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Titre : Revue d'histoire rédigée à l'État-major de l'armée (Section historique)

Auteur : France. Etat-major des armées. Service historique. Auteur du texte

Éditeur : R. Chapelot & Cie (Paris)

Éditeur : Librairie militaire ChapelotLibrairie militaire Chapelot (Paris)

Date d'édition : 1906-04-01

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32856856b

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb32856856b/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

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Description : 01 avril 1906

Description : 1906/04/01 (A8,VOL22,N64)-1906/04/30.

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k5529697x

Source : Bibliothèque nationale de France, département Sciences et techniques, 8-V-6120 (BIS)

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 17/01/2011

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REVUE D'HISTOIRE

RÉDIGÉE

^'rjÉtaJjPllIajor de l'Armée

.feJjKrrioN HISTORIQUE)


PARIS. IlIPlilMeniE «. CHAPEI.OT ET C°, 2, RUE (JHHISÏI.VE


REVUE D'HISTOIRE

RÉDIGKK

à/i>Etat-M^ajor de l'Armée

'(SECTION HISTORIQUE)

VIIIe ANNEE

VINGT-DEUXIÈME VOLUME

Avril-Juin 1906

PARIS

R. CHAPBLOT <k C1", IMPWMBURS-ÉDITBURS " "' SCCCESSROM DE L. BAUDOIN

80, Rue et Passage Dauphine, 80

1906



REVUE D'HISTOIRE

RÉDIQ^^l (à. |IKÉTAT-MAJOR DE L'ARMÉE A? (SEf^ON HISTORIQUE.)

rï°\e'4 7 Avril 1906

SOMMAIRE

La campagne de 1794 à l'armée du Nord (fin).

La campagne de 1797 sur le Rhin (à suivre).

La guerre de 1870-1871. — Varmée de Châlons (à

suivre). Bulletin bibliographique.

LA

CAMPAGNE DE 1794

, A

L'ARMÉE DU NORD

(17 Pluviôse-8 Messidor — An II)

IIe PARTIE. — OPÉRATIONS.

VI. - LA CAPITULATION DE LANDRECIES.

Nouveau projet d'offensive de Ferrand — Démonstration aux environs de Maubeuge. — Démonstration du côté de Cambrai.

— Préparatifs pour l'attaque sur l'Helpe et au Nord de Guise.

— Attaqne des brigades Duvignot, Duhesme, Soland et MonS«T.

MonS«T. 1

I


2 LA CAMPAGNE DE 1794 A I/AKMÉE DU NORD. N» 64.

taigu. — Les derniers jours de la défense de Landrecies; la capitulation. — Mesures prises par les deux adversaires après la capitulation de Landrecies : a) Mesures prises par les Alliés ; b) Mesures prises par Ferrand et Picbegru.

Nouveau projet d'o/fensive de Ferrand. — Dans la matinée du 27 avril, les Alliés célébrèrent les succès qu'ils avaient obtenus la veille par une triple salve d'artillerie. Au bruit de cette réjouissance, suivant de près l'interruption du bombardement (qui avait été arrêté vers 9 heures du matin), le général Montaigu crut que Landrecies venait de se rendre ; il en fit part à Soland et à Fromentin, dont cette nouvelle éveilla la vive inquiétude.

Nous voilà maintenant dans la position la plus cruelle, écrivit Fromentin à Ferrand. L'ennemi va se porter sur

Avesnes et Maubeuge Indiquez-moi au plus vite ce que

je dois faire et sur quel endroit je dois faire ma retraite (1).

En réalité, les Alliés avaient simplement interrompu le feu pendant trois heures pour adresser à Roulland une sommation, qui fut énergiquement repoussée (2). A midi le bombardement reprit avec une nouvelle violence ; l'artillerie de la place y riposta vigoureusement.

De leur côté, les Français n'avaient point, malgré leurs échecs, abandonné la pensée d'offensive qui avait dirigé leurs attaques de la veille. Ils songeaient à tenter de nouveaux efforts. Dès le 27 au matin, Favereau se

(1) Lettre de Fromentin à Ferrand (d'Avesnes, 8 iloréal-27 avril). Il écrivit en termes presque identiques à P'avereau; mais ii dut différer l'envoi de cette seconde lettre, car on y lit eu post-scriptum que la nouvelle de la capitulation était fausse et que la ville vient de répondre à la sommation en redoublant la vivacité de son feu.

(2) On reviendra plus loin sur cet épisode du siège.


N° 64. LA CAMPAGNE! DE 1794 A L'ARMÉE DU NORD. 3

rendit à Beaumont avec le représentant Laurent pour conférer avec Desjardin et Charbonnié ; les uns et les autres sentirent la nécessité de voler au secours de Landrecies, tout en se maintenant solidement à Beaumont. Jugeant que la jonction opérée sur ce point mettait Maubeuge à l'abri d'un coup de main analogue à celui»; que Kaunitz avait tenté le 23 avril; « connaissant », d'autre part, « l'importance de la position de Maroilles », Favereau ordonna aux troupes qui occupaient Solre-leChàteau (un bataillon du 68e, 6e de l'Oise, 2e de la Nièvre, détachements des 6e et 22e de cavalerie) de se rendre à Avesnes, pour être à la disposition du général Fromentin et être dirigés par lui « sur la partie qui en aura le plus besoin (1) ».

Ces renforts, qui comptaient environ 2,700 hommes d'infanterie et 300 de cavalerie (2), n'arrivèrent que le 28 avril à Avesnes, où Fromentin les attendait avec impatience. Il les répartit aussitôt de la façon suivante : le bataillon du 68e et le 6e de l'Oise à Maroilles, sous les ordres de Montaigu ; le 2e de la Nièvre et les deux détachements de cavalerie à Grand et Petit-Fayt sous les ordres de Soland (3).

(1) Lettre de Favereau à Ferrand (de Maubeuge, 8 floréal-27 avril). Dans cette lettre, Favereau ne parle pas des détachements de cavalerie. L'ordre de mise en marche fut adressé, un peu plus tard, de Beaumont au commandant des troupes cantonnées à Solrc-Libre; il fait mention de la cavalerie. Voir aussi deux lettres de Favereau à Fromentin, l'une de Maubeuge, l'autre de Beaumont (même date).

(2) D'après le Journal de Favereau, le bataillon du 68e avait un effectif (y compris les officiers et la compagnie de canonnière) de 863 hommes; celui de l'Oise, 1017; celui de la Nièvre, 916. D'après la situation générale de l'armée du Nord au 5 floréal (24 avril), l'escadron du 6e de cavalerie comptait 9 officiers et 152 hommes présents. Quant au détachement du 22e, c'était l'escadron que Fromentin avait envoyé à Solre-le-Château après que Kaunitz l'eut évacué; d'après l'effectif total du corps, on peut en évaluer l'effectif à 150 hommes environ.

(3) Lettre de Fromentin à Favereau (Avesnes, 9 floréal-28 avril).


4 LA CAMPAGNE DE 1794 A L'ARMÉE DU NORD. N» 64.

En présence des succès obtenus par Charbonnié et Desjardin sur la droite et devant la continuation de la résistance de Landrecies, objectif de ses efforts, le général Ferrand n'hésita pas à faire une nouvelle tentative contre l'armée d'observation (1). Il annonça, le 28 avril, sa résolution au Comité de Salut public : « Je fais attaquer demain depuis Cambrai jusqu'à Maubeuge; la jonction de l'armée des Ardennes à celle du Nord me promet une diversion de ce côté. Le zèle de mes frères d'armes me secondant, nous ferons nos efforts pour bien mériter de la patrie (2). »

Cette attaque devait se faire, en principe, sur les mêmes points que celle du 26. Toutefois, avant de connaître le désastre de Troisvilles, Ferrand avait songé à prélever 10,000 hommes sur la division de Cambrai au profit des troupes débouchant de Guise, dont il avait eu la déroute sous les yeux, et qu'il jugeait « très faibles et surtout découragées (3) ». On doit remarquer que cette répartition nouvelle des forces n'avait point pour objet de chercher la décision sur un point plutôt que sur un autre, au Nord de la forêt du Nouvion plutôt qu'aux abords du Cateau ; il s'agissait simplement de renforcer une partie, reconnue faible, du vaste périmètre sur lequel devaient se produire les attaques.

La désorganisation de la division de Cambrai (la plus éprouvée de toutes) ne permit d'ailleurs pas à Ferrand de donner suite à ce projet. Il se contenta de prescrire à Favereau, le 28 avril, de renforcer le plus possible la

(1) Sous la première impression de la déroute de Balland, Ferrand avait écrit à Favereau (le 27 avril au matin) de se borner à « inquiéter l'ennemi sans agir offensivement jusqu'à nouvel ordre ».

(2) Lettre de Ferrand au Comité de Salut public (Réunion-sur-Oise, 9 floréal-28 avril).

(3) Lettre de Ferrand à Favereau (Réunion-sur-Oise, 8 floréal27 avril); cette lettre a dû être écrite dans la matinée.


N» 64. LA CAMPAGNE DE 1794 A L'ARMÉE DU NORD. 5

division Fromentin qui « doit attaquer le plus vigoureusement », et a devant elle « de grandes forces » ; ce prélèvement sur les ressources de Maubeuge semblait devoir être facilité par la présence de l'armée des Ardennes à Beaumont. En définitive, on ne trouve dans ces projets d'attaques aucune idée de manoeuvre; tout au plus seront-elles « mieux combinées » que le 7 floréal, comme l'écrit le général Mayer en exprimant l'espérance que cette fois « Balland travaillera mieux qu'à l'ordinaire, car c'est sur ses mouvements que nous devons régler notre attaque (1) ».

Dès le 27 avril, Ferrand avait recommandé à Favereau de fournir à Fromentin quatre ou cinq bataillons de renfort. Le lendemain il lui rappelle que sept bataillons ont déjà été envoyés de Maubeuge sur Maroilles, que trois autres sont arrivés de Solre-le-Château ; mais, craignant que ce ne fût pas suffisant, il lui demande de faire « les derniers efforts pour envoyer encore du renfort à Fromentin (2) ». A ce dernier appel, Favereau dut répondre qu'il n'avait plus aucunes troupes disponibles:

J'ai envoyé, mon brave Camarade, au général Fromentin tout ce que je pouvais. Tu connais mon coeur; il aime trop sa patrie pour la laisser un instant souffrir; les forces de l'ennemi en face de cette place sont de près de 10,000 hommes, que je tiens en mesure (sic) le plus possible, pour l'obliger à ne pas quitter cette partie

Nous ferons tout notre possible, tu peux en être assuré (3)

Ferrand dut se contenter des secours envoyés par Favereau, auquel il recommanda seulement d'immobi(1)

d'immobi(1) du général Mayer au général Favereau (10 floréal-29 avril).

(2) Lettre de Ferrand à Favereau (Réunion-sur-Oise, 9 floréal28 avril).

(3) Lettre de Favereau à Ferrand (9 floréal-28 avril).


6 LA CAMPAGNE DE 1794 A L'ARMÉE DU NORD. N» 64.

lisër le maximum de forces ennemies sur la Sambre, au moyen des troupes de Maubeuge combinant leurs mouvements avec l'armée des Ardennes.

La crainte de compromettre Maubeuge avait inspiré à Favereau le refus de fournir de nouveaux renforts à Fromentin. Ce même sentiment semble l'animer encore quand il transmet à Desjardin et à Despeaux les instructions de Ferrand pour le 10; il les accompagne de la recommandation de se borner à « inquiéter l'ennemi sans se compromettre ».

Démonstration aux environs de Maubeuge. — Dans ce but, la division Despeaux devait seulement harceler les postes autrichiens sur la Sambre depuis Berlaimont jusqu'à Hautmont ; la place et le camp retranché de Maubeuge feraient une sortie pour tenir en haleine le corps de Kaunitz qui la bloquait dû côté de Mons ; enfin la division Desjardin avait également ordre de harceler l'ennemi depuis Requignies jusqu'à Solre-sur-Sambre et d'appuyer cette démonstration par une autre partant de Beaumont.

Ce programme s'exécuta de tout point. Les troupes françaises « n'épargnèrent pas », lé long de la Sambre, de nombreux mouvements, sans aboutir à aucun engagement avec l'ennemi qui « ne voulut pas mordre (1) ». Desjardin poussa une colonne de Beaumont jusqu'au village de Hantes (2), où ses tirailleurs pénétrèrent sans difficulté, n'ayant affaire qu'à des forces peu importantes. Il se garda bien d'ailleurs de se maintenir dans cette localité, « de crainte de contrarier les opérations du général en chef», et parce qu'il jugeait la position

(1) Lettre de Favereau à Ferrand {M floréal-30 avril).

(2) « Jusqu'au delà du bois de Martimpré, aux environs de Hantes. » (Journal de Favereau.)


N« 64. LA CAMPAGNE DE 1794 A L'ARMÉE DU NORD. 7

intenable. Il fit donc sa retraite en bon ordre, en se félicitant du bon effet produit par cette petite diversion, et persuadé que l'ennemi avait cru à une attaque réelle (1). Malgré ces félicitations que se décernait Desjardin, il ne semble pas que les Autrichiens aient attaché grande importance à des démonstrations qui ne furent poussées nulle part avec une vigueur suffisante pour donner le change ; Favereau le reconnaît dans son Journal :

Toutes ces opérations, dictées par le désir du succès de nos armes, n'eurent pas celui auquel on s'attendait, parce que l'ennemi, en grande force devant Landrecies, avait également sur tous les points en face de ceux que nous occupions, celles nécessaires pour nous balancer.

Il ajoute que l'ennemi faisait, de son côté, des mouvements analogues pour tenir les postes français dans l'inquiétude :

Dans ce jour (40 floréal-S9 avril), sur les 5 heures du matin, trois bataillons d'infanterie se dirigent du côté de Bavai; sur les 10 heures, deux bataillons d'infanterie venant du côté de Bavai, avec deux escadrons de cavalerie, se dirigent du côté de Beaumont sans s'arrrèter à l'attaque que faisaient Maubeuge et son camp (2).

Démonstration du côté de Cambrai. — Les troupes de la division Chapuis avaient été trop durement éprouvées à Troisvilles pour être en mesure de renouveler, trois

(1) Voir les Mémoires de Desjardin et les lettres que, de Beaumont, il adresse à Favereau les 10 et 12 floréal (29 avril et l6r mai). D'après «es lettres, les Français eurent 3 hommes et 6 chevaux blessés; les Autrichiens perdirent 27 hommes, 1 officier et 8 chevaux.

(2) Journal de Favereau. Il ajoute que, tout en étant convaincu que c'était une simple ruse de l'ennemi, il prévint les généraux de redoubler de surveillance.


8 LA CAMPAGNE DE 1794 A L'ARMÉE DU NORD. N° 64.

jours plus tard, une action sérieuse. Leur rôle insignifiant est ainsi noté dans le Journal du général Bonnaud :

Le 9, le général Proteau, qui avait pris le commandement de cette division, reçut ordre du général Ferrand de se présenter de nouveau sur le même point; ce qui fut exécuté, mais nulle affaire ne fut engagée (1).

Préparatifs pour l'attaque sur VHelpe et au Nord de Guise. — Ce fut dans cette région que se limita en réalité l'action offensive des troupes françaises dans la journée du 29 avril; mais quoiqu'elle ait donné lieu sur certains points à des engagements assez vifs, les résultats ne devaient pas répondre aux espérances de Ferrand.

Bien que, le 9 floréal (28 avril), le Comité de Salut public ait décidé que Kleber se rendrait de l'armée de l'Ouest à l'armée du Nord pour y prendre le commandement de l'ancienne division Goguet, le général Dubois continua à rester provisoirement investi de ces fonctions.

On trouve dans sa correspondance quelques ordres relatifs à la préparation des opérations du 10 floréal (29 avril). C'est ainsi qu'il ordonne aux généraux Bousson, Gaudin et Deprez, qui font partie de sa division de cavalerie, de partir du camp retranché de Lesquielles-sous-Guise, le 10 floréal à 3 heures du matin. Le 8e régiment de cavalerie se mettra en marche à 3 h. 30 du matin pour éclairer une colonne d'infanterie servant de flanc-garde de gauche à la division Goguet, qui suivra la route Guise—Etreux—Oizy. Cette colonne passera par les hauteurs d'Henappe et des Blocus, laissera deux bataillons et un escadron du 8e de cavalerie en observation à Petit-Blocus pour se couvrir de Wassigny ; elle viendra ensuite faire sa jonction avec la division Goguet à Étreux.

(1) Journal de la 5e division, par Je général Bonnaud.


No 64. LA CAMPAGNE DE 1794 A L'ARMÉE DU NORD. 9

D'autre part, la division Balland sera éclairée par le 16° régiment de cavalerie et par le 20° de dragons, prélevé sur la brigade d'Hautpoul : ce dernier régiment devait être rendu à l'Echelle, avant 4 heures du matin, pour recevoir les ordres de Balland. Quant à la brigade d'Hautpoul, elle avait pour mission d'assurer la liaison entre les troupes venant de Guise et celles qui attaqueraient sur l'Helpe.

Le bien du service, écrit Dubois à d'Hautpoul, exige que tu appuies ta gauche à Balland, que tu te concertes avec lui en tout point et que tu ne te portes pas trop en avant pour éviter d'être tourné (1).

Sans vouloir insister sur cette prescription peu rationnelle pour une brigade de cavalerie, nous devons ajouter que d'Hautpoul semble avoir envisagé son rôle d'une façon moins étroite, si nous nous en rapportons aux Mémoires du général Duhesme.

Cette attaque (du 7 floréal) n'ayant pas réussi, il fut

ordonné qu'elle serait renouvelée Je 10, et les généraux de brigade Duhesme, Duvignot et d'Hautpoul, après s'être concertés, convinrent de suivre la même marche; ces dernières se portant cependant plus à gauche, afin d'opérer la jonction avec les troupes du général Balland et protégeant toujours la gauche de la brigade du général Duhesme.

En dehors des dispositions particulières, que l'on vient de voir, le plan d'attaque du i 0 floréal ne présenta pas de différences avec celui qui avait précédemment échoué ; il devait donner lieu aux mêmes mécomptes.

Attaque des brigades Duvignot, Duhesme, Soland et Montaigu. — Le combat fut d'abord engagé par la bri(1)

bri(1) du 9 floréal (28 avril).


10 LA CAMPAGNE DE 4794 A L'ARMÉE DU NORD. N» 64.

gade Duhesme qui, dès le point du jour, s'avança par les deux chemins situés entre Cartigny et Beaurepaire, qu'elle avait suivis lors de l'affaire précédente ; sa gauche était soutenue par la brigade Duvignot qui se dirigeait sur Beaurepaire.

Après que Duhesme eut atteint la ligne Lignère— Beaurepaire, il entreprit une attaque convergente contre Priches, en portant son effort principal sur sa gauche afin de tourner ce village par le ravin au Sud. Il se heurta à trois compagnies de tirailleurs des frontières et à deux compagnies de fusiliers slavons qui résistèrent pendant près de deux heures. Enfin, devant le mouvement tournant qui menaçait sa droite, le G. M. Werneck ordonna la retraite, qui s'effectua sous la protection d'une batterie de position. Le feu de cette artillerie arrêta les progrès des Français et assura le maintien de la communication entre l'aile droite de l'archiduc Charles et le corps du F. M. L. Kinsky.

En même temps, Soland débouchait de Grand et de Petit-Fayt, et Montaigu de Maroilles, en franchissant l'Helpe sur des ponts jetés pendant la nuit. Les deux brigades se formèrent sur une seule ligne au Sud-Ouest de la rivière, entre Maroilles et Grand-Fayt. Dès qu'elles virent les progrès de l'attaque sur Priches, elles entreprirent de refouler les avant-postes autrichiens établis à Bas-Maroilles et en avant de ce point. Ces postes durent en effet se retirer vers les redoutes de la première hauteur, sous la protection de quatre escadrons de cavalerie légère, de quatre canons de 12, de deux de 6 et de deux obusiers. Vers 1 heure, toutes les troupes autrichiennes étaient rassemblées sur la position. Pour empêcher les Français de prendre pied sur les hauteurs de Priches où ils commençaient à amener un peu d'artillerie, le G. M. Werneck fit avancer sur le chemin creux de Priches quatre pièces de 12 et deux obusiers, qui réduisirent au silence les batteries ennemies et forcèrent ensuite les


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colonnes de Montaigu et de Soland à abandonner le plateau. L'artillerie autrichienne bombarda encore les mai- , sons extrêmes de Priches occupées par les Français, qui commençaient déjà à en déboucher dans la direction de Favril (1); comme il était très important de ne pas laisser les Français s'établir dans cette position, l'archiduc Charles se concerta avec le F. M. L. Kinsky pour les déloger de Priches.

Le G. M. Werneck fut chargé de conduire cette attaque pour laquelle 20 volontaires par compagnie furent pris dans chacun des deux bataillons de grenadiers Bideskuty et Adorian, ainsi que dans les bataillons de Stain et de Antoine Esterhazy. Ces volontaires furent soutenus par le bataillon de Stain, qui s'avança jusqu'au chemin creux de Priches ; leur marche fut également appuyée par de l'artillerie à cheval que Werneck avait portée un peu en avant. De son côté, le F. M. L. Kinsky favorisa l'attaque en bombardant le village de Priches et en poussant quelques troupes (un bataillon M. Wallis, un Cari Schrôder, les chevau-légers de Kinsky et huit pièces), plus au Sud, dans la direction de Malgarnie, pour menacer le flanc gauche des Français. Ces attaques combinées réussirent, en moins d'une heure, à faire évacuer le village. Pendant qu'elles se produisaient, Werneck avait porté sur sa gauche un escadron de uhlans et un escadron de hussards, avec deux pièces de 6 et un

(1) Dans ses Mémoires, Duhesme dit qu'après avoir enlevé Priches, sa brigade attaqua Favril, avec le concours de deux bataillons de la brigade Soland; mais ii ajoute que ses troupes « se maintinrent toute la journée ». Ce terme et les récits plus détaillés des Autrichiens permettent de croire que les Français, après avoir occupé Priches, se disposèrent en effet à poursuivre leur attaque dans ta direction de Favril; mais ils furent contenus par le tir de l'artillerie ennemie et durent prendre presque aussitôt une attitude défensive contre les attaques successives ordonnées par l'archiduc Charles.


M LA CAMPAGNE DE 4794 A L'ARMÉE DU NORD. N» 64.

obusier, pour bousculer l'ennemi dans la vallée de l'Helpe. A un moment donné, la brusque apparition d'une cavalerie française supérieure en nombre détermina dans ces deux escadrons une panique telle qu'ils abandonnèrent un instant leur artillerie; la cavalerie française était sur le point de s'en emparer, lorsque Werneck la mit en fuite en faisant intervenir une division de grenadiers Alvinzy, tenue en réserve à l'abri de buissons, et un demi-escadron de hussards (1).

En même temps qu'il prescrivait celte offensive combinée contre Priches, l'archiduc Charles ordonnait au

(1 ) C'est probablement cet engagement que relatent ainsi les Mémoires du général Duhesme :

« Le soir, pour faire diversion et seconder l'effort que faisait le général Montaigu sur le Bas-Maroilles, je fis engager des tirailleurs vivement par la droite, dans la plaine qui est au bas de Priches. Aussitôt, quatre escadrons du 22e régiment de cavalerie et du 12e de chasseurs à cheval chargèrent, ayant leur commandant en tête, mettent en déroute trois escadrons de uhlans qui s'étaient avancés, pénètrent jusque dans les premières redoutes, les tournent, tuent les chevaux de l'artillerie et sabrent plus de 300 hommes gui y étaient.

« C'en était fait du camp ennemi si j'eusse eu une dizaine d'escadrons pour soutenir ces braves gens et si la division de gauche eût avancé en proportion.

« Cependant, nous fûmes obligés de nous retirer parce que nous aperçûmes se déployer en face une réserve de cavalerie bien supérieure. »

D'après ce document, c'est un peu plus tard que Priches fut repris par les Autrichiens. La retraite se fit ensuite en bon ordre. Il fallut « chasser les tirailleurs ennemis qui, en suivant la retraite du général Duvignot, avaient longé le chemin de Beaurepaire » et interceptaient celui par où devait passer la brigade Duhesme.

« Tous les corps se sont distingués dans cette affaire, à l'exception du 10e bataillon de Seine-et-Oise, que l'on a été obligé de rallier. Nous n'avons pas perdu plus de 50 hommes, tant tués que blessés. » Cette dernière assertion paraît difficile à admettre, étant donnée la vivacité de la lutte autour de Priches.


N« 64. LA CAMPAGNE DE 1794 A L'ARMÉE DU NORD. 13

général Kray de prononcer une attaque sur Grand-Fayt, afin de menacer le flanc de la colonne qui avait traversé l'Helpe sur ce point. Ce mouvement devait, en outre, arrêter les progrès de l'infanterie qui, venant de Maroilles, avait pris pied dans les boqueteaux situés en avant et causait beaucoup de mal aux Autrichiens par sa fusillade.

Cette attaque fut préparée par l'artillerie, qui réduisit promptement au silence celle des Français et arrêta la marche de leur infanterie qui commençait à s'élever sur le plateau entre l'Helpe et Priches.

Grâce à la protection de l'artillerie, le général Kray lança deux demi-escadrons de hussards contre la cavalerie française, qui dut se replier. Alors l'artillerie fit un bond en avant et canonna encore avec succès les troupes ennemies qui, poursuivies par les deux demi-escadrons de hussards, par une division de uhlans et une de hussards, se rapprochèrent de Grand et Petit-Fayt; de là, elles se retirèrent en majeure partie, à la nuit, sur la rive droite de l'Helpe. Ce fut vers la même heure seulement que les Français purent être chassés de BasMaroilles, après une longue canonnade (1).

L'archiduc Charles eût voulu ne pas s'en tenir à ce succès, rejeter entièrement les Républicains sur la rive droite de l'Helpe et border ce cours d'eau avec ses avant-postes. A cet effet, il avait prescrit à Kray de poursuivre l'ennemi dans la vallée avec trois bataillons, trois divisions de cavalerie et des troupes légères de façon à intercepter la communication entre la Capelle et Avesnes. Mais une dernière et brusque attaque de Montaigu, à Maroilles (2), lui fit renoncer à ce projet. Il avait

(1) Rapport de l'archiduc Charles et Rapport du F. M. L. Kinsky. (K. u. K. Kriegs Archiv.)

(2) Une lettre de Despeaux à Favereau, datée de Limont (10 floréal-


44 LA CAMPAGNE DE 1794 A L'ARMEE DU NORD. N» 64.

reconnu, d'autre part, que Cartigny était occupé par un corps important évalué à 8,000 ou 10,000 hommes (1).

Finalement, à 9 heures du soir, l'archiduc Charles constata que, s'ils avaient abandonné les Fayt, les Français tenaient encore Cartigny et ne cessaient pas de tirailler à Maroilles. Dès lors, il se borna à faire bombarder cette dernière localité avec des obus sans doute pour l'incendier, et il fit reprendre à ses avant-postes les positions qu'ils occupaient au début de la journée.

Attaque des divisions Balland et Goguet. — L'offensive que devait prononcer ces deux divisions se réduisit à peu près à de simples démonstrations. Balland fit « prendre poste » à ses troupes en avant du Nonvion, sans doute dans l'intention de les faire ensuite déboucher surBarzy

29 avril), semble confirmer l'attitude assez ferme que montra ce jour-là la brigade Montaigu : « Je me suis transporté ce matin, mon Camarade, à Maroilles vers les 2 heures, où j'ai vu nos troupes attaquer l'ennemi en chantant et montrer la ferme résolution de vaincre. Il parait cependant qu'elles n'ont pas eu tout le succès qu'on avait lieu d'espérer de leur courage, quoiqu'elles n'aient éprouvé aucun échec considérable.

« L'ordonnance qui a porté ce soir l'ordre à Maroilles n'a pu m'apporter des nouvelles par écrit du résultat de la journée, car le général Mayer était encore dans l'action.

« A 6 heures, notre aile gauche avait beaucoup avancé et nos troupes de Maroilles, qui avaient été un peu repoussées, prenaient leur revanche et prouvaient à l'Autrichien qu'elles n'étaient pas dans l'intention d'abandonner la partie. L'ennemi continue maintenant à tirer sur Landrecies. Sans doute il se sent en force sur ce point, car ni le camp ni les troupes qui cernent Landrecies n'ont, dit-on, pas remué.

« Le général Mayer a été contraint ce soir de retenir la troupe, dont l'ardeur allait lui devenir funeste. Il y a tout à espérer de ces braves soldats.

« Le général Montaigu espère demain que Landrecies sera libre. » (1) Cette évaluation semble exagérée, car il n'y avait à Cartigny que la brigade Duhesme.


N" 64. LA CAMPAGNE DE 4794 A L'ARMÉE DU NORD. 46

et la Louzy. Mais au lieu d'agir vigoureusement contre les troupes du F. M. L. Kinsky et de favoriser ainsi l'attaque de Duhesme sur Priches, il parait être demeuré dans l'expectative une partie de la journée. Puis, quand la retraite de la brigade Duvignot eut découvert sa droite et donné à l'ennemi la possibilité de le tourner par Beaurepaire et Fontenelle, il prit le parti de replier ses troupes sur l'Échelle sans qu'elles aient été réellement engagées.

Ce nouvel insuccès de Balland attira sur lui de sévères critiques. On a déjà vu celles que faisait à son sujet le général Mayer après le combat du 26 avril (1). Le lendemain de cette nouvelle affaire, le représentant Laurent lui adressa ce grave avertissement (2) :

Je dois te donner un conseil avant d'aller plus loin.

On se plaint assez généralement de ta division, qui ne donne pas comme elle le devrait pour seconder les autres I On dit que la journée d'hier eût été un jour de triomphe pour nous, si elle eût fait son devoir I

Ces plaintes sont graves, et tu sais sur qui elles retombent ! A demain (3).

Le 12 floréal (1er mai) Fromentin écrira de son côté à Desjardin que l'échec de l'avant-veille était dû à la <c stagnante conduite » de Balland et que « tout le monde récrimine contre lui ».

Malgré une justification peu concluante adressée au

(1) Les Mémoires du général Duhesme reprochent aussi à. la division Balland de ne s'être engagée nullement dans les deux journées (28 et 29 avril) et de s'être arrêtée vis-à-vis le village de Barzy à la première rencontre des avant-postes ennemis.

(2) De Maubeuge, 11 floréal (30 avril).

(3) Il devait y avoir le lot mai une nouvelle attaque, qui n'eut pas lieu en raison de la capitulation de Landrecies.


16 LA CAMPAGNE DE 4794 A L'ARMÉE DU NORD. N° 64.

représentant Laurent (1), Balland se vit promptement discrédité et fut remplacé, le 11 mai, par Kleber.

Quant à la division Goguet, aux ordres de Dubois, elle était tout d'abord venue « prendre poste » près des villages d'Oizy et de Wassigny, laissant entre elle et la division Balland une trouée qui ne leur eût pas permis de se soutenir mutuellement. Elle resta d'ailleurs également inactive et s'en laissa imposer par les forces, pourtant peu importantes, que les Autrichiens avaient sur ce point depuis l'envoi de renforts à Clerfayt.

Le général comte de Bellegarde, écrit d'Arnaudin, employa le peu de troupes qui lui restait à tenir en respect l'ennemi infiniment supérieur en nombre; et vers le soir les Français, qui avaient abandonné les trouées d'Oizy et de Wassigny, s'étaient retirés en arrière du Noirieu, aux environs d'Étreux et d'Henappe, leur asile accoutumé en pareille circonstance (2).

La tentative du 29 avril avait donc abouti à un nouvel échec dont les représentants Richard et Choudieu, tout en omettant de faire la part de la médiocrité des troupes, démêlaient assez bien les autres motifs : « Nos forces au centre sont peut-être plus considérables que celles de Cobourg et si elles eussent été commandées par des hommes plus intelligents et plus hardis, nous ne doutons pas qu'elles n'eussent obtenu les mêmes avantages que celles avec lesquelles nous avons marché. Le brave Ferrand, que nous venons d'envoyer à Réunion, fait ce qu'il peut, mais il n'a presque pas d'officiers en état de le seconder (3). »

(1) Le 12 floréal (l«mai).

(2) Mémoires de d'Arnaudin.

(3) Lettre des représentants du peuple Richard et Choudieu au Comité de Salut public (de Lille, 11 floréal-30 avril).

Voir encore les Mémoires du général Duhesme : « Que pouvait-on, au reste, attendre de projets aussi mal conçus? (Je ne veux blâmer per-


N« 64. LA CAMPAGNE DE 1794 A L'ARMÉE DU NORD. 4 7

Richard et Choudieu annonçaient du reste leur intention de poursuivre sans relâche l'offensive et de ne pas laisser un instant de repos à l'ennemi.

De son côté, Ferrand n'était pas découragé ; dès le soir même du 29 avril, il décidait de renouveler le lendemain l'effort qui venait d'être infructueux (1). En annonçant cette résolution à Favereau, il lui prescrivait d'opérer à la pointe du jour « une forte diversion du côté des Ardennes » et de faire inquiéter l'ennemi par des mouvements de troupes sur la rive gauche de la Sambre. Les mauvaises nouvelles reçues de Cambrai et la nécessité de laisser aux corps de l'ancienne division Chapuis le temps de se réorganiser, déterminèrent bientôt Ferrand à donner contre-ordre ; par lettre du 11 floréal (30 avril), il informe Favereau de ce retard et l'invite à se tenir en « mesure pour le premier moment (2) ». Dans la soirée, il fixe définitivement la nouvelle attaque au 13 floréal (2 mai),

sonne; nous étions tous dans l'enfance de l'art militaire.) Mais on aurait pu tirer un meilleur parti des divisions de cette aile droite, et un autre ordre de bataille aurait pu délivrer Landrecies; car chaque division, partant de points divergents d'une grande circonférence, était livrée aux hasards du génie et de la capacité de chaque chef; il s'ensuivait nécessairement un isolement et une faiblesse dans chaque attaque, qui donnaient à l'ennemi la facilité de repousser chaque colonne l'une après l'autre.

« Un de ces génies vigoureuxqui ont improvisé nos succès aurait (s'il eût commandé), par un grand effort de plusieurs divisions réunies, percé la ligne de circonvallation de l'ennemi sur un point, tandis que de fausses attaques en auraient tenu les autres parties en échec. L'on pouvait tout espérer du soldat, qui se battait, lorsqu'on le menait à la charge, avec une fureur que les excès des Autrichiens allumaient de jour en jour. »

(1) Voir lettre de Ferrand à Favereau (Réunion-sur-Oise, 10 floréal29

floréal29

(2) Voir lettre de Ferrand à Favereau (Réunion-sur-Oise, 11 floréal30

floréal30

Rer. Hiet. 2


18 LA CAMPAGNE DE 1794 A L'ARMÉE DU NORD. N* 64.

espérant que la division de Cambrai pourra être en mesure (1). Cette fois, au lieu de faire « une forte diversion », Favereau devra se borner à « inquiéter » l'ennemi par « des mouvements » aussi bien vers Beaumont que sur la rive gauche de la Sambre. Cette disposition avait pour but de rendre disponible une partie de la garnison de Maubeuge pour la porter sur Maroilles, que Ferrand continuait à regarder comme le point capital. Comme il ne pouvait plus compter sur les ressources de Cambrai, Ferrand avait l'intention de renforcer les brigades de Soland et Duhesme avec 6,000 hommes tirés de Maroilles; il prescrivait donc à Favereau de les y remplacer par « 3,000 hommes au moins » de Maubeuge (2).

Quant aux divisions établies sur l'Helpe et en avant de Guise, leur rôle était [défini par le plan d'attaque ciaprès que Ferrand communiquait à Favereau (par la même lettre du 11 floréal) pour l'orienter sur la situation :

(1) Dans son Journal, Favereau dit que l'attaque du 12 fut décommandée parce que la division de Cambrai ne pouvait être prête pour cette date. Ensuite, « le général Ferrand, ayant reçu l'avis que la division de Cambrai serait en mesure, décide une attaque générale depuis

cette place jusqu'à l'armée des Ardennes L'attaque est décidée

pour le 13 à la pointe du jour ».

(2) Voir lettre de Ferrand à Favereau (Réunion-sur-Oise, 11 floréal30 avril). L'accusé de réception de Favereau montre que cette lettre arriva à Maubeuge le 1er mai ; elle avait été confiée à un aide de camp de Ferrand. La distance de Guise à Maubeuge n'étant que de 55 kilomètres, la lettre avait dû être écrite dans la soirée, c'est-à-dire plusieurs heures après la capitulation de Landrecies, que Ferrand ne connut d'ailleurs que le 1er mai dans la matinée.

Favereau répondit qu'il n'était plus en mesure de fournir aucuns renforts à Fromentin, lui ayant déjà fait passer 15 bataillons et conservant à peine l'effectif nécessaire pour remplir sa propre mission. (De Maubeuge, 12 floréal-ler mai.)


N» 64. LA CAMPAGNE DE 1794 A L'ABMÉE DU NORD. 49

Au quartier général de Réunion-sur-Oise, le 41 floréal an II (30 avril 4794).

La colonne de Cambrai se portera sur la droite pour attaquer le eamp de Troisvilles, en laissant un corps d'observation sur Solesmes et faisant éclairer sa gauche.

Une colonne de 10,000 hommes filera, sans attaquer à moins qu'elle n'y soit forcée, sur Wassigny, s'emparera de Ribeauville, Mazinguet et s'étendra sur sa droite pour remplacer la division de gauche, qui se portera sur Boue, attaquera Bergues et prendra le camp de Fesmy à revers.

Cette colonne marchera dans le même ordre sur Oizy jusqu'au

moment où elle sera remplacée par celle venant de Cambrai.

La division Balland attaquera Barzy de front, et celle du

général Duvignot, venant de Beaurepaire, l'attaquera par le

flanc droit.

La division (sic) de Duhesme attaquera Priches; celle de Soland Favril, et celle de Montaigu se portera sur les hauteurs de Maroilles.

Les brigades de Soland et de Duhesme seront augmentées d'environ 6,000 hommes pris à Maroilles, lesquels seront remplacés par d'autres venant de Maubeuge.

Toutes ces troupes seront rendues sur le terrain d'attaque à 3 heures précises du matin, le 13, et l'attaque commencera à 3 h. 30, à la pointe du jour.

FERRAND.

Au moment où Ferrand rédigeait ce projet, la division de Cambrai était encore en voie de réorganisation et incapable d'entrer en ligne, même à la nouvelle date ainsi fixée.

C'est en effet, le 30 avril (comme on l'a déjà vu), que les Représentants du peuple avaient attribué définitivement au général Bonnaud le commandement de la division, que Proteau avait exercé à titre provisoire après le désastre de Troisvilles (1).

(1) Dans son Journal, le général Bonnaud dit que ce commandement


20 LA CAMPAGNE DE 1794 A L'ARMÉE DU NORD. N» 64.

Le soir même de sa nomination, Bonnaud eut à faire tète à une démonstration des Alliés. Le récit de cette alerte par les représentants Guiot et Bollet, montre à la fois que c'était une simple « jalousie » de l'ennemi, que la division de Cambrai avait pour le moment perdu toute valeur offensive et que le choix de Bonnaud était parfaitement justifié. La victoire de Tourcoing, à laquelle on le verra apporter une aide puissante, mettra bientôt une fois de plus en lumière la valeur de ce « soldat distingué par son intrépidité, ses talents et son républicanisme ». Son Journal complète du reste l'exposé fait par les Représentants et permet de rétablir assez exactement les faits.

Dans la soirée du 30 avril, au moment même où les Représentants investissaient Bonnaud de son commandement, on apprenait que l'ennemi marchait sur Cambrai, qu'il avait incendié le village de Cauroir et qu'à l'abri de cette démonstration, il avait porté le gros de ses forces au Sud sur les hauteurs de Forenville. Ce mouvement et les renseignements que l'on avait déjà, firent penser que les Alliés avaient l'intention d'investir Cambrai dont la défense était peu préparée. Après en avoir délibéré avec les généraux Proteau et Noël (1), Bonnaud ordonna de ne laisser dans la place que 4 bataillons et 200 chevaux ; dès le lendemain matin, le gros de la division passerait sur la rive gauche de l'Escaut pour aller « occuper » à 3 kilomètres à l'Ouest de Cambrai la position de FontaineNotre-Dame qui commandait les deux routes d'Arras et de Bapaume. Ce rassemblement serait couvert: au Nord de la place, par 6 bataillons et 1 régiment de cavalerie

lui fut attribué « malgré ses instances et ses observations ». On comprend qu'il lût peu disposé à assumer la succession de Chapuis, dans des conditions très difficiles, mais les Représentants lui « ordonnèrent d'obéir ». (I) Il avait, le jour même, rejoint la division pour y être employé.


N» 64. LA CAMPAGNE DE 1794 A L'ARMÉE DU NORD. %\

qui, commandés par le général Compère (1), borderaient la rive gauche du fleuve, d'Hordaing à Ramillies ; au Sud, par 4 bataillons et 1 régiment de cavalerie, occupant la même rive depuis Cambrai jusqu'à Crèvecoeur. « Les ponts sur toute cette étendue étaient coupés. »

Telles étaient les dispositions prescrites pour le 12 floréal (1er mai); les mouvements furent effectivement exécutés, mais restèrent sans objet, car l'ennemi disparut « à la pointe du jour (2) ».

Toutes ces mesures défensives (que d'ailleurs les Alliés n'inquiétèrent même pas), étaient loin de répondre à la « vigoureuse attaque » rêvée par Ferrand, dans le but d'attirer l'ennemi dans cette partie et de l'obliger à se dégarnir devant les divisions du Noirieu et de l'Helpe (3). Il faut reconnaltreque les troupes de Cambrai étaient absolument incapables de remplir un pareil rôle. Un témoignage formel de leur impuissance à cet égard nous est fourni par une lettre que le chef d'état-major de la division Bonnaud adressa à Ferrand le 13 floréal (2 mai); il expose les raisons qui ont décidé les généraux et les Représentants à faire prendre aux troupes une position purement défensive, où elles pourront se réorganiser : « l'aile droite aux ordres du général Proteau dans les villages derrière l'Escaut et à la droite de Cambrai; le centre dans la ville aux ordres du général Noël et l'aile gauche aux ordres du général Compère derrière l'Escaut et à la gauche de Cambrai (4) ». Afin d'éclairer cette position, le général Bonnaud était parti à la tête de la

(1) Arrivé de Douai dans la journée du 30 avril.

(2) Ces mesures préparatoires sont relatées d'après le Journal de Bonnaud et la lettre des représentants Florent Guiot et Bollet au Comité de Salut public (12 floréal-l" mai).

(3) Voir la lettre de Ferrand à Favereau (11 floréal-30 avril).

(4) Lettre de l'adjudant général Malher à Ferrand (de Cambrai 13 floréal-2 mai).


82 LA CAMPAGNE DE 4794 A L'ARMÉE DU NORD. N« 64.

cavalerie avec le général Maillet, pour aller à la découverte; il avait reconnu que l'ennemi avait évacué les camps de Solesmes et de Troisvilles, ne conservant que des piquets de distance en distance (1).

On voit ainsi que, même le 2 mai, le général Ferrand ne pouvait pas compter sur le concours utile de la division de Cambrai. L'attaque qu'il avait projetée pour cette date, n'eut d'ailleurs pas lieu, Landrecies étant tombée depuis 36 heures aux mains des Alliés. Il convient de faire observer qu'on ne trouve aucune trace d'un contreordre envoyé à ce sujet par Ferrand. Favereau, qui a mentionné très exactement dans son Journal les ordres qu'il a reçus (2), note simplement :

12 floréal (/er mai). Landrecies est au pouvoir de l'ennemi depuis hier matin, à 10 heures. Le général Favereau en prévient les généraux sous ses ordres pour prévenir les mouvements d'une nouvelle entreprise de la part de l'ennemi.

Il est vraisemblable que, la capitulation de Landrecies ayant été connue d'abord par les généraux commandant les troupes de première ligne, ils ont spontanément pris une attitude défensive et suspendu l'exécution d'une attaque désormais sans objet (3). On peut encore admettre que Ferrand a envoyé des ordres verbaux, quoiqu'il n'y soit fait aucune allusion dans les lettres des 12 et 13 floréal

(1) Il était d'ailleurs inexact que les camps de Solesmes et de Troisvilles fussent évacués.

(2) Les Archives de la guerre possèdent en outre le registre tenu à l'état-major de Favereau et sur lequel sont transcrites toutes les lettres reçues par lui; il n'y figure, à la date du 12 floréal, aucun ordre de Ferrand annulant les dispositions prescrites pour le 13.

(3) Voir, p. 43, une lettre de Favereau à Ferrand portant :

« Sûrement ton attaque de demain n'aura pas son effet, l'ennemi

ayant évacué la position qu'il occupait »


N» 64. LA CAMPAGNE DE 4794 A L'ARMÉE DU NORD. 23

qui nous ont été conservées. En tout cas, la transmission a^dû en être lente et incomplète, car on voit d'Hautpoul, dans la nuit du 12. au 13, s'informer encore auprès de Duhesme pour savoir si l'on attaquera ou non :

J'en ai écrit à Ferrand deux fois, et pas de réponse

Il est minuit; si je ne reçois pas des ordres contraires, je me mets en marche à 2 heures (1).

Les derniers jours de la défense de Landrecies. La capitidation. — Le départ des renforts destinés à Clerfayt avait réduit à un millier le nombre des travailleurs fournis dans la nuit du 26 au 27 avril. Ce nombre ne put être dépassé le lendemain soir, malgré l'arrivée de deux bataillons Ulrich Kinsky (2), de sorte qu'on s'occupa surtout de l'achèvement et de l'amélioration des travaux déjà entrepris.

Dès le 26 avril, les batteries à démonter 3, 6, 8 et 11 et les batteries de mortiers S, 7 et 10 étaient entièrement construites ; le 27 avril, vers midi, quatre autres batteries (armées chacune de quatre canons de 18) se trouvèrent également terminées, savoir : n° 1 à démonter, nos 2, 4 et 9 à ricochets.

Le 27 avril, au point du jour, l'ennemi reprit avec vigueur le bombardement qu'il avait commencé la veille à midi et suspendu à une heure assez avancée de la nuit. Les batteries 3, 5, 6, 7, 8, 10 et 11 firent un feu violent qui endommagea principalement la porte et le pont du Quesnoy. Vers 9 ou 10 heures (3), le bombardement fut interrompu et le prince d'Orange envoya un

(1) Lettre de d'Hautpoul à Duhesme (La Capelle, 13 floréal-2 mai).

(2) Les hommes, harrassës par leur marche et le combat de la veille, ne purent être employés aux travaux. (Rapport du G. M. baron Froon, de Preux-au-Bois, 28 avril. K, u. K. Kriegs Archiv.)

(3) Les documents autrichiens fixent à 8 h. 45 ou 9 heures Tinter-


. 24 LA CAMPAGNE DE 4794 A L'ARMÉE DU NORD. N» 64.

parlementaire porter au général Roulland une sommation de rendre la place. Suivant la tactique habituelle de tout assiégeant, il faisait naturellement sonner très haut les succès remportés la veille par les Alliés :

Le feu de nos batteries vous apprend ce que vous avez à attendre. Le feu de la journée d'hier, et celui du Te Deum que vous avez entendu ce matin, vous ont annoncé les longs et infructueux efforts de l'armée qui venait vous secourir, et notre victoire. Cette armée a été complètement battue. D'après ce que nous savons déjà dans ce moment, elle a perdu 52 pièces de canon, près de 10,000 hommes tués ou blessés et 1500 prisonniers, parmi lesquels est le commandant de Cambrai. On la poursuit encore de tous côtés. Vous n'avez décidément plus aucun secours à attendre.

Vous êtes sommés de rendre sur-le-champ la place de Landrecies aux armes victorieuses de Sa Majesté l'Empereur. Uniquement par humnnité, et pour épargner tant de malheureuses victimes, on veut bien vous offrir encore aujourd'hui une capitulation honorable. Ce moment passé, vous n'avez plus de semblable proposition à attendre. Vous êtes rendu personnellement responsable des suites funestes d'un refus. L'alternative est terrible. Décidez-vous sur l'heure.

Dès qu'il eut reçu cette lettre, et avant de l'ouvrir, Roulland s'empressa de convoquer chez le maire un conseil de guerre auquel assistèrent les autorités civiles et militaires, la Société populaire et le Comité de surveillance. Décachetée en leur présence, l'insolente et insidieuse sommation du prince d'Orange ne provoqua aucun découragement, malgré les fâcheuses nouvelles

ruption du feu; les Rapports de Roulland et de la municipalité parlent de 10 et même de 11 heures.

(1) La sommation est datée du « camp devant Landrecies, le 27 avril 1794 » et signée : « G.-F., prince héréditaire d'Orange, commandant général de l'armée combinée impériale et hollandaise. »


N» 61. LA CAMPAGNE DE 4794 A L'ARMÉE DU NORD. 25

qu'elle annonçait ; et le conseil décida à l'unanimité d'adresser cette fière réponse (1) :

Général, si la prétendue victoire dont vous vous flattez est vraie, elle ne peut être pour nous qu'un encouragement à suivre et à éprouver les hasards de la guerre. Nous n'avons jamais compté que sur nos bras. Des républicains qui ont juré de vaincre ou de mourir ne seront jamais parjures. Nous réitérons tous dans ce moment le serment de nous ensevelir sous nos remparts ou de vaincre.

Voilà notre capitulation I

Devant ce refus, le prince d'Orange fit reprendre aussitôt le bombardement auquel participèrent les nouvelles batteries qui venaient d'être terminées. 11 était 1 h. 30 de l'après-midi. La batterie n° 1 contre-battit le pont sur la Sambre, mais dans la soirée elle fut démontée par l'assiégé; la batterie n° 2 tira à ricochet d'une part contre le chemin couvert, de l'autre contre la face gauche de l'ouvrage à cornes ; la batterie n° 3 contre-battit le bastion de droite de la place ; les batteries n 08 5, 7 et 10 bombardèrent la ville pendant la nuit et y allumèrent l'incendie; pendant le jour elles écrasèrent les ouvrages de la défense (la batterie n° o notamment tira sur le ravelin et le bastion de droite de l'ouvrage à cornes); la batterie n° 6, attaquée de droite et de gauche par l'artillerie de l'ouvrage à cornes, parvint enfin à la réduire au silence; les batteries nos 8 et 11 obtinrent le même résultat.

L'après-midi du 27 avril suffit à l'assiégeant pour causer d'irréparables dégâts (notamment incendier l'hôpital) et prendre une supériorité marquée sur l'artillerie

(1) « Délibéré en conseil de guerre, toutes les autorités civiles et militaires réunies, à Landrecies le 8 floréal, 2e année républicaine, une et indivisible et impérissable. »


26 LA CAMPAGNE DE 4794 A L'ARMÉE DU NORD. 64.

de la défense (i). La journée du lendemain et la nuit suivante furent encore plus désastreuses :

Le feu ayant pris à la prison, plusieurs des prisonniers

s'évadèrent Le feu de l'ennemi était toujours terrible et

causait par son embrasement des dégâts affreux dans les communes haute et basse; cette dernière fut presque réduite en cendres. Le quartier de cavalerie et le magasin aux fourrages furent la proie des flammes ; les batteries de la commune basse furent presque toutes démontées. L'ennemi lançait ordinairement dans le jour moins de boulets que dans la nuit; celle du 9 au 10 (floréal-28 an. 29 avril), il en lança une quantité surprenante ; on en voyait en l'air onze à la fois, se

dirigeant de toutes parts La République perdit ce jour-là

beaucoup de canonniers, et les ouvrages de la place furent presque tous ébranlés ou écrasés (2).

Tout en procédant à ce bombardement violent, les Alliés imprimaient une grande activité aux travaux réguliers du siège. Dans cette nuit du 28 au 29 avril, ayant pu disposer de 3,000 travailleurs, ils débouchèrent dans la deuxième parallèle qui fut amorcée sur une longueur de plus de 200 toises. La nuit suivante, le nombre des travailleurs fut encore de 3,000, de sorte que le 30 avril, au point du jour, la deuxième parallèle se trouva creusée sur 350 toises, permettant ainsi de « couvrir entièrement la troupe (3) » ; on détermina l'emplacement . des batteries de brèche.

Tandis que l'ennemi poursuivait ainsi méthodiquement son oeuvre, les ressorts de la défense s'affaiblis(1)

s'affaiblis(1) Journal de Roulland constate que plusieurs batteries de la place furent démontées : « Le feu se ralentit ; il était déjà bien inférieur à celui des assiégeants. » Dans l'incendie de l'hôpital, « on put à peine sauver la pharmacie ».

(2) Journal de Roulland.

(3) Rapport de tranchée du G. M. baron Froon (Preux-au-Bois, 30 avril). K. u. K. Kriegs Archiv.


N» 64. LA CAMPAGNE DE 4794 A L'ARMÉE DU NORD. 27

saient d'heure en heure. Aux périls du bombardement venaient s'ajouter d'autres souffrances. Par suite de l'incendie de l'hôpital et de la mort de plusieurs chirurgiens, les soins manquaient aux blessés. Le feu ayant dévoré une grande partie des approvisionnements, il fallut, le 9 floréal (28 avril), réduire d'un tiers la ration de pain en y substituant une once de légumes secs. L'indiscipline et le découragement commencèrent à se manifester dans la troupe. Un officier du bataillon de Saint-Denis alla même jusqu'à remettre à un campagnard la elef d'une barrière de la ville ; des soldats furent arrêtés, se livrant au pillage.

Dans la matinée du 10 floréal (29 avril), le désordre devint plus général et plus grave. Les soldats « ne respectèrent plus rien; ils se portèrent aux magasins des vins et eaux-de-vie, dans les caves des malheureux particuliers ». Voyant que « ni menaces, ni violences, ni exhortations » ne pouvaient retenir les pillards, Roulland convoqua à 9 h. 30 du matin un conseil de guerre pour prendre les énergiques mesures que comportait une semblable situation.

Après avoir rappelé qu'à tout prix il fallait couper court au désordre et relever le moral de la troupe, il annonça l'intention de faire une sortie pour bouleverser les ouvrages que l'ennemi avait commencés près des glacis de la porte de France (1). Quelle ne fut pas la douloureuse surprise de Roulland de voir que le conseil non seulement repoussait tout idée de sortie, mais l'invitait à délibérer sur la capitulation. Il voulut alors lever la séance ; son autorité fut méconnue, le conseil se déclara en permanence et prétendit même l'empêcher de sortir. Personne cependant n'osa l'arrêter, mais peu après, et

(1) Ce n'étaient, en réalité, que des tranchées d'une fausse attaque amorcée par le colonel du génie marquis du Chasteler (voir p. .266).


28 LA CAMPAGNE DE 4794 A L'ARMÉE DU NORD. N« 64.

pour éviter de plus grands malheurs, il se décida à revenir au conseil.

Un grand nombre de soldats étaient massés à la porte de la salle des délibérations ; deux d'entre eux y furent introduits, à titre de délégués, et apportèrent l'aveu de la profonde dépression morale de la garnison tout entière. Seul, le sergent Ory, des grenadiers du 4e bataillon de la Meuse, se présenta pour apporter une énergique protestation et déclarer que sa compagnie était prête à combattre jusqu'au bout.

Cependant, avant de décider cette capitulation, presque unanimement réclamée, il fut convenu de réunir un « conseil général de guerre composé d'un individu de chaque grade pris dans chaque corps pour aviser aux moyens qu'il y aurait à prendre ». Roulland eut la faiblesse d'acquiescer à cette convocation, dont le résultat ne se fit pas attendre. Malgré ses objurgations ; malgré son appel au serment volontaire prononcé le 7 floréal par la garnison ; malgré sa déclaration qu'il aimait mieux périr que de se rendre ; malgré la lecture de la loi du 12 mai (1), exigeant qu'une brèche praticable ait été faite et trois assauts soutenus ; bien qu'il restât encore pour dix jours de vivres et des munitions en quantité suffisante, le nouveau conseil décida, au scrutin secret, par 66 voix contre 10, qu'il fallait obtenir une « capitulation honorable ». Deux commissaires furent nommés pour se concerter avec les autorités civiles au sujet de la reddition de la place. A la nuit, le bombardement redoubla de violence, pro(1)

pro(1) s'agit du Code pénal militaire du 12 mai 1793. L'article 2 du titre Ier (section II) déclare coupable de trahison : « Tout commandant d'une place attaquée qui, sans cause légitime et sans l'autorisation des corps administratifs dont il justifiera au tribunal criminel militaire, aura consenti à la reddition de la place avant que l'ennemi ait fait brèche praticable, et qu'il ait soutenu trois assauts. »


N° 64. LA CAMPAGNE DE 4794 A L'ARMÉE DU NORD. 29

voquant de nouvelles manifestations d'indiscipline et suscitant dans les esprits démoralisés l'impérieux désir d'une prompte reddition.

A 11 heures du soir, et sans attendre la réponse des autorités civiles, le conseil de guerre, qui siégeait en permanence, délégua auprès du général Roulland deux commissaires porteurs d'une lettre l'invitant « à prendre avec le général ennemi les moyens de procurer une capitulation honorable plutôt que de faire massacrer la ville et la garnison ». Le général refusa de recevoir cette adresse, fit consigner son refus sur le registre des séances et prescrivit au conseil de se dissoudre pour ne se réunir que le lendemain, à 8 heures. Cette injonction ne fut pas écoutée. A 2 heures du matin, le conseil fit parvenir à Roulland, par deux commissaires, une lettre qu'il devait adresser au général ennemi pour solliciter une capitulation. Roulland déchira cette demande et déclara qu'il ne voulait pas reconnaître les délibérations du conseil avant 8 heures du matin, ainsi qu'il l'avait fixé.

Cependant, dès 6 heures, sur une nouvelle démarche, Roulland consentit à se rendre au conseil pour y donner lecture de l'avis écrit des autorités civiles, que celles-ci venaient de lui remettre ; dans ce document, elles se bornaient à déclarer « qu'elles ne devaient donner aucun avis conforme sur les propositions de capitulation qui leur avaient été faites, qu'autant que l'application de la loi serait faite convenablement par les chefs militaires qui devaient en avoir connaissance ».

