation des marchés de dix ans pour la fourniture, à ses prix-courants, des 3/4 de leur consommation de charbon. C'est là un débouché important pour la, Cie.

La création de fours à coke à la fosse Gayant fut aussi une opération dont la Cie n'eût qu'à se louer.

L'établissement d'un rivage sur la Scarpe relié à la fosse Gayant et à celles de Notre-Dame et de Bernicourt apporta une amélioration considérable dans les conditions d'expédition des charbons par la voie d'eau.

Les fosses d'Aniche, étant toutes reliées à Somain, les wagons chargés de houille purent arriver directement à Douai et y passer dans les bateaux.

De même les charbons de Gayant et autres fosses successivement ouvertes à Douai, qui conviennent à la verrerie, purent arriver en wagon à Aniche.

En1865 le prix de base de la journée fut porté de 2 fr. 75

à 3 francs. Augmentation de 9 p. %. En 1870 l'administration crut prudent, en présence des

événements, de suspendre toute distribution de dividende

et, lorsqu'elle reprit cette distribution, elle ne le fit que

dans une proportion réduite.


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Toutefois la production et les résultats de cette malheureuse année de 1870 furent relativement satisfaisants, et les mines du Nord échappèrent aux événements désastreux que l'on avait redoutés.

A la conclusion de la paix, l'exploitation prit une grande activité, les prix de vente s'élevèrent successivement pour atteindre des taux inouïs»,

Le prix des charbons gras à Aniche passe dès lors graduellement de 15 fr. 50, qu'il était en 1871, à 27 fr. en juillet 1873.

La même période est marquée par une augmentation de la production, qui passe de 470,000 tohnes à 624,000.

Je laisse la parole à M. Vuillemin :

« Les ouvriers manquaient, dit-il, leurs exigences s'accroissaient et une augmentation de salaires était nécessaire. On ne se décida pas assez vite à l'accorder et, à la fin de juillet; une grève éclatait dans le Pas-de-Calais. Elle gagnait la division de Douai, au moment même où l'Administration de la Cie était réunie pour statuer sur la proposition d'augmentation des salaires que je lui soumettais. Aniche, Anzin voyaient leurs travaux arrêtés. L'opinion publique n'était pas favorable aux Compagnies houillères, à cause de l'élévation des prix des charbons, et elle encourageait les, ouvriers dans leurs exigences. Aussi la grève se fut-elle prolongée, sans l'énergie déployée par le Président de la République, M. Thiers, pour réprimer les désordres inséparables; de l'agitation qui se manifestait. La publication d'une lettre qu'il écrivit alors, fit comprendre aux autorités et au public la nécessité de mettre fin à des troubles qui compromettaient le succès de l'emprunt de trois milliards alors en émission.

L'augmentation des salaires fut de 8,33 pour cent; le


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prix de la journée servant de base à la fixation de la tâche rayant été porté de 3 fr. à 3 fr. 25 c.

Six mois après, la Compagnie d'Anzin porte le prix de la journée à 3 fr, 50. Cette nouvelle augmentation de 7,70 pour cent, qui du reste était rationnelle, fut acceptée par les autres houillères, qui se plaignirent cependant que la Compagnie d'Anzin eût pris une semblable mesure sans juger à propos de se concerter avec elles, et même de les prévenir de cette augmentation. »

M. Javal, qui à rendu compte, à là Société des ingénieurs civils, de l'ouvrage de M. Vuillemin, fait cette remarque sur les augmentations successives des salaires que je vous ai signalées: que si, depuis le commencement du siècle, les salairs ont triplé, l'effet utile de l'ouvrier a augmenté dans là même proportion,; grâce aux améliorations ; apportées dans l'organisation des travaux. Cela équivaudrait à dire que l'on eût évité bien des grèves, si les autres Compagnies eussent suivi l'exemple de celle d'Aniche, que M. Vuillemin nous montré, en diverses occasions, prenant l'initiative d'une augmentation justifiée; c'eût été en même temps, acquérir plus d'autorité pour repousser des prétentions inopportunes..

Le creusement de la fosse de Bernicourt, suspendu en 1867, fut repris en 1872 ; l'abondance d'eau fut telle que 5 pompes de 50 centimètres de diamètre et. 4 mètres de course, donnant de 10 à 1 1 coups par minute, furent insuffisantes et qu'on dut recourir au système Kind-Ghaudron.

Le creusement de la fosse seul a coûté 950,000fr. , chiffre qui dépasse du triple le creusement des puits ordinaire.

Les; travaux de cette fosse sont reliés aujourd'hui à ceux de la fosse Gayant. Des champs d'exploitation y sont préparés et peuvent fournir à une vente importante.


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La Compagnie des mines d'Aniche exploite deux gisements : l'un à Aniche, formé de couches de houille sèche à flamme, renfermant 12 à 14 pour 0/0 dé matière volatiles ; l'autre à Douai superposé au premier et formé de couches de houille grasse à courte flamme renfermant 18 à 28 pour 0/0 de; matières volatiles»

C'est en vue d'exploiter ces dernières couches que la Compagnie ouvrit en 1875 deux puits à Roucourt.

Le sondage qui devait éclairer ces travaux avait bien rencontré le terrain houiller, mais un accident avait forcé de l'abandonner à 181 mètres, avant d'avoir trouvé la houille»

Les deux puits de 4 mètres de diamètre furent placés à 35 mètres l'un de l'autre, et l'installation faite de manière à; répondre à toutes les exigences d'une grande production. Le passage des niveaux fut facile. Le cuvelage était en lois de chène à là partie supérieure, entre 14 et 50 mètres, en fonte de 50 à 74 mètres.

Le tourtia fut rencontré à la profondeur de 164 mètres, mais au lieu du terrain houiller qu'on s'attendait à trouver en dessous, on trouva des terrains remaniés composés de fragments d'argile, de grès et de schistes rouges, verts, franchement dévoniens, puis des brèches formées de morceaux de calcaire carbonifère, agglomérés par un ciment dolomitique et calcareux.

Tout d'abord on peusa que ces terrains remaniés, analogues à des alluvions, ne constituaient que le. remplissage d'une poche ; mais leur persistance sur une hauteur de 40 mètres modifia la première opinion et fit penser qu'on était dans une faille remplie de ces terrains anciens.

On fut amené à ne continuer l'approfondissement que de l'un de ces deux puits, et à 200 mètres on ouvrit une

MÉMOIRES. — 2e SERIE, T. XV. 3.


galerie vers l'ouest à là rencontre du terrain houiller constaté à la fosse St-René.

Les difficultés rencontrées dans le percement du puits de Bernicourt et celles résultant du bouleversement des terrains de Roucourt se chiffrent par des dépenses considérables, mais elles ne sont plus que de grands incidents alors qu'elles s'adressent à une Compagnie comme celle d'Aniche, dans toute la plénitude de son action, placée sur un des beaux tronçons du bassin et dont le fonds social est un puissant régulateur.

Il en avait été tout autrement au début de la Compagnie, qui a cruellement subi le contre-coup d'accidents moins graves et n'y a survécu que grâce aux bonnes et prudentes dispositions de son acte constitutif.

L'enseignement à en tirer, Messieurs, c'est qu'en matière de mines, l'aléa joue un rôle considérable et que ceux-là seuls résistent, qui agissent avec prudence et sont assis sur des bases solides.

On pourrait citer telle compagnie du Pas-de-Calais qui, pour n'avoir pas pris à l'origine le soin d'éclairer suffisamment la position de sa première fosse, en est aujourd'hui encore, après trente années d'existence, à se débattre contre les suites de ce fâcheux début.

En 1873, année qui;vint rappeler la date de fondation de la Société, l'administration résolut de célébrer cet anniversaire séculaire.

Dans la délibération prise par les directeurs, il est dit :

Un dividende de 200 fr. par douzième de, denier sera adressé à tous les sociétaires, le 8 juin.

Une somme de 100,000 fr. sera répartie à titre de gratification entre tous les employés et ouvriers de l'établissement.


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Une sommé de 10,000 fr. sera employée en oeuvres de bienfaisance.

Il est accordé la valeur d'un denier à M. Vuillemin, ingénieur directeur gérant, en récompense des services qu'il a rendus à l'entreprise et de son dévoûment aux intérêts de la société depuis 28 ans. C'était justice. Le titre en son nom, que M. Vuillemin trouva sous sa serviette au festin, le jour du centenaire, valait alors 300,000 fr.

Ce témoignage unanime de reconnaissance de la Cie envers son directeur me dispense de rien ajouter; c'est un jugement qui se passe de commentaires,

Là se termine ce résumé trop long à mon gré, quoique bien incomplet, de la première partie du travail de M. Vuillemin

Permettez-moi, messieurs, en finissant, d'émettre un voeu, qui, j'ai quelque raison de l'espérer, se réalisera: il appartiendrait à notre savant collègue, que le comité des houillères du Nord et du Pas-de-Calais a choisi pour son président, de faire une étude d'ensemble et comparative des diverses concessions de notre beau bassin.

M. Vuillemin a déjà réuni des données sur plus de 500 sondages. Sa belle carte du bassin du Nord et du Pas-deCalais est accompagnée d'un texte rempli de précieuses données statistiques.

Les intérêts particuliers qu'il a gérés avec tant de succès n'ont plus à réclamer de lui cessoins incessants qu'il leur a prodigués durant le tiers d'un siècle. Il doit à l'intérêt général et à tous ceux qui ont foi dans ses hautes connais-; sances, l'extension, aux autres parties du bassin; du Nord et du Pas-de-Calais, d'un travail si bien commencé.


NOTE

SUR

UN CARDAMINE

DES

FORTIFICATIONS DE DOUAI

Par MM. Gustave MAUGIN et GOSSELIN.

Lestiboudois, dans sa Botanographie belgique, F. Roucel dans sa flore du nord de la France et l'abbé Bourlet dans son catalogue des plantes phanérogames qui crois sent dans les fortifications de Douai

parviflora L. dans les localités dont ils ont publié la flore ou le catalogue. Nous avons été amenés à rechercher si ce cardamine était le C. parviflora de Linné. Nous avons donc collationné les, descriptions de Lestiboudois, de Roucel et de l'abbé Bourlet, avec celles, des autres auteurs que nous avons pu consulter et nous avons comparé la plante de l'herbier de l'abbé Bourlet avec les cardamine de l'herbier dont feu M. Thibesart, membre de la Société botanique de France, a fait don, au musée de la ville de Douai. Voici le résultat de nos recherches.

Le Cardamine parviflora de Linné est caractérisé par cette phrase : « Foliis pinnatis exstipulatis. » Lestiboudois s'empresse d'attribuer à cette espèce : " un stipule linéaire


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obtus. » Le reste de sa description, d'ailleurs vague et fort courte, peut à la rigueur s'appliquer au C. parviflora, mais n'est point caractéristique et convient également à d'autres espèces de ce genre.

Roucel dit de son côté : « Les feuilles caulinaires ont une stipule, linéaire et obtuse. » C'est la même contradiction avec la description de Linné que nous avons relevée chez Lestiboudois. Bien que Roucel ait donné plus de détails que Lestiboudois, ce qu'il dit de sa plante ne caractérise pas non plus clairement l'espèce de Cardamine qu'il a eue. en vue. D'ailleurs, nous ne connaissons pas les types sur les quels ils ont fait leurs descriptions, n'ayant pu consulter leurs herbiers.

Il n'en est pas de même de l'abbé Bourlet cet auteur à déposé son herbier à l'appui de:son catalogue dans les collections de la Société d'agriculture, sciences et arts de Douai. En outre, les descriptions des auteurs qu'il savait, consultés ne lui paraissant pas s'appliquer exactement aux échantillons qu'il avait recuellis, il a cru devoir donner une description de son Cardamine et ajouter quelques réflexions sur ce qu'il avait trouvé dans les flores qu'il avait sous la main. L'abbé Bourlet, qui écrit avec la plante sous les yeux, évite d'attribuer à son Cardamine des stipules qui ne se trouvent pas sur la plante qu'il a récoltée. La description qu'il en fait est exacte, mais elle n'est pas complète, ainsi il n'a pas remarqué que les fleurs sont longuement dépassées par les siliques immédiatement inférieures, La lecture de cette description et l'examen de son échantillon, d'herbier paraissent établir que l'abbé Bourlet a récolté le C. hirsuta et non pas le C. parviflora. S'il s'était reporté à la description de Linné et s'il avait eu une moins grande confiance dans Lestiboudois, il se fût trouvé d'accord avec Boisduval


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dont il aurait pu compléter là description qui d'ailleurs est exacte ; et il n'aurait pas reproché à Mérat et à MM, Cosson et Germain de St-Pierre de ne pas avoir fait mention du G. parviflora.

Il est un caractère, autre que celui de l'inflorescence, qui distingue le C. hirsuta du C. parviflora, c'est que, dans le premier, les folioles sont pétiolulées et arrondies, tandis que dans le second, elles sont sessiles et allongées. Il résulte de cette différence dans les folioles une différence d'aspect tellement grande, qu'il nous paraît impossible de confondre les deux espèces, lorsqu'on les a vues une fois. Ces caractères sont d'ailleurs signalés par Lamarck et de Candolle (flore française) par Grenier et Godron (flore française) et par d'autres ; l'abbé Bourlet a trouvé dans sa plante le caractère de la pétiolulation, mais il n'y a pas attaché l'importance qu'il mérité et il ne s'est pas aperçu que l'absence ou la présence des pétiolules des folioles constituait une différence essentielle entre les deux espèces, de nature, ainsi que là forme de l'inflorescence à éviter de les confondre.

Il résulté de tout ceci que le Cardamine signalé par Lestiboudois, Roucel et l'abbé Bourlet n'est pas le C. parviflora. Quel est-il? Celui de l'abbé Bourlet, ainsi que nous venons de le voir, est, sans aucun doute, le C. Kirsuta qui existe toujours en abondance dans les fortifications de Douai. Il répond de tous points aux descriptions de Grenier et Godron, de Lamarck et de Candolle, de Cosson et Germain de St-Pierre. Notons toutefois que nous interprêtons cette phrase de MM. Grenier et Godron: « Feuilles pennatiséquées, à 5 à 9 segments pétiolulés, décroissants, » en ce sens que la décroissance a lieu du sommet à la base et que le segment terminal est le plus grand. D'autre part, nous


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supposons que si MM. Cosson et Germain de St-Pierre n'ont pas noté que les folioles étaient pétiotulées, c'est que n'ayant pas le C. parviflora dans le rayon de leur flore, ils n'ont pas cru nécessaire de signaler cette différence caractéristique.

Le Cardamine de Lestiboudois est assez difficile à reconnaître, il parait être le C. impatiens, car il est probable que le Stipule linéaire obtus qu'il indique est : la base du pétiole prolongée en deux oreilles étroites, arguées, embrassantes, du C. impatiens de MM. Grenier et Godron. Et pourtant dans son prodome de tous les végétaux connus jusqu'à ce jour, Lestiboudois, qui indique comme vivant dans le nord de la France le C. parviflora auquel il donne alors le nom français de Cardamine à feuilles de Berle, mentionne le C. impatiens, avec le nom français de Cardamine stipulé, dont l'habitat serait le Mont d'or ; et le C. hirsuta, en français velu ; et lui donne pour station : les bois, en dehors des départements du Nord de la France.

Quant à Roucel, il parait avoir nommé C. parviflora, tout à la fois le C. hirsuta L., la plante que Link a nommée C. Sylvatica et avoir fait du C. impatiens sa variété {3, en attribuant toutefois aux deux premières espèces une stipule, qu'il n'a pu trouver que dans Lestiboudois et qu'il n'aurait dû signaler que dans sa variété {3, si l'on admet notre manière de voir sur les oreillettes du pétiole.

Notre opinion nous parait confirmée par l'examen des auteurs. Le Regni vegetabilis systema naturale de de Gandolle caractérise parfaitement ces espèces, aussi nous croyons devoir citer les phrases concises qu'il leur consacre, encore bien qu'il n'ait pas, mentionné la forme particulière de l'inflorescence. « C. HIRSUTA. Species distinctissima,


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foliis omnibus petiolatis pinnatisectis, radicalium segmentibus subrotundis, mucronatis, petiolulatis, summorum subessilibus augustioribus; floribus parvis, albis; siliquis erectis; stylo tenui siliquoe laitudinem adoequante." - « C. PARVIFLORA. Valde accessit ad C. hirsutam, sed gracilior; glabra : foliorum inferiorum segmenta sessilia oblonga, superiorum linearia, omnia fere integra; flores paulo minores. "

Nous avons trouvé dans cet ouvrage une longue synonymie qui nous a fait voir, lorsque nous avons voulu en vérifier l'exactitude, que notre C. hirsuta avait été fort bien figuré dans un vieux bois de l'ouvrage de Jean Des Moulins, gui remonte à 3653 sous le nom de Cardamine IV de Jacques: Dalechamp, médecin né à Caen, qui exerça la médecine à Lyon de 1552 à 1587.

Quant à l'habitat, le C. parviflora se trouve : au Mont d'or d'après Lamarck (Encyclopédie méthodique); en Anjou et à Nantes, d'après de Candolle (Systema naturale) ; Grenier et Godron (Flore française). Elle est dans l'Indre-etLoire, d'après là flore de ce département publiée parla Société d'agriculture de Tours ; en Maine-et-Loire d'après Delastre (Flore; du département de la Vienne) qui l'a vainement cherchée dans ce dernier département et qui signale son pétiole sans oreillettes ; dans le Cher et le Loir-etCher, d'après Boreau (Flore du Centre). Il est surtout méridional et croît, dans la France, en Provence et en

Cher, d'après Boreau (Flore dû Centre). Il est surtout méridional et croît , dans la France, en Provence et en Languedoc, d'après les flores générales déjà citées (Lamarck et de Candolle, Flore française) dans les prés humides de la France méridionale d'après Boisduval, (Flore française) ; en Languedoc et dans l'Ouest d'après Duby Botanicon gallicum). Il ne se rencontre pas aux environs dé Paris


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d'après Thuiller , Mérat, Bautier, Cosson et Germain de St-Pierre.

Le C. hirsuta au contraire, est reconnu exister dans toute la France d'après les flores sus-indiquées, dans les environs de Paris, d'après les flores spéciales à cette région et dans le département de la Somme d'après de Vicq et Brutelette. Crépin (Manuel de la flore de Belgique) et Loudon (hortus britannicus) le signalent dans leur pays et n'y ont pas rencontré le C. parviflora.

Nous pensons donc qu'il faut rayer de la flore du Nord de la France et surtout de la liste des plantes croissant dans les fortifications de Douai, le C. parviflora et qu'il y à lieu de nommer C. hirsuta la plante récoltée par l'abbé Bourlet.


L'APPBIISSAi METHODIQUE DU METIER

DANS LES ECOLES PUBLIQUES

Par M. FAREZ

Ingénieur civil,: Vice-président de la commission des écoles

académiques et professionnelles de la ville de Douai

membre résident.

MESSIEURS,

Un mouvement considérable ne cesse de se produire dans notre pays en faveur de l'instruction publique.

Les lycées, les colléges et les établissements similaires, grâce à des ressources croissantes, vont se développant chaque jour et ouvrent aux jeunes gens des familles aisées toutes les carrières si nombreuses auxquelles ils peuvent prétendre.

Très-nombreuses sont aussi les écoles qui spécialisent le haut enseignement.

Mais à côté du groupe important de ces élèves, qui trouve satisfaction dans les grandes écoles de l'Etat, il en est d'autres, en nombre trois ou quatre fois plus considérable, assis sur les bancs des écoles primaires élémentaires. Qu'a-t-il été fait pour ceux-là, que trouvent-ils au delà du certificat d'études ?

Poser une telle question, c'est signaler en même temps la lacune immense qui reste à combler dans l'ensemble de notre enseignement public.


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Nous savons, en effet, que les écoles primaires supérieures, sont rares ; que les ateliers d'apprentissage, trop souvent illusoires dans leurs effets, sont fort rares aussi; et qu'enfin si quelques élèves de la classé ouvrière atteignent une école d'arts et métiers, c'est grâce à une volonté énergique, que les obstacles n'ont pas rebutée, et grâce aussi aux secours de maîtres désintéressés.

Mais il n'est rien de régulièrement organisé, rien qui: donne satisfaction aux légitimes aspirations de ce nombreux monde scolaire.

Ceux qui, actuellement entrent dans les écoles primaires supérieures ou dans des institutions analogues marchent la plupart du temps sans but déterminé ; les parents ne tardent pas à s'apercevoir de l'inanité du sacrifice ; aussi ne voit-on arriver aux classes supérieures de ces écoles, que quinze à vingt sur cent de ceux qui y sont entrés.

Et pourtant les programmes sont faits pour trois ou quatre années d'études, en sorte que rien ne s'achève pour les nombreux élèves qui s'égrènent sur la route et l'on peut dire que s'ils n'ont pas perdu leur temps, ils font employé d'une façon bien peu rationnelle et peu fructueuse.

Pour ceux qui continuent, le but final lui-même est-il si enviable? L'enfant l'atteint à l'âge de seize ou dix-sept ans: la filiation de la profession est bien perdue pour lui ; que va-t-il devenir?

Il sort delà, j'en conviens, quelques bons employés, des teneurs de livres, quelques bons comptables ; il en est qui se destinent tardivement à l'enseignement primaire ; le reste cherche sa voie au hasard.

Telle est, Messieurs, la situation actuelle.

L'Etat, sous l'impulsion vigoureuse dû ministère de l'instruction publique et des beaux-arts, et de celui de


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l'agriculture et du rcommerce, travaille énergiquement à améliorer cet état de choses.

Le but essentiel à poursuivre est d'ailleurs bien saisissable et à la portée des efforts de tous : Il faut développer les forces physiques de l'enfant et le former au métier, en même temps que l'instruire. Tel est l'objectif que né doivent pas dépasser les visées de quiconque s'occupe de cette question, c'est ce qui m'encourage à prendre ici la parole, sachant d'ailleurs que, quelque modeste que soit mon concours, vous y verrez surtout l'intention de venir en aide parla propagande à une oeuvre d'une utilité incontestable.

Dans l'organisation nouvelle, ce que nous réclamerions tout d'abord, serait donc, que l'école primaire supérieure comprît toujours un enseignement professionnel et que dès le seuil de cette école, il fût fait un sectionnement des élèves, suivant les; professions auxquelles ils se destinent.

C'est une nécessité qui s'impose tôt, que celle du choix d'une profession dans la classé ouvrière» Il y a là une importante détermination à prendre, dans laquelle les parents auront le dernier mot, mais dans laquelle aussi les maîtres de leurs enfants pourront les guider avec connaissance de cause ; les méthodes d'études, chaque jour plus expérimentales, ayant cet avantage de révéler au professeur les aptitudes et la capacité de travail de chacun.

Les membres des délégations locales, qui connaissent les ressources comparées qu'offrent les diverses industries et les métiers pratiqués dans leur région, interviendront aussi d'une façon fort utile.

Sans doute la division qui s'opérera là n'est pas irrévocable, mais elle est d'une sérieuse importance et, logiquement faite, elle économisera aux enfants un temps fort précieux.


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C'est dans la voie de l'apprentissage méthodique, qu'il faut résolument diriger la plus grande partie de ces jeunes élèves et agir rapidement , si l'on veut que les parents ne les reprennent pas à l'école.

Un; tel procédé est; si bien indiqué que , lorsqu'une grande industrie s'est groupée sur un même, point, les intéressés ne; reculent pas devant les sacrifices nécessaires pour former des écoles d'apprentissage; car, sous peine de déchoir, ils doivent relever la valeur du personnel ouvrier, qui est un de leurs plus puissants: instruments dé vitalité et de succès.

C'est ainsi, choisissant les exemples auprès de nous, que la création de l'école des: maîtres mineurs de; Douai fut provoquée par l'initiative des compagnies houillères, qui interviennent dans sa marche pour un appoint important.

C'est pour faire face à des besoins locaux que la Société industrielle de Sainte-Quentin a ouvert une école d'apprentissage, qui forme des ouvriers tisseurs.

Et qu'enfin des établissements, particuliers, en; présence de la pénurie du personnel ouvrier qui les recrute, se; sont! vus dans la nécessité, comme la maison Cail et Cie à, Denain, de créer des cours d'apprentissage qui leur rendent de grands; services, quoique: renseignement dans: sa partie théorique en soit forcément bien incomplet.

Il faut donc chercher à réaliser une organisation générale qui complète pour l'enfant de l'ouvrier l'instruction professionnelle, comme cela se fait si largement pour les jeunes gens plus favorisés de la fortune.

Le système que nous préconisons ici a prévalu, en principe, au congrès international tenu à Bruxelles en août 1880. Les délégués français n'ont pas craint d'y déclarer un fait malheureusement trop réel, à savoir : que l'aptitude


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professionnelle des ouvriers tend à diminuer dans notre pays.

Dansl'Autriche et la Hongrie, il existe un grand nombre d'écoles d'apprentissage, où les ouvriers trouvent des ateliers bien organisés et un enseignement technique fait par des professeurs spéciaux.

La Belgique ne compte pas moins d'une centaine de ces écoles, qui se. divisent en écoles industrielles, écoles professionnelles, écoles d'apprentissage, toutes destinées à former des ouvriers instruits dans la pratique de leur métier.

En Angleterre, la société dite des Corporations et de la Cité fonde des cours de technologie pour un grand nombre d'industries spéciales ; elle organise dés écoles d'apprentissage, pour recevoir les élèves au sortir des écoles primaires,

Ce n'est donc pas une idée neuve, que celle dont je plaide ici la cause, elle est, dans cet ordre de! choses, la première qui vient à la pensée. Il n'échappe à personne que la haute question de moralisation de la jeunesse ouvrière y réside tout entière.

Est-ce en effet dans les écoles,: avec leur système actuel de discipline, de travail et d'émulation, chaque jour mieux entendu, que se vicie l'éducation ? Est-ce plus tard, quand l'ouvrier est fait, quand il a pris goût au métier qui a pour lui l'intérêt de la chose neuve ?..

Non, c'est de treize à seize ou dix-sept ans que le mal se produit ; c'est au sortir de l'école élémentaire, dans ces quelques, années dites d'apprentissage, où le plus souvent on n'apprend rien, que vase décider, au hasard des circonstances, la valeur morale de l'enfant. Et ces circonstances, il faut bien en convenir, lui seront généralement


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défavorables : les journées sont à peine rémunérées, le travail produit est en juste proportion ; l'apprenti fait; les courses et les corvées, on le laisse indéfiniment à des besognes infimes ; le patron lui permet rarement de s'essayer à de sérieux ouvrages et le bon ouvrier, l'ouvrier fait n'a pas le temps d'enseigner, il n'aime pas d'ailleurs que l'on touche à ses outils.

Il est aisé de comprendre que, dans de telles conditions, les apprentissages ne prennent pas fin, l'enfant s'y rebute, et échappe rarement au découragement, à la démoralisa-, tion. Il faut une volonté bien rare à cet âge, il faut des parents bien vigilants, pour échapper à cet écueil.

Comment apporter un remède, je ne dirai pas radical, mais de nature à atténuer un pareil, état de choses? Le mode le plus efficace n'est-il pas de conserver au jeune homme ses attaches avec l'école et de lui faire compléter son instruction, en même temps qu'il apprend son métier.

Il est des cas dans lesquels un travail manuel dans des ateliers particuliers pourra être mené; de front avec l'enseignement de l'école. Il en est d'autres où ce dernier réclamera tout le temps du jeune homme. Il en est enfin où les deux systèmes pourroni être appliqués simultanément.

Une grande élasticité est nécessaire dans l'emploi des moyens.

C'est ici, je ne l'ignore pas, que se rencontre la difficulté réelle, le, point délicat de cette organisation; il faut en effet que la forme définitive, que va revêtir chaque école s'adapte aux besoins locaux et tienne compte de toutes les exigences, mais le remède est toujours; proche du mal car les nécessités se créent des organes, dans leur milieu même, suscitent des hommes de bonne volonté, qui embrassent leur cause et en sont les meilleurs auxiliaires.


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Les écoles à créer ou à développer émaneront donc du même principe, mais ne reproduiront pas un type invariable. Elles doivent pour chaque région se plier; aux exigences technologiques propres à son travail et descendre jusqu'à l'indication des procédés particuliers à chaque spécialité. Il faut faire en sorte, en un mot, que l'apprenti, s'il n'a pas acquis la sûreté de main qui donne a l'ouvrage son caractère et son fini; soit au moins, au sortir de ces écoles, apte à aborder et à résoudre toute difficulté professionnelle qui se présentera à lui dans la pratique. Vous ferez cette remarque, messieurs, que nous sommes admirablement placés ici pour que là solution que nous adopterons trouve denombreux imitateurs. La ville de Douai n'a pas d'industrie spéciale, mais autour d'elle l'activité déborde.

C'est l'extraction intense de la houille, dont j'ai signalé l'école spéciale d'apprentissage ; c'est la fabrication du sucre, celle des huilés, de la bière, la minoterie, le travail des métaux, des textiles, celui de l'ameublement, de la décoration, etc., etc.

Tel est le milieu dans lequel est placée la population ouvrière qui fournil les élèves de nos écoles primaires. C'est aussi celui auquel il faut les restituer, pour! former cette phalange de jeunes ouvriers actifs dont les aptitudes et le savoir professionnel feront face aux besoins des entreprises industrielles, comme aux travaux d'art appliqué, qui empruntent aujourd'hui au dehors leurs principaux artisans.

Personne n'ignore que les ateliers de sculpture sur bois du Nord de la France sont peuplés presque exclusivement d'ouvriers belges et: qu'il en est de même des chantiers de marbrerie.


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Les bons ouvriers manquent ; ils manquent: surtout, parceque dans la plupart des métiers l'instruction première spéciale fait défaut.

Une peut nous échapper pourtant, que la difficulté en, face de laquelle on se trouve ne résulte pas seulement du manque d'écoles, mais qu'elle tient aussi à une impatience, souvent excusable de la part des parents, de tirer parti du travail de. leurs enfants pour accroître les ressourcés de la famille.

Il faut dire néanmoins que, lorsqu'il s'agit d'un état, où certaines études spéciales sont indispensables pour, faire un bon ouvrier, la famille se résigne; et elle le ferait d'une façon bien plus générale encore, si l'école était en mesure de lui donner satisfaction.

C'est qu'en effet, sans parler des travaux, d'art proprement dits et n'envisageant que ceux du fer et du bois dans leurs grandes' divisions de l'ajustage, de la construction, de la menuiserie et de là charpente, combien de jeunes gens ne sont-ils pas arrêtés en route, parce qu'ils ne savent pas tracer un croquis coté, ni même le lire et qu'ils ne sauraient chercher une indication dans l'ouvrage qui la renferme.

Pour faire face à ces besoins, le groupement scolaire: que la ville de Douai a érigé rue des Wetz est en bonne voie de développement.

Il y.a là, d'une part, l'enseignement primaire supérieur et professionnel, qui en réalité, comme presque toutes les institutions de ce genre, ne faisait jusqu'aujourd'hui, qu'ébaucher l'apprentissage ; il y a, d'autre part, l'enseignement académique des arts du dessin.

Le dessin, vous le savez, il est banal de le redire, est le langage universel, c'est celui de l'ingénieur qui creuse les

MEMOIRES. - 2e SERIE, T. XV.


tunnels et exécuté les travaux les plus grandioses; comme il est celui du maçon qui aligne ses quatre murs avec le cordeau et l'équerre ; celui du charpentier et du menuisier qui tracent les lignes; de leurs assemblages ; de l'ajusteur qui, dans des dimensionsdonnées, doit dresser une simple clavette.

Qu'une oeuvre soit importante ou concise, on n'en peut saisir d'ensemble la valeur ou les côtés défectueux, que si le crayon ou le tire-ligne l'ont projetée sur le papier et cotée dans toutes' ses parties. Procéder d'autre façon, c'est s'exposer aux plus grands mécomptes. En un mot, sans le dessin, on reste manoeuvre; avec le dessin, on crée, on est artiste en son métier.

Permettez-moi, messieurs, de vous rappeler en passant quel fut notre étonnement à tous, à l'exposition universelle de 1867, lorsque nous pûmes mesurer le pas de géant fait dans les industries d'art depuis 1855, par les.nations, nos émules, et qui tout à coup se dressaient en rivales.

Nous nous étions endormis dans la quiétude, nous reposant sur le génie familier, sur les aptitudes artistiques de notre nation. Le réveil fut violent, mais, il faut le dire à notre justification,il se trouva cette fois, parmi nous, dès esprits qui surent recourir aux causes premières et signaler le danger.

Une vaillante société, l'Union centrale des béâux-arts appliqués à l'industrie sonna l'alarme, nous dévoila bientôt, qu'alors que les Anglais, les Belges, les Allemands avaient des écoles, des collections, des méthodes, nous en étions restés, nous, à notre vieil et routinier enseignement du dessin.

Là était la source du mal ; il fallait, par des méthodes


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nouvelles, faire pénétrer plus profondément et plus sûrement l'art dans l'industrie.

Tout était à faire et l'on se mit à l'oeuvre. L'appel fait au pays fut entendu et, Messieurs, sans en tirer vanité, nous nous rappelons avec satisfaction, qu'au premier concours ouvert à Paris entre toutes les écoles de dessin de France, pour juger de l'état de leur ensengnement, ce sont les écoles académiques de Douai; qui remportèrent l'unique médaille ; d'or que décerna la société de l'Union centrale des beauxarts appliqués à l'industrie.

C'est que déjà à cette époque certaines branches de notre enseignement avaient secoué les vieilles traditions.

On n'entend plus aujourd'hui, par ce mot dessiner, cette pratique servile des imitations laborieuses; patientes, polies et repolies qui figeait: l'intelligence et les aptitudes artistiques et qui n'était pas plus un art, que la photographie qui s'y substitue avec avantage.

Ce que l'on veut aujourd'hui, c'est que, dans les industries d'art appliqué, l'ouvrier ait la connaissance parfaite des styles, des ordonnances et des époques, qu'il possède; bien les divers modes de faire et sache les appliquer à propos, que son esprit et sa main soient façonnés à relier, à développer les diverses parties d'une oeuvre, à en faire un tout harmonique.

Ce que l'on veut, c'est que, dans toute profession manuelle, l'artisan sache à l'avance combiner, coter sur le papier, dans son ensemble comme dans ses détails, l'oeuvre qu'il doit exécuter.

Excusez, MM., la longueur de cette digression; elle m'a paru utile. J'ai voulu vous dire, en la faisant, que le groupe scolaire d'enseignement académique et primaire supérieur créé par la ville de Douai n'est pas sans valeur, et qu'en se


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complétant il peut devenir un établissement: delà plusgrande utilité pour la localité et pour la région. J'ai voulu; dire aussi que, chaque jour, les études du dessin deviennent de plus en plus le corollaire de l'enseignement professionnel. Il n'est pas possible, étant donnés les programmes actuels de l'enseignement primaire supérieur, de faire en dehors une part suffisante aux pratiques professionnelles et artistiques. Il est pourtant indispensable que les élèves qui apprennent le métier et plus particulièrement les industries d'art, possèdent une certaine instruction spéciale, qu'il faut de toute nécessité mener de front avec l'apprentissage.

l'apprentissage.

Dans le milieu où nous nous trouvons, une analyse sommaire, de la situation, conduit directement à ceci. : que, dès le debut, et pour, les enfants qui ont, ce premier bagage d'instruction que consacre le. certificat d'études primaires, il faut ouvrir trois voies entre; lesquelles ils auront le choix.

La première est celle de l'enseignement primaire su-; périeur dont les programmes seraient complètement respectés ; elle n'emprunterait que d'une façon secondaire, quoique plus largement que par le passé, le secours des arts du dessin. Les jeunes, gens que; comprendrait cette section, en raison des deux autres dérivations, ne s'accroîtraient pas en, nombre, et trouveraient facilement des emplois,

La deuxième voie est celle des arts du dessin l'examen d'admission doit tenir ici un compte sévère des aptitudes. Les études y affectent trois formes différentes, auxquelles correspondent trois divisions :

1° La pratique de l'art pur; elle conduit à l'école des Beaux-Arts. C'est le lot de quelques privilégiés.


2° La préparation au professorat; le programme du certificat d'aptitude à l'enseignement du dessin y est rigoureusement! suivi. C'est chose déjà mise provisoirement en pratique chez nous; et le ministère de l'Instruction publique et des Beaux-Arts va nous fournir les ressourcés nécessaires au fonctionnement de ces cours normaux. C'est là un privilége qui n'est accordé qu'à un nombre très limité de localités en France et que la ville de Douai devra à la bonne renommée de ses écoles.

3° La sculpture du. bois, de la pierre, du marbre, et la peinture décorative»Il est à peine besoin de dire que les jeunes gens quifont ces études artistiques doivent tous indistinctement suivre aussi le cours d'histoire générale; d'histoire de l'art et de littérature; c'est un large concours à réclamer de l'enseignement primaire supérieur»

J'arrive enfin, Messieurs, à la troisième voie qui se présentera aux jeunes élèves : celle des pratiques industrielles de l'apprentissage méthodique. Elle comprendra le travail du fer, du bois, de la pierre et du marbre, les essais chimiques agricoles et commerciaux, toutes branches déjà représentées dans notre école communale; aux quelles devront se joindre la partie technologique de la construction, maçonnerie, couverture, etc. Mais ces diverses section de l'apprentissage doivent exiger de l'enfant untemps plus considérable que celui très insuffisant qu'il y consacre aujourdhuit. Les études classiques céderont peu à peu le pas aux; travaux manuels, qui dans la dernière.année prendront la majeure partie du temps de l'élève et alors même que le jeune homme arrivé à ce point serait appelé à gagner sa vie dans les ateliers de la ville, il trouvera, dans les cours du soir et du dimanche, la possibilité de continuer ses études professionnelles.


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Le point capital dans ce système est d'avoir d'excellents maîtres-ouvriers pour diriger les travaux. Il faut choisir avec discernement ceux qui, dans les ateliers particuliers, tiennent le premier rang comme praticiens. On obtiendra ainsi, l'expérience n'est plus à faire, des résultats rapides et féconds.

Est-il, en effet, un parallèle à établir entre l'apprenti abandonné à lui-même, entre ce souffre-douleur qui va, perdant son temps, d'atelier en atelier ; et le jeune homme sortant d'une bonne école, qui a fait son apprentissage, en même temps qu'il recevait une instruction appropriée ? Celui-ci n'aura-t-il pas conservé les habitudes de discipline que donne la pratique des classes, avec un savoir et une éducation qui feront qu'on le respecte.

Au point de vue pécuniaire même, si le premier a déchargé sa famille de quelques frais pendant deux ou trois années, la journée du second ne ressortira-t-elle pas bientôt à un taux qui fera compensation et au delà.

La lacune que je vous ai signalée au début, vous le voyez, Messieurs, n'est que trop réelle; la combler, serait pour les enfants de la classe ouvrière un bienfait dont l'influence moralisatrice ne saurait être mise en doute.

Cette marche de l'apprentissage n'est-elle pas la plus rationnelle ? N'est-elle pas: celle dans laquelle devraient s'engager résolûment les grandes communes, les départements et l'Etat qui déjà donné des allocations et des bourses d'études dans ce sens. Multiplier les encouragements avec une sage réglementation serait un bienfait, et nulle part libéralités ne sauraient s'exercer d'une façon plus efficace.

Mais c'est surtout en pareille matière qu'il importe de laisser un vaste champ à l'initiative des administrations


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locales, à l'action des intérêts privés et aux efforts individuels; c'est de là que doit partir l'impulsion, et elle sera d'autant plus efficace qu'elle émanera d'hommes connaissant mieux les ressources et les besoins de leur région.

Tout le bon vouloir de l'Etat et ses sacrifices seraien stérilisés, si le puissant levier de son action ne prenait son point d'appui au milieu même des résistances que l'indifférence et la routine opposent à toute idée de progrès.

Il ne s'agit plus, vous l'avez bien compris, Messieurs, de créer, soit à Paris soit dans quelques grands centres, des écoles modèles, comme il en existe quelques-unes. Non, la détermination du point précis où se trouvera l'école doit découler des besoins auxquels il faut donner satisfaction sur la place même où ils se produisent, et comme ces exigences n'ont pas attendu jusqu'aujourd'hui à se manifester, les chefs-lieux régionaux d'enseignement pratique se trouvent par cela même naturellement indiqués. On les fixera là où existent déjà des institutions locales créées sous ces' mêmes nécessités et qui seront ainsi les points de départ d'organisations plus développées.

Ce n'est pas l'oeuvre d'un jour que l'application générale d'un tel système. Des ilots se sont déjà formés et se développent chaque jour , déterminés par les besoins locaux et le stimulant des encouragements de l'Etat. L'exemple sera contagieux, et peu à peu, graduellement, mais infailliblement, le pays tout entier se couvrira d'un réseau complet de ces écoles régionales, dont les rayons d'action varieront en raison de la densité des populations et du plus ou moins de similitude des industries.

J'en reviens à notre cas particulier. Les plans d'études pour les écoles de Douai, projetés et développés dans le sens que je viens de vous indiquer, démontrent à l'évidence


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que les sacrifices budgétaires qu'entraînerait une telle organisation n'auraient pas l'importance que l'on pourrait redouter et seraient loin d'être en rapport direct avec les résultats.

Nos écoles académiques et professionnelles, suivies par plus de 350 élèves, exigent sans doute: déjà d'importants sacrifice; de la ville. L'État lui-même y intervient d'année en année pour une part plus large, que justifiera mieux encore chaque jour leur caractère de plus en plus régional. Il y a là; des dépenses sérieuses assurément, mais qui ne dépassent pas, en proportionnalité, celles de; bon; nombre d'autres villes.

Un fait très-important est d'ailleurs acquis pour nous : c'est la réunion; dans un même local, de l'enseignement classique, de celui des arts du dessin et du travail des ateliers : ce groupement est la clef de voûte du système. Les nouvelles dispositions prises par l'Etat, relativement à l'enseignement primaire supérieur et professionnel,: sanctionnées par un décret du 15 janvier dernier, visent bien notre situation et nous laissent tout espoir que de nouveaux secours mettront la ville à même de réaliser le projet que je viens d'avoir l'honneur de vous exposer.

Quand une oeuvre d'intérêt social nous paraît comme celle-ci bonne et utile en elle, c'est un devoir, suivant moi, que de la propager, d'appeler les hommes compétents à en, faire l'examen, à la discuter et la revêtir enfin d'une forme plus parfaite. C'est l'excuse que j'invoque, messieurs, pour le, temps que j'ai réclamé de votre bienveillance ; je ne m'en reconnais pas d'autre.


DES INNOVATIONS INTRODUITES

DANS

L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE

Travail lu dans la séance générale du 12 novembre 1880

Membre honoraire.

MESSIEURS,

Depuis fort longtemps tout le monde s'accordait à reconnaître, que certaines modifications devenaient indispensables dans renseignement secondaire. Impossible de faire une plus large part aux sciences, aux langues vivantes, à l'histoire, à la géographie, au dessin, à la gymnastique; sans restreindre celle qui était accordée aux langues anciennes; sans supprimer, par exemple, les vers latins, et sans borner le thème grec aux classes de grammaire» - Mais nous croyions ce but facile à atteindre, sans apporter dans les études la perturbation qui résultera infailliblement des récentes mesures adoptées parle nouveau Conseil supérieur. Ce Conseil composè exclusivement d'Universitaires, de gens du métier, vient cependant, suivant nous, de prendre des déterminations; qui, loin de relever l'ensei-


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gnement secondaire, ne pourront qu'accélérer en France son abaissement. Telle est du moins notre conviction sincère, et peut-être arriverons-nous à vous la faire partager, lorsque nous aurons examiné avec vous, successivement et impartialement, les principales innovations en question.

La plus grave de toutes, et telle que rien de plus funeste n'avait été proposé depuis la naissance de l'Université, c'est la décision supprimant le latin dans les classes de 8° et dé 7e, le grec dans les classes de 6e et de 5e. Le tout, dans quel but? Uniquement de substituer à des études grammaticales, des études, scientifiques que le manque de maturité rendra complètement inefficaces, même pour les enfants les plus heureusement doués.

Messieurs, la vraie pédagogie est celle qui sait tenir compte des qualités comme des défauts de l'enfant, du développement progressif de ses facultés, de ses aptitudes. Or que constatons-nous chez les élèves de neuf à onze ans ? D'une part, une très grande mémoire, et de l'autre une certaine curiosité, un certain besoin de varier ses occupations. Quand l'enfant arrivait en 8e, il avait déjà vu pendant deux ans la grammaire française. Je ne dis pas qu'il la possédait parfaitement, mais comme c'était la grammaire de sa langue maternelle, il croyait savoir cette grammaire. L'étude du latin, ce père du français; venait donc faire une très-heureuse diversion, en même temps que les difficultés de cette langue synthétique obligeaient ces esprits novices à plus de réflexion, à plus de raisonnement que ne sauraient en imposer les langues analytiques. En un mot nous soutenons que l'étude de l'allemand ou de l'anglais appris en 8e, ne constitue pas pour le développement de l'intelligence: un exercice aussi fructueux que celui du latin. De


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plus le pauvre.enfant, qui avait eu déjà deux ans de grammaire française, dans les deux divisions successives de 9e, en aura encore, en 8° et en 7e, deux autres, pendant lesquels les rapprochements tout naturels que le maître faisait autrefois entre le latin et le français ne lui apporteront désormais aucune diversion: total quatre ans de grammaire française presque exclusive.

Il est vrai, Messieurs, que les novateurs ont une réponse toute prête à mon objection. Que nous parlez-vous de grammaire française? On n'apprendra presque plus de grammaire. On abordera immédiatement les auteurs, puis à propos de tel mot, de telle expression, telle ou telle règle grammaticale sera révélée ou rappelée aux enfants. Noué connaissons tous; cette méthode, dite de Robertson. Autres fois, quand on commençait les langues vivantes en 3e, avec des élèves qui savaient à fond les grammaires française, latine et grecque, on abordait immédiatement, l'explication des auteurs allemands ou anglais,, mais remarquez que c'était avec des élèves des classes d'humanités, et qu'en outre, pour l'allemand, on ne tarda pas à reconnaître, que celui-là seul arrivait à écrire correctement en allemand, qui avait étudié méthodiquement la grammaire si difficile, si compliquée de cette langue. Quant à la langue anglaise, sa grammaire est d'une si merveilleuse simplicité, que le succès du système Robertson ne prouve absolument rien pour les autres idiomes. Ajoutons que dans le système Robertson on apprenait par coeur beaucoup de textes, tandis qu'aujourd'hui la guerre semble déclarée à la mémoire, pour réserver presque tout au raisonnement, même dans les plus basses classes. Et cependant, Messieurs, c'est cette méthode que l'on va appliquer à une langue aussi difficile que le grec, langue qui ne sera commencée


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qu'en 4e, à l'âge de 13 ou 14 ans, oubliant que c'est précisément à partir de 13 ou 14 ans que l'élève commencé à ressentir le plus de dégoût pour les études grammaticales, qui jusque-là n'avaient été qu'un jeu pour sa fraîche et imperturbable mémoire.

Le grec ainsi; retardé présentera aussi le très-grave inconvénient suivant. Tous les ans des élèves à partir de la 3e, trop souvent de. la 4e, quittent les études littéraires pour passer en mathématiques ; préparatoires, en réalité pour.bifurquer, car on a. pu conspuer le mot bifurcation, mais non supprimer la chose. Celle-ci résulte autant de la diversité des aptitudes que de la variété des carrières entre lesquelles les familles doivent choisir. Ces élèves agissent ainsi, quelques-uns par une sérieuse vocation scientifique , beaucoup par horreur du grec. Quand on leur demandera de commencer en 4e, une langue qu'ils sauront; pouvoir abandonner dans un an ou deux, je vous laisse à penser quel zèle ils y apporteront.

Le latin commencé en 8e, le grec commencé en 6e, présentaient encore cet avantage que les parents intelligents pouvaient ne faire passer leurs fils dans l'enseignement spécial, que lorsqu'ils avaient une certaine notion" de ces langues anciennes auxquelles, à tort ou à raison, tout le monde savant ne cesse d'emprunter saterminologie, son vocabulaire. Il était même très-facile de discerner sur les bancs de l'enseignement spécial, ces élèves de ceux qui n'avaient jamais fait que du français, les premiers tenant presque toujours la tête de la classe. Or vous savez, Messieurs, quel rôle de plus en plus important l'enseignement spécial est appelé à jouer dans notre société démocratique et industrielle. Vous n'ignorez pas! non! plus que les Allemands, beaucoup plus sages que nous; ont maintenu le


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latin dans toutes les classes de leurs Realschulen, où un règlement tout, récent vient d'augmenter lesheures consacrées à cette langue.— Signalons encore en France la contradiction suivante. Tandis qu'on impose dès la 8e, des sciences dont tous les termes sont pris au grec, on recule celui-ci jusqu'en 4e, c'est-à-dire qu'on l'impossibilité de rien comprendre aux dénominations qu'il emploi.

J'arrive maintenant, Messieurs, à une seconde décision, non moins regrettable que celle que je vous ai signalée en tête de mon travail; je veux parler de celle qu élimine du baccalauréat ès-lettres toute composition en langue latine, et porte ainsi à cettedernière un second cpup encore plus terrible que le premier. Qui ne se demanderait avec stupéfaction comment des hommes aussi distingués, aussi expérimenté que les membres du Conseil supérieur, ont pu oublier à ce point le caractère essentiellement utilitaire de notre siècle:. La constante préoccupation des candidats, soit aux écoles spéciales, soit à tel ou tel grade universitaire, n'est-elle pas, d'étudier dans chaque programme, avant tout ce que ce programme n'exige pas, pour s'en exempter soigneusement ? Désormais les élèves des classes supérieures traiteront les compositions en prose latine absolument comme ils traitaient les vers latins, et l'Allemagne qui avait sur, nous une supériorité incontestable dans l'étude du grec, ne tardera pas à nous dépasser aussi largement pour le latin. Lorsque la maison Didot a voulu rééditer, il y a un demi-siècle, le Thésaurus grec, d'Henri Etienne, elle p dû appeler à Paris des helléniste allemads; puissions-nous n'être pas.forcés un jour d'aller chercher au-delà, des; Vosges des correcteurs pour nos éditions latines.

La troisième prescription sur laquelle, Messieurs, je vous


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demande la permission d'appeler votre attention, est rédigée dans l'Instruction formulée par le Conseil supérieur pour l'application des nouveaux programmés , de la manière suivante : « Le mot à mot écrit, dont on abuse » pour les textes latins ou grecs, ne devra être exigé, même » dans la division de grammaire, que par exception et «pour un petit nombre de passages. » Jusqu'ici l'on avait toujours cru que les langues, surtout les langues synthétiques; ne s'apprenaient que par un mot-à-mot très-précis, très-exact, serrant de très-près le texte. C'était pour ainsi dire un axiome pédagogique que nul n'aurait osé contester. Il est vrai que vous; allez m'observer que ce qui est blâmé c'est le mot-à-mot écrit. Mais, Messieurs, même dans une classe de deux heures (aujourd'hui certains ne voudraient plus que des classes d'une heure et demie, d'une heure; un membre du Conseil supérieur a même posé le maximum de trois quarts d'heure), dans une classe de deux heures, dis-je, le professeur, après avoir fait réciter les leçons du jour et expliqué; les suivantes, après avoir dicté et corrigé un devoir, fait faire un thème oral très-expressément recommandé, ne peut guère consacrer plus d'une demiheure aux explications. Comment veut-on que dans un si court espace de temps il fasse faire beaucoup de mot-àmot oral? De plus, quiconque a la moindre expérience de l'enseignement, ignore-t-il que le mot-à-mot oral laisse peu de traces dans les esprits volages, inattentifs d'un auditoire; d'enfants, toutes les fois qu'il n'est pas précédé ou suivi d'un mot-à-mot écrit ?

