Rappel de votre demande:


Format de téléchargement: : Texte

Vues 1 à 84 sur 84

Nombre de pages: 84

Notice complète:

Titre : Revue catholique de l'Alsace

Éditeur : [s.n.] (Rixheim)

Éditeur : [s.n.][s.n.] (Strasbourg)

Date d'édition : 1906-09-01

Contributeur : Mury, Pantaléon (1819-1891). Éditeur scientifique

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34444695k

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb34444695k/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Format : Nombre total de vues : 7644

Description : 01 septembre 1906

Description : 1906/09/01 (A25)-1906/09/30.

Description : Collection numérique : Fonds régional : Alsace

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k55298662

Source : Bibliothèque nationale de France, département Collections numérisées, 2008-273090

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 18/01/2011

Le texte affiché peut comporter un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 100%.


XXVe ANNÉE. — SEPTEMBRE 1906.

REVUE CATHOLIQUE.

D'ALSACE.

NOUVELLE SÉRIE.

SOMMAIRE.

I. Les chrysanthèmes. II. Villages d'Alsace. (E. B. L.).

III. Un castel féodal ou le château de Werde et ses propriétaires.

(Suite). (FR ED. SITZMANN.

IV. Patriarchistes contre exarchistes. (Fin). (L. FISCHER). V. Jean Hanser. (Fin). (A. M. P. INGOLD).

VI. La situation économique des ouvriers en Allemagne. (PAULALBERT

(PAULALBERT VII. Trégastel-Ploumanach. (J. PH. RIEHL). VIII. La vallée de Saint-Amarin. (Suite). (G. SIFFERLEN).

IX. Revue du mois, (N. DELSOR).

X. Bibliographie.

La Revue catholique d'Alsace paraît vers la fin de chaque mois.

Le prix de l'abonnement est de 6 maries ou 7 frs. 50 pour tous les pays de l'Union postale.

On l'abonne chez F. SUTTER & Cie., imprimeurs-libraires, à Rixheim (Haute-Alsace), par un mandat ou par timbres-poste ou à chaque, bureau de poste.

Pour tout ce qui regarde la Rédaction s'adresser à M. l'abbé DELSOR à Marlenheim (Basse-Alsace).

La -Revue catholique d'Alsace" donnera un compte-rendu, au moins sommaire, de tout ouvrage dont on enverra un exemplaire à la Rédaction.

RIXHEIM

IMPRIMERIE DE F. SUTTER & CIE.

1906



LES CHRYSANTHEMES

Sonnet

Passants, saluez-nous !... Nous sommes dt l'automne Les doux adieux fleuris, les sourires charmants; A travers les brouillards notre beauté rayonne, Ornant les voiles gris de festons éclatants.

Passants, admirez-nous ! ... la nature nous donne Des attraits que n'ont point les fleurs de vos printemps, Nous éclosons quand tout autour de nous frissonne, S'abîmant sous le poids des frimas menaçants.

Flore pour nous parer, lisse ou boucle nos têtes,

Parfois les écbevelle et les orne avec art

Des plus riches couleurs, fière de nos conquêtes.. .

En admirant alors son oeuvre éblouissante,

Elle ne songe plus à l'heure du départ,

Et se reprend d'espoir ... la pauvre agonisante !.. .

Revue, Septembre 1906. 40


VILLAGES D'ALSACE

Qu'on aime à visiter nos villages d'Alsace, Où se retrouve encor l'esprit religieux! Partout de hauts cloclers s'élèvent dans l'espace Envoyant vers le Ciel leurs sons mélodieux.

Les maisons se serrant bien autour de l'église Ressemblent aux troupeaux entourant leurs pasteurs: Faisant suite au logis, grange, etables, remise, Sont la joie et l'orgueil du brave laboureur

Parfois de vieux châteaux, aux ornements gothiques, Une tour, des remparts, de longs fossés bourbeux, Parlent des temps passés, d'ères moins pacifiques, Mais rappellent aussi plus d'un fait glorieux.

Sur ces restes branlants, ou sur le plus haut faîte, Un grand nid bien construit, avec art, avec soin, Abrite une nichée. On l'aime : oh ! quelle fête Quand la cigogne arrive, au printemps, de fort loin !

Sur un antique banc, les vieux fument leurs pipes, La grand'mère tricote et rêve aux temps lointains Où déjà la charmaient roses, lilas, tulipes, Que son amoureux lui cueillait à pleines mains.

Car ce qui rend les bourgs, les hameaux, les villages, Dès les premiers beaux jours attrayants et charmants, Ce sont les jardinets avec leurs verts feuillages; Ils réjouissent l'oeil et l'âme des passants.


VILLAGES D'ALSACE 627

Même les pauvres ont mis devant leur fenêtre Des vases ébréchés d'où germent maintes fleurs : Cactus, géraniums, fuchsias, et peut-être Le romarin parlant d'espoir aux jeunes coeurs.

Puis après les travaux, c'est toute la famille : Enfants, petits-enfants, contents de se revoir, Qui se joignent aux vieux ... on rit et l'on babille. Bien joyeux chacun dit à l'autre un gai.. . Bonsoir!

Dès que l'ombre descend et que l'Angélus sonne, De maison en maison s'éteignent tous les feux, Au sanctuaire seul une lueur rayonne, Elle brille pour Dieu comme l'étoile aux cieux.

E. B. L.


UN CASTEL FÉODAL

OU

LE CHATEAU DE WERDE ET SES PROPRIETAIRES

(SUITE)

§ 2. De Hugues III jusqu'à l'extinction de la ligne directe masculine des comtes d Eguisheim-Dabo.,

Hugues III, comte du Nordgau (944-984), habitait: le château de Girbaden. Il se rendit célèbre par la fondation de l'abbaye d'Altorf1), déjà projetée par son père,. et la combla de biens dans les lieux voisins de son château, notamment à Altorf, à Düttlenheim, à Baerenbach,,, à Strasbourg, à Krautergersheim et à Meistratzheim ; il lui accorda, en outre, le droit de choisir elle-même son avoué, d'avoir une justice à Altorf, d'y tenir cabaret, d'y établir un péage et un marché, et de fixer la valeur des monnaies dans l'étendue de sa juridiction. Il mou1)

mou1) Circa an. 966 abbatiam Altorfensem fundavit ». Schoepflin, § 120. Il

figure dans deux chartes, l'une d'Otton I (968) et l'autre d'Otton II (974)

« plures curtes in Alsatia in comitatu Hugonis Comitis » (ibid).


UN CASTEL FÉODAL 629

crut le 5 septembre vers l'an 984 et fut enterré dans le choeur de l'abbaye d'Altorf. Ce seigneur laissa trois fils et une fille : Eberhard V qui lui succéda dans le comté du Nordgau 1); Hugues IV, comte d'Eguisheim et de Dabo, et comte du Nordgau après l'extinction de la lignée de son frère, et Matfried (Mainfroi) ; sa fille se fit religieuse.

Matfried I n'est connu que par une donation faite à l'église cathédrale de Metz2). Hugues IV, dont nous parlerons tout à l'heure, avait eu de son père le comté d'Eguisheim et avait augmenté considérablement ses domaines par son mariage avec l'une des deux filles du comte Louis IV de Montbéliard-Dabo.

Eberhard V, mort vers 996, eut cinq fils : les deux premiers, Hugues V et Eberhard VI, lui succédèrent dans le comté du Nordgau ; l'empereur Henri II atteste, en 1016, avoir récupéré le monastère de Lure que ce dernier avait injustement usurpé. Aucun d'eux n'eut de postérité, aussi peu que leurs puînés, Gérard II et Matfried. Adalbert, le cinquième, était encore, en 1049, chanoine de la cathédrale de Toul, mais aucun de ses frères ne vivait plus. Leur fortune tout entière passa à Hugues IV, leur oncle, ainsi que la dignité de comte du Nordgau (10353).

Ce seigneur, comblé de biens par la Providence, et sa digne épouse, Heilwige de Dabo, ne se montrèrent

1) Hugoni patri Eberhardus V. in Comitatu Nordgoviae successerat an. 984. quo Colunbra in Comitatu Luitfredi Comitis et Hiddenheim in Comitatu

Eberhardi ». (Hergott, cod. dipl. Geneal. Habsburg., p. 89. — Als. dipl., p. 133. — Laguille, p. 22).

2) Wurdtwein, Nov. sub. dipl., VI, 141. — Als. ill. II, 478.

3) Koenigshoven, p. 1067, nous rappelle une charte dans laquelle l'abbaye de Surbonrg est située in comitatu Hugonis principis Alsatiae. Une charte de

1040 rappelle aussi le comitatus Hugonis in pago Alsatia. Cf. Wiirdtvein, loc. cit., VI, 197.


630 UN CASTEL FÉODAL

pas ingrats envers Dieu ; ils se signalèrent par leurs; libéralités envers les monastères de l'Alsace et employèrent une grande partie de leurs biens à les doter. Les abbayes de Lure et d'Altorf ainsi que le prieuré de Saint-Quirin les comptent au nombre de leurs insignes bienfaiteurs ; les monastères de Hesse, de Woffenheim et d'OElenberg les regardent comme leurs fondateurs. Aussi le ciel les en récompensa dans leurs enfants. Ils eurent trois fils : Gérard I, Hugues VI et Brunon, et cinq filles : Mathilde, épouse de Hermann d'Eichham, comte de Verdun, appelé aussi parfois comte de Dabo, fils du comte Godefroi des Ardennes ; Bitzela fut la femme de Hartwig, comte de Calvo, et mèred'Adelbert qui, en 1059, rétablit le fameux monastère de Hirschau; Odile devint abbesse de Woffenheim ; Gebba, abbesse de Neritz et Adelaïde fut mariée à Ernest II, duc de Souabe et d'Alsace, frère de l'empereur Henri III par sa mère Gisèle.

Hugues IV eut beaucoup à souffrir lors de la révoltede son gendre Ernest II et Conrad-le-jeune de Franconie contre l'empereur Conrad le Salique. Les révoltésravagèrent l'Alsace et particulièrement les terres et châteaux du comte Hugues, cousin-germain de l'empereur qui avait donné ordre à son parent de tirer l'épée contre eux 1).

Nous n'avons pas à parler ici de Brunon dont la vie est connue. Après avoir illustré le siège épiscopal de Toul par sa science et ses vertus, il fut appelé à ceindre la tiare sous le nom de Léon IX et se montra.

1) Wippon, in Vita Conradi Salici, apud Pistorium, III, 472, nous dit : « Ernestus Dux Suevise, Alsatiam vastavit, et castella Hugonis Comitis desolavit » (1027).


UN CASTEL FÉODAL 631

l'un des plus intrépides défenseurs des droits du SaintSiège. Il mourut à Rome après un pontificat de cinq ans (1041-1054). Le jour de ses funérailles fut aussi celui de sa canonisation. Les parents de Brunon et ses deux frères aînés ne vivaient plus lors de son avènement au souverain pontificat.

Gérard I, l'aîné, mort avant son père, fut tué en 1038 dans une rencontre avec Renaud I, fils de Guillaume Otton, comte de la Petite-Bourgogne ou Franche-Comté. Ce dernier ayant refusé l'hommage à l'empereur, Gérard et Louis IV de Montbéliard, son beau-frère, furent chargés de réprimer l'insolence de ce vassal. Le comte d'Eguisheim l'attaqua avec une troupe trop petite et périt dans le combat malgré sa grande bravoure. Il fut fort regretté de l'empereur. Il avait eu de Pétronice de Bar, fille du duc Frédéric II de la Lorraine mosellane, un fils du nom de Gérard et deux filles, Heilwige, héritière du comté d'Eguisheim et Serberge, première abbesse de Hesse.

Gérard II, auquel le pape Grégoire VII avait adjugé, en 1074, l'advocatie du monastère de Woffenheim, était comte du Nordgau depuis 1065 1). Etant mort sans enfants, le comté d'Eguisheim passa à sa soeur Heilwige qui avait épousé Gérard, premier comte de Vaudémont, fils puiné de Gérard d'Alsace, comte de Lorraine. De cette union sortirent trois fils et trois filles : Hugues continua la lignée de comtes de Vaudémont qui s'éteignit en 1416; Ulric prit le nom de comte. d'Eguisheim,

1) An. 1065. Henricus IV Imp. villas Hochfeld et Schweichuson in Comitatu Gerhardi comitis, in Pago Nortcowe sitas » ; et « An. 1074 Henricus Caesar 30 mansos in villis.. . in pago Nortgow, in comitatu Gerhardi comitis, abbatiae Selsensi dédit. (Schoepflin, § 125).


632 UN CASTEL FÉODAL

fonda les monastères de Thierbach et de Pairis et mourut sans postérité ainsi que son autre frère ; Etienne, le fondateur présumé de Stéphansfeld 1). Des trois filles, l'une, Stéphanie, épousa le comte Frédéric de Ferrette; l'autre, Gisèle, le comte Renaud de Bar et la troisième, Heilwige, était, en 1180, chanoinesse de Hohenbourg.

Revenons maintenant à Hugues VI, mort également de mort prématurée. Brunon le regretta comme un frère digne de toute sa tendresse et qui faisait la plus douce consolation de son coeur. Marié à Mathilde, fille unique du comte Adalbert de Muha en Brabant, il en a eu deux fils, Henri et Adalbert, et deux filles dont l'une Spanehilde épousa Folmar III, comte de Metz et Lunéville et l'autre, dont on ignore le nom, fut unie à Sigebert V, comte du Saargau inférieur, auquel elle apporta en dot le comté de Frankenbourg.

Henri I succéda, vers 1049, à son grand-père Hugues IV, dans le comté de Nordgau. Il obtint, la même année, du pape Léon IX, son oncle, l'advocatie de Woffenheim et mourut en 1064, après avoir été également avoué de l'abbaye d'Andlau2). Après sa mort, l'avouerie de Woffenheim, par une décision de Grégoire VII, revint, comme nous l'avons dit plus haut, à Gérard II, cousin de Henri, et cela en vertu de l'acte de fondation qui stipulait que la dite avouerie appartiendrait toujours de droit à un membre de la famille, propriétaire du château d'Eguisheim.

1) Voir plus bas § IV (Note).

2) Comme le prouve la charte de 1049, donnée testes Hehrico advocata. Son nom figure dans des chartes des années 1052 et 1061 : Heurici comitis Comitatum Alsatiae provincialem très probant chartae, nous dit Schoepflin, § 124.


UN CASTEL FÉODAL 633

Henri I laissa quatre enfants : Hugues VII, comte du Nordgau et de Dabo, avoué d'Andlau ; Brunon, chanoine et archidiacre de Toul, le fondateur de la chapelle de Laubenheim près de Girbaden ; Gertrude, épouse d'un comte Adalbert de Morimont (Moersperg) que nous croyons être un comte de la famille du Sargau inférieur : ces deux époux eurent un fils du nom de Hugues qui, en 1137, donna à l'abbaye de Lure la chapelle de Laubenheim, construite par son oncle. Ce Hugues n'eut pas de postérité. Les comtes du Sargau paraissent avoir été son héritier et c'est probablement à cette occasion que le château et le comté de Werde passèrent en leurs mains vers le milieu du XIIe siècle.

Hugues VII, surnommé l'Intrépide défenseur de Saint-Pierre — miles indefessus sancti Pétri, — fut lâchement assassiné, en 1089, au palais épiscopal de Strasbourg, en haine de la papauté. Sa femme Mathilde, fille de Louis IV de Montbéliard, ne lui ayant pas donné d'enfants, le comté de Dabo passa à Adalbert, frère de Henri I, également neveu de Léon IX, déjà comte d'Eguisheim et de Muha et avoué d'Altorf. En lui s'éteignit la ligne directe masculine des comtes d'Eguisheim-Dabo1).

Spanehilde, soeur de Henri et d'Adalbert, dont elle hérita, en 1098, les comtés de Dabo et de Muha ainsi que la charge de comte du Nordgau, transporta tous ses biens et dignités, en vertu de son mariage, contracté avec Folmar III, dans la maison des comtes de Lunéville et de Metz. Godefroi, l'un de ses fils, eut le comté

1) Comitum provincicialium ex Egisheimensi sanguine seriem clausit, (Schoepflin, § 126).


634 UN CASTEL FÉODAL

de Nordgau et le transmit à ses descendants; l'autre,. Folmar IV, continua par ses fils, la suite des comtes de Metz et de Dabo, éteints en 1225 dans la personne de Gertrude, fille du dernier comte Albert.

CHAPITRE III

Deuxièmes propriétaires de Werde ; Les comtes de Frankenbourg et de Werde.

En parcourant d'un coup d'oeil rapide le premiersiècle de l'histoire de notre province dans le précédent chapitre, nous n'avons presque pas fait mention du château de Werde. C'est qu'en effet, il n'en est point question durant cette période et qu'il paraît avoir été une des résidences de second ordre des Etichonides. Presqu'à l'entrée de l'époque que nous abordons maintenant, nous allons voir cette antique résidence de noscomtes comme sortir de terre, se dilater et grandir jusqu'à devenir le siège du landgraviat de la Basse-Alsace..

Mais avant de continuer l'histoire des propriétaires de Werde au point où nous l'avons laissée, c'est-à-dire à l'époque du mariage de la soeur de Spanehilde avec le comte Sigebert V du Sargau, remontons à cette famille Sigebertine qui va prendre possession de Werde, et dont l'origine est depuis des siècles une énigme pour les historiens d'Alsace.

§ 1. De Sigebert I à Sigebert V.

Les premiers indices concernant la famille Sigebertine nous sont fournis par les Traditiones Wissenburgensis (N° 103) et remontent à l'année 764. En ce


UN CASTEL FÉODAL 635

temps-là Albéric, seigneur qui paraît avoir habité le pays situé entre la Nied allemande et la Nied française,. où se trouvait, si nous ne nous trompons, le comté de Dextroch, Albéric, fils de Sigehelm (Sigebert) et grandpère du comte Sigihard — avus Sigihardi comitis — donna à l'abbé Erembert et à son monastère de Wissembourg : 1° Dans le Saunois — in pago Salinensis — et dans le village d'Altorpfo (Burgaltrof), tout ce qu'il y possédait à cette époque, une terre salique avec la dîme et toutes les appartenances et dépendances ainsi que vingt-huit serfs dénommés dans l'acte. — 2° Dans le même pagus et dans un village nommé Buatgisingas (Bassing), tout ce qui était de sa domination, soit qu'il l'eût acquis par d'autres voies, notamment des terres et quatre familles de serfs 1).

C'est ce comte Albéric que nous croyons petit-fils par sa mère du comte Albéric du Nordgau. Nous trouvons ensuite un comte Sigebert, ami et conseiller d'Adalbéron I, évêque de Metz, qui aida le prélat de ses avis pour la restauration de l'abbaye de Gorze et en souscrivit, en 933, avec presque toute la haute noblesse de Lorraine, l'acte dressé à ce sujet. Il est, selon toute apparence, le fondateur du château-fort de Siersberg — Sigebertimons — sur une hauteur au confluent de la Nied. Si nous osions contredire Crollius2),.. nous ajouterions que Sigebert et ses descendants furent dès lors comtes du Sargau inférieur, tandis que les. comtes Odacre, que cet historien revêt de cette dignité,.

1) Trad. n° 264.

2) Crollius (G.-Ch.) 1728-1790. Savant philologue, né à Deux-PontsGeneahgia veterum Comitum Geminipontis ex-diplomatibus, Deux-Ponts, 1755.


636 UN CASTEL FÉODAL

exerçaient la même charge dans le Sargau supérieur. Donnons à notre Sigebert le nom de Sigebert I.

Celui, qu'en raison de son nom, de l'époque où il a vécu et des terres qu'il possédait, nous considérons comme fils du précédent, est un comte Sigebert qui avait épousé la fille de Rodolphe II de la Mosellane, comte de Verdun et d'une soeur d'Odacre V. Nous ne connaissons Sigebert II que par un fait peu louable. Son beau-père avait donné la terre de Gondranville à l'abbaye de Saint-Vannes, dans laquelle il avait choisi sa sépulture. Sigebert qui pensait en hériter du chef de sa femme, s'en prit à ce sujet à l'évêque Vicfride, parent et conseiller de Rodolphe, et, profitant du séjour que faisait ce prélat dans une terre de l'abbaye de St Paul, appelée Vendresselle, l'attaqua pendant la nuit, lui tua son neveu et une partie de sa suite et le fit lui-même prisonnier. Cet attentat fit grand bruit. Les évêques qui en furent informés, lancèrent l'ex-communication sur le coupable et le forcèrent ainsi, par les censures ecclésiastiques, à remettre Vicfride en liberté et à se soumettre à la pénitence. On lui imposa plusieurs austérités ■corporelles, après quoi il avait à verser à l'évêque une grosse somme d'argent dont le prélat fit faire une grande couronne, accompagnée de plusieurs autres plus petites, qui servaient à porter un grand nombre de cierges pour éclairer le choeur pendant les offices de nuit.

