DE
L'ACADÉMIE,DE VAUCLUSE
TOME XI — ANNÉE 1892 (1er TRIMESTRE)
AVIGNON
SEGUIN FRÈRES, IMPRIMEURS-ÉDITEURS 13, rue Bouquerie, 13
1892
ACADÉMIE DE VAUCLUSE
FONDÉE LE 20 JUILLET I80I
BUREAU POUR L'ANNÉE I892
Président : M. TORCAPEL.
Vice-Présidents: MM. MORDON.
LIMASSET. Secrétaire-général : M. LABANDE.
Secrétaire: M. REYNAUD.
Trésorier: M. TIQUET.
Bibliothécaire: M. M ASC LE.
Présidents de section: MM. REY.
PILATE.
LARCHÉ.
MEMBRES HONORAIRES
MM. ALLMER, épigraphiste, à Lyon. Mgr l'ARCHEVÊQUE d'Avignon.
BAYLE G., O. A., sous-biblioth. au Musée-Calvet, Avignon. DELOYE, tfc, ancien conservateur du Musée-Calvet, à Avignon FABRE, $f, docteur ès-sciences, à Sérignan. Mgr FUZET, évêque de la Réunion. Le GÉNÉRAL de division, à Avignon. GUILLAUME, statuaire, à Rome.
JULLIAN, CAMILLE, profes. à la Faculté des Lettres, à Bordeaux. Le MAIRE d'Avignon.
MISTRAL, #, capoulié du félibrige, à Maillane. MORTILLET (de), père, à Paris. Le PRÉFET de Vaucluse, Le PRÉSIDENT du Conseil général. REVOIL, O.^, inspecteur des monuments historiques, à Nîmes.
IV LISTE DES MEMBRES
MEMBRES TITULAIRES
MM.
ABRIC MAURICE, négociant, à Avignon.
AINAUD, O. 4£, commandant en retraite, à Avignon.
ALLARD, chef de statistique au chemin de fer, à Tarascon.
ARNAUD DE FABRE, docteur en médecine, à Avignon.
ARNAUD, notaire, à Arles.
ARNAUD, notaire, à Barcelonnette.
AUDEVILLE (D') GUSTAVE, $, ancien sous-préfet, Avignon.
AUTRAN, pasteur protestant, Avignon.
BACOURT (FOURIER, COMTE DE), à Sorgues.
BARRÉS, O. I. P., ancien bibliothécaire, à Carpentras.
BARUÉ, propriétaire, à Monteux.
BENOIT, O. A., président du tribunal civil, à Avignon.
BIRET, serrurier, à Avignon.
BONNARD JULIEN, négociant, à Avignon.
BONNET JULIEN, ex-conseiller de Préfecture, à Avignon.
BONNET LÉON, avocat, à Avignon.
BONNET Louis, professeur de musique, à Avignon.
BOURGES, O. A., professeur de dessin au lycée d'Avignon.
BRUGUIER-ROURE, à Pont-St-Esprit.
BRUNEL LÉON, à Avignon.
CADE, docteur en médecine, à Avignon.
CARRE, docteur en médecine, à Avignon.
CASSIN fils, docteur en médecine, à Avignon.
CAUCANAS, ingénieur du canal de Pierrelatte, à Orange.
CAZIOT, $, capitaine au Ier pontonniers, à Avignon.
CHABRIER DE LAFONGT, ancien sous-préfet, à Avignon
CHANSROUX, phaimacien, à Beaucaire.
CHOBAUT, docteur en médecine, à Avignon.
CLAUSEAU JOSEPH, propriétaire, à Avignon.
CLÉMENT (abbé), aumônier, au Lycée, à Avignon.
CLÉMENT, docteur en médecine, à Avignon.
COUDERC, O. A., professeur au Lycée d'Avignon.
DELALY ALFRED, ingénieur de la CIe P.-L.-M., à Avignon.
DELEUZE, avocat, à Avignon.
DEYBERT, O. A., professeur au Lycée d'Avignon.
DEYDIER Marc, notaire à Cucuron.
DE LA SOCIÉTÉ V
MM.
DIGOINE (de) GAETAN, à Avignon.
DUCOS, O. ®, ex-commandant du génie, propriét. à Avignon.
DURAND, ancien professeur, adjoint au maire de Bonnieux.
DURAND (abbé), professeur à Beaucaire.
DUSSAUD, propriétaire, à Courthézon.
ESCOFFIER (Mme), géologue, à Visan.
FAOJCHIER, notaire, à Orange.
FÉLIX (comte de), propriétaire, à Avignon.
FÉRAUD, ex-percepteur, à Orange.
FERRY DE LA BELLONE, docteur en médecine, à Apt.
FICHAUX, O. *, lieutenant-colonel d'artillerie, à Avignon.
FORTUNET AUGUSTIN, ancien magistrat, à Carpentras.
FRAISSE EMILE, propriétaire, à Tresque.
FRAISSE GABRIEL, propriétaire, à Tresque.
FRANQUEBALME ADRIEN, négociant, à Avignon.
GAP, instituteur à Vitrolles.
GAULTIER, propriétaire, à Baumes.
GILLES, archéologue, à Eyragues.
GIRAUD, propriétaire, à Avignon.
GOUBET, avocat, à Avignon.
GRANET LÉONCE, propriétaire, à Roquemaure.
GRIMAUD (abbé), direct, de l'école des sourds-muets, Avignon.
GUENDE BLANCHE (Mlle), à Cavaillon.
GUÉRIN CLAUDE, professeur à l'école normale, Avignon.
GUIBERT, avoué, à Avignon.
ISNARD, docteur en médecine, à Avignon.
JULLIAN, docteur en médecine, à Beaucaire.
KESLING (de), lieutenant de dragons, à Chambéry.
LABANDE, conservateur du Musée-Calvet, à Avignon.
LAJARD, propriétaire, à Avignon.
LARCHÉ, docteur en médecine, à Avignon.
LAURONT, propriétaire, à Avignon.
LAVAL, O. A., médecin-major, à Montélimar.
LIABASTRE, O. A., conservateur du Musée, à Carpentras.
LIMASSET, propriétaire, à Avignon.
MAILLET, O. I. P., professeur au Lycée d'Avignon.
MANIVET'P., juge de paix, à Pléaux (Cantal).
VI . LISTE DES M EMBRES
MM.
MARTIN, propriétaire, à Thouzon (Le Thor).
M ASC LE, conducteur des ponts et chaussées, à Avignon.
MASSE, inspecteur de la Cie P.-L M., à Avignon.
MENTASTI, O; A., ancien professeur au Lycée d'Avignon.
MICHEL, photographe, à Avignon.
MORDON, trésorier général, à Avignon.
MOUZIN, O. A., receveur municipal, à Avignon.
NICOLAS, O. A., conducteur des ponts et chaussées, à Avignon.
NIE L," architecte, à Avignon.
NOAILLES (abbé), professeur, à Beaucaire.
OLAGNIER, O. A., directeur de l'école professionnelle, à
Avignon. PALUN, négociant, à Avignon. '
PAMARD, O. #, O. I. P., docteur en médecine, à Avignon, PERNOD, négociant, à Avignon. — PERRIN, instituteur, à Avignon. PERROTj négociant, à Avignon. PIÉCHEGUT, juge au tribunal d'Apt.
PIGNAT, O. ®, commandant du génie en retraite, Avignon. PILATE, &, capitaine au Ier pontonniers, à Avignon. PONCET, &, négociant, à Avignon.
POURQUERY DE BOISSERIN, député, maire d'Avignon. PROTON PIERRE, fabricant de meubles, à Avignon. REQUIN (abbé), vicaire à St-Symphorien, à Avignon. REY, O. I. P., inspecteur d'Académie, à Avignon. REYNAUD GUSTAVE, inspecteur des contributions directes, à
Avignon. RICARD, ingénieur, à Avignon. RIEU, propriétaire, à Avignon. ROCHETIN, ancien magistrat, à Avignon. ROUVIÈRE, pharmacien, à Avignon. ROUX, notaire, à Cavaillon. SAGNIER, docteur en droit, à Avignon. SARRET JEAN, professeur au Lycée de Constantinople. SAURET ADOLPHE, inspecteur de l'enregistrement en retraite,
à Avignon. SCHAEDELIN, #, officier en retraite, à Avignon.
DE LA SOCIÉTÉ VII
MM.
SEGUIN, pharmacien, à Cavaillon. SEYNES (DE), propriétaire, à Paris. TARDIEU, docteur en médecine, à Arles. TAULIER, *, docteur en médecine, à Avignon. TÉLESPHORE (frère), directeur du Pensionnat, à Avignon. TERRIS (DE), ©, notaire, à Avignon. THOMAS JOSEPH, négociant, à Avignon. TIQUET, receveur de l'enregistrement en retraite, à Avignon. TORCAPEL, ingénieur, à Avignon. VALABRÈGUE ROGER, avocat, à Avignon. VALAYER Louis, propriétaire, à Avignon. VALENTIN, architecte, à Avignon. VALLENTIN, juge au tribunal de Montélimar. VALLENTIN ROGER, receveur des Domaines, à Saint-Péray
(Ardèche). VERDET ERNEST, $£, négociant, à Avignon. VERDET GABRIEL, &, négociant, à Avignon. VERDET MARCEL, négociant, à Avignon. VERDET THÉODORE, propriétaire, à Avignon. VERNET, sculpteur, à Avignon. VILLARS, docteur en médecine, à Avignon. - VILLENEUVE-BÀRGEMONT (DE), à Avignon. VILLENEUVE-ESCLAPON (DE), à Avignon.
MEMBRES ASSOCIES
AUGUIOT, docteur en médecine, à Lyon.
AVON EMILE, propriétaire, àAramon (Gard).
BLANC (abbé), à Domazan (Gard).
BLANC HIPPOLYTE, conchiliologue, à Villanova-Portici (Italie).
BRÉMOND, caissier à la Caisse d'Épargne, à Avignon.
BRUNO-VAYSON, conseiller général, à Marseille.
CHRESTIAN, ancien maire, à Sault.
DELACOUR THÉODORE, à Paris.
DELORME, sculpteur, à Uzès.
FAUCHER (DE), propriétaire, à Bollène.
GARCIN, propriétaire, à Apt.
VIII LISTE DES MEMBRES
MM.
GÉRIN (VICOMTE DE), au château de Valdonne (B.-du-Rh.).
GUIGNARD, propriét., à Sans-Souci-Chauzy (Loir-et-Cher).
MOIRENG, employé des ponts et chaussées, à Apt.
MONNIER, bibliophile, à Paris.
OLLIER DE MARICHARD, propriétaire, à Vallon (Ardèche).
RENCUREL, conseiller de préfecture, à Avignon.
SALLUSTIEN (frère), directeur des Écoles chrétiennes, à Uzès.
SAUREL FERDINAND (chanoine), à Montpellier.
SAV1NIEN (frère), directeur des Écoles chrétiennes, à Arles.
VAYSSIÈRES, docteur ès-sciences, à Marseille.
VÉRAN, architecte, à Arles.
MEMBRES CORRESPONDANTS
ACHARD, percepteur à Carpentras.
ALBANÈS (abbé) *, à Marseille.
ANDRÉ MARIUS, iélibre, à Avignon.
ARBAUD PAUL, bibliophile, à Aix.
ASTHUC, architecte, à Paris.
AUBERT, juge de paix, à Chènerailles (Creuse).
AOUTS (D') DUMESNIL, docteur en médecine, à Abbeville.
BARTHÉLÉMY (A. DE), membre de la commission des
Gaules, à Paris. BEUREGARD, propriétaire, à Paris. BERLUC-PERRUSSIS (DE), à Aix (B.-du-Rh.). BLANC LÉON, instituteur à Collorgue (Gard). BLANCARD, archiviste des Bouches-du-Rhône, Marseille. BOISLISLE (DE), membre du comité des travaux historiques,
à Paris. BOUDIN (abbé), aumônier à Beaucaire. BOULAY (abbé), professeur de faculté, à Lille (Nord). BOURGOINT-LAGRANGE, ancien sous-préfet, à Bordeaux. BOUSQUET, contrôleur des poids et mesures, à Orange. CARRIAS FERDINAND, notaire, à Lagnes (Vaucluse). CARMEJANE (DE), ancien commandant de pontonniers, à
Avignon. CAZALIS DE FONDOUCE, géologue, à Montpellier. CHAPEL F., capitaine d'artillerie.
DE LA SOCIETE IX
MM.
CHARVET LÉON, #, inspecteur des arts du dessin et des
musées, à Paris. COURBET JULES, à Lyon. DALÉAU, propriétaire, à Bourg-sur-Gironde. DESCHAMPS EUGÈNE, explorateur, à Marseille. DDPUY (abbé), à Auch.
ESPÉRANDIEU (D') ANTOINE, propriétaire, à Marseille. ESTÈVE Louis, directeur du Musée, à Nîmes. FABRE CYRILLE, conducteur des ponts et chaussées, à Roquemaure (Gard). FLORENS, procureur de la République, à Toulon. FRANÇOIS, instituteur, à Saze. GANTELMI D'ILLE (DE), à Aix. GAUDRY ALBERT, membre de l'Institut, à Paris. GIRAUD, instituteur, à la Mure (Basses-Alpes). GUILLAUME, archiviste des Hautes-Alpes, à Gap. HONNORAT ED., à Digne (Basses-Alpes). JEANDET, employé à la Bibliothèque, à Mâcon. JUST MARTIN, huissier, à Orange. KOZIOROWICZ, à Annecy. LACROIX, archiviste de la Drôme, à Valence. LAPIERRE, archiviste au Palais, à Toulon. LAUGIER, conservateur du Musée, à Marseille. LAURIÈRE (DE), secrétaire général de la Société d'archéologie,
à Paris. LEENHARDT, négociant, à Sorgues. LENTHÉRIC, ingénieur, à Nîmes. LETHIRRY, entomologiste, à Lille (Nord). LEVET, capitaine du génie, à Grenoble. LIEUTAUD VICTOR, anc. archiviste, à Volonne (B.-Alpes). LOCCARD, propriétaire, à Lyon. LOUBET, ancien magistrat, à Carpentras. LUNEL, conservateur du Musée d'histoire naturelle, à Genève. MARCY (DE), dr de la Société fr. d'archéologie, à Paris. MARIETON PAUL, chancelier du félibrige, château du Saix
(Ain). MARION, professeur à la Faculté des sciences, à Marseille, MARTIN, numismate, à Orange,
X LISTE DES MEMBRES DE LA SOCIÉTÉ
MM.
MAS, professeur de rhéthorique, à Chambéry.
MAS-LATRIE (DE) LOUIS, ancien chef de section aux archives nationales, à Paris.
MILLE, directeur d'école primaire, à Marseille.
MORTILLET (DE) fils, à Paris.
MORTZ, conducteur des ponts et chaussées, à Tarascon.
MOURET, instituteur, à Avignon. MUNTZ EUGÈNE, conservair à l'École des Beaux-Arts, à Paris.
NICOLAS J., horticulteur, à Lyon.
PALUSTRE, ex-directeur de la Société française d'archéologie, à Tours.
PARDIGON EMILE, employé des ponts et chaussées, à Digne.
PERRIER GABRIFL, félibre, à Graveson (B.-du-Rh.).
PONS D'HAUTERIVE, à Espalion (Aveyron).
PUTON, docteur en médecine, à Remiremont.
RÉGUIS, docteur en médecine, à Villeneuve-lès-Avignon.
RICHARD, président du tribunal, à Tarascon.
ROZIÈRE (DE), sénateur, ancien inspecteur des archives départementales, à Paris.
SAINT-VENANT (DE), inspecteur des forêts, à Uzès.
SAMUEL (frère), directeur des Ecoles chrétiennes, à Nîmes.
SCHAEDELIN ARTHUR, pharmacien, à Charenton.
SÉRAND, archiviste-adjoint, à Annecy.
STRAUB, chanoine, à Strasbourg.
TACUSSEL, directeur des postes et télégraphes, à Valence.
TAMIZEY DE LAROQUE, correspondant de l'Institut. TESTUT, professeur d'anatomie, à Lille (Nord).
TURPIN, chef de bureau à la Préfecture du Cher.
VILLEFOSSE (H. DE), conservateur au musée du Louvre.
YUNG, professeur à l'Université de Genève.
SOCIÉTÉS AVEC LESQUELLES L'ACADÉMIE ÉCHANGE SES MÉMOIRES
Alpes (Hautes-) — Société d'études des Hautes-Alpes, à
Gap.
Alpes (Basses-) — Société scientifique et littéraire des
Basses-Alpes, à Digne. Alpes-Maritimes. . . . — Société des lettres, sciences et arts des
Alpes-Maritimes, à Nice.
SOCIÉTÉS COSRESPONDANTES XI
Ârdèche,...... . — Société des sciences naturelles et historiques du département de l'Ardèche. Aude... ....... — Société des arts et sciences de Carcassonne.
Carcassonne. . — Académie des sciences, arts et belleslettres d'Aix. Académie des sciences, lettres et arts
de Marseille. Société de géographie de Marseille, Société de statistique de Marseille. Calvados* ...... — Société française d'archéologie pour la
conservation des monuments historiques, à Caen. Brome ........ — Société départementale d'archéologie et
de'statistique de la Drôme,à Valence. Gard. . o ..... . — Société scientifique et littéraire d'Alais.
Académie du Gard, à Nîmes. Garonne (Haute-). . — Académie des sciences, inscriptions et
belles-lettres de Toulouse. Société archéologique du Midi de la France, à Toulouse. Gironde ....... — Académie nationale des sciences, belleslettres et arts de Bordeaux.
Hérault — Société archéologique, scientifique et
littéraire de Béziers. Académie des sciences et lettres de
Montpellier. Société archéologique de Montpellier. Société languedocienne de géographie. Société pour 1 étude des langues romanes. Isère. ........ - Académie delphinale.
Société de statistique de l'Isère.
Italie. — Accademia di conferenze storico-giuridichedi
storico-giuridichedi Lot-et-Garonne ... — Société d'agriculture, sciences et arts
d'Agen. Lozère — Société d'agriculture, industrie, sciences et arts du département de la Lozère.
Marne — Académie de Reims.
Puy-de-Dôme .... — Société d'émulation de l'Auvergne, à
Clermont-Ferrand.
XII SOCIETES CORRESPONDANTES
Pyrénées (Basses-) . — Société des sciences, lettres et arts de
Pau. Pyrénées-Orientales. — Société agricole, scientifique et littéraire des Pyr.-Orient., à Perpignan.
Rhône — Académie des sciences, belles-lettres et
arts de Lyon. Société de géographie de Lyon! Société littéraire, historique et archéologique de Lyon. Société de topographie historique de
Lyon. Société linnéenne de Lyon. Savoie . — Société savoisienne d'histoire et d'archéologie de Chambéry. Seine. ........ — Société des antiquaires de France.
Société de l'histoire de l'art français. Musée d'ethnographie au Trocadéro. Société de géographie. Société géologique de France. Feuille des jeunes naturalistes.
Tarn — Société des sciences, belles-lettres et
arts du Tarn. Tarn-et-Garonne . . — Société archéologique de Tarn-et-Garonne,
Tarn-et-Garonne, Montauban. Var — Académie du Var, à Toulon.
REVUES REÇUES PAR LA SOCIÉTÉ
Anales del Museo national, République de Costa-Rica.
Bulletin du comité des travaux historiques et scientifiques. Section d'histoire et de philologie.
Id., Section d'archéologie.
Id., Revue scientifique.
Comptes-rendus des séances de la Commission centrale de géogiaphie, Paris.
Le Panthéon du mérite, Revue biographique et littéraire illustrée, Bordeaux.
Revue épigraphique du midi de la France, Lyon.
Revue des langues Iomanes, Montpellier.
Revue d'Auvergne, Clermond-Ferrand.
Répertoire des travaux historiques, Paris.
Rom mia, Paris.
Bujletin d'histoire et d'archéologie du diocèse de Valence.
Annual report of the board of regents of the Smithsonian institution, Washington.
Teckningar ur Svenska Statens Historika Museum Stochkolen.
INSTALLATION
DU NOUVEAU BUREAU
Dans sa séance du 9 janvier dernier, l'Académie de Vaucluse a procédé au renouvellement de son Bureau, conformément aux prescriptions de l'article 6 de ses statuts.
Ont été élus pour deux années :
MM. Torcapel, Président.
Mordon, Limasset,
Vice-Présidents.
Labande, Secrétaire-général.
Reynaud, Secrétaire.
Tiquet, Trésorier.
Mascle, Bibliothécaire.
Rey,
Pilate,
Larchê,
Présidents de section.
2 MEMOIRES
L'installation du nouveau Bureau a eu lieu le 6 février.
En remettant ses pouvoirs à son successeur, M. Rochetin, président sortant, a prononcé l'allocution suivante :
Messieurs et chers collègues,
Avant de quitter le fauteuil de la présidence, c'est pour moi un devoir en même temps qu'un plaisir de souhaiter la bienvenue aux membres du nouveau bureau, qui ont obtenu de vos suffrages une si imposante majorité, et de les prier d'agréer mes bien vives et bien sincères félicitations.
M. Torcapel, auquel je vais céder la place, est un savant de grand mérite, dont le nom est inscrit parmi ceux des .géologues les plus distingués de France. Je ne puis énumérer ici les nombreux travaux de géologie ou de physique terrestre qui ont paru, sous son nom, dans le Bulletin de la Société des sciences natureles de Nîmes, dont il est membre honoraire, dans les Mémoires de l'Académie du Gard, qui le compte dans ses rangs, dans le Bulletin de la Société géologique de France, dont il fait partie. Je vous rappellerai seulement l'importante étude séismique qu'il a publiée dans nos Mémoires, intitulée Note sur le tremblement de terre du 23 février I88I, et le beau travail qu'il a entrepris et qu'il mènera promptement à bonne fin, à présent que sa retraite, comme ingénieur du chemin de fer, lui laissera plus de loisirs; je veux parler, vous l'avez compris, de sa Géologie du département de Vaucluse, dont il vous a lu de nombreuses pages. Il y a une trentaine d'années, Scipion Gras a traité le même sujet ; mais bien des points étaient encore obscurs ou ignorés; beaucoup de lacunes existent dans son oeuvre, beaucoup d'erreurs s'y sont glissées. Depuis, la science a marché et a résolu plus d'un problème. M. Torcapel rend un grand service à notre département en nous signalant les modifications que l'oeu-
DE L ACADEMIE DE VAUCLUSE 5
vre de Scipion Gras devra subir pour être à la hauteur de la science actuelle.
MM. Mordon et Limasset, nos deux nouveaux vice-présidents, se sont signalés parmi nous, depuis deux ans, comme des écrivains de talent. Nous devons à M. Mordon une Notice nécrologique émue sur Abel Jeandet, assassiné au Sénégal le 2 septembre I890, qui fut un de nos membres correspondants, après avoir été notre lauréat, et un rapport très littéraire sur le concours de poésie française de I89I, dont nous avons eu la primeur à notre séance publique du 20 décembre dernier. M. Limasset est l'auteur d'un élégant article biographique sur gMgr Victor de Prilly, un avignonais qui fut tour à tour officier de dragons, poète et évêque, de jolis vers amoureux et élégiaques, d'un excellent rapport sur le IDictionnaire des Vauclusiens de notre collègue, M. Aubert, et enfin, d'un autre rapport sur le concours historique de I89I.
En faisant revivre et en comprenant dans le bureau les anciens présidents de sections, vons en avez, Messieurs, confié les fonctions à trois de nos" collègues qui ont déjà fait leurs preuves. M. Rey, inspecteur d'académie, nommé président de la section d'histoire et d'archéologie, nous a lu un consciencieux travail sur l'instruction primaire dans le Comtat avant I789. Ce mémoire, dont tous les documents ont été puisés aux sources, nous fait pressentir, je suis autorisé à le dire et heureux de l'annoncer, une série de lectures sur l'histoire d'Avignon, aussi intéressantes qu'instructives.
La réputation, comme littérateur, de M. le capitaine Pilate, désigné pour présider la section des lettres et arts, n'est plus à faire. Son nom, ou plutôt le pseudonyme de P. Noël, sous lequel il s'abrite discrètement, est connu des lecteurs de la Revue nouvelle. Sa plume spirituelle et humoristique est venue, plus d'une fois, nous reposer agréablement de nos études scientifiques. Nous souhaitons qu'elle revienne encore de temps en temps jeter sa
4 MEMOIRES
note vive et piquante au milieu de tant de graves discussions. Vous avez certainement lu dans un de nos fascicules, après l'avoir entendu si bien lire par l'auteur, le charmant proverbe : « A qui perd gagne » , tout à fait écrit dans le goût d'Alfred de Musset et que celui-ci aurait pu signer.
M. le docteur Larché, qui va présider la section des sciences, a commencé de publier dans notre bulletin, sous le titre de Statistique démographique et médicale, de curieuses observations, avec d'ingénieux tableaux à l'appui, sur les maladies qui frappent les habitants d'Avignon. Nous sommes assurés qu'avec son activité habituelle, il les continuera et provoquera d'autres travaux scientifiques des collègues qui viendront se grouper autour de lui.
Notre nouveau secrétaire général, M. Labande, qui, avant sa venue à Avignon, a écrit une Histoire de Beauvais jusqu'au XVe siècle, et qui a profité du classement des archives de Verdun, à lui confié, pour composer un savant mémoire sur l'organisation municipale de cette ville, du XIIe au XVIe siècle (I), vient de préluder, dans notre Académie, à ses travaux historiques, par une étude sur Esprit Calvet et la société d'Avignon au XVIIIe siècle. Il semble qu'en sa qualité de conservateur de la bibliothèque et du musée qui portent le nom de ce savant, il convenait que M. Labande marquât son début par un travail de ce genre; on peut dire qu'il s'en est acquitté en maître. Si, suivant l'impulsion de ses goûts, notre nouveau collègue dirige un jour ses recherches vers l'étude du pouvoir municipal à Avignon, il trouvera là une excellente occasion de le comparer avec celui des villes du Nord, qu'il connaît si bien, et
(I) Le premier des travaux de M. Labande est actuellement en cours d'impression ; il est intitulé : Htstoire de Beauvais et de son organisation municipale jusqu'au XVe siècle. Le second, qui a déjà paru et qui sert d'introduction à l'inventaire des archives communales de Verdun, est une Étude sur l'organisation municipale de la ville de Verdun du XIIe au XVIe siècle. In-4° de 76 pages. Verdun, Ch. Laurent, impr.
DE L ACADEMIE DE VAUCLUSE 5
l'histoire de la commune d'Avignon, par les transformations qu'elle a subies à travers les âges et les révolutions n'est certainement pas une des moins curieuses du Midi. Mais que de trésors d'érudition sont aujourd'hui entre ses mains dans les trois mille manuscrits dont il a la garde. Nous lui serions très reconnaissants de nous en faire bénéficier.
Enfin, Messieurs, le secrétaire, le bibliothécaire et le trésorier que vous avez choisis, sont d'excellents collègues, très dévoués à notre compagnie, aux travaux de laquelle ils s'intéressent vivement, et qui, dans la mesure de leurs attributions, contribueront certainement à sa prospérité.
Avec un bureau aussi bien composé, l'Académie de Vaucluse ne peut que continuer à se développer. Le nombre de ceux qui, nous font des communications s'est sensiblement accru depuis deux ans ; actuellement ils sont une vingtaine. J'ai la conviction que sous la direction active et intelligente du nouveau bureau, ce nombre augmentera. Un groupe de nos collègues, de ceux qui s'occupent spécialement et avec succès des questions historiques, semble nous avoir délaissés depuis quelques années ; et cependant je répète ce qu'ont déjà dit avec raison plusieurs d'entre nous, ce sont les travaux d'histoire qui doivent former le principal appoint dans les programmes des sociétés comme la nôtre. Qu'il me soit permis de leur dire, avant de résigner mes fonctions, que nous comptons sur eux pour l'avenir. L'Académie de Vaucluse a conquis, depuis sa réorganisation, c'est-à-dire depuis une douzaine d'années, un rang distingué parmi les sociétés savantes de province. Vos travaux, Messieurs, sont lus et goûtés à Paris et dans les autres sociétés avec lesquelles vous échangez vos bulletins. Ce rang, nous pouvons l'élever encore ; c'est avec le concours de tous et par un travail persévérant que nous obtiendrons cet heureux résultat;
2
6 MEMOIRES
Le nouveau président, M. Torcapel, a répondu en ces termes :
Messieurs et bien chers collègues,
Au moment où il entre en fonctions, votre nouveau bureau doit tout d'abord vous remercier du grand honneur que vous lui avez fait, en le choisissant pour diriger pendant ces deux années les travaux de notre Société.
Nous remercions aussi M. le président Rochetin de ses paroles de bienvenue, ainsi que de ses trop bienveillants éloges. Nous ne négligerons rien pour répondre aux espérances qu'il veut bien mettre en nous, et tous nos efforts tendront à maintenir notre société dans l'excellente voie où le bureau sortant et son très distingué et savant président ont su la conduire par leur activité et leur dévouement. Jamais, en effet, et c'est un grand plaisir pour moi de le constater, la marche de l'Académie n'a été plus prospère que pendant ces deux dernières années, jamaisTes lectures n'ont été plus plus variées ni plus satisfaisantes. Enfin la présidence de M. Rochetin a été couronnée, on ne peut plus brillamment, par la séance publique du 20 décembre dernier, qui a réuni une assistance aussi nombreuse que distinguée.
En présence de résultats aussi satisfaisants, je pense, Messieurs, quant à moi, que la tâche de votre nouveau bureau devra consister surtout à maintenir l'Académie dans cette excellente situation. Il serait, en effet, bien difficile de mieux faire, et téméraire, à mon avis, d'assumer une plus haute ambition. Le but que nous nous proposons ne saurait, d'ailleurs, être atteint, quelle que soit notre bonne volonté, que si votre concours nous est entièrement assuré : concours moral et dévouement à notre oeuvre de tous nos collègues indistinctement, concours effectif de ceux qui prennent une part plus active à nos travaux.
A cet égard, je ne puis, Messieurs, que m'associer aux voeux qui viennent d'être exprimés par M. Rochetin et j'ai,
DE L ACADÉMIE DE VAUCLUSE 7
comme lui, le ferme espoir que nous verrons de nouveaux travailleurs se joindre à ceux, trop peu nombreux encore, dont les travaux alimentent nos séances. N'oublions pas, en effet, que la plupart des sociétés comme la nôtre tiennent une séance tous les quinze jours, et il serait fort à désirer que nous pussions arriver à suivre leur exemple.
Au surplus, nos séances ont montré que notre Académie s'intéresse aux études de tout genre. Les sujets, souvent arides de science pure, ont trouvé ici des auditeurs aussi attentifs que les travaux littéraires, surtout lorsqu'ils touchaient à des questions locales. Il n'y a pas, en effet, d'indifférent parmi nous, je ne crains pas de l'affirmer, lorsqu'il s'agit d'une question intéressant le beau pays de Vaucluse. Ne sont-ce pas, d'ailleurs, ces questions locales qui doivent faire surtout l'objet de nos travaux, pour que ceux-ci aient toute leur utilité, et cela, non seulement en ce qui concerne l'histoire, comme le disait si bien tout à l'heure M. Rochetin, mais dans toutes les branches de nos connaissances ?
Que ceux de nos collègues qui s'occupent de sujets spéciaux touchant les questions scientifiques, agricoles, médicales, statistiques, ne craignent donc pas de nous faire part du résultat de leurs recherches. Ils sont sûrs de trouver ici de nombreux collègues empressés à les écouter, à les applaudir, et nos Mémoires leur assureront, s'ils le désirent, une publicité qui n'est pas sans importance. En augmentant encore l'intérêt de nos séances, ils attireront à nous de nouveaux membres, et, grâce à leur concours, l'Académie de Vaucluse marchera d'un pas de plus en plus assuré dans la voie prospère où elle est déjà, grâce aux efforts de nos prédécesseurs.
Je fais également appel à nos littérateurs, à nos poètes. Il leur appartient d'apporter dans nos programmes le charme et la variété sans lesquels nos séances deviendraient monotones, et je suis persuadé qu'ils m'entendront, car ils se doivent à eux-mêmes de tenir haut et ferme l'étendard des Belles-Lettres, dans le pays du gai savoir.
8 MÉMOIRES DE L'ACADEMIE DE VAUCLUSE
Enfin, Messieurs, en exprimant au nom de l'Académie tous nos remerciements aux membres du bureau sortant pour leur excellente gestion, qu'il me soit permis d'espérer qu'ils voudront bien continuer à payer de leur personne et à nous gratifier de nombreux travaux. M. Rochetin nous donnera, je n'en doute pas, la suite de ses savantes et si intéressantes études archéologiques et historiques, M. Mouzin voudra nous charmer encore de ces beaux vers, dans lesquels il fait si bien revivre les temps quasi-légendaires où se formait la patrie française et où, dans la rudesse des moeurs, vibrait déjà si fièrement la fibre chevaleresque de nos pères. M. Caziot continuera à nous faire part de ses intéressantes découvertes sur les terrains et les fossiles de nos environs. Ainsi, nos excellents collègues ajouteront encore de nouveaux titres à ceux qu'ils ont déjà, à la reconnaissance de l'Académie.
L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE
ET LES ÉCOLES PUBLIQUES
DANS LES ÉTATS PONTIFICAUX DE FRANCE ET PAYS DIVERS
QUI ONT FORMÉ LE DÉPARTEMENT DE VAUCLUSE,
AVANT I789.
D'après les Archives locales.
Lorsqu'on cherche à saisir, jusque dans les plus petits détails, le caractère de l'administration intérieure et de l'organisation politique des Etats pontificaux de France dans la période qui a précédé la Révolution française, on arrive uniformément à cette conclusion : c'est que l'action des agents de la cour de Rome, impuissante à diriger les influences locales, les subissait sans essayer de les combattre, de telle sorte que l'on peut dire, sans craindre la contradiction, qu'il est peu de pays comme le nôtre où la vie municipale et l'autonomie politique locale se soient conservées indépendantes de toute intervention étrangère. Ce jugement dont nous démontrerons prochainement la portée générale dans un ouvrage spécial, est un critérium pour l'histoire du pays, et nous n'hésitons pas à affirmer que chaque fait, chaque événement de nos annales locales prouve surabondant-
10 MÉMOIRES
ment que l'action de la papauté a été sans effet sur les institutions locales, et que c'est sous le protectorat d'un gouvernement théocratique que le régime démocratique d'Avignon et du Comtat-Venaissin s'est développé et fortifié, au point que nous voyons les états provinciaux réunis à Carpentras revendiquer, avant I789, les réformes sollicitées plus tard parles États Généraux de France.
Que l'on nous permette d'exprimer ici cette opinion sommairement, et en nous appuyant sur les recherches que nous avons faites dans les Archives locales, pour arriver à esquisser l'état de l'instruction primaire et des écoles dans le département de Vaucluse avant I789. Il semblerait, au premier abord, que l'influence de Rome eût dû modifier profondément le fonctionnement de l'enseignement public dans une terre soumise à un autre régime politique. Il n'en est rien. La création, l'organisation et le contrôle des écoles appartiennent exclusivement aux communautés. En un mot, ce sont les consuls et le conseil local qui sont les véritables maîtres de l'enseignement public, et, à part quelques exceptions que nous relaterons, le gouvernement de l'évêque ou du légat ne fait pas sentir son intervention.
I
Dès le milieu du XVe siècle, on rencontre des écoles dans les agglomérations populeuses du pays de Venaissin, dans la principauté d'Orange et à Avignon. A Orange, en I364, la ville achète une maison pour ses écoles (I) ; à Valréas, en I455, c'est un prêtre, Etienne Boleti, qui est chargé de régenter les écoles de la ville (2). En I444, Barthélémy Blancbet (3) était recteur des écoles publiques de Carpentras, et recevait à ce titre des honoraires de la ville.
(I) Reg. des délibérations du conseil, Ier reg. (2) Archives département Reg. B 457, fol 4. (3) Archives de Carpentras, Invent. BB, 64.
DE L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE I I
Le 3o septembre I434 (I), les syndics d'Apt accordent 5 florins à Elzéar Perpinhani, religieux du couvent des frères mineurs, « pour apprendre gratuitement tous les soirs, « depuis 7 heures jusqu'à 9 heures, à toutes les personnes « qui se présenteraient, la lecture, l'écriture et l'arithméti« que, depuis le 29 septembre jusqu'au mercredi saint ». Ils allouaient, en outre, 3 florins pour un maître adjoint si le nombre des personnes qui fréquentaient cette école dépassait 20. C'est, je crois, la seule mention qui soit faite
dans nos archives d'une sorte de cours d'adultes municipal au XVe siècle.
En 1420 (2), il y avait à Valréas un maître des écoles en faveur duquel le Conseil vota une indemnité de 2 salmées de blé « annone », pour compenser les dépenses occasionnées par un changement de domicile ; de plus, quelque temps après, la ville accorda la franchise du « souquet et de l'entrée du vin » tant à l'instituteur qu'à ceux qui viendraient pour acquérir l'instruction. Une délibération du conseil de la ville d'Avignon, du 3o avril 1470, nous fait connaître dans cette ville l'établissement d' « Écoles générales », à la tête desquelles fut placé Yves Frette (3), familier du cardinal de Foix, légat d'Avignon. On peut conclure de ces indications que jusque vers le milieu du XVIe siècle, c'est-à-dire jusqu'à la fin du règne de François Ier, les localités importantes seules des États citramontains de l'Église possédaient des écoles. Ce n'est que dans le courant du XVIe siècle, et même à partir du règne de Henri IV, que, l'instruction se propageant dans le pays, grâce au calme qui suivit les guerres de religion, la plupart des villages et des hameaux furent dotés d'une école
publique.
Il est une communauté qui, grâce à ses archives, nous permet de suivre pas à pas pour ainsi dire les diverses
(I) Mercure aptèsien, n° du I6 septembre I866. (2) Archives de Valréas, BB 3, (3) Annuaire de Vaucluse, I860, par M. Paul Achard,p. 325.
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phases par lesquelles a successivement passé l'enseignement primaire depuis le commencement du XVIe siècle : c'est Caderousse, et c'est dans les archives de cette communauté que nous retrouvons tous les éléments qui nous permettront de reconstituer dans sa vie même l'école primaire du XVIe siècle dans les États de l'Église.
La désignation du maître d'école appartenait aux consuls ou syndics, qui devaient prendre l'avis du Conseil de la communauté. Telle était la règle générale suivie dans le Comtat Venaissin. Néanmoins, et surtout lorsqu'il y avait en présence plusieurs candidats, le Conseil procédait à un vote régulier, et le candidat qui réunissait la majorité des suffrages recevait l'investiture des syndics (I). Lorsque le maître qui se présentait à l'acceptation de la communauté, avait des antécédents recommandables ou qu'il avait déjà régenté les écoles, le Conseil l'agréait de confiance ; mais généralement le Conseil déléguait quelques-uns de ses membres qui, assistés du curé, devaient, par un examen rapide, s'enquérir des aptitudes professionnelles et de la valeur morale du candidat (2). Souvent même, un maître d'école agréé par le Conseil pouvait être l'objet des protestations de quelques pères de famille (3) qui en préféraient
(I) Proposuerunt etiam dicti domini scindici de magistro scolarum, quod fuit exammatus et auditus etielatione Illorum fuit repertus sufficiens habendi scolas Et ibidem dicti consiliarn unanimiter elegerunt Claudium Fabri Clericum, in magistrum scolarum présentas loci Caderossie per unum annum mita pacta et consuetudmes autiquas presentas loci Caderossie. (Arch municip de Caderousse, 26 juillet I522 — Reg. des délibérat , fol. 2I, v°.)
(2) Fuit conclusum quod domini scindici convocent in premissis dominis Petium Vamie. Johannem Pentrum, ot vice curatum domini Gaspaidi Tholoze, presbiteros et alios ydoneos, si opus sit, ad fi es accipiendi unum îectorem scholaium sufficieritem et ydoneum ac bene imbutum bonis moribus et eum provideant insimul. Ibid. Reg. des délibérations, fol. 99, v°.)
(13) I9 juillet 1536 —Ibidemque comparuerunl Antonius Gassin, Durandus Gyr, Petrus Doniti et plures particulares ibidem tune existentes qui declaraverunt nolle in Rectorem Soollarum dominum Andream Arnulphi presbiterum. (Reg. des délib , fol. 28, r°.)
DE L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE I3
un autre et venaient apporter leurs doléances au Conseil ; si leurs réclamations n'étaient pas entendues, ils ouvraient alors avec le candidat de leur choix une école qui faisait concurrence à l'instituteur officiel. On doit cependant reconnaître que, dans la plupart des cas, le Conseil s'inspirait pour le choix du régent des écoles des sentiments des familles et des écoliers ; il lui arrivait même de faire des démarches pour retenir un maître, qui manifestait le désir de chercher une résidence plus avantageuse (I).
C'était généralement vers la fin de l'été, qu'arrivaient en Provence et dans le Comtat les maîtres d'écoles étrangers ; errants de village en village, ils descendaient des vallées alpines, coiffés de la casquette traditionnelle en peau de fouine, vêtus de l'habit vert en drap du pays, la plume plantée derrière l'oreille (2), ils venaient offrir leurs services aux communautés et passaient, comme nous le verrons, un contrat ordinairement valable pour un an. Il est intéressant de constater que, parmi les maîtres d'écoles du XVIe siècle, il en est un grand nombre originaires des Hautes-Alpes. Pierre Gauffridi, du Queyras en Briançonnais, était régent des écoles de Caderousse en I548 (3). James Bourlat, de Guillestre, était instituteur à Carpentras en I6I5 (4). Nous trouvons en I504, Paul Brutinel, d'Arvieux en Queyras, maître d'école au Crestet (5). En I55o, Jean Ramel, du diocèse de Gap, traite avec les consuls de Cavaillon pour tenir les écoles de la ville pendant trois ans 6). A cette liste il faut ajouter les noms de Laurent Vasserot, d'Aiguilles en Queyras, de Gérôme Imbert, de
(I) Le 6 mai I557, le conseil de la Commune de Caderousse délibère de retenir le nommé ce Antoine » pour régent des écoles lequel voudrait aller ailleurs, attendu qu'il plaît à un grand nombre d'habitants et beaucoup en particulier aux enfants et aux clercs. (Reg. des délib., fol. 69, v°.)
(2) Aristide Albert, l'Instituteur briançonnais.
(3) Arch de Caderousse, 5e reg. des délib., fol. I7,
(4) Minutes de Juriani, notaire à Aubignan, fol. 92,
(5) Arch. municip. du Crestet, GG 2.
(6) Arch. municip. de Cavaillon, BB 3.
I4 MÉMOIRES
Barret, de Lioure (Basses-Alpes (I). Il en est d'autres que nous ne mentionnons pas, mais dont la présence aux XVIe et XVIIe siècles dans les terres de l'Église prouve surabondamment tout ce que M. Aristide Albert et le docteur Chabrand nous ont appris sur l'émigration considérable des maîtres d'écoles briançonnais à cette époque de notre histoire (2). Les maîtres étaient la plupart du temps des jeunes gens, quelquefois même des hommes d'un âge mûr et laïques. Ils ne résidaient dans le pays que pendant la période où les écoles étaient ouvertes, et retournaient au pays natal, les classes fermées. Presque tous étaient célibataires, ce qui explique l'obligation presque toujours insérée dans le contrat passé entre les communautés et l'instituteur, d'assurer la nourriture de ce dernier. A côté de cette catégorie des maîtres d'écoles nomades nous trouvons un certain nombre de prêtres, le plus souvent des vicaires de paroisse (3) ; un notaire (4) ; un sacristain (5). Quelquefois l'instituteur cumulait les fonctions de barbier et de chirurgien de la communauté (6). Lorsqu'un maître d'école se présentait à l'agrément de la communauté, il en avisait les syndics, qui l'invitaient à formuler par écrit ses conclusions sur la porte de l'église paroissiale. Cette affiche manuscrite, entièrement rédigée de la main du postulant, contenait en résumé le programme de l'enseignement que le solliciteur se proposait de donner; il y faisait montre de ses talents calligraphiques et provoquait au concours
(I) Arch municip. de Sault.
(2) Aristide Albert, op cit,passim. — Docteur Chabrand, XInstruction dans le Briançonnais avant I789. Bulletin de l'Académie delphinale.
(3) Aich. municip.
(4) Arch. municip. de Monteux.
(5) A Caromb, I707.
(6) Communauté de Camaret, le 30 septembre I630. Le conseil donnait 6 écus à Benoît Bon comme maître d'école et I2 éminées de blé comme barbier de la ville. (Reg des déhb., fol. 7, v°.)
Communauté de la Bastidonne, année I758. Le sieur Laugier d'Esparron devait faire l'école et comme chirurgien, pratiquer les saignées pour trente sous. (Arch. de la Bastidonne, BB 6.)
DE L ACADEMIE DE VAUCLUSE I5
ses concurrents au jour fixé par les consuls pour l'ouverture du débat public, s'il y avait plusieurs solliciteurs briguant le même emploi. Primitivement, le jour en usage pour le choix du maître d'école était_la fête de l'Assomption, le I5 août. « Proposuerunt domini scindici, quomodo venit « in presenti loco quidam magister scollarum ad effectus « habendi scollas ejusdem loci. Ideo petierunt provideri. « Fuit conclusum quod domini scindici faciant respon« sionem dicto magistro, quod veniat in festo Beata; Ma« riae medii mensis Augusti ad quant diem erit provisum « et quod intérim ponat conclusiones suas in valvis Ec« clesiaî. » Caderousse, I2 juillet I545 (I). — L'obligation d'afficher ses conclusions à la porte de l'église existait même pour le maître d'école déjà éprouvé et qui avait exercé dans la. communauté. « Plus, mesditz sieurs les « consulz ont proposé comment, suyvant la conclusion du « Conseil, estoyt venu darnierement messire Laurens maî« tre des écoles de lannée damier passé, a mys aujourdui « propositions et conclusions a la porte de l'église et puys « le dit messire Laurens et aultres maistres se sont asam« blez dans la dite église et par devant Messieurs les acis« tans ont mys certaines conclusions et propositions l'ung « contre l'autre et pour ce que il est nécessaire pourvoyr « aux enfants du présent lieu d'ung maître d'escolle pour « la présente année, demandant y pourvoyr en ce que « dessuz. A esté conclud que Ion retiegne le maistre d'es« colle noveau venu, qu'est venu assalhir aus dites conclu« sions pour la présente année aux gages accostumés, et « ce actandu quil sest trouvé plus capable et si ne veult « demeurer quilz retienent celluy de lannée damier passé » pour la présente année aux gages accostumés. » Caderousse, I4 juin I554 (2). Après avoir arrêté en principe le choix de Laurens Vasserot (3) d'Aiguilhes, le Conseil se
(I) Arch de Caderousse. Reg. des délib , f° 324.
(2) Ibid. Reg des délib , 6e vol , fol. I69 v° et I7I.
(3) Ibid., id., fol I75.
16 MÉMOIRES
réunit à ce sujet une seconde fois le 8 juillet 1554. « Plus, « Messieurs les consuls ont propousé comment ces jours « passés au Conseil estroyt fut dict que l'on fist provision « d'ung maistre d'escolle pour la présente année et pour " ce quils ont trouvé ung maistre, Laurens Vasserot, home « savent et capable, ainsi quil fust testifié et convenu aux « conclusions tenues, demandent sur ce y pourvoyr (1).
Le 15 juillet 1554, Laurens Vasserot comparaît en personne devant le Conseil assemblé, pour ratifier la convention passée entre ledit maître et la communauté. « Illec mesmes suyvant la dicte conclusion, reste consti« tué en personne ledit maître Laurens Vasserot, lequel « a promys à la dite commune de Caderousse, présents les « dits sindiez et autres dessus nommés pour toute la dite « communauté, de bien régir et exercer les dites escolles « durant ung an prochain aujourduy acomeansant et « semblable jour fenissant, au cas et gages accostumés et a « promys les enfants du présent lieu venant aux dites « escolles bien et deument enseigner, instruyre et en« doctriner a bonas siance de meurs suyvant son savoir « et siance et entandement, et pour ce faire sen est obligé « en bonne forme et ainsy la promis et juré et Messieurs « les Conseulx ont promys au nom de toute la commune « au dit maistre Laurens luy faire avoyr et tenir les dites « escolles durant le dit an, aux gages et costumes ansienes « du présent lieu, toutes foys pourveu que le dit maistre « Laurens fasse son devoyr à l'exercice des dites escolles, « et ainsi l'ont juré soubz l'obligation des biens de la dite « commune de Caderousse (2). » Ce document, du plus haut intérêt, restitue bien à l'instituteur d'autrefois son véritable caractère. Il est désigné par le Conseil de la communauté, qui représente la collectivité des habitants; le Conseil demeure responsable du paiement de ses gages et de sa nourriture, et il ne peut être agréé sans l'assentiment
(I) Arch. de Caderousse, 6° vol. des délib., fol. I75.
(2) Ibid., Id., fol. I76.
DE L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE I7
préalable du Conseil, qui juge, ou du moins qui a le devoir^ incontesté de procéder à un concours. .Dans toutes les circonstances relatives à la désignation d'un régent des écoles, c'est le Conseil de ville qui agit au nom des pères de famille et engage les dépenses nécessaires pour assurer aux habitants un enseignement régulier. En I575, la ville de' Carpentras paya 27 florins à Barthélémy Salvatoris qu'elle avait envoyé à la recherche d'un maître d'école (I). En I602, les écoliers de Carpentras furent délégués à Avignon pour trouver un maître d'école, ce qui est prouvé par les comptes de la ville, où figurent les dépenses faites par ces écoliers à l'auberge du Chapeau-Rouge (2).
En résumé, on peut affirmer que dans presque toutes les communautés qui constituent aujourd'hui le département de Vaucluse, sauf dans les villes plus directement soumises à l'autorité de leur évêque, comme Vaison et Cavaillon, ou à leur seigneur, comme Châteauneuf-de-Gadagne, le Conseil communal et les Consuls ont seuls la haute main sur les écoles. Le I0 août I628 le Conseil général de Bédoin, assemblé dans le cimetière de l'église, « attendu qu'il y a plusieurs qui se sont présentés pour maîtres d'escolîe, conclut que les escolles se mettront à la dispute et que les deux syndics les bailleront au plus capable (3). » Les Conseils étaient très jaloux de cette prérogative, et ne souffraient pas qu'on y portât atteinte. En I656, le Conseil de Bollène, vu l'absence du sieur Milhe, régent des écoles, ayant désigné pour le remplacer provisoirement Etienne Ozil prêtre et religieux de St-Benoît, ce dernier ne voulut plus céder la place au régent titulaire et se prétendit en possession légitime de la régence. Les Consuls sommèrent ledit Ozil de se retirer, soutenant que la régence ne pouvait être obtenue qu'au concours. Il y eut procès, et une sentence du juge du lieu, en date du Ier octobre I657, donna
(I) Arch. de Carpentras, GG 2II.
(2) Ibid. BB, 2I6.
(3) Arch. de Bédoin, Reg. des délib., fol. 27.
I8 MÉMOIRES
gain de cause aux Consuls, en prescrivant la mise au concours (I). Dans la plupart des communautés, comme à Monteux (2), à Pertuis (3), à Saignon (4), à Mormoiron (5), à Caderousse, à Mazan, à Gadagne, Puyvert, Peypind'Aigues, Malaucène, Lapalud, Baumes-de-Venise, L'Islesur-Sorgue, Saint-Roman-de-Malegarde, c'est le Conseil qui agrée ou refuse les candidats à la régence des écoles. Dans quelques rares localités, à Richerenches (6), à Sarrians (7), le Conseil donne plein pouvoir, à cet effet, aux Consuls. Cette règle, du reste, je m'empresse de l'avouer, n'a rien d'absolu. A Bollène, avant de fixer son choix, le Conseil consultait l'évêque de Viviers, qui avait, en i6o3, constitué un capital de 5oo écus applicable au salaire des régents. Au Crestet, à diverses reprises, et notamment en I6I4, l'évêque de Vaison mande un régent pour endoctriner la jeunesse (9). A Gadagne, 9 octobre I672, d'après une délibération du Conseil, le maître d'école doit, comme première condition, être agréable à Mme la duchesse de Gadagne (10).
IL
Caractère de l'Enseignement donné dans les Écoles. — Valeur pédagogique et morale des maîtres. — Programmes. — Règlements scolaires. — Inspection.
Jusque vers la fin du XVIe siècle, il n'y a pas, à proprement parler, dans notre pays, un enseignement secondaire
(I) Reg. de la cour de Bollène, fol. 408 v°.
(2) Monteux, I5i6. Reg. des délib., t.I, fol. 33
(3) Pertuis, I506. 2e reg. des délib.
(4) Saignon, I542 Arch municip. de Saignon, BB 3. (5) Mormoiron, I586. Reg. des délib etc
(6) Richerenches, I740 Arch. municip., BB I2.
(7) Sarnans, 1780. Arch. municip , BB I4.
(8) Reg. des arch.de Bollène, fol. 3I.
(9) Arch. municip. du Crestet, Reg des délib , fol. I9I, I92. (Io) Arch. de Gadagne, Reg des délib , fol 202.
DE L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE I9
classique régulièrement organisé. Ce sont les Jésuites qui, les premiers, fondent des collèges,-où les écoliers parcourent le cycle régulier des études latines. Il n'y a donc rien d'étonnant que l'étude de la grammaire latine figure dans les programmes de quelques régents d'écoles aux XVe et XVIe siècles. Les maîtres d'écoles briançonnais, nous dit le docteur Chabrand (I), en dehors de l'enseignement élémentaire de la lecture, de l'écriture et du. calcul, enseignaient aussi les rudiments de la langue latine. Les enfants de familles aisées, qui se destinaient auxprofessions libérales ou à l'état ecclésiastique, allaient compléter leurs études dans les collèges des Jésuites.
Dans la plupart des écoles, l'enseignement donné comportait les matières qui figurent au programme de notre cours moyen actuel, c'est-à-dire des notions élémentaires d'orthographe, de grammaire, de calcul et de géographie. On y ajoutait quelques rudiments d'arpentage et la lecture des manuscrits. Ce que nous appelons aujourd'hui l'enseignement civique et moral n'était point négligé. En I636 (2), le Conseil de Châteauneuf-Calcernier éleva de 6 à 8 écus les gages du régent des écoles, afin, dit la délibération, qu'avec ce haut prix on puisse avoir un bon maître qui" enseigne, outre les leçons ordinaires, «l'exemple de la vertu à ses élèves et à ses habitants. » Aux XVIIe et XVIIIe siècles, l'enseignement du latin fait partie du programme de la plupart des écoles de communautés importantes. Quelques maîtres sont même de vrais savants. Alexandre Scot (3), qui dirigeait les études de la jeunesse dans la maison des écoles de Carpentras, était un helléniste de premier ordre, et il dédia, en octobre I593, aux Consuls de cette ville son ouvrage intitulé : Universa Grammatica Groeca. Le I8 mai I742 (4), un accord était conclu pour
(I) Académie Delphinale, 3esérie, t XVI, I880, op. cit., p. 270.
(2) Arch de Châteauneuf, BB 4.
(3) Cottier, Hist des Recteurs, p. 235. — Barjavel, Dict. biogr., au mot Scot.
(4) Arch. de Malaucène.
20 MEMOIRES
l'établissement, à Malaucène, de deux régents, l'un pour enseigner le latin et l'autre pour apprendre à lire et à écrire. En 1664 (1), la commune de Mazan traita avec François Adeller pour la tenue de ses écoles. Celui-ci s'obligeait à bien et fidèlement instruire les enfants des particuliers du lieu, à leur apprendre à bien lire et bien écrire, à leur faire étudier par coeur les rudiments de la grammaire et à « composer en latin », depuis le 26 mars jusqu'à la St-Michel (29 septembre1). En 1762, le Conseil communal de Lourmarin (2) demanda qu'il fût placé à la tête de l'école publique de garçons un régent assez instruit pour conduire les enfants jusqu'à la classe de 3e. En 1779, les Consuls de Monteux (3) réclamèrent contre les régents des écoles sur ce qu'ils ne faisaient aucune classe de latin aux enfants. A Séguret (4), au mois de mai 1781, la question de l'enseignement du latin provoqua une véritable crise municipale. Le Conseil ayant choisi comme régent le sieur Allemand, les nommés David et Merle protestèrent vivement contre ce choix, par la raison que ledit Allemand ignorait la langue latine. Le vice-légat Filomarino, considérant le peu 'd'importance du lieu de Séguret, lequel n'est généralement habité que par des artisans ou des ménagers peu désireux de faire apprendre le latin à leurs enfants, autorisa, par un rescrit du 9 mai 1781, les Consuls de Séguret à passer outre à cette protestation.
Y avait-il à cette époque un règlement scolaire ? Rien ne le prouve, et du moins, ce règlement exista-t-il, il était la plupart du temps l'oeuvre du maître d'école et n'avait aucun caractère officiel. Le contrôle de l'enseignement, des études et du personnel enseignant appartenait aux Consuls. C'est aux Consuls que les pères de famille de
(1) Arch. de Mazan, DD 2.
(2) Arch. de Lourmarin, BB I2.
(3) Reg. des délib. des conseils de Monteux, n° 22, fol. 63.
(4) Arch. départ. Rescrit concernant les délibér. du conseil municipal, fol. 106 v°.
DE L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE 2I
Pertuis,-mécontents, portent leurs doléances, au sujet de la mauvaise administration des études de la ville (I565) (I). En I700, la commune de Richerenches adopte un règlement pour ses écoles (2). L'autorité ecclésiastique intervenait quelquefois, mais rarement. C'est ainsi qu'en I632, le Conseil de Châteauneuf-Calcernier (4) s'apercevant que les enfants qui fréquentaient l'école n'y apprenaient rien, décida que le régent serait traduit devant l'Archevêque d'Avignon, pour s'assurer s'il connaissait son catéchisme, l'orthographe, l'écriture, etc.
Il n'est fait mention d'inspecteurs spéciaux des écoles qu'une seule fois dans nos archives. Le Conseil de Carpentras établit, en I576, des inspecteurs des écoles de la ville, mais nous ignorons absolument quel était leur caractère et l'importance de leurs fonctions (5). En cas d'abus graves, de scandale public, violences et sévices commis sur les élèves les Consuls recevaient les plaintes des parents et écoutaient les requêtes des intéressés, qui pouvaient être portées devant l'auditeur général de la légation. C'est ainsi que le 24e jour du mois de septembre 1648(6), MM. les Consuls de Cavaillon sont assignés pardevant l'auditeur général, et par commandement spécial, à la requête de M. Louis Fayard, docteur en médecine, et adhérents, « pour ce qui auroit été passé contract de Grand, mestre « des escolles de ceste ville, avecpache exprès d'instruire ou « d'avoir soin de faire instruire bien et fidèlement la jeuce nesse de la dite ville et aux jours de fête, il auroit
« soin de conduire les escolliers en l'esglise pour y ouïr « la messe et vespres, les enseignant et instruisant solide" ment et avec grand soin aux bonnes moeurs et aux exer(I)
exer(I) de Pertuis, Reg des délib., 5e vol.
(2) Arch de Richerenches, BB 9.
(3) Arch. d'Orange, Reg. des délib., 38e volume.
(4) Arch de Châteauneuf-Calcernier, BB Io.
(5) Arch de Carpentras, BB I86.
(6) Reg. du greffe des cours du Palais d'Avignon, fol. 693.
2
3
22 MÉMOIRES
" cices de leur créance. Au préjudice de ce, la plus grande " partie de la dite année le dit Grand, mestre d'escolle, au" roit manqué tout à fait à ce qui est de ses fonctions, ce n'auroit que fort peu souvent conduit les escoliers en ce l'église pour y entendre le divin service ainsy qu'il est ce de costume, auroit enseigné aux Mistères de la foy de « l'ordinaire de l'esglise, mesme que le signe de la Ste" Croix suyvant les formes Ieconnues par l'Église et dres" sées par feu l'Éminentissime cardinal Belarmin (I). « Admonesté là dessus, respondit tout estre bon, qu'il fût " recepvable à l'Esglise, et que les jeunes enfants pour " estre forme nouvelle ne peuvent goûter ni profiter que
" de force de coups avec scandale il auroit très mal
" traité avec des nerfs de boeuf un escolier, qui auroit pris " le soin d'instruire quelques enfants dans une maison " particulière de la dite ville et a commis plusieurs autres " excès dans les fonctions de sa charge au préjudice du " public, etc. » Les requérants demandent que dans ces conditions, il soit fait inhibition aux Consuls de Cavaillon dé confier les écoles de la ville à un maître qui s'était rendu coupable de manquements aussi graves dans l'exercice de ses fonctions, sous peine de XXI marcs d'argent applicables au fisc de Sa Sainteté. J'ajoute que le Légat donna raison aux requérants.
Des minutieuses recherches auxquelles nous nous sommes livrés, il résulte que les plaintes sont rares et que l'honorabilité professionnelle des régents était universellement reconnue. Dans quelques occasions même, la communauté prend en main la cause de l'instituteur lésé dans ses intérêts ou dont la dignité a été méconnue. Le 28 novembre I559, des malfaiteurs masqués ayant assailli et roué de coups l'instituteur de Malaucène (2), Barthélémy Blosseti, après avoir brisé les vitres des fenêtres de l'école, la communauté poursuit elle-même en justice les coupa(I)
coupa(I) s'agit dans cette affaire de l'archevêque d'Avignon de BELLAMERA. (2) Arch, de Malaucène, Registre des délib., fol. 20 v°.
DE L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE 23
bles. Le I2 novembre I6I0 un certain Antoine Féraud, tailleur à Bollène (1) ayant frappé à coups de poing un instituteur adjoint qui avait battu son enfant, la commune intervient encore en faveur dû régent battu, et après une longue procédure, l'agresseur est condamné à une amende de 2 livres tournois applicables au fisc. On peut donc inférer de ces documents que le personnel des écoles était placé exclusivement sous la protection des Consuls de la communauté.
III
Situation matérielle des maîtres. — Des gages ou salaires. — Locaux scolaires et logement personnel des maîtres. — Nourriture. — Obligations extra-professionnelles ou accessoires imposées aux maîtres d'école.
Dès le XVe siècle, et dans la plupart des communautés comtadines, du territoire d'Avignon ou de la principauté d'Orange, nous trouvons trois éléments qui constituent ce les gages honnestes » ou salaires des régents des école's : I° la subvention votée par le conseil de la communauté ; 2° le produit de la taxe prélevée sur les familles des enfants qui fréquentent l'école ; 3° les avantages en nature, c'està-dire la nourriture quotidienne fournie au maître célibataire par un certain nombre de familles résidant dans la localité.
Déjà en I447 figurent aux comptes de la ville d'Apt (2) : I° le loyer de la maison d'école ; 2° le traitement du régent, qui est fixé à 9 florins par an. A Pertuis, en I43I (3), le régent des écoles recevait 4 florins. A Caromb (4), en I5o5, le régent de la communauté touchait 8 florins par an, ce dont il était fort content, ce de quibus octo florenis rector predictus scolarum est conientus ».
(I) Commun. de Bollène. (Papiers non classés )
(2) Arch. d'Apt, GG 2I2.
(3) Arch.de Pertuis, Comptes des trésoriers, Mandats.
(4) Arch.de Caromb, Quittances de Rivière, notaire, I505 I506.
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Les gages annuels des régents varient suivant l'importance et la richesse des localités. La moyenne est de I2 écuspar an (I). Mais dans quelques communautés le chiffre de la subvention allouée est inférieur. A Robion (2), une quittance du régent Antoine Mathieu prouve que pour l'année I547-I548, ce maître ne reçut de la communauté que cinq écus sol. A Courthézon (3), I53o, les gages sont de 7 écus ; à Lacoste (4), de 6 en I5oo. En I5I6, le conseil de Monteux (5) fixe les honoraires des magisters des écoles à 3 écus d'or; vers I542, le régent des écoles de Saignon (8) était taxé 2 écus de gages annuels. En I57I, Jacques Dupuy, le régent des écoles de Mormoiron, recevait 6 florins, et en I664, le salaire fut fixé à Io écus sol. A St-Christol, les gages sont de 6 écus par an ; à Cazeneuve, de 8 écus. Dans cette dernière communauté, le conseil délibère que le régent recevra désormais 40 sous par mois, sans autres gages, pour apprendre la jeunesse du lieu (8). Comme on le voit par le rapprochement de ces chiffres, la situation du régent de village n'était rien moins que lucrative, et si un certain nombre de familles ne s'étaient pas engagées à fournir au magister la nourriture quotidienne, la situation n'eût pas été tenable.
Dans les villes et bourgades populeuses et riches, le régent était mieux rétribué, mais ce n'était point l'opulence.
(I) P. Achard, Annuaire de Vaucluse, I860, p. 225.
(2) L'an I548 et lou 28 de May, Jehan soubz signat confesse de aver agut et resauput de Jehan Fornyhlier, sendique de Roubyon, la somme de cinq scus sol et aquo per mes guages que lou Parlament me ordine l'an I 547 et acommensant lou premyer jour de may et finyssant semblable jour de l'an I548. de que nen tene quitte ly et la ville et par sa descargue me suis soubs signat. Etant Anthoni Mathiou, maître des enfants. (Arch. commun, de Robion, I547-I548.)
(3) Aich. commun., Reg. des délib.
(4) Arch.de Lacoste, CC 22.
(5) Arch. de Monteux, Reg. des délits, I5I6.
(6) Arch. de Saignon, BB 7.
(7) Arch. de Mormoiron, Pièces just. de I57I.
(8) Reg. des délib. de Cazeneuve, fol. 85.
DE L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE 25
Au commencement du XVIIe siècle (I608-I609), Cavaillon donnait au régent 60 écus d'honoraires par an (I).En 1601, la communauté de La Palud retient le sieur Esprit Jacques, prêtre et précepteur, pour ce instruyre » la jeunesse du présent lieu, durant une année qui commencera le jour et feste de St Michel (2) prochayne, ce et pour ses gaiges la commu" nauté luy donnera 45 escus de 60 sols pièce, moyennant ce lesquels le dit sieur Esprit se nourrira et faira sa des" pance de bouche, le tout à ses despans, comme aussy ce ne pourra prendre argent des enfants qui y sont à l'es" cole ». En I624, Paul Brocart, précepteur, originaire du comté de Nice, traitait avec la communauté de Malau-, cène moyennant 25 écus dégages annuels (3). En I59I, Antoine Laugerii, maître régent des écoles de Cavaillon reçoit 5o florins pour un trimestre de ses honoraires (4). Au XVIIIe siècle, quelques villes constituent pour le régent des écoles des honoraires relativement élevés. Le 21 octobre I78I, le conseil de L'Isle (5) vota un crédit de 200 livres au profit de l'abbé Audouard, régent, pour lui permettre de se donner un adjoint qui tiendrait les basses classes sous sa direction. Le 27 décembre I78I, le conseil décide que le Ier régent devait toucher 400 livres et le 2e 200. Quelques communautés, par raison d'économie, procédaient par voie d'enchères, afin d'obtenir le plus fort rabais possible sur la subvention servie par la commune. C'est ainsi qu'à deux reprises différentes, en I6II et en I63o, les écoles de Monteux furent livrées aux enchères publiques à Georges d'Auvergne et à Gilles Bérard (6). Les gages et salaires de l'instituteur, pour la part com(I)
com(I) de Cavaillon, GG I89, GG 2I0.
(2) Arch. de Lapalud, Ier reg. des délibérations.
(3) Arch. de Malaucène, DD I4.
(4) Arch. de Cavaillon, GG 69.
(5) Arch départem, Rescrits approuvant les délib. municip., fol. I60 et fol. I68.
(6) Arch. de Monteux Reg. des enchères et délivrances de la maison de ville de Monteux, fol. 72, I97.
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munale, étaient généralement acquittés par quartier, et il en donnait décharge au secrétaire de la communauté le 3o septembre, date uniformément adoptée pour la clôture des classes (I). On voit cependant que très souvent les communautés font délivrer, en déduction de leurs gages, des à-comptes aux régents besogneux (2). Parfois des discussions s'élevaient entre le premier régent et ses adjoints pour les règlements de comptes. En I620, le maître d'école de Malaucène, François Nicolin, ayant fait une maladie 'très grave de plusieurs mois, fut suppléé par Jean Béraud, qui remplit l'office de premier et de second à ladite école, ce Et pour ce qu'aux termes du contrat passé entre la coince munauté et ledit Nicolin, ce dernier s'est engagé à payer ce son adjoint, le sieur Béraud requiert lui être décerné ce arrêt entre les mains du trésorier de la communauté de la " somme de 5 livres restant due au premier régent. » Le sieur Nicolin, malade, fait prier le juge de surseoir à la saisie jusqu'à ce qu'il puisse comparaître, attendu qu'il ne devait rien au sieur Béraud (3). Lorsque quelque épidémie grave provoquait le licenciement des écoles, la communauté retenait sur le traitement du régent une somme correspondant aux honoraires qui lui étaient dus pour la période de fermeture des écoles. En I722 notamment, pendant la peste qui ravagea toutes les villes du Midi, la plupart des régents ne reçurent que 6 mois d'honoraires (4).
Le logement du régent et les salles de classe, dès le XVe siècle, dans nos pays, comme aujourd'hui, constituaient une dépense obligatoire pour la communauté. Il en était de même du mobilier, mais logement et mobilier répondaient naturellement aux ressources de la commune.
(I) Arch. de Viens, I642, Comptes de Jacques Chauvet, trésorier de Viens.
(2) Arch. de Caromb, Comptes, 20 juillet I573.
(3) Arch. de Malaucène, reg. B 956, fol. 229 v°.
(4) En I722, l'abbé Coupard, régent des écoles de Vedènes, ne reçoit que six mois de gages. (Arch. de Vedènes, GG 27.)
DE L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE 27
Au XVe siècle, à Orange, les écoles publiques étaient installées dans une maison, l'Espase vermeille (I) (l'épée vermeille), qui appartenait à la ville (I409). Le 22 juillet I5I3, le Conseil général de Piolenc (2) délibère que l'instituteur pourra transférer son école dans la maison commune sans payer de ce loyer ». Le plus souvent, la communauté installait l'instituteur et ses écoliers à la maison commune, mais quand celle-ci était insuffisante, le Conseil louait à un particulier. A Caderousse (3), où la population était des plus favorables à l'instruction, le Conseil se préoccupe dès I535 d'acheter un immeuble pour y installer les écoles : é" Proposuerunt scindici de habendo unam domum pro tenendo scollam ad edocendum [4). Et fuit conclusum de providendo. » Depuis I496, la commune de Caderousse avait à loyer une maison pour l'école et le logement du régent ; néanmoins, conformément au voeu des habitants, et avant même d'avoir un hôtel de ville, la communauté, en I544, fit l'acquisition d'une maison d'école. En I576(6), la communauté du Thor avait une maison d'école à laquelle était attenant un jardin dont le régent avait l'usufruit. La Palud avait également abandonné, en I625, à son maître d'école, un jardin, " pour la récréation des enfants » (5). En I653, la commune de Vacqueyras fait construire une maison d'école (6). Quant au logement des maîtres, il était très modeste, parfois même insuffisant. En I637, le Conseil de Sarrians vota la location d'une chambre à coucher pour le maître d'école, ce parce qu'il était obligé de tout faire dans sa ce classe » (7). A Courthézon en I767 (8), le régent occu(I)
occu(I) d'Orange, Comptes de la ville, I3e et I4e vol.
(2) Arch. de Piolenc, 2e reg. des délib., fol. 49.
(3) Arch. de Caderousse, CC 26.s— Id , BB 4. — Id., Reg. des délib. des conseils, 3e vol., fol. I.
(4) Arch. des hospices de l'Isle. Minute de Louis Girard, notaire.
(5) Arch. de Lapalud, CC 40.
(6) Arch. de Vacqueyras, BB 6. (7) Arch. de Sarrians, BB I7.
(8) Arch..municip. de Courthézon, Reg. des délib., I767.
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pait à l'hôtel de ville un appartement en mauvais état. La commune décide d'y faire les réparations nécessaires, attendu que le logement est très étroit et que ledit régent doit avoir quelques pensionnaires pour le faire mieux subsister dans son emploi ; en conséquence, le Conseil abandonne au maître l'ancienne salle des archives, devenue vacante par suite de leur transfèrement à l'église paroissiale, où elles sont en toute sûreté. Enfin, le Ier janvier I768, le Conseil ratifie la dépense faite et vote un crédit pour l'achat de tables pour le régent, l'usage des écoliers mis à l'écriture, à l'arithmétique et les latinistes (I).
La taxe ou rétribution scolaire payée par les familles des enfants qui étaient inscrits sur le registre de l'école et que la loi de I88I a définitivement abolie, existait à l'origine même des écoles, et le produit s'ajoutait à la subvention communale au profit du maître d'école. Le 2I septembre 527 (2), le Conseil de Caderousse fixe la rétribution par tête d'élève et par mois ce à I gros pour les jeunes enfants, à 2 gros pour les grammairiens, et pour les autres le prix acoutumé. » En I55I, il y a augmentation dans la même communauté ; les écoliers grammairiens, originaires de Caderousse, devront payer trois gros par mois ; quant aux autres, un gros six deniers (3). En I565, les petits enfants paient 2 sous par mois, et les grands apprenant la grammaire, 3 sous (4). A St-Saturnin-d'Apt, le Conseil décidait, le 24 novembre I577, que chaque enfant solderait au régent, à savoir : chacun qui sera à l'A B C sive à la croix de Dieu, I sou ; au bout des 7 psaumes qui approchent de N. Dame, 2 sous, et les grammairiens, 3 sous pour chaque mois. A Saignon (6), en I672, le maître prélevait
(I) Arch. de Courthézon, Reg. des délib.
(2) Arch. de Caderousse, Reg. des délib , fol. I96.
(3) Ibid., I4 octobre I55I, 6° reg , fol. I9 v°.
(4) Ibid, 8e reg , fol. 36 v° et fol 40 v°.
(5) Arch. de St-Saturnin, fol IIo.
(6) Arch. de Saignon, BB 9.
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sur les enfants qui étaient à l'alphabet 5 sous ; sur ceux qui lisaient les N.-Dame, 6 sous ; sur ceux de St-Charles et qui écrivaient, 8 sous. Enfin, sur ceux qui écrivaient et chiffraient, la taxe était de Io sous. Le maître procédait luimême à la rentrée des fonds (I), et en cas de non paiement assignait en justice les pères de famille récalcitrants. En I540, nous voyons magister Raymondi Pellens « rector schollarum universitatis Abollenae » (2), réclamer aux sieurs Veroni et Laudun un florin « causa doctrines », pour instruction donnée à leurs enfants.
Le II août I529, Bernard Brisa (3), recteur des écoles de Bollène, dirigea des poursuites contre maître Paulet Hugonis, de cette ville, en paiement de 2 florins 8 sous, prix convenu pour avoir enseigné à ses deux enfants pendant 8 mois ; le I7 du même mois, il nomma des procureurs pour poursuivre ses débiteurs. Le 25 février I700, Jean Aucheri (4), régent des écoles de Baumes, assignait en justice Auguste Bariol en paiement de I5 sous pour reste de ce qu'il lui devait pour avoir enseigné à lire à un de ses enfants, l'espace de 4 mois» En I543 (5), Antoine Tourniaire, régent de Beaumontd. Apt, poursuivait en justice Antoine Savin, tuteur d'Esprit Ribier, en paiement de 3 florins, pour avoir enseigné les lettres à son pupille. En I777, la cour de l'Hôtel-de-Ville de Carpentras dut intervenir pour concilier le conflit qui s'était élevé entre M. Dutrin, maître d'école, et Samuel Cerf, au sujet du paiement de la taxe de fréquentation par le fils de ce dernier (6).
Le principe de la gratuité, proclamé par nos dernières lois scolaires et qui répond aux aspirations démocratiques
(I) «Fuit conelusum quoddietus preceptor de scollarum faciat sesolvere pro quolibet mense. —Arch. de Caderousse, 22 nov. I55I, Reg. des délib., fol I4.
(2) Reg. des actes de la cour de Bollène, fol. I2o.
(3) Arch. de Bollène, Reg. B 602, fol 24 et 36,
(4) Cour ordinaire de Baumes, B 544, fol. 342.
(5) Arch. de Beaumont d'Apt, B II3I.
(6) Arch. de Carpentras, FF 49.
3 3 MÉMOIRES
de lÉtat moderne, n'existait pas dans le sens absolu du mot, mais les communautés inséraient comme condition du contrat avec le maître d'école, que les enfants de familles pauvres seraient exempts de toute rétributon scolaire. En I572 (I), les Consuls de Gadagne mettent comme condition " que le dit mestre sera tenu moyennant les dits gaiges, de aprendre gratis les petits enfants pauvres ne ayant de quoy payer. » En I62I (2), le Conseil de Cadenet décide que la nourriture des instituteurs serait à la charge des familles des parents des élèves et que les enfants pauvres seraient instruits ce pour Y amour de Dieu ! » En I78I (3), le Conseil de l'Isle décida que le régent ne pouvait rien exiger des écoliers, et se contenterait d'une subvention annuelle de 600 livres, dont 200 pour le 2e régent. C'était le principe même de la gratuité absolue, résolu par un Conseil municipal quelques années avant la Révolution, et qui nous montre mieux que tout autre exemple que les villes du Comtat ne différaient en rien des villes de Provence ou d'autres provinces limitrophes dans la revendication des mesures libérales et démocratiques.
Nous venons de voir comment le maître d'école était logé ; comment il était payé. Il nous reste maintenant à faire connaître dans quelles conditions il était nourri.
Lorsque le régent était célibataire et étranger à la localité, il était logé et nourri par un certain nombre de familles, à tour de rôle. Cette coutume, d'origine briançonnaise (4), figure dans la plupart des contrats, aux XVe et XVIe siècles. En cas de refus par les familles (5) de nourrir le maître d'école le contrat passé avec la communauté était nul de plein droit, et l'instituteur était libre de se pourvoir ailleurs. Les archives de Caderousse nous fournissent un document
(I) Arch. de Gadagne, fol. I68 v°.
(2) Arch.de Cadenet, 7e Reg. des délib.
(3) Arch. de L'Isle. — Arch. départ. Rescrits approuvant les délibér. municip., fol I68.
(4) Docteur Chabrand, op. cit, p. 267.
(5) Arch. de Caderousse., Reg. des Conseils, fol. 3I.
DE L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE 3I
qui ne laisse aucun doute sur ce point (7 décembre I522). ce Ibidem Claudius Faber, magister scollarum, dixit quod ce quando scholoe fuerunt sibi traditoe inpresenti loco Cadece rossioe, fuit sibi promissa provisio pro ipsum alimentando ce et nunc non potest reperire provisionem. Ideo, protestatus « fuit de non exercendo scolas. et quod accedet ad alibi. » En I606, la communauté d'Aubignan (I) décide de faire venir un maître d'école, ce pourvu toutefois que s'atrouvent personnes pour icelui nourrir pendant la dicte année. » Il en est de même à Gadagne (I4 octobre I6o7) (2) à Sablet (I6o5), et au Crestet (I6I4) (3). En général, chaque famille nourrissait le régent pendant un mois. Dans ces conditions, les parents astreints à cette obligation étaient exempts de la rétribution scolaire, et le taux en était moindre pour la collectivité des pères de famille. Dans le cas, au contraire, où personne ne voulait fournir la nourriture au régent, la subvention communale était augmentée : pour ce motif, en I58o, la commune de Sault (4) porta à I2 écus de 60 sous pièce, les gages du maître d'école, ce attendu qu'il ne se trouve personne pour le nourrir. » Quelquefois,cependant, le maître d'école, blessé dans sa dignité, refusait de s'asseoir à la table de ses élèves ; en I674, le régent des écoles de Monteux notifia au Conseil son refus formel d'aller prendre sa nourriture dans la maison de ses élèves (5).
Dans certains cas, la communauté imposait au régent des obligations, si je puis dire, extra-professionnelles. En I629, la commune de Buisson obligeait l'instituteur, qui était en même temps notaire, à remplir les fonctions de secrétaire de la communauté (6). Mais ce supplément
(I) Arch. d'Aubignan, Reg. des délib fol. 263. (s) Arch de Gadagne, fol 35.
(3) Arch. du Crestet, délib du Conseil, fol. I9I v° et I93.
(4) Arch. de Sault.
(5) Arch. de Monteux, ifie Reg. des délib , fol. 550.
(6) Arch. de Buisson, BB5.
02 MÉMOIRE;
d'occupations visait surtout les ecclésiastiques. C'est ainsi qu'à Gadagne, un prêtre se présentant en qualité de régent, le Conseil décide ce que la communauté lui fournira un lit ce et des linceuls et ornements et que le dit prêtre serve la ce chapelle des Pénitents blancs et dise messe toutes les fois ce qu'il en sera requis (I). »
Le Io décembre I56I, le conseil de Malaucène demande que Pierre Guérin, directeur des écoles, fasse chaque jour réciter le Salve Regina à ses petits élèves sur la place de Malaucène, comme c'était l'usage (I56I) (2). A Murs, en I669, le régent enseignait les enfants et rédigeait les déli= bérations du conseil. En I647, Jacques Meynard, maître des écoles de Lacoste, ce faisait la lecture et la prière au temple ». En présence de ces documents, on serait tenté de se demander comment était comprise la neutralité de l'école? En dehors de la région du haut Lubéron, théâtre des impitoyables exécutions qui précédèrent la mort de François Ier, à Mérindol et à Cabrières (3), l'immense majorité des habitants d'Avignon et du Comtat étant demeurée fidèle au catholicisme (4), il n'y a que des écoles catholiques reconnues par les communautés. Toutefois, à Peypin d'Aygues (5), refuge des anciens Vaudois et protestants émigrés des bords de la Durance, le conseil ayant choisi un prêtre pour instruire les enfants du lieu, les conseillers appartenant au culte dissident protestèrent vivement, et le conseil décida alors de choisir un laïque. Mais, en général, l'enseignement donné avait un caractère essentiellement catholique, et quelques communautés, comme Courthézon (6), exigeaient même que le régent s'engageât à ce n'apce prendre qu'une seule doctrine catholique et romaine, et ce non point de nouvelle religion ; et avec pache expresse
(I) Arch. de Gadagne, Reg. des délib., fol. I45.
(2) Arch. de Malaucène, BB.
{3) Duhamel, Chronique d'un Notaire d'Orange.
(4) Justin Boudin, Histoire des guerres religieuses.
(5) Arch. de Peypin-d'Aygues, Inventaire, BB I3, et I4.
(6) Arch. de Courthézon, Reg. des délib commun.
DE L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE 33
ce que sera tenu le dit maître apprendre les enfants des ce susdits lieux et dûment de toutes bonnes moeurs, sui" vant l'Église catholique et romaine. »
IV
De l'idée de liberté en matière d'enseignement. Les écoles
concurrentes.
Un des points les plus curieux de cette étude, c'est la question de la liberté d'enseignement. Existait-elle telle que nous l'entendons aujourd'hui ? En un mot, le père de famille avait-il la faculté de retirer son enfant de la classe du régent officiellement désigné par le conseil et de l'envoyer à une école rivale, comme il le peut aujourd'hui? Y avait-il des écoles concurrentes à côté de l'école communale ? Autant de points intéressants que nous allons essayer d'aborder à l'aide de documents locaux.
D'une manière générale, les communautés ne sont point favorables à la liberté d'enseignement, et elles répriment avec sévérité toute tentative faite pour établir une concurrence à l'école dirigée par le maître d'école communal Deux sortes de concurrences étaient à craindre : l'une de la part des curés et vicaires de paroisse, qui considéraient comme un monopole exclusif le droit de donner des leçons de latinité à quelques élèves, droit très ancien, et dont la loi de I85o a reconnu la légitimité. Les autres causes de concurrence provenaient parfois du mécontentement de quelque magister évincé, qui ouvrait une école rivale en face du concurrent plus heureux. A Caderousse, notamment, le I5 janvier I53I, le maître d'école se plaint du préjudice causé à l'école par les agissements de certains prêtres " qui tiennent chez eux des enfants, qu'ils instruisent sans les envoyer à son école (I) ». Saisi de la plainte, le conseil « conclut que l'on baille les escolliers à un magis(I)
magis(I) Plus an parlat daou Magister que se rep..... cornent y lia de capellas que tenoun enfans et non ly mandon point., B Arch. de Caderousse, 2e Keg des délib.,fol. 6 v°.
34 MÉMOIRES
ter et que ce non niague degun que ague a aprendre d'autres enfans sans le dit magistre de grammaire ». Vers 1544 (1), la même communauté fait défense à tous autres qu'à l'instituteur public de ce tenir des écoliers». Cette même défense est formulée sur un ton impératif: " Plus an con" clus (2) que l'on non fasse point à Caderousse plusieurs es« colles per aprendre les enfans,mes que non niague que une " escollo et ung magister ». Vers 1540 (3), un certain Jacques Bos tenait à Cavaillon des écoles particulières, dont la concurrence nuisait à celles qu'entretenait la ville. Le conseil fit menacer le dit Bos, dans le cas où il continuerait, de le priver de ses libertés municipales. En 1569, le régent de Monteux (4) se plaignait au conseil de la concurrence que lui faisait le sieur François Roux. Vers 1639 (5), le conseil de Cavaillon délibère de défendre à quelque particulier que ce soitde tenir école dans sa maison et d'obliger les parents à envoyer leurs enfants aux écoles publiques.
En novembre 1688, Antoine Rousset, maître d'école à Châteauneuf-du-Pape (6), ayant terminé son traité avec la commune, fut remplacé par un autre. Plusieurs pères de famille l'ayant prié de continuer à instruire leurs enfants, il persista à donner à ceux-ci des leçons dans sa chambre. Sur la plainte de l'instituteur communal, le viguier, à l'instance des consuls du lieu, lui fit défense de tenir école soit en public soit en chambre. Rousset déféra ce décret à la censure des cours de justice comme contraire à la liberté publique. Nous ignorons malheureusement quelle suite fut donnée à cette affaire. En 1715, la commune de Bédarrides (7) fit signifier des inhibitions à M. Martin,
(1) Arch. de Caderousse, BB 4.
(2) 6e Reg. des délib., fol 81.
(3) Arch de Cavaillon, BB 2.
(4) Arch. de Monteux, 5e Reg. des délib. fol 122.
(5) Arch. de Cavaillon, BB 14.
(6) Arch. de Châteauneuf, B 732, fol. 879. (7) Arch. de Bédarrides, GG 287.
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prêtre secondaire, et aux autres personnes qui se livraient à l'enseignement dans la localité, au préjudice de la commune et du régent des écoles établies par elle.
Les conflits entre, régents, à propos de concurrence de métier, prenaient parfois dans la même ville un caractère tragique. En I533 (I), le 26 novembre, Sébastien Garnier et Jean Hermitte, recteurs des écoles d'Avignon, ayant été lésés dans leurs intérêts et leur réputation par Barthélémy Chayssi, ancien recteur, portèrent une plainte contre ce' dernier. Deux sergents de la cour temporelle de St-Pierre se r endirent au domicile de Chayssi pour l'arrêter ; mais celui-ci monta sur le toit de sa maison, où les recors n'osèrent pas le poursuivre. Il résulte de l'examen des pièces delà procédure que ledit Chayssi, jaloux du succès et du grand nombre des élèves de ses successeurs, avait, à l'aide de quelques complices, envahi le domicile des sieurs Garnier et Hermite. Ce dernier,s'étant sauvé sur la voie publique, fut poursuivi par son rival et frappé de plusieurs coups d'épée. Chayssi arrêté fut relaxé sous caution.
De tous ces documents, nous devons conclure que la liberté d'enseignement n'existait pas dans le Comtat, pendant la période antérieure à I789. La communauté était jalouse de conserver pour elle le monopole de l'enseignement, et le Conseil était, en cas de conflit, juge des revendications de l'instituteur qu'il avait investi de sa confiance.
V Des Écoles de filles.
Avant le XVIIe siècle, on ne trouve aucun document qui nous permette d'affirmer l'existence dans les villes et villages du Comtat d'écoles spéciales pour l'instruction des jeunes filles. Les premières écoles de ce genre remontent au règne de Henri IV, et les villes importantes seules en
(I) Arch. de la Cour du Palais, fol. 2I.
36 MÉMOIRES
possèdent. Avignon, Carpentras (1605) (1) avaient leurs écoles de filles. On trouve des écoles destinées exclusivement aux jeunes filles à Cucuron (1607) (2), à Caromb (1608) (3). La plupart de ces écoles étaient entre les mains des Ursulines, comme à Mormoiron (1614) (4). Néanmoins, l'enseignement était également donné par des laïques, et quelquefois même par des maîtres d'école. Vers I6I0, le Conseil de Gordes (5) autorisa les consuls à confier l'école de filles à Pierre Antoine Jouve (6), moyennant un traitement trimestriel de 30 livres. Vers 1640, Goult avait déjà une institutrice laïque. A Cucuron, pendant tout le XVIIe siècle, nous constatons le fonctionnement régulier d'une école de filles. En I656, Mlle Giraud, institutrice laïque de cette commune, recevait un salaire de 15 livres; en 1693, Mlle Granier, régente, recevait 15 livres de la commune, pour avoir enseigné aux filles ce toutes sortes d'honnestes exercices. »
D'une façon générale, on peut dire que vers la fin du XVIIe siècle, les communes importantes seules et les grandes villes sont pourvues d'écoles de filles. Dans les villages et communautés secondaires, la plupart du temps l'école était mixte, mais n'était fréquentée que par un nombre très restreint de filles. A Monteux, comme dans beaucoup de bourgades, l'école fut en principe commune aux deux sexes ; une cloison en planches s'élevant à hauteur d'appui séparait les filles des garçons. Vers 1657, le Conseil vota l'érection d'une école spéciale aux filles sous la direction d'une demoiselle laïque. Cette tentative ne paraît pas avoir eu de succès ni de durée ; l'école redevint mixte peu après, mais cette fois la cloison fut élevée jusqu'au plafond.
(1) Arch de Carpentras, BB 209.
(2) Arch. de Cucuron, Délib. du Conseil.
(3) Areh. de Caromb, comptes de I608, fol 6I.
(4) Arch. de Mormoiron, pièces justificat. des comptes de I6I4.
(5) Arch. de Gordes, BB 3.
(6) Arch. de Goult, BB 4.
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Vers 1680, sur un ordre venu de Rome, le Vice-Légat, par mandement spécial, fit défendre aux communautés de réunir les filles dans le même local que les garçons, pour y recevoir l'instruction. Le règlement est appliqué à Vedènes en 1682 (1), à Mazan en I684 (2). — En 1694 (3), l'évêque de Carpentras prohiba d'une façon formelle les écoles mixtes dans les communes un peu importantes, Louis XIV, ayant aboli le .culte réformé dans la principauté d'Orange, y établit, en 1685 (4), un couvent des religieuses du Verbe Incarné pour l'instruction catholique de la jeunesse de la ville. Cet établissement était en voie de progrès et comptait un nombre considérable de jeunes filles dans ses classes, lorsque, en 1697, le traité de Ryswick obligea les religieuses à se retirer et à remettre leur établissement à des ministres protestants. Il y eut alors à Orange comme un temps d'arrêt dans l'instruction des filles. En 1703, la Principauté ayant de nouveau fait retour à la couronne, des lettres patentes furent délivrées aux religieuses, leur permettant de reprendre possession de leur couvent et de rouvrir leurs écoles. Mais les religieuses, réfugiées à Roquemaure, refusèrent de revenir à Orange, pour ne point être exposées aux mêmes vicissitudes. Elles furent remplacées, plus tard, par les soeurs des ce Écoles gratuites » dites du saint Enfant Jésus (5).
Les premières créations d'écoles spéciales de filles ne répondirent pas aux espérances des communautés. En 1724, on donna avis aux Consuls de Monteux que l'école de filles était déserte, par suite de la négligence des pères de famille à y envoyer leurs enfants.
Mais vers le milieu du XVIIIe siècle, un mouvement bien marqué se produit dans le pays, pour faciliter aux
(1) Arch. de Vedènes, GG 27. (3) Arch de Mazan, AA 5.
(3) Arch. de Monteux, I72, Reg. des délib. des Conseils de Monteux, in fine.
(4) Arch. d'Orange, S G.