N'est-ce pas ce dernier qui permet seul à l'écolier distrait de repasser les parties déjà vues et de se tenir au courant? Quatrièmement, dans la pensée de nos novateurs, il


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faut très-peu: de devoirs écrit. Ici encore ils tombent dans une erreur; qui aurales plus tristes conséquencesSans doute il est bon que chaque jeudi et chaque dimanche l'élève puisse consacrer deux où trois heures à des lectures profitables, mais pour les cinq grandes études du soir des cinq autres jours de la semaine, s'il n'a pas une tâche écrite suffisante, son instruction n'en souffrira: pas moins que la discipline,surtout dans les classes élémentaires et de grammaire. Les élèves de province n'ont aucunement; le goût de la lecture, des méditations, et même; les externes trouvent rarement chez eux de quoi lire. Disons aussi qu'un professeur ayant 30 à 40 élèves dans sa classe, peut s'assurer rapidement que leur devoir écrit a été plus ou moins soigné, mais que de temps ne lui faudra-t-il pas pour constater que ses 30 ou 40 élèves ont lu et tiré parti de leur lecture. Ces derniers ne tarderont pas à remarquer cette difficulté et à en abuser.

Cinquièmement, des lexiques devront suffire, dit encore le Conseil supérieur qui se plaint des incovénients des bons dictionnaires si perfectionnés de nos jours. J'admets parfaitement, Messieurs, qu'au baccalauréat, par exemple, on ne permette aux traducteurs d'une version qu'un simple lexique, mais comment veut-on qu'avec cet unique secours l'élève arrive à posséder tous les sens souvent siopposés d'un même mot, tous les idiotismes d'une langue : c'est matériellement impossible. — Par une singulière contradiction, ce même Conseil qui trouve que les dictionnaires actuels viennent trop en aide aux élèves, ne craint! pas de dire : L'usage de bonnes traductions françaises sera admis pou l'étude des textes.

Messieurs, à côté de ce que je crois pouvoir appeler d'énormes erreurs, les; nouveaux programmes, les nouvelles


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instructions contiennent de grandes et incontestables vérités, cependant pas aussi neuves qu'on le prétend, ce L'enseigne» ment, dit-on, aura pour but de développer le jugement " de l'enfant en même temps que sa mémoire.» Rien de plus sage, toutefois ce serait calomnier, indignement l'Université que d'avancer qu'elle a attendu l'an 1880 pour s'en apercevoir : une telle prescription a toujours figuré au premier, rang des recommandations adressées à tous les maîtres.

Au baccalauréat, la version en langue vivante a fait place à un thème. Rien de plus sensé, parce que le thème seul prouve qu'on saint une langue, et nous soutenons qu'on ne saura plus le latin, précisément parce que le thème latin ne sera plus pris au sérieux par des élèves assurés qu'au grand jour des épreuves, ils n'auront plus à s'exprimer dans la langue de Cicéron.

Monsieur le Ministre annonce, d'une part, que les classes trop nombreuses seront dédoublées, et de l'autre que dès la sixième l'histoire, la géographie, les sciences seront enseignées, par des professeurs spéciaux. Tout cela est; excellent, et on ne saurait trop l'en remercier, mais qu'il nous permette de lui soumettre respectueusement les considérations suivantes. Ne faudrait-il pas aussi des spécialistes pour apprendre aux enfants de huitième et de septième l'histoire naturelle, confiée depuis octobre dernier , à de vieux professeurs de latin très-peu botanistes, tandis que pour simplifier une science, pour la mettre à la portée des intelligences naissantes, il est indispensable de la posséder, complètement, Le chef de l'Université vient d'accroître à bon escient le nombre des professeurs. Qu'il ne trouve pas, mauvais que nous lui objections qu'il eût été plus urgent de faire vivre d'abord ceux qui existent. Dans


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les collèges communaux, les professeurs de physique, de philosophie et d'histoire ne devraient pas seulement participer à l'augmentation générale projetée pour tous les fonctionnaires de ces établissements, mais encore recevoir une indemnité spéciale, les dédommageant des leçons particulières qu'ils n'ont pas comme leurs collègues de mathématiques ou de latin. Dans les lycées, un chargé de cours de, l'enseignement spécial, même licencié, touche deux mille francs, desquels il faut déduire la retenue, c'est-à-dire qu'il aurait tout profit à se faire instituteur primaire. Etonnons-nous donc que cette école de Cluny appelée à rendre tant de services, et qui a coûté tant d'argent, soit aujourd'hui délaissée, ne comptant guère qu'une cinquantaine d'élèves. Elle ne saurait conduire ceux qui en sortent qu'aux plus amères déceptions, elle que son fondateur, M. Duruy, destinait à être la grande pépinière des sciences appliquées.

Je termine, Messieurs, par la classe des minimes, par la classe de 9e. On y a retranché l'Histoire Sainte, suppression sur laquelle je me tairai, voulant éviter tout sujet irritant, douloureux. On y a remplacé cette histoire par des leçons de choses (excellente pratique), mais lesquelles leçons pouvaient très-bien coïncider avec l'Histoire Sainte, et par la biographie des grands hommes depuis Solon jusqu'à Livingstone, Le programme officiel donne la liste des grands hommes à étudier, en les divisant par catégories. Si vous parcourez ces dernières, vous remarquez que la catégorie des hommes d'état ne comprend pas Richelieu, que la catégorie des grands écrivains né comprend pas Bossuet. Evidemment c'est un prote distrait qui a laissé de côté ces grands noms, car il ne saurait venir à la pensée de

MÉMOIRES. — 2e SÉRIE, T. XV. 5.


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personne que, pour un conseil supérieur élu par l'Université tout entière, Richelieu ne soit pas un grand homme d'état, et Bossuet un grand écrivain. Messieurs, j'ai trop longtemps abusé de votre patience, mais vous pardonnerez à un vétéran de l'université, qui lui a consacré toute sa vie, de n'avoir pu s'abstenir de jeter un cri d'alarme, quelque impuissant qu'il soit, en voyant cette grande institution s'engager dans une direction, tenter des aventures qu'il croit funestes à là gloire comme aux intérêts de la France.


LA SCIENCE PÉNITENTIAIRE

PAR

M. le conseiller QUINION-HUBERT,

membre résident.

La science pénitentiaire au congrès de Stockholm, tel est le titre que MM. F. Desportes et Lefébure ont donné au livre qui rend compte des travaux de ce congrès auquel ils ont pris une part active comme délégués du conseil supérieur des prisons (1).

Ce que les auteurs ont voulu, c'est vulgariser le résultat d'une manifestation internationale dont la portée pratique est considérable, et appeler ainsi l'attention publique, à la fois, sur une des plaies sociales les plus redoutables et sur les remèdes qui sont propres à la guérir. Puissent-ils réussir ! Notre désir est de les aider en rendant compte de Tune des études les plus remarquables qui aient été écrites sur cet intéressant sujet.

Quoique l'une des dernières venues, la science pénitentiaire, par l'intérêt qu'elle excite, la grandeur des problèmes dont elle poursuit la solution, la gravité et le nombre des questions qu'elle présente, mérite à tous égards notre examen ; elle s'impose à tous, à l'homme privé comme à l'homme public.

Ses principales étapes sont faciles à noter.

En 1819, la Société des Prisons ouvre en France un concours et propose pour sujet : l'amélioration du régime pénitentiaire.

(1) 1 volume in-8° chez Durand et Pedone-Lauriel, éditeurs, 13, rue Soufflot, Paris.


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En 1846, les nations se concertent et leurs représentants se rêunissent dans un congrès, à Francfort.

En 1871, c'est à Londres que se donnent rendez-vous, les délégués des deux continents, apportant le résultat des expériences tentées par toutes les nations civilisées.

Avant de se séparer, le congrès de Londres institue une commission internationale permanente, chargée de poursuivre son oeuvre et de recueillir les renseignement propres à l'éclairer, Ce fut cette commission qui, en 1878, organisa le congrès de Stockholm.

Devant un mouvement aussi général, la France ne pouvait se tenir à l'écart.

Le 25 mars 1872, la réforme pénitentiaire sortait du domaine de la théorie et l'assemblée prescrivait une enquête sur notre régime des prisons. Toutes les cours d'appel furent consultées et leurs réponses, recueillies avec soin , ont éclairé l'oeuvre du législateur qui, le 5 juin 1875, vota la loi, si longtemps attendue, pour introduire chez nous le système cellulaire et dont les dispositions principales peuvent se résumer ainsi : 1° Cellule obligatoire pour les inculpés, les prévenus, les accusés, séparation individuelle le jour et la nuit; 2° Cellule obligatoire pour les peines d'un an et un jour et au-dessous; pour les peines supérieures, les condamnés soumis aussi a la cellule, mais seulement lorsqu'ils en font la demande ; 3° Réduction d'un quart sur la durée de toute peine supérieure à trois mois qui est subie en cellule.

L'oeuvre du législateur est faite, mais pour la mise en pratique, la France, il faut bien en passer l'aveu, est laissée devancer par les autres nations. Alors que partout le régime cellulaire est adopté, alors que tous les peuples ont compris que le contact des malfai-


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teurs d'habitude exercé une contagion dangereuse sur l'homme qui subit une première peine, chez nous les prisons départementales n'ont pas cessé de confondre dans une déplorable promiscuité, prévenus et condamnés de tous genres, et cela, dans des salles communes où le travail n'est organisé que d'une façon fort irrégulière, et où, par suite, l'oisiveté laisse libre carrière aux mauvaises suggestions. La loi de 1875, accueillie avec faveur par l'opinion publique, n'a pu triompher encore des résistances des Conseils généraux, qui, sans contester l'excellence des résultats obtenus par l'emprisonnement individuel, trouvent que là cellule coûte fort cher et que c'est montrer trop de sollicitude pour les criminels que de s'endetter en vue de leur amélioration.

Il resté aussi certains préjugés difficiles à déraciner. Combien de gens encore vous disent aujourd'hui, malgré les leçons de l'expérience, que la cellule mène fatalement à la folie ou au suicide. De pareils accidents, On ne saurait trop le répéter, ne sont pas à craindre. S'il est vrai, qu'au début, en Amérique, de nombreux cas de folie ont été observés, c'est qu'alors l'isolement du détenu avait été exagéré, que la séquestration était excessive ; la rigueur était poussée à ce point que le détenu avait la face couverte d'un masque! et son individualité même se trouvait ainsi supprimée. Mais bien vite on a compris qu'il suffisait de fermer la cellule à la contagion du vice et qu'il fallait l'ouvrir largement à toutes les bonnes et salutaires influences. Et pour cela, le travail individuel à été organisé, renseignement religieux, l'enseignement professionnel , scolaire même, ont été donnés aux détenus, on a autorisé la promenade au préau, la visite des parents, des personnes dévouées qui s'intéressent a la régénération des criminels. Ainsi en-


tendue, la cellule peut être appliquée, sans inconvénients aucuns, au début de toute peine et pour un temps limité, à tous détenus, prévenus pu condamnés, aux femmes, aux enfants eux-mêmes.

D'autres diront : c'est détourner la charité de son véritable but que de l'appliquer à des criminels, alors qu'il est autour de nous tant d'infortunes que nous sommes impuissants à soulager. Esc-ce que la véritable charité comporte ces exclusions ? elle s'étend à toutes les plaies sociales, car toutes méritent sympathie, toutes sont dignes de pitié. Au surplus, c'est moins une question de charité qu'un acte de prévoyance. C'est notre intérêt personnel qui est en jeu, ce sont nos biens, c'est notre vie qu'il s'agit de préserver. Ecoutez ce que disait au Sénat M. Béranger, dans la séance du 16 décembre 1878: « Lorsqu'un malfaiteur s'est échappé des mains de la gendarmerie, une émotion naturelle se répand et chacun apporte son concours à la recherche et la mise sous la main de justice du fugitif. Or, ce n'est pas un malfaiteur isolé, mais 70,000 malfaiteurs qui, chaque année, sont jetés au milieu de nos villes et de nos campagnes, avec les dispositions, menaçantes que signale la statistique ; et l'on resterait indifférent et froid ! Je ne crois pas exagérer en disant que, s'abstenir de chercher un remède efficace à un mal aussi profond, serait un véritable crime envers la société. »

Cet appel, comment pourrait-on ne pas y répondre, lorsque l'on considère combien devient chaque jour plus formidable l'armée du crime? Les comptes rendus du ministère de la justice révèlent que la population de nos prisons s'élève annuellement à plus de 100,000 détenus, sur lesquels 43 0/0 seront repris dans les deux ans de leur libération. On compte par an 70,000 récidivistes, êtat-major


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redoutable qui recrute ses soldats dans les prisons, où le crime s'organise et se: prépare.

Tout commande donc de rechercher à un si terrible problème une solution conforme aux intérêts de la justice, de la morale et de l'humanité. Lorsque surtout, on a, comme nous, vu dans des jours néfastes, des hommes sortis des prisons et des bagnes, parler de leurs droits, produire au grand jour leurs criminelles revendications, se livrer à tous les excès d'une haine vraiment sauvage et se jeter sur la société pour la détruire par le fer et par le feu, nier le péril serait de l'aveuglement ; pour le conjurer aucun sacrifice ne doit nous coûter, il y va du salut de la société et de notre propre sécurité.

Est-ce dans un accroissement de sévérité que nous trouverons un remède ? Réprimer, intimider, tel est le but que jusqu'aujourd'hui la société s'est proposé. Mais c'est en vain qu'elle a multiplié les prisons, partout elles sont insuffisantes pour une population qui va sans cesse grossissant ; les crimes, contre les personnes deviennent chaque jour plus nombreux, leur nombre a triplé depuis quarante ans et, quant, aux récidives, elles se multiplient dans une proportion bien plus alarmante encore.

Les tribunaux seraient-ils donc devenus trop indulgents, et auraient-ils par leur faiblesse énervé la répression ? Les tribunaux obéissent à un sentiment général; l'état de nos moeurs ne comporte pas une sévérité, une rigueur plus grandes. Toutes les fois que le législateur touche à nos lois pénales, c'est pour les adoucir. D'ailleurs, qui oserait affirmer qu'avec plus de sévérité on obtiendrait de meilleurs résultats. Sans doute, il importe que la peine inspire assez de terreur pour arrêter ceux qu'obsède la pensée dû crime, mais croit-on que jamais un article de loi pénale,


prononcât-il l'expiation suprême, ait retenu le criminel résolu qui, lorsqu'il médite son forfait, compte toujours sur son habileté pour échapper à la justice. Non, c'est au régime des prisons qu'il faut porter remède, c'est à l'amendement du coupable qu'il faut s'attacher et, de ce côté, les résultats parlent si haut que les indifférents eux-mêmes ne sauraient demeurer insensibles. Voici les chiffres que M. Stevens, l'éminent directeur des prisons de la Belgique, a fait connaître au congrès de Stockholm. Dans, ce pays, où la promiscuité de; la prison engendrait une moyenne de récidives de 68,80 0/0, cette moyenne, avec le régime cellulaire, s'est en quelques années trouvée réduite à 4,46 0/0. De pareils résultats n'ont pas besoin de commentaires et sont bien faits pour dissiper toutes les craintes chimériques,; toutes les critiques propagées par les adversaires d'un régime à qui nos voisins doivent maintenant plus de sécurité et plus de moralité.

Et à ceux que le; chiffre des dépenses à exposer ferait encore hésiter, il est nécessaire de dire que rien ne coûte plus cher que le crime qui nous menace dans nos affections, dans nos biens, dans notre vie. Rien ne peut guérir les blessures qu'il fait, réparer le mal qu'il cause., Aussi peut-on être certain qu'aucune prime ne paraîtrait trop élevée pour s'assurer contre un ennemi, d'autant plus à craindre, que toujours son attaque est imprévue et que trop souvent il reste inconnu.

Partout on a lutté contre le développement toujours croissant de la criminalité, les Etats les plus petits n'ont pas lésiné sur les frais de la guerre» La Hollande, la Belgique, la Suisse, la Suède, les moindres Etats de la Confédération américaine, ont transformé leurs prisons.

En France, depuis le vote de la loi de 1875, beaucoup


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de projets ont été discutés, étudiés, mais une ou deux prisons seulement ont éte mises en état. Avec ces retards, le péril grandit et le mal s'aggrave. Aussi, au lieu de voir, comme chez nos voisins, s' alléger la dépense par l'effet d'un régime qui permet d'abréger les peines et qui diminue les récidives, notre budget des prisons grossit chaque jour de 12 millions, il s'est en quelques années, élevé à 26 millions. Croit-on qu'il en couterait autant pour transformer notre régime pénitentiaire ? Le système le plus économique est celui qui diminue la criminalité.

Il est enfin un côté plus élevé qui doit nous toucher, c'est le côté moral; sans doute, il faut que la société se défende contre les entreprises criminelles qui l'atteignent, sans doute il importe que, par l'application de la peine, elle rétablisse le droit violé; mais ne doit on pas reconnaître que la répression dépasserait le but si, au lieu d'amender, de corriger le coupable, elle achevait de le démoraliser, de le pervertir, rendait presque impossible son retour au bien et ne lui laissait d'autre alternative que de croupir dans la misère ou de se rejeter dans le crime.

Il ne faut pas que l'on puisse nous appliquer les paroles! douloureuses que prononçait le cardinal Manning en 1872, au congrès de Londres : « Il est étrange que! ce qu'il y a de plus sacré et de plus majestueux dans le monde : la justice, puisse produire les plus grands maux. Et pourtant, il est vrai de dire que l'application de la loi pénale, sans un bon système pénitentiaire, ne produit qu'horreur et dégradation! »

Je reviens à MM. Desportes et Lefébure. Dans un premier chapitre intitulé : du caractère de la; peine, ils lui assignent un triple objet; la répression, l'amendement, la prévention.


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Pour que le respect de la loi s'impose à tous, il importe que la peine soit répressive, c'est-à-dire qu'elle arrête le mal par la rigueur du châtiment, et que, de plus, par l'effet del 'exemple elle arrête la contagion.

La mesure exacte est difficile à trouver, c'est sur l'expérience qu'il faut se guider. Dans une lettre qu'il adressait à un magistrat romain, saint Augustin disait : " Ce n'est pas que nous voulions que l'on laisse aux méchants la liberté de mal faire, mais nous ne voudrions que ce qui suffit pour là leur ôter. » Paroles pleines de sagesse qui, de nos jours encore, pourraient servir, de reglè auxlégislateurs et être considérées comme un axiome de la science pénitentiaire. Pour assurer à la peine un caractère répressif, est-il besoin de flétrir, de dégrader le coupable ? N'est-ce pas le jeter pour toujours dans la voie du crime ? Déjà de nos codes ont disparu la marque, l'exposition, pourquoi laisser subsister la qualification de peine infamante ? Sans doute il est bonde priver le condamné de certains droits civils et politiques, de lui interdire tous droits dans sa famille et dans l'Etat. Cette mesure est prévoyante et sage» chacun le reconnaît, mais n'aurait-elle pas plus d'efficacité si désermais, au lieu d'être l'accessoire obligé de certaines peines, on laissait au juge le soin de l'appliquer? Déjà la loi de 1832 permet, par l'admission de circonstances atténuantes, de proportionner la peine: à la gravité de la faute. Il y a plus à faire et la plupart des criminalistes demandent que le soin de prononcer l'interdiction soit , comme la peine elle-même, laissé à la discrétion du juge qui en déterminera l'importance et en fixera; la durée.

Mais convient-il d'aller plus loin ? Faut-il ramener toutes les peines à un mode uniquel'emprisonnement. Cette proposition soumise au congrès de Stockholm, pouvait


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paraître logique pour les pays où l'emprisonnement individuel est seul pratiqué (le régime cellulaire en effet est unique et ne comporte aucune distinction) mais elle a le tort grave d'ôter à la peine son caractère afflictif, en soumettant les récidivistes endurcis, les plus grands criminels, au même régime que les moindres délinquants. La conscience veut que la peine soit proportionnée au crime, non seulement par sa durée, mais encore par sa gravité. N'est-il pas juste que la discipline, le régime de la prison soit plus sévères pour les uns que pour les autres ? Le congrès touché de ces considérations, n'a pas adopté l'unification des peines.

Après avoir bien fixé le caractère de la peine et démontré que, pour être efficace, il faut qu'elle soit afflictive, exemplaire, et que, dégagée de toute rigueur superflue, de toute conséquence flétrissante, elle laisse place au repentir, contribue à la régénération du coupable, les auteurs, dans le chapitre II, examinent la modalité de la peine, c'est-àdire les conditions dans lesquelles il faut l'appliquer, le mode d'exécution qu'il convient d'adopter.

La peine par excellence, celle qui garantit le mieux la sécurité publique, c'est la privation de la liberté, l'emprisonnement. On sait comment il se pratique en. France, et quels déplorables effets il a produits. Comment pourrait-il en être autrement lorsque l'on jette pêle-mêle dans le milieu corrupteur des prisons, les vétérans du crime et ceux qui n'ont commis qu'une première faute? Dans la prison c'est le plus pervers qui commande , qui s'impose, et, plus tard, après la peine subie, c'est encore lui qui reprendra sous sa domination le libéré qui voudrait revenir au bien.

Pour conjurer le mal, plusieurs systèmes ont été essayés.


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Le plus ancien est le régime pensylvanien, qui isole le détenu d'une manière absolue pendant le jour et la nuit. C'est la rigueur excessive de ce système qui a donné naissance à toutes les préventions que rencontre encore le régime cellullaire.

Puis est venu le régime d'Auburn, qui n'isole les détenus que durant la nuit. Pendant le jour, ils sont réunis en des salles communes, soumis à un travail régulier et tenu d'observer le silence le plus complet. Cette loi du silence, qui n'empêche ni la contagion ni l'entente entre détenus, est, en général, trouvée plus pénible que la cellule ellemême.

Le progrès, suivant sa marche, amena le régime irlandais ou servitude pénale. Ce régime, aujourd'hui! très répandu en Angleterre, comprend plusieurs périodes. Au début, le condamné est soumis à l'isolement cellulaire durant huit ou dix mois. Passé ce délai, il est assujetti au travail en commun dans une maison de force ; pendant le jour: le silence, et la nuit: l'isolement complet. Si le criminel s'amende, plusieurs adoucissements progressifs peuvent être alors apportés à la rigueur de sa peine, car certaines catégories s'établissent dans lesquelles sont répartis les condamnés suivant le dégré d'amendement que l'on remarque chez eux. Enfin quand leur régénération semble suffisante, la liberté provisoire leur est donnée (ticket of leave), et par les soins de sociétés de patronage, actives et nombreuses en Angleterre, ils trouvent un emploi en rapport avec leur aptitude, mais, à la moindre infraction grave, la liberté leur est retirée, et lès portes de la prison se referment de nouveau sûr eux.

Dans ces différents systèmes, nous trouvons, commepoint de départ de tout emprisonnement, le régime cellu-


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laire. Certains pays, la Belgique notamment, l'appliquent pendant toute la durée de la peine, d'autres, comme l'Angleterre, en font le point de départ d'un régime progressif, qui tente d'abord de réveiller les bous instincts chez le détenu, puis le soumet à l'épreuve de la vie en commun et garde enfin, qnand la liberté lui est rendue, la faculté, s'il en abuse, de l'emprisonner à nouveau sans jugement. Ainsi, partout aujourd'hui, la cellule est adoptée avec les modifications qu'à suggérées l'expérience ou que commandent le climat, les moeurs; de chaque, pays. Partout on a recours au travail, à l'éducation, à la religion, ces trois moyens de régénération les plus puissants, qui soient, alors surtout qu'ils agissent sur un détenu placé dans cet état d'isolement où la pensée solitaire se tourne plus aisément vers le repentir.

Ce régime est celui qu'à voulu introduire la loi du 5 juin 1875. Puisse cette loi recevoir bientôt une large application. Une observation qui justifie ce souhait, c'est l'aversion que le.récidiviste montre pour la cellule. Celui-là seul, qui n'est pas perverti, l'accepte, la demande même. De sorte, que l'on peut appliquer au régime cellulaire ce vieil adage: Sontibus undà tremor, civibus indè salus.

La pensée de régénérer le criminel par la cellule amène bien vite certains philanthropes à perdre de vue le caractère premier de la peine, qui est la répression, et, sous l'influence de cette idée, si souvent émise, que le crime est une maladie morale, ils proposent de le traiter comme les autres maladies, avec la peine pour remède, et la prison pour hôpital. Le congrès,, par suite, eût à examiner la question de savoir si la durée de la peine doit être déterminée par la loi. N'est-ce pas plutôt, disait-on, sur l'état moral du délinquant que sur la gravité de, sa faute, qu'il faut régler la peine. D'ailleurs, que la société s'en remette au


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directeur de la prison, c'est un médecin expert, il rendra le malade à la liberté dès qu'il le trouvera guéri, les incurables, les incorrigibles, il pourra les garder à perpétuité. Le congrès pensa qu'il fallait réserver le médecin pour les cas où la santé du détenu souffrirait du régime cellulaire, ce qui ne sera pas fréquent, si l'on en croit M. Stevens, qui affirme que 99 p. 100 supportent la cellule sans inconvénient, et, ne perdant pas de vue que la peine est un châtiment et que, si le crime était une maladie, la société n'aurait pas le droit de le punir, il émit l'avis que rien en cette matière ne pouvait être laissé à l'arbitraire. La nature, la durée de la peiné doivent, en effet, être fixées avec une précision, une rigueur, qui excluent toute faveur individuelle. Uniforme et la même pour tous, son exécution ne comporte ni le régime à la pistole, ni celui des maisons de santé ; ces exceptions, qui violent l'égalité et blessent la justice, n'ont plus leur raison d'être avec le régime cellulaire.

De tous les genres de peines que discuta le congrès, la transportation est celle qui souleva les critiques les plus vives. Le chapitre que M. Fernand Desportes a consacré à cette discussion, est des plus remarquables, non seulement parl'importance des discours qu'il relate, mais encore par la valeur des observations personnelles à l'auteur. Le tout est dit dans un style d'une élégance et d'une clarté parfaites, style que, du reste, on trouve dans l'ouvrage tout entier, et qui en rend la lecture facile et attrayante.

L'expérience, disait-on, a condamné la transportation. L'épreuve qu'en a faite l'Angleterre, est décisive et doit la faire abandonner. Quoi de plus pernicieux que d'accumuler sur une colonie naissante tous les criminels de la mère patrie ! L'horreur qu'inspiraient les convicts anglais, les dangers, les périls de tous genres que leur agglomération


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apportait à l'Amérique du Nord, poussa celle-ci à la révolte. Depuis, l'Angleterre a failli perdre, pour le même motif, l'Australie. S'il est impolitique de compromettre ainsi l'existence d'une colonie, est-il bien honnête de porter chez son voisin le mal que. l'on a chez soi? Ajoutez à cela que les précautions qu'il faut prendre pour le transport et la garde des criminels coûtent fort cher, et qu'avec les sommes dépensées par l'Angleterre en Australie , par la Russie en Sibérie, par la France à la Guyane et à la Nouvelle-Calédonie qui, à elle seule, déjà lui coûte plus de cent millions, on aurait pu améliorer le régime de nos prisons, et obtenir, sous la surveillance de l'État, des résultats qu'on ne saurait espérer au loin.

Cet expédient enfin n'est pas seulement désastreux, il ne remplit pas même les conditions d'une bonne justice. Car, s'il ajoute, pour celui qui n'est pas entièrement perverti, les douleurs de l'exil à la perte de la liberté, ils n'inspire aucune aversion aux criminels endurcis. L'imprévu d'une vie nouvelle dans un pays inconnu les attire. Aussi n'estil pas rare de leur voir commettre de nouveaux crimes pour arriver à être transportés.

Vivement attaquée par les délégués de l'Angleterre, où elle est abandonnée, la transportation à été défendue par les délégués de la France, qui n'ont pas eu de peine à démontrer combien il serait facile de ne donner prise à aucune de ces critiques, d'abord par le choix dû lieu de déportation, et ensuite par le mode d'application de ce genre de peine

Que la colonie soit bien circonscrite, de manière que l'évasion y soit une entreprise difficile, dangereuse même, et le pays n'aura rien à redouter du voisinage des forçats. Si pour indigènes vous trouvez dès Canaques anthropophages, le danger ne sera pas pour eux et personnes ne songera


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à les plaindre. Que le climat y soit bon, le soi fertile et les conditions de la prospérité seront assurées. Qu'enfin, pour modérer le goût trop vif qu'ont certains criminels pour la transportation, on là! fasse précéder d'une période de séquestration cellulaire plus ou moins longue , suivant la gravité du crime, que le détenu sache bien que, par sa bonne conduite seulement, il peut abréger cette épreuve ; que la déportation enfin soit une sorte de libération provisoire dont l'application est réservée pour la dernière période de la peine et alors, bien averti que ce n'est point par un nouveau crime qu'il se fera transporter, le condamné s'efforcera d'arriver à cette fin par sa; soumission et sa bonne conduite.

Les objections repoussées, il reste à l'actif de la transportation des avantages sur lesquels on ne saurait trop insister. Dans la colonie pénitentiaire, le condamné peut, après un certain temps d'épreuve, être d'abord mis en état de liberté conditionnelle, puis dafinitivement libéré. Or, le difficile n'est pas d'emprisonner un criminel, c'est de le relâcher. En France, parmi les forçats libérés, la proportion des récidives était de 95 p. 100. Voici ce que, à la Nouvelle Calédonie, révèle la statistique; sur 7,000 transportés, il ne s'est pas produit plus de 3 p. 100 de récidives. C'est que, dans la colonie, le criminel est arraché à son passé, aux influences qui peut-être l'ont perdu ; une vie nouvelle s'ouvre pour lui, il prend, l'habitude du travail, l'Etat le surveille, le soutient jusqu'à ce qu'il puisse fonder une famille dans un milieu où nul ne songe à le rebuter pu a lui reprocher son passé. L'épreuve enfin est à ce point décisive, que la plupart des cours d'appel ont, dans l'enquête de 1875, demandé que la transportation fût appliquée, aux récidivistes après un nombre de condamna-


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tions correctionnelles attestant une nature incorrigible et un état permanent; de révolte contre la société. Ainsi toute cette population de vagabonds, mendiants, filous, qui semble avoir élu domicile dans nos prisons, se trouverait transportée dans un milieu tout autre et où serait: impossible le genre d'existence qu'ils ont adopté. Touché de ces raisons, le congrès a refusé de proscrire la transportation comme certains orateurs le demandaient.

Après l'examen du caractère de la peine et de sa nature, le congrès; s'est préoccupé des règles à suivre pour son exécutions.

Il à repoussé l'idée de laisser à l'administration le soin.de régler dans quelles conditions et de quelle, manière chaque condamné doit subir sa peine. De pareilles questions ne peuvent être abandonnées à l'arbitraire d'un directeur, car l'exécution fait partie intégrante de la peine elle-même; et la justice commande que le châtiment soit égal pour tous. Ayez un régime pénitentiaire humain, moralisateur, et il sera bon pour tous.

Le seul pouvoir qu'il importe de laisser d'une manière pleine et entière à l'administration, c'est le pouvoir disciplinaire. Cependant, il est certaines peines qui doivent être interdites comme n'étant plus en rapport avec l'état actuel de nos moeurs. Ainsi; malgré la prédilection qu'ont montrée les Anglais pour leur fouet à neuf queues, qu'ils ont défendu avec une ardeur toute patriotique ; malgré la vertu que les Prussiens attribuent a la bastonnade et à la chambre lattée, dans laquelle le détenu, en bas de coton, marche sur un plancher composé de lattes à trois.coins, sans pouvoir s'asseoir ou se reposer ; malgré l'éloge que les

MEMOIRES, - 2e SERIE , T. XV. 6.


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Badois faisaient de leur chaise de force, sur laquelle le détenu rebelle a les bras, le corps, les jambes, solidement attachés et ficelés ; malgré le goût des Américains pour les douches, et ce, qu'avec ironie sans doute, ils appellent le bonnet phrygien, sorte de casque en tôle forte dans lequel la tête est introduite jusqu'aux épaules, et qui n'a d'ouverture que pour les yeux et le nez ; malgré l'efficacité reconnue de tous ces genres de torture, c'est par acclamation que le congrès à solennellement condamné l'emploi des châtiments corporels comme moyen de discipline dans les prisons. Frapper un homme, a-t-on dit avec raison, c'est l'avilir sans le corriger. Ne reste-t-il pas aux directeurs des moyens d'action suffisants par la privation de certains des avantages que comporte l'exécution de la peine, tels que la promenade, la lecture, la visite des parents, par lé régime au pain et à l'eau, par la cellule avec ou sans lumière, sans une chaise pour reposer, sans un lit pour dormir; enfin par les fers et là camisole de force. Il y a encore là, Dieu merci, tout un arsenal de peines suffisant pour contenir les plus rebelles et intimider les plus mauvais. Au surplus, avec le régime cellulaire, qui rend impossible les mutineries et les révoltes, l'usage des peines disciplinaires est beaucoup moins fréquent. Il est à peine besoin de dire que tout le monde s'est trouvé d'accord pour demander que les prévenus ne soient pas soumis aux peines disciplinaires, et qu'à leur égard les directeurs ne puissent recourir qu'aux moyens indispensables pour s'assurer de leur personne et réprimer leurs excès. Mais pour que le régime pénitentiaire soit uniforme, pour que la loi soit exécutée partout de la même manière, il faut que la direction soit unique, que son action s'étende


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sur toutes les prisons et qu'aucune maison n'échappe au contrôle, à l'inspection d'une autorité centrale. Presque partout cette autorité relève du Ministère de la Justice, incontestablement placé dans des conditions plus favorables pour entreprendre et poursuivre avec succès des réformes qui, par tant de côtés, se rattachent à son administration. Peut-être ferions-nous sagement d'imiter en ce point nos voisins de Belgique; ils ont retiré la direction et la surveillance des prisons au Ministère de l'Intérieur pour les confier à celui de la Justice, et c'est sous l'impulsion constante du pouvoir judiciaire que la réforme pénitentiaire s'est accomplie en moins de vingt années. Les résultats que les délégués belges ont pu communiquer au congrès, les statistiques qu'ils ont produites, ont démontré que le mode adopté chez eux, pour l'établissement des prisons, leur régime et leur direction, pouvait être proposé comme type et comme modèle aux pays les plus civilisés. Cet avis sera partagé par quiconque visitera leur prison de Louvain.

Par une anomalie singulière, la France, ce pays de la centralisation à outrance, est, peut-être de tous, celui où la concentration du service des prisons est le moins fortement organisée. Vous savez quelle entrave apporte à l'action de l'Etat le droit de propriété des départements sur les prisons, et les lenteurs qu'entraîne fatalement tout conflit entre l'autorité qui commande et celle qui paie. Vous savez que la direction des prisons est confiée au Ministère de l'Intérieur, et que, néanmoins, les établissements affectés à la peine des travaux forcés, relèvent du Ministère de la Marine ; il y a plus, les prisons de la Seine ont une organisation, une surveillance particulières, aussi l'on croirait volontiers que le congrès de Stockholm a eu en vue la


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France, lorsqu'il a pris la résolution suivante : " Il est non seulement utile mais nécessaire qu'il y ait dans l'État un pouvoir central qui dirige et surveille toutes les prisons sans aucune exception. "

A ce pouvoir central, il faut encore des agents recrutés avec soin. Le personnel des gardiens est la meilleure garantie d'une bonne direction. Que l'État assure à ses gardiens leur sécurité et leur dignité par un traitement convenable, un avancement régulier, et il trouvera dans l'armée des hommes habitués au commandement et à la discipline, qui sauront maintenir l'ordre dans les prisons.

Cette analyse de toute la partie du livre, relative à la répression, montre combien il nous reste à faire en France, non seulement pour répondre aux voeux qu'à formulés le congrès de Stockholm, avec toute l'autorité que donnaient à ses décisions la haute valeur, la longue expérience et la situation élevée des hommes qui s'y trouvaient réunis, mais même pour remplir les conditions les plus indispensables de la morale et de l'hygiène.

Le mal ne date pas de nos jours. La comparaison de notre système pénitentiaire avec celui des nations pour lesquelles, faute de les connaître, nous avions le plus grand mépris, a inspiré depuis longtemps, à des observateurs éclairés, les réflexions les moins flatteuses pour notre amour-propre national. Vers le milieu du dix-septième siècle, le père Du Halde, dans sa Description de l'empire de la Chine, rapporte que les prisons y sont souvent visitées par les mandarins, et qu'à tout prisonnier, souffrant des suites de châtiments corporles, tels que le bamboo et la cangue, on donne un médecin. Ces prisons, ajoute-t-il, n'ont ni la saleté ni l'horreur des prisons d'Europe.

Le P. Grosier,, écrivant plusieurs années après Du Halde


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et sûr des témoignages non moins authentiques, reproduit la même assertion et l'accentue même en disant que les prisons eh Chine ne sont pas d'infects repaires comme en Europe.

Le mal serait-il donc incurable ? Non. La France n'a pas cassé d'être le pays où les idées généreuses font le plus rapidement leur chemin. Le jour oùla question sera comprise du public, il se produira un mouvement d'opinion qui triomphera de toutes les résistances nées, soit de l'insousiance, soit d'un parti pris. C'est en vain que chaque année, les statistiques du Ministère de la Justice viennent rappeler l'immence du péril. La presse se contente d'y relever quelques chiffres pour en tirer argument ou profit dans la thèse trop souvent préconcue qu'elle soutient ; n'est-elle pas d'ailleurs absorbée tout entière par les luttes de la politique? La politique, c'est le champ clos où s'usent toutes les forces vives de la nation.

Que craignez-vous ? diront bien des gens ; est-ce que la policé, les gendarmes ne veillent pas avec le plus admirable dévouement à la sécurité de tous? Est-ce que les verroux de nos maisons de force ont perdu de leur solidité ? A quoi bon dès lors troubler la tranquilité générale par des avertissements, qui sont sages sans doute, des avis qui certainement sont de la plus grande utilité, mais qui auraient le tort grave de détourner l'attention de questions bien autrement palpitantes.Et bien vite chacun se rejette dans ces débats énervants et stériles; dans le feu de ces luttes ardentes, il ne voit pas le mal dont il peut mourir de main. Qu'on se rappelle cette formidable population des prisons, et que Ton songe au mal qu'elle pourrait faire si, subitement déchaînée, elle se jetait sur là France. La laisserons-nous se concerter pour nous donner l'assaut ? La loi de 1875, en iso-


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lant le criminel, nous a mis dans les mains un moyen d'action efficace, elle a inauguré dans le régime de nos prisons une réforme salutaire. Il appartient à tous que cette loi ne reste pas à l'état de lettre morte. Pas n'est besoin, pour cela, de provoquer une agitation, comme disent nos voisins, les meeting ne sont pas dans nos moeurs. Les idées par nous émises ont, dans nos assemblées, d'éloquents défenseurs, qu'ils soient encouragés soutenus par ceux dont la mission est de guider l'opinion publique, de l'éclairer, et bientôt la France trouvera, il faut bien l'espérer, le loisir nécessaire pour veiller à sa sécurité, et prendre les mesures qui seules peuvent assurer son repos.

L. QUINION-HUBERT,

Conseiller à la Cour d'Appel de Douai.


LE

COLLEGE

DE

SAINT-VAAST

A

DOUAI.

1619 - 1789




DOUAI

1 Bénédictins Anglais ou vieux collège.

2 Cour du Collège.

3 Rue, actuellement rivage St Vaast.

Douai. Société d'agr. sciences 8 arts. Mémoires, 2e série XI


COLLEGE DE SAINT VAAST

A

DOUAI PAR M. ADOLPHE DE CARDEVACQUE Membre correspondant.

1619 - 1789

A Messieurs les membres de la Société d'Agriculture, de Sciences et d'Arts de Douai.

MESSIEURS,

Jusqu'à présent, les suffrages de votre compagnie, sont allés chercher des hommes distingués par leurs travaux littéraires ou scientifiques. Appeler à vous le.talent, c'était à la fois faire acte de justice et prendre soin de votre propre gloire. Aujourd'hui, Messieurs, infidèles pour moi à vos vieilles traditions et ne prenant conseil que de votre indulgence, vous avez voulu récompenser le seul et bien facile mérite d'aimer sincèrement l'histoire de son pays.

MÉMOIRES.— 2e SÉRIE, T. XV. 7.


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La distinction si flatteuse que vous avez daigné m'accorder, a donc surpris et dépassé mes espérances, tout en les comblant, et ma gratitude doit être d'autant plus vive que votre, faveur a devancé les titres qui me la pouvaient mériter.

L'honneur d'être admis parmi vous m'impose le devoir d'un concours actif et dévoué aux travaux de votre savante compagnie. Je ne saurais toutefois élever l'orgueilleuse prétention d'y marcher l'égal des maîtres justement renommés dans des sciences si diverses et si profondes. Mais, guidé par vos exemples, éclairé des lumières qui avilissent ici et partout, soit dans les ténèbres du passé, soit dans Tobscurité de tant de problèmes actuels, je m'efforcerai de rester fidèle aux traditions de votre société et de suivre en disciple respectueux, la trace de mes devanciers.

La plupart d'entre vous ont fouillé avec une courageuse énergie et d'assidus labeurs les chartes enfouies dans la plupart des bibliothèques ou dans les riches dépôts de nos archives, ils ont eu la gloire d'exhumer un grand nombre de ces débris qui rendent la vie aux siècles éteints et dont la découverte a valu tant d'éclat à ces Académies de province trop injustement dédaignées, il y a peu. de temps encore, mais qui, dans les luttes pacifiques du travail et sur les brêches de la science, ont conquis des lettres de noblesse incontestées.

En présence de titres pareils, comment ne pas trouver bien humbles quelques écrits qui ont à peine effleuré le vaste domaine de l'histoire, et qui, presque toujours bornés dans le cercle de ce qu'on appelle particulièrement l'histoire locale, témoignent, je le crains, beaucoup plus de la persévérance que des succès de mon goût pour elle. Mais un sentiment plus doux se mêle à mes légitimes émotions et


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portant mes regards vers vous, je rencontre des visages amis qui tempèrent par la cordialité de, leur accueil les craintes inséparables de tout début, et semblent me continuer, en ce jour, des encouragements précédemment prodigués dans vos agréables relations.

Je viens donc mettre à votre disposition ma part de zèle pour des recherches historiques et archéologiques de la circonscription de l'ancien Artois. J'ai recueilli quelques documents historiques relatifs au collége de St-Vaast à Douai, sa fondation, son organisation, ses développements, sa disposition. Je me hâte de vous dire que cette étude est bien modeste. Vous êtes habitués à recevoir de plus importants travaux. Pourtant je ne crois pas m'abuser en pensant que tout ce qui vient du passé et se rattache à notre histoire locale, est pour vous digne d'intérêt. De savants érudits y ont déjà largement moissonné; mais il est toujours permis de glaner après les moissonneurs. Vous accueillerez avec l'indulgence qui sied à des hommes éminents, l'essai historique dans lequel j'ai cherché à retracer les annales d'un des principaux établissements d'instruction publique qui firent donner a la ville de Douai le nom glorieux d'Athènes du Nord.


AVANT PROPOS

Les religieux du monastère de St-Vaast manifestèrent de tout temps un goût profond pour la culture intellectuelle et un ardent désir de propager l'amour des lettres. L'Université de Paris jetait aux 12e et 13e siècles le plus vif éclat : ses maîtres attiraient à eux des disciples de tous les points du monde. Roturiers et nobles, pauvres et riches affluaient autour de leurs chaires. Depuis Philippe-Auguste jusqu'à Charles VII, la moitié de Paris fut une école. Les moines de St-Vaast ne pouvaient donc manquer de désirer que plusieurs jeunes gens du diocèse d'Arras, pussent profiter des leçons de cette grande école.

Aussi voyons-nous que : l'an 1332, le 24 novembre, Nicolas le Caudrelier, abbé de St-Vaast d'Arras, « acheta » tant de ses propres deniers que de legs et aumônes de » quelques personnes dont il était dépositaire, des rentes » et ferres à Greunie, Bouchoire, et la Chavate, avec une » maison située à Paris rué des Meuniers. » Il destina ce bien pour l'instruction de pauvres écoliers de la ville ou du diocèse d'Arras, et pria sa communauté d'agréer cet emploi ; ce qu'elle s'empressa d'accepter. Le collége porta le nom de Collège de St-Vaast ou d'Arras. Ce modeste établissement ne pouvait toujours satisfaire la légitime ambition ni remplir les vues généreuses des Bénédictins d'Arras. Avec le temps, ils voulurent avoir un Collége à eux, sous leur direction immédiate, et créèrent le collége des Bénédictins de Douai.


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Mais il y eut deux siècles d'intervalle entre la première et la seconde fondation, et pendant ces deux sièclés, Paris cessa d'être le centre unique de l'enseignement.

En effet, en dehors de l'Université de Paris, mais sur son modèle, ad instar Parisiensis studii, se formèrent quinze ou seize université provinciales. (Toulouse, Montpellier, Orléans, Grenoble, Angers, Aix, Poitiers, Caen, Bourges, Reims, etc.) (1)

Les habitants de l'Artois, du Hainaut, du Cambresis et de la Flandre-Wallonne ou Française n'aimaient pas à envoyer leurs jeunes gens à l'Université flamande de Louvain, fondée en 1425. Aussi, vers 1530, les. notables de la contrée", et surtout les échevins de Lille et de Douai, demandèrent à l'empereur Charles-Quint, souverain du pays, l'érection d'une seconde Université dans l'une des provinces, où était parlée la langue française. Les échevinsde Douai sollicitèrent tout spécialement ce privilege, et adressèrent requête sur requête, envoyèrent députation sur députation, de 1531 à 1534 et de nouveau en 1552; tous les digitaires ecclésiastiques et civils joignirent leurs instances à celles des échevins (2).

De leur côté,lés échevins et les pères de famille d'Arras avaient manifesté à l'empereur leur vif désir de trouver dans la bonne cité de Douai, la facilité de procurer à la jeunesse chétienne et Wallonne une instruction complète sans être obligée d'aller étudier en France où l'attendait l'écueil des sophismes de l'hérésie qui s'étandait de jour en jour.

Lorsque Philippe II fut monté sur le trône d'Espagne,

(1) A. Wicquot, mémoires de l'Académie d'Arras. (2) Archives de la ville de Douai. Passim, Valere-André; Fasti Academici Lovanienses, p. 89.


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l'établissement d'une seconde Université dans les PaysBas était devenu bien plus utile, bien plus nécessaire, que durant le règne de Charles-Quint, Parmi les étudiants de cette contrée, un; certain nombre se rendaient à Paris ; d'autres, plus nombreux, se faisaient inscrire sur les registres des facultés de Louvain, Mais la plupart de ces derniers, poussés par le désir d'apprendre le français et les langues; étrangères, ou d'entendre des professeurs plus savants et plus renommés, finissaient par se diriger vers les Universités de l'Italie, de l'Espagne et dé l'Allemagne et surtout vers celles dé la France. Le gouvernement, comme les pères de famille, craignaient ce voyage et ce séjour eu pays étrangers. Jetés seuls et sans guide au milieu du mouvement que les guerres d'Italie, la Renaissance et le protestantisme avaient imprimé à l'Europe, ces jeunes étudiants s'y laissaient aller avec toute la fougue de leur âge» Plusieurs se rendaient dans les Universités protestantes de Heidelberg, Iéna, Wittemberg, Strasbourg et Genève ; les autres rencontraient, même en France, au nombre de leurs professeurs et de leurs condisciples, de secrets partisans de la réforme. Le plus souvent, quand ils rentraient; dans les Pays-Bas, c'était pour combattre le gouvernement et la religion. Philippe II ne rencontra pas dans ce pays d'ennemis plus ardents et plus opiniâtres.

Les négociations auprès du St Siège tendant à obtenir l'érection de l'Université; de Douai, furent dirigées par le savant et pieux François Richardot, évêque d'Arras, Il fut activement secondé par le docteur en droit, Louis Porry, doyen de la collégiale de Saint-Amé, et par son représentant à Rome, Jean Richebé, prévôt d'Arras, auprès du roi d'Espagne Philippe II, qui semble avoir montré peu d'empressement à établir cette utile institution. L'action décisive fut


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exercée par Jean Vendeville, alors professeur de droit à Louvain, qui devint plus tard professeur à Douai et évêque de Tournai.

Ces démarches multipliées aboutirent enfin. Lorsque, grâce à l'action commune des évêques d'Arras et de Cambrai, les grandes et riches abbayes de Marchiennes, d'Anchin, de Saint-Amand, de Vicoigne, d'Hasnon et de MontSaint-Eloi, se furent engagées à fournir des subsides, le Pape Paul IV, par un bref daté du 1er août 1559, érigea l'Université de Douai. Pie IV, son successeur, par sa bulle du 6 janvier 1560, et le roi d'Espagne, par lettres patentes données à Madrid, le 19 janvier 1561, déterminèrent la composition de ce corps, lui assignèrent une dotation et lui accordèrent des privilèges.

Cette université était composée des facultés de théologie, de droit canonique, de droit civil, de médecine et des arts. Les professeurs des trois dernières étaient laïques ; tous enseignaient gratuitement. Leurs appointements étaient pris sur des pensions instituées à cet effet sur les abbayes de St-Eloy, Hasnon et St-Amand. L'Université était présidée par un recteur pris dans son sein, et elle avait pour chancellerie prévôt de la collégiale de St-Amé, et pour vicechancelier le prévôt de celle de St-Pierre.

Une petite ville du Hainaut, Maubeuge, fut sur le point d'être choisie pour siége de cette naissante Académie. On pensait, avec raison peut-être, que les villes les moins bruyantes et les moins populeuses sont plus favorables aux moeurs de la jeunesse et aux bonnes études que les cités riches où le luxe déploye toutes ses séductions. Les échevins de Douai mirent. tant d'activité dans leurs sollicitations auprès de Philippe II, que l'Université créée


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par bulle du 6 janvier 1561, fut installée le 15 octobre 1562,

La fête eut lieu avec une grande pompe : le clergé des collégiales et des paroisses, les Trinitaires, les Dominicains et les Cordeliers auxquels se joignirent Jean de Montmorency, gouverneur de la province et le Conseil de la ville, se rendirent en procession hors de son enceinte, par la porte de Valenciennes, et s'avancèrent jusqu'à la maison des malades, où les professeurs étaient réunis. Aussitôt ces professeurs furent conduits dans l'église de Notre-Dame où la messe du St-Esprit fut chantée. Après cette messe, l'Université procéda à l'élection de son recteur, et le choix tomba sur M. Wallerand Hangouard, prévôt de St-Amé, La procession recommença ensuite ; elle s'arrêta sur le marché. François Richardot, évêque d'Arras, fit la prédication dans une chaire qu'on avait placée sous le pavillon du Dauphin (1). ! Lorsque ce prélat eut terminé son discours, la procession conduisit le St-Sacrement à Notre-Dame et les échevins présentèrent un bouquet magnifique aux professeurs dans le grand plaidoire de la halle, auquel assistèrent des prélats, des gentilshommes et plusieurs bourgeois. Le lendemain, chaque professeur fit un discours analogue à la circonstance et relatif à ses fonctions (2).

François Richardot ne cessa jamais de prodiguer à l'Univesité de Douai les soins les plus assidus. Donnant luimême les premières leçons de théologie, il fut le promoteur de ces institutions si fertiles en bons résultats. Son succes(1)

succes(1) fit cette, oraison en langue Franchoise (dit un auteur contemporain, Martin l'Hermite) par laquelle il tint les coeurs de tous en telle admiration, que chacun disait n'avoir ouy jamais homme tant bien et diversement haranguer, ainsi que tu poulras voir chez les libraires si tu désires. (2) Plouvain, histoire de Douai.


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seur, l'évêque Mathieu Moulard, fut aussi l'héritier de ses sentiments pour cette Université qu'il considérait comme le boulevard du catholicisme dans cette contrée. Comme nous l'avons dit plus haut; non-seulement l'Unisité de Paris avait vu s'élevers des Universités provinciales, mais encore, dès lé commencement du XIIIe siècle, il s'était formé auprès d'elle et dans Paris même, des établissements rivaux. Les Dominicains et les Franciscains fondèrent les premières écoles, puis s'élevèrent les colléges de Sorbonne, de Navarre, de Montaigne, etc. Il en fut de même pour l'Université de Douai (1). Soutenue par deux prélats d'un aussi grand mérité; elle fit les progrès; les plus rapides et bientôt on vit se grouper autour de cette oeuvre féconde de la science vingt séminaires pour la théologie, et six colléges pour les humanités.

