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Titre : La Semaine littéraire : revue hebdomadaire

Éditeur : (Genève)

Date d'édition : 1894-09-01

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328669397

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb328669397/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Langue : Français

Format : Nombre total de vues : 3537

Description : 01 septembre 1894

Description : 1894/09/01 (N35).

Description : Collection numérique : Arts de la marionnette

Description : Collection numérique : Bibliothèque Francophone Numérique

Description : Collection numérique : Zone géographique : Europe

Description : Collection numérique : Thème : La langue française

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k5529069j

Source : Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, FOL-Z-1139

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 06/02/2011

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Année 1894. — N° 35

Samedi, 1er Septembre.

Sommaire:

CAUSERIE LITTÉRAIRE. — Le sens de l'histoire . Philippe Monnier.

EDELWEISS DU TEMPS PASSÉ Ernest Tissot.

L'ABBÉ DANIEL. Nouvelle (suite) André Theu'riet.

REVUE POLITIQUE. — Entre hommes jaunes. Paul Seippel.

ÉCHOS DE PARTOUT : Brelan d'expositions. — Lettres de Roumanille à Victor Duret. — A Champel Chanteclair.

PROPOS DIVERS. Franquette.

CAUSERIE LITTÉRAIRE

LE SENS DE L'HISTOIRE.

Le dernier volume de M. Pasquale Villari, paru le printemps dernier, Scritti wri *, contient, outre beaucoup de choses excellentes, un article tout à fait remarquable, qui porte ce titre : « L'histoire est-elle une science? »

C'est proprement de l'histoire de la science historique, de ses variations à travers les âges, de son sens, de sa valeur, de son rôle et de sa philosophie, qu'il est traité, comme en raccourci, dans ces deux cents pages lumineuses et nourries. L'écrivain nous y donne l'idée définitive qu'il s'est peu à peu formée de la science qu'il professe et qu'il illustre si brillamment. C'est, pour ainsi dire, son testament d'historien. Peut-être que vos lecteurs ne seront pas fâchés de le savoir.'

Et d'abord, cet article renferme toute une part d'exposition, qu'à mon grand regret je dois omettre. Il serait, évidemment, profitable de suivre M. Villari dans ses aperçus ingénieux et imprévus. On y apprend, à chaque coup, beaucoup de choses; on y réfléchit et on y discute. Il y a là, sur la conception de l'histoire au dix-huitième siècle ; sur le roman historique ; sur Augustin Thierry

Pasquale Villari. Sorili «art. Bologne, Zanicholli, 1894.

et l'influence qu'il exerça auprès d'hommes tels que Sismondi, Prescott, Macaulay, Ranke; sur le moyen âge et la Renaissance;, sur Vico ; sur Kant, qui opéra dans le monde des idées une révolution semblable à celle de Copernic dans le monde physique ; sur le but de l'histoire enfin qui, revivant toute entière en nous, est vraiment, selon la belle parole antique, une maîtresse de vie, et peut seule nous expliquer et nous rendre à nous-mêmes, des chapitres merveilleux de concision et de pensée. Je les laisse. J'ai hâte d'arriver aux conclusions de l'auteur, à la partie toute personnelle de son oeuvre.

Aujourd'hui, grâce à la réaction contre l'hégélianisme d'une part, grâce aussi à la faveur que le positivisme rencontra de l'autre, l'histoire s'est complètement modi-< fiée. Elle est devenue une science et on a voulu lui appliquer la méthode rigoureuse qu'on appliquait aux autres sciences, aux sciences naturelles et aux sciences physiques. Comprise sous ce sens nouveau, elle a rencontré une telle fortune qu'elle a insensiblement envahi tous les domaines. C'est ainsi que nous avons eu le roman historique, la tragédie historique, le drame historique, la peinture historique, la critique historique. Ces cinquante dernières années notre éducation a été entièrement historique. De telle sorte qu'on peut affirmer, avec Frédéric Nietzche, que la maladie dont nous souffrons est une maladie historique. Ce qu'il appelle Ber Historicité Zustand est devenu notre état habituel. Et nous nous trouvons dans la position où se trouvaient les Grecs avant leur effîorescence intellectuelle, quand des fragments de toute culture — orientale, occidentale, sémitique, arienne, babylonienne, égyptienne — se disputaient leur esprit et que leur religion ressemblait à une bataille de dieux.

Veut-on un exemple de cet envahissement? Prenonsle dans la littérature et dans l'art, qui sont plus proches de nous. Je suppose qu'il s'agisse d'expliquer la Bwine Comédie. Le poème de Dante, étant selon notre décision, un produit du temps et de sa civilisation, nous étudierons l'histoire politique, littéraire, philosophique du siècle ; nous démêlerons les idées, les notions, les passions qui agitaient le poète ; nous rechercherons toutes les légendes du moyen âge qui se rapportent au mystérieux voyage d'outre-tombe ; nous établirons quels au-


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teurs, italiens, latins, Alighieri connut, lesquels d'entre eux il imita. Nous aurons pénétré de la sorte dans l'essence même de l'oeuvre d'art par un travail scientifique, objectif, rigoureux, qu'on n'accomplit que d'une façon. Et cela est très bien. Que saurons-nous? Tout au monde, sauf ce qu'est la Bivine Comédie. Nous aurons l'ait comme celui qui. raclant la Viwge à la chaise et en mettant les couleurs sur une palette, dirait : « Voilà l'oeuvre de Raphaël. » Et c'est pourtant ce qu'on pratique aujourd'hui, à peu près universellement. On a échangé le moyen contre le but. La méthode est devenue à elle-même sa propre fin. Et M. Villari cite, à ce propos, l'amusant exemple d'un jeune érudit qui dépensa une peine infinie à établir ceci, qu'une très médiocre poésie du xvne siècle italien provenait de deux pièces françaises plus mauvaises encore.

Pourquoi est-ce que la Bivine Comédie est la Bivine Comédie et non pas tel poème du moyen âge comme il y en a mille? Pourquoi est-ce que la Vierge à la chaise est une belle oeuvre et apparaît au moins tout à fait supérieure à la représentation la plus fidèle et la plus minutieuse d'un copiste roué? Voilà ce que ne saura jamais dire la méthode historique, scientifique, objective, si rigoureuse soit-elle.

Cette méthode peut suffire dans la science pure. Nous sommes satisfaits rien qu'à connaître les lois des forces naturelles et à les faire servir à nos besoins. Nous n'a^ vons point à en rechercher l'essence. — Elle ne suffit pas dans le domaine de l'esprit.

Et de même que pour juger une oeuvre d'art, c'est-àdire pour la comprendre, il faut un élément de plus que la raison pure, il faut le sens artistique; de même, en histoire, pour juger, pour comprendre la conduite des hommes et des peuples, il faut un élément de plus que la science : la conscience. Seule la conscience nous donnera la clef des problèmes moraux et sociaux que la connaissance scientifique ne résoudra jamais complètement. La raison sans la conscience serait aussi incapable d'expliquer le mondé moral, que la raison sans les sens le serait d'expliquer le monde sensible. Cette idée-là n'est pas d'aujourd'hui. Elle est de Kant.

Il y aurait une jolie histoire de la raison à faire.

L'émancipation de la raison est de date moderne. Elle était au moyen âge encore sous le talon de la foi. C'est pourquoi, cette époque qui créa les cathédrales fleuries, les communes libres, la ligue lombarde, l'art chrétien, Dante, Giotto, fut appelée une époque de décadence et de barbarie. Arriva la Renaissance qui libéra la raison. Elle tua aussi la foi, corrompit les moeurs, détruisit la liberté chèrement conquise à Pontida. Dès lors, la raison fut omnipotente. Elle crut pouvoir tout étreindre et tout expliquer. Elle devint une déesse avec la Révolution. Et elle règne aujourd'hui en souveraine maîtresse. Or, M. Pasquale Villari s'amuse à lui faire son procès. Il faut dire que pour lui raison, science, méthode historique et critique sont termes à peu près synonymes.

Et en effet, et après tout, qu'est ceïte raison superbe, orgueilleuse et triomphante dont on veut faire la base de notre vie et le fondement de notre connaissance? Que vaut-elle en face des admirations profondes qu'il nous est donné de ressentir ? Comment explique-t-olle le tremblement qui nous saisit devant un coucher de soleil, un

paysago de l'Alpe, l'infini do la mer? Où intervient-elle dans l'émotion de la musique que Schopenhauer détinissait une action occulte de notre esprit inconscient? Quel secours nous apporte-t-elle devant les agonies des personnes qui nous sont les plus chères en ce monde?

Et même, dans son domaine absolu, en science, quo peut-elle à elle seule, sans le secours du sentiment, de l'imagination, de nos autres facultés? On a dit, et avec une apparence de justice, que pour fonder la géologie il y avait fallu autant d'imagination que pour créer les poèmes homériques. Et on a dit — c'est Leibnitz qui l'a dit — que la science voulait un certain art de deviner sans lequel on n'avançait guère. Ne nous y trompons point. Les grands savants sont peut-être aussi grands parce qu'ils sont poètes. Et Kepler est poète à l'égal de Shakespeare.

La raison raisonnante est une mauvaise discipline. Et qui l'arbore exclusivement s'en trouve mal. A ce titre, nous avons un témoignage bien curieux, bien douloureux aussi : celui de Darwin. Un an avant sa mort, il constatait tristement que plus rien de ce qu'il adorait jadis, ni la musique, ni la poésie, ni la peinture ne le réconfortaient maintenant. A force de moudre des faits, il avait perdu du bonheur; il s'était affaibli, disait-il, au point de vue du sentiment, peut-être au point de vue intellectuel, sûrement au point de vue moral. Sa croyance en Dieu s'était enfuie. Devenu déiste, il avait échoué dans l'agnosticisme, constatant en fin de compte que le mystère de l'origine des choses demeurait insoluble.

Non pas que M. Pasquale Villari soit un ennemi aveugle et juré de la raison. Il reconnaît au contraire hautement le tribut qu'elle a payé au monde. «Si la place de la raison, écrit-il, est usurpée par l'imagination, par le sentiment et par la foi, nous n'avons que la superstition, le désordre et la confusion. Si à son tour c'est la raison qui usurpe la place de ces choses au lieu de les étudier, d'en examiner la valeur et les bornes, elle ne fait que semer la destruction, sans pouvoir reconstruire: elle s'affaiblit elle-même, en mutilant l'esprit humain. » M. Pasquale Villari veut simplement faire à la raison la part congrue, montrer qu'elle ne peut pas tout, comme elle se plaît trop facilement à le prétendre. « Mais que faistu, lui disait son ami Spaventa, l'illustre patriote italien, en soutenant que la raison ne peut pas expliquer certains mystères? Ne vois-tu pas que tu laisses dans l'âme un vide qui, s'il ne peut être rempli par la raison, sera rempli par la foi? » Il disait juste. Mais il constatait, en ce faisant, le phénomène ordinaire de la vie et de la société.

Depuis trop longtemps, nous sommes ou service de la science. Nous avons constaté sinon sa banqueroute — comme on l'a dit, après M. Villari, d'une parole qui a fait fortune — du moins ses limites. La société, sous son régime, n'a guère progressé dans le vrai sens du mot. A toutes nos conquêtes scientifiques, industrielles, commerciales, politiques, aucune amélioration morale ou intellectuelle n'a correspondu. Dans une rue de Florence, ou temps do Dante, on rencontrait plus d'originalité d'esprit et plus d'élévation de caractère qu'aujourd'hui dans n'importe quelle de nos grandes métropoles, malgré le nombre prodigieux de nos écoles et l'augmentation merveilleuse do nos libertés. Il faut donc laisser à nos autres


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acuités la tâche que la raison à elle seule n'a pu accompli-. Celle-ci en profitera en définitive. Nous avons en jrovision des forces jeunes, vierges, inoccupées, sur lesquelles doit porter désormais notre effort éducatif et-peronnel. Savoir a été le grand terme de tout notre système. Peut-être qu'il serait bon, aussi, d'être.

Et peut-être encore que pour savoir, la notion du bien, l'intelligence du beau, la part du sentiment, la loi de la conscience ne seraient point absolument inutiles. Comment les acquérir? En agissant. « La meilleure manière, dit M. Villari, de comprendre et de faire comprendre le bien est de le pratiquer. C'est en vivant qu'on apprend à vivre. »

Telles, très en résumé, dépourvues de leurs développements, de leurs exemples, de leurs points d'appui, quelques idées chères à M. Villari, qu'il a toujours enseignées et qu'il aborde, avec beaucoup d'autres, plus particulièrement dans cet article.

