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Titre : Revue catholique des institutions et du droit

Éditeur : [s.n.] (Grenoble)

Éditeur : [s.n.] (Paris)

Éditeur : [s.n.][s.n.] (Paris)

Éditeur : [s.n.][s.n.] (Lyon)

Date d'édition : 1881-04-01

Contributeur : Brun, Lucien (1822-1898). Fondateur de la publication

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32856559j

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb32856559j/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Format : Nombre total de vues : 60658

Description : 01 avril 1881

Description : 1881/04/01 (A9)-1881/04/30.

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k5496187k

Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, 8-F-519

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 19/01/2011

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REVUE CATHOLIQUE

DES

INSTITUTIONS'ET DU DROIT.

(9™e Annêa.)

L'AMEMDEHEMT BUISSON.

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La loi de finances du 28 décembre 1880 contient deux articles appelés, selon toute vraisemblance, à faire surgir dans la pratique de sérieuses difficultés. Ce sont les articles 3 et -4 connus sous le nom d'amendement Brisson, quoiqu'ils ne ressemblent plus guère à l'amendement primitif.

L'article 3 étend à certaines sociétés l'impôt sur le revenu.

L'article 4 règle l'impôt à percevoir, lorsque se réalise la clause de réversion insérée dans des actes de société ou de tontine.

On se demande quel est le sens et la portée de ces dispositions.

'On se demande également à quelle époque cette loi entrera en vigueur.

Nous nous proposons de répondre à ces questions, autant qu'on peut le faire dans une première étude sur une loi nouvelle, alors que l'on n'a pour s'éclairer ni les études des jurisconsultes, ni les décisions de la jurisprudence.

I.

DES SOCIÉTÉS QUI NE DISTRIBUENT PAS DE BÉNÉFICES.

L'article 3 de la loi du 28 décembre est ainsi conçu : <c L'impôt établi par la loi du 29 juin 1872 sur les produits et bénéfices annuels des actions , parts d'intérêts et commandites, sera payé par toutes les sociétés dans lesquelles les produits ne doivent pas être distribués en tout

Qe ANN. Ier SEM. 4e LIV. AVRIL l88l. 15


226 AMENDEMENT BRISSON.

ou en partie entre leurs membres. Les mêmes dispositions s'appliquent aux associations reconnues et aux sociétés ou associations, même de fait, existant entre tous ou quelquesuns des membres des associations reconnues ou non reconnues.

» Le revenu est déterminé : 1° pour les actions , d'après les délibérations, comptes rendus ou documents prévus par le premier paragraphe de l'article 2 de la loi du 29 juin 1872 ;

» 2° Et pour les autres valeurs, soit par les délibérations des conseils d'administration, prévues dans le troisième paragraphe du môme article; soit par la déclaration des représentants des sociétés ou associations, appuyée de toutes les justifications nécessaires; soit, à défaut de délibérations et de déclarations, à raison de 5 p. 100 de l'évaluation détaillée des meubles et des immeubles composant le capital social.

» Le paiement de la taxe applicable à l'année expirée sera fait par la société ou l'association dans les trois premiers mois de l'année suivante, sur la remise des extraits des délibérations, comptes rendus ou documents analogues , et de la déclaration souscrite conformément à l'article 16 de la loi du 22 frimaire an vu.

» L'inexactitude des déclarations, délibérations, comptes rendus ou documents analogues peut être établie corformément aux articles 17, 18 et 19 de la loi du 22 frimaire an vu, 13 et 15 de celle du 23 août 1871.

» Chaque contravention aux dispositions qui précèdent et à celles du règlement d'administration publique qui sera fait, s'il y a lieu, pour leur exécution , sera punie conformément à l'article 5 de la loi du 29 juin 1872.

» Sont maintenues toutes les dispositions de cette dernière loi et du règlement d'administration publique du 6 décembre 1872, qui n'ont rien de contraire aux présentes dispositions. »

L'article 3 se résume ainsi :

Le premier alinéa indique les contribuables.

Les deuxième et troisième alinéas fixent les moyens de déterminer le revenu.

Le quatrième règle l'époque de paiement de l'impôt.

Le cinquième détermine les preuves admissibles pour établir la fausseté des déclarations.

Le sixième édicté les pénalités.

Le septième maintient en vigueur les dispositions de la loi de 1872 et du règlement d'administration publique non contraires à la loi de 1880.


IMPOT SUR LES ASSOCIATIONS RELIGIEUSES. 227

§ 1.

A qui s'applique la loi de Î880.

La loi de 1880 n'a pas la prétention de créer un impôt nouveau , mais simplement d'étendre à certaines sociétés ou associations qui échappaient à son application, l'impôt établi par la loi du 29 juin 1872.

La discussion ne peut laisser sur ce point aucun doute.

« Est-ce que ces associations, disait au Sénat le rapporteur de la loi (Journal Officiel, Sénat, p. 12,776, 3e col.), dans les statuts desquelles se trouve cette clause que les associés ne seront jamais appelés à partager les bénéfices faits par cette association, ne se rattachent pas intimement au principe qui a servi de base à la loi de 1872? La loi de 1872 a établi un impôt sur les produits et bénéfices des associations en général ; voilà le fondement même de la loi lorsqu'il s'agit d'une association religieuse. »

« Il résulte de ces explications, disait dans la même séance M. Wilson, sous-secrétaire d'Etat (J. Off., Sénat, p. 12,783, 2e col.), que nous nous proposons de compléter la loi de 1872 en restant dans l'esprit qui l'a dictée au législateur, s

Le texte de la loi de 1880 est d'ailleurs formel : « L'impôt établi par la loi du 29 juin 1880 sur les produits, etc., sera payé par toutes les sociétés, etc. B

C'est bien une extension de la loi de 1872 à certaines sociétés indiquées dans la loi de 1880.

Il est donc essentiel "de savoir d'abord quelles sont les dispositions de la loi de 1872.

Cette loi frappe d'un impôt les bénéfices provenant des parts d'intérêt ou commandites dans les sociétés, comme aussi les revenus produits par les emprunts des départements, villes, sociétés ou entreprises quelconques.

Cet impôt n'atteint pas tous revenus quelconques, mais seulement les revenus perçus sous les formes indiquées par la loi.

L'impôt ne grève pas la société, entreprise commune, etc., mais seulement l'associé ou le créancier. La société commune, etc., joue simplement le rôle d'un percepteur, chargé par la loi d'opérer, pour le compte du trésor, le recouvrement de l'impôt sur le revenu, au moment où s'effectue le paiement de ce revenu aux mains de l'actionnaire ou du créancier. (Loi de 1872, art. 3, 2e alinéa.)

L'impôt se perçoit sur le revenu réellement payé à l'ac-


228 AMENDEMENT BRISS0N.

tionnaire ou au créancier, et non sur les bénéfices plus ou moins considérables que la société aurait pu réaliser, mais qu'elle ne distribue pas à ses membres. A défaut de justification légale du revenu distribué, résultant d'une délibération prise en conformité des statuts , la loi de 1872 établit un forfait ; elle suppose qu'un capital engagé dans une affaire rapporte en moyenne 5 pour 100 de bénéfice par an, et base sur ce chiffre la perception de l'impôt.

Tel est le résumé de la loi de 1872.

Son caractère essentiel peut se formuler ainsi : impôt grevant non pas le bénéfice réalisé, mais le bénéfice distribué. Impôt sur l'associé et non sur la société.

Il en résulte :

1° Que la société personnellement ne doit rien sur ses bénéfices, revenus, émoluments quelconques non distribués;

2° Que l'associé ne doit l'impôt que le jour où la société lui remet une somme à titre de revenu et au prorata de cette somme ;

3° Que si la société rembourse à l'associé le montant total ou pai'tiel de sa part sociale, l'impôt établi par la loi de 1872 n'est pas dû, puisque cette somme est du capital et non du revenu ;

4° Que le forfait, à défaut de détermination du bénéfice réel, se calcule sur le capital social et non sur l'actif social même en déduisant le passif;

5° Que les membres d'une société, dans laquelle on aurait stipulé qu'il ne sera fait aucune répartition de bénéfices-, ne payeront aucun impôt sur le revenu, soit pendant la durée de la société, parce qu'ils ne percevront durant cette période aucun revenu, soit à la fin de la société, parce qu'ils recevront alors un capital et non un revenu.

La loi de 1872 fut appliquée par l'administration de l'enregistrement aux membres des sociétés civiles fondées en vue d'oeuvres catholiques et aux membres des associations religieuses comme à tous autres contribuables, et si, grâce à certaines stipulations, des associations religieuses échappaient aux impôts créés par la loi de 1872, ce n'était ni une fraude à la loi, ni une faveur pour les religieux, mais simplement une conséquence de principes dont pouvaient bénéficier également tous les citoyens français en se plaçant sous l'empire de stipulations identiques.

Aucun revenu n'étant distribué il ne pouvait y avoir perception de l'impôt.

En 1880, M. Brisson, président de la commission du budget, présenta à la Chambre un amendement proposant contre les congrégations reconnues ou non reconnues une


IMPOT SUR LES ASSOCIATIONS RELIGIEUSES. 229

série de mesures fiscales destinées à compléter l'oeuvre d'iniquité et de persécution qui s'accomplit de nos jours contre l'Eglise catholique et tout ce qui s'y rattache.

Il s'agissait de tuer les congrégations par la fiscalité et, comme l'a très bien montré M. Chesnelong au Sénat (/. Off. Sénat, p. 12,770, 2e col.), de compléter l'oeuvre du 29 mars.

«. Yis-à-vis des congrégations d'hommes, disait-il, la violence ouverte pour commencer l'oeuvre et la fiscalité sournoise pour l'achever; vis-à-vis des congrégations de femmes la violence serait trop odieuse , on espère que la fiscalité suffira. »

L'article 4 de cet amendement était ainsi conçu :

« La loi du 29 juin 1872 et le décret du 6 décembre suivant sont applicables à toutes les congrégations, corporations ou communautés sans exception, quels que soient leur dénomination, leur forme et leur objet. Le revenu possible de la taxe est fixé à forfait à 5 pour 100 du capital commun, évalué selon les lois de l'enregistrement sans distinction des immeubles qui y sont compris. »

Cet amendement, par suite de remaniements successifs, a donné naissance à l'article 3 de la loi du 29 mars 1880.

L'article 3 soumet d'abord à l'impôt établi par la loi du 29 juin 1872 les bénéfices des sociétés qui statutairement n'en distribuent pas.

Comment peut-on soumettre à l'impôt sur les bénéfices distribués une société qui statutairement ne distribue pas de bénéfices ?

La loi de 1880 a tenté de réaliser ce problème insoluble, puisqu'il implique contradiction dans les termes.

La loi cependant est formelle; elle s'exprime ainsi :

« L'impôt établi par la loi du 29 juin 1872, sur les produits et bénéfices annuels des actions , parts d'intérêts et commandites, sera payé par toutes les sociétés dans lesquelles les produits ne doivent pas être distribués en tout ou en partie entre leurs membres. »

Or, quel est l'impôt établi par la loi du 29 juin 1872? C'est l'impôt sur les bénéfices distribués, ce qui revient à dire que l'impôt sur les bénéfices distribués sera payé au prorata de ce bénéfice distribué par les sociétés qui n'en distribuent pas. A prendre le texte au pied de la lettre on arrive à une absurdité.

La discussion, heureusement, nous éclaire sur la véritable pensée du législateur, et nous montre que sous une rédaction essentiellement vicieuse, on a, en réalité, créé pour certaines sociétés un impôt complètement nouveau : l'impôt sur les bénéfices réalisés par la société. En sorte qu'il y a aujourd'hui deux impôts distincts : l'un sur


230 AMENDEMENT BRISSON.

le bénéfice distribué aux associés, grevant les sociétés visées par la loi de 1872, et l'autre, sur le bénéfice réalisé par la société, atteignant les sociétés qui se trouvent dans le cas prévu par la loi de 1880. Si l'on a cru devoir rattacher la loi de 1880 à la loi de 1872, c'est bien plus pour pouvoir faussement présenter la loi nouvelle comme un rappel à l'égalité devant l'impôt, qu'à raison d'un rapport réel existant entre ces deux lois. Il peut y avoir entre elles certaines analogies , mais elles diffèrent essentiellement dans leur objet.

La loi de 1880 s'applique aux sociétés ou associations dont les statuts disposent qu'il ne sera fait entre leurs membres, pendant la durée de la société, aucune répartition de bénéfice.

La loi s'exprime ainsi : « L'impôt sera payé par toutes les sociétés dans lesquelles les produits ne doivent pas être distribués en tout ou en partie entre leurs membres. »

Cette absence de distribution de bénéfice doit résulter d'une clause statutaire et être stipulée pour toute la durée de la société. La discussion de la loi l'établit incontestablement.

« Que venons-nous demander au Parlement, disait au Sénat M. le sous-secrétaire d'Etat Wilson (J. Off., Sénat, p. 12,782, 2e col.), nous venons lui demander que, pour le cas où nous nous trouvons en présence d'une association dont les statuts contiennent cette clause que les bénéfices ne seront jamais distribués, pour ce cas seulement, il vote une disposition qui assujettisse ces sociétés à l'impôt. Par conséquent, votre loi ne vise que ce cas spécial, elle ne peut atteindre d'autres sociétés. »

Il ne suffit pas, pour donner ouverture à l'impôt, que les bénéfices ne soient pas distribués pendant un temps plus ou moins long , il est essentiel qu'ils ne puissent pas être distribués.

« Toutes les fois que les produits, disait encore M. le sous-secrétaire d'Etat (loc. cit., 3e col.), ne pourront -pas être distribués en tout ou en partie entre les membres de l'association , mais seulement alors , l'impôt de 3 % sur le revenu sera perçu. »

Une société ou association qui, en fait pendant une ou plusieurs années, met en réserve tous ses bénéfices, devra-t-elle l'impôt de la loi de 1880?

« Non, répond encore M. le sous-secrétaire d'Etat (/. Off., Sénat, p. 12,734, 3« col.)... la loi ne le dit pas... En principe, la loi de 1872 frappe tous les revenus , tous les bénéfices des sociétés. Cependant, quand ces sociétés mettent à la réserve certains bénéfices, l'impôt n'est pas


IMPOT SUR LES ASSOCIATIONS RELIGIEUSES. 231

perçu. Pourquoi ? Parce que la mise en réserve n'est pas une distribution effective, et que , dans l'esprit de la loi de 1872, c'est le fait de la distribution qui justifie la perception de l'impôt. Mais si ces bénéfices, ainsi réservés , échappent actuellement au droit, ils y deviennent soumis dès que, sous une forme ou sous une autre, ils font l'objet de la distribution qui est le but essentiel de l'entreprise. Pourquoi vous proposons-nous aujourd'hui d'atteindre ces mêmes bénéfices ? C'est parce que nous nous mettons en présence de sociétés ou d'associations dans lesquelles la distribution est à jamais interdite par les statuts. y>

Et le rapporteur, M. R.oger-Marvaise, ajoutait (J. Off., Sénat, p. 12,785, lre col.): «Pour quel cas spécial est donc fait cet article que nous discutons en ce moment ? Il est fait pour le cas spécial où, ainsi que vous le disait M. le sous-secrétaire d'Etat, il y a dans les statuts une clause... »

La phrase coupée par une interruption n'a pas été achevée , mais le sens est complet et indiscutable. . Dans la discussion des articles, M. le rapporteur revenait sur cette même condition. « Remarquez, disait-il (/. Off., Sénat, p. 12,837, lre col.), que, dans le texte, nous ne nous servons pas comme le faisait, il y a un instant, l'honorable M. Gouin, de ces mots : « les produits ne sont pas distribués en tout ou en partie , » non, ce ne sont pas les expressions de l'article 3.

« Dans l'article il y a : « les produits ne « doivent » pas être distribués... » C'est ce mot « doivent » qui est la manifestation dans l'article 3 de cette clause de non-distribution de bénéfices qui est visée exclusivement par l'article. »

Donc la loi de 1880 s'applique uniquement aux sociétés ou associations contenant dans leurs statuts une clause de non-distribution de la totalité des bénéfices , et ce pendant toute la durée de la société ou association.

La loi, après avoir posé le principe, énumère certaines sociétés ou associations qui tomberont sous son application ; mais à une condition , c'est que les statuts de ces sociétés ou associations contiendront la clause de non-distribution de bénéfice.

Voici, en effet, comment s'exprimait, sur ce point, M. le sous-secrétaire d'Etat (/. Off., Sénat, p. 12,782, 3» col.) : «Les mêmes dispositions... quiconque est familier avec la rédaction des textes législatifs, sait que, quand on met « les mêmes dispositions, » il faut que la situation pour laquelle a été édicté le paragraphe précédent se retrouve en son entier dans le paragraphe qui suit. »


232 AMENDEMENT BRISS0N.

Et plus loin, revenant sur cette même pensée, M. Wilson la précise ainsi (J. Off., Sénat, p. 12,843, 3° col.) : « La même disposition, » par conséquent la même interdiction, c'est-à-dire le fait de la non-distribution obligatoire des bénéfices, rend l'impôt applicable à toutes les associations et à toutes les sociétés de fait. »

Le premier alinéa de l'article 3 pourrait donc se formuler ainsi : les sociétés, associations reconnues, associations non reconnues, sociétés ou associations de fait dont les statuts prohibent toute distribution de bénéfices doivent l'impôt établi par la loi de 1872, conformément aux règles établies par la loi de 1880.

Par contre, toute société, association reconnue ou non reconnue, société ou association de fait dont les statuts ne renferment pas cette clause , est exclusivement régie par la loi de 1872, la loi de 1880 ne lui est pas applicable.

On remarque que la loi de 1880 parle des sociétés ou associations de fait, c'est un non-sens (1).

La société ou association de fait n'est soumise aux dispositions de la loi de 1880 que si ses statuts contiennent la clause de non-distribution de bénéfices ; or, au point de vue des biens, une société ou association de fait c'est une société qui n'est constatée par aucun acte. Comment donc la loi peut-elle parler des statuts d'une société défait, puisqu'elle cesserait d'être une société de fait si elle avait des statuts.

L'observation en a été faite au Sénat par M. le duc de Broglie (/. Off., Sénat, p. 12,785, 1™ col.), et par M. de Gavardie (/. Off., Sénat, p. 12,845, 3° col.). Il a été répondu à M. de Broglie par un rappel à l'ordre, à M. de Gavardie par l'hilarité des gauches !

Forcé par les interpellations de la droite de s'expliquer sur ces mots, le rapporteur , il est vrai, a dit comment ils s'étaient introduits dans la loi, mais il n'a même pas essayé de justifier leur présence. (/. Off., Sénat, p. 12,785, 1™ col.).

Les sociétés qui ne voudraient pas rester soumises aux dispositions de la loi de 1880 ont un moyen fort simple de rentrer sous l'empire de la loi de 1872, c'est de faire dispa(I)

dispa(I) auteurs de la loi ont, à diverses reprises, fait preuve d'une profonde ignorance de droit. C'est ainsi que M. Brisson, dans l'article5 de son amendement, croyait se montrer très rigoureux envers les religieux non autorisés, en leur défendant de convenir qu'ils resteraient plus de dix ans dans l'indivision. Il ignorait probablement que le Code (art. 815), limite à cinq ans une pareille stipulation , et avait confondu l'indivision avec la société.


IMPOT SUR LES ASSOCIATIONS RELIGIEUSES. 233

raître de leurs statuts la clause prohibant la distribution des bénéfices.

Cela fait, si elles n'ont pas de conseil d'administration, elles en constitueront un et celui-ci fixera chaque année le bénéfice à distribuer, ou décidera qu'il n'y a lieu, vu l'état des affaires sociales, de faire aucune distribution. L'impôt sera payé en conséquence. Si, au contraire, ces sociétés n'ont pas de conseil d'administration ; elles paieront l'impôt sur un revenu fixé, à forfait, à 5 0/0 de leur capital social.

Quant aux associations non reconnues, on ne voit pas comment elles pourraient, à ce titre, tomber sous le coup de la loi de 1880.

En effet, l'association n'a par elle-même aucune existence réelle, elle ne peut arriver à l'existence légale que par la reconnaissance. Nous supposons dans l'espèce une association non reconnue, donc elle sera incapable en droit comme en fait de posséder aucuns biens. Ceux-ci seront nécessairement possédés par des individus seuls capables de droits et d'obligations. Alors trois hypothèses se présentent :

1° La propriété repose légalement sur la tête d'un seul individu.

Dans ce cas, il n'existe pas de statuts, et par suite, pas de clause statutaire de non-distribution de bénéfices, donc rien qui donne ouverture à l'application de la loi de 1880, rien même qui permette d'appliquer la loi de 1872, puisqu'il n'y a pas de société ;

2° La propriété repose sur plusieurs têtes sans qu'aucun acte règle les droits réciproques. Alors c'est la simple indivision ; il n'y a pas davantage de statuts, la clause en question n'existe pas, la loi de 1880 et la loi de 1872 sont également sans application ;

3° Les propriétaires ont formé entre eux un acte de société : ce sera alors la société qui tombera sous le coup de la loi de 1880 si elle est dans le cas prévu par cette loi, sinon elle sera régie par la loi de 1872.

Donc, en aucun cas, la loi de 1880 ne pourra atteindre l'association non reconnue.

Mais quelle sera la situation des associations reconnues et notamment des congrégations religieuses ?

Ces congrégations reconnues ne peuvent, sans l'autorisation du gouvernement, rien changer à leurs statuts. Il ne dépend donc pas d'elles, si la loi de 1880 les atteint, de s'y soustraire en modifiant les règles qui les gouvernent.

Si leurs statuts stipulent formellement qu'aucun bénéfice ne sera distribué entre les membres de. la congréga-


234 AMENDEMENT BRISS0N.

tion, la question est tranchée : la congrégation doit l'impôt établi par la loi de 1880.

Mais supposons au contraire que, sur ce point, les statuts sont silencieux, et ne parlent pas du partage des bénéfices, ni pour le prescrire ni pour le défendre, que faudrat-il décider ?

Nous avons indiqué le principe essentiel de la loi de 1880 : cette loi s'applique aux sociétés ou associations qui, dans leurs statuts, contiennent la clause de non-distribution de bénéfice.

Nous admettons que cette clause pourrait exister sans être formellement écrite dans l'acte. Si, par exemple, la société ou association n'avait pas le droit de distribuer de bénéfice entre ses membres, la loi de 1880 serait applicable.

Une association reconnue, dont les statuts sont silencieux, a-t-elle le droit de distribuer son bénéfice entre ses membres?

Nous ne voyons pas ce qui pourrait l'en empêcher. Ce n'est point il est vrai dans l'usage ; on pourrait môme trouver la chose étrange, mais là n'est pas la question. En droit, les bénéfices doivent-ils ne pas être distribués? Tel est le seul point à résoudre pour savoir si la loi de 1880 est ou non applicable.