Parmi ces colléges, les plus renommés étaient ceux du Roi, de Marchiennes, d'Anchin et de St-Vaast; c'est sur ce dernier que nous fixerons l'attention, essayant de retracer les principales phases de son existence.

(1) A Wicquot.


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Dès que l'Université de Douai eut été fondée, on chercha à utiliser le vaste hôtel de Saint-Albin (1), qui était alors complétement délaissé, pour y établir l'un dès nombreux colléges en voie de formation.

En 1564, le comte Philippe de Lallaing offrit à la ville d'abandonner sa maison de St-Albin à l'usage d'un collége qui s'appellerait : Collége de Lallaing. Cette offre n'eut pas d'effet alors ; mais l'idée fut reprise plus tard par d'autres, sous un gouvernement régulier et après les calamités passées.

L'abbé de St-Vaast d'Arras, Philippe dé Caverel, avait déjà acquis de vastes terrains dans ce quartier, jusqu'alors pauvre et déshérité (2). Ce prélat, à qui l'on doit tant de précieuses fondations, avait été touché des persécutions que l'on faisait souffrir aux catholiques d'Angleterre. En effet, au commencement du règne de la reine Elisabeth, les évêques et les curés catholiques avaient été chassés de leurs, évêchés et de leurs paroisses ; ils avaient dû se réfugier en pays étranger

(1) « Le fief constituant la terre, justice et seigneurie de St-Albin en la » ville et échevinage de Douai et pays environ, se composait de maison, » motte, prés, bois, chaingle, eau, fontaine, fossés, jardin et tennement; » il joignait d'une part à la chimetière de l'église dudit St-Albin et à la » rué qui va de la Basse-rue dudit St-Albin à l'église, tout au long des » fossez depuis ladite chimetière jusqu'à la grande rivière; d'autre part, » depuis ladite chimetière tout au long de la rue jusqu'au fossez et » venant jusqu'au lieu qu'on dit le Pont des Béguines, et par derrière » aboutant le long de la grande rivière. » On l'appelait le Donjon ou le Château de St-Albin. (Précis pour MM, les échevins, conseil et arrièreconseil de la ville de Douay, intimés, contre madame la marquise de Trasignies, appelante de la sentence rendue par les officiers de la gouvernance de cette ville le 2 avril 1776. Douai, Willerval, 1776, in-4° de 82 pages.— Voir Brassart, Châtellenie de Douai.

(2) Contrat de vente d'une maison et jardin entre la Basse-rue de SaintAlbin, par Simon Louis, au profit de Noël Morel, 1558.

Donation de la dite maison Morel à Pierre son fils. 1586. Achat de la dite maison par l'abbé de St-Vaast à, charge d'un canon, de 20 florins.


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et s'établir dans différentes villes des Pays-Bas, afin d'être plus à portée d'observer les mouvements qui pourraient se produire dans leur patrie, et de saisir l'occasion, si elle s'offrait, de rétablir la religion catholique de leurs ancêtres. Plusieurs étaient venus à Douai et y vivaient péniblement et sans ressources. L'un d'entr'eux, Jean Ishel, chapelain de l'église Notre-Dame, excita l'intérêt de Philippe de Caverel. Il s'adressa au pape Clément VIII qui consentit à l'établissement d'une maison de religieux de l'ordre de, StBenoit pour l'Angleterre, 20 mai 1603. Dans ce but, l'abbé de St-Vaast, fonda à Douai un monastère de ces pères, à condition que leur maison retournerait à son abbaye aussitôt que la foi catholique serait rétablie dans la GrandeBretagne (1).

Philippe II encouragea cet établissement à l'érection duquel les religieux de St-Vaast, d'Anchin et de Marchiennes contribuèrent largement de leurs deniers (2).

(1) A. Wicquot.

(2) Ce fut en 1603 que l'Institut de St-Benoit reprit sa mission interrompue quelque temps par l'hérésie. Sans rappeler les circonstances qui déterminèrent la réunion en un seul corps des Bénédictins-Anglais attachés aux congrégations du Mont-Cassin et de Valladolid, on vit dans les dernières années du XVIe siècle le P. Bradshaw. rassembler quelques-uns de ses confrères dans des appartements à. lui cédés momentanément par les Trinitaires de Douai. Il était encore réservé à cette cité privilégiée de ressusciter l'ordre illustre et laborieux qui, de tout temps, a si bien mérité de l'Angleterre et de toute l'Europe.

A cette même époque, Dom Philippe de Caverel, abbé de Saint-Vaast d'Arras, avait entrepris à Douai la construction d'un collége dont les élèves suivraient les cours de l'Université, Un jomyqu'il examinait les travaux déjà avancés, il rencontra un vieux prêtre anglais, appelé Jean Ishel, chapelain de Notre-Dame, lequel s'était aussi arrêté pour considérer le nouvel édifice. L'abbé s'approchant du vieillard lui demanda ce qu'il pensait de cette construction. Le prêtre lui répond que ces travaux lui paraissent très convenables pour leur destination. Toutefois, ajoute-t-il, avec une liberté permise à son âge, l'abbé de St-Vaast, (il ne savait pas que c'était à lui-même qu'il parlait), pourrait exercer avant tout sa charité envers les religieux de son ordre, et il trouverait dans cette même


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Ces Bénédictins, dont l'église était dédiée à St-Grégoire, ajoutaient aux trois voeux d'usage, celui d'aller en mission, en Angleterre et d'en revenir à la volonté de leurs supérieurs. Ils avaient pour élèves, dejeunes Anglais qui ne pouvaient faire leurs études dans leur pays et qui se destinaient à l'état ecclésiastique avec l'intention d'exercer plus, tard leur ministère dans la Grande-Bretagne (1).

Il faut bien se garder de confondre le monastère des Bénédictins Anglais, avec le collége des Anglais, ou collége dû pape, qui avait été fondé à Douai en 1568, par Guillaume Alain, docteur et professeur en théologie et depuis cardinal. Le souverain pontifie Grégoire XIII et le roi d'Espagne Philippe II contribuèrent à sa fondation. Ce collége compta bientôt de nombreux élèves missionnaires dont les efforts avaient pour objet le rétablissement de la foi catholique en Angleterre et qui versèrent leur sang pour la foi de Jésus-Christ (2).

En 1612, 1e comte de Berlaymont vendit son hôtel de St-Albin (3) à l'abbé de St-Vaast d'Arras qui, autorisé

ville de Douai des Bénédictins anglais qui ont à peine un lieu pour s'y retirer et y vivre selon la règle de leur institut. Cette parole du vieillard fit impression sur Dom Philippe de Caverel. En peu de temps il obtint en faveur de ses frères exilés des lettres de recommandation dé l'archiduc Albert et du nonce du pape résidant à Bruxelles ; puis, aprèsleur avoir fourni provisoirement une maison convenable, il fit jeter les fondements du collége qu'ils occupent encore aujourd'hui.

(1) Tailliar, chronique de Douai, tome 2, page 228.

(2) A. Wicquot.

(3). Marguerite, comtesse de Lalaing, du chef de son frère François, épousa Florent, comte de Berlaimont, chevalier et doyen dé l'ordre de la Toison d'or, gouverneur et capitaine général du duché de Luxembourg, mort en 1621. Ce furent ces époux qui aliénèrent le donjon de St-Albin au profit de l'abbaye dé St-Vaast d'Arras.

Le 5 mars 1612, comparut devant le lieutenant Bailli et les hommes

de fiel du château de Douai, messire Philippe du Chastel, chevalier,

sieur de Beauvolers, bailli dé Wavrins, comme procureur, suivant pouvoir

pouvoir en la ville de Luxembourg le 7 janvier, « de haut et puis-


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par l'archiduc Albert, y fonda le collége de St-Vaast. (1). Dans des lettres de fondation (2) du, couvent des Bénédictins Anglais, il leur donne le collège de St-Grégoire. Les lettres d'acceptation de ces religieux, de réglementation de leur maison (3), et celles d'amortissement (4) du fonds

saut seigneur messire Florent, comte de Berlaimont et de Lalaing, chevalier de l'ordre, gouverneur de Luxembourg, capitaine de la garde allemande de sa majesté catholique et de haute et puissante daine Madame Marguerite de Lalaing, sa femme ». Il exposa que les mandants étaient propriétaires de la maison, boye, chaingles, fontaines, eaux, jardins « faisant le chef-lieu dé la seigneurie-de Saint-Albin, que tient en louage Nicolas de la Doeul, et dont ils tirent, seulement : 168 livres par an; leur, profit était de bailler le tout à tenir d'eux en fief, à cause de leur dite seigneurie, à 60 sols parisis de relief et le tiers Cambellage, et à charge de leur livrer et à leurs officiers, un, lieu et place pour plaids » et qu'en conséquence ils avaient le 7 janvier 1612, moyennant une somme de 3.100 florins, cédé leur hôtel de St Albin à l'abbé de St-Vaast, pour le tenir d'eux en fief, moyennant le relief sus-indiqué échéant à chaque, mutation d'abbé. L'acquéreur fut mis en possession par la cour féodale, après justification du paiement du droit seigneurial dû au prince. (Arch. municip. reg, aux plaids du baillage.— Hist. du château et de la chatell. de Douai, tome II, p. 739).

Contrat d'achat de l'héritage, pourpris et jardin, où est présentement bâti ce que l'on appelle. le nouveau collége de St-Vaast, 1612.

(1) Le P.Buzelln dit: «Un quatrième collège s'est élevé sous le nom » de St-Vaast, et ce collége incorporé, réuni au monastère dit-des Béné» dictins anglais, reconnut,.ainsi que ce monastère, un même fondateur, » dans la personne de M. Philippe de Caverel, abbé de. St-Vaast. » (2) Lettres de fondation du couvent des Bénédictins Anglais de Douai sous le nom St-Grégoire, par Dom de Caverel, abbé de St-Vaast, avec acceptation de la part desdits anglais (1619),

(3) Lettre d'acceptation pour et au nom de la congrégation des Bénédictins Anglais, 1619. (Voir pièces justificatives A.)

Cette lettre est le véritable titre de fondation du collège de St-Vaast à Douai. Elle a été. récemment retrouvée par M. Richard, dans le dépôt des archives du Pas-de-Calais : c'est un magnifique parchemin,, encadré de miniatures enluminées avec le plus grand soin. Le frontispice représente le Seigneur au pied duquel se prosternent, le souverain pontife et plusieurs prélats et religieux de l'ordre de St-Benoit. A droite, sont représentées les armoiries de St-Vaast, et à gauche celles de Philippe dé. Caverel. On remarque sur les côtés les portraits des religieux ducollége de St-Vaast, dont lés noms suivent; Marc Barçworth, Georges Gervais, Jean de Mervinia, Maur Scot, Thomas Tousta.

(4) Lettres d'amortissement du fonds tant acquis qu'à acquérir pour la construction du collége de St-Vaast données par les archiducs Albert, et Isabelle (1619).


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acquis ou à acquérir, données par l'archiduc Albert, sont datées de 1619. L'année suivante, Philippe de Caverel assigna à ces Bénédictins une pension annuelle de 2,000 florins (1). L'archiduc accorda aux professeurs et aux étudiants tous les droits et priviléges dont pouvaient jouir a Douai les établissements de même nature (2) et le roi d'Espagne en donna là confirmation en 1622 (3). Son exemple fut suivi par le pape Urbain VIII en 1626 (4).

En 1619, Philippe de Caverel voulut créer encore un collége à Douai. Autorisé par l'archiduc Albert, il donna le plan des vastes bâtiments qui s'élevèrent à côté de celui des Bénédictins anglais. Voici la description qu'en fait l'auteur de l'histoire des ordres religieux (5):

« Ce collége qu'on peut regarder comme le premier et » le plus grand collége du diocèse d'Arras, contient trois » grands quartiers, savoir: celui des Bénédictins anglais

(1) Autres lettres dudit abbé par lesquelles il assigne aux dits Bénédictins Anglais 2,000 florins de pension annuelle (1620).

(2) Lettres des archiducs qui donnent aux maîtres professeurs et étudiants du collége de St-Vaast, les mêmes droits dont jouissent les autres colléges de Douai, 1619.

(3) Lettres du roi d'Espagne, confirmatives de l'accord de Mrs de StVaast avec l'Université, au sujet des droits et priviléges des maîtres professeurs, étudians, séminaristes dudit collége, 1622.

(4) Lettres d'Urbain VIII confirmatives du collége de St-Vaast et du couvent de St-Grégoire, 1626. (5) Tome VI. col. 33.

Collegium Vedastinum à R° in Christo P. D. D. Philippo de Caverel, abbate Si Vedasti, fondatum ad insigne hujus almae academiae incrementum et prnamentum, in quo et sui monasterii ordinisque monachi in bonarum litterarum studiis educarentur,sub regente vedastino et Benedictini Angli patriâ suâ pro fide extorres inquilini et alumni munificentiâ ejusdem praelati sub suae nationis priore et litteris sacris et moribus regularibus ad Angliae conversionem promovendam exercerentur, geminum collegium geminae charitatis in Deum et proximum admirabile monumentum magnanimi praelati dignum opus magnifici monasterii proeclarum membrum. Benedictinae pietatis immortale exemplum. Derasiere Martin-Joseph, mss. n° 152, tom. 11, p. 293, 299.


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» qui sont gouvernés par un prieur et qui font l'office à " l'église comme on fait à Arras dans le monastère de Saint » Vaast.

» Celui de la partie conventuelle et religieuse de cette » abbaye, où il y a un président et un vice-président pour » veiller sur les religieux tant enseignants qu'étudiants.

» Et enfin le quartier des pensionnaires séculiers qui » sont sous la conduite du principal ou régent, d'un sous» régent et d'un préfet.

» Dans le même quartier sont la grande salle des » disputes et les classes de théologie, de philosophie et de " rhétorique. »

Tous ces vastes bâtiments furent commencés et achevés par Philippe de Caverel qui acheta, préalablement les terrains où ils furent bâtis.

Le collége de St-Vaast renfermait deux bâtiments distincts, le premier était appelé le vieux collége, le second portrait le nom de neuf collége. Le vieux collége fut bâti en 1613 (1). C'était la demeure des régents et des pensionnaires tonsurés ou religieux. Le président ou le régent en était le supérieur ; sa nomination se faisait par les administrateurs de l'abbaye de St-Vaast, elle n'était nullement à la disposition de l'abbé.

Les classes étaient établies autour d'une grande cour fermée, bordée de quatre grands corps-de-logis qui la rendaient de forme carrée et très-spacieuse. Le logement des religieux était séparé du collége par la largeur de la rue, aussi bien que leur église.

Les bâtiments près de l'église étaient mitoyens; les cloîtres et les dortoirs étaient partagés moitié par moitié

(1) Voir pièces justificatives B.


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entre les Anglais et les Bénédictins. Il n'y avait aucune communication entre; eux qu'à l'église et dans des visites de conversation, quand ils jugeaient à propos de se visiter. On accordait, il est vrai, certains jours de confraternité ; mais le réglement était inviolable d'un côté comme de l'autre.

l'autre.

Le neuf collège de St-Vaast, ainsi appelé parce qu'il a été bâti huit pu dix ans après le vieux, date de 1625. Philippe de Caverel fit l'acquisition de nombreuses maisons: pour le rendre aussi vaste que possible (1)

C'était un grand corps-de-logis avec pavillon de chaque côté, situé sur les bords de la Scarpe, à gauche près d'un pont. Il servait de logement aux boursiers et pensionnaires sous la direction du régent et président, d'un sous-président et d'un préfet. Le régent du neuf-collége était obligé de fournir chaque année un local aux officiers du comte d'Egmont pour y tenir siége de rente au sujet des mouvances de cette seigneurie.

L'église des Bénédictins. Anglais avait été. bâtie aussi par les libéralités de l'abbé de Caverel (2). Il avait fait placer sur le portail extérieur de cette église, qui donne sur la rue de St-Benoît, les armes de sa famille (3) et celles de l'abbaye de St-Vaast, d'Arras ad perpetuam mensoriam (4).

En vertu de cette fondation, le chef régent du collége de St-Vaast à Douai, prenait la droite du prieur des Bénédic(1)

Bénédic(1) pièces; justificatives C. (2) Voir pièces justificatives D, E, F, G, H.

(3) L'un des écussons surmonté d'une crosse et d'une mitre, portait d'argent au chevron de sinople accompagné de trois quintes-feuilles. Ce sont les armes de la famille de Caverel.

(4) Un autre écusson surmonté également d'une mitre et d'une crosse, portait l'empreinte d'un château ancien garni de tourelles avec cette égende au-dessous: Castellum nobiliacum (armes de St-Vaast, d'Arras).


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tins dans l'église qui servait en même temps pour les deux établissements. Les pensionnaires du collége de St-Vaast avaient la préséance sur les élèves pensionnaires des Bénédictins Anglais.

L'abbaye de St-Vaast payait chaque année les réparations de l'église et de la maison. Vers la fin du XVIIIe siècle (environ en 1778), le grand-prieur de St-Vaast se déchargea de cette obligation moyennant une somme fixe qu'il payait chaque année aux Bénédictins (1).

L'église était construite dans le même stylé que celle des jésuites d'Arras, quoique beaucoup plus petite. Elle était située en face la grande porte du vieux collège. Des galeries y donnaient accès (2). Les tableaux qui la décoraient, appartenaient à l'abbaye; tous représentaient la vie de St-Vaast. M. Langlée, régent de St-Vaast, fut chargé par l'abbaye de les faire réparer. Il les fit déplacer et transporter dans une des salles du nouveau collége de St-Vaast et chargea uu nommé Diverchi de leur restauration, moyennant une sommé de dix-huit cents livres.

Le comte d'Auvergne, neveu du cardinal de Bouillon, fut enterré dans cette église.

« Les Bénédictins de l'une et l'autre nation, dit le P. » Ignace, y chantaient l'office indistinctement chacun selon " rang, sa profession, quoique vêtus diversement. Ceux de " St-Vaast n'y assistaient que fêtes et dimanches ou d'au - » tres jours que la dévotion ou leurs occupations leur

(1) J'ai trouvé, à ce sujet, aux archives départementales du Nord, (Liasse n° 257, n° 8, district de Douai), un procès,verbal du 30 avril 1790, où il est fait mention que « La fondation de Saint-Vaast d'Arras, doit aux Bénédictins Anglais, une rente annuelle de quatre mille six cents livres.

(2) P. Helyot. Hist. des ordres religieux, — P. Ignace, Mém, t. IV, p. 253.

MÉMOIRES. — 2e SÉRIE, T. XV. 8.


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» laissaient le temps dé satisfaire à leur piété et à leurs » inclinations.

» Les bâtiments près l'église étaient mitoyens. Les cloî» tres et les dortoirs étaient partagés moitié par moitié " entre les Anglais et les Védastins. Il n'y a aucune » communication entr'eux qu'à l'église et dans des visites » de conversation, quand ils jugeaient à propos de se » visiter. Il y avait des jours de fraternité, mais la régula» rité est inviolable d'un côté comme de l'autre. »

Marcel, curé de St-Albin, intenta un procès aux Bénédictins Anglais pour faire déclarer ses paroissiens leurs pensionnaires nationaux ; il gagna à l'officialité d'Arras, mais celle de la métropole de Cambrai, où il y eut appel, déclara ces écoliers commensaux du monastère. Cette sentence n'influa nullement sur les pensionnaires des autres collèges de ce diocèse, ils étaient tous paroissiens, excepté les Anglais. Les pensionnaires venaient y faire leurs Pâques et le curé les administrait en cours de maladie. Ceux des Bénédictins anglais en furent exempts par sentence de l'officialité de Cambrai, obtenue contre l'évêque Gui de Sève et le curé de St-Albin.

L'église du collège de St-Vaast avait été gratifiée d'une fondation pour douze écoliers anglais jusques à ce qu'ils fussent reçus docteurs.

Les Bénédictins Anglais enseignaient la théologie, la philosophie dans la partie de l'établissement dit le neuf collège. Ils durent traiter avec les échevins de Douai au sujet des droits seigneuriaux (1) qui étaient dus pour cause de l'aliénation du fief de St-Albiu : la somme con(1)

con(1) des droits seigneuriaux payés aux échevins de Douai pour les maisons achetées par Messieurs de Saint-Vaast. 1625-1672.


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venue s'éleva à 800 livres (6 avril 1624). Outre ce droit seigneurial, il en était dû un particulier; à cause de l'amortissement de cet hôtel; mais, « attendu l'utililité publique qui » résultait de l'établissement du collège, les échevins con" sentirent à son amortissement , sans aucune récompense et » renoncèrent, le 6 avril 1634, à leurs droits seigneuriaux » d'écart et de boutehors, comme étant les dits héritages » hors de commerce par tel amortissement (1). » Philippe, de Caverel mit tous ses soins à compléter l'établissement du collège de St-Vaast, en en facilitant les abords. Sur les représentations du régent dû collége de Saint-Vaast, les échevins de Douai ordonnèrent, en 1623, « aux pasteur et marguillers de la paroisse de St-Albin, de » laisser libre le passage qu'ils voulaient empêcher par le " cimetière de la parôisse, à charge par le régent de fermer " ce cimetière et de payer les dommages: et intérêts qui " pourraient résulter de sa négligence, »

Le prélat de St-Vaast demanda ensuite l'autorisation « de » transporter la rue joindant présentement le mur de leur " collège de St-Grégoire, venant de la rue de St Julien en la » rue du Pont-Tortu, en une aultre qui prendra le long de » la rivière, sur les héritages acquis par mondit Sr et que ses » successeurs pourront et seront entiers. » de batir sur la » dite rue et y prendre les commoditez sur l'eauepour les » nécessitez dudit collége, auquel cas lesdits bâtiments se » feront sur coulomnes. Pareillement de redresser la rue » allant du Pont-Tortu en la cymetière de la dite église St" Albin et faire un passage au-dessous pour aller d'un col" lége à autre (2) (1630). »

(1) Voir pièces justificatives I.

(2) Arch. municip, 5e reg. aux consaux, f°58. Du....(après le 14 et avant le 21 août 1630).


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La première demande fut refusée ; quant à la seconde, elle fut plus favorablement accueillie et il fut permis à l'abbé notammment de redresser, tirant leur mur du côté de l'héritage de Lallaing (1).

Philippe de Caverel voulant donner aux Bénédictins anglais une nouvelle preuve d'intérêt, leur fit don d'une maison de campagne située à Equerchin (2), près de Douai et contenant dix mesures 24 verges environ de prairies, fossés, eaux et terres labourables. Les religieux pouvaient s'y retirer en temps de peste ou y aller chercher quelques instants du repos nécessaire aux fatigues de leurs longues études (3).

La générosité de Philippe dé Cavarel ne s'arrêta pas là. Pour assurer la durée de son oeuvré, il dota largement le collège de St-Vasst, en lui abandonnant toutes les rentes créées à son profit tant par les États d'Artois et par les Monts-de-Piété que par la ville d'Arras et autres personnes (4). Il prit soin ensuite de désigner lui-même les administrateurs de ces biens. C'étaient l'abbé de Saint-Vaast (quand il n'est pas commandataire), et en ce cas, le grand prieur du même monastère, le grand prévôt, le régent de Douai et le prieur des Anglais,

Ces revenus servaient à l'entretien du personnel et des

(1) 1634, 5 avril. — Accordé le changement requis de la Basse-rue StAlbin, all'endroit de leur collége, en une rue nouvelle qu'ils offrent faire proche la rivière... conserver la fontaine — faire quelques assïz de grez à la rivière aux devis et conditions qu'on pourra arbitrer, sera advisé comment, etc.

(2) 2 décembre 1626. Acte de donation, d'une propriété sise à Equerchin.

(3) Voir pièces justicatives, J.

(4) Acte en forme de réglement touchant la fondation et dotation, par les abbés du collége de Saint-Vaast et du couvent des Bénédictins-Anglais, 1636.


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boursiers et demi-boursiers. Mais à la fin du 17me siècle, comme le remarque un auteur contemporain, « ils » sont diminués d'un quart et plus, parce que les rentes » de l'argent que Philippe de Cavarel avait constitué soit » aux états d'Artois, soit ailleurs, se paient monnaie de » France et non en florins comme autrefois. De plus ces » mêmes rentes ont souffert les altérations arrivées à toutes » autres dans différents temps, ce qui fait que les bourses » ne sont pas fixes par le nombre. On les met au concours à » mesure qu'il y à des fonds et elles sont données au » mérite; la faveur et la recommantation n'y ont jamais » lieu. Les six philosophes qui ont le mieux répondu sont » logés et nommés au collège, c'est ce qui s'appelle avoir » une bourse pleine. Les demi-bourses consistent dans une » certaine somme d'argent que l'on distribue à ceux qui » les ont obtenues et qui demeurent où bon leur semble.» " Par son testament, le prélat avait créé trente six bourses dans cet établissement. Un tiers demeurait au libre choix des abbés ses successeurs , un tiers était à ; là disposition de douze pauvres gentilshommes artésiens et l'autre tiers était offert à douze jeunes protestants qui voudraient se convertir à la foi catholique. Dans, le principe, ces trehte-six bourses se donnaient au concours savoirs: douze pour la pension de la première table, douze pour 60 florins de pension par an, et 12 pour 40 florins. Le concours avait lieu de là manière suivante : tout écolier, clerc ou laïque de quelque pays qu'il fut, avait droit de se présenter, pourvu qu'il eût étudié en philosophie et qu'il fût muni d'un certificat de conduite sage et de bonnes moeurs. Après avoir été examinés par les professeurs, ceux" qui


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avaient le mieux répondu, étaient présentés aux administrateurs du collége (1).

Il y avait une autre bourse fondée dans ce collège pour un chanoine d'Arras ; elle se donnait sans concours, par le grand-prieur de St-Vaast et par le premier président du Conseil d'Artois,

Philippe de Caverel s'occupa ensuite du réglement et de la discipline de ce collége.

Le coeur dû prélat fut déposé au milieu de l'église, le 24

décembre 1636 (2).

Une charte du pape Benoit XIV adressée au prieur des

religieux anglais du collége de St-Vaast leur prescrivit des. prières pour honorer la mémoire de leur fondateur (3);

Bientôt de nouvelles donations vinrent, accroîtcre les revenus dû collège de St Vaast (4) et en 1696, il fut réintégré dans la possession et jouissance de l'hôpital de SaintNicolas situé àSin-les Deschy, et de ses revenus (5). Ce collége servit d'hôpital militaire, pendant l'occupation espagnole (1667). En 1675, le grand prieur de St-Vaast, Antoine Chasse, confia la direction du collége de Douai au religieux Guillaume Hilchecok; D. Martin Tirsay et Aycard Desvi(1)

Desvi(1) pouvaient s'adjoindre un sixième proviseur (Mém. de la soc. imp. de Douai, tom. 8, 2e série, p, 233.)

(2) L'inscription dé la plaque de cuivre recouvrant ce précieux dépôt a été reproduite sous la représentation du collège.de Saint-Vaast dans la bordure d'une carte topographique de la ville de Douai, dressée par Martin Lebourgeois et gravée avec privilége en 1627, Cette carte était, en 1808, entre les mains de M. Masclet, sous-rréfet de Douai. L'exemplaire unique, acheté à la vente Minart, est aux archives municipales.

(Détail dû à l'obligeante communication de M. L, Dechisté.)

(3) Voir pièces justificatives K.

(4) Voir pièces justificatives L. (5) Voir pièces justificatives M.


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gnes, successeurs d'Antoine Chasse, en furent successivement régents, au commencement du XVIIIe siècle. Leur administration fut signalée par l'acquisition de divers immeubles avoisinant le collège et par quelques conflits avec léchevinage de Douai (1).

Pendant le siége de 1710, un religieux de St-Vaast, nommé Hurtrel, fut député avec un de ses confrères, au quartier général des assiégeants établi à Brebières, près de l'ancien moulin à poudre. Après avoir présenté au prince Eugène, au duc de Malborough et aux autres officiers généraux les lettres de recommandation que leur avait données le cardinal de Bouillon, dom Hurtrel vint trouver les artilleurs d'une batterie dont le feu menaçait les bâtiments du collège qui se trouvaient complètement à découvert a Il s'adressa, dit le P. Ignace, à un canonnier qui était de » Mons en Hainaut, en le priant de ménager le corps-de» logis des deux collèges que l'on voyait en plein, et qu'il » lui désigna. Sur sa promesse, Hurtrel écrivit dans la " tranchée un billet par lequel il s'engageait de faire don» ner à ce canonnier et à sa compagnie une certaine somme » s'il tenait sa parole.

» Le canonnier tint parole, et la ville étant prise, il fut » au collége ; il présenta le.billet à Dom Tircé, qui en était » alors le régent ; il lui fit délivrer la somme dans le mo» ment. En effet, pendant tout le siège il n'y eut ni boulet » ni bombes sur les deux colléges, si on excepte le temps » que les assiégeants jetèrent par terre la cloche de St» Albin. Alors il y eut quelques boulets qui incommodè» rent le collège qui est voisin de cette église.

» Quand les alliés vinrent, en 1712, bombarder Arras,

(1) Voir pièces justificatives N.


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» le grand prieur dé St-Vaast obtint du comte de Lille, qui » commandait pour le Roi, la permission de faire sortir » deux des religieux pour essaier de ménager leur abbaye. » Etant arrivés au quartier de l'officier qui commandait le. » détachement, ils rencontrèrent et reconnurent le canon" nier dont je viens de parler; ils lui firent les mêmes

" offres qu'à Brebières, il les accepta ; l'abbaye ne souffrit » aucun dommage du bombardement. Après le retour des » alliés à Douai, le canonnier fut au collége de St-Vaast et » on lui paya aussitôt la somme dont il était convenu avec » les députés de St-Vaast. J'ai su toutes ces particularités » d'un des témoins » (1).

François Egon, comte de la Tour d'Auvergne, marquis de Berg-op-zoom, neveu du cardinal de Bouillon, abbé de St-Vaast, lieutenant-général de cavalerie chez les alliés, mort le 27 juillet 1710, âgé de 34 ans, fût enterré au milieu du choeur de l'église du collège de St-Vaast, près des marches de l'autel.

Dans une lettre de l'année 1718, le cardinal de Rohan, abbé de St-Vaast, accepta la dédicace d'une thèse de théologie universelle (2), qui lui était offerte par les élèves de Douai.

Au cemmencement dû XVIIIe siècle, divers abus s'étant introduits dans l'Université, Dom Desvignes, alors principal du collége de St-Vaast, voulant préserver ses élèves de ce contact pernicieux, demanda et obtint que les.écoles de théologie de son collège fussent déclarées académiques. Louis XV, dans ses lettres du 16 avril 1729, ordonna que

(1) P. Ignace, Mémoires tome VII, p. 70.

(2) Lettre du cardinal par laquelle il approuve ladite thèse et fait l'éloge de la doctrine qui y est contenue. 1718.


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les écoliers qui feraient au collége de St-Vaast leur cours de théologie, seraient admis à prendre leur grade dans la faculté de la ville de Douai, en se conformant auxstatuts (1).

Le 9 septembre de la même année, le roi ayant été informé que plusieurs professeurs de cette Université soutenaient depuis quelque temps des thèses! contraires aux droits royaux sur l'autorité épiscopale, et même à la doctrine de l'église, chargea D. Lemercier, premier professeur en théologie du collége de Douai, et le Sr Witane, professeur du séminaire du Pape en cette ville d'examiner, en qualité de censeurs, les livres nouveaux et les thèses soutenues. Il les autorisa même à arrêter l'impression de tout ce qui pourrait leur paraître contraire à ladoctrine générales de l'église. Cet arrêt fut signifié le 13 juin 1741 (2).

Il n'est pas douteux que tout fut merveilleusement combiné dans l'ordre des études et l'économie de cette maison. Rien n'était omis pour stimuler le zèle des écoliers, et la grande salle des disputes indique suffisamment qu'ils étaient astreints à des exercices littéraires particuliers on publics, qui devaient avoir lieu à la fin de chaque mois et de chaque année.

Si l'on consulte les règles de St-Benoit relatives aux religieux enseignants et à leur, élevés, on verra que ces derniers étaient dirigés également dans la voie de la science et dans celle de la piété. Tous les matins, une heure était réservée aux actes de dévotion et là journée se terminait régulièrement par la prière publique. Ni les maîtres, ni les élèves ne pouvaient se dispenser de l'office divin (3).

La discipline du collège était la même pour les élèves de différentes conditions ; pas la moindre distinction ni dans

(1) Voir pièces justificatives O.

(2) Voir pièces justificatives P.

(3) 2e voyage littérairede deux Bénédictins, p. 116.


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la nourriture, ni dans les habits, ni dans le logement. Le seul mérite et les succès obtenus dans les études autorisaient, uniquement les préférences (1). Dansde telles conditions, le collége de St-Vaast devint en peu de temps très florissant. Voici comme en parle, cent ans environ après sa fondation, un écrivain dn temps (juillet 1718).

« Nous fûmes desendre au collége de St-Vaast où M. le » Président et tous les religieux qui y demeurent nous » reçurent avec toute l'amitié que nous pouvions désirer. » Le collége n'est pas seulement magnifique par les bâti» ments, il est encore le plus fameux de l'Université. On y » fait profession d'enseigner la doctrine de saint Thomas » qui est la; plus sûre et la plus solide de l'êcole. Il y a huit » régents dont quatre enseignent la philosophie, un la » dialectique, et trois la théologie, tous religieux de St» Vaast, Il y a ordinairement quatre cents écoliers, et qua» tre vingts pensionnaires , qu'on élève avec un très grand » soin dans la piété et dans les sciences. Ce collége donne » un grand lustre à l'abbaye de St-Vaast et lui fournit «d'excellents sujets » (2).

Le collége de St-Vaast avait 80 élèves en 1730. Au mois de mars de cette année, un arrêt de Louis XV vint consacrer la prospérité du collége des moines de St-Vaast et lui imprimer un nouvel essor.

Cet arrêt déclare les classes externes de St-Vaast académiques et les écoliers avoir droit de prendre les degrés de l'Université de Douai, et d'y jouir de tous les droits des autres gradués (3).

(1) A, Wicquot.

(2) Second voyage, littéraire de deux Bénédictins, pages 75 et 76. (3) Voir pièces justificatives Q.


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Une telle faveur royale prouve d'une manière évidente de quel renom jouissait, au commencement du XVIIIe siècle, cet établissement (1). Plusieurs professeurs de la faculté de théologie de Douai, ayant à leur tête le sieur Delcourt, protestèrent aussitôt contre ces arrêts (2). Cette protestation fut considérée par la cour comme un attentat à l'autorité royale et un moyen d'éluder les décisions de son conseil. M. Dangervillers, ministre secrétaire d'état, écrivit à l'intendant de Flandres, (3) lui prescrivant de faire faire une enquête à ce sujet par le lieutenant général de la gouvernance et du bailliage de Douai chez le recteur et les divers professeurs de l'Université de cette ville (4).

Le 1er août 1732, le grand-prieur de St-Vaast, Aycard Desvignes, vint faire la visite canonicale du collége de Douay (5). Cet établissement était alors dirigé par les religieux suivants : D. Jacques Lemercier, principal, D. Adulphe Dassenoy, sous-principal et en même temps économe ; D. Nicaise Delecroix, préfet des études, Aubert Helwick , Bernard Brene, professeurs de philosophie, Albert Bocquet, André Lequien , professeurs de théologie , Dom Vigor de Briois , professeur de dialectique ; Ferdinand Gruelle, Jérôme Coupé et Norbert Bertin s'y trouvaient en qualité de novices et d'étudiants Les classes de théologie pouvaient contenir 100 écoliers, celles de logique 300, le pensionnat du neuf collège 75, le pensionnat du vieux collège, 30 (6). Il y avait, alors trente-un écoliers en physique,

(1) A Wicquot.

(2) Voir pièces justificatives R.

(3) Voir pièces justificatives S.

(4) Voir pièces justificatives T.

(5) Voir-pièces justificatives, U.

(6) Mém. de la Société de Douai, 2e série, tom. VIII, p. 242.


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et quatre-vingt-quatre en logique ; trente-cinq étaient logés au neuf collége et huit au vieux collége (1).

Les cours de théologie comportaient quatre ans d'études; ceux de droit et de médecine 3 ; le cours de philssophie 2 et celui des humanités 6 ans. Il n'y avait point de cours réglés ni pour les mathématiques, les langues hébraïque et grecque, ni pour l'histoire (2).

La philosophie était enseignée par quatre professeurs. Deux enseignaient la scholastique et le troisième, donnait des leçons sur les cas de conscience. Il y avait deux professeurs de logique et deux de physique (3).

Monsieur Le Gentil, membre de l'Académie d'Arras, a fait don récemment à cette Société de trois manuscrits provenant du collége de St-Vaast, à Douai. Ces trois volumes, qui contiennent toute la philosophie de Saint-Vaast, sont écrits en latin. Les professeurs du collége St-Vaast étaient restés fidèles, en 1773, à un usage que l'on suit encore dans tous les séminaires de France. Cet emploi persévérant de là langue latine dans l'enseignement philosophique, a suscité bien des critiques. Nous les croyons exagérées. En effet, sous cette forme sévére du latin, la pensée ne gagnet-elle pas en clarté et en précision ? De plus, comme le latin est une langue universelle, comprise au moins de tous ceux qui ont fait de fortes études, n'y aurait-il pas tout avantage à le voir exclusivement réservé aux grands travaux de la science. En effet, que de remarquables études en philosophie, en histoire, en critiqué littéraire, en jurisprudence, publiées en Angleterre et en Allemagne, demeurent à tout jamais lettre close pour ceux qui ne connaissent pas

(1) Mém. de la Société de Douai, 2e série, tom. VIII, p. 240. (2) Mém. de la Société de Douai, 2e série, tom, VIII, p, 236. (3) Mém. de la Société de Douai, 2e série, tom. VIII, p. 235.


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les langues étrangères. Il en était autrement jusqu'au XVIIe siècle ; alors, tous les savants du monde communiquaient aisément entr'eux, grâce à un instrument unique, le latin (1).

Les Bénédictins de Douai, comprenant l'importance de l'histoire de la philosophie, en confiaient chaque année le soin à deux professeurs. En 1773, ces délicates fonctions furent données à Dom Corneille Mulet et à Dom Nicolas Decocq, tous deux religieux de St-Vaast, tous deux docteurs ès arts. Leur auditoire, dont seraient à bon droit jaloux les professeurs d'aujourd'hui, comprenait 139 élèves. Leurs leçons étaient dictées soir et matin; car il y avait alors deux classes de philosophie par jour.

Nous trouvons dans les mémoires de la Société de l'Agriculture, des sciences et des arts de Douai (2), des détails intéressants sur le régime et les divers réglements du collége de St-Vaast.

Régime. — Dans les collèges où l'on donne des leçons publiques, les écoliers sont sous le régime du principal et des professeurs ; dans les autres colléges ou séminaires, ils sont soumis à un ou plusieurs supérieurs connus sous le nom de président, préfet, etc.; hors des écoles ou séminaires, l'Université les fait surveiller par son promoteur.

Subordination. — On connaît assez les moyens employés pour maintenir la subordination dans les écoles d'humanités. Dans celle de philosophie on punit les fautes légères par des amendes au profit des pauvres ; les fautes plus graves, ainsi que celles des facultés supérieures, sont déférées au tribunal de l'Université qui condamne les délinquants à

(1) A Wicquot.

(2) Mém. de la Société de Douai, 2e série, tom VIII, p. 237.


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des amendes plus fortes, à la prison, à la suspension ou privation des bourses et quelquefois à l'expulsion de l'Université. Les exhortations, les avis paternels, les réprimandes secrètes ou publiques, suivant l'exigence des cas, le renvoi des incorrigibles et surtout le témoignage plus pu moins avantageux que les écoliers espèrent de leurs supérieurs, et que ceux-ci ne donnent que suivant leur âme et conscience et avec la plus grande circonspection, tels sont les moyens employés dans les maisons pour y maintenir l'ordre et la subordination.

Discipline. — Outre les règles générales de discipline prescrites par l'édit de 1749, les supérieurs de chaque maison, tiennent la main à l'exécution de leurs règlements particuliers qui regardent principalement l'ordre et la distribution des exercices de chaque jour. On s'y lève, ordinairement à 5 heures pendant l'hiver et à quatre heures et demie pendant l'été, on s'y couche eu tout temps à 9 heures du soir.

" L'intervalle est partagé entre la piété et l'étude. Les prières du matin et du soir s'y font en commun. Les humanistes et les philosophes assistent à la messe dans les colléges où ils vont prendre les leçons; les théologiens l'entendent tous les jours dans les maisons ou ils demeurent, et ils la chantent ainsi que les vêpres, les dimanches et les fêtes. Le reste du temps qui n'est pas employé a prendre les leçons publiques, est destiné à l'étude qui n'est interrompue que pour les repas et par quelques moments de récréation, lorsqu'il est nécessaire. Les supérieurs visitent les écoliers dans leurs chambres, dans le temps qu'ils doivent y être retirés' et s'assurent s'ils y étudient. Ils les rassemblent à certaines heures pour leur faire des conférences ou répétitions sur les matières qu'ils ont dû étudier.


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« Chaque jour on fait aux écoliers de théologie deux de ces conférences sur l'écriture sainte, et on en fait au moins trois par semaine sur la dogmatique et la morale. On fait également de ces conférences deux ou trois fois par semaine aux étudiants la philosophie, lesquels d'ailleurs ont, dans l'école, une demi-heure d'exercice dans; chaque classe. L'usage de rendre les places tous les mois et de distribuer des prix à la fin de l'année subsiste encore dans les écoles de philosophie de Douai. C'est peut-être la seule Université du royaume où l'on ait conservé ce moyen si puissant, pour soutenir l'aptitude en excitant l'émulation. »

Les religieux préposés à la direction du collége SaintVaast présentèrent une requête à l'effet d'être exempts de tous les droits d'octroi et autres qui se percevaient dans la ville de Douai. Il fut convenu entr'eux et le magistrat de cette ville que les professeurs du collége jouiraient annuelment de cette exemption pour les objets de consommation suivants, savoir :

Vin pour le régent, le président et le sousprofesseur . . . . . . . 16 pièces.

Vin pour les six professeurs. . . .18

Gros bois pour le Régent et le Président. 400 fasceaux.

Gros bois pour les professeurs . . 360 Fagots pour le Régent et le Président . 600 Fagots pour les six professeurs . . . 1.000 Charbon pour le Régent et le Président. 24 faix. Charbon pour les six professeurs. . . 60 (1).

Jacques le Mercier mourut le 1er octobre 1735. Dassenoy, théologien du cardinal de Rohan, abbé commandataire de St-Vaast, prit alors fa direction du collége. Il fut

(1) Voir pièces justificatives, V.


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installé dans ses: fonctions par le grand-prieur Aycard Desvignes (1).

Louis XV, désirant que le régent du collège de St-Vaast fut admis dans le Conseil de l'Université de Douai, ordonna par sa lettre du 1er mars 1736, que dorénavant il y eût place et voix délibérative (2).

Lorsqu'un arrêt du Conseil d'État du roi, en date du 6 Octobre 1736, établit un receveur général pour toutes les fondations de l'Université, les colléges Anglais, dé St-Vaast, Moulart et de la Torre furent exceptés de cette mesuré (3).

Le principal du collége de St-Vaast exerçait les fonctions de receveur particulier de sa maison (4). Cet établissement avait alors 21,000 livres de revenu (5) , somme qui servait à fournir au principal et aux professeurs leurs traitements. Le principal dit neuf-collége avait

775 livres d'appointement ; le principal du vieux-collége

588 livres ; les deux professeurs de théologie, chacun 825 livres; les deux professeurs de philosophie, chacun 566

livres ; les deux autres professeurs de philosophie, chacun

(1) P. Ignace. Dictionnaire tome II, p. 315. Lettre du Roy qui donne pour censeur des livres, thèses, ete., etc., le sieur Dassenoy, régent ou principal, du collége, 1736.

(2) lettres du Roy qui ordonnent que le principal du collége de St-Vaast aura séance dans le Conseil, de l'Université de Douay avec voix délibérative. 1736.

A ces lettres sont jointes des lettres patentes confirmatives de ce que dessus et leur enregistrement au Parlement de Flandre et: au. registre du Conseil de l'Université.

(3) Mémoires de la Société impériale de Douai, 2e série, tome 8, p. 233.

(4) Mémoires de la Société impériale de Douai, tome VIII, 2e série, p. 231.

(5) Mémoires de la Société impériale de Douai, tome VIII, p. 246. Les derniers comptes du collége de St-Vaast datent de 1788. La longue

longue et la mort de M. Mulet, dernier receveur, l'avaient empêché de rendre ceux dés années suivantes. (Mémoires de la Société impériale de Douai, 2e série, tome VIII, p. 256).


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500 livres. Tous étaient nourris aux frais de la; maison; toutefois ils devaient fournir sur leurs appointements à leur vestiaire, à leur vin et à tous leurs besoins (1).

On prélevait sur ces revenus l'acquisition des livres de prix, l'entretien et les réparations des bâtiments des deux collèges et de la maison des Bénédictins anglais. On levait en sus une somme annuelle de 5,215 livres destinées à douze bourses de pleine table et aux autres bourses.Une indemnité annuelle de 100 florins était donnée à chaque prêtre irlandais qui avait fait sa philosophie ou sa théologie (2). De plus, le collége de St-Vaast payait sur ses revenus une rente de 6,000 livres environ aux Bénédictins anglais (3).

D. Dassenoy, en sa qualité de principal du collège de St-Vaast, était l'un des censeurs chargés d'examiner les thèses soutenues dans le ressort de l'Université de Douai (4).

Nous rencontrons dans les archives de l'abbaye de SaintVaast le nom de D. Breuvart comme professeur de théologie à Douai en 1753.

Le collége de St-Vaast était dirigé, en 1758, par D. Lequien, régent, D. de Cocq, D. le Riche et D. Le Merchier, professeurs de théologie ; D. Le Gentil, D. Ghillain, P. Lucas, et D. Langle, professeurs de philosophie. D. Le Riche devint président du vieux collége en 1774, et la même année, D. Le Merchier était nommé régent du nouveau.

(1) Mémoires de la Société impériale de Douai, tome VIII, 2e série, p. 226.

(2) Mémoires de la Société impériale de Douai, tome Vlll, 2e série, p. 226.

(3) Mém. de la Société impériale de Douai, tome VIII, 2e série, p. 249.

(4) Mém. de la Société impériale de Douai, tome VIII, 2e série, p. 255.

MÉMOIRES.— 2e SÉRIE, T. XV. 9.


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En 1765, D. Augustin Moore était prieur du couvent Bénédictin et collège anglais de Saint-Grégoire à Douai. Le religieux Ambroise Riche était président de la partie conventuelle du collège et receveur des biens et revenus de la maison, qui s'élevaient alors à 1 03,978 florins, 12 patars, 3 deniers et 6 oboles. Il présenta une requête à l'abbaye de Saint-Vaast pour lui exposer l'état de vétusté du college et la nécessité de le reconstruire. Dans un mémoire très remarquable, il mit devant les yeux de ses collègues dans l'administration les raisons importantes qui devaient les animer à concourir aux voies et moyens de continuer et perpétuer cet établissement (1769) (1).

Cette requête, signée par les religieux Dom Eyllorre, prieur, et Dom Sharroch, vice-secrétaire, fut agréée par le chapitre de St-Vaast qui, par décision du 23 décembre 1769, notifiée par Dom A. Desbaulx, son secrétaire, permit aux religieux de St-Grégoire de rebâtir un nouveau collége et d'élever des bâtiments à double étage avec environ 190 pieds de long et 29 de large.

L'année 1773 fut signalée par la donation au collége d'une rente créée par le prince de Bergues au capital de 20,000 livres et au cours de 1,000.

Le 19 novembre de la même année, une ordonnance des échevins de la ville de Douai porta règlement pour le nouveau rivage de St-Vaast établi sur l'emplacement de la promenade dite l'allée des Soupirs, que la ville avait achetée du collége de St-Vaast en 1771.

D. Joachim Ghislain était régent dû nouveau collége et professeur de théologie en 1779. Il avait pour collègues, D. Lenglet, président du vieux collége et D. Le Roux. Les

(1) Library of. S. Gregorys, collège Downside Bath.


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religieux D. Mullet, D. de Cocq, D. Vengne et D. Lebeau étaient professeurs dé philosophie. D. Lenglet devint régent dû vieux collège et D. Le Roux du nouveau, en 1774; Ce dernier eut pour successeur, D. Mullet, en 1788.

Nous avons encore retrouvé le nom des religieux D. Lorquint et D, Dereux, professeurs de philosophie en 1779 et 1784.

La loi du 25 mai 1791 désigna des maisons de retraite aux religieux de la ville de Douai qui voulurent continuer de vivre en commun. Ceux du collége de St-Vaast furent envoyés à l'abbaye de Vicogne,

Mais comme toutes les fondations du même genre, il devait disparaître en 1793. Le 18 février de cette année, les scellés sont apposés sur tous les établissements religieux. L'Université de Douai est elle-même virtuellement supprimée d'après les dispositions de la loi du 8 mars 1793, et l'article 3 du chap. 3 de la loi du 23 février 1795 achève la suppression.

Le 7 mars, 18 ventôse an XIII, le préfet du département, autorisé par l'article III de la loi du 15 février 1805, 26 pluviose an XIII, passa le contrat d'aliénation à M. Perrier, membre de L'Institut, du collége neuf de St-Vaast, à charge de mettre en activité dans l'année la filature de coton à laquelle ce bâtiment devait servir.

Le décret du 3 juin 1806 maintint l'administration du collége des Irlandais, Anglais et Ecossais réunis, dans la propriété et jouissance dû bâtiment connu sous le nom de Vieux collége des Bénédictins anglais à Douai.

Le 15 juillet suivant, on démonta la voûte sous laquelle on passait en allant du pont de Saint-Vaast à la porte


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d'Ocre. Elle servait jadis de communication du vieux au nouveau collége de St-Vaast (1).

En 1809, la gendarmerie fut logée dans la partie sud du neuf collége de St-Vaast; les bâtiments actuels ont été construits en même temps que la prison.

Le ministre de l'intérieur ayant approuvé le projet de construction d'une maison de justice sur l'emplacement du neuf collège de St-Vaast, les travaux en furent adjugés, en 1812, à MM. Desmaretz aîné et Bommart-Dequersoinnière pour le prix de 327.163 fr. Cet édifice fut achevé en 1821.

Le 7 mai 1817, M. Séraphin Malfait, chef de la Société qui venait d'acheter le collége de St-Vaast (2) pour 67 000 fr., annonça au maire de Douai que déjà des ouvriers étaient dans la fabrique pour la faire mouvoir. Plus tard, MM. Blot et Houdouart lui conservèrent la même destination ; elle fut enfin achetée, en 1859, par M, Fleurquin.

La partie des bâtiments qui bordait la Scarpe. fut acquise par l'Etat pour la continuation du chemin de halage. La ville a fait planter d'arbres l'excédant de terrain en face la caserne de la gendarmerie et la maison d'arrêt; cet endroit porte le nom de place St-Vaast.

(1) Souvenirs à l'usage des habitants de Douai, 1820, p. 638

(2) Inscription qui se trouvait au-dessus de la porte du collége en 1817 ; Collegium monasterii Sti Vedasti atrebatensis. 1689. (Plouvain, 1037).


PIECES JUSTIFICATIVES.