(5) Arch. de Pertuis, 33e vol. des Reg. des délib. 4
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jeunes filles l'accès des écoles. En I74I, le Conseil de Pertuis nomme une institutrice pour diriger l'école des filles. En I747 (I), les Consuls de Bollène font estimer les maisons, cour et jardin, que l'abbé de Rocquard offrait de donner pour le logement et l'établissement de deux soeurs des Écoles chrétiennes pour l'instruction et l'éducation des jeunes filles de Bollène.
Nous voyons s'ouvrir des écoles de filles à Baumontd'Apt (I752) (2), à Mazan (3), où le Conseil vote une imposition extraordinaire (I765), à Bollène (I763) (4), où le ViceLégat approuve le traité souscrit par la ville de Bollène pour l'établissement stable, dans cette ville, de deux soeurs des Écoles chrétiennes. Mais il y a ce fait particulier à signaler : c'est que, pour la fondation des écoles de filles et pour le choix du personnel appelé à les diriger, l'autorité diocésaine surveille très étroitement les communautés et prétend avoir la haute main sur les décisions des Conseils à cet égard. En I712, l'évêque de Vaison interdit aux dames de Sainte-Ursule de tenir à Malaucène une école de filles (5). La communauté proteste et adresse une requête à l'évêque, qui finit par céder. En I755, l'évêque d'Apt, Bocon de la Morlière (6), fait publier par son officiai, dans l'église de Bonnieux, la nomination d'une institutrice à son choix, qui devra instruire les jeunes filles de la localité. A cette nouvelle, une partie de la population se soulève, envahit l'église, brise les chaises et attaque la juridiction de l'évêque dans ses droits. L'évêque évoqua l'affaire à Rome, et demanda la protection de l'assemblée du clergé de France, qui lui fut accordée. Mais nous ne connaissons pas la solution de ce conflit. — Les bonnes institutrices étaient rares, même vers la fin du XVIIIe siècle, et nous
(I) Reg. dé la Cour de Bauzon, fol. 324 v°.
(2) Arch. de Beaumont d'Apt, BB I3.
(3) Aich. de Mazan, délib. du Conseil. (Reg. de I752 à I765).
(4) Arch. de Bollène, BB 36.
(5) Arch. de Malaucène, BB 22.
(6) Boze, Hist. de l'église d'Apt, p. 360.
DE L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE 3 g
voyons le Conseil de Monteux porter à 100 livres le salaire annuel de la demoiselle Gonnet (I), maîtresse de l'école de filles de Monteux, ce attendu la difficulté qu'il y avait à se procurer de bonnes maîtresses, moyennant un salaire moindre. » L'enseignement donné avait dans les écoles de filles un caractère plus particulièrement religieux, et une large part était faite aux travaux de couture, de tapisserie et de broderie.
VI
Résumé et conclusion.
Il est facile maintenant, en s'appuyant uniquement sur les textes que nous avons produits au cours de cette étude, de se faire une idée précise de la marche progressive qu'a suivie dans les États pontificaux de France l'enseignement primaire public, depuis le commencement du XVe siècle jusqu'à la période qui précède immédiatement la Révor lution.
Chaque communauté, jouissant de son administration autonome et formant comme une petite république sous le gouvernement de son Conseil et de ses Consuls, a son école qu'elle entretient, son maître qu'elle loge, paie et nourrit, et l'autorité religieuse seule intervient quelquefois, en cas de conflit grave. L'autorité séculière, représentée, dès le commencement du XVIIe siècle, par l'intendant dans les provinces royales, n'existant pas dans les domaines de l'Église , et n'ayant pas à examiner les budgets des communautés, chaque Conseil reste souverain en matière d'écoles et conserve l'inspection, le contrôle de l'enseignement et des maîtres. Le maître d'école est donc, sous ce régime, avant" tout, un agent communal, révocable au gré du conseil de la communauté et essentiellement amovible. Cette situation, à une époque où l'on ignorait heureusement les divergences politiques, où le principe du
Ii) Arch.départem. Rescrits approbatifs des délib commun , fol 262.
40 MEMOIRES
gouvernement n'était jamais discuté, ne présentait en réalité aucun danger ; le maître d'école n'avait pas besoin d'être protégé : on ne lui demandait que de faire preuve de mérites pédagogiques et de satisfaire les familles des élèves dont il avait la charge. Il était donc dans l'ordre naturel des choses que le droit de désignation du régent communal appartînt au conseil local, qui représentait luimême la collectivité des habitants et des pères de famille intéressés.
Au point de vue de la considération, de l'indépendance, les maîtres d'école de notre pays n'étaient pas moins bien favorisés qu'ailleurs. J'ajoute que même ils étaient placés moins directement sous la tutelle de l'autorité ecclésiastique que dans les terres royales. Et ce n'est point là un paradoxe, quand on voit l'administration pontificale faire preuve d'une patience et d'une longanimité sans bornes dans ses relations avec ses vassaux d'en deçà des monts, au point de ne rien toucher aux coutumes, aux traditions et aux institutions politiques locales.
Quant à la situation matérielle des maîtres et des maîtresses, elle valait celle qui était faite à leurs collègues des communautés du royaume. Alors que très fréquemment l'intendant devait intervenir pour faire rétablir ou imposer d'office les crédits relatifs aux dépenses de l'instruction publique, jamais dans les États pontificaux une manifestation de mauvais vouloir sur ce chapitre ne s'est produite de la part d'une communauté. Au contraire, les Conseils des grandes villes se montrent généreux et prodigues parfois pour tout ce qui touche à renseignement et aux personnes qui le donnent. Au cours du XVIIe siècle, les écoles se multipliant, quelques municipalités font des sacrifices considérables pour avoir de bonnes écoles et un personnel de choix. La communauté de Pertuis, en I608, fait venir comme régent général de ses écoles Antoine Garambez, docteur ès-arts. En I620, on fit ressortir la supériorité de l'enseignement donné à Pertuis ; le conseil com-
DE L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE 4I
munal fit mieux: il organisa, à l'occasion des fêtes de la Pentecôte, un concours général entre les écoliers étrangers pour disputer avec ceux de la ville, et ce fut la ville qui soldaja dépense de nourriture des écoliers venus du dehors, soit 8 livres (I).
Ainsi donc, et ce sera là la conclusion de ce mémoire, uniquement écrit sur les textes locaux et par conséquent d'une exactitude incontestable, au seuil de la Révolution française, au moment où la Convention va tenter de remanier notre système d'enseignement public, les portions diverses de territoire qui, agrégées, ont formé le département de Vaucluse, bien que n'appartenant pas à la couronne et placées sous le protectorat de Rome, offraient, au point de vue de l'enseignement public et des écoles, les mêmes ressources, la même organisation, avec un peu plus d'indépendance et de vitalité que les écoles royales, grâce à l'appui moral et à la sollicitude constante des Conseils locaux.
R. REY.
(I) Arch. de Pertuis, Pièces justificat. des comptes des trésoriers.
INDUSTRIELS ROMAINS.
LES FULLONES.
DÉCOUVERTE D'UNE STATUETTE EN BRONZE D'UN FULLO A QUINTENAS (ARDÈCHE)
Les musées et les collections particulières sont remplies d'objets antiques de tout genre, appartenant à la civilisation romaine, et, néanmoins, on constate que le sol fournit tous les jours quelque objet nouveau et quelquefois inédit, tel qu'une petite statuette en bronze (fig. I), récemment découverte au quartier de Presles, près Quintenas (Ardèche).
Ce n'est pas la première fois que les travaux de culture ont fait découvrir des objets romains à Quintenas, principalement dans des sépultures dans lesquelles on a recueillis de belles urnes funéraires en verre, une petite colonne en bronze surmontée d'un chien, des monnaies, tous objets précieux disparus pour la plupart ou vendus à des collectionneurs de passage ; tout cela, faute d'un musée départemental, où auraient pu être recueillies toutes ces richesses archéologiques de notre département, si riche au point de vue de toutes les branches de la science moderne.
Nous avons essayé nous-même de remédier à cet état
MÉMOIRES DE L'ACODÉMIE DE VAUCLUSE 43
de choses ; depuis 25 ans, nous avons amassé tout ce que nous avons pu découvrir ou obtenir de la générosité des inventeurs. C'est à ce titre que nous est parvenue cette petite statuette de Fullo, dont nous avons pris un moulage, l'inventeur ayant désiré conserver l'original dans ses collections.
La statuette a 55 millimètres de hauteur; c'est la reproduction fidèle en bronze d'une figurine d'un Fullo, peinte ' sur un pilier de l'impluvium de la Fullonica de Pompéi (fig. II) ; même costume, courte tunique serrée à la taille par une ceinture ; la palla, ou écharpe sur l'épaule gauche, nouée sur le côté droit et dont les extrémités, réunies en forme d'une large feuille avec ses nervures, descendent jusque sur les genoux ; la tête un peu inclinée à droite est ronde, et la chevelure, comme dans la figurine peinte à Pompéi, est toute crépue ou bouclée.
Cette petite statuette représente un ouvrier foulon dans l'exercice de son métier ; la jambe droite posée sur l'étoffe à fouler, la gauche relevée en arrière, prête à venir remplacer la droite, en train de comprimer l'étoffe.
Nous devons à l'obligeance de notre savant confrère, M. Allmer, de Lyon, les renseignements qui suivent, sur ces industriels romains.
Les Fullones, Lavatores, lessiveurs romains, d'après Marquard (i), formaient une corporation d'artisans chargés par une manipulation spéciale, qui constituait le métier de foulon (ars fullonica), de lessiver et apprêter les tissus de laine dont étaient confectionnés les vêtements des Romains. Les Fullones avaient leurs ateliers (Fullonica) dans toutes les grandes cités de l'empire ; ils étaient publics. Dans les campagnes, les riches propriétaires avaient seuls leurs foulons à eux; en général, le plus grand nombre envoyait leurs vêtements aux lavoirs les plus proches.
On n'a qu'à jeter les yeux sur le plan de la Fullonica de
(I) Vie privée des Romains, p 5II et 5I2.
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Pompéi (fig. III), pour se rendre compte de l'importance et de l'aménagement de ces grands établissements publics : en H est la grande chambre, la première à main droite qui soit dans cette partie du local où avaient lieu les opérations actives du métier ; I, vaste buanderie avec un réservoir, où les étoffes étaient nettoyées simplement par le lavage et le rinçage ; K, place où on enlevait la boue et la graisse en frottant les étoffes et en les foulant aux pieds ; LLLLLL, six niches construites sur les côtés de la chambre et séparées par des murs bas, environ à la hauteur des aisselles d'un homme ; dans chacune de ces niches était placée une cuve où se tenait l'ouvrier et où il enlevait les saletés de l'étoffe en la foulant avec les pieds nus, se soulevant pour cela avec les mains sur un mur à hauteur d'appui, de la façon que montre la fig. I ; M M M, trois réservoirs plus petits pour laver ou plus probablement pour laisser tremper les étoffes avant de les laver ; N, fontaine ou puits à l'usage des ouvriers (I).
Les Fullones étaient réunis en collèges et en sodalicies. Ils avaient, comme tous les artisans, pour divinité protectrice Minerve, dont la fête tombait au I9 mars.
Ils avaient leurs fours, soit le long des aqueducs publics ou près des puits. Un quartier de Rome, où étaient réunis de nombreux ateliers de Foulons, s'appelait Collegium Fontanorum ou Collegium aquoe.
L'usage des vêtements de laine était général dans l'antiquité ; l'apprêtage de ces vêtements nécessitait des ateliers et un outillage spécial ; leur métier de foulon consistait à fouler l'étoffe sortant du métier, c'est-à-dire à la plonger humide, avec un mélange de terre grasse, d'alcali et d'urine, dans des auges ou des bassins, afin d'y être piétinée et battue et ensuite étirée, opérations au moyen desquelles les fils de trame lâche se retiraient de telle sorte qu'on n'apercevait plus les fils du tissu. Après quoi l'étoffe était
(l) Dictionnaire des antiquités romaines, par Antony Riche, au mot Fullonica.
DE L'ACADEMIE DE VAUCLUSE 45
rincée, séchée et peignée, manipulation pour laquelle nous employons le chardon à carder ou des brosses à dents de fer, mais pour laquelle les anciens se servaient de la Spina fullonica, instrument dans lequel on remplaçait le chardon par des piquants de hérissons. Enfin, en dernier lieu, après avoir blanchi l'étoffe en la posant sur un châssis circulaire (cavea viminea), au-dessous duquel était un pot de soufre, on la portait à la presse (pressorium), où elle était définiti- ■ vement unie et condensée par l'action d'une vis. Soit qu'on en fît des couvertures ou des vêtements, un des côtés ou chaque côté de l'étoffe restait non tondu, c'est-à-dire à longs poils. Ces différentes opérations, qui servaient à l'apprêt du drap et sont reconnaissables sur les peintures de l'atelier de foulons de Pompeï, pouvaient être employées aussi bien pour le drap neuf que pour les vêtements déjà portés.
Un vêtement sortant de l'apprêtage et de pure laine s'appelait pexa vestis; un vêtement porté et râpé, vestis trita ou defocata ; un vieux vêtement recardé par le foulon, vestis interpolata ou interpola ou interpolis.
OLLIER DE MARICHARD.
NUMISMATIQUE
APPLIQUÉE
A LA TOPOGRAPHIE ET A L'HISTOIRE
DES VILLES ANTIQUES DU DÉPARTEMENT DE VAUCLUSE
IV
CAIRANNE
Le village de Cairanne, assis sur un promontoire au bord de l'Aiguë, est à l'extrémité de cette chaîne de collines, qui prend son origine aux environs de Vaison, et qui à travers les territoires de Roaix et du Rasteau forme l'arête séparative de la vallée de l'Aiguë et de la vallée de l'Ouvèze. Il fait aujourd'hui partie du canton de Vaison; jadis il était compris, dans le diocèse de Vaison, et avant les temps romains il dépendait de la confédération des peuples voconces. Sa situation est éminemment stratégique; il commande le cours de l'Aiguë, une immense plaine et la route qui conduit à Vaison et aux Alpes. Dans le moyen âge les chevaliers du Temple y avaient un de leurs établissements, qui passa ensuite aux chevaliers de Malte, héritiers de leurs dépouilles (I). Par sa configuration remar(I)
remar(I) Géographie de la Provence et du Comtat Venaissm, t. I, p. 292. Expilly, Dictionnaire géographique des Gaules. Courtet, Diction, des communes de Vaucluse.
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quable, il semble avoir été tout à fait dans les conditions que les Gaulois recherchaient pour leurs oppidums. Encore aujourd'hui son accès est difficile. A son sommet, son église est battue par les vents, qui de temps à autre arrachent quelques fragments de son donjon en ruines. Un peu plus bas, sur la place publique, existe un grand bâtiment carré qu'on prendrait pour un ancien prétoire romain. Mais vérification faite, je n'y ai trouvé aucun appareil romain, ni aucun bloc de taille romaine, et tout y témoigne seulement d'une époque romane.
C'est qu'en effet, Cairanne sur son emplacement actuel, malgré les apparences, n'est point un lieu d'origine gauloise ou romaine. D'après les renseignements que j'ai recueillis, il ne s'y est rencontré ni monnaies, ni poteries antiques, ni débris de monuments, ni aucun de ces menus objets qui sont de véritables certificats d'origine gallo-romaine. L'antique Cairanne, ou du moins le centre dépopulation qui l'a précédé et dont le nom dans les temps romains nous reste inconnu, n'était point là; il était à environ un kilomètre, en un lieu de son territoire appelé aujourd'hui St-Martin, le long d'une route qui conduit de Vaison à Orange et qui autrefois venait se rattacher à la grande voie romaine de Lyon à Arles. Son assiette dans une plaine légèrement ondulée se trouve entourée de terrains assez fertiles et arrosés par des sources. Là les restes d'antiquités romaines,abondent et sont d'une réelle importance qui a dépassé mes prévisions.
Sur une surface de quatre hectares au moins, tout y atteste un centre de population gallo-romaine assez considérable_, riche et civilisé, digne d'avoir dépendu comme annexe de l'opulente Vasio, si célèbre par les richesses artistiques et archéologiques qu'elle a léguées aux générations modernes. Au cours d'une exploration que j'ai faite l'été dernier, j'ai vu là cinq grands socles ou piédestaux de colonnes avec leur plinthe, leur tore, leurs moulures et plusieurs tambours de ces colonnes ; le tout
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dans de grandes proportions que je décrirai tout à l'heure. Il me paraît certain que ces grandes colonnes appartenaient à un temple ; elles ne pouvaient guère avoir eu d'autre destination. D'ailleurs ce lieu depuis de longs siècles, dans le moyen âge et sans doute auparavant, n'a cessé de porter le nom de St-Martin. Or, on sait qu'après la destruction des idoles vers les temps de Théodose, les chrétiens des générations qui s'étaient succédé, donnaient le vocable de St Martin aux endroits qui avaient porté un temple, un monument quelconque dédié aux fauxdieux(i), et les consacraient à ce grand destructeur des idoles, Pour eux la consécration à St Martin purifiait ces 'lieux que le culte païen avait jadis profanés. J'y ai vu de plus d'autres grands tambours ayant appartenu à de belles colonnes ioniques à cannelures largement et finement exécutées, dignes des plus beaux monuments de la capitale voconce. Bien que la découverte soit récente, il faut s'étonner que jusqu'à présent ces restes remarquables n'aient été constatés et décrits par personne. En outre de substructions nombreuses qui se cachent dans le sol, il y a d'innombrables débris de briques à crochets, de poteries dites samiennes et autres, de tuyaux d'aqueduc, de moulins à bras, de fragments de stucs et de mosaïques, d'ustensiles domestiques et autres objets archéologiques, enfin une intéressante statuette de bronze malheureument mutilée, qui vient d'être acquise par le musée Calvet, et ce qui
(I) Sulpice Sévère, Vie de St Martin, p. 499-553. — Grégoire de Tours, Hist. des Francs, trad. Guizot, t. I. — Id., Livre des miracles, t. II. Miracles de saint Martin.
Encore aujourd'hui aux environs d'Avignon, le vocable de saint Martin se trouve porté par plusieurs endroits connus pour avoir été l'emplacement d'anciens édifices païens.L'un au-dessous de la colline de Sève, Vindalium, au territoire de Sorgues, a laissé découvrir des sépultures, des substructions, des fragments de stuc et autres objes antiques. Un autre au terroir de Piolenc, possède un autel de style mérovingien, entouré de sépultures et de débris romains ; un autre au terroir de Caumont, où la chapelle romane de N.-D. des Vignères paraît avoir succédé à un ancien temple le long du chemin romieu,
DE L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE 49
pour moi, dans l'ordre du travail que j'ai entrepris, est le plus essentiel, une très grande quantité de monnaies romaines, environ deux cents ; elles me serviront à déterminer les grandes lignes de cette localité antique jusqu'à présent ignorée, et à déterminer l'époque de sa destruction. Il faut que je dise que cette surface de quatre hectares environ, relativement grande, n'a été fouillée que partiellement, sans aucune suite, et comme au hasard, pendant les défoncements pour la plantation de vignes américaines. Je vais entreprendre la description de ces trouvailles, en commençant par les colonnes du temple ; je finirai par l'examen des monnaies et par les conséquences qu'il faut en tirer pour l'histoire et la chronologie.
Dans un défoncement qu'il opérait, M. X..., propriétaire à St-Martin, fit exhumer, il y a environ trois ans, les cinq grands socles ou piédestaux de colonnes et parvint à les extraire intacts. Il m'a raconté qu'il les avait trouvés alignés dans la direction du levant au couchant et à une distance d'environ deux mètres l'un de l'autre. Ils étaient établis sur des substructions ou des murailles fort résistantes, sur un stylobate probablement. Un sixième socle aurait dû s'y rencontrer, car il est de règle invariable que les colonnes des péristyles des temples ou de tous autres édifices doivent être en nombre pair ; celui-là n'a pas été retrouvé, sans doute parce qu'il avait été détruit précédemment. Les cinq socles furent transportés dans la cour de la ferme, où j'en ai pris connaissance. Ils sont d'une pierre grisâtre, d'un grain dur et un peu grossier, et paraissant provenir des carrières de Beaumont, voisines du Ventoux. Leur exécution est un peu rustique, mais non sans une certaine régularité. Dans la cour ont été transportés pareillement deux tambours des fûts de ces colonnes ; ces tambours ou assises cylindriques sont dépourvus de cannelures. L'absence de cannelures, normalement dans l'art antique, ne se rencontrait que sur les colonnes de l'ordre appelé toscan ou étrusque, et elle est une preuve à peu près
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certaine que le monument dont il s'agit était d'ordre toscan et nullement d'ordre grec dorique, ionique, corinthien. On sait que pour ces trois ordres les cannelures étaient un ornement indispensable. Du reste, au dire de Vitruve, l'ordre toscan n'était qu'une reproduction abâtardie de l'ordre dorique, mais il avait de plus que lui un piédestal (I). Voici les dimensions que j'ai recueillies : chacun des socles est formé d'une plinthe carrée de om,75 de côté et d'un tore présentant la surface circulaire correspondante. La hauteur totale de chaque socle, soit de la plinthe et du tore réunis, est de om, 55. Les deux tambours ont chacun un diamètre de om,49 et une hauteur à peu près égale ; ils ont été trouvés, tout près des socles, dont ils avaient dû être détachés au moment de la démolition. Dans la cour d'une ferme voisine, j'ai vu deux autres tambours entièrement pareils et provenant des mêmes colonnes..
Avec ces données matérielles fournies par ces restes de monument, il y aurait moyen de reconstituer théoriquement et à l'aide des préceptes d'architecture et des proportions exposés par Vitruve (2), la forme et la consistance du monument lui-même dans son ensemble. Ce temple, d'ordre toscan ou italiote, était prostyle et hexastyle, c'està-dire ayant un portique à six colonnes. La largeur de la plinthe, le diamètre du tore, leur hauteur totale, enfin le diamètre d'un tambour, d'un fût, suffiraient pour déterminer l'espace des entre-colonnements, la hauteur des colonnes et même la largeur et la hauteur normale du temple avec son architrave, son fronton, son tympan. On pourrait même arriver à déterminer la surface occupée par le portique et celle occupée par la cella ou naos, c'est-à-dire, obtenir le temple tout entier, tant les proportions architecturales dans les beaux temps du grand art antique étaient
(I) Vitruve, liv. V, chap. vu.
(2) Vitruve, liv. III, chap. III, liv. IV, chap. vu. — Batissier, Hist. de l'art monumental, p. I56 etsuiv., p. I99 et suiv., p. 238 et suiv. — Ch Blanc, Grammaire des arts du dessin, p I59 et suiv., p. 2Io et suiv.
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soigneusement édictées et dépendaient l'une de l'autre (i). Mais je démontrerai tout à l'heure que ce temple appartenait à une basse époque, où les règles étaient le plus souvent méconnues ou tombées en désuétude. Le canon architectural de Vitruve n'y serait donc pas de mise. Chercher de l'appliquer à une construction exécutée dans un temps de décadence serait faire an travail trop hypothétique. Qu'il me suffise d'indiquer qu'en multipliant par cinq l'intervalle de deux mètres entre chaque socle, tel qu'il m'a été indiqué par le propriétaire, et en multipliant par six les septante-cinq centimètres de côté de chaque plinthe, on arrive à une largeur totale de quatorze mètres cinquante centimètres pour la colonnade du portique ou pronaos. C'était, comme on voit, un développement fort respectable, et qui fait supposer un monument d'une certaine importance. Qu'on ne s'étonne pas de ces grandes proportions ; il ne faut pas oublier qu'il s'agit des environs de Vaison, la ville des monuments. Objectera-t-on que la distance de 3m, 5o, qui devait exister entre l'axe de chaque colonne, aurait exigé des blocs de pierre d'une grande lourdeur et d'une installation trop difficile. Vitruve nous enseigne que, dans les temples toscans, précisément à cause de cette difficulté, l'architrave n'était qu'en bois (2), et, d'après les auteurs modernes, les temples gallo-romains d'une basse époque ne présentaient en pierre que la colonnade du péristyle ; tout le reste était en moellons, briques et bois.
D'autre part, j'ai eu à examiner aussi trois autres tambours ou assises cylindriques, qui ont été exhumés, dispersés dans le même champ à une distance d'environ quarante mètres du portique. Ceux-ci, plus finement sculptés, plus élégants, sont d'une pierre plus belle, d'un grain plus fin, légèrement jaunâtre et paraissant provenir
(I) Winckelmann, Histoire de l'art de l'Antiquité, trad. Huber, liv III, chap. II, liv. VI, chap. TOI.
(2) Vitruve, liv IV, chap. vu.
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des carrières de Venterol. Je les crois étrangers au temple toscan. Ils sont revêtus de cannelures qui, par leur bonne exécution, témoignent d'un monument plus luxueux et d'une meilleure époque. Ces cannelures indiquent que les colonnes à qui elles appartenaient, étaient d'ordre ionique ou corinthien, mais non d'ordre dorique. En effet, tandis que les cannelures doriques sont séparées par des arêtes vives, on sait que les ioniques ou corinthiennes sont séparées par un listel (I). Je leur ai trouvé une largeur de om,o8 dans oeuvre et une profondeur de om, 04. Chacun de ces trois blocs mesure une hauteur de om,4o et un diamètre de om,49. Sur l'un d'eux, celui qui devait être posé le plus bas, les cannelures sont remplies par des baguettes plates comprises entre les liteaux. Un autre de ces tambours se trouve dans des conditions tout à fait exceptionnelles. Le bloc, beaucoup plus large que les deux autres, constitue non seulement une partie du fût de la colonne, mais encore l'assise d'un pilastre qui y est adhérente. Il y avait donc un pilastre d'ante, ou peut-être le montant d'une porte monumentale. La nature de la pierre, le caractère architectonique, la finesse d'exécution, tout indique que ces colonnes cannelées appartenaient à une construction différente, et que cette construction devait être plus élégante, plus luxueuse que l'édifice toscan. Je ne hasarderai pas des hypothèses sur ces précieux restes. Avaient-ils été détachés de la cella du temple, dont-ils auraient été un ornement plus ancien que le portique ? Auraient-ils appartenu à un autre temple, ou bien avaient-ils dépendu de la fastueuse villa de quelque riche personnage voconce ? Ou bien encore le temple aurait-il été démoli une première fois et reconstruit plus tard, avec le portique toscan, à quelques mètres plus loin?
Quoi qu'il en soit, toutes les circonstances, tous les détails que je viens d'énumérer, me semblent fournir la démonstration que la colonnade d'ordre toscan a appartenu
(i) Batissier p I66.
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réellement à un temple. Espérons que dans ce terrain de St-Martin, quelque jour des fouilles scientifiquement faites apporteront une solution définitive, et que l'étude attentive des substructions révélera les dispositions intérieures de l'antique édifice et des constructions accessoires qui en dépendaient. Remarquons d'ailleurs que c'est sur les collines qui s'étendent de Vaison le long de l'Ouvèze et de l'Aigues, qu'ont été exhumés la grande statue de Jupiter, celle du dieu Silvain ou Taranis et nombre d'autres monuments ou objets gallo-romains du culte païen dont s'est enrichi le musée Calvet. ,
A quelle divinité devait être consacré ce temple toscan ? La statuette dont j'ai à présent à vous entretenir sera pour cette question un précieux document. Il m'a été raconté que, lorsqu'on opérait l'exhumation des socles de colonne, on mit à découvert tout près de là une grosse pierre qui était enterrée dans le sol. On la souleva, et dessous on trouva la statuette. C'est une figurine de bronze de o m, I o de hauteur, qui représente une divinité d'apparence rustique et d'une facture dénotant une basse époque. Elle est vêtue d'une simple tunique à mi-corps serrée d'une ceinture ; le corps est trapu, la tête large et forte est couverte d'une abondante chevelure olympienne ; le visage est encadré dans une barbe épaisse et inculte. C'est l'expression d'un dieu gaulois, d'un Jupiter gaulois. L'attitude du dieu est mouvementée, il étend et relève le bras droit, et porte à la main un petit vase ou poculum(I), qu'on prendrait aussi pour une bourse entr'ouverte. Son bras gauche replié et sa main gauche à demi fermée font supposer qu'il tenait une haste ou peut-être un sceptre ou bien un de ces marteaux à long manche qui étaient l'attribut de divinités infernales étrusques ou gauloises, et notamment du dieu gaulois Taranis (2). Mais de plus la statuette a la tête surmontée du IvjAaOos, modius, ou boisseau symbolique, et on sait que le
(I) Rich, Dictionn. des antiquités romaines, v° Poculum.
(2) Cerquand. Dans les Taranis, Mèm de lAcad de Vaucluse I882.
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modius est le signe distinctif,indiscutable de Jupiter Sérapis ou Dispater (I), ce dieu d'origine égyptienne et orientale dont le culte s'était répandu dans les Gaules pendant les IIe, IIIe et IVe siècles. L'aspect grossier de cette figurine porte le cachet d'une extrême décadence artistique. La grande barbe et l'épaisse chevelure inculte ont remplacé la majesté du dieu gréco-égyptien ; le serpent symbolique a disparu, il ne reste plus de Sérapis que son attribut essentiel, malgré ses petites dimensions, le modius (2) Sans cela on croirait voir une divinité purement gauloise et non gallo-romaine.
Cette statuette doit donc être prise comme u-n des repères pour l'époque de la construction ou reconstruction du temple, qui daterait sans doute du IIIe siècle, mais non point du IVe siècle ; car alors déjà on n'élevait plus des temples, on les démolissait bien plutôt ; et le dieu topique de ce temple serait Jupiter Sérapis, Dispater ou Asclepios, dont le culte à cette époque était très répandu dans le monde païen de notre région (3). Un fidèle adorateur de Dispater, un des zélateurs ua sanctuaire, sans doute, au moment de la destruction ou de la ruine du temple, lors de la réaction chrétienne sous les règnes de Gratien ou de Théodose, ou bien encore pendant les désastres des grandes invasions, avait dû cacher sous la pierre cette image vénérée, dans l'espoir de la retrouver en des temps meilleurs.
C'est un phénomène historique remarquable assurément que l'invasion et la propagation dans notre pays d'un culte d'origine égyptienne, d'une divinité ayant pour attribut un symbole égyptien qui se combine avec des éléments gaulois. Pour bien s'en rendre compte, il faut se pénétrer de l'état des esprits dans le monde païen d'alors. L'ancien paganisme greco-romain avait fait son temps ; il se trouvait
(I) Rich. Dict. v° Calathus.
(2) Lafaye, Hist du culte des divin, alexandrines, p. 248 et suiv. (3) Ibid p I62.
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battu en brèche par le christianisme naissant, qui, malgré les persécutions, commençait à s'infiltrer et à se répandre dans toutes les classes de la société et dans toutes les provinces de l'empire. Les masses s'étaient dégoûtées du paganisme officiel, auquel personne ne croyait plus ; elles voulaient du mouveau, et elles allaient le chercher dans le mysticisme et les superstitions de l'Orient. Le culte de la Grande Déesse à Marseille, le culte de Mithras à Marseille et à Bourg-St-Andéol, celui de Vénus Astarté dans les villes du littoral, celui de Sérapis et d'Isis à Arles, à Nîmes, à Avignon, ont laissé de nombreux monuments qui en témoignent dans notre région. De tous ces cultes exotiques celui de Sérapis et Isis obtint le plus la faveur populaire (I). Le gouvernement des empereurs favorisait lui-même de toutes ses forces ce mouvement, en haine de la religion chrétienne qu'il redoutait. C'est dans ces temps-là que le grand empereur Septime Sévère, de retour de ses victoires d'Orient (2), dut encourager dans la Gaule Narbonnaise où il était venu pour combattre son rival Albinus, la diffusion-du culte de Jupiter Sérapis, depuis longtemps déjà répandu dans l'Italie méridionale et même à Rome. Le dieu bizarre mélange du Jupiter et du Pluton romains, de l'Osiris égyptien et même de l'Esculape(Asclepios) gréco-latin dont il emprunta le pouvoir thérapeutique, reçut un culte tout à la fois officiel et populaire. C'est ainsi que, pendant la persécution de Dioclétien, nous voyons le martyr saint Félix traîné devant l'autel de Sérapis et mis à mort, parce qu'il refusait d'y faire un sacrifice public (3). Dans les populations de nos campagnes, le culte de Sérapis ne trouva
(I) La critique moderne a avancé de nombreuses hypothèses pour expliquer les origines du dieu Sérapis à Alexandrie Voir notamment Maury, Religions de la Grèce antique; Boucher-Leclerq, Hist. de la divination dans l'antiquité, t. III, p. 378 ; Preller, Les dieux de l' ancienne Rome, p. 378 ; Lafaye, Hist. du culte des divinités alexandrines, p. I6 et suiv.
(2) Dion, liv. LXXV; Hérodien, liv. III; Gibbon, chap. V.
(3) Bailler, Vie des Saints, t. IV, 24 septembre.
56 MÉMOIRES
à se propager qu'au prix d'énormes transformations. Malgré le cours des siècles, les paysans, pagani, au milieu du polythéisme romain, n'avaient cessé de conserver un vieux levain de paganisme gaulois. De même que, dès les premiers temps de la conquête, Jupiter, Mars, Vénus, Mercure s'étaient transformés pour eux en divinités topiques revêtues d'attributs locaux, à plus forte raison les divinités orientales eurent à se transformer en divinités de caractère indigène, et alors se produisit cette création hybride d'un Jupiter gréco-romain transformé en un dieu gréco-égyptien, transformé en un dieu gaulois. Ses images devinrent des images gauloises. Rien ne ressemble si peu au roi des dieux de l'Olympe ou à l'Osiris-Apis des bords du Nil que notre Sérapis gaulois, qui n'a guère conservé de ses anciennes formes que la barbe olympienne et le modius égyptien, symbole de la fécondité agricole.
Cette rapide excursion dans le domaine de l'histoire m'a paru nécessaire pour expliquer l'étrangeté de ce Séra- . pis gaulois de facture grossière; et cette image nous"est non moins précieuse que les monnaies pour déterminer l'âge du monument, dont le style et les conditions d'architecture nous ont révélé la basse époque. Mais je suis loin de prétendre que notre statuette ait été elle-même - l'idoleprinceps du temple; elle se trouvait de proportions trop humbles pour cela. Elle n'en était pas moins une reproduction consacrée ; de même qu'aujourd'hui aux portes de quelques-uns de nos sanctuaires, on voit mettre en vente de petites reproductions de la grande statue (I). Au point de vue purement plastique, j'ai remarqué que son attitude et son geste du bras droit sont les mêmes que ceux d'autres statuettes gauloises ou gallo-romaines du musée Calvet, qui cependant ne sont point de Sérapis et ne portent point le modius. Il en est de même du poculum ou vase à libations. Ce geste et ce vase étaient donc une forme hiératique dans la mythologie gauloise d'alors (2).
(I) Paciaudi. Lett. VII.
(2) Jouffroi, Introduct. à l' Hist. de France.
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J'en ai remarqué d'analogues au musée de St Germain (I), une autre au musée d'Arles.
J'arrive maintenant aux trouvailles numismatiques qui ont été faites dans le même champ, au moment de l'extraction des socles et des tambours de colonnes. Ici encore, tout comme dans les autres localités antiques plus importantes, sur lesquelles j'ai déjà publié des études dans nos Mémoires, les monnaies fournissent le repère chronologique et historique le plus sûr ; elles sont le document essentiel pour déterminer le temps de l'existence et de la destruction du temple et de la dispersion du centre de population qui était fixé aux alentours. J'ai dit que ces monnaies s'étaient recueillies fort nombreuses, presque toutes agglomérées en un seul groupe tout près de la colonnade. Malheureusement elles sont en fort mauvais état, oxydées, et devenues presque frustes pour la plupart. Néanmoins elles laissent reconnaître que leur facture date en général des IIIe et IVe siècles, et elles ont ce cachet particulier qui empêche de les confondre avec celles d'autres temps. Presque toutes sont en moyen ou en petit bronze, il n'y a point de monnaies d'argent, encore moins de monnaies d'or; presque point de grand bronze; d'ailleurs ces dernières sont plus anciennes que les autres. On sait que, dans les temps troublés que traversait alors la Gaule, la circulation de monnaies de métal précieux et même de grand bronze était devenue fort rare. A partir du règne de Gallien, la monnaie usitée dans notre pays n'était plus guère que le moyen et le petit bronze, ou bien encore le potin ou quelque misérable mélange de cuivre ou de plomb saucé d'argent ou coulé. Avec Dioclétien et Constantin, qui ramenèrent un peu d'ordre dans les finances et ranimèrent, comme on dirait aujourd'hui, le mou(I)
mou(I) Reinach, Catalogue du Musée de St-Gerniain, p. 28 et 29. Il est indiqué qu'une de ces statuettes porte de la main gauche une bourse, et de la main droite, tient une caducée, et elle est attribuée dès lors à un Mercure gaulois. Mais il faut remarquer qu'elle n'a point sur la tête le modius, signe distinctif de Sérapis.
58 MEMOIRES
vement des affaires, les grands bronzes réapparurent parfois, mais avec une infériorité très marquée par rapport au monnayage du premier et du second siècles. Quoiqu'il en soit, toute cette menue monnaie trouvée à St-Martin me paraît avoir été le trésor du temple, pauvre trésor assurément ! Mais malgré la différence des temps, le trésor de nos paroisses rurales n'est-il pas lui-même presque toujours composé de petits sous ?
Sur les deux cents monnaies exhumées, je suis parvenu à en choisir une vingtaine, dont l'état est suffisant pour me permettre de les analyser et pour trouver d'une manière plus précise le repère chronologique que je cherche.
Celle qui me semble la plus ancienne et fait disparate avec les autres est un grand bronze fort usé. De prime abord, elle me présentait un faux air avec un as romain revêtu de Thermes de Janus. Mais comme sur le revers elle porte des lignes qui rappellent vaguement une nef de vaisseau surmontée de sa proue, j'en ai conclu qu'il s'agissait d'une monnaie de la colonie de Vienne, et que les deux têtes paraissant adossées étaient celles de Jules César et d'Octave son neveu (I). Elle remonte aux temps d'Auguste ou de Tibère, et nous apporte tout au moins une présomption qu'au premier siècle de notre ère les terrains de St-Martin étaient déjà occupés par une agglomération d'habitants. Elle viendrait ainsi confirmer la haute époque à laquelle paraissent appartenir les élégantes colonnes cannelées.
Un grand bronze de Septime Sévère, au revers fortunoe reduci (2), nous reporte vers les années I96 ou I97 où l'empereur, vainqueur de ses rivaux, propageait dans l'Occident le culte oriental de Sérapis. Mais, pour se faire adopter dans les campagnes, ce culte eut besoin d'un certain temps, et il fut obligé de s'approprier aux formes grossières des divinités rurales d'alors. L'exécution rustique de
(I) Cohen, t I, 2e édit. p 23, n° 7.
(2) Cohen, t. IV, p. 24, n° I9I.
DE L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE 59
la statuette me semble accuser une époque postérieure à Septime Sévère.
Un moyen bronze, présentant de face le buste de Gallien, porte au revers un caducée ailé avec deux cornes d'abondance en sautoir et la légende COL IVL AVG FEL, Colonia, Julia Augusta Félix, et dans le champ le mot H EL, Héliopolis. Bauduri et Cohen (I) attribuent cette monnaie de Gallien à la colonie d'Héliopolis, dans la Coelé-Syrie. Ne nous étonnons pas qu'il se soit trouvé sur le territoire du petit village de Cairanne une monnaie antique frappée dans une lointaine colonie asiatique, la cité d'Héliopolis, cachée sur les limites du désert et qui n'est autre que Balbeek, célèbre aujourd'hui par les ruines de son temple du Soleil. Elle nous est une preuve de la prodigieuse activité, des innombrables relations qui reliaient entre elles les parties les plus extrêmes de l'empire romain. L'épigraphie ne nous montre-t-elle pas fréquemment, sur des pierres tumulaires ou dédicatoires, le cursus honorum de personnages qui avaient rempli tour à tour des fonctions publiques dans les provinces les plus opposées et les plus lointaines (2) ? Du reste, depuis le règne de Septime Sévère et de ses successeurs, les relations entre l'Orient et l'Occident n'avaient fait que s'accroître (3). En Italie, en Gaule, les modes orientales, ouvertement favorisées par les impératrices, avaient fait invasion dans la religion, dans les moeurs, dans le costume, enfin partout (4).
Les autres monnaies que j'ai pu interpréter portent les effigies de Gallien, de Florien, de Constantin, de Jovien, de Gratien. Parmi elles, celles de Florien et de Jovien sont rares dans les collections (5). En effet, les règnes de ces deux empereurs furent presque éphémères ; chacun d'eux dura à peine deux ou trois mois. La monnaie de Gratien
(I) Banduri, t. I, p. 200, Cohen, t. VI, p. 434, n° I470.
(2) Allmer, Revue epigraphique, passim.
(3), Reinaud, Hist. des relations de l'empire romain avec l'Asie orientale.
(4) Gibbon, t. I, ch. V.
(5) Cohen, t. VII; Mionnet, t VI.
60 MÉMOIRES
clôt la série du numéraire au temple de Cairanne. C'est pour nous une très grande présomption, sinon une preuve absolue que la destruction de ce temple a eu lieu aux environs de l'an 383, fin du règne de cet empereur, qui, de concert avec Théodose, son collègue à l'empire, porta les derniers coups au paganisme agonisant. Or, nous savons qu'en 381, par ordre de Théodose, fut renversé, à Alexandrie, le fameux temple de Sérapis, une des merveilles du monde d'alors (i). Il est tout naturel d'admettre que la destruction du modeste temple de Cairanne, ainsi que des autres temples de Sérapis, suivit de près, soit par ordre de l'autorité, soit dans un mouvement populaire. C'était l'époque où, dans les Gaules, Saint Martin s'était mis à la tête d'une croisade contre les temples et les idoles des païens (2). Je ne crois donc pas qu'il faille descendre jusqu'aux grandes invasions des barbares du Nord, qui n'eurent lieu qu'à dater de l'an 408, c'est-à-dire environ vingt-cinq ans après. D'ailleurs, dans ce cas, nous n'aurions pas manqué de trouver quelque monnaie des successeurs de Gratien.
Ainsi donc, les trouvailles de monnaies concourent parfaitement avec toutes les autres circonstances rappelées ; elles constituent un synchronisme complet, et vous voyez combien, conformément au titre de cette étude, les trouvailles numismatiques fournissent des documents précieux et parfois décisifs pour l'histoire, pour la chronologie, pour la topographie.
Il me resterait à décrire les nombreux objets antiques qui concourent à établir qu'il existait en ces lieux un centre de population autour du temple. Je me borne à deux objets des plus remarquables. L'un est un assez grand fragment de parquet composé de tablettes plates de pierres factices, mais fort dures, de forme parallélipipédique, cha(I)
cha(I) t. I, p. 680.
(2) Sulpice Sévère, Vie de saint Martin ; Grégoire de Tours, Hist. des Francs.
DE L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE 6I
cune de om, 12 de longueur et de om, o5 de largeur, et qui probablement dépendait du temple lui-même. Ce système de pavage, peu usité parmi nous, est tout à la fois soli de et d'un très gracieux aspect. Les Romains le désignaient sous le nom de pavimentum sectile (I). L'autre consiste en deux anneaux de fer en forme de collier ou de carcan rattachés ensemble par une chaîne d'environ om,4o de longueur. C'était sans doute un de ces liens de fer destinés à enchaîner les esclaves ou les prisonniers. Cet objet porte en latin les noms de catulus et de compes. Le dictionnaire archéologique de Riche en donne un dessin à peu près conforme (2). Je ne parle pas des fragments de ces moulins à bras en pierres volcaniques, dont le musée Calvet possède plusieurs exemplaires, ni d'un grand nombre d'objets domestiques en métal ou en poterie, ni d'une multitude de ces petits objets divers en verre, en ivoire, en métal, et qu'on comprend sous le nom de mundus muliebris. Sur les fragments de tuyaux qui servaient à amener les eaux pour le service du temple, non plus que sur les autres briques et poteries, je n'ai trouvé à constater aucune marque de potier.
A. SAGNIER.
(I) Vitruve, liv. VII. Rich, Dictionn des antiquités, v° pavimentum. (2) Ibid., v° Catulus Compes.
SALUT, AVIGNON.
STANCES.
Immense et noble reliquaire, Vieil Avignon, je te revois ; Salut, trésor de l'antiquaire ! J'aime tes grands airs d'autrefois, Tes dédales d'antiques rues, Tes hautes tours, tes longs remparts, D'où tant de gloires disparues Parlent encor de toutes parts.
Tes couvents, pieuses demeures, Tes vieux hôtels à l'air claustral, Semblent lasser le char des heures, Bravent le temps et le mistral. Comme en ce conte, — une merveille, — De nos belles au bois dormants, Il doit sembler qu'on s'y réveille, Après avoir dormi cent ans.
J'aime tes belles basiliques, Témoins augustes du passé. Fronts repentis, coeurs angéliques
Ont prié là, béni, pensé
Oh ! si pouvaient parler les pierres, Que les murs, les nefs, les clochers Diraient de voeux et de prières Montés à Dieu des fronts penchés !
MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE 63
Il m'est doux le pèlerinage
De Ste-Claire aux Cordeliers.
J'y retrouve le moyen âge,
Les troubadours, les chevaliers.
Comme un blanc lis qui vient d'éclore,
Voilà qu'au détour du chemin
Mes yeux ravis soudain voient Laure;
Sa main semble chercher ma main,
Plus blonde que la blonde aurore, Pure comme un rayon du ciel, C'est bien la muse, soeur d'Isaure, Se détachant d'un vieux missel. Les yeux ont la divine flamme ; Le doux sourire est tout candeur. De Pétrarque je me sens l'âme Et tout son noble amour au coeur.
Salut, superbe forteresse, Restes sacrés, palais fameux Qui vers le ciel si grand se dresse Digne des papes et, comme eux, Contre l'enfer plein de courage, Planta la croix dans le granit Et de là-haut bravait l'orage,. Pareil aux aigles dans leur nid.
Vous êtes bien des jours dantesques, Sombres couloirs, longs escaliers, Créneaux altiers, murs gigantesques Que peuplaient mille chevaliers, Gothiques nefs, immenses salles D'où tant d'ombres semblent surgir, Et vous arceaux, tours colossales, Où le mistral aime à mugir.
64 MEMOIRES
Contre la mort en vain se cabre La force, l'or, ou l'art profond. Ainsi qu'en la danse macabre, Tout mène et tombe au puits sans fond, Il passe, il passe tout ce monde,
Papes, prélats, rois, empereurs
Il tombe, il tombe... comme une onde, Au gouffre ouvert et plein d'horreurs.
Tout est parti... vaine poussière, Les saints, les preux et les héros, Et les martyrs de la Glacière, Et leurs plaintes et leurs bourreaux. O jeu du sort vraiment stupide ! O siècle injuste ! ô temps ingrat ! Tout ce passé, tout ce grand vide, A nom : la caserne Duprat.
Montons, montons à Notre-Dame. Comme on y cause avec la mort ! Comme on y sent vivre son âme ! Que des choses le triste sort Longuement se lit sur les dalles ! Comme, loin du présent qui fuit, Près de ces pierres sépulcrales, S'ouvre l'abîme de la nuit !
Oh! le passé !.. quelles ténèbres
Où notre rêve à peine lit,
Où, parmi tous ces noms célèbres,
Tout un monde s'ensevelit !
Ici la paix, la fin des luttes ;
Ici, c'est le sursum corda ;
Plus de guerres, plus de disputes ;
Ni Danton, ni Torquemada.
DE L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE 65
" Que cherchez-vous ? » disait à Dante Le frère, portier du couvent Où, succombant sous la tourmente, Frappait Alighieri : ce Le vent " Des haines souffle sur la terre, " J'ai perdu tout ce que j'aimais, " Près des morts de ce monastère " Je viens enfin chercher la paix. »
Les soirs d'hiver, quand gronde et brame Le mistral, plein de cris d'effroi, Et que rugit de Notre-Dame, Comme un lion, le vieux beffroi, Quelle immense et sombre harmonie Résonne au loin, vibre en tout lieu, Faite de plaintes d'agonie, De terreurs et de voix d'adieu !
On croit entendre en ces tempêtes, Fuyant aux mers, hurlant des monts, Passant affolés sur nos têtes, Des damnés suivis de démons. Elles voudraient, les pauvres âmes, A chaque église, à son clocher, A nos maisons, bien loin des flammes, Se retenir et s'accrocher.
Sous leur effort la maison tremble.... Mais fol espoir et pauvre effort, Il faut partir et fuir ensemble ; Même torture et même sort ; ce Pas de repos, va, marche, marche, — Dit le démon,tyran des airs. — ce Dans ce déluge il n'est pas d'arche, ce Ni d'oasis dans les enfers. »
66 MÉMOIRES
Une douce métamorphose Nous attend au rocher des Doms. Là l'esprit plane, et se repose En rêves bleus, roses ou blonds. Nulle part la belle nature Parle à des yeux mieux éblouis. Quels flots, océan de verdure, Ont des attraits plus réjouis ?
Au fond s'élèvent les montagnes,
Le soir, bleuissant l'horizon.
Au loin s'étendent les campagnes,
Trésors de la riche saison.
Tout se déroule et se déploie
A l'oeil charmé, lointains fuyants,
Prés pleins de fleurs, champs pleins de joie,
Iles, coteaux, bois ondoyants.
Le grand rocher est comme un trône, Plus beau que la plus haute tour ; A ses pieds passe et fuit le Rhône. Comme il s'y mire avec amour ! Fuis loin de nous, ô mon beau fleuve, Passe rapide, libre et fier, Va, du temps sans craindre l'épreuve, Te fiancer avec la mer.
Descends des monts, ô noble fleuve, Pour demeurer toujours français ; Que ton eau ne soit jamais veuve Du beau royaume que tu sais. Mets dans nos coeurs un peu de baume ; Dis-nous que ton frère le Rhin, Abandonnant le roi Guillaume, Retournera dans notre écrin.
DE L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE 67
L'été, sous les remparts de l'Oulle, Quand vient le soir, sous les ormeaux J'aime à me perdre dans la foule. A travers les épais rameaux, Comme de tendres lucioles, De Phoebé scintillent les feux. On entend de douces paroles ; Les éclairs jaillissent des yeux.
Parmi les fanfares joyeuses, Les gais solos, les doux accords, Soupirent des valses rêveuses A faire tressaillir les morts ; On pense à Laure, à Marguerite, A tous les beaux romans d'amour, A cette vieille histoire écrite Depuis que l'homme a vu le jour ;
Oui, bien vieille et toujours la même ; Mais jeune aussi, toujours nouveau Vit et vivra le doux mot : ce J'aime. » Tout printemps est un renouveau. Toujours heureuse et toujours neuve Sera la langue de l'amour, Comme la vague au bord du fleuve Qui les caresse tour à tour.
Fuyant entre ses rives vertes,
Le Rhône écoute Au loin ses flots,
Des îles de roseaux couvertes:,
Des bois éveillant les échos,
Emportent sans laisser de trace
Les voeux d'hier et d'aujourd'hui,
Les chants de l'Oulle au vent qui passe...
Nous passons plus vite que lui.
G. D'AUDEVILLE.
Avignon, 30 juillet I89I.
C'ÉTAIT ÉCRIT.
CONTE ARABE.
Là-bas dans le désert, où vas-tu, fier spahi ? Quel malheur t'a frappé ? quel destin t'a trahi ? Quel funeste désir te guide ?
Autour de ton turban, autour de ton coursier Rapide et s'allongeant sur ses jarrets d'acier, Tourbillonne le sable aride.
Le sol est gris et nu, le soleil est brûlant. Dans le morne désert à l'horizon troublant Le coeur cesse d'être intrépide.
Bientôt dans le lointain parut une oasis. On voyait de grands lacs. Tentes, palmiers, ibis, S'y miraient dans l'onde limpide.
De confuses vapeurs un léger manteau bleu Tamisait sur leurs bords les effluves de feu Versé par le soleil numide.
L'oasis eut pitié du pauvre cavalier ; ce Accepte de mes fils l'accueil hospitalier : — Dit-elle, d'une voix timide. —
MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE 69
« Ami, regarde : au loin c'est le sombré désert. « Jamais croyant n'y vit flotter le drapeau vert ; « Là-bas^ la mort seule réside. »
" Qu'Allah donne,à tes fils la haine du pécheur!
— Répondit le guerrier, sans arrêter sa Course - " Qu'il donne à tes palmiers la force et la fraîcheur " Et de tes puits toujours fasse couler la Source !
" Merci, belle oasis qui me veux retenir. " Immense est ta pitié, plus grande est ma souffrance : " Ma blessure est au coeur, je n'en pourrais guérir, " Non, jamais pour Ahmed la fleur de l'espérance " Naîtra sous tes palmiers. Adieu, je vais mourir. »
— Et l'oasis disait : ce Je calmerai tes peines ;
" Ton cheval meurt de soif? vois Couler mes fontaines, " Tu pleures ? vois là-bas sous les palmiers fleuris, " Ceintes de soie et d'or, mes filles, des houris; " Ni Bagdad, ni Stamboul, loin des regards profanes " En leurs plus beaux harems n'ont de telles sultanes. " Reste, reste... en ton coeur qui de pleurs fut rempli " Leur amour à longs traits saura verser l'oubli. " Reste, ô fils du Coran ; bientôt, comme la foudre, ce Un cri va retentir ; puis parlera la poudre, " Mes tentes ont de l'or, des armes ; par milliers ce Partout se lèveront les hardis cavaliers. ce Guerre, guerre aux Roumis! un ange du Prophète " A tous nos marabouts a promis leur défaite. »
Par la haine et l'espoir tout le coeur envahi,
Ému, troublé, vaincu, s'arrêta le spahi.
Dans ses regards brillait l'éclair de la revanche.
Il rêva de soldats. Puis de son front qui penche
Tombaient des pleurs amers sur les mains du proscrit.
« Adieu, belle oasis, il le faut, c'est écrit.
6.
70 MÉMOIRES DE L ACADEMIE DE VAUCLUSE
" Mes frères, les guerriers qu'ont abrités ma tente, " Tous ont été tués. Dans la mêlée ardente " La vengeance criait : Sang et mort aux vaincus ! " Et tu vois le dernier de quatre-vingts tribus, " Que m'importe la soif ? le ciel a des fontaines " Qui des fils du Coran calment toutes les peines, " Pour FAgha sans tribus, pour le père sans fils, " Ce monde est un désert qui n'a plus d'oasis. »
Aussi le désespoir courut au suicide.
L'air était embrasé ; le sirocco soufflait ;
La nuit se fit plus prompte et l'ombre plus livide.
Front câline; le spahi devant lui s'en allait. A chaque pas déjà son cheval chancelait, Ne sentant plus ni sol, ni bride.
A tous deux le désert réserve un sort égal. De loin suivent, avec le sinistre chacal, Le vautour gris, l'hyène avide.
G. D'AUDEVILLE.
SÉANCES DE L'ACADÉMIE'
Extraits des procès-verbaux.
JANVIER-FÉVRIER-MARS I892.
Séance du samedi 5 janvier I892. — Présidence de M. Rochetin.
Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté.
M. le Président a le regret d'annoncer la mort de M. Saint-Clair de la Borde, membre titulaire de l'Académie, décédé à Avignon le 4 janvier. Ses obsèques auront lieu le dimanche, 6, au matin. L'Académie délègue plusieurs de ses membres pour y assister.
A cette occasion, M. de Félix demande s'il ne conviendrait pas que l'Académie possédât en propre un drap mortuaire, à l'exemple des autres Sociétés avignonaises.
Cette motion est accueillie avec faveur par l'assemblée, qui décide que l'acquisition de ce drap sera faite par voie de souscription, et elle en fixe le montant à I franc, au minimum.
M. le Président dépose sur les bureaux les ouvrages suivants offerts en don par leurs auteurs à la bibliothèque de l'Académie :
— Les voies antiques manifestées par la nature de la végétation, par M. de Saint-Venant ;
— Les vestiges antiques dans la forêt d'Orléans, par le même auteur ;
— La Vierge du Comtat, idylle en vers, par M. Noël Vinchau.
Il communique en même temps une lettre de M Adrien Dollus, directeur de la Feuille des jeunes naturalistes, proposant l'envoi de cette publication et du Catalogue méthodique de la Bibliothèque, en échange des Mémoires de l'Académie.
Cette proposition est acceptée.
Deux candidats sont présentés pour le titre de membre titulaire :
M. Liabastre, conservateur de la bibliothèque de Carpentras, présenté par MM. Rochetin, Mouzin et Labande ;
72 MEMOIRES
M. Perrin fils, instituteur à Bollène, présenté pai MM Pignat, Tiquet et Nicolas.
Ils sont élus à l'unanimité des voix.
L'ordre du jour appelle la continuation d'un mémoire sur une seigneurie temporelle des évêques^ d'Avignon. L'auteur de ce travail n'ayant pu se rendre à la séance, lecture en est donnée par M le Président.
Par suite d'une indisposition de M. Sagnier, la communication quJil devait faire sur de nouvelles trouvailles à Barri (Aeria), est ajournée.
M. d'Audeville lit une poésie intitulée: C'était écrit
Il est ensuite procédé aux élections pour le renouvellement des membres du Bureau.
Avant que le scrutin ne. soit ouvert, M Moulin soumet une proposition à l'Académie II demande le rétablissement des présidents de section institués parles statuts primitifs de l'Académie. Ces présidents, au nombre de trois, feraient partie du Bureau, qui compteiait ainsi dix membres, au lieu de huit, le bibliothécaire adjoint étant supprimé.
Pour ces nouvelles fonctions, M Mouzin désigne au choix de l'Académie M. Rey, inspecteur d'Académie, M. le capitaine Pilate et M. le docteur Larché.
M. Bayle voit dans cette proposition et dans la manière dont elle est introduite une déiogation au règlement constitutif de l'Académie. Les statuts du I8 décembre I880, chapitre V, avaient en effet institué trois sections composées chacune d'un président, d'un vice-président et d'un secrétaire; mais ces sections n'étaient pas incorporées au burean. Elles ont d'ailleurs été supprimées dans la nouvelle rédaction des statuts approuvée par l'Académie dans la séance du I7 décembre I887, sur le rapport d'une commission de révision. L'Académie, il est vrai, a le pouvoir de revenir sur ses décisions et de modifier son règlement, mais les précédents s'opposent à ce que ces modifications soient votées sans instruction préalable. M. Bayle demande formellement que la motion de M. Mouzin soit renvoyée à l'examen des commissions nommées à cet effet.
L'Académie, consultée par M. le Président, repousse cet ajournement et vote la proposition de M. Mouzin à une grande majorité.
Le vote pour l'élection du nouveau Bureau donne les résultats suivants :
M Torcapel, président.
M. Mordon, M Limasset, vice présidents.
M. Labande, secrétaire général.
M Reynaud, secrétaire
M. Tiquet, trésorier.
M. Mascle, bibliothécaire,
MM. Rey, Pilate, Larché, présidents de section.
DE L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE 73
Séance du 6 fèrrier I892. — Présidence de M. Rochetin.
M. Rochetin, président sortant, remercie l'Académie de la bienveillance qu'elle lui a témoigné pendant les deux années de sa présidence ; il la félicite sur le choix des membres qui composent le nouveau bureau et sur le choix des présidents placés à la tête de chaque section. II invite M Torcapel, président nouvellement élu, à venir le remplacer au fauteuil.
Présidence de M. Torcapel.
En prenant place au fauteuil, M. Torcapel prononce un discours dans lequel il remercie l'Académie de ses suffrages,
M. le président annonce la démission de M. Bayle, ancien secrétairegénéral et de son fils M. Emile Bayle; il propose au nom du bureau tout entier deoonférer à M. Bayle le titra de membre honoraire. L'Académie accepte cette proposition. Lecture est donnée d'une lettre du ministre de l'Instruction publique offrant à l'Académie l'ouvrage intitulé : Chronique d'Amadi et de Strambaldi;
D'une lettre donnant connaissance d'un arrêté ministériel qui fixe au 7 juin prochain l'ouverture de la I60 session du congrès des Sociétés, des Beaux. Arts des départements ;
D'une lettre comprenant le programme des questions soumises aux délégués des Sociétés savantes en vue du congrès de I892. — Le programme est déposé sur le bureau ainsi que le n° de janvier de la Revue retrospective contenant quelques autographes de la collection Requien, par M. Charles Monnier.
L'ordre du jour appelle la communication du mémoire de M. Sagnier sur ses nouvelles trouvailles faites à Barri (Aeria).
Les trouvailles faites à Barri n'ont cessé de présenter au point de vue historique un intérêt des plus grands — l'importance de la ville, son admirable situation, qui en avait fait un centre commercial important, préludant à un autre grand marché du moyen âge, la foire de Bancaire, — expliquent l'abondance des monnaies trouvées dans cette région. Ces trouvailles sont la preuve de l'existence d'un grand marché au temps Mérovingien et du développement considérable de la richesse industrielle à cette époque.
M. Rochetin trouve, en effet, étonnant qu'une aussi grande quantité de monnaies ait été trouvée sur cet emplacement ; il l'attribue aux mêmes causes que M. Sagnier.
M. le docteur Chobaud, n'étant pas présent à la séance, la lecture de l'étude figurant au programme sous le titre : Un nouveau Rhippidius du mont Ventoux » est renvoyée à une prochaine séance.
En l'absence de M. Labande, M. Rochetin donne lecture d'une note sur la signification du mot ogive.
Le travail de M. Labande peut se résumer ainsi :
C'est aller contre la tradition et contre la vérité des choses en appelant ogive la forme brisée des arcs. Les ogives sont les arcs diagonaux ordinairement en plein cintre, qui se croisent sous la voûte dans chaque travée. Elles ne sont pas caractéristiques du style gothique, puisqu'un grand
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nombre d'églises romanes<en possèdent. Enfin l'arc brisé ou en tiers point, qu'on a, Faussement appelé l'arc ogival, n'est pas davantage particulier à l'architecture gothique qui, par conséquent, ne doit, dans aucun cas, porterie nom d'architecture ogivale.
Séance du 5 Mars I892. — Présidence de M. Torcapel.
Le procés-verbal de la précédente séance est lu et adopté.
M. le président annonce la candidature de M. Sauret, inspecteur de l'enregistrement en retraite, présenté par MM. Torcapel, Tiquet et Limasset, comme membre titulaire ; celle de M. Charvet, inspecteur des musées et de l'enseignement du dessin dans les lycées, présenté par MM. Rey, Bourges et Labande, comme membre correspondant;
— La nomination de M. Couderc, professeur au lycée, membre titulaire de l'Académie, au grade d'officier d'Académie ;
— Le décès de M. Charles Chabrel, chef de bureau à la préfecture, membre correspondant de l'Académie de Vaucluse.
Lecture est donnée, d'une lettre de M. Blanc, instituteur à Collorgues (Gard), annonçant la découverte de tombeaux renfermant des vases et' ossements humains très anciens et très curieux.
M. Rochetin fait observer qu'il a visité lui-même ces tombes galloromaines et qu'elles ne lui ont pas paru présenter un grand intérêt. Des découvertes de cette nature ont déjà été signalés à l'Académie, et M. Nicolas se proposait de faire un rapport sur ces objets ; ce rapport n'a pas été communiqué.
M. le président prie M. Rochetin d'insister auprès de notre confrère pour qu'il fasse à l'Académie la communication promise.
— D'une lettre de M. le ministre de l'Instruction publique relative à la communication des manuscrits en vue du prochain congrès des sociétés sayantes et des beaux-arts.
MM. Torcapel et Labande proposent à I Académie de prendre part en son nom aux travaux du congrès. L'Académie accepte cette proposition et donne à MM. Torcapel et Labande mission de les représenter.
M, Tiquet, trésorier, donne lecture des comptes de l'exercice I89I, qui se soldent par un excédent de 343 fr. 07.
L'Académie approuve les comptes du trésorier et le budget de I892 qui y est annexé
M. Rey donne lecture d'un chapitre de l'ouvrage qu'il prépare sur les rappor ts des rois de France avec Avignon aux XVIe et XVIIe siècles ; il expose quelles étaient les traditions adoptées, tant à Rome qu'à la cour de France, pour le choix du legat pontifical à Avignon ; comment Louis XI se montra paiticulièrement exigeant à l'égard du Pape, en voulant imposer des candidats. Cet exposé sert de préambule à l'historique du conflit qui éclata entre Louis XI et les Avignonais, à propos de la nomination de Julien de la Rovere comme légat M. Rey signale à plusieurs reprises l'habileté diplomatique dont les Avignonais firent preuve dans ces circonstances .
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M. le docteur Chobaud donne lecture de son étude sur une nouvelle espèce de Rhipidius du Mont Ventoux.
Avant de décrire la nouvelle espèce, M. Chobaud expose ce que l'on sait à l'heure actuelle des Rhipidius. Il énumère ensuite les cinq espèces de Rhipidius connues jusqu'à ce jour et termine sa communication par la présentation de dessins et de planches du plus haut intérêt
M le docteur Réguis expose le plan d'une flore de Vaucluse qu'il a entrepris avec .Mlle Guende. Malgré la pleiade de naturalistes, parmi lesquels on peut citer Requien, Guérin, Raspail, Martin, Palun, Collignon, etc., qui se sont occupés de la flore de notre département, aucun travail d'ensemble n'a été publié, et si la flore de Vaucluse est moins connue que celle d'un grand nombre de départements français, c'est surtout à l'absence d'un traité récent et complet de nos plants qu'il faut l'attribuer.
Après avoir magistralement exposé les raisons de l'ordre adopté par lui pour la classification des plantes, M. le docteur Réguis termine ainsi :
" Tel est le travail que nous avons l'honneur de vous offrii en vous priant de l'accueillir favorablement En le menant à bonne fin, Mademoiselle Guende s'aquitte envers son département de la dette que tout enfant doit à son pays natal ; quant à moi, je suis particulièrement heureux de pouvoir reconnaître, dans une certaine mesure, l'hospitalité que vous m'avez accordée et dont je sens tout le prix. »
Cette savante communication est accueillie par les applaudissements de l'Académie tout entière
M. Lajard offre à l'Académie un travail dont il est l'auteur, publié par la Société d'anthropologie de Paris ; il explique le langage sifflé des îles Canaries, prononce en langage sifflé le mot Enériff et donne d'intéressants détails sur les moeurs et les habitudes des populations de ces îles.
L'Académie admet MM. Charvet comme membre correspondant et Sauret comme membre titulaire.
Le secrétaire,
G. REYNAUD.
ÉTUDES HISTORIQUES
SUR
ST-LAURENT-DES- ARBRES
EN LANGUEDOC.
LA SEIGNEURIE TEMPORELLE
DES ÉVÊQUES D'AVIGNON.
INTRODUCTION.
Le voyageur qui suit la route d'Avignon à Bagnols, arrivé à une lieue environ au nord de Roquemaure, peut apercevoir à sa gauche; dans la direction du sud-ouest, les derniers contreforts de la forêt de Malmont. Au devant, deux hautes tours se profilent sur le bleu du ciel, et une vieille église, fortifiée comme un château féodal, dresse son clocher et les créneaux de ses hautes murailles. Au pied de ces antiques édifices, est assis St-Laurent-des-Arbres. C'est ce village qui fait l'objet de ce travail.
Pendant de longs siècles, il appartint aux évêques d'Avignon comme fief temporel de leur mense et comme paroisse de leur diocèse ; en même temps, il faisait partie
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de la sénéchaussée de Beaucaire et Nîmes et dépendait du Languedoc. Sa destinée se ressentit à la fois du sort de cette province et des vicissitudes diverses du Comtat. La raconter ce sera apporter une faible contribution à l'histoire des populations rurales du Midi.
Mais il en est du plus modeste village comme d'un royaume. Ses annales ont d'intimes rapports avec sa géographie plrysique, la nature de son sol, le caractère et les moeurs de ses premiers habitants. Nous ne pouvons donc pas négliger ces questions préliminaires.
I
TOPOGRAPHIE.
Le village de St-Laurent-des-Arbres est situé dans le département du Gard, sur la rive droite du Rhône, à environ trois kilomètres et demi de ce fleuve, par 440 3' 44" de latitude boréale et 2° 2I' 44" de longitude E. Il se trouve à 36 k. au N.-E. de Nîmes et à 14 k. au N.-N.-O. d'Avignon.
Des hauteurs qui le dominent à l'ouest, l'oeil peut contempler la belle vallée du Rhône, la plaine d'Orange et le Comtat.
A l'extrémité de l'horizon, l'on voit se dresser les dernières ramifications des Alpes, les rochers de Vacqueyras, aux pittoresques dentelures, et le majestueux Ventoux.
Au sud-ouest du village de St-Laurent, s'étendent les bois communaux ; ils font partie de la forêt de Malntont, Ils sont limités, au nord, par une chaîne montagneuse qui court dans la direction de' l'ouest à l'est. Elle élève ses crêtes à une altitude de 200 à 240 mètres au dessus du niveau de la mer et se termine par le rocher escarpé et dénudé de Moncaut (Mons calvus).
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Au pied de cette chaîne, et à l'ouest du village, le plateau des Cosses étale ses cailloux quartzeux du diluvium alpin. A son point le plus élevé, sur la route de St-Victorla-Coste, il atteint I5o m. d'altitude. De ce plateau, plusieurs coteaux se détachent, qui s'inclinent en pentes douces vers la plaine. La colline de Balazet est à une hauteur de I0I m.
Au sud de la commune; un très grand plateau, qui contient le bois de Clary, les villages de Lirac et de Tavel, relie la forêt de Malmont aux roches de Roquemaure. Il dirige vers le nord une sorte de promontoire, dont l'extrémité a servi d'assiette au village de St-Laurent. Le seuil de l'église paroissiale est à une altitude de 85 m. 5o. Au pied des habitations, entre les deux plateaux du sud et de l'ouest, s'étend jusqu'au bord du Rhône, la plaine fertile arrosée par le Nizon.
Cette rivière prend sa source à Fombesse, près de Lirac, à une altitude de II2 m. 5o, et se creuse un lit entre le plateau de la plaine de Clary et celui qui se termine au village de St-Laurent. Son cours est orienté du sud au nord. Pendant les hivers pluvieux, des torrents descendent de la Sainte-Baume et grossissent le volume de ses eaux.
Elle a pour tributaires divers ruisseaux, situés sur sa rive gauche : le Nail, — la Riviérette, alimentée par les sources de Roquecouve, des Rats, de Moncaut et de Granouillet; —- la rivière de la Planque, qui reçoit les eaux du Vallat de Fontagnac et de la Freissinède, du Valladas des Cosses ou de Manobre, des ruisseaux de Caveyrac et de Gissac.
Pendant l'été, plusieurs de ces sources tarissent, et la plupart des ruisseaux n'ont plus un débit suffisant pour conduire leurs eaux jusqu'au Nizon.
Tel est, de nos jours, l'état du territoire de St-Laurent. Mais comment s'est formé ce sol que nous venons de décrire ? A quelle époque remonte-t-il ? Quels sont les ma-
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'tériaux qui le composent ? Tels sont les problèmes qui se posent d'abord devant nous et que nous allons essayer de résoudre, autant que le permet l'état actuel de la science.
II
GÉOLOGIE.
Le territoire de St-Laurent-des-Arbres comprend trois formations principales : le néocomien, le pliocène et les alluvions quaternaires.
Néocomien. — A cet étage, lé plus ancien du système infra-crétacé, appartient toute la partie de la commune occupée par les bois. Ce terrain est constitué, à St-Laurent, par du calcaire grossier, il remonte à l'époque qui suivit la formation des monts Jura ; il est contemporain des falaises de Roquemaure, des collines de Villeneuve et d'Aramon, de la chaîne du Calvaire, à Beaucaire, du mont Bouquet, etc. Cet étage offre un très grand développement dans le département du Gard. Il dut être soulevé et acquérir son relief actuel, au début de l'époque tertiaire.
Les phosphates de Tavel et de Lirac se rencontrent dans les poches, les fissures et les dépressions laissées par les dépôts néocomiens et datent, probablement, d'une époque postérieure.
Le calcaire néocomien est exploité, en bien des endroits comme pierre à chaux. C'est lui qui devait alimenter les fours à chaux possédés, au XVIIe siècle, par la communauté de St-Laurent.
Pliocène. — Le reste du territoire est de l'époque pliocène, époque qui s'est écoulée depuis le principal soulèvement des Alpes jusqu'au soulèvement de l'Apennin et à la première apparition des grands,glaciers.
Au début de cette époque, la mer miocène qui avait produit les assises de Sauveterre, non loin de St-Laurent, est
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refoulée par un exhaussement d'une portion de l'écorce terrestre, Le sol est soumis à diverses ondulations lentes et successives, et, par suite, la mer envahit et abandonne tour à tour la vallée du Rhône. Dans le territoire actuel de St-Laurent-des-Arbres, elle dut laisser certaines dépressions. Dans celles-ci, des lagunes se formèrent, qui devinrent des marais à eaux saumâtres et où vécurent des mollusques du genre Potamides Basteroti. A cette époque, se déposèrent des assises d'argile noirâtre. Plus tard, les marais finirent par s'isoler et se peuplèrent de coquilles d'eau douce : Planorbes, Lymnées, Melanopsis, Unies, Anodontes, etc.
Quelques-unes des dépressions laissées par la mer pliocène, plus profondes sans doute que les autres, ont duré^ jusqu'à l'époque historique, comme l'étang de Pujaut et l'étang qui se trouvait autrefois dans la plaine du Nizon, tout près de la chapelle de N.-D. de Thézan. Mais la plupart des marais se colmatèrent peu à peu. En effet, dans le temps même où ils étaient habités par des mollusques, il y croissait des plantes herbacées et des arbres. Ces végétaux furent ensuite ensevelis dans les eaux et leur décomposition produisit des dépôts de lignite. Parfois l'évaporation abaissait le niveau du marais, mais, dans la saison des pluies, l'apport des ruisseaux qui descendaient des plateaux voisins le relevait. Des Valvees, des Bythinies, des Nérifines, étaient les hôtes habituels de ces cours d'eau; les pluies d'orage les entraînaient dans le marais, avec les terres qu'elles désagrégeaient. Ainsi se formait une couche argileuse, pétrie de coquillages fluviatiles ; elle recouvrait les dépôts de lignite.
De nouveau les plantes se développaient, les mollusques se multipliaient dans le lac, et une autre couche de lignite se superposait à l'assise d'argile. Les mêmes phénomènes se reproduisirent plusieurs fois et donnèrent alternativement naissance à des strates d'argile et de lignite. Ces strates, on peut les observer facilement au pied de l'extrémité
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occidentale des roches de Roquemaure, dans le ravin des Baumes, et dans celui de Balazet (1).
Après la formation de l'argile et du lignite, le sol dut subir un nouvel affaissement, et la mer revint occuper l'ancien lit qu'elle avait abandonné. Les bords du bassin fluviomarécageux devinrent alors les rivages de la mer pliocène. Tant que dura ce nouvel envahissement de la Méditerranée, les vagues poussèrent vers la côte de grandes quantités de sable. Ces sédiments arénacés s'accumulèrent sur la plage. Remaniés ensuite et entassés par le mistral, si violent, dès cette époque, dans la vallée du Rhône (2), ils formèrent les puissantes assises des divers plateaux qui bordent la plaine du Nizon.
L'origine marine de ces sables ne saurait être mise en doute : elle est démontrée par la présence de crustacés marins comme les Balanes et de mollusques marins comme l'ostrea undata (3), les pectens (4) et les scalaires (5). Aussi tous les géologues qui ont étudié cette formation sont-ils d'accord sur ce point, Emilien Dumas, MM. Cazalis de Fondouce, H. Nicolas, le Dr Tribes, le capitaine Caziot, etc.
Les sables de St-Laurent, quand ils sont meubles, sont de nature siliceuse et composérs à peu près exclusivement de grains-de quartz. Leur couleur est jaune, et le mica blanc, répandu abondamment- dans leur masse, les fait briller de reflets argentins. Des nodules blanchâtres de
(1) Ces couches ont été d'abord étudiées par M. H. Nicolas, le distingué naturaliste d'Avignon.— Cf. le savant et remarquable travaifde M Caziot : Bassin pliocène de Thèziers-Roquemaure, Bulletin de la Société géologique de France, 3e série, t XIX, I89I. n« 4, pages 205-218.
(2) Caziot, Du Mistral, Mém de l'Académie de Vaucluse, I890, tome IX, page 303.— A. G., Le Mistral préhistorique, La Nature, I89I, 2e semestre, page 6.
(3) Emilien Dumas, Statistique géologique du Gard, 3e partie, pages 574,575
(4) Dr Tribes, Etude sur des ossements fossiles trouvés à St-Laurent desArbres, Mémoires de l'Académie du Gard, I875.
(5) Les scalaires ont été trouvées par M. H. Nicolas et par M. Allard, ancien instituteur de St-Geniez-de-Comolas.
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marnes calcaires s'y rencontrent aussi et fournissent un caractère important pour distinguer cet étage de la molasse coquillière, lorsque celle-ci est désagrégée et se présente sous l'aspect arénacé.
Parfois un ciment argilo-calcaire permet aux sables marins de St-Laurent de s'agglomérer en nodules isolés ou de se disposer en assises régulièrement stratifiées. Dans maints endroits, ils sont agglutinés d'une manière assez compacte pour constituer une sorte de grès ou de molasse, que l'on désigne vulgairement sous le nom de saffras,
A l'époque où se déposaient ces sables pliocènes, une végétation luxuriante ornait les rivages voisins, de formation néocomiénne, et produisait de magnifiques-forêts de conifères et d'amentacées. Lorsque les arbres périssaient, que les vents ou les pluies les déracinaient, ils étaient entraînés en grand nombre dans les eaux de la mer ; ballottés ensuite par les flots, ils étaient enfouis dans la masse arénacée de la grève, où l'on retrouve aujourd'hui leurs troncs et leurs branches, couchés dans le sens horizontal, à l'état de pétrifications. La matière organique a disparu et a été remplacée, molécule à molécule, par la silice, substance qui s'y présente parfois sous forme d'agate.
A l'époque pliocène, la faune terrestre de nos contrées n'était pas moins riche que la flore. Près de la plage, à l'ombre des forêts, vivaient des ruminants et de grands pachydernes : le cerf (1), le rhinocéros megarliinus (2) et le mastodonte arvemensis (3). Le mastodonte était un animal
(1) Dr Tribes, loc. cit.
(2) G. Cuvier. Recherches sur les ossements fossiles, t. II, Ire partie, p. 50, 53, 60. — Emilien Dumas, op cit, 2e partie, p. 576; 3e partie, p. 473 — Cazalis de Fondouce, Mémoires de l'Académie de l'Hérault, 1880.
(3) C'est l'attribution faite par M Deperret. professeur à la Faculté des sciences de Lyon, d'un fémur fossile, trouvé dans les sables de St-Laurent et donné au musée Calvet. M Sagnier, ancien président de l'Académie de Vaucluse, a fait une étude sur ce fossile V. Mémoires. 1889, tome VIII, p. 173. — M. Lombard-Dumas, gendre du géologue Emilien Dumas, possède un fémur de mastodonte, découvert jadis à St Laurent, par M. De
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gigantesque, d'environ trois mètres de hauteur, fort semblable à l'éléphant, muni de défenses et d'une trompe; il se nourrissait à peu près comme l'hippopotame et le sanglier, choisissant de préférence les racines et autres parties charnues des végétaux. Cette sorte de nourriture l'attirait sans doute vers les terrains mous et marécageux ; néanmoins il n'était pas fait pour nager et vivre seulement dans les eaux, comme l'hippopotame. C'était un véritable animal terrestre (1).
Dépôts quaternaires.—L'époque pliocène, où vivaient ces grands herbivores et où leurs ossements furent ensevelis dans les sables de St-Laurent, se termina par un nouveau soulèvement du sol et le retrait de la mer. Le commencement de l'âge suivant, l'époque quaternaire, fut marqué par le refroidissement de la température moyenne. Ce change-" ment de climat imprima une activité extraordinaire aux précipitations atmosphériques et eut pour conséquence l'établissement de grands glaciers et de cours d'eau torrentiels. Le Rhône, dont le lit avait d'ailleurs été exhaussé avant le début de l'époque diluvienne, couvrait le territoire de St-Geniez-de-Comolas et de St-Laurent-des-Arbres. Son niveau s'élevait jusqu'à la hauteur du plateau de Cosses et de la plaine de Clary; il lui permit de déposer sur ces plateaux, avec le sable rouge appelé diluvium, une grande quantité de cailloux roulés, des quartzites dont quelques-uns atteignent un très gros volume (2).
leuze, avocat au parlement de Toulouse D'après l'attribution d'Emilien Dumas, ce fossile proviendrait du Mastodon brevirostris (Paul Gervais), synonyme de Mastodon angustidens (Cuvier).
(1) Cuvier, Recherches sur les ossements fossiles, 3e édition, Paris, I825, tome Ier, p. 249.
(2) Quelques-uns de ces cailloux offrent des faces parfaitement planes et des arêtes très vives MM Cazalis de Fondouce et Caziot croient que ce sont là des effets dus à l'action érosive du sable lancé avec violence par le mistial Voir Cazalis de Fondouce, Action érosive du sable en mouvement sur des cailloux de la vallée du Rhône, Mémoires de l'Académie de l'Hérault, I880; Capitaine Caziot, Du Mistral, loc. cit. ; Le Mistral préhistorique, dans La Nature 1891, 2e semestre.
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Un abaissement subséquent dut se produire dans la vallée. Des érosions puissantes atteignirent la masse des étages pliocènes, creusèrent la plaine du Nizon, et lorsque, après les époques glaciaires, le Rhône entra dans les limites qu'il occupe depuis, la vallée présenta la configuration actuelle,
III
LES POPULATIONS PRIMITIVES, L'ÉPOQUE PRÉHISTORIQUE ET L'ÉPOQUE CELTIQUE.
Sur les rives du Rhône, l'homme fut témoin des derniers phénomènes géologiques des temps quaternaires. Mais, dans les environs du territoire de St-Laurent, les premiers vestiges laissés par nos ancêtres remontent moins haut : ils datent de l'aurore des temps actuels, de l'âge néolithique ou robenhausien.
Les grottes de la falaise néocomienne, qui part de Roquemaure et se termine au territoire de St-Laurent, fournirent au premier habitant de nos pays un abri et un refuge. L'homme de cette époque était remarquable par sa taille élevée; une force prodigieuse lui permettait de se défendre contre les attaques des bêtes féroces; chez lui, à la force s'unissaient l'adresse et l'industrie. S'il ne savait pas encore se servir des métaux, le silex lui fournissait des armes et des outils. Supérieur à l'homme paléolithique, il commençait à domestiquer les animaux, le boeuf, le mouton, etc. ; il n'ignorait point l'usage du feu et l'utilisait pour l'apprêt de ses aliments. Esprit inventif, il inaugura la céramique. Les poteries qu'il façonnait à la main étaient d'une pâte tantôt rougeâtre, tantôt noirâtre ; il les faisait sécher au soleil, sans les soumettre à la cuisson ; parfois il les ornait de dessins : rayures tracées avec l'ongle, traits gravés au burin et irrégulièrement espacés, triangles, festons, mamelons, etc. Première ébauche d'un art encore à l'état d'enfance, qui, malgré son imperfection, attestait le génie
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créateur de l'ouvrier. Chez le troglodyte de Roquemaure le goût du beau naissait et se développait en même temps que l'art. L'habitant des cavernes aimait à se parer de coquilles, montées en collier, et il allait rechercher, dans les sables de St-Laurent, l'ivoire des grands pachydermes proboscidiens. A l'aide d'un silex tranchant, il pratiquait, sur l'émail des dents de mastodonte, des entailles ou des ricochets, pour s'en faire des armes, des ornements ou des ustensiles domestiques (I).
Avec le sentiment du beau, se manifestent, chez l'homme néolithique de notre contrée, des idées supérieures et le culte des morts, fruit naturel des croyances religieuses. Dans bien des endroits, l'homme de cette époque ensevelissait les 'défunts dans les monuments mégalithiques ; mais, dans notre pays, il confiait leurs dernières dépouilles à des grottes, et, de nos jours, on a pu exhumer une partie de leurs ossements (2).
Les tribus néolithiques se multiplièrent et, trouvant les cavernes insuffisantes, elles établirent une station sur un plateau voisin, celui de Laudun, connu sous le nom de camp de César, position inexpugnable où elles s'assurèrent une défense contre les attaques de leurs ennemis.
Des populations nouvelles, en effet, vinrent plus tard disputer le sol aux premiers occupants. La vallée du Rhône fut comme le carrefour où se rencontrèrent tous les envahisseurs : les Ligures partis de l'est, les Ibères de l'ouest, les Phéniciens et les Grecs du sud, les Celtes ou Gaulois du nord, races d'abord rivales et ennemies, qui finirent par
(1) Dr Tiibes, loc cit.
(2) L'honneur de cette découverte revient à notre savant collègue, M. H. Nicolas II a fouillé les grottes de Roquemaure avec le soin consciencieux et le talent d'observation qu'il apporte à tous ses travaux scientifiques II a communiqué les résultats de ses patientes recheiches au Congrès archéologique de France, dans les sessions de Vienne (1879) et de Pamiers (1884). Voir ses deux Mémoires dans les Comptes-rendus du Congrès.
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se fondre ensemble. Environ trois siècles avant l'ère chrétienne, une nouvelle invasion ajouta un autre élément au sang des tribus rhodaniennes. C'étaient les Volces, membres de la grande famille celtique (I).
Ceux d'entre eux qui portaient le nom d'Arécomiques occupaient les deux rives du Rhône, lorsque nos populations furent en proie à une émotion extrême (219 avant Jésus-Christ). Annibal, à la tête de cent mille hommes, arrivait d'Espagne. Les Volces de la rive droite, gagnés en majeure partie par les présents du général carthaginois, s'engagent à lui rassembler des barques de toutes parts et à lui .en fournir de nouvelles. Ils vont dans les forêts voisines, très probablement dans celles de St-Laurent et de Tavel, pour chercher des arbres et travaillent eux-mêmes à les creuser. D'après l'opinion la plus vraisemblable, la plus conforme au texte de Polybe, défendue par Amédée Thierry et le lieutenant-colonel Hennebert, c'est entre Roquemaure et l'Ardoise, par conséquent à l'extrémité du territoire de St-Laurent-des-Arbres, que l'armée carthaginoise opéra le passage du Rhône (2).
Entre cet événement et la conquête romaine, les Volces Arécomiques furent chassés de la rive gauche du Rhône par les Cavares, qu'ils avaient auparavant dépossédés. Cette dernière tribu celtique s'établit entre le Rhône, la Durance et l'Isère ; malgré l'absence de tout document positif, nous inclinons à croire qu'elle s'étendit au sud de la Durance jusqu'aux Alpines, et sur la rive droite du Rhône, en face à'Avenio, jusqu'aux bois de Rochefort, Tavel et St-Laurent .
En effet, ce furent les montagnes plutôt que les fleuves qui servirent de limites aux anciens, et, lorsqu'ils adop(1)
adop(1) Desjardins, Géographie de la Gaule romaine ; Herzog, Galliae Narbonensis historia ; Histoire du Languedoc, nouv éd , t. Ier, notes, passim.
(2) Cf. Tite-Live, XXI, 20, 24 ; Polybe, Histoire, liv. III ; Amédée Thierry, Histoire des Gaulois, t. I, p 319 ; Hennebert, Histoire d'Annibal, t.I, p. 432 et suiv.
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taient un cours d'eau comme frontière, ordinairement la même tribu, sur un certain nombre de points, en occupait les deux rives. Ainsi, le territoire de Sainte-Colombe, en face de Vienne, appartenait aux Allobroges, et un assez vaste territoire, en face du confluent du Rhône et de la Saône, était sous la domination des Ségusiaves (1). Ainsi, les Cavares d'Avignon durent franchir le Rhône et s'emparer d'une partie de la rive droite.
Un autre fait historique et géographique vient confirmer cette manière de voir : c'est la correspondance exacte qui, le plus souvent, exista, dans le haut moyen âge, entre les limites du pagus, du comitatus et du diocèse (2). Ces trois circonscriptions se sont superposées l'une à l'autre ; elles s'étendaient^à tout le territoire d'une ville, à laquelle elles empruntaient leur nom; et ce territoire, c'était ordinairement l'ager d'une ancienne cité romaine, le canton d'une " tribu gauloise. Or, nous le verrons dans la suite de ce travail, le comté, aussi bien que le diocèse d'Avignon, s'étendit sur les deux rives du Rhône (3), et il n'y a aucune témérité à supposer que les populations de la rive droite les plus voisines se rattachaient à leur métropole ecclésiastique par une communauté d'origine. Ainsi s'expliqueraient, non seulement les liens religieux qui les unirent à cette cité pendant tant de siècles, mais encore la similitude des coutumes et des moeurs et la parfaite identité de l'idiome vulgaire (4).
l'ager avenionensis aurait eu pour limites, sur la rive droite du Rhône, au sud les collines de Saze, à l'ouest la
(1) Cf. Brouchoud, Congrès archéologique de France, session de Vienne (I879) P. 78.
(2) Guérard, Cartulairc de l'abbaye de St-Victor, introduction, p. LV. (3 Archives départementales de Vaucluse, G, 257, Dwersorum sancti
Laurentii, fol. 1.
(4) Le dialecte avignonais, si purement écrit par le regretté Roumanille, est parlé sur la rive droite du Rhône; mais tous ceux qui s'occupent de la géographie des idiomes méridionaux savent qu'il ne dépasse pas les limites de l'ancien diocèse d'Avignon.
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forêt de Malmont, au nord le plateau de Jupiter ; le quartier du Terme, au couchant du territoire de Saint-Laurent, a pu emprunter son nom à la borne qui devait le limiter de ce côté.
IV
ÉPOQUE GALLO-ROMAINE.
Les Grecs de Marseille avaient demandé le secours des Romains contre les Ligures et les Saliens. L'expédition du consul P. Opimius (143 avant J.-C), les victoires de M. Fulvius Flaccus (125) et de Sextius Calvinus (124) soumirent aux Romains à peu près tout le territoire qui devait former la Provence. La Gaule méridionale, fut encore vaincue sur les bords de l'Isère et de la Sorgue (I2I) et dut accepter le joug que lui imposa le proconsul Cn. Domitius Ahenobarbus. Dès lors le territoire de St-Laurent-desArbres fit partie, comme la ville d'Avignon, de la province romaine, appelée plus tard la Gaule Narbonnaise.
Avec la conquête s'ouvrit pour le Midi une ère de prospérité auparavant inconnue, et la civilisation pénétra jusque dans les campagnes. Aussi voyons-nous plusieurs centres de population exister, dès le commencement de l'ère chrétienne, sur le territoire actuel de St-Laurent-desArbres.
Le plateau qui domine la campagne de St-Maurice était, à cette époque, consacré à Jupiter, et aujourd'hui encore,- il porte le nom du premier dieu de l'Olympe. Le versant méridional de ce plateau, les quartiers actuels de la Siroque, du Sauvage, de Gissac, du Thez ou des Liquières étaient certainement habités et servaient d'emplacement, - sinon à un oppidum, an moins à plusieurs villae. L'heureuse exposition de ces collines, suffisamment abritées contre la violence du Circius, la fertilité du sol, l'abondance des eaux, la beauté du paysage, tout les désignait au choix des riches patriciens comme lieux de plaisance
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ou métairies d'excellent rapport. L'existence d'habitations romaines dans ces quartiers nous est attestée par les nombreuses, antiquités qu'on y a découvertes dans un rayon relativement étendu : monnaies, briques tumulaires, débris de dolium, ustensiles domestiques, substructions, etc. Signalons d'une manière spéciale les trouvailles les plus importantes : au Sauvage, un tombeau gallo-romain en briques à rebords, avec une urne et une lampe; — non loin de la rivière de Gissac, des restes très considérables de construction ; — dans la campagne de Saussine, le plus grand dolium qui orne le péristyle de la Maison-Carrée, à Nîmes, magnifique vaisseau qui mesure 3 m. 10 de hauteur totale, 2 m. 75 de circonférence,près de l'ouverture; 2 m. 35, près de la base ; 4 m. 35, à 2 m. de cette base ; — à Manssan, dans plusieurs champs, au levant du chemin de Gissac, de nombreuses poteries gallo-romaines, des débris d'urnes, des briques tumulaires, des médailles, une amphore, un vase en bronze (olla ou lebes), avec deux têtes tenant lieu d'anses, un grand anneau en métal, des lampes en terre cuite (lucerna), d'une forme encore usitée dans nos campagnes . Dans une propriété du Thez ou des Liquières, au couchant du même chemin, le soc de la charrue a rencontré de très grandes substructions et a permis de découvrir plusieurs monnaies, témoins véridiques et précis qui nous apprendront la date exacte de l'occupation romaine,
C'est d'abord un moyen bronze d'Auguste, avec la tête radiée à gauche, portant sur la face la légende : DIVVS AVGVSTVS PATER, au revers un autel, dans le champ S. C, à l'exergue PROVIDENTIA. Cette monnaie a été frappée lorsque le Sénat eut officiellement conféré à Auguste les honneurs divins, après sa mort. Elle date donc du règne de Tibère. Le sigle S. C. indique qu'elle a été émise en vertu d'un sénatus-consulte.