M. Pasquale Villari est l'auteur de deux très beaux livres sur Savonarole et sur Machiavel. Il a fait le tour d'un nombre infini de questions. Il a beaucoup pensé et il a beaucoup agi. Il est un des esprits les plus richement organisés de notre époque, un de ceux qui ont étudié et compris le plus de choses. Il a peut-être soixante-cinq ou soixante-dix ans. Et dans son visage aux traits fins, brille un regard d'une douceur et d'une lassitude infinie, le regard de ceux qui ont beaucoup lu et beaucoup vu en dedans. Je ne l'ai jamais remarqué qu'une fois en ce monde. C'était à Taine que M. Eug. Melchior de Vogue appelait une majesté.

PHILIPPE MONNIER.

Une erreur, que nos lecteurs auront sans cloute rectifiée d'eux-mêmes, s'est glissée dans la Causerie littéraire de notre collaborateur, M. Henri Jacottet (n« 84-25 août); le revenu annuel de l'archevêque de Cantorbury est de375 mille et non de 875 millions de francs. (Note de la Rédaction.)

Edelweiss du bon vieux temps.

A Monsieur Edouard Sclmré.

Un de ces derniers étés, comme j'habitais en touriste très zigzaguant, le pays vertd'Interlaken, la curiosité me vint d'interroger un peu les dentellières, dont les petites armoires vitrées et les coussins à longues bobines s'alignent le long des routes, les jours de soleil. Il me semblait que ces paysannes, les très vieilles surtout, celles qui portent encore le serre-tête de soie noire, à dentelles tombantes, devaient, en cherchant bien, se rappeler les légendes que leur contaient leurs mères-grand, ûii temps déjà si loin de leur enfance. Mais, hélas! leurs vieilles mémoires n'ont plus souvenance de rien, et, à Grindelwald, comme a Laulerbrunnen, c'est à peine si j'ai pu obtenir des réponses à peu près intelligentes. On boit trop fl'cau-de-vie de pomme de terre, les imaginations s'obscurcissent et puis, dans ces vallées jolies, on a trop défriché, trop taillé, trop construit de chemins de for. Les dernières fées qui s'attardaient encore ont pris le premier train qui siffla par ces vallées do verdure et, définitivement, ellos sont parties pour 'os pays d'Oubli. A ces créatures do rôve notre américanisme fait peur.

Pourtant, cette contrée sans légendes m'attristait... C'était comme un paysage sans fleurs, comme une forêt sans oisoaux. Alors, j'ai voulu savoir et je suis reyonu aux livres.

Ils ont du bon quelquefois, bien que par dilettantisme, on affecte aujourd'hui, d'en dire beaucoup de mal. S'ils ne servaient qu'à aider la mémoire paresseuse des dentellières de l'Oberland.ne faudrait-il pas déjà leur pardonner l'ennui et la fatigue et le mal peut-être qu'ils nous ont fait d'autres fois? — Dans un antique bouquin hors de circulation, où un brave aubergiste a raconté à loisir et dans un français impossible, tout ce qu'il savait sur le passé, le présent et même l'avenir de sa patrie, j'ai trouvé, notées, tant mal que bien, deux ou trois légendes du cru. Pour votre agrément, je les ai recopiées selon l'esprit plus que selon la lettre. En découvrant dans ce fatras de choses, ces historiettes délicieuses, j'ai cru voir tomber d'entre ces pages des edelweiss sèches, d'un blanc de cire mais encore douces, encore soyeuses, des edelweiss charmantes du bon vieux temps. Et je n'ai regretté qu'une chose : que cet aubergiste eût un peu de littérature. Les vieilles dentellières nous eussent mieux donné l'illusion qu'elles croyaient encore à leurs dires.

Que sont devenus les petits nains vêtus d'étoffes couleur de tronc d'arbre, qui habitaient jadis, très jadis, ces combes noires de pins — alors qu'il n'y avait dans tout l'Oberland, ni chemins de fer, ni hôtels de première classe, fort avant les temps de l'histoire ? Sont-ils morts de leur belle mort, comme jadis le dieu Pan, dans l'île d'azur de Paxos, ou bien de l'influenza ? Si j'en crois la tradition, qui en telles matières est infaillible, la curiosité, la malice des hommes, les auraient contraints de partir en les poursuivant jusque dans le mystère de leurs bonnes actions. Ils avaient amèrement connu le sens de ces paroles de l'Ecriture : « Celui qui fait du bien à un méchant, c'est comme s'il faisait du bien à un scorpion. » Et puis la contrée ne présentait plus aucune sécurité. Il y avait trop de routes, qu'aurait-ce été s'ils avaient vu les funiculaires ? Aussi sont-ils remontés au Nord, vers les forêts de la Scandinavie, retrouvant le silence des neiges, l'oubli des • journées de brume, la féerie des soleils de minuit et des âmes simples les aimant en les respectant.

Pourtant, que de mal ne s'étaient-ils pas donné .pour ces ingrats d'Oberlandais, travaillant aux récoltes, les nuits sous le clair de lune? En remerciement on tuait leurs chamois; on leur faisait de mauvaises niches quoiqu'ils ne demandassent rien — pas même de reconnaissance. Ainsi, à Brienz, auprès du joli lac bleu pâle, aux flots dormant dans la paix des collines vertes, vivait en ce temps-là un riche fermier du nom de Rupert. Il avait les plus beaux vergers de dix lieues à la ronde, des vergers de cerisiers et de prunelliers. A l'avrillée :

Suivez par les claires flambées Les étroits chemins forestiers, La neige tiède est sous vos pieds: Ce sont les corolles tombées. Les pruniers sont d'un blanc laiteux Les cerisiers d'un blanc de cire...

comme disait délicieusement un poète des pays suisses ", car si les êtres de poésie sont partis, on retrouve encore, en des coins de forêts ignorées et dans certains livres à couverture blanche, édités à Lausanne ou à Neuchâtel, un peu de poésie» de vraie.

C'aurait donc été pour Rupert et ses journaliers, un travail à n'en pas voir la fin, que de cueillir tant do cerises, si depuis des années et des années il n'avait trouvé dovant sa porte, en pyramido sur dos flcuriers, sa récolte faite et avec quel soin I Pas une queue ne manquait ; les fruits détériorés étaient tous mis à part. Dans la famillo on croyait que c'était l'ouAilolphe

l'ouAilolphe Le Rosaire d'amour.


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vrage des nains, mais nul n'avait jamais tenté de s'en assurer, sachant que ces petits êtres veulent faire le bien sans être vus. De père en fils, c'était même une tradition de laisser au mois de juin, des fteuviers sous la tonnelle, et, ces soirs-là, on fermait, mieux que de coutume, les volets pleins percés d'un trèfle.

Mais les temps marchaient, l'homme devenait désespérément curieux, et vers la fin du xm° siècle, un descendant, un Rupert toujours, assez triste sire entre parenthèse, voulut en avoir le coeur net. Il passa des nuits, les yeux au trèfle à jour d'un de ses volets. En vain, il ne voyait que la lune blanche, et parfois, comme c'était un paresseux, le sommeil lui venait si lourd qu'il ne résistait pas à la tentation de regagner son lit de plumes de canard. Un jour, il trouva devant sa porte, sa récolte faite. Sa première pensée fut de colère, ce qui était mal, et il se promit l'année suivante d'être cette fois le plus Un.

A cet effet, au printemps d'après, il répandit sous sept de ses arbres, du sable soigneusement égalisé, puis, riant dans sa barbe de patriarche, s'en fut se coucher tout fier de sa belle idée. Quelques jours passèrent, il ne découvrait rien de suspect, mais un matin, après déjeuner, comme il s'en venait au verger, bedonnant, chantonnant, se dandinant, il aperçut sur le sable gris, des traces de pieds — des traces mignonnes comme en font les pattes d'oies. Or, la Kabbale nous apprend que les nains laissent à la rigueur, apercevoir leurs visages ou leurs mains, leurs jolies petites mains, qui savent faire tant d'industries, mais que personne n'avait jamais pu, jusqu'à ce jour, savoir la forme de leurs pieds. Car ils marchent avec de grandes bottes, qu'ils enlèvent pour travailler, et c'est pourquoi ils ne font de besogne que la nuit, quand les chats sont endormis. À peine le dernier des Rupert eut-il vu ces signes, qu'il se sentit mal à mourir. Fut-ce le déjeuner trop copieux, • un coup de sang, la vengeance des petits nains ? — Je n'en sais rien. Le fait est qu'il resta sur le carreau et qu'un grand coup de foehn qui passa par le jardin dispersa tout le sable aux quatre vents. — Dès lors, les nains ne firent plus la cueillette des cerises et, dans la suite, faute de temps, un bon quart de la récolte fut perdu.

Au pays de Hoessli, on fut encore plus mauvais. Ce fut chez un certain Gaspard, le gros bonnet de la localité. Il avait aussi de vastes plantations de pruniers, d'abricotiers, et chaque année, comme chez Rupert, c'étaient les nains qui récoltaient. Pendant des siècles.-la ferme se jugea privilégiée, et de printemps en printemps, parmi les jeunes filles, c'était à qui pétrirait pour les petits ouvriers les plus délicieuses galettes de la plus fine fleur de farine. Mais un descendant — ah I les fils de famille — prétendit que les nains lui volaient le quart au moins de la récolte. Il résolut de se défaire d'eux une fois pour toutes. Donc, en temps convenable, il scia les branches de deux pruniers au point qu'il eût suffi d'appuyer la main pour qu'elles se brisassent. Le soir tomba, un soir de brouillards que la lune éclairait mal. Vers les dix heures, les nains firent leur entrée dans le verger, courant à la queue leu-leu ; ils déposèrent leurs petites bottes à revers rouges et, vifs comme des singes, grimpèrent aux arbres. Cracl crac I les branches se rompaient de tous côtés. Alors, ce furent des cris : l'un s'était foulé le pied, l'autre le poignet; mais l'irréparable était qu'il y en avait un de mort. Vous ne savez peut-être pas que les nains ne peuvent mourir que d'accident, mais que lorsqu'ils sont morts c'est pour toujours. Ses compagnons l'enveloppèrent pieusement de leurs manteaux, puis étendirent son pauvre corps sur une civière de branches. Pour la dernière fois, ils sortirent du verger maudit et reprirent lentement la route de la montagne. La lune, dans ses voiles, était comme en larmes ; ils chantaient une complainte très douce, on eût dit du Schumann. Tout le long du chemin, les chamois,

les écureuils, les oiseaux de la forêt se réveillèrent, beaucoup suivirent la tête basse, des pleurs aux yeux. Au passage., les ruisseaux sanglotaient douloureusement. La rosée du matin fut, dit-on, plus abondante. Et le soir d'après, parmi les paysages bleus des glaciers, on vit un long cortège de gnomes se diriger par des sentiers impraticables, vers les sommets dont nul n'est jamais revenu. Là, plus près des étoiles, ils creusèrent une tombe dans la glace blanche, y couchèrent en chantant le frère qu'ils avaient aimé, mort comme un brave nain, en faisant son devoir. Ils restaient dans la nuit froide, sous un ciel de lumière, à songer tristement, car ils comprenaient que la journée n'était plus très loin où il leur faudrait abandonner ce pays d'enchantement et cette tombe ou restait un peu de leur coeur.

