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Titre : Bulletin de la Société philomatique vosgienne

Auteur : Société philomatique vosgienne. Auteur du texte

Éditeur : Typ. et lithogr. L. Humbert (Saint-Dié)

Date d'édition : 1938

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34454426d

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb34454426d/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

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Description : 1938

Description : 1938 (A63).

Description : Collection numérique : Fonds régional : Lorraine

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k55053728

Source : Bibliothèque nationale de France

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 19/01/2011

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BULLETIN

DE LA

SOCIÉTÉ PHILOMATIQUE

VOSGIENNE

63ME ANNÉE - 1938

Saint-Dié — Imp. Etabl. C. CUNY 1938



BULLETIN

DE LA

SOCIÉTÉ PHILOMATIQUE

VOSGIENNE

63ME ANNÉE - 1938

Saint-Dié — Imp. Etabl. C. CUNY

1938


AVIS

La Société laisse aux auteurs des Mémoires qu'elle publie toute la responsabilité des opinions qui y sont émises.

Les Sociétaires reçoivent gratuitement le Bulletin à partir de l'année de leur admission.

Les Sociétaires qui changent de résidence sont instamment priés de bien vouloir indiquer leur nouvelle adresse.

Le prix élevé du Bulletin ne permet malheureusement pas à la Société d'en offrir plusieurs exemplaires à ses collaborateurs. Ceux qui désireraient des tirages à part peuvent s'adresser à M. CUNY, imprimeur.

Pour toute communication concernant la Société, la rédaction ou l'administration du Bulletin, les adhésions, etc., prière de s'adresser au Président, M. PlERROT, bibliothèque municipale, 13, rue d'Hellieule, St-Dié ; pour toutes questions concernant 1 encaissement des cotisations, à M. le Capitaine CoNTAL, 4, quai du Torrent à Saint-Dié. C. C. P. : 323,30 Nancy.

Il reste à la bibliothèque de la Société un certain nombre d'exemplaires des numéros anciens du Bulletin. Ceux qui désireraient s'en procurer sont priés de s'adresser à M. PIERROT qui leur indiquera le prix du volume désiré, ce prix variant naturellement avec le nombre d'exemplaires disponibles.


A. PIERROT.

Légendes Vosgiennes

LES FÉES

Préface de Maurice POTTECHER

28 illustrations d'après des clichés de V. FRANCK et de Paul EVRAT, une composition d'André ENGEL, un fusain d'Emile GERLACH, et deux dessins d'Auguste JACQUOT. Une carte des lieux cités


Pour paraître en 1939 :

LÉGENDES VOSGIENNES

LE DIABLE


Bibliographie

MANGIN (CL.). — Dissertation sur l'antiquité du Château de Darnayen-Vosges, suivi d'un appendice sur son état présent. Epinal. Gérard 1828.

GRAVIER (N. F.). — Histoire de la ville épiscopale et de l'arrondissement de Saint-Dié. Epinal. Gérard, 1836. 1 vol. in-8 de 400 pages.

BÂZELAIRE (Edouard de). — Promenades dans les Vosges, souvenirs et paysages. Ouvrage édité sous les auspices de Ch. Nodier. Paris. Typographie de Firmin Didot, 1838, 1 vol. in-4 de 84 pages et 20 planches.

RICHARD (M.). — Traditions populaires, croyances superstitieuses, usages et coutumes de l'Ancienne Lorraine. Remiremont. Mougin, 1848, I vol. in-12 de 270 pages.

CHARTON (Ch.). — Les Vosges pittoresques et historiques.Paris.Humbert, 1862, I vol. in-12 de 404 pages.

JOUVE (L.). — Recueil nouveau de Vieux Noëls inédits en patois de la Meurthe et des Vosges. (Mémoires de la S. A. Lorr. 1867, pages 365 à 453.

ADAM (Lucien). — Les patois lorrains. Nancy. Grosjean-Maupin et Paris. Maisonneuve, 1881, 1 vol. in-8 de 459 pages.

GoLBÉRY (de). — Ormont, légendes, histoires, paysages vosgiens. (Annuaire du Club alpin 1883).

Louis (L.). — Le Département des Vosges. Epinal. E. Busy, 1889, 7 vol. in-8.

SAUVE (L. F). Le folk-lore des Hautes-Vosges. Paris, Maisonneuve et Ch. Leclerc. 1889, 1 vol. in-12 de 416 pages.

STEGMULLER (A.). — Saint-Dié et ses environs. Guide du touriste dans les Vosges et l'Alsace. Raon-1'Etape (Les Châtelles). Louis Geisler 1896, 1 vol. in-8 de 426-VII pages.

BADEL (E.). — Huit jours dans les Vosges. Excursions et souvenirs. Extrait de l'Est républicain. Septembre 1899. Nancy. Imprimerie coopérative de l'Est, 1899, 1 br. in-12 de 103 pages.

Lectures pour tous : Au pays des Fées, (novembre 1902).

SÉBILLOT (Paul). Le folk-lore de France. Paris. E. Guilmoto. 1907. 4 vol. in-8.

LEFÈVRE (André). — Les Gaulois, origines et croyances. Paris. C. Reinwald, 1900, 1 vol. in-12 de 203 pages.


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SÉBILLOT (Paul). — Légendes et curiosités des métiers. Paris. E. Flammarion, s. d. 1 vol. in-8 de 639 pages.

Louis DE L'ORMONT. — Le Tholy-Guide, publié sous les auspices du Comité des Promenades du Tholy sous le patronage du C.A.F. (section des Hautes-Vosges). Remiremont. Imprimerie Mougin. 1900. Plaquette in-16 de 35 pages.

A. FÛURNIER et V. FRANCK. — Les Vosges. Du Donon au Ballon d'Alsace, Texte par A. Fournier, Illustrations par V. FRANCK. Papier, Gravure et impression L. GEISLER, aux Châtelles, par Raon. (1901), 1 vol. in-4° de 684 pages.

Ad. GARNIER. — Paysages, ' sites pittoresques et curiosités naturelles du Département des Vosges. Emplacements, descriptions, faits historiques ou légendaires, points de vue. (Annales de la Société d'Emulation du Département des Vosges). Epinal 1907. 1 vol. in-8 de 282 pages.

LUCIE FÉLIX-FAURE-GOYAU. — La vie et la mort des Fées. Essai d'histoire littéraire. Paris, Perrin et Cie, 1910,1 vol. in-12 de 430 pages.

ANNA ROGER-FABRE. — Six contes vosgiens illustrés par André Engel. Braun et Cie. Mulhouse. Paris 1925, I vol. in-4° de 124 pages.

Camille AYMÛNIER. — Légendes et Traditions de la Franche-Comté et particulièrement de la Haute-Montagne. Besançon. Ed. de Franche-Comté et Monts Jura, 1927, 1 vol. in-12 de 185 pages.

Général DOSSE. — Légendes vosgiennes. Paris, G. Desgrandchamps1929, 1 vol. in-12 de 117 pages.

Capitaine LAROSE. — La Vôge avant les Romains, Epinal 1929. 1 br. in-8 de 12 pages.

SAINTYVES (P.). — Corpus du folk-lore préhistorique en France et dans les Colonies françaises. Paris, E. Nourry. 1934-1936, 3 vol. in-8 de 416, 510 et 611 pages.


PREFACE

Dans ce monde moderne où d'assez rudes réalités ont mis en fuite le rêve, où les progrès de la science et les inventions de la machine se flattent de remplacer pour l'imagination le merveilleux des légendes, il reste encore trois variétés d'hommes qui gardent aux Fées un culte sincère et discret : les enfants, les pactes et les érudits. Les enfants, par ingénuité ; les poètes, par sentiment ; les érudits, par curiosité d abord, puis par attachement aux traditions dont ils ont entrepris la recherche. Il arrive que les érudits soient parfois poètes : d'où l'on peut conclure qu'ils gardent quelque chose de l'âme de l'enfant. Ce n'est pas nous qui leur en ferons reproche. Il nous plaît que l'érudition, au lieu de la dessécher, entretienne la fraîcheur de l'imagination.

L'auteur de cette étude sur les Fées dans le folk-lore Vosgîen, M. A. Pierrot, est un exemple de cette union qui peut se faire dans l'esprit humain entre la conscience du chercheur et l'amour instinctif, commun au peuple et à l'artiste, des vieilles fables qui bercèrent l'enfance de l'humanité.

On verra assez, en parcourant ces pages, avec quel soin, quelle application, il a recueilli toutes les traditions relatives à nos Fées locales, et aussi avec quelle complaisance il parle d'elles, quitte à les embellir un peu quelquefois. Certes il ne s'abuse pas au point de croire à leur existence ; l'affection qu'il leur porte ne va pas jusqu'à la crédulité. Mais loin de railler la naïveté de nos pères, pour qui les Fées étaient des êtres réels, il respecte et chérit en elles tout ce qu'elles ont représenté de redoutable et de charmant.

Quelle que soit leur origine contestée, — et l'auteur rappellera rapidement les diverses hypothèses émises à ce sujet, — les Fées restent pour lui comme pour nous les créations captivantes de la fraîche imagination populaire : l'art, on le sait, peut y trouver encore des symboles souvent profonds, une personnification imagée et vivante des forces de la nature. Si notre ami éprouve un regret au cours de ses recherches, c'est peut-être de n'avoir pas rencontré une de ces apparitions légères, vêtues de vert ou de blanc, cachées dans quelque grotte


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qui passait pour leur servir d'asile, ou tressant au bord d'un ruisseau, sous l'ombre discrète du feuillage, sa chevelure dénouée, aux reflets d'or.

Notre région, avouons-le, est moins riche que d'autres en traditions poétiques sur ces êtres aériens ; leur personnalité reste floue, sans caractère très précis. Leur souvenir demeure attaché aux lieux quelles habitèrent, aux ponts quelles construisirent, aux ruisseaux où elles se baignèrent, aux arbres autour desquels elles dansaient, aux rochers où elles trouvèrent asile lorsque la foi nouvelle, importée d'Orient et de Rome, les chassa comme païennes et filles de la superstition.

Leur râle était modeste : bienfaisantes, elles rendaient aux hommes des services de bonnes ménagères, assez semblables à ceux de notre humble sotré, quand il oubliait sa malice et se dévouait jusqu'à traire les vaches pour le paysan qui l'accueillait chez lui. Pour qu'elles devinssent méchantes, il fallait qu'on eût été indiscret envers elles, qu'on eût méconnu leur puissance ou troublé leurs jeux.

Afin de les élever jusqu'à la poésie, M. Pierrot a été obligé de faire quelques incursions dans les provinces où la légende sut leur prêter des traits plus délicats, des actions plus retentissantes ou plus dramatiques. C est ainsi que l'on trouvera évoquées ici quelques illustres étrangères, dont les noms suffisent à mettre en branle l'imagination : comme la Fée Mélusine, qui vient du Poitou et dont fean d'Arras conte longuement les tristes aventures de femme obligée de se transformer une fois par semaine en serpent ; ce qui scandalisera fort son époux et maître, Raimondin, seigneur de Lusignan, quand il le découvrit, et ce qui força cette pauvre Fée à s'enfuir pour jamais, « criant piteusement et se lamentant à voix sereine ». Plût à Dieu que, comme tant d'autres maris, celui-ci ne se fût pas aperçi de cette petite infirmité de sa femme ou qu'il en eût pris son parti ! En somme celle-ci ne se changeait en dragon qu'une fois par semaine.

El Voici Morgane, fée galloise, qui habitait avec ses huit soeurs dans l'île de Sein ; Viviane, autre bretonne, qui instruisit Lancelot en des arts divers, y compris le plus tendre, mais ne put l'empêcher d'aimer de coupable amour la femme de son suzerain, le roi Arthus. Enfin les deux illustres fées immortalisées par Shakespeare, la reine Mab, si mignonne que son char était fait d'une coque de noix, son fouet d'un fil d'araignée ; et leur reine à tous, la fière et aérienne Titania, à qui Oberon, son mari, joua le méchant tour de la rendre amoureuse d'un butor à tête d'âne, pour nous prouver sans doute que, même dans le


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monde supérieur des esprits, la créature la plus délicate n'est pas à l'abri des surprises de l'instinct et des égarements du coeur.

Sachons gré à M. Pierrot, après nous avoir instruits à l aide des livres dont ce bibliothécaire diligent et fervent a la charge, de nous amuser et de nous séduire, en tournant pour nous les feuillets d'un beau livre d'images. Elles nous rappellent notre jeunesse ; elles évoquent à noire esprit les innocentes ou malicieuses traditions de nos pères, les belles légendes où les poètes ont souvent puisé pour en tirer des oeuvres d'art.

Et que les « Bonnes Dames >» de l'Ormont, de la Pierre Kerlinken et du Moutier des Fées, en dépit du Diable qui y a peut-être aussi posé son pied fourchu, lui gardent une éternelle jeunesse, celle du coeur, pour avoir bien parlé d'elles, et pour nous rappeler que l'imagination garde toujours ses droits, si la science a des devoirs.

Celle-ci nous oblige à rechercher la vérité, partout où nous pourrons l'atteindre. Celle-là nous en console et nous distrait quand la réalité et le rêve ne sont pas d'accord : ce qui arrive quelquefois.

Maurice PoTTECHER.



Légendes Vosgiennes

Les Fées

INTRODUCTION (1)

C est sur une trame de merveilleux que sont tissées nos vieilles légendes. Leur matière est animée par ces personnages surnaturels qui remplissent tout l'espace, depuis les profondeurs des terres et des mers jusqu'aux confins les plus éthérés des espaces célestes.

Princesses de chimère, doux sylphes et malicieux lutins, gnomes vindicatifs, sirènes perfides, esprits de l'air, des roches et des eaux, génies du bien et du mal, toutes ces créations du rêve, nées de l'immense besoin de l'âme populaire de concrétiser jusqu'au mystère, se mêlent étroitement à la vie humaine pour l'embellir ou la tourmenter.

Au sommet de cette pompe fantastique planent les Fées. C'est chez elles que je voudrais vous conduire aujourd'hui, chez nos Fées Vosgiennes en particulier, pour vous les présenter dans leurs travaux, dans leur prestige et dans leur faiblesse, pour vous montrer surtout la grande place qu'elles tenaient et qu'elles tiennent encore chez nous, et dans les souvenirs qu'elles ont laissés, et dans nos Légendes.

Qu'est-ce donc que ces mystérieuses Filles « du vague et du caprice » (2), aussi imprécises que les brumes d'automne, aussi impalpables que le zéphyr ? Faut-il les faire dériver des nornes Scandinaves, marraines des humains ? les chercher dans la vieille Asie, d'où les ramenèrent les Croisés ? voir en elles des divinités grecques ou latines travesties, d'anciennes druidesses sécularisées ?

(i) D'après une Conférence faite à l'Hôtel-de-VilIe de Saint-Dié, le 21 février 1937» sous les auspices de la Société Philomatique Vosgienne. (2) Lucie Félix-Faure-Goyau. La vie et la mort des Fées, p. 1.


-12Sur

-12Sur troublant sujet, que d'hypothèses a-t-on échafaudées ! Que de suggestions, savamment bâties, sont restées stériles ! Faut-il s'en étonner ? N'est-ce point en des origines perdues dans l'immensité qu'il faudrait pénétrer — entreprise insensée — pour retrouver les ancêtres de la Féerie, ces mythes primitifs qu'enfantèrent l'espoir ou la peur ? Mais qui donc aurait noté la vision de 1 aurore éclairant un matin de la préhistoire des bergers perdus sur un plateau asiatique ? Comment reconstituer ces êtres vindicatifs et cruels, bons et gracieux, qui peuplaient alors les grands bois au silence redoutable, les solitudes pleines de mystère ?

Et plus tard, comment les reconnaître à travers l'enchevêtrement des diverses mythologies qui se pénètrent mutuellement, colportées par les nomades, modifiées par le terroir, pour aboutir après des siècles, amalgame confus, à notre système gaulois, où prédominent déjà le prestige de la Femme et son culte ?

Même à ce moment, en une enquête limitée à la féerie celtique, on dirait que les éléments d'une sincère reconstitution se dérobent aux recherches. En fait, existent-ils encore ? Où sont les personnifications populaires, celles qui constituaient le vrai, le seul « Jardin des Fées » ? Trouvères et poètes s'en sont emparés et, pour mettre les fées de la chaumière et de la cuisine en état de paraître au château ou à la Cour, ils s'empressent de les ennoblir. Et nos Dames des champs et des bois de quitter leurs cottes rustiques pour se muer en héroïnes compliquées ! N'est-ce pas ce divertissement littéraire qui nous donne les Morgane, les Viviane, les Mélusine (1) ? N a-t-on pas prétendu que Godefroy de Bouillon avait pour bisaïeule une Fée épousée par le roi Lothaire ? Poursuivant l'artifice, chaque génération, dès lors, va habiller les Fées à la mode de son temps : celles de Marie de France portent l'épervier au poing comme d'authentiques châtelaines ; le grand siècle nous fournit des duchesses à tabouret (2) avec des carrosses de style et des laquais du meil(ï)

meil(ï) Préface s'est largement inspirée de l'ouvrage de Lucie-Félix-FaureGoyau : La vie et la mort des Fées, et des articles de MM. Maurice Magne et Roger Dérigues : Pourquoi je crois aux Fées ; Histoire des Fées publiés par le « Figaro artistique illustré » de Décembre ig3i.

(2) Le tabouret (terme de protocole) était un siège sur lequel un certain nombre de personnes titrées avaient seules le droit de s'asseoir en présence de la reine et du roi, à la Cour. Alors que l'étiquette de l'ancienne monarchie accordait le « tabouret » chez la reine aux duchesses ou aux femmes de ducs et pairs, l'épouse d'un maréchal de France devait se contenter d'un simple « carré » c'est-à-dire d'un coussin posé à terre. Saint-Simon montre dans ses Mémoires tout le prix et l'importance qu'avait ce privilège du « tabouret ».


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leur ton. « Vous vous êtes bien fait attendre », dit la Belle au Bois dormant à son jeune fiancé.

Mais que la Fée se travestisse en Dame de la Cour, comme chez Perrault, en docte gouvernante à cornette, comme chez Mme Leprince de Beaumont (1), que les rites de la tradition se prolongent ainsi chez Mme d'Aulnoy, Hoffmann et Andersen, il y a toujours derrière ces jeux moralistes ou badins de la bonne société, un solide fonds rustique auquel les chercheurs auront la ressource de recourir quand ils voudront fouiller un peu quelque beau conte et remonter à ses sources vives.

Notre méthode d'investigation ne saurait être différente. C'est par un chemin de campagne où se balance l'églantier que nous irons, nous aussi, chez nos Fées vosgiennes ; c'est près de la cascade, parmi les escarpements boisés et rocheux, au milieu des fougères et des digitales ; c'est près de la source chanteuse, dans le pré frais où sautent les rainettes, sur le coteau pierreux où poussent le houx trapu et l'odorant genévrier ; c'est dans ces lieux de prédilection où nos bonnes Dames sourient sans contrainte que nous irons les interroger ; c'est dans leurs domaines sylvestres ou champêtres, dans la Plaine, dans la Vôge, dans la Montagne, qu'à l'exemple d'un aimable cadastre nous chercherons à dénombrer toutes les grottes, toutes les buttes, tous les chemins et objets familiers aux Fées, depuis l'Arbre-aux-fées sous lequel la bergère de Domremy garda ses brebis, jusqu'à notre Roche-des-Fées de l'Ormont.

Aux nombreux souvenirs qu'elles ont laissés dans la région, on peut juger de la popularité de nos Fées et de la variété de leurs occupations. Des roches, des ponts, des châteaux attestent des Fées bâtisseuses, mais il a aussi des fileuses, des lavandières, des cuisinières, et, à chaque pas, la légende leur assigne le rôle plutôt bienveillant de collaboratrices et même de pro(i)

pro(i) le cimetière du Village d'Ubexy, aux environs de Charmes, on lit, sur le monument élevé à la mémoire de Mme Leprince de Beaumont, cette épitaphe :

Ici repose Mme Leprince de Beaumont, née Vamboult célèbre maîtresse de pensionnat à Paris auteur du Magasin des enfants et d'autres ouvrages d'éducation, laquelle étant venue en Lorraine pour y fixer ses jours auprès de la plus chérie de ses élèves, mourut au Château d'Ubexy à l'âge de cinquante-deux ans le 8 septembre 17S4 (Charton, p. 136)


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14tectrices populations, comme elle nous dira qu'à l'exemple des Fées classiques ou mondaines, que nous évoquerons souvent pour obtenir d'instructifs contrastes (1), nos Princesses du terroir n'étaient pas inaccessibles aux sentiments purement humains, et que plus d'une subit les tourments de l'amour.

(i) C'est pour la même raison que nous ferons des emprunts au folk-lore général, en particulier à celui des provinces voisines.


L Souvenirs laissés par les Fées dans les Vosges

La Légende attribue aux Fées la construction des ouvrages et grands travaux dont on ignore l'origine, aussi bien que la mise en place et l'aménagement de certaines roches ou cavernes. Les termes : Château-des-Fées, tanière-des-Fées, cave-aux-Fées, rochedes-Fées,

rochedes-Fées, cheminée, corridor, écurie, perron, puitsdes-Fées, et bien d'autres, abondent dans le vocabulaire de tous nos folk-lores. Pour prendre un illustre exemple que me suggère le curieux motif d'un des chapiteaux de notre Cathédrale (2).

Chapiteau de la Mélusine i)

(i) M. Cuny, propriétaire des clichés qui ont permis d'illustrer l'ouvrage « Du Donon au Ballon d'Alsace », a aimablement mis à notre disposition ceux qui intéressent cette étude. Nous lui en exprimons notre vive gratitude, et adressons un souvenir ému àl'habile photographe et à l'excellent confrère qu'était M. Victor Franck.

(2) Côté droit. 7e arcade. Une sirène entourée de poissons. (Stegmuller p. 21).

Cette sirène entourée de poissons est sans doute la Merlusse ou Mélusine qui donna son nom à l'une des principales seigneuries du Chapitre, située près de Wisembach.

(Fournier, p. 213).

Rappelons que l'ancien Hôtel de la Poste (aujourd'hui Crédit Lyonnais), s'appelait Hôtel de la Merlusse. Les noms des localités ou hameaux vosgiens, Lusse, Merlusse, n'évoquent-ils pas, eux aussi, le souvenir de la grande Fée française ?


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16c à la grande bâtisseuse, à la Fée Mélusine, que le Poitou est redevable des chemins anciens sillonnant la contrée, des arènes et des aqueducs de sa capitale. Au lieu de danser avec les Sylphes ou de se mirer dans les fontaines, Mélusine ne songeait qu'à élever des églises, à fortifier des châteaux, à jeter des ponts sur les cours d'eau. Aujourd'hui encore, lorsque des terrassiers du pays viennent à rencontrer quelques vestiges d'édifices romains, ils se plaignent de ce que la Mère Lusine gêne leurs travaux.

N'est-il point naturel de penser qu'obéissant à la coutume, et douées à l'égal de leur soeur poitevine, nos Fées vosgiennes ne s'en remettaient à personne du soin d'édifier ou de placer, non seulement leurs demeures, mais tous les monuments de plus ou moins d'importance dont le nom et la légende ont perpétué jusqu'à nous les plus lointains souvenirs ?

C'est par les habitations de nos Fées, c'est par les grottes, roches ou cavités encore nettement désignées ou simplement imprégnées de souvenirs que je vais inaugurer, si vous le voulez bien, le rapide inventaire, qui sera, chaque fois que je le pourrai, légèment descriptif, de leurs biens meubles ou immeubles sis dans la région vosgienne.

Voici tout d'abord les mégalithes, blocs ou pierres portant l'appellation précise : Roche, Rocher ou Grotte-des-Fées. La carte que j'ai dressée (p. 24-25) vous permettra de les situer. A l'ouest, dans la région de Neufchâteau, il y a des roches ou grottes des Fées à Villouxel (1), à Midrevaux (2), à Bazoilles-sur-Meuse (3) ; plus près, dans la région d'Epinal, à Cheniménil (4) ; dans la région de Saint-Dié, à Saint-Remy (5), à Hausseras (6), à Saint-Dié (7), à Colroy-la-Grande (8), à Clefcy (9), à Gerbépal (10), à Saint-Jean-du(i)

Saint-Jean-du(i) description page 26 et légende, page 80.

(2) Bloc de calcaire corallien de 20 m. environ de contour, sis à 2 km. environ au Nord du Village, au Heudit : Goulo-Fontaine (Garnier, p. 73)-

(3) Appelée aussi Roche des Colbeys ou des Pécheurs, elle se dresse à 3 km. Î4 au sud du village, sur la rive gauche. Elle a 10 mètres de face, ro mètres de profondeur, 2 m. 50 de hauteur à l'entrée et r m. 50 au fond (Garnier, p. 25-26).

(4) Voir légende, page 28.

(5) Hameau de Neuf-Etang (L. Louis. IV, p. 646).

(6) Enorme roche de grès vosgien de 15 mètres de hauteur et 60 mètres de longueur, et creusée de cavités qui lui donnent un curieux aspect. Elle se trouve à 1.500 mètres au Nord-Est du village, et à 400 mètres au Sud-Est de Fraipertuis.

(A Garnier, p. 64).

(7) A 4 km. au Nord-Est de la Ville et à 1 km. 500 au Nord du hameau de Dijon.

(Voir description page 17 et légende page 50).

(8) Située à 3 km. au Nord-Est du village, cette roche, du sommet de laquelle on jouit d'un point de vue admirable sur les vallées de la Fave et de la Bruche, servait, avant la Grande Guerre, de borne frontière entre la France et l'Allemagne.

(0) Amas de roches à l'Est du hameau du Souche.

(10) Voir, page 21 (note), la description de la roche et pages 76-78 la légende de Dame Agaisse.


- 17Marché

17Marché ; dans la région de Remiremont, à Gérardmer (2) et à Xonrupt (3), à Ferdrupt (4), à Ramonchamp (5).

En dehors de ces roches, il s'en trouve vraisemblablement d'autres qui servaient d'abri aux Fées ou leur étaient consacrées ; elles sont différemment nommées, Poële-des-Fées, GouIotte-des-Fées, Trou-des-Fées, par exemple, ou ne portent plus la désignation qui indiquait leur destination : c'est le cas de la grotte de Landaville qui nous fournira, par compensation, la légende documentaire la plus copieuse. Nous les étudierons tour à tour, ainsi que leurs dépendances ou les roches à aspect et à usage particuliers titulaires d'une légende.

Si quelques-unes des roches citées fournissaient des demeures spacieuses ou d'accès assez commode, comme celle de MidreVaux où, sous la masse du bloc en surplomb se trouve une grotte de 7 mètres de profondeur, 2 mètres de largeur moyenne et I mètre de hauteur ; comme celle de Housseras dont la cavité principale a 4 mètres de côté ; comme celle de Bazoilles-sur-Meuse où se tinrent au XIIe siècle, les Assemblées des Templiers (6), il arrivait qu'en d'autresfois l'entrée s'en trouvait rétrécie, à Saint-Jean-du-Marché notamment, où elle ressemble à l'ouverture d'un four à pain (7) ; ailleurs, elle était dissimulée, presque invisible, ou ne s'ouvrait que grâce à un talisman.

Gravier, dans son Histoire de Saint-Dié, décrit ainsi la Rochedes-Fées de l'Ormont. Sur la croupe de la montagne, à l'ouest, sont trois énormes masses de grès de forme cubique connues sous le nom de Roches-des-Fées ; à leur pied est une grotte dont l'entrée est tellement resserrée parles éboulements qu'on n'y pénètre qu'en rampant, mais en tournant à gauche, l'excavation s'élargit et l'on

(i) Voir note 7, même page.

(2) Roche-des-Fées. — Ce bloc, de 3 m. sur 4 m. 50, situé à 300 mètres environ en aval du Pont-des-Fées et à 1 km. du Saut des Cuves, est à flanc de coteau : sa partie supérieure.'au niveau du sentier de l'orée de la forêt, à quelques mètres du lieu dit la Cercenée, à 300 m. de la Pierre Charlémagne.

(3) Grotte-des-Fées. — Cavité de r m. 55 de hauteur, 1 m. 25 de largeur et 2 m. à 2 m. 50 de profondeur (fouilles faites pour trouver du cuivre), (ce renseignement, ainsi que le précédent, m'ont été donnés par mon cousin, M. J. Parmentier, brigadier-forestier en retraite, à la Cercenée).

(4) Grotte-des-Fées. Section de Remanvillers (M. le Maire de Ferdrupt)

(5) Rocher-des-Fees, forêt de l'Etat (M. le Maire de Ramonchamp).

(6) C'est sous le règne de Mathieu Ier de Lorraine (1130 à 1176) que les Templiers s'établirent en Lorraine et dans le Pays Messin ; ils eurent bientôt un certain nombre de maisons dans les Vosges.

(7) Excavation profonde et dangereuse pour les explorateurs.


- 18peut

18peut y tenir debout. Une telle disposition pouvait être favorable à la demeure d'une sibylle.

Les gracieuses habitantes de cette roche de l'Ormont apparaissent plutôt dans la mythologie vosgienne comme les bienfaitrices des populations de la Ville et du Val de Saint-Dié (1). Elles étaient belles et jeunes, et leur vue seule rendait heureux. Elles n'étendaient leur baguette magique que pour guérir et sauver, jamais pour flageller ou détruire. La tradition ne nous apprend que • leurs bienfaits.

Pourtant l'anathème frappa leur demeure. C'était, raconte-t-on, au XVIe siècle, à cette époque sinistre où régnait en Lorraine une véritable épidémie de sorcellerie, où Dieudonnée Liénarde de la Croix-aux-Mines, où Jeannon, de Robache (2), maîtresse du Diable, et avec elles, des centaines de victimes, furent envoyées au supplice. Par une flagrante injustice on confondit dans une même réprobation sorciers, fées, diables et lutins, et la Rochedes-Fées fut exorcisée ; c'est du moins ce que prétend une tradi'tion que rien n'a confirmé, pas même l'inscription que l'on a si différemment interprétée, parfois niée.

Quelques explications à ce sujet nous semblent utiles. D'après Gravier (3), le texte gravé sur la plus grande des trois roches serait celui-ci :

A.D. 1555, DIE T FEB. J. D. E. Wildestèn Exorcavit hune lapidem.

(L'an du Seigneur 1555, le deuxième jour de février, Jean-Dominique-Etienne Wildestein a exorcisé cette pierre).

Steegmuller (4) déclare qu'il n'a trouvé nulle part, malgré des recherches minutieuses et réitérées, trace de la fameuse inscription ; il tient pourtant de l'un de ses amis que cette inscription est aux neuf-dixièmes effacée.

C'est plutôt avec humour que M. de Golbéry (5) parle du texte ou du fragment de texte « dont la lecture a longtemps divisé les

(i) de Golbéry, p. 211.

(2) de Chanteau, Procès de Jehennon, Veuve de Hidoulf le Reynard, sorcière, de Robache.

(3) Gravier, p. 227.

(4) Steegmuller, p. 75-76. {5) de Golbéry, p. 233-234.


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philomates vosgiens. Exorcavit hune lapidem, lisent les uns... Quoi ! les roches 'étaient possédées ? Exornavit, affirment les autres, accusant quelque gourmand d'immortalité d'avoir gravé son nom sur la pierre. Et ces trois mots (le reste est à peu près illisible) captivent depuis un demi-siècle l'attention des historiens locaux. N'allez pas croire au moins que l'un ou l'autre ait jamais cherché à déchiffrer le texte litigieux ! »

Tout récemment deux Déodatiens, MM. Paul Evrat et Robert Diez, désireux de se rendre compte par eux-mêmes de l'état de la question, ont fait, munis d'un appareil photographique, l'escalade de l'énorme bloc du Sud-Ouest, titulaire de l'énigmatique inscription. Le premier grimpe sur les épaules du second, gagne par un rétablissement le sommet de la roche, puis hisse son camarade sur l'étroite plate-forme qui va être leur champ d'opération. Armés d'une brosse en fil de fer, nos jeunes sportifs enlèvent vingt centimètres d'humus et de pieds de myrtilles, et mettent à nu le document à recueillir par la photographie. Tâche délicate : il faut opérer de haut en bas, sans même pouvoir viser la place exacte ; et le terrain de manoeuvre est si restreint! Mais Robert Diez a attaché une corde à la ceinture de Paul Evrat qui peut alors se reculer jusqu'à l'extrême limite du possible sur l'arête rocheuse. Et le cliché est ainsi obtenu. C est celui qui a fourni l'illustration ci-après, Permettra-t-elle de clore un débat qui fut passionné (I) ?

Enregistrons, en attendant, la plus aimable des solutions :

Si notre Roche-des-Fées a été vraiment l'innocente victime d'une regrettable erreur, sa réhabilitation vient d'être officiellement décrétée par une mesure du Comité de protection des sites naturels du Département qui l'a classée en décembre 1930. Une mousse débonnaire, on I a vu, avait déjà effacé l'inscription d'exorcisation.

Transportons-nous maintenant dans la région de Remiremont, à Baudimont, section de Saulxures-sur-Moselotte. Au lieu dit le Bambois-de-Bâmont, on voit encore, au pied d'une arête de rocher, une faible exacavation qui se comblera, elle aussi, à bref délai. Elle indique une ancienne demeure de fée sylvestre ; le nom,

(i) Cette étude était sous presse quand M. Evrat nous a apporté le calque exact de l'inscription ; nous en donnons la reproduction, réduite dans la proportion de - ; elle sera plus lisible que l'épreuve photographique. (Voir page 20 les deux documents).


-20(Cliché

-20(Cliché Evrat). Inscription de la Roche-des-Fées (Saint-Dié).

Reproduction, réduite au cinquième, du calque de l'inscription ci-dessus (P. Evrat).


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Poële-des-Fées lui est resté ; en patois du pays, nous dirions : lo Pâle-dà-Fayes. (1).

Plus importante certainement était la caverne creusée dans un énorme rocher de la forêt de Sapois (2), non loin de Remiremont. On montre encore le Trou-du-Beheu (lo-Petieu-di-B'heu) ou plus familièrement la Goulotte-des-Fées. C'est l'entrée du souterrain qui conduisait à un palais merveilleux construit à coup sûr par une baguette magique et dans lequel se trouvait un trésor confié à la garde d'un génie. La résonance du sol sous les pas indique nettement l'existence d'une ample excavation (3).

Le Trou-des-Fées de Norroy-sur-Vair (4) n'est plus qu'une légère excavation recouverte par les ronces ; mais on prétend qu'autrefois il avait sa sortie sous l'église du Petit-Ban, à Vittel. De la roche qui le surplombe, on découvre, par-dessus le bois de Châtillon, les villages de Mandres-sur-Vair, Outrancourt, Contrexéville et Suriauville (5).

D'après ces quelques exemples, la tradition se montrerait fort peu explicite en ce qui concerne la description d'un logis féerique, et les vagues épithètes, palais merveilleux, antre somptueux, recueillies au cours de notre enquête, ne sont guère pour satisfaire notre curiosité ; c'est trop souvent, pourtant, le peu qui nous reste de nos vieilles légendes des roches ; et je regrette de ne pouvoir décrire, faute de document, ni la Grotte de Gerbépal (6), illustrée pourtant par une Fée de marque que nous saluerons à son heure, ni les palais opulents des Dames de Vologne ou de Martimprey, que la légende a même oubliés.

(i) L. Louis, IV, p. 548. Le même auteur : Tome VII, p. 298, cite, au même lieudit, la Roche-des-Fées. Ces appellations Poële-des-Fées, Roche-des-Fées, et même Trou-des-Fées, désignent la même roche ou son excavation, celle-ci ayant 2 mètres de hauteur sur 3 mètres de profondeur.

(renseignements donnés par M. le Maire de Saulxures),

(2) La situation de cette caverne est loin d'être nettement indiquée dans les ouvrages spéciaux ; on la rencontre tantôt à Sapois, tantôt à Rochesson. M. le Maire de Sapois nous a expliqué ainsi ce qui n'est qu'une apparente contradiction : Le Trou du Beheu se trouve à l'Envers de Menaurupt, terrain de Sapois, mais forêt communale de Rochesson, et sur le sentier qui conduit à la Roche des Ducs ou UrbainRoche.

(3) Voyage en Alsace et en Lorraine, par Alexandre Millier, Rouen, Mégard et Cie 1857, 1 vol. in 12 de 240 pages.

(4) L. Louis, IV, p. 652 (Archéologie préhistorique).

L. Louis, VII, p. 125, (se trouve au Sud de la commune, dans la forêt dite de Châtillon). _ , . ., •

(5) Voir, page 61, la légende des Fées pâtissières.

(renseignements fournis par M. le Maire de Norroy-sur-Vair).

(6) La Roche-des-Fées, de Gerbépal est située à 3 km. 500 à l'Est du clocher, audessus du Hameau des Fourneaux, au point d'intersection des limites des communes d'Anould, Ban-sur-Meurthe et Gerbépal. C'est un amas de blocs granitiques, adossés l'un à l'autre, et où l'on ne signale plus d'excavation.


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La région de Neufchâteau a heureusement possédé un groupe de Fées rustiques serviables et douces, très familières avec les populations voisines, qui, par reconnaissance, ont mieux gardé et transmis leur légende, la copieuse légende évoquée tout à l'heure, et dont voici le passage concernant leur demeure. Je le donne dans le savoureux patois du pays dont vous trouverez ensuite la traduction :

Les Failles de Féyé éco VSoutré.

« Echotons-nous n'avé, même nous récontré les Failles de Féyé. Rin que d'oûar Fousse éco R'neboû, on chonge aux Failles.

Ç'ost iécque de moult vîe, mes effants et qu'on o pâle mi è s'n âge, mâs v'étès félis, et pus i fât si touffe que faut bin s'erposè in pou. J kemoce.

V'voyèz bin les grous p'tieux-lè qu'sont couèchis d'zous les treuches d'épouèche, ç'étôt toulé qu'on otrôt chie les Faîlles. Loue mâjon étôt tout pâtiout bin au fond. Y n'évôt tout pien d'chambes ouéru qu'c'étôt pus bé qu'è l'moteye è le mosse de méneuil.

On y voyôt toujou pus tiè qu'pâchi d'chus tare o piein meildi, tant qu'y n évôt des étôles de tourtous les couleurs qu'étaint étéchi o l'âr. Et pus tout pâtiout, les mureilles c'étôt des mureuils que reluint, que reluint, qu'on n'poyôt-me les rouâti et qu'on n'voyôtme eul bout (1) ».

Les Fées de Féyelle et le Sotré

« Asseyons-nous un moment, grand mère nous racontera les Fées de Féyelle (2). Rien que de voir Fosse et Renombois (3) on songe aux Fées.

C'est quelque chose de bien vieux, mes enfants, et dont on ne parle pas à son aise, mais vous êtes fatigués et puis il fait si chaud qu'il faut bien se reposer un peu. Je commence.

Vous voyez bien ces gros trous qui sont cachés sous les souches d aubépine, c était là qu'on entrait chez les Fées. Leur maison

Ci) Adam. Patois lorrains, page 404.

_ (2) C'est dans le bois de Féel, à l'Est du village qu'habitaient les Fées de Landaville.

(3) Fosse est une cuvette de prés au pied du Haut-de-Dinant, près du bois de Féel. Non loin de là, vers Aulnois, on trouve le bois de Renombois.

(renseignements fournis par M. le Maire de Landaville).




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la sécheresse, malgré leur position au haut de la montagne. Ce sont les Fées, dit la: Légende, qui les alimentent ; elles habitaient le Camp voisin, dit des Sarrazins (1).

Dans sa récente étude sur les pierres à bassins (2), notre ami Emile Gerlach décrit, non les « Chaudrons », mais le « Chaudrondes-Fées », car ce n'est plus que dans l'une des trois cuvettes

décrites dans le grand bassin, que l'on trouve de l'eau en permanence (voir la figure). A la surface de la roche fortement mamelonnée on distingue encore plusieurs dépressions, dont deux à peu près circulaires. Ont-elles été autrefois plus profondes ?

« C'est certainement un spectacle imprévu, conte E. Gerlach, que celui de cette eau calme reflétant, avec le bleu du ciel, le

Chaudron-des- Fées

(i) On prétend que ces bassins servaient de réserve d'eau aux Romains, qui ont occupé la région et y ont laissé maintes traces de leur séjour.

(2) Bulletin de la Société philomatique vosgienne 1937, pages 3 a 43. Voir aussi l'article de P. Fourchy : De quelques « Pierres à bassins » de la vallée de la HauteMeurthe. (Revue historique de la Lorraine, Octobre-Décembre 1937Ï.


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feuillage sombre des noirs sapins ; et si l'on a la patience de ne pas remuer, on voit bientôt, salamandre ou triton, une jolie petite bestiole au ventre rose, qui vient happer, en serpentant, une mouche à la surface de l'eau. Serait-ce là une des fées » ?

Citons en passant la Roche-Pierre-des-Fées, de Cheniménil, avec cuvettes et entailles (I). Une fée s'y reposa et y appuya sa main qui laissa son empreinte (2).

Les particularités des deux exemples qui précèdent se trouvent réunies dans les « Grandes-Roches », situées au Sud-Est de l'agglomération du Tholy. Elles consistent en une masse énorme de rochers à pic, d'une hauteur de vingt mètres, s'étendant sur une longueur de plus de cent mètres. C'est un pudding de grès vosgien avec gros galets de quartz que le temps délite peu à peu. Aussi un véritable souterrain, refuge de renards, s'est-il formé sur toute la longueur. Ce souterrain était le chemin suivi par les Fées, et les excavations qu'on remarque dans la pierre leur servaient pour prendre en commun leur repas (3).

Enfin certaines cavités naturelles ou sculptures des roches sont attribuées à la marque du pied de personnages, dieux, héros ou fées et qualifiées de « pas ». Si nous avons dans les Vosges quelques souvenirs de ce genre, (ex. : Pierre de Charlemagne, page 29). il n'en est aucun, à notre connaissance, qui soit celui des Fées ; et nous le regrettons (4), (5).

Sis aux environs de Vioménil, le Cuveau-des-Fées, appelé aussi « Pierre druidique » ne saurait être classé parmi les dépendances des demeures dont il vient d'être question. Il ne prend place ici qu à cause de sa dénomination.

« C est un bloc grossièrement creusé en forme d'auge dans le

(i) L. Louis, IV, page 648.

(2) Légende fournie par M. l'abbé Souillard, Curé de Cheniménil.

(3) Louis de l'Ormont. Le Tholy'-Guide, pages 28-29.

(4) Si notre enquête ne nous a fourni aucun « pas » de Fée dans les Vosges, — nous espérons que ce travail en fera surgir — nous avons trouvé, dans le folk-lore de la Franche-Comté, une amusante légende : aux environs de Vesoul existait un rocher appelé le « Pas du Juif-Errant >>. On y voyait l'empreinte de deux pieds parfaitement dessinés : le plus petit était légèrement enfoncé dans la pierre, l'autre y avait laissé une marque profonde. C'est là, d'après la tradition, que le Juif-Errant, dans sa marche incessante, aurait fait la rencontre de sa femme, et comme Sainte Anne lui avait permis de s'arrêter un court instant, le temps de l'embrasser, Ahasvérus aurait sans doute abusé de la permission, puisqu'il enfonçait dans la pierre au fur et à mesure qu'il outrepassait le temps accordé.

(Saintyves-Corpus... Tome II, page 400).

(5) Dans une miniature du beau Graduel du xvie siècle conservé au Musée municipal de Saint-Dié, on voit les deux empreintes bien marquées des pieds du Christ s'élevant vers le Ciel (page de l'Ascension).


29

grès bigarré, au sommet d'un versant légèrement incliné au Sud. Sa profondeur est de 0 m. 50 à 0 m. 60, son diamètre de 3 m. 10 ; régulièrement arrondi en cul de chaudron, à l'intérieur, il forme, à l'extérieur, un octogone régulier de 1 m. 40 environ de côté et de 4 mètres de diamètre d'angle à angle. Cachée au plus profond des bois, cette roche paraît avoir été aménagée pour un centre

religieux druidique ». « On répète à 1 envi que, sur son massif, sans doute (1) quand il était à l'état brut, les ovates et surtout les druidesses étaient appelés à tirer des présages des entrailles de la victime ».

« On n'a pas oublié dans le pays que les Druides de la Vôge avaient à Escles un centre religieux dans l'antique et profonde forêt de Chênecieux, près des sources du Madon, dans les grottes de Saint-Martin. Cet endroit, qu'on appelle le vallon des Druides, présente, en effet, tous les caractères du lieu où se célébraient les mystères de la religion druidique, et on est saisi, en l'examinant, de son identité avec les tableaux classiques du genre : au milieu

Pierre de Charlemagne (Gerardmer)

(i) Garnier, page 97.


-30de

-30de forêt profonde, un vallon au fond duquel l'eau des sources ruisselle et murmure ; sur le versant faisant exactement face au Midi, la pierre aux sacrifices ; sur l'autre versant, des pierres en grand nombre, de dimensions variables, servant de siège aux assistants qui se levaient enthousiasmés quand le druide, tourné vers le Midi, offrait au dieu le coeur arraché du sein de la victime (l)-(2).

Si les cavités rocheuses constituaient le plus souvent les habitations des Fées, il est au moins une exception à cette règle dans le folk-lore vosgien et l'on cite, à Ruaux, près de Plombières, une construction en vrais moellons et en pierres de taille qui, toutefois, ne fut jamais terminée, le Château-des-Fées (3). La légende prétend que les Fées bâtisseuses durent l'interrompre parce qu'elles furent surprises dans leur travail par l'aurore du jour de Noël.

Une grande quantité de pierres provenant de ce château ont servi à bâtir l'église de Ruaux en 1783.

Enfin ce chapitre des demeures des Fées sera clos par la mention d'un séjour de Fée dans un manoir abandonné. Comme le précédent, le cas est assez rare et nous n'en avons recueilli qu'un exemple : Dans une forêt qui appartient à la commune de Saint-Baslemont « sur la crête d'un promontoire qui domine le confluent du ruisseau des Granges et de celui de Thuilières (4), l'on voit encore les ruines antiques d'un châtelet remontant à l'époque gallo-romaine et qui, après avoir servi de demeure aux Templiers, fut détruit par les Suédois : les Tours-Séchelles étaient habitées par une Fée à laquelle succéda une simple pythonisse qui se réfugia non loin de là, à l'ermitage de Chèvre-Roche (5), que l'on découvre à 200 mètres plus haut, dans la même colline » (6).

Mais si j'en ai fini avec leurs habitations, je n'ai pas tout dit sur le talent de nos aimables et gracieuses architectes.

(i) Commandant Larose, page 7.

(2) Voir, au Chapitre : les Fées des Eaux, page 70, la source du Madon.

(3) Les ruines occupent le sommet de la partie extrême du Plateau du Fays (Territoire de_ Ruaux ) qui s'élève entre la vallée de la Semouse et un petit vallon arrosé par le ruisseau de Clairefontaine. Elles paraissent être les restes d'une construction inachevée consistant en murs dont la hauteur varie de 1 à 3 m. sur 2 m. d'épaisseur et qui ont la forme d'un octogone de 45 m. 50 de longueur sur 31m.de largeur ; la surface intérieure^ est d'environ 10 ares. On ne connaît ni l'origine, ni l'importance, ni la destination de cette construction. Certains disent qu'elle a été commencée au XIIe siècle par Simon, Duc de Lorraine, et qu'elle ne fut jamais achevée parce que les Abbesses de Remiremont s'y opposèrent (d'après Garnier : Note de la page 42).

(4) On écrit aujourd'hui Thuillières.

(5) A 1200 mètres environ du village de Thuillières.

(6) Mangin,pages 32-33.


Le Pont-des-Fées (Remiremont). Composition d'Auguste Jacquot.


-32Vous

-32Vous bien que les Bonnes Dames ne se confinaient pas dans leurs demeures, si somptueuses qu'elles les aient voulues, et que, pour traverser les ruisseaux ou les combes les jours où, sans façon, elles se mouvaient comme de simples mortelles, voire même pour combler un col ou une vallée et unir ainsi deux sommets, elles bâtissaient en quelques heures, pourvu que ce soit avant le lever du soleil ou le premier chant du coq, ces ponts ou ouvrages d'une surprenante hardiesse dont plusieurs subsistent encore aujourd'hui.

Je mentionne tout d'abord le Pont-des-Fées, situé à proximité de Gérardmer dans un site des plus pittoresques, et dont la légende vous sera présentée tout à l'heure (1).

A peu de distance de Remiremont, voici un autre Pont-des-Fées (2), mais un pont sans arches ni piles, un amoncellement de mcëllons granitiques de toutes dimensions, superposés à sec les uns sur les autres, et barrant le col étroit pour réunir, par une colossale passerelle, le Saint-Mont et la montagne de Morthomme.

Toutes les suppositions ont été faites sur la construction et le but de cette sauvage et grandiose chaussée, travail de géants, construit sans aucun ciment et dont la solidité a défié les atteintes du temps. Est-ce un hommage d'antiques populations voulant rallier deux montagnes sacrées, le Saint-Mont où brûlait un « père-feu », et le Fossard où l'on rencontre des témoins de cultes anciens ? Est-ce un barrage construit par les Gaulois ou par les Romains ? par les moines voulant défendre le Saint-Mont ? Est-ce un mur militaire ? Un monument religieux ?

Pourquoi tant de vaines et orgueilleuses recherches, puisque la bonne et aimable tradition nous renseigne. Elle nous dit sans ambages que les savants sont des ignorants et qu'il est beaucoup plus simple d'évoquer la bienveillance des Fées. Ce sont les Fées qui ont conçu et créé le gigantesque et déconcertant monument digne des cyclopes. En le construisant, l'une d'elles perdit un anneau merveilleux qui assurera un bonheur ineffable et éternel à celui qui le portera.On Fabien cherché, cet anneau; letrouverat-on jamais ?

(i) pages 83 à 86. (2) page 31.


' . -33Sur

-33Sur donnée assez sommaire, Mme Anna Roger Favre (I) a créé le gracieux conte dont voici le résumé.

Le Pont-des-Fées de Remiremont. — Le jour même du mariage d'Aimery, châtelain du Saint-Mont, sa jeune femme est enlevée par le sorcier Marlus et séquestrée dans une vieille tour dominant le sommet voisin. Ruine croulante, la Tour des Corbeaux sert de repaire aux corneilles et aux chouettes ; on la dit hantée par les sorciers et les magiciennes ; tout autour.garnissant des pentes abruptes, régnent des fourrés épais et des ronces acérées ; et le ravin est gardé par un monstre hideux, armé de crocs pointus et de griffes énormes.

A maintes reprises, durant plusieurs jours pénibles et angoissés, Aimery se précipite à l'escalade de la tour, mais il est chaque fois arrêté par le dragon et il se rend compte que tous efforts sont inutiles. Et sa pauvre femme se meurt de faim et de frayeur ; il le sait grâce aux allées et venues d'un gracieux petit lézard qui porte aux époux les messages échangés.

Désespéré, le malheureux va se noyer dans l'étang du Xénois (2), quand une belle dame, tout de blanc vêtue, lui pose doucement la main sur l'épaule. Idéale vision en cet instant douloureux ! La Fée invite Aimery au calme, le console, et, mystérieusement, lui conseille de revenir le lendemain de grand matin, seul et sans armes, à la Tour des Corbeaux, où il tentera de délivrer la princesse.