Un grand bronze d'Antonin représente cet empereur, avec la tête laurée à droite; on y lit la légende: ANTONINVS AUG. PIVS P.P.TR.P. Ce bronze a été frappé en l'hon-
DE L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE 91
neur d'Antonin le Pieux, Auguste, père de la patrie, tribun du peuple. L'état presque fruste du revers ne laisse voir qu'une figure de femme debout, portant des attributs peu distincts; dans le champ, le sigle S. C.
Un autre grand bronze a été trouvé avec le précédent. Quoiqu'il soit très fruste sur la face et sur le revers, on peut lire sur la face le mot PIVS, ce qui permet de conjecturer qu'il date également du règne d'Antonin le Pieux (138à 161 après J.-C.) (1). Ces deux dernières médailles médailles remontent donc à l'ère des Flaviens et des Antonins, au temps appelé la «paix romaine », la «félicité romaine », moment où une sécurité absolue assura à la Gaule la plus heureuse prospérité (70-120). Mais la transformation de nos campagnes avait commencé dès le règne d'Auguste (2).
A l'époque où les possesseurs de Ces monnaies habitaient les diverses maisons de campagne du Thez et de la Siroque, un centre de population, peut-être un oppidum, relié a ces villae par une voie vicinale, occupait la colline de Mortisson. Là aussi, on a découvert un très grand nombre, d'antiques. Nous avons la preuve qu'au commencement de ce siècle et à la fin du précédent, on y a trouvé des fondations de murailles très anciennes et très solides. Au témoignage de Rivoire (3), en y remuant la terre dans l'intérêt de la culture des champs, on y avait recueilli plusieurs médailles romaines ; ce celle d'Adrien, dit-il, est la mieux
(1) Nous devons remercier M A Sagnier, ancien président de l'Académie de Vaucluse, pour les rerseigremenîs qu'il a bien voulu nous fournir au sujet de ces médailles.
(2) Voici les numéros du plan cadastral de quelques champs ou l'on a découvert de remarquables antiquités lomaines : section A de la Siroque et Fontagnac : nos 234,237,239. au levant du chemin de Gissac, au quartier de Maussan . — n° 383, au couchant du même chemin, au quartier des Liquièies ou du Thez ; — n° 616, près du chemin de Laudun, au quartier de Moitisson. — Section E du Coudolis et Caveyrac : n° 11,— n° 84, à la ferme de Saussine, quartier de Gragnon, etc.
(3) Rivoire, Sfatistique du Gard, t. II, p. 620.
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conservée. » Depuis lors, le nombre des trouvailles n'a fait qu'augmenter : briques à rebords, débris d'urnes et d'amphores, fragments céramiques de diverses natures, ustensiles domestiques en métal, monnaies, etc. D'après une tradition du pays, un grand combat se serait livré en ce lieu, dans l'antiquité; nous pensons que ce fut pendant les guerres sarrazines et le nom du quartier (en latin Mortissoni) peut rappeler, comme on le croit, le carnage des vaincus.
Une agglomération se forma aussi, à une époque reculée qu'il est impossible de préciser, sur l'emplacement actuel de St-Laurent-des-Arbres. Fut-elle tout d'abord un oppidum ou une villa, au sens classique du mot? Nous ne pouvons le savoir. Elle fut contemporaine du cimetière gallo-romain que l'on a trouvé au quartier des aires ; sa population se composait de gens pauvres, esclaves ou colons. Une église fut érigée en ce lieu, en l'honneur de StLaurent, antérieurement au Xe siècle, et dut attirer les hahitants des campagnes voisines. A l'époque carlovingienne, les chaumières groupées autour du clocher formaient le village de l'Arbre. L'édifice sacré fut vendu, avec tous les biens qui en dépendaient, à l'évêque d'Avignon.
LA SEIGNEURIE TEMPORELLE
DES ÉVÊQUES D'AVIGNON.
I
DONATION DE L'ÉGLISE DE ST-LAURENT A L'ÉVÊQUE FULCHERIUS (919).
Le monument écrit le plus ancien qui mentionne l'existence du village de St-Laurent-des-Arbres est aussi le premier titre quiconfère des droits aux évêques d'Avignon sur son territoire. Il date du commencement du Xe siècle. L'empire de Charlemagne s'était effondré ; le sud-est de la Gaule formait le royaume de la Bourgogne cisjurane. Cet État comprenait la Basse Bourgogne, la FrancheComté, le Lyonnais, la Savoie, le Dauphiné, la Provence, et sur la rive droite du Rhône, le Viyarais, l'Uzège, la partie des diocèses d'Avignon et d'Arles située dans le Languedoc. St-Laurent-des-Arbres appartenait donc à ce royaume.
Antérieurement au Xe siècle, un seigneur avait reçu de de la munificence royale ou conquis par violence les possessions de l'église de St-Laurent.Une dame Eintligarde les avait achetées, en même temps que l'église de Lirac, et les transmit à ses héritiers comme une propriété ordinaire. En 919, Laudoyn, fils de cette femme, fit donation de tous ces biens à réglise-mère d'Avignon.
2
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L'antiquité de cet acte et son importance pour l'histoire locale demandent une étude détaillée.
La charte de donation (1) commence par l'invocation de l'église-mère et socrosainte d'Avignon, construite en l'honneur de Marie, mère de Dieu, et aussi de saint JeanBaptiste, de saint Etienne, premier martyr, du porte-clefs saint Pierre, apôtre, église où a été inhumé le corps de saint Agricol, pontife de la même cité.
Le préambule qui suit nous fait connaître les motifs qui ont déterminé Laudoyn et sa femme Eiglenracla : c'est la pensée de la fragilité de la vie humaine, l'amour de-Dieu, leur vénération pour tous les saints, le désir de racheter leurs âmes et de secourir celles de Laudoyn, père du donateur, de Eintligarde, sa mère et de ses frères Bermond et Almaric. Ils instituent pour héritière l'église d'Avignon, avec le saint Porte-Clefs, dans l'espoir que la Mère de Dieu elle-même et tous les saints deviendront leurs intercesseurs auprès du Seigneur, que Dieu leur accordera par cette intercession des saints, la rémission de leurs fautes, leur donnera l'héritage qu'il a promis à ceux qui l'aiment; car le Seigneur lui-même a ordonné d'acheter les biens célestes avec les richesses terrestres.
Ce long préambule est suivi du corps même de l'acte.
Les donateurs, à dater du jour présent, cèdent à la susdite église d'Avignon, à laquelle préside l'évêque Fulcherius, cèdent aussi au clergé qui lui est confié et déclarent céder pour toujours le fisc de Lirac avec l'église de St-Pierre, et dans le village de l'Arbre, l'église de St-Laurent avec son territoire, ainsi que tous les serfs qui lui appartiennent, avec les dépendances de ce fisc et de ces églises. Cedimus...
(1) Archives départementales de Vaucluse, G, 257, Diversorum sanct. Laurentii, fol I ; Avreum vidimus id , ibid, fol. 94
Nous devons un témoignage public de notre reconnaissance à l'érudit archiviste de Vaucluse, M Duhamel, pour le précieux concours dont il nous a aidé dans nos recherches et pour la gracieuse amabilité avec laquelle il nous a communiqué les divers documents relatifs à notre sujet.
DE L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE 95
Aileracum fiscum qui fuit cum ecclesia sancti Petri et in Arboris villa ecclesiam sancti Laurentii cum terriiorio et mancipia ita cum omnibus adjacentiis eorum. — Ils cèdent tous les droits qu'avait acquis Eintligarde et qu'elle a transmis à son fils en héritage, et tout ce qui appartient aux églises de St-Pierre et de St-Laurent : le fisc de Lirac avec les limites qui le séparent de l'autre Lirac et du village de Tavel, et le territoire de St-Laurent tel qu'il est borné par le village de l'Arbre et par Lirac, comme le porte l'acte d'acquisition de Eintligarde. Tous ces biens, Laudoyn les livre à l'église d'Avignon, à l'évêque Fulcherius, et à son clergé ; il transfère tous ses droits à l'évêque, à partir du jour même de la passation de l'acte.
Le texte de cette donation nous apprend qu'il y avait deux villages du nom de Lirac. Un seul d'entre eux a subsisté jusqu'à nos jours. Quant à St-Laurent, —- il faut le remarquer, — l'acte donne aux évêques d'Avignon l'église et les biens qui en dépendent, mais il ne mentionne nullement le village et le château. Ceux-ci ne deviendront que plus tard la propriété de la mense épiscopale.
Selon l'usage, l'acte se termine par des imprécations, " Si le donateur, quelqu'un de ses proches, ou toute autre personne s'oppose à cette cession et s'efforce d'usurper ces biens, que Dieu et ses saints lui soient contraires. » En outre, des peines sont prononcées contre tout violateur de cette donation. « Que ce téméraire expie sa faute dans les fers, qu'il paie à l'église d'Avignon et à l'évêque qui la gouvernera une amende de sept livres. Qu'on repousse ses demandes. »
" Cet acte a été fait publiquement dans le comté d'Avignon et dans l'église de St-Laurent, l'an de l'Incarnation du Seigneur DCCCCXIX, indiction VI, Louis, fils du roi Boson, étant roi et empereur (régnante seu imperante).
Ce prince est celui qui est connu, dans l'histoire, sous
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le nom de Louis l'Aveugle. Après la mort de son père, l'assemblée de Valence l'avait proclamé roi de la Bourgogne cisjurane (890). Après avoir reçu la couronne d'Italie et le sceptre impérial (901), il avait été battu par Bérenger (905), et dès lors, il ne fut roi d'Italie et empereur que de nom.
Louis l'Aveugle vécut en excellents termes avec l'évêque d'Avignon, Fulcherius, le donataire de l'acte précédent. Il lui fit présent de l'église de St-Geniez de Comolas (911) et bâtit à Avignon l'église occupée actuellement par les Pénitents Blancs, et qui, en souvenir de son érection par un prince, porte le nom de Notre-Dame de la Principale. Grâce à sa générosité, l'évêque put faire reconstruire plusieurs églises ruinées par les Sarrazins, St-Agricol, StPierre et St-Didier, dans la ville d'Avignon.
A cette époque, St-Laurent-des-Arbres faisait partie du comté d'Avignon. L'acte le porte expressément: Actum Avinionense comitalu, ad ecclesiam sancti Laurentii. Ce comté s'étendait donc sur la rive droite du Rhône et embrassait les divers villages qui sont restés soumis à la juridiction spirituelle des évêques d'Avignon, jusqu'à la Révolution française. C'est un exemple de la coïncidence du comté et du diocèse, que nous avons déjà signalée. St-Laurent dut être compris dans le comté d'Avignon jusqu'au traité de Paris, qui termina la guerre des Albigeois (1229).
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II
BULLE D'ADRIEN IV (II55) ET LA SUZERAINETÉ DES ÉVÊQUES
D' AVIGNON,
A l'époque de la donation de Laudoyn, il s'opérait en Occident une évolution sociale qui allait accroître les droits des évêques d'Avignon sur St-Laurent-des-Arbres, C'est l'établissement de la féodalité.
Ce régime avait déjà pris naissance, grâce au triomphe des moeurs germaniques sur les moeurs romaines, à l'impuissance de la royauté carlovingienne et au manque absolu de sécurité qui suivit les invasions des Sarrazins, des Hongrois et des Normands. Tout guerrier qui sut défendre, contre leurs aggressions, un coin du territoire vit les hommes libres de la contrée implorer sa protection et lui jurer fidélité. Sous l'empire de ces diverses causes, la féodalité fut entièrement constituée dans le Midi de la France, vers le milieu du Xe siècle. Avant tout, elle consista dans le démembrement du pou avoir royal : l'hérédité des fiefs et des charges publiques morcela la souveraineté et la juridiction ; les fonctions civiles et politiques se transformèrent en privilèges domaniaux. Il y eut un palliatif à cet endettement de l'autorité : la recommandation et la cérémonie de l' hommage, conditions de l'investiture, établirent, parmi les maîtres du sol, une vaste hiérarchie qui unissait les vassaux et les suzerains par des engagements réciproques, et qui remontait du plus humble chevalier jusqu'au roi ou à l'empereur, sommet idéal de l'immense pyramide féodale.
Tout possesseur d'un fonds de terre, laïc ou ecclésiastique, occupa une place dans le nouveau régime ; l'évêque, ainsi que l'abbé, devint un seigneur temporel ; sa suzeraineté s'étendit parfois sur de nombreux vassaux, et, dans bien des endroits, ses services, ses richesses, sa force ou sapopularité le constituèrent héritier des comtes carlovin-
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giens. A Avignon, en particulier, l'évêque réunit entre ses mains et le pouvoir civil et le pouvoir religieux. Les comtes de Provence ou de Forcalquier semblent n'avoir exercé sur cette ville qu'une suzeraineté nominale ; quant aux vicomtes, leur autorité a été éphémère. Une partie de la ville portait le nom de cité épiscopale, et l'évêque exerçait une grande influence sur les affaires politiques. Aussi, lorsque les Avignonais proclamèrent la république, prièrent-ils l'évêque Geoffroy Gaufridus), d'en dresser les statuts et le chargèrent-ils ensuite d'obtenir de l'empereur Frédéric Barberousse la reconnaissance de leur nouvelle constitution.
La puissance de l'évêque n'était pas limitée à la cité épiscopale ; elle s'étendait à peu près à tout le comté d'Avignon. C'est ce qu'atteste une bulle d'Adrien IV (1155) (1). Cette bulle, acte de ce pouvoir souverain que les papes du moyen âge exercèrent sur le temporel, confirme les droits de Geoffroy, évêque d'Avignon, et de ses successeurs, sur les possessions et les biens que son église a acquis, selon la justice et les canons, soit par la concession des pontifes, soit par la largesse des rois et des princes, soit par l'offrande des fidèles, soit de toute autre manière conforme à l'équité, " Parmi ces possessions, dit le pontife, nous pensons qu'il faut désigner nommément le village de St-Laurent-des-Arbres, dont le seigneur doit vous faire hommage, ainsi que l'église qui est dans ce village, avec la chapelle de Notre-Dame de Thézan : Villam sancti Laurentiiad Arbores, cujus dominus tibi ominiumfaciat et ecclesiam in eadem villa cum camélia sanctae Mariae de Thezan. L'évêque, depuis 9I9, possédait la propriété directe et immédiate de l'église de St-Laurent. Mais postérieurement à la donation de Laudoyn, le village de St-Laurent et la chapelle de N.-D. de Thézan étaient devenus des fiefs mouvants de l'évêché d'Aviguon. Tous les
(1) Archives départementales de Vaucluse, G, 258, fol. 277.
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villages, la plupart des églises et des chapelles de la rive droite du Rhône qui faisaient partie de son diocèse sont recensés parmi les possessions ou les fiefs de Geoffroy. La féodalité avait conféré des droits nouveaux à l'évêque d'Avignon et avait fait de lui le suzerain de la majeure partie du Comté.
III
DES FEUDATAIRES DE L'ÉVÊQUE D'AVIGNON, SEIGNEURS DE SAINT-LAURENT-DES-ARBRES.
Quels étaient les vassaux de l'évêché d'Avignon qui lui devaient hommage pour St-Laurent-des-Arbres ?
Le territoire de ce village appartenait, au XIIe siècle, à deux puissantes familles. La partie orientale, c'est-à-dire Notre-Dame-de-Thézan et les biens qui en dépendaient, était, ainsi qu'une portion de Saint-Geniez-de-Comolas, la propriété des seigneurs de Lers et Montfrin. En 233, Pierre Sicard de Lers fit hommage pour toutes ces possessions à Bernard, évêque d'Avignon (1).
La famille de Sabran possédait les villages et les châteaux de St-Laurent et de Lirac et une partie considérable de leurs territoires. Un quartier de leurs bois communaux conserve encore, de nos jours, le nom de Sabranenque.
Cette maison portait pour armoiries : de gueule au lion d'or, supports deux lions d'or, cimier un lion naissant, avec la devise Nolite irritare leonem. Elle devint la tige des comtes de Forcalquier et des comtes d'Uzès. Ses riches possessions s'étendaient sur les deux rives du Rhône. St-Victor-la-Coste en était le chef-lieu. Le château qui s'y dressait, sur une montagne escarpée d'environ deux
(1) Archives départementales de Vaucluse, G, 257, Diversorum sancti Laurentii
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cent cinquante mètres d'élévation, dominait tous les pays d'alentour; du haut de cette forteresse inexpugnable, ces fiers barons pouvaient braver toutes les attaques. Il ne sera peut-être pas sans intérêt de connaître ces feudataires de l'évêché d'Avignon.
Guillaume de Sabran. — Le seigneur de St-Laurent, contemporain du pape Adrien IV et de l'évêque Geoffroy, portait le nom de Guillaume de Sabran. Il exerçait, à la cour des comtes de Toulouse, les importantes fonctions de connétable, fonctions qui paraissent être devenues héréditaires dans sa famille. Les comtes de Toulouse avaient dû lui inféoder cette charge pour leurs possessions du marquisat de Provence. Aussi, en II99, Guillaume et Rostaing de Sabran se qualifient-ils, dans une charte, de connétables de Toulouse, par la grâce de Dieu (I).
Rostaing de Sabran. — En 1202, Rostaing de Sabran, fils de Guillaume, fait hommage à Rostaing, évêque d'Avignon. Il s'exprime ainsi : " Moi, Rostaing de Sabran, je déclare à vous, Rostaing, évêque d'Avignon, et je reconnais que mon père et mes prédécesseurs ont eu et tenu en fief, au nom de l'église d'Avignon, et que moi-même pareillement je possède et je tiens en fief, au nom de l'église d'Avignon, le village de St-Laurent, le village de Lirac et celui de Seinnangues (2). Je reconnais que, pour ce fief, mon père et mes prédécesseurs ont fait hommage à vos prédécesseurs, et de même, que moi et "mes successeurs nous sommes tenus de faire hommage à vous et à vos successeurs, selon les termes qui suivent dans les reconnaissances de Saint-Laurent (3). »
Le seigneur, qui faisait hommage dans ces termes à l'évêque d'Avignon, figure dans divers actes comme conné(1)
conné(1) générale du Languedoc, nouvelle édition, t. VII, col I28.
(2) Probablement la ferme de Sénas, à Tralepuy, près de Roquemaure.
(3) Archives de Vaucluse, G, 257, fol. 2.
DE L ACADEMIE DE VAUCLUSE 101
table de Toulouse en 1199, 1201, 1207. Il avait épousé; en premières noces, Clémence, soeur de Guillaume, seigneur de Montpellier, et avait hypothéqué la dot de sa femme sur le château de Tresques, le village de Cavillargues, etc. (1). En secondes noces, il épousa Almodia des Baux, soeur de Guillaume, prince d'Orange. Il mourut vers 1208, laissant deux fils mineurs, Rostaing et Guillaume. Par disposition testamentaire, il avait confié leur tutelle à Guillaume des Baux, prince d'Orange, leur oncle maternel.
Tutelle de Guillaume des Baux. — Ce prince, protecteur des troubadours et poète à ses heures, sut allier l'ambition politique au culte de la Muse provençale. Il obtint, de l'empereur Frédéric II, des lettres patentes qui lui attribuaient le titre de roi d'Arles et de Vienne. Il intervint, en sa qualité de tuteur, dans divers actes qui intéressaient les enfants de Rostaing de Sabran. Ainsi, en 1209, au début de la croisade des Albigeois, le prince d'Orange fut forcé, ainsi que son frère Hugues et son neveu Raymond des Baux, de remettre entre les mains du légat, trois châteaux, Vitroles, Montmirat et Clarensans, comme gages de sa fidélité. Dans cette circonstance, il n'agit pas uniquement en son nom personnel, mais aussi comme caution de plusieurs barons de la rive droite du Rhône, en particulier des seigneurs de Laudun et de ses pupilles, les fils de Rostaing (2). Le prince d'Orange tint ses engagements et prit le parti des croisés, contre le comte de Toulouse. Les Avignonais, partisans de Raymond de St-Gilles, s'emparèrent, dans une embuscade, de Guillaume des Baux et l'écorchèrent tout vif. Le pape Honorius III exhorta les croisés à venger ce meurtre, et le roi de France, Louis VIII, vint mettre le siège devant Avignon (I226).
(1) Histoire générale du Languedoc, t. VIII, col. 460.
(2) Ibid., t. VI, p. 28I.
102 MEMOIRES
Rostaing II — Pendant ce siège, l'aîné des pupilles de Guillaume des Baux, qui portait, comme son père, le nom de Rostaing de Sabran, avait atteint sa majorité. Il vint faire hommage au roi de France et reconnaître qu'il tenait de lui le château de St-Victor, le village de Bagnols, celui de Cavillargues et toute sa terre, excepté quelques châteaux qu'il tenait des évêques d'Uzès et d'Avignon. Il s'engageait à rendre tous ses châteaux au roi, à la première réquisition (1).
Sous le règne de saint Louis, Rostaing de Sabran fut obligé de remplir cette promesse. Partisan dévoué de Raimond VII, comte de Toulouse, il avait très vraisemblablement troublé la paix sur les bords du Rhône. Afin de dissiper tous les soupçons qui planaient sur sa conduite, il se rend, le 21 octobre 1249, à St-Saturnin-sur-leRhône, aujourd'hui Pont-St-Esprit. Là, en présence du cardinal Pierre, évêque d'Albano, vice-gérant du pape dans les pays de Provence et les contrées voisines, par devant les évêques de Carpentras et de Vaison, Rostaing proteste de demeurer toujours dans la fidélité au roi. En témoignage de ses bonnes dispositions, il remet au sénéchal de Beaucaire, Oudard de Villars, son château de St-Victorla-Coste, au diocèse d'Uzès, et le prie d'en abattre les fortifications (2).
Guillaume de Sabran. — Le frère de Rostaing doit être ce Guillaume de Sabran qui envahit quelques biens de l'abbaye de Montmajour. En 1225, l'empereur Frédéric II adressa une bulle à Bertrand de Durford, évêque de Cavaillon, aux archevêques d'Arles et d'Aix et à l'évêque d'Avignon, pour les prier d'excommunier ce seigneur, pour cet acte d'injuste violence (3).
(1) Histoire générale du Languedoc, t. VIII, col. 851, 852.
(2) Ibid., t. VI, p. 8I3.
(3) Granget, Histoire du diocèse d'Avignon, t. I, p. 4II.
DE L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE Io3
IV
DE QUELQUES PRINCIPES DE DROIT CIVIL CHEZ LES SEIGNEURS DE SAINT-LAURENT.
Malgré la prédominance du droit romain dans le Midi de la France, aucun principe, aux premiers siècles de la féodalité, ne régit, d'une manière absolument uniforme, les rapports des individus et leurs intérêts privés. Chaque famille seigneuriale eut, pour ainsi dire, son droit civil. Il convient donc d'étudier les usages qui furent adoptés par les seigneurs de St-Laurent.
Du régime des successions. — L'esprit politique avait porté les grands vassaux à faire tous leurs efforts pour empêcher le morcellement du domaine féodal et assurer la prépondérance des aînés. Cependant les Sabrans ne paraissent pas avoir admis le droit de primogéniture ; leurs biens se subdivisent, comme ceux des seigneuries peu importantes. Assurément, leurs possessions de St-Laurent et de Lirac ne comptèrent jamais trente-cinq maîtres différents, comme le fief de Caderousse; mais elles durent avoir quatre ou cinq co-seigneurs de la même famille. Il .est à présumer que, chez les Sabrans, la règle générale fut le partage égal entre tous les enfants.
Minorité et tutelle. — Vers la fin du moyen âge, le suze rain était, en vertu du droit et de la coutume, investi de la tutelle du jeune seigneur. Ce principe fut parfois appliqué, dans le Midi, dès le début de la féodalité. Mais les Sabrans ne s'y sont pas toujours conformés. Nous avons vu le prince d'Orange exercer la tutelle des fils de Rostaing. Elle lui a été confiée comme à un ami sûr et puissant, par l'ordre et la volonté de leur père, de mandato et voluntate patris eorum (1),
(1) Charte du 31 juillet 1215, dans l'Histoire générale du Languedoc, t. VII, col. 560.
104 MÉMOIRES
D'autres fois, c'est la mère elle même qui est tutrice de ses propres enfants. Dans une charte de 1232, la dame Adalasie est mentionnée comme devant agir au nom de ses enfants dont elle a la tutelle, nomine liberorum suorum quorum est tutrix (I).
Lorsque les jeunes seigneurs possédaient un fief, du chef de leur mère, à la mort de celle-ci, leur père avait l'administration de leurs biens. A ce titre, il devait renouveler l'hommage. En 1275, Guillaume de Tournon s'acquitte de ce devoir à l'égard de l'évêque d'Avignon, au nom de son fils Guigue, pour tous les droits que le mineur héritait de sa mère Almodie, seigneuresse de la Terre Sabranenque, sur le château de St-Laurent, le village de Lirac et leurs territoires (2).
^Droits des femmes. — Les princesses étaient admises à la succession de leurs pères, et le régime dotal, cette institution du droit romain qui a prévalu dans le Midi, jusqu'à nos jours, réglait leurs conventions matrimoniales. Elles recevaient en dot des métairies, des châteaux, des villages, des serfs, des droits utiles ; ces apports étaient ensuite hypothéqués sur les biens de leurs maris. Tel fut l'usage dans la maison de Sabran; les divers actes que nous aurons plus tard à analyser le prouvent surabondamment.
Lorsqu'un seigneur vendait ses biens personnels, il stipulait toujours une réserve formelle en faveur des reprises dotales.
La femme conservait l'administration de ses biens paraphernaux ; quant à ses biens dotaux, elle ne pouvait en disposer qu'avec le consentement de son mari, pendant la durée du mariage.
Ainsi, en 1255, Décanesse, fille de Guillaume de Sabran,
(1) Archives départementales de Vaucluse, G, 257, fol. 3.
(2) Id., ibid., fol. 5.
DE L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE Io5
Vend ses biens personnels à l'évêque Zoen, sans être assistée de son mari ; mais celui-ci l'a autorisée, et il devra ratifier l'acte, dans les huit jours qui suivront sa rentrée dans la sénéchaussée de Beaucaire et Nîmes (1).
V
VENTE AUX EVEQUES D AVIGNON DU CHATEAU, DU VILLAGE,
DU TERRITOIRE DE SAINT-LAURENT-DES-ARBRES, PAR LES
SEIGNEURS DE SABRAN.
Soit à St-Laurent, soit à Lirac, les évêques d'Avignon ne possédaient directement que les biens acquis par la donation de 919 ; sur ces villages et sur la majeure partie de leur territoire, ils avaient de simples droits de suzeraineté. Les seigneurs de Sabran en étaient propriétaires, et à ce titre, ils devaient l'hommage à l'évêché d'Avignon. Mais ils finirent par lui en aliéner le domaine.
Des embarras financiers obligèrent les Sabrans à recourir au crédit de leur suzerain. En 1202 (2), Rostaing de Sabran avait emprunté à Rostaing, évêque d'Avignon, l'importante somme de 10.000 sous raymondins, représentant 125 marcs d'argent. Pour garantir la créance du prélat, il lui donna en gage les villages de St-Laurent et de Lirac, avec tous les droits qu'il y possédait, et lui abandonna tous les fruits qu'il pouvait recueillir de ces deux seigneuries. L'hypothèque que la mense épiscopale venait d'acquérir sur le domaine de Rostaing de Sabran devait se changer, trente ans plus tard, en droit de propriété.
(1) Aichives départementales de Vaucluse, G, 257.
(2) Id., G, 257, fol. 2; G, 264, fol. 44. —Voir à l'appendice la deuxième pièce justificative. Nous signalons ce document à l'attention des numismates ; il nous apprend la valeur du sou raymondin : il fallait trois deniers pour un sou, et quatre-vingts sous représentaient un marc d'argent : sunt (solidi raymondenses novi) ad legem trium denariorum, cujus siquidem monete LXXX solidi valent murcam argenté.
106 MÉMOIRES
1° Vente de 1232 (1). — La veille des ides d'avril (12 avril), de l'an du Seigneur 1232, Guillaume de Sabran d'Aiguèse et Rostaing de Sabran vendent à Bertrand, évêque d'Avignon, le château et le village de St-Laurent-des-Arbres, avec le plein droit de propriété, de juridiction et de seigneurie, avec toutes les dépendances de ce lieu et en général les tributs, les justices, les bans, toute juridiction, les fours et les droits de fournage, toute domination et seigneurie, les terres cultivées et les terres incultes, les landes, les bois, les pâturages, les prés, les marécages, les pâtis, toutes les chasses, les eaux et les cours d'eau, les tasques, les cartons, les censives, et en général tout ce qu'ils ont, tout ce qu'ils peuvent avoir de droits sur les hommes, les maisons, les stars, les casais, ou toute autre chose. Dans cette vente, ils ne comprennent pas les droits qu'avait sur ce lieu Guillaume de Sabran, époux de son vivant de dame Alasacie, soeur dudit Rostaing.
Ils vendent aussi à l'évêque d'Avignon le château et le village de Lirac, mais ils excluent de cette vente les possessions et les droits du monastère de St-André.
Le prix de la vente est fixé à 28.000 sous raymondins, et l'acte porte quittance.
Guillaume et Rostaing de Sabran reconnaissent que, jusqu'à ce jour, eux et leurs ancêtres ont possédé les châteaux et les villages de St-Laurent et de Lirac, au nom de l'évêque et de l'évêché d'Avignon, à titre de fief et sous la condition de fidélité et d'hommage.
Ils garantissent l'évêque contre toute éviction et s'engagent à faire ratifier la vente par les diverses princesses qui pourraient prétendre des droits sur les biens vendus, en vertu de succession, de dot, d'hypothèques, de conventions ou de donations en vue de leurs mariages.
La vente est confirmée par Eiméric de Clermont et par
(1) Archives départementales de Vaucluse, G, 257, Diversorum sancti Laurentii, fol. 3. Voir le texte de la charte aux Pièces justificatives.
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ses fils Eiméric et Ermengarius. Eiméric père cède tous les droits qu'il pourrait revendiquer sur ces mêmes biens, soit en son nom, soit au nom de sa fille, Bérengère, épouse de Rostaing, en raison de sa dot et des hypothèques de cette dot.
L'acte est passé dans l'église de St-Pons, près du monastère de St-André, en présence de nombreux témoins. Afin de garantir l'authenticité et la validité de l'acte, Guillaume de Sabran y fait apposer son sceau, Rostaing sa bulle.
C'est Guillaume de Lobiers, notaire public de l'évêque d'Avignon, qui a écrit la charte et qui l'a signée.
Cette vente ne comprenait pas toutes les possessions des Sabrans, à St-Laurent et à Lirac. Le castrum Sancti Laurentii ab arboribus qui est cédé à l'évêque d'Avignon, c'est le château principal du village, attenant à l'église paroissiale. Non loin de là, au sud-ouest, se trouvait une tour qui subsiste encore, et qui portait, au dernier siècle, le nom de tour de Ribas. Elle protégeait la demeure seigneuriale d'une autre branche de la famille de Sabran. Voici comment elle devint la propriété des évêques d'Avignon.
2° Vente de 1255 (1). — Le 29 mai (IIII° kalendas junii), de l'an du Seigneur 1255, Décanesse, épouse de Pierre Ermengaud et fille de Guillaume de Sabran, fait hommage, à Cavalier, vicaire et procurateur de Zoen, évêque d'Avignon. Elle agit selon la volonté et l'ordre de son mari absent. Après avoir déclaré qu'elle possède ses biens de St-Laurent et de Lirac, comme fiefs de l'évêque, elle les lui vend en totalité, savoir: un star et une tour, situés dans le village de StLaurent, — une ferme (mansum), à côté du village, à laquelle sont attachés dix-neuf hommes, — deux salmées de froment que lui doit la communauté de Lirac (duas saumatas annonae apud Alliracum quas serviunt communiter homines de Alliraco), — le bois de Puy-Forsat, — une terre, près de la rivière de Nizon, — une autre près du chemin
(1) Archives départementales de Vaucluse, G, 257, fol. 5.
108 MEMOIRES
d'Avignon, — le quart de la petite tasque, — en un mot tout ce qu'elle possède. Le prix est fixé à 60 livres tournois.
Il existait encore d'autres héritiers des Sabrans. Vassaux de l'évêché d'Avignon, comme les autres seigneurs de leur famille, ils avaient néanmoins conservé la propriété de leurs biens patrimoniaux. Dans leurs domaines, était comprise une portion du territoire de St-Laurent et de Lirac, appelée dans les chartes Terre Sabranenque. Nous pouvons trèsprobablement l'identifier avec les bois communaux de StLaurent et de Lirac, connus dans le cadastre sous le nom de Plaine de Sabran ou Sabranenque.
Cette Terre Sabranenque, vers le milieu du XIIIe siècle, avait pour seigneuresse Almodie, épouse de Guillaume, seigneur de Tournon, et c'est principalement pour ce domaine que celui-ci, comme administrateur des biens de son fils Guigue, fit hommage à Robert, évêque d'Avignon
(1275)(1).
3° Vente de 1323. Au commencement du XIVe siècle, nous trouvons encore un héritier des anciens seigneurs de St-Laurent, c'est un autre Rostaing de Sabran. En 1322 (7 juillet), il marie sa fille Bérengère à Pons de Montlaur, seigneur d'Aubenas, et lui constitue en dot, entre autres choses, trois parties par indivis de sa terre de St-Laurent-des-Arbres, avec toute la juridiction, les rentes, les revenus, les fiefs et arrière-fiefs qui en dépendent, tout ce qu'il possédait à Lirac et enfin la terre et la baronnie Sabranenque. Le contrat de mariage donne permission aux époux de faire la vente de ces biens quand et à qui bon leur semblera (2).
Les jeunes époux ne tardèrent pas à user de la faculté qui leur était accordée. L'année qui suivit leur mariage, ils vendirent leurs droits à Gasbert Duval, évêque de Mar(1) Archives départementales de Vaucluse, G, 257, fol 5, (2) Id., ibid., fol. 8.
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seille, vicaire-général de l'évêché d'Avignon, pour le spirituel et le temporel, sous le pontificat du pape Jean XXII.
La vente fut faite par Bertrand, procureur de Guido et de Pons de Montlaur, le père et le fils, et de Bérengère de Sabran. Ceux-ci cédèrent à l'évêque d'Avignon leurs trois parts indivises de St-Laurent-des-Arbres avec leurs revenus et dépendances, fours, moulins, etc., et leurs biens de Lirac. Le prix de la vente fut fixé à 4.500 deniers, à l'agneau d'or (1).
Ces diverses ventes avaient-elles fait passer entre les mains de l'évêque tout le territoire de St-Laurent et de Lirac? Ce serait une erreur de le croire. Le monastère de St-André était co-seigneur de Lirac avec l'évêque d'Avignon, et les seigneurs de Lers avaient des propriétés à St-Laurent et dans les environs de N.-D, de Thézan. Le roi de France lui même possédait, à la fin du XIIIe siècle, une seigneurie à St-Laurent-des-Arbres; il avait le droit de juridiction et de banalité sur la ferme de Gensac (mansum de Gensaco). Un bois dépendant de cette ferme payait au roi deux deniers de redevance. Le mansum n'avait point de feux, mais seulement quelques casais. Ces faits furent attestés au commissaire royal de Philippe V, en 1321, par des habitants de St-Laurent. Philippe-le-Bel, à la suite de divers échanges, avait cédé ses droits sur Gensacum à Raimond Gaucelme, seigneur d'une partie d'Uzès (2).
VI
DU CHATEAU FÉODAL (3).
Le château (castrum) vendu aux évêques d'Avignon, par la famille de Sabran, n'a pas entièrement disparu. Il confinait à l'église paroissiale qui, avec ses tours et ses
(1) Archives de Vaucluse, G, 257, fol. 9,
(2) Ménard, Histoire de la ville de Nîmes, t. VII, preuves, p. 732
(3) Voir la gravure qui accompagne notre travail.
3
110 MÉMOIRES
murailles épaisses, couronnées de créneaux, formait une véritable citadelle; il l'englobait très probablement dans son enceinte et avait assez d'étendue pour donner asile à toute la population, en cas de danger. Il était dominé par une sorte de donjon féodal, une tour quadrangulaire, qui subsiste encore aujourd'hui.
L'antiquité de cette tour et sa belle architecture lui ont mérité l'honneur d'être classée parmi les monuments historiques, en vertu d'un arrêté du Ministre des BeauxArts en date du 28 mars 1892.
En examinant cet édifice, il est facile d'y reconnaître deux constructions d'époques différentes. La partie inférieure jusqu'au premier étage est du roman ; elle est d'un appareil très soigné. Les étages qui s'élèvent au-dessus appartiennent au style gothique ; l'architecture des ouvertures l'indique très nettement ; tandis que les inférieures sont en plein cintre, les autres sont en arc brisé. Des monuments écrits, aujourd'hui disparus (1), s'unissaient aux caractères archéologiques pour fixer la date de cette partie de la tour au commencement du XIVe siècle. C'est à l'évêque d'Avignon, Jacques d'Euse, plus tard pape, sous le nom de Jean XXII, ce protecteur si éclairé des arts, que le châteaufort de St-Laurent-des-Arbres. doit sa restauration. Ce pontife, comme s'il eût prévu les guerres et les troubles qui allaient ensanglanter son siècle, releva de leurs ruines les autres châteaux des fiefs temporels de l'évêché d'Avignon : celui de Noves, en Provence, ceux de Bédarrides et de Châteaueuf, dans le Comtat, et celui de Saze, en Languedoc (2).
La tour de St-Laurent est couronnée à l'angle N.-E. par une échauguette qui dominait tout le château, le village et
(1) Il existe aux Archives départementales de Vaucluse, série G, un inventaire qui mentionne les comptes de reconstruction du château de St-Laurent sous Jacques d'Euse.
(2) Duhamel, Le Tombeau de Jean XXII, à Avignon, p. a.
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permettait au guetteur d'apercevoir l'ennemi de fort loin. Les trois autres angles se terminent par une tourelle demicylindrique. Ces tourelles et l'échauguette sont reliées entre elles par des murs crénelés, saillant sur une ligne d'arcatures gothiques.
A la naissance du second étage, une ligne de corbeaux supportait d'autres arcatures de même style, sur lesquelles s'élevait une galerie à machicoulis, couronnée de créneaux et percée de quelques regards. Au dessus des corbeaux, le mur de la tour était en retrait et formait un chemin de ronde, abrité par le parapet des machicoulis. Par l'espace laissé vide entre les corbeaux, le soldat pouvait voir le pied de la tour et lancer des projectiles sur les assiégeants.
La galerie à machicoulis entourait les quatre murs latéraux jusque sous l'échauguette. Elle subsiste encore, en bon état, sur la façade septentrionale ; sur les autres côtés, il reste seulement les corbeaux.
Autour de l'échauguette, règne une seconde galerie à machicoulis, dont les arcatures gothiques sont supportées par des pilastres, reposant eux-mêmes sur des corbeaux, de niveau avec ceux de l'autre galerie.
L'intérieur de la tour était partagé en trois étages par trois voûtes. Les deux voûtes supérieures ont été détruites par le temps, mais l'inférieure est restée intacte.
Non loin du donjon féodal que nous venons de décrire, s'élève la Tour de Ribas, aujourd'hui propriété de la commune, celle, pensons-nous, qui fut vendue à l'évêque Zoen, en 1255. Elle est tout entière de l'époque romane et paraît contemporaine de la partie inférieure de la tour principale. Elle ne porte aucune trace de construction plus récente, sauf à la réparation d'une brèche, faite au mur septentrional. Un mâchicoulis, situé au-dessus de la porte, en protégeait l'entrée.
112 MÉMOIRES
VII
ETAT DES PERSONNES.
Autour du château féodal se groupait la population agricole. Quelle fut sa condition au moyen âge ? De quelle liberté et de quels droits jouissait-elle ? L'analyse de diverses chartes, faite à la clarté de l'histoire générale, nous fournira une réponse à ces questions.
D'un mot, le diplôme de 919 (1) nous fait connaître l'état des habitants de St-Laurent et de Lirac : il les appelle mancipia. C'étaient des serfs attachés à la glèbe : condition intermédiaire entre l'esclavage antique et la liberté moderne. L'esclave appartenait à l'homme, le serf appartenait à la terre. L'esclave, était la chose de son maître, qui pouvait le vendre ou en disposer à son gré; le serf, lié au fonds qu'il cultivait, ne pouvait être vendu qu'avec lui, et son seigneur n'avait pas le droit de le transférer d'un domaine à un autre ; la chaumière qui l'abritait et le champ qui le nourrissait constituaient pour lui un usufruit perpétuel. L'esclave antique, véritable bête de somme, pouvait être roué de coups et accablé de travail; son service était absolument arbitraire. Celui du serf consista en redevances fixes et en corvées déterminées. Progrès bien plus sérieux encore, le serf a le plein droit de fonder et d'élever une famille, sur un sol qu'il ne quittera jamais ; il peut contracter mariage, et l'Eglise proclame les liens qui en résultent indissolubles. Avec les siens, il habite une case ou une cabane séparée; il a un nom, une existence civile et religieuse, ses enfants reçoivent le même baptême que le fils du seigneur; au pied des autels, il s'agenouille à côté de
(1) Archives départ, de Vaucluse, G, 257, fol. 1. Voir aux Pièces justificatives.
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son fier baron et il apprend, de la bouche du prêtre, l'égalité de tous les hommes devant Dieu et leur fraternité en J.-C. Aussi la coutume féodale, se pénétrant de l'esprit chrétien, lui confère des droits, impose à son égard des devoirs au châtelain et fixe leurs relations réciproques. L'un est le propriétaire ; l'autre, le tenancier; l'un, le soldat qui repousse l'envahisseur et assure la sécurité publique; l'autre, le cultivateur qui arrache à la terre la nourriture de sa famille et de son maître. La solidarité la plus étroite les unit tous les deux : d'où, pour le seigneur, à l'origine, droits de mainmorte, de poursuite et de formariage ; pour le, serf, droit de jouissance sur le champ dont il dépend. Grâce à ce régime, le manoir féodal voit se développer, sous son ombre tutélaire, avec l'esprit de famille, la propriété roturière. A chaque génération, les droits du paysan sur la terre qu'il fertilise par son travail acquièrent une plus grande extension et un nouveau degré de fixité.
Le servage, ainsi amendé, subsistera encore au XIIIe siècle. Lorsque, en 1232, Rostaing et Guillaume de Sabran vendent à l'évêque d'Avignon leurs possessions de St-Laurent et de Lirac, l'acte notarié comprend formellement les hommes de ce dernier village dans cette cession. De même, en 1255, Décanesse vend à l'évêque Zoen le tellement de Guillaume de Sabran avec les hommes qui s'y trouvent et dont la charte énumère les noms, hommes, par conséquent, encore attachés à la glèbe et qui passent, avec elle, sous la domination de la mense épiscopale.
Mais, à cette époque, un grand nombre de manants s'étaient élevés de la condition du servage à l'état de tenanciers libres. Affranchis des obligations qui pesaient sur les autres paysans, indépendants au point de vue civil, ils avaient la pleine et entière disposition de leurs biens. Ils cultivaient la terre féodale, comme fermiers ou métayers, le plus souvent à titre de censitaires. Ces derniers furent d'abord, comme les emphythéotes du droit romain,
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des preneurs à long terme ; mais plus tard leur bail finit par devenir perpétuel,
A mesure que le temps amenait un évolution dans lés droits de tenanciers et faisait de la censive, moyennant une redevance annuelle, la propriété du paysan, d'autres transformations amélioraient la condition des classes agricoles. De bonne heure, les habitants d'un même village formèrent entre eux une véritable association, eurent des intérêts communs et des biens collectifs (1). Les seigneurs leur abandonnaient, sous certaines charges, la jouissance des bois et des forêts. La communauté de Lirac avait obtenu la concession de la Sabranenque.
Outre le domaine utile d'une partie de la terre féodale, les paysans obtinrent plus tard des avantages et des droits politiques. Vers la fin du XIVe siècle, nous voyons, en effet, les communautés de St-Laurent-des-Arbres et de Lirac en possession des institutions consulaires. Pouvoir s'administrer elles-mêmes et gérer leurs propres affaires, c'était assurément, pour les populations rurales, une liberté fort précieuse ; mais elle ne doit pas nous faire oublier les lourdes charges qui pesaient sur le cultivateur et les droits considérables dont jouissait le possesseur du fief.
VIII
DROITS SEIGNEURIAUX.
La propriété féodale, entière et héréditaire comme la propriété actuelle, s'en distinguait ordinairement par deux
(1) Dans la vente de 1255, il est dit que les hommes de Lirac doivent servir en commun (communiter) deux salmées de blé. — D'après une reconnaissance de 1323, la communauté du même village jouissait de la montagne de la Sabranenque ; mais, en retour, chaque laboureur, homme ou femme, devait payer un cens d'un setier d'orge et chaque brassier (brasserius) une émine d'orge. Cette redevance devait être portée, le jour de la fête de saint Michel, à la maison du baile de l'évêque, à Lirac. En outre, la neuvième partie des fruits qui provenaient de cette montagne appartenait à la mense. (Archives de Vaucluse, G, 217, fol. 11.)
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caractères ; elle imposait au seigneur des obligations de vassalité à l'égard du suzerain et lui conférait, sur son propre domaine, certaines attributions du pouvoir public (1).
Comme celle de l'État, elle pouvait comprendre la lande, la rivière et la forêt. Aussi, les Sabrans comptaient-ils, parmi leurs possessions, les montagnes, les terres incultes ou vacantes, les cours d'eau, etc. Mieux encore, ils jouissaient de certains droits, apanage habituel de l'autorité suprême; la charte de vente de 1232 les mentionne sous les noms de jurisdictionem et dominationem. En vertu de ces droits, ils avaient le privilège de rendre la justice (justitias), de frapper les délinquants d'une amende (firmantias) enfin d'édicter des règlements obligatoires pour leurs sujets (bannum et bannarium). Le ban était un commandement du pouvoir exécutif ou administratif qui avait force de loi dans toute l'étendue du territoire appelé banlieue. Tantôt ces sortes d'arrêtés concernaient la police des travaux des champs, et le seigneur proclamait le ban des vendanges ou des moissons. Tantôt ils prescrivaient l'usage obligatoire de certains établissements, comme le four, le moulin ou le pressoir. Les seigneurs de St-Laurent jouissaient, en particulier, de la banalité du four : furnum et furnos et furnagium.
Tous ces droits, les Sabrans les vendirent aux évêques d'Avignon avec ceux qui découlaient uniquement de leur titre de propriétaires. C'est la tasque (tasca), le quart (carto ou quarto), et le cens (census).
Le cens, c'était la redevance perpétuelle, exigée par le seigneur, pour la rente du fonds dont il abandonnait au tenancier le domaine utile, en se réservant le domaine direct. Elle se payait en argent ou en nature:
La tasque, qui, dans d'autres provinces, s'appelait ter(1)
ter(1) Origines de la France contemporaine, ancien régime, liv. Ier, chap. I et II.
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rage, champart ou agrier, consistait en une portion déterminée des fruits de la terre.
Le tribut, prélevé sur les produits du sol, pouvait, dans certains cas, atteindre le quart de la récolte ; il portait alors le nom de quarto, nom qu'il conserva plus tard, même quand le taux en devint moins onéreux,
Il nous est impossible de connaître le montant de ces diverses redevances, avant le XVe siècle. A cette époque (1428), le rapport entre les rentes féodales et le produit de la terre n'offrait rien d'uniforme.
Plusieurs terres de Saint-Laurent étaient encore assujetties au quart, soit seulement pour les grains portés à l'aire (1), soit pour tous les fruits indistinctement (2). Un champ devait alors le cinquième (3), d'autres le neuvième (4); ailleurs, le bail était renouvelé sous la cense d'une émine et demie d'orge (5). Ordinairement, semble-t-il, le droit payé par le tenancier ne dépassait pas le neuvième ; il se prélevait sur les vignes et les oliviers, aussi bien que sur les céréales.
Ne pouvant suivre pas à pas l'exercice des droits seigneuriaux de la mense épiscopale, contentons-nous de signaler quelques jalons sur cette longue route qui va du moyen âge à la Révolution française.
Au XVIe siècle (1540 et 1542), voici, d'après l'aveu et le dénombrement d'Alexandre Farnèse, cardinal et vice-chancelier de l'Église romaine, archevêque d'Avignon, quels étaient les biens et les droits dont la mense archiépiscopale jouissait à St-Laurent-des-Arbres :
1° Une maison et château, vieux et ancien, avec haute, moyenne et basse juridiction, et ne donnant aucun revenu.
2° Une vigne contenant huit journées d'homme ou envi(1)
envi(1) de Vaucluse, G, 261, fol. 83, 308.
(2) Id., ibid., fol. 292.
(3) Id., ibid , fol. 292
(4) Id., ibid.., fol.298, 301, 302, etc.
(5) Id, ibid., fol. 307.
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ron, où sont plantés certains arbres fruitiers, posée et assise au terroir dudit lieu, près de la porte de la Croix, appelée la vigne du château, en laquelle Monseigneur prend chaque année, l'une comportant l'autre, la somme de trois livres 31.
3° Un four bannier auquel tous les habitants dudit lieu sont tenus cuire le pain et provisions et lui vaut et revient, pour arrentement, chaque année, la somme de trente livres 301.
4° Plusieurs maisons, terres et possessions, qu'il serait prolixe d'énumérer et dont voici la valeur :
a) en argent, chaque année, quatre livres , onze sols 4 l. 11 s.
b) en blé, dit annone, quatre charges et demie, qui valent communément, chaque année, neuf livres .... 91.
c) en cens et service perpétuel, dix-sept saumées d'orge, ce qui donne à vingt sols la charge, dix-sept livres. 171.
d) douze chapons et demi et la cinquième partie d'un chapon ; chaque chapon vaut communément quatre sols ; le tout monte à deux livres, onze sols, soit. ... 2 l. 11 s.
e) chaque année, en cens et service annuel, six poulets et trois quartiers d'une poulaille ; chaque poulaille vaut deux sols ; ce qui monte à treize sols, six deniers, soit 13 s. 6d.
Les revenus de l'archevêque s'élevaient donc, pour sa seigneurie de St-Laurent-des-Arbres, au total de soixantesix livres, quinze sols et six deniers (66 l. 15 s. 6 d.) (1).
Dans des aveux et dénombrements subséquents, les archevêques d'Avignon énumèrent des droits qui ne figurent pas dans l'acte précédent. Ils revendiquent la maison claustrale où habite le vicaire, le droit de pêche et de chasse, les frontières, les ruisseaux, et enfin le droit de censive ou lods, en cas de mutation, sur certains biens. Ces préten(1)
préten(1) et dénombrement d'Alexandre Farnèse. Archives de Vaucluse, G, 258, fol 233.
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tions, où se trahit l'esprit chicaneur et processif de l'ancien régime, nous révèlent le conflit perpétuel qui régna, pendant plusieurs siècles, entre l'esprit féodal et l'esprit des temps nouveaux, entre l'ancienne conception de la propriété et la conception moderne. Le seigneur semblait se cramponner au domaine direct de sa terre, qui allait lui échapper ; il était porté à élargir ses droits plutôt qu'à les restreindre. D'un autre côté, tous les efforts du paysan tendaient à joindre au domaine utile le domaine direct du sol, et à se libérer entièrement des anciennes redevances féodales. Cette lutte, où l'habitant des campagnes fut bien souvent soutenu par les parlements et la monarchie, aboutit à l'affranchissement de la terre. Fait trop peu connu et trop peu étudié de notre histoire nationale, qui s'est produit à des époques diverses, selon les pays, mais que nous devons enregistrer, pour St-Laurent-des-Arbres, un siècle environ avant la Révolution française.
En effet, aux réclamations de l'archevêque d'Avignon, la communauté de St-Laurent opposait des raisons qui n'étaient pas dépourvues de valeur juridique. Depuis 1526 et 1534, affirmait-elle, elle n'avait payé aux archevêques aucun droit de lods, tasques et censives ; elle a, au contraire, acheté au roi le droit d'amortissement et de francfief pour toutes ses maisons et tout son terroir; elle possède tous ses biens en franc-alleu roturier. D'après plusieurs actes, notamment de 1570 et 1671, les consuls baillent en inféodation aux particuliers les pâtis et vaquants, en seigneurs directs. Mais les actes ont été brûlés pendant les guerres de religion.
Pour mettre un terme à cette contestation, une transaction survint en 1694, entre l'archevêque et la communauté.
L'archevêque se départit pour toujours de tous les droits qui pourraient compéter à la mense pour directité, droits de lods, censives et tasques ; il consent que la communauté, ses manants et habitants pacifiques jouissent de
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leurs maisons et propriétés, libres, comme ils en ont joui ci-devant.
En considération de ce désistement, le maire perpétuel, les consuls et les autres députés de St-Laurent consentent, au nom de la communauté, que les archevêques jouissent du four banal, et s'engagent à leur payer annuellement et perpétuellement la somme de huit livres, monnaie du roi, à chaque premier jour du mois de janvier. Cette somme doit s'ajouter à celle de quarante-deux livres que la communauté paye annuellement à l'archevêque pour l'abonnement du petit dixme (1).
Cette transaction, si avantageuse à St-Laurent-des-Arbres, contenait malheureusement une clause qui donna lieu à de nouvelles contestations. L'archevêque n'entendait porter aucun préjudice, par cet acte, ni directement, ni indirectement, aux autres droits seigneuriaux qu'il avait dans ce lieu et ce terroir. Il transigeait seulement pour les choses expressément désignées.
Pour mettre fin à toutes difficultés, un nouvel accord dut intervenir, en 1734, entre l'archevêque et la communauté. Celle-ci racheta tous les droits seigneuriaux de la mense, moyennant la redevance annuelle de trois cent onze livres (2).
Avec ces cent écus de rente, l'archevêque d'Avignon, au siècle dernier, possédait encore, comme seigneur temporel à St-Laurent, l'ancien château, le four banal et une aire, sise aux Coudouillères (3), faibles débris des droits utiles si étendus et des biens fonciers si considérables cédés à la mense épiscopale par Laudoyn et la famille de Sabran. Mais, en revanche, comme comme l'a dit A. de Tocqueville, « le paysan n'avait pas seulement cessé d'être serf, il était devenu propriétaire foncier » (4).
(1) Archives de Vaucluse, G, 263 ; Archives du Gard, C, année 1604.
(2) Archives du Gard, ibid, 1257.
(3) Id , ibid, compoix de 1786
(4) Alexis de Tocqueville, L' ancien Régime et la Révolution ,\ II, ch. 1.
120 MEMOIRES
IX
ADMINISTRATION FEODALE.
L'ensemble des droits qui appartenaient à l'évêque d'Avignon, sur son fief temporel de St-Laurent-des-Arbres, fut délégué à l'origine à un officier appelé baile ou bajulus. Cette fonction était remplie, en 1233, par un ecclésiastique, Guillaume de St-Jean, prieur de Mezoargues (1); en 1255, c'est un laïque, P. de Rial, qui en est investi (2).
Dans le principe, le baile fut à la fois l'administrateur des biens féodaux et le représentant de l'autorité seigneuriale.
Comme administrateur, il donnait les terres à cens, les inféodait, percevait les redevances des tenanciers. C'est à sa maison que le paysan portait ordinairement la portion des fruits due à l'évêque (3). Il veillait au renouvellement des reconnaissances ; mais le seigneur nommait le notaire qui devait rédiger ces actes (4).
Représentant de l'autorité du seigneur, il faisait les règlements que nécessitait la défense du lieu, était chargé du bon ordre et de la police et exerçait des fonctions judiciaires.
Mais parfois il exerçait son pouvoir avec trop de rudesse et imposait aux paysans un joug trop lourd et trop incommode. En 1352, les habitants de St-Laurent, unis à ceux de St-Geniez-de-Comolas, portent plainte au sénéchal de Nîmes de ce que le baile et ses sergents usaient mal de leurs offices (5).
(1) Hommage de Sicard de Lers Archives de Vaucluse, G, 257. (2) Hommage et vente de Décanesse. Id., ibid
(3) Reconnaissance de la communauté de Lirac (1323). Id , ibid., fol 11.
(4) Ordonnance de Bordini, archevêque d'Avignon, nommant Jean Bonnet, notaire de St-Laurent, pour le renouvellement des reconnaissances (1599) Id., G, 258.
(5) Id., G, 257, fol. 15.
DE L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE 121
Un demi-siècle plus tard (1402), le mécontentement est bien plus vif encore. Le pays, ravagé fréquemment par les routiers, grevé d'impôts, appauvri par les exactions des gouverneurs du Languedoc, soupire après la prospérité et l'indépendance et se laisse agiter par le souffle démocratique qui passe alors sur la France entière. Les institutions consulaires, dont elle jouit, ne suffisent pas à la communauté; elle désire être absolument maîtresse chez elle. Or le signe de l'autonomie, n'est-ce pas la possession des clefs ? Le privilège de garder elle-même les clefs du village ne lui appartient pas encore. Elle charge donc deux habitants de les enlever à ceux qui les détiennent au nom de l'évêque. Les deux paysans choisis par la communauté remplirent le mandat qu'elle leur avait confié. Mais, traduits pour ce fait devant l'évêque et devant son baile, ils furent condamnés à restituer les clefs et à demander pardon (1).
Cet avortement d'une petite révolution communale, dans un village, au début du XVe siècle, méritait d'être signalé. Cette affaire, comme la précédente, nous montre qu'il ne régnait pas toujours un accord parfait entre l'autorité seigneuriale et ses sujets. C'est peut-être une des causes qui amenèrent les évêques d'Avignon à restreindre les fonctions de leur baile.
Vers la même époque, en effet, nous voyons apparaître un autre officier féodal, le clavaire, collecteur des diverses redevances (2). Mais, à partir du XVIIe siècle, un autre système prévalut dans l'administration des biens de la mense, le système de l'arrentement. Au lieu de nommer et d'appointer un percepteur de ses revenus, l'archevêque traite de gré à gré avec un ou plusieurs particuliers ; ceux-ci deviennent fermiers ou adjudicataires de toutes les rentes
(1) Archives de Vaucluse. G, 253, fol. 32.
(2) En 1406, c'est Jean Gasanhe ; en 1428, Barthélemy Astier qui exercent les fonctions de clavaire. Id., G, 260, fol. 350 ; G, 261.
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féodales ; ils les prélèvent pour leur propre compte et à leurs frais, à la condition de fournir à l'archevêque une somme convenue (1). Avantage pour le prélat, qui est assuré d'une somme fixe, mais source possible d'exactions au détriment du paysan.
Quoi qu'il en soit, la nomination du clavaire et la pratique de l'arrentement avaient réduit l'importance du baile. Un démembrement de son autorité, bien plus sérieuse encore, fut opérée par la création des juges ordinaires.
X
LA JUSTICE SEIGNEURIALE.
Les Sabrans, nous l'avons vu, possédaient le droit de justice dans leur fief de St-Laurent et de Lirac et transmirent ce droit aux évêques d'Avignon. L'office de juge dut sans doute, à l'origine, être rempli par le baile. C'est devant lui et devant l'évêque, que comparaissent, en 1402, les auteurs de l'enlèvement des clefs du village.
Mais les seigneurs temporels de St-Laurent ne tardèrent pas à organiser une cour judiciaire et à créer la charge de viguier. Cette fonction existait, dès 1540 (2), et des lettresroyaux de 1679, nous apprennent que les archevêques d'Avignon étaient dans une possession immémoriale d'avoir un viguier à St-Laurent.
Lieutenant de l'autorité du seigneur et chef de sa justice, le viguier était le premier magistrat de son ressort judiciaire et jouissait de la prééminence sur le baile et les officiers municipaux. Il présidait les conseils politiques et généraux de la communauté, recevait les serments des nouveaux consuls, les installait dans leurs charges et tranchait les difficultés qui pouvaient naître des élections.
(1) Archives de Vaucluse, G, 263, 264, 275, etc., passim.
(2) Aveu et dénombrement d'Alexandre Farnèse, loc. cit.
(3) Archives de Vaucluse, G, 255.
DE L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE 123
Il siégeait le' plus souvent aux audiences de la cour ; mais, en son absence, il était suppléé par un autre juge qui s'appelait son lieutenant.
Le ministère public était confié à un procureur fiscal ou juridictionnel. Cet officier avait pour mission de défendre les intérêts du seigneur, de poursuivre la condamnation des crimes et des délits dans son ressort, de représenter, devant le tribunal, le roi, les ecclésiastiques, les communautés et les mineurs dépourvus de tuteur. Dans les affaires où il n'était pas partie, il pouvait remplacer le juge.
Un greffier assistait aux audiences, rédigeait un compterendu sommaire des débats et écrivait les minutes des sentences. Il ne recevait pas de gages, mais était payé par les frais de la procédure.
Devant la cour ordinaire, les parties pouvaient ellesmêmes exposer leur affaire et faire valoir leurs droits ; mais, dans les causes un peu importantes, elles prenaient un procureur ou un avocat.
D'après les ordonnances de Blois (1499) et d'Orléans (1561), les seigneurs étaient obligés de choisir, parmi les gradués, leurs juges, leurs lieutenants et leurs procureurs fiscaux. Les archevêques d'Avignon se sont soumis habituellement à ces prescriptions. Princes spirituels et indépendants de la couronne, ils exerçaient, par une étrange anomalie de l'ancien régime, le droit de justice sur la terre de France ; c'était pour eux un impérieux devoir de se soumettre, dans la jouissance de ce privilège, aux lois du royaume.
Le ressort de la cour ordinaire de St-Laurent avait peu d'étendue ; il comprenait seulement le territoire de StLaurent-des-Arbres, de St-Geniez-de-Comolas et les Terres Sabranenques de Lirac. Mais les juges jouissaient d'attributions assez importantes, et leur compétence était supérieure à celle des juges de paix actuels. Ils représentaient un seigneur qui possédait dans son fief haute, moyenne et basse justice.
124 MEMOIRES
Leur droit de basse justice consistait à connaître des causes civiles jusqu'à trois livres, et des délits légers dont l'amende n'excédait pas dix sols parisis.
Toutes les matières civiles, sans distinction, et les causes criminelles dont l'amende ne dépassait pas trois livres pouvaient être portées à leur tribunal de moyens justiciers.
Enfin, officiers d'un seigneur haut justicier, ils pouvaient connaître de toutes les causes civiles, réelles, personnelles et mixtes, de toutes les matières criminelles qui n'étaient pas comprises parmi les cas royaux. Leur droit allait jusqu'à pouvoir condamner à la mort naturelle et civile et aux autres peines afflictives et infamantes. Mais le roi avait limité, de bonne heure, les attributions des juges féodaux et soustrait à leur juridiction tous les crimes commis contre la majesté des princes et la dignité des officiers royaux, ou encore de nature à compromettre la sûreté publique (1). En outre, il avait donné à ses tribunaux le pouvoir de recevoir les appels. Les sentences de la cour ordinaire de St-Laurent n'étaient donc rendues qu'en premier ressort, et le justiciable pouvait toujours recourir à une juridiction supérieure.
Les juges de l'archevêque d'Avignon possédaient encore une autre attribution, celle de siéger comme gruyers, c'est-à-dire de connaître de toutes les contestations au sujet des eaux et forêts et des délits qui s'y commettaient. Le droit de chasse appartenant au seigneur haut justicier, quiconque se permettait de tirer sur le gibier commettait une infraction aux lois féodales. Le délinquant, fût-il un bourgeois et un notable de l'endroit, se voyait poursuivi par le procureur juridictionnel et parfois même décrété d'ajournement personnel et de prise de corps. Le juge, érigé en gruyer, le condamnait à une amende, au profit du seigneur (2).
(1) Voir l'ordonnance de 1670.
(2) Archives communales de St-Laurent, Registres de la Cour ordinaire, 1750.
DE L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE 125
XI
LES SEIGNEURS DE SAINT-LAURENT ET LE ROI DE FRANCE.
Pour exercer leurs droits féodaux sur St-Laurent-desArbres, les évêques d'Avignon durent remplir plusieurs obligations à l'égard de leur suzerain. Leurs fiefs, situés sur la rive droite du Rhône, étaient passés, à la suite de la guerre des Albigeois, dans la mouvance de la couronne de France. Or le roi, toujours prêt à réduire le rôle et l'importance de la féodalité, exigea des évêques d'Avignon la preuve de la légitimité de leurs titres seigneuriaux. Charles V, par des lettres patentes, prescrivit au sénéchal de Beaucaire et Nîmes d'examiner quels pourraient être les droits du roi sur les fiefs de St-Laurent-des-Arbres et de St-Geniez-de-Comolas (Paris, 8 janvier 1369) (1). Une enquête est aussitôt ouverte par Amédée des Baux, et les commissaires députés à cet effet constatent que ces deux seigneuries rendaient hommage à l'évêque d'Avignon, même avant la vente faite par les Sabrans (7 avril 1370) (2).
Vérifier les droits de l'évêque ne suffisait pas au roi; il le soumit à la formalité de la foi et de l'hommage, obligation rigoureuse de tout vassal envers son suzerain. Se soustraire à l'accomplissement de ce devoir féodal, c'était s'exposer à la perte de son domaine. Tel est le fait qui se produisit, sur les terres de l'évêque d'Avignon, pendant le grand schisme d'Occident.
Clément VII (1378-94), dans le but de multiplier le nombre de ses partisans, distribuait, avec largesse, les biens ecclésiastiques. Cette générosité était plus encore une nécessité de sa situation qu'un penchant de sa nature. Par une bulle du 21 février 1393, il concéda à Martin de Lihori, chevalier de l'ordre de St-Jean de Jérusalem, en
(1) Archives de Vaucluse, G, 6, fol. 8.
(2) Id.,G, 257, fol. 13. Vidimus, G, 264, fol. 53.
4
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récompense des services qu'il avait rendus à l'Eglise, les fiefs de St Laurent-des-Arbres et de St-Geniez-de-Comolas (1). Le nouveau possesseur, investi de son domaine par un pape, ne se crut sans doute obligé à aucun devoir de vassal à l'égard de la couronne et négligea de faire hommage au roi Charles VI. La cour de France traita alors avec rigueur le favori de Clément VII : les agents royaux saisirent les deux fiefs de Martin de Lihori, confisquèrent ses revenus (30 octobre 1395) (2) et obligèrent l'imprudent chevalier à restituer ses deux seigneuries à Gilles, évêque d'Avignon (9 mai 1396) (3).
Une procédure eut lieu ensuite pour examiner si l'évêque était tenu à l'hommage. Elle dura l'année 1396 et l'année suivante. Mais, en donnant commission au sénéchal de Beaucaire et Nîmes d'informer sur les franchises de l'évêque, dans les deux fiefs précédemment confisqués, Charles VI prescrivait, par des lettres patentes du 30 octobre 1397, de faire jouir ce prélat des revenus de St-Laurent-des-Arbres et de St-Geniez-de-Comolas (4).
La confiscation de ces deux fiefs, par les ordres du roi de France, fut une leçon dont les évêques et les archevêques d'Avignon durent profiter et qui leur apprit la nécessité de reconnaître les prétentions d'un aussi puissant voisin. Si les documents nous font défaut pour le XVe siècle, ils abondent à partir du siècle suivant, et nous voyons Orland de la Rovère (1512) (5), Hippolyte de Médicis, cardinaldiacre de Ste-Praxède (1529) (6), le cardinal Alexandre Farnèse ( 1536) (7), etc , se soumettre à l'obligation de l'hommage envers le roi, pour les domaines de la mense en
(1) Archives de Vaucluse, G, 264, fol. 54.
(2) Id.. G, 257, fol. 22.
(3) Id., ibid , fol. 23, 30.
(4) Id., G, 264, fol 55, 56, etc.
(5) Id., G, 258, fol. 31; G, 264.
(6) Id, G, 257, fol. 41.
(7) Id., G, 264.
DE L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE 127
Languedoc. C'est ordinairement par procureurs que les archevêques d'Avignon remplissaient cette formalité. Des lettres patentes de Louis XIV (4 décembre 1647) dispensent expressément l'archevêque César Argelli de porter en personne l'hommage dû au roi, pour les possessions archiépiscopales situées dans la sénéchaussée de Nîmes (1).
Le vassal, après avoir rendu la foi et l'hommage à son suzerain, lui devait encore l'aveu et dénombrement. Cette obligation consistait à fournir un état détaillé des droits et des revenus attachés à son fief, ainsi que des terres et des domaines qui en dépendaient. En leur qualité de seigneurs temporels de St-Laurent-des-Arbres, les archevêques d'Avignon présentaient au roi cet acte authentique, dans les formes prescrites par les coutumes et par les lois féodales (2). Le dénombrement du vassal ne faisait foi entre les intéressés qu'après avoir reçu l'approbation du seigneur dominant: c'était là une source de fréquentes contestations. Les officiers royaux ne manquaient pas de blâmer l'aveu et dénombrement, lorsque des doutes s'élevaient sur son exactitude et sa sincérité. Instruments actifs et dévoués de la monarchie absolue, ils se plaisaient à saper toute grandeur et toute prérogative qui pouvaient porter ombrage à la couronne ; mais, contre leur intention, l'affaiblissement progressif de la féodalité, en donnant au pouvoir royal une force sans contre-poids, contribuait à préparer la chute du trône ; pour le moment, elle servait les intérêts du peuple et favorisait la libération du sol.
XII
LES ARCHEVÊQUES D'AVIGNON ET LA COMMUNAUTÉ DE SAINT-LAURENT-DES-ARBRES.
Les rapports entre les habitants de St-Laurent et leurs seigneurs temporels, malgré quelques différends au
(1) Archives de Vaucluse, G, 264, fol. 566.
(2) Id.,G, 258, 266, etc., passim.
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sujet des droits féodaux, ne manquèrent pas, dans les deux derniers siècles, d'une certaine cordialité. A une époque où régnait le privilège et où chacun s'efforçait de se soustraire aux charges publiques, l'archevêque était le médiateur habituel entre la communauté et les agents du roi, quand elle avait à solliciter une faveur (1). Les logements de troupes furent, sous l'ancien régime, tout particulièrement onéreux aux populations ; l'arbitraire trop souvent présidait au cantonnement des gens de guerre, et l'on voyait même des capitaines promettre de déloger avec leurs compagnies, moyennant une certaine somme de pistoles (2). En temps de troubles et pendant les guerres avec l'Espagne ou avec l'Italie, les villages des bords du Rhône étaient mis continuellement à contribution. La communauté envoyait des députés à l'archevêque, le priant d'intervenir en sa faveur auprès du lieutenant-général ou du maréchal de France qui commandait en Languedoc, et de lui obtenir l'exemption si vivement désirée. Le prélat usait de tout son crédit pour que les habitants de son fief fussent gratifiés au logement des troupes.
La communauté se montrait reconnaissante ; chez elle aussi, on voyait « cette habitude, » dont parle le marquis de Mirabeau, « et, pour ainsi dire, cette manie des présents « continuels que les habitants faisaient à leurs seigneurs. » Dans une circonstance, comme marque de sa gratitude, elle offre à l'archevêque 16 perdreaux, 6 chapons, 12 douzaines de cailles, 6 poules (3). Le don le plus fréquent était un tonneau de vin blanc ou un baril de clairet (4), qui rappelait aux prélats italiens de la cour d'Avignon les meilleurs crus de leur patrie.
Ajoutons, en chroniqueur impartial, que, si la commu(1)
commu(1) communales de St-Laurent, Délibérations des conseils, passim, en particulier de 1630 à 1642.
(2) Id., ibid., 22 février 1640.
(3) Id., ibid., 19 sept. 1632.
(4) Id., ibid., passim.
DE L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE 129
nauté ne montrait pas assez d'empressement pour témoigner à son seigneur sa reconnaissance, il se trouvait parfois quelque courtisan pour stimuler son zèle et lui apprendre ses devoirs.
Ses devoirs d'ailleurs, la communauté les connaissait et les remplissait avec fidélité. C'est ce qu'elle montrait plus spécialement, lors des visites pastorales des archevêques : elle rendait honneur à son seigneur temporel aussi bien qu'au prince de l'Église (1). Le prélat était attendu à la porte du village par le juge, les consuls et les principaux habitants. Le juge ou viguier le complimentait et lui témoignait la joie publique que faisait naître sa visite; les consuls présentaient, dans un bassin, les clefs des portes de la ville à l'archevêque, comme au seigneur du lieu. Sa Grandeur se rendait à l'église, marchant sous le dais porté par le juge et les consuls. Tel fut le cérémonial suivi toujours sous l'ancien régime, et à mesure que l'on approche de la Révolution française, les démonstrations de joie et de respect semblent devenir plus enthousiastes, chez la population. En 1758, Mgr Manzi reçoit une ovation inaccoutumée. Une compagnie de jeunes gens sous les armes va au devant de Sa Grandeur jusqu'aux limites de St-Laurent et de Lirac ; le cortège est formé encore d'un nombre prodigieux d'enfants, portant chacun une banderole aux armoiries de l'archevêque et criant en langue vulgaire : Vivo nostre seignour ! Mgr met pied à terre, à la porte du lieu, où il est reçu suivant les usages traditionnels. Comme il était trop tard, pour faire le soir aucune fonction, l'archevêque se rend dans la maison de M. Deleuze, qu'il avait choisie pour logement, accompagné de la bravade qui le précédait. Le lendemain la jeunesse sous les armes alla le prendre à la maison de M. Deleuze et le conduisit à la porte du village. De leur côté, les archevêques, dans leurs visites, ne se
(1) Cf. procès-verbaux des visites des archevêques, en particulier visites de Philonardi, Gonteri, Manzi.
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contentaient pas de s'acquitter du devoir de leur charge pastorale, ils agissaient aussi comme seigneurs féodaux. Ils avaient surtout à coeur de remplir les fonctions de juge et d'exercer un ministère de pacification. En 1627, Mgr Philonardi apaise les dissentiments qui existaient soit entre le viguier et la communauté, soit entre divers particuliers. De même, en 1712, Mgr Gonteri « s'occupe à met« tre la paix et l'union parmi quelques-unes de ses ouailles « qui étaient en procès et termine plusieurs différends qui « désunissaient ses sujets. »
Les archevêques se montraient aussi soucieux du bon ordre du pays que de la concorde entre ses habitants. Les cabarets, qui favorisent plus d'un vice, ne restaient point étrangers à leur sollicitude. Mgr Manzi fut satisfait de ne recevoir point de plaintes sur les chefs de ses établissements, « les exhorta à continuer et ordonna à ses officiers « de faire la visite du temps des offices de la paroisse, et « pendant la nuit, en faisant observer invariablement sur « ces articles les arrêts du parlement et les déclarations « du roi. »
Un objet qui provoquait plus encore la vigilance du pasteur et excitait l'intérêt du seigneur temporel, c'était l'instruction de la jeunesse. « On est content du maître « d'école, lisons-nous dans le procès-verbal que nous « venons de citer, Mgr lui recommanda d'être exact à faire « le catéchisme et inspirer aux enfants le respect dans les « églises, et luy donna des petits livres en forme d'instruc« tion sur le respect des églises. Il luy enjoint de ne point « recevoir les filles dans son école. » Les écoles mixtes étaient en effet contraires aux règlements de la cour de Rome.
Le même prélat s'occupa encore de ce que nous appelons aujourd'hui l'assistance publique. Il se fit rendre compte de l'emploi des fonds destinés au soin des malades et au soulagement des pauvres, prescrivit le renouvellement des titres qui établissaient des pensions au profit
DE L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE 131
des indigents et de l'hôpital, nomma enfin une commission pour surveiller la distribution des aumônes, lui faire une relation exacte sur ce sujet et lui proposer les moyens de prévenir les abus dont on se plaignait.
Tout en pourvoyant à la bonne administration du bien des pauvres, les archevêques contribuaient de leurs deniers aux oeuvres pies de la communauté. Chaque année, en vertu de la convention déjà citée de 1694, ils faisaient au pays une aumône de 30 livres. A la veille de la Révolution française, au commencement de cette année 1789 où la disette causa une si cruelle famine, le seigneur temporel n'oublia pas ses sujets. L'archevêque d'Avignon, Mgr Giovio, vint au secours des habitants de St-Laurent et leur donna une somme importante.
La communauté fut très touchée de cet acte de générosité. Le 1er juin, le Conseil étant réuni (1), M. Bonhomme, premier consul, tint ce discours :
« Son Excellence, Mgr l'archevêque d'Avignon, seigneur de cette paroisse, dont la vertu et la charité sont connues, m'a fait remettre une somme très conséquente, pour diminuer en faveur des pauvres habitants de sa terre, le prix du bled que la communauté fait vendre, au point qu'ils ne s'en ressentiront pas dans le temps de disette et de calamité de cette denrée. Interprète de vos sentiments et de ceux de tous les habitants de la communauté, j'ay assuré ce digne seigneur de la juste reconnaissance de ses fidèles vassaux ; je demande que le Conseil le remercie d'une manière authentique et plus générale.
« Sur laquelle proposition, il a été unanimement délibéré dé supplier Mgr l'archevêque de vouloir bien agréer le. témoignage public et authentique de la vive reconnaissance dont tous les habitants de cette communauté sont pénétrés et lui offrent en même temps les voeux les plus ardents que des fidèles vassaux doivent et ne cesseront de
(1) Voir la copie de cette délibération aux Archives de Vaucluse, G, 263.
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former pour la prospérité et la conservation des jours de leur seigneur et père. »
Cette preuve de concorde entre les habitants de St-Laurent-des-Arbres et les archevêques d'Avignon, doit clore notre trop longue étude. La seigneurie de la mense, vieille d'environ neuf siècles, allait être emportée, avec le régime féodal, dans la nuit du 4 août 1789, cette nuit mémorable où la noblesse renonça, avec une chevaleresque générosité, à ses antiques privilèges. La féodalité avait fait son temps ; née à une époque où le propriétaire foncier remplissait un service public, elle n'avait plus, au siècle dernier, sa raison d'être, et les droits dont elle jouissait la rendait odieuse. Mais les bienfaits qu'elle avait assurés au moyen âge doivent racheter, aux yeux de l'histoire, ses abus et ses excès; ils justifient le mot de M. Taine : « C'est grâce à la pression de ce bandage étroit, que la société brisée a pu se ressouder, recouvrer sa solidité, sa force et son jeu. »
ALBERT DURAND.
DE L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE 133
PIÈCES JUSTIFICATIVES
Donatio ecclesiae Sancti Laurentii de Arboribus facta ecclesiae Avinionensi et Fulcherio per Laudoynum et Eiglenraclam (919).
Sacrosancte matris ecclesie Avinionensis, in honore Dei Genitricis Marie constructe necnon et sancti Johannis Baptiste etiam et sancti protomartyris Stephani, clavigeris itaque eterei sancti Petri apostoli, ubi humatum videtur esse corpus sancti Agricole ejusdem civitatis pontificis.
Quapropter, ego Laudoynus et uxor mea Eiglemacla, cogitantes casum fragilitatis anime nostre, una pro Dei amore et venerarione omnium sanctorum et redemptione animarum nostrarum, necnon et propter remedium animarum genitoris mei Laudoyni et genitricis mee Eintligarde seu fratrum meorum Bermundi et Almarici, eligimus heredem jam dictam ecclesiam cum clavigero etereo, ut ipsa Dei Genitrix cum omnibus sanctis intercessores existant pro nobis ad Dominum, quatenus per eorum intercessionem dimitat Dominus delicta nostra et donet hereditatem quam promisit Deus diligentibus se, et ipse Dominus precepit ut celestia terrenis emantur facultatibus; ideoque cedimus prelibate ecclesie Avinionensi, a die presenti ubi Fulcherius pontifex preesse videtur cum clero sibi commisso, cessum que in perpetuum esse volumus Aileracum fiscum qui fuit cum ecclesia sancti Petri, et in Arboris villa ecclesiam , sancti Laurentii, cum territorio et mancipia sibi pertinentia, ita cum omnibus adjacentiis corum et adquisivit genitrix nostra Liutgarda per preceptum, et dividit ipse fiscus de Aileraco cum Aileraco alio et cum Tavellis villa et territorius sancti Laurentii cum Arboris villa et Aileraco dividit, omnia tam exquisitum
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quam et inquirendum quicquid ad ipsas ecclesias pertinet, videlicet sancti Petri et sancu Laurentii, sicut continetur in precepto quem genitrix mea adquisivit et nobis in hereditatern dimisit. Ipsa omnia ad jam dicta ecclesia Avenionensi et Fulcherio presuli cum clero sibi commisso, a die presenti trado atque transfundo de meo jure et potestate in vestra dominatione, ita ut ab hodierno die, quicquid ea inde facere voluerhis, tam vos quam successores vestii, ad jam nominatam ecclesiam meliorandam et tenendam liberam et firmissimam in omnibus, Dei nomine, habeatis potestatem ad faciendum. Penam in hac cessione inserere necesse non fuit, tamen propter improborum animos, placuit atque convenu. Si ego aut ullus de propinquis parentibus meis aut ulla opposita persona, qui contra banc cessionem ire voluerit et eam irrumpere conaverit, inprimis Deum et ipsos sanctos habeat contrarios et in vinculo solvat auri operam ecclesie cui trado Avintonensi ac pon tifici qui rector erit et ipso tempore esse videtur libras vu et quod petit non liceat covindicare. Et hec presens cessio firma et stabilis omnique tempore maneat cum stipulatione pro omni firmitate sub nexa.
Actum Avinionense comitatu ad ecclesiam sancti Laurentii publiée, anno incarnationis dominice DCCCCXIX, indictione VI, regnante sive imperante Hladovinco filio Bosoni regis.
(Archives départementales de Vaucluse G, fonds de l'archevêché, 257.Diver sorum Sancti Laurentu, fol. I, copie du XIIIe siècle. — Aureum vidimus, fol. 94).
Homagium et oppignoratio (1202).
Notum sit omnibus quod anno dominice incarnationis millesimo ducentesimo secundo, mense decembris, existentibus in civitate Avinionensi consulibus Bertrando de Avinione Massiliense, Bertrando de Avinione Milsontis, Bertrando de Avinione Grosso, Guillelmo Ferreoh, Petio Boscia, Bertrando Faraldi, Guillelmo Rostagno Mainna, et Bertrando Raymundi, et judice Isnardo Andegario, ego Rostagnus de Sabrano confiteor et recognosco tibi domino Rostagno, Avinionensi episcopo,
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patrem meum et predecessores meos habuisse in feudum et tenuisse et me habere in feudum similiter et tenere, nomine ecclesie Avinionensis et tuo, villam sancti Laurentii, villam de Alliraco et villam de Seinnangues. Recognosco etiam quod pro feudo predicto pater meus et predecessores mei predecessoribus tuis hominium fecerunt, et ego similiter et successores mei tibi et successoribus tuis facere debemus. Piedictam autem villam de Alliraco cum omnibus pertinentiis et adjacentiis earumdem villarum que ad dominium et jus meum spectant, et generaliter et nominatim quicquid dominii, quicquid juris, quocumque modo, quacumque ratione. in eisdem villis et in eorumdem villarum territoriis et tenementis habeo vel habere debeo in militibus, scilicet hominibus, domibus, servitiis censualibus, justitiis, bannis, usaticis, terris, vineis, ortis, pratis, nemoribus, pascuis, paludibus, aquis, aquarumve decursibus et omnibus cultis et incultis, totum tibi domino Rostagno, Avinionensi episcopo, et per te Avinionensi ecclesie et successoribus, obligo pignori pro decem millibus solidorum raymondentium novorum qui sunt ad legem trium denariorum, cujus siquidem monete LXXX solidi valent marcam argenti. Quam summam predictam a le mihi solutam, traditam et integre numeratam esse confiteor et inde pro paccato me teneo, exceptioni non numerate pecunie renuncians. Et autem de conventione inter te, domine episcope, et me habita, quod pignus predictum omni tempore cum voluero, vel facultatem redimendi habuero, licebit mihi redimere, cum vero vel successores tui me vel successores meos ad hoc pignus redimendum nunquam compellere potueritis, dum tamen pignus predictum et res predictas ego et successores mei ecclesie Avinionensi et tibi domino episcopo et successoribus tuis, jure solvemus semper pro posse nostro et defendamus, et nullam vim, nullam molestiam in hiis que ad hoc pignus pertinent inferamus, nec ab aliis inferri, in quantum tamen defendere potuerimus aliquo modo, promitiamus; fructus omnes, redditus et obventiones quocumque modo ex pignore predicto provenientes tibi Rostagno episcopo et per te Avinionensi ecclesie et successoribus tuis, de mea bona et gratuita voluntate et liberalitate, dono, concedo et laudo, et quod de cetero nullam petitionem adversus ecclesiam Avinionensem vel te vel successores inde pro prenominata, nec controversiam moveam, nec alicui ecclesiastice vel seculari persone clamorem vel querimoniam inde faciam, bona fide et sine dolo promitro Villas autem predictas et res alias in hoc pignore computatas et expressas eccle-
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sie Avinionensi et tibi domino episcopo et successoribus tuis me salvaturum jure semper et defensurum et pactiones predictas firmiter et sine dolo servaturum et nullam vim, nullam molestiam in villis predictis vel in aliis rebus ad hoc pignus pertinentibus me facturum neque quistam, neque toltam, neque albergum neque alias quaslibet explethas in eisdem villis, dumtamen tibi domino episcopo vel successoribus tuis obligate extiterint, per vim me petiturum vel accepturum convenio. Et ad majorem firmitatem et cautelam, omnia et singula supradicta bene et fideliter et sine omni dolo me servaturum et non moturum, tactis sacrosanctis evangeliis, jurejurando promito
Sciatur preterea quod de pignore supradicto et de omnibus que ad dominium et jus ecclesie Avinionensis et domini episcopi in villa sancti Laurentii et in villa de Alliraco pertinent, se bonos et fideles extituros domino episcopo stipulanti promiserunt
promiserunt juraverunt isti de Sancto Laurentii, scilicet
et isti de Alliraco, scilicet
Acta sunt hec apud Sanctum Laurentium, in sala dominiRostagni de Sabrano que est inter ecclesiam et turrim, in presentia
Archives départementales de Vaucluse, G, 257 Diversoruni Sancti Laurentii, fol. 2, vidimus de 1331. — Id., 264, fol. 4, vidimus de 1376 )
Venditio castri et villae Sancti Laurentii episcopo Avinionensi a Guillelmo et Rostagno de Sabrano facta
(1232).
Notum sit universis ac singulis tam presentibus quam futuris presentem paginam inspecturis, quod anno Domini millesimo ducentesimo trigesimo secundo, scilicet pridie idus aprilis, ego Guillelmus de Sabrano de Aiguese et ego Rostagnus de Sabrano, bona fide et sine omni dolo et fraude, vendimus et titulo perfecte venditionis tradimus et quasi tradimus, et per nos et per omnes heredes et successores nostros quoscumque universales vel singulares, castrum et villam sancti Laurentii de Arboribus pleno jure proprietatis et jurisdictionis et senorie, cum omnibus suis
DE L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE 137
pertinenciis et appendiciis intus et extra in toto tenemento et territorio ejusdem loci, et generaliter firmantias, justitias, bannos, omnemque jurisdictionem, furnum et lurnos et furnagiam et omnem dominationem et senoriam, et terras cultas et incultas, montana, heremos, nemora, pascua, prata, paludes, patua, venationes omnes, aquas aquarumque decursus, tascas, quartones et census et generaliter quicquid juris ibi habemus vel habere possumus vel debemus, vel aliquis seu aliqui in nomine nostro, in hominibus, domibus, staribus, casalibus et aliis quibuscumque, ratione dominationis vel alia quacumque, et in predicta venditione non concludimus, nec vendimus bona et jura que ibi habebat G. de Sabrano, maritus quondum domine Alasacie, sororis mei dicti Rostagni de Sabrano, vobis domino Bertrando Dei gratia, Avinionensi episcopo et per vos episcopatui Avinionensi, et ecclesie Beate Marie de Dom ejusdem loci, vestrisque successoribus in perpetuum vendimus; etiam insuper nos, G. de Sabrano et Rostagnus de Sabrano supradicti, per nos et per omnes heredes et successores nostros, vobis predicto domino Bertrando, Avinionensi episcopo et per vos episcopatui Avinionensi et ecclesie Beate Marie de Dom ejusdem loci et successoribus vestris in perpetuum, castrum et villam de Alliraco,pleno jure proprietatis et jurisdictionis et senorie, cum omnibus suis pertinentiis et appenditiis in tenemento et territorio ejusdem loci intus et extra, videlicet homines, firmantias, bannos, furnos, census, omnemque dominationem et senoriam, terras cultas et incultas, nemora, pascua, prata, palua, paludes, venationes omnes, aquas aquarumve decursus, moniana, tascas, heremos et quartones, que omnia ad nos dicimus pertinere, et generaliter quicquid juris ibi habemus vel habere possumus vel debemus seu visi sumus habere vel aliquis seu aliqui, nomine nostro in domibus, staribus, casalibus et aliis quibuscumque que ad nos pertinent vel pertinere debent vel pissunt, ratione dominationis vel alia quacumque proprietatis, possessionis vel quasi, et de predictis nos ac nostros deinvestimus et vos et per vos episcopatum et ecclesiam Avinionensem in perpetuum investimus, cedendo, donando vobis ac vestris successoribus omnia jura, actiones reales, personales et mixtas et in vos et in episcopatum predictum transierendo jura et actiones que nobis pro predictis vel pro aliquo predictorum, adversus aliquem vel aliquos competunt vel competere possunt et vos in rem vestram procuratorem constituimus. Sed in predicta venditione vel cessione non vendimus nec
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concludimus possessiones vel jura que ibi debet habere monasterium sancti Andree. Omnia autem et singula supradicta, prout superius nominata sunt et expressa, nos G. de Sabiano et Rostagnus de Sabrano predicti vendimus vobis prefato domino episcopo Avenionensi et per vos episcopatui Avenionensi et ecclesie Beate Marie de Dom ejusdem loci, vestrisque successoribus in perpetuum, per nos, et per omnes heredes et successores nostros, sub forma predicta, pretio XXVIII° milium solidorum raymundentium novorum, de quo siquidem pretio sive pecunia plena solutione et numeratione reipsa michi dicto G. de Sabrano et creditoribus meis mandato meo sic satisfecistis, quod super predictis XXVIII° milibus solidis a vobis me tenco pro pacato, et vos et per vos episcopatum et ecclesiam Beate Marie de Dom de Avinione, vos quittes facio et absolvo, exceptioni non numerate et non solute michi pecunie penitus renuncians. Quam solutionem dicto G. de Sabrano et nsensu et voluntate mei dicti Rostagni de Sabrano factam, ego dictus Rostagnus de Sabrano ratam habeo aique firmam et de predicta pecunia me teneo pro pacato, exceptioni non numerate michi pecunie renuncians penitus. Et si predicta castra seu ville sancti Laurentii et Alliraci plus valent dicto pretio vel sint in antea valitura, quantumeumque illud sit certioratu rem pluris esse, totum illud vobis et per vos episuopatui et ecclesie beate Marie de Dom de Avinione vestrisque successoribus cedimus, tradimus, remitrimus in perpetuum et donamus. Recognoscimus etiam nos G. de Sabrano et Rostagnus de Sabrano predicti in veritate predicta castra et villas Sancti Laurentii et Alliraci cum omnibus sais pertinentiis, prout superius dictum est, tam nos quam antecessores nostros possedisse usque in hodiernum diem, nomine episcopi et episcopatui Avinionensis, ad feudum, fidelitatem et homagium.Omnia autem predicta, excepto Castro seu villa de Alliraco cum suis pertinentiis, promittimus per solempnem stipulationem et sub obligatione omnium bonorum nostrorum nos vobis dicto domino episcopo vestrisque successoribus salvaturos semper et in jure ab omni contradicente defensuros ; et pro evictione in solidum partemve contingente, omnia boma nostra vobis dicto domino episcopo et vestris successoribus supponimus et obligamus, promittentes insuper nos contra dictam venditionem in toto vel in parte nullo unquam tempore per nos vel per alios venturos vel passuros personam aliquam contraire. Sed omnia et singula supradicta per nos et nostros heredes ac successores omnes rata semper habebimus et immota et sic faciemus ab om-
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nibus in perpetuum inviolabiliter observari. Et ad majorem rei firmitatem, promittimus vobis dicto domino episcopo vestrisque successoribus, sollempni stipulatione, nos curaturos et effecturos quod domina Adalasia uxor quondam Guillelmi Raymundi Sibleti de Avinione, nomine liberorum suorum quorum est tutrix, quos ex G. R. suscepit, et domina Raymunda de Albaros, soror quondam Guillelmi Raimondi prefati et Draconetus de Rupe acuta, predictam venditionem et cessionem ratam habebunt perpetuo atque firmam. Promitto etiam ego dictus Rostagnus de Sabrano vobis dicto domino episcopo me curaturum et effecturum quod domina Almodia mater mea et Adalasia soror mea et Berengaria uxor mea predictam venditionem et cessionem ratam habebunt perpetuo atque firmam, etsi quod jus habent vel habere possunt vel debent predicte domine vel alique seu aliqua ex illis in predictis castris seu villis Sancti Laurentii et Alliraci vel eorum peninentris, jure successionis vel dotis vel ypothecarum, vel pacti Iucrorum vel donatione propter nuptias vel alia quacumque, illud totum vobis dicto domino episcopo et successoribus vestris donabunt, cedent et in perpetuum remittent. Et nos omnes infrascripti, videlicet : ego Eimericus de Claromonte pater, et ego Eimericus de Claromonte filius et ego Ermengarius filius dicti Eimerici patris, per nos et per omnesheredes et successores nostros, predictam venditionem laudamus, confirmamus et ratam habemus, confitentes eamdem venditionem consensu, voluntate ac nostra auctoritate, nobis presentibus, factam esse, promittentes nichilominus vobis dicto domino episcopo vestrisque successoribus, per sollem pnem stipulationem et sub obligatione omnium bonorum nostrorum, quod contra dictam venditionem et cessionem in totum vel in partem per nos vel per alium nullo unquam tempore veniemus. Et ego dictus Emericus de Claromonte pater, in rebus venditis et cessis superius nominatis, si quid juris habeo vel habere possum vel debeo, nomine meo et nomine filie mee Berengarie, ratione dotis ipsius Berengarie vel ypothecarum ejusdem dotis vel alia quacumque, totum illud vobis dicto domino episcopo et episcopatui Avinionensi cedo, remitto, desemparo atque dono et insuper promitto me curaturum et effecturam quod dicta filia mea Berengatia predictam venditionem et cessionem laudabit, confirmabit ratamque habebit perpetuo atque firmam.