Tout en faisant observer que cette réponse n'était « ni affirmative, ni négative », Roulland ajoutait avec raison qu'elle ne permettait pas une capitulation, puisque rien ne pouvait être arrêté à cet égard « sans le consentement exprès et non équivoque » des autorités. Ces observations furent inutiles. Dans sa panique, le conseil passa outre et maintint sa résolution de capituler. Roulland, qui


30 . LA CAMPAGNE DE 4794 A L'ARMÉE DU NORD. N« 64.

avait déjà eu la faiblesse d'accepter la réunion d'une assemblée non convoquée par lui, d'en tolérer la permanence et de se rendre à ses invitations, couronna cette série de compromissions en rédigeant et faisant approuver par le conseil une lettre par laquelle il sollicitait une suspension d'armes de 48 heures :

Général, écrivait Roulland, malgré le feu de vos batteries, si je n'en croyais que mon coeur, je ne demanderais aucun arrangement ; mais par humanité pour un grand nombre de victimes, je vous demande une cessation d'armes de quarantehuit heures pour me concerter avec les autorités constituées sur les moyens à prendre pour capituler; je ne vous dissimulerai pas que ma troupe est prête à s'ensevelir sous les remparts plutôt que de consentir à aucun arrangement honteux. Vous m'avez proposé dans votre première de capituler par humanité ; ce n'est qu'à ce prix que je peux traiter (1).

La portée de ce langage était trop évidente pour que l'ennemi s'y laissât méprendre. Le général de tranchée Baillet-Latour se borna à accorder une heure pour prendre les ordres du prince d'Orange, commandant l'armée de siège (2). Le bombardement fut donc interrompu et le Prince, averti, répondit aussitôt par cet ultimatum :

Si d'ici à une demi-heure vous n'envoyez pas quelqu'un muni de pleins pouvoirs pour signer et conclure sur-le-champ et sans délai la capitulation, je vais redoubler le feu de mes batteries; et vous serez responsable des maux affreux que votre opiniâtreté aura causée. Vous en avez assez fait pour

(1) Le général de brigade Roulland, commandant à Landrecies, au prince héréditaire d'Orange, commandant général de l'armée impériale et hollandaise devant Landrecies.

(2) Billet daté de 8 h. 4a.


N« 64. LA CAMPAGNE DE 1794 A L'ARMÉE DU NORD. 34

C

votre honneur ; une plus longue résistance devient un crime inutile (1).

Bien que la réponse fût, comme la demande, calquée sur le type habituel des lettres échangées en pareil cas, elle produisit une véritable épouvante dans le conseil, dont les membres insistèrent de la façon la plus vive auprès de Roulland pour le déterminer à une capitulation immédiate :

...... Ils ne cessaient de lui répéter de se dépécher, que la

demi-heure accordée était expirée et que le feu de l'ennemi allait sans doute recommencer. Leur terreur, vraiment panique, était portée à un si haut point qu'ils ne voulurent écouter aucune des observations les plus sensées (2).

Roulland proposa alors d'envoyer en parlementaire à l'ennemi l'adjudant général Frémont, qui s'était distingué dans le siège et qui avait toute sa confiance. Il lui recommanda de ne capituler qu'à la condition d'obtenir que la garnison sortît sous trois jours avec armes et bagages, en emmenant tous les habitants qui le voudraient. Malgré ces instructions formelles, Frémont céda aux menaces des généraux ennemis qui se montrèrent inflexibles. La capitulation du 11 floréal (30 avril), signée par lui vers midi (3) et bientôt ratifiée par Roulland, stipula que la ville serait remise dans la soirée aux Alliés et que la garnison serait prisonnière de guerre ; toutefois, en faveur de leur belle défense, les troupes sortiraient « avec les honneurs de la guerre », les officiers conservant leurs épées. Les drapeaux, les chevaux,

(1) Lettre datée du 30 avril, à 10 h. 30 du matin.

(2) Rapport de Roulland.

(3) Le prince d'Orange écrit, le 30 avril, aux États de Hollande : « Aujourd'hui, à midi, la forteresse de Landrecies s'est rendue par capitulation. »


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les fusils, toute l'artillerie, les munitions de guerre et de bouche, les archives et tous autres objets militaires devaient être livrés à l'ennemi. Les habitants (qui, seuls, n'avaient pas montré de défaillance pendant ce siège) pouvaient « se retirer avec leurs meubles en l'espace d'un mois ».

Pendant que ces tristes événements se déroulaient à Landrecies, les troupes françaises qui cherchaient à arracher cette place aux mains des Alliés suivaient anxieusement les indices qui pouvaient leur dévoiler la situation. C'était naturellement aux troupes placées sur l'Helpe, et particulièrement à la brigade Montaigu, à Maroilles, qu'incombait ce soin. Elle était le point d'origine et de bifurcation des renseignements qui étaient transmis à Favereau, d'un côté par Avesnes sous la signature de Fromentin, de l'autre par la Sambre et la division Despeaux sous la signature du général Mayer. La correspondance ainsi échangée fait ressortir les diverses phases par lesquelles passa l'angoisse du commandement français. Le 11 floréal (30 avril), à 6 heures du soir, Florentin transmet à Favereau les renseignements de Soland portant que « le feu a cessé entièrement sur Landrecies de part et d'autre depuis 7 heures du matin », que la ville est en feu mais que Soland n'a « rien pu découvrir qui en annonce la reddition ».

Le 12 (1er mai), nouveau rapport de même origine. Des émissaires annoncent la reddition de Landrecies et un mouvement de l'ennemi sur Courtrai. « Avertis Ferrand de suite », écrit Soland (1), « pour qu'on défende Courtrai. Tu sais que c'est la suite du projet de l'ennemi. Pour nous gardons nos positions, car il viendra sur

(1) Rapport de Soland à Fromentin, dont celui-ci envoie copie à Favereau (12 floréal-l" mai).


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Avesnes et sur Maubeuge après avoir forcé nos postes. » En ^transmettant cette lettre, Fromentin annonçait qu'il allait prescrire l'exécution « de fortes reconnaissances ». En effet le lendemain matin, 13 floréal (2 mai), Soland fit faire « une découverte » qui rapporta quelques renseignements. L'ennemi n'opérait aucun mouvement du côté de l'Helpe ; il avait élevé une redoute près du moulin entre Favril et la Folie; il avait des postes du côté du Sart; enfin la route de Guise à Landrecies était coupée (1).

Du côté de Limont-Fontaine, quartier général de Despeaux, les nouvelles transmises étaient également alarmantes, mais assez vagues. Une lettre signée de Royat, aide de camp du général Mayer, avait d'abord annoncé qu'après avoir été assez violent toute la nuit du 10 au 11 floréal (29 au 30 avril), le bombardement avait cessé vers 8 heures du matin (2). Une seconde lettre, de Mayer lui-même, donnait comme à peu près certaine, dans l'après-midi, la reddition de Landrecies; elle

(1) Voir les Mémoires du général Duhesme : « L'on se disposait

à une nouvelle tentative pour le 13 (floréal-2 mai), lorsque tout d'un coup l'on n'entendit plus le canon, et nos reconnaissances, ne rencontrant plus les avant-postes ennemis, poussèrent jusqu'à leur ligne de circonvallation, qu'elles trouvèrent abandonnée; on aurait volontiers été tenté, dans le premier moment, de présumer que, battu par le général Pichegru du côté de Cambrai, il avait été forcé de lever le siège.

« Des reconnaissances de troupes légères avaient même capturé des vivandiers et quartiers-maitres autrichiens jusque sur les glacis de Landrecies. Nous ne tardâmes pas à être détrompés; nous apprîmes donc qu'une partie des troupes de Landrecies avait hâté sa reddition, malgré le voeu des habitants, et que l'ennemi, après avoir remplacé par une garnison la nôtre, qu'il envoya prisonnière en Hongrie, s'était porté avec toutes ses forces sous la W est-Flandre, où le général Pichegru menaçait de pénétrer. »

(2) La copie de ces lettres est transmise par Favereau à Desjardin, à titre de renseignement (de Maubeuge, 12 floréal-1" mai).

Bev. Hist. 3


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LA CAMPAGNE DE 4794 A L'ARMÉE DU NORD.

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signalait un mouvement de l'ennemi sur sa droite, ce qui confirmait l'hypothèse formulée par Soland d'intentions hostiles contre Cambrai.

Dès que la triste nouvelle eut été définitivement confirmée, Favereau, qui n'était pas rassuré pour la défense de Maubeuge, s'empressa d'en informer Desjardin :

Je t'apprends, mon brave ami, que Landrecies est au pouvoir de l'ennemi depuis hier, 10 heures du matin. Cette nouvelle est affligeante, mais elle ne doit pas nous arrêter; préviens-en de suite le général Charbonnié, et prends tes mesures pour établir ta retraite sur le camp retranché au premier instant que je te le marquerai. Donne des ordres pour faire filer de Beaumont, sans perdre de temps, tout ce qui est précieux.

Nous devons cet échec, d'après le rapport de mon aide de camp qui arrive de Maroilles, à la stagnante conduite du général Balland ; tout le monde récrimine contre lui, cette conduite est bien indigne.

Ne t'engage pas trop; l'ennemi fait un mouvement qui n'est pas encore décidé (1).

La responsabilité de Balland était également mise en cause par Mayer : « Toute la faute, écrivait-il, parait tomber sur Balland qui n'a fait aucun mouvement. » Pour être juste, il convient de faire observer que des reproches analogues auraient pu également s'adresser à Goguet, à Dubois, à Soland : on a vu qu'à maintes reprises ils avaient manqué de vigueur et conduit leurs opérations d'une façon hésitante et timorée. Seuls Montaigu et Duhesme pouvaient se flatter d'avoir fait, pour sauver Landrecies, tout ce que leur permettait le manque de solidité de leurs jeunes troupes.

(1) Favereau à Desjardin (Maubeuge, 12 floréal-l" mai). L'heure indiquée pour la capitulation n'est pas tout à fait exacte; elle correspond à peu près au début des pourparlers.


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La nouvelle de la capitulation fut annoncée le 12 floréal (1er mai) par Ferrand au Comité de Salut public et seulement le 15 (4 mai) par Barère à la Convention. Ce retard est peut-être dû au fait que les représentants Richard et Choudieu avaient adressé, le même jour que Ferrand, un renseignement absolument contraire: «Il est faux, écrivaient-ils, que Landrecies soit au pouvoir de l'ennemi, comme on vous l'a écrit. Nous espérons même

qu'il n'y tombera pas (1) » Quoi qu'il en soit, Barère

ne monta à la tribune que le 15. Après avoir lu la lettre de Ferrand, il prenait texte de celle de Richard et Choudieu pour dénoncer les alarmistes, et les accabler de ses foudres (2) :

(1) Lettre datée de Lille (12 floréal-ler mai). La lettre de Ferrand étant écrite de Guise, le même jour, le Comité de Salut public devait la considérer comme fournissant des renseignements plus récents, puisqu'il fallait près d'une journée pour faire parvenir à Lille une nouvelle connue à Guise.

D'après le Bulletin n° 22, la prise de Landrecies aurait causé à Paris une vive émotion, contre laquelle le Comité de Salut public s'efforça de réagir : « Dans la journée du 3, depuis midi jusqu'au lendemain matin, 4, il arriva à Paris une si grande quantité de fuyards de l'armée du Nord et tant de chariots remplis de blessés que le Comité, qui s'assembla dans la nuit, fut unanimement d'avis que l'on ne pouvait plus du tout différer de donner part à la Convention des événements de l'armée du

Nord et de la prise de Landrecies La consternation du Comité est

extrême, mais les discours qu'il prononcera à la Convention ne se ressentiront pas de cette frayeur..... » Le Bulletin ajoute que le Comité eut soin, pour la séance du 4, de faire remplir les tribunes par des affidés, jacobins et gardes nationaux spécialement dévoués; malgré les ordres donnés d'éviter toutes discussions publiques et d'arrêter ceux qui, dans les cafés, parleraient de l'événement, il y eut dans Paris beaucoup de fermentation, causée surtout par l'arrivée continuelle de voitures chargées de blessés. « Ce spectacle a fait un effet prodigieux » sur le peuple; dans la journée du 4, on parlait avec effroi de l'armée autrichienne et de « la certitude que cette armée viendrait à Paris ». (The Manuseripts of J.-B. Fortëscue, t. II, p. 567.) (2) Moniteur du 16 floréal (15 mai), p. 916.


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On a jeté l'alarme parce que Landrecies est pris ! Que diraient donc ces lâches alarmistes si d'autres places étaient prises, si des places importantes étaient attaquées et se rendaient ? Proposeraient-ils de perdre la liberté ? Proposeraientils de lâches transactions, ceux qui ne balancent jamais trente victoires avec un échec !

Après avoir invoqué ce mot magique de la victoire, il en profitait aussitôt pour opposer aux défaites de Ferrand les succès de Souham et de Moreau :

Déjà la guerre est portée avec succès sur son territoire [de l'ennemi] ; trois de leurs places ont été au pouvoir de la République en trois jours, et ce n'est qu'après deux mois d'intrigues, de perfidies et d'attaques, que Landrecies a été pris (1).

Il citait un détail significatif du siège de Menin. Après l'investissement, Moreau avait fait bombarder cette place, malgré les troupes qui réclamaient toutes de monter à l'assaut, promettant que les premiers combleraient les fossés de leurs cadavres pour permettre à leurs camarades de les franchir plus facilement.

Croyez-vous, concluait Barère, qu'avec de tels soldats vous

(1) Barère parait avoir (plus ou moins sincèrement) prêté volontiers l'oreille aux accusations de trahison. C'est ainsi que, dans la séance de la Convention du 11 floréal (30 avril), il dit : « Les troupes des tyrans coalisés ont un genre de courage remarquable dans les annales militaires de l'Europe; ils attaquent les armées dans lesquelles ils ont organisé des trahisons ; ils se portent en force vers les places où ils ont corrompu les chefs Leurs banquiers prennent plus de places que leurs

généraux, et c'est bien plus avec des guinées qu'avec des cartouches qu'ils cherchent dés succès. » (Moniteur du 12 floréal-l" 1 mai, p. 901.)

En réalité, il ne semble pas que des intelligences coupables avec l'ennemi aient déterminé les défaillances fâcheuses constatées dans la défense de Landrecies, ni dans les tentatives faites pour secourir cette place.


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ayez à vous attrister sur les chances inséparables de la guerre ? Et pensez-vous que ceux qui veulent combler de leurs corps les fossés, pour que les seconds bataillons attaquent une place, laissent longtemps la frontière déshonorée par les hordes autrichiennes? Partout règne l'audace de la République et la soif de la gloire.

Moins emphatique et plus sincère, Marescot écrivait le 13 floréal (2 mai) à Carnot :

Landrecies s'est rendu, mon cher Carnot, après quatre jours et demi de bombardement. Cette faible résistance est faite pour étonner (1). J'avais été à même de voir combien cette petite place était-négligée, mais cependant on en devait attendre une plus longue défense (2).

La défense pouvait, en effet, être plus longue si le commandant avait montré moins de faiblesse ; si les ofâciers n'avaient pas été assez oublieux de leurs devoirs pour le presser de capituler ; si la troupe avait été moins indisciplinée et n'avait pas donné le honteux spectacle de franchir les barrières pour aller fraterniser avec les soldats ennemis, tandis que la capitulation se discutait

(1) Dans sa lettre à Dundas, du 30 avril, le duc d'York parle de la capitulation comme d'un « événement heureux qu'on ne s'attendait pas à voir arriver sitôt ».

(2) De Maubeuge, 13 floréal (2 mai). Dans cette lettre, on remarquera que, malgré la situation critique de Maubeuge, l'antagonisme de l'artillerie et du génie avait donné lieu à de regrettables conflits d'attributions : « C'est un moment comme celui-ci, écrit Marescot, que les officiers d'artillerie ont attendu pour déclarer au conseil de guerre qu'ils ne regardaient pas les' magasins à poudre comme étant à l'abri de la bombe, et que c'était aux officiers du génie et non pas à eux à les blinder. Tu sais cependant, aussi bien que moi, toutes les manoeuvres employées par l'artillerie pour se faire adjuger les magasins à poudre et que, depuis longtemps, tout ce qui les concerne regarde les seuls officiers de cette arme. »


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encore avec le prince d'Orange; si enfin chacun avait imité la constance et la résignation de la population et des autorités civiles, dont le dévouement fut toujours à la hauteur des circonstances. La constance et le patriotisme dont firent preuve les habitants de Landrecies ne sont pas seulement mis en lumière dans le Mémoire historique adressé à la Convention par le conseil général de la commune, le 14 nivôse an III (3 janvier 1795) (1) ; il est hautement affirmé par d'autres témoignages contemporains, tels que ceux de Roulland et de Carnot (2); il mérite d'être opposé à la défaillance de ceux qui rendirent la place alors que les fortifications n'étaient pas gravement endommagées, que l'artillerie pouvait encore agir et que les vivres et les munitions ne manquaient pas.

Mesures prises par les deux adversaires après la capitulation de Landrecies. — a) Mesures prises par les Alliés. — En annonçant aux Etats généraux de Hollande la capitulation de Landrecies (3), le prince d'Orange

(1) En dehors de ce document, la municipalité de Landrecies rédigea des Renseignements sur quelques officiers de la garnison.(du 8 fructidor an H-25 avril 1794) qui sont publiés parmi les Documents annexes.

(2) Les Mémoires sur Carnot (par Hippolyte Carnot) rapportent cette appréciation du Conventionnel sur la défense de Landrecies : « Les habitants de cette ville opposèrent à la trahison et à la lâcheté d'une garnison de 8,000 hommes une bravoure et une fidélité républicaines que les femmes partagèrent. Elles auraient seules sauvé la place si leur énergie n'eût été enchaînée par cette indigne troupe, punie aujourd'hui de son crime par une captivité que n'adoucit point le témoignage d'une bonne conscience et que le remords doit rendre plus pénible. » (Édition de 1893, chez Charavay et Mantoux, 1.1, p. 482, note I.)

(3) Le prince d'Orange aux États de Hollande (30 avril). Voir une lettre de M. d'Albarey au comte de Hauteville (de Bruxelles, 1 °r mai) annonçant que la nouvelle de la prise dé Landrecies a été apportée par un officier que le prince d'Orange avait expédié et qui est passé à Bruxelles « ce matin vers midi ». (Archives d'État de Turin.)


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faisait savoir qu'aussitôt après la sortie de la garnison, la place serait occupée par 2 bataillons autrichiens et 2 hollandais.

D'autre part, le duc d'York informait le secrétaire Dundas de cet important événement (1) ; il devait en même temps y ajouter « la nouvelle désagréable » de l'échec de Mouscron, à la suite duquel Clerfayt avait pris position pour couvrir la grande route de Tournai à Courtrai. « Sur cet avis, concluait-il, l'Empereur m'a prié de marcher ce soir, aussitôt que possible, vers Saint-Amand et de là, s'il était nécessaire, au secours du général Clerfayt. »

Quant à Cobourg, il datait le 30 avril, de son quartier général de Catillon, une relation succincte du siège de Landrecies; et il l'adressait le lendemain, du Cateau, au président du Conseil de la guerre en y joignant les ordres envoyés à Clerfayt à la suite de son échec à Mouscron. En dehors de ces prescriptions, Cobourg avait adressé, de sou quartier général de Catillon, le 30 avril, l'ordre général de mouvement destiné à porter l'armée d'observation en partie au secours dé Clerfayt, en partie en position d'attente face à Cambrai.

On a vu qu'après avoir pris connaissance des renseignements trouvés sur Chapuis, le prince de Cobourg avait déjà dirigé un premier renfort au secours de Clerfayt. Malgré cet envoi, le corps du duc d'York comprenait encore 14 bataillons et 28 escadrons. Ces troupes reçurent l'ordre le 30 avril de se porter le même jour à l'entrée de la nuit, par Saint-Amand sur Tournai, d'où le duc d'York se mettrait à la disposition de Clerfayt et concerterait ses opérations avec lui. Pour couvrir, ce départ, le duc d'York devait laisser le régiment de cuirassiers Zeschwitz au Cateau, en observation devant

(1) Le duc d'York à Dundas (du Cateau, 30 avril),


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Cambrai. Quant à l'armée d'observation, établie au Sud de Landrecies, entre la Sambre et l'Helpe, elle devait, tout d'abord, profiter de la nuit du 30 avril au 1er mai pour raser ses travaux. Ensuite, elle se diviserait en deux parties, de force à peu près égale. L'aile droite, sous les ordres de Kinsky, devait se mettre en marche une heure avant le point du jour, franchir la Sambre sur la communication existante et prendre position en avant de Catillon, entre la Sambre et la Selle. L'aile gauche, sous les ordres de l'archiduc Charles, devait également marcher deux heures avant le jour, franchir la Sambre en deux colonnes à Ors et à Catillon, et se porter au delà du Cateau pour occuper cette localité.

La ligne d'avant-postes qu'établit l'archiduc Charles le 2 mai, pour se couvrir vers Cambrai et Bouchain et se réserver au besoin des débouchés dans ces deux directions, fut la suivante : l'aile droite s'appuya à Solesmes et Saint-Pithon, occupés chacun par une compagnie ; de Fontaine-Autarque et Vielly, un escadron éclairait en avant, à droite et à gauche, et assurait vers Villers-enCauchies la liaison avec les postes du corps d'observation de Denain qui occupaient Saulzoir; le centre de la ligne était à Inchy, Beaumont, Troisvilles et Bertry; Inchy, Beaumont et Bertry étaient respectivement tenus par une compagnie; à Troisvilles, il y en avait quatre, deux divisions de hussards et une de uhlans poussant des postes en avant d'Inchy, de Beaumont, d'Audancourt, deMontigny et de Bertry (1); à Reumont était une division de uhlans poussant des postes à Maurois et Honnechy et des patrouilles jusqu'à Marets, Busigny et Becquigny. De SaintBenin, où se trouvait une compagnie franche avec deux

(1) Il était naturel que Troisvilles fût plus spécialement occupé, puisque c'était le point permettant de déboucher sur le plat.eau à l'Ouest.


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canons de 3 destinée à tenir le ravin du Cateau, une division de hussards impériaux détachait des pelotons à Saint-Soupplet et Escaufourt, occupés respectivement par une compagnie franche fouillant les bois et ravins voisins. Ces pelotons de cavalerie avaient des petits postes à la Haye-Manderesse, Moulins, Saint-Martin et l'Arbre de Guise (1).

Quant à l'armée de siège, on a déjà vu qu'elle devait fournir d'abord à Landrecies une garnison de 4 bataillons. De plus l'ordre pour le 1er mai lui prescrivait de couvrir la place sur les avenues de Guise, de la Capelle et d'Avesnes au moyen de quelques bataillons campés en avant de la place sur les hauteurs de Favril. Ces dispositions de sûreté une fois prises, le gros de cette armée camperait jusqu'à nouvel ordre à Montgarny au NordOuest de la ville. Le 3 mai, le gros quitta cette position et vint en partie passer la Selle à Neuvilly, en partie camper sous les ordres du prince d'Orange à Basuyau (2). Enfin, le 4 mai, Cobourg prescrivait aux services de l'artillerie et du génie de mettre Landrecies en état de défense et d'en assurer le nouvel approvisionnement.

(1) Qu'il nous soit permis de faire remarquer, au sujet de ce dispositif, qu'on a voulu expliquer par d'anciens errements la distance si faible à laquelle, en 1870, se plaçaient les postes français. Il semble que le dispositif que nous venons de donner, aussi bien que celui que Brunswick occupa en 1792 en avant de Verdun, permet de conclure que, de tout temps et quelle qu'ait été la portée des armes à feu, les armées imbues de saines idées tactiques ont toujours su placer leurs avant-postes à la distance nécessaire pour assurer leur liberté d'action.

(2) Les avant-postes des bataillons placés sur les hauteurs de Favril et couvrant Landrecies eurent, le 1er mai, quelques tirailleries sans importance et de faible durée avec les patrouilles françaises qui se montrèrent vers Priches, Le Sart et en avant de Fesmy.

Les 2, 3 et 4, il n'y eut aucun événement à signaler.

Le 5, l'Empereur, après avoir passé la revue de ses troupes, assista, à la censé Ramboulieux, à un Te Deum en l'honneur de la prise de Landrecies, cérémonie pendant laquelle il fut tiré trois salves.


42 LA CAMPAGNE DE 1794 A L'ARMÉE DU NORD. N« 64.

Le quartier général de l'Empereur se transportait le 1er mai de Catillon au Cateau (1).

Si l'on considère ce dispositif dans son emsemble, on voit que l'armée principale, après la prise de Landrecies se couvre sur ses derrières au moyen de quelques bataillons laissés dans cette place et vers Favril contre des surprises possibles de Guise, de la Capelle oud'Avesnes; et que la presque totalité de cette armée s'échelonne sur la chaussée de Cambrai, entre le Cateau et le Catillon, prête à déboucher sur Cambrai, son deuxième objectif après Landrecies.

b) Mesures prises par Ferrand et Pichegru. — Après la chute de Landrecies, Ferrand, qui n'avait pu faire concourir la division de Cambrai à ses projets d'offensive, prit le parti de laisser cette division se réorganiser derrière l'Escaut. Il assurerait la sécurité de Maubeuge et d'Avesnes au moyen des troupes placées sous les ordres de Favereau et de Fromentin ; lui-même disposerait des deux divisions Dubois et Balland pour se porter là où l'exigeraient les circonstances, suivant les mouvements de l'ennemi.

Il ne démêlait pas encore bien le sens de ces derniers. Certains renseignements indiquaient Cambrai comme leur objectif; d'après d'autres, Maubeuge était menacé. Dans la crainte d'une attaque sur ce point, Ferrand faisait prévenir Favereau par l'adjudant général Barbou :

Le général vient d'être instruit que l'ennemi multiplie ses mouvements.

Le général me charge de te dire qu'il est essentiel de

surveiller de plus en plus tes positions. Des rapports lui annoncent que l'ennemi a des desseins sur Maubeuge depuis

(1) Voir une lettre de M. d'Albarey au comte de Hauteville (Valenciennes, 5 mai). (Archives d'État de Turin.)


N« 64. LA CAMPAGNE DE 4794 A L'ARMÉE DU NORD. 43

la prise de Landrecies; il paraît aussi qu'il se rejette sur Cambrai.

Le général n'a pas besoin de te rappeler combien le

poste qui t'est confié est intéressant à défendre (1).

Le même jour, quand la prise de Landrecies n'était pas connue et qu'il était encore question d'une attaque générale pour le lendemain, Favereau avait signalé à Ferrand l'impossibilité d'envoyer 6,000 hommes à Maroilles, étant donné l'effectif très réduit de la garnison de Maubeuge. Une fois instruit de la capitulation, Favereau appela de nouveau l'attention de Ferrand sur la situation de Maubeuge déjà précaire et qui allait le devenir davantage en présence des forces de l'ennemi devenues disponibles :

La prise de Landrecies doit fixer avec la plus grande

attention tes regards sur Maubeuge et Avesnes. Tu sais combien cette partie est dénuée de troupes, pour avoir renforcé la division de Fromentin dans les postes de Maroilles et Fayt. Tu sais que l'ennemi a l'intention de s'emparer des places qui peuvent protéger la forêt de Mormal et, par ce moyen, s'assurer une assise qui le rendrait formidable dans cette partie. Je calcule que, pour nous couper la communication avec Avesnes, il veut passer la Sambre a Bâchant et Berlaimont; et une fois [qu'il sera] maître des Hayes d'Avesnes, avec ma poignée de monde, il m'est impossible de pouvoir tenir. Je n'ai seulement assez de troupes pour le service de vingt-quatre heures. J'écris à Fromentin pour qu'il me fasse passer une partie des bataillons de mes divisions, car sûrement ton attaque do demain n'aura pas son effet, l'ennemi ayant évacué la position qu'il occupait, à ce que me marque le général Mayer. Tous moments perdus pourraient devenir

(1) Lettre de l'adjudant général Barbou au général Favereau (de Réunion-sur-Oise, 12 floréal-ler mai).

(1) Lettre de Favereau à Ferrand (de Maubeuge, 12 floréâl-ler mai).


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funesles. Décide-toi, Général, et crois que j'emploierai tous mes moyens et mon zèle pour défendre la cause de la liberté. Fais attention que je n'ai que six bataillons qui font environ 4,400 hommes pour le camp et la place. Donne tes ordres de suite.

En répondant le lendemain à cette lettre, Ferrand dit que, de l'ensemble des renseignements reçus, l'ennemi menacerait plutôt Cambrai ; mais, n'ayant pas une certitude complète à cet égard, il essaye de parer à la fois aux deux dangers en prescrivant à Fromentin de faire passer à Favereau « le plus de monde possible », et en dirigeant des troupes sur Saint-Quentin « afin d'éclairer la marche de l'ennemi (1) ».

Mais à peine a-t-il donné ces ordres, qu'il reçoit une lettre de l'adjudant général Malher annonçant à tort que l'ennemi a évacué Solesmes et Troisvilles (2). Ce renseignement lui donne à penser que les Alliés, au lieu de menacer Cambrai, se dérobent vers l'Est avec l'intention d'attaquer Maubeuge. Dans ces conditions, il fait « rétrograder les forces dirigées sur Saint-Quentin » ; il appelle toute l'attention de Favereau sur la Sambre ; il prescrit à Fromentin de renvoyer à Maubeuge une partie des bataillons qui en avaient été tirés. Lui-même a soin de tenir les forces des deux divisions Dubois et Balland réunies dans le camp retranché de Guise pour « être à même » de se porter en masse sur le point qui sera attaqué (3).

(1) Lettre de Ferrand à Favereau du 13 floréal (2 mai).

(2) C'est la lettre de l'adjudant général Malher, dont il est question p. 21.

(3) Lettre de Ferrand à Favereau du 13 floréal (2 mai). Quoiqu'elle soit transcrite sur le registre de Favereau avant la précédente, elle est certainement postérieure. Il est du reste fort possible qu'ayant été écrite peu de temps après la première, elle soit arrivée avant elle^à Maubeuge.


64. LA CAMPAGNE DE 4794 A L'ARMÉE DU NORD. 4S

II rend compte le jour même à Pichegru de ces diverses dispositions (1).

Il explique comment l'attaque du 13 est devenue inutile, reproduit les renseignements qui ont dirigé ses appréhensions d'abord vers Cambrai, puis vers Maubeuge :

J'ai ordonné à Favereau de garder avec vigilance les bords de la Sambre, je lui ai fait rentrer les bataillons qu'il avait fournis à la division d'Avesnes ; le général Charbonnié a dû lui en fournir quatre d'après tes ordres. Quant à Fromentin, par ses positions il doit occuper la Haye d'Avesnes, faire de fréquentes et fortes reconnaissances

Découragé par les derniers événements, il invoque le mauvais état de sa santé et fait appel à « l'attachement » de Pichegru pour être rendu « à des fonctions moins importantes », dans lesquelles il « servira mieux sa patrie » et sera « plus heureux ».

Favereau n'avait pas attendu les ordres de Ferrand pour réclamer ses bataillons. Dès le 12 floréal (1er mai), il avait demandé à Fromentin de les lui renvoyer, en lui faisant remarquer que l'attaque du lendemain n'aurait sans doute pas lieu et qu'il était indispensable de mettre Maubeuge à l'abri des menaces de l'ennemi :

Je n'ai pas balancé pour te secourir, concluait-il, j'espère que tu en feras autant de mon côté.

N'ayant pas une réponse le jour même, Favereau insiste encore auprès de Fromentin le lendemain; il est

(1) Cette lettre, datée de Réunion-sur-Oise 13 floréal (2 mai), nous a été conservée par une copie que Pichegru adresse le lendemain (de Lille) au Comité de Salut public. Ferrand avait annexé à sa lettre un extrait de la capitulation de Landrecies, reproduit de mémoire par les fourriers de la garnison, qui avaient été renvoyés librement.


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d'autant plus pressant que Despeaux lui a transmis copie d'une lettre de Mayer, datée de Maroilles (12 floréal1er mai) et prêtant à l'ennemi, déjà maître de Landrecies, le projet de faire dans la nuit du 12 au 13 une fausse attaque sur l'Helpe pour masquer une manoeuvre enveloppante sur un autre point. En transmettant ces renseignements, Despeaux ajoute d'ailleurs qu'il se met sur ses gardes, mais ne pourra « résister à l'ennemi avec le peu de forces qu'il a le long de la Sambre (1) ».

Favereau s'empressait en outre de donner connaissance de cette lettre à Desjardin et se plaignait à lui, ainsi qu'à Despeaux, de ce que Fromentin ne répondait pas à sa demande de renforts. Cette plainte était heureusement non fondée, car, à cette même date du 13 floréal (2 mai), Fromentin écrivait qu'il donnait ordre à Montaigu et à Soland de renvoyer « sur-le-champ » tous les bataillons fournis par les divisions de Maubeuge; il demandait en échange le renvoi de l'escadron du 22e de cavalerie qui avait été détaché à Solre-Libre lors de la démonstration de Kaunitz (2).

Après avoir reçu ces derniers renseignements sur l'ennemi et sur les troupes remises à sa disposition, Favereau put arrêter, après en avoir conféré avec Desjardin, les mesures à prendre pour couvrir Maubeuge contre les entreprises des Alliés.

Voici ce qu'a été notre résultat, écrit-il à Ferrand (3).

(1) Lettre de Despeaux à Favereau. Limont-Fontaine, 13 floréal (2 mai).

(2) Lettre de Fromentin à Favereau. Avesnes, 13 floréal (2 mai).

(3) Lettre de Favereau à Ferrand (Maubeuge, 43 floréaI-2 mai). Il ajoute que les vivres « ne sont pas bien abondants ». En cas de besoin, on se « restreindra à moitié », en attendant des secours.

Favereau envoie, le même jour, copie de ces dispositions à Fromentin. '


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Comme il faut soutenir jusqu'à extinction de forces, il faut seprer nos coudes. Nous tenons les positions citées ci-après : Sur la droite, nous tenons Montigny-Saint-Chrislophe, Bousignies, Reugnies, Coursolre et Bersilly. Retraite sur Ferrièrela-Petite, pour défendre les passages de la Sambre et se porter où besoin sera. La force est de 3 bataillons d'infanterie, 1/2 compagnie d'artillerie légère, 2 pièces de 8, 1 obusier et 450 hommes de cavalerie. Cette force tiendra trois bataillons cantonnés depuis Requignies jusqu'au Bois sur Sambre.

Nous tenons Tiremont, Beaumont, Solre-Saint-Géry, le camp de Leugny. La force est de 4 bataillons (compris 1 de grenadiers), 1/2 compagnie d'artillerie légère, 3 pièces de 12 et de 8 et 450 hommes de cavalerie. La retraite sur SolreLibre pour tenir les Hayes d'Avesnes. En cas forcé, les trois bataillons gardant la Sambre depuis Requignies jusqu'au bois de Solie, se porteraient, pour appuyer le camp, à gauche de Cerfontaine.

Sur la gauche, nous tenons Hautmont. En cas de retraite, elle se fera sur le camp de Falise. Nous tenons Saint-RémiMalbàti et environs. En cas de retraite, elle se fera sur le bois de Beaufort et, de là, sur le camp retranché de Falise. Nous tenons Bâchant et les positions en aval de Berlaimont. En cas de retraite, sur les Hayes d'Avesnes.

Pour compléter ces mesures de défense, Favereau prescrit le lendemain au général Muller (dont la division occupait le camp retranché) de chercher à détruire le retranchement construit par l'ennemi à Assevent, de lui en opposer un semblable et d'utiliser, si possible, la redoute de Rousies (1).

(1) Lettre de Favereau à Muller (14 floréal-3 mai). Voir (même date) lettre de Favereau A Ferrand disant que les ennemis « remuent toujours la terre comme des taupes » ; la nuit précédente, ils ont fait une parallèle partant en avant de la redoute d'Assevent et allant vers le village de ce nom. Favereau se propose de faire combler ces tranchées pendant la nuit. Cette opération eut effectivement lieu dans la nuit du 14 au 15 floréal (3 au 4 mai).


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Dans cette même journée du 14 floréal (3 mai), une « forte reconnaissance du côté de Landrecies », faite par Fromentin avec Soland, lui permit de recueillir les renseignements qui semblaient déchirer le voile enveloppant les projets de l'ennemi. Il s'empressait d'en avertir Favereau :

L'intention de l'Empereur est, je crois, de faire porter ses troupes sur Tournai et le débloquer, de garantir Mons et de chercher à cerner l'armée du général en chef; il faut qu'il se tienne sur ses gardes, car ils tomberaient 60,000 hommes sur lui. Voilà leur intention (1).

Cette nouvelle, que Favereau transmettait aussitôt à Ferrand (2), paraissait d'autant plus vraisemblable que le double mouvement de Pichegru sur Courtrai, et de l'armée des Ardennes sur Beaumont, devait naturellement engager les Alliés à tenir en forces les postes de Tournai et de Mons, renouvelant ainsi leurs dispositions favorites, déjà prises en 1792. On se rappelle qu'à cette époque Clerfayt et Beaulieu avaient occupé ces positions pour faire face à Luckner et à Lafayette. Favereau suggérait d'ailleurs l'idée que l'ennemi ne pouvait « avoir des forces bien majeures sur toute la ligne », il y aurait intérêt à l'attaquer sur ces points, en y concentrant une masse supérieure ;

Ne pourrions-nous pas nous réunir au général en chef de l'armée des Ardennes et marcher sur Mons? Si cette place ne peut pas faire résistance, il est certain que nous ferions un

grand coup Avons-nous de la cavalerie, de l'infanterie

suffisantes? Car cette arme est bien précieuse pour une pareille expédition. Pourrons-nous dégarnir ce point sans compromettre l'intérêt national? Serions-nous pourvus de vivres? Je

(4) Lettre de Fromentin à Favereau (Avesnes, 14 floréal-3 mai). (2) Par la lettre du même jour visée à la note 1 de la p. 47.


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l'offre, mon Général, mes idées pour et contre. Crois que l'amour de ma patrie seul fait parler mon coeur. C'est à toi à peser dan3 ta sagesse ce que tu as à faire. Il faut t'observer que Mons est le dépôt de vivres de l'armée ; il est essentiel que Pichegru le sache (1).

Le 15 floréal (4 mai), un nouveau renseignement vint confirmer cette hypothèse. Du haut de la tour de Maubeuge, Favereau put voir une « très forte » colonne marchant de Bavai sur Thuin, ce qui semblait indiquer soit un mouvement pour investir Maubeuge par le NordEst, soit l'occupation du passage de la Sambre à Thuin par l'avant-garde d'un corps principal rassemblé vers Mons. Il ne perdit pas « un instant » pour en informer Ferrand, Desjardin, Fromentin et Des - peaux (2). Cette nouvelle n'était d'ailleurs pas de nature à faire modifier les dispositions prises par Ferrand, qui la transmit aussitôt à Pichegru pour l'éclairer sur la situation.

A cette même date du 4 mai, Pichegru était parti de Lille avec le représentant Richard, pour se rendre à Guise. Il se rencontra à Cambrai avec le représentant Florent Guiot qui s'y était rendu quelques jours auparavant, et avec Saint-Just et Lebas qui, de leur côté, arrivaient de Guise. Un important conseil fut tenu entre le général en chef et les Représentants dans la nuit du 4 au 5 mai (15 au 16 floréal) pour arrêter les grandes lignes des prochaines opérations.

Les instructions précédentes du Comité de Salut public venaient d'être complétées à cet égard par une décision capitale, prise le jour même de la capitulation

(1) Lettre de Fiivereau à Ferrand, déjà visée p. 47, note 1, et p. 48, note 2.

(2) Les quatre lettres sont datées du 15 floréal (4 mai).

Rer, Hlal. 4


so

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de Landrecies, et dont l'honneur doit être attribué à Carnot (1). Elle avait pour objet d'exploiter en quelque sorte le résultat déjà obtenu par la jonction de Desjardin et de Charbonnié ; de constituer à l'aile droite de l'armée du Nord un groupement de forces ayant une supériorité assez marquée sur l'ennemi pour donner un caractère décisif aux succès obtenus. Tel fut l'objet des deux arrêtés pris par le Comité le 11 floréal (30 avril) :

Le Comité de Salut public arrête : 16,000 hommes de l'armée du Rhin seront mis sans aucun délai, par le général en chef de cette armée, à la disposition de l'armée de la Moselle.

Le Comité de Salut public arrête : 1° le général en chef de l'armée de la Moselle fera marcher, sans aucun délai, toutes ses forces disponibles sur le pays de Liège et de Namur ; 2° il ne conservera sur les frontières de la Moselle que les forces strictement nécessaires pour garder les places fortes, les postes d'Arlon et de Kaiserslautcrn et une position entre la Sarre et la Moselle, de sorte que le détachement formant la division qui doit marcher vers la Belgique soit au moins de 20,000 à 25,000 hommes ; 3» le général en chef de l'armée de la Moselle exécutera cette opération dans le plus grand secret et fera courir le bruit d'une autre expédition, soit sur Trêves, soit sur le Palatinat.

Or, au moment même où le Comité prenait ces arrêtés, l'armée de la Moselle était chassée d'Arlon par les Impériaux. En apprenant cette nouvelle, Saint-Just et Lebas jugèrent qu'il ne fallait plus compter (au moins pour le

(1 ) L'archiduc Charles dit à ce propos dans ses Mémoires : « Cette résolution du gouvernement français était due à l'initiative de Carnot. Si la direction des opérations mérite quelque critique, par contre à Carnot revient l'honneur d'avoir su le premier réaliser l'emploi simultané de masses contre un seul et même but, sous un seul commandement et d'avoir embrassé dans ses conceptions de grands mouvements décisifs. »


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moment) sur une intervention des troupes qui se trouvaient à l'Est de la Meuse, et que l'armée du Nord devrait poursuivre avec ses seules forces la mission qui lui était assignée dans le plan général.

Dans ces conditions, le conseil de guerre tenu à Cambrai confirma le plan qui consistait à « attaquer et tourner l'ennemi par la droite et par la gauche », en se « bornant au centre à une défensive active (1) ». Mais comme il importait de réunir des « forces majeures sur les points d'attaque », il fut convenu qu'on ne laisserait que « de bonnes garnisons à Cambrai et à Bouchain », que les forces disponibles dans cette partie seraient portées à gauche pour élever à 75,000 hommes l'effectif de l'armée dans la Flandre maritime. D'un autre côté, on se contenterait de maintenir 30,000 hommes à Guise, et « les garnisons nécessaires » à Avesnes et à Maubeuge ; tout le reste des troupes qui gardaient les bords de la Sambre et de l'Helpe serait dirigé sur la division des Ardennes qui, étant portée à « plus de 60,000 hommes », pourrait pousser vivement ses opérations et se diriger sur Mons. ,

Conformément aux décisions ainsi arrêtées, Pichegru, avant de quitter Cambrai, adressa à Ferrand l'ordre suivant, qui définit nettement le rôle à jouer par les troupes du centre pendant que va se poursuivre le double mouvement offensif commencé le 26 avril contre les deux ailes de l'ennemi (16 floréal-5 mai) :

Il est ordonné au général de division Ferrand d'occuper avec 25,000 hommes le camp retranché de Réunion-sur-Oise, de laisser 2,000 hommes de garnison dans la place d'Avesnes et 7,000 dans Maubeuge et le camp retranché sous les ordres

(1) Lettre de Richard et Choudieu au Comité de Salut public (Lille, 17 floréal-6 mai), publiée dans le Recueil des actes du Comité de Salut public, t. XIII, p. 323.


82 LA CAMPAGNE DE 1794 A L'ARMÉE DU NORD. N« 64.

du général Favereau (1) ; le surplus des troupes de toutes les divisions de la droite ira former un rassemblement sur Jeumont sous les ordres du général Desjardin, qui se concertera avec le général Charbonnié pour opérer ensemble et le plus tôt possible un mouvement sur la gauche de la Sambre, vers Mons ou Saint-Ghislain.

Le principal objet des troupes occupant le camp retranché de Réunion sera de tenir l'ennemi en échec, de protéger les convois, d'assurer les communications, de tomber sur les petits postes qui offriront des succès faciles et d'être toujours en mesure de prendre l'offensive, si les attaques des ailes obligeaient l'ennemi à s'affaiblir outre mesure, ou à faire retraite dans son centre; il est pour cela indispensable que le général Ferrand fasse bien éclairer les mouvements de l'ennemi par l'espionnage et par de fortes découvertes ou patrouilles, afin de pouvoir le poursuivre vivement au premier pas rétrograde qu'il serait dans le cas de faire.

Le général Ferrand doit s'occuper aussi spécialement des approvisionnements en tous genres de Maubeuge et Avesnes afin de s'assurer que ces places livrées à elles-mêmes ont des moyens suffisants pour le plus haut degré de résistance possible.

Quant à la division de Cambrai, elle devenait dispo(1)

dispo(1) l'exécution de cette prescription, Ferrand adresse à Favereau l'ordre suivant (de Réunion-sur-Oise, 18 floréaI-7 mai) :

« Il est ordonné au général Favereau d'établir 7,000 hommes, répartis entre Maubeuge et le camp retranché, lesquels seront spécialement sous ses ordres. Quant au reste de la division et celle du général Despéaux, elles iront former les rassemblements sous les ordres du général Desjardin. Le général Favereau se concertera de suite avec le général Desjardin pour le rassemblement du reste de la division et de celle de Despeaux sur Jeumont. Il conservera le moins de cavalerie possible ; le nombre suffisant pour le service des ordonnances est celui qu'il faudra garder. »

En même temps Ferrand écrit à Favereau pour l'inviter à lui faire connaître les besoins de Maubeuge, lui recommander beaucoup de régularité dans le service. « II s'agit du grand mouvement et j'espère que nous le seconderons de tous nos efforts. »


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nible, dans ces conditions, pour renforcer l'aile gauche de l'armée du Nord. Aussi, avant de repartir pour Lille, Pichegru donne-t-il ordre au général Bonnaud de conduire cette division à Sainghin afin de barrer la route de Tournai (1). Il ne fut laissé à Cambrai qu'une faible garnison, dont le général Proteau conserva le commandement (2).

Après avoir ordonné ces diverses dispositions, Pichegru repartit pour Lille (3), d'où il adressa au Comité de Salut public le compte rendu suivant (17 floréal-6 mai) :

Vos collègues Saint-Just et Lebas, avec qui j'ai conféré dans la nuit du 15 au 16, m'ayant fait connaître que je ne devais pas compter sur le renfort que je vous avais demandé de l'armée de la Moselle, vu qu'elle a été repoussée du poste d'Arlon, je m'empresse de vous écrire pour vous renouveler combien il est urgent d'augmenter les forces de l'armée du

(1) « D'après ces nouvelles vues, Pichegru fit rapprocher de l'aile gauche la division de Bonnaud, forte de 20,000 hommes, et qui avait tâté de l'échec de Cambrai. Elle vint camper le 18 floréal à Sainghin, dcrrrière la Marque, en barrant la route de Tournai. » (Opérations du général en chef Pichegru.)

Voir une lettre de l'adjudant général Malher au général Liéberf (de Sainghin, 18 floréal, 2 heures après-midi), annonçant que la division vient de camper dans la plaine de Sainghin.

(2) « C'est un bon républicain, un bon soldat et qui jouit de l'estime générale. » (Le représentant Florent Guiot au Comité de Salut public, de Lille, le 22 floréal-H mai.)

La place de Bouchain était commandée par le citoyen Ollivier.

(3) Voir lettre du représentant Florent Guiot au Comité de Salut public (Lille, 17 floréal-6 mai) :

« Notre collègue Richard et le général en chef Pichegru, qui sont venus le 15 à Cambrai, ont applaudi à ces mesures (prises pour faire renaître l'ordre et la confiance dans les troupes de la division).

« Je suis revenu ici hier avec eux parce que différentes affaires y exigeaient ma présence ».


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Nord, en raison de celles qu'elle a à combattre. Le plan que que nous venons d'arrêter ou plutôt de confirmer, et dont voici le sommaire, nécessite la prompte exécution de cette mesure.

La division de la droite, après avoir fourni une garnison de 2,000 hommes à Avesnes et de 7,000 à 8,000 hommes pour Maubeuge et son camp retranché, formeront un rassemblement au camp de Jeumont, se joindront ensuite à l'armée des Ardennes, pour de concert s'avancer sur Thuin et Mons.

Les divisions du centre, formant 25,000 hommes, occuperont le camp retranché de Réunion-sur-Oise; elles resteront provisoirement sur la défensive pour protéger les communications et se porter en masse sur les points ou places qui se trouveraient attaqués.

La gauche, sur laquelle se dirige actuellement la plus grande partie des forces ennemies, sera renforcée des troupes qui avaient été envoyées sous Cambrai, laissant seulement 6,000 hommes pour la garnison de cette place et celle de Bouchain, et se portera sur Ypres et Tournai pour faire le siège de l'une de ces places et emporter l'autre de vive force, s'il est possible.

Le corps du centre pouvant d'un moment à l'autre passer

de la défensive à l'offensive, si les ailes obtiennent des succès,

pouvant également se trouver dans le cas de leur fournir des

secours si elles éprouvent des revers, il est indispensable de

le porter au moins à 50,000 hommes. Si l'on ne peut tirer de

l'armée de la Moselle les 25,000 hommes nécessaires pour le

porter à ce taux, on pourrait, je pense, les lui fournir de celles

des Côtes maritimes ou de la Vendée, et je regarde comme un

point bien intéressant de les lui envoyer, car il est très constaté

que l'armée active des tyrans coalisés devant nous est de

200,000 hommes. Dans tous les cas, Citoyens Représentants,

je vous répète que je me battrai toujours sans les compter et

je vais prendre les mesures les plus promptes pour l'exécution

du plan ci-dessus.

Comme le fait ressortir cette lettre, c'est aux deux ailes que va se reporter l'action décisive, déjà amorcée dépuis le 26 avril. Les opérations combinées de Des-


N» 64.

LA CAMPAGNE DE 1794 A L'ARMÉE DU NORD.

55

jardin avec l'armée des Ardennes devant faire l'objet d'un travail particulier, la suite de la présente étude sera consacrée à l'offensive dirigée contre la droite de l'armée ennemie par la vallée de la Lys ; c'est sur cette partie du théâtre de la guerre que nous verrons Pichegru exercer son action personnelle et poursuivre l'exécution du plan de campagne dont nous avons cherché à mettre en lumière la conception originelle.

B.


LA

CAMPAGNE DE 1797 SIR LE RHIN

CHAPITRE V

LES FORCES EN PRÉSENCE

I

Force et emplacemonls des armées de Sambre-et-Meuse et de Rhin-et-Moselle, depuis leur retour sur le Rhin, en 1796, jusqu'au début de la campagne de 1797. — Situations détaillées à cette dernière époque.

La situation sur le Rhin se présentait fort différente, au mois d'avril 1797, de ce qu'elle avait été au début de la campagne de 1796. Les forces en présence s'étaient alors trouvées à peu près égales, les Autrichiens possédant toutefois une légère supériorité. Mais depuis, les victoires de Bonaparte avaient obligé la cour de Vienne à tirer sans cesse des renforts de son armée d'Allemagne pour celle d'Italie. Elle avait essayé de combler avec des recrues les vides ainsi produits, mais elle était restée loin de compte, et c'est dans la proportion de deux contre trois que les troupes impériales allaient avoir à soutenir le choc des Français.

Des deux armées françaises du Rhin, celle de Sambreet-Meuse était à peu près aussi forte que l'année précé-


N° 64. LA CAMPAGNE DE 1797 SUR LE RHIN. 57

dente. Des renforts de l'intérieur lui avaient permis de réparer les pertes de la dernière campagne et l'affaiblissement causé par l'envoi en Italie de 8 demi-brigades et 2 régiments de cavalerie. L'armée de Rhin-etMoselle, qui avait le plus souffert en 1796 et qui avait contribué aussi aux renforts pour l'Italie, n'avait reçu que quelques hommes. Pourtant elle était toujours considérée par le Directoire comme devant jouer le rôle principal dans les prochaines opérations. Tout récemment (1) le Gouvernement avait prescrit que l'armée de Sambreet-Meuse ferait passer 10,000 à 12,000 hommes dont 3,000 cavaliers à sa voisine lorsque celle-ci serait sur le point d'entrer en Bavière. Il eût sans doute mieux valu faire ce mouvement de troupes plus tôt. Mais le Directoire ne donnait à chacun des généraux en chef que ce qui lui était demandé. Moreau n'avait réclamé que du matériel ; on lui en faisait espérer. Hoche avait voulu des hommes ; on mettait à sa disposition les troupes de l'expédition d'Irlande.

On se souvient de l'armistice conclu le 8 décembre par le général en chef de l'armée de Sambre-et-Meuse, Beurnonville, avec le général Werneck, qui commandait l'aile droite ennemie sur le bas Rhin. Les Français, se contentant d'occuper faiblement la tète de pont de Neuwied, avaient retiré leur artillerie sur la rive gauche, et il avait été stipulé que les hostilités ne pourraient être reprises qu'après un avertissement préalable donné trois jours à l'avance. Une dizaine de jours plus tard, semblable convention avait été acceptée par le général Ligniville, qui commandait la droite de l'armée de Sambre-et-Meuse, au sujet des avant-postes autrichiens devant Mayence et Mannheim. L'armée de Sambre-et(1)

Sambre-et(1) 13 avril. Le Directoire à Hoche. Paris, 24 germinal an V. A. H. G. Correspondance de l'armée de Sambre-et-Meuse.


58 LA CAMPAGNE DE 4797 SUR LE RHIN. N° 64.

Meuse alors se répartit de la façon suivante : la division Lefebvre et la cavalerie du général d'Hautpoul s'établirent en cantonnements de Dùsseldorf à Bonn par Cologne; la division Grenier s'étendit de Koblenz dans le Hunsrûck vers Simmern ; la division Ligniville de Kreuznach à Saarbruck par Kaiserslautern, Landstuhl, Homburg; la division Championnet depuis Bonn jusqu'à Kochem, Kirn et Cusel. Les divisions du Nord, à la gauche de l'armée, tenaient le pays depuis Dùsseldorf jusqu'en Hollande.

Malgré ses pertes au cours de la campagne et la désertion, l'armée de Sambre-et-Meuse se trouvait encore, au 21 décembre, présenter une force de 120,000 hommes à l'effectif, 100,000 disponibles, 85,000 présents sous les armes, la différence entre les chiffres extrêmes étant représentée par environ 15,000 hommes aux dépôts, 5,000 prisonniers de guerre, 14,000 hommes aux hôpitaux, les hommes en congé, en permission, aux prisons de l'intérieur.

Dans les premiers jours de janvier 1797, l'armée de Sambre-et-Meuse dut se conformer aux ordres du Directoire pour l'envoi de troupes en Italie. Le général Bernadotte partit avec 6 demi-brigades d'infanterie de ligne, les 9e, 30e, 43e, 55e, 61e et 88e ; 2 demi-brigades d'infanterie, 2e et 15e ; les 14° et 16e régiments de dragons, le 5e chasseurs à cheval, le 5e hussards. Ce départ affaiblit l'armée de 18,950 hommes, dont 17,414 présents sous les armes.

Malgré la rentrée d'environ 1500 prisonniers de guerre et la sortie des hôpitaux de près de 5,000 soldats, les chiffres de la situation du 20 janvier 1797 donnèrent 87,000, hommes d'effectif, 73,000 disponibles, 64,000 présents sous les armes.

Le 13 février, la force agissante de l'armée n'est pas relevée : 92,000 hommes à l'effectif, 79,000 disponibles, 64,000 présents sous les armes. Il est rentré, depuis


N» 64. LA CAMPAGNE DE 4797 SUR LE RHIN. 59

le 20 janvier, 700 hommes des prisons de l'ennemi et 1500 des hôpitaux.

Quelques jours plus tard, Hoche arrive à Koblenz. Son premier soin est de solliciter des renforts du Gouvernement et il indique qu'il en est de tout prêts dans les troupes de l'expédition d'Irlande. Tout d'abord, le Directoire repousse cette demande et, le 20 mars, on trouve à la situation de l'armée de Sambre-et-Meuse : 85,000 hommes à l'effectif, 73,000 disponibles, 65,000 présents sous les armes. Le chiffre des hommes aux hôpitaux a légèrement augmenté et il n'est pas rentré de prisonniers de guerre.

Mais, à la fin de mars, le Directoire cède aux instances que Hoche n'a cessé de renouveler. Déjà, il a réuni à l'armée de Sambre-et-Meuse la 24e division militaire, en plus des 2e, 3e et 25e et de celle d'Aix-la-Chapelle qui en dépendaient précédemment. Les troupes en garnison dans l'arrondissement de l'armée de Sambre-et-Meuse se montent alors à 26,000 hommes dont 20,000 présents. Puis 8,000 hommes (7,6o0 présents) des côtes de l'Océan sont dirigés vers le bas Rhin où ils arriveront au commencement d'avril. Deux escadrons du 10e hussards, comptant ensemble 440 cavaliers, sont mis en marche de Fontainebleau pour l'armée de Sambre-et-Meuse. Enfin, elle reçoit encore l'ancienne garnison de Mannheim et des détachements du 25e régiment de cavalerie et du 13e chasseurs, en tout 1200 hommes.

Au moment d'entrer en campagne, l'armée de Sambre-et-Meuse présente une force d'environ 103,000 hommes à l'effectif; 89,700 disponibles; 78,000 présents sous les armes. Elle a encore près de 3,000 hommes aux prisons de l'ennemi, et 8,500 aux hôpitaux (1).

(1) Cf. les situations de l'armée de Sambre-et-Meuse de novembre 1796 à avril 1797. A. H. G.