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In nomine Stae et individuse Trinitatis, Leander de S. Martino Pbr. et monachus ordinis S. Benedicti,S. Theologiae Doctor et congregis Anglicane, Benedictinis S. Sedi apostolice immediatè subjecte preces, omnibus christi fidelibus catholicis, salutem in totius salutis authore Gloriosus Deus ac Dominus Noster sit omnia suavi providentia moderatur ut nullâ unquam aetate destiterit excellentes viros suscitare quitam exemplo sanctitatis sapientique consilio, quam magnifica liberalitate et munificentia fideles Dei cultures foverent ac solarentur. Sane cum nos Bedictini Angli minima et inflma dominici gregis portio ex sanctae obedienfiae prescripto sedisque apostblicae beneplacito in patria nostra fidem catholicam pro nostro modulo propugnare animasque ab hereticorum fraudibus eruere conaremur ; adcumque finem in propinquis Belgii provinciis a patria extorres sedem instituto nostro aptam quaereremus : excitavit nobis Deus benignissimum patronum Reverendissimum D. Philippum de Caverel abbatem S. Vedasti Atrebatensis ordinis nostri monachum, qui tum alios innuméros Dei Servos et ecclesiasticae unicae cultores synoetissimo zelo diurnae gloriae fervens magnificis operibus adjuvit, promovit ac sustentavit; tum etiam nos exules, ignotos omnisque alias patrocinii expertes in sua recepit, ac per annos plurimos domo ad exercitia pietalis........ excepit

rebusque omnibus ad numerosum satis conventum in monastica disciplina sacratumque litterarum studiis in statuendum necessariis instruxit ac magnis rerurn nostratum augustiis in comparabili charitate protexit. Quin etiam ut pium institutum nostrum (quo conamur exercitia


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quotidiana sacrarum literarum cum strictiori observantia regularis vitae et solenni divinorum officiorum celebratione conjungere) foverit stabiliter, et quantum in ipso est perpetuum efficeret, reditum ac provantum annuum duorum millium florenorum in perpetuum nobis nostroque conventui, S. Gregorii congregationis Anglicanae, in parte collegii sui Vedastini durante exilio nostro (ut infra patebit) collocato addixit et appropriavit ex consensu et voluntate patrum omnium sancti conventus sui Vedastini, qui pium abbatis sui zelum annutantes sicut et aliis ejus piis operibus, ita et huic magnificae eleemosynae ac donationi pro Dei cultu factae unanimiter applauserunt. Est autem predicti reditus annui donatio cum aliis magnis utilitatibus ab eadem in nos redundantibus praeclaro instrumento sanctis legibus ad institutionibns pleno contenta tenoris sequentis. «In nomine sanctae et individuae Trinitatis Patris et Eilii et Spiritus sancti Dominus Philippus divin â providen tiâ abbas monasterii S. Vedasti Atrebatens sanctae sedi apostolicae immédiatè subjecti. Ordinis sancti Benedicti universis presentes literas inspecturis salutem in Domino. Cum ab aliquot annis serenissimus princeps noster, et illustrissimus ac Reverendissimus Nuntius apostolicus datis ad nos literis valdè nobis commendaverint Religiosos Anglos ordinis Benedicti qui a variis Hispanioe monasteriis nuper in has Belgii provincias appelarunt, ex quibus brevior erat trajectus in Anglium et facilior ex eâ regressus quofies opus esset. Cumque eos dem humaniter tanquam dilectissimos in Christo fratres ac domesticos fidei exceperimus, foverimus ac pro temporis opportunitate juverimus, tum ut ii qui parati erant ad obeundum id munus quod sedes apostolica. ipsis mandaverat et congregationis Hispanicae ejusdem ordinis superiores imposuerunt facile et tuto in Angliam


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trajicerent; tum ut illi qui necdum frajicere poterant operam suam utiliter impenderent, et ad praefatum munus optimè instituerentur ; Probata per id tempus multorum ex eis doctrina et diligentia in professionum praelectionibus et aliis exercitiis theologicis ac philosophicis ; agnitâ etiam pietate et virtute cum in conversatione monasticâ tum in defensione fidei et auctoritatis sanctae sedis Apostolicae in ipsa Anglia. Ubi alii ac de causa mortem fortiter oppetierunt, alii etiamnum variis in carceribus detinentur, alii autem diligentem operam navant confirmandis in fide catholicis et revocandis illis qui ab eadem longa et crudeli fracti persecutione aberrarunt ; in quibns officiis constanter perdurare peroptant : cùm tamen ex iis omnibus adèo tenues redeant eleemosynoe, ût in bac provincia tantisper hoerent dum instituuntur et sese accingunt itineri, aut dum alios instituunt, dictisque vacant exercitiis, oegre sese tueri et alere possint dictasque professiones sustinere et banc unicam excolere valeant ; atque ità necesse aut hoc consilium deponere, et de reditu in Hispaniam cogitare, aut aliam mirè viam, qua sibi consulant ; nisi (Deo propitio) aliquis esset qui tam utilem Aglioe missiosem sustineret, eorumque opera, qui in hac provincia consisterent, uti, ac liberalitatem et misericordiam ergà eos exercere vellet ; eâ de re frequentes preces et libellos supplices nobis obtulerunt, et humiliter nos soepius rogarunt, ut et sane missionem Anglioe tam necessariam, et institutionem operariorum tam utilem, cordi habere vellemus eorumque misereri et sublevare indigentiam, qui non solum privatim pietati, sed etiam multorum ulilitati vacant, Hinc et nos considerantes tam uberes fructus, qui ex bene instituto monasterio collegii seu seminarii etiam naturam sapiente provenire possent, hisce precibus, et aliis rationibus ad-


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ducti, et qui jamdiu de constituendo collegio et conventu religioso ad majores disciplinas docendas et discendas optime comparato saepè cogitavimus, ad majorem Dei gloriam, fidei et catholicoe ecclesioe conservationem et propagationem animarum salutem, ordinis St-Benedicti incrementum sub auspiciis Beatissimae semperque virginis Dei genitricis Maria sanctorum Apostolorum Petri et Pauli sanctissimi Patris nostri Benedicti et Beati Vedasti hujus provinciae Patroni nec non Sancti Gregorii, qui fidem catholicam per patres ordinis Si-Benedicti in Ahgliam intulit nunc tandem id fundamus ei instituimus conformiter ad Breve Apostolicum quo congregatio Anglicana Benedictina erigitur et conformatur, forma, modo, ratione, legibus, et constitutionibus quae hoc instrumento continentur, Imprimis hocce monasterium seu conventus erit duodecim monachorum ordinis D. Benedicti, qui ex pensione à nobis infra assignatâ aleantur : siqui alii accesserint aliunde illis juxta regulam Sancti Pâtris, pietati vacabunt et studia literarum maxime sacrarum exercitiis regulae conjungent, et persolvent in choro more conventuali pensum divini officii Dei optimi maximi laudibus admirandis et concinendis insistent, pro exaltatione fidei et ecclesiae catholicae, et hoereseon extirpatione et animarum salute assidae precabuntur. Vota solita religionis, obedientae scilicet, castitatis et paupertatis post annum probationis emittent, qui annus probationis non ad ingressum in monasterium, sed a die per superiores indicto incipiet. Quare admittendi ad Novitiatum recipientur primum intra cellam hospitum quamdiu placuerit superiori, ut probentur spiritus, si ex Deo sint ; et post aliquot dies vel septimanas die a superiore statuto admitentur ad habitum sacros canones et ecclesiar constitutiones statuta, quae religiosos ordinis nostri spectant inviolate


custodient et in his, quae sanctus Pater noster Benedietus proponit dp instrumentis bonorum operorum, obedientia discipulorum et gradibus humilitatis diligenter sese exercebunt in charitate Dei et proximi, ardenti desiderio at zelo efficaci promovendi honoris Dei et salute proximi, assiduo operum misericordiae spiritualis exercitio, in arctiossima unione, frequenti et ferventi mentis in Deum elevatione studiose omnem quam poterunt operam impendent. Ad solita vota, religionis adjungent juramentum missionis adeundi Angliam ad opus ejusdem missionis, et indè reverendis, quando et quoties. Praeses missionis id mandaverit, juxta tenorem Brevis pontificii desuper congregationis Anglicanae erectione expediti, Officium divinum quod, opus Dei sanctus Pater in regula vocat, et summa cum reverentia obeundum corpus inculpât, per quod Simonei in terris imitantur quod Anglici spiritus praestant in caelis, devote facient adhibebuntque cantum (quem nunc vocant Gregorianum) qui non sine spiritus sancti inspiratione introductus, ab ipso etiam Patre Benedicto usurpatus, et a majoribus nostris acceptus, tanquam insigne ornamentum ecclesiae marito retineri debet. Observabunt etiam tonos, modulationes, inclinationes, prostrationes, genuflectiones et reliquas caeremonias, quai reverentiani et devotionem excitant et honestam claramque vocis elevationem cum pausa in meditationibus et finibus versuum modoque, pronunciandi syllabatim et sequaliter, in Tertia quidem et vesperis âc completorio morosius, in aliishoris rotondius, in canticis Benedietus et Magnificat valdè solemniter, et omnia devote juxta regulas Directorii spiritualis pro horis canonicis recitandis, Et quidem in festis omnibus primae classis (exceptis feriis secundis et tertiis Paschalis atque Pentecostes) itemque in Dominicis omni


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cantabitur totum officium tam nocturnum quam diurnum ad varietatem czntus Gregoriani : in aliis vero omnibus Dominicis per annum et festis de praecepto, Invitatorium, hymnus ante psalmos, Te Deum laudamus, Evangelium, et Laudes cantabuntur ad varietatem tonorum ; Antiphoriae tamen ac psalmi, responsoria et lectiones nocturnorum cantabuntur solum tono plano et aequali. Diurnum vero

officium quotidie cantabitur sol emniter ad varietatem tonorum seu cantus Gregoriani. Officium etiam virgnis Deiparae voce clara et nnisona recitabitur singulis diebus, nisi majus officium fuerit de Beatae. Major missa ab hebdomadario et astantibus omnibus quotidie decantabitur. Caeteri etiam sacerdotes quotidiè rem divinam facient (nisi legitime impediantur) praemissa exomologesi seu confessione sacramentali quoties, opus erit et adhibitis prae parationibus, quae merito adhiberi

debent adipsum Deum intra humanum domicilium cum debito honore suscipiendum. Non sacerdotes autem communio

communio sacram frequentabunt, singulis dominicis et diebus festivis qui fuerint de praecepto in parochia aut in congregatione studiae literatum (quae inter caetera tam diligenter commendat Pater noster Sanctus Benedictus, et quae sunt tam necessaria ad hoc missionis apostolicae opus recte obeundum). conjungent caeteris pietatis religiosae exercitiis, ut nunquam desint aliquot religiosi benedicti, qui theologiam aut philosophiam vel majores disciplinas possint cum fructu praelegere. si a nobis aut successoribus nostris ad id eos assumere judicabitur expediens : ut ita specialis gloriae per prophetam Danielem promissae mereantur fieri participes, qui docti fuerint fulgebunt quasi splendor firmarnenti et qui erudierint multos quasi stellae in perpetuas aeternitates. Siquando autem voluerimus aliquos ex illis ad professiones

professiones assumere, tenebuntur illas acceptare


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et pro viribus explere : et tarn ipsi qui ita assumuntur, quam etiam auditores qui fuerint de illis , omnem: reverentiam et obedientiam religioso superiori collegii deferre. Necessarium tamen non erit ut promoti sint, aut deinceps promoveantur ad gradus. Academicos doctoratus aut alios, cum ex concilii Tridentini constitutione regularesnon solum ad docendum sed etiam ad quamcunque dignitatem aut officium ecclesiasticum non desinant esse habiles, etiamsi his gradibus aut titulis careant; quod etiam in usu esse quam duribus regularibus videmus. Siquando tamen aliquibus gradus necessarii videbun tur ad bonam finem et majorera Dei gloriam, cum nostra et superiorum facultate promoveri poterunt. Quoniam autem serenissimi Principes nostris precibus inclinati, collegium hoc nostrum sub forma et privilegiis monasterii stabiliverunt, et praerogativas etiam ac honores, juraque et privilegia omnia quae collegiis compeluut Academiee Duacenae publicis reliquis huic nostro concesserunt, relicto nobis piano jure ac libertate quas cumque voluerimus vel saeculares vel regulares professores ad lecturas eligendi, promovendi ac praeficiendi, ideo volentes hanc libertatem nobis intactam seniare ordinamus ut quando et quamdiu dictorum Anglorum Religiosorum opera in omnibus aut aliquibus professionibus uti voluerimus ; sicut fuit et est liberum nobis eos instituere, ac ad id numeris promovere, ita liberum sit nobis successoribusque nostris eosdem aut quoscunque eorum destituere, et ab officio et munere legendi amovere aliosque vel alium in dictis professionibus substituere, salva tamen manente dictis religiosis Anglis pensione seu reditu annuo, quem infra ad eorum missionem, institutionem ac disciplinam literarum cum monasticâ observantiâ pensoque divino conjunctionem onusque praelectionem sumus assignaturi , nisi


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manifesta eorum culpa fieret, quod non satis idineos haberent ad praelectionis quo casu tamen non plus demi poterit de dicto reditu annuo quam quinquaginta florem pro singulis professoribus. Cum vero sic occupatis magna temporis ratio sit habenda et monente apostolo omnia ordinate fieri debeant ; et quod ex praescripto et consilio hactenùs observatum est à dictis religiosis in distributione temporum judicant ipsi alumni sufficiente jam aliquot annorum habita probatione à se posse observari seque in eo posse perseverare servetur in posterum inviolibiliter, nec ampliùs oneris assumant, nec aliquid illi ordini demant sine nostra licencia et permissione. Erit igitur hac agendorum tem porumque distributio. Dominicis festisque prancipalibus seu primae classis surgant parum ante horam tertiam ut tertia insonante statim inchoëtur officium matitunorum, quod totum, ut duximu| unà cum laudibus cantabitur illis diebus solenniter et ad cantum Gregorianum sit ut ad invitatorium, hymnos, Te Deum laudamus, Evangelium et laudes à capitulo omnes erecti in reliquâ parte officii redeant surgentes tamen cum reverentia ad glorificationem. Trinitatis in toto autem officio diurno per omnes horas stent omnes nemine sedente : poterunt tamen seniores et debiles levites reclinare in stallis suis, observatis pro tempore et occasione genuflexionibus inclinationibus reliquisque caeremoniis. Finitis autem laudibus propter cantus laborem his diebus brevialiter mentalis oratio subséquens matutinum, et statim succedat officium primae horae. Sic autem omnia temperentur ut data hora serta matutina vel circiter jam officium finiatur. Reliqua omnia fiant prout in aliis Dominicis per annum festisque de praecepto, in quibus surgent parum ante horam quartam matutinam et dato quartae horas signo statim inchoëtur officium nocturnum, cujus antiphonae , psalmi, lectiones et res-


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ponsoria cum poterunt tono piano et aequabili, voce clara et unisona cum pausis mediationem, et in fine venuum : laudes autem integro et reliquum officium ad varietatem cantus Gregoriani (Et si admodum optaremus et non solum festorum dierum dominicorum , sed etiam caeterorurn omnium totum officium caneretur dicto cantu Gregoriano, ut solet fieri in Galliâ, Belgiâ, Germaniâ et multis aliis provinciis cum magnâ consolatione religiosorurn plausu et aedificatione populi). Deinde succedat meditatio et post eam canetur prima, quâfinitâ omnes cum silentio et gravitate se recipient ad cellas usque ad horam octavam. Ab horâ octavâ habeatur lectio scripturae sacrae sive ab uno alumnorum, sive ab alio professore quem nos elegerimus ; nisi forte ob celebritatem festi concio solemnior ejus loco habeatur ad missam,

Paulo post nonam cantatur tertia et benedictio aquae cum supplicatione per claustrum; deindè missa major solemniter offeratur et post eam decantetur sexta quam suscipiet refectio conventualis, eâqup finitâ psalmus quinquagesimus cum gratiis in ecclesiâ cantabitur, et horae nonae officium. Pausent deinde in cellis usque ad horam primam cum silentio : et à primâ pomendianâ usque ad ferè secundam habeatur aliquot exercitium spiritualis collationis, aut quale superior prescripserit, nisi tempus aut occasio suadeat ipsum post vesperos rejicere. A secundâ ad tertiam cantentur vesperae, illis que finitis ad quintam poterunt superiore concedente honesta aliqua recreatione in horto vel alibi se refocillare. Ad horam vero quintam se recolligent omnes ad cellas suas cum silentio, et studeant vel orent usque ad sextam, qua audita reficient in caena, et ea per acta usque ad medium octavae vel honeste inter se colloquentur, vel singuli separatim ambulatione aliqua se recreabunt in loco


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tamen ad hoc assignato. A medio octavae ad mediam nonae cantabitur completorium et recitabuntur matutinae preces B. Virginis; reliquum autem tempus impendatur orationi mentali ; quâ finitâ, in cellis pausabunt. Aliis veri diebus omnibus surgent parum ante quartam cantabunt que matutinum totum et laudes totas tono piano et aequabili, voce unisona (quamdiu non erit receptus in usum quo tidianum cantus Gregorianus quod supra nobis fore gratissimum significavimus) dimidiumque horae plenum impendent meditationi et post eam prima majoris officii cantabitur et etiam minoris officii prima recitabitur atque inde ad octavam usque in cellis sius privato studio incombent; Ab octava ad decimam vacabunt lectionibus et disputationibus sive audiendis sive habendis, et ad aliorum fructuum secumque exercitum frequentandis. Inde recitabuntur horoe minoris officii, cantabiturque tertia majoris et missa conventualis, et post illam sexta, post sextam succedat prandium, et immediate post prandium nona majoris officii vesperique et completorium B. virginis et hiis dictis recolligent se cum silentio ad cellas usque ad horam primam, ea audita, qui idonei fuerint, audient lectionem Hebroeam aut groecam, aut praeparabunt se ad ordinarias lecturas et ad officium respectarum , quod cantabitur dato secundae horae signo usque peractis usque ad quartum vel medium quintae frequentabunt lectiones et disputationes modo supra jam dicto reliquum vero tempus usque ad sextam impendent studio quieto in cellis; ac postea reliqua omnia ut in aliis diebus dictum est hoc solum excepto quod in diebus non festivis de praecepto tam manet quod etiam vesperi dimidium hora integrum ex plenum debeat impendi orationi mentali nec unquam nisi rationabili de causa breviari debebit. Quod attinet ad victum, optaremus quidem ut observaretur


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exacte quod a S. Patri nostro et summis Pontificibus Innocentio et Clemente praecipitur, ut saltem in refectorio et citrà infirmitatem aut necessitatem nemo carnibus vesceretur : quia tamen mitigatio regulae et ratio temporis multaque alia obstare videntur, et tanta contentio in officio divino peragendo, et studiis prosequentis id non facile ferre potest ; volumus dictos religiosos obligare, quin utautur dispensatione concessâ in usu carnium diebus dominicis, tertia et quinta feria ; feria autem secunda, quarta sexta et sabbato carne abstinebunt, totogue tempore adventus et à septuagesima usque ad feriam tertiam Paschalis ; Die enim festo Paschalis, Pentecostes, Assumptionis, B. Virginis, Exaltationis Sanctae Crucis, Omnium Sanctorum, et natalis Domini ex more recepto et usitato in celeberrimis monasteriis, carne abstinebunt. Optaremus similiter, ut jejunia eodem modo servarentur, quo descripsit Sanctus Pater noster Benedictus : sed cum usus et variai mitigationes, aliud obbuverint, et parum a jejunio absit regularis caenula, ultra jejunia ecclesiastica is modus saltem adhibendus videtur, ut semel in hebdomada, hoc est feria sexta a Pentecoste usque ad festum Exaltationis. Sanctae Crucis ; ad hoc festo usque ad adventum bis, hoc est feria quarta et sexta, in adventu ter, hoc est feria secunda, quarta, et sexta, et similiter a septuagesima usque ad caput quadragesimae jejunetur et in profestis seu vigiliis Conceptionis, Nativitatis, Purificationis, Annunciationis, et Visitationis B. Virginis, etiamsi dies jejuniorum isti incidant in dies festos, aut alii dies jejuniorum ab ecclesia institut in priorem aut posteriorem diem incidant. Comedent omnes domi in refectorio cum lectura perpetuo ad mensam, nec unquam in dicta civitate

MÉMOIRES - 2e SERIE, T. XV. 10


ad mensas aliorum accedent, ne convictu externorum

spiritu religionis offendantur, aut mores religioni corrumpantur,

corrumpantur, collegio agredientur, nec sine consensu superiorum

superiorum venia expressa. Nimias familiaritates vitabunt,

et arctas necessitudines cum exteris, quae multum studiis et

omnibus religiosis efficare solent. Baro vel nunquam agent

cum faeminis : si tamen charitas Christiana exigat, et aliquando

aliquando non nullis agatur, id fiat palam in loco aperto et

publico; et omnis species mali caveatur ; et nullo modo admittantur

admittantur cibum sumendum intra monasterium. Oportet

certe firmiter stabilito esse in castitate illos, qui religiosam

castitatem profitentur et quos rationemissionis conveniet

cum faeminis de salute animae et conscientiae negotiis,

saepè conferre ; Paupertatem religiosam humilitatis ac

mortificationis matrem et multorum malorum expultricem

amabunt et complectentur, paucis et vilibus in victu et

vestitu contenti esse debebunt, et ferre patienter siquid

interdum necessitatis occurrent ; ut ita paupertatem non

solum in veto, sed étiam in usu habeant quam perfecti et

inviolate observari cupimus ita ut depositorum usus penitas

penitas et nullus pecunias aut quodvis aliud preces, se

aut aliam in proprios usus habeat, sub paena proprietatis

ipso facto incurrenda que ante et post mortem ab Innocentio

Innocentio proprietariis monachis infligitur. Itaque

ubi aliquid alicui obvenerit ib oblatum superiori in

communi dispensabitur ut habet regula. Omnes sese conformabunt

conformabunt observationibus et habebunt illud imprimis

imprimis oculos, quod preponit sanctus Pater noster Benedictus

Benedictus omnes communem et magistram sequantur regulam

regulam ab illâ à quaquamdem re devictur : ita aberunt

omnes dispensationes generales à choro, mensâ, dormitorio,

in vestibus, et lectis et usu pecuniae caeterisque omnibus


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paeculiares tamen et hotarias seu in dies concedere poterunt superiores, quando vel infirmitas vel urgens alia causa id exigere videbitur. Aliqua tamen ratio habebitur professorum et auditorurn dum actu audiunt et legunt professiones et lecturas ut abesse possint à parte vel partibus officii secundum quod superior cum consilio superiorum judicaverit expedire. Totum hoc monasterium cum aedificiis et bonis mobilibus et immobilibus quae a nobis habet aut in posterum habebit, Item quae ac successoribus nostris vel aliis harum provinciarum benefactoribus post hac obtinebit sive sint reditus, sive fundi, sive quid aliud manebunt et erunt de proprietate ac domini conventus monasterii S. Vedasti, sicut quaevis aliae praepositurae nostrae et bona ipsarum : Caeterum eam partem aedifîcii quam modo insolunt religiosi Angli scilicet a partitione ductâ per murum a carnino medio agredientem unâ cum parte horti ipsi correspondentis et usu ecclesiae ad missarum sacrificia divinaque officium celebrandum praesertim quod chorum superiorem ipsis dictis religiosis Anglis qui hunc conventum constituent, concedimus ad usum habitationis dumtaxat : verum tamen ut ipsi sciant, et omnibus pateat ipsos non esse veros dominos etiam hujusce partis aedifiicii et horti, volumus et ordinamus, ut omnes dicti conventus priores noviter electi ingressu officii sui idipsum scripto agnoscant exhibita nimirum nobis successoribusque nostris supplicatione qua ejusdem usus habitationis continuationem à nibis petant et renovati postulent eamque non aliter ullatenùs etiam aliundè oblatam acceptent. Nullus vero alius conventus aut congregatio quocumque praetextu supradicta aedificia aut bona mobilia vel immobilia potent sibi ulla ex parte vel ratione vendicare nec deillis disponere aliter quam nos per presentes ordinationes nostras disponi-


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mus. Personae insuper omnes et singulae hujus conventus sive ordinariae, sive super numerariae aut etiam convictores religiosi subjacebunt nostrae successorumque nostrorum visitationi quantum ad horum statutorum nostrorum observantiam, nostroe vero personae visisationi et correctioni subjacebunt (prout ipsum et offerunt et jamdiu commisit ipsa congregatio Hispania) etiam quo ad reliqua ipsorum statuta et secundum ea poterunt a nobis corrigi, emendari et ordinari. Quam etiam visitationem licebit nobis per nos ipsos aut priorem nostrum, aut alium gravera conventus nostri religiosum exercere quotannis si ita visum fuerit. Quantum vero ad mutationes, monachorum hujusce conventus ad alias residentias, vel ad Angliam, ordinamus, ut lectorum (sequem vel quos assumserimus) aut officiarium conventui necessarium non possint superiores congregationis amovere, nisi alium vel alios nostro successorumque nostrorum judicio asque idoneos substituerint. De aliis amovendis aut mutandis liberum sit facere quod judicaverint, dummodo tamen nobis deferant tantum, et significant factnm atque rationem illius. Quare relinquimus snperioribus.congregationis omnem in personas reliquas jurisdictionem in iis omnibus, quae his constitutionibus nostris non obviant quas ob indemnitatem nostri monasterii et ut nobis etiam constet de bono usu beneficii nostri voluimus praescribere. Missiones vero in Angliam sic instituentur ut numerus saltem denarius aut novenarius religiosorum in hoc monastario permaneat qui petagant divinum officium obeantque alia exercitia : quod etiam servabitur quando per Dei gratiam liber erit locus et regressus catholicis in Angliam, ne remaneat hic locus vacuus et pereat haec nostra institutio nisi tunc nobis aut successoribus nostris aliter videatur. Gubernabitur sic conventus per priorem


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et consiliarios. Prioris autem electio sic fiet, et suffrages conventus praesentatis, nos elegamus tres ad hoc officium ex numen eorum quos conventus nominaverit, et illos tres praesentemus capitulo seu definitoris congreganis Anglicanos quorum unum ipsi definitores debeant confirmare in priorem et non alium extra alium numerum ; vel vice versa definitorium ex suffragiis conventualium tres electos nobis praesentabit, ut nos ex illis eligamus, quem judicaverimus idoneum, liberumque sit nobis utrovis horum modorum in electione prions uti, prout in domino visum nobis fuerit ; qui modus electionis observabitur in vacancia dicti officii intra quadriannium ante capitulum generale. Reliquos vero officiarios dicti conventus Prior sic electus, secundum congregationis suae leges constituet aut destituet. Lectores autem quaerumcunque facultatum, si quos nos assumpserimus non nisi nostro cum consensu poterit destituere vel amovere, ut sic nobis collegii nostri fructus jusque electionis nostrae in collegii negotiis securius constet. Duodecim religiosi qui hoc monasteriam sub dictis legibus constituent et novo conventui initium dabunt et nobis ipsis eligentur et cooptabuntur ; eligimus autem et cooptamus hoc nostro instrumento inscriptos sequentes : P. Leandrum de S. Martino, P. Rudesendum Barlo, P. Columbanum Mallonium, P. Paulinum Grinwood, P. Josephum Lathom, P. Romualdum Danvers, F. Wilfridum Readum, F. Laurentium Mabsium, F. Maurum Prichardum, F. Guilelmum Remblium, F. Philippum Rogerium et F. Thomam Moningtonum. Post hac vero dum locus vacaverit per mortern aut alia quavis ratione Prior cum consilio pratrum suorum eliget, nobisque offeret eos quos judicabit ad habitum et deinceps ad professionem idoneos, nec aliter admittet. Siquis autem ultra dic tum numerum insapiendus videbitur, idem Prior cum dictis


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fratribus suis secutus esse, debebit ut afferat quantum necesse erit ad honestam sustentationem quod in presenti rerum statu accedere debebat ad canonem annuum et minus triginta ducatorum seu centum viginti florenorum, nec sic tamen admitti poterit sine nostro consensu et permissione. Nichilominùs liberum relinquimus dicto Priori et fratribus admittere alios religiosos tanquam hospites an convictores studiorum causa, gratis vel cum pensione ut videbitur, modo inde nihil oneris accedat monasterio nostro . Si vedasti et esse conforment ii admissi legibus hujus loci. Quamvis autem haec nostra fundatio et institutio praecipue. pro monachis anglis congregationis Anglicanae pro fide per eosdem in Anglia propaganda sit facta. Liberum tamen iliis facimus ut alterius rationis praesertim hujus nostroe provincioe hommes seu indigenas possit dictus Prior et fratres ejus ad hunc conventum admittere sub eisdem legibus et constitutionibus victuros maxima si nobilitate, ingenio, doctrina, pietate et preclarâ virtute excelluerint multumque institerint ut admittantur aut alias sint valde idonei ad ipsorum institutum promovendum. Si judicaverimus expedire ut aliquot e nostris religiosis ad dictum monasterium seu conventum mittamus ut aliquandiu agant inter dictas religiosos ad obeunda exercitia spiritualia ad recollectionem animi reparandas vires corporis, vel etiam sub ratione penitentiae aut alia quavis de causa tenebuntur dicti religiosi Anglicps admittere benevoleque tractate subministratis a nobis impensis pro rata temporis ad rationem dictae summos. Proventus necessarios sustentationi horum duodecim monachorum, vestibus et supellectili comparandae et reparandae in ornamenta etiam et luminaria templi, sarta, terta minoraque opera et caetera onera hujusce monsasterii ferenda, et frugalem tot capitum alimoniam esti-


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minores postulaverint aliqui ex dictis fratribus, tamen ut abundantius ipsis provideatur, elargimur omnibus iis formis et rationibus, quibus melius et efficacius dare et elargiri possumus duo millia frorenorum, perpetui reditus in singulos annos, quorum quarta pars singulis trimestribus in terminis S. Remigii, Natalis Domini, Paschalis et S. Joannis Baptistae, solvetur et numerabitur Priori seu procuratori dicti monasterii a receptore generali nostri monasterii S. Vedasti ex canone sortis seu summae primariae quam deposuimus apud receptorem ordinum seu statuum Arthesise. Ut autem rectè impendatur illa summa, dictus procurator singulis hebdomadibus rationes accepti et impensi Priori debit suo ; ipse vero Prior singulis annis totius administrationis et omnium proventuum ac impensarum particulatum et minutim nobis et successoribus nostris dabit sub finem Augusti vel septembris idque scripto gallicè vel latinè concepto. Ità se geret dictus prior et procurator caeterique religiosi ut dicta snmma sufficiat cum piis elemosynis, sique fortassis accedant nec ulla ratione aes alienum conflabunt, aut debitis se onerabunt ; quod si contigerit nolumus ullo modo in solutionem obligare bona nostri monasterii S. Vedasti imo nec dictam summam oppignorati. Si etiam contingeret per auctionem valoris nonetoe, seu pratii amenae hanc summam non sufficere ad alimoniam tot religiosorum et sustinenda dicti monasterii, nisi aliquid aliud adveniat, quod sufficere possit potius minuetur numeros religiosorum ad decem vel octo, quam minuatur dictus canon seu summa annua. Si contingat sortem census annui ab ordinibus refundi ; illa mox apud alium collocabitur vel in imptionem alicujus fundi impendetur, ex quo aequalis reditus percipiatur aut alius quicumque poterit idque fiat ab abbate hujusce monasterii S. Vedasti cum consilio


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Prioris et conventus hujusce Gregoriani, Si autem accidat (quod Deus optinare avertat) ut nostrum S. Vedasti monasterium in commendam detur ; aut alia quavis ratione non à vero Abbate eoque non monacho expressè professo regatur vel administratur , aut quandô sedes vacaverit , omnis auctoritas quam nobis reservamus, seu quae hic Abbati S. Vedasti officialibusque ejus tribuitur redibit ad priorem et conventum nostrum S. Vedasti. Accessiones quae fient; nostrâ nostrorumque successorum, aut aliorum ex his provinciis benefactorum liberalitate, vel per receptionem dotis eorum qui ex bis provinciis ad habitum in dicto conventus admittendi fient ejusdem naturae cum prima praedicta fundatione et cum ea perpetuo unicantur ac dispensabuntur et impendantur ex auctoritate nostra successorumque nostrorum et referentur in rationes ac computum pari omnimo ratione quae proventus primae fundationis; sic tamen utperpetuis temporibus impendantur in sustentationem praefatorum onerum dicti monasterii ac religiosorum ejus qui cum officio divino et religiosa vitastudia literarum confungent ; et studiosorum seu seminaristarum (si quid super sit) qui in eodem loco agent aut lectiones audient. Quae vero ipsi Angli aliundè aut ex Anglia addiderint durante dumtaxat schismate unientur ut supra bonis ujus monasterii : ipsis autem in Angliam recedentibus locumque hunc relinquentibus ipsos etiam comitabunture reliquis omnibus bonis et personis nostram tunc jurisdictionem penitus et remanentibus, cum Anglidicto modo inde recesseunt. In recognitionem et testimonium perpetui juris dominii authoritatis; ac jurisdictionis seu proprietatis quam et quae nobis successoribus que nostris et monastrio nostro S. Vedasti reservamus in locum bona personas ac reditus hujusce conventus Gregoriani


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praeses congregationis vel prior cum conventu celebrabunt singulis annis pro Calendis octobris missam solemnem in qua nobis aut deputato nostro offerent cereum album ponderis duarum librarum, cum oratione seu declaratione qui testabentur se id facere in gratitudinem et agnitionem beneficii hujusce fundationis et jurium predictorum. Vel idem Praeses aut Prior cum socio eamdem recognitionem facient in hoc nostro monasterio S. Vedasti, eodem die tempore Sumori Sacri. Ne autem occasio aliqua oriatur ullius simultatis aut offensionis interdicti monasterii alumnos et nostri monasterii S. vedasti monachos ex precedentia, ordinamus (quod dicti alumni ultro afferunt) ut prior hujusce conventus extra actus conventuales religiosorum suorum in omnibus aliis occasionibus cedat locum praeeminentiamque regenti seu superiori religiosorum nostri collegii Vedastini, quocumque titulo vocetur et cujus delegato nostro : In choro etiam et aliis locis quando religiosi nostri intereruut cum religiosis hujusce conventus ita sedebunt, ut sacerdotes et alii ordinis praecedant sacerdotes et alios respectivo secundum gradum ordinis ecclesiastici : monentes tamen nostros et hunc honorem et gradum recusent, aliis deferunt quando vel aetatis aut doctrines vel alia justa ratio id exposcere videbitur et ita modestia et humanitate alii alios praeveniant. Si contingat ratione convexionis alicujus Praepositurae, aut alla communicatione nostros facere divitas officium in dicto templo vel perpetuo, vel certis quibusdam diebus, et prout de opus sit nonnihil mutari de constitutis horis debebunt dicti alumni hujus conventus in eo se praebere difficiles. Quod vero offerunt fratres, qui modo in eo loco agant, monasterio hocee constituto singulis diebus duo sacra facere alterum pro faelice et prospero statu in religiosa


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pietate nostri monasterii S. Vedasti, alterum pro nostra dum vivimus incolumitate et salute atque etiam ut quamdiu aliquis alumnum vixerit qui nostram personam noverit singulis diebus post mortem sacrum pro animae nostrae salute celebratur : singulis ite annis perpetuis temporibus anniversarium solemne pro animae nostrae successorumque et fratrum nostrorum salute ; insuper ut nos omnes fratres nostros piorum operum ab ipsis per Dei gratiam faciendorum participes, quantum in ipsis est facere, libenter admittimus. Quod denique offerunt suo et congregationis Anglicae nomine in agnitionem hujusce beneficii, revocata in Angliam fide catholica et restitutis monasteriis recepturos se illos quos e nostris religiosis in Angliam nos aut successores nostri miserint, in academia Oxoniensi aut alibi et par beneficium pro suo possi impensuros : pro humanarum rerum varietati recusandum non videtur. Postremo ut indemnitati nostri monasterii S. Vedasti consulatur et huic etiam aliquid firmitatis in hisce nostris constitutionibus accedat et hocce monasterium pariter in exercitiis pietatis divini officii et literarum : singuli religiosi qui in ipsum admittentur ipso die admissionis juramentum nobis aut delegato nostro proestabunt sub haec aut simili formât « Ego N. admissus in monasterium S. Gregorii Duaci ut ordinarius (vel supernumerarius perpetuus alumnus, aut ut convictor temporalis tantum) promitto ac juro coràm Deo et sanctis ejus, me fideditatem omnem Rme Philippo abbati S. Vedasti et succesoribus ejus sancto que conventui Vedastino servaturum et omnibus modis quibus diserati potero eorum honori et indemnitati consulturum ; nec ullo modo per me vel per alium directe vel indirecte, per favores vel importunas preces aut aliter aliquid amplius ullo titulo à dicto Rmo Philippo abbatte, suecessoribus ejus


dictove conventui Vedastino aut membris filiationibusque se proeposituris ejus obtinere, extorquere, potere aut acceptare conaturum, quam quod ipsis sponte et voluntarie placuerit, mihi, aut communitati cujus pars sum, concedem, nec alio modo, neque aliis titulis, quam ipsi concesserint. Ab haec promitto quod nec per me nec per alios quosvis tentabo ullo modo pacem dicti monasterii aut collegii perturbare aut statuta ejus innovare et in diterius mature, aut ab obedientia superioribus debita me ipsum subtrahere, aut juramenti relaxationem requirere aut oblatum acceptam sine consensu dictorum meorum superiorum et Rme Abbatis predicti aut successoruni ejus ; quod si per fragilitatem aliter fecero paenas constitutionibus stabilitas aut per predictum abbatem mihi adjudicandas libenter subibo, sic, me Deus adjuvet." In his tamen omnibus reservamus specialiter nostrae personae, dum vixerimus, dispensandi, immutandi, aut aliter disponendi plenam potestatem, praesentiones in hoc instrumento contentas alias immobiliter in pleno vigore perseveraturi. Haec autem omnia nos Philippus abbas, prior et conventus dicti monasterii S. Vedasti Atrebatensis à sede apostplica immediatè dependentis libero manere damus et concedimus, constituimius, et ordinamus, Dei optimi maximi glorim et honorem animarum salutem, syncaram erga dictos monachos charitatem et populi Christiani oedificatîonem spectantes : et eumdem Deum optimum maximum rogantes, ut hisce conatibus nostris prosperum et foelicém progressum per suam sanctissimam providentiam largiri dignetur. De quibus ut ad posteris extet memoria tenebuntnr dicti alumni dare nobis suas literas acceptationis hujusce fundationis et constitutionum in quibus haenostrae literae ad verbum inferentur. In quorum omnium fidem hisce literis sigilla nostra appendi jussimus in dicto


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nostro monasterio XXVIII mensis septembris anno Domini millesimi sexcentesimi decimi noni, Philippus abbas monasterii S. Vedasti. Nos igitur primum omnium Deum optimum maximum de tanto favore adorantes, deinde Rmo Patrono nostro D. Philippo de Caverel, abbati S. Vedasti sacroque ejus conventui pro tam nobili beneficio cum omni humilitate et reverentia gratias agentes, praedictum reditum perpetuum duorum millium florenorum in singulos annos caeterasque utilitates et commoda ad conventus nostri Gregoriani fundationem, dotationem ac sustentationem stabulandam donata, una cum omnibus legibus, conditionibus, oneribus,obligationibus, recognitionibus, aliisque omnibus in praeinserto instrumento descriptis et specificatis omni meliori via ratione et modo quibus possumus nostro nostrorumque successorum, ac totius nostrae congregationis Anglicanae (cui indigni praesidemus) nomine acceptamus, pro dicto conventu nostro S. Gregorii in duodecim monachos praefatum conventum S. Gregorii constituentes ipsorumque successores, quantum possumus in conscientiâ oneramus , ut dictum instrumentum his literis nostris de verbo ad verbum praeinsertum ejusque leges omnes conditionesque, et clausulas secundum verum tenorem germanum que ipsarum sensum tam gesi quam nos fideliter et cum effectu custodiamus ; Rogantes dominum Deum ut ipse nostram supplens indigentiam per intercessionem sanctam Patris nostrorum, Benedicti Gregorii et Vedasti proefatis , Patrono fundatori ac alteri nostro sanctoque conventui ipsius , magnificis benefactoribus hanc charitatem abundanter retribuat Et quantum in nobis est ipsum Rum Patronum Philippum abbatem sanctumque conventum Vedastinum, omnesque ac singulos ejus Patres ac fratres omnium sacrificiorum,


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officiorum, suffragiorum, meritorum etpiorum operum quae per Dei gratiam unquam sumus facturi gratiarumque omnium spiritualium quae à sede àpostolicà nobis sunt concessae participes facere ac fieri volumus, proponimus, ac peroptamus, ac pro salute praefati Rmi Domini dictorumque omnium patrum ac fratrum totiusque santi conventus Vedastini in calamitate et prosperitate temporali felix itaque aeterna Deum opt. max., orare et obsecrare nunquam desistamus In quorum omnium fidem praesentes literas nostras nostro secretarii nostri (ut in instrumentis publicis obligatoriis facere solemus) nomine subscriptis nec non et sigillo praesidatus nostri subscriptioneque Prioris ac sigillo conventus nostri S. Gregorii munitas dedimus, Duaci in collegio Vedasto, in conventu S. Gregorii, 12 octobri ipso die S, Wilfridi Patris nostri, anno 1619.

Leander de Sancto Martino, indignus Proeses Stae congregationis Anglicanoe, ordinis S. Benedicti.

Rudesindus Barlo, indignus prior Benedictinorum Anglorum S. Oratoris.

Paulinus Grenoo, secret.


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B

Voyrrier de Bouay.

Sur le rapport que nous at este, faict de la predomie et de la suffisance d'Adrien de Laval, en son art voyrrier, l'avons continué et par ceste présente le continuons en nostre service aux ouvraiges que ferons faire en la ville de Douay tant en nostre hostel qu'es bâtiment du collège et église de St-Grégoire audict Douay aux pris ordinaires, conformément au marché qu'avons avec lui en datte du VIIe de mars XVIe et unze, et comme icelluy marché ne est faict mention de pencture ny du pris d'icelle, consentons que nos commis aux ouvraiges luy puissent compter et passer le pied carré de peincture en toutes ouvraiges bien et deuement faictes au dire des gens en se cognoissans pour les pris quatorze pattars, sans altération dudit précédent marché et retenue durante jusqu'à notre rappel et tant qu'il nous plaira. Fait ce XXVe de may 1615 (Archives de l'abbaye de St-Vaast. Reg. des marchés de 1609 à 1622, f° 131 r°).

Deseur l'huys dé l'église, sur la rue, entre deux pilliers, se poseront les trois armoryes ordinaires, avec les devises en rollement taillées en compartiments renfondrez carrez et renfermez de lettes cannellées sur lesquelles lettes à trois tas de bricques près, seront avoir trois culs de lampes saillans quatorze à quinze poulches, enrichis de fueillages, fleurons et rolleauz esvuidez avec une queue d'ung pied dans oeuvre, sur lesquels culs de lampes sassira une litte rondissante enrichie de mesme. Audessus de laquelle litte se poseront trois nices en sorte que lesdits culs de lampes soient justement au millieu. Lesquelles nices seront larges


de trois pieds chacune, haultes de huict piedz et enfondrez de sept poulches. Sur icelles nices seront assis des chapiteaux à trois pilliers et cincq pendes faictz en piramides et pignon, ceaulx enrichis de fleurons en cestes à jour avec mollures, soubz lesquelz chapiteaulx se fera une croix d'oismes à clef pendante enrichie, et auront lesdits chapitaux quinze poulches de saulte de costè et d'aultre au millieu de la dicte ouvraige se tailleront des pilastres a fiolles et costes saillant six a sept poulches et d'ung ou environ de largeur enrichis de mollures et autres ornemens avec culs de lampes littes chapiteaux de mesme ouvraige que les autres, le tout de belle et nette ouvraige , bien curieusement taillé de bonne proportion et à l'advenant que la place pourra permettre à peu prés des ouvraiges des pilliers, des claires-voyes de l'hostel de St-Vaast audict Douay, ouvraige moderne toutes lesquelles ouvraiges avec tous ce qu'en despend emprins par Philippe Marcq Gallé et Antoine Docet, pour le prix de soixante flourins, si toutefois elles sont trouvées bien et deuement faictes et assises au dire de gens en ce cognoissans et comme l'oeuvre : requiert pour estre des meilleurs leur seront payez par dessus la dicte somme vingt florins. En tesmoing de quoy mondit seigneur le prélat de St-Vaast at signè le présent marché avec lesdicts ouvriers, le premier de juing 1615.

(Arch. de l'abbaye de St-Vaast. Reg. aux marchés, f° 131 r°.)

Tailleurs de blanches pierres.

Le VIIIe de febvrier 1614, Monseigneur le prélat de StVaast at faict marché avec Philippe Marchand; tailleur de blanches pierres pour toute la taille de blanches pierres


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que conviendra avoir pour le parfait du corps de logis du collège de St-Grégoire, ce que ledit marchand at emprins faire et tailler bien et deuement de belle et nette taille au pied et à la paulchison de St-Vaast ou de Douay pour les pris que sensuit :

48 d. Pour le pied courant d'entablement, dix

huit deniers.

42 d. Pour le pied de littes, douze deniers.

18 d. Pour le pied du chambranlt, dix-huict

deniers.

43 d. Pour le pied de Lourmerets,quinze deniers. 45 d. Pour le pied d'Oisnies, quinze deniers.

3 s. Pour le pied de hauts estamphicqs et remplaiges

remplaiges verrières sans rien mesurer

pour les cornettes, trois sols. 5 s. Pour le pied de pieds droits vaulsoires et

chapperons de fenestres du cloistre y

comprins le dosseret apparpignans le

mur, cincq sols. x s. Pour le cul de lampes y comprins la litte de

dessus, dix sols, xl s. Pour chacune fenestre croisée. Les trois

derniers faisantes deux plaines, quarante

sols, IIII s. Pour chascune tablette avec deux coings,

quattre sols. XII d. Pour chascun coing sans tablette, douze

deniers.

Le tout à la monnoye d'Arthois et avec bonne et suffisante queue sans retours doublages tierchages ou autres advantages, tels qu'ils puissent estre de bonne saison, de


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sorte que les machons n'en soient aucunement retardés, à peine de tous domaiges et intérêts, pour toute laquelle ouvraige et argent que luy fera délivrer pour icelle Franchois de Buyre se porte caution . En tesmoing de quoy m'on dit seigneur at signé ce présent marché avec ledit Philippe Marchand et Franchois de Buyre les jour et an que dessus.

(1609 à 1622, f° 214, v°.)

MÉMOIRES.— 2e SÉRIE, T. XV. 11.


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C

Du 10 février 1623. Propositions de M. l'abbé de SaintVaast d'Arras pour obtenir la Basse-rue St-Albin et le retour jusqu'au cimetière, et faire un nouveau pont à l'endroit de la rue Englemer.

Lettre de décret d'une maison et héritage en la rue de St-Albin au profit de M. de Caverel, 1625.

Contrat d'achat d'une maison en la grande rue de SaintAlbin au profit du collége, 1625.

Contrat d'achat de la veuve Coulon d'une maison en la Basse-rue de St-Albin, 1627.

Contrat d'achat de 2 maisons en la dite rue, de Jacques Godrian et sa femme, 1627.

Contrat d'achat de la veuve Surcq d'une autre maison en la même rue, 1627

Contrat d'achat par l'abbé de St-Vaast, d'une maison en la Basse-rue de St-Albin, 1627.

Contrat d'achat de Jacques Petit, d'une maison en la dite rue, 1627.

Du 29 mai 1627. Autre proposition des dits sieurs de St-Vaast de faire trois portes, l'une abordante au Pont-tortu, une autre à l'entrée de la Basse-rue au cas qu'on ne veuille leur accorder la dite Basse-rue (archives communales de Douai, série G, n° 43.)


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D

Marché pour les formes de Douai avec Germain Théry, huger.

Monseigneur le prélat de l'église et abbaie de St-Vaast d'Arras, désirant à son possible d'embellir et orner comme il appartient à l'honneur de Dieu et de ses saints l'église de St-Grégoire nouvellement bastie et érigée en la ville de Douai et signament le coeur d'icelle église, a trouvé bon et expédient de faire bastir une ouvraige et assembiaige de formes les plus commodes que faire se porra.

Lesquelles contiendront pour ung rang en longueur, depuis l'huys pour entrer aux carolles ou en la sacristie jusqu'au 2e pillier 32 pieds et en largeur d'un pied 1/2. Et pour le retour 12 pieds, où se prendront cinq formes, lesquelles seront moindres que les précédentes d'un pouche où environ, pour ne gaster l'entrée dudit coeur et comme les bases et tamburins desdicts deux pilliers y donnent quelque destourbier ou empeschement, l'ouvraige sera entaillé et amortie par derrière et recouvert au devant le mieux que se pourra faire ; ausquelles formes faudra tenir honne proportion et correspondance de sorte que celles d'en bas viennent à correspondre à celles d'en hault, vis-à-vis directement contre l'aultre et reviendront lesdites formes, le tour compte 64, 36 pour celle d'en hault à la haulteur de 10 pieds, depuis le plancher jusqu'à la dernière comice, et par derrière du côté des bancques 9 pieds, et pour celle d'en bas pour les deux costez 28. A la haulteur des accoudoires se faudra prendre à chaque boult une belle ouvraige enrichie d'une figure au millieu comme de St-Grégoire, de St-Vaast et d'aultre, comme mondit seigneur trouvera


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convenir, qui servira de parement aux haultes formes et à la closture et entrée des basses, faudra aussy avoir quelques ouvraiges honnestement relevés en forme de peneaux de machonnerie avec ung console par dessus en forme d'accoudoir, où se taillera une foeuille furme de roilleaux.

Et pour ce regard du grand portal et de deux huys dusdit coeur ung beau porticq correspondant à l'ouvraige des formes. Le tour sera faict et composé de bon bois de chesne tel que Mormal ou autre, scié sur leur quartier, pour avoir leur maille belle et bien paraissante et ne sera mis en oeuvre qu'il ne soit bien sec et deseché sans aubien mauvais noeud vice ou deformités et les piéches seront assemblées à tenon et queue d'aronde fort artistement et joinctement sans user d'aplicat ou colle.

A l'égard du pied et pauchison, l'ouvrier se reglera sur la règle pied et paucisson dudit St-Vaast qui est pied d'Arthois réduit et reparti en dit qui font onze pouches de la ville d'Arras. Tout le div bois, colle, cloux, chevilles, ferrures, pentures et généralement toutes choses quelconcques jusqu'à avoir rendu lesdites formes, et tout ce qui en despend faict, assis bien deuement et parfaitement demeuré à la charge du maistre, ouvrier ou entrepreneur même sera submis et obligé de prendre en paiement le bois que ledit sieur lui voudra advancher et de faire lesdictes formes en telle manière que s'ensuit.

Primes.

Une solle de 5 et 4 randissantes alentour de la besoingne, 2 gittes de 8 et 4 pour les planches qui s'assembleront à queue dessous ladite solle continuée jusqu'aux basses formes pour assembler le dessus desdites basses formes portant 7 à 8 pieds de long.


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Et de l'autre costé s'assembleront deux gittes de 4 pour porter le fond et paruys des bancqs par derrière les dictes formes.

Les paruys des basses formes seront d'Aissellez de quartier ung travers de 3 et 4 de pieds de hault jusqu'à l'arrasement avec deux peneaux d'Aisselles de quartier ung aultre travers semblable au précedent.

Une routede montans et panneaux comme dessus d'Aisselles de quartier.

Une frise de 8 pouches de hault et une mollure de 3 et 4.

Un cadre de 4 pieds 1/2 de hault, de 2 pieds de large: assemblé à angle des doubles quartreaux poussé à mollure de deux parements.

Une achitrave par-dessus de 2 et 5.

Une frisé de 8 pouches large d'aisselles de quartier.

Une console dé 8 pouches de hault et de 4 d'epesseur. Par dessus se mettra ung double quarteau poussé en mollure là où se posera le ciel qui se fera aussi d'ung double quartreau de 2 pieds carré avec ung plat fond pour y mettre ung cul de lampe ou roses entremeslées.

Sur la dicte console se posera une architrave de 3 et six.

Une frise d'ung pied de large d'Aisselle de quartier.