Une congrégation reconnue constitue un être moral indépendant de la personne des religieux, et qui seul est propriétaire de tous les meubles et immeubles affectés à l'usage de ceux-ci. Les religieux ne peuvent disposer de ces meubles et immeubles, mais ils ont sur eux un véritable droit d'usufruit ; aussi les administrateurs de la congrégation peuvent disposer comme ils l'entendent de tous les fruits produits par ces biens. Rien donc ne saurait, dans le silence des statuts, les empêcher en droit comme en fait de distribuer ces fruits chaque année aux membres de la congrégation,

Dira-t-on que le voeu de pauvreté est un obstacle à cette distribution? Ce serait oublier que le voeu de pauvreté n'est pas reconnu par la loi française, que la mort civile atteignant les religieux profès a été abolie en 1790, qu'elle n'a jamais existé pour les autres, et qu'aujourd'hui le religieux a, nonobstant son voeu de pauvreté, le droit civil d'acquérir et de posséder comme tout autre citoyen.

Rien donc dans le silence des statuts ne s'oppose à la répartition annuelle, entre les membres d'une congrégation reconnue, du bénéfice réalisé par cette congrégation. Par conséquent, celle-ci ne tombe pas de plein droit sous le coup delà loi de 1880. Elle n'y-tomberait que si ses statuts contenaient une clause formelle de non-repartition de bénéfices.


IMPOT SUR LES ASSOCIATIONS RELIGIEUSES. 235

La loi de 1880 pourrait toutefois avoir pour effet indirect de soumettre aux dispositions de la loi du 29 juin 1872, édictant l'impôt sur le revenu, les congrégations reconnues, dont les statuts .ne renferment pas la clause visée par la première de ces lois.

Les termes de la loi de 1872 ne paraissent pas s'appliquer aux congrégations reconnues; cependant, en présence de la loi de 188'0, on leur posera ce dilemme : toute association reconnue doit l'impôt sur le revenu, soit en vertu de la loi de 1880 si statutairement elle ne distribue pas son revenu, soit en vertu de la loi de 1872 si elle a le droit de . le distribuer. Optez donc pour l'une ou l'autre de ces deux lois, suivant la situation qui vous est faite par vos statuts.

Les congrégations reconnues, qui ne se trouvent pas dans le cas prévu par la loi de 1880, seront donc forcées d'accomplir les formalités prescrites par la loi de 1872 et de payer s'il y a lieu l'impôt édicté par cette loi.

En résumé.

La loi de 1880 ne s'applique qu'aux sociétés ou associations reconnues dont les statuts contiennent la clause de non-répartition de bénéfices.

Les sociétés qui sont dans ce cas peuvent, en modifiant cette clause de leurs statuts, retomber sous l'empire de la loi de 1872.

I 2Sur quelle hase a lieu la perception de l'impôt,

La loi de 1880 établit un impôt de 3 pour 100 sur les bénéfices des sociétés et associations qui statutairement ne distribuent pas ce bénéfice entre leurs membres.

Comment déterminera-t-on le bénéfice ?

C'est l'objet des deuxième et troisième alinéas de l'article 3. Pour bien en comprendre le sens , il est nécessaire de recourir aux travaux préparatoires. Toutefois la première discussion devant le Sénat (J. Off., Sénat, p. 12,770 à 12,852) peut seule nous fournir quelques lumières. Le projet soumis à la Chambre différait essentiellement du projet définitivement voté, la discussion ne peut donc nous apporter aucun éclaircissement. La seconde discussion, tant à la Chambre qu'au Sénat, n'a porté que sur l'introduction dans l'article 4 du droit de mutation à titre gratuit. C'est donc également sans intérêt.

Le projet de loi élaboré par la commission du Sénat (/. Off., annexe à la séance du Sénat du 21 décembre 1880


236 AMENDEMENT BRISSON.

rapport complémentaire de M. Roger-Marvaise) contenait les dispositions suivantes :

« Le revenu est déterminé : 1° pour les actions, d'après les délibérations, comptes rendus ou documents prévus par le premier paragraphe de l'article 2 de la loi du 29 juin 1872 ;

» 2° Et pour les autres valeurs, soit parles délibérations des conseils d'administration, prévues dans le troisième paragraphe du même article, soit, à défaut de délibération, à raison de 5 pour 100 de l'évaluation détaillée des meubles et des immeubles composant le capital social.

3> Le paiement de la taxe applicable à l'année expirée sera fait par la société ou l'association dans les trois premiers mois de l'année suivante , sur la remise des extraits des délibérations, comptes rendus ou documents analogues, et de la déclaration souscrite conformément à l'article 16 de la loi du 22 frimaire an vu. »

Le projet de loi admettait donc deux moyens de déterminer le bénéfice réalisé :

1° Les délibérations officielles des assemblées générales ou des conseils d'administration fixant le bénéfice réalisé ;

2° A défaut de délibération un forfait fixé à 5 pour 100 du capital social.

Ces deux modes étaient analogues à ceux adoptés par la doi de 1872, pour déterminer le bénéfice distribué.

Un sénateur, M. Cherpin, proposa, par voie d'amendement (/. Off., Sénat, p. 12,845,1™ col.), un troisième moyen pour déterminer le bénéfice réalisé. Ce fut la déclaration des intéressés. En conséquence, il rédigeait ainsi le troisième alinéa de l'article 3

« Et pour les autres valeurs , soit par les délibérations du conseil d'administration prévues par le troisième paragraphe du même article , soit par la déclaration des représentants des sociétés ou associations, soit à défaut de délibération ou de déclaration à raison de 5 pour 100, etc.»

Cet amendement donne naissance au texte nouveau voté par le Sénat (/. Off., Sénat, p. 12,850, l™ col.) dans les termes suivants :

«... Soit par la déclaration des représentants des sociétés ou associations, appuyée de toutes les justifications nécessaires. »

La loi de 1880 admet donc trois moyens pour déterminer le bénéfice réalisé :

1° Les délibérations des intéressés ; 2° Leur déclaration ; 3» Le forfait.


IMPOT SUR LES ASSOCIATIONS RELIGIEUSES. 237

Examinons successivement ces trois moyens.

I. Délibérations des intéressés. — La loi de 1880, dans le deuxième et le début du troisième alinéa de l'article 3, a presque copié l'article 2 de la loi de 1872.

Ce mode de procéder a produit une rédaction complètement vicieuse. On ne s'en étonnera pas, connaissant la précipitation et la légèreté qui ont présidé au vote de la loi, malgré les énergiques réclamations de la droite.

Le revenu, dit la loi de 1880, est déterminé « pour les actions... et pour les autres valeurs. » Or, dans les sociétés régies par la loi de 1880, les actions ou parts quelconques ne donnent aucun revenu. On ne peut donc pas déterminer ce revenu. Il eut fallu dire :

« Le bénéfice des sociétés anonymes est déterminé par les délibérations, comptes rendus ou autres documents prévus par le premier paragraphe de l'article 2 de la loi du 29 juin 1872.

s Le bénéfice des autres sociétés ou associations est déterminé, soit par les délibérations des conseils d'administration prévues dans le troisième paragraphe du même article... »

C'est la seule traduction raisonnable des dispositions de la loi.

Le premier mode de fixation du bénéfice est donc la délibération de l'assemblée générale ou celle du conseil d'administration.

Cette délibération suffit à elle seule pour l'établissement de l'impôt et ne doit être accompagnée d'aucune justification. Les intéressés, lorsqu'ils déposent une délibération , n'ont, en vertu de la loi de 1880, ni à remettre leur bilan, ni à communiquer leurs écritures. L'enregistrement ne peut rien leur demander en dehors de la délibération.

Il est incontestable, en effet, que les mots « appuyée de de toutes les justifications nécessaires, » figurant deux lignes plus bas dans l'article 3, ne s'appliquent qu'à la déclaration. Ces mots n'existaient pas dans le texte préparé par la commission du Sénat, ils ont été ajoutés par voie de sous-amendement à l'amendement proposé par M. Cherpin, consistant à admettre comme preuve du revenu la déclaration des intéressés ; enfin la ponctuation et l'accord (appuyée au singulier), prouvent à l'évidence que ce mot appuyée se rapporte uniquement à la déclaration. Si l'administration conteste la sincérité de la délibération elle aura à rapporter la preuve de son allégation. La société ou association sera défenderesse et comme telle pourra se borner à opposer à l'administration la règle probatio incumbit ei qui dicit, vous prétendez que j'ai fait des


238 AMENDEMENT BRISSON.

bénéfices, alors que je prétends ne pas en avoir fait, prouvez-le.

Les congrégations reconnues qui seraient régies par la loi de 1880 pourront-elles, par l'organe de leurs administrateurs, prendre la délibération prévue par la loi.

Nous croyons devoir répondre affirmativement.

Les statuts des congrégations reconnues règlent le mode d'administration de leurs biens. Ils confient d'ordinaire cet office à un supérieur général assisté d'un conseil ; c'est là un véritable conseil d'administration. Or la loi de 1872 n'a tracé aucune forme sacramentelle pour la constitution et le fonctionnement de ces conseils , elle se borne à cette formule générale : les conseils d'admininistration des intéressés. Rien ne s'oppose donc à ce que les administrateurs d'une congrégation reconnue prennent la délibération indiquée par la loi.

Comment devra-t-on procéder pour les congrégations reconnues qui possèdent plusieurs maisons? Chaque maison devra-t-elle prendre sa délibération spéciale ou, au contraire, suffira-t-il d'une délibération et d'un dépôt uniques pour toute la congrégation.

La solution de cette question dépendra des circonstances.

Si chaque maison forme une association absolument indépendante, se gérant librement elle-même, n'établissant avec les autres maisons de la congrégation aucune participation de dépenses et de recettes, conservant son revenu et en disposant librement, il appartiendra à ceux qui gèrent chacune des maisons de prendre la délibération (ou défaire la déclaration).

Si, au contraire, ainsi que cela arrive d'ordinaire, toutes les maisons d'une même congrégation sont liées entre elles par une administration centrale, si les maisons qui rapportent viennent au secours de celles qui coûtent sans rapporter, comme sont les noviciats et maisons de retraite, si en un mot la congrégation est administrée par un conseil d'administration unique, la délibération (ou la déclaration) devra émaner de ceux qui, aux termes des statuts, forment ce conseil d'administration, elle sera par suite unique et se déposera au bureau dans le ressort duquel se trouve la maison-mère.

Le texte paraît concorder avec cette interprétation puisqu'il suppose une déclaration unique faite par les représentants de l'association.

Or, l'association c'est la réunion de tous les membres de la congrégation ayant pour représentant légal le supérieur général assisté de son conseil.


IMPOT SUR LES ASSOCIATIONS RELIGIEUSES. 239

IL Déclaration. — Le second mode de fixation du bénéfice réalisé consiste dans une déclaration des représentants des sociétés ou associations.

A la différence de la délibération qui se suffit à ellemême, la déclaration doit-être, dit la loi, « appuyée de toutes les justifications nécessaires. »

Qu'est ce que les justifications nécessaires?

Ce bloc enfariné ne me dit rien qui vaille.

Armé de ce texte , l'enregistrement ne connaîtra pas de limites à ses inquisitions. La production des documents les plus confidentiels n'arrivera pas à assouvir son insatiable curiosité, s'il croit trouver quelque profit même indirect à ne point se déclarer satisfait.

Une pareille disposition n'est plus une loi, c'est l'arbitraire sanctionné par la loi.

III. Forfait. — Le troisième mode est le forfait « à raison de 5 0/o, dit la loi, de l'évaluation détaillée des meubles et des immeubles composant le capital social. »

Cette évaluation doit, aux termes du quatrième alinéa de l'article 3, faire l'objet d'une déclaration affirmative.

Les parties ont l'option entre la déclaration affirmative du bénéfice réalisé appuyée des justifications nécessaires et la déclaration affirmative du capital social, pourvu que cette déclaration contienne l'évaluation détaillée des meubles et des immeubles composant ce capital.

En effet, dans le texte primitif, c'était à la déclaration du capital social que s'appliquaient ces mots du quatrième alinéa : « la déclaration souscrite conformément à l'article 16 de la loi du 22 frimaire an vu. »

Si l'amendement Cherpin a donné aux intéressés le droit de déclarer le revenu réalisé, il ne leur a point enlevé le bénéfice du forfait sur déclaration du capital social.

Qu'est-ce que le capital social? C'est ce que les associés mettent en commun pour s'en partager le bénéfice.

Dans les sociétés, le capital social sera indiqué par l'acte même de société, ce sera de l'argent, ce seront des meubles ou des immeubles, suivant que les apports auront consisté en argent, en meubles ou en immeubles.

Le sens que nous attachons au mot capital social est celui que lui attribue la loi de 1872 et celui que toujours on lui a donné dans la pratique.

La loi de 1872 avait jugé inutile de demander l'évaluation détaillée du capital social, elle se contentait du chiffre indiqué à l'acte de société ou révélé par les mutations de parts sociales. C'était simple et d'une exécution facile. La loi de 1880 demande cette évaluation. Cette circonstance


240 AMENDEMENT BRISSON.

est-elle de nature à modifier l'interprétation des mots : capital social?

On peut expliquer cette exigence en disant que des meubles ou des immeubles apportés en société peuvent avec le temps changer de valeur, soit par le fait de l'usure, soit par les circonstances extérieures qui, pour les immeubles notamment, créent des plus-values. Le revenu étant présumé proportionnel à la valeur du capital, il y a, à la rigueur, lieu de déterminer chaque année cette valeur.

Nous doutons toutefois que telle ait été la pensée du législateur. On pourrait même se demander si la majorité a eu une conception bien nette des dispositions votées par elle. En effet, elle a appliqué le mot capital social, nonseulement aux sociétés, mais encore aux congrégations reconnues qui, n'étant pas des sociétés, n'ont pas de capital social.

Toutefois le texte est formel, les mots employés ont un sens juridique incontestable et non équivoque ; il faut donc s'en tenir au texte de la loi et dire que le capital social dans une société ce sont les mises résultant de l'acte constitutif; sauf à indiquer chaque année, par une déclaration, la valeur actuelle des objets qui les ont constituées.

Mais quel sera le capital social d'une congrégation reconnue. Le mot capital social ne saurait s'appliquer exactement à une association qui n'est pas une société; il faut donc chercher dans l'avoir d'une congrégation ce qui correspond au capital social d'une société.

Le capital social c'est l'actif net avec lequel la société a commencé à travailler. C'est ce que la société fait fructifier. Le capital social n'est pas l'actif social, l'actif brut. En supposant qu'il n'ait été fait aucune perte , ou que le bénéfice ait toujours été intégralement retiré , le capital social serait la balance entre l'actif et le passif social.

Le bénéfice est au moins en théorie proportionnel aux capitaux engagés dans une affaire ; on comprend donc que l'on prenne le capital social comme base du bénéfice , on ne ne comprendrait pas que l'on cherchât cette base dans l'actif social. En effet, une société qui ne doit rien et travaille avec un million de capital gagnera probablement autant qu'une société possédant, outre un million de capital, quatre millions d'actif, mais grevés par contre d'un passif de pareille somme. On ne saurait admettre que la seconde payât cinq fois ce que paie la première puisque les revenus des deux sociétés sont présumés identiques.

Une congrégation reconnue n'a pas de capital social, puisqu'elle n'est pas une société, mais on peut trouver une certaine analogie entre la balance de son actif et de son


IMPOT SUR -LES ASSOCIATIONS RELIGIEUSES. 241

passif et le capital social d'une société. Il faudra donc, si l'on veut donner un sens aux termes employés par le législateur, tout en restant dans l'esprit de la loi, traduire les mots capital social, appliqués aux congrégations religieuses, par ceux-ci : balance de l'actif et du passif.

Toutefois, il sera impossible de donner un état détaillé de la balance, puisque c'est simplement la différence entre les évaluations de choses différentes, peut-être, par leur nature, comme seraient un actif immobilier et un passif mobilier ; il faudra donc, si l'on veut donner un sens à la loi, fournir l'état détaillé de l'actif et du passif.

On se. gardera bien de confondre l'état de l'actif et du passif avec l'état des recettes et des dépenses. Ce dernier état peut être la justification nécessaire à fournir à l'appui de la déclaration des bénéfices réalisés, au contraire le forfait doit s'établir sur la balance ressortant de la comparaison de l'actif et du passif, c'est-à-dire de ce que l'on possède et de ce que l'on doit.

Si les sociétés ou associations qui se trouvent dans le cas prévu par la loi de 1880 nous demandaient avis, nous leur dirions :

Si vous avez un conseil d'administration, prenez une délibération et déposez là.

Si vous n'en avez pas, hâtez-vous autant que possible d'en établir un.

A défaut de. délibération, recourez au troisième mode ' indiqué : le forfait.

Mais évitez à tout prix de déclarer votre revenu, c'est vous exposer à toutes les tracasseries de l'enregistrement et livrer le secret de vos affaires à des investigations qui bientôt engendreraient de nouvelles exigences et des prétentions dont les conséquences seraient pour vous désastreuses.

§3.

Dispositions des quatrième, cinquième, sixième et septième alinéas de l'article trois.

Nous n'avons que peu de choses à dire des dernières dispositions de l'article 3. Leur interprétation ne saurait offrir de difficulté.

Nous ferons seulement remarquer que la déclaration dont parle le quatrième alinéa était uniquement dans le projet de loi la déclaration détaillée du capital social. Par l'introduction dans le troisième alinéa d'un nouveau mode

ixe—i 16


242 AMENDEMENT BRISS0N.

d'établissement de l'impôt, à savoir la déclaration du revenu , ce mot dans le quatrième alinéa s'applique maintenant à la déclaration du revenu comme à la déclaration du capital social.

On remarquera ainsi, en ce qui touche la procédure, que l'article 13 de la loi du 23 août 1871 s'applique à la loi de 1880. Il ne sera donc question ni de contrainte ni de mémoires, mais l'affaire s'introduira par une assignation, la cause se plaidera contradictoirement, le jugement sera sujet à appel d'après les règles ordinaires.

IL

ACTES DE SOCIÉTÉ CONTENANT LA CLAUSE DE RÉVERSION.

L'article 4 delà loi de 1880 s'exprime comme suit :

« Dans toutes les sociétés ou associations civiles qui admettent l'adjonction de nouveaux membres, les accroissements opérés par suite de la clause de réversion au profit des membres restant de la part de ceux qui cessent de faire partie de la société ou association sont assujettis au droit de mutation par décès, si l'accroissement se réalise par le décès, ou au droit de donation s'il a lieu de toute autre manière, d'après la nature des biens existant au jour de l'accroissement, nonobstant toutes cessions antérieures faites entre-vifs au profit d'un ou de plusieurs membres de la société ou de l'association. »

Pour qu'il y ait lieu a application de cet article il faut trois conditions :

1° Qu'il y ait une société civile ;

2° Que la. société admette statutairement l'adjonction de nouveaux membres ;

3° Qu'elle contienne une clause de réversion au profit des membres restant ;

lrG CONDITION. — Société civile. — Les sociétés de commerce échappent à la disposition de l'article 4. Pourquoi ? Il est impossible d'en donner une raison sérieuse. En effet, si la double circonstance relevée dans l'article 4 donne naissance au droit de donation, lorsque les associés se livrent à des opérations civiles, on ne voit pas pourquoi ces faits revêtiraient un autre caractère lorsque la société a un but commercial.

La vraie raison de cette différence est que l'on avait en vue, sans oser toutefois le dire, les tontines entre religieux,


IMPOT SUR LES ASSOCIATIONS RELIGIEUSES. 243

et qu'il suffirait pour les atteindre de viser les sociétés civiles.

2me CONDITION. — Adjonction de nouveaux membres. —■ Cette condition doit être statuaire; en effet, s'il en est autrement, si l'adjonction de nouveaux membres ne peut se faire que du consentement de tous les associés, on ne sera plus en présence d'une société qui admet de nouveaux membres, mais le jour où cette admission conventionnelle se réalisera il y aura une nouvelle société formée entre personnes différentes.

Le rapporteur a, devant le Sénat (J. Off., Sénat, p. 12,851 3e col.), affirmé la nécessité de cette condition ainsi que de la suivante en des termes qui ne peuvent laisser aucun doute : « Est-ce que cet article [4], dit-il, prévoit l'accroissement au profit des survivants, d'une manière spéciale, c'est-à-dire sans la clause d'adjonction ; ou bien, au contraire, "cette clause d'adjonction de membres nouveaux doit-elle se rencontrer dans les statuts des sociétés avec la clause d'accroissement au profit des survivants? »

« Je croyais que le texte admis par la commission était d'une très grande clarté, et j'ajoute que si l'honorable M. Delsol avait rapproché ce texte des termes du rapport, il aurait reconnu que pour imposer l'application des tarifs prévus par l'article 4, nous exigeons deux choses : la clause d'adjonction de nouveaux membres et l'accroissement opéré par suite de la clause de réversion. En un mot, il faut qu'il y ait la clause de réversion et la possibilité d'augmenter le nombre des associés par voie d'adjonction de nouveaux membres. Je pense que, sur ce point, il ne peut pas y avoir de doute. »

Donc, si les sociétés qui admettent statutairement de nouveaux membres veulent rentrer dans le droit commun et éviter de donner à la clause de réversion contenue dans leur acte le caractère et les effets d'une libéralité, il est nécessaire qu'elles -modifient leurs statuts et renoncent à la clause en question, ce qui n'empêchera nullement les admissions conventionnelles de membres nouveaux. Du consentement de tous les associés anciens, on peut toujours former une nouvelle société avec un ou plusieurs nouveaux membres.

3™e CONDITION.—■ Clause de réversion. — Que faut-il entendre par la clause de réversion. On nomme ainsi la stipulation en vertu de laquelle la part de ceux qui sortent de la société accroît à ceux qui y restent.

Il s'agit bien entendu d'un accroissement gratuit et non d'une clause analogue à celle qui se rencontre généralement


244 AMENDEMENT BBISSON.

dans les sociétés commerciales en nom collectif, et donne aux survivants le droit de reprendre la part du décédé en la payant sur le pied du dernier inventaire.

Cette dernière clause est une cession de part sociale, moyennant un prix stipulé à forfait, ce n'est point la clause de réversion. On désigne sous ce nom le pacte tontinier en vertu duquel la part de ceux qui sortent de la société par décès ou autrement, accroît aux demeurants par la force seule du contrat et sans qu'ils aient rien à débourser pour prix de cet accroissement.

III.

A QUELLE DATE LA LOI SERA-T-ELLE APPLICABLE,

La loi du 28 décembre 1880 est intitulée :

« Loi portant fixation du budget des recettes de l'exercice 1881 » puis sous le titre « Budget général » et la rubrique « Impôts autorisés » on trouve les articles 3 et 4 placés parmi les différents impôts autorisés pour 1881.