60 LA CAMPAGNE DE 1797 SUR LE RHIN. N« 64.

Hoche avait débuté dans l'exercice de son commandement par l'inspection de toutes les troupes sous ses ordres. A les voir souvent et de près, il reconnut bientôt qu'elles étaient excellentes, remplies d'ardeur et dans une situation très convenable : « Elles sont belles et bonnes, écrivit-il le 27 mars au Directoire (1), ces troupes qu'il plaisait à certaines personnes d'appeler des débris d'armée. »

Pour que leur valeur manoeuvrière égalât leur courage, Hoche prescrivit à ses généraux de les exercer très fréquemment. Il ordonna d'exécuter sur-le-champ les réparations nécessaires à l'habillement, l'équipement, etc , puis, ces précautions de détail prises, il

remania d'après ses idées particulières l'encadrement et l'organisation de son armée.

Il répartit dans les diverses unités les officiers qu'il avait amenés avec lui des côtes de l'Océan.

Pour la marche offensive en Allemagne, il organisa son armée en trois grands corps ; l'aile droite sous Lefebvre, le centre aux ordres de Grenier, l'aile gauche commandée par Cbampionnet. Chacun de ces corps comprit deux divisions d'infanterie et une de cavalerie. Les divisions de cavalerie, composées de troupes de même espèce, présentèrent, de ce chef, des forces différentes : la division de chasseurs de Richepance eut cinq régiments; celle des hussards de Ney, trois; celle des dragons de Klein, six. Trois divisions d'infanterie sur six furent dotées chacune d'un des trois régiments de chasseurs à cheval qui restaient non endivisionnés. Enfin, les huit régiments de grosse cavalerie formèrent, sous le commandant de d'Hautpoul, la réserve de l'armée (2).

(1) Dûren, 7 germinal an V. A. H. G. Correspondance de l'armée de Sambre-et-Meuse.

(2) Voir, au sujet de la nouvelle organisation de la cavalerie, la


N" 61. LA CAMPAGNE DE 1797 SUR LE RHIN. 61

Hoche constitua aussi un corps spécial pour la garde dû Hunsrûck et le siège des places autrichiennes du Rhin. Ce corps, placé sous les ordres du général de division Colaud, devait comprendre des troupes extraites des divisions du Nord et les corps venus de l'intérieur.

On sait quelles difficultés Hoche rencontra lorsqu'il voulut faire remonter le Rhin aux troupes de l'armée du Nord à destination du Hunsrûck. Malgré les réclamations du Gouvernement batave et les restrictions du Directoire, Hoche arriva cependant à ses fins. Le 3 avril, cinq demi-brigades d'infanterie et trois régiments de cavalerie quittèrent les environs de Dùsseldorf pour Kreuznach, sous les ordres des généraux Desjardin et Macdonald. En arrivant dans le Hunsrûck, ces troupes relevèrent les divisions Grenier et Olivier, qui partirent alors pour Koblenz où elles devaient former le centre de l'armée. En même temps, les autres unités exécutaient les mouvements nécessaires pour prendre leur place dans l'ordre de bataille suivant, fixé par le général en chef :

Aile droite, aux ordres du général de division LEFEBVRE.

Avant-garde. Général LEFEIIVIIE.

PÀTEL, MERCIER, généraux de brigade. DROUKT, MORTIER, adjudants généraux.

2 compagnies d'artillerie légère \

25° demi-brigade d'infanterie légère. /

83e — — de ligne > 9,332

96e — — — \

105e — — — /

lettre de Hoche à d'Hautpoul, Cologne, 18 ventôse an V (8 mars 1797). A. H. G. Correspondance de l'armée de Sambre-et-Meuse.


62 LA CAMPAGNE DE 1797 SUR LE RHIN. N» 64.

ir 0 division. Général LEMOINE.

GRATIEN, SPITHAL, généraux de brigade. EVRARD, X..., adjudants généraux.

1 compagnie d'infanterie légère \

20* demi-brigade d'infanterie légère i

73e demi-brigade d'infanterie de ligne f

99" - - ( 6' 757

16e régiment de chasseurs à cheval 1

1 compagnie de sapeurs /

Division de chasseurs.

RiCHEPANCE, général de brigade.

X..., adjudant général.

1er régiment de chasseurs à cheval. \

3e — — I

9" — — \ 3,102

12° — — I

13e — — ;

Centre, aux ordres du général GRENIER.

2e division. Général GRENIERBASTOUL,

GRENIERBASTOUL, généraux de brigade. DUCUEKON, X..., adjudants généraux.

2° demi-brigade d'infanterie de ligne \

16= — — - ....; j

67» — — ( 8 034

11e régiment de chasseurs à cheval f '

2 compagnies d'artillerie légère I

1 compagnie dé sapeurs '

3e division.

OLIVIER, COMPÈRE, BOHNBT, généraux de brigade. BARBIER, adjudant général.


N« 64. LA CAMPAGNE DE 1797 SUR LE RHIN. 63

9e demi-brigade d'infanterie légère \

^37e demi-brigadè d'infanterie de ligne J

23e — — |

49° — — \ 7,371

6e régiment de chasseurs à cheval 1

1 compagnie d'artillerie légère. j

1 compagnie de sapeurs /

Division de hussards.

NEY, général de brigade. BEKER, adjudant général.

2e régiment de hussards J

3" — — \ 1,191

4" — — , j

. Aile gauche, commandée par le général CHAMPIONNAT.

4" division.

LEGRAND, GENCV, généraux de brigade. PILLE, adjudant général.

36e demi-Jmgade d'infanterie de ligne \

60e — — j

108° — — \ 7,554

1 compagnie d'artillerie légère I

3 compagnies de sapeurs /

Division de réserve.

Général CHAMPIONNET.

SIMON, SOULT, généraux de brigade.

DARLON, adjudant général.

31e demi-brigade de gendarmerie à pied \

78e demi-brigade d'infanterie de ligne. J

92e — — l

102-= - - !!!!"'.'.!".'.' | 8' 291

2 compagnies d'artillerie légère i

2 compagnies de sapeurs /


64 LA CAMPAGNE DE 1797 SUR LE RHIN. N« 64.

Division de dragons.

KLEIN, général de brigade.

BECKER (de l'armée du Nord), adjudant général.

1er régiment de dragons \

il - " ::::::::::::::::::::::::: 2' 719

12e — — 1

16« — — /

Cavalerie, aux ordres du général d'HAUTPOUL.

Division de cavalerie.

Général d'HAUTPOUL.

PALMAROLE, OSWALD, généraux de brigade.

RADET, adjudant général.

4e régiment de cavalerie \

6" — — J v

io« - ~ ::::::::::::::::::::::::[*>m

17° — — \

19° — — ]

23» — — /

Corps aux ordres du général de division COLAUD.

Division du Nord. Général MACDONALD.

GOUVION, JACOBÉ-TRIGNÏ, généraux de brigade. DAZÉMAR, Maurice MATHIEU, adjudants généraux.

lre demi-brigade d'infanterie légère I

15e demi-brigade d'infanterie de ligne I

22° — — I

*8e ' I

66e — — /

5° régiment de chasseurs à cheval I

5e régiment de hussards. ]

2 compagnies d'artillerie légère /


N» 64. LA CAMPAGNE DE 4797 SUR LE RHIN. 65

Division aux ordres du général WATRIN (1),:

" WATRIN, GOULLUS, généraux de brigade.

X..., adjudant général.

,|re légion des Francs v

24° demi-brigade d'infanterie légère j

29e demi-brigade d'infanterie de ligne J

L'ancienne garnison de Mannheim I

23e régiment de chasseurs à cheval \ „ .„„

° > 9 403

5e régiment de hussards (3e escadron) / '

8* demi-brigade d'infanterie légère 1

48e demi-brigade d'infanterie de ligne 1

2 compagnies d'artillerie légère I

1 compagnie de sapeurs /

Force de l'armée en présents sous les armes.

Infanterie 62,704 )

Cavalerie 11,940 [ 78,582

Artillerie 3,938 )

L'armée de Rhin-et-Moselle avait reçu, en octobre 1796, quelques bataillons extraits de l'armée des côtes de l'Océan. Le 15 novembre, sa situation présentait environ, à l'effectif, 100,000 hommes, dont 80,000 disponibles et 71,000 présents sous les armes. Il lui manquait, en chiffres ronds, 6,000 prisonniers « de guerre ou par jugement », 20,600 hommes aux hôpitaux et 700 en permission ou en congé.

Le 15 décembre, sa force active a bien diminué. Il y a 3,500 hommes de plus dans les hôpitaux; en revanche, 400 prisonniers de guerre ont rejoint. L'armée a un effectif de 107,000 hommes, mais 73,000 disponibles seulement, dont 64,000 présents sous les armes. La différence d'avec le mois précédent est due, pour la presque totalité, à la désertion à l'intérieur.

(1) La division Watrin ne fut définitivement constituée que le 18, lorsque la brigade Goullus fut arrivée au camp de Plaidt.

Rev. Mit. 5


66 LA CAMPAGNE DE 4797 SUR LE RHIN. N° 64.

A la fin de décembre 1796, des ordres du Directoire prescrivent l'envoi de troupes en Italie. L'armée de Rhin-et-Moselle détache 4 demi-brigades d'infanterie (79e et 93e de ligne, 21« et 26e légères) et 2 régiments de troupes à cheval (11e de.cavalerie et 4B chasseurs). Ces corps présentent un effectif total de 13,000 hommes et comptent en réalité 11,500 hommes présents sous les armes. Entre temps, la désertion a presque complètement cessé, 2,000 prisonniers de guerre environ sont rentrés, près de 3,500 hommes sont sortis des hôpitaux. Au 20 janvier, l'armée de Rhin-et-Moselle compte : 93,500 hommes à l'effectif, 65,000 disponibles, 57,500 présents sous les armes.

Désormais sa force restera la même jusqu'à l'entrée en campagne, sauf quelques variations momentanées. Il rentre encore un millier de prisonniers de guerre; le chiffre des hommes aux hôpitaux diminue d'environ quatre cents ; mais les permissions et les congés sont accordés en plus grand nombre (au 20 avril il y en a2,000). Bref, pendant trois mois du 20 janvier au 20 avril, l'état numérique de l'armée de Rhin-et-Moselle reste stationnaire et au moment d'entamer les opérations il est exactement de 87,266 hommes à l'effectif, 65,693 disponibles, 57,416 présents sous les armes. La différence entre ce dernier chiffre et celui de l'effectif se répartit de la façon suivante :

1,842 prisonniers de guerre;

237 prisonniers sur les derrières de l'armée ; 2,103 hommes en congé ou permission;

273 aux hôpitaux de l'armée; 15,733 aux hôpitaux externes; 1,645 détachés; 6,632 aux dépôts (1).

(1) Cf. les situations de l'armée de Rhin-et-Moselle de novembre 1796 à avril 1797. A. H. G.


N» 64. LA CAMPAGNE DE 1797 SUR LE RHIN. 67

Pendant son séjour de près de 6 mois sur la rive gauche du Rhin, l'armée n'avait pas fait de mouvements bien considérables. Les troupes non employées aux sièges de Kehl et d'Huningue s'étaient, dès le début, établies en cantonnements le long du fleuve. La cavalerie avait été disséminée sur les derrières, au pied des Vosges, où l'on pensait qu'elle pourrait subsister plus facilement que dans la plaine du Rhin. Après la chute d'Huningue et le mouvement de l'aile gauche qui vers cette époque fut renforcée et se prolongea jusqu'à Deux-Ponts, l'équilibre se fit sur toute la ligne et les positions de l'armée restèrent sensiblement les mêmes jusqu'aux nouvelles opérations : l'aile droite, sous les ordres du général Dufour, s'étendait de la frontière suisse à Krafft. Le centre commandé par Desaix, allait de Krafft à Germersheim. L'aile gauche, sous Gouvion-Saint-Cyr, tenait le pays de Spire à Deux-Ponts. La réserve de cavalerie commandée par le général Bourcier cantonnait sur la Sarre. Le parc d'artillerie, sous les ordres du général Lamartillière, était à Strasbourg, où Moreau avait transporté, dans le courant de mars, son quartier général, établi jusque-là à Schiltigheim.

Cette répartition fut conservée pour l'entrée en campagne, le 20 avril, jour dont est datée la situation suivante :

État-major général.

Général en chef : MOREAU.

A ides de camp : BAUDOT, LEGAY, chefs de bataillon ; LOYER, DELELÉE, capitaines.

Chef d'état-major : REYNIER, général de division.

Aide de camp: MILLET, capitaine.

Commissaire-ordonnateur en chef: DUBRETON.

Commissaire des guerres, attaché à l'état-major : BRECK.

Généraux de division: SCHAUENBOURG, inspecteur; MARESCOT, commandant le génie ; FÉHINO, en congé ; LABORDE, TUNCQ, en jugement.


68 LA CAMPAGNE DE 4797 SUR LE RHIN. N« 64.

Généraux de brigade: BOISGÉRARD, commandant le génie; PAILLARD, THARREAU, LA ROCHE, THOLMÉ, en congé.

Adjudants généraux : FRIRION, chef de brigade ; JULIEN, LEVASSEUH, en congé ; PERRIN, en jugement.

Adjoints aux adjudants généraux : LAHORIE, chef de bataillon ; ABICOT, capitaine au 12" dragons.

Aile droite, commandée par le général de division Du FOUR.

Généraux de brigade : SISCÉ, MONTRICHARD, DESENFANS, GÉRARD dit VIEUX, JORDY.

Adjudants généraux : DONZELOT, PELLEGARDS, RHEINWALD, chefs de bataillon.

Adjoints aux adjudants généraux : PARADES, capitaine à la 21e d'infanterie légère; DIÉNY, capitaine à la 16e d'infanterie légère ; AGUT, adjudant-major à la 30e division de gendarmerie ; TREUILLE, lieutenant au 4° de dragons ; WOLF, capitaine à la 15e demi-brigade d'infanterie.

Aide de camp : DBHAYNIN, lieutenant à la 103" demi-brigade d'infanterie.

1" DIVISION. Infanterie (SISCÉ, général de brigade).

24° demi-brigade d'infanterie de ligne 2,398 j

80» — — — 1*890 J 6,728

38° — — — 2,440 )

-Artillerie (1).

Artillerie des demi-brigades 150 1

14e compagnie du 2" rég. d'artillerie à pied.. 78 > 282

6e compagnie du 2" rég. d'artillerie légère.. 54 J

Cavalerie.

4e régiment de dragons 413 1

18e régiment de'cavalerie 258 j

Force de la lre division *... 7,681

. (1) L'artillerie des demi-brigades est dans les corps. Chacune des


N« 64. LA CAMPAGNE DE 1797 SUR LE RHIN. 69

2" DIVISION.

Infanterie (DESENFANS, général de brigade).

3° demi-brigade d'infanterie de ligne 1,651 ) „ u_„

89° - - - 2,175 | 3' 826

Infanterie (GÉRARD dit VIEUX, général de brigade).

56e demi-brigade d'infanterie de ligne 1,910 i

74° — — — 1,576 ( 5,607

3" — — légère 2,121 )

Artillerie (1).

Artillerie des demi-brigades 117 "1

5° compagnie du 2e rég. d'artillerie légère... 61 j

Cavalerie.

21e régiment de cavalerie 179 )

8e régiment de hussards 395 j

Force de la 2° division 10,185

Force de l'aile droite.

Infanterie 16,161 J

Artillerie 460 [ 17,866

Cavalerie 1,245 )

demi-brigades est armée de 2 pièces de 4. Il y a, pour toutes les demibrigades de la lr° division, 11 caissons de 4 et 8 caissons d'infanterie. La compagnie à pied possède 2 pièces de 8, 2 de 4, 2 obusiers de 6 pouces, 7 caissons de 8, 6 de 4, 6 à obus et 8 d'infanterie. La compagnie d'artillerie légère est armée de 4 pièces de 8 et 2 obusiers de 6 pouces ; elle a 8 caissons de 8 et 4 à obus.

( I) L'artillerie des demi-brigades est dans les corps (2 pièces de 4 par demi-brigade, sauf pour la 74e de ligne et la 3e légère, qui n'ont ni pièces ni caissons). Il y a, pour l'infanterie de la division, 12 caissons de 4 et 9 d'infanterie. La compagnie d'artillerie légère possède 4 pièces de 8, 2 obusiers de 6 pouces, 4 caissons de 8, 2 à obus.


70 LA.CAMPAGNE DE 1797 SCR LE RHIN. N° 64.

Centre, commandé par le général de division DESAIX.

Généraux de division : DESAIX, DUHESME.

Généraux de brigade : DAVOUT, VANDAMMB.

Adjudants généraux : DEMONT, HEUDELET, PELISSARD, BOULAND,JARRY, GAROBUAU, chefs de brigade.

Adjoints aux adjudants généraux : GAUTHIER, lieutenant au bataillon des Côtes-du-Nord ; BOUVARD, lieutenant à la 108e demi-brigade; SIMONIN, capitaine à la 74° demi-brigade ; SEGRET, capitaine à la 7° demibrigade légère ; THIÉBAUD, EUVRARD, capitaines à la 3e demi-brigade.

Aides de camp: BOYÉ, capitaine à la 14° demi-brigade; ORDONNEAU, lieutenant à la lr° demi-brigade d'infanterie légère ; MALIVOIRE, capitaine à la 76e demi-brigade.

\

3° DIVISION (général DUHESME).

Infanterie (VANDAMME, général de brigade).

17e demi-brigade. 1,861 \

31° — 2,447 /

76e — 1,575 [ 9,638

100e — 1,815 \

103° — 1,940 )

Artillerie (1).

Artillerie des demi-brigades 175 ) .„„

4° compagnie du 2e rég. d'artillerie légère... 63 !

Cavalerie.

2e régiment de cavalerie ,. 205 )

9° régiment de hussards.... '. 221 )

Force de la 3e division 10,302

(1) L'artillerie des demi-brigades est dans les corps (2 pièces de 4 par demi-brigade, sauf pour la 76° qui n'a aucune pièce). La 3" division possède pour son infanterie 8 caissons de 4 et 14 caissons d'infanterie. La compagnie d'artillerie légère est armée de 4 pièces de 8, 2 obusiers de 6 pouces, 8 caissons de 8, 6 caissons à obus.


N» 64. LA CAMPAGNE DE 1797 SUR LE RHIN. 71

4° DIVISION. Infanterie (DAVOUT, général de brigade).

109" demi-brigade 2,337 \ . „ft„

16° — légère 2,169) '

Artillerie (1). Artillerie des demi-brigades ,.... 49

Cavalerie. 17° régiment de dragons 362

Force de la 4e division 4,917

Force du centre.

Infanterie 14,144 J

Artillerie 287 [ 15,219

Cavalerie. 788 )

Aila gauche,

commandée par le général de division GOUVION-SAINT-CYR.

Généraux de division : SAINT-CYR, SAINTE-SUZANNE, AMBERT.

Généraux de brigade : FAUCONNET, DECAEN, LECOURBE, OUDINOT, LABOISSIÈRE.

Adjudants généraux : GUDIN, DUCONNET,' MOUTOR, GRANDJEAN, chefs de brigade.

Adjoints aux adjudants généraux : DELOTZ, capitaine à la 44e demibrigade ; ROUSSEL, capitaine à la 76e demi-brigade ; OLLENDORF, capitaine à la 29' demi-brigade ; LABARTHE, capitaine à la 169e demibrigade ; COULY, capitaine à la 76e demi-brigade ; PRIDOLSHEIM, capitaine au 8e bataillon de sapeurs ; PRÉVAL, capitaine à la 68e demibrigade. *

(1) Dans les corps. La 109e a 2 pièces de 4, 2 caissons de 4, 3 caissons d'infanterie. La 16e légère a 3 caissons d'infanterie.


72 LA CAMPAGNE DE 4797 SUR LE RHIN. N» 64.

Aides de camp: RENAUD, capitaine à la 31e demi-brigade, SCIIETZ, capitaine au 6e dragons; RAPPALIT. capitaine à la 71e demi-brigade; REIIBELL, capitaine au 10° chasseurs ; FAUCONNKT, sous-lieutenant au 10e dragons; COHORN, sous-lieutenant au 6e dragons ; WEIBER, capitaine au 7e hussards ; ROBICHON, capitaine à la 84e demi-brigade ; GAUTHIER, lieutenant à la 109e demi-brigade ; TUBAIN, capitaine au 1er hussards.

5e DIVISION (général SAINTE-SUZANNE).

Infanterie (FAUCONNET, général de brigade).

10e demi-brigade 2,195

Infanterie (DECAEN, général de brigade).

62 e demi-brigade 1,992)

97° - 1,926 j J'V 18

10e — légère 2.977

Artillerie (1).

Artillerie des demi-brigades.. : 130 \

16e compagnie du 2e rég. d'artillerie à pied 13 / af)Q

lle compagnie du 2e rég. d'artillerie légère .. 62 l

3" — — — . .. 64 J

Cavalerie (LECOURBE, général de brigade).

6e régiment de dragons 388 \

10° — — 268 I d m

8* — de chasseurs 403 i '

7e — de hussards 364 /

Force de la 5e division 10,782

(1) Les canonniers'des demi-brigades sont à leurs corps. Chaque demi-brigade possède 2 pièces de 4. La 5e division a, pour toutes ses troupes à pied, 12 caissons d'infanterie. Les compagnies d'artillerie légère ont chacune 4 pièces de 8 et 2 obusiers de 6 pouces; la 1™ a 11 caissons de 8, la 3e, 9. La compagnie d'artillerie à pied n'a ni pièces, ni caissons.


N« 64. LA CAMPAGNE DE 4797 SUR LE RHIN. 73

6e DIVISION (général AMBERT).

Infanterie (OUDINOT, général de brigade).

84e demi-brigade 2,451 I

*W - 1,880 (

44e - 2,021 [ *' 647

68» — 2,295 J

Artillerie (1).

Artillerie des demi-brigades 162 } ,„.

4° compagnie du 8° rég. d'artillerie légère... 67 j

Cavalerie (LABOISSIÈRE, général de brigade).

11e régiment de hussards 351 ]

2e — de chasseurs 359 /

20e — — ....' 343 > 1,582

3° — de cavalerie 244 i

9e — — 285 /

Force de la 6° division 10,458

Force de l'aile gauche.

Infanterie 17,837 1

Artillerie 498 [ 21,240

Cavalerie 3,005 )

Réserve, commandée par le général BOURCIER.

Général de division : BOURCIER.

Général de brigade : FOREST.

Adjudant général : LAUER, chef de brigade.

(1) Les canonniers des demi-brigades sont à leurs corps. Chaque brigade possède 2 pièces de 4. La 6° division possède, pour toutes ses troupes à pied, 13 caissons d'infanterie et 20 caissons de 4. La compagnie d'artillerie légère a 4 pièces de 8, 2 obusiers de 6 pouces et 12 caissons de 8-


74 LA CAMPAGNE DE 1797 SUR LE RHIN. N« 64.

Adjoints aux adjudants généraux: PINTHON, capitaine à la 100e demibrigade ; THOMAS, capitaine à la 17e division de gendarmerie nationale.

Aides de camp: GUYOT, capitaine à la 80e demi-brigade; CHARPENTIER, lieutenant au 8e chasseurs ; MICHAUD, lieutenant au 2e chasseurs.

Commissaire des guerres: GERALOY.

Cavalerie.

l°r régiment de carabiniers 325 \

2° — — 332 J

12" — de cavalerie 264 /

13e ' — — 208 \ 2,101

14e — — 212 l

15« — — 202 ]

13e — de dragons 558 /

Artillerie (1).

6° compagnie du 1er rég. d'artillerie légère.. 65 ) .„n

6° - 5e - - .. 65 j ™°

Force de la réserve. 2,234

Gendarmerie de l'armée et guides employés au grand

quartier général et sur les derrières de l'armée ;... 354

/

Parc général d'artillerie (à Strasbourg).

Artillerie légère (2).

2e compagnie du 2e rég. d'artillerie légère.. 62 \

i 1" — 5e — — 63 I

3e — 5° — — .. 58 \ 283

2e — 7e — — 42 l

2e — '8° — — .. 58 J

(1) Chacune de ces compagnies possède 2 pièces de 8, 2 obusiers de I pouces, 8 caissons de 8, 6 caissons à obus.

(2) Ces compagnies ne sont pas armées.


N° 64. LA CAMPAGNE DE 1797 SUR LE RHIN. 76

Artillerie à pied.

Détachés au parc de la réserve 78 1

5° compagnie du 2e rég. d'artillerie à pied.. 70 [ 211

7e — — — 63 J

9e compagnie d'ouvriers 12

Force du parc .- 506

6 pièces de 8, 3 pièces de 4, 3 obusiers de 6 pouces, 15 caissons de 8, 3 caissons de 4, 14 caissons à obus, 6 caissons d'infanterie (1).

II

Affaiblissement de l'armée autrichienne du Rhin à la suite de l'envoi de troupes en Italie. — Le comte Latour nommé général en chef en remplacement ,de l'archiduc Charles. — Les. dispositions en vao de la campagne do 1797. — Force et emplacements tle I'arméo au moment de la reprise des hostilités (2).

Tandis que l'aile gauche de l'armée impériale assiégeait Kehl et Huningue, l'aile droite, après avoir rejeté Jourdan sur la rive gauche du Rhin, s'était établie entre la Lahn et la Sieg.

Une fois conclu l'armistice avec Beurnonville, les troupes autrichiennes, désormais bien tranquilles, s'arrangèrent pour passer l'hiver dans les meilleures conditions de bien-être. Werneck, abandonnant en partie le cours de la Sieg, établit ses avant-postes depuis le confluent du Wied-Bach avec le Rhin jusqu'à Siegen, par Neustadt, Altenkirchen et Wissen. Ces avant-postes furent soutenus par une ligne de troupes qui s'étendit de Montabaur à Herborn, occupant Dierdorf, Hachen(1)

Hachen(1) de l'armée de Rhin-et-Moselle, avril 1797. A. H. G.

(2) La matière de ce paragraphe est empruntée à la remarquable relation de la campagne de 1797 en Allemagne publiée, d'après les Archives de Vienne, par VOEsterreichischemilitârischeZeitschrift, 1835, 2e semestre, p. 111 à 126.


76 LA CAMPAGNE DE 1797 SUR LE RHIN. N* 64.

burg et Dillenburg. Le reste du corps aux ordres de Werneck se répandit sur la rive gauche de la Lahn, dans de bons cantonnements.

Le centre et l'aile gauche, après s'être emparés de Kehl et d'Huningue entrèrent à leur tour en quartiers d'hiver et s'apprêtèrent à jouir d'un repos bien mérité. Mais les événements avaient mal tourné en Italie pour les Autrichiens. La nouvelle de la prise de Mantoue par Bonaparte et des renforts que le gouvernement français avait expédiés à ce général dans les premiers jours de janvier 1797 déterminèrent la cour de Vienne à dégarnir, elle aussi, sa ligne du Rhin, en faveur de son armée d'Italie. Dans le courant des mois de février et de mars, 22 bataillons et 18 escadrons furent extraits de l'armée du Rhin et dirigés sur celle d'Italie. La première resta alors composée comme il suit :

Aile droite, aux ordres du F. M. L. WERNECK.

BR- Com. Escatafllons.

Escatafllons. (Irons. Fantassins. Cavaliers.

En rase campagne 20 2/3 72 91 35,299 12,795

Garnison d'Ehrenbreitstein. 3 1/3 9 1 2,443 86

Garnison de Mayence 15 1/3 30 12 13,443 1,550

Centre, aux ordres du F. M. L. comte LATOUR.

Division Hotze 7 12 12 8,514 1,772

Division Petrasch 3 12 12 5,598 1,960

Garnison de Mannheim.... » » » » »

Garnison de Philippsburg.. » 12 1 2,283 107

Division Colloredo-Mels.... 11 12 12 10,678 2,616

Division Kospoth » » 24 3,204 3,204

Aile gauche, aux ordres du F. M. L. SZTARRAY.

En rase campagne 28 36 44 32,701 7,139

Corps de Condé 14 » 2o 8,519 1,881

Garnison d'Ingolstadt 1 6 » 1,406 »

Différents services » 1 2 225 96


N» 64.

LA CAMPAGNE DE 4797 S>UR LE RHIN.

77

Le 2 février, le comte Latour avait remplacé à la tête de l'armée l'archiduc Charles, parti pour l'Italie.

Il s'occupa, sans perdre un instant, de préparer la prochaine campagne. Les sièges de Kehl et d'Huningue avaient consommé une quantité considérable de munitions ; il fit compléter les approvisionnements et augmenter même ceux des places du Rhin dont il était à prévoir que l'ennemi chercherait à s'emparer. Mayence et Mannheim furent approvisionnées pour quatre mois, Ehrenbreitstein pour six, Philippsburg pour trois. Le camp retranché de Mannheim reçut un complément de pièces d'artillerie. On construisit des ouvrages fortifiés pour défendre les passages du Rhin à Kehl et à Neuwied et celui de la Lahn à Limburg. La position d'IIbenstadt, sur la route de Wetzlar à Francfort, fut mise en état de défense pour l'aile droite ; celle du Kniebis le fut également, pour l'aile gauche. En même temps, le comte Latour faisait travailler aux fortifications d'Ulm. Les ouvrages avancés de cette place furent relevés et la Direction de l'artillerie autrichienne reçut l'ordre d'y rassembler le nécessaire en artillerie et en munitions.

Mais pour cette dernière partie au moins de ses préparatifs, Latour ne put aboutir complètement. Les inquiétudes suscitées par les progrès des Français dans le Tyrol ralentirent considérablement les travaux d'Ulm. Il fallut aussi songer à envoyer de nouveaux renforts en Italie. A la fin du mois de mars, l'archiduc Charles demanda à l'Empereur 50,000 hommes de l'armée du Rhin. En agissant avec secret et rapidité, il pensait que ce supplément de forces lui parviendrait avant le recommencement des hostilités en Allemagne et lui permettrait de vaincre Bonaparte. L'Empereur transmit cette demande à Latour ; mais il lui laissa le soin d'apprécier la quantité et la nature des troupes qu'il serait possible de distraire de l'armée autrichienne du


78 LA CAMPAGNE DE 1797 SUR LE RHIN. . N« 64.

Rhin sans causer à cette armée un dommage trop considérable.

Latour réfléchit que, s'il s'affaiblissait de 50,000 hommes, les Français, qui ne manqueraient pas d'en avoir connaissance, s'empresseraient de profiter de son infériorité pour l'attaquer. Il lui parut qu'il ne pourrait alors ni résister en rase campagne, ni effectuer en bon ordre sa retraite jusqu'aux États héréditaires de la maison d'Autriche. Aussi réduisit-il à 12,000 hommes le renfort demandé par l'archiduc Charles. Le général Hotze fut chargé de la conduite de ce détachement et partit des bords du Rhin le 3 avril. Il emmenait avec lui, exactement, 11,844hommesdont3,251 cavaliers, répartis en trois brigades : la première, commandée parle général baron Bender, était composée de 2 bataillons de grenadiers et 3 bataillons de fusiliers ; la deuxième, sous le général Burger, comprenait 6 bataillons de fusiliers ; la troisième, aux ordres du général comte Nobili, était formée par la cavalerie, 26 escadrons; 11 pièces de canon, à raison d'une par bataillon, accompagnaient la colonne.

Le général Hotze avait reçu de Latour l'ordre de se porter sur Ulm et, de là, de marcher au secours de l'armée d'Italie ; si cette dernière s'était déjà retirée trop loin lorsqu'il arriverait à Ulm, Hotze devait couvrir le pays entre le Danube et le lac de Constance, protéger les derrières de l'armée du Rhin, établir la liaison avec l'aile droite de l'armée d'Italie et repousser les détachements ennemis qui pénétreraient dans le Vorarlberg par les défilés du Tyrol.

Hotze parvint à Ulm le 19 avril. A ce moment, le général Kerpen avait remporté dans le Tyrol des avantages sérieux sur Joubert. La cour de Vienne résolut de les poursuivre et de s'emparer de cette province dont la possession devait assurer à ses troupes une position avantageuse sur le flanc gauche de l'ennemi. En


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conséquence, Hotze fut chargé de traverser la Bavière et d'aller prendre une position telle qu'il pût soutenir aussi bien le général Kcrpen dans le Tyrol, que le général Vincent Kollowrat à Rastatt, ces deux généraux passant d'ailleurs sous son commandement. Hotze se hâta de mettre ces nouveaux ordres à exécution. Le 27 avril, il atteignit Benedictbeuern où il prit position. A dater de ce jour, son corps fit partie de l'armée d'Italie, sous le commandement supérieur de l'archiduc Charles.

Pour combler le vide causé dans son armée par le départ du corps de Hotze, Latour reçut successivement 8,726 hommes dont 1254 cavaliers, ce qui ne faisait pas tout à fait le compte, d'autant que ces nouvelles troupes étaient entièrement composées de recrues.

En revanche, l'armée autrichienne du Rhin disposait d'une artillerie considérable. Latour put constituer un équipage de siège qui ne compta pas moins de 146 pièces, et il lui resta encore 276 pièces de réserve, non compris l'artillerie des bataillons.

Enfin il eut le temps, avant le début des hostilités, d'établir des magasins et des hôpitaux dans les principales villes sur les derrières de l'armée.

Dans les premiers jours d'avril, les mouvements de l'armée de Sambre-et-Meuse, qui prenait les dispositions de combat ordonnées par Hoche, avertirent le général en chef autrichien que la reprise des hostilités était prochaine. Il fit prendre aussitôt à ses troupes des cantonnements plus serrés, afin de pouvoir, sans perdre de temps, les mettre en marche dès que les Français dénonceraient l'armistice.

Le général Werneck reçut l'ordre de rassembler l'aile droite de l'armée dans la position de Neukirch, sans abandonner cependant celle de Siegen. D'après les intentions de Latour, les troupes autrichiennes devraient résister à Neuwied même aussi longtemps que possible,


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sans se risquer dans le pays environnant. Mais il pouvait arriver que le gros des forces françaises fit irruption par le pont de Neuwied sur la rive droite et cherchât ensuite à se porter soit contre l'aile gauche de Werneck, entre la Lahn et la Sieg. soit directement sur Siegen. Dans le premier cas, Latour prescrivit à Werneck de ne tenir Siegen que faiblement et de se précipiter avec la majeure partie de ses forces contre l'ennemi. Dans le second cas, au contraire, Werneck rassemblerait à Siegen tout son monde, à l'exception d'un corps de 5,000 à 6,000 hommes qui resterait entre la Sieg et la Lahn, puis marcherait hardiment au-devant de l'adversaire. Latour voulait que son subordonné tentât le sort des armes. S'il était battu, il prendrait sa retraite par Wetzlar sur Friedberg et Francfort.

L'aile gauche de l'armée autrichienne fut répartie comme il suit par le général en chef : un cinquième à Weil, un cinquième entre Freiburg et Vieux-Brisach, trois cinquièmes aux environs d'Offenburg. Le corps de Condé fut établi aux environs de Steinbach.

Avec le centre de son armée, Latour projetait de se placer derrière Mannheim. De là, il détacherait deux petits corps de réserve, l'un sur le Main pour prête main-forte à l'aile droite, l'autre à Rastatt, à portée de soutenir l'aile gauche. Chacun de ces corps devait d'ailleurs rentrer dans les forces militaires agissantes, une fois la campagne commencée.

Quelques corps d'infanterie et de cavalerie furent chargés de surveiller la ligne du Rhin. Quant aux places fortes, Latour ne leur laissa que le tiers des garnisons qui leur étaient nécessaires, afin d'avoir le plus de monde possible en rase campagne.

L'armée autrichienne achevait à peine de prendre ces dispositions, lorsque Hoche dénonça l'armistice, le 13 avril. Elle se trouvait répartie de la façon suivante :


N* 64. LA CAMPAGNE DE 4797 SUR LE RHIN. 81

Aile droite,

commandée par le F. M. L. WERNECK, entre la Lahn et la Sieg.

Bataillons. Escadrons.

A Siegen (général baron ELSNITZ) 7 1/6 9

Devant Altenkirchen (général baron KIENMAYER)

KIENMAYER) 5/6 16

A Neuwied (F. M. L. baron KRAY) 3 1/2 »

A Dierdorf (F. M. L. comte RIESCH) 8 16

A Neukirch (le gros des forces) 7 1/2 26

TOTAL 29 4/6 67

Force de l'aile droite : 28,841 hommes présents sous les armes, dont 9,092 cavaliers.

Centre, commandé par le F. M. L. STAADER, à Mannheim.

Bataillons. Escadrons.

Corps de réserve à Rflsselsheim sur le Main

(général SIMBSCHEN) 5 1/6 8

A Mannheim (le gros des forces) 15 4/6 26

Corps de réserve sur les deux rives de la

Murg 8 5/6 16

TOTAL 29 4/6 50

Force du centre : 29,000 hommes présents sous les armes, dont 7,639 cavaliers.

Aile gauche, commandée par le F. M. L. SZTARRAY.

Bataillons. Escadrons.

Entre la Murg et la Rench » 6

Sur la rive droite de la Kintzig 7 8

Sur la rive gauche de la Kintzig 6 2/6 6

Dans le pays de Vieux-Brisach 5 4/6 14

De Gretzhausen à Rheinweiler 14 25

Sur les frontières de la Suisse 6 4/6 10

TOTAL 39 4/6 69

Force de l'aile gauche : 35,252 hommes sous les armes, dont 9,960 cavaliers.

Rtr. Bist. 6


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CHAPITRE VI

LES OPÉRATIONS DE L'ARMÉE DE SAMBRE-ET-MEUSE <J)

I

Les Autrichiens cherchent en vain à négocier le maintien du statu quo. — Hoche dénonce l'armistice le 13 avril. — Il communique à ses généraux, le 15 avril, son plan d'opérations. — {Mouvements préparatoires exécutes par l'armée do Sambre-et-Meuse les 15, 16 et 47 avril. — Dispositions adoptées par les Autrichiens en vue de soutenir l'attaque des Français.

On a examiné dans le chapitre IV les différentes raisons pour lesquelles Hoche ne se mit pas en campagne aussitôt qu'il l'aurait pu d'après l'état de son armée. Le 9 avril, il écrivit au Directoire : « Je crois pouvoir vous annoncer que, sans nul délai, je commencerai mes mouvements le 26 (15 avril) (2). » Les Autrichiens n'ignoraient pas que l'armée de Sambre-et-Meuse s'apprêtait à marcher contre leur aile droite et comme ils ne pouvaient espérer lui résister longtemps, ils s'employaient de leur mieux à gagner du temps. Le général Kray, qui commandait dans les environs de Neuwied, avait reçu l'ordre d'employer à cet effet « toutes les ruses imaginables ». Le 24 mars, il avait eu avec Hoche une entrevue au cours

(1) Les éléments de cette relation ont été fournis par : 1° les documents conservés aux Archives du ministère de la guerre (Correspondance de l'armée de Sambre-et-Meuse, avril 1797); 2° les articles parus en,1835 dans l'OEsterreichische militârische Zeitschrift et déjà cités; 3° l'Eistoire critique et militaire des guerres de la Révolution, par Jomini, liv. XII, chap. LXXU. La littérature relative à ce sujet est fort pauvre et, sauf pour les deux cas ci-dessus, sans valeur.

(2) Cologne, 20 germinal an V. A. H. G. Correspondance de l'armée de Sambre-et-Meuse.


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de laquelle il s'était étendu avec chaleur sur les calamités de la guerre et avait insinué qu'il serait bien préférable pour les deux partis en présence sur le Rhin d'attendre tranquillement l'issue des événements d'Italie (1).

Hoche n'ayant pas paru goûter ces propositions, Kray adopta une autre tactique. Le 4 avril, il fit transmettre à Hoche, par les magistrats de Neuwied, l'offre de neutraliser cette ville. Quoiqu'il exprimât, à l'appui de sa proposition, l'honorable désir d'épargner à une population intéressante les horreurs de la guerre, il ne réussit pas à berner le général français (2). ' Tout espoir de traîner les choses en longueur semblait donc perdu pour les Autrichiens, lorsque des nouvelles d'Italie leur apprirent les négociations entamées entre Bonaparte et l'archiduc Charles. Immédiatement et le jour même où Hoche dénonçait l'armistice, Latour s'empressa de faire connaître aux généraux des armées françaises du Rhin ce qui se passait en Italie, leur demandant de suspendre également les hostilités et de convenir d'une trêve « dont, disait-il, il sera facile de déterminer les conditions, parce que la démarcation qui sépare les deux armées est établie (3) ».

Hoche, cette fois, parut disposé à écouter les propositions des Autrichiens. Il fixa un rendez-vous pour le 48 avril au matin au général Kray et, lorsque l'envoyé de celui-ci se présenta, il mit comme condition à son acceptation d'une trêve que les Français occuperaient

(1) Voir la lettre de Hoche au Directoire. Andernach, 5 germinal an V (25 mars 1797). A. H. G. Correspondance de l'armée de Sambreet-Meuse.

(2) Voir la lettre de Hoche au Directoire, du 10 avril, à laquelle est jointe une traduction du message du général autrichien. 21 germinal. Ibid.

(3) La copie de cette lettre est jointe à une lettre de Hoche au Directoire. Koblenz, 25 germinal an V (14 avril 1797). Ibid.


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tout le pays entre la Lahn et la Sieg et qu'ils entreraient dans Ehrenbreitstein.

Cette réponse aurait suffi à éclairer les Autrichiens sur les véritables intentions de leur adversaire, si l'attaque des Français ne leur avait pas appris dans le même moment que l'heure n'était plus aux négociations.

Tandis qu'il s'offrait ainsi le plaisir de jouer à son

tour les ennemis, Hoche avait préparé et fait connaître à

son armée le dispositif d'attaque qu'il comptait employer.

Le 15 avril, un ordre général secret de l'armée de

Sambre-et-Meuse le fixait ainsi dans tous ses détails :

« L'armée marchera à l'ennemi le 28 du courant.

« Le mouvement se fera par la gauche aux ordres du général Championnet.

« Dans la nuit du 27 au 28 (16 au 17 avril) le général Championnet fera les préparatifs pour passer la Wupper, sur la rive droite de laquelle se trouve le corps qu'il commande. A 3 heures du matin, il passera cette rivière sur les ponts établis à l'avance, débouchera dans la plaine de Mùlheim où il marchera sur quatre colonnes, la cavalerie formant celles de droite et de gauche ; et enfin, précédé d'une forte avant-garde qu'il poussera jusque sur les rivières de (la) Sieg et l'Agger, il prendra position à hauteur du village de Porz qu'il fera occuper et en arrière duquel sera appuyée sa gauche, sa droite se prolongeant sur Merhausen (Merheim ?) qui sera pareillement occupé. Le 29 (18 avril) à la pointe du jour, le général Championnet mettra le corps qu'il commande en mouvement. La 4e division sera dirigée sur les gués de Menden et de Meindorf où elle forcera le passage de la Sieg. Le corps de réserve passera l'Agger au gué qui se trouve en avant de Troisdorf, marchera sur Siegburg où elle prendra la grande route pour se porter sur Uckerath, dont le général Championnet devra s'emparer le jour même. A cet effet, il ordonnera au général Legrand de marcher rapidement


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sur ce point afin d'y tourner les ennemis par leur gauche, tandis que 8 bataillons de la réserve les attaqueront de front et que 4 bataillons et 2 régiments de dragons tourneront la position des ennemis par leur droite, en se dirigeant par Blankenberg.

« Le même jour, 5 bataillons (divisions) de l'armée passeront le Rhin au pont de Neuwied, sous les ordres du général en chef. L'aile droite, commandée par le général Lefebvre, et la division commandée par le général Watrin se porteront d'abord sur Bendorf, en arrière duquel sont plusieurs redoutes que le général Lefebvre fera enlever et après quoi il se portera sur Montabaur où il prendra position. Le lendemain 30, le général Lefebvre portera 8 bataillons, 1 régiment de chasseurs et 1 compagnie d'artillerie à cheval, commandés par le général Lemoine, sur* 1 Limburg, tandis qu'avec le reste de son corps il ira passer la Lahn à Runkel et facilitera ainsi le passage à Lemoine et Grenier destinés à marcher sur Weilburg.

« Le général Watrin se portera sur Vallendar avec sa division. Il y laissera un bataillon qui se formera en bataille sur les hauteurs en arrière de ce bourg. Les premières brigades marcheront sur Hillscheid et de là sur Neuhâusel, où elles prendront la grande route d'Ehrenbreitstein à Montabaur. Elles prendront position sur les hauteurs en arrière de Westerburg pour observer tout ce qui voudrait déboucher de Diez, Nassau et Ems. Ces brigades seront suivies par trois bataillons du général Goullus (le quatrième sera celui posté en arrière de Vallendar) qui suivront le chemin qui remonte le ruisseau et se porteront sur Rothe-Hahn (en français Coq-Rouge) en passant par les villages de Simmern et Immendorf. Arrivé à Rothe-Hahn, le général Goullus détachera quelques compagnies pour observer le ravin d'Arzheim. Pendant que ces dispositions s'exécuteront, le bataillon qui est resté à Vallendar se rapprochera avec


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précaution de Besselich sans trop s'exposer aux batteries ennemies.

« Lorsque Routes les troupes seront en mesure, le général Watrin fera attaquer l'ennemi avec la plus grande vigueur, pour le forcer à rentrer dans la place d'Ehrenbreitstein.

« Le lendemain, la garnison de Mannheim ainsi que la légion des Francs, formant la lre brigade, se porteront sur Nassau et les 24e et 29e demi-brigades sur Diez. Le général Watrin suivra de sa personne le corps qui marchera sur Diez.

« Les généraux tâcheront de forcer les passages de Nassau et de Diez et prendront position sur la rive gauche de la Lahn où je leur adresserai de nouveaux ordres.

« Le corps du centre, commandé par le général Grenier, passera le Rhin après les troupes du général Lefebvre et sera dirigé sur Dierdorf. Les généraux feront leur possible pour arriver à cette position assez à temps pour que la 3e division et les hussards puissent être portés sur la grande route d'Altenkirchen, afin de couper l'ennemi qui tenterait d'évacuer ce point. Le général Grenier s'acheminerait alors avec sa division et les deux régiments de chasseurs sur Freilingen, dont il s'approcherait le plus possible, afin d'être en mesure pour forcer à Weilburg le passage de la Lahn, le lendemain 30.

« Bien que j'aie indiqué la position de Porz pour être prise par la gauche de l'armée, le général Championnet fera cependant son possible pour se rapprocher davantage de la Sieg, car alors il aurait plus de temps et moins de chemin à parcourir pour attaquer Uckerath, et même si les ennemis, qu'on m'assure devoir évacuer la basse Sieg, ne faisaient qu'une médiocre résistance sur ce point, il serait convenable que la gauche s'approchât de Weyerbusch, afin de pouvoir opérer, le lendemain! 30,


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sa jonction avec la division du général Olivier, à Altenkirchen, d'où les trois divisions marcheront sur Hachenburg. Le général en chef se tiendra, pendant les trois premières marches, à la division du général Olivier (1). » On voit que le général en chef de l'armée de Sambreet-Meuse, en rédigeant ses instructions à ses généraux, n'avait pas craint d'entrer dans le détail, ni de préjuger les événements. Cette hardiesse s'explique par la certitude qu'il avait de culbuter l'ennemi sur tous les points. Abstraction faite des troupes du général Colaud, il allait attaquer, avec près de 70,000 hommes, moins de 30,000 ennemis. Il pouvait se flatter que nul obstacle sérieux ne viendrait, au moins dans les deux premiers jours de la campagne, entraver l'exécution de ses ordres.

Le 15 avril, les différentes divisions de l'armée de Sambre-et-Meuse achevaient les mouvements qu'elles avaient dû entreprendre pour entrer à leur place dans l'ordre de bataille.

L'avant-garde aux ordres de Lefebvre était réunie au camp de Weissenthurm.

La division des chasseurs du général Richepance, venant de Flamersheim, était en marche pour se rapprocher de la Nette.

La lrc division, aux ordres du général Lemoine, s'était rassemblée au camp de Kaerlich.

Le centre, composé des divisions Grenier et Olivier et de la division des hussards de Ney, se trouvait en marche vers Koblenz et près d'y arriver.

L'aile gauche, sous Championnet, venant de Dùsseldorf, était déjà rassemblée sur la rive droite de la Wupper, 1er et 16e dragons en avant-garde.

(1) Bulletin historique de l'armée de Sambre-et-Meuse. 26 germinal an V. A. H. G. Correspondance de l'armée de Sambre-et-Meuse.


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Les troupes de l'armée du Nord occupaient le Hunsrûck sous le commandement du général Colaud.

Le général Watrin avait réuni sa brigade à Andernach et attendait la brigade Goullus qui venait de Limburg et devait compléter la division dont il avait reçu mission de prendre le commandement.

Enfin, la division de cavalerie du général d'Hautpoul avait quitté ses cantonnements des bords de la Roêr et se rapprochait de la Nette.

Le 16 avril, Championnet franchit la Wupper et vint prendre position à hauteur de Mùlheim. Son avantgarde, composée de deux bataillons de la 102e demi-brigade, de la 31e légion de gendarmerie et des 1er et 16e dragons, s'avança jusqu'à Porz et se porta la droite à ce village, la gauche dans la direction d'Heumar, la 31e légion de gendarmerie occupant le château de Bensberg et six escadrons le village d'Eil. La 4e division, en avant de Mûlheim, appuyait sa droite à la grande route de Francfort et sa gauche à la division de réserve.

Championnet se trouvait donc en avance sur l'ordre de mouvement combiné par le général en chef. Mais cette précipitation qui, dans tout autre cas, aurait pu lui être funeste, devait ici tourner à son avantage. Il avait gagné un jour et-ne risquait plus d'être pris de court pour se trouver le 18 à Uckerath, après avoir culbuté les Autrichiens au passage de la Sieg.

Tandis que l'aile gauche franchissait la Wupper, le centre se rapprochait de Neuwied et s'établissait dans les camps de Metternich, la Chartreuse et Moselweiss, la division de hussards bordant le ruisseau de Bassenheim.

L'aile droite, dans la même position que la veille, attendait les chasseurs de Richepance, qui continuaient à se rapprocher de la Nette.

Le général Watrin venait s'établir au camp de Plaidt où la brigade Goullus allait bientôt le rejoindre.


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Colaud, dans le Hunsrûck, venait d'être informé par Hoche qu'il ne serait pas relevé par les troupes de l'aile gauche de Rhin-et-Moselle et qu'il continuerait à garder le Hunsrûck tandis que les deux armées s'avanceraient sur la rive droite du Rhin. En conséquence, Colaud, établi sur la Nahe, avait étendu sa droite jusqu'à Flonheim, Alzey et Kircheimbolanden, et placé ses avantpostes derrière la Selz, prêt à passer cette rivière pour resserrer Mayence.

La division de cavalerie du général d'Hautpoul arrivait à Krufft sur la haute Nette.

Hoche ayant dénoncé l'armistice le 13 avril, aux termes de la convention conclue entre Beurnonville et Werneck., les hostilités pouvaient recommencer trois jours plus tard, soit dans la nuit du 16 au 17. Mais Hoche voulait attendre que son aile gauche fût arrivée sur la Sieg, attirant de ce côté les forces ennemies qui lui laisseraient alors le passage libre par Neuwied.

Le 17 avril, l'aile gauche fut donc seule à se mouvoir. Elle leva son camp de Mûlheim et vint occuper les positions suivantes :

La 4e division, partie en avant de la Sieg et en arrière du village de Pleis (Nieder-Pleis), à cheval sur le chemin qui conduit de Bonn à la route de Francfort, partie en arrière de Siegburg, entre l'Agger et la Sieg, à droite et à gauche de la grande route. Un bataillon vint bivouaquer en avant du village de Beuel, fournissant de forts postes sur la route de Kônigswinter.

La division de réserve s'établit au camp en avant du village de Buisdorf.

La division de dragons occupa Troisdorf, Siegburg, Buisdorf et Hennef.

L'avant-garde de l'aile gauche, composée de 2 bataillons de la 102e demi-brigade, de la 31e division de gendarmerie et des 1er et 16e régiments de dragons détachés de la division Klein, s'établit, partie à Schreck, à la


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croisée des chemins, partie en avant d'Hennef, à cheval sur la grande route.

Deux escadrons et cinq compagnies d'infanterie se portèrent à Geistingen pour observer le débouché de Rott. Le même jour, la brigade Goullus se réunissait au camp de Plaidt à celle du général Watrin.

D'après ce que nous avons dit des dispositions prises par les Autrichiens, il est facile de voir que Werneck allait se trouver exposé à deux attaques convergentes. L'infériorité de ses forces était trop grande pour qu'il pût vaincre séparément les deux parties de l'armée de Sambre-et-Meuse. Or, il avait reçu de Latour l'ordre formel de livrer bataille avant de faire un pas en arrière, et cette conduite devait être aussi funeste qu'honorable. D'ailleurs, en quelque endroit que les Français se présentassent sur la rive droite du Rhin, ils n'avaient qu'à marcher pour percer le faible rideau des troupes de Latour. Avant que, le long de l'immense front de l'armée autrichienne, des renforts suffisants eussent pu être rassemblés sur le point attaqué, l'ennemi serait déjà loin sur la route du Danube.

Au dire de Jomini, l'archiduc Charles, avant de partir pour l'Italie, avait tracé à son successeur « des instructions lumineuses sur la conduite qu'il devrait tenir pour conserver ses positions, en massant ses forces sur le haut Rhin entre la Suisse et le Neckar ». « Mais, ajoute cet historien, soit que le conseil de guerre de Vienne eût adressé des ordres dans un sens tout opposé au conseil de Latour ; soit que le nouveau général crût préférable d'opérer d'après ses propres vues, rien de ce qui avait été prévu pour la gloire des armées impériales sur le Rhin ne fut exécuté (1). »

(1) Histoire critique et militaire des guerres de la Révolution. Loc. cit., p. 70.


N° 64. LA CAMPAGNE DE 4797 SUR LE RHIN. 91

Werneck, paralt-il, avait compris tout le danger du plan élaboré par Latour. Il lui en fît l'observation ; mais Latour s'en tint à sa première idée et, pour toute réponse, enjoignit à Werneck de se borner à la stricte exécution des ordres qu'il lui avait donnés.

Sans connaître le détail des projets de Hoche, le commandant de l'aile droite autrichienne avait appris, par des rapports d'espions, que le gros des Français ferait irruption de Neuwied vers Dicrdorf, tandis que leur aile gauche s'avancerait sur la route d'Altenkirchen. Sur ces renseignements et pour se conformer aux instructions de Latour, Werneck résolut de se tourner contre Championnet et de lui livrer bataille. Il espérait revenir ensuite par une marche de flanc, assez à temps pour s'opposer au mouvement de Hoche. Il répartit son corps d'armée entre la Lahn et la Sieg de la façon suivante :

Le général Elsnitz occupa Siegen avec 5,915 hommes dont 1,345 cavaliers.

Le général Kienmayer se plaça devant Altenkirchen avec 5,335 hommes dont 2,406 cavaliers.

Le général Kray, à Neuwied, eut sous ses ordres 2,494 hommes.

Riesch occupa Dierdorf avec 6,430 hommes dont 1,540 cavaliers.

Les divisions du prince d'Anhalt-Kôthen et du général Grûber, à Neukirch, comptèrent 8,667 hommes dont 3,801 cavaliers.

Quant à l'attaque de la colonne Championnet, Werneck résolut de l'exécuter en trois colonnes.

La première, sous les ordres du F. M. L. Grûber et comprenant 7 bataillons, 12 escadrons, 8 pièces de canon et une batterie d'artillerie à cheval, s'avancerait par les hauteurs jusqu'à Hilgenroth. De là, elle marcherait au combat lorsque le signal lui en serait donné par un feu allumé sur la hauteur de Gielenroth.


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La deuxième colonne, commandée par le colonel Lamarseille, de l'infanterie de Clerfayt, et forte de 1 bataillon, 2 escadrons et 2 canons, devait se porter à Schôneberg et y attendre le signal de l'attaque.

La troisième, aux ordres du colonel Contades, composée de 1 compagnie et de 3 escadrons, attendrait le même signal à Obernau.

D'autre part, le général Kienmayer reçut l'ordre de se porter avec son avant-garde, le 18, à Weyerbusch, et de là, de s'avancer vers Uckerath avec un détachement de cavalerie pour se renseigner sur la force et les projets de l'ennemi. Le corps de Riesch, à Dierdorf, devait se tenir prêt à partir, au premier ordre, pour Gielenroth, où il soutiendrait l'attaque.

Si l'ennemi avait déjà dépassé la Sieg et Uckerath lorsqu'il arriverait à Weyerbusch, Kienmayer avait l'ordre de retarder le plus possible sa marche. En tout cas, il devait se maintenir à Weyerbusch, de façon à donner le temps aux trois colonnes d'attaque d'arriver aux positions d'où elles devaient s'élancer sur les Français et à permettre au corps de Riesch de venir le rejoindre. Kienmayer abandonnerait ensuite Weyerbusch, attirant ainsi l'ennemi que les colonnes d'attaque pourraient alors prendre en flanc. Riesch, à Altenkirchen, resterait en réserve, prêt à se porter au point où les troupes autrichiennes faibliraient.

Pour faciliter l'exécution de ce plan, Werneck prescrivit à Kray de ne garder à Neuwied que la brigade Jellachich pour observer la tête de pont et défendre le défilé d'Anhausen, et d'envoyer le reste de sa division à Dierdorf, sous les ordres de Riesch. Kray reçut cet ordre le 14 avril, mais resta trois jours sans l'exécuter. Il continuait d'entretenir des négociations avec Hoche pour la prolongation de l'armistice et se flattait qu'elles aboutiraient. Cependant, sur les instances de Werneck, il se décida, le 17 avril, à envoyer à Dierdorf sa division


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moins la brigade Jellachich. Ce retard compromettait singulièrement le succès de l'opération projetée. Mais Kray aggrava encore sa faute en refusant d'occuper le défilé d'Anhausen. Il lui parut préférable de rester sur sa position fortifiée entre Neuwied et Bendorf. Il en rendit compte à Werneck et lui demanda des renforts. Par faiblesse, Werneck approuva son subordonné et lui envoya 6 escadrons.

Cependant, les renseignements fournis par Kienmayer annonçaient que l'avant-garde de Championnet avait passé la Sieg, le 17, et occupé Hennef. Il était à prévoir que, le 18, l'aile gauche française se porterait elle-même sur la Sieg. Dans la nuit du 17 au 18, Werneck leva son camp de Marienberg pour aller s'établir à Kroppach.