Bien avant l'aube, Aimery sort du château et s'apprête à soutenir une lutte sans merci contre le gardien des ruines. Mais ô surprise ! ô bonheur ! Le ravin qui séparait les deux monts est comblé !

(i) Anna-Roger Favre. Six contes vosgiens illustrés par André Engel. Braun et Cie Mulhouse. Paris 1925. 1 vol. in-40 de 124 pages.

Dans sa Préface, l'auteur s'explique sur les mobiles qui ont présidé à la naissance de son ouvrage, dédié à ses enfants, Violette, Etienne et Henry» en souvenir des années passées à Remiremont (1916-1918). Elle a voulu simplement distraire ses jeunes compagnons de promenades et égayer leurs courses ; sans tenir compte ni des vérités historiques souvent imprécises, ni même des légendes populaires, parfois banales, elle a peuplé ce coin de vallée de personnages de fantaisie qui habitent des châteaux imaginaires.

« N'est-ce pas ainsi, du reste, nous écrit Mme Anna Roger Fayre, que naissent les légendes ? Et chaque génération n'a-t-elle pas le droit d'enrichir le folk-lore local par un apport personnel ? Mon plus cher désir serait que, dans bien des années, et mon nom étant oublié, des mères redisent encore mes contes à leurs enfants et se les transmettent verbalement ».

(2) page 34. Nous devons cette reproduction à l'obligeance de Mme Anna Roger Favre qui a bien voulu nous en prêter le clché après nous avoir donné l'autorisation de reproduire des extraits de son ouvrage. Que la distinguée conteuse veuille bien agréer nos remerciements.


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Un haut et large mur, un pont miraculeusement édifié, travail des Fées du Xénois, lui rend plus accessible le sommet couronné par la sinistre tour. Il parvient à la ruine, enlève sa compagne inanimée, redescend la pente et se glisse vers le pont, courant vers le Saint Mont aussi vite que le lui permet son précieux fardeau. A ce moment,

moment, jour étant venu, le dragon aperçoit la scène, voit la princesse hors de danger et, furieux d'avoir été joué, pousse des rugissements si terribles qu'il réveille son maître. Celui-ci, plein de rage, lui tranche la tête.

Le bonheur d'Aliénor et d'Aimery fut complet, achève la conteuse, et les petits enfants pensent encore à eux, au terrible dragon et aux Fées de l'étang quand ils traversent l'immense chaussée, maintenant couverte de mousse, qui relie les deux monts et qui a gardé le nom de Pont-des-Fées.

Autre travail d Hercule, bien digne de nos modernes ingénieurs, mais dont il ne reste pas le moindre vestige ! C'est le Pont-des-Fées

Le malheureux va se noyer.... (Composition d'André Engel).


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de Saint-Dié, long de près de 1.000 mètres, haut de 3 à 400, qui reliait au Kemberg la Roche des Fées. Les Fées déodatiennes possédaient de nombreux troupeaux parqués dans les broussailles du Kemberg et parmi les méandres de la Meurthe et confiés à la garde des jeiines pâtres du Val. Ce pont était sans doute destiné à faciliter la surveillance qu'elles exerçaient sur leurs bergers ; elles s'assuraient aussi, sans avoir à descendre dans la vallée, que les démons et les lutins, leurs ennemis, ne leur enlevaient point'de bétail. On raconte qu'un de ces pâtres reçut pour salaire, en quittant le service des Fées, un sac qu'il ne devait pas ouvrir avant d'avoir regagné le logis paternel. Mais notre Vosgien, né curieux, brûle de compter son trésor qui lui semble, du reste, un peu léger, eu égard à son volume ; puis il est encore si loin de sa chaumière ! Sa patience est plus courte que le chemin ; oubliant la recommandation formelle de ses bienfaitrices, il plonge la main dans le sac et en retire... des-charbons ardents qui lui « choquent » cruellement les mains (1). Maudissant don et donatrices, il reprend le chemin de la maison ; mais, en garçon économe, il a gardé le sac qu'il montre piteusement à ses parents en leur contant sa mystification. Ce qui augmente sa déconvenue, c'est que le père, méfiant comme tout paysan, a pris le sac, l'a retourné, et a vu tomber à ses pieds un lingot d'or.

Enfin les quelques ponts désignés ci-après, à 1 imitation de celui de Saint-Dié, n'existent plus qu'à l'état de souvenirs.

Le Pont-des-Fées de Raon-l'Etape. — Ferry III avait fait fortifier en 1279 le château de Beauregard, qui protégeait Raon-l'Etape et maintenait dans le devoir les garnisons de Deneuvre et de, Baccarat. Un pont de bois, sur lequel les ducs, seuls, avaient le droit de passer, conduisait du château au pied de la montagne ; comme il avait été construit en une seule nuit et à l'insu de la population, on en conclut qu'il avait été fait par magie et on l'appela le Pont-des-Fées (2).

Le Pont-des-Fées de Bains. — Dans son ouvrage : Le Département des Vosges, Léon Louis le cite comme ruine (3), avant

(i) de Golbéry, pages 213-214.

(2) Charton, page 251.

(3) Tome IV, page 640.


-36d'en

-36d'en comme il suit : Le Pont-des-Fées, récemment détruit par les ingénieurs et entrepreneurs du Canal de l'Est, et qui était situé près de Bains, sur le territoire des Voivres, était un ouvrage du IVe siècle, d'après M. Voulot (l)-(2)

Le Pont-des-Fées du Val-d'Ajol. — « Sur le territoire du Vald'Ajol, près des champs dits Champs-Haynauld, les restes d'un pont sont encore indiqués dans le plan cadastral de cette commune sous la dénomination de Pont-des-Fées (3) ».

Le Pont-des-Fées à Uriménil (Puits-des-Fées). — « Un petit hameau dépendant de la Commune d'Uriménil, est indiqué dans quelques anciennes cartes sous le nom de Pont-des-Fées, vraisemblablement parce qu'il existait dans ce village une construction de ce genre, remarquable par sa hardiesse et sa légèreté » (4).

Non seulement l'existence du monument dont il vient d'être question est problématique, mais le hameau qui en tirait son nom ne figure ni dans les cartes, ni dans une nomenclature actuelle.

Par contre Léon Louis (5) signale un petit hameau de la même commune (Uriménil) qui porte le nom de Puits-des-Fées. Ses habitants montrent encore l'emplacement du puits qui fut utilisé jusqu'en 1877, date à laquelle fut édifiée, à quelques mètres de là, une fontaine publique. A ce moment, le puits fut comblé, mais il déborde à la suite de pluies persistantes. La baguette du sourcier révèle, du reste, la persistance de l'eau à une certaine profondeur.

On rapporte, dit une tradition, que les Fées l'avaient bâti en une nuit (6).

A l'exemple de leur soeur Mélusine, les Fées Vosgiennes ont à leur actif la construction d'églises et le Moutier-des-Fées de La Bresse et l'Eglise-des-Fées de Rochesson, présentent encore de probants vestiges.

C'est dans une lande mystérieuse, à 1.000 mètres d'altitude,

(i) Tome IV, page 660.

(2) De Vioménil, une voie arrivait au Pont-des-Fées, sur le Côney : grand appareil romain, en pierres de taille reliées par des crampons en fer, et que l'on vient de détruire en partie pour l'établissement du Canal de l'Est. De là, sans doute, la voie rejoignait celle de Bains, à la côte de Million, millenium, borne militaire. (Le Pays des Faucilles, par le Dr Bailly. Bulletin de la Société de Géographie de l'Est. Tome III. Année 1881).

(3) Richard, page 130-131. L. Louis, Tome IV, page 548.

(4) Richard, page 130.

(5) Tome IV, page 548. Tome VII, page 175 (au mot : Puits des Fées).

(6) Renseignements fournis par M. G. Doridant, Instituteur.


- 37que

37que dresse le Moutier-des-Fées. Le touriste qui va de Gérardmer à La Bresse et arrive au Col de Grosse-Pierre en aperçoit de la route la masse imposante qui est au premier plan d'un panorama

unique dans les Vosges. Parmi de superbes roches jaillissant du sol, l'une d'elles domine le chaos avec une émouvante majesté ; plantée au milieu d'un vieux marais desséché, elle s élève vers le ciel comme une tour et présente l'aspect d'une église du Moyen

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Age, avec ses fenêtres à ogives, ornées d'élégantes colonnettes ; d'où le nom apporté par la tradition (1). En ce lieu, venaient « rondier » les Fées ; mais le Diable y donnait, lui aussi, des soirées. Aussi, n'est-ce point sans frayeur que le Bressau passe là, à la tombée de la nuit ; l'endroit est maudit ; on y craint.

Rochesson

Le nom évocateur d'Eglise-des-Fées est également donné à une roche conique de 80 mètres de diamètre et de 30 mètres de hauteur se trouvant à neuf kilomètres de Rochesson.

Encore un mot sur nos constructions féeriques. Comment donc s'y prenaient nos Fées pour exécuter ces travaux ? Si nous ne sommes

(l) A proximité de Moutier-des-Fées, est un amas de roches appelé la sacristie.

Richard a signalé en 1848 deux métairies de la Bresse portant les noms de Maison des Fées et de Roche^ de Minuit. Elles n'existent plus. La « Roche de Minuit », fréquentée par les sorciers, est un sommet granitique, de 950 m. ait., situé à l'opposé du Moutier-des-Fées et à l'entrée de la commune, au Daval, qu'il domine au S.-O. (Syndicat d'initiatives de la Bresse).


■ ; . — 39 -

que peu renseignés sur leur façon de procéder, le folk-lore de certaines provinces nous en donne une idée. Les Fées qui ont érigé en Bretagne des dolmens et des menhirs, transportaient facilement sur leur tête, tout en filant, des masses de granit que dix boeufs ne remueraient pas, ou les amenaient dans leur devantière (leur tablier) (1) et, arrivées à destination, dressaient les menhirs au milieu de la plaine comme des épingles sur une pelote ou mettaient les dolmens en place en les soulevant avec leur quenouille (2).

Pour quelles raisons auraient-elles agi différemment dans les constructions vosgiennes ? Mais parfois, le tablier de gaze, trop chargé, se déchirait ; il en résultait à cet endroit un amoncellement de rochers ; nous en avons un exemple près du Val-d'Ajol où un grand amas de rocs est encore appelé le Faix ou Fardeau-des-Fées.

En un autre lieu, la légende est plus explicite, celle du Tholy. A peu de distance de ce bourg coquet, apprécié pour la beauté de ses sites et lavariété de ses promenades, se trouve une montagne boisée, la « Charme de l'Ormont », couronnée par un vaste plateau que sa forme particulière a fait dénommer « le Pain de Beurre » et où l'on rencontre des roches taillées en blocs assez réguliers. Les fées, dit la légende, habitèrent longtemps la « Charme », transportant elles-mêmes ces immenses blocs de poudingue pour mieux dominer les environs, les étudier plus à fond et jeter, en parfaite, connaissance du pays, des sorts sur les maisons, les hommes ou le bétail.

A une certaine époque, elles abandonnèrent ces sites sauvages pour aller s'établir sur le Saint-Mont et y construire le Pont-desFées (3). Ne sont-ce point ces mêmes bâtisseuses qui auraient

(r) Après avoir épousé Raimondin, Mélusine bâtit en quelques nuits, au clair, de la lune, travaillant jusqu'au chant du coq, un château magique ; et des voyageurs attardés racontèrent l'avoir vue transportant les tours et les murailles dans son tablier de dentelle.

(2) La légende associe volontiers les Fées à l'érection des menhirs et des dolmens. Lorsque les premiers éveillent, par leur forme, l'idée de quenouilles ou de fuseaux, ce sont des Fées filandières qui les ont dressés. Et l'on a gardé des noms pittoresques et charmants : la Quenouille d'Abreschviller, (les Vosges et l'Alsace, Guide du touriste, Strasbourg. Istra 1922, page 160), le Fuseau à Berthe (Loire-Inférieure), le Fuseau de la Madeleine, la Quenouille de Sainte Barbe (Finistère).

Quant aux dolmens, les fées en transportent les lourds matériaux au bout de leurs quenouilles, sur leur tête ou dans leurs tabliers, et cela sans cesser de filer ou de tricoter.

Nombre de ces mégalithes ont servi à des divertissements de personnages discoboles, de géants, de héros, de diables : palets de Gargantua (Touraine), palets de Samson (Puy-de-Dôme), palets de Roland (Pyrénées)J Ils témoignent aussi de vengeances, de luttes, de paris. Plusieurs sont même des êtres pétrifiés à cause d'une mauvaise action ou métamorphosés pour échapper à un danger.

(3) Le Tholy-Guide, page 15.


- 40 —

dressé, perpendiculairement à son lit de carrière, à deux kilomètres du Saint-Mont et à la limite des communes de Saint-Amé et de Saint-Etienne, l'énorme mégalithe appelé Pierre Kerlinken ?

Dans la remarquable publication : Images de chez nous (1), notre ami Jean Sapin, après avoir décrit le colosse dont le nom

breton, la forme, la position et le cadre environnant font naître les plus troublantes suppositions, nous conte en effet que la Pierre Kerlinken servait de refuge aux Fées de Fossard. Elle a encore gardé de cette destination le curieux privilège d'être une pierre

Pierre branlante du Kemberg

(i) Images de Chez nous. Collection d'albums in-40 avec texte de Jean Cordier (sauf en ce qui concerne le N° 9) et illustrations du peintre-graveur Auguste Jacquot.

Dix albums parus : 1. Sites aiolais (Hérival, Vallée des Roches, Val-d'Ajol). 2. La Chapelle de la Madeleine, la Croix de Révillon, la Maison de Claude le Lorrain à Chamagne (bois de Pierre Waidmann). 3. Remiremont, la Place de Mesdames 4. Saint-Etienne, le Saint-Mont. 5. Sainte Sabine, les Roches du Thin. 6. Le prieuré d'Hérival. 7. Une visite à Remiremont la Coquette. 8. Vers les Hautes-Vosges. 9. Plombières-les-Bains (texte de MM. J.K. et J.M.J.). 10. Pêle-Mêle : Val-d'Ajol, La Bresse, Remiremont.

En préparation : N° 11. Gérardmer ; N° 12. Saint-Dié, textes par J. Cordier et A. Pierrot, (s'adresser à M. Auguste Jacquot, 1, rue Maldoyenne, Remiremont, pour les souscriptions aux N 0' 11 et 12, les fascicules précédents étant épuisés).


- 41 -

animée : elle vacille sur sa base lorsque sonne la grosse cloche de Vagney (I).

Si la Roche Tournante de Landaville, ne présente ni les mêmes

" dimensions ni les conditions d'équilibre de la Pierre Kerlinken,

elle offre, du moins, une particularité à peu près identique en ce

qui concerne son pouvoir de tourner sur elle-même quand elle

entend sonner midi.

En est-il de même de la « Pierre branlante » du Kemberg (2) ?

On pourrait, semble-t-il, donner la même origine fantastique aux nombreux monuments préhistoriques vosgiens, dolmens, menhirs, pierres à sacrifices, tumuli ou hauts lieux, déjà dénombrés en 1889 par Henri Ganier et dont je ne cite qu'une partie : Le Fardeau de Saint-Christophe, le menhir de Raon, le menhir de Saint-Maurice ; la Piquante Pierre, de Basse-sur-le Rupt r la roche du Thin et le menhir de Pierrefitte, à Saint-Etienne-lesRemiremont ; la Pierre du Chaud Castel, au Tholy ; la Pierre des Fées, de Cheniménil.

(i) Dernière manifestation de leur culte, l'animisme des pierres resta longtemps une croyance des plus répandues. On attribuait aux mégalithes la faculté de se mouvoir à des époques et dans des circonstances nettement déterminées. Nous ne pouvons ici que nous borner à quelques exemples :

Dans la région d'Angers, un bloc de quartz blanc tourne aux douze coups de midi. La Roche de Remoillon (arrondissement de Château-Chinon) tourne trois fois sur elle-même à la même heure. Ailleurs, le phénomène a lieu à minuit, une ou trois fois. (La Pierre-de-Minuit, à Rocroi). En certains lieux, il ne se produit que tous les , cent ans. (Ain, Yonne, Marne). Il s'accomplit parfois enfin aune inconcevable lenteur: La Pierre-Folle de Cluny met un siècle entier pour exécuter un seul tour.

Mais les pierres ne se bornent pas à tourner ; il en est qui se déplacent pour boire, se baigner ou se distraire ; on en rencontre qui gémissent, qui chantent, sonnent ou dansent ; certaines s'ouvrent pour laisser voir d'énormes richesses ou livrer passage à des Fées. Elles s'ouvrent aussi pour donner asile à des héroïnes persécutées. Sainte Odile, fuyant son père et le fiancé qu'elle avait repoussé, allait être rattrapée lorsqu'un rocher s'entr'oUvril et la cacha. (Sébillot I 325).

(2) page 40.


IL Portrait des Fées

Si nos légendes ne nous renseignent qu assez laconiquement sur les demeures des Fées, elles sont plus discrètes encore sur leur portrait et leur costume. La cause de cette indigence de détails, c'est qu'à l'exception des élus de leur caprice ou de leur passion, les Fées se dérobaient jalousement aux regards humains, ou n'apparaissaient que dans certains lieux, à des heures ou sous des conditions fixées par des rites mystérieux ; et même, dans ce dernier cas, l'insigne faveur de les contempler face à face n'était pas toujours certaine. L'aventure de Robert Wace, qui est classique, nous le confirme.

Le poète normand, qui vivait au XIIe siècle, s'était rendu tout exprès, comme il convenait, dans la forêt de Brocéliande, sanctuaire des Fées bretonnes. Arrivé près de la célèbre fontaine de Barenton (1), il y puisa quelques gouttes à I aide du bassin attaché au chêne sacré voisin et les répandit sur le perron de marbre ; puis, connaissant la tradition des vieux poèmes, il attendit l'orage qui devait éclater sans tarder et faire surgir les Fées. II attendit toute la nuit, parcourut en tous sens la forêt et fut déçu : « Fou y allai, conclut-il, Fou m'en revins, et me tins pour Fou d'avoir cherché cette Folie ».

Il faut croire que les grâces d'état manquaient au clerc normand,

(i) D'après M._ Bellamy, qui fit du sujet une étude minutieuse et profonde (La Forêt de Brèchèliant, La Fontaine de Barenton, 2 vol. Rennes 1898), l'ancienne forêt de Brocéliande, séjour de l'enchanteur Merlin et de Viviane, sa « mie », se confondrait en partie avec celle de Paimpont (Ille-et-Vilaine), à peu de distance de Rennes. Dans cette forêt, entrecoupée de landes sauvages, les villages sont aujourd'hui clairsemés, et celui de Folle-Pensée, au nom suggestif, est le plus proche de la mystérieuse fontaine que les poètes ont dépeinte « aux ondes clères sur fin gravois d'argent ". Une grosse pierre noire et gisante est tout ce qui reste du perron de Merlin, où quelques gouttes répandues suivant les rites opéraient d'incroyables prodiges.

Près du village de Buisson, à 8 killomètres au N.-E. de Paimpont, un dolmen rumé est appelé « tombeau de Merlin » ; c'est là qu'est retenu prisonnier le « précepteur des Fées », celui qui eut la « folle pensée » de confier à Viviane le secret par lequel elle devait l'asservir.

Le rite général qui consiste à jeter de l'eau sur la terre pour faire tomber l'eau du ciel, en vertu d'une sorte de magie sympathique, a été pratiqué pendant des siècles, sur les bords de la fontaine sacrée de Barenton. Lorsque le pays était éprouvé par une sécheresse prolongée, on y puisait de l'eau et l'on en arrosait la margelle ; et le jour même de quelque côté que le vent ait soufflé, la pluie tombait, abondante et tiède.


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car les Fées, en dehors de leurs favoris, se montrent à qui sait les voir. Perrault, qui s'y connaît, en Fées, ne nous assure-t-il pas que dans la forêt l'homme de génie voit des nymphes et des sylvains ? C'est ainsi que des poètes doués, clairvoyants et sensibles ont pu fixer d'insaisissables traits ; c'est grâce à eux que nous connaissons mieux les Princesses du Rêve et que je vais vous faire pénétrer un court instant dans leur intimité : « Brillantes d'une éternelle jeunesse, nos Fées de France se promènent en robes blanches dans les bois sacrés, accompagnées de nains qui écartent de leurs pieds nus les broussailles des sentiers (I). Les pierres précieuses scintillent à leurs bras et à leur cou, talismans précieux qu elles offriront à ceux qu'elles aiment : le rubis sanglant qui donne la force, l'émeraude aux lueurs marines qui conjure les démons, l'oeil-de-chat qui rend invisible, la turquoise céleste qui sauve de la mort. Tantôt elles filent d'invisibles étoupes, tantôt de leurs doigts légers elles cueillent leurs fleurs préférées, la primevère et la rose, le trèfle et la verveine ; sur un signe de leur baguette, les rameaux d'or s élancent du sol, et la mandragore, la plante fabuleuse, se met à chanter. Quand «lies sont lasses de la terre, elles s'envolent à travers le ciel sur un fil de la Vierge dans des équipages minuscules. Si vous ne connaissez pas celui de la Reine Mab, écoutez, dans Roméo et Juliette, la ballade de Mercutio :

«Son char est une coquille de noix creusée par l'industrieux écureuil ou par le ver coquin qui, depuis un temps immémorial, fabrique les chars des fées. Les rayons de ses longues roues sont faits de pattes de faucheux des jardins. Une aile de sauterelle forme l'impériale de sa voiture. Les rênes et les harnais sont tissés de la plus fine toile d'araignée. Sur le siège, un moucheron nocturne, vêtu de gris, conduit le char .attelé d'atomes (2)». Est-il plus invrai(i)

invrai(i) pour tous. Novembre 1902.

(2) Char de rêve, char d'amusette ! Un écureuil fut le charron. Le sculpteur a signé : ciron... C'est conduit par un moucheron, Puisque c'est fait d'une noisette.

Une aragne au pied diligent

A tissé la fine dentelle

Des blancs harnais dont on attelle...

Un fil de la Vierge immortelle

Sert de fouet à mèche d'argent.

(André RIVOIRE., d'après Shakespeare). (Conférencia, Ier décembre 1923).


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semblable équipage ? Mais aussi trouverait-on plus mignonne créature que cette délicieuse souveraine de fantaisie, grosse comme une pierre d'agate dans le chaton d'une bague ? Sitôt le crépuscule, la petite Fée des rêves poursuit, sans se lasser, ses fantastiques randonnées. Elle chevauche, nuit par nuit, à travers les cerveaux qu'elle comble d'heureux songes, grimpe sur le nez des dormeurs, court sur leurs fronts, et se suspend jusqu'au jour dans leur tignasse ébouriffée.

Une autre vision de la grande féerie est celle de Titania, aux parures si variées, légère et vaporeuse comme le nuage. On la voit revêtue de tuniques faites en pétales de roses et de manteaux en ailes de papillons ; parfois, en robe diaphane, elle marche et passe sur la iDointe des herbes sans les courber. « Je vais partout, dit une Fée de sa suite, plus rapide que la sphère de la lune, et je sers la reine des Fées, pour humecter la verdure de ses perles de rosée. Il faut que j'en cherche des gouttes ici et que je suspende une perle à l'oreille de chaque fleur (1) ».

Plus humbles, plus ingénues, sont nos Fées rustiques, non peutêtre les habitantes des palais anonymes de la Vologne ou de Martimprey, mais celles que l'on rencontre à la « vesprée » par les chemins creux ou parmi les digitales aux doigts de rose. Pourtant leur simplicité ne les dépouille pas de leur grâce et de leur puissance.

Comme leurs soeurs nobles, elles peuvent revêtir le contour qui leur plaît, et rien n'égale alors la rapidité de leurs métamorphoses : biche dont la course agile fait craquer les feuilles mortes, couleuvre qui glisse dans l'herbe, poisson qui saute, eau qui jase, étoile qui argenté le coude de la rivière, caillou, rocher, arbuste, fleur, rien dans les trois règnes qui ne serve à leur déguisement (2). Mais, par caprice ou bienveillance elles adoptent souvent la figure humaine, malgré la grossièreté des hommes, leur brutalité et la façon dont ils tuent les plantes et les fleurs, objets de leurs soins.

C est d ordinaire sous cette forme que les légendes nous les montrent, tantôt bonnes et réunissant tous les attraits, tantôt vieilles et laides quand il s'agit de mauvaises fées. Notez que c'était souvent pour éprouver les humains qu'elles se montraient décré(i)

décré(i) Félix-Faure Gayau p. 218. (2) Lefèvre (A.), page 115.


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pites et grincheuses, mais elles le faisaient aussi par pure méchanceté, et l'ancienne jolie bonne Fée devenue la méchante et vilaine Fée classique Carabosse nous en offre l'exemple (1).

Mais leur vrai corps, leur corps féerique, était d'ordinaire diaphane, subtil, insaisissable, plus mince et plus léger que la nuée floconneuse.

Ecoutez le chroniqueur de Landaville (2) :

«L'viquaint d'I'âr don tops éco d'iécque aute chouseque j'en'sais pus. L'pessaint Iou vie è chanté, è joué, et pus quand i fiôt bè, l'sautaint fû le neuil pâ les p'tieux d'Fousse. L'étaint si logères que l'ne touchaint-me tare et qu'on voyôt tiè au tréva d'zoves. L evaint des b'sognes auss'fines que des érantôles. L'vot d loue bouche sotôt'moyou qu'tourtous les bouquets des moues. Tourtout Féyé on étôt ropiém qu'cè v'nôt n'depe Landaville quand c'étôt l'vot ».

Elles vivaient de l'air du temps et d autre chose que je ne sais plus. Elles passaient leur vie à chanter, à badiner, à jouer, et puis, quand il faisait beau, elles sortaient la nuit par les trous de Fosse. Elles étaient si légères qu'elles ne touchaient pas terre et qu on voyait clair au travers d'elles. Elles avaient des vêtements aussi fins que des toiles d'araignée. Le souffle de leur bouche sentait meilleur que toutes les fleurs du jardin. Tout Féyelle en était rempli que cela venait jusqu'à Landaville quand c'était le vent ».

Plus apprêtées étaient nos Dames de la Vologne, avec leurs longues robes de gaze teintées de vert tendre (3) ; d'une pâleur de perle, leur visage respirait une auguste délicatesse et leurs prunelles violettes savaient parfois garder une immobilité pensive (4). Quand elles évoluaient près des lacs ou des cascades, une douce lumière émanait de leur enveloppe idéale, répandant autour d'elle un halo de pourpre qui en suivait gracieusement les contours.

Ailleurs, dans la vallée de la Moselotte, elles étaient vêtues de blanc, parées d'une longue chevelure enguirlandée de pervenches,

(i) On trouve la Fée Carabosse dans la plupart des contes qui ont effrayé ou amusé notre enfance. Vieille, laide, méchante, rechignée, tordue, bossue à trente-six carats (d'où son nom sans doute), elle est la Fée malfaisante, la Fée harpie, la Fée rabatjoie qui survient quand on est en liesse, pour tout troubler par sa présence. Sa baguette est la source d'où jaillissent les mauvais dons. Cette puissance, heureusement, est contrebalancée par celles d'autres Fées bienveillantes.

(2) Adam, p. 405.

(3) Général Dosse, p. 67.

(4) Marche de France, mai 1934.


46

ou couronnées d'un chapel d'anémones, le visage blanc comme fleur d'épine.

C'est ainsi qu'on les voyait jouer par les nuits sereines. Au moindre bruit trahissant un voisinage humain, elles narguaient l'intrus et se retiraient dans leurs caverneux rocs.


III. Occupations à caractère féerique

A parcourir, dans les archives féeriques, les faits et gestes de nos Dames, on se rend compte qu elles mènent une existence des plus occupées, remplie par les devoirs ou les attributions de leur mystérieuse charge, et par de plus humbles travaux qui les rapprochaient des simples mortelles.

Le pouvoir de métamorphose dont nous venons de voir qu'elles usent pour elles-mêmes (1), elles l'exercent aussi sur les choses et les êtres, et les beaux contes dont fut bercée notre enfance nous les montrent changeant un lézard en laquais, une citrouille en carrosse, une princesse en chatte blanche. Ne connaissant pas de limites, leur toute puissance gouverne les éléments et discipline les saisons. Jamais le feu du Ciel ne les frappe, et le rocher qui est leur abri sépare en deux le plus violent orage.

Gardiennes charmantes de la nature* elles font, et avec quel art consommé, la toilette du printemps, après avoir secoué de sa robe les bêtes difformes. Elles connaissent la vertu des pierres, des arbres, des herbes. Elles entendent l'herbe croître sous terre et reconnaissent- au son la nature de celle qui va paraître ; elles perçoivent le chant de la rose qui va fleurir, le murmure de la violette qui va poindre, le gazouillis de l'anémone qui salue l'aurore. Une gracieuse légende de la Haute-Savoie nous les montre faisant éclore par milliers, dans le coin sauvage de Saint-Julien, les jonquilles d'or qu'à chaque renouveau, l'on vient chercher depuis Genève. En recueillant pour vous cette légende (2), j'ai pensé à nos claudi(i)

claudi(i) aussi la métamorphose était une peine à laquelle la reine condamnait ses sujettes : celles-ci, en revêtant la forme de quelque animal,devenaient mortelles jusqu'au moment où finissait l'épreuve.

(2) La voici :

« Autrefois les Fées habitaient la Plaine dite de nos jours « des Rocailles ». Il arriva qu'un jour qu'elles s'étaient écartées de leur domaine, un brusque et violent orage éclata. Vite elles traversèrent l'Arve près de la tour de Bellecombe. Tout à coup un bruit épouvantable éclata ; les villageois entendirent des rocs se heurter, cependant que la terre tremblait ; puis le calme revint. A l'aube les paysans se dirigèrent du côté du bruit formidable de la veille. Au milieu de la plaine bouleversée, un abri avait surgi, deux énormes pierres debout, une troisième faisant toit. Les génies amis des Fées, de leurs mains puissantes, leur avaient bâti ce refuge. Cellesci, reconnaissantes, firent de leur baguette magique éclore par milliers dans ce coin de terre rocheux et sauvage les jonquilles d'or ». (Lucien GUY. Contes et Légendes du Faucigny, Annecy 192s).


. -48nettes

-48nettes Gérardmer qui, depuis quelques années, sont mises à l'honneur. N'auraient-elles pas même origine que leurs soeurs alpines ?

Mais le. rôle de prédilection de nos Fées, c'est celui de Marraines, l'attribution la plus douce, celle qui place dans leur baguette magique le pouvoir de régler, au seuil de la vie, le destin de chaque mortel.

Elles s'empressent autour des berceaux et apportent dans leurs corbeilles, outre les cadeaux immédiats, les trésors de l'avenir, talents, joie, richesse, beauté ; on s'est préparé à les recevoir, et, auprès des plus humbles couchettes, se dresse une table couverte de la collation rituelle (1). On a invité toutes celles du voisinage, même les mauvaises, pour ne pas attirer de représailles sur la tête du nouveau-né, car il n'y a rien de plus vindicatif qu une fée qu'on oublie.

Rappelons-nous le conte de la Belle au Bois Dormant, et les dons des Fées invitées, qui vont faire de l'enfantelet, de l'enfant royal, une princesse tout à fait accomplie.

« La plus jeune Iuy donna pour don qu'elle seroit la plus belle « personne du monde ; celle d'après, qu'elle auroit de l'esprit comme « un ange ; la troisième, qu'elle auroit une grâce admirable à tout « ce qu'elle ferait ; la quatrième, qu'elle danserait parfaitement « bien ; la cinquième qu'elle chanterait comme un rossignol ; « et la sixième, qu'elle jouerait de toutes sortes d'instruments « dans la dernière perfection ».

Vous savez le reste ; la vengeance de la vieille Fée, que l'on n avait point priée parce qu'on la croyait morte ou enchantée, et l'aimable stratagème de la septième bonne Fée qui, parlant la dernière, atténue les représailles et change en un long sommeil la mort qui avait été prédite.

Ces bonnes et ces mauvaises influences expliquent, n'est-il pas

(i) Jadis, lorsqu'une famille attendait la naissance d'un enfant, on avait coutume de servir un repas pour les bienfaisantes visiteuses dans la plus belle chambre de la maison. En Provence, par exemple, et dans plusieurs autres provinces, on disposait sur une table trois pains blancs, trois pots de vin et trois hanaps. On posait ensuite le nouveau-né au milieu, et tout le monde s'éloignait pour laisser les Marraines approcher. Même, en Bretagne, au lieu d'attendre la venue des Fées, on portait l'enfant à l'endroit qui leur était le plus familier, auprès de quelque fontaine, par exemple, ou dans quelque grotte. C'est ainsi que Brun de la Montagne fut dans Brocéliande comblé de toutes les vertus et de tous les dons.

(Lectures pour tous. Novembre 1902, page 115).


4^

Pierre de Kerlinken. ( Composition d'Auguste Jacquot I


-50vrai,

-50vrai, qui règne parmi les humains ; ne faut-il pas y chercher aussi l'excuse plausible de l'écolier paresseux victime de quelque marraine que le faire-part aura oubliée ?

Mais, bien avant de se constituer les gracieuses marraines des enfants, les Fées sont, en maints endroits, les douces gardiennes des bébés qu'elles préparent à éclore. Il y a, çà et là dans nos Vosges, de ces roches d'élection aménagées par les Bonnes Dames en pépinières humaines, et je ne cite que les plus connues :

Non loin de Remiremont, à peu de distance de la fontaine de Sainte Sabine, qui guérit tous les maux (1), se dresse la Pierrede-Kerlinken (2), déjà citée tout à l'heure, qui fournit tous les marmots de la région. Aux espiègles incrédules, on montre la porte sans serrure ni gonds qui s'est ouverte une belle fois, à minuit, pour leur livrer passage.

D'autres pépinières d'enfants se trouvaient aussi dans la roche du Chastelet, à la Bresse, dans la pierre de Charlemagne, à Gêrardmer, dans la roche Mère Henry à Senones, dans la Piquante Pierre, à Ménil-Thilllot.

Les Déodatiens n'ont-ils pas été les hôtes choyés des Bonnes Dames de VOrmont (Roche-des-Fées) et du Kemberg (Roche-SaintMartin) avant de descendre dans la Ville aux trois clochers ?

La Roche-des-Fées de l'Ormont, dit M. de Golbéry, fut longtemps et devrait rester pour les habitants de la Cité Déodatienne, un but de pèlerinage. Car ce n'est pas dans un prosaïque carré de choux que leurs yeux s'ouvrirent à la lumière ; le dôme de la Forêt fut leur premier abri, le creux d'un rocher leur berceau ; là-haut, à 757 mètres d'altitude, dans la mystérieuse demeure et sous l'oeil vigilant des Fées, toute une population de bébés attend

(i) C'est dans la sombre forêt de Fossard que se trouve cette fontaine de laquelle on disait :

La fontaine de Sainte Sabine De tout mal affine.

Outre le pouvoir de guérir les dartres, ses eaux jouissent de la propriété de renseigner les jeunes filles sur la date plus ou moins proche de leur mariage. Les candidates^ à l'hyménée venues pour une consultation doivent poser délicatement une fine épingle sur l'eau cristalline de la source ; se précipite-t-elle au fond sans reparaître, c'est, pour une année, l'ajournement du doux espoir ; mais si elle surnage, c'est le signe enchanteur d'une union proche. Il est, heureusement, des accommodements avec la destinée : l'épingle passée à la dérobée dans les cheveux et ainsi enduite de matière grasse restera plus sûrement à la surface de l'eau.

Les Roches du Raybois, au Puid (canton de Senones) avaient un privilège un peu différent ; les femmes allaient y sacrifier à la Déesse qui présidait aux naissances.

Aujourd'hui c'est le touriste qui les fréquente ; au centre d'un amas de roches couvrant environ 50 ares, quelques blocs énormes se dressent en une plate-forme d'où l'on a une vue magnifique sur la vallée du Rabodeau. (M. le Maire du Puid).

(2) page 49.


-51 -

le jour fixé à chacun d'eux par le Destin pour faire en détail son

entrée dans la Vie, dotée de toutes les qualités dont une fée généreuse peut combler ses favoris.

Et ne croyez pas que ce rôle de Marraines se borne là, même quand tout a été préparé pour l'existence la plus douillette ! Dès mainLa

mainLa (Saint-Dié)


-52tenant,

-52tenant, Fée va veiller discrètement sur ses pupilles, s'installant la nuit à leur chevet, les suivant pas à pas ; mais ces prévenances et ces soins, ne l'oublions pas, veulent rester ignorés ; s'ils sont découverts, le charme est rompu.

Ecoutez pour vous en convaincre la Légende du « Tison », donnée par Sauvé, dans son folk-lore des Hautes-Vosges (I). :

Une nuit d'hiver, une jeune mère voit se dresser, près du berceau de son enfant, une silhouette blanche, svelte et vaporeuse. De son lit, elle crie, épouvantée : « Qui est là ? — Que t'importe, répond une voix douce. — De grâce, renseigne-moi ; que viens-tu faire ici ? — Ne m'interroge pas, il y va du bonheur de ton enfant. — Sors d'ici, j'ai peur. — Soit, mais la mort enlèvera ton petit dès que ce tison sera consumé ». Terrifiée, la pauvre femme courtvers l'âtre, prend le tison encore rouge, l'éteint et l'enferme dans un coffret. L'enfant grandit et devint très vieux. II vivrait encore, sans doute, si une personne de la famille, non avertie, n'avait jeté le tison au feu.

En d'autres circonstances, c'est une famille qui bénéficie de la protection d'une Fée.

L'exemple classique nous est fourni par Mélusine, la Fée fondatrice, la Fée qui veille sur la naissance et la croissance d une noble race, celle des Lusignan : elle nous apparaît comme le symbole des ingénieuses et vaillantes châtelaines dont le courage industrieux préludait à la grandeur de leur maison (2).

Une autre merveilleuse histoire de Fée, qui se rattache à l'origine des Maisons de Croy, de Salm et de Bassompierre, est rapportée par Tallemant des Reaux (3).

(i) Sauvé, page 238.

(Extrait d'une Causerie faite à Radio-Strasbourg le 21-2-38).

(2) Les meilleures maisons tenaient à honneur de descendre d'une Fée. L'une d'entre elles passe pour avoir été la mère de la glorieuse maison des Lusignan, la Mère Lusigne, Mélusine, comme on l'appela ensuite, par contraction. Jean d'Arras écrivit son histoire au XIVe siècle. Elle était fille, dit-on, d'un roi d'Albanie et fut condamnée par sa mère, pour une faute qu'elle avait commise, à être Fée et serpent, chaque samedi, jusqu'au jugement dernier. Cependant un gentilhomme du Forez l'épousa et elle bâtit pour lui, à l'aide de ses enchantements, le château de Lusignan, dans le Poitou. Elle avait fait jurer à son époux qu'il ne chercherait point à la voir le samedi. Mais celui-ci l'ayant surprise un jour transformée en serpent, elle se sauva par la fenêtre et ne reparut point. Cependant toutes les fois qu'un membre de la maison de Lusignan devait mourir ou que le château allait changer de maître, on la voyait pendant trois jours perchée sur le donjon et poussant des gémissements. Elle passe pour avoir émigré plus tard et s'être réfugiée en Dauphiné, dans les grottes de Sassenage : on prétendit, pendant des années, que les fameuses cuves de Sassenage tenaient d'elle le don de prophétiser (voir page 70).

(les Contes merveilleux,"Conférence de M. A. RIVOIRE à l'Université des Annales. 23 mars 1923. Conférencia Ier décembre 1929. )

(3) Tallemant des Réaux. Historiettes. Tome IV. page 194 (Edition Garnier).


-53Le

-53Le d'Angeweiller, marié avec la Comtesse de Kinspein, allait habituellement à la chasse. Quand il revenait tard ou qu'il voulait partir de grand matin sans réveiller sa femme, il couchait dans une petite chambre, au-dessus de la porte d entrée de son château. On avait mis là pour lui une couchette de bois, bien travaillée selon le temps. Or un lundi, en montant à sa chambre, il y trouva une fée endormie. II ne la troubla point ; et durant quinze ans elle revint là tous les lundis, et le comte l'y allait trouver, jusqu'à un certain jour qu'étant entrée dans cette chambre avec une fausse clef, la comtesse y vit la Fée et le comte endormis. Elle se contenta d'ôter le couvre-chef de la Fée de dessus une chaise, et, après l'avoir étendu sur le pied du lit, elle s'en alla sans faire aucun bruit (1).

La Fée, se voyant découverte, dit au comte qu elle ne pouvait plus le voir, ni là, ni ailleurs ; et après avoir pleuré l'un et l'autre, elle lui dit que sa destinée l'obligeait à s'éloigner de plus de cent lieues ; mais que pour marque de son amour elle lui donnait un gobelet, une cuiller et une bague, pour les remettre à ses trois filles. « Ces gages, dit-elle, porteront le bonheur dans les maisons où ils entreront, tant qu'on les y gardera ; et tout malheur arrivera à qui dérobera un de ces objets précieux ».

Après ces mots, la Fée s'en alla, et le Comte d'Angeweiller ne la revit plus jamais. Il maria ses trois filles avec trois seigneurs des maisons de Croy, de Salm et de Bassompierre, et leur donna à chacune une terre et un gage de la Fée.

Croy eut le gobelet (2) et la terre d'Angeweiller.

Salm eut la bague et la terre de Fenestrange.

Et Bassompierre eut la cuiller avec la terre d'Answeiller.

Trois abbayes étaient dépositaires de ces gages quand les enfants

(i) Le couvre-chef s'entend habituellement comme coiffure de nuit ou de chambre. Cependant au XIVe siècle, on donnait aussi ce nom à certaines coiffures de femmes composées de réseaux d'or et de pierreries posés sur des tissus de soie et d'or que les Dames mettaient lorsqu'elles se rendaient dans les Assemblées. Ces couvre-chef précédèrent les hennins et les cornes. r ...

Le couvre-chef de chambre était blanc, uni ou piqué, et enveloppait entièrement les cheveux. On sait qu'au Moyen-Age les dames restaient au lit des semaines entières en certaines circonstances et notamment après leurs couches, ce qui ne les empêchait pas de voir du monde. Alors elles tenaient fort à être convenablement coiffées, et le couvre-chef de nuit affectait plus ou moins d'élégance (Viollet-Ie-Duc. Dictionnaire du Mobilier français).

(2) Tallemant des Réaux raconte que Diane de Dampmartin, marquise d'Havre, de la maison de Croy, ayant laissé tomber le gobelet en le montrant, il.se cassa en plusieurs pièces. Elle les ramassa, les remit dans l'étui en disant : « Si je ne puis l'avoir entier, je l'aurai au moins par morceaux ». Le lendemain, on ouvrant l'étui, elle trouva le gobelet aussi entier que devant.


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étaient mineurs, Nivelle pour Croy, Remenecourt pour Salm, et Epinal pour Bassompierre ; et en effet ces trois maisons prospérèrent longtemps.

Quant à l'autre prédiction de la Fée, relativement au vol de ces objets, on en reconnut la vérité dans la maison de M. de Pange, Seigneur lorrain, qui déroba au prince de Salm la bague qu'il avait au doigt, un jour qu'il le trouva assoupi pour avoir trop bu.

Ce M. de Pange avait quarante mille écus de revenu, il avait de belles terres, était surintendant des finances du Duc de Lorraine. Cependant, à son retour d'Espagne, où il ne réussit à rien, quoi qu'il y eût été fort longtemps et y eût fait bien de la dépense, (il était ambassadeur chargé d'obtenir une fille de Philippe II pour son maître) il trouva sa maison en désordre ; tout son bien se dissipa ; il mourut de regret ; et trois filles mariées qu il avait furent toutes trois abandonnées de leurs maris.

Enfin les Annales Dédodatiennes ont enregistré la plus gracieuse des légendes, celle qui nous montre les Fées protégeant, non plus seulement un enfant ou une famille, mais une cité.

Le Cercle d'Ormont (1). — Il fut un temps où les lutins de l'Ormont détestaient les habitants du Val de Galilée parce que ceux-ci, travaillant dans la forêt, ou y chassant, ou même s'y promenant, troublaient leur solitude. Et c'étaient, à chaque instant, de sournoises vengeances : un énorme rocher, mystérieusement détaché du sommet de la montagne, brisant tout sur son passage, et heureusement détourné vers une combe sauvage ; un torrent dévié de son cours pour menacer une ferme et ramené par une force inconnue en son lit normal ; un troupeau d'ours et de loups hurlants, conduits par un belliqueux sotré et arrêtés on ne sait par qui aux premières maisons de la Ville.

Vous avez deviné que la vigilance des Fées avait le plus souvent raison de la méchanceté des Lutins. Mais le danger grandit et devint plus pressant le jour où les effrontés petits sotrets, retors en malice, parvinrent à rallier à leur cause les gnomes du Lac intérieur de l'Ormont. Ici, je dois une explication aux personnes non informées. Ormont n'est pas, comme une autre montagne,

(i) Ce récit, qui reproduit le texte intégral delà Conférence donnée à Saint-Dié, s'est très largement inspiré de la gracieuse légende du Général Dosse.


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une masse compacte de terre et de rochers ; dans ses flancs, évidés en une gigantesque caverne, s'étend un lac souterrain de sept lieues bien comptées de tour. C'est l'armature de ce lac, son enveloppe, sa cuvette de rochers, que lutins et gnomes voulaient rompre pour inonder Saint-Dié et la vallée et en détruire les habitants. On entendait parfois les coups répétés de ces génies du mal ; on percevait, de la Ville, de sinistres bruits, on distinguait même le sourd clapotis des eaux en furie qui battaient avec rage les flancs robustes des cavernes souterraines. De nombreux habitants s'enfuyaient épouvantés.

Tout à coup, un craquement épouvantable jette la terreur dans le Val. Minée jusqu'en ses fondations, la montagne se fend et s'ouvre en plusieurs endroits ; par les déchirures d'énormes cascades jaillissent avec furie et entraînent dans leur tourbillon rocs, arbres, animaux même, submergeant la ville en un instant. Le Val prend l'aspect d'un immense torrent roulant tumultueusement vers Etival et Raon. Sur quelques rochers s'accrochent de véritables grappes humaines, tandis que les vieillards, les infirmes et les êtres faibles sont entraînés par l'impétueux courant. Des mères affolées élèvent leurs enfants au-dessus de leur tête au moment de disparaître.

Et l'eau monte. Et l'on entend, dans la forêt, du Sapin Sec aux Molières, les ricanements des gnomes et des lutins.

Soudain, des Roches d'Ormont, s'élève et plane le groupe de nos bonnes Fées. Prenant son vol, l'une d'elles détache la ceinture magique qui fermait son corselet d'azur, et l'allonge en un ruban qu'elle déploie comme un grand cercle au-dessus de la montagne ; se plaçant de distance en distance, ses compagnes soutiennent l'anneau ainsi formé ,\ à un signal donné, lorsqu'il est convenablement placé, elles le descendent jusqu'à la hauteur des brèches faites aux parois du lac et, ainsi que fait un tonnelier d'une cuve dont les douves sont disloquées, elles resserrent soudain le cercle magique, étreignant comme dans un puissant étau les flancs de l'Ormont. Les crevasses béantes se referment en gémissant et les eaux, de nouveau prisonnières, cessent de désoler la contrée.

Ici s'arrête la traditionnelle légende ; le Général Dosse lui donne une heureuse issue dans l'épilogue suivant, digne des bonnes Fées de l'Ormont.


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-56« tumulte du torrent s'apaisa peu à peu, puis l'eau descendit « lentement, dégageant les maisons et les rues embourbées, puis « les arbres, puis les moissons couchées, puis les prairies recou« vertes d'un épais limon... La mort qui planait sur le val semblait « en avoir banni pour toujours la richesse et le bonheur.

« Mais on vit alors les bonnes fées glisser du sommet vers la « plaine et les ruines de la Ville, relever d'un geste les murs écroulés, « redonner la vie aux malheureux noyés, redresser les arbres, « les moissons et les fleurs ; et le bon soleil ardent vint unir ses « efforts à ceux des gentes protectrices pour sécher les habits... « et réconforter les coeurs. Au moment où les survivants, reprenant « leurs forces, abandonnaient les toits, hautes tours et rochers « sur lesquels ils s'étaient réfugiés, un joyeux cortège vint à leur « devant.

« C'étaient des groupes d'enfants qui souriaient au ciel bleu « et, tournant en rondes joyeuses, chantaient les trimazas (1) de « la vallée, des nouveaux-nés et des vieillards étendus sur des chars, « des fiancés et des couples radieux couronnés de fleurs, qui mar« chaient la main dans la main en murmurant de douces choses ».

« Les remerciements de tous les êtres heureux de la vallée « furent si émus... et peut-être si sincères... que les bonnes fées « étonnées crurent un instant à la reconnaissance des hommes ».

Il y a bien longtemps que le cercle d'Ormont existe et protège notre bonne ville. La Grande Mademoiselle, qui suivait la cour lors du passage à Saint-Dié de Louis XIV, en 1673, en parle ainsi en ses Mémoires : « Saint-Dié est une assez jolie ville au pied « de la montagne. On y fait tous les ans une procession solennelle « au pied parce qu'il y a une vieille prédiction qui dit que cette « montagne s'ouvrira et engloutira la ville ».

Et elle rappelle par ces mots l'antique légende et la tradition. Chaque année, le jour de la Saint-Charles (4 novembre) on fai(i)

fai(i) chant de quête de mai pour l'entretien de l'autel de la Vierge était appelé dans nos Vosges le « mai » ou le « trimâzo ». Le XIXe Bulletin de la Société philomatique vosgienne a publié les « trimazas » des localités suivantes : Le MénilRamonchamp, Saulxures-sur-Moselotte, Thiéfosse, Dommartin-les-Remiremont, La Bresse, Bouzemont, Bouxières-aux-Bois. Les airs et les couplets ont été recueillis par M. le Chanoine Hingre, qui les a fait suivre de commentaires explicatifs.


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sait dire une messe solennelle dans la Chapelle de l'Hôpital de SaintDié pour conjurer le fléau ; et à l'issue de cette cérémonie, la corporation des forgerons se rendait à la montagne où l'un de ses membres, choisi dans une famille où la tradition se perpétuait de père en fils, rivait d'un coup de marteau symbolique le Cercle de l'Ormont (I) (2).

C'est ainsi que, de la naissance à la mort, à moins qu'elle ne soit payée d'ingratitude ou entravée par de l'indiscrétion, la bienveillance des Fées se poursuit, attentive, persévérante, efficace, s exerçant même en dehors des êtres favorisés à leur naissance. Elles se plaisent, partout, à remplir l'office de protectrices, d educatrices ; telles seraient aujourd'hui des assistantes sociales aux pouvoirs illimités.

Nos légendes nous les montrent protégeant les récoltes, indiquant aux laboureurs les jours favorables aux semailles, cueillant les plantes salutaires qui soulagent et guérissent, habitant même certaines plantes pour en intensifier les vertus : si le sureau est médecin en certaines régions, n'est-ce pas parce que chacune des fleurettes qui composent sa fleur est une Fée ?