La loi et notamment les articles 3 et 4 entrent donc en vigueur à dater du 1er janvier 1881. Ainsi les tontines contenant la clause d'adjonction de nouveaux membres et celle de réversion devront les droits prévus par l'article 4 en cas de décès d'un membre survenu à dater de cette époque.

Les sociétés indiquées à l'article 3 devront également l'impôt sur le revenu à partir du 1er janvier 1881, mais il est à remarquer que la perception de cet impôt est reportée au premier trimestre qui suit l'exercice expiré.

Par conséquent l'impôt grèvera l'exercice 1881 , mais la déclaration et le paiement ne pourront être exigés que dans le premier trimestre de l'année 1882.

Telles sont les dispositions de la partie de la loi du 28 décembre 1880, dite amendement Brisson.

Nous avons cherché à jeter quelque lumière sur les textes que nous venons d'étudier ; il faut reconnaître qu'il s'y rencontre cependant encore bien des obscurités.

Dans les conditions où cette loi a vu le jour il ne pouvait en être autrement.

La Chambre , comme l'a fort bien dit M. Chesnelong au Sénat, « voulait créer une odieuse inégalité et frapper d'un impôt exclusif des citoyens français parce qu'ils sont religieux et qu'à ce titre ils sont exclus de la justice. »

Le Sénat, n'ayant ni la volonté de sanctionner un aussi odieux arbitraire, ni l'énergie de le repousser, a pensé se


LES ASSEMBLEES POLITIQUES EN ALLEMAGNE. 245

tirer d'embarras par une transaction. Il n'a réussi qu'à mal faire une mauvaise loi.

"C'est une loi mal faite, parce qu'elle manque de franchise. On a voulu, sans le dire , atteindre 1 es congrégations religieuses et l'on s'est tenu en conséquence" dans de telles généralités que nul ne peut dire ce que le génie fiscal saura, s'il en a le temps, tirer de ces dispositions. C'est une mauvaise loi, parce que son but principal, bien qu'inavoué, est de frapper d'un impôt deux choses que la fiscalité ne devrait jamais souiller de son atteinte : le dévouement et la charité.

GUSTAVE THÉRY, Avocat au barreau de Lille.

LES ASSEMBLÉES POLITIQUES ïl ILLE1ME' 11

9.

En SAXE, la Constitution du 4 septembre 1831 crée, art. 61, pour tout le royaume une assemblée d'Etats, Staendeversammlung, divisée en deux Chambres. Ces deux Chambres, art. 62, sont égales en droits et en attributions ; elles se réunissent en même temps et au même endroit. .La première Chambre, art. 63, comprenait : 1. Les princes majeurs de la maison royale ; . 2. Le chapitre de Misnie, par un député pris dans son sein;

3. Le possesseur de la seigneurie de Wildenfels ;

4. Les possesseurs des cinq seigneuries, Recessherschaften, de Schoenburg : Glaucha, Waldenburg, Lichtenstein, Hartensteinet Stein, par l'un d'eux;

5. Un député de l'Université de Leipzig, élu par elle parmi ses professeurs ordinaires ;

6. Le possesseur de la seigneurie, Standesherrschaft, de Koenigsbrueck ;

7. Le possesseur de la seigneurie, Stand&sherrsliaft, de Reibersdorf ;

8. Le premier prédicateur évangélique de la Cour ;

9. Le doyen du chapitre de la cathédrale de Saint-Pierre

(1) Voir xive vol., avril, p. 245; juin, p. 443; xv° vol., p. 9; mars 1881 p. 178.


246 LES ASSEMBLÉES POLITIQUES EN ALLEMAGNE.

à Budissin, en sa qualité de premier dignitaire du clergé catholique, et en cas d'empêchement ou de vacance , un des trois chanoines capitulaires ;

10. Le surintendant de Leipzig ;

11. Un député du chapitre collégial deWurzen, pris dans son sein ;

12. Les possesseurs des quatre fiefs, Lehnsherrschaften, . de Schoenburg : Rochsburg, Wechselburg, Penig et Remissen, par l'un d'eux;

13. Douze députés à vie des possesseurs de biens équestres ;

14. Dix possesseurs de biens équestres nommés à vie par le libre choix du Roi ;

15. Le premier magistrat des villes de Dresde et de Leipzig ;

16. Le premier magistrat de six villes que le Roi fixe suivant son bon plaisir, autant que possible dans toutes les parties du pays.

La loi constitutionnelle du 3 décembre 1868 modifie en deux points cette composition : les douze députés portés au chiffre 13 sont choisis , non plus exclusivement parmi les possesseurs de biens équestres, mais aussi parmi les autres grands propriétaires ruraux ; aux dix possesseurs de biens équestres nommés à vie par le Roi (14), il faut ajouter (17) cinq membres nommés à vie par le Roi sans distinction de classe.

Si, art. 64, les possesseurs de seigneuries désignées, art. 63, nos 3, 4, 6, 7 et 12 sont mineurs ou empêchés pour une cause que la Chambre juge valable, ils sont remplacés par leur plus proche héritier. Les possesseurs de la seigneurie de "Wildenfels et des seigneuries de Schoenburg peuvent en raison de leur voix héréditaire envoyer des plénipotentiaires à la Chambre. Dans tous les cas les remplaçants doivent réunir les conditions énumérées article 74. . La seconde chambre comprenait, art. 68 :

1. Vingt députés des possesseurs de biens équestres ;

2. Vingt-cinq députés des villes ;

3. Vingt-cinq députés de l'ordre des paysans ;

4. Cinq représentants du commerce et de l'industrie : ce nombre avait été porté à dix par la loi du 19 octobre 1861.

Actuellement elle se compose, loi constitutionnelle du 3 décembre 1868, G. B. 178, de trente-cinq députés des villes et de quarante-cinq députés des cercles ruraux.

Un remplaçant, art. 69, est élu pour chaque membre de la seconde chambre : il siège en cas d'absence ou d'empêchement temporaire, mais en cas de mort ou de départ définitif, il ne siège que pour la durée de la session, si l'événement a eu heu dans le cours de la session, ou trop tard


LES ASSEMBLÉES POLITIQUES EN ALLEMAGNE. 247

avant la session pour qu'une nouvelle élection soit possible : hors ces deux cas, il faut élire un nouveau député et un nouveau remplaçant. C'est toujours à la Chambre de se pronon- . cer sur la convocation du remplaçant.

Les conditions d'électorat et d'éligibilité pour les deux Chambres, ont été fixées par la constitution, puis par la loi électorale du 3 décembre 1868 (G. B. 179) : vingt-cinq ans pour être électeur, trente ans pour être éligible, art. 73; quant à la nationalité, il suffit d'être saxon pour être électeur, mais depuis 1868, pour être éligible, il faut être saxon depuis trois ans. L'article 74 pose des conditions de solvabilité et d'honorabilité communes aux deux chambres ; la loi du 3 décembre 1868 prononce un plus grand nombre d'exclusions : notamment celle des femmes et celle des personnes vivant d'aumônes. L'élection d'un fonctionnaire, art. 75, est subordonnée à l'agrément de ses chefs. Sont exclus les ministres et les personnes ayant à l'étranger un service actif, loi électorale du 3 décembre 1868, art. 3.

Quant aux conditions spéciales à la première Chambre, art. 65, les douze membres désignés, art. 63 n° 13, étaient élus par les possesseurs de biens équestres. Etaient éligibles les possesseurs de biens équestres d'un revenu de deux mille thalers au.moins. Actuellement, loi électorale du 3 décembre 1868, art 11, l'électorat et l'éligibilité ne dépendent plus de la qualité des biens, cf. loi constitutionnelle du 3 décembre 1868, III, mais pour être électeur ou éligible il faut encore être possesseur d'un bien rural imposé pour une certaine somme. En cas d'indivision c'est un seul propriétaire qui a l'exercice du droit, et, faute d'accord, c'est l'âge .ou le sort qui le désigne, loi électorale du 3 décembre 1868 art. 14. Nul ne peut voter en plus d'un endroit dans le même cercle. Le choix du Roi pour les membres qu'il nomme est également subordonné à certaines conditions de cens. Les membres dont le siège dépend d'une fonction le gardent aussi longtemps que cette fonction.

Les conditions spéciales à la seconde Chambre variaient, sous la Constitution de 1831, suivant les cinq catégories de députés. Depuis 1868, il n'y en a plus que deux catégories : ceux des villes et ceux des campagnes, loi constitutionnelle du 3 décembre 1868. Et d'après la loi électorale du même j-our, pour les villes, il faut distinguer : Dresde nomme cinq députés; Leipzig, trois; Chemnitz, deux; Zurickau, un; et, dans chacune d'elles, il y a autant de circonscriptions électorales qu'il y a de députés. Les autres villes, énumérées en appendice dans la loi, doivent être réparties en vingtquatre circonscriptions , dont chacune nomme un député. Le plat pays est également réparti en quarante-cinq circon^ -scriptions pour chacun des quarante-cinq députés de la


248 LES ASSEMBLÉES POLITIQUES EN ALLEMAGNE.

campagne. Nul n'est électeur s'il n'est propriétaire foncier et s'il ne paie un certain cens. Tous les propriétaires d'un bien indivis peuvent voter, s'ils habitent le heu et si la part de chacun atteint le cens exigé. Ce cens, abaissé par la loi du 2 août 1878, est basé sur l'impôt foncier ou l'impôt local personnel et direct (Personallandesabgabe). Un cens plus élevé est exigé pour l'éligibilité.

La procédure électorale est fixée pour les deux Chambres par les art. 22-52 de la loi du 3 décembre 1868. Les principes en sont les mêmes que pour les élections au Reichstag, Le vote se fait par bulletins fermés et mis sous enveloppe, loi du 3 décembre 1868.

Sous la Constitution de 1831, art. 67 et 72, le président de chaque Chambre était nommé par le Roi ; depuis la loi du 12 octobre 1874, il est élu parla Chambre, Sur la police de la Chambre , art. 83, les députations, art. 123-126, l'accès des ministres et des commissaires royaux auprès des Chambres, art. 136, la publicité des séances, art. 135, et la rédaction des procès-verbaux, art. 136, la loi du 12 octobre 1874 abroge la Constitution de 1831 et donne aux Chambres le pouvoir réglementaire que l'art. 137 leur assurait déjà sur le reste.

Aucune loi, art. 86, ne peut, sans l'assentiment des Chambres, être promulguée, modifiée ou authentiquement interprétée. Outre la promulgation des lois, le Roi a le droit de faire des ordonnances. Ces ordonnances sont de deux sortes : les unes portent sur des objets d'administration, les autres sur des objets qui rentrent par leur nature dans la compétence des Etats : ces dernières ne sont permises qu'en cas d'urgence et doivent être soumises à l'approbation ultérieure des Chambres, Toutes sont contresignées par les ministres qui en assument ainsi la responsabilité, art. 88. Sous l'ancienne Confédération, le gouvernement n'avait pas à consulter les Etats pour exécuter les décisions de le Diète, art. 89 : cette disposition s'applique aujourd'hui aux lois d'Empire.

Sur les finances, la Constitution a été en partie modifiée par la loi du 5 mai 1851.

Aucun impôt direct ou indirect ne peut, sans le consentement des Etats, être établi ou changé, art. 96. Toutefois les modifications provenant de traités de commerce approuvés parles Chambres ne sont pas sujettes, lorsqu'elles ont lieu, à une approbation spéciale, loi du 5 mai 1851, art. 2. Sur le refus du budget, il y a des dispositions instructives, art. 103 : il faut dans l'une des deux Chambres, pour que ce refus se produise, une majorité des deux tiers desmembres présents. Pendant un an le gouvernement peut encore lever les impôts qui n'ont pas été établis dans un-


LES ASSEMBLÉES POLITIQUES EN ALLEMAGNE. 249

but spécial déjà rempli, mais il doit, six mois avant l'expiration de ce délai, convoquer les Etats en session extraordinaire. En cas d'un nouveau refus la loi du 5 mai 1851, art. 6, lui donne un nouveau délai d'un an.

Le Landtag doit être convoqué tous les deux ans, loi du 3 décembre 1868; la Constitution de 1831 portait, art. 115, tous les trois ans. En cas de changement de règne, dans les quatre mois qui suivent. A chaque convocation, le Roi fixe le lieu de la réunion, art. 115. Des députations peuvent être nommées par le Landtag, avec l'agrément du Roi, pour siéger dans l'intervalle des sessions, préparer des questions fixées d'avance et veiller h. l'exécution des décisions du Landtag qui ont reçu la sanction royale.

Les députés, art. 120, reçoivent une indemnité. Sont exceptés de cette mesure : 1° dans la première Chambre, ceux qui ont un titre héréditaire ou qui représentent un chapitre ou une université ; 2° dans les deux Chambres, ceux qui habitent d'ordinaire à l'endroit où siège le Landtag (cf., loi du 12 octobre 1874).

Chaque Chambre délibère séparément, art. 121 ; il faut, pour délibérer, dans chacune d'elles, la présence de la moitié du nombre fixé par la Constitution. Depuis la loi du 3 décembre 1868 c'est la présence du même nombre qui est exigée pour prendre une décision ; la Constitution de 1831 exigeait en ce cas, art. 128, la présence des deux tiers clans la première Chambre. Pour les décisions tendant à modifier la Constitution, il faut dans les deux Chambres la présence des trois quarts.

En principe, c'est à la majorité absolue que les décisions sont prises, art. 128. Toutefois, il faut une majorité des deux tiers : 1° pour le rejet d'un projet de loi, quand les deux Chambres ne sont pas d'accord, art. 92; 2° pour le refus du budget, art. 103; 3° pour les modifications à la Constitution, art. 152. — En cas de partage des voix, la décision est renvoyée à une autre séance, et, si le partage se produit encore, la voix du président l'emporte. Si, par l'objet de la délibération, les Etats n'ont qu'à donner un avis, chaque membre peut exiger que son opinion soit relatée.

Sous la Constitution de 1831, la composition de la seconde Chambre était fondée sur la distinction des Etats, art. 68, et, art. 129, quoique dans les votes cette distinction disparût, il était loisible aux députés des possesseurs de biens équestres, des villes et des paysans, de voter séparément [eine separatstimme abzugeben); il fallait, toutefois, que les trois quarts au moins des membres présents fussent d'avis que la décision de la majorité blessait les droits ou les in-


250 LES ASSEMBLÉES POLITIQUES EN ALLEMAGNE.

térêts de leur Etat. Depuis la loi constitutionnelle du 3 décembre 1868, III, l'art. 129 n'est plus applicable.

En cas de désaccord entre les deux Chambres, art. 131, à la suite de la première délibération, chacune d'elles nomme dans son sein une députation pour délibérer en commun sur l'objet du désaccord : les présidents des deux Chambres dirigent la délibération. Un rapport est fait sur les résultats, et si, à la suite d'une nouvelle délibération, le désaccord persiste, s'il s'agit d'objets où le consentement des Chambres est exigé, on s'en tient aux prescriptions de l'art. 128; s'il s'agit d'une simple consultation, chaque Chambre adresse au gouvernement un rapport spécial signé par son président.

10.

L'ancienne Constitution du WURTEMBERG, abolie seulement en 1805 et remplacée depuis par la Charte constitutionnelle du 25 septembre 1819, est un modèle des anciennes Constitutions d'Etats.

C'est en 1514, au traité de Tûbingen, que la forme en avait été fixée. Comme la noblesse s'était dès lors séparée du pays pour relever directement de l'Empire, le corps politique, Landschaft, ne comprenait que deux Etats : le clergé et les bourgeois ou paysans. L'assemblée se composait des prélats de quatorze évêchés ou monastères, sécularisés depuis la Réforme, et des députés de soixanteneuf villes ou bailliages élus par les assemblées de bailliage dans le magistrat. D'ordinaire chaque ville ou bailliage n'envoyait qu'un député -.toutefois ce n'était pas une loi, et l'on voit encore, au Landtag de 1770, les trois villes principales élire deux députés. Il semble que dans les premiers temps le duc convoque à son gré les prévôts et les députés des villes. Nul fonctionnaire ne pouvait être élu ni même assister aux élections. Chaque député était lié par le mandat de ses commettants ; ceux-ci subvenaient à sa dépense.

Le Landtag était sans périodicité. Rarement il se réunissait : c'était toujours pour un avènement ou quelque autre circonstance importante. Le duc le convoquait alors par un rescrit motivé. La convocation pouvait être provoquée par Stuttgart ou Tûbingen, ou par le petit comité.

Le petit et le grand comité étaient des commissions permanentes chargées de sauvegarder les droits des Etats. Le grand comité se composait : 1° du petit comité; 2° de deux prélats et de six députés des villes,- choisis par le petit comité dans le Landtag ; 3° des fonctionnaires du pays : conseillers, avocats, secrétaires, receveurs , personnel de


LES ASSEMBLÉES POLITIQUES EN ALLEMAGNE. 251

la chancellerie. Le petit comité se composait : 1° de deux prélat; 2° de six députés des villes et bailliages, que le comité choisissait entre des candidats présentés par les villes : l'élu devenait bourgmestre; ordinairement, parmi les villes, le choix du comité tombait sur Stuttgart, Tûbingen et Ludwigsburg. Les membres étaient nommés à vie, et, à l'exception des députés des villes, pris dans le grand comité. Le petit comité s'assemblait librement : il lui suffisait de notifier au duc sa réunion. Il avait à veiller au maintien des lois et de la Constitution et à l'emploi des deniers publics; il exerçait le pouvoir législatif des Etats , et, si les circonstances l'exigeaient, proposait la convocation des Etats ou du grand comité. Ce dernier se réunissait rarement : il n'avait qu'un rôle de haute surveillance. Cette organisation offrait peut-être à l'origine des garanties pour la bonne gestion des affaires publiques : mais comme les comités se renouvelaient eux-mêmes et agissaient sans le contrôle périodique d'une assemblée librement élue, ils finirent par dégénérer en une oligarchie bourgeoise que rongeale népotisme. (Mohl, Das Staatsrecht des Koenigreichs Wùrttemberg , § 2, 2e éd., Tûbingen, 1840.)

Au commencement de ce siècle le Wùrttemberg était gouverné par un homme peu soucieux des formes constitutionnelles. Imbu des idées de droit divin que les légistes du Moyen Age et les docteurs protestants avaient léguées à l'Ancien Régime, le duc Frédéric II ne reconnaissait d'autre loi que sa volonté. A l'extérieur , le machiavélisme lui réussit : en 1803, après la perte de la rive gauche du Rhin, il reçoit de l'Empire le titre d'Electeur ; en 1805, il est fait Roi par le traité de Presbourg sous le nom de Frédéric Ier, et son entrée dans la Confédération du Rhin précipite la dissolution du vieil Empire. A l'intérieur le nouveau Roi . gouverne sans plus de scrupules. Dès le commencement de son règne, il s'était trouvé sans cesse en conflit soit avec les comités, soit avec l'assemblée plénière. Il faut reconnaître que les Etats se mettaient souvent dans leur tort : indociles, opiniâtres, sans patriotisme pendant la guerre, ils soutenaient les abus aussi bien que les droits (Mohl, §3, n. 2),et, chose plus grave, on les voit entretenir avec les gouvernements étrangers des rapports illégaux (Mohl, n. 3). Déjà, par suite de cette mésintelligence, Frédéric n'avait pas introduit la Constitution du Wurtemberg dans les pays reçus de l'Empire, 1803, en compensation de ceux que les guerres de la Révolution lui avaient fait perdre : il en forma un autre Etat, Nouveau-Wurtemberg, qu'il dota d'une administration distincte. Devenu Roi, 3 décembre 1805, il abolit la constitution du Vieux-Wùrtemberg « comme une institution qui ne convenait plus aux temps présents, » et réunit en un


252 LES ASSEMBLÉES POLITIQUES EN ALLEMAGNE.

seul Etat les deux territoires sur lesquels pendant huit ans il régna en monarque absolu. Au Congrès de Vienne il s'opposa vainement au principe des assemblées d'Etats : son plénipotentiaire refusa de voter l'article 13. De retour en Wurtemberg il changea d'attitude, et le manifeste du Il janvier 1815 promit au pays une constitution conforme à sa situation interne et externe, aux droits des particuliers et aux besoins de l'Etat. La représentation des Etats était convoquée pour le 15 mars.

L'ordonnance du 29 janvier (AV. S.-R. B , 1815, p. 33) en fixait la composition : la noblesse, inconnue aux anciennes assemblées, comptait cinquante voix, réparties entre trenteune familles princières ou comtales médiatisées et dix-neuf autres familles nobles du royaume ; le clergé, catholique ou protestant, quatre voix ; les sept bonnes villes, qualifiées nobles et les soixante-trois bailliages, chacun un député. Les conditions d'électorat et d'éligibilité paraissaient libérales : — Sont électeurs, sans distinction de religion, tous les habitants d'un lieu, nobles, bourgeois ou paysans, âgés de vingt-cinq ans, ayant en biens-fonds un revenu de deux cents florins au moins ; sont exclus les nobles ayant eux-mêmes à l'assemblée une voix virile, mais non les autres membres de leur famille ; on peut voter dans chaque bailliage où l'on remplit les conditions de cens, mais chaque fois il faut voter en personne; si l'on ne satisfait aux conditions de cens qu'en réunissant ce qu'on possède dans plusieurs bailliages, on vote au lieu de son domicile ; votent de même les militaires en congé. — Est éligible tout sujet sans distinction d'état ou de culte, pourvu qu'il appartienne à l'une des trois confessions chrétiennes. Sont inéligibles, dans l'armée, les sous-officiers et soldats ; les officiers ne sont éligibles qu'en temps de paix : à l'entrée en campagne ils déposent leur .mandat et sont remplacés par un nouveau représentant. Sont inéligibles : 1° en raison de l'emploi : dans tout le royaume, les personnes chargées d'un service auprès du Roi; clans le bailliage où ils exercent, les ecclésiastiques, les médecins, les chirurgiens, ceux qui dirigent les opérations électorales ; 2° en raison de la qualité, ceux qui ont encouru certaines peines, notamment pour avoir eu leurs biens vendus à l'encan, et les faillis.

L'assemblée, ouverte le 15 mars par le Roi en personne, rejeta la nouvelle Constitution, et, soutenue par l'opinion, déclara que l'ancienne avait été indûment abolie et voulut en négocier le rétablissement. Ajournée le 26 juillet, elle s'adressa aux couronnes de Prusse , de Danemark et de. Hanovre, pour placer l'ancienne Constitution sous leur garantie. Le Roi expliqua sa conduite par le manifeste du5 août et rejeta sur l'assemblée la responsabilité du conflit.


LES ASSEMBLÉES POLITIQUES EN ALLEMAGNE. 253

Mais peu après, comprenant qu'il avait tort (Mohl, § 4), il la convoque de nouveau pour le 5 octobre. Des négociations s'ouvrirent sur l'ancienne Constitution : sa mort soudaine les interrompit.