Hoc fuit actum in ecclesia sancti Pontii, juxta monasterium sancti Andree Testes interfuerunt Bertrandus Rostagnus, prepositus Avinionensis, Hermitanus Gabrius et Petrus de Luppe-
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riis canonici Avinionenses, Pontius, Astaudus Bertrandus, Guillelmus, et Gaufridus Jaucelini, jurisperiti, Bertrandus de Salvaterra, Bertrandus, Raynoardus, Arnaudus de Avinione, Guillelmus de Castro-Rainardo, Jaufridus, Guillelmus, Raimundus de Avinione, milites Avinionenses, Maliracus, G. Rostagnus Maliracus, frater ejusdem, Petrus, Hugo Rebolli, Raymondus de Trescis et Guillelmus Saramanus. Et nos G. de Sabrano et Rostagnus de Sabrano sepedicti, ad perennem rei memoriam et robur, in antea valituram presentem cartam sigilli mei G de Sabrano et bulle mei Rostagni de Sabrano munimine fecimus communiri. Et ego Guillelmus Loberii publicus noiarius dicti domini episcopi testis interfui, qui demandato ac voluntate G. de Sabrano, Rostagni de Sabrano, Eymerici de Claromonte pat is, Eimerici de Claromonte filii, Ermengarii et domini episcopi, supradictorum, presentem cartam scripsi et ineadem signum meum apposui.
(Archives départementales de Vaucluse, G, 257, Diversorum sancti Laurentii, fol. 3.)
LES ROCS BRANLANTS DU SIDOBRE.
Ayant été appelé, pendant l'été de 1891, à faire un séjour dans les environs de Castres, et à franchir ensuite toute la ligne des Cévennes pour rentrer à Avignon, je viens aujourd'hui vous communiquer mes impressions sur certains phénomènes locaux qui, sur le plateau de Sidobre, éveillent l'attention du voyageur le plus indifférent.
A quelques kilomètres de Castres, aux environs si boisés, si verts et si riches, le terrain change d'aspect et prend tout à coup une physionomie tout à fait particulière. Il devient inculte, sans apparence de végétation, et, dans les déclivités, dans les ravins, on voit, amoncelés d'une manière confuse, d'immenses blocs de granit aux couleurs sombres donnant l'idée d'une grande cité bouleversée par un tremblement de terre.
Tous sont ovales, leurs arêtes bien émoussées et leurs dimensions varient de 4 à 400 mètres cubes. Il en est qui sont isolés, paraissant avoir roulé à une assez grande distance ; quelques-uns, bien qu'arrondis, n'ont certainement subi aucun déplacement et adhèrent encore à la roche du fond. D'autres reposent comme un monument sur un socle. Ils ne sont pas juxtaposés à la roche sur laquelle ils s'appuient ; mais ils y adhèrent encore par plusieurs points et n'en paraissent séparés que par suite d'une fissure incomplète. Le socle et le monument ont ainsi la même constitution. Tous deux sont en granit le plus pur et le plus résistant.
5
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Le contraste est frappant avec les coteaux verdoyants des alentours.
Tous ces rochers, distribués sans aucun ordre et remarquablement de même composition affectent l'aspect d'une vaste moraine, mais ils ne sont rien moins qu'erratiques, car on n'y remarque aucune des stries qui sont comme le sceau que le glacier imprime sur les formations dont il est l'auteur.
Quelque chose d'analogue se voit en Amérique dans l'Uruguay dans la chaîne principale de la Cuchilla Grande et en Espagne, dans les hautes montagnes de la Maladetta ; mais ce qu'il y a de plus curieux, ce sont les blocs qui se tiennent en parfait état d'équilibre sur d'autres qui leur servent d'appui, en sorte que la moindre impulsion suffit pour les ébranler et leur donner un mouvement d'oscillation très régulier, à la façon du fléau d'une balance. Ils sont au nombre de 5 ou 6, disséminés dans la contrée, et connus dans le pays sous le nom de rocs branlants.
Intrigué outre mesure sur le mode de dispersion de ces rocs, j'ai vainement cherché une explication plausible dans les auteurs qui se sont occupés de cette question. Ils ne sont pas nombreux, et encore les deux derniers, MM. Massol et Mayral, en 1818 et 1837, ont-ils adopté la plupart des idées émises par le premier, M. Borel, docteur en médecine à Castres en l'an de grâce 1640 ! Rien d'amusant comme la lecture de son livre intitulé : « Antiquités, raretés de la ville et comté de Castres d'Albigeois», que j'ai eu la bonne fortune de trouver dans la Bibliothèque de notre ville.
Parlant de l'amoncellement de ces blocs, Borel attribue leur agencement et leur dispersement aux mains puissantes de formidables géants. Il serait à présumer, dit-il, que les poètes ont entendu que c'était le lieu où Jupiter fit pleuvoir les pierres du ciel en faveur d'Hercule, lorsqu'il défit les voleurs Albion et Bergion ; bien que d'autres, ajoute-til, ont estimé que c'est le lieu de Provence appelé la Crau
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ou Campi lapidei, car le mot de Sidobre est composé d'un mot latin et d'un mot grec signifiant plage céleste.
Quant aux pierres branlantes, il dit que cette merveille ne peut provenir que de l'équilibre ou de ce qu'il y a quelque connexité qui s'enfonce dans la cavité du rocher qui le soutient. Enfin il relate les inscriptions que certains curieux, attirés par le phénomène, ont gravé sur les rochers pourtant si durs et si compacts. Deux d'entre elles sont à citer, pour en conserver le souvenir, car il n'est plus possible maintenant d'en déchiffrer le moindre caractère. Elles sont toutes deux en langue italienne. La première, « Il più alto è quel che trente », exprime une pensée philosophique voulant dire que, semblable à ce roc branlant, qui est le plus haut parmi ceux qui l'entourent, les hommes les plus élevés sont ceux qui tremblent le plus par la crainte des dangers qu'ils courent.
La seconde, « Cossi almen ti movessi o dura Fili», est la devise d'un amant qui accuse sa maîtresse d'être aussi dure que ce rocher et encore plus inébranlable !
Le phénomène de la chute des pierres, connu depuis la plus haute antiquité, a toujours joué un rôle considérable dans les traditions ; aussi n'est-il pas étonnant que le savant Borel se soit appuyé sur le fragment de Prométhée : « Zeus te prendra en pitié, et grâce à lui, de la nuée entr'ouverte, ce sera une grêle de galets à couvrir la terre ; avec eux sans peine, tu accableras l'armée des Ligures. »
Certains épisodes des grandes épopées Scandinaves relatent les mêmes faits. Réellement Sidobre vient du mot corrompu « sidopre », qui veut dire sine opère, ou sans culture; il ne peut en effet être cultivé à cause du grand nombre de ces rochers qui recouvrent le sol.
Les habitants actuels du pays racontent en patois gascon que Dieu, occupé à répartir les pierres sur notre globe ' terrestre et passant au-dessus du Sidobre, laissa échapper le contenu de son grand sac qui se déchira au-dessus de la contrée. Borel conclut que ces pierres étaient dans la
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terre agencées de même, et que le déluge universel les découvrit ôtant la terre des environs d'iceux. Si cet observateur n'avait donné que cette dernière explication, elle eût été suffisante et n'eût soulevé aucune critique, car il faut rappeler que l'auteur écrit en 1640 ! Mais il retombe dans la légende quand il décrit avec une naïveté des plus primitives la seconde merveille du pays, qu'il appelle Mont-desPriapolithes, parce que ce mont est en partie composé de pierres larges, de formes plus ou moins bizarres qu'il compare à des phallus.
Pour appuyer son dire et prévenir les contradictions, il cite Pline le naturaliste, qui voyait dans la pierre Diphris, les empreintes des figures de l'un et l'autre sexe. Il décrit sa merveille ; il en fait des coupes dans tous les sens, distinguant un conduit central tout tapissé de cristaux, de veines, etc.. que sais-je encore? et conclut en disant que ce lieu était situé sous quelque constellation qui versait des influences disposées à la génération, ou bien que les pierres, ayant une semence multiplicative comme les plantes, peuvent aussi bien naître en cette forme, comme l'herbe Phallus en Hollande ou la Mandragore, dont la racine représente l'homme en son entier.
Enfin, il clôt son ouvrage, très apprécié à son époque, par la nomenclature des objets précieux intéressants trouvés dans le pays et qu'il possède dans sa collection. Il cite comme fossiles des pièces de melon, des rognons, du pain, des figues, du miel en ragoût, du lard où le maigre, le gras et le rance paraissent fort bien, etc.
Je vais m'efforcer de donner une explication rationelle de ces divers phénomènes et de rectifier les erreurs commises par cet auteur à l'imagination beaucoup trop fertile, mais doué d'un grand esprit d'observation.
J'ai déjà fait remarquer que toute la partie granitique du Sidobre est composée des mêmes éléments ; mais ceux-ci - se présentent sous deux formes différentes : les uns se désagrègent avec la plus grande facilité en fournissant un sol
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siliceux et inculte; ils entourent, enveloppent les autres constitués par des masses plus compactes qui, mises à nu à un moment donné, deviennent libres, tombent en suivant les lignes de plus grande pente, puis s'amoncellent dans les ravins en donnant naissance à ces phénomènes d'entassement que l'on observe sur différents points.
M. de Lapparent, dans son traité de géologie, fait remarquer que le granit a une tendance marquée à se désagréger en une arène meuble, au milieu de laquelle certaines parties plus compactes demeurent sous la forme de gros nodules ; c'est bien le cas des blocs du Sidobre.
On sait que la désagrégation est provoquée par l'action de la température, la succession rapide du chaud et du froid, l'humidité, les eaux pluviales, tous les agents atmosphériques, et que, tôt ou tard, les roches sont réduites en menus fragments. Cela a été le sujet d'études de beaucoup de géologues. Geikie, en Angleterre, a constaté que des dalles de marbre de om 009 d'épaisseur, exposées à l'air dans un climat tel que celui d'Edimbourg, sont entièrement détruites en moins d'un siècle ! Les soi-disant bassins à immolations des monuments mégalithiques, constitués par des creux qu'on a voulu prendre pour des cuvettes destinées à recevoir le sang des victimes que les Druides auraient égorgées sur ces pierres, sont simplement le résultat de cette désagrégation, et M. Geoffroy Dault-Dumesnil a depuis longtemps rectifié cette erreur, dans sa remarquable brochure sur l'étude de ces phénomènes.
L'aiguille de Cléopâtre, l'obélisque placé sur une des principales places de Londres, s'effrite et menace de n'être bientôt plus qu'une pierre informe. C'est l'atmosphère de Londres qui est ainsi parvenue à désagréger en quelques années ce monolithe, qui avait résisté à l'action des siècles sur le bord du Nil.
On peut rapprocher de cette étude les recherches entreprises en Amérique sur l'action érosive des sables en mou-
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vement dont je vous ai déjà entretenus à propos du mistral préhistorique. Des observations de même genre ont été faites dans l'Asie centrale par le célèbre voyageur russe Prjevalski, qui, dans un rapport adressé à l'Académie des sciences de Paris, parle de la transformation des montagnes sous l'influence des agents atmosphériques. Des vents très violents ont réduit les sommets de ces montagnes en cailloux, en gravier et en sable par l'usure des masses rocheuses jetées les unes contre les autres. Il y a là tout un champ de recherches susceptibles de conduire à des résultats fort curieux et fort intéressants.
M. de Lapparent cite aussi des roches penchées transformées en rochers tremblants par l'action du vent sur leur base moins résistante que le roc lui-même, ou bien par suite des effets mécaniques du ruissellement de l'eau sur les pentes. Quelquefois, comme les roches granitiques de Ploumanae'h en Bretagne, celles-ci s'effritent sous l'action de l'embrase de mer et du vent, s'arrondissent sur les angles, et par suite de cette action destructive, les points d'appui entre les pierres tendent de plus en plus à diminuer, jusqu'au moment où il ne reste plus qu'un seul et étroit contact entre elles ; et comme les faces opposées ont pris une forte courbure convexe, la pierre supérieure reste en équilibre et la moindre force appliquée permet de lui faire subir de notables oscillations.
Les rocs tremblants du Sidobre n'ont pas la, même cause d'instabilité et d'équilibre. Ils reposent sur une base de même composition que le roc supporté. Il ne pourrait d'ailleurs en être autrement, car les éléments granitiques désagrégés ne seraient pas capables de supporter ces lourdes et puissantes masses et de résister à leur mouvement d'oscillation, si petit qu'il soit, et seraient depuis longtemps entraînés.
La partie supérieure est comme enchâssée dans le roc qui lui sert d'appui ; ce point d'appui n'a quelquefois que la valeur d'une ligne ; à la Roquette, par exemple, un fai-
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ble vent ou la plus légère pression du doigt suffit pour ébranler ce monolithe. Il est évident que l'on agit avec des forces supérieures à celles que je viens de citer; le mouvement d'oscillation n'est pas plus grand que l'ouverture de l'angle et toujours le même.
Ces effets extraordinaires d'équilibre sont connus de vieille date. Pline le naturaliste en a cité quelques-uns. De Cleuziou, dans son ouvrage sur les premiers âges de l'humanité, s'étend longuement sur le rôle que jouaient les pierres branlantes à l'âge ancien. Elles étaient en effet capables de frapper l'imagination des esprits, et leur apparence quelque peu fantastique, les rendait propres à servir d'outils de domination aux Druides, ces charlatans qu'on s'est plu à grandir outre mesure et dont on démasque tous les jours les manoeuvres adroites. Ils en faisaient des pierres d'épreuve qu'on consultait dans les circonstances importantes et dont on considérait les arrêts comme irrévocables. La pierre ne pouvait répondre que par des mouvements à peine distincts aux demandes des fervents. Le Druide, cet augure, se chargeait de l'interprétation de ce primitif oracle. De là une source constante de bénéfices de tout genre.
De nos jours encore, dans un grand nombre de localités, les sorciers, qui sont les Druides de notre époque, savent encore exploiter les crédulités et se font un revenu à l'aide de ces mêmes pierres branlantes (1).
Dans le centre et dans le midi de la France, elles portent le nom de pierres qui virent ; ailleurs ce sont les pierres tournales ou les pierres tourneresses.
Elles sont souvent un but de pèlerinage pour les fiancés
qui viennent y faire des dévotions variées. Dans la vallée
de Fours, c'est à la pierre de l'Épousée ; à Verdun, c'est à
la pierre de l'Appétit qu'ils échangent les anneaux, et que
les époux reçoivent le baiser de leur nouvelle famille. A
(1) De Cleuziou.
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Trégune, ce sont, au contraire, les maris inquiets qui viennent y demander la confirmation de leur infortune ou l'heureuse preuve du contraire.
On voit par l'énumération de ces différents faits que les pratiques druidiques ont laissé en France plus de traces qu'on ne pourrait d'abord le croire ; mais, parmi les monuments mégalithiques, la pierre branlante est la seule qui puisse être attribuée à juste titre aux prêtres d'Ésus et de Teutatès.
Les conditions d'équilibre de ces rochers diffèrent dans presque tous les cas ; mais celles des blocs du Sidobre sont tout à fait particulières.
Quant aux fameux priapolithes, se sont de simples pytolithes, sortes de concrétions pierreuses bien connues en minéralogie, de nature calcaire, formées de couches concentriques produites par des eaux chargées de matière en solution. C'est dans les eaux calcarifères que se forment les pytolithes. Tous les genres d'oblitération des cristaux, tous les groupements irréguliers, les stalactites, les configurations panniformes, les rognons, les polyèdres par retrait, toutes les formes accidentelles se trouvent dans cette substance. La cavité est quelquefois tapissée de cristaux ou remplie de nature pulvérulente qui, en se desséchant, subit souvent un retrait qui la sépare des parois. Il n'est donc pas étonnant que l'imagination lascive de Borel ait cru voir des phallus dans certaines de ces configurations accidentelles.
Enfin les soi-disant melons, rognons, mousse, miel en rayons, ne sont autre chose, c'est à peu près certain, que des oursins, des térébratules et des polypiens fossiles ; le lard n'est qu'une roche d'épanchement, un morceau de quartz rubanné, dont j'ai recueilli beaucoup d'échantillons dans le Morvan. Ces silicates offrent en effet l'aspect d'un morceau de lard, où comme le dit si peu élégamment Borel, le gras et le rance paraissent fort bien.
M. Stanislas Meunier, ce savant naturaliste du labora-
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toire de géologie de Paris, racontait dernièrement dans le journal La Nature (1) qu'on lui avait présenté un petit tubercule gréseux, où son propriétaire voyait le portrait de Noire-Dame sur la croix ! Boucher de Perthes, dans son ouvrage sur les Antiquités celtiques et antédiluviennes, présente une série de figures empruntées à des silex de forme imitative. Dans cette direction il n'y a pas de limite : tous les sujets peuvent se rencontrer, depuis des têtes de veau d'ailleurs fréquentes, avec les yeux, les oreilles, les rides de la peau ; les profils de l'homme (à Meudon, on a conservé très longtemps un gros silex où tout le monde reconnaissait le buste de Louis XIV), des oiseaux, des poissons, etc., c'est-à-dire jusqu'à ces accidents auxquels de B. Robinet a consacré en 1778 une partie de ses ingénieuses Considérations sur les essais de la nature qui apprend à faire l'homme.
Nos temps actuels n'ont presque rien à envier à ces époques superstitieuses où les pierres étaient considérées comme très dignes d'attention.
En résumé, malgré les naïvetés qui pullulent dans le livre de M. Borel, il n'en est pas moins très curieux à feuilleter. Il cite des cas de guérison où la superstition joue le plus grand rôle ; il a observé et enregistré des faits météorologiques qui indiquent une fois de plus qu'il y a souvent des anomalies dans les saisons. A notre époque, on s'étonne parfois des mêmes faits, sans songer qu'ils ont déjà été observés antérieurement. Ainsi en 1593, les saisons furent tellement renversées qu'on avait des fraises, des poires et des pommes au mois de novembre (ce qui présagea la peste qui s'ensuivit tôt après, ajoute Borel). En 1614, le 16 mai, il neigea à Castres si extraordinairement que la neige enfonçait les toits et y demeura plus d'un mois sans se fondre.
On voit qu'il faut avoir soin, dans l'étude de la nature,
(1) Janvier 1892.
150 MEMOIRES DE L ACADEMIE DE VAUCLUSE
de ne pas tout ramener à son époque et à son impression personnelle.
Il fait aussi remarquer, avec une juste raison que, par
une mauvaise coutume établie de toute ancienneté, nous
méprisons les choses que nous connaissons, et que nous
recherchons avec ardeur celles qui sont éloignées de nous.
Rien n'est changé sous ce rapport depuis 1640; nous allons toujours bien loin chercher des sujets d'excursion, et nous ne connaissons pas notre France si pittoresque, sans doute parce que nous sommes trop près.
CAZIOT.
UN ATELIER MONÉTAIRE
A COURTHÉZON.
(1270)
L'évêque de St-Paul-Trois-Châteaux, Bertrand de Clansayes, se rendit à Carpentras au mois de septembre 1270, pour protester contre un édit qui venait d'être signé par. le sénéchal du Venaissin, Guy de Valgrigneuse, et dont le cartulaire de St-Paul nous a conservé le texte, légèrement altéré :
« Quod nullus homo de civitate Avinionis, nec de terra domini comitis Pictavie et Tholose ausus sit sisarre, nec talliare, nec scindere, nec esse magister de Monetis, nec facere aliquod officium, nec portare scambium, nec argentum, scilicet ad Monetam (sic) de Curtedone, nec de Montedraconis (sic), nec Sancti Pauli, nec ad illam Monetam que fit per episcopum de Gap, nec per episcopum Vivariensem, nisi esset moneta consueta et antiqua, nec ad aliquam Monetam, que moneta sit ad similitudinem alterius monete, seu contrafaisson alterius monete, nec prestet in dictis Monetis auxilium nec consilium, et si aliquis contra hoc facere actemptaverit, in pena sui corporis et averis sit (1); et si aliquis homo extraneus, qui non esset de terra domini comitis veniret operari ad illas Monetas, vel
(1) Mot oublié par le copiste.
152 MÉMOIRES
facere aliquod auxilium, vel consilium daret seu prestaret, quod sit foedatus (?) omni tempore et bannitus de terra domini comitis et de civitate Avinionis ; et si aliquis possit aliquem invenire, eum capiat vel capi faciat, et, ille captus, sit (1) in pena centum marcharum argenti et ille, qui poterit ipsum capere vel facere capi, habeat quartam partem, et, si ille qui captus erit non poterit solvere dictas centum marchas, quod in corpore suo, arbitrio curie, puniatur, et domini terrarum ubi dicte monete fuerunt contrafacte vel ad similitudinem alterius monete, contrafaciendo aliud signum, sint ipsi et eorum homines banniti in perpetuum a terra domini comitis et civitatis predicte (2).»
Cette ordonnance fort curieuse visait les ateliers voisins, où un co-prince d'Orange, l'archevêque d'Arles (Mondragon), l'évêque de St-Paul, l'évêque de Gap, enfin celui de Viviers, se livraient avec ardeur à l'imitation ou à la contrefaçon des espèces en vogue dans la région. Il était interdit, sous peine de bannissement, à tout habitant d'Avignon ou des terres d'Alphonse de Poitiers d'accepter une fonction quelconque à ces Monnaies, et même d'y prêter l'appui de son talent ou le secours de ses conseils. Des mesures spéciales étaient prises à l'égard des étrangers qui tenteraient d'y venir travailler.
Courthézon était, au XIIIe siècle, un fief appartenant à la puissante famille de Baux. La possession de ce bourg, situé à proximité d'Orange et à 5 kil. de Bédarrides, était convoitée d'une manière particulière, à cause de sa forte position. Les remarquables travaux du Dr L. Barthélemy nous permettront de déterminer entre quelles mains se trouvait Courthézon en 1270 (3).
(1) Mot oublié par le copiste.
(2) Archives départementales de la Drôme. Cartulaire de St-Paul, fol. 69, copie de la deuxième moitié du XVe siècle. Document communiqué par l'érudit M. Lacroix.
(3) Inventaire chronologique et analytique des chartes de la maison de Baux, nos 41, 68, 320, 341, 627 et 38 du supplément.
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Tiburge, princesse d'Orange, légua en 1146 (?) à Bertrand de Baux, son gendre et mari de sa fille Tiburge, le quart des terres et des habitants de Courthézon. 27 ans plus tard (1173), Raimbaud IV d'Orange disposa en faveur de son beau-frère, le même Bertrand de Baux, et de ses enfants, Guillaume Ier, Bertrand et Hugues de Baux, de tout ce qu'il possédait à Orange, à Courthézon et en deçà du Rhône.
Un document de 1221 nous montre le château de Courthézon possédé indivisément par les fils de Guillaume Ier, prince d'Orange, assassiné trois ans auparavant. Guillaume II et Bertrand II, fils de Guillaume Ier, étant morts, le deuxième sans postérité, le premier laissant trois fils et une fille, Raymond Ier, le plus jeune enfant de Guillaume Ier et Guillaume III, fils aîné de Guillaume II, procédèrent, le 13 juin 1246, au partage de la principauté. Guillaume III qui avait épousé, en 1239, Galburge de Mévouillon, se vit attribuer le château de Courthézon et ses dépendances. La date de son décès est demeurée inconnue, mais elle n'est guère postérieure à 1256. Par son testament du Ier juin 1248, il avait légué Courthézon à son frère Raymond II, seigneur de Suze. En 1270, date de l'ordonnance du sénéchal du Venaissin, le château de Courthézon était la propriété de ce même Raymond II qui mourut en 1279.
Le monnayage d'Orange fut d'abord signé. Les deux deniers et l'obole au revers de IMP FREDERICVS (les 2 E sont lunaires) appartiennent à Guillaume Ier (11731218). Les deniers anonymes, ayant un cornet dans le champ et qu'on pourrait très bien appeler les deniers au cornet, sont beaucoup moins anciens qu'on ne l'a supposé. Ils remontent simplement au deuxième quart du XIIIe siècle. Le denier anonyme, imité des estevenants de Besançon, pourrait bien avoir été frappé à la fin du XIIIe siècle ou même au commencement du XIVe. Raymond II était bien prince d'Orange, avec Raymond I, son oncle,
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et avec ses deux cousins germains, fils de ce dernier, Guillaume IV et Bertrand IV, mais Courthézon lui appartenait intégralement. Pour ce motif, il semble naturel d'écarter encore les deniers copiés sur ceux des archevêques de Lyon à la légende PRINCIPES, à l'L barré et à l'L barré accosté du soleil et de la lune. Si l'on ne découvre pas un jour une nouvelle monnaie dont l'attribution à l'atelier de Courthézon serait évidente, on pourrait considérer comme sortie de cette Monnaie, soit le grand denier au type du Puy, ou bien le denier reproduisant servilement les deniers de Clermont, ou encore le denier à l'L barré, mais avec la légende de PRINCEPS, contrefaçon des deniers de Lyon. Je n'attribue pas à l'atelier de Courthézon ces trois monnaies en bloc; je me borne à indiquer que l'une d'elles au moins, encore à déterminer, y a été probablement fabriquée. Le denier de bas billon, au type du Puy
et aux légendes + AVRAC... + AVR CE, paraît être
postérieur à 1270 et avoir été émis à Orange même.
L'ordonnance de Guy de Valgrigneuse nous apprend non seulement que Raymond II se livrait à la contrefaçon des monnaies d'autres princes, mais encore que son atelier était installé à Courthézon, fait absolument nouveau. Une autre donnée inédite nous est fournie par l'examen de ce texte. Si les ateliers de Mondragon, de St-Paul, de l'évêque de Gap et de celui de Viviers sont mentionnés, celui d'Orange n'est pas cité. On doit en conclure qu'il était fermé depuis un certain temps. Un chômage accidentel, eût-il duré depuis plusieurs mois, n'aurait pas déterminé le sénéchal du Venaissin à passer sous silence la Monnaie d'Orange, car son édit n'était pas rendu à titre provisoire, mais encore pour l'avenir.
L'atelier de Courthézon eut sans doute une durée relativement éphémère. Il n'est guère possible que son existence se soit prolongée durant plus de dix ans ou de quinze ans au maximum. Le partage du 4 décembre 1281 investit
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Bertrand III (1279 — après 1302) du château de Courthézon, sans faire allusion au monnayage. Ce prince réunit sur sa tête la co-propriété d'Orange à concurrence d'un quart. Il est fort possible qu'il ait fermé la Monnaie de Courthézon pour battre monnaie exclusivement à Orange.
ROGER VALLENTIN.
LES SONNETS
DE PAUL MANIVET.
Paris, Lemerre.
Un aimable petit volume d'un peu plus de cent pages, — toute une gamme d'inspirations diverses, depuis la fantaisie alerte jusqu'à la rêverie triste, depuis l'aveu amoureux jusqu'à la confession nostalgique, depuis la critique qui mord jusqu'à la plaisanterie qui chatouille.
Il est d'usage aujourd'hui, quand on rend compte d'un ouvrage, de se mettre l'esprit à la torture pour en chercher la caractéristique.... qui d'ailleurs n'y est pas toujours. Certains vont plus loin, et il faut de toute nécessité que, après avoir lu un livre, ils en déduisent l'âge et le tempérament de l'auteur, — heureux s'ils ne vont pas jusqu'à diagnostiquer la couleur de ses cheveux et l'âge de ses enfants.
Je n'en chercherai pas si long au sujet de M. Manivet. Après l'avoir lu, je l'ai relu, voilà tout. S'il y a une caractéristique dans son livre, c'est le charme, qu'on désigne si joliment en mon pays sous le nom de « un goût de revenez-y».
S'il m'est permis de signaler les pièces qui m'ont le plus frappé, je citerai l'Intérieur, cette rêverie inquiète de la femme du tribun qui, tandis que son mari pérore
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dans un club, se penche sur le berceau, craignant toujours de voir
« L'insurgé s'éveiller dans l'enfant qui sommeille. »
Cette note émue n'est pas fréquente dans le volume ; l'auteur paraît se mouvoir plus à l'aise dans l'ironie. Lisez le Coffret:
« ... Blonde, pâle et très mélancolique, Les soirs tristes d'hiver, elle ouvrait un coffret, Des défuntes amours reliquaire secret, D'où montait un parfum lointain et nostalgique. »
Et, quand elle avait feuilleté ses souvenirs, elle
« Refermait sans remords, l'oeil mouillé d'une larme, Cette liste où manquait le nom de son mari »
N'est-ce pas que le trait est piquant et inattendu ?
L'ironie se fait plus âpre dans l'Honnête homme fin de siècle :
" Quel ordre et quelle tenue ! Aussi bien que sa maison Sa fille est entretenue. »
Mais pourquoi ce titre ? J'ai idée que notre pauvre bouc émissaire de fin de siècle n'a pas inventé tous les péchés d'Israël, et que le joli métier dont il est ici question ne date pas d'hier.
Et maintenant, faut-il dire qu'il y a dans ce volume trop de rimes dont l'indigence est véritablement digne d'exciter la pitié des prosodistes ? On trouve à presque tous les coins de sonnets ces assonnances nécessiteuses, à qui M. Manivet devrait bien interdire la mendicité sur toute l'étendue du territoire de ses tercets et de ses quatrains. Qu'on y fasse résistance ou soumission, la règle formulée par Théodore de Banville domine la versification contemporaine, et l'opulence de la rime, — à défaut d'autre richesse, hélas ! — s'impose à l'écrivain. Sans elle, il pourra faire de la belle poésie — et c'est pourquoi nos enfants admireront comme nous Alfred de Musset, — mais il
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ne fera pas de bons vers. Et puis, s'il est un genre dans lequel on soit, plus qu'ailleurs, obligé à la stricte observation des règles et au fini du détail, c'est assurément le sonnet, tant à cause de sa faible étendue qu'en raison de la rigidité sculpturale de sa forme traditionnelle.
Faut-il dire encore qu'on trouve par-ci par-là dans les sonnets des inversions qui donnent à la phrase une vague ressemblance avec les questions si fort en vogue il y à quelques années — cherchez le chat, etc. — ? Ainsi du début de la pièce intitulée: Sonnet fin d'exposition.
« De la Province, un jour, las de la jalousie, Paris entre ses mains abdiqua pour six mois. »
Cherchez le sujet, cherchez l'attribut.
Faut-il dire tout cela, au risque de passer pour un critique qui boude à son propre plaisir ? Certainement, il le faut, car M. Manivet aurait quelque droit de suspecter la sincérité des éloges s'il s'apercevait qu'on lui escamote la critique de faiblesses imputables à la négligence et non à l'ignorance.
D'ailleurs, ces reproches formulés, je n'a plus qu'à louer, et je le ferai de la façon la plus simple en substituant à ma prose la citation du sonnet intitulé : La Nona, dans lequel l'ingéniosité du dernier tercet complète si heureusement les malicieux détails des quatrains.
« La Nona. Une nouvelle maladie ! Très fin-de-siècle assurément. Nous la subissons en dormant, Comme un four à la Comédie.
N'avions-nous pas la tragédie ? N'avions-nous pas le Parlement, Où l'on fait un somme charmant Que n'interrompt plus Gavardie ?
Notre dégoût de vivre est tel
Qu'il nous faut rendre grâce au ciel
De nous donner ce chloroforme.
Au lieu de bâiller ici-bas,
Ne vaut-il pas mieux qu'on s'endorme
D'un sommeil qui ne finit pas ? »
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Rassurez-vous, d'ailleurs. C'est là pure fantaisie ; l'auteur n'en pense pas un mot, puisque, par bonheur pour nous, il continue d'écrire. Et, si j'étais d'humeur à lui chercher une méchante querelle après tout le plaisir qu'il m'a donné, je lui dirais peut-être qu'il n'est pas digne de son talent de donner dans l'élégant désenchantement si fort à la mode, dans le Schopenhauerisme facile qui n'empêche ni de se bien porter, ni de se tenir en joie.
C'est contre cet ennemi-là qu'il faudrait combattre le bon combat, c'est pour en percer à jourl a vanité lamentable et grotesque qu'il faudrait aiguiser les traits de l'ironie, au lieu de rompre des lances — des aiguilles plutôt, — contre la tour Eiffel, — dont la cuirasse métallique est d'ailleurs à l'abri de ces attaques enfantines, — et d'affirmer, assez gratuitement d'ailleurs, que
« Quand la matière là-haut monte, C'est que l'idéal en descend. »
Trait de journaliste, n'est-ce pas ? et non pensée de philosophe.
M. Manivet me pardonnera, j'en suis sûr, cette boutade dont il ne doit se prendre qu'à l'estime où je tiens son talent.
En tous cas, par le temps de symbolisme qui court, nombre d'honnêtes gens sont exposés à cette mésaventure, de croire que la poésie est la langue des gens que les autres ne comprennent sûrement pas et qui ne se comprennent peut-être pas eux-mêmes. M. Manivet est homme à les détromper. Qu'ils lisent et relisent son livre, et, puisqu'il veut bien les y convier en un sonnet liminaire exquis de forme et comme taillé en pleine gemme, qu'ils vennent avec nous, les « rêveurs altérés d'ambroisie,
Boire le vin de Poésie Dans un sonnet de pur cristal. »
Capitaine PILATE.
ARCHÉOLOGIE VAUCLUSIENNE.
Sépultures gallo-romaines trouvées à Jonquières, au bord de l'ancienne voie secondaire d'Orange à Carpentras. — Autre sépulture mise à découvert le long d'une ancienne voie secondaire portant aujourd'hui les dénominations vulgaires de camin dis abeié et camin ferra et ayant desservi le pays depuis le Pont de Sorgues jusqu'aux montagnes de la Drôme en passant par Ste-Cécile. — Nombreuses antiquités de toutes les époques recueillies près du château de Pécoulette, à l'intersection des deux voies précitées. — Important résultat obtenu parla découverte de sépultures pour déterminer le tracé des voies romaines — Les bateliers de l'Ouvèze, dans l'antiquité ; changement du régime de celte rivière occasionné par le déboisement et les canaux d'irrigation.
Le 18 mars dernier, en creusant le sol au bord du chemin vicinal n° 14, chemin dit des Ramades, à Jonquières (1), pour établir les fondations d'une maisonnette, de gardebarrière, sur la nouvelle ligne en voie de construction d'Orange à l'Isle, les ouvriers mirent à découvert, à 1m25 de profondeur, une sépulture gallo-romaine, du temps de l'incinération.
Notre excellent collègue, M. Delaly, ingénieur de la Compagnie, chargé de la confection de la nouvelle ligne, a
(1) Le nom de ce village est formé du mot méridional Jounquiero, signifiant : lieu couvert de joncs. Cette dénomination lui est venue de l'état autrefois marécageux de la plaine qui s'étend entre la rivière de l'Ouvèze, au levant, et la coustière, au couchant. Cette plaine est aujourd'hui convertie en terres arables d'une grande fertilité.
Des localités de même nom existent dans les départements de l'Aude, du Gard, de l'Hérault et du Tarn. Les appellations de Jonquerettes (Joungueincto), Jonqueroles (Jounqueirolo), qu'on trouve en d'autres lieux, sont des diminutifs qui ont même origine et même signification. — (V. le Dictionnaire provençal de F. Mistral, à ces différents mots.)
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eu l'extrême obligeance de nous prévenir d'abord de la trouvaille, et ensuite de nous procurer tous les renseignements nécessaires à la rédaction de cet article.
L'urne cinéraire en verre, de forme ovale, était renfermée dans un petit coffre en pierre, de même forme, ayant comme dimensions, 30 centimètres de haut et 17 de large; malheureusement, l'outil de l'ouvrier a brisé le contenant et le contenu. Une certaine quantité de terre, ayant pénétré dans le coffre, s'était glissée entre les parois de celui-ci et l'urne cinéraire, qui s'y trouvait comme enchâssée. Les objets en verre et les poteries, composant ce qu'on appelle dans le langage archéologique le mobilier funéraire, avaient été déposés, non pas dans le coffre, trop exigu pour les contenir, mais à côté, sous plusieurs de ces grandes tuiles plates, dites tegulae, en latin, et appelées vulgairement de nos jours tuiles à rebords, tuiles à crochets ou tuiles sarrasines (1). Autour de ces objets, sur une étendue de 1 mètre et 35 centimètres d'épaisseur, la terre était mélangée de charbon de bois (2).
Le mobilier funéraire se composait :
1° De trois grands flacons en verre, dont deux à peu près intacts, de forme quadrangulaire, mesurant 16 centimètres de haut sur 7 de large ou de côté, avec anse plate et col rond et court ; 2° de trois petits bols et trois soucoupes en verre, dont un seul intact, avec une soucoupe, a 9 centi(1)
centi(1) toiture des maisons romaines était recouverte de grandes tuiles plates à rebords, dites tegulae, et de tuiles arrondies, comme les nôtres, appelées imbrices. Celles-ci chevauchaient sur les autres, de façon à couvrir les rebords juxtaposés et à empêcher la pluie de passer. On se rendra compte de cet agencement en se reportant au dessin qu'en a donné de Caumont dans son Abécédaire, p. 73.
On voit par notre exemple que les tegulae étaient aussi utilisées poulies sépultures, et surtout, comme on le vena plus loin, pour la confection des tombes des pauvres gens.
La fabrication des tuiles romaines s'est, paraît-il, longtemps continuée au moyen âge.
(2) Ces débris de charbon de bois indiquent que l'incinération avait eu lieu sur place.
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mètres de diamètre sur 4 et demi de hauteur ; la soucoupe, en forme de plateau à rebord circulaire, a 13 centimètres de diamèmètre, et le rebord, 2 de hauteur ; 3° de plusieurs fioles dites lacrymatoires, aujourd'hui brisées ; 4° de plusieurs petits vases en fine terre rouge, dite samienne, également brisés ; 5° d'une lampe, en argile rouge, sans aucun dessin ou ornement. On remarque seulement, au dessous, en relief et en abrégé, renfermés dans un cartouche circulaire, les noms du fabricant :
C(aius) lVL(ius) SEC(undus), sous-entendu : fecit; ou C(aii) IVL(ii) SEC(undi), sous-entendu : officina ou manu (1).
L'urne cinéraire ne contenait aucune monnaie. Le grand intérêt historique qui s'attache à la numismatique, particulièrement en matière de sépulture, c'est de nous fournir une indication précieuse en nous faisant connaître exactement à quelle époque on doit la faire remonter. Assez habituellement on en trouve dans les tombeaux, soit du temps de l'incinération, soit du temps de l'inhumation, en or ou en argent, lorsqu'il s'agit de personnes riches, en cuivre ou en bronze pour les pauvres gens. A défaut de
(1) Les lampes romaines sont ordinairement en argile. Les plus riches sont en bronze. Elles sont parfois décorées d'élégants dessins, de mascarons, etc. Parfois aussi elles portent simplement, comme celle de Jonquières, l'estampille du potier.
Les estampilles de potier sont marquées sur les lampes et les poteries de plusieurs façons : tantôt les noms du fabricant sont au nominatif et accompagnés de la lettre F, abrégé du mot fecit, ou au génitif, accompagnés de la lettre O ou M, c'est-à-dire officina ou manu; tantôt, comme dans notre cas, ces différentes sigles sont sous-entendues. On peut voir dans les Inscriptiones de M. Hirschfeld, t. XII, p, 691, n° 5682, que sur les lampes, l'estampille du potier est ordinairement marquée par le nom de celui-ci, au génitif.
Les chrétiens des premiers siècles ont suivi l'usage païen de déposer des lampes dans les tombes. Les lampes funéraires chrétiennes sont ornées du chrisme ou d'autres dessins symboliques.
La forme de la lampe romaine s'est transmise et conservée jusqu'à nos jours, chez les gens du peuple du Midi de la France ; en Provence, on l'appelle lou calèu; en Languedoc, lou lum.
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monnaie, ce n'est que d'une façon approximative que l'on peut fixer l'époque du décès. Les Romains ont commencé par incinérer les corps. Cela s'est continué généralement pendant les deux premiers siècles de notre ère, puis au fur et à mesure que le christianisme s'est répandu dans l'Empire, le clergé s'opposant à l'incinération, elle a fait place à l'inhumation. Mais, la nouvelle religion ne s'étant pas propagée partout en même temps, l'usage de l'incinération s'est continué plus longtemps en certains pays, alors que dans d'autres il avait été abandonné. On peut donc dire seulement, à propos de la sépulture de Jonquières, qu'elle appartient probablement au premier ou au second siècle de notre ère.
L'urne cinéraire de cette sépulture étant en verre de belle qualité et les objets du mobilier funéraire étant également en beau verre et en fine poterie rouge, on peut avancer que la personne ensevelie était de condition riche ou tout au moins aisée, au contraire des pauvres gens dont les tombes ne renferment, avec une urne cinéraire en terre, que des objets en verre grossier et des poteries de même nature (1).
Les urnes cinéraires étaient en verre, en plomb, en marbre ou en poterie. Elles étaient renfermées dans des coffres en pierre ou en bois. Ces coffres étaient ovales comme l'urne, ou rectangulaires, spacieux ou exigus. Quand le coffre était de grandes dimensions, il contenait, en même temps que l'urne, les objets composant le mobilier funéraire ; dans le cas contraire, il ne contenait que l'urne cinéraire, les objets qui l'accompagnaient étant placés, comme ici, sous des tuiles ou sous tout autre abri. Quand le coffre était en bois, on ne retrouve que les clous qui en
(1) On a trouvé des sépultures encore plus pauvrement établies : les cendres du défunt avaient été déposées sur un plat et recouvertes d'une assiette.
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faisaient partie (1). Nous en citerons tout à l'heure deux exemples.
Depuis bien longtemps, c'est-à-dire depuis l'âge de la pierre polie, les fouilles des dolmens l'ont montré, l'homme a adopté l'usage de placer dans la tombe, à côté des morts, les outils, instruments et armes : couteaux, poinçons, vases et casse-têtes, qui leur avaient servi pendant leur vie. Cet usage s'est continué aux temps historiques, chez les Romains notamment. Dans la tombe d'un soldat, on déposait ses armes, son épée, son javelot. L'épée gauloise en bronze, trouvée sous un tas de pierres, près du château de Pécoulette, établit que cette tombe était celle d'un soldat. Dans les tombeaux de femme, on trouve des objets de parure ou de toilette, des épingles à cheveux, des bracelets, des boucles d'oreille, des miroirs. Enfin, dans les sépultures des enfants, on trouve assez fréquemment des jouets : dés, paumes, poupées. Ces traditions funéraires se sont continuées jusqu'à nos jours, et il est encore d'usage de déposer dans les cercueils des bijoux ou autres objets qui ont servi au défunt. N'est-il pas particulièrement touchant de voir quelquefois sur la pierre sépulcrale d'un enfant, abrités sous un globe de verre, les jouets qui l'ont amusé ?
Elle avait des hochets fait une humble chapelle,
a dit le poète en parlant de la mère qui pleure son enfant défunt (2).
A l'occasion de la trouvaille de Jonquières, nous en rappellerons une autre analogue, faite également dans le département de Vaucluse : en 1882, au bord du segment de l'ancienne voie romaine de Lyon à Arles compris entre le vieux château d'Uchaux et la rivière d'Eigue, au nord
(1) On voit dans le vestibule du rez-de-chaussée du musée Calvet et dans la salle de sculpture qui y fait suite, une urne cinéraire en plomb, d'autres urnes rectangulaires en marbre blanc, ainsi que plusieurs coffres en pierre ovales et rectangulaires.
(2) V. Hugo, Les rayons et les ombres.
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d'Orange, on mit à découvert, en creusant le canal de Pierrelate, une belle sépulture de l'époque de l'incinération. Elle se composait de trois belles urnes cinéraires en verre et d'un grand nombre de flacons de différentes formes et grandeurs. Parmi ceux-ci on en voyait un remarquable par sa couleur jaune et blanche, disposée par bandes alternées, imitant les veines de l'agate. Seul, paraît-il, le British Museum de Londres en possède un décoré de la même façon, mais plus petit. Tous les objets appartenant à cette sépulture, avaient été probablement renfermés dans un coffre en bois ; ce qui le fit supposer, c'est que tout autour, sur le sol, furent trouvés les clous qui avaient dû servir à en fixer les planches. Ce beau mobilier funéraire a été acquis par le musée Calvet, et on peut le voir rangé sur les deux étagères d'une de ses vitrines (1).
Comme cette dernière, la sépulture de Jonquières a été mise à découvert au bord d'un chemin vicinal qui fut, dans l'antiquité, une voie romaine. C'était la voie secondaire qui conduisait d'Orange à Carpentras. Elle sortait d'Orange par la porte de son rempart qui s'ouvrait au sud est, à l'extrémité de la rue St-Lazare (2) en même temps que la grande voie de Lyon à Arles, dont elle ne tardait pas à s'écarter, pour incliner vers l'est et se diriger vers Jonquiè(1)
Jonquiè(1) objets composant celte sépulture, au nombre de 17, sont décrits au Catalogue des antiquités du musée Calvet, sous la rubrique Verres antiques, p. 490, n° 236.
Sous le 6°, le flacon à bandes jaunes et blanches est ainsi décrit :
« Très belle fiole à parfum ou alabastrum en verre jaune artistement marbré de blanc. La panse est modérèment renflée et le col cylindrique se termine par un orifice à rebord. Hauteur totale, 0,155 ; diam. de l'orifice 0,040; diam. du fond, 0,060. »
On lit à la fin de la note :
« Acquis de M Phillipot, contre-maître des travaux du canal de Pierrelate »
(2) Le mur d'enceinte romain, dont on trouve un reste important dans le jardin d'une maison voisine, aboutissait à l'extrémité méridionale de la rue St-Lazare, où existait une porte de la ville. C'est par là que sortait la grande voie de Lyon à Arles pour se diriger vers Château-
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res, par le château de Pécoulette. En s'éloignant du village de Jonquières, elle tendait toujours vers le levant, traversait l'Ouvèze, près du château de Beauregard, sur les terrains duquel on a mis à découvert des antiquités (1), passait à Piécard, à Sarrians (2), et entrait à Carpentras par
neuf-Calcernier, et de là vers Sorgues et Avignon. Cette ancienne voie est restée jusqu'au commencement du siècle la grande route de Paris à Marseille. Ce tracé fut ensuite abandonné et on passa par Courthézon. (V. notre Etude sur la viabilité romaine dans le département de Vaucluse, P. 54.)
(1) Dans l'antiquité, on devait passer la rivière en guéant. On vient de construire un pont de pierre à cet endroit même.
Il y a une cinquantaine d'années, M. de Biliotti, en faisant complanter d'arbres un ancien marais autour de son château de Beauregard, mit à découvert un vase contenant 191 monnaies d'argent.
A l'exception de deux qui étaient des monnaies marseillaises au lion, toutes les autres étaient gauloises. Parmi celles-ci, 35 portaient la légende : FELIKOVESI.
Dans une dissertation insérée dans la Revue numismatique de 1839, page 321, M. Dureau de la Malle a cru reconnaître dans ce nom celui d'un chef de bande gauloise, Elitovius, qui, 600 ans avant Jésus-Christ, passa en Italie, à la suite de Bellovèse ; mais l'identification nous paraît fort risquée, ces deux noms ne présentant que fort peu d'analogie. (J. Courtet, Dict. des Communes du département de Vaucluse, au mot : Jonguières, en note, et Fortia d'Urban, Antiquités de Vaucluse, p 285-287.)
(2) A propos de Piécard et de Sarrians, on lit dans les Recherches historiques sur Sarrians, par M. l'abbé F. Bruyère :
" Tout près de ce dernier lieu (le hameau des gens d'Orange) à 2 kil. de Sarrians, on voit le mamelon de Piécard. La tradition locale veut que ce fût autrefois l'emplacement d'une ville ou d'un village que les Sarrasins détruisirent, ce qui obligea les habitants à se réfugier autour du monastere où s'élève l'agglomération du Sarrians moderne. On y a découvert dans le temps des monnaies, des meubles pourris et même des cloches. Le peuple le regarde comme le berceau de ses ancêtres et ne le désigne que sous le nom de Sarrians le vieux »
« Au couchant de Sarrians, dit Expilly (Dict gèogr., au mot Sarrians), des paysans ont souvent trouvé sous leur fer des urnes, des arcs, des flèches, de la monnaie et des médailles. Autour d'une de ces médailles on lisait ces mots : Coesar Vespasianus, et sur une autre, ce mot : Germanicus. Un laboureur trouva, il y a quelques années, quantité de pièces anciennes, les unes d'or et les autres d'argent ; il les vendit au poids à un orfèvre, qui les paya 130 livres et n'y perdit pas.
" Du même côté, la bêche du cultivateur découvre chaque jour de
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une porte de son enceinte, qu'a remplacée, au moyen âge, la porte d'Orange, après avoir suivi le chemin dit vulgairement de l'ancien hôpital (1).
La portion de cette ancienne voie, où a été faite la trouvaille dont nous nous occupons, est au nord de Jonquières. Mais ce n'est pas la première fois qu'on a fait sur ce point des découvertes du même genre : il y a soixante ans environ, M. Pons, maire de Jonquières, y trouva une vingtaine de tombes construites en tuiles à rebords, renfermant avec des ossements, des fioles et des lampes. Ces sépultures appartiennent au mode dit de l'inhumation et sont vraisemblablement postérieures à la première ; elles doivent remonter au moins au IIIe siècle. Leur nombre et leur réunion sur le même point feraient croire que là fut autrefois le cimetière et prouveraient l'antiquité de ce village (2).
Les tombes où des personnes riches étaient inhumées consistaient en une auge de marbre ou de pierre plus ou moins artistemement sculptée (3) ; quelquefois elles
nombreuses briques romaines ; et au Nord-Ouest, le hameau des gens d'Orange, que l'on croit avoir été formé par des colons romains venus d'Orange, atteste encore ce que nous avançons. »
(1) C'est près de ce chemin, au quartier de la Crozette, un peu avant d'arriver à Carpentras, qu'on découvrit, il y a une cinquantaine d'années, gravée sur une plaque de marbre blanc, la remarquable inscription votive au génie de la colonie qui se voit au musée de Carpentras, et en décembre 1883, avec de curieux vestiges de construction, différents débris d'antiquités, parmi lesquels deux moyens bronzes de Tibère et de Faustine mère, ainsi que le cippe funéraire de Lucius Thorius Eutichus. M. Morel a consacré à ces antiquités une note qui a été reproduite dans les Mémoires de l'Académie de Vaucluse, 1884, p. 88, aux procès-verbaux.
(2) La petite nécropole du vicus de Jonquières était sur un point élevé de son territoire, à l'abri des bas-fonds marécageux de la plaine ; il y a là, au nord du village actuel, une colline argileuse, à travers laquelle on vient d'ouvrir une tranchée pour le passage de la nouvelle ligne d'Orange à l'Isle.
(3) On peut voir dans la cour du musée Calvet, à gauche en entrant, deux tombeaux en marbre blanc, en forme d'auge, sans couvercle Sur le premier, l'inscription funéraire, qui était renfermée dans un cartouche rectangulaire, soutenu par deux génies ailés, a complètement disparu ;
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étaient en plomb. Celles des pauvres gens étaient simplement construites en tuiles à rebords, comme celles de Jonquières, ou en pierres plates empruntées aux champs d'alentour, ou partie en pierres plates, partie en tuiles. Le mobilier funéraire correspondait par sa pauvreté à celle de la tombe.
Outre l'ancienne voie secondaire dont nous venons de donner approximativement le tracé, il en existe une autre, dans le voisinage de Jonquières, qui se dirige du sud au' nord et sert aujourd'hui à délimiter les territoires de cette commune et d'Orange (1). C'est actuellement un chemin vicinal, d'une dizaine de mètres de largeur environ, portant la dénomination vulgaire de camin dis abeié ou chemin des troupeaux transhumants, et aussi celle de camin ferra. Cette dernière appellation sert habituellement à désigner les anciennes voies romaines dans les ensur
ensur dépourvu de toute ornementation, l'inscription parfaitement gravée en caractères de la bonne époque dans un cartouche de même forme, est tout à fait distincte et se lit facilement ; c'est le tombeau de Cornelius Valerianus. La première de ces auges funéraires, qui a dû servir à l'inhumation d'un enfant, ne mesure que 1m45 de long sur 0m48 de large et provient de Tarascon ; la seconde, qui a 0m59 de large sur 1m90 de long, a été découverte à Arles (V., au musée, le Catalogue des antiquités, aux rubriques : Cippes et tombeaux sans inscription, p. 207, n° 124, et Inscriptions romaines, p. 180, n° 106 )
(1) Dans notre Etude sur la viabilité romaine dans le département de Vaucluse, page 35, nous avons fait la remarque que la rectitude souvent remarquable des voies romaines avait décidé les populations voisines à les faire servir à délimiter les territoires communaux, et nous en avons cité trois exemples dans le département : « C'est ainsi, avons-nous dit, qu'au dessus de l'Eigue, l'ancien chemin connu sous le nom de camin reiau, sépare les territoires de Piolenc et d'Uchaux ; qu'au delà de la tour de Sabran, il divise ceux de Gordes et d'Oppède; qu'entre Caumont et la tour de Sabran, la voie secondaire qui reliait Avignon à la voie d'Arles à Milan et traversait la plaine entre l'Isle et Cavaillon, du couchant au levant, a été affectée au même usage pour les terroirs de ces deux localités. »
La voie secondaire de Sorgues à Camaret est un quatrième exemple du même fait.
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virons d'Orange (1). Celle-ci se détachait, au pont de Sorgues, de la grande voie de Lyon à Arles, passait à Courthézon, au château de Pécoulette, près duquel elle coupait à angle droit la voie précédemment décrite, puis, abandonnant à 3 kilomètres plus haut le bord de la coustière, elle inclinait légèrement vers le couchant, pour aller d'une part, se raccorder à Camaret avec la voie d'Orange à Vaison, et de l'autre, traverser la rivière d'Eigue en montant en ligne droite vers Ste-Cécile et les montagnes de la Drôme (2). A partir de Courthézon jusque dans le voisinage de Camaret, cette voie suivait constamment le bord oriental de la coustière, vaste dépôt diluvien de l'époque quaternaire, formé, comme on sait, de sables et de cail(1)
cail(1) un article de M. Estève, ancien chef de section du chemin de fer, publié dans le journal d'Orange, l' Indépendant, n° du 29 novembre 1885, et dont une copie nous a été très obligeamment adressée par notre excellent collègue, M. Fauchier, notaire à Orange.
Les chemins que suivent les troupeaux transhumants portent, en Provence ou dans le Comtat, les noms vulgaires de draio, carraire ou camin dis abeié. En Languedoc, c'est le mot draio qui est plus particulièrement employé. L'établissement de ces chemins remonte à une époque reculée et ce sont souvent d'anciennes voies romaines.
Aux environs d'Avignon, les anciennes voies romaines s'appellent, dans la langue du Midi, camin roumièu, chemin qui mène à Rome, voie romaine; il en est ainsi pour la voie secondaire qui conduisait d'Avignon à l'entrée de la vallée du Cala von, c'est-à-dire à la grande voie des Alpes Cottiennes, plus particulièrement depuis Caumont jusqu'à la tour de Sabran. A la hauteur d'Orange, les anciennes voies sont désignées sous la qualification populaire de camin ferra, chemin ferré. C'est la dénomination que porte aujourd'hui, outre l'ancienne voie dont nous nous occupons présentement, la grande voie romaine de Lyon, au dessus de Bollène. (V. notre Etude sur la viabilité romaine dans le département de Vaucluse, p. 49, et notre article sur Caumont, dans les Mémoires de l'Académie de Vaucluse, 1891, p. 56 )
(2) A Camaret, la voie croisait celle d'Orange à Vaison et continuait, de l'autre côté de l'Eigue, pour monter directement vers Ste-Cécile ; c'est encore aujourd'hui le tracé du chemin des troupeaux La voie secondaire d'Orange à Vaison continuait à suivre, à partir de la première de ces villes, la rive gauche de l'Eigue, en passant par Cairanne, où ont été trouvées beaucoup d'antiquités, et le plan de Dieu. (V , pour les découvertes faites à Cairanne, un intéressant article de M. Sagnier dans les. Mémoires de l'Académie de Vaucluse, 1893, p. 46.)
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loux roulés, qui lui permettait de côtoyer, sur un assez long espace, la plaine basse et marécageuse alors de Jonquières, que recouvraient les eaux de l'Ouvèze dans ses débordements (1). Pour les voyageurs qui montaient du Midi et se rendaient chez les Voconces, une fois parvenus à Sorgues, au lieu de continuer à suivre la grande voie de Lyon, en passant par Châteauneuf-du-Pape et Orange, ils allaient tout droit devant eux et, passant par Courthézon et le château de Pécoulette, parvenaient directement à Camaret, où ils prenaient la voie d'Orange à Vaison. On abrégeait ainsi très sensiblement le trajet.
Depuis longtemps déjà, on avait mis à découvert sur la propriété de Pécoulette, à l'intersection des deux voies précitées, des* antiquités de tous les âges indiquant l'ancienneté et l'importance de cette croisière (2).
(1) Toutes les fois qu'ils le pouvaient, les anciens surélevaient leurs voies et les mettaient à l'abri des eaux des rivières ou des étangs qui, en les recouvrant et en les dégradant, les rendaient, pour un temps plus ou moins long, impraticables. D'abord, d'une manière générale, les voies romaines étaient un peu, comme nos voies ferrées actuelles, surélevées au dessus de la plaine environnante, formant ce qu'en latin on appelait agger et ce qui a fait donner à ces vieux chemins dans certaines provinces du nord de la Fiance, la dénomination de chemins haussés. Mais, quand, à côté de terrains marécageux ou d'une rivière sujette à des débordements, se trouvait une chaîne de collines, aux flancs facilement praticables ou un terrain plus élevé, une côte, ce que dans le langage méridional on appelle une coustiero, on en profitait pour y faire passer la voie.
Nous avons eu déjà plus d'une fois l'occasion, dans nos études sur les voies antiques, de constater cet état de choses : la voie des Alpes Cottiennes, dans son tracé de la tour de Sabran aux Baumettes, a été établie sur le bord d'une coustière formée par le dépôt diluvien quaternaire, qui la mettait à l'abri des ravages du Cala von. Nous en dirons autant de la voie secondaire d'Avignon à Caumont, qui, depuis le rocher de Montdevergues jusqu'à la montée des Saumi morto, suivait le bord d'une coustière, ainsi protégée contre les débordements de la Durance et des eaux stagnantes qui, dans l'antiquité, occupaient les terrains situés entre la voie et la rivière. (V. notre Etude sur la viabilité romaine dans le département de Vaucluse, p. 63, et les Mémoires de l'Académie de Vaucluse, 1891, p. 67 )
(2) Tous les renseignements qui vont suivre sur les découvertes faites autour du château de Pécoulette, nous ont été très obligeamment fournis par son propriétaire actuel, M Félix Digonnet, dans l'intéressante collection duquel figurent beaucoup d'objes recueillis sur les lieux.
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Alors que M. de Bluchère en était propriétaire, on y avait déjà trouvé des sépultures, et notamment deux sarcophages en pierre, dont on fit des auges de fontaines.
Outre quelques silex de l'époque néolithique, couteaux, pointes de flèches, hache polie, ramassés sur ces terrains, et la curieuse épée gauloise en bronze qui y fut trouvée sous un amas de pierres (1), on a mis au jour, ces dernières années, environ 70 tombes gallo-romaines formées de tuiles à rebords et de pierres plates. La modeste construction de ces tombes, ainsi que la simplicité de leur mobilier funéraire, annonçait que c'était celles de pauvres gens : on n'y recueillit que quelques poteries grossières et des lampes en argile.
Au bas de la coustière, au bord de laquelle s'élève le château, sur le prolongement, au levant, de la voie d'Orange à Carpentras, et le long d'un ruisseau appelé le Roanel, on a mis à découvert des fondations solides, mais grossièrement bâties, et tout autour, beaucoup de débris
(1) Cette épée de bronze trouvée sous un amas de pierres, sorte de cairn élevé sur le versant d'un coteau, fut acquise par M. Morel, alors receveur particulier à Carpentras, qui en a publié la description suivante dans le volume du Congrès archéologique tenu à Avignon en 1882, p. 132 :
« De 0m79 de longueur et de 0m035 à sa plus grande largeur, au milieu de la lame, elle se fait remarquer par sa belle conservation et par une véritable élégance ; elle est droite, à double tranchant, légèrement renflée sur le dos à chaque face ; vers le quart de sa longueur, ses deux tranchants s'infléchissent et s'évasent pour se développer ensuite et prendre leur plus grande largeur à peu près vers le milieu La lame bien patinée porte deux crans significatifs à sa base ; elle est ornée de deux fines nervures longitudinales qui se rejoignent à la pointe, qui n'est pas aiguë, mais légèrement mousse.
« La lame et la soie ont été coulées d'un seul jet. La poignée qui recouvrait cette dernière devait être en corne, en os ou en ivoire, fixée par quatre rivets, dont trois sont encore adhérents ; sa forme est sinueuse, terminée par un carré, comme le type halstattien Mais ce qui donne un véritable intérêt archéologique à cette épée déjà remarquable par ellemême, c'est sa bouterolle également en bronze, qui a été exhumée du monceau de pierres en même temps que l'épée, et qui en est aujourd'hui le précieux accompagnement. »
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de tuiles, de poteries et d'amphores, ainsi qu'un certain nombre d'objets en fer, en bronze et en os. Parmi ceux-ci figurent des outils qui servaient à la fabrication de la poteterie (1). Il y avait-là probablement un hameau où s'exploitaient, pour la fabrication des tuiles et des poteries, les importants dépôts d'argile qui se trouvent à 1 mètre 50 de profondeur, sous la coustière, et pour laquelle on avait à sa disposition les abondantes eaux du Roanel. Les nombreuses tombes découvertes sur la hauteur, à l'abri des marécages de la plaine, pourraient bien représenter le cimetière de la petite agglomération. Tout le long de la coustière et en contre-bas de la voie, au dessus comme au dessous de Pécoulette, on a découvert des traces d'anciennes fabriques et d'anciens fours à potier.
C'est à une petite distance au dessus du château de Pécoulette et au bord du camin ferra, que fut découvert dans le gravier diluvien un énorme silos funéraire de 1m 50 de diamètre sur une égale profondeur. On n'y recueillit que des débris d'ossements humains et des fragments de poteries au grain grossier, qui pourraient peut-être lui faire assigner l'époque gauloise (2). Par sa présence
(1) Le musée d'Avignon possède 36 outils en ivoire ou en os ayant servi à la fabrication de la poterie. Ils ont été trouvés en creusant les fondements des forts sur les hauteurs de Lyon, en 1836, et dans les fouilles de Vaison, en 1842. (Catalogue des antiquités du musée Calvet, p. 369, n°486 A.)
(2) « Il y a quelques mois, est-il dit dans l'article de M. Estève, paru dans l'Indépendant d'Orange du 29 novembre 1885, dans un champ inculte de mûriers, appartenant à M. Dumas de Gasparin, à 40 mètres au dessus du chemin de fer de Paris à Marseille et à 20 mètres du chemin qui limite les terroirs d'Orange et de Jonquières, près du pont sur lequel passe la route départementale de Carpentras, on découvrit un trou rempli de débris de poteries et d'ossements mélangés. Dans la couche de 1m50 du gravier diluvien qui recouvre les argiles de cette colline, un simple puits de 1m50 de diamètre et de même profondeur avait été creusé jusqu'à l'argile. Aucune médaille ni inscription pour connaître l'âge de cette sépulture, rien que des ossements calcinés, rien que des débris de poteries pour nous apprendre, quoique avec peu de certitude, si nous sommes en présence d'un monument, je ne dirai pas de l'âge de pierre, époque néolithique, mais de l'époque celtique. »
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au bord du chemin, cette sépulture vient confirmer l'identification de ce chemin avec une ancienne voie.
Lorsque les découvertes de tombes sont faites le long des routes, elles ont cet important résultat de nous révéler l'existence d'anciennes voies romaines. Ce genre de trouvailles est même un des plus sûrs moyens de les retrouver, les Romains ayant eu, comme on sait, l'habitude d'ensevelir les morts le long des voies. Nous avons publié, il y a quelques années, le tracé de la grande voie de Lyon à Arles, et de celle d'Arles aux Alpes Cottiennes, dans leur passage à travers le département de Vaucluse. Dorénavant, chaque fois que l'occasion s'en présentera, nous profiterons de nos études archéologiques dans cet intéressant pays pour étudier le tracé des voies secondaires. Dans notre article sur l'oppidum gallo-romain de Baumes-de-Venise (1), nous avons indiqué celui des deux voies qui de Carpentras conduisaient à Vaison : l'une, la plus directe, mais la plus malaisée, traversant le massif montagneux compris entre Baumes et Vaison et passant par le Barroux et Malaucène ; l'autre contournant ce massif, au couchant, et passant par Vacqueiras et Séguret. Dans notre récent travail sur Caumont et le pont de Bonpas (2), nous avons fait connaître deux autres de ces voies secondaires : celle qui, conduisant d'Avignon à Cavaillon, allait se souder à la grande voie des Alpes Cottiennes, et celle qui, partant de St-Gabriel, près de Tarascon, parcourait obliquement la grande plaine s'étendant entre les Alpines et la Durance, et qui, traversant cette rivière à Bonpas, venait s'embrancher à la précédente, en face du pont de bois. Le présent article en signale trois autres. Nous espérons bien, d'ici à quelques années, si Dieu nous prête vie, en publier tout le réseau.
Puisque nous venons de nous occuper du tracé des voies romaines, au bord de l'Ouvèze, disons un mot en termi(1)
termi(1) de l'Académie de Vaucluse, 1887, p. 127.
(2) Idem, 1891, p 56.
7
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nant de la navigation de cette rivière dans l'antiquité. La navigation n'a-t-elle pas été de tout temps un moyen de locomotion, et les cours d'eau ne sont-ils pas, suivant l'ingénieuse expression de Pascal, des chemins qui marchent ? A ce titre, elle doit trouver place dans un article de ce genre. Dans notre Étude sur la viabilité romaine dans le département de Vaucluse, page 79, nous avons publié les deux inscriptions si intéressantes qui se lisaient sur le sommet du podium de l'amphithéâtre romain de Nîmes ; ces inscriptions se réfèrent aux places que les décurions de la colonie nimoise avaient réservées dans ce monument aux compagnies de bateliers qui desservaient certains cours d'eau d'alentour. L'une de ces inscriptions réserve 40 places à l'importante compagnie des bateliers du Rhône et de la Saône, dont le siège était à Lyon ; l'autre 25 places à celle des bateliers de l'Ardèche et de l'Ouvèze. Celle-ci se lit comme suit :
N ATR ET OVIDIS LOCA N XXV D D D N
C'est-à-dire :
Nantis Atricae et Ovidis loca numero XXV data decreto decurionum Nemausensium.
« Vingt-cinq places données par décret des décurions de Nîmes aux bateliers de l'Ardèche et de l'Ouvèze (1).»
(1) A propos de cette inscription, M. Allmer a écrit dans la Revue épigraphique, t. I, p. 403, n° 447 :
«Nimes. Au musée. Longues pierres au nombre de trois détachées du chaperon demi cylindrique qui formait la partie supérieure du mur du podium; extraites dans l'intervalle de 1812 à 1818 des déblais de l'arène, sur laquelle elles gisaient au pied de ce mur, du côté nord-ouest... Hauteur des lettres 0m07.
« Que les deux batelleries (de l'Ardèche et de l'Ouvèze), comme déjà le donnait à comprendre leur association dans la rédaction de notre texte épigraphique, n'aient formé qu'une corporation, cela est expressément dit dans une inscription aujourd'hui perdue, mais vue au siècle dernier, au dessus de la porte du cimetière de St-Pierre à St-Gilles et dont la copie, prise par Séguier, est conservée dans ses manuscrits (13802, 5, 60):..... Nauta Atr[icae] et Ou[idis], curator ejusdem corporis..»
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Il y avait donc, dans l'antiquité, un service de batellerie sur l'Ouvèze. Comme pour la Durance, on a tout d'abord grand'peine à comprendre que l'Ouvèze ait été navigable, étant donné l'état actuel de ce cours d'eau, dont le débit est, surtout en été, tout à fait insignifiant. En dehors des crues subites et fort redoutables qui se produisent parfois, en cas d'orage, dans ces rivières, la Durance et l'Ouvèze sont, une bonne partie de l'année, à sec, et ne présentent ça et là que des flaques d'eau sans importance. Mais leur débit était tout différent autrefois, et en dehors de la sécheresse occasionnée par les déboisements qui ont eu pour effet de l'amoindrir sensiblement, l'Ouvèze, comme la Durance, a été, dans nos temps modernes, finalement épuisée par les nombreuses saignées qu'elle a subies (1). Peutêtre aussi que ces différents services de batellerie n'avaient cours que pendant une partie de l'année et qu'ils étaient suspendus l'été, alors que la diminution notable de ces rivières rendaient la navigation impossible. Ces bateaux,
(1) On pourra, à cet égard, consulter avec fruit, à la Bibliothèque d'Avignon, l'ouvrage de M. Barral intitulé : Les irrigations dans le département de Vaucluse, pages 35, 77, 376, 380 et 381.
Cet auteur dit de l'Ouvèze :
« Elle est à sec pendant six mois de l'année. Son débit est de 10 mètres cubes dans les eaux ordinaires et de 750 mètres cubes dans les grandes crues. Sa largeur moyenne est de 125 mètres. »
Actuellement, l'Ouvèze n'est navigable, et cela toute l'année, que depuis Bédarrides, où elle reçoit la Sorgue, jusqu'à son embouchure, et comme l'appoint que lui donne celle-ci est considérable, elle porte son nom dans cette dernière partie de son cours. Il en était de même dans l'antiquité, car Strabon (Géog.,IV), parlant du cours inférieur de cette rivière, ne l'appelle pas l'Ouvèze, mais la Sorgue :«Le Sulgas, dit-il, qui a son confluent près de la ville de Vindalum, à l'endroit même où Cnaeus Domitius Aenobarbus, tailla en pièces, dans une grande bataille rangée, plusieurs myriades de Gaulois. » L'inscription nimoise parlant des bateliers de l'Ouvèze, nautae Ovidis, et non pas de la Sorgue, il ne peut être question, d'après ce que nous venons de dire, que de la partie de ce cours d'eau, qui est supérieure au confluent de la Sorgue, et il ne vaudrait vraiment pas la peine d'en parler, si la batellerie n'avait pas remonté au dessus de ce confluent. Or, c'est précisément entre Bédarrides et Vaison que le débit de la rivière est le plus faible et
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d'ailleurs, devaient avoir la forme des grands bateaux plats encore en usage sur le Rhône et ses affluents susnommés ; ils n'avaient, dès lors, besoin que d'un très faible tirant d'eau ; comme les coches qui ont fonctionné sur le Rhône jusque vers le milieu de ce siècle et qui ont dû perpétuer jusqu'à nous leur forme et leurs dimensions, ils étaient tirés par des chevaux à la remonte. Les bateaux de la Durance, de l'Ardèche et de l'Ouvèze servaient, selon toute apparence, au transport des marchandises et des produits agricoles des pays qu'ils traversaient, et il se faisait par eux un grand commerce d'exportation et d'importation : d'une part, ils transportaient, en descendant des petits ports échelonnés sur ces rivières, les produits de la contrée environnante, l'huile, le vin et le blé par exemple, et remontaient les produits manufacturés ou naturels apportés du nord et du centre de la Gaule par les bateaux de la Saône et du Rhône. C'est aussi par les bateaux du Rhône et de ses affluents que les marchés des pays riverains du grand fleuve s'approvisionnaient des marchandises transportées de part et d'autre, et c'est ainsi qu'on peut
qu'elle est même complètement à sec la moitié de l'année. Le déboisement du vaste massif rocheux qu'elle contourne, du levant au couchant, et qui devait lui fournir, dans l'antiquité, un important contingent de sources, d'une part ; de l'autre, les saignées multiples qui ont été pratiquées sur ses deux rives pour les canaux d'arrosage, lui ont enlevé une très notable quantité de son débit.
L'Ouvèze est actuellement ce que sont toutes les rivières du même pays : après avoir joué un certain rôle au point de vue de la navigation ou de la pêche, elles en sont réduites aujourd'hui à rester à sec plus de la moitié de l'année. Leur régime s'est complètement transformé. Nous avons déjà montré qu'il en était ainsi de la Durance, voici ce que nous lisons, à propos du Calavon, dans la Description géologique du département de Vaucluse, de Scipion Gras, à la page 25 :
« Ce torrent peut être cité comme un exemple des cours d'eau dont le régime a complètement changé depuis une époque reculée, probablement par l'effet des défrichements et du déboisement du sol. D'après des actes fort anciens, il y a eu un temps où l'on affermait à Apt la pêche du poisson qui vivait dans les eaux du Calavon. Aujourd'hui, il est à peu près complètement à sec pendant une grande partie de l'été. »
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s'expliquer que la ville de Nîmes ait réservé des places au premier rang de son amphithéâtre aux compagnies des nautes de l'Ardèche et de l'Ouvèze : elle montrait en cela sa reconnaissance des services que cette navigation lui avait rendus. Nîmes était rattachée au Rhône par la grande voie Domitienne, et c'est par cette voie que lui parvenaient les marchandises laissées par les bateaux à leur passage (1). Il fallait que ces services fussent réels et que ces compagnies fussent puissantes pour que Nîmes songeât à leur faire cet honneur. Il est étonnant de ne pas voir la même faveur accordée aux bateliers de la Durance ; il semble, en effet, que Nîmes a dû beaucoup profiter des produits des bords de la Durance, aussi recherchés, assurément, dans l'antiquité que de nos jours. En ce qui touche particulièrement les bateaux de l'Ouvèze, nous supposons qu'ils remontaient au moins jusqu'à Vaison et descendaient jusqu'au Rhône depuis cette ville, sur les quais de laquelle devaient se centraliser les produits de l'intérieur du pays voconce.
L. ROCHETIN.
(1) Nimes est à 25 kilomètres du Rhône. Strabon dit, au livre IV de sa Géographie :
« La métropole des Arécomiques, Nemausus, bien inférieure à Narbonne, en ce qu'on n'y voit pas la même affluence d'étrangers et de commerçants, forme en revanche une commune une cité plus considérable. Ajoutons que Nemausus se trouve à 100 stades environ de la rive droite du Rhône prise à la hauteur de Taruscon, petite ville bâtie sur la rive gauche, et qu'elle est d'autre part à 720 stades de Narbonne »
SÉANCES DE L'ACADÉMIE,
Extraits des procès-verbaux.
AVRIL-MAI-JUIN,
Séance du 9 avril 1892. — Présidence de M Torcapel.
Étaient présents : MM. Torcapel, Mordon, Limasset, Labande, abbé Grimaud, Rey, Mouzin, Sagnier, Schoedelin, Delaly, Rochetin, Tiquet, Pilate, Réguis, Arnaud de Fabre et Reynaud.
Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté.
— M le Président annonce la candidature comme membres correspondants de MM. Gabriel Perrier, félibre à Graveson, et Marius André, félibre à Avignon, présentés par MM. Rochetin, Mouzin et Limasset.
— Il fait part du décès de M. Armand, avoué d'Avignon, un de nos membres titulaires et exprime les regrets de l'Académie.
— Il donne lecture de la liste des nouvelles sociétés savantes avec lesquelles le bureau de l'Académie proposait l'échange des Mémoires. Après les observations de plusieurs membres, cette liste est arrêtée ainsi :
Société d'agriculture, histoire naturelle et arts utiles, à Lyon ; Académie des sciences, agriculture, arts et belles-lettres, à Mâcon ; Société éduenne, à Autun ; Société d'anthropologie, à Paris ;
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Société française de numismatique et d'archéologie, à Paris ;
Société d'études scientifiques et archéologiques, à Draguignan ;
Société historique algérienne, à Alger ;
Société archéologique, à Constantine ;
Académie des sciences et belles lettres, à Dijon ;
Académie des sciences, arts et belles-lettres, à Besançon ;
Société d'archéologie de Belgique, à Anvers ;
Academia dei Lincei, à Rome ;
Société des antiquaires de Normandie ;
Société des antiquaires du Centre,
Société archéologique d'Angoulême ;
Revue du Lyonnais et du Forez.
— M. le Président lit ensuite une lettre de M. d'Audeville demandant à être délégué par l'Académie au Congrès des sociétés savantes. L'Académie émet un vote favorable et désigne M. d'Audeville pour la représenter à ce Congrès avec MM. Torcapel et Labande.
— Le bureau de l'Académie avait émis le voeu qu'une séance publique eût lieu dans le courant de décembre Sur la proposition de M. le Président, l'Académie donne son adhésion à ce voeu. A ce propos, il est rappelé qu'il est d'usage de décerner, lors de cette séance publique, des prix aux meilleurs ouvrages présentés à des concours ouverts par la Société. Aussi, il est décidé qu'il sera ouvert pour l'année 1892 trois concours, dont les sujets sont ainsi arrêtés :
Concours historique. Faire la monographie d'une localité du département (hameau, commune, couvent, abbaye, etc.).
Concours scientifique. Traiter un sujet d'histoire naturelle intéressant le département.
Concours de peinture. Sujet laissé au choix des concurrents.
Les conditions seront les mêmes que pour les concours précédents. Les ouvrages présentés devront être adressés à M. le Secrétaire général avant le 15 octobre prochain. Une ou plusieurs médailles seront attribuées à chaque concours, et les oeuvres resteront la propriété des auteurs.
— Lors du renouvellement du bureau, il fut décidé que l'on procéderait à une révision du règlement actuellement en vigueur. Sur la proposition de M. le Président, l'Académie nomme pour cette révision une commission composée de M. le président, MM. les vice-présidents, M. le
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secrétaire général, MM. Sagnier, Rochetin, Villars et Mouzin. Cette commission se réunira les 5, 6 et 7 mai prochain.
— La parole est ensuite donnée à M. Labande pour ses nouvelles observations sur le sens du mot ogive et sur l'architecture gothique. Ce sont des explications sur la lecture du même auteur lors de la séance de février. M. Labande, s'appuyant sur la tradition, combat de toutes ses forces l'opinion qui veut que l'ogive soit la caractéristique de cette architecture qui fut en honneur du XIIe au XVIe siècle.
— M. Rey continue la lecture qu'il avait commencée lors de la dernière séance, sur les entreprises de Louis XI contre Avignon et la légation de Julien de la Rovère.
— L'heure étant trop avancée, les lectures de M. l'abbé Grimaud et de M. le capitaine Pilate sont renvoyées à la prochaine séance.
Séance du 30 avril 1893. — Présidence de M. Torcapel.
Étaient présents : MM. Torcapel, Limasset, Tiquet, abbé Grimaud, Mouzin, Villars, capitaine Pilate, d'Audeville, Niel, Pignat, Arnaud de Fabre, abbé Requin, Sagnier, Schoedelin et Labande.
Excusés ; MM. Liabastre et Mordon.
Le procès verbal de la précédente séance est lu et adopté.
— M. le Président annonce la démission comme secrétaire de M. Reynaud, qui se trouve trop occupé par ses devoirs professionnels pour continuer ses fonctions. L'ordre du jour portait la nomination de son successeur; mais M. le Président, n'ayant pu avoir la réponse du membre titulaire auquel il avait offert cette succession, propose de renvoyer l'élection à une séance ultérieure. Adopté.
— Il annonce également une séance supplémentaire pour la discussion des nouveaux statuts de l'Académie. Cette séance est fixée au samedi 14 mai.
— La parole est donnée à M. l'abbé Grimaud pour la lecture de son travail sur la Parole et son origine. Après avoir fait ressortir l'heureuse influence de la parole sur la santé de l'individu, le savant auteur discute les théories émises jusqu'à ce jour sur l'origine du verbe : il admet que le langage, naturel à l'homme, a subi toutes les phases d'une invention lente
182 MÉM0IRES
et progressive. Il repousse l'idée d'une seule langue primitive et considère l'établissement d'une langue universelle a priori comme une utopie. L'Académie écoute avec intérêt cette lecture, que l'auteur termine par des considérations sur la destinée des diverses langues, qui sont, dit-il, vouées à la mort.
— M. l'abbé Requin a retrouvé dans les registres des notaires d'Avignon des documents précis qui dissipent tous les doutes qui ont pu exister sur le tombeau d'Alain Chartier, placé jadis dans l'église des Antonins. L'épitaphe rapportée par de Véras ne remonte peut-être pas au XVe siècle, mais il est indiscutable que le poète français soit mort à Avignon, en 1449, et qu'il ait dû son tombeau à la munificence de son frère, l'évêque de Paris:
— Enfin, le capitaine Pilate, dans un langage pittoresque et châtié, a raconté sous forme de lettre les tribulations d'une pauvre famille errant de pays en pays avec tout l'attirail d'une ménagerie.
Ces trois lectures ont été accueillies avec le plus grand plaisir par l'Académie, et M. le Président s'est fait l'interprète de tous en adressant aux auteurs ses plus sincères félicitations.
Séance du 14 mai 1892 — Présidence de M. Mordon, vice-président.
Étaient présents : MM. d'Audeville, Sauret, Rochetin, Tiquet, Schoedelin, abbé Grimaud, Sagnier, Dr Laval, Mouzin, Pignat, Reynaud et Labande.
S'étaient fait excuser : MM. Torcapel et le capitaine Pilate.
Le procès-verbal de la présente séance est lu et approuvé.
En l'absence de M. Torcarpel, président, M. Mordon propose de renvoyer à une séance ultérieure la discussion des nouveaux statuts de l'Académie de Vaucluse, élaborés en commission les 11 et 12 mai précédents. Cependant l'Académie ayant exprimé le désir de les entendre dans cette même séance, lecture en est faite.
Après plusieurs observations présentées par plusieurs membres de l'Académie, notamment par M. le docteur Laval, ces statuts sont adoptés à l'unanimité. Il est décidé, en outre, qu'ils seront imprimés dans le courant de cette année et envoyés à tous les membres de l'Académie. Ils seront en vigueur dès le commencement de l'année.
DE L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE 183
— La parole est ensuite donnée à M. Limasset pour la lecture de la première partie de son mémoire intitulé : Historique de l'Académie de Vaucluse. L'auteur raconte l'histoire de l'ancien Lycée et de l'ancienne Athénée de Vaucluse et expose dans un récit très animé les travaux des érudits avignonais du commencement de ce siècle. M. Limasset a intercalé de nombreuses citations, toutes très bien choisies, pour bien indiquer la note de l'époque. Il est permis de dire que cette note a été exactement trouvée et que l'auteur a su fort heureusement tirer parti des nombreux documents qu'il avait en mains. Aussi son intéressante lecture a-t-elle été fort appréciée et applaudie par l'Académie.
— Sur la proposition de M. le Président, sont nommés à l'unanimité membres titulaires de l'Académie :
MM. Boyer, procureur de la République à Avignon, présenté par MM. Rochetin, Tiquet et Mordon ;
Et le commandant Maillot, chef de bataillon breveté d'état-major au 22° d'infanterie à Montélimar, présenté par MM. le Dr Laval, Mouzin et Rochetin.
Séance du 4 juin 1892. — Présidence de M. Mordon.
Étaient présents : MM. Limasset, Rey, Rochetin, d'Audeville, Pignat, Mouzin, Schoedelin, Rieu, abbé Grimaud, Mascle, Tiquet, Caziot, Villars, Pilate, Reynaud, Sagnier.
M. le Président invite M Rochetin à remplir les fonctions de secrétaire et à prendre place au bureau.
Il donne lecture d'une lettre de M, Torcapel par laquelle celui-ci donne sa démission de président. M. Torcapel dit que ses occupations et ses nombreux déplacements l'obligent à résigner ses fonctions. Il remercie ses collègues du concours bienveillant qu'ils n'ont cessé de lui prêter et qui a, dit-il, singulièrement facilité sa tâche.
M. Mordon exprime ses regrets de la détermination de M. Torcapel et dit qu'avant de songer à procéder à l'élection d'un nouveau président, il convient que l'Académie fasse une démarche auprès de lui pour essayer de le faire revenir sur sa démission. Il est décidé, en conséquence, que MM. Mordon et Limasset feront une démarche en ce sens.
— La Société Éduenne remercié l'Académie de Vaucluse de l'avoir
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admise au nombre des Sociétés savantes avec lesquelles elle a décidé d'échanger son Bulletin et envoie en conséquence le dernier volume de ses Mémoires.
— Avant de donner la parole à M. Rey pour la lecture pour laquelle il est inscrit sur le programme de la séance, M le Président exprime, au nom de l'Académie, tous ses regrets de voir M. Rey s'éloigner d'Avignon par suite de sa nomination comme inspecteur d'académie à Grenoble, en même temps que sa satisfaction de cette nomination, qui répond si heureusement aux voeux de M. Rey, à cause de ses intérêts de famille et de propriété.
M. Rey répond en remerciant l'Académie de Vaucluse de la bienveillance avec laquelle elle a toujours accueilli ses communications ; il en emportera un souvenir reconnaissant. Il compte continuer à faire partie de l'Académie à laquelle il se propose d'envoyer d'autres travaux.
La lecture de M. Rey confirme en manière de conclusions les idées précédemment exprimées et développées. Les rapports des rois de France avec les Avignonais n'ont cessé d'être excellents Si les rois concèdent à ceux-ci comme à des régnicoles une foule de faveurs et de privilèges, les sujets du pape ne cessent de rendre-des services aux rois. Tout en respectant la souveraineté du pape, les rois de France ont toujours considéré cette souveraineté comme une concession faite par la couronne à la cour de Rome. C'est, d'après M. Rey, la pensée qui se dégage de toutes les négociations entre les deux États.
— M. le Président dit qu'il a oublié tout à l'heure d'annoncer que M. Sagnier avait déjà depuis quelque temps prévenu M. Labande qu'il aurait une lecture à faire pour cette séance et demande si l'Académie verrait quelque inconvénient à ce que cette lecture se fît. Personne ne s'y opposant, M. Sagnier fait un rapport sur une brochure de M. Ferdinand Homo à propos d'antiquités romaines trouvées aux environs de PontAudemer (Eure). L'auteur fait part de la découverte d'une sépulture de l'incinération qui fut faite en sa présence près de Pont-Audemer, au bord de la voie romaine qui conduisait à Rouen. Il décrit les objets en bronze et en verre, ainsi qu'une pièce de monnaie en or de l'époque des Antonins qui y fut trouvée, plus trois trésors, consistant en pièces de monnaie du temps de Septime Sévère, contenues dans des vases de terre.
— M. Rochetin donne lecture du mémoire pour lequel il était inscrit. Il profite des nombreuses découvertes de sépultures de l'incinération et de l'inhumation aux environs de Jonquières pour donner le tracé de deux
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voies romaines secondaires : 1° celle qui, se dirigeant du couchant au levant, conduisait d'Orange à Carpentras ; 2° celle qui, allant du midi au nord, reliait la grande voie de Lyon à la voie d'Orange à Vaison, en croisant la première au château de Pécoulette En finissant sa lecture, l'auteur fait remarquer l'importance des découvertes de tombeaux le long des chemins pour retrouver le tracé des voies romaines.
— M. d'Audeville termine la séance en lisant sa spirituelle fable intitulée « Le Singe candidat ».
Le secrétaire général, L.-H. LABANDE.
ARCHÉOLOGIE VAUCLUSIENNE.
AVIGNON DANS L'ANTIQUITÉ:
Avignon, ancien oppidum cavare ; sa situation sur le Rocher, berceau de la ville primitive ; racine celtique de son nom, aven, conservée dans notre idiome méridional et en bas-breton, où il renferme l'idée " d'eau ».— Ses rapports de commerce et d'amitié avec les Massaliotes la font qualifier par les auteurs anciens de «ville de Marseille ». Position de la ville gallo-grecque et gallo-romaine; épitaphe gréco-latin trouvée dans les substructions de la maison Besse, rue Géhne ; vase rempli d'oboles massaliètes, mis au jour en creusant les fondations du théâtre ; restes d'une enceinte gallo-grecque découverts rue de l'Arc-de-l'agneau. — Avignon devenue, sous les Romains, comme colonie latine et chef-lieu d'une civitas, une des plus opulentes villes de la Narbonnaise. Ses monunents et son mur d'enceinte entièrement disparus ; tracé probable de ce mur, d'après les anciennes paroisses et les mosaïques découvertes. Curieuse inscription romaine trouvée près de la métropole et se référant à une donat on faite par un préteur des Volques ; emplacement de la métropole occupé sans-doute primitivement, comme celui des autres cathédrales, par un temple païen ; son porche, imitation évidente de l'art antique, et par sa forme et par son ornementation. Mur de construction romaine, à la base des bâtiments de la Vice-gérence, au-dessus de la rue Peyrolerie. Derniers et insignifiants vestiges du théâtre antique. Emplacement du forum avignonais déterminé par les découvertes faites rue Géline et sous l'hôtel-de-ville ; son area bordée, au couchant, par l'hippodrome, comme à Orange, et au midi, par des bains publics. Débris d'un arc de triomphe et bases de metae ou bornes de cirque trouvés dans les fondations de la maison Besse. Inscription relative à Julie Drusille, soeur de Caligula. Avignon alimenté, d'après ses historiens modernes, par la fontaine de Vaucluse. Anciens tuyaux en plomb de distribution des eaux et anciens égouts rendus au jour. Situation du cimetière romain, à la sortie de la Porta Romana, sur l'emplacement du pénitencier militaire; nombreuses découvertes funéraires faites dans l'ancien parc des Célestins. Existence probable d'un pont romain en pierre sur le Rhône, à l'endroit où fut bâti plus tard le pont St-Bénézet ; chartes et culée construite à la romaine, indiquant que le pont antique avait été jeté un peu au-dessous du pont moyen âge.