Elles soignent les malades, viennent en aide à la ménagère chargée de famille, dispensent les fermiers de s'occuper de leurs animaux, font croître et multiplier les troupeaux, augmentent le poids et la qualité de la toison des moutons. Le lin qu'une pauvresse a déposé devant. la grotte de la Fée se changera mystérieusement

(i) Malgré ces précautions, la quiétude des Déodatiens était troublée à chaque période de pluies persistantes, et l'une de nos distinguées compatriotes nous cite le trait suivant, dont elle a gardé le souvenir très précis : Il y a de cela une soixantaine d'années, vers 1878, la bonne soeur Colombe enseignait à l'Ecole de la rue de l'Orient. On était en juillet ; il avait plu quarante jours depuis la Saint-Médard, et les craintes les plus vives se manifestaient dans tous les milieux de la ville au sujet de la solidité du cercle entourant l'Ormont. Ce jour-là, à trois heures de l'aprèsmidi, la pluie redoublait particulièrement de violence : était-ce l'annonce de la catastrophe ? Soeur Colombe fit agenouiller toutes les élèves, et l'on pria avec ferveur pour écarter le danger.

(2) Cette légende d'une montagne renfermant un lac se retrouve à peu de distance de Saint-Dié. Dom Calmet parle d'une inondation extraordinaire par l'ouverture subite et inopinée de la montagne qui est au nord de l'abbaye de Senones ; cette montagne s'ouvrit tout à coup, tant du côté du Rabodeau que du côté de la Plaine, et il en sortit jusqu'au soir, par une ouverture de 80 pieds de diamètre, une si prodigieuse quantité d'eau que la Meurthe s'en éleva, en quelques endroits, de quinze pieds au-dessus de son niveau. Raon-l'Etape pensa être emporté ; il y eut plusieurs personnes noyées. Cette catastrophe fait involontairement songer à nos bonnes petites fées d'Ormont. Pourquoi la montagne de Senones n'avait-elle pas eu, pour la cercler, le 13 juillet 1654.de pareils génies tutélaires ? (D'après Dom Calmet. Notice de Lorraine. Tome II. col.. 479-480. Bulletin de la Société Philomatique vosgienne, 16e année, page 352),


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-58en pendant la nuit (1) ; et ses draps, confiés de la même façon, lui seront rendus parfaitement blancs.

Gardiennes vigilantes des vertus domestiques, elles inspectent les maisons, visitent armoires et bahuts, y font régner l'ordre et la propreté, encouragent et stimulent la fileuse, corrigent l'enfant qui maraude, mêlent 1 étoupe aux mets des gourmands.

La jeune fille indolente trouvera le fil de son rouet rompu, la coquette son peigne brisé devant le miroir ; la jeune fille bien sage verra en rêve le fiancé qui l'épousera, la jeune mariée le petit rameau de sapin qui se-muera en or pur.

Ce sont les Fées qui, pour guérir l'ivrogne, l'égarent au retour de la foire, le jettent dans le fossé avec son char ou le promènent tout suant à travers les labours. Toutefois leur malice ne va qu'à épouvanter le peureux, à lui jeter une racine entre les jambes, à lui planter des oreilles d âne ou l'aune de boudin traditionnelle. Si elles veillent sur la vertu des paysannes, vous allez voir avec quelle ironie narquoise elles flagellent, chez le beau sexe, le ridicule.

Un barbon de cinquante-cinq ans traversait la forêt d'Andelot, chargé d'étoupes. Une jeune beauté s'offre à ses regards ; il accourt, s'empresse et s'offre à cheminer avec elle. La fée accepte, lui demande son bras, fait quelques pas ; puis soudain, d'une allure qui va s'accélérant, elle le promène sans répit à travers les halliers, les ronces où s'accrochent les étoupes, répétant au bonhomme effaré et qui demande grâce : « Filons, filons les étoupes, mon bon ami ». On fila si bien qu'il ne resta qu'un flocon, témoin de sa mésaventure. Les ménagères du pays racontent volontiers cette histoire à leurs maris, aux environs de 1 âge ingrat ! (d'après Aymonier, P. 29). ^

La Légende de la Fileuse des Meugeaux, punie du péché d'orgueil, a été racontée par le Général Dosse (2). Voici la version du terroir : Une jeune chevrière de Ventron se désolait de ne pouvoir se marier parce qu'elle était trop pauvre. Elle rencontra un jour une Fée qui la rendit riche ; mais alors elle dédaigna les amoureux qui se présentèrent. La Fée, pour la punir de son orgueil, la

(i) Voir la note de la page 60.

(2) Général Dosse. Légendes vosgiennes : Légende des Grands Murgers, page 99.


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condamna à redevenir pauvre. Depuis ce temps, la pastourelle • erre la nuit dans les rochers des Meugeaux (1 ) où elle file sa quenouille au clair de lune, attendant qu'on vienne la demander en mariage. Des gens dignes de foi l'ont vue entre onze heures et minuit, et 1 on évite de passer par là (2).

(i) Blocs de granit porphyroïdes situés à 3 km. à l'Est du clocher de Ventron. (2) Communiqué par M. le Maire de Ventron.


IV. Occupations à caractère humain

Mais nos Fées ne dédaignent pas les occupations à caractère purement humain ; elles s'y livrent même volontiers, en y mettant, cela va sans dire, une pointe de merveilleux.

Bonnes ménagères, elles balayent leurs grottes et passent leur temps à des travaux domestiques. Non seulement elles filent avec une rare perfection (1), mais des traditions parlent de dés à coudre, de mignonnes paires de ciseaux, de rognures d'étoffe trouvées dans les grottes. Elles cuisent leur pain, gardent les troupeaux, filent, lavent à la rivière.

La Légende des Fées pâtissières existe, sans variations notables, en maints endroits où l'on cite des grottes laissant échapper, par une atmosphère saturée d'humidité, une buée parfois très intense ; c'est la fumée de la cuisine des Bonnes Dames.

Plusieurs cavernes vosgiennes portent, du reste, le nom de Fourdes-Fées.

Celle du Ménil-Thillot, sise à 2 km. du village, est creusée dans un énorme rocher de granit aux parois abruptes. On y pénètre par une ouverture haute d'un mètre à peine, et laissant passer juste une personne. Cette cavité semble avoir été produite par un long travail d'effritement dû aux gelées, comme en témoignent les pierrailles qui jonchent le sol. Autrefois les Fées y cuisaient et y préparaient des gâteaux et des friandises dont les bergers d'alentour avaient la meilleure part.

Un jour, des paysans qui labouraient dans une pièce de terre voisine, vinrent à dire, par manière de plaisanterie, en se montrant le four-des-Fées : « Si les Bonnes Dames voulaient nous cuire un « gâteau de leur façon, il serait en ce moment le bienvenu ». Qui

(i) On sait que l'art de filer figurait autrefois au premier rang des attributions de la femme, quel que fût son rang. Parmi les présents que l'on faisait aux jeunes filles et aux mariées les plus fortunées, se plaçait en première ligne un de ces mignons rouets que l'on voit dessinés sur les vieilles estampes, et qui étaient soigneusement conservés parmi les souvenirs de famille. On peut voir au Musée de Cluny des quenouilles du xvi" siècle, en bois sculpté, qui ont dû être offertes lors des mariages aristocratiques. Lorsqu'on ouvrit les tombeaux de Saint-Denis, en 1793, Lenoir trouva dans le cercueil de Jeanne de Bourgogne, première femme de Philippe de Valois, sa quenouille et son fuseau, et les mêmes objets dans celle de Jeanne de Bourbon, femme de Charles V. (P. Sébillot. Légendes et curiosités des métiers).


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fut étonné ? Ce furent nos hâbleurs, quand, arrivés au bout du champ ils virent, dressé sur une belle serviette blanche et surmonté d'un couteau pour le partager, le plus appétissant gâteau du monde.

Comment • auraient-ils osé reculer, maintenant qu'il était là devant eux ! Effrayés ou non, il fallait bien y mordre. Ils le firent et n'en eurent regret de leur vie ; jamais ils n'avaient mangé pâte meilleure et plus délicate (1).

Il y a aussi un Four-des-Fées dans les Bois d'Attignéville et je dois sa légende à l'obligeance de M. René Martin, Inspecteur d'Académie à Epinal.

' Le Four-des-Fées d'Attignéville est situé dans les bois donnant sur le Combe, en allant au Château Barré. Les Fées qui l'habitaient portaient à manger aux chasseurs. On raconte qu'un paysan allant à la charrue dans ces parages, se plaignait d'être mal nourri. Les Fées entendirent ses plaintes et lui portèrent à manger dans un plat d'argent muni d'un couvert que le paysan garda. Le plat revint toujours à la même heure rechercher le couvert. Le couvert fut-il jamais rendu ? L'Histoire ne le dit pas » (2).

Le « Trou-des-Fées » de Norroy-sur-Vair abritait, lui aussi, des Fées pâtissières ? Un cultivateur de l'endroit avait un champ bordant le bois de Châtillon, à proximité de l'excavation. Etant occupé avec sa famille à faire la moisson, une bonne odeur de tarte aux mirabelles lui fut apportée par un vent favorable et il laissa échapper ces mots : « Voilà les Fées qui font la tarte ; elles feraient bien de nous en apporter ». Quelques instants plus tard une galette appétissante se trouvait, comme par enchantement sur une javelle de grain (3) (4).

(i) Henri Bardy nous conte que les Fées avaient leur demeure souterraine dans le Voisinage de Giromagny, non loin de Belfort. Souvent les cultivateurs, en menant leur charrue, les entendaient racler leur pétrin ; s'ils les interpellaient en disant : « Bonne fée, petite fée, donne-nous du gâteau que tu fais » ! une galette appétissante se montrait à l'autre bout du champ. (Henry Bardy. Le folk-lore du Rosemont. page n).

(2) Même légende en Franche-Comtéi où les Fées de la Roche apportent à un laboureur, sur une nappe blanche, .une galette et un couteau d'argent. Le bonhomme garde le couteau et retourne à sa charrue ; mais à chaque tour de roue, il entend : « Rends ce que dois ». (Dr Perron. Proverbes de la Franche-Comté, page 32)

Séb. I, page 316.

(3) Cette légende nous a été fournie par M. le Maire de Norroy-sur-Vair.

(4) Perrault avait peut-être emprunté à quelque tradition du même genre cet épisode de Riquet à la Houppe : Dans le temps que la princesse se promenoit, rêvant profondément, elle entendit un bruit sourd sous ses pieds, comme de plusieurs personnes qui vont et viennent, et qui agissent. Ayant preste l'oreille plus attentivement, elle ouït que l'un disoit : apporte-moy cette marmite, l'autre : donne-moy cette chaudière, l'autre : mets du bois dans ce feu.


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On a gardé, à Ferdrupt, le souvenir d'une grotte aujourd'hui disparue qui portait le nom de Four-des-Fées (1). Les « Dames » de l'endroit y venaient cuire leur pain dont la bonne odeur, à certains jours, se répandait dans le voisinage. Des laboureurs, l'appétit aiguisé par le travail, peut-être aussi par des privations, exprimèrent à haute voix le plaisir qu'ils auraient à trouver de quoi apaiser leur faim. Leur souhait se trouva immédiatement réalisé par la découverte d'un pain fraîchement cuit apporté sans nul doute au bout du sillon par les Fées bienfaisantes.

J'ai tout à l'heure décrit les roches de Villouxel qui formaient un véritable village des Fées ayant même sa salle de réunion et son jardin.

Ces roches abritaient, elles aussi, des Fées pâtissières, et les cultivateurs que leur travail amenait dans ces parages recevaient des Bonnes Dames des tartes succulentes et des bouteilles d'excellent vin. Quant aux personnes qui travaillaient pour le compte des Fées, elles emportaient au moment du départ un petit sac rempli de feuilles, lesquelles se changeaient en pièces d'or quand on arrivait au logis, attention délicate des Fées qui ne voulaient point charger leurs ouvriers (2).

Les Fées, certaines Fées, s'occupaient même de la culture et de la garde des troupeaux. Le Val de Galilée nous en a offert l'exemple et nous savons comment nos Bonnes Dames déjouaient les malices des Lutins.

La Légende de Landaville le mentionne également :

« Les Failles aimaint bin les geos d'Landaville. Quand eun' véche ou bin eun' nouvelotte étôt pouèdiue l'Iè rémouènaint le neuil d'vant le mâjon d'ioue mate (3) ».

« Les Fées aimaient bien les gens de Landaville. Quand une vache

(i) Elle était située au lieudit Pont-Roche (renseignements et légende donnés par M. le Maire de Ferdrupt).

(2) Ce thème des feuilles données en paiement, que nous avons déjà vu à propos du Pont-des-Fées de Saint-Dié, existe en de nombreux pays. Mais les Fées pouvaient s acquitter autrement ; en voici un exemple :

Des fées qui avaientleur demeure dans les arbres d'une forêt franc-comtoise se mêlent un jour à la noce d'une gentille mariée. Avant de s'en aller, elles laissent à l'épousée et à ses compagnes un bout de branche de sapin. La mariée, en quittant le lendemain la couche nuptiale, trouve la branche de sapin changée en or ; les filles de la noce, qui avaient dédaigné la leur et l'avaient jetée sur la route, furent bien marries de ne pouvoir la retrouver.

(D. Monnier et A. Vingtrinier. Traditions de la Franche-Comté).

(3) Adam, p. 406.


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ou bien une jeune brebis était perdue, elles la ramenaient la nuit devant la maison de leur maître ».

Dans le terroir lorrain, et sur le même objet, le folk-lore de Mailly (1) nous donne la légende suivante :

« Le père du père Châlat gardait les vaches de Mailly dans le bois ; tous les jours on lui lâchait parmi les siennes une noire, et il n'avait jamais vu son maître, et on ne l'avait jamais payé. Ma foi, un beau jour, il suit la vache noire et la voit entrer par le trou de la Crevée ; il la prend par la queue et entre derrière. Il arrive dans une chambre à four et voit deux vieilles sorcières qui cuisaient. Il leur demande le paiement de leur vache. « Tends ton sac dit l'une ; l'autre prend une pelletée de braise et la jette dedans ». Le père Châlat vide son sac et se sauve au grand galop. Arrivé dehors, il regarde dedans et y trouve un louis. Pour le sûr, c'étaient des Fées ».

Comme celles des grottes, les Fées des Fontaines et des Lacs faisaient elles-mêmes leur lessive. Des légendes de certaines provinces françaises nous les montrent avec leur battoir d'or, besognant toute la nuit, jusqu'au jour levant. Elles détestent les indiscrets ; si un passant touche leur linge mystérieux, imprégné du parfum des fleurs les plus odorantes, il est pétrifié sur le champ ou ses bras sont brisés comme verre. Quelques-unes choisissaient les jours de brouillard pour faire leur lessive, et elles étendaient sur les rochers un linge impalpable, fin comme la gaze, tramé de nuages, et bordé de rayons de clair de lune.

Ces Fées lavandières ne nous rappellent-elles pas l'une des plus gracieuses peintures de jeune fille que l'antiquité nous ait laissées, celle de Nausicaa, et les moeurs patriarcales de l'époque, où des princesses lavent et sèchent avec tant de simplicité le linge de la maison ? (2).

(i) Canton de Nomeny (Mthe-et-Mlle). Adam p: 4°9.

(2) Nausicaa, fille d'Alcinoùs, roi des Phéaciens. (Homère. Odyssée, 1. VD.

Au moment où Ulysse, chassé par la tempête au sortir de l'île de Calypso, vient d'aborder à la nage dans l'île des Phéaciens, Nausicaa et ses compagnes vont laver dans le fleuve leurs vêtements et ceux de leurs parents. Leur tâche finie, les jeunes filles jouent à la balle sur la rive, et leurs cris réveillent Ulysse. Celui-ci se montre à elles : toutes s'enfuient épouvantées, à l'exception de Nausicaa, qui, de loin, écoute l'étranger. Par un discours habile, Ulysse la rassure, excite son intérêt et sa compassion. Il reçoit d'elle des vêtements, et, quand il s'est baigné dans le fleuve, s'est oint d'huile parfumée et a revêtu les vêtements éclatants de blancheur, il apparaît aux jeunes filles dans toute sa mâle beauté. Alors Nausicaa l'invite à la suivre jusqu'au palais de son père, mais, en fille prudente, elle le prie de ne pas entrer en ville


■ - 64Une

64Une populaire met en scène une lavandière illustre, la Fille du Roi d'Espagne, et la montre s'avançant vers la mer, avec sa courgette (1) et son battoir d'or.

« Du premier coup qu'el frappe son anneau a sauté » et « dans la mer est tombé ». La belle « se met à plorer » ; mais un cavalier passe, et, pour gagner cent écus avec « un dous baiser »,

Le galant se dépouille, dans la mer a plongé. A la première plonge, le sable il a touché, A la seconde plonge, l'anneau a brandillé, A la troisième plonge, le galant s'est noyé (2).

Dans un vieux Noël en patois de Gérardmer, recueilli par Louis Jouve, les bergers de nos montagnes, épouvantés par la venue des Mages, invoquent, pour les repousser, l'argument le plus convaincant, à leur avis : ils font la lessive. Voici deux strophes de ce naïf dialogue :

Les Rois Bergers, nous ne vous d'mandons Ni volaill' ni v'naison Dans ces bocages. Nous venons pour voir l'enfançon Et sa mère très sage.

Les Bergers

Vo sô terti dé trouan

Olé-z-o vit' coran

Po dzur lé hâye.

E n'î mi bso de vo mèt'nan.

Poromou q'j'on le bouâye.

en même temps qu'elle, afin d'éviter les propos malins. Ulysse reçoit l'hospitalité d'Alcinoûs, et Nausicaa ne reparaît qu'un instant pour dire à Ulysse: « Salut, ô noble étranger, souviens-toi de Nausicaa quand tu seras rentré dans ta patrie, souvienstoi que. la première, elle a pris soin de tes jours ». (La Grande Encyclopédie)

(i) Courgette : bâton un peu recouibé à l'aide duquel on peut porter sur l'épaule deux seaux d'eau, l'un en avant, l'autre en arrière... (Littré).^

Bâton arqué, ferré et encoche aux deux bouts, dont les chambrières de Paris se servaient pour porter deux seaux d'eau sur leurs épaules. (Encycl. Berthelot).

(2) Cette chanson, « le Plongeur noyé » dont on trouve de nombreuses versions dans la plupart des provinces françaises et en Haute-Italie, a son origine dans l'histoire d'un certain Nicolas, fameux plongeur sicilien, qui vivait à la fin du XIIe siècle ou au commencement du xme siècle et trouva la mort dans le gouffre de Charybde où il s'était jeté pour rapporter une coupe d'or, (le Romancero populaire de la France).


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Traduction littérale (1)

Vous êtes tous des paresseux ! Allez-vous en vite courant Par-dessus la haie-. Il n'est pas besoin de vous maintenant Parce que nous avons la lessive !

Traduction approchée

Vous êtes tous des paresseux !

Sauvez-vous bien vite

Derrière la haie.

Il n'est pas besoin de vous maintenant

Car nous avons la lessive.

Si j'ai rassemblé ces exemples, c'est pour montrer l'estime en laquelle on tenait, dans nos campagnes, la lessive villageoise, dont la préoccupation et les préparatifs feraient sourire aujourd'hui.

On avait beaucoup de linge alors : c'était le principal souci et

La lessive

(i) Ces deux traductions nous ont été fournies par M. Victor Lalevée.


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la fierté de la maîtresse de maison. On ne faisait la lessive que trois ou quatre fois dans l'année, aux moments imposés par les travaux agricoles. Certaines familles aisées n'en faisaient même qu'une et c'était une solide référence pour les galants. A des demandes de renseignements au sujet de mariage, il n'était pas rare d'entendre cette réponse : « Oh ! pour cela, ils sont riches ! Ils ne font qu'une lessive par an.

Les différentes phases de ce véritable événement de la vie campagnarde se déroulaient comme des rites : le choix des cendres et la préparation ; l'entassement du linge dans l'énorme cuveau ; l'opération délicate du « coulage », réservée à une personne experte ; le plus souvent à la maîtresse de la maison, enfin le « lavage »,

travail dont les phases pittoresques faisaient vite oublier les soucis qui l'avaient précédé.

Tout ceci durait plusieurs jours, après quoi on entassait le linge immaculé, fleurant bon, dans de monumentales armoires, parfois si hautes qu'il fallait une échelle ou un escabeau pour atteindre le dernier rayon (I).

Martimprey

(i) Voir L. Lavigne : Travaux d'autrefois. (Pages verdunoises publiées parla Société philomathique de Verdun. 1929).


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La.coutume et les rites de la lessive ont disparu, mais la tradition nous a transmis le nom d'une Fée lavandière vosgienne, de la méchante Herqueuche, qui faisait avec ses compagnes la lessive du linge des sorciers.

Elle habitait, dit la légende, aux environs de Héchamont, localité qu'il m'a été impossible de situer, mais qui se trouvait, se'mble-t-il, aux environs de Remiremont. Grande, sèche, raide, édentée, cachant sous un large chapeau de paille sa tête privée de cheveux, et sous d'immondes guenilles son corps décharné, elle veillait, sa sinistre besogne faite, à l'application rigoureuse des traditions et croyances qui avaient trait aux lessives de nos montagnards.

Faire la lessive pendant l'octave de la Toussaint et entre Noël et le Nouvel An porte malheur, disaient nos vieux aux maîtres de la maison (1). Le manquement à cette tradition était puni par Herqueuche ; aux lessiveurs et lavandières, elle appliquait de maîtres coups de battoir sur le dos et les reins, et si on la laissait monter sur le cuveau, une des personnes qui y avait son ligne mourait dans 1 année.

C'est ce qui se produisit maintes fois à Martimprey où, non contente de rudoyer les laveuses du Lac, Herqueuche piétinait rageusement le linge entassé dans les cuveaux. Mais tout a un terme. Après le décès de l'une d'entre elles, les lavandières jurèrent de se venger. Et, un matin que la méchante Fée arrivait, comme de coutume, au bord de l'eau, toutes, armées de leur battoir, tombèrent sur elle, et la noyèrent dans le Lac. Jadis, au crépuscule, on percevait, de la route que vous connaissez, les gémissements d'Herqueuche sortant des profondeurs des eaux. Ces lamentations cessèrent le 16 février 1609, lorsqu'une humble chapelle dédiée à Sainte Anne fut édifiée sur les bords du Lac où on lavait encore et que les pèlerins y affluèrent (2).

(i) Il faut éviter de la faire pendant la semaine des Rogations et de l'Octave de la Toussaint, si l'on veut, croyait-on dans certaines localités de l'arrondissement de Remiremont, qu'il n'y ait pas bientôt un cercueil dans la maison. (Richard. Traditions populaires).

(2) Légende recueillie par A. Ohl des Marais.


V. Les distractions des Fées

Les Fées des eaux

Après des travaux d'une si étonnante variété, après les mille soucis de leurs occupations féeriques, nos bonnes Dames avaient bien le droit de se livrer, comme le content nos légendes, à des passe-temps jolis et puérils, comme de danser au clair de lune,

de chanter au bord des fontaines, de composer des chapels de fleurs.

Dans les importantes archives de La Bresse, on trouve mentionné à plusieurs reprises le nom de Hautes-Fées ; il désigne la vaste étendue de pâturages couronnant le Hohneck où, pendant les tièdes nuits de l'été, les Fées dansaient follement, comme elles « rondiaient » aux abords du Moutier des Fées.

Ces ébats laissaient le plus souvent de visibles traces. Dassoucy, l'un des rares auteurs du grand siècle qui ait eu le goût des voyages

Un rendez-vous des Fées


-69à

-69à parle « du plaisir de marcher tantost sur le velours vert d un tapis herbu, et tantost, costoyant un petit ruisseau, fouler les mesmes traces que les Fées, dansant en rond, ont laissées empreintes dans l'émail d'une prairie ».

L'emplacement choisi pour la danse porte encore, en maint endroit, le nom de « Rond-des-Fées » ou de » Cerne-des-Fées » ; de charmantes appellations : Bal-des-Fées (Aveyron), Rond-de-laDame (Ardennes), Champ-des-Fées (Somme) désignent aussi ces cercles mystérieux, souvent arides, qui étaient redoutés des paysans. Ceux de Lorraine n'en approchaient qu'avec terreur. En Berry, au contraire, les « Ronds-des-Fées » étaient regardés comme des asiles où l'on se réfugiait en cas de poursuite de bêtes malfaisantes ou attaques du Diable ou de ses suppôts.

Assez rarement on attribuait une fertilité extraordinaire aux endroits foulés par les Fées ; l'herbe y poussait plus verte et plus abondante ; on y trouvait parfois des champignons comestibles.

C'est souvent aussi près des eaux vives qu'ont lieu les danses et jeux de nos Fées, et plusieurs légendes les associent aux fontaines, soit qu'elles les fassent jaillir, soit qu'elles les choisissent pour résider dans leur voisinage et folâtrer'sur leurs bords.

La Fontaine-aux-Bonnes-Fées, de Domremy, naquit d'un coup de baguette, et 1 on sait qu un hêtre admirable l'ombrageait, celui que l'on évoqua au procès de Jeanne, celui que l'on appelait l'Arbreaux-Fées, l'Arbre de .la Loge-des-Dames, ou simplement le Beau Mai (1).

La Fontaine-des-Fées, de Lemmecourt, près de Neufchâteau (2), et celle de Colonménil, non loin de Pierrefitte, sur le territoire de Ville-sur-Illon (3), auraient-elles semblable origine ? Leurs noms font supposer une légende qui est sans doute tombée dans l'oubli. MM. Lepage et Charton signalent une Fontaine des Fées à Frapelle ; Léon Louis (T. VI) n'y mentionne qu'une ferme : les Fées.

D'autres ont leur touchante histoire : Tout près de nous, en Franche-Comté, Vénéla, la petite Fée de Baume, éprise d'un

(i) Hinzelin. Chez Jeanne d'Arc, pages 36-37. (On l'appelait la Bonne-Fontaine aux Bonnes-Fées Notre-Seigneur).

(2) Gley, Géographie des Vosges. Epinal 1870, page 154. ■

(3) Colonménil se trouve entre Ville-sur-Illon, Pierrefitte et Escles, sur le chemin qui relie Escles à Ville-sur-Illon. Sa Fontaine des Fées est signalée par M. le Commandant Larose,

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poète et abandonnée par lui, versa tant de larmes qu'une source pleure encore sous la mousse dans la grotte qui porte son nom (1).

Le plus grand nombre des Fées affectionnent le voisinage immédiat de ces sources, où elles viennent se peigner et se mirer. N'est-ce point au bord d'une fontaine que Mélusine apparut à Raimondm ! La même Fée s'abandonnait aux délices du bain dans les eaux de Sassenage (2). Et notre voisine Tante Àrie se rafraîchit dans le cristal limpide des cavernes de Milandre.

A la vue d'un être humain, les Fées des fontaines se plongeaient dans l'eau et y disparaissaient pendant un certain temps. On assure même que certaines demeuraient au-dessous des eaux, dans une sorte de monde souterrain où leur résidence était somptueuse. C'est ainsi qu'était entretenue la chaleur des eaux thermales des Pyrénées. On ne peut en dire autant de nos sources chaudes vosgiennes, puisque la merveilleuse histoire de Gérardmer a établi que leurs chauffeurs sont des Titans (3).

C'est tout proche de la source du Madon que se trouve la roche taillée en auge, le Cuveau-des-Fées, que nous avons décrite aux

(i) Aymonier, page 31.

(2) Sassenage, Chef-lieu de canton de l'Isère à 6 km. de Grenoble. Dans le voisinage, belles gorges de Furon, avec des cascades, des grottes et deux excavations célèbres appelées « Cuves de Sassenage », auxquelles se rattache le souvenir de Mélusine.

Au Château de Sassenage, un bas relief, placé au-dessus du frontispice de la porte d'entrée, représente la Fée Mélusine, moitié femme, moitié couleuvre, à deux queues, se baignant la partie inférieure du corps dans une espèce de conque marine, tenant d'une main l'écu de Sassenage, de l'autre l'écu de Bérenger (Dr Larousse).

(3) On trouve cette origine mystérieuse de Gérardmer dans un poème épique en huit chants et trois mille trois cents vers, la Cyntkyperléïade ou l'oracle de Diane. Cette oeuvre fut composée à la fin du xvine siècle par Philippe-Antoine de Chainel, seigneur du Château-sur-Perle, sis près des rives de la riante Vologne, entre Docelles et Cheniménil. L'auteur, donnant carrière à son imagination, s'appuie sur cette fiction que les Titans, vaincus en Thessalie par les Dieux auxquels ils avaient l'intention de ravir l'Olympe, se réfugièrent dans les Vosges. Après avoir franchi le Rhin, ils résolurent, pour assurer leur défense, d'élever à peu de distance de la rive gauche du fleuve un rempart inexpugnable. Ils formèrent ainsi la chaîne des Vosges, abrupte du côté du Rhin, en pente à l'ouest, telles que ces montagnes existent encore aujourd'hui. Les Dieux les y suivirent, les forcèrent dans leur camp, qui se trouvait sur le plateau de Champdray et les repoussèrent dans le bassin de Gérardmer où ils leur livrèrent bataille.

Les Dieux et les Déesses, après leur victoire, construisirent le Château-sur-Perle, et c'est là qu'ils s'assemblèrent pour juger leurs prisonniers.

Les quatre chefs des Titans : Typhon, Pélor, Hippolyte et Palibotte, furent condamnés à être enfermés à perpétuité dans des grottes souterraines, où, depuis cette époque, ils échauffent, par leur souffle brûlant, les sources thermales de Bains, Luxeuil. Bourbonne et Plombières. Les prisonniers vulgaires furent employés aux travaux de l'alimentation des forges ou des salines ; Neptune construisit les cascades des Vosges ; Eole souffla dans ses urnes et souleva une affreuse tempête qui vint fondre sur Gérardmer des quatre coins de l'hor'zon. Il y eut des tremblements de terre; et trois crevasses s'ouvrirent qui donnèrent naissance aux Lacs de Gérardmer, de Longemer et de Retournemer. Des enfants furent métamorphosés en hurlins (petites perches des lacs) et ces poissons se sont perpétués depuis dans les lacs. Vénus, en se baignant dans la Vologne, y donna naissance aux perles, jadis si célèbres (Voir la note sur les perles de la Vologne, pages 84-85).


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pages 28 et 29. Le mince ruisselet qui émerge de cette source descend par une pente rapide vers la chapelle et ferme de Saint-Martin et passe au bas d'un rocher, le Châtelet, ainsi appelé parce qu'il supportait jadis un château aujourd'hui ruiné. La pente est moins accentuée, mais les eaux, grossies de quelques affluents, coulent au fond d'un ravin profond, étroit, bordé sur sa droite par la forêt de la Blanche-femme. Ces noms : Cuveau-des-Fées, Blanche-femme, ne nous montrent-ils pas que la source du Madon fut un lieu consacré à une divinité transformée en Fée par l'imagination populaire (1) ?

Le Coney avait, lui aussi, ses sirènes (2) évoluant dans le vallon d'Uzemain, non loin du Pont-des-Fées de Bains (3).

Si plusieurs inscriptions nous ont conservé le nom de quelques divinités des rivières, les Fées ont rarement donné le leur aux petits cours d'eau. Notre folk-lore général n'en fournit en effet que deux exemples, dont un aux environs de Gérardmer. Les Princesses de la Vologne aimaient suivre, dans leurs promenades et leurs évolutions badines, le ruisseau, né dans les forêts du GrandValtin, qui se perd dans la Vologne entre le Saut-des-Cuves et le confluent de Belbriette, tout près de la pierre sur laquelle Charlemagne venait, suivant la tradition, se reposer des fatigues de la chasse. D'après Richard, ce ruisseau portait autrefois le nom de Ruisseau-des-Fées, comme la réunion de plusieurs maisons situées sur sa rive droite, celui de Hameau-des-Fées (4). Pourquoi donc a-t-on remplacé ces appellations gracieuses par celles, employées aujourd'hui, de Ruisseau-des-Fies et de Hameau-des-Fies ? C'était, paraît-il, leur nom primitif, ainsi choisi parce que, dans la forêt où l'on rencontre l'un et l'autre règne l'épicéa, dont le nom patois est fie.

Mais est-il bien nécessaire de se conformer à la logique au pays du merveilleux ? N'avait-on pas, au contraire, toutes les raisons d'évoquer, pour garder l'aimable tradition, l'ambiance du lieu privilégié où se rassemblent toutes les séductions, tous les enchantements ?

(i) Annales de la Société de Géographie de l'Est IQOO, page 359(2)

359(2) page 12.

(3) page 35.

(4) Richard. Traditions populaires, page 131.


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De grands sapins, des fleurs, des rocs moussus, de formidables éboulis, le gazouillement de l'onde et le bruit des cascatelles : c'est dans ce cadre idéal que, par les nuits claires, se divertissaient nos Fées, habillées le plus souvent d'un simple rayon de lune. Mais elles faisaient sentir leur courroux à l'humble mortel qui les surprenait dans ce charmant abandon, comme à celui qui se permettait de les contempler quand, au sortir de l'onde, elles arrangeaient leurs longs cheveux avec leur peigne d'or.

Les vieux de Martimprey contaient les exploits des Dames vertes qui s'amusaient ainsi le long des ruisselets et se montraient à minuit sur le pont de la Vologne.

Malheur au voyageur attardé qui venait à passer à pareille heure en ce lieu hanté ! II allait connaître la sueur d'angoisse. A peine avait-il mis le pied sur le pont qu'une Dame verte, toute verte, se dressait devant lui, l'entraînait au Saut-des-Cuves, et, le saisissant par les cheveux, le balançait au-dessus de la cascade. Quand le pauvre hère était devenu tout blême, avait bien tremblé, bien recommandé son âme à Dieu, elle courait le déposer à la place où elle l'avait pris, et disparaissait en déchirant le silence de la nuit par un long éclat de rire (1).

Telle est la vieille légende, dans sa concision. Sous les titres : Les Dames vertes du Lac de Longemer, le Général Dosse la pare de neuf et donne à l'action une légère variante.

C'est d'abord un tableau à charmant décor de ces créatures de l'onde dont « les cheveux flottent au vent comme des fils de la Vierge et dont les robes de gaze diaphane se teintent d'un vert tendre qui se fond dans le reflet des eaux. Caressant le rivage de leurs traînes vaporeuses, elles boivent la rosée à même le calice des fleurs ».

Et voici la ronde des elfes « infiniment gracieuse et légère ». Leur farandole est si rapide « qu on croirait un nuage de fumée blanche pris dans un tourbillon de vent ». Une harmonie de flûtes et de harpes enchantées guide les fantastiques évolutions de cet idéal ballet. Tout à coup la ronde s'arrête, l'orchestre se tait : on a perçu les pas d'un être humain. Le châtiment du pauvre hère est prompt.

(i) Sauvé, p. 243.


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« Terrifié par le silence qui s'est fait soudain, il voudrait fuir, mais, figé sur place, ses jambes se refusent à le porter. La troupe folle l'entoure brusquement et l'entraîne sur le lac. Le visage du

malheureux devient aussi vert que les longues traînes qui le roulent et le font tourbillonner, comme une plume soulevée par la tempête. Les enragées danseuses se lancent le pauvre diable d'un bout à l'autre du quadrille, le saisissent par les cheveux, l'élèvent en l'air, puis le laissent retomber dans le vide pour le rattraper au vol. Après ce supplice affreux, elles le déposent évanoui jusqu'au jour, sur un lit de mousse au bord du torrent, puis disparaissent au fond du lac en ébranlant de leurs rires stridents les échos effrayés » (1).

Lac de Longemer

(i) Général Dosse : pages 67-70.


- 74Enfin

74Enfin Fées rustiques habitaient parfois le bord d'un étang ou d'une pièce d'eau qu'elles douaient de propriétés merveilleuses : Grâce à une Dame blanche qui fréquentait les rives du Lac de Narlay (Franche-Comté), les draps s'y blanchissaient sans lessives ni savon. Malheureusement ces Fées de l'onde se livraient souvent à de cruels amusements en conviant les promeneurs à la danse et en les entraînant sous les eaux. Les mères prudentes disaient à leurs enfants : « N'allez pas jouer au bord de l'étang, ne vous attardez pas auprès du lac, la Fée vous tirerait dedans ».

Mais, comme leurs soeurs des fontaines et des ruisseaux, c'est surtout l'indiscrétion qu'elles châtiaient : Les Fées de l'étang du Xénois, aux environs de Remiremont, ont été inflexibles dans leurs représailles.

Et ceci est encore un conte, un de ces jolis contes que la plume experte de Mme Anna Roger Favre a recueilli des Fées ellesmêmes et écrit pour nos enfants, et que notre excellent ami Jean Sapin a résumé en l'enchâssant dans une admirable description du site.

« L'étang, dit Jean Cordier, nous apparaît comme une méditation rustique de la nature. Comme il est bien serti dans ce contour ! Il est si tranquille, si plan qu'on rêve de le caresser ainsi qu'une glace fraîche et lisse. C'est un diamant liquide enchâssé dans la montagne ; c est une étoile tombée au milieu de cette faille, comme pour procurer à ce noble site le plaisir de se mirer et de voir luimême sa splendeur. Aucune brise ne ride sa surface ; aucun souffle ne l'agite. Tout ce qui passe se reproduit dans ce miroir fidèle : la branche, le nuage, le soleil, l'oiseau. L'eau reflète tous les tons qui la frôlent : les sapins élancés, les bouleaux graciles à robe blanche, les chênes noueux, les frênes aux feuilles dentelées, les buissons touffus, les granits géants. Il y a dans ce milieu quelque chose qui attire, qui retient l'oeil, une sensation indéfinissable de mystère et de rêve. Du fond, tapissé de mousses spongieuses, d'herbes aquatiles, montent des traînées verdâtres, des végétations qui se ramifient et s'enlacent...

... Ne nous étonnons pas si les Fées gracieuses de nos aïeules affectionnaient ce séjour discret.

Regardez ! Ne vous semble-t-il pas, là-bas, au fond de l'eau, apercevoir leur barque immergée depuis des siècles ? Vêtues de


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blanc, elles venaient pendant les nuits claires tremper leurs longs cheveux et leurs voiles de mousseline dans ce miroir. De jour, elles restaient invisibles, cachées derrière les rochers ou dans les ramures. Ecoutez une de leurs légendes :

Un enfant du voisinage, curieux et intrigué par les récits de sa mère-grand, voulut un soir contempler les elfes dans leurs rondes et leurs ébats. Il détacha l'esquif qu'elles utilisaient au cours de leurs fêtes nocturnes et l'amena vers le milieu de l'étang pour guetter leur apparition. Les Dames blanches, surprises et indignées, firent chavirer l'imprudent qui se noya...

Le cqrps du malheureux ne fut jamais retrouvé et la barque resta au sein des eaux : c'est celle que nous voyons encore de nos jours sous cette coupe limpide (1) ».

(r) Jean Cordier : Quelques bribes d'histoire. L'ambiance romarimontaine : La Chapelle Saint-Romaric, Sainte-Claire, l'Etang de Xénois. (compte rendu d'une excursion du Club vosgien). (l'Industriel vosgien du 31 janvier 1934).


VI. Les Fées et la destinée humaine

En dépit de leur nature mystérieuse, les Fées n'échappent pas, parfois, à des travers bien humains et même, ce qui est plus grave, à une destinée humaine.

Elles sont gourmandes : Mme d'Aulnoy, la charmante conteuse, connaît leur faiblesse et leur prodigue confiture et hypocras. N'essaye-t-on pas d'apaiser la méchante Carabosse avec « cinquante livres de confiture, autant de sucre royal et deux jambons de Mayence » ? (La Princesse printanière) .-

Et, parce qu'elles sont gourmandes, elles sont gamines. La Fée qui assista au mariage de la « Princesse de Savoie » poussait les Officiers qui portaient les corbeilles de dessert, et, pendant qu'ils se retournaient, pour voir qui avait cette hardiesse, elle prenait ce qui lui plaisait sans que l'on y prête garde (1). (Mme de Murât : Contes).

Elles sont coquettes : Quand on invite toutes les Fées aux couches de la Princesse printanière, on promet à chacune « une hongreline de velours bleu, un cotillon de velours amarante, des pantoufles de satin cramoisi et tailladé, de petits ciseaux dorés, et un étui plein de fines aiguilles, et on leur donne par-dessus le marché des rubans qu'elles aiment beaucoup.

Après un gros chagrin, la Fée du « Prodige d'amour » consulte un miroir de poche, remet un peu de rouge, quelques mouches, et ne laisse plus dans ses yeux que tout juste ce qu'il, faut de larmes pour les faire briller davantage. (Mme Durand : Contes).

Mais ces petits travers, ne font de tort à personne ; il n'en est pas de même quand les Fées sont orgueilleuses et vindicatives, et les Chênes du Hennefête, près de Corcieux, ont payé fort cher la résistance à leur souveraine.

Ecoutez la légende :

Au temps jadis, le premier vendredi de la première Lune qui suivait le dimanche de la Trinité, une roche de la forêt de Rapaille

(i) Cette gaminerie nous en rappelle une autre, celle de la Princesse Mathilde, qui entre un jour comme une bombe dans la salle à manger des Goncourt, aperçoit sur la table un pot de confiture et un trognon de pain, prend le trognon, plonge la cuiller dans le pot entamé, et goûte bravement. (Mémoires des Goncourt. Tome III. page 181).


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recevait, chaque année, la visite d'une Fée. Il est permis de croire que l'on ne savait pas au juste le nom de cette Fée ; mais on la désignait sous celui de Dame Agaisse, à cause d un cri perçant assez semblable à celui d'une pie (agaisse dans le patois du pays) par lequel elle annonçait son arrivée. A ce signal, il n'était homme, ni bête, insecte, ni oiseau, ayant gîte dans la forêt, qui n accourût pour rendre hommage à la Fée, comme à sa souveraine. Les arbres eux-mêmes, toutes les plantes, depuis les plus humbles jusqu aux plus superbes, inclinaient respectueusement le front devant elle.

Il advint pourtant, une fois, que les chênes du « Hennefête » — c'est le nom de l'une des sections de la forêt — refusèrent net de remplir leurs devoirs. Dame Agaisse entra dans une violente colère, et on put, à plus d'une lieue de distance, tant elle élevait la voix, l'entendre parler ainsi : « Ah ! chênes orgueilleux, vous vous trouvez trop grands, trop beaux pour vous courber devant moi ? « J'aurai raison de vous, je briserai votre fierté. Vous étiez les « géants de la forêt, vous en deviendrez les nains sur l'heure. « Vous êtes beaux ? Vous serez laids et difformes et vous demeu« rerez ainsi tant que vous existerez ».

«L'arrêt ne fut pas plutôt rendu, qu'il fut exécuté. Bien que des

Cornimont


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centaines d'années se soient écoulées depuis lors, la malédiction de Dame Agaisse pèse toujours sur les chênes du Hennefête. Dans, la forêt verte et riante ils font une tache sombre. Tandis que tout à côté d'eux grandit, prospère, se renouvelle, ils restent petits, souffreteux, éternellement les mêmes, c'est-à-dire noueux, galeux, chauves, tordus, bossus, affreux enfin à effrayer le passant et à lui soulever le coeur (1) ».

Je dois à l'obligeance de l'Administration des Forêts la confirmation du fait. La Forêt de Hennefête n'est du reste, qu'à une faible distance de Saint-Dié, et chacun peut se rendre compte qu'elle ne rapporte guère à la commune propriétaire.

La corne de Cornimont

Si la Fée de Corcieux a sévi par orgueil, c'est un autre sentiment qui pousse celle de Cornimont à la vengeance :

Au cours d'une chasse à l'ours et à l'aurochs dans le cirque boisé qui enveloppe Cornimont, un paladin de Charlemagne, égaré dans la forêt, rencontre une Fée éblouissante de beauté et lui déclare sa passion. Après une hésitation de courte durée, la Fée vaincue par l'amour, se dispose à suivre le Chevalier quand, à un cri strident, une roche s'entrouvre et emprisonne les amants (2).

Représailles du géant de Ventron, dit l'écrivain Badel. Vengeance de la Fée jalouse Herqueuche, prétend plus justement le Général Dosse (3).

C'est dans le site pittoresque du Haut du Brabant aux bizarres

(i) Sauvé, p. 242.

(2) F,m. Badel. Huit jours dans les Vosges, page 46.

(3)... « un cri sinistre d'Herqueuche, répété par les échos, porte au loin dans la forêt la nouvelle de l'horrible dénouement d'une charmante idylle ». (Général Dosse. Légende de la Roche du Cras).


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moutonnements de granit rouge, à 1 km. de Cornimont, que se dresse la roche justicière, la Roche-du-Cras, tombeau de la petite Fée rose et de son chevalier.

Ils sont là, dit la légende, pierres vives qui pensent et souffrent, figées dans le coeur du granit. Parfois, quand le val est calme, on perçoit, très distinct, un faible gémissement. C est la plainte éternelle de ceux qui s'aimèrent un instant et qu un sombre destin punit si cruellement. Nul ne peut les délivrer, sauf celui qui saura quelque jour faire résonner la corne d'aurochs filetée d argent, celle que l'on garde à la Mairie de Cornimont (I).

Et cette légende de la Roche-du-Cras nous révèle le point vulnérable de nos Fées, de ces mystérieuses petites créatures dont le prestigieux enchantement s'est terminé parfois, hélas ! dans une destinée humaine.

Dieu les avait créées, chante Mistral, afin qu'elles fussent, pour ainsi dire « l'âme invisible des campagnes », afin d'apprivoiser la sauvagerie de leurs premiers habitants ; mais si beaux étaient les fils des hommes que, pour eux, s'enflammèrent les Fées ; dès lors, devenues faibles, et par là vulnérables, de leur hauteur elles tombèrent ; prises comme de folles et imprévoyantes alouettes au mirage de l'amour humain, elles laissèrent entrer la douleur au royaume de féerie. Comme une vulgaire princesse, Viviane doit supporter les amours de Lancelot du Lac et de la Reine Genièvre ; Morgane, si puissante et si glorieuse, est trahie dans son amour et sur le point d'en mourir. Mélusine, évoquée à Saint-Dié et dans la région, se voit un instant méconnue par son mari, et cet instant pèsera sur sa vie séculaire (2).

Ce n'est pas chez nos Fées locales, au rustique bon sens, que nous rencontrerons d'aussi éclatantes prouesses. Si notre folk-lore campagnard cite des unions de Fées et d'humains, c'est, de la part des Fées, pure bienveillance ou désir de mieux et plus souvent rendre service. Mariages de raison, sûrement.

(i) On conserve à l'Hôtel-de-Ville de Cornimont une corne énorme qui aurait appartenu à un aurochs tué dans les grandes chasses des princes carolingiens. Soigneusement évidée, inunie d'une garniture d'argent, elle servit longtemps de signal d'appel pour les assemblées des habitants. « Quand il n'y avait pas encore de cloches à Cornimont, dit la légende de La Chevrière de Xoulce. (La légende de la <f Corne de la Mairie » de Cornimont et celle de la « Chevrière de Xoulce » seront données ultérieurement dans ce Bulletin), on avertissait de l'heure de l'Angélus en sonnant du cor avec notre grosse corne de boeuf sauvage ». Plus tard, vers l'époque des grandes pestes du XVIIe siècle, la cloche remplaça ce rustique mode d'appel, et la corne ne servit plus qu'aux modestes annonces de l'appariteur.

(2) La vie et la mort des Fées, p. n-12.


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Celles de Villouxel, ce village de Fées que nous avons visité tout à l'heure, vivent ainsi comme de vulgaires mortelles ; le mariage qu'elles ont contracté présente toutefois une curieuse particularité : leurs maris ont une jambe bien plus courte que l'autre, ce qui rend le déplacement pénible et les empêche de poursuivre les enfants méchants.

Mais d'autres Fées Vosgiennes ont eu une épopée amoureuse parfois cruelle et quelques roches ou sites vosgiens ont été le théâtre de drames passionnels dont les traces survivent dans deux légendes : celles du Kertoff et du Parmont.

La légende de la Glacière du Kertoff est la vengeance d'une hée amoureuse dédaignée.

Ce thème, ne vous l'ai-je pas donné déjà, ici-même, à propos des versions Scandinave et armoricaine de la Chanson populaire du roi Renaud? (1). Rappelez-vous la vise Scandinave ; l'elfe dit au Chevalier Olaf : « Si tu ne veux pas danser avec moi, plaies et maladies seront sur toi ».

Dans la ballade armoricaine, c'est un sort mortel que la korrigan jette au seigneur Nann : « Ou vous m'épouserez sur l'heure, dit-elle, ou pendant sept années vous sécherez sur pied, ou vous mourrez dans trois jours ».

Ni Olaf, ni Nann ne cèdent à la Fée, le premier parce que ses noces ont lieu le lendemain, Nann parce qu'il est marié depuis un an.

Voici la légende Vosgienne :

Les Fées de la Vallée de la Vologne ont leur manoir dans 1 intérieur de la montagne de Nayemont, près de Martimprey, et le nom de l'une d'elles, de la Fée Polybotte, est resté dans la mémoire des conteurs de légendes.

Un jour, une troupe de brillants chevaliers vint chasser dans le pays ; le plus beau d'entre eux s'égara dans la forêt et arriva à la grotte enchantée dé la Fée Polybotte. Il fut accueilli avec munificence et convié à une fête splendide ; mais, le matin venu, c'est en vain que la fée épuisa pour le retenir auprès d'elle toutes les séductions et toutes les ressources de son art magique.

(i) Conférence donnée le g Juin 1934 sous les auspices de la Société Philomatique, avec le concours de Mme Martin-Prévost, cantatrice, et de M. François Cholé, pianiste.


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« Radieuse châtelaine, dit le paladin, j'ai vécu dans ton palais « un rêve délicieux qui restera toujours dans ma mémoire, uni « au souvenir reconnaissant que je garderai de ton accueil... mais « déjà ma fidèle épouse m'attend en mon logis... je me vois obligé

« de m'arracher aux douceurs du séjour divin que tu m'offres « de partager et serai toujours ton serviteur le plus dévoué ».

« A ces mots, les traits de la mauvaise Fée se tirèrent horrible« ment, et sa bouche se plissa dans une méchante grimace. « Va, « dit-elle, puisque tel est ton désir, mais crains la bise du matin, « car elle est parfois glaciale ».

La glacière du Kertoff


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« La roche s'entrouvrit alors brusquement et le chevalier s'en« fuit en courant ; mais au moment où il franchissait l'entrée de « la grotte, il fut étreint dans un bloc de glace ».

C'est depuis ce moment que l'on voit par la fente du Kertoff la glace qui remplit l'intérieur de la montagne (1) ; en même temps les Fées ont abandonné les bords du Lac.

Pendant longtemps le page du chevalier sonna du cor pour rappeler son maître égaré. Il se tenait, non loin de Retournemer, sur un roc qui, depuis, s'est appelé la Roche-du-Page. Désespéré de ne plus voir revenir son maître, il se noya dans le Lac. Le soir, on voit quelquefois errer son ombre, et dans les nuits d'été, ses plaintes sont comme l'écho du cor dans la montagne.

Autre dénouement chez la Fée de l'Etang de Plaine : Il y avait au sommet du Parmont, à quelques kilomètres de Remiremont, un palais colossal et magnifique, habité par un peuple de géants servis par des nains. Une fée, plus belle que le jour, vint à passer dans la région et demanda audience au roi des Géants dans son Palais, dans l'espoir secret de se fiancer à celui qui, très redouté dans la chaîne des monts, était l'un des possesseurs des trésors enfermés dans les flancs du Parmont. La Fée se présenta avec toutes ses suivantes, dans l'éclat éblouissant de ses parures de choix. Mais, malgré sa beauté et ses charmes, elle ne plut pas au chef des Géants et fut éconduite du palais somptueux dont les lambris étaient d'or et les portes de sardoine.