Werneck n'était pas exactement fixé sur la conduite à adopter. Partagé entre son désir de battre Championnet et la crainte d'être pris en flanc par Hoche, il voulut suffire aux deux. De sorte qu'au lieu de rassembler toutes ses forces contre l'aile gauche française, il les laissa disséminées sur une ligne de 18 lieues. Il ne put exécuter l'attaque qu'il avait projetée contre Championnet, parce que Kray retint trop de monde vers Neuwied, et ce dernier fut débordé dans sa position de Bendorf par le flot des cinq divisions françaises qui l'y vinrent assaillir.

II

Bataille de Neuwied : Hoche, à la tôle de cinq divisions, chasse les Autrichiens de leur position furlifiée de Bendorf-Heddesdorf et atteint Montabaur et Dierdorf; la défaite de sa gauche oblige Werneck à battre en retraite; Championnet arrive à Altenkirchen sans coup férir. — Situations respectives des deux armées le 48 au soir. — Ordres donnés par Hoche pour le lendemain.

Le 18 avril à 3 heures du matin, l'armée française commença à passer le Rhin à Neuwied. L'avant-garde aux ordres de Lefebvre, la lre division (Lemoine) et la division


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de chasseurs de Richepance passèrent les premiers et se formèrent en bataille dans la plaine. Les 2e et 3e divisions (Grenier et Olivier) et les hussards de Ney les suivirent immédiatement; puis la division de cavalerie du général d'Hautpoul et la division Watrin arrivèrent à leur tour. Tous ces mouvements s'exécutèrent avec le plus grand ordre, en présence de l'ennemi, qui ne songea pas à les troubler.

Kray se berçait encore de l'espoir que ses propositions d'armistice allaient être agréées. Tandis que les troupes françaises se rangeaient en ordre de bataille en avant de Neuwied, il dépêcha à Hoche le colonel Planquette, qui obtint la réponse que l'on sait. Dès que son émissaire fut de retour, Kray tomba dans un cruel embarras. Il s'était laissé jouer et ne pouvait plus maintenant battre en retraite jusqu'aux défilés d'Anhausen. Dans cette fâcheuse conjoncture, il ne lui restait plus qu'un parti honorable, celui de défendre jusqu'à la dernière extrémité la position fortifié de Bendorf et de retarder autant que possible la marche de l'ennemi.

Les troupes autrichiennes occupaient, d'Heddesdorf à Bendorf une ligne de deux lieues d'étendue. Six redoutes placées entre Heddesdorf et Zollengers couvraient leur front, et trois autres redoutes, élevées sur le plateau d'Heddesdorf, devaient leur permettre de prendre les Français en flanc si ces derniers essayaient de gagner la route de ce côté. Tous ces ouvrages, bien palissades et bien armés, se flanquaient réciproquement. Pour les défendre, Kray disposait de 1 compagnie de Warasdin, i compagnies des Bons-Tireurs de Grenz, 1 bataillon des troupes électorales de Trêves, 1 de Gemmingen,

1 d'Odonell, i de Kaunitz, 2 escadrons de uhlans,

2 escadrons de hussards de Barco et 2 des chevaulégers de Latour. En tout 4,500 hommes.

A Dierdorf, Riesch avait 2 bataillons de grenadiers, Beaulieu et Murray, 1 bataillon des fusiliers de Clerfayt,


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1 de Wurtemberg, 1 des troupes électorales de Cologne, 4 escadrons de chasseurs de Bussy, 6 de Rohan, 6 des cuirassiers de Zeschwitz. Au total, la division Kray était donc forte de 9 bataillons, 8 compagnies, 22 escadrons, soit 8,052 hommes, dont 2,472 cavaliers.

Du côté des Français le nombre des combattants s'élevait à environ 50,000 hommes dont 9,000 cavaliers.

Dans le rapport adressé par Hoche au Directoire sur la journée du 18, et dans le Bulletin historique de l'armée de Sambre-et-Meuse du même jour, il est dit que les Autrichiens engagèrent la bataille par une « canonnade assez vive ».

D'autre part, l'auteur autrichien auquel nous avons emprunté le détail de ce qui se passa du côté des ennemis, relate au contraire que ce furent les Français qui ouvrirent le feu pour protéger la marche de leurs colonnes d'attaque. Quoi qu'il en soit, l'action commença vers 8 heures du matin et de part et d'autre l'artillerie fit rage.

Immédiatement les troupes françaises s'ébranlèrent. Lefebvre, avec l'aile droite, se dirigea sur Bendorf qu'il devait enlever pour s'ouvrir la route de Montabaur. Grenier, avec les 2 divisions du centre, se porta contre Heddesdorf et la ligne des redoutes.

Pour arriver à Bendorf, Lefebvre devait passer d'abord par les villages de Zollengers et de Mùhlhofen. Zollengers était distant d'environ 1,500 mètres de la dernière redoute autrichienne de gauche, devant laquelle les troupes françaises allaient défiler à 400 mètres. Lefebvre jugea prudent d'enlever en passant cette redoute, ce qui fut fait sans grande difficulté. De même les villages de Zollengers et Mùhlhofen furent promptement évacués par l'ennemi, et l'aile droite s'avança en deux colonnes contre Bendorf.

Ce village était couvert par le ruisseau de Sayn derrière lequel les Autrichiens avaient établi leur gauche.


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Attaqués à la baïonnette par les Français, ils gardèrent pendant quelque temps une contenance assez ferme. Mais le général Richepance, à la tête de sa division de chasseurs à cheval, exécuta contre eux une charge brillante qui les mit en déroute.

Dans cette charge, 1 bataillon de Gemmingen et 200 chevau-légers de Latour furent faits prisonniers. Richepance, s'élançant à la poursuite des fuyards, les poussa vivement sur Montabaur et réussit à leur prendre encore sept canons, cinq drapeaux et plusieurs caissons d'infanterie. L'infanterie de l'aile droite, derrière lui, s'avança sur Montabaur.

Le général Kray avait, dès le début de l'action et grâce au feu violent de son artillerie, réussi à rassembler quelques postes détachés sur le plateau en arrière de la ligne des redoutes. Le centre des Français s'avança contre lui, détachant le général Bastoul avec 9 compagnies de grenadiers pour s'emparer d'Heddesdorf. Sans tirer un coup de fusil, Bastoul s'approcha des retranchements qui défendaient Heddesdorf. Les hommes sautèrent dans le fossé, escaladèrent les palissades et se rendirent maîtres de la redoute et du village, sans rencontrer beaucoup de résistance.

Les autres redoutes ne se laissèrent pas enlever aussi facilement.

L'une d'elles surtout parvint à arrêter pendant une heure la marche de la division Olivier. Il fallut lui donner l'assaut trois fois pour la faire tomber, ce qui eut lieu à 10 heures. A la faveur de cette belle défense, Kray avait déjà commencé à battre en retraite en bon ordre sur Dierdorf, abandonnant à leur sort les garnisons des redoutes.

Celles-ci furent bientôt enlevées, sauf une, l'avantdernière à gauche de la ligne autrichienne. Watrin, qui suivait avec sa division le chemin pris par l'aile droite, fut chargé de s'en emparer.


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Dans deux assauts successifs il échoua. Il s'apprêtait à recommencer une troisième fois son attaque, quand le magasin à poudre de la redoute, atteint par un obus, fit explosion. Les carabiniers de la division, profitant de la confusion produite, se glissèrent dans la redoute et firent prisonniers tous ses défenseurs, cent cinquante hommes.

Aussitôt que floche s'était aperçu du mouvement de retraite de Kray, il avait lancé à sa poursuite trois colonnes de cavalerie. Celles-ci, passant à toute allure entre les redoutes qui ouvrirent sur elles le feu le plus violent, réussirent à rejoindre les troupes de Kray avant qu'elles eussent pu gagner les bois vers lesquels elles se dirigeaient en toute hâte, sous la protection de quelques escadrons.

Ces derniers furent bientôt culbutés par les Français qui atteignirent l'infanterie autrichienne et firent prisonniers 2 compagnies de Wartfsdin et une partie du bataillon de Kaunitz. Le reste du détachement parvint à Dierdorf, non sans avoir encore perdu, au passage du défilé d'Anhausen, 2 pièces de cavalerie de 12, 4 pièces de 6 et 2 obusiers.

Il était midi lorsque les Français se trouvèrent maîtres de tous les ouvrages autrichiens. Hoche dirigea alors le centre de son armée sur Dierdorf. Mais les Autrichiens n'avaient fait que traverser ce village. Ils y avaient laissé une arrière-garde et avaient continué leur retraite vers Hachenburg. Les premières troupes françaises qui se présentèrent devant Dierdorf furent les hussards du général Ney, au nombre d'environ 500, accompagnés d'une compagnie d'artillerie légère. Ney engagea aussitôt le combat. Les Autrichiens s'étaient établis dans une position assez forte, derrière un petit ruisseau. Ils résistèrent avec courage jusqu'à 3 heures après-midi. Mais à ce moment arrivèrent l'infanterie de Grenier et la réserve de cavalerie commandée par^-d^HSQtpoul. Les

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Autrichiens commencèrent leur retraite, que précipita une brillante charge de cavalerie exécutée par les généraux d'Hautpoul et Oswald. La cavalerie autrichienne fut culbutée et eut environ 150 hommes tués, blessés ou faits prisonniers au cours de cette charge. 500 hommes d'infanterie autrichienne tombèrent aussi entre nos mains. Le reste se mit à fuir sur la route d'Hachenburg, vigoureusement poursuivi jusqu'à la chute du jour par Ney et ses hussards.

Pendant que le gros de l'armée de Sambre-et-Meuse triomphait à Neuwied, l'aile gauche sous Championnet s'était avancée de Siegburg, par Weyerbusch, vers Altenkirchen. L'avant-garde autrichienne, commandée par Kienmayer et établie à Weyerbusch, s'était lentement retirée devant les troupes de Championnet de façon à permettre à Werneck de se précipiter sur elles, lorsqu'elles seraient engagées dans le défilé qui conduit de Weyerbusch à AltenkircheVi. Mais, comme il s'apprêtait à commencer son attaque, Werneck apprit soudainement que Kray avait été battu à Neuwied et que le corps de Riesch, immobilisé à Dierdorf, ne pourrait exécuter la mission qu'il lui avait confiée. Essayer, dans ces conditions, d'arrêter Championnet c'était courir à un désastre. Werneck décida de battre en retraite. Il attendit que la nuit fût arrivée et, abandonnant ses positions, marcha sur Hachenburg où il se réunit au corps de Riesch. De là, il continua sa marche jusqu'à Neukirch; Kray forma l'arrière-garde et s'établit à Kirberg. Le détachement du général Elsnitz se retira de Siegen jusqu'à Haiger.

Le 18 au soir, l'armée française avait sa droite devant Montabaur^ son centre à Dierdorf, son aile gauche à Altenkirchen. Le plan des Autrichiens avait complètement échoué. L'aile gauche de Werneck se trouvait à découvert. Le cours de la Lahn n'était défendu que par des forces insignifiantes. Rien n'était désormais plus


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facile à Hoche que d'opérer dans le dos de son adversaire.

Pendant toute la journée, les troupes françaises avaient montré un entrain admirable et le plus brillant courage. L'infanterie avait toujours procédé par charges à la baïonnette exécutées avec un incomparable sang-froid. La cavalerie, par son audace intelligente, avait puissamment contribué au gain de la bataille. Ney et ses hussards avaient fait merveille. Dans son rapport au Directoire, Hoche se déclara enchanté de son armée. Il y avait de quoi : plus de 5,000 prisonniers, 5 drapeaux, 15 canons et obusiers, une cinquantaine de caissons, tel était le résultat de la journée (1).

Il est impossible de donner aucun chiffre pour les pertes françaises. Sans doute, les attaques à la baïonnette contre les redoutes coûtèrent du monde. Hoche et ses subordonnés restent muets sur ce point dans leurs rapports. On verra qu'il en fut de même pour le reste de la campagne.

Si on considère les positions des deux armées, au soir du 18, la situation des Autrichiens apparaît des plus critiques. Werneck, à Neukirch, était complètement coupé de Latour. Selon toutes les apparences, même, il lui serait difficile d'effectuer sa retraite sur Francfort. En effet, il lui faudrait pour cela s'engager dans le défilé long de six lieues qui conduit d'Herborn à Wetzlar,'et Lefebvre, de Montabaur, pouvait facilement venir lui couper la route en passant par Limburg et Weilburg.

Werneck n'avait pas attendu d'être battu pour envi(1)

envi(1) donnons les chiffres autrichiens. Joraini dit que les Français prirent, le 18 avril, près de 5,000 hommes. 6 drapeaux, 27 pièces et 60 caissons. Hoche, dans son rapport au Directoire, signale « 5,000 et quelques cents prisonniers », 18 bouches à feu, 42 caissons et

4 drapeaux.


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sager les difficultés qu'il aurait à surmonter dans sa retraite. Il avait représenté à Latour combien il importait à son salut qu'un corps de réserve fût établi à Limburg pour barrer aux Français le chemin de Francfort. On se souvient que le général Simbschen commandait à Rûsselsheim un détachement de troupes du centre autrichien, qui devait servir de réserve à l'aile droite en cas d'échec. C'est ce détachement que, dans un rapport du 16 avril, Werneck avait pressé Latour de diriger sur Limburg. Le 17, Simbschen reçut l'ordre de se porter, à marches forcées à Limburg. Mais quelque diligence qu'il fit, il ne pouvait être rendu à destination en moins de deux jours, soit dans la soirée du 19.

Si la route de Francfort lui était barrée, Werneck n'avait plus d'autre ligne de retraite possible que vers Marburg, à travers les montagnes de l'Eiche. Mais même dans cette direction il pouvait encore être devancé par l'aile droite des Français, si cette dernière prenait le 19, sans perdre de temps, la route de Weztlar.

De ce qui précède, il semble résulter que les opérations de Hoche, pour la journée du 19 avril, étaient tout indiquées. L'armée française, se portant en échelons sur la Lahn, la droite en avant, devait indubitablement couper Werneck de Francfort, de ses magasins et de ses réserves et lui faire subir un désastre complet (1).

Cette façon d'opérer s'accordait d'ailleurs pleinement avec les intentions du Directoire. L'armée de Sambreet-Meuse, d'après le plan du gouvernement, devait se porter le plus rapidement possible sur le Main. En marchant directement, le 19 avril, sur Wetzlar et Francfort, Hoche remplissait sa mission en même temps qu'il pre'(1)

pre'(1) fit au contraire un mouvement de rabattement de son aile gauche sur Francfort, Lemoine servant de pivot. II rejeta ainsi Werneck sur Francfort, au lieu de l'en couper.


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nait le moyen le plus sûr d'anéantir les forces ennemies qui lui étaient opposées.

Dans son ordre général secret du 15 avril, Hoche n'avait prévu pour l'aile droite, dans la journée du 19, que la marche sur Limburg. 11 était facile de compléter cet ordre et de prescrire à Lefebvre de s'avancer le plus rapidement possible sur Weilburg et Wetzlar. Mais Hoche avait déjà résolu, au lieu de tourner l'aile gauche de l'ennemi, de culbuter Werneck de sa position de Neukirch. Aussi, ne changea-t-il rien aux instructions qu'il avait précédemment données à Lefebvre. Pour le centre et l'aile gauche de son armée, au contraire, il ordonna les mouvements suivants :

« Le général Grenier portera la 2e division qu'il commande à Molsberg, passant par Freilingen ; il aura pour cavalerie les deux escadrons du 3e régiment de hussards et les 6e et 11e régiments de chasseurs. Il repartira de Molsberg le 1er floréal pour se porter sur Weilburg où il essayera de passer la Lahn. Au cas qu'il ne puisse arriver à sa destination ou même qu'il juge du bien du service de ne pas s'y rendre, il pourra prendre une position entre Freilingen et Molsberg.

« La division commandée par le général Olivier, la réserve de cavalerie et les hussards se porteront à Hachenburg où ils opéreront leur jonction avec la gauche de l'armée que le général Championnet y conduira d'Altenkirchen (1). »

(1) Ordre secret pour le 30 germinal an V. Dierdorf, 29 germinal (18 avril 1797). A. H. G. Correspondance de l'armée de Sambre-etMeuse.


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III

Journées des 49 et 20 avril — Werneck bat en retraite sur Francfort. —Hocbe le poursuit à la tête de sou aile gauche renforcée. — Tout au désir de culbuter les Autrichiens dons la Lahn, il néglige d'envoyer Lefebvre avec l'aile droite leur couper la route de Francfort.

Le 19 avril, à la pointe du jour, l'armée française reprit sa marche. Hoche se dirigea vers Hachenburg avec les divisions Olivier, Ney et d'Hautpoul. Il y arriva à midi et effectua sa jonction avec l'aile gauche venue d'Altenkirchen.

Le gros des troupes s'établit à Hachenburg, tandis que Ney, prenant à peine le temps de se reposer, filait avec ses hussards sur la route de Neukirch.

Grenier, avec le reste du centre s'était dirigé sur Molsberg d'où il chassa les Autrichiens et où il prit position à 3 heures après midi (1).

Aucun de ces mouvements n'ayant sérieusement inquiété Werneck, ce général commença dans l'aprèsmidi à battre en retraite de Neukirch sur Wetzlar. Bien lui en prit, car s'il avait attendu les Français, il lui aurait été impossible de se maintenir dans la mauvaise position de Neukirch, beaucoup trop étendue pour ses forces et derrière laquelle s'ouvrait le difficile défilé de la Dill. Fort avant dans la soirée, Werneck s'arrêta et établit son camp sur les hauteurs entre Amdorf et Herborn. Le général Kray, avec l'arrière-garde, était resté à Kirburg. Les hussards de Ney vinrent l'y attaquer vers le milieu de l'après-midi. Kray se maintint assez fermement jusqu'à la tombée de la nuit. II battit alors en retraite

(1) Le Bulletin historique de Sambre-et-Meuse relate que Grenier s'empara à Molsberg d'une « trentaine de voitures chargées de pain, d'avoine et de foin » et qu'il fit beaucoup de prisonniers.


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sur Salzburg où il prit position. Entre temps, le général Elsnitz s'était retiré de Haiger jusqu'à Burg par la vallée de la Dill et avait effectué sa jonction avec Werneck.

A l'aile droite française, Lefebvre avait exécuté le mouvement prescrit. Ayant trouvé Limburg- vide d'Autrichiens, il s'était borné à envoyer sur la rive gauche de la Lahn une avant-garde de 5 bataillons et de 2 régiments de chasseurs pour observer les directions de Kônigstein et Wiesbaden, tandis qu'avec le gros de sa colonne il avait pris position sur la rive droite, derrière la ville.

La division Watrin s'était mise en marche de Neuhausel sur Nassau.

Arrivée à peu près à une lieue de cette ville, elle avait exécuté une contremarche pour se porter sur Diez, laissant devant Nassau, avec ordre de s'en emparer, un corps composé de la légion des Francs, d'un bataillon d'infanterie et d'un escadron de hussards et commandé par le général Humbert.

flumbert se porta à l'attaque avec vigueur et repoussa les Autrichiens sur les hauteurs de Singhofen, leur tuant et blessant un petit nombre d'hommes et leur faisant une cinquantaine de prisonniers. Puis il s'établit dans la ville.

La brigade Goullus de la division Watrin s'était rapprochée d'Ehrenbreitstein et avait contraint les postes autrichiens de Besselich et de Pfaffendorf à se réfugier dans la place.

Tandis que l'aile droite française exécutait tous ces mouvements, le corps de réserve du général Simbschen, venant de Rûsselsheim, avait quitté Neuhof le 9 à la pointe du jour pour se porter à marche forcée sur Limburg. Ce corps se composait de 2 compagnies de chasseurs de Leloup, 4 compagnies d'Esclavons, 1 bataillon de Nadasdy, 2 de Lascy, 1 de Franz Kinsky,


404 LA CAMPAGNE DE 4797 SUR LE RHIN. N» 64.

2 escadrons de Blankenstein, 2 de Barco, 2 des hussards de Szekler et 2 escadrons des carabiniers de l'Empereur : au total, 5 bataillons 1/6 et 8 escadrons, soit 5,539 hommes dont 1,257 cavaliers.

A 10 heures du matin, Simbschen reçut de son avantgarde le renseignement que Limburg était occupé par les Français et que ces derniers avaient lancé leur avantgarde sur les routes de Kônigstein et de Wiesbaden. Simbschen accéléra sa marche et, arrivant vers midi à la maison de douane qui se trouve à mi-chemin entre Kirberg et Limburg, il se heurta aux forces ennemies. Simbschen déploya ses troupes sur la hauteur et un vif combat de mousqueterie s'engagea qui dura jusqu'à 4 heures de l'après-midi. A ce moment, le général autrichien s'aperçut que, s'il ne battait pas en retraite, il risquait d'être coupé pendant la nuit par une forte colonne que les Français venaient de détacher vers Lindenholzhausen. En outre, il apprit que, de Nassau, un corps français se dirigeait vers Nastâtten contre la brigade du général Salm, sortie de Mayence pour couvrir son flanc gauche et qui s'était établie à Kemmel. Simbschen décida de se replier.

La nuit tombée, il rétrograda sur Neuhof par Hûhnerkirche où il laissa 7 compagnies d'infanterie et 2 escadrons. La brigade Salm se retira également, de Kemmel à Langenschwalbach, devant les Français qui arrivèrent le 19 au soir à Nastâtten. Le 20, la garnison de Mayence détacha vers Esch 2 escadrons des hussards de Vecsay pour observer la route de Francfort.

A Limburg, la colonne de Lefebvre s'était emparée de 7 pièces de gros calibre, abandonnées par les Autrichiens dans les redoutes près de la ville. A en croire le Bulletin historique de l'armée de Sambre-et-Meuse, l'aile droite française prit aux ennemis, dans toute la journée du 19 avril, « 5 drapeaux, 9 pièces de canon, 2,000 hommes, 200 chevaux et un grand nombre de


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caissons (1 ) ». La relation autrichienne est muette sur ce point.

En somme, les escarmouches du 19 avril n'avaient rapporté à Hoche aucun avantage appréciable. Elles ne l'avaient même pas fixé sur la situation et les projets de l'ennemi. Hoche, le 19 au soir, gardait en effet la conviction que Werneck était toujours à Neukirch. C'était supposer le général autrichien bien maladroit, mais Hoche ne s'arrêta pas à cette considération. Puisque rien d'évident n'était venu infirmer l'opinion qu'il s'était faite des projets de l'ennemi, il résolut de poursuivre sa marche la gauche en avant pour culbuter Werneck dans la Lahn.

Le 20 avril de très bonne heure il écrivit au Directoire : « Nous attaquerons ce matin les ennemis à Klein Nister. J'espère pouvoir vous annoncer que ce soir 30,000 hommes de l'armée prendront position à Herborn d'où ils seront portés à Friedbergoù je présume que l'ennemi se réunira (2). »

Quant à se servir de son aile droite pour déborder la gauche des Autrichiens et les couper de Francfort, Hoche n'y songe pas encore.

Il annonce au Directoire qu'il va porter Lefebvre en avant, mais c'est seulement pour que ce dernier prenne une position d'où il puisse observer le mouvement de Latour sur le haut Rhin. Il commence à craindre, si Moreau n'agit pas, que le centre de l'armée autrichienne n'essaye de l'attaquer sur son flanc droit. Cette appréhension est parfaitement justifiée, mais rien ne l'empêcherait de distraire de son aile droite un corps d'observation suffisamment fort et de porter le reste et la divi(1)

divi(1) germinal an V. A. H. G. Correspondance de l'armée de Sambre-et-Meuse.

(2) Hachenburg, 1er floréal an V. Ibid.


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sion Grenier, à marches forcées, sur la Nidda au Nord . de Francfort.

Le 20 avril, les dispositions arrêtées pour la marche de l'armée française furent donc, dans l'ensemble, les suivantes : Hoche avec l'aile gauche renforcée de la division de hussards de Ney et de la division de grosse cavalerie d'Hautpoul devait déloger Werneck de Neukirch et le rejeter sur la division Grenier, qui se porterait à Weilburg pour y barrer le passage.

Olivier occuperait pendant ce temps une position intermédiaire à Greifenstein et Lefebvre, passant la Lahn avec l'aile droite, observerait de Limburg les mouvements des Autrichiens du haut Rhin.

La division Watrin devait également se porter sur la rive droite de la Lahn, devant Diez et Nassau, pour compléter le système de protection du flanc droit, tandis que la brigade Goullus resserrerait Ehrenbreitstein.

Dès la pointe du jour, l'aile gauche, les hussards et la grosse cavalerie partirent d'Hachenburg pour Neukirch, sous le commandement supérieur de Hoche. Arrivé à Neukirch, Hoche s'aperçut que les Autrichiens l'avaient abandonné depuis la veille. Il lança aussitôt à leur poursuite les hussards de Ney et 2 régiments de dragons.

Un peu avant d'arriver à Roth, cette avant-garde se heurta à l'arrière garde autrichienne aux ordres de Kray qui, de fort bonne heure, avait commencé sa retraite de Salzburg sur Herborn. Le combat s'engagea par de petites escarmouches qui amenèrent les deux partis à une faible distance du bois de Roth. A ce moment, le 2e régiment de hussards, qui tenait la tête des Français, chargea la cavalerie autrichienne et la repoussa en désordre dans le bois de Roth. Dans ce couvert étaient embusqués une batterie d'artillerie et 2 bataillons d'infanterie. La cavalerie autrichienne s'était formée en bataille près de Waldaubach. Les 2e, 3e et 4e hussards se précipitèrent sur elle à fond de train et, malgré un


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feu violent d'artillerie et de mousqueterie des Autrichiens du bois, la mirent en pleine déroute. Les hussards s'apprêtaient à poursuivre leur succès, mais le feu meurtrier de l'infanterie autrichienne les en empêcha. Cependant l'infanterie française arrivait à la rescousse. Avec quelques escadrons de l'avant-garde, elle marcha à l'attaque du bois de Roth, tandis que le 2e régiment de hussards se dirigeait sur Driedorf, pour tourner la gauche autrichienne. Kray battit alors en retraite sur le plateau d'Herborn. Arrivé à Hirschberg, il s'arrêta et essaya de contenir Ney et Soultqui, avec les hussards et 2 bataillons de la 60e demi-brigade, marchaient sur ses talons. Hoche rapporte même, dans son compte rendu au Directoire, que, dans cette poursuite, l'infanterie suivit au pas gymnastique pendant une lieue et demie les hussards qui avaient pris le trot. Attaqué avec impétuosité, Kray se vit de nouveau contraint à reculer. Il le fit en bon ordre et assez lentement pour donner le temps au corps qu'il couvrait d'effectuer sa retraite.

Werneck avait mis son gros en marche, de grand matin, sur trois colonnes : le général Elsnitz s'était dirigé de Burg vers Giessen par Hohensolms; la colonne principale, sous les ordres de Werneck, s'était engagée dans le ravin de la Dill pour aller à Wetzlar; enfin, la troisième colonne, commandée par le général de Briey, s'était portée par Greifenstein et Leun vers Braunfels pour couvrir la marche des deux autres.

Mais, tandis que Kray, disputant pied à pied le terrain aux Français, s'approchait du pont de la Dill, la colonne principale se voyait arrêtée dans sa marche par les équipages de la réserve d'artillerie et du train de vivres qui s'étaient embarrassés dans le défilé de la Dill. La confusion se mit bientôt dans les rangs autrichiens et elle fut encore augmentée par le feu de trois pièces d'artillerie légère que les Français avaient réussi à mettre en batterie sur la hauteur de Fleisbach, après


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s'être emparés de vive force de ce village. Werneck, se portant alors avec de la cavalerie fraîche à hauteur de son arrière-garde, exécuta un retour offensif qui donna le temps à la colonne de se dégager et de reprendre sa marche, non sans qu'elle eût perdu 400 hommes, faits prisonniers par les hussards de Ney qui chargèrent par le pont de Sinn, et une quantité énorme de voitures et de bagages. Les Autrichiens continuèrent ensuite leur retraite sur Wetzlar, serrés de près par les Français, dont l'avant-garde, qui suivait la Dill sur sa rive droite, ne s'arrêta qu'à la nuit à Asslar.

En même temps que l'aile gauche, les deux divisions du centre de l'armée de Sambre-et-Meuse s'étaient mises en marche pour gagner, la deuxième Greifenstein, la troisième Weilburg.

La 3e division (général Olivier), renforcée du 3e régiment de cavalerie et d'un régiment de dragons, partit d'Hachenburg et se dirigea par Hohn, Rennerod, Westernohe, Mengerskirchen et Friederfeld. A Beilstein, son avant-garde atteignit la queue de la colonne du général de Briey et lui fit quelques prisonniers. La 3e division poussa ensuite jusqu'à Greifenstein, où elle campa.

La 2e division, sous les ordres de Grenier, levant son camp de Molsberg, fit route vers Weilburg, précédée d'une avant-garde composée du 6e régiment de chasseurs à cheval, de 3 compagnies de grenadiers et d'une demi-batterie d'artillerie légère. Arrivé à hauteur de Merenberg, Grenier détacha le 11e régiment de chasseurs et 1 bataillon d'infanterie sur Leun avec ordre de s'y établir et de couvrir la position de Weilburg qu'allait occuper-le reste de la division.

Le chef de brigade Treilhard, commandant le 11e régiment de chasseurs, fut chargé de la conduite du détachement envoyé à Leun. Il trouva ce village inoccupé, s'y installa et poussa aussitôt des reconnaissances sur


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Wetzlar et Braunfels. Mais la colonne de droite du corps de Werneck vint bientôt donner contre le poste français de Leun. Briey, voyant sa retraite coupée, résolut de s'ouvrir le passage de la Lahn, coûte que coûte. Deux compagnies de de Vins furent lancées contre Leun, tandis que la cavalerie autrichienne chargeait plusieurs fois de suite les chasseurs de Treilhard. Ce dernier dut enfin se replier. Il passa la Lahn sur le pont de Leun, suivi de près par l'ennemi, longea quelque temps la rive gauche de la rivière et put enfin revenir sur la rive droite par le gué de Stockhausen. Il avait perdu peu de monde et les Autrichiens, heureux de s'être ouvert le chemin de Braunfels, ne l'inquiétèrent pas davantage et continuèrent leur retraite.

A l'aile droite, Lefebvre avait quitté sa position en arrière de Limburg et s'était dirigé sur Lindenholzhausen que Simbschen avait évacué pendant la nuit. Lefebvre ne poussa pas ce jour-là plus avant. Il s'établit la droite à Lindenholzhausen, la gauche à Mensfelden.

La division Watrin, en avant de Diez et de Nassau, avait conservé ses positions.

La brigade du général Goullus, chargée d'investir Ehrenbreitstein, n'avait rien fait de marquant.

Le 20 avril au soir, l'armée française se trouva répartie sur les emplacements suivants :

Aile gauche. — Division des hussards du général Ney : au bivouac sur les deux rives de la Dill, depuis Berghausen jusqu'à Werdorf.

Division de dragons (général Klein) : sur la rive gauche de la Dill, de Niederhof (?) à Sechshelden, occupant les villages d'Eibach, Manderbach et Salbach (?).

L'avant-garde de l'aile gauche sur les hauteurs de Bicken.

Le corps de bataille (4e division et division de réserve) sur les hauteurs en arrière d'Herborn.


440 LA CAMPAGNE DE 4797 SUR LE RHIN. N« 64.

Division de cavalerie (général d'Hautpoul) : en cantonnements depuis Bruck jusqu'à Dillenburg:

Centre. — 3e division (Olivier) à Greifenstein : l'infanterie sur le plateau en avant de Greifenstein, deux bataillons d'infanterie et deux escadrons à Katzenfurt, un bataillon et deux escadrons à Edingen. Les trois régiments de cavalerie cantonnèrent dans les villages en arrière de Greifenstein.

2e division (Grenier) : à Weilburg.

Aile droite. — Division d'avant-garde (Lefebvre) : en avant de Limburg, sur la route de Konigstein.

lre division (Lemoine) : en avant de Limburg, sur la route de Wiesbaden, trois bataillons d'infanterie légère en avant du front à hauteur du village de Mederbrechen.

Division de chasseurs (général Richepance) : la droite à Mensfelden, le centre à Werschau, la gauche à Nieder* brechen.

Division Watrin : en avant de Diez et Nassau.

De leur côté, les Autrichiens étaient arrivés aux différents endroits qu'ils s'étaient fixés le matin : Elsnitz à Giessen, Werneck et Kray à Wéztlar, Briey à Braunfels. Le corps de réserve de Simbschen avait passé la journée à Neuhof, sans être inquiété.

En somme, le 20 avril pas plus que la veille, l'armée de Sambre-et-Meuse n'avait remporté les succès décisifs qu'elle était en droit d'espérer après sa victoire de Neuwied. La situation des Autrichiens s'était plutôt améliorée, car il devait être maintenant bien difficile aux Français* de leur couper la retraite. Si Werneck, se repliait sans retard sur Hanau et Aschaffenburg, les Français étaient trop loin pour l'empêcher de s'échapper. Si, au contraire, le général autrichien rassemblait ses forces et essayait de résister dans les environs de


N» 64.

LA CAMPAGNE DE 1797 SUR LE RHIN.

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Francfort, il était encore possible à Hoche de le tourner avec son aile droite ou avec son aile gauche, suivant la position qu'il choisirait. En tout cas, il n'y avait pas de temps à perdre.

Hoche comprit enfin qu'il avait fait fausse route en essayant de culbuter Werneck dans la Lahn. Il masqua son erreur au Directoire en lui annonçant simplement qu'à Neukirch l'ennemi n'avait pas « jugé à propos de recevoir le combat (1) ». En même temps, il décidait de faire exécuter par Lefebvre la marche sur Francfort qu'il avait annoncée le 19 avril au gouvernement.

A l'exception de la division Grenier qui resterait à Weilburg, le centre et la gauche devaient continuer à talonner les Autrichiens et à rendre leur marche aussi pénible que possible. Seulement Hoche se trompa encore une fois sur la route qu'il convenait de prendre pour atteindre le gros de l'armée autrichienne. Précédemment il avait écrit au Directoire que ses renseignements le portaient à croire que Werneck rassemblerait ses troupes à Friedbcrg et essayerait d'y tenir. Ce fut cependant sur Giessen qu'il se dirigea le 21 avril avec l'aile gauche de Sambre-et-Meuse. Il n'y trouva que le corps du général Elsnitz, alors que, d'après les termes mêmes du Bulletin du 2 floréal, « on croyait que l'ennemi s'y était rassemblé en grande force pour défendre le passage de la Lahn (2) ».

(1) Hoche au Directoire, Herborn, 2 floréal an V (21 avril 1797). A. H. G. Correspondance de l'armée de Sambre-et-Meuse.

(2) Bulletin historique. Ibid.


142 LA CAMPAGNE DE 4797 SUR LE RHIN. N» 04.

IV

Journées des 21 et 22 avril. — Ignorant le dispositif de relraite en trois colonnes adopté par Werneck, Hoche s'acharne sur la colonne du général Elsnitz qui forme la droite du corps autrichien. — Combat de Steinberg (21 avril). — Hoche perd le contact le 22. — Lefebvre, qui s'est mis en marche sur Francfort le 24, y arrive le 22, quand survient un courrier d'Italie annonçant la signature des préliminaires de Léobon. — Les hostilités sont suspendues. — Réflexions sur cette campagne de 5 jours.

Le 21 avril au matin, les deux divisions d'infanterie de l'aile gauche, la division de hussards et celle de grosse cavalerie se mirent en marche sur Giessen par la rive gauche de la Dill, sous les ordres de Hoche. Un détachement de 100 cavaliers fut envoyé en avant pour reconnaître la position de Giessen.

En même temps, la division Olivier quittait son camp de Greifenstein et se portait sur Wetzlar par la rive droite de la Dill.

La jonction des deux colonnes devait s'opérer à Wetzlar dans l'après-midi.

De son côté, le général Werneck reprit sa marche en trois colonnes, comme la veille, avec les itinéraires suivants :

La première colonne (général Briey) de Braunfels à Griedel par Schwalbach et Ober-Cleen.

La deuxième colonne (général Werneck), de Wetzlar à Mûnzenberg par Rechtenbach et Holzheim.

La troisième colonne (général Elsnitz), de Giessen à Gruningen, détachant six escadrons à Lich pour couvrir son flanc droit.

Les Autrichiens s'étaient remis en route bien plus tard que les Français (vers 2 heures après midi) et, lorsque les 100 cavaliers détachés par Hoche sur Giessen arrivèrent à Gleiberg, ils se heurtèrent aux postes d'Elsnitz. On escarmoucha quelque temps jus-


N» 64. LA CAMPAGNE DE 4797 SUR LE RHIN. 113

qu'à l'arrivée des hussards qui faisaient l'avant-garde des Français. L'arrière-garde autrichienne se retira alors sur Giessen, poursuivie par les hussards que rejoignit devant la ville l'infanterie de la brigade Soult. Cette dernière marcha sur Giessen tandis que les hussards, après avoir passé la Lahn sur les talons des Autrichiens, tournaient la ville à droite et à gauche et se répandaient sur les routes de Marburg, Laubach, Lich et Butzbach. Sur ces entrefaites, Championnet, à la tête du 12e régiment de dragons, traversa la Lahn au gué d'Heuchelheim et se lança au grand trot sur la route de Butzbach. Menacé d'être coupé, Elsnitz évacua Giessen et battit en retraite sur Mùnzenberg, vivement poursuivi par Ney et le 4e régiment de hussards. Après avoir dépassé Steinberg, la colonne autrichienne fit front et se défendit vigoureusement. Mais Ney venait d'être rejoint par le général Salm à la tète d'un régiment de dragons. Il chargea avec impétuosité l'infanterie du général Elsnitz, la mit en déroute et fit prisonnières deux compagnies de Spleny avec deux pièces de 6.

Au moment où la colonne Elsnitz était si vigoureusement pressée, le général Werneck arrivait au village de Langgons. Il envoya aussitôt à son subordonné un renfort composé de quatre escadrons des cuirassiers de Nassau et de quelques pièces de 12. Ce secours ranima le courage des troupes d'Elsnitz. Elles se déployèrent devant Grùningen et s'avancèrent résolument contre l'infanterie ennemie. Leur cavalerie chargea celle du général Ney, la sabra, enleva deux canons et prit Ney lui-même, qui était tombé de cheval en franchissant un fossé pour se porter au secours d'une pièce imprudemment engagée sur la ligne des tirailleurs. Les Français, ne pouvant venir à bout des Autrichiens qui se défendaient en désespérés, se retirèrent de Steinberg sur Gross-Linden. Ils se préparaient à reprendre leur marche lorsque la nuit survint et mit fin au combat. Werneck,

Bcr. Bist. 8


144 LA CAMPAGNE DE 4797 SUR LE RHIN. N« 64.

heureux de s'en tirer à bon compte, se hâta de mettre le gros de ses forces à l'abri de la Vetter, dont il occupa la rive droite par une chaîne d'avant-postes qui, de Lich, sTétendit à Morlen par Gruningen, Langgons et Butzbach.

La division Olivier, avant d'arriver à Wetzlar, avait rencontré l'arrière-garde de la colonne de Werneck. Celle-ci ne fit qu'une faible résistance et se replia sur la rive gauche de là Lahn. La division Olivier l'y suivit par le pont de Wetzlar et vint s'établir sur la route de Francfort, au débouché du bois qui s'étend de Wetzlar à Gross-Rechtenbach, ses avant-postes à Klein-Rechtenbach.

La division Grenier passa la journée à Weilburg et fit rayonner quelques reconnaissances aux alentours.

La première colonne autrichienne, commandée par le général de Briey, avait pu atteindre Griedel sans être le moins du monde inquiétée.

Conformément aux ordres de Hoche, Lefebvre avec l'aile droite s'était mis en marche de Limburg, dans la matinée du 21 avril, pour se porter par Camberg sur Kônigstein et Francfort. La division d'avant-garde prit la l'oute directe, tandis que la lre division s'avançait par Dauborn—Êufingen. Les chasseurs de la division Richepance éclairaient la marche. Ils délogèrent l'arrièregarde du corps de Simbschen d'Idstein et d'Hûhnerkirche et s'établirent aussi à Camberg. Mais des reconnaissances autrichiennes, envoyées de Neuhof sur ces différents points, obligèrent la cavalerie française à les évacuer momentanément. L'arrivée de l'infanterie de Lefebvre rétablit bientôt les choses et les reconnaissances ennemies durent battre en retraite à leur tour. Les 2 escadrons de hussards de Vecsay établis à Esch se virent sur le point d'être entourés. Ils se replièrent avec précipitation et perdirent environ 100 prisonniers dans une charge qu'exécuta contre eux le 16e régiment de


N« 64. LA CAMPAGNE DE 4797 SUR LE RHIN. 115

hussards français. Poursuivis l'épée dans les reins jusqu'à Kônigstein, ils s'enfuirent jusqu'à Marxheim.

Le corps de Simbschen dut à son tour abandonner Neuhof, devant la menace d'être tourné par un détachement de cavalerie française, qui, par Seelbach, se dirigeait vers Niedernhausen. L'avant-garde de Simbschen, forte de 7 compagnies et de 2 escadrons de hussards de Szekler, vint prendre position sur les hauteurs au Sud de Neuhof. Simbschen conduisit le gros de ses forces à Wiesbaden, où il fit sa jonction avec la brigade du rhingrave Salm. Dans la nuit du 21 au 22 avril, 4 escadrons furent détachés de Wiesbaden : deux des hussards de Barco allèrent à Marxheim renforcer les hussards de Vecsay et deux des hussards de Blankenstein se portèrent de Rûsselsheim pour observer le cours du Main jusqu'à Sachsenhausen.

Le 21 avril au soir, l'armée de Sambre-et-Meuse se trouva répartie de la façon suivante :

Aile gauche. — Division de hussards ( général Salm ) au bivouac entre Steinbach et Gôttesheim gardant les routes de Lich et de Mùnzenberg.

Division de dragons (général Klein) à Steinbach, Garbenteich et Watzenborn.

L'avant-garde à Leihgestern, Lich et Watzenborn.

Division de réserve (Championnet) au camp au Sud de Giessen.

4e division (Legrand) à Altzbach, Heuchelheim et Giessen.

Division de cavalerie (d'Hautpoul) à Altzbach et Kinzenbach.

Centre. — 3e division (Olivier) au débouché du bois entre Wetzlar et Gross-Rechtenbach sur la route de Francfort. Les avant - postes à Klein - Rechtenbach ; 2 bataillons d'infanterie légère et 2 escadrons de dragons à Braunfels.


446 LA CAMPAGNE DE 1797 SUR LE RHIN. N» 64.

2e division (Grenier) à Weilburg.

Aile droite. — Division d'avant-garde (Lefebvre) en avant du bois d'Esch, appuyant sa droite au village de Croftel et sa gauche à la grande route.

tre division (Lemoine) à droite de la division d'avantgarde, occupant Kônigstein et le bois en arrière par 3 bataillons.

Division de chasseurs (Richepànce) au bivouac à Glàshutten et Schneidhain.

Division Watrin, partie en avant d'Idstein, partie à Niederselters.

Le mouvement de Lefebvre sur Francfort, dans la journée du 21 avril, avait singulièrement diminué les chances qui restaient la veille à Werneck d'échapper à un écrasement total. L'armée française s'était resserrée autour de lui suivant une courbe qui menaçait de se fermer. Le général autrichien mesura l'étendue du péril et résolut de gagner le plus rapidement possible la seule issue qui lui restât ouverte.

Le 22 avril, à la pointe du jour, il leva son camp de Mûnzenberg et fit route pour Francfort, à marche forcée, sur trois colonnes. La première, par Melbach, Baienheim, Assenheim, se dirigea vers Ilbenstadt. La deuxième dut se rendre également à Ilbenstadt en passant par Wôlfersheim et Nieder-Wôllstadt. La troisième, celle du général Elsnitz, partit pour Staden par Vohnbach, Echzell et Bingenheim.

Hoche, de son côté, reprit la poursuite dès le matin du 22 avril; mais, comme la veille, il se trompa sur la situation de l'ennemi. Laissant l'infanterie de l'aile gauche dans Jes environs de Giessen, il se porta sur Lich avec la division de grosse cavalerie d'Hautpoul, la division des dragons de Klein et une demi-brigade d'infanterie. Lich, qui avait constitué la veille au soir le point d'appui de droite des avant-postes autrichiens, était


N« 64. LA CAMPAGNE DE 4797 SUR LE RHIN. 447

évacué lorsque les Français y arrivèrent. Hoche, fort perplexe, prit position derrière la Vetter et lança une forte reconnaissance sur la Nidda vers Staden. Cette reconnaissance fit parvenir le renseignement que l'ennemi s'était déjà retiré sur la rive gauche de la Nidda, dans les environs d'Hbenstadt. Avant d'avoir eu le temps de prendre ses dispositions en conséquence, Hoche reçut de Lefebvre communication de la dépèche de Berthier, apportée par un courrier autrichien, et qui informait le général en chef de Sambre-et-Meuse de la signature des préliminaires de Léoben. Cette nouvelle le détermina à suspendre à son tour les hostilités.

Cependant, les divisions du centre s'étaient portées en avant. Celle de Grenier parvint dans la journée à Usingen ; celle d'Olivier à Nieder-Cleen.

A l'aile droite, la journée avait été plus mouvementée. Lefebvre avait continué sa marche sur Francfort. Mais, instruit de la présence à Neuhof de troupes autrichiennes, il avait jugé prudent de les repousser dans Mayence. Dans ce but, la division Watrin avait reçu ordre de se porter sur Neuhof tandis que la division Lemoine, renforcée de 2 régiments de chasseurs, s'avançant à Hofheim et Weilbach, couvrirait son mouvement et éclairerait le cours du Main de Mayence à Hôchst.

La division d'avant-garde et celle des chasseurs devaient de leur côté pousser sur Francfort pour y couper la retraite au corps de Werneck. Quoique cette combinaison eût été suggérée à Lefebvre par le légitime souci de garder son flanc droit, il semble bien qu'elle eût gagné à être, dans le détail, organisée d'une façon différente. Le corps de Simbschen, déjà battu, n'était pas si dangereux qu'il fallût, pour le contenir, distraire deux divisions de l'aile droite. En s'aflàiblissant ainsi, Lefebvre risquait de se faire battre par le corps réuni de Werneck, lorsqu'il voudrait lui barrer le chemin de Hanau au delà de Francfort.


418 LA CAMPAGNE DE 1797 SUR LE RHIN. N° 64.

Dans la nuit du 21 au 22, le rhingrave Salm avait retiré sa brigade de Wiesbaden à Mayence. Le 22 au' matin, Simbschen avait occupé la position de Hochheim, laissant en arrière-garde, sur le plateau de Wiesbaden, deux escadrons des hussards de Barco, sous les ordres du major Frimont.

Watrin, poussant devant lui le détachement autrichien de Neuhof, vint se heurter à ces cavaliers qui opposèrent d'abord une vigoureuse résistance mais durent bientôt battre en retraite devant les forces supérieures des Français. Comme ils allaient arriver à Wiesbaden et traversaient la plaine où s'élève cette ville, le 23e régiment de chasseurs à cheval exécuta sur eux une charge à fond qui transforma leur retraite en déroute. Les hussards de Barco furent culbutés; l'infanterie, composée de quatre compagnies d'Esclavons et trois compagnies de chasseurs tyroliens, fut presque entièrement prise et perdit deux canons (1). Watrin se porta ensuite à Hochheim où Simbschen se défendit bravement jusqu'à la nouvelle de l'armistice.

Lemoine avait accompli sans obstacle son mouvement sur Weilbach. Il fit passer le Main à Eddersheim à son avant-garde (deux régiments de chasseurs et l'infanterie légère de la division) qui s'établit sur la rive gauche depuis Hochst jusqu'à FJôrsheim et en remontant le ruisseau jusqu'à Delkenheim.

Quant à Lefebvre, en arrivant à Rôdelheim et Hausen, il y avait trouvé les ponts sur la Nidda coupés. La cavalerie autrichienne, sur la rive gauche, s'apprêtait à lui

(1 ) La version française (Bulletin historique) relate que la division Watrin fit, dans ce combat, 900 prisonniers dont 20 officiers et s'empara de 3 pièces et 5 caissons.

D'autre part, Watrin rend compte dans une lettre à Hoche (3 floréal, 22 avril 1797) de la capture du rhingrave Salm et du colonel des hussards de Barco.


N° 64. LA CAMPAGNE DE 4797 SUR LE RHIN. 119

disputer le passage. Il fit rétablir les ponts et franchit la rivière. La division de chasseurs chargea la cavalerie ennemie, la battit et la poursuivit jusque sous les murs de Francfort, lui enlevant 150 carabiniers d'Albert de Saxe-Teschen.

Lefebvre, suivant de près avec son infanterie, prit ses dispositions pour attaquer Francfort ; mais, à ce moment, il vit venir à lui le commandant de cette ville accompagné d'un courrier porteur de la dépêche de Berthier à Hoche sur l'ouverture des négociations à Léoben. Lefebvre suspendit ses préparatifs d'attaque, mais, apprenant que Werneck, arrivé à Bergen avec une nombreuse cavalerie, avait engagé le combat contre ses éclaireurs, il envoya sur-le-champ une brigade de chasseurs au secours de ces derniers. L'adjudant général qui prit le commandement de cette brigade fut aussi chargé de faire part à Werneck des nouvelles reçues d'Italie. Le général autrichien les accueillit avec joie et convint avec l'envoyé de Lefebvre d'arrêter le combat en attendant la réponse de Hoche, auquel on avait sans perdre de temps expédié la dépêche de Berthier.

Dans la soirée du 22, il fut définitivement entendu entre Werneck et Hoche que chacune des deux armées resterait dans le statu quo jusqu'à la solution des négociations engagées à Léoben pour la paix.

Les jours suivants, on s'occupa de fixer la ligne de démarcation des troupes françaises et autrichiennes. Plusieurs conférences eurent lieu à ce sujet à Ilbenstadt et l'on tomba d'accord sur le cours de la Nidda jusqu'à son confluent avec le Main et celui de cette rivière ensuite jusqu'au Rhin.

Le courrier d'Italie était arrivé fort àjjropos pour les Autrichiens. Werneck n'avait pu atteindre Bergen qu'avec sa cavalerie. L'infanterie était encore à Windecken, couverte par une chaîne d'avant-postes établie sur la Nidda. Il est vrai que l'aile gauche française avait


420 LA CAMPAGNE DE 4797 SUR LE RHIN. N» 64.

laissé les Autrichiens augmenter leur distance; mais Lefebvre, en revanche, avait atteint Francfort. Avec ses 18,000 hommes, il devait avoir facilement raison de la cavalerie et de l'artillerie rassemblées en toute hâte à Bergen par Werneck. D'ailleurs, les 2e et 3e divisions à Homburg, Usingen et Nieder-Cleen étaient à portée de le secourir. La situation des Autrichiens était donc plus périlleuse que jamais depuis l'ouverture de la campagne.

Leurs pertes pendant ces cinq jours de combat continuels s'étaient élevées à :

OfGciers. Troupe. Chevaux.

Morts 2 240 180

Blessés 14 314 106

Prisonniers et disparus 55 5,700 1,674

TOTAL 71 6,254 1,960

à quoi il faut ajouter 24 canons, 35 caissons et 16 fourgons à bagages tombés aux mains des Français.

Ces chiffres sont ceux de la Relation autrichienne dont nous nous sommes servi. Us sont inférieurs à ceux que nous font connaître les bulletins historiques de l'armée de Sambre-et-Meuse et les rapports de Hoche au Directoire. Mais la différence n'est pas considérable, et, comme il faut faire la part de l'exagération habituelle aux vainqueurs, on peut les tenir pour exacts.

Il nous est impossible de donner, même par approximation, l'état des pertes françaises. Hoche et son chef d'état-major ont gardé à ce sujet un silence inquiétant, ou bien ont employé des expressions vagues qu'on ne saurait transformer en chiffres. L'examen des situations de l'armée de Sambre-et-Meuse conservées aux Archives de la guerre ne donne non plus aucune indication. La seule d'après laquelle il eût été possible d'apprécier les pertes, celle du 20 au 30 avril, manque. Cette


N» 64. LA CAMPAGNE DE 1797 SUR LE BHIN. 424

absence totale de renseignements est regrettable, car il serait assurément fort instructif de savoir quels sacrifices coûtèrent à l'infanterie républicaine les attaques à la baïonnette par lesquelles elle enleva les redoutes de Neuwied et que Hoche, le lendemain, recommandait à ses généraux comme le plus sûr instrument de la victoire.

Au moins, de cette campagne de cinq jours, peut-on faire ressortir un autre enseignement : l'insuffisance encore complète à cette époque de la cavalerie comme organe de renseignement. Contrairement à l'opinion exprimée par Gouvion Saint-Cyr, il ne semble pas que la réunion des troupes à cheval par divisions de même arme ait donné de mauvais résultats au combat (1). Mais il est, d'autre part, indéniable que la cavalerie ne rendit à peu près aucun service au point de vue de l'exploration. Elle fait le dur métier d'avant-garde, presse l'ennemi toute la journée avec le plus grand courage, mais, le soir, elle perd le contact, s'arrête et ne s'occupe plus de rien jusqu'au lendemain matin. Si le poursuivi profite de la nuit pour prendre du champ ou pour changer d'itinéraire, les poursuivants, le lendemain, vont donner dans le vide. C'est ce qui arrive à Neukirch, à Giessen, à Lich.

Quant aux colonnes ennemies qu'on n'a pas atteintes, elles peuvent bien tranquillement effectuer leur retraite sans qu'aucun parti de cavalerie française vienne surprendre leur force et leur direction.

Ainsi, pendant trois jours, Werneck bat en retraite paisiblement avec le gros de ses forces ; la colonne de Briey, non plus, n'est guère inquiétée. Hoche semble ignorer que ces deux corps existent. Il s'acharne sur

(1) Voir les critiques de Gouvion Saint-Cyr sur l'organisation de la cavalerie à l'armée de Sambre-et-Meuse (Campagnes du Rhin et de Wdn-et-Moselle, t. IV, p. 152) et ce qu'en dit Jomini; loc. cit., p. 87.


422 LA CAMPAGNE DE 1797 SDR LE RHIN. N« 64.

Elsnitz et prend sa flanc-garde pour la colonne principale, erreur dans laquelle il ne serait pas tombé s'il avait fait éclairer tout le pays par sa cavalerie.

Il n'y a pas que lui, d'ailleurs, qui ne s'éclaire pas. Lefebvre suit les mêmes errements, et détache contre le faible corps de Simbschen deux divisions de l'aile droite.

Nous ne reviendrons pas sur l'erreur initiale de Hoche allant attaquer de front, à Neukirch, un ennemi à qui il pouvait si aisément couper sa ligne d'opérations de Francfort. Lorsque les hostilités cessèrent, cette faute était à peine réparée. Encore doit-on considérer l'énorme supériorité numérique de l'armée de Sambreet-Meuse. Si cette supériorité avait été moins considérable, Hoche, probablement, aurait payé cher sa mauvaise inspiration.

Au moins avait-il personnellement fait preuve de la plus grande activité. 31 lieues en cinq jours et en poussant continuellement l'ennemi, telle avait été sa vitesse de marche. Qu'on la compare à celle obtenue par le même Hoche en 1793 et l'on ne pourra nier qu'il n'y ait eu quelques progrès réalisés.

Quant aux troupes, elles s'étaient montrées excellentes. Elles n'avaient plus rien à gagner pour être les premières de l'Europe et, pour la conquérir, il ne leur manquait plus que d'être commandées par le Maître de la guerre.

R. L.


LA*

GUERRE DE 1870-1871

L'ARMEE DE GHALONS

TROISIÈME PARTIE Nouart-Beaumont.

CHAPITRE VII

Bataille de Beaumont (suite).

§ 4. — Premières dispositions prises au 5e corps.

Au premier coup de canon, suivi d'un court silence puis d'une immense clameur, chacun, dans le camp français, avait couru aux armes. Ce furent tout d'abord un désarroi et une confusion inexprimables dans cette masse d'hommes s'équipantà la hâte, se précipitant aux faisceaux, sellant ou harnachant les chevaux parfois affolés, courant en tous sens avec leurs attelages. La population de Beaumont, saisie d'épouvante, augmentait encore le désordre en fuyant à travers les tentes et les


424 LA GUERRE DE 1870-4871. N» 04.

parcs. Partout les officiers faisaient des prodiges de vigueur et de sang-froid, et se multipliaient pour conjurer les effets de cette crise ; pour empêcher leurs unités de se débander ; pour les réunir et les former en bataille. Grâce à leurs efforts et à la proportion des cadres et des soldats éprouvés par plusieurs campagnes, la panique fut évitée.

Revenues de leur première surprise, les troupes parvinrent à se ressaisir assez vite et à se former à la voix de leurs chefs, en dépit d'une grêle d'obus et même de halles dont l'intensité augmentait sans cesse. Les généraux, montés immédiatement à cheval, parcouraient les camps, donnant l'exemple du calme et du mépris de la mort, et prenaient leurs dispositions pour parer, dans la mesure du possible, à cette attaque imprévue.

Les troupes qui avaient bivouaqué au Nord de Beaumont, 2e division et artillerie de la 3e, furent relativement soustraites au désarroi, en raison de leur éloignement et des préparatifs de leur mise en route prochaine. Tout d'abord, le général de L'Abadie d'Aydrein s'était contenté de prendre quelques mesures « pour défendre le camp (1) ».

Au 14e bataillon de chasseurs, les 5e et 6e compagnies avaient été envoyées auprès de l'artillerie de la 2e division pour lui servir de soutien ; les lr,î et 3° s'étaient portées à 500 mètres environ en avant du front de bandière et s'étaient embusquées dans des jardins de Beaumont, derrière des haies et des murs de clôture; la i" était restée au camp (2). Le 49e de ligne, de son côté, s'échelonna par bataillons, la gauche aux premières maisons du bourg.