Outre la fille dont nous venons de parler, Rodolphe II avait eu un fils du nom de Conrad, qui mourut sans postérité, en 982, dans une expédition de l'empereur Othon II contre les Sarrazins d'Italie, et qui avait légué de grands biens à l'abbaye de Gorze. Le reste


UN CASTEL FÉODAL 637

de la fortune passa à sa soeur, épouse de Sigebert II. Comme Rodolphe II avait été comte de Betgau, dans cette partie du Luxembourg qui avoisine Trèves, il n'y a pas lieu de s'étonner si l'on trouve parmi les terres de la maison Sigebertine des domaines situés dans ces pays-là. C'est peut-être aussi de cette époque que lui viennent les seigneuries de Montclar, de Bumshorn, de Hamm et d'Osen, à moins qu'elles ne proviennent de la dot apportée à son fils par une princesse de Bar.. Sigebert II mourut, supposons-nous, vers 990.

Nous ne connaissons pas le nom de son fils; mais d'après les usages du temps, il devait porter le nom de son grand-père maternel Rodolphe. Toutefois pour des raisons que nous trouverons plus bas, nous croyons pouvoir l'appeler Sigebert. Quoique l'existence de ce seigneur ne soit attestée par aucun monument historique, elle est réclamée par la chronologie et par les faits qui vont se dérouler sous nos yeux. Ce Sigebert,, troisième du nom, doit avoir succédé à son père vers la fin du Xe siècle, précisément à l'époque où s'éteignit la famille des Comtes du Sargau supérieur. Odacre VI qui mourut sans postérité, figure pour la dernière fois en 991 dans une charte qu'il donna en faveur de l'abbaye de Longeville. Par la mort prématurée de Conrad de la Mosellane, neveu d'Odacre VI, du chef de sa mère, Sigebert III, beau-frère de Conrad et neveu par alliance du même Odacre, était devenu son unique héritier.. C'est donc à lui que passèrent tous les fiefs et alleux de cette antique et noble race.

Ce splendide héritage, joint à son illustre maison, lui valut la main d'une duchesse de Lorraine, fille de Frédéric I de Bar et de Béatrix de France, soeur de


638 UN CASTEL FÉODAL

Hugues-Capet. Il faut attribuer à ce mariage, par lequel Sigebert entra dans la famille Ardennoise de Bar, l'acquisition par la dynastie sigebertine du fief messin de Sarrebrück, comme nous le verrons tout à l'heure.

Trois fils naquirent de l'union de Sigebert III avec la duchesse de Lorraine : Frédéric I, l'aîné, reçut le nom de son grand-père maternel; Sigebert IV, le nom de son père suivant l'usage; Thierry I, celui de son oncle Thierry, duc de Lorraine après le duc Frédéric. Ces trois frères ne paraissent qu'une fois dans les monuments publics, et cela à l'occasion d'une donation faite, en 1036, à l'église de Trêves par le fameux Adalbéron de Luxembourg, prévôt de Saint-Paulin, leur parent du côté maternel : « Testis Gadefrdo duce, Gerardo comité, Amolpho comité, ejusqtte fratribus Sigebetto et Theodorico, Harimanno comité et duobus Arnolphis, uno de Salamanco, altero de Nagalbach et multis aliis proelatis ; clericis et laicis ». (Bertholet, Tom. III, p. 18).

Parmi ces témoins illustres, tous parents du prévôt, frère de l'impératrice Ste Cunégonde, on reconnaîtra facilement ou Godefroi, duc de Basse-Lorraine, et Gérard d'Alsace et Arnould d'Arnstein, beaux-frères du donateur, ou ses trois petits-cousins du Sargau Frédéric, Sigebert et Thierry.

En ce temps-là, le siège épiscopal de Metz était devenu comme héréditaire dans la maison des Ardennes ; les trois ducs de Lorraine de la branche de Bar, Frédéric I, Thierry et Frédéric II, y avaient vu élever successivement leurs frères Adalbert I (929-964), Adalbert II (984-1005) et Adalbert, évêque élu avant son oncle mais qui n'a jamais gouverné, étant mort enfant.


UN CASTEL FÉODAL 639

A la suite de ceux-ci étaient venus leurs cousins du Luxembourg : Thierry II (1005-1047) et Adalbéron III (1047-1072). C'est à cette circonstance et au lien de parenté qui unissait les comtes du Sargau aux évêques de Metz que ceux-là durent l'obtention du fief de Sarrebrück.

Le château de ce nom, bâti par les Romains, était devenu, comme toutes les stations romaines, un domaine royal. L'empereur Othon I le donna en toute propriété à l'église de Metz pour récompenser l'évêque Adalbert I des services qu'il lui avait rendus en l'accompagnant en Italie en 951. Ce prélat donna la seigneurie de Sarrebrück en fief à son frère Frédéric de Bar, duc de Lorraine et à ses descendants, et lorsque cette branche de la maison des Ardennes vint à disparaître en 1027, il sembla tout naturel à l'évêque Thierry II, frère du prévôt de St Paulin, de disposer du fief en faveur de son petit-cousin Frédéric, comte du Sargau, dans le territoire duquel Sarrebrück était situé. De cette châtellenie dépendaient des domaines considérables en villages, terres, bois, cours d'eau, moulins, usines, rentes et serfs des deux sexes ; mais ce qui lui donnait surtout de l'importance, c'étaient les grandes forêts de Vernet, Quierscheit et Folqueling.

Le comte Frédéric I est peut-être celui qui éleva sa famille à l'apogée de sa puissance par son mariage avec Mathilde de Franconie, fille de Hermann II, duc d'Alsace et de Souabe et veuve de Conrad-le-Vieux, comte de Worms et duc de Carinthie, mort en 1012. L'illustre maison de Franconie se subdivisait en plusieurs familles : celle qui dominait dans le Palatinat rhénan et à laquelle n'appartenait pas Mathilde, se partageait alors en deux


640 UN CASTEL FÉODAL

lignées; celle de Spire jetait le plus vif éclat par les grands princes qu'elle donnait à l'Allemagne, tels que Conrad-le-Salique, Henri III, Henri IV et Henri V; celle de Worms, au contraire, était près de s'éteindre : Conrad-le-Vieux, l'oncle de Conrad-le-Salique, avait eu deux fils de son épouse Mathilde, dont l'aîné, Brunon, devint évêque de Würtzbourg (mort en 1045) et Conrad, dit le Jeune, fut, comme son père, duc de Carinthie. et douzième duc bénéficiaire d'Alsace. Celui-ci s'étant révolté contre l'empereur Conrad, fut dépouillé de ses dignités; il fonda l'abbaye de Limpourg dans le Palatinat, en 1031, et mourut en Italie sans postérité, en 1039. Mathilde, sa mère, devenue seule héritière de cette branche, apporta à son époux Frédéric I, outre l'avouerie de l'église de Worms, de grands domaines dans le Blisgau, le Spirgau et le Wormsgau, domaines qui fournirent plus tard les éléments du comté de DeuxPonts. L'advocatie de Worms demeura dans la maison de Sarrebrück jusqu'à ce que Gisèle, fille de Frédéric II, la porta dans la maison de Hohenstauffen par son mariage avec Frédéric-Coclès, duc d'Alsace. Le comte palatin Conrad, leur fils, reçut cette charge en apanage. C'est encore par le mariage de Mathilde avec Frédéric I que l'on peut expliquer la présence parmi les domaines de Sarrebrück, des seigneuries de Dirmstein, de Boechelstein, de Landstuhl et de Hartenberg, ainsi que de la Frankenbourg en Alsace.

Nous ignorons ce que sont devenus les frères du comte Frédéric : il est vraisemblable qu'en leur qualité de cadets, ils aient reçu des apanages sur les alleux primitifs de leur maison. C'est d'eux qu'il est sans doute question dans un diplôme de 1055 par lequel l'évêque


UN CASTEL FÉODAL 641

Adalbert III de Metz donne à l'abbaye de St Symphorien l'église d'Augny, Au bas de cet acte nous lisons : « S. Folmari comitis, S. Raffridi, S. Maffridi, S. Odilonis, S. Sigeberti, S. Theodorici ». D'après cette pièce, ils auraient été vassaux de l'église de Metz ; et comme, vers cette époque, la moitié de l'alleu de Curbern (Kerprich-Himmersdorf) fut détachée du domaine de Siersberg, appartenant aux comtes du Sargau, et se trouva plus tard entre les mains des puissants dynastes d'Ochsenstein, à titre d'héritage de famille, il serait permis de supposer que Sigebert ou Thierry fut la souche de ces dynastes, ou qu'il leur transmit sa portion de l'alleu de Curbern par une de ses filles. Le premier dynaste d'Ochsenstein, connu en Alsace, est Burckard (1187-1193). Nous avons des raisons de croire que l'autre frère eut en partage la seigneurie de Morimont et ses dépendances.

§ 2. Sigebert V et son frère Winther.

Frédéric I eut deux fils : Sigebert V et Winther : le nom de ce dernier trahit l'origine franconnienne de leur mère. Sigebert ou Sigehard 1) succéda à son père dans le comté du Sargau et de Worms; Winther 2) ou Wernher devint abbé de Lorsch et évêque intrus de Worms : les deux sont mentionnés souvent dans l'histoire, particulièrement dans la chronique de Lorsch. Ils

1) Sigehardus cornes (Cod. Laurosham. dipl., p. 198). — Sigebertus et Sigehardus promiscua sunt nomina. (Crollius, Origines bipontinoe, p. 177).

2) Winlherus si quidem non pastor sed lupus, sive electione sive intrusione suucdens. (Chron. Laurisheim). — Helvich, Antiquitates Laurishamenses, apud Joannis, Script. Mogunt., III, 64 ; — Schannat, Hist. Vormat., p. 347.

Revue Septembre, 1906. 41


642 UN CASTEL FÉODAL

prirent une part déplorable au schisme qui désolait alors l'Eglise. On était en 1080, au plus fort de la lutte entre le Sacerdoce et l'Empire. L'empereur Henri IV, prince violent et corrompu, et le pape Grégoire VII, . pontife sage et énergique, se trouvaient en face et se posaient en champions, l'un de la puissance temporelle, l'autre de la puissance spirituelle, décidés chacun à pousser la résistance à toute extrémité. Grégoire VII mourut à la peine (1085), mais triompha dans la mort; Henri IV, déposé par ses sujets et par son propre fils, mourut en 1105, doublement excommunié et privé de la sépulture royale pendant cinq ans.

Sigebert V, proche parent de l'empereur par sa mère Mathilde, excité d'ailleurs par l'exemple de Thierry, duc de la Lorraine mosellane et de Godefroi de Bouillon, duc de Basse-Lorraine, tous deux ses parents, et enhardi par les suggestions de son frère Winther et de beaucoup de prélats, se jeta dans le parti de l'empereur. Celui-ci, pour le récompenser et se l'attacher davantage encore, lui donna en toute propriété la belle ferme royale de Vadegasse, située au-dessous de Sarrebrück, sur la rive gauche de la Sarre, dans le comté même de Sigebert 1).

Winther avait devancé son frère dans sa révolte contre l'Eglise et le dépassa dans la voie du mal. Entré, peut-être sans vocation, dans l'abbaye de Lorsch, il parvint, en 1078, par ses intrigues et au grand chagrin des moines, à la dignité abbatiale. Non content de traiter ses subordonnés avec hauteur et dureté, il lésa grave1)

grave1) IV donne, en 1080, à Sigebert cuidam nostro fideli nomine Sigeberto le lieu de Vadegasse. Cf. Hugo, Annal, ord. prsemonst., II, 618. — Hontheim, Hist. Trev. dipl., I, 429.


UN CASTEL FÉODAL 643

•ment les intérêts de l'abbaye; il détacha notamment de cette maison, en faveur de son frère Sigebert, la magnifique ferme royale de Brumath 1), donnée autrefois aux moines par l'empereur Arnould et dont Othon-le-Grand avait augmenté l'importance en y ajoutant trente fermes : celles-ci provenaient de la confiscation sur le comte Gontran-le-Riche du Sundgau, qui s'était rendu coupable de révolte.

Sur ces entrefaites, Henri IV déposa l'évêque Adalbert de Worms, demeuré fidèle au Saint-Siège, et le fit jeter dans les fers. C'était là une belle occasion pour l'ambitieux Winther de s'avancer et de s'emparer, avec l'appui de son royal complice, d'un siège non vacant. Toutefois l'intrus ne put s'y maintenir que pendant trois ans, au bout desquels il rentra en lui-même et alla faire pénitence à l'abbaye de Hirschau, gouverné alors par le bienheureux Guillaume de Wurtemberg. Malheureusement cet esprit inquiet et plein de soi-même ne sut persévérer dans sa retraite; ses amis l'en firent sortir pour le replacer sur le siège abbatial de Lorsch. Il gouverna encore pendant onze ans cette abbaye et en délapida les biens. Il mourut dans la dernière décade du XIe siècle.

L'abbé Anselme, son successeur, parvint après beaucoup de démarches, à réuuir de nouveau à l'abbaye Brumath et les autres fiefs que Winther avait conférés à des laïques; mais ce ne fut que pour peu de temps. Après une vingtaine d'années de discussions sans fin et d'intrigues de toutes sortes, l'influence des comtes du Sargau l'emporta sur les droits des moines, et le fief de

1) Cf. Chron. Laur, apud Lamey. (Cod. dipl.), p. 198.


644 UN CASTEL FÉODAL

Brumath avec les villages de Krautweiler, Bernolsheim Rottelsheim, Gries et Morsheim resta définitivement acquis à ces derniers.

Sigebert V est le premier de sa famille qui paraisse en Alsace. Mais ce n'est pas le fief de Brumath qui l'yattira, puisqu'il s'y trouvait déjà établi par son mariageavec une comtesse d'Eguisheim-Dabo que la chronologie nous oblige à considérer comme une soeur de Spanehilde : ceci ressort des noms imposés aux fils qui; naquirent de cette union et de la diminution considérable de biens que nous remarquons à partir de cette époque dans la famille d'Eguisheim, notamment dans le domaine de Hugues VII et de ses frères et soeurs. Sigebert V mourut vers l'an 1115, laissant quatre fils dont les deux aînés, Adalbert et Brunon, embrassèrent l'état ecclésiastique, tandis que les deux autres, Sigebert VI et Frédéric II propagèrent chacun une lignée particulière, l'un en Alsace et l'autre en Lorraine.

§ 3. Adalbert et Brunon,

Le premier-né de Sigebert V reçut au baptême le nom d'Adalbert, qui était celui de son oncle de Dagsbourg et de son grand-père maternel de Muha. Il devint grand chancelier de l'empire et archevêque de Mayence 1). Le second porta le nom de Brunon en l'honneur de son grand-oncle, le pape Léon IX, et de son oncle évêque de Würtzbourg : il fut d'abord abbé de Limpourg, maison fondée par son autre oncle, le duc Conrad-le-Jeune. et monta ensuite sur le siège épiscopal de Spire.

1) Cf. Hergenroether, Kirchenlexikon. (Wetzer et Wellé), 1, 194.


UN CASTEL FÉODAL 645

Adalbert est une des plus grandes figures de son siècle; il devint célèbre par sa puissance et par ses infortunes, par ses fautes et l'éclatante réparation qu'il en fit. Il commença par être prévôt de Neuhaus, riche bénéfice du diocèse de Worms, où son oncle avait été évêque et dont son père avait eu l'aclvocatie. Henri V le choisit ensuite, dès 1106, pour chancelier de l'Empire avec promesse de l'archevêché de Mayence lorsque ce siège serait vacant. Emporté par la fougue de la jeunesse, il s'abandonna à tous les rêves de l'ambition, écarta de la cour l'archevêque de Trêves qui lui faisait ombrage et gagna sur l'esprit de son maître un ascendant incroyable. C'est probablement à sa suggestion que le nouveau monarque reprit la malheureuse question des investitures par l'anneau et la crosse. Il fit partie, en 1107, et fut même l'âme de la fameuse conférence entre le pape Pascal II et les envoyés du roi d'Allemagne, de cette assemblée où rien ne fut terminé et où, suivant l'expression de l'abbé de St Denis qui se trouvait dans la suite du pape, « les Allemands se montrèrent plus en Turcs qu'en chrétiens ».

Adalbert accompagna Henri V à Rome pour son couronnement : c'est à cette occasion qu'il donna au prince le conseil d'arrêter, au pied de l'autel de Saint Pierre, le pape et de le charger de chaînes pour son refus de poser la couronne impériale sur sa tête, à moins que lui, Henri, ne renonçât aux investitures par la crosse et l'anneau. En effet, le pontife fut entraîné dans le camp des Allemands, lié étroitement avec des cordes, séparé de tous ses conseillers et livré aux plus indignes traitements durant deux mois, au bout desquels on lui extorqua le consentement aux investitures et au couronnement.


646 UN CASTEL FÉODAL

Quand l'iniquité fut consommée; Adalbert, à soit retour, en 1111, trouva le siège de Mayence vacant par la mort de l'évêque Ruthard ; il en prit possession de par l'empereur. Son frère, Brunon, était arrivé par la. même voie, dès l'année précédente, à l'évèché de Spire, après avoir été d'abord moine à Lorsch, puis abbé de Limpourg. Sa fidélité à Henri V, clans ses démêlésavec Pascal II, lui valut d'être enveloppé avec lemonarque dans une même sentence d'excommunication. A partir de ce moment, nous trouvons les deux, frères presque partout à la suite de l'empereur.

Cependant le grand scandale de l'expédition romaine avait produit ses fruits. A la nouvelle de cet événement, ce ne fut qu'un cri d'indignation dans la chrétienté : les conciles qui se réunirent de toutes parts, demandèrent hautement à Pascal II le retrait des concessions extorquées par la violence. Ce retrait eut lieu, en effet, l'année suivante au concile tenu à Latran ( 11116). Gérard, évêque d'Angoulême, fut chargé par l'auguste assemblée de signifier la sentence au roi de Germanie, ce dont il s'acquitta au péril de sa vie. Le grand chancelier dut servir d'interprète au courageux prélat, en cette grave circonstance : ce fut là le commencement de sa. conversion. Voyant la réprobation de toute la catholicité de l'horrible attentat dont il avait été l'auteur principal, il rentra en lui-même et devint tout à coup un autre homme.

Henri V ne tarda pas à deviner la cause de ce changement de dispositions de son chancelier, et, redoutant son influence, il le fit arrêter et jeter dans une étroiteprison à la forteresse de Trifels. Là, Adalbert languit pendant trois ans, en proie à toute espèce de tourments,


UN CASTEL FÉODAL 647

particulièrement à celui de la faim. Ces mauvais traitements auraient encore continué si l'empereur, se trouvant à une cour plénière qu'il avait convoquée à Mayence en 1115, n'avait été amené par la force à changer de sentiments. En effet les bourgeois de cette ville se présentèrent en armes dans la cour du palais et réclamèrent à grands cris la liberté de leur archevêque. Henri eut peur, promit de condescendre à leur voeu, leur en donna des otages, puis sortit de la ville. L'archevêque de Trèves, si honteusement exclu de la cour par Adalbert, une dizaine d'années auparavant, ne contribua pas peu à son élargissement par ses charitables instances auprès du monarque; il alla même jusqu'à se porter garant auprès du roi pour son ancien adversaire.

(A suivre).

FRÈRE EDOUARD SITZMANN.


PATRIARCHISTES

CONTRE EXARCHISTES

(FIN)

CONCLUSION

L'attitude de la Gr. ..ande Eglise grecque oecuménique à l'égard de celte autre fraction de l'Eglise chrétienne bulgare est à tel point lamentable qu'il a rempli de dégoût non seulement tous les chrétiens d'Orient, mais surtout la population musulmane. Les Turcs vivant juxtaposés, mais absolument incompénétrés et incompénétrables à côté des Grecs, des Bulgares, des Kutzo-Vainques et autres nationalités, n'ont que du mépris pour ces différentes confessions chrétiennes, patriarchiste et exarchiste, et font ressortir avec hauteur la supériorité de l'islamisme sur le Christianisme orthodoxe. Grâce à Dieu, les esprits clairvoyants dans le monde turc savent bien faire la part des choses et reconnaissent la splendeur et le rayonnement de la religion catholique romaine dont l'action porte des fruits si salutaires et si féconds en Orient. Que de fois n'ai-je pas entendu faire l'éloge de nos admirables missionnaires, de nos vaillantes religieuses, de nos hôpitaux, de nos écoles, de la bouche même de pachas, de beys, voire même de simples effendis. Ils ne confondent pas la cause des catholiques ou des pro-


PATRIARCHISTES CONTRE EXARCHISTES 649

testants avec celle des dits orthodoxes grecs. Au milieu des populations si hétérogènes de l'empire ottoman, le Turc paraît vraiment, selon la parole de Bismark, « comme le gentleman de l'Orient ». Tolérant, laborieux sans excès, sobre, le Turc ne devient fanatique contre les chrétiens, que lorsqu'il y est poussé par ordre supérieur ou par les chefs religieux de l'Eglise grecque. « Courez sus aux Bulgares, exterminez-les, disaient ceux-ci, vous ferez une bonne oeuvre, et Allah vous récompensera ». Comme d'autre part, le pillage, le viol et autres méfaits leur sont une récompense agréable, les soldats turcs et les bachi-bouzouks se sont faits avec empressement les exécuteurs des basses-oeuvres phanariotes. Je ne saurais trop insister sur ce fait capital qui donne la clef des événements si tragiques qui se sont déroultés durant ces derniéres années en Macédoine. Le ■massacre des Arméniens en 1815 a, au contraire, des causes tout à fait différentes et assez complexes qu'il m'est impossible de relater dans le cadre de ce travail.