Son fils et successeur Guillaume devait achever son oeuvre. Comme son père, Guillaume tint à ne reconnaître l'ancienne Constitution que pour le Vieux-Wurtemberg : c'était un point déjà obtenu. Restait à arrêter de concert avec les Etats une Constitution uniforme pour tout le Royaume. Ne pouvant s'entendre avec l'assemblée, il s'adressa directement, pour leur soumettre son projet, aux assemblées de bailliage. Le résultat n'a pas été publié : probablement il fut défavorable. Guillaume ne se découragea pas : il convoqua le 13 juillet 1819 une nouvelle assemblée , et lui soumit un nouveau projet. Des commissaires nommés par l'assemblée conclurent à l'acceptation du projet, mais avec de nombreux changements : le Roi admit les uns, rejeta les autres, et le 23 septembre la Constitution sous cette dernière forme fut votée à l'unanimité. L'échange des diplômes eut lieu le 25 septembre : ce jourlà le Wurtemberg donna au monde « le rare et bel exemple d'un prince et d'un peuple qui se rencontrent et s'entendent librement sur les formes du gouvernement et sur leurs droits respectifs (Mohl, § 5). »

C'est la Gharte du 25 septembre 1819 (R. B. 1819, n. 65, p. 633), art. 124 à 194, amendée par les deux lois du 26 mars-1868 et par la loi du 23 juin 1874 (R. B. n. 16, p. 177), qui règle la composition et la compétence du Landtag.

« Les Etats, Slaende, sont appelés, art. 124, à faire valoir par les voies constitutionnelles les droits du Pays auprès du Souverain. En vertu de cette mission, ils ont à coopérer par leur consentement à l'exercice du pouvoir législatif, à présenter au Roi, sur les défauts ou les abus de l'administration, des voeux, des représentations, des doléances, à porter plainte au sujet d'actes contraires à la Constitution, à voter les impôts reconnus nécessaires après enquête consciencieuse, et surtout à assurer par leur zèle et leur attachement le bien du Roi inséparable de celui de la Patrie, et les principes de la Constitution. s

On sait que la Constitution de l'Empire a restreint la compétence législative des landtags, mais, grâce au traité d'accession, 25 novembre 1870, le Wurtemberg jouit, comme la Bavière, d'une situation privilégiée.

Tous les trois ans, art. 127, les Etats sont convoqués en session ordinaire. Ils se divisent, art. 128, en deux Chambres.

La première Chambre, Chambre des seigneurs, art. 129,- se compose :


254 LES ASSEMBLÉES POLITIQUES EN ALLEMAGNE.

1) Des princes de îa Maison Royale ;

2) Des chefs des Familles princières et comtales, et des représentants des communautés seigneuriales médiatisées aux possessions desquelles était jadis attachée une voix virile au Reichstag ou au Kreistag ;

3) De membres nommés par le Roi à titre héréditaire ou viager.

La nomination à titre héréditaire est subordonnée à des conditions de naissance noble et de fortune foncière, art. 130, dont les titres viagers, art, 131, sont affranchis. Dans ces deux catégories, art. 132, les nominations du Roi ne peuvent excéder le tiers des autres membres.

La seconde Chambre, Chambre des députés , art. 133, se compose :

1) De treize membres élus par et parmi la noblesse équestre;

2) Des six surintendants généraux de l'Eglise protestante ;

3) De l'Evêque , d'un membre choisi par le grand chapitre dans son sein, et du plus ancien doyen de la confession catholique ;

4) Du Chancelier de l'Université ;

5) D'un député élu par chacune des villes de Stuttgart, Tûbingen, Ludwigsburg, EUwangen, Ulm, Heilbronn, Reutlingen ;

6) D'un député élu par chacun des bailliages.

Les conditions d'âge pour entrer danslapremière Chambre, art. 134, sont, à l'égard des princes de la Maison Royale, la majorité fixée par la loi domestique ; à l'égard des autres membres héréditaires , la majorité de droit commun ; pour être éligible à la seconde, la majorité de trente ans.

Les conditions générales pour faire partie des Etats, art. 135, sont les suivantes ;

1° Appartenir à l'une des trois confessions chrétiennes et être citoyen wûrtembergeois ;

2° Etre irréprochable, c'est-à-dire ne pas avoir subi certaines peines dont la nomenclature a varié depuis 1819 ;

3° Ne pas être en état de faillite : l'incapacité dure après la procédure de faillite s'il y a eu condamnation pour désordre dans les affaires ; — les membres héréditaires de la première Chambre ne peuvent être privés de leur voix, après décisions d'une commission de dettes, s'ils ont encore un revenu de deux mille florins ;

4,0 N'être ni en puissance paternelle, ni en tutelle, ni au service d'un particulier.

En dehors des princes de la Maison Royale, art. 129 (Mohl, p. 563), le père et le fils ne .peuvent, art. 148, être ensemble membres des Etats : si le cas se présente et


LES ASSEMBLÉES POLITIQUES EN ALLEMAGNE. 355

que le père ne se retire pas spontanément, le fils doit se démettre.

. Les deux conditions d'appartenir à une confession chrétienne et de ne pas être au service d'un particulier, ont été supprimées, la première par une loi du 31 décembre 1861 (R. B., 1862, p. 3), la seconde par la loi du 26 mars 1868,

Les députés des villes et bailliages doivent en outre, art. 146 :

1° N'être ni chef d'une famille médiatisée, ni possesseur de biens équestres ;

2° Ne remplir dans le bailliage où ils sont élus aucune fonction d'Eglise ou d'Etat. — Les fonctionnaires ne pouvaient accepter le mandat sans l'autorisation de l'autorité supérieure : cette condition a été supprimée par la loi du 23 juin 1874, mais ils continuent à payer les frais de leur remplacement.

Aux termes de la charte du 25 septembre 1819, sont électeurs des treize députés de la noblesse équestre, art. 136, les possesseurs pour tout ou partie de biens équestres immatriculés comme tels : ne sont éligibles que les membres de familles équestres. — Sont électeurs des députés des villes et bailliages, art. 137, les bourgeois imposés de chaque commune. Le nombre des électeurs doit être au nombre des autres bourgeois, art. 138, comme un à sept. Le collège électoral, art. 139 et 140, se compose : 1° pour les deux tiers, des bourgeois qui ont dans le précédent exercice acquitté à l'Etat, soit pour des propriétés, soit pour des usufruits la plus forte somme en impôt direct ordinaire ; 2° pour un tiers, d'électeurs nommés par le reste des contribuables. La liste de ces deux catégories d'électeurs, art. 141, est laissée dans chaque commune à la disposition du public.

Ce régime électoral n'existe plus : la loi du 26 mars 1868 abroge, art. 3, les art. 138 àl41 delà Constitution, etmodifie, art. 2, l'article 137 en ces termes : « Les députés des villes et bailliages sont élus directement par les citoyens, Staats buerger, wurtembergeois qui ont dans la circonscription électorale leur domicile , ou une résidence non purement transitoire, et qui ne sont pas expressément exclus par l'art. 142. »

. L'ancien article 142 posait à Télectorat les mêmes conditions que l'article 135 à l'éligibilité : l'âge seul, au lieu de trente ans, art. 134, était fixé à la pleine majorité. La loi , constitutionnelle du 26 mars 1868, exige l'âge de vingt-cinq ans; elle maintient les mêmes conditions, ou à peu près, d'indépendance et d'honorabilité, mais comme elle supprime les conditions de cens, elle exclut les indigents.

La confection des listes électorales pour les députés des.


256 LES ASSEMBLÉES POLITIQUES EN ALLEMAGNE.

villes et bailliages a été réglée en dernier lieu par la loi électorale du 26 mars 1868. L'inscription sur la liste, art. 9, est une condition nécessaire pour l'exercice du droit de vote : mais tandis que les électeurs qui acquittent un impôt direct sont portés d'office sur la liste électorale, les autres électeurs doivent réclamer leur inscription et au besoin prouver leur capacité électorale. Quiconque a domicile ou résidence fixe dans plusieurs communes doit être inscrit sur la liste de la commune où il réside au moment de la confection de la liste. Pour chaque élection la liste doit être dressée avec le concours des électeurs à ce convoqués par proclamation, dans les dix jours qui suivent la publication du décret d'élection dans le Regierungs-Blatt, puis soumise pendant six jours à l'examen du public : après ce délai la liste est définitive ; elle ne peut, art. 15 § 1, être modifiée que si au moment de l'élection la commission électorale reconnaît à l'unanimité l'incapacité d'un inscrit et prononcei sa radiation.

Quant aux opérations de scrutin, le vote pour les treize députés de la noblesse était, instruction ministérielle, 12 décembre 1819, p. 879, et paraît être resté public.

Pour les députés des villes et bailliages, aux termes de l'instruction du 6 décembre 1819, p. 860, il était également public : l'électeur votait par bulletin signé, ou, s'il ne savait écrire, portant une marque quelconque ; puis son nom et celui de son candidat étaient proclamés et portés au protocole : la loi du 26 mars établit le vote secret ; d'après la loi électorale du môme jour, le bulletin doit être mis sous enveloppe cachetée. Pour la validité de l'élection la Constitution, art. 143, exigeait que les deux tiers au moins des électeurs puissent prendre part au vote ; la loi du 26 mars 1868, qui étend le droit de suffrage, restreint cette proportion à la moitié : elle ajoute que les non-comparants, si l'élection est remise faute du nombre légal d'électeurs, doivent être invités spécialement, mais les frais ne sont pas à leur charge : comme on verra , l'élection ne doit en effet qu'être complétée : les votes déjà remis sont définitivement acquis au candidat. Tout électeur doit voter en personne : mais, à quelque catégorie qu'il appartînt, Const., art. 143 et 145, en cas d'empêchement pour cause de service, voter par mandataire, et, en cas qu'il remplît dans plusieurs cercles les conditions d'électorat, voter dans toutes ces localités : la loi du 26 mars 1868 restreint ce double bénéfice aux électeurs de l'ordre équestre ; les électeurs des villes et des bailliages, qui ont désormais le suffrage universel, ne peuvent plus en aucun cas voter par mandataire ni dans plusieurs cercles. Leur choix, du reste, art. 147, n'est pas restreint aux éligibles


LES ASSEMBLEES POLITIQUES EN ALLEMAGNE. 257

de la circonscription électorale. La durée du scrutin, Const., art. 150, était fixée à trois jours : la loi électorale du 26 mars 1868, art. 16, porte ce terme à sept jours comptés à partir du premier : si après ce délai la moitié des électeurs inscrits n'a pas voté, le grand bailli fixe un délai complémentaire.

Est élu celui qui a obtenu au moins, Const. art. 153 : le tiers des voix ; loi du 26 mars 1868 : la moitié des votes exprimés. Si l'élu n'accepte pas, celui qui avait obtenu le plus de voix après lui, pourvu qu'il réunît au moins le tiers des voix, d'après la Constitution, prenait sa place ; dans ce cas, comme celui où aucun des candidats n'a réuni plus de la moitié des voix, la loi du 26 mars 1868 impose une nouvelle élection : dans le dernier cas , le choix des électeurs ne peut porter que sur l'un des deux candidats qui ont eu le plus de voix. Si au second tour il y a égalité, le sort décide.

Les députés de toute catégorie, art. 157, sont élus pour six ans.

Conformément au principe représentatif du droit moderne, l'élu, art. 155, représente, non pas son district électoral, mais le pays tout entier : aussi ses commettants ne peuvent-ils lui donner d'instructions.

Pour que les Chambres soient en nombre, art. 160, il faut la présence, dans la première de la moitié, dans la . seconde des deux tiers des membres. Les membres, art. 156, votent en personne; toutefois dans la première Chambre les membres héréditaires peuvent voter par l'entremise soit d'un collègue, soit de leur héritier présomptif, soit même, s'ils sont mineurs, de leurs tuteurs.

Au Roi seul, art. 172 , appartenait l'initiative des lois : les Etats n'avaient qu'un droit de pétition. Actuellement, loi du 23 juin 1874, art. 6, le droit de proposer des lois appartient au Roi et aux deux Chambres.

En principe, art. 177, les deux Chambres délibèrent séparément. Toutefois elles ont la faculté de se réunir : mais ce n'est que clans un cas exceptionnel, art. 183.

Sur les impôts, en cas de non-entente entre les deux Chambres, art. 181, leurs votes sont réunis, et c'est la majorité ainsi formée qui décide : en cas de partage la voix prépondérante appartient au président de la seconde Chambre. Sur toute autre matière, art. 182, les votes restent séparés, et c'est seulement si les décisions de chaque Chambre sont conformes qu'elles sont portées auR.oi pour obtenir sa sanction.

Une proposition adoptée par une Chambre et rejetée par l'autre, art. 183, ne peut revenir au même Landtag. Si au Landtag suivant elle se renouvelle et qu'elle ait le même

IXe—I 17


258 LE CLERGÉ ET LE SERVICE MILITAIRE.

sort, les deux Chambres se réunissent pour délibérer en commun : si elles ne peuvent encore s'entendre, et qu'il s'agisse d'une proposition du Roi, elles ont seulement à faire connaître au Roi leur non-entente : au. Roi dans ce cas appartient la décision. C'est pour le Souverain un moyen de gouverner avec une seule Chambre : il répond à l'état intellectuel de l'Allemagne, où il est si difficile à deux esprits de tomber d'accord sur un ensemble d'idées.

(A suivre.) JUST DE BERNON.

LE CLERGÉ ET LE SERVICE «SIITSSBE i.

Après les cruels désastres de 1870 et 1871 l'Assemblée Nationale ne pouvait manquer de s'occuper, avec la plus scrupuleuse attention , de la question militaire qui s'imposait au patriotisme de tous les Français. Elle ne faillit point à ce devoir, et les diverses propositions dont elle avait été saisie aboutirent à la grande Loi du 27 juillet 1872, que l'on peut à bon droit considérer comme fixant d'une manière définitive l'organisation militaire de la France, au moins dans ses principes essentiels, et notamment en ce qui concerne le service militaire personnel. En effet, aux termes des articles 1 et 3 tout Français de vingt à quarante ans peut être appelé à faire partie de l'armée active ou des réserves, suivant les distinctions déterminées par la loi. Et cette obligation étaitprésentêe par l'honorable marquis de ChasseloupLaubat, rapporteur , d'accord en cela avec la nation toute entière, non-seulement comme une nécessité de défense nationale ou comme une dette que la patrie peut imposer à tous ses enfants, mais bien comme la source d'une régénération nationale, comme un moyen de relever le niveau moral du pays et de dissiper les préventions fâcheuses qui existent trop souvent entre les différentes classes sociales.

C'était donc un principe considéré comme salutaire, à tous les points de vue,que l'on entendait consacrer en proclamant dans l'article 1er la nécessité du service militaire personnel pour tout Français qui n'y est pas reconnu impropre (expression du rapport). Et nous sommes assurément autorisés à penser que toutes les réglementations nouvelles devaient


LE CLERGÉ ET LE SERVICE MILITAIRE. 259

être subordonnées à ce principe essentiel auquel les auteurs de la loi ne permettraient pas facilement qu'il fût porté atteinte.

IL

Cependant ce législateur, si convaincu de l'utilité morale et politique de son oeuvre, si jaloux d'en assurer la durée, ne put s'empêcher de reconnaître la nécessité d'apporter certains tempéraments à l'obligation du service personnel. Et il le fit dans quelles pensées? non pas assurément pour constituer un privilège en faveur de certaines personnes , non pas pour priver le pays de services que tous lui doivent, et sont heureux de lui fournir au même titre, si ce n'est de la même façon. Il le fit ce en faveur de la société elle-même, » c'est-à-dire en faveur de l'instruction publique et de la reli» gion sans lesquelles il n'est ni nation ni civilisation possibles. » C'est ainsi que s'exprimait à cet égard un homme assurément compétent en matière militaire, l'honorable général Chareton, à la séance du 3 juin 1872 (1).

Et pour se convaincre que telle a bien été la pensée du législateur, il suffit de relire l'article 20 de la loi, consacré au point qui nous occupe et qu'il est aujourd'hui question de modifier ou même d'abroger complètement.

Cet article dispense, à titre conditionnel du service militaire : 1° les membres de l'instruction publique , les élèves de l'Ecole Normale Supérieure de Paris, dont l'engagement de se vouer pendant dix ans à la carrière de l'enseignement aura été accepté par le recteur de l'Académie avant le tirage au sort et s'ils réalisent cet engagement ; 2° les professeurs des Institutions nationales des Sourds et Muets et des Institutions nationales des jeunes Aveugles aux mêmes conditions; 3° les artistes qui ont remporté les grands prix de l'Institut, à la condition qu'ils passeront à l'école de Rome les années réglementaires et rempliront toutes les obligations envers l'Etat ; 4° les élèves pensionnaires de l'Ecole des langues orientales vivantes, et les élèves de l'Ecole des Chartes, à condition de passer dix ans tant dans les dites écoles que dans un service public; 5° les membres et novices des Associations religieuses vouées à l'enseignement et reconnues comme établissements d'utilité publique, et les directeurs, maîtres-adjoints , élèves-maîtres des écoles fondées ou entretenues par les Associations laïques, lorsqu'elles remplissent les mêmes conditions pourvu que les uns et

(1) Voy. J. Officiel da 4 juin 1872.


260 LE CLERGÉ ET LE SERVICE MILITAIRE.

les autres, avant le tirage au sort, aient pris devant le recteur l'engagement de se consacrer pendant dix ans à l'enseignement, et qu'ils réalisent cet engagement dans un établissement existant depuis plus de deux ans ou renfermant trente élèves au moins; 6° les jeunes gens qui, sans être compris dans les paragraphes précédents, se trouvent dans les cas prévus par l'article 79 de la loi du 15 mars 1850 (c'est-à-dire se livrent à l'enseignement dans des conditions déterminées) ; 7° les élèves ecclésiastiques désignés à cet effet par les archevêques et les évoques, et les jeunes gens autorisés à continuer leurs études pour se vouer au ministère dans les cultes salariés par l'Etat sous la condition qu'ils seront assujettis au service militaire s'ils cessent les études en vue desquelles ils auront été dispensés, ou si, à vingtsix ans les premiers ne sont pas entrés dans les ordres majeurs et les seconds n'ont pas reçu la consécration.

Tel est cet article. Après en avoir sérieusement examiné la teneur nous pouvons assurément dire avec M. de Pressensé — qui l'a toutefois partiellement combattu — qu'il est destiné à résoudre « un problème très grave et délicat, » celui des relations de l'instruction publique et des cultes » avec la loi sur l'armée » (1).

Il ne souleva d'ailleurs aucune objection bien sérieuse, et fut adopté à une très forte majorité dans la séance du 12 juin 1872 (2). Nous n'avons pas lieu d'en être surpris, car il ne fait dans son ensemble, que consacrer des règles empruntées à la législation traditionnelle de la France (Voyez art. 14 de la loi du 23 mars 1832 et 15 de celle du 10 mars 1818 sur le recrutement de l'armée.) et des autres pays soumis au régime du recrutement. Le bon sens populaire lui-même s'était prononcé en faveur de notre article qui semblait à l'abri de toute critique.

III.

Cependant, depuis quelques mois , des propositions tendant à l'abroger ou à le modifier ont été formulées devant le Parlement.

(1) Séance dn 12 juin 1873 . /. Officiel du 13.

(2) Le nombre des votants était de 672. Il fut adopté par 507 voix contre 153. — Parmi les membres de l'Assemblée qui ont voté pour l'adoption nous remarquons MM. Arnaud de l'Ariége, Barthélémy St-ïïilaire, Baze, Bertauld, Casimir Perier, général Chanzy, Horace de Choiseul , Denormandie, Germain, Labouloye , marquis de Lur-Saluce, Marcère, Martel, Savary, Léon Say, Jules Simon.

Parmi ceux qui n'ont pas pris part au vote nous remarquons MM. Jules Ferry, Girerd, Millaud, Turquet, Vacberot.


LE CLERGÉ ET LE SERVICE MILITAIRE. 261

L'une d'elles émane de M. Labuze, député ; elle est très radicale et tend à l'abrogation pure et simple de l'article 20 (1). L'auteur de cette proposition se fonde principalement, pour demander la suppression de l'article 20, sur le caractère moins général des exemptions formulées dans les lois de 1818 et de 1832, sur l'exemple de quelques législations étrangères, notamment de la législation italienne de 1875, sur la nécessité d'abroger un prétendu privilège et d'affermir le respect dû à l'instituteur et au ministre du culte, en écartant tout soupçon de vocation inspirée par la pensée de s'exonérer du devoir militaireUne autre proposition, émanée de M. PaulBert, est moins absolue ; elle ne tend pas à supprimer complètement l'article 20 mais seulement à modifier les paragraphes 5, 6 et 7 en ce sens notamment que l'exemption acccordée aux instituteurs — laïques on congréganistes — s'appliquerait seulement à ceux qui se livrent à l'enseignement public, et que celle qui est accordée aux élèves ecclésiastiques du culte catholique le serait seulement à ceux qui sont élèves des grands séminaires (2)

Ces propositions, et plusieurs autres de même nature, se confondent plus ou moins avec un projet dû à l'initiative du ministre de la guerre, présenté à la séance du 22 janvier 1881 (3). D'après le projet ministériel, les jeunes gens se destinant à l'enseignement ne seraient exemptés que sous la condition d'obtenir le brevet de capacité élémentaire et de se consacrer pendant dix ans à l'enseignement public, et ceux qui se destinent à la carrière ecclésiastique sous la condition de faire leurs études dans un grand séminaire et de se consacrer également pendant dix ans au service paroissial. Au moment d'une mobilisation, les instituteurs et les ecclésiastiques seraient astreints aux mêmes obligations que les hommes de leur classe ; mais les membres du clergé ne seraient appelés que dans le service de l'aumônerie, des ambulances et des hôpitaux.

De ces diverses propositions nous ne pouvons guère savoir ce qu'il adviendra. Du moins , en présence de la légitime émotion qu'elles ont provoquée dans l'épiscopat, dans

(1) Séance du 32 juillet 1879, /. Officiel du 9 août 1879.

(2) Séance du 10 juin 1879. J. Officiel du 29.

(3) Voy. J. Officiel du 3 février 1881 et dans l'Officiel du 22 mars le Rapport partiel de M. Paul Bert sur ee projet.

Il indique notamment que la commission s'est prononcée contré la pensée de consacrer les ecclésiastiques au service des ambulances et des hôpitaux. Elle redoute l'influence que ces ecclésiastiques pourraient prendre sur les malades et affecte de la considérer comme une atteinte a la liberté de conscience I


262 LE CLERGÉ ET LE SERVICE MILITAIRE.

le pays tout entier et même à l'étranger (1), nous devons examiner et discuter les arguments formulés par ceux qui, d'une manière ou d'une autre, attaquent aujourd'hui l'article 20 de la loi de 1872.

