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Titre : Revue catholique de l'Alsace

Éditeur : [s.n.] (Rixheim)

Éditeur : [s.n.][s.n.] (Strasbourg)

Date d'édition : 1898-10-01

Contributeur : Mury, Pantaléon (1819-1891). Éditeur scientifique

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34444695k

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb34444695k/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Format : Nombre total de vues : 7644

Description : 01 octobre 1898

Description : 1898/10/01 (A17)-1898/10/31.

Description : Collection numérique : Fonds régional : Alsace

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k5531038s

Source : Bibliothèque nationale de France, département Collections numérisées, 2008-273090

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 18/01/2011

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XVIIe ANNÉE. — OCTOBRE 1898.

REVUE CATHOLIQUE

D'ALSACE.

NOUVELLE SERIE. ..

SOMMAIRE.

, I. Le doyenné du Sundgau (Suite) (SCHICKELÉ) II. Italie, croquis et souvenirs (Suite) Dr. J. WAGNER)

III. L'inspection du travail pour l'Alsace-Lorraine en 1897 (Fin)

(C. SIPP)

IV. Races latines et races dû nord (Suite) (Dr A. GARNIER) Y. Le cours pratique de sociologie à Strasbourg (N. DELSOR)

VI. L'enseignement des langues vivantes (N: DELSOR) VII. Revue du mois (N. DELSOR) VIII. Bibliographie.

La „ Revue catholique d'Alsace paraît vers la fin de chaque mois. Le prix de l'abonnement est de 6 marks ou 7 frs. 50 pour tous les pays de l'Union postale,

On s'abonne chez F. SUTTER & Cie., imprimeurs-libraires; à Rixheim (Haute-Alsace), par un mandat ou par timbres-poste ou à chaque bureau de poste.

Pour tout ce qui regarde la Rédaction s'adresser à M. l'abbé DELSOR à Nordheim (Basse-Alsace).

La Revue : catholique d'Alsace donnera un compte-rendu, au moins sommaire, de tout ouvrage dont on enverra un exemplaire à la Rédaction.

RIXHEIM

IMPRIMERIE DE F. SUTTER & CIE.

1898


BIBLIOGRAPHIE

DE LA CONNAISSANCE DE L'AME par A.: Gratry, de l'Oratoire, Prof, en Sorbonne et membre de l'Académie française. 5e éd... si forts vol. in-12. Paris. Anc. maison Ch. Douniol, Téqui, successeur. 29, rue de Tournon, 1898. — Fr. 7,50. — L'éloge de cet ouvrage n'est plus à faire; il faut simplement constater que la maison Téqui mérite bien du public en en donnant une nouvelle édition à si bon marché.

Même Librairie : 50 PLANS D'INSTRUCTIONS pour retraites de congrégations, de communautés, d'associations pieuses par A. Arnaud, chan. bon. Approb. de Mgr. de Fréjus et Toulon. 384 pp. in 8. Fr. 4,50. —Le chan. Arnaud est bien connu du public ecclésiastique qui aime les livres fortement pensés et sérieusement écrits.

— La connaissance des Ecritures, une longue pratique du ministère le désignaient pour servir de guide à ses confrères. Mais, à la différence de la plupart des recueils semblables, l'auteur n'a pas donné des discours tout faits que l'on ne peut utiliser; il a préféré réunir des matériaux abondants, ...sérieux, parfois riches, et dont chacun, selon son salent, fait l'usage qui lui convient.

ST. NICOLAS. 19e année. Sommaire du 20 oct. : Elisabeth de Hongrie. — Jean Tapin. — M. Tartelett va-t-en ville. — L'enfant prodigue. — Boîte aux lettres. — Devinettes. — Illustrations. — Un spécimen franco sur demande affranchie Ch. Delagrave, 15, rue Soufflol, Paris et tous les libraires. — 6 mois 10 fr. ; 1 an 18 fr.

SOCIOLOGIE CATHOLIQUE. Sept.-Oct. Colonies. — La prétendue injustice de la loi sur les accidents. — La formation pédag. des Religieuses enseign. — Retraites pour la vieillesse. — Précis d'économie polit, chrét

ÉTUDES. 5 oct. Gladstone et la transformation de l'Etat angl. — La loi de Moïse ; ses progrès. — Zola devant ses oeuvres. — Les voeux de relig. et la communauté libre. — Troubles en Chine.

— Les ca'hol. et la liberté. — François I et Henri VIII à Boulog e sur mer.

20 oct L. Ollé-Laprune. — Vicira; sa vie, son éloquence. — Hist. du livre dans l'antiq. — Gladstone etc., II. — Le jubilé de la fête des morts à Cluny. — Brizeux.

QUINZAINE. 1 oct. Ollé Laprune : Th. Jouffroy. — Coeur de chrétienne (fin). — 2 curés de campagne sons l'ancien régime. — Livins Andronicus. — L'organis. des chem. de fer en Fr. —Un épisode du schisme const. en province.

16 oct. — La décomposition de l'Autriche-Hongrie. — Le Regain I. — Ollé-Laprune : Th. Jouffroy. — Paul Harel : L'arrivée de la mente. — Le catholicisme social : L'éminente dignité du travail et des travailleurs. — Lettres à ma cousine : Mariage de devoir,.


LE

DOYENNE DU SUNDGAU

(SUITE.)

Hochstatt, 1290 Hostat, mairie de la seigneurie d'Altkirch, était le siége d'une famille noble de ce nom. En 1346 Catherine, fille de Cuentzin de Hochstatt, assistée de son mari et tuteur, Hartung d'Uffholtz, écuyer, vend à l'abbaye de Lucelle une rente annuelle d'une livre et 8 sols, faisant partie de sa dot, assignée sur une maison à Mulhouse et sur une vigne à Pfastatt.— 1361 Conrad de Hochstatt possédait dans la vallée de Masevaux quelques droits qu'il tenait de la maison d'Autriche. — Il y avait à H. une cour colongère dépendant d'Oelenberg, une autre appartenant à L'abbaye de Remiremont. Cette dernière était une cour franche offrant durant six semaines et deux jours le droit d'asile aux meurtriers.

L'église de Hochstatt, filiale de Didenheim, fut desservie après la guerre des Suédois par un vicaire résident

Revue. Octobre, 1898 46


722 LE DOYENNÉ DU SUNDGAU

Vis. eccl. — 1603 : Collateur, les Baerenfels : curé Simon Schwerzig. Dimes 3/4 au baron de Bollwiller, 1/4 au recteur qui est tenu de donner à son vicaire résidant ici, la compétence assignée par l'official. — 1652 : le curé reste à Didenheim et ne célèbre pas souvent à Hochstatt. 21 bourg., 54 com„ 86 âmes. — 1720 : curé Pierre Antoine Schneider de Soleure, âgé de 31 ans ; 80 bourg., 420 com., 160. âmes. Dédicace, le dimanche avant la St. Michel.

Curés : Mathieu Nass, + en 1698 ; Jos. Théod. Lytsch 1698 à 1717 ; Antoine Schneider de Soleure 1717; François Joseph Foltzer 1723 ; Joseph Lichty 1741 ; Martin Lysch de 1765 à 1791.Pendant la Révolution; de 1791 à 1798 Claude Born, ancien maître d'école de Ferrette, prêtre jurreur, dessert la paroisse de Hochstatt. Les deux partis des aristocrates et des jacobins y étaient très prononcés ; plusieurs habitants de l'endroit furent déportés à Staffelfelden, mais remis en liberté lors de l'arrestation de Schneider.. De 1798 à 1801 on vit fonctionner Fr; Xavier Strohn de Cernay, ordonné par l'évêque schismatique Martin, nommé après le concordat à Willer, Bettendorf, Largitzen, + 1847 retiré à Cernay. 1) '

1) 1801 Joseph Koenig de Balschwiller 1768, ancien augustin de Landau, P. Laurent, transféré en.1817 à Waldighofen, retiré 1845, + 1849. — 11817 Jean' Baptiste Heinrich de Gueberschwihr 1791, vic. à Herlisheim, Gebwiller, curé de Hochstatt, Soulzmatt 1821, + le 28 juillet 1855. — 1821 Jean Joseph Baumann né à Dannemarie le 17 mars 1763, vic. à Dannemarie, curé const. d'Obertraubach 1791, après le Concordat curé d'Altenach, retiré 1819, curé de Hochstatt, de Huningue 1822, + le 18 mars 1832. — 1823 Joseph Rust de Heimsbrunn transféré le 26 fév, 1827 à .Pfaffenheim; —1827 Joseph Goepp de Krautergerheim 1793, ordonné à Nancy le 21 déc. 1822, vic. de Pfaffenheim 1823, d'Epfig 1825, de Pfaffenheim 1826, curé de Hochstatt, de Dieffenbach (V.) 1850, retiré 1852, . +le 13 février 1854. — 1850 Joseph Schnebelen de Hecken 1810, vic. à Bermont 1839, Giromagny 1840, curé dé Lachapelle de Chaux 1841, de. Hochstatt, + le 28 nov, 1878. — Guillaume Meyer né à Roufach le 27 mars 1839, vic, de S. Jean (Strasb.) 1864, Balschwiller 1865, aumônier au Willerhof 1866, curé de Hochstatt le 2 déc. 1878, d'Obenhergheim 1885, de Cernay le 16 janvier 1888. —. 1885 Joseph von Bühren, de Roufach 1831, vic. de Sentheim 1859, d'Egisheim 1863, curé d'Obermagstatt 1871 de Hochstatt où + le 23 février 1887.— Son successeur est Félix Spressler d'Egisheim 1840, vic. de_Marckolsheim, Hirsingen, Sulzmatt, Wattwiller, curé de Berenzweiler 1874, de Hochstatt depuis le 1 avril 1887.-


LE DOYENNE DU SUNDGAU 723

L'église actuelle date de 1830, la tour de 1861. La confrerie du Saint Coeur de Marie a été érigée là 6 sept. 1850,

Dans la"banlieue de Hochstatt il y avait" tin village, Gildheim, détruit au XVe siècle, dont il reste encore la dénomination de Gildheimerthal.

Hundsbach était autrefois, tant au spirituel qu'au' temporel le chef-lieu de toute la vallée à laquelle il a donné son nom, qu'il tient lui-même du ruisseau qui prend sa source au-dessus de Knoringen et se jette dans l'Ill près de Wittersdorf. La vallée s'étend depuis Walheim jusqu'au ban d'Obermuesbach. Elle formait une mairie de la seigneurie d'Altkirch et comprenait les villages de Hundsbach, Berentzwiller, Jettingen, Franken, Weiler, Hausgauen, Schwoben, Zaesingen, .Walbach, Heidwiller, Tagsdorf, Emlingen, Wittersdorf et Walheim-

Le village est appelé Ursbach en 82 3 et figure parmi les biens de l'abbaye de Masevaux. Le chapitre de Bâle possédait aussi des biens à Hunzebach, 1195 bulle de Célestin, III. ; Il y avait alors des nobles de ce nom, « Volmari de Hunchebach » cité dans la bulle d'Alexandre III de 1179.

L'église devait avoir de bons revenus, puisqu'en 1302 le plébari de Hunzenbach payait au Saint-Siége une taxe de 4 livres et 3 sols. 1) — Au Liber Marcarum. figurent deux paroisses : Huntzbach-le-haut, desservie par un curé recteur, un vicaire, et un vicaire pour Francken ; Huntzbachde-bas également desservie par un curérecteur, un; vicaire; et un second vicaire pour Walbach.

1) Dr Kirch, Kollect.


724 LE DOYENNÉ DU SUNDGAU

L'une était dédiée à Ste Odile, l'autre à St. Martin et incorporée en 1400 à l'abbaye de Masevaux, avec une: compétence de 74 rézeaux de grains pour le curé.') -— En 1578 Melchior Hornbucher de Guebwiller, curé de Hundsbach, percevait pour sa compétence 10 réz. d'épeautre et 16 de seigle; de la dîme de Walbach, 13,

réz. de seigle et autant d'épeautre ; des biens dotaux de la vallée de Hundsbach et Walbach, 72 réz. de grains et, 5 livres en argent, non compris le casuel.

La cure de Hundsbach.annexée pendant quelque temps au doyenné Inter Colles, retourna en 1 777 à son

ancien chapitre rural du Sundgau.

Vis. eccl. — 1603 : H. le-bas. Collateur et décimateur, l'abbaye de Masevaux ; curé, Caspar Biermann, il perçoit 60 q. de blé. La sacristie et l'église sont mal tenues ; le visiteur impose I marc d'amende à la fabrique. — H, le-haut. Collateur, les nobles d'Offenbourg prélevant les 3/4 de la dîme, l'autre quart revient aux chanoines de Bâle. L'église est en mauvais état, on n'y conserve pas le Saint-Sacrement, et le curé réside à H. le-bas.

1652 : H. le-bas. L'église est dans un meilleur état que lors de la visite de 1603. Outre l'autel principal de S. Martin, il y a un autel neuf de Ste Catherine, et celui de S. Nicolas fraichement redoré. A la sacristie on trouve, des ornements sat preciosa. Le curé, Adam Keller de Belfort, était encore soldat, porte-drapeau, il y a deux ans ; il est à H. depuis la St. Jean-Baptiste. Tout le monde loue son zèle, mais comment pourvoira-t-il à huit paroisses, à savoir les deux Hundsbach, Francken et Jettingen, Tagsdorf, Wittersdorf, Weiller et Walbach ? Il fait l'office ici toutes les 7 semaines. On comptait alors dans. les deux H. 62 bourg., 124 com., 184 âmes, 8 hérétiques. — A H. lehaut iln'y a pas d'amélioration. Les trois autels de Ste Odile, de la Ste Vierge et de Ste Catherine sont sans reliques. On n'y conserve

1) L'abbaye de Masevaux posséda de temps immémorial le dinghof de H. Dans un rotule de 1588 il est dit : Die Fraû Abtissin soll sanct Martinskilchen zue Hunzbach zue einer seiten, schattenhalb ob den fravwen, inn irem costen decken lassen, vnd sonsten khem andere kilchen, dann Hunzbach die recht leûtkirche ist. Stoffel, Weisth. 17,


LE DOYENNÉ DU SUNDGAU 725

pas le Saint-Sacrement. Nunquam fuit Baptisterium. Le curé reste à à H. lé-bas, et le collateur: de la cure était alors le noble de Halweil.

1665 : le curé François Schlecht dessert les deux H. avec 258 com., Francken et Jettingen avec 148 com., Weittersdorf avec 85 com., Weiler 50 com. Il perçoit des divers villages 46 q. de seigle, 106 d'épeautre, 46 d'avoine, les 3/4 de la dîme de vin, la moitié les offrandes de St. Biaise à Hundsbach et.à Tagsdorf, 3 voit, de foin, les droits d'étole. Il a un vicaire à sa charge pour desservir Tagsdorf.

1720 : H. le-bas. Curé, Sébastien Nithard de Rixheim, âgé de 33 ans. Dédicace le l'église, le dimanche après la St. Jean-Baptiste. Le curé à un vicaire pour Hundsbach-le-haut, où la dédicace de l'église se fait le dimanche après la St. Gall.

1786 : les revenus de la cure sont spécifiés ainsi qu'il suit.. In fixo, 22 q. de seigle, 22 d'épeautre, 12 d'avoine; une terre qui peut rapporter 60 q. d'avoine; un quart de la dîme à H. le-haut, et toute la dîme du bien dotal ainsi que les dîmes novales ; de plus die Evangeliengarben ; 3 1/2 arpents de terres labourables, 3 1/4 arpents de prés; l'usufruit d'un arpent, moitié champ, moitié forêt; la dîme de vin dans les bans de Hausgauen et H. le-bas. Ces revenus furent estimés (R. d.) à 2400 livres.

Voici quelques, noms de curés de la paroisse de H. : 1603 Caspar Biermann ; Mathieu Roman; J. Pierre Willing ; 1648 Adam Keller de Belfort ; 1654 François Schlecht ; 1657 Thiébaud Fux ; 1661 Sébastien Bérébol ; G. Faller, doyen du chapitre de Colmar eut pour auxiliaire en 1664 Adam Gasser qui devint curé l'année suivante; 1687 Math. Troxler ; 1710 Séb. Nithard de Rixheim ; 1736 Dirwell de Thann. Le dernier curé d'avant la Révolution fut Jean Nicolas Joseph Goetzmann ; il figure sur la liste des prêtres assermentés. 1)

1) Curés de Hundsbach : Franc. Joseph Maurer de Wittenheim 1759, augustin, ordonné en 1787, n'a point prêté le serment, 1801 curé de Hundsbach, 1804 curé de Wuenheim, retiré à Soultz, + 1825.— Me nrad Erhard de Seppoisle haut 1767, ordonné par l'évêque Martin; curé à Zillisheim, Moos, 1804 Hundsbach. 1816 Moos, 1835 retiré, + 1837. — 1816 Jacques Jenh d'Ammerzwiller 1752, curé de Tagolsheim 1783, vie, de Lûmschwiller 1803, de Hundsbach, + le 10 juillet 1826. - Joseph Robert Frey de Schlestadt 1787, vic. de Neuf-


726 LE DOYENNÉ. DU SUNDGAU

Hausgauen a,donné son nom à une famille noble : 1254 Rychardus de Huschowe figure comme témoin dans un acte de donation de l'abbaye de Bellelay. 1).

Hausgauen avec ses 355 habitants est aujourd'hui encore annexe de Hundsbach qui n'en compte que 283,

Dans la banlieue de Hausgauen se trouvait le village de Dennach, détruit pendant la guerre des Suédois.- Il en reste encore la chapelle de Saint-Brice. 2)

furt. — Le pays qui s'étend depuis Altkirch jusqu'à Didenheim, est appelé la vallée antérieure de l'Ill. Sur un parcours de trois lieues on comptait jadis 22 châteaux, 3) dont, sur la rive droite et les autres sur la rive gauche de la rivière. Aussi le pays fut-il visité par

brisach 1812, curé de Dieffenbach (V.), 1816, Lachapelle sous-Chaux 1820,, Mertzen 1824, Hundsbach le I oct. 1826, Bettendorf 1827, Bergholz 1834, + 15 janvier 1835. — Pierre Charles Hirn de St. Marlin 1800, vic. de Hüttenheim 1823, de St. Hippolyte. 1823, d'Oberhergheim 1824, curé d'Oberhaslach 1826, vic. de Wintzenheim 1.827, curé de Hundsbach le 1 nov. 1827, de Weckolsheim 1831, retiré le 24 juin 1835. —Jean François Dürr de Kientzheim 1796, vic. à Bennwihr 1827, c.Winckel 1830, Hundsbach 24 mars 1831, retiré 1837, vie rès. à Ruderbach,* curé à Brinckheim 1842, retiré à Kientzheim 1848, + le 4 fév. 1867. Joseph Antoine.Ley de Wolschwiller 1807, vic. d'Altkirch 1831, Kaysersberg 1832, curé de Hundsbach 1837, Odern 1852,. Niederburbach 1861, + 17 août 1870. — Jean-Baptiste Missel de Ribeauvillé. 1802, vie. à Blotzheim 1834, curé de Chalampé 1838, de Niederranspach 1841, de Werenzhausen 1845, de Hundsbach le 26 déc. 1852, de Bergholz 1862, + le 31 janvier 1869. —— Jean Wirth de Bernwiller 1822, vic.de St. Amarin 1846, Egisheim 1857, curé de Hundsbach 1862, Felleringen 1867, de Cernay 1869, chanoine honor. le 28 juin: 1885, + le 5 nov. 1887. — Jean Thiébaud Bitsch de Niederburnhaupt 1829, ordonné en Suisse 1854, de la Congrégation des Pères du Précieux-Sang, vie. à Sewen 1862, Kintzheim 1862, Saarunion 1864, à Bâle 1864, curé de Hundsbach 1867, Gildwiller 1869, parti pour l'Amérique en août 1873. — Joseph Wirth de Blotzheim 1830, vic de Ste Croix. 1860, curé de Hundsbach 1869, de Niederspechbach 1874, où + le 14 août I884. — Albert Brandstetter de Ferrette 1842, vie, de Lautenbach 1864, d'Orschwihr 1868, curé de Hundsbach 1874, de Geberschwihr depuis le 23 fév. 1893. — George Wahlen de Cernay 1845, vic. de Lauterbourg I872, de Suffelweyersheim I oct. 1874, de Geispolsheim le 6 nov. 1874, curé de Singrist 1883, de Hundsbach depuis le 9 mars 1893.

1) Trouillat I,: 588.

2) Cf. notre notice sur Illfurt, au sujet de ce Saint. 3) Cf. Stoeber, das vordere Ilithal.


LE DOYENNE DU SUNDGAU 727

les gens de guerre : les Armagnacs, les Suisses, les Suédois, les Français le ravagèrent tour à tour. On pourrait également dire que cette contrée sue le romain.Une voie romaine venant de la vallée de Saint-Amarin par Thann, Schweighausen, Froeningen, aboutissait à Illfurt, pour se rattacherau tronçon d'Altkirch, Hirsingue, Largitzen

Largitzen était une des stations de la voie de MandeureBesançon.

Le village d'Illfurt est dominé par un des côteaux les plus élevés des dernières ondulations de la chaîne du jura. Un sentier conduit à travers vignes et bois au Britzgyberg et au Kuppelé. De là on jouit d'un magnifique coup d'oeil sur la plaine ét sur la vallée de l'Ill jusqu'à Ferrette avec \son ancien castrum dont la silhouette se dessine sur l'horizon lointain. Le Britzgyberg

était un excellent point stratégique pour de camp retranche que les Romains, au dire des auteurs, y avaient établi ; il était protégé par le castellum du Küppeleberg, appelé dans un titre de 1355 « die vesti Ylfurt », et plus

tard « das alte Schloss ". Il tient son nom d'une chapelle dédiée non pas à S. Prix, le compagnon de martyre de S. Marin, ainsi qu'il a été dit généralement jusqu'à présent, mais à S. Brice, compagnon, : disciple et

successeur de S. Martin de Tours. 1)

La Chapelle reconstruite en 1776, disparut pendant

la Révolution ; elle était un lieu de pélerinage: très fréquenté

fréquenté les communes environnantes s'y rendaient en

1) Les archives d'Illfùrt portent Sancti-Bricii. M.. Soltner qui dans sa biographie de J. Bochelen s'est prononcé pour S.Prix, martyr, nous rend luimême attentif à son erreur et opte aujourd'hui pour S. Brice, evêque. De fait, dit-il, il y a au Sundgau encore deux chapelles de S Brice là où S. Martin est patron. Enfin le visiteur ecclésiastique de 1720 tranche définitivement la question en faveur de S. Brice.


728 LE DOYENNÉ DU SUNDGAU

procession. La chapelle primitive, détruite pendant la guerre des Suédois, jouissait d'un revenu de près de 200 livres tournois. Pour la reconstruire, de 1775 à 1776, on dépensa, sans compter les prestations, 500 livrés. — A la place de cette chapelle on érigea d'abord une croix, puis un poteau avec une image de la Vierge, et enfin en 1870 la chapelle actuelle, ex-voto érigé par un père de famille en reconnaissance de la conservation de ses fils soldats durant l'année terrible. — Lors du grand incendie d'Illfurt qui, en 1842, dévora près de 40 maisons, on parvint à sauver des flammes une statue de la Vierge ; cette statue fut. placée plus tard dans la chapelle de Britzygberg, connu depuis sous le nom de Muttergottesberg.

Et maintenant descendons à Illfurt. Ce village situé au confluent de la Larg et de l'Ill dont il tient le nom, Ill-furth, passage guéable de l'Ill, est cité dans le diplôme apocr. de Louis-le-Débonnaire, 827, parmi les biens de l'abbaye de Hohenburg. C'était une mairie de la seigneurie d'Altkirch. Cour et mairie figurent dans l'acte de vente passé en 1271 entre le comté de Ferrette et l'évêque de Baie : « illefurt den hof und das meiertum. » En 1309 Henri, ancien maire d'Illefurt, vendit à-l'abbaye de Lucelle une rente de 8 q. de blé et d'avoine pour 18 liv. bâl. assignées sur ses biens à Illfurt.

Illfurt dépendait au spirituel jusqu'au siècle dernier de la Burnkirch. Celle-ci située hors du village, sur le cimetière, était l'église paroissiale de l'ancien Burnen qui disparut pendant les guerres du moyen-âge. Elle était dédiée à S. Martin et servait aux trois communes de Burnen, Illfurt et Heidwiller. La Burnekirch date du 13e siècle, elle survécut au village et subit des remanie-


LE DOYENNÉ DU SUNDGAU 729

ments au 1 5e et au 17e siècle. On y voit encore des peintures murales qui, d'après Krauss, ont été faites au 15e siècle, et qui, sans grande valeur artistique, ont été cependant grossièrement retouchées. De plus, le monunument de Frédéric de Burnkirch 1) qur se distingua au siège d'Altkirch.