En général, on ne peut nier la large tolérance qu'accorde la gouvernement du Sultan Abdul-Hamid aux chrétiens de l'empire. Les processions se déroulent librement dans les rues de Constantinople et des autres villes de la Turquie. Les firmans relatifs à l'érection des églises latines sont obtenus assez facilement, par l'intermédiaire des ambassades, en tenant compte toutefois que tous les actes administratifs se font avec une lenteur calculée et proportionnée à l'importance du backschich. Un fait remarquable à signaler est l'intervention des soldats turcs dans les conflits qui ont lieu chaque année dans les sanctuaires de Terre-Sainte. On sait, la rapacité des moines grecs, leur mauvaise foi et leur esprit de chicane et de querelle. Par tous les moyens, ils cherchent à déloger les Latins de leurs positions séculaires à Jérusalem, à Bethléem et ailleurs. Si la ruse échoue, ils emploient la force. Ils se jettent à l'improviste sur les Franciscains, gardiens séculaires des lieux saints pour s'emparer de leurs propriétés. Les Francs invoquent les firmans, les Grecs font parler les faits. Encore au printemps (1906), quelques moines grecs ont essayé de chasser les Franciscains du jardin de


65) PATRIARCHISTES CONTRE EXARCHISTES

Gelhsémani 1), avec ses parterres de fleurs et ses huit oliviers plusieurs fois séculaires. Naturellement les Frères gardiens opposèrent une vigoureuse résistance et restèrent, grâce au secours des Consulats, maîtres du terrain. LesConsuls de France et d'Autriche avaient fait appel à la la force armée et c'est ainsi que des soldats turcs durent séparer les combattants chrétiens. C'est un scandale provoqué périodiquement par le fanatisme grec et qui ne peut que nuire à la cause chrétienne tout entière. Des âmes simples s'étonnent parfois du peu de conversions qui s'opèrent dans le monde musulman, et en demandent la cause aux missionnaires catholiques. La réponse est facile. Sans parler des peines les plus graves qui frappent les Musulmans qui embrasseraient le christianisme, comme perle des droits civiques, confiscation des biens, il faut franchetaent avouer que la conduite des chrétiens de l'Empire ottoman (et je veux parler ici principalement des Grecs dits orthodoxes, de leur haine contre leurs frères Bulgares) est bien faite pour donner aux Turcs une mauvaise opinion du christianisme et lui préférer l'Islam. La petite poignée de missionnaires catholiques qui s'occupent du reste plutôt d'oeuvres scolaires et charitables ne changera rien à cet état de l'âme musulmane.. J'étais arrivé à la fin de mon travail sur les Patriarchistes et les Exarchistes, quand parut un ouvrage 2) fort intéressant et bien documenté sur la situation des chrétiens Roumains dans l'empire turc. En thèse générale,, on peut dire que le Phanar grec sehismalique a voué aux Kulzo-Valaques ou Roumains de la Macédoine et même de Roumanie la même haine que contre les Bulgares. Pour avoir voulu aller à l'encontre des sentiments les plus intimes des populations hétérogènes de la Macédoine, de l'Epire, de l'Albanie, de la Thrace, etc., l'Hellénisme se trouve aujourd'hui aux prises avec tous les éléments qui peuplent ces contrées. Les Roumains n'ont jamais embrassé l'islamisme comme beaucoup.

1) V. Terre-Sainte par Léonard Fischer, p. 58. Colmar, Jung. 1904. 2) Nicolas Papahagi : Les Roumains en Turquie, 1906. Bukarest.


PATRIARCHISTES CONTRE EXARCHISTES 651

de Grecs et de Slaves. Les grands évergètes (bienfaiteurs) qu'honore la Grèce sont tout simplement des Roumains qui professaient jadis l'Hellénisme et le Phylétisme 1) grec renforcé. Le baron Sina est un Roumain de Moscopoli. Il fit construire l'Académie d'Athènes. Georges Averoff, est un Roumain, originaire de Melzovo. On lui doit les stades d'Athènes. Les anciens savants roumains Doumba, Lambros,. Coletti. avaient passé par les écoles helléniques. Les anciens Roumains écrivaient en langue grecque à défaut de langue nationale.

Le réveil roumain eut lieu au commencement du siècle dernier. Le prêtre Thédore. Cavalotti de Moscopoli fait paraître le premier lexique roumain. Vers 1813, Michel Boïagi, également originaire de Moscopoli et professeur à l'Ecole grecque de Vienne publie une grammaire du dialecte maçédo-roumain et un recueil de fables. Boïagi est excommunié par le Phanar, comme traître à l'Hellénisme. Le poète Bolintineano écrit en langue roumaine. Enfin de Bukarest est lancée une proclamation au peuple roumain de Turquie pour lui faire aimer son ancienne langue. Mais le grand réveil n'a lieu qu'en 1878. Le grand-vizir Sawfet permet l'ouverture des écoles roumaines. A Bukarest, une société macédo-roumaine se forme pour se favoriser par des publications et des conférences le réveil du peuple roumain, trop longtemps croupissant sous le joug phanariote. Le patriarche et tous les métropolites grecs sont entrés dans une colère qui n'a pas de bornes. Du haut de la chaire, le patriarche oecuménique fait fulminer l'excommunication contre les prêtres roumains. Quelques-uns, Sophronii de Vlaho, Clissoura, Constanlinesco de Périvoli, Dimilri de Samarina, Cosma de Moscopoli sont martyrisés d'une façon atroce par les prélats grecs. Constantinesco, dans les affreuses tortures, renie publiquement le patriarche schismatique et reconnaît le Papede Rome. Les familles, les enfants sont excommuniés, privés de sacrements. La langue roumaine est déclarée maudite de Dieu comme la langue bulgare.

1) Phylélisme, principe célèbre des nationalités. (Phylon-tribu).


652 PATRIARCHISTES CONTRE EXARCHIRTES

Dans beaucoup d'églises, les prélats grecs sont battus, traînés par la barbe, A Nijopoli, Roumainisants et Grécisants s'assomment littéralement chaque dimanche à l'église.

Le patriarche grec du Phanar à Constantinople permet aux Roumains de Bukarest l'usage de la langue roumaine comme langue liturgique, et la déclare anti-canonique en Macédoine. Il autorise les Serbes d'Uskub et autres lieux de se servir dans les églises de la langue serbe et la défend aux Koutzo-Valaques. Etrange contradiction! Les Russes, Serbes, Monténégrins se servent du slavon comme langue liturgique, les Roumains de Bukarest et ceux d'AulricheHongrie se servent de la langue roumaine clans leurs offices religieux, les Caramanlis du turc, les orthodoxes arabes de l'arabe. Pourquoi le patriarche grec interdirait-il aux Roumains de Macédoine, de l'empire turc la langue roumaine? Pourquoi cette inégalité de traitements? Sans doute, la loi ottomane fait du patriarche grec du Phanar le chef de la Dation grecque dans l'empire ottoman, mais du moment que l'Eglise grecque s'est séparée avec la perfidie et la mauvaise foi qu'on sait par l'Histoire, de l'Eglise latine, une sainte, catholique et apostolique, pourquoi empêcherait-elle les autres d'Eglises de se séparer d'elle, en suivant les mêmes principes et les mêmes erreurs. Que si l'Eglise grecque revendique, d'après une fausse théorie de droits historiques, les populations bulgare, roumaine, serbe, etc., comme siennes, pourquoi ne pas affirmer son autorité sur le sud de l'Italie, l'Etat Cyrénaïque en Afrique, la ville de Marseille, fondée par les Phocéens. L'ancienne Macédoine étaitelle grecque? Non. Démosthène, qualifiait Philippe, roi de Macédoine, père d'Alexandre-le-Grand de barbare. L'Histoire nous dit que les Grecs d'Athènes n'avaient en Macédoine et en Epire que quelques colonies, telles qu'Amphipolis et Olynthe. Donc, à cette époque, les Macédoniens n'étaient pas des Grecs. Ils ne l'étaient pas non plus dans les temps modernes. Sans doute, personne ne saurait nier l'influence prépondérante de l'Hellénisme dans ces vastes contrées ainsi qu'à Rome et à Bysance. Quant aux populations roumaine et bulgare en Macédoine, elles sont de beaucoup


PATRIARCHISTES CONTRE EXARCHISTES 653

supérieures à la population grecque actuelle. M. Rangabé, homme d'Etat grec, qui n'est pas suspect d'exagération, reconnaît environ 600.000 Roumains en Macédoine ou Turquie d'Europe.

Papahagi 1) donne le tableau général des Roumains suivant :

Turquie d'Europe .... 717.000 Roum. ou Val.

Thessalie 120.000 »

En Grèce 100.000 »

En Bulgarie et Roumélie orient. 100.000 " "

Total. . . 1.037.000 »

Mais ces chiffres nous paraissent exagérés par l'orgueil national roumain. Comme les statistiques sont extrêmement difficiles à établir en Macédoine, soit à cause de l'incurie de l'administration turque, ou de l'exagération des diverses nationalités dans celte partie de la Turquie d'Europe, nous maintenons les chiffres donnés ailleurs 2) et qui nous paraissent les plus vraisemblables. Il est toutefois nécessaire de reconnaître la supériorité intellectuelle et industrielle des Roumains, ces descendants des anciens colons romains transférés par l'empereur Aurélien sur la rive droite du Danube.

Les Grecs d'Athènes rivalisant d'ardeur avec le patriarche grec de Constantinople ont lancé des bandes en Macédoine pour molester les Roumains aussi bien que les Bulgares.

A Négovan, deux prêtres roumains et quatre notables ont été égorgés et ensuite mutilés (1906). Le supérieur du couvent roumain d'Oshani dans la région de Miglénie a été assassiné sans aucun motif que la haine patriarchiste. Un jour, en plein champ, dans le district de Florina, une bande grecque assaille des cultivateurs roumains et les met à mort. Il serait trop long de signaler les autres crimes des Grecs patriarchistes contre les Roumains ou Kutzo-Valaques de Macédoine. La rupture actuellement existante des relations

1) Loco citato.

2) V. Terreur en Macédoine. L. Fischer. Sutter à Rixheim, 1906, p. 5.


654 PATRIARCHISTES CONTRE EXARCHISTES

diplomatiques entre la Roumanie et la Grèce n'a pas d'autre cause. Les cabinets européens ont signifié au gouvernement du roi Georges par des notes énergiques de faire cesser le passage des bandes grecques en Macédoine. En Bulgarie, la consigne est la même. Il faut à tout prix refouler les comitadjis ou insurgés bulgares de la frontière turque.

Quand sotira-t-on de l'imbroglio macédonien? Qui peut le dire?

L'observateur européen ne peut être que douloureusement impressionné à la vue des excès commis par le fanatisme grec dans la Turquie d'Europe.

L'Eglise grecque a fait une faillite morale. Elle est déconsidérée. Les Eglises autocéphales qu'elle a dû laisser se constituer par la logique des événements ni sont ni de fondation divine, ni de fondation ecclésiastique. Elles sont d'invention humaine. Henri VIII a fondé l'Eglise anglicane. Le patriarche grec a vu naître les Eglises roumaine, serbe, bulgare, hellénique. C'est le particularisme là où il faut l'universel. Le patriarche se dit orthodoxe, il devrait l'être, car il ne suffit pas seulement de le dire. Il se dit oecuménique. De quel droit? Le Concile de Florence (1445) était un Concile oecuménique autant et peut-être plus que les sept fameux Conciles. Pourquoi les Grecs qui y ont assisté ontils méconnu son autorité? Rome a convié les Grecs au Concile du Vatican et ils ont refusé d'y assister. Donc, ils n'ont plus confiance dans l'autorité infaillible du Concile oecuménique. Celui-ci n'était certes pas politique. Nul représentant du pouvoir civil n'y était présent. Les Grecs reprochent aux Latins leurs nouveautés. Mais ni l'Evangile, ni les Conciles, ni les Saints-Pères n'avaient connu cette doctrine des Eglises nationales, autocéphales. Elles constituent des tronçons séparés, fractionnés. Ce sont des branches mortes du grand arbre plein de sève et de vie qu'est l'Eglise catholique. Ces églises ne sont pas fondées par Jésus-Christ, qui a dit : " Je bâtirai mon Eglise » et non pas mes Eglises. Elles peuvent donc errer, n'ayant pas pour elles les promesses du divin Fondateur, et les portes de l'enfer peuvent


PATRIARCHISTES CONTRE EXARCHISTES 655

prévaloir contre elles. Le Saint-Esprit ne leur est point donné pour leur enseigner toute vérité, pour être leur souffle de vie et pour les animer. Le Christ n'est point avec elles, comme il l'a promis, jusqu'à la consommation des siècles.

Les Grecs schismatiques font remonter l'origine de l'Eglise de Constantinople à Saint-André et à son disciple Stachys. Mais de quel droit? Ces fables, comme le dit le savant Mgr Duchesne, reposent sur un écrit apocryphe, attribué à un prétendu Dorothée, évêque de Tyr qui n'a jamais existé. L'Eglise de Bysance considérée comme distincte de celle d'Héraclée, dont elle était suffragante avant Constantin, remonte tout au plus au déclin du IIIe siècle.

Que si les Grecs croient les Latins dans l'erreur, pourquoi ne cherchent-ils pas à les en tirer? «Allez, enseignez toutes les nations » a dit Jésus-Christ. Mais où sont les missionnaires grecs ou russes dans les pays sauvages? Les imams et les softas turcs font plus de prosélytisme que ces chrétiens dégénérés.

A la fin de ce modeste travail où nous avons mis à jour les agissements blamâbles des Patriarchistes contre les Exarchistes bulgares et les Roumains, quel catholique sincère ne se sentirait heureux d'appartenir à notre grande société chrétienne répandue dans le monde tout entier. « Nous avons été baptisés, dit Saint-Paul, dans le même esprit pour n'être tous ensemble, soit juifs, soit gentils, soit esclaves ou libres, qu'un même corps et un même esprit». (I. Cor. XII. 13).

Or, il n'y a qu'une seule religion dans le monde, puisqu'il n'y a qu'un seul Dieu, il n'y a aussi qu'une seule Eglise, l'Eglise catholique, une seule chaire fondée sur SaintPierre par la parole même du Fils de Dieu.

L. FISCHER.


JEAN HANSER

37e ABBÉ DE LU CELLE

(FIN)

CHAPITRE V 1)

Hanser et la prospérité temporelle de Lnoelle. — Les bâtiments, l'.glise, las bibliographie. — La communauté sous son gouvernement.

Comme on l'a vu précédemment, Hanser avait, dès le début de son administration, donné tous ses soins à la réforme de son abbaye. La restauration matérielle de Lucelle fut aussi l'objet de son activité. Luciscellam fere totam novam construxit, dit Buchinger2). Le manuscrit de Golmar nous a conservé 3),f un curieux document relatif à ces travaux : ce sont des lettres testimoniales données aux deux ouvriers qui les avaient exécutés et qui, venus de la Haute-Italie, s'en retournaient dans leur pays. Voici cette intéressante pièce :

1) Les lecteurs de la Bévue ont été avisés de la mort prématurée de l'autenr des 4 premiers chapitres de cette biographie et avaient parlagé notreespoir que M. Kroeuer aurait laissé des notes permettant de la terminer facilement. Malheureusement rien n'a été trouvé dans les papiers du regrettéprofesseur. J'ai donc été réduit à terminer moi-même ce travail, ce que, faute du temps voulu, je suis obligé de faire assez sommairement.

s) Epitome, p. 216.

3) P. 118, verso.


JEAN HANSER 657

" Nos frater Joannes abbas monasterii B. Marie de Lucelle, ordinis Cisterciensis, omnibus et singulis pressentes litteras inspecturis salutem. Cum hi duo juvenes Joannes Eysenman necnon Petrus Ladnedin, ex valle Cicearana ditionis Mediolanensis ducatus, suam nobis fidelem et assiduam operam sesqui annos circiter in adiftcandis et reparandis proefati monasterii nostri oedibus impertiverint, atque jam ad proprios lares redire decreverint, idem iisdem litteras seu testimonium rrorum suorum obnixe postulantibus, id tanquam bene de nobis meritis denegare nefas duximus. Testamur itaque et obtestamur omnes et singulos apud quos diverterint ut eos sibi commendatos habeant liberumque transitum et commeatum exhibeant, neque illis ullo modo impedimento sint, cum quia non ex loco peste infecto veniunt, tum quia boni christiani sunt, et praedictum tempus apud nos ut decet christianos pie et christiane transegerint, debitis tempore et loco confessione sacramentali rite expiati et sucra synaxi refecti. In quorum omnium fidem et evidens testimonium hasce litteras cum sigilli nostri impressione et preprioe manus subscriptione prafatis juvenibus dure voluimus. Ex monasterio nostro Lucellensi, decimo mensis decembris. Anno 1612.

Joannes abbas, ut supra.

On remarquera dans cette lettre, d'une élégante latinité, le passage relatif à la peste. A cette époque, 1612, on prenait, pour cause, de minutieuses précautions à cet effet.

Parmi les travaux exécutés à Lucelle par nos deux jeunes italiens, il faut mentionner l'embellissement de l'église. Le prédécesseur de Hanser, Chr. Birr, malgré sa mauvaise gestion avait réussi à l'orner d'un nouveau maitre-autel 1). Hanser fit construire un clocher élégant et élevé, eleganti ac preaalto condecoravit 2). Par ses soins aussi « un orgue excellent vint rehausser la majesté des chants liturgiques3). Hélas, peu d'années après, en janvier 1638, pendant cette funeste guerre de Trente Ans qui désola notre pays, une bande de troupes protestantes devait s'abattre sur Lucelle qui « en haine du catholicisme achevèrent de piller et de dévaster Luceile... Rien

1) La seule bonne chose qu'il fit pendant son gouvernement, avec la confirmation obtenue de l'archidue Maximilien d'Autriche, des privilèges de Lucelle, dit l'Epitome. (P. 215).

8) BUCHINGER. p. 216.

2) Revue catholique d'Alsace, IX, p. 20.

Revue, Septembre 1906. 42


658 JEAN HANSER

n'échappa à la rapacité de ces soldats grossiers et fanatiques. Ils brisèrent tout ce qu'il y avait d'impropre à être vendu ou emporté 1) ». Aussi comme je l'ai raconté dans ma notice sur Buchinger 2), celui ci eut-il plus tard à reprendre l'oeuvre de Hanser, après 16 années d'abandon de l'abbaye.

Il en fut de même de la bibliothèque que les soldats calvinistes détruisirent totalement. Hanser l'avait enrichie « de très bons livres», dit l'Epitome3).

De savants religieux mettaient à profit ces trésors. Sans parler de Hanser lui-même, dont tout ce qui précède montre suffisamment la haute culture intellectuelle, nous pouvons nommer plusieurs de ces « doctes savants » dont, d'après Buchinger 4), notre abbé se montra le protecteur et l'ami et qu'il réussit à attirer dans son abbaye.

C'est en premier lieu ce même futur historien de Lucelle qui allait devenir, au témoignage de Grandidier 6) « un des prélats les plus instruits de son siècle et l'un des plus zélés pour le bien de son ordre et de sa patrie ». J'ai raconté autre part 6) que, entré à Luceile en 1622, — Hanser en fut l'abbé jusqu'en 1625, — et admis l'année suivante à la profession monastique, Buchinger fut aussitôt chargé des importantes fonctions de bibliothécaire, ce qui montre bien que Hanser avait deviné la haute valeur de cette nouvelle recrue que faisait Luceile.

Un autre habitant de Luceile de cette époque se fit un nom dans la science : c'est Christophe Schaller, de Cernay qui rédigea divers traités ascétiques, très utiles, atteste Buchinger 7), « sur la perfection religieuse, les voeux monastiques et le détestable état des religieux qui possèdent des biens en propre ». Il devait laisser aussi de dévots recueils de sermons de tempore et sanctis. Enfin unissant l'étude des sciences à

1) Revue d'Alsace, 1864, p. 329.

2) Pages 9 et 35.

8) P. 216. On sait que les livres qu'à son tour Buchinger put réunir de nouveau à Luceile disparurent dans un incendie, en 1699. Reconstituée une troisième fois par l'abbé Girardin, la bibliothèque de Lucelle a passé en partie à celle du collège de Porrentruy, et en partie à Colmar. (Cfr. Manuscrits des maisons religieuses d'Alsace, p. 25.