IV

Parmi ces arguments il en est un qui a été, en 1872, formulé par M. de Pressensé. Sans doute il ne veut pas « enrégimenter les ministres du culte ou les congréga» nistes ou les élèves ecclésiastiques, ce serait absurde et » personne ne pourrait y songer (2) ; » mais il demande un service de six mois consacrés aux ambulances ou à l'instruction de l'armée, «pour faire dans l'armée une place à cette » grande force morale qui s'appelle la religion. » L'idée de faire dans l'armée une place à cette grande force morale qui s'appelle la religion est assurément excellente ; mais je ne vois pas en quoi elle peut conduire au rejet de l'article 20 , car, d'une part, les évoques sont unanimes à vous dire que le service militaire imposé aux élèves ecclésiastiques ne peut qu'entraver leur vocation, ce qui n'est pas un bon moyen d'affirmer l'influence religieuse, et, d'autre part, ce ne sont pas ces mêmes élèves ecclésiastiques qui, à l'âge du recrutement, c'est-à-dire alors qu'ils sont encore élèves, peuvent avoir autorité et compétence pour représenter dans l'armée « cette grande force morale qui s'appelle la religion. » L'argument de M. de Pressensé nous paraît donc concluant contre la proposition Labuze qui tend, par la suppression complète de l'article 20, à enrégimenter les élèves ecclésiastiques. Et, puisqu'il proclame la nécessité de faire une place dans l'armée à l'influence religieuse, la conséquence à en tirer serait, non pas l'adoption de mesures qui tendent à restreindre le nombre des membres du clergé, mais bien, tout au contraire, la nécessité d'organiser sérieusement l'aumônerie militaire. Nous ne pensons pas que tel soit le but que se proposent^ les adversaires de l'article 20. Nous ne devons donc pas insister plus longtemps sur cet argument.

Il en est un autre que nous trouvons dans l'exposé des motifs de la proposition Labuze ; il consiste à invoquer l'exemple des législations de nations voisines. Cet argument n'est assurément pas concluant. En effet, tout

(1) Voy. Lettre de M«r Guibert, cardinal-archevêque de Paris, et les très nombreuses lettres d'adhésion des évoques de France. Voy. la Lettre de M-s* Marming à l'éditeur du Times (Univers du 3 mars 1881.)

(2) Séance du 12 juin 1872, J. Officiel du 13.


LE CLERGE ET LE SERVICE MILITAIRE. 263

d'abord, ces législations sont loin d'être unanimes à cet égard. Si l'Italie , depuis 1875 (art. 10 de la loi du 7 juin 1875), a soumis les clercs au. service militaire (1), si dans l'Allemagne du Nord il n'existe pas de disposition spéciale pour les ecclésiastiques, ainsi que l'affirme M. Labuze; si en Autriche-Hongrie ils sont inscrits sur les registres de la classe à laquelle ils appartiennent ; du moins, d'après M. Labuze lui-même, ils sont immédiatement, sur leur demande, autorisés à continuer leurs études; et, s'ils sont appelés en temps de guerre, c'est à titre d'aumôniers , selon le contingent auquel ils appartiennent. En Suisse, d'après la loi fédérale de 1875, l'exemption existe en faveur des ecclésiastiques (2).

Mais nous ne voulons pas insister sur cette première réponse à faire à l'argument de l'exemple (plus ou moins fondé), des législations étrangères. Nous préférons de beaucoup faire remarquer que cet argument est mal fondé en lui-même. Oh! sans doute, si l'on pouvait puiser dans cet exemple l'indication d'un danger pour la patrie, s'il s'agissait de démontrer qu'en agissant comme on prétend qu'elles le font les nations voisines obtiennent des contingents d'une valeur numérique inquiétante pour la sécurité de notre pays, oh ! oui, alors , l'argument de l'exemple serait décisif, tous nous sentirions notre coeur s'émouvoir, et nous serions unanimes en face de la glorieuse nécessité du service rigoureusement personnel, c'est-à-dire sans la moindre exception. Ce serait peut-être une erreur, une illusion; peut-être pour augmenter, en apparence tout au moins, la force matérielle du pays, détruirait-on sa force morale et intellectuelle ; du moins cette erreur, cette illusion serait généreuse, et ceux qui l'invoquent pourraient dire que le patriotisme, parce qu'il vient du coeur , a ses raisons que la raison ne comprend pas.

Mais en est-il ainsi? Personne n'oserait le soutenir. M. Labuze lui-même, aux chiffres duquel nous aimons nous en rapporter sans contrôle , parce qu'au moins il ne les contestera pas, évalue à mil sept cent ou mil neuf cent le nombre des séminaristes exemptés chaque année. Eh bien ! est-ce là une perte pour l'armée ? Y a-t-il là un

(1) Elle ne le fit, du moins, que sur un ordre du jour motivé du Sénat, prenant acte de la promesse du ministre de n'employer en temps de guerre les ministres du culte que dans les services non combattants {Annuaire de législation étrangère, année 1876), ce qui est déjà moins radical que la proposition Labuze , abrogeant purement et simplement l'article 20. T , , . , ,, .

(2) Exposé des motifs de la proposition Lubuze. — Annuaire de législation étrangère, 1875.


264 LE CLERGÉ ET LE SERVICE MILITAIRE.

péril social? N'est-il pas, au contraire, de notoriété publique , de certitude absolue, que la loi de 1872 a doté la France d'une armée qui, par le nombre tout au moins, n'est inférieure à aucune autre. Les bras, assurément, ne manquent pas à la défense du pays : la patrie n'est pas en danger à cet égard, et les défenseurs du Capitole n'ont pas à pousser le cri d'alarme. Dès lors, que signifie l'argument de l'exemple? « Pourquoi n'aurions-nous pas assez » de fierté nationale pour résister à de pareilles innova» tions ? La France se piquait autrefois, non pas de suivre » l'exemple, mais de le donner. Elle le donnait d'assez » haut et c'était encore un honneur de faire comme » elle (1). » Ce serait, au point de vue de la gloire et de la force militaire , assurément un honneur de faire comme Napoléon Ier. Eh bien ! alors même qu'il n'avait jamais assez de soldats pour combler les vides et pour les opposer aux armées de l'Europe coalisée, il respecta l'immunité ecclésiastique qu'il lui eût été si facile d'abolir, et qu'il n'eût pas manqué de supprimer, s'il avait cru, par cette mesure, augmenter, même dans la plus faible proportion, la force de ses armes. Cet exemple en vaut bien un autre, et nous en conclurons que le second argument formulé contre l'article 20 n'est pas mieux fondé que le premier.

Arrivons donc à un argument plus spécieux, à celui qui consiste à dire que l'exemption de service accordée aux instituteurs et aux ecclésiastiques constitue un privilège, consacre une flagrante et choquante inégalité entre les citoyens français. Cet argument se retrouve, plus ou moins formellement exprimé, et dans la proposition Labuze (2) et dans le projet du ministre (3) et dans celui de M. Paul Bert (4). C'est assurément celui qui peut séduire le plus grand nombre d'esprits, car, en France, nous sommes bien plus jaloux de l'égalité que de la liberté.

Eh bien ! cet argument est-il fondé ! Ce privilège existet-il réellement avec le caractère d'inégalité choquante qui pourrait le rendre odieux? Nous pouvons sans crainte répondre à cette question par la négative. En effet, pour qu'une disposition spéciale présente le caractère d'un privilège, il faut qu'elle soit clans l'intérêt exclusif de celui qui en profite ; mais si elle existe aussi dans l'intérêt de celui qui le concède, est-ce un privilège? est-ce une inégalité

(1) Lettre de M 8' l'évêque de Nîmes , du 3 février 1881, formulant son adhésion à celle de Mfr Guibert, cardinal-archevêque de Paris, du 2-3 janvier 1881.

(2) Journal Officiel du 9 août 1879.

(3) Journal Officiel du 3 février 1881. (i) Journal Officiel du 29 juin 1879.


LE CLERGÉ ET LE SERVICE MILITAIRE. 265

choquante? Assurément non. Ainsi, supposons que, sous prétexte de faire à tous une situation absolument égale devant l'ennemi, un général mette en ligne les médecins et les chirurgiens de son armée — qu'une odieuse faveur ne doit pas écarter des dangers du champ de bataille — que . deviendront les blessés après la première heure du combat ? Et si les chirurgiens sont eux-mêmes frappés, que deviendront-ils le lendemain ? Si donc le chirurgien, au lieu de faire le coup de fusil, soigne les blessés qui, grâce à ses soins intelligents, pourront bientôt reprendre utilement pour la patrie leur poste de combat, où est le privilège ? où serait l'inégalité choquante ? où serait surtout, car c'est là ce qui doit toucher principalement notre patriotisme, l'inégalité nuisible à la patrie? Il est donc sage de reconnaître l'équivalence des services.

Je sais bien qu'à notre époque, certains esprits se refusent à voir dans le ministère du prêtre ou de l'instituteur une équivalence de service, mais, grâce à Dieu, ces esprits sont encore peu nombreux, et M. le Ministre de la guerre lui-même n'hésite pas à les condamner. « Il serait à crain» dre cependant, est-il dit en son nom, (1) qu'en adoptant » des mesures aussi absolues, on ne tarît le recrutement » de carrières importantes au point de vue de l'intérêt pu» blic. ». C'est en effet l'intérêt public qui commande d'admettre ces équivalences, et pour le nier, il faudrait en ve-

ve- jusqu'à méconnaître la supériorité, dans l'ordre social, de la force morale sur la force brutale et purement matérielle.

Aussi, quelques-uns des adversaires de l'article 20delaloi de 1872 — et ce ne sont pas les moins dangereux — prétendent-ils, en modifiant cet article, ne nuire en rien à des carrières infiniment respectables et qu'il importe à la so-

so- de ne pas entraver. Seulement, disent-ils, et parmi eux nous trouvons le Ministre de la guerre, (2) nous voulons exiger des dispensés la preuve de l'existence en leur faveur d'un cas d'équivalence. Pour cela, ils veulent d'abord, en temps de paix, les assimiler aux hommes de la deuxième portion du contingent, puis ils exigent des membres de l'enseignement la consécration à l'enseignement public, c'est-à-dire à l'enseignement de l'Etat ou des communes (et en outre pour les instituteurs primaires, l'obtention du brevet de capacité), et pour les ecclésiastiques l'engagement réalisé de se vouer au ministère parois(1)

parois(1) Officiel du 3 février 3881. — Projets du ministre.

(2) Journal Officiel du 3 février 1881.


266 LE CLERGÉ ET LE SERVICE MILITAIRE.

sial (1). En temps de guerre, ils seraient appelés avec leur classe, mais ils ne serviraient que dans l'aumônerie, les ambulances et les hôpitaux.

Ces conditions méritent examen, et ne sont pas toutes à placer sur la même ligne. Ainsi, pour notre part, nous n'avons nulle répugnance à souscrire à l'obligation d'obtenir, comme condition d'exonération, le brevet de capacité ; ce sera là une preuve, pourvu qu'elle soit équitablement administrée, d'une véritable aptitude et d'une sérieuse vocation ; mais là se borne notre adhésion, et nous ne saurions surtout souscrire à cette prétention qui consiste à soutenir qu'en amendant, qu'en atténuant plus ou moins les propositions les plus radicales, qu'en les adoucissant d'une manière plus ou moins opportuniste, on arrive à ne nuire en rien à la religion que l'on proclame, en même temps nécessaire à la sécurité et à la prospérité de l'Etat.

En effet, « devant un pareil sujet, tout le monde sent son » insuffisance, disait M. Bethmont en 1872 (2) ; il ajoutait même, avec modestie : « Et moi, plus et mieux que per» sonne. » Aussi, nous semble-t-il absolument sage de s'inspirer, sur ce grave sujet, de l'opinion des hommes les plus compétents et les plus impartiaux. Eh bien , le clergé de France s'est prononcé. D'une manière presque unanime (3), les évoques déclarent que l'exonération absolue est nécessaire pour ne pas compromettre les vocations ecclésiastiques « qui ont besoin, pour se développer, d'un atmos» phère de piété et de recueillement. » (Lettre de M?r Guibert.) Ils ont assurément compétence pour le dire, et, d'autre part, ils sont désintéressés ; car « l'évêque est le » premier intéressé à ne pas engager dans une carrière » dont les devoirs sont si redoutables des jeunes gens qui » n'offriraient pas des garanties suffisantes. » (Idem.)

Nos législateurs peuvent donc s'en rapporter à l'épiscopat sur cette question , et ils doivent renoncer à la prétention— habilement affirmée par quelques-uns d'entre eux ■— de toucher aune immunité séculaire sans porter atteinte à la religion.

Quant au système qui consiste à n'accorder la dispense qu'aux ecclésiastiques voués pour dix ans au moins au ministère paroissial, il repose sur une vue étroite et incomplète des nécessités et de la mission de l'Eglise — de

(1) Cette solution ministérielle procède directement de celle qui a été émise par M. Gambetta à la séance du 12 juin 1872. Voy. Journal Officiel du 13 juin.

(2) Séance du 12 juin 1872, Journal Officiel du 13.

(3) Voy. lettre de M" Guibert du 23 janvier 1881, suivie de très nombreuses adhésions des évêques.


LE CLERGÉ ET LE SERVICE MILITAIRE. 267

l'Eglise que les auteurs de ce système reconnaissent comme nécessaire au point de vue de l'intérêt public. — En effet, le ministère paroissial n'est pas le seul nécessaire à l'Eglise. « Chargé de pourvoir à toutes les nécessités spi» rituelles, Tévêque a besoin d'aumôniers pour les hôpi» taux et hospices, pour les communautés religieuses, pour » les orphelinats et oeuvres de bienfaisance, pour les ly» céeset autres institutions semblables; il a besoin de pro» fesseurs pour les grands et petits séminaires, de prédica» teurs pour les stations d'Avent et de Carême, etc. Il n'y . » a pas d'exagération à évaluer le nombre des prêtres ré» clamés par ces divers ministères au tiers, ou au moins » au quart, du clergé de chaque diocèse (1). » Et qui pourrait dire l'atteinte portée par le projet le plus modéré, par le projet ministériel, aux missions étrangères ? « Qui peut dire, ainsi que l'a fait remarquer Son Eminence le cardinal Manning, dans une lettre adressée au directeur du Times, « qui peut dire si après dix annés ainsi passées (dans » le service paroissial), le missionnaire survivrait ou s'il » aurait l'héroïsme du martyre? Et d'ailleurs, ils iraient » alors au Japon ou en Chine pour commencer l'étude des » langues orientales à un âge où l'habitude d'étudier est ». perdue et où l'on ne saurait presque plus rien apprenj> dre (2). » Ce serait donc la ruine des missions étrangères. Et cependant ces missionnaires — sans que que nous voulions insister ici sur leurs vertus surnaturelles, sur leur sublime et héroïque dévouement, qui serait peut-être peu compris parles auteurs des différents projets de loi — ces missionnaires ne sont-ils pas les pionniers de la civilisation et le plus ferme appui de l'influence française dans les contrées les plus reculées ?

En présence des témoignages que nous venons de rappeler, nous pouvons sans crainte dire aux auteurs des diverses propositions sur l'article 20 qu'ils ne peuvent sincèrement les soutenir en prétendant ne pas nuire à la religion.

V.

Mais alors, si, contrairement à l'argument de M. de Pressensé, les propositions en discussion ne tendent pas à assurer dans l'armée sa place à cette grande force morale qui s'appelle la religion ; si l'argument tiré des législations voisines n'est pas très bien.établi en fait ; si, dans tous les

(1) Lettre de M«r Guibert aux Députés.

(2) Lettre au directeur du Times (Univers du 3 mars 1881).


268 LE CLERGÉ ET LE SERVICE MILITAIRE.

cas, il est insignifiant comme n'important en rien à la défense nationale ; si la prétendue inégalité choquante, résultant de l'immunité accordée aux instituteurs et aux ecclésiastiques, existe dans l'intérêt de l'Etat lui-même; si, d'autre part, il est de toute évidence que ces propositions sont funestes à la religion, dans quelle pensée ont-elles donc été faites?

La charité épiscopale de Msr l'Archevêque de Paris se refuse à croire à un secret dessein de nuire à la religion, en arrêtant le recrutement de ses ministres ; et c'est pourquoi il s'est empressé d'apporter à nos législateurs l'appui de ses lumières et l'autorité de son témoignage. Puissent-ils avoir été convaincus ; mais nous n'avons guère lieu de l'espérer quand nous nous souvenons que, d'après un mot d'ordre resté célèbre , le cléricalisme — que l'on veut vainement séparer du catholicisme — est partout signalé comme l'ennemi à combattre.

Plût à Dieu que la France n'eût pas d'autres et plus redoutables ennemis : nous n'aurions alors rien à craindre pour elle.

Conservons donc l'article 20 qui assure au pays des instituteurs et des prêtres. Ne recherchons pas si ces instituteurs sont laïques ou congréganistes, s'ils se livrent à l'enseignement public officiel ou à l'enseignement libre ; ils sont l'un et l'autre également respectables, également nécessaires à la grandeur intellectuelle et morale des peuples ; la vérité n'est pas captive, elle ne saurait avoir rien d'officiel ; l'estampille du gouvernement ne lui donne aucune autorité nouvelle ; elle puise sa force en elle-même et ne veut d'autre garantie que le savoir et la probité de celui qui a l'honneur d'en être l'interprète. « Le seul acte » d'enseigner les enfants, de les instruire, disait M. Beth» mont, rapporteur de la Commission de 1872, aujourd'hui » président de la Cour des Comptes, est en lui-même le » poste de combat le plus haut, le plus élevé, le plus » social, le plus moralisateur, et M. le Ministre de l'ins» truction publique (M. Jules Simon) n'a pas eu besoin de » beaucoup d'efforts pour nous montrer que l'instituteur » passant par l'armée n'aurait pas, au point de vue du pays, » une situation plus haute qu'en restant à l'école (1). »

Conservons également au pays ses prêtres, qui sont, eux aussi, les instituteurs de l'enfance et les consolateurs de tous les âges. Pour ceux-mêmes qui ne reconnaissent pas en eux les représentants autorisés de la vérité et de la volonté divines, ils sont du moins les interprètes et les gar(1)

gar(1) du 12 juin 1872, /. Officiel, du 13.


ORGANISATION PROVINCIALE, ETC. 269

diens fidèles de la morale la plus élevée, la plus essentielle au bonheur des individus et à la sécurité des peuples. C'est ce que se plaisait à reconnaître l'honorable rapporteur de la loi de 1872, dont nous aimons à reproduire, en terminant, les éloquentes paroles : « Dès le début de nos ■» discussions dans la Commission de l'armée , il n'y a eu » ni une hésitation ni un doute ; nous avons pensé, nous » pensons encore, et nous nous honorons de penser que, » dans une loi qui doit réorganiser l'armée, nous ne pou» vons pas désorganiser et mutiler la nation au point de » vue moral et intellectuel... C'est là ce qui fait que, dès » le début, la Commission a formulé nettement sa pensée 7> au point de vue de la religion, à l'égard de ceux qui se » destinent aux ordres sacrés et à l'égard des congréga» tions religieuses vouées à l'enseignement. Tous, sans » exception, dans la Commission, nous avons été mus par » cette pensée si vraie qu'une nation n'existe qu'à la con» dition de croire... Qu'une nation n'est forte et ne reste » forte qu'à la condition d'honorer par-dessus tout la y> prière, qui est l'expression morale la plus élevée de la » relation de l'homme avec le Créateur. Nous avons donc . » voulu, au début et comme au sanctuaire de cette loi, » placer Dieu en lui créant sa place et en la lui laissant » dans la nation (1). »

GILBERT BOUCAUD,

Professeur à la Faculté catholique de Droit de Lyon, avocat à la Cour d'Appel.

DE L'ORGANISATION PROraClâLE ET COMMUNALE

ET DE

LA LÉGISLATION ÉLECTORALE EN BELGIQUE.

1er ARTICLE.

Cette étude a pour objet de donner un aperçu de l'organisation provinciale et communale, ainsi que de la législa- tion électorale en Belgique et de comparer, à cette occasion, les institutions belges avec les nôtres. A propos des

(1) J. Officiel du 13 juin 1872, et Dalloz, 187g. 4. 5S.


270 ORGANISATION PROVINCIALE ET COMMUNALE

attributions des conseils communaux, nous avons cru devoir parler avec quelques détails des funestes changements apportés dans l'enseignement primaire, par une loi récente et de la lutte glorieuse soutenue par les catholiques belges contre le nouveau régime scolaire qu'on prétendait leur imposer; ce sujet, sans sortir absolument du cadre que nous nous étions tracé, semblait d'ailleurs opportun à traiter dans les circonstances présentes, alors qu'en France nous voyons nos propres écoles communales « laïcisées » (pour employer le langage officiel), et les crucifix arrachés de leurs murailles par ordre de l'administration. Nous nous sommes particulièrement étendus sur le système électoral, très curieux à étudier en Belgique : ce sujet se recommandait aussi par son actualité, puisque nous sommes à la veille de voir adopter en France le scrutin de liste et qu'il est fortement question d'emprunter à la législation belge plusieurs dispositions typiques sur les opérations électorales et sur le mode de votation.

Nous aborderons en premier lieu l'étude de l'organisation provinciale, et nous examinerons les institutions qui répondent, chez nos voisins, à la commune, à l'arrondissement et au département français.

I. — DE LA PROVINCE.

Les neuf provinces de la Belgique ont chacune un conseil provincial, — qui est l'équivalent de notre conseil général, — et un commissaire du gouvernement qui correspond au préfet français' et qui porte le titre de gouverneur.

Le Gouverneur. — Le gouverneur est nommé et révoqué par le Roi : il veille à l'instruction préalable des affaires soumises au conseil provincial et il est seul chargé de l'exécution des délibérations prises par cette assemblée ; il poursuit les actions intentées par la province ; il doit assurer le maintien de la tranquillité et du bon ordre, garantir la sûreté des personnes et des propriétés : à cet effet, il dispose de la gendarmerie et de la garde civique (qui est en Belgique l'équivalent de notre ancienne garde nationale).