La comice sera de 3 pouches de haut et 6 de large avec ung talon dessus de deux pouches de hault pour servir' de cornice à ladit cornice.

La mesme besoingne se fera sur la devanture si ce n'est que mon dict sr y désire applicquer des colonnes ou balustres au lieu des cadres.

Les accoudoirs de 14 a 15 pouches de large, et 4 de hault.

Les entres deux des dictes formes auront 15 pouches dp large, et 3 d'espesseur, environ de 4 pieds hault.


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Le dosseret sera accomodé d'ung plat peneau uni mis en renure allentour des dictes piéches.

Le siège mouvant sera de dix pouches de large et 4 de haulteur, et le siège stable de 3 et 4 assemblé au travers des formes.

Par bas y aura ung montant avec deux peneaux assemblés au dict travers.

Au dernier des dictes formes du costé des carolles sérigeront bancqs tout à lentour, les pieds seront de 3 et 4.

Les travers et montans de quartreau.

Le dessus des dicts bancqs de 12 pouches de large et de pouche 1/2 despesseur avec accoudoirs au bout.

Les dicts bancqs se poseront sur les parvis dessuz nommez qui serviront de fond aux dicts bancqs.

Une gitte de 3 et 4 randira par tant les planchers servant de base, aux bases formes et aux dicts bancqs,

Sera aussi submis ledict ouvrier de faire pour lesdistes formes quatre pulpitre bien et deuement.

Tout ce que dessus ainsi déclaré et spécifié, bien observé par Germain Théry, maistre escrivier demeurant à Arras. mondict sr prélat lui fera payer petit à petit et selon que l'ouvraige ira avant, la somme de douze cents florins, pour bois, ferures, serrures, pentures, doux, chevilles et tout auttres matériaux desdictes formes huys et bancqs, taille, ouvraiges, toitures et généralement tout ce qu'est requis pour rendre ledict oeuvre bien et deuement livré et assis, faict et parfaict selon la devise ci-dessus et s'adjoutant ce que pourrait avoir esté obmis et trouvant le tout bien et parfaitement achevé par dire de gens en ce cognoissants ; mon dict sr fera encoire payer au dict Theri la somme de deux cents florins, faisans ensemble le tout quatorze cens florins comme de gré et pour encorager ledict ouvrier de


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se bien acquitter de ce marchez, que ledict ouvrier sera tenu passer et recognoistre pardevant notaires. En tesmoing de quoy mondict sr at signé ce présent accord, le 28 de janvier 1621

Ainsi signé : Phle, abbé de St-Vaast. (Reg. aux marchés f° 183 R°.)


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E

Tailleurs de blanche pierre.

Le 11e de may 1614, monseigneur le prélat de-St-Vaast at faict marché avec Robert Vermel, Philippes Marchand et

Nicolas Lieppe, tailleurs de blanches pierres pour les ouvraiges

ouvraiges leur stil de l'église du collège deSt-Grégpire en Douay, ce qu'iceux ont emprins faire tailler bien et deuement de belle et nette taille, selon le moulle et plan que leur sera délivré et comme loeuvre requerera conformément aux devises clauses et conditions chy apposées pour le prix qui suit : XII s. Pour le pied de haulteur de chasque tamburin

tamburin quattre pieds de diamettre

diamettre ru de deux pièches, douze sols.

IX s. Pour le demy tamburin d'une pièche et de

deux alternativement avec deux retours

de bonne queue, noeuf sols. XXV s. Pour chasque pied de haulteur de chapiteau

portant la molure cul de lampe rond et

auttres ouvraiges, vingt cinq sols. XII s. VI d. Pour le demy chapiteau, douze sols six

deniers. XV d. Pour le pied de litte de trois tas, quinze

deniers XVIII d. Pour le pied de chambran le dix-huict

deniers. VIl s. Pour le pied de haulteur de pieds droits et

de caulhoirs, comprins le dosseret dé bonne molluire avec bases et soubz bases,

sept sols. III s. VI d. Pour le pied de remplaiges estamphiques

et capperons avec glachis des vayrrieres


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sans mesures des cornettes et les deux glachis comptés avec les chapperons et arrachemens ou testes d'estamphiques. trois sols six deniers. IX d. Pour le coing d'érette de trois et qrattre tas

de bricques, noeuf deniers. XVIII d. Pour le pied d'entablement de quattre tas de bricques avec une mollure et bonne queue, dix-huict deniers .

XVI den. ob. Pour chascun pied d'oisives et fouronerettes avec chacune branche d'arrauchement de bonne haulteur et avec une belle mollure, seize deniers ob.

VIII s. Pour le pied carré des clives unyes comprins

pillastres bases et couvertures mesures comme en l'abbaye de St-Vaast et de mesme ouvraige avec trou affin d'y mettre les quilles de fer ou aultre pour les maintenir, huit sous.

II s. Pour le pied des capperons des pilliers et

pignons avec ung rond au dessus et mesurant

mesurant la longueur, sans considérer

les deux faces, deux sous.

Le tout de bonne saison en sorte que les ouvraiges n'en soient retardées et que rien ne soit escaillés a peine de tous dommaiges et intérests et de réparer ce que sera endommagé et mesuré au pied et poulchison de St Vaast et de Douay aux despens convenus et, s'en fera payement faict a faict que l'oeuvre s'advanchera.En tesmoing de quoy mondict seigneur at signé ce présent marché avec lesdits ouvriers, les jour et an que dessus.

(Registre des marchés, 1609-1622, f° 126, r°.)


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Cejourd'hui le 26e d'apvril 1625, D. Robert Moncarré commis aux ouvraiges de St-Vaast d'Arras at faict marché avecq Pierre de Lys, marchand de Meuse pierre de Tournay par la charge de Monsieur le prélat dudict St-Vaast pour livrer deux tables d'autel en l'église de St-Grégoire, longues chacune de sept piedz et large de quattre piedz, espoisse de sept pouches, le tout bien taillé et sigellé à nette taille et de bonne pierre sans estre subjete à escailler, moyen nant quoy luy seront payez XVIIIe liv. pour les dedictz et pareillement ledict Moncarré at faict marché avecq ledict De Lis pour livrer au mesme lieu deulx routtes d'appas ou passetz devant le grand autel où ailleurs, se besoing est, dont l'une routte sera de XII pouches de large et espoisse de sept pouches et la deuxiesme en dessus sera large de deux piedz et demy, espoisse de sept ponches et le tout sera mesuré au pied courant de Douay, dont pour chasque pied desdictz deux routtes lui seront paiez sept patars du pied sans en pouvoir prétendre davantage pour la plus grande largeur de l'une de l'aultre et le tout de nette taille et de bonne pierre de Tournay. En tesmoing de quoy mondict seigneur at accepté ledict marché, le jour mois et an que dessus et l'at seigné avec ledict Pierre de Lys. Ainsi seigné Phls abbé de St-Vaast, et Pierre de Lys.

(Reg. aux marchés, f° 183 v°.)


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G

Devise de la façon et livreson de bois pour le dozal au coeur d'en hault de léglise de St-Grégoire de Dominant pour la devanture que pour les fourmes, autelz, bancqs et huis.

PRIMES

La devanture de tous les somiers sera revestu de cornice, frize et architrave dont ladite frize sera de planche de pouche et 1/2 enrichie de taille à l'antique. Ladite cornice sera haulte de 8 pouches saillant d'ung pied 1/2 y comprins de planches, là où seront posées des roses avecq larmes pendantes entredeulx sur laquelle se mettera la solle randissante tout alentour sur les somiers. Pardessus s'assemblera une routte de montans de deulx piedz de hault de quartreau avecq peneaux dasselles durchis par dehors de compartimens en forme de nice.Pardessus s'assemblera une moulure de quartreau sur son parat sur laquelle sera encoire une aultre hatlteur de deulx piedz de montant et penneaux a jour à l'anticq,entre lesquelz à chacun costez de l'autêl s'en feront deulx en forme de petits huis ou fenestres qui s'ouvriront et fermeront et aussy aux deulx costez des carolles chascun une fenestre fermant et ouvrante. Pardessus se posera une aultre mollure de doubles quarteau de 3 et de 6 sur son camp là où s'assembleront des balustres dont l'ung se posera au millieu du peneau et les aultres sur les montants de bois de 3 pouches avec une demi arcure pardessus et cul de lampe pendant pardessoubz, entredeulx desdictz balustres. En dessus sera une architrave de 4 pouches de hault et 5 pouches de large et pardessus sera une frize haulte de 8 pouches espaisse de pouche et demy enrichie


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de feuillage à l'antique. La cornice pardessus sera saillante de 7 pouches par dehors et pardessus de 5 pouches avec douchaine au talon. Au grand autel seront deulx platz pilastres de 14 piedz de hault chacun jusques et comprise la cornice large de 12 pouches et espais de 6 pouches avecq vases, chapiteaux à la corniche et ledict corps de pilastres sera devant et derrière à deulx paremens. Et icellecornice furnie et enrichie selon l'ordre de Corinthe. Au devant desditz platz pilastres seront posées deulx colonnes canellées d'ouvrage de Corinthe avecq leur pied d'estalle corps, capiteaux, le tout bien et deuement fait et enrichy. Audessus d'Icelle corniche seront posez deulx piedz d'estalle avecq leurs piramides couppes, couvroiemens et le timpane sera faict selon ledict ordre de Corinte et molures. La grande molure pour y poser le fond sera de 3 et quattre pouches et ledit fond sera de seiche assellés audit gouvions et clefz bien nettement rabottées à deulx paremens. Le cadre se posera environ la haulteur de la cornice de la cloture afin de laisser audessoubz dudict cadre, en dehors une table d'attente pour y faire quelques escripteaux contre lesquelz poldront estre posez les passez sur ledict autel et dedens. En dessoubz sera le dessoubz dudict autel servant de parement par dehors, enrichi des armoiries de sa seigneurie taillées en bosse avecq compartimens dont ladite dossure sera divisée en deulx à cause de la longueur pour y adjoindre celles de l'église et du couvent de St-Vaast au bon plaisir d'Icelle seigneurie et sera ung cassis enfermant lesdites armoiries de mesme ordonnance que cestuy cy-dessus avecq ung montant au millieu. Ledict autel sera hault de 4 piedz et longueur de 7 piedz, l'assemblage sera de bois, de 4 pouches , pour les piedz et les; travers d'en hault, d'ung double" quartereau et ceulx du meilieu,


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d'en bas de simple quartereau et sera revestu de foeuilletz rabottez et mis en languettes avecq armoire par dessoubz dont les huis seront acostez avecq ung fond au meillieu. La couverture d'icelluy autel sera d'assellés de quartier raboltées et mises en languettes et au meillieu sera ung cadre avecq une battée pour y enclaver une pierre beniste. Item à la dicte devanture de l'autel seront mollures en forme de cassis; tout autour pour y attacher le parement dudit autel en forme de ceulx des capucins à leur grand autel. Dessoubz se fera ung marchepied à deulx appas dont lung randira tout au tour dudict autel avec gittes au dessoubz et basse alentour en forme de mollure , les deulx aultres autelz et les carolles d'en hault seront fàictes de même façon que celuy cy-dessus et à grandeur que les places le requerront quy est de 6 piedz joing chacun; ou environ et à la haulteur de la proportion. Aux costez dudict grand autel se feront des prioirs mobiles en forme de pulpitres avec asselles de quartier esgouchez sur un pieu de coulomnes tournées et ung marchepied assemble sur gittes. Audevant dudict autel seront deulx coulomnes aiant pied d'estal et toutes leurs proportions lordre joincq avecq une frize et cornice à costez seullement taillées à l'antique à deulx paremens hors et dedans. Aux deulx rangs dudict coeur seront huict fourmes en hault dung posté et huict aultres en aultant de basses formes. Les marchepiedz desdites fourmes haultes seront gittes posées dessoubz chasque parclose longues chacune de 6 piedz de 4 et 5. Le dessus sera ung plancher de dasselles de quartier rabottées. Les parcloses ou costez desdites fourmes jusques à l'acoudoir seront de 3 piedz de hault ou environ et large de 15 pouches. Lederrier desdites fourmes au dessoubz des sellettes sera une. pièche randissante à


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haulteur desdites selletes et d'espesseur de 3 pouches ou environ en laquelle lesdites parclosses seront assemblées. Et le siégé levant sera de 10 pouches de 4 pouches d'espais avecq ung cul de lampe enrichi. La pièche de l'acoudoir sera large dé 13 pouches et de 3 pouches despesseur avecq une mollure. Sur ledict siége sera ung peneau tout uny pour faire le dosseret assemblé avecq reingnures ou hennes. Et le dessus desdictz siéges se continuera en la mesme forme que la devanture dudict dozal en dehors sauf que les peneaux ne seront perchez à jour ains à boche ravalez par dedens et par dehors seront des demy balustres jusques aux pilliers qui se voiront par leglise attachez sur les peneaux, et le surplus desdictes fourmes sera faicte de peneaux ravalés à deulx paremens .Au bout desdicts rangs de fourmes seront deulx huis de fortes lambourdes, haulte chacune de 7 pieds et le dessus à la haulteur desdictes fourmes avecq balustres et peneaux frize et comice pomme ladicte devanture pour en suivre l'ordonnance de l'oeuvre. Les dossiers des basses fourmes seront haultes de 2 piedz et demy et les dits dossiers seront d'assemblage les costez et les acoudoirs des sièges mobiles de mesme que ceulx d'en hault avec ung marchepied de 2 pouches de hault pu environ. Au bout des dictes fourmes; de deulx rangs seront des parcloses enrichies; de quelqz taille tournée. Contre la grande verrière sera ung bancq faict à coulomnes ouvert au bas avecq dossier à la hauteur de la verrière long de 20 pieds avecq acoudoirs aux deulx boultz et passez servant de marchepiedz. Et les bancqs des chappelles ou oratoires randissans tout autourr seront faicts de mesme sauf la partie qui sera au long de la parois de dehors desquelz seront faict à coffre et semblablement les deulx parties au costé du grand autel jusques aux fourmes le tout avec dossiers à haulteur d'ung peneau contre


— 167 - ies verrières où ne se peuvent avoir plus grande haulteur et en aultres endroictz a 2 peneaux et frize selon que l'oeuvre requerera, et ceulx contre les dictes fourmes adossez seront faictes comme celui contre les grandes verrières et auront tous les lesdits bancqs leurs passez randissans de 5 à 6 pouches. Se prendra au boult des bancqs a l'entrée du costé du cloistre ung huis d'assemblage avecq. plat pilastre cannelé et peneaux conformes ausdictz bancqs avecq cornice frize architrave et timpane ou couronne. Item se feront quattre petitz pulpitres a glacis à deulx costez dont chasques rang en aura deulx lesquelz seront posez sur des bourdons attachez avecq manuels au boult d'ung acoudoir des fourmes d'en bas.Le lambris se fera en parquetz dessoubz le plancher aveq cadres renfondrez de 24 pouches quarrez avecq des roses ravalantes de 8 a 9 pouches et poires pendantes en diverses formes sy comme en diamans, en ovals, avecq les foeuillissemens de tous les somiers et seront lesdits cadres au nombre de 166 ou environ. Bien entendu que rien ne sera fait a colle ains le tout assemblé, chevilé et cloué bien et deuement.

Item délivrer tous les cloux chevilles de ses pentures, serures, cleincques et toutles aultres choses généralement faict et parfaict assises et mises sur le lieu aux frais et despens de l'ouvrier, le tout estant faict de bon bois de chesne tel que de Mormal ou aultre, scié sur coeur quartier pour avoir leurs mailles belles et bien paraissantes et ne sera mis en oeuvre qu'il ne soit bien secq sans aulcun mauvais noeud vice ou ou deformité et les toictures seront aussi à la charge dudict ouvrier ou entrepreneur et pareillement tous les hourdages et ce qui en dépend, et est requis sans pouvoir demander quelque récompence cy après pour les choses susdictes et generalement rendre l'oeuvre bien faicte et par-


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faicte sur ledict lieu, et ce trouvant par gens en ce cognoissans. Monseigneur lE prélat de St Vaast luy fera paier la somme de XVIIIe florins et sera submis et obligé de prendre en paiement le bois que mon dict sieur luy vouldra advancer et sera aussy submis d'avoir achevé toutes les dites ouvrages rendu et assis en ladite église de St Grégoire pardedens le jour de St Jean Baptiste l'an mil six cent vingt trois. Et à faict que l'oeuvre ira avant, l'argent luy sera compté à l'advenant; et sera tenu passer et recognoistre pardevant nottaires ce présent marché En tesmoing de quoy mondict seigneur at seigné ce présent accord le dernier d'apvril 1621. — (Reg. aux marchés, f° 585, v°.)


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H Ferronnier pour Douay,

Monseigneur le prélat de St Vaast d'Arras a fait marché avecq Venant Tronnel, marchand et feronnier demt à Douay, pour toutes les parties de fer que sont besoing avoir pour les ouvraiges de l'église dû collége de St Grégoire et de tous aultres lieux quy se feront à l'advenir audit Douay, ce que ledit Tronnel a empris faire et livrer bien et deuement en saison, de bonne et lealle marchandise, en telle forme et de tel eschantillon que luy sera ordonné et que l'oeuvre requerra, sans pouvoir applicquer plus de fer que sera besoin, à paine de n'estre paié de ce qui sera débordant et ce pour les prix qui s'ensuivent :

Pour le livre de fer ou grosse ouvraige comme ancres, barreaux, estriers, hez à grepper hauts de nocqs, gondz, pioches plattes, bondes et tels aultres ouvraiges, XIII d. ob. d'Arthois.

Le livre en chevilles. II s.

Le ferure et garniture entier des huis tels que se voient aux chambres dudit collége. xl s.

Chascune croisée ferrée de quattorze paires de fices a double noeud six veroux et quattre clinques sur platinnes a escaffettes escaignées en paielle de fin estaing furnie de crampons, boutons et de six clouz à pattes de demi pied, les deux derniers faisant une pleine croisée à un lib.

Et en cas que ne se trouve ledit nombre de fices, veroux et clinques, se déduiront pour chacune paire de fices, veroux et clinques. IIII s.

Le tout à la monnoie d'Arthois et à la charge que ce marché durera tant qu'il plaise audit sr prélat. En tesmoing de quoy a signé ce présent marché avecq ledit Tronnel, le XVIIe d'octobre 16 1 4.

MÉMOIRES.—2e SÉRIE, T. XV. 12.


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Reconnaissance du magistrat de Douai par laquelle il déclare que moyennant les 400 florins qu'il a recus de l'abbaye, les religieux seront déchargés à toujours des droits; seigneuriaux et d'indemnité pour les maison qu'ils ont acquises à Douai, 1634. 6 Avril 1634 — Déclaration des échevins qui annonce que D. Philippe de Caverel a fait bâtir le collége Saint Grégoire près Saint-Albin, que la ville lui doit reconnaissance pour cet établissement qui l'embellit et qu'en conséquence, au moyen d'une somme stipulée, il est fait remise à M. l'abbé

de tout droit d'indémnité qu'il pourrait devoir pour hérilages

hérilages suit la date de cette délibération ( Reg. aux Mém. de 1604 a 1644, f° 250. 6 avril 1634.) En considération du bien et embellissement qu'à apporté,: à cette ville et Université le collége de Saint Grégoire, qu'a fait bâtir près de Saint-Albin Philippe de Caverel, prélat de l'église et abbaye de Sainte Vaast d^rras, les échevins au moyen de 400 florins Carolus de 20 patars pièche monnoye d'Arthois, quittent tous les droits d'indemnité pour

les héritages acquis par le dit abbé.


171

J

In Christi nomine amen.

Frater Rudesendus Barlo, presbyter et monachus ordinis sancti Benedicti sacras theo'ogiae doctor, congregationis Anglicanae Benedictorum presses, et conventus sancti Gregorii Anglorum ordinis et congregationis ejusdem Prior, necnon et coeteri monachi conventus praedicti professi suo successorum nomine, per hoc praesens instrumentant notum fieri cupiunt universis Christi fidelibus quorum intererit illud cognoscere, maximé autem reverendissimo in Christo Patri ac domino D. Philippo Caverel, abbati sancti Vedasti Atrebatensis Patrono, fundatori, conservatori atque visitatori suo, Reverendis etiam domini prioribus, Praepositis, caeterisque religiosissimis patribus ac fratribus praememoratae abbatiae Vedastinae monachis, Dominis ac fundatoribus suis. Quod quam Reverendissimus Dominus Philippus abbas praefatus, intuitae divinae bonitatis religionisque, sanctae promovendae gratiae, excellentique ergà pauperes alumnos suos praedictos conventus sancti Gregorii monachos misericordiâ commotus, post alia quamplurima beneficia insignia egregiam donationem nuper eisdem concesserit, tenoris sequentis ;

A tous ceux qui ces présentes lettres verront, Phillippe, par la grâce de Dieu, abbé de l'église et abbaye de Saint Vaast d'Arras, immédiatement subject au St-Siége apostolique, ordre de St-Benoit, salut; Savoir faisons que, comme passé quelque temps nous aurions acquis de Louis Lanssel et Antoinette Dailly certain héritage anciennement nommé La Salle ou Tourelle, séant au village de Esquercin, contenant dix mesures XXIIII verges ou environ de manoir,


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prairies, eaux, fossés et terrés labourables le long le courant de la rivière appellée les Escrebieux, et tenant de l'autre costé à la grande rue, et de boult a l'héritage de Louis de Bois, sans que jusques à présent ayant uni ou incorporé le dit héritage à la masse du bien ou table de l'abbaye, ains le laissé à la commodité du collége qu'avons naguêres basty en Douai auquel nous aurions recu et placé, du moins en partie d'iceluy, certains religieulx anglais, et ayant veu et recognu par expérience signamment des années dernières qu'il est fort expédient que les dits religieulx anglais aynt quelque lieu pour se pouvoir retirer en temps de la maladie contagiense, et aultres mesures pour se recoeuillir et prendre quelque relâche des estudes et aultres occurrences. Avons donné et donnons par ceste aulx dits religieulx anglais, sur la remontrance et humble requeste qu'ilz nous en ont faict, l'usage fruictz et commoditez du dict héritage ainsi comme il est clos, planté et amasé en telle forme que leur avons faict donation de la partie dudict collége par nos lettres du XXIII septembre 1619 et acceptation d'iceulx, par leurs lettres du XIIe d'octobre du dict an, avec faculté d'y bastir, fouyr, planter, faire closture et toutes aultres commoditez qui seront trouvées convenir, et en effet en jouir, user et possesser par eulx et leurs successeurs depuis ce jour d'huy et avant héritablement et à tousjours. A charge de par iceulx payer et acquitter les canons, rentes et renvoix et toutes autres charges dues imposées ou à imposer dont le dict héritage est ou poldroit estre chargé à l'advenir et à condition aussi que si les dicts religieulx ou successeurs venaient à quitter et abandonner le dict manoir pu héritage, iceluy retournera de plain droict en tous proficts quicte et libre de tous arrérages dé rentes et renvoix à nostre dicte église et


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abbaye; sans que lesdicts religieux et successeurs le puissent aulcunement charger, vendre ou aliéner à qui ou pour quelle cause que ce soit ou puisse estre mesme pendant ladicte jouissance. Nos religieulx, estudiants, ou demeurants audict collége poldront aussi user quelques fois de la commodité dudit lieu pour se recoeuillir et prendre quelque relasche des estudes et s'y retirer en cas de maladie , incommodant touteffois le moins qu'ils poldront lesdicts religieulx Anglais, et sans les empescher de jouir des fruicts et proufficts d'iceluy, désirant que par une sincère amitié entre noz dictz religieulx et les dictz religieux anglais et successeurs, demeuré et soit continuée à toujours une très bonne correspondance, aide, confort et consolation mutuelle à la gloire de Dieu, édification du peuple et salut d'iceluy. En tesmoing de quoy, avons signé ceste et y faict apposer notre scel du deuxiesme jour de décembre mil six cent vingt six.

Philippe, abbé de Saint-Vaast

Idcirco dictas F. Reverendus, Barlo, prior conventus sancti Gregorii, caeterique omnes ejusdem conventus monachi expresse professi suo successorum suorum nomine per hoc instrumentant sigillo congregationis et conventus munitum prefitentur, cum omni gratiarum actione, synceraque animorum submissione, acceptare predictam donationem sub eâ formâ eisdemque conditionibus quibus est facta, et in praeinserto donationis instrumento expressis verbis comprehensa; promittentes per Dei gratiam se ejusdem donationis formam conditionesque fideliter et inviolabiliter observaturos, daturosque operam, ut verâ gratitudine humili observantiâ promptis obsequiis infatigabilique zelo ergà praedictum Reverendissimum Dominum Philippum abba-


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tem, fundatorem suum, sanctumquae conventum monasterii Vedastini, inveniantur non omnino indigni, in quos tam crebra et singularia beneficia fuerint collocata. In quorum fidem testimoniumque perpetuum bis acceptationis literis sigillum congregationis Anglicanae Benedictinorum et conventus sancti Gregorii dicti insuper Proesides et secretarii ejus chirographum apponi curaverunt, Duaci in conventu St-Gregorii die xxve januarii anni millesimi fexcentesimi vigesimi septimi.

F. Rudesindus Barlo congregationis anglicanae Benedictinorum Praeses et conventus sancti Gregorii Anglorum ordinis et congregationis ejusdem prior.


- 175 — K Bendictus P. P. XIV.

Ad futuram Dei memoriam.

Exponi nobis nuper fecerunt dilecti filii, prior et monachi Angli prioratus sancti Gregorii Duaci, ordinis sancti Benedicti, quod dudùm anno nempè MDCXIX tunc in humanis agens Philippus de Caverel, abbas abbatiae Sti Vedasti, vulgô de St-Vaast d'Arias, nunc et per dicti ordinis fundum, seu capitale in prioratu presbitero assignavit pro manutentione duodecim monachorum dicti ordinis; prescriptis tamen quibusdam conditionibus seu oneribus a duodecim monachis hujusmodi pro tempore adimplendis, nempè ut ipsi non solum omnia et singula per regulare dicti ordinis înstitutum authoritate Apostolicâ confirmatum, et per constitutiones congregationis Benedictinae, praescripta observare; verùm etiam us studiis operam dare quae necessaria forent, ut sacras in regno Angliae missiones peragere pussent ac philosophiam sacramque theologiam perlegere juvenesque qui ex praefato regno eorum cure et regimini eâ de causâ eis pro tempore committerentur, in fidei catholicae religionis rudimenta, pietatemque erudire, ac officium beatae Mariae Virginis Clarâ voce quotidiè recitare et psallere deberent, et alias prout in ipsius Philippi abbatis fundatione plenius dicitur contineri. Cum autem sicut eadem expositio subjungebat, dicti exponentes qui (ut assarant) licet prescripta impolitaque onera hujusmodi semper adimpleverint, et ad illa in posterum observanda parati sint, nihilominùs competerint, post quam duodenarius monachorum hujusmodis numerus ob presentium temporum circumstantias, quibus catho-


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lica religio in regno praefato non animi nostri maerore vexatur defecerit, et vix unus aut duo de qua driennio in quadriennium hibitum per monachos dicti ordinis gestari, salutem in dicto prioratu suscipiant ; quod onus partum non bene magno valetudinis suas detrimento adimplere possunt, et pro illo explando caeteris peculiaribus oneribus incombera nequeunt ; ac proindè ab onere psallendi et recitandi officium praefatum per nos eximi, sibique in praemissis à nobis provideri, et ut infra indulgeri desiderent. Nos ipsos exponentes specialibus favoribus et gratiis prosequi volentes, et eorum singulares personas et quibusvis excommunicationis suspensionis et interdicti aliisque ecclesiasticis sententiis , censuris et paenis à jure vel ab homine quavis occasione vel causâ latis, si quibus quomoholibet innodatae existunt, ad effectum praesentium dumtaxat consequendam harum serie absolventes et absolutas for censentes ; ac fundationis hujusmodi tenorem, et alia quecumque etiam specificam et individuam mentionem et expressionnem requirentia proesentibus pro plenè et sufficienter expressis et insertis habentes, supplicationibus eorum nomine nobis super hoc humiliter porrectis inclinati, modernos et pro tempore existentes monachos ordini sancti Benedicti dicti prioratus St-Gregorii Duaci ab onere quotidié canendi, recitandi et psallendi officium beatae Mariae Virginis, per memoratum Philippum abbatem in fundatione partam imposito, authoritate Apostolica tenore presentium eximimus et liberamus, ac exemptos et liberatos esse, nec eos eâ de causa aliquam in obedientiae notam, aut caducitatis paenam incurrere dictâ authoritate decernimus et declaramus, decernentes easdem presentes litteras, semper firmas, validas et efficaces existera et fore, suosque plenarios, et integros effectus sortiri et obtinere, ac mona-


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chis partis plenissimè suffragari sicque in praemissis per quos cumque judices ordinarios, et delegatos etiam causarum palatii Apostplici auditores judicari et definiri debere, ac irritum et inane si secus super his a quo quam gravis aucthoritate scienter vel ignoranter contigarit attentati. Non obstantibus quatenùs opus sit, dictae fundationis, quam quoad premissa sufficienter et expressè derogamus, acconstitutionibus et ordinationibus Apostolicis, caeterisque contrariis quibuscumque. Datum Romae apud sanctam Mariam majorem sub annulo piscatoris die xx Martii.

Erat signatum, Gardinalis passioneus.

Ego infra scriptus capituli monasterii Sti Vedasti secretarius, testes hoc exemplos confirme esse originali, mihi exhibito, à R.D. priore conventus Anglo-Benedictini, die 27 Aprilis 1748, ipsique R. D. priori eodem die post collationem reddito Atrebati, in monasterio dicto Sti vedasti.

Signé : D. Jc. Lemercier.


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L

Lettre de rente créée par le comte de Bossu au profit dudit collège au capital de 9.000 fr. qu'il en a reçus et au cours de 400 francs. 1630.

Lettres du loi d'Espagne par lesquelles il reconnaît devoir audit collége une rente de 100.000 fr. en capital au cours de 5.000 fr. à payer sur ses domaines de Douay, d'Aire et de Béthune. 1038.

A ces lettres est joint le certificat de payement de la dite somme de 100.000 fr. du 31 mars 1638.

Lettre de rente créée par le magistrat de Douay au profit du collége au capital de 10.800 florins, au cours de 600 fiorins. 1650.

1667.— Contrat de vente au profit dudit collège de 5 mesures 1 /2 de terre en plusieurs pièces au terroir de Noyelles.

1667.— Lettres de donation des terres de Warendin contenant la 1/2 de treize mencaudées 1/2 faites par Charles Lernould au collége de St-Vaast.

1667. — Testament en forme de codicile de Charles Lernould par lequel il donne une somme d'argent ou un fond de terre à Acheville pour fonder quelques bourses dans ledit collége.


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M

Requête adressée au Roy pax le cardinal de Bouillon, abbé de St-Vaast ; et les Religieux, grand-prieur et couvent de la dite abbaye et les administrateurs du collèges de St-Vaast d' Arras, pour obtenir l'union au collège de St- Vaast à Douai, de l'hôpital dit de St-Nicolas du Dechy, situé à Sin-le-Noble. 11 Mai 1696. - (Extrait des registres du conseil privé du Roy.) Vu au Conseil du Roy, la requête présentée à sa Majesté par le cardinal de Bouillon, grand aumônier de France, abbé de l'abbaye de St-Vaast d'Arras, les religieux, grandprieur et couvent de ladite abbaye et les administrateurs du collège de SteVaast d'Arras ; contenant que le collège a été fondé par un abbé de St-Vaast d'Arras en la ville de Douay, qu'il est un membre dépendant de la dite abbaye de St-Vaast, que les établissements dudit collège des religieux bénédictins anglais y furent mis pour régenter les classes, et que du nombre des étudiants en ce collège, il y a toujours plusieurs pauvres anglais de la religion Catholique, Apostolique et Romaine les quatre administrateurs dudit collége sont les grand prieuret le grand prevost de l'abbaye de SaintVaast, le principal du collége et le prieur des religieux bénédictins anglois de Douayi, en sorte que les religieux de la dite abbaye qui estudient en ce collége avec les Bénédictins Anglois, ne font tous qu'un mesme corps. Et comme par le malheur des guerres et autres accidens, les revenus du collége sont considérablement diminués, ces pauvres religieux et escoliers anglois en ont beaucoup souffert par le retranchement de plusieurs commoditez qu'ils avaient auparavant, et mesme par la privation de diverses choses nécessaires à une honeste subsistance, ce qui auroit


obligé les administrateurs, qui estoient en mil six cent soixante six à la ville de Douay sous la domination d'Espagne, de recourir à Sa Majesté catholique pour luy demander l'union audit collége d'un petit hospital, lors désert et abandonné depuis trente ans, et que les revenus qui en dépendent fussent employés à soutenir une partie de la dépense du dit collége et conserver par ce moyen les pauvres religieux et escoliers anglois dans la jouissance du bien et des; avantages que le dit abbé fondateur a eu l'avantage de leur procurer. Cest hospital, appelé de SAINT NICOLAS DU DECHY, est scitué au village de Sin-le-Noble; proche la dite ville de Douay. Le roi d'Espagne ayant été informé que depuis longtemps l'hospitalité n'y avait pas été gardée et quelles dits religieux estudians anglois seroient congédiés dudit collége, s'il ne leur estoit donné quelque secours pour aider à les faire subsister ,Sa Majesté par des lettres patentes du mois de may de cette année mil six cent soixante six, suivant l'avis et délibération du marquis de Castel Rodrigo, son conseiller d'Etat et lieutenant général au Pays-Bas, auroit accordé aux administrateurs; du dit collége la jouissance des revenus de cet hospital pour l'entretenement des pauvres estudians anglois à la charge de célébrer trois messes par semaine et de distribuer du pain aux pauvres en certains jours de l'année, en exécution desquelles lettrespatentes les dits administrateurs auroient fait tous leurs recherches et frais nécessaires pour découvrir en quoy consistoient les revenus dudit hospital, originairement institué, basti et fondé pour y recevoir les pauvres pélerins qui alloient visiter les lieux saints. Cette grâce accordée audit collége a produit, durant quelques années, tous les bons effets que l'on s'en estoit promis ; mais en mil six cens soixante seize, en vertu d'un arrest par deffaut en la cham-


bre royalle, en exécution de l'édit du mois de décembre mil six cens soixante douze, les religieux de l'ordre de Saint-Lazare de Notre-Dame du Mont-Carmel ont privé ledit collège de la jouissance des revenus de cet hospital et ont obligé les dits administrateurs de leur en délivrer tous les titres et papiers qui le concernent, à l'exception de. quelques comptes et des sus dites lettres patentes du mois de may mil six cent soixante dix, qui sont restés audit collége en original. Et d'autant que par édit du mois de mars mil six cent quatre vingt treize, Sa Majesté a désuni dudit ordre tous les hospitaux, malladries et léproseries du royaume, lesquelles ont esté unis en vertu de l'édit du mois de décembre mil six cens soixante douze, que les supplians ont tout sujet d'espérer que, conformément à la disposition tant de cet édit que des déclarations des mois d'avril et d'août intervenus : En conséquence que les revenus dudit hospital de Saint Nicolas de Dechy, seront réunis à ceux du collége de Saint Vaast pour estre employés comme auparavant l'Edit du mois de décembre mil six cens soixante douze, à partie de la subsistance et entretien des religieux anglois et des pauvres escoliers de cette nation estudiant audit collége l'article onze de la déclaration du mois d'août mil six cent quatre vingt treize y est precize ; les revenus des hospitals aiant esté donnés au collége par forme d'augmentation de charges pour empescher , ainsi qu'il est porté par les susdites lettres patentes du mois de may mil six cens soixante et dix, que les dits religieux et escoliers congédiez et renvoyez faute de fonds pour leur nourriture et subsistance, et en effet il ne se peut faire desditz revenuz une distinction plus pieuse et en mesme temps plus charitable pour les pauvres que les appliquer aux besoins et pressantes nécessitez de. ce collège en faveur des pauvres rèligieux et étudians anglais,


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particulièrement dans le temps d'une si étrange et opiniâtre persécution des catholiques en Angleterre. A ces causes et attendu que lors des capitulations des villes de Flandres qui sont retournées soubs l'administration de sa Majesté, elles ont esté maintenues et conservez par des articles exprès, dans tous les usages, droits concessions et privilèges qui leur ont estés accordés par les roys de France et d'Espagne dont elles étoient en possession. Requeroient les supplians qu'il plust à sa Majesté, en conséquence de l'édit du mois de mars mil six cens quatre vingt treize et des déclarations du mois d'avril et aoust suivant, restablir les administrateurs du dit collège de St-Vaast à Douay, dans l'Administration des revenus dépendant dudit hôpital de St-Nicolas de Dechy, ce faisant leur permettre de rentrer en la possession et jouissance de tous les biens et revenus dudit hôpital pour estre employez comme auparavant l'édit du mois de décembre mil six cent soixante douze, suivant la distinction marquée par les lettres du Roy d'Espagne, du mois de may mil six cens soixante dix, à la nourriture et subsistance des religieux anglais et des pauvres escoliers dudit collège avec deffenses à toutes personnes de troubler lesdits administrateurs en la perceptiou desdits revenus, et à cet effet ordonner que tous les titres et papiers concernant ledit hôpital seront rendus et restituez ausditz administrateurs par ceux qui s'en trouveront dépositaires, la dite requête signée Guisain, advocat des supplians, Veu aussi les dittes lettres patentes du Roy d'Espagne du dix sept de may mil six cens soixante dix, portant don aux administrateurs du collège de St-Vaast et Monastère des religieux bénédictins anglais de l'ordre de St-Benoist, de l'administration du revenu entier de l'hôpital jadis fondé au village de Sin-le-Noble par un chanoine de Cambray,


nommé Asson, et incontinent après dotté et augmenté par

Philippe d'Alsace, comte de Flandres pour les pauvres passant

passant aux Saintz dieux, avec facultez d'appliquer

lesrevenant bon desdits biens dudit hôpital à l'entretenement desdits religieux et pauvres étudiants à la charge de troismesses par semaine et de faire distribuer le pain aux jours de l'année qui pouvoit avoir esté distribué jusqu'alors, Extraitsi faits par Taverne et Bacquet Nottaires royaux d'Artois de la résidence de Douai, le neuf de juin mil six cent quatre ving quatorze, de deux comptes rendus aux administrateurs de St-Vaast en la ville de Douay par le sieur Alexis Desbaux; receveur des biens et devenus dudit collège les vingt sept uin mil six cent soixante dix et dix neuf mars mil six cent soixante onze; par lesquels extraits il paraist qui au premier des comptes est employé en recepte les sommes y portées provenant de la vente des bleds receus, de l'occupeur de l'hospital de St-Nicolas de Sinles-Dechy, pour la? dépouille mil six cent soixante noeuf. Etqu'au second des dits comptes, il est fait mention de bail passé de la cense appelée de l'hospital de St-Nicoas de Sin-les-Dechy, le vingt d'aoust mil six cens soixante dix au rendage année y portée. Le dit arrest de la chambre royale du vingt six d'aoust mil six cent soixante quinze rendu au profit des sieurs de l'ordre de Notre-Dame du Mont-Carmel et de St-Lazare de Jérusalem. par forclusion allencontre des administrateurs dudit collége de St-Vaast, monastères des pèresBénédictins anglais dits de St-Georges à Douay-et de l'hospital de St-Nicolas de Sin-les-Dechy et dudit sieur Desbaux, receveur dudit hospital et par deffaut et contre les Révérends pères Probat naire de Nobles, et Robert Hutin, eschevins modernes du

Danchin, Jean Du Bois, licencié es droits, prestre du sémi-


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dit Douay, cy-devant administrateurs dudit hospital SaintNicolas-de Sin lez-Dechy , par lequel arrest tous les administrateurs et possesseurs dudit hospital que lesdits Du Bois Danchin et Huttin ont esté condamnés de désister et de partir au proffit dudit ordre de la possession et jouissance dudit hospital de Saint Nicolas de Sin les Dechy, biens et revenus en dépendant, et de remettre tous les filtres, papiers et enseignements qu'ils avaient concernant ledit hospital, biens et revenus d'iceluy.

Copie collationnée par Du Maisnil et ledit Bacquet nottaires royaux d'Arthois de la résidence de Douay et légalisée

par les eschevins de Douay le quinze de janvier mil six cent quatre vingt quatorze, d'ordre et pouvoir des administrateurs du collège de St-Vaast de Douay au curateur des enffans mineurs dudit sieur Desbaux, vivant receveur dudit collège du vingt noeuf d'octobre mil six cent soixante seize, de remettre entre les mains du commissaire du Roy, les coffres, papiers et lettrages appartenant à l'hospital de

Saint Nicolas de Sin lez Dechy et le récépissé et, descharge du sr Conatien, fondé de procuration des dits sieurs; de l'ordre audit tuteur du dernier du même mois d'un coffre dont la clef se seroit retrouvée, dans lequel ledit tuteur lui auroit déclaré estre les tiltres et papiers concernant les biens dudit hospital de Saint Nicolas lez Dechy, lettre escrite à Monsieur le chancellier par le sieur Dugué de Bagnols, conseiller d'Eslat, intendant et commissaire départy en,Flandres, le vingt cincq d'avril dernier, au sujet dudit hospital scitué au village de Sin-le-Noble près de la ville de Douay et portant entr'autres choses que le collége de St-Vaast à Douay est destiné pour la subsistance des religienx Bénédictins anglais qui y enseignent, et pour donner donner moyen à des estudians de la même nation de s'y


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instruire; que cette maison est pauvre, qu'avant l'union à l'ordre de St-Lazare, elle tirait du secours de la jouissance des revenus de cet hospital, qui peuvent valoir trois à quatre cens livres par an et que la conjonction présente dans laquelle les catholiques anglais sont obligez de chercher un azille en France contre la persécution qu'ils souffrent dans leur pays, mérite d'être considérée et peut faire espérer que Sa Majesté voudra bien accorder au collége des lettrespatentes d'union dudit hospital pour payer et supporter les charges et autres pièces jointes à ladite requeste, conclusions du sieur procureur-général de la Commission. Ouy le rapport du sieur Deharlay conseiller d'Estal et suivant l'avis des sieurs commissaires députez de Sa Majesté pour : de l'édit du mois de mars XVIe quatre vingt seize et tout considéré, le Roy en son Conseil ayant égard à ladite requeste, a ordonné et ordonne que les administrateurs du collége de St-Vaast à Douay seront remis et réintégrez en l'administration, possession et jouissance des biens et revenus dudit hospital de St-Nicolas de Sin lez Dechy pour en jouir à commencer du premier de juillet mil six cens quatre vingt treize comme auparavant l'arrest de la chambre royalle du vingt aoust mil six cent soixante quinze et employer les revenus au proffit des pauvres religieux Bénédictins anglais et pauvres estûdians conformément aux lettres patientes du Roy d'Espagne du dix sept de mai mil six cent soixante six et aux charges y portées ; à l'effet de quoy ils se pourvoiront pardevant Sa Majesté pour obtenir des lettres pattentes de confirmation. Ce faisant, les fruicts et revenus des dictz biens eschus depuis le dit jour premier de juillet mil six cent quatre vingt treize estant tant es mains du commis et préposé par le sieur intendant déMEMOIRES.

déMEMOIRES. 2e SÉRIE, T. XV. 13.


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party en flandres à la régie des biens et revenus désunis de l'ordre de St Lazare, qu'entre les mains des fermiers et débiteurs dû dit hospital seront bâillez et délivrez ausditz administrateurs, déduction préalablement faite des sommes, payées pour l'acquittement des charges, et de ce qui se trouvera avoir été distribué aux pauvres des dicts fruictz et revenus en conséquence de l'arrest du Conseil d'Etat duvingt deux décembre mil six cents quatre vingt treize à ce faire; les dépositaires contrains par lés voyes par lesquelles ils y sont tenus. Ce faisant, ils en donneront bien et vallablement quitte et deschargez, et les tittres et papiers, concernans ledit hospital, biens; et revenuz en dépendant remis audit ordre de St Lazare en exécution dudict arrest de la chambre royalle seront rendus ausdicts administrateurs, à ce faire les dispositions contraires, ce faisant biens et vallablement déchargez. Fait au Conseil d'Etat privé du Roy tenu à Paris le unziesme jour de may mil six cent quatre vingt seize, signé Tullier. Et a costé : Collationné avec paragraphe.

Collationné à son original exhibé et rendu et trouvé concorder par les dits Nottaires royaux de la résidence d'Arras soubsignez le vingt troiziesme d'avril 1697.

Signés : MOINARD-BAUDELET. Controllé à Arras le 28 avril, 1697, Reçu, 5 Solz. Signé: ROUGET.

il septembre 1696. — Arrêt du Parlement de Tournai qui ordonne l'enregistrement des lettres patentes portées parle roi au mois de juin précédent pour l'union de l'hôpital de St Nicolas de Dechy situé à Sin-le-Noble, au collége de St-Vaast de Douai.


Donation, par arrêt du Roy d'Espagne, de l'hôtel de Sains les Dechy au collége de St Vaast, 1696.

Arrêt du conseil d'Etat qui réintègre le dit collége dans la possession et jouissance du dit hôpital et de ses revenus,

1696.

Commission pour mettre ledit arrêt à exécution, même année.

Exploit de signification dudit arrêt au receveur dudit hôpital, 1696.

Lettres patentes qui confirment lesdits deux arrêts, 1696.

Exploit contenant signification desdits arrêts et lettres patentes aux occupeurs des biens dudit hôpital et défenses à autres qu'au collége.

Requête au Parlement de Tournay pour demander l'enregistrement des arrêts et lettres-patentes de 1696.


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N

Contrat d'achat par les administrateurs du collége d'une maison en la rue Saint Albin, 1700.

Contrat par lequel le collége cède à l'abbaye la Seigneurie d'Halloy avec tous ses droits, en récompense de quoi l'abbaye laisse au collége les manoirs et terres faisant le domaine de la dite seigneurie et la décharge de tous droits seigneuriaux échus et à échoir' pour les dits manoirs et terres; 1702; — La ratification du contrat est aupied d'icelui. Défense par les échevins de Douai à tous bourgeois et autres d'entrer au collège pour y jouer, ou en la terrasse qui est vis-à-vis, aux peines y portées, 1703.


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O

Ordonnance du oy déclarant les écoles de théologie du collége de St-Vaast à Douay académiques, et autorisant les élèves qui y ont fait ou y feront leurs cours, à prendre les degrez dans la faculté de cette cour.

Mandement royal pour mettre ledit arrêt à exécution avec la relation de l'huissier exécuteur du mandement, — 1729.

Extrait des Registres du Conseil d'Etat du Roy.

Veu par le Roy étant en son conseil l'arrest rendu en icelui, le 8 juin 1716, par lequel Sa Majesté aurait nommé le sieur de Bernières commissaire du Roy en ses conseils M* des requêtes ordinaires de son hôtel, intendant de justice, police et finances en flandres, le sieur abbé de La Croix, prévost et chanoine de l'église cathédrale d'Arras et le sieur Enlart d'Egremont, Conseiller au conseil provincial d'Artois, pour, en qualité de ses commissaires, faire la visite de l'Université de Douay, examiner les abus qui s'y étaient introduits, se faire représenter les statuts et réglements de ladite Université, en dresser des procès-verbaux, tant pour la discipline que pour le temporel, et donner sur le tout leur avis à Sa Majesté, ainsi que sur les réglements qu'ils croiraient qu'il y aurait lieu de faire pour la réforme de la dite Université, la requête présentée aux dits Commissaires par les sieurs,Desvignes, religieux de l'abbaye de St-Vaast et régent principal du collège de cette abbaye, tant en son nom qu'en celui des religieux de la dite abbaye, tendant à ce que pour les causes y contenues, les leçons de théologie dudit collège de St-Vaast, fussent déclarées académiques et en conséquence qu'il fut ordonné que les écoliers de théologie, tant séculiers


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que réguliers, étudiant audit collége, seraient admis à l'examen et promus aux degrez de là faculté selon leur capacité, en payant les droits accoutumez, ladite requête signifiée au doyen de la faculté de théologie le vingt-deux août 1716, réponses des docteurs et professeurs de la faculté de théologie jointes à eux les autres facultez de l'Université tendants à décliner la jurisdiction des dits commissaires signifiée aux. dits religieux le dernier aoust 1716, réplique dudit sieur Desvignes, à la suite de laquelle est l'ordonnance des sieurs commissaires du dix septembre de la dite année, portant injonction à la faculté de théologie de répondre à la requête dudit jour vingt deux août, pour être par les commissaires rendu compte aux commissaires de Sa Majesté de l'etat de l'affaire et être par elle décidé: ce qu'il conviendrait. Le tout signifié au doyen de la faculté le même jour, dix septembre 1716; réponse de la faculté de théologie en conformité de ladite ordonnance; contenant les moyens d'opposition à la demande du régent du collège de St-Vaast signifié le quatorze dudit mois audit sieur Desvignes ; la réplique dudit sieur Desvignes, à la réponse précédente signifiée, le vingt de septembre 1716, au doyen de ladite faculté, l'avis du commissaire étant ensuite du procès-verbal par eux rédigé des dires et contestations des parties du 20 novembre 1716 ; l'avis donné sur là même contestation par le feu sieur de Bagnols, commissaire d'Etat, intendant en Flandres, le 22 juin 1698; un extrait deuement collationné des lettres patentes accordées par l'Archiduc Albert en 1619, portant permission à l'abbé de St-Vaast d'achever de bâtir et fonder un collège dans la ville de Douay aux conditions portées par les dites lettres, un arrest du conseil privé de Bruxelles du 26 juillet 1614, par lequel, sur une pareille contestation meue emtre les


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jésuites et la faculté de théologie de Douay, il aurait été ordonné qu'en conséquence des privilèges, accordés aux dits jésuites en 1584, les écoliers qui auraient fréquenté les écoles et pris leurs leçons théologiques, seraient admis aux degrez de faculté comme s'ils avaient étudié sous les professeurs ordinaires de ladite Université ; plusieurs certificats des échevins de la ville de Douay, du lieutenant général de la gouvernance, du président du Séminaire des Anglais et de plusieurs membres de l'Université en date du 10 juillet 1694, 18 et 27 décembre: 1698 et vingt un janvier 1699, portant que les étudiants de théologie au collège de St-Vaast ont depuis l'établissement de ce collège été admis jusqu'en 1698 aux degrez de la faculté de théologie de l'Université. Autre certificat de l'évêque d'Arras du 13 octobre 1697, portant que la doctrine qui s'enseigne audit collège est bonne et saine ; les actes d'acceptation de la constitution Unigenitus en conformité des lettres patentes du feu Roy étant que les religieux de ladite abbaye ; tant en particulier qu'au nom de la communauté en général en date du 22 septembre 1714 et 20 avril 1720, Ouy le rapport, tout considéré, Sa Majesté étant en son conseil, sans s'arrêter aux moyens d'opposition contenus dans les réponses et mémoires de la faculté de théologie et de l'Université de Douay, a déclaré et déclare les écoles de théologie du collège de St-Vaast académiques; veut et entend que les écoliers qui y ont fait leur cours de théologie ou qui l'y feront à l'avenir puissent être reçus à prendre les degrez dans la dite faculté en satisfaisant à tout ce qui est prescrit par les statuts. Fait au Conseil d'Etat du Roy, Sa Majesté y étant, tenu à Versailles, le seizième d'avril mil sept cent vingt neuf.