Mais ce fut à Interlaken que se passa la dernière aventure après laquelle ils renoncèrent, par prudence, aux Suisses et à la Suisse. Vous connaissez, au sud de la ville d'été, par delà les chalets proprets, les prairies fleuries, le parc de Rûgen, le grand parc naturel aux décors de mélèzes verts, de rochers moussus avec tant' de sentiers djombre et de terrasses-belvédères, d'où la vue sur la vallée verte et les deux lacs d'azur est d'une douceur adorable. Au temps dont je vous parle, le parc était une forêt d'Océanie où foisonnaient de gros ours pareils à ceux de l'écusson de Berne. A un endroit, que l'on trouve encore en cherchant avec bonne volonté, il y avait un rocher, en forme de dolmen, sur lequel les petits nains des vallées avaient coutume de se réunir, les vendredis, en meetings, suppose-t-on. Or, un gardien de vaches égaré, la nuit venue, découvrit, par je ne sais quel malencontreux hasard, cette centaine de petits êtres qui opinaient du capuchon à qui mieux mieux. Il n'eut garde de se faire voir, et s'enfuit tout courant raconter la chose à ses camarades. De bouvier à chevrier, de chevrier à garçon de ferme, la chose fit le tour des jeunesses du pays. Et pour faire une bonne farce, on imagina d'entretenir sur ce rocher un feu d'enfer toute une journée de vendredi. Au soir, on balaya à ne plus laisser trace de cendre. Et l'on attendit quasi pouffant de rire. Les petits nains arrivèrent drapés dans leurs manteaux à la Cézar de Bazan. Mais, à peine une dizaine d'entre eux eurent-ils posé le pied sur le rocher, qu'à travers les semelles légères de leurs bottes à revers rouges, ils sentirent brûler leur chair à hurler. Une forte odeur do roussi s'éleva, et comme les gars qui n'en pouvaient plus éclataient de rire dans les taillis,, ils comprirent qu'ils venaient d'être joués, et combien indignement. S'aidant à marcher les uns les autres, répétant avec tristesse :

« 0 I le méchant monde I le méchant monde I » ils regagnèrent leurs grottes lointaines. Mais ils n'y restèrent pas longtemps, et bien peu de jours après, s'en allèrent avec armes et bagages, en exilés. C'était un soir d'hiver... il neigeait, et les flocons blancs recouvraient peu à peu les traces de leurs chers petits pieds. Ils suivirent des routes ignorées, mais j'aime à croire que dans les forêts de la Norvège, au bords des fjords de glaces, ils ont parfois une pensée do regret pour la vallée de verdure. Les nuits y étaient moins longues, les soleils de midi plus gais. Puis les temps changent, changent encore, et quoique l'Oberland ne soit plus bientôt qu'un réseau dechemins de fer, ils savent, ils sentent peut-être qu'ils ont par le monde des amis qui font pour eux do la propagande, et dont le nombre va croissant de jour en jour. Parmi nous, il y a M. Anatole Franco qui s'égare souvent au bois des fées, cl Lomaîtro qui eut do l'amitié pour les Amoureux de laprincesse Aimée, et bien d'autres que je ni peux nommer, ils seraient trop I Si cas assurances do sympathie pouvaient haler le moins du monde la réalisation do cette prophétie, assez peu accréditée, joie sais, qu'ils reviendront eux, les êtres de poésie, lorsque nous, les hommes do prose, seront devenus meilleurs, jo signerais bien volontiers, « l'ami


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charmé, l'ami dévoué » des petits nains aux bottes à revers rouges, aux habits couleur de tronc d'arbre.

ERNEST TISSOT.

L'ABBÉ DANIEL*

(Suite.) IV

Quand éclata la guerre de Grimée, Denise venait d'avoir seize ans. Daniel, nommé caporal dès l'année de son engagement, écrivit au cousin qu'il partait pour l'Orient. L'abbé courut aussitôt à Pressigny et envoya par la poste à son pupille un mandat supplémentaire. Ce fut à dater de ce jour que Daniel joua son rôle dans les conversations de la ferme. Le cousin, trop pauvre pour s'abonner à un grand journal, persuada à Beauvais de prendre un abonnement. « Est-il au moins dans la cavalerie, votre protégé ?» Ce fut lui qui apporta aux Templiers la carte du théâtre de la guerre, « pour faire plaisir à son curé, qui suivait ça. » L'abbé s'empara de la carte, la porta dans sa cellule, et là, chaque jour, suivit sur la terre d'Orient la marche du corps d'armée dont le 49" faisait partie.

L'Orient, c'était par delà les ruines du château d'Etableaux. Quelquefois, le soir, quand le soleil s'était déjà couché à l'autre extrémité du ciel, le cousin, debout devant la fenêtre de la tourelle, plongeait un regard inquiet dans le bleu plus sombre du levant, et quand il fermait sa fenêtre : « Que Dieu le protège I » disait-il.

Vers le milieu de l'année 1855, Daniel passa sergent, et le cousin reçut à cette occasion une lettre qu'il lut à Beauvais, au dessert, pendant que Denise était allée étendre du linge au verger. Cette lettre était toute belliqueuse. Daniel y racontait sa vie de bivouac et y faisait le récit d'un jour de bataille, quand, dès l'aube, on est réveillé par l'air de la diane et les sourds grondements du canon: «Chacun prend son fusil et son sac, disait-il, et en marche I On avance dans le crépuscule ; on entend les commandements brefs et accentués qui se répètent et courent dans les rangs ; les aides de camp volent d'un régiment à l'autre ; les troupes prennent des directions ; nos chefs nous haranguent par quelques mots énergiques. Bientôt le bruit du canon devient plus nourri, et puis les clairons sonnent, les musiques jouent de vieux airs nationaux qu'on n'entend plus qu'aux jours de bataille et qui l'ont bouillir le sang aux plus peureux, et aux roulements des lambours, à travers la fumée, le régiment, enivré par l'odeur de la poudre, frémit tout entier. — En avant!... On n'est plus Pierre, Jacques, Daniel : on est la France, chacun pour une parcelle I... Ou regarde le bras du chef qu'on n'entend plus, on dit de l'oeil bonjour à ses camarades, et on est parti... Cela dure parfois tout le jour. Les hommes tombent, on avance toujours. Quelquefois un froid vous passe sur le coeur, mais ne fait qu'y passer. Et ainsi jusqu'au soir, où, la bataille finie, on apprend que la victoire est à nous et qu'on est nommé sergent, car je suis sergent, mon cousin, depuis hier. Ce qui est triste, c'est qu'au retour, sous la tente, le nombre des camarades de la veille est diminué, cela vous serre le coeur; mais d'autres sont là, on cause, on cause, et on s'endort harassé. Voilà, mon cousin, et maintenant ma chandelle est à bout. A vous, cher cousin, de tout coeur! »

Comme l'abbé achevait sa lecture, Denise rentra. «Voilà un gaillard qui a des moustaches ! s'écria Beauvais ; Denise, lis un peu cette lettre, lis-la haut, je l'entendrai volontiers doux fois. » El Denise lut lentement, de sa voix nette et bien timbrée. L'abbé épousselail négligemment la manche de son bras droit cl regardait en dessous. Quand Denise fut arrivée à la fin, elle garda le silence et remit la lettre au cousin. « A son retour en France, dit Beauvais, il faudra que vous lui écriviez de venir chasser avec moi, car il doit aimer la chasse, ce garçon-là. En voilà un au moins qui saura apprécier un cheval I » Denise, toujours silencieuse, pliait du linge sur la table. Beauvais sortit, et l'abbé alla lire son bréviaire; mais 'I était préoccupé, Denise n'avait rion dit do la lettre.

Elle aussi s'éloigna préoccupée et s'enfonça rêveuse dans les

Voir N«» 33 et 34, pages 388, 401.

allées du jardin. Elle n'avait rien dit, mais elle avait beaucoup pensé, à la lecture de celte lettre toute résonnante des bruits de la guerre. Elle repassait dans sa mémoire le fier et joyeux langage du pupille de l'abbé, et elle essayait de se le représenter assis sous la tente et fourbissant ses armes, ou bien guêtre, le suc au dos, la baïonnette croisée, s'ôlançant à l'ennemi. Elle pensait encore à lui au soir, lorsque, après souper, elle vint s'accouder au petit mur du verger, d'où l'on voyait la verte vallée de l'Égronne jusqu'à Pressigny.

Le soleil plongeait, derrière les Templiers, dans les pins du ' bois des Courlils, et Pressigny, à demi voilé de peupliers et couronné par sa tour élancée, semblait transfiguré par les derniers rayons du couchant; les créneaux de la tour étaient teints en rose, les toits d'ardoise avaient de joyeuses et claires couleurs violettes, toutes les vitres étaient d'un rouge vif, etDenise songeait à l'Orient. Puis, tournant du côté d'Etableaux ses yeux éblouis de rayons et de cpuleurs, elle se sentait toute mélancolique à l'aspect de la vallée rétrécie et déjà obscure entre ses deux versants couverts de noyers et de chênes. La voix faible et cristalline de l'Égronne s'élevait dans la paix du soir, comme une plaintive mélodie que les rainettes accompagnaient par moments de leur basse étrange. Encapuchonnée dans sa cape noire, une pastoure descendait du coteau d'Etableaux en poussant devant elle un troupeau de vaches ; on entendait les doux beuglements des génisses, on voyait le chien alerte courir sans cesse de la bergère au troupeau, et, tout en courant, jeter un aboiement sonore auquel répondaient les chiens des métairies. Dans un intervalle de. silence, la pastoure se mit à chanter, et sa voix traînante, sa rustique mélopée arrivèrent distinctes jusqu'à Denise. La pastoure chantait une ballade locale, très populaire en Touraine, et dont voici les premiers couplets :

Ce sont trois jeunes garçons Qui s'en vont à la guerre, Qui s'en vont à la guerre A leur corps défendant, Bcgrettant leur maîtresse Que leur coeur aime tant.

: Le plus jeune des trois

Regrette bien la sienne, Regrette bien la sienne, Ah ! qu'il a bien raison I C'est la plus belle 1111e Qu'il y ait dedans Lyon...

Pourquoi, après ce dernier couplet, les larmes vinrent-elles aux yeux de Denise? pourquoi la mélancolique histoire du plus jeune des trois s'associa-t-elle dans sa pensée avec le (1er soldat qui se battait là-bas eu Crimée?... Ah! si le cousin avait pu voir tomber ces précieuses larmes I

A la prise de la tour Malakof, Daniel fut nommé sergent-major, et peu après rentra en France. Le cousin ne jugea pas qu'il fût encore temps de le faire venir près de lui ; mais il lui écrivit de lui envoyer sa photographie, et doubla son mandat mensuel à celte intention. Quelques semaines plus tard, le portrait arriva aux Templiers. Daniel était représenté nu-tête, el la main droite appuyée sur la baïonnette de son fusil. La main de l'abbé, en saisissant le portrait, tremblait tellement qu'il fut dix minutes avant de pouvoir se rendre compte de la nouvelle physionomie de son pupille. Il le reconnut enfin et se sentit (1er. Il descendit alors et montra le portrait à Beauvais el à Denise. « Voilà un gaillard ! » s'écria Beauvais. Denise contempla silencieusement cette jeune el énergique figure, dont les traits se détachaient en brun du fond laiteux de l'épreuve. L'innocent abbé fut de nouveau pris à ce silence, il remonta se désoler dans sa tourelle, où il suspendit le portrait en face de sa croix noire. Kt cependant, si les verveines dont la fenêtre du cousin était toujours soigneusement garnie en été, si les verveines roses et lilas avaient pu parler, elles auraient dit qu'on les arrosait trop maintenant. Denise, pendant la promenade quotidienne de l'abbé, leur prodiguait l'eau fraîche sans regarder, car ses yeux contemplaient la brune photographie accrochée au mur.

Les choses en étail là. Beauvais devenait de jour en jour plus obèse, la Bruèro se faisoit vieille et commençait à avoir des intervalles de silence. Petit-Pinson grandissait, mettait son chapeau sur l'oreillo cl faisait le boau, les dimanches, sur la place de Pressigny. L'abbé songeait à Daniel lout en achevant l'éducation do


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Denise, et Denise, toujours plus sauvage, rêvait souvent seule au verger. Elle allait avoir dix-huit ans. Un soir de juillet 1857, Beauvais, après souper, dit d'un air sérieux et attendri en embrassant sa fille : « Te voilà grande maintenant, mignonne, te voilà grande, et je me fais vieux. Je ne veux pas que tu coiffes sainte Catherine, et je vais m'occuper de te chercher un mari. » Et comme Denise, un instant interdite, avait fini par rire aux éclats, Beauvais reprit de sa grosse voix : « Ce que je dis est très sérieux, et je désire que tu t'accoutumes dès à présent à cette idée-là. J'ai un parti en vue, et dans quelques jours nous en causerons... » Il se fit un grand silence. Beauvais, qui se voyait déjà séparé de sa fille, se leva pour cacher son émotion et alla faire un tour dans sa grange. Denise était pourpre. L'abbé, pâle et embarrassé, balbutia quelques paroles, prétexta la lecture de son bréviaire et disparut.