En matière politique, les gouverneurs conservent actuellement encore une indépendance contrastant étrangement avec le servilisme qu'en France le pouvoir central exige de la part des préfets ; en effet, que voit-on se produire chez nous régulièrement à chaque changement de cabinet (et Dieu sait si ces changements sont fréquents !) ? l'administration est bouleversée de fond en comble, le personnel re-


ET LÉGISLATION ÉLECTORALE EN BELGIQUE.^ 271

manié, les fonctionnaires révoqués en masse et remplacés par les créatures des nouveaux ministres. Il n'en est pas de même en Belgique, et c'est là un des grands avantages du régime monarchique : les ministères peuvent s'effondrer après une durée de quelques mois ou de quelques jours, ils peuvent disparaître soudain en succombant sous le coup d'une intrigue parlementaire, les libéraux peuvent remplacer les catholiques au pouvoir, mais on ne se croira pas obligé pour cela de renouveler entièrement le personnel administratif et diplomatique, et l'on n'osera point inquiéter, pour leurs opinions individuelles, des fonctionnaires habiles et fidèles, désireux de continuer à servir leur pays et leur Roi ! C'est pourquoi, aujourd'hui encore, sous le ministère Frère-Orban, l'on remarque, à la tête de plusieurs provinces, des gouverneurs profondément catholiques, qui resteront en place tant qu'ils n'auront point à exécuter des ordres blessants pour leur conscience. Il n'est point rare de voir un gouverneur rester vingt ou trente ans dans la même province : il arrive ainsi à en. connaître à fond tous les besoins, et on peut dire alors que de tels fonctionnaires administrent vraiment par eux-mêmes leur département, sans être obligés de s'en remettre aveuglément à l'expérience ou, pour mieux dire, à la routine de leurs bureaux.

Du Conseil provincial. — Le conseil provincial est élu pour quatre ans par les collèges électoraux (1) et se renouvelle par moitié tous les deux ans. Il est à remarquer que les membres du Sénat et de la Chambre des représentants ne peuvent faire partie d'un conseil provincial : . le législateur a craint qu'ils n'apportassent au sein du conseil cette tendance à discuter les questions politiques qui domine dans les assemblées législatives et qui détournerait le conseil de ses attributions propres, c'est-à-dire de la tutelle des intérêts provinciaux.

On a demandé à plusieurs reprises , en France, d'établir aussi une incompatibilité entre les deux mandats de député et de conseiller général, mais cette proposition n'a jamais été accueillie. Reste à savoir, d'ailleurs, si une pareille incompatibilité n'est pas une garantie illusoire et si elle suffirait à bannir la politique de nos assemblées provinciales ou communales? — L'exemple du conseil municipal de Paris, qui ne compte pourtant aucun député dans son sein, est là, semble-t-il, pour nous prouver le contraire.

(1) La circonscription des cantons électoraux, les chefs-lieux et le nombre de conseillers à élire sont déterminés dans un tableau annexé à la loi provinciale.


272 ORGANISATION PROVINCIALE ET COMMUNALE

Le conseil provincial se réunit de plein droit chaque année le premier mardi de juillet, en session ordinaire, mais, indépendamment de cette session, le Roi peut convoquer le conseil en session extraordinaire.

Les conseillers provinciaux ne touchent aucun traitement, mais ceux qui sont domiciliés à un demi-myriamètre au moins du lieu de la réunion, reçoivent une indemnité de route et de séjour.

Les attributions du conseil sont fort nombreuses ; nous citerons les principales : il présente les candidats pour la nomination des conseillers des cours d'appel, des présidents et vice-présidents des tribunaux de première instance (1), il prononce sur toutes les affaires d'intérêt provincial , il nomme les employés provinciaux et fixe le taux de leur traitement; chaque année il arrête les comptes de recettes et dépenses de l'exercice précédent, et vote le budget des dépenses pour l'exercice suivant, avec les moyens d'y faire face ; il décide de la création et de l'amélioration des établissements publics aux frais -de la province; il autorise les emprunts, les acquisitions, aliénations, échanges de biens de la province ; il règle les transactions et autorise les actions en justice relatives à ces biens; il statue sur la construction des routes, canaux et autres ouvrages publics à exécuter en tout ou en partie aux frais de la province ; il détermine la part des communes dans les dépenses occasionnées par leurs indigents aliénés ; il répartit entre les communes le contingent des contributions directes assigné à la province ; il prononce sur les réclamations et demandes en réduction qui lui sont adressées par les communes et sur les demandes d'établissement de foires et marchés, etc.

A la vérité, ces droits subissent quelques restrictions ; ainsi la loi énumère vingt-un objets différents comme devant, en tout cas, figurer au budget provincial ; —de même, en France, la loi du 10 août 1871 a déclaré obligatoires certaines dépenses qui peuvent être inscrites d'office au budget départemental ; — en outre, plusieurs actes doivent être soumis par les conseils provinciaux à l'approbation du Roi : tels sont le budget des dépenses de la province ainsi que les moyens d'y faire face et les emprunts; la création d'établissements publics aux frais de la province, les acquisitions, échanges, aliénations et transactions dont la valeur excède 10,000 francs ; la construction des routes, canaux et autres ouvrages publics dont la dépense

(1) Ces magistrats sont nommés par le Roi, sur deux listes doubles, présentées l'une par les cours d'appel, l'autre par les conseils provinciaux (art. 99 de la Constitution).


ET LÉGISLATION ÉLECTORALE EN BELGIQUE. 273

totale excède 50,000 francs; l'établissement, la suppression , les changements de foires et marchés ; enfin les règlements provinciaux d'administration intérieure et les ordonnances de police. — Le Roi approuve ou rejette ces actes, mais il ne peut jamais les modifier. Si les actes n'ont pas été annulés dans les quarante jours, ils sont considérés comme approuvés.

Des pouvoirs analogues, limités également à une durée de quarante jours, appartiennent, en France, au chef de de l'Etat, qui suspend ou annule, suivant les cas, après avis du Conseil d'Etat, les décisions prises par les conseils généraux.

De la Dèputation permanente, — A côté du conseil provincial fonctionne la dèputation permanente ; cette institution belge a inspiré, il y a dix ans, l'idée de créer en France, auprès de chaque conseil général, une commission départementale, destinée à continuer, en dehors des sessions, l'action du conseil général, à exercer en son nom une surveillance permanente, dans la limite des attributions du conseil lui-même. La création de cette commission, qui fut l'innovation la plus importante de la loi du 10 août 1871, a donc été un emprunt fait à la législation belge. Néanmoins, on remarque entre ces deux institutions similaires quelques différences notables : ainsi, en France, la nomination du président de la commission départementale a donné lieu à de sérieux débats dans la discussion de la loi de 1871 ; on a fini par confier la présidence au plus âgé des membres élus. On a donc absolument écarté le préfet, qui a néanmoins ses entrées à la commission de même qu'au conseil général. En Belgique, la dèputation permanente, composée de six membres, que le conseil provincial élit dans son sein, est présidée par le gouverneur, quia voix délibérative , mais non prépondérante. Les membres de la dèputation jouissent d'un traitement annuel de 4,000 fr., dont la moitié est réservée pour former un fonds de présence à partager tous les trois mois entre les membres suivant le nombre des séances auxquelles ils ont assisté pendant le trimestre écoulé; en outre, une somme de 1,200 fr. par province sert à indemniser de leurs frais de route les membres ne résidant pas au chef-lieu.

La dèputation représente le conseil lorsque ce dernier n'est pas assemblé ; elle peut prononcer sur les affaires spécialement réservées au conseil, dans tous les cas où elles ne sont pas susceptibles de remise, et à charge de lui en donner connaissance à la première réunion ; elle délibère , tant en l'absence que durant la session du conseil, sur toutes les affaires courantes, mais elle ne peut, en aucun

ixe—i ' 18


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cas, prendre de décisions sur le budget et les comptes; elle délivre les mandats de paiement dans la limite des crédits; enfin, chaque année, à l'ouverture de la session ordinaire du conseil, la dèputation lui présente un exposé de la situation de la province sous le rapport de son administration; elle lui soumet les comptes des recettes et dépenses de l'exercice précédent avec le projet de budget des dépenses et des voies et moyens pour l'exercice suivant : nouvelle différence à constater avec ce qui se passe en France, où c'est le préfet et non la commission départementale qui doit soumettre au conseil général un rapport sur ces différentes questions.

En outre, si la dèputation permanente est l'équivalent de notre commission départementale, elle tient lieu aussi de conseil de préfecture, car elle en a à peu près toutes les attributions contentieuses, et, pour parler notre langue administrative, les six membres qui composent cette dèputation peuvent être comparés à des conseillers généraux qui seraient devenus conseillers de préfecture sans perdre, toutefois, leur qualité antérieure : seulement ce sont des fonctionnaires (nous avons dit qu'ils étaient rétribués) élus par leurs concitoyens au lieu d'être nommés par le gouvernement, comme le sont nos conseillers de préfecture. Ainsi la dèputation permanente juge la comptabilité communale, prononce en matière d'élection, intervient clans les questions de voirie, etc.

II. — DE L'ARRONDISSEMENT.

Il n'existe point de conseil d'arrondissement en Belgique : il y a pour chaque arrondissement un commissaire du gouvernement correspondant à notre sous-préfet ; il porte le titre de commissaire d'arrondissement. Ses attributions s'étendent sur les communes rurales, et, en outre, sur les villes dont la population est inférieure à cinq mille âmes, pourvu que ces villes ne soient pas chefs-lieux d'arrondissement. Ces fonctionnaires sont spécialement chargés, sous la direction du gouverneur et de la dèputation permanente, de surveiller l'administration des communes rurales et des petites villes; ils visitent, au moins une lois par an, toutes les communes de leur ressort et vérifient les caisses communales chaque fois qu'ils le jugent convenable. Ils sont tenus de faire, au mois de janvier de chaque année, un rapport à la dèputation permanente sur l'état de leur arrondissement ; de plus, un mois avant la réunion du conseil provincial, ils adressent à la dèputation un rapport sur les améliorations à introduire dans leur circonscription.

Après la province, passons à la commune.


ET LEGISLATION ÉLECTORALE EN BELGIQUE. 275

III. — DE LA COMMUNE.

La Belgique, dont la Constitution place le pouvoir provincial et communal comme un quatrième pouvoir dans l'Etat, à côté des trois pouvoirs : législatif, exécutif et judiciaire, la Belgique a été longtemps considérée comme le pays possédant l'organisation communale la plus libérale de l'Europe; sa législation, qu'on a souvent citée comme modèle, a été imitée et même dépassée dans plusieurs pays. Il est donc bon de l'étudier avec soin.

Et, d'abord, si le législateur belge a voulu consacrer l'existence du pouvoir communal comme distinct et indépendant des grands pouvoirs publics, s'il a voulu en assurer l'autonomie et l'indépendance, il a tenu aussi aie maintenir strictement dans la limite de ses attributions, qui, à vrai dire, peuvent se résumer à deux catégories, savoir : le maintien de la police etY administration des biens communaux. Le pouvoir communal est doublement limité, car ceux qui en sont les dépositaires sont tenus, d'une part, de respecter les droits des citoyens (droits écrits dans la Constitution et dans les lois, droits qui servent de barrière inviolable au domaine des intérêts individuels), et, de plus, l'ordre public exige que les conseils communaux soient assujettis, dans leur administration, au contrôle des grands pouvoirs de l'Etat, car trop souvent ces assemblées, s'exagérant leur importance et le rôle qu'elles doivent jouer dans le gouvernement du pays, oublient leurs attributions propres et empiètent sur le domaine de la politique.

En Belgique, le pouvoir communal émane de la commune même, comme les pouvoirs publics émanent de la nation. La Constitution de 1831 a restitué aux communes le droit — qui leur avait été confisqué par le gouvernement consulaire et impérial-—de choisir elles-mêmes leurs administrateurs. Le corps municipal de chaque commune se compose donc : du bourgmestre , des échevins et d'un conseil communal, élu par l'assemblée des électeurs.

Du Bourgmestre et des Echevins. — Le Roi nomme le bourgmestre et les échevins, mais il doit les prendre dans le sein du conseil ; il peut toutefois, de l'avis conforme de la dèputation permanente, nommer le bourgmestre hors du conseil, p'armi les électeurs de la commune âgés de vingtcinq ans accomplis.

Il y a deux échevins dans les communes de 20,000 habitants et au-dessous; quatre dans celles dont la population


276 ORGANISATION PROVINCIALE ET COMMUNALE.

excède ce nombre. Le bourgmestre et les échevins sont nommés pour six ans; ils sont rétribués. Le B.oi peut suspendre ou révoquer le bourgmestre pour inconduite notoire ou négligence grave, mais la loi veut que ce fonctionnaire soit préalablement entendu et admis à se justifier. La durée de la suspension est de trois mois au plus. Le gouverneur peut, de son côté, sur l'avis conforme et motivé delà dèputation provinciale, suspendre ou révoquer les éche- . vins pour les mêmes motifs.

Du Collège èchevinal. — Les attributions du bourgmestre sont à peu près les mêmes que celles du maire français ; seulement, dans la plupart des cas où notre maire agit et surtout décide seul, sans être tenu de consulter ses adjoints, le bourgmestre doit se réunir avec ses échevins pour se former en comité ; ce comité, dont le bourgmestre est président de droit, prend le nom de collège èchevinal ; Il tient des réunions périodiques, fixées dans chaque commune par un règlement ; il délibère sur toutes les matières spécialement communales et il prononce à la majorité des voix. « Le collège èchevinal, nous dit un jurisconsulte belge, (1) est une autorité mixte, qui participe à divers titres à l'exercice de la puissance publique; il est à la fois l'agent de la loi, l'agent du Roi, l'agent des autorités provinciales, l'agent du conseil de la commune et le dépositaire immédiat d'une portion du pouvoir communal : en qualité d'agent direct de la loi, il est chargé de la tenue des registres de l'état civil; comme délégué du Roi, il est chargé, sous son autorité, de l'exécution des lois et des arrêtés d'administration générale. » Considérés à ce double point de vue, ce le bourgmestre et les échevins sont : (2) tantôt des organes de notification (par exemple, lorsqu'ils publient les demandes en concession de mines); tantôt des agents qui procurent la réalisation immédiate des lois (par exemple, lorsqu'ils pourvoient à l'exécution des lois constitutives de la force publique) ; tantôt enfin des agents de contrôle (par exemple, lorsqu'ils exercent la surveillance des hospices et des établissements de bienfaisance). — Le conseil èchevinal est aussi l'agent des autorités provinciales, car la loi lui confie expressément le soin d'exécuter leurs ordonnances ; il est l'agent du conseil communal dont il doit publier et exécuter les résolutions. Mais le collège est plus qu'un simple agent

(1) A. Giron, Essai sur le droit communal de la Belgique. Bruxelles,' 828. page 217 .

(2) Defooz, Traité du droit administratif belge, t. i, p. 92.


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■d'-éxécution : il est le dépositaire direct d'une portion de l'autorité communale et, comme tel, il est chargé : de l'administration des établissements communaux (c'est-àdire fondés par la commune et entretenus de ses deniers) ; de la direction des travaux communaux, des alignements de la grande et de la petite voirie, de l'approbation des plans de bâtisse à exécuter par les particuliers, de l'administration des propriétés de la commune, de l'entretien des chemins vicinaux et des cours d'eau, de la surveillance des hospices, bureaux de bienfaisance et monts-depiété, etc., etc. »

Primitivement c'était aussi au collège èchevinal qu'appartenait la direction de lapolice locale, mais on ne tarda pas à reconnaître les inconvénients de ce système. En effet, le service de la police exigeant le secret et la célérité doit nécessairement être concentré dans les mains d'un seul; il intervint ■donc, en 1842, une loi qui confia au bourgmestre seul la direction personnelle et exclusive de la police locale ; le bourgmestre est aujourd'hui, pour tout ce qui concerne l'exécution des lois et des règlements de police, une autorité distincte et indépendante du collège èchevinal. Outre la direction de la police, ce fonctionnaire a encore certaines attributions spéciales : tout d'abord, il est officier de l'état civil et, comme tel, il est particulièrement chargé de faire observer tout ce qui concerne les actes et la tenue des registres; il est, en second lieu, officier de police judiciaire et, comme tel, il recherche et constate les contraventions, les délits et les crimes ; il peut même, dans certains cas, faire des visites domiciliaires et d'autres actes de la compétence du procureur du Roi. En troisième lieu, il aie droit de présider, quand il le veut, les réunions des commissions hospitalières et des bureaux de bienfaisance, mais il n'use de ce droit que dans des circonstances exceptionnelles, lorsqu'il s'agit de faciliter les rapports de l'administration communale avec les administrations charitables.

Le bourgmestre est seul chargé de la police, avons-nous dit; dans les grandes villes il est secondé par des commissaires de police ; ces derniers magistrats sont nommés et révoqués par le Roi : leur nomination a lieu sur une liste de deux candidats, présentés par le conseil communal, auxquels le bourgmestre peut en ajouter un troisième. Quant aux gardes champêtres, ils sont nommés par le gouverneur sur une liste double de candidats présentés par le -conseil communal ; le gouverneur et le conseil communal ont le droit de les révoquer ou de les suspendre.

Du Conseil communal. — Ce conseil se compose de sept membres dans les communes de moins de mille habitants


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et le nombre des conseillers s'accroît proportionnellement à la population jusqu'à trente et un pour soixante-dix mille âmes et au-dessus. Le conseil est nommé pour six ans, mais il se renouvelle par moitié tous les trois ans ; il s'assemble toutes les fois que l'exigent les affaires comprises dans ses attributions; il est convoqué parlecollégeéchevinal; sur la demande d'un tiers des membres en fonction, le collège èchevinal est tenu de convoquer le conseil aux jour et heure indiqués. Le bourgmestre préside ; les résolutions sont prises à la majorité absolue des membres présents ; en cas de partage, la proposition est rejetée.

Le conseil communal a des attributions étendues : il règle tout ce qui est d'intérêt communal et il délibère sur tout autre objet qui lui est soumis par l'autorité supérieure. Ses délibérations peuvent se diviser en deux catégories :

1° Délibérations qui doivent être soumises à l'avis de la dèputation permanente , et ensuite à l'approbation du Roi. — Ce sont les délibérations ayant pour objet : les aliénations , échanges de biens ou droits immobiliers de la commune , baux emphytéotiques, emprunts et constitutions d'hypothèque (l'approbation de la dèputation est suffisante lorsque la valeur n'excède pas 5,000 francs ou le dixième du budget, ■— à moins que ce dixième ne dépasse 50,000 fr. ; — les demandes en autorisation d'acquérir des immeubles ou des droits immobiliers ; ■—l'établissement, le changement ou la suppression d'impositions communales; — le changement de mode de jouissance des biens communaux ; — la fixation de la grande voirie et les plans généraux d'alignement des villes ; l'ouverture des rues nouvelles et l'élargissement des anciennes ; — la démolition des monuments de l'antiquité existant dans la commune et les réparations à faire à ces monuments.

2° Délibérations qui doivent être soumises seulement à l'approbation de la dèputation permanente. — Les conseils communaux n'ont besoin de soumettre qu'à la dèputation leurs délibérations sur les autres matières, telles que : actions à intenter ou à soutenir , ventes et échanges ayant pour objet des créances, obligations et actions , projets de construction, de grosses réparations et de démolitions d'édifices communaux, budgets des dépenses communales et moyens d'y pourvoir, compte annuel des recettes et dépenses , règlements organiques des administrations de monts-de-piété.

Le conseil fait les règlements communaux d'administration intérieure et les ordonnances de police communale, qui, bien entendu, ne peuvent être contraires aux lois et


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règlements ; il en transmet, dans les quarante-huit heures , des expéditions à la dèputation permanente. — Il nomme à certains emplois spéciaux (employés de tout grade des taxes municipales; — membres des administrations des hospices et des bureaux de bienfaisance, etc.) avec pouvoir de révoquer les personnes qu'il a nommées.

Lorsqu'une commune a pris une résolution qui sort de ses attributions ou qui blesse l'intérêt général, le gouverneur peut en suspendre l'exécution et le Roi peut prononcer, par arrêt motivé, l'annulation du vote du conseil. Après deux avertissements, le gouverneur ou la dèputation peuvent envoyer sur les lieux, aux frais de la commune, des commissaires chargés de régler d'autorité l'affaire qui a fait l'objet des avertissements.

De même qu'en France, la loi impose à la commune, comme à la province , un assez grand nombre de dépenses obligatoires qu'il est inutile d'énumérer ici, mais parmi lesquelles nous remarquons : « les frais d'entretien et de traitement des aliénés indigents et ceux d'entretien des indigents retenus dans les dépôts de mendicité, admis dans les hôpitaux ou reçus provisoirement, ou du consentement de la commune, dans les hospices des communes où ils n'ont pas droit à des secours publics, s'il n'est pas pourvu à ces frais par les établissements des hospices ou de bienfaisance, sans préjudice des subsides à fournir par les provinces, dans les cas déterminés par la loi. »

« En principe, les dépenses résultant de l'assistance publique sont à la charge de l'Etat parce qu'elles sont faites dans l'intérêt de la généralité des citoyens ; les hospices civils et les bureaux de bienfaisance, institués en l'an v, jouissent d'une dotation qui leur est propre et à l'insuffisance de laquelle la nation supplée au besoin, disait la loi, par des secours extraordinaires votés par la législature. Tel était, dans sa simplicité primitive, le système fondé par les lois de l'an v, système qui faisait des hospices civils et des bureaux de bienfaisance de véritables agences dépendant de l'administration centrale. Ce système a été profondément modifié par la suite : la pénurie du trésor public a forcé le législateur à recourir à des mesures transitoires qui ont fini par se convertir en régime définitif et qui ont fait de l'assistance publique une charge communale. La loi du 11 frimaire an vu décida que « pour l'an vu et jusqu'à » ce qu'il y ait été définitivement pourvu par la suite , » les sommes nécessaires pour compléter le fonds d'en» tretien des hospices civils et des distributions de se» cours à domicile , seraient à la charge des cantons où


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» ces établissements ont lieu, et feraient en conséquence » partie des dépenses municipales. »

)J Cette charge, qui dans l'origine avait un caractère temporel et provisoire, s'est perpétuée jusqu'à nos jours, et c'est un principe constant désormais que l'insuffisance des revenus des établissements de charité doit être suppléée par les subsides des communes où ils sont situés.

» L'assistance publique se trouve clone communalisée : chaque commune supporte l'entretien des indigents qui ont leur domicile de secours sur son territoire. Ainsi s'explique la disposition qui ordonne de porter au budget communal ; les frais de traitement et d'entretien des aliénés indigents et ceux d'entretien des indigents retenus dans les dépôts de mendicité, admis dans les hôpitaux ou reçus provisoirement , ou du consentement de la commune, dans les hospices des communes où ils n'ont pas droit à des secours publics (1). »

Nous avons gardé pour la fin la compétence des Conseils communaux en matière d'enseignement primaire; nous n'en dirons ici crue peu de mots ; c'est un sujet qui, vu son intérêt et son actualité, demanderait à être traité avec plus d'étendue que ne le comporte ce travail : on sait, en effet, que de graves modifications ont été apportées en cette matière par la loi de 1879 , loi funeste, loi impolitique au premier chef et qui, produisant une vive réaction dans le pays, tournera à la ruine et à la confusion du parti libéral. Cette loi n'a d'ailleurs été qu'une triste concession jetée en pâture aux exigences des radicaux afin d'obtenir d'eux le vote d'un projet de loi militaire auquel le gouvernement attachait la plus haute importance. Tout le monde a entendu parler de cette « loi de malheur » (ainsi l'ont baptisée les paysans catholiques) ; et on se rappelle qu'elle a été votée par le Sénat belge à une voix de majorité —• tout comme notre république. Les catholiques avaient espéré jusqu'au dernier moment que leur souverain ne sanctionnerait jamais une loi pareille votée dans de telles conditions ; mais le Roi des Belges, emprisonné dans la Constitution, ne jouit que d'une autorité fort restreinte et de pouvoirs très limités ; nulle part on n'a pu répéter avec plus de raison qu'en Belgique la fameuse phrase : « le Roi règne et ne gouverne pas, » et malheureusement, Léopold II, exagérant encore ce rôle inerte et passif, abdiquant, pour ainsi dire, le peu d'autorité qui lui est réservée, a oublié qu'un Roi constitutionnel doit, du moins, rester entre les partis adverses comme un arbitre et un modérateur, et

(1) Giron, Droit communal de la Belgique, p. 24ï, 243.