Désolée, la fée quitta le Parmont et s'enfuit vers l'étang de la Plaine où, de désespoir, elle se noya. On assure qu'elle revient

(i) Un peu en aval de Kichompré, voisine de la route, la glacière du Kertoff mérite une visite. C'est un amoncellement des plus sauvages d'énormes blocs granitiques tombés des flancs de la montagne, entre lesquels les neiges s'accumulent en hiver et où la glace persiste parfois pendant tout l'été.

Cette glacière a provoqué le couplet suivant d'une chanson patoise :

Li gran, do que fa d'chau, aimo d'boure à lé giasse

Et ont do pou lo vodié ; Ma nos evo pohi, do li pi gran sochrasses N'évo in gro do in potié. en voici la traduction, que nous devons à l'obligeance de notre ami Victor Lalevée.

Traduction littérale Les grands, dès qu'il fait chaud, aiment de boire à la glace Et ont du mal pour la conserver ; Mais nous, par ici, dans les plus grandes sécheresses Nous en avons un gros (bloc sous-entendu) dans un trou.

Traduction approchée Les riches, dès qu'il fait chaud, aiment boire à la glace, Et ont peine à la conserver ;

Mais, en ces parages, par les plus grandes sécheresses Nous en avons un amas dans un trou.


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parfois, en les nuits claires de nos hivers, et qu'elle tourmente le géant endormi. Celui-ci tressaille dans sa prison et ébranle le Parmont jusque dans ses fondations.

Un ours des Vosges

Et je termine cette revue de nos Princesses du merveilleux par une visite à celle du Pont-des-Fées de Gérardmer. Il n'est guère de coin plus mystérieux aux abords de Gérardmer que celui des rives de la Vologne, où l'on trouve, groupés dans un espace relativement restreint, la Roche du Diable, la Basse de l'Ours, la Pierre de Charlemagne et le Pont des Fées. Dans ce lieu hanté par les


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sorciers, les Fées, les paladins et les génies, et où régnaient les Diables verts ou noirs, on voyait gesticuler, par les nuits claires, des lutins et des gnomes campés à la Callot qui, à l'exemple de nos Dames vertes du Saut-des-Cuves, attendaient le passant pour s'en amuser.

La Chapelle de Longemer

Si l'on en croit l'historien Badel, ce site privilégié aurait été fréquenté par les souverains lorrains ; c'est là que le roi troubadour et artiste, René 1er d'Anjou, Duc de Lorraine et souverain de Provence, aurait fait chercher des perles de la Vologne (1) pour

(i) Rappelons que Vénus, en se baignant dans la Vologne, y fit naître les perles, jadis si célèbres. Les poètes et les historiens lorrains ont célébré parmi les merveilles de la Vôge, les Perles de la Vologne. Volcyr, en 1530, Jean Ruyr en 1626, citent et louent ces joyaux indigènes dont le Neuné, au dire de Dom Calmet, « semble être pavé » ; Jean-Claude Sommier, Curé de Champs, leur consacre une pièce de vers


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en orner le somptueux reliquaire du benoît patron de la Lorraine, à Saint-Nicolas de Port.

La souveraine de ce vallon où l'histoire côtoie la légende était une Fée riche et toute puissante, mais humaine et passionnée. Elle se promenait souvent en joyeuse compagnie, vêtue du costume le plus somptueux qui puisse se voir, et donnait de grandes fêtes dans le palais qui surgissait pour elle des belles eaux du clair ruisseau. Elle y recevait de brillants chevaliers et leur faisait boire un philtre magique qui leur ôtait toute volonté. Ils étaient alors forcés de travailler à la construction du pont qui existe encore et porte le nom de Pont-des-Fées.

Longtemps le charme a opéré et des chevaliers se sont laissé griser. Est-ce pour lutter contre le prestige de la Fée que l'ermite Bilon érigea, vers le milieu du XIe siècle (I), sur un monticule qui domine le Lac de Longemer, une chapelle dédiée primitivement à Saint Barthélémy et à Saint Gérard, et consacrée aujourd'hui à Saint Florent. La statue du Saint porte un dévidoir qui fut autrefois l'objet d'un pèlerinage très suivi ; on venait de loin tourner la roue à rebours (2) pour être guéri de la colique.

Les ermites successifs ont brisé le pont primitif, détruit le palais

faite en 1702. les Fêtes d'Alichapelle ; et Philippe-Antoine de Chainel, seigneur du Çhâteau-sur-Perle, les chante dans la-Cinthyperleïade (voir note de la page 70,

Les perles de la Vologne ornaient, dit-on, la couronne ducale des souverains lorrains, et ceux-ci s'en réservaient jalousement la pêche. Un document de 1784 nous apprend que Nicolas Pierron, de Fiménil, jouit de certains privilèges en considération des services qu'il rend depuis trente ans en qualité de garde des perles sur la Vologne. On en offrait aux plus grands personnages. La Duchesse de Lorraine femme de Léopold ier, en possédait un magnifique collier et des pendants d'oreilles ; Mesdames de France, Adélaïde et Victoire, en reçurent lors d'un voyage à Plombières ; l'impératrice Joséphine tenta même d'acclimater le mollusque perlier de la Vologne, la mulette allongée, dans les étangs de la Malmaisqn.

On attachait alors un grand prix à ces bijoux locaux ; i! y en avait presque toujours dans la corbeille d'une mariée ; on n'aimait pas à s'en dessaisir et ils faisaient partie de la succession de famille.

Les Perles de la Vologne, que l'on ne trouve plus, du reste, dans son cours supérieur, se raréfient ; si elles possèdent encore un bel orient, elles « meurent » vite. Leur vogue est aujourd'hui passée ; on put en voir, toutefois, dans un stand de la IIe Foire-Exposition de Saint-Dié, en 1935.

(1) C'est à la même époque (1070) qu'un autre personnage, l'ermite Régnier, éleva aussi un oratoire près du Lac de la Maix. Il semble qu'il y ait eu là, à cette époque, une consécration religieuse des Lacs, parce que l'on voulait faire disparaître certaines superstitions les concernant. (Du Donon... pages 350-351).

(2) Sur une langue de pré qui s'avance au sein des eaux, est une petite chapelle dans un massif d'arbres. Il y a huit siècles, un seigneur de Lorraine, épris d'amour pour la solitude, vint ici bâtir une cellule et passer sa vie : « Ce courtisan sut si bien, dit la légende, dompter le débord de sa première vie, qu'il acquit réputation de sainteté, et de vrai parut-il comme un autre Aod, au 3 e livre des Juges, lequel usait de la main gauche comme de la droite...». C'est peut-être en souvenir de cette singulière tradition que cette chapelle renferme un dévidoir qu'il faut tourner à rebours et de la main gauche pour obtenir ce que l'on sollicite. (Promenades dans les Vosges, par M. Edouard de Bazelaire).


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de la Fée. Il n'y a plus dans la région, ni sylphes, ni esprits, mais à l'endroit où se trouve le pont, reconstruit en 1782, on entend parfois une plainte infiniment douce en sa mélancolie ; c'est la reine des Fées, vaincue, qui emplit la vallée de ses éternels gémissements. Les perles même ont quitté ce lieu de prédilection où seul leur nom survit ; on ne les trouve plus qu'après le confluent du Neuné.


Conclusion

Les Fées...

... ont fui devant la hache et le journal, Et le sifflet des trains leur parut infernal !

Emile HlNZELlN : La dernière fée. (La Marche de France : Janvier 1928)

*

* *

L histoire, rénovée, a chassé les légendes.

Un autre merveilleux a surgi, celui de la science.

Mais si notre âge ne crée plus de Fées, comment pourrait-il oublier ou dédaigner celles du passé ? Un monde de fiction, émergeant de notre littérature nationale, imprègne encore la poésie, le théâtre et les arts, et protège les débris d'une vénérable tradition. Nos écrivains modernes n'ont pas craint de se pencher sur l'étincelant trésor des légendes féeriques et de puiser à cette source vive. Sans même remonter à Nodier, qui sortit de la forêt médiévale une nuée d'êtres fantastiques, nous trouvons près de nous d'illustres exemples : des poètes comme Théodore de Banville « aiment toujours à faire parler une fée » ; notre pur et charmant Brizeux subit l'attrait du vieux songe celtique ; magicien du rythme, Jean Richëpin revient au thème antique et délicieux de la Belle au Bois Dormant (1) ; et, célébrant à son tour les « Bonnes Dames » qui ont baptisé la petite Fadette, M. Bergeret leur consacre quelques-unes de ses doctes causeries.

Faut-il évoquer, d'autre part, de précieux souvenirs d'enfance et les instants de joie sans mélange que l'irréel nous a procurés ? Plus tard, même à des années de distance, le merveilleux distrait, console et dédommage des promesses que l'existence n'aurait point tenues. « Un grain de féerie dans la cervelle embaume toute la collection d'images qui composent notre vie mentale, un peu comme un grain d'ambre au fond d'un vieux coffret communique on ne sait quelle tendre et câline douceur aux vieilles lettres, aux vieux rubans, aux vieux souvenirs (2).

(i) La vie et la mort des Fées, p. 417, 418.

(2) Roger Dévigne : Histoire des Fées (Figaro artistique illustré de décembre 1931).


TABLE DES MATIERES

BIBLIOGRAPHIE 5

PRÉFACE 7

INTRODUCTION Il

I. — Souvenirs laissés par les fées dans les Vosges 15

II. — Portrait des fées 42

III. — Occupations à caractère féerique 47

IV. — Occupations à caractère humain 60

V. — Les distractions des Fées 68

VI. — Les Fées et la destinée humaine 76

CONCLUSION 87


[\Cotes de topographie déodalienne

La porte Saint-Stanislas

(puis des Griffons)

A l'extrémité de la voie à ouvrir à travers les décombres de l'incendie de 1757, entre la rue Royale (rue Thiers) et le faubourg Saint-Eloi (rue des Trois-Villes), les architectes de Stanislas prévoyaient I érection d'une porte monumentale, qui devait être placée sous le vocable du saint patron du Bienfaisant (1). Le plan de Baligand (2), le plan cadastral de la ville, achevé en 1828 (3), celui qui fut levé en 1832 de la route N° 59 dans sa traversée de SaintDié (4) en indiquent avec précision l'emplacement. A l'alignement de la ruelle de la Colombière, entre l'angle de « l'enclos des Capucins » et le bâtiment désigné pour être la « maison curiale » (5), elle faisait, de part et d'autre de la rue, une saillie de 5 mètres, réduisant la largeur de la chaussée à 7 mètres. Deux pilastres encadraient le passage principal. Deux « guichets », larges d'un mètre environ étaient ménagés entre les pilastres et les piédroits adossés aux maisons. La maçonnerie avait partout 1 m. 40 d'épaisseur et 5 de hauteur. Selon Save, qui en avait eu sous les yeux un daguerréotype exécuté en 1845 (6), les passages latéraux étaient voûtés ; des grilles les fermaient ainsi que la baie centrale.

Nous ignorons la date exacte à laquelle fut élevée la porte Saint(i)

Saint(i) Save : Le vieux Saint-Dié (La porte Stanislas) dans Le Patriote vosgien du 6 mai 1882. Cet article, que complète une rectification insérée dans le même journal, à une date ultérieure, a été découpé et collé sur papier fort par Save luimême, qui y a. ajouté quelques notes manuscrites. Il forme, sous couverture bleue, une brochure factice cataloguée : Fonds lorrain, n° 5,158, à la Bibliothèque municipale de Saint-Dié.

(2) F. Baldensperger : La reconstruction de Saint-Dié en 1757. Etude rétrospective d'urbanisme vosgien dans Bull, de la Soc. philom. 1020-1930, avec le plan de Baligand.

(3) A l'Hôtel-de-ville, bureau des Travaux.

(4) Arch. municip. de Saint-Dié, Carton : Voirie, Alignements, Route nationale n° 59 dans la traversée de la ville de Saint-Dié...

(5) Ces dénominations sont, naturellement, celles du plan de Baligand. « Elle s'appuyait d'un côté au coin de la maison qui fait l'angle est de la ruelle de la Colombière (propriété Houel)... de l'autre... contre le mur de la gendarmerie qui touche la Sous-Préfecture ». (Save).

(6) « Propriété de M. Chenal. Ce daguerréotype fait par mon grand-père Zetter est un des premiers qu'on ait faits à Saint-Dié. Il date_ de 1845 ». Note manuscrite de Save. Mlle Picard, à qui nous nous étions adressé pour avoir communication de ce document, nous écrit : «^ Voilà des années qu'on me l'a demandé déjà — et toujours en vain — car jamais je ne l'ai vu, ni rien qui y ressemble ».


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Stanislas. On dut la bâtir en même temps que les maisons nouvelles. Sur les pilastres, on plaça, dit-on, des lions de pierre. Ces « deux grands lions... furent descendus de leurs piédestaux en 1793 pour contribuer à l'éclat de la cérémonie de l'inauguration de la cidevant cathédrale en Temple de la Raison, le 20 pluviôse an II. Ils furent dressés dans le choeur, de chaque côté de l'immense échafaudage garni de mousse et de sapins qui figuraient la Montagne et au sommet duquel se dressait la déesse Raison, une des plus jolies citoyennes de la commune d'Ormont (ci-devant SaintDié), escortée des vertus civiques et terrassant, sous son pied mignon chaussé du cothurne, l'hydre du despotisme et de la superstition. Ayant assisté calmes et impassibles à cette cérémonie, nos deux lions superbes et généreux furent encore invités plus tard à une autre fête, en plein air, cette fois, sur le Parc qui s'appelait alors le Cours de la Paix. Tout Saint-Dié s'y était réuni le 18 brumaire, an X, pour célébrer la fête de la paix avec l'Angleterre, et nos lions assistèrent encore aux réjouissances, jeux de toutes sortes, danses, festins, et cuisines en plein vent. Puis, trop lourds pour être remontés sur leur socle, ils restèrent sous l'ombrage des jeunes marronniers, gardant l'entrée de la promenade... » (Save).

II est regrettable que Save ait négligé d'indiquer d'où il tenait les détails de cette étonnante odyssée. En l'absence de références précises, et jusqu'à ce qu'il en soit produit, on doit reconnaître que ce récit a contre lui et la vraisemblance et les faits. Car d'abord c'était vraiment une étrange idée que celle de desceller, de descendre et de transporter ces masses de pierre pour les mêler aux toiles et aux charpentes de décors éphémères. Mais surtout un tel travail, si on le fit, dut être coûteux ; on n'eût pas manqué d'en présenter la note. Or nous avons les mémoires des ouvriers qui, du 10 au 20 pluviôse an II, travaillèrent à la décoration du Temple de la Raison, et aucun ne fait mention des lions. D'ailleurs, lors de l'inauguration, on n'éleva pas dans la cathédrale désaffectée une Montagne, mais seulement une « tribune de vérité » d'où les orateurs haranguèrent la foule, et sur l'autel on dressa, non le marbre vivant d'une belle fille, mais le Génie de la liberté (1). Edifiée plus tard,

(i) G. Baumont : L'enlèvement des signes extérieurs du culte à Saint-Dié (décembre 17.93 —février 1794; dans La Révolution dans les Vosges, 14 avril 1935. Ce travail utilise exclusivement les documents conservés aux archives départementales des Vosges.


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la Montagne fut démolie en l'an III, quand elle fut devenue le symbole détesté « d'une faction qui s'était mise au-dessus des lois pour substituer aux délibérations paisibles et majestueuses d'une saine majorité, les volontés arbitraires d'une minorité égarée » (1). Pour une somme de 415 livres, Demontzey en acheta les débris, « les statues exceptées ». Les lions étaient-ils parmi ces statues ? Quand on l'admettrait, il resterait qu'assurément ils ne furent point de la fête du 20 pluviôse. Si jamais ils flanquèrent la Montagne, que devinrent-ils quand elle disparut ? Où relégua-t-on ces encombrantes majestés ? Save ne dit pas de quel magasin d'accessoires on les tira pour la fête du 18 brumaire an X, dont ils auraient été le plus bel ornement. II est exact que la signature des préliminaires de la paix avec l'Angleterre (2) fut célébrée à Saint-Dié comme dans tout le pays par de grandes réjouissances. En voici le compte rendu.

Ce jourd'hui dix-huit brumaire an dix de la République française une et indivisible (9 nov. 1801), à sept heures du soir,

En exécution des consuls (sic) du 12 Vendémiaire et de l'arrêté du Préfet du Département en date du neuf de ce mois qui veut que, dans toute la République, il soit célébré le dix brumaire an dix une fête solennelle à l'occasion des préliminaires de paix signés entre la France et l'Angleterre, et conformément au programme proposé par le maire de la ville, réglé par le sous-préfet de l'arrondissement, cette fête a été célébrée dans la commune de Saint-Dié ainsi qu'il suit :

Le dix-sept brumaire à cinq heures du soir, trois coups de canon et le son des cloches ont annoncé la fête de ce jour. Ce matin la même annonce faite à six heures a été répétée à neuf heures. Au même moment, la garde nationale s'est mise sous les armes et rassemblée "devant la maison commune.

A dix heures, les fonctionnaires publics réunis en la grande salle de la maison commune se sont rendus par la grande rue au Cours de la Paix, local désigné pour la fête, dans l'ordre qui suit :

les tambours de la garde nationale, précédés de la gendarmerie ■ à cheval,

la musique,

1er piquet de la garde nationale,

(r) Arch. municip. de Saint-Dié ; D4, carton 1. Arrêtés et Actes de l'administration municipale ; Ier. ventôse, an III.

(2) « La proclamation qu'il (Bonaparte) lança pour le deuxième anniversaire du 18 brumaire (9 novembre 1801) est un dithyrambe de paix : Français ! vous l'avez enfin tout entière, cette paix que vous avez conquise par de si longs et de si généreux efforts ». Pariset, dans Histoire de France contempora ne, de Lavisse, III, p. 128.


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les receveur, notaires et autres fonctionnaires publics,

la justice de paix,

2e piquet de la garde nationale,

l'administration forestière,

le tribunal de l'arrondissement avec le corps des avoués,

le maire et ses adjoints,

le sous-préfet,

la gendarmerie et le 3e piquet de la garde nationale.

Pendant la marche, la musique exécutait des airs patriotiques. A l'arrivée des citoyens devant la piramide élevée aux defîenseurs, annoncée par un coup de canon, la musique a exécuté des himnes à la paix.

Le sous-préfet et le maire de la ville ont prononcé des discours analogues à la fête après un second coup de canon.

La garde nationale a fait des évolutions militaires. Un troisième coup de canon a annoncé le moment du départ et le cortège est retourné à la maison commune par les rues Pastourelle, du Four, de la Concorde et de l'Egalité à la maison commune.

A deux heures, un piquet de la garde nationale sous les armes, après avoir parcouru la ville au son de la musique, s'est rendu au Cours de la paix où les jeux ont été ouverts.

Les citoyens qui s'étaient fait inscrire pour le mât de cocagne, le tir au coq et autres jeux ont concouru au son de la musique à ces exercices en présence d'une grande foule de spectateurs.

Une cavalcade formée de jeunes gens de la commune qui y sont en congé de semestre a fait différentes évolutions.

A six heures, au son des cloches, et au bruit du canon, toute la ville s est trouvée illuminée. Divers transparents qui décoraient les croisées de la maison commune indiquaient la reconnaissance du peuple envers le héros pacificateur, les armées, ses voeux pour la paix et les avantages qui doivent en résulter.

Le bal public ouvert à sept heures à la maison commune se prolongeront (sic) jusqu'au milieu de la nuit.

L'affluence des spectateurs qui ont assisté à cette fête, la joie peinte sur tous les fronts, la décence qui y a été observée, l'union et le rapprochement qui s'y est manifesté entre tous les citoyens prouvaient que cette fête était celle de la paix, l'objet désiré de tous ses voeux.

De tout quoi il a été dressé le présent procès-verbal à Saint-Dié les an et jour avant dits (1).

Comme on voit, la cérémonie du 18 brumaire an X se déroula autour de la pyramide qui dominait la terrasse élevée, dans un grand

(i) Arch. municip. de Saint-Dié ; D-) , carton i. Arrêtés et Actes de l'administration municipale ; 18 brumaire, an X.


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élan d'enthousiasme, en juillet 1791 (1). Avait-on, pour la circonstance, placé à sa base les lions ? Rien ne permet de l'affirmer, et l'on peut même, à bon droit en douter. Le fête en effet, ne consista qu'en défilés, jeux et illuminations ; nulle part elle ne comportait d'ensemble décoratif spécial. Dubois, chandelier, reçut 45 francs pour les 820 lampions qu'il avait fournis, Hugues Thiébault musicien, 48 francs pour le bal, Raymond voiturier, 78 fr. 05 pour 50 livres de poudre (2). N'en aurait-il rien coûté pour installer les lions ? En ce cas, ils auraient eu, si l'on peut dire, le privilège de « voyager » gratuitement puisque ni en 1793, ni en 1801, ni en 1810 et 1811, quand fut enlevé « l'obélisque » et rasé le tertre de la promenade (3), nul ne toucha un sou pour leurs déplacements. Comment le croire ?... Mais alors,... Save ?

Save ne se résignait pas facilement à ignorer et, dans son désir de tout savoir, ou du moins de tout dire, il a parfois interprété un peu témérairement les textes (4) ou accueilli sans contrôle des traditions suspectes. C'est ce qui a dû se passer dans le cas des lions. Il est en effet remarquable que, quatorze ans après I article du Patriote Vosgien, Bardy venant à parler, lui aussi, de la porte Saint-Stanislas, n'ait pas fait état des renseignements de Save, dont il ne cite même pas le travail (5). C'est que, pris entre ses scrupules d'historien' et son affection pour celui qu'il appelle « notre cher collègue et ami » (6), il a préféré garder un silence, qui a son éloquence. Prudemment, il se borne à écrire que les lions « furent enlevés en 1793, ce qui n'avait rien d'étonnant à cette époque de vandalisme ignorant et grossier ». Mais voici qui soulève de nouvelles difficultés. Car si les lions furent enlevés comme emblèmes séditieux, ils n'ont pu figurer dans des fêtes républicaines, et Save a tort. D'autre part, ils ne figurent sur aucune des listes de « signes extérieurs » supprimés, et Bardy se trompe. Il nous faut donc en prendre notre parti : nous ne savons pas ce

(i) Bardy : Quelques pages de l'histoire de Saint-Dié pendant la Révolution, dans Bull, de la Soc. philom. 1898-99, p. 70.

(2) Arch. municip. de Saint-Dié. F, mémoires d'ouvriers, an X.

(3) Arch. municipal de Saint-Dié. Carton : Promenades du Parc, de Grattain...

(4) G. Baumont et A. Pierrot : Variétés iconographiques, fasc. 2, pi. 17 et G. Baumont, Comment se forme une légende. La maison dite de Jean Basin de Sandaucourt à Saint-Dié, dans Bulletin trimestriel de la Société d'Emulation du département des Vosges, 12e année. N° 3.

(5) Bardy : Saint-Dié pendant la Restauration. F.M. Brezêt, maire royal, dans Bull, de la Soc. philom. 1899-1900, p. 291.

(6) Id. p. 287.


-94que

-94que devenus les lions, ni même, à parler franc, s'ils ont jamais existé. Car enfin, s'ils étaient encore sur leurs pilastres, comme on l'affirme, à la fin du XVIIIe siècle, on ne comprend pas que l'on n'ait pas eu pour eux un souvenir, lors de la restauration de la porte, en 1826. Les textes officiels sont muets sur la décoration ancienne qu'il eût été bien naturel pourtant de rappeler, ne fût-ce qu'à titre d'indication, d'exemple à imiter ou à répudier. Si 1 on n'invoqua pas ce précédent, c'est peut-être qu on ne le pouvait pas. Et toute cette belle histoire de fauves nomades ne serait qu'une légende de plus, parmi celles dont s'encombre l'histoire de Saint-Dié... (1).

Et maintenant nous voici en terrain solide. Nous y avancerons plus rapidement.

En 1825, la vieille porte de la rue Stanislas était en piteux arroi. Elle choquait, dans une ville à qui son maire Brevet voulait refaire une beauté (2). A la suite des inondations de l'hiver (1824), qui avaient ruiné la digue du Parc, on cuirassa la rive droite de la Meurthe de clayonnages derrière lesquels on tassa quelque cinq cents tombereaux de terre. On nivela le sol de la promenade. Les bornes qui, sur le quai Pastourelle, limitaient le marché aux bestiaux furent reliées par des chaînes (3). En 1825, on édifia sur la place principale la charmante fontaine de la Meurthe, exilée depuis place Saint-Charles (4). Le 7 octobre 1826, le Conseil municipal était saisi d'un rapport signalant l'état de dégradation des « deux pilastres qui forment la porte Saint-Stanislas, la nécessité de la réparer, et la convenance qu'il y aurait de faire placer sur le chapiteau de chacun un ornement quelconque ». II avait toujoms été dans l'intention de l'assemblée « de faire surmonter ces deux pilastres qui sont d'un bon ordre d'architecture, d'un embellissement propre à leur donner le relief dont ils sont susceptibles, et de les mettre en harmonie avec les autres embellissements de la ville ». Déjà, l'on s'était mis en rapports avec Glorieux, le sculpteur nancéien qui avait taillé la naïade de la fontaine. Celui-ci s'engageait « à placer sur chaque pilastre un griffon conforme au dessin joint

(i) Que l'on ne voie ici ni parti-pris, ni scepticisme. Je me borne à déclarer que les affirmations de Save ne reposent sur aucun document authentique. Il va sans dire que j'accueillerai avec reconnaissance toutes les preuves du contraire que l'on me fournira. Quant aux « légendes », il y aurait un livre à leur consacrer, et il ne serait pas mince.

(2) Voir l'excellent article de Bardy cité plus haut.

(3) Arch. municip. de Saint-Dié ; F. Mémoires d'ouvriers, de 1814 à 1826.

(4) Baumont et Pierrot : Variétés iconographiques, fasc. 2, pi. 33.


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moyennant la somme de neuf cents francs, tous frais compris » La proposition était aussitôt acceptée (1). Le « dessin joint » ne s'est pas égaré. Il est toujours aux archives de la ville (2), et l'on en trouvera ici la reproduction photographique. C'est un simple croquis à la plume, de la main même de Glorieux. L'artiste n'a

naturellement représenté qu'un des griffons, l'autre devant être exactement semblable, les pièces de l'écu différant seules. L'original, sur papier, a 280 mm. de hauteur sur 350 mm. de largeur. On y lit les indications suivantes :

Dans le cartouche : « Cartouche destiné à recevoir le blason de Stanislas d'un côté et le blason de la ville de Saint-Diez de l'autre ou bien des inscriptions historiques et (un mot illisible) » (3).

Griffon ornant le pilastre de la porte Saint-Stanislas

Dessin original de J.-B. Glorieux (1826) (Archives municipales de Saint-Dié).

(1) Arch. municip. de Saint-Dié. Registre des délibérations du Conseil municipal.

(2) Arch. municip. de Saint-Dié Carton : Voirie, Alignements, Route nationale n° 59 dans la traversée de la ville de Saint-Dié... Liasse : Porte Stanislas ; pose de deux griffons.

(3) Les mots : de Stanislas ont été rayés (par Brevet") et remplacés par : des armes de France. La fin, depuis : ou bien... a été rayé.


-96En

-96En à droite : « Griffons projettes sur six pieds de hauteur en pierre non gelisse de Savonnierre ban fin. Les anciens regardoit cet animal emblématique comme le simbole d'une bonne garde. Les oreilles droittes signifioient l'attantion qu'il devoit aporter dans ces fonctionts, les ailes, sa diligence dans l'exécution, la forme du lion, son courage et son intrépidité. Comme l'aigle et le lion sont de tous les animaux les plus fier et les plus courageux le griffont a été aussi regardé comme l'emblème de la grandeur et du courage, plusieurs ville anciennes ont un griffont sculpté sur leur portes ». (1).

En bas, à gauche : « par J.-Bte Glorieux statuaire à Nancy prix rendu posé frais de transport compris : Douzes cents francs » (2).

En travers, à gauche : « Vu le Maire de Saint-Dié. Brevet ».

La délibération du Conseil municipal fut approuvée par le SousPréfet le 2 novembre, et le 8 par le Préfet. Les travaux durent être terminés dans le courant de l'année 1827.

La poste restaurée ne devait plus longtemps orner la rue Stanislas. Dès 1847, on l'avait condamnée. Le 27 janvier 1847, Rosier produisait le devis ci-dessous :

Estimation de la démolition de la porte à l'entrée du faubourg Saint-EIoi, transport des pierres provenant de la démolition, et établissement de deux grilles en fonte sur l'embouchure des aqueducs,

Démolition

La démolition devra se faire au moyen de cabestan pour descendre les blocs jusque terre sans les laisser tomber, afin d'éviter des dégradations aux voûtes des aqueducs.

Echafaudage pour poser le cabestan 50 fr. \

Descente des Griffons et conduite en magasin 30 fr.

Démolition de la taille : 90 m. à 3 fr 270 fr. /

Transport de 10 m. sous les tilleuls pour fai- > 460.00

re un mur de soutènement sur le ruisseau de 1

Robache 30 fr. ]

Transport de 80m. le long du magasin à 1 fr. 80 fr. / Etablissement de 2 grilles en fonte avec encadrement en pierre de taille à 50 fr. l'un .. 100.00

Total 560.00 La présente estimation s'élève à la somme de cinq cent soixante francs.

Saint-Dié, le 27 janvier 1847. ROSIER.

(I) Il faut lire évidemment, au début, Savonnièrcs, banc Un. Gelisse est une forme ancienne pour gélive. (2) Brevet a rectifié, au-dessous : 900 fr.


— 97Pour

97Pour place nette au nouveau Collège, on sacrifiait la porte Saint-Stanislas et le bâtiment des grandes écuries, l'ancien magasin à sel (I). Le 24 décembre 1847, le Conseil municipal adoptait le projet qui lui était soumis et spécifiait : « Les matériaux de retrouve provenant de la démolition des écuries ne seront point employés à la construction du Collège, mais ceux provenant de l'abattage de la porte Stanislas (porte des Griffons) seront destinés à venir en aide à la construction du Collège (2) ». Les griffons furent déposés dans la cour de la gendarmerie, puis dans celle du collège. Le 24 février 1853, Nicolas Antoine adressait au maire une lettre par laquelle il lui demandait de lui vendre les «griffons qui sont déposés dans la cour de la gendarmerie » au prix de 30 francs le mètre cube « qui est celui qu'il paie les pierres de même qualité qui lui sont nécessaires ». Le 26, le Conseil municipal considérant que « M. Antoine demande que la commune lui vende les griffons déposés dans la cour du Collège... que l'état de dégradation des griffons les rend impropres à toute destination, qu'ils n'ont plus que la valeur de la pierre », autorisait la vente.

Le Sous-Préfet, en approuvant la délibération (6 mars) précisait que « les griffons, objet de ce traité sont des morceaux de pierre informes, sans aucune utilité pour la ville ». Enfin, le 8 mars 1855, le maire signait l'acte par lequel la ville vendait à « Nicolas Antoine, sculpteur à Saint-Dié les griffons en pierre et tout mutilés placés provisoirement dans la cour du collège moyennant la somme de trente-huit francs ». La vente était enregistrée le 24 mars (3). Désormais, il ne restait plus de la vieille porte que quelques moellons anonymes noyés dans les murs du Collège.

Georges BAUMONT.

(I) Voir aux archives municipales, le dossier spécial.

(2) Arch. municip Reg. des délibérations du Conseil municipal.

(3) Tous les documents cités dans cette partie du travail sont dans la liasse : Porte Stanislas.



Le Culte des Pierres

dans la Région Vosgienne

Une fabuleuse légende préside à la formation de la chaîne des Vosges : les Titans vaincus en Thessalie par les Dieux, auxquels ils avaient voulu ravir l'Olympe, se sont réfugiés dans les Vosges. Ayant franchi le Rhin, ils décident, pour assurer leur défense d'élever à peu de distance de la rive gauche du fleuve un rempart inexpugnable, formant la chaîne des Vosges, abrupt face au Rhin, en pente à l'ouest, ses cimes hérissées de bastions de roches énormes. Les géants, successeurs des Titans, contribuent à former les montagnes secondaires.

Avant l'époque tertiaire, la période fabuleuse prend fin, la vallée du Rhin se recouvre d'une mer immense, sillonnée par les nefs grossières des nautoniers antiques qui les amarraient aux anneaux des pierres escarpées des sommets. Après un temps incertain, les eaux rompent la digue naturelle qui les emprisonne, s'échappent et le sol émergeant se couvre d'une végétation exotique, riche en monstres inconnus. Des modifications climatériques amènent une période intense de froid, les montagnes se couvrent de neige et de glaciers. Après cet âge du renne, la vallée du Rhin change à nouveau d'aspect, le froid s'atténue, le sol de la plaine se dégage et s'assèche, une flore et une faune nouvelles apparaissent. Antérieurement peut-être au mammouth, à l'ours des cavernes et à l'aurochs, l'homme surgit et niche dans les cavités naturelles qu'il dispute aux bêtes fauves, traverse les âges de la pierre taillée, de la pierre polie et entre dans la période préhistorique du bronze et du fer.

Une portion de crâne humain et des ossements fossiles de mammouths découverts à Eguisheim et d'autres ossements humains trouvés dans une grotte d'Oberlarg, ont indiqué que l'homme a existé dans la région déjà à l'époque de la pierre taillée ou paléolithique, en même temps que les animaux dont-les espèces ont disparu de la terre. A plus forte raison, l'homme a existé dans la Sylve Vosgienne pendant la période suivante, celle de la pierre


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polie ou néolithique (1). C'est aux descendants directs de ces populations primitives, que l'on doit les monuments dits mégalithiques, car il est acquis que la généralité de ces monuments date de l'âge de pierre.

Chez les primitifs, les pierres sacrées donnaient la fécondité, le Dieu Mithra est né de la pierre et du rocher, les pierres pouvaient donc donner naissance au genre humain. Comme ces pierres représentaient la divinité, le sacrifice se célébrait devant elles. . Elles étaient Dieu et autel.

C'était la conviction des Hébreux ; on lit dans l'Ancien Testament (Genèse XXVIII parag. 16 à 22) « Jacob s'en allant de Betsabée en Mésopotamie pour y chercher une épouse, s'arrêta un soir, prenant une des pierres dont le terrain était parsemé et la mettant sous sa tête s'endormit. En songe, il vit une échelle dont les pieds s'appuyaient sur la terre, dont le sommet touchait le ciel et sur laquelle montaient et descendaient les anges. Et quand Jacob fut éveillé il dit : Certainement l'Eternel est en ce lieu-ci, je n'en savais rien... S'étant levé... Jacob prit la pierre dont il avait fait son chevet, la dressa pour monument et versa de l'huile sur son sommet. Il nomma ce lieu Bethel (maison de Dieu) — Cette pierre que j'ai dressée pour monument sera une maison de Dieu et je vous paierai la dîme de tout ce que vous donnerez ». Une tradition juive prétend qu'après la destruction de la ville, la pierre de Béthel aurait été placée dans le nouveau temple pour servir de support à l'arche d'alliance.

Les sanctuaires primitifs des Hébreux étaient établis autour d'une pierre divine, d'un arbre sacré ou près d'une source. N'étant pas dégagés de tout paganisme, les Hébreux en s'étabhssant en Terre Promise, avaient repris quelques pratiques des populations qui les avaient précédés en associant le culte des pierres taillées à celui des pierres brutes. Moïse crut devoir les prémunir contre les retours possibles de l'ardeur païenne, en conseillant de renverser les autels et briser leurs stèles.

Avec l'évolution du culte, la pierre « divinité », devint « autel », mais conserva l'aspect qu'avait la pierre divine, qui n'était pas taillée. C'étaient d'informes piliers ou des roches brutes, qui rap(i)

rap(i) hache en silex poli de l'époque néolithique a été trouvée en décembre 1899 dans la forêt communale de Saint-Dié du massif de la Madeleine.


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pelaient le dieu, mais ne le montraient pas ; simples, puissantes elles caractérisaient un certain âge de la vie des peuples et un ordre religieux déterminé.

La lutte contre le culte des pierres fut menée par les Prophètes, qui réussirent si bien dans leur apostolat, qu'au début de I ère chrétienne, il ne subsistait du culte préhistorique que des survivances populaires ; elles étaient suffisamment puissantes cependant pour que l'Eglise chrétienne entreprît une nouvelle guerre contre le culte des pierres.

Au Concile d'Arles (443 et 452), on constata que le paganisme concernait plus les paysans que les habitants d'une ville, que les rites à l'égard des divinités : pierres, arbres ou sources, consistaient à placer auprès d'eux des petites torches enflammées (faculae).

Le roi Childebert I (511-558) envoie dans les « pagi » du royaume un capitulaire ordonnant de jeter bas les pierres alignées ou les idoles consacrées au démon...

Le Concile de Tours (567) décrète par le Canon 23 « que ceux qui paraissent persister en leur folie d'accomplir auprès de l'on ne sait quelles pierres, arbres ou fontaines, des actes incompatibles avec les règles ecclésiastiques, soient chassés de la Sainte Eglise et qu'on ne leur permette pas de s'approcher du Saint-Autel ». C'est le plus ancien texte, où l'on trouve pour la première fois, les noms attribués à des monuments sacrés : dolmen, menhir ou pierres à bassins.

Saint-EIoi (VIIe siècle) dans son sermon déclare « que les pierres sont autant de divinités auxquelles on demande des faveurs, en échange païens ou chrétiens ne manquent pas de promettre des présents. II renouvelle les défenses : « qu'aucun chrétien n'allume de lumières ou ait l'audace de faire des voeux auprès des temples ou des pierres »...

Saint Pirmin, fondateur de l'abbaye de Marbach (727) en Alsace recommande : « N'adorez point les idoles, n'allez point les adorer auprès des pierres, arbres ou fontaines et n'y faites point de voeux».

L'Admonitio Generalis de Charlemagne du 23 mars 789 décrète : « pour ce qui est des arbres ou des pierres ou des fontaines, où quelques sots allument ou font d'autres pratiques, nous enjoignons de la façon la plus expresse, que cet usage, le pire de tous, exécrable à Dieu ; partout où il se rencontrera, soit enlevé et détruit »...


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Malgré les anathèmes des Conciles, les défenses des Rois, les survivances populaires du culte des pierres persistent, aussi l'Eglise au IXe siècle, au concile de Nantes, au temps du pape Formose (vers 895), croit nécessaire de préciser les défenses : « les pierres, que des gens trompés par la ruse et les mystifications des démons, vénèrent au milieu des ruines et des bois, y faisant des voeux, qu'on les renverse de fond en comble et qu'on les jette en un lieu tel que jamais leurs adorateurs ne puissent les trouver... A tous il est interdit de faire un voeu, d'allumer une chandelle ou d'apporter une offrande quelconque en vue de son salut, ailleurs qu'à l'église ».

La chaîne des Vosges est parsemée de roches, les unes en granit, pierre dure, les autres, de grès friable qui sous l'action de l'eau, de la gelée et des vents ont pris les formes les plus fantastiques (lusus naturae). Leur aspect n'a pas manqué de frapper l'esprit superstitieux de l'homme, qui en a fait des objets sacrés, pour lui elles représentaient la divinité. Ces pierres sont désignées sous le terme imprécis de mégalithes qui ne devrait s'appliquer qu'à des monuments placés par la main de l'homme, ce qui n'est pas le cas, puisqu'il s'agit de blocs naturels, qui ont été l'objet d'un culte des populations primitives, et parfois ont servi de monuments funéraires à leurs morts.

Les monuments mégalithiques, en dépit des noms dont on les a affublés : dolmen, menhir, cromlech, qui dérivent du celtique et qui d'après H. d'Arbois de Jubainville, sont des mots dénués de sens, plus ineptes que bizarres, ont été l'oeuvre des Ligures, au VIe siècle avant notre ère. De la même époque date aussi le culte des sources qui, dans les pays accidentés, s'associait à celui de la montagne ou des roches d'où elles sortaient. Les hommes confondaient dans une même adoration, sous un même nom, le rocher immobile et muet et la source vivante.

Les Ligures, qui avaient un culte spécial pour les hauts sommets couronnés de rochers énormes, estimaient que les morts avaient les mêmes besoins que les vivants s'abritant dans des cavernes ; ils bâtissaient pour eux des demeures de pierres, des chambres sépulcrales, composées d'une grosse pierre plate posée horizontalement sur un nombre variable de pierres verticales, ce que l'on nomme actuellement « dolmen ».

Comment expliquer, si ce n'est par d'antiques croyances, les


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coutumes et superstitions dont certains rochers ont été l'objet depuis tant de siècles : les danses en rond, les guirlandes dont on les ornait, l'huile dont on les oignait, lorsqu'on les croyait hantés par des esprits, des fées ou des dames blanches. Un sentiment de crainte religieuse ou superstitieuse entoure encore' ces pierres.

L'Eglise, elle, attribue ces pierres aux démons, ce qui n'est pas sans leur reconnaître une certaine valeur. Malgré ces attaques, les traditions populaires restent dans l'esprit des populations, avivées par la présence des pierres à sacrifices des populations reculées ou de celles leur ayant succédé, dont elles portent les noms : la Pierre des Druides, près de Stambach ; la Pierre des Druides sur le Wustenberg près du Donon ; le Cercle des Druides, enceinte préhistorique sur le Ziegelberg près Niederbronn ; le Couloir des Druides sur l'Elsberg près du Couvent de Sainte-Odile ; la Roche des Gaulois à Deycimont, etc. Ces noms prouvent que la période gauloise a laissé une empreinte plus vivace que celle de l'ancien culte des pierres ; celui-ci, vaincu par le polythéisme celte, puis romain, lutta sans profit contre les premiers apôtres du christianisme, lesquels voulant l'accaparer à leur profit marquèrent ces monuments sacrés du signe de la croix.

Quoiqu'on ait prétendu que le dolmen, monument à caractère funéraire, n'existait pas dans les montagnes des Vosges, M. Voulot cite : sur le Taennichel, la Fontaine des Esprits, formation à double galerie, refuge préféré des fées, gnomes et lutins ; sur le Wustenberg près Dabo, dolmen à table évidée, la Pierre des Druides ; au Taennichel encore, celui de la Table de pierre. Sur le Petit Jumeau à Nompatelize près Saint-Dié, la Pierre à Cheval, que l'on prétendait avoir été débitée en moellons. A l'est de ce dernier, près de Taintrux, les deux dolmens du Chazeté (1) et de la Pierre de Roche.

Aux dolmens se rattachent les allées couvertes, dolmens de grandes dimensions en forme de couloir : Au sommet de la montagne au nord de Moyenmoutier se trouve une roche en forme de couloir appelée en patois : le Pouoche (couloir).

La science est indécise concernant les grandes pierres « plantées

(i) Le dolmen méridional, dont la table est creusée d'une cavité, a été utilisé pour des rites religieux des adorateurs de la pierre. Il serait intéressant d'explorer cette station préhistorique et le puits ovale comblé qui se trouve au centre. Je renouvelle le voeu émis en 1875 à la Société Philomatique, par M. F. Voulot.


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104debout appelées menhir (du celtique men pierre, hir longue) isolées ou rapprochées pour former de vastes cercles, les « cromlech » ou de longues files droites, les « alignements ». A ces pierres ayant de 2 à 10 m. de haut, on a voué, antérieurement à 1 époque néolithique, un culte persistant ; il est permis d'y voir des idoles primitives exposées à l'adoration ou des symboles religieux analogues aux betyles que vénéraient les peuples sémitiques.

Adorées comme fétiches, génies ou divinités, elles ont pu être aussi, comme dans les pays Scandinaves, des piliers funéraires ou cénotaphes, dont la tradition continue, puisqu'on plante toujours des pierres taillées ou non sur les tombes.

Ces pierres debout pouvaient être aussi des bornes plantées à la limite de deux tribus Celtes, qui pour l'opération d'abornement, ne manquaient pas d'arroser du sang d'une victime l'excavation destinée à recevoir la borne et couvraient celle-ci d offrandes champêtres.

Parmi ces pierres debout, une cependant depuis l'antiquité jusqu'au XVIIIe siècle, a servi d'étalon pour sacs de grains. Ce monument : Sac de Pierre ou Pierre du Marché se trouve sur le chemin des processions, dans une clairière au bas du Donon près de N.-D. de la Délivrande, à 16 km. de toute agglomération. (1). C'est un exemple unique de mesure de capacité ; jadis, ces mesures n'étaient pas déterminées.

Autour de cette pierre à époque fixe se tenait un marché franc, auquel participaient les marchands de Nancy, Blâmont, Lorquin, etc., apportant du blé, qu'ils échangeaient contre des bestiaux amenés par les habitants des environs. Quand une convention avait lieu sur parole, les deux marchands joignaient leurs mains sur la pierre répétant les clauses du marché, l'acte devenait légal et un malheur frappait infailliblement celui qui venait à y forfaire.

Les hautes bornes ou grossières colonnes amincies à leur extrémité et renflées au milieu, donnant l'idée de fuseaux ou quenouilles, remontent à une époque si lointaine, que pour expliquer leur origine, il faut penser aux temps fabuleux, aux fées, qui les ayant

(i) de Ewiranda ou Icoranda à l'époque préromaine.

Aujourd'hui N.-D. de la Délivrance, voir Linckenheld. Un nouveau sanctuaire de frontière des Médiomatriques et des Leuques dans le B.S.A.L. 1929 P. 180-195.


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apportées dans leur tablier, les ont plantées ça et là à leur guise. Certaines ont des formes étranges, qui ont contribué à leur donner des noms pittoresques : la Pierre-Borne près Raon-l'Etape, menhir en granit rose, pyramide quadrangulaire, non taillée, de 3 m. de haut ; la Pierre levée au Ballon de Servance ; la Pierre Huguenotte près la tête des Cuveaux, non loin d'Eloyes ; dans la région de-Dabo, la roche colossale (8 m.90) delà Spill (fuseau), façonnée, taillée et adorée par les populations primitives d'après M. Voulot. Au nord d'OberhasIach, l'étrange et énorme menhir, le Pfaffenlappenfels, mentionné en 775, sous le nom de Paphinisnaïda dans un diplôme de Charlemagne, comme point d'abornement. Près d'Obersteigen, le rocher de la Selle-Sattelfelsen, menhir de 2 m. 50 a servi de borne frontière, il porte d'un côté les armes des comtes de Linange et de l'autre celles de l'abbaye de Marmoutier. Au sommet du Rosskopf, le rocher de l'Homme de Pierre figure un géant debout. Au bord du ruisseau de Letenbach près Abreschwiller, des piliers plantés debout inspirent la crainte la nuit, les fantômes qui les gardent, poussent les imprudents dans les précipices. Au sommet du massif du Hengst, près de la roche du Sanglier-Wildsaufelsen, une borne frontière préhistorique de 2 m. 40 de haut, séparait jadis les tribus Médiomatriques des Triboques. Le Breitenstein ou Pierre des Douze Apôtres, (qu'un marchand de bois y fit sculpter en 1787) près de la Petite-Pierre, menhir de 3 m. 06, connu en 713 sous le nom de lata petra, borne séparant les Triboques des Médiomatriques et plus tard en 1170, l'Alsace de la Lorraine; quoiqu'éloignée de plus de 3 km. du village le plus proche, autour d'elle, le jour de l'Ascension, a heu une foire, dont l'origine date des marchés de frontière gallo-romains. Au sud près de Rosteig, la Pierre Pointue, Spitzenstein ou Spillstein, menhir de 2 m. 50 de forme carrée, a été christianisée, une statuette de la Vierge, disparue depuis, avait été placée dans une petite niche creusée dans la pierre (1). Entre Altorf et Molsheim, le Langenstein, pierre debout, qui à l'origine se trouvait au sommet d'un tumulus. Près de Saint-Hippolyte le Zollstôckel, menhir de 1 m. 50, séparait jadis les Celtes Triboques des Séquanes. Non loin de Guebwiller,

(i) Linckenheld. Les limites de la Belgica et de la Germania en Lorraine M.S.A.L. 1930-1931.


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aux abords de la route de Lautenbach, dans les broussailles, se dresse le menhir Langenstein.

Le cromlech (crom, courbe et lech'h, pierre) groupe de menhirs disposés en cercle plus ou moins réguliers, en ovale ou en carré, un menhir plus haut occupant le centre. Près Dabo, sur la Grande Côte, le Jardin des Fées, enceinte presque circulaire de 90 m. de diamètre, jonchée de moellons, dont certains avaient été dressés, c'était un cromlech, sanctuaire des peuples préceltiques. Les nuits d'été, au clair de lune, dansent là un essaim de jeunes et jolies fées ; pour ne pas être gênées dans leurs rondes, elles ont relevé toutes les pierres et c'est autour d'elles que se déroule la farandole échevelée ; à l'aube tout s'évanouit, les pierres reprennent leur position première. Au Galz, près des Trois-Epis, le Steinring, cromlech en forme d'ellipse, est un monument préceltique.

Les pierres branlantes appartiennent à la géologie par leur origine, à l'archéologie par leur usage, c'est par suite d un caprice de la nature, qu'elles oscillent sur leur base. Cette anomalie a été exploitée par les époux pour juger de la fidélité de leurs femmes : sur le Schneeberg, près Dabo, le Lottelfels, dont la base elliptique repose sur un plan horizontal, peut être mise en mouvement au moyen d'une simple impulsion ; on y conduisait naguère la femme soupçonnée d'avoir manqué à ses devoirs, si elle parvenait à la remuer, elle était déclarée innocente, au cas contraire on l'abandonnait à la vengeance du mari. Au Rain des Chênes, près Orbey, un époux, qui voulait être fixé sur son sort, se plaçait à la pointe du jour sous la pierre branlante de la Roche du Diable ou Pierre du Loup ; s'il la faisait osciller la touchant de son index, sa femme était reconnue fidèle, mais si son épouse était présente l'oracle ne répondait pas ou répondait de travers. La roche de la SalièreSalzbùchsel sur l'AItenberg, entre Fouchy et Rombach-leFranc, pierre branlante placée en équilibre sur une base étroite, a été honorée par les peuples primitifs ainsi que la pierre branlante de Pierre-Percée, au Cambert près Saint-Dié, ainsi appelée parce que l'on y trouve un couloir aboutissant à une chambre, véritable abri sous roche. Deux autres abris-sous roche se trouvent, l'un sur le même massif, la Pierre de l'Aître dominant Taintrux, taillé à main d'homme et la Roche du Hoff sur l'Ormont. Des vestiges de la période préhistorique existent aux enceintes du


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Chazeté près Taintrux et à la Corne du Lys près la Bourgonce.

Une croyance de l'âge de la pierre polie, naguère encore fort vivace, donnait à croire que la 'hache polie formée d'une pierre rare, dont l'extrême fini du travail empêche de reconnaître la trace de la main de l'homme, était à l'origine un objet si précieux qu'il était considéré comme sacré. Le caractère fatidique des haches polies a traversé l'antiquité pour devenir de nos jours un objet de superstition. En Alsace, on croyait que lancées dans l'éclair, d'où leur nom Strahlstein, Donneraxt, Donnerkeil ou Donnerstein, elles traversaient dans sa longueur les troncs des plus grands arbres, pour s'enfoncer en terre à une grande profondeur ; chaque année, elles remontaient en Alsace d'un degré et dans les Vosges paraissaient à fleur du sol au bout de neuf ou onze ans. La hache polie est un talisman spécifique contre la foudre (1) et certaines maladies humaines, elle possède aussi sur le bétail une vertu et un pouvoir curatifs efficace. En Alsace, on acquiert une redoutable puissance en s incorporant un fragment de hache : un habitant de Weisslingen affirmait qu'en introduisant une parcelle du celt dans le gras du bras, si la plaie guérit, I homme devient invincible à la lutte et peut tuer son adversaire en le touchant seulement du poing fermé, en disant : « que la foudre t'écrase !» Il y a relation entre la foudre et les haches : à Hochfelden on affirme qu'en plaçant une hache sur le sol pendant un orage, elle sautillera à chaque coup de foudre.