Arrivé dans la tourelle, le malheureux cousin s'enferma à double tour. Il était blême, et la sueur coulait le long de ses maigres joues.. Il regarda le portrait de Daniel : « C'est fini de nos rêves, mon pauvre ami ! » lui dit-il tout haut, puis il se mit à marcher, tout absorbé. Après quelques moments de silence : « Ainsi, reprit-il, le premier venu pourra m'enlever Denise, Beauvais la lui donnera, et tout sera fini 1 Je me serai, par peur de Beauvais, enfui au séminaire, la batteuse m'aura pris mon bras, j'aurai élevé cette enfant comme ma propre fille, et pour toute compensation Beauvais rhe dira un grand merci et la jettera à un étranger I... Et il aura raison I Après tout, quels droits-ai-je sur elle, et les pensées que j'ai là sont-elles bien les pensées d'un prêtre?... Oui, mais mon coeur se brise quand je songe à ce mariage. Ils vont m'arracher cet{e seconde Denise, je ne la verrai plus qu'en cérémonie; elle ira chez des inconnus, et quand mon pauvre Daniel reviendra, je ne pourrai plus lui donner l'épouse que j'avais choisie; je n'unirai pas ces deux enfants, ces deux coeurs que j'avais de loin formés l'un pour l'autre I Aussi ma timidité est stupide. Ne pouvais-je parler à Beauvais et lui dire franchement mes projets?... Ah! Beauvais!... J'entends d'ici le rire ironique qui aurait accueilli ma proposition... Si seulement Daniel avait eu l'épaulette, mais un sousofflcier... Beauvais ne voudra jamais I... Non, cela ne se peut pas, nous sommes pauvres, et elle est riche. Je ne puis rien dire : ils sont riches I... »

Le cousin ne se coucha pas, et dès l'aube sortit pour respirer au grand air. Quand, vers huit heures, Denise monta dans la tourelle pour arroser les verveines, elle vit que le lit n'avait pas été défait, et resta pensive...

Le surlendemain, dès le matin, Beauvais entra dans le cabinet du cousin, et le réveillant brusquement : « Dites donc, cousin, vous ne savez pas ? — Non, fit l'abbé effrayé. —■ Eh bien, je vais vous dire, continua Beauvais d'un air confidentiel, j'ai trouvé un mari pour Denise... Devinez-vou's qui? » L'abbé parut terrible en ce moment, tant il ouvrit de grands yeux. « Je m'adresse bien, reprit Beauvais, vous avez toujours le nez et l'esprit dans les livres, vous ne connaissez pas le pays... N'avez-vous pas remarqué à la foire de Pressigny ce jeune homme avec qui j'ai longtemps causé près du pont? — M. Delétang? — C'est le fils d'un marchand de biens d'Angles. On m'a fait des ouvertures à son sujet. Il est riche, 11 est campagnard, et il habiterait volontiers les Templiers... Nous garderions près de nous notre Denise... Le jeune homme est en ce moment à Angers et ne doit pas revenir avant un mois ; nous en reparlerons, mais motus/» Il sortit.

L'abbé se leva en hâte et avec une fièvre nouvelle. « Non, non, point de Delétang, se dit-il, il faut cette fois se montrer 1 » Et vite il écrivit à Daniel les lignes suivantes : « Demande immédiatement un congé de trois mois, on t'attend ici pour chasser. Viens aussitôt que possible ! » Il prit un billet de cent francs qu'il avait en réserve, l'enferma dans la lettre et courut au bureau de poste de Pressigny.

A son retour, le coeur lui battait. Il dit brusquement à Beauvais devant Denise : « J'ai écrit ce matin à mon pupille de venir chasser aux Templiers, et je l'attends avant la fin du mois. »

V

Trois semaines s'étaient à peine écoulées quand un matin 'abbé, encore au lit, entendit la grosse voix de Beauvais qui lui criait du jardin : « Hél cousin I » Il courut à la fenêtre... Daniel en petite tenue, le képi sur l'oreille, une médaille à la boutonnière,

Daniel les bras tendus vers la tourelle, était près de Beauvais. L< cousin agita fortement son bras mutilé, rentra et se vêtit commi il put. Il allait descendre quand la porte s'ouvrit, et Daniel et Beau vais firent irruption dans la chambre. Ah ! le retour payait bien li départ ; ils se tinrent quelque temps embrassés. « Saprebleu ! di Beauvais attendri, est-ce que vous allez vous manger? Venez monsieur Daniel, laissons le cousin s'habiller. » Le cousin fit si toilette à la hâte en l'entrecoupant d'exclamations joyeuses, puis i descendit. Il ne trouva plus dans la cour que Beauvais. « Allez l chercher, dit gaiement celui-ci, le voilà reparti. Et vous ne l'ave: pas mis dans la cavalerie? — Eh ! quoi donc encore? demanda I cousin ahuri. — Figurez-vous que je lui montrais mon nouveai cheval, un bête, que personne n'ose monter. —Eh bien?... — El bien, il a sauté dessus, et le voilà bien loin. » L'abbé et Beauvai coururent hors la ferme. Daniel revenait vers eux ventre à terre il avait encore à la main son bâton de voyage, mais son képi étai resté en route. On reconduisit le cheval à l'écurie et on alla di même pas à la recherche du képi, puis du même pas on alla au: Bruasseries, et tout en causant on suivit le cours de l'Égronne, s bien qu'on arriva jusqu'à Pressigny. On oubliait l'heure et le chc min en questions, en réponses, .en surprises et en exclamations C'étaient des ressouvenirs, des plaisanteries, des rires, des silence délicieux. Beauvais, pour un empire, n'eût en ce moment lâché I major, comme il appelait Daniel. A Pressigny; on fit réflexion qu l'on mourait de soif, et l'abbé, lui troisième (honni soit qui mal pense!), entra au premier cabaret. On trinqua. « A la guerre d Crimée I dit Beauvais. — Au retour I » s'écria Daniel. Il ne pouva se lasser de regarder le cousin, et le cousin contemplait sans cess Daniel. Comme ils se trouvaient changés l'un et l'autre ! l'un ave sa longue et pâle figure ridée, ses joues creuses, son doux sourir et ses cheveux gris ; l'autre, fort, élancé, résolu, ayant de Ver avant dans toute sa personne, une figure franche et accentuée, de yeux bruns pétillants, de jeunes moustaches naissantes, de blai ches dents qui disaient la santé et des cheveux noirs naturellemet frisés... Et le cousin émerveillé répétait à Beauvais : « Voyez-vou ce garçon? eh bien, c'est moi qui l'ai élevé ; je l'ai porté dans me bras... T'en souviens-tu? »

On revint lentement aux Templiers par la côte des Murets, < Beauvais fit la remarque que Denise n'allait pas savoir ce qu'i! étaient devenus. « Qui est-ce ? demanda à mi-voix Daniel au cousii — C'est ma fille, ma fille Denise! s'écria fièrement Beauvais. —Al fit Daniel, vous avez une fille? Le cousin ne me l'avait pas dit. - Mais que vous écrivait-il donc? Je parie qu'il ne vous a point par] de mes chevaux seulement! — Est-ce que je puis écrire longui ment de ma main gauche ? » interrompit le cousin.

On arriva, et comme Daniel voulait aller faire toilette, Beauva le poussa dans la salle. Le couvert était mis, mais Denise n'été pas là. Le cousin se sentit rougir. Daniel s'époussetait légèremei près de la fenêtre ouverte ; Beauvais s'était mis à table. Il falla pourtant bien que Denise se montrât. Elle entra dansf un momei où Daniel tournait le dos à la porte. « Nous as-tu préparé un bc déjeuner? » s'écria Beauvais. Daniel se retourna très vite et v Denise. Leur émotion à tous deux se trahit par un léger mouv ment en arrière. Daniel salua respectueusement, sans timidi comme sans excès d'assurance, puis on se mit à table. Il se tro vait placé à côté de Denise ; mais soit qu'il fût embarrassé à la vi de cette jeune hôtesse sur laquelle il ne comptait pas, soit que mine un peu flère de Denise lui imposât, il resta silencieux. To tefois, s'il demeurait muet et contraint, il n'en était pas plus caln au fond, et dès le premier service il trahit son émotion en brisar rien qu'à le toucher, un plat qu'on lui passait. Le rouge lui mon au front. « Bah ! bah ! dit Beauvais, ne faites pas attention à cela ! Denise saisit cette occasion de rompre le silence. « Ce plat ét£ fêlé depuis longtemps, dit-elle. — Mademoiselle... » commen Daniel, qui tenait à s'excuser. Us se regardèrent, rougirent de pli belle et redevinrent silencieux. Heureusement l'abbé vint à lei secours et changea la conversation. « Vous n'avez plus de parent dit à Daniel l'oublieux Beauvais, à qui le cousin avait raconté i moins vingt fois l'histoire de son pupille. — Non, monsieur, r pondit Daniel ; mon père, qui était charpentier, s'est tué on tomba d'un toit, el ma mère est morte huit jours après... » Et il ajou en regardant l'abbé : « C'est le cousin qui m'a recueilli. Gela fut < fièrement et avec une simplicité qui loucha Beauvais. « Pardon!..


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flt-il tout ému. L'abbé, fâché et content de cette explication, en profila pour serrer une fois de plus la main de Daniel. Au dessert, la jeune fille quitta la salle à manger. Alors Beauvais alluma sa pipe, Daniel roula une cigarette, et on se mit à parler de l'Orient et de la guerre.

Que faisait Denise pendant ce temps? Assise sous un large flguier, à l'extrémité du verger, elle semblait tout occupée à considérer les arabesques lumineuses que le soleil dessinait sur le sable à travers les arbres ; mais, si ses yeux suivaient attentivement les mobiles découpures de l'ombre, son esprit était ailleurs. Les pensées qui l'absorbaient semblaient être d'une nature très complexe, car tantôt un rapide sourire glissait sur ses lèvres et tantôt une vive rougeur courait de ses joues à son front. Il y avait sur sa mignonne figure un singulier mélange de joie et de préoccupation. Denise était en train de rompre avec un idéal auquel des années entières l'avaient pour ainsi dire fiancée. Elle avait rêvé Daniel tout autre qu'il n'était, et la transition du rêve à la réalité lui était à la fois douce et difficile. La brune jeune fille, en dépit de la photographie envoyée au cousin, s'était figuré un Daniel blond avec des yeux bleus et une physionomie un peu pensive ; le vrai Daniel avait un tout autre air. Il était petit, maigre, brun et peu mélancolique. Il fallait donc effacer les traits vagues de l'ancien portrait et y substituer l'image vivement accusée de l'original.

Tout en confessant que le Daniel en chair et en os valait bien le Daniel imaginaire, Denise ne pouvait s'empêcher de regretter son rêve; puis, honteuse de cette préoccupation persistante, elle secouait la tête, passait ses petites mains sur ses joues rougissantes, et essayait de donner un autre tour à sa pensée. Elle penchait la tête au-dessus du mur d'appui et regardait les champs de blé moissonnés. Alors le chant d'une caille dans les chaumes lui rappelait que la chasse venait de s'ouvrir et que Daniel était arrivé aux Templiers pour chasser ; elle écoutait les appels despastottres, et leurs voix lui remettaient en mémoire la chanson des trois jeunes garçons s'en allant A la guerre, et la chanson ramenait encore sa pensée vers Daniel. « Daniel I Daniel I » disait la voir fraîche de l'écluse : « Daniel ! » criaient les martinets traversant l'espace bleu comme des llèches. — Et ainsi jusqu'au soir.

A la nuit close, Beauvais avait conduit le sergent-major dans sa chambre, et lui serrant la main : « Vous êtes ici chez vous, avait-il dit, reposez-vous bien ; demain nous irons ensemble visiter mes bois, et je vous ferai voir du gibier. Bonne nuit! » En se couchant et après avoir fait sa prière, le cousin se sentit tout rassuré. •«M. Delétang est loin d'ici, songeait-il; Daniel est installé aux Templiers. Laissons maintenant agir le ciel. »

* Le lendemain, quand il descendit, les chasseurs étaient déjà partis ; Denise se plaignait d'avoir la migraine et semblait fatiguée. Le naïf abbé croyait tout bonnement qu'elle allait lui parler du nouveau venu; mais elle ne dit pas un mot, et il s'en alla, tout désorienté, lire son bréviaire au jardin.