I
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Les Cavares (Cavari, Cavares), qui ont occupé, plusieurs siècles avant notre ère, les vastes et fertiles plaines faisant aujourd'hui partie du département de Vaucluse, étaient une de ces nombreuses peuplades celtiques qui, dans ces temps reculés, envahirent le midi de notre pays, où elles se mêlèrent aux Ligures, qui s'y étaient déjà installés longtemps auparavant. Comme les autres principaux peuples de la Gaule, les Cavares avaient sous leur dépendance, en vertu d'une sorte de patronage, d'autres peuplades de moindre importance. Leurs clients étaient les Tricastini et les Segalauni, qui occupaient les territoires dont St-Paul-Trois-Châteaux (Augusta Tricastinorum) et Valence (Valentia) étaient les villes principales. C'est par ces deux peuples que le pays des Cavares avait l'Isère pour limite extrême au Nord (1). Mais leur frontière proprement dite était, de ce côté, si l'on s'en rapporte aux anciennes frontières diocésaines, la petite rivière du Lez. C'est à ce cours d'eau, en effet, que se terminait le diocèse d'Orange. Au midi, leur territoire fut borné par la Durance, qui les séparait des Saliens, puissante peuplade ligure, à laquelle s'étaient mêlés d'autres Gaulois (2) ; au couchant, par le Rhône, de l'autre côté duquel étaient les Volques Arécomiques (3) ; au levant, par les massifs montagneux qui limitèrent plus tard les diocèses d'Orange, d'Avignon et de Cavaillon. Cette ligne de démarcation les séparait des Vocontii, des Memini et des Vulgientes (4).
(1) Strabon, Géogr , IV.
(2) Id., ibid.
(3) Id., ibid.
Tite-Live dit bien (XXI, 26), que, lors du passage du Rhône par Annibal (219 avant J.-C), les Volques Arécomiques s'étendaient sur les deux rives du fleuve, mais il est probable que cette occupation ne fut que momentanée et que les Volques ne tardèrent pas à se retirer sur la rive droite.
(4) Les Vocontii avaient pour villes principales Vasio (Vaison) et Dea (Die). Cette dernière était la ville religieuse,
Les Memini avaient pour capitale Carpentoracte (Carpentras). Leur ter-
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Les bourgs fortifiés ou oppidums des Cavares furent Orange (Arausio), Avignon (Avenio), Cavaillon (Cabellio), et un peu au dessus d'Avignon, vers l'embouchure de la Sorgue, un autre petit oppidum (Vindalium), dont notre collègue, M. Sagnier, a déterminé la position, en le plaçant sur le plateau dominant de Sève, et qui a disparu de bonne heure, ne laissant dans l'histoire qu'une trace fugitive (1). Conformément à un usage adopté par d'autres peuples Gaulois, et notamment, de l'autre coté du Rhône, par les Volques Arécomiques, les oppidums des Cavares avaient généralement reçu le nom de la source ou du cours d'eau qui coulait à leur pied. Arausio portait, non pas celui de la rivière d'Eigue, comme l'ont écrit certains auteurs, mais bien celui d'une source, l'Araïs, qui sourd à peu de distance de l'ancien oppidum, au bord du petit cours d'eau qu'on appelle la Meyne, et qui fut probablement, de la part des Celtes du pays, l'objet d'un culte reliritoire
reliritoire au midi de la chaîne de montagnes à l'extrémité occidentale de laquelle se dresse le Ventoux.
Les Vulgientes, qui comptaient dans leur circonscription le pagus des Vordenses ou district de Gordes, au couchant, avaient pour ville principale Julia Apta (Apt).
(1) Au dire des auteurs anciens (Strabon, IV, 1, 11; Paul Orose, V, 13) Vindalium était situé à l'embouchure de la Soigue, et c'est près de cet oppidum que le proconsul Cneus Domitius Ahenobarbus remporta, en l'an 121 avant Jésus-Christ, une grande victoire sur les Allobroges.
Les commentateurs ont placé Vindalium en bien des endroits différents ; il était réservé à M. Sagnier, notre confrère à l'Académie de Vaucluse, de déterminer son véritable emplacement. A deux kilomètres au nord du village de Vedènes et à quatre de l'embouchure de la Sorgue, s'élève au milieu de la plaine, une éminence surmontée d'un vaste plateau, connu dans le pays sous le nom de Plateau de Sève. C'est là qu'il faut placer Vindalium : la configuration de cette colline isolée, disposée comme tous les oppidums celtiques, jointe aux débris de poteries gauloises et galloromaines qu'on y trouve en abondance et aux nombreuses sépultures qu'on y a mises à découvert, ne peut laisser de doute à cet égard. Ainsi que cela est arrivé souvent, le nom de l'oppidum disparu a été adopté par la localité la plus voisine, et celui de Vedènes n'est autre que le mot corrompu de Vindalium.
L'oppidum était à deux kilomètres au levant de la voie d'Agrippa. C'est
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gieux (1). Cabellio avait pris le nom de la rivière du Calavon, au confluent de laquelle il est placé. Le nom d'Avenio est formé d'une racine celtique, aven, qui s'est conservée dans notre langue méridionale et en bas-breton où il renferme l'idée d'eau, de cours d'eau, empruntée sans
par elle que les Allobroges étaient descendus et avaient débouché dans la plaine de Vindalium où Domitius avait dû établir son camp et les attendait au passage. L'armée romaine était retranchée derrière la Sorgue et ne pouvait être facilement surprise ; la position avait été bien choisie.
Au nord de la colline de Sève et au bord d'un petit chemin qui conduit au hameau de Gigognan, l'exploitation d'une carrière de pierres a mis à découvert un cimetière gallo-romain que nous considérons comme celui de l'antique localité. On y a trouvé des sépultures de l'époque de l'incinération et de l'inhumation, les premières représentées par des ollae cinerariae creusées dans le roc, remplies de cendre et recouvertes d'une pierre plate.
La dénomination de Sève que porte actuellement le plateau de Vindalium paraît venir du vieux mot provençal séuvo, forêt, bois ; le latin sylva a formé sylve, selve, et par apocope de l'L, sève. Dans l'antiquité, la plaine et le plateau qui avaient servi d'assiette à l'oppidum devaient être couverts de bois ; il en reste encore des vestiges. Le mot méridional séuvo se rencontre ailleurs comme nom de quartier. Dans ses Mémoires pour l'histoire naturelle de la province du Languedoc, Astruc, parlant de plusieurs anciennes villes détruites du dépaitement du Gard, dit à propos de l'oppidum gallo-romain de Mus, situé au nord de Sauve : « La troisième, était près de Sauve, à côté d'une grange appelée la seuve, silva, près du chemin de Sauve à Durfort, dans un lieu nommé Mus... »
(1) L'ancien nom de l'Eigue est Icara, qui n'a aucune analogie avec Arausio.
L'Arais sourd au bord même de la Meyne, sur la rive droite de ce cours d'eau, au nord-ouest de la ville. En 1112, Raimbaud III d'Orange avait fait construire, sur les terrains qui l'a voisinent, un couvent aux chevaliers de St-Jean de Jérusalem. Au moyen âge, on avait attribué aux eaux de cette source la propriété de guérir les femmes de la stérilité. Habituellement, les vertus particulières que certaines sources sont réputées avoir, découlent de traditions très reculées et sont une marque du culte dont elles étaient anciennement l'objet de la part des Gaulois. Araïs est un vocable d'origine celtique, et les mots contenant le radical ar sont fort nombreux. Le nom antique de l'Hérault, Arauris, est presque identique et devait avoir la même signification. Beaucoup de villes avaient pris, comme Orange, le nom d'une source consacrée : nous citerons entre autres Nîmes (Nemausus) et Cahors (Divona).
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doute au grand fleuve, au fleuve par excellence, le Rhône, au bord duquel s'élevait cet oppidum (1).
Le bourg gaulois d'Avignon s'était retranché sur le plateau qui couronne le Rocher. C'est là que fut le berceau de la ville antique. Les abrupts du nord et de l'est et les fortes déclivités des autres côtés en rendaient la défense aisée, défense complétée artificiellement, au sommet, par un large et haut mur d'enceinte en pierres sèches. De ces hauteurs, le regard plongeait sur le cours du Rhône et sur les plaines environnantes, dont il parcourait en un instant l'immense étendue. Mais l'oppidum dut être surtout occupé la nuit et en temps de guerre, alors qu'il devenait urgent de repousser une attaque ou d'éviter une surprise ; le jour et en temps de paix, les grossiers habitants de l'Avenio celtique stationnaient sur la rive du fleuve pour se mettre en rapports avec les trafiquants massaliotes ou gaulois qui remontaient ou descendaient le Rhône et opérer avec eux des échanges commerciaux (2). Aussi, la bour(1)
bour(1) Vaison, l'une des deux principales villes des Voconces, avait également emprunté le nom de la rivière de l'Ouvèze, au bord de laquelle elle était située.
Le mot aven, racine du nom antique d'Avignon, qui, en bas breton, renferme l'idée d'eau, désigne plus particulièrement, dans la langue du midi de la France, ces ouvertures circulaires ou entonnoirs qui existent souvent en grand nombre sur nos rochers calcaires, et par où s'écoulent les eaux de la pluie pour se réunir en un réservoir intérieur et fournir au débit des sources. C'est par les nombreux aven du haut plateau de Sault que s'alimente la fontaine de Vaucluse.
(2) Bien ayant les Massaliotes et les Gaulois, c'est-à-dire dès le XVe siècle avant Jésus-Christ, les Phéniciens, le plus grand peuple de navigateurs de l'antiquité, avaient couvert de colonies et de comptoirs les rivages de la Méditerranée et avaient remonté les fleuves jusque dans l'intérieur des continents. Les historiens admettent aujourd'hui que chaque fois que l'on rencontre quelque part, sur les rivages méditerranéens, le nom d'Hercule, il faut y reconnaître celui de Melkarth, la grande divinité de Tyr, celle qui présidait à son commerce maritime, et au nom de laquelle les Grecs avaient substitué celui de leur dieu correspondant. Le fameux combat livré par Hercule aux Ligures, dans les plaines de la Crau, a symbolisé la lutte que les Phéniciens ont eu à soutenir, aux em-
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gade gauloise ne tarda-t-elle pas à se développer sur les pentes du rocher qui permettaient d'accéder commodément au fleuve, et peut-on considérer les déclivités du couchant, depuis la place du Palais-des-Papes jusqu'au bord occidental de la rue des Grottes et de la rue Racine, comme ayant été l'emplacement de la ville commerciale aux époques gallo-grecque et gallo-romaine (1).
bouchures du Rhône avec ses premiers occupants. L'importante via Heraclea qui desservait le littoral, du Rhône à l'Espagne, et qui devint plus tard la via Domitia, lorsque Domitius Ahenobarbus l'eut restaurée, est pareillement considérée comme ayant été établie par les Phéniciens. Il n'est donc pas douteux que ce grand peuple de commerçants n'ait trafiqué dans tout le midi de la Gaule. On peut aussi considérer comme à peu près certain qu'ils ont remonté le Rhône et que leurs vaisseaux ont fait escale le long de ses rives.
Suivant une tradition du moyen âge, qui a été recueillie par les historiens locaux du siècle dernier, ou peut être plutôt, d'après un récit inventé de toutes pièces par ces derniers, un temple à Hercule se serait élevé sur le Rocher d'Avignon, et la statue du dieu, avec inscription dédicatoire, aurait même subsisté devant la métropole jusqu'au XIVe siècle, où le pape Urbain V l'aurait détruite en la faisant servir à la construction de la partie du palais dont il fut l'auteur. Si ce récit était vrai, nous serions tenté d'y voir le temple et la statue du Melkarth tyrien; mais il ne repose sur aucun document sérieux et il a été imaginé au XVIIIe siècle, c'est-à dire à une époque où l'on ne s'en faisait pas faute. Mais aurait-il été puisé dans une tradition du moyen âge, qu'il ne faudrait pas en tenir plus de compte. « Chaque fois, lisons nous dans la Revue épigraphique, 1891, p. 85, qu'on a recours au moyen âge, pour expliquer l'antiquité, on marche aussi sûrement que possible à des erreurs. Le moyen âge a rompu de trop de manières profondes avec l'antiquité et en est séparé par beaucoup trop de siècles de bouleversements et de confusion, par un trop complet oubli du passé et par un esprit trop différent, pour pouvoir être considéré comme sa continuation directe ; ses récits, quand ils ont pour objet les temps antiques, ne sont pas, comme on est beaucoup trop porté à le croire, des souvenirs transmis de siècle en siècle, mais presque toujours ne sont autre chose que des fables imaginées de toutes pièces à des époques d'ignorance. »
(1) Ces déclivités forment trois plans en terrasses superposées La plus élevée est représentée par la place du Palais des Papes ; la seconde, par la rue Balance, la troisième par la rue des Grottes. Les maisons de ce quartier doivent reposer sur des fondations antiques. Les terrains en contre-bas, sur lesquels se sont bâties plus tard les rues du Limas, de la Grande-Fusterie et Petite-Fusterie, étaient alors recouverts par les eaux
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Après leur établissement à Marseille, en l'an 600 avant notre ère, les Grecs s'agrandirent autour d'eux par la navigation et le commerce ; ils fondèrent des colonies et des comptoirs sur le littoral et au bord des cours d'eau. Leurs bateaux remontaient le Rhône et la Durance. Des rapports d'amitié et de négoce s'établirent entre les Cavares et les Marseillais. Le ports d'Avignon sur le Rhône et de Cavaillon sur la Durance furent particulièrement fréquentés par ces derniers et des comptoirs grecs probablement installés dans ces deux villes ; aussi Etienne de Byzance les
du Rhône, et le port était dans ces parages , la direction de l'ancien courant, indiqué par le reste de culée de pont que nous signalons plus loin, joint à l'examen topographique des lieux, suffit à le démontrer. Il va sans dire que, depuis l'antiquité, ces terrains se sont considérablement exhaussés et que le mur occidental de l'hippodrome qui bordait le Rhône à cet endroit, sur toute la longueur de la rue Racine et de la rue des Grottes, le dominait de plusieurs mètres de hauteur.
La dénomination provençale de rue et porte du Limas donnée à une rue de ce quartier et à une porte de la première enceinte du moyen âge est par elle-même suffisamment significative et vient établir que le Rhône avait laissé sur leur emplacement des dépôts vaseux. C'est alors aussi que les marchands de bois ou charpentiers habitaient la Grande et la Petite Fusterie (li Fustarié), d'où la dénomination qu'on a donné à ces rues. Dans son Dictionnaire des communes du département de Vaucluse, au mot Avignon, Jules Courtet a fait remarquer avec juste raison que, contrairement à ce qui se voit à Avignon, où les anciennes rues ont toutes été construites en lignes brisées, celles de la Petite Fusterie, Grande Fusterie et du Limas l'ont été en ligne droite, et que la cause en a été le mur occidental du cirque romain, contre lequel on a bâti tout un côté des deux premières,
Quant à la rue des Grottes, son nom vient d'un vieux mot roman crota, qui a été lui-même tiré du latin crypta, et a le sens de voûte, salle voûtée. Le mur occidental de l'hippodrome romain subsiste encore, avec ses arcades et ses voûtes, dans les maisons qui bordent cette rue, au couchant, et c'est à cette circonstance qu'elle a dû son nom. Ce vieux mot crota, croto, est resté dans notre langue méridionale et s'emploie particulièrement aujourd'hui dans le sens de cave, parce que, d'après le sens de ce mot, les caves sont bâties sous voûte ; c'est ainsi qu'on dit : vôu à ma croto je vais à ma cave. Dans beaucoup d'anciennes villes du midi de la France, il y a une rue qui s'appelle rue des Grottes, Crottes ou Crotes, car c'est toujours le même mot, quoique diversement orthographié. A Uzès (Gard), par exemple, il y a la rue des Crottes.
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appelle-t-il « des villes de Marseille (1) ». On s'explique alors que la langue grecque ait été écrite et parlée, comme dans les villes de la Provence, par les gens instruits et les négociants. L'épitaphe bilingue, à la fois grecque et latine, qui, d'après les épigraphistes, doit remonter à l'époque de la République romaine, et fut découverte, en 1853, dans les fondations d'une maison de la rue Géline, suffit à le démontrer (2). Ce qui, à Cavaillon, vient établir l'importance des transactions commerciales avec les négociants marseillais, c'est la quantité de monnaies grecques qui y ont été trouvées ; on en a mis un très grand nombre à découvert, surtout sur le versant méridional du mont Caveau, au bord duquel coulait la Durance, et où était le quartier commercial, alors que la bourgade celtique de Cabellio n'avait pas encore abandonné ces hauteurs (3). A Avignon, où le quartier des affaires était, à la même époque, au bord du Rhône, sur l'emplacement des rues Racine et des Grottes, la découverte récente de monnaies antiques
(1) « KaSsW.ioiv, TÏO'XIÇ MaccaX'a; » dit Artémidore, cité par Etienne de Byzance.
« AùevioSv, TCÔXI; MacoocSiaç, npàç TW POSKVW », dit Etienne de Byzance.
(2) La maison dont il est ici question appartenait à M. Besse. En la démolissant, en 1853, pour élargir la rue Géline, on trouva dans ses fondations, avec les débris de monuments antiques que nous décrirons plus loin, trois épitaphes, dont une bilingue, grecque et latine. Elle a été publiée comme suit par M. Hirschfeld, dans ses Inscriptiones Galliae Narbonensis latinae, p 134, n° 1038 :
OYAAOCTA/IN/OC
XAIPE
VAALVS.GAbINIVS
HEIC.SITVS.EST
M. Hirschfeld dit dans son commentaire :
« Cippus uidis, litteris aetatis liberac reipublicae... 1 et 3, non est Cannius, ut voluit Garrucius, sed Gabinius. Titulum antiquissimis in Gallia repertis adnumerandum esse litterarum formae evincunt. »
V. aussi Rev épigr , n° 408. (3) V. la remarquable étude que notre excellent confrère, M. Sagnier, vient de publier sur la numismatique de Cavaillon, dans les Mémoires de l'Académie de Vaucluse, 1891.
DE L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE 195
a été moins aisée, parce qu'à la ville gallo-grecque et gallo-romaine a succédé, sur les mêmes terrains, la ville moderne. Nous devons cependant signaler la curieuse trouvaille de ce genre qui fut faite, en 1824, au bord de la première de ces rues, lorsqu'on creusa son sous-sol pour jeter les fondations du théâtre. On mit à découvert, sous des antiquités d'une époque moins reculée, un vase rempli de ces petites oboles massaliètes en argent, qu'on a trouvées en si grande abondance dans les vallées de la Durance et du Calavon, et dont la fabrication remonte au Ve siècle avant notre ère. Elles portent, à l'avers, la tête d'Apollon on de Diane, et au revers, une roue à quatre rais (1). Si tout nous indique que le pays compris entre la mer et la Durance fut, grâce à Marseille, profondément pénétré par, la civilisation hellénique, nous possédons quelques données nous montrant que la Durance fut dépassée et que le territoire cavare n'y resta pas étranger ; s'il est à propos de rappeler ce que nous avons dit tout à l'heure, d'après Etienne de Byzance, que Cavaillon et Avignon étaient des «Tilles de Marseille », on a fait remarquer que les combats représentés en bas-reliefs sur l'atti(1)
l'atti(1) Courtet a raconté cette trouvaille dans son Dictionnaire des communes du département de Vaucluse, au mot Avignon, page 41, note 1 :
«En travaillant aux fondations du théâtre, dit-il, on découvrit, sous des fragments modernes, des monnaies papales, puis des pièces carlovingiennes, puis le monument romain (hippodrome), et enfin un vase contenant une grande quantité de petites médailles massaliotes en argent, agglomérées par la patine antique. On peut voir cette trouvaille dans une vitrine du musée Calvet. Cette superposition monumentale et numismatique donnait, en sens inverse, la succession des divers pouvoirs qui ont possédé notre sol. »
On lit, d'autre part, dans le Dictionnaire archéologique de la Gaule, au mot Avignon :
« Nous ne pouvons signaler, comme découverts à Avignon, qu'un bronze des Longostalètes, une masse agglutinée de monnaies massaliètes du plus petit module trouvée dans les fondations du théâtre moderne, deux drachmes également massaliètes, aux types de la tête de Diane et du lion, une monnaie de Cabellio (Deloye) et un denier des Volcae Arecomici [coll de Saulcy].»
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que de l'arc de triomphe d'Orange étaient de style grec, comme ceux du mausolée de St-Remy (1), et l'imitation du monnayage massaliète, qui est flagrante dans les monnaies autonomes de cette ancienne petite ville des Alpines, est encore assez sensible dans celles d'Avignon : l'effigie d'Apollon couronné de lauriers de l'une d'entre elles et celle de Diane à la tête tourrelée et aux cheveux pendants, qu'on voit sur une autre, rappelle les types de ces mêmes divinités sur les monnaies de Marseille. De même l'ethnique gallo-grec d'Avignon AYE AOYE ou AOYENIOAN est. une imitation de celui des Marseillais MAS, MASSA ou MASSAAIHTÛN (2). Avec leur langue harmonieuse, les
(1) « La grande analogie de style, dit M. Salomon Reinach, entre les bas-reliefs de l'arc d'Orange et ceux du tombeau de St-Remy (en particulier dans le dessin des chevaux), oblige d'admettre que les sculptures de ces deux monuments sont à peu d'années près contemporaines. Or, le mausolée des Jules est assez exactement daté par l'inscription (entre l'an 50 avant J.-C. et la fin du règne d'Auguste).
« Il est inutile d'insister ici sur les combats entre Romains et Gaulois et les trophées d'armes sculptés sur l'arc d'Orange. Bien que le style de ces bas-reliefs soit provincial, on y reconnaît nombre de motifs empruntés à l'art grec, et les trophées eux-mêmes présentent des analogies frappantes avec ceux qui décoraient, à Pergame, l'ordre supérieur du portique d'Athéna.» (Article de M. Salomon Reinach, intitulé : Les Gaulois dans l'art antique, dans la Revue archéologique de mars-avril 1889, p 198.)
Rappelons aussi, comme attestant l'influence de l'art grec dans le pays situé au dessus de la Durance, la belle statue du Diadumène, qui fut trouvée brisée en plusieurs fragments dans le théâtre antique de Vaison, et qui est considérée comme une copie exécutée par un artiste grec d'une statue célèbre de Praxitéle.
Habilement restaurée par M. Eugène Raspail, de Gigondas, cette statue a été par lui vendue au British Museum de Londres, au prix de 25 000 fr. (V. un article de M. Allmer, dans le Bulletin de la Société d'archéologie et de statistique de la Drame, 1871-1872, p. 296.)
(2) De La Saussaie, Numismatique de la Gaule Narbonnaise.
En ce qui concerne la numismatique d'Orange, nous lisons dans le Dictionnaire archéologique de la Gaule, au mot Arausio :
« On ne connaît jusqu'ici qu'une seule monnaie qui puisse tant bien que mal être attribuée à Orange, c'est un petit bronze aux types des Massaliètes (tête d'Apollon et taureau cornupète), d'un style plus que médiocre, et au revers duquel la légende MASSA est remplacée par le mot AOPA,
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Grecs apportaient aux villes où ils s'arrêtaient leurs moeurs et leurs arts. De leur fréquentation habituelle, Avignon dut prendre une importance qu'elle n'avait pas encore connue : elle se polissa en se développant. Peut-être qu'une première enceinte bâtie au mortier, conformément à l'architecture grecque, entoura la ville, ainsi aggrandie (1). Nous nous représentons ce, mur gallo-grec suivant approximativement un tracé qui partirait du Rocher, au-dessous du Petit-Séminaire, descendrait par une ligne oblique à la rue du Puits-de-la-Reille, à l'endroit où vient s'ouvrir la rue des Grottes, longerait le bord occidental de cette rue et de la rue Racine, puis tournant à gauche vers la rue Géline, couperait la place de l'Horloge, à cette hauteur, passerait par la rue Fromageon, pour remonter ensuite et aboutir au Rocher, du côté du couchant, par la rue de l'Arc-de-l'Agneau, par la place St-Pierre, la rue du même nom et celle du Vice-Légat. On pourrait peut-être reconnaître un reste de ce mur dans celui que le sieur Génellat, entrepreneur de travaux publics, mit à découvert, en 1882, dans la rue de l'Arc-de-l'Agneau, à quatre mètres de profondeur. Au dire du sieur Génellat, c'était bien véritablement un mur d'enceinte antique ; or, il est bien difficile de le considérer comme gallo-romain, l'enceinte de la ville, à l'époque romaine, ayant dû être bien plus étendue et dépasser de beaucoup le tracé sus-indiqué. Ce mur, qui à partir de la maison Madon, sous laquelle il fut trouvé, se
qui rappelle assez la forme AVRASICE de l'ethnique placé constamment sur les monnaies frappées au moyen âge, par les princes d'Orange.
« Cette rare monnaie, trouvée à Orange même, fait partie de la collection de M. de Saulcy. »
Quelque insignifiant que soit cet unique vestige de la numismatique orangeoise, il n'en vient pas moins établir l'imitation du monnayage des Massaliotes et leur influence, à ce point de vue particulier.
(1) On lit dans les auteurs anciens que les Grecs de Marseille apprirent aux Gaulois à construire des murs d'enceinte autour de leurs bourgades et à planter la vigne et l'olivier.
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dirigeait d'un côté vers la place St-Pierre, et de l'autre vers la rue Fromageon, avait plus d'un mètre d'épaisseur ; il était soigneusement bâti avec revêtements en petit appareil et couronné par des dalles plates dépassant son aplomb. L'enceinte gallo-grecque aurait ainsi compris dans son circuit les premières pentes qui se développent autour du Rocher, et la ville dominant complètement le Rhône, pouvait défier ses plus redoutables inondations (1).
La Province Romaine ne s'était composée tout d'abord que du territoire ayant appartenu aux Salyens, c'est-àdire du pays situé entre la Méditerranée et la Durance ; mais la partie comprise entre cette rivière et l'Isère ne tarda pas à en faire partie. Les Cavares firent leur soumission, lorsque Domitius Ahenobarbus eut défait, dans une rencontre, les Arvernes et les Allobroges. Sous Auguste, leur territoire fut compris dans la Narbonnaise 11e et fut organisé, comme tous les pays annexés, à la manière romaine : chacune de ses villes principales, Orange, Avignon, Cavaillon, devint le chef-lieu d'une civitas indépendante, qui reçut pour limites celles qui furent plus tard adoptées pour son diocèse respectif. Aucun auteur ne nous a fait connaître celle qui occupait le premier rang et devint la plus importante ville des Cavares, mais étant donnée la situation avantageuse d'Orange, entourée d'une
(1) C'est le sommet du mur qui fut trouvé à une profondeur de 4 mètres. Sa base, étant dès lors, à une profondeur beauconp plus considérable, donnerait également l'idée d'une construction antérieure à l'époque romaine, la base des monuments romains n'ayant pas été trouvée à un niveau inférieur à 4 mètres sur la place de l'Horloge ou dans les rues voisines.
M. Deloye a cependant supposé que ce mur pourrait être de construction romaine, et qu'il aurait pu être bâti pour entourer complètement le Rocher, point culminant de la ville antique, et s'étendant, dans toute sa longueur, du nord au midi, des hauteurs de la métropole jusque vers Notre-Dame-la-Principale ; le Rocher plongeant, à certains endroits, plus avant dans le sol, le mur d'enceinte aurait été bâti en conséquence, ce qui expliquerait que son sommet a été rencontré à la profondeur énorme de 4 mètres.
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vaste et fertile plaine, où elle pouvait se développer sans peine dans tous les sens, et cette circonstance que seule elle devint colonie romaine, cette ville nous paraît l'avoir emporté sur les autres (1). Comme Cavaillon, Avignon ne fut jamais que colonie de droit latin, et à ce titre, ainsi que les autres villes qui se trouvaient dans le même cas, elle dut être administrée par des quatuorvirs. Aucun document ne nous a révélé quels étaient ses noms de colonie (2). Il résulte des inscriptions qui en proviennent qu'elle était inscrite dans la tribu Voltinia. Avec l'établissement de l'Empire et de la paix profonde qu'il fit régner partout, s'ouvrit une ère de prospérité. Pomponius Mela
(1) L'oppiduni cavare d'Arausio s'était retranché sur la colline où se bâtit, au moyen âge, le formidable château-fort des princes d'Orange. C'est sur ces hauteurs ou sur leurs pentes, qu'un marchand d'antiquités d'Orange, M. Charasse, avait ramassé de nombreuses monnaies gauloises, grecques et romaines, seuls vestiges de la ville primitive.
Plus tard, avec l'inauguration de l'empire, le bourg gallo-romain descendit dans la plaine. Il s'y développa et s'embellit magnifiquement, comme on peut en juger par l'étendue de son enceinte antique et par ses beaux monuments, son arc de triomphe, son théâtre, d'une si étonnante conservation, et les restes de sou hippodrome.
La colonie de droit romain d'Orange avait été fondée par Tibère Claude, père de l'empereur Tibère, en l'an 46 avant J.-C, en même temps que Fréjus, Arles et Béziers. Ses noms étaient Colonia Firma Julia Secundanorum Arausio. A son nom primitif d'origine gauloise, Arausio, elle avait ajouté celui de son fondateur, Jules César, et celui des vétérans de la seconde légion, entre lesquels s'était partagé son territoire.
(2) C'est par Pline l'ancien (111,4) que nous savons qu'Avignon et Cavaillon étaient des colonies de droit latin ; il désigne ces deux villes sous la dénomination d'oppida latina.
Si par la monnaie d'argent de Cavaillon portant, au revers, le nom de Lépide, et par l'inscription de St-Estève, publiée dans les Mémoires de l'Académie de Vaucluse, 1885, par notre collègue, M. Sagnier, nous savons que cette colonie latine était simplement désignée par son nom de CABE (llio), nous ne sommes pas fixé sur celui d'Avignon. On ne peut, à cet égard, s'en rapporter à une inscription qui, s'il faut en croire certains auteurs locaux, J. Guérin, entre autres, (Vie d'Esprit Calvet, p. 65), aurait été trouvée à Apt et sur laquelle cette ville aurait été dénommée Colonia Julia Hadriana Avenniensis ; ou l'inscription a été complètement imaginée ou mal copiée.
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nous apprend qu'Avignon devint une des plus opulentes villes de la Narbonnaise (1). A l'exemple d'Orange, sa voisine, et de toutes les autres villes gallo-romaines d'une certaine importance, elle fut décorée de beaux monuments, elle eût son théâtre, son amphithéâtre (2), son hippodrome, ses temples, ses bains publics, son forum. Il n'en subsiste rien ou presque rien. Nous en sommes réduits à aller interroger leurs derniers vestiges dans les entrailles de la terre ou sous les constructions modernes qui les ont recouverts. Il faut attribuer leur destruction ou leur ensevelissement aux nombreux sièges qu'Avignon a subis, à l'exhaussement du sol qui en est résulté, et surtout, croyons-nous, aux énormes remaniements et constructions du moyen-âge. Les invasions des barbares et les sièges multiples dont Avignon eut à souffrir avaient déjà commencé la ruine de ses monuments. Aux seuls temps mérovingiens, cette ville ne fut pas assiégée moins de quatre fois ; la première, en l'an 500, par Clovis contre Gondebaud, roi des Burgondes, qui s'y était réfugié, et les trois dernières, par Charles-Martel, qui réussit à en déloger définitivement les Sarrasins. Ces derniers sièges surtout, en raison de l'acharnement de la lutte, durent être funestes pour Avignon (3). Là, comme à Nîmes, à Arles et à Orange, l'amphithéatre,
(1) Pomponius Mela, 11, 5, 75.
(2) Si l'hippodrome a laissé des traces, à Avignon, il n'est rien resté de son théâtre ni de son amphithéâtre, que nous supposons avoir existé, comme dans toutes les grandes villes gallo-romaines des environs. Nous avons déjà fait, ailleurs, la remarque qu'à Orange, alors que le théâtre et le cirque avaient été grandiosement bâtis au centre de la ville, l'amphithéâtre était de proportions beaucoup moindres et s'élevait hors de l'enceinte romaine, et nous avons dit qu'il fallait sans doute y voir l'effet de l'influence grecque. Peut-être qu'à Avignon aussi, qui était, au dire d'Etienne de Byzance, une « ville de Marseille », ayant avec elle des rapports habituels d'amitié et de commerce, et où l'influence grecque avait dû se faire sentir au moins autant qu'à Orange, si l'amphithéâtre n'avait pas été bâti hors de l'enceinte romaine et dans la zone d'inondation, il était de proportions beaucoup plus modestes que le théâtre et le cirque.
(3) En relatant ces différents sièges, les Annales de Metz et l'Appendice
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le cirque et le théâtre antiques, constructions massives et formidables, servirent de forteresses, où se retranchèrent tour à tour les habitants et les Maures, qu'ils prirent et reprirent bien des fois ; les auteurs arabes semblent l'avoir dit dans les courtes relations qu'ils nous ont laissées de ces sièges (1). Mais, ainsi qu'on peut en juger par les arènes de Nîmes et d'Arles, et par le théâtre d'Orange, ces assauts, quelque terribles qu'ils aient été, n'ont pu qu'entamer les monuments romains d'Avignon (2) ; c'est le moyen âge qui dut leur porter le dernier coup et les faire disparaître pour bâtir à leur place. Une construction de cette époque vraiment étonnante par sa masse, c'est le Palais des Papes (3). Cet immense monument ayant été élevé au coeur de la ville antique, à l'endroit où elle s'était concentrée, tout ce qui existait sur cet emplacement ou autour a forcément été démoli. C'est ainsi qu'a été rasé tout le vieux quartier qui occupait la place du Palais, et
à Grégoire de Tours signalent le Castrum Avinione munitissimum et l'Avenionem, urbem munitissimam ac montuosam.
Les arabes tenaient à occuper Avignon, à cause de sa très forte position sur le Rocher, qui commandait le Rhône et les immenses et riches plaines d'alentour.
(1) Voir dans le livre de M. Reynaud, sur les Invasions des Sarrasins en Provence, ce que dit, à propos des sièges d'Avignon, un auteur arabe contemporain.
(2) Le côté septentrional des arènes de Nîmes porte, comme on sait, la trace d'un violent incendie ; on raconte dans les histoires de France que cet incendie fut allumé par Charles-Martel pour en chasser les Maures qui s'y étaient retranchés.
Le mur du postscenium du théâtre romain d'Orange porte également, à son sommet, la trace d'un grand incendie ; les pierres ont été rougies et calcinées par le feu. On suppose que cet incendie date aussi de l'époque des invasions.
Quant aux arènes d'Arles, qui ont perdu leur couronnement, on reconnaît aisément, aux trois tours carrées qui les surmontent, que ce monument avait été fortifié pour servir de forteresse, mais on ignore à qui on doit attribuer la construction de ces tours, si c'est aux habitants de la ville ou à des envahisseurs qui avaient réussi à s'en emparer.
(3) Le Palais des Papes d'Avignon est regardé par les archéologues comme le monument de ce genre le plus considérable qui existe dans le monde entier.)
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l'assiette du Palais lui-même, depuis la métropole jusqu'à la Vice-Gérence, et avec lui, des monuments antiques, comme le théâtre, et la construction romaine sur les bases de laquelle fut édifié plus tard le Palais Royal, remplacé ensuite par la Vice-Gérence (1). Aussi, nous l'avons déjà montré, existe-t-il des traditions plus ou moins vagues, suivant lesquelles les papes constructeurs du Palais, Urbain V, entre autres, auraient fait jeter dans ses assises des débris antiques. Ceci a pu se passer de même pour le pont St-Bénézet. Cet autre monument du moyen âge reçut un développement considérable : il n'avait pas moins de vingt-deux arches et s'étendait d'une rive à l'autre sur
(1) C'est ce qu'a dit très justement Chaillot, avec preuves à l'appui, aux pages 15 et suivantes de son excellent Précis de l'histoire d'Avignon.
«A mesure que l'on a délaissé la hauteur pour se loger dans la partie plane, et que l'on a converti en place publique les habitations qui couvraient le Rocher et la place du Palais, on a dû détruire les plus anciennes constructions de la ville.... Toutes les fois qu'on a remué ce sol de la ville antique, on y a retrouvé les restes des premières constructions, murs, puits taillés au ciseau dans le roc, dans de vastes proportions, citernes revêtues de ce ciment romain si reconnaissable. Un arceau bien conservé existe encore dans la rue Vieille-Juiverie. La Vice-Gérence est formée en partie de constructions romaines. Des tombeaux, gaulois sans doute, ont été reconnus sous la première rampe qui conduit au Rocher. »
Parmi les vestiges d'antiquités qui ont été trouvés sur l'emplacement du Palais-des-Papes, dans le sol de l'ancien jardin, aujourd'hui la seconde cour, nous devons mentionner la tête de femme qui est décrite en ces termes au Catalogue des antiquités du musée, statues, bustes et têtes, n° 168 :
« Tête de femme, de marbre de Paros, remarquable par la manière dont ses cheveux sont arrangés, par la tresse qui les retient et qui vient les rattacher sur la nuque. Cette espèce de coiffure a quelque rapport avec celle qui était en usage vers le milieu du IIIe siècle. C'est vraisemblablement un portrait d'un travail soigné. Elle a été trouvée à Avignon, en 1787, dans le jardin du grand palais, par François Egler, ancien suisse, en creusant la terre pour planter un arbre. Hauteur totale : 036.
« Acquis en 1823, de M Egler, ancien suisse. ». On peut voir dans l'étude aussi intéressante qu'instructive de M. Duhamel, intitulée : Les origines du Palais des Papes, l'énumération des achats qui furent faits successivement par les papes des maisons du quartier de la ville qui occupait l'emplacement du Palais et qui avait lui-même succédé à tout un quartier de la ville antique. (Congrés archéologique de France, 1882, p. 184.)
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une longueur de 900 mètres. Des matériaux provenant de monuments antiques, encore subsistants au XIIe siècle, tels que amphithéâtre, hippodrome, etc., ont pu servir à sa construction. Dans sa brochure intitulée : Saint Bénézet, patron des ingénieurs, et les frères du pont, notre érudit collègue, M. L. Bruguier-Roure, s'occupant de l'enquête qui fut faite à propos de la construction du pont, lors du débat qui eut lieu, en 1500, entre le roi de France et le pape, rapproche la déposition d'un des témoins, d'après laquelle saint Bénézet disait à ses ouvriers, lorsque les matériaux venaient à manquer : « Creusez là, et vous trouverez des pierres toutes taillées, » de cette circonstance que le cirque romain, par son extrémité septentrionale, devait toucher au chantier du pont. Dans ce même ouvrage, notre excellent collègue donne copie d'une lettre de M. Canron, aux termes de laquelle celui-ci aurait vu extraire du lit du Rhône, en 1884, par le bâteau-cloche, des pierres qui lui ont paru appartenir à l'appareil romain, et entre autres, quelques-unes creusées d'un trou circulaire, rappelant les consoles qui surmontaient les théâtres, amphithéâtres et cirques romains, et où se fixait, au moyen de mâts, le velarium destiné à recouvrir ces monuments (1). Nous admettons tout cela comme possible et même comme probable, mais ce récit ne vient pas infirmer les observations que nous présentons plus loin, à l'appui de la préexistence possible d'un pont antique à cette place. Ces pierres provenaient ou d'un pont romain qui a pu exister en cet endroit, ainsi que nous le montrerons, ou du pont St-Bénézet, à la construction duquel
(1) Si, dans d'autres villes du midi de la France, les monuments romains ont subsisté jusqu'à nos jours, c'est que le moyen âge les a utilisés tels quels, et qu'en bâtissant sur leurs assises, si solides et si épaisses il les a transformés en véritables châteaux-forts. Ce sont dès lors les constructions nouvelles dont ils étaient recouverts qui les ont préservés de la destruction. Il en a été ainsi pour les amphithéâtres d'Arles et de Nîmes, pour le théâtre romain d'Orange et son arc de triomphe.
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elles avaient contribué, et peut-être des deux à la fois. Quelle que soit la solution adoptée, les présomptions en faveur d'un pont romain n'en subsistent pas moins ; nous y reviendrons ultérieurement.
Il n'est rien resté non plus de l'enceinte romaine d'Avignon, dont nous indiquerons encore approximativement le tracé. Nous parlons ainsi, parce que nous croyons qu'il faut résoudre affirmativement la question de savoir si, comme d'autres villes gallo-romaines, Avignon avait été entourée d'un mur d'enceinte, dès les deux premiers siècles de l'Empire. L'opinion de certains archéologues est, sur ce point, aussi large que possible.
« A l'époque romaine, nous écrivait M. Allmer (1), toutes les villes, tant soit peu importantes, paraissent avoir été encloses. Les villes moindres, les bourgs, les villages, les fermes (villae) l'étaient-elles ? Je serais tenté de le croire. La sécurité, peu garantie par une police très insuffisante, en faisait une loi de prudence, qui devint, dès avant le IVe siècle, une loi de nécessité. A l'époque des invasions, beaucoup d'endroits qui n'avaient qu'une clôture suffisante pour arrêter des maraudeurs, durent les remplacer par des murailles plus fortes, capables de résister à des barbares armés. »
M. le colonel de la Noë, qui a publié récemment un ouvrage spécial sur Les fortifications antiques, pense, au contraire, que les villes de l'intérieur de la Gaule qui furent fortifiées, dès avant l'époque des invasions, étaient en nombre très restreint :
« Immédiatement après la conquête romaine, dit-il, la Gaule se transforme. Les discordes qui divisaient ces populations cessent ; en même temps disparaît la crainte de l'envahisseur que les légions romaines maintiennent audelà du Rhin. Grâce à cette sécurité, les oppidums situés sur les lieux élevés sont abandonnés, les autres, en plus petit nombre, établis dans des régions plus hospitalières, conti(1)
conti(1) du 7 février 1892.
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nuent à être habités ; mais leur enceinte, devenue inutile, est détruite ou abandonnée à la ruine : ainsi disparaît la muraille gauloise en pierres et poutres ou en grosses pierres sans mortier, que remplacera l'enceinte en maçonnerie, tracée suivant les principes de la fortification romaine. Mais cette substitution ne sera pas immédiate, du moins à l'intérieur de la Gaule, où, pendant les trois premiers siècles de l'occupation, certaines villes seulement, en très petit nombre, sont munies de fortifications. C'est dans le courant du IIIe siècle, alors que la ligne de défense du Rhin n'oppose plus une barrière infranchissable aux invasions, que les villes les plus rapprochées de la frontière d'abord, et successivement celles de l'intérieur, s'entourent d'une enceinte défensive (1). »
Nîmes, dont on évalue la population, dans l'antiquité, à une quarantaine de mille âmes, avait été entourée, quelques années avant le premier siècle, d'un mur d'enceinte solidement fortifié et pouvant dès lors soutenir un siège en règle. C'est Auguste, le fondateur de la colonie latine, qui dota la ville de ce mur et des portes qui s'y ouvraient. Cela résulte de l'inscription encore parfaitement, conservée qui se lit au-dessus de la Porte d'Auguste, ainsi appelée, dans nos temps modernes, du nom de l'empereur qui y figure (2).
Il subsiste des restes importants du mur d'enceinte anti(
anti( ) M. le colonel de la Noë, Les fortifications antiques; époque gallo-romaine.
(2) Cette porte, dit M. Bazin dans son livre érudit Nîmes gallo romain, p. 30, a été construite au cours du premier siècle de notre ère, ainsi que le constate l'inscription aujourd'hui marquée en creux, jadis en lettres de bronze engagées dans les entailles de la pierre. Elle est encore très nettement lisible :
IMP CAESAR DIVI F AVGVSTVS COS X TRIB POTEST VIII PORTAS MVROSQVE COL DAT
« L'empereur César Auguste, fils du divin Jules, consul pour la dixième fois, tribun du peuple pour la huitième fois, fait don de portes et murs à la colonie. »
Le Xe consulat et la VIIIe puissance tribunitienne d'Auguste remontent exactement à l'année 739 de Roms, 15 ans avant Jésus-Christ.
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que d'Orange, surtout au nord-est de la ville. Il a été soigneusement bâti avec double revêtement en petit appareil sur un solide blocage intérieur, comme tous les murs romains de la bonne époque. Il dut être construit lors de la fondation de la colonie ou peu de temps après. Orange étant situé en plaine et ayant pu se développer plus aisément qu'Avignon, le circuit formé par son enceinte fut beaucoup plus étendu que celui de cette ville, et le nombre de ses habitants plus élevé. On peut supposer que cette ancienne colonie avait une population de trente à quarante mille âmes (1).
Si nous croyons ne pas être loin de la vérité en attribuant à Avignon, dans l'antiquité, de quinze à vingt mille habitants, la ville d'Apt, simple colonie latine, comme Avignon, paraît avoir eu une importance moindre ou, en tous cas, ne pas l'avoir dépassée, et cependant il est établi qu'Apt eut aussi une enceinte régulièrement et soigneusement construite avec revêtements en petit appareil, ce qui indique encore, comme pour Orange, une bonne époque, c'est-à-dire le premier ou le second siècle. On a mis plusieurs fois ce mur d'enceinte à découvert, et dernièrement encore, en 1886, lors de la découverte Reboulin (2).
(1) C'est l'opinion de Mérimée, qui a dit, à propos d'Orange, dans ses Notes d'un voyage dans le midi de la France, p. 169:
« La cité antique était sensiblement plus grande que la ville moderne, mais le calcul le plus libéral ne peut faire supposer qu'une population de quarante mille âmes, qui n'est pas en rapport avec les proportions gigantesques du théâtre et de l'hippodrome »
(2) Dans la partie méridionale de la ville d'Apt, où eut lieu la découverte dont nous voulons parler, le sol, depuis l'antiquité, s'est considérablement exhaussé; cela s'explique par le glissement incessant des terres des hauteurs voisines, sous l'action des eaux pluviales. Ce n'est pas, en effet, à moins de 11 mètres de profondeur, que le mur d'enceinte fut rencontré, en janvier 1886, par M Reboulin, en creusant un puits dans la cour de son habitation. A 1 mètre de plus, il trouva dans un réduit carié de quelques mètres, construit en bel appareil moyen, un grand nombre de vases en bronze doré, de foi mes et de dimensions diverses, ainsi qu'une lampe à trois becs, de même métal, surmontée d'une plaque avec inscription faisant connaître qu'elle fut donnée au genie de la colonie, en exécution de
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Les différents exemples que nous venons de citer, tirés des villes voisines, sont favorables à l'opinion de M. Allmer, et nous déterminent à penser qu'Avignon eut de bonne heure, comme elles, son enceinte fortifiée. Cette enceinte dut être assez allongée du Nord au Midi, sans toutefois que son périmètre se soit étendu beaucoup au-delà de la partie de la ville qui restait insubmersible. C'est ce que pense M. Deloye, d'accord en cela avec J. Courtet (1). Suivant cette opinion, les anciennes paroisses de la ville, dont la plupart ont dû être bâties, conformément à la pratique du clergé des premiers siècles, sur l'emplacement de temples romains, étaient comprises dans ce circuit. Nous donnerons donc d'abord le tracé vraisemblable de ce mur d'enceinte, en tenant compte de cette donnée, sans négliger les découvertes de mosaïques romaines qui ont été faites anciennement ou récemment, dans un certain rayon autour du Rocher. Ces anciennes paroisses, assez bien groupées dans la partie centrale de la ville, étaient au nombre de sept : il y avait, au couchant, la Madeleine et StAgricol ; au midi, St-Didier; au levant, Notre-Dame-laPrincipale, St-Geniès, St-Pierre et St-Symphorien.
Au couchant de la ville antique s'élevèrent donc plus tard les deux églises paroissiales de la Madeleine et de St-Agricol. La première, qui fut démolie à la Révolution, avait été construite à l'extrémité septentrionale de la rue Racine,
son voeu, par un certain Caius Julius Validus. Tous ces objets remplissent une vitrine du musée d'Avignon. (V. un article de M Garcin intitulé La colonie Aptésienne du Ier au IVe siècle, dans les Mémoires de l'Académie de Vaucluse, 1886, p. 187.
(1.) J. Courtet, Dictionnaire des communes du département de Vaucluse, au mot Avignon, p. 24.
Il ne faudrait donc pas considérer, comme un débris de l'enceinte gallo-romaine d'Avignon, celui que l'on remarque rue Joseph Vernet, près du Grand Séminaire, à l'angle de la maison portant le n° 84; ce vestige d'ancien mur qui était au-delà du tracé que nous supposons avoir été suivi par la muraille gallo-romaine, appartenait à la première enceinte du moyen-âge, à celle qui fut abattue par ordre de Louis VIII, après le siège d'Avignon, en 1226.
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à l'endroit où la rue St-Etienne la coupe transversalement, du levant au couchant. Le massif cubique avec arcade qu'on y remarque, et qui est bâti en grand appareil romain, est le dernier reste apparent de l'hippodrome et servait de base au clocher de cette église. Celle de St-Agricol subsiste encore. Construite au VIIe siècle, par l'évêque de ce nom, elle fut plus tard rebâtie deux fois, la première fois, sous le pape Jean XXII, la seconde, à la fin du XVe siècle (1). Ces deux églises n'avaient pas succédé à des sanctuaires païens, car elles avaient été élevées sur l'emplacement de l'ancien hippodrome, néanmoins, elles marquaient d'une façon certaine l'extrémité de la ville antique de ce côté-là. Au tome III de ses Manuscrits, Calvet nous apprend qu'une mosaïque avec dessins à trois couleurs, rouge, blanc et noir, fut trouvée « au Plan de Lunel, dans une maison attenante au jardin en terrasse de l'hôtel de Forbin (2). » C'est, à notre connaissance, celle qui a été trouvée le plus au couchant de la ville. Il y a six ans, en construisant la maison qui est au coin de la rue Viala, à gauche en allant à la Préfecture, on en découvrit une autre, à 2m75 de profondeur. Ses dessins sont noirs sur fond blanc. On la connaissait depuis l'année 1867, où on l'avait mise au jour sous l'ancienne maison du Jeu de Paume, en ouvrant la rue de la République (3).
(1) V., dans les Mémoires de l'Académie de Vaucluse, 1887, un article de M. l'abbé Requin, intitulé: La façade et les portes de l'église de St-Pierre d'Avignon, p. 153.
(2) L'hôlel de Forbin est actuellement l'hôtel de la Préfecture. La maison du Plan-de-Lunel, attenante au jardin de l'hôtel de Forbin, sous laquelle fut trouvée la mosaïque, est dès lors une de celles qui terminent cette petite place au nord. (V. P. Achard, Dict des rues d'Avignon, p, 174).
(3) V. le Catalogue des antiquités du musée Calvet, n° 283. C'est dans la rue Viala, derrière l'hôtel de M. de Baroncelli-Javon, qu'en
1891, en creusant le sol pour bâtir, on trouva d'abord, à 1 mètre environ de profondeur, un amas assez considérable de cornes, très nettement coupées en plusieurs morceaux avec un instrument tranchant, et à 2 mètres environ plus bas, c'est-à-dire à la profondeur habituelle du sol antique à Avignon, une petite statuette en bronze, de 12 centimètres de haut et d'un joli style, représentant un enfant qui court.
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Du côté du midi-, nous signalerons une double découverte de ce genre. Pour la première, voici ce qu'en dit Calvet, au tome II de ses Manuscrits : « Depuis la maison de Blauvac, près de la place, jusqu'aux jésuites et peut-être plus loin, dans toute la partie gauche de la rue Bancasse, il y a un pavé de mosaïque noir et uniforme-; je l'ai vu dans les caves de l'abbé Martin, aujourd'hui Giroud, dans la remise du prévôt de St-Didier et chés M. Terris. Il est possible que ces pavés continus fussent tous du même édifice. » Dans sa Statistique monumentale de Vaucluse, Chambaud en signale une « trouvée, dit-il, il y a peu d'années, dans la maison de M. Bourges, cloître St-Didier. » C'est sans doute une de celles signalées par Calvet; en tous cas, elle appartient aussi au côté gauche de la rue Bancasse, le quartier où on en a trouvé plusieurs, car il nous paraît difficile d'admettre qu'une seule et même mosaïque s'étende de la place de l'Horloge jusqu'à l'ancien établissement des jésuites, devenu le lycée actuel. La seconde mosaïque, découverte de ce côté, l'a été, il y a une vingtaine d'années, sur l'emplacement de la maison de M. Armand, ancien avoué, lorsqu'on en creusa les fondations. A côté, l'on rencontre l'église St-Didier. S'il faut en croire une tradition, elle aurait été construite par l'évêque saint Agricol, à la place d'un temple romain. Suivant certains auteurs locaux, Chambaud notamment, en aurait trouvé, en. 1710, sous le choeur de cette église, un épais massif de maçonnerie, auquel était fixé un anneau en fer, et lorsque, il y a quelques années on refit le pavage de sa nef et on en vida les caveaux, qui étaient pleins d'ossements, on constata l'existence de très anciennes substructions en grand appareil. C'était peutêtre un reste du temple païen précité.
Si, enfin, nous passons au levant de la ville, nous signalerons, de ce côté, quatre anciennes paroisses d'Avignon : Notre-Dame-la-Principale, St-Geniès, St-Pierre, et StSymphorien. Leur fondation remonte à une époque reculée et elles pourraient avoir toutes succédé à des sanctuai-
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res du paganisme. Notre-Dame-la-Principale, sur la place de ce nom, est devenue la chapelle des Pénitents blancs ; l'église de St-Geniès, à l'entrée de la rue Bonneterie, a été désaffectée et sert de Bourse commerciale; celle de St-Symphorien, qui était sur l'emplacement de la maison Cousin, entre la rue Banasterie et celle des Encans, a complètement disparu, laissant son vocable à l'ancienne chapelle des Carmes, à la Place du même nom, qui l'a remplacée. Plusieurs mosaïques ont été découvertes à une certaine distance au levant de ces églises. Calvet a parlé d'une en ces termes : « Dans la maison de Fortia, qui vient d'être rasée pour agrandir le jardin de l'hôtel de Crillon, on a trouvé, près de la rue, une mosaïque en trois couleurs, rouge, blanc et noir, dont j'ai eu des pièces (1). » Une deuxième fut trouvée un peu au nord de celle-là, rue du Collège-de-la-Croix, sous la maison de M. Gaspard, fondeur (2). Rue Bonneterie, il en a été découvert deux : une sous la maison n° 14, île 67 (3) ; l'autre, près de la maison de Martin Molière, cordier (4). Enfin, plus au nord, à l'entrée de la rue Ferruce, furent mis au jour, en 1860, en construisant la maison Joubert, quatre compartiments d'une grande mosaïque de plusieurs couleurs. C'est, il semble, la plus belle de toutes celles qui ont été trouvées à Avignon et qui n'ont rien que d'ordinaire. Il en est parlé assez au long dans le Catatogue des antiquités du musée Calvet, sous la rubrique Mosaïques, n° 272; voici ce qu'on y lit : « Elle traverse, du nord au sud, la petite rue qui conduit au Mont-de-Piété et paraît se prolonger sous la maison de Blanchetti, n° 3. Le propriétaire en a fait extraire pour lui trois compartiments qui gênaient
(1) Calvet, Manuscrits, t. II.
La maison de Fortia était rue du Collège-de la Croix, sur l'emplacement de l'hôtel Thomas.
(2) Catalogue des antiquités du musée Calvet, n° 256.
(3) Ibid., n° 255.
(4) Ibid., n°258.
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pour établir les fondements de sa maison; la grande masse est encore en place, à 3 mètres de profondeur sous le sol actuel. Les quatre compartiments, qui en ont été détachés pour le musée Calvet, étaient dans la petite rue. Le premier représente une fleur de fantaisie (il en manque à peu près un tiers) ; le deuxième, une autre fleur qui diffère de la précédente ; le troisième, un vase ou bassin, au milieu duquel est un jet d'eau ; le quatrième, une espèce de couronne radiée, suspendue à une tige festonnée. Les quatre parties doivent être réunies et se raccordent. Elles sont entourées d'une bordure à ornements. Le tout est composé de petits cubes de couleur blanche, noire, rouge, jaune et bleuâtre. Chaque compartiment a 70 centimètres de haut sur 70 centimètres de largeur, au moins, excepté le premier, qui est incomplet. »
Si donc, conformément au système adopté par nous, on tient compte, d'une part, de la situation des anciennes paroisses d'Avignon, et de l'autre, des endroits où l'on a découvert des mosaïques et où s'élevaient par conséquent des habitations, dans l'antiquité, on peut se représenter un mur d'enceinte qui, partant, au couchant du Rocher, audessous du Petit-Séminaire, suivrait le bord occidental de la rue des Grottes et de la rue Racine, remonterait vers le Plan de Lunel, parviendrait jusqu'à la rue du Collège-d'Annecy, passerait sur l'emplacement de la chapelle du Lycée, couperait transversalement la rue des Trois-Faucons, puis remontant vers le nord, suivant l'axe de la rue Collège-dela-Croix, traverserait les rues Bonneterie, du Vieux-Sextier, Saunerie et de la Croix, pour aller, en coupant obliquement les rues Ste-Catherine et Banasterie, rejoindre le Rocher, au-dessous du Palais des Papes.
Trois portes au moins s'ouvraient dans ce mur d'enceinte de la ville antique. Au nord-est, existait une porte par laquelle sortaient ceux qui, se dirigeant vers le nord de la Gaule, allaient suivre la grande voie de la rive gauche du Rhône. Cette voie était une des quatre qui aboutissaient
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à Lyon, la capitale des trois provinces du nord de la Gaule, et avaient été restaurées par Agrippa, gendre et ministre d'Auguste. Nous appellerons cette porte, à cause de la grande ville, à laquelle elle conduisait, Porta Lugdunensis ou Porte de Lyon. Elle devait être située près de la Place Costebelle. C'est à celle-là que succéda un peu plus bas, à la place qui a gardé son nom, le Portail Matheron. A la porte du sud-est, qui était probablement située vers l'entrée de la rue des Trois-Faucons, du côté de la place St-Didier, nous donnerons un des noms que reçut celle qui la remplaça dans la première enceinte du moyen âge et qu'elle avait dû lui emprunter, celui de Porta Romana ou Porte de Rome (1). C'était celle, en effet, par laquelle on sortait, pour se diriger vers la capitale du monde romain. Au nord-ouest, vers l'entrée de la rue du Puits-de-la-Reille, devait exister une troisième porte, à laquelle succéda, au moyen âge, celle qu'on appela Porte-Ferruce, et que nous dénommerons Porta Nemausensis ou Porte de Nîmes, parce qu'elle donnait accès, sur la rive droite du Rhône, à la voie qui conduisait au chef-lieu de la civitas des Volques Arécomiques. Elle s'ouvrait probablement dans le rempart immédiatement après l'hippodrome (2). (A suivre). L. ROCHETIN.
(1) Il y a des exemples de portes de villes antiques ayant été désignées sous le nom de Porta Romana; une inscription de Narbonne mentionne une de ses portes ainsi dénommée.
Dans les anciens actes, la porte qui s'ouvrait à l'entrée de la place des Corps-Saints au moyen âge, s'appelle Porte de Rome ou du Pont-Rompu (P. Achard, Dictionnaire des rues d'Avignon, p. 46 et 158).
On lit, d'autre part, dans les Manuscrits de Rastoul, que les arceaux de cette porte que l'on nommait aussi vulgairement de la Madaleno couchado, d'une image de cette sainte qu'on y voyait, furent abattus en 1751, le canal de la Sorgue couvert et la place agrandie, en exécution d'une délibération du conseil de ville, du 29 janvier de cette année. (Rastoul, Tableau d'Avignon).
(2) La Porte-Ferruce, de la première enceinte du moyen âge, était contre le Rocher, au bord du Rhône. Ses arceaux, qui étaient doubles, ainsi qu'aux autres portes de la ville, ont été démolis, en 1751, et la rue élargie, en vertu de la délibération du conseil de ville du 29 janvier de la même année. Le rempart continuait le long de la rue du Limas jusqu'à la porte de ce nom, qui était en face de la rue St-Elienne. (Rastoul, Ibidem )
UN NOUVEAU «PHIPIDIUS»
DU MONT-VENTOUX.
Assurément bien peu de vous, Messieurs, ont entendu parler du genre de coléoptère appelé Rhipidius. Ne soyez cependant nullement surpris de votre ignorance, car il est peu de naturalistes, même parmi les plus instruits, qui connaissent les quelques espèces dont se compose ce petit groupe curieux à plus d'un titre, comme vous l'allez voir.
La cause de cette ignorance tient surtout à l'extrême rareté de ces insectes. En effet, sur les cinq espèces connues, quatre ne le sont que par un seul exemplaire mâle, et ces quatre sujets appartiennent chacun à un amateur différent, dont deux français et deux étrangers. C'est vous dire combien il serait déjà difficile aujourd'hui de pouvoir réunir, examiner et étudier à loisir ces espèces. A mesure que chaque science progresse, elle devient de plus en plus étendue, et, partant, de plus en plus difficile à connaître tout entière. Elle avance néanmoins chaque jour, mais elle exige de plus en plus la spécialisation. Aussi les grandes vues d'ensemble ne peuvent-elles plus être que l'apanage de quelques esprits d'élite.
Les Rhipidius doivent cependant solliciter l'attention des naturalistes et même des simples curieux par les singulières particularités qu'ils présentent, et surtout par la place qu'ils occupent dans le plan général de la nature.
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Quoi de plus curieux, par exemple, que l'extrême différence qui sépare le mâle de la femelle ? Le mâle, lui, est muni d'yeux bien conformés, d'antennes en éventail très développées, d'ailes, d'élytres. Il voit, il sent, il prend son essor et s'envole à travers l'espace là où l'appellent les devoirs de la reproduction de l'espèce. Quant à la femelle elle n'a que des yeux grossiers et atrophiés, des antennes filiformes et rudimentaires, pas d'élytres, pas d'ailes. Son ventre est énorme, gonflé par une prodigieuse quantité d'oeufs. Elle peut à peine se traîner. Elle subit les approches du mâle, elle pond et elle meurt là-même où elle a dépouillé son enveloppe de nymphe. Sur le dessin que je vous présente et qui figure l'espèce la plus commune, le Rhipidius pectinicornis Thunberg, mâle et femelle, vous verrez très bien l'extraordinaire dissemblance des deux sexes.
Quoi de plus étonnant que les moeurs de ces coléoptères? Ecoutons à ce sujet ce que nous raconte le premier observateur de ces insectes, le naturaliste allemand Carl J. Sundevall, à propos de l'espèce que nous venons de citer, du R. pectinicornis. En avril 1828, il prit le mâle seul à Calcutta. Quelques mois après, en revenant des Indes, il en vit quelques autres sur le navire qui le portait. Une fois, il captura la femelle sous quelques hardes de sa cabine, mais sans même soupçonner que cette forme s'adaptait à la première. Bientôt après, en écrasant un cafard (Blatta germanica), espèce dont fourmillait le navire, il vit sortir de son corps un petit animal dont la ressemblance avec l'étrange femelle trouvée précédemment lui fit aussitôt penser qu'il venait de trouver sa larve. Il voulut toutefois bien s'assurer que ledit petit ver provenait de l'intérieur du corps de la blatte. Dans ce but, il mit dans une boîte tous les cafards qu'il put attraper, et il eut bientôt la satisfaction d'y trouver quelques larves semblables à celle déjà observée et quelques cafards morts d'où provenaient évidemment ces larves. On était alors au mois de septembre, et le navire
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se trouvait sous les Tropiques. Il faisait très chaud. Les cafards se multipliaient prodigieusement et leurs parasites, devenus très nombreux, volaient de tous côtés. Dans tous les coins où se réfugiaient les blattes, sous les caisses, les papiers, les vêtements, se trouvaient collées des chrysalides de ces parasites ou les dépouilles vides de ces chrysalides. Sundevall chercha ensuite à se rendre compte de la façon dont les larves de Rhipidius se comportent dans le corps des cafards, de quelles parties surtout elles se nourrissent. Ce minutieux examen fut contrarié d'abord par toute une série de mauvais temps et plus tard par la rareté des blattes et de leurs parasites, dont les froids du nord diminuaient de jour en jour le nombre. Toutefois en voici les résultats. Dans chaque blatte, l'observateur allemand n'a jamais trouvé qu'un seul parasite à la fois. Ce parasite vivait toujours dans l'abdomen. Il sortait du corps de sa victime avant que celle-ci eût atteint son entier développement, c'est-àdire eût pris des ailes. Pour arriver au dehors il se glissait dans l'espace membraneux qui unit et sépare les segments voisins. Peu de temps après, la blatte mourait après avoir tourné quelque temps sur elle-même. La larve parasite se nourrissait des humeurs de sa victime, sans attaquer aucun organe essentiel à la vie. D'ailleurs sa bouche n'est constituée que pour l'aspiration, et le corps de la blatte montre non une perte de chair, mais bien une perte de liquide. Une fois libre, la larve ne fait presque aucun usage de ses pattes ; elle reste au contraire à l'endroit même où elle vient d'effectuer sa sortie, pendant que l'humidité gluante dont elle est entièrement recouverte la fixe en ce point. Elle se transforme en nymphe 10 à 16 heures plus tard, L'insecte parfait se montre au bout de quelques jours. A l'état adulte, le mâle est, à la lumière du jour, en pleine activité. Il vole très légèrement à la façon des mouches. Il marche aussi très rapidement, sur de petites distances, allant de côté et d'autre, déployant son éventail antennaire et se précipitant sur la femelle dès qu'il arrive à en rencontrer une.
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La femelle peut à peine se traîner et, par suite, demeure à peu près à l'endroit où elle est sortie de sa coque nymphéale. Elle fléchit sans cesse son long et souple oviducte pour le glisser dans tous les points de la place qu'elle occupe, séparant çà et là ses oeufs, qui sont petits, blancs et plus tard bruns.
Sundevall se demande comment ces oeufs arrivent dans le corps des blattes. Il reconnaît que cette femelle inerte est incapable de les déposer sur le corps des agiles cafards. Il suppose que ces oeufs minuscules et visqueux se collent sur l'abdomen des blattes et y adhèrent jusqu'à ce que la petite larve qui en sort puisse pénétrer dans le ventre de son ennemi. Cette explication n'a aucune valeur pour nous qui avons montré quel est le petit être qui sort de l'oeuf des Rhipiphorides.
Les recherches que nous avons faites sur l' Emenadia flabellata (1) nous ont montré que cet être est un triongulin. Or, les Rhipidius appartiennent à la famille des Rhipiphorides. Dès lors nul doute que de leurs oeufs ne sorte un triongulin agile et très petit, qui grimpe sur le corps des blattes et pénètre dans leur abdomen en passant à travers la membrane intersegmentaire. Il est certain que les observateurs de l'avenir viendront démontrer un jour la réalité de cette hypothèse.
Les Rhipidius sont donc les parasites des cafards,. Or, comme ceux-ci sont des insectes nuisibles à l'homme et à ses produits, on peut considérer, les Rhipidius comme nos auxiliaires. Nouvel exemple de cette merveilleuse loi d'harmonie universelle, en vertu de laquelle la nature a obligé les espèces à se limiter les unes les autres.
Quelle est maintenant la place qu'occupent les Rhipidius dans l'ordre général de la nature ? La réponse à cette question est des plus difficiles, mais elle ne fait pour moi pas l'ombre d'un doute. Ces étranges coléoptères font le passage entre les Strepsiptères ou Stylopides d'une part,
(1) V. Mémoires de l' Académie de Vaucluse, 1891, p. 83-94 et une planche.
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et les trois genres suivants de la famille des Rhipiphorides : Myodites, Rhipiphorus et Emenadia. Ils viennent ainsi vérifier la parole de l'immortel Linné : « Natura non fecit saltus », et montrer à leur tour que la nature ne procède point par bonds. Ils forment donc le chaînon intermédiaire à deux bouts de chaîne jusqu'ici séparés.
Les Strepsiptères ou Stylopides sont des insectes étranges, au sujet desquels les plus savants naturalistes ont été et sont encore dans le plus complet désaccord. Les uns les rattachent aux coléoptères, tandis que les autres, s'appuyant surtout sur la conformation de la bouche, en veulent faire un ordre tout à fait à part. Nous nous rangeons complètement à l'avis des premiers. Les Strepsiptères sont, en effet, parasites des Hyménoptères, à l'instar de beaucoup d'autres coléoptères. Chaque espèce de Stylopide vit aux dépens d'une espèce spéciale d'abeille. Seulement leur parasitisme est d'un genre particulier. La femelle passe sa vie de seconde larve, de nymphe et d'insecte parfait, c'est-à-dire sa vie presque entière, dans l'intérieur du corps de son hôte. Quand au mâle, il y passe seulement son existence de seconde larve et de nymphe. Leur présence dans le corps des hyménoptères est révélé par l'existence sur le ventre de ceux-ci de tumeurs coniques qui font saillie entre les anneaux de l'abdomen. Il arrive souvent en automne de rencontrer de ces guêpes stylopisées, au vol alourdi ou à la démarche pesante. Examinez alors leur ventre. Vous le verrez porteur de petites saillies cornées au nombre d'une à sept ou huit. Ces tumeurs renferment les stylopides à différents états de développement.
Mais l'analogie de ces parasites avec les coléoptères de la famille des Rhipiphorides ne s'arrête pas là. Comme chez ceux-ci, leurs mâles ont des élytres atrophiées, il est vrai, mais parfaitement nettes, des ailes bien développées, des yeux normaux, des antennes singulières. Comme chez les Rhipidius, leurs femelles sont de grossières boîtes à oeufs. Pour compléter l'analogie, il y a la première
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larve qui est un triongulin extraordinaire longtemps pris pour un pou des abeilles.
Les moeurs et métamorphoses des Rhipiphorides appartenant aux genres Myodites, Rhipiphorus et Emenadia sont aujourd'hui parfaitement connues. Leur première larve est un triongulin. Quant à leur seconde larve, elle est parasite interne pendant la première partie de son existence vermiforme, pour devenir parasite externe pendant la deuxième partie.
Eh bien ! les Rhipidius, dont la seconde larve est parasite interne pendant toute son existence, font le passage entre les Strepsiptères qui sont parasites internes pendant presque toute leur vie, comme nous venons de le voir, et les. Rhipiphorides des genres Myodites, Rhipiphorus et Emenadia dont la seconde larve n'est parasite interne que jusqu'à sa première mue. Et voilà comment les Rhipidius rattachent les Strepsiptères ou Stylopides à la famille des Rhipiphorides.
Ainsi que je le disais plus haut, les Rhipidius ne comptent encore que cinq espèces.
La première en date est celle dont je vous ai raconté l'histoire biologique d'après Sundevall. C'est le R. pectinicornis. Originaire des Indes orientales, elle a pu se propager, à bord des navires où abondaient les cafards, jusqu'en Europe. Aussi a-t-elle été capturé dans certains ports de France, d'Allemagne et de Suède. Ce n'est donc pas une espèce autochtone, mais une espèce importée.
Vient ensuite une espèce de Portugal, le R. lusitanicus, qui ne compte que 10 articles aux antennes, tandis que ses congénères en ont 11. C'est pourquoi j'ai proposé d'en faire le type d'un sous-genre, sous le nom de Blattivorus (de blatta, blatte, et vorare, dévorer), nom qui rappellera les moeurs de ces curieux insectes.
La France compte deux espèces de Rhipidius. L'une, le R. quadriceps, a été capturée, au nombre d'un seul exemplaire mâle, par E. Abeille de Perrin, un savant naturaliste
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marseillais, dans la vallée de la Charmette qui est parallèle à celle de la Grande-Chartreuse, en battant un érable pseudo-platane, en juin.
La seconde espèce est nouvelle. C'est celle dont j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui la description.
RHIPIDIUS ABEILLEI.
MALE. — Longueur, de l'extrémité antérieure de la tête à l'extrémité postérieure de l'abdomen : 4 millimètres 1/2; plus grande largeur: 1 millimètre 1/5.
Couleur d'un roux brunâtre, avec la base des antennes, les élytres et les pattes plus pâles.
Tête ovalaire, plus longue que large, à angles postérieurs droits et arrondis au sommet, rugueuse, recouverte d'une assez longue et assez épaisse pubescence jaunâtre dirigée eh avant.
Yeux noirs, formés de gros grains arrondis, très développés, contigus en avant sur le tiers antérieur de la tête, déhiscents en arrière, saillants sur les trois quarts des bords latéraux. Cette granulation des yeux, qui se retrouve chez tous les Rhipidius, semble montrer que ces insectes sont nocturnes.
Palpes maxillaires cylindriques, de deux articles, longitudinaux, visibles en partie en avant de la tête.
Antennes flabeilées, très allongées, atteignant le milieu des élytres, de onze articles. Le premier article est allongé, brunâtre, plus étroit à sa base qu'à son sommet; les deuxième et troisième sont épais, transversaux, jaunâtres, pubescents comme le premier; les huit articles suivants sont globuleux, égaux entre eux, munis sur leur bord antérieur d'une lamelle foliacée très longue et très étroite, jaunâtre à la base, brunâtre à l'extrémité, très finement velue. Juxtaposées par leur face plane, ces huit lamelles, de longueur égale, ressemblent à une sorte d'éventail du plus gracieux effet. Prothorax rugueux, garni d'une pubescence semblable à
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celle de la tête, mais dirigée en arrière; à peu près aussi long sur la ligne médiane que large à la base, arrondi en avant, à angles antérieurs très obtus et peu marqués, à angles postérieurs pointus ; les côtés sont légèrement concaves et la base un peu sinuée.
Écusson carré, faiblement entaillé sur le milieu de son bord postérieur, concave sur son disque, qui est plus foncé que les bords, rugueux, pubescent.
Dos du métathorax bien visible dans l'écartement normal des élytres, nu, brillant, à base convexe en arrière, partagé en trois parties par deux sillons profonds qui viennent se réunir à angle aigu, juste sous la petite encoche de l'écusson.
Abdomen composé de sept segments, de longueur à peu près égale, sauf le premier, qui est plus court ; ces segments diminuent progressivement de largeur, en sorte que l'abdomen est pointu en arrière ; une crête saillante marque la ligne médiane ; faiblement rugueux et très finement pubescent.
Élytres étroits, déhiscents, laissant à découvert le dos du métathorax, deux fois aussi longs que la tête et le prothorax réunis, rugueusement ridés en travers, hérissés de fins poils jaunâtres, dépassant à leur base les angles postérieurs du corselet, arrondis à leur sommet, qui est largement rebordé ainsi qu'une partie des côtés.
Ailes très développées, deux fois aussi longues que les élytres, enfumées, plissées longitudinalement.
Pattes allongées, bien développées, jaunâtres. Tarses antérieurs et intermédiaires de cinq articles, le premier et le cinquième plus longs que les autres, celui-ci muni de deux ongles simples ; tarses postérieurs semblables, mais de quatre articles seulement, le premier encore plus grand qu'aux pattes de devant et du milieu.
FEMELLE inconnue, mais évidemment semblable à celle des autres Rhipidius, c'est-à-dire sans aile ni élytre, avec des antennes filiformes et des yeux rudimentaires.
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J'ai pris un seul mâle de cette espèce sur les pentes méridionales du mont Ventoux (Vaucluse), vers 1,000 mètres d'altitude, le 10 juillet 1889, en fauchant les petites plantes ligneuses qui, comme le thym et la lavande, abondent en ces parages. Je n'ai pas pu la reprendre, ni en 1890, ni en 1891, bien que j'aie de nouveau fait l'ascension de cette montagne à la même époque.
Je suis heureux de dédier la première espèce que je décris à mon très savant et très affectionné maître et ami, M. E. Abeille de Perrin, qui, après l'avoir le premier jugée nouvelle, a bien voulu me laisser le soin de la faire connaître, m'aidant en ce travail de sa riche collection, de ses livres et surtout de ses précieux conseils.
A la suite de la découverte de cette seconde espèce française de Rhipidius, j'ai reçu la nouvelle de la trouvaille, en Allemagne, par le docteur S. Kraatz, d'un Rhipidius nouveau encore. La description n'en a pas encore été publiée. Mais je puis dès aujourd'hui vous en montrer la figure qu'a bien voulu m'envoyer le savant de Berlin (1).
Dr A. CHOBAUT.
(1) Le travail du docteur Kraatz a paru depuis la rédaction de cette note. Il a été publié dans le Deutsche Entomologische Zeitschrift, 1891, p. 358-360, avec une planche annexe. Le Rhipidius qui en fait l'objet a été trouvé à Arnstadt, au lieu dit les hêtres saints (heiligen Büchen), sous une écorce de chêne, au commencement de juillet 1867, par M. Ludy, et appelé R. pectinicornis Thunb. Tombé en la possession du docteur Kraatz, il fut nommé par lui R. quadriceps Ab La reproduction du type unique de M. Abeille de Perrin, par un dessin aussi fidèle que possible que j'ai publié dans le Coléoptériste, nos 13,14 et 15, p. 236 238, a seule montré à l'érudit entomologiste allemand que son insecte était en réalité nouveau. Il lui a imposé le nom de R. apicipennis.
J'ai vu avec plaisir dans ce travail que le docteur Kraatz admettait mon nouveau sous-genre Blattivorus et l'élevait même au rang de genre non seulement en raison de ses 10 articles antennaires, mais encore à cause de son corselet très allongé.
L'éminent docteur me fait remarquer à ce propos que le Rhipidius pectinicornis est encore une espèce de la plus grande rareté en Allemagne. Il en connaît trois exemplaires au Musée impérial de Berlin (mâle, femelle et larve), un exemplaire au Museum de Vienne, un autre à Laibach en Autriche, et un dernier peut-être à Haguenau (Alsace) en la possession de M. Mathieu.
NUMISMATIQUE
APPLIQUÉE
A LA TOPOGRAPHIE ET A L'HISTOIRE
DES VILLES ANTIQUES DU DÉPARTEMENT DE VAUCLUSE.
V
NOUVELLES TROUVAILLES A BARRI-AERIA.
J'ai profité d'une des belles journées de l'hiver dernier pour faire une nouvelle ascension au haut plateau de Barri. Celle-ci a été très fructueuse. J'en ai rapporté vingt-deux monnaies antiques, que j'ai choisies dans un bien plus grand nombre. De ces monnaies il en est quelques-unes que je tiens à vous signaler en peu de mots.
L'une d'elles est une monnaie gauloise d'argent, à peu près de la valeur d'un denier romain, et de fort bonne conservation. Elle porte de face une tête de divinité, Apollon ou Diane, et du revers un cavalier au galop, la lance en arrêt dans l'attitude du combat. Sa légende de face porte le mot DVRNAC, celle du revers le mot DONNVS. Elle appartient à cette série de monnaies d'argent dites au Dioscure, qu'on découvre d'ordinaire dans les anciens territoires des Allobroges, des Voconces, des Cavares et qui sont fort rares partout ailleurs. Après bien des controverses, M. de Saulcy et Charles Robert ont démontré que ces monnaies, qui mal à propos étaient supposées d'origine belge,
MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE 223
appartenaient exclusivement à notre région, et ils ont été amenés à constater qu'elles avaient été frappées à une seule époque, en un temps très voisin de la conquête romaine ; ils en ont conclu que l'émission en avait eu lieu pour pourvoir aux besoins de la guerre défensive contre l'invasion des peuples helvétiens et germains conduits par Arioviste, ainsi que l'indiquent les commentaires de César.
Une autre monnaie d'argent, que j'ai rapportée de Barri, se trouve dans des conditions remarquables de mérite artistique et de conservation matérielle. Celle-ci est une monnaie consulaire de la meilleure époque de l'art romain ; elle est à fleur de coin et serait digne de prendre place dans le médailler de la bibliothèque nationale. Sur la face, elle porte une tête d'Apollon couronnée de laurier, derrière laquelle est gravée une lyre ; sur le revers, Diane debout tenant une torche. Dans le champ, se lisent les mots Publius Clodius; dans l'exergue, les mots Marci filius. Selon Cohen, cette monnaie a été frappée en l'an 716 de Rome, 38 ans avant l'ère chrétienne. Ce Publius Clodius se trouvait monétaire au temps du triumvirat d'Octave, d'Antoine et de Lépidus : il appartenait à l'illustre famille des Claudius qui a joué un si grand rôle dans l'histoire romaine, et il était parent de ce célèbre Clodius dont le meurtrier, Milon, fut défendu par un des plus brillants plaidoyers de Cicéron. Ainsi donc ce petit morceau de métal finement gravé réveille dans l'esprit tout un monde de souvenirs historiques.
Une autre est une drachme marseillaise d'argent, représentant au revers un lion passant. Celle-ci est fourrée. On appelle monnaies fourrées celles dont le flan, de bronze, de fer ou de plomb, a été revêtu d'une mince feuille d'or ou d'argent, qui lui donne l'apparence d'une monnaie de bon aloi. Elle est donc une fausse monnaie, tout ce qu'il y a de plus fausse monnaie. Mais dans les temps antiques les fausses monnaies n'étaient point rares. Les républiques grecques et italiotes et surtout certains empereurs romains
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ne se sont pas fait faute d'altérer les monnaies. Tandis que les faux monayeurs, d'après le code théodosien (1), étaient punis de la peine de mort, les gouvernements eux-mêmes n'avaient nul scrupule de fabriquer et d'émettre la fausse monnaie, et ils édictaient des peines sévères contre ceux qui refusaient de prendre ces monnaies pour leur valeur nominale. C'était surtout dans les moments critiques qu'ils recouraient à cet expédient, qui n'en était pas moins un acheminement à la ruine financière. Aux temps mérovingiens, il ne circulait presque plus d'or ou d'argent ayant le titre légal. On contrefaisait de préférence les monnaies des empereurs byzantins, parce que celles-ci inspiraient encore au vulgaire une certaine confiance et un certain respect. Je possède dans mes tablettes une monnaie de l'empereur byzantin Anastase, provenant de Barri ; elle consiste en un petit flan de cuivre revêtu d'une très mince lamelle d'or. Quant aux rois de France, nous savons que Philippele-Bel a été flétri par l'histoire comme faux monnayeur. Quoi qu'il en soit, on comprend facilement comment les Grecs marseillais, gens subtils et peu scrupuleux, avaient peu à se gêner avec des Gaulois illétrés et ignorants des choses du monnayage.
Enfin, une monnaie de bronze de fort petit module paraît être d'origine barbare, franque, burgonde ou wisigothe. Je ne suis pas encore parvenu à en déterminer l'attribution.
Parlerai-je ici de deux petites monnaies de cuivre presque de nulle valeur? Ce sont des patars ou patas du pape Paul V, frappées dans le XVIe siècle. Ceux d'entre vous qui sont nés dans le pays, ont pu entendre raconter par leurs grand-mères qu'il fallait cinq patas pour faire un sou de France, et qu'autrefois à Avignon les ménagères allaient faire leur marché avec huit ou dix patas, qui de valeur réelle feraient à présent environ dix centimes.
(1) Cod. théodos., lib. IX, tit. XXI.
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Je ne veux pas entrer dans plus de détails pour ne pas abuser de vos moments. Mais ce que je viens de dire peut donner une idée de la prodigieuse diversité et de la prodigieuse fécondité des trouvailles qui ont eu lieu jadis à Barri et qui, dans des proportions infiniment moindres, ont lieu encore aujourd'hui (1). Qu'il me suffise de vous rappeler ce que j'ai dit dans une précédente lecture (2), c'est qu'au moyen des trouvailles de Barri, on aurait pu faire un cours de chronologie complet, depuis les premiers temps historiques de notre pays, depuis les anciens Gaulois jusqu'aux vice-légats qui siégeaient au palais des papes. Les quantités trouvées étaient réellement invraisemblables. Rien de pareil comme abondance n'a été découvert dans le sol des plus grandes villes anciennes de la Gaule, Lugdunum, Massilia, Tolosa, Nemausus.
Les trouvailles de Barri n'ont cessé de présenter un problème historique des plus extraordinaires et des plus difficiles. En effet, on sait que dans les villes antiques les trouvailles de monnaies sont rares et ne se rencontrent guère que dans ce qu'on appelle des trésors. En temps de guerre civile ou étrangère, ou bien en temps de peste, on a caché dans un coin du jardin ou dans un mur, le numéraire d'or ou d'argent qu'on possédait, dans l'intention de le reprendre lorsque des temps meilleurs seraient arrivés. Mais, par des causes diverses, l'enfouisseur n'a pu revenir chercher son trésor; celui-ci est donc resté oublié, inconnu, jusqu'au moment où, parfois après plusieurs siècles, le marteau du maçon, la pioche du terras(1)
terras(1) 12 mai je suis encore retourné à Barri, et voici ce que j'en ai rapporté : une autre drachme marseillaise au type du lion, une monnaie gauloise de Béziers (Baterra), un moyen bronze d'Auguste, au revers Providentia, un petit bronze de Valentinien, et puis deux demi-tournois de Louis XIII et une petite monnaie d'un prince d'Orange ; enfin, un certain nombre de monnaies plus ou moins frustes, mais parmi lesquelles il en est plusieurs, qu'avec un peu d'étude et de patience je parviendrai à classer.
(2) Mémoires de l'Académie de Vaucluse, t. X, p. 5.
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sier l'ont exhumé. Ou bien encore il s'agit d'un champ de bataille ou d'une embuscade meurtrière; dans la suite des temps le sol défoncé laisse apercevoir le pécule qu'avait porté sur lui l'officier ou le soldat. Mais remarquez que dans ces divers cas il ne s'était agi que d'une seule et même journée ; les monnaies qui gisaient dans la terre étaient à peu près toutes du même âge. Sur les champs de bataille de notre malheureuse guerre de 1870 on ne trouverait guère que des monnaies de la période comprise entre la première République et Napoléon III. A l'oppidum du Castellar, près de Cadenet, les monnaies se trouvaient renfermées dans de petits vases en terre enfouis dans le sol ou bien au milieu des décombres ; elles étaient la plupart agglomérées, coagglutinées en forme de gâteaux par le fait de l'incendie et de la rouille, et il a fallu les désagréger à coups de marteau. Elles se trouvaient à peu près toutes d'origine massaliote, et appartenaient en général à une même époque(1). Dans la trouvaille d'Auriol, près Marseille, les 2,000 pièces d'argent archaïques étaient renfermées dans un seul vase en terre caché sous une grosse pierre. Les savants les ont attribuées toutes au VIe siècle avant J.-C. et leur ont supposé une origine grecque (2).
A Barri, rien de tout cela. On trouve indistinctement, éparses dans le même sillon, et parfois l'une à côté de l'autre, des monnaies dont l'émission avait été séparée par un intervalle de vingt siècles, une monnaie gauloise à côté d'un pata du pape Paul V, Ce qui est non moins remarquable, c'est que les monnaies, au lieu d'être réunies en petits groupes distincts, comme les trésors dans une ville ou le pécule des combattants dans un champ de bataille, ou agglomérées, comme dans les ruines du Castellar, se
(1) Mémoires de l'Académie de Vaucluse, t. III, p. 15 et suiv.
(2) Chabouillet, Revue des Sociétés savantes, 4e série, t. X, p. 117 et suiv. Minet et Chabouillet, Catalogue des monnaies gauloises de la Bibliothèque nationale, p. 1 et suiv.
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trouvent disséminées dans le sol, absolument comme des grains de diverses natures que la main du laboureur aurait ensemencés ; tout y est pêle-mêle et dans une étonnante promiscuité. On comprend bien toutefois que tous les types ne peuvent s'y trouver en quantités égales, tandis que les gauloises, les massaliotes, les impériales sont à profusion, les mérovingiennes et les médiévales sont rares ; mais, vu l'état des temps qu'elles représentent, elles n'en fournissent pas moins un contingent précieux, et cette rareté nous atteste quelle était la pénurie du numéraire et la détresse générale d'alors.
On a dit que ces mélanges de monnaies de toute nature devaient être attribués aux courants des eaux pluviales. C'est possible. Mais cette solution ne devrait être admise que partiellement, puisque des monnaies d'origines diverses s'y trouvent parfois dans des fentes de roches à l'abri des eaux.
A quelle cause attribuer cette prodigieuse abondance de numéraire antique ? C'est là le problème principal.
Selon moi, elle est due d'abord à l'existence de la ville populeuse qui, pendant de longs siècles, a vécu sur le plateau de Barri, et dont la prospérité, la décadence, la ruine ont aujourd'hui pour témoignages, pour repères authentiques, les trouvailles que nous a livrées son sol. Mais cette abondance serait due aussi, et en même temps, à un grand marché qui, depuis l'aurore des temps historiques jusqu'au moyen âge, avait attiré là une grande affluence, soit que ce marché ait pris naissance dans la ville, soit, au contraire, que la ville elle-même lui ait dû son origine (1). Dans l'antiquité, les exemples n'étaient point rares de villes considérables qui s'étaient fondées à côté
(1) Florian Vallentin, un des maîtres de la science archéologique dans notre région du Sud-Est, était profondément convaincu de l'existence d'Aeria sur le plateau de Barri et de l'importance de son marché qui s'était continué jusqu'au moyen âge. (Florian Vallentin, La colonie latine d'Augusta Tricastinorum, 1883.)
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des emporiums ou grands marchés permanents. Le promontoire de Barri, où s'élevait la vénérable ville aérienne, avait été merveilleusement disposé par la nature pour recevoir un grand marché régional ou même international. De fort loin et de tous côtés on l'apercevait, dominant une immense et fertile plaine, il était là comme un centre commun destiné au débouché et à l'échange des produits des Cévennes, à l'occident, et des Alpes, à l'orient, de la région du haut Rhône, au nord, de la région de bas Rhône, au sud. A une époque où les voies romaines n'existaient pas encore, où il n'y avait, en fait de voie de grande communication que les chemins ébauchés par les Phéniciens et les Grecs marseillais, le Rhône était presque l'unique moyen de transport pour les marchandises lourdes et volumineuses et même pour le mouvement des voyageurs. Or, son large cours coulait près de Barri ; les terrains d'alluvions nous démontrent qu'à une certaine époque il venait longer l'extrémité du promontoire. Et puisque l'histoire nous apprend que les Phéniciens étaient venus les premiers dans la Gaule méridionale installer des comptoirs, des entrepôts dans les lieux les plus favorables pour leur trafic, on peut affirmer à coup sûr qu'ils en avaient établi un à Barri, déjà occupé sans doute par quelque oppidum gaulois. C'est là que plus tard, dans la suite des temps gréco-marseillais, et au début des temps romains, ainsi que nous l'attestent les trouvailles de monnaies des diverses provenances, le Rhône ne cessait d'amener les produits des Allobroges, des Arvernes, des Séquanes, des Éduens, d'une part, et d'autre part des Cavares, des Arécomiques, des Helviens, et que les Marseillais, au moyen d'embarcations à voiles et à rames, apportaient ceux de l'Espagne et de l'Italie. Involontairement, ma pensée se reporte vers cet autre grand marché international qui lui a succédé dans le moyen âge et s'est continué jusqu'aux temps modernes, cette célèbre foire de Beaucaire que ma jeunesse a connue.
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Cette hypothèse d'un grand marché permanent, venant enrichir et féconder la cité d'Aeria avant la création des voies romaines qui transformèrent le mouvement commercial d'alors, tout comme les chemins de fer l'ont transformé aujourd'hui, me semble la plus vraie, la plus plausible tout au moins. Malheureusement, en dehors des trouvailles de monnaies, elle ne se trouve confirmée par aucun texte. Je m'expliquerais jusqu'à un certain point l'absence des textes antiques, qui ont presque tous péri pendant les temps d'invasion et de barbarie. Mais pour la longue période du moyen âge, cette même hypothèse ne me paraît pas pouvoir suffire. Comment se fait-il que les archives départementales ou notariales, à ma connaissance tout au moins, ne fassent nullement mention de ce marché, tandis que le fief et le château de Barri sont mentionnés plusieurs fois (1)? Et remarquez qu'au moyen âge tout était matière à péages et à redevances. Il semble que l'autorité, à ses divers degrés, n'aurait pas dû manquer d'y stipuler quelques droits fiscaux.