L'emploi de la hache à des usages domestiques est dangereux : à Hirtzbach on ne peut s'en servir comme pierre à aiguiser, car si on se blesse avec le couteau que l'on a aiguisé, la plaie en résultant ne guérit plus ; à Asswiller elle guérit difficilement.

Les paysans alsaciens ont foi en l'efficacité de la hache pour guérir un mal : à Hochfelden, elle arrête les hémorragies et les pertes des femmes, redonne de l'appétit aux chevaux, si on met une hache dans leur mangeoire ; à Ratzwiller la hache magique favorise les accouchements, afin que le travail de gestation se fasse normalement et arrête les douleurs, on passe doucement le celt sur le ventre de la femme. A Waldhambach et à Hambach elle est employée

(i) Dans la région du Sundgau, il n'est pas rare de voir pendant un orage, des possesseurs du Strahlstein placer la hache entre deux bougies allumées, en récitant des prières pour détourner la foudre de leur habitation.


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efficacement pour combattre les convulsions des enfants. A la Baroche elle combat la rage et le peût-mal (épilepsie). A Niederbronn et au Jaegerthal on guérit efficacement les vaches atteintes de mammite, en frottant les mamelles avec une hache.

En Alsace tout mal des bestiaux est combattu efficacement en les frictionnant avec une hache à rebrousse poil, tandis que dans les Vosges on se contente de faire trois passes à trois reprises différentes, une hache à la main. Dans la région de Dabo et à Wasselonne, aux vaches atteintes de coliques, on donne à boire de l'eau dans laquelle a infusé une hache. A celles atteintes d'enflures, on fait boire l'eau dans laquelle on a dilué une partie de hache réduite en poudre. A Bouxwiller et à Obermodern on croit que les personnes portant constamment sur elles une hache polie ou un fragment de celle-ci, sont immunisés contre toute influence pernicieuse.

Le culte des pierres très répandu sur les deux versants des Vosges, a joué un rôle important dans les religions, la façon de l'adorer changeait seule, mais la pierre restait toujours là. La religion celtique, qui persista dans sa simplicité et sa pureté n a pu l'entamer, pas plus que le druidisme qui lui a succédé, dont les prêtres accommodèrent le culte de pratiques superstitieuses et barbares, dont ils se disaient les dépositaires, s'ils n'en étaient les inventeurs. La conquête romaine de la Gaule n'y changea rien, c'est le druidisme, qui en tant que religion tomba de lui-même abandonné par les classes instruites qui fréquentaient les Romains.

Le culte des pierres continuait à être pratiqué par les Triboques survivants au sein des forêts Vosgiennes où ils jouissaient d'une sorte d'indépendance, la chasse et la pêche suffisant à leurs besoins. Rebelles aux doctrines du christianisme, ils continuaient à invoquer leurs dieux et à se prosterner devant leurs monuments sacrés.

Le christianisme cependant ne se rebuta pas, voyant qu'il ne pouvait abolir ces pratiques, il se les assimila, plantant sa croix, non seulement sur les pierres dressées par la main de l'homme mais aussi sur les rochers, oeuvre de la nature. La présence du symbole chrétien indique qu'en sanctifiant ces pierres, l'Eglise a voulu effacer les croyances superstitieuses et faire cesser les pratiques remontant au paganisme. Ce symbole devient ainsi un indice certain affirmant l'antiquité des monuments religieux du paganisme. L'action du christianisme n'a pourtant pas atteint tous les


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mégalithes ; certains ont été fréquentés par les fées, d'autres sont des monuments maudits hantés par le diable ou ses suppôts, d'autres encore sont le séjour de fantômes ou autres larvae.

Ces idées superstitieuses semblent confirmer l'hypothèse de la destination religieuse de ces monuments dans lesquels la tradition populaire voit des autels païens .ou des pierres à sacrifices, et les cavités, bassins ou écuelles (environs de Saint-Dié), qui se trouvent au sommet de certaines roches ont été considérées comme ayant pu servir à des usages domestiques, à recevoir des offrandes, l'eau de pluie consacrée, ou encore le sang des victimes.

Des roches vues sous un certain angle évoquent des visages, des formes à l'apparence humaine ou animale en diverses attitudes ; ces pierres anthropomorphes présentent un côté fantastique incontestable : la roche du Sabbat à Coinches près Saint-Dié, vue du chemin présente le profil d'une vieille femme. La Roche de Palhieu près de Lépanges montre à sa base la silhouette d un homme barbu couché, à mi-côte la forme d'une vieille femme étendue et au sud une tête de vieillard. Aux Rouges Eaux de Taintrux, dominant le tumulus du Fenzhu, la Pierre le Roi ou Pierre de Roche, qui d'après M. Voulot est une pierre sculptée d'une barbarie incroyable, représente un cavalier arrêté ; au-dessus de ce mégalithe, à l'angle de sa masse, un gigantesque pilier dont le sommet ressemble à une tête de chien, était adoré au temps de la préhistoire comme symbole du Dieu Soleil.

La roche du Lion ou des Trois Jambes à Rougiville près SaintDié, profile un sanglier marchant. La Roche du Trupt ou TruptBroconde (vallée de Celles) montre deux profils de vieilles femmes, l'un grimaçant. Sur le Rosskopf près Dabo, rocher de l'Homme de Pierre semblable à un géant debout. Dans la même région, la roche du Hengst avait une ressemblance à une tête et un corps de cheval ; inspirant une crainte superstitieuse, elle a été mutilée en 1860 par un ivrogne; réputée sacrée, les premiers chrétiens l'avaient couverte de nombreuses croix. '

La Roche du Loup à La Poutroye bordant la vieille route du Bonhomme et la Roche du Diable qui la surplombe est une masse rocheuse de 20 m. de haut, qui présentait en 1875 plusieurs profils sémitiques. Lors de la construction de l'Eglise de La Poutroye, on s est servi des grandes dalles de granit de la Roche du Loup.


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Au sommet de la roche du Diable, à travers la végétation, on voit encore un profil humain au nez camard, coiffé d une calotte. La propriétaire du terrain a refusé de vendre cette roche pour être débitée en moellons, parce que cette masse, disait-elle, ressemble au rocher de la Grotte de Lourdes et qu'attaquer la pierre avec un instrument en fer porte malheur (version orale d'un voisin).

La roche des Fées, au Gazon du Faing des Hautes Chaumes dominant le lac Tout blanc-Forellenweiher (1061 m.) avec ses fentes naturelles à l'aspect d'une tête d'animal à long museau.

Près du Château de Hirzenstein édifié en partie en 1265, une haute roche présente deux profils de têtes. M. Voulot (les Vosges avant l'Histoire) prétend que la plupart de ces roches anthropomorphes ont été taillées par les populations antiques.

Certaines pierres ont le pouvoir de guérir : Au rocher de la Bonne-pierre-Kinderfels près de Grandfontame, il suffit qu'une mère accroche à la roche un vêtement de son enfant malade pour lui procurer la guérison. Les femmes n'ayant pas d'enfants, voient leurs prières exaucées et leur stérilité cesser. Encore aujourd'hui on trouve de la menue monnaie dans les interstices du roc, offrandes de ces adorateurs modernes de la pierre.

La roche du Banc de la Vierge, à 40 m. du lac de La Maix, sur le chemin du Haut du Bon Dieu, bloc triangulaire, de 4 à 5 m. sur chaque face, présente à son angle S.-O. une pierre qui sert de siège aux pèlerins affligés de maux de dos ou de reins ; ceux-ci se guérissent en frottant leurs parties malades contre la roche, dont l'usure atteste la foi en son efficacité. La Vierge venant de Moussey, regagnait sa chapelle de La Maix, qu'elle trouva abattue par Dom Fange (1756) ; quoique exténuée, elle résolut d'aller à Luvigny, dont la population lui avait toujours été fidèle, et descendit la route caillouteuse ; là ses forces l'abandonnant, elle se laissa choir sur une pierre au pied d'une roche, appuyant sa main contre le rocher, qui s'amollit gardant l'empreinte de ses doigts (1).

Par une effroyable tempête la roche de la Vierge de la Creuse à Gérardmer a été séparée en deux par la foudre, pendant qu'une partie roulait dans l'abîme, celle restée debout se décorait de l'image de la Vierge. Depuis les mères l'implorent pour la guérison de leurs enfants.

(i) Version orale de M. Emile Gerlach artiste-peintre.


La roche du Hangochet, à 500 m. de la route de Plainfaing au col du Bonhomme est un immense bloc de quartz laiteux, à la base duquel dans une excavation se trouve une statuette de la Vierge, qui en a remplacé une autre, découverte au début du XIXe siècle. Cette vierge était invoquée par les jeunes filles voulant être mariées dans l'année. Fin du XIXe siècle de nombreux ex-votos : béquilles, crosses et bâtons, jonchaient le sol, laissés par les malades souffrant de rhumatismes ou de la goutte.

Le Tertre de la Fille Morte-Iungfrauenplatz, entre SainteMarie-aux-Mines et Aubure, endroit hanté par les sorcières, est un monceau de pierres, auquel chaque passant ajoute la sienne, car bien vive est la croyance en l'efficacité prophylactique de la pierre jetée, qui neutralise le mauvais sort.

La Grotte de Saint Vit (Saint Guy) entre Saverne et Lutzelbourg était fréquentée par les malades atteints de la danse de Saint-Guy. Lors de la grande folie de 1417 et 1418, on y conduisait les malades atteints de surexcitation nerveuse.

La surface de certains rochers comporte parfois des creux ou dépressions, cupules, écuelles, cuvettes, bassins, pourvus de rainures, rigoles et déversoirs. Pour la plupart ce sont des jeux de la nature, parfois corrigés ou approfondis par la main de l'homme pour leur donner un caractère mystérieux et sacré. On doit croire 'que l'eau qui séjournait dans ces creux, outre qu'elle était efficace pour la guérison de maux, servait aussi aux rites religieux, étant ' sanctifiée par la raison qu elle se trouvait à la surface de mégalithes sacrés des hauts sommets : roche des Ecuelles des Fées, vallée des Rouges-Eaux près Saint-Dié ; roche à bassin de la Bure près Saint-Dié ; roche à bassin du Petit Jumeau près Nompatelize ; roche à bassin de la Pierre de l'Aître à Taintrux ; roche des Cuveaux des Fées à Eloyes ; sur la côte du Repy les Chaudrons des Fées, près du Camp des Sarrazins et la Pierre de la Poêle près de la, Pierre d'Appel ; les roches à bassins des HautesChaumes de Moussey ; de la Pile près Raon-l'Etape, du Donon, de la Chatte pendue ; cuvette à la roche des Fées près du fauteuil Saint-Quirin, etc. Beaucoup d'empreintes anthropomorphes sont dues à la pression de la tête, des mains, des doigts et des pieds, attribuées à des personnages légendaires, des saints, des êtres fabuleux : la Pierre Saint-Jacques près de la Houssière présente


-112une

-112une circulaire de la grosseur et de la forme d'une tête, devant laquelle le montagnard se découvrait avec respect : Saint Jacques traversant la montagne s'égara après avoir longtemps erré ; exténué, il tomba sur cette pierre, qui s'amollit sous la pression de sa tête. Ayant servi au temps druidique de pierre à sacrifices, à la Révolution on l'appela Roche de la Guillotine.

Le Fauteuil de Saint-Quirin sur le Teufelsberg, entre le Donon et Saint-Quirin, pierre à dépressions en forme de siège, est l'objet d'une sainte vénération de la population. Le saint, de retour de Terre Sainte, s'affaissa sur cette pierre et s endormit, la roche garda l'empreinte de son corps et les marques des sabots de son cheval, qui lorsqu'il le jugea suffisamment reposé, le réveilla.

Saint Morand, patron des vignerons du Sundgau, surpris par un orage près d'Altkirch, s'abrita sous une roche, celle-ci comme une cire molle céda sous la pression de la tête et l'abrita.

La roche du Banc de la Vierge près du Lac de La Maix montre plusieurs cavités dont une très patinée par 1 usage, c est la marque des doigts de la Vierge, qui, appuyant sa main contre la pierre, celle-ci s'amollit et en garda l'empreinte.

Sur le Hohenberg, une roche porte trois entailles dans lesquelles on peut faire pénétrer la main. C'est la marque des doigts de Sainte Odile, qui se retint au rocher lorsqu'elle fuyait son père, qui voulait la contraindre au mariage. Une empreinte de la main de Sainte Odile existait au rocher du Herzogshand près Sturzelbronn. On prétend cependant que c'est celle de Ferry 111 de Lorraine, qui perdit sa main droite dans un combat en 1293 contre Eberhard, comte de Deux-Ponts.

Les roches de Bipierre-Zweifels près du Donon recouvrent des abris cyclopéens ; dans l'un se voit une empreinte de sandale de 35 cm. de long et 9 cm. de profondeur.

Des rochers ont des dépressions semblables à l'empreinte d'un pied humain sur une matière molle : la roche du Sabbat, près de Fresse, parmi les lignes et les signes cabalistiques creusés à son sommet et particuliers aux esprits de la nuit, montre aussi des empreintes de pieds ; sur la roche à abri du Haut Donon, on voit plusieurs empreintes de pieds, dont l'une tracée au trait. A la roche du Schuhfelsen, près Lembach, on voit des empreintes de pieds, qui, dit-on, sont les traces laissées par les pieds du diable.

Si la plupart des empreintes de pieds de chevaux ou d'ânes,


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montures de héros d'épopée ou d'apôtres semblent résulter d un effort accompli par eux en exécutant un saut prodigieux, on peut aussi supposer que ces empreintes sur des roches sacrées, pourraient être des marques symboliques de la gracieuse divinité celtique Epone, protectrice des chevaux : la Pierre Charlemagne près Gérardmer, porte la trace d'un pied du cheval de l'Empereur, celui-ci traversant les roches de Chalémont sur l'AItenberg dominant Liepvre, poursuivi par des ennemis, son coursier, fit un tel effort pour sauter, que la roche s'en trouva marquée ; la roche du Saut du Prince Charles-Karlsprung près Saverne porte l'empreinte des fers de son cheval, qui, d'un effort prodigieux, franchit le précipice. La Pierre du Pas de l'Ane dans la forêt du Bambois près Remiremont porte la marque des pieds de l'âne de Saint Romaric qui franchit dans son saut l'espace fabuleux séparant cette roche du Saint-Mont. La roche du Saut de l'AneEselsprungfelsen, bloc énorme en saillie, surplombant la gare de Fréland près Kaysersberg, porte la marque des fers de cet animal. La roche de la Mère Henry dominant Senones, porte quatre empreintes des fers du cheval de Saint Maurice, qui de ce rocher fit un saut extraordinaire jusqu'à l'emplacement de la primitive église ; cette roche porte aussi le nom de Mort Diable (Diable trepois), car ce personnage qui poursuivait l'apôtre, voyant celui-ci s'élancer de la roche, voulut en faire autant, mal lui en prit, il s abîmà au pied de la roche. La roche du Pas de l'Ane sur la Madeleine près Saint-Dié porte la marque du sabot de l'âne de l'ermite de la Solitude. A Alspach près Kaysersberg, une roche porte l'empreinte des fers du cheval d'un chevalier qui, de retour de Terre Sainte, reconnaît dans une nonne celle qu'il aimait et qui, le croyant mort avait prononcé ses voeux. Désespéré, le chevalier se fit ermite et lorsque les cloches du couvent sonnaient, la clochette de l'ermite répondait. Le jour où les cloches du couvent sonnèrent le glas pour la petite nonne, la clochette de l'ermite resta muette, car il était mort le même jour, à la même heure.

D autres marques de fer à cheval se trouvent sur le Kellermannfelsen près Niederbronn ; sur le menhir du Spitzstein près Puberg et sur la plate-forme supérieure du Totenkopffelsen près la Hoube (Dabo). Le rocher sur lequel se trouvait la chapelle Saint-Jacques, au pied du couvent de Sainte Odile, porte les traces des sabots du chameau que Hugues de Bourgogne avait chargé de trésors


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et reliques et qu'il avait laissé aller à sa guise, escorté par cinq chevaliers. La bête s'arrêta au couvent de Niedermunster, où les chevaliers se firent ermites et édifièrent la chapelle.

Les creux à la surface de certains rochers, éveillent l'idée de meubles ou d'ustensiles. Citons : la Chaise du Roi sur la Madeleine près Saint-Dié, entourée par les vestiges des fossés du Château de Clermont ; la Chaire du Diable sur le Sapin Sec près Saint-Dié ; le Fauteuil de l'Empereur-Kaiserstuhl près d'Aubure, assise formée de plusieurs roches, dont une pierre équilibrée ; la Chaire du Diable-Teufelskanzel près Thann ; la Chaire-Kansel du Loechlefelsen près Ferrette ; la Cuve-Steinbutte sur le Brotschberg près Dabo, autel des populations préhistoriques, pierre creusée sur l'ordre d'un prieur de Marmoutier pour sa cave ; les fées auxquelles elle servait de baignoire la rendirent si lourde qu'on ne put la déplacer. La Cuvette-Pfanne près du Kempel (Dabo) considérée comme un autel druidique. Le Baptistère-Taufstein au Kempel. Le rocher de la Selle-Sattelfelsen entre Obersteigen et Reinhardsmunster. Le Fuseau-Spill, face au Château d'Ochsenstein. Le Stollhafenfels ou marmite à pieds près du couvent de Sainte-Odile. Rocher du Calice-Kelchfelsen entre Abreschwiller et le Romelstein. Le Calice du Curé-Pfaffenkelchstein dominant La Baroche. Le Rocher de Miche de Pain entre Abreschwiller et Walscheid. La roche de la Salière-Salzbùchselfelsen entre Breitenau et I'Altenberg. La roche de la Clef-Schlusselstein à mi-côte du Taennichel. Le Rocher du Lichtstock près Philippsbourg (forme d'un chandelier renversé) souvenir religieux de l'âge du bronze. Le Rocher du Klingenfels au col de Wengelsbach près Obèrsteinbach, qui lorsque le vent gémit et pleure, en frôlant la roche émet un bruissement pareil au tintement d'une clochette. Le Rocher de la Fourchette-Gabelfelsen près du Château de Wittschloessel.

Albert OHL DES MARAIS.

Ouvrages consultés

VOULOT. Les Vosges avant l'Histoire. — Revue du Folklore français. STOEBER. Die Sagen des Elsasses. — Mûndel Die Vogesen. Rod. REUSS. Histoire d'Alsace. — Revue Celtique. FoURNlER. Topographie Ancienne du Département des Vosges. Dr FAUDEL et BLEICHER. Matériaux d'étude préhistorique de l'Alsace. C. JULLIAN. Histoire de la Gaule.


La famille des Porcelets de Maillane

LIVRES AUX ARMES ET SCEAUX

I Jean des Porcelets, maréchal de Lorraine

Une branche de l'illustre famille des Porcelets de Maillane, originaire d'Arles en Provence, s'est établie en Lorraine au milieu du XVIe siècle. André des Porcelets, fils de Pierre, seigneur de Maillane, gouverneur de Beaucaire et de Marguerite de Piguet, suivit en 1527 Claude de France épouse de Henri, duc de Lorraine. Il devint gentilhomme de la chambre de François, marquis de Pont, puis chambellan et écuyer du duc, capitaine du Château de Bruyères, gouverneur et bailli d'Epinal. Il épousa en 1542 Catherine de Valhey fille de Claude, receveur de la châtellenie de La Garde et de Catherine de Châfel (1). André mourut en 1575 et sa femme se retira alors chez les soeurs de Sainte-Elisabeth à Lunéville, où elle fit profession et demeura jusqu'à sa mort survenue en 1584.

Leur fils Jean ou André devait jouer un grand rôle à la cour ducale et occuper d'importantes fonctions. En 1578, on le trouve chambellan du duc de Lorraine, puis capitaine de cent hommes d armes de la compagnie de Henri, marquis de Pont ; en 1579, il se distingue dans l'armée, sous la conduite de Juan d'Autriche et d'Alexandre Farnèse ; il est ensuite guidon et enseigne de la compagnie de gens d'armes du duc de Bar, pour le service du Roi Très Chrétien, mestre de camp d'infanterie, conseiller de guerre et gouverneur de Toul (1589). Deux ans plus tard, il est chambellan, conseiller et grand-maître de l'hôtel de Charles de Lorraine évêque de Strasbourg, enfin bailli de l'évêché de Metz. Le 4 décembre 1603, Jean fut nommé maréchal de Barrois et le 28 décembre 1609, ma(i)

ma(i) André, voir MORERI, Dictionnaire Historique, t. VIII, p. 483 ; LA CHES-J. NAYE-DESBOIS, Dictionnaire de la Noblesse, 20 édi. (1870), t. XVI, col. 158-166. Sur' sa femme, voir CHATTON, La Famille des Porcelets, le château et la paroisse de Valhey dans le Bulletin de la Société d'Archéologie Lorraine, 1910, p. 220-230.


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réchal de Lorraine. C'est en cette qualité qu'il porta le sceptre lors de la Pompe funèbre du duc Charles III. Il avait encore rempli jadis les fonctions de gouverneur de Pont-à-Mousson et de Neufchâteau. A tous ces nombreux titres, il joignait ceux de baron du Saint-Empire, de seigneur haut, moyen et bas de Gussairiville (prévôté d'Etain), de Valleroy-aux-Saules et de Madecourt (1).

Il se distingua en outre aux sièges de Stenay, aux prises de Coiffy, Montigny, Montecler, Lafosse et Château-Villain. De son mariage, en 1571, avec Esther d'Apremont, il s'alliait à la famille de Lorraine, car sa femme était la fille de Gérard d'Apremont et de Guillaumette du Châtelet. En outre « par le mariage de Henri de Bourbon-Condé avec Henriette de Montmorency le 17 mai 1609, Jean des Porcelets était rattaché aux Bourbons et à la maison de France ». Quatre enfants naquirent de cette union. André, l'aîné, épousa Elisabeth de Danois-Sernès et laissa trois filles ; le second prénommé Jean vit le jour le 14 août 1581 et fera 1 objet de quelques notes par la suite ; Catherine épousa Jacques de Reinach ; le cadet enfin, René ou Paul, fut victime à l'âge de 18 ans d'un accident.

Jean des Porcelets mourut vers 1614 et nous n'insisterons pas outre mesure sur lui. C'est le premier membre de la famille des Porcelets qu'on rencontre parmi les agonothètes de l'Université de Pont-à-Mousson. Ses armes sont frappées sur les plats d'un Aristote donné en prix en 1595 à Jean Midot, futur secrétaire du prélat (2). Le testimonium existe encore ; en voici le texte :

« Ex munificentia et liberalitate clarissimi viri Joannis Porcelleti Mallianae et Valhaei Domini, hic liber cessit in proemiun Joanni Midot, quod secundas partes orationis graecae obtinuerit cum ex Rhetorica ad Logicam promoveretur, anno MDXCV.

« In collegio Mussipontano Societatis Jesu, die 18 octobris.

Ita est Claudius Chevogeonius, stud. proef. »

(i) Sur Jean, voir MORERI, o.c.t. VIII, p. 483-; CHATTON, O.C. ; E. DUVERNOY, Jean des Porcelets, bailli de l'èvêchè de Metz dans les Cahiers Lorrains, 1929, p. 21, 23. GUILLAUME, Hist. du diocèse de Tout, t. III, p. 162 ; Bulletin de la S.Â.L., 1878, p. 103-105. _ .

* (2) Jean Midot, né vers 1565, est originaire de Rambervillers ; il fut docteur en théologie, licencié en droit civil et canonique, archidiacre de la cathédrale de Toul, prévôt du chapitre de Saint-Gengoult de cette ville, secrétaire de l'évêque de Toul. II mourut en 1652.


-117Plus

-117Plus se trouve le sceau de l'Académie comportant le monogramme de la Société de Jésus avec ces mots en légende : Academia Mussipontana (1).

Le porc passant de sable est surmonté d'un casque taré de deuxtiers, montrant sept barreaux. Au-dessus, pour cimier, on voit une tête de sanglier. Tout autour la légende : 10. PoRCELLETUS MAILHANJE ET VALHEII DNUS GUBERNATOR TULLENSIS ET BAILLIVUS METENSIS.

Les prix aux armes de Jean des Porcelets sont, comme ceux de ses fils, fort rares. Grâce à l'obligeance de M. Pierrot, bibliothécaire de la ville de Saint-Dié, nous avons pu en voir un second dans le dépôt confié à sa garde, celui qui a été signalé en 1921 par M. G. Baumont. En voici la description : II s agit d'un ouvrage in-8° relié en basane, intitulé : Laevinii Torrentii episcopi Antverpiensis, poemata sacra... II sort des presses plantiniennes, Antverpiae, ex officina Plantiniana, apud Viduam et Joannem Moretum, MDXC1111.

Les armes frappées sur les plats et la légende qui les entourent sont les mêmes que celles décrites précédemment. Le testimonium manque comme dans les trois-quarts des cas. Cet ouvrage a appartenu à la Bibliothèque des Prémontrés d'Etival, comme l'indique ' la mention manuscrite : Canoniae Stivagii. 1721 et l'ex-libris du célèbre abbé Hugo. Il est entré à la Bibliothèque de la ville de Saint-Dié en 1802 (2).

II

André des Porcelets, gouverneur de Marsal

André des Porcelets, fils du précédent, occupa lui aussi de hautes et brillantes fonctions (3). Seigneur de Maillane, Valhey, Moncourt, Frouard, Ville-au-Val-Sainte-Marie, Lixières et Gussain(i)

Gussain(i) Nouvelle étude sur l'Université de Pont-à-Mousson dans les Mémoires de la Société d'Archéologie Lorraine, 1880, p. 409-410, et planche 1. Ce prix se trouvait, en 1880, dans la biliothèque de M. Bretagne à Nancy.

(2) Voir G. BAUMONT, Notes sur quelques livres de prix à la Bibliothèque de SaintDié dans le Bulletin de la Société d'Archéologie Lorraine, 1921. Nous remercions une fois de plus ici M. Pierrot de son extrême amabilité et de son empressement à nous donner satisfaction.

(3) Sur André et sa descendance, voir MORERI, o.c. ; EDMOND CHATTON, O.C. ; DUVERNOY, o.c. dans les Cahiers Lorrains, 1929, p. 21-23 : FAVIER, Nouvelle étude, o.c. p. 416, fig. 11.


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ville, il devint bailli de l'évêché de Metz en 1602, gouverneur de Marsal, grand-maître de l'hôtel du duc Henri II en 1617, commandant de cent chevau-Iégers et lieutenant-colonel de trois mille Wallons en Hongrie. Il épousa Elisabeth de Danois-Sernès, fille de Claude de Semés et d'Edmonde de Saulx-Tavannes de laquelle il eut trois filles : Claude-Dorothée, mariée à Gaston-Jean-Baptiste de Tornielle, marquis de Gerbéviller et comte de Brionne ; MarieAnne-Françoise épouse de Jacques-Nicolas de la Baume, comte de Saint-Amour et Françoise-Aprone, femme de Jacques-Honnorat de la Baume, comte de Suze. Toutes trois laissèrent des enfants ; André des Porcelets mourut à Epinay près de Paris, le 18 août 1623.

On le retrouve également dans la liste de agonothètes de l'université mussipontaine. En 1613 en effet c'est lui qui offrit les prix et sur les plats des reliures figurent ses armes parlantes. On y trouve la devise — sans doute de famille — NEC SPE, NEC METU et la légende suivante : ANDREAS PoRCELLETUS S.R. IMP. BARO MAILLANAE VALHEII, ETC. D. GuBERNATOR MARSALLENSIS. 1613.

L'unique exemplaire que nous connaissions est décrit dans l'article de Favier, Nouvelle étude sur l'Université de Pont-à-Mousson. Il est regrettable que l'auteur ne dise pas dans quelle bibliothèque il se trouve.

III

Jean des Porcelets, évêque et comte de Toul

Jean des Porcelets naquit à Valhey le 14 août 1581. Valhey est situé à trois kilomètres d'Emville, heu d'origine d'un autre grand prélat, le cardinal Mathieu (1). Sa tante Mme d'Apremont, chanoinesse de Poussay prit soin de son éducation et le forma surtout à la piété. Il fut bientôt placé par ses parents dans la célèbre université de Pont-à-Mousson où il étudia le latin et commença les humanités qu'il acheva à Trêves. Après un court séjour à Ingolstadt, il se rendit à Rome puis revint en Lorraine. Il prit ses licences de droit et de théologie le même jour, le 13 août 1604,

(r) Cette biographie est extraite de mon travail sur Jean des Porcelets de Maillane, ouvrage qui vient de paraître (voir la note à la fin de cet article).


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« ce qui jusqu'alors ne s'était jamais vu », aux dires du Père Abram. Il retourna aussitôt à Rome et Clément VIII le nomma camérier secret. Paul V l'honora en outre de la dignité de prélat domestique et de référendaire en l'une et l'autre signature. Intime du pape, il fut envoyé dès 1606 en Angleterre, chargé d'une ambassade spéciale auprès de Jacques 1er pour faire cesser les persécutions contre les catholiques du royaume. Cette mission eut peu de succès et Jacques 1er promit beaucoup plus qu'il ne tint.

Lorsque Christophe de la Vallée, évêque de Toul mourut, deux candidats se trouvèrent en présence, Philippe-Emmanuel de Ligniville et Henri de Lorraine, ce dernier n'ayant que 5 ans et demi. Le Souverain Pontife, désireux d'arrêter cette compétition, désigna Jean des Porcelets pour remplir la place vacante, le 26 novembre 1607. Il fut solennellement consacré par l'illustre cardinal Bellarmin, archevêque de Capoue, en l'église Sancta Maria délia Scala à Rome. Il gouverna l'évêché avec zèle et prudence et son épiscopat doit être rangé parmi les plus féconds. Jean des Porcelets transforma son clergé, introduisit la réforme dans de nombreux monastères, se ha d'amitié avec les plus grands noms de la Lorraine, avec ses ducs, ses artistes comme Callot, ses saints prêtres comme Pierre Fourier.

Abbé de Saint-Mansuy-lès-Toul, de Saint-Avold de Saint-Pierremont, il laissa partout où il passa une réputation de piété et de sainteté. Il mourut à Nancy le 14 septembre 1624, dans la quarantequatrième année de son âge et la dix-septième de son épiscopat.' Pierre Fourier pleura cet « ami très docte, de grand esprit, zélé es bonnes oeuvres et notamment à la réformation des ordres religieux ». II fut inhumé au collège des Jésuites de Nancy, devenu plus tard la paroisse Samt-Roch, aujourd'hui détruite. Son monument, oeuvre du sculpteur Bagard, existe encore.

Des cinq sceaux différents que nous avons rencontrés au cours de nos recherches, le premier est un sceau plaqué ; il se trouve sur un document du 30 juin 1616 et il existe sur la majorité des actes émanant de l'évêque (1). C'est donc le propre cachet de Jean des Porcelets de Maillane qu'il apposait sur tous les documents

(i) BIBL. NAT., Coll. de Lorraine, vol. 388, fol. 39 et ARCHIVES NAT., J. 979 pièce 45. Le sceau est mieux conservé sur cette pièce que sur la précédente. Il a été moulé par le service de moulage des Archives Nationales (cote Lorraine 1563), mais ce moulage pris sur le sceau plaqué, est presque invisible.


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officiels. La matrice n'existe sans doute plus aujourd'hui ; elle a peut-être été placée dans le cercueil du prélat à moins qu'elle n'ait été mutilée ou détruite pour éviter à des personnes peu scrupuleuses de s en servir.

Dans un cartouche ovale de style italien se trouvent les armes parlantes de l'évêque, au « pourcellet passant de sable ». A gauche on remarque la mitre dont les fanons sont invisibles et à droite une crosse, dont la volute est finement dessinée ; sur le tout, le large chapeau épiscopal orné de six glands. Il existe aussi — particularité assez frappante — trois angelots qui sont placés respectivement sous le chapeau, sous la crosse et sous la mitre. On pourrait penser qu'ils jouent là le rôle de ce qu'on appelle en style héraldique, les tenants, mais ceux-ci d'ordinaire accostent l'écu et nous croyons plutôt qu'ils figurent dans un but de décoration. Ils sont d'ailleurs bien conservés (1). Tout autour se trouve une légende dont les lettres un peu altérées sur l'exemplaire que nous avons examiné peuvent se rétablir facilement :

10. PORCELLUS D. GR. EPS. ET COMES TULL. S.R.I. PRIN.

Cette légende se lit Ioannes Porcellus, Dei gratia, episcopus et cornes Tullensis, Sacri Romani Imperii Princeps.

Le second sceau fait partie de la même collection de Lorraine (2) et se trouve sur un acte du 16 avril de la même année. Il diffère singulièrement du précédent par son contenu et sa forme. Très lourd et très grand, puisqu'il mesure 48 millimètres, il se rapporte également à notre évêque. Il n'a jamais servi au tabellionage de Toul, malgré les assertions de certains historiens. Il possède des particularités spéciales et se rapproche d'un fer de reliure dont nous parlerons tout à l'heure. De couleur noire, il porte naturellement les armes parlantes du prélat, surmontées cette fois non du chapeau épiscopal, mais de la couronne comtale. Au-dessus et posée en pal, on trouve d'abord la mitre, puis la crosse dont on ne voit que la volute tournée à gauche, celle-ci d'ailleurs empiétant sur la légende. Sur le fond on distingue très nettement l'aigle éployé à deux têtes du Saint-Empire qui occupe tout le sceau.

(i) CHARLES ROBERT, Sigillographie de Toul, planche XVI, n° 42. L'auteur donne une reproduction de ce cachet, mais il a enjolivé la figure en dessinant, au lieu d'angelots, des têtes de vieillards.

(2) BIBLIOTHÈQUE NATIONALE, Collection de Lorraine, vol. 38S, fol. 40. Sceau moulé aux archives nationales (cote Lorraine 1564).


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Pour peu qu'on connaisse les armes, on connaîtra vite le nom et les. titres.

Le sceau ci-dessus décrit a un seul défaut ; la légende n'est pas très visible et nous sommes arrivés à lire deux mots ainsi que le début du troisième :

ET COMES TUL...

Il est légitime de supposer que la légende entière est la même que la précédente. Au revers on trouve une marque ronde, l'empreinte digitale du prélat, fait rare à cette époque, mais beaucoup plus fréquent aux XIIIe, XIVe et XVe siècles. De toute façon, je ne crois pas que ce sceau ait appartenu au tabellionage épiscopal, car on devrait au moins y lire le mot CuRIA. Or, bien que la légende soit détruite, il est impossible de le placer, en même temps que les trois mots déchiffrés.

"Ce sceau est par conséquent beaucoup moins commun que le premier et nous l'avons rencontré trois ou quatre fois au cours de nos recherches, il présente des particularités intéressantes, mais la disposition en pal de la mitre et de la crosse n'est pas rare. Elle se trouve sur d'autres sceaux du prélat et sur un plat de reliure.

Nous devons signaler aussi un troisième sceau qui se trouve appendu à une charte pour l'Empereur Rodolphe, datée du 24 septembre 1611. De couleur rouge, il est suspendu à un lac en parchemin et a malheureusement été brisé dans le cours des ans. Ce sceau aussi grand que le précédent est très facile à décrire. Il porte, dans le champ, sous une couronne comtale et le chapeau à six houppes, l'écu de l'évêque. La légende a également disparu ; on lit seulement IN...

Ces deux lettres sont vraisemblablement la fin de l'abréviation du mot PRINCEPS que l'on trouve dans la légende du premier sceau décrit. Ce qui est intéressant aussi, c'est le contre-sceau de 38 millimètres qui porte les mêmes dessins que précédemment (1). Il manque toutefois la crosse et la mitre, mais nous avons constaté que les prédécesseurs de notre prélat usaient du même procédé. II existe enfin un petit cachet ovale de 11 mm. sur 14 mm, qui servait à cacheter les lettres personnelles de l'évêque. II s en ren.

ren. BIBLIO. NAT., Coll. de Lorraine, vol. 333, fol. 19. Sceau décrit par CHARLES ROBERT dans la Sigillographie de Toul, p. 120 et planche XVI, n° 43.


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Reliure aux armes de Jean des Porcelets de Maillane, évêque et comte de Toul,

(Bibliothèque de Saint-Dié)


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contre deux variétés ; dans la première l'écu aux armes est entouré de feuilles d'ache et de fleurs de lys alternées, la mitre et la crosse étant posées de chaque côté ; dans la seconde, l'écu est surmonté d'une couronne comtale à cinq perles et d'un chapeau à six glands.

A côté des sceaux, il faut mentionner les prix reliés aux armes de Jean des Porcelets. Nous en connaissons deux, datés de 1611. Le premier se trouve aujourd'hui à la Bibliothèque de Nancy; il est intitulé : Joann. Pétri Maffei... Historiarum indicarum libri XVI. Le fer de reliure mesure 100 X 80 mm. A l'intérieur d'un ovale, on voit « un cartouche de style renaissance, chargé d'un écu aux armes avec chapeau à six houppes ; au-dessus le monogramme du Christ ; au-dessous de l'écu un rameau de laurier et une palme sont posés en sautoir. Plus bas encore un monogramme formé des lettres P.M.E.C.T. couronne et crosse en pal » (1). Les lettres en question signifient Porcelletus Maillanae Episcopus et Cornes TuIIensis. Ces armes se trouvent sur un livre donné en prix — c'est ce qui explique la présence du rameau de laurier—à l'Université de Pont-à-Mousson que Jean des Porcelets chérissait tout particulièrement puisqu'il en avait été l'élève. Ce qui paraît étonnant c'est l'absence de la mitre remplacée ici par la couronne comtale. Le cas est peu commun, mais l'évêque a voulu rappeler ainsi son titre de prince du Saint-Empire auquel il semble tenir.

Un second prix aux armes du prélat se trouve à la Bibliothèque de Saint-Dié et il a été également décrit- par M. G. Baumont dans le Bulletin déjà cité. Les plats de la belle reliure en veau qui l'habille sont ornés d'une large dentelle. Le milieu est décoré de feuillages et d'un semis de fleurettes. Le titre de l'ouvrage est Isaaci Casauboni animadversionum m Athenaei dipnosophistas libri XV... Lugduni apud Antoneum de Harsy, MDC. Le testimonium manque. Avant d'entrer dans les fonds de la ville de Saint-Dié, il avait appartenu au Grand Séminaire de cette ville (2).

Ces cinq livres de prix aux armes des Porcelets de Maillane sont les seuls que nous connaissions aujourd'hui. Où sont passés les

(i) MAHUET ET DES ROBERT, Répertoire des ex-libris lorrains, Nancy, 1906, t. I, p. 85-86. Voir aussi FAVIER, Nouvelle étude, o.c, p. 415 et planche 9.

(2) La reproduction qui illustre cet article est extraite de l'ouvrage : Saint-Dié et ses environs. Variétés iconographiques, par MM. G. Baumont et A. Pierrot (notice de G. Baumont).


- 124autres

124autres Peut-être en reste-t-il encore un ou deux dans des collections privées ? C'est tout ce qu'on peut espérer. Le plus grand nombre a subi des sorts différents. Les uns — comme cela arrive souvent pour les livres ou les manuscrits — ont été brûlés par des gens qui en ignoraient hélas ! la valeur ; les autres ont été détruits pendant la Révolution.

Henri TRIBOUT.

Note du Bulletin.

Le nouvel ouvrage de M. Henri Tribout : Un grand réformateur lorrain au XVIIe Siècle : Jean des Porcelets de Maillane (1581-1624), traite d'un sujet qui semble, à prime abord, très aride :

Tirant le meilleur parti de multiples sources, il nous présente une oeuvre magistrale : la vie de Jean des Porcelets de Maillane, évêque et comte de Toul (16081634), prince du Saint Empire, abbé de Saint-Mansuy, Saint-Pierremont et SaintAvold. Non seulement, M. Tribout étudie la biographie fort attachante de ce prélat d'ancien régime qui refusa de prêter serment à l'Empereur pour reconnaître le roi de France, mais il donne une histoire complète quoiqu'abrégée des réformes religieuses entreprises en Lorraine à cette époque : bénédictins avec Dom Didier de la Cour de la Vallée, chanoines de Saint-Augustin avec Saint-Pierre Fourier (dont il fut l'ami) ; norbertins avec Servais de Lairuels ; chanoinesses de SaintAugustin avec la mère Alix le Clerc, chanoinesses de Remiremont avec Catherine de Lorraine.

C'est un ouvrage remarquablement imprimé et illustré qu'on voudra posséder dans sa bibliothèque et qui sera rare dans quelques années.

(Metz, Frentz, 37, rue Mazelle. Tirage à 145 exemplaires).


Eugène MATHIS

poète et écrivain régionaliste, sa vie et son oeuvre

Conférence faite le 27 février 1938 par M. Victor Lalevée, Président du « Comité Eugène Mathis », sous les auspices de la Société Philomatique Vosgienne.

Le 20 octobre-1933, un long cortège funèbre se déroulait par les rues de Fraize, conduisant au champ du repos M. Eugène Mathis, directeur d'école honoraire, écrivain et poète régionaliste, enfant du pays, décédé après un long et douloureux calvaire dans une clinique de Nancy, qui, selon son ultime désir, venait « mêler sa cendre à celle de ses aïeux ». Par un beau matin ensoleillé, sous le ciel voilé de l'automne, dans un cadre d'une mélancolique douceur digne du poète qu'il était, il s'en alla, effacé et discret comme il avait vécu. Aucun adieu verbal ne lui fut adressé : modeste jusqu'au bout et comprenant ttoute la vanité des manifestations oratoires devant une tombe, l'homme de lettres ne l'avait pas voulu. L'unanime sympathie de ses compatriotes lui suffisait.

Douloureusement ressentie par les lettres lorraines, cette perte fut non moins cruelle aux nombreux et fidèles amis de l'écrivain et laissa un vide profond dans le coeur de la population rurale et industrielle d'une cité que son amour de la terre natale, son dévouement aux travailleurs des champs et de l'usine lui avaient attachée.

« C'est une belle figure qui vient de nous quitter ! », lisait-on, au lendemain des obsèques, dans la feuille locale dont il avait été dix ans durant, le meilleur collaborateur.

Droit comme sa conscience, Eugène Mathis évoquait, dans sa physionomie et sa démarche, quelque chose de l'âme antique. Sous le large front du penseur, s'abritaient des yeux intelligents et vifs, une bouche souriante. Une pose méditative, un air de sérénité et d'accueillante bonté, retenaient le regard, imposant à la fois la confiance et le respect.

Ouvrant largement sa porte et son coeur à tous, Eugène Mathis ne comptait à Fraize que des obligés et des amis : dans les fonc-


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tions délicates de suppléant du Juge de Paix qui lui furent confiées, n'avait-il pas été le « bon juge » qui s'efforce de concilier les différends et trouve, dans sa conscience, autant que dans le code, les solutions équitables ?

Une telle mémoire devait-elle tomber dans « la nuit sombre » de l'oubli ?. Les amis et admirateurs de l'écrivain ont pensé que le nom de celui dont l'oeuvre fut un hymne d'amour au pays natal, méritait d'être légué aux générations futures. A leur demande, le Conseil municipal de Fraize, dans un geste qui l'honore, décidait de perpétuer le souvenir de notre regretté concitoyen en donnant son nom à la rue où il avait sa demeure.

Cette rue se situe en plein centre des affections du poète, proche ces rives de la Meurthe où il aimait se recueillir et méditer, en vue du vieux clocher dont il chanta les voix et de l'école de son enfance, face à sa maison paternelle accrochée au coteau ensoleillé de la Beurée. Les plaques inaugurées solennellement le 29 août dernier, dans une cérémonie présidée par M. Paul Elbel, député de l'arrondissement et M. René Martin, Inspecteur d'Académie des Vosges, portent cette inscription :

« Rue Eugène Mathis,

« Ecrivain et poète lorrain,

« Enfant de Eraize. »

Enfant de Fraize ! le titre qui lui était le plus cher.

Ancien élève d Eugène Mathis dont je devins plus tard le collègue, dont il m'a été donné le privilège d'être le confident et l'ami, — oserai-je dire le disciple — j'ai, ce jour-là, apporté à sa mémoire l'hommage affectueux et fidèle du « Comité Eugène Mathis », petit cercle des vieux amis du poète, qui s'est donné pour tâche de garder et de faire revivre son souvenir.

C'est dans le même pieux sentiment que j'évoquerai ici l'homme et son oeuvre :

Eugène Mathis est né à Fraize, le 7 septembre 1864, aîné des sept enfants d une de ces familles paysannes de vieille souche vosgienne, pauvres et besogneuses, mais bien unies dans l'amour du travail, le culte du devoir.

Dès la prime enfance, un amour profond, irrésistible du sol natal a conquis le petit paysan de la Beurée. Ce sentiment domi-


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nera toute sa vie ; il est à la source de sa vocation poétique et littéraire.

Le murmure berceur des fontaines, la chanson flûtée du vent dans les pins, le gazouillis des oiseaux sous la ramure ont parlé à son âme. Le moutonnement des cimes, la sérénité des soleils couchants sur la montagne, le verdoiement des prés et de la forêt, la ciselure et le coloris des fleurs, la splendeur des moissons blondes, les neiges immaculées, tous ces spectacles magnifiques et variés sur lesquels s'égarent trop souvent des yeux indifférents ont touché ses sens dans leurs fibres les plus secrètes. La poésie de la nature a suscité le poète qu'il sera toute sa vie.

Une vieille grand'mère a saturé son imagination émerveillée des récits d'antan : fiauves, légendes, histoires de sorciers. L'aïeule

... « tout en filant sa blonde quenouillée,

«■ De ses vieux souvenirs dévidait l'écheveau ».

Ces souvenirs, la mémoire de l'enfant les recueille avec ferveur. Ainsi s'explique la place que tiendront dans l'oeuvre d'Eugène Mathis les survivances du passé.

« Son instituteur — écrit-il dans un roman autobiographique resté inédit — était un de ces maîtres de la vieille école qui ne concevaient leur rôle d'éducateur que comme un apostolat ». J'ai nommé M. Joseph Colin, ancien directeur d'école à Fraize, décédé à Saint-Dié, en 1912, qui fut aussi mon maître. Le premier il devina que, sous la rude écorce de son élève, se cachait un coeur sensible qui n'attendait pour s'éveiller que des soins plus attentifs.

Bien vite, au contact de l'école, le petit rustre s'est affiné ; le goût de l'étude lui est venu.

« Dans sa fringale de savoir, il lisait tout ce qui lui tombait sous « la main. Et comme les travaux de la campagne lui prenaient « souvent toute la journée, c'était le soir et bien avant dans la nuit « qu'il se livrait à ses chères études.

« Son plus grand bonheur était de s'isoler dans les bois et, là, « de donner libre cours à son imagination. La poésie des saisons, « le charme des beaux soirs où chantaient les cloches, l'ivresse des « grands horizons exaltaient sa jeune âme ».

Dès cette époque, il taquine la muse.

Plus qu'aujourd'hui, la vie était, à ce moment, dure aux humbles.


- 128Avant

128Avant son maître s'était rendu compte que toutes les aptitudes qu'il avait découvertes dans cet élève de prédilection trouveraient toujours, dans la pauvreté originelle, un obstacle à leur libre épanouissement. Ne pouvant faire plus et mieux pour lui, il lui conseilla d'embrasser la carrière de l'enseignement vers laquelle le désignaient les qualités du coeur.

Cette carrière n'est-elle pas, comme celle du prêtre — qu'il songea un moment à embrasser — une sorte de sacerdoce ? Y entrer, c'était en outre pour le jeune homme ne pas se fermer l'avenir, garder l'espérance de parfaire ses chères études pour donner un jour libre cours aux pensées qui bouillonnaient en son cerveau.

D'abord instituteur adjoint à Saint-Dié, il revient à Fraize en 1884. C'est une des fiertés de ma vie d'avoir été alors son élève : de tous les éducateurs de mon enfance et de ma jeunesse, aucun n'a laissé une emprise plus profonde sur mon esprit et dans mon coeur. Plus d un demi-siècle s'est écoulé et je l'entends encore nous lire de sa voix lente aux inflexions caressantes « La Voulzie » d'Hégésippe Moreau, « La jeune captive » d'André Chénier, « Les adieux à la vie » de Gilbert, les poèmes de Brizeux ou de Theuriet, ouvrant nos jeunes âmes à cette poésie rustique qui nous entourait sans les pénétrer.

Une nomination d'instituteur titulaire dans un hameau de la montagne arrache à sa classe ce maître d élite. Puis il est envoyé dans la plaine du département, laissant partout le même souvenir d'un éducateur de haute valeur soucieux d'élever la jeunesse dans le culte du beau, la religion du bien. Entre temps, il se marie, fonde un foyer.

Ces années d'absence seront, pour le montagnard qu'il est resté, des années d'exil. Là où les hasards de la vie errante du fonctionnaire ont conduit ses pas, toujours il s'est considéré comme un déraciné. Quelle joie quand il peut s'en évader un moment pour revenir saluer nos sapins ! Avec quelle ferveur, il lance ce cri d'amour : « Dje dâraîe lo rehhe do monde po Bûraîe ! » (Je donnerais le reste du monde pour ma Beurée !)

Absente à ses yeux, la terre natale est toujours présente à son coeur. Dans les rares loisirs que lui laisse la tâche absorbante de 1 instituteur-secrétaire de mairie, il butine dans ses souvenirs


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d'enfance, les note, les classe et rassemble les éléments d'une moisson littéraire qui s'annonce riche et fertile.

En 1896, « l'Anthologie des instituteurs poètes » l'accueille en ses pages. Premier prix de poésie au Concours des « Poètes de Clocher » organisé en 1907 par « les Annales politiques et littéraires » pour son sonnet « Pays Vosgien », il obtient l'année suivante le premier prix de prose au concours de « l'Herbier des légendes de France » pour son « Moulin de Fraize ».

Dès 1904, date de sa fondation, il a collaboré régulièrement au « Pays Lorrain », revue régionale fondée par Charles Sadoul.

Vient enfin, en 1923, le terme d'une belle carrière enseignante, longue de plus de quarante ans, commencée en 1882 aux temps héroïques des lois Jules Ferry sur la laïcité.

Ecoutons Eugène Mathis évoquer « le Grand Vosgien » dans une lettre écrite à l'occasion du cinquantenaire de l'école laïque :

« Mêlé à la foule, j'ai maintes fois vu passer celui que l'avenir « devait saluer comme le plus grand génie de sa génération. C'est « ainsi, qu'à l'occasion de je ne sais plus quelle fête, le 10e Bataillon « de chasseurs à pied, qui tenait alors garnison à Saint-Dié, avait « pris les armes. Lorsque Jules Ferry parut, les clairons sonnèrent, « les soldats présentèrent les armes et les acclamations de la foule « éclatèrent. Cet hommage de sa ville natale à celui qui dirigeait « alors les destinées de la nation était si impressionnant que j'en « ai gardé un profond souvenir. Je revois encore celui qui en était « l'objet s'en allant par les rues pavoisées, l'air apparemment « impassible sous son buste puissant de Vosgien, le pas assuré « au.milieu de ses amis émus et enthousiastes. Ainsi je l'ai vu, « tel je l'ai retrouvé plus tard sur cette même place, mais « figé dans le bronze immortel ».