Au village d'Illfurt il y avait une chapelle dédiée à S. Nicolas. Lorsqu'en 1742 on démolit cette chapelle, moins la tour, pour construire l'église actuelle, la Burnkirch perdit son titre et cessa de servir au culte paroissial ; mais elle légua du moins son Patron, S. Martin, à la nouvelle église d'Illfurt, dont S. Nicolas devint à partir de cette époque le patron a latere. Les fidèles continuèrent de se rendre à l'ancienne Burnekirch, comme ils le font encore aujourd'hui, pour y prier devant l'image vénérée de Notre-Dame de Pitié. 2)

1303 : « Ecclesia Burnenkilch ». — 1441 " Rector ecclesie in Burnkilch, vicarius, cappellanus ibidem. »

Vis. eccl. — 1603 : Eglise inférieure ; collateur, le préfet d'AItkirch, mais le curé et la paroisse lui contestent ce droit. On y fait l'office en hiver, à cause de la distance de l'église paroissiale. Pas de croix sur l'église, ni au cimetière. Il faut éloigner du sanctuaire les seaux d'eau qui s'y trouvent en cas d'incendie. — Sacellanus, par interim le curé de Froeningen. — Eglise supérieure, « vulgô Rosburn " ; collateur, le noble d'Eptingen ; 1/4 de la dîme au curé, 2/4 aux d'Eptingen, 1/4 au noble de Bair.

1628 : Revenus de la cure : le curé perçoit des biens dotaux 40 q. de blé de trois espèces ; un quart de la dîme de blé et de vin 4 réz. de froment, 4 de seigle, 2 d'épeautre, 2 d'avoine, 7, d'orge, 2 de légumes secs ;15 q. d'avoine vulgô christianitatis. Dans les années très fertiles il prélevait 5 fondres de: vin, parfois seulement

1) Il y avait à Burnen un château avec famille noble, citée dans les titres du I4e au l6e siècle.

2) Bnrnkirch figure parmi les 66 pélerinages d'Alsace décrits pas le vicomte de Bussière.


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2, ou même rien, exempli gratia en l'année 1627 ; en 1628 neuf orcas. In fixo 6 mesures. De chaque bourgeois, ou veuve une poule. En hiens, 4 arpents de pré et un arpent pour la dîme de foin ; un arpent de terre labourable à côté de 'église. E argent ?, 10 $. Les offrandes des quatre grandes fêtes rapportaient environ 8 livres. Les dépenses pour faire rentrer la dîme s'élevaient environ à 75 livres, plus un rézal de blé et un d'avoine. — Revenus de la paroisse estimésà 2400 livres (R. d.)

1652 : Alias Burnkirch ; le collateur est le même que celui de l'église filiale, c'est-à-d. le noble Hermann d'Eptingen. Dédicace, le dimanche in Albis. Autel principal de S. Martin ; 2 autels latéraux de la Vierge douloureuse et de Ste Catherine. Le Sacrarium et le baptistère détruits ; on y conserve l'eau bénite, ainsi que la Ste Eucharistie in sacrario clauso. 1) Eglise filiale de S. Nicolas ; curé F. Fossorius, camérier, air probus, doctus, sed avarus. Il prèche, catéchise, célèbre deux dimanches à Illfurt, le troisième dimanche à Heidwiller. 70 b., 150 com., 254 âmes. Un hérétique, le domestique du curé, cum spe conversionis.

1720 : Il y a deux églises : l'une, ecclesia matrix, hors du village,. en ruines et sans ornements ; l'autre au village, dédiée à S. Nicolas, avec 3 autels latéraux de la Ste Vierge du Rosaire, de S. Jean-Baptiste et S. Vendelin. 3 calices en argent, 1 en étain ; 3 cloches. Cetteéglise, où d'ordinaire se fait l'office paroissial, est trop petite, ce qui donne souvent lieu à des querelles pendant l'office. Collateur, le même ut suprà ; curé, Valentin Mehr d'Altkirch, secrétaire du chapitre, âgé de 36 ans. Il jouit par intérim de la chapellenie dont le dernier titulaire était D. Landwerlin, ce dont les paroissiens se plaignent, parceque de fait ils sont privés de première Messe. « In aedibus parochialibus parvae inhabotar di securitas. " 100 b., 638 com., 150 âmes. Hors du village il y a encore une chapelle en ruines, dédiée à SaintBrice, évêque. 2)

Curés : 1590 Thiébaud Kieffer ; 1606 Jacques Drechslin de Muesbaeh, rector in Burnkirch ; 1610 Louis Faber ou Schmitt de Carspach 3) ; 1611 Albert Seyfer

1) Intéressante custode conservée jusqu'à ce jour.

2) C'est donc bien S. Brice evêque, et non S. Prix martyr.

3) En l'année 1611 il y eut une-grande mortalité à Illfurt : 18 décès en juillet, 21 en août, 70 dans le courant de l'année, et seulement 14 naissances.


LEDOYENNE DU SUNDGAU 731

lin ; 1622 Morand Bertsch de Carspach où il a été enterré ; 1636 Thomas Schwertzig ; 1645 Frédéric Fossorius 1) ; 1656 Urs Sander ; 1658 Albert Simon ; 1660 Jean Hoog, ci-devant curé de Froeningen ; 1693 Jodoque Schmid ; 1697 Jean George Chrét. Schreiber ; 1710 Valentin Mehr + le 27 mars 1742 ; Wernert, vic. administ.; 1742 Jean François Foltzer, + le 28 oct.1766, inhumé dans la Burnkirch ; il a établi le chapelet quotidien dans la paroisse. 1766 Ph. Meyer, vic. adm. ; 1 766 Jos. Ant. Simon ; 1769 Franç. Jos, Lang, nommé en 1784 à la cure d'Ottmarsheim ; 1784 Joseph Simon, mort le 4fév. I791 par suite de l'émotion que lui causa d'ordre de prêter le serment constitutionnel 2) ; 1791 Jean Walch de Walheim, émigré, devint ensuite curé d'Altenach et de Carspach. - 1791-1795 Aug. Steinfelder, ex-récollet du couvent de Luppach, prêtre assermenté ; 1795 Séraphin Collet, capucin, it. 3)

Le village d'Illfurt vit naître en la même année 1 761 trois enfants qui devinrent, les trois, prêtres, et qui, les trois, se distinguèrent pendant la Révolution par leur

1) Dans les années 1644, 45, 46, 48 et 1653, sous le curé Frédéric Fossorins il n'y eut qu'un décès par an ; aussi le curé porta en vain son nom. (Communication de M. le curé Soltner).

2) Cf. Soltner : Johann Bochelen.

3) 1802 J. B. Dubail de Hirsingue. — 1812 Henri Théodore Coudre, religieux

de Colmar, curé à. Andolsheim, Illfurt, Hunawihr, Bonhomme, 1817 retiré à Pfaffênheim, puis dé nouveau curé à Ramersmatt, Réchésy et Valdoie. - 1814 Ant. Léon Spony de Pfastatt, ancien récollet, successivement curé à Michelbach, Grentzingen, Illfurt, Eglingen. - 1823

willer en 1795, + à Illfurt le 14 août 1841. — II eut pour successeur François Joseph Meyer de Hindisheim, + à Illfurt le 9 oct. 1845. - 1845 Fr. André Schaller d'Ammertzwiller,+ à Illfurt le 27 janvier 1863. Lui succéda Louis Laurent Wagner de Sulzbach, y à Katzenthal. — 1866 Charles Brey né à Mutzig le 13 déc. 1827, ordonné en 1854, vic. de Ste. Madeleine à Strasbourg en 1855, vic. à Bâle en 1857, aumônier des Soeurs du T. S. Sauveur à Vienne 1864, curé d'Illfurt depuis le 8 mai 1866 jusqu'à sa mort, 21 sept. 1895. — Le curé actuel, est Auguste Soltner né à Bollwiller en 1848, tfansféré en 1895 de Stosswihr à la cure d'Illfurt.


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fidélité religieuse : Thiébaud Brobeck, vic. de Balschwiller, Antoine Wolf, vic. de Ligsdorf, et Jean Bochelen, né le 11 août 1761, vic. de Seppois-le-bas. Ce dernier est un de nos prêtres-martyrs de la Révolution. Il fut fusillé à Colmar, le 24 juillet 1798, ou le 6 thermidor de l'an VI, à 5 h. du soir, in der Sandgrube, bei der Heûmagazin, à l'âge de 37 ans. M. le curé Soltner n'a pas voulu et à raison que le nom du modeste confesseur de la foi fut livré à l'oubli. C'est pourquoi il lui a érigé un double monument : l'intéressante biographie de Bochelen que le public connait ; et à l'occasion du centenaire, la statue du' prêtre martyr qui fait l'ornement du village d'Illfurt.

Luemschwiller figure sous le nom de Limmiswiller dans le diplôme de Louis-le-Débonnaire, 837, parmi les biens que le duc Attic donna à l'abbaye de Hohenburg. Une bulle du pape Honorius III, de 1224, mentionne la terre de Lumeswilr parmi les possessions de Lucelle. Une troisième abbaye y posséda des biens, celle de LieuCroissant du diocèse de Besançon, qui avait un prieuré à Soultz ; ce qui explique les donations dont elle fut l'objet dans notre province. Jean de Wahlen lui avait donné pour le repos de son âme tous les biens qu'il possédait in villa et finagio de Lümeswilr. Cette donation est attestée en 1275 par Othon de Knoeringen, en 1281 par Vincent, vicaire de Lüemeswilr 1), en 1286 par Elisabeth, fille de Jean de Wahlen et veuve de Conon, prévôt de Rouffach. L'année suivante Rudeger, maire de Lumeswilr, conclut au sujet de ces terres un bail à ferme

1) Trouillat II, 330.


LE DOYENNÉ DU SUNDGAU 733

avec l'abbaye de Lieu-Croissant. Les terres de ce village étaient assez convoitées. Etait-ce à cause du bon petit crû qui y pousse ? — Il y avait aussi à Luemsehwiller un château appartenant à une branche de la famille de Reinach, dite de Luemschwiller ; une cour franche située sur l'emplacement d'un enclos qui porte encore aujourd'hui le nom de Freihof, appartenant aux nobles de Steinbrunn ; et une: chapelle hors du village, qui a été détruite.

Luemschwiller était un vicariat perpétuel : 1441 vicarius in Lümswilr. En 1583 : Erneuerung der Capploneygefell zu Lumbschwiller.

Vis. eccl. — 1603 : L'ordre teutonique de Bâle, à titre de collateur, possède 3/4 de la dîme, et les chanoines de Bâle 1/4. Le collateur donne 105 q. de blé au curé qui alors s'appelait Jacques Klorer ou Klaser. Les notes de la visite eccl. sont mauvaises sur toute la ligné. 1652 : Curé, Urs Mottet ; autels de S. Christophore et de S. Jacques, de la Vierge, et de S. Jean-Baptiste ; 3 cloches ; dédicace de l'église, le dimanche Voce Jucunditatis ; 20 bourgeois, 120 com., 215 âmes.

1720 : Curé Désiré Vaile d'Altkirch, âgé de 30 ans ; 80 b., 280 c., 60 âmes.

La cure était au patronage de la commanderie de Rixheim ; elle rapportait à son titulaire en revenus fixes provenant de la dîme, 105 q. de grains de trois espèces. Des biens dotaux, 6 q. de seigle, et autant d'avoine. De plus la dîme en chanvre et celle du sang ; 40 mesures de vin, un arpent et demi de forêt, un jardin avec verger, 1 corde 1/2 de bois et 20 livres en argent.

Curés : 1660 Wolfgang Peter ; 1669 François Uhl ; 1674 Jacques Regesser ; 1683 Thiéb. Ruesth ; 1694 Jos. Faeger ; 1704 Benoit Désiré Vaille ; 1722 Roc. Follzer


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avec 284 com. ; 1754 Faivre ; 1771 François Nansé d'Altkirch se retira après la Révolution dans son endroit natal. 1)

Luemschwiller qui avait d'abord fait partie de chapitre Inter Colles, fut incorporé en 1777 à celui du Sundgau. —

Lutterbach figure en 728 parmi les biens de l'abbaye de Murbach. En 1301, celle-ci vendit pour 340 marcs d'argent, au couvent de Lucelle, la moitié de son domaine sis dans le ban et dans les villages de Lutterbach-le-haut et le-bas. 2) — 1506 « Im kleinen und grossen Lutterbach. » — Ainsi Lutterbach était divisé en deux villages : l'Ober et Gross Lutterbach est le village actuel, tandis que le Niedér et Klein L., appelé aussi Kleindorf a disparu. Un acte de Lucelle, 1372, fait mention d'un moulin situé près de Lutterbach minor.

L'église de Lutterbach a été unie en 1327 par le pape Jean XXII à l'abbaye de Lucelle qui en possédait

1) Curés de Luemschwiller : Ignace Zurbach d'Emlingen 1761, vic. à Hagenthal, Wittersdorf, Tagsdorf, émigré, devint en 1803 curé de L. où + le 7

août 1828. — François Joseph Zurbach né à Emlingen 1794, vic. à Mulhouse

1820, curé de Dietwiller 1823, Luemschwiller 1828, + le 8 nov. 1838. —

Pierre Jean Zurbach d'Emlingen 1796, vic. de Ste Hippolyte 1820, de Hirsingue

Hirsingue de Heimersdorf 1821, curé de Pfetterhausen 1823, de Luem schwiller

schwiller + janvier I856. — Jacques Martin Ditner de Sentheim 1816' ordonné

ordonné 10 août 1841, vic. de Rumersheim 1842, de Thann 1843, quiescens

1846, curé à Bessoncourt 1847, Luemschwiller 30 janvier 1856, Bernwiller 1866,

Odern le 12 août 1868, où + le 21 sept. 1891. — Fr. Joseph Gerspach

d'Oberhergheim 1814, vic. à Munster 1843, Orschwihr 1843, Dornach 1846,

Boersch 1855, curé de Kirrweiler 1856, de Luemschwiller 1866, + le 19 sept 1878.

— Ferdinand Witz de Cernay 1840, vic. à Dornach 1866, Colmar, a quitté le

diocèse, aumônier a St. Morand 1876, curé de L. 1878, de Lüxdorf 1891. —

Eugène Gross de Diefmatten 1849, vic. à Masevaux 1875, Gebwiller 1877,

Neudorf (H) l886, curé de L. 189l, + le 29 fév.1892. — Jean Bapt. Muller

de Wintzenheim 1850, vic. à Benfeld 1875, curé de Staffelfelden 1886, de L.

1892, + le 7 nov. 1897. — Henri Bader de Westhalten 1862, vic. a Mulhouse

1885, curé de Luemschwiller depuis le 22 nov. 1897.

2) Trouillat.


LE DOYENNE DU SUNDGAU 735

déjà le patronage, et elle devint un prieuré « die Probstey ohnweit Mülhausen, 1) dont dépendaient les églises de Niedermorsehwiller et Pfastadt. 2)

En 1255 figuré comme térmoin d'un acte de vente, Henri de Luterbach, chanoine de Bâle. — 1441 vicarius in Luterbach (Lutzell), Vicarius ibidem.

Vis. eccl. — 1603 : l'abbé de Lucelle possède toute la dîme. Il y a deux religieux, dont l'un, le cellérier, fait les fonctions de prélat et: de magister ; l'autre, Antoine Freytrich, celle de curé. Le visiteur eccl. enjoint au curé, sous peine de 3 livres d'amende, de mettre tout en ordre à l'église et à la sacristie, conformément aux prescriptions canoniques.

1652 : Tout est en règle Autels de S. Martin et de la Ste Vierge. Curé, le S. Anselme Balliff, zélé en chaire, même pour le catéchisme. 21 cives, 46 com., 90 âmes, 1 hérétique.

1720 : Curé le P. Bruno Tonstelier de Pelle, âgé 33 ans ; 65 bourg., 400 com., 90 âmes ; Dédicace, le dimanche après la St. Michel ; 3 cloches et une horloge.

1726 : Curé, le P.Ma.rcellus Cuenin de Delémont, âgé de 35 ans. 464 communiants.

Curés : 1643 Ignace Brunner ; 1652 Anselme Balliff ; 1656 Eugène Gluck ; 1659 Benoit Lovilliard ; 1660 Jean Gualtenus ; 1664 Edmond Quiqueré ; 1665 Placide Vogler ; D. Bentz ; 1672 François Wasel ; 1674 Dominique Zurthannen ; 1678 Bruno Kiener ; 1686 Charles Muller ; 1689 Malachie Rämy ; 1690 Grégoire Frey ; 1691 Nivard Stampf ; 1693 Ignace Dueser ; 1695 Henri Basnel ; 1697 Morand Fischlin ; 1698 Guillaume Schielé. En 1700 fut érigée l'archiconfrérie du Saint Rosaire.

1) Mossmann. Cfr. D. 374.

2) L'abbaye de Lucelle possédait les 15 cures suivantes : Attmannswiller, Blotzheim, Buschweiler, Dornach, Ferrette, Froehingen, Larg, Lutterbach, Niederimorschwiller, Obermichelbach, Pfastatt, Raedersdorf, Schlierbach, Volkensberg, Winckel.


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LE DOYENNÉ DU SUNDGAU

1702 Henri Basnel ; 1711 Humbert Bassand ; 1716 Louis de Diesbach de Belleroche ; 1720 Bruno Tourtelier ; 1721 fr. François ; 1724 fr. Marcellus ; 1729 Felix Reffé ; 1730 Alexis Chollet ; 1731 Norbert Rosé ; 1731 Louis Diesbach ; 1737 François Chaviatte ; 1743 Antoine Schmitt ; 1749 Bruno Münck ; 1751 François Depolletier ; 1755 François Chaviatte ; 1760 Etienne Heissler. L'ancienne église était située sur le cimetière actuel, en 1760 on construisit au milieu du village le sanctuaire qui subsiste encore. 1762 Charles Kolb ; 1769 Etienne Heissler ; 1773 Bruno Dietsch ; 1778 Norbert Hoffmann. 1) Tous ces curés étaient des religieux de Lucelle, du prieuré de Lutterbach. Ce prieuré a été affecté au pensionnat des Soeurs de Portieux fermé depuis la guerre. Le dernier curé fut de 1785 à 1792 Thiébaud Schandalat ; il figure sur la liste des prêtres déportés. 2)

1) Cette liste nous a été communiquée par M. le curé Friederich. 2) Curés de Lutterbach : Nicolas Kalt de Dielwiller 1751, religieux de Lucelle, le P. Augustin, curé à Lucelle pendant 3 ans, prof. de théol. ib. durant 6 ans, confesseur des religieuses de Koenigsbruck et curé ib. pendant 6 ans. Après la Révolution administrateur de Dietwiller, Schlierbach, à la réorganisation du diocèse curé de Lutterbach, + le 30 sept. 1828. — Thiébaud Harnist fait l'intérim. — Joseph Boehler de Kuttolsheim 1796, vic. de Ste Marie 1819, Belfort 1821, curé à Hagenbach 1822, Lutterbach le 20 nov. 1828, + le 27 nov. 1865. — Edmond Merlian d'Ehl I827, vic. à Haguenau I851, Wissembourg 1857 adm. à Kriith (V.) 1860, curé de Freisenheim 1863, de Lutterbach le 3 déc. 1865, + le 12 fév. 1897. — Joseph Friederich de Berrwiller 1852, vic. à Hartmannswiller 1875, Geberschwihr 1877, Habsheim 1878, curé à Steinsultz 1887, Lutterbach depuis le 22 mars 1897.

(A suivre) SCHICKELÉ


ITALIE

CROQUIS ET SOUVENIRS

(SUITE)

ROME, 17 octobre.

Il y a douze ans environ que j'ai quitté. Rome et hier, en y revenant; j'ai trouvé la ville bien changée. Si j'ajoute immédiatement que ce n'est pas à son avantage j'exprime l'impression que je ressentis en débarquant sur la Piazza de' Terminé. Cette placé je l'ai vue encore entourée de vieilles maisons appuyées les unes Contre les autres ; puis dans l'angle, les Thermes de Dioclétien, où Michel-Ange a trouvé moyen de loger l'église des Chartreux, Sainte-Marie des Anges. On connait le dicton plein d'admiration sur la statué de S. Bruno par Houdon : Il parlerait, si sa règle ne le lui défendait pas. Aujourd'hui, les murs de briques dénudés des Thermes ressemblent à un vulgaire entrepôt au milieu des maisons à six étages bâties par des spéculateurs dépourvus de goût. Du reste l'entrée de la Via. Nazionale, artère principale de la Rome modernisée, n'a pas meilleure mine, elle s'ouvre au,centre d'une construction en hémicycle décorée au rez-dechaussée d'une colonnade d'ordre toscan. C'est froid et disgracieux.

Je n'ai retrouvé Rome que sur la place du collège romain, dans ce que nous pourrions presqù'appeler le quartier-latin. Là, vieilles maisons et vieux palais sont-restés en place ; la Via Pie di Marino, la Pizza della Pigna ont Conservé leur ancien aspect. Santa Chiara seul a changé ; des anciennes constructions, il n'est resté que la chapelle, le réfectoire et les loggie, ces heureuses loggie qui servaient de promenoirs et où à la chute du jour l'Ave Maria, sonné à toutes les églises de Rome, venait expirer dans les airs en brises harmonieuses.

Revue eath. Octobre. 47


738 ITALIE

Mais malgré tout demeurée et demeurera Rome est toujours la ville du Pape, le centre de la catholicité, et ce sentiment l'emporte bientôt sur tous les autres ; on ne vient pas ici comme on vient dans une autre ville et devant la grande figure de la Papauté personne ne reste indifférent, il faut ou l'aimer ou la haïr. Le Pape, c'est la grande préoccupation non-seulement de ses spoliateurs qui se trouvent dans l'embarras devant-lui, mais dés habitants de la Ville-éternelle, des étrangers qui y affluent. J'ai eu souvent l'occasion de voir passer le roi conduisant son phaéton ; il passait en simple bourgeois, mendiant des coups de chapeau. Et même aux grandes circonstances, à l'ouverture de la Chambre, au nouvel-an, quand la cour se rend en cortège solennel du Quirinal au Palazzo Madama quelle absence d'enthousiasme! Les voitures de gala suivent les rues parsemées de sable jaune au milieu d'une parfaite indifférence. Le roi n'est à Rome qu'un locataire étranger.

Le maître de la maison, c'est le Pape, il suffit pour s'en convaincre d'assister à une cérémonie au Vatican. Là le bon peuple de Rome se retrouve avec sa spontanéité native et quand, à l'apparition du Souverain Pontife retentit l'acclamation Evviva il Papa, elle vient du fond du coeur. Cela d'autant plus que la situation de l'Italie unifiée et de Rome-capitale n'est rien moins que prospère. Avant-hier le sang a coulé du côté de la place Navone à la suite de troubles causés par la mauvaise marche des affaires ; ils peuvent se répéter demain et qui sait où ils mèneront dans un pays habitué depuis un siècle aux révolutions et au mépris des autorités légitimes. En politique, comme ailleurs, on récolte toujours ce qu'on a semé!

La pluie faisant rage, il a fallu remettre à demain ma première visite à Saint-Pierre ; je suis allé passer ma soirée chez un de mes amis, le commandeur X, qui habite hors de la Porta Pia un charmant villino où la bonne grâce italienne s'unit au goût parisien. Il y a là, chose rare, un salon où l'on cause et comment ferait-on autrement dans cette cité Cosmopolite dont on peut dire avec une petite pointe de malice :

Ici viennent mourir les derniers bruits du monde.

L'auteur de ce vers n'a pas prévu l'application que j'en fais, mais qu'importe : un hiver passé à Rome, vaut un voyage autour du monde


ITALIE 739

18 octobre.

Saint-Pierre m'a toujours semblé une traduction par l'architecture del'hymne Coelestis urbs Jerusalem. Dès qu'on arrive par le Bargo nuovo sur la place Rusticucci l'oeuvre immortelle de Bramante et de Michel Ange, de Maderna et du Bernin se dresse comme une heureuse vision de paix, Beata pacis visio. La profonde solitude de l'immense place, où les passants se voient à peine tant ils paraissent petits, le bruit des jets d'éau, uniforme comme la marche du temps, augmentent encore cette impression. On pourrait continuer le parallèle sans en faire un simple jeu d'esprit.

Ce qui détonne dans ce cadre merveilleux, c'est l'affreux petit trawmay jaune qui stationne tout près de la colonnade du Bernin, presqù'en face de la Porte de bronze du Vatican. Il est commode, mais combien peu esthétique !

