LE BRACONNIER
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Dans un coin du département du Loiret, quelque part du côté de Pithiviers, s'élèvent, à peu de distance l'un de l'autre, le village de Laborde et le château de Richef'ort. Le pays est en général plat et uni à l'entour, mais, comme il est bien boisé et bien vert, grâce à plusieurs petites rivières ou ruisseaux qui l'arrosent, comme surtout il est presque aussi fertile .que la Beauce, sa voisine, on peut dire de lui que c'est à la fois un beau et bon pays. Pour les pays comme pour autre chose, le bon n'est pas toujours camarade du beau.
Au commencement de la Restauration, époque où se passèrent les événements que nous allons raconter, Laborde ressemblait, ou peu s'en faut, à tous les villages de l'Orléanais. Les maisons de pierre, formées d'un seul rez-de-chaussée, couvertes d'un toit de chaume, aux portes basses, aux fenêtres étroites, se groupaient autour du clocher paroissial comme le troupeau autour du pasteur. L'aspect en eut été assez misérable, si deux ou trois habitations bien blanchies, proprettes, qui semblaient se tenir dédaigneusementà l'écart, n'eussent réjoui les yeux par leur apparence confortable et bourgeoise. L'une d'elles, surtout, placée à l'entrée du village, du côté de Richefort, avait un air d'élégance qui eût rappelé une villa des environs de Paris. Plus
tard, nous saurons par quelles notables personnes elle était occupée.
Le château de Richefort s'élevait à un quart de lieue environ de Laborde. Peut-être autrefois cet édifice encore imposant avait-il été orné de tours, de créneaux, de mâchicoulis, mais 93 et la bande noire lui avaient laissé bien peu de chose de sa grandeur passée. Ses maîtres, en revenant de l'émigration, n'avaient guère trouvé que les quatre murailles de leur demeure héréditaire ; encore ces murailles étaient-elles si délabrées qu'il avait fallu les jeter bas ; mais on avait soigneusement employé les anciens matériaux dans la construction moderne, et le bon chevalier de Richefort, le propriétaire, était convaincu qu'il n'avait fait que ?-éparcr le château de ses pères. Or, cette réparation était comme celle du couteau de Petit-Pierre, dont on avait changé plusieurs fois la lame et le manche, et qui se trouvait toujours être le même. Quoi qu'il en soit, l'habitation était vaste, commode; son toit d'ardoises portait fièrement les girouettes dorées qui surmontaient les pignons. Un beau jardin potager, un grand parc entouré d'une haie vive et d'un fossé profond, la flanquaient par derrière. Les derniers arbres du parc rejoignaient les hautes futaies d'une magnifique forêt, qui, suivant toutes les ondulations du terrain, s'étendait jusqu'aux limites de l'horizon.
A l'époque dont nous parlons, cette belle propriété appartenait encore à la famille de ses pre-