Belle conscience professionnelle, Eug. Mathis fut aussi un exemple de loyalisme républicain et je dois dire ici que si l'oeuvre de laïcité a survécu à son fondateur, elle le doit, pour une bonne part, aux humbles maîtres d'école, fidèles comme lui à l'esprit de Jules Ferry, et pour lesquels la neutralité scolaire n'est que l'expression d'une large tolérance dans le respect de toutes les consciences.

« Après avoir, trente ans, traîné ma nostalgie, « Je regagne vieilli mon agreste patrie ».


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La soixantaine va sonner quand Eugène Mathis rentre à Fraize, à l'endroit retenu d'avance dans la vallée, bien en face de la maison paternelle. Il va réaliser enfin le rêve de toute sa vie, chanter les beautés du pays fraxinien, faire revivre sous sa plume l'existence rude et besogneuse, souvent traversée d'éclairs tragiques, qui fut celle de nos ancêtres, recueillir les contes qui bercèrent son enfance paysanne, les vieilles légendes et les traditions du terroir, tous les souvenirs locaux qui marquèrent si profondément son esprit doué du don rare de sentir et de s'émouvoir.

C'est en cultivant ses fleurs, en taillant ses rosiers qu'il va composer feuille par feuille ses ouvrages tout imprégnés de suc champêtre.

Un moment, des amis rêvant pour lui de l'écharpe municipale, ont voulu le lancer dans la politique. Après avoir longtemps résisté, il finit par céder. Sa liste échoue aux élections. Personne n'en est plus heureux que l'intéressé : « Les électeurs, me disait-il, ont été « bien plus sages que moi ; ils m'ont rendu un fier service en me « renvoyant à mon jardin et à mes livres. Quand je pense que j al« lais manquer la floraison des cerisiers, perdre les jouissances « de ce beau mois de mai, je les bénis de m'avoir épargné l'escla« vage qui m'attendait » !

L'atmosphère est propice à l'inspiration : « Mon premier regard « du matin — écrit-il dans ses notes intimes — est toujours pour « le paysage familier où ma jeunesse a tenu. Au fond, le Lange, « couronné de pins et, sur les pentes, le hameau cher à mon sou« venir. Plus bas encore, I école où j'appris à vivre et le lieu de « repos où dorment les chers morts que j'ai connus à l'âge des « illusions. Enfin, devant moi, le Meurthe dont la chanson a bercé « mes premiers rêves ».

De ce décor rustique devait sortir l'oeuvre abondante et variée qui place Eugène Mathis au rang des meilleurs écrivains lorrains. A côté du poète délicat, du nouvelliste, du romancier, le folkloriste y tient une place de premier plan.

La prédilection du coin natal s'affirme jusque dans le lieu de l'édition. C est à Fraize que sont édités ses quatre premiers ouvrages ; à Saint-Dié et à Nancy que paraissent les autres.

Son premier recueil : « Contes d'Ennsequan », fleurant bon le


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passé, date de 1924. Il est aujourd'hui rarissime et fait prime chez les bibliophiles.

1925 voit éclore l'oeuvre maîtresse, un roman historique « Les Héros, Gens de Fraize », épisode de l'invasion suédoise pendant la Guerre de Trente ans, qui rappelle, par plus d'un endroit, « Le Fou Yegoff » d'Erckmann-Chatrian. Eug. Mathis y conte la résistance qu'opposèrent aux envahisseurs, les bûcherons et les paysans de la vallée. Aux tableaux de misère et de massacre d'une couleur parfois violente, aux scènes d'idylle se mêlent de curieuses évocations de la vie au village et dans les mines de La Croix au commencement du dix-septième siècle. Le livre vaut à I auteur — outre les appréciations flatteuses des grands noms de la littérature lorraine : Christian Pfister, Robert Parisot, Emile Hinzehn, René d'Avril, Charles et Louis Sadoul — le prix annuel décerné en 1926 par la Société Erckmann-Chatrian. Ce prix fut remis au lauréat par le maréchal Lyautey qui tint à féliciter chaleureusement son compatriote lorrain ; celui-ci fut par la suite l'hôte du maréchal à Thorey où il avait été convié. Leurs relations d'amitié ne devaient prendre fin qu'à la mort de l'écrivain.

Puis c'est la haute consécration de l'Académie française qui couronnait « Les Héros, Gens de Fraize » d'un prix Monthyon.

« Le Câli d'Our », drame-féerie, à la manière de « Mireille », est aussi de 1925. L'auteur a réalisé ce tour de force de concevoir et d'exprimer en rimes patoises un texte dont il donne la traduction en vers français. Ce patois qu'il a su assouplir aux disciplines de la versification atteint souvent à la véritable poésie :

« Ségaire, il a haut jo !

« Lo feu fieure le taque,

« Lo moli que tictaque

« E réwai lo slo ;

« Le hadau que devalle

« Fait resliner se chhalle,

« Su l'euh po lo coirail

« Lis femmes vot s'echlaire,

« Ça l'hure do réwail.

« — Te dreumes, bie ségaire ! »


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Bien pâle, la traduction en vers français qui ne saurait rendre le rythme, ni le ton :

« Sagard, voici le jour !

« Le feu fleurit la taque,

« Le moulin qui tictaque

« Se ranime à son tour ;

« En s'évadant l'aumaille

« Fait tinter sa sonnaille ;

« Sur la porte au soleil

« Se rassemblent les vieilles,

« C'est l'heure du réveil,

« — Beau sagard tu sommeilles ! »

D'année en année se succèdent les productions du maître :

« Contes et fiauves du pays vosgien » (1926) en patois avec traduction française où s'épanouit dans toute sa sève la verve malicieuse de ceux qui fréquentent « loures » et « couarails ».

« Nouveaux contes lorrains » (1927) recueil d'histoires joliment écrites, les unes appelant la gaieté et le rire, d'autres profondément émouvantes, dans leur simplicité.

« Fables et apologues modernes » (1928) qu'un critique autorisé a pu comparer aux fables de Florian.

« La fille du diable » (1929), roman vosgien préfacé par Charles Bruneau, professeur en Sorbonne. Là revivent, groupées autour d'une délicieuse idylle dans le cadre des fameuses mines de La Croix, les curieuses superstitions du passé et les pratiques de la secte des anabaptistes. Autour de ses personnages, l'auteur a su créer une telle atmosphère de surnaturel, une telle ambiance qu'on se sent transporté avec eux en pleine magie.

« Le Lexique des patois de la Haute-Meurthe » honoré de subventions du Ministère de l'Instruction publique et de la Société Philomatique Vosgienne qui lui a fait place dans son Bulletin. Que de labeur, que de patience il a fallu pour édifier ce travail de bénédictin qui fixe pour l'avenir le parler local reconstitué sous sa forme primitive !

« La Forêt Vosgienne » recueil de poésies était conçue lorsque la mort vint briser la lyre du poète.


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Avait-il déjà ressenti les atteintes du mal qui le minait depuis de . longues années, quand il élevait cette supplication ardente ?

« Devant l'étendue de l'oeuvre nouvelle qui me sollicite, je te « prie, ô Dieu ! qui m'as départi si peu de beaux jours, donne« moi le temps, laisse-moi la force de lier ma gerbe, une gerbe « encore tant que sur mon <■<■ meix » les bouquets rustiques des « vieilles légendes, épuisant leur sève, livreront au vent l'enivrant « parfum qu'exhalent leurs pâles corolles ».

La mort de l'affectueuse et compréhensive compagne de sa vie survenue au printemps de 1932 devait précipiter sa fin : « De « jour en jour, écrit-il aux siens, l'absence de la chère disparue se « fait plus douloureusement sentir. La pensée de celle qui n'est « plus ne me quitte guère et la souffrance que j y éprouve m est « chère ».

Stoïque et résigné, le poète s'éteignit doucement, laissant inédite une oeuvre considérable.

Des mains mourantes du père un fils pieux a recueilli le flambeau.

Après « La Forêt Vosgienne », publiée en 1934, il vient d'éditer « Aux Champs de Fraize », recueil de poésies sur le pays fraxiniên et la ligne bleue des Vosges. Eug. Mathis qui l'a dédié à la mémoire de son ancien maître y chante en termes émus et délicats sa vieille école, les cloches de son village, les travaux de la culture, la ferme paternelle et ses animaux familiers, les monts et la rivière.

D'autres volumes suivront. Il y a quelques mois la « Gazette Vosgienne » donnait en feuilleton « L'Héritière des Spiizemberg » roman historique inédit qui retrace la page la plus émouvante de l'histoire révolutionnaire à Saint-Dié.

Ainsi se continue la mission de l'écrivain trop tôt disparu et le monde littéraire porte toujours à ses productions le même intérêt, témoin le prix de poésie Hippolyte Roy décerné à titre posthume en 1935 à l'ensemble de son oeuvre par l'Académie lorraine de Stanislas.

Arrêtons-nous ici pour donner quelques pages d'Eugène Mathis.

A ce moment, M. Léon Monnier déclame la poésie : La ligne bleue ; à la fin de la séance, il lira une autre poésie du Maître : La vache, qui laissera l'auditoire sous l'impression de l'émotion la plus intense.


- 134Puis

134Puis lieu la lecture, par M. Lalevée, du délicieux conte en patois : In vouiègê è Péris. Après en avoir donné la traduction française, M. Pierrot fera connaître à l'auditoire : Le moulin dé Fraize, premier prix de prose au Concours de l'Herbier des Légendes, organisé en 1908 parles Annales politiques et littéraires.

Est-ce bien à moi d'analyser l'oeuvre du maître ? C'est en me réclamant de l'indulgence dont il était si prodigue envers les apprentis des lettres que j'ose me le permettre non sans présomption.

Ce que fut sa formation littéraire ? Il va nous le dire lui-même dans une lettre inédite : « Fils de paysans, resté paysan, je n'ai « jamais fréquenté que l'école primaire. C'est dire que si j'avais « pour la littérature quelques dispositions, elles n'ont jamais été « influencées — je n'ose dire déformées — par le commerce avec « les auteurs grecs et latins et à peine par ceux de France. Est-ce « un bien ? est-ce un mal ? Je ne m'en suis jamais inquiété. Je « suis donc un produit du cru ».

Produit du cru !... N'est-ce pas le mot juste puisque seul l'amour passionné du terroir natal a créé chez Eug. Mathis l'idéal qui alimente et illumine son inspiration ?

Dans une de ses meilleures pages, celle qui préface les « Nouveaux Contes lorrains », l'écrivain nous révèle le sens de sa vie en une allégorie d'une signification profonde sous des termes d'une élégante originalité : « J'eus en héritage un « meix » très étroit, mais « bien au soleil... Ma bonne grand'mère y semait sans cesse, se« mait à pleines mains, non point de ces fleurs brillantes qui or« nent le jardin des riches, mais d'humbles bouquets tels que ceux « qui, chez nous, poussent dru au sein humide des bôles, le long « des rupts, au fond des hagis et sur les fourrières...»

Ce meix symbolique, les dures nécessités de la vie n'ont pas permis la culture florale à laquelle il était destiné : « Quarante « ans passés, du mieux que j'ai pu, j'ai, d'un coeur vaillant, labouré « mon champ, étouffant les fleurs, semant le bon grain... Les « temps sont venus où mes bras lassés se sont refusés aux mois« sons utiles... Et sur cette terre, j'ai vu, ô merveille ! les touffes « enfouies des bouquets anciens reprendre vigueur, les vieilles « semences jetées par l'aïeule s'éveiller au souffle d'un printemps « nouveau. Les germes partout ont percé la glèbe... La moisson « promise à l'enfant s'offre maintenant au vieillard... Et j'ai, tout


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« joyeux, repris ma faucille pour mettre en javelles ces fleurs sans « valeur et pourtant sans prix...»

Simple comme les oeuvres de la nature qui l'ont inspiré, coulant, limpide, telles les eaux vives de nos ruisseaux, le style d Eugène Mathis se pare d'une clarté, d'une concision toutes vosgiennes qui en rendent la lecture facile, le charme prenant. Le ton qui reste grave — parfois teinté d'une pointe de mélancolie — n'exclut pas l'humour ni la saine gaieté.

Simple aussi est la trame du récit : aux situations artificielles et compliquées créées par l'imagination maladive de tant de romanciers modernes, il préfère le vécu. Sous sa plume le vrai est toujours vraisemblable.

Comme romancier populaire, Eugène Mathis s'apparente de très près à Erckmann-Chatrian ; ses scènes champêtres, ses poèmes rustiques ont la fraîcheur, la finesse de notation d'André Theuriet, ses portraits, ses traits de moeurs, la vigueur de touche d'un Balzac ; les nouvelles lorraines où il excelle, la grâce et la saveur des pages de Moselly. Toujours, en prose comme en vers, la sensibilité délicate de l'écrivain marque son talent d un cachet d'originalité qui n'est qu à lui.

Peut-on lui faire grief d'avoir écrit en patois une partie de son oeuvre ? Ce serait ignorer que le patois fut le premier parler de son enfance, comme il avait été, pendant des siècles, I unique langage de nos aïeux.

Qu'est-ce que le patois ? Un dialecte ancien, particulier à une région et ce n'est pas sans raison que le français, dialecte provincial à l'origine, a pu être appelé le patois de l'Ile-de-France.

II y a cette différence que le français primitif, cultivé, amélioré, affiné par le commerce des hommes et la plume des écrivains, est devenu une langue nationale riche de mots et d'expressions, alors que le patois, confiné dans les limites étroites de la province ou de la région, n'est, suivant l'expression même d'Eugène Mathis, qu'« un sauvageon négligé ».

Mais tel quel, ce pauvre patois n'en a pas moins traduit, durant des siècles, la pensée de nos pères. L'écrivain a voulu montrer qu'il n'est pas, selon l'opinion commune, un idiome barbare que son vocabulaire restreint et vulgaire rend impropre aux spéculations de l'esprit, mais qu'il constitua pour nos pères un merveil-


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leux instrument d'expression ayant ses finesses, ses nuances et capable, dans sa gaucherie, de rendre, sous une forme originale, des pensées profondes et de nobles sentiments. Il a voulu surtout sauver de l'oubli le patois qui se meurt.

Ce que je déplore avec Eug. Mathis, ce n'est pas tant la disparition de notre vieux patois, conséquence logique du développement de l'instruction dans les campagnes, que ce jargon ridicule cher à certains écrivains régionalistes, qui n'est ni du patois, ni du français et déshonore l'un et l'autre.

Il faut être patoisant soi-même pour goûter pleinement les poèmes et contes patois du maître dont la meilleure des traductions ne saurait rendre la grâce rustique et le charme savoureux.

Ajouterai-je que les philologues donnant raison à Eug. Mathis ont compris tout l'intérêt qui s'attache à l'étude des patois locaux, ancêtres du français, et dressé le plan d'une vaste enquête afin d'en établir l'inventaire, contribution précieuse à l'étude de notre langue ?

Ici je ne résiste pas au plaisir de citer cette image exquise du maître à propos de son « Côli d'Our » : « Je le comparerais volon« tiers, disait-il, à une bourse où l'on conserve de vieux sous. « Ils ne peuvent plus servir, mais, de temps à autre, on ouvre la « bourse et on regarde avec curiosité ces jetons usés aux doigts des « aïeux. Et il me suffit qu'un savant trouve plaisir à y fouiller pour « m'engager à continuer ».

Rien dans les ouvrages d'Eugène Mathis de ces publications à la mode, où, trop souvent, le vice se présente sous des dehors séduisants qui lui prêtent l'apparence de la vertu.

Eloignés de toute prétention et de toute recherche, les écrits du maître fourmillent de traits d'esprit local. Il s'en dégage une philosophie douce, souriante, humaine, profondément pitoyable aux déshérités qui se fait parfois sévère et flagelle vigoureusement les vices du siècle tout en restant impartiale et tolérante. A chaque page se retrouve le psychologue avisé, l'observateur sagace, l'écrivain soucieux toujours d'élever la pensée du lecteur.

Sachons gré à Eug. Mathis d'avoir exalté l'amour de ce pays natal pour lequel il professait un véritable culte. Ce patriotisme de clocher, si l'on peut dire, n'est-il pas — l'histoire l'a prouvé — une des formes les plus agissantes du patriotisme tout


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court ? Je n'en veux pour témoignage que les héros vosgiens tombés si nombreux pendant la Grande Guerre :

« Combien de ces chaumières « Aux paisibles courtïls « Pour la guerre dernière « De beaux gars sont partis ! « Combien la mort cruelle « Est Venue en toucher « Gardant dans leur prunelle « L'image du clocher » !

Gardons à l'écrivain notre reconnaissance d'avoir recueilli le précieux patrimoine de contes et de légendes légué par nos grand'mères comme un reflet de l'esprit des aïeux ! Qu'il soit loué d'avoir célébré les vertus de la race paysanne :

« Dans notre peuple se reflète «Ta vertu, courageux sapin « Qui vas battu de la tempête « Et sous chaque coup du destin, « Courbes, puis relèves la tête, « Prêt à reprendre ton chemin ».

II est bon qu'à côté de la vie plus facile de nos jours se dresse le tableau des misères, des terreurs, des injustices qui courbaient nos pères. Il est bon que pour bien apprécier le présent, nous connaissions mieux le passé.

Extraits de l'oeuvre :

% Dans le désordre de la mentalité contemporaine où ceux qui écrivent prennent souvent leur idéal par en bas, un auteur de chez nous a eu cette belle témérité d'édifier, avec les pierres de son fonds, une oeuvre charmante qui ne contient ni drame, ni psychologie compliquée, ni thèse raffinée, ni stratégie amoureuse, ni rien de désordonné, d'extravagant ou de morbide. Pour construire sa maison, un traditionaliste comme Eug. Mathis ne pouvait employer de matériaux modernes. En est-elle moins solide ? Je la trouve, pour ma part, plus confortable et plus saine.

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« Etre soi-même » selon la formule de Gustave Flaubert, ce fut toute l'ambition littéraire de celui qu'on a surnommé « le barde de Fraize ».

Poète, conteur, historien, romancier, moraliste, Eugène Mathis a fait oeuvre fervente, oeuvre aimable, oeuvre utile. Il a bien mérité de la petite patrie. « Ce qui nous le rend profondément sympathi« que — a dit M. Emile Nicolas — c'est que tout ce qu'il a écrit « est consacré à son coin de terre, à sa montagne, à l'amour des « siens et de ses compatriotes. Il le fait sans s'inquiéter de la gloire « qu'il pourra en tirer ni de l'ingratitude de ceux qui le jalousent. « C'est un sincère et un juste » !

Victor LALEVÉE.


Un Sabbat au Moutier des Fées

Coutumes et vieille légende

de La Bresse en Vosges

Cris de joie lancés dans l'espace, durant cette belle après-midi d'arrière-saison où l'oreille perçoit, en même temps que la ritournelle vibrante de notre jeune vacher, le murmure lointain des clochettes de son troupeau. Tintement argentin mais combien monotone ! Puis, tout à coup, roulant en écho dans la vallée, cette mélodie bien rythmée.

Vers la Gesse, à Lambert-Xart, ferme aux fenêtres larges mais basses, s'ouvre une porte, et dans son encadrement, consultant la hauteur du soleil, une vieille dame paraît.

Déjà pliée en deux, les mains tremblantes, le visage tout « crapi » comme une pomme reinette au printemps. Une « cournette » blanche, sans dentelles ni fronces tuyautées, au fond pointu et légèrement relevé en corne, laisse passer quelques touffes de cheveux blancs. La « margolate » ou ruban de sa « coueffe » passe

(i) Il est trois heures, il est trois heures, il est trois heures, etc. c'est ce que ne manque pas d'annoncer à la ronde notre petit pâtre, lorsqu'il a reconnu la hauteur du soleil, celle-ci étant mesurée à la longueur de son ombre.


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sous son menton en galoche et vient aboutir, par un flot, sous son oreille gauche.

Vêtue d'une « quémisole » de toile bleue, sorte de corsage non ajusté, ne descendant pas plus bas que ses reins et ne tenant point à sa « cotte ». Cette dernière, antique jupon de nos paysannes, est plissée par le haut et à la ceinture. Des galoches basses, de cuir et à semelles de bois, chaussaient ses pieds. Une allure digne d une grand mère.

Elle rentre à l'intérieur et dit :

— Marie-Thérèse, voilà Nicolas proclamant trois heures. Comme demain c'est dimanche et qu'ensuite notre provision de farine s'épuise, voudrais-tu quérir un cuveau au moulin ?

— Oui maman, répond une jeune fille maniant un rouet délicatement tourné et aux « mouillottes » d étain.

Elle se lève... La lumière entrant à la fois par la fenêtre et par la porte, éclaire une créature un peu frêle, tendre et raffinée, au fin visage de brune : deux diamants brillent, yeux rieurs, gris, mais très doux, ombragés de longs cils.

Des dents nettes, bien rangées, blanches et brillantes, mises en valeur par une bouche aux traits bien dessinés et sur les lèvres desquelles se joue, confiant et heureux, un sourire d'enfant gâté.

Des cheveux bien entretenus, bien disciplinés. Sous ceux-ci on devine de mignonnes petites oreilles auxquelles, à chaque lobe, est pendu un petit anneau d'or. Grand luxe pour elle ! mais destinés surtout à la conservation de la vue.

Le col blanc tranche sur le bleu du « pabré ». Celui-ci, légèrement échancré, forme cadre à un cou fin, droit, émergeant d'épaules bien dégagées. Ce corsage sans manches, ce déshabillé est un plaisir des yeux ! Finement ajusté, serré par le lacet d'argent, il moule ses seins, modèle un torse mince.

Son corps, sans un atome de graisse, est revêtu d'une petite « cotte » de toile bleu foncé, très courte, bien ajustée aux hanches. Noué sur celles-ci, un joli « devanteu » (1) en dauphine la protège.

Le bas de sa « cotte » met à découvert ses mollets, ceux-ci, recouverts de bas de laine, dont l'épaisseur malgré tout, laisse devi(i)

devi(i) de soie.


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ner des chevilles fines. A l'extrémité de ses pieds, de mignons chaussons en « lainaigrette » (1).

Bref, un ensemble naturel, simple et gracieux tout à la fois. Un rayon de clarté, de soleil dans la grâce.

Marie-Thérèse jette un « moucheuil » (2) par-dessus son corsage, emprisonne ses cheveux bruns sous une « halette », ample coiffure dont les longs bords l'abriteront de l'ardeur du soleil.

Tout en ajustant son « cuveau » (3) sur son dos, elle chausse de minuscules sabots en érable, bien récurés et finement travaillés.

— Au revoir, maman.

Elle embrasse sa mère, qui lui rend son baiser.

— A bientôt petite. Rentre ayant la nuit, tes frères seront revenus de Munster.

— Oui maman. Sois tranquille !

— Prends de l'eau bénite.

— Non. Ce n'est pas la peine. Le chemin est sûr.

Vive et légère, sa marche dégagée ennoblissait sa petite jupe de toile, révélant la fine élégance de jambes hautes et minces. Déesse pleine d'assurance, de confiance en soi, d'optimisme dans la vie.

Marie-Thérèse, vers le « Droit » descend. Elle prend le « chemin du Paradis », long sentier rocailleux, escalier naturel.

Devant elle, tout là-bas, vers la vallée de la Moselotte, le soleil, encore dans tout son éclat, incendie de ses rayons les pentes pelées et sauvages du Moyenmont et des Hautes-Fouillées. Montagnes parsemées de moraines ressemblant à des digues, à des chaussées d'étangs.

Moyenmont ! Arête montagneuse haute de onze cents mètres, séparant la vallée du Chajoux de celle de Feignes-sous-Vologne.

Vallée du Chajoux, unique dans les Vosges ! Elle est formée par le Droit et les Hautes-Fouillées dont les rochers surplombants émergent de partout, au milieu des prés. Les champs et quelques vergers sont séparés, aux pentes de ces montagnettes, par des atolls de grosses pierres.

Vues des hauteurs de la Gesse ou de la roche des Bloqués, ces

(i) Herbe à laine.

(2) Fichu.

(3) Hotte en douves.


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murailles noires décrivent un feston sombre sur le vert des collines.

En longs rubans argentés, chantant sur des dalles de granit rose, dégringolent des ruisseaux bordés de noisetiers. Par-ci, par-là, des bruyères et des genêts, des arbres nains estompent de leur ombre les quelques sentiers grimpant en zigzag sur le flanc de ces montagnes.

Vallon profond et étroit, écrin ravissant où se blottissent les maisons échelonnées de La Bresse. Admirable tableau, toujours changeant et qui ravit chaque fois les yeux de Marie-Thérèse... « Qu'il est beau mon pays » pense-t-elle.

Mais un joyeux « ièlo » ! d'amitié retentit, parmi les sonnailles d'un troupeau.

Bien qu'elle ait reconnu la voix, notre futée, bien femme en cette circonstance, voulant qu'on persévère, ne répond pas.

Bientôt le chant reprend plus fort, plus vibrant dans l'espace éthéré.

(i) Ielo ! Thérèse, ielo I Tu es bien dédaigneuse (mot à mot : glorieuse) que tu ne me réponds pas « ielo ».


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Cette fois, la réponse féminine ne se fait plus attendre.

La fin du chant expire dans sa gorge, lorsque surgit, dévalant de dix mètres au-dessus, un vigoureux gaillard de trente ans, à la figure tannée, cuite par le soleil et les intempéries. Son visage intelligent respire le courage et la franchise. Il est si captivant, si sympathique cet homme !

— Don-de-Dieu. Lélèse ! (2)

— Bonjour Jean. Magda va bien, ton père aussi ?

— Oui Thérèse. Merci !

Une franche accolade réunit nos deux jeunes gens.

Tout en conversant, l'ami Jean saisit les cordons du « devanteu » de Marie-Thérèse. Taquine, d'un geste, elle le prie de cesser son jeu.

— Jehan démoure tranquille ! (3)

Obstiné, ou, sous l'influence d'un plan mûrement établi, Jean insiste et reprend son divertissement. A présent, Thérèse, émue, très désireuse de succomber, ne se défend plus : il défait le noeud du tablier.

— Finis Jean...! Tu me plais et je connais notre coutume.

— Merci Thérèse... Tes frères sont-ils de retour ? ■— Oui... Ce soir.

— Marie-Thérèse, puisque tu m'acceptes comme époux, demain dimanche mon père ira chez toi, demander ta main.

(i) Ielo ! J ean, ielo...

(2) Bonjour Thérèse !

(3) Jean reste tranquille !


- 144—

144— tu veux, nous sommes d'accord.

— Jean..., écoute ! José signale que tes vaches causent du dommage au pré voisin.

— Oh ! tu sais, le Gro-Jeugé exagère toujours. Il suffit qu'il me voie avec toi.

Mais la voix lointaine reprend, moqueuse, sur une note plus claironnante qu'auparavant.

— Jean...! Joseph se moque de toi... Quitte-moi ! Et mes amitiés à Magda.

— A bientôt Marie-Thérèse.

— Au revoir Jean.

Elle lui fait un signe de la main, et pensive, mais rayonnante de joie intérieure, poursuit son chemin.

Jean, avec l'agilité d'un singe, grimpe la colline, saute un rocher, puis disparaît aux yeux de la jeune fille qui se retourne.

*

* *

(i) O banbiyau ! (mot forgé en vue d'exprimer l'idée de ban... propriété communale mise en réserve), les vaches à dommage ! O banbiyau ! c'est le vacher qui les y garde !

(2) O banbiyau ! les vaches à dommage !

O banbiyau ! c'est le bon vacher qui les y garde !


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Arrivée aux Rives, près du « Trou Gounan », gouffre infernal, où se précipite, hurlante, sifflante, pressée de s anéantir dans les entrailles de la terre, l'eau d'une forte « goutte » descendant de la section, une surprise l'attendait.

Au bord du sentier, un homme surgit... Bouleversée dans ses pensées, mais combien étourdie, Marie-Thérèse oublie de faire son signe de croix... Fatalité !

Elle est si troublée qu'elle ne saurait observer cet homme étrange...

Grand, effilé comme une perche. Vêtu d'un habit écarlate galonné, d'une veste jaune et d'une culotte vert d eau. Sa tête aux yeux ardents et d'un gris d'acier, ressemble à celle d'un chien à oreille d'âne. Et comme couvre-chef ? Un bonnet rouge où percent deux cornes ! Sa peau est « gris de cendre », crevassée, couverte de boutons. Ses doigts sont crochus. Parfois, bien que cet individu la dissimule avec soin derrière son dos, une queue de bovidé apparaît.

Et ses pieds ! L'un est rond comme un pilon. L'autre fendu, semblable à un pied de vache.

Bwa sa, Mairie-Lélêse ! Et vou-ce que te vé si baie, si aidorable ? (1).

La pauvrette ne répond pas.

— Pwaula ai tô aimerou jukhqu'ai demain maiti ? (2)

En même temps, la gorge du curieux personnage se contracte, ses yeux, chargés d'éclairs concupiscents, expriment cette aspiration violente de posséder une chair vibrante et jeune, un désir qui le tient haletant, tout attisé par la prétention d'être satisfait sur l'heure... Et ses gestes ! Tous significatifs...!

— Cwo' khe-të mau-1-aipri ! Aîroguou ! Fi di Diaule ! (3) Thérèse disait vrai sans savoir.

— Lai peute bwayesse ! T'a mou diorioûse ! (4)

Notre jeune écervelée allait répondre, lorsque subitement,

une violente odeur de bouc monta, Marie-Thérèse s'enfuit et

presse le pas vers le moulin.

* * *

Quelques minutes s'écoulent, très longues pour Thérèse. Mais voici l'édifice du meunier.

(i) Bonsoir, Marie-Thérèse. Et où est-ce que tu vas si belle, si adorable ?

(2) Parler à ton amoureux jusqu'à demain matin ?

(3) Tais-toi mal appris ! Insulteur grossier et odieux ! Fils du diable !

(4) La laide fille ! Tu es bien dédaigneuse !


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Elle entre.

Un homme d'un certain âge pousse du seigle vers une meule.

Il interrompt sa besogne et se dirige vers la jeune fille.

— Bwa miné ! (1).

— Don-Dée, ma fée (2) !

— J venè qwère notre fairîne. Deni-me-la de-gran (3) ! ■— T'a mou cwétouse (4) !

Mal à l'aise, Thérèse n'ouvre pas la bouche. Le meunier l'examine du coin de l'oeil.

— J m'aipôssè que t'a mou kharaue (5). Silence, encore plus angoissant !

— Té ne répon mi (6) ?

— Veuillez m'excuser. Au « Trou Gounan », j'ai rencontré un escogriffe qui entama une conversation, en me débitant des sornettes. J'ai répondu sèchement, par des mots peu polis, je l'avoue.

— Dé bwône aînée (7) ?

— Richement habillé ! Mais avide ou empressé comme un chien en folie.

— Manre aifeutiau (8) !

Le meunier réfléchit et conseille :

— Penre aiwaude (9) !

Hoche ensuite sa tête et remplit la hotte de farine. Aide ensuite Marie-Thérèse à l'attacher sur son dos et l'accompagne jusqu au seuil de son moulin. Il consulte le ciel.

— Lé tô s'aimeute (10) !

— Aidieu vos di. (II).

— Aidieu Lélèse (12) !

Ce court entretien a rendu songeuse Marie-Thérèse. Tout en

(i) Bonsoir meunier !

(2) Bonjour ma fille !

(3) Je viens chercher notre farine. Donnez-moi la de suite'

(4) Tu es bien pressée.

(5) J'ai la pensée que tu es bien égarée.

(6) Tu ne me léponds pas ?

(7) De bonne race ou de bonne nature ? (a) Personne de peu de valeur !

(9) Prends garde !

(10) Le temps se fait sombre ou le ciel s'assombrit, (n) Ad eu, (je) vous dis.

(12) Adieu Thérèse.


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cheminant, la peur, une inquiétude sourde commence à s'insinuer en elle. Sa marche devient plus rapide pour lui permettre son retour à la brune. Malgré sa charge, elle va vite, vite, pressentant un danger. Elle déplore tout bas son impulsivité, son manque de sagesse vis-à-vis de cet inconnu. Tant pis !

Instinctivement, elle sent qu'il est trop tard et que ce qui doit s'accomplir, se fera. Que Dieu la protège ! Elle prie...

* * *

A l'horizon, d'immenses rayons émergent du soleil, celui-ci pourpre et sanglant. Certains nuages ont leurs bords déchirés en plusieurs lambeaux pendant presque jusqu à terre ; d autres, très élevés, disposés en étages, de couleur cendrée, heurtés dans leurs formes, opposés dans leurs directions, traversés par des bandes noirâtres, horizontales et qui tranchent avec la couleur fauve du fond, comme dans la robe des bêtes féroces.

Les animaux sont retirés à leur gîte, les oiseaux se sont tus ; la nature entière se réfugie dans un morne silence, dans l'attente d'un fléau qui va la dévaster.

L'air, habituellement si pur, si léger, si vif, du vallon de La Bresse, est irrespirable. L'atmosphère en est alourdie...

Malgré le calme du fluide céleste, des tourbillons de poussière

s'élèvent çà et là, comme sous les pas d une troupe en marche ;

les vents sont enchaînés encore, mais cependant on voit les feuilles

s'agiter imperceptiblement, et certains arbres tressaillir depuis le

, pied jusqu'à la ramure.

Marie-Thérèse connaît bien ces signes précurseurs, c'est un orage accompagné de grêle. Elle s'active encore plus, halette sous sa charge, sa poitrine se soulève, et les pointes de ses seins cherchent à trouer la toile fine du corsage.

Elle parvient aux Rives.

Là, maître Persin ! L'homme qui lui donne maintenant le frisson de la peur, l'attend. Il n'est plus seul ! , Son compagnon, petit bout d'homme habillé de noir, a une tête comme un lapin. Mais que cette figure est étrange ! Elle est agrémentée d'une.barbe mal peignée, dont les poils sont d'une finesse comme le duvet couvrant la tête des nouveaux-nés. Puis, d'une petite calotte rouge coiffant son crâne, débordent des cheveux


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ténus, mais fort embroussaillés... Il sautille, tourbillonne sans cesse avec ses pieds de chèvre, faisant danser sur le sentier une poussière fine ainsi que de menus cailloux.

Marie-Thérèse, dont le coeur bat bien fort, le reconnaît pour un « sotré ».

— Eh bien ! ma douce amie, charmante fée de mon coeur, lui crie le Diable, tu seras peut-être plus sensible à la langue française. Pourquoi as-tu perdu un temps précieux chez ton meunier...?

Et de sa main aux doigts crochus, pointant vers le « Moutier des Fées », il précise, ironique :

— L'assemblée t'attend pour commencer le bal que je donne en ton honneur.

« Allons viens, ma reine de cette nuit ! Par une traînée de feu le ciel vient de signaler à mes affidés, un sabbat merveilleux digne de ta beauté.

« A mon commandement ! Eclairs jaillissez de partout. Tonnerre ébranlez le ciel. Que vos grondements terrifient le genre humain, secouent ces montagnes.

« Ouragan, mon ami, souffle en tempête dans ces vallées, brise les arbres, découvre les toits durant notre fête. II me faut ma paix aux Hautes-Fouillées !

Et se tournant vers son complice :

— Quant à toi, Napnel, montre le chemin à la belle.

Et poussant le sotré, Maître Persin fait des gestes cabalistiques sur Marie-Thérèse ébauchant le signe de la croix. Hélas ! le rite sacré n est pas accompli entièrement... Une force obscure, paralysant sa volonté, l'entraîne, dans une danse saccadée, à suivre le ' petit homme noir tournoyant sans cesse devant elle.

De temps à autre, ce trio atteint de danse de Saint-Guy était dépassé, soit par de gros rats, soit par des êtres humains, vieux ou jeunes, à la figure hallucinante ; à la nudité complète pour certaines femmes, dont les longs cheveux flottaient au vent, éparpillant dans l'espace la forte odeur dont leurs corps étaient oints.

Les uns, à cheval sur le bâton d'un balai usagé ; les autres, se transportant dans les airs d'une manière surnaturelle, criaient d'une voix rauque en saluant Messire le Diable. Des affidés en retard au sabbat et qui craignaient, à juste titre, le courroux de leur maître !


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La nuit étend rapidement son voile sombre sur toutes choses.

Foulant à ses pieds endiablés la flore alpestre ; sautant, malgré son cuveau sur le dos, les roches siénitiques et granitiques, MarieThérèse voit avec terreur, à la clarté flamboyante et blafarde des éclairs sillonnant les nues, se rapprocher d'anciennes roches aux formes assez élancées, ressemblant aux tourelles des châteaux du moyen âge, ou à une vieille église tombant en ruines. La principale agglomération de ces rochers est plantée au milieu d'un étang. Elle reconnaît le Moutier des Fées !

Là où viennent rondier (1) les fées, mais aussi le heu bi-hebdomadaire du sabbat. Emplacement maudit, fui des habitants de La Bresse et où chaque bressaud (2), obligé d'y passer, ne manque jamais de se signer.

Pauvre Thérèse ! Pourquoi n'a-t-elle pas pris son eau bénite, talisman efficace contre les entreprises du démon ! Il est trop tard pour se lamenter... Des lutins brandissant des torches la soulèvent sur le plateau de la roche principale.

Là, sur ce tertre, accueillie par des bruits et des vociférations tumultueuses se répercutant en échos rageurs dans toute la vallée du Chajoux, notre jolie fille fut vite entourée par tout un monde de gens, d'animaux grotesques, de mauvaises fées ou de démons.

Tous les suppôts de l'Enfer, réunis pour une initiation maléfique dépassant en horreurs tout ce qui se dit sous le manteau de la cheminée, lors des veillées d'hiver.

Au centre du terre-plein, quelques mégères masquées et munies de bâtons, frappent en cadence l'eau contenue dans un vaste creux de rocher. Ces gestes, magiques paraît-il, sont nécessaires au Malin « pour faire la grêle ».

De ci, de là, perchés sur des rochers servant de petites éminences, entourés de torches composées de copeaux de hêtre et de sapin, se tenaient les musiciens de ce bal satanique. Comme instruments, je crois bien que tous les chaudrons, les batteries de cuisine et toutes sortes d'ustensiles montagnards s'étaient donné rendez-vous.

Quel assemblage !

Il est minuit. Le ciel déverse ses cataractes pendant que gronde

(i) Danser.

(2) Habitant de La Bresse.


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l'orage. Pas d'explosions violentes du tonnerre, mais un déchirement continuel, entrecoupé de sifflements et de craquements. On dirait un roulement de tambours voilés d'un crêpe funèbre... Ce bruit... roulant, sinistre, est accompagné d'un son plus faible, d'une nature différente, et qui se propage à la surface de la terre ; il ressemble à celui d une vanne ou d'une cascade lointaine. C'est le murmure des éléments en courroux, le mugissement des sapins criant sous l'effort du vent en furie ; le retentissement enfin, des coups redoublés dont les grêlons frappent le sol, fauchant l'herbe, trouant les feuilles ruisselantes, écrasant par cette mitraille tout un peuple d'êtres minuscules.

Les conditions atmosphériques daignant plaire à Maître Persin, il fait un signe à son fidèle « joueur de Hauboy », chef de ses musicastres.

A la première vibration, douce, mélancolique et nasillarde, de cet instrument en bois, l'étrange orchestre, tout brûlant d'impatience satanique, se met à jouer. Au résonnement sourd des chaudrons répond le crissement des batteries de cuisine frottées sur le granit ; d'autres objets, actionnés par on ne sait quel archet magique, donnent des sons métalliques argentins, semblables à ceux des cloches mises longtemps en action.

Marie-Thérèse, enlacée étroitement, sauvagement, par le chef des démons, ouvre le bal.

Autour d'eux, démons et lutins accouplés avec nos sorcières nues, mauvaises fées mises dos à dos avec les sorciers, rats à califourchon sur les chats ou les chiens, ne forment plus qu'un tourbillon hurlant, tapant, criant, si bien que la terre en tremblait sous leurs cris. .

La pluie tombe maintenant à grosses gouttes ; les éclats de la foudre, concurrençant les torches flamboyantes des lutins, tracent des sillons violets sur cette assemblée. Les luminosités blanchâtres et rapides des éclairs se marient avec la lumière rougeâtre des feux de joie, fumants sous l'averse.

Dame ! L'eau céleste ne peut arrêter l'orgie qui commence, Thérèse, sa hotte toujours solidement attachée sur le dos, est arrachée d'un côté, tiraillée de l'autre, si bien qu'elle ne supporte plus qu'avec peine cette danse frénétique. Mais la pitié n'est pas la qualité de Satan !


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Sa patience s emousse aussi !... Dégoûté par la résistance de Thérèse, qui ne veut pas « se donner au Malin » ; celui-ci, impuissant, rageur, fait certaines incantations, pratiques ou maléfices, destinés à gâter la vie des pauvres humains. Il faut bien que des innocents paient sa cruelle déception... Hélas !

Ses rites terminés, il va présider un groupe de ses meilleurs compagnons, rassemblés là, pour le banquet habituel.

Des épaules de mouton, du cochon rôti, des chapons, du bouilli en constituent le menu non assaisonné ; et le tout, accompagné de vin fade ou d'eau contenus dans des « brocqs » d étain.

Les minutes passent... Lélèse danse toujours... Le repas s achève... et le diable transformé en un gros cheval, se fait adorer de ses principaux sujets.

— Vous me servirez, en dépit de vous, dit-il.

Et ne daignant même plus présenter sa plus belle face d'animal enchanté, il exige de ses dévots... une forme inusitée de salutation !

Durant cet intermède, les gnomes continuent le concert aux notes discordantes et cacophoniques... Derrière chaque rocher, on entend le halètement rauque et bestial des accouplements monstrueux de ceux ou celles qui ont vendu leur âme, avec les serviteurs repus de,Maître Persin.

Tandis qu'au loin, dans la vallée, vers Moyenmont, on aperçoit parfois des lueurs pâlottes, s'estompant brusquement sous l'ouragan déchaîné. Souvent, on perçoit des cris d'appel, où l'on croit deviner « Marie-Thérèse ». Hélas ! ces cris ne frappent plus l'oreille de Thérèse inconsciente, ils sont perdus dans le sifflement du vent, noyés dans le bruit du sabbat.

* * *

A Lambié-Xart, l'aube n'est pas encore venue. Les « lemerre » (1) brûlent et répandent une fumée acre dans une pièce rectangulaire et basse de plafond. Des manteaux d'homme, trempés, sèchent dans l'âtre.

Trois hommes de vingt-cinq à trente ans, harassés, sont réunis près d'une vieille dame.

L'un des hommes, le plus âgé, dit tout bas aux deux autres :

(i) Bandelettes de hêtre ou de bouleau qui, dans l'ancien temps, servaient à éclairer, durant les longues veillées, l'intérieur des fermes vosgiennes.


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— Elle s est égarée !

Le plus jeune lui répond :

— Mais non, Joson, nos recherches vaines de cette nuit prouvent que Marie-Thérèse s'est réfugiée chez une de ses amies. Seuls, ce violent orage et la nuit l'ont empêchée de nous prévenir.

— Dée, rèwaude mé-n-efan (1), dit la mère.

— Espérons, dit Jean, futur promis de la jeune fille. J'avoue que ces clartés sinistres aperçues et ce tapage infernal au Moutier des Fées m inquiètent. Puis la brève conversation que j'ai eue cette nuit avec le meunier, n'est pas faite pour me rassurer sur le sort de Lélèse. « D'autre part, en application de la lettre du Maréchal de la Ferté, secrétaire Général de l'Armée du Roi et adressée aux officiers, maires et habitants des lieux de la Lorraine, le tocsin de notre chapelle a sonné hier, pour avertir la population que des gens sans aveu, Bohémiens ou Egyptiens armés, étaient dans nos parages. S'ils ne furent pas pris, Marie-Thérèse, court de grands risques pour sa vie ou sa vertu.

— Ah ! c est bien cela les amoureux. Tu entends Joson ! Immédiatement, le galant croit sa promise perdue à jamais. Ne t en fais pas Jehan, tu la reverras ma « frangine » !

« Dans quelques heures, elle sera ici, toute sautillante et navrée de nous avoir fait passer une nuit blanche. D'ailleurs, les bohémiens sont vite arrêtés maintenant... Quant au Moutier des Fées, pourquoi voudrais-tu qu'elle y soit, elle sait bien que tous les gens de La Bresse évitent ce heu solitaire.

— Fasse que Dieu exauce tes paroles, Vincent !

Mais le frère aîné, Joson, soucieux, tout pensif depuis qu'il sait l'alarme donnée par le tocsin, ne dit mot. Enfin, relevant la tête, et se tournant vers notre amoureux, il dit :

— Jean, j'ai une idée ! Un peu folle peut-être... mais nous ne devons rien négliger... Voilà... Tu dois te rappeler, il y a de cela deux ans, ton père fut consulté par Etienne de Cornimont pour retrouver les traces de son fils disparu depuis huit jours.

— Oui, je me souviens... Mon père a retrouvé le corps à la « Roche d'Angoisse »... par un moyen bizarre.

(i) Dieu, prends soin de mon enfant.


— 153 -

— Rien d'étonnant ! N'est-il pas « guérisseur du secret » (1) Heureusement pour nous bressauds ! Tu ne sais pas, Jean ! Voici le jour qui se lève et ton père sera debout. Ne pourrais-tu pas le prier de nous aider ?

— Pourquoi pas ? Tu as raison, Joson, et j'aurais dû y penser beaucoup 'plus tôt, c'est-à-dire durant cette nuit. Thérèse étant ma promise, il nous aidera de tout son pouvoir. D'autant plus que papa a dressé dernièrement l'horoscope !' Seulement, pour ses recherches, il lui faut quelque chose d'intime ayant appartenu à Marie-Thérèse. Par exemple, un vêtement ayant adhéré au corps ou une mèche de ses cheveux.

— Tu les auras, si c'est possible. Et s'adressant à sa mère :

— Maman, peux-tu donner cela à Jean ?

— Oui, répond la brave dame. C'est facile ! Voilà une chemise qu'elle portait hier matin...

Puis fouillant dans une boîte, tirée du bahut, elle en sort une mèche de cheveux bruns qu'elle tend à Jean.

— Parfait. Merci ! J'ose espérer que papa obtiendra de bonnes indications. Je pars de suite. Attendez-moi.

— Jehan, je vais avec toi.

— Si tu veux, Vincent.

Les deux jeunes gens quittent la ferme.

* * #

Le ciel se calme. Les étoiles se montrent, rendues toutes pâles par la demi-clarté de l'aurore qui s'annonce. Puis disparaissent... Voici le jour ! Un coq chante dans une ferme voisine. A ce signal, les lutins, démons, sorciers et sorcières s'évanouissent dans les airs... Plus de traces !

Marie-Thérèse, dans toute sa pureté virginale, en dépit des attouchements infâmes des démons, est seule... Morte peut-être ! car son corps immobile semble privé de toute vie.

Le fichu déchiré et souillé. La cotte en lambeaux, mettant à nu la chair nacrée mais griffée, bleuie par place, de ses jambes. Les

(i) Sorcier pour le bien et qui combattait l'influence maléfique du jeteur de sorts ou sorcier de malheur.

10


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cheveux confus, dénoués, tombant en cascade sur ses épaules et revêtant à moitié, d'une parure pudique, brune et ondoyante, le désordre du corsage éclaté dans une défense suprême, et d'où jaillissent deux seins, globes de splendeur opaline.

Lasse, trempée jusqu'aux os, les sangles de sa hotte détachées par ses doigts fiévreux, elle se traîne, la respiration sifflante, vers un rocher... La tête appuyée et en feu, les pommettes de ses joues sont d'un rouge incarnat, des phrases incohérentes fusent de ses lèvres blémies... Délire qui l'empêche de voir son état. Ses dernières forces l'abandonnent... Elle s'évanouit !

Là-bas, en guise de salut au soleil renaissant, un vacher entonne la chanson du coucou :

Une salle basse, garnie de quelques meubles vosgiens. Assis à une table massive, un homme d'âge mûr, à la figure tannée, aux cheveux grisonnants, aux yeux vifs et intelligents, magnétiques et charmeurs, captive les visages qui l'observent.

(i) Coucou goulu, coucou voleur, coucou jaloux, ta culotte est grise. Ta femme jolie est malapprise, tes jeunes sont grands et bien méchants pour jeter des pierres aux autres enfants.

D'après M. le Chanoine Hingre, cette chanson est aussi chantée dans le cas suivant :

« Lorsque le coucou frappe ses deux notes sourdes et puissantes, mesurées et monotones, le vacher le rechigne en lui rimant quelques bonnes vérités ».


-155Il

-155Il avec nos deux jeunes gens placés devant lui.

— Père, peux-tu nous dire si Thérèse est encore en vie ? A quel endroit pouvons-nous la retrouver ?

— Attends fiston ! Pas si vite ! Passe-moi son horoscope. Son fils prend un dossier, cherche parmi d'autres et tend à

son père une peau de mouton, sur laquelle figure ce dessin :

Nord

Notre magicien examine attentivement le parchemin. Plusieurs minutes s écoulent.' Il hoche la tête et doctement prononce :

— Hum ! Hum ! A vingt-six ans, ascendant radical opposition Mars progressé. Uranus progressé en quadrature avec cet ascendant radical placé dans Gemini...

Il fait une grimace.

— Jean ! As-tu songé à me procurer un vêtement d'elle, ainsi qu'une mèche de cheveux ?

— Oui père. Voici les deux.

— Bien ! décroche-moi cela.


- 156 —

Il indique du doigt, vers la muraille de l'âtre, une peau jaunâtre provenant d'un mouton, toute sillonnée de traits noirâtres.

— Voilà père.

— Donne-moi mon outil, celui à bout pointu.

Sur la table, il étale soigneusement le parchemin ; sur le coin droit de celui-ci, il pose un disque de zinc surmonté d'un morceau de nickel. A sa gauche, la chemise de Marie-Thérèse voisine avec la mèche de cheveux.

Penché sur ce dessous féminin, l'homme fait tourner entre ses doigts un petit bâtonnet de buis auquel est fixé un fil de chanvre suspendant, lui-même, une masse de métal, sphérique, brillante, mais pointue à une extrémité ; cette rotation n'ayant qu'un but, celui de régler l'amas métallique sur la longueur d'onde propre à la jeune fille.

Ce travail dégrossi et pour une vérification ultime, il passe l'objet mystérieux sur la mèche de cheveux. Quelques petites retouches sont ensuite nécessaires ! Puis, son index gauche mis sur les cheveux, sa main droite tenant le « pendule » au-dessus des deux métaux rassemblés, il observe l'oscillation produite, un petit balancement qui s'amplifie... Une lueur de satisfaction brille dans son regard et dévisageant son fils, il ajoute :

— Tranquillise-toi, ta dulcinée est vivante ! Vertu intacte même..., mon outil n'ayant pas tourné sur le zinc. Mais où estelle maintenant ?

II promène sa sphère sur le dessin manuscrit, scrute attentivement les réactions de l'instrument, lève la tête et interroge son fils:

— Tu as causé avec Marie-Thérèse lorsque tu étais aux champs ? Je reconnais ta longueur d'onde se mélangeant avec la sienne.