ET LÉGISLATION ÉLECTORALE EN BELGIQUE. 281

qu'il était, par conséquent, de sou devoir le plus strict, puisque la Constitution lui en laissait la faculté, d'opposer son veto à une loi funeste, déplorable fruit de l'entraînement d'une assemblée dominée par l'esprit de parti. Le 1er juillet 1879, peu de jours après le vote du Sénat, les journaux catholiques parurent encadrés de noir, apprenant ainsi au pays que le monarque avait donné sa sanction à la loi de malheur.

Nous n'avons pas à rappeler ici le détail de cette loi néfaste, les atteintes graves qu'elle a portées aux droits des pères de famille, et l'outrage qu'elle a fait aux convictions religieuses de la grande majorité de la nation ; nous dirons seulement quel coup elle a porté au pouvoir des conseils communaux et quel système de centralisation elle a inauguré en Belgique.

« L'enseignement primaire (1) avait été réglé , dans ce pays, par une loi de 1842, sorte de transaction survenue entre les catholiques et les libéraux, en vertu de laquelle chaque commune devait avoir sur son territoire au moins une école ; mais elle pouvait se dispenser de la construire et de l'entretenir en traitant de gré à gré avec une école privée qu'elle adoptait. L'établissement adopté conservait une certaine autonomie, mais il était tenu de s'acquitter des engagements contractés envers le conseil communal ; et celui-ci, en retour, lui accordait un subside annuel. Les autorités communales conservaient des pouvoirs fort étendus sur ces écoles. Elles statuaient sur leur régime intérieur, fixaient l'heure des classes, l'époque et la durée des vacances ; tous les ans, le conseil communal, après avoir entendu le bureau de bienfaisance, fixait le nombre d'enfants indigents qui, dans chaque commune, doivent recevoir l'instruction gratuite ; il indiquait, en outre, le nombre d'écoles nécessaires dans la commune, arrêtait les plans des bâtiments et votait les sommes nécessaires pour la construction et l'entretien ; enfin, il nommait l'instituteur, fixait son traitement, le surveillait et pouvait lui infliger certaines peines, dont la plus grave était une interdiction de trois mois avec suspension de ses honoraires. »

« Le conseil provincial et sa dèputation permanente intervenaient , au point de vue financier, en accordant un subside sur les fonds de la province dans les cas d'insuffisance constatée des ressources locales. De plus, les auto(I)

auto(I) avons emprunté les détails de l'organisation scolaire en Belgique a l'intéressante brochure de M. Paul Gouy : La Guerre à l'Enseignement chrétien en Belgique! Paris 1881.


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rites provinciales exerçaient en cette matière , comme en plusieurs autres, la tutelle administrative des communes qui, chez nous, est réservée aux préfets ; les abus de pouvoir, commis dans le domaine de l'enseignement par le bourgmestre ou par son conseil, étaient jugés par la dèputation permanente sauf recours au Roi. Le recrutement des instituteurs et des institutrices devait se faire à la fois par des écoles normales relevant directement de l'Etat et par les écoles normales privées auxquelles l'Etat accordait l'agréation. Cette « agréation » correspondait, pour les écoles normales privées, à l'adoption admise pour les écoles primaires. Les écoles normales agréées recevaient la visite des inspecteurs cantonaux et provinciaux et elles avaient droit à une allocation du trésor public. »

« Les communes étaient absolument libres de choisir entre tous les candidats diplômés sortis des diverses écoles ; (il fallait une autorisation spéciale du ministère pour pouvoir nommer des maîtres ou des maîtresses non diplômés). Enfin, les inspecteurs cantonaux étaient nommés par le gouvernement sur la présentation des députations permanentes de cliaque province. )>

« Depuis la loi de 1879 tout est changé : l'inspection n'est plus confiée aujourd'hui qu'aux agents du ministère de l'instruction publique, et, bien entendu, on a soin d'éliminer de l'inspection tout élément ecclésiastique. La faculté de l'adoption est enlevée aux communes ; elles ne peuvent se dispenser d'avoir des écoles à elles, entretenues à leurs frais. La loi ne se borne plus à prescrire, comme autrefois, une école par commune ; elle donne au gouvernement la faculté de fixer arbitrairement le nombre qu& chaque localité doit avoir. Les dépenses pour la construction et pour l'entretien sont devenues obligatoires et peuvent, par conséquent, être inscrites d'office au budget communal, en cas de résistance des autorités locales. En outre, les écoles gardiennes (qui sont, en Belgique , l'équivalent de nos salles d'asiles), et les cours d'adultes, qui étaient restés jusqu'alors dans le domaine du pouvoir communal et des entreprises privées , sont devenus justiciables du gouvernement comme les écoles primaires. »

« Les autorités communales ont perdu, pour ainsi dire, tout pouvoir sur les maîtres et sur le régime intérieur des écoles , puisque leur choix se trouve limité aux candidats présentés par les inspecteurs, candidats qui tous doivent sortir des établissements officiels. Leur juridiction disciplinaire se trouve, d'ailleurs, considérablement restreinte : ils ne peuvent suspendre l'instituteur que pour quinze jours au maximum et c'est l'administration qui prononce en dernier ressort. La plupart des questions de détail qu'ils


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réglaient souverainement sous la législation de 1842 doivent être portées désormais devant les inspecteurs, le conseil de perfectionnement (1) ou les bureaux du ministère. Les libéraux ont bien pressenti la résistance énergique qui devait être opposée à leurs projets par les administrations communales dont ils ont cherché, en conséquence, à annihiler l'influence ; dans ce but, ils ont eu recours à un rouage, absolument nouveau en Belgique : ils ont organisé des comités scolaires, qui sont composés de notables chargés d'encourager et de développer dans chaque région l'enseignement public. Les circonscriptions de ces comités sont fixées par le ministre ; elles peuvent comprendre une ou plusieurs communes. Dans le premier cas, les membres du comité sont nommés par le conseil communal du lieu ; dans le second, ils sont choisis par le ministre ; cette ingénieuse combinaison permet de laisser les communes libérales désigner librement leurs délégués, tandis que les communes catholiques doivent subir la surveillance des francs-maçons et des radicaux qu'il plaît à l'administration de leur imposer. Ces comités n'ont, d'ailleurs , aucune juridiction positive, le seul rôle qui leur soit assigné en réalité est d'agir, par voie de sollicitations, d'influence , — ou même de menaces , — sur les parents, sur les autorités locales et sur le corps enseignant, D

Les auteurs du projet de loi avaient aussi à redouter l'opposition des assemblées provinciales et des députations permanentes et ils se sont également attachés à diminuer leur rôle dans l'instruction publique : nous avons déjà dit qu'elles n'ont plus à donner leur avis sur le choix des inspecteurs ; de même elles sont remplacées par les bureaux du ministère dans le règlement des difficultés qui peuvent s'élever entre le conseil communal et l'instituteur ; enfin leur tutelle sur les communes a été restreinte autant qu'il était possible de le faire, sans violer trop ouvertement les principes fondamentaux de la législation belge.

On sait quel était, au fond, le seul but de toutes ces innovations et le point essentiel de la prétendue « loi de réforme » de 1879 : « l'article 4 substituait dans l'enseignement officiel une morale neutre définie par l'Etat au dogme et à la morale catholique enseignée par l'Eglise. Toutes les autres dispositions n'étaient que le complément et la conséquence de cet

(1) Ce conseil, chargé du perfectionnement de l'instruction moyenne et composé de dix membres au plus , est établi auprès du ministre de l'instruction publique. Le conseil, présidé par le ministre ou par son délégué, doit donner son avis sur les programmes des études, examiner les livres employés dans l'enseignement ou donnés en prix. Il délibère sur tous les objets qui intéressent les progrès des études.


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article, les unes constituant des réserves hypocrites destinées à tromper les familles sur les tendances réelles delà nouvelle législation , les autres mettant entre les mains du pouvoir et du parti libéral les armes légales nécessaires pour briser des résistances qu'ils prévoyaient, sans en mesurer cependant toute l'énergie » (1). Mais cette question est étrangère à notre sujet; ce que nous avons dit suffit pour faire comprendre à quel système de centralisation à outrance la nouvelleloi a soumis renseignement primaire, quelle lourde charge elle a imposée aux communes en leur retirant le bénéfice de l'adoption! En effet, la loi de 1842 avait employé un moyen ingénieux, en même temps qu'économique pour les communes , en autorisant l'adoption des écoles primaires et l'agréation des écoles normales privées : une subvention fort modeste suffisait à chacune de ces maisons, car la générosité des particuliers couvrait la majeure partie des dépenses. Cette ressource est retirée aux communes : elles sont obligées aujourd'hui d'entretenir partout, à leurs frais, des écoles officielles, de construire et de meubler des bâtiments neufs destinés à remplacer les anciennes écoles adoptées; en outre, les religieuses qui dirigeaient la plupart des écoles communales de filles et qui se contentaient d'un salaire très modique sont peu à peu remplacées par des maîtresses laïques, qui, bien entendu, réclament un traitement beaucoup plus élevé (2). On peut juger par là du degré de popularité dont la nouvelle loi jouit dans les campagnes ! On comprend en effet que les nouvelles charges, que nous avons énumérées, se trouvent être doublement onéreuses pour les catholiques obligés de payer l'impôt exigé pour les écoles officielles et de subvenir aux frais de leurs propres écoles, qui, presque partout, grâce à Dieu, luttent avec le plus grand succès contre celles du gouvernement.

Les catholiques belges nous ont donné, à cette occasion, un bel exemple par l'entente et le zèle admirables avec lesquels ils ont organisé, sur le terrain légal, la guerre au nouveau régime scolaire : dès lors, les « cléricaux » oublièrent les vieilles querelles de clocher qui avaient pu les diviser auparavant ; à peine la loi du 1er juillet 1879 étaitelle promulguée, tous s'unirent pour en combattre les désastreux effets. Ils comprirent bien que le seul moyen de

(1) Paul Gouy, La Guerre à l'Enseignement chrétien en Belgique.

(2) Dans plusieurs provinces restées foncièrement catholiques , le gouvernement a eu beaucoup de peine à recruter des institutrices laïques pour ses écoles. Dn journal de Namur raconte que, dans leur embarras, «les » libérauxont été jusqu'à embaucher des bonnesd'enfantset desservantes, » plus aptes à balayer la rue et à soigner le pot au feu qu'à s'initier aux » choses de l'enseignement. »


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contrebalancer l'influence des établissements officiels et de préserver les générations nouvelles du péril qui les menaçait était d'opposer, dans chaque commune : à l'école du gouvernement une école libre et catholique ; à l'enseignement basé sur une morale vague définie par l'Etat, un enseignement solide basé sur la religion ; à des maîtres impies, ou tout au moins indifférents, des maîtres croyants et vraiment dignes de former la jeunesse.

Tous les catholiques furent d'accord sur ce point, et aussitôt ils se mirent à l'oeuvre pour réaliser ce programme. Entreprise laborieuse! Il s'agissait de réunir en peu de temps des sommes considérables, non-seulement pour entretenir les écoles libres déjà existantes qui se trouvaient privées inopinément de l'adoption de la commune , et pour payer les professeurs , mais encore, mais surtout pour construire et meubler trois ou quatre mille écoles nouvelles dont le besoin était urgent; et, tandis qu'il avait suffi aux libéraux d'obtenir un vote du Parlement pour disposer à leur guise du budget de l'Etat et des fonds des communes, il fallait provoquer de nombreux sacrifices pécuniaires de la part des catholiques pour subvenir à tant de charges; en outre, il était nécessaire d'éclairer les parents qui auraient pu se laisser facilement gagner par les promesses ou intimider par les menaces de l'administration et leur faire comprendre quelle responsabilité ils encouraient, à quels dangers ils exposeraient l'âme de leurs enfants en les envoyant dans des écoles d'où la religion était, pour ainsi dire, absolument bannie (1).

Les chefs du parti catholique ne se laissèrent point décourager par la perspective de tant de difficultés qui pouvaient les arrêter dans leur généreuse entreprise; ils

(1) La loi de 1879 a décidé que, dans chaque école primaire , un local spécial serait mis à la disposition des ministres des différents cultes; et que ceux-ci pourraient y réunir, à des heures désignées d'avance et pendant une durée déterminée , les enfants de leur communion pour leur donner l'instruction religieuse : mais ce cours reste purement facultatif et les élèves ne peuvent y être admis que sur la demande formelle de leurs parents. — Les évêques ayant jeté l'interdit sur les écoles officielles et ayant, bien entendu, défendue leurs prêtres de donner l'enseignement religieux dans ces locaux que la loi leur réservait, c est le maître d'école lui-même qui est chargé d'enseigner aux enfants catholiques la lettre seulement du catéchisme diocésain, sans explications ni commentaires. On se doute aisément du profit que peut tirer un enfant de l'instruction religieuse donnée dans de telles conditions! L'effet est nul et c'est bien ainsi que l'entendent les libéraux, mais ce simulacre d'instruction religieuse leur sert encore a abuser de la bonne foi de quelques familles chrétiennes, auxquelles on a soin de répéter que, «si le prêtre ne domine plus tout l'enseignement comme autrefois, fa religion n'en continue pas moins à être respectée et enseignée dans les écoles.»


286 ORGANISATION PROVINCIALE, ETC.

s'empressèrent de fonder l'oeuvre du denier des écoles catholiques , ils organisèrent de grands meetings et firent des quêtes à domicile : les offrandes affluèrent de toutes parts, et bientôt il n'y eut pas en Belgique une seule famille bien pensante qui ne tînt à honneur d'avoir dans sa maison un tronc destiné à recevoir les aumônes en faveur des écoles catholiques. Bref, la campagne fut si bien menée qu'en moins de cinq mois on réunissait environ 30 millions ; partout des écoles libres sortaient de terre, et les parents chrétiens s'empressaient d'y envoyer leurs enfants, tandis que les écoles communales étaient à peu près désertées. « Dès la rentrée des classes , le gouvernement avouait une perte de 43 % sur la population des écoles communales ; proportion manifestement au-dessous de la vérité, et qui, d'ailleurs, se modifiait tous les jours au profit des catholiques, car de nouveaux établissements libres ne cessèrent de s'ouvrir pendant les mois d'octobre, novembre et décembre 1879 , et chacun d'eux était aussitôt pris d'assaut par de nombreux écoliers... En novembre, lorsque les trois quarts des communes environ furent pourvues d'écoles catholiques, la population scolaire de celles-ci s'élevait, pour l'ensemble du pays, aux deux tiers à peu près du nombre total des élèves, tandis que l'enseignement neutre et officiel n'en comptait qu'un tiers au plus. — C'est en particulier dans les Deux-Flandres, la province d'Anvers et la Campine, que le triomphe des catholiques est complet et incontesté; un maître s'estime heureux quand il peut rassembler autour de sa chaire quinze ou vingt enfants, dans une localité où les écoles libres en comptent cent ou cent cinquante (1). Aussi ces postes sont-ils particulièrement redoutés des instituteurs, qui s'y voient honnis des neuf dixièmes de la population comme apostats, comme intrus et comme parasites (2)... »

(A suivre) JEHAN DE WITH.

(1) Nous connaissons, pour notre part, plusieurs communes de la province d'Anvers où l'école officielle réunit à grand'peine de cinq à huit élèves, tandis que l'école catholique en compte deux ou trois cents.

(%) PaulGouy, p. 317-219.


287

BULLETIN DE JURISPRUDENCE

N° 19. (Orléans, 24 nov. 1880.)

Bii?e©tesiEo d'un étafeligsesaaoeEûÉ sl'©ïiïig©i<gnaeiïE®Eitt se©©Ea«6ais»©. — CffiïngiB'égîs.Éioeia sMgsoetiafe. — 16cttffliii®iîâtt©Bt h la «HipeeMwEa. ■— Bélamaâ al© jpjp©ï&ves.

Le Directeur d'un établissement d'enseignement secondaire régulièrement ouvert qui, après la dissolution, de la congrégation à laquelle il appartient, a continué a diriger cette maison sans remplir de nouvelles formalités ne saurait être considéré comme coupable de contravention à l'article 60 de la loi du 45 mars 4S"6d.

Le fait que ce directeur a manifesté l'intention de cesser ses fonctions et de se donner un successeur, ne peut modifier à cet égard sa situation légale, alors qu'en réalité il n'a pas abandonné définitivement ses fonctions.

o Labrosse.

ARRÊT.

Attendu que la prévention ne relève aucun fait précis et personnel à Labrosse, d'où l'on puisse induire qu'il ait renoncé expressément au bénéfice de sa déclaration de 1875 et abandonné définitivement ses fonctions de directeur de l'institution libre de Saint-Grégoire; que la connaissance qu'il a eue du bail consenti à un nouveau locataire, de l'intervention de W l'archevêque de Tours et des déclarations de diverses personnes qui se présentaient pour ses successeurs, n'implique pas cette renonciation d'une manière formelle ; qu'il reconnaît bien lui-même qu'il a eu l'intention de quitter le collège, mais qu'il affirme en même temps que cette résolution de sa part était subordonnée à son remplacement effectif par un nouveau directeur ; que cette prétention n'est contraire ni aux termes ni à l'esprit delà loi;

Attendu qu'il est à remarquer d'ailleurs que si la dissolution de la communauté religieuse, qui occupait avant ie 31 août le collège de Saint-Grégoire, a eu pour conséquence de modifier l'organisation de cet établissement, elle ne l'a point pour cela atteint dans son existence; que l'école n'a point été licenciée; que Labrosse lui-même, pendant les vacances, s'est occupé, suivant l'usage, des détails d'administration et de la correspondance avec les familles ;

Attendu que l'intervention de M5r l'archevêque de Tours ne contredit point cette interprétation ; que des termes et de l'esprit de la lettre de ce prélat, en date du 19 août, à M. le ministre des cultes, il ressort bien qu'il a pris sous son haut patronage l'institution déjà existante de Saint-Grégoire ; mais qu'il n'en résulte nullement qu'il


288 BULLETIN DE JURISPRUDENCE,

ait entendu procéder comme fondateur à la création d'une école libre nouvelle dans les conditions du décret du 31 mars 1851 (D. P., 51, 4, 64) ; que ce décret, pour le prévenu, est sans application dans la cause ;

Attendu qu'il ne s'agissait donc point dans l'espèce de l'ouverture d'une nouvelle école, mais de la continuation des études dans une institution fonctionnant déjà; que dans ces circonstances, Labrosse a pu, le 11 octobre dernier, nonobstant l'opposition notifiée par l'administration, et sans être astreint à une déclaration nouvelle, recevoir les élèves et procéder à la reprise des classes sans contrevenir à la loi ;

La Cour, reçoit le ministère public appelant du jugement rendu par le tribunal civil de Tours le 22 octobre 1880; au fond, confirme.

Cour d'Orléans, — 24 novembre 1880, — M. BOULLÉ, prés.

N" 20.

(Dijon, 29 décembre 1880.)

B^E^êto®.©nitiïtBHes ea ©Biaire «les s&oetes du gow^effu&eBmeia'ê. — lÈésea-efs e5»i isaars.

Le prêtre qui, dans un discours prononcé en chaire, se laisse entraîner a des allusions critiques sur Vexpulsion des religieux et sur les décrets du29 mars 4'880, en disant notamment que leur exécution s'est faite par le crochetage des serrures et l'apposition des scellés, commet te délit prévu et réprimé par l'article 204 du Code pénal.

L'aTjbé V...

ARRÊT.

Considérant qu'il résulte de l'information et des débats que, le 22 août 1880, plus de deux cents pèlerins lyonnais arrivés la veille à Paray-le-Monial, accompagnés de l'abbé" V..., se rendaient en procession vers sept heures et demie du soir à une chapelle sise à peu de distance de la ville, en suivant sur deux rangs la route de Charolles, lorsque les sieurs Berthier, conseiller municipal à Paray, et Larmier, employé du télégraphe à Moulins, arrivant en sens inverse, pénétrèrent au centre de la procession, tous deux le chapeau sur la tête et Launier le cigare à la bouche. ; qu'invités à passer en dehors des rangs, ils s'y sont refusés, en allégant une impossibilité imaginaire, puisque les personnes qui les accompagnaient ont pu le faire et ne les ont rejoints qu'après le passage des pèlerins ; que ce refus plusieurs fois réitéré par Berthier, occasionna du désordre dans la procession et une vive émotion parmi les assistants; que peu d'instants après, l'abbé V... dut prendre la parole, et que, sous l'empire

NOTA. — Nous appelons l'attention de nos lecteurs sur les sages motifs qui ont amené Ja Cour à faire au prévenu la plus large application des circonstances atténuantes. —Ajoutons que dans le cas où, comme dans l'espèce, l'amende est substituée à la prison, sans que le chiffre en soit déterminé par la loi, le minimun ne peut être dépassé. C'est la jurisprudence de la Cour de Cassation,


BULLETIN DE JURISPRUDENCE. 289

de cette émotion,, il se laissa entraîner à des allusions critiques sur l'expulsion des Jésuites de Paray-le-Monial et sur les décrets du 29 mars 1880, disant que leur exécution s'était faite par le crochetage des serrures et par l'apposition des scellés ; que deux témoins déclarent en outre quel'abbé V... aurait dit que nous avions un gouvernement d'occasion, composé de crocheteurs de serrures; mais que ces paroles, qui sont d'ailleurs diversement rapportées, sont formellement démenties par plusieurs témoins et que dans ce conflit de témoignages, on peut douter que le langage de l'orateur ait été bien compris et exactement reproduit ; mais qu'il n'en reste pas moins prouvé par l'ensemble des déclarations, par les paroles mêmes que l'inculpé ne conteste point, par le blâme qu'elles lui valurent de la part du clergé de Paray, qu'en réalité, il a eu le tort de censurer du haut de la chaire, les décrets d'expulsion et les actes d'exécution qui ont suivi; que ce fait constitue le délit prévu par l'article 201 du "' Code pénal ;

Considérant, sur l'application de la peine, qu'on doit tenir compte à l'appelant de l'entraînement qu'il a subi et des regrets qu'il en a manifestés; qu'il convient aussi de relever avec l'information la considération générale qu'il s'est acquise par ses talents et par l'exemplarité de sa vie, ainsi que par le patriotique dévouement qui lui faisait quitter le séminaire en 1870, pour s'associer comme volontaire à la défense du pays, — Que les rigueurs de la loi ne sont pas faites pour l'homme qui pratique ainsi le devoir et que l'inculpé a droit, dans la plus large mesure, au bénéfice des circonstances atténuantes ;

La Cour, faisant droit à l'appel émis par V... du jugement par défaut rendu contre lui le 20 novembre 1880 par le tribunal de police correstionneiie de Charolles (le condamnant à trois mois d'emprisonnement), dit qu'il a été mal jugé... déclare J.-B. V... coupable d'avoir le 22 août 1880, à Paray-le-Monial, prononcé dans l'exercice de son ministère, en assemblée publique, un discours contenant la critique ou la censure du gouvernement ou de ses actes; admet les circonstances atténuantes... le condamne à .16 fr. d'amende.