1) Ibid.

6) Revue d'Alsace, 1855, p. 199.

6) Moines et religieuses d'Alsace, II, Buchinger, passim.

7) Epitome, p. 231.


JEAN HANSER 659

celle de la théologie, Dom Schaller fit un traité «pratique et exact, sur l'art de faire des cadrans solaires 1) ». Mais Chr. Schaller devait bientôt quitter Luceile pour n'y plus revenir : envoyé comme prieur à Eusserthal, près de Landau (dont les religieux desservaient la chapelle du château de Trifels), il devait mourir abbé de Maulbronn en 1642 2).

Laurent Lorillard, qui fut le successeur immédiat de Hanser, doit aussi être mentionné ici. Dès lors sans doute, sous la sage impulsion de son abbé, il commençait à butiner comme les abeilles dans les écrits des Pères pour en extraire les six volumes A'Insignea florilegia qu'il devait laisser, et les douze tomes de Loci communes, tirés tant des orateurs sacrés que profanes. Enfin, en bon cistercien, il devait aussi composer un ouvrage analogue extrait tout entier des oeuvres de S. Bernard, immenso labore marque Buchinger 8), qui énumère encore plusieurs autres écrits de ce 82e abbé de Luceile.

Mentionnons enfin le P. Séraphin Heitschmann qui est aussi de ce temps. « Il composa beaucoup d'écrits sur la vie spirituelle, un recueil de sentences tirées des saints Pères sous le titre de Apis argumentosa (nos moines de Luceile affectionnaient ce genre de travail), un traité sur la règle de S. Benoit, un abrégé de Surius ; enfin beaucoup de litanies et d'offices des saints 1) ».

Voici du reste, pour terminer ces quelques renseignements sur les religieux de Lucelle de l'époque de Hanser, la liste que donne le P. Walch de ceux qui firent profession sous son gouvernement5).

Frater Martinus Haug de Brisach.

Fr. Zacharias Boemer d'Ensisheim.

Fr. Jean Sorger de Lustendorff.

Fr. Jean Grûnenwald de S.-Amarin.

Fr. Jean Baumann d'Ensisheim.

1) Epitome, p. 231.

2) ED. PAULUS, Die Cisterciensur-Abtei Maulbronn, p. 13, 89 et 110.

3) Epitome, p. 117 et 228.

4) L. D. Les derniers abbés de Luceile, Revue Mury, I, p. 144). L'auteur de cet article se trompe en faisant de Heitschmann un abbé de Eusserthal : Buchinger dit formellement qu'il y fut sous-prieur, et mourut en -exil in monasterio ordinis nostri Lnker in Saionia, circa 1636". (Epitome, p. 232).

«) Miscellanea, I, fol. 386-87.


660 JEAN HANSER

Fr. Nicolas Virtschlin de Masevaux.

Fr. Antoine Frürtich de Pfetterhausen..

Fr. Rudolf Fischlin de Thann.

Fr. Melchior Weingarlen de Cernay..

Fr. Gallus Martin d'Illfurth.

Fr. Conrad Eringer de Luter.

Fr. Christmanus Ruppus de Thann..

Fr. Wibertus Eggs de Rheinfelden.

Fr. Georgius Textor de Delémont.

Fr. Ambroise Scheppelin d'Allkirch.

Fr. Ballhasar Brucier de Phillingen.

Fr. Jean Berod de Cernay.

Fr. Nicolas Rech de Guebwiller.

Fr. Jean Fuohs de Guebwiller.

Fr. Morand Hug d'Altkirch.

Fr. Paul Meyerbrun.

Fr. Pierre Hug de Luter.

Fr. Ulrich Wirtz de Guebwiller.

Fr. Sébastien Horniksel de Guebwiller.

Fr. Jean Abbt de Cernay.

Fr. Gaspar Freyburger de Cernay.

On remarquera dans cette liste ce Fr. Paul Meyerbrunn dont il a été question plus haut. Plusieurs de ces religieux, comme nous le verrons, furent prêtés successivement à Pairis, lorsque Hanser entreprit la restauration cette abbaye. L'un d'eux, Jean Berod de Cernay, fut de là envoyé à Maulbronn où il mourut et où son épitaphe est encore conservée 1).

Luceile avait donc atteint sous notre abbé un état de vraie prospérité tant matérielle que morale et intellectuelle. Aussi peut-on appliquer à son époque ce que Quiquerez dit en général de Luceile2). Cet auteur, non suspect de partialité pour les moines et les catholiques,, termine son article, par un aveu qui l'honore trop pour que nous ne le citions ici pour terminerce chapitre :

« Il est probable que dans la liste des hommes qui ont fleuri à Luceile par leurs écrits, nous en ayons oublié plusieurs1)

plusieurs1) domini MDCXXXV 24 octobris obiit venerabilis P, F. Joannes.

Berod, Lncellensis professus, post restitutionem hujus monasterii prior, cujusanima vivat Deo". (Cité dans PAULUS, op. cit. p, 84)

2) Revue d'Alsace, 1864, p. 447.


JEAN HANSER 661

dont les noms ou les ouvrages ont échappé à nos recherches et à notre mémoire, mais le nombre qu'on vient d'indiquer nous justifie et rectifie ce que nous avons pu dire de l'ignorance des moines de Luceile dans deux de nos publications. (Jean de Vienne et Bourcard d'Asuel). Si alors nous avons quelque peu critiqué les Bernardins de ce lieu, c'est que là, comme ailleurs, il y avait de l'ivraie parmi le bon grain et que malheureusement ces plantes parasites ont laissé des racines dans les archives mêmes du monastère, de même que dans les traditions du pays. Aussi on doit tout au plus nous accuser, de médisance ou d'avoir révélé des choses peu connues en écrivant deux romans historiques en 1806 et 1843. Alors notre plume encore jeune traçait, sans crier gare, tout ■ce qui tombait sous son bec, tandis qu'aujourd'hui elle est plus sérieuse et elle ne consigne plus que des faits plus importants et puisés à bonne source ».

CHAPITRE VI

Relations extérieures de Hanser : papes et empereurs, évoques de l'âle et chanoines de Grandval, moines de Bellelay et jésuites de Delémont.

Les négociations importantes dont Hanser eut à s'occuper pendant son administration l'avaient mis en relations, on l'a vu, avec les papes et les empereurs de son époque, les évêques de Bâle et les seigneurs voisins de Luceile, les moines et les religieux des environs de l'abbaye. Notons seulement rapidement ce que les documents fournissent à ce sujet.

En 1618, bulle de Paul V relative aux biens de Luceile induement aliénés. Du même pape, approbation de la confrérie de Ste-Sophie érigée dans la chapelle que l'abbaye possédait à Ensisheim, et concession de diverses indulgences1). Le second successeur de Paul V, Urbain VIII, confirma l'érection de la congrégation cistercienne de la Germanie supérieure à l'organisation de laquelle Hanser, comme il a été dit plus haut, travailla si activement et dont il fut le vicaire général 2).

La dernière année de sa vie 1625, et le 13 janvier, notre

1) Epitome, p. 92. 2) 1b. p. 93.


662 JEAN HANSER

abbé obtint de l'empereur Ferdinand II confirmation de tous les privilèges de Luceile, en particulier le droit d'asile 1).

Avec les évêques de Bâle les relations de Luceile étaient naturellement assez fréquentes. Dès le début notamment deson entrée en charge, Hanser eut à traiter avec Christophe Blarer de Wartensée, de la délicate question des cures incorporées à Luceile. Un concordat en 10 articles 8) fut signé entre les deux parties, le 14 juillet 1605. Ces paroisses étaient Altenschwiller 3), Blotzheim 4), Courgenay (Gensdorf6), Heimsbrun 6), Lutterbach 7), Pfaffans 8) et Volkensberg 9).

Il a aussi déjà été question plus haut des relations de Hanser avec les supérieurs et les religieux de son ordre dont il fut l'une des personnalités les plus marquantes de l'époque.. On a vu en quelle estime il y était tenu, à commencer par le général, Nicolas Boucherai, avec lequel il conserva jusqu'à sa. mort d'intimes relations 10).

Ajoutons ici, d'après notre manuscrit de Colmar, quelques pièces sur les rapports de Hanser avec diverses abbayes et maisons religieuses de la région : sans avoir une grande importance, elles ont quelqu'intérêt pour l'histoire ecclésiastique de notre pays.

Une confraternité spirituelle unissait Luceile à la collégialede Grandval, située à quelques lieues de là 11). Le célèbre chapitre des SS. Germain et Randoald avait à ce moment à sa tête J. Henri d'Ostein qui allait bientôt monter sur le siège épiscopal de Bâle. A l'occasion de la mort de leur chapelainde Delémont, où depuis longtemps ils résidaient, les chapelains écrivirent à Hanser la lettre suivante :

1) Epitome, pp. 217 et 113.

s) Walch en donne le détail (1, 328).

3) Epitome, 69.

4) lb., 81.

5) lb., 66.

6) lb., 77.

7) lb., 77. Il est assez curieux que ces deux paroisses, les plus voisines de l'abbaye cistercienne actuelle d'OElenberg, aient dépendu jusqu'à la Révolution des Cisterciens de Lucelle.

8) Epitome, 77.

9) lb., 90.

10) Voir notamment, dans le manuscrit de Colmar, deux lettres du 2 avril 1612, la première de Hanser au général, la seconde du même à son secrétaire Dom Dancoenet.

11) Sur laquelle l' Epitome de Buchinger donne d'intéressants détails (239-247).


JEAN HANSER 663

Rmo Proesuli nec non vigilantissimo antistiti Joanni, Dei gratia abbati Lucellensi totique ejusdem monasterii conventui dominis suis per multum observandis.

Divina sic disponente providenlia, autistes multum révérende, fratres admodum religiosi, e vita cessit apud nos quarto idus septembris pius et honestus dominus Ursicinus Verdot, quondam ecclesice collégiatoe SS. Germani et Randoaldi martyrum assiduus sacellanus, et confratrum quatuor collegiorum numéro confrater adscriptus. Quaproptur certiores hisce nos facimus quatenus non solum vigore statutorum confraternité id postulantium, sed amore potius fratemo propulsi, dicti defuncti animoe salutem diligenter studeatis promovere, exequiis illius pie vacantes prima quoe sese vobis c/feret commoda occasione. Quod agent.es, ultra quod jura confraternioe intégra strvabitis, opus etiam Deo pergratum facietis, et tum defunctoe animuloe tum etiam nobis ipsi suo tempore projuturum.

Actum Delemonti, anno 1612, 9 septembris.

Reverendoe Dominationis, vestroe totiusque conventus studiosissimi,

Proepositus tutumque capitulum ecclesioe collegiatoe monasterii Grandisvallis 1).

La mort de l'abbé de Bellelay2), Werner Briselance, arrivée le 31 août 1612 après un gouvernement de 33 ans, fut l'occasion de resserrer les liens qui unissaient Lucelle à cette antique abbaye de Prémontrés. Une première lettre demandait à Hanser les suffrages de son abbaye pour le vénéré défunt3).

Admodum Reverendo in Christo patri ac domino D. Abbati monasterii Lucellensis, necnon et reverendis Patribus ac fratribus ejusdem monasterii conventuatibus, salutem in Dno. P.

Filiorum pietas in parentis inde vel maxime innotuit, (Praesul admodum Reverende, Patres, fratresque religiosissimi) si illis non modo dum in vivis agunt pro virilibus opitulentur, at multo majus si eisdem vitu functis, precibus, votis et aliis id genus spiritualibus modis suffragari satagunt. ldipsum nostris nos debere proelatis, iis videlicet qui plusquam paternam nostri curam gerunt, nemo est qui ambigat. Hoc ergo nomine in id

1) Manuscrit de Colmar, fol. 112, verso.

2) Sur Bellelay, cfr. l'Épitome de Buchinger. p. 247-250.

3) On admirera le bel éloge qu'elle en fait et en quel beau latin.


664 JEAN HANSER

omnibus nobis incumbendum est, quod ut debita pietatis officia Rd° in Xt° P. Wernero nuper abbati nostro persolvamus, qui pridie Calend. Septemb. omnibus Ecclesioe sacramentis rite munitus, et diuturno eoque gravissimo morbo confectus ultimum clausit diem. Quanquam vero jam de eo nil nisi felicia sperare possumus non paucis in hanc spem inducti argumentis, utpote qui summa atque adeo nobis omnibus exemplari toleranlioe gravissimoe aegritudinis molestias pertulerit, quique eximia constantia in religiosis propositis et piis ad Deum affectibus ad extremum usque vitae spiritum persisterit : tamen, quoniam si Deus intret in judicium cum homine, vix justus poterit illi respondere unus pro mille, rogatos nos voluimus, ut pro laudabili confraternitutis consuetudine, et pissimo inter nos faedere, vestris precibus ac sacrifîciis ei subvenire ne abnuatis, ut si forte ipsius anima aliqua labe in expiatoris flammis emendanda est, vestris subito notis ex ejusmodi miscriarum ac cruciatuum barathro liberaretur, meritamque in coelis coronam adipisci valeret. Idem pietatis ut et omne offîcii genus vobis pollicentur

Et faedere et rehgione vobis conjunctissimi ac deditissimi Prior et conventus B. Mariae de Bellelagia.

E monasterio nostro Bellelagiensi septimo idus septemb anno 1612 1).

Peu de jours après, les moines de Bellelay invitaient Hanser à assister en qualité de scrutateur à l'élection de leur nouvel abbé. Cette lettre est trop flatteuse pour l'abbé de Lucelle pour que nous ne la reproduisions pas aussi :

Admodum Rd° in Xt° Pairi Duo. Joanni divina Providentiel monasterii Lucellensis abbati, domino nostro suspiciendo.

Admodum Rever, religiose Pater Dne. suspiciende. Placuit A Itissimo paucis ante diebus quondam Reverendum Dnum. Weruerum L'riselaiits, patrem et abbatem nostrum colendissimum, post diuturnum morbum ex ralle hac lacrymarum, ad sernpiterna coelestis regni gaudia evocare, et sic nos et coenobium nostrum capite ac pastore destituere. Cum vero consultum minime sit, imo taliter viduatoe ecclesioe tam in spiritualibus quam temporalibus de facili damna et detrimenta irreparabilia contingere possint, ideoque tractata et matura deliberatione proevia, permissu quoque ac peculiari concessione Rmi in Xto antistitis

1) M .nuscrit de Colmar, fol. 113.


JEAN HANSER 665

et illmi. principis ac dni dni Guilielmi, Dei et apostolicoe sedis qratia episcopi Basiliensis, dni et ordinarii nostri clementissimi, divina annuante gratia, rite ad electionem novi abbatis, die 26 ac immediate sequentibus mensis hujus septembris descendere, progredi, ac eam canonice, proesidente eodem Rmo Proesule, perficere

perficere absolvere proposuimus et conclusimus unanimiter ; ac admodum Revam paternitatem vestram pro compromissario ac scrutatore eligimus et designavimus, prout eamdem submisse rogamus et requirimus ut ejusmodi onus bénévole in se suscipere et toti ordini et viduaioe nostroe. ecclesioe in tantum gratificari non recuset, scilicet vesperi 25 hujus in monasterium nostrum adventare, et se nostris impensis ac sumptibus sistere haud gravetur, actui electionis uti scrutator et compromissarius adesse, nos quoque, precibus istis enixis annuere et certo comparere intendat, hoc nuncio informare, et certiores reddere non dedignatur. Quod in nos collatum beneficium precibus nostris continuis

-demereri, et vicissim grata et accepta queevis preestare nunquam intermittemus. Actum Bellelagioe, 11 sept, anno 1612. Admodum Roe Pateris Voe observantissimus Totus conventus monasterii Bellelag '). Il va sans dire que Hanser accepta l'honorable invitation des Prémontrés de Bellelay. Ce fut sur Dom David Juillery, de Monible, qui devait énergiquement défendre les droits de

-son abbaye contre les évêques de Bâle, que se réunirent les suffrages 2).

En bonnes relations, comme l'on voit, avec les religieux de son voisinage, Hanser avait également d'excellents rapports

avec les jésuites de la région, ceux de Delémont, notamment. Il les invitait aux fêtes de Luceile 8). Un de ses neveux, sur lequel je n'ai trouvé aucun renseignement, avait été envoyé par lui à l'université de Dole. Le préfet des études ayant bien ■voulu s'intéresser spécialement à ce jeune homme, l'abbé de Lucelle l'en remerciait en ces termes :

Rdo Patri in Xto P. Petro Vbetolo, S. J., Dolanoe universitatis

universitatis dno suo multum observando.

Rm Pater, accepi R. V. litteras quae me singulari loetitia

extulerunt, quod ex eis intellexerim quam fides amicus, quam

1) Manuscrit de Colmar, fol. 113 verso et 114. 2) MULINEK, Helvetia sacra, I, p. 207. 3) Manuscrit de Colmar, fol. 100.


666 JEAN HANSER

clemcns patronus (Ram Vam dico) nepoti meo obtigerit. Timendum enim foret, si suae curae relinqueretur et propriis se regeret habenis, ne vel malorum consortio vel aliis sathanae technisper obruta vitiorum (quae juvenilis aetatis est imbecillitas) praeceps quandoque rueret. Unde et quod vehementer mihi gratuler, et Rae Vae gratias agam quas possum maximas ob paternam curam quam de ipso et hactemus gessit et in posterum se gesturam pollicetur. Enimvero ut omnis ei labendi demetur occasio, R. Vam rogo, ne quas ei pecunias pro arbifrio expendendas concedat, ne cum lubricis sociis commerciis quidquam habere, ut studiorum tempus inutiliter terere patiatur. Coeterum quoe honestis usibus necessaria fuerint, velim ei suppeditet R. Pater, certa spe fretus, a me quidquid ei praestitum fuerit, fîdeliter refundendum. Hoc si a R. V. impetravero (impetraturum autem confîdo) dabo operam ut si non Rae Vae at certe aliis patribus societatis talionem referam. Hisce praedictum nepotem meum,. R. V. curae, me autem precibus et sacrificiis commendo.

Lucellae, 2 aprilis 1612 ).

Ce n'était en effet pas une vaine promesse que Hanser faisait aux Jésuites à la fin de cette lettre : on l'a vu précédemment, il leur rendit, entr'autres services, celui de faciliter leur entrée en possession de divers prieurés alsaciens, restés sans titulaires par le malheur des temps.

CHAPITRE VII

La restauration de Pairis et d'Eusserthal.

La maison cistercienne de Pairis traversait à ce moment une des périodes les plus tristes de son histoire. Depuis plus d'un siècle sans abbé régulier, — ceux de Maulbronn en unissaient officiellement le titre à celui de leur propre abbaye, — les quelques moines qui y vivaient avaient fini par se décider,. pour se mettre à couvert des vexations des protestants, à demander pour abbé commendataire le cardinal André d'Autriche. A sa mort lui succéda, en cette même qualité, le prévôt. de la cathédrale de Trente, Mathias de Thurn, qui avait à.

1) Manuscrit de Colmar, fol. 115.


JEAN HANSER 667

Pairis une sorte de gérant ou de vicaire général, auquel nous voyons, en octobre 1612, Hanser écrire l'intéressante lettre suivante :

Pervenerabili et egregio viro Dno. Joanni Germanio ïllustr. DD. Mathiae comitis Turriani vicario in Pairis scripfa epistola..

Admodum Rde Dne ac vir clarissime.

Etsi jam pridem voluntati suae fecissem libentissime satis quippe cui in omnibus summe gratificari sum paratissimus, tamen ob varia impedimenta quae sese mihi objicerunt, effectui id dare non potui. Quos postremis suis sibi mitti petiit fratres etiamnum dimittere volui Gallum scilicet Martin ad tempus revocationis meae et Joannem Beroldt cum Jacobo Grettero, citius ablegaturus eosdem nisi huic primitiae apud nos celebrandae fuissent : quaeso igitur, etiam atque etiam, ut eosdem benigne et gratiose acceptare, sibique dignetur habere de meliori nota commeniatos. Ego sane quod îibenter eos omnes, quos superioribus suis litteris expressit, et dimittendos censuit, misissem, ut inde meam occulis prospicere quin et sentire digitis benevolentiam posset, verum quia illis carere monasterium nulla ratione potest, ideo mihi tantum de R. D. suae facilitale, et omni erga me propensione polliceor, ut sit mihi haud difficulter veniom eo nomine- datura. Porro si fortuna mihi et occasio affulserit plura coram tractabimus de rebus quae videbuntur rationi consentaneae, siquidem brevi me Ensishemium (Deo omn. favente) recipiam, ubi commoditas sese offeret colloquendi fusius de omnibusquae ad rem facere videbuntur. Quare autem P. Antonius 1) fuerit revocatus et sua privatus administratione non alia causa est, nisi turbulentae quoedam instantiae et minus rationabiles causae P. Bauman 2), cui an adsiipulatus fuerit oeconomus judicabunt illi quorum clarior est hujus negotii cognitio et informatio.