Signé: CHAUYN. A la pièce ci-dessus est infixée celle ci-dessous. Louis par la grâce de Dieu Roy de France et de Navarre,


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à notre huissier ou sergent premier requis, nous le mandons et commettons par ces présentes signées de notre main, que l'arrest cy attaché sous le scel de notre chancellerie, cejourd'liui donné en notre conseil d'Etat, nous y étant, tu signifies à tous qu'il appartiendra à ce qu'ils n'en prétendent cause d'ignorance, et fasse au surplus pour l'exécution dudit arrest tous exploits, significations et autres actes requis et nécessaires sans pour ceux demander autres congés ni permission, car tel est notre plaisir. Donne à Versailles le seiziesme jour de l'an de grace mil six cent vingt neuf, et de notre règne le quatorzième, signé Louis. Plus bas, par le Roy, signé Chauyn et scellé. Au dos est écrit ce qui suit:

L'an mil sept cent vingt neuf, te deuxième jour du mois de juillet, en vertu de l'arrêt du Conseil d'Etat du Roy en date du 7 avril de cette année et de la commission du grand sceaux y attaché, J'ai, Jean -Philippe Delezenne, huissier ordinaire du Roy en sa cour de parlement en Flandre, signifié ledit arrest et commission aux sieurs Amand, recteur magnifique de l'Université de Douai et à Monsieur Delecourt, doyen de la faculté de théologie de l'Université dudit Douay, et au sieur Duez, secrétaire de ladite Université, tant pour eux que pour les autres facultez et Université, en parlant au sieur Amand, à sa servante, en son domicile, au sieur Delecourt, à son portier, au séminaire du Roy, et au sieur Duez, à sa personne, aussi en son domicile, leur laissant à chacun copie dudit arrest, commission du présent exploit tant pour eux que les autres Messieurs de ladite faculté et Université à ce qu'ils aient à s'y conformer et qu'ils n'en ignorent. Dont acte les jour, mois et an que dessus, signé J. P. Delezenne. Les notaires royaux, etc, signé Louis. Thomas. Nous lieutenant général, etc, signé Boniface.


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P

Commission accordée par le Roi aux sieurs Lemercier, professeur en théologie au collège de St Vaast à Douai et au sieur Witane docteur en l'Université de Douai pour censurer les thèses soutenues dans cet établissement et l'impression des livres qu'on y composait.

De par le Roy.

Sa Majté étant informée que quelques-uns des professeurs de la faculté de théologie de l'Université de Douai soutiennent depuis quelque tomps des thèses contraires aux droits de Sa Majté à l'autorité épiscopale et même à la doctrine de l'église et jugeant nécessaire de prévenir les suites d'une licence aussi dangereuse, Sa Majté a commis et commet le sieur Le Mercier, premier professeur en théologie du collège de St-Vaast et le sr Witane , docteur en l'Université de Douai et président du séminaire du pape en la même ville, pour, en qualité de censeur, examiner les livres qui seront dorénavant composés et les thèses qui seront soutenues par les professeurs et membres de la dite faculté de théologie, permettre l'impression de ce qui s'y trouvera, conforme à la doctrine générale de l'église et aux loix du royaume, la refuser à tout ce qui leur paraîtra contraire, et rendre compte à Sa Majté des difficultez qui pourraient se rencontrer dans l'exécution de ladite commission pour y être par elles pourvues, ainsi qu'elle jugera convenable. Enjoint Sa Majté aux professsurs et membres de la dite faculté de reconnaître les dits sieurs Le Mercier et Witane en la dite qualité de censeurs en vertu du présent ordre, à l'exécution duquel elle mande et ordonne au sieur Meliaud, conseiller en son conseil d'Etat, intendant de justice, police et finance en Flandre, de tenir soigneusement la main. Fait à Versail-


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les, le 9 septembre 1729, signé Louis, et plus bas signé : Chauyn.

Les notaires royaux d'Artois soussignés ont collationné la présente copie à l'original exhibé, à l'instant rendu, le tout trouvé conforme. A Arras, ce 18 novembre 1776. Signé Louis. Thomas.

Nous lieutenant-général et autres officiers du bailliage royal d'Arras, certifions que M. Thomas et Louis qui ont signé l'acte de collation ci-dessus, sont notaires royaux d'Artois, et qu'à leurs signatures foi est ajoutée: en témoins de quoy avons aux présentes fait apposer le scel dudit bailliage et signé par uotre greffier à Arras sur le papier marqué des actes petit scel. — 18 novembre 1776. Signé: Boniface.


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Ordonnance du Roi sur la requête présentée par les prieur et religieux de St-Vaast à l'effet de faire admettre aux degrès de la faculté de Douay les élèves en théologie, du collége de St-Vaast en la même ville.

Pour la requeste présentée au Roy étant en son Conseil par les prieur et religieux de l'abbaye de St-Vaast, contenant que, sur les difficultés que la faculté de théologie de Douai leur fit en 1690 d'admettre aux degrés les écoliers qui avaient fait leur cours de théologie dans le collége de leur abbaye au préjudice d'une possession constante et suivie jusqu'à la dite année, ils se pourvurent devant les commissaires nommés par le feu Roy pour l'examen des affaires pour l'Université, et sur leur avis du 20 novembre 1716, conforme à celui donné par le sieur de Bagnols, lors intendant en Flandres, du 22 juin 1698, ainsi que sur les attestations authentiques des magistrats de Douai, il plut à Sa Majesté d'ordonner par arrest contradictoire de son conseil d'Etat du 16 avril 1729, que sans s'arrester aux moyens d'opposition contenus dans les réponses et mémoires de la faculté de Théologie et de i'Université de Douay, les écoles de théologie du collége de St-Vaast seraient académiques et que les écoliers qui y auroient fait ou pourraient faire à l'avenir leur cours de théologie, seraient reçus à prendre les degrés dans la dite faculté en satisfaisant à ce qui est prescrit par les statuts, l'Université ne pouvant s'opposer ouvertement à l'exécution de cet arrest tâche d'éluder sous prétexte d'un de ces statuts qui porte que les écoliers ne seront admis aux degrés sans avoir pris pendant le cours de leur théologie trois leçons par jour, et comme il ne se donne que deux leçons ordinaires par jour dans le collége de St-Vaast


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et une troisième leçon trois fois par semaine seulement, la faculté de théologie a refusé sur ce fondement d'admettre aux degrés les sieurs Denis prêtre du diocèse d'Arras, et Jacques Goudeman clerc du même diocèse qui ont achevé leurs cours de théologie au collége de la dite abbaye, et d'autant que les leçons dudit collège étaient sur le même pied qu'elles sont aujourd'hui, dans le temps que leurs écoliers étaient admis sans aucune difficulté aux degrés de la faculté dp théologie; que les trois leçons prescrites chaque jour par les statuts, n'ont jamais été exigées à la rigueur des écoliers soit du collége d'Anchin ou autres dépendant de l'Université, qu'enfin cette nouvelle difficulté fait partie des moyens d'opposition ci-devant fournis par l'Université de Douay , dont elle a été déboutée par l'Arrêt du conseil d'Etat de Sa Majesté du 16 avril 1729 , requéroient pour ces causes les exposants qu'il plut à Sa Majesté ordonner que ledit arrest sera exécuté selon sa forme et teneur, et en conséquence que les dits sieurs Denis et Goudeman ainsi que les autres écoliers qui auront pris lesdites leçons au collège de St- Vaast pendant les quatre années dp leur cours dp théologie, seront admis aux degrès de la faculté, après avoir subi, les examens et soutenu les thèses ordinaires. Vuladite requeste, l'arrest du 16 avril 1729, Ouï le rapport et tout considéré, Sa Majesté étant en son Conseil, a ordonné et ordonne que l'arrest de son Conseil d'Etat du seize avril mil sept cent vingt neuf sera exécuté selon sa forme et teneur, et en conséquence que les dits sieurs Denis et Goudeman et tous les autres écoliers du collège de St- Vaast qui auront fait leur cours de théologie à raison de deux leçons par jour et d'une troisième leçon trois fois par semaine seulement, seront admis à prendre les degrès de la faculté de Douay en subissant les examens


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et soutenant les thèses ordinaires, enjoint Sa Majesté au sieur de La Grandville, Me des requêtes ordinaires de son hôtel, intendant de justice, police et finances en Flandres, de tenir la main à l'exécution du présent arrest. Fait au Conseil d'Etat du Roy, Sa Majesté y étant, tenu à Versailles, le huitième de Mars mil sept cent trente un ; signé Ghauyn, et plus bas est écrit ce qui suit :

Julien Louis Bédé, chevalier, Seigneur de la Grandville, conseiller du Roy en ses conseils , Maître des requêtes ordinaires de son hôtel, intendant de justice, police et finances, en Flandres,

Vu l'arrest du Conseil cy-dessus du huit Mars mil sept cent trente un et la commission expédiée sur icelui le même jour,

Nous ordonnons que le dit arrest sera exécuté selon sa forme et teneur. Fait le 27 Mars 1731 , signé Bédé de la Grandville, et plus bas, par Monseigneur, signé Radon.

A la pièce ci-dessus est infixée celle ci-dessous :

Louis, par la grâce de Dieu, roy de France et de Navarre, à notre amé et féal, conseiller en nos conseils, M° des requêtes ordinaires de notre hôtel, intendant et commissaire départi pour l'exécution de nos ordres en Flandres, le seigneur de la Grandville, salut. Nous voulons et nous mandons par ces présentes signées de notre main, que suivant l'arrest ci-attaché dans le contre scel de notre chancellerie, aujourd'huy donné en notre conseil d'Etat, nous y étant, sur la requeste des prieur et religieux de l'abbaye de St-Vaast d'Arras, vous aiez à tenir la main a l'exécution dudit arrest selon la forme et teneur, commandons à notre huissier ou l'agent premier requis de faire pour l'exécution dudit arrest et de ce que vous pourrez ordonner en conséquence, tous exploits significations et autres actes requis et néces-


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saires sans pour ce demander autre congé ny permission, car tel est notre plaisir. Donné à Versailles le huitième jour de Mars, l'an de grâce mil sept cent trente un, et de notre règne le seizième. Etoit signé Louis, et plus bas, par le Roy, étoit signé Chauyn.

Les Notaires royaux d'Artois, soussignés ont collationné les copies ci-dessus aux originaux en parchemin exhibés, à l'instant rendus et trouvés conformes. A Arras le dix-huit Novembre mil sept cent soixante seize. — Signé, — LouisThomas.

Nous lieutenant-général et autres officiers de la gouvernance d'Arras certifions que Me Thomas et Louis qui ont signé l'acte de collation ci-dessus, sont Notaires royaux d'Artois et qu'à leur signature foi est ajoutée, en témoin de quoi avons à ces présentes fait apposer le Scel dudit Bailliage et signé par notre greffier à Arras le papier marqué controllé des: actes petit Scel, insinuations n'ont lieu, Ce dix huit Novembre mil-sept cent soixante seize.


Actes d'opposition de la part de MM les recteurs et professeurs de là faculté de théologie de l'Université de Douai signifié à MM. les prieur et religieux du collége de;Saint Vaast à Douai contre les arrêts du Conseil rendus; les 8 mars et 16 avril 1729.

L'an mil sept cent trente un, le treize de juin, les notaires royaux de la résidence de cette ville de Douai soussignés, se sont, de la part et à la requête de M. Delecourt, recteur magnifique de l'Université de cette ville et de MM. les autres docteurs et professeurs royaux de la faculté dé théologie dé la même Université, transporté vers Messieurs les prieur et religieux de St-Vaast en leur collége dudit Douay, au quartier de M. Mercier, régent dudit collége où étant et parlant à sa personne, les dits notaires ont déclaré de la part que dessus que le 26 avril dernier, il à été signifié aux dits sieurs docteurs et professeurs royaux l'arrêt du Conseil rendu le huit de mars aussi dernier et paravant celui du seize mil sept cent vingt neuf et que ces arrets avaient été obtenus par les moyens ob et subreptis, à raison do quoy ils protestèrent de se pourvoir en opposition pour la révocation d'iceux, que cependant pour témoigner leur soumission aux ordres de Sa Majesté et son Conseil, ils déclarent de lés laisser exécuter provisionnellement et sans préjudice néanmoins à la protestation ci-dessus et à la révocation qu'ils espèrent d'obtenir de sa Majesté sur les remontrances qu'ils feront, ayant laissé audit sieur Mercier parlant comme dessus pour les dits prieur et religieux de St-Vaast le présent double pour qu'ils ne prétendent cause d'ignorance, les jour, mois et an susdits, sur les huit heures du matin. Signés Evrard et Le Noir avec paraphe.


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Les notaires royaux d'Artois soussignés ont collationné cette copie à l'orignal exhibé, à l'instant rendu, et l'ont trouvé conforme. A Arras ce dix huit novembre mil sept cent soixante seize signé : Louis. Thomas.

Nous lieutenant-général et autres officiers du bailliage royal d'Arras, certifions que le dit Thomas et Louis, qui ont signé l'acte de collation ci-dessus, sont notaires royaux d'Arras, et qu'à leurs signatures foy est ajoutée. En témoin de quoy avons avons aux présentes fait poser le scel dudit baillage et signées par notre greffier à Arras où le papier marqué controle des actes petit format et intimation n'ont lieu, le dix-huit novembre mil huit cent soixante-seize. Signé : Boniface.


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-201S

Copie de la lettre écrite le 3 juillet 1731 par M. Danger-M. Danger villers, ministre et secrétaire d'Etat de la guerre, à M. Delagrandville, intendant de Flandre. « Les leçons de théologie du collége de St-Vaast furent

déclarées accadémiques, M., par arret du Conseil d'Etat du Roy du 16 avril 1729 et par autre arrêt du 8 mars dernier, il fut ordonné que le sieur Denis, théologien dudit collége, serait admis aux degrés de la faculté d de théologie de l'Université de Douay sans avoir égard aux difficultés qui lui avoient été suscitées par cette faculté ; quoique ces deux arrests aient été rendus en pleine connaissance de cause sur les productions respectives des parties et en conformité de l'avis des commissaires chargez de l'examen de l'affaire de l'Université, et qu'ils ne soient par conséquent susceptibles d'aucune opposition. Cependant le sieur Delecourt, recteur de l'Université, tant en son nom qu'en celui des professeurs royaux de la faculté de théologie , a fait signifier aux; prieur et religieux de St-Vaast, le 13 du mois dernier, un acte par lequel ils protestent de se pourvoir par opposition contre ces deux arrêts comme Obtenus sur des moyens obreptices et subreptices : Sur le compte que j'ai rendu de cette afiaire, le Roy a jugé qu'une protestation de cette espèce ne pouvait être regardée que comme un attentat à son autorité et un moyen d'éluder les décisions les plus authentiques de son Conseil et Sa Majesté m'ordonne de vous mander que son intention est que vous obligiez le sieur Delecourt de vous rendre l'original de l'acte du 13 juin et de l'acte de signignificatioh qui en a été faite aux religieux

MÉMOIRES.—2e SERIE, T. XV. 14.


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de St-Vaast que vous vous, fassiez ensuite représenter les registres des délibérations de la faculté de théologie et que si cet acte sy trouve enregistré vous le fassiez rayer et biffer en faisant négation à la marge du registre, que ça été par ordre exprès de Sa Majesté. Je vous supplie de me marquer ce que vous aurez fait en exécution de cet ordre. Je suis etc., signé Dangervillers. Pour copie, signé Bedé de la Grandville.

Les notaires royaux etc., signé : Louis. Thomas.

Nous lieutenant général etc., signé : Bienfait.


203

T

Enquête du lieutenant-général de la gouvernance du baillage de Douai chez le recteur et professeur de l'Université

l'Université la même ville concernant l'enregistrement d'un acte de protestation fait à MM. les prieur et religieux de Saint

Vaast de Douai.

L'an mil sept cent trente un, le dix huitième jour du mois de juillet, nous, Claude Hustin, conseiller du Roy, lieutenant-général civil et criminel de la gouvernance du souverain baillage de Douay et Orchies, et subdélégué de

M. l'intendant audit Douay, suivant ordre qui nous a été donné le jour d'hier par mon dit sieur l'intendant de la remise qu'il nous a faite de l'ordre de la cour, le trois de ce mois, pour le faire exécuter, nous sommes transporté dans l'assemblée de MM. les docteurs et professeurs royaux de la faculté de théologie de l'Université de cette ville de Douai convoquée en la maison de M. Delecourt, à présent recteur de la dite Université en la dite assemblée, en cette qualité doit se faire, où étant, avons demandé à la dite assemblée la représentation de leur registre aux délibérations pour reconnaître si l'acte en forme de l'espèce d'une protestation du 13 juin dernier, faite à MM. les prieur et religieux de StVaast audit Douay par les notaires royaux de la résidence de cette ville, se trouve enregistré, à quoy ayant été satisfait par la production d'un registre couvert de peau de veau ayant pour titre Facultas theologicae, nous avons parcouru ledit registre et trouvé que le dernier enregistrement a été paraphé par M. Méliaud, commissaire d'Etat, intendant de cette province, le 5 octobre 1729, qu'ainsi ledit acte de protestation n'y a point été enregistré. Ce fait nous avons requis es dits sieurs docteurs et professeurs de nous remettre


-204le

-204le acte en forme de protestation du 13 juin dernier avec a signification qu'en a été faite, qui à l'instant nous ont remis le dit acte en original et déclaré que pareil acte avoit été délivré aux dits prieur et religieux de St-Vaast pour toute signification ainsi qu'il se voit par la fin du dit acte, et ont les dite sieurs docteurs et professeurs signé avec nous.

Fait les jour, mois; et an ainsy, signe : A. Dilencourt,

Demarcq, Sarrazin, Hustin. Pour copie étoit signé: Bede de la Grandville.

Les notaires royaux, etc: Louis. Thomas.

Nous lieutenant-général, etc., segné: Boniface.


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Visitatio canonica et regularis facta in collegio Vedastino, die decimâ septimâ Augusti anno 1732.

Die 16 Augusti, circà horam octavam matutinam, advenif R. Dollycadrus Desvignes, Prior major nec non administrator monasterii Sancti Vedasti Atrebatensis, sanctas sedi apostolicas immediate subjecti, è congregatione monasteriorum exemptorum ordinis sancti Benedicti in Belgio, unâ cum D. Huissiermo De Gargan, sacellano ejusdem caenobii, in quo ex Vedastinis morantur pro parté majori quae scholas comprehendit et saecularium convictum destinata est. Jacobus Le Mercier regens et unus è collegis administratoribus, emeritus sacras theologiae professor, et Hadulphus Dassenoy sub-regens, theologicae professor et aeconomus, D. Nicasius Delecroix praefectus et D. Aubertus Hellewicq philosophias professores secundarii, in parte autem conventuari, D. Albertus Bocquet Praeses, sacras theologias professor et asconomus, D. Andreas Lequin propreses, D. Bernardus Becüe, philosophiae professores primarii : D. Vigor de Briois dialecticae professor , D.Féfdinandus Gruyelle, D. Hieronymus Coupé et frater Norbertus Berlin, sacrae theologiae auditores, ubi ex quâ par est humilitate: exceptus, indicavit per dictum sapellanum se expresse advenisse ut praeter caestera negotia, dictum collegium tamquam membrem praefati exempti monasterii, dictosque suos confratres canonicè et secundum prescripta concilii Tridentini capite vigesimo sessionis XXe de iregularibus et monialibus et constitutionem regularium dicte congregationis Belgicae visitare, dictamque visitationem iniret die 17e Augusti circà horam 8am matutinam in aulâ inferiori partis conventalis dicti collegii, in quam singuli tempore prèscripto convenient in habitu decenti.


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Die igitur 17e dicti mensis, horâ praescriptâ, confratfibus in dictam aulam evocatis et in habita decenti sedentibus, R. D. magnus prior eos maximo opere hortatus est ut magno cum fervore et magnâ diligentiâ muniis suis defunguntar et orationi devotè et sedulo incumbant sicut vivos decet religiosos, etc. Et invocato spiritu sancto per hymnum Veni Creator versum et collectam congruam injunxit R. D. magnus prior ut sigillum omnes ipsum convenirent ut de rebus agendis securius et secretarius unâ tractarpnt, quod isto die factum est.

Factis itaque inquisitionibus opportunis et necessariis, comperit dictus D. Visitator regimen scholarum simul et scholasticorum probe se habere exercitia regularia in parte conventuali collegii tàm quoad meditationes quam praeces mutatinas et vespertinas exactè ac ordinatè horis et locis competentibus fieri, et singulos religiosos et professores respective imposito sibi offido bene defungi, sacerdotes frequenter et fermè quotidie missam celebrare, pacem et concordiam inter se servare, honore in vicem se praevenire, classes statutis horis frequentare, curamque et sommarum sollicitam habere, uno verbo conversationem coràm à Deo religiosam esse ut nulli sive scandali, sive offensionis locum praebeat, etc, invenit pariter R. D. magnus prior confratres suos honeste et religiose vestitos, ut decet, in habitu oblongo et falarii cum biretis) et togis academicis.

Vidit etiam claustrum, aliaque utriusque partis collegii imo et templi edificia sicut et hortos bono statu. Unde nihil aliud praecedentibus visitalionibus addendum censuit quàm ut ii in bono et laudabile vilas proposito perseverarent, et de virtute in virtutem irent,

Acta sunt haec et lecta in collegio Vedastino die decimâ septem à Augusti, anno 1732 :, in quorum omnium fidem


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subsignavit R. D. Magnur prior cum suo sacellano subsignaveruntque R. D. regens et prasses casterique confratres supra nominati. Exceptis. D, Adulpho Dassenoy et D. Ferdinando Gruyelle absentibus ob rationes legitimas R. D. magno Priori notas. — D. Ec. Desvignes — D. Homerius — D. A. Brequet — D. A. Lequette — D. B. Beccüe — D. N. Delecroix.

V

Convention entre le collége de St-Vaast et les échevins de Douay pour la consommation des vins, bières, bois et charbons pour le régent, président et professeurs, homologué par l'Intendant de la province.

Extrait des registres et cahier des fermes et impôts de la ville de Douay, adjugés pour l'année 1735, faisant mention de l'arrêt qui décharge les régent, président et professeurs dudit collége des fermes et impôts sur les vins, bières, Lois et charbons.

Semblable extrait du cahier des fermes et impôts adjugés pour l'année 1734 à 1736, où il est aussi fait mention de la dite exemption.

W

Accusé de réception d'une lettre écrite par M. Dassenoy, principal du collège de St-Vaast à Douai, à M. Danger - villiers, ministre Secrétaire d'Etat de la guerre, concernant les thèses soutenues dans l'Université de cette ville.


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J'ai recu, Monsieur, la lettre que vous avez pris la peine de m'écrire le 26 du. mois dernier, comme censeur des thèses qui se soutiennent dans l'Université de Douay et dont vous avez cru ne pouvoir approuver quelques vues dans lesquelles on traite les appellans de Jansénistes, de Schismatîques, d'Hérétiques, etc, contre les défenses réi-. térées du roy à ses sujets de s'attaquer naturellement par ces sortes de noms odieux de Schismatiques, de Sempélagieux et autres de cette nature, lesquelles deffenses on répand dans le public pour vous rendre suspect, avoir été supprimés par Sa Majesté, et demandez que je vous fasse informer de la vérité ou de la fausseté de ce fait pour conformer votre conduite aux intentions de Sa Majesté. Comme elle ne peut rien décider sur une question si générale sans être particulièrement informé, il est nécessaire que vous m'envoyiez les thèses dont il s'agit en marquant sur quoi roulent les difficultés et les articles où ces qualifications sont employées pour en rendre un compte exact à Sa Majesté et vous envoyer ses ordres en conséquence. Je suis Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur, Signé Dangervillers.

Les notaires royaux soussignés ont collationné la copie ci-dessus à l'Original exhibé, a l'instant rendu, et l'ont trouvé conforme. A Arras, ce dix-huit Novembre mil sept cent soixante seize, signé : Louis et Thomas. Nous, lieutenant généra, etc.


Douai. Société d'agr, sciences 8 arts. Mémoires, 2e série, XV.

(a) Ancienne rue des Murs, actuellement pue St Vaast.



NOTICE NECROLOGIQUE

SUR

M, PIERRE MONTEE

Membre résidant.

MESSIEURS,

Le 8 février 1879, une foule considérable escortait un cercueil au champ de l'éternel repos. Toutes les classes de la société, tous les âges, tous les sexes s'y voyaient confondus. Vous en avez sûrement gardé la mémoire, de pareilles funérailles se sont rarement vues dans notre cité. On y remarquait des hommes de tous les partis, de toutes les opinions; les plus hauts fonctionnaires y coudoyaient les plus humbles employés ; le pauvre aussi bien que le riche s'y étaient donné rendez-vous. Un étranger se fût dit â coup sûr que celui que l'on conduisait ainsi à sa dernière demeure devait être un homme considérable, un des puissants du jour, un de ces orateurs dont la voix soulève les foules, le chef d'un parti triomphant, le membre enfin d'une famille haut placée , influente, dont on pouvait encore avoir; intérêt à gagner la protection et la bienveillance ; il se fut bien trompé. Celui à qui une ville entière faisait ce dernier et touchant honneur, n'avait ni la puissance, ni la faveur des puissants; il ne laissait après lui

MEMOIRES. — 2e SERIE, T. XV. 15.


qu'une mère, une veuve, une enfant, dans le plus juste et le plus navrant désespoir. Aucun de ceux qui s'étaient joints à son convoi ne pouvait se faire illusion et nul intérêt humain n'avait pu le pousser à cette démarche. Tenez, Messieurs, ce spectacle avait quelque chose de sain et de fortifiant, on était forcé de s'avouer que l'hommevaut décidément mieux qu'on ne le dit et qu'on ne le pense, puisque tout ce peuple ému et attristé était là, rien que pour rendre sans arrière-pensée, un suprême hommage à une vie pure et sans tache, rien que pour honorer la vertu et la bonté ; certes cette foule ne s'était, point trompée, ses sympathies ne s'égaraient pas puisque celui qu'on pleurait ainsi, était votre collègue Pierre Montée.

Lejour où notre Compagnie m'a remis le soin de l'entenir encore une fois de son secrétaire général, notre honorable président me désigna à vos suffrages en assurant que le voeu de sa famille était que je fusse chargé de cette tâche, j'ai été profondément touché de l'expression de ce désir. Bien des amis de M. Montée l'eussent plus dignement loué? plusieurs parmi nous avaient avec lui des relations plus intimes, plus fréquentes, mais aucun, je puis l'affirmer, ne l'a plus sincèrement aimé et estimé; peut-être à l'étreinte émue de ma main dans ses derniers jours, a-t-il reconnu, avec cette seconde vue des mourants, combien nous étions en communauté de sentiments; peut-être une dernière expression de sa sympathie dont je m'honore hautement, a-t-elle guidé ce choix; puissé-je n'être pas trop inférieur à mon sujet.

Là vie que je vais vous raconter porte en elle un véritable enseignement. Pierre Montée s'est fait lui-même tout ce qu'il a été, il n'a jamais eu qu'une seule ambition, celle de devenir chaque jour meilleur, et plus capable de faire


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le bien. Ne croyez pas que je me laisse entraîner par l'ardeur dû panégyriste, ou par les sentiments de mon coeur, ma constante préoccupation dans ce travail sera d'éviter l'éloge exagéré, la modestie de notre regretté collègue en eut trop souffert, il a d'ailleurs tout à gagner à être montré simplement tel qu'il était.

Pierre Montée est né le 14 septembre 1836 à Solre-leChâteau, de parents Douaisiens, il n'avait que huit mois lorsqu'il perdit son père, et sa mère, résolue à se consacrer' tout entière à son éducation, revint, pour ne plus la quitter, dans notre ville qui lui offrait de précieuses ressources. C'est toujours une dure épreuve pour un jeune homme que d'être dès son enfance privé des conseils et de la direction d'un père ; lui seul, la plupart du temps, possède avec une suffisante expérience de la vie, la connaissance des hommes nécessaire pour préparer une jeune intelligence aux luttes de l'existence, il en connaît les écueils et les dangers, en un mot, il sait le mal et peut mettre son elève en garde contre ses séductions. La mère, telle que la fait presque toujours l'éducation des femmes, est bien moins propre à ce rôle difficile. Si elle est parfaite pour pétrir l'âme de l'enfant et y semer ces germes sacrés d'amour du vrai et du bien qui s'y développeront tôt ou tard, elle est malheureusement pleine d'une sainte ignorance pour les dangers qui assaillent l'adolescent et le jeune homme. Jugeant le monde d'après son propre coeur, elle ne croit guère au mal; à côté de scrupules souvent exagérés pour de petites choses, elle reste dans une funeste insouciance en face de périls qu'elle voit pas. Heureusement pour Pierre Montée, Dieu en lui retirant son père, lui avait laissé une mère plus capable qu'aucune de le remplacer et de faire un honnête homme dû fils auquel elle se dévoua.


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Dès sa jeunesse, notre collègue manifesta un grand goût pour le travail, un vif désir de s'instruire, mais il était faible de constitution, souvent souffrant et après avoir fini sa classe de quatrième, sa santé chancelante obligea Madame Montée à le retirer du lycée de Douai, dont il avait jusque là suivi les cours. Son instruction, son éducation furent des lors continuées au foyer domestique, sous la direction de M. Dutruel et la surveillance de sa mère, dont l'esprit juste et droit sût toujours faire équitablement la part entre les exigences de la science et celles d'une nature délicate.

Reçu bachelier en 1855, le jeuue Montée dût se choisir une carrière. Aucun précédent, aucune raison particulière ne venait guider ses préférences. Il se laissa aller au penchant d'un esprit déjà sérieux. Sa jeune intelligence s'était éprise de l'étude des lettres et surtout de la philosophie. La Faculté des lettres de Douai, encore à son aurore, brillait d'un vif éclat. Ses professeurs, dont quelques-uns se sont depuis élevés bien haut, MM. Filon, Caro, Martha, Widal, Parizot, voyaient chaque jour une assistance nombreuse et choisie se presser autour de leurs chaires, leurs leçons avaient l'attrait de la nouveauté en même temps que le charme du talent ; beaucoup d'entre nous ont certainement gardé le souvenir, notamment des heures; passées à écouter MM. Caro et Martha. Le premier, orateur brillant et facile, sachant à plaisir approprier son discours à son auditoire, abordant sans sourciller les sujets les plus délicats et parcourant lestement sa voie sans jamais faire un faux pas ; il allait volontiers droit aux systèmes en vogue, il recherchait l'actualité, il attaquait de front les erreurs du temps présent, aussi son succès était-il très vif. Le second M. Martha, esprit plus fin, véritablement imprégné des beautés des littératures anciennes dont il excellait


à dévoiler les perfections, plus timide que son; collègue, n'osant pas se livrer aux hasards de l'improvisation ; il lisait ses leçons, si charmantes qu'il parvenait à faire oublier cette infériorité de la lecture sur la parole spontanée. MM. Caro et Martha sont au reste demeurés tels que nous les avons connus, leurs ouvrages nous les montrent toujours à l'Académie française, à l'Académie des sciences, morales et politiques, les mêmes qu'ils furent à la jeune Faculté des lettres de Douai.

Je me suis volontiers arrêté, Messieurs, sur le souvenir dé cette renaissance de l'antique Université de Douai ; nul ne sait comme moi au prix de quels efforts, de quelle ténacité, de quelle persévérance, celui qui était alors le maire de la ville (1), était parvenu à faire écarter lès prétentions d'une puissante cité voisine, et ce fut vraiment une date lumineuse dans l'histoire de Douai, qne celle de l'installation dans ses murs de la nouvelle Académie du Nord. En raviver la mémoire n'est d'ailleurs pas un hors d'oeuvre dans mon travail, car c'est en suivant les cours des hommes éminents dont je viens de vous parler, que M. Montée sentit sa vocation se décider et choisit définitivement la voie où il va désormais s'engager sans dévier.

La philosophie, les belles lettres exerçaient sur son esprit une séduction à laquelle il ne voulut pas résister. Modeste et simple en ses désirs, il résolut de ne demander à la vie aucune des jouissances convoitées du plus grand nombre : la carrière d'homme de lettres en province ne peut guère promettre que des satisfactions intimes ; elle ne conduit ni à des places lucratives, ni à des situations élevées, ni à l'influence, ni à la fortune. Sérieux et réfléchi, d'une vie grave et austère même en ses vingt ans;

(1) M. Jules Maurice, maire de Douai de 1852 à 1860.


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notre collègue pesa mûrement le pour et le contre et continua ses études littéraires ; elles lui permettaient de ne pas quitter cette mère vénérée qui s'était dévouée à lui et à laquelle il voulait se consacrer à son tour. En 1857, il était reçu licencié ès-lettres, et le 1er juin 1860, il soutenait avec succès ses thèses et était reçu docteur. Les titres de ses deux thèses, où il faisait preuve déjà d'une grande érudition, nous montrent dès cette époque la morale en philosophie, comme le terrain préféré de ses études. La thèse latine était intitulée : Quis et quolis Pindarus Moralium auctor êcotiterit. La thèse française était un travail sur Lucrèce considéré comme moraliste. C'était un sujet bien vaste; pour les débuts d'un jeune homme. Lucrèce a été l'éloquent interprête d'une école philosophique qui a joué et joue encore un grand rôle dans l'histoire de l'esprit humain. Ce grand poète, cet esprit si vaste et si étendu, valait mieux que les doctrines de son maître Epicure : il en aurait repoussé avec horreur les conséquences, logiques pourtant, tirées par des disciples moins scrupuleux ; c'est là au reste le sort commun de beaucoup de novateurs, et plus sûr critérium auxquels on peut juger de la valeur d'une théorie. L'histoire de la philosophie nous en a en offert maints exemples ; bien souvent, il a fallu peu d'années aux enfants perdus d'une école pour faire, en quelque sorte, toucher du doigt les points faibles et montrer que le colosse avait des pieds d'argile. Que reste-t-il aujourd'hui, par exemple, de l'école Hégélienne à son heure si puissante en Allemagne et même en France; n'assistonsnous pas, à l'heure présente, à un spectacle analogue pour l'école transformiste. Combien Darwin, qui l'a, non pas créée, mais ressucitée, n'est-il pas dépasse parles Hoeckel, les Karl Vogt, les Herbert Spencer. Par un reste de respect


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humain, ils n'osent désavouer les timidités du maître et ses scrupules ; mais ils vont de l'avant, sans regarder en arrière, ils ne s'occupent plus de savoir si les fondements de l'édifice sont solides, si le point de départ est mis à l'abri de toute; critique ; prenant pour absolument établi ce que Darwin donnait pour des possibilités ou des probabilités, ils marchent, tirant avec une audace surprenante, des conclusions générales de faits particuliers, passant à coté des difficultés les plus sérieuses en refusant de les voir, et accumulent ainsi les théories et les hypothèses avec une audace tranquille qui menace de les conduire à l'absurde. Les disciples d'Epicure en ont agi de même avec la doctrine du maître,: mais Lucrèce n'était pas de ces enfants perdus et en morale surtout, il vaut mieux que ses principes. Pierre Montée nous le montre, àme honnête et droite, profondément dégoûté du spectacle de la société Romaine livrée à toutes les; violences, déchirée par les convoitises ambitieuses des Marius et des Sylla, ne trouvant plus aucun frein dans une religion décriée où les vices les plus honteux et les crimes les plus atroces rencontraient leur glorification ; ce contraste cruel entre la réalité et les aspirations du coeur du grand poëte lui arrache des protestations éloquentes ; en des vers superbes, il flétrira le vice et le crime triomphants, mais son matérialisme l'empêche de voir dans la notion du devoir, dans l'immortalité de l'âme, dans la croyance aux peines et aux récompenses d'une autre vie, une rançon et une compensation aux hontes dont il est témoin ; aussi ne trouve-t-il de refuge que dans le néant, de bonheur que dans le repos et le calme des passions, et finalement dans la mort, le suprême repos.

On sait que Lucrèce fut conséquent avec lui-même et qu'à l'âge de 44 ans, après avoir mis la dernière main à son


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pême De nuturâ rerum, il se donna la mort. Il n'était pas difficile de montrer combien une pareille doctrine est insuffisante en morale; combien elle est dêpourvue de sanctiôn. Une morale d'où les idées du bien, du devoir, de la justice sont bannies, mérite à peine le nom de morale. L'ouvrage de M. Montée écrit, comme tout ce qui sortira de sa plume, d'un style simple, clair, facile, appuyé sur des nombreuses autorités, rempli de citations témoignant d'un sérieux travail est d'une lecture intéressante et profitable.

Désormais libre de cette sorte de contrainte qu'entraine toujours la perspective d'épreuves universitaires à subir, maître de; diriger ses études dans ses voies de prédilection, Pierre Montée se mit résolûment à l'oeuvre. Il lut, il apprit beaucoup, tous ses écrits font preuve de la plus patiente et de la plus laborieuse préparation, profondément honnête, il tient à mettre son lecteur à même de tout vérifier, de tout contrôler. A chaque page, des notes nombreuses indiquent les sources, souvent imprévues; auxquelles l'auteur a puisé. Montée était d'ailleurs particulièrement modeste, et quand il le peut, il aime à mettre ses jugements, ses appréciations sous la protection de quelque grande autorité. Néanmoins très-indépendant d'esprit, il ne se laisse pas éblouir par l'éclat des noms qu'il discute. Marc Aurèle où Platon, Pythagore ou Cicéron sont pesés par lui avec le respect dû à de tels génies, mais avec la liberté d'une raison pleinement maîtresse d'elle-même et qui se croit en possession dp la vérité.

Si audacieuse que soit cette affirmation d'une âme qui ne connaît plus le douté, Montée l'eut certainement. Malgré la réserve, je dirai presque la timidité que vous lui avez connue y,disposé toujours à écouter avec déférence les opinions et les conseils de ceux qu'il croyait compétents,


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il était en philosophie comme en religion absolument convaincu. Son spiritualisme ne craignait aucune lutte, il ne redontait pas de le mettre en présence des plus hautes

doctrines dans lesquelles l'esprit humain s'est complu et souvent égaré à travers les âge, il s'en démontrait en quelque sorte à lui-même l'indiscutable vérité, on étudiant soit le natralisme de Lucrèce, soit le stoïcisme de Senèque, soit enfin les doctrines de Pythagore ; Montée d'ailleurs n'était pas seulement spiritualiste, il était foncièrement religieux:et catholique. Un des exercices de critique qui le

tente le plus, c'est de pousser les doctrines philosophiques à leurs dernières conséquences pour les éprouver et surtout de leur demander le dernier mot des choses ; or le dernier mot; qui peut ici se flatter de le dire ! Ce n'est pas que les sectes ne l'osent ; les plus hasardeuses ont précisément le plus d'audace à; se prétendre en possession du suprême

secret ; notre collègue aimait à montrer par où ces théories étaient courtes, à mettre en lumière les barrières qu'elles étaient impuissantes à franchir et à leur poser cette éternelle question, problème insoluble pour l'homme dont l'intelligence est contingente et finies, question sortie la première des lèvres de nos petits enfants et répétée avec.; effroi par le vieillard? à son dernier soupir : et puis après ! et au-delà ? A cette question, Montée trouvait une réponse

dans sa religion, dans sa foi profonde; il l'indiquait, discrètement, parce qu'il savait, qu'il ne faut pas demander à la philosophie, à la métaphysique; plus qu'elles ne peuvent donner et que chaque chose doit rester à sa place ; mais il lui était donné de montrer ainsi; comme du doigt,

la voie du repos et de l'apaisement aux; âmes tourmentées des angoisses dû doute. Ces convinction sicères, arde


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qui s'affirme si haut, ne sont pas sans danger, elles font les hommes de foi; mais aussi les fanatiques. Heureusement Montée ne fut jamais de ceux-ci, à aucun degré. Nul esprit ne fut plus tolérant et plus libre de préjugés que le sien. Vous l'avez assez connu, Messieurs, pour savoir que s'il était absolu quant aux doctrines il était plein dé ménagements pour les hommes; plus il était convaincu, mieux il comprenait que d'autres fussent diversement impressionnés et arrivassent à d'autres conclusions; l'erreur excitait plus sa commisération que sa colère, il la regardait toujours : comme fille de l'ignorance, et jamais il n'eut désiré voir employer d'autres armes contre ses adversaires, que la persuation et la libre discussion.

Préférant; comme il le faisait, la démonstration à l'affirmation, il avaît, j'en conviens, un certain goût pour le prosélytisme. C'est le propre des âmes; vraiment philanthropiques dp vouloir partager avec tous ce qu'elles croient la vérité. « Y a-t-il quelque chose de plus triste, s'écrie » Montée dans son livre sur le stoïcisme à Rome, que »l'égoïsme dans la sagesse ! » et ailleurs : « Vous con» damnez vous mêmes, dit-il aux stoïciens, vos efforts à » la stérilité; si vous oubliez que la vérité est le patrimoine » commun de tous les hommes et si vous vous refusez à » aller chercher les faibles et les simples comme par la » main, pour les faire participer à cette nourriture de » l'âme que vous, gardez orgueilleusement pour vous-mê» mes, bonïmê l'avare son trésor. Croyez-vous donc que le » soleil perde quelque chose de sa chaleur ou de son éclat » pour étendre ses rayons: à tout l'univers et pour verser à » flots sa lumière jusque sur les insensés qui la nient ? »

Cette tendance de son coeur autant que son esprit influa beaucoup, comme le verrons, sur la direction de sa vie,


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comme; aussi sur le choix des sujets de ses études. Ce ne sont pas les spéculations abstraites qui l'attirent en philosophie, ce n'est ni la métaphysique, ni la logique qui le tentent, c'est la morale, c'est la thêodicée ; la morale surtout par laquelle la science philosophique s'efforce de mettre les actes des hommes en harmonie avec le vrai, avec le bien. C'est sur la morale, comme vous lavez vu à propos de Lucrèce, qu'il interroge le plus souvent les grandes doctrines, leur demandant compte des âmes; qui ont crû en elles et cherchant quels appuis elles offrent à l'homme pour marcher sans broncher dans la voie étroite où l'a jeté la destinée.

Le premier ouvrage sorti de la plume de notre regretté collègue est une étude à laquelle j'ai déjà tout à l'heure fait un emprunt, sur le stoïcisme à Rome et ses grands interprètes, Sénèque, Marc Aurèle, Epictète. Avec émotion, avec une secrète sympathie, comme il l'avoue dans son avant propos, il assiste au suprême effort de la raison humaine au commencement d'une ère nouvelle. Mais il veut demander à cette doctrine plus qu'un plaisir d'historien ou de lettré, il n'écrit pas l'histoire de la morale stoïcienne pour l'histoire, mais pour la morale elle-même ; aussi lui demande-t il surtout où elle conduit les âmes dont elle s'est emparée, et ce qu'elle offre à l'innombrable troupeau humain que la philosophie doit pousser vers le bien.

A première vue, en considérant les noms d'Epictète, de Sénèque, de Marc Aurèle, un esclave, un philosophe, un empereur, il semble que le stoïcisme ait été une doctrine universelle, s'adressant à l'humanité tout entière, à toutes les classes, à toutes les conditions. Cette illusion augmente encore si l'on considère que la première dans l'Antiquité,


la philosophie stoïcienne a proclamé l'égalité et la fraternité de tous les hommes; la prémière, elle a fait à ses disciples

un devoir de l'humanité , bien plus Marc-Aùrèle

va jusqu'à recommander d'aimer ceux-là même qui nous offensent ! M. Montée; tout en admirant ce côté de stoïcisme, nous montre à merveille comment au contraire cette doctrine est aristocratique; si je puis ainsi dire; elle identifie le savoir et la vertu et finit par arriver ainsi à un véritable déterminisme. Si la vertu, qui nous enseigne le respect de nos semblables, fussent-ils même des esclaves,; grande nouveauté dans le monde Romain, si la vertu, disje , est identique au savoir, à la science du monde, combien peu d'hommes peuvent espérer l'atteindre, combien ils sont sont rares ; au sein de toutes les sociétés, anciennes où modernes, ceux qui auront une intelligence capable d'étreindre la vérité et le loisir de se consacrera sa recherche. Quelle inconséquence pour une doctrine proclamant la fraternité des hommes et l'identité de la raison de tous émanant du même principe divin, que de restreindre ainsi la possession du vrai, et par suite de la vertu et du bonheur à ceux-là seuls qui pourront consacrer leur vie à la conquête de la science.

Continuant à tirer les déductions dé ce principe, Epictête, Marc-Auèle et les stoïciens voient dans le mal une conséquence de l'ignorance, C'est par une erreur de l'intelligence que l'homme s'abandonne à ses passions, et se livre au vice: « Qu'on lui montre le bien, dit Epictète, l'âme s'y porte, qu'on lui montre le mal elle s'en éloigne, » C'est avec une parfaite clarté que M. Montée réfute ce sophisme souvent encore répété aujourd'hui, dans un des meilleurs chapitres de son livra. C'est en confondant l'intelligence et la volonté, en supprimasnt réellement le libre arbitre qu'on


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arrive à ces conclusions erronées, il ne peut plus être question de mérite et de démérite avec une pareille doctrine ; car si la science peut nous mener à une vue du bien et du mal, aussi nette et aussi absolue que celle des vérités mathématiques , il ne reste plus à pratiquer la vertu d'autre mérite que celui que l'on peut avoir à reconnaître que deux et deux font quatre, ou à comprendre un théorème de géométrie. Hélas, la faiblesse de l'homme a besoin d'autre frein que la vue même du bien ; un poète ancien l'a dit excellemment: video meliora, proboque, deteriora sequor... Mais avec l'inconséquence que les stoïciens ont à chaque pas semée dans leur doctrine, ils ont réagi eux-mêmes contre ces déductions logiques. Le devoir ne se comprend plus avec cette identification de la science et de la vertu, et c'est dans l'accomplissement du devoir seul qu'ils ont placé le bonheur, osant proclamer parfaitement heureux l'homme qui sait en suivre toujours et en tout les inflexibles lois, heureux qu'elle que puisse être d'ailleurs la misère de sa vie, son dénuement, son état de souffrance ! pour cet homme, rigide observateur du devoir, la douleur n'est qu'un mot : « Sois semblable, dit Marc-Aurèle, à un promontoire, » contre lequel les flots viennent sans cesse se briser ; le « promontoire dompte la fureur de l'onde qui bouillonne » autour de lui. » La première de toutes les qualités pour le sage, c'est donc l'impassibilité, ou mieux l'insensibilité. La compassion, la pitié sont des faiblesses indignes de lui, il ne doit s'attacher à rien de ce qui puisse lui être enlevé. Faire son devoir, là est le bonheur , qu'importe le reste. Perdre un fils, une femme, un frère, des richesses ou quelqu'autre bien de cette nature, n'est pas un malheur, rien dans ces pertes ne nous empêche de faire notre devoir et d'être en conséquence parfaitement heureux ; et si les cir-


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constances de la vie, si nos parents, nos amis, si nos passions même nous rendent trop difficile l'accomplissement du devoir, alors le sage quitte la vie, comme un vêtement qui gêne ou ne sied pas, « il y a de la fumée ici,' disait « Marc Aurèle, je m'en vais. « Voilà donc le dernier mot de cette sagesse Stoïcienne si

vantée, le suicide, et après la mort, le Néant! Certes ce fut un noble et grand effort de l'esprit humain que cette doctrine; Stoïcienne, nne énergique et éloquente protestation contre là décomposition et la démoralisation du monde Romain, mais elle était condamnée à rester confinée dans un petit nombre d'intelligences raffinées, et comme toute morale à qui manque la sanction d'une vie future, elle devait s'écrouler parce que sa base était de sable, il en sera tou»

jours ainsi de ces morales scientifiques; ou intéressées, le gros bon sens de l'humanité finira toujours par en avoir raison, les misères de cette vie ont absolument besoin des compensations d'un autre monde, sous peine de détruire jusqu'à ridée de justice ; sans cette sanction, les hommes vertueux seront toujours des dupes ici bas ; sans les récompenses futures, le sacrifice sera toujours une pure folie, et la satisfaction des passions le seul but que l'homme puisse

Raisonnablement se donner,

M. Montée a excellemment exprimé toutes ces idées; si je me suis étendu sur cet ouvrage, c'est qu'il est véritablement

véritablement aussi bien écrit que bien pensé, et que je

voudrais donner; â quelques-uns de nos collègues l'envie de le relire; c'est d'ailleurs le dernier ouvrage que M. Montée fit paraître avant d'entrer dans notre compagnie, ses publications postérieures vous sont mieux connues, vous en avez entendu des extraits importants, souvent vous les avez fait insérer dans les volumes de nos mémoires,


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aussi je les passerai plus rapidement en revues J'y suis d'ailleurs contraint par leur importance et leur nombre sous peine de donner à cette notice nécrologique des proportions peu en rapport avec vos usages.

C'est le 13 septembre 1867 que nous avons nommé M. Montée membre résidant. Les ouvrages que j'ai analysés, sa réputation si méritée de travailleur érudit, l'avaient désigué à vos suffrages et certes nous sérions bien; heureux si' nous pouvions de temps en temps recruter de pareils collaborateurs. Moins de deux ans après son entrée dans la Société, il lui payait sa bienvenue en publiant son beau livre sur la Philosophie de Socrate; ouvrage que l'Académie des sciences morales et politiques distingua tout particulièrement et auquel elle décerna une mention honorable. La philosophie de Socrate, qu'on a si justement appelé le père du Spiritualisme, était un sujet fait; pour tenter Pierre Montée, il présentait toutefois des difficultés qu'on ne soupçonne pas au premier aspect. Nul homme peut-être n'a joué un plus grand rôle que Socrate dans l'histoire du développement de l'esprit humain, et il ne nous reste pas une seule ligne du grand philosophe ! Je me sers même d'une expression impropre en disant qu'il ne nous en reste pas une ligne, Socrate, en effet, n'a jamais rien écrit; c'est dans les ouvrages de ses disciples que nous devons chercher et étudier sa doctrine. Deux surtout, (et combien grand devait être le maître capable de former de tels disciples!) Platon et Xénophon ont fourni à notre collègue les matériaux de son livre. Mais là encore que de discernement il lui a fallu pour séparer la part de Socrate, de ce qui appartient à ses élèves ! Pierre Montée s'y est appliqué avec ce soin scrupuleux apporté par lui en toutes choses, il suffit de jeter un' coup d'oeil sur les notes de chaque page, pour se rendre


compte de la somme de recherches, de lectures, de traductions nécessaires pour arriver à un résultat satisfaisant. Là encore, il a déployé cette, érudition consciencieuse qui ne veut négliger aucun renseignement.

L'oeuvre de Socrate était avant tout originale ; cette doctrine, la plus grande, la plus pure qui soit sortie d'un cerveau humain, n'avait pas d'antecédants ; M. Montée a eu une heureuse idéc en examinant dans son premier chapitre ce qu'était la philosophie grecque avant Scrate, et en nous montrant que nous devons à lui seul ces grandes conceptions, sur l'âme comme sur Dieu, sur le discernement du bien et du mal, comme sur le devoir, sur. les idées, comme sur les passions. Nous autres, modernes, qui ne pouvons plus en philosophie trouver une voie sur laquelle d'autres ne se soient déjà engagés, qui ne pouvons découvrir un coin inexploré, pas même combiner une théorie ou une doctrine sans avoir eu des précurseurs, nous pouvons difficilement nous représenter de quelle révolution cette simple formule « Connais-toi toi-même! » a été le signal. Jusque- là l'homme s'était ignoré, les philosophes se perdaient dans des spéculations cosmogoniques, physiques ou théogoniques, et nul n'avait encore eu le spupi de savoir ce qu'il était lui-même. Socrate, fut véritablement le plus grand initiateur de l'esprit humain et M. Montée a bien fait de mettre ce point capital en relief, on en comprend mieux toute la grandeur et la noblesse de l'édifice admirable élevé par le maître de Platon ; j'ai dit admirable et en effet l'admiration est surtout le sentiment qui nous domine dans l'étude de l'oeuvre de Socrate,

Doué d'autant de bon sens que de génie, trop habile logicien pour se laisser entraîner à un sophisme, le grand philosophe s'arrête partout à temps, Sa doctrine reste haute


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et pure en tout et les spiritualistes d'aujourd'hui, s'ils ont à ajouter, n'ont presque rien à rejeter; dans cette noble philosophie, les utopies ou les erreurs qu'on peut rencontrer dans Platon sont l'oeuvre du disciple seul, mais Socrate, au milieu des ténêbres de son époque, sut trouver et découvrir la vérité ; estimant que nul n'a le droit de garder pour lui même la lumière, il osa la faire resplendir aux yeux de ses contemporains, aux regards des générations futures qui ont marché, à la lumière de son flambeau ; il paya de sa vie son audace ; sa mort vraiment sublime, sans affectation théâtrale, sans raideur, sans excès, fut la; dernière et comme le dit très bien Pierre Montée, la plus féconde et la plus éloquente de ses leçons. Notre collégue a fait, Messieurs, une; oeuvre excellente et bonne en ravivant pour nous cette grande figure de Socrate, en nous exposant sa doctrine, en nous racontant sa vie.