: Aujourd'hui la basilique est déserte, les chanoines de Saint-Pierre psalmodient l'office dans l'abside, et leurs voix m'arrivent à peine comme un murmure confùs. Quelques rares fidèles prient au tombeau du Prince des apôtres et vont, suivant la pieuse coutume de Rome, baiser le pied de la statue de S. Pierre dressée tout près de la confession. J'ai tout le loisir de revoir les détails de la basilique et il me semble qu'on ne se lasserait pas de les admirer. Comment du reste-: faire autrement ?

Bossuet parlerait, devant les superbes tombeaux des Papes, avec une éloquence nouvelle du magnifique témoignage de notre néant, mais le tombeau qui m'a peut être le plus touché, c'est celui des derniers Stuarts, en face du Baptistère. Une simple stèle funèbre, avec une porte entr'ouverte gardée par deux génies en pleurs. Par cette porte entr'ouverte ont passé les derniers d'une illustre race et apparaît la mélancolique vision de l'extinction d'une famille !

Au point de vue artistique on a beaucoup discuté Saint-Pierre. Il y en a qui ne pardonnent pas aux continuateurs de Bramante d'avoir abandonné le plan en-croix grecque et devoir prolongé la nef de deux travées. Il y a là certainement de, l'exagération car quoiqu'il en soit : du plan primitif de Bramante, l'ensemble de l'édifice est merveilleusement proportionné, c'est même cette rigueur dans les proportions qui frappe le plus le visiteur. Tout paraît de dimensions ordinaires, mais tout est gigantesque.

Un jeune clerc en soutane violette et en courte cotta, m'a fait voir letrésor de la basiliques. IL y a là de beaux ornements, de superbes


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pièces d'orfèvrerie, mais moins qu'on serait porté à croire et surtout, peu d'objets anciens.

En sortant de Saint-Pierre, je n'ai pas pu m'empêcher d'aller revoir le Campo-Santo allemand. La dorment, sous l'ombre poétique des cyprès et sous l'épais feuillage des cytises et des myrtes, de nombreuses générations d'étudiants et de pélerins ; au milieu d'eux, sous une blanche dalle de marbre, Mgr. de Mérode, le ministre des armes de Pie IX. Ce dévoué serviteur de la Papauté ne pouvait mieux dormir son dernier sommeil qu'auprès de Saint- Pierre et à deux pas du Vatican. La pieuse fondation du Campo-Santo doit son origine à une confrérie de pélerins et d'artisans du moyen-âge. La nation allemande, suivant la traditionnelle expression, à toujours aimé venir à Rome et ceux qui font encore maintenant leur tour d'Italie sont plus nombreux qu'on pense. Je me rappelle toujours un blond fils de Germanie que j'ai vu dans l'antichambre du prélat changé de la distribution des Agnus Dei. il avait des vêtements usés jusqu'à la cordé, des souliers déformés par une lonngue marche et demandait dans un italien invraisemblable : des Agnus Dei pour sa « bonne vieille mère » la Mutterl allemande.

Dans l'après-midi nous avons fait un tour, oh ! un long tour, au Pincio qui est avec raison la promenade favorite des Romains Romains de naissance et de passage. Je crois que nous y allions tous lesjours, l'abbé L., mon ancien compagnon de sortie et moi, écouter la musique du maestro Ascolese et admirer l'effet du soleil couchant à travers le dôme de Saint-Pierre. Je ne sais si Ascolese dirige encore la musique municipale, mais elle continue à obtenir un vif succès dans le monde des écoles. On y voit des séminaristes de toutes les couleurs, rossi du collège germanique, violets du Pio-latino, ceintures jaunes de Bohème et quantité d'âutres. Les établissements secondaires sont également bien représentés ; j'ai ri de bon coeur en revoyant une division de petits du collège des Somasques. Ils portent sans broncher à six ans l'habit de soirée, le gilet ouvert, la cravate de cérémonie des gants beurre-frais et le chapeau haut-de-forme. Et si une mine se déride; c'est bien par oubli juvénil.

Au retour, nous sommes entrés dans une chapelle de religieuses où l'ôndonnait la bénédiction du T. S. Sacrement. dans l'assistance recueillie, beaucoup d'élégants promeneurs et d'élégantes prome neuses qui revenaient du Pincio ; ils sont restés fidèles à l'usagequi veut que la journée d'un bon romain comprenne une visite âl'église où se célèbrent les quarante-heures et une promenade au Pincio.


ITALIE 741

19 octobre.

Promenade dans Rome antique. La prison mamertine est gardée par un rettore qui, d'après ses manières, a dû être dans son jeune temps geôlier de Jugurtha. A sa décharge il faut dire que devant l'importunité des visiteurs, il est difficile quelquefois de conserver son calme; quand je me suis mis à lui parler italien, il s'est du reste subitement radouci et le vocabulaire des récriminations a pris fin comme par enchantement. Cela m'a rappelé la mésaventure de deux de mes amis. Pendant leur séjour en Italie, ils échangeaient leurs observations non destinées au grand public en patois alsacien ; après leur retour en Alsace, il leur arriva de faire de même dans un magasin d'une grande ville. Vous pouvez vous figurer la tête du marchand ! Le don des langues a son bon et son mauvais côté.

Le Forum est avec le Capitale et le Palatin le lieu où l'imagination de la gent écolière aime à vagabonder. Il en est tant question dans les auteurs latins qu'on est tout surpris de se voir ici dans un fouillis de ruines qui contredisent sensiblement nos idées reçues. Le Forum est loin d'avoir été une place où tout le peuple pouvait s'assembler et assister aux harangues des tribuns, c'était comme une chambre de députés en plein vent, où n'arrivaient probablement que des privilégiés. Les rostres ornées d'éperons de navire pris sur les Antiates, s'élevaient dans un endroit où il aurait impossible de réunir une grande foule ; tous ces événements de l'histoire romaine se rapprochent singulièrement de ce qui se passe encore aujourd'hui, quand ■on les voit dans le cadre où ils ont eu lieu.

Il est difficile encore de se faire une idée de la magnificence du Palatin par les ruines qui en restent : passages voûtés, escaliers, substructions massives ; on ne s'imagine pas une salle de fête dans tel ou tel amas de décombres, ils n'ont plus rien de ce qui peut flatter l'oeil. Ce qui plait le plus au Palatin, c'est la vue de Rome ; elle a un cachet différent de celle qu'on admire du Pincio, mais elle est également célèbre et la gravure l'a depuis longtemps popularisée. Le coup d'oeil était enchanteur surtout quand sur l'emplacement actuel des fouilles s'élevaient les bosquets de la villa Farnèse. On les a saccagés dans l'intérêt de l'archéologie ; si la science y a gagné, l'art et la poésie y ont perdu. Les villas de Rome sont en train de disparaître, on les a sacrifiées aux fouilles, on les a morcellées pour y construire la quatrième Rome, celle qui croule, et si quelques-uns de leurs anciens propriétaires y ont trouvé leur compte, d'autres se sont ruinés dans ces spéculations insensées. Je me suis promené ces jours-ci dans


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la villa Patrizzi avec un religieux franciscain appartenant à une des anciennes familles de Rome, mais fixé depuis de longues années en Orient. Le prince Patrizzi est un des rares représentants de l'aristocratie romaine, du patriciat, comme on dit ici, qui ait ténu à conserver sa villa. Il y vient rarement et les enfants de mon ami L. qui ont le privilège gracieusement offert d'y prendre leurs ébats, sont seuls à animer les allées habituellement désertés.

Du Palatin au Colisée et du Colisée à Saint-Jean-de-Latran, il n'y en quelque sorte qu'un pas. Saint-Jëan-de-Latran est la cathédrale du Pape, son église officielle ; or figurez-vous que le gouvernement actuel a eu l'impudence, il n'y a pas d'autre terme pour qualifier ce procédé, d'en annexer le cloître. Il y à installé des gardiens qui vous le font visiter. La même chose a eû lieu à Saint-Paul-hors-les-Murs. Là les gardiens ne sont pas seulement dans le cloître, mais ils se promènent tête couverte, dans la basilique. Est-il étonnant que ces maladresses exaspèrent les catholiques et leur démontrent mieux que toutes les théories juridiques, l'intolérable situation faite au Pape et à l'église. On dirait que ces maladroites usurpations du gouvernement actuel de l'Italie n'ont d'autre but que de raviver sans cesse la question romaine et de rendre tôt ou tard nécessaire une équitable solution. Habeant sibi !

Ce n'est, plus Rome ancienne que l'abbaye de Tre-Fontane, mais elle remonteaux, temps apostoliques comme lieu de dévotion cher aux chrétiens. Ici S. Paul a souffert le martyre, ici S. Zénon et sa légion ont été immolés et l'église Saint-Vincent et Anastase qui renferme les ossements de ces héros de la foi, est actuellement une des plus anciennes de Rome. Elle date, dans sa forme présente dru septième siècle ; on l'a restaurée à différentes reprises, mais sans y faire heureusement de notables changements. Nous avons donc là 'un spécimen des basiliques anciennes, et si ce style arrivait à faire école, on trouverait moyen de rompre avec la banalité forcée de nos églises de campagne.

Au moment où je suis entré dans l'église, les moines chantaient vêpres; leur plain-chant est en toute vérité une prière, je ne crois pas avoir entendu ailleurs le Magnificat chanté avec plus d'enthousiasme et de religieuse gravité. Le Père prieur eut l'extrême obligeance de nous faire visiter les chapelles et les jardins et de nous offrir, avant le départ, un petit verre d'encalyptus, liqueur fabriquée au monastère.. L'encalyptus a rendu ces parages habitables, la fièvre y régnait en permanence; depuis que les trappistes se sont installés ici, ils sont parvenus à déloger cette incommode de hôtesse ;


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Tre-fontane se trouve dans un vallon silencieux, entouré de prairies où paissent des troupeaux de buffles ; leur pelage brun, leur Cornes démésurement longues leur donnent un air sauvage, des bouviers en loques les gardent et à voir ces immenses troupeaux et leurs misérables gardiens, on se dirait pas à quelques kilomètres à peine d'une grande capitale. C'est déjà la désolation de la campagne romaine.

La route d'Ostie qui vous ramène en ville, est déserte depuis des siècles. De loin en loin apparaît une osteria isolée, chétive bâtisse au toit presque plat, précédée ou flanquée d'une espèce de berceau où une treille plantée sur quatre poteaux informes, abrite dès tables et des sièges et invite à déguster le Vino de' Castelli romani, un affreux breuvage s'il faut en juger par son épais coloris bleuâtre. Derrière les asterie se montre de temps en temps le courant jaune et bourbeux du Tibre, séparé de la route par une bande marécageuse couverte de roseaux, tandis qu'au loin apparaissent le monte Testaccio, la pyramide de Cestius et les murs de Rome ; c'est encore un paysage sui generis qui ne manque pas de pittoresque.

20 octobre. Les trappistes ont la garde des catacombes de Saint-Callixte et en font les honneurs aux visiteurs. Une entrée un peu en retrait sur la Via Appia et devant laquelle les voitures restent stationnées, donne accès à un jardin qui recouvre la catacombe. Le religieux chargé de vous conduire vous fait descendre un escalier et vous voilà presqu'immédiatement dans la crypte des Papes et tout auprès, de Ste-Cécile. Ces lieux sont vénérables dans l'histoire de l'Eglise de Rome et on n'y pénètre qu'avec un profond recueillement; seulement ne vous laissez pas entraîner à dérober quoique ce soit, il y a peine d'excommunication pour les spoliateurs des catacombes. C'est l'avertissement qu'on vous donne charitablement à l'entrée, et si quelque mécréant ne se soucie pas des peines spirituelles, il y a la questure, le commissaire de police voisin, qui le mettra à la raison. Ces précautions ne sont pas inutiles, la piété des uns, le snobisme des autres détruiraient des monuments qu'il importe de conservée au nom de la religion, de l'histoire et de l'art. Les Anglais et les Américains surtout sont terribles, ils ne se font pas le moindre scrupule de mutiler au besoin une statue pour un emporter un fragment, mais le personnel qui surveille les catacombes est bien choisi pour les maintenir dans les bornes du respect. Mon conducteur me proposa de Venir célébrer


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demain la sainte messe dans la crypte de Sainte-Cecile, j'aurais comme bien on pense, accepté avec empressement si les catacombes avaient été plus rapprochées du centre de la ville ; mais il faut au moins, une heure pour s'y rendre et quand on se trouve simplement de passage à Rome, il est presqu'impossible de revenir dans ces parages. Nous nous agenouillâmes près du loculus qui avait contenu et miraculeusement conservé le corps de Sainte-Cécile, mais je me suis bien promis de profiter de l'aimable invitation des pères trappistes, dès que j'aurai l'occasion de refaire le voyage de Rome.

Pour aller des catacombes au Monte Coelio, on passe à côté des ruines imposantes des thermes de Caracalla, ils couvrent une vaste superficie en partie encore enclavée dans les vignes. Le Monte-Coelio m'est resté cher à cause de la villa Coelimontana. C'est une magnifique propriété ouverte au public à certains jours et fameuse par ses rosiers grimpants. Ils couvrent tout au long de vieux pans de murs et se revêtent pendant toute la belle saison de milliers et de milliers de bouquets de roses. Elles se montrent dès les premiers jours de printemps et fleurissent jusqu'aux bises de novembre, bises qui ne nous sembleraient pas bien terribles. A Rome c'est autre chose ; l'hiver est fort impopulaire car la température douce et chaude qui règne pendant presque toute l'année, rend la population plus sensible au ■froid. La chaleur dure jusque bien tard dans l'automne ; hier nous avions à six heures et demie du soir encore vingt-sept degrés centigrades, il est vrai que le sirocco soufflait avec violence. Il faut à l'Italie le soleil ; un jour brumeux paraît plus triste que dans nos confrées, aussi par mesure esthétique autant que par besoin hygiénique, les appartements situés du côté du soleil sont toujours recherchés de préférence. Dove non va il sole, va il medico. Où ne va pas le soleil, va le médecin, dit un proverbe italien ; mais dans la rue, c'est le contraire; là il faut choisir toujours le côté de l'ombre suivant cet autre : les chiens et les anglais vont au soleil, les chrétiens marchent à l'ombre.

TIVOLI, 21 octobre. Laissez-moi d'abord vous présenter, mon guide Giovanni del Priore. Il s'est emparé de moi dès ma descente du train et avec une si aimable persistance que j'ai fini par l'engager pour la journée; je ne m'en repens pas. C'est un petit homme frisant la cinquantaine, mais d'une grande agilité encore et d'une intarissable faconde; il est guida municipale et porte en cette qualité la casquette numérotée, et


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galonnée. Il est très fier de sa situation officielle, de son numéro cinq et des nombreux étrangers de marque auxquels il a fait voir les curiosités de l'ancienne Tusculum. Il me les énumère en me montrant leur carte de visite à l'appui de son dire et en me vantant la cuisine de Giulio Scipioni, propriétaire de la Grande Trattoria del Falcone. Giovanni n'a pas eu ma carte, d'abord parce que je n'aime pas le jeu des petits papiers et ensuite parce que, n'étant rien, j'aurais déparé son aristocratique collection. De cette façon, j'ai préféré l'incognito et je me suis contenté du zi-cano qui sert d'appellation polie à tous les prêtres en Italie.

je n'avais gardé qu'un vague souvenir des cascatelles formées par l'Aniene le long du gouffre rocheux dans lequel il se précipite ; le moyen aussi de se rappeler le menu de tous les tours et détours qui faut faire dans ce dédale de rochers pour les voir ! L' Aniene est un torrent des montagnes de la Sabine dont la crue printanière était une menace perpétuelle pour Tivoli ; l'eau s'écoulait bien en temps ordinaires par les ouvertures qu'elle s'était creusées dans le roc, mais il lui fallait un dérivatif plus considérable. C'est Grégoire XVI qui le fit construire en 1834 à travers le Monte Gatillo et depuis ce moment tout danger d'inondation a cessé. Je renonce à décrire le spectacle grandiose dont on est témoin au bas de la vallée ; comment peindre cette suite de cascades qui tombent de tous côtés tantôt en fine poussière liquide, tantôt en torrents mugissants ? comment parler de ces teintes d'arc-en-ciel que le soleil appelle au-dessus des gouffres, de ces rochers aux formes bizarrement travaillées par l'eau et auxquels l'imagination populaire a trouvé des noms mythologiques, grotte de Neptune, grotte des Sirènes ? Il faudrait l'imagination et la plume d'un Chateaubriand !

Giovanni ne tarissait pas, ses anecdotes coulaient, coulaient comme l' Aniene ; ici l'Eccellenza une telle avait trouvé le point de vue très joli, là la contessa a déclaré que c'est bien beau, et il se trouvait que je donnais toujours raison à l'Eccellenza et à la Contessa.

Nous allâmes voir, de l'autre côté des cascatelles, la villa d'Este située sur un plateau proéminent avec la campagne romaine et la Ville éternelle dans le lointain. Depuis la mort du cardinal Hohenlohe la ville est déserte et confiée à la garde d'un concierge dont la femme, chargée de délivrer les permis de visiter, a installé sa machine à coudre sous la colonnade du cortile. Les appartements sont décorés de fresques anciennes, ils sont assez délabres, surtout dans la partie qui était restée inhabitée. Le cardinal Hohenlohe était éyêque suburbicaire de Tivoli, Giovanni m'a vanté sa simplicité et sa charité ;


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quand il allait administrer la Cresima, la confirmation, à un enfant malade, il laissait toujours vingt francs à la famille quand elle était dans le besoin.

Au seizième siècle le Tasse a été l'hôte de la villa d'Este et Giovanni raconte à ce sujet un petit roman sentimental pour expliquer sa disgrâce. Quoiqu'il en soit, le poëte était heureux de pouvoir rimerdans ces jardins qui semblent prédestinés comme séjour des Muses. La. villa d'Este appartient à un archiduc autrichien et elle n'est pas près . de revoir les beaux jours d'autrefois. Il faudrait pour cela, en dehors de toute question de prospérité matérielle, un retour puissant vers la littérature et l'art. Et pour effectuer ce retour, notre siècle est trop matérialisé.

Pendant que je faisais honneur aux plats de Giulio Scipioni - nom qui décidément m'était devenu sympathique — dans une salle voûtéedonnant

voûtéedonnant côté sur un couloir planté de figuiers et décoré du nom de jardin, et de l'autre sur une petite cour pavée à l'ancienne, Giovanni convenablement restauré, était allé quérir les mules pour l'excursion à la villa Hadriana. C'étaient deux coursiers sans beaucoup de prétentions, mais ils avaient le pas sûr et tenaient bien leur selle,, ce qui était bien l'essentiel. En guise d'éperons, mon guide se servait

d'une latte, dont suivant le besoin il appliquait le plat sur la partie charnue tantôt de l'une, tantôt de l'autre de nos montures. Nous gambadâmes ainsi au petit trot et le spectacle eût été réjouissant dans notre bonne Alsace, ici il est quotidien et personne n'y fait attention.. Nous étions devenus de fringants cavaliers quand la descente commença. Et quelle descente! Un terrain rocailleux, planté de rares oliviers, où nos montures étaient obligées de sauter d'une pierre sur une autre, de poser leurs pieds avec fine grande précision pour ne pas rouler dans le ravin. Il y avait bien une autre route plus commode,. mais moins belle, et pour les bons cavaliers je prends de préférence celle-ci, me déclara Giovanni. Le farceur !

Au bout de trois quarts d'heure, nous étions arrivés à la villa.

C'est moins un palais d'empereur qu'une ville impériale avec habitation, jardins, casernes, théâtres, constructions fastueuses qu'Adrien a reproduites d'après les plus beaux monuments de l'architecture antique. Les revêtements en marbre ont disparu comme partout, quelques restes de mosaïque des dallages sont seuls demeurés en place; on les a couverts de sable fin pour les préserver de l'injure du temps et permettre aux gardiens de demander un pourboire quand ils vous

les montrent.


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Je pris congé de Giovanni et de ses mules à la halle de la VillaAdriana ; il retournait à Tivoli, pendant que le tramway me ramenait à Rome.

ROME, 33 octobre.

Une curiosité qu'il ne faut pas oublier d'aller visiter, c'est le cimetière des capucins de la Piazza Barberini. Il se trouve dans une crypte de l'église couventuelle. Pour le voir, il faut sonner a la sacristie, un frère vient vous ouvrir et vous conduit dans l'ossuaire. Il y a là une suite de chapelles dont la décoration est uniquement faite d'ossements humains; les arabesques sont.dessinées avec des côtes et des vertèbres; les niches, entourées de crânes, renferment des squelettes grimaçants revêtus d'un froc de capucin; de la voûte descendent des lampes composées avec une macabre originalité. Les princes Barberini.avaient, comme fondateurs de l'église, le droit de s'y faire enterrer; on m'a montré le squelette d'une princesse de cette maison qui avait demandé à être employée pour la décoration de l'ossuaire. Il est encastré dans la voûte dé la première chapelle, comme ange de la justice avec la balance et la faux.

C'est une fantaisie comme une autre, mais en somme personne ne s'accommode de cette ostentation de débris humains. Deux dames italiennes du meilleur monde , s'il faut en juger d'après l'élégant coupé armorié qui les attendait devant la porte, ont été absolument de mon avis, elles trouvaient étrange le désir de la « petite princesse Barberini

Barberini mais elles ont voulu savoir très exactement où se trouvé son squelette et notre guide a dû le leur faire voir.

Parmi ces tombes il y avait celle du bienheureux Crispino, reli-- gieux capucin mort vers le milieu du siècle dernier. Quand on l'a ouverte, on a trouvé le corps absolument intact, comme celui d'un homme endormi. Il a été placé depuis sous un autel dans le bas côté droit de l'église, c'est là que je l'ai vu.

En continuant mes courses dans Rome, je suis arrivé à SaintPierre-ès-liens, célèbre par les chaînes du Prince des Apôtres et le Moïse de Michel-Ange. La statue dans son puissant réalisme, donne peut-être l'idée la plus juste de ce que fut le génie de Michel-Ange, dans le Christ de la Minerve, la Pieta de Saint-Pierre, l'artiste a dû s'en tenir à des règles bien fixes et à des données précises ; pour son Moïse il était plus libre . L'attitude est olympienne, c'est l'homme de l'autorité et de la loi, celui qui parle au nom de Dieu. Comme on le dit communément, Michel-Ange a voulu, dans son Moïse, exprimer


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l'indomptable fermeté et le:caractère résolu de Jules II, il a aussi paraît-il reproduit ses traits.

Avant de repartir de Rome, j'ai voulu revoir Saint-Pierre et le Vatican, et monter une dernière fois au Pincio. Pour un adieu à la ville des Papes, c'est la promenade la plus naturelle, elle résume en quelque sorte tout le séjour qu'on vient de faire et grave dans les tablettes de nos, souvenirs tout ce qui fait la gloire de cette immortelle cité.

Le génie païen avait dit de ses destinées:

Tu regere imperio.populos, Romane, memento,.

le génie chrétien a trouvé une expression qui répond mieux à nos sentiments et qui traduit mieux la vénération, que nous inspire la ville éternelle :

O Roma felix, quae duorum Principum Es consecrata glorioso sanguine Horum cruore purpurata caeteras Excelsis orbis una pulchritudines.

(A suivre) Dr J.WAGNER.


L'INSPECTION DU TRAVAIL

POUR L'ALSACE-LORRAINE en 1897.

(FIN)

Diagnose économique.

C'est ce côté de son activité qui a valu à l'inspection du travail anglais le nom d' enquête sociale permanente. Les comptesrendus allemands, spécialement ceux" de nos inspecteurs alsaciens-lorrains, contiennent à ce point de vue, dispersés parmi les chiffres et les faits des rapports, une foule de curieux renseignements ; essayons d'en glaner et coordonner au moins les plus importants.

Tout d'abord les inspecteurs avaient eu officiellement un travail de statistique: à faire, et à en rendre compte dans le rapport dont nous: nous occupons. Il s'agit d'une enquête au sujet des industries dans lesquelles se ferait sentir le besoin de voir les heures de travail limitées, par la; loi à un maximum, et à ce sujet les inspecteurs devaient répondre aux-trois questions suivantes : 1) Dans quelles industries a-t-on constatéun besoin de nouvelles prescriptions dans le sens du § 120 e, 3 de la Gewerbeordnung ? l)- -2) Quelles sont ces constatations?

1) La durée maximum de les enfants de 13—14 ans (6 heures ; § 135), pour les jeunes gens de l416 ans (10 heures ; § 136) et pour les femmes (11 heures; les veilles de dimanches et de jours dé fête 10 heures ; § 137) ; pour les ouvriers mâles audessus de 16 ans la loi chez nous ne limite pas les heures de travail, tandis


750 L'INSPECTION DU TRAVAIL

— 3) Comment dans ces industries faudrait-il régler les heures de travail et les pauses ?