Coelorum Deum Opt. Max. exorabo ut R. D. corpore et anima ■ diutissime servet sospitum et incolumen.

Ex monasterio Lucella, ipse die D. Lucae sacro, anno 1612.

Reverendoe suce D. ad quaevis paratus ac benevo'entissimus, F. Joannes humilli abbas ibidem 3).

3) Je n'ai pu trouver qui était ce P. Antoine que ne mentionne pas l'Al. satia sacra.

s) Sans doute Jean Baumann, qui fut un certain temps prévot de S.-Apollinaire. (Revue catholique d'Alsace, 1883, p. 109;. ) Manuscrit de Colmar, fol. 115.


668 JEAN HANSER

Comme nous l'apprend ce document, Hanser avait envoyé des religieux de Lucelle à Pairis : ce furent d'abord ceux que la lettre mentionne et qui furent successivement prieurs : Jean Baumann d'Ensisheim en 1604; Gall Martin, d'Illfurt, 1612 et Jean Berod de Cernay 16121). A ce dernier succéda Wibert Eggs, de Rheinfelden, 1619, et enfin Henri Fusier 1624 2).

Pairis était donc, semble-t-il en bonne voie de relèvement. Mais bientôt allait commencer la guerre de Trente ans. Confisquée par le général suédois Horn et donnée en fief à Gustave Wetzel de Marsilly, l'abbaye toucha de nouveau à sa ruine. Le nouveau possesseur y laissa cependant comme prieur le P. Christmann Rupp, de Thann, encore un disciple de Hanser, et quand en 1648, définitivement chassés de Maulbronn les cisterciens se replièrent sur Pairis, ayant Buchinger à leur tèle, ils y trouvèrent encore quelques-uns des moines qu'y avait envoyés Hanser. Celui-ci avait donc bien mérité de l'antique abbaye : aussi le Nécrologe de Pairis, à la mention de sa mort (8 septembre 1625) ajouta-t-il avec raison cet éloge, caractéristique dans sa brièveté : Pro Parisiensis monasterii restitutione multum laboravita).

Une autre maison cistercienne fut aussi relevée de ses ruines par les soins de notre abbé : c'est celle d'Eusserthal dont il a déjà été question 4). Ajoutons seulement ici que l'archiduc Léopold d'Autriche vint en personne à Lucelle pour négocier la chose avec Hanser. A sa prière furent envoyés à Eusserthal le P. Bernard Textor 5), en qualité de prieur, avec cinq autres religieux 6). A Textor devait succéder le cernéen Ch. Schaller, pour devenir ensuite abbé de Maulbronn, comme •on l'a déjà vu.

Hanser avait ainsi eu avant de mourir, la joie de voir refleurir ces deux anciennes abbayes ou tout au moins d'y avoir pu rétablir la discipline monastique.

1) Alsatia sacra, I, p 380.

2) Il n'est pas sûr que ce dernier ait été un moine de Lucelle. 3) Bulletin de la société des mon. hist. d'Alsace, 1904, XXI tome, p. 84.

4) Page 43.

5) De Delémont.

6) Epitome, p. 132.


JEAN HANSER 669

CHAPITRE VIII

Derniers travaux de Hanser. — Sa mort. — Son portrait.

Hanser approchait de la fin de sa belle carrière. De cette dernière partie de sa vie 1') nous ne connaissons que les négociations relatives à la maison et à la chapelle que son abbaye possédait à Ensisheim. On a vu plus haut*) que le prédécesseur de Hanser, Ch. Birr, avait été autorisé à y résider un moment. Cette propriété était convoitée par les Tiercelines d'Ensisheim 3). Hanser, semble-t-il, était d'avis de la leur céder. Mais le général de l'ordre, N. Boucherat, fut d'un autre sentiment et refusa son consentement 4). Ceci se passait en 1624. L'affaire ne devait se terminer que bien plus tard, en 1666, sous Buchinger 5).

Au commencement de l'année suivante, 1625, qui devait être celle de sa mort, Hanser obtint de l'empereur Ferdinand II, « qui le tenait en haute estime, confirmation des privilèges de Lucelle, le 13 janvier 6) ». Les possessions acquises jusque-là, y Compris Saint-Apollinaire, furent placées sous la protection immédiate de l'empire et le moulin de la prévôté obtint le droit d'asile 7) ».

Quelques mois après, le 8 septembre 1625, comme Hanser, déjà revêtu des habits pontificaux, se préparait à monter au saint autel, il fut frappé d'apoplexie. Et le soir du même jour, sacramentis Ecclesiae devote munitus 8), il rendait le dernier soupir, heureux sans doute de quitter cette terre le jour d'une des grandes fêtes de la Sainte Vierge, à laquelle, en digne fils de saint Bernard, il était singulariter devotus 9).

1) Comme l'a fait observer M. Kroener dans l'Avant-propos, le manuscrit de Colmar ne contient que des pièces des premières années de l'administration de Hanser.

s) Page 24.

3) Sur ces religieuses, cfr. YAlsatia sacra, II, 377,

4) A. H. A. Lucelle, 55,3. — Les mêmes archives contiennent encore d'autres pièces relatives à Hanser : notamment, même fonds de Lucelle, 97,8; fonds de l'Intendance, 107, C.

5) Notice sur Buchinger, p. 51. Dans l'intervalle chapelle et maison. avaient été ruinés, et la confrérie de sainte Sophie transférée à la paroisse.

6) W ALLER, L'ancienne prévôté de S.-Apollinaire, p. 20.

7) Ibid.

8) Epitome, p. 216.

») lbid.


670 JEAN HANSER

La piété du 37e abbé de Lucelle, note à un autre endroit Buchinger1), était très grande et grand son esprit de foi. L'historien de l'abbaye note particulièrement sa fidélité à assister aux saints offices, malgré les multiples occupations de sa charge que le malheur des temps rendait encore plus absorbantes : Divinum officium raro exemple sedulo frequentavit2), et il ajoute : Et ut id rite et magnifice perageretur maxime sollicitus fuit. Ce qui est bien encore dans la tradition de Citeaux : on peut s'en convaincre aujourd'hui aussi bien à la Grande Trappe qu'à OElenberg 9).

On enterra Hanser dans la chapelle de S. Jean-Baptiste. Plus lard, en 1712, des travaux de restauration ayant été exécutés dans cette partie de l'église de Lucelle, la pierre tombale de notre abbé fut déplacée et fixée contre une colonne, près de la tour de gauche de l'Eglise. A l'époque du P. Walch, qui nous fournit ce détail4), on ne pouvait plus en lire l'inscription.

Le portrait de Hanser que nous donnons en tête de cette notice est tirée du même manuscrit de Walch qui rapporte") l'avoir trouvé à Moutier-Grandval, dans le château « dit des chanoines ». Sur l'original, de grandeur naturelle, il y avait à de lui, à gauche, une petite table avec un crucifix et divers objets (bréviaire, encrier, montre...), et à ses pieds un petit chien, avec un collier rouge 6).

APPENDICES.

I. DÉFINITION POUR LA CHARGE DE VICAIRE-GÉNÉRAL DONNÉE A BEAT PAPST, ABBÉ DE LUCELLE, EN 1584. (Cfr. p. 40).

Nos frater Nicolaus Boucherat, abbas Cistercii, coeterique definitores capituli generalis apud Cistercium celebrati, notum facimus universis quod anno Domini 1504 die vero ultima

1) Epitome, p. 216.

2) Ibid.

3) Je ne parle que de ces deux monastères de la Trappe, les seuls que j'aie eu le bonheur de fréquenter.

4) I, ch. V. 328.

5) Ibid, Appendix. Effigies.

6) Dans le cloître de Wettingen (aujourd'hui sécularisé) se trouve un fort joli vitrail avec les armoiries de Lucelle et celles de Hanser.


JEAN HANSER 671

mensis aprilis in eodem generali capitulo facta fuit quaedam definitio cujus tenor sequitur et est talis. Ne aberrantibus pene universis infelici hoc saeculo a veritate, is qui oves suas de manu pastorum requiret et visitabit illas sicul pastor gregem suum in die quando fuerit in medio omnium suarum dissipatarum, nostrarum atque nobis commissarum sanguinem severo (ut est pollicitus et praedixit) examine, de manibus nostris exigat et ulciscetur, cum inpotius nos ovilis nostri et salutis proximorum sollicili, nostram simul cooperemur et statuamus, praesens generale capitulum de zelo morum literarumque excellentia, prudentia, discretione ac experientia domini abbatis de Luzella confidens, ipsi committit ac plenariam dat potestatem et authoritatem visitandi et reformandi omnia et singula dicti ordinis monasteria in partibus Ferretae, Alsatiae, Sueviae, provinciae Helvetiorum, Bavariae, Franconiae et dioecesis Augustanensis, comitatus Tirolis et dioecesis Bambergensis inclusa ac contenta; ibidemque puniendi, emendandi, instituendi et destituendi, in capite et membris, in spiritualibus et temporalibus omnia et singula quae secundum Deum et nostrae Cisterciensis religionis staluta invenerit visitanda, reformanda, corrigenda, punienda et emendanda, destituenda et instituenda; abbatibus insuper et abDatissis caeterisque bene meritis pensiones gratiosas et rationabiles ipsis monasteriis non onerosas super fructibus. dictorum monasteriorum creandi et assignandi ; abbates insuper habentes seu habere valentes, compelentem religiosorum numerum in scholarem vel scholares sub poenis in Benedictina contentis ad collegium S. Bernardi cum debitis pensionibus mittant, et in eo jugiter habeant compellendi, utque in suis monasteriis aliquem virum honestum, regularem vel secularem, qui ceteros religiosos in bonis litteris et disciplinis aptos erudiat habeant cogendi ; jura quoque et privilégia nova et vetera nobis et Ordini nostro per summos pontifices et alios quoscumque concessa per omnes juris et justitiae vias tuendi et defendendi ; alienatores jurium, priviiegiorum, libertatum et possessionum dictorum monasterium, necnon quoscumque contractus per abbates, abbatissas et conventus in damnum et praejudicium suorum monasteriorum factas seu factos cassandi, revocandi et annulandi ; ac nullius roboris et efficaciae fore et esse declarandi et pronunciandi ; ipsasque possessiones, jura et privilegia et libertates alienatas ad manus monasteriorum et ordinis reducendi. Abbates et Abbatissas ac officiarios ut hoc expensis


672 JEAN HANSER

suorum monasteriorum faciant et prosequantur per ordinis censuras compellendi, et cum eisdem super quibusvis praedictorum contractuum observatione forte praestitis juramentis dispensandi et eosdem relaxandi. De redditibus, litteris, chartis, clenodiis,.. jocalibus bonisque mobilibus dictorum monasteriorum quoties opus fuerit, inventoria faciendi, computationes abbatum et abbatissarum ac aliorum officiariorum monasteriorum annis singulisaudiendi, illasque approbandi vel reprobandi, fugitivos et apostatas ac alias personas regulares decus et ordinis honorem dénigrantes sumptibus et expensis suorum monasteriorum capiendi vel capi faciendi, ligandi et incarcerandi et ad propriomonasterio remittendi aut alias juxta exigentiam suorum demeritorum puniendi ; personas regulares quoties expediens videbitur in foro conscientiae a casibus et criminibus generali capitulo reservatis cum poenitentia salutari absolvendi, aut absolvi faciendi; monasteriis monialium de confessoribus et capellanis, procuratoribus et receptoribus sufficientibus et idoneis providendi, et insufficientes deponendi et expellendi, acsuper dictis monasteriis débitas contributiones levandi et recipiendi, ac de receplis veras quitantias dandi, et si opus fueritconformiter ad statuta apostolica abbates et officiarios monasteriorum ad debitam solutionem faciendam per poenas et censuras ordinis compellendi ; et generaliter omnia et singula circa praemissa et ea tangentia agendi, faciendi et excercendir quae nos agere, facere et exercere possemus et deberemus tenquam fungentes plenaria auctoritate, invocato ad praemissa et ea tangentia, si opus fuerit, brachii secularis auxilio, consilio et favore. Omnibus igitur et singulis praedictorum monasteriorum et regularibus personis et aliis quibuscumque nobis subditis districte damus in mandatis, quatenus in praemissis et ea tangentibus dicti domino Abbati de Lucella tanquam nobis humiliter pareant et devote obediant, praesentibus usque ad proximum sequens capitulum in suo vigore duraturis in plenaria ordinis potestate. Datum in diffinitorio nostro Cisterciensi annoet die praedictis sub appensione sigilli defiuitorum ejusdem. capituli generalis 1).

1) Manuscrit de Colmar, fol. 12 et 13.


JEAN HANSER 673

IL LES PORTRAITS DU MANUSCRIT DU P. WALCH.

Le manuscrit du P. Walch contient, outre plusieurs vues de monastères cisterciens et de nombreuses armoiries des abbés de Lucelle et d'autres personnages, cinq grands portraits in-fol. (de la dimension du volume), assez habilement peints sur parchemin. Ce sont, outre le portrait de Hanser qui est en tète de cet opuscule et celui de Buchinger que j'ai aussi placé en tête de sa notice :

1° le portrait de Jean Stantenat d'Uffholtz, 28e abbé de Lucelle, devenu abbé de Salem où il mourut en 1494, et dont Watch rapporte cet éloge peu banal : «In praelatura plurimum honoribus adversans, animi moderatione et integritate morum sui desiderium apud omnes accendit. Nihil exemplorum per oculos admittebat quod altius animo non imprimerat ; nihil heroicorum factorum ab antecessoribus gestorum legebat quod non sibi agendorum regulam statueret ». Ce portrait, envoyé de Salem au P. Walch, est extrêmement curieux, et, par son ancienneté, le plus précieux de la collection.

2° le portrait de Pierre Tanner, de Colmar, 42° abbé de Lucelle. Je compte le reproduire bientôt en tête d'une notice sur cet abbé.

3° celui de Antoine de Reynold, de l'illustre famille fribourgeoise de ce nom. D'abord à la tête de l'abbaye de Hauterive, dans son' pays natal, il devint chef de celle de Lucelle en 1703. Ce portrait est, d'après Walch, l'oeuvre d'un peintre nommé Kaiser, de Zug.

Enfin 4° le portrait de Nicolas Delefils, abbé de Lucelle au moment où Walch écrivait ses précieux Miscellanea, où il nomme également le peintre à qui il est dû : Charles Stander, de Constance.

III. LES DERNIERS CISTERCIENS DE LUCELLE.

Au manuscrit du P. Walch (I, 399 400) alors en possession des Bénédictins de Mariastein, a été ajouté, en 1848, la très précieuse note qu'on va lire qui nous renseigne authentiquement sur la fin des derniers cisterciens de Lucelle.

R. D. P. Ignatius Nussbaumer, quondam in monasterio Beynvilensi ad Petram B. V. Mariae in Helvetia studiosus, dein Revue, Septembre 1906. 43


674 JEAN HANSER

in monasterio Luciscellensi, ut supra in catalogo notaturl), professus et officiis ad nomen suum adscriptis perfunctus, tandem primissarius in Ballschwiller, die 28 junii 1842 monasterium supradictum ad Petram visitans, haec de confratribus suis edixit.

R. P. Malachias Sitterle obiit in Jettingen administrator.

R. P. Thomas Edmond obiit in Attenschwil adm.

R. P. Ludovicus Monhat obiit in Montbeliard vicarius.

R. P. Placidus Bruat obiit in Favroi adm.

R. P. Edmundus Erhard o. in Massmunsler primissarius, ante parochus in Sentheim. Obiit 1842 in quadragesima.

R. P. Gregorius Dechant O. in Rougemont adm. morbo seu lue grassante, postquam omnia pauperibus distribuit.

R. P. Benedictus Stuler o. in Stafeffelden adm.

R. P. Robertus Reichstetter o. in Colmar bibliothecarius, antea ibidem principalis collegii 1840.

R. P. Antonius Kohler o. juvenis in patria sua.

Rmus. et Ampl. DD. Benedictus Noblat obiit in Courtavon, aliquot annos ex emigratione sua redux. Abbas ultimus monasterii Luciscellae tempore Revolutionis gallicae dissoluti, cujus ultimus et unicus superstes religiosus R. P. Ignatius Nussbaumer aetatis suae anno 85 pro tempore primissarius in Ballschwiller, ut supra dictum, ad perpetuam rei celebrisque monasterii Luciscellae memoriam nomen suum die et anno, et supra, hic adscripsit manu propria.

A. IGNATIUS NUSSBAUMER.. (Signature seule autogr.).

1) Page précédente, où se lit : „Fr. Ignatius N. prof. 1782. Parochus in Wattwiller dein in Koestlach per 21 annos, deia in Giltweiller, ut ipse P. Ignatius de se dixit. P. Ludovic, professor".

A. M. P. INGOLD.


LA

SITUATION ÉCONOMIQUE DES OUVRIERS

EN ALLEMAGNE

La statistique est toujours instructive, prétendent les hommes qui s'adonnent à cette science. Je ne sais pas si la preuve de cette proposition est bien faite; mais en tout cas, la statistique n'est pas toujours gaie. Or il y a quelque temps on a fait en Allemagne trois enquêtes locales sur la situation des ouvriers. S'il est incontestable que l'une d'elles est ennuyeuse, une autre est, je croîs, plutôt intéressante et la troisième même assez curieuse.

Que le lecteur en juge...

Les derniers recensements avaient constaté le fait que la plupart des ouvriers occupés dans l'industrie du Grandduché de Bade n'habitaient pas l'endroit où sont situées les ■usines, mais les villages alentour et se rendent journellement au travail soit à pieds, soit en chemin de fer, en tramways ou à vélo. Cette situation particulière créée principalement par les moyens modernes de communication se prêtait à une étude des plus intéressantes si l'on voulait rechercher à quel point les ouvriers usaient de la possibilité de continuer


676 LA SITUATION ÉCONOMIQUE DES OUVRIERS

dans une certaine mesure un travail agraire ; une pareilleenquête devait amener des constatations utiles surtout si l'on comparait la situation de ces ouvriers d'une part avec celle de leurs camarades qui habitent la ville, et d'autre part avec celle des hommes qui, dans les mêmes communes, s'occupent exclusivement d'agriculture.

Ce fut l'objet d'une enquête faite aux environs de Karlsruhe et d'un rapport présenté au ministère de l'intérieur du. Grand-duché (voy. Die Verhältnisse der Industriearbeiterin 17 Landgemeinden bei Earlsruhe. Dargestellt von dem grosherzogliehen Fabrikinspektor Dr Fuchs. Bericht erstattet an das grosherzogliche Ministerium des Innern und herausgegeben von der grosherzoglichen badischen Fabrikinspektion. Karlsruhe 1904). Les 17 communes situées en amont et en aval de la capitale badoise formentun territoire assez nettement délimité par le Rhin et la forêt de la Hardt pour que l'on puisse considérer sa population d'environ 30.000 âmes comme suburbaine. Les ouvriers industriels comme les agriculteurs dépendent de la ville, à laquelle les uns apportent leurs produits et les autres leur travail. D'ailleurs cette contrée se prête d'autant mieux à une enquête de ce genre qu'à l'exception de l'industrie textile, elle comprend des usines de tout genre.

Parmi les 7.706 hommes et les 3.988 femmes qui exercent une profession, la répartition entre les usines et les champs se fait très différemment pour les deux sexesParmi les hommes pour des raisons faciles à comprendre,, les plus jeunes et les vieillards s'occupent en plus grand nombre d'agriculture tandis que les hommes adultes sont plus nombreux dans l'industrie. En outre plus le village est rapproché de Karlsruhe, plus on y rencontre d'ouvriers se rendant journellement dans les usines de la capitale. Mais pour le total des habitants, ces différences se balancent de façon à ce qu'il y ait environ un nombre égal d'hommes occupés à l'agriculture et dans l'industrie. Parmi les femmes par contre, le travail des champs est préféré. Celles qui s'adonnent à la culture, sont quatre fois plus nombreuses que celles qui vont dans les fabriqués.


EN ALLEMAGNE 677

Une enquête analogue faite en 1890 dans les environs de Mannheim offrait un terme de comparaison précieux pour l'étude du progrès que les salaires pouvaient avoir fait depuis une quinzaine d'années parmi les ouvriers industriels des contrées suburbaines. Le résultat fut, pour les hommes, tout en faveur de la situation actuelle aux alentours de Karlsruhe. En effet 13.4 % des ouvriers seulement avaient un salaire inférieur à 2 marks 50 (contre 20,9 % en 1900 à Mannheim). On constate une augmentation générale des salaires provoquée évidemment par le développement extraordinaire de l'industrie allemande à la fin du siècle dernier. Les ouvriers qui gagnent plus de 4 marks par jour, sont de 33,4 % (contre 22,9% à Mannheim). Il n'en est pas de même pour le salaire des femmes, lequel est resté sensiblement égal. Il n'atteint en moyenne que 1 mark 53 et est donc bien inférieur à celui des hommes. Aussi les usines se plaignent-elles du manque d'ouvriers. Le rapport croit qu'en augmentant les salaires, les fabricants arriveraient à combler leurs lacunes, au détriment, il est vrai de l'agriculture et de la classe des domestiques. Il y aurait alors plus de femmes se rendant journellement dans les usines de la grande ville. Est-ce bien vrai, et cette question se réduit-elle à une augmentation de salaire? N'y a-t-il pas d'autres raisons qui empêchent !a femme de s'absenter toute la journée pour rechercher du travail en ville, loin de son intérieur et de ses enfants? Ce qu'une femme habitant près d'une fabrique peut faire, n'est pas toujours possible quand les usines sont loin de la maison d'habitation. D'ailleurs l'augmentation des salaires que réclame le rapport, balanceraitelle les grands inconvénients sociaux qu'aurait l'absence ■complète de la femme pendant toute la journée?