Un an après son entrée dans notre société, Pierre Montée fut nommé secrétaire général de la mairie de Douai, Pendant plus de huit années il exerça ces fonctions avec un zèle et une affabilité dont chacun de nous, comme tous ceux avec qui elles le mettaient en relations, ont conservé le souvenir ; il eut à traverser ainsi les époques les plus douloureuses, suffisant à tous les surcroîts de besogne que lui apportaient les événements, et prenant sur son repos le temps de faire face à tout. On ne se figure pas aisément à quel travail écrasant nos malheurs avaient alors astreint les bureaux ; l'organisation des gardes nationales mobile, mobilisée et sédentaire, les opérations de multiples recrutements, les passages de troupes, l'arrivée des blessés, l'organisation des hôpitaux temporaires et vingt autres services obligeaient Pierre Montée à passer 16 ou 17 heures par

MEMOIRES.—2e SERIE, T. XV. 16.


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jour à la mairie pendant plusieurs mois. Il y suffit grâce à un dévouement qui ne calculait pas, mais tant de fatigues ébranlèrent à jamais sa santé.

Il était serviable envers tous, particulièrement envers les faibles et les humbles, et imposait ainsi au coeur de ses concitoyens ce devoir de reconnaissance dont nous avons vu la consolante manifestation au jour de ses funérailles.

On eut pu craindre, Messieurs, que tant d'absorbantes occupations ne diminuassent lapart prise par notre collègue à nos travaux, il n'en fût rien. Je ne sais comment il en venait à bout, mais la littérature et la philosophie continuèrent comme par le passé à occuper ses veilles. Vous l'aviez nommé dès 1869 votre secrétaire adjoint, en 1872 vous l'avez élevé aux fonctions de secrétaire général, jamais il ne faillit aux devoirs de ses fonctions, et vous les lui avez conservées jusqu'à sa mort, malgré la démission qu'il vous adressait à l'heure où la maladie avait vaincu sa bonne volonté.

Chacun des volumes de vos mémoires parus depuis son entrée dans notre compagnie, contient pllusieurs de ses travaux, quelques-uns atteignent les proportions d'un véritable ouvrage. Telle fut par exemple son étude sur le De Officiis de Cicéron. C'est un examen critique de ce traité célèbre, concu sur un plan analogue à celui que lui avait servi dans la composition de son livre sur le stoïcisme à Rome. La Touche en est plus ferme, le style plus chatiè encore ; notre collègue devenait plus maître de son talent, sa modestie restait la même, mais sa timidité s'atténuait, il osait davantage discuter les oeuvres illustres sur lesquelles portaient ses études, et sans ambages, il nous montre les lacunes si graves de la morale de Cicéron qui, négligeant pour la morale


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sociale l'exposé des devoirs individuels et religieux, ne nous a légué qu'une doctrine incomplète et sans base. Dans cette même année, Pierre Montée nous lisait une étude sur le Naturalisme contemporain et une autre sur l'Ecole Cyrénaïque et la morale d'Aristipe ; mais la Philosophie ne l'absorbait pas; la littérature l'attirait également; dans d'autres séances; il vous parlait de la Henriade de Voltaire, du système dramatique de Shakspeare et il commençait une intéressante série d'Etudes sur Pierre Corneille. Dans l'oeuvre du grand tragique, il s'attachait volontiers aux pièces oubliées et selon lui méconnues, où à côté de défauts incontestables , se retrouve cependant la griffe du lion ; c'est ainsi que vous l'avez entendu passer en revue tour à tour au double point de vue historique et littéraire Cinna et Théodore, le Cid et Sophonisbe , Polyeucte et Attila, Vous avez fait imprimer ce dernier travail, qui par un examen aussi neuf qu'original, réhabilitait une tragédie ou plutôt un drame injustement condamné par l'épigramme de Boileau trop aisément ratifiée par la postérité.

Vous voyez, Messieurs, quel laborieux collègue vous vous étiez donné. Outre ces travaux que je ne puis qu'énumérer, il vous rendait fréquemment compte de volumes renvoyés à son examen, il s'acquittait de ses fonctions de secrétaire général dans des rapports substantiels sur nos concours, sur les travaux des membres de la Compagnie, puis revenant à la philosophie, il vous; apportait un travail intéressant sur Pythagore et son école, que vous avez été heureux de pouvoir faire figurer dans vos mémoires.

Cependant un grave événement était survenu dans la vie de Pierre Montée. En 1875, l'Assemblée nationale avait voté une loi qui consacrait la liberté de l'instruction supérieure. On a beaucoup médit depuis et de la loi et de


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l'Assemblée nationale qui l'a votée. Ce n'est pas ici le lieu d'en discuter la valeur et l'obportunité ; mais je puis bien exprimer ma profonde conviction que l'impartiale histoire ne s'associera pas aux critiques passionnées dont on accable cette Assemblée si patriote et assez libérale pour savoir reconnaître et respecter les droits même de ses adversaires comme ceux des minorités. Au reste sans examiner, je le répète, la valeur de cette loi du 12 juillet 1875, constatons, qu'elle fit naître un mouvement important dans toute la France et qu'elle suscita de nombreux dévouements. Pour organiser, malgré les incertitudes de nos temps troublés, un enseignement supérieur indépendant, capable de soutenir sans périr la concurrence de l'Université de France, pour fonder des Universités complètes, il fallait des sommes considérables et des hommes dévoués. Nos riches et fécondes provinces du Nord offraient un terrain favorable, les capitaux furent trouvés, l'Université libre de Lille fut constituée, et le comité directeur offrit à M. Montée la chaire de littérature latine. Montée hésita longtemps ; outre qu'il avait une bien injuste défiance de lui-même , il était profondément douaisien ; il lui en coûtait beaucoup, sinon de rompre, car il ne quitta jamais notre ville, du moins de relacher les liens qui l'unissaient à la cité adoptive, d'abandonner ses fonctions à la Mairie, pour participer dans une ville rivale à la fondation d'une Faculté appelée, par la force des choses, à faire concurrence à celle où il avait conquis ses grades. Ce qui le détermina ce fut la conviction profonde chez lui de la nécessité de l'oeuvre nouvelle. Je vous l'ai déjà dit, Pierre Montée avait un coeur et une foi de prosélyte, sa grande charité souffrait de voir ses semblables dans l'erreur autant que devoir le pauvre en proie à la misère. Il était convaincu de l'utilité, que dis-je, de la nécessité de


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la création nouvelle, le flot de l'incrédulité religieuse et du scepticisme qui montait dès lors sans relache, l'épouvantait, on lui demandait avec instances d'apporter sa pierre à la digue qu'on voulait lui opposer, il se résigna et se démit de ses fonctions douaisiennes, sauf de celles qu'il tenait de vos suffrages. Vous seuls, Messieurs, avez continué à le voir prendre assidûment part à vos travaux et à vos séances.

Son cours de littérature latine à Lille eut tout le genre de succès qu'on pouvait lui prédire. Comme le disait sur sa tombe le Doyen de la Faculté des lettres dont il faisait partie,

partie, professeur; n'aima mieux ses élèves et n'en fut plus aimé. Aussi ses leçons portaient tous les fruits que

produit toujours cet accord intime entre maître et disciples. Nous avons pu juger dp ce qu'elles devaient être par les conférences nombreuses qu'il avait faites à Douai; très travaillées, préparées par sa grande érudition, elles laissaient dès traces profondes dans l'esprit de ses auditeurs.

Comme Pierre Montée avait continué à habiter Douai, il était contraint à de très fréquents déplacements ; ces voyages répétés dans toutes les saisons, par tous les temps, étaient une rude épreuve pour sa constitution délicate, et qu'avait altérée les fatigues excessives de la triste période de 1870-71. Au bout de; trais ans, ses forces trahirent son courage, et ni les soins, ni la tendresse dont il était entoure ne purent enrayer la marche du mal qui le minait.

Ceux qui, comme moi, Messieurs, ont pu l'approcher dans ses derniers jours, ont quitté son chevet profondément émus de la; sérénité avec laquelle il voyait approcher la mort. Lui qui, à 42 ans, allait quitter tout ce qui fait le bonheur ici bas, sa sainte mère qui l'a suivi de si prés dans la tombé, une compagne, une fille qui lui donnaient:


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toutes ces joies intimes dont il était si digne, une carrière ou il trouvait la complète satisfaction de ses goûts et de sa modeste ambition ; lui qui aurait si justement pu exhaler sa douleur, n'avait que des paroles de consolation et d'espérance pour ceux qui pleuraient prés de son lit. Il ne se faisait, aucune illusion sur son état et il était presque gai pour adoucir aux autres l'amertume de la séparation. Sa foi profonde qui n'avait jamais subi une éclipse, lui donna la force de dissimuler ses souffrances morales et physiques, et il s'éteignit comme il avait vécu, en donnant le bon exemple, d'une mort admirable après avoir donné celui d'une vie sans reproche.

Moins de deux mois avant son dernier jour, vous l'aviez, comme je le disais plus haut, malgré sa lettre de démission, réélu secrétaire-général et j'avais été chargé de lui porter de votre part celle marque nouvelle de votre estime et dp votre affection; il en avait été très touché et j'avais pu apprécier toute la force des liens qui l'unissaient à nôtre compagnie ; il avait accepté cette nomination parce que, disait il, avec un triste sourire, il savait bien que la mort vous porterait bientôt une démission que vous ne pourriez plus refuser. Vous pouvez m'en croire, Messieurs, j'ai ce jour là constaté que chacun d'entré nous, sans exception, perdait en lui non seulement un laborieux et savant collègue, mais encore un excellent ami!


NOTICE NECROLOGIQUE

SUR

M. le Conseiller MINART (1)

PAR

M. Henri-Réné-Joseph HARDOUIN; Membre honoraire.

Le digne octogénaire à la mémoire duquel les pages qui vontsuivre seront consacrées, comptait plus de cinquantesix ans de service dans les rangs de la Société d'agriculture; sciences et arts de Douai, lorsque vint; naguère, à se rompre le dernier des liens par lesquels il avait continué de lui appartenir.

Son assiduité durant une carrière aussi exceptionnellement prolongée, fut sans précédents, comme, sans rivale. Brisée, en dernier lieu, après une résistance désespérée aux étreintes de la paralysie, elle refléta toute l'énergie du soldat blessé qui s'obstine à ne vouloir quitter qu'avec la vie, ses armes et le combat.

Quelques-uns tout au moins des souvenirs légués par le tant regretté défunt étaient à recueilllir.

(1)Lue en séance générale, le 13 août 1880.

MEMOIRES. -2e SÉRIE, T. XV. 17.


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Là tâche de les retracer semblait dévolue de droit à l'un de ses concitoyens. Elle eût ainsi été accomplie avec une autorité à laquelle ne saurait prétendre à aucun titre le membre de la Société qui se trouve avoir été désigné, tout dépourvu qu'il fut à Douai desliens d'origine ou de famille.

S'il ne l'a point déclinée même sur le seuil d'un départ et d'adieux, c'est qu'il eut à coeur de témoigner une fois encore de sa déférence à tout voeu d'une confraternité dont la trop indulgente bienveillance restera l'un de ses plus précieux souvenirs,

Qu'il luu soit permis de remercier ici tout particulièrement MM., Gustave et Auguste Maugin, ses honorables collègues, de l'empressement avec lequel ils l'ont aidé d'une communication des papiers de famille et autres documents' dont leur affectionné parent fit si soigneusement collection. Bien rarement verra-t-on les matériaux d'une quotidienne autobiographie, affluer au même degré d'abondance et d'authenticité tout ensemble.

Un reflet de la modestie dont le vénéré doyen d'âge de la Société eut le goût et l'habitude, doit se faire place dans l'écrit destine à brièvement esquisser sa vie.

Pierre-Désiré Minart naquit à Douai, le 7 février 1795.

Sa vocation primitive fut toute militaire.— Il était fils et neveu d'officiers distingués (1). De plus, au lycée de Douai où il avait mérité, dès 1809, une bourse entière mise au concours, et où la caserne du voisinage était alors, comme dans tous les autres établissements universitaires, un sujet

(1) M. Minart père, après avoir débuté comme avocat au parlement de Flandre, était entré au service de l'armée. Devenu capitaine dans un régiment de dragons, il s'était retiré par suite d'infirmités, et avait fondé à Douai un établissement commercial. M.; Garet son beau-frère fut officier supérieur d'artillerie et membre de la Légion d'honneur.


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d'émulation, voire de rivalité, l'élève Minart avait été promu dès le début de l'année scolaire 1812-1813, sergentmajor « commandant la manoeuvre ordinaire. »

En même temps d'ailleurs qu'il suivait le cours de mathématiques spéciales pour se préparer aux examens d'admissibilité à l'Ecole polytechnique, il était étudiant inscrit à la Faculté des lettres. Elle devait être supprimée peu d'années après, mais la satisfaction de la voir renaître un demi siècle plus tard et d'y redevenir un modèle d'attention comme d'assiduité, fut réservée à M. Minart dans sa vieillesse.

A cette époque de sa vie se trouva également exécuté l'un de ses autres voeux les plus chers, la fondation à Douai d'une Faculté de droit.

Avec l'année 1813 débuta, on ne le sait que trop, la succession d'inénarrables revers par laquelle fut expiée une ère de domination sans: frein et de conquêtes sans limites, C'étaient avec les deuils de la défunte, hécatombes humaines sur hécatombes.

Les anticipations de contingents militaires, les rappels de classes libérées, l'exagération continue des taxes publiques ainsi que de l'impôt du Sang avaient de plus en plus cessé de suffire, et l'invasion du sol de l'ancienne France elle-même par la coalition des armées de l'Europe devenait imminente. Aussi; dès le 3 avril, une levée extrordinaire de cent quatre vingt mille hommes et la création d'une milice spéciale sous la dénomination de garde d'honneur, avaient-elles été décrétées par un sénatus-consulte lugubrement demeuré célèbre.

Dix mille fils de familles à la désignation du gouvernement, avaient à s'improviser cavaliers. C'était l'élite de la


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jeunesse, encore à l'étude sur les bancs des lycées. Il s'agissait de l'acheminer sur l'heure à la rencontre de l'ennemi. L'entretien comme l'équipement demeurait à la charge des parents pu tuteurs.

Nulle dispense. Aux seuls membres de la légion d'honneur dénués de ressources, la faculté de recourir à la dotation de l'ordre. Qui jamais assez redira la douleur des familles et la résignation de leur patriotisme d'autant plus digne, des respects de l'histoire, qu'il est demeuré moins connu quant à la plupart d'entr'elles !

Le 8 juillet de la même année 1813, c'est-à-dire à la veille des examens auxquels il s'était préparé le jeune lycéen dut être dirigé sur Lille et peu après sur Versailles, au dépôt de son régiment, avec plusieurs de ses condisciples ou concitoyens.

Promptement survint le départ pour l'Allemagne.

L'escadron dans lequel le nouveau garde d'honneur fut incorporé, avait dépassé le Rhin et atteint Cassel, lorsque survint la nouvelle de l'irréparable défaite subie à Leipsig (18-19 octobre 1813).

Force fut de rétrograder.

Sur le trajet de retour, le jeune cavalier fut atteint du typhus, dans Trêves encombré de malades et de blessés. Il ne put quitter l'hôpital que vers la fin de décembre, et ne réussit à rentrer isolément à Versailles qu'en janvier 1814. Partout, sur sa route, le désarroi qui de jour en jour se propageait davantage ; avait accumulé obstacles et fatigues.

La plus modeste des' promotions devint sa récompense.

Survinrent quelques mois plus tard, le licenciement et le retour à Douai (1).

(1) Si un jour , dans quelque publication sur l'histoire locale devait trouver place un chapitre concernant le départ, les services et la rentrée


Là ce fut désormais d'une proposition pour l'emploi de sous-lieutenant dans un régiment d'infanterie (le 118e), quel'ex-brigadier garde d'honneur devint l'objet. Elle est à littéralement reproduire d'apès son motivé, « qu'elle fut » tant par les brillantes qualités du jeune homme, ses » excellentes études et son goût pour l'état militaire, que » par lès services de son père retiré pour cause d'infirmités » provenant des fatigués de la guerre» . Le brevet n'advint toutefois que le 4 mai 1815. Il s'y agissait d'un corps (1) autre que celui en considération duquel il avait été désiré. Il y eut démission.

La renonciation au service de l'ârmèe était un fait d'ores et déjà irrévocablement accompli . Le bénéficiaire qui venait à peine d'atteindre sa vingtième année; n'avait pas dédaigné l'humble chaire de régent de la classe élémentaire dans le non moins humble Collège Communal de Bergues. Ses fonctions durèrent quinze mois entiers et consécutifs. M. Minart s'en acquitta avec la scrupuleuse exactitude dont partout et toujours il fit profession à si haut degré dans le cours de sa longue existence.

La sollicitude paternelle veillait. — Elle ne laissa point l'épreuve durer davantage. La nouvelle carrière, tout honorable qu'elle fût, ne présentait dans les circonstances ou elle débutait, que peu ou point d'avenir.

Une occasion ne tarda point à se présenter pour rendre définitif le congé provisoirement obtenu.

Des liens d'affection mutuelle en même temps que de parenté, unissaient étroitement le jeune régent à l'un de

des fils de familles de la ville ou de l'arrondissement de Douai qui furent incorporés dans la garde, d'honneur, l'auteur suppléerait le plus utilement du monde, par un coup d'oeil sur les papiers que conserva M. Minart, à l'insuffisance des documents officiels. (1) Le bataillon, dit des Grenadiers du Nord.


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ses condisciples. Il y avait parité d'âge. Les familles se concernèrent ». Tous deux furent acheminés vers Paris pour y suivre les cours de la : faculté de droit. Commensaux inséparables, ils rivalisèrent d'ardeur au travail, de régularité de conduite et de succès.

Ni retard ni éclipse, au cours de leurs, études, l'éclat accoutumé des épreuves subies avait-il, par accident, quelque peu pâli ? C'était la même effusion de regrets et d'excuses que s'il se fût agi de faire amnistier un sérieux échec.

Dans la correspondance soigneusement conservée des jeunes gens, quelle élévation d'esprit et de coeur ! quelle anticipation de maturité !

Est-il besoin de rappeler que l'un d'eux, par la supériorité de son mérite, s'éleva aux plus hautes fonctions judiciaires? Il a naguère été rendu dignement hommage à sa mémoire.

Pourquoi faut-il hélas ! que, presque immédiatement, le même tribut ait été à décerner à pelle de M. Auguste Preux, frappé de mort subite à la fleur de l'âge, après avoir, à l'exemple de son père, conquis par ses services le poste éminent de chef du parquet d'une cour d'appel, et à son exemple aussi, subi avec une rare dignité de résignation, l'épreuve d'un annéantissement prématuré de sa carrière ? — Restitué par ses loisirs forcés à la Société qu'il avait avec tant de distinction présidée, M. Auguste Preux venait, lorsqu'il succomba foudroyé, d'aider assidûment à l'exploration des richesses amoncelées par son défunt parent M. Minart, en fait de numismatique, de librairie, et de paléographie. A l'accomplissement de cette tâche fort ardue, M. Preux fils avait dépensé l'infatigable activité qu'il tint au service d'un savoir aussi étendu que judicieux.


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La plume à laquelle la compagnie à été redevable d'une' notice remarquable à tous égards, sur la vie de M. Preux père, (1) ne tardera pas à retracer aussi, sous la dictée du coeur et du talent tout ensemble, la carrière sitôt hélas ! et si fatalement brisée de M. Auguste Preux; l'irréparable douleur de sa compagne et dé ses enfants ainsi que l'unanimité des regrets légués à ses. collègues, à ses nombreux amis et à ses concitoyens.

Dans les lettres des deux élèves de la faculté de droit, se rencontre fréquemment un écho de la Sorbonne et des leçons de MM. Guizot, Cousin et Villemain ainsi que du retentissement de plus en plus lointain de leur popularité. L'un et l'autre en ce terme, tinrent à l'honneur de militer au premier rang de la phalange aguerrie aux assauts quotidiens des amphithéâtres, et aux applaudissements dont l'enthousiasme si souvent se propagea dû dedans au dehors de l'enceinte privilégiée. Telle fut, chez l'étudiant Minart en particulier, la fascination exercée par le prestige de là parole d'aussi grands maîtres, qu'il se prit à presque méditer une prolongation de ses études à Paris.

Mais une attraction rivale domina. La famille et la cité se disputaient le coeur du jeune licencié. — Elles se liguèrent. Il revint à Douai que jamais plus il ne quitta.

Immédiatement débuta, pour se prolonger jusqu'à la plus extrême vieillesse, une existence dont la régularité, le calme et l'honorabilité ne sauraient se décrire. Au passé, au présent, à l'avenir de sa ville natale, M. Minart voua un véritable culte. Il étudia dans l'intimité de leurs moindres détails ses institutions de tout ordre, sans, d'ail(1)

d'ail(1) travail de M. le conseiller Leroy a été publié dans le tome XIII des Mémoires de la Société.


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leurs, cesser un seul instant de vaquer avec la ponctualité là plus rigide à l'accomplissement de tout devoir professionnel.

L'ambition secrète de M. Minart était de devenir magistrat. Elle eût pu se donner carrière dès 1826. Une place de juge suppléant vacquait alors au tribunal civil de Douai.

La bienveillance de l'un des chefs dé la Cour; auquel n'avait point échappé le mérite du jeune avocat alors tout récemment inscrit au tableau, avait d'office suggéré une candidature.

Elle eût été très chaudement appuyée. Avec toute la modestie dont témoigne une lettre qui lui fit honneur, M. Minart maintint sa détermination de continuer, plusieurs années; encore, l'exercice assidu de la profession d'avocat, dans le but d'autant mieux participer ultérieurement à l'administration dela justice. II tint parole et ce fut seulement en novembre 1830, que les très modestes fonctions auxquelles il aspirait, lui advinrent. Quelques années après, il fut nommé juge titulaire et chargé de l'instruction, tâche ardue et délicate à laquelle, il avait du reste concouru avec succès comme suppléant.

L'accès de la Cour d'appel lui fut ainsi frayé.

M. Minart y devînt conseiller, après qu'aux mérites de ses services, se fut ajoutée leur longue durée.

Au cours dé l'année 1869, Survint la limite d'âge. Les fonctions actives durent cesser.

Antérieurement, M. Minart avait été promu chevalier de la Légion d'honneur.

La Compagnie regretta la retraite forcée d'un membre dont la vigueur de corps et d'esprit s'était remarquablement conservée, et, dont la collaboration avait été à tous égards; très-appréciée.


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Devenu conseiller honoraire, M. Minart ne s'éloigna du palais que le jour où il cessa de pouvoir s'y rendre même'' aidé du bras d'un serviteur dévoué. A part le service des audiences quotidiennes, sa carrière y continua.

Dès 1823, comme on l'a déjà rappelé, la Société ouvrit ses rangs à M. Minart, alors en plein épanouissement d'études et de jeunesse.

Il participa durant longues années aux travaux les plus divers avec une activité rivale de son exactitude sans pareille.

La réunion des procès-verbaux de séances et des rapports dus à sa plume, constitue à elle seule une très notable section des archives de la Société. Leur ensemble atteste, indépendamment de la culture de l'esprit, une verve originale et non moins de précision que de facilité quant au style. — Il est à vivement regretter que le défunt ait de propos délibéré, soustrait à une publicité quelconque, la plupart de ses écrits.

Les livres et les papiers, compagnons des labeurs de M. le président Tailliar, d'érudite mémoire, avaient fini par envahir, de proche en proche et de recoin en recoin, les. étatges supérieurs d'une très-spacieuse demeure.

Toute priorité n'en appartient pas moins à M. Minart, dans une sphère analogue. On parle ici de la recherche, de l'acquisition et de l'anxieuse conservation de matériaux de toute: nature au service de l'histoire locale en particulier. Il faut renoncer à décrire la variété comme la quantité des richesses conquises. Quotidienne devint plus d'un demisiècle durant, l'irruption de leurs catégories dans la très vaste habitation de leur possesseur et dans l'ameublement spécial dont elle fut pourvue.

MÉMOIRES. — 2e SÉRIE, T. XV. 18.


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Comment et pourquoi tant de matériaux restèrent-ils, finalement, chacun et tous, à pied d'oeuvre ?

Il est facile de l'expliquer.

Lorsque vint à cesser la carrière professionnelle de MMinart, sa prédilection innée pour la spécialité de labeurs dont il vient d'être fait mémoire, bénéficia sans réserve de loisirs sans limites.

Toute concurrence avait à jamais disparue.

M. Minart jusqu'alors c'est-à-dire pendant tout le temps que dura son service actif dans les rangs du jeune barreau. et plus tard de la magistrature, ne s'était point borné en effet à se distinguer par son incessante application à l'étude, comme par une inquiète préoccupation des exigences du devoir. Il avait en outre tenu une collaboration non moinsassidue au service non-seulement de la société d'agriculture, mais encore de la plupart des oeuvres intéressant la cité.

L'instruction primaire et ses progrès, l'institution de la caisse d'épargne et sa prospérité, les destinées de l'enseignement secondaire ou supérieur devinrent tout particulièrement l'objet de sa vive sollicitude.

En février 1873, une soirée de famille réunissait dans le local à l'usage des séances de la Société, tous ceux de ses membres honoraires, titulaires ou correspondants qui se trouvaient à Douai. La section des jardins s'était surpassée. Elle avait, sans réserve, mis les serres à contribution. Arbustes et fleurs d'élite abondèrent en plein hiver. L'heure en effet était venue de fêter le jubilé semi-séculaire de l'admission de M. Minart. Chacun eut à coeur d'enféliciter avec effusion le vénéré doyen d'âge.

Déjà, hélas! faiblissait sa vigueur physique. Ses pas


exigeaient appui. Son énergie sans égale croissait avec l'intensité du mal. Elle fut vaincue. La paralysie de plus en plus, désormais, défia les secours humains. Ils abondèrent grâce à la sollicitude d'une soeur tendrement aimée et de ses deux fils, qui,, dès l'enfance; avaient voue à leur oncle une toute filiale affection.

M. Minart s'était résigné à la mort comme aux souffrances. Il se recueillit chrétiennement, et dans les secours de la. religion il puisa, en même temps que les espérances d'une autre vie, la dignité de son suprême adieu aux affections de la terre.

Il avait dépassé l'âge de quatre-vingt-deux ans.

Cher à la famille; que tant il aima, le nom et la mémoire de M. Minart resteront a jamais dans les rangs du barreau et de la magistrature, comme dans ceux de la Société dont il voulut jusqu'au dernier soupir, rester le doyen d'âge.



NOTICE NECROLOGIQUE

SUR

M. Auguste PREUX,

PAR

M. le conseiller LEROY, Membre résidant.

Il y a 27 ans, dans cette même enceinte, M, le premier Président Preux, commençait ainsi la notice, biographique de M. le Recteur Duplessis : « Une amitié dont je m'honore, » déjà ancienne, quoiqu'elle ne se soit formée que dans notre » âge mûr ne m'a pas permis de décliner une tâche dont » j'appréciais en même temps le devoir et l'amertume; » mais je ne vous le dissimulerai pas, jusqu'au dernier mo» ment, j'ai reculé, devant son accomplissement. Ecrire » la notice d'un ami, c'est ensevelir soi-même celui que » le coeur fait revivre, triste et dernier devoir qu'il faut » toutefois sa voir remplir. » Qu'il me soit permis, Messieurs, de m'appliquer ces paroles qui sont revenues bien souvent à ma pensée lorsque j'écrivais ces lignes. Par une amère et étonnante fatalité, après avoir, il y a quatre ans, rendu à la mémoire de M. le premier Président Preux, le juste hommage qui lui était dû, je suis appelé aujourd'hui.

MEMOIRE. - 2e, Té XV.


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à vous rappeler celle de son infortuné fils ! Vous m'avez déjà pardonné de vous avoir fait longtemps attendre ces lignes ; bien des fois en les traçant mon coeur se serrait et ma plume s'arrêtait tristement... Vous excuserez, Messieurs, par indulgence pour la peine d'un ami, ce que cette étude, à la fois pour moi attachante et désolée, présentera d'insuffisant et d'incomplet.

Preux (Auguste-Humbert-Philippe-François), est né à Douai le 22 juillet 1822. Son père alors jeune avocat d'un brillant avenir, avait obtenu quelque temps auparavant le prix du concours ouvert par notre société pour l'éloge de M. Desprez. N'est-il pas touchant de penser que le berceau de Preux apparut pour ainsi dire à l'ombre des palmes académiques décernées par une compagnie qu'il devait tant aimer à son tour et pendant toute sa vie,

Son enfance s'écoula toute entière au foyer de la famille. Son père qui était, entré dès 1823 dans la magistrature, consacrait ses loisirs à l'éducation, à l'instruction d'un fils tendrement aimé. Il semble même qu'il eut quelque peine à s'en détacher et à admettre une participation étrangère dans ces soins si importants, Preux avait accompli sa 13e année lorsqu'il entra au lycée dans la classe de cinquième. On y: put juger bien vite qu'il n'avait pas perdu son temps; et les prix qu'il remporta dès cette année attestèrent que la sollicitude paternelle avait porté ses fruits. Chacune des années suivantes augmenta la liste de ses succès et cette liste fut couronnée par le prix d'honneur en philosophie. Il avait terminé ses études, et même achevait une première année de mathématiques, lorsque là nomination de son père, à la tête du parquet de Metz, l'obligea à s'éloigner de Douai. Ce changement ne fut pas sans amertume pour lui ; pour la première fois il quittait sa ville natale, ses


amis, ce lycée témoin de ses premiers efforts et de ses premiers succès. Beaucoup dentre vous se rappellent, Messieurs, combien, il a toujours conserve de sympathie pour ses amis de collége, combien il est toujoursresté , attaché à l'Association des anciens élèves, avec quel joyeux empressement il ne manquait pas de se rendre à leur réunion annuelle; Dans cette attrayante fête de famille, il aimait à serrer cordialement leur main, à s'entretenir avec eux de leurs joies comme de leurs peines, et tout en jetant un regard attristé sur les vides que le temps faisait autour de lui, à revivre quelques heures dans le passé, embelli par les couleurs et le charme que notre imagination aimé a prêter aux jours qui ont fui loin dé nous.

Ce passé, c'était alors le présent pour lui. Sa jeunesse s'ouvrait sous les plus heureux auspices ; tout semblait lui sourire.. Intelligent et laborieux, aimé de ses camarades, chéri et choyé dans sa famille, soutenu par la haute position de son père, qui grandissait avec les années, il pouvait s'abandonner à des rêves heureux, et chercher volontiers à entr'ouvrir les voiles impénétrables de l'avenir. Il arrivait dans cette ville de Metz alors si française et si militaire, étouffant un peu dans sa vieille enceinte avec ses 60,000 habitants, sa nombreuse garnison et la jeunesse parfois un peu bruyante et folle de l'Ecole d'application. C'était un excellent milieu pour les études que Preux y continuait. À cette période de sa vie la toge judiciaire avait pour lui peu d'attraits, la carrière de son père exerçait peu de séduction sur son esprit ; il se laissait plutôt charmer par là précision des sciences exactes, ou par' les progrès magnifiques des sciences physiques et naturelles. Il se livra donc à l'étude comme il avait accoutumé à le faire, et pourtant, à la fin del'année, le succès ne répondit pas


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à ses efforts. Un examinateur, que plusieurs d'entre vous ont certainement connu, lui ferma l'accès de l'Ecole polythecnique. Je suis loin d'en vouloir à ce sévère, professeur; c'est à lui que nôtre magistrature douaisienne a dû un de ses membres les plus distingués et les plus honorés.

Preux dut se résigner à changer sa route, et commença son droit ; mais, pourquoi ne le dirions-nous point ? Ses premiers pas dans une science qu'il devait plus tard si bien connaître, se ressentirent assez longtemps de l'échec et de la déception qui lui en avaient imposé l'étude. Mais il avait l'esprit trop éclairé, le coeur trop loyal pour ne pas écouter de plus en plus la voix du devoir.

Aussi peu à peu se plia-t-il à ses nouvelles études, et se soumit-il aux exigences de la carrière qu'il devait embrasser ; la règle reprit sur lui son empire. Soutenu et dirigé par son père, qui soit à Amiens, soit à Douai, où il avait été successivement appelé, l'avait pris auprès de lui comme secrétaire, l'initait aux affaires, et lui assurait le profit des leçons de sa haute expérience, Preux, à l'âge de 25 ans était parfaitement préparé pour occuper un poste de début dans la magistrature.

Il allait y entrer quand éclata soudaine et imprévue la commotion de 1848, De nouveau Preux, voyait la porte d'une honorable carrière se fermer devant ses légitimes aspirations. Ne croyons pas toutefois que ce double revers n'ait été pour lui qu'une source de chagrin et de découragement, les caractères comme le sien se trempent et s'affermissent devant les obstacles qu'ils rencontrent au seuil de l'âge mûr. Ces obstacles, d'ailleurs, devaient bientôt s'aplanir. M. Preux père, dans sa retraite prématurée avait conserve des amitiés fidèles et reconnaissantes ; son fils en bénéficia, et le 10 mars 1849, il fut appelé aux fonctions


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de substitut au tribunal de Moissac. Il allait ainsi s'éloigner jusqu'au fond du Midi; mais la meilleure partie de luimême restait avec vous (animae dimidium suae). De cette année même, date son affiliation à notre compagnie; nos devanciers lui conférèrent le titre de membre correspondant, en même temps qu'ils le proclamaient lauréat de la société à l'occasion de la traduction dé la Gallia-Flandria du P.Buzelin.

Son séjour dans la région des Pyrénées ne fut pas de longue durée. Dès l'année suivante, il fut transféré à Doullens, renonçant, pour se rapprocher des siens, à un avancement légitime qui lui était offert par les chefs du ressort de Toulouse (1). Promu bientôt aux postes plus importants d'Abbeville d'abord, d'Amiens ensuite, il fut appelé le 1er avril 1854 à la tête du parquet d'Hazebrouck. Sa direction fut aussi ferme qu'impartiale et éclairée; elle est restée marquée au coin de ce triple caractère dans les souvenirs de ses anciens justiciables; j'ai pu en recueillir le témoignage auprès de plusieurs d'entre eux.

Enfin, le mois septembre 1857, le voit revenir dans sa obère ville de Douai comme substitut du Procureur général. Il entrait au parquet de la Cour avec une réputation de savoir et d'expérience, qui donnait à ses opinions, à ses observations, une autorité reconnue et acceptée par les magistrats des parquets du ressort. Parfois quelques-uns d'entre eux— la dignité du magistrat est peut-être sus(1)

sus(1) l'état de ses services judiciaires : 10 mars 1849, substitut à: Moissac— 15 mars 1850, substitut à Doullens. —2 avril 1851, id, à Abbeville.— 15 avril 1852, id. à Amiens.— 1er avril 1854, procureur à Hazebrouck.—19 décembre 1857, substitut à la Cour de' Douai.— 5 décembre 1861, avocat-général, au même siége.— 8 mai 1875, procureur-général à Limoges.— 8 septembre 1867, id. à Riom.— 23 juillet 1878, id à Agen, démissiounaire.


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ceptible; — crurent voir dans sa correspondance une certaine rigueur ; mais il savaient bien que la vivacité de l'expression avait sa source non dans une disposition à l'aigreur, mais dans un profond sentiment des devoirs judiciaires et des obligations qu'ils imposent. Il suffisait à ses collègues de voir Preux et de serrer la main qu'il leur tendait avec une cordialité sincère, pour oublier bien vite quelque rapidité de style, pour ne plus voir que l'homme et son bon coeur. C'est à cette époque que ses liens avec notre compagnie se resserrent de plus en plus. De correspondant, il devient membre résidant et prend une part active à nos travaux. A quel point il a été toute sa vie, attaché à notre Société, presque tous, vous le savez, Messieurs ! il aimait nos études et nos modestes efforts, il aimait notre confraternité, il venait toujours avec plaisir se reposer dans nos rangs des agitations et des soucis de la vie officielle. Enfant d'une ville universitaire depuis plus de trois siècles, d'une ville ou les sciences et les arts ont toujours été en honneur, si bien qu'on lui a quelquefois décerné avec un indulgent sourire le titre d'Athènes du Nord, il se plaisait à voir dans notre Société centrale, comme un des fleurons de la couronne littéraire et artistique de la cité. Etait-ce trop de témérité patriotique de sa part ? Qu'il nous soit permis de; l'approuver en rappelant ici les noms de Messieurs Taranget,

Taranget, Maugin père, Leroy de Béthune, Preux père, Brassart père, Asselin, Tailliar, Minart (je neveux pas ici parler que de ceux que nous avons perdus), et de bien d'autres qui par leur savoir, leur mérite, leur colla-'

boration dévoués, ont jeté un véritable lustre sur notre

Compagnie.

Preux ne resta pas au-dessous de ces modèles. Ses goûts de numismate l'avaient naturellement dirigé vers les re-


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cherches historiques et archéologiques ; aussi chacun se réjouit-il, sans surprise, de lui voir souvent puiser, dans le riche fonds de connaissances accumulé par son travail, des communications d'un haut intérêt, dont plusieurs ont enrichi vos annales.

Dès 1861, vous l'aviez appelé à vôtre bureau comme, secrétaire-adjoint. C'était à lui qu'était ordinairement confié le rapport sur les concours d'histoire; les concurrents, n'auraient pu rencontrer un jugement plus sûr et plus éclairé.

Il né négligeait pas, quand l'occasion s'en présentait naturellement, de mettre son éducation au service de ses obligations judiciaires : c'est ainsi que chargé du discours de rentrée en 1861, il choisit pour sujet : « La sûreté des personnes au moyen-âge, principalement dans la France wallonne.» Cette étude, écrite avec la plume élégante et facile que nous lui avons toujours connue, est remplie de faits curieux et instructifs , empruntés aux sources les plus diverses.

Ce fut, en quelque sorte son adieu aux fonctions de substitut à la Cour: le 5 décembre suivant, il recevait le titre d'avocat-général. Je puis vous confier à ce sujet, Messieurs, ce que notre bon collègue m'a lui même raconté : les visées de l'ambition n'avaient point de prise sur lui ; il aurait préféré s'asseoir alors comme conseiller, et consacrer à ses études favorites les loisirs plus étendus que lui auraient assurés ses nouvelles fonctions. Ce fut son père qui, à son insu, contribua à le conserver à la phalange des parquets ; M. Preux père redoutait intérieurement la puissance même des goûts de son fils; Il craignait qu'une fois conseiller; Preux ne se laissât absorber dans des études qui doivent être comme le luxe, mais non former le fonds des occu-


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pations d'un magistrat. Preux aimait et respectait profondément son père ; il se soumit sans murmure et sans peine.

Ai-je besoin de vous dire, Messieurs, avec quel honneur il a porté la toge d'avocat-général ? Exactitude scrupuleuse à remplir tous ses devoirs, même les moins importants, sûreté et netteté de décision dans la direction des affaires au parquet, a l'audience, clarté et chaleur entraînante dans la parole, tels étaient quelques-uns des traits de son talent. Jamais il n'aborda une question quelle qu'elle fût, sans l'avoir creusée à fond, sans avoir exploré tous ses aspects, consulté toutes les sources, toutes les autorités. Sa mémoire remarquable, son infatigable activité d'intelligence suffisaient à ce travail qui aurait effrayé plus d'un autre. Au criminel, toutes les affaires les plus humbles à l'égal dès plus graves, étaient étudiées avec la même conscience, sans omission d'aucune pièce, d'aucun détail ; c'est là un des secrets de sa force oratoire et de la puissance de dialectique qu'admiraient ses adversaires d'un jour. Au milieu de travaux aussi divers que multipliés, sa collaboration à notre Société ne se ralentissait pas; chacun des volumes de vos mémoires en fait foi.

L'année 1861 vit paraître une savante revue bien connue aujourd'hui « Les Souvenirs de la Flandre wallonne. » Les premiers volumes de cette publication s'enrichirent de nombreux articles dûs au travail, incessant de notre ami. Un examen même superficiel de ses oeuvres m'entraînerait beaucoup trop loin : qu'il me suffise de citer sa remarquable notice sur la famille des Bellegambe, venant à l'appui de la découverte de M. Wauters, et consacrant ce qu'il a appelé ajuste titre: « La Résurrection d'un grand artiste, » ses intéressants articles sur le siége de Douai en 1710 , — Le nouvel an au temps jadis, — L'industrie et


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le commerce dans la Flandre wallonne — La Correspondance de Le Febvre d'Orval, etc.

De concert avec M. Auguste Maugin . il avait pris une large part à la rédaction d'un « Nouveau Guide de l'Etranger à Douai, » petit livre, modeste dans son son titre et son format, mais dont on peut justement vanter l'instructive érudition.

Je n'essaierai pas, Messieurs, — les connaissances me feraient absolument défaut pour cela — de vous parler de ses riches et nombreuses collections : matrices de sceaux, jetons, ex-libris. Des voix autorisées en ont déjà dit la valeur et l'importance. C'êtait là qu'il Cherchait et trouvait l'une de ses plus agréables distractions. Que de fois nous l'avons vu scruter et contempler ces richesses archéologiques avec un soin jaloux, ou s'occuper avec bonheur d'approfondir les points restés obscurs dans ses recherches.

La vie de Preux s'écoulait ainsi calme et paisible. Les années s'ajoutaient aux années, sans que rien fût changé à sa position de magistrat ; la décoration de la Légion d'honneur était venue en 1869 orner sa toge déjà ancienne. C'était là tout : et il y avait de quoi surprendre ceux qui ne connaissaient pas son amour pour là ville où il était né, son désir de ne plus la quitter j'en outre, personne n'était plus étranger que lui à tout ce qui ressemblait a une sollicitation même la plus avouable. Aussi voyait-il s'élever plus d'un de ceux qui avaient été jadis à ses côtés ; mais si parfois son regard venait à errer sur ces horizons qu'il s'était volontairement interdits, il le ramenait sans peine sur tout ce qui l'entourait ici, sur les joies de son foyer, sur ses enfants qu'il chérissait autant qu'un père a jamais aimé, et aucun sentiment d'envie ou de regret n'entrait dans son âme.


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Un jour vint pourtant où cette placide existence devait subir une profonde transformation. C'était en 1875, M. Dufaure était alors garde des sceaux. Sous l'impulsion d'un magistrat de Lorraine (1), que la Cour de Douai a, été heur reuse et fière de voir à sa tête, et qui avait su bien vite apprécier notre, ami, le ministre de la justice l'appela au poste qui lui était dû depuis longtemps, en le nommant Procureur-Général à Limoges. Je vois encore sa joie entremêlée de regrets ; comment n'âurait-il pas été flatté d'une distinction obtenue par la voie la plus droite et la plus honorable; mais comment aussi pouvait-il, sans quelque amertume, abandonner ces habitudes, ces relations, ces amitiés, qui depuis de longues années tenaient une si large place dans son existence ? L'hésitation n'était point permise d'ailleurs, tout lui faisait une loi d'accepter, et il partit.

Peu de mois après, il était connu et estimé à Limoges comme il l'était à Douai. L'aménité de son caractère, la simplicité de ses moeurs, lui avaient conquis de nombreuses sympathies; les relations les plus cordiales l'unissaient à ses collaborateurs du Parquet, pour lesquels il semblait moins un chef qu'un ami. Pour l'administration de son important ressort, il se montrait ce qu'il avait été partout, laborieux, impartial, ferme quand il y était condamne. S'il imposait à ses subordonnés l'exactitude dans le devoir, dont il leur donnait l'exemple, nul ne déploya plus de zèle que. lui soit à mettre en relief leurs services, soit à les défendre, au besoin, contre d'injustes attaques. Sachant combien il est avantageux de traiter de vive voix certaines affaires a la Chancellerie, il ne mesurait, quand il le fallait, ni la fatigue, ni la distance. Qui sait si ce labeur in(1)

in(1) Salmon, conseiller honoraire à la Cour de cassation, ancien sénateur de la Meuse, membre correspondant de l'Institut.


cessant, si ces voyages longs et multipliés n'ont pas miné sourdement l'énergique tempérament que nous lui avons connu?

En 1877, les temps étaient devenus plus difficiles ; la politique étendait partout son action envahissante et souvent dangereuse. Pour notre procureur-général, il avait toujours pensé qu'elle devait s'arrêter au seuil du Prétoire ; vous l'avez assez connu pour savoir qu'il n'avait aucun goût pour ses agitations, il ne lui avait jamais rien demandé et ne lui devait rien dans sa carrière. Il estimait que le magistrat, quels que fussent, à des époques troublées, ses sentiments intimes, servait assez son pays, en se soumettant consciencieusement à sa loi, en la faisant fidèlement observer. Ce n'était pas le compte des passions qui s'agitaient autour de lai : un des partis en lutte attaqua le Procureur Général auprès, des Gouvernants du jour, et parvint à l'ébranler et à obtenir son transférement au parquet de Riom. C'était une disgrâce, et il m'en coûte peu de prononcer ce mot, car cette disgrâce était en même temps un honneur pour celui qui ne la devait qu'à la droiture de sa conscience. On colorait d'ailleurs l'âpreté du décret par ces protestations d'estime, ces vaines promesses qu'il est d'usage de prodiguer parce qu'elles coûtent si peu; enfin on faisait appel a son dévouement pour la chose publique. Ce fut cet appel qui triompha de ses trop justes susceptibilités ; surmontant ses tristes impressions, il se rendit sans retard à son nouveau poste, comme on le lui demandait.

S'il avait ressenti un découragement bien naturel en s'éloignant de Limoges, il devait trouver une certaine consolation dans l'accueil plein de sympathie qu'il rencontra dans sa nouvelle résidence. Il était, nous l'ayons dit, de ces


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hommes qu'on apprend bien vite à connaître. Là,; comme à Limoges, il ne songea qu'à remplir ses devoirs judiciaires, sans se préoccuper des courants mobiles de la politique ; mais là aussi, et précisément à cause de son impartiale attitude, il fut en butte à une hostilité passionnée. Cette fois l'hostilité, à un an d'intervalle, arborait un drapeau absolument différent, et pourtant le résultat devait être le même.

Au mois de juillet 1878, le mariage de sa fille avec M. le baron de La Batut, secrétaire-général d'Eure-etLoir, venait d'apporter une douce joie parmi tous les siens, réunis pour cette fête de famille, et accourus, quelquesuns de bien loin. Les coeurs étaient encore sous l'impression de ces heureuses émotions, lorsqu'un soir (le 22 juillet), une dépêche de Paris annonça brusquement au ProcureurGénéral de Riom qu'il était transféré à Agen. Cette fois Preux n'hésita plus ; il avait pu faire céder, 10 mois auparavant, son amour propre justement froissé, devant un appel à son dévouement; mais il ne pouvait laisser en sa personne compromettre la dignité du magistrat, et porter le poids de sa disgrâce dans un 3e parquet. Sa démission fut envoyée sans délai à Paris, et l'insistance obligeante du Ministre ne put vaincre sa détermination. Trente ans plus tôt, M. Preux père avait vu sa carrière brisée également par la politique. Triste ressemblance dans leurs destinées ? Tous deux furent appelés aux mêmes honneurs, tous deux les quittèrent presque au même âge, pour une retraite prématurée l'un après 35 ans l'autre après 29 ans de services ?

Pour nous, Messieurs, nous étions, comme malgré nous, facilement consolés de son infortune, car il nous était rendu. Il rentrait dans ce pays de Flandre qu'il avait tou-


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jours aimé ; il retrouvait ses amis, ses parents, et, sort non commun dans les temps agités, il reparaissait parmi ses concitoyens la tête haute, confiant dans leur estime comme dans leur sympathie. Je vous ai dit autrefois, Messieurs, la noblesse et la grandeur d'âme avec lesquelles M, Preux père descendit en 1848 de son siége de procureur-général. Un si bel exemple ne devait pas être perdu pour son fils : vous avez été témoins de sa résignation calme et sans amertume ; sans doute il avait souffert, il souffrait encore, sans le dire ; un père de famille, un magistrat distingué, ne peut, dans la force de l'âge, se voir sans tristesse, écarté des fonctions qui remplissaient et honoraient sa vie; mais si parfois l'intimité devinait sa souffrance muette, jamais une parole d'aigreur ne sortait de sa bouche, jamais un mot de reproche, une allusion amère ne s'adressait à ceux qu'il aurait pu froisser.

Il avait repris le cours de ses éludes favorites. Le travail, les relations de familles, les longues causeries avec ses amis d'autrefois, l'estime et la sympathie qu'on lui témoignait partout, l'aidaient à oublier le sacrifice de sa carrière.

Il s'occupait avec ardeur d'importantes publications archéologiques, qu'hélas il ne devait pas terminer.

Dès son retour à Douai, il était revenu à nos séances avec le titre de membre honoraire que vous lui aviez conféré en 1875.— Vice-président en 1879, vous espériez le voir à votre tête l'année suivante. La Providence en avait décidé autrement; les jours de notre infortuné collègue étaient comptés !

Comment vous redirai-je, sans un cruel serrement de coeur, le coup fatal qui l'a séparé de nous ? Vous me pardonnerez d'être court; car la douleur est encore trop


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récente au coeur de ses amis pour rouvrir la plaie, et raviver la peine.

Vers la fin de novembre 1879, il avait accompagné à Paris son fils, lauréat de notre lycée, qui devait passer à la Sorbonne l'examen du baccalauréat; ès-léttres. L'épreuve fut brillamment subie, et tous deux revenaient joyeusement à Douai. Dans la soirée du 28 novembre, ils attendaient à la gare du Nord le départ dû train, Preux venait de s'entretenir avec un de ses anciens collègues de Riom, et s'pprêtait à monter avec lui en voiture. Soudain, il tombe à là renversé : le doigt de là mort l'avait touché ! Plus un mot... à peiné quelques soupirs... son âme quittait son corps inanimé !

Je renonce à vous retracer, Messieurs et chers collègues, les heures navrantes de cette affreuse nuit!

Le lendemain, les premières lueurs de l'aube éclairaient, à Douai, un lugubre et modeste convoi, se dirigeant lentement de la gare vers la demeure de notre malheureux ami. C'est ainsi que la porte se rouvrait pour lui dans cette maison où peu d'heures auparavant, sa famille l'attendait avec bonheur et s'apprêtait à fêter son retour !

Terrible catastrophe, Messieurs, qui a rempli de stupeur même les plus indifférents, qui à brisé le coeur des siens, et les aurait laisse dans un abattement voisin du désespoir, s'ils n'avaient été soutenus par les espérances de leur foi religieuse, Auguste Preux la partageait; Messieurs, il était chrétien, et vivait comme tel. C'est une suprême consolation pour sa veuve si cruellement éprouvée, pour sa tendre soeur, pour ses enfants, de penser que si Dieu l'a subitement frappé, il lui a ouvert en même temps la voie de sas miséricorde.


Telle fut la vie de notre infortuné collègue, vie semée, comme tant d'autres, de joies et de tristesses, vie remplie par le travail, par l'application au devoir, par le dévouement à sa famille, vie enfin, en un jour de deuil, si tragiquement brisée ?

Un moraliste, un philosophe sauraient en tirer de grandes leçons, comme d'utiles exemples. Ce n'est pas le moment de s'y arrêter ici. Je me borne à me recueillir dans mes tristes souvenirs, et à vous convier, Messieurs, à conserver pieusement entre nous la mémoire de l'excellent collègue que nous avons perdu.