— Père, c'est exact ! Elle allait chez le meunier.

Le sorcier suit lentement une autre ligne... Soudain, son souffle ralentit, en remarquant l'oscillation exorbitante de la boule conique. Il marmotte entre ses dents :

— Pas possible !

« Au Trou Gounan ! Deux individus ! Mouvement oscillatoire dû soufre, puis celle du bouc... Tiens ! tiens ! il me semble reconnaître l'adversaire maudit. Allons plus loin !

Le front soucieux, il continue son inspection.


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— Bon, dit-il. La voilà chez le meunier... Quelques minutes après, elle repart chargée.

« Ah ! Les Rives ! ■

Au même instant, son instrument s'agite vigoureusement, sans aucune régularité.

Le front ridé de plus en plus, le père ajoute : ■— C'est bien lui !... Lé Dère !... (1) Avec elle !

— Que dis-tu, père ?

— Rien, mon petit Jean.

Sa main calme se laisse conduire au-dessus du parchemin. Le sphéroïde s'immobilise à nouveau, puis bat d'une façon régulière.

C'est alors que le père de Jean lève les yeux vers les deux jeunes gens anxieux, ses lèvres remuent et articulent :

— Lélèse est toujours vivante... Elle est au « Moutier des Fées »

— Tu es sûr père ?

— Absolument.

— Cela ne m'étonne pas ! Tu vois, Vincent, mon pressentiment était bon.

— Que chantes-tu là, Jean ! demande le père.

— Voilà... Durant nos recherches de la nuit, comme je battais les sentiers de l'Ebresse, j'ai vu comme un incendie vers le haut du Moutier... et parmi les grondements du tonnerre, cru entendre des bruits... Sur le moment, j'ai pensé que la foudre venait d'embraser les genêts et bruyères.

Son père secoue la tête négativement.

— Hier c'était samedi ! Jour de sabbat ! Décidément le cas est plus grave que je ne le pensais.

D'une voix forte, l'homme appelle :

— Magda !... Lève-toi ! Puis s'adressant à son fils :

— Détache Bételgeuse, nous aurons besoin de lui.

— Pourquoi le chien ?... demande Jean intrigué.

— Obéis-moi ! Quant à vous, Vincent ! Allez quérir votre frère et rejoignez-nous sans tarder.

Une fois seul, notre devin ouvre un petit bahut roux, teinté à l'orcanette, choisit sur des rayons quelques pots et flacons, et

(i) Le Féroce, le diable, le « Malin ').


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les enfouit dans les poches d'un vaste manteau qu il vient de jeter sur ses épaules.

Suivi d'un molosse, son fils reparaît... Une jeune fille aux cheveux frisés, à la taille moyenne et aux yeux bleus, entre dans la chambre.

— Bonjour Magda, dit le père. Dans une heure, tu nous rejoindras chez Marie-Thérèse, à Lambié-Kié.

— Bien père.

— Quant à toi Jean ! Prends cette couverture et ces deux manteaux... Joson et Vincent emporteront les deux bois roulés dans cette toile. Voici nos garçons, d'ailleurs.

Le père de Magda découpe, dans la chemise de Marie-Thérèse, un morceau de tissu et le met dans sa poche. ■— En route les gars ! Pressons le pas !

* * *

Les quatre hommes approchent des roches maudites... Sur le gazon et sous le surplombement d'un rocher, c'est-à-dire bien à l'abri de la pluie, ils relèvent une traînée blanchâtre... Un peu plus loin, un lambeau du « moucheuil ». Notre « guérisseur du secret » se baisse, pose le doigt sur cette poudre blanche et le porte à sa bouche... Il goûte...

— C'est bien de la farine et voici un morceau du fichu. Nous sommes sur la bonne piste.

Et pour confirmer sa sentence, il donne à flairer au molosse le lambeau de la chemise, puis le bout de fichu et commande :

— Cherche, Betelgeuse !

Le chien hume l'air, les genêts, s'oriente, s'arc-boute, bondit et se perd parmi un éboulement de rochers granitiques... Une minute se passe, puis deux, enfin son aboiement retentit.

— Betelgeuse a trouvé ! Vite ! ordonne le père de Jean.

Nos quatre braves gens marchent dans la direction des appels canins.

* * *

Après quelques escalades de roches, exercices faciles ou journaliers dans la vie de nos robustes montagnards, ils arrivent près


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de Betelgeuse. Le vaillant animal lèche consciencieusement le visage de Marie-Thérèse, toujours évanouie.

Les deux frères et le fiancé s'agenouillent près du corps étendu là... Il est déjà d'une teinte cadavérique.

Le père de Jean appuie l'oreille sur la poitrine de la jeune fille, écoute longuement, attentivement et dit ensuite :

— Son coeur bat faiblement. Il était grand temps ! Et s'adressant à son fils :

— Jean, enlève-lui ses chaussons et ses bas ! Frotte-lui les pieds, bien vigoureusement, avec cette pommade.

Puis aux deux frères :

—■ Soulevez son buste !

Armé d'une spatule de bois qu'il insère entre les dents de la jeune femme, il laisse pénétrer entre ces lèvres blanches, un filet doré s'écoulant d'un flacon tiré de son manteau.

Philtre à base de verveine et dont il gardait précieusement le secret.

Quelques minutes sont absorbées par le père « Temps », mais qu'elles sont longues — très longues —■ pour nos assistants !

Enfin, une secousse ébranle ce corps charmant ; le sang, lentement, afflue au visage. Les paupières s'ouvrent et les yeux gris se posent, surpris, sur les personnes qui l'entourent ; et ses lèvres laissent passer le rituel :

— Où suis-je ?

Le père de Jean répond :

— Ne t'inquiète pas, Thérèse ! Ne dis plus rien ! Tu es avec nous.

Et s'adressant à ses frères :

— Joson ! Vincent ! déshabillez votre soeur de ses vêtements mouillés. Son jupon et son corsage ne sont plus que des loques trempées, plus nuisibles qu'utiles ! Ensuite, vous l'envelopperez dans cette couverture bien sèche. Mais faites vite ! Pendant ce travail, Jean et moi, nous allons préparer notre mode de transport.

Aidé de son fils, notre contre-sorcier enfile les deux bois, longs et minces, dans la toile apportée. Sur ce brancard improvisé, A ajoute, comme fond supplémentaire, un manteau.

Joson et Vincent ont fini d'enfermer Marie-Thérèse dans la couverture. Par le buste et les jambes, ils la transportent avec


- 160bonté,

160bonté, la civière. Ceci fait, le second manteau est posé sur Thérèse, bordant son corps en la protégeant du froid matinal.

— Allons, mes gars, dit le père de Jean. Prenez chacun un bout et descendons doucement vers Lambert-Xart. Surtout pas de secousses !

* * *

Huit heures du matin ! Plusieurs personnes dont la maman, les deux frères, le promis Jean et sa soeur Magda, sont réunis dans une pièce basse de plafond, la rigueur de la température dans la montagne obligeant à diminuer la hauteur des chambres.

Pas de plâtre. Dans la demi-obscurité régnant dans la pièce, on devine, plutôt qu'on ne voit, les poutres de soutien. La fenêtre est toujours large et basse. L'intérieur, par suite du ciel souvent gris de Lorraine, est sombre.

Néanmoins, dans un angle éclairé par le jour filtrant de la croisée, on aperçoit un meuble aux colonnes en forme de quenouilles, à baldaquin et rideaux de cotonnade rayée. Dans ce lit est étendue Marie-Thérèse. Près d'elle... le « guérisseur du secret », père de Jean et de Magda.

Penché sur la jeune malade, il l'interroge en vue de l'exorciser.

— Où as-tu mal ? Sens-tu remuer quelque chose dans ton corps ? Dans ton esprit ?

— Je sens comme un caillou montant de l'estomac vers ma bouche, articule faiblement Marie-Thérèse.

— Bien.

Il se redresse et sans la quitter des yeux, il prononce sur un ton sans réplique, tout plein d'autorité, mais avec foi, humilité et ferveur, les paroles suivantes :

— Qui que tu sois, je t'ordonne, vieux serpent, ainsi qu'à tes satellites, au nom des mystères de l'Incarnation et au nom du Saint-Esprit, de me dire ton nom. De m'indiquer, par un signe quelconque, le jour et l'heure où tu sortiras de ce corps. Humble serviteur de Dieu, je t'ordonne de m'obéir et je te défends de tourmenter, d'obséder cette créature de Dieu et ces assistants.

Quelques minutes s'écoulent où le silence met son angoisse... Puis notre exorciseur reprend • ses questions :

— Cela va-t-il mieux ?


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— Non ! La pierre est redescendue dans mon ventre ! J'ai peur et je veux me lever.

Il retient avec force la possédée, puis use sur elle de cette ultime exhortation :

— Je t'exorcise, scélérat immonde, vil enjôleur ! Au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, je t ordonne de t'arracher et de sortir de cette enfant chérie, façonnée par Dieu avec notre terre. Obéis par ma voix, à celui qui, du haut des cieux t'a précipité dans les flammes pour l'éternité.

« Tends l'oreille et tremble d'effroi, Satan, ennemi de la foi, tyran du genre humain, pourvoyeur de la Mort, ravisseur de la vie, oppresseur de la justice, racine de tous les maux, source de tous les vices, séducteur des hommes et des femmes, inventeur de l'envie, créateur des discordes et des douleurs.

« Pourquoi restes-tu ? Pourquoi résistes-tu ? Crains celui qui a été immolé pour Isaac, vendu pour Joseph, tué pour un agneau et qui a fini par triompher de l'Enfer !

« Je t'adjure, très immonde pourceau d'Epicure, au nom des jugements et des morts, au nom du fondateur du monde, au nom de celui qui peut t'envoyer dans l'Enfer, de sortir immédiatement avec tous tes compagnons, de cette servante de notre Dieu.

« A nouveau, je te commande (signe de croix sur le front de MarieThérèse), non au nom de la faiblesse, mais au nom de la puissance du Saint-Esprit, de t'extraire de l'adorable enfant que notre Dieu tout puissant a créé à son image. Obéis donc ! Obéis par ma bouche, moi, serviteur du Christ, car la puissance de celui qui t'a soumis à sa croix te presse. Redoute le bras vengeur du conducteur des âmes à la divine lumière, celui qui a vaincu les gémissements de l'Enfer.

« Que le corps de cette jeune femme t'inspire la terreur (signe de croix sur la poitrine) que l'image de Dieu te pénètre de crainte (signe de croix sur le front) ; ne regimbe pas et fuis du corps de cette jeune fille, car il plaît à Notre-Seigneur de l'habiter.

« Pour la dernière fois, au nom de l'agneau immaculé, vainqueur du lion et du dragon, de l'aspic et- du basilic, je t'adjure donc, monstre très vicieux, de t'éloigner rapidement du corps de ta victime (signe de croix sur le front de celle-ci) ; de t'en aller de cette demeure (signe de croix sur les assistants).

A peine notre « arrêteur » a-t-il terminé ces paroles, que Thé-


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rèse se met à vomir « des couteaux, des pierres, du verre, des boutons, des escailles de pot de terre, des tortillons de cheveux, des petits bouts d'étoffe et autres petites brouilleries». Elle se plaint, gémit douloureusement, invoque le nom de Dieu... puis tient des « propos frénétiques » et ses yeux coulent abondamment.

Pressentant que la crise est à son maximum d'acuité, notre « rebouteux » agit sans tarder. Au moyen de différents ingrédients de sa composition, il adoucit, tempère la fièvre de la jeune fille.

Il fait ensuite signe à la mère et à sa fille Magda d'approcher.

— La fièvre diminue, dit-il. Quoique durant plusieurs jours, elle reprendra par intermittences accompagnée de délire. Pour la faire cesser, vous donnerez à Thérèse, de temps à autre, une tisane faite de « piloselle » (1). Lorsqu'elle aura bu, la fièvre et sa « frénésie » tomberont.

« Ah ! autre chose... pour la préserver de la rage, vous lui donnerez un oeuf pondu le Vendredi-Saint, que Jean rapportera, si vous n'en avez plus.

« Quant à toi, Magda, tu resteras près de ta future belle-soeur. Si elle ne va pas mieux, tu viendras me trouver.

— Bien père ! répondit Magda, en s'installant au chevet de sa meilleure amie.

Quelques mois se sont écoulés... Magda est toujours près de Marie-Thérèse. Elle lui tend une tasse décorée d'une croix de Lorraine, dans laquelle fume une boisson faite de fleurs de bourrache et de bouillon blanc... Souveraine panacée, dit-on, contre ce violent rhume secouant la malade.

Marie-Thérèse boit... Le breuvage absorbé, elle repose la tasse d une main tremblante, sur un petit meuble aux sculptures naïves, où se donnent rendez-vous des rubans, étoiles, fleurs, oiseaux, etc..

Puis lasse et retombant sur l'oreiller de toile de lin, Thérèse fixe d un regard perdu, le crucifix de laiton accroché en place d honneur dans sa chambre.

—■ A quoi songes-tu, Lélèse ? murmure Magda, dont le mariage fut retardé après ce tragique événement.

Hieracium pilosella. — Herbe guérissant la fièvre intermittente et qui, dans l'ancien temps, passait pour donner d'heureux résultats.


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— Rien, ma bonne Magda ! Mais je me sens si faible et je crois que mes jours sont comptés...

Une quinte de toux la plie en deux sur son lit...

— Mais non ! lui répond la jeune fille. Mon père a promis à Jean, si désespéré maintenant, qu'il te sauverait.

— Pauvre Jeannot ! Vois-tu, Magda, j'ai bien peur que, malgré toute la bonté savante de ton père, je ne puisse m'évader de l'envoûtement du Diable... Pourquoi donc ai-je répondu à cet être infernal ?

— Que veux-tu ! Tu ne savais pas... on ne réfléchit jamais assez !

■— De cette aventure presque incroyable, il est heureux que ma virginité soit sauvée.

'— Oui ! Mais soigne-toi et oublie. Ton grand amour pour Jean devient le meilleur remède. Il aidera les efforts de mon père. Tu veux vivre, n'est-ce pas ?

— A qui le demandes-tu !

— D'ailleurs, reprend la précieuse Magda, qui me passerait l'anneau nuptial lors de mon mariage avec ton frère ? Si ce n'est toi, sa plus jeune soeur. Tu te souviendras de ce que tu devras faire pour ce beau jour ?

« Lorsque le prêtre aura béni l'anneau et qu'il te le remettra, tu passeras dans celui-ci un large ruban noir, et à mon doigt tu l'attacheras avec un gros noeud, un noeud comme tu sais si bien les faire.

Et Thérèse souriant à l'évocation de cette scène, donne la réplique à Magda :

— « Je vous offre cet anneau au nom de mon frère, souvenezvous, ma chère soeur, que vous lui devez amour et fidélité ». Puis tu conserveras ce noeud de ruban noir, jusqu'après l'offrande de la messe paroissiale du dimanche suivant la célébration de ton mariage, à laquelle tu seras conduite par ma bonne maman.

— Bien entendu Thérèse ! Ce sera avec joie, car en véritable symbole du lien indissoluble m unissant à ton frère, cet ornement de couleur sévère devra m'avertir qu'à chaque minute de ma vie d'épouse, je dois rester sérieuse, c'est-à-dire digne de mon nouvel état... Les frivolités de la jeunesse ne seront plus au nombre de mes occupations, telle est notre vieille coutume bressaude.


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— L'ennui, c'est que, d'après la tradition, notre tutoiement devra cesser. Dommage ! cela me semblait plus intime, ajoute Thérèse, à travers une toux plus violente que les précédentes.

— Tant pis ! répond Magda. Il faut respecter le droit coutumier, puisque notre « vous » sera aussi affectueux, plus même, que le « tu » de ce jour. D'ailleurs... tu ne seras pas la seule personne soumise à cet antique usage !

— Je sais ! Dès le jour où Joson sera devenu ton époux, il devra, lui aussi, tout comme tes parents, ainsi que tes amis et amies les plus intimes, renoncer à te tutoyer.

— Oui, et c'est charmant ! L'honnêteté succède à la familiarité.

— Ce ne sera pas tout ! reprend Thérèse, le rose aux joues. Quelques jours avant ton mariage, afin de consacrer ta réputation virginale, nos amies et moi, te conduiront devant l'autel de la Vierge pour chanter de pieux cantiques.

— Bien sûr ! Et la veille de mon mariage, ma marraine et ma plus proche parente remplaçant ma défunte mère, conduiront sur un char, en grande cérémonie, mes effets et mes meubles au domicile de mon prétendu... Elles prépareront mon lit nuptial, béni ce même jour par notre curé.

— Tu oublies de mentionner le meilleur épisode de la vie d'une fiancée ! Que... durant cette même soirée, c'est-à-dire pendant le dîner de famille donné par ma mère, repas auquel les devoirs de la bienséance ne te permettent pas d'assister, Joson ira souper avec toi, en t'apportant une assiette de riz au lait, bien, très bien sucré. Pour cela, j'y veillerai !

— Tu m'amuses Marie-Thérèse !

— Ce mets symbolique t'indiquera les prémices, les douceurs de la vie conjugale.

— Bravo Thérèse ! Je vois qu'en évoquant ces rites séculaires, tu reprends goût à la vie. Mais pour vivre ces heureux moments il te faut vouloir guérir !

— Magda, je te le promets...

Fatiguée, Marie-Thérèse, le sourire au coin des lèvres, laisse reposer sa tête sur l'oreiller.


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Hélas ! Les mois ont regagné le domaine du père Temps ! Il était écrit dans sa destinée que Marie-Thérèse ne serait pas une interprète de ces coutumes bressaudes.

Le 11 septembre 1755, elle mourait dans les bras de son fiancé... Elle fut enterrée dans le petit cimetière de La Bresse. Si au « Trou Gounan », appelé désormais « Trou du Diable », messire Persin — en bon fourrier de la sinistre « Faucheuse » — devint le principal responsable de la mort de Thérèse, jamais Diable ne fut plus volé, car il ne put lui ravir son âme innocente.

Que Dieu ait pitié d'elle !

*

* *

Enfants, jeunes filles incrédules et rieuses, vous tous enfin, qui avez lu ce conte véndique, retenez bien ce conseil :

Il est toujours plus sage de se taire et d'éviter toute conversation avec un inconnu, si charmant soit-il à vos yeux. Et si vous ne pouvez l'éluder, répondez brièvement mais poliment. Ensuite, continuez votre chemin. Jean-René CLAUDEL.

Documents et ouvrages consultés

Ballade en patois, par un auteur inconnu, sur le Moutier des Fées et traduit par X..., Bulletin de la Société Philomatique Vosgienne, année

1883/84.

- Cris et chants traditionnels des pâtres de La Bresse, par M. le Chanoine

HlNGRE. Bulletin de la Société Philomatique Vosgienne, année 1887/88.

Vocabulaire et grammaire du patois de La Bresse, par M. le Chanoine HlNGRE. Bulletin de la Société Philomatique Vosgienne, années 1886/87... 1902/03.

Moeurs et usages de la commune de La Bresse, par M. RICHARD, ancien bibliothécaire de la ville de Remiremont.

Inventaire sommaire des Archives communales antérieures à 1790 de La Bresse en Vosges, par M. DUHAMEL, archiviste départemental.

Le Costume rustique vosgien, par M. Gaston SAVE. Bulletin de la Société Philomatique Vosgienne, année 1887/1888.

Catalogue des végétaux employés dans la médecine et les usages domestiques dans la partie montagneuse des Vosges, antérieurement à 1850, par M. Xavier THIRIAT. Bulletin de la Société Philomatique Vosgienne, année 1883/84.

Procès de Christiane Simon, par E. HATTON. Pays Lorrain octobre et novembre 1935.

Grande encyclopédie illustrée des Sciences Occultes, publiée sous la direction de Don Néroman.

Le Sotret, par M. Charles SADOUL. Discours de réception à l'Académie de Stanislas à Nancy, en date du 22 mai 1930. (Journal « Le Vosgien ». N° 8. Août 1930.



Un monument de notre histoire locale

L'Iconographie de saint T)ié

par G. BAUMONT et A. PIERROT

« En marge des textes se sont, au cours des siècles, inscrites « des images sans nombre, qui en sont comme la glose émue. « Les Vies des Saints, en particulier, en sont toutes fleuries. Ces « personnages que jadis surtout l'on honorait d'un culte plus « tendre et plus familier parce qu'ils avaient partagé les misères « de l'humaine condition et demeuraient les protecteurs de la « cité, de l'atelier ou de la maison, on ne se lassait pas de les voir « représentés par le ciseau ou le pinceau. Ainsi, l'oeuvre de l'ar« tiste complète celle de l'écrivain et la commente. A côté de la « légende écrite, il y a la légende figurée. Saint Dié a la sienne, <( dont on a tenté de rassembler ici les pages qui nous restent ».

Ces quelques lignes, qui inaugurent la Préface de Y Iconographie de saint Dié, ne disent-elles pas assez clairement l'idée qui présida à la conception de l'ouvrage ? rechercher les derniers survivants de la magnifique floraison d'oeuvres originales qui popularisaient autrefois la vie de saint Dié ; les sauver de la destruction ou de l'oubli en les groupant sous la forme de reproductions aussi fidèles que possible, en un ensemble qui constituerait à la fois une manifestation d'art et un pieux hommage rendu au fondateur de la Cité déodatienne.

Tel était le vaste et hardi programme envisagé par MM. Baumont et Pierrot. Pour le réaliser, il fallait, non seulement suivre pas à pas la légende de Déodat, mais penser aussi au culte qui lui fut rendu par la suite en dehors de l'itinéraire connu. D'où ces pèlerinages sans nombre entrepris vers tant de villages et de villes d'Alsace et des Vosges, voire même à Paris. Nos chercheurs pensèrent même un instant à des investigations à Saint-Mauricedu-Valais où Déodat, dit-on, séjourna. Ce furent cinq années de patientes, de minutieuses, de dispendieuses recherches.


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Il fallait vraiment avoir la ténacité de nos érudits confrères pour mener à bien pareille tâche. Il fallait, et ceci est tout à l'honneur du financier de l'oeuvre, engager de sérieuses disponibilités sans être bien certain qu'elles seraient couvertes par les souscriptions, et risquer peut-être — c'est malheureusement ce qui arriva — un important déficit. Il fallait surtout qu'un flair toujours en éveil dirigeât les recherches lorsqu'aucun indice ne les guidait. A combien de portes nos pionniers ont-ils frappé pour ne rien oublier, pour reconstituer, intégrale, la Légende de Déodat, pour lui donner une vie intense ! randonnées passionnantes par monts et par vaux, retours fréquents et obstinés en des lieux où nos amis sentaient qu'une trouvaille se dérobait, et où leur insistance trouvait enfin sa récompense ! randonnées d'art où il convient de louer aussi l'infatigable opérateur, M. Emmanuel, dont le travail photographique fut souvent ardu, et constitua, parfois, une véritable acrobatie.

Ce fut une admirable moisson, dépassant les espoirs les plus optimistes. Qui pouvait croire qu'en marge des textes, nos érudits glaneraient autant d'images. Les contributions les plus importantes, parfois les plus inattendues vinrent de partout. Près de cent sujets, oeuvres anciennes, compositions modernes formaient l'impressionnant tableau : Saints des niches, vitraux, fresques, bas-reliefs, statues, sceaux, cloches, monnaies, miniatures de manuscrits, même une bannière, tout cela allait revivre avec un rare bonheur dans cette étonnante réussite.

II importait de classer cet ensemble, de le présenter, de l'éclairer par des textes. Qui était plus qualifié que M. Baumont pour écrire une notice claire, précise, puisée aux meilleures sources, qui pût donner satisfaction au lecteur le plus averti, le plus pointilleux ? « La sobre élégance de son exposé, dit la France de l'Est (Colmar) fait valoir la minutieuse précision de l'information. De chaque oeuvre d'art il donne une description détaillée, sans oublier les indications d'origine que peuvent souhaiter les érudits les plus exigeants, redressant même au passage des erreurs : Les planches de l'album en mains, on ht ces notions avec le plus grand agrément et le plus grand intérêt.

La dernière partie du travail, la réalisation, fut confiée aux ateliers réputés de la Maison Braun et Cie, de Mulhouse-Dornach...


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Travail impeccable mettant en valeur tous les sujets, leur restituant au besoin l'aspect primitif sans rien enlever de la valeur documentaire. Ceux qui connaissent le Missel du XVe-XVIe siècle dont s'enorgueillit à juste titre la ville de Saint-Dié, retrouveront avec joie telle enluminure presque effacée qui illustrait la page de Déodat et seront étonnés du parti qu'ont su en tirer les artistes de la maison d'édition.

L'ouvrage sortait des presses en mars 1936 et suscitait l'admiration des souscripteurs. Ouvrons un exemplaire. C'est la belle légende des images, celle de la « Vita Deodati » que composa, vers 1018, Humbert, religieux de Moyenmoutier, celles des Chroniques d'Ebersheim, de Richer, de Jean Herquel, de Riguet. De l'un et l'autre côté des Vosges, la piété populaire a marqué dans les voyages de saint Dié des étapes imprévues et elle a attaché son nom à des lieux où sans doute il ne passa jamais. Mais n'est-ce pas de la légende que se sont inspirés les artistes ? C'est à la légende, nullement à l'histoire, que doit se référer une vie en images du saint qui, voilà quelque douze siècles, parut, selon le mot du bréviaire, « comme un lys odorant au Val de Galilée ».

A l'aide de notre beau livre, suivons cette légende.

Vers l'an 600; un enfant naît à Nevers d'une famille que certains disent royale, et reçoit le nom prédestiné de Déodat (donné par Dieu). Il grandit en science et en vertu, puis est élevé sur le siège épiscopal de la ville. Bientôt, frappé des flèches de l'amour divin, 1 evêque à la taille élevée et à la grande mine, « comme sont les figures naïvement idéalisées de la légende dorée », abandonne les honneurs de ce monde pour aller vivre dans la solitude. Il quitte ses ouailles, bénit une dernière fois Nevers dont les tours de briques roses, coiffées de toits plats, surgissent encore à l'horizon, puis se dirige vers le Levant. « Sçsgrimpant par les roches d'un mont à l'autre », il marche longtemps, traverse marécages et forêts, buissons et guérets, et arrive à Romont, dans le pays vosgien, où le seigneur Asclas fait bâtir un château. C'est le moment de-poser la poutre maîtresse, mais elle est trop courte ; Déodat apprend le grand embarras des ouvriers et d'un geste familier de la main gauche allonge miraculeusement la poutre et la met en place.

L'anachorète reprend son chemin et entreprend de bâtir un

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monastère à Arentelle, mais les habitants le chassent et Dieu les punit en les affligeant de goitres affreux. Il traverse alors la mon? tagne des Vosges et descend en Alsace. A Wilra, aujourd'hui Katzenach, il bâtit un ermitage. Il se lie d'amitié avec un haut seigneur du pays, Hunon, et avec sa femme Huna. Il baptise leur fils qui reçoit le nom de Dieudonné. Mais le malin, une fois de plus, suscite les habitants contre le saint homme et Déodat s'éloigne. Quittant l'Alsace il arrive sur les bords de la Murte, au site de Saint-Dié, endroit d'aspect assez sauvage pour le séduire et se construit un oratoire au pied du Kemberg, vers 669. Il vit d'herbes et de fruits sauvages dans cette retraite à laquelle il donne le nom de Galilée ; pourtant cette nourriture vient à manquer ; à son ami Hunon qui ignorait sa retraite, Dieu dit en rêve : « Et pourquoi laisses-tu périr de faim le vénérable Déodat ? charge tes chevaux de victuailles et ils ne manqueront pas de bonne adresse». Les chevaux — dans la vieille légende ce sont des chameaux — découvrent l'asile, et Déodat renvoie les serviteurs avec de grands remerciements.

La renommée de Déodat se répandit très vite. Venu en ce lieu pour y chercher la solitude, il y fit au contraire germer la vie. Pour abriter les fidèles accourus, un monastère s'élève non loin de l'oratoire primitif, puis une église.

Déodat vivait depuis plusieurs années dans le Val qui lui avait été octroyé par le roi Childéric II, quand il se lia d'amitié avec Hydulphe, venu lui aussi pour bâtir le monastère de Moyenmoutier.

Les deux ermites se recherchaient fréquemment, peuplant de tributaires de leurs monastères les solitudes vosgiennes, jusqu'au jour où Déodat connut que son heure était proche ; Dieu avait averti de cette fin son serviteur Hydulphe qui, obéissant à l'ordre divin, vint assister son ami. Celui-ci rendit son âme à Dieu le 19 juin 679, qui était un dimanche. Il fit des miracles après sa mort. Un riche gentilhomme de Sigolsheim lui avait fait don d'une vigne qu'il réprit quand Déodat eut passé de vie à trépas. Voulant boire, avec ses amis, du vin de cette vigne, de nombreuses guêpes sortent du tonneau, le « bourellent si vivement qu'il ne rencontre rien de si propice que d'avoir recours à belle récipiscence ».

Déodat fut placé sur les autels moins d'un siècle après sa mort,


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donna son nom à la ville puis au Val tout entier, et devint le patron de la Cité et du Chapitre.

* * *

Après la vie, après la mort, le Culte. C'est l'objet de la seconde partie de l'ouvrage. 25 planches composent l'Iconographie ancienne, dont les sujets ont été puisés dans les vitraux du XIVe siècle de la Cathédrale, le beau Graduel du XVe-XVIe siècle, les tableaux du peintre Bassot, une peinture murale, des sceaux, des monnaies. Les 22 dernières sont réservées à l'Iconographie moderne. Pour celle-ci, les sujets sont groupés d'après les endroits où ils se trouvent. Le groupe de Romont est le plus riche en nombre et en valeur artistique : quelques peintures, une statuette en bois, quelques vitraux. Dans le groupe alsacien, on admirera surtout les vitraux de Breitenau et les peintures sur toile de l'église du Bonhomme. Dans le groupe de Saint-Dié, nous relevons une peinture anonyme du XVIIIe siècle et les vitraux de la chapelle du Petit Saint-Dié. Dans le groupe des isolés, notons une gravure sur cuivre du Cabinet des estampes. .

Tel est cet ensemble impressionnant, au fini admirable, au bon goût parfait, qui réunit à la fois des oeuvres savantes et d'humbles conceptions populaires, cette collection unique où l'on pourrait admirer jusqu'à la moindre des reproductions et où telle planche, par exemple la statue en bois de Pierrepont sur l'Arentelle, est d'une si heureuse expression que le visage pensif du prélat fait présumer la copie d'un modèle vivant.

Des critiques d'art, des archivistes paléographes, des conservateurs de nos grandes bibliothèques ont célébré à l'envi un ouvrage qui rendra les plus grands services à la fois à l'archéologie et à l'hagiographie, et l'ont qualifié de joyau des bibliothèques lorraines et alsaciennes.

A ces éloges se sont joints, outre ceux de la presse locale et régionale (Vosges, Meurthe-et-Moselle, Alsace), ceux des .plus puissants organes français et étrangers, parmi lesquels la Marche de France, la Revue des Bollandistes, le Bulletin monumental de la Société française d'archéologie, l'Européan Herald (Londres), Paris-Centre, la Revue des questions historiques, la


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Revue Mabillon, la Revue Grégorienne, la Revue d'Histoire de l'Eglise de France.

Notons également une souscription du Conseil Général des Vosges, et l'offre faite, par la Ville de Saint-Dié, d'un exemplaire de l'ouvrage à M. Albert Lebrun, Président de la République, à l'occasion de son passage à Saint-Dié, le 8 août 1937.

Et c'est enfin, magnifique apothéose, une double consécration officielle : l'Iconographie est couronnée par l'Institut (Prix Bernier de l'Académie des Beaux-Arts, juin 1937), et par la Société d'Emulation des Vosges (Prix Perrout, janvier 1938).

A. CONTAL.


Le Manuscrit N° 19 de la Bibliothèque de Saint-Dié

Le manuscrit N° 19 est un in-folio sur papier daté de l'année 1465. Son aspect est modeste et on pourrait dire de lui que c'est un manuscrit pauvre. Le papier est cependant d'excellente qualité. Un grand nombre de feuilles sont ornées de filigranes dont les plus. ' nombreux représentent une tête de boeuf ou une tour avec créneaux et au milieu de ceux-ci trois autres petites tours. Par eux on pourrait connaître la date de la fabrication et peut-être le nom du fabricant.

Au dos de la couverture sont tracées les lettres MPIS et audessous est inscrit le nombre 146. Sur le verso a été collée une bande de papier où 1 on peut encore remarquer une inscription en trois lignes d'écriture gothique. II aurait été intéressant de pouvoir la déchiffrer, mais l'usure est à peu près complète.

A l'exception du premier ou des premiers mots des paragraphes écrits en lettres plus ou moins agrandies, l'ensemble du manuscrit est d'une écriture' cursive fort difficile à lire à cause de sa finesse et surtout des nombreuses abréviations. Il y faudrait beaucoup d'habileté et de patience.

Le manuscrit n'est pas d'une seule main ; des différences sensibles prouvent qu'il est l'oeuvre de plusieurs copistes, mais aucun d'eux n'a pris la peine de se livrer à une inspiration quelque peu artiste. Les lettres en gros caractères sont à peine ébauchées et le reste est monotone. Dans un grand nombre de pages on distingue en marge le dessin à la plume d'une main aux doigts tantôt allongés, tantôt recourbés, mais dont l'index démesurément agrandi semble indiquer un passage sur lequel il fallait attirer l'attention. D autres signes sont en forme d'accolades agrémentées, mais très rarement, d'une figure grimaçante, comme en dessinent sur leurs cahiers des écoliers distraits.

Beaucoup de mots ou groupes de mots sont soulignés et de nombreuses annotations couvrent les marges.

Les titres sont placés en haut des pages à droite et sont ordi-


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nairement reproduits jusqu'à la fin du développement du sujet traité. Rien ne les distingue du texte. En résumé, il n'y a rien de saillant dans la partie matérielle de ce manuscrit.

Si l'on étudie son contenu, on se rendra compte qu'il ne renferme pas une oeuvre complète, comme l'indique la première phrase : « Haec rubrica continuatur ad praecedentes ». C'est la suite d'un ouvrage général intitulé : « Dictata ex Novellà Johannis Andreae ». C'est un commentaire sur les cinq livres des Décrétales de Grégoire IX, du Sexte et des Clémentines, matière analogue à celle du manuscrit 7. Beaucoup de titres sont les mêmes. C'est donc encore de droit canon qu'il s'agit. On désigne sous le nom de Décrétales une épitre ou une lettre écrite par le pape à une question qui lui a été soumise pour une affaire particulière et dont la solution peut servir de règle générale. Le décret peut être fait par le pape seul, motu proprio ou avec l'aide de conseillers : « Decretalis épistola est, quando papa ad consultationem alieujus respondet, sine solus, rive de consilio fratrum ». (Henri de Suze). Ces décrets doivent être reçus par tous et partout où le pape le veut.

L'abondance des Décrétales fit que Boniface VIII, à la demande de l'Université de Bologne, ordonna une nouvelle classification pour celles qui étaient postérieures à Grégoire IX (1234). Le travail fait par plusieurs auteurs fut promulgué le 3 mars 1299 (bulle Sacro sanctae Romanae ecclesiae). On l'appelle le Sexte, parce que Boniface VIII voulut qu'on l'adjoignit comme sixième livre Sextus liber, aux cinq livres de Grégoire IX pour leur servir de supplément.

En 1313, dans un concile tenu à Monteaux, près de Carpentras, le pape Clément V publia cinq livres divisés en titres et subdivisés en chapitres. L'ouvrage contient en grande partie les canons du concile général de Vienne 1311-1312, auquel Clément V avait présidé et les Constitutions de ce pape. En 1317, le pape Jean XXII les envoya à l'Université de Bologne qui en fit le Liber Septimus decretalium, mais le titre qui a prévalu est Constitutiones Clementinae ou simplement Clémentines.

Tels sont les sujets sur lesquels notre manuscrit contient des « gloses », soit de Jean André lui-même, soit d'autres glossateurs. Dès le IXe siècle, ce mot glose (glosa, glossa) fut employé pour désigner des annotations sur l'Ecriture Sainte pour expliquer


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175certains discuter le sens de certaines phrases et donner des renseignements divers. Plus tard cette pratique fut appliquée au droit civil et au droit canon et peu à peu les gloses prirent le caractère de commentaires suivis sur les textes originaux, toutefois elles n'ont de valeur que selon l'autorité propre de leurs auteurs.

L'ouvrage peut se diviser en trois parties. La première irait jusqu'au folio 72.

Le folio I est resté en blanc.

Le folio 2 porte en haut les mots Jhesus-Maria et à droite le titre De Appellationibus accompagné au-dessous d'une sorte de signature d'une encre plus effacée : J. Henriquez. Que représente ce mot ? II est inutile de reproduire le début des paragraphes écrit en lettres plus grosses : ce serait sans intérêt.

Au folio 17, les lettres commençant les paragraphes sont de taille plus petite, d'une écriture plus mince et plus négligée, ainsi que le contexte, mais au folio 30 la forme du début reparaît.

Au folio 42, apparaît dans une accolade un de ces dessins dont il a été question au début. C'est une figure de profil avec un nez démesurément allongé : caricature ou simple amusement ?

Au folio 67, au-dessous du titre habituel De appellationibus, se lisent les mots « de peregrinantibus », puis jusqu'au folio 72, les titres changent à chaque page et, écrits en abrégé, ils sont difficiles à déchiffrer.

A la fin de beaucoup de paragraphes se trouve la signature : Robochus de Laone, simplement ou suivie de decretorum doctor ou de juris utriusque doctor. Ce personnage est probablement l'un des glossateurs auquel Jean André a demandé des commentaires.

Cette première partie se termine par cet épigraphe :

Finis secundi libri decretalium. Deo gratias. Actum in romanis colend... NoVembris 14 ?

La deuxième partie commence au folio 73 pour se terminer au folio 135.

Au-dessus du folio 73 on lit : Liber Tertius et au début il est rappelé ce qui était traité dans le livre précédent : superiori libro. Le ou les premiers mots sont toujours en lettres plus grosses. Le titre à droite porte : De vi (ta ?) et ho (nore ?) clericorum.


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Au folio 82 se lit plus facilement un sous-titre : De cohabitatione clericorum et mulierum,

Au folio 91, De clericis commutatis.

Au folio 96 (verso), De clericis non residen (tibus).

Au folio 105, De prebendis et dignitatibus.

A partir du folio 113 (verso), l'écriture des premiers mots est plus fine et moins soignée.

Du folio 118 au folio 123, les pages sont restées blanches ; aussi on distingue facilement le filigrane en forme de tour.

Au folio 123 qui porte le titre de veneficiis, les mots commençant les paragraphes sont de l'écriture ordinaire ; du reste jusqu'au folio 132, le scribe n'a marqué aucune division et n'est pas allé une fois à la ligne.

Au bas du folio 132 (recto) on lit très facilement le nouveau titre : De rubrica de excessibus prelatorum. Au verso l'écriture est changée. Le début cum ex eo est en lettres plus apparentes ; le texte est plus lisible. Les quatre pages qui précèdent le blanc du folio 134 (verso) ne portent pas de titres en marge. Ce blanc permet de distinguer parfaitement le filigrane, la tête de boeuf.

La signature Robochus citée précédemment reparaît encore dans cette seconde partie, mais seulement au début.

Au folio 135 commence la 3e partie : De privilegiis et immunitate clericorum.

Jusqu'au folio 146, le nouveau scribe a écrit sur deux colonnes. Les premiers mots sont encore plus apparents, mais peu étoffés et de la même plume que le texte.

Les principaux titres sont :

Au folio 144 (verso) : Quarta de muneribus.

Au folio 145 (verso) : Quarta de pénis.

Au folio 152 : De peniten(tia) et Remis (sione) (à noter une figure caricaturale dans l'accolade, une autre au folio 181).

Au folio 155 (verso) : Sequitur quarta de sen (tentiâ) ex (communicationis).

Au folio 164 (verso) : Sequitur porro excommunicationum sententia...

Au folio 184 (verso) : le scribe ayant laissé en blanc le bas de la page s'excuse en ces termes : « Hic nihil déficit, sed coniinuatur ad sequentem paginam ».


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Au folio 193 : Rubrica de verborum significationibus.

Les folios 200-203 sont restés en blanc.

Les derniers mots du manuscrit sont : ...benedictus... de opifice supra coeli... residens cuncta dirigens trinus et unus. Amen.

La plupart des paragraphes sont suivis de la signature Guilhelmus Delf decretorum doctor.

Et au bas de la dernière page, on peut se rendre compte que c'est bien ce personnage qui a écrit cette troisième partie. II est fâcheux qu'un accident causé par de l'eau qui a mouillé le manuscrit ait rendu plusieurs mots illisibles. Cependant malgré ces lacunes, le renseignement est très important :

« Quae supra sunt scripta de... per dominum Guilhelmum Delf decretorum doctorem [regentem Lovanii ?\. Dictata sunt ex noVellà

Jo. Andraei et lectura domin de sancto Germaniano et per me

Jo... monachum de vallis sub eo scripta in anno Domini 1465, finita in principio Mart. Deo gratias.

J'ai vainement cherché dans les dictionnaires anciens cependant si complets de Moreri et de Bayle, dans la Biographie Michaud les noms de Robochus et de Guillaume Delf ; je n'ai trouvé sur eux aucun renseignement. Sans doute, quoique docteurs, n'ont-ils composé aucune oeuvre originale et se sont-ils contentés de reproduire ou de commenter les ouvrages des maîtres.

Quel est donc ce Jean André si célèbre de son temps comme jurisconsulte et dont le mérite lui a dû une mention dans les Dictionnaires de Moreri et de Bayle ? Certains biographes le font naître à Mugello, près de Florence, mais lui-même se dit originaire de Bologne. Il y aurait eu confusion avec son père.

Cette mauvaise langue de Bayle le dit fils de prêtre ; en réalité Jean André avait déjà huit ans quand son père est entré dans les ordres. Instruit d'abord par son père, il aurait eu de la peine à vivre, s'il n'avait trouvé à Bologne une place de précepteur. Avec l'argent qu'il gagna, il put s'appliquer à son aise à l'étude du Droit canonique sous la direction de plusieurs professeurs de la célèbre Université, surtout de Gui de Baïf qui le prit en amitié et, prenant en pitié sa pauvreté, lui fit obtenir gratis le grade de docteur. Le même protecteur l'engagea à demander une place de professeur, il l'obtint et ses cours eurent le plus grand succès. Il parla à Padoue, à Pise, puis revint à Bologne où sa réputation grandit encore.


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Sa mère s appelait Novella et ce nom fut donné aussi à sa fille aînée, docte femme qui le remplaçait dans sa chaire, quand il était empêché. La jeune Novella était fort belle. Christine de Pisan qui avait suivi en France son père Thomas de Pisan, astrologue et médecin de Charles V dont elle a fait le Panégyrique, nous raconte « qu'afin que la beauté d'elle n'empeschât pas la pensée des oyans, elle avait une petite courtine devant elle ». Le malicieux Bayle s'amuse de ce détail et discute ironiquement si les étudiants eussent été plus attentifs avec ou sans la courtine. Je renvoie les curieux à Bayle.

On croit que Boniconlius, surnommé d'Andréa, dont on a des traités de jurisprudence, était son fils naturel. A la mort de celui-ci, il adopta ou plutôt fit épouser à sa seconde fille Bétine, fort savante aussi, un autre savant canoniste Jean de Saint-Georges, aussi professeur à Bologne.

Jean André était de petite taille et prêtait à la moquerie. On raconte que dans un consistoire, le pape le croyant à genoux, lui dit de se lever, mais on raconte cette historiette sur d'autres personnages. II mourut de la peste à Bologne en 1348 après 45 ans de profession et fut enterré dans l'Eglise des Dominicains.

Les ouvrages qui nous restent de lui sont :

1° Des commentaires sur les Décrétales et le Sexte.

2° Des commentaires sur les Clémentines, recueil en cinq livres contenant une grande partie des canons du Concile général de Vienne (1311-1312).

3° Des additions au Spéculum juris de Gu. Durand (1347) qui lui valurent, dit Bayle, une accusation de plagiat. Il aurait copié sur ce sujet un ouvrage, les Consilia d'Oldrado.

4° Il se serait aussi approprié le traité de Sponsalibus et Matrimonio de Jean Angussola de Césène.

Malgré ces accusations, Jean André a conservé une réputation méritée parmi les Canonistes. Dans Iepitaphe de sa fille Bétine, il est appelé Archidoctor Decretorum, dans la science : Rabi doctorum, lux, censor, normaque morum. On prétend même que Boniface VIII lui aurait donné le titre de lumen mundi.

E. FROMENT.


Ferdinand BRUNOT

Ferdinand Brunot est né à Saint-Dié, le 6 novembre 1860, d'une vieille famille vosgienne, comme l'indique la forme même de son nom {qui correspond à un français Brunei). Il était resté déodatien non seulement par son physique et par quelques traits de sa prononciation (il dit jusqu'à la fin de sa vie : les //ollandais, la f/ollande en aspirant Y h, comme le font les Français de l'Est), mais surtout par le coeur. Pendant longtemps, il revint à Saint-Dié durant les vacances. Il aimait à parler de sa ville natale, à raconter, par exemple, l'histoire du beau pont de Saint-Dié, bâti par un Brunot. Il affirmait que ce pont était une merveille, que les pierres qu'on voyait n'étaient rien à côté de celles qu'il avait fallu enfouir dans le lit de la rivière.

Ferdinand Brunot fit au Collège de Saint-Dié de brillantes études. Dès la sixième (il fit sa sixième en 1871), il est nommé, dans le palmarès, pour toutes les matières, sauf pour l'allemand, et il remporte six premiers prix. En 1872, il passe en quatrième sans faire de cinquième, et n'en a pas moins cinq prix et trois nominations. En rhétorique, il reçoit le 2e prix d'Enseignement religieux, le prix d'Excellence, le prix de Discours latin, et ceux de Discours français, de Version latine, de Mathématiques ; des accessits de vers latins et de sciences physiques s'y ajoutent. Bachelier en 1876, il quitta la Lorraine pour l'Allemagne, puis pour Paris, où il prépara avec succès I examen de l'Ecole Normale Supérieure. Il ne devait plus revenir en Lorraine que pour une année : agrégé de grammaire, avec le numéro un, il débuta dans l'enseignement secondaire au Lycée de Bar-le-Duc.

Une puissance de travail exceptionnelle, jointe à des qualités d'esprit hors ligne, assurèrent au jeune professeur une carrière brillante et rapide. Nommé maître de conférences à Lyon, il se trouva devant un auditoire d'étudiants dont la très grande majorité étaient plus âgés que lui. Il prépare ses thèses, dont la thèse principale, sur la Doctrine de Malherbe, conserve aujourd'hui toute sa valeur. La soutenance en Sorbonne fut éclatante ; quelques mois plus tard, la Sorbonne accueillait le nouveau docteur : il


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devait y enseigner la grammaire française et la grammaire latine, jusqu'à ce qu'un arrangement avec Goelzer lui permît de se consacrer uniquement au français. Dès lors, Brunot, par sa parole et par ses travaux, devint le maître incontesté d'une discipline qu'il créa peu à peu : l'Histoire de la langue française. Seize volumes parus, un volume actuellement en cours d'impression, trois autres volumes laissés en manuscrit, — il faut y ajouter les 982 pages de La Pensée et la Langue, divers ouvrages de circonstance, des articles importants et d'innombrables conférences, — représentent l'oeuvre scientifique que nous laisse le grand Vosgien que nous pleurons aujourd'hui. Mais Brunot ne fut pas un érudit de cabinet, il fut avant tout un homme d'action. Comme professeur, comme maire du XIVe arrondissement (1910-1919), comme doyen de la Faculté des Lettres (1919-1928), il rendit d'inappréciables services. Il fut aussi souvent un ambassadeur extraordinaire du Gouvernement français, et telles de ses tournées de conférences, à Prague par exemple (où le Président Benes est un « élève de Brunot ») eurent une importance insoupçonnée du grand public.

Les honneurs étaient venus au fils du modeste commerçant de Saint-Dié (le père de Ferdinand Brunot et sa femme, née Leclercq, tinrent pendant quelque temps, au n° 54 de la rue Thiers, un magasin de modes). Il était membre de l'Académie royale de Copenhague, membre de l'Académie française de Belgique depuis sa fondation, membre de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres depuis 1925 (par un rare privilège, il avait été dispensé des visites réglementaires), docteur honoris causa des Universités de Cambridge et de Prague. Il eût sans aucun doute été membre de 1 Académie française (où Paul Valéry eût désiré le soir siéger) s'il n'avait, dès sa jeunesse, rompu des lances contre cette savante compagnie, coupable à ses yeux de conserver avec une obstination aveugle notre orthographe illogique et incommode.

Le 3 juillet 1933, il avait été nommé Grand-Croix de la Légion d Honneur, et cette distinction, exceptionnelle jjour un professeur, fut pour lui une grande joie.

Les honneurs, la situation éminente qu'il occupait à Paris, son renom mondial ne lui firent pas oublier sa ville natale. Il y a peu d'années, il offrait à la Bibliothèque de la Ville de Saint-Dié un lot important de livres. C'est donc à juste titre que le Conseil Général


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des Vosges rendit à l'enfant du pays un hommage mérité, en lui offrant, le 18 mai 1932, la médaille frappée spécialement pour chacun des neuf vosgiens membres de l'Institut et de l'Académie de Médecine.

Je demandais un jour à Ferdinand Brunot s'il se croyait un « déraciné » ; il se contenta,de sourire : personne n'était mieux enraciné que cet éminent Français, si conscient et si fier des qualités qu'il avait puisées dans le sol de sa province natale. Il sut concilier l'amour de sa petite patrie avec un inlassable dévouement au service de la France — et un inlassable dévouement au service de la science. Il nous laisse à tous l'exemple d'un bon lorrain qui fut en même temps un grand savant et un grand Français.

Charles BRUNEAU.



, ANNALES

DE LA

Société Philomatique Vosgienne

ANNÉE 1937-1938

RËUN ION DU COMITÉ~ (9 novembre 1937). 1. Situation financière.

Si le Bulletin de 1937 a reçu partout le plus favorable accueil, et il le méritait, les dépenses qu'il a occasionnées, étant donnée la hausse survenue en cours d'impression, ont dépassé de beaucoup nos prévisions. L'augmentation est d'environ 4.000 francs ; notre prudente réserve les a fournis, mais elle se déclare incapable de répéter le même effort en 1938.

Il y a donc lieu de prendre d'efficaces mesures pour assurer l'avenir. Augmenter le montant de la cotisation ? Nous ne pourrons y songer que l'an prochain, puisque les recouvrements viennent d'être effectués. Diminuer 1 importance du Bulletin ? réduire sa périodicité ? Ne serait-ce pas restreindre aussi la vie de notre Société et compromettre sa prospérité ? Un procédé plus élégant est proposé et adopté : l'intensification du recrutement (1). Mais sera-t-il suffisant ?

2. Enquête sur le folk-lore.

Elle se poursuit activement, et ses résultats vont commencera prendre forme avec la publication des Légendes vosgiennes qu'inaugure notre Bulletin de 1938.

3. Etude sur la Vierge du Cloître et les statues similaires.

M. William H. Forsyth, critique d'art, a publié, dans le Bulletin

(i) Le nombre de nos sociétaires est passé de 338 à 522, ce qui est un magnifique résultat et un précieux encouragement à accroître encore cette prospérité.