Une panique faillit avoir lieu au 88e de ligne. L'artil(1)

L'artil(1) de marche de la 2e division.

(2) La 2= compagnie était à Metz avec la brigade Lapasset.


N« 61. LA GUERRE DE 4870-4874. 125

lerie, qui avait formé son parc derrière ce régiment, présentait une masse de chevaux et de voitures qui attirait les obus de l'artillerie prussienne. Un certain nombre de caissons font explosion; des chevaux affolés se jettent dans les bivouacs du 88e; quelques voitures attelées à la hâte se lancent à toute allure parmi les tentes. Surexcités, les soldats se précipitent aux faisceaux et les rompent, les uns pour faire le coup de feu, les autres pour s'enfuir. Le régiment, en tout cas, allait être disloqué, désorganisé, quand le lieutenant-colonel Démange, grâce à son imperturbable assurance, empêcha le désordre imminent de se produire. Le premier, il s'était porté devant le front de bandière, avait ordonné de reformer les faisceaux et de rester sur deux rangs en arrière. Puis, d'une voix très calme, il avait demandé son cheval et ses armes.

« Je le vois encore, dit un témoin oculaire, entourant lentement et méthodiquement sa taille d'une ceinture de zouave, tout en rassurant les hommes qui se trouvaient le plus près de lui. Enfin, montant à cheval et dressant sa haute stature, il tire son épée, fait faire un roulement, puis il commande : « Rompez les faisceaux ! »

« Cette attitude avait déjà produit son effet. Les hommes sont immobiles et s'alignent, quelques-uns plaisantent; les officiers sont à leurs places de bataille et achèvent de remonter par leur exemple le moral de leurs soldats (1). »

Constatant « que c'était une véritable bataille qui s'engageait (2) », le général de L'Abadie laissa les tentes

(1) Récit rédigé en 1881 par le capitaine Guèze, qui était sous-lieutenant au 88e, à Beaumont. (Cité par le général Canonge, Traité d'histoire et d'art militaire, t. H, livraison 49.)

(2) Journal de marche de la 2e division. Cf. Relation du colonel en retraite Lespinasse, commandant alors le IIIe bataillon du 88e.


126 LA GUERRE DE 1870-1871. N« 64.

dressées, fit mettre sac au dos et, disposant ses troupes par échelons, prescrivit d'occuper la ligne de hauteurs qui dominent au Nord Beaumont et Létanne. Le mouvement fut exécuté « avec beaucoup d'ordre (1) ». Le 88e de ligne s'établit vers Sainte-Hélène après une marche^ sous le feu de l'artillerie ennemie, « admirable d'ordre et de silence (2) » ; successivement les Ier, IIe et IIIe bataillons du 49e se déployèrent à sa droite; le 14e bataillon de chasseurs en réserve à 500 mètres en arrière (3).

Les deux batteries de la 2° division prirent immédiatement position : la 5e du 2e à 400 mètres environ au Nord du moulin à vent, à l'abri d'un talus bordant la route de Mouzon; la 8° du 2e à 100 mètres seulement du camp, près du moulin à vent même (4). Cette dernière, prise en écharpe, changea bientôt d'emplacement; elle s'établit non loin du premier, où elle subit les mêmes inconvénients, puis près de la route de Mouzon, à hauteur de la lisière méridionale du bois Failly. La 5e du 2e, exposée, elle aussi, à des coups d'écharpe, vint l'y rejoindre.

(9 H 12 \ 2— ), qui avaient

campé à la sortie Nord de Beaumont, à côté de celles de la" 2e, se placèrent d'abord près de la 5e du 2e, à 400 mètres environ au Nord du moulin à vent, les 11° et 12° à l'Est, la 9e à l'Ouest de la route de Mouzon.

La 12e batterie du 2e n'avait que cinq pièces ; la sixième, dont l'attelage de derrière avait été tué, était restée au parc. Sans hésiter, le maréchal des logis

(1) Journal de marche de la 2e division.

(2) Récit du capitaine Guèze.

(3) Les s» et 6» compagnies étaient restées auprès de l'artillerie; les ip« et 3« avaient rallié la 4».

(4) La troisième batterie divisionnaire (v> du 2e) était à Metz avec la brigade Lapasset.


N» 64. LA GUERRE DE 1870-1874. 127

Pourehaire, suivi du 1er conducteur Simplot, retourna au parc, parvint à atteler cette bouche à feu sous une grêle de projectiles et la ramena à sa place de batterie (1).

Déjà, d'ailleurs, une des batteries de la lr 0 division, la 6e du 6e, qui avait campé dans le vallon au Nord-Ouest de Beaumont et qui, devant marcher à l'avant-garde, avait ses chevaux harnachés, s'était établie, dix minutes après le premier coup de canon, sur les hauteurs au Sud de la cote 225.

La division de cavalerie Brahaut, dont le 5e lanciers, était en marche sur Mouzon (2), était réduite au 5e hussard et au 12e chasseurs. Dans ces deux régiments, bivouaques à la sortie Nord-Ouest de Beaumont, les chevaux furent sellés sous les projectiles avec un sangfroid tel qu'au 5e hussards, par exemple, un seul homme démonté manqua à l'appel. Le rassemblement des escadrons s'effectua au Nord de Beaumont derrière les batteries de la 2e division.

Parmi les troupes stationnées au Sud de Beaumont, divisions Goze et de Lespart, « la défense s'était bientôt organisée, prompte et vigoureuse (3) ». Non sans une certaine confusion, il est vrai, les brigades Saurin, à droite, et de Fontanges, à gauche, se forment en première ligne, les brig-ades Nicolas et Abbatucci derrière celles-ci.

A la brigade Saurin campée à l'Ouest du chemin de Petite Forêt, le 4e bataillon de chasseurs, prêt le premier, se porte rapidement en avant vers la crête à l'Ouest de la cote 212 et s'engage contre le 4e bataillon

(J) Historique manuscrit du 2e régiment d'artillerie.

(2) Il devait y prendre et escorter un convoi de vivres destiné au 5e corps.

(3) Historique du Grand État-Major prussien, 7° livraison, p. 1002.


428 LA GUERRE DE 4870-4871. N« 64.

de chasseurs prussiens, qui débouche de la ferme de Petite Forêt. Il est soutenu bientôt à sa gauche par le 11e de ligne, dont les trois bataillons se déploient dans l'ordre de leurs numéros, de la droite à la gauche, le IIe formant échelon en arrière. Le 46e de ligne, gêné dans son déploiement par le 11e, n'intervient tout d'abord dans l'action que par quelques tirailleurs (1).

A la brigade de Fontanges, le 68e de ligne, campé à l'Ouest du chemin de Belle Tour, passait, par un heureux hasard, la revue des armes et des cartouches au moment même où le premier coup de canon fut tiré. Deux compagnies du Ier bataillon, aussitôt déployées en tirailleurs, se portèrent sur les hauteurs au Sud, où elles se trouvèi'ent face à face avec les tirailleurs prussiens du 66e, qu'elles chargèrent à la baïonnette. Les IIe et IIIe bataillons se déployèrent derrière ces compagnies, le reste du Ier demeurant en réserve (2).

Le 17e de ligne, campé à l'extrême gauche entre le chemin de Belle Tour et la route de Stenay, avait placé en grand'garde la 6e compagnie du IIe bataillon, qui résista énergiquement à l'attaque et eut deux officiers blessés, le capitaine Le Pape et le sous-lieutenant de La Pena. Dès le début, le Ier bataillon, qui n'avait pu encore remplacer ses cartouches épuisées la veille, fut renvoyé en arrière; les IIe et IIIe se déployèrent entre la route de Stenay et la gauche du 68e poussant en avant, en tirailleurs, les 2e et 3e compagnies plus une section de la 4e compagnie du IIe bataillon et la lte du IIIe, celle-ci destinée plus particulièrement à appuyer la grand'garde sur sa gauche (3).

(1) Historique manuscrit du 11* de ligne.

(2) Historique manuscrit du 66e de ligne.

(3) Rapport du colonel du 17e de ligne; Historique manuscrit du 17e de ligne.


N° 64. LA GUERRE DE 4870-4871. 429

Cependant, les batteries de la réserve d'artillerie (1), campées au Sud de Beaumont, dans le vallon au NordOuest de la cote 212, se hâtaient d'atteler leur matériel et y parvenaient en moins d'un quart d'heure.

« Inexprimable fut la confusion du premier moment de cette surprise; toutefois, officiers et canonniers firent admirablement leur devoir; les chevaux, non tués à la corde, furent garnis, sellés, bridés et attelés sous le feu même de l'ennemi (2). »

Les deux premières pièces prêtes appartiennent à la (,'■ batterie du 2e ; elles sont conduites, l'une par le chef d'escadron Cailloux et le lieutenant en second CourtèsBringou un peu au delà de la crête située au Sud du camp; l'autre par le lieutenant en premier Nicollet, un peu- plus en arrière. Le colonel de Salignac Fénelon, commandant lu réserve d'artillerie et le capitaine commandant de Tessières accompagnent cette dernière pièce (3).

Pendant ce temps, l'adjudant Morel a rassemblé les quatre autres bouches a feu et les met en batterie (4). A peine le lieutenant Courtès-Bringou a-t-il ouvert le feu qu'un de ses servants est blessé et deux chevaux atteints. Le colonel de Salignac-Fénelon est renversé avec son cheval par un obus qui éclate dans la terre près de lui. Il faut quitter cette position si aventurée. La Cc batterie se replie et vient s'établir à côté de la 10° du 2e, vraisemblablement sur les hauteurs du moulin à vent (5).

Des deux batteries de 12, la 11" du 10e dont les conduc(1)

conduc(1) et ro« (de 4) du 2e; i:« (de 12) du 10e; (de 12) du J4e; s« et 6" (à cheval) du 20e.

(2) Journal de marche de la réserve d'artillerie.

(3) Ra/port du chef d'escadron Cailloux (sans date).

(4) Eisturique manuscrit du 2e régiment d'artillerie.

(5) La Rapport du chef d'escadron Cailloux dit : « Au delà de BeauRev.

BeauRev. 9


130 LA GUERRE DE 4870-1874. N« 64.

teurs étaient au fourrage, mit ses pièces en batterie à bras et ouvrit le feu sur l'emplacement même du camp; elle y resta jusqu'au moment où elle put disposer de ses attelages et recula ensuite jusqu'à une deuxième crête (1) située un peu au Nord de l'intersection du chemin de Petite Forêt avec un autre chemin venant de la sortie Sud-Ouest de Beaumont. Moins heureuse, la 11e du 14e est forcée d'abandonner trois pièces dont les attelages avaient été tués ; le reste gagne le carrefour au Nord-Est de la Harnoterie.

Aux deux batteries à cheval (5e et 6e du 20e) les hommes avaient pris toutes leurs dispositions « avec le plus grand sang-froid et sans désordre (2) ». Le lieutenant en second Majorelle de la (i° batterie, dont la section avait été prête la première, fit ouvrir le feu derrière là crête qui masquait le camp, au jugé, pour faire comprendre à l'infanterie qu'elle était appuyée par l'artillerie (3). Les deux batteries s'établirent bientôt, moins de dix minutes après le premier coup de canon, « à hauteur et à droite de leur campement (4) », puis auprès de la 4 Ie du 10e, sur la deuxième crête au Sud de Beaumont (5).

Plusieurs caissons de la réserve d'artillerie dont les conducteurs et les attelages avaient été tués ou dont les chevaux effrayés s'étaient détachés et enfuis, furent laissés au camp. Il en fut de même des tentes et des bagages,

mont , dans une position assez avantageuse , le terrain s'élevant

s'élevant pente douce en arrière, sans présenter de dépression. »

(1) Les vues de cette deuxième crête sont très limitées. On n'aperçoit pas le terrain situé au delà de la première crête (celle de la cole 212), vers Petite Forêt.

(2) Historique manuscrit du 20° régiment d'artillerie.

(3) Renseignements communiqués sur le terrain même par le colonel Majorelle.

(4) Renseignements fournis à la Section historique le 8 novembre 1903 par M. le général Macé; Historique du 20* régiment d'artillerie.

(5) Journal de marche de la réserve d'artillerie.


N» 64. LA GUERRE DE 1870-1874. 131

ainsi que d'une trentaine de voitures du parc d'artillerie qui, "pourvues de conducteurs moins solides et moins expérimentés que ceux des batteries, tombèrent un peu plus tard aux mains de l'ennemi.

La îic batterie du 6e de la lre division prit une première position (1) où elle se maintint environ une demi-heure, tirant tantôt sur l'artillerie, tantôt sur l'infanterie ennemie. Elle se replia ensuite au Nord-Ouest de Beaumont. La 7e du 6e, de la même division, traversant le bourg, s'établit à 800 mètres environ au NordOuest.

§ 5. — Combats au Sud de Beaumont.

Sur tout le front, les troupes françaises campées en première ligne s'étaient portées en avant, avec un sentiment très remarquable de l'offensive et une bravoure à laquelle il faut rendre hommage. Mais sous la pression des circonstances, chaque chef de corps, de bataillon, quelquefois même de compagnie, avait pris le commandement des troupes sous ses ordres et les avait engagées selon ses vues. De là un désordre inévitable qui, joint à la confusion provenant de la surprise, avait rendu toute direction impossible.

Bientôt, le 4e bataillon de chasseurs, les 11e, 46e, 68e et 17e de ligne eurent constitué, à 1000 mètres environ au Sud de Beaumont, entre le chemin de la ferme Beauséjour et la route de Stenay, d'épaisses lignes de tirailleurs qui firent subir, en quelques instants, des pertes considérables à leurs adversaires. Les deux hatteries d'avant-garde de la <?e division

1 ~~r~ ) disposèrent plus, au bout de peu de temps,

que de deux ou trois servants par pièce ; celle de l'avant(1)

l'avant(1) documents existants ne permettent pas de la définir.


132 LA GUERRE DE 1870-1871. 64.

garde de la 7e ( 7 ) fut également très éprouvée (1).

Vers midi et demi, les deux autres batteries de la

/3, IV\ 8e division I —7— 1 vinrent s'établir à côté des deux premières en s'intercalant entre elles; elles tirèrent tant contre l'artillerie française établie à l'Ouest de Beaumont que contre l'infanterie.

Des cinq bataillons restants (2) de la 46° brigade : le IIIe du 96e était employé à couvrir l'artillerie, le IIIe du 86e demeurait en réserve à la ferme de Belle Volée, les Ier et IIe du 86e, le IIe du 96e se formaient auprès de la Tuilerie.

A la 7e division, les trois batteries du gros de la

colonne ( -^—,— ) n'avaient pas tardé à renforcer celle de

l'avant-garde, non loin de la cote 217, au Nord de la ferme de Belle Tour; les deux batteries lourdes à droite, la 1re légère à gauche de celle-ci. Plus en arrière, le 26e, deuxième régiment de la 13e brigade, commençait à se déployer.

Vers midi 45, les trois corps de la brigade Saurin (3), 4e bataillon de chasseurs, 11e et 46° de ligne, fondus tout entiers en tirailleurs, exécutent un mouvement offensif sous l'impulsion de la brigade Nicolas (4) dont les régiments, campés en arrière, sont parvenus à constituer quelques unités tactiques. Sous la vigoureuse direction du colonel de Béhagle, le -11e de ligne se lance sur Petite Forêt; le 46e, à sa gauche, se conforme à ce mouvement.

(1) Historique du Grand État-Major prussien, 1" livraison, p. 994 et 996.

(2) Le 4e bataillon de chasseurs avait été engagé dès le début; le Ier du 96" était avec l'artillerie de corps.

(;-)|« de la division Goze. 2e de la division Goze.


N« 64. LA GUERRE DE 4870-1871. 133

Le, major de Lettow, commandant le 4e bataillon de chasseurs, appelle sa 4e compagnie, maintenue jusque-là en arrière; elle parvient, par des feux de salve et à volonté, à arrêter quelque temps les tirailleurs français qui lui font face. A leur tour, les trois bataillons prussiens qui se sont formés près de la Tuilerie se portent en avant et, dépassant les chasseurs, couronnent la crête de la hauteur au Nord-Est de Petite Forêt : le IIe bataillon du 96e se déploie entre le Ier du 86e à sa droite et le IIe du 86e à sa gauche. Deux compagnies du 4e bataillon de chasseurs, les 2e et 3% viennent s'intercaler sur le front, une à chaque aile du IIe bataillon du 96e', les deux autres organisent défensivement la ferme de Petite Forêt (1).

Le mouvement offensif de la brigade Saurin est arrêté par une violente fusillade et par l'artillerie de la 8e division, dont l'efficacité augmente en proportion de la densité sans cesse croissante des groupements français. Au 11e de ligne, le .colonel de Béhagle et un grand nombre d'officiers sont mortellement atteints ; le commandant Friant du IIe bataillon, blessé une première fois, est forcé, à la suite d'une blessure nouvelle, de confier le commandement au capitaine adjudant-major Bonnet. Au 46e, les pertes en officiers et soldats sont également très fortes.

L'entrée en action des deux régiments de la brigade Nicolas détermine néanmoins un mouvement en avant général. Les deux bataillons présents du 86e qui se trouvaient d'abord l'un derrière l'autre, se forment en bataille sur une seule ligne, le Ier à la droite du IIIe. Dès les premiers coups de feu, le commandant Mathis du Ier bataillon, et les capitaines Perken et Bourdel sont tués; le commandant Maly a son cheval tué sous lui; bientôt après, le colonel Berthedéjà blessé une première

(1) Historique du Grand État-Major prussien, 7e livraison, p. 994-995.


134 LA GUERRE DE 1870-4874. N» 64.

fois, est grièvement atteint; les capitaines Cuny, Schram et Houles sont hors de combat. L'offensive du 8Ge est secondée à gauche par le 61e, qui forme brigade avec lui. Mais quatre nouveaux bataillons prussiens interviennent clans la lutte. Le général de Scholer, commandant la 8e division, ordonne au IIIe bataillon du 96e, employé jusque-là à couvrir l'artillerie, de venir renforcer la première ligne, et au 31e, qui marche en tète de la 15e brigade, de s'engager sur-le-champ. Le 7/°s'établit en réserve à la sortie de la forêt. Enfin, les six batteries de l'artillerie de corps qui suivent la 15e brigade débouchent du couvert et viennent prendre position près de celles de la 8e division. Elles n'avaient pas ouvert le feu toutefois que déjà l'offensive des Français était enrayée. Les troupes prussiennes qui combattaient au Nord de Petite Forêt avaient reçu également un appui sur leur droite. La 8e division avait fait connaître en effet à la 7e qu'elle s'était heurtée à une vigoureuse résistance au Nord de Petite Forêt. Aussi le général de Schwarzhoff avait-il donné l'ordre de faire avancer aussitôt toutes les troupes déjà sorties du couvert. Tandis que le Ie 1 bataillon du 66e se dirigeait vers la route de Stenay, les IIe et IIIe prolongeaient l'extrême droite de la première ligne de la 8e division. Le 36e déployait ses deux premiers bataillons, en quatre demi-bataillons, derrière cette aile, entre le chemin de Belle Tour et la route de Stenay, et faisait tenir par deux compagnies du IIIe le bouquet de bois^voisin de la ferme de Beaulieu pour faciliter aux divisions saxonnes le débouché de la forêt (1).

Lesjdeux régiments de la 14e brigade s'établissaient : le 93e derrière l'artillerie de la division, près de la pointe boisée la plus en saillie vers le Nord, le 27e en réserve près de Belle Tour. C'est sur ce point que s'était porté le général d'Alvenslebenl, commandant le IVe corps. Son

(1) Historique du Grand État-Major prussien, 7e livraison, p. 996.


N« 64. LA GUERRE DE 4870-1871. 4?S

chef ,d'état-major envoyait des officiers au XIIe corps saxon et au Ier corps bavarois « pour les mettre au courant des événements et leur demander de s'inspirer de la situation pour entrer en ligne dans la bataille engagée à Beaumont (1) ».

L'arrivée de renforts sur le front et à l'aile droite de la première ligne de la 8e division détermine un mouvement en avant général, efficacement appuyé par l'artillerie. Le combat oscille quelque temps sur la crête au Nord-Est de Petite Forêt avec des alternatives diverses. Par deux fois, le 86e de ligne tente une charge à la baïonnette qui échoue « sous un feu écrasant d'écharpe et de face (2) ». Il parvient cependant à ne pas céder de terrain. A trois reprises le 46e, très éprouvé par l'artillerie ennemie, recule, puis se reporte en avant. L'espace perdu est reconquis « au prix de grands efforts et de nouvelles victimes (3) ». Neuf officiers sont tués, parmi lesquels le commandant de Lacvivier.

Pressentant l'issue de ce combat inégal, le général Liédot, commandant l'artillerie du 5e corps, avait prescrit aux batteries de la réserve de quitter leurs positions à l'Ouest et au Sud de Beaumont, et de venir s'établir sur les hauteurs au Nord-Est du bourg. Cette retraite, nécessaire sans doute en raison des progrès de l'adversaire, allait priver l'infanterie de la division Goze de l'appui de l'artillerie et la laisser exposée aux feux de l'infanterie et des batteries adverses à la fois.

La 6e batterie du 6e se maintint encore, pendant un quart d'heure environ, au Sud de la cote 225, puis, considérant qu'elle n'avait pour soutien qu'une compagnie de chasseurs et qu'elle était « complètement isolée (4) »,

(1) Historique du Grand État-Major prussien, 7e livraison, p. 997.

(2) Historique manuscrit du 86e de ligne.

(3) Historique manuscrit du 46e de ligne.

(4) Rapport du chef d'escadron Pérot.


436 LA GUERRE DE 1870-1871. 64.

elle s'établit d'abord au Nord-Est de la cote 225, puis elle fit sa retraite par section, pour gagner le sommet de l'angle formé par la route de Mouzon et le chemin de la Harnoterie. Elle y retrouva les deux autres batteries de la lre division (5e et 7e du 6e).

Des péripéties analogues caractérisaient le combat livré par les deux régiments de la brigade de Fonlanges, (68e et 17e de ligne), déployés à la gauche des troupes de la division Goze.

Les deux compagnies du Ierbataillon du 68e déployées primitivement en tirailleurs avaient été refoulées par le IIIe du 66e (1) sur la ligne formée par les IIe et IIIe bataillons établis à cheval sur le chemin de Belle Tour. Ceux-ci avaient dû céder ensuite peu à peu sous l'effort produit par les IIe et IIIe du 66e, soutenus en arrière par les quatre demi-bataillons du 26e et appuyés par l'artillerie.

Le lieutenant-colonel Paillier, commandant le 68e, dont le courage et le sang-froid furent au-dessus de tout éloge (2), parvint cependant à reconquérir le terrain perdu « par différentes charges à la baïonnette exécutées à propos (3) ». Au cours de l'une d'elles, les tirailleurs faisant plier le IIe bataillon et la 4e compagnie du 66e poussèrent « jusqu'à pas des pièces prussiennes (4) ». Mais le IIIe bataillon du 66e intervient à droite et à gauche ; en outre « toutes les troupes de soutien sont successivement appelées en première ligne (5) » ; le 68e recule à son tour.

Le lieutenant-colonel Paillier fait entrer en ligne les quatre dernières compagnies du 1er bataillon maintenues

(1) Tête de colonne de la 7e division. Voir p. 134

(2) Rapport du général de Fontanges, 9 septembre 1870.

(3) Ibid.

(4) Historique du Grand État-Major prussien, 7e livraison, p. 997.

(5) Ibid.


N» 64. LA GUERRE DE 4870-4874. 137

jusque-là en réserve et parvient ainsi à enrayer les progrès' de l'ennemi sur ce point. Mais ce résultat n'est obtenu qu'au prix de pertes considérables en hommes de troupe et en officiers; parmi ceux-ci sont le commandant Lacazedieu tué, le commandant Frelaut blessé grièvement de trois coups de feu (1).

A l'exlrème gauche, entre le chemin de Belle Tour et la route de Stenay, l'ennemi, qui n'avait engagé dans ce secteur que les trois premières compagnies du 66e, était facilement contenu par les IIe et IIIe bataillons du 17e de ligne.

La moindre intensité de l'attaque à l'aile gauche française avait déterminé le général Guyot de Lespart à ne laisser au Sud de Beaumont que sa 2e brigade et à diriger la lre sur les hauteurs au Nord.

Le commandant du 19e bataillon de chasseurs donna l'ordre d'abattre les tentes, de faire les sacs, et « quand on eut ramassé jusqu'au dernier ustensile de campement (2) », le bataillon se forma en bataille, rompit par sections dans le plus grand ordre et se mit en mouvement sous un feu d'artillerie très vif. Il descendit au fond du vallon parcouru par le ruisseau de Beaumont et laissant le bourg à l'Ouest, gravit les pentes opposées, puis vint se placer à droite de la ligne de bataille que constituaient les troupes de la 2e division. Le 27e de ligne avait pris, au Nord de Beaumont, la route de Mouzon. Le 30e, à sa droite, marchait à travers champs; les trois premières compagnies du IIe bataillon s'arrêtèrent un moment « pour protéger de leurs feux l'établissement d'une batterie à mi-côte, destinée à retarder la marche de l'ennemi (3) ».

(1) Historique manuscrit du 68e de ligne.

(2) Historique manuscrit du 19e bataillon de chasseurs.

(3) Historique manuscrit du 30e de ligne.


138 LA GUERRE DE 1870-1874. N» 64.

De fait, l'héroïque résistance de la division Goze touchait à sa fin. Débordé sur son flanc gauche, le 46e dut battre en retraite. Le Ier bataillon reconstitua à l'Ouest de Beaumont quelques compagnies qui se reportèrent encore une fois en avant à l'entrée d'une des rues principales, mais durent bientôt évacuer définitivement le bourg et se diriger vers le Nord. L'une d'elles servit de soutien à la batterie de mitrailleuses (9e du 2e) de la 3e division (1). Des portions des IIe et IIIe bataillons se replièrent directement sur Beaumont ou entre Beaumont et Létanne. Quelques détachements furent rejetés encore plus vers l'Est sur les hauteurs qui s'étendent entre le ruisseau de Beaumont, la Meuse et la route de Stenay (2). Ils occupèrent la lisière des bouquets de bois qui les parsèment, et ouvrirent le feu contre deux compagnies du IIIe bataillon du 26" qui tenaient le bois de la Vache.

Les Ier et IIIe bataillons du 11e de ligne, dont le flanc gauche était découvert par la retraite du 46e, se replient d'abord un peu en désordre, mais parviennent pourtant à se rallier à hauteur du IIe bataillon, qui forme échelon en arrière. Les compagnies furent reconstituées et le régiment tout entier, laissant Beaumont à sa gauche, rétrograda vers les hauteurs au Nord du bourg.

A son tour, le 61e, « tourné par sa gauche (3) », exécuta sur sa droite, appuyée au 86e, un changement de front en arrière, mais, dans ce mouvement, fait sans soutien en seconde ligne, « sous un feu écrasant d'écharpe et de face, le désordre se mit dans ses rangs (4) ». Le lieutenant-colonel Vichery, faisant placer le drapeau

(1) Historique manuscrit du 46e de ligne.

(2) Pour abréger, on appellera désormais ces hauteurs : hauteurs de Beauregard ou les Gloriettes.

(3) Journal de marche de la 2e brigade de la i " division du 5e corps.

(4) Ibid.


N« 64. LA GUERRE DE 1870-4874. 139

auprès de lui, rallia d'abord les hommes sur un mamelon situé au Sud de Beaumont, puis sur les hauteurs au Nord.

Le 86e, sous l'impulsion énergique du lieutenantcolonel de Montcets, secondé par le commandant Maly, du IIIe bataillon, fit les efforts les plus héroïques pour arrêter l'ennemi et abandonna le dernier le terrain où avait lutté la division Goze, après avoir épuisé toutes ses cartouches et perdu 13 officiers et 4(J0 hommes de troupe (1). Le lieutenant-colonel de Montcets et le drapeau ne se retirèrent qu'au moment où les Prussiens n'étaient plus qu'à 50 mètres. Les capitaines Bourseul et Schram, celui-ci déjà blessé, furent tués. Les débris du régiment traversèrent Beaumont et se rallièrent au Nord.

Surprises dans leurs camps, équipées, armées et formées à la hâte sous le feu de l'ennemi, les troupes de la division Goze avaient eu une altitude au-dessus de tout éloge dans ce combat inégal et infligé à l'adversaire de lourdes pertes « qui, pour certains bataillons, s'élevaient à plus du quart de l'effectif (2) ».

§ 6. — Prise de Beaumont.

Après la retraite de la division Goze, les régiments de la 8e division et le 66e de la 7e marchent concentriquement sur Beaumont.

A l'aile droite de la 8e, trois compagnies du Ier bataillon du 86e pénétrent dans le camp français par sa face orientale, en même temps que le IIe bataillon du 66e ; celui-ci enlève deux bouches à feu qui avaient continué à tirer jusqu'à la dernière extrémité.

(■I) Pour deux bataillons.

(2) Historique du Grand État-Major prussien, 7e livraison, p. 999.


440 LA GUERRE DE 1870-4874. N» 64

A gauche de ce groupe, le IIe bataillon du 96e atteint la face Sud du camp et s'empare de deux pièces. Plus à gauche encore, le IIe bataillon du 86e y pénètre par la face Sud-Ouest et trouve trois canons et quelques avanttrains abandonnés (1).

Le 31e, qui avait passé à l'Est de la Tuilerie, s'était déployé sur ces entrefaites, et les pelotons de tirailleurs des 2e et 3e compagnies avaient rejoint la première ligne de la 16e brigade. Le IIIe bataillon du 96e suivait, réparti en arrière des deux ailes (2).

Vers 2 heures de l'après-midi, Beaumont, non défendu, est rapidement occupé par l'ennemi : lelle bataillon du 86" y entre par le Sud-Ouest, les Ier et IIP bataillons du 31e par les jardins à l'Est, tandis que la majeure partie du Ier bataillon du 86e contourne Je bourg à l'Ouest et occupe un autre camp français où il est rejoint par les IIe et IIIe bataillons du 96".

Le mouvement en avant de l'infanterie prussienne sur Beaumont avait eu pour résultat de masquer les batteries de la 8e division et celles de l'artillerie de corps qui les avaient rejointes.

Seule la 2e batterie à cheval, placée à l'extrême gauche de la ligne, avait pu continuer à agir pendant quelques instants. Bientôt les quatorze batteries du corps d'armée se portèrent en avant en échelons et prirent de nouvelles positions au Sud de Beaumont (3).

Tandis que l'aile gauche du IVe corps pénétrait dans les camps français, puis dans Beaumont, l'aile droite n'avait pu faire des progrès similaires. Débordée sur sa

(1) D'après les Rapports et les Historiques français, on ne trouve trace que de trois caftons, abandounés faute de chevaux, et nullement de pièces ayant tiré jusqu'à la dernière extrémité.

(2) Le Ier bataillon du 96° étiiit avec l'artillerie de corps.

(3) Elles se trouvèrent dans l'ordre suivant, de la droite à la gnuche : 2« Ch., III», 3«, IV», i; 3° Cb., V° et VI»; B«, 1", G', S', I™, IIe.


N» 64. LA GUERRE DK 4870-1871. 441

droite par la retraite des troupes de la division Goze, la brigade de Fontanges avait exécuté une sorte de changement de front en refusant son aile droite et s'était établie le long de la route de Stenay. Elle y avait été rejointe par des fractions des IIe et IIP bataillons du 46e de ligne. Le Ier bataillon du 66e lui avait déjà fait face et avait été renforcé par les 6e et 7B compagnies de ce régiment, mêlées à des groupes de la 8e division, ainsi que par le IIe bataillon du 31e arrivant du Sud.

Constatant que les hauteurs au Nord de Beaumont se garnissaient d'infanterie et d'artillerie, et jugeant que c'était là la véritable position à occuper, le général de Fontanges donna l'ordre à ses deux régiments de s'y porter. Un mouvement offensif de l'ennemi succédant à une fusillade très vive et appuyé par son artillerie, fit refluer le IIe bataillon du 17° avec quelque désordre, mais le IIP tint bon dans deux bouquets de bois des hauteurs de Beauregard et suivit ensuite le IIe, précédé luimême du Ier dépourvu de cartouches depuis le début de l'action. Par suite d'un malentendu, le régiment auquel s'était jointe la compagnie du génie de la 3e division se dirigea directement sur Mouzon et y franchit la Meuse à gué.

Le 68e de ligne, au contraire, qui avait épuisé toutes ses munitions, se retira en ordre sur Beaumont, en échelons par la gauche ; le dernier, constitué par le bataillon sous les ordres du commandant Lemoine, exécuta un retour offensif à la baïonnette pour arrêter l'ennemi, qui se montrait un peu pressant. Ce régiment, qui laissait sur le terrain 32 officiers et environ 750 sous-officiers et soldats tués ou blessés, put encore opposer à Beaumont une courte résistance en utilisant les cartouches des hommes tués ou blessés (I).

(I) Rapport du général de Fontangis; Historiques manuscrits des 17e et 68e de ligne..


142 LA GUERRE DE 4870-1874. N« 64.

Quelques détachements du Ier bataillon du 66e s'engagèrent dans les fourrés des hauteurs de Beauregard, vers Létanne; mais des troupes saxonnes débouchant déjà dans cette direction, ils se rabattirent du côté de la grande route. Le reste du régiment avait été réuni au Sud de Beaumont.

L'infanterie prussienne marquait un temps d'arrêt, les bataillons déjà engagés se reconstituant pour reprendre leur mouvement en avant, les autres serrant sur la première ligne. Le 26e était venu directement derrière le 66e, formé en cinq demi-bataillons, les 11° et 12e compagnies, laissées dans le bois voisin de la ferme de Beaulieu, ayant rejoint sur ces entrefaites, après avoir été relevées par des tirailleurs saxons (1). La 14e brigade (#7e et 93e)ne pouvait se déployer pour le moment, faute d'espace ; seules, quelques fractions du 93° avaient pénétré dans Beaumont.

A l'aile gauche de la 8e division, le IIIe bataillon du 86e, d'abord maintenu en réserve à Belle Volée, s'était joint au mouvement de l'artillerie et, passant à l'Ouest de Beaumont, s'était dirigé vers le ravin qui remonte vers la ferme de la Harnoterie (2).

Les lrc et 2n compagnies du Ier bataillon du 96e, laissées avec l'artillerie de corps, étaient également arrivées sur le champ de bataille vers 1 heure et s'étaient portées sur la gauche de la 2° batterie à cheval (3). Le 7/e, dernier régiment de la 8e division, et les deux régiments de cavalerie divisionnaire débouchaient, de leur côté, au Sud-Ouest de Beaumont.

(1) Les 9e et îo 8 compagnies étaient avec l'artillerie divisionnaire et les équipages régimentaires.

(2) Historique du Grand État-Major prussien, 7e livraison, p. 999d002.

(3) Les 3» et 4° compagnies marchaient derrière les trains et n'atteignaient le champ de bataille qu'à 3 h. 15 environ.


N» 64. LA GUERRE DE 1870-1874. 443

§,7. — Entrée en ligne du XIIe corps saxon.

Les instructions du commandant de l'armée de la Meuse prescrivait à la 12e division de cavalerie et à la 23e division d'infanterie de se diriger de Beauclair sur Laneuville et d'y prendre la grande route de Stenay à Beaumont; à la 24e division, partant du bois de Nouart, de suivre le chemin qui passe par Beaufort pour aboutir à la ferme de Belle Tour, en traversant la forêt de Dieulet. Des croisements de colonnes avec les fractions de la 7e division en marche, depuis le matin, d'Andevanne sur Tailly, puis l'arrivée de l'artillerie de corps qui, en vertu d'un ordre ultérieur, venait, de Barricourt, s'intercaler entre les bataillons de la 23e division, avaient retardé quelque peu l'heure à laquelle les deux colonnes du X1P corps avaient pu se mettre en mouvement (1).

Il était 10 h. 45 environ quand la route de Nouart à Beauclair se trouvant enfin dégagée, la 24° division parvenait à s'ébranler. Elle trouvait d'ailleurs impraticable le chemin qui devait l'amener à Belle Tour et, appuyant à droite, prenait une autre voie forestière qui sort du bois à la ferme de Fontaine-au-Fresne. La tête de colonne atteignait ce point vers midi 45 et, en raison de la canonnade dont, depuis plus d'une demi-heure, on percevait les échos, le déploiement s'effectuait aussitôt. Mais les rives marécageuses de la Wamme apportaient de sérieux obstacles à cette opération.

Le 12e bataillon de chasseurs et le Ier bataillon du 104e tentent d'abord de franchir le ruisseau à gué, mais leurs hommes enfonçant jusqu'à mi-corps dans l'eau et dans la vase, les autres bataillons appuient à gauche pour

(1) Historique du Grand État-Major prussien, 7° livraison, p. 1003 et suiv.


144 LA GUERRE DE 1870-1871. N-64.

gagner le pont situé au Sud-Est de Belle Tour.» La 3e compagnie de pionniers improvise un second passage qu'utilise la 48e brigade, et la 24e division se déploie tout entière sur la rive gauche de la Wamme, derrière la droite du IVe corps. La cavalerie et l'artillerie avaient appuyé vers le Nord-Est pour emprunter le pont de la route de Stenay; elles y trouvaient la 23e division et s'intercalaient dans la colonne.

La 23e division, venant de Beauclair et de Laneuville, était flanquée à droite par le régiment de grenadiers du corps (100e) qui se dirigeait sur la ferme de Ja Wamme à travers la forêt de Jaulnay. Vers midi 45, le Ier bataillon du 108e (1) occupe le bois de Ja Vache ; le IIe s'établit à la ferme de Beaulieu et dans un bouquet de bois situé à gauche de la route, où il relève les deux compagnies que le 26e y avait laissées ; le IIIe reste en réserve près de la ferme même. Le 4e escadron du 2e régiment de Beiter, qui marchait à la pointe d'avant-garde se rallie au 7e dragons.

En même temps, la 4e batterie (2) prend position, à 1 heure, au Nord de la grande route ; elle est bientôt renforcée sur sa droite par la 2e. Toutes deux ouvrent le feu sur l'infanterie française, puis font un bond en avant de 800 mètres, rejointes par les IIIe et IVe, qui s'intercalent entre elles (3). A leur tour,

les trois batteries restantes de la 23e division ( ~LTâ~ )

1. I arrivent en ligne : ~rz s'établissent à gauche des précé(1)

précé(1) avec le 4= escadron du 2" régiment de Reiler, la 2" batterie et la 3° compagnie de pionniers, I avant-garde de la 23e division.

(2) Appartenant A l'avaul-parde de la. 24e division.

(3) Bas XII. Korps im Kriege 1870-1871, p. 90. Ces deux batteries appartenaient à la 24" division.


N« 64. LA GUERRE DE 1870-1874. 445

dentés, mais au Sud de la grande route ; — ne trouvant

plus d'emplacement convenable, se porte sur les hauteurs de Beauregard. C'est sur ces entrefaites que le général d'Alvensleben I faisait demander qu'on engageât surtout de l'artillerie pour lui venir en aide.

Le prince Georges de Saxe, arrivé à la ferme de Beaulieu, prescrit alors aux sept batteries de l'artillerie de corps

6, vil, VIII de s'établir sur les hauteurs de Beauregard. Les yz

arrivent les premières ; à leur gauche, la 2e de la 23° diviv,

diviv, sion; puis, à leur droite, les .0) , tandis que, plus à

droite encore, la 26 batterie à cheval se place au sommet des pentes qui bordent immédiatement la Meuse (1).

Elles y sont rejointes, après l'enlèvement de Beaumont, par presque toutes les batteries des deux divisions d'infanterie, qui viennent successivement former une masse en avant et à gauche de l'artillerie de corps. Toutes ces bouches à feu contrebattent les batteries françaises établies au Nord de Beaumont, de concert avec les batteries prussiennes et bavaroises qui arrivent à leur tour.

Constatant que l'aile droite du IVe corps débordait la route de Stenay, le prince Georges de Saxe ordonna au 108e d'occuper le bouquet de bois situé sur les hauteurs de Beauregard, dans la direction de Létanne, afin de couvrir l'artillerie. Le gros de la 23e division, une fois sorti de la forêt, devait continuer dans le secteur compris entre la grande route et la Meuse.

En conséquence, vers 1 h. 45, tandis que l'artillerie se'

(1) La 5» batterie de l'artillerie de corps ne trouvait pas d'emplacement convenable et restait provisoirement en réserve derrière l'aile droite.

Rev. HIst. 10


HO LA GUERRE DE 4 870-4871. N« 64.

porte en avant par échelons, le 108e se dirige du bois de la Vache et de la ferme de Beaulieu vers les hauteurs de Beauregard.

Le 100e, qui flanquait la colonne sur sa droite, atteint à la même heure la lisière des bois à l'Est de la ferme de la Wamme. Accueilli par les obus des batteries françaises établies au Nord-Est de Beaumont, le régiment franchit au pas de course et par groupes successifs l'espace découvert qui le sépare de la ferme; puis, après s'être reformé, progresse le long de la Meuse.

La 12e division de cavalerie avait reçu l'ordre de s'arrêter momentanément à l'Est de la forêt de Jaulnay et de reconnaître les chemins qu'elle aurait à suivre sous bois, ainsi que les rives de la Wamme.

§ 8. — Occupation par le 5e corps des hauteurs au Nord de Beaumont.

Les troupes de la division Goze et de la brigade de Fontanges qui avaient lutté avec tant de bravoure au Sud de Beaumont, furent recueillies par la division de L'Abadie et la brigade Abbatucci qui s'étaient portées, pendant ce temps, sur les hauteurs qui s'étendent de la ferme de la Harnoterie à Sainte-Hélène.

La brigade de Maussion de la division de L'Abadie, qui s'y était établie la première, dès le début de l'action, occupait le secteur compris entre la route de Mouzon et Sainte-Hélène. A droite, se trouvait le 49° : le IIP bataillon immédiatement à l'Est de la route de Mouzon, entre cette route et le chemin de Beaumont à la ferme de la Sartelle, les IIe et Ier à l'Est de ce chemin. A gauche, le 88e dont les IIe et IIP bataillons garnissaient, sur la lisière méridionale du bois Failly un fossé naturel; le IIP occupant Sainte-Hélène; le Ieren réserve. Les lrc, 3e et 4e compagnies du 14e bataillon de chasseurs se trou-


N- 64. LA GUERRE DE 1870-1874. 147

vaient à peu près à 500 mètres en arrière de la première ligne (1).

L'ennemi paraissant vouloir effectuer un mouvement débordant par sa gauche, le général de Failly avait envoyé sur sa droite une partie de la brigade Abbatucci qui venait de se replier des abords Sud de Beaumont et de se rallier à la droite de la brigade de Maussion, près de la route de Mouzon. Le 19e bataillon de chasseurs (2) fut chargé de l'occupation de la Harnoterie, avec mission « de chercher à arrêter ou du moins à retarder le mouvement tournant que l'ennemi dessinait (3) ». Le 27e de ligne fut également dirigé sur

la Harnoterie dans le même but (4).

Quant au 30e de ligne, second régiment de la brigade, il resta disponible près de la route de Mouzon, rejoint bientôt par les trois premières compagnies du IIe bataillon qui s'étaient arrêtées quelque temps sur les pentes au Nord de Beaumont pour protéger de leurs feux l'établissement d'une batterie (5). Les deux premiers bataillons furent massés malencontreusement derrière l'artillerie et exposés ainsi sans utilité aux projectiles (6). Le IIP bataillon, après avoir laissé Beaumont sur sa gauche et traversé la route de Mouzon, perdit de vue les deux premiers. Son chef, le commandant de Lamarcodie, fit alors au général de L'Abadie la proposition de servir de soutien à la réserve d'artillerie, et remplit en effet cette mission (7).

L'autre brigade (de Fontanges) de la 3e division pou(1)

pou(1) qu'on puisse spécifier leur emplacement exact.

(2) Moins les s» et 6° compagnies, laissées à la garde des batteries.

(3) Historique manuscrit du 19* bataillon de chasseurs.

(4) Historique manuscrit du 27e de ligne.

(5) Voir p. 137.

(6) Historique manuscrit du 30e de ligne.

(7) Ibid.


448 LA GUERRE DE 1870-1871. N» 64.

vait être considérée comme inutilisable. Le 17e de ligne se dirigeait en effet sur Mouzon où il franchit la Meuse au gué voisin du pont. Le 68e ne comptait plus guère que 200 à 300 hommes valides qui, ralliés par le lieutenant-colonel et ravitaillés en munitions, furent envoyés vers Mouzon pour concourir à la défense du pont. Ils s'établirent sur le mont de Brune en seconde ligne.

Les régiments de la division Goze, considérablement réduits, ralliaient leurs tronçons avec difficulté.

Au 11e de ligne, le IIe bataillon, moins éprouvé, était le noyau autour duquel se groupaient les portions des Ier et IIP entre la route de Mouzon et la Harnoterie. Le 1er bataillon du 46e, qui s'était replié à l'Ouest de Beaumont et qui avait pu reconstituer quelques compagnies, se joignait au 11e. Les débris des IIe et IIP bataillons du 46e, dont il restait à peu près l'effectif de deux compagnies, se portaient de Létanne sur les hauteurs de Sainte'Hélène et s'y établissaient à gauche du IIP bataillon du 88e, vers la cote 241, leur droite au chemin de Létanne. Quelques centaines d'hommes des 61e et 86e de ligne se rassemblaient autour des drapeaux, au carrefour situé au Nord-Est de la Harnoterie. Après s'être ravitaillés en vivres et en munitions au convoi du 7e corps, ils allaient occuper le mont de Brune.

Les combats livrés au Sud de Beaumont avaient donc diminué, dans de très fortes proportions, le nombre des bataillons du corps d'armée utilisables pour la lutte ultérieure. La brigade de Fontanges ne comptait plus. De la division Goze, il ne restait guère que la valeur de trois bataillons qui, ajoutés aux sept de la brigade de Maussion et aux sept de la brigade Abbatucci, faisaient un total de dix-sept bataillons.

Les batteries divisionnaires et de réserve occupaient les emplacements suivants :

Les 5e, 6e et 7e du 6e (lre division) s'étaient réorganisées au Sud du carrefour formé par la route de Mouzon


N» 64. LA GUERRE DE 1870-1874. 449

et le chemin de la Harnoterie. La 5e du 6e fut envoyée à la Harnoterie, afin d'appuyer le 19e bataillon de chasseurs et le 27e de ligne. Elle prit position « un peu en arrière et à droite de la ferme (1) ». La 7e du 6° et, à sa gauche, la 6e du 6e, s'établirent au Sud-Est de la ferme (2). Les 8e et 5° batteries du 2e (2e division) étaient toujours près de la route de Mouzon, à hauteur de la lisière Sud du bois Failly. Les batteries de la 3e division, qui s'étaient portées en arrière, vinrent encadrer les deux précédentes : la 9e, à droite de la 5e, les U° et 12e, à gauche de la 8°. Enfin, trois batteries de la réserve constituaient deux groupes au Sud du bois Failly (3), tandis que les deux batteries à cheval (S° et 6e du 20e), se trouvaient près de la ferme de la Harnoterie, où elles restèrent une demi-heure environ et d'où elles se portèrent, vers 1 h. 30, au Sud du bois de Givodeau (4).

La 11e du 14e, appartenant également à la réserve d'artillerie et réduite à trois pièces, s'établit d'abord au carrefour situé au Nord-Est de la Harnoterie et suivit ensuite le mouvement des 8e et 6e du 20<e (5).

Du côté des Allemands une puissante ligne d'artillerie se constituait à Beaumont à partir de 1 h. 45 et, poussant peu à peu de l'avant par échelons, préparait par ses feux la nouvelle offensive de l'infanterie. Douze batteries saxonnes et quatre batteries prussiennes s'établissaient successivement sur les crêtes au Sud-Est du bourg, leur gauche atteignant presque aux premières maisons. Six batteries prussiennes, auxquelles se joignaient ensuite

(1 ) Rapport du chef d'escadron Pérot.

(2) Ibid.

(3) Les documents existants ne permettent pas de mieux préciser les emplacements de ces deux groupes et leur composition.

(4) Renseignements fournis le 8 novembre 1903 par M. le général Macé.

(5) Historique manuscrit du 14e régiment d'artillerie.


450 LA GUERRE DE 1870-1871. N" 64.

les deux batteries de l'avant-garde de la 2e division bavaroise et la 2e (de 4), qui avait devancé la colonne, prenaient position à l'Ouest de Beaumont. Cette masse d'artillerie constituait trois groupes :

1° Entre les pentes qui bordent la Meuse et les deux petits bois situés à l'Ouest de la cote 251, les 2e à cheval, VIe, Ve, VIIIe, VIIe, 6e, 2e du 12e ;

2° A partir du bois septentrional jusqu'à la sortie Sud de Beaumont, les IIe//2e, b-/4e, M°/12e, 1aj4e, iv/12e et &l12e,\™/12e,ireJ4e,i\°/4e;

Au Sud-Ouest du bourg, les IVe, 3° à cheval, IIIe, 3e, 2e à cheval, lrc du 4e ; les 6° (de 6), 4e et 2e (de 4) de la 2e division bavaroise (1).

Ces vingt-cinq batteries concentrent leur feu contre l'artillerie du 5e corps, en position entre Sainte-Hélène et la Harnoterie, et prennent bien vite l'avantage sur celle-ci qui, pour se soustraire aux effets des projectiles, change fréquemment d'emplacements. Elles canonnent également les troupes d'infanterie française en retraite ou déjà établies sur les hauteurs au Nord de Beaumont (2).

§ 9. — Entrée en ligne du Ier corps bavarois.

Le Ier corps bavarois avait reçu à Sommerance, à 3 h. 30 du matin, l'ordre du commandant de la

(1) Historique du Grand État-Major prussien, 7e livraison, p. 1001. Les autres batteries du IVe corps : 6e, V« et VIe avaient suspendu le feu pour se joindre au mouvement de l'infanterie au Nord de Beaumont; la 4« avait gagné les derrières pour se reconstituer. La l™ du 12" occupait encore sa position antérieure, au Sud de Beaumont; la 5e du 12e, manquant d'espace pour se mettre en batterie, restait en réserve derrière l'aile droite; la 3e du 12" suivait avec les bataillons de la 24" division.

(2) Historique du Grand État-Major prussien, 7e livraison, p. 1001.


N» 64 LA GUERRE DE 1870-1871. 451

IIP armée de se porter en avant par Sommauthe. La /'^division et l'artillerie de corps devaient passer par Thénorgues et Bar, la 2e par Imécourt et Buzancy. L'avant-garde de cette dernière (1) (six bataillons, quatre escadrons, une batterie), qui s'était mise en mouvement à 5 h. 45, avait atteint Buzancy à 8 h. 45 et les environs Sud de Sommauthe vers midi. La. brigade de cuirassiers suivait à courte distance. Betardée par des convois d'autres troupes, la tête de colonne de la 1''° division n'arrivait à Buzancy qu'à midi. Le commandant du corps d'armée, général von der Tann, faisait passer la réserve d'artillerie en tête et suivre à la /re division l'itinéraire de Ja 2e par Bar sur Sommauthe. Des hauteurs situées au Nord do cette dernière localité, les patrouilles du 4e régiment de chevau-légers avaient découvert les camps français de Beaumont, où semblait régner la quiétude la plus complète (2).

Vers midi lo, au bruit du canon venant du Nord-Est, le général von der Tann, qui se trouvait avec la 2e division, lui donnait l'ordre de marcher aussitôt sur Beaumont et de s'engager à gauche du IVe corps. La brigade de cuirassiers devait se rassembler au Nord de Sommauthe. Les deux batteries d'avant-garde, escortées par des chevau-légers, partent au trot à travers le bois de Sommauthe; vers 1 heure, la 4e (de 4) s'établit à la cote 226, d'où elle canonne le débouché Sud de Beaumont; elle est rejointe, vers J h. 30, par la 6e (de 6), qui se place à sa droite; toutes deux agissent de concert contre l'infanterie française et les batteries adverses éta(1)

éta(1) : 1«. et 2« escadrons du 4' régiment de chevaulégers; 7e bataillon de chasseurs; 11° et Ier bataillons du 13" régiment d'infanterie ; 3e'et 4e escadrons du 4" régiment de chevau-légers; 4° batterie (de 4) et 6° batterie (de 6) du 1er régiment d'artillerie; IIIe, 11° et Ier bataillons du 10" régiment d'infanterie.

(2) Historique du Grand État-Major prussien, 7e livraison, p. 1007.


1S2 LA GUERRE DE 1870-4874. N» 64.

blies au Nord du bourg. Le 4e de chevau-légers prend une formation de rassemblement dans le pli de' terrain situé au Nord de la cote 226 (1).

Le général Schumacher, commandant la 2e division, s'était porté auprès de l'artillerie, où il rencontrait le major de Wittich, de l'état-major du IVe corps. Celui-ci le mit au courant des événements et lui fit remarquer tous les avantages qui résulteraient d'un mouvement exécuté par les Bavarois sur le flanc et sur les derrières des positions occupées par l'adversaire au Nord de Beaumont. Il lui spécifia même le point de direction qu'il y avait lieu d'adopter; c'étaient des peupliers que l'on apercevait près de la ferme de la Thibaudine.

Le général Schumacher se rallia à cette opinion et dirigea aussitôt ses troupes le long de la lisière du bois des Murets. Le 7e bataillon de chasseurs et le IIe du 13e se formaient en ligne de colonnes de compagnie à la gauche des batteries, les 3e et 6e compagnies du 13e poussant sous bois pour protéger le flanc découvert. Le Ier bataillon de ce régiment se rapprochait jusqu'à environ 400 mètres sur la lisière ; le reste des troupes de la division continuaient dans la direction antérieure (2).

Les tirailleurs de la première ligne arrivaient à peu près à hauteur du 4e de chevau-légers, quand ce régiment reçut l'ordre de « s'élancer sur une batterie de mitrailleuses qui paraissait se trouver seule au Sud de la ferme de la Harnoterie (3) ».

(1) Historique du Grand État-Major prussien, 7e livraison, p. 1007.

(2) Ibid., p. 1008.

(3) Ibid.

Dans l'ouvrage. Abbrechen von Gefechten, du Grand État-Major prussien, un croquis indique, en ce point, la s* batterie du 2e (p. 77). L'Historique du 2e régiment d'artillerie (manuscrit de 1893) dit, en effet, que cette batterie était allée s'établir au Sud de la Harnoterie, mais le Rapport du capitaine commandant ne fait pas mention de cette position quelque peu aventurée. Ce Rapport dit seulement : « Dans


N» 64. . LA GUERRE DE 1870-1874. 4o3

Les escadrons s'ébranlent, mais à peine ont-ils franchi la route de Stonne à Beaumont qu'ils sont assaillis par les feux croisés de fractions d'infanterie (1) qui occupaient les bouquets de bois au Sud de la Harnoterie et de la batterie de canons à balles de la 2e division. Ils font alors demi-tour et regagnent leur position précédente.

Pendant ce temps, la première ligne d'infanterie bavaroise avait progressé vers la route de Stonne. Vers 2 heures, le 7e bataillon de chasseurs s'établissait derrière le remblai de la chaussée à l'Est de la Thibaudine ; à sa gauche, les 7e et 8e compagnies du 13e faisaient front vers la ferme sur laquelle se dirigeait, d'autre part, le Ier bataillon de ce régiment qui commençait à déboucher des bois. Plus au Sud, les autres éléments de la 2e division bavaroise poursuivaient leur mouvement le long de la lisière des bois. Enfin, la /re division et la réserve d'artillerie atteignaient à ce moment les abords de Sommauthe, où se trouvait également la brigade de cuirassiers (2).

Le mouvement vers le Nord de la 2e division allait être interrompu par le débouché de la tête de colonne de la division Conseil Dumesnil sur son flanc gauche.

§10. —- Engagement de la division Conseil Dumesnil du 7e corps entre la Thibaudine et Warniforêt.

La lre division du 7e corps, chargée de l'escorte du convoi du corps d'armée avait fait une halte à Stonne (3)

le même temps, nous arrêtions par quelques salves une colonne de cavalerie qui s'avançait sur notre droite. » Il semble que ce passage se rapporte à un incident ultérieur.

(1) Les documents ne permettent pas de spécifier si ces fractions appartenaient au 19e bataillon de chasseurs ou au 27e de ligne.

(2) Historique du Grand État-Major prussien, 7e livraison, p. 1008.

(3) Voir Revue d'Histoire, n": 63, p. 566.


i&t LA GUERRE DE 4870-1871. N" 64.

où le maréchal de Mac-Mahon, qui arrivait de Beaumont et se rendait à Osches, avait donné l'ordre au général Conseil Dumesnil de repartir le plus tôt possible, de faire serrer les voitures les unes sur les autres, d'accélérer la marche et d'arriver à la Meuse, coûte que coûte, avant le soir. L'itinéraire était la route de Stonne à Beaumont jusqu'à l'Est de Warniforêt, puis celle d'Yoncq à Autrecourt et Villers-devant-Mouzon où elle devait franchir la rivière sur un pont de chevalets construit par le génie. En conséquence, la division se remettait en marche à 11 heures, la 2e brigade (Chagrin de Saint-Hilaire) en tête; le 99e de ligne en avant du convoi, le 47e échelonné sur le flanc droit; le 21e de ligne de la lre brigade derrière les voitures.

Le général de Bretteville, commandant cette dernière brigade, restait momentanément à Stonne avec le 3e de ligne ; il devait rejoindre le reste de la division quand sa tête de colonne serait engagée sur la route d'Yoncq. Le général Douay gardait avec lui l'artillerie de la division et le 17e bataillon de chasseurs, qui avaient reçu l'ordre de suivre la roule de Stonne à Baucourt avec les 2e et 3e divisions. La division de cavalerie Ameil stationnait à l'angle des routes de Beaumont et de Baucourt ; elle avait pour mission de former l'extrême arrière-garde du corps d'armée et de couvrir, en particulier, la marche de la lre division.