Nous ne suivrons pas les rapporteurs dans les détails de leurs réponses ; contentons-nous de relever quelques faits spécialement saillants. Dans la Basse-Alsace 27 établissements ont une durée de travail effective de plus de 12, voire de 13 heures 1/2 et au-delà, tandis que « en plusieurs cas les pauses manquent complètement ou bien sont tellement courtes qu'elles n'ont aucune valeur comme moyen de repos, et ne peuvent servir qu'à prendre la nourriture»; parmi les ouvriers tuiliers la mortalité est beaucoup plus grande, peut-être deux fois aussi grande que parmi le reste de la population masculine environnante; dans presque toutes les petites scieries lorraines les ouvriers, jeunes gens et adultes, sont occupés les jours de semaine 16 heures durant, et cela de telle façon qu'un ouvrier commence son travail à 4 heures du matin pour le continuer jusqu'à 8 heures du soir, tandis que l'autre commence à midi et reste jusqu'à 4 heures du matin, et tout cela sans nulle pause, ni nulle interruption dans la marche de la machine, sans parler du chemin, la plupart du temps long et pénible, qu'il faut faire pour aller au travail ou pour en.revenir ; dans la Haute-Alsace, surtout mais non pas exclusivement dans les scieries, des séries de 16 heures de travail, dont 15 heures de travail effectif, sont fréquentes, et s'allongent d'une ou de deux heures aux époques de presse; dans des boucheries et des charcuteries lorraines, le travail, y compris les pauses; est souvent de 16 heures, ce qui ne serait pas étranger aux chiffres de mortalité élevés que l'on constate dans cette profession.

Ce n'est pas impunément du reste qu'on surchauffe ainsi la machine humaine, et le rapport lorrain s'exprime à ce sujet en ces termes : « Presque tous les ouvriers se plaignent de la durée excessive; des heures de travail. Ils déclarent être épuisés les dernières heures de la journée et les derniers jours de la se

que p. ex. la Suisse et l'Autriche défendent de dépasser 11 heures, la France 12 heures. Cependant,notre § 120.e , 3 dit : Pour les industries où une durée de travail quotidien excessive est préjudiciable à la santé de l'onvrier, le Bundesrath peut fixer la durée, le commencement et la fin du travail quotidien permis, ainsi que des pauses à accorder. " C'est là-dessus que se base l'enquête officielle dont nous parlons. — On consultera avec beaucoup de fruit, pour cette question, comme pour bien d'autres, l'excellent compendium du Dr. Hitze (p. 45 ff., p.. 83), que tous les auditeurs du. Cours social ont emporté, et qui rendra de réels services : : Die Arbeiterfrage und die Bestrebungen zu ihrer Lösung.


POUR L'ALSACE LORRAINE EN 1897 751

maine. Dans les établissements à longue durée de travail. on remarque chez les ouvriers (il faut cependant: en excepter les brasseurs)quelque chose de moins; frais, et sans aucune.exception un nombre relativement,restreint d'ouvriers âgés. » Par contre on a fait', au sujet de la diminution des heures de travail, des expériences-,aussi curieuses que satisfaisantes. Ainsi en Lorraine et sur le conseil de l'inspecteur , le patron d'une fabrique de ferblanterie a diminué d'une heure les 12 heures de travail qui jusqu'alors étaient de règle chez lui, tout en laissant le salaire tel quel; il est satisfait de son innovation. Dans |la fabrique de soude des usines Solvay à Saaralbe on a été plus radical encore, et;on a rabaissé de 12 à 8 les heures : de travail, diurnes et nocturnes; avec cela nul changement dans le salaire, et patron et ouvriers s'en trouvent fort bien ; celuilà tout spécialement, d'après ses propres déclarations, n'a eu aucune perte à subir, grâce à différentes améliorations dans l'outillage et, les machines, grâce aussi au travail plus soigné et plus intense de l'ouvrier. Dans les usines des de Wendel « ni qualité ni quantité du produit n'ont souffert de la réduction des heures de travail de 12 à 11. » Dans le Haut-Rhin enfin " on a de nouveau et à plusieurs reprises remarqué que pour les femmes on n'a pas usé entièrement de la permission de travail supplémentaire, puisque les avantages sont trop peu importants en regard des désavantages. Un patron qui occupe ses ouvrières 10 heures 1/2 durant 1), déclara carrément que un travail supplémentaire de deux semaines, à cinq jours par semaine et 12 heures par jour, est le maximum que, dans son propre intérêt, il ne peut dépasser pour ses ouvrières; dès la seconde semaine le profit diminue, et après la quinzaine il disparaît, puisque les ouvrières n'en peuvent plus. » — C'est.donc à ion droit que l'un des rapports parle de « la persuasion qui va en augmentant dans les cercles industriels; à savoir qu'une diminution des heures de travail en certaines limités, qui sont surtout à régler au point de vue hygiénique, n'est nullement au détriment du patron.'» ...

Bien triste est le chapitre des accidents. Ils ont été de 1314 dans le Basse-Alsace, 1140 pour le Haut-Rhin, et 1772 en Lorraine, 4226, en tout, avec 22, 13 et 18, en tout 53 morts.: L'an

1 ) Donc une demi-heure en-deça du maximum légal.


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dernier ils étaient 52, et il semble que notre industrie alsacienne

lorraine réclame avec une lugubre et fatale régularité une vietime par semaine parmi ceux qui en vivent et qui aussi la font vivre. Sachons gré aux inspecteurs;d'avoir déclaré sans détours que, plus, d'une fois l'accident eût pu et dû être prévu et empêché; en Lorraine p. ex., pour 7 %. des accidents, et le chiffre est plus élevé' encore pour les accidents du bâtiment Souvent . il faut lutter contre Une étourderie et une imprévoyance incroyables ; tel ce patron d'une scierie à vapeur qu'il fallut forcer, et non sans peine, à; faire reconstruire la cheminée de fabrique , toute penchée et prête à s'écrouler ! Deux des accidents mortels aux bâtiments sont ramenés par les patrons à la mauvaise nourriture et à l'épuisement des deux; malheureux ; pour d'autres accidents. le surmenage des ouvriers a joué un rôle plus ou moins grand. Notons, et que tous les patrons méditent les paroles par lesquelles le rapport de la Lorraine termine ce triste mais important sujet : " Pour empêcher d'une façon rationelle lés accidents, il ne. faut pas se contenter d'installer des appareils de protection corporelle pour l'ouvrier. Car le nombre des accidents diminue à mesure qu'augmente la lumière et la place dans l'atelier, l'ordonnance intelligente dès outils, la perfection dans la distribution de la chaleur et de l'air, et la rareté du surmenage. ».

Pour la Basse Alsace l'heure et le jour de 1071 accidents ont été indiqués, et le rapport a dressé d'après ces données' une table statistique très intéressante 1 ) Il en tire ces conclusions : l) Le mardi seul (158 accidents) n'atteint pas le chiffre normal journalier des accidents (176,7); étant donné que le lundi soir les auberges sont moins fréquentées que les autres jours, on peut constater une étroite relation entre un moins de consommation d'alcool et un plus" de repos nocturne d'une part, et un moins d'accidents d'autre part. — 2) Le chiffre moyen (176 7) n'est surpasse que de peu le mercredi (178), jeudi (178) et samedi (178) , mais fort considérablement le lundi (181) et le vendredi (188) ; étant donné que les soirs des. jours avant ces

1) Il est à regretter qu'elle ne soit pas illustrée par une représentation graphique, qui parlerait bien plus facilement et plus éloquemment aux yeux. Probablement que des difficultés techniques ont; empêché le rapporteur (nous avons été arrêté par le même obstacle) sinon de dresser, au moins de publier ce graphique.


POUR L'ALSACE- LORRAINE EN 1897 753

deux derniers remplissent" les auberges, on peut constater également une relation entre un plus d'alcool et un moins de repos nocturne d'un côté, et un plus d'accidents de l'autre. — 3) Le chiffre moyen de la matinée est de 12 % inférieur à celui de l'après-midi, celui des 3 premières heures de la matinée de 43 % inférieur à celui des 3 dernières, heures de la matinée, comme aussi celui des 3 premières heures de l'après-midi est de 8 % inférieur à celui des 3 dernières heures. Dans la matinée on remarque d'heure en heure une augmentation du chiffre moyen, qui atteint son maximum de 9 à 11 heures; le même phénomène se reproduit dans l'après-midi, mais plus rapidement, de sorte que le maximum est plus vite atteint que le matin. Tout cela indique que le matin vers 9 heures et jusqu'à 11 heures, l'après-midi dès 2 heures et jusqu'à 6 heures il se produit une baisse dans l'attention, en d'autres termes un arrêt dans le fonctionnement du système nerveux, peut-être aussi une diminution des forces physiques; tout cela favorisant les accidents. Mettons que cela soit en partie une suite inévitable de la digestion, il n'en est pas moins vrai ou au moins fort probable que la fatigue et l'alcool, absorbé soit aux repas soit entre les repas, jouent ici un rôle important et néfaste.

On est. donc en droit de demander avec l'inspecteur du BasRhin que d'abord on combatte de toute façon possible l'usage abusif des boissons alcoolisées; qu'ensuite les pauses nécessaires soient introduites et exactement observées, suffisantes non seulement pour boire et manger, mais encore pour se reposer. « Des pauses de 15 ou même seulement de 10 minutes ne sont que de peu de valeur, il faut une demi-heure le matin comme l'après-midi ; la pause de midi doit toujours dépasser une heure. Dé deux établissements à grandeur, durée de travail et installation égales, celui qui n'avait que des pauses d'un quart d'heure le matin et l'après-midi enregistrait un nombre considérablement plus grand d'accidents, dont beaucoup de sérieux, que celui qui allongeait les pauses jusqu'à la demiheure.» Pour bien sentir la portée et là justesse de ces observations prises sur le vif de la vie ouvrière, il suffit d'avoir passé des années à un rude travail manuel, avec une durée effective de 12 heures par jour.

Pour le Haut-Rhin 1) nous avons, très sommairement il est

1) Il serait bon peut-être que les 3 rapports s'occupassent ensemble de 1a Berne cath. octobre 1898. 48


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vrai, des constatations.analogues : « D'après des calculs allant de 1893 à 1897 et s'étendant sur l'industrie textile du HautRhin, la plupart des accidents se produisent le matin de 9 1/2 à 101/2 , et l'après midi de 3 1/2 à 4 1/2 ; la matinée a plus d'accidents que la soirée. 1) » Le très grand nombre d'accidents arrivés pendant le nettoyage de machines en marche 2) montre que l'on ne laisse pas aux ouvriers un temps suffisant pour effectuer ce nettoyage, durant l'arrêt de la machine; le rapport est fort sévère à ce sujet, et il a parfaitement raison.

En Lorraine on se plaint; également des accidents arrivés pendant le nettoyage, et le rapport cite à ce sujet un cas d'horrible réalisme. Le machiniste surveillant une pompe mécanique, éloignée de la fabrique, fut saisi à la main par l'engrenage pendant qu'il nettoyait, Gênée par cet obstacle, la machine s'arrêta, et le malheureux dut rester; dans cette affreuse situation jusqu'à l'arrivée d'un camarade, envoyé de la fabrique pour voir la cause de l'arrêt des pompes. Celui-ci, ne pouvant seul remettre des machines en marche et ne voulant non plus laisser le pauvre prisonnier dans l'étau qui le torturait, prit son couteau de poche et coupa au poignet la main, réduite en pâte informé par les mandibules des engrenages.....! Ah! certes la phrase socialiste du « champ de carnage de l'industrie » n'est pas. partout dénuée de fondement; ce qui, bien entendu, ne veut pas dire que la future société socialiste y apportera ou y apporterait le moindre remède.

On peut, à force de soins et d'attention, diminuer le nombre des accidents, mais l'ouvrier est impuissant devant les ravages continuels;et inévitables des influences antihygiéniques; nulle statistique; ne pourra nous fixer sur l'action de ces éléments souvent impondérables. Notons cependant, d'après nos rapports, " les imprimeries où on n'aère pas journellement les ateliers et où on ne nettoie pas journellement les planchers; les fabriques de cigares où, grâce au nettoyage à sec des planchers, s'élèvent des. nuages de poussière qui des heures entières provoquent des accès de toux; des températures de 38, voire de 41 degrés; une grande boulangerie lorraine, où les lits des ouvriers sont toujours occupés, tantôt par les ouvriers de jour, tantôt par les ou-.

même question et la. traitassent au point de vue statistique ; cela permettrait de très intéressantes comparaisons et de fort curieux rapprochements..

1) On se rappelle que le contraire a été relevé pour le Bas-Rhin. - 2) 69 % de tous les accidents; des ouvrières !


POUR L'ALSACE - LORRAINE EN 1897 755

vriers de nuit, qui se relaient et se remplacent dans le même

lit (!!) ; ajoutons que cette mettons situation, pour éviter

le seul mot juste mais peu parlementaire, a depuis cessé. Et il y a des naïfs pour se demander à quoi bon les inspecteurs du travail !

Les logements ouvriers1) de Strasbourg sont, au dire du rapport « en général dans une situation peu favorable " ; en Lorraine « ce que l'on demande d'une habitation en fait de confort est souvent fort minime, et frise le manque du sens de besoin, die Ansprüche grenzen an die Bedürfnisslosigkeit. » Depuis le cours social, on ne risque plus d'être qualifié d'agitateur révolutionnaire en parlant des desiderata de la classe ouvrière; nous déclarons donc que c'est pour nous plus qu'un droit, que c'est un devoir de combattre ce contentement néfaste et abrutissant, qui souvent n'est que de la résignation, et qui est indigne d'une créature formée à l'image du Dieu que l'Écriture nous dépeint 2) donnant une habitation aux oiseaux des bois, aux cerfs des montagnes et,aux hérissons des cavernes. Dans ce même ordre d'idées un des inspecteurs a prié un Kreisdirector de donner d'avance un arrêté relatif aux logements ouvriers là où l'on peut prévoir un prochain développement de l'industrie, partant une augmentation de la population ouvrière ; et il fait à ce sujet cette excellente remarque, toute empreinte d'une profonde intelligence sociale et du sentiment juste de la responsabilité du patron vis à-vis de son ouvrier : « Il faut forcer les entrepreneurs, qui créent la cause de l'augmentation de la population et du besoin plus accentué de logements, à procurer un gîte aux ouvriers immigrés, avant de commencer leur entreprise industrielle. »

Nos inspecteurs ont eu le courage de ne pas éviter la question brûlante du salaire et de dire à ce sujet toute leur pensée. En Lorraine « le salaire suffit tout juste pour l'entretien d'une petite famille, si le mari et la femme sont actifs et économes, et s'il n'arrive pas de maladies ou de chômage. Mais ces ouvriers, même avec un minimum de confort, ne sont pas en état de nourrir une famille nombreuse, quand les enfants sont petits

1) On nous permettra, pour cette question si importante et si négligée, de renvoyer à l'excellent exposé du Dr. Pieper sur la Wohnungsfrage au Cours social de Strasbourg.

2) Ps. 103, v. 12, 17, 18.


756 L'INSPECTION DU TRAVAIL

et quand par conséquent ni ceux-ci ni la mère ne peuvent concourir à l'entretien du ménage. Ces ouvriers sont entièrement dans leur droit en réclamant un salaire qui leur permette, en vivant avec économie et modestie, de, se nourrir eux et leurs familles. » Pas de commentaires. Mais au moins remercions, le rapporteur de ces nobles et hardies déclarations : il fait si bon, quand on croit ne voir qu'un fonctionnaire, de trouver en outre un homme au coeur chaud et à l'esprit clairvoyant ! - Mais cependant, restons impartial, et citons aussi avec blâme et: regret les tuiliers dont parle le rapport bas-rhinois, qui en moyenne dépensent par jour 1,50—1,20 Mark (soit à peu près le tiers de leur gain quotidien) pour de la bière. Mais aussi on se plaint souvent de la facilité avec laquelle des cantines et; des estaminets peuvent s'établir aux environs des fabriques et chantiers; un des rapports blâme le nombre excessif des Kilbe, et ce n'est pas nous qui ne serons pas de son avis.

Ne cherchez rien dans nos rapports au sujet des commissions d'ouvriers (Arbeiterausschüsse) 1) ; si on n'en parle pas, vous devinez bien pourquoi. Seul le rapport lorrain les mentionne, mais simplement pour dire que, comme les années précédentes, il n'y a que peu ou rien à en dire. Et il ajoute : « Les industriels montrent pour la plupart vis-à vis de ces commissions d'ouvriers une certaine méfiance; des efforts pour en créer dans la grande industrie sont restés sans succès. On préfère en général faire fortement sentir à l'ouvrier sa dépendance, im allgemeinen wird eine starke Bevormundung der Arbeiter vorgezogen. On comprend beaucoup trop rarement que tout ce qui, se fait pour l'ouvrier doit autant que possible se faire par l'ouvrier, et qu'on n'a qu'à gagner à faire collaborer l'ouvrier à la solution de mainte question. » 2)

Enfin, car il faut se borner, on n'apprendra pas sans quelque étonnement dans nos rapports que de petits entrepreneurs peuvent en certaines circonstances risquer et mener à bout la

1) Cette question importante a également eu sa place dans les exposés du Cours social de Strasbourg.

2) Pour cette question si intéressante des commissions d'ouvriers voir : Arbeiterausschûsse in der deutschen Industrie von M. Sering. Leipzig, Dunker et Humblot, 1890, 3,80 Mk. (Band 45 der Schriften des Vereins. für Socialpolitik). — On trouvera des détails vivants dans la précieuse brochure qui a le grand mérite d'avoir pour auteur un fabricant lui-même : Fabrikantensorgen, von Heinrich Fresee. Eisenach, Wilkens, 1896.


POUR L'ALSACE-LORRAINE EN 1897 757

lutte économique vis-à-vis de grands industriels. Ainsi dans le rapport de l'an dernier on citait près de Saarbourg une fabrique de ressorts de montre, la plus importante d'Allemagne, occupant 120 ouvriers et exportant jusqu'en Amérique et autres contrées transocéaniques, travaillant à la vapeur et munie de tout l'outillage nécessaire; et cependant d'anciens ouvriers avaient commencé dans les environs deux petits établissements analogues, mais par la force des. choses fort primitifs. Eh bien, ces petits concurrents du grand fabricant prospèrent, et chacun d'eux occupe déjà plusieurs personnes.

Il faut classer sous la même rubrique ce que rapporte l'inspecteur du Bas-Rhin au sujet des tissages à bras, spécialement dans le rayon de Sainte-Marie-aux-Mines ; leur nombre va en augmentant, et on cite un village du Ried, où de 9 établissements de ce genre, 6 datent d'après 1889, la plupart même d'après 1892 : une illustration toute pratique de la théorie du R. P. Pesch, quand dans ses merveilleuses conférences du Cours social il démontrait entre autres la fausseté du prétendu dogme socialiste de la fatale accumulation et concentration de l'industrie, das Accumulations- und Concentrationsgesetz.

Arbitrage bénévole.

Arbitrage, le terme est un peu trop restreint, car il s'agira ici d'une action plus large que ne l'indique l'expression ellemême. C'est un travail plutôt complémentaire, j'allais dire une éducation à entreprendre par l'inspecteur, travail qui demande naturellement beaucoup de tact et de patience. Comme nécessairement des deux côtés, pour le fabricant et l'ouvrier comme pour l'inspecteur, cette action est plus ou moins facultative, nous aurons moins de faits et de détails concrets à signaler. Cependant la récolte sera encore bien abondante.

« Les ouvriers (dans la Haute-Alsace) ont eu recours bien plus fréquemment que les années précédentes à l'arbitrage de l'inspecteur pour des différends de toute sorte avec leurs patrons », la plupart du temps avec succès, par exemple pour des grèves prêtes à éclater. Au nom d'un certain nombre d'ouvriers tuiliers l'inspecteur bas-rhinois essaya d'amener une augmentation de salaire, mais sans aucun résultat.

Le rapport de la Lorraine donne des détails intéressants sur une de ces luttes économiques entre patrons et ouvriers; il


758 L'INSPECTION DU TRAVAIL

montre en même temps la force de ceux-ci quand ils sont organisés : « Il y a un an, le groupe messin de l'association destypographes d'Alsace-Lorraine avait obtenu un minimum hebdomadaire de salaire de 22,50 Mark avec 9 heures de travail; en novembre: 1897 le groupe demanda que ce taux fût élevé à 24,60 Mark. Les patrons offrirent la moitié de l'augmentation demandée (23,50 Mark), ce qui fut accepté individuellement par les ouvriers, mais refusé comme insuffisant par l'association ; elle tint ferme à son postulat;primitif, menaçant de dénoncer, puis de faire grève. Là-dessus les patrons de s'adresser à l'administration, avec prière de dissoudre l'association pour différentes raisons. Refus de l'administration. Noël avec ses augmentations de commandes approchait; d'un autre côté, pour des raisons de concurrence, et autres, les patrons ne parvinrent pas à s'unir et à s'entendre, et les demandes des ouvriers furent accordées. Malgré leur irritation les patrons, au moins quelquesuns, eurent la loyauté d'avouer que les demandes de leurs ouvriers étaient parfaitement justifiées, vu que dans d'autres villes allemandes, où la vie est moins chère qu'à Metz, on paye depuis longtemps le prix qu'on réclamait; de plus ils avouèrent hautement que, s'ils étaient ouvriers typographes, ils feraient également partie de l'association. »

Quoique cette relation soit toute objective et,impartiale, on y sent percer une nuance très accentuée de sympathie pour les organisations syndicales des ouvriers. Ailleurs le même rapporteur regrette que « l'ouvrier industriel n'ait pas encore essayé pacifiquement, par exemple au moyen de l'organisation, de pouvoir dire son mot également dans le contrat de travail et de salaire. Les Italiens immigrés ont mieux compris les avantages que peuvent procurer de telles organisations : ils ont partout des salaires plus élevés que les autres ouvriers, sans que pour cela leur travail soit toujours meilleur. » Sauf le syndicat des typographes, dit-il encore, « les syndicats existants sont trop récents et trop faibles pour avoir quelque influence ou pour pouvoir, par une action commune, travailler à élever le bienêtre et la culture de leurs membres. » 1) Pour la Basse-Alsace

1) Un bravo au rapporteur pour ces franches déclarations, que dans nos rangs aussi on fera bien de méditer; mais si par impossible la ZuchthausVorlage, devait se réaliser, il n'aurait qu'à bien se tenir.


POUR L'ALSACE-LORRAINE EN 1897 759

l'inspecteur, parmi les causes qui paralysent son action et ses efforts, mentionne que « les ouvriers manquent d'organisations, qui éveilleraient et entretiendraient leur intérêt pour ces questions. De ce côté-là les organisations existantes pourraient peutêtre faire beaucoup de bien, si elles arrangeaient, non seulement en petit comité mais aussi dans des réunions publiques et professionnelles, des instructions et consultations sur la nécessité, le fonctionnement et l'usage des préservatifs contre les accidents et les maladies, sans oublier la nourriture, le chauffage, l'habillement, l'aération, tout cela traité d'une façon rationnelle. " 1)

Toujours à propos de grève, des ouvriers strasbourgeois, mis sur le pavé, s'étaient adressés au Gewerbegericht (tribunal des prud'hommes) de Strasbourg, pour le prier d'intervenir et d'amener un arrangement. Le tribunal dut refuser, puisque ses attributions, faute d'avoir été modifiées lors de la nouvelle codification de la matière, ne s'étendent pas jusque-là. D'où la remarque fort sensée du rapport : « Il est urgent, au moins du point de vue des ouvriers, que le Gewerbegericht soit modifié d'après la nouvelle législation, et qu'à la même occasion les limites de sa compétence soient étendues de façon à englober au moins encore les arrondissements de Strasbourg-campagne et d'Erstein. » Voilà pour cet hiver un champ de travail tout indiqué pour nos cercles et associations catholiques, en quête de sujets de conférence, qui sont en assez grand nombre dans les trois arrondissements en question.

Toute l'action des inspecteurs du travail, si variée et si étendue, présuppose et entraîne des relations fréquentes entre eux et les patrons et ouvriers ; elle sera d'autant plus féconde, que ces relations seront plus nombreuses et plus franches. C'a été, des années durant, la grande plainte des rapports, que la méfiance témoignée vis-à-vis des inspecteurs. Maintenant et peu à peu la situation heureusement s'améliore, et cette année on constate à plusieurs reprises dans les comptes-rendus une augmentation de confiance, et des communications plus vivantes

1) Encore et pleinement d'accord, surtout si parmi les organisations existantes" on range nos Cercles d'ouvriers, dont nous ne cesserons de répéter les graves devoirs à ce sujet. Mais pour ce qui est des ,öffentliche Fachversammlungen ", l'inspecteur ne lit-il pas les feuilles socialistes, et n'y constate-t-il pas la naïveté mesquine et amusante avec laquelle notre zélée police les défend ou les dissout ?