A midi, Beauvais et Daniel rentrèrent affamés. Daniel, pour son début, rapportait deux perdrix dont le cousin parut tout fier. On se mit à table, et, les convives étant devenus déjà plus intimes, la conversation s'anima. Denise fut affable et enjouée, et même, en présentant un plat à Daniel, elle s'enhardit jusqu'à lui dire en souriant : « Celui-ci est plus solide I » Et comme en parlant il avait fallu regarder son voisin, elle avait été forcée de convenir que les yeux bruns étaient plus expressifs que les yeux bleus. Elle remarqua aussi que Daniel n'était ni beau parleur ni gauche comme les visiteurs ordinaires des Templiers, mais qu'il avait la voix grave et pleine, la parole franche et énergique, et un fonds inépuisable de bonne humeur. Seulement il avait toujours l'air de la savoir présente sans en paraître autrement ému, et Denise, piquée, se •disait que le Daniel de son rêve eût été certainement plus aimable et moins occupé de lièvres el de perdreaux.

La journée passa joyeuse pour tous quatre, et plus joyeuses encore s'écoulèrent les semaines qui suivirent, chaque jour amenant une chasse heureuse ou quelque course nouvelle. L'automne était magnifique. En rentrant le soir, on contait à Denise el au cousin les exploits de la matinée, el on arrêtait le plan des plaisirs du lendemain. Denise demandait-elle un lièvre, Daniel ne voulait revenir à la maison qu'avec un lièvre dans son carnier. Une fois il no fui de retour qu'à la nuit close : il avail chassé tout le jour el s'était passé do déjeuner; mais aussi il rapportait un faisan, pièce

rare que Denise, la veille, avait mise au rang des gibiers fabuleux. Et Denise, oubliant de plus en plus son ancien idéal, se demandait comment elle avait pu avoir le mauvais goût de médire des cheveux noirs et des yeux bruns, et commençait à sourire de ses rêves romanesques. Dès le matin, elle était éveillée, elle assistait en secret au départ des chasseurs, et le soir, devinant le chemin par lequel ils devaient revenir aux Templiers, elle allait audevant d'eux, accompagnée par le cousin, et du plus loin, Daniel, tirant de sa gibecière sa plus belle pièce, la lui montrait d'un air triomphant.

Bientôt ce fut entre eux une amitié charmante. Denise n'avait qu'à dire un mot pour être devinée et obéie. Elle savait toutes les chansons favorites de Daniel, et les chantait le soir, au verger, sans avoir l'air de songer qu'on l'écoutât, comme si elle n'eût chanté que pour elle-même; puis au plus léger signe d'approbation elle s'arrêtait court, comme un rossignol effarouché, et s'envolait au plus épais des massifs.

Un soir, Daniel, étant seul avec le cousin, lui demanda brusquement : « M. Beauvais est-il riche? —Oui, répondit l'abbé surpris, mais à quel propos ? — Il est riche ! Tant pis alors, dit Daniel, et il ajouta : Si M'ie Denise eût été pauvre comme moi, j'aurais essayé de lui plaire, et si elle m'avait aimé, je l'aurais demandée à son père. Nous nous serions établis métayers de vos Bruasseries, et c'eût été bien bon, cette vie à trois, vous entre nous deux!... Mais elle est riche, et il faut renverser mon château de cartes et songer à autre chose. — Songer à quoi? demanda l'abbé d'un air inquiet. — Mais à quitter les Templiers, et le plus tôt sera le mieux. — A d'autres maintenant I » pensa le pauvre cousin en voyant une seconde fois que ses plus doux rêves menaçaient de s'en aller en fumée. Sa conscience lui défendait de détourner Daniel de ses projets de départ, et son coeur saignait en songeant à ce nouvel obstacle, qu'il aurait dû prévoir. Il passa une nuit mauvaise et sans sommeil.

La journée du lendemain devait être plus mauvaise encore. Beauvais et Daniel étaient à la chasse, et l'abbé lisait saint Augustin sous l'auvent de la porte d'entrée, quand, au milieu de l'aprèsmidi, un cabriolet conduit par un jeune homme entra discrètement dans la cour et s'arrêta à deux pas de lui. Le jeune homme demanda M. Beauvais et se nomma ; c'était M. Delétang. Quand il apprit que Beauvais était absent, il poussa comme un soupir de * soulagement et voulut tourner bride ; mais l'abbé crût convenable d'insister pour qu'il descendit de voiture. Il le fit entrer et le présenta à Denise. C'était un garçon à tournure un peu rustique, malgré sa toilette de ville. Il n'était ni brun ni blond, plutôt bien que mal, mais timide comme une jeune fille sortant du couvent, et d'une gaucherie touchante. L'abbé, tout fier d'avoir trouvé une timidité supérieure à la sienne, eut pitié de son embarras et chercha à le mettre à son aise. Denise, de son côté, ne se doutant de rien, fit des efforts pour être moins sauvage que de coutume. Le prétendu, assis sur le bord de sa chaise, resta près d'une heure à causer d'une façon monosyllabique, tourmentant sa moustache et regardant constamment l'abbé, à qui, dans son coeur, il vouait une reconnaissance éternelle. Enfin il se leva pour partir, et seulement alors fit connaître le buf de sa visite. 11 venait, de la part de son père, inviter toute la famille à Vassemblée d'Angles, qui devait avoir lieu dans huit jours. Son message délivré, il salua, se trompa deux fois de porte, et finit par retrouver son cabriolet, qu'on entendit bientôt passer devant les fenêtres.

Quand Beauvais rentra, le cousin lui rendit compte de la visite de M. Delétang et lui transmit son invitation. « Ah I ah ! » dit Beauvais d'un air demi-enjoué el demi-mystérieux; puis il lança un regard d'intelligence au malheureux abbé : « Ah! ahl... eh bien, nous irons à Àugles tous quatre. Je vais faire nettoyer le char à bancs et écrire un mot au père Delétang. Mignonne Denise, apprête ta plus belle robe; major, préparez vos jambes, on dansera... oui, l'abbé, on dansera 1 »

VI

Le jeudi de la semaine suivante, dès le lin matin, comme on dit en Touraine, le char à bancs, traîné par le meilleur cheval des Templiers, roulait dans In direction d'Angles. Beauvais et Daniel, assis sur le siège de dovant, conduisaient tour à tour et échan-


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geaient des observations sur le trot et l'encolure du cheval ; sous la capote, l'abbé et Denise regardaient la campagne et restaient silencieux. On traversa le bois des Courtils. Il faisait une douce matinée. Le paysage était un peu voilé de brume ; mais on devinait le soleil levant derrière cette frôle vapeur. Au-dessus des voyageurs, le ciel bleuissait déjà. Un vent frais se plaignait mollement en passant à travers les branches des pins, et les premières feuilles jaunes venaient tomber sous les roues de la voilure. Denise, enveloppée dans un châle brun, s'était enfoncée dans l'un des coins et prêtait l'oreille aux joyeux propos de Beauvais et de Daniel ; l'abbé, mélancolique, regardait s'envoler les feuilles sèches. Il les voyait se détacher de la branche, tournoyer un moment dans l'air et descendre silencieusement sur la route. « Voilà l'automne, se disait-il, voilà la fin de la fête de l'année et aussi la fin de mes joies et de mes illusions ! » A chaque tour de roue qui le rapprochait • d'Angles, il sentait la terreur le prendre, et à mesure que la distance diminuait, son angoisse croissait. Le cheval, poussé par les voix de Daniel et de Beauvais, allait comme le vent. Déjà on côtoyait les rives de la Creuse bordées de peupliers. Escortée par les aboie" ments des chiens, la voiture passait au grand trot dans les rues des villages. L'abbé frissonnait, et ses regards émus allaient de Daniel à Denise, si rapprochés l'un de l'autre, si beaux, si jeunes, si souriants à la vie; C'était peut-être le dernier jour où il verrait çréuhis lès deux enfants de son coeur... Tant que M. Delétang n'était ■'.point apparu en personne, le cousin avait pu croire que ce fantôme matrimonial s'évanouirait en fumée; mais maintenant qu'on allait : à Angles, et que dans une heure on serait dans la maison du prétendu, l'aventure devenait sérieuse, et l'abbé, sachant combien peu il fallait compter sur l'initiative de Daniel et se défiant de son propre courage, l'abbé désespérait et se désolait. Denise, elle, contemplait les bruyères baignées de soleil, les rouges-gorges traversant -le chemin, l'uniforme de Daniel, et souriait. La voiture volait comme une flèche.

• Déjà on distinguait à travers les massifs les toits aigus du f bourg, déjà on entendait les rumeurs vagues de l'assemblée. Bientôt on fut en face d'Angles. Les maisons descendaient en joyeuses ; cascades jusqu'à la route, qui serpentait entre deux murailles de verdure et traversait la rivière sur un pont de bois. De l'autre côté du chemin, sur une colline rocheuse et escarpée, se dressaient les -belles ruines grises d'un château du temps de Richard Cceur-de; Lion, et les ruines elles-mêmes étaient dominées par une plate; forme au centre de laquelle s'élevait un calvaire. La voiture, ! toujours courant, fit son entrée dans la rue principale, toute encombrée de gens endimanchés. A la grande porte charretière du logis Delétang se tenaient le maître de la maison et un groupe d'incités, et à chaque nouvel arrivant cette avant-garde poussait un vigoureux hourra en guise de bienvenue. La cour était déjà garnie d'équipages campagnards rangés sur deux files. En un instant, la voiture de Beauvais fut entourée, dételée et classée dans ce curieux muséum de véhicules. M. Delétang père, petit homme réjoui et remuant, aussi grand discoureur que son fils l'était peu, s'empara de Beauvais ; Delétang fils offrit en frissonnant son bras à Denise, et le cousin et Daniel restèrent en arrière, un peu oubliés et désorientés.

Le déjeuner était prêt. On courut à la salle toute pleine de ; convives. Il y avait là une collection de campagnards berrichons et poitevins éleveurs de boeufs et de chevaux, la plupart en redingote, quelques-uns en blouse neuve et coiffés du chapeau à larges bords, tous gens bien endentés, trapus, hauts en couleur, prompts à la riposte, et éclatant en gros rires qui faisaient tinter les vitres et vibrer les verres,

Denise était placée entre les deux Delétang, en face du cousin, dont la sombre soutane et la mine pâle tranchaient au milieu des costumes bariolés et des figures épanouies. L'attention se porta bientôt vers une extrémité de la longue table où Daniel, qui avait vite rompu la glace, mettait tout le monde en joie par ses saillies et son entrain. On distinguait dans le choeur des voix joyeuses le rire large et prolongé de Beauvais. Cette joie faisait peur au cousin. Quant à Denise, elle riait sans savoir pourquoi, et établissait mentalement entre le mutisme de son jeune voisin et la verve du sergent-major un parallèle qui ne paraissait pas à l'avantage du premier.

Au dessert, les jeunes gens quittèrent la table el se dirigèrent

vers la place où se tenait l'assemblée. La place s'étendait à doux pas de l'église et dominait l'étroite el profonde vallée où coule l'Englin. Elle était plantée de grands acacias en quinconces. |)<.S boeufs, des génisses, des chevaux attroupés autour des premier arbres et gardés par de jeunes enfants, annonçaient la fôte par dos mugissements et des bêlements sonores. Puis on voyait, sur deus files, des tentes abritant sous leur ombre de nombreux buveurs attablés. Ils humaient leur piot et discouraient à lue-tête. Parfois, du fond d'une tente une voix s'élevait et entonnait sur un ton Irainant une interminable complainte. Le moindre rayon de soleil pu. nétranl sous cet abri faisait apparaître des faces cramoisies el des yeux allumés, tandis que les figures restées dans l'ombre pre. naientune teinte douce et mystérieuse. De distance en distance, des exusines en plein vent envoyaient en l'air des tourbillons de fumée. Autour,des marchandes de fouaces et de lourlisseaux' su pressaient les enfants, les drôles, aux yeux écarquillés, et les gan jaloux d'offrir à leurs amoureuses la plus grosse pièce de pâtisserie. — En Poitou, le présent d'un tourtisseau de deux sous fait par un garçon à une fille est toute une déclaration d'amour.