En arrivant à l'Ouest de Stonne, vers midi, le bruit du canon se fit entendre dans la direction de Beaumont, mais on n'y prêta pas, tout d'abord, une grande attention. On supposait que c'était la « répétition et la suite des combats d'avant-garde » que le 5e corps avait livrés le 29, avec succès, disait-on (1). Un peu plus loin, un officier d'ordonnance du général Ameil vint prévenir le

(I) Notes sur les opérations de la lre division du 7° corps.


N" 64. LA GUERRE DE 1870-1871. 46S

général Conseil Dumesnil que, d'après les dires des gens vdu pays, une brigade d'infanterie ennemie se trouvait embusquée dans les bois qui s'étendent au Sud de la route de Beaumont.

Afin d'éviter une surprise, le général Conseil Dumesnil prescrivit au général Morand de faire quitter la route au 21e de ligne qui marcherait ensuite par échelons de demi-bataillons à travers champs sur le flanc droit de la colonne, avec des flanqueurs et des éclaireurs dans la forêt.

La division continua ainsi son mouvement sans être inquiétée. Mais le jalonneur, placé au changement de direction à l'Est de Warniforèt, ayant quitté son poste, la tète de colonne du convoi, au lieu de prendre la route de Yoncq, continua à. suivre celle de Beaumont. Heureusement, le lieutenant-colonel Davenet, envoyé à la Indivision par le général Douay, s'aperçut de l'erreur et fit rétrograder les voitures engagées dans cette fausse direction.

D'autre part, la canonnade devenant plus vive vers Beaumont, le général Chagrin de Saint-Hilaire crut devoir prendre certaines dispositions pour parer à toute éventualité et couvrir la marche du convoi. 11 plaça une partie du 47e et les IIe et IIP bataillons du 99e de ligne sur le plateau à l'Ouest de la Thibaudine et fit demander du renfort au général Conseil Dumesnil. Celui-ci arriva bientôt, approuva les mesures prises, prévint le général Douay et le pria d'envoyer en toute hâte les batteries divisionnaires. Mais, pour se conformer aux instructions du maréchal de Mac-Mahon, il fit évacuer la position de la Thibaudine par les 47e et 99e, leur prescrivit de reprendre l'escorte du,convoi et les remplaça par le 21e de ligne. II fit venir, de Stonne, le 3e de ligne. Toute la lre brigade devait suivre le convoi dès qu'il serait engagé sur la route d'Yoncq. On ne pensait pas qu'elle serait attaquée, « l'ennemi


130 LA GUERRE DE 1870-1871. N» 64.

n'étant pas en vue (1) », et on négligea d'envoyer sur Beaumont un officier d'état-major avec quelques cavaliers pour s'enquérir de la situation.

Le 21e de ligne allait atteindre par sa tète de colonne le plateau de la Thibaudine, déjà évacué parle 99e, et quelques compagnies du 47e étaient encore dans les bois à l'Ouest de la ferme, quand on aperçut le mouvement des Bavarois débouchant des bois au Sud de la Thibaudine (2). Les fractions les plus avancées ouvrirent immédiatement le feu. Le Ier bataillon du 13e leur fit aussitôt face et se porta en avant, soutenu par les 7e et 8e compagnies qui vinrent en hâte occuper la Thibaudine, et par des fractions du 7e bataillon de chasseurs.

Deux compagnies du bataillon de tête du 21e avaient été déployées en tirailleurs. Elles battent en retraite jusqu'au petit bois qui borde à l'Est le ruisseau d'Yoncq. Là, elles sont recueillies par les soutiens qui, par des feux efficaces de bas en haut, contiennent les Bavarois sur la crête. De part et d'autre, le combat dégénère en une fusillade incessante de pied ferme.

Cependant, sur la gauche du Ier bataillon du 13e, les 5e et 6e compagnies de ce régiment avaient atteint, à leur tour, la lisière de la forêt. Bientôt après, débouchait aussi le 10e tout entier ; son IIP bataillon renforça la gauche de la ligne, menacée par des fractions du IIP bataillon du 21e de ligne, qui étaient venues border la lisière orientale de la forêt du Grand Dieulet, au premier saillant au Sud de la grande route; les deux autres bataillons du 10e restèrent en réserve dans un pli de terrain. Une section de la 2e batterie (de 4), qui formait l'extrême gauche de la ligne d'artillerie allemande au Sud de Beaumont, prit position au Sud de

(1) Notes sur les opérations de la lre division du 7e corps.

(2) Voir p. 153.


N» 64. LA GUERRE DE 4870-1871. 157

la Thibaudine afin de battre le petit bois adjacent au ruisseau d'Yoncq. Le Ier bataillon du 13e, ayant épuisé ses cartouches, fut relevé par le Ier du 10" ; celui-ci fut bientôt soutenu à gauche par le IIe.

Sur ces entrefaites, la 3e brigade d'infanterie s'était également déployée à l'Est du bois des Murets et avait reçu l'ordre de se porter en avant, contre la droite des Français, dans la direction de Warniforèt, en prenant à gauche de la 4e brigade.

Le 3e régiment marchait sur ce point au travers des fourrés ; le 1er bataillon de chasseurs se dirigeait le long de la lisière pour se relier à la gauche de la 4e brigade ; le 12e régiment et la 8° batterie (de 6) restaient disponibles sur le côté Nord-Est du bois des Murets.

Attaqués de front par des forces supérieures et menacés sur leur flanc droit, comptant d'ailleurs dans leurs rangs beaucoup d'hommes des bataillons de marche, les Pr et IIP bataillons du 21e de ligne plient. Le général Morand se met à la tète de quelques fractions encore compactes et entraîne par son exemple une grande partie de la ligne. Le IIP bataillon du 10e, fortement éprouvé, est contraint de refuser sa gauche, « vivement pressée (1) ». Le 1er bataillon de chasseurs intervient alors et oblige les troupes françaises qui lui font face à rétrograder.

Les bataillons bavarois, engagés à droite, prennent également l'offensive, refoulent les Français sur tout le front et les chassent des bois qu'ils occupaient au Nord de la route.

C'est au cours de cet engagement que le général Morand est blessé mortellement en cherchant vainement à arrêter le mouvement de retraite du 21e et d'une partie du 47e.

A ce moment, débouche de Warniforèt, au delà du

(1) Historique du Grand État-Major prussien, 1" livraison, p. 1013.


488 LA GUERRE DE 1870-4871. N» 64.

ruisseau d'Yoncq, le 3e de ligne marchant en colonne par section et flanqué à droite par une ligne de tirailleurs longeant les bois.

Dans cette formation dense et sur ce terrain en contrebas, il subit, en peu de temps, des pertes assez fortes; ses rangs sont rompus d'ailleurs par les fuyards des 21e et 47e. Le régiment, déjà très éprouvé à Frceschwiller et comptant, comme tous ceux de la division Conseil Dumesnil, beaucoup d'hommes récemment incorporés, se jette presque tout entier dans les bois du Grand Dieulet, malgré les efforts du général de Bretteville, qui est grièvement blessé.

« Les officiers ne peuvent parvenir à reformer les

compagnies sous la mitraille et les balles ennemies

En vain, le lieutenant-colonel Gillet et les officiers du régiment réunissent leurs efforts pour rallier nos soldats et les déployer en avant, on ne peut les faire sortir des bois où ils se tiennent à l'abri ; les officiers seuls restent exposés aux coups de l'ennemi (1). »

A ce moment critique, le sous-lieutenant Varinot déploie le drapeau du régiment et, avec sa garde, se porte résolument en avant. Entraînés par ce noble exemple, quelques soldats sortent des bois et suivent ce vaillant officier, qui tombe bientôt grièvement blessé.

Le sous-lieutenant Sondorf saisit le drapeau et est aussitôt frappé par un éclat d'obus. Encore une fois, l'aigle est relevée et reste déployée entre les mains des sergents Perrin et Garnier. Mais le 3e de ligne, dont 11 officiers sont blessés, perd peu à peu du terrain et abandonne le petit bois adjacent au ruisseau d'Yoncq. Ses débris, joints à ceux des 21e et 47e de ligne, forment une ligne de tirailleurs confuse pr*ès de Warniforèt.

(1) Historique manuscrit du 3e de ligne.


N» 64. LA GUERRE DE 4870-1871. 159

La 5e batterie du 7e (1), envoyée par le général Douay, est venue prendre position au même point, au Nord de la route. Les lre et 2e compagnies du 17e bataillon de chasseurs lui servent de soutien et recueillent une partie du 3e de ligne avec le drapeau. Les lieutenants Law de Lauriston et Gleizes-Raffîn s'efforcent de rallier les isolés et en ramènent 150 environ près de Warniforèt.

Grâce à la ferme attitude des chasseurs à pied et de la batterie, le mouvement offensif des Bavarois peut être enrayé pendant quelque temps. Après avoir tiré environ vingt coups par pièce et, sur Je point d'être cernée, la batterie se met en retraite, protégée sur chacun de ses flancs par une compagnie du 17e chasseurs et, sur ses derrières, par des isolés appartenant aux 3e, 21e et 47e de ligne et dont le lieutenant Gleizes-Raffin a pris le commandement. Elle doit abandonner à l'ennemi deux pièces, dont les servants et les attelages ont été tués. ,

A 3 h. 45, les Français sont en pleine retraite sur Raucourt et la gauche allemande débouche sur la grande route à Warniforèt. De là les Bavarois poursuivent les troupes de la division Conseil Dumesnil, canonnées par la 8e batterie (de 6) qui s'est établie au Nord de la ferme. Déjà ils ont atteint le chemin de la Besace à Yoncq quand, à 4 h. 15, ils reçoivent l'ordre de s'arrêter.

La majeure partie de la 2e division se rassemble alors au Nord de Warniforèt; le 12e régiment, laissé en réserve, se porte sur la Thibaudine, ainsi que le IIP bataillon du 10e.

Sur la demande des Prussiens, qui insistaient pour que les Bavarois continuassent à concourir à l'action sur la gauche du IVe corps, le commandant du Ier corps

(1) Appattenant à l'artillerie de la 1" division du 7e corps.


160 LA GUERRE DE 4870-1874. N« 64.

bavarois avait groupé sous les ordres du colonel Schuch quatre bataillons, deux escadrons et deux batteries avec mission de suivre la vallée d'Yoncq et les hauteurs des deux rives, en prolongeant la gauche du IVe corps auquel ces troupes resteraient subordonnées.

Le convoi du 7e corps et le 99e de ligne qui l'escortaient atteignirent la Meuse à Villers-devant-Mouzon avant que le pont de chevalets construit par le génie fût terminé. Le passage commença vers 4 h. 30. Le général Conseil Dumesnil et son état-major, le 99e et la moitié des voitures du convoi franchirent le fleuve, mais le pont fut alors canonné par deux batteries bavaroises. Le général Conseil Dumesnil rejoignit la route de Mouzon à Douzy et Sedan à hauteur d'Amblimont. Il y trouva le général de Wimpffen, arrivant d'Afrique pour prendre le commandement du 3°corps, qui lui indiqua une position au Sud-Est d'Amblimont. Le 99e de ligne l'occupa. Tandis que les voitures, qui avaient pu passer sur la rive droite, prenaient les unes la route de Mouzon à Douzy, les autres celle de Mouzon à Carignan, celles qui étaient restées sur la rive gauche furent soit abandonnées, soit dirigées sur Remilly (1).

§ 11. — Le Ier corps bavarois se porte sur la Besace et Raucourt (2).

Vers 2 h. 15, le général von der Tann, commandant le Ier corps bavarois, avait reçu du prince royal de Prusse, l'ordre de faire converger le plus de forces possible sur la Besace afin de fermer la trouée existant sur le front des troupes allemandes entre Beaumont et Stonne. Déjà-la /"division, en marche par Sommauthe,

(1) Notes sur les opérations de la division Conseil Dumesnil.

(2) Historique du Grand État-Major prussien, p. 1013-1016.


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avait été acheminée sur Warniforèt, par le bois de Sommauthe, pour appuyer la 2e engagée à la Thibaudine. Le général von der Tann la dirigea sur la Besace et prescrivit, en même temps, à la brigade de cuirassiers et à l'artillerie de réserve de continuer leur maçche sur Beaumont et de se rassembler au Sud de la route de Stonne.

Vers 4 h. 15, le 3° régiment de chevau-légers, qui avait pris les devants, au débouché de la forêt, arrivait devant la Besace, où il essuyait le feu de quelques fractions d'infanterie de la division Conseil Dumesnil qui ne tardaient pas cependant à se replier vers le Nord. Le 4e bataillon de chasseurs occupe le village ; le reste de la 1rc division poursuit son mouvement sur Raucourt. Là, la tète de colonne se heurte à la brigade Bittard des Portes du 7e corps établie au Sud du bourg (1). La 2e brigade se déploie à cheval sur la route, le 2e régiment et le 9e bataillon de chasseurs en première ligne, le 11e régiment suivant comme réserve. Ainsi formée, la brigade se porte, vers 5 h. 15, sur les hauteurs de Flaba et de la Malmaison, tandis qu'à l'extrême gauche les chasseurs fouillent le bois de Raucourt et qu'à droite le régiment de chevau-légers s'efforce de maintenir la liaison avec les troupes en marche le long du ruisseau d'Yoncq. Bientôt les tirailleurs du 2e régiment, appuyés par le feu des batteries de la division, s'engagent "contre ceux du 83e de ligne qui, menacés sur leur flanc droit par le Ier bataillon du 2e et ayant d'ailleurs rempli leur mission, disparaissent dans les bouquets de bois au NordOuest de Raucourt.

Le 2e régiment se porte en avant et occupe le bourg, les hauteurs qui le dominent et le bois de Cogneux. Un nouveL engagement sans grande importance se produit

< I ) Voir Revue d'Histoire, n° 63, p. 568.

Hey Bilt. il


162 LA GUERRE DK 4870-1874. N° 64.

encore un peu plus loin entre le IIe bataillon du 82e de ligne qui occupe la lisière Sud du Gros Bois et le 9e bataillon de chasseurs.

A 7 heures, le jour*commençant à baisser, la /re division bavaroise s'arrêta, ne poursuivant plus le 7e corps que par les obus de son artillerie. Vers 9 heures, elle établissait son bivouac autour de Raucourt, ainsi que la brigade de cuirassiers et la réserve d'artillerie qui l'avaient rejointe. Les fractions de la 2e division, réunies autour de Warniforèt, stationnaient autour de la Besace. Le quartier-général du corps d'armée était installé à Raucourt.

E.


DOCUMENTS ANNEXES.

Journée du 30 août,

(Suite).

Se CORPS.

a) Journaux de marche.

Journal de marche rédigé par le colonel Clémeur.

Le maréchal de Mac-Mahon, se rendant de sa personne à ses différents corps d'armée, afin de hâter autant que possible leur marche et leur passage de la Meuse, arrive à Beaumont entre 6 et 7 heures du matin. Il, prescrit au général de Failly de marcher sur Mouzon (8 kilomètres), où il devra franchir la Meuse sous la protection du 12e corps, qui y est déjà établi depuis la veille.

Le général rend compte au Maréchal de l'état d'épuisement dans lequel se trouve son corps d'armée, dont les derniers détachements viennent seulement d'arriver au bivouac depuis deux heures à peine. II lui fait connaître qu'après toutes ces pénibles journées de marche et de combat, pendant lesquelles son corps d'armée surmené n'a pas reçu de distributions régulières, il lui est de toute impossibilité de le remettre en route sans lui avoir donné quelques heures de repos et lui avoir fait distribuer des vivres. Le convoi, qui avait été laissé au Chesne le 27, devait arriver dans la matinée à Beaumont, et l'on pourrait alors faire quelques distributions. Dès que cela sera fait, ajoute le général, dès que les hommes se seront un peu reposés, séchés, et qu'ils auront reçu quelque nourriture, le 5e corps se mettra en marche pour Mouzon.

Le Maréchal comprend lui-même qu'il ne peut en être autrement, et


164 LA GUERRE DE 4870-1871. N» 64.

en partant, recommande au*général de ne pas perdre un seul instant pour hâter autant que possible le départ de ses troupes, dès qu'elles ■ pourront être mises en route. L'essentiel est que l'armée ait franchi la Meuse dans le plus court délai, pour trouver un abri derrière cette ligne de défense.

Le général de Failly donne aussitôt des ordres pour que dans tous les camps, les chefs de corps remettent leurs troupes en état, fassent rejoindre les hommes qui sont dispersés dans les différents bivouacs, que les munitions soient renouvelées, que des appels aient lieu et que les armes qui ont le plus grand besoin d'être nettoyées, par suite des pluies de plusieurs jours et du combat du 29, le soient immédiatement sous la surveillance des officiers.

Les malades, les blessés, les chevaux indisponibles doivent être dirigés sur Mézières, ainsi que les nouveaux promus.

Il ordonne en outre un grand rapport chez lui pour 9 heures, afin qu'on lui rende compte de toutes les mesures qui auront été prises et des renseignements qu'on aura pu recueillir sur l'ennemi par les avantpostes et les reconnaissances.

Les généraux de division et les chefs de service se réunissent à l'heure indiquée chez le général en chef. « Leurs différents rapports ne signalent aucun détail particulier qui puisse faire supposer que la marche du 5e corps ait été suivie par l'ennemi. Les grand'gardes n'ont nullement signalé sa présence et, d'après tous les renseignements recueillis, il y a tout lieu de supposer que ses différentes colonnes ont continué leur mouvement sur Stenay, dont le pont a été rétabli (1 ). »

Chacun croit à ces renseignements, d'autant plus que la cavalerie n'en donne pas d'autres et que le général de Failly a confiance en elle, après tous les ordres qu'il lui a donnés et renouvelés pendant tout le courant de la campagne, au sujet des reconnaissances journalières du matin.

On n'a donc, pour le moment, aucune appréhension, et toutes les préoccupations des généraux n'ont d'autre but que les mesures à prendre de suite pour reconstituer leurs régiments, pourvoir à leurs vivres et faire mettre en état les armes rouillées, qui menacent d'être mises hors de service. On décide même qu'il est inutile de déplacer les camps, pour en rectifier l'emplacement défectueux qui a été pris pendant l'obscurité de la nuit ; ce serait fatiguer les troupes sans nécessité, puisque ces camps vont être levés dans quelques heures. Une fois en route, les colonnes se reformeront en bon ordre.

(1) Déclaration du général de Failly, dans sa brochure.


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Le convoi venant du Chesne étant signalé, les distributions vont avoir lieu et le corps d'armée devra se mettre en route à midi.

Pendant ce rapport, les généraux commandant les divisions insistent tous pour que la manière de conduire le corps d'armée soit modifiée, parce que les marches forcées qu'il exécute sans trêve ni repos depuis près d'un mois démoralisent les troupes et ont développé chez elles un déplorable esprit d'indiscipline, qui a déjà produit les plus fâcheux résultats. L'insuffisance des distributions, l'abus des réquisitions irrégulières, seul mode pouvant être employé par l'intendance privée de ses services administratifs, la souffrance des longues marches et des intempéries, ont répandu dans les corps des habitudes de maraude et même de pillage déplorables.

A Reims, à Rethel, au milieu de populations sympathiques, des actes inqualifiables de maraude ont été reconnus, et le général en chef a dû faire un ordre général sévère, faisant connaître que tout militaire surpris en flagrant délit de maraude serait passé par les armes.

Les généraux concluent enfin en disant qu'il est plus que temps de modifier un pareil état de choses, sans quoi, n'ayant plus leurs troupes dans la main, ils ne peuvent plus répondre de rien au jour d'une grande affaire. •

Le général de Failly leur répond qu'il est le premier à déplorer cet état de choses; que toutes ces marches, contremarches et ces fatigues inouïes qui en sont le résultat ne sont pas le fait de sa volonté personnelle, mais d'ordres supérieurs amenés par les circonstances de la guerre; qu'il ne peut et ne doit que leur obéir, tout en faisant tous SFS efforts pour concilier son devoir avec les soins qu'il doit donner à la conservation de ses troupes; que chacun veuille bien se reporter au souvenir des premières guerres de 96 et que, du reste, il soumettrait au Maréchal tous ces voeux légitimes, dont il sent le besoin tout le premier.

Les ordres de départ pour Mouzon seront donc donnés dans des instructions ainsi conçues :

Ordre du 30 août. Voir p. 178.

Les troupes reçoivent une distribution de vivres de campagne, grâce au convoi qui a pu rejoindre vers 9 heures, venant du Chesne, et que le commandant chargé de sa garde a su ramener avec intelligence et bonheur.

Le grand parc d'artillerie du 5e corps, composé de 60 voitures, arrive en même temps et va camper avec l'artillerie de réserve. On fait la soupe dans tous les camps; le temps se remet au beau, les hommes


466 LA GUERRE DE 1870-1871. N» 61.

réparent leurs effets, nettoient leurs armes; les derniers arrivés, les retardataires, se reposent. Les officiers veillent à tous les besoins de leurs compagnies, afin qu'elles puissent se remettre en route aussi bien que possible.

Plusieurs avis apportés par des habitants ont signalé la présence des troupes ennemies dans les forêts de Dieulct et de Bel val.

Mais, comme les reconnaissances de la cavalerie et les renseignements des avant-postes n'ont rien fait connaître de particulier, le général en chef est persuadé que l'ennemi se'dirige sur Stenay, d'autant plus que les rapports de l'.-irrière-garde lui donnent l'assurance que ce dernier ne l'a pas suivi dans sa marche.

L'ennemi se dirigeant, comme tout le monde le pensait, sur Stenay, il n'y avait donc rien d'étonnant à ce que les forêts de Dieulet et de Belval fussent traversées par quelques-unes de ses colonnes.

Les premières troupes d'avant-garde prennent donc les armes vers 11 heures pour se mettre en marche.

Mais, au même instant, des obus, arrivés on ne sait d'où, tombent dans le camp et y jettent le plus grand désordre. Chacun court aux armes. Quelques régiments n'ont encore pu manger la soupe; d'autres se voient forcés d'abandonner leurs tentes pour se précipiter sur les faisceaux et se rassembler à la voix et aux commandements de leurs chefs.

Les chevaux encore au piquet, sont sellés et harnachés avec la plus grande précipitation. Pendant ce temps, le feu de l'artillerie ennemie augmente sans cesse d'intensité et couvre de projectiles la ville et les camps. On n'aperçoit point encore de lignes d'infanterie; mais la fumée du canon se fait voir sur toute la lisière des bois qui s'étendent en demi-cercle au Sud de Beaumont, sur les hauteurs que couronnent ces forêts.

Dans ces premiers moments, la confusion générale est grande. Cependant, revenues de leur première surprise, les troupes parviennent à se reconnaître et à se former à la voix de leurs différents chefs.

Le général en chef et les autres généraux, montés immédiatement à cheval, parcourent le front des camps, rétablissent partout l'ordre et prennent leurs dispositions de combat pour résister à cette attaque imprévue, dont on ne connaît point encore l'importance.

Les troupes campées au Sud de Beaumont (division Goze, division de Lespart, artillerie de réserve) se portent en avant de leur camp, sur les hauteurs qui s'étendent entre les routes de Sommauthe à Beaumont et celle de Beaumont à Stenay.

En première ligne, sont établies : à droite, la brigade Saurin (division Goze), et à sa gauche la brigade de Fontanges (division de Lespart).


N" 64. LA GUERRE DE 1870-1871. 167

Derrière elles, la brigade Nicolas (division Goze) et la brigade Abbatuccr-(division de Lespart).

Les troupes qui ont bivouaqué au Nord de Beaumont (brigade de la division de L'Abadie, artillerie de la 3e division) prennent également position sur les hauteurs qui dominent la ville, à 1 kilomètre de là, la droite (49e) sur le plateau près de la route de Mouzon, la gauche (88e) vers la Meuse, le 14e bataillon de chasseurs en réserve.

Pour ne pas perdre de temps, les petites tentes du camp sont abandonnées. Les batteries de la division et celles de la 3e ouvrent leur feu dès que l'ennemi est à portée.

L'attaque des Allemands se dessine de plus en plus contre Beaumont; leur ligne de bataille s'allonge en un grand demi-cercle, s'appuyant à ses deux extrémités à la grande route de Stenay, et fournissant sur nos positions des feux convergents, dont l'intensité ne fait que croître.

Ce développement de feux indique clairement qu'on a affaire à des troupes considérables et à une attaque des plus sérieuses.

Les divisions Goze et de Lespart, qui ont pris position en avant et au Sud de Beaumont, parviennent à se maintenir dans le commencement de l'action avec quelque avantage.

Elles accueillent bravement les têtes de colonnes allemandes qui débouchent des bois situés en arrière des fermes de Belleforêt et Beau' séjour. Reçues par un feu bien ajusté à 600 mètres de hausse, ces têtes de colonnes sont même refoulées et rentrent dans la forêt.

Les batteries de la division Goze et celles de la réserve, accourues en toute hâte, prennent hardiment des positions favorables à leur tir et cherchent à répondre par leur feu à celui des batteries ennemies. Sous leur protection, nos lignes de tirailleurs s'avancent à la poursuite des têtes de colonnes allemandes, qui se sont repliées derrière les fermes. , Mais, arrivées près de la lisière des bois, elles se trouvent arrêtées par un feu de mousqueterie des plus nourris et forcées à leur tour de se replier, en éprouvant de grandes pertes. Le 68° et le 11e de ligne sont rudement éprouvés.

Pendant ce temps, le général de Failly, qui s'est rendu sur la position des troupes placées au Nord de Beaumont, fait continuer le feu de l'artillerie de la 2e division et celui des batteries de la 3e. Ces dernières sont réunies vers la gauche de la ligne, au-dessus de la ferme de la Harnoterie.

Tous ces feux, dirigés contre les débouchés des bois situés au Sud et contre l'artillerie ennemie qui les occupe, semblent produire d'abord de bons effets, à en juger par la lenteur des nouvelles attaques que les Allemands dirigent contre Beaumont et le front de la position.

Mais, des hauteurs qu'il occupe, le général en chef voit qu'il leur arrive sans cesse des renforts; et bientôt même, (vers 1 heure), il


468 LA GUERRK DE 4870-1871. 64.

s'aperçoit qu'arrêtés par notre vigoureuse résistance sur le front de nos positions, ils cherchent à In tourner par leur gauche et à s'étendre en arrière de notre flanc droit.

D'autres colonnes ennemies apparaissent bientôt également sur notre gauche, venant, du côté de la ferme de Bcaulieu, située à 2 kilomètres au Sud-Est de Beaumont, près de la route de Stenay.

Dès lors, il est évident que, tout en continuant leur attaque sur notre front, les Allemands, recevant sans cesse des renforts, vont, suivant leur habitude, chercher à déborder nos ailes des deux côtés et à gagner les revers de la position.

Dans cette occurrence critique, le général de Failly n'a plus qu'un parti à prendre, et il le prend sans hésitation : c'est celui de renoncer à la défense de la position de Beaumont, où il est menacé d'être tourné, et de chercher h se retirer en bou ordre sur Mouzon, conformément aux ordres du Maréchal.

11 ordonne, en conséquence, à la lre ligne, établie en avant de Beaumont, de se replier en arrière de cette localité, sur les hauteurs du Nord, et sous la protection des troupes qui y sont déjà établies.

Mais ce mouvement de retraite, sous le feu d'un ennemi dont le nombre augmente sans cesse, amène quelque confusion parmi les troupes qui l'exécutent. De forte* colonnes, qu'on reconnaît pour saxonnes, arrivent par la grande route de Stenay et le chemin de la ferme de Beaulieu, ouvrent un feu d'artillerie et de mousqueterie des plus vifs sur nos troupes de la lre ligne, qui se replient, et sur la petite ville de Beaumont, qu'elles ont à traverser. Les batteries de la réserve, dont plusieurs pièces ont déjà été démontées, ripostent encore pendant quelque temps pour protéger la retraite et finissent par suivre le mouvement.

Les soldais qui ont été engagés dès le commencement du combat n'ont plus de cartouches, et pour le moment il est impossible de les renouveler. Ils commencent à se débander en traversant la ville, incendiée en plusieurs endroits par les obus. Les habitants, affolés par la terreur et fuyant de tous côtés, ajoutent encore au désordre de nos troupes, qui se pressent sur la route qui mène à Mouzon et le chemin de Létanne.

Cependant, la division Goze parvient à se rallier en partie sur la hauteur qui est en arrière du moulin à vent, à 800 mètres au Nord de la ville.

Avec son artillerie, elle reprend position et se défend avec la plus

grande vigueur. Les pertes des IIe et 86e de ligne sont grandes en

hommes et en officiers; les deux colonels : de Béhagle, du 11e, et

Berthe, du 86e, sont très grièvement blessés.

: Dans ce mouvement de retraite de la 1re ligne au delà de Beaumont,


N« 64. LA GUERRE DE 1870-4871. 169

les camps ont dû être abandonnés avec les tentes encore dressées, les bagages qui s'y trouvaient parqués et plusieurs voitures, d'artillerie. L'ennemi, en s'emparaht de la ville, y fait un grand nombre de prisonniers. Les ambulances et les blessés tombent en son pouvoir.

Mais il se prépare à continuer ses attaques sur toutes les hauteurs occupées par le 5e corps ; ses troupes, renforcées et renouvelées, commencfnt à accentuer plus fortement la grande manoeuvre enveloppante qu'il a projetée contre ce corps.

Ses forces doivent être des plus considérables, à en juger par le grand développement de leurs déploiements et de l'étendue du terrain qu'elles occupent. (On apprit en effet, depuis, que toute la IVe armée (Garde, IVe corps, XIIe corps saxon) et les deux corps d'armée bavarois se trouvaient là et avaient pour mission l'attaque contre le 5e corps français à Beaumont, pendant que le 7e devait être attaqué par une partie de la IIIe armée du Prince royal.)

Le général de Failly a rectifié les positions occupées par son corps d'armée sur les hauteurs au Nord de Beaumont, dès qu'il a été rejoint par la division Goze et les brigades de Fontanges et Abbatucci. Ces dernières, après s'être retirées de la position au Nord du moulin à vent, sont allées s'établir sur la gauche de la 2e division, dont la ligne de bataille aboutit à la ferme de la Sartelle et au chemin de Mouzon.

La droite (brigades de L'Abadie et Abbatucci) continue à combattre pendant quelque temps, en se retirant peu à peu et en bon ordre.

Bientôt, le 5e corps se trouve avoir fait un léger changement de front en arrière, sur son aile gauche, qui l'amène à être placé sur la lisière de la forêt de Givodeau, à 2 kilom. 1/2 de Beaumont, sur les hauteurs dites des Gloriettes.

Là, il se maintient pendant près d'une heure avec fermeté. Les batteries de réserve du colonel de Fénelon balayent d'écharpe et de front les colonnes qui paraissent sur le plateau et les maintiennent à distance avec la plus grande vigueur.

A l'extrême droite, une batterie de mitrailleuses de la division de L'Abadie tire avec le plus grand succès sur des troupes débouchant de Beaumont et suivant le chemin qui conduit de cette ville au village de Yoncq.

Mais le général en chef s'aperçoit que l'ennemi prononce davantage son mouvement tournant sur sa droite et que de fortes colonnes, après avoir débouché des forêts et franchi la grande route de Stonne à Beaumont, se portent dans la direction de Yoncq par la petite vallée que parcourt le ruisseau du même nom.

Sur sa gauche également, il commence à voir apparaître sur le pla-


170 LA GUERRE DE 1870-1871. N» 64.

teau des têtes de colonnes. Il est donc urgent de reprendre sa marche sur Mouzon pour ne pas être coupé.

Mais les bois Givodeau, sur la lisière desquels le corps a pris position, sont impénétrables, même pour l'infanterie: on ne peut les traverser qu'à l'extrême gauche, en suivant le chemin de Mouzon. Le général se voit donc forcé de partager son corps d'armée en deux fractions, afin de ne pas perdre de temps et les faire écouler plus rapidement sur Mouzon.

Une partie de la brigade de Fontanges (68e) et l'artillerie de réserve prennent le chemin de Mouzon; la droite contourne le bois à l'Ouest et au Nord et vient prendre une nouvelle position sur des hauteurs très escarpées situées en arrière. Le 17e (deuxième régiment de la brigade de Fontanges) a trouvé un gué près de la ferme Aima et s'est porté sur Mouzon par la rive droite de la Meuse.

Mais la droite est suivie dans son mouvement par des masses ennemies qui s'élèvent des ravins débouchant sur Yoncq et qui vienueut l'assaillir de leurs feux d'artillerie et de mousqueterie. Ces masses ennemies sont encore appuyées et soutenues par d'autres forces très considérables, qui tiennent la vallée, de l'Yoncq et poursuivent l'arrièregarde du 7e corps. Cette dernière est fortement engagée dans la direction de Pourron, village situé sur l'Yoncq, à 3 kilomètres de là. Le bruit de son canon a fait croire un instant au S" corps que le général Douay arrivait à son soutien.

C'est la droite de la IIIe armée (Prince royal) qui, en remontant vers le Nord entre la Besace et Le Chesne, s'est heurtée contre les colonnes du 7e corps, qu'elle a immédiatement attaquées; elle relie ses mouvements avec les deux corps d'armée bavarois et la IVe armée, qui attaquent de concert le 5e corps sur les plateaux de Beaumont et cherchent à le déborder des deux côtés.

Les troupes de l'aile gauche de ce corps, ainsi que l'artillerie de réserve, qui se sont écoulées à travers le bois Givodeau par le chemin de Mouzon, ont pu gagner cette dernière localité sans encombre et franchir la Meuse. Elles n'avaient, du reste, plus de munitions, l'artillerie de réserve surtout, qui en avait déjà fait une grande consommation au combat de Bois des Dames et n'avait pu la renouveler.

Les hauteurs sur lesquelles la division Goze, la brigade de la division de L'Abadie et une partie de la division de Lespart viennent de se rallier, au Nord du bois Givodeau, ne permettent pas, en raison de leur peu de largeur, le déploiement des troupes. L'artillerie ennemie produit de grands ravages dans leurs masses et y jette de la confusion.

Le général en chef se décide, en conséquence, à les quitter pour aller prendre une autre position. Il est alors 4 heures du soir environ.


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Le terrain que les groupes du ft° corps ont à parcourir pour se rapprocher de Mouzon offre les plus grandes difficultés par les taillis épais qu'on a à traverser et la raideur des pentes des différents ravins qu'on a à franchir. Ce mouvement de retraite s'opère sous un feu des plus intenses, qui fait éprouver de grandes pertes.

Plusieurs pièces d'artillerie sont forcément abandonnées dans les ravins et les taillis, d'où elles ne peuvent sortir; un certain désordre se produit dans les colonnes, que décime un feu meurtrier auquel il est bien difficile de riposter; des hommes en assez grand nombre, n'ayant plus de cartouches, se débandent et fuient dans la direction de Mouzon, malgré tous les efforts des officiers.

Vers midi, le général Lebrun, commandant le 12e corps, campé sur la rive droite de la Meuse, entendant le canon du côté de Beaumont, avait envoyé les deux brigades de la division Grandchamp avec la cavalerie de Fénelon dans la direction de cette localité, pour venir en aide au 3e. Mais le Maréchal, tenant à ce que tous les corps fussent réunis le plus tôt possible sur la rive droite et pensant que l'engagement du 5e ne consistait qu'en une simple canonnade, fit rentrer une brigade du général Lebrun. Cependant, à la vue des fuyards, entre 3 et i heures, il fit repasser la Meuse à la brigade Cambriels de la division Grandchamp, et à une autre brigade de la division de Vassoigne, pour soutenir la retraite du général de Faifly. Ces troupes, qui prirent position en avant de Mouzon, furent d'un grand secours au 5e corps, qui put se rallier sur une dernière position, l'aile gauche (division de L'Abadie) sur les hauteurs en arrière de Villemontry, avec la ferme Givodeau comme point d'appui, la droite à cheval sur la route de Beaumont, face aux bois.

Cette dernière position a pour but de rallier les différentes troupes du 5e corps qui sont encore sur la rive gauche et de couvrir leur passage de la Meuse. Mais cette opération ne se fait pas sans de nouveaux combats et sans de nouvelles pertes.

Les Allemands établissent de nombreuses batteries sur les hauteurs de Létanne et de la Sartelle, à leur droite; et les Bavarois, à gauche, en établissent également sur les hauteurs de Chamblage, à l'Ouest de Pourron. Toutes ces batteries ont des vues sur la position du 5e corps en arrière de Villemontry et croisent leurs feux sur elle. Des colonnes d'attaque s'avançant sous leur protection, se portent en avant contre les troupes du général de Failly, qui, malgré leur infériorité et leurs nombreuses pertes, soutiennent encore, avec des efforts désespérés, cette lutte sanglante ; à la gauche surtout, le 88e (division de L'Abadie) défend encore avec acharnement la ferme Givodeau.

Des troupes envoyées par le 12e corps et des charges de cavalerie exécutées par le 5e cuirassiers avec le plus grand dévouement con-


172 LA GUERRE DE 4870-4871. N» 64

tiennent l'ennemi et refoulent ses groupes de tirailleurs. Ce régiment de cuirassiers, criblé de projectiles, perd presque tous ses officiers et se replie en désordre. Arrivé au pont, qu'il trouve encombré de voitures, il traverse la Meuse à la nage et perd encore plusieurs hommes qui se noient.

Cependant, le général de Failly, ne pouvant soutenir plus longtemps la lutte, fait commencer vers 5 h. 30 le mouvement de retraite sur le pont, dont l'encombrement rend l'opération des plus difficiles et des plus lentes.

Ce mouvement s'exécute avec ordre, sous la protection des débris de deux bataillons du 30e de ligne, commandés par les chefs de bataillon Lamy et de Lamarcodie, et d'un détachement du 22e, posté dans des maisons du faubourg; quelques pièces d'artillerie, qui joignent leur feu à celui de plusieurs batteries de la rive droite, que le Maréchal luimême a fait placer en position pour contenir l'ennemi, appuient également cette retraite.

Les batteries Gastine et Vallantin, après avoir combattu jusqu'à l'épuisement de leurs munitions, voulurent traverser la Meuse au gué en aval du pont. Mais, culbutées par le 5e cuirassiers, elles perdirent six pièces, dont trois mitrailleuses, et eurent des hommes et des chevaux noyés.

Le capitaine de Tessières, resté jusqu'au dernier moment avec une seule de ses pièces tirant à mitraille, fit preuve du plus héroïque dévouement. N'ayant plus ni hommes ni chevaux, il continua à pointer et à servir seul sa pièce jusqu'au moment où il se retira avec les dernières troupes, forcé d'abandonner son canon.

Les deux bataillons du 30e de ligne, qui ont subi déjà de grandes pertes, soutiennent la retraite avec énergie et couvrent les abords de la rivière avec un courage et une abnégation dont les généraux de Failly, de L'Abadie et Abbatucci donnent les premiers l'exemple.

Le général en chef a son cheval tué sous lui et, rémontant aussitôt celui du maréchal des logis Largentier du Se hussards, qui le lui offre avec générosité, il continue à diriger la retraite.

Dans ce mouvement de retraite de la dernière position vers le pont de Mouzon, le 88e de ligne, dont le colonel Courty a été tué dans la journée (1), et qui avait été établi à la ferme Givodeau, point d'appui de l'extrême gauche, n'a pu se retirer à temps. Sous le commandement du lieutenant-colonel Démange et du commandant Escarfail, ce régiment se maintint toute la nuit dans la ferme; le lendemain, dans la matinée, il s'ouvrit un passage de vive force et parvint à franchir le

(I) loesact. • ,


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pont de Mouzon et à rejoindre sa brigade à Sedan. Mais cet acte d'audace coûta la vie au lieutenant-colonel Démange, à plusieurs offi - ciers et à un grand nombre de vaillants soldats.

Les dernières troupes du 5e corps franchissent la rivière vers 6 heures du soir et vont rejoindre les autres sur les hauteurs de la rive droite qui dominent Mouzon et où se sont rendues également, dans l'aprèsmidi, la cavalerie et l'artillerie de réserve.

Le-général de Failly reçoit, après son passage, l'ordre du Maréchal de se diriger immédiatement sur Carignan et de gagner Sedan.

Les débris de son corps se remettent donc en route pour exécuter une nouvelle marche de nuit, qui est rendue des plus longues et des plus pénibles par la rencontre de nombreux convois de bagages, et qui est souvent arrêtée par le passage des troupes du 12° corps se rendant également à Sedan.

Journal de marche rédigé par le capitaine de Piépape.

Cependant, vers minuit, l'ennemi entendant défiler l'artillerie française et s'ébranler le 5e corp?, découvrit le projet qu'il avait de se dérober à sa poursuite. Lui-même se disposa à se mettre en marche et partit au petit jour, par tous les défilés de la forêt, pour converger sur Beaumont. La marche des Prussiens se faisant après le repos de leurs soldats et sans les périls de la nuit, eut lieu beaucoup plus rapidement que celle des Français. Au moment où l'ennemi allait déboucher par différentes routes en face de nos camps, le 5e corps se réveillait à peine après quelques heures de sommeil. Les armes rouillées par les pluies continuelles des jours précédents menaçaient de devenir hors de service. Des ordres furent donnés pour qu'on employât la matinée à les mettre en état.

Vers 7 heures du matin le maréchal de Mac-Mahon, se rendant à Mouzon, passa par Beaumont. Il s'arrêta au quartier général et donna l'ordre de marcher sur Mouzon. L'étape sur Mouzon devant être fort courte, les chefs de corps obtinrent du général en chef que le départ n'eût lieu qu'à 11 heures du matin, afin de laisser le soldat se sécher et reprendre quelques forces.

Dans un conseil qui se tint le matin vers 9 heures, chez le général de Failly, les généraux de division, par l'organe de. l'un d'eux, le général de L'Abadie, insistèrent tous pour que la manière de conduire le corps d'armée fût modifiée et pour qu'une trêve nécessaire fût apportée aux marches forcées continuelles, entremêlées de combats, qui démoralisaient la troupe. « Nous n'avons plus nos divisions dans la


474 LA GUERRE DE 4870-4874. N° 64.

main, s'écria le général avec feu, au jour d'une grande action nous ne pourrions répondre de rien. » Le général de Failly répliqua que les marches et contremarches qui venaient de se succéder émanaient toutes d'ordres supérieurs, il ne pouvait donner personnellement aucune suite à ces voeux légitimes dont il sentait le besoin tout le premier, mais qu'il en ferait l'observation au Maréchal. Les généraux insistèrent et exposèrent l'état d'indiscipline dans lequel était tombé le corps d'armée.

Déjà depuis longtemps, l'insuffisance des distributions, l'abus des réquisitions irrégulières, mode que l'intendance, privée de ses services administratifs, avait été contrainte d'adopter, la souffrance des marches et des intempéries avaient répandu dans la troupe des habitudes de maraude et de pillage déplorables.

A Beims, le commandant en chef avait dû faire un ordre du jour sévère, par lequel il menaçait de passer par les armes tout militaire surpris en flagrant délit. Cet ordre resta sans exécution et la répression trop insuffisante demeura sans effet contre ces actes d'indiscipline. Dans les Ardennes, vers Rethel, au milieu de populations sympathiques à l'armée qui s'empressaient de lui prodiguer leurs soins et leurs ressources, les meules de paille, les tisses de fourrage étaient enlevées et gaspillées, les champs de pommes de terre fouillés, les jardins et les vergers dévalisés.

Le nombre des traînards, qui avait diminué pendant quelque temps, commençait à augmenter de nouveau. Enfin les symptômes de dissolution qui avaient éclaté après Froeschvriller et qui avaient un peu disparu dès que la marche vers l'Est avait rendu quelque courage à la troupe, se présentaient de nouveau. Tout cela fut exposé dans le conseil, par les différents généraux. Cependant le temps s'écoulait. Tout à coup une femme pénétrant brusquement dons la salle que venait de quitter le conseil, avertit le général en chef que les Prussiens menaçaient de surprendre les camps.

Les différents rapports recueillis ne signalèrent aucun fait, aucun détail pouvant laisser supposer que la marche du corps d'armée avait été suivie par l'ennemi. Les grand'gardes placées n'avaient pas révélé sa présence et les renseignements reçus donnaient lieu de penser qu'il avait continué sa marche sur Stenay, dont les ponts avaient été rétablis.

Tant d'avis de ce genre, inspirés par la crainte des populations plus que par la réalité des faits, étaient venus, dans le cours de la campagne, égarer le commandement sur la position certaine de l'ennemi, que le général de Failly, comptant sur sa division de cavalerie, sur les ordres formels depuis longtemps donnés et renouvelés à l'égard des reconnaissances journalières, ne crut pas devoir attacher confiance au renseigne-


N» 61. LA GUERRE DE 4870-4874. 175

ment. Le jour avait révélé la mauvaise installation du camp de la lre division, qui était dominé de partout et trop rapproché des bois.

Mais, comme le bivouac devait être levé dans quelques heures, le général de Failly ne jugea pas à propos de changer cette installation pour éviter au soldat une nouvelle fatigue. A peine avait-il renvoyé devant le chef d'état-major général la personne qui lui avait signalé l'ennemi (armée du prince de Saxe), que des obus éclatèrent dans le camp de la lr" division. Le 11e de ligne, surpris sous la tente, en plein bivouac, fut particulièrement éprouvé. Son colonel, M. de Béhagle, fut tué, ainsi qu'un certain nombre d'officiers. La panique se répandit partout : c'est la bataille de Beaumont qui commençait

Journal du capitaine de Lanouvelle, de l'état-major du 5e corps.

La marche du 5e corps fut longue et pénible quoique la distance à parcourir ne fût pas de plus de 3 lieues en moyenne.

La division Goze et l'artillerie arrivèrent de minuit à 1 heure et s'établirent sur la route de Stenay à l'Est de Beaumont; la division de Lespart les rejoignit à 3 heures. La division de L'Abadie traversa Beaumont, et établit son bivouac entre les routes de Stonne et de Sommauthe; le jour commençait à paraître. Le quartier général fut établi à Beaumont où le général de Failly arriva vers i heures du matin.

Nos troupes marchaient, sans séjour, depuis le 22 août; elles avaient été en position les trois jours précédents et avaient marché une partie de la nuit; depuis Rethel, c'est-à-dire depuis le 24 août, elles n'avaient reçu aucune distribution régulière. On trouva quelques vivres à Beaumont.

Vers 8 heures du matin, le maréchal de Mac-Mahon vint en personne donner des instructions au général de Failly.

Le S" corps devait se porter ce jour-là sur Mouzon pour y passer la Meuse.

Le 7e corps irait de Stonne et de la Besace à Villers-devant-Mouzon par Warniforèt.

Le Ie' corps et le 12e avaient franchi la Meuse à Mouzon le 29 au soir. Le départ du 5e corps fut fixé à ] heure de l'après-midi (?) : ce repos était jugé nécessaire à nos troupes.

A 11 heures, au moment où le général de Failly se mettait à table chez le maire de Beaumont, un paysan vint lui apprendre que l'ennemi paraissait en très grand nombre dans la forêt de Dieulet et approchait


176 LA GUERRE DE 4870-1871. N° £4.

de notre camp avec des canons. Trois quarts d'heure aprè^, une femme paraissant terrifiée apportait la même nouvelle.

A midi, le canon se fit entendre tout près de Beaumont; les obus tombaient dans le camp des divisions Goze et de Lespart et de l'artillerie de réserve. Des dispositions défensives furent prisi s immédiatement : l'artillerie, dont les chevaux étaient attelés, se repliait rapidement sur la route de Mouzon et fut établie à cheval sur cette route, face au Sud, sur une position formant un demi-cercle appuyée fortement à gauche à la Meuse et à droite à une ferme en avant du village d'Yoncq (la Harnoterie).

Les divisions de Lespart et Goze, qui avaient abandonné leur camp, furent établies, la première à droite en avant du village d'Yoncq, la deuxième à gauche et en réserve; la division de L'Abadie occupa le centre de l'arc de cercle en avant du bois Givodeau. Beaumont fut évacué (défense du 11e et du 68e de ligne).

Malheureusement notre position formait un arc de cercle irrêgulier dont les feux étaient divergents, tandis que ceux de l'ennemi se concentraient sur nos troupes presque toutes à découvert.

Cependant cette position pouvait être tenue pendant quelques heures ; la gauche, solidement établie sur une hauteur qui dominait la Meuse, ne pouvait être tournée.

Au centre le terrain était tout à fait découvert et présentait une pente très avantageuse à la résistance et au tir de l'artillerie.

La droite pouvait se maintenir assez facilement à la ferme et dans les petits bois qui entourent le village d'Yoncq ; elle ne pouvait craindre d'être tournée à cause'de la proximité du 7° corps.

Le général Douay était également attaqué pendant sa marche à Warniforèt, où la division Conseil Dumesnil était sérieusement engagée ; mais l'action la plus sérieuse se passait devant Beaumont, où des nouvelles troupes allemandes arrivant de Sommauthe se joignirent à celles que nous avions eues devant nous la veille à Nouait et à Beauclair. Le feu de l'artillerie que nous avions devant nous devenait de plus en plus violent et bien ajusté. Notre artillerie garda ses positions avec le plus grand courage et malgré des pertes importantes. A droite, vers 2 heures, la première position était perdue et les troupes se rejetèrent sur le bois Givodeau.

La brigade Abbatucci tenait bon à la ferme, bien qu'elle se trouvât un peu en l'air par,la retraite des troupes du centre. La gauche (brigade Nicolas), soutenue par deux batteries de l'artillerie de réserve était en bonne position, quoique fort maltraitée par l'artillerie ennemie.

A 3 h. 30, le plateau de Givodeau était couvert de projectiles ennemis; l'artillerie de réserve ayant épuisé ses munitions, se replia sur Mouzon. Le général Besson établit alors quelques bataillons sous le


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commandement du lieutenant-colonel Kampf du 49e, au Sud-Ouest de Villemontry (cote 279) sur une hauteur qui dominait le pont de Mouzon, à 2,800 mètres environ, et où il importait que l'ennemi ne pût prendre position, avant que nos dernières troupes aient traversé le fleuve. Deux batteries de 12 du 12e corps, établies sur la rive droite, soutinrent ces braves troupes (49e et 88e auxquels s'était joint un bataillon de chasseurs ("14e ?]) et qui restèrent en position à peu près jusqu'à la nuit. Les derniers défenseurs, ayant avec eux quelques pièces d'artillerie, traversèrent la rivière en aval de Villemontry et y laissèrent leurs pièces.

Dans la plaine devant Mouzon, de 2 heures à 5 heures, défilèrent rapidement le convoi du 7e corps, une partie des troupes désorganisées du 5e, son artillerie de réserve et sa cavalerie passant sur la rive droite.

Le division Grandchamp, envoyée par le général Lebrun, commandant le 12e corps, prit vers 2 heures position sur la colline de Pourron (mont de Brune) pour protéger la retraite du 5e corps (1); la division de cavalerie de Fénelon arriva vers 3 heures et se mit à la disposition du général de Failly, qui, suivant ses troupes dans leur retraite, vint s'établir sur Je mont de Brune. La cavalerie exécuta vers 5 heures des charges héroïques pour protéger la retraite de l'infanterie.

La brigade Cambriels, qui ne pouvait déboucher de Mouzon à cause de l'encombrement, réussit cependant vers 5 heures à occuper le faubourg, qui fut battu par l'artillerie ennemie jusqu'à 7 heures et en partie incendié. II y eut vers 6 heures un formidable déploiement d'artillerie ennemie autour de Mouzon contre nos colonnes en retraite et contre la vjlle.

A 6 heures les débris du 5e corps se ralliaient au-dessus de Mouzon.

Le maréchal de Mac-Manon, qui avait été pendant l'action avec les troupes du 12e corps, donna à 7 heures l'ordre de la retraite sur Sedan ; le S" corps dut passer par Garignan pour y prendre des vivres ; une partie du 12e corps prit cette direction, le 1er corps s'y trouvait déjà, avec la division de cavalerie Bonnemains, ce qui produisit dans la nuit, sur la route de Carignan à Sedan, particulièrement à Douzy et à Bazeilles, un encombrement désastreux par ses conséquences.

L'armée passa la nuit en marche, avec de longs temps d'arrêt entre Mouzon, Carignan et Sedan, sur différentes routes ayant Sedan comme objectif.

(1) Je trouve cette indication dans mes Notes. Toutefois je n'ai pas vu personnellement la division Grandchamp, mais seulement la division de cavalerie de Salignac-Fénelon, et la brigade Cambriels.

Rev. Hist. 12


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c) Opérations et mouvements. Ordre du 30 août.

Beaumont-en-Argonne.

Ou dirigera immédiatement sur Mézières tous les chevaux indisponibles et les chevaux de main qui ne sont pas indispensables. Remplacer immédiatement les munitions consommées (à quatre paquets de cartouches). Le général commandant le 5e corps recommande de ménager les munitions.

Le maréchal de Mac-Mahon, commandant l'armée, a donné l'assurance que les vivres pour le 3e corps étaient assurés pour quatre jours sur la rive droite de la Meuse, à environ 2 kilomètres sur le chemin qui va de Mouzon à Vaux, pays non encore dévasté. Sur la rive gauche de la Meuse, il est impossible de trouver des vivres; le pays est épuisé par les deux armées. Il y a donc urgence d'aller aux vivres, outre la nécessité militaire de rejoindre le maréchal Bazaine et d'éviter sur ses derrières des combats qui arrêtent la marche sans grand résultat militaire.

Les officiers et les soldats comprendront la nécessité de marcher en avant aujourd'hui même.

En conséquence, le 5e corps se mettra en marche aujourd'hui pour se porter sur Mouzon (8 kilomètres), traverser la Meuse et prendre position à 2 kilomètres, position sur laquelle les vivres sont rassemblés.

Ordre de mouvement.

ê

1° Les lanciers devront hâter leur marche sur Mouzon et le camp afin de garder le convoi de vivres destiné au 3e corps. Ils partiront à midi; 2° La brigade de Maussion (division de L'Abadie) ; 3° Les bagages marcheront avec cette brigade, plus les grosses voitures d'ambulance. Il ne restera avec les divisions.que les cacolets, les voitures Masson et un seul caisson à approvisionnements; 4° La division de Lespart (brigade Nicolas) ; 5° Arrière-garde (brigade Saurin) ;

6° Réserve d'artillerie (avec un bataillon de soutien) marchera avec la division de Lespart, sauf deux batteries de 12, lesquelles marcheront avec la division de L'Abadie et seront sous ses ordres jusqu'à ce qu'elles aient pris position. Une fois en position, le général de L'Abadie les fera soutenir. Ces deux batteries resteront jusqu'à ce que toute la colonne soit écoulée sur la partie de la route qui longe la Meuse. Elles partiront avec l'arrière-garde, brigade Saurin.


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Le parc d'artillerie se mettra en mouvement avec là division de L'Abadie et avec les bagages et aura un bataillon de soutien.

La brigade d'avant-garde se mettra en marche entre 1 heure et 2 heures.

Va planton sera envoyé à l'état-major général pour l'heure exacte du départ qui ne peut s'effectuer qu'après la distribution et la soupe mangée.

Pour les autres parties de la colonne, les généraux divisionnaires, commandant du parc et commandant de la réserve enverront des officiers au camp pour suivre le mouvement des troupes et prévenir leur chef du moment où ils devront partir.

L'escadron divisionnaire du général de L'Abadie marchera en tête de colonne de L'Abadie. Les autres escadrons divisionnaires, sous le commandement du colonel Flogny, se fondront au 12e chasseurs pour former l'arrière-garde. Une batterie à cheval marchera avec cette arrière-garde avec ses pièces seulement.

Six cacolets marcheront avec l'arrière-garde.

Le général en chef montera à cheval à 2 heures.

Le quartier général sera probablement à Vaux.

Envoyez un sous-officier pour porter les ordres.

a) Journaux de marche.

1" DIVISION.

Journal de marche de la division.

Le corps d'armée arrive à Beaumont entre 2 et 4 heures du matin et s'installe tant bien que mal en avant du village.

Vers 11 heures, le 5e corps est surpris par l'ennemi, qui a marché toute la nuit.

Bataille de Beaumont. Retraite sur Mouzon, où l'on passe la Meuse, puis marche de nuit sur Carignan et Sedan, où les débris du 5° corps arrivent le 31 au matin, vers 9 heures.

Historique du 4e bataillon de chasseurs à pied.

Le bataillon arrive sur les collines en avant du village de Beaumont vers 5 heures du matin.

Harassés de fatigue, après cette nuit pénible, les hommes avaient dressé leurs tentes et cherchaient à prendre un repos bien nécessaire, quand, à 11 heures, les Prussiens, qui avaient suivi pas à pas la colonne pendant toute la nuit précédente, lancent leurs premiers obus sur le


180 LA GUERRE DE 1870-4871. N» 64.

camp; le bataillon, qui avait formé l'arrière-garde et qui, par suite, se trouvait le corps le plus rapproché de l'ennemi, court aux faisceaux et prend immédiatement position. Il ouvre le feu à environ 600 mètres et tient l'ennemi en arrêt pendant plus d'une heure. Cette résistance permet aux équipages d'atteler et à l'armée d'évacuer, quoique dans le plus grand désordre, la position qu'elle occupait et de passer la Meuse à Mouzon. Les pertes éprouvées par les trois compagnies sont très fortes : elles se chiffrent par 1 officier tué et 4 blessés; 50 hommes tués, 112 blessés et 79 disparus.

Historique du 11e de ligne.

De 1 heure à 4 heures du matin, le régiment vint donc camper sur la droite et en arrière du village de Beaumont, à cheval sur la route de Sommauthe à Mouzon. En première ligne, faisant face à la direction de Bois des Dames, se trouvaient le 46e et le IIe de ligne; puis, sur la droite de cette brigade, de l'autre côté de la route, l'artillerie divisionnaire avec le 4e bataillon de chasseurs, le parc de réserve, les ambulances, etc.

Ces troupes occupaient le versant des collines qui descendent en pente douce sur Beaumont.

Le reste du corps d'armée campait sur la droite du village ou sur les hauteurs qui le dominent en arrière. Devant le front de bandière, à 1000 ou 1500 mètres au plus, se trouvait une forêt dont la lisière avait vue sur toutes nos positions.