760. L'INSPECTION DU TRAVAIL

avec les inspecteurs. Ces entrevues permettent aux deux partis de débattre les questions les plus diverses touchant le travail industriel; ainsi, pour ne citer qu'un exemple, dans le HautRhin « la plupart des réglements d'usine sont longuement discutés avec l'inspecteur, ce qui a souvent pour résultat toute sorte de modifications qui ne sont pas précisément prévues par la loi. » Les inspecteurs ont fixé des heures à certains jours, où ils sont entièrement à la disposition du public, et depuis quelque mois, du moins à Strasbourg, on communique de temps en temps aux journaux un petit entre-filet qui rappelle aux intéressés les heures de consultation, absolument gratuites, bien entendu. Toutefois les ouvriers ne s'en tiennent pas et ne peuvent guère s'en tenir régulièrement aux heures officielles, 1) aussi l'inspecteur de Metz a-t-il préféré ne pas fixer d'heures déterminées; on constate avec bonheur dans les rapports combien les inspecteurs prennent à coeur et au sérieux leur importante mission, et combien ils cherchent à aplanir les difficultés et à faire disparaître les malentendus qui élèvent encore trop souvent une barrière entre eux et le monde industriel.

Il y aurait à traiter encore le paiement des mineurs, que le § 119 a de la Gewerbeordnung permet de n'effectuer directement entre les mains des jeunes ouvriers et ouvrières qu'avec certaines sauvegardes, La question est assez importante, elle a entre autres été soulevée au Cours social, et nos rapports la touchent à plusieurs reprises ; mais l'Elsässer 2) a naguère si complètement traité ce point, que nous ne pourrions guère dire mieux ni plus.

Une petite chicane pour terminer, à l'adresse de l'inspecteur du Haut Rhin. Plusieurs pays, pour permettre une action plus intense de l'inspectorat surtout vis-à-vis des ouvrières, ont adjoint aux inspecteurs des inspectrices, soit simplement comme aides, soit même comme inspectrices en bonne et due forme. L'inspecteur du Haut-Rhin par contre ne s'en promet aucun résultat : « Dans la dernière session du Conseil général, dit-il, on demanda des inspectrices 3) ; à mon avis il n'y a pour le

1) Pour Strasbourg p. es. le Dr. Wolff, inspecteur, Rue de la Toussaint, 6, second étage, reçoit le lundi de 9—12 1/2 et de 3—8.

2) Lohnauszahlungen an die Eltern minderjähriger Kinder, numéro 216 du 16 septembre 1898.

3) Ajoutons qu'on ne les a demandées; que pour l'industrie textile. C'est encore M. Bueb qui a pris cette initiative. La proposition a été , der Regierung zur Kenntnissnahme überwiesen."


POUR L'ALSACE-LORRAINE EN 1897 761

■moment aucune raison de répondre à ce désir. En tant que la loi protège l'ouvrière, le fonctionnaire masculin est en état de contrôler l'observation de la loi. Quant au côté moral, je crois également que l'homme peut tout aussi bien faire office de protecteur de la femme, si on lui accorde la confiance nécessaire. Or il y a des preuves que de fait cette confiance est accordée. A mon avis la confiance et la façon dont l'inspecteur sait l'inspirer dépend plutôt de la personne de fonctionnaire et de la manière dont il traite ces questions, que de son sexe. »

C'est un point de vue ; il nous sera permis, et en cela nous sommes d'accord avec mainte autorité, de ne pas le partager. Mais c'est là un léger détail, qui ne nous empêchera pas de reconnaître hautement la valeur des rapports que nous avons analysés, et d'en recommander chaudement l'étude approfondie.

C. SIPP.


RACES LATINES

ET

RACES DU NORD .

(SUITE)

VII.

Dans les Preuss. Jahrbücher, 1) M. le Prof. H. Delbrück,. parlant de la défaite des Espagnols et des victoires des Américains, pose à ce propos les questions suivantes : « D'où vient qu'un peuple qui, dans les temps passés, avait produit desi grandes choses en tous genres ; qui, au commencement de ce siècle, avait paru, dans la lutte pour sa nationalité, puiser une vie nouvelle, se débatte aujourd'hui sur le bord de l'abîme ? Quelle est la cause des succès de l'Amérique anglo-saxonne ? Ses victoires sont-elles dues à la supériorité de la race? Est-cel'institution républicaine qui l'emporte sur la monarchie? Ou n' est-ce pas plutôt le Protestantisme qui remporte la victoire sur le Catholicisme? ». Voilà nettement exprimée l'opinion répandue un peu partout dans la presse hostile à l'Eglise, et on avouera qu'attaqués dans nos convictions religieuses, aussi violemment et aussi injustement, nous sommes en droit de légitime défense, quelle que soit notre nationalité. M. Delbrück prend d'ailleurs la peine d'infirmer sa thèse lui-même. Il avoué quel'Espagne, il y a 300 ans, était un pays très florissant. Or, à cette époque, le catholicisme y régnait en maître et pouvait, sans obstacle et à l'aise, répandre sa bienfaisante influenceL'histoire se charge de la réponse, on le voit.

1) Août 1898, vol. 23.


RACES LATINES ET RACES DU NORD 763

Plus loin, M. Delbrück comble d'éloges les catholiques d'Allemagne, ainsi que le Centre, leur parti politique. Comment le principe catholique, aujourd'hui si fécond en Allemagne, seraitil cause de la ruine de l'Espagne? Notre « savant » confesse encore que l'athéisme domine tout le système gouvernemental et administratif de la France et de l'Italie. Il démontre ainsi que ces pays penchent vers leur ruine, précisément depuis qu'ils ont abandonné la vraie foi, en sacrifiant à l'impiété et à la libre-pensée. Nous n'avons pas prouvé autre chose. Ce n'est passans surprise ni étonnement qu'on lit le travail de M. Delbrück. Il y a là un tissu d'assertions sans critique et d'affirmations sans preuves. Qui peut admettre que " sur le terrain seul du protestantisme pouvait se développer la constitution civile, à laquelle le peuple américain doit son éducation, ses vertus guerrières, sa grandeur actuelle et les succès que l'on connaît? » Affirmer n'est pas raisonner, encore moins prouver.

VIII.

Ne voir dans l'état actuel des peuples catholiques que le châtiment de l'apostasie, ce ne serait pas voir d'assez haut. Indépendamment de cette faiblesse sociale et politique, qui est la juste punition de leur révolte, les races latines sont malades ; elles traversent une crise. Il faut se hâter d'ajouter que cette maladie, cette crise aiguë, bien loin d'attester leur décadence, renferme plutôt un germe de grandeur. Elles sont arrivées les premières au but. Elles ont mûri les premières. Elles ont entrevu, avant toutes les autres, le grand idéal d'une société chrétienne. Et cela était justice, puisqu'elles étaient, plus que les autres, sous la main civilisatrice de l'Eglise. Par malheur, comme au moment où elles recevaient une telle lumière, elles repoussaient la main qui tenait le flambeau; comme elles s'insurgeaient contre l'Eglise qui leur avait révélé cet idéal, et qui seule pouvait les aider à l'atteindre, elles se sont trouvées incapables de le réaliser. Elles continuent à le voir, car un idéal semblable, une fois entrevu, ne disparaît plus; elles s'agitent pour y atteindre, car il est beau et les ravit ; mais elles le manquent par faiblesse ou par excès ; de là, la crise qu'elles traversent. En général, les nations civilisatrices, celles qui agitent dans leur sein les. grands problèmes sociaux et religieux, sont presque toujours exposées à mille périls. On ne porte pas


764 RACES LATINES

impunément le feu en soi. La Judée, la Grèce, l'Italie de la Renaissance n'ont exercé leur pleine action sur le monde qu'en étant victimes de leur propre grandeur. Gomment donc les peuples latins, auraient-ils touché, sans être agités intérieurement, à ces redoutables questions del'égalité civile et politique, de. la liberté, de la fraternité des peuples ? Comment seraientils passés, sans émotion , de l'antique forme sociale qui s'en allait en partie, à la nouvelle qui n'était encore qu'entrevue ? A ces transitions-là, on risque sa vie. Mais qu'allait-il advenir quand, après avoir reçu avant toutes les autres nations le magnifique idéal, ils se séparaient violemment de l'Eglise, qui le leur avait mis dans le coeur et dans les entrailles ? On paye son génie; on paye aussi ses fautes. On expie son illogisme. C'est là.la seconde cause de la faiblesse passagère des races latines, la seconde raison de la crise qu'elles traversent.

Il y en a une troisième. Quand, préparé et, pour ainsi dire, couvé dans l'ombre de dix-huit siècles, le sublime idéal eut tout à coup apparu, des sophistes antichrétiens, dont les races latines s'étaient éprises follement, s'en emparèrent et le;corrompirent. Au lieu qu'il descend du ciel comme un fruit suave de l'Evangile, et qu'il ne peut: être réalisé que par des forces divines, ils le firent voir.naissant de terre, prenant ses origines dans le coeur de l'homme, même de l'homme révolté contre l'Eglise, et n'ayant besoin, pour être réalisé, que de forces humaines. Ils supprimèrent avec mépris.toutes les digues que l'E-glise, si prudente, si expérimentée dans;la connaissance du coeur humain, avait élevées autour de cet idéal, afin que sa réalisa-sation trop subite ne devînt pas une,catastrophe; ils en pervertirent les termes en les exagérant:, et ils lancèrent ces peuples, ravis, enthousiasmés, croyant voir naître enfin le règne du droit, de la justice, de la liberté, de la fraternité des peuples, à la recherche d'un idéal, superbe en:effet, divin assurément, mais trop éloigné, pour l'époque et, dès, lors, irréalisable. Ce n'eût pas été trop, dans un pas si difficile, de la vieille expérience de l'Eglise et de son autorité toute-puissante. Cela rejeté, que restait-il ? Le rêve, l'utopie, de faux principes avec leurs conséquences désastreuses, des passions échauffées et déchaînées en sorte que le but fut en partie manqué, non seulement par faiblesse, par anémie, par l'absence de ces forces divines que Dieu seul peut donner aux peuples précurseurs et civilisateurs, mais par les excès et les violences qui accompa-


ET RACES DU NORD 765

gnent nécessairement la poursuite des folies et des chimères.- Voilà l'état vrai des races latines. Elles ne sont pas en décadence, il s'en faut bien ; et y fussent-elles, on ne saurait l'attribuer à l'Eglise, qui les a élevées si haut tant qu'elle les a gouvernées, et dont elles n'ont pu se détacher sans subir cette triste dépréciation, si profonde qu'on a été tenté de l'appeler une décadence.

Encore une fois ce n'est qu'une maladie. Tous les observateurs en tombent d'accord. « Elles ont été empoisonnées, » dit Donoso Cortès. « Elles ont touché à quelqu'un des principes sociaux qui font les peuples prospères », dit M. Le Play. « Il se peut, ajoute Renan, que, dans notre ardeur révolutionnaire, nous ayons poussé trop loin les amputations; qu'en croyant ne retrancher que des superfluités maladives, nous ayons touché à quelque organe essentiel de la vie, — si bien que l'obstination à ne pas bien se porter tienne à quelque grosse lésion faite dans les entrailles. »

Telle est la situation vraie, et qui, heureusement, n'est pas désespérée ; car, même affaiblies, même malades, les races latines ont encore une vie, un élan, une fécondité que ne connaîtront jamais les nations protestantes.

IX.

Oui, même affaiblies, même diminuées,' même empoisonnées par des sophistes, même agitées de spasmes révolutionnaires, les races latines ont un fonds de vie et de force civilisatrice supérieur. On le verra tout à l'heure. Leur âme est plus belle: elle est moins desséchée par l'égoïsme. Toutes les merveilles de l'ordre moral, toutes les splendeurs de la charité, du dévouement sous toutes les formes, y éclosent incessamment. Elles ont multiplié les légions de vierges qui, détachées de tour, mortes au monde, se consacrent au soulagement de toutes les douleurs. Parmi les hommes si froids, si personnels, si peu capables de se donner, elles forment tous les jours une armée d'apôtres, de missionnaires qui, dans leur pays et hors de leur pays, jusqu'aux extrémités du monde, vont porter la foi, la civilisation à des populations, que la politique moderne n'a encore su que chasser à coups de fusil au fond des forêts. Et sur toute la surface de la France, de l'Italie, de la Belgique, de l'Espagne, abandonnés par les gouvernements, les catholiques


766 RACES LATINES

ont su donner, à toutes les oeuvres qui se multiplient sans mesure, leur temps, leur argent, leurs personnes, en attendant que les circonstances leur demandassent de verser leur sang, ce qui n'a pas manqué. En plein XIXe siècle, on a revu les croisades : des jeunes gens, quittant leurs femmes, leurs enfants, leurs biens, exposant leur jeunesse pour:défendre l'Eglise et le

Pape, et mourant heureux d'en avoir fait un si bel emploi.

Il est vrai que ce ne sont la que des symptômes; de vie religieuse. Mais qui ne sait que c'est la vie religieuse qui soutient les races; que ce sont les grands principes sociaux, incarnés dans les lois et dans les moeurs, qui empêchent les peuples de périr ? Or, nulle religion ne les a jamais soutenus avec plus de force que l'Eglise catholique; jamais elle n'a cessé

de les enseigner aux peuplés, même au milieu des orages révolutionnaires;, jamais ceux-ci, même emportés par la tempête, n'ont cessé de les conserver, d'y croire, de les défendre. Toujours on les a aperçus, ces principes sacrés, qui brillaient chez les nations catholiques comme l'arc-en-ciel de l'avenir. En dépit

dépit de pronostics fâcheux, je crois à la reflorescence prochaine

prochaine races latines. Elles/.sont malades, elles ont été empoisonnées; mais elles portent en elles le contrepoison.

Il n'y aurait pour les races latines qu'une possibilité de

périr : ce serait leur rupture définitive avec l'Eglise catholique, l'apostasie complète, non des gouvernements seulement, mais des nations. Or, cette rupture paraît impossible. Absente des

gouvernements, des corps politiques, la religion est ancrée dans les moeurs et les habitudes des nations. La France, qui paraît la plus malade, produit encore cinquante mille prêtres, deux cent mille religieux et religieuses, et des oeuvres de charité qui s'épanouissent dans les villes et dans les villages avec un luxe

et une abondance, qui va jusqu'à fatiguer les catholiques euxmêmes. D'ailleurs qui remplaçerait, au milieu de ces races, la

religion catholique ? Serait-ce le. protestantisme ? Mais l'Italie, l'Espagne, la France, l'Allemagne méridionale sont antipathiques à ce culte froid et mort. Serait-ce l'irréligion ? le matérialisme athée? Cela est possible vis-à-vis de quelques individus; mais

les peuples ont besoin de religion ; ils ne peuvent pas s'en

passer.

On peut donc être sûr qu'un jour ou l'autre, ramenées par

de malheur, les races latines reviendront à la religion, et que, — débarrassées de tout ce qui les a trompées, — émues et en-


ET RACES DU NORD 767

thousiasmées plus que jamais « du règne divin de la liberté et de la justice dans la société chrétienne, » elles se donneront à l'Eglise catholique, qui seule peut les aider à le réaliser, comme seule elle a été capable de le leur faire connaître.

En attendant, elles resteront, en dépit de leurs blessures, ce que Dieu les a faites et ce qu'elles ont toujours été : les nations idéales, poétiques, artistes, éprises du beau et du bon, généreuses et tendres, le charme du monde et l'unique espoir de la vraie civilisation.

X.

Regardons maintenant ce que nos adversaires appellent la marche ascendante des nations et des gouvernements protestants. Ne serions-nous pas encore ici dupes des apparences et victimes des mots ?

Il faut d'abord poser en principe que, quelle que soit l'influencé de la vérité et de l'erreur religieuse sur un peuple, cette influence n'est pas toujours libre de produire ses fruits naturels. Il y a des temps où la vérité est refoulée, momentanément rendue stérile. Et, par contre, il y, en a d'autres où l'erreur religieuse, qui devrait décomposer un.peuple, mettre en poussière ses bases nécessaires, est comme paralysée. Ses effets naturels sont suspendus. Ce peuple peut même triompher un instant, ayant le poison dans le sein. L'islamisme en est un exemple célèbre.

Aux Xe et XIe siècles, tout homme instruit le sait, on désespérait de l'avenir des nations catholiques. Une partie du monde chrétien était tombée sous le joug de l'islamisme; l'autre, sous le régime oppresseur du schisme de Photius. Ce qui restait était misérable. La discipline de l'Eglise s'était affaiblie dans le trouble des guerres civiles; la science avait disparu avec la vertu; et la Chaire de saint Pierre elle-même, disputée par l'intrigue, ne voyait passer que de, grands coupables ou de tragiques victimes. En face de cette horrible décadence, grandissait la jeune et brillante civilisation des Arabes. Que pouvaient penser les chrétiens, lorsqu'ils contemplaient, le long des côtes de l'Afrique et de l'Asie, les écoles, les académies, les bibliothèques, les mille monuments que l'islamisme vainqueur créait tous les jours? Les Arabes traduisaient Aristote, composaient des chroniques, traçaient des cartes géographiques, cultivaient la médecine, la chimie, l'algèbre, les arts; et leurs armes victorieuses


768 , RACES LATINES

venaient épouvanter l'Italie et menacer Rome. Quel spectacle Et il fallut le subir deux cents ans ! Certes, la chute était profonde, et jamais on n'eût pu parler plus haut de la décadence des nations catholiques et de là marche ascendante des nations mahométanes. Et cependant il n'y avait là qu'une vaine apparence. Cette brillante civilisation reposait sur le faux. Un moment, le génie de ces races ardentes, leur élan irrésistible, l'ivresse de la victoire, la beauté de leur imagination, avaient dompté et refoulé sous terre tous les mauvais principes qui couvaient dans leur sein. Bientôt ces principes détestables allaient reparaître, produire leurs fruits honteux; et, tandis que l'Europe catholique, sortie de sa crise, enfantait le siècle de saint Bernard et celui de saint Louis, la civilisation mahométane, abandonnée à elle-même, se préparait à devenir la honte et l'opprobre du monde civilisé. On ne porte pas impunément un cancer dans son sein. Il finit par être le maître; et, en dépit de tout génie, de toute éloquence, de toute poésie, de toute ardeur guerrière, il couche le malade dans son lit, et le conduit plus ou moins doucement à la mort.

Prenons un exemple plus récent. En 1640, dix ans avant le traité de Westphalie, le protestantisme semblait vaincu. L'Angleterre se débattait dans une révolution religieuse et politique, qui allait conduire Charles Ier sur l'échafaud. L'Allemagne était rongée depuis trente ans par une guerre civile implacable; et le protestantisme y aurait péri, si la France catholique, aveuglée par Richelieu, ne lui eût tendu la main. C'était l'heure où les races catholiques entraient dans leur plus grand éclat; où la France prenait définitivement le sceptre de l'Europe civilisée;. où l'Espagne avait encore sur le; front le reflet des splendeurs d'Isabelle-la-Catholique ; où le Portugal venait d'arriver, par des prodiges d'audace, à l'apogée de sa puissance maritime et coloniale; où; la Pologne couvrait l'Europe de son épée invincible; où le saint empire romain, menacé par la France, faisait encore grande figure ; où partout éclataient les arts, les sciences et les lettres. Nous en aurions conclu la vérité du catholicisme avec aussi peu de raison que nous conclurions aujourd'hui la vérité du protestantisme; de la marche ascendante' de l'Angleterre, de la Prusse et des Etats-Unis. La religion est un grand principe d'élévation pour les peuples ; mais il n'est pas seul, et il y a une foule d'autres élémentsdont il faut tenir compte.

(A suivre) Dr A. GARNIER.


LE COURS PRATIQUE DE SOCIOLOGIE

A STRASBOURG

9-15 Octobre 1898.

Ma tâche sur ce sujet est à la fois très aisée et très ingrate. Je viens le tout dernier parier d'un événement fort important dans la vie catholique de Strasbourg et de l'Alsace, qui a défrayé pendant huit jours et davantage la presse de tous les partis ; je n'ai donc qu'a cueillir à pleines maies dans les gerbes d'autrui et à répéter ce que tout le inonde à déjà dit. C'est de là que vient alors la difficulté de dire quelque chose d'intéressant et que l'on ne repousse pas dédaigneusement en maugréant : mais j'ai déjà lu tout cela On pardonnera;pourtant ces inévitables redites par égard pour l'impossibilité où se trouve la Revue de ne pas enregistrer un fait d'une si haute pontée et de ne pas s'associer pour sa.part aux sentiments de satisfaction, d'admiration, de reconnaissance exprimés de partout aux organisateurs et aux. professeurs du cours social.

Et d'abord il ne sera peut-être-pas inutile de redire quelques mots de l'institution elle-même.

Le Cours social pratique. est une série de conférences par Les notabilités catholiques sur la question sociale, ou plutôt sur les questions sociales , puisque aussi bien il y a presque autant de questions sociales qu'il y a de Relations différentes entre les hommes d'abord, et entre les hommes et les moyens

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de production de la richesse. Ces conférences durent une semaine et se tiennent chaque année dans une autre ville, de l'empire.

Cette oeuvre a été créée par les fondateurs du » Volksverein » pour donner partout une impulsion énergique aux études sociales.

Il y a encore une foule de gens qui malgré les progrès du socialisme nient l'existence; de la question sociale. Encore moins, admettent-ils que la sociologie est devenue une branche spéciale des sciences humaines, une science qui a ses principes et sa méthode, une science qui a une littérature très volumineuse. D'autres voudraient bien s'initier, s'adonner à cette science, mais ils ne savent pas comment s'y prendre. Le cours social confond l'ignorance prétentieuse des premiers, en leur montrant que leur ignorance d'une science n'est pas une raison pour qu'elle n'existe pas, et il montre aux,seconds par quelle voie on arrive à la science, comment on traduit ses conquêtes dans la pratique, comment surtout dans la pratique il faut s'attacher à ce qui est immédiatement réalisable dans les circonstances données, sans vouloir atteindre d'un bond un idéal qui ou bien n'est pas de ce monde ou qui du moins ne peut être atteint que par des étapes successives, et pénibles.

Ce cours social s'appelle aussi université populaire; c'est un sobriquet que le libéralisme lui a donné à ses débuts : il est devenu un titre d'honneur, outre qu'il exprime fort bien la nature de l'oeuvre qui est essentiellement une oeuvre de vulgarisation. On y ajouterait encore l'épithète d'ambulante. que nous ne nous en offusquerions pas; la vie nomade est un de ses principaux éléments de force et d'action. Sans cette qualité la plupart des élèves qui ont suivi ses cours à Strasbourg n'auraient jamais profilé de ses enseignements ni ressenti sa bienfaisante influence.

Puisqu'on l'a proclamé université, le cours de sociologie a droit à un recteur. De fait et de droit le titre appartient Dr Hitze. Son portrait a déjà été fait par M. l'Abbé Sipp; je n'ai qu'à le décrocher de son article sur le cours de Bam-


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berg de 1893, pour le remettre sous les yeux de mes lecteurs : il est encore tout à fait ressemblant. « Grande taille, front haut, serré dans une sévère redingote, il fait bien l'impression d'un de ces érudits professeurs de la Germanie. Mais cet homme, d'une quarantaine d'années, que vous prendriez simplement pour un savant de cabinet (il a été nommé tout récemment professeur de sciences sociales à l'université de Munster) est en même temps un des politiques les plus en vue. Membre du Reichstag depuis 1884 il est devenu l'un des plus éminents peut-être des économistes allemands actuels et l'un des plus remarquables orateurs du parti catholique. Point de grands mouvements dans ses discours, mais des faits, des détails techniques, des statistiques, tout cela arrangé d'une façon aussi instructive qu'intéressante; il a le secret sans vous ennuyer de vous entretenir sur la question la plus ardue. Il semble presque timide et gêné à force de tact, mais au fond il est la cheville ouvrière du cours. .... Toutes ses qualités ... lui assignent la tâche de directeur et de modérateur des discussions publiques, et il s'acquitte de cette mission délicate à la satisfaction, je devrais dire à l'admiration générale. > 1 )

Le Dr Hitze, ce Paul de la question sociale, a un Timothée. le Dr Pieper, secrétaire général du Volksverein. Je ne le dépeindrai pas mieux non plus, que ne l'a dépeint. M. l'Abbé Sipp. < On ne l'oublie plus, quand on l'a entendu parler en public, ce grand jeune homme pâle, à la figure sérieuse et rêveuse. Au début il est froid et solennel. Attendez quelques minutes, laissez le prendre pied ; son regard devient inspiré, son geste large, il donne à l'auditoire transporté tout son coeur, dévoré par la soif du bien. » Ame d'apôtre, servie par une intelligence supérieure, il veut non seulement, éclairer les esprits, mais enflammer les volontés et les entraîner à l'agitation, à l'action. Il est toujours prêt à communiquer son riche savoir et les fruits d'une expérience qui contraste singulièrement avec sa jeunesse: toujours prêt à suppléer celui de ses collègues qui fait défaut.