Pendant que M. Delétang et Denise rompaient ensemble UM fouace, — grande hardiesse qui avait fait rougir le jeune homme jusqu'au blanc des yeUx, — une longue et joyeuse rumeur s'élevait du milieu de la foule presstée autour d'un grand mât au sommet duquel s'agitaient et voletaient des pigeons prisonniers. « Bien touché! » criaient des voix, et on entourait Daniel, qui élevait gaiement en l'air un pigeon dont il venait de rompre ,1e lien d'un coup de fusil. « A un autre ! » dit Daniel, et, ressaisissant le fusil chargé, il l'épaula, pencha sa joue brune sur la crosse, lâcha la détente, et cette fois deux pigeons détachés tombèrent tout pantelants. « Coup double ! » s'écria-t-il de sa voix joyeuse. Et la foule ébahie applaudissait d'autant plus que le jeune homme venait de faire présent de ses pigeons à trois bonnes vieilles qui les mangeaient des yeux. Denise fut toute Hère de cet exploit, et le pauvre M. Delétang se sentit encore plus diminué et plus gauche. Pour un empire, il n'aurait voulu toucher le fusil.

Plus loin, dans un carré formé par quatre acacias, s'agitait le bal. Un vielleua) et un cornemuseuoe, installé sur deux tonneaux à l'abri du plus gros arbre, conduisaient toute la danse. Le vielleux, assis à califourchon sur un tabouret, avait mis bas sa veste; il était tout à sa musique ; il tournait énergiquement sa manivelle et marquait les cadences par un léger balancement de tête. Après chaque ritournelle; il manifestait sa joie par une grimace qui faisait brusquement tressauter ses besicles; en même temps, entre ses jambes ramenées en ayant, il serrait soigneusement une bouteille demi-pleine. Le cornemuseux, grand et maigre, avec une longue figure ombragée du feutre à larges bords, était debout el soufflait d'un air grave dans son étrange et curieux instrument. A leurs pieds, filles et garçons se trémoussaient dans un beau désordre : les filles relevaient du bout des doigts leurs jupes d'indienne, tandis que de la main restée libre les garçons serraient fortement leur parapluie rouge, objet de luxe, précieux et inséparable compagnon. Ils avaient dédaigné la bourrée locale et essayaient les figures de la contredanse; mais la vieille habitude prenait le dessus et le pas de bourrée reparaissait toujours.

Lorsque Daniel, Denise et M. Delétang furent tout près du bal : « Si nous dansions I s'écria Daniel. — Mais, répliqua Denise, je ne sais pas la contredanse; je ne connais que la bourrée, que la .Bruère m'a apprise. — Eh bien, nous danserons la bourrée; M. Delétang sera votre danseur, et j'aurai "bien vile trouvé^ une danseuse. » Il avisa une vieille femme, encore verte et ingambe, qui contemplait la danse avec bonheur et semblait loule prête il partir avec les danseurs. Ses yeux brillaient, sa tôle s'agitait en mesure, fovitson corps suivait la cadence, et ses pieds ne tenaient pas en place. « Vous savez la bourrée, ma mère? lui dit Daniel. — Ahl mon cher mignon, si je la sais! J'étais la première danseuse du pays au temps jadis... —Eh bien, voulez-vous la danser avec moi ? » El comme la contredanse était finie, il courut demander une bourrée aux deux joueurs, et moitié de gré, moitié do force, emmena la bonne femme prés do Denise et de son compagnon.

Au premier signal de la vielle, ils s'élancèrent tous qualrc elles autres danseurs les imitèrent. La vieille femme sautait comme à

Sortes do pâtisseries poitevines.


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vingt ans ; Denise était légère comme un oiseau : ses petits pieds glissaient alternativement sur le sol sans avoir l'air d'y poser; ses joues, animées par le plaisir, étaient devenues vermeilles; ses yeux bleus étaient inondés de lumière, sa bouche souriait. A un mouvement un peu vif qu'elle fil pour battre des mains avant de les tendre à son vis-à-vis, ses épais cheveux bruns à demi dénoués glissèrent de son large chapeau de paille jusque sur ses épaules. « Qu'elle est belle ! » songeait Daniel enthousiasmé. Et Denise, de son côté, admirait comme le jeune militaire avait vite saisi le rythme et le pas de la bourrée, et comme il frappait gaiement la terre du pied, et tournait, souple et agile, en ballant des mains à son tour. Elle prenait un peu en pitié le timide M. Delélang, qui s'embrouillait et perdait la mesure à chaque i nstant.

Tandis que Daniel et Denise sautaient sous les acacias, le cousin, dont la mélancolie redoublait et dont le coeur blessé ne pouvait s'aCcommoder du joyeux tumulte de l'assemblée, le cousin s'était dirigé vers le vieux château et, suivant le sentier rocailleux, il était arrivé au-dessus des ruines et s'était assis au pied delà grande croix de bois qui domine les tours effondrées, le village et la vallée entière. Le vent lui apportait encore par bouffées les rumeurs de la fête et les accords de l'orchestre, et à chaque explosion dé musique et d'éclats de voix son coeur se gonflait davantage et les larmes lui montaient aux yeux. Sa dernière espérance ne lui était-elle pas enlevée?... « C'en est fait, songeait-il, et Delétang l'emporte. J'aurais beau maintenant m'ouvrir à Beauvais et le supplier de donner Denise à Daniel, je n'arriverais qu'âme faire rire au nez. Que peut peser mon pauvre sergent, mis dans la balance avec le fils du riche Delétang? Et puis d'ailleurs Denise jusqu'à présent n'a montré aucune préférence pour Daniel, et Daniel lui-môme est trop fier pour hasarder la moindre démarche. » Et, ramenant ses bras sur sa frôle poitrine; il levait les yeux vers le ciel pur et profond. « 0 Denise, disait-il, ta fille va donc appartenir à un étranger? Ce dernier lien qui nous unissait va donc être brisé ?... J'ai fait ce que j'ai pu. » Il tourna ses regards vers la croix aux grands bras noirs étendus, et ajouta mentalement : « Dieu, qui a placé Daniel sur mon chemin et qui m'a ramené près de la fille de Denise, peut encore, s'il le veut, unir ces deux enfants en dépit de tout. Je mets en lui ma dernière espérance... »

Peu à peu le soleil s'était enfoncé derrière la colline boisée ; la rivière reflétait maintenant les teintes rouges du couchant. Le cousin restait toujours pensif au pied du Calvaire ; tout à coup il s'entendit appeler et vit Daniel accourir tout essoufflé. « Le cheval est attelé, lui cria ce dernier ; on n'attend plus que vous, mon cousin 1 » Ils descendirent ensemble, Denise était déjà dans la voiture. Beauvais, la mine allumée et joyeuse, donnait force poignées de main à MM. Delétang père et fils. » Je vous attends dimanche prochain t » s'écria-t-il en montant sur le siège auprès de Daniel, et, le cousin ayant aussi repris sa place, Beauvais allongea un maître coup de fouet sur le dos du cheval, qui partit au grand trot.

La nuit était semée d'étoiles. Denise, encore tout enfiévrée par le bal, mais silencieuse, s'était blottie dans son coin ; le cousin fermait les yeux et priait, Daniel lui-même semblait rêveur. Quant A Beauvais, le vin blanc et le bon accueil des Delétang l'avaient mis en belle humeur: il avait la voix haute el le rire bruyant. De temps en lemps il interrompait ses propos pour faire claquer son fouet, et la course du cheval, un moment ralentie, reprenait de plus belle; les sabots, fraîchement ferrés, retentissaient sur la roule sonore et faisaient feu dans la nuit. Ce cheval, « une bête sans prix, » disait Beauvais, n'avait qu'un petit défaut : il était peureux comme un lièvre et, quand il avait peur, il parlait au triple galop droil devant lui. Déjà on avait fait plus des deux tiers du chemin, quant à l'entrée du village de Barrou, l'animal s'effaroucha d'un rayon de lune reflété dans une flaque d'eau. Il dressa les oreilles, fil un écart, renifla bruyamment, puis s'élança en avant et traversa le village comme un ouragan. Beauvais, qui savait qu'au sortir de Barrou la roule, riveraine de la Creuse, tourne brusquement, Beauvais s'efforçait do le contenir, et tirait énorgiquemont les guides à lui ; A une secousse inattendue elles se rompirent, et le cheval, se sentant libre, redoubla son infernal galop, menaçant à chaque minuto do ronvorsor lo char à bancs dans la Creuse. Denise, pâle et les lôvros serrées, se retenait au dossier du banc où Daniol était appuyé ; celui-ci so rolourna ol vil sa blanche (lguro au clair do lune. So lovant loul à coup, il s'élança comme un chat sur lo dos du

cheval, saisit les débris des traits rompus, et, au risque de se faire tuer vingt fois, se laissa glisser et pendre à la tête de l'animal. Il fui pendant quelques secondes traîné à la remorque du cheval ; mais comme il avait des nerfs d'acier, il se raidit de plus en plus, et força la bête à ralentir son galop ; enfin elle s'arrêta vaincue et toute frémissante.

Les voyageurs descendirent, l'abbé courut à Daniel, et le voyant sain et sauf et souriant, revint vers Denise, qui s'était assise, tremblante et muette, sur le bord de la route. Beauvais, tout penaud des méfaits de son cheval sans pareil, tourna autour de la voiture, constata qu'elle était disloquée, et annonça qu'il fallait retourner à Barrou pour la faire remettre en état.

Denise se leva et déclara que pour rien au monde elle ne remonterait dans le char à bancs. « Ne te fâche pas, mignonne, répondit Beauvais très adouci, il n'y a plus que deux petites lieues d'ici aux Templiers, et en prenant la traverse des Courtils on peut encore raccourcir le chemin. Vous avez tous de bonnes jambes, et la nuit est belle. J'irai seul à Barrou en menant le cheval par la bride, et dans deux heures au plus tard nous nous retrouverons au logis. — Eh bien, alors, dit le cousin d'une voix un peu embarrassée, Daniel va vous accompaguer, tandis que Denise et moi nous suivrons la traverse. — Non, certes, reprit Beauvais de son ton goguenard, vous êtes trop distrait, cousin, et le major sait déjà les chemins mieux que vous. C'est lui qui vous conduira. Allons, bon voyage et à bientôt 1 »

Il fit rebrousser chemin au cheval et s'éloigna dans la direction de Barrou.

Us restèrent un moment immobiles tous trois sur la route ; puis l'abbé, qui dans tout cela voyait le doigt de Dieu, dit à Daniel : « Voyons, offre le bras à Denise; moi, j'ai la mauvaise habitude d'aimer à marcher seul, et je vous servirai d'arrière-garde. »

lis montèrent lentement le chemin pierreux qui longe le château des Courtils. D'abord ils marchèrent tous trois l'un près de l'autre, causant de l'accident, et se communiquant leurs sensations. Denise ne pouvait se lasser d'admirer le sang-froid et l'énergie de Daniel, et elle exprimait sincèrement et naïvement son admiration. « Il a toujours été audacieux, » disait l'abbé. Et il racontait comment tout enfant, Daniel avait monté un cheval fougueux et avait été rapporté au presbytère à demi mort. Au haut de la moutée, l'abbé s'arrêta essoufflé et s'assit au pied d'un arbre. Les jeunes gens, tout occupés de leur causerie, se bornèrent à ralentir le pas, et continuèrent à s'engager lentement dans le bois. L'abbé les regardait s'enfoncer peu à peu sous les branches ; la clarté de la lune baignait leurs jeunes têtes. Il soupira fortement et songea à ce qui venait de se passer. Certainement Dieu lui avait fait la grâce de l'entendre, et l'événement de tout à l'heure était le résultat d'une intention providentielle: Daniel et Denise étaient faits l'un pour l'autre, et Dieu voulait les unir. Tout cela était visible, et l'abbé; confiant dans l'honnêteté de son pupille et répondant de Denise et de Daniel comme de lui-même, resta assis sous son arbre et regarda le couple disparaître sous la chênaie. Dix minutes après, un houpl joyeux, un appel de deux fraîches et jeunes voix retentit dans la nuit paisible. L'abbé répondit faiblement, et demeura assis.