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du Musée métropolitain de New-York, un important travail sur les « Statues médiévales de la Vierge en Lorraine rapportées au type de la Vierge de Saint-Dié.

Après avoir étudié « la plus célèbre des Vierges de Lorraine », celle du cloître de la Cathédrale de Saint-Dié, M. Forsyth groupe autour d'elle trois Vierges étroitement alliées : une Vierge et Enfant actuellement conservée au Musée de I'Hôtel-de-VilIe de SaintDié, qui provient du village voisin, Sainte-Marguerite ; une Vierge et Enfant conservée au Musée des Beaux-Arts à Boston et donnée comme provenant de Saint-Maurice d'Epinal ; une Vierge et Enfant figurant au Musée Métropolitain de l'art, à New-York, originairement à Châtenois.

M. Forsyth convient de ranger ces quatre statues dans un groupe type qu'il appelle le Groupe de Saint-Dié.

Mais bien d'autres Vierges d'origine lorraine ont des rapports plus ou moins lointains avec ces purs spécimens, et l'auteur du Mémoire, après avoir étudié les Vierges du type de Lorraine, les Vierges apparentées au type de Lorraine, et les Vierges assises du même type, conclut à 1 existence d'une école de sculpture fonctionnant en Lorraine vers le début du XVe siècle.

La Société Philomatique se propose de publier au moins de larges extraits de cette étude et les reproductions des Vierges du Groupe de Saint-Dié.

4. Un imagier lorrain : Louis-Jean-Baptiste Bojoly.

Notre excellent confrère, M. Thouvenin, industriel à Saint-Dié, a bien voulu nous confier le carnet de croquis de son grand-père par alliance, Louis-Jean-Baptiste Bojoly, né à Metz en 1831, élève aux ateliers Dupuy, à Metz, puis dessinateur aux imageries de Metz, de Pont-à-Mousson, d'Epinal.

Une dizaine de ces croquis, les plus typiques, ont été photographiés, et l'envoi des épreuves à l'imagerie d'Epinal a permis, grâce à la complaisance de M. M. Payonne, les premières identifications. D'autre part M. Bojoly, vétérinaire honoraire à Saint-Dié, fils de l'artiste, nous a remis quelques images exécutées à Metz, chez Gangel, d'après les dessins de J.-B. Bojoly. Enfin, M. Saulnier, le grand critique en imagerie, a eu l'amabilité de faire quelques


- 185 -

recherches au Cabinet des Estampes, à Paris, où il a découvert un carton de précieux documents. Il reste à retrouver les traces du passage de l'imagier à Pont-à-Mousson. Ce qui augmente notre désir de mener à bonne fin toutes ces investigations, c'est que, de l'avis de quelques compétences, J.-B. Bojoly, émule de Pinot ou d'Ensfelder, rappelle les grands dessinateurs particulièrement Grandville.

Une étude sur son oeuvre s'impose ; nous tenterons de l'illustrer par la publication de quelques croquis et de leurs réalisations par l'image populaire.

ASSEMBLÉE GÉNÉRALE

Elle eut lieu le 14 novembre 1937, à 15 h. /4, salle du rez-dechaussée de l'Hôtel-de-Ville, sous la présidence de M. Hirtz, Professeur d histoire au Collège, membre de la Société.

M. Contai présente la situation financière de la Société.

12


— 186Situation financière (Année 1937)

RECETTES

Avoir au 1er janvier 1937. En caisse 190.79

En banque 2.155.35

Caisse d'Epargne 12.088.94

Compte chèque postal .. 451.95

Total 14.887.03

Subvention du département 90. *

Subvention de la ville 1.012. "

Cotisations reçues en 1937 (502) (1) 10.040. »

Intérêts Caisse d'Epargne (1937) 411.64

Rente 4 % % 1932 141.07

Intérêts en banque 21.62

Vente de bulletins anciens 860. »

Dons (2) 1.045. »

Produit de la vente de programmes, conférences de M.

Pierrot 137. »

28.645.36 DEPENSES

Facture des Etablissements Cuny (Bulletin 1937) 11.002.90

Frais de conférences 40. »

Timbres de quittances à 0 fr. 50 (360) 180. »

— — à 0 fr. 25 (25) 6.25

Frais d'encaissement quittances et retour quittances

impayées (Extérieur) 315.25

Frais d'encaissement quittances Saint-Dié 110. »

Frais de correspondance 25. »

Impôts et frais en banque 11.73

Cotisation Fédération historique (1937) 50.30

Frais d'enquête sur le Folk-Lore 50. »

Distribution du bulletin en ville 60. »

A reporter..'. 11.851.43

(:) 502 cotisations plus 4 figurant en recette en 1936 = 506 membres (1937).

(2) MM. Paul Ancel, industrie! à Granges, 500 fr. ; A. Pierrot, 150 fr.; Comiot, 100 fr. ; Jacquet, 100 fr. ; Delaeter, 50 fr. ; Marande, 40 fr. ; Chanoine Perrin, 30 fr. ; Abbé de Rozières, 30 fr. ; Meyer, 15 fr. ; Labarraque, 10 fr. ; Pasteur Valet, 10 fr. ; Anonyme, 10 fr.

(Les dons reçus depuis le ior Janvier dernier figureront comme il convient, dans la Situation financière de 1938).


— 187 —

Report... 11.851.43 Facture photographe Emmanuel (Clichés et épreuves

photographiques 316. »

Programmes conférence de M. Pierrot (facture Cuny) 197.75 Cotisation Fédération des Sociétés françaises de sciences philosophiques, historiques, philologiques et juridiques (1937) 30.30

Impression spéciale sur Arches du titre et de deux pages de l'exemplaire de l'Iconographie offert à M. le

le Président de la République 160. »

12.555.48 Avoir au 1er janvier 1938.

En caisse 97.25

En banque 2.215.70

Caisse d'Epargne 13.245.58

Compte chèque postal 531.35

16.089.88 Somme égale ... 28.645.36

Après l'approbation de ces comptes et d'unanimes félicitations à M. Contai, M. Hirtz traite, avec une parfaite maîtrise, le sujet suivant : Saint-Dié à l'époque révolutionnaire.

Cette conférence paraîtra dans un de nos prochains Bulletins.

Suivant le rite traditionnel, le Comité sortant est réélu à l'unanimité. La composition du Bulletin est donnée ensuite par le secrétaire, M. Besson.

NOS CONFÉRENCES (1)

6 février. M. PlERROT : Jean Charcot, explorateur.

27 février. M. V. LALEVEE : Eugène Mathis, écrivain lorrain.

RÉUNION DU COMITÉ (21 juin 1938).

Le Comité est très heureux d'adresser ses vives félicitations à MM. Delaeter, Lalevée, Peccatte et Pierrot, qui ont été nommés, au cours de l'année, chevaliers de la Légion d'Honneur.

(i) La conférence qui devait être donnée fin mars par M. Lefèvre : La Bretagne des Légendes et des poètes, n'a pu avoir lieu.


- 188 -

La question financière est ensuite examinée. La disproportion notable entre nos ressources ordinaires et le prix de revient du Bulletin justifierait l'augmentation du montant de la cotisation annuelle : cette année encore, pour ne décourager personne et favoriser notre recrutement qui est en excellente voie de progrès, nous en maintiendrons le chiffre à 20 francs ; mais il sera fait appel à la solidarité de tous nos confrères pour que chacun, dans la limite qui lui conviendra, soutienne notre effort par une contribution volontaire. Un papillon, placé à la Ire page du Bulletin de 1938, indiquera les modalités de cet appel.

NÉCROLOGIE

Nous saluons la mémoire de nos confrères disparus, MM. Paul BLECH, Ferdinand BRUNOT, Jules BURRUS, C. CUNY, Alfred GAXOTTE, de MlRBECK, l'Abbé PoiROT, le Colonel ROUSSEAU, le Chanoine TRESSE, D 1' VANEY, Pierre WEILLER.


- 189 -

Nouveaux membres de la Société (inscrits depuis le 31 décembre 1937)

MM.

BARADEL Henri, 35, rue de la Bolle.

BÉGUIN André, directeur au Crédit Lyonnais.

BENOIT Marc, Docteur en pharmacie, Gérardmer.

BLAISING (Mlle), Institutrice à Moyenmoutier.

BROYART Henri, 2, rue Pasteur.

CLAUDEL Jean-René, expert-comptable diplômé, 67, rue Abel Ferry, Epinal.

CLAUDEL Madeleine (Mlle), institutrice, Bertrimoutier.

COLIN Pierre, 52, rue d'Hellieule.

DARNIS (Mme), rue des Trois Villes.

GÉRARD (Mlle G.), quai Carnot.

GRANDFILS (Mme), 58, rue Thiers.

HESTIN Fernand, 8, rue d'Hellieule.

JACQUOT Henri, industriel, marchand de bois, prairie d'Hellieule.

LESSEUX (Mme Charles de), Lusse.

PETITDEMANGE (Mlle), Directrice du cours complémentaire.

PlLLODS Elisabeth (Mme), garage, rue d'Alsace.

SIEGER Charles, 16 bis, rue d'Hellieule.

ZlRN Odette (Mlle), institutrice, Ménil-Thillot.



LISTE DES MEMBRES

DE LA

Société Philomatique Vosgienne

Comité

Président d'Honneur : M. LE MAIRE DE SAINT-DIÉ Président honoraire: M. RENÉ JACQUET ; Président : M. A. PIERROT ; Vice-Président : M. CHARLES PECCATTE ; Secrétaire : M. E. BESSON ; Trésorier : M. ADRIEN CONTAL (1) ;

Membres : MM. ALFRED BOURCIER ; CH. COMIOT ; •FRANÇOIS GÉRARD IN ; AUGUSTE GRELOT ; EMILE JEANPIERRE ,• ALBERT OHL ; E. REY ; Chanoine ROUSSEL.

Membres d'Honneur

MM.

B.4LDENSPERGER Fernand, professeur à l'Université Harvard, à Cambridge (Etats-Unis) et 14, rue de l'Abbé de l'Epée, à Paris (5e).

BRUNEAU Charles, Maître de conférences à la Sorbonne.

(1) Pour tout ce qui concerne les encaissements, cotisations, changements d'adresse, prière de s'adresser à M. Adrien CONTAL, Capitaine en retraite, 4, Quai du Torrent, Saint-Dié. (Compte chèques postaux: 323,30 Nancy).


— 192 — Membres Titulaires (!)

MM. AcKERMANN Michel, chirurgien-dentiste, 19, rue Stanislas. ADENOT Yvonne (Mlle) employée à la Mairie. ALISON Adrien, industriel, à Raon-1'Ëtape. AMOS Robert, industriel, rue d'Alsace, Raon-1'Etape. ANCEL Paul, industriel, Granges. ANCONI (Mme), institutrice, Raon-1'Etape. ANDLAUER Louis, Colonel, 11, rue du Parc. ANDRÉ Henri, Hersbach, Poste Russ (Bas-Rhin). ANTOINE, directeur d'école, à Moyenmoutier. ANTOINE, secrétaire en chef de la Sous-Préfecture, 24, rue du

Maréchal Foch. ARNOUxValentine (Mme), directrice Ecole Maternelle, 5, rue du Parc. ARLABOSSE, Colonel, 24, rue Grandville, Nancy. Association des anciennes élèves du Collège de Jeunes Filles,

Mlle FRANOUX, institutrice, rue du Breuil. AuBERT Pierre, Ingénieur (A. M.), 171, avenue de la République

Homécourt (M.-et-M.). AuBRY L., vétérinaire, rue d'Alsace, AuTRECHAPAUT (Mlle), Collège de garçons.

BADIER Jean, rue Stmislas.

BALDENSPERGER Théophile, I, impasse des Capucins.

BALLAND Pierre, coiffeur, quai Pastourelle.

BALOUZAT R., 4, place Saint-Martin.

BALTHAZARD (Mme), institutrice, 13, place Jules Ferry.

Ban-de-Sapt (commune du).

BAQUUET, rentier, 33, rue de la Courtine, Remiremont.

BARJONET (l'abbé), Hospice de Granges-sur-Vologne.

BARLIER (Mme), rue Jacques Delille.

BARLIER Robert, rue des Trois-Villes.

BARTHÉLÉMY Jean, photographe, 12, rue Thiers.

(1) Les personnes dont le nom n'est suivi d'aucune désignation de. lieu ont leur résidence à Saint-Dié.


— 193 —

MM.

BAUDOUIN, Docteur en médecine, rue Gambetta.

BAUER Raoul, négociant, 16, rue Thiers.

BAUMONT G., professeur au Collège, 12, rue du Nord.

BAUMONT Michel, ancien élève de l'Ecole Normale supérieure, agrégé de l'Université.

BAUDOT Charles, docteur en médecine, rue Jules Ferry, Raonl'Etape.

BAZE, directeur d'usine aux Enclos, Moyenmoutier.

BÉDOIN (Mlle), Professeur au Collège Jules Ferry.

BÉNARD Louis, 2, rue Gambetta.

BENOIT (Mlle), professeur au Collège Jules Ferry.

BERGER, relieur, 13, rue du Maréchal Foch.

BERNARD Pierre, instituteur, LaHaute-Neuveville, par Raon-1'Etape.

BERRET Auguste, 41, rue de Foucharupt.

BERTHIER Maurice, Papeteries de Clairefontaine, Etival-CIairefontaine.

BERTRAND P., professeur honoraire, 33, rue des Trois-Villes.

BESSON, principal honoraire du Collège de Saint-Dié, 44, rue d'Hellieule.

Bibliothèque Municipale d'Epinal, rue de Nancy, Epinal.

Bibliothèque scolaire de Gemaingoutte.

Bibliothèque scolaire de Provenchères (M. Claude, ancien dr d'école, bibl.).

Bibliothèque du Collège de Saint-Dié.

Bibliothèque scolaire de la Bourgonce (M. Gaxotte, Instituteur).

Bibliothèque municipale de Remiremont.

Bibliothèque scolaire de Saint-Jean-d'Ormont.

BlÈGLE (l'abbé), Curé de Ville-sur-Illon.

BlAIRE A., pharmacien, 17, place Saint-Martin.

BLAISON André Marcel, rue du Paradis.

BLECH Emile, (Mme), rue Thurin.

BLECH Georges, industriel, 9, rue des Jardins.

BLECH (Mme Paul), 27, rue de l'Orient.

BLOCH, docteur, rue Gambetta.

BoDENRElDER (l'abbé), 3, Boulevard de la Gare, Epinal.

BOESPFLUG Charles « Nouvel hôtel », rue Gambetta.

BOMBARDE Albert, rue des Jardins.


194

MM.

BOMBARDE Edouard, directeur de l'Abeille, Saint-Dié.

BouiLLOT (Mme Jeanne), 35, rue Concorde.

BOURCIER Alfred, principal honoraire du Collège, rue Stanislas.

BoURET, inspecteur de l'enseignement primaire, rue Descelles.

BouSREZ, docteur en médecine, à Beulay-Provenchères.

BRAUN Camille, décors, Moyenmoutier.

BRAUN Gaston, entrepreneur de peinture, Etival.

BRONGNIART Paul, marchand de bois, rue Carnot, Raon-1'Etape.

BRUCKER Georges, rue d'Alsace.

BUHR, Inspecteur des Chemins de fer, rue de la Gare.

BULTINGAIRE, directeur d'usine, La Croix-aux-Mines.

BURRUS Fernand, quai Jeanne d'Arc.

CAPDEBOSCQ, expert-comptable fiscal, 62, rue Thiers.

CAQUEL Maurice, papiers et cartons, 12, rue Voltaire, La Neuveville-Ies-Raon.

Neuveville-Ies-Raon. J., chocolatier, rue Thiers. CHANAL Léa (Mme), directrice de l'Ecole des Filles, rue du 10e

Bataillon. CHAPUIS, rue de Boudonville, Nancy. CHARLES A., publiciste, avenue du Stade. CHARLES (l'abbé), secrétaire particulier de Monseigneur l'Evêque

de Saint-Dié. CHARTON (Mlle), avenue de Robache. CHARTON Joseph, rue du Petit Saint-Dié.

CHATELAIN Emile, intendant militaire, 16, route de Gênas, à Lyon. CHENAL Paul, avocat-conseil, 8, rue de l'Amérique. CHENÈBLE Léon, rue de la Bolle. CHENUT Paul, 53, Cours Léopold, Nancy. CHOLÉ Camille (Mme), rue des Trois-Villes. CHRISMENT Gabriel (l'abbé), curé de la Petite-Raon. CHRISTOPHE Fernand, Grand Bazar, rue Thiers. CLARTÉ, docteur en médecine, La Neuveville-Ies-Raon. CLAUDE (Mme), 7 bis, avenue de Robache. CLAUDEL Camille (Vve), rue de la Bolle. CLAUDEL, boulanger, rue de l'Amérique.


— 195MM,

CLAUDEL-SARTORÉ (Mme), Château de Rouge-Pierre.

CLAVELIN Charles, place Clemenceau, Senones.

CLAVELIN F., 14, rue Victor-Hugo, La Neuveville-les-Raon.

CLAVELIN (Jean), Quai Jeanne d'Arc.

CLÉMENCET Clément, inspecteur de l'Enseignement primaire

honoraire, rue du Maréchal-Foch. CLEMENDOT Pierre, 34 bis, rue Charles Nodier, Besançon. CLERC Ernest, professeur honoraire, chez M. Giry, 7, rue Marsla-Tour,

Marsla-Tour, CLÉVENOT Charles, instituteur à Frapelle. CLOG, 12, rue d'Alsace.

COLIN (Mme), receveuse-buraliste, à La Bresse. COLIN (Mlle), institutrice, à Zainvillers, par Vagney, COLIN Ernest, représentant, 99, rue d'Alsace. COLIN Henri, employé à la Cie de l'Est, Anould. COLIN Léopold, usine électrique. CoLIN Henri, tapissier, rue Concorde. COLIN-GANTOIS, avenue de Robache. COLNAT, instituteur au Ban-de-Sapt, par Senones. CoLNAT (Mlle), directrice d'école, La Hardalle, Anould. CoLNEL Jeanne (Mlle), institutrice à Pajailles (Etival). CoMlOT Charles, Boulevard Gouvion-St-Cyr, 87, à Paris. CoNNESSON Albert, architecte-expert, 6, rue de Périchamp. CONROY Henri, industriel, à Lépanges. CoNTAL Adrien, capitaine en retraite, 4, quai du Torrent. CORDIER Jean, directeur d'école honoraire, 1, rue du Point du jour,

à Remiremont. CoTTIN, Principal du Collège de Saint-Dié. CRAVE Denise (Mlle), Collège Jules Ferry. CRÉTIN Marcelle (Mlle), professeur au Collège Jules Ferry. CRONE, rue Paul Descelles. CROUZIER Paul, 29, rue Carnot, à Raon-1'Etape. CuNAT (Mme), institutrice, Ménil (le), Le Thillot. CUNIN Albert, négociant, à Provenchères-sur-Fave. CUNY (Mme) Célestin, imprimerie, quai Carnot. CuNY Charles, 11 bis, avenue Emile Deschanel, Paris.


— 196 —

MM.

DARIDAN Léon, Papeteries de Clairefontaine, Etival-Clairefontaine.

DASSIGNY Henri, à Mirecourt.

DEFER Fernand, inspecteur d'Académie, à Auxerre (Yonne).

DELACOTE Guy, ingénieur du corps des Mines, Strasbourg (BasRhin).

DELAETER Alfred, industriel, 116, rue d'Alsace.

DELAGOUTTE, chapelier, rue Saint-Dizier, à Nancy.

DELAVEUVE, docteur en médecine, rue Thiers.

DÉMÉSY (Mme), institutrice, Neuf-Pré, La Bresse.

DERISE Charles, avoué près le Tribunal civil des Vosges, 7, place du Parc.

DESTRUBÉ André, 46, rue de la Bolle.

DEYBACH Robert, rue du Breuil.

DEYBER, chef de Bataillon en retraite, 6, rue du Breuil.

DIDIER Paul, 11, rue Saint-Charles.

DlEZ Robert, Fabricant, rue Stanislas.

DlVOUX Constant, hôtelier, place Saint-Martin.

DuBEC, Commandant en retraite, quai du Parc.

DUBOIS Pierre, vérificateur des compteurs à l'usine électrique, Saint-Dié.

DuCEUX Camille, fabricant de bonneterie, 26, rue de la Bolle.

DuCROUX Gaston, receveur des Finances, rue d'Alsace.

DuDAY René, 174, rue Jeanne d'Arc, Amiens.

DuMÉNIL Pierre, Pharmacien, Place Jules Ferry.

DuRAlN Emile, coiffeur, rue Stanislas.

DURAND Henri, agent d'assurances, avenue de Robache.

DuRULL, expert-comptable fiscal, La Vigne Henry.

DusSEL Charles, rue d'Alsace.

DUVAL Paul, fabricant de bonneterie, 14, rue des Jardins.

EBLÉ, imprimerie, place Jules Ferry.

ELBEL Paul, Député des Vosges, 69, avenue de Ségur, Paris (7e).

EMMANUEL, photographe, rue Thiers.

ESCHENLOHR André, 56, rue du Cardinal Mathieu, Nancy.

EsTIEU (Mlle), Dame employée de l'enregistrement, Gourdon (Lot).


— 197 -

MM.

ETIENNE François, avenue de Robache.

ETIENNE Henri, à Rambervillers.

ETIENNE Paul, Professeur au lycée Rouget de Lisle, conservateur

du Musée d'Archéologie, Beaux-Arts et Histoire Naturelle de

Lons-le-Saunier (Jura). EVRARD Pierre-Fourier, (Mgr), curé de Notre-Dame d'Epinal,

6, rue Pasteur, Epinal. EvRAT Paul, rue Haute.

FALCHI Robert, coiffeur, place Jules Ferry.

FEIVET (Chanoine) Curé de Saint-Martin.

FELLMANN Christian, avenue de Robache.

FERRAZZINI Désiré, propriétaire, Moyenmoutier.

FERRY Abel (Mme), 1, rue Bayard, Paris (8e).

FERRY J.-B., rue Saint-Charles.

FERRY Robert, instituteur, à Sainte-Barbe, par Ménil-s-Belvitte.

FISCHER Jean, route de l'Artillerie.

FLOCH, Professeur de dessin au Collège.

FoLTZ Jacques, Rédacteur Banque de France.

FoURCHY P., docteur en droit, assistant à la Conservation du Musée

Lorrain, 13, rue de Verdun, Nancy. FoURCHY Michel, Industriel, Celles-sur-PIaine. FOURIER-MAGNIÉ, 25, rue Germini, à Mirecourt. FRANCK Victor, vice-président du Tribunal civil de Strasbourg. FRANCK Camille, colonel du Génie en retraite, 56, rue Vaneau,

à Paris (7e). FRANÇOIS Adrien, 10, chemin de Dijon. FRANÇOIS Marc, (Mme) 9, avenue de Robache. FRANÇOIS-BRAJON Maurice, 30, rue Carnot, à Raon-1'Etape. FRANOUX Jeanne (Mlle), institutrice, rue du Breuil. FRÉCHARD, 18, rue des Travailleurs. FREISZ Gustave, 15, rue de la Paix. FREISZ Georges, Gazette Vosgienne, rue Thiers. FRESSE (l'abbé Adrien), curé de Saulcy-sur-Meurthe. FRIENTZ Henri, Bois, 7, rue Gambetta. FRIENTZ (Mlle), Avenue de Robache. FROMENT, professeur honoraire, 13, rue du Parc.


198

MM.

GAIDON, Belle Jardinière, Saint-Dié.

GAMP Henri, entrepreneur de menuiserie, 68, rue de la Prairie.

GARÈNE, commandant, industriel, route de Rambervillers, Raonl'Etape.

Raonl'Etape. directeur de la Banque de France.

GAUDRON H., professeur au lycée de Douai (Nord), 8, rue des Glacis". GAXOTTE (Mme Alfred), 26, rue des Trois-Villes. GAZIN, inspecteur des Eaux et Forêts, rue Haute. GÉHIN Pierre, imprimeur, avenue du Maréchal Foch, à Mirecourt. GEISLER Emmanuel, industriel aux Châtelles, La Neuvevilleles-Raon.

Neuvevilleles-Raon. Léon, professeur honoraire, à Deycimont. GEORGE, pharmacien, place Saint-Martin.

GEORGE, Gérant de la suce, des Chaussures Mathis, rue Thiers. GEORGE Pierre, inspecteur des Contributions Directes et du

cadastre, 9, rue du Président Doumer, à Epinal. GEORGES Paul, Instituteur honoraire, Traits de Roches, SaintEtienne-les-Remiremont.

SaintEtienne-les-Remiremont. (Mme), institutrice, Raon-1'Etape. GÉRARD Aimé, (le chanoine), curé-doyen de Provenchères-surFave.

Provenchères-surFave. Albert (Mme Vve), villa d'Ormont. GÉRARD Henri, avoué, rue des Trois-Villes. GÉRARDIN François, rue Thiers. GÉRARDIN Jean, docteur en droit, They-sous-Vaudémont par

Diarville (M.-et-M.). GÉRARDIN Jean (fils), rue Thiers. GÉRARDIN Georges, agent général d'assurances, rue du Maréchal

Foch. GERLACH Emile, Artiste-peintre, Luvigny.

GÉROME Henri, conseiller d'arrondissement, Saulcy-sur-Meurthe. GERSPACH, capitaine de vaisseau, 57, rue d'Alsace. GILBERT (Mgr), curé-doyen de Gérardmer. GlLGENKRANTZ, pharmacien, Senones. GlRARDET Fernand, professeur de Chimie et Toxicologie, 6, rue

de la Côte, Nancy. GlRARDET (Mme), directrice d'Ecole Maternelle, à Senones. GlRAUD R., directeur des Papeteries du Souche, Anould.


— 199 —

MM.

GLEZ (le chanoine Gaston), supérieur au Grand Séminaire.

GûDCHOT, (Colonel), 4, rue Valentine à Nice (Alpes-Maritimes).

GOETZ, entrepreneur de peinture, rue d'Alsace.

GOGUEL F. (Mme), 19, Rue de l'Orient.

GoGUEL Yvan, dentiste, Place Saint-Martin.

GoLLY, 36, rue Saint-Charles.

GoMBEAU, libraire, rue d'Alsace.

GoRET Léon, professeur au collège, 7, place du Parc.

GRANDADAM Emile, greffier de Paix, à Gérardmer.

GRANDCLAUDON Marcel (l'abbé), curé de Racécourt.

GRANDCLAUDE (Mme), institutrice, Le Souche, Anould.

GRANDCOLAS Albert, industriel à Lépanges.

GRANDEMANGE René, instituteur, Saint-Nabord.

GRANDJEAN Gaston, ingénieur chimiste, 65, rue des Trois-Villes.

GRANDJEAN Léon, greffier du Tribunal de Commerce, rue du Breuil.

GRÉLOT Auguste, rue des Jardins.

GRIMAUD (Aimé), Agent de Change, 10, rue des Bégonias, Nancy.

GuÉBlNG Camille (l'abbé), curé de La Chapelle-devant-Bruyères.

GuÉROLDI Maurice, industriel, 79, rue des Trois-Villes.

GuiGNET (Mme), 57, rue d'Alsace.

HAB Roger, 125, Boulevard Montparnasse, Paris 6e.

HANS Maurice, industriel, Le Ménil-Thillot.

HANUS André, Docteur en droit, à Charmes.

HAOUY Ch., usine à gaz, 46, quai de Dogneville, Epinal.

HASSOUN R., 18 bis, rue Jules Ferry, La Neuveville-les-Raon.

HAUTEVILLE (d'), Commandant, Bureau des Affaires indigènes,

Cercle militaire de Taroudant (Maroc). HECK François, architecte, rue d'Alsace. HECK Albert, entrepreneur, rue de la Paix. HEITZMANN Victor (Mme), 31, rue Thiers. HEL, marchand de vins, rue Gambetta. HELLÉ Camille, 9, passage Central, à Bois-Colombes (Seine). HENRY Renée (Mlle), rue Stanislas.

HENRY R.-T., « Ma Chaumière », 141, rue des Soupirs, Epinal. HENRY Léon, 17, rue Stanislas. HENRY, receveur des Postes, Saint-Dié.


- 200 —

MM.

HÈYMONET Michel, place Stanislas.

HlRSINGER Pierre, 21, rue d'Hellieule.

HlRTZ Eugène, professeur au collège, 9, rue du Parc.

HûDAPP Marcel, imprimeur, 3, rue de la Croix.

HOUBRE H., menuisier, 25, rue de la Prairie.

HouiLLON Jules (chanoine), Professeur, Institut Fénelon, Grasse

(A.-M:). HouiLLON (Mme), rue de l'Orient. HOUTMANN Lucien, 27, rue Saint-Charles. HuGUENY Auguste, directeur de Filature, 32, rue de l'Orient. HUGUENY Xavier, directeur honoraire de l'Ecole Supérieure de

Filature et de Tissage de l'Est, 38, rue de Remiremont, à

Epinal. HULOT Ernest, avoué, rue Stanislas. HuMBERT Léopold, ancien maire, Provenchères-sur-Fave. HuMBERT Paul (l'abbé), curé archiprêtre de Remiremont.

IUNG Jacques, 14, rue du 10e Bataillon.

JACOBI (Mlle), professeur au Collège Jules Ferry, rue du Maréchal

Foch. JACQUET Robert, docteur en médecine, Quai Jeanne d'Arc. JACQUET René, rue des Trois Villes. JANOT Jean-Marie, 13, rue Stanislas, à Plombières. JEANDEL (Mme), institutrice, rue de la Croix. JEANNETTE Georges, percepteur, rue Carnot, à Rambervillers. JEANPERRIN (Mme), 4, rue du 10e Bataillon. JEANPIERRE Emile, avocat, 36, rue Thiers. JûLLY Pierre, directeur des Services techniques de la Chambre

de Commerce, 7, rue de Saint-Senoch, Paris (17e). JULIEN Emile, directeur de la Banque de France, à Charleville

(Ardennes).

KASTENER Jean, sous-archiviste des Vosges, Préfecture, Epinal. KEMPF Janine (Mlle), 26, rue de l'AmériqueKEMPF, Galeries Modernes.


— 201 -

MM.

KEMPF Michel, 26, rue de l'Amérique.

KlENER Jean (Mme), 84, rue de la Bolle.

KiENÉR Georges (Mme), 28, rue de la Bolle.

KlRSTETTER Albert, instituteur, à Saint-Blaise-les-Moyenmoutier.

KOENIG, boulanger, rue Stanislas.

KoHLËR Robert, industriel, Le Ménil-Thillot.

KoPF (l'abbé), Professeur au Grand Séminaire.

KuNTZMANN, receveur de l'enregistrement, 3, rue Dauphine.

LABARRAQUE, 20, rue des Jardins.

LACHAUD Jean, rue de la Prairie.

LACOUR Jules (Mme), à Sainte-Marie-aux-Mines.

LAFOSSE Gaston, expert-comptable, 36, rue du Téméraire, Nancy.

LAHAYE Fernand, horticulteur, 2, rue Richardville.

LALEVÉE Victor, instituteur honoraire, Les Aulnes, Fraize.

LALEVÉE, instituteur, à Fraize.

LAMBERT Emile, Ménil (le), Le Thillot.

LAMBERT Joseph, Ménil (le), Le Thillot.

LAMY, notaire, rue des Jardiniers, Epinal.

LAQUENAIRE Robert, chef de secteur à l'usine électrique.

LARGER Louis, industriel, rue Saint-Charles.

LAROCHE, docteur en médecine, rue de l'Orient.

LARUE André, industriel, à Senones.

LAUGEL, industriel, président de la Société des Fêtes, rue Thurin.

LAUGEL Marcel, dessinateur, 4, rue d'Alsace.

LAURENT Ernest (le chanoine), supérieur des Missionnaires diocésains, 3, Impasse de la rue du Nord.

LAURENT (Mme), Gendarmerie, Valence (Drôme).

LAUTESCHER, cinéma, quai Carnot.

LAVOIVRE Raymond, Neuvillers-sur-Fave (Usine électrique SaintDié).

LEBLAND Jean, chirurgien dentiste, 17, rue de la Gare.

LECLERC, dentiste, 17, rue de la Gare.

LECOANET P. (Mlle), directrice d'Ecole Maternelle, à Raon-1'Etape.

LECOINTE (Mme), professeur.

LECOMTE, instituteur honoraire, Le Rabodeau, Moyenmoutier.

LECUVE Marcel, industriel, Château du Fouys, Raon-1'Etape.

13


— 202 —

MM.

LEDERLÉ Emile, rue du Breuil.

LEDOUX André, coiffeur, 4, rue de la Menantille.

LEGRAS Emile, directeur honoraire de cours complémentaires,

rue du Breuil. LENSEIGNIES Jean, étudiant, rue de Lorraine, La Neuveville-IesRaon.

Neuveville-IesRaon. Caisse d'Epargne, rue Descelles. LEROY Pierre, notaire, rue Carnot, Raon-1'Etape. LESSEUX (DE) Florent (Mme), Provenchères-sur-Fave. LETOUBLON Robert, 34, rue de la Menantille. LÉVÊQUE (l'abbé), Curé-Doyen de Vittel. LEY Auguste, directeur de tissage Etablissements Trimbach,

rue de la Prairie. LHUILLIER, représentant, rue Jules Ferry, Raon-1'Etape. LlBERT J. (l'abbé), curé à Anould. LlTAIZE (l'abbé), directeur du Foyer Vosgien, 14, rue des Forts,

à Epinal. Loos, imprimeur, rue des Trois-Villes. Louis René, bois et charbons, rue d'Alsace. Louis René, instituteur, Raon-1'Etape. LoUTZ Charles (fils), papeteries de Clairefontaine, Etival-CIairefontaine.

Etival-CIairefontaine. PRETTA, Coiffeur, 12, place Saint-Martin.

MAGNIER André, Professeur Ecole militaire préparatoire, Epinal.

MAGRON Marie (Mlle), collège Jules Ferry.

MANGEL, 10, rue de la Bolle.

MANSUY Jean, 15, rue de la Bolle.

MARANDE Georges, 15, rue de la Bolle.

MARANDE Georges (Mme), 15, rue de la Bolle.

MARCHAL Emile, industriel, rue du 10e Bataillon.

MARCHAL Paul (Mme), avenue de la Fontenelle.

MARCHAL Joseph (Mme Vve), 23, rue de la Gare.

MARCHAL (Mme), directrice d'école, Le Souche, Anould.

MARCOT André, Instituteur à Wisembach.

MARMOTTIN (Mgr), Evêque de Saint-Dié.

MARTIN René, Inspecteur d'Académie des Vosges, Epinal.


- 203 - MM.

MARTIN Gaston, professeur au Collège, 82, rue d'Alsace.

MASL Marius, négociant, rue Stanislas.

MASSON, industriel, rue d'Alsace.

MASSON, receveur municipal.

MATHIEU Albert, ferronnier-électricien, 9, rue de la Bolle.

MATHIS Paul, notaire à Senones.

MATT Marie (Mlle), 3, rue des Tanneries.

MAUGENRE (l'abbé), curé d'Aydoilles.

MAURICE, directeur de la Société Nancéienne, Raon-I'Etape.

MECKERT Paul, 86, rue d'Ormont.

MECKERT (Mme), institutrice, rue de l'Amérique.

MEHL Adolphe, notaire, place Saint-Martin.

MEHL Julien, ancien notaire, 11, place Saint-Martin.

MEISSERT, Directeur de la B.N.C.I., Valenciennes (Nord).

MELCHIOR, Trésorier de la Caisse d'Epargne.

MELCHIOR Robert, Hurbache, par Moyenmoutier.

MÉNGIN, instituteur, Les Cours de Saulcy.

MEYER Louis, receveur des Hospices, 5, rue du Kemberg.

MEYER (Mme), Route de la Justice, Villa Alice, à Toul.

MEYER Henri, industriel, Vivier-au-Court (Ardennes).

MlCHEL Denis, Nayemont-Ies-Fosses.

MlNOD (Mgr) Archiprêtre de la Cathédrale.

MlRBECK (Mme DE) Edouard, 14, rue du Nord.

MlSE Léon, 5, rue de Périchamp.

MoiNAUX, directeur des Ecoles, La Hardalle, Anould.

MoNNIER Léon, Est Républicain, quai du Parc. '

MoNTILLET, conservateur des hypothèques, Alençon (Orne).

MoUGEOLLE, directeur d'usine, Celles-sur-Plaine.

MoUGlN Stéphane, avocat, rédacteur en chef de l'Indépendance

Vosgienne, à Remiremont. MoUROT Albin, avoué, 21, rue Stanislas. MULLER Charles, entrepreneur de serrurerie, rue Thiers. MUNDVILLER Louis, comptable, 41, rue Haute.

NATHAN (Docteur), pharmacien, rue Thiers. NlCOLAS J., ancien instituteur, Celles-sur-Plaine.


— 204 —

MM.

NoEL Lucien, instituteur honoraire, Saulcy-sur-Meurthe. NOËL Marie, institutrice, Charmes-sur-Moselle.

OHL Albert, artiste-graveur, 11, place Saint-Martin.

OLLONE (le Vicomte Henri d') Général, 46, rue Hamelin, Paris.

OsTER, docteur en médecine, rue de la Gare.

PARVÉ, architecte, I, rue de la Prairie.

PAVOZ (Mme), quai Pastourelle.

PAYEUR, instituteur honoraire, Dijon (Vosges).

PECCATTE Charles, artiste-peintre, 27, rue Thurin.

PERRIN (le chanoine), Vicaire général du diocèse.

PETITCOLIN Paul, rue d'Hellieule.

PETITDEMANGE, avenue de la Laiterie.

PETITDIDIER (Mme), institutrice au Collège, 37, rue d'Alsace.

PETITJEAN Edouard, Etablissements Géliot, à Plainfaing.

PÈTITJEAN Léon (le chanoine), curé-doyen de Fraize.

PETITNICOLAS Edouard, négociant, 34, rue Stanislas.

PETITNICOLAS, instituteur en retraite, Anould.

PETRY F., docteur en médecine, rue du Maréchal Foch.

PHILIPPE, docteur en médecine, rue de la Gare.

PHULPIN (Mme), avenue de Robache.

PlERRAT (Mme Raymond), 51, rue Haute.

PIERRE, directeur du Cours Complémentaire de Raon.

PlERRON Charles, négociant, à Moyenmoutier.

PlERROT Roger, Surveillant général au Lycée de Besançon.

PlERROT André, docteur en médecine, à Ban-de-Laveline.

PlERROT, Conservateur de la Bibliothèque municipale, 24, rue du

Maréchal Foch. PIERROT Emile (le chanoine), directeur des OEuvres diocésaines à

Epinal, 11, rue Jean Viriot. PoiGNON Marcelle (Mlle), institutrice au collège de garçons, 18, rue

Concorde. PoNCET (Mlle), directrice du Collège Jules-Ferry. PoULNOT René, avoué à Charleville (Ardennes).


— 205 -

MM.

PRÊCHEUR Bernard, le Senneçon, Senones.

PRÉVOST A., professeur honoraire II, rue du Maréchal Foch,

PRÉVOST Pierre, vérificateur des poids et mesures à Clichy,

20, Avenue Anatole France (Saine). PRÉVOT (Mme), 33, rue des Trois-Villes. PuTON Bernard, à Remiremont.

RAMSPACHER Xavier, chalet Marie-Thérèse, à Foucharupt.

R\TTAIRE (Mme) institutrice, Le Souche, Anould.

REIMBOLD, instituteur, rue du 10e Bataillon.

REMY, instituteur, Senones.

REMY Maurice (Mme), Avenue de la Gare, Schirmeck.

RENARD Georges, industriel, rue d'Alsace.

RENAUD, pharmacien, Anould.

REY, Professeur honoraire du Lycée Buffon, 27, rue de la Bolle.

RlCH Joseph, professeur au Collège, 14, rue des Trois-Villes.

RIEDINGER Robert, I, rue Dauphine.

RlELLE Hubert, entrepreneur de menuiserie, 49, rue de la Bolle.

RlHN Emile (l'abbé), curé de Taintrux.

ROBERT Paul (l'abbé), curé de Saint-Michel-sur-Meurthe, Conseiller général.

RoECKEL, professeur au collège de Saint-Dié.

ROGER François, ancien avoué, 7, rue Stanislas.

ROGER, Coiffeur, rue d'Hellieule.

RoHMER Adrien, boucher, 6, rue Pasteur.

ROSE Eugène; instituteur honoraire, à La Bolls.

ROSE, docteur en médecine, Senones.

RossiLLION, rue Stanislas.

ROUSSEAU (Mme), 8, avenue de Robache ou 78, avenue Mozart, Paris (16e).

ROUSSEAU, docteur en médecine, Anould.

ROUSSEL (le chanoine), 4, rue de la Cathédrale,.

ROUSSEL Paul, directeur des travaux de la ville.

RoziÈRES (abbé de) Directeur de la Maison des retraites de Bazoilles-et-Ménil, par Mattaincourt.

RuYER Léon, docteur en droit, 3, rue de la Gare.


— 206 — MM.

SABY Marcel, avocat, rue Thiers.

SADOUL Louis (Mme), 25, rue de Boudonville, Nancy.

SARI Georges, employé pharmacie Georges, place Saint-Martin.

SAUVAGE (l'abbé), Missionnaire diocésain, 3, Impasse de la rue du Nord.

SAVOIE Georges, directeur de l'Harmonie Municipale, rue Cachée.

SAYER Léon, Directeur d'Ecole de la rue d'Hellieule.

ScHAMBER-DoRRER, rue Thiers.

ScHAUDEL Louis, receveur principal des Douanes, en retraite, 19, avenue de la Chapelotte, à Badonviller (M.-et-M).

ScHElDECKER Louis (l'abbé), curé d'Uxegney, par Darnieulles.

ScHMALTZ Raymond, charcuterie, place Saint-Martin.

ScHMIDT Georges, rue d'Alsace.

ScHMIDT Henri, ancien député des Vosges, Boulevard Raspail, 67, à Paris.

ScHMIDT (le Général), rue Maurice André.

SCHMITTBUHL Adrien, docteur en médecine, médecin-chef honoraire du sanatorium de Schirmeck.

SCHNEIDER L., négociant, rue du 21e Bataillon, Raon-1'Etape.

SCHNEIDER, épicier, rue de la Bolle.

SCHNEPP Paul, 28, rue de la Bolle.

ScHOENDORFF A., industriel, Le Ménil, par Le Thillot.

ScHWINDENHAMMER Jean, industriel, rue Gambetta, La Neuveville-les-Raon.

SCHWOB (l'abbé), rue Jean Viriot, Epinal.

SEM Camille, rue d'Alsace.

SEU.XEL, directeur du cours complémentaire, Senones.

SIMON Jules, Le Souche, Anould.

SoNREL, instituteur, Senones.

SouCHAL, négociant, rue Thiers.

SouiLLARD Paul (abbé), curé de Cheniménil, par Docelles.

SPITZ Robert, rue de Périchamp.

SPITZ Henri, avenue de la Fontenelle.

STRARBACH, notaire, à Valey (Haute-Saône).

SuRMELY Emile, Sculpteur-Décorateur, 14, rue du 10e Bataillon.


— 207 —

MM.

TERDIEU (Mme), place du Parc.

THIRION G., docteur en médecine, 15 ter, rue d'Alsace.

THOMAS Henri, peintre, rue Haute.

THOMAS, directeur d'école, rue du 10e Bataillon.

THOMASSIN Paul, docteur en médecine à Moyenmoutier.

THOUVENIN Antoine, impasse du Beau-Jardin.

THRO Emile, (chanoine), rue des Jardins.

TlBLE-LAURENT (Mme), rue de la Prairie.

TlNCHANT Louis, industriel, Pont de Bois, par Vauvillers

(Haute-Saône). TOPPE Armand, directeur de la Société des Carrières, rue Carnot,

Raon-1'Etape. ToURNADE J., chirurgien-dentiste, 29, rue Thiers. ToURNIER, chef de musique, Anould. TRIBOUT Henri, homme de lettres, 13, rue des Loges, MontignyIes-Metz

MontignyIes-Metz TRIMBACH Emile, industriel, rue d'Alsace. TRIMBACH Paul, rue Gambetta. TRIMOUILLE, avenue de la Laiterie.

UBEL Henri, 48, rue d'Alsace. ULRICH Marcel, I, rue Descelles. ULRICH Paul, 2, rue Rovel. ULRICH Georges, rue des Frères-Simon.

VALET (Ruben) Pasteur, 30, rue de la Bolle.

VANÉY (Mme A.), rue de la Bolle.

VARENNE Charles (l'abbé), curé-doyen de Vagney.

VlLMlNOT L„ instituteur, à Sauville par Vrécourt.

VINCENT Lucien, instituteur, à Neuvillers-sur-Fave.

VINCENT (Mlle Marie-Thérèse), quai Jeanne d'Arc.

VlON Paul, instituteur, 7, rue des Grands Jardins, à Remiremont.

VlRIOT, notaire, rue Thiers.

VoiRIN Maurice, chemin de la Corvée.

WACKENHEIM, Commandant, rue de la Nolle. WATRIN-FlSCHER (Mme), rue d'Hellieule.


— 208 —

MM.

WEICK Adolphe, libraire, 27, rue Thiers.

WEILLER Pierre (Mme), Meubles, rue Thiers.

WENGER Louis, Capitaine, Etat-Major du Secteur fortifié du

Bas-Rhin, 37, avenue de la Forêt-Noire, Strasbourg. WlLMANN Jean, avoué, 1, quai Pastourelle. WoLTZ Henri, comptable, 22, rue Thurin.

XARDEL Emile, directeur de la Banque Populaire, rue Concorde.

ZuRCHER, industriel, avenue de Robache.


SOCIETES CORRESPONDANTES

FRANCE

Bouches-du-Rhône.

Bibliothèque de l'Université d'Aix-en-Provence.

Calvados. Société linnéenne de Normandie (Caen).

Char ente-Inférieur e.

Société des Archives historiques de l'Aunis et de la Saintonge

(Saintes).

Côte-d'Or.

Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Dijon.

Creuse.

Société des Sciences naturelles et archéologiques de la Creuse (Guéret).

Doubs.

Société d'Emulation de Montbéliard. Société d'Emulation du Doubs (Besançon).

Gard.

Société d'Etudes des Sciences naturelles de Nîmes.

Gironde.

Société archéologique de Bordeaux.

Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Bordeaux.


- 210 - Haute-Marne.

Société historique et archéologique de Langres. Société des Sciences, Lettres et Arts de Saint-Dizier.

Haute-Saône.

Société d'Agriculture, Sciences et Arts de la Haute-Saône (Vesoul). Société grayloise d'Emulation (Gray).

Ille-et-Vilaine.

Société historique et archéologique de Saint-Malo.

Isère.

Académie delphinale (Grenoble).

Société de Statistique des Sciences naturelles et Arts industriels

de l'Isère (Grenoble).

Jura.

Société d'Emulation du Jura (Lons-le-Saulnier).

Loiret.

Société archéologique et historique de l'Orléanais (Orléans).

Marne. Académie nationale de Reims.

Meurthe-et-Moselle.

Société d'Archéologie Lorraine (Nancy).

Société des Sciences de Nancy.

Académie de Stanislas (Nancy).

« Annales de l'Est » (Nancy).

Archives du département, de Meurthe-et-Moselle.

Meuse.

Société des Lettres, Sciences et Arts de Bar-le-Duc. Société philomathique de Verdun.

Moselle. Académie nationale de Metz. Société d'Histoire et d'Archéologie de la Lorraine (Metz).


— 211 -

Nord. Société d'Emulation de Cambrai.

Orne. Société historique et archéologique de l'Orne (Alençon).

Pas-de-Calais. Société des Antiquaires de la Morinie (Saint-Omer).

Rhin (Bas-).

Société Académique du Bas-Rhin pour le progrès des Sciences, des Lettres, des Arts et de la Vie économique, sous couvert Bibliothèque nationale et universitaire à Strasbourg (Bas-Rhin), 6, place de la République.

Club Vosgien (Strasbourg).

Rhin (Haut-).

Société belfortaine d'Emulation (Belfort).

Société d'Histoire naturelle de Colmar.

Musée historique de Mulhouse.

Société d'Histoire du Val et de la ville de Munster.

Sarthe.

Société d'agriculture, Sciences et Arts de la Sarthe, 2, rue de Tessé, Le Mans.

Savoie.

Société savoisienne d'Histoire et d'Archéologie de Chambéry.

Seine.

Ministère de l'Instruction publique (cinq exemplaires). (1). Société nationale des Antiquaires de France (Paris). Bibliothèque de l'Université de Paris à la Sorbonne.

Somme. Société des Antiquaires de Picardie (Amiens).

(t) « Les Sociétés savantes devront envoyer au ministère cinq exemplaires de toutes leurs publications. Ces documents sont destinés à la Bibliothèque des Sociétés savantes, et aux commissions de publication du Comité des travaux historiques et scientifiques » (Circul. minist. du 31 Janvier 1881 ).


- 212 —

Vienne. Société des Antiquaires de l'Ouest (Poitiers).

Vosges.

Société d'Horticulture des Vosges (Epinal). Société d'Emulation des Vosges (Epinal).

Algérie.

Société archéologique du département de Constantine. Société de Géographie et d'Archéologie d'Oran.

ETRANGER

Amérique.

Smithsonian Institution (Washington). Sociedad cientifica « Antonio Alzate » (Mexico).

Belgique.

Société des Recherches historiques et folkloriques du Brabant,

12, Vieille Halle au Blé, Bruxelles. Société Royale d'Archéologie, Musée de la Porte de Hal, Bruxelles. Société des Bollandistes (Bruxelles), 24, boulevard Saint-Michel. Archives de la France monastique « Revue Mabillon », abbaye

Saint-Martin, à Chevetogne (Belgique),

Luxembourg. Institut Royal-Grand-Ducal de Luxembourg (Section historique).

Suède. Institut géologique de l'Université d'Upsal.

Suisse. ■

Société Jurassienne d'Emulation (Porrentruy). Société des Sciences naturelles de Neuchâtel. Société Vaudoise des Sciences (Lausanne). Naturforschende Gesellschaft (Bâle).


TABLE

A. PlERROT. — Légendes Vosgiennes : Les fées 3

Georges BAUMONT. — La porte Saint-Stanislas (puis des Griffons) 89

Albert OHL DES MARAIS. — Le Culte des pierres dans la région vosgienne 99

Henri TRIBOUT. — La famille des Porcelets de Maillane, livres aux

armes et sceaux 115

Victor LALEVÉE. — Eugène MATHIS, poète et écrivain régionaliste,

sa vie et son oeuvre 125

r

Jean-René CLAUDEL. — Un sabbat au Moutier des Fées (Coutumes

et vieille légende de La Bresse en Vosges) 139

A. CoNTAL. — L'Iconographie de Saint-Dié 167

E. FROMENT. — Le Manuscrit 19 de la Bibliothèque de Saint-Dié. 173

Charles BRUNEAU. — Ferdinand BRUNOT 179

A. PlERROT. — Annales de la Société Philomatique vosgienne (Réunion du Comité (9 Novembre 1937). — Assemblée Générale. — Nos Conférences. — Réunion du Comité (21 juin 1938) Nécrologie. — Nouveaux membres de la Société 183

Liste des Membres de la Société 191

Sociétés Correspondantes 209