Après réflexion et en explorant les lieux, je crois avoir trouvé une cause secondaire pour les temps antiques, mais principale et même unique, pour les temps où, la ville d'Aeria ayant cessé d'exister, le marché avait luimême été fort amoindri et puis abandonné.
Entre Barri et le village de St-Restitut se trouvent les grands rochers de molasse calcaire, qui fournissent l'excellente pierre à bâtir dite de St-Restitut, que dans nos pays tout le monde connaît. Elle donne lieu à une exploitation très considérable. Depuis quelques années un grand industriel y a établi un chemin de fer funiculaire qui transporte les blocs de pierre à St-Paul-Trois-Châteaux, et de là à la gare de Pierrelate, d'où elles sont expédiées à Avignon, à Marseille et à Lyon. Une notable partie de la
(1) Laboureur, Masures de l'Ile Barbe, p. 146. L'abbé Prompsaut, Notes sur l'histoire de Bollène, p. 9.
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population de St-Paul et presque toute celle de St-Restitut sont employées au service des carrières.
Je savais déjà qu'à Cavaillon, à peu de distance de la ville antique, plusieurs fois il avait été trouvé dans des terrains voisins de carrières abandonnées une certaine quantité de monnaies massaliotes et romaines. Dans ma notice sur Cabellio, j'ai fait mention de cette circonstance (1). J'ai pensé qu'il pouvait bien en avoir été ainsi auprès de Barri-Aeria ; que l'exploitation des carrières dans l'antiquité, au voisinage de la ville, avait bien pu, dans une certaine mesure, concourir à l'importance du mouvement d'espèces et qu'après le dépeuplement et la ruine de la ville, cette exploitation avait dû se continuer ; ce serait, selon moi, la seule manière d'expliquer la présence de monnaies mérovingiennes ou moyen âge sur ces hauts plateaux depuis si longtemps presque déserts.
J'en ai écrit à un de nos collègues, grand propriétaire à Bollène. Sa famille, depuis des siècles, est fixée dans le pays, et lui-même est parfaitement compétent. A mes diverses questions, il s'est empressé de répondre qu'il était à sa connaissance « que les carrières de St-Restitut avaient « été exploitées de toute antiquité ; que les vieux chemins « qui y conduisent, abandonnés depuis longtemps, traver« saient les points habités par les populations anciennes ; « qu'on avait trouvé tout à côté de ces carrières quelques « monnaies romaines et des objets archéologiques, et no" tamment un petit Mercure, qui fut vendu à St-Paul, il " y a quelques années ; que, dans sa pensée, un noyau de ce population ne s'était plus tard maintenu là-haut qu'à ce cause du travail des carrières ; que la ville actuelle de ce St-Paul était bâtie tout entière avec la pierre de ces ce carrières ».
J'ai appris d'autre part, de M. Deloye, qui a particulièrement étudié les monuments de la ville d'Orange, que le
(1) Mémoires de l'Académie de Vaucluse, t. IX, p. 189, note.
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célèbre arc de triomphe d'Orange avait été construit en pierres de St-Restitut.
Que conclure de ces renseignements, qui sont venus au secours de mes investigations ? Je dirai qu'à partir du règne d'Auguste la population de la ville gauloise latine était descendue dans la plaine pour fonder, d'une part, Senomagus, St-Pierre de Sénos ; d'autre part, Neomagus, St-Paul-Trois-Châteaux, l'une au midi, l'autre au nord de la montagne (1) ; que, lorsque la vieille cité eut fini par disparaître à l'époque des grandes invasions, le service des carrières ainsi que le marché se continuèrent dans une certaine mesure pendant les éclaircies qui" ramenaient un peu de calme dans ces temps désastreux ; qu'il y eut donc là tout près, au milieu des anciennes habitations en ruine, un noyau de population ouvrière et commerçante, qui nous explique la présence des quelques monnaies mérovingiennes et carlovingiennes, des sous melgoriens, des monnaies papales, de celles des rois de France, des comtes de Provence. Mais cette population n'était ni nombreuse ni riche ; d'ailleurs, le numéraire était rare en ce temps-là, Et tout cela nous explique le contraste entre la rareté de ces diverses monnaies et l'extrême profusion des monnaies antiques. Ainsi donc, pour les temps antiques, existence d'une cité populeuse et concours d'un grand marché permanent ; pour les temps mérovingiens et le moyen âge, exploitation des riches carrières de St-Restitut ; telles me paraissent être les véritables causes du phénomène que j'ai signalé.
Messieurs, ai-je résoin le problème d'une manière satisfaisante pour tous ? Je ne puis l'affirmer pleinement. Sur ce sujet scabreux, les objections succèdent aux objections. Voici qu'un nouvel adversaire survient, prétendant que l'emplacement d'Aeria doit être pris dans le terroir de
(1 ) Temple d'Auguste à St-Paul-Trois-Châteaux, Mémoires de l'Académie de Vaucluse, t, VIII, p. 263 et suiv.
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Baumes, sur un plateau appelé St-Hilaire, dont il n'avait jamais été question jusqu'à présent. C'est une attribution inédite à ajouter aux trente-deux attributions déjà énumérées par un savant archéologue, la plupart semblant inspirées par le patriotrisme de clocher. Aeria paraît donc toujours mystérieuse. Toutes proportions gardées, j'oserais la comparer à la glorieuse ville de Troie. Comme à celleci, il faudrait la science, la fortune, le bonheur, l'opiniâtreté de l'allemand Schliemann pour dissiper les ténèbres dont elle est entourée.
A. SAGNIER.
SUR LA SIGNIFICATION
DU MOT «OGIVE».
S'il est une erreur courante en archéologie actuellement encore, malgré les travaux des J. Quicherat et des R. de Lasteyrie, c'est bien celle qui s'est répandue sur la signification du mot ogive. On se sert de ce mot pour désigner la forme brisée des arcs employés dans les monuments gothiques : porte en ogive, fenêtre en ogive, voûte en ogive, et l'on a fait de l'ogive, ainsi entendue, la caractéristique du style gothique.
Or, rien n'est moins rationnel et rien n'est plus antiscientifique que cette appellation. J'espère démontrer ici que l'ogive n'a jamais désigné la forme brisée des arcs dans tout le moyen âge, que c'est là une erreur moderne, et ensuite que les arcs brisés ne peuvent servir de base pour caractériser l'architecture gothique. M. J. Quicherat a publié à ce sujet un excellent article (1). Il serait téméraire d'essayer d'ajouter quelque chose à son argumentation, aussi n'ai-je pas d'autre but ici que de résumer son travail et le vulgariser. Quoique cet article ait paru en 1850, bien des personnes qui s'occupent d'archéologie en ignorent encore les conclusions et font un emploi abusif du mot ogive. Il faut aussi que M. Viollet-Leduc luimême, dans son Dictionnaire d'architecture, ne sait trop
(1) Revue archéologique, t. VII (avril-septembre 1850), p. 65.
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quel parti adopter, et établit une longue théorie pour indiquer la manière de construire les arcs brisés qu'il appelle toujours arcs ogives.
Ogive, d'après Quatremère de Quincy (1), dont on peut adopter la définition en l'étendant, est le nom donné à ces courbures saillantes ou nervures, qui, dans chaque travée de voûte, se croisent diagonalement au sommet, en allant d'un angle à l'autre de la travée, et en formant ainsi quatre compartiments angulaires. Les deux ogives qui se croisent ainsi sous la voûte, forment ce qu'on appelle la croisée d'ogives.
Avant d'aller plus loin, je veux expliquer en quelques mots l'origine et la nature de ces arcs.
Dans la première époque romane, les quelques voûtes qui existaient étaient toujours en berceau, et leur poussée se faisait sentir sur toute la longueur des deux murs latéraux. D'où la nécessité de construire toujours et partout des murs très épais. Mais quelques architectes eurent l'idée d'élever des voûtes en arrête dont la poussée, beaucoup moins forte, ne portât que sur quatre points déterminés, et de renforcer par des contreforts la partie des murailles où se faisait sentir cette poussée. Pour cela, il était essentiel que les voussoirs d'arrêté fussent exactement taillés, et encore arrivait-on à grand'peine à obtenir une demi-solidité.
C'est alors qu'on imagina de placer sous ces arrêtes des arcs de construction facile, pour soutenir l'appareil : ce furent les ogives (2), qui furent employées dès la fin du XIe siècle et que l'on trouve dans un bon tiers des églises romanes, surtout dans l'Ile-de-France et la Normandie.
(1) Dictionnaire d'architecture.
(2) L'étymologie même du mot (ogis, augiva, de augere, augmenter) indique que cet arc augmente la force de la voûte en la soutenant. On trouve encore le mot ogis avec le sens d'appui, dans un texte du XIIe siècle : Catholicae fidei validus defensor et ogis, dans Nicolas de Brai, cité par M. J.
Quicherat, loc. cit., p. 66.
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Voilà ce que pendant tout le moyen âge on entendait par le mot ogive. Voyez les textes donnés par M. Jules Quicherat; tous sont péremptoires. Dans des temps plus modernes, Lebeuf, l'historien du diocèse de Paris, disait encore : " La voûte du choeur est sans augives (1) ». Le dictionnaire de l'Académie lui-même, dans l'édition de 1814, donnait la même définition. C'est donc une erreur tout à fait moderne de donner le nom d'ogive à la forme des arcs brisés.
Quel rapport y a-t-il donc entre l'ogive, nervure de la voûte, et l'arc brisé ? Il n'y en a aucun. En règle générale, les ogives, même dans les monuments gothiques dont les voûtes sont brisées, sont les seuls arcs qui soient en plein cintre. Il y a bien quelques rares exceptions (2), mais il est facile de comprendre qu'il en soit ainsi ; c'est qu'en effet chaque travée de voûte représente en projection un quadrilatère :
Les arcs doubleaux AB et CD ont nécessairement une corde plus petite que les ogives AD et BC ; aussi, comme ils doivent arriver à la même hauteur de voûte que les ogives, ils sont brisés, tandis que celles-ci forment des arcs en plein cintre.
Beaucoup de personnes appellent aujourd'hui ogivale
(1) Histoire du diocèse de Paris, t. XIV, p. 71.
(2) On trouve encore assez souvent des ogives en anse de panier.
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l'architecture gothique. C'est encore là un non-sens, de quelque manière que l'on entende le mot ogive.
Le prend-on dans le sens exact qu'il doit avoir ? Le tiers des églises romanes, comme je l'ai dit il n'y a qu'un instant, sont voûtées avec des ogives. Les voûtes de la fin du XIe siècle que l'on peut citer en ce genre sont celles du porche de Moissac, de St-Victor de Marseille ; mais c'est surtout dans le nord de la France que la croisée d'ogives s'est rapidement vulgarisée dès le commencement du XIIe siècle. Dans la Provence, région qui nous intéresse davantage, les voûtes romanes en berceau furent plus nombreuses, et elles ont eu une certaine influence sur les monuments gothiques. L'église St-Jean, du palais des papes, où sont maintenant installées les archives départementales, possède ainsi une voûte brisée sans aucune nervure, ni doubleau, ni ogive. Donc, l'ogive n'est pas un caractère de l'architecture gothique, puisqu'on en trouve dans des monuments romans et que certains édifices gothiques n'en ont pas.
Si l'on prend ce mot dans le sens d'arc brisé que je ne veux pas lui reconnaître, l'ogive est encore moins un caractère suffisant, pour déclarer que tel ou tel monument est postérieur à l'époque romane. L'arc brisé (arc en tierspoint, arc empointié, arcus compositus), a été très souvent employé aux XIe et XIIe siècles. La plupart des églises romanes de Provence possèdent des voûtes en berceau brisé, plusieurs les arcades de leur grande nef également brisées : je citerai, par exemple, les cathédrales d'Avignon, de Vaison, de Cavaillon, les églises de Pernes, du Thor, de Sénanque, Saint-Trophime d'Arles. Je m'en tiens seulement aux édifices de ce pays, sans vouloir chercher ailleurs des exemples faciles à trouver en un très grand nombre. Il y a mieux, des églises romanes de Provence ont eu des fenêtres en arc brisé : l'église du Thor entre autres, dont les trois petites fenêtres murées au sommet de la façade, présentent ce caractère.
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Ainsi donc, pour me résumer : c'est aller contre la tradition et contre la réalité des choses qu'appeler une ogive un arc brisé. Les ogives sont les arcs diagonaux, ordinairement en plein cintre, qui se croisent sous la voûte dans chaque travée. Elles ne sont pas caractéristiques du style gothique, puisqu'un grand nombre d'églises romanes en possèdent. Enfin, l'arc brisé ou en tiers-point, qu'on a faussement appelé l'arc ogival, n'est pas davantage particulier à l'architecture gothique ; par conséquent, celle-ci ne doit, dans aucun cas, porter le nom d'architecture ogivale.
On peut chicaner sur cette expression de gothique et déclarer qu'elle est tout aussi impropre, puisque les Goths ne sont pour rien dans l'invention des procédés qui caractérisent cette architecture. Quoiqu'il n'entre pas dans mon sujet de traiter cette question et d'examiner le plus ou moins bien fondé de cette appellation, je ne puis m'empêcher de donner ici les conclusions d'un récent article, l'Architecture dite gothique; doit-elle être ainsi dénommée, qu'a publié M. Raoul Rosières (1) dans la Revue archéologique (2). Je ne prétends pas que toutes soient à adopter, mais je crois qu'elles sont de nature à dissiper certains préjugés. Après avoir remarqué qu'il est étonnant que, depuis la Renaissance, les littérateurs, les érudits, les savants, etc., aient ainsi employé l'épithète gothique, sans s'apercevoir qu'elle était absurde, il essaie de prouver par des textes nombreux que pendant tout le moyen âge et jusqu'après le XVIIe siècle, le terme de Goths ce servait à désigner confusément tous les barbares qui se
(1) A la fin de cet article, je remarque cette phrase bonne à citer ici : « L'appellerions-nous (l'art gothique) enfin l'art ogival? Impossible encore. La plupart de nos délicieux édifices civils de la fin du XVe siècle, aux fenêtres quadrangulaires, aux courbes en accolades ou en anses de paniers, ne portent plus traces d'ogives et pourtant sont gothiques encore. Et bien des arts, gothiques eux aussi, qui ont fleuri du XIIe au XVIee siècle, la miniature, la tapisserie, la bijouterie, la ferronnerie, ont ignoré l'ogive. »
(2) 3e série, tome XIX, p. 348 à 362.
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ruèrent à la curée du monde romain. » Or, chose étonnante ! c'est justement dans le pays où se sont établis ces Goths ou barbares, que prit naissance et qu'eut sa plus grande expansion l'art gothique.
Je ne veux pas aller plus loin : je me contente seulement de faire observer encore une fois, que, quel que soit le nom que l'on veuille adopter (art gothique, art français), il est absolument antirationnel et antiscientifique de parler d'art ogival.
L.-H. LABANDE.
MATER DOLOROSA.
LETTRE A M. ALEXIS MOUZIN.
Avignon, février 1892.
Vous m'avez demandé, mon cher ami, si j'avais travaillé pendant le mois de vacances dont je viens de jouir à Cannes. Travailler pendant un congé ! Je vois que vous ne me connaissez pas encore bien. Non. J'ai flâné, étendu successivement sur divers sièges de formes variées, mais tous voluptueux et faits pour les paresses somnolentes et les lentes rêveries ; j'ai entendu de la belle musique composée pour mon plaisir par des artistes de tous les temps et de tous les pays; j'ai regardé le soleil disparaissant derrière les fines dentelures de l'Estérel ou se levant au dessus des Alpes poudrées de neige délicate — pour parler franchement, j'ai vu son réveil moins souvent que son coucher; — j'ai contemplé la mer, la grande mer captivante sur laquelle le Bel-Ami, le yacht de ce pauvre Maupassant, se balance au port avec la tristesse troublante et suggestive d'une épave ; et puis j'ai vu des Anglais et des Anglaises, — beaucoup d'Anglais et beaucoup d'Anglaises, — surmontés de chapeaux trop petits et supportés par des pieds trop grands. Ils sont là tout à fait chez eux, ces insulaires ; car — vous ne l'ignorez pas — Cannes est une manière de possession anglaise in partibus infidelium, une espèce de colonie fondée par les sujets de Sa Gracieuse Majesté sur un territoire français, découvert par lord Brougham entre le golfe
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Juan et la Napoule. Cette colonie a une existence prospère, et, quoique les sentiments de loyauté britannique s'y soient merveilleusement développés, les indigènes en sont néanmoins demeurés assez accueillants pour les étrangers, au point que, même un citoyren français est à peu près assuré de n'y être ni molesté ni maltraité, particulièrement s'il est riche et mène quelque train.
Profitant du voisinage, j'ai été embrasser toute une nichée de petites cousines et de petits cousins qui sont à Bordighera, perdus dans une mer d'oliviers, au bord de la strada romana, et.... tiens, au fait, vous me demandiez une histoire ; j'en ai précisément rapporté une de làbas : je vais vous la conter.
Peut-être avez-vous eu l'occasion de visiter la ménagerie sicilienne Crovello. Si vous l'avez rencontrée, c'est assurément dans quelque fête de village, car les Crovello évitaient d'ordinaire les grandes villes, où le voisinage de ménageries somptueuses eût fait honte à la modestie de leur installation.
En tout, trois cages. Dans la première, un lion valétudinaire et édenté faisait bon ménage avec une lionne fringante ; dans la seconde, un ours blanc balançait sa tête somnolente et bonasse en compagnie d'un petit chien et d'un lapin, dont ce mouvement ininterrompu paraissait agacer le système nerveux; la troisième, ordinairement vide, servait de loge centrale au cours des représentations. J'oubliais une boîte fermée d'un cadenas et percée de trous, dans laquelle végétait un boa grelottant sous des couvertures.
La ménagerie appartenait au père Crovello, une tête de bandit bon enfant, comme on aime tant à en rencontrer dans cet aimable pays de Sicile, où la gendarmerie a parfois confessé si ingénument son impuissance. C'avait été un vaillant dompteur autrefois, au temps où son vieux lion Caïd avait toutes ses dents. Maintenant, ils n'en avaient
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plus ni l'un ni l'autre ; mais le bonhomme avait de plus perdu le bras droit, cassé net par une de ces ravissantes petites panthères dont les yeux lumineux sont comme deux taches d'or adamantées sur le velours noir de leur masque. Il avait si bon caractère ce brigand d'opéra-comique, qu'il ne garda jamais rancune à la jolie bête de son mouvement de vivacité.
Madame Crovello fut de moins bonne composition ; elle ne passa pas une fois, sans lui adresser quelque injure, devant la cage où le gracieux animal allongeait la paresse de son corps souple en frottant aux barreaux sa tête énigmatique, jusqu'au jour où elle décida Crovello à l'échanger contre l'inoffensif boa constrictor — terreur des forêts équatoriales!— et le pendulaire ours blanc—fléau des icebergs !
A part l'objet de cette rancune assez justifiée, aucun des pensionnaires de la ménagerie n'entendit un mot désagréable sortir de la bouche de la patronne, et elle était parmi eux comme une bonne fermière au milieu de sa basse-cour, aimant ses bêtes et leur faisant, avant la représentation, des recommandations, comme fait une maman à ses bébés quand elle attend des invités : « Il va venir du monde, tâchez de vous bien tenir et de ne pas mettre votre doigt dans votre nez ». Je vous assure que ces Crovello étaient vraiment de braves gens.
De leurs trois enfants, Ida seule, la fille aînée, avait hérité des goûts paternels et, avec une apparence délicate, des pieds de duchesse et des yeus de gazelle, ne redoutait en vérité aucune bête qui fût sous le ciel. Il fallait voir avec quelle crânerie gamine elle faisait valser la lionne Yamina, tandis que Caïd, le géant au poil rude, suivait tous ses mouvements de regards profonds. Peut-être lui apparaissaitelle, au vieux songeur, comme une espèce de divinité puissante par la grâce, ayant dans sa sveltesse un charme dominateur. En tout cas, elle se prévalait de l'attitude du Caïd au point d'affirmer qu'il prendrait sa défense si quelque jour la lionne exaspérée se révoltait.
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Vous pensez bien que la jolie fille n'avait pas traversé tant de villes dans une roulotte, sans être parfois invitée à en sortir ; mais elle avait une manière positivement décourageante et point du tout banale d'éconduire les soupirants. A l'un d'eux qui lui écrivait un billet d'une brutalité tranquille pour demander un rendez-vous, elle répondit laconiquement : « Bien volontiers et très honorée. Ce soir à 9 heures, dans la cage centrale». On ne le revit plus. S'il eût reparu, Giacomo se fût chargé de le recevoir.
Singulier garçon que ce Giacomo, le grand frère, brutal avec les animaux, et ne sachant conquérir aucune autorité sur eux. Le père disait de lui : « Il ne serait pas capable de faire marcher un chien sur trois jambes ». Et le fait est que Giacomo n'aurait véritablement pu obtenir ce résultat qu'en coupant la quatrième. C'est pourquoi, au lieu de présenter quelque bête au public, Giacomo battait la caisse à la porte. De plus, habile à tous les arts manuels, c'était lui qui entretenait le matériel en bon état, sciant, ajustant, clouant, badigeonnant sans cesse, et conservant à la vieille baraque, à force d'industrie, un peu de coquetterie et de fraîcheur.
Les deux grandes toiles peintes qui flanquaient l'enseigne étaient de lui. Sur l'une, il avait figuré avec une extraordinaire naïveté une dompteuse à taille de guêpe, en justeaucorps vert et bottes vernies, souriant au milieu du déchaînement de toutes les bêtes de la création ; il se trouvait même là quelques échantillons qui certainement ne se rattachaient à aucun type connu et n'avaient pas dû trouver place dans l'arche de Noé. L'autre toile représentait un dompteur ensanglanté, mais impassible, en face d'une panthère qui promenait victorieusement un bras dans sa gueule, — tel un chien portant la canne de son maître. Quand la foule se massait devant les gradins, le vieux Crovello, muet dans l'assourdissant roulement de la caisse, tenant une baguette de la main gauche, désignait le dompteur amputé, puis se désignait lui-même ; ensuite (pour ceux qui n'au-
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raient pas compris), il montrait le bras qui barrait la gueule de la panthère, ramenait la main gauche vers sa propre épaule droite, et enfin démasquait une boîte à couvercle vitré dans laquelle, sur un écrin de velours, reposait le squelette du membre absent, conservé pieusement et adroitement enchâssé par les soins de Giacomo.
En dehors des paroles nécessaires, on n'en entendait jamais une sortir de la bouche de Giacomo, et c'était bien le plus muet de tous les animaux qui jouissent de la faculté d'émettre des sons perceptibles.
Tout ce monde était uni et travaillait, entourant de soins et d'affection la plus jeune enfant, la petite Flora, mignonne créature de quinze ans, dévorée par la phtisie. Pour elle, et afin de prolonger autant que possible cette chétive existence, les Crovello renoncèrent aux tournées lointaines dans les pays froids, et promenèrent leur caravane entre Saint-Tropez et San-Remo pendant plusieurs années.
C'est à Bordighera que ma tante les vit et, prise de pitié pour l'enfant à qui chaque cahot de la roulotte arrachait une plainte, elle lui offrit l'hospitalité affectueuse de la villa. Les Crovello en profitèrent pour étendre un peu les limites de leurs déplacements, et poussèrent jusqu'à Toulon, sans vouloir pourtant s'éloigner davantage de l'enfant.
Pendant ce temps, la petite passait ses journées étendue devant la maison, au soleil, souvent silencieuse, avec les yeux reconnaissants d'un bon chien qui, après une longue attente, voit enfin s'ouvrir une porte. Les jours où elle se sentait plus forte, elle contait aux enfants des histoires extraordinaires, où toujours jouait un rôle son boa frileux. Elle l'aimait bien, et c'était elle qui, d'habitude, le présentait au public à la porte de la ménagerie, déroulant de ses mains frêles les lourds anneaux que son frère l'aidait à soulever, présentant ses lèvres aux baisers froids du monstre. Et tandis qu'elle parlait, toutes les jolies têtes brunes restaient pensives, ravies par l'inconsciente poésie des récits charmeurs.
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Quand la ménagerie revint, toute ma famille s'était si fort attachée à Flora, que ma tante demanda et obtint de la conserver encore. Ce ne fut pas pour bien longtemps, et elle s'éteignit bientôt sans bruit, pauvre petite âme caressante, au milieu de ceux qu'elle aimait.
Quelques jours après, la famille Crovello partit pour le nord, fuyant les tristes souvenirs de la petite morte, et, à intervalles réguliers, ma tante recevait de longues lettres de la pauvre mère reconnaissante. Le nom de Flora y revenait à chaque ligne, mais pourtant elle donnait des nouvelles de la famille et n'oubliait pas de parler des animaux. Le père était triste et n'avait plus autant de goût au métier. C'était la mère qui, maintenant, présentait le boa; mais le boa était de moins en moins vivant et — touchante illusion maternelle — madame Crovello attribuait à l'absence de Flora une inertie dont le froid seul était responsable. Quoi qu'il en fût, le pauvre serpent — — terreur des forêts équatoriales ! — s'alourdissait de jour en jour et, n'ayant même plus la force de contracter en anneaux son corps de liane, pesait comme un paquet de caoutchouc ramolli aux mains de la vieille femme. Giacomo avait absolument refusé de s'en charger, gardant une rancune à l'inoffensive créature depuis la mort de Flora, attribuant aux baisers glacés et aux enlacements lents du reptile une sorte de pouvoir mystérieux et morbide. C'est cette influence maligne qui avait, disait-il, fait la pauvrette plus chétive tous les jours entre les anneaux caressants, et plus glacée quand le serpent dardait une langue rapide entre ses lèvres pâlies. Avant de quitter Bordighera, il avait, pendant une longue nuit passée en prière devant la chapelle accrochée aux rochers du cap, reçu de saint Ampélio lui-même la confidence de ce mystère. Il ne battait même plus la caisse à la porte depuis le jour où, emballé dans un effroyable roulement, pâle, les yeux fixes et les dents serrées, on n'avait pu l'interrompre qu'en lui jetant de l'eau fraîche au visage. Un médecin
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qui passait sur la place lui avait donné quelques soins et avait conseillé d'éviter pour lui toute secousse nerveuse : — « C'est un sujet », avait-il dit. Madame Crovello ne savait pas trop ce que cela voulait dire et ne comprenait rien à cette maladie.
Malgré la tristesse du père, qui le détachait de plus en plus de la ménagerie, le poussait dans des auberges où il buvait plus que de raison; malgré le mutisme de plus en plus farouche de Giacomo, on faisait encore de belles recettes, grâce à la vaillance de la patronne, qui se multipliait à la porte, passant du boa au tambour, mais surtout grâce au charme et à la hardiesse de la dompteuse.
J'eus l'occasion de voir pour la première fois la ménagerie Crovello à cette époque, au cours d'une inspection d'armes dans une ces abominables bourgades de l'Est, où les nécessités de la défense empilent les régiments, où l'on est si mal logé et où l'on s'ennuie tant. En vue de tuer la longueur d'un dimanche brumeux, j'entrai dans la loge installée sur le champ de foire, l'inévitable petite place carrée plantée de tilleuls.
Pourquoi entrai-je? Rien n'était pourtant moins engageant que l'aspect rébarbatif de Giacomo découpant devant la porte un quartier de viande ; et, quant à la tragique et muette démonstration du père Crovello, je la tins à cette époque pour une réclame aussi suspecte que les boniments de ses voisins. J'entrai probablement parce qu'il était dès lors prévu là-haut que je vous écrirais un jour cette lettre, qui m'a tout l'air de prendre les proportions d'un volume.
J'étais un peu blasé sur les exercices divers auxquels, sous la menace de la tringle de fer rougie, se livrent de pauvres bêtes, pour la rude beauté desquelles l'imagination évoque involontairement le cadre pittoresque et grandiose des solitudes. Pour tout dire, dans une ménagerie les animaux m'intéressent infiniment plus que le dompteur. Pourtant, j'avoue - pardonnez-moi, lions roux et panthères aux regards clairs ! — j'avoue que, ce soir-là, la
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dompteuse avait tant de grâce souriante et enfantine, que, répondant à je ne sais quelle vision intérieure de membres délicats déchirés par les crochets des ongles durs et craquant entre les dents blanches, je murmurai : « Ce serait dommage. »
— «Dites : Ce sera dommage, capitaine,» fit mon voisin, un ancien officier à ce qu'il me sembla. Et, comme je le regardais d'un air interrogateur : « Voilà, ajoute-t-il, une semaine que je viens ici chaque jour. Cette enfant-là devient de plus en plus audacieuse, de plus en plus exigeante avec sa lionne Yamina et elle néglige de plus en plus son vieux lion, dont quelques caresses faites à propos suffiraient à assurer sinon l'appui, du moins la neutralité. Mon sentiment est qu'elle n'en a pas pour longtemps et, comme je me suis permis de vous le dire, ce sera dommage, car elle est tout simplement adorable, cette fillette.»
Le fait est que je n'ai jamais vu rien de comparable au sourire de pitié hautaine et méprisante, par lequel Ida répondait aux velléités de résistance d'Yamina. Et plus elle obtenait de soumission, plus elle en exigeait, se grisant du halètement rauque et précipité de la bête, et de ses bonds désordonnés, et du miaulement formidable de sa gueule baveuse. A un moment, la lionne, acculée dans un angle, à demi-dressée, lui ayant d'un coup de griffe arraché le fouet pour le briser dans un grondement, l'enfant saisit une chaise qui lui servait pour ses exercices, la lui jeta au museau avec une moue contrariée et, se croisant les bras, la regarda avec une si mutine expression de défi que je crus définitivement au sinistre pronostic de mon voisin. Caïd, immobile jusque-là et vautré dans le fond de la cage, fit un pas vers la jeune fille; sans se retourner, elle lui envoya un coup de talon qui fit saigner ses gencives.
— « Vous voyez, dit une voix à mon oreille, c'est la première fois que Caïd bouge; plus tard, il se fâchera. Elle est perdue, et nous qui l'applaudissons, nous som-
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mes à demi responsables du malheur de demain, car ce sont nos bravos qui la grisent. »
Hélas ! elle avait raison, la voix.
Vous vous rappelez peut-être la mort d'Ida, il y a quelques mois. Tandis qu'elle fouaillait la lionne exaspérée, Caïd s'était levé lentement et avait posé sa lourde griffe sur l'épaule de l'enfant, sans un grognement, avec la gravité d'un juge. Et alors, malgré les coups de tringle et les imprécations, que Crovello et Giacomo lançaient à travers les barreaux, c'avait été dans la cage un broiement d'os dans la bouillie des chairs, une exécution vengeresse mêlée de grondements satisfaits, au milieu des glapissements aigus et de la débandade du public, piétinant, pour s'enfuir, le corps de la mère évanouie.
Les journaux illustrés — tout à l'actualité ! demandez l'accident du jour ! dessin de notre correspondant spécial ! — appelèrent par des images criardes l'attention sur la pauvre petite, dont nul n'avait parlé alors qu'en des fêtes de bourgades ; elle faisait, dans la sveltesse de ses dixhuit ans, honte aux plus hardis, aux plus vigoureux dompteurs. Elle était morte : on exalta son courage, sa beauté, sa vertu même. Et puis, le lendemain, on parla d'autre chose, et on chercha pour le supplément de la semaine suivante une autre actualité à illustrer.
Pendant ce temps, le monde affluait à la porte de la ménagerie ; mais si peu fortunés qu'ils fussent, les Crovello ne voulurent pas profiter de cette réclame lugubre. Pendant huit jours, la baraque fermée garda le deuil, et les parents passèrent leur temps dans la roulotte, n'en sortant que pour aller au cimetière, pleurer devant la croix de bois noir qui recouvrait les lambeaux de leur enfant.
Et puis, il leur fallut repartir, traînant le collier de l'existence au hasard des fêtes de campagne, installant à la hâte et sans goût la ménagerie chaque fois plus délabrée, le sinistre gagne-pain, et ce furent des jours noirs après des jours noirs. Plus de gaîté dans la roulotte, que n'éclai-
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rait plus la jeunesse rayonnante d'Ida, plus de grosses recettes à la porte de la baraque, et la préoccupation continuelle de nourrir et de soigner les bêtes, les affreuses bêtes avec lesquelles on échangeait un regard haineux en leur jetant des quartiers de viande.
Sur l'image naïve et tapageuse qui représentait Ida, on avait collé une affiche annonçant que la ménagerie était à vendre. C'était — quand on aurait vécu quelque temps de ce qu'elle rapporterait — la charité publique comme seule ressource ; mais cette résolution extrême avait été imposée par l'état de Giacomo, qui devenait de jour en jour plus grave. Maintenant, au lieu d'éviter l'intérieur de la loge, il y passait au contraire de longues heures, acroupi devant la cage des lions, suivant d'un oeil vague ou l'impassible profil de médaille de Caïd ou les mouvements inquiets d'Yamina, s'hypnotisant dans cette contemplation et n'en sortant que pour faire, avec le regard étrange et les gestes automatiques d'un halluciné, le seul travail qu'on lui confiât, le découpage de la viande.
Enfin, — et ce fut une nouvelle station douloureuse de ce calvaire, — Giacomo sortit un jour de la loge avec un aspect encore plus fantômatique que d'habitude, prit sur le billot le couteau à découper et entra dans la roulotte où, près du fourneau qu'on n'avait pas allumé depuis deux jours, madame Crovello était assise, raccommodant une veste à son mari. Il regarda sa mère avec des yeux de rêve, sans la voir, et, déboutonnant son gilet, se mit à tâter du doigt ses côtes, comme pour chercher un point déterminé. Pourquoi ?... Ah ! la pauvre femme le comprit bien et s'élança en poussant un si lamentable cri maternel que Giacomo se détourna, la regarda l'oeil agrandi et, jetant son couteau, fondit en larmes, accroupi devant elle, la tête dans ses jupes, comme au temps où il était un petit enfant.
Cette crise fut suivie de plusieurs autres à de courts intervalles. Il fallait maintenant sans cesse surveiller le garçon, et les deux vieillards s'arrangeaient pour que, même aux
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heures de visite de la ménagerie, l'un d'eux restât auprès de lui. Il en alla ainsi jusqu'au jour où, confié à la garde de son père qui avait été boire le laissant endormi, il se rua dans la ménagerie, les yeux fous, brandissant une hachette, rugissant comme un lion et affolant les villageois paisibles. On put encore cette fois l'arrêter et l'attacher ; mais le soir même il était interné dans un asile départemental. — « Paralysie générale à bref délai, dit le docteur. D'ici là, surveillance active et continuelle. Sujet dangereux. »
Et maintenant, je dois vous demander, mon cher ami, si vous êtes de ceux qui ne veulent s'apitoyer qu'à coup sûr et ne font l'aumône de leur intérêt qu'à des personnages doués d'une existence objective. Si oui, vous pouvez sans crainte vous laisser émouvoir. Je sais bien que celui qui met, ne fût-ce que par hasard, la main à la pâte littéraire, est à bon droit suspect de mêler avec excès le levain de la fantaisie au pur froment de la réalité. Mais, pour cette fois, j'ai fait le bon boulanger, et, en dehors des noms propres, il n'y a rien ou presque rien de moi dans cette histoire.
Peut-être rencontrerez-vous, au hasard de quelque excursion, ce qui reste de la ménagerie sicilienne Crovello, car les deux pauvres vieux, faute d'avoir trouvé un acheteur, en promènent encore les débris de bourgade en bourgade. Plus de peintures criardes et tirant l'oeil, plus de retapage du vieux matériel rongé par les intempéries, plus d'exhibition du boa allongeant ses lourds anneaux vers le baiser des lèvres décolorées de Flora, plus de représentation dans la cage centrale. Et souvent, en songeant au mutisme farouche et désespéré de son mari, en épiant les regards inquiétants qu'aux jours d'ivresse il jette sur un couteau à découper, sur un cordage pendant d'une poulie, la courageuse femme se demande si bientôt elle va rester seule, seule en face des lions, seule à solliciter tristement les passants devant la
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vieille baraque battue des vents, déchiquetée par la tempête, lamentable et tragique comme la destinée même de la famille.
Alors, ce sera la fin de tout, et, n'ayant plus personne à soigner, personne à aimer, elle s'accroupira dans le fond de quelque fossé de grande route, un jour qu'il neigera bien fort; ses membres s'engourdiront petit à petit sous la tombée blanche des lents flocons, et peu à peu elle oubliera
— oh ! la douce et consolante pensée, — et de ce sommeil glacé qui l'envahira délicieusement, elle ne sortira que pour retrouver dans un site de féerie tous ceux qu'elle a chéris et réchauffés à la maternelle tendresse de son coeur fidèle, tous ceux à qui elle a dévoué sa vaillante existence, depuis la radieuse et triomphante fille, dont les os ont été broyés entre les crocs rageurs des fauves, jusqu'au garçon détraqué dont la démence accroche et déchire la pensée à tous les cauchemars, depuis la douce petite charmeuse qui a fermé ses yeux de pervenche sous les vagues grises des oliviers de Bordighera, jusqu'au vieux compagnon dont la voix mâle s'était adoucie pour murmurer les premières paroles d'amour à son oreille de vierge.
O sagesse éternelle ! il faut avoir la foi robuste pour croire à ton infaillibilité, et peut-être méritent-ils quelque indulgence, les esprits affamés de justice qui cherchent si souvent en vain la trace de tes pas sur les routes de la vie,
— car, en vérité, c'était une brave femme que maman Crovello.
P. NOEL.
LA PAROLE ET SON ORIGINE.
Omnia per verbum facta sunt. Tout a été fait par la parole. S. JEAN.
I
L'habitude rend la plupart des hommes indifférents aux plus étonnantes merveilles qui s'accomplissent continuellement autour d'eux. La parole, dont ils se servent si facilement pour manifester leurs impressions, leur paraît aussi naturelle que la respiration, dont elle n'est qu'une modification. C'est pourtant un phénomène admirable digne de la plus sérieuse attention.
La parole est tellement compliquée, dans son apparente simplicité, que plusieurs savants ont pensé que l'homme n'avait pu l'inventer, et en ont fait l'objet d'une révélation divine. Son rôle est si important que, sans elle, le progrès devient impossible et le plus grand charme de la vie disparaît. On n'en comprend bien les immenses avantages qu'en présence de ceux qui sont privés de cette précieuse faculté. C'est la première science qu'enseigne la mère à son petit enfant. Les premiers mots qu'il bégaie la remplissent d'une indicible joie. Rien n'égale sa douleur quand elle s'aperçoit qu'il ne parlera pas. Elle ne peut admettre un semblable malheur. Elle ne veut pas croire que cette bouche, faite pour parler, demeurera toujours close, et qu'elle n'entendra jamais la voix de cet être qu'elle adore. Heureusement, aujourd'hui, le nombre de ceux qui semblaient
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condamnés à un éternel mutisme tend sans cesse à diminuer ; grâce aux nouvelles méthodes, cette plaie sociale est considérablement amoindrie.
Les mères ne sauraient apporter trop de soins à l'accomplissement de cette noble tâche. C'est pour la leur rendre plus facile que ces pages ont été écrites. C'est à elles, et à tous ceux qui ont à s'occuper, à un titre quelconque, de l'éducation de l'enfance, qu'elles sont adressées.
Tous les hommes ne sont pas destinés à devenir des orateurs ; tous sont obligés de se servir de la parole dans les relations de la vie. Un tel sujet intéresse plus ou moins tout le monde.
Certaines personnes ont une parole défectueuse qu'elles pourraient facilement améliorer avec un peu d'attention ; les professeurs préviendraient ou corrigeraient sans peine les défauts qui déparent la diction de leurs élèves et nuisent souvent à leurs progrès, s'ils connaissaient le mécanisme de l'articulation.
La théorie de ce mécanisme est basée sur la méthode employée pour la démutisation des sourds-muets, la correction des bègues, l'amélioration des sujets anormaux, consacrée par trente ans d'expérience, et couronnée par les succès les plus inespérés.
Débarrassée de l'appareil, quelquefois trop scientifique, dont l'enveloppent les savants, elle est simple comme tout ce qui est vrai, facile à comprendre comme tout ce qui est pratique.
Avant d'aborder ce sujet, il n'est pas sans intérêt de placer ici quelques considérations sur la parole et son origine.
Il est inconcevable que l'étude de la parole occupe si peu de place dans l'enseignement, qu'elle soit abandonnée au hasard, sans aucune espèce de culture, qu'il n'y ait pas, dans chaque maison d'éducation, des exercices d'articulation comme il y a des cours de gymnastique.
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La parole est une gymnastique éminemment salutaire, qui met en jeu les organes de la respiration les plus importants de l'économie vitale. Les anciens l'avaient mieux compris que nous. Ils attachaient une grande importance à cette partie de l'éducation.
Le développement intellectuel est ordinairement en rapport avec la perfection de la parole. Elle est toujours plus ou moins défectueuse chez la plus grande partie des sujets anormaux. Les exercices méthodiques de l'articulation ont été jusqu'à présent le moyen le plus efficace pour développer leur intelligence et rétablir l'équilibre de leurs facultés. L'imperfection de la parole est le signe infaillible d'une intelligence incomplète.
Loin d'être une fatigue, comme on le croit généralement, la parole est un délassement qui exerce sur la santé une salutaire influence. Elle fatigue souvent ceux qui l'entendent, rarement ceux qui la produisent; jamais ceux qui l'écoutent.
Les orateurs et les chanteurs, qui mettent sur le compte de leurs fonctions les maladies des voies respiratoires dont ils sont quelquefois atteints, se méprennent sur les véritables causes des altérations de leurs organes. Les fatigues qu'ils éprouvent proviennent de la contention de l'esprit plutôt que de l'action mécanique de la voix. S'ils sont exposés aux laryngites et aux bronchites, c'est parce que les uns sont obligés de parler trop longtemps, les autres de chanter trop haut, et que les excès sont toujours funestes, même dans les meilleures choses. La clef qui ne sert pas se rouille ; les membres qui n'agissent pas s'atrophient. Le repos est plus funeste aux jambes que la marche ; le silence fatigue beaucoup plus que la parole, ce qui ne veut pas dire qu'il faut marcher toujours et parler continuellement.
Cette opinion cessera de sembler paradoxale, si l'on veut bien faire attention que dans les cloîtres le silence est prescrit comme une pénitence, et qu'il est une aggravation de
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peine pour les malheureux que la justice humaine condamne à la réclusion.
« Il y a quelques années, me racontait un jour M. Limasset, notre sympathique vice-président, je visitais la Trappe de Mortagne, dans le département de l'Orne. Un père me servait de cicérone, à travers les dédales de ce monastère, grand comme un village. Comme je lui demandai la cause pour laquelle il était autorisé à parler, alors que les autres moines devaient observer un perpétuel silence, il me dit que c'était par ordre du médecin qu'il avait été préposé au parloir.
« J'appris alors par lui que le silence est quelquefois tellement douloureux, surtout aux nouveaux venus, qu'il finit par les faire souffrir. Lorsque l'un d'eux est atteint par cette espèce de logalgie, passez-moi le mot, on le met, pendant quelque temps, à la disposition des visiteurs. Les effets salutaires de ce régime ne tardent pas à se faire sentir. Dès que sa santé s'est un peu améliorée, on se met en mesure de le remplacer par un autre choisi parmi ces influencés du silence. »
Au sujet des tourments que peut causer le silence à ceux qui, volontairement ou par force, sont soumis à cette peine, M. Raynaud, notre savant secrétaire, me rappelait que les MM. de Goncourt, dans un de leurs romans, ont soutenu cette thèse singulière. Ils font mourir idiote, dans une maison centrale, la fille Elisa, plus torturée par le silence que par aucune autre privation.
L'homme étoufferait, dit un vieux proverbe arabe, s'il n'avait pas le soupir. Il mourrait de consomption, pourrait-on ajouter, s'il n'avait pas la faculté de parler.
La physiologie est d'accord, sur ce point, avec l'expérience et les prescriptions médicales. Tout le monde convient qu'une agréable causerie est le meilleur condiment d'un bon dîner, et un excellent digestif. La pratique de lire pendant les repas, en usage dans beaucoup de maisons d'éducation, est aussi contraire à l'hygiène que nuisible à
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la santé. Elle se conçoit dans les communautés religieuses; pour des enfants, elle ne se comprend pas. Ils ont besoin d'être bruyants à table comme dans leurs jeux. Les enfants au berceau pleurent quelquefois sans cause apparente. Ils pleurent comme ils parleront plus tard, sans motif, pour faire de l'exercice. Ces pleurs, qui désolent leurs mères, sont favorables à leur santé. Il est très difficile d'obtenir le silence dans une classe de jeunes enfants. Ils éprouvent un irrésistible besoin de parler. Il faut s'emparer de cet instinct, et le faire tourner au profit de l'instruction, comme on l'a tenté, souvent avec succès, dans les salles d'asile.
Des sourds-muets, des bègues, des sujets anormaux qui n'avaient jamais parlé, ou n'avaient parlé qu'imparfaitement, maladifs jusqu'alors, ont recouvré une santé florissante après quelques mois d'exercices réguliers de parole. Ceux au contraire, heureusement très rares, qui ne parviennent pas à parler, demeurent toujours chétifs.
Ce résultat n'était pas prévu. On ne voit pas, eh effet, le rapport qui peut exister entre les fonctions vitales et l'articulation. Un examen plus attentif ne tarde pas à montrer que cette gymnastique peut devenir un dérivatif du fluide nerveux accumulé en trop grande abondance.
Il est à remarquer que les maladies sont plus rares chez les sourds-muets depuis qu'ils sont démutisés. On dira peut-être un jour : une cure de parole, comme on dit aujourd'hui : une cure d'eau. Ce n'est pas au point de vue de la physiologie que l'on peut dire que la parole est d'argent, et que le silence est d'or.
Les hommes à puissante intelligence ont été presque tous remarquables par la beauté de leur diction. Les grands génies ont été, pour la plupart, de beaux parleurs. Tous ceux qui ont exercé un grand ascendant sur leurs semblables ont été puissants en parole, potentes in verbo. D'un mot Dieu fit faillir l'univers du néant, et c'est par ce moyen que l'homme manifeste sa puissance. Pas de
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MEMOIRES
contrat, pas de rite, pas de sacrement sans la parole, ce qu'en droit et en théologie on appelle la forme.
Les Démosthènes, les Cicéron, les Ambroise, les Pierre Lhermite, les Bernard, les Savonarole, les Mirabeau, les Talma, articulaient une langue que parlait tout le monde. Ils n'inventaient pas des mots nouveaux, et cependant à leurs accents émus, les foules frémissantes étaient remuées profondément.
Perfectionner sa parole, c'est cultiver sa pensée, développer son intelligence, embellir sa physionomie et améliorer sa santé. Plus efficacement que tous les fards et tous les cosmétiques, son étude méthodique communique au visage de l'homme sa véritable beauté.
Il n'est pas hors de propos d'examiner d'où vient cette parole qui porte avec elle tant d'avantages. Une grande reconnaissance serait due à son inventeur, s'il était connu. Il ne l'est pas et ne saurait l'être. Demander à l'homme d'où lui vient la parole, c'est demander au rossignol de nous dire qui lui a enseigné la musique.
Pour éviter toute confusion dans ce qui va suivre, il est bon de faire remarquer qu'il s'agit uniquement de la parole, non de l'écriture. On confond trop souvent le langage parlé et le langage écrit, deux choses complètement différentes. Nous écrivons les langues mortes ; nous ne les parlons pas.
II
Aussi loin que remonte l'histoire dans la nuit des temps, sur quelque point du globe qu'on le rencontre, toujours et partout l'homme se présente avec l'attribut qui le distingue essentiellement : il parle. Sa parole est plus ou moins belle ; il en a une, composée des mêmes éléments, formés de la même manière.
Le problème de l'origine de la parole a été agité dès la plus haute antiquité, et pour un grand nombre, il n'est pas
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complètement résolu. Les savants s'en sont occupés dans des sens divers, et en ont donné des solutions différentes.
Les uns en font l'objet d'une révélation divine ; les autres soutiennent qu'elle est le résultat d'une convention humaine; d'autres lui font traverser toutes les phases d'une invention lente et progressive;
L'exposé, même sommaire, des arguments apportés en faveur de chacune de ces solutions, dépasserait les limites de cette modeste étude. Il convient néanmoins de les passer succinctement en revue, et d'établir celle qui paraît la plus plausible.
La première opinion, émise par Platon, a été soutenue avec beaucoup d'éclat, au commencement de ce siècle, par M. de Bonald, Joseph de Maistre, Lamennais, le Père Ventura, Gioberti et beaucoup d'autres.
Cette école admet comme un axiôme que l'homme parle sa pensée avant de penser sa parole. Donc la pensée n'a pu servir à inventer la parole ; d'où la nécessité d'une révélalation divine pour le tirer de son mutisme.
Ce raisonnement n'est qu'un éblouissant sophisme qui ne supporte pas la discussion. On comprend difficilement qu'il ait pu séduire tant d'esprits éclairés. Cela s'explique, jusqu'à un certain point, par la réaction qui se produisit à cette époque contre les idées philosophiques du siècle précédent, et qui, comme toutes les réactions dépassa considérablement le but.
Il n'est pas exact que l'homme parle sa pensée avant de penser sa parole. Le sourd-muet de naissance n'a jamais parlé sa pensée ; il pense cependant ; personne n'oserait sérieusement le contester. En principe, la pensée préexiste à la parole. Il est vrai de dire néanmoins que, dans l'état actuel de nos connaissances, avec les langues perfectionnées dont nous nous servons, l'homme parle souvent sa pensée avant de penser sa parole, et qu'il en est même qui ne pensent jamais leur parole. Dans tous les cas, la parole sert au perfectionnement de la pensée.
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Dans l'hypothèse d'un entretien de l'homme avec Dieu, il est naturel de penser que Dieu est descendu jusqu'à l'homme, a pris son langage, comme la mère qui s'adresse à son petit enfant lui parle sa langue, et emploie les termes enfantins qu'il a lui-même inventés. C'est donc Dieu qui aurait parlé la langue de l'homme, et non l'homme qui aurait parlé celle de Dieu.
Ceux qui ont raconté que des sourds-muets avaient été subitement délivrés de leur mutisme ont dit une chose qu'ils ne comprenaient certainement pas. Le mutisme ne se guérit pas, parce qu'il n'est pas une maladie.
La phrase la plus simple renferme des difficultés de grammaire et d'articulation dont beaucoup de gens ne se doutent pas. Un enfant qui articulerait des mots le jour de sa naissance ou un sourd-muet qui parlerait spontanément une langue qu'il n'a jamais entendue constitueraient de véritables miracles, qui ne seraient pas admis sans contestation.
La seconde opinion a été patronnée par J.-J. Rousseau, Klaproth, Gall, Vossius, Charles Nodier et la plupart des savants du XVIIIe siècle qui se sont occupés de la question.
Cette opinion ne paraît pas mieux fondée que la précédente. Ceux qui la soutiennent n'ont pas pris garde qu'une convention suppose la parole et que, par conséquent, la parole existait avant la convention.
Il n'est pas étonnant que l'auteur du Contrat social, qui fondait la première société humaine sur une convention, ait voulu donner à la parole la même base. Ce n'est malheureusement pas le seul de ses sophismes qui ait eu, parmi nous, des partisans et des admirateurs. Ses utopies ont coûté cher à la France.
La troisième opinion a pour défenseurs Epicure, Lucrèce, Diodore de Sicile, Vitruve, Horace, Grégoire de Nysse, Lactance, Jacob Grimm, Condillac, Stheinthal, Renan, Max Muller, Waitney, et un grand nombre d'au-
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très philosophes éminents. Ils pensent que l'homme a inventé la parole ou plutôt qu'il la porte en lui-même, qu'elle fait partie de sa nature, et qu'elle a suivi toutes les phases d'une invention lente et progressive.
Plusieurs auteurs voient, dans ce problème, une question des plus complexes, qui, pour être résolue, exige de vastes connaissances, tant en linguistique qu'en anthropologie, et dont la solution ne semble pas pouvoir être donnée dans l'état actuel de la science. Elle est intimement liée à celle de l'origine de l'espèce humaine. Les évolutionnistes se trouvent en face du mutum pecus ; les créationistes ne sauraient admettre qu'onze révélation surnaturelle.
La divergence d'opinions qui existe à ce sujet semble provenir des sens divers attribués aux mots parole et langue : les uns entendent la simple manifestation de la pensée, les autres le langage dont ils se servent. Quelle que soit l'acception qu'on leur donne, il paraît incontestable que l'homme a inventé la parole, et quelle a traversé toutes les phases d'une invention lente et progressive.
Le problème est plus simple qu'on ne le suppose ; il ne demande pas de vastes connaissances pour être résolu, et la thèse est facile à établir.
Qu'on soit évolutionniste ou créationniste, monogéniste ou polygéniste, cela ne change rien à la question. Il s'agit de l'homme tel qu'il est, tel que nous le montrent l'histoire et les découvertes de la science préhistorique. S'il n'y à eu qu'un seul couple, il n'y a eu d'abord qu'une langue ; s'il y en a eu plusieurs simultanément ou successivement, chacun a eu la sienne. Il n'y a pas de raison pour que les choses se soient passées alors autrement qu'elles ne se sont passées dans la suite.
A quelque point de vue que l'on se place, il est incontestable qu'à une époque quelconque apparut sur la terre un être nouveau qui, la veille, n'existait pas, et que cet être parlait. Le premier homme n'avait pas d'aïeux semblables,
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à lui ; il ne sortait pas des flancs d'une femme ; il n'avait pas vu le visage, entendu la voix, reçu les leçons d'une mère. C'est là un mystère, un très grand mystère, si l'on veut : c'est un fait, puisque l'homme existe et qu'il parle.
La parole, le verbum des Latins, le )'°'y°s des Grecs, est la pensée envisagée dans son expression verbale. Ainsi comprise, l'homme l'a inventée, il l'inventera éternellement, puisqu'elle n'est que la manifestation de sa pensée en évolution perpétuelle. Il ne faut pas juger des langues qu'ont parlées les premiers hommes d'après les langues perfecfectionnées qu'ils parlent aujourd'hui. Ils ont habité des cavernes, avant de bâtir des palais, traversé des fleuves à la nage, avant de construire des ponts, et leurs premières armes ont été des éclats de silex. Les Pyramides, le Colysée, St-Pierre et Cologne, Job, l'Iliade, l'Enéide et le Cid ne se sont pas formés spontanément comme les diamants dans les alluvions de Golconde, et les pépites dans les sables de la Californie. La parole, comme tout le reste, a forcément traversé les phases lentes et progressives de toutes les autres découvertes.
Il est difficile de se placer dans l'hypothèse d'un mutisme absolu, en face de ce mutum pecus, dont nous parlent les évolutionnistes, et qui n'a vraisemblablement jamais existé.
L'homme parlait naturellement une langue qu'il n'avait pas apprise, comme bourdonne le moucheron, rugit le lion et chante le rossignol. La parole est le cri de l'homme comme le gazouillement est celui de l'hirondelle.
L'articulation ne lui est pas indispensable pour manifester ses impressions : la voix lui suffit. Les instruments de musique n'articulent pas ; ils traduisent néanmoins nos sentiments avec une intensité qu'aucune parole ne saurait atteindre.
Dans la dernière réunion, notre collègue, M. Lajard, nous a entretenus d'une langue sifflée dont se servent les habitants des îles Canaries. Il est évident qu'une langue sifflée est plus simple qu'une langue articulée, et peut, dans
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certains cas, rendre les mêmes services. Elle a toujours été et sera toujours plus ou moins en usage à cause de sa commodité. Elle est employée dans les chemins de fer. De temps immémorial les pâtres de nos montagnes jouent du cor pour s'appeler de loin, comme Roland sonnait de l'olifant pour inviter au combat ses compagnons d'armes. Il y a, dans chaque paroisse, une parole solennelle, la cloche, chargée d'annoncer notre arrivée sur la terre et notre départ pour l'éternité. On ne l'entend jamais, dans le calme profond des campagnes surtout, sans être vivement impressionné. Les gais tintements de l'Angelus et les joyeux carillons des jours de fête ne résonnent pas dans nos coeurs comme les sinistres grondements du tocsin, et les bourdonnements lugubres d'une agonie (I).
Les animaux supérieurs ont-, dans la voix, des inflexions qui constituent une véritable parole. Ils se comprennent entre eux admirablement, et l'homme attentif ne se méprend jamais sur la signification de leur langage. Le berger n'a pas besoin de sortir de sa cabane pour savoir si le loup rôde autour de la bergerie.
On annonçait dernièrement que M. Garnier, un américain d'origine française, était parti pour l'Afrique afin d'y étudier le langage des singes. Plus récemment, M. Louis Prévot du Haudray a eu l'idée d'étudier la langue des gallinacées.
Il est certain que les singes et les poules ont une langue, puisque tous les animaux en ont une. Il peut se faire que les hommes ne la comprennent pas et n'aient aucun intérêt à l'étudier : cela ne prouve rien contre son existence.
Pour exprimer nos besoins, il n'est pas indispensable qu'une langue possède vingt-huit mille mots, et se parle avec trente-quatre éléments comme la langue française. On s'est contenté et on se contente encore de beaucoup moins.
(1) Les découvertes étonnantes de l'ingénieur Keeley, de Philadelphie, sur la puissance du son, nous réservent bien des surprises dans cette voie.
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Tout parle, dans la nature, et l'homme, ce roi de la création, ne parlerait pas ! il serait muet ! Il n'aurait pas pu inventer la parole !.... Il est vrai qu'il n'a pas eu à l'inventer : il la porte en lui-même. Il parle aussi naturellement qu'il respire.
Ils étaient donc sourds et aveugles, ils n'avaient jamais jeté les yeux autour d'eux, ceux qui ont refusé à l'homme la faculté d'avoir inventé la parole, quand tout parle dans l'univers, depuis l'insecte qui bourdonne jusqu'au lion dont la voix formidable épouvante les hôtes du désert.
Dépouiller l'homme de la faculté de parler, c'est le placer au-dessous des autres animaux ; lui refuser le privilège d'avoir pu perfectionner sa parole, c'est lui ravir la prérogative dont il est le plus fier, son caractère d'être essentiellement perfectible, c'est jeter un insultant démenti aux faits les mieux établis par l'histoire.
Des inflexions de la voix, que l'homme possède à un plus haut degré qu'aucun autre animal, à la parole articulée, il n'y a qu'un pas, qui a été rapidement franchi. Le grondement du tonnerre, le bruit du vent, la chute d'un corps, le chant des oiseaux, le murmure de l'onde ont fait naître l'idée de certaines modifications de la voix. Les premiers mots ont été naturellement des onomatopées et des interjections, et les premières langues ont été monosyllabiques.
Des siècles, des milliers d'années peut-être, ont été nécessaires à la formation de la parole. Ce travail, commencé avec l'humanité, se poursuit à travers les âges, et ne finira qu'avec le monde. Elle est dans un état permanent de création. Elle est le miroir de l'intelligence. Sa perfection est constamment en rapport avec le développement intellectuel des individus et des peuples qui s'en servent. Parle, afin que je te voie, est une expression aussi vieille que le monde.
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III
Les lois qui ont présidé à la formation de la parole ont amené forcément la diversité des langues. Il ne paraît pas possible qu'une langue se maintienne longtemps sans altération. Il y a aujourd'hui plusieurs milliers d'idiômes (3.064) et le nombre augmente constamment. Chaque jour des langues meurent pour faire place à d'autres qui disparaîtront à leur tour.
Des ressemblances qui existent entre les diverses langues, quelques philologues ont été conduits à conclure que toutes dérivaient d'un idiome primitif dont les formes auraient été modifiées suivant le tempérament des peuples.
Un examen plus attentif des faits les aurait amenés à trouver l'origine de cette ressemblance dans l'instrument producteur de la parole, absolument le même chez tous les hommes. Les formes des langues sont illimitées, leurs éléments ont nécessairement une limite.
L'instrument producteur de la parole s'étend du commencement du larynx à l'extrémité des lèvres. Le courant d'air qui s'échappe des poumons, à l'état de souffle ou de voix, ne peut subir, dans ce court trajet, qu'un nombre restreint de modifications. Aussi le nombre d'éléments employés pour parler toutes les langues vivantes ou mortes atteint à peine quatre-vingts, et la langue française seule en possède trente-quatre.
Les langues meurent quand elles sont parvenues à une certaine perfection. L'homme n'a pas inventé la parole seulement une fois, il éprouve l'irrésistible besoin de l'inventer encore, de l'inventer toujours. C'est un jeu qui lui plaît, tellement il est dans sa nature.
Il semble qu'une langue parfaite devrait être immédiatement adoptée par tous les hommes. L'expérience démontre qu'il en est autrement, et qu'il suffit souvent qu'elle soit parfaite pour être abandonnée.
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L'hébreu, le grec et le latin sont assurément des langues aussi parfaites, plus parfaites peut-être que le français, l'allemand et l'anglais, pour ne parier que de celles qui sont les plus en honneur et les plus répandues. Elles sont aujourd'hui des langues mortes, dont les débris, comme les ossements fossiles des animaux disparus, n'intéressent que les archéologues et les savants.
Le français, l'allemand et l'anglais, ces langues si commodes, avec un génie différent, seront un jour aussi des langues mortes. Il en sera d'elles comme de ceux qui les parlent. Elles naissent, se développent et meurent comme tout ce qui a vécu et tout ce qui vit. Il ne faut pas nous en attrister outre mesure. Les soleils, les mondes, les empires, les peuples, les individus et les langues,
Tout marche vers un terme et tout naît pour mourir.
A de nouveaux besoins, il faut des expressions nouvelles (1).
C'est pourquoi il est aussi impossible de faire, à priori, une langue universelle que d'immobiliser une langue vivante, et de ressusciter une langue morte. Les efforts tentés, jusqu'à présent, pour réaliser l'une ou l'autre de ces Irypothèses, ont échoué, et devaient fatalement échouer. La nature a ses lois qu'il n'est pas au pouvoir de l'homme d'éluder ou de changer.
(1) On peut appliquer aux langues ce qu'Edgard Quinet dit des êtres en général : « Les mondes d'autrefois ne se reverront plus. Les formes, une fois brisées, ne se retrouveront désormais dans aucune des combinaisons futures. La nature ne revient jamais en arrière ; elle ne refait pas ce qu'elle a détruit ; elle ne retourne pas au moule qu'elle a brisé.
« Dans la marche infinie des combinaisons que l'avenir tient en réserve, nous ne verrons pas deux fois la même humanité., la même flore, la même faune, la même langue. Il n'y a rien, sous les astres, qui ne change, et tout est chrysalide, dit Baudelaire. Il y a les cimetières des langues, de même qu'il y a ce que M. de Bonald appelle les cimetières de l'esprit humain. Une même loi régit la vie dans tous les ordres et dans toutes ses manifestations »
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On entend par langue universelle, une langue conventionnelle débarrassée de toutes les difficultés de grammaire, d'orthographe, de prononciation, inhérentes à nos langues, tant anciennes que modernes. Grâce à ce caractère de simplicité, elle pourrait être adoptée par les peuples civilisés pour leurs relations internationales. On doit convenir que l'idée d'une telle entreprise est loin d'être aussi déraisonnable qu'on le croit généralement, et l'on conçoit que des hommes éclairés en aient, à différentes époques, tenté la réalisation.
Au XVIIe siècle, Leibnitz, Thomas Burnet, Descartes, le Père Porsenne, Wilkins, Sudre, Caumont, Cajewski, etc., ont été séduits par cette éblouissante utopie, et ont mis à son service, sans, succès, hélas ! leur talent et leur fortune.
Dans ces dernières années, M. Schleyer, inventeur du Volapuk, semblait devoir être plus heureux que ses prédécesseurs. Des cours, pour l'étude de cette nouvelle langue universelle, furent organisés à Paris; les élèves ne manquèrent pas ; des journaux furent publiés dans cette langue, et paraissent peut-être encore. Malgré les efforts de M. Kerckhoffs, son propagateur en France, de l'aveu de tout le monde, le Volapuk a vécu. Il portait en naissant le germe de la mort. On ne le parle déjà plus, et on n'en parle plus. Il a vécu ce que vivent les roses, et s'est hâté d'aller rejoindre les vieilles lunes et les neiges d'antan.
Ces échecs ne décourageront pas ceux qui cherchent la réalisation des choses impossibles, et croient naïvement que ce dernier mot n'est pas français. Il faut respecter leurs illusions : c'est peut-être encore ce qu'il y a de meilleur dans la vie.
S'il n'est pas possible de faire une langue à priori, il ne l'est pas davantage d'immobiliser une langue vivante. Toutes les précautions prises pour amener les Français à parler la langue nationale ne l'empêcheront pas de se transformer. Les sentinelles vigilantes qui gardent soi-
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gneusement les avenues, ne peuvent arrêter le néologisme qui l'envahit de toutes parts. Les termes et les locutions vieillissent et sont insensiblement remplacés par d'autres.
La langue française est cependant une langue éminemment aristocratique, qui sait, plus qu'aucune autre, se faire respecter; elle est née dans les cours, a grandi dans les académies, et n'admet, en général, que les mots de bonne lignée. Elle a quelque chose de l'immobilité des langues mortes, et semble faite pour vivre très longtemps. Elle ne sera jamais la langue de la foule. Si le peuple veut s'en servir, il l'habille des oripaux du patois, la brise dans sa main de fer, comme les barbares brisèrent le latin qui n'était pas à leur taille, et de ses membres mutilés en forme l'argot d'où sortiront les idiomes de l'avenir. Si elle meurt, et elle mourra infailliblement un jour, on l'ensevelira dans un linceul de gloire, comme un roi d'Orient avec ses pierreries et ses trésors.
Pendant que la guerre se poursuit contre les idiomes locaux, qualifiés dédaigneusement de patois, et que la langue française est officiellement enseignée dans toutes les écoles, le béarnais, le languedocien, le gascon, le provençal, revendiquent la place qu'ils occupaient autrefois, et aspirent à redevenir des langues vivantes. Despourrins, Jasmin, Mistral, Aubanel, Roumanille, Félix Gras, D. Xavier de Fourvière, pour ne citer que les plus connus, les ont jetés à travers le monde, avec un éclat sans pareil.
Si une langue pouvait renaître de ses cendres, le provençal sortirait radieux du tombeau, qui s'est à peine fermé sur lui. A aucune époque de sa brillante existence, même au temps où ses nombreux troubadours le faisaient admirer dans les cours des princes et des rois, il n'a produit autant et de si beaux chefs-d'oeuvre que notre temps en vit éclore. Leurs auteurs, dans des genres divers, ont déployé un incomparable talent, qui aurait suffi pour fixer une langue plus jeune. Venus plus tôt, la langue française aurait été probablement la langue d'oc, au lieu d'être la langue d'oil.
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Il en est des langues mortes comme de ces momies égyptiennes. On peut, pendant des siècles, conserver intacte la forme des corps ; on ne peut les rendre à la vie.
Les travaux des scolastiques du moyen âge, les beaux vers de Pétrarque, de Santeuil et de Cofin n'ont pas empêché la chute du latin ; les efforts généreux des félibres ne parviendront pas à remettre en honneur la langue provençale.
Ceux qui s'en servent encore la dédaignent : ils la répudient comme ils abandonnent leur traditionnel costume. On ne veut plus être Auvergnat, Provençal, Gascon ou Béarnais : on veut être Français, en porter le costume, et en parler tant bien que mal la langue.
C'est avec un sentiment de tristesse profonde qu'on pense que toutes ces belles choses sont destinées à disparaître sans retour. Nos regrets ne les préserveront pas de la mort, pas plus qu'ils n'en ont préservé et n'en préservent tant d'êtres passionnément aimés. Nous conserverons avec reconnaissance, comme de précieuses reliques, les restes de tous ces idiomes qui ont contribué, chacun pour sa part, à la formation de cette belle langue française que nous sommes si fiers de parler. Nos efforts tendront sans cesse à la répandre et à la faire aimer.
Un jour, peut-être, les barrières qui séparent les peuples s'abaisseront, la paix et la concorde régneront sur la terre. Séduits alors par les charmes de notre langue, les hommes ne voudront pas en parler d'autres, et le rêve de l'établissement d'une langue universelle pourra devenir une réalité. L'âge d'or n'est pas dans le passé; il est dans l'avenir. Il faut espérer que nos descendants parviendront à cette terre promise, que nous ne pouvons saluer aujourd'hui qu'à travers les brumes épaisses de ce lointain avenir.
Abbé GRIMAUD,
Directeur-fondateur de l'Institut des sourds-muets, des bègues et des enfants anormaux.
ARCHÉOLOGIE VAUCLUSIENNE,
AVIGNON DANS L'ANTIQUITE. (Suite.)
Nous avons dit plus haut que la ville gauloise, ayrant commencé, avec les Grecs, à descendre du Rocher, ne s'en était pas écartée beaucoup et n'en avait pas dépassé les pentes immédiates, celles qui, bordant le fleuve, étaient toujours à l'abri de ses plus grandes crues. Par le tracé probable de son enceinte romaine, nous constatons que la ville s'était ensuite sensiblement agrandie et qu'elle était un peu sortie, sur certains points, de la zone des quartiers complètement insubmersibles (I). Mais il est vraisemblable que son rempart formait un mur d'enceinte à peu près
(I) Si le sol de la ville antique était bien inférieur au sol actuel, puisque, depuis l'époque romaine, il s'est exhaussé, suivant les quartiers, de 2m75 à 3 mètres, et plus de 4 mètres, il faut considérer aussi que le lit du Rhône était alors beaucoup plus bas ; en l'absence de trouvailles d'objets antiques sur les bords mêmes du fleuve, il est bien difficile de connaître la différence qui existait entre le lit du fleuve et le sol de la ville. La mosaïque découverte à l'entrée de la rue Viala, le fut, on s'en souvient, à 2m75 de profondeur ; le soubassement de l'établissement de bains publics, sur la place de l'Horloge, fut mis au jour à 4 mètres ; le sommet du mur d'enceinte, de construction gallo-romaine ou peut-être gallo-grecque, fut trouvé par le sieur Genellat, rue de l'Arc-de-1'Agneau, à 4 mètres au-des-
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continu, percé de rares portes, pouvant mieux protéger, par suite, ses quartiers extrêmes contre les débordements du fleuve, et que ces portes étaient, comme aujourd'hui, soigneusement fermées, en temps d'inondation. En cet état, la ville gallo-romaine s'étendait surtout du côté du Midi, ayant pris, à partir du Rocher, son point d'attache originel, autour duquel elle a été toujours se développant, la foi me d'un parallélogramme allongé. Jusqu'à présent, on avait beaucoup exagéré la population des villes antiques. On a fini par adopter des chiffres plus raisonnables, parce qu'on a tenu compte de la petitesse des maisons romaines et des grands vacants ou terrains vagues qu'on y voyait. Avignon ne pouvait pas se développer beaucoup, à cause du Rhône, et sous peine de s'étendre dans la zone d'inondation, elle était obligée de se concentrer autour de son Rocher, où il ne devait pas y avoir de terrain inoccupé. Tenant compte de ces considérations, nous croyons qu'en donnant à Avignon, à cette époque, une population de quinze à vingt mille habitants, nous ne nous écarterons pas beaucoup de la vérité (I).
Calvet parle, dans ses Manuscrits, de deux têtes en marbre de Diane et de Janus, trouvées sur le Rocher, au siècle
sous du sol actuel, ce qui fait supposer, pour sa base, une profondeur considérable. Voilà trois niveaux différents du sol antique constatés sur trois points différents, au centre de la ville gallo romaine
Quoi qu'il en soit, les deux grandes inondations de 1840 et 1856 nous ont indiqué les quartiers de la ville qui ont été de tous temps complètement insubmersibles : ils sont circonscrits, au levant, par la place du Cloître St-Pierre et la rue des Ciseaux-d'Or ; au midi, par la rue de la République, à la hauteur de la rue du Collège d'Annecy, et au couchant, par la rue St-Agricol, à partir de l'escalier de l'église de ce nom. On se souvient que c'est là que, lors des inondations de 1856, vint aborder l'empereur Napoléon III.
(I) La population d'Avignon est actuellement de 40 000 âmes. Si nous ne nous trompons pas dans notre évaluation sur le nombre de ses habitants, dans l'antiquité, il aurait aujourd'hui doublé.
On peut faire la même observation pour Nîmes qu'on croit avoir en, sous les Romains, 40,000 âmes et qui en a aujourd'hui 80,000.
DE L ACADEMIE DE VAUCLUSE 271
dernier, et qui lui avaient fait croire à l'existence, en cet endroit, de temples dédiés à ces deux divinités (I).
En 1844, on mit à découvert, près de la Métropole, une inscription gravée en grands et beaux caractères sur un des côtés d'un bloc quadrangulaire en calcaire et relatant une donation faite par un préteur des Volques, Titus Carisius. L'inscription est disposée sur deux lignes comme suit:
T. CARISIVS.T.F PR VOLCAR DAT
Titus Carisius, Titijilius, proetor Volcarum, dat.
(1) La découverte sur le Rocher des têtes de Janus et de Diane, et de celle de Jupiter, place de l'Amirande, sur l'emplacement de la maison de Mme de Latier, avait fait croire à Calvet qu'il avait existé dans ces endioits un temple à ces divinités. On lit en effet, au tome III de ses Manusnuscrits, fol. 14 verso :
« . . . . equidem in proxima rupe jure creditur tria olim exiitisse templa : Janinîmiruin, Diamoe, et mferiori situ, Jovis ipshis; ex quibus templis adsuntin meo museolo capita marmorea truncata Jovis, Jani bifrontis. »
Nous nous expliquons un peu plus loin, à propos du théâtre remain, sur la provenance probable de la tête de Jupiter, dont nous donnons la description, d'après Galvet.
Au t III de ses Manuscrits, fol. 188, il décrit celle de Janus :
« 4. Tête de Janus en marbre blanc : deux têtes de vieillards adossées Trouvé à Avignon sur le Rocher. Monument très usé par le temps. Haut. 8 p. 6 1 »
Autre description de la même tête au t. VI, fol. 4 :
« 2. Le Janus de marbre de ce n° paroit beaucoup plus ancien que celui de Jupiter. Cette tête à deux faces devoit tenir à un corps, puisqu'elle se termine en forme de gaine. Les deux barbes sont pointues, comme celle du Janus_.de la famille Junia (Vaillant, Nummi famil. rom., tab. 80, num. 34). Celui que je rapporte est couronné de lierre, ce que je n'avois jamais vu ; il porte ordinairement sur les médailles romaines une couronne de laurier, excepté dans la famille Pompeia. (Vaillant, tab. 114, num. 24), où sa tête est ceinte d'épis. »
On lit au t. III, fol 14 verso, des Manuscrits de Calvet, qu'on avait également trouvé sur le Rocher, eodem ipso loco reperta, la tête en maibre de Julia Mammea, mère de l'empereur Alexandre Sévère, qui figurait, avec celles de Jupiter et de Janus, dans la collection de ce savant : elle est ainsi décrite au fol. 188 de son t. III :
« 10. Belle tête de Mammée, mère d'Alexandre Sévère, dont le haut est réparé en plâtre. Ce fragment de marbre blanc a été déterré à Avignon, Haut. 1 pied 2 p. »
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C'est-à-dire :
« Donné par Titus Carisius, fils de Titus Carisius, préteur des Volques » (1).
L'inscription ne dit pas ce qui fut donné, ni à qui la donation fut faite. La pierre en question a pu servir de piédestal à la statue d'une divinité ou à un objet quelconque qui aurait été laissé en offrande dans son sanctuaire. Elle a 0m38 de hauteur, sur 0m83 de largeur, et 0m71 de profondeur. Elle a été légèrement creusée à sa partie supérieure, et on a laissé tout autour de ce creux, comme pour lui servir d'encadrement, une marge de 8 centimètres. On ne peut avancer, avec J. Courtet (2), que ce bloc quadrangulaire faisait partie d'un autel votif, car ni l'inscription ni la forme de la pierre n'ont le caractère d'un monument de ce genre. Quoi qu'il en soit, ce qui permet de conclure avec grande probabilité à l'existence d'un ancien temple à cette place, c'est la Métropole. Il est à remarquer que nos cathédrales ont à peu près toutes succédé à des temples : nous rappelons ce que nous disions, il y a un instant, à propos de la pratique constante du clergé des premiers siècles, qui prit à tâche de remplacer les anciens sanctuaires par des églises ou chapelles chrétiennes, et ce qui fait qu'aucune de nos cathédrales n'a, pour ainsi dire, fait exception à cette règle, c'est que, de toutes les églises, elles ont été le
(1) « C'est cette inscription, dit M, Allmer, dont M. Hirschfeld, dans ses Gallische Studien (I, p. 41, n. 3), et M. Mommsen, dans son Histoire romaine (V, p 78J ont fait connaître la signification et l'importance; elle
montie, en effet, pai quelle gradation la cité des Volques Arécomiques, de même probablement que les autres cités de la Naibonnaise, est arrivée àsa complète latinisation. Elle a reçu de Jules César le droit latin, tout en conservant, sous un proetor des Volques, sa forme gauloise en cité temtoriale, à laquelle Auguste substitue ensuite sa foi me italienne en commune urbaine, sous le nom de Nemausus: étendu, en remplacement de celui des Volques, à la cité entière avec ses vingt-quatre bourgs, et sous des quatuorviri, en remplacement du proetor. » (Revue èpigraphique, mars 1886, ,p 188).
(2) V. un article de J. Comtet, dans la Rev. archèolog., 1844-1845, t. I, p. 478.
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plus anciennement construites et remontent dans chaque ville à l'établissement de l'évêché, c'est-à-dire, à des temps qui ont marqué le passage du paganisme au christianisme (1). Parmi les villes de la région du Sud-Est où les choses se sont passées ainsi, il nous suffira de citer Nîmes, Arles et Marseille. Pour ce qui est de la Métropole d'Avignon, certains archéologues vont jusqu'à dire que son porche si curieux est un reste de temple antique ; mais sans aller jusque là, reconnaissons, soit dans sa forme, soit dans son ornementation, une flagrante imitation des monuments antiques. Au IXe, Xe ou XIe siècle, époque probable de sa construction, les monuments romains existaient encore dans nos pays, et les moines architectes, cherchant leur voie, ne se faisaient pas scrupule de copier l'antique (2).
(1) Si, d'après ces pratiques générales de l'ancien clergé et les découvertes faites autour de la Métropole de l'inscription du préteur des Volques et de substructions considérables, il est à peu près certain qu'un sanctuaire à une divinité païenne a occupé la place de Notre-Dame des Doms, on ignore le nom de cette divinité.
Nous avons dit, dans une note précédente, que, suivant un récit dont l'origine ne paraît pas remonter loin et qui par suite ne mérite aucune créance, un temple à Hercule se serait primitivement élevé sur l'emplacement de la Métropole, et que la statue du dieu, avec inscription dédicatoire, aurait même subsisté devant cette église jusqu'au XIVe siècle, où Urbain V, pour anéantir les superstitions païennes survivantes, l'aurait détruite, en la faisant servir à la construction de la partie du palais qui date de son pontificat.
Ce récit, avons-nous dit, a été imaginé, comme tant d'autres, par la trop féconde imagination des érudits du siècle dernier. Calvet, tout le piemier,le met au rang des fables, et il fait particulièrement remarquer que la prétendue inscription dédicatoire, qui se lisait au bas de la soi-disant statue d'Hercule, est fausse et rédigée par un ignorant des règles de l'épigraphïe. Les savants modernes ne l'ont pas appréciée différemment, el c'est parmi les falsoe qu'elle a été classée par M. Hiischfeld (Calvet, Man., t III, fol. 14 verso ; Hirschfeld, Inscr. Gai Nari.,p. 13, aux falsoe ; Fantoni, Hisioria della città d'Avignone, t I. p. 19 ; Papon, Voyage littéraire, p. 15; Expilly, Dict.,t. I, p. 338).
(2) « Le département de Vaucluse, a écrit J. Couttet, dans un article de la Revue archéologique, 1844-1845, t. I, p 472, possède quelques restes de monuments dont la physionomie singulière devait exercer la sagacité des aichéologues. Ce sont les frises extérieures des vieilles églises de Vaison
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Le théâtre romain d'Avignon, avons-nous dit plus haut, comme le monument auquel succédèrent en dernier lieu les bâtiments de la Vice-Gérence, et peut-être aussi l'amphithéâtre, furent sacrifiés au Palais des Papes, avec tout le quartier qui les entourait. On peut dire sacrifiés, car il ne subsiste des deux monuments précités qu'un reste tout à fait insignifiant : en regardant, de la rue Peyrolerie, les bâtiments de l'ancienne Vice-Gérence, on remarque à leur base un mur bâti en petit appareil de l'époque romaine. C'est sur cette construction antique que fut construit, au XIIe siècle, le Palais-Royal, où descendaient les comtes de Provence, lorsqu'ils venaient à Avignon, et c'est sur les restes du Palais-Royal que furent édifiés plus tard les bâet
bâet Cavaillon, la porte latérale, très fruste, il est vrai, de l'église de Pernes, l'abside triangulaire de la chapelle de St-Quenin,à Vaison, et le porche de N.-D. des Doms. ...
« On a eu raison de remarquer que le système architectural, en vigueur dans plusieurs provinces de France, devait, en général, son origine à l'imitation plus ou moins fidèle de quelques monuments antiques. Sous ce rapport, le Midi n'avait que l'embarras du choix. .. C'est celui qui se fait remarque! dans plusieurs de nos monuments, et qui n'a pas peu contribué à jeter les archéologues dans la plus, grande incertitude à l'endroit de leur origine. Au premier aspect, on est tenté de les croire antiques, et il faut une inspection minutieuse des détails pour revenir sur cette opinion. Le porche de N.-D. des Doms, à Avignon, est le spécimen le plus remarquable de ce style.... Celui-ci est surmonté d'un fronton dont l'inclinaison rappelle les règles antiques . . L'arcade, l'entablement, les colonnes, leur chapiteaux, les moulures et les ornements des archivoltes, tout évidemment est une copie de l'architecture romaine.. .
« Il ne faut pas être étonné si les opinions les plus opposées ont été émises relativement à l'âge de ce monument Les uns, avec raison, séparent le porche et le corps de l'église ; les autres le font contemporain, ce qui n'est pas possible. Ceux-ci font remonter le tout à l'époque de Chalemane Nous ne mentionnerons que pour mémoire les gens qui osent remonter jusqu'à Constantin et même plus haut encore ; d'autres réclament pour le XIe et le XIIe siècles .. »
Une récente brochure de M. Deloye, Note relative à la dédicace de la cathédrale d' Avignon, communiquée au Congrès des Sociétés savantes de 1891, vient de fixer d'une façon certaine la date de la construction de la Métropole : elle remonte au XIe siècle.
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tîments de la Vice-Gérence encore conservés (I). Un mur, également bâti en petit appareil, qu'on remarque, à gauche, en entrant dans la rue Peyrolerie, quand on vient de la place de l'Amirande; quelques restes d'arcades cintrées dans un mur du jardin de M. le docteur Clément sont les seuls et derniers vestiges du théâtre romain. Suivant l'usage des anciens et les conseils de Vitruve, ses gradins avaient été appuyés sur le Rocher et y reposaient solidement. Grâce à ce système de construction et à la situation que ce monument occupait, on avait économisé les frais du massif sur lequel il aurait fallu faire reposer ses gradins, et il était complètement à l'abri du terrible circius ou mistral. A ce dernier point de vue, il se trouvait dans d'autres conditions que celui d'Orange, et ne formait pas comme lui, un des côtés du forum ; il en était séparé, nous allons le voir, par les dernières assises du Rocher, au Midi (2).
(1) V., dans les Mémoires de l'Académie de Vaucluse, 1891, p. 95, un intéressant article de M. Bayle intitulé : Les Comtes de Provence à Avignon.
Dans cet article, M. Bayle vient à l'appui de notre dire, en avançant que c'est sur l'emplacement des bâtiments de la Vice-Gérence et dans ceux qui s'y élevaient avant, qu'ont siégé tous les pouvoirs qui se sont succédés à Avignon : « Là, dit-il, ont siégé les éphores de l'Ionie, les gouverneurs romains, burgondes, goths, franks et arabes ; plus tard, les parlements, les consuls, les podestats de la République impériale, les viguiers des comtes de Toulouse et de Provence, les juges de la cour royale et plus récemment les vice-gérents. C'est là aussi que les souverains provençaux avaient primitivement leur demeure, quand ils venaient à Avignon. »
(2) Etant donné que la partie hémisphérique du théâtre, celle sur laquelle étaient assis les gradins, reposait sur le rocher au haut duquel sont les bâtiments de la Vice-Gérence, la partie rectangulaire, c'est-à dire le mur de la façade et la scène étaient vis-à-vis, sur l'emplacement des maisons de la place de l'Amirande et sur la partie de la rue Peyrolerie qui descend vers la place du Cloître St-Pierre. Ce monument dut être sacrifié à la commodité des abords du Palais des Papes. Le côté du Palais situé au levant date du pape Urbain V; la petite place de l'Amirande avait été ménagée devant sa porte d'entrée qui donnait accès dans les bâtiments et les jardins établis par Urbain V et que l'on appelait La nouvelle Rome.
La tête de Jupiter en marbre qui fut trouvée, au siècle dernier, dans les caves de la maison de Mme de Latier, place de l'Amirande, c'est-à-dire sur l'emplacement du théâtre romain, pouvait appartenir à une statue ayant
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Les découvertes qui ont été faîtes sur la place de l'Horloge et dans la rue Géline, en 1819, 1853 et 1855, sont venues démontrer que le forum de l'Avenio romain occupait, et bien au delà, cette place, où se centralise encore aujourd'hui le mouvement de la ville moderne, et que, comme d'ordinaire, il était décoré de portiques et de beaux monuments (1).
Dans les villes antiques, le forum était une place, en forme de carré long, où se tenaient les assemblées politiques, où l'on traitait les affaires publiques, où les oisifs se promenaient. Il était entouré de portiques ou galeries couvertes, de grands et beaux édifices, tels que temples, thermes ou bains publics, basiliques, et de boutiques. Les portiques, soutenus par des pilastres ou des colonnes, permettaient à la foule de se promener à l'abri de la pluie et du soleil. La galerie était quelquefois double, dans le sens
servi à le décorer, et ce ne serait pas la première fois qu'on aurait extrait, des ruines d'un théâtre antique, des débris de statues de divinités Rappelons que de celui d'Arles notamment ont été exhumés une admirable tête de Diane, qui rivalise avec celle de la Vénus de Milo, et aussi un torse de Jupiter. Calvet, qui possédait la tête de Jupiter trouvée à Avignon, l'a décrite en ces termes :
« La tête de ce Jupiter est ceinte d'un diadème sans couronne ; ses cheveux et sa barbe sont frisés, arrangés symétriquement et disposés en boucles uniformes, à la manière des Gaulois. Elle n'est qu'à demi-nature; sa hauteur depuis le bas de la barbe jusqu'au haut de la tête est de 8 pouces. Le col, la poitrine et la gaine sont de plâtre et ajoutés depuis peu. » (Calvet, Man., t VI, fol. 4 ; Voir aussi le t III, fol. 188).
(1) C'est en 1819, qu'en creusant le sol sur l'emplacement de la première place de l'Horloge, alors très petite, on mit à découvert, au nord de cette place, correspondant à peu près au mur méridional de l'Hôtel-de-Ville actuel et à 4 métres de profondeur, le soubassement d'un grand monument romain dont nous nous occupons ci-après.
Les fouilles qui eurent lieu rue Géline, en 1853 et 1855, furent faites par ordre de l'administration du Musée Calvet. Cela est dit en tête du procès-verbal des fouilles que l'on lira au Catalogue des antiquités du Musée, p. 268. M. Auguste Binon, concierge du Musée, possède l'original de ce procès-verbal qu'il a bien voulu nous communiquer et qui avait été rédigé par son père, Jacques Binon, sur les notes prises par lui, lors des fouilles. C'est dans ce procès verbal que nous avons puisé la description des restes du forum avignonais.
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de la profondeur, reposant sur deux rangs de colonnes, l'un, en avant, l'autre en son milieu. Des statues en marbre, plus ou moins nombreuses, de princes et d'hommes illustres, couvraient l'area du forum et contribuaient de la façon la plus brillante à son ornementation. Sa forme, avons-nous dit, était celle d'un carré long ; il avait, en effet, habituellement un tiers de plus dans le sens de la longueur que dans celui de la largeur. Par le forum de Pompéi, qui est à peu près intact, on peut se faire une idée exacte de l'aspect ordinaire de ces places et de la manière dont elles étaient diposées (1).
Tout le monde connaît, au moins de réputation, le forum de Rome, où se sont passées les grandes scènes de son histoire, que ses généraux victorieux ont traversé en triomphateurs, et dont la tribune a été si souvent illustrée par l'éloquence de Cicéron. Orné, durant le cours de l'Empire, des plus magnifiques monuments et d'un véritable peuple de statues, il demeura à peu près intact jusqu'au VIIe siècle, où son pillage commença et ne s'arrêta plus qu'avec sa ruine complète. Ce n'est plus maintenant qu'une place obscure et déserte, où émergent çà et là du sol, comme des troncs d'arbres arrêtés dans leur sève, quelques colonnes de ses temples détruits (2).
Arles a été une des plus grandes et des plus belles villes de la Gaule : elle dut cette prospérité à son important commerce, que favorisait son heureuse situation, à l'em(1)
l'em(1) le forum de Pompéi, outre un portique à deux etages qui l'entourent en arrière duquel règne une suite d'édifices élevés et spacieux, tels que temples et basilique, on voit sur son area centrale des bases de statues et un beau temple d'ordre corinthien qu'on suppose avoir été consacré à Jupiter.
Voir son plan et sa description détaillée dans le Dictionnaire des antiquités de Rich, au mot Forum.
2) Le premier chapitre du volume de M. Gaston Boissier, intitulé Rome et Pompéi, est consacré à l'historique et à la description du forum romain On le lira avec intérêt comme tout ce qui émane de l'érudit écrivain.
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bouchure du Rhône. Sa prospérité lui valut, à son tour, de devenir le siège de la préfecture des Gaules, et, plus tard, le séjour de l'empereur. Un de ses historiens, H. Clair, a donné la description de son forum et du double portique qui l'entourait. Chose curieuse, on le retrouve encore en entier, enfoui sous la place des Hommes et des rues voisines : « Sous la place des Hommes, dit-il, la rue de la Paix, le plan de la Cour, la rue du Palais, la rue des Gantiers, l'Hôtel-de-Ville, partout, sur ces points, se cachent des galeries romaines qui n'ont pas été sondées dans toute leur profondeur, et qui attestent la présence d'une construction d'une immense étendue... Sa forme est celle d'une cour oblongue, encadrée dans un portique à double galerie voûtée. De larges arcades, percées dans le mur mitoyen et très rapprochées les unes des autres, ouvrent des communications multiples entre les deux allées. Celle de l'intérieur est éclairée par des barbacanes qui y versaient une lumière abondante ; l'autre devait être éclairée à plein jour... Les voûtes, formées de minces claveaux, sont conformes à celles de l'amphithéâtre. Les murs latéraux sont revêtus de moellons smillés jusqu'à la courbure des arceaux ; ils cessent à ce point, et c'est à partir de là que commencent les assises de grands blocs sur lesquels les couvertures sont appuyées. La largeur totale du portique, mesurée dans l'étendue de sa double galerie, est de 10 mètres. Celle de la cour est de 37 ; sa profondeur, de 80. On peut juger, par ces dimensions, de l'immensité de l'ensemble. Aussi, n'aurions-nous aucune peine à croire que ce soit là le forum romain, dont Sidoine Apollinaire a fait la description, et qui, au Ve siècle, existait encore dans tout l'éclat de sa magnificence, décoré de statues, de colonnes, de portiques, entouré de toutes parts de somptueux édifices » (1),
(1) H. Clair, Les monuments d'Arles antique et moderne, p. 66.