Cependant les deux jeunes gens s'étaient engagés dans un chemin couvert dont les branches entrelacées formaient sur l'herbe des treillis d'ombre et de lumière, et sous ce berceau demi-obscur et demi-éclairé ils marchaient en causant. Ils souriaient et parlaient de choses indifférentes, mais au fond de leurs coeurs s'agitait je ne sais quelle douce inquiétude. Leurs pieds légers semblaient à peine effleurer le gazon fin et ras que la lune teignait d'une couleur bleuâtre, leurs bras se serraient mollement, leurs voix résonnaient alternativement dans la nuit comme le chant de deux rossignols qui luttent d'harmonie, ou parfois s'élevaient ensemble vers le ciel comme deux ramiers qui prennent leur volée. Quelquefois elles se taisaient au même instant, et dans le silence qui suivait, on entendait au loin, apporté par le vent du soir, le bouillonnement tnélancoliquo des eaux de la Creuse.

(A suivre.) ANDRÉ THKCMKT.


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LA SEMAINE LITTÉRAIRE

REVUE POLITIQUE

ENTUE HOMMES JAUNES

La guerre dont l'Extrême-Orient est aujourd'hui le théâtre paraît intéresser si peu le public européen, qu'il semble vraiment que lès événements de Corée se passent sur une autre planète. Qu'une dépêche nous annonce que 1500 Célestes ont été coulés à fond avec leur navire éventré par une torpille, c'est à peine si cette lointaine catastrophe est capable d'éveiller en nous une passagère émotion, moins poignante à coup sûr que celle que nous ressentons à voir de nos yeux un chien écrasé sous les roues d'une voiture de tramway.

Soumis à une loi dont la formule est la même que celle de la gravitation, les événements agissent sur nous en raison inverse du carré des distances. Et puis, tous ces petits soldats qui se préparent à s'ouvrir mutuellement le ventre, ont la peau jaune, les yeux bridés et sentent une mauvaise odeur de graisse rance. Autres seraient sans doute nos sympathies pour nos arrières-cousins les Hindous.

Il se peut que Identité métaphysique qu'on appelle « Humanité» soit dans le devenir, ce qui suffit à justifier sa valeur aux yeux des philosophes et des prophètes, mais, à coup sûr, elle est encore loin d'être une réalité actuelle. Nous distinguons mal les liens matériels ou idéaux qui nous rattachent aux magots de la Chine et du Japon, et nous avons le sentiment qu'ils descendent d'une espèce de singes différente de celle dont nous nous vantons d'être les héritiers en ligne directe. En remontant plus haut encore dans l'arbre généalogique de l'espèce humaine, peut-être découvrirait-on que les singes ancestraux des hommes blancs, des hommes jaunes, des hommes noirs et des hommes rouges ont eux-mêmes un ancêtre commun dont l'existence donnerait, jusqu'à un certain point, raison aux partisans de l'humanité unique contre l'hypothèse des humanités multiples et de nuances diverses. Le difficile est d'apporter un document précis au débat, les archives de nos premiers parents ayant été tenues avec une négligence à jamais regrettable. C'est tout au plus si les privilégiés d'entre nous arrivent à démontrer qu'ils remontent aux croisades.

Toutefois, nous ne pouvons nous désintéresser des querelles entre hommes jaunes, car elles peuvent avoir leur contre-coup, prochain ou lointain, jusque dans notre vieux continent. La planète que nous habitons est un logis si étroit que ses habitants n'y ont même pas leurs coudées franches pour vider à leur aise leurs différents. Le tapage gène les voisins ; les voisins protestent, s'entremettent, interviennent, et la .mêlée devient générale.

Et puis n'oublions pas le « péril chinois», ce terrible péril chinois que nous montrent à l'horizon les hommes dont la perspicacité sait discerner au loin les signes précurseurs des calamités possibles et des catastrophes éventuelles.

Les sujets actuels de conversation pour les dîners à la campagne sont rares par le temps qui court ; une fois qu'on a parlé des variations de la température, du Lys rouge, du Silence, des rues de notre bonne ville de Genève ornées de fils de fers entrecroisés, de câbles et de férailles diverses, par des ingénieurs doués de ce sentiment d'art vraiment moderne, dont Chicago reste l'incomparable modèle; des progrès que lait chaque jour dans le meilleur monde la triomphante vélocipédie ; à l'heure bavarde du café et du cigare, on en vient naturellement à discuter, avec une souriante indifférence, la question de la guerre de Corée,

«— Faisons des voeux pour le triomphe dos Chinois, nous disait un brillant écrivain qui collabore à cette revue. -■

Et pourquoi donc ? — Parce que s'ils étaient vaincus, ils

deviendraient dangereux Sans doute I Battu et humilié, le

Céleste empire se recueillerait et préparerait en silence la revanche. Nous verrions alors une génération de Roons et do Moltkes chinois qui feraient de leur pays, avec ses inépuisables réserves d'hommes, la première puissance militaire du monde. A ce moment-là l'Europe, apaisée, désarmée, tombée à l'état de la Rome du bas empire, serait devenue une proie toute désignée à l'invasion chinoise. »

Une menace à si longue échéance n'est pas pour nous troubler outre mesure. Et puis la lutte à mort contre d'innombrables légions chinoises ne pourrait-elle pas être le salut de la vieille Europe? Les combattants du vingtième siècle, unis pour la défense de leurs biens les plus chers, y prendraient conscience de cette grande Patrie européenne, dont la formation s'annonce déjà au temps actuel, et peut-être qu'alors le souffle d'héroïsme des Thermopyles passerait une fois eneore sur les champs de bataille où se jouerait le sort du monde. Rien ne nous empêche de nous rassurer par cette généreuse pensée, si toutefois Aous tenons à être rassurés, ce qui n'est pas dans les goûts de tout le monde.

« * *

Avez-vous remarqué que depuis le moment où les hostilités ont été officiellement ouvertes, elles paraissent être arrêtées ; la flotte chinoise, désireuse d'en découdre, recherche la flotte japonaise, et la flotte japonaise, bouillante d'ardeur, pourchasse la flotte chinoise. Par un singulier hasard, les adversaires, à l'heure où nous écrivons, n'ont pas encore réussi à s'atteindre. Je me représente qu'ils se livrent dans le golfe du Pe-Tchi-Lià un manège analogue à celui des chevaux de bois, lesquels, ainsi que chacun peut le remarquer, se poursuivent sans trêve, mais sans espoir de se rejoindre. En Europe on trouve que cela traîne, et l'on juge avec sévérité la conduite de ces marins ; c'est une déception générale. Songez donc, depuis que les plus belles inventions de la science moderne ont permis d'arriver à ce magnifique résultat de faire sauter d'un coup des vaisseaux de ligne avec tout leur équipage, nous n'avons pas assisté à un seul combat naval sérieux. Les Chinois étant une nation prolifique, paraissent tout désignés pour se prêter à d'intéressantes expériences sur les matières explosibles. L'amiral Courbetle leur fit déjà bien voir; mais il nous faudrait des essais plus concluants, et nous en voulons à la flotte du Céleste-Empire de ne pas s'y prêter de meilleure grâce.

Au point de vue des Chinois, les choses se présentent sous un aspect un peu différent, et s'il nous était possible de nous mettre dans leur peau jaune, à laquelle ils tiennent à peu près autant que nous à notre peau blanche, nous arriverions, je crois, à les comprendre, et nous ne prétendrions pas les empêcher de tourner en rond dans le golfe du

Pe-Tchi-Li, à distance respectueuse des torpilles japonaises.

* * * »

Quant à ce qui se passe sur terre, à l'intérieur de cette étrange presqu'île de Corée qui nous est à peine mieux connue que les continents de la planète Mars, il faut renoncer à nous en faire la moindre idée. Tant que Chinois et Japonais tiendront chacun le bout d'un câble, ils continueront de nous câbler leurs triomphants bulletins de victoire. L'on ne saurait môme pas dire que ce soit là un procédé chinois ; il s'oxplique par un sentiment bien humain. Qu'on se rappelle seulement la peine que nous avions en 1870 à savoir ce qui se passait de l'autre côté du Jura, et la manière dont concordaient les nouvelles reçues des doux camps.

Il no semble pas que beaucoup do reporters neutres et indépendants soient partis pour lo théâtre des hostilités. Prudente, réserve I On a des raisons do croire que les chefs de


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'irmôedeMandchourie no se prêteraient pas do bon gré à lïnôrviow ; l'entretien risquerait do se terminer do telle sorte ne le correspondant ne pourrait plus envoyer lo compte ondu à son journal. La personne du journaliste ne paraît pas ncore inviolable et sacro-sainto dans le Céleste-Empire omme elle l'est dans nos pays civilisés ; il se trouverait dans 'armée chinoise des malotrus capables d'enterrer jusqu'au 0u M. Ghincholle lui-même, de manière à lui rendre imposible le maniement de la plume et, par conséquent, l'exercice e sa vocation.

Le mieux est donc de suivre les événements depuis son ureau de rédaction, et de planter au petit bonheur des épinles à têtes colorées dans les cartes de Corée sur les noms de 'illes que les langues les plus agiles se refusent à prononcer. a campagne actuelle est le triomphe des stratégistes en hambre et des marchands de dépêches. Si je vous annonce, moi, que les Chinois ont été taillés en pièces à Che-Chsam-Fé, aissant dix mille morts sur le champs de bataille, où donc orait l'homme assez téméraire pour affirmer le contraire ?

Les journalistes européens ont en général décrété que les aponais remporteraient d'abord de brillants succès grâce à leur armement supérieur, mais que les Chinois reprendraient ensuite l'avantage en jetant dans la balance le poids de leurs innombrables bataillons. Je n'ai rien à objecter à cette manière de voir, ni vous non plus, je pense.

PAUL SEIPPEL.

ECHOS DE PARTOUT

Trois expositions sont ouvertes en ce moment en Suisse, une «xposition zurichoise à Zurich, une exposition vaudoise à Yverdon, une exposition belge à Genève. Un heureux concours de circonstances, m'a permis de les visiter toutes les trois dans cette dernière semaine. C'est vous dire que je n'ai pu les étudier et les juger en critique, mais seulement les parcourir en bon badaud qui ne demande qu'à être amusé un instant. Ces exhibitions vous donnent exactement en quelques heures le genre de plaisir peu raffiné mais très réel que vous pouvez goûter en flânant par une ville el en contomplanties vitrines de quelques centaines de boutiques.

A Zurich, la place d'honneur revient sans doute aux métiers à lisser la soie, qui fonctionnent du matin au soir sous les yeux des visiteurs. Lesétoffes ainsi confectionnéessonlfort belles, et plusieurs des ouvrières qui dirigent les machines sont forljolies, cequi ne gale jamais rien à l'affaire. Il y a d'ailleurs tout au inonde dans ces vasles hangars de la Tonhalle, et je né vois pas trop ce que la petite industrie zurichoise ne produit pas. Une énumération complète sorait fastidieuse autant que la lecture d'un dictionnaire abrégé des arts et métiers. Laissez-moi vous dire ce qui a flatté, au passage, mes goûts de bourgeois sédentaire. C'est d'abord une merveilleuse robe de chambre, oeuvro du tailleur Paschoud, moelleuse el somptueuse au regard, évoquant, dans l'ennui do ce retour agressif de la canicule, les douces, les longues, les bienfaisantes soirées d'hiver sous la lampe, au coin du feu, avec un bouquin el un cigare. Et, comme contraste à ce bon vêlement familier,' la collection lugubrement grotesque dos costumes sporliques, bien faits assurément pour donner à nos descendants l'horreur de celle humanité caricaturale d'aujourd'hui, qui courlàbicyclello, qui s'éprend de yachting, do lawn-lennis, de fool-ball et de conlaulros singeries à peine anthropomorphiques importées d'Angleterre.

Los meublos, les tapisseries, les parquetories sont surabondamment représentés à l'exposition do laTonhallo: tout cola osl cossu, solide, d'un goût plus riche que sûr, un peu épais, el déparé trop souvent par dos prétentions artistiques à poino supportables. Go mauvaisgoq.téclato sans rolonuo dans los pseudo-vitraux, dans los ""lombrablos pianos lourdement surchargés d'ornomonls inutiles,

dans la complication puérile de certains meubles qui veulent être à la fois colTce-forl, table à écrire, commode et bibliothèque. Le goût germanique du clinquant sévit douloureusement dans certaines régions de l'exposition. Quant aux derniers vestiges de l'esprit classique, ils se sonl réfugiés dans les écuries modèles, où les places réservées aux chevaux portent les noms do Nero, Juno, Plulo, Hector ou Proserpine.