NOTICE NECROLOGIQUE

PAR

M. GRIMBERT, avocat Membre résidant.

Lorsque le 22 août 1879 nous donnions à M. JollivetCastelot, un témoignage éclatant de notre estime et de notre sympathie en l'appelant par un vote unanime à faire partie de notre Société, nous étions bien éloignés de prévoir par quelle catastrophe notre collègue allait nous être ravi avant même d'avoir pu occuper sa place parmi nous. Sentant les premières atteintes du mal qui devait faire des progrès si rapides, M. Jollivet avait quitté nos contrées et s'était rendu dans le Midi pour demander au climat bienfaisant d'Hyères le relèvement de ses forces. Nous ne doutions pas que sous un ciel plus clément, il ne recouvrât la santé; nous attendions son retour. Quels ne furent pas notre étonnement et notre douleur, quand tout à coup nous parvint la fatale nouvelle. Nous apprîmes presque en même temps que sa maladie: subitement aggravée' causait

MEMOIRES. —2e SERIE, T. XY. 20.


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à sa famille les plus vives alarmes et que les soins les plus tendres prodigués par une épouse èplorée et par une mère appelée en toute hâte n'avaient pu conjurer le danger. M. Jollivet succombait le 9 février 1880.

Vous m'avez confié le soin de retracer sa vie ; j'augmenterai les regrets que sa perte vous inspire en redisant ses quahtés sérieuses et aimables, l'élévation de son esprit et la noblesse de ses sentiments, la franchise et l'aménité de son caractère.

La famille Jollivet-Castelot est l'une des plus estimées du Morbihan où elle jouit d'une haute et universelle considération et où elle exerce depuis de longues années une grande et légitime influence.. Le grand père de M, Jollivet occupa successivement sous le gouvernement de la Restauration les sous-préfectures de Barbezieux et de Lorient. Son père, maire de Vannes et conseiller général du Morbihan, fut élu député, dans les premières années de l'Empire ; l'un des membresles plus jeunes du corps législatif, il y porta la parole avec talent et avec succès ; un avenir brillant s'ouvrait devant lui, lorsqu'il succomba à une soudaine et foudroyante attaque de choléra. Ses funérailles où se trouvèrent présentés toutes les notabilités du Morbihan, prirent les proportions d'un deuil public ; le premier magistrat du département se faisant l'interprète du sentiment général rendit à sa mémoire un suprême hommage. « Sa famille, dit-il en terminant, dont je ne parle qu'au sujet de notre douleur, car elle est plus connue par elle-même et par sa haute position dans le pays que par ce que je pourrais vous en dire, sa famille, éplorée trouvera dans l'universalité de nos regrets, non une compensation au coup qui la frappe, mais la continuation des sympathies qui l'entourent depuis le longues années. Sa veuve, ses enfants ne resteront pas isolés parmi


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nous y et ils comprendront qu'on peut mourir jeune et cependant laisser le souvenir d'une vie remplie par les services qu'on a rendus, par le bien qu'on a réalisé et qu'il faut mesurer le temps moins par le nombre des années que par l'usage qu'on en a fait.

parmi les titres du député de Vannes à la connaissance de ses concitoyensi il convient de citer sa part prépondérante dans la création de l'Ecole libre Saint-FrançoisXavier. Au lendemain même du vote du 15 mars 1850, qui consacrait le principe de la liberté de l'enseignement secondaire, il avait voulu doter, la Bretagne d'un de ces grands établissements libres, appelés à réunir une jeunesse d'élite et à rendre de signalés services à la science et à la religion. Secondé dans ce noble dessein par les familles les plus honorables et les plus influentes de la contrée, il déploya tant de zèle et d'activité et obtint une solution si rapide que le 4 mai 1850, la fondation du nouveau collège était annoncée. Le 15 octobre suivant, deux cents élèves assistaient à la messe du Saint-Esprit : parmi eux, le fils aîné du député de Vannes, François Jollivet Castelot, âgé seulement de 10 ans.

Le jeune François fit toutes ses études à l'Ecole SaintFrançôis-Xàvier ; devenu orphelin en 1854, il demeura sous l'habile et Sage direction des maîtres que lui avait donnés la sollicitude paternelle. L'un d'eux que nous avons pu interroger nous a dit que François Jollivet était au collège, modeste, un peu timide au premier abord, mais gai, ouvert, loyal au plus haut degré. Son caractère affectueux lui avait, dès l'abord, concilié l'estime et l'affection de tous ceux qui l'entouraient. Pour lui, jamais il ne perdit le souvenir de ces jours passés à l'ècole libre de Vannes; resté fidèle aux principes qu'il y avait reçus, il


garda un profond attachement pour ceux qui lui avaient prodigué leur dévouement dans l'éducation de sa jeunesse, et lorsque plusieurs années s'étant écoulées, les événements l'amenèrent à résider dans le Nord, ce fut avec la joie la plus vive qu'il retrouva à Douai et dans une ville voisine deux des maîtres qui lui étaient chers.

François Jollivet avait dix-huit ans lors qu'il quitta le collège pour se rendre à Paris et y suivre les cours de la Faculté de droit. Ayant à faire choix d'une carrière, il se prononça pour celle des consulats, entra comme élève consul au ministère des affaires étrangères, y demeura en cette qualité jusqu'en 1868, époque où il fut nommé vice-consul à Beyrouth.

Dans ce poste il rendit des services qui lui méritèrent là décoration de l'ordre du Nicham. Mais non content de remplir avec distinction ses fonctions diplomatiques, il s'adonna à l'étude de l'histoire, des coutumes et des moeurs de l'Orient. A cet effet, il entreprit plusieurs voyages.

« L'histoire et la nature, a écrit M. Jollivet, se complètent merveilleusement l'une par l'autre, et pour être compris et appréciés comme ils le méritent, les évènements du passé demandent à être étudiés sur les lieux mêmes qui en ont été le théâtre. Rien n'ajoute en effet à l'intérêt qu'inspirent les grandes actions et les grands hommes que de pouvoir se dire : c'est ici qu'elles se sont passées, c'est là qu'ils ont vécu.

Et quelle contrée fut jamais plus fertile en souvenirs, plus féconde en personnages illustres que cette terre de Judée, berceau du Christianisme! Quelles figures plus attachantes que celles de David, de Salomon, des Machabées, des Apôtres, et bien au dessus d'elles encore, les


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surpassant toutes de sa divinité la grande et adorable figure de Notre Seigneur Jésus-Christ, du Dieu fait homme. »

M. Jollivet mit à exècution, au commencement du printemps de 1870, le projet qu'il avait formé dès son arrivée en Syrie de se rendre en Palestine pour y visiter les lieux vénérés où se sont accomplis les principaux mystères de la Rédemption.

« Le moment, dit-il, ne pouvait être mieux choisi. Nous allions entrer dans les jours Saints, et à tous les points de vue Jérusalem, offre au pélerin, pendant le Temps Pascal, un intérêt plus vif encore qu'à toute autre époque de l'année, »

Il nous a laissé une relation pleine d'intérêt de ce voyage, où je vous demande la permission de l'accompagner quelques instants par la pensée.

Le vice-consul de France s'embarqua à Beyrouth le le 13 avril, 1870 à destination de Jaffa d'où il poursuivit sa route vers Jérusalem. Dans ce trajet il reçut l'hospitalité au couvent latin de Ramleh, le même où le général Bonaparte s'était arrêté se rendant au siège St-Jean d'Acre. Quelques lieues seulemeut le séparaient de la Ville Sainte.

« Plus nous avancions dans notre dernière étape, dit, M. Jollivet, plus le paysage devenait aride et désert. Nulle trace de l'homme dans ces plaines incultes, dans ces valions desséchés où l'oeil attristé ne rencontre ni une fleur, ni un bouquet de verdure et au-dessus desquels plané un silence de mort que ne trouble même pas le chant d'un oiseau.

Mon attente n'était pas trompée, c'était bien ce que j'avais rêvé.

Le coeur me bat à là pensée que quelques kilomètres seulement me séparent de la Ville Sainte. Je sens mon-


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sang courir plus vite dans mes veines et l'impatience me gagner.

Tout à coup, entre deux montagnes, je vois se dresser devant moi les murailles crénelées de Jérusalem, ses coupoles ensoleillées et ses hauts minarets dont les blanches silhouettes se détachaient merveilleusement sur son ciel d'azur.

Descendant aussitôt de cheval, je m'agenouillai dans la poussière du chemin et je saluai respectueusement la grande cité qui garde le tombeau du Christ. »

C'est le 14 avril à 4 heures de l'après-midi que la petite caravane atteignit la porte de Jaffa par laquelle elle fit son entrée dans l'antique cité.

« Nous longeâmes tout d'abord, dit la relation, le fossé large et profond, d'où émerge sombre et imposante la Tour de David, haute et massive construction carrée qui sert de. citadelle et au sommet de laquelle flotte l'étendard rouge du croissant. Que d'amères réflexions suggère ce drapeau musulman arboré sur l'ancienne forteresse des rois de Juda et des rois latins ! »

M. Jollivet alla frapper à la porte du monastère Latin où les Pères Franciscains le reçurent avec les plus grands égards ; c'est en compagnie de l'un de ces religieux dont il loue l'inépuisable complaisance et la profonde érudition que le vice-consul visita les sanctuaires de Jérusalem, qu'il parcourut la vallée de Josaphat et le Jardin de Gethsémani, qu'il gravit le Mont des Oliviers, et se rendit enfin à Bethléem. Nous ne pouvons le suivre dans ces excursions, auxquelles il ne consacra pas moins de trois semaines ; accompagnons-le du moins à l'Eglise de la Résurrection. Au seuil de la Basilique, M. Jollivet est frappé par la pré-


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sence de plusieurs Musulmans qui y remplissaient l'office de portiers.

« Cette intrusion officielle des Turcs dans le Temple chrétien, dit-il, me causa autant d'étonnement que de regret. Comme Catholique et comme Français je me sentais froissé et humilié ; j'appris alors que le Sultan se regardait toujours comme le nu-propriétaire des Lieux - Saints dont il concède seulement la jouissance aux différentes communautés de Jérusalem. Les porte clefs musulmans sont là pour affirmer un droit de propriété dont le Grand-Seigneur n'a jamais entendu se départir tout à

fait....

En entrant dans le temple on ne se rend pas bien compte tout d'abord des proportions gigantesques de l'édifice. On se trouve dans une longue galerie circulaire assez sombre qui entoure la grande nef et où l'on rencontre bientôt à fleur de terre, la pierre dite de l'Onction. Cette pierre, de forme rectangulaire et que recouvre un entablement de marbre mesurant deux mètres de longueur sur 0 m. 50 c. de largeur, est celle qui reçut le corps de Notre Seigneur après le crucifiement. C'est là qu'il reposa et que les Saintes Femmes le couvrirent de parfums et d'aromates avant de le déposer au tombeau.

A côté, sur un socle de marbre gris, est fixé une autre pierre affectant la forme d'un disque et qui indique la place où se trouvait la Sainte-Vierge pendant l'embaumement du corps de son divin fils.

De cette galerie nous passâmes dans la grande rontonde du milieu qui ne mesure pas moins de vingt mètres de diamètre et au centre de laquelle s'élève le sanctuaire qui renferme le tombeau de Notre Seigneur..... Une seule


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porte basse et étroite, y donne entrée. L'intérieur est divisé en deux petites chapelles à peu près d'égales dimensions. Dans la première, qu'éclairent à peine deux lucarnes. rondes percées dans la muraille de chaque côté de la porte, est précieusement conservée la pierre sur laquelle s'est reposé le messager céleste chargé d'annoncer aux Saintes Femmes la résurrection du Sauveur. C'est une pierre carrée d'un pied environ en tous sens. Elle est placée sur un pilier de marbre vert qui mesure un mètre trente centimètres de hauteur.

Cette chapelle, dite de l'Ange, communique à la seconde par une ouverture si étroite et si basse que deux personnes ne peuvent y entrer de front et qu'il faut se courber pour la franchir. Cette ouverture est masquée par une épaisse portière de velours brodé d'or que l'on soulève pour entrer.

A droite se trouve le tombeau qui mesure un mètre de hauteur. Il est creusé dans le roc et recouvert, d'un entablement de marbre blanc. On a dû prendre cette; précaution pour le soustraire à la piété indiscrète des pèlerins qui en détachaient continuellement des fragments. Il a sept pieds de long sur deux et demi de large.

La chambre sépulcrale n'a guère plus de six pieds carrés. Elle est entièrement tapissée de riches tentures en velours cramoisi à crépines d'or. Un grand nombre de bougies, de cierges et de lampes d'or et d'argent qui brûlent jour et nuit y répandent une lumière éclatante. Au dessus du Sépulcre est un tableau très ancien où Jésus est représenté sortant glorieux du tombeau. Vis-à-vis, s'élève un autel en marbre blanc, chargé de fleurs, de candélabres et de vases précieux, autour duquel se succèdent à tour dé rôle, sans interruption; les religieux des diverses communautés


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chrétiennes de Jérusalem. De cette façon, le sanctuaire n'est jamais abandonné. Quels souvenirs, quels enseignements, quelles sublimes espérances évoque l'aspect de ce tombeau vénéré, qui a gardé, trois jours durant le divin corps du Rédempteur ! Je suis bien venu des fois, m'y agenouiller pendant les jours trop courts que j'ai passés dans la Ville sainte, et je n'étonnerais personne en disant que j'ai ressenti là une des plus profondes émotions de ma vie. On sort de ce saint lieu meilleur et fortifié.

Du Saint Sépulcre, nous nous rendîmes au Calvaire qui est situé en dehors de la grande nef, dans un des bascôtés de la basilique.

Deux chapelles, séparées l'une de l'autre par un grillage en fil de fer, se partagent aujourd'hui remplacement du Golgotha.

La première, appartenant aux Grecs, comprend la partie ou fut plantée la Croix sur laquelle expira Jésus. On y voit encore, creusé dans le roc et recouvert d'un léger treillis de plomb, le trou béant où fut dressé l'instrument du supplice. La Sainte-Croix était faite de bois de chêne-vert et mesurait, quinze pieds de hauteur. La seconde est la propriété des Latins. C'est là que le bon Larron fut mis en croix.

Ces deux sanctuaires sont plongés dans une demi obscurité qui s'harmonise d'ailleurs parfaitement avec les dispositions d'esprit dans lesquelles on se trouve en les abordant. Voilà bien la teinte qui convient au Golgotha, sombre rocher où est à jamais inscrit en caractères de sang divin le sacrifice de l'HommerDieu ! »

Tel est l'attachant récit de M. Jollivet.


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Dans une autre partie de son travail il décrit la Jérusalem des Musulmans et des Juifs, il dépeint cette cité à l'aspect désolé ; les rues généralement silencieuses et désertes, les bazars où se concentre l'animation, et où se presse la foule des acheteurs, mais beaucoup moins pittoresques et moins bien approvisionnés que ceux de Damas et de Beyrouth ; il n'omet ni l'endroit où les Juifs ont coutume de pleurer chaque Vendredi, ni le spectacle curieux, dont il fut témoin, du retour des pèlerins de La Mecque, ni enfin la mosquée d'Omar célèbre dans tout l'Orient.

Construit sur les ruines du Temple de Salomon, cet édifice aux proportions grandioses, monument vraiment remarquable de l'art musulman, est un des sanctuaires les plus vénérés de l'islamisme. L'entrée en fut interdite aux chrétiens sous peiné de mort jusqu'à l'époque de la guerre de Crimée. Au moment où M. Jollivet entrait dans la mosquée, des musulmans s'y trouvaient en prière; humblement prosternés jusqu'à toucher du front les dalles du temple et marmottant des versets du Coran, ils ne paraissaient ni prendre garde aux visiteurs, ni même les apercevoir. Mais dès que l'on était passé, ils relevaient la tête, le visage empourpré de colère, l'oeil ardent et courroucé; ils témoignaient leur indignation de voir la mosquée sacrée profanée par la présence des chrétiens : « Il y a vingt ans, écrit le narrateur, nous ne serions pas sortis vivants des mains de ces fanatiques. »

M. Jollivet a rapporté de son. séjour en Orient les impressions les plus défavorables aux Turcs, et soit qu'il leur reproche leur fanatisme, ou qu'il déplore l'irrémédiable incurie de leur administration, il les juge avec une grande sévérité. Tantôt il dénonce les exigences et les exations de leurs pachas. Tantôt il s'émeutà la vue de lépreux relégués


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à la porte des cités, végétant tristement dans de misérables cabanes en bois bâties le long des routes et ainsi abandonnés à la charité publique, « II est inexplicable, s'écrie-t-il, que le gouvernement Ottoman ne se préoccupe pas davantage du sort réservé à ces: pauvres parias que l'incapacité de travailler plonge nécessairement dans le plus profond dénûment. Ils ne vivent que de rapines et d'aumônes. On reconnaît bien là l'incurie et l'égoïsme turcs. » Enfin il flétrit l'odieux trafic de chair humaine sinon ouvertement autorisé, du moins parfaitement toléré dans toute l'étendue des Etats barbaresques. « La traite immorale des noirs et des blanches, dit-il avec raison, ne prendra fin qu'avec cet Empiré turc usé et affaibli qui tombe déjà en décomposition. Ce sera seulement sous l'influence bienfaisante et salutaire de la civilisation chrétienne que disparaîtra cette plaie honteuse.. »

En relevant dans l'ouvrage de M. Jollivet quelques-unes des observations du touriste qui m'ont paru les plus dignes de remarque, j'ai essayé de vous faire partager ses impressions et de vous associer à ses sentiments; vous avez apprécié son esprit judicieux, son inspiration toujours chrétienne et tout à la fois si patriotique ; mais ce que j'aurais voulurévéler c'est l'érudition sérieuse et approfondie dont témoigne ce travail. Il n'est pas une question d'histoire controversée que l'auteur n'aborde et ne discute en corroborant ses observations personnelles des dépositions des auteurs qui ont écrit sur l'Orient ; aucun d'eux ne lui est étranger ; on peut s'en convaincre à chaque page du volume, soit qu'il invoque le témoignage d'un ancien, soit qu'il cite un écrivain moderne. De retour à Beyrouth, M. Jollivet se plaisait à ces études, qui éveillant sans cesse ses souvenirs, avaient toujours pour lui; de nouveaux attraits ; il s'y plaisait encore


lorsque en France il y consacrait tous ses, loisirs. Ses travaux lui méritèrent les plus précieux encouragements et une flatteuse distinction : Le Saint-Père lui fit parvenir la marque de sa haute approbation, le Patriarche de Jérusalem lui envoya la croix de Chevalier du Saint Sépulcre. M. Jollivet habitait l'Orient depuis deux ans, lorsqu'au cours de l'année 1870 il reçut la nouvelle de son changement de résidence et de sa nomination de vice-consul à Livérpool. Heureux à la pensée de revoir après une longue absence sa famille et son pays, il se mit aussitôt en devoir de regagner l'Europe. Il rentrait en France au moment où la guerre venait d'éclater. Nos premières défaites avaient déjà livré les départements, de l'Est à l'ennemi qui s'avançait en vainqueur vers la capitale. N'écoutant que les inspirations de son patriotisme, il sollicita et obtint du ministre dès affaires étrangères l'autorisation de retarder son départ pour l'Angleterre. Engagé volontaire, il servit comme simple soldat pendant toute la campagne et fit courageusement son. devoir en prenant part à tous les combats qui se livrèrent sous les murs de Paris.

La guerre terminée, il vint dans le Nord où l'un de ses amis désireux de renouer d'anciennes et affectueuses affections l'avait appelé.

Pendant ce séjour, une union, qui devait assurer le bonheur de sa vie, fût décidée; renonçant dès lors à poursuivre sa carrière, il sollicita sa mise en disponibilité.

Devenu notre concitoyen par son alliance avec Mademoiselle Jodocius, M. Jollivet reçut dé notre Société douaisienne un accueil prévenant dont il était tout à la fois redevable à la position et à la haute honorabilité de sa nouvelle famille et à ses qualités personnelles qui furent bien vite connues et appréciés. Toutes les personnes à qui


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il fut donné de vivre dans son intimité concurent pour lui la plus grande estime et une vive amitié ; si bien qu'ayant à le louer aujourd'hui, je n'ai pour satisfaire à ce devoir qu'à faire appel à des souvenirs chers à beaucoup d'entre nous.

M. Jollivet partageait ses soins entre sa famille où il goutait les joies les plus tendres et ses études qu'il ne délaissa jamais , plusieurs de nos commissions douaisiennes tinrent à s'assurer le concours de sa collaboration ; il fut nommé membre de la Commission des Prisons et membre de la Commission de la Bibliothèque publique.

Les liens qui l'attachaient à sa patrie d'adoption ne lui firent pas oublier sa chère Bretagne; il y retournait fréquemment, y retrouvant avec bonheur ses proches et les amis de sa jeunesse. Les sympathies qu'il avait gardées dans son pays natal, malgré l'absence et l'éloignement étaient si vives, le nom qu'il portait avait conservé dans le département du Morbihan tant d'autorité et de prestige, que le siège de conseiller d'arrondissement pour le canton ouest de Vannes étant devenu vacant, les électeurs lui donnèrent la mission de les représenter dans cette assemblée. Il accepta ce mandat qu'il remplit avec assiduité, prenant une part active aux travaux du conseil d'arrondissement et défendant avec zèle les intérêts qui lui étaient confiés.

Je vous ai dit, Messieurs, comment il succombait l'an dernier à Hyères à une mort prématurée ; il n'était âgé que de 39 ans et six mois. Son corps fut transporté en Bretagne, où ses funérailles, célébrées le 16 février 1880, attirèrent une nombreuse et sympathique affluence. Ni cet hommage rendu à sa mémoire, ni l'expression de nos


regrets ne sauraient adoucir la douleur de sa famille si cruellement atteinte. A celle qui fut sa digne compagne et à ses jeunes enfants, je ne propose d'autre motif de consolation que le souvenir de la vie et de la mort vraiment chrétiennes de celui qu'ils pleurent.


NOTICE NECROLOGIQUE

SUR

M. CHARLES FRANCOVILLE

PAR

M. Alfred DUPONT fils, avocat.

MESSIEURS,

Quand vous avez bien voulu me choisir, pour consacrer dans lés annales de votre Compagnie, le souvenir de notre si regretté collègue M. Charles Francoville, je ne me suis point mépris sur le sentiment qui vous inspirait.

L'amitié la plus ancienne, la plus constante, nous avait unis, aussi vous semblait-il que je pouvais, pour ainsi dire, vous rendre une plus grande part de celui que nous pleurons. Sur les bancs du collége, à l'école de droit, au barreau, nous avons vécu côte à côte: quelques années ses fonctions dans la magistrature nous avaient séparés, mais bientôt la Cour de Douai lui ayant ouvert ses rangs, nous nous étions retrouvés..... avec quelle joie, Dieu le sait ! Hélas, ce bonheur fut de bien courte durée et voici que maintenant j'ai perdu à tout jamais cette affection si chère, si douce que je retrouve dans mon souvenir, également


— 276fidèle

276fidèle bons et aux mauvais jours. Pardonnez-moi Messieurs,, je vous en prie, ces détails peut-être trop personnels, mais je veux vous convaincre, qu'à défaut d'autre mérite, ma parole aura du moins la valeur d'un témoignage, présent à presque toute la vie qu'elle voudrait esssayer de vous retracer,

M. Gharles-Léopold Francovillè est né à Boùlogne-surMer, le 6 avril 1837. Son père, M. Ovide-Aimable-Bomain Francovillè appartenait à une des plus anciennes familles du pays de Guines et Ardres : à cette époque il était procureur du roi ; ce fut même lui qui, en cette qualité, fit arrêter le prince Louis-Napoléon Bonaparte lois de sa tentative de Boulogne. Sa mère, MllB de Hults, était la fille de M. le baron de Hults, qui fût pendant longues années bourgmestre de Tournai et y occupa toute sa vie une grande situation,

M. Francovillè père ayant été nommé conseiller à là Cour d'appel de Douai, Cnarles vint s'y fixer avec lui et entra au lycée où il fit toutes ses classes comme interne. Il y eût de brillants succès, dans les branches les plus diverses. Aimant le travail pour lui-même il réussissait dans les études qui demandent surtout de l'exactitude et de la persévérance, comme dans celles qui exigent les dons les plus rares de l'intelligence et de l'imagination. Si jeune qu'il fut, il eut toujours le sentiment du devoir et se montra jaloux de l'accomplir simplement, entièrement. Aussi sutil conquérir de bonne heure et garder toujoursla plus précieuse récompense du bien. accompli, l'estime de ceux qui vécurent près de lui.

L'un des jours où il connut le mieux ces triomphes scolaires si profonds et si vifs qu'on ne.. les oublie jamais, fut celui où M. Fortoué, ministre de l'instruction publique


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sous le second Empire, vint visiter lé Lycée de Douai. Les élèves des hautes classes avaient concouru, pour composer une pièce de vers latins à Son Excellence : celle de Charles Francovillè, incomparablement supérieure aux autres, fut choisie, il l'offrit lui-même à M. le Ministre qui l'en félicita publiquement.

Ces succès ne gâtaient point son caractère: Charles était simple, bon enfant, gai, caustique sans méchanceté, et se; montrait même singulièrement tolérant pour les rares mauvais camarades qui l'enviaient et essayaient de lui faire expier par demauvais tours s'a supériorité sur eux. Il avait à cela, d'autant plus de mérite.que sa santé assez frêle, lé rendait particulièrement Impressionnable, mais s'il en souffrait lui-même il n'en voulut jamais faire souffrir les autres.

A l'école de droit de Paris, il continua comme au collége, à bien faire. Il fut reçu licencié, puis docteur avec les notes les plus flatteuses. Il était pour nous autres étudiants du Nord et spécialement étudiants de Douai, notre exemple et notre orgueil ; il était connu à l'école comme un des forts : il y trouvait alors comme contemporains MM. . Léon Renault et Gambetta ; M« Léon Renault qui était déjà, lui aussi, un travailleur entra par Francovillè et Corne dans notre camaraderie. :.

Je ne puis résister, Messieurs, puisque j'évoque; ces souvenirs de la 20e année, au besoin de saluer d'un mot nos pauvres chers amis communs, alors comme nous si riches de vie, de promesses d'ayenir, et que la mort a; prématurément fauchés. C'est d'abord- Albert St-Amour mort à 22 ans, son droit à peine terminé, fils unique, ensevelissant avec lui dans la tombe tout le bonheur et

HÈHOnVBB.—2e SÉRIE, T. XV. 21.


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tout l'horizon des siens ; c'est Eric Boùéj emporté par la fièvre typhoïde, en plein éclat de jeunesse, de force, de beauté Virile, à peine sorti de St-Cyr, depuis quelques mois seulement, officier de hussards ; c'est Edmond Marilhat, fils lui aussi d'un conseiller à notre Cour d'appel, collègue de M. Francovillè père, mort lieutenant d'infanterie, à Oriyaba^ dans la campagne du Mexique ; c'est Anatole Cornç, si fin, si doux et si charmant et qu'une méningite à tué en 3 jours. Ah Charles Francovillè les aimait bien tous, il ne m'en voudra point de les nommer

; ici avec lui ; mais combien il est cruelde l'avoir vu si tôt les aller rejoindre, laissant comme eux quatre une mère inconsolable et de plus hélas ! une jeune femme et deux petites filles-sa meilleure joie et son légitime orgueil. Quels cruels démentis le temps a donnés à nos beaux rêves d'étudiants I Gomme nous avions alors confiance dans ce futur avenir qui nous réservait de si impitoyables démentis. Je mêles rappelle tous chez moi, le soir du jour où fut connue à Paris la victoire de Solférino :, Seule ma chambre d'étudiant avait des fenêtres sur la rue, il fut en conséquence décidé que , chez moi, aurait lieu

l'illumination et la petite fêle exigée par les circonstances. Ce fut réalisé. Que de joie , Messieurs ,'. que' d'élan, que de bon, franc et naïf patriotisme : comme toute ■division politique étaitloin de nous, comme on était fier d'être Français; peut-être n'avions-nous pas une conviction bien profonde que la prétendue tyrannie autrichienne fût aussi féroce que le disaient nos alliés, mais la France était victorieuse, elle nous semblait grandir en face du monde, etcette pensée-là, à nous tous pauvres étudiants perdus au fond du quartier des écoles, elle nous élargissait le coeur, et nous bénissions Dieu et les. hommes et les choses : et je


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ne répondrais pas qu'à plus d'un, en nous embrassant et buvant à; la. France, une larme ait glissé des yeux,sur ce premier duvet de la barbe naissante qui commençait à se montrer. Ah! le bon temps, les bons amis, les bonnes pensées; la; bonne vie que celle' là... et: comme les douleurs présentes,: publiques et privées sont faites pour en raviver le.cruel et irréparable regret !

Licencié en droit le 2 décembre 1857, M. Charles Francovillè avait été reçu docteur le.20 décembre 1860. Admis au stage le 20 février 1858, il fut inscrit au tableau des avocats de Douai le 1er juillet 1861.Ilquitta alors définitivement Paris et vint se fixer parmi nous. Son .père: M. Ovide Francovilie était alors conseiller à notre Cour d'appel : lui-même, Charles, se destinant à la magistrature, demanda à être attaché au parquet. M. le procureur général fut heureux de conquérir pour son service un jeune homme de pareille valeur. Ce procureur général là, MM. fut gâté par les circonstances,;car avec M; Ch. Francovillè il pût ouvrir son parquet à un de nos collègues actuels que je ne yeux pas nommer pour ne pas offenser sa modestie, maisje me rappelle que, quand Francovillè et lui nous furent enlevés, nous considérâmes notre jeune barreau comme découronné et dépouillé de ses deux étoiles,

Le mérite de Mv Charles Francovillè -fut vite reconnu et apprécié par ses chefs, aussi le 7-janvier 1863, il était nommé substitut à Saint-Pol. Moins de deux ans après, le 9 novembre 1865, il revenait à Douai comme substitut près notre Tribunal civil. Il ne retrouvait plus malheureusement dansla maison paternelle où il rentrait, Celui qui en étaitlechef ; son père M. Ovide Francovillè, était mort six mois auparavant, le 15 avril 1864, lui laissant le plus magnifique exemple de: toute une;vie sans défaillance, en-


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fièrement consacrée au devoir. L'a présence de Charles près de sa mère aida celle-ci à supporter les premières années de son veuvage ; ce ne fut que le 16 janvier 1868, qu'il la quitta pour allerà Montreuil-sur-Mer occuper le siège dé procureur. Il y .resta près de 2 ans; et s'y maria avec unede ses proches parents, portant le même nom que lui, et qui le connaissant mieux que personne, fût heureuse de lui confier tout son avenir C'était une union où toutes les conditions, toutes les garanties de bonheur se ren? contraient :les deux époux étaient dignes l'un de rautre, c'est le;meilleur éloge qu'on puisse faire de tous deux. M. Francovillè quitta Montreuil pour Valenciennes où il fut nommé procureur le premier Octobre 1870, IL demeura dans ce poste 5 ans, puis il vînt à son tour prendre rang à la Cour de Douai comme conseiller le 25 novembre 1875.

J'ai voulu MM. vous faire embrasser d'un seul coup d'oeillà carrière judiciaire de M. Charles Francovillè:j permèttez-moi de m'àrrêter un instant sur les qualités qui le distinguèrent soit au parquet, soit dans la magistrature assise.

Ce qui le caractérisait avant tout c'était une admirable netteté d'esprit, suivie par une facilité de parole vraiment exceptionnelle. Jamais le terme ne manquait à sa pensée, il venait même si vite qu'on eut été presque tenté de crain-dre un peu de volubilité ; dans le débit. Mais si sa parole pressée, nerveuse, incisive, demandait une attention soutenue, elle développait une argumentation si concluante, une discussions! décisive; qu'elle contraignait de hautelutte, les esprits, les plus rebelles. Ses conclusions au civil furent en plusieurs circonstances absolument remarquables. - Dans les audiences correctionnelles son sens délicat lui indiquait toujours merveilleusement le point faible de la


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défense, sa justesse, d'esprit lui faisait spontanément abandonner les réquisitions exagérées, et l'autorité de sa parole croissait d'autant : ne demandant que ce qu'il croyait rigoureusement juste, Il soutenait son opinion ayèc.ùtte énergie convaincue,

Sa valeur, comme membre de la magistrature assise, s'est également révélée parmi nous. L'un des conseillers les plus jeunes de la Cour, il sut s'y faire une place d'élite pour sa science profonde du droit, son étude .attentive dès affaires, et lé sçrupule toujours éveillé dé sa conscience, plusieurs membres de votre compagnie, Messieurs, qui furent ses collègues an palais ne me démentiront pas quand je dirai qu'il fut le digne continuateur de son père, et qu'il ne laissa, point amoindrir l'héritage d'honneur et de dignité professionnelle qu'il en avait reçu.

Mais ce ne fut point seulement comme; magistrat que M. Charles Francovillè servit la chose publique

Sa famille paternelle avait de temps immémorial dans le pays de Guines et d'Ardres une situation prépondérante. Le canton d'Ardres avait été si souvent représenté au Conseil général par unFrancovillè que ce fait y était pour ainsi rdire passé à l'état de tradition; Il paraît que certainestraditions se conservent encore en. France, car celle-là se continuant, ce fut à: Ardres M. Charles Francovillè qui remplaça au Conseil général un de ses parents décédé, revêtu de ces fonctions.

Au Conseil généal comme partout, son mérite fut vite constaté. Sa; situation pourtant fut un moment,assez délicate : il se trouvait en face d'un préfet, son ancien Camarade d'école alors notre ami commun. Je veux parler de M. Camescasse. M. Gamèsçasse, administrateur très intelligent, très capable, comprit de suite; combien utile serait


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à la politique gouvernementale la conquête d'un homme de la valeur de Francovillè. Il entreprit cette conquête et il en avait le droit, car lui, Gamescasse, (je lui rends volontiers cet hommage), avait toujours été sincèrement et nettement républicain : il l'était en 1859 et 1860, alors que son père était procureur général de l'Empire, il "avait bien le droit de le rester quand, à son tour la République était montée au pouvoir. Beaucoup sont aujourd'hui avec elle au Gapitole: qui n'ont pas les mêmes titres. Eh bien malgré leur vieille amitié mutuelle, malgré les séductions de sa personne et de ses fonctions^ malgré la plus habile attitùdejM. Gamescasse n'obtint point de M. Francovillè de; renoncer à la ligne de conduite que celui-ci s'était tracée, à savoir de ne point faire de politique au Conseil général. Il refusa de s'inféoder soit à la majorité monarchique du Conseil : général, soit à la minorité républicaine, et sut faire respecter-par toutes deux son indépendance.

J'ai tenté, Messieurs, de vous faire connaître le magistrat et le conseiller général, je voudrais maintenant vous montrer l'homme lui-même : et que de facultés éminentes y que de dons délicats, exquis, je vous révêlerais, si l'impuis-r sànçe de ma parole ne servait si mal ce que je sais et ce que je sens ! C'est qu'il y avait en M. Francovillè tout une part de lui-même, la meilleure, la plus intime, .qu'avec la pudeur excessive des âmes élevées il cachait de son mieux et qui hé se trahissait pour ainsi dire que par éclairs, que ses proches etses amis seuls par suite pouvaient deviner.

Oh ! chacun- de. ceux qui l'Ont quelque peu pratiqué savent tous combien son esprit était vif, sa parole pittoresque, sa raillerie fine, joyeuse et bienveillante. Mais derrière sa gaieté souvent un peu moqueuse, derrière une apparence de scepticisme quelque peu indifférent, on découvrait mal


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283aisément sensibilité profonde, un grand besoin d'affection, une foi religieuse d'une simplicité, d'une humilité, d'une sincérité absolues.

Personne plus que lui n'eut le respect, la vénération, le culte de la famille. Les vieux souvenirs des grands parents, les particularités de celui-ci ou de celle-là, les événements survenus dans leur existence, les lieux qu'ils habitaient, leur caractère, leur humeur, leurs mérites.... l'affection qu'il en avait reçue et qu'il leur rendait : c'était au collège, à l'école de droit, dans ses conversations d'homme mûr comme dans ses expansions d'enfant, le sujet préféré, pris et repris sans cesse avec un bonheur et une tendresse nouvelle. Combien des siens que je n'ai jamais vus restent dans mon souvenir, respectés, aimés même, oui aimés, par le bien qu'il m'a dit d'eux et ce qu'il m'a révélé de leur coeur et de leur vie ! Un homme qui chérissait si bien les aînés de sa famille ne pouvait être que le meilleur des fils, le mari le plus tendre, le père le plus dévoué : M. Charles Francovillè fui tout cela : il ne sût pas seulement bénir les vertus dont ses aïeux lui avaient donné l'exemple, il fil mieux et les continua.

Elevé par un père et une mèro chrétiens convaincus, il le fut lui-même et le resta toujours : il pratiqua ses devoirs religieux avec une fidélité constante, et une simplicité que respectaient ceux mêmes qui ne partageaient pas ses sentiments. Lui qui aimait la controverse, là discussion, la lutte de parole où il excellait, ne les acceptait jamais sur le terrain religieux, peut-être à mon avis avait-il tort, ma conviction à moi est que les meilleurs arguments dans toute discussion religieuse sont du côté "du christianisme et que la religion ne peut que gagner à être connue et par conséquent à être examinée, débattue et interrogée,


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mais lui avait de sa fol un tèspeèt si absolu , une vénération si susceptible qu'il ne tolérait pas de la voir exposée aux hasards et aux excès inséparables des querelles ardentes. Lui d'une nature entre toutes fine, intelligente et curieuse, il trouvait une joie profonde à Croire le plus simplement le plusi humblement.... et il ne s'en cachait point.

Voilà Messieurs, quel était l'homme que nous avons eu deux foisi l'honneur de compter parmi les membres de cette compagnie. Il fut des nôtres une première fois du 11 mai 1866 au 14 février 1865, avant que ses fonctions du parquet ne l'eussent éloigné de Douai, il le redevint quand la nomination de conseiller à la Cour le ramena. Il rentra dans notre Société le 21 mars 1876 : dans l'intervalle il avait ténu à rester dès nôtres, comme membre correspondant.

Il aimait nos travaux, il suivait nos.séances avec l'assiduité la plus sympathique et regrettait que trop souvent ses nécessités: de famille et de santé l'empêchassent dé prendre une part plus active à nos études. C'était le plus parfait des collègues : nul n'était aussi heureux que lui de vanter un ami et de le mettre en lumière. Jamais sa raillerie aussi pleine de verve que dénuée d'amertume n'a blessé personne; et son suffrage désintéressé a servi bien des 1 gens qui ne s'en douteront, jamais. C'est là un mérite qui à son prix, et s'il n'est point rare parmi vous Messieurs, toutes les compagnies né sont pas aussi heureuses que la nôtre.

My Ch. Francovillè nous a été ravi le 23 mai de'cette année (1880). Grande situation de famille, grande situation de fortune, la plus haute valeur personnelle, toutes les joies du foyer, rien ne lui manquait pour être heureux. Gela n'a point désarmé, la mort; Il a été frappé à 43 ans en plein bonheur. L'admirable résignation du chrétien lui


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a donné la force de regarder en face la perte de tout ce qu'il- aimait si légitimement, il l'a acceptée sans révolte, puis il est allé avec confiance recevoir de Dieu, qui seul le lui pouvait donner, le prix d'un aussi immense sacrificei Ceux qui sont à plaindre ce sont ceux qu'il laisse; Puisse le deuil unanime qui a fait cortège à leur doûleur,y apporter quelque adoucissement jusqu' au jour de l'éternelle réunion.



NOTICE NÉCROLOGIQUE

SUR

M. CONSTANT FIVET,

PAR

M. Alfred DUPONT père, avocat, Membre résidant.

Messieurs,

M. Constant Fiévet est né à Masny, le 16 mai 1813, dans une ferme importante déjà, tenue à bail par ses parents; il est mort le ler août 1881 dans sa maison de naissance, devenue sa propriété, embellie et transformée par lui, à la tête d'une exploitation doublée en surface plus que triplée en importance, appartenant en grande partie à'lui et aux siens; maire de sa commune; conseiller général du Nord, membre du conseil supérieur du commerce et des manufactures,officier de là Légion d'honneur, entouré de la plus haute considération.

C'est cette vie si pleine, si justement honorée que vous m'avez confié le soin de résumer pour, nos mémoires. Je m'efforcerai de remplir de mon mieux la tâche que m'a départie votre bienveillance.


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Notre collègue regretté était le second de quatre fils,

A peine avait-il accompli à Douai une partie de ses études, qu'il était rappelé à Masny pour aider et bientôt suppléer dans la direction de la ferme, à laquelle ses goûts et ses aptitudes semblaient l'avoir prédestiné, son père, prématurément frappé, puis, emporté en quelques mois, par la maladie à laquelle cinquante ans plus tard il devait succomber lui-même.

Actif, énergique, résolu, guidé par une mère «intelligente, et. douée d'un grand esprit d'ordre et d'économie » (c'est lui qui rend: à sa mère vénérée ce juste et véridiqué hommage) il suffit à l'âge de 18 ans à peine à la lourde tâche que lui imposaient les décrets de la Providence et l'accomplit de manière à. justifier la confiance que l'on mettait en lui.

Il est vrai qu'il trouva dans ses frères, au fur et à mesure que leur âge le leur permit, des conseillers et surtout un collaborateur inappréciable, et que l'union affectueuse qui a toujours règne entre les quatre frères et la déférence respectueuse témoignée par tous à leur mère, contribuèrent pour une grande part au succès qui a couronné ses efforts et son dévouement,

En 1836 déjà la culture de Masny avait progressé, lorsquel'rappé désavantages que la ferme recueillerait de l'adjonction d'une industrie, Constant Fievet résolut de monter une sucrerie de betteraves.

L'entreprise était hardie, on n'avait alors ni les constructeurs expérimentés ni les contre-maîtres intelligents ni les procédés perfectionnés que l'on possède aujourd'hui-; tout était à créer pour ceux qui avaient l'audace (le motn'est pas trop fort) dé tenter l'industrie, nouvelle encore, et dans laquelle avait déjà sombré plusd'un téméraire. Les frères


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Fiévet ne craignirent point, comptant sur leurs efforts personnels, d'installer une sucrerie dont Constant et Edouard seraient les premiers chefs de service en même temps que les directeurs.

Les débuts furent pénibles et l'établissement modeste. Comme force motrice un manège actionné par des boeufs, pas de machine à vapeur, les presses hydrauliques fonctionnant à bras d'hommes, toute l'usine confinée dans une sorte de grange ; ni surveillant, ni ouvriers auxquels on pût se fier ; jour et nuit, il fallait être sur pieds. Cette lourde tâche fut remplie par Constant et Edouard Fiévet, qui passaient les nuits à tour de rôle.

Je les vois encore pendant les premières années, tout le temps de la fabrication, campés tous deux dans la fabrique, se relayant mutuellement le jour et la nuit, de façon que pas un instant la présence de l'un on de l'autre ne fît défaut dans l'usine où leur exemple et leur surveillance incessante assuraient une activité féconde de tout le personnel et la ponctuelle exécution de tous les détails d'une fabrication encore dans l'enfance et dont la moindre négligence pouvait causer la ruine.

Tout le monde sait aujourd'hui combien les lourds transports, pendant la mauvaise saison compliquent l'exploitation d'une sucrerie. Constant Fiévet s'en était rendu compte et avait installé la sienne le long de la grande route de Calais à Bouchain. Mais les bâtiments de la ferme étaient à plus d'un .kilomètre et les terres de l'exploitation n'étaient abordables que par d'exécrables chemins. II construit bientôt à travers son marché un pavé le coupant dans toute son étendue et réduit ainsi de plus de moitié ses frais de transports, en même temps qu'il attire à sa sucrerie, par cette facilité nouvelle, les betteraves des cultivateurs étrangers,


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L'événement ne tarda pas à justifier les espérances qu'il avait fondées sur l'adjonction d'une sucrerie à sa culture, grâce aux-engrais fournis par les résidus et par le bétail plus nombreux qu'elle lui permettait d'entretenir, la luxuriante végétation de ses récoltes en accrut bientôt le rendement dans des proportions considérables. , Praticienhors ligne, Il ne négligeait pas; les enseignement de la théorie: et n'hésita jamais, après les avoir vérifiés sur une petite échelle, à appliquer lès perfectionnements ou les découvertes nouvelles. ;L'un;dés;premiers, sinon le premier; il -fit du drainage en France. 'Get; ingénieux procédé dont ona donné une. juste, idée en comparant ses effets sur le sol arable, à celui produit sur la terre d'un pot à fleurs par le petit orifice qui en perce le fond et ne lui permet de retenir l'eau que dans la mesure où elle est utile, le drainage n'était encore usité qu'en Angleterre. Un ami de Fiévet l'en ayant entretenu à son retour de la première exposition de Londres, il l'essaya sur un ou deux hectares et s'en trouva si bien qu'il l'étendit à toutes les terres de son exploitation qui en avaient besoin, et forma, pour cela, des draineurs qui remportèrent dèpuis à plusieurs reprises les primes de nos Concours sous le nom de Brigade de Masny;

Ce progrès en amena bientôt un autre avec lequel il se combina d'ailleurs de la manière la plus heureuse. C'était en 1864, Fiévet distillait alors des jus de betteraves pour en extraire l'acool. Un jour qu'il était inondé par ses vinasses épuisées; l'idée lui vînt, (lui fut. elle aussi suggérée?) de les employer à l'irrigation de ses terres et l'essai lui réussit tellement que; depuis lors ; il utilisa de Cette façon toutes les eaux delavage et de condensation de sa sucrer ie et entretient par ce moyent, sans autres engrais la fertilité de plus


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de quarante hectares, sans autre dépense, que le salaire d'un terrassier intelligent chargé de diriger les eaux, suivant une ligne de faite, dans les sillons ouverts par la charrue selon une orientation appropriée à la pente du terrain.

Je pourrais multiplier les exemples de ses ingénieuses combinaisons. Ceux-ci suffisent et au-delà à mon dessein. A quoi bon d'ailleurs ? et sa haute réputation d'agronome n'est-elle pas assez attestée par la prime d'honneur au concours régional de 1863, la décoration de chevalier de la légion d'honneur le 24 janvier même année et la croix d'officier du même ordre qui lui fut décernée en 1870. '

Que dirai-je de lui comme industriel? Il faut lire dans la remarquable monographie que M. Barrai a consacrée à ses exploitations les progrès qui ont' amené la modeste usine de 1836 à l'état où nous la voyons aujourd'hui. Mais ces détails n'ont que faire dans une notice nécrologique et d'ailleurs qu'en est-il besoin quand nous savons qu'il avait été appelé par le gouvernement à faire partie du conseil supérieur du commerce et des manufacturés, où il eut l'honneur de devenir le collègue et l'ami des plus illustres représentants de l'industrie française, parmi lesquels je suis heureux de pouvoir citer notre habile et infatigable ministre des finances de 1871, M. Pouyer Quertier.

Dans ce conseil d'hommes d'élite, Constant Fiévet avait su se faire une place par l'étendue et la justesse de ses vues et par le sens éminemment pratique de ses observations.

Quelque nombreuses et absorbantes que fussent ses

- occupations, il trouvait encore du temps à consacrer aux

intérêts généraux de l'agriculture, comme membre des

Jurys appelés à décerner chaque année les primes d'hon-


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neuraprès des visites nombreuses et fatigantes, et aux intérêts de ses concitoyens comme administrateur de sa chère commune de Masny, dont il a été maire pendant 43 ans et où la trace féconde de son passage restera longtemps ineffaçable, marquée qu'elle est par des établissements recommandant sa mémoire à la reconnaissance publique.

Eglise, Presbytère, maison commune, maisons d'Ecole pour les enfants des deux sexes, voies de communication perfectionnées, tout cela réalisé par son initiative et pour une grande partie à ses frais pu à ceux de sa famille, vous avez pu les voir et les admirer le jour où, nous pressant en foule au milieu d'une population en deuil, nous étions derrière son cercueil. ;

Àh! il était bien digne d'être pleuré et regretté ce brave coeur qui savait faire le bien autrement encore que par le noble usage de sa fortune et ne reculait pas, même devant les périls personnels, quand il fallait pour soulager les malades où ensevelir les morts braver les atteintes d'une épidémie meurtrière. Ainsi l'avait-on vu en 1849 lorsque le Choléra enlevaità Masny en quelques semaines cent quarante-sept

quarante-sept sur mille habitants, c'est-à-dire près d'un sixième de la population, parcourant avec son frère Edouard les rues désertes du village, secourir les mourants abandonnés même par leurs familles, puis la huit venue, recueillir à domicile les cadavres pour leur donner la sépulture, personne, dans cette , commune affolée par la terreur n'ayant plusle courage de remplir ce lugubre et périlleux office.

Aussi peùt-on dire iquejamais popularité de bon aloi ne surpassa là sienne, non seulement à .Masny, mais dans toutes les communes environnantes. Parlait-on de lui ? on ne l'appelait que M, Constant, àyait-on besoin de proteer


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tion ou de concours, c'est à M. Constant qu'on s'adressait et quand il avait promis son aide, on se croyait sur du succès..Mais on savait qu'il ne patronnait jamais que ce qui lui semblait légitime et s'il s'est quelquefois trompé peutêtre, il n'en faut accuser que son coeur.

Je parle de son coeur ! Il était en effet capable des plus profondes et des plus durables affections.

Sa mère d'abord qu'il entoura de tendresse et de respect jusqu'à son dernier soupir, ses frères, sa belle-soeur, ses. neveux et nièces, combien ne les a-t-il pas aimés !

Grâce à Dieu, ils le lui ont bien rendu, lorsque frappé le 28 juin 1877 par Ce coup de foudre qui le privait en même temps de la parole et du mouvement, il n'a plus du qu'aux soins et au dévouement affectueux des siens les allégements aux cruelles épreuves de ses dernières années. Doué de toutes les qualités qui en eussent fait un excellent père de famille, il s'était, par fidélitéa un souvenir que ni des engagements sacrés ni la mort n'avaient effacé, refusé à unir sa vie à une autre et c'est sur les enfants de ses frères qu'il avait reporté toutes ses affections.

M. Constant Fiévet nous appartenait depuis longtemps . comme membre de notre Comice agricole, il était devenu en 1869 notre collègue en qualitéde membre résidant., Il n'a rien écrit que je sache,pour nos publications, mais il laisse un travail d'une véritable importance dans le mémoire descriptif de son exploitation à l'époque ôùil posa sa candidature à la prime d'honneur. Il faut lire cet écrit où la-simplicité lé disputé à la précision'et à la clarté, les détails qu'il donne sur sa laborieuse et utile carrière, sur ses procédés de culture, sur les moyens par lesquels il a amené sa vaste exploitation, à un si haut degré de fertilité.

MÉMOIRES.—2e SÉRIE T. XV. 22.


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Il nous a été bien utile aussi par les précieux conseils qu'il tenait toujours à la disposition de nos agriculteurs, les lumières qu'il apportait aux séances de nos sections agricoles et enfin par l'accueil hospitalier qu'étaient sûrs de rencontrer chez lui, tous ceux qui venaient y chercher des exemples ou des enseignements.

Gomment oublier parmi les services qu'il nous a rendus l'organisation en 1875 du magnifique concours tenu par notre Gomice agricole sur les terres de la ferme de Masny et dont la splendeur n'a jamais été dépassée ni avant, ni depuis celui-là ?

Jusqu'au jour où la maladie l'a frappé, nul n'était plus que lui assidu à nos séances mensuelles et aux concours annuels de notre section agricole qu'il a longtemps présidée. Il s'y multipliait comme membre des Jurys les plus importants et s'empressait toujours d'y envoyer les instruments nouveaux dont l'examen et le fonctionnement pouvait intéresser le progrès agricole.

Ce grand agriculteur, ce grand industriel a eu ce double mérite de rester toujours fidèle à ses vieilles amitiés et facilement abordable par tous ceux à qui il pouvait être utile. Tempéramment bouillant, il a pu quelquefois être taxé de brusquerie, mais jamais il n'a volontairement blessé personne. Et lorsque Dieu l'a rappelé à lui, après les quatre ans de douloureuse épreuve qui précédèrent sa mort, il s'est éteint au milieu dès siens, consolé par lés secours de la religion dans laquelle l'avait élevé sa mère, en confiant dans la miséricorde de Celui qui n'oublie rien -du bien que l'on a fait.