Cette situation topographique désavantageuse, la connaissance que l'on avait de la proximité de l'ennemi, l'engagement de la veille près de Bois des Dames, tout prescrivait de.redoubler de vigilance; mais malheureusement, cette fois encore, la prudence devait se trouver en défaut.

Aussi, grande fut l'alarme au camp lorsque, vers midi, au moment où l'on allait exécuter l'ordre de démonter tous les fusils pour les nettoyer, on entendit soudain crier : « Aux armes! ». En même temps, les grand'gardes, malheureusement trop rapprochées, se déployaient en tirailleurs pour essayer de ralentir la marche de l'ennemi; mais, malgré le plus grand courage, elles ne réussirent qu'imparfaitement dans cette tâche et les premiers obus prussiens tombèrent dans le camp avant même qu'une formation en bataille pût être prise. Néanmoins, les officiers du 11e de ligne, qui, à peu d'exception près, voyaient le feu pour la première fois, montrèrent le sang-froid le plus admirable. Leur attitude contribua puissamment à relever le moral des soldats un moment ébranlé par une attaque aussi soudaine. Mais bientôt le courage de ces derniers se raffermit, en révélant chez plu-


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sieurs une remarquable énergie. Les trois bataillons du régiment se déployèrent dans l'ordre de leur numéro; le IIe bataillon, qui possédait le drapeau, fut placé un peu en arrière, formant échelon avec les deux premiers; ils firent bonne contenance en ouvrant contre l.'ennemi un feu qui eût été fort meurtrier si, à deux reprises, les soldats, croyant reconnaître dans les Bavarois, habillés de bleu, des chasseurs à pied battant en retraite, n'eussent interrompu leur tir. Cette fatale méprise montra une fois de plus l'inconvénient qu'il y a à ne point habiller uniformément tous les corps d'une même arme.

Cependant, la supériorité numérique de l'ennemi, jointe à l'avantage de ses positions dominantes et à la grande quantité d'artillerie qu'il avait pu mettre en ligne, rendait la lutte bien inégale et causait au régiment des pertes sensibles. Le brave colonel du 11e de ligne, M. de Béhagle, et plusieurs officiers tombèrent frappés mortellement; le commandant Friant, du IIe bataillon, voulut rester sur le champ de bataille malgré une blessure.reçue au milieu de l'action, mais il dut peu après l'abandonner, à la suite d'une blessure nouvelle, et confia le commandement du bataillon à M. le capitaine adjudant-major Bonnet. Bientôt, les progrès de l'ennemi s'accusèrent de plus en plus sur notre gauche, où le 46e, se trouvant débordé, dut se replier rapidement.

L'ennemi, gagnant alors du terrain, couvrit de feux, non plus seulement le front, mais encore le flanc gauche et le flanc droit du 11e; le 1er bataillon et le III" se replièrent un peu en désordre, le IIe bataillon tint bon encore pendant quelques instants. La position, à partir de ce moment, devenait de plus en plus critique, d'autant plus que nos lignes n'étaient protégées par aucune pièce qui pût contre-battre les batteries ennemies; aussi, tout ce que l'artillerie put faire pendant la première période de la bataille, grâce à l'énergie déployée par le 11e et le 46e, fut de sauver ses pièces et d'aller s'établir en arrière et à droite de Beaumont, sur des positions où la lutte devait s'engager de nouveau.

Le but essentiel assigné à la première ligne était atteint; le reste du corps d'armée avait eu le temps de s'établir sur des positions assez fortes et de prendre une formation de bataille; le 11e de ligne dut donc, pour ne pas s'exposer à être enveloppé, cesser momentanément une résistance devenue sans objet et battre en retraite.

Ce mouvement se fit avec ordre et avec calme. Les compagnies reformées, plutôt que de se replier sur le village de Beaumont même, gravirent les hauteurs qui s'élèvent entre ce village et la Meuse.

Parvenu sur la crête, le IIe bataillon engagea un feu très vif et très puissant contre une colonne bavaroise qui débouchait en ce moment. Malgré l'avantage de la position nouvelle, il fallut encore se résoudre à la quitter pour ne point courir le risque d'être coupé avec la Meuse à dos.


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Le régiment reçut alors l'ordre de battre définitivement en retraite sur Mouzon, en suivant le chemin de grande communication qui conduit à Villemontry. Ce chemin offre au début un défilé étroit entre la Meuse et des collines assez abruptes. Le IIe bataillon rallie les débris du Ier et du IIIe, et le 11e de ligne qui avait lutté pendant deux heures, arrive au delà de Mouzon, sur les hauteurs qui dominent cette ville. Là, on put se rendre compte des pertes éprouvées; elles étaient considérables et prouvaient jusqu'à quel point la résistance avait été énergique et combien l'honneur du drapeau avait été sauvegardé! 24 officiers et environ 400 hommes, sur 1370 à l'effectif, avaient été tués ou blessés dans cette fatale journée. Ainsi donc, une troupe jeune, péniblement affectée par nos premiers revers, se voyant attaquée dans son camp de la manière la plus imprévue et dans les conditions les plus désespérées, avait su néanmoins se faire décimer plutôt que de compromettre le salut de l'armée par une retraite précipitée.

Le soir, à 7 heures, le régiment reçut l'ordre de se porter sur Sedan par la routé de Carignan.

Historique du 46e de ligne.

Ce matin, au réveil, comme il n'y a pas d'ordres concernant le départ, les soldats s'occupent de dresser leurs tentes sur l'emplacement qui leur a été indiqué à l'arrivée. Les bataillons sont serrés en masse.

Il est nécessaire, pour faire comprendre ce qui .va suivre, de donner une rapide description du terrain qui avoisine le village de Beaumont et où le 46e va prendre une part importante au combat qui va bientôt s'y livrer.

Beaumont est situé au fond d'une étroite vallée où coule un ruisseau de peu d'importance dont la direction est de l'Ouest à l'Est et qui va se jeter dans la Meuse après avoir traversé le village de Létanne. ■ Cette vallée est limitée au Nord et au Sud par des hauteurs qui sont loin d'avoir la même élévation.

Celles du Sud sont des collines peu élevées dont les points culminants ne dépassent pas 60 à 65 mètres au-dessus du niveau de la Meuse. Elles séparent la vallée arrosée par le ruisseau de Bel val de celle où coule celui de Beaumont. Elles sont parcourues par le chemin qui vient de Belval, après avoir traversé la forêt de ce nom, et aussi par la route qui conduit de Beaumont à Stenay. A l'Est de cette dernière, le sommet du plateau est parfois couvert de petits bois qui sont tous à la gauche et un peu en arrière de l'emplacement occupé par la lre division en tournant le dos à Beaumont. Une croupe, qui prend naissance au point où la route de Stenay entre dans ce village,


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donne accès sur le plateau où sont situés ces bois et où Ton est étonné de ne pas voir une batterie d'artillerie. Pendant que le versant Nord de cette croupe va s'épanouir jusque sur la rive droite du ruisseau de Beaumont, le versant Est se termine à un chemin qui conduit de la Wamme à Létanne, où commence une prairie arrosée par la Meuse. Beaumont et Létanne sont réunis par un chemin qui longe la rive gauche du ruisseau pendant qu'un sentier en suit la rive droite.

Si, du bord droit du ruisseau, nous passons sur la rive gauche entre Beaumont et Létanne, et que nous gravissions le versant à pente à peu près uniforme, quoique raide, des montagnes qui y prennent naissance, nous arrivons au sommet d'un plateau long et étroit qui domine non seulement Beaumont et Létanne, mais aussi les hauteurs du Sut. Il est traversé, perpendiculairement à sa direction, par un chemin peu large et encaissé en beaucoup d'endroits qui part de Létanne, monte sur le. plateau en question, en redescend en se rapprochant de la Meuse et forme, à partir de là, la limite de la prairie qui s'étend sur les bords de cette rivière. Il va passer à Villemontry et aboutit à Mouzon. Un autre chemin partant de Beaumont a une direction à peu près parallèle au précédent, mais il suit dans une grande partie de son parcours les hauteurs pour la plupart boisées qui limitent la vallée de la Meuse. Ce deuxième chemin conluit également à Mouzon.

Au sommet du plateau qui s'élève en amphithéâtre au-dessus de la vallée arrosée par le ruisseau de Beaumont, commence un bois dont la droite ne dépasse pas le chemin de Létanne à Mouzon, tandis que la gauche s'étend presque jusqu'à celui qui réunit cette ville à Beaumont. Il suit le versant qui fait face à la Meuse et va se terminer non loin d'un petit vallon à la suite duquel, et en remontant vers le Nord, viennent des hauteurs comprises entre les deux chemins décrits cidessus. Le versant Est de ces dernières hauteurs est eu grande partie boisé et présente une pente très raide du côté de la Meuse.

Ce fleuve fait, dans la rartie du terrain qui nous occupe, deux coudes très prononcés. Le plus au Sud correspond à peu près à la vallée suivie par le ruisseau de Belval. L'autre vient presque toucher, en un point, le chemin qui conduit de Létanne à Mouzon et préseute non loin delà un gué près duquel se trouve une barque de pêcheur. Un deuxième gué se remarque encore au fond de l'enfoncement profond compris entre ces deux coudes du côté de Saint-Remy.

Enfin, sur la rive droite de la Meuse, s'étend un grand bois appelé bois de Sénéval. Il couvre une croupe qui commence en pointe au fond du deuxième coude de ce cours d'eau et va se relier aux hauteurs qui dominent Moulins et Mouzon pour former la ceinture du bassin de la Meuse. Le haut de cette croupe est traversé par la route de Stenay à Mouzon. Au bas et jusqu'à la lisière du bois, on aperçoit les avant-


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postes de l'armée de Mac-Mahon qui couvre elle-même tout le plateau qui domine Mouzon et le bois de Sénéval et fait partie des montagnes desHorgnes.

Vers 9 heures du matin arrivent, sous la conduite de l'officier envoyé au Chesne l'avant-veille au soir, les bagages appartenant à la division Goze; le pain, enfermé dans des sacs et qui n'a pas été emporté du Chesne, a presque entièrement disparu sous l'action de la pluie des jours précédents ou a servi à la nourriture des soldats laissés à la garde des voitures. L'heure du déjeuner arrivant et aucune distribution n'ayant encore été faite, personne à peu près n'a rien à manger. Aussi, vers 10 heures ou 10 h. 30, voit-on descendre vers Beaumont une grande partie des officiers de la 1™ division. Ils vont chercher à apaiser dans ce village la faim qui les dévore. Les soldats, de leur côté, font cuire ce qu'ils ont pu se procurer, et cela se réduit généralement k peu de chose.

A 11 b. 30, plusieurs régiments sont sous les armes pour faire l'appel; d'autres l'ont fait à 11 heures; pour d'autres enfin, il n'y a pas eu d'ordre à ce sujet et beaucoup de soldats sont endormis sous leurs tentes.Non seulement l'artillerie, qui occupe en arrière une espèce de bas-fond, n'est pas en position, mais beaucoup de ses chevaux sont à l'abreuvoir.

Tout à coup apparaît, à l'Est de l'emplacement occupé par le IIe bataillon du 46e un soldat arrivant au pas de course. En approchant du camp, et lorsqu'il est à portée de se faire entendre, il s'écrie : « Aux armes, aux armes, voici les Prussiens ! » Mais ce cri est faible, car il est hors d'haleine et rempli d'émotion. Vient-il des avant-postes, ou estil seulement allé se promener de ce côté? Il est difficile de le savoir, car il traverse rapidement le camp et disparaît sans donner à personne la moindre explication.

Néanmoins, à la gauche du 46e, on court aux armes, les faisceaux sont rompus et l'on écoute. On entend bien dans le lointain et vers la gauche une fusillade peu nourrie et l'on n'y fait pas attention. Cependant dans quelques compagnies, et sur l'ordre des capitaines, on enlève les tentes qui sont placées sur les sacs. Dans d'autres, on n'est pas prévenu, et comme il est près de midi, heure fixée pour quelques distributions, le clairon de garde fait les sonneries pour la réunion des corvées. Aussi commence-t-on à croire simplement à une fausse alerte, d'autant plus que cela a demandé dix minutes ou un quart d'heure et que personne n'a encore bougé.

En écoutant attentivement, on peut cependant entendre la fusillade se rapprocher et les bataillons formés en colonne serrée en masse attendent l'arme au pied que quelqu'un en prenne le commandement et les fasse déployer. Les généraux, qui ont couché au village de Beau-


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mont, y sont depuis leur arrivée et beaucoup d'officiers supérieurs ou autres qui y sont allés pour déjeuner ne sont pas de retour au camp. L'emplacement qu'on occupe ne permet pas d'apercevoir à plus de 100 pas en avant, car on est un peu' en arrière de la crête du plateau. Cette attente ne va plus être de longue durée. Vers midi, en effet, un obus, suivi presque aussitôt d'un deuxième, passe à quelques mètres au-dessus du camp occupé par la lro brigade et va éclater un peu en arrière. Il n'est pas besoin de peindre l'émotion causée par ce coup de canon inattendu. Le moment de surprise passé, chaque chef de corps, de bataillon, quelquefois même de compagnie, prend le commandement des troupes sous ses ordres et va les diriger selon ses vues, l'unité de commandement et de direction devenant impossible par suite du désordre inévitable.

Le 11e de ligne, en effet, un peu plus prompt à se déployer que le 46e, exécute ce mouvement vers sa gauche, et comme l'intervalle lui manque, il cause le plus grand désordre dans les rangs du 46e. Les bataillons de ce régiment se déployant à leur tour, sont pour ainsi dire jetés les uns sur les autres et quelque peu mêlés ensemble même dès le début.

Néanmoins, des tirailleurs sont postés en avant; ils gravissent la crête du coteau, où se trouvent déjà des chasseurs à pied, et ouvrent aussitôt le feu. Mais de nouvelles batteries viennent prendre position à droite de la première, c'est-à-dire entre la route de Stenay et le chemin de, Belval, et couvrant nos lignes d'obus et de mitraille, leur font éprouver des pertes sérieuses. Tout cela n'a duré qu'un instant et des officiers ou des soldats endormis sous leurs tentes ont à peine le temps de s'éveiller et sont tués à quelques pas de là.

L'artillerie de la lre division n'a pas le temps de se mettre en batterie pour protéger l'infanterie. Elle est du reste, comme on sait, dans une espèce de bas-fond, et en supposant même que ses chevaux soient attelés, l'ennemi est trop rapproché pour qu'elle puisse, en gravissant les pentes qui conduisent sur le sommet du plateau, aller y prendre position. L'infanterie ne doit donc pas pour le moment compter sur elle.

Les .troupes qui, une fois déjà, ont reculé devant cette pluie de projectiles ennemis, sont de nouveau portées en avant. Les tambours battent la charge et le terrain perdu est reconquis au prix de grands efforts et de nouvelles victimes.

Quelques hommes cependant, il faut le dire, qui, pour la plupart, sont éloignés du camp au commencement du combat, s'enfuient dans la direction de Létanne ou de Beaumont. D'autres, plus coupables encore, profitent de la confusion qui règne et prennent également la fuite. Mais les uns et les autres font partie de rares exceptions.


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Le nombre des batteries allemandes, ainsi que le chiffre des combattants, augmente toujours, tandis que celui de nos officiers et de nos soldats a déjà considérablement diminué. Jusqu'à ce moment, les batteries françaises n'ont pas encore ouvert le feu et les deux divisions qui, ce malin, étaient campées à droite et à gauche de Beaumont, gravissent le versant qui est au Nord de ce village pour aller y prendre position et entrer en lutte. Aussi la première ligne est-elle bientôt obligée de battre en retraite, ce qui malheureusement ne se fait pas dans le meilleur ordre possible. Trois Ibis le 46e revient à la charge, regagne à peu près le terrain perdu, et trois fois il est obligé de l'abandonner devant des forces toujours croissantes qui débouchent des forêts voisines.

Pendant que le Ier bataillon, descendant à regret les pentes qui conduisent à Beaumont, va reformer quelques compagnies avec tous les débris qu'il rencontre, sur la droite de Beaumont, non loin de la route qui va au Chesne et sous la protection des batteries qui ont enfin ouvert le feu, des portions du IIIe et du IIe bataillon se retirent directement sur Bsaumont, ou bien entre Beaumont et Létanne.

Quelques fragments, rejetés plus à gauche encore, vont occuper la croupe et le plateau boisé, en quelques points, qui s'étend entre la route de Stenay et la Meuse. Là, une compagnie se déploie en tirailleurs sur la lisière du bois qui fait face à la route et voit bientôt déboucher des colonnes prussiennes ou saxonnes qui viennent du côté de la Wamme. Les tirailleurs ayant ouvert le feu ne tardent pas à recevoir par derrière des projectiles tirés au hasard dans cette direction par des compagnies qui battent en retraite a droite, pendant que quelques obus viennent fouiller ce bois. La fusillade ne cesse sur ce point que quand les pantalons rouges de nos soldats apparaissent à la lisière opposée. C'est là qu'est l'extrême gauche de la ligne de bataille, qui va passer à Létanne le ruisseau sur un petit pont en pierre, pour remonter la pente opposée, où sont maintenant rangées en bataille les deux autres divisions du corps d'armée.

II est diliieile de raconter en détail ce qu'a fait pendant le reste de la bataille chaque fraction de ce régiment éparpillé depuis Létanne jusqu'au delà de Beaumont. Nous allons tâcher de mettre au jour les faits les plus saillants.

Quand les deux ou trois compagnies, qui sont allées se rallier à droite de Beaumont, ont pu le faire, elles se reportent encore une fois en avant, à l'entrée de l'une des rues principales. Mais il tombe là une grêle d'obus et de balles et cette rue est complètement enfilée par une batterie, ennemie. Il faut donc bientôt abandonner ce poste par trop périlleux. Ces troupes sortent de Beaumont en traversant des jardins, elles passent par une porte qui donne sur la campagne, gravissent les hau-


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teurs en laissant à leur gauche un moulin à vent et vont de nouveau se reformer sur la montagne.

Ufle compagnie qui a moins souffert que les autres sert de soutien à une batterie de mitrailleuses établie au sommet du plateau.

La gauche, pendant ce temps, ne songe pas à défendre le village de Létanne, dominé de tous côtés. Elle prend le chemin qui conduit de Létanne à Mouzon. Là, grâce aux talus qui bordent ce chemin dans beaucoup d'endroits, elle est souvent à l'abri des projectiles ennemi?. Du reste, l'effort principal des Prussiens se porte plus à droite, et elle forme toujours l'extrême gauche de l'armée française.

Les soldats qui font partie de ce détachement comprennent à peu près l'effectif de deux compagnies. Arrivés au sommet de ce chemin et au haut du plateau, le général Saurin, qui s'y trouve avec le colonel du 46e, leur prescrivent de se déployer en tirailleurs. La ligne a sa droite non loin du chemin, en arrière d'un petit mamelon derrière lequel il est regrettable qu'aucune batterie ne soit venue prendre position, pendant que la gauche s'étend vers la Meuse, a quelques pas en arrière de la crête, pour ne pas être aperçue de l'ennemi. A une centaine de mètres de la ligne des tirailleurs, mais de l'autre côté du chemin et un peu en avant du bois, une batterie d'artillerie qui a déjà plusieurs pièces démontées, continue mollement le l'eu. En jetant un coup d'oeil en arrière, on aperçoit des fuyards traverser la Meuse au gué qu'elle forme au deuxième coude, pour aller se réunir aux avant-postes de Mac-Manon, qui se voient sur la rive opposée.

Bientôt ces tirailleurs voient( s'avancer de profondes colonnes qui, s'étendant presque jusqu'à la Meuse, forment l'extrême droite de l'armée ennemie et ils sont forcés de battre en retraite. II n'est que temps, car le centre de l'armée française, après avoir longtemps défendu le sommet du plateau et avoir jonché de ses morts ou de ses blessés le terrain qui se trouve un peu en avant de la lisière du bois et ce bois lui-même, est forcé de reculer et de descendre le versant opposé du plateau. La gauche ne peut donc conserver sa position sans s'exposer à être bientôt tournée, aussi se décide-t-elle à suivre le mouvement de retraite en descendant du côté de la Meuse.

La droite du 46° suit encore un instant la crête des hauteurs qui s'élèvent au-dessus de la vallée de la Meuse, qu'elles limitent. Puis elle redescend prendre le chemin de Létanne à Villemontry et, de là, à Mouzon. C'est également la ligne de retraite de la gauche qui, tantôt suit ce chemin, tantôt se rapproche de la Meuse et marche dans la prairie voisine.

Pendant que les deux autres divisions, qui n'ont pris que longtemps après la première, part au combat, défendent en battant en retraite les hauteurs dont il vient d'être question, le 11e de ligne et le 46e arrivent


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à quelques pas en deçà du pont de Mouzon. Là, le colonel du 46e appelle à lui les débris glorieux d'un régiment intact encore, il y a quelques heures seulement, et l'on est effrayé des vides qui s'y sont produits. Plusieurs compagnies sont sans officiers.

Au bout d'une demi-heure environ et pendant que des troupes de l'armée du Maréchal descendent rapidement, mais trop tard pour soutenir la retraite, nous traversons le pont et nous avons de la peine à nous frayer un chemin dans les rues de la ville encombrées de soldats, de chevaux, de pièces d'artillerie et de caissons.

Le 46e prend enfin un sentier à travers les vignes et les jardins. Il gravit ainsi le versant Ouest des Horgnes et va se reposer sur le plateau qui termine ces hauteurs, en arrière du 12° corps, qui y est campé.

On fait sonner à différentes reprises la marche du régiment, sans pouvoir réunir toutes les tristes épaves disséminées par l'horrible catastrophe qui vient d'avoir lieu. C'est ainsi qu'une fraction du régiment, commandée par le lieutenant-colonel Vuillet, se presse autour du drapeau qu'elle a protégé pendant tout le combat, va passer la nuit sur ces montagnes sans pouvoir trouver le reste du régiment, qu'elle ne rejoindra que le lendemain.

Le soir même, à la tombée de la nuit, le 46e quitte ses positions, prend la route de Cariguan, pendant que le 11e, appuyant à gauche, s'engage dans le chemin de Spineroi (sic), et tous deux marchent vers la Chiers. On a promis au 46e qu'il trouverait des vivres à Carignan, mais il y passa sans même s'y arrêter; les ressources sont épuisées par les troupes qui sont campées près de là et la retraite va continuer pendant toute la nuit.... C'est alors que commence la marche la plus désordonnée et, en même temps, la plus fatigante qu'il soit jamais permis de voir. La route est littéralement couverte de voitures, de cacolets, de canons, de caissons, etc Le convoi qu'ils forment s'étend de Carignan jusqu'au

delà de Sedan, car on trouve déjà des voitures entre cette ville et

Mézières. Il est inutile de dire la lenteur avec laquelle marche un pareil

convoi, qui est arrêté à chaque instant par un accident quelconque.

Les conducteurs dorment sur leurs chevaux, qui, harassés de fatigue

et privés de nourriture, refusent souvent d'avancer

Vers 11 heures du soir peut-être, on arrive au village de Sachy. Le 11e a rejoint le 46e Les habitants effrayés ont fermé leurs portes. Du reste, que donneraient-ils, ils se sont dépouillés de tout ce qu'ils possédaient pour les troupes qui nous ont précédés.

Journal de marche de la 2e brigade.

Après une marche de nuit lente et pénible, dont la fatigue s'augmente de celle de la nuit précédente et de la privation d'aliments, la


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brigade atteignait à Beaumont, vers 4 heures, un peu avant le jour, le campement du Ke corps, où les quatre bataillons qui en ce moment composaient la brigade, prirent place à gauche de la route ; ils y campèrent déployés par bataillon en colonnes par pelotons à demi-distance, face à la route.

Vers 9 heures, le convoi, laissé le 26 au Chesne, arrive enfin à Beaumont : Jes voitures en sont alors réparties dans les corps; mais elles ne font qu'ajouter encore aux embarras et à la confusion des campements pris de nuit, et indistinctement groupés autour de ce malheureux village.

Si dans la matinée il n'y fut pas remédié, c'est que les troupes ne devaient occuper cette défectueuse position que le temps nécessaire à son repos et à sa subsistance négligée depuis le 26.

En conséquence, le départ fut fixé à 2 heures du soir, mais cette heure devait être devancée par celle de l'arrivée de l'ennemi.

En effet, son premier coup de canon/vers midi, affirma subitement sa présence sur la route de Sommauthe et dans les forêts voisines, d'où il débouche en plusieurs points.

C'étaient les Ier et IIe corps bavarois de la IIIe armée accourus de Buzancy où s'opéra' leur jonction avec l'armée du prince royal de Saxe; c'étaient aussi le IVe, le XIIe corps et le corps de la Garde de cette dernière armée, avec laquelle le 5e corps s'était trouvé aux prises à Bois des Dames, qui brusquaient un mouvement offensif sur les 5" et 7e corps en débouchant par Stonne, Osches, Sommauthe, Nouart, Beaufort et Laneuville.

Ce premier coup de canon est un brusque appel aux armes de tout le 5e corps, occupé dans l'intérieur de son camp, aux distributions et aux corvées.

La brigade se trouva la première fortement engagée ; c'est sous une pluie d'obus que, faisant face à l'ennemi, elle ouvre sur lui un feu meurtrier, mais l'artillerie fait dans ses rangs pressés de douloureux ravages.

Bientôt, le 61e vivement attaqué et tourné par sa gauche, opère sur sa droite, appuyée au 86°, un changement de front en arrière, mais dans ce mouvement fait sans soutien en arrière, et sous un feu écrasant d'écharpe et de face, le désordre se mit dans ses rangs.

Le général, accouru de Beaumont, en rallie d'abord les hommes sur un mamelon voisin qui, au Sud de Beaumont, commande à l'Est les routes de Sommauthe et de Stenay. Il prescrit à la s» batterie heureusement dégagée de son bivouac, d'aller prendre position au Nord de Beaumont, puis, cherchant à arrêter la fuite des hommes de tous corps, vers Létanne, il se porte sur le mamelon qui longe, à l'Ouest, la route de Mouzon, et qui, au Nord, commande le vallon de Létanne et le vil-


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lage de Beaumont, en ce moment en flammes. C'est en ce point, qu'à l'aide de l'aigle du 61e et du concours de MM. Vichery, lieutenantcolonel, Monnot et Poudre], chefs de bataillon, se continue le ralliement de ce régiment.

Le 86e sous l'impulsion énergique de son vaillant colonel Berthe, vigoureusement secondé par MM. de Moncefs, lieutenant-colonel, Maly et Mathis, chefs de bataillons, fait d'héroïques efforts pour tenir tète à l'ennemi ; mais, écrasé par le nombre, brisé par un feu meurtrier, il est contraint, après les plus douloureuses pertes et le complet épuisement de ses munitions, d'abandonner sa position pour suivre les traces du 61e.

Les deux aigles réunies de la brigade en sont alors les plus précieux signes de rassemblement que le général opère en suivant les crêtes qui dominent au Nord la route de Mouzon, en ce moment encombrée de matériel, de chevaux et de fuyards; au Sud, celle de Yoncq à Mouzon, embarrassée par le convoi du 7e corps.

Les débris du 4e bataillon de chasseurs sous la conduite de. son chef, M, Foncegrives, ont suivi le 86° dans son mouvement de retraite.

Arrêté sur les pentes voisines de la route de Yoncq, les corps s'y reforment. La disparition de nombreux officiers et la faiblesse des effectifs témoignent déjà douloureusement des sacrifices de cette journée. Les hommes sont sans sac ni campement.

Pendant ces instants de répit, et avant d'aller prendre position sur la colline, qui de Pourron, s'élève et s'étend en pentes douces jusqu'au faubourg de Mouzon, le général de brigade fit approcher, du convoi du 7e corps, un double caisson de munitions d'infanterie et une voiture de vivres; des distributions de cartouches et de biscuits furent immédiatement faites. Puis établis, déployés sur la nouvelle position, les débris de la brigade s'y maintinrent jusqu'au moment où, complètement débordés à gauche vers le faubourg à l'entrée duquel s'entassent les troupes venues de la route de Beaumont et des hauteurs de Villemontry, ils se portent en arrière, traversent lentement et en ordre la plaine, en s'appuyant à droite aux clos et jardins du faubourg, dans lequel ils pénètrent par un passage aboutissant au pont de pierre sur la Meuse, qui est franchie, non sans encombre, ainsi que la ville de Mouzon, au delà de laquelle la brigade, rassemblée sur la grande route de Sedan à Stenay, s'élève sur les hauteurs qui dominent les vallées de la Meuse et de la Chiers.

La s» batterie, rencontrée dans Mouzon, reçoit l'ordre du général de brigade de se mettre en batterie sur la route de Stenay pour soutenir la retraite.

Cette forte position, sur laquelle s'élevait la brigade, était naturellement indiquée comme un point de rassemblement; aussi était-elle déjà


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occupée par de nombreux groupes, que des officiers y ralliaient au moyen des sonneries particulières à leurs régiments.

La 2e brigade (de Fontanges) de la 3° division (de Lespart) ainsi que la cavalerie du général Brahaut suivirent de près la brigade.

La nuit était proche; il importait, en l'absence d'ordres, de prendre un parti; on s'arrêta à celui de passer la Chiers pour de là, le lendemain, au jour, se porter sur Montmédy (point objectif) par le chemin qui, partant de Messincourt, se prolonge sur les hauteurs, près et parallèlement à la frontière belge, en passant à Pure, Clémency, Matton, les Deux-Villes, Sapogne, Herbeuval, Thonne-le-Thil et Thonnclle.

En conséquence, M. Grosmaitre, adjudant-major au 86e, né à Carignan môme, ayant une connaissance parfaite du pays, indiqua les passages de la Chiers les plus rapprochés de Messincourt; ces passages (deux ponts solides en bois) touchaient à deux gares de la ligne des Ardennes; celui de Tétaigne, à droite, fut réservé à la cavalerie du général Brahaut; celui de Brévilly, à gauche, à l'infanterie et à l'artillerie du général de Lespart.

La brigade Nicolas, en tête de la colonne de gauche, guidée par le capitaine Grosmaître, s'engage donc par une nuit noire dans Ja direction de Brévilly, où elle franchit la Chiers, à l'usine, et arriva à la gare vers 11 heures.

Là, le général apprend du chef de gare que l'Empereur, venant de Carignan, était passé en gare à 7 heures, se dirigeant sur Sedan ; qu'un convoi de vivres, à destination du 5e corps à Carignan, revenait à l'instant de cette ville, il était encore en gare; qu'enfin les convois du 1er corps et les équipages de l'Empereur rebroussaient chemin de Carignan sur Sedan et encombraient la grande route,

La connaissance de ces faits commanda au général de Lespart d'abandonner aussi la direction de Montmédy.

En conséquence, après avoir confié à un capitaine faisant fonctions de sous-intendant militaire, le soin d'accompagner et de conserver à Sedan le convoi de vivres, qui devait y être distribué au 5e corps, dès soii arrivée; la colonne, reposée pendant une heure à Brévilly, se mit en marche à 12 heures, en suivant le courant, qui devait la conduire à

la plus grande des catastrophes !

L'encombrement de la route était tel, qu'elle se vit forcée de marcher en dehors, sur les côtés. C'est ainsi que la brigade, après avoir passé à Douzy, et à Bazeilles, atteignait très péniblement Balan vers 6 heures du matin.

Elle prit, à 7 heures, position dans les fossés de la place, voisins de la porte Balan, où elle fit enfin sa jonction avec la 1er brigade occupant les glacis.


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Historique du 61e de ligne.

Après une marche de nuit, le 5e corps arrive à 4 heures du matin en avant de Beaumont et prend position autour de ce village.

Le 61e a à sa droite toute l'artillerie de réserve.

A midi, après l'appel, le 5e corps est attaqué à l'improviste par l'armée de la Meuse, commandée par le prince royal de Saxe. Après une résistance acharnée, le 61e ne se retire qu'après avoir épuisé toutes ses munitions et en laissant sur le champ de bataille 27 officiers tués ou blessés, plus du tiers de son effectif en soldats tant tués que blessés ou disparus, tous ses vivres et bagages.

Tout le 5e corps se retire en combattant, vers 3 heures du soir, sur Mouzon, de là sur Carignan, où il arrive la nuit.

En traversant le chemin de fer, il lui est donné l'ordre de continuer sa marche sur Sedan.

Historique du 86e de ligne.

Arrivée à Beaumont à 4 heures du matin, avant le jour, et installalion provisoire. Le bivouac est pris confusément et en dehors des conditions rationnelles, vu l'obscurité de la nuit.

La brigade, confiante dans la 2e division, qui, la veille, formait l'arrière-garde et était supposée en arrière, est surprise dans son bivouac vers 11 heures, au moment où les hommes étaient à la distribution.

Le. 86e prend les armes rapidement, laissant les sacs sur le terrain, et soutient le combat pendant une heure et demie sous le feu concentré de toute l'artillerie prussienne. Dès les premiers coups, le commandant Mathis, du Ier bataillon, et le capitaine Perken sont tués.

Le commandant Maly voit son cheval emporté par un obus; deux fois, le régiment essaye une charge à la baïonnette; mais, sous un feu écrasant d'écharpe et de face et après avoir vu tomber la moitié de son effectif en officiers et en hommes, ayant brûlé toutes ses cartouches, force est de battre en retraite vers le village de Beaumont, où tous les efforts sont faits pour rallier les divers groupes mêlés à ceux d'autres régiments.

Le lieutenant-colonel de Moncets, quoique légèrement blessé, secondé par le commandant Maly, parvient à réunir quelques centaines d'hommes valides autour du drapeau et à rejoindre, sur les hauteurs de Beaumont et ultérieurement à Mouzon, les troupes de la division n'ayant pas combattu.

La 2e brigade, diminuée de plus de moitié, se reforme par les soins et sous les ordres du général Nicolas.


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Vers 5 heures du soir, les débris du régiment, ralliés et réunis sous la conduite du lieutenant-colonel de Moncets et du commandant Maly, sont reformés sur le plateau de Mouzon, en arrière de la Meuse, prennent position et attendent des ordres.

Les hommes sont sans sac ni campement et affaiblis par la fatigue et le manque de vivres.

A l'entrée de la nuit, le général Nicolas, après avoir fait faire une légère distribution de biscuit, conduit la colonne vers Sedan par Douzy, station de chemin de fer.

Le régiment, après une marche de nuit très pénible, atteint, vers 6 heures du matin, le faubourg de Balan.

Notes du chef de bataillon Bronner, du 86e d'infanterie, sur la bataille de Beaumont (1).

La France doit la fatale journée de Beaumont, et en grande partie ses suites désastreuses, au général en chef du Se corps, le général de Failly. Au milieu du trouble général d'une surprise sans pareille, je jure sur l'honneur avoir remarqué : le colonel Berthe, au milieu de son régiment, communiquant à tous, officiers et soldats, la bravoure et le sacrifice de la vie pour l'honneur du drapeau : honneur à ce brave chef! Le lieutenant-colonel de Moncets et le commandant Malv, du IIIe bataillon, par leur calme et leur sang-froid, ont donné l'exemple du devoir, en ralliant les débris du 86° autour du drapeau et en quittant les derniers ce maudit champ de bataille, qui était une véritable boucherie. La conduite du lieutenant Deflin, de la 6» compagnie du IIIe bataillon, était maguifique ; on ne peut pas mieux remplir ses devoirs <le soldat que cet olficier ne l'a fait pendant toute la campagne et surtout à la bataille de Beaumont. J'ai encore remarqué le lieutenant de Lampinet; ce jeune officier est un vigoureux soldat.

Rapport du capitaine Cuny, du 86e régiment d'infanterie, sur le combat de Beaumont.

Camp de Satbonay, 44 février 1872.

Ayant été blessé dès le commencement de l'action, je ne puis donner que peu de renseignements sur le combat de Beaumont.

(1) Les notes et rapports ci-après relatifs au 86e d'infanterie, ont été adressés au début de l'année 1872 au commandant Maly, chargé de rédiger l'historique de ce régiment.

Rev. Hist. 13


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Le 30 août, un peu avant midi, quelques obus qui arrivèrent dans le camp nous avertirent que nous étions attaqués. La troupe, employée en ce moment aux différentes corvées, fut difficile à réunir.

Je parvins, comme tout le IIIe bataillon, à grouper presque toute ma compagnie et à la porter en ligne, et je fis commencer le feu avec la hausse de 600 mètres.

Peu de temps après, je reçus un coup do feu sous l'oeil droit; je restai encore quelque temps, mais je perdais le sang avec une telle abondance que M. le lieutenant-colonel de Moncets me donna l'ordre de me retirer sur le village, ce que j'eus beaucoup de peine à accomplir dans l'état de faiblesse où j'étais.

Toute la troupe sous mes ordres a fait bravement son devoir.

Rapport du capitaine Crouzet, du Ier bataillon du 86e d'infanterie, sur les opérations de ce régiment.

Dans la matinée du 30, après avoir pris un repos de quelques heures, les hommes vaquaient aux soins de propreté et nettoyaient leurs armes et leurs effets: les corvées de vivres s'organisaient tant bien que mal et le village de Beaumont était envahi par tous ceux qui avaient des provisions à faire ou des vivres à toucher. La soupe était mangée à 9 heures et dans une sécurité complète on attendait des ordres de mouvement.

C'est dans cet état et vers 11 h. 45 du matin que la présence de l'ennemi est signalée dans le camp par le passage au-dessus de nos têtes de quelques obus venant on ne savait d'où ! Lo bruit de ces projectiles jette l'alarme de toutes parts, et le régiment court aux faisceaux placés en colonne par peloton et à demi-distance. Chacun est à sa • place en un clin d'oeil et le commandement : « En avant! » se fait entendre. Le 1er bataillon, placé en arrière du IIIe, arrivé le dernier dans la nuit, se porte vers celui-ci et se confond avec lui. Une fusillade désordonnée commence, à laquelle l'ennemi répond par des obus d'abord et par la mousqueterie ensuite. Dans cette bataille générale et au milieu de tous les feux ennemis convergents, nos pertes s'accumulent. Le commandant Mathis et l'adjudant-major Perken, à cheval tous deux, sont atteints par un obus qui éclate en tombant sur la cuisse gauche du commandant Mathis et tue les deux chevaux en blessant mortellement les deux cavaliers. Un instant après le capitaine Schram, qui avait pris le commandement du Ier bataillon, est atteint d'une balle à la poitrine. Le colonel Berthe blessé au genou droit gît dans un sillon. D'autres officiers sont également blessés, mais le régiment conserve sa position et l'aurait assurément défendue si l'ennemi, opérant une diversion par notre gauche, ne nous avait pris en écharpe et n'avait pro-


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voqué un mouvement de retraite de ce côté. Les régiments de gauche lâchent pied et le mot fatal : M En retraite ! » se fait entendre. A ce cri la panique s'empare de nos hommes, les officiers font des prodiges poulies retenir; ou les menace du revolver, on brûle la cervelle à quelquesuns, puis on les supplie, mais ils opposent le silence et l'inertie et laissent les officiers seuls sur le champ de bataille. La débandade . s'effectue, on se porte sur Beaumont que l'ennemi couvre de projectiles et où bon nombre de soldats et d'officiers sont tués ou blessés.

11 était environ 2 heures de l'après-midi lorsque le régiment en débris se rallie en arrière de Beaumont, qu'on a abandonné aux Prussiens et qui est encombré de blessés.

Lorsque le 86e fait l'appel il constate l'absence de la moitié de son effectif à peu près et des officiers dont les noms suivent :

Berthe, colonel, blessé; Mathis, chef de bataillon, blessé mortellement; Peigné, docteur, disparu; Perken, adjudant-major, blessé mortellement; Bourdel, Schram, capitaines, blessés mortellement; Bourseul, lieutenant, tué sur le champ ; Houles, capitaine, de Geyer, lieutenant, blessés; Bihel, capitaine, blessé grièvement; Cuny, capitaine, blessé à la tête ; Lacipière, lieutenant, disparu ; Bronner, capitaine, blessé grièvement; Kesternick, sous-lieutenant, tué; Fiack, souslieutenant, André, chef de musique, Raimond, docteur, disparus. En cet état le régiment reste constitué avec les cadres suivants : MM. de Moncets, lieutenant-colonel; Maly, chef du IIIe bataillon; Crouzet, capitaine, commandant le Ier bataillon ; Grosmaître, capitaine adjudant-major au 111° bataillon; Cupillard, Chrétien, capitaines; Le Boisne, Lods, de Lumpinet, Defliu, Dominique, lieutenants; Arnould, Merlin, Bastien, Juliard, Dominique, sous-lieutenants; Bribes, lieutenant; Mavel, capitaine; Lamoureux, sous-lieutenant; Viel, porte-drapeau; Michaud, officier payeur, légèrement blessé.

La brigade sous les ordres du général Nicolas-Nicolas se porte vers Mouzon, traverse la Meuse et après être restée en expectative sur les hauteurs qui couronnent cette petite ville, elle prend sa direction vers Sedan à travers les prairies, passe la Chiers dans la nuit du 30 au 31, et arrive au faubourg de Balan vers 4 heures du matin, à travers un encombrement formidable de voitures et d'impedimenta appartenant au corps d'armée du maréchal de Mac-Mahon. Le 31 août, à S heures du matin, elle va bivouaquer dans les fossés de Sedan. Nous sommes sans vivres. Dans la journée l'ennemi établit ses batteries sur la rive gauche de la Meuse et canonne l'immense convoi que nous avions rencontré la veille en venant de Mouzon. Ce combat d'artillerie dure toute la journée. Nous ne quittons pas le bivouac. On distribue quelques vivres en biscuit, sucre et café ; la journée est belle mais la nuit est glaciale, comme d'habitude. Le général en chef de Failly est remplacé par le


496 LA GUERRE DE 1870-1871. N» 64.

général de Wimpffen qui visite notre campement. On s'endort le soir avec la certitude d'une bataille pour le lendemain.

Impressions et observations personnelles du lieutenant Clopin, commandant la 4e compagnie du Ier bataillon du 8(5° d''infanterie, sur les faits accomplis sous ses yeucc par le Ier bataillon dudit régiment.

Le 29 août mon bataillon était commandé de garde à l'artillerie de réserve et remplit ce service pendant l'engagement de Bois des Dames. Il partait le 29 au soir avec son artillerie; à minuit 30 il était campé devant Beaumont à la gauche du pare.

Le lendemain 30 août, le 5e corps était surpris par l'ennemi vers 11 heures ou H h. 30. En cinq minutes, sous les projectiles tombant déjà dans les tentes, M. le commandant Mathis à cheval ainsi qu" M. Perken, son adjudant-major, nous portait en avant en colonne par pelotons et nous faisait développer en bataille à la gauche du IIIe bataillon, en traversant les lignes du 61e de ligne, notre camarade de brigade.

Un feu violent, mais malheureusement déréglé, fut ouvert immédiatement. Nous avions à répondre à des feux d'artillerie et à des salves d'infanterie. Dès le commencement du combat, les pertes les plus cruelles nous furent infligées : MM. Mathis et Perken furent frappés tous deux à cheval par le même obus, M. le capitaine Bourdel était tué d'une balle à la tête, et M. le capitaine Houles blessé à la jamoe.

M. le capitaine Schram prit le commandement du bataillon et porta tous ses efforts à régulariser l'effet de nos feux; il ne put y parvenir et, sentant bien que les mêmes hommes qui se faisaient tuer sur place sans broncher ne sauraient opérer une retraite en ordre, il voulut les porter en avant. La sonnerie : « En retraite » vint arrêter le mouvement commencé et ses prévisions se réalisèrent. Le capitaine Schram, blessé à son tour au bras, partagea le commandement avec le capitaine Çrouzet. Ce dernier, avec la plus grande énergie accompagnée d'un sang-froid remarquable, employa vainement les moyens, même extrêmes, pour coordonner le mouvement de retraite. Le régiment fut toutefois le dernier à abandonner le champ de bataille. Il se dégagea à Beaumont des autres soldats de la division, et derrière le bois il était déjà réuni en très grande partie et en bon ordre sous le commandement de M. de Moncets, le colonel ayant été grièvement blessé au début de l'affaire. Les cartouches furent complétées à 90 par homme. Dans la retraite le bataillon avait perdu MM. Schram et Bourseul, tués tous deux : le premier, déjà blessé, frappé mortellement au der-


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nier rang des combattants en retraite; le second dans le village par un obus. ..

Nous arrivâmes à Sedan le 31 août à 1 h. 30 du matin.

Le soir de Beaumont le sergent-major, 1 sergent et 46 hommes manquaient à l'appel.

Rapport du lieutenant Lods, commandant la 3e com-. pagnie du Ier bataillon du 86e d'infanterie, sur la journée du 30 août.

Le Ier bataillon, dont je faisais partie, commandé par le commandant Mathis, se trouvait campé, le 29 août, à environ 200 mètres en arrière du régiment, près de l'artillerie de réserve confiée à sa garde.

Le 30 vers midi, l'ennemi nous attaqua sans que sa présence fut signalée. Les premiers obus commencèrent à tomber dans le camp. Le commandant Mathis et le capitaine Perken, montèrent aussitôt à cheval et nous firent porter sur le prolongement du IIIe bataillon. A peine fûmes-nous en ligne qu'un obus tomba entre le commandant Mathis et le capitaine Perken, qui se trouvaient en arrière de la 3" compagnie que je commandais. Le commandant Mathis eut une jambe emportée qui ne tenait plus que par quelques fibres et eut le courage de dire à M. Bribes : « Prenez mon couteau et détachez-moi la jambe. » Ces paroles m'ont été rapportées sur le champ de bataille même. Le capitaine Perken reçut également à la jambe un éclat d'obus qui lui enleva presque le pied ; les deux chevaux de ces officiers furent tués sur le coup.

Nous prîmes nos positions sur la droite du IIIe bataillon, déjà en ligne et aux prises avec l'ennemi ; à ce moment, le capitaine Bourdel placé à ma gauche, reçut une balle en plein front, qui le tua sur le coup.

Le feu devint terrible; pendant l'action, je vis le lieutenant Bourseul, tué plus tard, exciter les hommes au combat et empêcher les fuyards de quitter le champ de bataille en leur administrant des coups de plat de sabre. Le feu devint bientôt tellement violent que l'on donna le signal de la retraite, qui dégénéra bientôt en déroute. Le capitaine Crouzet essaya de rallier les fuyards pour les ramener en avant, mais il ne fut pas écouté tant les hommes étaient découragés ; ses efforts furent inutiles.

Je vis, à l'entrée du village de Beaumont, le capitaine Schram. soutenu par deux hommes. Je lui adressai la parole pour lui donner quelque encouragement, mais il ne me reconnut pas, H était mourant.


198 LA GUERRE DE 1870-1871. N° 64.

Nous traversâmes le village de Beaumont dans un complet désordre, sous une pluie de mitraille ; nous nous ralliâmes entre Beaumont et Mouzon sur un plateau où se trouvait déjà le drapeau du régiment et où nous vîmes pour la première fois depuis l'action le général Nicolas, qui nous fit faire une distribution de cartouches et de biscuit. Voici les noms des officiers tués et blessés à Beaumont : Tués: MM. Mathis, Perken, Schram, Bourdel, Bourseul, Kesternick. Blessés : le colonel Berthe, les capitaines Bronner, Bihel, Cuny, Houles ; le lieutenant de Geyer, le sous-lieutenant Michaud.

Le général Nicolas, ayant réuni les débris de sa brigade, la dirigea sur les hauteurs de Mouzon et ensuite sur Sedan où nous arrivâmes, après une marche de nuit très pénible, le 31 au matin. 11 nous fit camper sous les fortifications de la ville.

Rapport du sous-lieutenant Baslien, du 86e d'infanterie, sur la journée du 30 août.

Le régiment était campé depuis 5 heures du matin en avant de Beaumont après une marche de nuit, lorsque tout à coup, un peu avant midi, des obus tombés dans'le camp nous annoncèrent que l'ennemi était proche. En un instant tous les soldats présents se trouvèrent sous les armes et le feu commença aussitôt; le IIIe bataillon du régiment dont je faisais partie était seul en ligne. Je fis tirer sur l'artillerie ennemie, qui se trouvait à environ 800 mètres en avant et à droite, plus tard je m'aperçus qu'un violent feu de mousqueterie venait de gauche, je dirigeai alors le feu de ce côté, en recommandant de tirer à 600 mètres.

Pendant ce temps, le 1er bataillon du régiment de garde, à l'artillerie de réserve, campé à 500 mètres en arrière du IIIe bataillon, s'était mis sous les armes, il arriva promptement sur notre ligne de bataille pour commencer aussitôt un feu à volonté.

Ce feu, admirablement soutenu, continua ainsi de part et d'autre jusqu'au moment où la gauche de notre ligne de bataille fut obligée de battre en retraite.

L'ennemi s'avançait à grands pas et menaçait de nous tourner lorsque le lieutenant-colonel de Moncets ordonna la retraite. Il était A heure environ.

Le régiment se reforma derrière le bois de Beaumont où les munitions furent complétées et notre retraite continua ensuite par ordre du général de brigade qui nous arrêta Bur les hauteurs de Mouzon. A la nuit tombante nous abandonnions ces hauteurs pour nous diriger sur Sedan où nous sommes arrivés pendant la nuit.


N» 64. LA GUERRE DE 1870-4874. 199

Rapport du chef d'escadron Pérot, commandant en second l'artillerie de la irB division du 5e corps, sur le combat de Beaumont.

Mayence, 49 octobre.

La batterie (Lanaud) campait, avec la 2e brigade, à gauche de la route avant d'arriver à Beaumont. Les G« et 7e (batteries Desmazières et Gastine), qui étaient avec la lro brigade, se trouvaient; la batterie Gastine, en arrière d'un chemin conduisant à Osches et formant prolongement du coude que fait la route de Sommauthe avant d'arriver à Beaumont ; la batterie Desmazières, près de Beaumont, en arrière de la route de Stonne.

L'ennemi, qui avait continué sa route par la forêt de Dieulet et les bois de Sommauthe, ayant couronné toutes les crêtes du Sud-Ouest au Sud-Est de Beaumont, commença vers 11 h. 30 un feu violent d'artillerie dirigé sur le camp. La batterie Desmazières devant marcher à l'avant-garde de la division, les voitures de la batterie de combat;étaient attelées, aussi, dès les premiers ooups de canon, put-elle sortir et se porter rapidement en avant et à droite sur une petite crête en avant de la route de Stonne, où elle ouvrit immédiatement son feu.

Pendant ce temps, les troupes d'infanterie s'étaient repliées en arrière de Beaumont et l'artillerie de réserve avait occupé la hauteur au-dessus de Létanne.

La 6° batterie, alors complètement isolée, opéra sa retraite en dirigeant d'abord ses caissons et, successivement, ses pièces vers l'angle formé par la route de Mouzon et le chemin qui conduit de cette route à la ferme de la Harnoterie et rejoignit la division, ainsi que les 5° et 7« batteries.

Le point que l'ennemi devait choisir pour lancer sa colonne d'attaque étant parfaitement indiqué à la sortie des bois sur la route de Stonne, près de la Thibaudine ; on fit occuper les abords de la ferme de la Harnoterie par deux bataillons de la 3e division. La 5= batterie fut désignée pour appuyer ces deux bataillons et prit position un peu en arrière et à droite de la ferme, de manière à observer le débouché des bois.

Sur la nouvelle que le 7e corps arrivait dans cette direction pour donner la main au 5e, on empêcha la batterie d'ouvrir son feu qui, dans cette position et à ce moment, aurait pu avoir un effet sérieux; on lui donna l'ordre de contrebattre une batterie qui tirait sur la ferme ; elle fit donc un changement de front à gauche et commença le feu : mais alors l'ennemi déboucha des bois à l'endroit prévu à l'avance et se présenta au lieu du 7e corps, qui avait été annoncé. La batterie dut, pour ralentir la marche de cette colonne, se porter rapidement à la gauche de la ferme et tirer à mitraille. Dans cette position complète-


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ment découverte, sous le feu de plusieurs batteries, la batterie Lanaud eut beaucoup à souffrir et lorsque l'ordre de retraite fut donné à l'infanterie, qui occupait la ferme, elle aurait perdu une de ses pièces si l'adjudant et quelques canonniers n'eussent mis beaucoup d'énergie et de promptitude à changer un attelage de derrière dont le porteur venait d'être tué.

Pendant ce temps, le reste du corps d'armée avait pris position sur la crête en avant du bois de la Sartelle à cheval sur la route de Mouzon, la l'e division, avec les batteries Desmazières et Gastine, formant la droite. L'ennemi, exécutant alors une conversion sur son aile gauche, avait poussé ses tirailleurs sur la droite à la faveur des bois qui dominent la Meuse et, lorsque notre mouvement de retraite sur Mouzon commença à se dessiner, il ouvrit un feu violent d'artillerie et d'infanterie qui rendit très difficile pour les batteries la traversée du bois de la Sartelle, où elles durent s'eDgager dans des chemins d'exploitation non suffisamment reconnus et sans issue.

La G« batterie (Desmazières) ayant eu en ce moment un grand nombre d'hommes et de chevaux tués ou blessés, fut forcée d'abandonner deux pièces dans le bois et les quatre autres ne purent être sauvées qu'à force de courage et d'énergie.

A la sortie des bois, le corps d'armée s'arrêta de nouveau sur les deux mamelons qui se trouvent un peu en avant de la ligne passant par le Grésil et Villemontry, la lre division formant toujours la droite avec la T batterie et les quatre pièces restant de la G», auxquelles se joignirent des batteries de la réserve. Dans cette position, nos batteries commencèrent un feu très vif qu'elles ne cessèrent que lorsqu'elles se trouvèrent tout à fait isolées et après des pertes très fortes en hommes et en chevaux ; la 6° eut plusieurs caissons démontés et une mitrailleuse de la 7» fut égueulée.

La qui, après avoir quitté la ferme, avait suivi la route de Mouzon jusqu'à hauteur de la nouvelle position, fut dirigée sur le mamelon occupé par les autres batteries pour les soutenir ; mais le général commandant la division arrêta ce mouvement et ordonna à cette batterie de franchir la Meuse et de prendre position en arrière pour protéger la retraite.

Lorsque les 7e et oe durent à leur tour quitter le plateau, elles se dirigèrent en arrière de leur position vers le gué qui avait été reconnu par le génie et indiqué par le chef ù'état-major général. Pendant que la 7» batterie continuait sa route vers la Meuse, la ee s'arrêta dans la prairie à hauteur de l'entrée du faubourg de Mouzon au moment où la brigade de cuirassiers, ramenée par la cavalerie et l'infanterie ennemies, commençait sa retraite vers la Meuse. Les coffres de la batterie ayant été visités, on reconnut qu'il y restait quelques charges et projectiles


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ou boîtes à balles que l'on résolut d'utiliser; les quatre pièces, auxquelles se joignit une pièce du 2e d'artillerie momentanément séparée-de sa batterie, furent mises en batterie et tirèrent sur la tête de colonne ennemie lorsqu'elle fut démasquée.

Le feu de ces cinq pièces, bientôt soutenu par une pièce de 12 et une autre pièce de 4 d'une autre division, fit suspendre Je mouvement de l'ennemi, qui dirigea alors contre elles une grande partie de son artillerie, ce qui favorisa la retraite des troupes engagées sur le pont. La 7» batterie (Gastine) avait commencé heureusement le passage de la Meuse et un certain nombre de voitures avaient atteint la rive opposée, lorsque les cuirassiers en se retirant trop précipitamment par le même gué, arrêtèrent le mouvement des conducteurs et des attelages et il fut complètement impossible de dégager les dernières voitures du gué, devenu impraticable. Trois- irïitrailleuses^et trftis cais^ins durent être abandonnés, le lieutenant en premier disparut et le lieutenant en second, blessé, resta à l'ambulance de MO.JJ^QU. ■'■ •

Lorsque les m/mitions de^à'o 0 batterie furent entièrement épuisées, le lieutenant^olôhel'et-re chef d'escadron qui étaient restés avec cette batterie reconnurent l'impossibilité de faire usagé du gué pour la retraite; elle fut donc dirigée sur,le pont qu'elle traversa, puis tournant à-gauche, elle gagna la hauteur de "la Fourberie, où elle prit^de nouveau position et continua le feukjusqu'à/la tombée de la nuit avec des munitions qui lui furenbdonnéS^pà^des batteries du- 12e corps macées elles-mêmes e'n cet e»*i"uî£pour protégVr la retraite (division Charon). -*-- », V

A la nuit, les-batteries rejôigniré'nt les troupes de la division, qui s'étaient 'reformées eu arrière de cette position. La colonne gagna la Chiers par des chemins d'exploitation, la passa à l'Émonderie, ainsi que le chemin de fer, et prit alors la grande route de Sedan, où elle arriva le 31 dans la matinée.

L'infanterie de la division alla occuper la hauteur à droite du faubourg de Givonne, les batteries restèrent en colonne dans le faubourg, qu'elles quittèrent le soir pour parquer sur l'esplanade située près du chemin couvert de la place.

Cette journée fut employée à compléter les munitions, tant d'artillerie que d'infanterie, et à reformer les batteries de combat en hommes et en chevaux.

Rapport du capitaine Lanaud, commandant la 8e batterie du 6e régiment d'artillerie. '

Sedan, 2 septembre. Vers 11 heures du matin, nous avons été surpris par le canon


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ennemi; le campement de la batterie étant le plus près des Prussiens, il y tombait une grêle d'obus qui y ont bien jeté du désordre, mais n'ont pas empêché d'entraîner tout notre matériel; nous avons eu plusieurs hommes et chevaux blessés, tant au camp que pendant le trajet jusqu'à notre première mise en batterie, où nous sommes restés une demi-heure en faisant un feu lent sur les batteries ennemies d'abord, puis sur une colonne prussienne qui s'avançait à côté de notre campement, c'était la droite de l'ennemi. Cette première période a arrêté l'élan de l'ennemi et permis à notre infanterie de se former en arrière de nos batteries, puis on nous a fait battre en retraite et nous avons pris une deuxième position vers notre droite et nous avons fait feu vers la gauche de l'ennemi, qui tentait de nous tourner; à une troisième position plus à droite encore, nous avons fait feu sur une colonne qui sortait du bois, puis la batterie de mitrailleuses les a repousses et nous sommes restés quelques instants en position sans faire feu ; le général de Lespart a envoyé chercher trois pièces, j'ai été envoyé et j'ai fait feu sur une batterie que je prenais d'écharpe et dont le feu jetait le désordre dans l'infanterie; on me rappelle pour battre en retraite, le corps de Douay qu'on avait annoncé n'arrivait pas. Pendaut la retraite arrive une brigade du 12e corps. Nous montions la côte pour nous mettre en batterie quand notre général de division nous donna l'ordre de passer la Meuse et de nous mettre en batterie sur les hauteurs de la rive droite de cette rivière pour appuyer une brigade qui devait protéger la retraite. Nous restons en batterie en faisant feu jusqu'au coucher du soleil.