J'ai vu encore avec plaisir les instruments du luthier Zuest, un, habile homme qui vous fabrique à volonté des Amati, des Stradivarius ou des Guarnerius. La forme y est, à coup sûr; quant au son je n'en ai pas pu juger, car il est sévèrement interdit de toucher aux objets exposés. Les meubles pour enfants de M. Emile Baumann, à Horgen, sonl d'une rare ingéniosité : l'utile et l'agréable y sont si bien combinés qu'une mère soigneuse peut sans scrupule y laisser son bébé pendant une matinée entière. Tout est prévu et calculé pour que le petit être puisse se passer de tout secours étranger... Dans les travaux des femmes, parmi d'invraisemblables amoncellements de broderies, mouchoirs, essuie-mains et chapeaux j'ai vu avec plaisir un beau bébé, tout souriant et tout rose. Detous les produits du travail des femmes, c'est celui-là sans doute, qui pendant longtemps sera le plus apprécié et le plus admiré du sexe égoïste el barbu.

L'exposition d'Yverdon est plus gaie, plus pimpante, plus bon enfant que celle de Zurich. L'exquise politesse des employés, leur prévenance, leur empressement font l'étonnement de tous les visiteurs et les disposent d'emblée à la belle humeur. Comment ne pas aimer et ne pas admirer une maison où l'on est si bien reçu ? Je ne puis songer à résumer ici les longs et intéressants articles publiés par les journaux quotidiens sur l'exposition vaudoise. Je me borne à engager le lecteur à se rendre à Yverdon : il en reviendra instruit el amusé, charmé de la bonhomie qui est le trait dominant de cette exposition. Le travail des cigareuses de Grandson l'intéressera vivement, et les hauts trophées de bouteilles où les grands crus vaudois étalent fièrement leurs noms glorieux et vénérés le plongeront dans de longues et douces rêveries. La section des beaux-arts (car à l'inverse de Zurich, on n'a point dédaigné l'art à Yverdon) mérite une visite. Elle présente, comme principale attraction, cinq grandes toiles, anciennes ou nouvelles, d'Eugène Burnand; un admirable portrait de femme âgée qui pourrait bien être le chef-d'oeuvre de ce maître, et toute une série d'études au crayon faites en Suisse, en Andorre, parmi les contrebandiers du Jura ; ces études révèlent à la fois toute la conscience de l'artiste, et son don de psychologie forte et sûre qui lui fait choisir en chaque occasion pour modèle le type complet et caractéristique de toute une race, de toute une profession, de toute une classe d'hommes. Voyez, à litre d'exemple, 300 bûcheron valaisan ou son armurier de Moudon, et comparez cela aux types quelconques que tant de nos peintres s'amusent encore a peindre.

Et je vois qu'il me faut renvoyer à huitaine ce que je voulais vous dire des Belges, de leur industrie et de leur peinture.

M. Eugène Ritter vient de publier, à la suite du discours qu'il a prononcé à l'Institut genevois sur le centenaire du philologue allemand Diez, une série fort curieuse de lettres adressées par Roumanille au Genevois Victor Duret, auteur d'une Grammaire savoyarde éditée l'an dernier par un libraire de Berlin.

Tout le monde connaît au moins le nom du libraire d'Avignon, du chef el de l'ancêtre du félibrige, du fondateur de l'Armana provençau, du poète de Ll Margaridelo. Ses lettres nous apprennent en outre combien Roumanille fut honnête homme, et modeste, exempt de jalousie el peu assoiffé de réclame. C'est une joie de voir un poète aussi peu « gondeletlre », une joie rare aujourd'hui et qu'il faut savourer.

Duret voulait révéler au public suisse, par des artiolos de revuo, la porsonne et l'oeuvre du poète provençal.

Roumanille lui répond avec une simplicité, une absence de blague cl do préoccupations personnelles qui doit donnera rélléchir


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aux nombreux Tartarins du Nord, lesquels se gaussent avec excès de leurs congénères du Midi. Ecoûtez-le plutôt : « Croyez-vous que je sois homme à pouvoir vous décrire comme vous le désireriez, le pays natal de Roumanille, celui de Mistral, celui de Crousillat, celui d'Aubanel et celui de lulti quanti ? Le ciel de Mistral est»celui de Roumanille. Mistral vit dans un village, à une lieue au nord de Saint-Rômy, dans une plaine fertile, qui a pour limites, au midi, les montagnes les plus bleues et puis les plus dorées que vous puissiez imaginer : les Alpines, ces petites soeurs des Alpes, au pied desquelles vit et aime et travaille ce que j'aime le mieux au monde après le bon Dieu : mon père, ma mère, mon frère, mes soeurs ; mon père, jardinier, vieux soldat de l'Empire, dont les récits ont émerveillé ma jeunesse et font encore parfois le charme de mon âge mûr ; ma mère, admirable chrétienne, royaliste ardente, humble femme toute rayonnante, dans sa verte vieillesse, de l'auréole de l'amour, du travail et de l'honneur; mes soeurs, pieuses comme des anges, sereines comme le ciel, vêtues comme une de mes deux sounjarello ; mon frère, jardinier comme mon père, jardinier comme je l'aurais été moi-même si dans mon enfance j'avais été moins frêle, moins délicat, moins malade !...

» Oh I tenez, je me prends d'un subit attendrissement en vous disant ces choses : à regretter de n'avoir pu, comme mes chers travailleurs, labourer avec mes boeufs les champs paternels ; à regretter de n'avoir pu vivre oublié, mais heureux ; illettré, mais indépendant... Eh bien, non 1 il a fallu, au lieu de respirer l'atmosphère sainte du travail et de la famille, d'abord enseigner le ba dans une classe humide et sans soleil, en proie à des enfants (cet âge est sans pitié) ; il a fallu perdre, pour ainsi dire, la vue, neuf années durant, à subir de fastidieuses et brutales épreuves. Et il faut maintenant acheter et vendre des livres, et quels livres, le plus souvent !

» Mistral est bien plus heureux : il écrit, à cette heure, au milieu des champs qu'il aime, surveillant ses laboureurs, et labourant au besoin avec eux, le 9» chant de sa grande épopée rustique et provençale, oeuvre éminemment sérieuse, et qui fera époque dans notre littérature néo-latine. Jeune, riche, beau, aimé, inspiré, il chante dans sa riante solitude; il chante mélodieusement, à la façon des plus grands chanteurs et trouveurs... »

Citons encore les dernières lignes que Roumanille écrivait, en 1885, à Duret devenu son ami :

« Mon cher Victor, nous sommes vieux décidément, car nos papiers sont honnêtes, et ont le sens commun. Oh t combien ils diffèrent des papiers que l'on met à cette heure en grande lumière, qui déraisonnent, puent et tuent t »

Jugement un peu sommaire du bon félibre, mais jugement plus juste peut-être qu'il n'en a l'air,

« •

Je n'ai que le temps de vous signaler, en terminant, un volume de vers gais, et pimpants et prestes, qui vient d'éclore sur notre sol, A Champel, Ces rimes hydrothérapiques de M. Stanislas de Bonnecure sont à la fois millionnaires et joyeuses, deux vertus qui ne vont pas toujours ensemble. Elles sont drôles, elles sont sans prétention, elles chantent un coin charmant de chez nous, ce Champel qui a rendu Genève aussi populaire en France, en Italie et en Russie, que les oeuvres de M. Merle d'Aubigné l'ont fait en Angleterre, Lisez ça et dégustez-le, et surtout allez contrôler sur place la véracité de l'aimable poète. Et c'est que vous aurez l'âme mal faite, et le corps dégénéré si vous ne célébrez pas comme lui l'incomparable chef de Beau-Séjour :

Maillard, maitre-queux de céans, Est un artiste méritoire. Autour de sa table séants A sa santé nous allons boire

Et nous boirons en outre à la santé du poète qui nous a donné,

en riant, un bain de belle humeur, de rimes réconfortantes, d'esprit

enjoué et souriant.

CHANTEOLAIR

PROPOS DIVERS

Ce l« soptombn,,

Vite encore quelques robes d'été, les dernières, car la saiso» s'avance, et il ne nous reste guère que quelques semaines pou, jouir des beaux jours, de la nature en fleurs et... pour nous véti, légèrement. Mais septembre est encore un beau mois, souvent k plus beau de l'année dans nos climats, et, à moins que le soleil se rende coupable d'une impardonnable trahison, d'autant pi^ impardonnable qu'au mois d'août il n'a pas été glorieux, nous pou. vons compter encore sur une série de belles journées. Il n'est dont pas trop tard pour parler encore des robes de la belle saison.

Voici entr'autresunejolietoilette pour jeune fille, à la fois pratiq^ et élégante. La jupe, tout unie, est en batiste blanche à Ans dessins noirs. Sa seule garniture est une longue ceinture en ruban de moire blanche, fixée à la taille par une boucle et sans noeud. hj corsage froncé est posé avec une petite tête à l'empiècement, le. quel est en simple batiste blanche, finement plissée. Les manches sont blanches aussi, formées de quatre bouillonnes et d'un volant, Le col droit ferme derrière sous un noeud assorti à la ceinture.

Toilette de dîner. — Robe de belle moire noire, dont la jupe en éventail, sans garniture apparente, est bordée sous son contour inférieur d'un bouillonné et jd'un volant découpé en taffetas noir comme la doublure. Le corsage, taillé en pointe, est décolleté en coeur devant et derrière. Il est garni d'une dentelle écrue posée le long de l'ouverture, se terminant à la taille sous une ceinture de velours rubis, repliée deux fois, qui suit le bord inférieur du corsage, et se ferme invisiblement sur le côté. La poitrine est traversée par un bandeau de même velours rouge, qui se termine à gauche sous un gros noeud. Les manches, très bouffantes, s'arrêtent au coude et sont garnies devant et derrière d'une bande de velours plissé qui descend de l'entournure au bas de la manche, où elle forme un chou. De longs gants glacés jaune paille complètent cette riche toilette.

Toilette de ville* — Robe en joli lainage bleu, avec un dessous de taffetas bleu, sur le côté duquel la jupe de laine s'ouvre dans toute sa'hauteur, formant ainsi comme une grande tunique qui s'attache à la taille en formant un pli creux, Cette tunique est garnie tout le long de l'ouverture d'un biais de moire noire. Un noeud ou un chou se place dans le milieu de la hauteur sur ce biais. Le corsage est garni d'un plastron de velours froncé et d'un grand col de moire. Ce col s'ouvre en pointe et est entouré d'un petit plissé de gaze. Une ceinture de moire se ferme sous deux petits choux. On peut très bien simplifier cette toilette en remplaçant le dessous de taffetas bleu par une jupe de même lainage que la robe, en la garnissant dans le bas d'un biais de moire assorti au reste du costume.

La coupe d'une jupe est chose assez difficile par le temps qui court, et il peut être utile de l'expliquer aux jeunes personnes prises d'une noble ardeur pour la confection de leurs robes. En ce moment, on donne-aux jupes une ampleur qui varie entre 3 m. 80 et 4 m. 20 pour le bas de la jupe. Si le tissu employé est en grande largeur (1 m. 20), voici comment on la taillera :

On met pour le devant un demi-lé (60 cent.) auquel on donne I» forme d'un tablier en le biaisant de vingt centimètres de chaque côté. A droite et à gauche de ce tablier on place un lé plein, auquel on a ôté un biais de quarante centimètres, se terminant en pointe dans le bas et ne diminuant en rien la largeur de l'étoffe au bord inférieur. Les deux pointes qui tombent sont ajoutées aux deux lés afin de donner au bas de la robe l'évasement indispensable à la jupe dite « cloche » qu'on arrondit alors soigneusement On ferme la couture de derrière et l'on monte la jupe en la fronçant sur une petite ceinture.

Si l'étoffe est en petite largeur (60 cent.), largeur ordinaire du taffetas et des soieries), on met par devant un lé entier biaisé en tablier comme ci-dessus, et de chaque côté deux lés pleins. On les biaise à la coulure du milieu par derrière et toujours on y ajoute les pointes qui tombent, afin d'élargir le bas de la jupe.

Avec ces quelques indications, je défie nos jeunes ouvrière* improvisées d'estropier leur étoffe et de la « coupacher » inutilement.

FRANQUETTE.

ORNÈVB. — IMPRIMERIE PIOR (MAURICE RKVMOKD fc O»)