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Dans ses Notes d'un voyage dans le Midi de la France, Mérimée signale la découverte qui fut faite, en 1819, sur la place de l'Horloge d'Avignon, « du soubassement d'un vaste édifice, construit à grand appareil, et qui par sa disposition paraissait avoir été une maison de bains. Le préfet d'alors, je regrette, dit Mérimée, de ne pouvoir citer son nom, fit combler la fouille, sans même donner le temps de lever un plan des substructions » (1). Un antiquaire de mérite, membre correspondant de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, M. l'abbé Malosse avait eu cependant le temps de le dessiner et de l'accompagner de notes. En publiant ces documents dans nos Mémoires, notre excellent collègue, M. Sagnier, petit-neveu de M. l'abbé Malosse, viendra heureusement nous fournir quelques nouveaux renseignements (2).
D'après le plan et les notes de M. l'abbé Malosse, la base de cet édifice fut trouvée à 4 mètres de profondeur, se dirigeant de l'Est à l'Ouest, au Nord de l'ancienne place de l'Horloge, alors très exiguë (3), correspondant à une ligne qu'on tracerait dans ce sens, un peu au dessous de l'entrée de l'Hôtel-de-Ville. Le soubassement était entier, soigneusement bâti en pierres de grand appareil, mais il
(1) P. Mérimée, Notes d'un voyage dans le Midi de la France, p. 132, en note.
Ce n'est pas au préfet qu'il fallait adresser le repioche d'avoir trop vite fait combler les fouilles, il n'avait rien à y voir, mais bien au maire.
Mérimée dit à la fin de cette note :
« On m'écrit d'Avignon qu'on vient de trouver dans la rue des Coffres une mosaïque antique, quelques substructions intéressantes et la base d'une colonne en pierre d'une très grande dimension. »
Il n'existe pas à Avignon de rue des Coffres; nous supposons que c'est rue des Grottes qu'on a écrit à Mérimée et que celui-ci a mal lu.
(2) Ce travail de M. Sagnier n'a pas encore été publié dans les Mémoires de l'Académie ; il le sera sous peu
(3) Au XIVe siècle, la place de l'Horloge qui, dans nos temps modernes, a été successivement agrandie par la démolition de plusieurs rues, portait le nom de Grand Marché, Magnum Macellum. (P. Achard, Dictionnaire des rues d'Avignon, p. 85.)
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ne fut pas possible de connaître tout son développement, en longueur, car il pénétrait sous les maisons voisines. M. l'abbé Malosse ne s'est pas expliqué sur l'affectation que ce monument avait pu recevoir. Mérimée suppose que c'étaient des bains publics. Par ce qui va suivre, on verra que ce monument était situé sur l'extrémité méridionale de l'area du forum, un peu en avant de son portique.
Lorsqu'en 1853 et 1855, on démolit l'ancienne rue Géline pour bâtir l'Hôtel-de-Ville actuel, l'administration du musée obtint l'autorisation d'y faire des fouilles (1). Les ouvriers mirent à découvert, à 1 mètre environ de profondeur, sous la maison Besse (2), un mur romain bâti, à sa partie inférieure, en petit appareil, et à sa partie supérieure, en pierres de grand appareil, de 1 m. à 1 m. 50 de long, sur 0 m. 50 de haut. Ce mur, solidement construit et d'une belle conservation, se dirigeait de l'Est à l'Ouest. Il avait été déjà mis au jour sur la place de l'Horloge, en 1819, lors des travaux de terrassement qu'on y fit, et plus tard encore, dans les caveaux de l'église St-Agricol. Sa longueur est indéterminée. La hauteur totale de ce qui subsiste n'est pas connue davantage, les ouvriers étant parvenus à 0m75 sous l'eau, sans trouver sa base, et obligés d'y renoncer. A dix mètres de là, au Nord, sous le mur méridional de l'Hôtel-de-Ville, et à 1 mètre de profondeur, on mit au jour trois bases de colonnes en calcaire de 0m38 de hauteur, sur 0m95 de diamètre (3). Ces trois bases étaient à 7 mètres de distance l'une de l'autre, en allant à l'Est, la première, vers le milieu du mur méridional de
(1) Tous les développements qui vont suivre, résultat des fouilles de 1853 et 1855, ont été puisés, nous le rappelons, dans les procès-verbaux des fouilles que l'on peut consulter à la bibliothèque d'Avignon.
(2) La maison Besse était située derrière l'église St-Agricol, à l'entrée de la ruelle par laquelle on descend actuellement de la rue Racine à la rue St-Agricol, à gauche.
(3) Quand nous disons « à 1 mètre de profondeur », nous répétons ce que nous avons lu dans le procès verbal des fouilles; mais il nous paraît impossible d'admettre que les trois bases de colonnes aient été trouvées à
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l'Hôtel-de-Ville, la deuxième, à 7 mètres de celle-là, au levant, et la troisième, toujours dans le même sens, à égale distance de la deuxième. Ces bases de colonnes occupent donc encore leur place primitive. C'est entre le mur antique précédemment décrit et ces restes de colonnes qu'on a trouvé, engagés dans les fondations de la maison Besse, divers débris d'anciens monuments. Quelques-uns consistent en blocs de pierre ayant fait partie de tombeaux, puisqu'ils portent des épitaphes ou des lambeaux d'épitaphes ; d'autres, en fragments d'arc de triomphe, décorés de bas-reliefs aux attributs guerriers ; d'autres enfin, en bases de metoe ou bornes, ayant figuré aux extrémités de la spina d'un hippodrome. Ces différents débris de monuments ont été déposés dans la petite cour du musée Calvet. Et d'abord, qu'est-ce que le mur bâti en petit appareil, à la base, en grand appareil, au dessus, s'étendant de l'Est à l'Ouest, depuis la place de l'Horloge jusqu'à l'église St-Agricol, et précédé, à 10 mètres vers le Nord, d'une rangée de bases de colonnes, séparées les unes des autres par un intervalle de 7 mètres ? Ou nous nous trompons fort, ou c'est un reste du portique qui régnait autour du forum. Le mur en formait le fond, et sur le devant, son entablement était soutenu par les grosses colonnes de 0m95 de diamètre, dont les bases sont encore en place. En rapprochant du portique d'Arles celui d'Avignon, nous remarquerons qu'ils étaient tous deux construits en petit appareil, à leur base, en grand appareil, à leur partie supérieure, et qu'ils étaient également profonds de dix mètres, quoiqu'il n'ait pas été établi, pour celui d'Avignon, que la
ce niveau, alors que le soubassement du monument dont nous avons parlé précédemment, et qui fut découvert tout à côté, l'a été à 4 mètres. C'est cette dernière mesure que nous adopterions de préférence, et voici pourquoi : l'hippodrome, nous le verrons ci-après, bordait le forum, au couchant; or, la base de ce monument est connue, étant donnée l'arcade de la descente de la Madeleine que nous avons déjà mentionnée plus haut et qui est bien au moins à 4 mètres au dessous du niveau actuel de la place de l'Horloge. A moins de supposer que ces bases de colonnes reposaient sur un stylobate de 3 mètres de hauteur.
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galerie fût double, c'est-à-dire divisée par un mur mitoyen à arcades ou par un second rang de colonnes (1).
Nous avons peine à comprendre la présence en ces lieux de débris de monuments funéraires: assurément on n'ensevelissait pas dans le voisinage du forum. Les cimetières, on le sait, étaient à la sortie des villes. C'est ainsi qu'à la sortie d'une des portes de Pompéi, on voit encore les tombeaux rangés de chaque côté de la voie. A Avignon, on n'avait pas fait exception à la règle, et nous dirons plus loin à quel endroit était la nécropole de la ville antique. C'est de là vraisemblablement qu'avaient été tirées les inscriptions funéraires, qui furent extraites des fondations de la maison Besse. L'épitaphe bilingue, que nous avons signalée au commencement de ce travail, est la seule qui présente un réel intérêt (2).
(1) Lorsque, en 1882, on reconstruisit la maison Arnous, acquise depuis par M. Palun, et qui est située à l'angle de la rue de la République, à gauche, en descendant de la place de l'Horloge, M. Genellat, entrepreneur de travaux, mit à découvert, à 4 m. 50 de profondeur, un mur soigneusement bâti en petit appareil, ayant probablement fait partie d'une maison gallo romaine, des tessons de poteries et de tuiles de la même époque, quatre ou cinq tronçons de colonnes, en calcaire gris, de 0 m. 50 de diamètre, et un beau fragment de corniche, en marbre blanc richement sculpté, ayant appartenu à un beau monument antique. Ce morceau, tronqué en haut et en bas, mesure 0m.35 de long sur 0m. 24 de haut ; il est orné, à sa partie superieure, de longues feuilles délicatement découpées, disposées deux par deux, et qui, reunies à leur base, vont s'écartant progressivement à mesure qu'elles s'élèvent ; au dessous et séparé de ce premier motif par une double moulure, existe un rang de feuilles trilobées ; puis viennent successivement des rangées d'oves, de perles, de denticules, et finalement d'oves et de feuilles trilobées,
(2) Outre l'épitaphe bilingue que nous avons publiée plus haut et qui est de beaucoup la plus intéressante, tant à cause de cette particularité que de son ancienneté, les ouvriers degagèrent des substructions de la maison Besse, plusieurs autres inscriptions funéraires parmi lesquelles les deux que M. Allmer a publiées dans sa Revue épigraphique, t. I, p. 395, n° 438 et ce fragment d'une troisième qui est encore inédit et qui est mentionné dans le procès-verbal des fouilles, au Catalogue des antiquités du musée, p. 268 ; on y lit ce qui suit
L.CORNELIVS.M.F « Cette inscription sur pierre grossière, comme les précédentes était dans un mur de la maison de M. Besse, qui l'a donnée au musée. « Haut., 0 m. 50 ; long., 100. »
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Comme l'Arc de Triomphe d'Orange, celui d'Avignon, dont les débris proviennent de la même fouille, était décoré de bas-reliefs, représentant des attributs militaires. On y voit des casques, des épées, des javelots, des boucliers, des enseignes, des trompettes, des trophées et aussi un fragment de cavalier. Quoique ce travail ait été fait sur une pierre au grain grossier, il est d'une bonne facture et paraît remonter au commencement de l'Empire (1).
Les arcs triomphaux étaient consacrés à la gloire des empereurs et destinés à perpétuer le souvenir de leurs victoires. Tantôt ils s'élevaient à l'entrée des villes, sur le passage d'une voie : il en était ainsi de ceux d'Orange et de St-Remy, qui subsistent encore ; tantôt sur les rues qui donnaient accès au forum : ainsi de ceux de Rome et probablement de ceux de Carpentras, de Cavaillon et d'Avignon,
Enfin, on a extrait des fondations de la maison Besse des piédestaux de metoe ou bornes ayant fait partie de la spina d'un cirque. Chez les anciens, le cirque ou hippodrome était surtout destiné aux courses de chevaux et de chars. Ces sortes de monuments, en forme d'ellipse très allongée, de 400 à 600 mètres en moyenne de long, sur 80 à 110 de
(1) C'est l'opinion de M Hirschfeld, qui a parlé de ces trophées comme suit, dans sa notice historique sur Avignon, à la page 130 de ses Inscriptiones :
«... tropeacque Arausiensibus valde similia, reperta in effossionibus prope curiam hodiernam (rue Géline), an. 1853 et 1855 publiée institutis, quae ad arcum, primis aetatis imperatoriae annis Avennione exstructum, pertinuisse videntur hodieque prostant in aula musci Calvet. »
Si, comme l'arc de triomphe d'Orange, celui d'Avignon, à en juger par ses débris, remontait aux premiers temps de l'empire, rien dans ses trophées, si l'on en excepte peut-être les longues trompettes, ne paraît appartenir à l'armure celtique ; on n'y voit figurer ni noms de chefs gaulois, ni casques à cornes. Comme pour ceux d'Orange, il faudrait faire une étude attentive des bas-reliefs d'Avignon et des aimes qui y figurent pour essayer de connaître les victoires dont on a voulu perpétuer le souvenir.
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large (1), avaient leur arène divisée en deux, dans le sens de la longueur, par ce qu'on appelait la spina, espèce de barrière médiane, formée d'un soubassement, au-dessus s'élevaient des monuments variés, tels que colonnes, duquel fontaines, statues, obélisques, autels, trophées et autres édicules. Aux deux extrémités de la spina étaient placées, sur une haute base demi-circulaire, trois bornes coniques ou metoe, que les conducteurs des chars serraient de près en tournant, pour ne pas laisser un concurrent passer entre eux et les metoe, sans toutefois les heurter, de peur d'être renversés et dépassés par leurs rivaux.
Sunt quos curriculo pulverem olympicum Collegisse juvat, metaque fervidis Evitata rotis, palmaque nobilis Terrarum dominos evehit ad deos (2).
a dit Horace, dans des vers bien connus, en parlant du glorieux vainqueur des courses du cirque. Or, ce qu'on a trouvé rue Géline, parmi les débris de tombeaux et d'arc de triomphe, ce sont des piédestaux de metoe ; tout l'indique, leur forme demi-circulaire ainsi que les courses de chars dont ils sont décorés. Une moulure qu'ils portent en leur milieu les devise horizontalement en deux champs ; c'est dans celui du haut qu'est représeuté en bas-relief, un bige courant. On peut voir au musée d'Arles les bases des metoe de son ancien cirque, dont M. de Caumont a donné le dessin dans son Abécédaire d'archéologie, page 425 ; elles ne diffèrent de celles d'Avignon qu'en ce qu'elles sont
(1) D'après Caristie (Mon. ant. à Orange, p. 78), le cirque d'Orange avait 400 mètres de long sur 80 de large Nous supposons que celui d'Avignon avait des dimensions moindres, en raison de sa population qui fut sans doute moins considérable. 600 mètres de long et 110 de large étaient les dimensions du circus maximus de Rome, c'est-à-dire du plus grand cirque qui existait et tel qu'il convenait à la capitale du monde antique. V. Daremberg et Saglio, Dict. des ant. grecques et rom., au mot Circus.
(2) Horace, Ode première.
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décorées de quadriges, au lieu de biges (1). Nous nous expliquons sans peine la présence de celles d'Avignon, sur ce point de la rue Géline : la maison, à la construction de laquelle on les avait fait servir, s'élevait sur l'emplacement même de l'ancien hippodrome.
Le mur occidental de ce monument, avec ses rangs d'arcades superposées, subsiste encore dans les maisons qui bordent, au levant, la rue Petite-Fusterie et dans celles qui longent, au couchant, la rue des Grottes. Son mur oriental s'élevait vers le milieu de l'Hôtel-de-Ville et du théâtre, ainsi qu'il résulte pour ce dernier monument, de la note de J. Courtet que nous avons reproduite plus haut, à propos des trouvailles qui y furent faites, quand
(1) Les cirques ou hippodromes, où l'on donna aussi d'autres jeux, tels que des combats d'animaux et de gladiateurs, étaient destinés surtout aux courses de chars et de chevaux Les chars (curriculi) qui prenaient part aux courses du cirque étaient atteles de quatre chevaux (quadriga), souvent aussi de deux chevaux (biga). plus rarement de trois (triga) ou de six, de sept, de huit et même de dix chevaux ( sejuges, septemjuges, octojuges, decemjuges)
Sur chaque piédestal des bornes du cirque d'Avignon est figuré en basrelief un bige ; sur le char on voit le conducteur ou concurrent (auriga) excitant de son fouet les chevaux qui courent.
Les bases des metoe de l'hippodrome d'Arles ont été mentionnées par Estrangin, dans ses Etudes archéologiques, historiques et statistiques sur Arles; on y lit page 106 :
« On ne peut cependant douter de son existence (du cirque), puisqu'elle est constatée par l'obélisque transporté sur la place de l'Hôtel-de-Ville, par le piédestal des bornes ou metoe et par le Mithra, conservés au musée lapidaire et qui décoraient le cirque d'Arles, avant sa destruction »
Sur la frise d'un des deux grands monuments funéraires du musée lapidaire d'Avignon, qu'on voit dans une des salles du rez-de-chaussée, au pied de l'escalier, et qui proviennent de Vaison, est représentée en bas-relief une course de cirque: deux biges parcourent l'arène, autour d'une spina terminée à ses deux extrémités par trois metoe pyramidales Cette course rappellerait, suivant toute apparence, des jeux publics dont le premier magistrat municipal de Vaison, le proetor, représenté assis sur le char municipal, dans le premier registre du monument, aurait gratifié ses administrés, en reconnaissance peut-être de son élection. (V. Rev. épigr., 1885, p. 158.)
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on en jeta les fondations (1). De ce que nous venons de dire, il ressort que l'hippodrome d'Avignon était placé au couchant du forum, dont il formait un des grands côtés. Faisons remarquer en passant que celui d'Orange avait la même situation : là, tandis que l'imposante façade du théâtre occupait un des petits côtés du forum, celui du Midi, le cirque, le bornait au couchant. Mais l'hippodrome d'Avignon était plus richement orné que celui d'Orange ; tandis que les murs de ce dernier, — on peut en juger par ce qui reste de celui du couchant, — étaient décorés de pilastres doriques soutenant un entablement du même ordre, et d'arcatures fermées, les arcades du cirque d'Avignon étaient accostées de colonnes cannelées et rudentées, appartenant au corinthien, et couronnées de frises à rinceaux. C'est ce qui résulte de ce qu'on va lire.
Calvet, s'occupant de l'hippodrome qu'il a pris pour le rempart de la ville antique, de ce côté-là, en a parlé comme suit, au tome II de ses Manuscrits, fol. 351 :
« Il y a dans la rue Petite-Fusterie plusieurs grands arceaux destinés au même édifice, les pierres en sont d'une énorme grosseur. L'un de ces arceaux sert de base au clocher de l'église de Ste-Madeleine.
« A côté de cet arceau, il y en avait un autre continu, dont le pillier gauche subsiste ; il sert d'entrée à la rue qui monte devant la porte de cette église.
« Ces arceaux se continuent dans la maison du sieur Fuzat, au-dessus de celle de Cairane, notaire. On en voit trois sur la même ligne, dans l'écurie de M. Pertuis, culde-sac vis-à-vis de la Petite-Fusterie, au Midi, aujourd'hui fermé par une porte.
« Plus haut, dans la Petite-Fusterie, en allant à StAgricol, se trouvent deux de ces arceaux bien entiers, avec une grotte profonde, dans une maison touchant celle de
(1) V. notre premier article, année 1892, page 195, note 20, des Mémoires de l'Académie de Vaucluse.
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M. de Brantes, à quelques pas de l'église de St-Agricol. Leur hauteur dans oeuvre est de 14 pieds, trois pouces.
« Au dessus de l'église et derrière le choeur de Ste-Madeleine, dans une maison ci-devant de M. Pertuis le père, touchant postérieurement le couvent des religieuses de St-Laurent, il existe, sur pied et en place, deux colonnes antiques adossées, parfaitement conservées, l'une très grande, l'autre plus petite ; elles sont debout sur un des piliers de l'entre-deux des arceaux ci-dessus. Il y en a une autre pareille à la grande, placée de même, mais très dégradée, dans un des angles intérieurs d'une très petite maison de la Petite-Fusterie, à peu près vis-à-vis de celle de M. de Malijeac. Ces colonnes cannelées en bosse, de la plus belle forme et d'une hauteur considérable, devaient être nombreuses sur ces arceaux et régnaient peut-être sur une grande partie de leur longueur. J'en ai vu plusieurs tambours dispersés dans la ville ; l'un très conservé, enlevé depuis peu, servait de borne à la porte d'entrée de la maison de M. d'Honorati Jonquerettes, près de l'hôtel de Crillon. On en voit une autre avec les belles moulures de la partie inférieure de la colonne, qui porte l'essieu du puits à roue d'un des jardins qui va du quartier de l'hôpital aux capucins du petit couvent. Leur diamètre est de deux-pieds six pouces.
« M. Mouton, jeune et habile architecte de Paris, qui passait par Avignon, en allant à l'Académie de Rome, où il était reçu, et qui me fut recommandé par M. le C. de Caylus et par M. Mariette, me fournit le plan géométral et l'élévation mesurée qu'il prit sous mes yeux de ce superbe édifice. Nous avons compté, entiers ou détruits, trente-trois arceaux, à commencer depuis le premier subsistant jusqu'au dernier qu'on voit encore. Il est prouvé qu'au delà de l'un et de l'autre, il y en avait plusieurs continus, dont nous n'avons pas pu découvrir les traces (1).
(1) Au tome III de ses Manuscrits, Calvet revenant là-dessus, a dit encore :
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« Cet édifice, qui ne peut avoir été que les anciens remparts de la ville, devait s'étendre en ligne droite, depuis la partie du rocher qui touche à l'hôpital St-Bénézet jusque vers l'église de St-Agricol... »
Si Calvet a pris le mur occidental de l'hippodrome pour les anciens remparts de la ville, un conseiller du parlement de Metz, au XVIe siècle, André Valadier, cité par Calvet, au tome II de ses Manuscrits, à propos d'un mémoire dont il est l'auteur et où il est question d'Avignon, considérait ce même mur de l'hippodrome comme les restes d'un aqueduc (1).
L'opinion à laquelle se rangent aujourd'hui les archéologues, c'est qu'il faut y voir le mur occidental de l'hippodrome ; J. Courtet, Mérimée et M. Deloye sont de cet avis. Le premier de ces auteurs, décrivant à son tour quelques vestiges de ce vieux monument, s'exprime ainsi, à la page 40 de son Dictionnaire des communes du département de Vaucluse :
« L'emplacement de l'hippodrome est aussi facile à préciser. Derrière le puits de la Madeleine est un massif de construction romaine, composé de grands blocs superposés sans ciment ; c'est le commencement d'une série d'arcades
« Je fis voir, toucher et mesurer plusieurs de ces arceaux à Mouton, avec deux colonnes entières ; je lui fournis quelques renseignements là dessus ; il en résulta un dessin magnifique de sa main, avec toutes les mesures, le plan, l'élévation, la base et les chapiteaux des colonnes cannelées. L'étendue entière de l'édifice y fut exprimée, autant que ses débris le permirent. Il m'en donna une copie de sa main, qu'on trouvera dans le 6e volume ou la 6e partie de mes mss., avec ce qu'il put prendre de Cavaillon »
Le plan et les dessins de Mouton existent à la bibliothèque de la ville parmi ceux que Calvet lui a légués.
(1) «. . Sunt aquoeductus in arcubus qui prostant in parva Fusteria, porrecti in longum, » est-il dit dans ce Manuscrit.
Ce Mémoire manuscrit d'André Valadier fait aujourd'hui partie de la bibliothèque du Vatican et a pour titre : Ecclesioe monarchioeque Galharum nascentis historia, ab antiquitate Avenionensium repetita.
Nous reviendrons à ce Manuscrit plus loin, à propos d'un tuyau de plomb sur lequel se lisait l'estampille du fabriquant.
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qui se prolonge à travers plusieurs maisons de la rue Petite-Fusterie jusqu'à Saint-Agricol. Là, on a reconnu un mur formant retour au Midi, sous l'église. Au delà du puits, on retrouve quatre arcades très bien conservées, dans le local des religieuses de St-Charles. Peut-être se prolongent-elles au delà ; la dénomination de rue des Grottes donnée à la rue qui conduit de la Madeleine à la porte du Rhône, et qui se trouve dans l'alignement des arcades, peut le faire supposer avec quelque raison. Au milieu de cette ligne, dans la maison Dumas, on remarque une colonne assez forte, qui se trouve engagée dans le mur des arcades. Cette colonne, cannelée et rudentée, a 0m 80 de diamètre, elle est unie à une plus petite, aussi cannelée, qui semble la pénétrer. Etait-ce le jambage d'une des portes d'entrée de l'hippodrome ? Dans la maison Chaussi, la margelle du puits, faite d'une frise ornée d'énormes feuilles d'acanthe, peut donner une idée de la décoration de ce monument. Les substructions se suivent sur une ligne droite de 200 mètres, et vont sans doute au delà ; mais elles sont enclavées dans les maisons. Cette ligne étant donnée, il est facile de déterminer la direction de l'autre face latérale et de la spina ... »
Quant à nous, adoptant cette opinion, nous réfuterons celles de Calvet et d'André Valadier. Le long mur en question est bâti en pierre de taille de grand appareil ; or, les Romains n'employaient pas cet appareil pour les murs de leurs villes. Ces remparts se composaient, ainsi que nous l'avons montré pour ceux d'Orange et d'Apt, d'un blocage intérieur de moellons reliés par un excellent mortier et revêtu, au dedans et au dehors, d'un parement en petit appareil. De plus, il n'est pas possible d'admettre qu'un mur d'enceinte eût été décoré de colonnes cannelées aux chapiteaux corinthiens et de frises aux élégants rinceaux ; cette riche ornementation ne convenait aucune-
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ment à une construction de ce genre (1). Cette dernière considération nous pouvons la faire valoir pour combattre l'hypothèse d'un aqueduc, et d'ailleurs, si les eaux étaient amenées, dans les villes antiques, au moyen d'aqueducs élevés sur des arcades et en suivant constamment la pente naturelle du sol, elles n'étaient pas distribuées, dans les différents quartiers, par de semblables constructions. En quittant le Castellum divisorium ou château d'eau, établi sur un des points culminants de la cité, elles se distribuaient au moyen de tuyaux en plomb enfouis dans le sol. A Avignon même on a trouvé des fragments de ces tuyaux. Or, étant donnée la direction de la pente du sol, il ne pourrait être ici question d'un aqueduc conduisant les eaux au point le plus élevé de la ville, qui est le Rocher (2).
Connaissant l'emplacement d'un des petits côtés du forum, celui du Midi, par la position de son portique et de l'établissement de bains qui s'y élevait ; connaissant aussi la situation du cirque et sa longueur, que nous supposons avoir été un peu moindre que celle du cirque d'Orange, soit moins de 400 mètres, nous savons, par voie de déduction, quels étaient l'emplacement et l'étendue de la place entière. N'oublions pas qu'il était de règle que le forum des villes antiques eût en longueur un tiers de plus qu'en largeur.
(1) Mais si cette série d'arcades ornées de colonnes cannelées, aux chapiteaux corinthiens, ne peut être considérée comme le mur d'enceinte de la ville antique, on peut due qu'elle en tenait lieu dans toute son étendue, du Nord au Midi : le rempart proprement dit ne commençant qu'au dessus et au dessous de l'hippodrome, le mur occidental de ce monument constituait donc, sur ce point, l'extrême limite de la ville.
(2) La Pise (Hist. d'Orange) avait pris aussi le mur occidental du cirque d'Orange pour le reste d'un aqueduc. On lit dans les Monuments antiques d'Orange, de Caristie, p. 78, note 4:
« Feu Labadie, architecte distingué, qui, en 1806 et 1807, a étudié et dessiné partie des monuments du Midi de la France, a remarqué que ce mur n'avait de parement qu'à l'extérieur et qu'en conséquence ces restes antiques n'avaient pu appartenir à un aqueduc, ainsi que l'a supposé J. de la Pise. »
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Tenant compte de toutes ces données, nous pouvons avancer que celui d'Avignon s'étendait, dans le premier sens, depuis le mur méridional de l'Hôtel-de- Ville jusque vers le milieu de la rue des Grottes, et, dans le second, depuis la moitié de l'Hôtel-de-Ville jusqu'à l'entrée de la rue qui mène au palais archiépiscopal. Comme les autres, ce forum était orné de statues. C'est là que devait figurer celle de Julie Drusille, soeur de Caligula, qui avait été mise, après sa mort, au rang des déesses. Une portion de son piédestal en marbre, portant à peu près intacte l'inscription dédicatoire, servait naguère de degré dans une chapelle de la Métropole. On y lit : Julioe Drusilloe, Germanici Coesaris filioe, Tiberius parenti, numinis honore delato, posuit. C'est-à-dire : « A Julie Drusille, fille de Germanicus César, Tibère à sa mère, élevée au rang de déesse, a dédié cette statue ». « Que la pierre, dit M. Allmer, dans le commentaire dont il a fait suivre cette inscription, ait appartenu au piédestal d'une statue de Drusille, il n'y a pas à en douter ; mais par qui a été faite la dédicace ? déjà la circonstance que l'auteur ne se désigne que par le simple prénom de Tiberius vient démontrer que ce n'est pas une personne privée. Or, parmi les membres de la famille impériale, je n'en sais aucun autre que Claude, plus tard empereur, dont il puisse être ici question. C'est toutefois une chose surprenante, même en prenant le mot dans son acception la plus large, que Claude, oncle de Drusille, ait donné à celle-ci la qualification de parens ; mais il ne faut pas oublier que la dédicace s'adresse à la soeur déifiée d'un empereur, et qu'alors l'indication du rapport réel de parenté eût pu être considérée comme un manquement au respect dû par tous à la nouvelle déesse. Au témoignage de Dion Cassius, des dédicaces à Drusille furent faites dans un grand nombre de villes. On peut supposer le monument d'Avignon élevé à l'époque où Claude, député en Germanie, auprès de Ca-
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ligula, à l'occasion de la découverte du complot de Gétulicus, traversa la Gaule vers la fin de l'an 39 » (1).
A l'exemple des autres grandes villes de la région, Avignon dut être pourvue pour son alimentation et ses divers usages, de belles eaux de source. Un des premiers soins des Romains était de procurer de la bonne eau à leurs villes. Or, la source qui, dans les environs, pouvait le mieux satisfaire à ses besoins était celle de Vaucluse. Si, conformément à la tradition appuyée sur des traces de l'ancien aqueduc, une partie de ces eaux avait été conduite jusqu'à Arles, il ne serait pas étonnant, étant donné le débit extraordinaire de cette magnifique fontaine (16,000 litres à la seconde), qu'Avignon en eût bénéficiée. Cette eau aurait pu être amenée jusqu'au couchant des collines de Morières à Bonpas, où nous avons constaté sur leur revers occidental, non loin de la ferme de Coupine, les restes d'un aqueduc romain (2) ; et de là, le canal se bifurquant, et l'un des deux se dirigeant vers Arles, par Bonpas, l'autre pouvait suivre, en sens inverse, le flanc de la
(1) Rev. épigr, t. I, p. 316.
V. aussi Hirschfeld, Inscriptiones, t XII, p 132, n° 1026. Peut-être aussi provenait d'une statue du forum la tête d'empereur, de Drusus le jeune, suivant M. Deloye, qui fut trouvée en 1845 sous l'Hôtelde-Ville. On lit dans le Catalogue des antiquités du musée, p 210, sous la rubrique Statues, bustes et têtes, n° 165 :
« Tête de marbre qui ressemble à Auguste. « Cette tête, qui est évidemment un portrait, est pleine de sentiment et d'une grande vérité d'imitation ; elle a été trouvée à Avignon, en 1845; en creusant les fondements de l'Hôtel-de-Ville.
« Haut, 0 m. 25 Il est fâcheux que le cou, une partie du derrière de la tête et le bout du nez manquent.
« Cette tête a été vendue au musée par un manoeuvre qui l'avait soustraite à la vigilance des entrepreneurs, mais à force de promesses de garder le silence, il a avoué le fait.
« Acquis en 1846 »
On lit en marge, de l'écriture de M. Deloye :
« Drusus le jeune. »
(2) V dans les Mémoires de lAcadémie de Vaucluse, 1891, p 56, notre article intitulé Caumont, Bonpas, l'aqueduc de Vaucluse à Arles.
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même chaîne, et parvenir à Avignon, en passant par Morières, Vedènes et le Pontet. Les restes d'aqueduc romain qu'au dire de Mérimée et de quelques auteurs locaux, on voyait, au commencement de ce siècle, près du château de Fargues, au Pontet, et qui portaient la dénomination vulgaire de murs des Sarrasins, auraient été, dans ce cas, le dernier vestige de ce canal (1). Voici comment en a parlé Calvet, au tome II de ses Manuscrits, fol. 353 : « Sur le chemin de Carpentras, à un quart de lieue d'Avignon, on voyait encore, l'année dernière, les fondements de plusieurs anciens murs, placés à distances égales. A quelques pas de là, on trouvait les restes d'une grande muraille, dont la position était à angles droits par rapport aux autres. Toutes ces bâtisses ont été démolies depuis peu pour construire le grand chemin latéral. » L'eau de Vaucluse serait entrée dans Avignon par le Nord-Est, serait parvenue jusqu'au château d'eau établi sur le Rocher (2), et de là, aurait été distribuée, au moyen de tuyaux en plomb, dans tous les quartiers de la ville. De Vaucluse au Rocher, conformément au tracé que nous avons indiqué, l'aqueduc aurait suivi la pente naturelle du sol : alors que la fontaine est à 99 mètres d'altitude, le Rocher n'atteint que 55 mètres.
On a trouvé, sous le sol d'Avignon, quelques fragments des tuyaux en plomb qui ont servi à la distribution de l'eau dans la ville. C'est ainsi que nous lisons dans les Annales
(1) De Cambis-Velleron, Annales d'Avignon, manuscrites, t. I, fol 284 verso ; Guérin, Panorama d'Avignon, p. 135 ; Mérimée, Notes d'un voyageur dans le Midi de la France, p. 132 et suiv.
(2) « J'ay vu, dit Calvet, vis à-vis du bac à traille, au petit bras du Rhône, sur le Rocher, un beau pan de muraille antique, qui fut démoli en 1754. On trouva, au même endroit, en enlevant les terres, un bâtiment antique quarré, sans fenêtres et sans ouverture, fait de pierres énormes, à à peu près de deux toises en tous sens. » (Man., t. II, fol. 353 )
On pourrait peut-être voir dans cette dernière construction le castellum ou château d'eau, d'où les eaux étaient distribuées par des tuyaux en plomb dans les differents quartiers de la ville.
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d'Avignon de Cambis-Velleron, tome I, fol. 16 verso: « On trouva, en creusant dans la maison de M. Billioti, un canal de plomb avec cette inscription : Q.LICINIVS. PATERNVS ». Ces noms étaient ceux du fabricant du tuyau. Un autre tuyau de plomb, avec estampille de fabrique fut découvert près de l'église St-Agricol, dans la cave de la maison Violanda. Il s'agissait dans celle-ci d'un Titus Flavius Silvinus ou Silvius, car elle a été reproduite un peu différemment par Romyeu et Valladier, qui l'ont relatée dans leurs manuscrits (1). On lit, d'autre part, dans les Manuscrits de Calvet, tome II, fol. 351 : « Chez M. Rousset, marchand drapier, près de la Juiverie, maison à gauche, en allant vers la petite porte de St-Genest, on trouva un tuyau de plomb, dont la direction était à peu près parallèle à la rue des Boucheries. Il était court, mais gros. Il fut vendu 100 fr. »
Dans ses Inscriptiones antiquoe, tome I, page 93, n° 10, Gruter a publié une inscription qui, suivant lui et les auteurs locaux qui l'ont reproduite, aurait été trouvée aux bains d'Avignon. On lit dans le recueil de Gruter, audessus de ce texte lapidaire : « Ad balnea Avenionis, in agro Senensi. » Mais outre que l'inscription paraît apocryphe, étant mal rédigée, au point de vue épigraphique, elle aurait été découverte, si l'on tient compte de la note, « in agro Senensi », c'est-à-dire sur le territoire de Sienne, en Toscane, aux bains d'une localité, dont le nom pouvait
(1) Valladier ayant incomplètement mentionné la découverte de cette inscription et n'ayant pas parle du tuyau de plomb sur lequel elle figurait, Calvet a cru qu'elle existait sur les murs de l'ancien hippodrome, et il déclare au tome II de ses Manuscrits, fol. 352 verso, qu'il n'a jamais pu la découvrir, « quoyque, dit-il mal à propos, l'indication que l'auteur en donne soit très précise »
Tous les doutes ont disparu devant les indications de Romyeu, qui a completé celles de Valladier et a dit expressément : « Tubus plombeus repertus Avennione, anno 1578, in cella prope S. Agricolum » (V. les Inscriptiones d'Hirschfeld, t. XII, p. 800, au mot : Fistulae plombeae n° 5701, II.)
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avoir de l'analogie avec celui d'Avignon, mais qui a dû être dénaturé. Il y a là ou des erreurs de rédaction ou plutôt quelque invention de faussaire, à laquelle les auteurs n'ont pas pris garde.
On a mis quelquefois à découvert les anciens égouts d'Avignon. Ces égouts avaient été établis conformément aux trois pentes qui partent du pied du Rocher et sur lesquelles était bâtie la ville antique. Une de ces pentes se dirige vers le Nord-Est ; une autre, vers le Sud-Ouest ; la troisième enfin, vers le Sud-Est.
On lit dans les Manuscrits de Calvet, tome II, fol. 353 verso, à propos d'une arcade de l'hippodrome antique qui se voyait au fond d'une maison ayant appartenu à M. Saignon, rue Grande-Fusterie : «... Le mur de cette grotte porte un conduit antique en grosses pierres. Le Rhône y coulait au bas. Un homme pourrait entrer dans cette espèce de canal de dégorgement. On trouva dernièrement dans une maison, en descendant du Palais, près
de St-Pierre, appartenant à M. Tournel, un conduit de
même grandeur, de même forme et bâti avec les mêmes pierres, lequel s'est retrouvé dans quelques maisons, près de St-Pierre et au-delà. Ce conduit allait se dégorger dans le Rhône. Il serait possible que le canal de la grotte de M. Saignon fût une continuation de celui-ci. » Nous ne supposerons pas avec Calvet que l'égout trouvé sous plusieurs maisons du quartier de St-Pierre ait pu être la continuation de celui observé rue Grande-Fusterie : la disposition naturelle des lieux s'y oppose absolument ; ces égouts, appartenant à deux déclivités inverses, étaient tout à fait indépendants l'un de l'autre. Les faits constatés à la hauteur du Palais des Papes se reproduisent plus bas et conformément à la double inclinaison du sol. Nous savons, pour l'avoir lu dans les historiens avignonais et pour en avoir entendu parler, qu'un égout antique existe sous la
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rue St-Agricol (1). Un autre fut mis à découvert, il y a quelques années, sous la maison de M. Chauvet, pharmacien, rue des Marchands. Voici les renseignements que nous tenons de M. Genellat, entrepreneur de travaux : en 1873, sous la maison de M. Chauvet, pharmacien, rue des Marchands, on trouva, à 4 mètres de profondeur, une grande dalle ayant sans doute fait partie d'un pavé d'appartement, puis à 1 mètre au-dessous, soit en tout 5 mètres, un égout, de construction romaine, parfaitement conservé, bâti en grand appareil, admirablement joint à la manière antique et sans trace de mortier. De grandes dalles, posées à plat, en formaient la voûte. Cet égout, qui avait 1 mètre de hauteur sur 1 mètre de largeur, devait, en remontant la rue des Marchands, se continuer sous cette rue, la traverser en écharpe, à peu près à la hauteur de la maison Sandoz, et aboutir vers le milieu de la place de l'Horloge.
Enfin, on peut signaler, dans le sens de la troisième pente, celle du Sud-Est, une portion d'égout qui fut découverte, en 1763, rue Bancasse, sous la maison de l'abbé Martin (2).
Nous avons montré plus haut que trois portes du rempart romain donnaient accès, au sortir d'Avignon, à trois importantes voies : à la voie de Lyon, par la porte du NordEst ou Porte de Lyon, Porta Lugdunensis; à la voie d'Arles et d'Italie, par la porte du Sud-Est ou Porte de Rome, Porta Romana; enfin, à la voie de Nîmes, par la porte de l'Ouest ou Porte de Nîmes, Porta Nemausensis. Toutes ces voies
(1) En qualifiant faussement d'aqueduc ce qui n'était qu'un égout, Chaillot a mentionné ce fait dans son Précis de l'histoire d'Avignon, p. 22.
Remarquons, en effet, que les aqueducs, ou mieux l'aqueduc qui amenait à Avignon de l'eau de source, était apparent et non souterrain comme les égouts, et qu'il n'aurait pu, dans ce dernier cas, conduire l'eau jusque sur le Rocher.
(2) V Chambaud, Statist. monum de Vaucluse, Man., p. 147.
Chambaud dit bien que c'est une partie d'aqueduc qu'on découvrit au lieu et à la date indiqués, mais c'est plutôt un égout qu'il aurait fallu y voir.
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partaient du forum comme d'un centre commun. Dans chaque ville, le forum était leur point de départ. A Rome, tous les grands chemins de l'empire partaient du milliaire doré placé sur le forum, au coin de la tribune aux harangues (1). Lorsqu'on sortait d'Avignon par la Porta Romana, on voyait s'élever, de chaque côté de la voie, les tombeaux de sa nécropole. Ce qui prouve que le cimetière romain était là, c'est que les découvertes funéraires faites à Avignon l'ont été de ce côté seulement. En 1853, lorsqu'on fit des travaux de terrassement sur l'emplacement de l'ancien parc du couvent des Célestins, pour l'installation du pénitencier militaire, on mit à découvert un grand nombre d'urnes cinéraires. Ainsi que l'indique l'usage de la crémation, qui n'a guère dépassé le second siècle, ces sépultures appartenaient à un cimetière gallo-romain du HautEmpire. Plusieurs de ces urnes furent déposées au musée Calvet (2). La nécropole avignonaise, qui devait commencer bien avant le couvent des Célestins, se continuait aussi bien après, le long de la voie. C'est conformément au tracé de l'impasse, située au couchant du pénitencier militaire, et du chemin de Monclar, qui y fait suite, que la voie romaine se dirigeait vers la Durance. Lors de l'établissement du chemin de fer et de la gare d'Avignon, en 1848, on mit au jour quatre urnes cinéraires en pierre, dont trois rondes et une carrée (3). En 1866, quand on installa, un peu plus
(1) Conformément à la règle adoptée à Rome, le forum placé vers le milieu des villes de l'Empire, était le centre du mouvement et des affaires ; les grandes voies s'y rendaient et en partaient. A Nîmes, par exemple, nous voyons que la voie Domitia, en venant d'Espagne, pénétrait en ville par la porte de ce nom, conduisait au forum, à l'endroit même ou s'élève la Maison Carrée, et ressortait ensuite de la ville par la porte dite aujourd'hui d'Auguste, pour se diriger vers Beaucaire.
(2) Catalogue des Antiquités du musée Calvet, p 432 et suiv
(3) Ces urnes cinéraires en pierre ont été très mal désignées sous la dénomination d'auges de pierre, au Catalogue des antiquités du Musée Calvet, où on lit à la p. 207, n° 131 :
« Quatre tombeaux ou auges de pierre, dont trois de forme circulaire, ayant chacun leur couvercle, l'autre carré, sans couvercle Ils ont été dé-
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loin, les machines pour fournir l'eau aux fontaines de la ville parmi beaucoup de débris de sépultures de la même époque, on trouva une statue de femme en pierre, de grandeur naturelle, qui devait surmonter un tombeau. On n'a pu en conserver que la tête, qui a été transportée au musée. Le cimetière gallo-romain d'Avignon ne s'étendait pas seulement en longueur, au bord de la voie romaine, mais aussi en largeur, à droite et à gauche de son tracé. C'est ainsi qu'on peut expliquer la découverte qui fut faite en 1885, dans le jardin de M. Vaison, situé sur le boulevard St-Michel, à cinq cents mètres environ au levant du chemin de Monclar, d'une borne d'emplacement funéraire (1), et en 1624, dans l'ancien noviciat des Jésuites, devenu aujourd'hui l'Hospice St-Louis, à cinq cents mètres du même chemin, du côté opposé, d'un tombeau d'enfant, d'urnes cinéraires, de lampes sépulcrales et de fioles dites lacrymatoires (2).
Il s'est produit pour le cimetière gallo-romain d'Avignon ce qui se passa pour les Aliscamps d'Arles : l'antique nécropole, où l'on enterrait de temps immémorial, garda longtemps encore son affectation, et, au moyen âge, une partie de ces terrains devint le cimetière de St-Michel, ou de son nom vulgaire, le Cimetière des pauvres. C'est là qu'en 1387, conformément au désir qu'il en avait exprimé dans son testament, fut inhumé saint Pierre de Luxembourg.
Dans l'antiquité, pendant tout le moyen âge et jusqu'à nos temps modernes, pour aller d'Avignon à Nîmes, on traversait le Rhône à l'endroit où fut construit, à la fin du XIIe siècle, le célèbre pont de Saint-Bénézet. Cela s'explique par la situation de la vieille ville qui, depuis les temps
terrés près d'Avignon, en creusant pour le chemin de fer de Marseille, en 1848.
« Haut. 0,21, à 0,31.
« Donné par M. Praslon, directeur des travaux du chemin de fer de Marseille, en 1849 »
(1) Mém de l'Acad. de Vaucl, 1885, p. 129. aux procès-verbaux.
(2) De Cambis-Velleron, Annales d'Avignon, Man, t. I, fol. 16 verso.
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antiques, n'avait pas changé de place ; plus tard, lorsqu'elle s'est écartée du Rocher et s'est développée plus au Midi, la circulation s'est déplacée et aussi le point où s'est effectué le passage. Il est bon d'ajouter que l'écroulement d'une partie du pont, lors de l'inondation de 1669, et que son défaut de réfection, n'ont pas été étrangers à ce déplacement. L'ancienne voie qui faisait suite à la traversée du Rhône, en cet endroit, sur la rive droite du fleuve, existe encore ; qu'il nous soit permis d'en indiquer très sommairement le tracé.
Elle gravissait sur cette rive le rocher sur lequel s'est bâti le plus ancien quartier de Villeneuve, dit de la Tour, parvenait, par la Belle-Croix, au pied des collines du Montagner, inclinait ensuite a gauche, pour longer le bord méridional de l'étang de Rochefort, où la route moderne a" adopté son tracé; à partir de l'ancienne Bégude de M. Limasset, et, après avoir passé au village de Saze, débouchait sur le plateau de Signargues. Là elle se confondait avec une autre voie secondaire venant de Rochefort, parvenait au Gardon, à Remoulins, où elle se raccordait avec la voie desservant la rive droite du Rhône et se dirigeait sur Nîmes, en passant par Sernhac, Bezouce et Marguerittes. Dans divers actes des archives de Villeneuve-lezAvignon, comprenant la période de 1401 à 1788, cette voie est dénommée Chemin de Nîmes ou Chemin de Languedoc. Si Louis de Pérussis, dans ses Mémoires, la désigne sous le nom de Chemin d'Espagne à Rome, c'est qu'en effet, en passant à Nîmes, elle venait d'Espagne en suivant le tracé de l'antique voie Domitienne, et que d'Avignon elle gagnait l'Italie par une ancienne voie très directe, qui n'est autre que la vieille route de Caumont, et au delà de ce village, par le chemin vicinal, encore dénommé Camin Roumiéu ou chemin romain, se reliant à la tour de Sabran, avec l'importante voie des Alpes Cottiennes (1).
(1) Conformément à un usage généralement pratiqué en France, au moyen âge, on éleva, le long des routes, des hospitia ou maisons de refuge
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Mais comment, dans l'antiquité, pour passer d'une rive à l'autre, du pays des Cavares à celui des Volques Arécomiques, traversait-on le Rhône en face d'Avignon ? Y avaitil un simple bac, y avait-il un pont?
« Nous serions tenté de croire, avons-nous dit dans une précédente étude, que les Romains, qui étaient de très habiles constructeurs, n'ont pas été aussi avares de ponts en pierre que certains archéologues le pensent... Beaucoup ont complètement disparu, emportés par les eaux, au moment des fortes crues, ou même détruits par l'homme, en effectuant des travaux de viabilité moderne. D'autres, dont
pour les pèlerins et les voyageurs pauvres. Un des moyens de retrouver les voies romaines consiste à rechercher dans les vieux titres l'emplacement de ces pieux asiles. Un archiviste de Lyon, M. C Guigue, a pu, il y a quelques années, reconstituer le réseau des voies romaines du Lyonnais, en faisant le relevé des hospitia qui y avaient été construits au moyen âge, (Les voies antiques du Lyonnais déterminées par les hôpitaux du moyen âge, Lyon, lib Georges), et il a remarqué que « c'étaient les Confrères du St-Esprit qui en faisaient conjointement avec l'oeuvre des ponts sur les fleuves, les rivières et les ruisseaux, l'objectif préferé de leurs aumônes et de leurs largesses »
C'est pour obéir à cet usage, qu'à Avignon, la confrérie du St-Esprit, dirigée par saint Bénézet, fonda, à la tête du pont qu'elle construisit, un hospitium qui prit, comme le pont, le nom de son fondateur. Les bâtiments de cet asile fuient démolis par le pape Clément VI, pour faire commencer le mur d'enceinte de la ville. Ils furent ensuite réedifiés dans de plus vastes proportions et tels qu'on les voit encore aujourd'hui, par le cardinal Audoin-Aubert, évêque d'Ostre et neveu d'Innocent VI. Près de l'entrée du pont St-Benézet, du côté du Languedoc, existait pareillement un ancien hospitium, du nom de St-Jacques. Au XVIIe siè cle, on fit démolir ce qui restait de cet établissement, dans les ruines duquel se retiraient, la nuit les vagabonds (V. aux Archives de Villeneuvelez-Avignon, le registre BBC).
Dans Vaucluse, outre le pont St-Bénézet et les hospitia qui en occupaient les extrémités, on a jusqu'à présent, constaté l'existence de pareils établissements sur deux autres points, situés aussi sur le passage d'anciennes voies romaines : à Bonpas et à St-Pierre-de Vassols (V , dans les Mém. de l'Acad. de Vaucl., 1886. p. 2, un article de M l'abbé Gayet sur la Chartreuse de Bonpas; notre travail sur Caumont et Bonpas, ibidem 1891, p. 56 ; l'Histoire de St Pierre-de-Vassols, par M. l'abbé Constantin, et Les Hospitaliers du pont St-Esprit à St-Pierre-de-Vassols, par M C. BruguierRoure).
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les débris sont recouverts par les alluvions, n'ont pas laissé de traces apparentes. Avec le temps et des recherches consciencieuses, des restes de ponts, ignorés jusqu'à ce jour, se découvriront certainement. Sur le Rhône notamment, dont le large lit et le cours impétueux devaient rendre l'établissement de ces sortes d'ouvrages plus coûteux et plus difficile, nous inclinerions à penser que les ponts de pierre ont été plus nombreux qu'on ne serait tout d'abord porté à le croire (1). »
Il est d'ores et déjà certain que, dès l'antiquité, il a existé des ponts de pierre sur le Rhône, comme il en a existé sur le Danube et sur le Rhin, c'est-à-dire sur les fleuves les plus larges, les plus profonds et les plus rapides ; mais disons tout de suite que les Romains n'en ont bâti, surtout sur le Rhône, que lorsqu'ils pouvaient les asseoir sur le rocher, ou du moins dans les endroits profonds, sur un fond assez ferme pour pouvoir lutter avec avantage contre le courant si redoutable de ce fleuve (2). Quand ils l'ont qualifié de impatiens pontis, ils n'ont pas voulu dire que sa rapidité les avait empêchés d'y jeter des ponts, mais qu'il les emportait souvent et qu'il était nécessaire de les établir dans de sérieuses conditions de stabilité.
Le pont magnifique que Trajan fit construire sur le Danube était en bois, mais reposait sur vingt piles en maçonnerie, et sa longueur totale était d'un mille environ,
(1) Étude sur la Viabilité romaine dans le dép. de Vaucluse, p. 38.
(2) Remarquons, en effet, avec Viollet-le-Duc, (Dict. de l'Architecture, au mot Pont), que toutes les fois que les Romains l'ont pu, ils ont assis leurs ponts sur le rocher. A titre d'exemples, nous citerons, outre celui de Vienne, aujourd'hui disparu, le pont de Vaison, le pont Julien, près d'Apt, l'aqueduc en forme de pont vulgairement dénommé Pont du Gard, et le pont de St-Chamas.
S'ils ne négligeaient pas ces conditions de solidité, lorsqu'il s'agissait de bâtir sur des cours d'eau de peu d'importance, comme l'Ouvèze, le Calavon, le Gardon et la Touloubre, à plus forte raison devaient-ils y avoir recours, lorsqu'ils voulaient bâtir sur des fleuves impétueux comme le Rhône.
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c'est-à-dire de près d'un kilomètre et demi. » C'était, dit de Caumont, le plus remarquable que les Romains eussent construit, et le plus colossal peut-être qui ait jamais été élevé dans aucun pays (1). » Sur le Rhin, il existait un pont de pierre en face de Cologne, et un autre en face de Mayence. Leurs piles ont été vues à certaines époques où les eaux de ce fleuve étaient très basses (2).
Sur le grand Rhône, en face d'Arles, il n'y avait qu'un pont de bateaux, pons navalis, faisant communiquer la ville de la rive gauche avec celle de la rive droite (3). Si les Romains n'y avaient pas construit un pont en pierre, c'est probablement que, le Rhône étant très profond en cet endroit, ils n'avaient pu trouver dans son lit un fond de rocher ou de terre assez ferme pour compenser la profondeur et en asseoir solidement les piles. Sur le petit Rhône, dont le lit était moins profond et plus résistant, il existait un pont en maçonnerie. Les bases de ses piles ont été vues à plusieurs reprises, alors que les eaux très basses les ont mises à découvert (4). Le Rhône dut le renverser de bonne heure, puisque, dès l'an 508, il avait été rem(1)
rem(1) Caumont, Abécédaire d'archéologie, Ere gallo-romaine, p. 99, en note.
(2) Id., ibid, p. 103.
(3) Il résulte des indications qui nous sont fournies par Ausone (Clar. urb , VIII) que ce pont de bateaux, pons navalis, était d'une magnifique structure et très large, puisqu'on y avait établi une place et un marché. Ce pont s'appuyait de chaque côté sur des culées en maçonnerie doit on voit encore les débris et qui s'avançaient au loin dans le fleuve, comme le font supposer les restes d'une chaussée dont on a retrouvé les vestiges.
(4) Voir dans le Congrès archéologique d'Arles de 1876, p. 484, une étude de M. A. Véran, sur Les Voies romaines de l'arrondissement d'Arles.
On lit dans ce travail, à la page 83 du volume susindiqué, qu'outre le pont de bateaux et le pont de pierre, il en existait un troisième sur une autre petite branche du Rhône, à Bellegarde, où aboutissait une bifurcation de la voie Domitienne, et où était placée la Mutatio ponte aerario. C'était le pons aerarius, ainsi appelé sans doute d'un péage que payaient les voyageurs à son entrée. On suppose qu'il était en pierre, comme celui du petit Rhône.
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placé par un pont de bois (1). En face de Vienne, un pont antique en pierre, emporté seulement en 1407 par une crue extraordinaire du Rhône, en reliait les deux rives. Comme à Arles, une partie de la ville romaine était assise sur la rive droite, à la place où s'élève le faubourg de Ste-Colombe. Bien que le fleuve y soit très profond, il existe des bancs de rocher sur lesquels les piles du pont avaient été appuyées (2).
D'autres ponts de pierre ont été bâtis anciennement sur le Rhône, qui ont depuis longtemps disparu. Seules, les vieilles chartes nous révèlent quelquefois leur préexistence. Il y a eu un pont sur le Rhône, à la hauteur d'Avignon, bien avant celui de St-Bénézet ; son existence est démontrée premièrement par les titres :
Dans l'Histoire de l'abbaye bénédictine de St-André, par dom Chantelou, figure une charte de 1075, dans laquelle Raymond, comte de Toulouse, donne à ce monastère le mont Andaon, sur lequel il est construit, et tous les terrains environnants. Ces terrains, y est-il dit, sont limités, du levant, par le pont du Rhône : « Dono et trado in perpetuum... totum territorium quod terminatur a parte orientis, ab ipso ponte per ripam Rodani usque ad lonas Martinas » (3).
Dans une autre charte faisant partie du cartulaire de St-Victor de Marseille, de 1094, Raymond Decan et plusieurs autres seigneurs, riverains du Rhône, donnent à
(1) Cassiodore, à propos du siège d'Arles par Clovis et les Bourguignons, en 508, parle « d'un pont de bois sur lequel on passe les deux bras du Rhône. »
(2) Chorier, Recherches sur les antiquités de la ville de Vienne, 1658, p 105; de Caumont, Abécédaire, Ere gall. rom., p. 102.
(3) Voir, à la bibliothèque d'Avignon, manuscrit n° 2401, Historia monasterii S. Andreoe, secus Avenionem, auctore Domno Claudio Chantelou, monacho presbytero congregationis S. Mauri, ex ipsius autographo transcripta, 1714, fol. 7. Ce manuscrit d'Avignon n'est, comme on le voit par son titre, que la copie du manuscrit original de dom Chantelou, qui est conservé à la bibliothèque nationale, fonds St-Germain, latin.
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ce monastère tous les péages qu'ils perçoivent sur les bateaux qui montent ou descendent sur le fleuve, et lui, Raymond Decan lui donne spécialement le péage qu'il perçoit sur le pont du Rhône : « Raymundus Decanus quidquid usus abere videtur et accipere in ponte condonat similiter » (1).
Il y avait donc, cela n'est pas douteux, un pont sur le Rhône, en face d'Avignon, juste un siècle avant que saint Bénézet ne commençât la construction de celui qui prit son nom. Il faut croire qu'il avait été emporté depuis longtemps, puisqu'il n'en est pas question, lors de l'établissement de celui-ci. Mais ce pont était-il en pierre et remontait-il à l'époque romaine ?
Suivant nous, on constate, au pont St-Bénézet, les vestiges de constructions de trois époques différentes :
1° Un reste de culée qui a tout à fait l'aspect d'une construction romaine. Non seulement cette culée diffère des autres par l'appareil, mais elle appartenait à un pont qui n'avait pas été bâti dans l'axe des deux autres. Nous sommes le seul, jusqu'à ce jour, à avoir signalé ce reste de culée ; nous en avons parlé dans notre Étude sur la viabilité romaine dans le département de Vaucluse, et nous y reviendrons aujourd'hui avec plus de détails et de précision.
2° Les bases de trois culées, que nous considérons, ainsi que les piles sur lesquelles elles reposent, comme les seuls vestiges du pont construit par saint Bénézet, à la fin du XIIe siècle (2).
3° Les quatre arches du pont actuel, en forme d'ellipse, avec revêtement en petit appareil, bâties bien postérieurement, ainsi que cela ressort du style du choeur de la cha(1)
cha(1) de l'abbaye de St-Victor de Marseille, publié par M. Guérard, membre de l'Institut de France, avec la collaboration de MM. Marion et Délisle, 1857, t. II, p. 25, n° 686.
(2) « Commencé en 1178, dit M. Viollet-Le-Duc, dans son Dictionnaire de l architecture, au mot Pont, il était achevé en 1188. »
M. Révoil, le savant architecte diocésain de Nîmes, qui, avec tous ceux
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pelle qui a été ménagée au-dessus de celle de St-Bénézet, à la hauteur du nouveau pont, et du style du châtelet, à l'entrée du même pont (1).
Les bases des trois culées, dont nous parlons dans notre secundo, sont assises deux au pied et de chaque côté de la première pile, au-dessous de la chapelle de St-Bénézet, et la troisième, au pied et d'un seul côté de la deuxième pile. L'appareil de ces culées mesure de 1 m. à 1 m. 24 de long, sur 0 m. 40 de haut. Elles sont couvertes de signes de tâcherons. Notre collègue et ami, M. Niel, architecte, a bien voulu en dessiner pour nous un certain nombre. Ce sont des A barrés au sommet, des croix, des marteaux, des H, des T renversés, des triangles, des Y, etc. (2).
qui, jusqu'à ce jour, s'étaient occupés du pont St-Bénézet, considère les quatre arches subsistantes comme un reste de ce pont, croit qu'il faut voir dans les bases des trois culées en question un dernier vestige d'un pont carolingien. Cette opinion a été combattue, au congrès archéologique d'Avignon, en 1882, par M. L. Palustre, qui a cherché, croyons-nous avec raison, à faire prévaloir la sienne. Nous la partageons entièrement, et c'est celle que nous exposons ici. (V. le volume du Congrès archéologique d'Avignon, de 1882).
(1) M. Viollet-Le-Duc a dit, dans son Dictionnaire, sur le mode de construction de ces quatre arches, qu'il croyait avec plusieurs auteurs l'oeuvre de saint Bénézet :
« Les arches sont construites au moyen de quatre rangées de claveaux, de 70 centimètres de hauteur, juxtaposés. Ce sont de véritables arcs doubleaux parfaitement appareillés, dont les lits se suivent, mais qui ne se liaisonnent point entre eux. Ils ne sont rendus solidaires que par le massif de maçonnerie qui les surmonte et les charge. Il est à croire, que les maîtres pontifes avaient voulu en cela copier un monument romain assez voisin, l'aqueduc du Gard, dont les arches maîtresses sont construites suivant ce système....
« Les arches ne sont pas tracées suivant un arc de cercle, mais forment une ellipse, ainsi que le montre la figure, obtenue au moyen de trois centres. C'était un moyen de donner plus de puissance aux reins des arcs et de permettre l'établissement des trompes avec escaliers....
« Toute la construction du pont sauf les revêtements des éperons et les arches, est faite en très petit appareil, assez semblable à celui qui revêt les tympans de l'étage supérieur de l'aqueduc du Gard.»
(2) Notre excellent collègue de l'Académie de Vaucluse, M. Niel, architecte, a bien voulu nous accompagner, dans une de nos visites au pont
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MEMOIRES
On sait qu'au moyen âge chaque ouvrier marquait d'un signe particulier les pierres qu'il taillait, de façon à se faire payer, à la fin de la journée, le travail par lui effectué (1).
Les piles contre lesquelles ont été appuyées ces culées, et qui appartiennent également à l'ancien pont St-Bénézet, avaient leurs pierres de revêtement taillées en bossage. On peut en juger par celui de la première pile, celle sur laquelle est assise la chapelle de St-Bénézet ; l'avant-bec de cette pile a conservé une partie de son revêtement primitif; celui des deux autres piles a été complètement refait à une époque moderne.
La vieille chapelle romane, c'est-à-dire la chapelle inférieure, appartient bien, par son style, au XIIe siècle ; c'est celle que saint Bénézet fit construire en même temps que son pont, et qu'il plaça sous l'invocation de saint Nicolas de Mire, patron des mariniers. Elle ne prit le nom de saint Bénézet, que depuis que le constructeur du pont y eut été enseveli, en 1184. Cette chapelle était au niveau du pont, dont il ne subsiste plus que les trois culées précédemment étudiées, de façon que, de son tablier, on pouvait entrer directement dans la chapelle, parla porte principale existant sur la façade et aussi par la petite porte latérale. En examinant cette partie de l'édicule, on reconnaîtra sans peine, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur, les traces de l'ancienne entrée, contre laquelle a été appliqué plus tard le
St-Bénézet, et prendre la peine, en mesurant l'appareil de ces anciennes culées, de dessiner les marques de tâcherons qu'on y remarque. Il a constaté avec nous la direction oblique de la culée du bord du Rhône, par rapport aux autres constructions du pont St-Bénézet, culée, considérée par nous comme étant de construction romaine.
(1) Les remparts d'Avignon, de l'époque des papes, sont pareillement couverts de marques de tâcherons , ces remparts ayant été construits bien après le pont St-Bénézet, les signes qu'on y voit diffèrent de ceux du pont. M. Maire, bibliothécaire à la Sorbonne et membre correspondant de l'Académie de Vaucluse, a publié dans le Bulletin monumental une intéressante étude sur les marques de tâcherons des remparts d'Avignon.
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pont actuel. On y aperçoit, à moitié masquées par la construction faite ultérieurement, les colonnettes romanes qui en flanquaient les angles. On n'y accéda plus, en dernier lieu, que par la petite porte latérale, où conduit un petit escalier en encorbellement appuyé contre le nouveau pont. Les quatre arches subsistantes n'appartiennent donc pas au pont primitif, mais ont été construites bien postérieurement. Elles sont, en effet, à un niveau très supérieur à la première chapelle et par suite au premier pont. Ces arches n'étant plus à la hauteur de la vieille chapelle romane, on en a ménagé une nouvelle sur l'ancienne en la coupant dans sa hauteur, au moyen d'un plancher et en surélevant son abside, et c'est devant cette deuxième chapelle qu'a été établi le tablier du nouveau pont. Le choeur de cette chapelle, les quatre arches dont il est question, et le châtelet qui est à la tête du pont, n'appartiennent pas au style roman et ne procèdent pas du plein cintre, comme la chapelle inférieure et très certainement le pont qui l'accompagnait, mais bien, au style gothique, dont ils reproduisent l'arc en tiers-point. Ils fixent donc par eux-mêmes l'époque de leur construction, qui ne peut être antérieure au XIIIe siècle. On sait que le style gothique n'a commencé à être appliqué, dans nos provinces du Midi de la France, que vers la fin de cette époque. Dans une excellente brochure de 23 pages sur Le Pont d'Avignon, avec planches à l'appui, M. Bouvet, architecte à Nevers, a très justetement soutenu et développé cette thèse (1).
(1) « Nous disons donc, conclut M. Bouvet, à la p. 15 de sa brochure : ou bien l'oeuvre de Bénézet est le pont actuel, dans ce cas la chapelle n'est pas de lui, et le pont a été construit sur les ruines d'un pont plus ancien ; ou bien la chapelle est son oeuvre, et le pont actuel est l'oeuvre d'un autre Notre opinion est que la dernière hypothèse est la plus vraisemblable D'abord, la chapelle est réellement le seul travail ayant sans conteste un caractère roman, et la sépulture du saint aurait été dans cette chapelle, de 1184 à 1672
« Nous trouvons d'autres preuves dans la courbe en tiers-point ; cette courbe n'apparaît que plus tard dans tout le Midi, et le plein-cintre, ainsi que le roman, se continuent au milieu même du XIIIe siècle. C'est donc
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Depuis le siège d'Avignon par Louis VIII, en 1226, où, pendant un assaut, le pont s'écroula sous le poids des assiègeants, jusqu'en 1669, où l'on renonça définitivement à l'entretenir, les arches du pont St-Bénézet ont été souvent réparées et même souvent reconstruites. Mais sans descendre jusqu'au XVIIe siècle, il est permis d'attribuer ce qui nous reste de ce monument à la période qui s'étend du XIIIe au XVe siècle inclusivement (1).
Utilisant les renseignements qui nous sont fournis par plusieurs historiens locaux sur les détails du terrible siège de 1411, soutenu par les Avignonais contre Rodrigue de Luna, neveu de l'anti-pape Benoît XIII, on pourrait même assigner au XVe siècle les parties du pont ci-après : une ou deux arches, les plus voisines de la ville, qui avaient plus particulièrement souffert pendant ce siège, et notamment la première, portant sculptés sur ses voussoirs le blason de la famille de Sade et les initiales L. S. ; la voûte du choeur de la chapelle supérieure qui est du XVe et confine au style gothique appelé flamboyant, et le châtelet qui s'élève à l'entrée du pont et sur la vieille porte murée duquel ou reconnaît la trace de trois blasons martelés et détruits à la Révolution (2).
à peine si cette courbe pourrait être attribuée au XIIIe siècle... Or, par une singulière coïncidence, nous avons cru reconnaître, étant de passage à Avignon en 1876, le plein-cintre au pont de St-Bénézet. Les deux piles, celle du quai et celle sous la chapelle laissent toutes les deux sortir de l'eau des retombées ; elles sont en amont du pont actuel, et le parement extérieur correspond avec le pignon de la nef vers l'abside. Le pont était donc autrefois entièrement en face de la chapelle, car avec le centre, en contre-bas du lit, un plein-cintre arrive au niveau du sol de la chapelle. »
(1) Dom de Vie et dom Vaissette, Hist du Languedoc, ancienne édit., t. III, p. 358, et t. IV, p. 232. — Dom Chantelou, Hist. de l'abbaye de St-André, Ms. n° 24 CI à la bibl. d'Avignon.— Baluze, Vitoe paparum Avenionensium, Clément VI, t. I, p. 178 et 198. — Teissier, Hist des souverains pontifes d'Avignon, p. 282 et 406. — Valadier, De schismo.
(2) Les historiens d'Avignon nous disent, à propos de ce siège de 1411, que la petite chapelle du pont fut profanée et ravagée, que les avigno-
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Enfin, le reste de culée dont nous avons parlé en premier lieu, est au bord du Rhône, au pied de la seconde arche du pont actuel. Nous croyons cette culée de construction romaine, parce que son appareil, qui est fort beau (1 m. 76 de long sur 0 m. 58 de large), admirablement joint, à la manière antique, est de plus grandes proportions que celui des trois culées que nous considérons comme ayant fait partie du pont construit par saint Bénézet, et en second lieu, cette autre considération a une grande importance, parce que le pont auquel elle a appartenu n'avait pas été bâti dans l'axe des deux autres ponts. En effet, la naissance de l'arche indiquée par la base de cette culée montre qu'elle s'ouvrait obliquement par rapport aux deux autres constructions et que le pont primitif avait été
nais minèrent la tour qui était à l'entrée du pont et qu'ils la firent sauter, et que deux arches du pont ont besoin d'être refaites. On y lit encore que le 13 juin 1414, les consuls posent la première pierre de la tour du pont et qu'ils traitent avec un sieur Baseri pour la reconstruction de la partie du pont qui était voisine. Ces indications viennent corroborer les données qui nous sont fournies par le style de la voûte du choeur de la chapelle et par celui du châtelet. (Valadier, De schismo, VIII. — Nouguier, Hist. de l'Eglise d'Avignon, p. 175. — Fantoni, Istoria della città d'Avignone, t. I, p. 297. — Massillian, Manuscrits à la bibl. d'Avignon. — P. Achard, Annuaire, 1850, p. 403 )
Quant au blason de la famille de Sade qui se voit sous la première arche avec les initiales L. S., voici ce que nous dirons. La famille de Sade, qui était une des plus riches d'Avignon, avait plusieurs fois contribué aux restaurations du pont St-Bénézet ; on lit dans le Manuscrit de Massillian qu'en 1298, dame Raymonde Garnier, épouse de Hugues de Sade, légua la moitié du prix de ses robes pour la reconstruction d'une arche du pont ; Baluze nous apprend qu'en 1352 et 1355, lorsque le pape Clément VI entreprit de faire refaire, avec la tour, quatre arches du pont, un Hugues de Sade, fils du précédent, laissa 2,000 florins d'or pour la reconstruction de ces arches. Par les prénoms de ces deux légataires, on reconnaît qu'il ne peut être ici question du prénom qui figure sur la première arche du pont et qui commence par un L. C'est donc que le membre de la famille dont il s'agit vivait postérieurement, c'est-à-dire au XVe siècle. Rappelons qu'à cette époque la famille de Sade, qui s'était enrichie dans le commerce du chanvre et de la toile, était plus prospère que jamais, et que c'est alors qu'elle fit construire le bel hôtel qu'on voit encore si bien conservé, rue Dorée.
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établi un peu en aval du pont St-Bénézet (1). Lorsque, en 1884, l'administration des Ponts-et-Chaussées fit approfondir le lit du Rhône, au moyen d'un bateau-cloche, on constata l'existence d'un arrière-bec, à dix mètres environ en aval des arrières-becs du pont St-Bénézet (2). Ce débris de pile correspondait à notre culée, avec laquelle on pourrait le considérer comme un dernier reste de pont romain. Cet arrière-bec fut arrasé à deux mètres au-dessous de l'étiage. Les blocs qui en furent extraits mesuraient en moyenne de 1 m. 20 à 1 m. 50 de longueur sur 0 m. 80 de hauteur. Les parements présentaient des bossages. Les lits de pose avaient des entailles en forme de losanges et de chevrons, destinées à faciliter le scellement. Ils portaient aussi le trou de la louve, outil dont on s'est toujours servi pour enlever les pierres et les mettre en place. On a trouvé, engagés dans la maçonnerie, des clayonnages en madriers et quelques sabots de pieux, dont un en chêne, parfaitement conservé. Tous ces modes de taille et de construction étaient en usage aussi bien du temps des Romains qu'au moyen âge (3). Mais ce qu'on n'a pas trouvé sur ces pierres ce sont des marques de tâcherons. Si nous en remarquons sur les culées appuyées sur la base des deux premières piles, ce qui nous montre qu'elles appartiennent au moyen âge, leur absence sur les piles du pont primitif dont nous nous occupons nous confirme encore mieux
(1) On a pu remarquer par une citation de la brochure de M. Bouvet, dans une note précédente, qu'il a par erreur considéré les deux retombées, celle de la pile du quai et celle de la pile qui est sous la chapelle comme ayant fait partie du même pont, du pont construit par St-Bénézet, mais pour peu qu'on les examine attentivement, on reconnaît que les arcs auxquels elles donnaient naissance ne s'ouvraient pas dans le même sens. La découverte faite en 1884, dans le lit du Rhône, d'une base d'arrièrebec, à 10 mètres environ en aval des arrière-becs du pont St-Bénézet, vient justifier notre dire.
(2) V. le procès-verbal de l'affouillement du lit du Rhône, dans les archives des Ponts-et-Chaussées d'Avignon.
(3) Rondelet, Traité de l'art de bâtir, t. II, p 8 et 9
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dans l'opinion qu'il remontait à l'antiquité : les monuments romains ne portent pas de marques de tâcherons.
Faisons enfin observer que, si réellement les Romains avaient bâti un pont à cette place, il était dans les conditions de stabilité que ceux-ci recherchaient, et que, comme celui de Vienne et beaucoup d'autres, il reposait sur des bancs de rocher (1).
La construction oblique de ce pont primitif nous indique la direction de l'ancien courant du Rhône, qui, au lieu de couler, comme aujourd'hui, du Nord-Est au Sud-Ouest, coulait du Nord-Ouest au Sud-Est. Ses eaux venant de la rive droite, en amont de Villeneuve, recouvraient les terrains sur lesquels s'élèvent aujourd'hui les rues Limas, de la Grande et de la Petite-Fusterie. La hauteur qu'atteignaient les cintres, dont la naissance est indiquée par les différentes culées ci-dessus mentionnées, et la position de la chapelle de St-Bénézet, si peu élevée audessus du Rhône, montreraient, il semble, au premier abord, que les deux premiers ponts avaient été construits beaucoup plus bas que le pont actuel, dont nous admirons la hardiesse, mais il ne faut pas perdre de vue que, depuis l'époque romaine et même depuis le XIIe siècle, le lit du Rhône s'est considérablement exhaussé. Un savant géologue, M. Émilien Dumas, a fait cette constatation en amont et en aval du pont St-Bénézet. On lit dans sa Statistique géologique du département du Gard, tome II, page 654 : « Le rehaussement du lit du Rhône ne s'est produit qu'après la période romaine, ainsi que nous le démontre l'étude de certains monuments de cette époque élevés le long du cours du Rhône. C'est ainsi que les bouches d'écoulement des aqueducs antiques de la ville d'Arles, dont la pente courait vers le Rhône,
(1) Le Rocher d'Avignon, qui appartient géologiquement au néocomien supérieur, se continue sous le Rhône et se relie, sur la rive droite, avec celui du fort St-André. (Gras, Description géologique du dép. de Vaucl., terrain néocomien, p. 92 ; Em. Dumas, Statist, géolog. du Gard, t. II, p. 300 )
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sont aujourd'hui trop basses pour remplir leur destination, et qu'on voit à la pointe de Trinquetaille des ruines romaines recouvertes de trois mètres de limon. Les fondations du pont St-Esprit dénotent aussi d'une manière évidente l'exhaussement que le lit du fleuve a éprouvé depuis la construction de ce pont qui fut commencé en 1265. Ce n'est donc que dans le XIVe siècle, à partir de l'achèvement complet des digues, que le Rhône s'est élevé et que les dépôts fluviatiles ont cessé de se répandre sur les côtés du fleuve pour se déposer en avant du grand cordon littoral. »
A la page 18 de son excellent Précis de l'histoire d'Avignon, Chaillot a écrit :
« Ce serait une oeuvre d'un véritable antiquaire que de reconstruire par la pensée l'Avignon antique, de restituer tous ces édifices dévorés par le temps ou détruits par les fureurs des hommes, d'en retracer le plan à l'aide des repères encore subsistants, et de montrer ce que notre cité fut autrefois et combien elle avait de titres pour rivaliser de gloire avec les autres villes du Midi. »
Il était désirable que le sujet proposé par Chaillot séduisît un des membres de notre Académie. Tout en essayant de réaliser le programme, nous n'avons pas la prétention d'y avoir complètement réussi. C'est que, tant au point de vue de l'histoire que de l'archéologie, la tâche était ardue : Avignon, dans l'antiquité, n'était pas une ville de premier ordre, et les anciens en ont peu parlé. Les monuments de cette époque ont complètement disparu, et les procès-verbaux des fouilles ou n'existent pas ou sont bien incomplets. Qu'il nous soit cependant permis d'espérer que nos efforts pour pénétrer dans son passé lointain produiront quelque résultat et que les archéologues et historiens qui voudront, après nous, étudier ou écrire ses annales trouveront à glaner quelque peu dans notre travail. La satisfaction de penser qu'on peut rendre service, si modestement soit-il, à ceux qui nous succèderont, suffit à nous récompenser de notre peine.
L. ROCHETIN.
UNE ROCHE ANIMÉE
DANS LES ENVIRONS D'AVIGNON.
Il est dans les usages locaux, chaque fois que l'on reçoit un visiteur, de le promener d'abord dans notre vieille ville, si riche en souvenirs que réveillent avec tant de talent et d'autorité MM. Sagnier, Rochetin et autres savants archéologues méridionaux ; puis on le conduit à la Fontaine de Vaucluse ou au Pont du Gard, — deux merveilles que vous avez admirées nombre de fois — , mais on ne lui montre jamais la « Femme de Loth », cette splendide statue antique que l'on aperçoit de si loin et qui mériterait pourtant l'honneur d'une visite. Il est même curieux de constater que beaucoup d'Avignonais ignorent l'existence de cette roche animée et ne soupçonnent pas les richesses qui sont accumulées autour d'elle.
En sortant de Villeneuve-lez-Avignon (l'ancienne résidence des cardinaux des papes) et en prenant la route de Roquemaure, on se trouve bientôt en présence des roches' sableuses de l'helvétien inférieur, qui bordent la route du côté du nord. On traverse la voie ferrée, qui, à cet endroit, est parallèle à la route, et l'on suit l'ancien chemin romain qui conduit à Pujaut. Après avoir franchi une partie encaissée, toute bordée de chênes nains et d'oliviers battus par le vent violent du nord, on se trouve bientôt
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en présence d'une pierre naturelle qui ressemble à une belle statue antique. On l'aperçoit de loin, dans un rayon d'au moins 6 kilomètres. — A portée de vue moyenne, on distingue parfaitement l'allure de la femme, les bras croisés, les seins bien développés, menaçante, semblant marcher, calme, mais résolue, vers le rocher qui lui a donné le jour ; sa longue robe à traîne, balayant la surface rugueuse du chemin, son visage déguisé sous un masque constitué par un noyau silicieux qui lui dérobe toute la face. C'est vraiment d'un aspect saisissant.
Mais ce qui met le comble à notre curiosité, c'est que notre statue, désignée par les méridionaux sous le nom de Peyro plantedo (pierre levée), semble porter le costume si charmant de l'Arlésienne, avec son fichu bien étoffé et le développement postérieur (tournure) dû à l'empesage forcé du jupon.
Si l'on s'approche de plus près, on constate que les assises du rocher néocomien dans lequel elle a été façonnée ont la même inclinaison et sont les prolongements des même assises du massif voisin dont elle s'est détachée.
Nos grands-pères avaient une grande prédilection pour ces roches bizarres sur lesquelles là main de l'homme n'a pas agi. Ils les appelaient les jeux de la nature, et il est à présumer que notre Femme de Loth a dû causer de profonds étonnements aux gens, probablement très naïfs, de l'époque préhistorique et a pu même être un sujet de pélerinage. Chi lo sa ?
Pendant l'époque tertiaire supérieur, toute cette masse rocheuse a dû soutenir d'abord de rudes assauts contre les flots de la Méditerranée, reculant peu à peu dans le bassin qu'elle occupe aujourd'hui. Elle a, depuis cette époque, été fouillée par le burin de l'érosion, effritée par l'embrun
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de la mer et soumise à l'action destructive de l'air. C'est un fait remarquable qu'il y a lieu de relater, car les agents atmosphériques continuent leur action érosive, et, dans un temps plus ou moins rapproché, notre belle statue de 15 mètres de hauteur, désagrégée, réduite en menus débris, viendra augmenter le dépôt de cailloux dans lequel nous venons souvent recueillir les reliques du vieux monde.
La roche néocomienne qui lui sert de base est criblée de trous d'oursins et, dans les calcaires helvétiens qui viennent s'appuyer sur elle, nous avons déjà ramassé, M. Nicolas et moi, une riche faune de fossiles variés indiquant un fond et un rivage de la mer de cette époque.
Tout, en ce merveilleux endroit, appelle le touriste, le géologue, le botaniste, le malacologiste et l'archéologue.
De ce point, on jouit, en effet, d'une vue admirable. Le fond du tableau est constitué par les délicieuses Alpines, — véritables Sierras —, qui se détachent vivement sur le bleu du ciel et dont les pieds se baignent dans la belle vallée du Rhône et de la Durance, Avignon avec son Palais grandiose et enfin la Tour de Philippe-le-Bel ; le fort St-Jean-Villeneuve compléte ce tableau enchanteur.
Le chemin creux, ombragé, recèle une foule de coquilles terrestres, spéciales au Midi, et dans la roche sableuse, mais néanmoins résistante du miocène, les roues des voitures romaines ont tracé des sillons profonds, que les ravages du temps n'ont pas encore fait disparaître.
A tout cet ensemble, ajoutons la présence, sur les coteaux avoisinants, de nombreux débris de poteries et des silex taillés semblables à ceux que l'on rencontre innombrables dans toutes les régions du globe, et qui nous servent à reconstituer le vieux passé de notre humanité.
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Enfin, dans les talus voisins, dans le déblai menu du chemin de fer, on constate l'existence de nombreux foyers dans lesquels on puise à pleines mains les débris de poteries d'un âge plus avancé.
HISTORIQUE
DE L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE
Messieurs,
De même qu'il est instructif d'étudier la vie de ses ascendants, de même il nous a semblé utile de vous présenter l'historique de notre famille académique pour tâcher d'en perpétuer les saines traditions, et aussi, peutêtre, d'en éviter les erreurs. Nous avons d'autant plus volontiers donné suite à cette pensée, que nous nous étions mieux rendu compte de l'influence sérieuse de nos devanciers sur le mouvement intellectuel de la région vauclusienne pendant près d'un demi-siècle. Ce furent, en effet, de dignes ancêtres, ces hommes distingués qui se vouèrent tout entiers au culte ennoblissant de l'art et de la science.
Constatons d'abord qu'à toutes les époques, la ville d'Avignon s'est fait remarquer par son goût pour les travaux de l'esprit. Dès l'année 1658, le vice-légat Conti y avait organisé une société littéraire sous le nom d'Académie des Emulateurs.
Sans remonter à une date aussi éloignée, nous allons retracer la vie de notre société aux quatre phrases remarquables de son histoire, qui formeront la division naturelle de ce travail :
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1° Fondation du Lycée de Vaucluse, le 1er thermidor, an IX (20 juillet 1801);
2° Transformation du Lycée, sous l'appellation d'Athénée, le 24 floréal an X ;
3° Nouvelle débaptisation de la société qui prend le nom d'Académie de Vaucluse, le 4 juin 1815 ;
4° Enfin, réorganisation de l'Académie, le 28 novembre 1880, après la suspension de ses séances pendant plus de trente ans, sous le titre qu'elle portait précédemment et qu'elle a conservé jusqu'à ce jour.
I
LYCÉE DE VAUCLUSE.
Le 1er thermidor an IX (20 juillet 1801), M. Pelet de la Lozère, préfet du département, désireux de doter Avignon d'une institution semblable à celles qui florissaient alors dans d'autres villes, fit revivre, pour ainsi dire, l'ancienne Académie du dix-septième siècle, en fondant une nouvelle société savante sous le titre de : Lycée d'Agriculture, Sciences et Arts de Vaucluse.
L'arrêté préfectoral nommait en même temps pour en faire partie et pour l'organiser : MM. Calvet, Brouillard, Voulonne, Pansin, Pamard, Guérin père et fils, Fortia d'Urban, Morel, Dejean, Delui, Bondon, Piot, Collet, Vicari, Hellot aîné, Roussel père, Cartoux, St-Véran, Girard aîné, Grandpré, Tramier aîné et Sabatier, en tout vingt-trois membres, « dont le zèle et les connaissances distinguées honoreraient cet établissement ».
C'est peut-être à cette origine officielle, à moins que ce ne soit au désir de s'attirer les bonnes grâces du gouvernement établi, qu'il faut attribuer la tradition presque constante de la société de déférer la présidence au préfet successivement en exercice.
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Le Ministre de l'Intérieur ne fit pas attendre son approbation ; il l'adressa à M. Pelet dans une lettre dont les termes ne seraient pas désavoués par le ministre d'aujourd'hui : « Les sociétés, y dit-il, qui ont pour objet les progrès de l'agriculture et des arts, méritent, sous tous les rapports, la protection du gouvernement; aussi serai-je toujours disposé à les favoriser autant qu'il dépendra de moi ». Cette déclaration grosse de promesses était déposée comme un don de joyeux avènement dans le berceau du nouveau-né.
Mais là ne devait pas se borner son heureuse fortune ; dans une des premières réunions à l'archevêché, il se fit tenir sur les fonts baptismaux par ce même magistrat « à qui il devait son existence et dont on pouvait espérer les secours les plus puissants » ; et, pour que le choix d'un tel protecteur, d'un tel président ne fût pas considéré comme un acte intéressé et une flatterie adressée au pouvoir, on ajouta que « les talents et les lumières du préfet plus encore que sa haute situation politique fixaient sa place à la tête de la docte compagnie. » Ainsi, mieux partagé que certain personnage de la Dame Blanche, M. Pelet fut cette fois père et parrain tout ensemble. Puis, ce fut le tour du maire d'Avignon, que le Lycée admit au nombre de ses membres, « à cause du zèle éclairé avec lequel il s'occupait de tout ce qui intéressait le bien public ».
Grâce à ce double appui, le nouvel établissement put traverser sans secousse la période agitée du commencement du siècle.
Conformément aux usages de toute société qui s'organise, un des premiers soins du Lycée fut de procéder à la confection de son règlement.
Le nombre des membres ordinaires fut porté à trentesix ; on laissa indéterminé celui des associés, correspondants et honoraires.
Les membres associés les plus célèbres nommés dès le début furent : Les trois consuls, Bonaparte, Cambacérès
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et Lebrun, Alfieri d'Asti, Louis Bonaparte, Chaptal, ministre de l'Intérieur, Ferlus, ex-doctrinaire de Sorèze, Jenner, Laharpe, Lalande, Pastoret, Volney, Ginguené, Fourcroy, Frochot, préfet de Paris, Montgolfier, SaintLambert, Charles Pougens ; et parmi les dames, que nous aurions dû nommer les premières, Mmes Constance Pipelet, Verdier et Viot, celle que le poète ingénu Hyacinthe Morel appelait la dixième muse, la Sapho moderne, et qui, selon lui, avait immortalisé trois noms, ce qui signifiait en langage ordinaire qu'elle avait eu trois maris. C'est sur les « mânes » de cette académicienne décédée que le doux poète pleura ces deux vers, sur lesquels il n'avait peut-être pas suffisamment consulté M. Viot :
Oui, ton époux voudra partager ton cercueil, Cette terre sans toi pour lui serait déserte.
Chaque membre, à son entrée, recevait un diplôme signé du président et du secrétaire.
Nul ne pouvait être reçu membre du Lycée, s'il n'avait joint à sa demande un ouvrage ou une observation de nature à faire apprécier la mesure de ses talents. On appelait cela le Tribut académique. C'était le Sésame, ouvretoi, qui donnait accès dans l'intérieur du sanctuaire. Une commission devait l'examiner sérieusement et faire un rapport à l'une des séances suivantes. Selon que celui-ci était favorable ou non, le candidat était admis ou remercié.
Nous citerons comme un des plus curieux celui que fournit plus tard l'aéronaute Blanchard : on fut d'avis de considérer une de ses ascensions comme un tribut suffisant et de lui délivrer son diplôme au moment où il mettrait le pied dans la nacelle.
Les travaux du Lycée furent divisés en trois classes :
1° Agriculture et Commerce ;
2° Mathématiques et Physique ;
3° Philosophie et Belles-Lettres.
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Lorsqu'on examine la nomenclature des sujets sur lesquels portaient les études, on n'est plus étonné de la variété infinie des connaissances que l'on prêtait à Pic de la Mirandole. Comme le savant Italien, notre Lycée s'occupait de omni re scibili et quibusdam aliis. Il nous suffira, pour vous en convaincre, de faire passer sous vos yeux la liste des matières sur lesquelles il exerçait ses talents : Agriculture et Commerce, Économie politique, Manufactures, Arts et Métiers, Mathématiques et Physique, Mécanique, Hydraulique, Optique, Acoustique, Histoire naturelle, Médecine, Chimie, Philosophie et Belles-Lettres, Morale et Législation, Beaux-Arts, Poésie, Musique, Histoire, Grammaire, Langues anciennes et modernes. Il ne semble pas possible, après une telle énumération, d'ajouter : j'en passe et des meilleures, et pourtant nous n'y voyons figurer ni l'Archéologie, ni la Géologie, qui sont supérieurement représentées aujourd'hui parmi nous. Il n'en est pas moins vrai que le Lycée désirait avoir des clartés de tout.
On décida qu'il y aurait chaque année une séance publique, le 2 vendémiaire, anniversaire de l'installation de la société, et des séances particulières tous les décadis. Les étrangers pouvaient y être admis sur la présentation d'un des membres et avec l'agrément du président.
Outre le tribut académique, chaque membre était tenu de fournir un tribut littéraire annuel. Ceux qui omettaient cet envoi pendant trois années pouvaient être considérés comme démissionnaires ; il en était de même de ceux qui, sans motifs, négligeaient d'assister aux séances pendant quatre mois d'abord et plus tard pendant trois mois consécutifs.
Le Lycée, une fois organisé, s'occupa de se choisir des armoiries. Une commission fut chargée de composer celles qui s'adapteraient le mieux à l'esprit de l'institution ; elle le dota d'un sceau représentant le rocher de Vaucluse, (dessiné d'après nature), vomissant un torrent d'eau, avec
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ces mots : Musis, Artibus, Arvis, proposés par Esprit Calvet, et, au bas, pour exergue : Lycée de Vaucluse. C'est le même qui nous sert encore aujourd'hui, après avoir été conservé successivement par l'Athénée et par l'ancienne Académie.
Au lendemain de ces préliminaires, on se mit sérieusement à la tâche. Parmi les travaux les plus remarquables qui furent présentés, nous mentionnerons :
Un ouvrage du docteur Antoine-Bénézet Pamard, intitulé : Statistique ou Topographie de la ville d'Avignon, comprenant la description de la ville, de ses canaux, de ses manufactures, de ses promenades, les moeurs et les usages de ses habitants. Un pareil travail refait aujourd'hui ne manquerait pas d'attrait. Sans parler des embellissements que la ville a reçus depuis cette époque, la comparaison serait intéressante des avignonais au commencement du siècle avec ceux de la fin de 1892, et, comme il est admis que le temps est un grand maître, nous voulons présumer, sans méconnaître les mérites de leurs devanciers, que le parallèle serait tout à l'avantage des contemporains.
Citons encore un mémoire du docteur Guérin, sur une maladie appelée par lui : Tétanos somnambulique.
Nous sommes en 1802. Ce siècle avait deux ans. Quelques admirateurs de Jenner essayaient d'introduire en France la merveilleuse découverte qui le mettait au rang des bienfaiteurs de l'humanité. D'après une loi malheureusement trop générale, la nouvelle méthode était battue en brèche par un certain nombre de savants qui en contestaient l'efficacité. Ce fut alors que le docteur Pamard, pour lui conquérir le droit de cité, présenta, à la date du 30 nivôse, an IX, un remarquable mémoire sur l'inoculation du vaccin ; il y soutenait qu'elle devait enrayer avec succès les terribles effets de la petite vérole et diminuer considérablement le nombre de ses victimes ; de plus, pour mieux faire pénétrer sa conviction dans
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l'esprit de ceux qui l'écoutaient, il déclara qu'il avait pratiqué lui-même cette inoculation sur ses propres enfants.