Nous partons pour Sedan ; nous arrivons aux environs de la ville vers 7 heures du matin.

Historique de la 6e batterie du 6° d'artillerie.

Le 30 août, à Beaumont, la batterie qui avait subi des pertes très sérieuses et n'avait cessé son feu qu'à la dernière extrémité, se dirigeait vers la Meuse et se trouvait à hauteur du faubourg de Mouzon dans la prairie lorsque la brigade de cuirassiers qui devait protéger la retraite, fut ramenée vivement par la cavalerie ennemie soutenue par l'infanterie. Le chef d'escadron, comprenant la nécessité d'arrêter à tout prix le mouvement de l'ennemi, qui menaçait d'arriver jusqu'à la Meuse et de couper la retraite aux dernières troupes qui n'avaient pas encore pu défiler sur le pont de Mouzon, proposa aux officiers de la batterie d'utiliser à cet effet leurs dernières munitions. Cette résolution fut aussitôt exécutée par la batterie, à laquelle se joignirent une pièce de 12 de la réserve (maréchal des logis Demorgat, du 2e d'artillerie) et deux autres pièces momentanément séparées de leurs batteries.


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Le feu ouvert à petite distance aussitôt que la tête de colonne ennemie fut démasquée, eut pour effet de suspendre sa marche en avant et d'attirer sur nos pièces le feu de l'artillerie ennemie, ce qui facilita la retraite des troupes. La batterie put ensuite passer la Meuse sur le pont de Mouzon et aller prendre position sur la hauteur de la Fourberie, où elle continue le feu jusqu'à la tombée de Ja nuit avec des munitions qui lui furent données par une batterie du 12e corps, placée elle-même dans cette position pour protéger la retraite.

La 6° batterie reçut le 31 août, du parc du 5e corps, six caissons de munitions au moyen desquels elle put prendre une part active à la bataille du 1er septembre.

Rapport du capitaine Desmazières (6e batterie du 0e régiment d'artillerie), sur le rôle de la batterie au combat de Beaumont.

Sedan, 3 septembre.

Le 30 août, la 6« batterie, campée près de Beaumont, à côté de la route du Chesne, reçut des obus au milieu de son campement. Les chevaux étant harnachés, la batterie put en dix minutes garnir la crête de la hauteur en arrière de laquelle elle se trouvait placée. Elle fit feu dans cette position pendant vingt minutes environ, mais, comme elle n'avait pour tout soutien qu'une compagnie de chasseurs, et comme aucun secours ne lui était promis, elle fit sa retraite par sections et occupa les hauteurs existant au delà de la route du Chesne, puis ouvrit le feu contre les batteries ennemies qui s'étaient rapprochées d'elle. On perdit dans cette position deux hommes; un cheval fut blessé.

La 1*° division du 5" corps se portant alors sur la droite de la position pour s'opposer à un mouvement tournant de l'ennemi, la 6« batterie la suivit. Dans cette marche de flanc vis-à-vis de l'ennemi un caisson sauta.

La batterie occupa sur le plateau que tenait la division deux positions d'où elle fit feu. Elle perdit sur ce terrain un homme et deux chevaux.

A un moment donné les troupes de soutien ayant lâché pied l'artillerie resta seule sur le plateau et dut se retirer; elle était adossée à un taillis sans chemin qui le traversait.

Les voitures s'engagèrent dans ce bois, plusieurs y restèrent. La batterie perdit six caissons et deux pièces, malgré les efforts faits par les officiers pour les dégager sous le feu des tirailleurs. Les débris de là batterie allèrent occuper une crête basse derrière laquelle s'étaient réfugiées quelques troupes d'infanterie.

On tint quelque temps dans cette place sous un feu très supérieur au


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nôtre et la batterie se retira dans la plaine, devant la Meuse. Elle employa ses dernières munitions à couvrir la retraite de l'infanterie, à appuyer la charge des cuirassiers et à protéger leur mouvement en arrière.

La batterie passa la Meuse sur le pont de Mouzon et rencontrant sur les pentes opposées les batteries du commandant Charon, elle leur emprunta quelques munitions et fit feu jusqu'à la nuit tombante.

La batterie se retira sur Sedan.

Rapport du capitaine Gastine sur le rôle de la 7e batterie du 6e régiment au combat de Beaumont.

Sedan, 2 septembre.

La batterie servant du canon à balles était attachée à la lre division du 5e corps. Le 30 août à midi, le camp du corps d'armée établi à l'E«t de Beaumont a été surpris par l'armée prussienne. Quelques minutes après, la batterie complètement attelée traversait le défilé formé par le village de Beaumont et s'établissait en batterie sur une crête à 800 mètres en arrière de ce village. Elle a ouvert le feu contre les batteries prussiennes qu'elle avait en face d'elle et sur sa droite, l'infanterie exécutant très vite et sans arrêt la retraite. La batterie a pris successivement trois positions différentes jusqu'au bois Givodeau, et a réussi à maintenir la droite de l'attaque. Elle a tenu dans sa dernière position A la lisière du bois jusqu'à ce que toute l'infanterie fût à l'abri. Elle a supporté dans ce moment le feu de six batteries. Une pièce a été égueulée. M. de Lafonl, capitaine en deuxième et le maréchal des logis chef Houvenngheel ont eu leurs chevaux tués. Bonnard a été tué avec ses deux chevaux et un autre cheval du même attelage. Le brigadier Raimond a été blessé mortellement, son cheval a été tué. Le canonnier Juliard a été blessé. La batterie a traversé le bois sous la seule garde de sa compagnie de soutien et est descendue dans la plaine à l'Ouest de Mouzon. Elle a pris positiou sur un mamelon situé en arrière de la route de Mouzon à Yoncq, 1500 mètres au Nord de la lisière du bois Givodeau. Elle a battu cette lisière et contribué à arrêter l'attaque de front, mais la position ayant été tournée par notre droite, et les tirailleurs ennemis ayant occupé une crête à 300 mètres environ sur le flanc de la batterie, celle-ci a dû battre en retraite, ce qu'elle n'a fait qu'après avoir été abandonnée, par toute l'infanterie.

Les six pièces et les huit caissons sont arrivés sur les bords de la Meuse en face d'un gué occupé déjà par beaucoup de voitures; trois pièces, quatre caissons ont réussi à traverser la rivière, une pièce a été versée en cage, les attelages des autres pièces ont été tués par les obus ennemis ou sont restés engagés sous les voitures, cherchant à passer


N* 64. LA GUERRE DE 1870-1874. «OS

quand même; malgré cela, grâce aux efforts des hommes de la batterie, on aurait réussi à ramener tout le matériel au delà de la Meuse sans l'arrivée de la cavalerie qui est venue au galop passer le même gué et a rendu impossible tout travail de sauvetage. La batterie s'est ralliée sur la hauteur à l'Est de Mouzon ; la retraite s'est effectuée sur Sedan où la colonne est arrivée le 1" septembre à 10 heures du matin.

Pendant cette dernière période du combat la batterie a eu : M. Lamori e, lieutenant, blessé, 3 hommes blessés, 20 chevaux tués. M. Beuzon et 20 hommes ont disparu et on n'a pu avoir aucun renseignement sur ce qu'ils sont devenus.


BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE

REVUE DES REVUES.

I. — REVUES FRANÇAISES.

Journal des Sciences militaires. Février 1906. — Les procédés stratégiques de Napoléon. Guerre de positions ; par M. le lieutenantcolonel CASIOK. — L'expérience de la guerre russo-japonaise (suite). — La guerre de la Succession d'Autriche (1740-1748). Campagne de Bohême 1741-1742) (suite) ; par M. le major Z.

Le Spectateur militaire. 1er février 1906. — E. B***. La guerre russo-japonaise (suite).

1er et 15 février. — SOUBISK. Souvenirs personuels de Verdy du Vernois.— G. CLÉMENT. La campagne turco-russe de 1877-1878 (suite).

Revue du Génie. Février 1906. —? Le siège de Port-Arthur (suite); par le colonel du génie breveté CLÉMENT DE GRANDPREY.

Revue du Cercle militaire. Février 1906. — Nos 6 et 7. Quelques enseignements de la guerre russo-japonaise. Les feux de l'infanterie (fin).

Carnet de la Sabretache. Février 1906. — Les Allemands sous les aigles françaises : les Saxons dans nos rangs ; par le commandant SAUZEY. — La mission d'Escorches de Sainte-Croix à l'armée d'Orient (1800) et les Sainte-Croix ; par M. Léon HENNET. — Souvenirs de ma vie militaire (1792-1822) ; par le commandant VIVIEN. — Notes sur l'attaque de Paris et sur ce qui s'est passé à Fontainebleau après l'occupation par les troupes étrangères. Communication de M. G. ARDILLIER.

La Révolution française. 14 février 1906. — Les représentants du peuple Bouret et Fremanger dans le Calvados (fin) ; par A. BLOSSIER. — La politique de Napoléon III au début de son règne ; par J. TCHEBNOFF.

Revue des Études historiques. Janvier-février 1906. — Maurice BKSSSONNËT. L'expédition d'Alger. Projets et inventions.


N« 64. BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE. 207

La Revue Bleue. 17 février 1906. — L'histoire avant l'histoire. Les Italiotes ; ..par V. HENRY, professeur à la Sorbonne.

Revue des Deux-Mondes. 1er et 18 février 1906.— Louis XVIII et le comte d'Artois: I. Dissentiments intimes; II. L'adversité réconciciliatrice ; par M. Ernest DAUDET.

Revue de Paris. 1er et 15 février 1906. — Anatole FRANCK. La bataille de Patay et la campagne du Sacre (fin).

La Revue, ancienne Revue des Revues. 1er et 15 février 190G.— Edmond SCHERER. L'invasion de Versailles (1870). Lettres inédites.

La Revue hebdomadaire. Février 1906. — N° 6. Louis BATIFFOL. Une petite-tille de Louis XIV.

II. — REVUES ÉTRANGÈRES.

Militàr-Wochenblatt. Februar 1906. — N» 15. Noch einmal die Schlacht bei Mukden. Von generalleutnant z. D. v. CAEMMEREK. — N°» 19, 20, 21. Rennigsen und Wrede 1813. Ein fleitrag zur Ermattungsstrategie. — N° 21. Frankreichs Sakarische Kompagnien. — N° 23. Zur schlacht von Beaune-la-Rolande. — N» 24. Sudwestafrika, I. II. — N°" 25, 26. Ueber den Einfluss der vorbereitenden Stratégie Molktes auf die Kriegseinleitung der Jahre 1866 und 1870.

Militâr-Zeitung. Februar 1906. — N° 6. Kûsteusehutz und Unternehmungen gegen denselbcn an der schleswig-holteinisch-jùtischen Nordund-Ostseekùste im Feldzuge 1864. — Geschichte des Heibstleldzuges 1813. Bearbeitet von FRIEDRICH, major, zugeteilt dem Grossen Generalstabe. — Nes 6, 7. Erinnerungen aus meinem Berufsleben. Von Generalfeldmarshall Freiherr von LoÉ.

Jahrbûcher fur die deutscbe Armée und Marine. Februar 1906.— Napoléon, Moltke und dieFestung. Eine Studievon FRCBENIUS, Oberetleutnant a.D (Schluss).— Zur Schlacht von Sandepu. Kriegsgescb.icb.tliche Skizze von THILO VON TROTHA.

Deutsche Rundschau. Februar 1906. — Kônig Friedrich Wilhelms IV. Briefwechsel mit Ludolf Camphausen. Herausgegeben und erlâutert von Erieh BRANDENBURG. III (Forlsetsung).

Deutsche Revue. Februar 1906. — Heinrich von POSCHINGER. Aus der politischen Korrespondenz des Kônigs Wilhelm I. von Wurtemberg (Schluss).

Rivista Militare Italiana. Febbraio 1906. — A. P. DI R. La campagna contro gli Herrero.


208 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE. N' 64.

REVUE DES LIVRES.

LIVRES FRANÇAIS.

Mme des Ursins et la Succession d'Espagne, fragments de correspondance publiés par M. le duc de la TRÉHOILLE. — Paris, Honoré Champion.

Possesseur de riches archives, se rattachant par ses ancêtres à la princesse des Ursins, M. le duc de la Trémoïlle a fait paraître jusqu'à ce jour cinq volumes (de 1693 à 1711) de la correspondance de celle qui, sans en avoir le titre, fut, pendant près de dix ans, reine d'Espagne. Dans sa place de camarera mayor, Anne-Marie de la Trémoïlle, veuve du duc de Bracciano, prince des Ursins, inspira toute la politique espagnole et s'y révéla, comme ledit Saint-Simon, « la personne du monde la plus propre à l'intrigue », joignant à de vastes ambitions, « fort audessus de son sexe, le plus de finesse dans l'esprit, sans que cela parût jamais, et de combinaisons dans la tête ».

Son crédit un instant ébranlé à la fin de l'année 1703, la princesse des Ursins quitte l'Espagne à la suite de ses démêlés avec le cardinal d'Estrées, notre ambassadeur, mais elle y revient en 1705 pour triompher désormais sans obstacle. Bien secondée par le nouvel ambassadeur français, Amelot, et tout en servant son ambition, elle travaille au relèvement de l'Espagne et au maintien de cette puissance dans l'orbite de la France, jusqu'au jour où les désastres de la guerre forcent Louis XIV à proposer à nos ennemis l'abandon de son petitfils pour donner la paix à son royaume épuisé. Elle se révolte alors contre les humiliations imposées à l'Espagne, et, loin de s'abandonner au désespoir comme Mme de Maintcnon, elle cherche le salut de la monarchie espagnole dans une résistance virile et dans l'attente d'un retour de la fortune, qu'elle fera naître par sa constance et son énergie. Les événements lui donneront raison, et la victoire de Villaviciosa affermira enfin, en 1710, la couronne d'Espagne sur la tête de Philippe V. La plupart des lettres de Mma des Ursins sont adressées à Torcy, au duc de Noailles et au duo de Giamont. M. de la Trémoïlle y a joint de nombreux extraits empruntés aux réponses de notre ministre des affaires étrangères et quelques lettres, d'un haut intérêt, de Philippe V et de la reine d'Espagne, Marie-Louise de Savoie. Ces réponses jettent un jour précieux sur la correspondance de Mme des Ursins et remplacent en


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partie les notes et les références que M. le duc de la Trémoïlle n'a point jugé à propos dé joindre à sa luxueuse et intéressante publication.

CLAUSEWITZ (oeuvre posthume). — La Campagne de 1799 en Italie

et en Suisse, traduit de l'allemand par le capitaine breveté A. Niessel. — Paris, Chapelot, 1906.

Le capitaine Niessel vient de faire paraître la traduction de la campagne de 1799 en Italie et eu Suisse. Cet ouvrage fait partie de la série des oeuvres posthumes de Clausewitz qui furent publiées à Berlin, chez l'éditeur Dûmmler, de 1832 à 1837. Le premier volume de la campagne de 1799 parut en 1833, le second en 1834, trois ans après la mort de l'illustre critique militaire.

Le traducteur a respecté la division suivie lors de la publication du texte allemand. Le premier volume, qui étudie les opérations en Suisse jusqu'à la bataille de Zurich du 4 juin inclusivement, les conduit, en Italie, jusqu'au lendemain de celle de Novi. Le second volume renferme les opérations de Masséna contre Korsakof et Souvarof, celles de Championnet contre Mêlas, et se termine par des considérations générajes sur l'ensemble de la campagne.

Nous n'entreprendrons pas d'analyser cet ouvrage de Clausewitz. Il est aussi connu que ses études sur les campagnes de 1796 en Italie, de 1812 en Bussie, de. 1813 jusqu'à l'armistice et de 1814 en France, dont les traductions françaises ont d'ailleurs été publiées ces dernières années.

Le capitaine Niessel a contribué par sa traduction de la campagne de 1799, à faciliter en France l'étude de l'oeuvre de Clausewitz; il faut lui en savoir gré. .

GUILLAUDIIN. — Les derniers républicains.— Paris, Havard, 1905.

Cet ouvrage est une biographie succincte dos généraux Pichegru, Simon, Delmas, Monnier et Humbert. Les sources consultées se réduisent, semble-t-il, aux archives administratives de la guerre; du moins l'auteur ne cite-t-il guère que celles-ci. Pour faire un travail complet sur les généraux dont il s'agit, l'emploi des archives historiques eût été indispensable. L'auteur parait d'ailleurs avoir eu une confiance excessive en des Mémoires suspects, comme ceux de FauchêBorel et de Barras. L'épithète de « derniers républicains » est très justifiée en ce qui concerne Simon et Delmas, mais l'auteur ne nous montre point qu'elle puisse s'appliquer à Monnier et à Humbert. Ce n'estpas une mince surprise, du reste, de trouver Pichegru dans ce groupe. M. Guillaumin nous avertit bien dans sa préface que l'histoire a été injuste envers lui et qu'il n'a jamais trahi .son pays. L'auteur

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entend le démontrer au moyen des documents mêmes saisis à Offenburg dans les fourgons de Klinglin en l'an V, documents qui parurent probants au Directoire, sur le rapport de Bailleul. La démonstration de M. Guillaumin n'est pas convaincante. Au reste, il resterait toujours, pour refuser à Pichegru la qualification de républicain, la part prise par lui au complot royaliste de l'an XII.

Publié sous la direction de la Section historique de l'Étal-Major de l'Armée. — Campagne de Russie, t. IV, par le colonel MARGUERON, breveté d'état-major. — Librairie Charles Lavauzelle, Paris.

Les généralités et notions techniques sur les différentes armes, qui servent d'introduction à ce volume, donnent des détails pleins d'intérêt sur les règlements, ordonnances et instructions en usage dans l'armée, au début de 1812. On y remarque notamment : pour l'infanterie, les instructions si nettes et si pratiques du maréchal Davout aux régiments placés sous ses ordres; pour la cavalerie, l'instruction sur le service des chevau-légers avec les cuirassiers; pour l'artillerie, la composition des bouches à feu dans les divisions d'infanterie, les divisions de cavalerie et les corps d'armée.

Ces notions posées, l'auteur étudie les préparatifs de la mise en marche de la Grande Armée sur l'Elbe, l'Oder et la Vistule en février et mars 1812.

Aux quatre premiers corps, qui doivent servir de noyau à la Grande Armée et déjà créés (les corps de Davout, d'Oudinot, de Ney et du prince Eugène), s'ajouteront les contingents des rois alliés, quatre nouveaux corps qui doivent porter les numéros 5, 6, 7 et 8, puis la Garde impériale.

Le 10 mars 1812, Berlhier soumet à l'Empereur un projet de répartition des forces de la Grande Armée en'trois masses.

L'aile gauche, composée des trois premiers corps d'armée, de la Garde impériale et des 1er et 2e corps de réserve de cavalerie, présente un total-de 241 bataillons, 182 escadrons, 6,459 officiers, 220,657 hommes et 557 bouches à feu.

Le centre, comprenant le 4e corps d'armée, la Garde royale italienne, le 6e corps bavarois et le 3e corps de réserve de cavalerie, présente un total de 82 bataillons, 82 escadrons, 1,755 officiers, 82,335 hommes et 208 bouches à feu.

L'aile droite, composée des 5e, 7e et 8e corps d'armée (Polonais, Saxons et Westphaliens) et d'un quatrième corps de réserve de cavalerie, comprend 69 bataillons, 83 escadrons, 1,854 officiers, 74,283 hommes et 159 bouches à feu.

Le total général est de : 392 bataillons, 347 escadrons, 10,068 officiers, 377,275 hommes et 924 bouches à feu.


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Les troupes françaises entrent, pour les trois quarts, dans la composition de l'armée.

Le 1er corps (Davout), solide, bien entraîné, doit, dans la pensée de l'Empereur, atteindre la Vislule vers les premiers jours d'avril, et « derrière cette barrière qui constitue à la fois une sorte de rideau et de couverture, les mouvements de l'armée se continueront sans hâte et avec méthode"». L'Empereur règle lui-même, par des instructions particulières, l'organisation et le fonctionnement des divers services de la Grande Armée. On ne peut qu'admirer cette prévoyance qui s'étend à tout, et l'on se rend compte, grâce à l'abondance des documents recueillis par le colonel Margueron, que jamais campagne ne fut préparée avec plus de soin.

La guerre nationale de 1812 (édition du Grand État-Major russe). Section I, vol. VI : La préparation à la guerre en {811. — SaintPétersbourg, 1903.

Le Grand État-Major russe, poursuivant la publication documentaire qu'il se propose de terminer avant 1912, centième anniversaire de la guerre nationale, consacre le tome VI de son Recueil à l'état général des armements et des préparatifs militaires au mois de novembre 1811. Près de la moitié du volume est consacrée à reproduire, presque in extenso, le livret confidentiel de l'emplacement des troupes françaises que Tchernychef, l'inlassable agent militaire russe à Paris, était parvenu à se procurer pour la seconde fois. Ce document capital est divisé en deux parties : un tableau général de la dislocation de l'armée française et de ses alliés, à l'époque du 4°' novembre 1811, et un tableau particulier de la situation de l'armée d'Allemagne à la même date. On voit ensuite les autres agents russes de renseignements, les Tuyll, les Turski, les Liéven, répartis à l'étranger ou sur les confins de l'empire, tenir activement leur gouvernement au courant des bruits qui circulent dans les cercles politiques et noter les indices qui font prévoir à brève échéance le commencement des hostilités.

Général marquis Arnaud d'HAurpouL. — Souvenirs sur la Révolution, l'Empire et la Restauration. Mémoires inédits publiés par le comte FLEURY. — Paris, Emile Paul, in-8°.

Né eu 1780, d'Hautpoul fut admis à l'École polytechnique en 1799 et en sortit comme officier d'artillerie. Il servit successivement dans l'artillerie de la ligne et dans celle de la Garde, fut employé quelque temps comme officier d'ordonnance de l'Empereur. Après avoir pris une part distinguée aux campagnes de la Grande Armée, à partir de 1805, il était colonel au moment de la chute de l'Empire. Sous la Restauration, il devint maréchal de camp eu 1819, reçut divers com-


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mandements, dont celui de l'Ecole d'état-major, qu'il exerçait au moment de la Révolution de juillet ; il prit sa retraite à la suite de cet événement et mourut en 1853.

Les Souvenirs, que public le comte Fleury, se composent de deux parties bien distinctes qui nous font connaître les débuts et la fin de cette belle carrière militaire. La première partie, « Révolution et Empire », s'arrête en 1807, quelques semaines après cette sanglante bataille d'Eylau où le cousin de l'auteur, le général d'Hnutpoul, trouva une mort glorieuse à la tête de sa division de cuirassiers. Après quelques souvnnirs intimes concernant son existence d'adolescent pendant la Révolution, Arnaud d'IIautpoul donne ,'de curieux détails sur tes débuts dans la vie militaire, son séjour à l'École polytechnique, puis à l'École de Metz; on peut y signaler mainte observation intéressante sur l'organisation, le régime de ces établissements.

C'est, ensuite le séjour au camp de Boulogne, puis la glorieuse campagne de 1805, faite avec la division de cavalerie Nansouty. L'auteur s'attache surtout à noter les particularités, dont il ,-i été le témoin direct, concernant les marches, les cantonnements, la vie journalière du l'officier et du soldat. Ses Souvenirs seront utilement consultés pour l'étude de cette campagne.

Une grave maladie ne permit pas à d'Hautpoul de prendre part à la

camnagne de Prusse ni à celle de Pologne. Ce fut seulement au mois de

murs 1807 qu'il put reprendre du service actif. C'est malheureusement

au moment où il traverse l'Allemagne pour rejoindre la Grande Armée

' que se termine la première partie de ses Souvenirs.

La seconde partie, postérieure de plus de vingt ans, concerne exclusivement la Révolution de juillet. Le général d'Hautpoul, qui commandait alors l'École d'état-major, a noté d'une façon très détaillée, les circonstances de cet événement à la suite duquel il demanda à être relevé de ses fonctious. Fait avec un grand accent de sincérité, le récit du général d'Hautpoul constitue un document plein d'intérêt pour l'histoire générale.

Commandant CAFFIER. — An Marabout de Sidi-Brahim et à Calais. — Paris, Tallandier, 1905, in 8°, 71 pages.

La fameuse révolte arabe de 1845, qui débuta par le drame sanglant de Sidi-Brahim, a laissé dans l'armée des souvenirs qui se manifestent annuellement dans les fêtes que célèbrent les bataillons de chasseurs à pied, les régiments de hussards et de nombreuses sociétés patriotiques.

Le commandant Caffier, ancien capitaine-major au 8e bataillon de chasseurs (le bataillon de Sidi-Brahim), s'est trouvé à diverses cérémonies destinées à honorer la mémoire de ses devanciers ; il donne dans une brochure lé récit du voyage qu'il fit à Oran en 1898, pour aller


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assister à l'inauguration du monument élevé dans cette ville; il raconte avec verve sa visite à Nemours et la pose d'une plaque commémorative au marabout. Il fournit ensuite des détails sur la translation des ossements des héros de Sidi-Brahim au « Tombeau des braves », le 23-24 mai 1899; sur une fête à Senlis en l'honneur de Dutertre, la même année; enfin, sur l'inauguration du monument élevé à Calais en 1904.

Les documents annexés à la brochure proviennent de sources diverses; les états de services du capitaine Dutertre ont sans doute été demandés aux archives administratives du ministère de la guerre; les documents relatifs à la « mort du capitaine Dutertre » sont empruntés à la troisième partie, de l'ouvrage du lieutenant Azan, Sidi-Brahim (p. 635 et. 636, 680 à 686); l'investissement du marabout est extrait d'un travail du capitaine Fourié (et non Fournie); enfin, un court résumé du combat est une citation de la Revue d'Histoire rédigée à l'état-major de l'armée (janvier 1905).

La brochure du commandant Caffier est une bonne étude sur le combat de Sidi-Brahirh et augmente d'une unité intéressante la bibliographie déjà longue du sujet; elle aidera par les détails qu'elle rapporte, à perpétuer le souvenir d'un fait d'armes qui compte parmi les plus glorieux dont s'honore l'armée française.

L'expédition de Chine de 1860. Histoire diplomatique. Notes et documents, par M. Henri CORDIEK, professeur à l'Ecole des langues orientales. — Alcan, 1906.

Les traités de Tien-tsin (27 juin 1858> et particulièrement celui qui fut signé avec les Auglais concédaient aux Européens des avantages tels qu'on ne pouvait les considérer comme définitivement acquis. C'est ainsi que la résidence permanente des agents diplomatiques à Péking, autorisée par ces traités, était tenue par les Fils du Ciel pour une clause léonine, parce qu'elle imposait aux Chinois un « contact avilissant avec les Barbares d'Occident ».

La discussion du tarif commercial, dont l'établissement était prévu par certains articles des traités anglais et français, permet aux diplomates .chinois, dont « la ténacité et la duplicité » sont devenues notoires, de remettre en discussion les concessions antérieures. Les documents (traduits en français) que l'on trouve dans cet ouvrage, mettent en évidence les efforts faits par les commissaires impériaux de la Chine pour ralentir l'action militaire des puissances européennes, en éternisant les discussions par des réponses dilatoires aux questions précises qui leur étaient posées. En outre la lecture de ces pièces montre que nos plénipotentiaires ne surent pas toujours éviter ce piège et que, de ce fait, la marche offensive de nos colonnes fut parfois retardée.


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Au point de vue purement militaire, cette publication sera également une contribution très utile à l'histoire définitive de la campagne, car, à côté des instructions données par leurs gouvernements au baron Gros et à lord Elgin, on y peut lire celles qui furent adressées au général Montauban. L'organisation du corps expéditionnaire et celle des forces navales sont exposées en détail et l'on suit, dans leurs grandes lignes, les opérations tactiques, depuis leur début jusqu'à la destruction du palais d'été.

D'ailleurs l'action militaire est tellement liée à l'action diplomatique au cours de cette expédition qu'on ne saurait séparer l'une de l'autre dans l'étude de cette campagne. C'est pourquoi ce volume intéressera sans doute les officiers.

L'Artillerie dans les batailles de Metz, par le Général ERB. — Paris, 1906. Chapelot, in-8°, 570 pages.

Après une comparaison rapide de l'organisation et de la composition de l'artillerie des deux armées en présence, au début de la campagne, l'auteur entre dans le vif de son sujet : il expose d'une manière aussi détaillée que précise l'actiou de l'artillerie française dans chacune des batailles des 14, 16 et 18 août, et dans lesquelles le rôle joué par la 6« batterie du 1er régiment, commandée par le capitaiue Erb, ne fut pas des moindres. Enfin, des observations relatives : à l'entrée en ligne et au mode d'action de l'artillerie, au réapprovisionnement, au choix des positions; aux soutiens, ou réglage, à la consommation des munitions, etc s'appuyant sur les événements des trois grandes batailles

de Metz, forment une conclusion naturelle aux chapitres précédents que complètent six cartes à 1/40,000 et huit croquis dans le texte.

La valeur de ce nouvel ouvrage répond en tout point à celle des documents utilisés. A la longue série des Journaux de marche, Rapports, Historiques, publiée par la Revue d'Histoire, viennent en effet s'adjoindre de nombreuses communications ou notes, émanant d'officiers qui appartenaient à l'artillerie de l'armée de Metz. Grâce à ces derniers renseignements certains points de détail, jusqu'ici restés dans l'ombrp, sont aujourd'hui éclaircis. On remarque, cependant, que l'auteur admet encore (p. 101) qu'à Borny « au point de vue stratégique, les Allemands avaient atteint leur but : retarder notre retraite sur Verdun » ; que les tableaux de pertes s'appuient exclusivement sur les chiffres des Rapports ou Journaux rédigés au lendemain des grandes luttes sur les plateaux de la rive gauche, et qui, pour la plupart, sont entachés de fortes erreurs (Revue d'Histoire, n° 40, p. 182).

Publié sous la direction de la Section historique de l'Éiat-Major de . l'Armée. — Guerre de 1870-1871. État nominatif par affaires et par


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corps des olliciers tués ou blessés dans la deuxième partie de la campagne (du 15 septembre 1870 au 12 février 1871), par A. MARTINIEN. — Paris, Henri-Charles Lavauzclle, 1906.

M. Martinien avait publié, il y a quatre ans environ, la liste des officiers tués et blessés pendant la première partie de la campagne de 1870 jusqu'à la capitulation de Metz. Il fait paraître maintenant la seconde partie de son travail, qui a trait aux armées de la Défense nationale. Nul doute que ce volume ne rende, par sa précision et son exactitude, autant de services que le précédent aux historiens de la guerre de 1870. Il établit que nos perles s'élevèrent à 3,722 officiers mis hors de combat, dont 1154 pour les armées de la défense de Paris, 1524 pour les armées de la Loire, 503 dans l'Est, 359 à l'armée du Nord, 135 dans la défense des places. Ces chiffres se répartissent sur 287 engagements. Si nous les rapprochons de ceux qui ont été établis pour la première partie de la guerre, nous arrivons à ua total de 7,783 officiers mis hors de combat en 1870-1871, alors que les pertes allemandes ne s'élèvent qu'à 5,153.

Ces chilïes sont éloquents; le soin que M. Martinien a mis à les établir, la rigueur de sa méthode de recherches doivent nous les faire considérer comme l'expression aussi rapprochée que possible de la vérité.

Ajoutons que l'auteur a complété son travail de statistique par l'indication des unités ayant concouru à la création des corps de nouvelle formation; l'utilité de ces renseignements, d'une recherche parfois difficile, est à signaler.

Bismarck et son Temps, par Paul MATTER, docteur en droit. 2 volumes : La Préparation et L'Action. — Librairie Alcan, 1905 et 1906.

Dans son premier volume, porlant comme sous titre La Préparation et paru au commencement de 1905, M. Paul Matter avait donné" une courte esquisse de \t généalogie du prince de Bismarck, puis retracé sa jeunesse, ses débuts dans la politique, son rôle comme délégué prussien à la Diète de Francfort, pendant sept années, et ses missions à Saint-Pétersbourg et à Paris en 1862.

Le second volume, L'Action, qui vient de paraître, nous montre Bismarck réalisant le but qu'il s'est proposé: donner à la Prusse la prépondérance en Allemagne, c'est-à-dire en dépouiller l'Autriche, puis préparer l'unité allemande sous l'hégémonie de sa patrie.

C'est, en somme, toute l'histoire intérieure de l'Allemagne de 1862 à 1870 que M. Paul Matter raconte dans ce volume avec de nombreux délai's et qu'il expose avec beaucoup de netteté et une grande précision. Il fait


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ressortir parfaitement le caractère du ministre prussien, autoritaire, brutal, sans scrupule, ne recherchant les faveurs d'aucun parti, et ne poursuivant qu'une politique d'intérêt pour sou pays, qu'il veut grand et puissant avant tout.

De 1862 à 1866, il gouverne en ne s'appuyant que sur le Roi et sur Roon, ministre de la guerre depuis 1859, et qui conservera ce poste jusqu'en 1873, réalisant une fixité et un esprit de suite si féconds dans de pareilles fonctions. Durant cette période, Bismarck a contre lui la Chambre basse, qui lui refuse les crédits qu'il demande avec Roon, pour la réorganisation de l'armée. Pendant ces quatre ans le budget ne peut être voté, mais Bismarck passe outre, y détermine son souverain quelquefois hésitant, et Roon peut disposer des crédits nécessaires.

Il faut lire toutes les luttes qu'il a à soutenir non seulement contre les députés, mais encore contre plusieurs membres de la famille royale ou certains ministres. Fidèle au but qu'il s'est tracé, animé d'uue grande foi patriotique, plus clairvoyant que les membres du Parlement, il brise leur résistance et les conduit malgré eux à la guerre d(-s Duchés, puis à la victoire de Sadowa, c'est-à-dire donne à la l'russe une puissance inespérée.

Il recueille alors les fruits de sa persévérance et, à son retour à Berlin avec le roi Guillaume, est acclamé par tous ceux qui précédemment l'ont combattu.

Dès lors, il s'applique à apaiser la colère des princes et des peuples dépossédés, à former la Confédération du Nord, développer le Zoll«erein ; il passe des conventions militaires avec les États du Sud, travaille avec Roon et de Moltke à la réorganisation, à la fusion des armées prussiennes et confédérées, en un mot, il prépare la lutte qu'il sait proche, après les événements du Luxembourg, qu'il désire et veut faire éclater pour achever la constitution de l'Empire allemand.

M. Paul Matter a admirablement mis en lumière tous ces événements et la part prépondérante qu'y a prise Bismarck. Avec beaucoup d'impartialité, il a montré les procédés employés par cet homme d'État pour endormir les diplomaties européennes et les opposer les unes aux autres, mais il a fait ressortir également tous les services que ce ministre a rendus à l'Empire allemand, qui lui doit en grande partie sa fondation.


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LIVRES ÉTRANGERS.

Der Feldzug der Kaiserlichen unter Souches nach Pommern im Jahre 1659, par le docteur Hermann KLAJE. — Gotha, 1906.

L'alliance conclue entre l'empereur Léopold et l'Électeur de Brandebourg en 1659 avait pour but la conquête de la Poméranie sur les Suédois. C'est dans cette vue que l'empereur mettait, au mois de juillet 1659, une petite armée de 14,000 hommes (9 régiments d'infanterie et 6 de cavalerie) à la disposition de son allié, auquel Steltin, la capitale de la Poméranie, devait revenir en cas de succès. Souches, le chef que l'empereur avait placé à la tête de cette armée, était digne d'un tel honneur. Après Montecuculli, il passait à juste titre pour le plus habile des généraux impériaux. Il n'avait pas son égal dans la guerre de siège, comme il l'avait prouvé par sa défense de Brunn contre les Suédois eu 1645. Le théâtre d'opérations lui était aussi familier, car il y avait combattu en 1653 comme colonel de dragons.

Tandis que son avant-garde, sous le quartier-maître général Stnhremberg, poussnit jusqu'à la mer dans la Poméranie, à la droite de l'Oder, et soumettait l'Ile de Wollin, Souches franchissait la Wartha, près de Landsberg, le 12 août 1659. Il atteignait Greifenhagen le 17 août et paraissait, le 22, devant Damm, petite place située sur un des bras de l'Oder, au Sud-Est de Stettin. Cette forteresse, défendue par un Français au service de la Suède, le colonel de la Coutière, arrêta Souches plus de vingt jours. Le défenseur obligea les Impériaux à un siège en règle et à des travaux d'approche difficiles qui, joints au défaut de subsistances, causèrent aux assiégeants de dures fatigues. En quelques jours, les maladies diminuèrent l'armée de près de 2,000 hommes.

Rejoint par 2,000 Brandebourgeois sous le comte de Donna, Souches paraissait devant Stettin à la fin de septembre. Son infanterie ne comptait plus que 6,000 hommes ; celle du comte de Donna s'élevait à 1200 hommes.

Stettin possédait dans ses murs un gouverneur énergique, le général Paul von Wirtz, célèbre par sa belle conduite à la défense de Cracovie en 1659. La garnison, forte de 1300 hommes d'infanterie et de 250 cavaliers, en communication avec l'extérieur par l'Oder et les îles d'Usedom et de Rugen, reçut quelques renforts, entre autres 400 hommes du régiment d'élite des gardes de Suède, si bien que Wirtz disposait de 2,000 hommes, auxquels il pouvait joindre la milice bourgeoise, près de 600 hommes d'auxiliaires médiocres. Bien qu'il fût mal approvisionné en mousquets et en poudre, le gouverneur ne laissa pas de disputer aux ennemis les approches de sa place. Des sorties heureuses et vigou-


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reusement conduites, un échec important que subirent les Impériaux le 11 novembre à leur attaque, l'incendie des magasins des troupes de Brandebourg, la nouvelle de l'arrivée dans la place de l'amiral Wrangel avec sept vaisseaux, le 13 novembre, la faiblesse et l'épuisement de l'armée assiégeante, forcèrent Souches à lever le siège le 16 novembre 1659.

M. Klaje a su mettre en relief les causes de l'insuccès des Impériaux et de leurs alliés : le petit nombre des assiégeants, la faute de l'Électeur de Brandebourg de n'avoir envoyé à Souches qu'un corps de 2,000 hommes, l'investissement imparfait de la place qui resta maîtresse de la navigation de l'Oder, l'arrivée tardive des gros canons des assiégeants, qui ne les rejoignirent qu'à la fin du mois d'octobre. Son ouvrage, documenté aux meilleures sources, abonde en détails piquants sur la conduite des Impériaux en Poméranie, sur la physionomie de Stettin et de ses bourgeois pendant le siège. On peut toutefois faire quelques réserves sur la méthode de l'auteur, qui présente successivement le récit de l'attaque puis celui de la défense, détruisant l'unité d'action qui lie les unes aux autres les opérations des assiégés et des assiégeants.

Kônig Friedrich der Grosse, von Reinhold KOSER. — Stuttgard et Berlin, 1er vol., 11)01 ; 2e vol., 1903.

Ce n'est pas une simple biographie qu'a écrite M. Reinhold Koser dans les deux gros volumes qui comptent respectivement près de 700 pages, c'est l'histoire d'un pays et d'une époque. Aussi faudrait-il, pour être exact, appeler cette oeuvre « Le siècle de Frédéric II >-., au lieu de lui donner le titre plus modeste et plus précis qu'a choisi l'auteur.

M. Reinhold Koser s'applique plus particulièrement à retracer les événements militaires du règne de Frédéric et à montrer l'action personnelle exercée par ce grand général sur ses armées; mais il ne néglige pas non plus l'organisation intérieure, les travaux du temps de paix ni les combinaisons diplomatiques. L'oeuvre de M. Reinhold Koser constitue une page intéressante et complète de l'histoire nationale allemande et elle est d'une lecture utile à tous ceux qu'intéresse l'art militaire.

Deux articles de The Journal Militari/ Service Institution, de NewYork (mars-avril, .mai-juin 1905) :

The surprise of the Tabor bridge at Vienna by prince Murât and Marshall Lannes. November 13, 1805, by Fr. L. HUIDEKUPER.

Cette étude est très documentée; l'auteur a consulté les Archives de la guerre et tous les ouvrages de quelque valeur sur le sujet, notam-


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ment Je Vlm und Austerlilz d'Angeli, qui est la source principale. Peut-être l'auteur aurait-il pu expliquer la conduile des Autrichiens dans ce singulier incident, l'état des esprits h Vienne depuis la fin d'octobre, les colloques de Murât avec les autorités civiles et leur mystérieuse intervention dons la surprise des ponts. Il semble étonnant, d'autre part, que M. Huidekoper, suivant le récit d'Angeli pour les événements du 13 novembre, impute aux généraux français des paroles plus insidieuses que n'a fait l'historien autrichien, pourtant assez partial.

Geschichte der Befreiungs Kriege 1813-1815, in vier Einzelwerken. — Der Feldzug 1814 in Frankreich, von V. JAIVSON. generalleutnant z. D. Erster Band, Berlin, Sieg'ried Mittler, 1903. — Zweiter Schluss-Baud, Berlin, Siegfried Mittler, 1905.

Le général von Janson, complétant le travail de ses prédécesseurs sur les guerres de l'Empire, n publié deux volumes sur la campagne de 1814 en France.

Le premier volume débute par un exposé de la situation générale et par une étude du plan d'opération des alliés au commencement de la campagne ; l'auteur examine les forces des alliés et leurs premières opérations jusqu'à la fin de 1813 ; puis les forces des Français à la fin de 1813 et les plans de Napoléon; il suit « l'armée de Silésie » depuis le passage du Rhin jusqu'au passage de la Saar, « l'armée principale » et ses adversaires jusqu'au 21 janvier. Revenant alors à l'armée de Silésie, il la conduit de la Saar à la Marne, s'occupe des détachements de cette armée restés en arrière, et de la jonction entre l'armée de Silésie et l'armée principale ; il raconte ensuite, en des panes à la fois intéressantes et précises, les journées 'de Brienne et de la Rothière (chap. IX, p. 169-214). Les derniers chapitres sont relatifs à l'armée principale jusqu'au 15 février et à l'armée de Silésie depuis sa première séparation de l'armée principale jusqu'à sa réunion ; l'ouvrage se termine par les opérations jusqu'à la seconde séparalion de l'armée de Silésie.

De nombreux « ordres de bataille » complètent les indications données par l'auteur au cours des chapitres et sont reproduits à une série de pages affectée de numéros spéciaux (astériques) ; dix-sept esquisses ornent le texte des chapitres ; des cartes et plans détachés permettent de suivre les opérations.

Le second volume débute par un exposé très clair des événements qui se déroulent sur les différents théâtres d'opérations secondaires; il étudie ensuite l'armée de Silésie jusqu'au passage de l'Aisne, l'armée principale depuis sa deuxième séparation dé l'armée de Silésie jusqu'au départ de Napoléon vers la Marne. Alors le récit est plus passionnant


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encore: c'est Bar-sur-Aube et Troyes, Craonne et Laon ; c'est Arcissur-Aube J Le général von Janson revient ensuite aux théâtres d'opérations secondaires et examine ce qui s'y est passé, du 25 lévrier au 25 mars. C'est enfin la marche sur Paris des armées réunies et l'abdication de Napoléon.

Les ordres de bataille sont reproduits au nombre de 37 dans une série spéciale ; 29 esquisses sont intercalées dans le texte et 12 cartes et plans accompagnent le volume.

L'oeuvre du général von Janson est écrite avec clorté et conscience et paraît inspirée par un réel esprit d'impartialité ; l'auteur fait preuve en maintes circonstances d'un sens critique qui impressionne favorablement. Il puise aux meilleures sources et s'appuie constamment, par des référencer discrètes qui n'alourdissent pas trop le volume, sur des documents extraits de riches et nombreuses archives ; il a consulté les archives du Grand État-Major prussien ; celles du ministère de la guerre prussien, les archives d'État du royaume de Prusse, les archives bavaroises, wurtembergeoises et badoises ; dans son second volume il cite même les Archives de la guerre et les Archives nationales de Paris, et se réfère en outre aux diverses archives de Vienne et aux archives saxonnes, qu'il n'avait pas eu à utiliser dans son premier volume.

Venu le dernier parmi les historiens qui se sont occupés de la campagne, il a su tirer de l'oeuvre de ses devanciers un parti judicieux et il cite à l'occasion Jominy, Koch, Henry Houssaye, Weil, d'autres encore parmi les auteurs français.

On se rend compte des difficultés nombreuses en face desquelles il s'est trouvé pour rédiger cette oeuvre qui représente un labeur considérable ; la plus sérieuse consistait à trouver une méthode d'exposition à la fois claire, intéressante et harmonieuse: le général von Janson a su la résoudre heureusement ; les divisions qu'il a adoptées ne coupent pas l'intérêt du récit et donnent au lecteur des points de repère qui lui permettent d'étudier l'ouvrage sans effort.

Cette oeuvre sera d'une grande utilité aux historiens de l'avenir, parce qu'elle apporte dans la campagne de 1814 des données nouvelles, dont on n'avait pas assez tenu compte jusqu'ici. Elle permettra de rectifier en quelques points les ouvrages acceptés pour base de notre histoire nationale, justifiant une fois de plus ce principe qu'une oeuvre historique est rarement définitive, et qu'elle n'atteint la vérité qu'après des approximations successives.

Studien ûber den Krieg; von J. v. VERDY BU VERNOIS, gênerai der Infanterie. — Dritter Teil : Stratégie. Viertes Heft. Einzelgebiete der Stratégie. 1. Gruppe : Operations-objekte, Basis und Linien. 3. Abtei-


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liîng : Operationslinien. 1. Unterabteilung : Zeitraum vor Yerwerkung der Eisenbahuen in der Krieglûhrung. — Berlin, 1905, E. S. Mittler und Sohn.

Ce 10° fascicule des Etudes sur la guerre publiées par le général von Verdy du Wrnois forme la lrB subdivision de la 3e division du Ie" groupe de la 3e partie de la stratégie, laquelle est elle-même la 3e partie de l'ouvrage.

L'auteur y parle des communications pendant la très longue, période qui a précédé l'utilisation des chemins de fer par les aimées, et il choisit des exemples historiques dans presque toute l'étendue de cette période : invasion de l'Asie par AlexanuYe; de l'Italie par Annibal; guerre civile en Italie en l'an 50 (49 avant J.-C); défense de l'Alsace par Turenne en 1674; conquête de l'Ingrie par Pierre le Grand en 1703; campagne de Bohême en 1744; et enfin quelques remarques sur les opérations de Bonaparte en Egypte et sur la campagne d'automne de, 1813. Ces aperçus historiques sont précédés de quelques pages sur les lignes d'opérations et l'idée que paraissent en avoir eue Clausewitz et de Moltke.

11 est regrettable que Napoléon ait été laissé de côté, ou plutôt que l'auteur ait fait allusion à ses actes et cité quelques lignes de lui sans connaître la de finition bien préci.-e qu'il a donnée de la li<jne d'opérations et la conception très nette qui en résulte de tout ce qui intéresse les besoins et la sûreté d'une armée. On y aurait trouvé l'explication toute naturelle de sa conduite en 1813.

Des Konigs deutsohe Légion, 1803 bis 1816. — Darstellung ihrer inneren Veihaltnisse durch B. v. PoTErt, Kôniglich preussischen Oberst z. D. — Berlin, Mittler und Sohn.

Étude très complète de la légion hanovrienne, au service de l'Angleterre de 1803 à 1816. L'auteur a laissé de côté l'histoire de ses actions de guerre, déjà tracée dans l'ouvrage du major anglais Ludlow Beamish; il ne s'est occupé que de l'organisation de cette troupe. Lors de tu création en 1803 par le lieutenant-colonel von der Decken, elle devait être forte de 4,000 hommes. De nouvelles unités s'ajoutèrent bientôt, au fur et à mesure des besoins, au noyau primitif. En février 1806, la légion hanovrienne, commandée par le lieutenant général duc de Cambridge, comprenait 8 bataillons d'infanterie de ligne, 2 bataillons d'infanterie légère, 5 régiments de cavalerie et 6 batteries d'artillerie. Elle conserva à peu près cette composition jusqu'à la lin des guerres de l'Empire et fut dissoute par décret du Prince-Régi'iit en date du 24 décembre 1815.

M. le colonel von Poten entre dans le détail de l'organisation dé la


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légion. 11 passe successivpment en revue la composition des diverses unités, le fonctionnement des dépôts, les règlements de manoeuvre, l'administration, les tribunaux militaires. Il serait à souhaiter que tous les corps spéciaux créés pendant la période du Premier Empire, aient été l'objet d'une étude aussi approfondie.

The Civil War in the United States 1861-1865 ; by BIRKBECK WOOD, lieutnant, and major EOMONDS, with an introduction by SPENCER WILKINSON. — Methuen and C°, 36, Essex Street, London.

La guerre de Sécession offre des enseignements précieux à la fois aux hommes d'État et aux ojficiers; aux premiers elle montre que les véritables causes des conflits découlent plutôt des nécessités matérielles de la vie nationale que des théories ou des discussions engagées sur ce qui est juste ou injuste, — on devine l'allusion à la question de l'esclavage des nègres — ; aux seconds, c'est-à-dire aux militaires, elle apporte des éléments techniques, des faits de guerre à l'aide desquels chacun peut exercer son jugement et sa volonté, en se substituant aux généraux qui ont donné des ordres au cours de la campagne. Le lecteur connaissant ainsi tous les éléments des différents problèmes que les chefs ont eu à résoudre peut en effet penser et décider à son tour dans les conditions les plus favorables au développement de son éducation professionnelle.

Tcllus sont les raisons qui, d'après M. Spencer Wilkinson, justifient la publication et garantissent le succès de cet ouvrage. Ce dernier écrivain ajoute même que si, avant son élection, le président Lincoln, qui conduisit la guerre de sécession, avait médité une demi-douzaine des chapitres de Clausewitz et connu ainsi la véritable nature delà guerre, il eût mieux apprécié la résistance à vaincre, et mesuré plus exactement l'effort à faire pour mériter le succès.

Quant au récit de la campagne, on doit en dire qu'il est très complet et clairement rédigé ; le texte est accompagné de cartes générales et de nombreux croquis de batailles qui contiennent tous les renseignements nécessaires. Les références et la bibliographie des ouvrages consultés indiquent que les auteurs n'ont rien négligé pour dégager la vérité et leur travail mérite certainement des éloges.

Kriegsgeschichtliche Beispiele des Festnngskrieges aus dem deutsch-franzôsischen Kriege von 1870-1871, vou FROBENIUS, oberstleutnant a. D. — Zehntes Hel't. III. Der belagerungsuiâ>sige (formliche; Angritf. Strassburg. — Berlin, 1906, E. S. Mittler und Sohn.

Ce fascicule commence la IIIe partie de l'ouvrage du colonel Frobenius; la Ire partie traitait de l'investissement, la IIe de la lutte u'aitil-


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lerie; celle-ci est consacrée à l'attaque régulière, et le présent fascicule reprend à ce point de vue le siège de Strasbourg. Bieu qu'il ne s'agisse que d'une oeuvre critique, écrite en général d'après des ouvrages antérieurs, ce fascicule présente un véritable intérêt au point de vue purement historique, l'auteur ayant retrouvé des documents essentiels qui avaient échappé à tou* ses prédécesseurs : Journaux des diverses compagnies de pionniers, du commandant du génie, etc. Des points intéressants, et des dates mêmes, se trouvent fixés par là d'une manière * définitive et toute nouvelle. La correspondance entre les progrès de l'attaque et l'évacuation des positions successives de la défense est mise en lumière d'une façon des plus frappintes, qui permet au sapeur intransigeant qu'est le colonel Frobenius de ruiner les prétentions trop exclusives des canonniers à s'attribuer la victoire. Le colonel Frobenius prouve aussi, ce dont on avait quelque soupçon, t[ue les études d'histoire et de tactique de l'état-major allemand ont été rédigées sans trop recourir aux documents et en utilisant des travaux de seconde main. L'étude n° 4 lui paraît écrite d'après l'Historique de la guerre de 18701871, sans examen des pièces originales ni même du livre bien connu de Wiiffrier.

Pour lui, il repousse énergiquement l'idée qu'on pouvait accélérer la prise de Strasbourg en ne recourant pas a l'attaque régulière, et il montre que la seule manière de gagner du temps aurait été de suivre plus strictement encore les principes de la guerre de siège.

46 Iahre im àsterreich-ungarischen Heere; von Anton FIIEIHERR v. Mollir:ary K. und K. Feldzeugmeister, 1833-1879. 2 vol. — Verlag Orell Fûssli, Zurich.

Ce sont là les Mémoires d'un officier qui a pris part aux nombreuses guerres que fit l'Autriche-Hongrie pendant la deuxième moitié du siècle précédent. Cadet au 16e régiment d'infanterie, sous-lieutenant dans le corps des pionniers, puis attaché à l'état-major général, Mollinury s<\ trouvait au quartier général de Radetzky pendant les campagues de 1818 et 1849 en Italie; il fut même blessé à l'attaque de la Bicoque. Commandant du corps des pionniers de 1851 à 1857, il vint en 1853 en mission à Paris, et raconte comment il fut accueilli par le maréchal Vaillant, « im Ilemdârmeln », et par l'empereur Napoléon III.

Chargé en 1858 du commandement de la citadelle d'Ancône, Mollinary fut convoqué eu cette qualité à Villalranca uu quartier général de l'Empereur, où il arriva le 23 juin 1859, veille de la bataille de Solferino. Grâce à cette convocation, l'auteur a pu recueillir des renseignements fort curieux sur les officiers du grand état-major, sur l'état des troupes autrichiennes avant, pendant et après cette bataille, ainsi que sur les opinions qui avaient cours à ce moment dans l'entourage de



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François-Joseph. Ces observations sont, d'ailleurs, précédées d'une étude très intéressante (avec croquis à l'appui) des opérations antérieures à la journée de Solferiuo, et les historiens français de la guerre de 1859 trouveront dans ces pages des considérations qui ne sont pas négligeables.

Le 2e volume contient en outre un exposé de l'organisation et de la mobilisation de l'armée autrichienne en 1866. Mollinary, alors détaché au 4e corps d'armée, assiste avec celui-cj à la bataille de Sadowa, et raconte les péripéties de la lutte à Maslowed et sur la ligne Chlum— Nedelist.

Il ne nous appartient pas de contrôler les affirmations de l'auteur, puisque les archives relatives à la campagne de Bohême se trouvent à Vienne. Toutefois on peut affirmer que ce récit d'un témoin oculaire, qui possédait des qualités réelles d'observation et un sens critique développé, sera certainement consulté avec fruit.

Ernstes und heiteres vom Kôniglichen Militar Reitinstitut zu Hannover, Freiherr von DINCKLAGIÎ.— Haunover, von Schaper, 1906, in-8 avec planches.

Intéressante monographie de la célèbre École d'équitation militaire de Hanovre. En dehors de renseignements fort complets sur l'organisation, l'aménagement matériel, les méthodes d'enseignement, on y trouve des détails curieux et anecdotiques, qui mettent bien en relief la physionomie de cette institution. Le texte est heureusement complété par de nombreuses illustrations, presque toutes empruntées à des clichés photographiques et qui se recommandent à la fois par leur cachet pittoresque et leur vérité.

Le Gérant : R. CHAPELOT.

Paris. — Imprimerie R. CHAPELOT et C«, rue Christine, 2.




SIÈGE DE LANDRECIES

d'après un plan autrichien conservé aux Archives des cartes

LÉGENDE

Ville hante.

i Bastion et cavalier de la haute Sambre.

5 Bastion du Sarabreton.

b* Bastion do la basse Sambre.

6 Demi-lune de la basse Sambre.

7 Demi-lune de la porte du Quesnoy.

8 Demi-lune de la haute Sambre. ii Demi-lune du Gaillardin.

12 Contre-garde de la basse Sambre.

16 Redoute de la Sambre.

20-21 BAtardeaux.

23 Porte du Quesnoy.

24 Porte du Moulin.

25 Porto de la Redoute.

Bâtiments militaires de la ville haute.

36 - 37 Magasins & poudre.

39 Caserne.

40 Arsenal.

41 Gouvernement. 44 Corps de garde.

48 Corps de garde de la demi-lune de la porte du Quesnoy

49 Corps de garde de Ja redoute de la Sambre. KO Corps de garde de la porte du Moulin.

M Moulin-Écluse. 82 Magasin à palissades. 53-54 Magasins à fourrages.

Ville basse.

26 Hngtion de Mormal.

27 Demi-bastion du Quesnoy.

28 Demi-bastion de l'hôpital.

29 Demi-lune de la basse -ville.

30 Retranchement. 31 - 32 Batardeum.

33 Porte du Quesnoy.

34 Porte de Ja Sambre. 30 Cours de la Fontaine.

Bfltiments militaires de la ville basse.

56 Corps de garde de la caserne Charles.

87 Corps de garde de la porte du Quesnoy.

88 Corps de garde da la demi-lune de ia basse ville.

89 Bâtiment des fours de munitions.

Bâtiments civils.

A Église paroissiale. B Couvent des Carmes. G Hôtel de Ville.

Batteries de siège.

Numérotées de 1 à H. Des signes particuliers distinguent les batteries de canon et celles de mortiers

NOTA. — Ce plan du siège a du être établi d'après un plan de Landrecies (dressé en 1775) que les Autrichiens ont eu à leur disposition à la suite de la prise de cette place.










BATAILLE DE BEAIM0>T


BATAILLE DE BEAUMONT

Situation vers 2 hctii'cs !">'

Cl'UfJUIS A ?/