L'une des constatations les plus intéressantes du rapport se trouve dans la comparaison des salaires des ouvriers campagnards et de ceux des ouvriers qui habitent la ville. Les premiers gagnent en moyenne 3 marks 25 par jour, les seconds 3 marks 85. L'avantage se trouve être du côté des ouvriers de la ville. Si l'on considère les salaires par groupements, on constate que 41,1 % des ouvriers campagnards


678 LA SITUATION ÉCONOMIQUE DES OUVRIERS

n'atteignent pas 3 marks tandis que 18,9 % seulement des:- ouvriers de Karlsruhe entrent dans cette catégorie. De même les salaires moyens, allant de 3 marks à 4 marks 50, sont représentés par 47,7 % à la campagne et par 56.5 % à la ville. Enfin la proportion en faveur de la ville dépasse le double pour les salaires au-dessus de 4 marks 50, soit 24,6 °/o pour Karlsruhe et 11,2% seulement pour les environs. Ces différences sont encore plus fortes pour des industries spéciales : ainsi dans une fabrique de cartouches les ouvriers de la campagne gagnent en moyenne 2 marks 60 ceux de la ville 3 marks 66; dans les quatre fabriques de machines la différence entre les deux espèces d'ouvriers s'élève à 1 mark 01. De même pour les femmes on constate que les salaires des ouvrières de la ville se montent à 1 mark 65 contre 1 mark 44 pour les autres. Le même phénomène se rencontre donc partout : les ouvriers venant. de la campagne sont moins bien payés que ceux qui habitent la ville.

Le rapporteur attribue cette différence dans les salaires» à une infériorité du travail : les ouvriers campagnards sont,. paraît-il, occupés principalement à un travail moins compliqué que ceux de la ville. De celte constatation, il tire une conclusion générale toute en faveur des habitants de la ville. « L'aristocratie ouvrière, dit-il, dont dépend le progrèsde notre industrie dans son état actuel de développement, habite la ville, dans le sein de laquelle elle se recrute d'ailleurs généralement. L'intelligence de la campagne tend à. émigrer en ville. L'ouvrier industriel resté à la campagne se contente principalement du travail de journalier ».

On objectera peut-être que l'ouvrier suburbain a la possibilité de compenser cette infériorité du salaire et d'augmenter son revenu par le travail des champs, d'autant plus que dans beaucoup de ces villages il existe encore des terrescommunales dont il jouit gratuitement. Peut-il vraiment par ce moyen effacer la différence de salaire et arriver à un revenu égal à celui de son camarade de la ville? Le rapport examine cette question. Il établit qu'aux environs de Karlsruhe sur 609 ménages ouvriers 433, soit 71 %, s'occupent


EN ALLEMAGNE 679

aussi d'agriculture. Ce chiffre doit être considéré comme très élevé en comparaison avec d'autres contrées dont l'industrie est plus intense. Aussi en recherchant la valeur réelle de ces travaux agraires aux alentours de Karlsruhe, on risque plutôt de l'exagérer. Néanmoins, même dans les conditions avantageuses de cette contrée, la culture des champs est, pour les ménages ouvriers, moins d'un profit réel que d'un avantage moral. En effet tandis que les exploitations exclusivement agraires sont en moyenne de 203 ares, les ménages ouvriers ne disposent en moyenne que de 67 ares. Tandis que dans la population sur 5930 ménages, il y en a 609, soit 10,3 %. d'ouvriers, sur les 10.836 ares d'exploitation agricole 289 seulement, soit 2,7 %, appartiennent à des ouvriers. On voit par ces chiffres combien le travail agraire est peu important pour les travailleurs industriels. Aussi leur culture n'a-t-elle pas de très haute ambition.

On se contente généralement de cultiver les plantes nécessaires au ménage : des pommes de terre, quelquefois des grains pour faire le pain, plus fréquemment des plantes fourragères pour pouvoir se tenir une vache à lait. Toujours le soin des champs n'est regardé que comme accessoire, abandonné généralement à la femme et aux enfants. Tandis qu'en ville la femme, quand besoin est, travaille, elle aussi, à la fabrique ; à la campagne elle se charge des champs. Mais le rendement de ce travail n'est que très faible. L'enquête évalue le rapport, de ces biens à 217 marks par famille et, quand il faut payer un fermage pour ces terres, à 126 marks.

Le fait d'habiter à la campagne n'augmente donc pas •sensiblement les ressources du ménage ouvrier. Qu'en est-il des dépenses? Peut-on faire des économies qui seraient impossibles en ville ? Pour les deux besoins principaux, la nourriture et l'habitation, l'ouvrier de la campagne se trouve évidemment dans une situation toute différente de l'ouvrier habitant la ville. Mais est-elle plus avantageuse?

L'enquête, ayant scrupuleusement pris note des dépenses de 14 familles ouvrières pendant 6 semaines (mai et jnin),


680 LA SITUATION ÉCONOMIQUE DES OUVRIERS

est à même de nous donner des renseignements exacts pour la nourriture. En prenant pour base la période désignée, elle évalue de la façon suivante les besoins d'une famille pendant un an : pain noir 582 kilogrammes, pain blanc 132, viande 78, saucisse 34, pommes de terre 647, farine 91, farinages (Teigwaren) 12, légumes secs 30, beurre 20, autres graisses 18, huiles 14 litres, fromage 12 kilogrammes, lait 138 litres, bière 769, vin 138, alcool 6, sucre 31 kilog., enfin 612 oeufs.

Le rapport nous explique que, dans ce régime, le lait, le beurre et la viande se trouvent en quantité absolument insuffisante, donc précisément des choses que la résidence à la campagne devrait offrir en abondance. Quant au lait et au beurre, on préfère le vendre pour augmenter les revenus, ou bien quand on garde le lait, on l'a écrémé pour vendre au moins la crème. La viande est trop souvent remplacée par le pain et les pommes de terre. Enfin au point de vue général du budget, le statisticien allemand blâme la trop grande quantité de saucisse, qui se paye beaucoup trop cher eu égard à sa valeur nutritive. Cependant c'est une nourriture bien commode, on la préfère souvent dans les manèges ouvriers parce qu'elle peut se manger sans être apprêtée. Ainsi dans une famille on a relevé une moyenne journalière de 77 grammes de saucisse contre 26 grammes de viande. Il n'est pas nécessaire d'avoir fait des études de statistique pour trouver cela exagéré.

Un autre point qui n'avait pas attendu les résultais d'une enquête officielle pour être constaté, c'est la consommation trop grande de boissons alcooliques : la bière à elle seule monte dans le menu journalier à 512 grammes, quantité que n'atteint aucune autre nourriture. Dans le budget moyen s'élevant à 1021 marks, les boissons alcooliques demandent 219 marks (soit 21,1 %), sans les sommes destinées aux. plaisirs du dimanche et dépensées également pour des boissons. Pour juger de l'importance de cette somme (dans laquelle la bière figure pour 147 marks, le vin pour 45 marks et l'alcool pour 7 marks), il faut la comparer aux autres dépenses fortes du menu : 186 marks pour le pain


EN ALLEMAGNE 681

(18,7%), 150 marks pour la viande et les saucisses (14,7 %) 103 marks pour le lait (10,1%). Ainsi même pour la nourriture, on constate que l'habitation à la campagne n'est pas d'un grand avantage pour l'ouvrier puisque la bière et les saucisses, qui se cherchent à la ville, sont préférées à des aliments plus nutritifs, qu'offrirait la campagne.

Reste encore l'habitation. La plus grande partie des maisons est habitée par un seul ménage. Mais ce grand avantage que la campagne offre en comparaison de la ville, est-il au moins mis à profit? Les ouvriers recherchent-ils vraiment l'espace qu'il faut pour vivre à l'aise et qu'à la campagne, ils peuvent trouver aisément? Il ne paraît pas. A la campagne, comme en ville, les ouvriers n'occupent généralement que deux pièces. Sur 75 logements qui ont été visités, 51 étaient de deux chambres, 14 n'en avaient qu'un, 7 en avaient 3, et 3 en comptaient 4. En réalité la séparation de leurs chambres, faite souvent par des rideaux, des armoires, etc., est si imparfaite que bien des logements devraient être considérés comme n'ayant qu'une seule pièce. Il est inutile d'insister sur la promiscuité qui résulte de pareilles habitations, et du danger qu'elles présentent en cas d'épidémie. Si j'ajoute que 5 logements sur les 75 visités n'ont que des cuisines communes et que 6 ménages, n'en ayant pas du tout, cuisent, été comme hiver, dans la chambre d'habitation, si je dis que le rapport critique la dimension des pièces, le nombre insuffisant des lits, la disposition des fenêtres et par conséquent l'éclairage et l'aération de l'appartement, on comprendra qu'aux environs de Karlsruhe la fable du rat de ville et du rat de campagne ne trouve pas d'application : l'un n'a rien à envier à l'autre.

Après cet examen des ressources et des dépenses principales, il faut encore, pour donner une vue générale de la situation économique de ces ouvriers, considérer leur budget annuel et enfin voir comment la balance en est établie et quel est le résultat final de cette gestion financière.

Les recettes principales du budget sont le salaire du père et le rapport des quelques champs cultivés. A côté de


682 LA SITUATION ÉCONOMIQUE DES OUVRIERS

cela les fils adultes payent une pension de 6 à 12 marks par semaine tandis que les filles abandonnent généralement tout leur gain aux parents. Quelquefois le ménage est propriétaire d'une maison qu'il loue à d'autres ouvriers. Il perçoit donc un loyer, mais dans ce cas il est généralement obligé de payer une somme presque égale comme intérêts d'une hypothèque qui grève la maison. Il faut encore compter parmi les recettes du ménage les rentes payées quelquefois à l'un ou l'autre de ses membres en cas d'invalidité ou d'accident; presque jamais on ne rencontre d'argent placé à intérêts. Ainsi composées les recettes des 14 familles soumises à l'enquête varient entre 1.060 et 2.285 marks et sont en moyenne de 1.762 marks (64,4% provenant du mari, 19,4% de la femme et des enfants, 8,4 % du rapport des champs et 4,8% de sources diverses).

Parmi les dépenses, 47,1 % sont absorbées par le ménage, 6 % par la culture des champs. Le loyer est de 4,1 % ; il faut cependant ajouter à ce dernier les frais de voyage jusqu'à l'usine, ainsi que l'intérêt des dettes, ce qui fait monter cette dépense à 11,5%. Ici encore on constate que l'habitation à la campagne n'allège guère le budget en ce qui concerne l'une des dépenses les plus importantes. Les sommesdestinées aux habits (4,4 %), à la chaussure (3,9 %), au linge (2,2 %) ne sont que très modestes, de même que l'écolage des enfants, les dépenses pour des livres et des journaux, ainsi que pour du savon. Les impôts et les assurances s'élèvent à 1,7 et 2,7%.

Il reste enfin comme résultat final à constater si ces ménages ont réussi à se former un petit pécule ou s'ils n'ont pu que vivre au jour le jour. il est naturel qu'il ne saurait être question de grandes sommes. Mais pourtant, le fameux bas de laine existe-t-il et à combien peut bien se monter son contenu? Sur 50 familles auxquelles on a posé la question, 29 ont déclaré avoir fait des économies allant dans cinq cas jusqu'à 2000 marks, dans quatre jusqu'à 4000. Un ouvrier s'était formé une fortune de 5000, une autre de 7.800 marks. Trois ont perdu ce qu'ils avaient deux par suite de la construction d'une maison, le troisième


EN ALLEMAGNE 683

parce qu'avec un salaire de 3 marks, il était hors d'état de nourrir sa famille de 4 enfants.

L'enquête faite à Berlin (Lohnermittelungen und Haushaltrechnungen der minderbemittelten Bevölkerung im Jahre 1903. Berliner Statistik 3. Heft) étudie dans tous les détails les budgets de 908 ménages en les distinguant d'après le nombre des personnes qui en font partie. Nous apprenons exactement quelles sont les sommes affectées aux différents besoins du ménage et dans quelles proportions ces dépenses varient selon le nombre des membres de la famille. Cette enquête faite avec la fameuse « Gründlichkeit » allemande se perd dans trop de détails pour pouvoir même être résumée ici.

Les recherches faites à Dresde par contre (Inventarien von 87 Dresdener Arbeiter haushalten) se proposaient un but tout différent de celles dont nous venons de parler. On voulait établir l'inventaire des ménages ouvriers, rechercher quels étaient leurs meubles, leur linge, leurs vêtements, leurs livres, etc. C'était une étude des plus curieuses et capable de nous renseigner sur le confort que recherchent et que peuvent atteindre les milieux ouvriers de la capitale saxonne. Ce tableau de l'intérieur dans lequel vit l'ouvrier, est nécessaire pour pouvoir porter un jugement exact sur l'emploi qu'il fait de son argent. Car on se prononcera d'une façon plus sévère sur les dépenses exagérées qu'il fait pour la nourriture et la boisson, quand on le verra manquer dans son home et sur sa personne des choses indispensables à la propreté et au confort. De même pour les objets du ménage, on blâmera une préférence pour les choses qui paraissent à l'extérieur au détriment de celles qui servent au bien-être personnel.

Pour caractériser les 87 ménages qui se sont prêtés à cette enquête, nous dirons qu'ils disposent d'un budget.


684 LA SITUATION ÉCONOMIQUE DES OUVRIERS

variant entre 700 marks et 2.040 avec une moyenne de 1.200 marks; 29 n'ont que des dettes, 8 ont plus de dettes que d'avoir, 5 ont plus de fortune que de dettes et 31 ont de la fortune sans dettes allant au maximum à 3.500 marks. Ce sont donc des intérieurs ouvriers de tout genre dans lesquels la statistique est allée jeter un regard indiscret et noter des choses qui ailleurs restent cachés sous le secret professionnel des notaires.

En fait de meubles meublants je vous demande pardon, il s'agit d'un inventaire) 21 ménages, donc le quart de tous, n'ont pas assez de lits tandis que 29 en ont de réserve. Le sopha qui en cas de besoin peut être transformé en lit (à condition qu'on ait des draps! voir plus loin!), manque dans 10 ménages tandis que 14 en ont 2. 5 manquent de buffet de cuisine, 3 d'armoire, 1 seul n'a ni commode ni vertikow (meuble allemand plus petit qu'une armoire et plus grand qu'un bahut). 8 n'ont pas de miroir, 1 seul n'a pas d'horloge. La machine à coudre est relativement fréquente, elle ne manque que dans 25 ménages.

Les ustensiles de cuisine et de ménage sont bien différemment répandus. Quelquefois il y a abondance, d'autres fois on manque du nécessaire. Ainsi dans l'un de ces ménages, on ne trouve rien pour se laver — il faut croire que toute la famille va tenir la tête sous la pompe, — 52 n'ont qu'un lavabo pour tout le monde, 22 en ont 2, 8 3, et 3 en ont 4. Les lampes sont plus nombreuses. On n'en trouve une seule que dans 5 ménages, par contre 2 dans 26, 3 dans 31 ; 11 familles en ont 4, 12 en ont 5 et un ménage pousse le luxe jusqu'à avoir 6 lampes. Nulle part le gaz ne sert à l'éclairage, par contre dans les cuisines de 5 ménages on est installé pour cuire au gaz; dans 20 on fait usage du pétrole et dans 76 de l'esprit de vin.

Passons aux hardes. Ici encore il y a, même pour les hommes, de grandes différences allant du minimum qui est, dans un cas, d'un seul costume de travail, jusqu'au maximum de 3 costumes de travail et de 5 (!) de sortie dans 2 cas. La moyenne est de 2 vêtements pour le travail et de


EN ALLEMAGNE 685

1 1/2 pour la ville. En général les femmes sont mieux partagées puisqu'elles disposent de 2 robes de travail et de

2 1\2 pour sortir. Cette différence en faveur de la femme se rencontre d'ailleurs pour tout l'habillement — sauf pour les chaussures (2,6 par homme, 2,1 par femme).

Sans entrer dans les détails pour les chapeaux, passons au linge, lequel, comme les lavabos, nous permet d'apprécier l'esprit de propreté des habitants de Dresde. Je ne trouve aucune mention relative aux mouchoirs, n'en ferait-on pas usage, par hasard? Par contre la note sur le linge de literie est très intéressante. Si pour pouvoir en changer, il faut l'avoir au moins en double — je croirais dire une vérité de La Palisse si je n'avais trouvé ce principe gravement énoncé dans le Reichsarbeitsblatt du mois de mars (905 (p. 205) — 36 ménages, soit deux cinquièmes, ne remplissent pas cette condition. Ils ne peuvent pas changer les draps ! Quant aux chemises — rien ne s'oublie dans les inventaires — en admettant une lessive par mois et un changement de linge tous les 8 jours, dans 29 ménages il n'y a pas un nombre suffisant de chemises d'hommes et dans 16 de chemises de fammes. En moyenne cependant le trousseau d'une femme comprend 11, celui d'un homme 7 de ces objets plutôt indispensables. Les bas et les autres dessous sont répartis en nombre égal entre les deux sexes.

Dans 4 familles seulement on ne rencontre pas de montre, tandis que 19 couples n'ont pas d'alliances.

11 familles ont des instruments à musique, les Saxons étant très bons musiciens. La décoration des murs, qui ne fait complètement défaut que dans 10 logements, se composegénéralement de photographies, de « Haussegen », de lithographies de peu de valeur. On rencontre aussi des figurines en plâtre, en porcelaine, même en marbre, ou bien des cors de cerf accrochés aux murs.

Enfin pour que l'inventaire fût complet, il ne fallait pas oublier les livres. 16 ménages n'ont, paraît-il, aucun besoin intellectuel. Dans les autres on trouve les publications les plus variées. L'enquête a cherché à les classer de la façon.


686 LA SITUATION ÉCONOMIQUE DES OUVRIERS EN ALLEMAGNE

suivante : on rencontre 13 ouvrages différents de sciences naturelles dans 28 ménages1), 14 de médecine dans 45, 15 de sciences techniques dans 16, 4 ouvrages antireligieux dans 8, 19 livres de droit dans 41, 25 pamphlets politiques dans 63, 6 livres d'économie politique dans 9 ; 11 d'histoire dans 32 ; 4 de géographie dans 4 ; 10 dictionnaires dans 24 ; 6 dictionnaires de langues étrangères dans 6 ; 37 ouvrages littéraires dans 52; 14 romans dans 16; enfin 15 revues d'agrément dans 36 familles.

De ce catalogue il résulterait que c'est la politique qui a le plus d'intérêt pour la population de Dresde. Viendraient ensuite la littérature, la médecine et le droit, tandis que la géographie serait négligée. Constatons aussi qu'aux 8 ménages possédant des publications antireligieuses, il n'y a pas à opposer un seul livre traitant de religion. Or d'après les usages protestante, si je suis bien renseigné, le pasteur remet une bible à chaque ménage le jour du mariage. Il faut donc qu'à Dresde les jeunes couples s'en débarassent bien vite pour que l'enquête n'en ait plus retrouvé de trace. Il est vrai que les Saxons, comme on sait partout en Allemagne, se vantent d'être des gens particulièrement éclairés ; " Mir Saxen sein helle ». Dans nos temps de libre-pensée, cela est évidemment à considérer comme un progrès et je n'hésiterais pas à proclamer ces hommes avancés les champions de la culture moderne, si je ne me rappelais pas l'insuffisance de leurs draps et de leurs chemises et l'absence des mouchoirs. Attendons donc pour en reparler qu'ils aient appris à se moucher.

1) Je donne cette statistique telle que je la trouve dans le Reichsarbeitsblatt. Je suppose qu'il faut la comprendre ainsi : dans 28 ménages, il y avait des ouvrages de sciences naturelles ; en considérant les auteurs on a constaté qu'il n'y en avait que 13 différent les uns des autres et que par conséquent plusieurs ménages avaient les mêmes livres.

PAUL-ALBERT HELMER.


TREGASTEL-PLOUMANACH

Croquis de vacances. — Echo de la mer.