Dans le même temps, M. de Fortia traduisait un fragment historique de Xénophon, l'épisode de Penthée et d'Abradate ; M. Guérin s'occupait des brouillards secs de 1782-1783 ; M. Dupuy donnait une traduction poétique du discours d'Achille à Patrocle ; Hyacinthe Morel traitait en vers les sujets suivants : La philosophie louée par elle-même, les arts et les sciences, etc. ; M. Crivelli faisait connaître un fragment d'Alfieri : l'objet de ce morceau était de démontrer combien la protection d'un prince exerçait une influence dangereuse sur l'homme de lettres. L'ombre de Despréaux dut protester du fond de sa tombe. L'auteur fut bien inspiré de lire ce travail en 1802, car, deux ans plus tard, on l'aurait certainement accueilli avec moins de faveur.
Le Lycée ne se contentait pas d'être une société savante, il conservait aussi soigneusement les traditions de la plus exquise galanterie. Cet art éminemment français ne lui paraissait pas indigne de figurer sur son vaste programme. C'est ainsi que M. Morel adressait des vers charmants à Madame Viot, en lui transmettant le diplôme du Lycée qui l'avait admise au nombre de ses associés, et que M. Sabatier célébrait les grâces académiques de Madame Constance Pipelet.
Mais, pour s'abandonner à ces fantaisies lyriques, on n'en soignait pas moins les études sérieuses et surtout celles qui intéressaient spécialement la région ; M. Guérin fils, suivant l'exemple de M. Pamard, composait une statistique ou topographie du département de Vaucluse, comprenant sa division, ses montagnes, ses productions minérales et végétales, son climat, la température de l'air, ses météores, les moeurs et usages de ses habitants et les aliments dont ils se nourrissaient. Cet ouvrage précédait de quelques jours les mesures officielles qu'allait prendre l'autorité préfectorale. En effet, le 30 nivôse suivant, le
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Lycée reçut communication d'une lettre du préfet qui demandait, au nom du ministre de l'intérieur, une statistique générale du département de Vaucluse. Il était prié de prendre l'initiative de cette oeuvre et, pour la mener à bonne fin, il dut solliciter l'autorisation de correspondre directement avec toutes les autorités départementales.
II
ATHÉNÉE DE VAUCLUSE.
Le Lycée en était là de ses travaux lorsque parut la loi de 1802 sur la nouvelle organisation de l'instruction publique. Elle interdisait à toute association littéraire, autre que les écoles supérieures de nouvelle création, de prendre la dénomination de Lycée. Le préfet lui notifia cette interdiction et lui proposa de substituer à son nom celui d'Athénée de Vaucluse. Sa motion fut adoptée à l'unanimité, et c'est sous ce vocable nouveau que la société continua ses études sans modifier son organisation.
De nouvelles recrues étaient venues grossir les rangs de la phalange primitive. C'étaient, parmi les membres résidents : MM. Estratat, H. Gazzéra, Ravan, Crivelli, Dupuy, d'Andrée de Renoard ; parmi les membres honoraires : MMmes Charles Pougens et Verdier, de Nîmes, MM. Bondon, Esprit Calvet, médecin, Pelet, l'abbé de St-Véran ; et parmi les associés : MM. Achard, Bernardi, Blaze, Fontanes, Camille et Philippe Girard, Imbert Delonne. Il y avait aussi quelques membres correspondants, entre autres, M. Victor de Prilly, officier de dragons, le futur évêque de Châlons-sur-Marne.
Le Lycée n'avait pas eu le temps d'organiser des séances publiques ; l'Athénée inaugura ces solennités. La première en date eut lieu le 5 vendémiaire an XI (28 septembre 1802), dans une des salles de la préfecture.
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Les membres vinrent y siéger, dit-on, au son d'une musique militaire. L'assemblée était brillante et nombreuse ; le préfet, M. Pelet, qui la présida, en fit l'ouverture par un discours traitant dé l'influence des lumières sur les moeurs.
Après le compte-rendu des travaux de l'année par le secrétaire, on entendit les lectures suivantes :
1° Mémoire historique de M. Bouchet, sur le commerce de la région et sur les moyens de le rendre plus florissant;
2° Mémoire de M. Voulonne sur la vaccine;
3° Discours en vers de M. Morel sur les malheurs et les crimes de l'ignorance. En sa qualité de société savante, il était naturel que l'Athénée s'attaquât d'abord à cette plaie sociale et recherchât les moyens de la guérir ;
4° Discours de M. Guérin fils sur le danger des innovations en médecine ;
5° Discours de M. Crivelli sur le bonheur.
C'était en leur faisant traverser des sentiers fleuris que ce philanthrope voulait conduire les hommes au bonheur universel. S'il caressait une utopie, il n'en eut pas moins la bonne fortune de conserver, dans un âge avancé, les charmantes illusions qui lui faisaient croire à la possibilité du bonheur non seulement pour quelques rares privilégiés, mais pour l'humanité tout entière ;
6° Poème allégorique de M. Sabatier intitulé : le Phénix ;
7° Discours de M. Pelet fils sur les avantages de l'éducation mixte, c'est-à-dire à la fois publique et privée ;
8° Eloge de Pierre-Bénézet Pamard, par Antoine-Bénézet Pamard son fils ;
9° Epître sur la mode par M. Dupuy. Voici ce qu'en disait le secrétaire : « Cet ouvrage vraiment ingénieux représente cette divinité sous toutes les formes capricieuses qu'elle se plaît à revêtir ; partout, le pinceau du poète fait unir les grâces de l'imagination à la vérité des
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peintures ». L'épître avait pour épigraphe ce vers de Bernis :
La suivre est un devoir, la fuir, un ridicule. On y trouvait aussi les suivants :
Ainsi que Dieu, la mode a ses athées;
et plus loin ;
Dès que sa voix prescrit un changement, Suivant ses goûts, adoptant ses formules, Tout nous parait agréable et charmant, Depuis l'esprit jusques aux ridicules.
M. Sabatier devait encore discourir de l'influence de l'agriculture sur les moeurs, mais les bornes de la séance ne le lui permirent pas.
La seconde séance publique eut lieu le 2 brumaire an XII. M. Pelet avait été nommé précédemment conseiller d'État. M. Bourdon, son successeur à la préfecture de Vaucluse et à la présidence de l'Athénée, ouvrit la séance par un discours sur l'utilité des sociétés littéraires, sur le grand mouvement que le premier consul avait imprimé aux esprits et sur l'espace étonnant que les sciences avaient franchi grâce à l'influence du gouvernement de Bonaparte.
Après le compte-rendu des travaux de l'Athénée, M. Crivelli lut, pour M. Sabatier empêché, une ode : La Préfecture de Vaucluse, et des fragmemts d'un opéra en un acte : Le Couronnement de Pétrarque à Rome, dont il fit une élégante analyse.
Dans l'ode, le poète, visant la gracieuse réunion des dames qui assistaient à la séance, leur décochait ce trait galant, sous le prétexte d'évoquer le chantre de Laure :
Toi qui, tendre amant d'une belle, Chantais ses rigueurs, ses appas, Tu te vantais d'être fidèle, Pouvais-tu donc ne l'être pas ? Tu ne rencontras qu'une Laure, Viens en voir un cercle brillant ; Dans son Pétrarque qui l'adore Laure verrait un inconstant.
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Les dames présentes durent pardonner la pauvreté de là rime en faveur de la galanterie du madrigal. Dans l'opéra, Pétrarque envoyait de sa patrie un souvenir attristé à la poétique vallée qui possédait l'objet de ses amours :
Vaucluse, asile solitaire, Berceaux consacrés aux amours, Vaucluse où règne ma bergère, Vers tes bords je reviens toujours. Hélas ! quand je languis loin d'elle, Plaintive et tendre Philomèle, Par tes chants peins-lui ma douleur ; Mais dis-lui bien qu'amant fidèle, Je brave l'absence cruelle, Si je suis présent à son coeur.
Puis il terminait par cette strophe, dans laquelle il affirmait la constance et la perpétuité de sa tendresse :
Chaque rose qui vient d'éclore, Des baisers de l'amant de Flore Attire l'hommage léger. Peut-on, sous l'empire de Laure, Trouver un instant pour changer : Dans ses attraits toujours nouvelle, Sans art elle a su me charmer ; En finissant mes jours près d'elle, Je croirai commencer d'aimer.
M. Voulonne prit ensuite la parole pour prononcer un discours sur Les causes et l'influence de l'habitude.
M. Morel lut une étude poétique intitulée : La philosophie louée par elle-même ; il y parlait des grands hommes méconnus par leurs contemporains et disait à propos de Galilée :
Un vieux sage s'écrie: Arrête-toi, soleil. Le soleil obéit, et le vieillard sublime Est d'une vérité puni comme d'un crime.
M. de Fortia présenta un mémoire très savant sur l'his-
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toire d'Avignon et particulièrement sur l'origine celtique de cette ville.
M. Dupuy, avoué, lut une épître : A Barthole.
M. Guérin fils donna lecture d'un petit ouvrage en prose, sous ce titre : Le Tombeau de Laure.
Il racontait que ce tombeau avait été découvert en 1533 dans l'église des Cordeliers, où Pétrarque dit qu'elle fut enterrée. Il ajoutait que François Ier était venu le visiter en passant à Avignon et avait offert mille écus pour faire élever un mausolée à l'amante du poète italien. L'épitaphe qu'on devait y graver : Victrix casia fides, était de Paradin. Le roi gentilhomme avait même fait à son intention les vers suivants, tout empreints de la naïveté de l'époque :
En petit lieu compris vous pouvez voir Ce qui comprend beaucoup par renommée. Plume, labeur, la langue et le devoir Furent vaincus par l'aimant de l'aimée. O gentille âme, étant tant estimée, Qui te pourra louer qu'en se taisant ? Car la parole est toujours réprimée Quand le sujet surmonte le disant.
Comme le culte de Pétrarque commençait dès ce moment à prendre beaucoup d'extention dans l'Athénée, M. Piot lut un projet de délibération terminé par les propositions suivantes :
1° Que l'Athénée décerne à Pétrarque les honneurs d'un monument public;
2° Que le 20 juillet suivant, jour séculaire de la naissance du poète, l'Athénée se rende à Vaucluse pour le lui consacrer solennellement;
3° Qu'une commission soit chargée de présenter des vues sur la nature du monument à élever et les moyens d'en faire les frais.
Il y avait encore d'autres lectures à l'ordre du jour, mais, le temps destiné à la séance s'étant écoulé, on dut
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supprimer l'éloge de l'abbé Poulle, prédicateur du roi, par Denis Michel, le discours de M. Gazzera sur la nécessité de la culture des arts et des sciences, celui de M. de Renoard traitant de l'influence des romans sur les moeurs, le précis historique de M. Calvet, ancien chanoine de la Métropole, sur la République d'Avignon et le siège de cette ville par Louis VIII, roi de France ; mais tous ces travaux n'en furent pas moins imprimés dans les mémoires de l'Athénée, à côté de ceux qui avaient eu les honneurs de la lecture.
L'appel fait par M. Piot pour glorifier Pétrarque avait éveillé de ferventes imaginations. M. Sabatier préluda aux honneurs que l'on se préparait à rendre au poète d'Arezzo par une ode sur la solennité prochaine, où l'on trouve ce rapprochement :
Ninon fut amoureuse et Laure fut amante.
On se mit ensuite à composer des inscriptions pour le monument que l'on devait ériger à Vaucluse. Sur l'initiative de M. Bourdon, la commission demandée par M. Piot fut nommée presque aussitôt et déposa son rapport suivi des conclusions suivantes : Ouverture d'une souscription publique pour faire face aux frais du monument ; publication d'un volume consacré à l'histoire de la vie de Pétrarque. Les peintres et dessinateurs du département devaient être invités à adresser au secrétaire des projets et des plans sur lesquels il serait fait un rapport sérieux.
L'inscription choisie par l'Athénée pour être gravée sur la face principale était de M. Calvet, médecin ; elle portait ces mots :
F. PETRARCHE
ATHAENAEUM VALCLUSIENSE
DIE NATALI EJUS SECULARI QUINTO
ANNO MCCCIV
Le volume promis aux souscripteurs, dont l'impression avait été confiée à la surveillance d'un commissaire
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spécial, parut chez Mme veuve Seguin, imprimeur-libraire, à Avignon.
Grouvelle publia, à son tour, une lettre remplie d'observations fines et décelant une profonde connaissance du génie et du caractère de Pétrarque. Plusieurs artistes présentèrent des projets. Caristie, architecte-ingénieur des ponts et chaussées de Vaucluse, soumit un dessin représentant une colonne ionique. C'est le même ingénieur qui a collaboré avec son frère pour faire revivre dans son magnifique album, au moyen de tronçons de colonnes et de matériaux épars, les splendeurs disparues du théâtre antique d'Orange, où son fils et sa petite-fille devaient être applaudis de nos jours. Les sommes recueillies par la souscription atteignirent rapidement un chiffre respectable. On put donc mettre presque aussitôt le projet à exécution, et dès le 20 prairial on décida de poser la première pierre.
A cette occasion, une grande solennité littéraire eut lieu à Vaucluse, le 15 fructidor an XII (12 septembre 1804). Nous allons donner la parole au secrétaire de cette époque pour vous la raconter :
« Conformément au programme de la fête, l'Athénée se réunit à cinq heures du matin vers la porte Limbert, d'où il partit pour se rendre à L'Isle. Arrivé aux portes de cette commune, il fut reçu, aux sons d'une musique militaire, qui se mêlaient aux détonations des boîtes et des décharges de mousqueterie. Le maire, qui leur souhaita la bienvenue, se présenta à eux, escorté d'une quarantaine de jeunes Lillois à cheval et en uniforme de nankin. L'allégresse éclatait de tous côtés parmi les habitants qui accompagnèrent le cortège chez M: le Maire, où l'Athénée trouva un repas élégamment servi. A l'issue du festin, le cortège partit pour Vaucluse et se dirigea vers la fontaine, accompagné d'une foule immense d'étrangers, qu'avaient précédés de nombreux spectateurs, remplissant déjà les rochers qui couronnent cette source célèbre.
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« Le tableau était pittoresque et animé. Un poète, inspiré par la magie du lieu et par les souvenirs qui s'y rattachent, dirait que les Nymphes de Vaucluse, voyant leur solitude troublée par ces flots tumultueux de spectateurs, allèrent cacher leur effroi dans leurs humides retraites ; mais il ajouterait que, rassurées et attirées insensiblement par la douceur des sons qu'on leur fit entendre, elles ouvrirent leur coeur aux sentiments de l'assemblée, partagèrent la joie commune et répétèrent avec complaisance les accents de plusieurs des poètes et des orateurs qui servirent d'organe aux amis de Laure et aux admirateurs de Pétrarque.
« M. Bourdon, président de l'Athénée, peignit ensuite à grands traits les différents mérites de Pétrarque, qu'il célébra comme poète, amant et philosophe. Il se livra à cet enthousiasme sage et raisonné qu'éprouva l'Athénée, lorsqu'il décida d'ériger un monument à sa mémoire.
« A ce discours succéda une pièce en vers de M. Hubert, membre associé. Cette pièce respirait le sentiment qui animait Pétrarque et le languir d'amor qui fait le charme des vers de cette époque ; puis M. d'Andrée de Renoard prononca à son tour un admirable éloge du poète italien.
« Après ces différentes lectures, on procéda à la pose de la première pierre du monument. L'honneur en fut dévolu au président de l'Athénée, qui, remettant bientôt la truelle aux mains d'une nouvelle Laure, insinua par là qu'un monument élevé à Pétrarque devait être placé sous les auspices du beau sexe. »
Enfin, M. Piot lut une poésie intitulée : Pétrarque à Vaucluse, le jour de sa fête, romance chantée par luimême. L'auteur fait assister le poète aux honneurs qui lui sont rendus et met dans sa bouche un témoignage, et aussi un regret, de l'inébranlable vertu de Laure, mais il ne le ressuscite que pour le martyriser par des strophes indignées.
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Est-ce un prestige qui m'abuse? Pétrarque au milieu des vivants ! Suis-je en effet, suis-je à Vaucluse Délices de mes premiers ans ?
Si tu veux que je vive encore, Si je dois revoir tant d'appas, Destin, fléchis le coeur de Laure, Ou bien au jour ne me rends pas.
Je te salue, ô grotte obscure, Tu ne cachas point mes plaisirs ; Mais tu vis saigner ma blessure Et tu comptas tous mes soupirs.
Éloignez-vous, troupe savante, Laissez Pétrarque au noir séjour. Son coeur vous demande une amante : Sans elle il ne peut voir le jour.
La cérémonie terminée, les membres de l'Athénée reprirent tous le chemin d'Avignon, en emportant un agréable souvenir de cette fête.
L'Athénée fidèle à son programme tenait régulièrement ses séances publiques une fois l'an. La troisième eut lieu le 6 messidor an XIII (25 juin 1805) ; M. Bourdon, préfet, l'ouvrit par un discours, dans lequel il prononça l'éloge de Sa Majesté l'Empereur des Français, qu'il considéra sous le double rapport du guerrier et de l'ami des lettres. Puis M. Sabatier lut, par l'organe de M. Blaze, une épître en vers sur Le respect dû aux femmes. On y trouve ce sage conseil aux jeunes gens à marier :
Le respect, c'est l'amour qui ne vieillit jamais, Les épouses souvent font les époux parfaits. Vous donc qui de l'hymen voulez dorer la chaîne, Préférez Pénélope et rejetez Hélène.
Puis une ode du même: Le portrait qui n'est pas fini
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On entendit ensuite un mémoire de M. Guérin, sur la nécessité de replanter les forêts ; un autre de M. Crivelli, sur le danger des commentaires en matière de législation ; une épître en vers du secrétaire général sur cette proposition : Combien dans la poésie le sentiment est préférable à l'esprit et à l'imagination ; une traduction en prose, par M. Crivelli, de deux cantates de Métastase : Le Printemps et l'Été; — un discours de M. Dejean ayant pour sujet: La philosophie ne produit aucun bien que la religion n'opère encore mieux. Le secrétaire général termina par une fable imitée de l'allemand, avec ce titre : Le Peintre.
Contrairement à ce qui se passe aujourd'hui, les membres de l'Athénée ne craignaient pas de prendre plusieurs fois la parole dans la même séance. Sous ce rapport, la discrétion que vous vous imposez nous semble de meilleur goût que la surabondante production de nos prédécesseurs.
Mais, ce qui contrastait étrangement avec les travaux de poésie et de philosophie qui furent présentés ce jourlà, c'était les sujets du concours précédemment institué par l'Athénée et dont les lauréats devaient être couronnés dans cette séance. L'agriculture était alors en grand honneur dans la société et occupait la meilleure place parmi ses préoccupations. Par des considérants, où il était dit qu'elle voulait fixer l'attention de ses concitoyens sur les objets qui intéressaient au plus haut point la prospérité publique, elle avait pris antérieurement la délibération suivante : Un prix consistant en une médaille d'or de 150 francs serait décerné à chacun des deux auteurs qui auraient le mieux traité l'une de ces deux questions : 1° Quel est en général le meilleur système d'éducation pour les vers-à-soie et particulièrement pour ceux du département de Vaucluse ? et 2° quels sont les engrais qui conviennent le mieux au sol de ce département et principalement au territoire d'Avignon ?
Le secrétaire chargé de faire connaître au public les
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sujets proposés avait inséré dans son programme cette phrase qui dut faire rêver plus d'un concurrent: « On connaît le traité des engrais du citoyen Maurice de Genève ; l'Athénée invite les aspirants au prix à se nourrir de ses principes ! »
La première médaille fut remportée par M. MichelAnge Genesi, — (esprit de Buonarotti, pardonne-lui), — et la deuxième par M. François-René Joxis du Poët d'Orpierre ; les noms ont quelquefois une singulière ironie.
On dit que nous sommes des gens positifs en cette fin de siècle. Ceux-là l'étaient-ils moins qui proposaient des sujets aussi prosaïquement pratiques, alors que nous nous contentons d'ouvrir des concours de poésie, d'histoire, d'archéologie ou de peinture ? Il est vrai qu'à cette époque la Société d'agriculture n'existait pas. Par ces tendances utilitaires, le germe s'en développait hâtivement dans l'Athénée et on entrevoyait déjà dans l'oeuf cette société florissante, composée d'hommes si éminemment distingués qui est actuellement un des plus beaux fleurons de la couronne avignonaise.
En dehors des séances publiques, les membres actifs et laborieux présentaient dans les réunions ordinaires des travaux d'une réelle valeur ; les plus remarquables furent : un discours sur la culture des lettres et des sciences, par M. Gazzéra et un de M. Dejean sur la vérité et l'excellence de la religion chrétienne ; une comédie de M. Morénas intitulée : La coquette sexagénaire ; un ouvrage de M. Petit, avec ce titre : La médecine du coeur; un mémoire de M. Labrousse, sur le nouveau régime adopté par les Français relativement à l'heure des repas; des observations sur divers objets relatifs à l'administration de la justice et de la police, par M. Thomas, magistrat de la sûreté, qui avait déjà écrit en l'an XII un discours sur l'inévitable existence des sciences, des arts et de la société.
Aucun sujet ne paraissait alors étranger à la compétence de l'Athénée. Ainsi M. Labrousse lui soumit une étude
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que l'on devrait rééditer aujourd'hui à de nombreux exemplaires. Elle avait pour titre : Des moyens de procréer des enfants d'esprit. Nous regrettons de ne pas en avoir trouvé la formule dans les Mémoires de l'Athénée; nous nous serions fait un devoir de la propager dans ce département, qui aurait acquis de ce fait une grande supériorité sur tous les autres.
La société voulut, à un moment donné, marcher sur les traces de l'Académie française. Un de ses membres, M. Piot, proposa d'exiger de chaque récipiendaire un discours de réception qui serait prononcé le jour d'une séance publique. Le président ou un membre désigné à cet effet devait lui répondre. On ne nous dit pas si cette proposition fut adoptée, ni si elle fut mise en pratique ; dans ce cas, il ne manquait plus que l'habit brodé pour que l'assimilation fût complète.
Le 5 janvier 1806, M. de Lattre, le nouveau préfet et naturellement président de l'Athénée, y parut pour la première fois et prononça un discours remarquable par le passage suivant :
« Vous avez, Messieurs, une section de poésie-musique, permettez-moi de vous demander pourquoi vos muses muettes n'ont point tenté de célébrer la gloire du héros sublime qui vient de nous étonner du prodige de ses nombreuses et nouvelles victoires, » et, comprenant aussitôt qu'il engageait la société dans une voie qui devait lui rester complètement étrangère, il invoqua ces arguments pour la convaincre : « Vos poètes, dit-il, ont cru peut-être qu'il ne leur appartenait pas d'échanger le pipeau rustique contre la trompette héroïque du Pinde ; cependant, il est des circonstances qui font exception à toute règle, et les grands événements que le génie de l'empereur Napoléon vient de faire éclore, justifieraient assez la hardiesse qu'il semblerait y avoir à les célébrer. Permettez-moi donc, Messieurs, d'exciter l'enthousiasme de vos poètes.... Le
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poète de Mantoue a également et aussi dignement chanté la gloire de César dans l'églogue et dans l'épopée. »
Si l'orateur avait mieux connu l'état d'âme de l'assemblée à laquelle il s'adressait, il aurait pressenti qu'il n'avait pas besoin de tant de précautions oratoires pour l'engager sur ce terrain funeste de la politique, où les sociétés comme la vôtre ne recueillent que du discrédit. Ses antécédents ne prouvaient que trop qu'elle avait, pour ainsi dire, une tendance naturelle à se montrer complaisante envers le pouvoir. Avant de vous en donner la preuve, nous avons à coeur de vous dire combien nous vous trouvons et plus sages et plus dignes de vous maintenir sans cesse dans ces pures régions de la pensée et de l'art, sur lesquelles la marée montante ou descendante de la politique ne vient jamais déposer son écume. Nous croyons même pouvoir affirmer sans témérité que, si les divers présidents que vous avez successivement honorés de votre confiance s'étaient montrés aussi imprudents que leurs prédécesseurs, vous vous seriez dérobés à leur direction et vous auriez énergiquement refusé de les suivre.
Le 1er prairial an X, l'Athénée avait fait un premier pas dans la voie que devait lui indiquer plus tard M. de Lattre. Il avait ratifié l'avis favorable, consigné par le viceprésident et le secrétaire, au nom de tous les membres, sur le registre ouvert à la préfecture, au sujet de la question importante de savoir si Bonaparte serait consul à vie ou non. En même temps, M. de Causan écrivait une ode sur les exploits du brillant capitaine. Le secrétaire, qui apprécia ce morceau poétique, affirma que l'on pouvait faire en deux mots l'éloge de la pièce en disant que le génie de l'écrivain paraissait égaler celui du héros dont il célébrait les haut faits. C'était peut-être un peu modeste pour Bonaparte.
Les Muses vauclusiennes s'empressèrent de répondre à l'appel chaleureux du préfet, les invitant à chanter le vainqueur d'Austerlitz. La première en date fut une muse la-
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tine, qui inspira à l'abbé de Saint-Véran le quatrain suivant, agrémenté d'une dédicace :
In honorem invicti Napoleonis, Imperatoris Gallorum, epigramma.
Vix coepto bello, Germanos exuis armis, Sauromatas cogis vertere terga fugae.
VENI, VIDI, VICI, haec Caesaris aurea verba, Magne NAPOLEO, dicere jure potes.
M. Joannis de Verclos présenta, à son tour, des stances épiques et un acrostiche sur le nom de Bonaparte.
L'Athénée consacra ensuite au souverain une table de marbre destinée à être placée dans la salle de ses séances; elle portait l'inscription suivante, où se mélangent étrangement les témoignages les plus variés :
L'ATHÉNÉE DE VAUCLUSE
A SON FONDATEUR
NAPOLÉON PREMIER
EMPEREUR DES FRANÇAIS ET ROI D'ITALIE
GRAND PAR SES TALENTS POUR LA GUERRE
ET PAR SON AMOUR POUR LA PAIX
LE DÉPARTEMENT DE VAUCLUSE LUI DOIT LE BONHEUR
COMME LE RESTE DE L'EMPIRE
IL LUI DOIT DE PLUS LES PONTS
SUR LA DURANCE ET SUR LE RHÔNE
LE PREMIER SERA TERMINÉ, LE SECOND COMMENCÉ
SOUS LA PRÉFECTURE DE M. DE LATTRE
QUI A FAIT GRAVER CETTE INSCRIPTION
EN QUALITÉ DE PRÉSIDENT DE L'ATHÉNÉE
M. PUY ÉTANT MAIRE DE LA VILLE
D'AVIGNON
1806.
Cette table est maintenant reléguée dans un magasin du musée, à côté d'autres objets hors de service.
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M. de Lattre fit incruster dans ce marbre deux médailles d'argent et de bronze, frappées par ordre de la ville pour perpétuer le souvenir de la construction des deux ponts. Le sexe charmant ne voulut pas être en retard sur l'autre. Mademoiselle Sarrazin de Montferrier composa plusieurs odes pour célébrer les triomphes de l'Empereur. Plus tard, lorsque l'astre du victorieux se fut obscurci sous les nuages précurseurs de la tempête et que la barque qui portait César eut cédé aux efforts de la tourmente, ce lyrisme changea de ton. Aux chants laudatifs succédèrent de peu courageuses attaques contre le géant abattu.
Quoique nous soyons bien décidé à nous abstenir scrupuleusement de toute parole contenant la moindre allusion politique, nous ne pouvons nous empêcher de déclarer loyalement, qu'avec de pareils antécédents et quels qu'eussent été, du reste, nos sentiments personnels, si nous avions été à la place de M. Crivelli, nous nous serions énergiquement refusé à faire hommage à la Société, au nom de M. Deplace, de Lyon, d'un ouvrage intitulé : De la persécution de l'Église sous Bonaparte.
Le 5 novembre 1814, les membres ordinaires reçurent des mains de leur président un diplôme les autorisant à porter la décoration du lis, sur la demande qui en avait été faite au roi par Mme la duchesse douairière d'Orléans. Les Muses avignonaises, pour ne pas donner un démenti au proverbe trop connu Femme, tes serments sont inscrits sur le sable, oublièrent rapidement le grand exilé et entonnèrent un chant de gloire en l'honneur du nouveau gouvernement, oeuvre de M. Dupuy, intitulée : Le triomphe des lis. La plus grande sévérité que l'on puisse aujourd'hui témoigner à l'auteur, c'est de citer ses strophes :
DE L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE 339
D'Attila trop féroce émule,
Il connaît enfin son néant ;
Ce n'était qu'un nain ridicule,
Vêtu des habits d'un géant.
Le sang des Français qu'il déteste
A seul fait la gloire funeste
Dont il fut longtemps ébloui.
Mais, comme en son vers prophétique
Avait dit notre grand lyrique,
Le héros s'est évanoui.
Qu'a t-il fait ? Forcé des murailles A prix d'or, de séductions, Sans doute il gagna des batailles A coup de générations. Mais de l'art créant les chefs-d'oeuvres,
Faut-il déjouer les manoeuvres De l'ennemi qui le poursuit ? A Moscou, Leipsik, sur la Saale, Stupide et lâche cannibale, Il perd son armée et s'enfuit.
Oh ! puissions-nous de sa mémoire Oublier jusqu'au souvenir; Laissons à l'implacable histoire Le noble soin de la flétrir. Que ses colonnes, ses statues Par la raison soient abattues Aux yeux des peuples consolés ; Dans les mers, qu'en sa folle haine Ce Xerxès crut mettre à la chaîne. Noyons ses aigles mutilés.
Mais tels que ces sombres nuages Chargés de grêlons et de feux, S'ils faut que, traversant les âges, Ses forfaits le rendent fameux, Que son règne des Robespierre Et des Néron et des Tibere Fasse oublier la cruauté ; Et que, comme un outrage insigne, Dans l'avenir son nom désigne Le fléau de l'humanité.
Puis dans une autre on trouve les aménités suivantes :
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Du tigre dont tu fus la proie Je dirai les forfaits nombreux. Livrée au carnage, à la flamme L'Europe n'a pu l'assouvir; Le double besoin de son âme Est de détruire et d'asservir. Avec lui, le sombre artifice Le parjure, le vil caprice S'assirent au suprême rang Et dans d'éternelles alarmes Nous trempions notre pain de larmes, Quand il savourait notre sang.
Tyran lâche autant qu'inhabile, Il ne sut être que pervers. Il méconnut l'art si facile De jeter des fleurs sur nos fers. Sa vanité ne veut de fête Que pour étaler sur sa tête Un laurier teint du sang français, Quand, victime de sa furie, Notre malheureuse patrie Était couverte de cyprès.
Vos douleurs, mères gémissantes, Trouvent toujours son front serein ; Jamais vos larmes impuissantes N'amollirent son coeur d'airain. Enfin, l'ange de la prière Porte au ciel d'une aile légère Nos voeux trop longtemps superflus; Déjà l'Éternel plus prospice Lève le bras de sa justice; Il parle....... le tyran n'est plus !
Mais nous ne voulons pas être inexorable pour la mémoire de M. Dupuy et nous bornerons là nos citations.
Enfin, pour terminer l'histoire de ces variations, il nous reste à mentionner une délibération du 25 janvier 1825, par laquelle on décida de faire acheter à Toulouse le buste de Charles X pour en décorer la salle des séances.
Hâtons-nous de jeter un voile sur ces faiblesses, nous réprimons un mot plus sévève qui allait s'échapper de notre plume, et revenons à notre société au moment où nous l'avons laissée.
(A suivre). A. LIMASSET.
LA STATUE ANTIQUE DE VACHÈRES
(BASSES-ALPES).
Vachères est une petite commune des Basses-Alpes perdue dans ce massif de montagnes, qui s'étagent de la rive droite de la Durance et du chemin de fer des Alpes jusques aux confins du département de la Drôme, et aux plateaux cachés derrière la chaîne du Ventoux. C'est dans cette région glaciale en hiver, brûlante en été, que prennent leurs sources les rivières qui traversent notre département de Vaucluse, l'Aigues, l'Ouvèze, le Coulon. De fort loin s'aperçoit le village, perché sur un sommet à une altitude de 800 ou 900 mètres et entouré d'un échiquier de maigres pâturages, qui sont en été roussis par le soleil. Mais, malgré sa nudité, le paysage dans son ensemble, avec ses groupes gigantesques qui se projettent à perte de vue, est imposant et grandiose et exprime bien les austères majestés de la nature alpestre.
Je fais grâce de la description du village : tout ce qu'il y a de plus primitif dans un pays reculé. J'ai hâte de conduire le lecteur à une ferme appelée Le Jas qui, comme en témoigne son nom, semblait plutôt destinée à abriter des bestiaux qu'à loger des créatures humaines. C'est là que dès l'abord, dans une cour intérieure, je découvris la grande statue de guerrier antique, qui était l'objectif de mon voyage. Elle se trouvait debout et comme en faction, appuyée contre un vieux mur, sans aucune protection con-
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tre les pluies ou les neiges. Malgré son état d'abandon, elle avait une robuste et forte apparence, quelque chose de la calme grandeur des monuments égyptiens. La couleur gris foncé et un peu bleuâtre de la pierre, les rugosités de ses méplats occasionnées par les intempéries depuis de longues années, contribuaient à lui donner cet aspect rude et sévère. Elle a été acquise par le Musée-Calvet, et avant toute restauration et une installation définitive, elle a été déposée dans la grande galerie du rez-de-chaussée, mais provisoirement dans des conditions fort défectueuses. Ci-jointe est la photographie exécutée par M. Michel, l'habile photographe de nos monuments.
Dans son état actuel elle a une taille d'un mètre cinquante-cinq centimères, mais comme les pieds et le bas des jambes ont été brisés et jusqu'à présent n'ont pu être retrouvés, on peut dire que, dans son état primitif, elle devait mesurer environ un mètre quatre vingt centimètres. La tête est détachée du tronc; elle peut être facilement rajustée, de telle manière que la cassure et la suture n'apparaîtront pas. Le grain et la couleur de la pierre semblent être ceux des pierres des montagnes voisines, de calcaire néocomien. Il est donc à présumer qu'elle avait été sculptée non loin de l'endroit d'où elle a été exhumée. D'ailleurs la hauteur et l'escarpement des lieux y eussent rendu le transport bien difficile, sinon impossible.
J'ai dit qu'elle était debout. La tête, remarquable par son développement postérieur, est nue et sans barbe ; le galbe du visage est plein, mais d'un ovale assez régulier et indique un homme jeune ; le nez, d'après ce qui en reste, paraît avoir été assez fort et un peu aquilin ; la bouche légèrement entr'ouverte porte un air bienveillant et semble parler; les cheveux assez abondants sont de demi-longueur et point bouclés, mais groupés en mèches retombantes, un peu plus longs derrière que devant. Le bras droit est ramené vers la poitrine ; la main pose sur un ceinturon et est à demi fermée. Elle portait peut-être un bâton de
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commandement, mais plus sûrement le spiculum, espèce de pilum ou de lance très courte (1). Le bras gauche est un peu replié, et la main s'appuie sur un bouclier, scutum, de forme oblongue et hexagonale. Le vêtement consiste en une longue tunique qui descend assez bas et qui présente cette particularité qu'au lieu de se trouver fermée comme une blouse, on la voit largement ouverte en bas sur le devant comme nos redingotes d'aujourd'hui. Elle est à manches longues et étroites, manicata, qui descendent jusqu'aux poignets avec retroussis. La manche droite, qui seule apparaît en entier, était resserrée par un cordon ou lacet en zigzag, détail tout-à-fait exceptionnel, peut-être unique, dans les statues antiques.
Par dessus la tunique est une belle cuirasse en cotte de mailles, lorica hamata, composée d'anneaux plats et ovales superposés, assujettie sur les épaules par un système d'épaulettes ou bretelles à peu près dans le genre de celles de nos cuirassiers d'à présent, et attachée de chaque côté de la poitrine à des plaques par des espèces d'écrous ainsi que par un cordon ou torsade, espèce de brandebourg. Elle est serrée à la taille par un ceinturon, cinctorium, fermé par une boucle. Le ceinturon assez orné supporte une épée. Enfin au dessus de la cotte de mailles, qui donne au personnage quelque analogie avec celui de Robert le Diable, dans l'opéra de ce nom, s'étend le grand manteau militaire à larges plis, appelé par les Romains paludamentum. Celui-ci se rattache sur l'épaule droite au moyen d'un gros bouton; il recouvre le derrière du corps ainsi que l'épaule gauche et se replie sur le bras gauche. Au ceinturon est attachée, du côté droit, l'épée droite et large, gladius, dont la poignée porte des ornements en relief et dont la forme est un peu celle des anciens coupe-choux de nos fantassins. Le fourreau semble en cuir, ayant pour arma(1)
arma(1) Diction. des antiquités grecques et romaines. — Quicherat, Mélanges d'archéol. et d'hist., p. 326.
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ture trois cercles de métal. Par suite de cassure, la bouterolle manque. Quant au bouclier, il est surmonté dans son milieu par la protubérance que les Romains appelaient umbo, laquelle est reliée par huit clous à tête plate disposés en forme d'ornements. La statue porte au col un grand collier, torques, décoration ou insigne de son grade ou de sa dignité. Le tout a le type romain des temps de la décadence avec une rudesse un peu barbare, mais qui n'exclut pas une certaine noblesse.
A l'exception de la cassure des pieds et du bas des jambes, elle ne présente aucune dégradation un peu importante; celle de la partie de derrière l'épaule gauche est insignifiante au point de vue archéologique, mais au point de vue esthétique, elle nuit un peu à l'effet d'ensemble. L'extrémité du nez est cassée ; mais on sait que la cassure du nez est habituelle dans les statues antiques. Cette mutilation était invariablement commise par les barbares ou par les ennemis, chrétiens ou autres, lorsque, par une cause quelconque, ils s'abstenaient de détruire complètement le monument. Mais, à celle-ci, la courbe qui descend du front suffit pour faire reconnaître que le nez devait être un peu aquilin et un peu fort. Du reste, le photographe, en s'inspirant de la partie qui subsiste a pu faire la restitution sans difficulté. La cassure du bouclier, qui va de pair avec celle du bas des jambes, peut être facilement réparée; l'umbo, placé au milieu de l'ellipse, servirait de repère pour faire rétablir la dimension. Ce bouclier devait donc avoir, quand il était entier, une hauteur de 0m90 et une largeur de 0m45.
En résumé, cette statue se trouve d'une plus heureuse conservation que la plupart des monuments de même nature qui, avant toute restauration, viennent enrichir les musées. Lorsqu'elle aura été remise sur ses pieds, lors(1)
lors(1) et Saglio, Diction. des antiquités grecques et romaines. — Maindron, les Armes.
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qu'elle aura été installée sur un socle convenable et en un endroit qui permette une reculée suffisante, lorsqu'elle sera débarrassée des scories dont elle a été souillée par l'outrage des ans et des intempéries, elle est appelée à devenir l'objet d'une légitime attraction de la part du public érudit. Elle a un noble caractère, et ses grandes lignes produiraient un bel effet, si la cassure des jambes ne la faisait paraître actuellement trapue et trop courte. Toutefois, qu'on ne s'attende pas à trouver une oeuvre qui se recommande par l'élégance du style et le fini de l'exécution. La lourdeur et les autres défauts qu'on peut lui reprocher sont un des signes de la basse époque où elle a été faite, et témoigne de la décadence des arts dans les temps troublés voisins de la ruine de la civilisation antique. Mais quel que soit le plus ou le moins de mérite artistique, elle a une valeur archéologique de réelle importance. Soyons certains qu'elle sera un sujet d'étude pour les savants spécialités de Paris et d'ailleurs. Le musée de St-Germain aura à nous envier ce monument de l'authenticité la plus parfaite. Particulièrement la ferronnerie de la cuirasse, représentée dans ses détails les plus pratiques et les plus minutieux, et point du tout par à peu près comme dans un grand nombre de monuments de même nature, pourrait servir de modèle exact pour la confection d'une armure pareille. Remarquons, d'ailleurs, que les spécimens de cottes de mailles sont extrêmement rares dans les monuments qui nous restent de la statuaire antique.
Essayons de résoudre à présent les difficiles problèmes que soulève la statue, en l'absence d'inscription et d'attributs particuliers. Quel est le personnage historique, ou mythologique, ou allégorique qu'elle représente ? Pourquoi et comment avait-elle été installée dans un lieu presque désert et inaccessible ?
M. Gilles, notre savant collègue, à qui aucun monument antique existant dans le Sud-Est de la France n'est resté inconnu, est le seul qui ait déjà fait mention de celui-ci.
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Dans sa publication intitulée : Marseille quarante-neuf ans avant J.-C. (1), il en a donné une description sommaire, accompagnée d'un dessin lithographique. Il a cru y voir l'effigie d'un chef gaulois, d'un de ces Albiciens guerriers, montagnards des Basses-Alpes, qui accoururent au secours de la ville de Marseille, assiégée par l'armée de Jules César, et tout au moins un emblême, une personnification du peuple albicien lui-même. Mais M. Gilles se montre parfois trop libéral envers l'art gaulois, trop souvent il a prêté à nos ancêtres primitifs ce qui appartenait à des temps plus récents. D'ailleurs, en présence de la statue, il est facile actuellement de constater que sa description et les déductions qu'il en tire sont peu exactes. Par les rares monuments qui nous restent de l'art gaulois et notamment par les bas reliefs d'Entremont, près d'Aix, par les sculptures exhumées de dessous le chevet de Notre-Damede-Paris, par celles qui sont déposées au musée de St-Germain, et même par la statue de guerrier trouvée à Mondragon et existant au Musée-Calvet, on pourrait se convaincre que l'art gaulois n'a rien à voir dans la statue de Vachères. Dans celle-ci, il n'y a rien de gaulois ; tout est romain, style, exécution, costume, armement. Point de bras nus, ornés de bracelets, point de chevelure flottante ou ramenée au sommet de la tête, point d'épaisses moustaches, point d'épée longue et mince, ni de grand bouclier de hauteur d'homme ; aucun de ces attributs divers qui étaient la caractéristique de la race, et que la science moderne n'a pas manqué de reproduire dans la statue de Vercingétorix, élevée sur le plateau d'Alise. Au lieu de la saie ou sagum, manteau national des Gaulois, on y voit au contraire le paludamentum, grand manteau militaire caractéristique des Romains. Si l'on veut se reporter à des temps postérieurs gallo-romains, on ne saurait y trouver la largeur et la pureté d'exécution qui distinguent l'art du haut em(1)
em(1) Marseille XLIX ans avant J.-C., Paris, 1875.
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pire. D'ailleurs, on ne voit pas quel motif raisonnable aurait eu le gouvernement des empereurs de glorifier, par un monument, la résistance des Albiciens contre Jules César (1). Il n'y a rien non plus qui rappelle une divinité topique ou ethnique sous des formes humaines, ni l'allégorie d'un peuple gaulois. Il s'agit donc d'un personnage romain bien réel, bien vécu, et cette effigie est un véritable portrait dont nous avons à rechercher l'original.
Son costume, ses insignes, son armure nous révèlent un très haut personnage. J'ai dit que la statue portait un ceinturon orné. Or, dans les armées romaines, les officiers, centurions et autres, ne portaient que le simple baudrier placé sur l'épaule; le ceinturon particulièrement, dans les temps du bas empire, était un attribut, un insigne réservé aux empereurs et aux césars, aux consuls ou aux généraux en chef. Je dois ajouter qu'on ne saurait s'égarer dans le moyen âge, et voir la représentation de quelque chevalier du Temple ou autre. Entre autres raisons, le paludamentum romain, l'épée romaine s'y opposent absolument.
(1) Si les conditions que je viens d'indiquer n'excluaient pas l'hypothèse d'une origine et d'un sujet gaulois, mieux vaudrait assurément attribuer le monument aux Voconces qu'aux Albiciens. La montagne de Vachères est située dans les limites du territoire voconce, tandis que les Albiciens occupaient les pays de la rive gauche de la Durance.
Dans la galerie des monuments antiques du Musée-Calvet se trouvent réunies avec la statue de Vachères la grande statue de Jupiter, découverte à Séguret en 1877, et celle du guerrier gaulois, découverte aux en irons de Montdragon en 1834 et dont un moulage figure avec honneur dans une des grandes galeries du musée de St-Germain ; on peut les y comparer et les étudier avec fruit. Celle qui est attribuée à Jupiter a les conditions et le style d'une divinité topique gallo-romaine du haut empire ; celle de guerrier gaulois, oeuvre d'un ciseau romain habile et de la bonne époque de l'art, est vraiment remarquable, malgré sa mutilation, par l'extrême fidèlité, par la vérité saisissante des caractères ethniques de la race gauloise. Dans l'examen de notre question, il me semble donc indispensable de la prendre comme base de comparaison. Toute différente, la statue de Vachères, d'apparence romaine de la basse époque et oeuvre de la décadence, se présente avec un style et les caractères iconographiques romains du bas empire. Elle atteste l'intrusion d'un élément barbare et grossier dans le monde romain.
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En vain, pour faire son attribution, j'ai eu à consulter d'abord les grands ouvrages d'iconographie antique, notamment les recueils de Visconti et de Clarac et aussi L'antiquité expliquée de Montfaucon. Ces ouvrages ne traitent guère que de chefs-d'oeuvre de l'antiquité et presque point des oeuvres secondaires du bas empire. En cet état, j'ai reconnu qu'il était indispensable de recourir à la numismatique, et j'ai mis à contribution les recueils de Cohen, de Sabatier, de Mionnet, de Banduri, avec l'immense quantité de types qu'ils reproduisent. Aujourd'hui me sera-t-il permis de dire que cette science auxiliaire m'a fait obtenir la solution que je cherchais ?
Il a fallu pour parvenir au but, m'attacher à la minutieuse observation des détails. Tous les divers caractères iconographiques du monument me paraissent amener à une époque historique bien déterminée, le règne de Constantin le grand et de ses fils. En ce temps-là, c'est-àdire vers les premières années du IVe siècle (1), le visage des empereurs et des Césars gravé sur les monnaies s'y montre entièrement rasé. La barbe qui n'avait pas cessé d'être portée depuis le règne d'Adrien jusqu'à ceux de Maximien Hercule et de Licinius, c'est-à-dire pendant deux siècles, disparaît totalement des monnaies et plus tard ne reparaît que momentanément sur les monnaies de l'empereur Julien. Au contraire la chevelure, qui en général sur les monnaies avait été représentée fort courte depuis les derniers temps de la République romaine, commence à s'allonger un peu et à être figurée plus longue sur la nuque que sur le front, tout au moins à partir du règne de Dioclétien. A cette époque, les cuirasses en cottes de mailles, qui avaient été presque abandonnées
(1) Banduri, Numismata imperator. Romanor , t. II, passim. — Cohen, Description des monnaies impér., 2e édition, t. VIII, passim. — Ch. Robert, Numismatique du Languedoc, passim. — Sabatier, Description des monnaies bysantines, t. I. — Rich, Dictionnaire des antiquités grecques et romaines. —Daremberg et Saglio, Dictionnaire des antiquités grecques et romaines.
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sous le haut empire, avaient repris faveur à la suite des guerres de Septime-Sévère et de l'introduction des usages de l'Orient. Elles présentent quelque analogie avec le haubert employé au temps des croisades. Mais le paludamentum ou manteau de guerre, parla manière dont il est disposé, est de caractère purement romain, conforme à celui des nombreuses statues antiques des empereurs existant dans les musées. Le torques ou collier militaire, qui ne se montrait pas sur les monnaies du haut empire, s'aperçoit sur des monnaies d'Aurélien et de Probus représentés en tenue de guerre (1) et était devenu très apparent; notamment sur des monnaies de l'empereur Constant et de ses successeurs. Auparavant le collier était plus petit (2) et s'étalait sur la poitrine comme une décoration (3). Le ceinturon orné, auquel est suspendue l'épée, témoigne d'un personnage de famille impériale, on bien d'un consul ou d'un général en chef; il était un de leurs insignes au IVe siècle (4). Ordinairement l'épée était portée du côté droit à cause du port du bouclier. Celle-ci avant la cassure devait se trouver un peu plus longue que celles du temps du haut empire. Un des signes les plus essentiels à retenir, c'est la tunique à manches longues et étroites. Elle était d'origine barbare et commence à se montrer parfois sur des monnaies de Gallien et même sur une monnaie d'Alexandre-Sévère. Auparavant elle était l'apanage des femmes ou des hommes efféminés ; les guerriers n'osaient s'en revêtir, car elle était considérée comme une marque de mollesse. Aussi bien, les empereurs du haut empire représentés en appareil de guerre ont
(1) Voir notamment Bonduri, t. I, p. 065, Aurélien ; et Cohen, t VI, Probus, n°18.
(2) Rich, v. Torquatus.
(3) Enfin on le retrouve sous des formes très variées, représenté fréquemment sur les monnaies des empereurs byzantins, ainsi que sur-celles des rois barbares, goths, vandales. Voir Sabatier, Monnaies byzantines, t I, passim.
(4) Rich, v. Cinctorium ; Bonduri, t. II, passim.
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toujours les bras nus. Au contraire, les monnaies des fils de Constantin attestent son usage habituel. Mais un détail encore plus important, selon moi, c'est le retroussis des manches sur les poignets. Je ne l'ai retrouvé pareil à celui de notre statue que sur des monnaies de l'empereur Magnence et du césar Décentius, frère de celui-ci (1). Ceci est donc un signe spécial et exclusif. Je remarque de plus que, tandis que la couronne laurée ou diadémée, ou le diadème sont invariablement l'attribut des empereurs, et habituellement l'attribut des césars, Magnence est représenté la tête nue le plus souvent, et Décentius toujours (2). Il ne faut pas s'en étonner : Magnence n'était qu'un usurpateur combattant contre Constance son empereur légitime, et Decentius, qui d'après les historiens n'avait jamais eu que le titre de césar et non point le titre d'auguste, pouvait encore moins que son frère ceindre la couronne ou le diadème. Enfin le geste ou attitude de la main droite semble, indiquer le port du spiculum. Or, les monnaies, à partir de Probus, représentent fréquemment le port de cette arme par les empereurs et les césars. Et précisément les monnaies que je viens de citer représentent Décentius portant le spiculum la pointe en avant, avec une attitude absolument semblable, que j'appelerais stéréotypée.
On me demandera peut-être de poursuivre cette démonstration par l'identification des traits du visage. Mais d'une part la mutilation du nez, d'autre part la mauvaise frappe des monnaies rendraient cette opération trop conjecturale. Qu'il me suffise de dire que, d'après la reconstitution du nez, telle que le photographe l'a faite sur une épreuve, en prenant pour base la racine qui subsiste, les traits semblent ne pas différer de ceux qui sont gravés sur les monnaies.
Ces rapides constatations, soit dans leur ensemble, soit
(1) Banduri, t. II. — Cohen, t. VIII.
(2) Ibid.
DE L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE 351
dans les détails, paraîtront, je l'espère, suffisantes pour justifier mon attribution de la statue soit à l'empereur Magnence, soit au césar Décentius, mais à celui-ci de préférence. Et en effet, tandis que, d'après les historiens, Magnence avait environ cinquante ans lorsqu'il régnait dans les Gaules, il avait conféré le titre de césar à Décentius, son frère plus jeune que lui. Or, la statue nous reproduit les traits d'un personnage âgé de trente ans tout au plus, et non point ayant atteint la cinquantaine. Pour compléter la démonstration, on trouvera ci-jointe la photographie d'une monnaie de Décentius, qui me paraît présenter les diverses conditions iconographiques de la statue (1).
Il s'agit maintenant de mettre la statue de Décentius en harmonie avec l'histoire.
Au IVe siècle, en l'an 350 de l'ère chrétienne, tandis que l'empereur Constans, un des fils et successeurs de Constantin, se laissait absorber par les plaisirs de la chasse dans les forêts de la Gaule centrale, et que l'empereur Constance, frère de celui-ci, guerroyait contre les Perses à l'extrémité orientale de l'empire, Magnence, à l'aide d'une conspiration militaire, se fit proclamer empereur dans le palais d'Autun (2) ; quelques jours après, il fit mettre à mort l'empereur Constans, qui s'était réfugié dans les Pyrénées, et il créa césar, c'est-à-dire héritier de la couronne, son frère Décentius (3) ; il se rendit ensuite en Italie pour en chasser les troupes de Constance, et laissa dans les Gaules Décentius, qui. y gouverna pendant environ trois ans. Les monnaies de celui-ci, rares partout ailleurs, sont communes dans notre région du sud-est et notamment dans notre département. Le petit temple de Cairanne, dont j'ai parlé dans une précédente publication, en contenait plusieurs malheureusement en mauvais état; il
(1) Banduri. — Cohen, Decentius, nos 49 et 26.— Eutrope, X, 9 et suiv.
(2) Julien, Orat., I et II. — Zozime, t. III.
(3) Lebeau, Hist du bas empire, t II. — Gibbon, Décad. de l'empire romain, t.I, p. 403.
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en existe aussi un certain nombre dans le médailler du Musée-Calvet.
Mais bientôt la fortune avait changé. En l'an 351, l'armée de Magnence fut défaite par celle de Constance ; et lui-même se vit obligé de repasser les Alpes et de reconstituer une nouvelle armée dans notre région. Deux ans après, il fut encore défait dans la célèbre bataille de Mont-Séleucus (1), petite ville située entre Vapincum (Gap) et Segustero (Sisteron), à environ cinquante-cinq kilomètres de Vachères, non loin de la grande voie qui conduisait en Italie. Réfugié à Lyon et informé que ses propres soldats voulaient le livrer au vainqueur, il se perça de son épée à l'âge de cinquante ans. A cette nouvelle, Décentius, se voyant irrémissiblement perdu, s'étrangla de ses propres mains. La fréquence des monnaies de celui-ci atteste son autorité dans nos pays et nous explique que cette autorité ait été affirmée par un monument militaire. On sait du reste, combien les armées romaines étaient prodigues de monuments iconographiques en l'honneur des empereurs, des césars ou de leurs généraux, de même qu'en cas de revers, elles étaient promptes à les renverser.
Il me resterait à établir pourquoi et comment la statue de Décentius avait été erigée sur le plateau presque inaccessible de Vachères, mais ici je ne puis exprimer que de simples conjectures. N'oublions pas que ce plateau est voisin d'un point stratégique, peu éloigné des rives de la Durance et de la grande voie romaine d'Arles en Italie. A vol d'oiseau, il n'est distant de la voie romaine que de six kilomètres environ ; il domine une grande étendue de territoire, et le monument qui y était élevé devait être aperçu de fort loin. Sous le principat de Décentius, ce pays devait être occupé par des troupes nombreuses, qui avaient à protéger la Gaule contre l'armée de Cons(1)
Cons(1) Antiquités de Mont-Seleucus.
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tance, campée au-delà des monts. Très probablement aussi, avant ou après la grande bataille de Mont-Seleucus, il y avait eu d'autres faits de guerre, qui n'ont pas été signalés par les historiens. Les pages de l'histoire sont presque toujours abrégées et ne consacrent que les événements principaux, les batailles décisives, et d'ailleurs, la plupart des auteurs au IVe siècle n'étaient guère que des abréviateurs. Mais cette fois, ce que l'histoire n'a pas retenu, les traditions et l'archéologie le signalent. Près du territoire de Vachères, entre Reillane et Mont-Justin, en un lieu appelé Carluech, l'ancienne Catuiaca des itinéraires (1), on raconte qu'avait été livrée une bataille ou bien qu'avait séjourné un corps d'armée ; on y a exhumé des fragments d'armures, des poteries, des objets de bronze et autres antiquités romaines. Mais sur le plateau de Vachères malheureusement, malgré mes investigations, je n'ai pas appris qu'on ait fait d'autres découvertes que celles de la statue et de quelques monnaies frustes; il y a là un desideratum et il faudrait faire des fouilles dans le département des Basses-Alpes ; les territoires traversés par l'ancienne voie romaine ont été trop peu explorés, bien qu'ils soient d'une richesse archéologique incontestable. Quoi qu'il en soit, toute cette région rappelle les souvenirs de l'empereur Magnence et de son frère, le césar Décentius, et tout me semble s'y réunir historiquement pour justifier l'attribution que je viens de faire.
Néanmoins je ne dois pas terminer cette étude sans examiner rapidement la valeur d'une autre attribution que l'histoire locale pourrait suggérer. Vers la fin du VIe siècle, environ 230 ans après le règne de Magnence, un grand homme de guerre d'origine gallo-romaine protégeait de son épée et remplissait du bruit de son nom la région,
(1) Parthey et Pinder, Itinéraire d'Antonin, p. 243.— D'Anville, Notice de la Gaule, v. Catuiaca. — Dr Long, Mémoires sur les antiquités romaines du pays des Voconces, p. 279.
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alors soumise aux Burgondes, et qui forme aujourd'hui les départements des Hautes-Alpes, des Basses-Alpes et de Vaucluse. Le patrice Mummol, général en chef des armées du roi franc, Gontran, fils de Clotaire, avait exterminé dans de nombreux combats les grandes masses barbares de Lombards et de Saxons qui, après avoir pénétré dans la Gaule par les défilés des Alpes, étaient venues porter la désolation et la mort sur les deux rives de la Durance, depuis Briançon et Embrun, jusqu'aux portes d'Avignon (1). Ses éminents services et sa longue résidence dans nos pays lui avaient acquis une grande popularité et étaient bien faits pour lui mériter l'honneur d'une de ces statues, dont les armées romaines s'étaient montrées jadis si prodigues. Mais les temps étaient bien changés. Deux cents ans de guerres, d'invasions barbares ou de guerres intestines avaient à peu près anéanti la civilisation gallo-romaine. Dans la ruine générale, les arts iconologiques, une des plus hautes expressions de cette civilisation, avaient péri ; il n'y avait plus d'artistes dans nos pays. Ce qu'on appelle l'art mérovingien ne consistait alors qu'en la fabrication des épées et autres armes de guerre et ces modestes ouvrages d'orfèvrerie ou de métallurgie exhumés par les fouilles faites de nos jours dans le Nord de la France. Les monnaies de ce temps-là portent elles-mêmes l'empreinte de la plus extrême barbarie (2). En cet état, comment aller chercher dans les épaisses ténèbres de la fin du VIe siècle, l'attribution d'une grande statue qui, malgré ses imperfections, n'en est pas moins une oeuvre considérable, et qui par le paludamentum dont elle est drapée se rattache exclusivement à l'art pure(1)
pure(1) de Tours, Histoire de France, traduction Guizot, t. I, p. 226 et suiv. — Fauriel, Histoire de la Gaule Méridionale, t. II, p. 182
(2) Charles Robert, Numismatique du Languedoc, passi m. — Grosson, Monuments marseillais, p. 49 et suiv.— Heiss, Monnaies des Wisigoths. — F. Lenormant, Monnaies et médailles, p. 203 et suiv. — A. Barthélemy, Manuel de numismatique du moyen âge mérovingien.
DE L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE 355
ment romain ? Et d'ailleurs comment y trouver l'image du patrice Mummol, tandis qu'il ne subsiste aucun document numismatique ou autre pour servir de terme de comparaison ? On ne saurait donc s'arrêter à une attribution uniquement conjecturale, et que proscrit la genèse de l'art. Pour moi, en publiant mon travail, je n'ai pas d'autre but que d'attirer sur un vénérable monument historique l'attention des spécialistes, et de provoquer leurs savantes interprétations, soit qu'ils y cherchent un document précieux pour l'historique du costume et de l'ornement chez les anciens Gaulois, soit qu'avec plus de raison, selon moi, ils y trouvent un témoignage se rattachant au plus grand évènement qui se soit dénoué dans la vallée de la Durance aux temps de la décadence romaine,.
A. SAGNIER.
LE SINGE CANDIDAT.
FABLE.
Le singe, un jour, voulut devenir député.
Ne riez pas, messieurs, un singe en vaut un autre,
C'était là son avis ; il se passa du nôtre.
Il avait un peu lu, pas trop mal écouté ;
Prêt à se ruiner en superbes promesses,
Assurer aux badauds bombances et liesses
Que faut-il donc de plus Pour être au nombre des élus ?
Avec un perroquet pour premier secrétaire, Pour l'écouter un peuple de serins, Pour éloquence une blague à tous crins,
Il pensa se tirer utilement d'affaire.
Ainsi dans son discours s'exprima l'orateur :
« Très chers concitoyens, mes juges, mes arbitres,
« Vous avez devant vous un vrai réformateur.
« Pour vous plaire qui donc montrerait plus de titres ?
« Avec moi vous aurez des siècles de bonheur
« Les arbres, chaque été, messieurs, auront plus d'ombre;
« Le jour sera plus clair, la nuit beaucoup moins sombre ;
« Il faut que l'âge d'or nous rende son éclat !
« Des ronces tombera du thé, du chocolat ;
« Le beurre, un peu vieilli, ne sera jamais rance ;
« Les saumons, sauce au choix, nageront en Durance ;
« Lièvres et lapins, en dansant tout en rond,
« Par groupe au rôtissoir gaîment s'embrocheront.
MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE 357
« Dans un bain succulent d'excellentes orties, « Les cailles tomberont du ciel toutes rôties.....
« La vérité, captive au fond de son vieux puits, « Changeant de résidence après bien des ennuis, « Ce qui, vu notre temps, n'étonnera personne, « Elira domicile aux bords de la Garonne. « Parole de Normand vaudra mieux qu'un écrit. « On verra certains sots même avoir de l'esprit. « Vous le voyez, messieurs, c'est la grande réforme, « Avec moi, foi de singe, on n'attend pas sous l'orme, » Oh ! que c'était bien dit ! Le peuple aime toujours Qui le trompe et le berne en de pompeux discours. Dites-lui qu'il sait tout, il vous croit sur parole ; Qu'il peut tout, vous pouvez monter au Capitole. Parmi tous les serins, les ânes et les veaux, Ce n'était que vivats, que très bien, que bravos.... Le renard eût voulu risquer quelque critique, Mais le peuple était là, fier, frémissant, épique.... Le succès était mûr et l'affaire enlevée. O triomphe ! ô bonheur ! ô la gloire rêvée ! Le singe sans conteste, à l'unanimité Fut élu député.
Quel que soit l'animal, surtout s'il est un homme, Si perroquet qu'il fût, si singe qu'il sera, Il trouve, il a trouvé, pour sûr il trouvera,
A Paris, comme à Rome,
Demain, comme aujourd'hui, Plus singe et plus bête que lui.
G. D'AUDEVILLE.
358 MÉMOIRES
L'ECHALIER.
IDYLLE.
C'était le soir d'un beau dimanche.
Des deux côtés de l'échalier Séparant le clos du hallier, Jeune garçon et jeune fille, L'un svelte et fort, l'autre gentille, Riaient beaucoup, parlaient un peu, Sans se lasser d'un si doux jeu. De quoi causait le couple tendre ? Était-ce d'un baiser à prendre, Du bal prochain, ou du pardon, Quand pour cher gage un joli don Viendrait redire à la payse Le baiser pris, la fin promise ?
Curieux, mais pas trop méchant, J'étais caché pas loin du champ, Tout juste assez pour bien entendre Ce que disait le couple tendre. Ils se croyaient au paradis. Pierre avait ses plus beaux habits ; Nannon, croix d'or et coiffe blanche : C'était le soir d'un beau dimanche. Mais ils avaient, ce qui vaut mieux, Le coeur aimant, le front joyeux. Nannon disait : « Pour le ménage, « Tu n'en verras pas au village « Plus propre et plus beau que le mien. « Si je n'ai pas beaucoup de bien,
DE L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE 359
« Nous nous aimerons tant, mon Pierre,
« Qu'on envîra notre chaumière.
« Femme économe est un trésor ;
« Bon laboureur vaut mieux encor.
« Le soir, après notre prière,
« Entre le crucifix de pierre
« Et le rameau de buis bénit,
« D'ici je vois le joli nid ;
« Mère a payé toute la chambre. »
Pierre pensait : « C'est loin septembre ! »
Rien qu'à se regarder se trouvant tout heureux, Ils se turent bientôt les jeunes amoureux. Déjà baissait le jour ; des montagnes prochaines, Des grands bois de sapins, des longs rideaux de chênes, Sur les prés, dans les champs, l'ombre allait s'allonger ; Ils rêvaient de rubans, de bouquets d'oranger, Des beaux habits tout neufs de drap fin sentant l'ambre ; Et Pierre se disait : « Que c'est donc loin septembre ! » Sur leurs lèvres c'était un doux miel que leur nom ; Et quel charmant refrain : « Mon Pierre, ma Nannon, » Commençant chaque phrase, achevant toute chose ! Après les jolis riens vint une longue pause. Autour d'eux, gais comme eux, mésanges et pinsons, Aux cimes des ormeaux, épars dans les buissons, De retour des guérets sur la branche qui ploie, Semblaient tous à leur vue être heureux de leur joie, Et, fêtant à l'envi le coucher du soleil, S'époussetaient, baignés dans un rayon vermeil. Les dernières clartés, dorant tout à la ronde, Rendaient aussi Nannon plus gentille et plus blonde.
« Pierre, il me faut partir ; mère me gronderait. » « N'être qu'en mai ! » songeait Pierre, sourd ou distrait, En lui pressant toujours, à pleine main brûlante, La main qui le quittait, — oh ! bien douce et bien lente, —
360 MÉMOIRES
Car, bien que la maison fût au bout du verger,
Fille sage toujours doit savoir se ranger.
« Eh ! quoi ; déjà partir ! que l'heure a passé vite !
« — Huit jours encore, huit jours....qu'à regret je te quitte !
« — Pour t'aimer, pour te voir, il n'est, ô ma Nannon,
« Ni d'amour assez grand, ni de jour assez long ! »
Elle allait, front rêveur et joyeux, coeur en fête, Pas à pas, lentement, tournant parfois la tête. Courbé sur l'échalier, pensif, son amoureux L'accompagnait du coeur, et l'embrassait des yeux. Enfin il se leva. Linots et rouges-gorges, Avant de s'endormir, gazouillaient dans les orges ; Dans les champs d'alentour s'appelaient les perdrix. Notre gars leur chantait ce refrain du pays :
« Coeur qui d'amour rêve et soupire « A-t-il enfin ce qu'il désire ?
G. D'AUDEVILLE.
BONUM VINUM L'AETIFICAT COR HOMINIS.
CONTE.
Un bon évêque, aimé de son clergé, Lui prodiguait faveurs paroissiales, Bontés, sermons, visites pastorales...
Il en était pour ce très souvent hébergé.
Comme il ne voulait pas cependant être en reste,
Il se fit de retour un gracieux devoir,
A chaque occasion, de le bien recevoir.
L'accueil était parfait, quoique simple et modeste.
« D'un Bourgogne ordinaire achetons un tonneau, »
Se dit le saint prélat. Bientôt sur étiquette
Il en fit acheter. Ne buvant que de l'eau,
Il dut s'en rapporter à la bonne franquette.
Le marchand le trompa : c'était de la piquette !
DE L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE 361
— L'évêque, s'endormant dans son doux préjugé, Bientôt du faux nectar inonda son clergé.
« Comment le trouvez-vous ? » se plaisait-il à dire
Aux vicaires, curés.... à tous ses invités,
Qui toujours poliment lui répondaient sans rire :
« Excellent, Monseigneur, digne de vos bontés. »
L'évêque était myope et sur toutes les faces
Ne pouvait voir combien se passait de grimaces.
Quand un certain abbé, vrai curé de canton,
Au parler libre et franc, quoique plein de bon ton,
Fit, un jour, au prélat cette fine réponse :
« Bonus vinum loetif..... — Assez, monsieur, assez, »
Dit l'évêque, « la fin, croyez-le, je la sais. »
Puis enfin sur le ton d'une aimable semonce :
« Oh ! monsieur le curé, c'est du petit latin ;
« Bonus vinum?.... c'est là du latin de cuisine.
— « Distinguo, monseigneur, » — dit le curé malin —
« Que votre Grandeur daigne,— à ses pieds je m'incline,— « Goûter un peu son vin : c'est du vin de cuisine.
« Elle dira, j'en suis certain :
« A petit vin, petit latin. » (1)
G. D'AUDEVILLE.
(1) C'est d'après ce conte, dit avec plaisir au regretté M. Roumanille, qu'a paru dans le recueil si populaire et si spirituel Armana Prouvençau, 1893, celui de : Pichot vin, pichot latin.
SÉANCES DE L'ACADÉMIE.
Extraits des procès-verbaux.
JUILLET-OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1892.
Séance du 2 juillet 1892. — Présidence de M. Mordon, vice-président.
Présents : MM. Mordon, Limasset, Labande, Rochetin, Sagnier, d'Audeville, docteur Villars, abbé Grimaud, docteur Réguis, Tiquet, Rieu.
M. le Président a reçu de M. le docteur Régnier une brochure sur la nomenclature botanique. M. le docteur Réguis est chargé de faire un rapport verbal sur cet ouvrage à la séance du mois d'octobre.
M. le Président rappelle que, conformément à ce qui avait été décidé à la précédente séance, il a fait, avec M. Limasset, une démarche auprès de M. Torcapel, pour essayer de le faire revenir sur sa démission de président de l'Académie. Il a le regret d'annoncer que M Torcapel a persisté dans sa démission.
M. le Président est heureux d'annoncer à ses collègues que M. l'abbé Requin vient de recevoir, au congrès des Sociétés savantes de la Sorbonne, les palmes d'officier d'Académie. Cette distinction honorifique, dit M. le Président, était bien due à notre excellent collègue, pour ses nombreux et savants travaux sur les anciens artistes de l'école d'Avignon.
M. Limasset lit la deuxième partie d'un intéressant travail sur l'Historique du Lycée et de l'Athénée de Vaucluse. Celle-ci est intitulée : Historique de l'Académie de Vaucluse.
MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE 363
M. le Président, en faisant l'éloge du travail de M. Limasset, dit qu'il en a particulièrement remarqué le passage, où il est question des livres appartenant à l'Académie, qui sont restés en dépôt à la bibliothèque de la ville. Il propose à la Société de renouveler auprès de MM. les administrateurs de la bibliothèque et du musée, la réclamation qui leur a été déjà adressée sans résultat, à l'effet de rentrer en possession de ces ouvrages. L'Académie vote cette proposition.
M d'Audeville donne lecture de la poésie pour laquelle il est inscrit à l'ordre du jour. L'Échalier, est une idylle, une causerie entre jeunes fiancés bretons, pleine de fraîcheur et de naïveté. L'Académie est reconnaissante à M. d'Audeville de vouloir bien lui réserver ainsi les charmantes créations de sa muse.
M. Rochetin donne lecture du mémoire de M. le capitaine Caziot, inscrit au programme du jour, celui-ci n'ayant pu se rendre à la séance et lire lui-même ce travail, qui est intitulé : Une Roche animée dans les environs d'Avignon. Il est question de l'aiguille du rocher, située de l'autre côté du Rhône, à quelque distance au nord de Villeneuve, qu'on appelle vulgairement la Roco longo et aussi « la femme de Loth ».
M. le Président annonce, avant de lever la séance, qu'il vient d'adresser une demande à M. le Préfet, à l'effet d'obtenir du Conseil général le rétablissement de l'allocation annuelle de 300 fr., qu'il votait autrefois pour l'Académie de Vaucluse, et que depuis nombre d'années on lui a retirée. Il espère que le Conseil général accordera de nouveau cette somme.
Séance du 8 octobre 1892 — Présidence de M. Mordon, vice-président.
Présents : MM. Limasset, Villais, Sagnier, Rochetin, Pilate, Mouzin, Tiquet, Saurel, Réguis, Grimaud, d'Audeville, Delaly, Mascle, Schaedelin. Caziot, Michel, Mordon et Labande.
M le Président a l'honneur de présenter, comme membre titulaire de l'Académie, M Etienne Patrocel, déjà membre de plusieurs Sociétés savantes. L'Académie, à l'unanimité, lui accorde ses suffrages
La Société des Amis des Sciences et Arts de Rochechouart demande à échanger ses mémoires avec ceux de notre Société. Accepté.
M. le Président donne lecture d'une circulaire ministérielle, annonçant que la 17e session des Sociétés des beaux arts des départements s'ouvrira le 4 avril 1893, et que les mémoires préparés en vue de cette session devront être adressés avant le 1er février.
Il fait part de la lettre préfectorale en date du 8 septembre, informant que le Conseil général du département s'est vu obligé, faute de ressources, de refîner l'allocation de 300 fr. que l'Académie avait demandée. L'Aca-
364 MÉMOIRES
demie se réserve de faire de nouvelles démarches lors de la prochaine session du Conseil général.
M. Chauvet offre à l'Académie ses Notes archéologiques Tarentaises. M. Rochetin est prié d'en faire le compte-rendu.
La question est agitée du local dont l'Académie a besoin, pour loger sa bibliothèque et pour réunir son bureau. Il est décidé qu'une démarche sera faite auprès de l'Administration du Musée pour lui demander ce local gratuitement ; en retour, l'Académie laisserait à la bibliothèque de la ville la propriété de toutes ses collections, si la Société venait à se dissoudre.
La parole est ensuite donnée à M. Sagnier, pour la lecture de son étude sur la statue antique de Vachères, acquise récemment par le Musée de la ville. Cette statue presque complète, en pierre des Alpes, représente un guerrier romain avec ses attributs : cuirasse en cotes de maille, bouclier avec l'umbo, tunique lacée au poignet, glaive attaché au ceinturon, manteau drappé sur l'épaule. M. Sagnier a cherché à déterminer quel était ce personnage ; il est disposé à y voir, par suite de rapprochements qu'il a faits avec les types reproduits sur les monnaies, le césar Décentius, frère de l'empereur Maxence, qui vécut vers le milieu du IVe siècle.
M. le Dr Réguis, chargé d'un compte-rendu de l'ouvrage Le Rhône, publié par M. Lenthéric, fait part à l'Académie de l'excellente impression que lui a produite la lecture de ces deux volumes. M. Réguis s'attache surtout à montrer le côté généralisateur de ce livre et loue l'intégrité de son auteur. Il signale les principaux passages qui intéressent plus particulièrement les Vauclusiens; tels entre autres les passages ayant trait au Ventoux, à la fontaine de Vaucluse, aux changements du lit du Rhône, etc.
M. Rochetin donne lecture d'un sonnet provençal qu'il avait composé à l'occasion des fêtes félibréennes d'Uzès. Il est à la gloire du peintre Sigalon (Xavier), né à Uzés en 1787, et mort à Rome le 8 août 1857. A ce propos, M. Rochetin retrace en quelques mots la vie de cet artiste et signale ses productions les plus célèbres : La Jeune Courtisane, qui occupe actuellement une place parmi les chefs-d'oeuvre de la galerie du Louvre ; Locuste remettant à Narcisse le poison destiné à Britannicus, au musée de Nîmes ; l'Athalie du musée de Nantes ; la copie du Jugement dernier, qui se trouve à l'École nationale des Beaux-Arts, etc.
Séance du 12 novembre 1892. — Présidence de M. Mordon, vice-président.
Présents : MM. Mordon, Rochetin, Limasset, Dr Chobaut, Dr Villars, abbé Grimaud, Tiquet, d'Audeville, Pilate, Dr Réguis, Perrin, Mascle,
DE L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE 365
Reynaud, Mouzin, Sagnier, Caziot, Masse, Schaedelm, Michel, Boyer et Labande.
Les procès-verbaux des séances des 2 juillet et 8 octobre précédents sont lus et approuvés.
MM. Mordon, Limasset, Mouzin et Reynaud présentent M. Thomas, percepteur d'Avignon, aux suffrages de l'Académie pour être membre titulaire. Le vote a lieu à la fin de la séance, et M. Thomas est reçu à l'unanimité.
M. le Président propose à l'Académie de ratifier le choix des commissaires que le bureau avait indiqués, pour examiner les différentes oeuvres envoyées aux concours ouverts par la Société. Sont donc nommés :
Pour la commission du concours scientifique, MM. Nicolas, Torcapel et Chobaut ;
Pour la commission du concours artistique, MM. Bourges, Grivolas et Pilate ;
Pour la commission du concours historique, MM. Rochetin, Tiquet et Labande.
Il est décidé en outre que ces commissaires, après avoir examiné les travaux, se réuniront le dernier lundi de novembre, à moins d'empêchement, pour donner leur décision.
Les prix décernés aux meilleures oeuvres devaient, d'après la circulaire qui fut imprimée lors de l'ouverture de ces concours, être proclamés dans la séance publique annuelle de l'Académie, qui se tiendrait dans le courant de décembre. M. le Président demande donc a l'Académie si elle est toujours d'avis de tenir cette séance publique à la même date. Sur les observations présentées par plusieurs membres, il est décidé que cette séance aura lieu à une époque ultérieure et que dans une prochaine réunion on discutera la date précise à laquelle elle sera fixée.
M. le Président expose ensuite les démarches qui ont été faites en vue d'avoir un local pour le classement de la bibliothèque et des archives et pour la réunion du bureau. L'Administration du Musée, consultée, a fait entendre qu'elle ne serait pas disposée à la combinaison qu'on lui proposait, savoir que le bureau de l'Académie, moyennant l'abandon de tous les volumes appartenant à la Société, en cas de dissolution de celle-ci, aurait un local gratuit. D'autre part, M. Maumet, propriétaire d'une maison dans la rue St-Étienne, offre, au prix de 300 fr. de loyer, une partie de son rez-dechaussée, pour un bail de 3, 6 ou 9 ans. L'Académie délègue son bureau pour traiter cette affaire aux meilleures conditions possibles et émet le voeu que le prix du loyer ne dépasse pas l'ancien prix, soit 250 fr.
La parole est ensuite donnée à M le capitaine Pilate, pour la lecture de son compte-rendu sur le drame de M. A. Chansroux, intitulé : Le Serment d'Annibal. C'est merveille d'entendre notre collègue pariant sa
366 MÉMOIRES
langue si pure et si châtiée, critiquant d'une façon si fine et si spirituelle les défauts de l'oeuvre examinée et mettant en relief avec tant de dextérité les qualités du poète.
M. le Président, après l'avoir remercié, entretient ensuite l'Académie de la question des élections pour le complément du bureau. L'article 6 des statuts porte qu'en cas de vacances, il sera procédé dans le plus bref délai possible à de nouvelles élections. Actuellement le bureau est incomplet, M. Torcapel ayant donné sa démission de président, M. Rey, président d'histoire et archéologie ayant quitté Avignon, enfin, M. Reynaud, ayant donné sa démission de secrétaire. Cependant M. le Président fait espérer que M. Reynaud, cédant aux instances les plus vives qui lui sont faites par tous les autres membres du bureau, voudra bien reprendre ses fonctions. Il resterait donc à choisir et à élire le président de l'Académie et le président de la section d'histoire et archéologie. Il est décidé qu'il sera procédé à ces élections, à la séance de décembre, et l'on charge M. le se crétaire-général de les mettre à l'ordre du jour.
M. Michel présente à ses collègues une pierre calcaire avec le commencement d'une inscription hébraïque, trouvée dans les cailloux du Rhône, à Châteauneuf-du-Pape
En l'absence de M. l'abbé Boudin, M. l'abbé Grimaud lit des Notes historiques sur la foire de Beaucaire. M. l'abbé Boudin attribue comme origine de cette foire les cérémonies religieuses, les pèlerinages. Mais plusieurs membres soulèvent à ce propos plusieurs observations. Ils font remarquer entre autres choses, que Beaucaire remplace aujourd'hui une ville romaine, placée près du Rhône, sur les grandes voies et ayant déjà dû être un centre important de commerce ; ensuite, que presque toujours ce sont les marchés tenus dans les endroits les plus favorables qui ont donné de l'extension aux villes, et que les cérémonies religieuses, loin d'être le point de départ de ce commerce, en étaient plutôt la conséquence.
Enfin, M. Labande lit le travail que lui a adressé M. Lucien Gap, intitulé : l'Acte d'habitation de la terre de Vitrolles. Ce n'est que la traduction et le commentaire de cet acte qu'a donnés M. Gap; mais l'Académie luisait beaucoup de gré d'avoir pensé à publier le type de ces actes d'habitation si communs au XVIe siècle, qui réglaient les rapports des habitants d'une localité avec le seigneur et qui fixaient les droits, privilèges et devoirs de chacun.
Séance du 3 décembre 1892. — Présidence de M. Mordon, vice-président. Présents : MM. Mordon, Tiquet, Limasset, Thomas, Reynaud, Rochetin, Villars, Pilate, Perrin, de Villeneuve-Bargemont, Taulier, Grimaud,
DE L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE 367
Mouzin, d'Audeville, Biret, Protton, Sagnier, Réguis, Boyer, Guérin, Deyber, Maillet, Caziot, Mascle, Schaedelin, Valentin et Labande. Le procès-verbal de la précédente séance est lu et approuvé. M. le Président annonce les candidatures, comme membres titulaires, de MM. Perruche, sous intendant militaire, et Chatelet, directeur de l'École professionnelle d'Avignon, et comme membres correspondants payants, la Chambre de Commerce d'Avignon et M. Dulau, libraire à Londres, sur la présentation de MM. Tiquet, Thomas et Mordon.
Il est ensuite procédé à l'élection de membres complémentaires du bureau. L'ordre du jour portait l'élection du président de l'Académie et du président de la section d'histoire et d'archéologie. Quant au secrétaire, M. Reynaud, sur les instances de ses collègues, a bien voulu revenir sur sa démission et reprendre ses fonctions.
Le scrutin, ouvert pour l'élection du président de l'Académie, donne les résultats suivants :
Votants : 44. — Suffrages exprimés : 42. Ont obtenu :
MM. Pamard 29 voix.
Mordon 10 —
Rochetin 2 —
Limasset 1 —
M. Pamard, ayant obtenu la majorité des voix, est proclamé président de l'Académie. M. Mordon, en félicitant l'Académie de son heureux choix, remercie en même temps les personnes qui, malgré ses instances, lui ont donné leur vote, et demande que le procès-verbal fasse la mention expresse qu'il avait décliné toute candidature.
Il est ensuite procédé à l'élection du président de la section d'histoire et archéologie. Le scrutin donne les résultats suivants :
Votants : 41. — Suffrages exprimés : 41. Ont obtenu :
MM. Sagnier 37 voix.
Limasset 1 —
Réguis 1 —
Nicolas 1 —
Pilate . 1 —
En conséquence, M. Sagnier est proclamé président de la section d'histoire et archéologie.
M. le Président informe ensuite MM. les membres de l'Académie que
le bureau a traité avec M. Maumet, propriétaire, rue St-Étienne, 17, dans
les conditions suivantes. M. Maumet donne à bail à l'Académie, pour 3, 6
ou 9 ans, un logement sis au rez-de-chaussée et composé de deux pièces,
l'une devant servir de lieu de réunion pour le bureau, l'autre devant servir
368 MÉMOIRES DE L'ACADEMIE DE VAUCLUSE
de local pour la bibliothèque et les archives, et ce, moyennant le loyer annuel de 250 fr. Cependant, si le Conseil général du département consent à donner de nouveau à l'Académie l'allocation qu'il lui allouait autrefois, le prix du loyer serait de 300 francs.
M. Chansroux étant absent, M. Labande lit à sa place les strophes : 1° Le Tambour d'Arcole, que l'auteur dédie à l'Académie, et 2° Espoir et Souvenir. M. le Président se fait l'interprète de tous ses collègues, en regrettant l'absence de M. Chansroux et en lui adressant ses remercîments et ses félicitations pour le patriotisme si ardent et le souffle si élevé qui l'ont inspiré. M. Rochetin, à propos de la pièce sur le Tambour d'Arcole, rappelle que MM. Mistral et Clovis Hugues ont déjà célébré ce sujet dans leurs vers ; il cite surtout avec éloges le poème provençal de Mistral.
La parole est ensuite donnée à M. Rochetin pour la lecture de son compte-rendu sur les douze brochures d'archéologie préhistorique de M. Chauvet. Assurément peu de membres de l'Académie s'occupent de la science si ardue et si difficile de la préhistoire, mais M. Rochetin a eu le tatent de les intéresser tous par son rapport si clair et si net et de donner en même temps des notions précises de cette science.
L'Académie accueille unanimement comme membres titulaires MM. Perruche et Châtelet, et comme membres correspondants, la Chambre de Commerce et M. Dulau.
L'ordre du jour étant épuisé, la séance est levée.
Le Secrétaire-général,
L.-H. LABANDE.
TABLE DU TOME XI.
(ANNÉE 1892.)
Pages
Archéologie vauclusienne. (L. ROCHETIN) 160
Archéologie vauclusienne. — Avignon dans l'antiquité (L. ROCHETIN) 187, 269
Bonum vinum loetificat cor hominis Conte (G. d AUDEVILLE) 360
C'était écrit. Conte arabe. (G. d'AUDEVILLE) .. 68
Echalier (L'). Idylle. (G. d'AUDEVILLE) 358
Enseignement (L') primaire et les écoles publiques dans les États pontificaux de France et pays divers qui ont formé le département de Vaucluse, avant 1789. (R. REY) 9
Études historiques sur St-Laurent des Arbres en Languedoc. La seigneurie temporelle des évêques d'Avignon. (L'abbé Albert DURAND) 77
Historique de l'Académie de Vaucluse. (A. LIMASSET) 317
Industriels romains. Les Fullones. Découverte d'un Fullo à Quintenas,
Quintenas, (Ollier de MARICHARD) 42
Installation du nouveau bureau 1
Mater dolorosa. Lettre à M. A Mouzin. (P. NOËL) 239
Numismatique appliquée à la topographie et à l'histoire des villes antiques du département de Vaucluse — IV. Cairanne. (A. SAGNIER) 46
— V. Nouvelles trouvailles à Barri-Aeria (A. SAGNIER) 222
Parole (La) et son origine. (L'abbé GRIMAUD) 251
Procès-verbaux des séances de l'Académie. 71, 179, 351, 362
Rocs (Les) branlants du Sidobre. (CAZIOT) 141
Salut Avignon. Stances. (G. d'AUDEVILLE) .. 68
Singe (Le) candidat. Fable. (G. d'AUDEVILLE) 356
Sonnets (Les) de Paul Manivet. (Capitaine PILATE) 156
Statue (La) antique de Vachères, Basses-Alpes. (H. SAGNIER) 341
Sur la signification du mot Ogive. (L.-H LABANDE) 283
Un atelier monétaire à Courthézon (1270). (Roger VALLENTIN) .... 151
Un nouveau Rhipidius du Mont-Ventoux. (Dr A. CHOBAUT) 213
Une roche animée dans les enviions d'Avignon. (CAZIOT). .. 313
MÉMOIRES
DE
L'ACADEMIE DE VAUCLUSE
TOME XI. — ANNÉE 1892 (2me TRIMESTRE)
Dans ce fascicule sont intercalés le frontispice la couverture et la table du tome X (année 1891)
AVIGNON
SEGUIN FRÈRES, IMPRIMEURS-ÉDITEURS 13, rue Bouquerie, 13
1892
SOMMAIRE
1. ÉTUDES HISTORIQUES SUR ST-LAURENT-DES-ARBRES EN LANGUEDOC — LA SEIGNEURIE TEMPORELLE
DES ÉVÊQUES D'AVIGNON (l'abbé Albert Durand). 77
2. LES ROCS BRANLANTS DU SIDOBRE (Caziot) 141
3. UN ATELIER MONÉTAIRE (A COURTHÉZON (1270)
(Roger Vallentin) .. 151
4. LES SONNETS DE PAUL MANIVET (capitaine Pilate) 156
5. ARCHÉOLOGIE VAUCLUSIENNE (L. Rochetin) 160
6. PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES . .. 179
MÉMOIRES.
DE
L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE
TOME XI. — ANNÉE 1892 (3me TRIMESTRE)
AVIGNON
SEGUIN FRÈRES, IMPRIMEURS-ÉDITEURS 13, rue Bouquerie, 13
1892
SOMMAIRE
1. ARCHÉOLOGIE VAUCLUSIENNE. — Avignon dans
l'antiquité (L. Rochetin).................... 187
2. UN NOUVEAU RHIPIDIUS DU MONT-VENTOUX (Dr A.
Chobaut). .. 213
3. NUMISMATIQUE APPLIQUÉE A LA TOPOGRAPHIE ET A
L'HISTOIRE DES VILLES ANTIQUES DU DÉPARTEMENT DE VAUCLUSE. — V. Nouvelles trouvailles à Barri-Aeria (A. Sagnier) 222
4. SUR LA SIGNIFICATION DU MOT OGIVE (L.-H.
Labande) ... . 233
5. MATER DOLOROSA. — Lettre à M. Alexis Mouzin
(P. Noel) 239
6. LA PAROLE ET SON ORIGINE (Abbé Grimaud)..... 251
MÉMOIRES
DE
L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE
TOME XI. — ANNÉE 1892. (4me TRIMESTRE.)
AVIGNON
SEGUIN FRÈRES, IMPRIMEURS-ÉDITEURS 13, rue Bouquerie, 13
1892
SOMMAIRE.
1. ARCHÉOLOGIE VAUCLUSIENNE. — Avignon dans l'antiquité (suite) L. Rochetin) 269
2. UNE ROCHE ANIMÉE DANS LES ENVIRONS D'AVIGNON
(Caziot) 313
3. HISTORIQUE DE L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE (A.
Limasset) 317
4. LA STATUE ANTIQUE DE VACHÈRES (Basses-Alpes).. 341
5. LE SINGE CANDIDAT. Fable (G. d'Audeville) 356
6. L'ÉCHALIER. Idylle (G. d'Audeville) 358
7. BONUM VINUM LAETIFICAT COR HOMINIS. Conte (G.
d'Audeville) 360
8. EXTRAIT DES PROCÈS-VERBAUX 362
MEMOIRES
DE
L'ACADEMIE DE VAUCLUSE
TOME XI. — ANNÉE 1892 (Ier TRIMESTRE)
AVIGNON
SEGUIN FRÈRES, IMPRIMEURS-ÉDITEURS
13 rue Bouquerie, 13
1892
SOMMAIRE,
1. INSTALLATION DU NOUVEAU BUREAU 1
2. L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE ET LES ÉCOLES PUBLIQUES DANS LES ÉTATS PONTIFICAUX DE FRANCE ET PAYS DIVERS QUI ONT FORMÉ LE DÉPARTEMENT DE VAUCLUSE, AVANT 1789. (R. Rey) 9
3. INDUSTRIELS ROMAINS. LES FULLONES. — Découverte d'un Fullo à Quintenas (Ardèche). (Ollier de
Marichard) 42
4. NUMISMATIQUE APPLIQUÉE A LA TOPOGRAPHIE ET
L'HISTOIRE DES VILLES ANTIQUES DU DÉPARTEMENT VAUCLUSE. — IV. CAIRANNE. (A. Sagnier)
5. SALUT, AVIGNON ! stances. (G. d'Audeville) ........ 62
6. C'ÉTAIT ÉCRIT, conte arabe (G. d'Audeville) 68
7. PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES 71
MEMOIRES
DE
L'ACADÉMIE DE VAUCLUSE
TOME XI. — ANNÉE 1892.
AVIGNON
SEGUIN FRÈRES, IMPRIMEURS-ÉDITEURS 13, rue Bouquerie, 13
1892
Les Mémoires de l'Académie de Vaucluse paraissent une fois par trimestre. Chaque fascicule est composé de plusieurs feuilles ; des gravures ou des planches accompagnent le texte quand il y a lieu.
Les quatre fascicules de l'année forment un volume avec table.
Les auteurs de mémoires imprimés dans le Bulletin pourront en faire exécuter, à leurs fiais, un tirage à part, aux prix fixés par la Société.
Les Mémoires de l'Académie de Vaucluse sont adressés aux membres honoraires, titulaires et associés, ainsi qu'aux sociétés correspondantes. Les membres correspondants qui désirent les recevoir doivent adresser, chaque année un bon de poste de 6 fr. à M. TIQUET, trésorier, rue Petite Fusterie, à Avignon.
Les membres honoraires, titulaires ou associés nouvellement reçus n'ont droit qu'aux Bulletins parus pendant l'année de leur admission. S'ils désirent recevoir ceux qui ont été déjà publiés, ils sont priés d'envoyer au trésorier, en un mandat-poste, la somme de 6 fr. pour chaque année de cette publication, qui a commencé en 1882.
Les membres, qui ne recevraient pas régulièrement les livraisons des Mémoires, sont priés d'en aviser le Secrétaire-général de la Société.