1) Revue cathol. 1893, p. 534.


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Vous vous tromperiez grossièrement si vous jugiez le P. Pesch, S. J. d'après les apparences : à voir cette bonne figure, avec son oeil calme et limpide, vous diriez un modeste curé de, campagne. Mais laissez le monter à la tribune et dès l'abord , vous serez, stupéfait de la facilité avec laquelle ce jésuite manie les idées les plus abstraites dans un langage qui coule de source sans aucune reprise, ni hésitation, qui laisseaussi peu à désirer sous. le rapport de la clarté que de l'élégance et de la correction . Et cela sans le moindre petit bout de papier portant une note! On me pardonnera un terme un peu boulevardier . mais il rend bien l'impression que cejésuite a fait sur l'auditoire, surtout sur la partie non catholique de l'auditoire : Le P. Pesch a tout simplement été épatant. Depuis bien longtemps aucun d'entre nous n'avait savouré un tel régal scientifique et oratoire.

Le baron de Köth, président des associations de paysans de, la. Hesse, n'est pas déjà si petit que le trouve la Heimath; mais elle a raison: de lui trouver: une physionomie bienveillante et aimable. S'il a les allures d'un banquier, ce sont toutefois celles d'un banquier qui ne prête pas à gros intérêt,: mais qui donne généreusement, abondamment, gratuitement de tous les trésors du dévouement qu'il consacre aux classes rurales.

Cette figure d'ascète est le P. Rösler, un rédemptoriste autrichien : il dit des vérités très dures qui eussent conduit un orateur alsacien en police correctionnelle pour délit contre le paragraphe 166, mais il les dit avec tant d'onction, l'athmosphèrè respira un tel convenu de paix, les frères séparés sont disposés à tant d'indulgence pour nos orateurs d'OutreRhin que le procureur n'entendra rien et que la Heimath comme la Strasb. Post avalent les flots de cette: absinthe comme un verre de sirop.

Que l'on puisse être un prêtre fort dévoué ans. pauvres sans avoir une figure d'ascète, personne ne le prouve mieux que le Dr Werthmann avec sa physionomie gaie et sa bouche souriante, toujours prête à laisser échapper un bon mot. Les chevaliers d'industrie et les faux pauvres trouvent en lui à qui parler ; quand ils reçoivent de lui leur aumône, le pli scep-


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tique qui effleure ses lèvres doit leur montrer qu'ils n'ont pas refait te directeur des oeuvres dé Charité de Fribourg.

Le Dr Gröber ferait avec sa belle barbe noire le plus splendide des sapeurs. Il fait mieux que cela; dans un langage simple, net, tranquille qui fait une causerie beaucoup plus qu'un discours, il vous expose l'économie d'une loi, avec une bonhommie et une condescendance pour son auditoire telle qu'il faudrait désespérer de celui" qui n'aurait pas compris.

Reste à crayonner le Dr Trimborn, puisque M. Brandts de Düsseldorf n'a pas pu venir faire son cours. Là Heimath et d'autres lui trouvent au physique quant à la tournure fine et aimable de son esprit, quant à la façon familière avec laquelle il enterre les mains dans: ses poches pendant sa conférence, le cachet d'un avocat parisien. Je n'y contredirai pas; la Colonia Agrippina dont M. Trimborn est le fils et l'honneur pourrait imiter plus mal que la Lutelia Parisiorum, sa parente à différentes époques de l'histoire. La Heimath avouera toutefois qu'elle a mis rudement les pieds dans le plat, en prétendant que l'esprit de bon aloi donne le cachet parisien !!!!!

J'aurais pu dispenser mes lecteurs de bien des.pages qui précèdent si un photographe avait eu l'idée de braquer son appareil sur les professeurs que l'Université populaire avait amenés du dehors, et ceux que nous avons fournis nousmêmes; je suis obligé de les laisser de côté par manque de place et nullement parce qu'ils ne sauraient supporter la comparaison avec les autres.

Je ne comprends pas davantage qu'avec la rage de photographie qui possède nos contemporains, aucun artiste, professionnel ou amateur, n'ait eu l'idée de prendre un instantané des élèves et du palais scolaire que le Vereinshaus catholique avait mis à la disposition du cours social. La photographie seule pourrait donner une idée de cette salle splendide encadrant de ses ors qui brillaient tantôt au soleil d'octobre tantôt aux flots d'une mer de lumière électrique, des centaines d'étudiants, laïques et prêtres, jeunes et vieux, catholiques et protestants, se pressant autour des tables du parquet ou dispersés sur les galeries, entremêlés ça et là de quelque rare et timide figure d'étudiante.


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Le nombre des élèves s'est élevé jusqu'à 1700, le chiffre le plus considérable obtenu: jusqu'ici. C'est un succès dont je n'avais jamais douté ; l'attraction exercée par le nom seul de Strasbourg sur les étudiants d'Outre-Rhin, la curiosité des Alsaciens de voir et d'entendre les sommités catholiques de la science et du Parlement devaient nécessairement parfaire ce que l'amour de la science pour elle-même n'aurait pas produit toute seule. Pour mon compte j'aurais même désiré un chiffre plus grand ; plus d'une abstention est regrettable, d'autant plus que les raisons pour lesquelles on s'abstient, sont précisément celles pour lesquelles il faudrait participer à toutes ces organisations, à tous ces mouvements que, sans nous, trop de gens sont disposés à tourner contre nous.

Ceux que j'ai vus avec le plus de plaisir parmi nos étudiants du cours social, ce sont nos séminaristes; la raison en est trop évidente pour que je perde un mot à l'expliquer.

Le cours a commencé par la conférence de M. le Dr Muller, professeur au Grand-Séminaire de Strasbourg sur le clergé et la question sociale. Le savant professeur ne pouvait point parler des devoirs pratiques du clergé sur ce terrain sans aborder préalablement la question du droit de l'Eglise — car l'Eglise et le clergé, c'est une seule et même chose — de s'occuper de la question sociale. Il a résolu cette objection préjudicielle avec la profondeur et la largeur de vue qui sont habituelles à ses conceptions théologiques. L'Eglise a un droit historique et un droit naturel à s'occuper des intérêts sociaux, qui sans doute ont un côté matériel où l'Eglise est par elle-même incompétente, mais qui ne sont pas exclusivement les intérêts du ventre, bien loin de là. puisque au fond de chaque question sociale il y a une question religieuse. Du reste l'Eglise a par sa force immanente soulevé la question de l'esclavage, de la femme, du paupérisme, c'est donc son devoir aussi de les résoudre. C'est l'Eglise qui a donné à la société du moyen-âge cette forte organisation dont la disparition sous les coups de la Révolution a créé la crise sociale dont nous souffrons. Le monde moderne sent la nécessitéde sortir de l'anarchie individualiste par une nouvelle orga-


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nisation, mais comme il est dépourvu de l'esprit chrétien, cette organisation est celle du renversement social .

Si l'on se demande ce qu'il y a à faire, on se trouve en présence: de trois réponses. Les uns disent qu'il n'y a aucune solution, qu' aucune solution n'est nécessaire, puisque tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes ; c'est le parti: des résignés ou des repus : les autres disent qu'il faut tout renverser:; c'est le parti de la révolution sociale; d'autres; enfin disent qu'il faut guérir la société actuelle par des réformes progressives. L'Eglise contribue à cette pacification sociale tout d'abord en proclamant la supériorité des biens spirituels sur les intérêts materiels, ensuite par la guerre qu'elle livre à l'égoïsme, Pour cette réforme l'Eglise tend la main à l'Etat, et la garantie que l'on y arrivera se: trouve dans la formation d'un grand parti où prêtres et laïques travaillent ensemble à une législation chrétienne. De grands devoirs incombent au clergé à cet égard ; il a à promouvoir l'organisation chrétienne de tous les groupes sociaux, à commencer par la famille; il a à répandre autour de lui les vrais principes de la science sociale et pour; cela à les étudier d'abord lui-même, ce qui implique nécessairement la connaissance de la tactique et de la doctrine de nos; adversaires.

La forme de cette magnifique conférence a été à la hauteur du fond ; à mon avis, elle a surpassé toutes les autres au point de vue de la perfection littéraire.

Des hauteurs de la spéculation le Dr Hitze nous a fait redescendre sur le terrain des chiffres pourétudier en trois conférences, la question ouvrière à la lumière de la statistique des carrières et de l'industrie.

Tout n'est pas rose sous cette lumière, mais tout n'est pas aussi noir que les socialistes veulent quelquefois le dire.

La population de L'empire a considérablement augmenté, mais tout cet accroissement a été accaparé par l'industrie ; la population agricole est restée stationnaire. C'est une situation à laquelle il faut nécessairement remédier par des droits protecteurs pour l'agriculture. Néanmoins il ne faut pas espérer par là ramener aux champs l'excédant des six millions


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d'ouvriers de fabrique. La transformation de l'empire en état industriel est un fait avec lequel il faut compter et qui doit devenir la base de la politique commerciale. Nous pouvons augmenter notre production pour l'alimentation et pour certaines matières premières, mais là nous ne produirons jamais tout ce qu'il faut à la consommation, et d'un autre côté l'industrie produit plus que le marché intérieur ne peut consommer. La politique des traités de commerce s'impose donc si nous voulons continuer à occuper sur notre sol la population indigène et ne pas la forcer à s'expatrier.

La statistique démontre ensuite la fausseté des théories malthusiennes; elle renverse la fameuse loi d'airain du salaire, cette ridicule balançoire: où à la hausse du salaire correspond une augmentation de la population qui fait de nouveau baisser les salaires par le nombre plus grand de bras jetés sur le marché ; elle met à néant cette réserve industrielle, soi-disant composée de tous les ouvriers auxquels les progrès de L'outillage industriel enlève le travail.

La statistique démontre en outre que la situation des ouvriers s'est améliorée, Il n'existe pas malheureusement de statistique pour les salaires, mais comme les■ assurances ouvrières ont pour base Le salaire, on peut du moins avoir des données relatives qui constatent une. hausse dans les salaires.

Il s'ensuit naturellement, et l'hypothèse est confirmée par la statistique, qu'il y a progrès dans l'alimentation de l'ouvrier. Malgré des fluctuations passagères, le prix du pain a diminué, et malgré l'augmentation du prix de la viande, la consommation a haussé. La statistique malheureusement ne donne que des données très fragmentaires sur l'habitation ouvrière. C'est là le côté sombre de la situation, celui auquel il est le plus urgent de porter: remède. Il s'en faut du reste de beaucoup que les progrès constatés plus haut soient un signe de bien-être suffisant ; cependant la théorie socialiste de l'appauvrissement universel par le développement de l'industrie est controuvée. Toutefois ce développement a répandu dans des proportions effrayantes le terrible mal de la tuberculose pulmonaire ; il y a là des précautions sérieuses à prendre pour la protection dé la vie des ouvriers.


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La socialisme avait encore posé en axiome que le développement de l'industrie produisait une concentration des établissements en un nombre de mains toujours plus petit; cet axiome aussi est devenu caduc en présence des chiffres. L'industrie petite et moyenne offre une hausse tant pour le nombre des établissements que pour le nombre des personnes employées. La concentration n'a lieu que pour les industries à grande exportation. Les classes moyennes n'ont donc diminué ni numériquement ni sous le rapport de la fortune : sans doute les classes supérieures ont participé dans une proportion beaucoup plus grande, à L'augmentation de la richesse capitaliste, mais celle-ci a progressé sur toute la ligne.

L'optimisme du Dr Hitze a provoqué l'un ou l'autre sourire bien sceptique prêt à exprimer l'objection : Mais alors comment expliquez-vous la marée toujours montante du socialisme? Le Dr Hitze y a répondu en avouant que L'ouvrier, en certaines régions, avait en effet à réclamer contre une exploitation et des traitements vraiment révoltants, qu'en outre le socialisme trouvait son aliment surtout dans la lenteur avec laquelle se font les réformes économiques eu égard à la rapidité avec laquelle s'est faite son émancipation politique.

Quoi qu'il en soit le Dr Hitze croit qu'on peut envisager l'avenir économique avec confiance ; les capitaux augmentent et rendent possibles l'occupation et l'entretien d'une population industrielle toujours croissante.

Le P, Pesch a étudié à fond le socialisme, il est certainement plus savant sur la matière que la plupart des chefs du parti eux-mêmes; voilà ce qui fait l'intérêt de ses deux conférences sur Le Socialisme et sa plus récente évolution. Et d'abord il distingue très nettement le socialisme de l'anarchisme et du socialisme d'état ; faute de faire cette distinction les adversaires du socialisme on bien le calomnient ou bien donnent leurs coups d'épée à côté.

Le socialisme d'aujourd'hui diffère complètement du socialisme critique-utopiste du dernier siècle et du commencement


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de celui-ci. Ce dernier se basait sur une série de principes dont le socialisme moderne s'est débarrassé depuis longtemps:, le droit à la liberté individuelle, le droit au libre développement de l'individu, le droit à l'existence supérieur au droit de propriété, le droit au travail etc. etc. Karl Marx en fidèle desciple de Hegel ne reconnaît aucun droit, aucune vérité absolue, il ne voit que le phénomène de l'évolution capitaliste.

Le P. Pesch montre que le point de départ des théories socialistes de Marx n'est pas autre chose qu'une conception absolument matérialiste de l'histoire qui serait régie par les seuls phénomènes de l'ordre économique. La réfutation de cette conception est bien l'une des plus belles pages de philosophie spiritualiste et chrétienne de l'histoire qu'on puisse lire. La conception matérialiste de l'histoire a du reste été réfutée par des disciples mêmes de Marx ; ceux-ci trouvent le salut dans le retour à la philosophie idéaliste de Kant: Le P. Pesch trouve que ce progrès n'est pas assez réactionnaire, et que pour sauver la société par la vérité et la justice, il faut revenir jusqu'au Christ. Les applaudissements qui suivirent celte profession de foi durent convaincre le P. Pesch que le lendemain il trouverait, si possible, un accueil plus sympathique encore pour sa conférence, sur le Marxisme et ses adversaires au sein du parti, surtout sur la critique du socialisme par Bernstein.

Marx prétendait avoir découvert quatre lois immanentes à la production capitaliste : L'exploitation et l'appauvrissement progressif de l'ouvrier; — l'accumulation et la concentration des moyens de production (machine et capital) entre, un nombre de mains toujours plus restreint; — la crise périodique ; —le cataclysme final conduisant au communisme.

Le P. Pesch n'a pas eu de peine à montrer que ces lois ne sont qu'une fausse conséquence de la théorie sophistique de Marx sur la valeur d'un objet fabriqué, d'après laquelle cette valeur est représentée mathématiquement par le prix de la matière première plus la quantité de travail fourni.' Ces lois s'évanouissent devant les faits observés sans préjugé. Les contradictions inhérentes au Marxisme n'ont du reste pas


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tardé à introduire des dissensions au sein du parti. Lassallene s'entendit avec Marx ni au point de vue politique où il rejetait l'internationalisme, ni au point de vue économique où celui-ci rejetait la loi d'airain du salaire. On devait s'entendre moins encore sur la tactique à suivre, car si les théories de Marx sur l'évolution- fatale étaient vraies, il n'y avait qu'à laisser-faire. Ce n'est pas la théorie des compagnons qui entendent agir les uns plus, les autres moins révolutionnairement, d'autres même tout à fait bourgeoisement comme une espèce d'extrême-gauche des progressistes.

Mais. un ennemi plus puissant encore devait s'élever au sein du parti, le savant Bernstein qui s'est mis à démolir l'un après l'autre les axiomes marxistes tant par le raisonnement que par les statistiques: Le socialisme tel qu'il l'entend n'est plus qu'un parti de réformes par l'association communale ou nationale.

Le P. Pesch a mis son auditoire en garde contre de trop grandes espérances fondées sur ces contradictions et ces dissensions intestines du parti. Le socialisme est entretenu par les imperfections manifestes et certains désordres criants du système actuel ; il faut donc une réforme sociale chrétienne où chacun dans la mesure de ses forces cherche à remettre le plus petit d'entre nous dans la possessions de ses droits.

Un terrain favorable pour celle réforme pratique, c'est l' Administration communale, et le Dr Trimborn a exposé avec une grande hauteur de vue les devoirs qui incombent à ce petit étal clans l'état : la municipalité, surtout dans la grande ville.

Un ville a à son service de nombreux ouvriers : elle a donc à examiner et à régler dans le sens chrétien les questions du salaire, de la journée maxima, de la paye, des assurances, des pensions. Beaucoup de villes introduisent dans leurs cahiers des charges des clauses de salaire minimum.

Les municipalités rendront beaucoup de services au monde ouvrier en établissant des bureaux de placement, en faisant faire des travaux spéciaux pendant les périodes de chomage (comme à Colmar p. ex.) Le conférencier croit du reste que


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le terrain municipal sera favorable pour l'essai d'assurances contre le chomage. C'est aussi" sous le patronage de la ville que peuvent s'ériger les secrétariats du peuple (Volksbureau).

Les; municipalités ont de graves devoirs par rapport à l'hygiène mais surtout par rapport à l'assistance publique. La première chose à faire; en cette matière, c'est de ne pas charger d'impôts les classes inférieures.

Il faudrait dans chaque conseil communal une commission sociale et il serait indispensable d'introduire dans l'une et dans l'autre l'élément ouvrier. Il faudrait aussi des conférences publiques sur les questions municipales. Par là on combattrait l'ignorance et l'on éveillerait parmi les citoyens cet intérêt qui fait le fond; de l'esprit public si indispensable pour la bonne conduite: des affaires.

Si une réforme sociale, chrétienne est nécessaire dans les villes, elle n'est pas moins indispensable dans les campagnes, et le baron von Köth espèce cette réforme et les progrès qui en sont les conséquences, des Associations agricoles, Buernvereine,

Le baron est un des amis du paysan les plus dévoués qu'on puisse rêver. Mais précisément à cause de cela, il n'est pas de ces prétendus; médecins de la crise agricole qui veulent aider au paysan en te flattant, en choyant ses défauts naturels et acquis. Rien n'est salutaire: comme la vérité, et le baron ne la mâche pas. Il connaît très bien dans la crise les éléments qui sont indépendants de la volonté du paysan : les intempéries de la saison, les tarifs douaniers, l'étalon monétaire, les défauts de la législation, etc. etc.; mais il ne ■craint pas de le proclamer, et précisément parce qu'il aime le paysan, qu'à côté des, éléments dé crise météorologiques ou économiques il y a des éléments; moraux 1) dont le paysan est lui-même responsable. C'est sous la rubrique de culpabilité personnelle, que le baron compte l'esprit de routine, l'anthipathie contre les progrès scientifiques et l'agriculture rationnelle, l'esprit processif, l'inintelligence des dépensés pro1

pro1 A cause des pharisiens entre les mains desquels pourrait tomber cet article, je déclare que le mot de moral est pris dans le sens le plus large.


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ductives, le manque de comptabilité, ce qu'il appelle la mégalomanie. Des esprits puérils et ombrageux trouvent qu'il dégrade les ruraux en leur examinant ainsi la conscience , lui trouve au contraire qu'il est impossible de guérir une plaie sans y porter la sonde. Il estime que les associations agricoles seraient une digue à la marée montante de la ruine-; car pour produire leur plein effet de réforme économique,. ces associations ne seraient pas seulement des syndicats de vente et d'achat, ce seraient des associations.qui outre leur action sur les pouvoirs publics à l'effet, d'obtenir une législation plus favorable, exerceraient une action réciproque sur leurs membres pour les réformer intellectuellement et moralement. Il y a, en Alsace surtout des gens qui poursuiventl'amélioration de la population agricole par le système de l'autruche, le baron von Köth suit le principe chrétien : Veritas liberabit vos.

Parmi les grands travaux législatifs dont s'est occupé le Reichstag il faut signaler de nouveau code de commerce. M. Gröber nous a entretenus de la Portée sociale du nouveau code de commerce. Après nous avoir décrit la genèse de ce code et nous avoir montré que l'ancien code avait surtout besoin d'être réformé dans la définition même du négociant,: M. Gröber a choisi parmi les nombreux titres de cette loi, celui qui lui paraît avoir la plus grande portée sociale pratique : les rapports des employés de commerce avec les patrons. Cette classe de travailleurs, numériquement très considérable, était à peu près complètement livrée à l'arbitraire ; le code qui réglait leur situation était saturé de l'esprit manchesterien. Le nouveau code a réglé en particulier les questions d'engagement, de renvoi, de soins à donner en cas de maladie, de rupture de contrat, de jours de repos, la clause de concurrence. M. Gröber a vivement exhorté ses auditeurs à bien étudier ces points.de la législation , afin de rendre service aux travailleurs en signalant, le cas échéant, les contraventions à l'autorité publique.

Il faut que le travailleur soit traité et payé convenablement, il faut qu'il ait aussi un abri. La question des loge-


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ments ouvriers est donc une des plus importantes dans la réforme sociale. L'ouvrier mal logé sera en règle général un ouvrier mécontent: et d'une moralité douteuse. Le Dr Pieper a traité la question en L'absence de M. Brandts (Düsseldorf) empêché. Une statistique complète des logements n'existe pas, mais le conférencier a donné quelques chiffres relatifs à Berlin qui sont absolument navrants. 15000 ménages qui n'ont qu'une seule chambre sont encore logeurs : 7000 de un pensionnaire, 4000 de une pensionnaire, 1800 de deux pensionnaires, et le reste de trois pensionnaires: et au-delà.: Certains ménages ont d'ailleurs la malheureuse tendance d'économiser sur le logement les dépenses de luxe et de gourmandise.

Une réforme s'impose: Après avoir décrit quelques types de logements ouvriers, le conférencier a traité la question de la construction de ces logements. Les industriels sont euxmêmes tenus de la résoudre d'abord les communes et les entreprises privées ne viennent qu'en seconde ligne. Tous ces facteurs cependant sont nécessaires Aux communes incombent des devoirs stricts d'hygiène ; il faut des mesures radicales contre les logements insalubres. La religion a le plus grand intérêt à la solution de cette question : les logements insuffisants sont des foyers d'infection morale. La question de l'ameublement va de pair avec celle du logement. C'est un point capital dans les oeuvres ouvrières.

Quelle est la ville où il n'y ait beaucoup à faire sur ce terrain

Le grande crime de la Révolution a été de détruire toutes les organisations sociales, notamment celles dû travail : les

corporations, etc. Après cent ans d'anarchie individualiste, le monde moderne soupire de nouveau après les groupements sociaux. En différents pays la législation a répondu à ce désir

et pourvu à ce besoin. L'empire allemand a fait l'année dernière une loi sur l' organisation des métiers. La corporation

est rétablie, obligatoire ou libre au gré des intéressés ; les corporations élisent des chambres de métiers, elles sont aidées,

selon le cas, par des commissions de compagnons etc. etc.


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Mais combien lente est la constitution de ces organismes le Dr Geissenberger, directeur du bureau municipal de statistique de Strasbourg, nous l'a prouvé par des chiffres tristement: éloquents. Cependant il y a un certain nombre des métiers que la grande industrie ne peut pas absorber et qui ne fleurissent pas comme ils le pourraient s'ils étaient organisés.

La conférence de M. te Dr Geissenberger est celle qui pourrait et devrait avoir les résultats pratiques les plus immédiats. On peut sans trop de difficultés grouper les artisans d'un canton, quand on leur a bien expliqué l'économie d'une loi qui est toute en leur faveur, mais dont ils ne retireront les avantages que s'ils prennent eux-mêmes en main leurs intérêts. Si l'on n'agit pas plus énergiquement, il arrivera que la direction de tout le mouvement, passera entre les mains des socialistes ou de quelques intriguants ou du gouvernement, et que trente-mille artisans seront régentés par les délégués de deux mille. Ils seront nombreux alors ceux qui élèveront leurs: réclamations ; il vaudrait mieux que maintenant ils missent la main à l'oeuvre en commençant par étudier la loi.

Un cours social pratique n'aurait pas mérité son nom, si l'on n'y avait point parlé du féminisme. Le P. Rösler a élevé la question à sa véritable hauteur ; personne ne s'attendait d'ailleurs à ce qu'il en parlât comme Mme Zetkin ou Mlle Louise Michel.

Cependant le P. Rösler s'est proclamé heureux de voir tant de femmes d'intelligence et de coeur qui s'occupent de la question, quoique le plus grand nombre d'entre elles la traitent de travers faute de, se mettre au véritable point de vue et de reconnaître, d'un côté le caractère fondamental du rôle de la femme dans le plan de la création et de la rédemption, de l'autre côté la notion véritable de la liberté.