Cour de Dijon (ch. corr.). — 29 décembre 1880. — MM. KLIÉ, prés. — VÏZES, av. gén. — JACQUIER (du barreau de Lyon), av. pi.

N" 21. (Trib. Courtrai, 10 nov. 1880.)

Culte. Police de l'Eglise. — Ciwé.Uésïgiaatïom. des

places. ■— Résiste»©® «E© certaines personnes. — Voies de lait. — Aïîseiaee d'infraction.

Le curé est investi d'un droit de police dans l'église, analogue à celui qui appartient aux particuliers dans leurs maisons; il lui appartient notamment de placer a son gré les bancs et.les chaises et de désigner les places que doivent occuper les fidèles et d'empêcher ceux-ci d'en occuper d'autres que celles qui leur ont été assignées;

Par suite, des violences légères, exercées par le curé, et par le

IXe_l 19


290 BULLETIN DE JURISPRUDENCE.

bedeau, sur l'ordre du curé (contre les élèves d'une école dans l'espèce), dans le but d'assurer l'exécution des décisions prises, ne dépassent pas la mesure de ce qui est nécessaire pour faire respecter les dispositions arrêtées par le curé dans le cercle de ses attributions légales et ne tombent pas sous l'application du Code pénal. (Art. 30 Décr. 30 décembre 1809.)

Abbé Danel et Deroeux.

Voyez le texte de cette décision dans le Journal des conseils de fabrique, année 1881, p. 29. Trib. correct. Courtrai (Belgiquej. — 10 novembre 1880,

22.

(Cens. d'Etat, 12 nov. 187y.)

Eglise.

Consfi'Metâosi ©ta S"©coeBssÉE*Moeti®n. — IïiMsbsei"'vation des fiaE'saî&lité® aitssBiBtistï°sa4ives.Caractère de travaux publies. — Compétence.

Les travaux de reconstruction d'une église paroissiale, entrepris en vertu, de délibérations du conseil municipal et du conseil de fabrique, ont le caractère de travaux publics communaux, et, par suite, il appartient au conseil de préfecture de connaître des réclamations de l'entrepreneur, alors même que les travaux n'auraient pas été régulièrement entrepris et notamment qu'il n'y aurait pas eu d'adjudication. (Art, 4, L. 28 pluv., an vin.)

Bourg'eois.

Voyez le texte (D. P. 80. 3. 85).

Cens. d'Etat. — 14 nov. 1879. — MM. VALLON, rapp. — GOMEL, concl. — BARRY, av. pi.

N» 23. (Cons. d'Etat, 20 févr. 1880J

Enseignement.

ComssMMiie.C©ragi"égmtï«»is.Convention.Contrat ®4»mêS®Bîi»tté.Approbation administrative. — Ketrait. — Exeès «le posMr®iB'.

Le Préfet ne peut sans excès de pouvoir ni statuer sur les difficultés auxquelles peut .donner lieu «» traité intervenu entre une

NOTA. — La jurisprudence est en ce sens que c'est à la nature des travaux entrepris par une commune et non aux formes de l'entreprise

Su'il faut s'attacher pour déterminer la compétence. — Y", sur ce point 'alloz. J. G., Travaux publics, n" 1265 et la décision du Conseil d'Etat du 27 juillet 1877 (D. P. 77. 3. 110). — La Cour de Cassation de son côté a décidé dans son arrêt du 21 décembre 1880 que lorsqu'une commune fait exécuter des travaux publics sur un terrain dépendant du domaine public municipal, la circonstance que des irrégularités se seraient glissées dans l'accomplissement des formalités préalables ne saurait modifier le caractère de ces travaux et ouvrir aux intéressés un recours devant les tribunaux.


BIBLIOGRAPHIE. 291

commune et une congrégation religieuse pour la direction de l'école publique... ni décider, en l'absence de tout renvoi ordonné par l'autorité compétente, que l'approbation précédemment donnée à une convention conclue par une commune, sera considérée comme non avenue. (Art. 17, s. L. 18 juillet 1837.)

Société de Marie.

Voyez le texte de cette décision dans le recueil périodique de Dalloz et les indications dont elle est accompagnée en note (D. P. 81. 3 2).

Cons. d'Etat. — 20 février 1880. — MM. GAUWAIN, rapp. — GOMEL, concl. —SABATIER, av. pi.

(A suivre.) G. ANINARD,

Avocat à la Cour d'appel d'Aix.

BIBLIOGRAPHIE.

Essai historique soi' la condition des classes rurales en Belgique jusqu'à la On du xvme siècle, par M. Victor BRANTS , professeur à l'Université catholique de Louvain. — 1 vol. m-8°. 1880. Louvain , Peeters ; Paris, Champion.

Nos lecteurs ont pu assez apprécier ici-même les travaux de M. Brants, pour ne pas être surpris en apprenant que le jeune professeur de Louvain vient de conquérir une place dans le monde scientifique par un ouvrage de la plus baute valeur. Son Essai historique sur la condition des classes rurales en Belgique a obtenu un premier prix dans un concours ouvert par l'Académie royale de Bruxelles, et est pour ce pays ce qu'est pour la France l'Histoire des classes agricoles , de M. Dareste de Chavanne.

M. Brants s'est borné à un aperçu rapide sur les temps antérieurs au xie siècle, parce que, jusqu'à cette époque, l'histoire sociale de la Belgique ne se sépare pas de celle de l'Europe occidentale et a été traitée suffisamment par les écrivains français et allemands. Mais, à partir du xie siècle, les provinces belges, la Flandre surtout, prennent une existence distincte et s'élèvent à un degré de civilisation supérieur à celui des pays voisins. C'est là ce qui donne à cette étude un grand intérêt. M. Brants a dû pour cela faire un travail de première main , dépouiller les cartulaires et les archives de son pays. Son volume, sous une forme rapide, contient un ensemble d'indications absolument neuf.

Son plan est fort judicieux; il étudie successivement la condition des personnes et celle des terres, les classes inférieures et les classes dirigeantes (noblesse et clergé), puis l'organisation du village et de la communauté rurale, les conditions d'exploitation, l'art agricole et les industries annexes , comme la meunerie et le commerce des grains. Ces sujets sont traités depuis le xi° siècle jusqu'en 1790 , et l'on peut suivre dans chacun des chapitres qui y sont consacrés tout le développement social et économique pendant ces huit siècles si remplis et si féconds. Des appendices fort intéressants , un surtout sur les Guildes, complètent cet ouvrage aussi remarquable parla science économique que par l'étendue des recherches.


292 BIBLIOGRAPHIE.

Nous ne voulons pas faire un mérite spécial à M. Brants d'avoir mis en pleine lumière le rôle éminemment civilisateur rempli par l'Eglise et par ses institutions. Les savants les moins disposés en sa faveur sont amenés à le constater , pour peu qu'ils obéissent aux lois de la probité scientifique, en sorte qu'on peut dire que la vérité chrétienne trouve aujourd'hui sa plus puissante apologétique dans le progrès des études historiques. Nous aimons mieux citer une page qui témoigne du haut esprit de sagesse et d'impartialité avec lequel M. Brants a traité des institutions du moyen âge :

« Il ne peut être question de refaire ici la théorie des libertés nécessaires. Sont telles les seules libertés indispensables à l'accomplissement de la destinée de l'homme. Les autres libertés peuvent être bonnes et utiles : cela dépend de l'état social. Le degré de leur développement, l'indépendance plus ou moins grande des personnes ou des propriétés, constitue la différence qui diversifie les natioos et les âges de l'humanité. Si les libertés nécessaires sont imposées par le droit naturel , les libertés utiles sont l'oeuvre des temps et des circonstances, de ce développement spontané des peuples que forme le droit des gens, dans le sens romain de ce mot. Du moment donc où la liberté primordiale du devoir est accordée à l'homme, toutes les variétés et toutes les phases sociales sont également conformes au droit naturel, La communauté primitive des biens est une organisation aussi régulière que le régime de propriété privative des sociétés civilisées. — Le servage respectant la personnalité humaine n'est pas plus condamnable en droit que la pleine liberté individuelle. Est-ce à dire que les sociétés que nous appelons civilisées ne soient pas supérieures aux nations barbares? Nullement. Cette conclusion dépasserait étrangement nos prémisses. Mais leur supériorité consiste dans un rapport de mieux à bien et non de bien à mal. Elles sont supérieures, mais elles ne sont pas seules bonnes. Leur avantage consiste à mettre à la disposition de leurs membres plus de moyens utiles pour accomplir leur destinée, d'être mieux outillées, et, par conséquent , plus parfaites. »

B,» HoRMAiïniE ( PJIBSÛ Ei ipaÉsEisT). Enquête faite au. nom de l'Académie des sciences morales et politiques, par M. BAUDRILLART, membre de l'Institut, un vol. in-8°. Hachette, 1880,

L'Académie des sciences morales rend un grand service en faisant faire par un membre aussi distingué que M. Baudrillart, des études sur les conditions d'existence des populations agricoles, semblables à celles que M. Louis Raybaud a faites sur les populations manufacturières. La Normandie a été bien choisie pour inaugurer ce nouvel ordre d'enquêtes, car elle a été de bonne heure à la tête de nos anciennes provinces sous le rapport de la civilisation, et, dans les temps modernes, elle a pu une des premières bénéficier des conditions nouvelles faites à l'agriculture par les chemins de fer, ainsi que des débouchés offerts par les grands centres de consommation.

M. Baudrillart, comprenant fort bien l'unité nécessaire d'une pareille étude, a consacré plus de cent pages au passé de la Normandie. 11 en a emprunté les éléments pour les temps antérieurs au xvi* siècle, aux grands travaux de l'érudition moderne, qui mettent tous en relief le bien-être dont les populations jouissaient à ces époques et sur le nombre des habitants de la province. C'est en vain que dans un discours à l'Académie des sciences morales, M. ffippolyte Passy s'est efforcé de contredire ces conclusions ; il n'a pu lutter contre l'abondance des documents originaux ; d'ailleurs, la


BIBLIOGRAPHIE. 293

Normandie n'est, pas le seul pays de l'Europe pour lequel on fasse des constatations semblables. Nous avons signalé ici même les résultats identiques des recherches de M. Janssen sur l'Allemagne.

Le xvi* et surtout le xvii* siècle ont été, au contraire, pour nos campagnes des périodes de décadence. Ce n'est qu'à partir du ministère du cardinal Fleury que les traces de la guerre s'effacent, mais bien imparfaitement; l'ancienne prospérité était loin d'être regagnée en 1789.

Quand à l'état actuel de la Normandie, il peut se résumer en deux mots : grands progrès matériels, mais décadence morale profonde, compromettant dans l'avenir la prospérité matérielle ellemême.

Cette décadence morale s'accuse dans un fait dominant, la stérilité croissante, des mariages entraînant une diminution notable de •population. Les cinq départements de la Normandie, de 1872 à 1876, ont perdu plus de dix mille habitants, tandis que, pendant ce temps, les cinq départements bretons en gagnaient soixante-six mille. M. Baudrillart analyse avec autant de sincérité que de réserve dans la forme cette douloureuse situation : il en montre les causes dans la volonté des époux de ne pas morceler leur héritage, et dans le désir de ne rien sacrifier de leur bien-être. Ce double mobile est mis à découvert plus qu'il ne l'avait jamais été. Loin d'augmenter la vie moyenne comme le prétendent certains statisticiens, la diminution du nombre des naissances en Normandie coïncide avec une mortalité assez forte. Beaucoup d'autres maux, notamment l'ivrognerie et la multiplication des attentats contre les moeurs, découlent de ce vice caché au sein des foyers domestiques, et il est à noter qu'ils sévissent proportionnellement davantage dans certaines populations rurales que dans les populations manufacturières.

La petite propriété, qui était très développée avant 1789 et qui depuis lors s'était accrue par le partage des biens communaux, a perdu du terrain sur bien des points, parce que les familles lui ont fait défaut. La vitalité nationale est atteinte, non-seulement parce que le nombre des bras diminue, mais encore parce que l'unité de croyances, l'unité morale s'effacent dans les populations et sont loin d'être remplacées d'une façon efficace par les idées d'humanité et de patrie. Il ne reste plus place que pour Y individualisme et pour l'antagonisme des intérêts. Cet état des populations n'est pas particulier à la Normandie : « Il est celui d'une grande partie de nos » campagnes et peut-être, peut-on dire, qu'il est même celui, à » beaucoup d'égards de notre génération, ajoute M. Baudrillart -» (p. 159-160). »

Cette triste situation morale ne produit pas encore toutes les conséquences funestes qui doivent en découler, parce que la Normandie a une grande prospérité matérielle. M. Baudrillart en décrit les éléments avec le plus grand soin. Son livre abonde en renseignements intéressants sur l'étendue des cultures et la répartition de la propriété, sur la progression des fermages et le taux de capitalisation des revenus fonciers, sur l'union du travail agricole et du tra' vail industriel, sur l'enseignement agricole et l'état des écoles primaires. Il intéresse l'économiste et l'agronome non moins que les personnes qui veulent se rendre compte de ce qu'un écrivain normand appelait jadis fort expressivement le détail de la France.


294 BIBLIOGRAPHIE.

I,a magistrature et les décrets du 89 mars, par M. Gustave BARCILON, 1 vol. in-12. — Chez Oudin à Paris, et Séguin à Avignon. — Prix : 3 fr. 50.

Perpétuer le souvenir de l'éclatante et courageuse manifestation provoquée par les décrets du 29 mors; réunir les noms de tous les magistrats obligés de déchirer leur robe et de descendre de leur siège pour sauvegarder leur indépendance, leur dignité, leur conscience que révoltaient les réquisitoires qu'on entendait leur inspirer; leur assurer le respect et la vénération de ceux qui viendront après nous, était un devoir éminemment français et patriotique.

M. Barcilon vient de le remplir. Ancien magistrat, obligé luimême de briser sa carrière et de rompre avec des collègues aimés , il s'est noblement acquitté , en son nom et au nom de tous les vrais amis de la liberté et de la justice, de la dette contractée envers ceux qu'a indigné la pensée de donner des conclusions imposées d'avance. Nous l'en remercions.

En attendant que l'histoire se prononce sur les hommes qui ont méconnu la légalité, le droit, l'impartialité, pour leur substituer l'arbitraire, la force, l'iniquité, nous saluons ceux qui se retirent, et, l'espoir au coeur, nous applaudissons à l'heureuse pensée de M. Barcilon. Grâce à son excellent livre , où il a rassemblé le nom, la notice , les états de service des nobles magistrats qui ont brisé leur avenir mais conservé leur honneur, nous n'avons plus à craindre désormais les oublis impardonnables de notre mémoire. C'est le livre d'or de la magistrature qu'il vient de faire paraître. Nous trouvons, à toutes les pages, des parents, des amis qui nous sont chers à bien des titres. Nonsle parcourons avec joie, avec fierté. Ce monument devait être érigé à notre magistrature indépendante et transmis à la postérité. L. R.

Annuaire de l'institut de Droit international, renfermant les, actes les plus importants concernant la Diplomatie et le Droit des Gens. Bruxelles, librairie européenne C. Muquardt (Merzbach et Falk suce). Années 1879 et 1880. 2 vol. in-8, x-421, vni-360, p. 10 fr., — reliés avec 2 portraits, 15 fr.

Cet annuaire ne s'adresse pas seulement au public restreint qui s'occupe d'études juridiques. Le plan sur lequel il est conçu le rend d'une utilité incontestable pour tous ceux qui s'intéressent à la politique générale. Il renferme, en effet, les renseignements les plus précis sur les faits qui se sont produits durant les dernières années et, à ce point de vue, il constitue un document important pour l'histoire contemporaine. Outre les notices détaillées sur les travaux d& l'Institut, des rapports sur les questions que celui-ci examine et étudie, l'Annuaire donne le texte des traités et actes internationaux les plus importants ; un tableau chronologique des faits relatifs à l'histoire de la législation et du droit public, national et international; une, bibliographie complète du droit international et un aperçu de l'enseignement de cette science dans les divers pays. C'est surtout sur la chronologie politique et législative que nous appelons-


BIBLIOGRAPHIE. 295

l'attention. Il est de la plus grande utilité soit pour l'étude purement théorique, soit pour la pratique d'avoir sous la main un recueil facile à manier et offrant les dates et le résumé de faits et d'actes qui, bien que récents, ne sont pas à tout moment présents à la mémoire.

Etudes sur l'Inamovibilité de la magistrature, par M. Alber DESJARDINS, ancien député, ancien sous-secrétaire d'Etat. In-12, Paris. — Durand et Pedone-Lauriei. — 1 fr. 50.

Une étude comme celle-ci est à coup sûr d'actualité. Ce n'est pas son moindre mérite. L'auteur a su réunir en quelques pages tous les éléments de la controverse en ce moment soulevée par le projet de loi portant abolition temporaire de l'inamovibilité du juge.

Dans une première partie, on trouve exposées au point de vue historique les fluctuations subies dans l'application de ce principe sous les divers gouvernements qui se sont succédé depuis la fin de l'ancien régime jusqu'à nos jours. La Constituante et les assemblées qui la suivent, la Constitution de l'an vin, le premier empire; la Restauration qui, dit M. Desjardins, « eut l'honneur d'ériger en principe absolu l'inamovibilité des juges nommés par le roi, sauf les juges de paix; » le gouvernement de Juillet, la République de 1848; le second Empire et le gouvernement actuel.

Dans la seconde partie, l'auteur examine la situation faite aux juges dans les différents Etats de l'Europe et du Nouveau-Monde, au point de vue de l'inamovibilité. Il recherche aussi dans quelle mesure le choix du chef de l'Etat ou l'élection par les justiciables y concourent à la nomination du juge.

Pour conclure, M. Albert Desjardins, après avoir essayé d'établir que l'inamovibilité n'est pas incompatible avec la forme républicaine, termine en formulant le voeu que la France « ne cesse pas de respecter un principe dont tant de nations ont tôt ou tard reconnu l'importance et voulu éprouver les bienfaits. »

Nos voeux se joignent aux siens. Nous nous taisons sur nos espérances. C. A.

Contribution à l'Histoire dn Droit latin, par OTTO HIRSCHFELD, professeur à l'Université de Vienne, traduit du Festschrift zun faenfgigjaehrigen Gruendungsfcier des archaelogischen Institutes in Rom. (1879), par H. THÉDENAT, prêtre de l'Ora.toire, directeur du collège de Juilly. — Une piqûre in-8» de 20 pag. Prix : 2 fr. — E. Thorin, éditeur, rue de Médicis, 7, Paris. 1880.

Cette étude, extraite de la Revue générale du Droit, est relative au majus et au minus Latium. L'auteur, adoptant pour le fameux passage de Gaïus la restitution de Studemund, cherche à déterminer à quelle époque ont été créées ces deux catégories du droit latin. Après une longue et savante dissertation dans laquelle, du reste, d'autres questions accessoires sont également traitées, il en arrive


296 BIBLIOGRAPHIE.

à conclure que cette création serait de fort peu antérieure à Gaïus lui-même. Jusque-là, il n'existait que le minus Latium, connu sous le nom de Latium tout court. Et un siècle à peine s'était écoulé, que la latinité coloniale prenait fin en fait, sinon en droit.

Quelle que soit la valeur de cette étude, le prix qu'a cru devoir fixer l'éditeur nous semble fort exagéré, alors surtout qu'il s'agit d'un tirage à part. Ch. A.-T.

JLe Journal du Droit et de la Jurisprudence canoniques,

rédigé par des avocats et des canonistes romains. — Une livraison in-8° par mois. — Paris, chez Poussens et G", rue de Lille; Rome, Melandri; Louvain, Desbarax. — Abonnement :, un an : 16 fr.; 6 mois, 9 fr.; trois mois, 5 fr.

Nous recommandons à nos lecteurs la publication dont le titre vient d'être énoncé. Dans des temps meilleurs que les nôtres, le Droit canonique constituait une des branches principales de l'étude du droit. Non-seulement les avocats et les praticiens se trouvaient dans la nécessité de le connaître, eu égard aux causes ecclésiastiques qui se traitaient par-devant les officialités et les tribunaux séculiers; mais encore les hommes appelés, à un titre quelconque, à s'occuper des affaires de l'Etat, spécialement les administrateurs de tous les degrés et les diplomates, estimaient qu'il leur aurait manqué quelque chose s'ils eussent été dépourvus de notions précises et exactes en matière canonique. D'ailleurs, chacun sait que, dès le principe, il y eut des rapports intimes entre le droit pontifical ou canonique et le droit romain dit civil. Or, le droit romain est encore enseigné dans les écoles supérieures de l'Etat, tandis que le droit canonique, dissimulé sous les termes officiels de. discipline ecclésiastique, est à peine représenté. Cette lacune est regrettable, et il appartient aux juristes catholiques d'y suppléer, autant que possible, par des études privées.

Le Journal du Droit et de la Jurisprudence canoniques vient opportunément au secours de tous ceux qui veulent s'instruire. Ce journal est exclusivement rédigé par des canonistes et des avocats romains ; les italianismes qui percent çà et là dans le texte français sont autant d'indices d'authenticité. L oeuvre est tout spécialement recommandée par une lettre de M 81 Cretoni, écrite au nom de Sa Sainteté Léon XIII, le 18 octobre dernier, et adressée à M. l'avocat Marquis Liberati, camérier d'honneur de cape et d'épée, administrateur délégué, résidant à Paris, 87 bis, rue de Rennes.

Le premier numéro a paru fin de novembre ; il contient le programme de la rédaction et divers documents d'un véritable intérêt. Il comprend trois feuilles grand in-8°.

Victor PELLETIER , Chanoine de l'église d'Orléans.

Le gérant, î. BARATIER.

1300 Grenoble, imprimerie BAJUTIER et DAKPELET, 3354