Le bon La Fontaine, qui, devant un beau spectacle de la nature, en présence d'une fourmi à son travail, à la vue de Jeannot Lapin qui faisait sa cour à l'aurore, de dame Belette au corps long et fluet, ou encore à la lecture d'une belle oeuvre littéraire, avait des enthousiasmes d'enfant — d'un enfant de génie — fut un jour tellement transporté de joie et de bonheur après avoir « découvert » Habacuc, qu'en sortant de l'église il demandait à tout venant : « Avez-vous lu Habacuc? Quel homme! Quel écrivain!».

De retour de Bretagne, et l'âme encore pénétrée des profondes impressions que la terre d'Arvor dépose en ceux qui la savent comprendre, je vous demanderais : « Avez-vous vu Trégastel-Ploumanach ? Quel coin de terre merveilleux ! ». J'en dirais volontiers avec le poète latin :

Ille terrarum mihi praeter omnes angulus ridetl).

L'art s'exerce — sans toutefois toujours réussir — à enrichir de frissons et de tons nouveaux la gamme subtile de nos sensations. Là où l'artiste échoue si souvent, la nature réussit du premier coup, surtout la nature primitive, j'allais dire sauvage, que l'homme n'a pas encore enlaidie par le bruit de ses locomotives et la fumée de ses usines. Je connais peu de pays aussi aptes à faire frissonner nos fibres les plus intimes, que la Bretagne avec sa race vigoureuse, ses landes parfumées, ses

i) Dieser Erdwinkel heimelt vor allen andern mich an.


688 TRÉGASTEL-PLOUMANACH

douces légendes naïves et le dur granit de ses côtes, où, à chaque tournant, vous entendez grincer les roues du sombreChariot des Morts, folâtrer les lavandières, hurler les Korigans,. avec accompagnement du cri mélancolique de la mouette, de la plainte du courlis, du tonnerre des vagues qui se brisent sur le rocher :

« statio gratissima mergis.

Et c'est oeuvre délicieuse, jouissance exquise, de marcher ainsi, au hasard des routes, au hasard des gîtes, à travers la nature, comme évadés de la vie civilisée, puis soudain, à une inflexion de la côte, de se trouver devant un amoncellement extraordinaire, fantastique, de rochers et de pierres, rochers couverts de goémons, pierres éparpillées dans une lande où les ajoncs leur font un tapis d'or.

C'est Trégastel.

Ce n'est pas tout à fait au bout du monde, puisque nous sommes dans les Côtes du Nord, et non pas dans le Finistère, mais peu s'en faut. Le train de Paris-Brest, nous transporte, en des wagons bien primitifs, jusqu'à Plouaret, où un autre train nous charge dans des wagons plus primitifs encore pour nous débarquer à Lannion et nous confier aux voitures bretonnes que les petits chevaux nerveux du pays — en Alsacece. serait d'affreuses rosses ! — enlevant avec une ardeur endiablée. Après une course effrénée à travers les landes, entre des talus bordés d'ajoncs blonds et de genêts d'or, l'on arrive sur une hauteur, où le spectacle devient merveilleux. La vue s'étend sur une mer immense, dont les flots viennent se briser, avec un bruit terrible, pareil à des décharges réitérées d'artillerie de marine, sur une armée de rochers.

Je. dis une armée. Ils sont là, au nombre de 10 à 12.000,. dolmens; menhirs, rochers, rocs, en des poses les plus curieuses, et avec les aspects les plus divers. Sous ces rochers pullule et grouille un monde aquatique des plus étranges : là, vivent, côte à côte, la svelte crevette rose, la lourde langouste, le homard plus frétillant, le crabe bancal, dont le pêcheur fait son choix. Le homard prend, par exemple, parfois sa revanche; à moins que ce ne soit la cuisinière.

Témoin le trait suivant, dont je vous garantis l'authenticité..

Un Monsieur de ma connaissance, avec qui je mangeais, à Trégastel, les crevettes de ma pêche, me donnait à savourer ses homards à l'américaine, ou nature. Un jour nous revenions


TRÉGASTEL-PLOUMANACH 689

d'une pêche particulièrement fructueuse ; il y avait, entre autres victimes, deux homards des mieux « empincés » deux frères pris dans le même casier. En rentrant, mon ami, farceur à ses heures, dit à sa cuisinière :

— Marie, voilà deux bêtes qu'il faudra me soigner, hein !

— Ah, Monsieur, dit la cuisinière, frais débarquée de l'Auvergne, au demeurant assez bon cordon bleu, ah ! Monsieur, je sais tout faire, mais pas ça !

— Oh! rien de plus simple. Il suffit de les jeter dans l'eau bouillante et de les y laisser cuire. Seulement, ajouta-t-il, avec son air de pince sans rire, seulement, prends garde, s'ils rougissent, ce sera signe que tu n'as pas été sage au pays !

— Une heure après, à table, au milieu des plus joyeux devis, nous voyons arriver les homards... noirs comme le plus foncé des Africains.

Silence d'abord ! Etonnement général ! Cris d'effroi ensuite, nos beaux homards, noirs! perdus! calcinés!

— Eh ! bien Marie! ! Elle s'expliqua.

La mâtine, voyant les homards rougir dans l'eau bouillante, les avait, avant de les servir, et pour n'être pas accusée d'avoir fait les cent un coups avec les « fouchtra » du pays,... cirés. Et alors j'ai béni la Providence d'avoir donné à ces crustacés une si dure carapace, qui a empêché le cirage de pénétrer jusqu'à la chair tendre, substantielle, savoureuse, avec un goût de revenez-y très prononcé. C'est que, vraiment, c'est un régal, qu'un homard flanqué de crevettes roses, qui se présente comme un cardinal en compagnie de ses enfants dé choeur. Du reste, n'est-ce pas Jules Janin, qui, en une méprise plaisante, a appelé le homard, le cardinal de la mer ! Le pauvre Parisien qui, en fait d'eau, connaissait le ruisseau de la rue du Bac, et un peu la Seine, se figurait que le homard était rouge de son... vivant. En cela, il ressemblait un peu — par la naïveté — à un Champenois, vous savez un de ces Champenois dont César disait : " Quatre-vingt dix-neuf moutons et un Champenois font cent bêtes 1) qui, m'entendant parler de la beauté

') Cela prouve en faveur de leur intelligence . . . ? Parfaitement. César avait taxé les moutons des Rémois. Mais pour payer l'impôt, il fallait avoir un troupeau d'au moins cent bêtes. Or, César, s'apercevant que les malins. propriétaires ne déclaraient que 99 bêtes, ordonna de compter le berger.

Revue, Septembre 1906. 44


690 TRÉGASTEL PLOUMANACH

des crevettes de Trégastel, me traita de Gascon, et déclara que de telles crevettes n'existaient que dans mon imagination, et qu'il n'y croirait qu'avec pièce à conviction sous les yeux. Il comptait que, pour prouver mon assertion, je lui enverrais un kilo de ces crevettes splendides. Or la première pêche des vacances fut particulièrement brillante par la quantité et la qualité.

Je choisis les plus belles, j'en fis mon petit déjeûner, et adressais à mon Champenois,... les tètes, avec ce mot : « Par la taille de celle partie, jugez de la masse du tout ! ». Eu cette occurrence le Champenois était vraiment... un mouton! bê... bê... bê... mon bon !

Les rochers, sous lesquels crabes, crevettes, homards, etc. ont élu domicile, ont les formes les plus diverses, et ont donné maille à partir aux savants, qui dissertent encore sur leur origine.

De la pointe de Perros Guirec à l'entrée de la baie de l'île Grande, les collines du Lannionais forment un hémicycle, arène gigantesque, où s'entassent, amas étranges, des milliers et des milliers de pierres énormes, dont quelques-unes mesurent 20 m. de long sur 10 d'épaisseur, tantôt isolées, tantôt par groupes de 20, 50, 100, dont chacune a sa forme particulière : tête d'oiseau de proie, requin, baleine, éléphant, tortue, champignon, roi couronné, tête de bélier, caïman, bague, anneau, etc., et tout cela travaillé, non pas par les hommes, mais par la nature. La science prétend qu'autrefois la mer couvrait cet •espace et baignait le pied des collines de Lannion à 15 kilomètres en arrière de son lit actuel. Puis au moment où le détroit du Pas-de-Calais s'ouvrit, l'eau se retira et laissa ces rochers et ces pierres à découvert. Les parties les plus friables, les moins cuites, ont été désagrégées par les flots, les autres ont résisté. De là cette diversité.

Soit.

Voulez-vous mon avis. Eh bien au temps des géants, ceux de Grande Bretagne guerroyaient contre ceux de l'Armorique, et dans leurs frondes gigantesques se lançaient ces gigantesques cailloux. Quant aux pierres en forme de bagues, d'anneaux, de têtes d'aigles et autres aspects, c'étaient tout simplement des ornements pour les doigts, et des breloques que les élégants et les muscadins de l'époque portaient à leur chaînes de montre!

Et pourquoi pas? Le vrai peut quelque n'être pas vraisem-


TRÉGASTEL PLOUMANACH 691

blable. Une légende de plus ou de moins, n'est pas une affaire capitale. Oh ! ces légendes naïves de la Gallia christiana, elles ont un parfum tout spécial en Bretagne! Mon grand plaisir est d'entendre le petit pâtre qui garde ses maigres petites vaches bretonnes dans des chemins creux surplombés par des haies, •où les ronces, les clématites, les ajoncs, les genêts, les houx font un fourré impénétrable, me raconter ces récits naïts, gracieux, en un langage où le français est coupé de breton, et qui forme un tout savoureux, d'un pittoresque spécial, dont les phrases, dans leurs primitives et ravissantes figures de style, ont des sourires charmants.

(A suivre). J. PH. RIEHL.


LA

VALLÉE DE SAINT-AMARIN

BRÈVES NOTES HISTORIQUES

(SUITE 1)

Saint-Amarin

IV

La paroisse. (Suite de la deuxième phase de son histoire).

Le curé Bruat eut pour successeur, en 1738, Armand Meuret et, en 1746, Octavien Meuret, de Thann l'un et l'autre. Ce dernier ne resta pas moins de 44 ans.

Pendant ce temps, on démolit, en 1745, l'ancienne collégiale,, qui, d'ailleurs, tombait en ruines, et aussi, croit-on, celle de saint Martin 2). Leurs restes servirent à élever, du moins en partie, l'église paroissiale actuelle. Mais, en 1756, celle-ci n'avait pas encore de choeur ni de tour. En décembre, les seigneurs de Murbach et les bourgeois de la ville tombent d'accord, que l'abbaye bâtirait le choeur, la sacristie et la tour, à condition que les bourgeois contribueraient de leur part, pour une somme de 5000 livres, et amèneraient sur place les matériaux de la construction.

1) Voir Revue catholique : juin 1905, p. 428; mars-avril 1906, p. 163 j. mai 1906, p. 351; juin 1906, p. 425; juillet 1906, p. 529; août, 1906,. p. 600.

2) De l'avis de M. Scholy, les deux églises étaient, au contraire, encore à cette époque, en bon état de conservation.


LA VALLÉE DE SAINT-AMARIN 693

De son côté, le Seigneur Armand de Rohan légua par testament 12.000 livres, et le prince Léger de Rathsamhausen fit faire, à ses frais, en 1762, les autels, la croix, les chandeliers, les tableaux du choeur et de la nef, la chaire et les bancs 1)

La nouvelle église fut livrée au culte en 1758; elle fut solennellement consacrée, le 25 avril 1780, par Sigismond de Roggenbach, prince-évêque de Bâle 2).

Quant à l'église de saint Martin, située hors de la ville, elle ne servait plus, depuis près d'un siècle, qu'aux enterrements, et, à certains jours de fête. Elle disparut totalement pendant la Révolution.

L'année où celle-ci éclata, le curé Muret comptait 44 ans de ministère. On raconte qu'il eut beaucoup de difficultés avec l'abbaye de Murbach, et que ces difficultés ne contribuèrent pas peu à déterminer l'explosion révolutionnaire, qui partit de Malmerspach, et se propagea dans toute la région3).

Meuret prêta serment, et mourut, on ne sait où, en 1792. Il eut pour successeur le prêtre constitutionnel Désiré Burgunder, •de Willer, ancien curé de Guebwiller. Après lui, vint son neveu Jean-Baptiste Burgunder, ordonné par l'évêque Martin, et maintenu à son poste, lors de la réorganisation du culte. il y resta jusqu'au 1er avril 1816 4).

La paroisse de Saint-Amarin a donné à l'église les prêtres •suivants :

Dans la première moitié du XVIe siècle, J. Rudolph Haudruff, dont nous ignorons la date de naissance, mais qui est mort curé de Mertzen en 1564;

Ignace Rudler, né le 31 juillet 1730 : successivement vicaire

1) Gatrio, II. p. 631.

2) Sehiekelé, loc. cit. p. 140.

3) L'Histoire du bailliage, mentionnera les principaux événements de cette époque.

4) Voici la liste des autres cnrés de Saint-Amarin jusqu'à ce jour :

En 1816, do 1er avril au 30 septembres, Fr. X. Erhard, de Masevaux ;

En 1816, du 1er octobre au 22 juillet 1881, J. Fr. Schwîlgué, de Thann;

En 1821, du 22 juillet au 1er avril 1867, Goultz, f en 1881 ;

En 1857, du 1er avril au 1er juillet 1860, Sébastien Dirringer, de Soulzmatt :

En 1860, du 1er juillet au 9 avril 1872, Léon L. Rumpler, d'Obernai,

Eu 1872, du 9 avril an 1er avril 1892, J. Chrysostome Êauer, de Bernwiller.

Depuis le 19 avril 1892, M. Alphonse Huntziger de Westhalten, (Schickelé, dec. C. p. 140).


694 LA VALLÉE DE SAINT-AMARIN

à Koestlach, à Gueberschwir, à Murbach, recteur de Guebwiller,, curé d'Oberhergheim, chanoine de Lautenbach, curé à Buetwiller, curé à Dietwiller, enfin primissaire à Landser. Il est mort en 1818;

Pierre Nehr, qui vivait, vers 1760, à Saint-Amarin. Il assista comme témoin à la bénédiction solennelle de la chapelle saint Wendelin, à Urbès, en 1773;

Hueber Thiébaut, né en 1850, 10 août, mort vicaire à Rouffach ;

Kurtzmann Henri, né en 1848, 30 juin, franciscain en résidence à Jérusalem ;

Munsch Ernest, né en 1850, curé de Gundolsheim.

Ici aussi, nous pouvons dire en toute vérité : Que les temps sont changés ! Tandis que pendant plusieurs siècles, du VIIe au XVe, tout le bailliage dut se contenter d'une seuleparoisse, et souvent d'un seul prêtre, tandis que du XV siècleà la fin du XVIIIe, à certains intervalles du moins, il n'eut encore que quatre paroisses avec 5 ou 6 prêtres desservants, la vallée possède aujourd'hui 15 paroisses avec 15 églises.. administrées par 26 prêtres, qui entretiennent parmi nos populations avec la foi de nos ancêtres, leur fidélité et leur ferveur au service de Dieu.

V

L'hôpital

Le premier hôpital fondé à Saint-Amarin, fut l'oeuvre de l'abbé Simbert II. La construction en remonte aux premières années du gouvernement de cet abbé. D'après les notes laissées par Gerran, curé de Saint-Amarin et chanoine de Thann en 1647, cet établissement avait été élevé sous le pontificat du pape Clément III, qui régna du 19 décembre 1187 au 27 mars 1191 1).

Cette fondation avait pour but. de venir en aide aux pélerins qui se rendaient en Terre-Sainte. L'hôpital devait fournir aux passants non seulement la nourriture et le logement, mais encore des subsides en argent.

l) M. Schickelé donne comme date précise de la construction l'année 1189 („Doyenné de Masevaux, p. 131).


LA VALLÉE DE SAINT AMARIN 695

D'après les archives de Murbach, « l'église de Saint-Amarin possédait en 1216, un hôpital, dont les revenus devaient servir à soutenir les pélerins pauvres et d'autres miséreux ».

Suivant une autre note des mêmes archives, l'administrateur de cet hospice était nommé par l'abbé 1) .

En 1343, André de Murnhard, frère de l'abbé Conrad Wernher, fit construire à Sant Hemerin, un nouvel hospice, dont il confia également l'administration pleine et entière à l'abbaye de Murbach. Ce second établissement de bienfaisance devait servir aux pauvres et aux malades.

L'histoire de Murbach, en date de 1532, nous rappelle que l'abbé a le droit de nommer l'administrateur de cet hôpital.

Plus tard la même source historique nous dit que les abbés ont en effet usé de ce droit jusqu'en 1633.

En 1546, Jean Rodolphe échangea, de fait, le jardin de l'hospice contre une autre propriété.

En 1554, il en aliéna la ferme. Quelques années plus tard, il vendit à Dorothea Pfeiffer et à ses héritiers, une pièce de terre qui appartenait à l'hôpital.

Le même abbé, établit à l'hôpital, sous le nom de « Benedictusstift », fondation Saint-Benoît), une distribution régulière d'aumônes aux pauvres.

En 1610, l'abbé Jean Georges Kalkenrieth, y fonda quatre grand-messes.

Vingt-trois ans plus tard, en 1633, l'hospice fut livré aux flammes par les Suédois. Grâce à une sage précaution, les meubles et les titres avaient été transportés et mis à l'abri dans le château de Wildenslein.

Dans la chapelle de cet hospice, le curé chantait tous les samedis le « Salve Regina. Il recevait, à cette intention cinq livres tournois.

Lorsque l'établissement eut disparu, le curé voulut continuer, à la paroisse, cette antique dévotion; mais l'abbé refusa de servir désormais les honoraires, disant qu'avec la cessation de l'hôpital cessaient les obligations dont il était chargé » 2).

L'abbé ne semble pas avoir en cela parlé ni agi selon la justice. Car la ville demanda que l'abbaye voulut bien relever

1) Gatrio : „Die Abtei Murbach I " p. 253. ») Gatrio II, p. 325.


696 LA VALLÉE. DE SAINT-AMARIN

l'hôpital de ses ruines, et le curé Gerran, dont les notes, comme contemporain des faits qu'il cite, font autorité, exprime l'opinion que cette reconstruction était un devoir pour l'abbaye. Stippich, un des successeurs de Gerran, nous laisse entendre en 1674, le même avis. Il le manifeste dans ce mot à l'adresse des moines : « La fondation de Murbach, dit il, jouit des biens de l'hôpital ».

Aussi la ville insista-t-elle en intentant, de 1768 à 1776, un procès à l'abbaye, pour la contraindre à rebâtir l'établissement, au profit des pauvres et des malades.

Dans le cours du procès, l'abbaye consentit à abandonner les biens qui avaient été acquis par l'hôpital, mais refusa d'en reconstruire les bâtiments. Et le 12 septembre 1776, la commune fut, sur ce point, déboutée de ses prétentions.

Peu d'années après, la tempête révolutionnaire emporta couvent, moines et abbés 1).

1) Gatrio : II, p. 325.

(A suivre). G. SIFFERLEN-


REVUE DU MOIS

Une des fées qui assistèrent à la naissance de Guillaume II déposa, semble-t-il, sur son berceau le don de la parole. Etait-ce une fée bienfaisante? ou bien fut-elle inspirée par un lutin mali-cieux ? L'histoire sera mieux à même que nous de répondre à -cette insidieuse question, mais le fait s'est déjà produit que tel discours de l'empereur a affecté l'opinion publique d'une façon plutôt pénible en y semant une certaine inquiétude et a provoqué des contradictions assez vives, jusque dans les milieux les plus impérialistes.

Entre autres paroles ailées que contenait l'un des toasts prononcés par le souverain au cours des dernières grandes manoeuvres, deux surtout ont frappé et donné lien à des commentaires assez aigres doux, même dans la presse nationale-libérale. La première était un Quos ego très véhément à l'adresse des pessimistes, de ceux qui voient en noir la situation présente et l'avenir de l'empire : le souverain ne les veut point tolérer. On voit là combien facilement la langue est plus prompte que la pensée et combien souvent l'expression répond mal à l'idée de l'orateur. Car enfin l'empereur n'a jamais été, et n'est pas, revêtu des pouvoirs exorbitants que détenait son Statthalter en Alsace-Lorraine avant l'abolition de la dictature, et qui permettaient à celui-ci d'écraser d'un trait de plume les journaux dont l'encre était trop noire et d'expédier au-delà de la frontière les hommes politiques dont les lunettes n'étaient pas assez roses. Bon gré mal gré l'empereur sera obligé de tolérer les pessimistes.