Le P. Rösler trouve te caractère fondamental de la femme dans la maternité, non pas au sens physiologique du mot , mais dans le sens sublime qui y resplendit à la lumière du christianisme. Il va sans dire que pour lui la liberté en général ne consiste pas dans le droit de tout faire, mais dans le droit de se mouvoir selon les lois imposées à chaque être


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dans le plan divin; Si les poissons étaient raisonnables, dit le Père avec malice, jamais ils ne tiendraient de congrès sur leur droit de s'ébattre hors de l'eau, ainsi que l'on voit des femmes et des hommes tenir des congrès pour discuter toutes espèces de droit à leur destruction.

La liberté de la femme consistera donc dans son droit: d'atteindre le but qui lui a été fixé par le Créateur, soit dans sa vie individuelle soit dans la société familiale, soit dans la société politique .

Comme être individuel la femme a droit à l'égalité devant la morale il n'y a a pas une double morale pour l'homme et pour la femme . Et le catholicisme est la seule société religieuse qui puisse lui garantir cette égalité, parce que la stabilité de la morale existe,en raison de la stabilité du dogme. 1) La femme précisément parce qu'elle est le sexe faible a droit à une protection spéciale. En passant le P. Rösler a flétri avec indignation les administrations, qui font payer l'impôt sur le revenu aux malheureuses créatures qui sont la victime des vices de l'homme.

La femme a en second lieu le droit à rester indépendante par le célibat ; le catholicisme est le seul rempart de cette liberté; par sa doctrine de la supériorité de l'état de virginité sur le mariage.

Le femme doit avoir le plus largement possible le droit de propriété et d'administration de ses biens : en particulier, quand elle est seule, elle doit avoir la possibilité de pourvoir à son existence dans une carrière proportionnée à ses moyens physiques et intellectuels. Le P. Rösler est favorable à l'étude de la médecine pour les femmes.

Comme membre de la famille, la femme a tout d'abord le droit au libre choix de son mari. L'église catholique a toujours défendu cette liberté avec la plus grande énergie. Elle a droit ensuite au sein du mariage à la plénitude de la liberté de conscience ; le P. Rösler a caractérisé les mariages mixtes avec un zèle apostolique si ardent qu'après la con-


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férence le Dr Hitze a cru devoir arrondir un peu les arêtes. Le Dr Hitze s'était peut-être rappelé que l'abbé Bechtold avait fait quinze jours de forteresse pour en avoir dit beaucoup moins, La femme.a droit plus encore à l'indissolubilité du mariage, un droit qui n'est inébranlable qu'au sein du catholicisme. La femme mariée est loin dans notre société moderne d'être protégée comme il faut pour la jouissance de ses droits primordiaux; l'Etat moderne est sur une fausse voie et l'Etat de l'avenir seraitl'achèvement de la dégradation de la femme.

Le P. Rösler par contre n'est point partisan de la femmeélectrice, de la femme-député ou de la femme-soldat. Peutêtre aurait-il pu faire une exception pour le droit de vote de la femme pour les administrations scolaires qui existe dans certains pays. La femme exerce ses droits publiques non pas en aidant à la confection, des lois, mais en aidant à la formation des moeurs publiques, bien plus influentes dans la vie des nations, que les codes écrits. Mais le P, Rösler accorde aux ouvrières isolées lé droit de se grouper pour la sauvegarde de leurs intérêts aussi bien que les hommes.

Dans la société:politique la femme a droit surtout à être l'éducatrice de son sexe. Les applaudissements qui ont souligné cette considération arriveront peut-être aux oreilles de notre administration scolaire.

Mais en général la femme a droit avant tout à avoir un idéal. Cet idéal ne lui est donné que dans l'Eglise en la personne de la Vierge Mère. Ceux qui repoussent cet idéal s'offrant a nous à Nazareth, à Bethlehem et au Calvaire, ne résoudront jamais la question féministe. Malgré tous les efforts que l'on fera pour réaliser le règne de la justice, la parole de N. S. restera vraie :« Vous aurez toujours des pauvres parmi vous. " La conférence de M. le Dr Werthmann sur les Voies nouvelles de la charité catholique avait donc sa place marquée dans un cours de sociologie pratique. Je résumerais volontiers cette conférence en deux mots : Il faut que la charité, tout en restant vertu divine, devienne une;science, et une science aussi bien pour la

Revue , Octobre, 1898 50


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bienfaisance individuelle: que pour l'assistance publique, que cette assistance publique soit libre ou administrative.Pour cela il faut d'abord une statistique locale des pauvres et des statistiques provinciales que les différentes institutions charitables se communiquent afin de distinguer les indigents vrais des indigents fictifs et des mendiants professionnels. Ce procédé nous donnera la connaissance du mal.

Mais qui apportera le remède ? C'est l'assistance libre et l'assistance administrative, les institutions de l'Etat et celles de l'Eglise, qui; devront agir séparément; mais non isolément Toutes tes institutions, même confessionnelles, peuvent retrouver un, terrain commun d'action et des liens/ d'organisation.

L'Eglise primitive connaissait fort bien la pratique rationnelle et quasi scientifique de la charité ; il faut, absolument que nous en développions les principes et que nous les appliquions aux circonstances actuelles. Sous certains rapports les organisations catholiques sont restées en arrière sur les organisations dissidentes ou laïcisantes. IL faut p. ex. pour les soeurs garde-malades, auxquelles certaines administrations hospitalières sont si hostiles, une éducation technique hors ligne, afin que. ce. défaut d'éducation ne soit pas le prétexte/ de leurremplacement par des infirmières laïques,1)

Les grandes luttes religieuses ont; généralement été dans l'histoire, le prélude d'une floraison admirable des institutions charitables. Le. conférencier exprime l'espoir que le XXe siècle sera une, période analogue.

Je regrette de n'avoir pu assister aux trois autres conférences à celles du Dr Pieper sur les Institutions pour la culture populaire des adultes et sur les Institutions pour le développement du bien-être chez les ouvriers, ni à celles de M. le Prof. Lang du Grand Séminaire de Strasbourg sur l' Alcoolisme, mais je puis dire de source certaine que ces cours, notamment le dernier ont été tout à fait à la hauteur des précédents.

1) C'est la thèse de la Rde Mère Marie du Sacré Coeur pour les congrégations enseignantes.


A STRASBOURG 787

La place me manque pour parler des discussions pratiques des après-dînées, mais l'on voit d'après ce qui précède qu'un cours de sociologie n'est pas une école buissonnière et que nous méritions bien les récréations et les délassements que les organisateurs du cours nous avaient préparés : les soirées musicales et théâtrales offertes par les différentes associations ouvrières de Strasbourg, Commers de la Franconia , etc. Je compte aussi parmi tes délassements là séance d'ouverture avec ses speachs multicolores, où l'on a particulièrement remarqué le très éloquent fervorino de M. Neumayer, un simple ouvrier typographe de Stuttgart; l'assemblée générale du Volksverein avec le discours si applaudi de M. le Chan. Winterer sur la question sociale; la séance de clôture si significative par l'ovation enthousiaste faite à l'Elsasslied, au discours de M. le député Hauss, et à, malgré la prose je dirai, l'ode de l'abbé Sipp à la presse. Ceux qui avaient des yeux pour voir ont pu voir, et ceux qui avaient des oreilles pour entendre ont pu entendre.

« Qu'avez-vous appris à ce cours de sociologie? » m'a demandé depuis un personnage croyant faire le malin. — « J'ai appris, lui ai-je répondu, que j'ignore beaucoup plus de choses que je n'en sais, que j'aurai à faire beaucoup plus de choses que je n'en ai fait jusqu'ici ou à les faire mieux. Et sans fausse' modestie je crois que je ne suis pas le seul de mon espèce. » Je me suis surtout ancré plus profondément dans une conviction déjà vieille que le Dr Pieper a formulée à plusieurs reprises : Il faut agiter, et encore agiter et toujours agiter; c'est-à-dire transporter dans les masses les grands principes de vérité, de justice et de liberté qui feront le salut de ces masses si près de nous échapper. A quoi sert-il que nous les ayons dans nos livres ou même dans nos têtes si nous ne jetons pas cette semence à tous les horizons:?

Comme ces hommes d'action qui ont créé le cours social et qui vont en Allemagne de ville en ville sonner l'alarme et le rappel, élever la voix sur tous les forums font honte à ceux des; nôtres en Alsace qui se cantonnent dans une stérile négation, qui se fossilisent dans les vieux moules


788 LE COURS PRATIQUE DE SOCIOLOGIE

d'une société disparue, qui paralysent toutes les activités par leur desséchante critique et leur meurtrière ironie! Il est si facile de nier l'utilité, même l'existence d'une science que l'on ne veut pas se donner la peine d'apprendre ! Il est si facile, quand on ne veut rien faire de,proclamer que le bien ne fait pas de bruit et que le bruit ne fait pas de bien! Le cours social a donné le plus formel démenti à cet adage, bon peut-être pour une carmélite, mais absolument absurde pour les hommes qui vivent dans ce monde et qui doivent faire marcher le monde dans la voie du bien. Le cours social a fait quelque bruit, il a réveillé bien des facultés endormies, secoué plus d'une bonne volonté engourdie. On ne saurait en être trop reconnaissant à ses organisateurs. Il s'agit maintenant de constituer hors de Strasbourg quelques centres d'études sociales qui ne manqueront pas de devenir aussi des centres d'action. Le pire serait d'attendre, toutes les impulsions de la capitale. Pour ne donner qu'un exemple : combien serait-il indispensable que le clergé se familiarisât avec l'étude du nouveau code civil et combien cette connaissance serait facilitée par des études en commun librement organisées, sans aucune étiquette officielle.

Le cours social ne produira son effet que par une action persistante et durable, à l'instar d'un levain, sinon il n'aura été qu'une vaine parade. Il appartient à tous et à chacun de faire en sorte qu'il n'en soit pas ainsi et, comme l'a dit M. le Prof. Muller dans son discours d'ouverture, que le cours social devienne le point de départ d'une nouvelle efflorescence de la vie catholique à Strasbourg et en Alsace.

J'avais pris la résolution de ne mêler ni d'ajouter à ce compterendu aucune réflexion politique. Je suis forcé à m'en départir par l'article de l'Elsässer N° 247, où le drapeau de l'incorporation au Centre est maintenant nettement déployé. Cette évolution ne me regarderait pas, si la phrase : il'appartient à nos députés d'en fixer l'époque, ne pouvait pas laisser croire que ces; députés se sont prononcés sur le fond même de la question. Pour ma part je n'entends laisser subsister aucune équivoque


A STRASBOURG 789

et je dois à mes électeurs de déclarer que je suis après le cours social ce que j'étais au moment où ils m'ont donné,leurs suffrages.

J'ai eu l'honneur de m'en expliquer à Strasbourg avec l'un de nos collègues du Centre, et je puis affirmer qu'il a parfaitement apprécié mes raisons. Je lui ai exposé, entre autres, les conditions dans lesquelles se sont faites nos élections : un des points fondamentaux a été le maintien du groupe alsacien et l'engagement de n'entrer dans aucune fraction. Le Centre en tant que Centre est tout à fait hors de cause. Je lui ai exprimé ensuite mon intime conviction qu'au Reichstag nous nous entendrions parfaitement pour travailler pratiquement à l'accom-. plissement des devoirs si graves qui nous ont été imposés, que cette union morale me semblait bien suffire au milieu de nos difficultés, et que la fusion matérielle réclamée de nous ne pourrait se faire qu'au prix d'une rupture de notre parole solennellement engagée, qu'elle disloquerait notre union si victorieusement conquise en face de l'ennemi ; il ne saurait en être question au cours de la législature actuelle.

Je me borne pour le moment à cette déclaration, elle suffira, je pense, pour tranquilliser mes électeurs. Ce qui arrivera dans cinq ans, Dieu seul le sait ; il me semble qu'il serait prématuré de s'en occuper aujourd'hui.

N. DELSOR.


L'ENSEIGNEMENT

DES

LANGUES VIVANTES 1)

Le livre que nous recommandons à nos lecteurs est écrit tout d'abord pour les professionnels de l'enseignement, mais il renferme des parties qui sont d'une utilité plus générale et dont les idées intéresseront tout homme cultivé. Ce qui ne gâte rien, c'est que l'auteur est notre compatriote, qu'il compte de nombreux condisciples et amis parmi nos lecteurs et qu'en ce qui concerne la langue allemande, il est parfaitement compétent, ayant complété son éducation première par un séjour prolongé à l'université de Berlin..

Les deuxième! et troisième parties traitent des différentes méthodes à employer dans les écoles secondaires, du côté pour ainsi dire mécanique de ces méthodes, des devoirs à donner aux élèves etc, etc. On prend là sur le vif le professeur qui, depuis trente ans lutte pratiquement contre les nombreuses difficultés qui entourent l'enseignement des langues vivantes, surtout de l'allemand. Ceux qui chez nous enseignent le français y trouveront plus d'une réflexion profondément pédagogique et plus d'un conseil dont ils pourront faire leur profit.

La première partie est d'une portée plus élevée, elle traite de la place et du rôle de l'étude des langues, vivantes dans l'enseignement secondaire.

L'auteur, cela va sans dire, est convaincu de la nécessité de l'étude d'une langue différente de l'idiome national pour la haute culture intellectuelle : Toute langue étrangère, dit-il, ancienne ou moderne, présente généralement avec la langue nationale tant et de si notables différences que, surtout dans les premiers temps, l'at1)

l'at1) la méthode pour l'enseignement scolaire des langues vivantes, par Eug. Veyssier, agr. des langues viv., professeur d'Allemand au Lycée Charlemagne. 204 pp. in-12, Paris. Eng. Belin, Rue de Vaugirard 52, 1898.


L'ENSEIGNEMENT DES LANGUES VIVANTES 791

tention du novice se trouve arrêtée et comme forcée de se fixer

sur les plus minutieuses particularités Plus d'aillenrs les deux

idiomes mis en présence sont hétérogènes; plus la comparaison sera propre à éclairer l'esprit sur les vraies ressources de l'un et de l'autre. Cela est si évident que, s'il ne se parlait sur terre qu'une seule langue, personne ne la connaîtrait bien à fond ; car l'habitude d'en user exclusivement empêcherait de se rendre compte du détail des lois qui la régissent."

L'étude d'une autre langue est en outre un merveilleux instrument de culture intellectuelle. ,, Les innombrables efforts de raisonnement, de mémoire, d'imagination et de volonté que ce travail coûte aux enfants font de lui le moyen par excellence pour atteindre un des principaux buts de l'enseignement secondaire, l'assouplissement et l'affinement progressifs de toutes les facultés de l' esprit." ,, Enfin, ajoute l'auteur, soit le commerce par écrit ou de vive voix avec des contemporains étrangers, soit la lecture attentive des oeuvres de l'antiquité ont pour effet de forcer l'homme à rompre avec si manière habituelle, de penser pour entrer momentanément dans une pensée souvent très différente. Grâce à ces fréquents déplacements de point de vue, l'étude d'une seconde langue ne peut manquer de mettre plus ou moins en évidence la fausseté des préjugés toujours répandus à profusion parmi les hommes qui. par l'exclusivisme de leurs relations, sont comme dressés à n'admettre qu'une seule conception de toutes choses."

On voit par ce qui précède que M. Veyssier est, pour ce qui regarde la haute culture intellectuelle, également partisan de l'étude des langues mortes et des langues vivantes. Il n'admet ni l'exclusivisme archaïque des ,, ombrageux latinistes allant jusqu'à soutenir la complète inaptitude des langues et des littératures vivantes à remplir le rôle éducatif propre aux humanités", ni „la violence tout aussi aveugle" de „quelques fanatiques des langues vivantes qui soutiennent de toutes leurs forces le projet de rayer entièrement des programmes les oeuvres de l'antiquité classique et de substituer par une mesure radicale à l'enseiguement du grec et du latin celui de l'allemand et de l'anglais."

„ Les nations modernes ne peuvent plus croire à une sécurité durable, si elles ne s'inquiètent pas de ce qui se dit et se fait chez leurs voisins. La. .. grandeur échapperait au plus vite à celles qui, trop éprises du beau littéraire, négligeraient l'étude pratique des langues vivantes au point d'ignorer le mouvement intellectuel, scientifique, commercial, industriel, militaire de leurs rivales." „Mais ... il faut bien pourtant se rendre compte que la France 1) payerait de la perte certaine de toute gloire littéraire et de tout tact supérieur d'idées le dédain qu'elle afficherait pour la plus vieille et la plus sûre des traditions intellectuelles de l'humanité. L'alternative semble cruelle... " „La seule solution rationnelle, est de respecter les anciennes humanités en y ajoutant l'étude des sciences combinées avec celle d'au moins une langue vivante."

1) L'auteur écrit spécialement pour ce pays. ■


792 L'ENSEIGNEMENT

Je n'analyserai pas les considérations très, profondes que l'auteur fait sur la nécessité de l'éducation classique ; j'en relèverai seulement une : l'utilité de reprendre le latin comme langue commune dans les relations entre les savants. 1) Il est bien certain que les congrès internationaux ont encore plus de chance d'être tenus en latin qu'en volapük.

On souscrira sans réserve aux arguments donnés par l'auteur en faveur des langues vivantes. Elles ont „tout en concourant à. former le jugement et le goût, la mission spéciale d'orienter la jeunesse vers le monde moderne....". „La prévention en faveur de l'idiome propre d'un pays est une des sources vives du patriotisme, mais elle a aussi l'inconvénient de laisser les nations faute de comparaison, s'aveugler sur leurs pires erreurs. La pratique de l'anglais et de l'allemand, en faisant connaître de près aux jeunes Français des races aussi cultivées et non moins puissantes que la leur, les-, préserve de la dangereuse folie de croire qu'autour de leur patrie s'agite un monde inférieur..."

L'étude des langues vivantes dans l'enseignement secondaire doit donc avoir à la fois le rôle éducatif des humanités et le rôle utilitaire que la plupart de leurs partisans ont en vue.

Nous appellerons l'attention de nos lecteurs particulièrement sur les pages consacrées aux auteurs allemands au point du vue de la haute éducation morale et de la haute éducation intellectuelle. M, Veyssier a sans douta en vue le monde scolaire français, mais ce■ qu'il dit est sur bien des points d'une portée plus générale. On dit si souvent que tout est pourri dans l'Université de France; ces pages donneront à cette assertion trop généralisée un démenti formel;

,,Il y a au point de vue moral, deux vertus premières qu'une saine pédagogie doit exiger de tout écrivain national ou étranger, admis à l'honneur de figurer sur les programmes. Ce sont, premièrement, la chasteté de l'âme, source de cette virginité de sentiment d'où dépend la santé du corps, deuxièmement la foi en Dieu, source de cette virginité de pensée qui entretient la santé des intelligences."

L'auteur ne peut pas se soustraire à la conviction que la lecture des classiques allemands ne saurait exercer que très difficilement cette action sur l'âme et l'esprit des collégiens français.

„Les Allemands (à l'égard de la décence de l'expression) possèdent une poésie qui, pour le fond même des sujets traités, c'est une justice à leur rendre, surpasse encore en bonne tenue morale celle de la plupart des autres peuples, surtout des peuples méridionaux. Malheureusement la préférence qu'ils accordent à la peinture de l'amour sentimental sur celle de l'amour passionné ne les préserve pas de certains déréglements d'imagination qui, pour affecter moins vivement l'esprit..., n'en sont que plus susceptibles selon les circonstances de donner un fâcheux éveil aux sens..." „La femme... est dans! la littérature d'outre Rhin, comme fiancée,

1) Aussi M. Veyssier voudrait-il que les Français réformassent leur pronomiation du latin.


DES LANGUES VIVANTES 793

épouse, mère ou ménagère, l'objet d'un culte très large, dont le seul tort est d'offrir à l'imagination des jeunes gens une pente égale du côté du mal comme du bien. Ce débordement de sentimentalité correcte, mais encombrante, traduit par les: élèves français en une langue où toute expression vaporeuse tend à se préciser, n'en impressionne que plus fortement dès. âmes encore neuves dans la vie."

Les assertions de M. Veyssier ne sont pas gratuites : à la page 187, il donne des preuves douloureuses de l'empoissonement moral de la jeunesse par dès éditions trop peu expurgées.

,,La littérature allemande, ajoute-t-il, se trouve en plus mauvaise posture encore pour combattre par la vertu propre de ses meilleurs auteurs la grande plaie de notre siècle, le scepticisme .. on découvre chez les plus illustres comme chez les moins réputés d'entre eux.. un manque absolu de fermeté dans la doctrine et' de fixité dans les principes de conduite." M. Veyssier proteste surtout contre la présence de Heine sur les programmes.

Au point de vue intellectuel M. Veyssier relève dans la littérature allemande deux qualités supérieures par lesquelles elle s'impose à l'attention du monde : d'une part sa vigoureuse originalité. dans les oeuvres d'imagination, d'autre part son rôle glorieux d'initiatrice en un nombre étonnant d'études libérales.

Ceux qui liront le développement de ces deux idées verront comme M. Veyssier sait se mettre au-dessus d'un vulgaire chauvinisme et quelle justice il sait rendre à la vraie science' allemande.

On pourrait peut-être écrire le même livre en renversant l'ordre des facteurs, et en en appliquant les considérations à l'étude du français dans notre Alsace, où cette étude serait si indispensable . Malheureusement ce livre contiendrait un chapitre sur l'acharnement que mettent la plupart de nos pédagogues non pas à développer ou à promouvoir l'étude du français, mais à la déraciner et l'anéantir.

N. DELSOR.


REVUE DU MOIS.

Le Landesausschuss s'est encore réuni en. une session d'automne pour discuter deux projets de loi: l'un sur la procédure disciplinaire contre les juges et l'autre sur l'introduction du nouveau code civil. Ce dernier est de la plus haute; importance, car si le code civil a abandonné différents points à la législation particulière des états confédérés, il faut pourtant qu'ils soient réglés en harmonie-' avec les principes de ce code. Nous allons, assister au 1er Janvier 1900 à une révolution, très pacifique sans doute, mais qui n'en sera pas moins.une révolution dans nos habitudes et dans nos moeurs. Elle sera d'autant moins' pénible que nous profiterons mieux du délai pour étudier à fond les dispositions du code qui touchent deplus près à la vie usuelle.

Un certain nombre de paragraphes ont rapport aux indemnités à accorder pour les dégâts du gibier. Si les oreilles tintent à nos honorables de tour ce que nos braves paysans disent à ce sujet, il doit leur sembler que tous les carillons du monde s'agitent autour de leurs tympans. Il est heureux pour eux que les malédictions ne ressortent pas leur effet, car s'il arrivait à ces Nemrods ce que leur souhaite depuis des années le peuple alsacien, les uns seraient au plus profond dès entrailles de la terre, les autres seraient dans la. hotte de Lucifer, une autre fraction aurait été la victime d'un coup de foudre, etc. etc. Nous revenons à une situation tout à fait féodale, où le peuple n'existait que pour les chasses de ses seigneurs, à cette exception près que si le gibier mangeait la moisson des ■vilains, du moins le vilain. pouvait mener ses porcs et ses bestiaux dans la forêt pour la glandée et la pâture. Si jamais nos paysans deviennent socialistes, la loi sur la chasse aura été le facteur principal de cette perversion. Un Dante alsacien aurait certainement dans ses Enfers un cercle horriblement sombre pour les auteurs et les fauteurs de notre loi sur la châsse; ils seraient là les yeux déchiquetés par les faisans, et les muscles éternellement dévorés parles lapins, les lièvres, les cerfs et lés sangliers qu'ils avaient nourris du pain, de la pomme de terre et des choux de nos pauvres cultivateurs aux abois. Il me semble qu'au lieu de constituer en syndicat responsable pour les dégâts du gibier toutes les communes d'Alsace, il eût été plus rationnel; et surtout plus juste, de constituer en syndicat tous les locataires et propriétaires de chasse, puisque en définitive ce sont eux qui par leur élevage du gibier ont le bénéfice des dégâts causés par celui-ci. Ou bien ils le tirent, et alors il n'y aura pas de dégât; ou ils le ménagent et alors se sont eux qui doivent être responsables et non par les communes qui sont forcées à leur donner le droit de chasse. Mais que faire ? il est déjà écrit dans la Genèse : Nemrod commença à faire sentir sa puissance dans le pays.