Et d'ailleurs si nous voyons très souvent les choses en noir, ne sont ce pas précisément les représentant responsables de la politique impériales qui nous dépeignent la situation avec les couleurs les plus sombres ? C'est Bien de noir, et du noir te plus profond, que s'est servi M. le baron de Stengel pour peindre l'état de nos finances, quand il a voulu faire passer au Reichstag la réforme financière et les nouveaux impôts qu'elle comportait. C'est bien du noir que broie le ministre de la guerre, quand il s'efforce de prouver la nécessité de l'augmentation d'effectifs, de la transformation de l'armement. Ce ne sont point précisément des accès d'optimisme


698 REVUE DU MOIS

qui inspirent M. de Tirpitz quand il réclame des centaines de millions pour la flotte, et M. de Posadowsky n'était pas précisément très gai, au moment où il présenta au Reichstag le Zuchthausgesetz. Même le prince de Bulow, autrefois si souriant, a le front profondément ridé par les soucis politiques, et un rictus amer plisse le coin de ses lèvres quand il parie de ce qu'il voit à l'horizon diplomatique. Le seul ministre qui ait des allures un peu godiches, c'est M de Podbielski, mais les prix absolument intolérables auxque's la politique de cet agrarien à tous crins a fait monter l'alimentation populaire n'ont rien qui puissent faite partager aux masses l'optimisme de l'ancien actionnaire de la maison Tippelskirch et Cie ; cet optimisme est au contraire une cause de généralisation et d'enracinement du pessimisme. La cherté chronique du pain à la fin du XVIIIe siècle a donné en France le coup de grâce à l'ancien régime ; l'espèce de pacte de famine conclu par les grands éleveurs de bétail est un puissant facteur dans la multiplication des voix socialistes dans toutes nos élections.

Avons-nous des motifs pour voir autrement qu'en noir notre politique coloniale? Nous entretenons une armée de 15 000 hommes, seulement dans l'Afrique occidentale, et ces 15.000 hommes ne parviennent pas à se rendre maîtres de quelques centaines de. nègres qui semblent se multiplier par génération spontanée puisque les dépêches télégraphiques en ont déjà tué beaucoup plus qu'il n'en a jamais existé. De' ce qui se passe depuis trois ans, on peut conclure que ce jeu continuera et que les millions s'engouffreront après des millions dans ce tonneau des Danaïdes. Et puis il y a des réformes, sur le terrain de l'administration de la justice par exemple, qui s'imposent, que la conscience populaire, irritée justement par une casnistique surannée et par la lenteur de procédures chicaneuses et coûteuses, réclame depuis longtemps et à grands cris. Ces réformes sont à l'ordre du jour depuis si longtemps et étudiées avec tant de lenteur qu'on se demande si les promesses du gouvernement de les réaliser sont sincères ou si on les retarde uniquement pour trouver l'occasion de se les faire payer par quelque concession budgétaire ou par le sacrifice de quelque liberté.,

L'empereur a encore un moins de chance avec une seconde proposition que contenait son discours : l'appel à toute, les confessions pour la lutte contre l'incrédulité et les. doctrines sociales subversives. Chose étrange, quoique facile à prévoir, ce sont précisément ses coreligionnaires qui ont répondu à cet appel le refus le plus formel. En dehors des cercles tout à fait orthodoxes qui restreignent de plus en plus, on a accueilli la proposition impériale avec une fin de non-recevoir très catégorique et très justifiée au point de vue théorique. Un correspondant de la Strassburger Post a fait ressortir avec beaucoup de raison que n'ayant aucune règle ■ de foi pour définir ce qu'il faut croire le protestantisme ne se trouvait pas en mesure pour déterminer les frontières où commence l'incrédulité. L'empereur n'a trouvé d'écho que dans la presse catholique, d'autant plus facilement que ses paroles correspondaient à la résolution du Congrès catholique d'Essen de promouvoir


REVUE DU MOIS 699

l'union de toutes les confessions qui professent la foi en Dieu et dans le Christ pour combattre l'irréligion et la révolution. Or la Ligue évangélique ne veut rien avoir de cette union. „Dans sa "dix-neuvième assemblée, elle la rejette comme désastreuse pour "la patrie et l'église protestante; elle regarde au contraire comme "un devoir de mettre en garde tous les patriotes et tous les croyants "évangéliques contre une pareille invitation. Tout en reconnaissant "la loyauté avec laque le beaucoup de catholiques pensent devoir "nous tendre la main, la Ligue ne voit dans la propos tion du "Congrès catholique qu'une tactique adroite pour procurer les inté"rêts électoraux du Centre et obtenir une liberté de l'Eglise catho"lique qui est, incompatible avec la souveraineté de l'Etat et avec "la pais confessionnelle... Pas d'alliance avec le Centre.. . car l'Eglise romaine n'est un boulevard ni contre la révolution ni. "contre le socialisme"... Aussi l' Assemblée provinciale b doise de la Ligue a t e le applaudi vigoureusement la couférenc e de M. le Pasteur Schilli g sur les devoirs civiques des protestants qui a conclu qu'à la question, comment un électeur évangélique doit voter, on ne peut donner qu'une réponse : Voter en toute circonstance contre le candidat du Centre parce que tous les autres partis représentent le principe de la liberté de conscience. Pour dire qu'auprès de tes coreligionnaires l'appel à l'union a eu du. succès, on peut dire que ce succès a été complètement négatif.

Guillaume II trouvera par contre une approbation unanime pour le blâme qu'il a exprimé contre le manque de tact et l'indiscrétion de ceux qui viennent de publier les Mémoires du Prince de Hohenlohe, l'ancien Statthalter d'Alsace-Lorraine et chancelier de l'empire. On ne dispose pas ainsi des conversations et de la correspondance d'un homme privé, à plus foi te raison de celles d'un souverain., Cette publication est d'ailleurs aussi prématurée que celles des Mémoires de Bismark. Autrefois les hommes d'état qui écrivaient leurs Mémoires fixaient pour leur publication un terme assez. éloigné pour que la plupart des acteurs de la scène dont ils avaient été témoins ou comparses fussent disparus ; ils voulaient bien aider la postérité à découvrir tt à comprendre la trame des événements, mais ils prenaient leurs précautions pour' que leurs héritiers Le vinssent pas raviver des passions éteintes, et surtout auraient eu honte de s'exposer au soupçon d'avoir voulu battre monnaie avec une spéculation de librairie du plus mauvais aloi. En dehors de cela, ce scandale nous laisse, nous autres Alsaciens, parfaitement indifférents. Peu nous importe qu'on nous montre en robe de chambre ou en caleçons le grand homme dont chaque année au 1" avril nos chauvins vont faire l'apothéose au sommet du Ballon d'Alsace : il s'est montré si brutal à notre égard pour que nous n'apprenons rien de nouveau, quand nous lisons ses procédés cyclopéens vis-à-vis de son auguste maître.

Une question bien plus grave est celle de Brunswick où la mort du prince-régent a remis sur le tapis la question du droit de succession du duc de Cumberland, droit que théoriquement personnene nie mais dont le bénéficiaire est en fait privé parce qu'il ne


700 REVUE DU MOIS

veut pas renoncer formellement et explicitement à ses droits sur la couronne de Hanovre. La Strassburger Post, qui cependant n'est pas suspecte de sympathies guelfes trouve trop dure cette condition et croit qu'on pourrait se contenter de la renonciation implicite contenue dans la déclaration du duc qu'il reconnaît la constitution de l'empire. La vieille reine de Hanovre vit encore, et «c'est exiger de son fils une démarche qui serait généralement réprouvée que de lui demander de légitimer lui même la dépossession de sa mère. Il parait qu'on ne veut même pas se contenter de l'abdication du duc. C'est un jeu bien dangereux que joue là le Conseil fédéral, car la couronne des souverains qui y ont leurs représentants repose en core sur l'admission par le peuple du droit divin dans le sens le plus étroit du mot. Or vis à-vis du duc de Oumberland on nie ce droit divin et on y substitue la théorie de la souveraineté du peuple Quand sous la pression de la Prusse le duc de Cumberland aura été déclaré déchu, le futur duc de Brunswick ne pourra plus mettre en tète de ses actes l'ancienne formule : Nous... par la grâce de Dieu, etc., il sera obligé d'y accoler l'appendice plébiscitaire napoléonien :... par la grâce de Dieu et la volonté nationale... L'adage Voluntas régis suprema lex disparaît de nouveau pour le salus populi suprema lex. Nous ne sommes pas de ceux qui admettons le droit divin étroit tel que l'enseignent les légistes de l'absolutisme, ni l'impossibilité des droits d'une dynastie, mais nous souscrivons volontiers à l'opinion de la Strassburger Post que pour la sécurité de l'empire la reconnaissance implicite des faits accomplis par la guerre de 1866 devrait largement suffire.

L'on avait à un certain moment quelques raisons de ne pas voir très en rose les relations de l'Autriche et de l'Italie Les menées des irrédentistes dans le Trentin et le pays de Trieste avaient provoqué des représailles assez rudes de la part de la population et même de la part de quelques fonctionnaires autrichiens; le ministre de la guerre de Vienne renforçait même les garnisons de la frontière sud-est avec des troupes devenues disponibles sur la frontière russe depuis que la Russie a cessé d'être dangereuse. Ces petits incidents grossis par la presse des deux pays indiquaient que la Triple Alliance montrait là une fissure qui à la longue se serait transformée en crevasse. A Berlin on a tout intérêt à ce que cette rupture ne se produise pas, et c'est sans doute de là qu'est partie l'initiative d'un replâtrage : replâtrage est bien le mot, car les irrédentistes ne cesseront jamais de lasser la patience autrichienne, et les intérêts des deux puissances alliées sont trop contraires sur les côtes de l'Adriatique et dans la presqu'île des Balkans pour que la paix soit durable et qu'il n'éclate pas tôt ou tard un conflit sérieux.

A force de regarder trop fixement le noir l'oeil finit, disent les savants, par voir rouge, et cela nous rappelle que le socialisme allemand vient de tenir ses grandes assises à Mannheim. On ne peut pas dire que les procédés des compagnons les uns envers les autres aient été plus parlementaires que dans les congrès précé-


REVUE DU MOIS 701

dents : à entendre les épithètes qu'ils se lancent réciproquement on se dirait en présence d'une collection d'échappés du bagne beaucoup plus que des chefs présomptifs de l'Etat de l'Avenir où règnera l'idéal de la civilisation. Mais si l'on n'y observe très peu les règles de la courtoisie, l'on y pratique admirablement l'art de déguiser sa pensée, et de soutenir des opinions contraires à celles proclamées jadis, tout en prétendant qu'on n'a jamais changé d'avis. Nul n'ignore que Bebel préconisait naguères la grève générale comme moyen de pression politique sur le gouvernement et que les syndicats sont complétement opposés à cette tactique. Les syndicalistes ne regardent leur organisation que comme un moyen d'obtenir une amélioration de la situation économique de la classe ouvrière; la grève ne doit être déclarée que dans ce but. De là une scission entre les chefs des syndicats et les notabilités de la fraction parlementaire ; elle était devenue très prononcée depuis deux ans et pour ne pas amener une rupture complète et définitive Bebel a dû battre en retraite et il l'a fait avec la phraséologie tortueuse d'un sophiste également prêt à y amalgamer le pour et le contre, afin de se créer selon l'occurrence deux portes de sortie. Mais là où l'unanimité a été sincère et complète, c'est dans l'approbation des terroristes russes. Les coups de revolvers, les incendies, les bombes, les pendaisons, tout est glorifié en bloc par les socialistes. On comprend à la rigueur qu'on traite en belligérants des émeutiers se battant contre les troupes régulières, mais qu'on fasse l'apologie de l'assassinat individuel ou de la bombe qui très souvent n'atteint pas ceux à qui elle était destinée et ne tue que des innocents, c'est une infamie que l'on ne saurait trop stigmatiser comme l'on ne saurait blâmer trop hautement les procédés du gouvernement russe, qui flotte comme un navire désemparé sur cette mer de boue et de sang. Et dire que les socialistes allemands sont des modèles d'ordre et de chauvinisme en comparaison des compagnons français qui répudient toujours de plus en plus ouvertement l'idée de patrie et continuent avec plus de rage que jamais leur campagne contre l'armée. En l'hostilité du socialisme allemand contre le militarisme il ne s'ensuit pas du tout qu'il soit indifférent à l'idée nationale, et si la conception de Bebel de modeler l'armée allemande sur le modèle suisse peut-être très défectueuse au point de vue technique, elle ne prouve pas que le socialiste allemand ne • tient pas de toutes ses fibres à sa nationalité et qu'il ne se battrait pas bravement aux frontières si elles étaient menacées.

Il n'en est pas de même du socialiste français qui menace le pays non seulement de la grève militaire en cas de mobilisation, mais d'une grève industrielle si bien compliquée de vol et d'assassinats que les troupes fidèles seraient plus occupées à défendre le foyer contre les pillards que les frontières contre l'envahisseur.

Ce n'est du reste pas pour eux que le gouvernement prépare ses sévérités, c'est contre ceux qui ne veulent pas jouir des prétendus privilèges que contiendrait la loi de séparation. La chose n'ira pas toute seule, et l'on pourrait parier cent contre un que les ministres, malgré leur bonne volonté de sévir, ne savent pas;


702 REVUE DU MOIS

encore ce qu'ils feront au délai fatal. La demi douzaine d'associations cultuelles qui se sont formées n'ont rien qui Ils s réjouissent, et risquent fort de devenir la pelure d'orange sur laquelle ils glisseront. Elles ne contentent ni les catholiques ni quelques coryphées du parti radical : des deux côtés on met M. Briand en demeure d'introduire le recours au Conseil d'Etat contre la dévolution des biens de la fabrique à des associations qui manifestement ne sont pas constituées d'après les règles générales d'organisation du culte

qu'elles prétendent représenter. On lui rappelle que ce recours eu annulation de l'acte d'attribution pour excès de pouvoir ou violation

de la loi peut-être formé par le ministre des cultes : les catholiques et quelques radicaux exigent qu'il le fasse, les premiers, peur que

les fabriques ne perdent pas l'espoir de rentrer un jour dans la jouissance de leurs biens, et les radicaux, parce qu'ils ne veulent pas que la commune laïque soit frustrée de biens qui lui seront dévolus s'il ne se forme pas d'association cultuelle. M. Briand est donc pris entre deux feux, et il sera bien adroit s'il s'en tire. Les beaux discours, violents ou patelins, des ministres en tournée de vacances n'y font rien, à la date du 9 décembre, il faudra non plus parler, mais agir, et se décider soit à laisser aux catholiques la jouissance de leurs églises et de leurs séminaires, soit à les en chasser. Le moyen terme de reculer l'échéance n'est pas une solution, car dans un an les catholiques comme leurs adversaires ne seront pas plus avancés, à moins que le gouvernement ne donne des gages suffisants pour une interprétation authentique et loyale des articles 4.et 8 qui sont le pivot de l'opposition du Souverain Pontife.

On voit d'ailleurs en Espagne combien opportune aurait été cette résistance du S. Père, lors même qu'à côté de la question d'opportunité, il n'y aurait pas eu la question même de principe. Profitant de la lune de miel et de l'inexpérience d'Alphonse XllI, ses ministres mettent en scène une petite comédie anticléricale qui aboutirait à une tragédie, si, par impossible, le S. Père avait faibli vis-à-vis des tentatives de la Franc Maçonnerie française. En Allemagne aussi Bismarck en allant à Canossa n'a fait que déposer sur l'arène une partie des armes qu'il avait fourbies pour son Kulturkampf : elles y sont encore, et le gouvernement actuel ne manifeste aucunement l'intention de les ramasser. Mais la tentation pourrait en venir à un chancelier de l'avenir et le spectacle de ce que le pape a fait pour la France le fera réfléchir : l'Eglise aime la paix, mais elle ne craint pas la guerre. Personne plus qu'elle ne déplore les ruines qu'amasse la persécution, mais elle a les personnes, les espions certains de l'avenir, et par-delà les sombres horizons du présent, elle voit déjà les aurores brillantes des triomphes futurs.

N. DELSOR.

N. DELSOR,

Rédacteur responsable.


BIBLIOGRAPHIE

Librairie AUBANEL Frères, Avignon

PAILLETTES D'OR (13e série). Recueil des années 1904-19051906. Publication honorée d'un Bref de Sa Sainteté Pie X. — Un joli volume in-18 de 156 pp.; broché : 0 fr. 60; couverture illustrée, papier fort, broché : 0 fr. 70.

Dans cette nouvelle série des „Paillettes d'Or", (années 19041905-1906), l'auteur se surpasse lui-même.

Jamais il n'avait mis au service des conseils que lui inspire sa longue expérience de la vie, un style aussi charmeur, des accents aussi convaincants.

Ces pages sont vibrantes d'affection et de piété ! Elles semblent garder l'écho de la douce parole d'un père donnant ses derniers conseils à des enfants aimés.

Il s'en dégage une certaine mélancolie sereine, parce que l'auteur insiste, à plusieurs reprises, sur le nombre d'années qui se sont écoulées, — quarante ans — depuis qu'il inscrivit, pour la première fois, le nom de " Marie" sur les „ Paillettes d'Or".

Ce qu'il ne dit pas, dans sa modestie, c'est le bien qu'elles ont fait, ces gracieuses „ Paillettes", partout où elles vont apporter le souffle ardent de foi et de charité qui les inspirait.

La lecture de cette 13e série laisse une impression ineffaçable !

QUINZAINE. 1er septembre. — Patriotisme et Pacifisme. — La nouvelle maison V. — Histoire religieuse d'une paroisse du Berry, 1789 1892. — Ed. Thrinj et l'école d'Uppingham. — Les Bourbons en 1844. — Déclaration-programme de M. Henri Lorin.

16 sept. — Le futur conflit anglo russe en Asie Centrale. — La nouvelle maison (fin). — Autorité et liberté en matière religieuse. — La légende dorée des Gaules : S. Crépin et S. Crépinien. — Les Bourbons en 1814, VI. — L'inconnu, la Souffrance. — Poésies. La mue. — Prière d'un enfant de choeur mourant. — A une lycéenne. — Poitrinaires. — Les oeuvres de mutualités protectrices de l'enfance du premier âge.


704 BIBLIOGRAPHIE

ETUDES. 5 sept. — Encyclique Gravissimo (texte latin). — L'Acte pontifical. — La Ste Vierge et les apocryphes. — Souvenirs d'un voyage en Egypte. — L'âme d'un Russe.

20 sept. — Pie X et l'Eglise de France. — Le Kulturkampf et le Chancelier de fer. — Les arbres de la liberté. — Le décret du 15 nov. 1811 dans les Landes. — La science de l'ascétisme.

REVUE D'EUROPE ET DES COLONIES. Septembre. — Trois questions d'Orient : I La Crète. — Les nouvelles balles allemandes et françaises. — Le féminisme suédois (suite).

REVUE D'ALSACE. Sept.-Oct. — G. Spetz : La Dame blanche du Pflixbourg. — A. Laugel. Du rôle social de l'art en Alsace. — Correspondance de Malouet. — Marc-Ant. Lavie, député de Belfort. — Huningue aux Etats-Gén. — Dom de Dartein : L'Evangéliaire d'Erkanbold.

Rixheim. — Typ. F. SUTTER &> Cie.



Imprimerie-Librairie F. SUTTER & Cie. à Rixheim.

MISSALE ROMANUM

La nécessité d'une nouvelle édition du « Missale Romanum » de format moyen, mais à très grands caractères s'était depuis longtemps fait sentir, cette édition qui vient d'être publiée remplit cette lacune, le caractère est plus grand et plus clair que celui de toutes les éditions de même format. C'est donc en effet le Missel in-quarto le plus pratique. Reliures et prix (avec six gravures)

Velours de soie rouge ou de couleur premier choix, croix, deux fermoirs et huit coins en bronze doré appliqués, tranches rouges sous or, 168 M. ; maroquin du levant, poli rouge ou de couleur, incrustation mosaïque, dorure très riche sur plats, couture double, tranches rouges sous or, gardes et signets fixes, soie, 150 M, ; maroquin rouge premier choix, plats, dorure riche tranches dorées, 60 M.; maroquin rouge n° 2, plats dorés, tranches dorées, 44 M. ; maroquin noir ou mouton rouge chagriné, plats dorés, tranches dorées, 40 M.

(Avec une gravure Christ au Canon)

Maroquin noir ou mouton rouge chagriné, plats dorés, tranches dorées, 40 M. ; maroquin noir gaufré, tranches dorées, 33 M. ; basane noire gaufrée, tranches dorées, 30 M.

Klange ans dem Sundgau.

Gedichte von Karl Zumstein. — Neue Wanderlieder von E. Woerth. Preis : 1 Mark.

Missae defanctorum.

Imprimé en rouge et noir. Relié dos en chagrin, couverture en percaline noire, M. 4,50.

Der kleine Vespersänger

Gesangbüchlein

zum Gebrauch beim nachmittäglichen Gottesdienst nebst einem Anhang enthaltend das Totenamt (Requiem)

(Mit bischöflicher Genehmigung).

Preis : 1 Ex. 30 Pf., per Post 35 Pf., das DutzendS.20 M.

Zu haben im Pfarrhause Maria-Hilf zu Mülhausen, sowie bei F. Sutter u. Comp. :

GIUSEPPINA FARO

Dienerin Gottes

gestorben den 24. Mai 1871 in Pedara-Sizilien 50 Pfg., per Post einzeln 60 Pfg.