Tandis que le Landesausschuss siège par un automne splendide, le Reichstag semble devoir encore jouir d'un mois complet de va-


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cances, puisqu'il doit être ouvert par l'empereur en personne qui jusque-là aura achevé son voyage triomphal en Turquie et en Palestine. Il faudrait avoir la plume de Pierre Loti pour décrire Constantinople dans la splendeur des fêtes que le sultan a données au couple impérial ; lui seul pourrait nous donner une idée de ce que la reine du Bosphore était devenue avec le fourmillement des foules orientales, la bigarrure des costumes, l'éclat des uniformes, — même des soldats qui ont été pourvus de gants à défaut de chemises —, le scintillement des Illuminations et les gerbes de lumière des feux d'artifice. Et toutes ces magnificences eussent peut-être été couvertes d'un épais voile de deuil si la vigilance de la police ou un heureux hasard n'avaient pas fait découvrir l'horrible complot ourdi à Alexandrie par une bande d'italiens qui ne semblent pas le moins du" monde subjugués par la politique de leur souverain. Dans ces conditions l'empereur se devait à lui-même, à sa femme, à la nation de renoncer à cette pointe sur l'Egypte, que des considérations politiques lui eussent sans doute aussi fait abandonner sans l'attentat. En effet la tension existante entre l'Angleterre et la France au lendemain des victoires de Kitchener dans le Soudan mettait fortement en question l'opportunité d'une visite surtout aussi solennelle. Ce second motif ne justifie pas du reste les doutes que certains sceptiques élevaient sur l'authenticité du premier.

Que ce voyage ait une grande portée.politique et religieuse, personne ne pourra le nier. La Turquie et l'Asie-Mineure seront un nouveau point d'attraction pour l'émigration allemande et verront s'ouvrir de. nombreux débouchés à l'industrie de l'empire. La diplomatie trouvera-t-elle après les fameux baux emphytéotiques de la Chine une nouvelle combinaison pour se faire concéder un lopin de terre' avec sphère d'influence ou une station navale? Cela est plus douteux parce que les autres puissances y regarderaient d'un peu plus près qu'à Kiaou Tschiaou, elles y verraient très probablement , sinon une atteinte à l'intégrité de l'empire Ottoman, du moins un jeu dangereux avec le feu qui couve en Orient. Pour ce qui regarde le côté religieux du voyage nous mettons sous les yeux de nos lecteurs une page fort originale de l'Augsb. Postzeitung intitulée : Pensées bavaroises sur le voyage d'Orient. „Quand on prend en main un journal, dit l'organe du Centre bavarois, on ne sait pas où commencer tant il est intéressant, malgré le chômage des parlements. En première ligne se trouve le voyage de notre empereur en Palestine, et l'on sent dans sa tête mille pensées que, malgré les longues colonnes, l'on ne trouve pas exprimées. Pourquoi ? serait-ce peut-être parce que la parole est d'argent et le silence, d'or ? Qu'on nous permette cependant une réflexion. Si ce voyage, occasionné par l'inauguration du temple du Sauveur à Jérusalem , se fait avec une suite officielle protestante si grande, il se présente, sinon dans l'intention du moins dans le; fait, comme une croisadedu protestantisme. Nous catholiques allemands nous voyons cela d'un oeil tranquille. Mais quel tintamarre (Spektakel) on entendrait, si pareille.démonstration se faisait de la part des catholiques ! Et l'on est encore très jaloux quand par hasard le pape adresse un.


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petit compliment à la France. S'il était vrai que l'ambassadeur prussien près le S. Siège fût rappelé, à cause des paroles du pape sur l'antique protectorat de la France, ce que provisoirement nous nous refusons à croire, ce serait un symptôme d'extrême nervosité chez ceux qui dirigent la politique prussienne, susceptibilité qui ne convient pas au puissant empire allemand qui finalement en est responsable. Nous espérions d'elle un calme plus grand, plus majestueux. Mais d'un autre côté cela prouve aussi que la Papauté,a un rang respectable parmi les grandes puissances, et c'est ce qu'il y a de consolant dans ces événements. Dans le moment même où le roi de Prusse, protestant, s'en va comme empereur d'Allemagne avec une suite nombreuse protestante, suivi des regards de tout l'univers, procéder à l'inauguration du temple protestant de Jérusalem, et fait par là pour le protestantisme une propagande peu négligeable , dans ce même moment le gouvernement prussien montre quelle importance extrême il attache à un mot du pape. Nous nous réjouissons de cette reconnaissance de la puissance papale surtout en ce moment. Nous autres catholiques allemands nous sommes dévoués au roi de Prusse en tant qu'empereur d'Allemagne. Il nous a donné des. preuves de sa bienveillance ; sans parler de sa visite au pape, des honneurs rendus à la dépouille mortelle de Windthorst, des distinctions accordées à des princes de l'Eglise, nous pensons avec gratitude à la froideur avec laquelle il traite la Ligue évangélique, en quête d'un nouveau Kulturkampf.. .. La conduite de S. M. vis-à-vis des catholiques prouve qu'elle veut la paix avec eux, et voilà pourquoi nous avons tant de peine à croire d'attribuer au rappel de M. de Bülow la signification qu'y attachent certains journaux. Mais si cette signification était la vraie, nous nous étonnerions de voir la Prusse montrer, sur son propre territoire si peu d'énergie pour la protection des catholiques, leur refuser la plénitude de leurs droits, privilégier les protestants comme si les catholiques étaient des étrangers sans foyer (hergelaufene Fremdlinge), et permettre à la Ligue évangélique de la guerre religieuse ses scènes sauvages de haine et d'intolérance. Hic Rhodus, hic salta ! Sinon on finirait par. croire qu'à l'étranger le catholicisme ne doit servir qu'à promouvoir les intérêts du prussianisme. Nous avons excessivement peu de confiance en la protection des catholiques par la France, notamment des catholiques allemands en Orient, et ceux-ci invoqueront volontiers la protection de l'empire. Mais comme les Prussiens nous ont jusqu'ici fait avaler plus d'amertés que de douceurs, on nous permettra pour le moins d'être stupéfaits du zêle de certains prussiens pour le protectorat des catholiques en Orient et d'être très curieux de voir ce qui va. arriver en Prusse même. L'âge d'or pour les catholiques prussiens ne peut pas.tarder à venir." 1 )

L'Augsburger Postzeitung a raison de ne pas croire à une rupture même momentanée des relations diplomatiques entre le S. Siège et la Prusse. A en croire l'Osservatore Romano le départ de Rome de M. de Bülow et l'allocution du S. Père aux ouvriers français

1) Augsb. Postztg.., 18 oct. 1898.


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avaient été une coïncidence tout-à-fait fortuite. M. de Bülow avait demandé à être rappelé de Rome pour des raisons purement personnelles qu'il aurait déjà eu fait valoir depuis quelques mois ; ce qui prouve la sérénité des relations entre Berlin et le Vatican, c'est la nomination presque immédiate de M. de Rotenhan comme successeur de M. de Bülow et plus encore l'échange de dépêches si cordiales entre le pape et l'empereur à la suite du magnifique don fait par ce dernier de la Dormition de la Vierge aux catholiques allemands. L'incident aurait été créé par la presse à la solde du Quirinal qui, tronquant l'allocution du S. Père, la détachant du milieu où elle avait été prononcée, s'en était servie pour ameuter l'opinion publique en Allemagne contre les tendances gallicanes de la secrétairerie d'Etat. La presse du Quirinal y a réussi, car la presse chauvine d'Allemagne représenté Léon XIII comme un vieillard épuisé intellectuellement et moralement, depuis longtemps incapable d'accomplir d'une façon convenable les actes qui autrefois étaient un jeu pour lui! Le cardinal Rampolla, assez borné du reste (der zweifellos geistig beschränkte Cardinal), l'entoure de filets français ! Le cardinal Parocehi voit déjà éclater la guerre ! On intercepte ou on mutile la correspondance des prélats allemands ! Brrr ! ! ! La Strassburger Post se garde bien de dire cela d'elle-même, mais elle le copie, sans commentaire et avec un air de componction pitoyable, dans les journaux suisses auxquels ses congénères ont expédié ces terribles nouvelles, afin de leur donner un badigeon de neutralité. On pourrait lui demander si elle aurait recopié ces mêmes élucubrations sur la sénilité du pape quand il décora Bismarck de l'ordre du Christ. Quoi qu'il en soit, les paroles du pape ne peuvent avoir qu'un sens conditionné par les circonstances. Le pape n'a certainement jamais songé à faire de la reconnaissance du protectorat français un barrage contre le flot des; événements qui changent la situation respective des puissances en Orient. Il peut déplorer les compétitions nationales qui entraveront ses tentatives d'union, il se gardera bien d'aggraver encore ces conflits par une intervention inutile et les Français comprendront sans peine que le pape ne peut pas se servir de ses armes spirituelles, et il n'en a pas d'autres, contre les nationaux qui se réclameront de leur consul. Il s'agit seulement de savoir si les relations de l'Allemagne et de la Turquie seront toujours aussi amicales qu'elles le sont aujourd'hui.

Comme la plume va la politique de Berlin a des orientations très variables. Il n'y a pas déjà si longtemps, qu'à Berlin l'on était tout feu pour les Boers et l'on ne craignait pas de leur adresser des démonstrations de sympathie fort mal vues à Londres. Aujourd'hui les rôles sont renversés : on bat froid les Boers, et l'on accable l'Angleterre de tendresses, quitte à se dégager de ces embrassades dès que les intérêts varieront. Je pense d'ailleurs que le sultan le sait mieux que moi; et qu'avec sa finesse asiatique il compte beaucoup plus sur les roueries de ses diplomates que sur l'éternité des serments d'amour politiques.


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En attendant la Prusse va achever ses élections parlementaires; et jamais l'on n'aura mieux vu combien; le prince de Bismarck avait raison de dire que le système électoral de la Prusse est le plus misérable: de tous. (Celui du Landesausschuss naturellement excepté). Il y a des circonscriptions électorales où deux; quatre, cinq électeurs de la première classe ont autant de voix que tous les électeurs des autres, classes réunis. Et notez bien cette; anomalie : le prince chancelier est dans la; troisième;classe. Cela prouve que quand les hobereaux; veulent abolir le suffrage;universel sous prétexte que les capacités intellectuelles et sociales n'y jouissent pas de leurs droits , ce souci de la représentation des intérêts est une sinistre plaisanterie. En tout cas on avouera que le suffrage universel est préférable à un système où le. propriétaire d'une maison de tolérance est dans la première classe à raison de ses revenus tandis que le princechancelier n'est que dans la troisième. Si les socialistes cessaient de se retrancher dans leur intransigeance négative et consentaient à voter pour des candidats progressistes ou du Centre, il serait possible de refouler la majorité réactionnaire prétendue conservatrice qui s'oppose à la réforme électorale. Et en; cela ils travailleraient encore pour eux, parce qu'une réforme électorale même restreinte leur fournira: la possibilité de conquérir quelques sièges. Ils préfèrent peut-être attendre que les classes moyennes écoeurées parle; système viennent à eux ; cela est possible aussi et pour endiguer le mouvement socialiste il vaudrait mieux prévenir le mécontentement que de forger: des lois; contre les grévistes sous l'étiquette de loi sur la liberté du travail.

La diplomatie du sultan a été trop occupée par la réception de l'empereur d'Allemagne pour avoir le temps de chercher dés échappatoires à. l'ultimatum des puissances qui le sommait d'évacuer l'île de Crète. On aurait épargné bien du, sang si dès l'abord on avait ainsi mis les poucettes à Sa Hautesse. Et si en fin de compte on installe le prince de Grèce comme gouverneur, on se demande pourquoi ces puissances; ont laissé se massacrer tant de pauvres soldats dans les plaines et sur les. coteaux de la Grèce pour aboutir au point où les Grecs avaient commencé. Quand on parle d'ailleurs de la suzeraineté du sultan, c'est une vieille guitare dont on se moque à;, la, première occasion, témoin l'Angleterre qui; se gère comme maîtresse en Egypte sans se soucier des droits de suzeraineté du padischah. L'idée ne lui est jamais venue de demander au sultan la permission de conduire les troupes du Khédive contre les derviches pour reconquérir Chartoum, et l'idée lui vient encore moins de soumettre au sultan le différend qu'elle a avec la France à propos de Faschoda.

C'est un curieux épisode dans la découverte du continent noir que cette traversée; du Soudan par le capitaine Marchand avec une poignée de tirailleurs sénégalais. Les Anglais avaient cent fois prédit qu'il n'arriverait pas à destination, et; qu'il serait massacré par les tribus soudanaises; auxquelles il ne pourrait échapper qu'en s'embourbant dans des marécages meurtriers. Grandes furent leur stupéfaction et leur colère, quand en remontant le Nil après leur victoire


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d'Omdurman ils le trouvèrent solidement campé à Faschoda. Ce fut pis encore à Londres. Le léopard anglais entra dans une indicible fureur, on crut un moment que d'un bond il allait passer le détroit et ne faire qu'une bouchée du coq gaulois, qui du reste ne tremblait pas outre mesure et commençait même à aiguiser ses ergots. La presse de Londres et les grands orateurs de l'opposition tenaient un langage tel qu'on croyait à l'impossibilité de maintenir la paix ; la presse de Paris était plus modérée, mais.elle laissait clairement entendre qu'un acte de violence contre le capitaine Marchand, devenu major entre temps, constituerait un casus belli difficile à écarter. La visite du comte Mourawief à Paris a peut être contribué à mettre une sourdine aux cris de guerre anglais-; en tout cas ils semblent plus accessibles à la voix de la raison, et on ne peut pas. nier que telle est la voix des diplomates: français. Ne commencez pas, disent ceux-ci, par exiger de nous le rappel, le désaveu de Marchand comme condition préalable de toute négociation. Laissez-nous d'abord avoir le rapport de notre émissaire, laissons le statu quo et. négocions. Votre droit est au moins douteux et nous pourrions reclamer celui du premier occupant. Par le fait si nous évacuons Faschoda , nous avons droit à une compensation et nous réclamons comme telle un débouché quelconque sur le Nil pour nos possessions de/l'intérieur. — On ne peut vraiment pas être plus modéré, et l'Angleterre finira par le reconnaître, elle ne risquera pas la guerre pour imposer à la France une humiliation sans profit, aussi peu que la France se jetterait de gaieté de coeur dans une guerre maritime par pur amour-propre. Les nouvelles belliqueuses ont été semées par les hommes de la Bourse qui à cette occasion ont de nouveau écumé plusieurs millions.

Et c'est au moment où ces graves négociations sont en suspens que la France a renversé le ministère. Cela ne veut pas dire qu'elle se trouvait en meilleure posture quand elle avait le ministère Brisson, qui avait excité dans le pays un dégoût plus profond encore que dans les Chambres. Il fallait qu'il se sentit à la fois bien faible et bien coupable pour avoir inventé ce fameux complot militaire qui après vingt-quatre heures s'est évanoui en fumée. M. Brisson pensait par là détourner la colère dont il est l'objet sur les chefs de l'armée et faire passer les antirévisionnistes comme des ennemis de la république et comme l'avant-garde de la monarchie. Il ne fait pas bon, dit un proverbe allemand, de peindre; le diable sur la muraille, car il risque de venir en personne ; c'est le cas de M. Brisson. Ses. trois mois de règne ont augmenté considérablement le nombre de ceux qui sont dégoûtés du régime parlementaire tel qu'il se pratique, et s'ils ne veulent pas revenir à un empire ou à une monarchie héréditaire, ils ne seraient pas fâchés qu'un militaire énergique donne un bon coup de balai pour envoyer à l'égoût tous les insulteurs de l'armée, que d'instinct, on regarde comme,le dernier soutien des forcés sociales en décomposition.

Le cabinet Brisson lègue un lourd héritage à ses successeurs; la France se trouve à deux doigts de la guerre étrangère et de la guerre civile. Sans le discuter , il y a à constater un fait évident .


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La France a la cour de cassation en suspicion : l'affaire Dreyfus a été introduite contrairement à la loi qui, veut que le ministre de la justice seul prenne la responsabilité d'une révision, et celle-ci a été introduite par le cabinet tout entier. La fournée de conseillers que M. Brisson a faite récemment augmente encore les soupçons. Ce qui les confirme, c'est la démission que le général Chanoine a jetée à la tête du ministre en pleine chambre, on sent bien que ce soldat a voulu réparer par un acte, peu parlementaire,.mais débordant de loyauté, son entrée dans le ministère Brisson où il avait accepté un portefeuille non pas par conviction de l'innocence de Dreyfus, mais simplement pour empêcher que M. Brisson en personne n'allât s'installer à la rue St. Dominique. Il s'agira de savoir; si les partisans si nombreux et si décidés de l'autorité militaire ne chercheront pas par n'importe quel moyen à sortir de l'étau où M. Brisson a enfermé la nation : ou tout dire en audience publique, même ce qui ne peut, ni ne doit être dit publiquement, ou laisser juger et acquitter Dreyfus sur un dossier incomplet, en s'exposant à. déchaîner la guerre civile. Il faudra en tout cas un ministère d'une ferme autorité pour faire revenir Dreyfus, pour le réintégrer dans l'armée, pour lui donner l'avancement auquel il aurait droit, si M. Cavaignac, Zurlinden, Mercier, Billot, Chanoine, Gonse, Pellieux, continuent à affirmer la culpabilité de l'accusé. Et cependant il faudrait affronter tous ces orages, si son innocence était démontrée. Les ancêtres de Dreyfus ont appliqué au Christ le principe : Qu'il est avantageux qu'un homme soit exécuté pour tout le peuple : il serait désastreux que ce principe fût mis en vigueur après dixneuf siècles de christianisme.

On l'a dit et avec raison qu'au fond de toute affaire politique il y a une question religieuse. Il en est ainsi de la suspicion en laquelle la France tient les représentants les plus élevés de la magistrature, ceux dont l'impartialité devrait être le plus hors de conteste. De quelle époque date ce manque de confiance dans les tribunaux? De l'époque où Jules Ferry par l'inauguration de la persécution religieuse força une grande partie des juges à descendre de leurs sièges. A partir de ce moment le juge n'a plus étéconsidéré que comme un. instrument politique destiné à. rendre plus de services que d'arrêts. Si l'on était convaincu que les conseillers de la cour de cassation ne sont arrivés à leur situation éminente que par l'intégrité de leur conduite, par l a profondeur de leur science, la révision aurait l'effusion de l'huile calmant les flots soulevés par la tempête. Les Français ont toléré des juges condamnant des. moines et des religieuses coupables de prier ensemble et de soigner les. pauvres, il est juste qu'ils aient des juges qui même au prix d'une forfaiture leur ramènent le prisonnier de l'île du Diable. :: N.DELSOR.

N. DELSOR

/ Rédacteur responsable.

Imp. F. SUTTER & Cie . - Rixheim (Alsace).


SOCIETE DE SAINT-AUGUSTIN , BRUGES

MOISSON DE FAITS REMARQUABLES DE LA VIE MILITAIRE, par O. Bischoff. 1 vol. in-12. 224 pp. — Fr. 0,75. - Res,- non verba. Cette vieille devise caractériserait à merveille le livre que;voici. Point de phrases, des faits ! — L'intérêt qu'ils offrent et l'action persuasive qu'ils possèdent, reçoivent de leur nombre et de leur groupement une puissance singulière. — Tous les échelons de la hiérarchie militaire fournissent à l'auteur des exemples d'où il appert.qu'il est possible, qu'il est facile — à moins d'être un poltron — de vivre chrétiennement sous les' drapeaux ; et que les meilleurs chrétiens sont aussi les meilleurs soldats. Théorie que nous voudrions voir dans les chambrées, dans les cercles et chez messieurs les officiers, car elle entretient le conscrit de ses devoirs de chrétien, et te chrétien de ses devoirs de soldat.

RECUEIL DE DIALOGUES ou Explication du catéchisme en forme de dialogues, par un prêtre du diocèse de Verdun, avec l'autorisation de l'Ord. 1 vol. in-12, 450 pp. — Fr. 2,50, — rel. 3 Fr. Nous appelons l'attention du clergé sur ce Recueil de dialogues ou Explication du catéchisme sous forme de dialogues. Non seulement l'auteur a su résumé tout l'enseignement religieux, mais : il a pris soin de répondre aux objections les plus répandues, de façon à faire de ses jeunes théologiens de véritables apologistes. D'ailleurs il semble s'être inspiré de l'exemple S. Pierre Fourier, donc le R. P. Rogie écrit : ,, Quelquefois, voulant donner à son enseignement plus de variété et d'intérêt, il transformait ses leçons en dialogues ; ce qu'il avait déjà pratiqué à Pont à-Mousson, et probablement aussi à Chaumeresy. Il faisait apprendre les dialogues aux enfants les plus capables, et les exerçait lui même à la déclamation, jusqu'à ce qu'ils fussent en état de jouer convenablement leurs rôles. Alors les paroissiens convoqués venaient en foule, les acteurs paraissaient sur une espèce de théâtre dressé pour la circonstance, et mettaient en drame une doctrine nette et précise.

MOIS DES AMES DU PURGATOIRE A l'approche du mois de novembre, spécialement consacré à la dévotion aux Ames du Purgatoire, la Société de Saint-Augustin à l'honneur de signaler à ses honorables clients les publications, toutes d'actualité, qu'elle met en vente à cette époque de l'année.

1° Le Petit Mois des Ames du Purgatoire. Prix : Fr. 0,10 l'exempl., et 8 Fr. le cent

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REVUE BENED. Oct. — Observatoire bénéd. de Kremsmünster.

— Une apolog. prot. de S. Thomas d'A. - Le 9e centen. de la Commém. des défunts.

REVUE DES QUESTIONS HISTORIQUES.. Octs — L'histoire du bapt. depuis l'édit de Milan jusqu'au concile in Trullo : Dr. Ermoin, — Un archev. de Rouen au 12e s. : Hugues III d'Amiens;: Hébert. — L'Univ. de Paris et l'humanisme au, début du 16e s. ; Jér. Aléandre : Paquier. — La Révol. à St. Domingue : Lud. Sciout. —Mélanges : Les homélies attrib. à St. Eloi : Vacandard. — La bat. de Courtrai, d'après les comptes de la ville de Bruges, 1.-col. de Vienne. — La corresp. secr. de. l'abbé de Salamon pendant la Rév. : V. Pierre. — Un cadet d'Auvergne : G. de Grandmaison. — Deux publications sur le Bouddhisme : Baron Carra de Vaux.

- - St. Dominique et ses nouv. hist. : G. Ledos — Pensées d'un homme d'Etat, Pobédostzeff : Baron d'Avril.

S. ETIENNE, par E. Horn, lauréat de l'Acad. fr. Un vol. in-12 de la collection „Les Saints". — 2 fr. -— Paris, V. Lecoffre, rue Bonaparte, 90. — La collection ,,Les Saints" dont le succès croissant vient encore d'être attesté par des traductions en langues étrangères, s'enrichit d'un vol. sur S. Etienne, roi de Hongrie. Il a pour auteur M. E. Horn, dont le nom est honorablement connu en Hongrie comme en France : car s'il appartient au premier des deux pays. par ses origines paternelles, il est du second par son séjour et par ses travaux : l'Acad. fr. a déjà couronné de lui, de délicates études sur les poètes hongrois. Son S. Etienne fait revivre avec beaucoup de couleur les premiers temps de cette monarchie où les bénédictins secondèrent si heureusement les efforts du descendant. d'Attila

pour faire de ces barbares un peuple Chrétien, un peuple politique, un peuple brave, capable de défendre l'Occident contre les invasions mahométanes. Le cadre est dessine avec une érudition précise et sûre : la physionomie du saint roi est rendue bien vivante avec les traits les mieux faits pour provoquer l'admiration et une profonde sympathie.

S. IGNACE DE LOYOLA, par H. Joly. 1 vol. in-12, de la collection „Les Saints ". — 2 fr. — La collection dirigée par M, H. Joly, ne pouvait tarder à donner un S. Ignace ; car de l'aveu de tous, amis et ennemis, nul n'a exercé sur l'Église et sur ta société moderne une action si étendue, si forte, si persévérante ; et, nul aussi, semble-t-il, n'a ouvert un pareil champ de contradiction et ■ de controverse. C'est le directeur même de la collection, c'est l'auteur si admiré de l'originale Psychologie des Saints qui a tenu à, se charger de cette tâche difficile. Des sources précieuses lui étaient ouvertes : il y a puisé avec l'amour de la vérité, mais de la vérité dite avec courage et sérénité. On a peut-être abusé de nos jours du mot de psychologie; mais M. H. Joly est bien connu pour être de ceux qui font honneur à la chose. Tous les critiques impartiaux

tomberont certainement d'accord que le nouveau S. Ignace est une oeuvre de psychologie profonde et claire, autant qu'un morceau d'histoire exact et vivant. Un pareil travail; était à faire et nous croyons que le voilà fait. Jamais les Exercices de S. Ignace, jamais

sa correspondance et ses, Constitutions n'avaient encore été analysés avec tant de sagacité, de délicatesse et d'intérêt.